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IRÉNÉE DE LYON ET LES DÉBUTS DE LA BIBLE CHRÉTIENNE ACTES DE LA JOURNÉE DU 1.VII.2014 À LYON
I N S T R V M E N TA PAT R I S T I C A E T M E D I A E VA L I A
Research on the Inheritance of Early and Medieval Christianity
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IRÉNÉE DE LYON ET LES DÉBUTS DE LA BIBLE CHRÉTIENNE ACTES DE LA JOURNÉE DU 1.VII.2014 À LYON
Édités par Agnès B astit & Joseph V erheyden
2017
I N S T R V M E N TA PAT R I S T I C A E T M E D I A E VA L I A
Research on the Inheritance of Early and Medieval Christianity
Founded by Dom Eligius Dekkers (†1998)
Rita Beyers Alexander Andrée Emanuela Colombi Georges Declercq Jeroen Deploige Paul-Augustin Deproost Anthony Dupont Jacques Elfassi Guy Guldentops Hugh Houghton Mathijs Lamberigts Johan Leemans Paul Mattei Gert Partoens Marco Petoletti Dominique Poirel Kees Schepers Paul Tombeur Marc Van Uytfanghe Wim Verbaal
Ce volume reprend une partie des travaux du Colloque Irénée entre Bible et hellénisme (Lyon, 30.06-3.07.2014), qui s’est tenu grâce à l’Institut universitaire de France.
D/2017/0095/124 ISBN 978-2-503-57544-5 e-ISBN 978-2-503-57545-2 DOI 10.1484/M.IPM-EB.5.113027 © 2017, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher.
Abréviations AB
Anchor Bible
AH
Adversus Haereses
Ant.Bib.
Antiquitates Biblicae
ANTT
Arbeiten zur neutestamentlichen Textforschung
BAC
Biblioteca de autores cristianos
BCNH
Bibliothèque Copte de Nag Hammadi
Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum LovaBETL nien sium BHTh
Beiträge zur historischen Theologie
Basler Studien zur historischen und systematischen BSHST Theologie BZNW Beihefte zur Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft CAnt
Christianismes Antiques
CPG
Clavis Patrum Graecorum
CSCO
Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium
CSEL
Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum
Dem
Demonstratio
Dial
Dialogus cum Tryphone
Die Griechischen Christlichen Schriftsteller der GCS ersten Jahrhunderte HE
Historia ecclesiastica
HTR
Harvard Theological Review
IPM
Instrumenta Patristica et Mediaevalia
JECS
Journal of Early Christian Studies
JSJ
Journal for the Study of Judaism
JSNT
Journal for the Study of the New Testament
JSP
Journal for the Study of the Pseudepigrapha
JTS
Journal of Theological Studies
JTS.NS
Journal of Theological Studies. New Series.
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abréviations
LNTS
Library of New Testament Studies
MondB
Le monde de la bible
NHC
Nag Hammadi Codex
NHS
Nag Hammadi Studies
NovT
Novum Testamentum
NTS
New Testament Studies
PG
Patrologia Graeca
PL
Patrologia Latina
RB
Revue Biblique
SC
Sources chrétiennes
SEAug
Studia Ephemeridis Augustinianum
SP
Studia Patristica
STAC
Studies and Texts in Ancient Christianity
SupplNT
Supplements to Novum Testamentum
TEG
Traditio Exegetica Graeca
Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altTU christlichen Literatur VigChr
Vigiliae Christianae
WBC
Word Biblical Commentary
Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen TesWUNT tament ZKG
Zeitschrift für Kirchengeschichte
ZNW
Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft
Introduction Agnès Bastit (Metz-Nancy) insuper multa de veteri, multa de novo testamento, ad munimentum verae fidei, fideliter et luculenter exponit (Florus de Lyon, épître-préface à l’Adversus Haereses, § 2, c. 850)*
Les textes qu’on va lire sont issus des travaux d’un colloque qui s’est tenu à Lyon fin juin 2014, sous le titre « Irénée entre Bible et hellénisme ». Une partie de cette rencontre était consacrée à l’arrière-plan historique et culturel de l’activité d’Irénée, en Asie mineure, puis en Gaule : les Actes en paraissent parallèlement dans la Collection des Études Augustiniennes1. Nous n’avons retenu ici que les études touchant à la présence des textes bibliques chez Irénée, et particulièrement de ceux qui constitueront ce que nous appelons le Nouveau Testament2 . On sait en effet que c’est avec l’Adversus Haereses d’Irénée (situable au cours des années 180) qu’apparaît dans la littérature chrétienne la perspective d’un corpus biblique, corpus présenté par Irénée comme tripartite : les prophètes/le Seigneur (= les évangiles)/les apôtres 3, ou comme quadripartite : Loi/prophètes/évangiles/écrits apostoliques 4. Cet ensemble *
J.-B. Pitra, « Florus Lugdunensis, Ad libros Contra Haereses prologus », Paris, 1852 (Spicilegium Solesmense 1), p. IX. 1 Irénée entre Asie et Occident, éd. A. Bastit, Paris, 2018 (Collection des Études Augustiniennes). 2 A. Benoît, en 1960, présentait l’originalité d’Irénée comme relevant de son « biblicisme » : A. Benoît, Saint Irénée. Introduction à l’étude de sa théologie, Paris, 1960, p. 76. 3 Cf. Irénée, AH 1.8.1 (SC, 264), p. 112 (parabolae dominicae, dictiones propheticae, sermones apostolici). 4 Irénée, AH 1.3.6 (SC, 264), p. 60-61 (non solum autem ex euangelicis et apostolicis temptant ostensiones facere …, sed etiam ex lege et prophetis). Irénée de Lyon et les débuts de la Bible chrétienne. Actes de la Journée du 1.VII.2014 à Lyon, sous la direction de A. Bastit et J. Verheyden, Turnhout, 2017 (Instrumenta Patristica et Mediaeualia, 77), p. 7-32 ©
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prend la forme, pour la première fois, d’un regroupement de livres, ou de blocs de livres. On peut supposer à un tel regroupement une origine liturgique, Justin évoquant la lecture conjointe, dans le cadre de l’assemblée, des « mémoires des apôtres » ou des « écrits des prophètes »5. Le même Justin, au milieu du deuxième siècle, est pour nous le plus ancien témoin systématique de ce procédé qui consiste à recenser les échos typologiques entre les récits et les textes qui deviendront « vétérotestamentaires » et les événements auxquels se rapportent les livres récents du futur « Nouveau Testament », de manière à établir des rapprochements qui peuvent prendre la forme d’associations textuelles ou « testimonia » 6. Il ne fait là qu’amplifier une tendance déjà perceptible dans les évangiles canoniques, avec les « versets d’accomplissement » et, dans une moindre mesure, dans les lettres apostoliques, qui offrent les exemples, qui deviendront fameux dans la tradition postérieure, du « rocher spirituel » « qui était le Christ » (1 Co 1, 10), du fils servile et du fils libre d’Abraham (Ga 4, 21-31), ou encore du salut par le nombre « huit » manifesté par la famille de Noé dans l’arche (1 Pi 3, 20-21), sans parler de l’épître aux Hébreux, qui peut être lue comme une longue typologie. Ces relations ponctuelles entre lieux « vétéro- » et « néo-testamentaires » continuent à être présentes dans l’Adversus Haereses d’Irénée – on en trouvera ici les exemples de la « manne » de Dt 8, 3, ou encore du psaume 21 (LXX) dans la lecture de la passion de Jésus7, mais elles se trouvent intégrées dans 5 Justin, 1 Apologie 67, 3. À l’inverse, la tentative de Marcion – pour laquelle Irénée, après la disparition de l’œuvre polémique de Justin, est notre plus ancien témoin –, tend à restreindre le nombre et l’étendue des textes investis d’autorité pour les chrétiens. On peut la comprendre comme témoignant a contrario d’une tendance inverse, qui visait à regrouper textes autoritatifs juifs et spécifiquement chrétiens, celle même que représente l’œuvre d’Irénée. Sur Marcion comme « conservative rather than innovator », voir J. Barton, « Marcion Revisited », dans The Canon Debate, éd. L. M. MacDonald, J. A. Sanders, Peabody, MA, 2002, p. 341-354, ici p. 354. 6 Un recueil plus tardif (milieu du iiie s.) nous en a été conservé avec les Testimonia ad Quirinum de Cyprien de Carthage. Sur les testimonia, voir M. C. Albl, ‘And Scripture cannot be broken’. The Form and Structure of the Early Christian Testimonia Collections, Leiden, Boston, MA, Köln, 1999 (SupplNT, 96). 7 Voir, dans ce recueil, les contributions de J. Blas Pastor et de M. Girolami. Cet éclairage réciproque de figures « vétéro- » et « néo-testamentaires » à travers l’exercice typologique se poursuivra durant toute l’antiquité chré-
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une appréhension plus globale, non seulement de la ligne dominante de la progression « économique » de l’histoire en ses diverses étapes, mais aussi – et c’est là donc la grande nouveauté d’Irénée – de la prise en considération des livres, et même des ensembles de livres, qui renferment ces passages. Parmi ceux-ci, on le sait, le bloc des quatre évangiles canoniques (suivi des Actes des apôtres) a particulièrement retenu l’attention d’Irénée 8. Les contributions qu’on va lire tentent d’explorer les diverses facettes de cette nouveauté, à travers laquelle se dessinent déjà les futurs contours de la Bible chrétienne. La confrontation avec l’appréhension gnostique des Écritures ne pouvait pas manquer, et elle se trouve illustrée ici par A. Sáez Gutiérrez et A. D’Anna, mais on a délibérément pris le parti de privilégier la relation propre d’Irénée au texte « biblique » (ou en passe de le devenir) sur son activité polémique, dans la mesure où les deux peuvent être séparées. On peut ainsi distinguer trois types principaux de contributions dans le présent recueil : celles qui s’attachent à la forme du texte biblique attestée par Irénée, celles qui recherchent les traditions qui sont à l’origine de livres – ou de groupes de livres – bibliques, celles enfin qui étudient l’interprétation d’un lieu scripturaire précis. Au préalable, il convenait de se livrer à un inventaire des éléments bibliques dans le patrimoine littéraire laissé par Irénée (dont nous rappellerons qu’il est lacunaire, comme pour la plupart des auteurs chrétiens, surtout les plus anciens9). Laurence Mellerin s’en est chargée, avec l’aide de Biblindex10, l’outil précieux qu’elle a créé et qu’elle perfectionne toujours. La recherche menée ici par tienne et se prolongera dans l’exégèse médiévale. P. Prigent a proposé d’éclairer quelques dossiers testimoniaux d’Irénée sur la base de ses recherches à propos de Justin, voir P. Prigent, Justin et l’Ancien Testament. L’argumentation scripturaire du traité de Justin contre toutes les hérésies comme source principale du Dialogue avec Tryphon et de la Première Apologie, Paris, 1964. 8 Voir, dans ce recueil, la contribution longue de Ch. Guignard. 9 Rappelons qu’Irénée évoque le projet de la rédaction d’un Contre Marcion qui ne nous est pas parvenu (AH 1.27.4 [SC, 264], p. 352), et que selon Eusèbe (HE 5.20 et 26) il était également l’auteur d’un ouvrage apologétique adressé Aux Grecs et intitulé Sur la science, de traités polémiques de dimension limitée (À Blastus ou Sur le schisme, À Florinus Sur le Pouvoir unique ou Que Dieu n’est pas l’auteur du mal, À Florinus Sur l’Ogdoade), d’Entretiens, et peut-être d’un traité Sur la Pâque. 10 Voir le site de Biblindex : http://www.biblindex.org/.
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L. Mellerin aboutit à un essai de cartographie de la présence des livres et des versets bibliques dans l’œuvre d’Irénée qui nous est parvenue, sur le fond des usages des auteurs ecclésiastiques du iie siècle dont nous avons conservé les œuvres11. On dira d’emblée que, chez Irénée comme ensuite chez Tertullien, le Nouveau Testament est fortement dominant (« Cette nette prédominance du Nouveau Testament est largement supérieure à celle que l’on observe en moyenne chez l’ensemble des Pères étudiés dans Biblindex »). Si Irénée a en commun avec son contemporain Clément d’Alexandrie (légèrement postérieur) et son successeur Tertullien une place prépondérante attribuée au Pentateuque – pour l’Ancien Testament – et à l’évangile de Matthieu – pour le Nouveau, il se caractérise par l’importance particulière que prend chez lui le livre de la Genèse et, dans le Nouveau Testament, par l’attention portée à la Lettre aux Éphésiens ainsi qu’à l’Apocalypse, c’est-à-dire par une tentative d’englober le commencement et la fin en les rapportant à une unique perspective christologique. Si on passe de l’échelle des livres à celle des versets, on constate à nouveau une prééminence, conforme à l’approche paléochrétienne de manière plus générale, de versets « théologiques » dominants, tels Jn 1, 14 sur l’incarnation du Verbe ou Is 7, 14 sur la naissance de l’Emmanuel. Quelques versets privilégiés cependant révèlent plus spécifiquement les préoccupations d’Irénée et de ses adversaires en même temps : Mt 11, 27 sur la connaissance réciproque du Père et du Fils et la révélation de cette connaissance, 1 Co 15, 50 sur la possibilité pour la « chair » d’« hériter » le royaume. Plus particulièrement propre à Irénée, selon la chercheuse, est le verset d’Ép 1, 10 sur la « récapitulation de toutes choses dans le Christ », caractéristique de l’effort d’Irénée de relier en un point – le Christ – toutes les lignes diverses de la multiplicité des peuples ou des moments de l’histoire, ou la récurrence de Mt 25, 41, sur le jugement négatif et l’éternité des peines annoncées (à l’encontre sans doute d’une forme d’apocatastase gnosticisante). Autour d’Ép 1, 10 sur la récapitulation, privilégié par L. Mellerin12 , celle-ci dessine une série de 11
La comparaison est menée principalement avec Justin, Clément d’Alexandrie et Tertullien, mais n’inclut pas ce que nous pouvons connaître de la littérature gnostique ou gnosticisante contemporaine. 12 Peut-être en dépendance d’une vision théologique d’Irénée comme penseur holistique, cf. B. Sesboüé, Tout récapituler dans le Christ. Christologie et sotériologie d’Irénée de Lyon, Paris, 2000 (Jésus et Jésus-Christ, 80).
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cercles concentriques où sont présentés les versets qui lui sont le plus fréquemment associés, depuis les plus récurrents (comme Gn 2, 7 sur la formation de la chair de l’homme) jusqu’aux plus rares. Olivier Munnich, de manière moins large et systématique mais plus incisive dans l’examen des cas retenus, s’attache à l’étude d’un certain nombre de lieux-témoins de la transmission grecque de la Bible juive, qui permettent de se faire une idée du texte utilisé par Irénée et de l’esprit dans lequel il l’aborde. Irénée se réfère à Bible grecque dont il reprend aussi la composition13. Considérée comme inspirée, la traduction des Écritures faite en Égypte était pour Irénée une étape de l’action révélatrice de l’Esprit (au même titre que la rénovation de la loi par Esdras), qui préparait providentiellement la diffusion de ces Écritures dans le monde hellénophone (AH 3.21.2-3). De ce fait, il n’y a pas de position privilégiée susceptible d’être revendiquée par l’original hébreu. Le texte d’Irénée reflète une forme ancienne de la Bible grecque (plus que Justin en certains cas) et ne présente pas de signes de retouches à partir de l’hébreu, mais cette confiance faite aux LXX n’est possible, selon le chercheur, que du fait de l’éloignement d’Irénée par rapport « aux centres judéens et aux milieux juifs lettrés qui, au contraire, hantent Justin et alimentent sa polémique avec le judaïsme ». Pourtant, on rencontre quelques surprises. Ainsi, à propos du verset d’Is 9, 6 (LXX), où la divergence avec Is 9, 5 du TM est importante, alors que Justin n’en connaît que la formulation des LXX, Irénée est le premier à citer le verset concurremment (dans le même troisième livre de l’Adversus Haereses ou encore dans le même développement de la Démonstration) sous ses deux formes : tantôt selon les LXX tantôt selon le texte hébreu, et même selon une variante d’origine hébraïque très spécifique. Comme ce sera le cas chez Origène sur la base d’une documentation beaucoup plus large, on constate qu’existent pour lui des énoncés différents de la même Écriture sainte, tous attestés en grec qui, loin de s’opposer, enrichissent le discours sacré. Un autre « cas paradoxal » est celui de Dn 9, 21, où une citation d’Irénée (dans l’Adversus Haereses)14 « per13 Comme le montre son classement des Lamentations et de Daniel, avec leurs additions, parmi les prophètes (et non parmi les hagiographes) ; en revanche des récits « deutérocanoniques » comme Judith ou Tobit n’apparaissent pas. 14 Tertullien, en De ieiunio X, 13, présente la même forme, que ce soit en dépendance d’Irénée ou du fait d’un texte identique.
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met peut-être de remonter à un état du texte scripturaire (hébreu) plus ancien que tous les témoins conservés en tradition directe ». On peut par ailleurs, à la suite de P. Prigent, repérer dans les développements d’Irénée (surtout dans la Démonstration), l’utilisation de dossiers thématiques ou de collections « testimoniales » de prophéties. De la même façon, de nombreux récits ou lieux vétérotestamentaires sont, dans la Démonstration, évoqués à travers le filtre des textes néotestamentaires où ils apparaissent. La complexité parfois contrastée des résultats de l’analyse menée ici de manière originale et, on peut le dire, pionnière, par O. Munnich incite à la prudence dans les conclusions : en dépit des tendances générales qui se dégagent clairement de l’étude – fidélité massive au texte des LXX, recours aux testimonia, y compris néotestamentaires –, les exceptions observées conduisent au constat que nous n’avons pas en main toutes les données permettant d’identifier le texte de la Bible grecque utilisé par Irénée. Deux brèves notes, issues d’interventions à la table ronde du 1e juillet 2014 au soir, évoquent le texte évangélique dont pouvait disposer Irénée et son rapport possible au Codex de Bèze : elles sont dues à Patrick Andrist et à Christophe Guignard. P. Andrist étudie deux apports du plus ancien témoin du texte de l’Adversus Haereses, le papyrus d’Oxyrhynque 405, datable du début du iiie s. ou même de la toute fin du iie, qui de manière significative transmet une citation de l’évangile de Matthieu (Mt 3, 16-17) dans le contexte du développement du troisième Livre d’Irénée (AH 3.9.3). Un des intérêts de ce témoin, qui a fait l’objet d’une étude de Hill15, est la présence de marques marginales ou diplai pour signaler la citation de Matthieu dans le cours du texte irénéen. Andrist aboutit à une double conclusion à ce propos : d’une part il constate que le texte évangélique cité ici par Irénée ne saurait sans plus être identifié avec D ou avec un prototype du Codex de Bèze : il comporte certes un choix commun avec D, mais s’en sépare par de nombreux autres détails ; d’autre part, il met en garde contre une surinterprétation de la présence des diplai : celles-ci ne renvoient pas en tant que telles à la nature « sacrée »
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C. E. Hill, « Irenaeus, the Scribes, and the Scriptures. Papyrological and Theological Observations from P.Oxy. 405 », dans Irenaeus. Life, Scripture, Legacy, éd. S. Parvis, P. Foster, Minneapolis, MN, 2012, p. 119-130.
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du texte cité, mais sont simplement utilisées par le copiste pour signaler une citation, qui peut certes être autoritative, dans le texte. On peut donc tout au plus déduire de ce détail graphique le fait que, pour le copiste, l’évangile de Matthieu apparaît comme un écrit identifiable en tant que tel auquel le développement copié se réfère. En ce qui concerne la note de Ch. Guignard sur les généalogies de Jésus, nous y reviendrons dans la partie de cette introduction concernant l’exégèse : qu’il suffise ici d’indiquer que, pour finir, Guignard montre l’incompatibilité entre la position d’Irénée sur les ancêtres de Jésus avec la solution du Codex de Bèze (D), qui réduit leur nombre de façon importante et insère les noms donnés par Matthieu dans le schéma de la généalogie de Luc. Le chercheur conclut donc que : « Si comme il est possible, Irénée, dont les citations sont souvent proches du Codex de Bèze, a connu et utilisé un manuscrit apparenté, la généalogie de Jésus montre que sa réception de cette forme textuelle particulière s’accompagnait de certaines réserves. Ce qui, le cas échéant, pourrait être une des clés de l’usage irrégulier qu’il en fait ». S’intéressant, non plus à un « texte » indifférencié, mais à la présence d’un livre particulier, celui de Marc chez Irénée, l’étude approfondie de Joseph Verheyden se situe dans une perspective textuelle, mais pointe en même temps vers la question du quadruple évangile : en recherchant dans l’Adversus Haereses les traces du texte de Marc, elle ouvre en réalité une réflexion plus vaste sur la relation d’Irénée au texte des évangiles. L’exemple de Marc est un échantillon particulièrement adapté à la recherche car, en dépit de la place égale attribuée à Marc dans la présentation combinée des quatre évangiles canoniques en fonction de leurs spécificités respectives (AH 3.11.8)16 et dans l’examen connexe de leurs incipits, l’usage qu’il fait de ce livre est particulièrement inégalitaire, puisqu’on ne compte que seize occurrences dans l’Adversus Haereses (aucune dans la Démonstration) contre plus de deux cents pour Matthieu17. J. Verheyden, après des préliminaires qui mettent 16 Voir ci-dessous la présentation de la contribution longue de Ch. Guignard à ce propos. 17 Il convient de nuancer en remarquant que les éditeurs ont une propension, dans les indices, à attribuer à Mt ce qui peut être commun aux Synoptiques. Néanmoins la tendance générale d’Irénée est nette. Plusieurs explica-
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en valeur l’importance du « moment » représenté par Irénée dans l’histoire du texte évangélique (comme l’indique nombre de titres d’ouvrages portant sur les débuts du Nouveau Testament, il y a un « avant » et un « après » Irénée), répartit de manière significative sa présentation des références irénéennes à Marc en deux sections : l’une consacrée au troisième Livre de l’Adversus Haereses, l’autre examinant les attestations repérables dans les autres Livres (1, 2, 4 et 5). Dans la première partie, de manière là encore significative, les trois lieux principaux de Marc mis en avant par Irénée (se distribuant en huit occurrences) sont d’une part l’incipit de cet évangile, particulièrement présent et influent dans l’argumentation irénéenne, puis son aboutissement avec la session du ressuscité « à la droite de Dieu » (Mc 16, 19)18, et enfin la première annonce de la passion, susceptible d’être comprise comme le pivot du récit des Synoptiques, qui l’oriente délibérément, après la proclamation par Pierre de la messianité de Jésus, vers sa fin. Pour les autres livres, les références à Marc, prises en compte exhaustivement par le chercheur, se répartissent comme suit : une unique occurrence pour les livres 2 et 5, deux pour le livre premier de l’Adversus Haereses, dont la première relève en réalité de l’exégèse valentinienne, suggérant que les chrétiens du groupe de Ptolémée recourraient à Marc au même titre qu’aux autres évangiles en passe de devenir « canoniques », quatre pour le quatrième livre19. L’examen fin de ces seize cas, qui occupe le corps de l’étude de J. Verheyden, éclaire au passage un certain nombre d’aspects de l’usage fait par Irénée des textes évangéliques – en particulier l’imbrication des motivations théologiques et stylistiques dans les choix ou accommodations qu’il opère, ou le recours fréquent à la « contamination » permettant la lecture en surimpression de versions synoptiques tions de cette disproportion peuvent être avancées, comme l’absence de Marc de l’usage liturgique contemporain (suggestion émise par Y.-M. Blanchard) ou encore, selon une hypothèse qui semble plus vraisemblable à J. Verheyden, la moindre grande richesse en logia de cet évangile. 18 On peut d’ailleurs se demander pour quelle raison, alors qu’Irénée pour les autres évangiles canoniques ne mentionne que les incipits en AH 3.9–11, il fait une exception pour Marc dont il rappelle aussi le terme. 19 Voici la liste complète de ces lieux : AH 3.10.6 ; 3.11.8 et 3.16.3 (Marc 1, 1-2.3) ; 3.10.6 (16, 19) ; 3.16.5 et 3.18.4 (8, 31.34-35) ; 3.18.5 (13, 9) ; 1.3.5 (10, 21) ; 1.21.2 (10, 38) ; 2.32.1 (9, 48) ; 4.6.6 (1, 24) ; 4.9.3 (7, 9-10) ; 4.18.4 (4, 27-28) ; 4.37.5 (9, 23) ; et 5.21.3 (3, 27).
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parallèles, un jeu que rend possible le support du texte écrit. De manière générale, la recherche est rendue particulièrement délicate par le fait qu’Irénée tend à valoriser la convergence plus que les différences, et chaque cas envisagé soulève de nouvelles difficultés. J. Verheyden met ainsi en lumière quelques questions particulièrement délicates, voire irritantes, dont la plus simple est : Irénée citait-il de mémoire à partir d’une transmission orale de logia ou partait-il d’un écrit ? Même si on ne peut exclure qu’Irénée ait parfois cité de mémoire, il semble que la seconde éventualité soit la plus probable, car son texte concorde la plupart du temps avec celui des éditions modernes, ou du moins avec des variantes répertoriées. Chemin faisant, le chercheur repère, dans le développement irénéen, des compositions en inclusion ou des ambiguïtés sans doute voulues, montrant ainsi que l’attention au contexte et à la visée de l’auteur est la méthode la plus féconde pour éclairer les apories qui s’exacerbent à l’inverse si on isole de son contexte la citation scripturaire étudiée. Nous avons affaire dès lors à une série de contributions touchant à la formation du canon chrétien, deux d’entre elles concernent les quatre évangiles canoniques, et l’une porte sur Paul et les Lettres pastorales, l’étude d'E. Cattaneo pouvant plus largement apparaître comme un préalable à des considérations autour de la formation du canon néotestamentaire associant, avec quelques autres, les traditions se rattachant à Paul et celles se recommandant de Pierre. Particulièrement sensible à la récurrence chez Irénée de la formule « le disciple du Seigneur » pour désigner Jean, l’auteur du ive évangile, d’au moins une épître et de l’Apocalypse, Luc Devillers insiste sur le fait que ce Jean est rarement appelé « apôtre » par Irénée et que, dans les cas où il se trouve désigné ainsi, il convient de se souvenir qu’un tel titre n’est pas réservé aux Douze et à Paul, chez Irénée comme plus généralement dans l’Église primitive, mais qu’il s’entend plus largement des missionnaires évangélisateurs. Les « hommes apostoliques », c’est-à-dire les disciples de la génération des apôtres ou d’un apôtre particulier, peuvent aussi par extension se trouver désignés ainsi. C’est seulement avec Eusèbe au début du ive s., quand celui-ci présente les fragments d’Irénée au troisième livre de son Histoire Ecclésiastique (HE 3.23.1), qu’il est affirmé explicitement que Jean est « celui qu’aimait Jésus, à la fois apôtre et évangéliste » (au sens d’auteur d’un évangile). La contribution de L. Devillers se concentre sur cette démonstration
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négative, et l’auteur ne s’intéresse pas ici à rechercher qui serait ce « disciple (homonyme) du Seigneur » invoqué par Irénée. La contribution principale de Christophe Guignard à ce recueil porte sur la question de la théorisation par Irénée de la quaternité des évangiles. Au préalable, le chercheur se propose de faire le point sur la connaissance que pouvait avoir Irénée des livres impliqués dans ce quadruple ensemble. Tout d’abord et pour la première fois, ces livres reçoivent un titre : « évangile selon Matthieu, selon Luc » etc., dont le parallélisme suggère qu’ils étaient reçus sur le même plan et entraient peut-être déjà dans une collection. La formulation « évangile selon » de ces titres, écrit Guignard, « ne s’explique bien que comme une façon d’ordonner une pluralité de consignations écrites à la notion d’un unique Évangile ». Par ailleurs, et en dépit de proximités avec le « texte occidental » (D), la complexité du témoignage des nombreuses citations évangéliques faites par Irénée (sans précédent auparavant) suggère qu’il avait pu en connaître plusieurs manuscrits. Ces livres circulaient principalement sous forme de cahiers ou codices, et on peut même supposer que les progrès techniques à l’époque d’Irénée avaient déjà permis le regroupement de deux livres tels que Mt et Lc par exemple, voire des quatre évangiles en un seul recueil, où ils auraient été, selon toute vraisemblance, disposés dans l’ordre Mt-LcMc-Jn. Dans le corps de l’étude, le chercheur se livre principalement à l’examen des deux grands moments du début du troisième Livre de l’Adversus Haereses concernant, le premier l’enracinement historique de la rédaction de ces livres, et le second la caractérisation respective des quatre évangiles de la collection dans le cadre de leur assimilation avec les quatre vivants de l’Apocalypse. La recherche est complétée par la prise en compte des autres lieux de l’Adversus Haereses où interviennent les quatre canoniques, et l’observation que ce groupement est absent de la Démonstration, dont le genre littéraire est décidément autre que celui de l’Adversus Haereses. En analysant attentivement les premières lignes du Livre trois, Ch. Guignard en montre à la fois l’intention polémique (il s’agit, contre les prétentions gnostiques à une révélation supérieure, de fonder la valeur autoritative de la révélation évangélique transmise dans les Églises), et insiste sur les éléments qui pointent déjà vers la quadruple unité évangélique. Pour Guignard en effet, dès le début du troisième livre, « Irénée met en place une dialectique de l’unité et de la diversité, qui sert de justification
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essentielle à sa conception de l’Évangile écrit à la fois dans son rapport à l’‘Évangile de Dieu’ et à la diversité même de ses formes écrites ». La première enquête menée par Irénée, après avoir établi l’autorité des écrits apostoliques, est celle qui porte sur les commencements des évangiles – également reconnus par les chrétiens gnostiques – et la théologie (au sens restreint de théorie sur Dieu) attestée par ces incipits. Dans l’extrait examiné en second, central pour l’étude et plus généralement pour la conception de la quaternité des évangiles (AH 3.11.7-9), on voit dès l’abord Irénée se référer à des conceptions philosophiques et scientifiques (cohésion du cosmos, quatre points cardinaux, rose des vents), « tout en employant un vocabulaire délibérément chargé d’échos théologiques » (pneuma, katholikon). L’analyse de Ch. Guignard fait bien voir comment l’adjectif savant τετράμορφος, d’origine profane, sert de support commun aussi bien à l’évocation des Chérubins d’Ézéchiel qu’à celle des quatre Vivants de l’Apocalypse, où à chaque fois ce qui importe est la relation entre l’unique Verbe « trônant » et les quatre faces qui l’entourent : « Irénée ne conçoit donc pas le rapport entre les Vivants et les évangiles indépendamment d’une dimension christologique ». Contrairement à ce qu’a soutenu Skeat en 1992 (cf. aussi, sur d’autres bases, Bogaert)20, ce développement ne semble pas reprendre servilement, en l’abrégeant, une source antérieure, mais l’équilibre de la pensée et de l’expression d’Irénée ici suppose néanmoins que la réflexion sur la quaternité des évangiles n’en était pas à ses premiers balbutiements. On peut même estimer, comme le fait Guignard, qu’Irénée « se contenterait de reprendre des équivalences (entre évangiles et faces de vivants) à l’origine établies selon l’ordre occidental et d’après Ez 1, 10 » et de les intégrer à sa vision théologique et économique illustrée par la succession des Vivants selon Ap 4, 7. Enfin, la vision proposée au début du troisième Livre par Irénée se révèle capitale pour l’ensemble de l’œuvre : « in evangelio » y renvoie au quadruple évangile, vu comme une unité en quatre livres, ce qui a aussi pour conséquence la légitimité d’une lecture en superposition des versions et la possibilité de glissements de l’une à l’autre, voire
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Voir Th. C. Skeat, « Irenaeus and the Four-Gospel Canon », NT, 34 (1992), p. 194-199, et P. M. Bogaert, « Les quatre Vivants, l’Évangile et les évangiles », Revue Théologique de Louvain, 32 (2001), p. 457-478.
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d’élaboration de citations « composites, résumées, approximatives » (voir, ici même, la contribution de J. Verheyden). Loin d’être un signe d’oralité, avec un modèle à respecter, cette liberté suppose au contraire un support écrit, sur la base duquel il est possible de « jouer », et auquel peuvent s’adjoindre à l’occasion l’une ou l’autre tradition annexe, d’origine presbytérale. Dans un débat avec Y.-M. Blanchard autour de l’interprétation d’AH 2.22.5 (où se trouve conjointement invoqués « l’évangile » et « les presbytres »), Guignard conclut : « ce passage illustre non seulement la valeur que conserve la tradition orale (pour autant qu’elle présente les garanties d’authenticité nécessaires), mais aussi la prééminence acquise par le témoignage des évangiles ». Par contraste, la pauvreté du matériau évangélique et l’absence de référence, non seulement au quadruple évangile mais même à un évangile (hormis Jean) dans la Démonstration de la prédication apostolique, pourtant postérieure à l’Adversus Haereses, incite à la prudence et montre, selon Guignard, qu’un auteur peut avoir une conscience parfaitement claire du statut des livres et de leurs relations, mais qu’en fonction de son public et de son lectorat il y fera ou non allusion – ce qui relativise la portée de l’argument e silentio en cette matière. Si on peut supposer à bon droit que les quatre évangiles « forment déjà à son époque une collection largement diffusée et reçue », Irénée, qui ne semble pas vouloir se faire « le promoteur d’une innovation », n’aurait contribué à sa canonisation que dans la mesure où, recevant cet ensemble, il l’a constitué en quaternité close, mais harmonieuse, par la justification théologique de sa réflexion sur l’unité. L’étude d’Enrico Cattaneo touche à la fois aux problèmes de canonicité et à la relation entre compréhension des textes scripturaires et traditions ecclésiales diverses. Elle part de l’opposition marcionite entre la nouveauté de l’évangile, que Paul a bien compris, et un Pierre encore attaché au judaïsme, opposition similaire à celle que présentent certains modernes (voir, par exemple, Lietzmann 1930)21, la situant sur le fond de la question majeure de la seconde moitié du deuxième siècle, celle du fondement de l’autorité 21 H. Lietzmann, « Zwei Notizen zu Paulus », dans Sitzungsberichte der Preußischen Akademie der Wissenschaften, Berlin, 1930, p. 151-156; dans H. Lietzmann, Kleine Schriften, Studien zum Neuen Testament, ed. K. Aland (TU, 68), Berlin, 1958, p. 287-291.
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des diverses traditions. Irénée accepte le principe de la révélation comme « connaissance parfaite » (teleia gnosis) donnée par JésusChrist, mais refuse de la concevoir détachée de toute l’histoire du salut. En réponse à Marcion en effet, et en reprenant le modèle du passage de l’ignorance à l’illumination, Irénée met en avant la révélation concernant le Fils reçue aussi bien par Pierre, instruit directement par le Père, selon Mt 16, 17, que par Paul, devenu apôtre de Jésus-Christ par l’action de Dieu le Père, selon Ga 1, 1 (AH 3.13.2). En un premier temps, E. Cattaneo s’attache à l’argumentation d’Irénée en faveur de la validité du témoignage de Luc (dans les Actes), à propos des relations entre Pierre et Paul, confronté à la source paulinienne de la Lettre aux Galates22 . Irénée part, explicitement, de la base scripturaire la plus étroite reconnue par ses adversaires, où il inclut les marcionites : on constate donc que les versets pauliniens absents de « l’édition » de Marcion ne sont pas non plus cités par Irénée (Ga 1, 18-24 en particulier). Plus largement, Irénée se doit de prouver la fiabilité des Actes (non reçu par eux), à l’égal de celle de l’évangile de Luc (reçu en majeure partie), par son accord avec la Lettre de Paul aux Galates (reçue en quasi totalité). On verra plus bas comment l’analyse par Irénée de la discussion apostolique de Jérusalem, et en particulier du discours de Pierre (Ac 15, 1-20), en confrontation avec Ga 2, dans le cadre de l’histoire de la diffusion apostolique du « novum libertatis testamentum » (AH 3.10.5), aboutit pour Irénée à revendiquer l’apostolicité des évangiles canoniques – et en particulier l’autorité paulinienne de l’évangile de Luc et pétrinienne de celui de Marc. Inversement, l’insistance similaire de la notice de Papias (qui se réfère à un « presbytre », selon Eusèbe, HE 3.39.15) sur l’origine pétrinienne de l’évangile de Marc suggère, note Cattaneo, un arrière-plan polémique analogue à celui d’Irénée : il n’y a pas qu’une source apostolique unique, et celle-ci ne se réduit pas à l’apôtre Paul. C’est sur ce fond que le chercheur envisage fondation » ensuite les trois mentions faites par Irénée d’une « conjointe par Pierre et Paul de l’Église à Rome et l’allusion à leur « départ » (exodos, à comprendre comme une « sortie de la vie »). Si 22 Je reporte à la troisième partie de cette présentation (sur les lieux de l’interprétation) ce qui relève directement, dans la contribution d’E. Cattaneo, de l’apport d’Irénée à la lecture de ces passages des Actes et de la Lettre aux Galates.
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Irénée rappelle, au début du troisième Livre, que ces apôtres ont « évangélisé et fondé l’Église » à Rome, il convient de comprendre cela d’une présence enseignante et structurante et non stricto sensu, puisqu’Irénée, par sa connaissance des Actes et de la Lettre aux Romains, ne pouvait qu’être conscient de ce que les premiers évangélisateurs de la ville étaient antérieurs à la venue de Paul. E. Cattaneo fait enfin remarquer qu’en se faisant l’écho d’une tradition romaine associant la présence des apôtres aux débuts de l’Église à Rome23, Irénée garde toujours la polarité Paul-Pierre (qui s’accompagne de la complémentarité entre les croyants des nations et ceux de la judéité) – sans la réduire donc à la succession pétrinienne –, et voit dans les deux apôtres les représentants du collège apostolique dans son ensemble, de même que l’Église de Rome n’est qu’un exemple particulièrement visible et remarquable de l’Église, au sens large, dans sa relation à la prédication apostolique. Le canon du Nouveau Testament qui commence à se constituer parallèlement manifeste de même que, tout en reconnaissant que les apôtres Pierre et Paul ont reçu une mission différente, ils prêchent le même évangile, qui n’est pas la révélation d’un « dieu étranger », mais celle de l’envoyé du Père. Enfin, dans sa brève évocation de la présence qualitative des deux Lettres à Timothée et de celle à Tite dans l’œuvre d’Irénée, James Payton n’insiste pas seulement sur l’attribution par Irénée des Lettres pastorales à Paul, en contraste avec la méfiance dont il fait preuve en général à l’égard de compositions pseudonymiques. Il met surtout en lumière le rôle joué dans l’Adversus Haereses par ces textes, qui apparaissent comme des références privilégiées pour Irénée, qui ne se contente pas d’y puiser le titre de son ouvrage (cf. 1 Tm 6, 20) ainsi que des expressions frappantes de ses prologues – dont une dans la première phrase de l’AH (1 Tm 1, 4) – mais leur emprunte des idées-force comme celle de la « colonne et fondement » de la foi (1 Tm 3, 15), ou inversement celle de la recherche infinie qui n’aboutit jamais (2 Tm 3, 7). Tout se passe comme si les Lettres pastorales et leurs mises en garde contre les « amateurs de mythes et de généalogies sans fin » (1 Tm
23 E. Cattaneo, « Pierre et Paul dans les traditions littéraires avant Irénée », dans Irénée entre Asie et Occident, éd. A. Bastit, Paris, 2018.
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1, 4) servaient d’inspiration immédiate et de réserve de formules frappantes pour l’auteur de l’Adversus Haereses. Parmi les études s’attachant à l’interprétation d’un lieu précis, on abordera d’abord celle de Joaquin Blas Pastor, qui s’intéresse à un verset du Deutéronome sur la manne (Dt 8, 3). Celui-ci intervient au Livre quatre de l’Adversus Haereses24, dont J. Blas présente d’abord la problématique et la continuité. Il s’arrête ensuite sur l’analyse de ce passage (4.16.3 – au seuil du développement sur le culte spirituel), où l’expression rationalis esca, qui y désigne la manne, se trouve éclairée par le texte de Dt 8, 3, évoquant la « nourriture de la parole » en complément de la « nourriture charnelle ». En ce sens, on doit donc comprendre que rationalis traduit λογικός en tant que nourriture délivrée par le Λόγος, mais aussi qui est le Λόγος lui-même quand il se donne en nourriture. L’interprétation d’Irénée est à la fois enracinée dans le moment historique du Deutéronome – la « nourriture rationnelle » ou enseignement du Λόγος communiqué au peuple hébreu représentant, conformément au contexte, le don des commandements et de la loi, et typologique, en annonce et comme en préparation à la venue postérieure du Verbe lui-même, nourriture spirituelle véritable, selon le sens conféré à la manne dans le Nouveau Testament (πνευματικὸν βρῶμα en 1 Co 10, 3 et « pain descendu du ciel » en Jn 6, 58). Selon J. Blas, la manne n’est pas une simple « image » d’une réalité spirituelle, comme cela pourrait être le cas dans une lecture gnosticisante : « rationalis, écrit-il, n’est pas seulement une allusion allégorique à la nature rationnelle de l’aliment, mais aussi une affirmation de la présence typologique du Verbe dans cet aliment ». La contribution de J. Blas, qui est dense et suggestive, montre que l’exégèse vétérotestamentaire d’Irénée ne peut se réduire à un schéma : ni allégorique, ni purement littérale et historique, ni simplement typologique, elle est avant tout attentive au contexte et profondément théologique : le don des préceptes et celui de la manne sont deux manifestations du Verbe formateur qui accompagne le peuple en éclairant sa liberté, en lui com-
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Ce verset est présent dans les récits de la tentation de Jésus chez Matthieu et chez Luc commentés par Irénée au Livre cinq, mais la citation en est tronquée.
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muniquant sa force, selon toutes les dimensions possibles du lien anthropologique reliant le « manger » au « connaître ». Une autre étude sur un lieu vétérotestamentaire majeur en lien avec le Nouveau Testament, en particulier les évangiles, est celle de Maurizio Girolami sur la présence du psaume 21 dans l’œuvre d’Irénée. Il n’y s’agit plus tant de « préparation », comme pour le lieu précédent, mais de « prophétie », en lien avec l’attribution des psaumes à David. On notera au préalable que le fameux verset 2 de ce psaume, exprimant l’abandon sur la croix (cf. Mt 27, 46) était déjà identifié comme l’un des éléments principaux des récits de la passion par les valentiniens de l’école de Ptolémée, puisqu’il sert à caractériser la passion et l’abandon subi par l’éon Sophia, selon AH 1.8.1. M. Girolami passe ensuite en revue, sur le fond du précédent de Justin et comme préparation à l’examen d’Origène, les cinq lieux principaux de l’Adversus Haereses où Irénée intègre le psaume 21 dans son discours ou y fait allusion, souvent à travers le prisme des récits évangéliques de la passion où ils sont très présents. Le simple parcours des allusions au psaume 21 reflète tous les principaux aspects de la pensée d’Irénée : herméneutique, économie, christologie, anthropologie. À partir du troisième livre, on voit apparaître deux axes de sa réflexion autour de la notion de prophétie comme « vision » en Dieu des mystères du Christ (cf. 4.20.8) : d’abord l’existence de séries contrastées d’annonces messianiques, réparties entre ce qui relève de l’humilité, où s’insèrent des allusions au Ps 21 (AH 3.19.2 et 4.33.12, cf. aussi Dem 79-80), et ce qui correspond à grandeur et à la divinité en Jésus, puis l’importance accordée à l’opposition entre la « descente dans la poussière de la mort » (au v. 16) et la « vie de l’âme » annoncée au verset 30 du même psaume : ce contraste ne correspond pas seulement au schéma fondamental de descente et de remontée qui est celui de l’incarnation pour Irénée ; il exprime plus largement, dans sa dimension anthropologique, le retour de l’homme à la poussière d’où il est tiré selon Gn 2, 7, et indique le point extrême de l’abaissement opposé à l’élévation naturelle de l’homme destiné à la « vie pour Dieu » (cf. AH 5.7.1). « Il ne s’agit pas seulement, écrit M. Girolami, d’une extension et d’une généralisation de la typologie, comprise en tant que technique, mais de l’application à tous les niveaux d’un contenu lié au salut qui permet à Irénée de voir dans l’incarnation du Verbe le nœud qui maintient reliés monde divin et monde humain, âme et corps, histoire et salut ».
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Si on passe à présent au Nouveau Testament, et en un premier temps aux évangiles, nous rencontrons à nouveau, en leur seuil, les généalogies de Jésus rapidement examinées par Ch. Guignard, dans sa note évoquée ci-dessus à propos de la discordance fondamentale, en ce qui concerne ce passage, entre Irénée et le Codex de Bèze. Irénée ne théorise pas le problème de la conciliation des généalogies données par Matthieu et par Luc, mais il semble, selon Guignard, que son approche de ces textes suggère une solution : la généalogie matthéenne serait seulement « sociale », alors que celle de Luc donnerait l’origine biologique de Jésus, par Marie. En ce qui concerne en effet la généalogie de Joseph donnée dès l’abord par Matthieu, elle ne correspond pas, pour Irénée, à l’ascendance charnelle de Jésus, en raison des prophéties contre Joachim et Jéchonias, ancêtres de Joseph dont la lignée est exclue de la royauté (AH 3.21.9). En revanche, il est très probable qu’Irénée lise la généalogie de Luc comme correspondant à l’ascendance biologique de Marie, et donc de Jésus, selon une autre lignée davidique que celle de Joseph retracée par Matthieu ; il ne fait par ailleurs pas de doute qu’Irénée, comme plusieurs autres auteurs anciens, voit en Marie une descendante de David. Cela expliquerait l’usage insistant, au troisième Livre, de la généalogie lucanienne pour relier Jésus à Adam et Marie à Ève. « Tout se passe donc comme si, écrit Guignard, la lecture mariale de la généalogie lucanienne gouvernait l’exégèse d’Irénée, mais qu’il ne juge pas nécessaire, ou pas opportun, de la mentionner explicitement », soit pour un motif textuel – Lc 3, 23 semble bien introduire une généalogie de Joseph – soit pour une autre raison. La contribution de Marie-Laure Chaieb nous transporte sur l’autre versant du récit évangélique, puisqu’il s’agit des récits de l’institution de l’eucharistie, dont elle note le peu de visibilité textuelle dans les développements d’Irénée sur ce thème. Selon la chercheuse, l’argumentation d’Irénée en ce domaine se fonderait sur la pratique de l’Église – ce qui suppose que celle-ci soit partagée, au moins dans ses grandes lignes, par les communautés « gnostiques ». M.-L. Chaieb envisage donc le recours sous-jacent au récit de l’institution, qui se devine à plusieurs moments dans l’Adversus Haereses, comme médiatisé par la formulation (libre, mais au contenu conventionnel) de l’anaphore eucharistique. Quoi qu’il en soit de cette hypothèse, ces allusions aux paroles de Jésus au cours de la dernière cène apparaissent comme des regroupements
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composites davantage que comme une référence littérale à tel ou tel récit, synoptique ou paulinien. Ainsi, Irénée serait davantage attentif à la tradition des Églises qu’à un texte fixé. Avec l’étude de Pino di Luccio sur les « demeures éternelles » (cf. Jn 14, 2), nous rencontrons le premier texte de ce recueil touchant à l’eschatologie (avant les deux contributions portant sur la conception paulinienne de la résurrection). Le chercheur se pose la question de savoir pourquoi, selon lui, l’évocation que fait Irénée dans la dernière partie du Livre cinq, consacrée au millenium sur la terre sainte et à l’exaltation de la Jérusalem terrestre ouverte à la Jérusalem céleste, ne correspond pas à l’attente eschatologique du Temple messianique, telle qu’elle se trouve exprimée dans les textes rabbiniques, ou plus largement juifs, contemporains et telle qu’elle apparaît déjà sous-jacente à plusieurs passages eschatologiques des évangiles. Le Temple, en particulier, et sa reconstruction ne sont mentionnés par Irénée – qui par ailleurs accorde une large place à la gloire de la Jérusalem terrestre – que comme le lieu où l’Antichrist siègera avant le retour du Seigneur et l’inauguration du millenium (AH 5.25.4), alors que pour l’espérance juive, qui affleure entre autres dans la théologie johannique du Temple identifié au corps du Christ (Jn 2, 19.21), la restauration du Temple de Jérusalem marque l’union du Seigneur avec son peuple. Deux explications au moins de ce décalage sont envisagées par P. di Luccio : soit le lectorat d’Irénée était trop étranger à la mystique judaïque du Temple pour que l’auteur de l’Adversus Haereses juge opportun d’évoquer cet aspect, soit ces spéculations, en relation par exemple avec les dimensions cosmiques du « Temple d’Adam » ou du « Temple de l’Homme » mentionnées à Qumran, avaient acquis à l’époque d’Irénée une connotation gnosticisante qu’il pouvait juger suspecte. Une troisième explication, moins probable, serait que les lecteurs d’Irénée étaient assez familiers avec cette dimension de l’eschatologie (la participation du Temple à la glorification de la Jérusalem terrestre) pour qu’il ne soit pas nécessaire de l’évoquer explicitement. En lien avec cette question, le chercheur prend en considération trois lieux évangéliques chargés, à des titres divers, de portée eschatologique : l’histoire de Lazare d’abord, chez Luc, qui offre une représentation de la survie des âmes après la mort et met en valeur la conception eschatologique du « sein d’Abraham » (Lc 16, 22), tout en pointant vers la résurrection de Jésus et sa force persuasive (Lc 16, 31) ; le texte central
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pour son étude de Jn 14, 2 « il y a de nombreuses demeures dans la maison de mon Père », complété par Jn 14, 4 (« pour aller où je vais vous savez le chemin ») ; la parabole des noces enfin, avec sa mise en scène de l’appel au festin eschatologique et la dimension nuptiale de ce dernier manifesté par le « vêtement de noces » (Mt 22, 11). Ces trois textes sont présents chez Irénée25. Le premier y est envisagé sous deux aspects : dans le deuxième livre, où il fournit un argument contre la métempsychose, et dans le Livre quatre, où il sert à relier « Moïse et les prophètes » (Lc 16, 29.31) et leur enseignement à la proclamation de Jésus ressuscité. Le deuxième, avec son évocation de la multiplicité des « demeures » est structurel pour la présentation en trois degrés de la récompense des justes (destinés soit à Jérusalem, soit au paradis, soit au ciel, cf AH 5.35.2), le troisième enfin, dans un contexte nuptial, rappelle que le « vêtement de noces » du festin eschatologique, selon Irénée, n’est autre que l’incorruptibilité conférée par l’Esprit à la chair créée et sauvée par le Verbe (cf. AH 5.33). Passant des évangiles aux Actes, on peut rappeler rapidement un aspect de l’étude développée d’E. Cattaneo portant sur les figures de Pierre et Paul chez Irénée, présentée ci-dessus : il s’attarde en effet sur l’exégèse irénéenne des Actes, en particulier du chapitre 15 consacré à la réunion de Jérusalem : l’intention d’Irénée est de montrer la convergence entre le récit de Luc, relevant de l’écriture historique, et la narration à la première personne de Paul en Galates 2. En pratique, l’analyse attentive menée par Irénée de la discussion apostolique de Jérusalem, et en particulier du discours de Pierre (Ac 15, 1-20), insiste sur l’équilibre de la position exprimée par Pierre – qui y apparaît comme la figure centrale – et sur le consensus qu’elle suscite. En ce qui concerne Ga 2, 1-10, qui se rapporte à la même discussion, Irénée n’en cite que le début du récit paulinien à la première personne, et le verset décisif de Ga 2, 5, à propos duquel on remarquera qu’il se détache du texte reçu par Marcion (et par les éditeurs modernes) pour suivre la version moins attestée, mais suivie par le Codex Bezae (D) : la différence 25
Les analyses de P. di Luccio s’appuient sur les travaux d’A. Orbe, qu’il s’agisse des derniers chapitres, consacrés à l’eschatologie, de l’Introduction à la théologie des iie et iiie siècles (trad. fr. Paris, 2012) ou des Parábolas Euangélicas en San Ireneo (2 vol., Madrid, 1972), à propos de la parabole des « noces royales » (bodas reales).
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est d’importance puisque, là où Marcion a une négation en début de phrase (οὐδέ), Irénée lit une affirmation : « nous avons cédé sur le moment », en comprenant cette « concession » comme faisant allusion à la participation de Paul à la rencontre de Jérusalem. Quant à « l’incident d’Antioche » raconté en Ga 2, 11-14, Irénée ne le passe pas sous silence (contrairement aux Actes des apôtres), du moins pour la partie qui concerne le comportement de Pierre – il ne dit rien en effet des reproches de Paul –, mais il l’insère dans un contexte plus large, où l’attitude de Pierre est vue comme médiane entre le respect du Dieu de la Loi, jamais renié, et la docilité aux impulsions de l’Esprit dans la prédication de l’évangile aux nations (AH 3.12.15). La présentation d’Irénée minimise de fait la portée de l’incident – sans l’éliminer néanmoins –, dans le but de mettre en avant la concordance, en ce qui concerne la substance des récits, entre Actes 15 et Ga 2, où dans les deux cas, pour Irénée, les choix de Pierre et de Paul ne sont que des parties d’un tableau plus vaste. Le traitement du corpus paulinien était assez bien représenté lors de la rencontre de Lyon. Pierre Molinié, à propos de la deuxième Lettre aux Corinthiens (la Lettre de Paul la moins citée par Irénée selon la recherche de L. Mellerin), esquisse d’abord un diptyque où il associe et oppose en même temps les déclarations de Paul sur son ministère en butte à la persécution – le « vase d’argile » de 2 Co 4, 7 –, d’une part, et la reprise par Irénée de la comparaison du « vase », de l’autre. À une « théologie de la croix » paulinienne s’opposerait désormais l’auto-glorification de l’Église. En complément, un autre moment célèbre de l’épître retient l’attention du chercheur : celui de la réponse « oraculaire » de Dieu à l’imploration de Paul : « ma puissance se déploie dans la faiblesse » (2 Co 12, 9). Son traitement par Irénée transpose la sentence de son contexte existentiel sur un plan anthropologique, voire ontologique : pour Irénée, c’est par la force de la résurrection – du Christ d’abord, des hommes ensuite – que la « puissance » divine se déploie dans la « faiblesse » de la mortalité humaine. Enfin, une série de cinq occurrences mineures de l’épître (l’un dans le Livre trois et les quatre autres dans le Livre quatre de l’Adversus Haereses) apparaissent comme des témoignages du recours à cette Lettre pour construire le portrait de l’apôtre en tant que modèle de l’enseignant (didascale) chrétien. Là aussi, selon P. Molinié, le paradoxe de la non réussite (ou vécue comme telle) de l’apôtre,
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qui s’apparente à l’expérience de la croix, se trouve remplacé chez Irénée par une réflexion sur l’autorité du ministre qui enseigne et de son fondement lié à la mission reçue du Christ : à la fragilité mise en avant par Paul s’oppose alors la « solidité » revendiquée par Irénée pour la doctrine chrétienne. La perspective d’Alberto D’Anna à propos d’1 Co 15, 50 « la chair et le sang ne sauraient hériter le royaume » est à la fois plus large – puisqu’elle met en jeu la théologie de la résurrection et celle de l’eucharistie – et plus limitée, dans la mesure où il centre sa recherche sur la polémique irénéenne du Livre cinq de l’Adversus Haereses (AH 5.2.3 en particulier) à l’encontre de chrétiens opposés au salut de la chair : selon le chercheur, cette polémique viserait les mêmes adversaires spiritualisants – internes à l’Église et non pas membres de sectes dissidentes caractérisées – que ceux qui réapparaissent vers la fin du Livre cinq (en AH 5.31.1) en tant que critiques du Millenium. Si le chercheur – qui invoque pour sa thèse le précédent du fameux commentaire du Livre V dû à Antonio Orbe26 – a raison, cela signifie que, vers la fin du iie s. déjà, un courant spiritualisant analogue à celui qui se trouvera illustré par Origène dans la première moitié du siècle suivant, était présent et actif à l’intérieur de « la Grande Église », ce qui expliquerait alors l’attention particulière d’Irénée au salut de la chair, en une insistance qui ne serait pas seulement destinée à combattre les positions externes des Gnostiques. On rapprochera de cet article la contribution d’Andres Sáez, qui aborde d’un autre point de vue une question similaire à celle traitée par A. D’Anna. Elle s’intéresse à la controverse exégétique entre les Gnostiques et Irénée autour de la question de la chair, mais cette étude très fouillée porte en réalité davantage sur le parallèle entre l’exégèse valentinienne (telle que l’attestent l’Évangile de Vérité, le Traité de la résurrection, l’Évangile de Philippe et les Extraits de Théodote) et celle d’Irénée qui est évoquée par contraste. Sáez montre, en première partie, que les valentiniens comme Irénée (et le courant qu’il représente) procèdent de manière similaire dans leur approche de l’Écriture : ils réfèrent les éléments scriptu26 A. Orbe, Teologia de S. Ireneo, Comentario al libro V del « Adversus Hæreses », III, Madrid, Toledo, 1988, Indice de herejes y doctrinas heterodoxas, à la fin du volume, sous le mot ‘Dimidia salus’, p. 794-795, cf. déjà « Adversarios anónimos de la Salus carnis », Gregorianum, 60 (1979), p. 9-53.
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raires à une « ὑπόθεσις » ou thèse sous-jacente, qui permet d’harmoniser ces éléments et de trouver une ligne directrice (« κανών »), qui rende compte de l’origine et du sens de la révélation. L’auteur polémique avec B. Aland sur la valeur et la portée des références scripturaires chez les Valentiniens : simples citations ornementales analogues aux poètes invoqués par les philosophes grecs ou textes investis d’une autorité par la révélation qu’ils transmettent ? Le chercheur attire l’attention sur la Lettre à Flora de Ptolémée, qui s’exprime en termes très proches de ceux d’Irénée (« les preuves de nos assertions, nous les tirerons des paroles de notre Sauveur »27 ). « En conséquence, écrit Sáez, si Irénée cite les Écritures comme il le fait, ce n’est pas parce qu’il aurait mal compris la manière dont les valentiniens se servaient de ces textes. Mieux, le fait que les valentiniens citent l’Écriture comme preuve n’implique pas que la manière de procéder de l’évêque de Lyon soit seulement le résultat de sa controverse avec eux ». De ce fait, continue-t-il, « je pense que Justin a cité à partir des Mémoires des apôtres appelés évangiles et considérés comme Écriture, en continuité et au même niveau que les Écritures d’Israël ; et je pense aussi que les valentiniens ont fait de même avec les écrits évangéliques et apostoliques, ce qui implique qu’ils les ont considérés comme des témoignages normatifs, autorisés, de la vérité de la foi. Par conséquent Irénée, en continuité dynamique avec Justin, ne s’est pas trompé en valorisant les citations de ses adversaires ». Dans le corps de sa contribution, A. Sáez cite un certain nombre de déclarations présentes dans les documents gnostiques de Nag Hammadi, qui insistent sur le fait que toute matérialité est exclue de l’univers du salut et que la « corporéité » ou la « résurrection » promises au spirituel sont elles aussi spirituelles : il s’agit du passage à une vie d’un autre ordre que la vie biologique. L’exemple de 1 Co 15, 50 « la chair et le sang ne peuvent hériter le royaume de Dieu », est cité explicitement par les ophites dans un contexte qui en éclaire bien la signification : les disciples auraient cru que le corps du ressuscité était « cosmique » (biologique), alors qu’il était en fait psychique, du fait de leur ignorance de la sentence présente chez Paul. Cette perspective n’est pas sans répercussions sur la nature et la portée de la célébration de l’eucharistie (corps et sang du 27
Lettre à Flora 3,8 (SC, 24bis), p. 54-55.
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Sauveur), comme le montre l’Évangile de Philippe, qui précise : « Sa chair est le Logos, et son sang, l’Esprit-Saint »28. Le même corps psychique, sans épaisseur biologique, permettait au Sauveur de se manifester aux hommes, conformément au verset de Jean : « Le Verbe s’est fait chair » (Jn 1, 14), dans l’interprétation de Ptolémée. A. Sáez précise : « Quoique la christologie des divers courants valentiniens n’ait pas été identique, en aucun cas ils n’appliquèrent la σάρξ dans le terrain christologique, comme le fit l’évêque de Lyon ». La sentence paulinienne d’1 Co 15, 50 peut aussi avoir une dimension anthropologique, tout comme cette autre déclaration de Paul : « quand j’étais dans la chair… » (Rm 7, 5), et même le récit initial de la formation de la femme en Gn 2, 23. Les Extraits de Théodote, très exploités par le chercheur, parlent à ce propos d’ « âme hylique, qui est le corps de l’âme divine » (ET 51). Les gnostiques se situent ici sur le terrain de la distinction des substances, plus ou moins pures, tandis qu’Irénée comprend la chair – au sens anthropologique, selon Jn 1, 14 ou Gn 2, 23 – comme se rapportant à la chair biologique, tandis que la « chair » connotée négativement est pour lui une métonymie chargée d’une valeur morale, au sens de vie attachée au seul niveau charnel. La conclusion du chercheur est que la différence entre les exégèses valentinienne et irénéenne se situe moins dans le type d’approche du texte adopté que dans le recours à une « ὑπόθεσις » philosophico-théologique distincte. Nous pouvons refermer ce parcours par une étude plus large provenant de « l’école de Madrid », celle de Patricio de Navascués, qui déborde un peu le cadre de la problématique de ce volume et pointe déjà vers l’histoire de la théologie. Cette contribution s’intéresse à la relation entre les livres scripturaires et les étapes de l’économie de la révélation, qu’elle suit chez Irénée depuis l’activité révélatrice du Verbe jusqu’aux temps de l’Église, à travers les étapes des patriarches, de la loi, des prophètes et de l’enseignement de Jésus. Ce faisant, ce travail rassemble et propose en note (selon le texte latin) une grande abondance de déclarations théoriques d’Irénée sur l’Écriture, pratiquement tous les textes de l’Adversus Haereses – la Démonstration n’est pas convoquée, eu 28 ÉvPh 56-57, J. E. Ménard, L’Évangile selon Philippe, Paris, 1967, p. 57-59.
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égard au peu de place qu’y occupe l’élaboration réflexive – portant sur la nature, la forme et les étapes de la révélation scripturaire. Il s’agit donc d’un regroupement très précieux et très suggestif des lieux où s’exprime la réflexion théorique d’Irénée, attestant combien celui-ci était conscient des enjeux et de la portée herméneutique de l’approche des textes bibliques. Si nous tentons pour finir de dégager les lignes d’ensemble de ces diverses études, qui portent en majeure partie sur l’Adversus Haereses, la Démonstration n’y occupant qu’une place marginale29, nous pouvons d’abord avancer quelques pistes. Au préalable, il convient de rappeler que la dimension polémique de l’œuvre d’Irénée n’occupe dans ce recueil qu’une place annexe : néanmoins, les études d’A. D’Anna et d’A. Sáez inscrivent, de manière indispensable, le travail d’Irénée sur le fond de l’élaboration exégétique des courants gnostiques ou gnosticisants et, plus généralement, sur celui de la littérature chrétienne contemporaine. Tout d’abord, même si cet aspect mériterait encore de nouveaux développements, Irénée apparaît particulièrement conscient de « l’objet » biblique en tant que tel. À cet égard, le saut qualitatif entre son prédécesseur et inspirateur Justin et l’Adversus Haereses est impressionnant : non seulement Irénée théorise le regroupement des livres (voir Ch. Guignard) – ce qui suppose sans doute l’usage de codices – et l’enchaînement de leur message selon une liaison qui s’oppose à la dispersion comme l’organisation narrative des poèmes homériques s’oppose à l’éclatement du centon (cf. AH 1.9.4), mais il se révèle particulièrement attentif à déterminer la place et la nature du texte biblique, surtout néotestamentaire, à l’interface entre, d’une part, les traditions attribuables à des écoles ou à des sources précises et, de l’autre, la visée théologique qui ressort de ces témoignages. En ce sens, comme le rappelle ici la contribution de M. Girolami, Irénée s’intéresse avant tout aux « choses » visées (πράγματα) ou, pour parler comme les linguistes, au « référent » et non pas d’abord au texte en tant que tel, au « signifiant », comme ce sera le cas bientôt pour Origène. Mais cette remarque 29 Ce serait l’objet d’une autre recherche étant donné sa richesse du point de vue de l’exégèse chrétienne primitive, mais ici même l’étude d’O. Munnich, à la recherche de témoignages vétérotestamentaires, repose en grande partie sur la Démonstration.
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n’implique pas qu’Irénée ne fasse pas sa place au « texte » en luimême, justement en tant que medium, où se concrétise la révélation transmise par tradition (voir ici les études de E. Cattaneo, L. Devillers, M.-L. Chaieb, par exemple) et qui donne à voir, si on le lit conformément aux règles de la saine herméneutique – c’està-dire en privilégiant cohérence et accord plutôt que rupture et discontinuité –, un objet structuré qu’on peut appeler économie ou histoire cosmique ou contenu du symbole de foi chrétien (voir P. de Navascués). Dans la mesure où les lieux bibliques sont compris par Irénée comme inscrits – de manière souple – dans un contexte, ils sont porteurs d’un sens qui y est lié, comme le fait voir ici la brève étude de J. Blas sur un verset du Deutéronome présent aussi dans les Synoptiques. Dans la mesure en revanche où ils visent une histoire plus large qui s’y trouve contenue, leur interprétation chez Irénée est souvent englobante, c’est-à-dire qu’elle se plaît à réunir en quelques versets ou parties de versets rapprochés des moments, proches ou éloignés, de l’histoire humaine qu’il est possible de lire, en insistant sur ce qui les relie, comme un continuum : c’est ce que montre bien, par exemple, l’analyse par J. Verheyden de l’incipit de Marc, où des générations prophétiques se profilent derrière Jean-Baptiste, ou celle par P. di Luccio de la conclusion du dialogue entre Abraham et le riche (Lc 16, 31), qui rattache la foi au « ressuscité des morts » à l’obéissance à « Moïse » et aux « prophètes ». Au-delà de cette dimension « historique » ou « économique » de l’exégèse irénéenne, plusieurs études ont montré que la lecture qu’Irénée fait des versets est souvent anthropologique, structurelle pourrait-on dire : ainsi, par exemple, la lecture de la « descente dans la poussière de la mort » débouchant sur la « vie de l’âme » en Psaumes 21, 16 et 30 renvoie de manière générale à la mortalité humaine, corrigée par la survie de l’âme (M. Girolami), ou encore, la réponse de Dieu à la prière de Paul, reçue en révélation par celui-ci selon 2 Co 12, 9 (« ma puissance se déploie dans la faiblesse ») renvoie pour Irénée (voir P. Molinié) au contraste structurel, très présent dans la pensée d’Irénée, entre la divinité et l’humanité, l’incréé et le créé, suggérant, au-delà du cas individuel de Paul, une action efficace et créatrice (ou re-créatrice) du divin sur l’humain, dont l’exemple le plus abouti est l’opération de résurrection, qui implique l’action de la « puissance » de Dieu sur la « faiblesse » constitutive de la corporéité. Transtemporel également, ou au moins actualisant est le recours littéraire, parfois en
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une sorte d’usage proverbial, aux formules scripturaires, comme l’atteste la reprise de syntagmes empruntés aux Lettres pastorales dans le titre et l’incipit de l’Adversus Haereses (J. Payton) : les emprunts bibliques, par moment, forment même le fond du langage d’Irénée, avec entre 20 et 25 citations par millier de mots aux livres trois à cinq de l’Adversus Haereses et dans la Démonstration (L. Mellerin). En ce qui concerne, non plus le rapport au texte, mais le texte lui-même, deux points semblent acquis, soit pour l’Ancien soit pour le Nouveau Testament, outre le fait que, selon Biblindex, ce dernier passe nettement au premier plan chez Irénée (L. Mellerin) : le texte vétérotestamentaire d’Irénée, surtout dans l’Adversus Haereses, est un exemple classique de la version non révisée des LXX (O. Munnich) ; le texte évangélique d’Irénée ne saurait sans plus être identifié à celui du Codex Bezae, en dépit de fréquents points de rapprochement (Ch. Guignard, P. Andrist). Dans tous les cas, du fait de conflations dues à l’usage testimonial, ou de la lecture en surimpression de plusieurs lieux apparentés, ou encore du fait d’intentions argumentatives ou interprétatives qui influent sur l’énoncé de la citation, il convient d’être extrêmement prudent, du point de vue de l’histoire du texte biblique, dans l’appréciation des citations faites par Irénée, qui ne sauraient être détachées du contexte de leur développement ni de l’intention du citateur, comme l’a bien montré ici l’étude de J. Verheyden.
I Études autour du texte biblique d’Irénée
Étude des usages bibliques d’Irénée à l’aide de Biblindex Laurence Mellerin (Lyon) Introduction Est ici tentée une approche statistique des usages bibliques d’Irénée, destinée à orienter, à partir d’observations les plus objectives possibles, les questions à poser à l’œuvre au moment d’en entreprendre la lecture ; destinée aussi à ouvrir la voie, autant que faire se peut, à des interrogations nouvelles, susceptibles de mettre en lumière des phénomènes qui ne seraient pas visibles autrement. Ce faisant, bien des conclusions proposées ne feront que confirmer ce que les lectures plus traditionnelles montrent aussi ; mais elles seront l’occasion d’une réflexion méthodologique, en vue de définir les fonctionnalités, les modalités de visualisation de données que la communauté scientifique peut souhaiter pour approfondir sa connaissance de l’œuvre d’Irénée. Les outils mis en œuvre sont fournis par le projet Biblindex1, index scripturaire en ligne des textes de l’Antiquité tardive et du Moyen Âge, porté par l’Institut des Sources Chrétiennes. Outre la constitution d’une base de données des références bibliques présentes dans des éditions critiques d’œuvres patristiques, le projet inclut des recherches informatiques, pour l’heure expérimentales, en vue du repérage automatisé des citations dans les textes euxmêmes2 et de la visualisation spatio-temporelle des recours aux
Carnet de recherche : http://biblindex.hypotheses.org/. Voir le prototype Greek Reuse Toolkit développé par Samuel Gesche (LIRIS), http://liris.cnrs.fr/dire/wiki/doku.php ?id=greek_reuse_toolkit. 1 2
Irénée de Lyon et les débuts de la Bible chrétienne. Actes de la Journée du 1.VII.2014 à Lyon, sous la direction de A. Bastit et J. Verheyden, Turnhout, 2017 (Instrumenta Patristica et Mediaeualia, 77), p. 35-62 ©
10.1484/M.IPM-EB.5.113492
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textes bibliques sur des cartes interactives 3. Dans le cas d’Irénée, les données disponibles ont été reprises des volumes parus de Biblia Patristica, volume 1, Des origines à Clément d’Alexandrie et à Tertullien, paru en 1975 : elles ont donc été systématiquement vérifiées par le Centre d’Analyse et de Documentation Patristiques de Strasbourg, et pour une part mises à jour lors de leur intégration dans Biblindex4. Les références suivent la numérotation de la Bible de Jérusalem, et celle de la Septante de Rahlfs pour les textes grecs absents de la BJ. Ces données sont toutes accessibles gratuitement en ligne via le formulaire de recherche du site http:// www.biblindex.org. Elles pourront être comparées aux données disponibles dans Biblindex à la date du colloque (juillet 2014). Ce corpus est constitué tout d’abord des quelque 270.000 références bibliques relevées dans les textes dépouillés pour les huit volumes parus de Biblia Patristica5. À ces données scientifiquement validées, et relativement homogènes quant à la méthodologie du relevé des citations, s’ajoutent d’autres données provenant également du CADP, concernant principalement les œuvres d’Athanase d’Alexandrie, Jérôme, Jean Chrysostome et Procope de Gaza (env. 100.000 références). Le tout est complété par les archives papier du CADP, en cours de saisie à Sources Chrétiennes, concernant des textes rédigés entre le ive et le xie siècle 6 (env. 240.000 références). Ce corpus
Voir le prototype développé par Thomas Leysens (LIG) : http://cartodialect.imag.fr/biblindex/ouvrages/. 4 En particulier, les références aux trois premiers livres de l’Adversus Haereses sont données dans l’édition Sources chrétiennes et non plus dans l’édition Harvey. 5 Voici la liste de ces volumes : 1. Des origines à Clément d’Alexandrie et à Tertullien, Paris, 1975 ; 2. Le troisième siècle (Origène excepté), 1977 ; 3. Origène, 1980 ; 4. Eusèbe de Césarée, Cyrille de Jérusalem, Épiphane de Salamine, 1987 ; 5. Basile de Césarée, Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse, Amphiloque d’Iconium, 1991 ; 6. Hilaire de Poitiers, Ambroise de Milan, Ambrosiaster, 1995 ; 7. Didyme d’Alexandrie, 2000 ; Supplément, Philon d’Alexandrie, Paris, 1982. 6 Pour ce qui est des auteurs majeurs du ive siècle, on approche de l’exhaustivité ; pour le ve siècle, Cyrille d’Alexandrie et Théodoret de Cyr ont été intégralement traités, ce qui est également le cas pour des auteurs plus tardifs comme Grégoire le Grand (vie siècle) ou Maxime le Confesseur (viie siècle). De nombreuses chaînes ont été dépouillées. 3
étude des usages bibliques d’irénée
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étant sans cesse en évolution au fur et à mesure des saisies, tous les chiffres donnés ici ne seront que des approximations. Répartition par siècle des références bibliques dans BIBLINDEX (07.2014)
Répartition des références chez les contemporains d'Irénée
Ier-IIe s.
VIe s. et sq
Irénée
IIIe s. Autres Clément d'Alexandrie
Ve s. IVe s.
Tertullien
Il sera également intéressant de comparer les usages d’Irénée à ceux de ses contemporains, ici définis comme les auteurs des deux premiers siècles et du début du troisième : des écrits anonymes apocryphes, des Passions de martyrs, les textes des Pères apostoliques et des apologètes, ceux de Clément d’Alexandrie et de Tertullien7. Dans le corpus ainsi délimité, Irénée représente 14% des références bibliques relevées, Clément d’Alexandrie 17%, Tertullien 28% environ – ce pourcentage plus élevé s’expliquant notamment par la plus grande longueur de son œuvre conservée. Les œuvres d’Irénée prises en compte sont les suivantes : - Adversus Haereses (CPG 1306), éd. A. Rousseau, L. Doutreleau et al., Paris, 1979 (SC, 263 : I) ; 1982 (SC, 294 : II) ; 1974 (SC, 211 : III) ; 1965 (SC, 100 : IV) ; 1969 (SC, 153 : V) - Demonstratio praedicationis apostolicae (CPG 1307) : les références sont faites à la traduction française de l’arménien de L. M. Froidevaux, Paris, 1959 (SC, 62). - De Ogdoade contra Florinum et Ad Florinum de monarchia (CPG 1308-1309), fragments dans Eusèbe de Césarée, Histoire Ecclésiastique, éd. E. Schwartz, Leipzig, 1903 (GCS, 9.1), p. 482-484. 7 On retrouvera la liste des œuvres prises en compte dans ce groupe dans Biblia Patristica 1, p. 19-45.
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- Epistula ad Victorem papam Romanum de festo paschali (CPG 1310), dans Eusèbe de Césarée, Histoire Ecclésiastique, éd. E. Schwartz, Leipzig, 1903 (GCS, 9.1), p. 494-496. - Epistula ad Victorem papam Romanum de Florino (CPG 1311), éd. W. W. Harvey, Sancti Irenaei episcopi Lugdunensis libros quinque adversus haereses, t. 2, Cambridge, 1857, p. 457, 477. - Fragmenta varia (CPG 1315-1317), éd. W. W. Harvey, Sancti Irenaei episcopi Lugdunensis libros quinque adversus haereses, t. 2, Cambridge, 1857, p. 456, 480, 488-489, 491, 492, 507, 509 ; éd. H. Jordan, Leipzig, 1913 (TU, 36.3), p. 40-44, 60-62, 123-124, 127, 131-132, 134-141, 150-154. On laisse de côté les 58 références relevées chez le Pseudo-Irénée 8, ainsi que les 83 références repérées dans les œuvres dont l’attribution à Irénée est incertaine9. Restent 4084 citations ou allusions bibliques, qui se répartissent ainsi : - 1 dans l’Ad Florinum : 1 Jn 1, 1-2 ; - 132 dans les Fragmenta varia ; - 474 dans la Demonstratio (12%) ; - 3477, dans l’Adversus Haereses (85%). 1. Le contenu de la Bible d’Irénée On trouve chez Irénée un corpus biblique en trois parties : 1) la Bible juive, qu’il désigne généralement comme « les Prophètes » au sens large, soit l’ensemble de l’Ancien Testament ; 2) les quatre évangiles canoniques, dont il est le premier à théoriser la complémentarité ; 3) les écrits apostoliques. Il en cite 2460 versets différents10 (soit 6,7%11), issus de 34 livres de l’Ancien Testament12 et 24 du Nouveau13. 8 Fragmenta varia, éd. Harvey, p. 510 (CPG 1315-1317) ; éd. Jordan, 1913, p. 178-189. 9 Fragmenta varia, éd. Harvey, p. 455, 482-486, 488, 496-498 (CPG 13151316) ; éd. Jordan, p. 56-60 et 176 (CPG 1317) ; De fide, dans P. Nautin, Le dossier d’Hippolyte et de Méliton, Paris, 1953, p. 88-89 (CPG 1320). 10 Pour des raisons pratiques, notre unité de base est le verset, mais il faudrait idéalement descendre au niveau de la partie de verset, voire du mot. 11 29175 versets de la LXX + 7956 versets du NTG. 12 Pour l’Ancien Testament, Gn, Ex, Lv, Nb, Dt ; Jos, Jg, 1 et 2 S, 1 et 2 R, 1 et 2 Ch, Esd, Ne ; Is, Ez, Jr, Lm, Ba, Dn, Am, Ha, Jl, Jon, Mi, Ml, Os, Za ; Jb, Pr, Qo, Ps, Sg.
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Les occurrences de ces versets se répartissent comme suit : 38% dans l’Ancien Testament, 62% dans le Nouveau14 (dont 54% de références aux évangiles et 32% aux épîtres pauliniennes). Cette nette prédominance du Nouveau Testament est largement supérieure à celle que l’on observe en moyenne chez l’ensemble des Pères étudiés dans Biblindex (48% AT/52% NT). Elle est en revanche proche des pratiques des contemporains d’Irénée (35% AT/ 65% NT). Chez Tertullien, on trouve même 68% de références au Nouveau Testament. Paradoxalement, le fait saillant de cette statistique est donc qu’Irénée cite plutôt davantage l’Ancien Testament que ses contemporains. 13
2. Que cite Irénée de l’Ancien Testament ? En descendant à un degré de granularité plus fin, celui du livre biblique, on constate que tous les livres de la Bible hébraïque sont représentés dans l’œuvre d’Irénée, à l’exception de Ruth, Esther, le Cantique15 et quelques petits prophètes : Abdias, Nahum, Sophonie, Aggée ; mais certains sont à peine présents : pour Esdras et Néhémie, on trouve un simple résumé du rôle d’Esdras16 ; l’allusion relevée dans Sources Chrétiennes à 1 Ch 29, 1217, les deux à 2 Ch 6, 618 et celle à Qo 3, 1119 relevées par l’analyste du CADP, uniques traces des livres concernés, sont pour le moins ténues et ne suffisent assurément pas pour conclure qu’Irénée lisait ces livres. Les trois citations des Lamentations en revanche sont explicitement 13 Par comparaison, Tertullien, dont le texte biblique est particulièrement riche, cite 4300 versets, soit 11,6%. 14 1537 références à l’Ancien Testament, 2536 au Nouveau, 11 indéterminées. 15 La seule occurrence figure dans les Fragmenta varia à l’attribution incertaine (voir supra n. 10 : p. 455, l. 3), il s’agit d’une allusion possible à l’ensemble du livre. 16 AH 3.21.2, qui peut constituer une allusion à Esd 3, 1 puis Ne 8, 1-18 (p. 404, l. 47 et p. 406, l. 48). 17 AH 3.6.4 (p. 74, l. 86) : on a seulement et dominaris omnium. 18 AH 3.10.1 (p. 112, l. 12) et 4.36.2 (p. 882, l. 50), sur la seule base des mots Hierusalem elegit/elegerit. 19 AH 5.16.1 (p. 214, l. 13), sur la base de l’expression ab initio usque ad finem dans le contexte de la Création.
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introduites par une formule les attribuant à l’Écriture, voire au prophète Jérémie20. Pour les petits prophètes, la brièveté du texte suffit à expliquer le phénomène. Quant aux autres livres mentionnés, ils sont quasiment absents chez tous les autres auteurs antérieurs au iiie siècle, qui omettent spécialement les livres de Ruth et Esther. Rien d’étonnant donc à ce qu’Irénée ne les cite pas non plus21. S’il utilise clairement deux livres deutérocanoniques, Sagesse22 et Baruch23 – pour Irénée Jérémie –, en revanche le Siracide24, 1, 3, et 4 Esdras, Judith, Tobie, les quatre livres des Maccabées25, les Odes et les Psaumes de Salomon ou encore la Lettre de Jérémie sont absents de son œuvre. En cela, là encore, le profil d’Irénée est similaire à celui de Tertullien. 20 Lm 3, 30 en Dem 68 (p. 135, l. 13) ; Lm 4, 20 en AH 3.10.3 (p. 124, l. 99) et Dem 71 (p. 138, l. 6). 21 Cette liste des livres pas ou peu cités est quasi identique à celle de Tertullien. 22 Sg 1, 7 en AH 3.11.8 (p. 162, l. 184), AH 5.2.3 (p. 36, l. 54) et 5.18.3 (p. 244, l. 69) ; Sg 1, 14 en AH 1.22.1 (p. 308, l. 4), 2.10.2 (p. 88, l. 33) et 4.20.2 (p. 628, l. 24) ; Sg 2, 23 en Dem 11 (p. 49, l. 6) ; Sg 2, 24 en AH 5.24.4 (p. 306, l. 71) ; Sg 4, 10 en AH 5.5.1 (p. 62, l. 8) ; Sg 6, 19 en AH 4.38.3 (p. 956, l. 83) ; Sg 7, 5-6 en AH 2.34.2 (p. 356, l. 26) ; Sg 10, 4 en AH 1.30.10 (p. 376, l. 180) ; Sg 11, 20 en AH 4.4.2 (p. 420, l. 32). 23 Ba 3, 29–4, 1 en Dem 97 (p. 166, l. 12) ; 3, 38 en AH 2.32.5 (p. 342, l. 124) ; 4.20.4 (p. 636, l. 85) ; 4.20.8 (p. 652, l. 204) et Dem 12 (p. 52, l. 2) ; longue citation de Ba 4, 36–5, 19 en AH 5.35.1 (p. 440, l. 29), partiellement reprise (Ba 5, 3) en AH 5.35.2 (p. 442, l. 55). 24 Les deux occurrences du Siracide relevées dans Biblia Patristica sont loin d’être certaines. La référence à Si 1,3 en AH 2.30.3 (p. 306, l. 57) se fonde sur l’expression rendue en latin par investigare magnitudinem sapientiae. La Vulgate aura certes investigare sapientiam, mais on trouve les mêmes lemmes en Is 40, 28, et le contexte du passage est par ailleurs plutôt psalmique (cf. Ps 146). Quant à Si 44, 16 en AH 5.5.1 (p. 62, l. 8), c’est une allusion au transfert d’Hénoch, qui pourrait s’ancrer aussi bien en He 11, 5, avec l’expression εὐαρεστήσας τῷ θεῷ. 25 Biblia Patristica indique trois allusions à 2 M 7, 28 dans l’AH : 1.22.1 (p. 308, l. 3) ; 2.10.2 (p. 88, l. 32) ; 4.20.2 (p. 628, l. 24). En réalité, ces passages sur la création ex nihilo renvoient plutôt au Pasteur d’Hermas, Précepte 1, 26 (éd. R. Joly, SC, 53 bis, p. 144, l. 1-4), auquel on trouve d’autres allusions dans l’œuvre d’Irénée (AH 1.15.5 ; 2.2.4 ; 2.6.2 ; 2.30.9 ; Dem 4) : … ἐκ τοῦ μὴ ὄντος εἰς τὸ εἶναι … En AH 4.20.2, Irénée cite plus longuement Hermas et désigne le texte comme « écriture ».
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étude des usages bibliques d’irénée
La prédominance du Pentateuque dans les références d’Irénée à l’Ancien Testament est massive (51%), ce nombre devenant encore plus significatif une fois pondéré par la longueur des livres bibliques26. Suivent les grands prophètes, puis les Psaumes et les petits prophètes. Les livres historiques, Proverbes, Job, qui apparaissent dans le graphique, sont en réalité nettement moins cités que leur longueur ne pourrait le laisser prévoir.
Répartition par groupements de livres des références à l'Ancien Testament chez Irénée Pentateuque Grands prophètes (Is, Jr, Ez, Dn) Psaumes Petits prophètes (Mi, Am, Ha, Jl, Jon, Ml, Os, Za) Samuel-Rois Josué et Juges Proverbes Job 0
10
% de versets dans l'Ancien Testament
20
30
40
50
60
% de références chez Irénée
Cette prédominance du Pentateuque paraît très originale par rapport à la moyenne du corpus de Biblindex (cf. graphique 1 ci-dessous). Elle l’est un peu moins si l’on rapporte les chiffres d’Irénée à ceux des auteurs de son temps (cf. graphique 2 ci-dessous), mais demeure cependant un trait tout à fait caractéristique.
26 Dans le graphique, la barre supérieure indique le pourcentage de citations qu’on pourrait attendre si le texte était cité proportionnellement à sa longueur dans la Bible.
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laurence mellerin Répartition des références à l’Ancien Testament dans tout le corpus de BIBLINDEX Livres historiques 10% Écrits sapientiaux 12% Pentateuque 30%
Prophètes 23% Psaumes 25%
chez les auteurs des deux premiers siècles Écrits sapientiaux 7%
Livres historiques 9%
Pentateuque 42% Prophètes 29% Psaumes 13%
chez Irénée Écrits sapientiaux 2%
Livres historiques 5%
Prophètes 30%
Psaumes 13%
Pentateuque 50%
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étude des usages bibliques d’irénée
Il convient maintenant de considérer les livres qui composent les deux corpus vétérotestamentaires les plus significatifs pour Irénée, le Pentateuque et les grands Prophètes. On se contentera désormais de comparer Irénée avec les auteurs des deux premiers siècles pour mesurer son originalité. Répartition par livre des références au Pentateuque chez les auteurs des deux premiers siècles
chez Irénée
4% 15%
4%
Gn
2%
10% Gn Ex
Ex
6% 53% 22%
Lv Nb
Lv 24%
Nb
60%
Dt
Dt
Dans le Pentateuque, on constate chez Irénée une prédominance écrasante de la Genèse (60%), suivie de loin par l’Exode (24%), prédominance plus accentuée chez lui que chez ses contemporains. Répartition par livre des références aux Grands Prophètes chez Irénée
chez les auteurs des deux premiers siècles
15%
12% 9%
Dn
Ez 12% 67%
4%
Dn 14%
Jr Is
67%
Ez Jr Is
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laurence mellerin
Parmi les grands prophètes, Isaïe est largement majoritaire (67%), mais sur ce point Irénée se situe exactement dans la moyenne de ses contemporains. Une approche par la liste des dix livres les plus cités ne révèle rien de plus, dans la mesure où tous ces livres, à l’exception des Psaumes et de 1 Rois, font partie du Pentateuque ou des Prophètes.
Nombre d'occurrences
Les dix livres de l'Ancien Testament les plus cités par Irénée 500 400 300 200 100 0
Gn
Is
Ps
Ex
Dt
Dn
Jr
Nb
1 Rois
Lv
Livres de l'Ancien Testament
Voici donc le bilan de cette première exploration : la majeure partie des livres bibliques sont attestés, même si c’est par un nombre restreint de versets. Irénée connaît ces textes qu’il cite comme Écriture ; mais les citations sont très fortement concentrées sur le Pentateuque, Isaïe et dans une moindre mesure les Psaumes. La spécificité d’Irénée réside dans son insistance sur le livre de la Genèse27. 3. Que cite Irénée du Nouveau Testament ? Tous les livres du Nouveau Testament sont représentés dans l’œuvre d’Irénée, à l’exception de l’Épître à Philémon, 3 Jean et Jude28. Certains autres livres très brefs sont très peu cités : 2 Pierre29 et 2 Jean30. Voir récemment S. O. Presley, The Intertextual Reception of Genesis 1–3 in Irenaeus of Lyons, Leiden – Boston, MA, 2015. 28 Ces textes brefs ne sont pas absents chez les contemporains d’Irénée, puisqu’on trouve chez eux 4 occurrences de 3 Jean, 11 de l’Épître à Philémon dont 2 chez Tertullien, et 35 occurrences de Jude, la plupart chez Clément d’Alexandrie. Mais leur brièveté suffit à expliquer leur absence éventuelle. 27
45
étude des usages bibliques d’irénée
La répartition des références, comme dans l’Ancien Testament, permet de mettre en évidence des prédominances fortement marquées. Sans surprise, Irénée cite préférentiellement les Évangiles et les Épîtres pauliniennes 31, en valeur absolue et proportionnellement à leur longueur, se montrant en cela très conforme aux usages de ses contemporains, et même des Pères sur l’ensemble du corpus : il y a de fait beaucoup moins de variations dans les emplois du Nouveau Testament que dans ceux de l’Ancien. Répartition par groupements de livres des références au Nouveau Testament chez Irénée Évangiles Épîtres pauliniennes Actes Autres épîtres Apocalypse 0
10
20
% en versets dans le Nouveau Testament
30
40
50
60
% des références chez Irénée
On peut donc en venir tout de suite au niveau du livre. Un seuil significatif apparaît avant le 12e livre le plus cité (plus de 40 occurrences). Cette approche plus fine ne révèle pas de surprise, on retrouve la nette domination des Évangiles et des Épîtres pauliniennes. La domination matthéenne caractérise l’ensemble du corpus patristique 32 . Par ailleurs, Irénée cite particulièrement Romains et 29 On trouve une allusion à 2 P 3, 7 en Dem 69 (p. 137, l. 7) et une citation de 2 P 3, 8 en AH 5.23.2 (p. 292, l. 54) et 5.28.3 (p. 358, l. 74). 30 On a des citations nettes de 2 Jn 7–8 en AH 3.16.8 (p. 318, l. 267) et 2 Jn 11 en AH 1.16.3 (p. 262, l. 71), ainsi qu’une allusion claire à 2 Jn 12 en AH 3.4.2 (p. 46, l. 19). 31 Comme Irénée n’attribue jamais l’Épître aux Hébreux à Paul, ses 28 références à ce texte sont comptabilisées dans les « autres épîtres ». 32 Notons qu’il y a dans les données de Biblia Patristica un biais spécifique : chaque fois qu’une référence synoptique pouvait être attribuée indifféremment à Matthieu, Marc ou Luc, elle a été attribuée à Matthieu. Les sigles pour distinguer les références indiscutables à Matthieu des références synoptiques n’ont pas été conservés pour Irénée, il faudrait donc reprendre en détail ces données.
46
laurence mellerin
1 Corinthiens, et dans une moindre mesure Éphésiens33. Par comparaison, le profil de Tertullien est exactement identique pour les 6 livres les plus cités ; mais chez lui viennent ensuite Hébreux et 2 Corinthiens, et non l’Apocalypse comme chez Irénée. Les douze livres du Nouveau Testament les plus cités par Irénée Nombre d'occurrences
700 600 500 400 300 200 100 0
Mt
Jn
Lc
1 Co Rm
Ac
Ep
Ap
Ga
Col
Mc
1 P 2 Co
Livres du Nouveau Testament
La domination des grands textes du Nouveau Testament est telle qu’il faut aller voir aux marges pour repérer les spécificités d’un auteur. Chez Irénée, compte tenu des réserves méthodologiques susmentionnées, deux faits se dessinent cependant : - L’importance de l’Apocalypse (80 références, soit 3,2% des citations bibliques d’Irénée, contre 1,4% des citations bibliques des contemporains ; dit autrement, 27% des quelque 300 occurrences présentes chez les auteurs des deux premiers siècles) ; - la très faible présence de l’Évangile de Marc34 (cf. graphique ci-dessous). On observe un phénomène similaire chez Tertullien, et d’une manière générale chez la plupart des Pères. Mais compte tenu de l’importance du thème de la quaternité des Évangiles chez Irénée 35, c’est un fait remarquable.
33 Certes, il s’agit des épîtres les plus longues, mais les suivantes en termes de longueur, 2 Corinthiens et Galates, arrivent loin derrière, les observations concernant Romains et 1 Corinthiens sont donc significatives. 34 Voir dans ce volume la contribution de J. Verheyden, p. 169-204. 35 Voir dans ce volume la contribution de C. Guignard, p. 101-168.
étude des usages bibliques d’irénée
47
Répartition par livre des références aux Évangiles 4%
23%
48%
25%
Mc
Lc
Jn
Mt
4. Vues d’ensemble a. Profil de la Bible d’Irénée
Nombre d'occurrences
Pour conclure, on peut tenter de représenter graphiquement le « profil »36 de la Bible d’Irénée, Ancien et Nouveau Testaments confondus, opération facilitée par l’existence d’un seuil très net (saut de 80 à 130 occurrences) mettant à part les 10 livres les plus cités de l’ensemble de la Bible. On distingue clairement que, certes, Irénée cite beaucoup la Genèse, mais que la prédominance de Matthieu est nettement plus accentuée. 700 600 500 400 300 200 100 0
Livres ou groupes de livres bibliques
36 Ce mode de représentation permet une vision linéaire sur l’ensemble de la Bible (dans l’ordre des livres bibliques), mais il faudrait que les largeurs des piliers soient proportionnelles aux longueurs des textes des livres.
48
laurence mellerin
b. Versets récurrents Par ailleurs, la plupart (88%) des versets ne sont cités qu’une ou deux fois, il paraît donc à la fois aisé de définir un seuil et pertinent de descendre à la granularité du verset pour repérer les textes privilégiés par Irénée, qui pourraient ne pas figurer dans les livres globalement les plus cités. Cette granularité fine est complémentaire de celle du niveau « livre » pour repérer les passages clefs.
Fréquence des versets cités 37 2000 1800
1600 1400 1200 1000
800 600 400 200 0
1
2
3
4
entre 5 entre plus de et 10 11 et 21 fois 20
Nombre d'occurrences par versets
Nous laisserons ici de côté tous ces versets à apparition unique ou rare 38 : ils sont intéressants pour établir plus finement le profil biblique d’un auteur, apprécier la variété d’une argumentation scripturaire ou encore étudier les modalités d’introduction 37 Une présentation logarithmique, du type de celle adoptée usuellement pour illustrer la loi de Zipf, serait ici plus appropriée. 38 Signalons également la présence de deux agrapha chez Irénée. Le premier, en AH 1.20.2 (p. 290, l. 28-29), « Souvent ils ont désiré entendre une seule de ces paroles, mais ils n’ont eu personne qui la leur dise » est proche de l’Évangile selon saint Thomas 38. Le second, en AH 4.17.2 (p. 581, l. 52-54), se retrouve dans d’autres textes du iie siècle : « Le sacrifice pour Dieu, c’est un cœur contrit ; l’odeur de suavité pour Dieu, c’est un cœur qui glorifie celui qui l’a modelé ». Voir à ce sujet la note de P. Prigent à propos de 2.10, dans Épître de Barnabé, éd. R. A. Kraft, Paris, 1971 (SC, 172), p. 86-87.
49
étude des usages bibliques d’irénée
du texte biblique dans le discours, mais ni pour la recherche des thèmes de prédilection, ni pour celle de constellations de textes fonctionnant ensemble. Concentrons-nous donc maintenant sur les dix versets cités plus de 15 fois.
Nombre d'occurrences
Les dix versets les plus fréquents dans l'œuvre d'Irénée 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0
Gn 2, 7
Jn 1, 14 Gn 1, 26- Ep 1, 10 Mt 25, 41 27
Jn 1, 3
1 Co 15, Mt 11, 27 Is 7, 14 50
Col 1, 18
Versets cités
On voit que la pratique de détail d’Irénée coïncide avec l’approche macroscopique : les versets récurrents sont majoritairement néotestamentaires, mais la Genèse est bien présente. Les trois premiers font partie des cinq versets les plus cités par les Pères 39 ; plus largement, 7 des 10 versets privilégiés par Irénée font partie des textes de base de la patristique : 1) La création de l’homme à l’image de Dieu Gn 1, 26-27 : « Alors Dieu dit : Créons l’homme à notre image et ressemblance, qu’il ait tout pouvoir sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur les bestiaux, et sur toute la terre, et sur les reptiles se traînant à terre. / Et Dieu créa l’homme ; il le créa à l’image de Dieu ; il les créa mâle et femelle » 40.
Voir L. Mellerin, « New Ways of Searching with Biblindex, the Online Index of Biblical Quotations in Early Christian Literature », dans Digital Humanities in Biblical, Early Jewish and Early Christian Studies, éd. C. Clivaz, A. Gregory, D. Hamidovic, Leiden, 2014, p. 175-192. 40 Les traductions vétérotestamentaires sont de Pierre Giguet, celles du Nouveau Testament viennent de la TOB. 39
50
laurence mellerin
Gn 2, 7 : « Pour faire l’homme, Dieu pétrit une masse d’argile extraite de la terre, et sur sa face, il souffla un souffle de vie, et l’homme devint une âme vivante ». 2) Les versets christologiques concernant la préexistence du Verbe et l’Incarnation. Jn 1, 14 : « Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire, cette gloire que, Fils unique plein de grâce et de vérité, il tient du Père ». Jn 1, 3 : « Tout fut par lui, et rien de ce qui fut, ne fut sans lui ». Is 7, 14 : « C’est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe. Voilà que la Vierge concevra dans son sein, et elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom d’Emmanuel ». Mt 11, 27 : « Tout m’a été remis par mon Père. Nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père, et nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler ». Col 1, 18 : « Et il est, lui, la tête du corps qui est l’Eglise. Il est le commencement, Premier né d’entre les morts afin de tenir en tout, lui, le premier rang ». Comme précédemment, c’est derrière les grands arbres qu’il faut aller pour repérer les spécificités de l’auteur considéré. Ce qui distingue Irénée des autres Pères dans ce palmarès, ce sont les 33 occurrences d’Ep 1, 10 : « pour mener les temps à leur accomplissement : réunir l’univers sous un seul chef, le Christ », et, dans une moindre mesure, la vingtaine d’occurrences de Mt 25, 41 – « Alors il dira à ceux qui sont à sa gauche : Allez-vous en loin de moi, maudits, au feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges » – et de 1 Co 15, 50 – « la chair et le sang ne peuvent hériter du Royaume de Dieu, ni la corruption hériter de l’incorruptibilité » 41. 5. Deux exemples d’analyses plus fines Ne pouvant tout explorer ici, nous avons choisi de concentrer la suite de cette enquête sur deux des faits saillants mentionnés : la prédominance de la Genèse et l’importance d’Ep 1, 10. 41 Pour ce verset, comme pour Mt 11, 27, l’usage du texte par les adversaires d’Irénée est un facteur d’explication de sa prédominance. Voir dans ce volume les contributions d’A. D’Anna et A. Sáez, p. 383-399 et 401-431.
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étude des usages bibliques d’irénée
Identification d’un passage ou d’une péricope clef : l’exemple de la Genèse
Numéro du chapitre
Fréquence d'apparition des chapitres de la Genèse 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50
0
20
40 60 80 100 Nombre d'occurrences ou de versets distincts
120
nombre de versets distincts de ce chapitre cités nombre d'occurrences du chapitre
Irénée « cite beaucoup la Genèse ». En réalité, une vision affinée des occurrences de la Genèse chez lui montre de grandes disparités selon les chapitres. Il ne s’intéresse qu’aux 19 premiers, et encore pas dans leur ensemble : on voit 4 pics, les récits de la création (Gn
52
laurence mellerin
1–3), l’alliance avec Noé (9), l’alliance avec Abram (15) et l’épisode de Loth et Sodome (19). Pour ces chapitres, spécialement 2, 15 et 19, il y a nettement plus d’occurrences que de versets différents cités, ce qui laisse penser que certains versets sont récurrents. Un zoom sur ces chapitres met ce phénomène en évidence. Au chapitre 15, en réalité, le pic est créé par la seule péricope 15, 5-6 : « Il le mena dehors et lui dit : ‘Contemple donc le ciel, compte les étoiles si tu peux les compter’. Puis il lui dit : ‘Telle sera ta descendance’. / Abram eut foi dans le Seigneur, et pour cela le Seigneur le considéra comme juste ». C’est uniquement la formulation de l’alliance qui intéresse Irénée. Au chapitre 19, le pic n’est créé que par deux passages ponctuels : le verset 24 décrivant le châtiment de Sodome et Gomorrhe, « […] Le Seigneur fit pleuvoir sur Sodome du soufre et du feu […] » ; la péricope de Loth et ses filles. Nombre d'occurrences des versets de Gn 15 10 Nombre d'occurrences
8 6 4 2 0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
21
Numéro du verset
Nombre d'occurrences des versets de Gn 19
Nombre d'occurrences
8
6 4 2 0
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 Numéro du verset
étude des usages bibliques d’irénée
53
Nombre d'occurrences des versets de Gn 1-3 90 Nombre d'occurrences
80 70 60 50 40 30 20 10 0
0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20 22 24 26 28 30 1 3 5 7 9 11 13 15 17 19 21 23 25 1 3 5 7 9 11 13 15 17 19 21 23 Numéro du verset
Un dernier zoom illustratif, sur les trois premiers chapitres de la Genèse, nous montre qu’à eux seuls Gn 1, 26-27, et surtout Gn 2, 7, déjà repérés comme versets les plus fréquents, justifient la prééminence du livre de la Genèse dans l’ensemble du corpus d’Irénée. Cette approche invite à la prudence dans l’interprétation : Irénée ne cite pas particulièrement la Genèse, mais il utilise comme leitmotiv, plus que la moyenne des autres Pères, deux versets de ce livre. 6. Étude globale des occurrences d’un verset Revenons enfin sur Ep 1, 10 42 , verset dont on a déjà repéré qu’il était significatif quantitativement. Cette fois, nous pouvons nous intéresser à sa distribution dans l’œuvre d’Irénée : il revient ponctuellement en de multiples lieux (voir graphiques), mais certains passages, comme AH 3.21-22 et 5.18-20, présentent une concentration particulière. Demonstratio
1
4
7 10 13 16 19 22 25 28 31 34 37 40 43 46 49 52 55 58 61 64 67 70 73 76 79 82 85 88 91 94 97 100
Numéro de paragraphe
42 NTG : εἰς οἰκονομίαν τοῦ πληρώματος τῶν καιρῶν, ἀνακεφαλαιώσασθαι τὰ πάντα ἐν τῷ Χριστῷ, τὰ ἐπὶ τοῖς οὐρανοῖς καὶ τὰ ἐπὶ τῆς γῆς· ; Vulgate : in dispensationem plenitudinis temporum instaurare omnia in Christo quae in caelis et quae in terra sunt.
54
laurence mellerin Adversus Haereses
Lorsque Biblindex intègrera les textes et non plus seulement les références, on pourra rapidement visualiser toutes les occurrences d’un verset et donc en étudier les modalités d’introduction et d’insertion dans la phrase, l’extension, les variations formelles. Pour l’heure, ce travail peut se poursuivre en reprenant les livres. Les citations d’Ep 1, 10 ne sont jamais explicites, mais s’intègrent dans la phrase sans être annoncées. Très rarement, on trouve l’indication qu’il s’agit d’une références scripturaire, comme en AH 1.3.4 : in illud. On ne trouve aucune citation du verset complet. En entrant dans les textes, on constate que la véritable cible de la citation récurrente est le segment ἀνακεφαλαιώσασθαι τὰ πάντα ἐν τῷ Χριστῷ. Seules trois exceptions à ce constat sont relevées : • AH 5.20.2 : recapitulans in se omnia quae in caelis et quae in terra ; • Dem 6 : in fine temporum ad recapitulanda et instauranda omnia ; • Dem 30 : Recapitulans in seipsum omnia Verbum Dei, quae in caelo sunt et quae in terra. C’est uniquement le cœur du verset qui intéresse Irénée : un sujet (Dieu, le Christ) ; un verbe (récapituler) ; un complément. Dans un tiers des cas, c’est le « tout » du verset – omnia, universa – ; dans un autre tiers, la récapitulation s’applique à la création de l’homme – plasma, plasmatio, homo, Adam (voir Tableau 1). Sinon, il s’agit de moments ou de composantes de l’histoire du salut : la foi d’Abraham, les alliances successives de l’Ancien Testament, la succession des générations jusqu’au Christ ou encore les martyrs et les prophètes, témoins de la foi (voir Tableau 2). Ce parcours culmine sur la croix, où le Christ récapitule le mal par sa mort (voir Tableau 3). L’insertion dans le discours est très souple.
étude des usages bibliques d’irénée
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Tableau 1 : les compléments ayant trait à la création AH 3.18.7 AH 3.21.9 (2) AH 3.21.10 AH 3.21.10 (2) AH 3.21.10 (3) AH 3.22.1 AH 3.23.1 AH 4.6.2 AH 5.1.2 AH 5.12.4 AH 5.14.2 Dem 32-33
Deus hominis antiquam plasmationem in se recapitulans et antiquam plasmationem in se recapitulatus est recapitulans in se Adam ipse Verbum Generationem = Adae recapitulationis Eadem ipsa (plasmatio) recapitularetur Suum plasma in semetipsum recapitulans tantae dispositionis recapitulationem facientem suum plasma in semetipsum recapitulans Nisi antiquam plasmationem Adae in semetipsum recapitulasset Recapitulationem manifestauit eius hominis qui in initio secundum imaginem factus est Dei In semetipsum recapitulatus est hominem Hominem hunc recapitulans Dominus… oportebat et conveniebat enim recapitulari Adam in Christum
Tableau 2 : les compléments ayant trait à l’histoire du salut AH 3.18.1 AH 3.22.3
AH 4.20.8 AH 5.14.1 Dem 95 Dem 99
longam hominum expositionem in seipso recapitulavit Ipse est qui omnes gentes exinde ab Adam dispersas et universas linguas et generationes hominum cum ipso Adam in semetipso recapitulatus est Reliquas autem eius recapitulationis dispositiones Recapitulationem effusionis sanguinis ab initio omnium iustorum et prophetarum in semetipsum futuram indicans Recapitulatus sit Deus in nos Abrahae fidem Recapitulationem futuram esse humanitatis
Enfin, le Christ récapitule le mal et la mort, par le bois de la croix. AH 4.40.3 AH 5.21.1
Et inimicitiam hanc Dominus in semetipso recapi tulavit Omnia ergo recapitulans, recapitulatus est et adversus inimicum nostrum bellum
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laurence mellerin
AH 5.19.1 Dem 37 AH 5.23.2
Recapitulationem eius quae in ligno fuit inobaudientiae per eam… Haec enim perficiens et recapitulans in seipsum (inoboedientia) Recapitulans enim universum hominem in se ab initio usque ad finem, recapitulatus est et mortem eius
L’observation de l’ensemble de ces références donne déjà de nombreux repères pour l’interprétation du verbe « récapituler » chez Irénée. On peut la compléter par une étude des co-occurrences, synthétisée dans le schéma ci-dessous. Les co-occurrences de versets autour d’Ep 1, 10 chez Irénée
Ce schéma reprend tous les versets qui sont cités dans le contexte de chaque occurrence d’Ep 1, 10 43, et les classe en cercles concentriques selon un coefficient de proximité : dans le 1er cercle 43 La délimitation de ce contexte sera la plupart du temps le paragraphe : dans la Demonstratio, les paragraphes forment des unités nettes ; dans l’Adversus Haereses, un raisonnement peut se poursuivre sur plusieurs paragraphes, auquel cas le découpage a été ajusté.
étude des usages bibliques d’irénée
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figurent les versets apparaissant 12 ou 13 fois avec Ep 1, 10, dans le 2e ceux qu’on trouve 7 fois ou plus, jusqu’au dernier qui rassemble les versets présents à deux reprises. Le schéma se lit dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, en partant du haut. Les deux versets clefs, Gn 2, 7, et Jn 1, 14, se répondent. Ils sont associés de façon systématique à l’idée de récapitulation, de préférence à tous les autres. Certains versets complémentaires viennent les appuyer : ainsi, le Ps 119, 73 fait écho à Gn 2, 7 (« Tes mains m’ont fait et fixé »), tout comme Job 10, 8 (« Tes mains m’ont façonné, formé »). Les passages clefs des récits de la création ne sont pas loin non plus : l’homme à l’image et ressemblance (Gn 1, 26-27), la création du monde qui lui préexiste (Gn 2, 5), l’esprit de Dieu qui remplit l’univers (Sg 1, 7) ; on trouve aussi l’évocation de la faute originelle (Gn 2, 16-17 ; 3, 1-6), avec sa conséquence, la mort physique d’Adam (Gn 5, 5). Tout l’Ancien Testament convoqué a trait à la création. On retrouve ensuite la thématique du mal, qui apparaissait déjà dans les compléments du verbe « récapituler » : toute une série de textes illustre la symétrie entre le péché d’Adam, qui fait entrer la mort dans le monde, et l’obéissance du Christ, qui détruit la mort (Rm 5). Rm 7 dit la chair habitée par le péché ; la parabole du bon grain et l’ivraie (Mt 13, 38-39) dit la lutte contre l’emprise du démon. Outre Jn 1, 14, le reste du Prologue de Jean est très présent, en particulier le verset 3, pour dire le rôle charnière de l’Incarnation. Celle-ci est également évoquée aussi par la généalogie du Christ (Mt 1, 1-17 ; Lc 3, 23-38) et la conception virginale (Mt 1, 18 et Lc 1, 34-35), avec l’acceptation de Marie (Lc 1, 38). La réalité de la mort du Christ se trouve aussi là : Jn 19, 14-15 ; Joseph d’Arimathie qui vient réclamer le corps de Jésus (Mc 15, 42). Dans la partie droite du schéma se déploie la théologie paulinienne, qui se distancie du récit événementiel. On trouve des versets aux thématiques proches de la récapitulation dans le Christ, comme Col 3, 11, où le Christ « est tout en tout », dans un passage qui évoque le dépouillement du vieil homme pour revêtir le nouveau à l’image du Créateur, tout comme Ep 4, 22 ; 1 Co 15 dit le passage du psychique au spirituel. Enfin la Primauté du Christ, avec l’hymne de Col 1, 15-18, la puissance de la grâce du Christ qui a détruit la mort (2 Tm 1, 10) sont rappelées. Ainsi, à partir de la distribution des citations, on peut déjà con struire une représentation de la théologie qui sous-tend les textes.
58
laurence mellerin
7. Profil biblique des œuvres a. Concentration biblique Terminons cette étude en partant non pas des citations bibli ques, mais des œuvres, en comparant les profils bibliques de la Demonstratio et de chacun des cinq livres de l’Adversus Haereses. Répartition des références bibliques par œuvre, à pondérer par la longueur des textes 30 25 20 15 10 5 0
Adversus Haereses 4
Adversus Haereses 3
Adversus Haereses 5
Longueur du texte (%)
Demonstratio
Adversus Haereses 1
Adversus Haereses 2
Nombre de références bibliques (%)
La longueur de chacune des œuvres est déterminée en nombre de mots 44 ; figure dans le graphique le pourcentage de mots que représente chaque œuvre par rapport au total dans l’œuvre d’Irénée. De même, le nombre de références bibliques est ici exprimé en pourcentage du total des références. Ainsi, les données sont comparables entre elles. On constate donc que la répartition des citations bibliques n’est pas uniforme, puisqu’elle ne suit pas la courbe de la longueur respective des œuvres. Ainsi, on a plus de citations dans la Demonstratio que dans le livre 1 ou le livre 2 de l’Adversus Haereses, alors que le texte est plus court ; ou encore, on pouvait,
44 AH 1, 34245 ; AH 2, 43725 ; AH 3, 41450 ; AH 4, 53314 ; AH 5, 37016 ; Dem, 22777.
étude des usages bibliques d’irénée
59
compte tenu de la longueur du livre 2, comparable à celle du livre 3, s’attendre à y trouver plus de références. Il est donc utile de compléter la présentation qui précède par le calcul d’un « taux de références bibliques », c’est-à-dire le nombre moyen de références bibliques pour 1000 mots de texte, qui facilitera les comparaisons : par exemple, AH 3 a un taux d’environ 25 références bibliques pour 1000 mots de texte, alors qu’AH 2 en a seulement 7. Taux de références bibliques pour 1000 mots 30 25 20 15 10 5 0
AH 3
AH 4
Dem
AH 5
AH 1
AH 2
Les conclusions de ces calculs sont les suivantes : 1) Les trois derniers livres de l’Adversus Haereses constituent la mine des citations bibliques irénéennes. 2) Inversement, les deux premiers livres contiennent beaucoup moins de références que leur longueur pourrait le faire attendre45. 3) Le livre 3 a la concentration de références bibliques de loin la plus élevée. 4) AH 4-5 et la Demonstratio ont une concentration de références bibliques comparable, ce que l’approche purement quantitative, non pondérée, ne permettait pas de voir. Il apparaît donc pertinent de regrouper AH 1 et 2 d’une part, AH 3 à 5 et Dem d’autre part. Bien évidemment, ces données sont cohérentes avec le fait que les livres 1 et 2 présentent des hérésies, quand les livres suivants veulent les détruire par une argumentaLe nombre relativement plus important de citations dans le premier livre par rapport au deuxième est en partie dû au fait qu’Irénée, dans le livre I, mentionne les lieux scripturaires auxquels recourent les gnostiques dont il rapporte la doctrine ; le livre II, réfutation rationnelle, s’interdit explicitement le recours (sauf exception non significatives) à l’Écriture. 45
60
laurence mellerin
tion scripturaire. Mais ce fait explicatif n’est pas un préalable à l’approche quantitative. Distribution de l’Ancien et du Nouveau Testament selon les œuvres
AT/NT selon les œuvres Dem AH4 total AH5 AH2 AH1 AH3 0
20
40
60
% AT
80
100
%NT
Pour affiner l’approche par œuvre, un premier critère peut être la distribution Ancien Testament/Nouveau Testament : la prédominance du Nouveau Testament n’est pas une réalité dans toutes les œuvres. L’AH 4 compte 44% d’Ancien Testament, et le cas de la Demonstratio est ici tout à fait spécifique, avec une proportion inversée : 63% d’Ancien Testament. b. Analyses à granularité plus fine (livres, versets) Il est aussi possible d’entrer dans le détail des profils bibliques des œuvres dont on a prédéterminé qu’elles seront intéressantes à étudier. Le graphique ci-dessous illustre les insistances bibliques spécifiques des trois derniers livres de l’Adversus Haereses : AH 3 sur le corpus lucanien ; AH 4 sur Matthieu et le Deutéronome ; AH 5 sur l’Apocalypse et Daniel.
61
étude des usages bibliques d’irénée
1000 900
Exode et Deutéronome
Actes
800 700
Apocalypse Daniel
600
Lc
500 400
Lc
300
Mt
Mt Lc
Mt
200 100
Gn
Gn
0
AH3 Gn
Is
Ps
Gn
AH4 Mt
Lc
Jn
Rm
1 Co
AH5 Ga
Ep
Ex
Dt
Dn
Ac
Ap
En descendant au niveau du verset, on voit là encore des disparités : par exemple, le pic de Mt 5, 17, « N’allez pas croire que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir », n’est réel que dans l’Adversus Haereses, et pas dans la Demonstratio46.
46 Cette remarque résulte des expérimentations de visualisation de données effectuées par Gabriel Kepeklian à partir des données de Biblindex élevées via la plateforme Datalift, puis ayant fait l’objet de requêtes SPARQL. Qu’il en soit ici remercié. Ces expérimentations ont montré que bien d’autres visualisations, notamment de la distribution des références, étaient envisageables, une fois Biblindex engagé dans la voie du web sémantique.
62
laurence mellerin
Conclusion Nous voici donc au terme d’un parcours, parmi bien d’autres possibles, à travers la masse de données disponibles dans Biblindex au sujet des références aux Écritures faites par Irénée. Se sont esquissées quelques pistes de recherche, mais ce qui est surtout mis en évidence, c’est à quel point les résultats obtenus dépendent des choix effectués à chaque étape par l’analyste des données chiffrées, en particulier sur deux points : la granularité et la définition des seuils, en amont ; les techniques de visualisation, en aval. Le chercheur se trouve confronté à une forme de cercle herméneutique. Pour savoir quelles questions pertinentes adresser au corpus, il faut déjà en avoir une connaissance par la lecture ; mais pour tirer des conclusions non biaisées de la lecture, il peut être très utile d’avoir des vues d’ensemble qui donnent des points de comparaison objectifs. Aussi l’utilisation de Biblindex pour l’étude des Pères doit-elle se définir comme une interaction constante, sur un mode itératif, entre la connaissance théologique, philologique, historique d’une œuvre et les approches statistiques. C’est donc une exploration qui ne fait que commencer.
Le texte scripturaire d’Irénée, témoin d’un état ancien de la Bible grecque et de reformulations néotestamentaires Olivier Munnich (Paris) Il n’est pas aisé de se représenter la documentation biblique d’Irénée : il disposait probablement de textes bibliques sous forme de rouleaux, vivant avant l’apparition du codex, même si certains spécialistes ont fait l’hypothèse qu’il existait à son époque des codices « minimaux », réduits à un seul cahier1. S’il est plausible qu’il ait possédé, sous forme de volumina ou de cahiers de codices, un texte continu de livres comme la Genèse, Isaïe, et la majeure partie du Nouveau Testament, la question que se pose l’historien du texte de la Bible grecque est la suivante : ses données étaient-elles disposées selon l’ordre continu d’un texte biblique ou regroupées par dossiers ? Si l’on envisage la conception que l’auteur a du corpus biblique, un certain nombre de traits globaux peuvent être repérés2 : Irénée attribue les Lamentations à Jérémie conformément à l’ensemble de 1 C’est le cas d’H. Y. Gamble, Livres et lecteurs aux premiers temps du christianisme. Usage et production des textes chrétiens antiques, Genève, 2012 ; l’auteur suppose un regroupement, en un cahier de codex, des épîtres pauliniennes. Sur cette question, voir, dans cet ouvrage, l’article de Ch. Guignard, « Le Quadruple Évangile chez Irénée » (en particulier n. 8). 2 La Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur d’Irénée sera mentionnée selon son titre usuel (Adversus Haereses), et citée d’après l’édition des Sources chrétiennes due à A. Rousseau, L. Doutreleau et al. Pour la Démonstration de la prédication apostolique, nous avons essentiellement utilisé la traduction de l’arménien faite par L.-M. Froidevaux, Paris, 1959 (SC, 62). Quand cela était nécessaire, nous avons également consulté la traduction d’A. Rousseau, Paris, 1995 (SC, 406).
Irénée de Lyon et les débuts de la Bible chrétienne. Actes de la Journée du 1.VII.2014 à Lyon, sous la direction de A. Bastit et J. Verheyden, Turnhout, 2017 (Instrumenta Patristica et Mediaeualia, 77), p. 63-82 ©
10.1484/M.IPM-EB.5.113493
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la tradition manuscrite de la Bible grecque qui place les Lamentations à la suite du livre de Jérémie, alors que la Bible hébraïque range ce texte parmi les « rouleaux », dans la section des Hagiographes 3. L’auteur situe, comme la Bible grecque, Daniel parmi les prophètes et non au sein des Hagiographes, comme le fait le texte massorétique4. En ce qui concerne les additions propres à la Bible grecque, l’auteur semble les prendre en considération, lorsqu’elles font partie en grec d’un livre biblique (ainsi pour les additions à Daniel5 ou à Jérémie6) ; en revanche, des textes comme Judith ou Tobit ne sont jamais cités ni même mentionnés. Irénée ne fait pas d’allusion aux livres des Maccabées et peu à ceux des Paralipomènes ; les allusions aux textes sapientiaux et même à Job sont réduites. En revanche, les références à Isaïe sont, à elles seules, plus importantes que celles faites à Jérémie et à Ézéchiel envisagées dans leur ensemble. Au total, l’auteur reflète une familiarité avec la Bible très comparable à celle de Justin Martyr et nettement différente de celle de Clément d’Alexandrie, qui fait référence à l’ensemble des livres. Peut-être la différence serait-elle moins forte, si l’œuvre de Justin et d’Irénée nous était parvenue sous une forme moins partielle. 1. Une Bible non révisée sur l’hébreu Dans notre enquête, nous prendrons en compte la Démonstration de la prédication apostolique autant que l’Adversus Haereses. En effet, l’identité des citations bibliques, éprouvée sur des cas nombreux et typiques, prouve que la traduction en arménien de la Démonstration ne s’est pas accompagnée d’une réécriture des lemmes scripturaires qui en rendrait l’exploitation ambiguë. Dans l’ensemble des deux œuvres, si l’on envisage la nature du texte cité, on constate sans étonnement qu’il ne présente pas les marques du 3
Citant les Lamentations, il écrit : « Et le prophète Jérémie dit la même chose en ces termes » (Dem 68 ; aussi 71). Sur le regroupement de ces deux livres dans la Bible grecque, cf. P.-M. Bogaert, « Septante et versions grecques », dans Dictionnaire de la Bible. Supplément, t. XII, Paris, 1996, col. 638. 4 « Le prophète Daniel », AH 4.5.2. 5 Suzanne : AH 4.26.3 ; Bel et le Dragon : AH 4.5.2. 6 Baruch cité comme « le prophète Jérémie » (Dem 97) ; longues citations de Baruch en AH 5.35.1-2.
le texte scripturaire d’irénée
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travail mené un demi-siècle plus tard par Origène, dans sa recension hexaplaire7. D’abord, le texte d’Irénée ne comporte pas les segments ajoutés sous astérisque par Origène : Gn 2, 7 est cité selon la formulation de la Septante (« Et Dieu modela l’homme ») sans l’addition astérisée conforme à l’hébreu (« Et le Seigneur Dieu modela l’homme ») 8 ; Is 25, 9 est rapporté conformément à la Bible grecque (« On dira en ce jour : ‘Voici le Seigneur notre Dieu, en qui nous avons espéré, et nous avons exulté en notre salut’ ») sans l’addition introduite par la recension hexaplaire après le verbe ‘espérer’9. Ensuite, les segments sans équivalent en hébreu et obélisés par Origène sont présents dans le texte d’Irénée10. Sur ce point, l’attitude d’Irénée diffère de celle de Justin qui, pour des versets importants, dispose déjà d’un texte grec aligné sur l’hébreu : en Is 66, 7 (« avant que vienne pour elle la douleur de l’enfantement, elle a donné naissance à un garçon », Irénée reflète les deux verbes du texte grec – elle s’est délivrée et a donné naissance (ἐξέφυγεν καὶ ἔτεκεν) à un mâle –, alors que Justin présente déjà un texte abrégé selon l’hébreu (ἐξέτεκεν), qui anticipe le travail de la recension hexaplaire11. La citation d’Is 66, 3 montre nettement qu’Irénée connaît un texte non révisé de la Bible grecque car elle comporte le segment obélisé par Origène (« inique est celui » qui m’immole …), tandis qu’elle n’inclut pas celui qu’il ajoute sous astérisque12 . Enfin, dans sa recension hexaplaire, Origène déplace 7 Dans tout ce qui suit, on se réfère, pour le texte scripturaire de la Bible grecque, à l’apparat de l’édition de Göttingen. 8 AH 4.20.1. Dans la Septante, seuls des manuscrits en minuscule influencés par la recension hexaplaire ajoutent κύριος. 9 « Et il nous délivre ; c’est le Seigneur que nous avons espéré » : ἠλπίζομεν] + (※) και σωσει ημας ουτος κυριος υπεμειναμεν αυτω Ο’ = 𝔐 ; dans la marge de la Syro-hexaplaire, l’addition est attribuée aux réviseurs de la Bible grecque. 10 En AH 5.35.1, Irénée cite Is 26, 10 avec ἀρθήτω ὁ ἀσεβής, soit le segment obélisé dans le codex Marchalianus, qui conserve bien les signes hexaplaires. Dem 79 mentionne Is 65, 2 (« j’ai étendu les mains tout le jour vers un peuple indocile et rebelle ») conformément à la Bible grecque (mais aussi à Rm 10, 21), soit avec le dernier adjectif – καὶ ἀντιλέγοντα –, sans équivalent en 𝔐 et obélisé par B-Q-oI. 11 Dem 54. Om. ἐξέφυγε καί Just ; καὶ ἔτεκεν] ÷ Q Syh. 12 ὁ δὲ ἄνομος] ÷ B-Q Syh Hi. ; μόσχον] + (※) ως τυπτων ανδρα θυσιαζων προβατον V L’`-456 C᾿ 403’ 544 770 Ath. Tht. Hi. = 𝔐.
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les mots de la Bible grecque pour rendre leur ordre conforme à celui de l’hébreu ; un tel phénomène, attesté avant l’époque d’Origène, constitue une correction de scribes bilingues, au cours de la transmission de la Bible grecque en milieu juif. Sur ce point, les citations d’Irénée reflètent une forme ancienne du texte grec, peu marquée par cette forme d’hébraïsation13. Si l’on laisse les considérations quantitatives pour examiner les données sur le plan qualitatif, on remarque qu’Irénée adopte, comme allant de soi, la formulation de la Bible grecque, sans considération de sa conformité à l’hebraica veritas : avec la Septante, il parle des « soixante-quinze » personnes qui allèrent de Canaan en Égypte, alors que le texte massorétique en mentionne soixante-dix (Gn 46, 27, Ex 1, 5)14. Il cite Isaïe en suivant la Bible grecque, souvent distincte pour ce livre du texte massorétique, par exemple en 26, 19 : « ainsi ressusciteront les morts (« tes morts » 𝔐) et se dresseront ceux qui sont dans les tombes » (« et se dresseront mes cadavres » 𝔐) ; pour la fin de ce verset, Irénée est tributaire de l’explicitation présente dans la Bible grecque15. En 57, 1-2, la citation d’Irénée reproduit celle-ci et diverge du texte massorétique : les hommes justes « sont enlevés » (« sont rassemblés » 𝔐) ; sa sépulture sera en paix : elle (il ?) a été enlevé(e) (« la paix viendra et ceux qui marchent dans la justice se reposeront sur leurs couches » 𝔐)16. 2. La Bible, un texte grec selon Irénée
L’absence d’hébraïsation au niveau de l’ordre des mots ou de la traduction elle-même montre que la fidélité du grec envers l’hébreu n’appartient pas au champ de la réflexion irénéenne ; le grand développement où l’auteur polémique contre la retraduction d’Is 7, 14 13 Deux exemples en AH 5.35.1 : Is 6, 12 οἱ καταλειφθέντες / πληθυνθήσονται Ir.lat] tr. V-o’ L’`-96 -233-456 C 403´ Eus.comm.et dem. Chr. Tht. = 𝔐 ; Is 13, 9 ἀνίατος ἔρχεται Ir.lat Tyc. Spec. Or.lat XI.101] tr. O’´ L’`-46 C Bas. Chrys. Tht. Cypr. = 𝔐. 14 Dem 25. Irénée est ici tributaire du discours d’Étienne en Ac 7, 14. 15 Dem 67. Même citation d’Is 26, 19 en AH 5.15.1 et 34.1. 16 Dem 72. Autres exemples : Is 35, v. 4 « voici que notre Dieu rend un jugement » (« votre Dieu » 𝔐), cité en AH 3.20.3 et v. 6 « claire sera la langue des bègues » (« du bègue » 𝔐), cité en AH 4.33.11.
le texte scripturaire d’irénée
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(remplacement du mot « vierge » par « jeune femme ») constitue, par rapport à l’affirmation précédente, à peine une exception17. Relativement à une polémique déjà présente chez Justin, Irénée introduit des informations nouvelles (la modification est due à « l’audace de Théodotion d’Éphèse et d’Aquila du Pont, tous deux prosélytes juifs ») qui seront sans cesse reprises ultérieurement. Néanmoins, la notoriété de cette polémique ne doit pas masquer le fait qu’un tel développement n’a pas de parallèle chez l’auteur, y compris dans les nombreux autres lieux où il cite Is 7, 14 : à lire Irénée, on a l’impression que seul ce lieu a subi dans la Bible grecque une correction sur l’hébreu. En outre, la suite du développement présente une apologie fine de la Bible grecque : la convergence littérale du résultat obtenu isolément par les différents traducteurs – détail emprunté à la Lettre d’Aristée ou à Philon d’Alexandrie dans sa Vie de Moïse – prouve que la traduction possède une « inspiration » divine18 ; celle-ci est rapprochée de l’inspiration par laquelle Dieu rendit, au retour des soixante-dix ans de captivité, Esdras capable de rétablir, de mémoire, toutes les paroles de la Loi et des prophètes, détruites à Babylone (ἐνέπνευσεν Ἔσδρᾳ). Estompant le bilinguisme, ce rapprochement met la traduction sur le même plan qu’une transmission. Irénée rapproche ensuite les Écritures conservées par Dieu intactes (simplices) en Égypte, de la maison de Jacob qui y grandit en fuyant la famine, et du Seigneur qui y fut gardé en fuyant la persécution d’Hérode (§ 3) : en un passage finement rédigé, l’auteur construit un lien fort entre les Écritures en grec, le Peuple élu et le Seigneur. Selon Irénée, de même que la maison de Jacob a grandi en Égypte, c’est – semble-t-il – la foi chrétienne elle-même qui a grandi dans ces Écritures qui la « préparaient et lui donnaient forme par avance ». Par la suite, Irénée souligne la continuité entre les prophètes et la Bible grecque : une telle continuité résulte de l’identité de leur auteur, « le seul et même Esprit de Dieu », qui dans un cas a annoncé la venue du Seigneur et dans l’autre « a bien traduit ce qui avait été bien prophétisé » (§ 4). La réflexion irénéenne rend ainsi entièrement latérale l’existence d’un original hébreu ; d’une façon significative, les traducteurs sont, à la fin du chapitre, désignés comme « les Anciens », 17 18
AH 3.21.1. Elle a été faite κατ’ ἐπίπνοιαν τοῦ Θεοῦ, AH 3.21 (fr. gr. 31).
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pris dans une chaîne chronologique mais aussi providentielle, qui les situe entre les prophètes et les Apôtres. De même, lorsque l’auteur revient au § 5 à sa critique de « ceux qui changent en 7, 14 le texte d’Isaïe », nulle mention n’est faite du terme hébreu ou de son sens. La logique mise en place par l’auteur permet d’opposer des traducteurs ayant vécu « longtemps avant la venue de notre Seigneur » (§ 1) et certains traducteurs actuels (ibid.)19, guidés dans un cas par « tant de vérité et de grâce divine » (§ 3), dans l’autre incapables de comprendre le Ps 131 (§ 5), inscrits dans un cas dans l’histoire du salut (§ 3-4) et dans l’autre dans celle de l’erreur (Théodotion et Aquila « sont suivis » par les Ébionites, § 1). Malgré leur proximité chronologique, Irénée et Justin diffèrent ici profondément : alors que l’un inscrit les questions textuelles dans une réflexion théologique, l’autre demeure bien plus attentif au fait que la Bible des chrétiens est la traduction d’une autre, celle des juifs, et que les divergences dépassent largement le cas d’Is 7, 14 ; Justin sait que les « didascales » juifs ne reconnaissent pas comme exacte la traduction des Septante et qu’ils veulent la remplacer20 ; dans certains cas, il dispose d’une documentation précise, ainsi lorsqu’il reproche aux juifs d’avoir altéré le texte grec des prophètes et leur cite des exemples dont on connaît désormais l’origine, pour le Dodécaprophéton, par un rouleau en cuir trouvé dans le Désert de Juda21. Certes, Justin partage, au sujet de la traduction de la Bible en grec la représentation providentielle d’Irénée, mais il lui donne un place plus réduite, pour des raisons moins théologiques que pratiques : il est peu ou prou informé de la diversité entre les antigrapha de la Bible ainsi que d’entreprises, menées en Palestine, pour corriger la traduction ancienne, et cette activité est pour lui d’autant plus préoccupante qu’il y voit l’activité des autorités du judaïsme contemporain. La perspective d’Irénée témoigne en creux de son ignorance de ces faits. Ce qu’on pourrait nommer son « optimisme textuel » par rapport à la Bible grecque n’est possible que du fait de son éloignement par rapport aux centres judéens et aux milieux juifs lettrés qui, au contraire, hantent Justin et alimentent sa polémique avec le judaïsme. 19 Ἔνιοι … τῶν νῦν τολμώντων μεθερμηνεύειν τὴν γραφήν (AH 3.21.1, cité par Eusèbe de Césarée, HE 5.8.10). 20 Dialogue avec Tryphon 71.1. 21 D. Barthélemy, Les devanciers d’Aquila, Leiden, 1963, p. 203-212.
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Un verset, plus qu’aucun autre, illustre la « quiétude » d’Irénée par rapport au texte biblique : en Is 9, 5 (gr. 6), le texte de la Bible grecque diffère du texte massorétique (on ne citera que le segment variant) : Bible grecque : καὶ καλεῖται τὸ ὄνομα αὐτοῦ μεγάλης βουλῆς ἄγγελος, « et on lui donnera pour nom ‘ange du grand conseil’ » ; Texte massorétique : « et on lui donnera pour nom Conseiller merveilleux, Dieu fort, Père éternel, prince de paix ». Dans les manuscrits grecs, on ne trouve pas, avant le travail d’Origène, trace de cette seconde formulation22. Pour un tel verset que ne citent ni le Nouveau Testament ni les Pères apostoliques, Justin ne connaît que la formulation de la Bible grecque23 ; en revanche, Irénée est le premier à citer le verset sous ses deux formes, tantôt selon la Bible grecque24, tantôt selon le texte hébreu25 ; pour le segment ֵא ל ּגִּבֹור, « Dieu fort », il connaît même une traduction (deus fortis = θεὸς ἰσχυρός) plus précise que celles d’Aquila, de Symmaque et de Théodotion qui rendent l’expression par ἰσχυρὸς δυναστής ou ἰσχυρὸς δυνατός, et présente seulement dans le texte hexaplaire (et les témoins qui en dépendent)26. Or, Irénée ne définit pas ici les énoncés comme celui de l’hébreu ou du grec, mais il rapporte l’un et l’autre aux « divines Écritures ». Plus encore, la séquence formée par les § 54-56 de la Démonstration montre comment les deux formulations (données successivement selon l’hébreu aux § 54-55, puis selon le grec au § 56) permettent, à travers la plasticité de l’énoncé, de multiplier les titres divins27. Aux antipodes de la « guerre de position » textuelle dont 22 Origène obélise ἄγγελος et ajoute sous astérisque l’équivalent des termes hébreux ; la présence de ce segment dans les textes lucianique, caténaire, dans l’Alexandrinus et dans divers manuscrits en minuscule dérive de la recension hexaplaire. 23 1 Apol 35.2 ; Dial 76.3 ; 126.1. 24 AH 3.16.3 ; Dem 56. 25 AH 3.19.2 ; 4.33.11 ; Dem 40, 54, 55. 26 Cf. J. Ziegler, Vetus Testamentum graecum, vol. XIV, Isaias, Göttingen, 1939, p. 156. 27 Dans un travail à paraître, A. Bastit a constaté un phénomène analogue pour Dem 87, où Is 10, 23, cité une première fois selon la Bible grecque, l’est une seconde fois selon Paul : « Sermo compendiatus. La parole raccourcie (Is 10, 23 LXX / Rm 9, 28) dans la tradition chrétienne latine » (en particulier, n. 15), à paraître dans Nihil veritas erubescit. Mélanges offerts à Paul Mat-
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témoigne l’oeuvre de Justin, Irénée présente, sur le plan scripturaire, un état de « non-contradiction » : c’est que la Bible hébraïque se situe hors du champ de sa réflexion ; il n’existe pour lui que des énoncés différents de la même Écriture sacrée, tous attestés en grec, et, loin de s’opposer, ils servent, pour ainsi dire, de stock à une langue de l’exégèse28. La divergence entre la perspective de Justin et celle d’Irénée trouve comme un dépassement dialectique avec l’œuvre d’Origène : dans sa Lettre à Africanus, ainsi qu’en de nombreux autres cas, il oppose « ce qui se trouve chez nous et chez les Hébreux » ([τὰ] παρ’ ἡμῖν κείμενα ἢ παρ’ Ἑβραίοις), désignant respectivement ainsi la Bible grecque et les manuscrits grecs rendus conformes à l’hébreu (§ 5), mais sa pratique exégétique révèle que, pour lui, ce qui se trouve dans l’hébreu appartient aussi aux γραφαί, les énoncés pouvant s’éclairer les uns par les autres29. Comme l’écrit si bien A. Le Boulluec, chez l’Alexandrin, « le texte est élucidé, non par l’assimilation des variantes mais par leur conjonction »30 : une telle pratique combine la perspective documentaire de Justin et l’approche polyphonique d’Irénée. 3. Une exégèse fondée sur des dossiers scripturaires Plusieurs indices montrent que, à la différence d’Origène ou d’Eusèbe de Césarée, Irénée travaille, non à partir d’un exemplaire du texte scripturaire auquel il se référerait, mais à partir d’une docutei par ses élèves, collègues et amis, éd. C. Bernard-Valette, J. Delmulle, C. Gerzaguet, Turnhout, 2017 (IPM). 28 Ce verset donne lieu à un même mode d’explication chez Clément d’Alexandrie : un énoncé conforme à celui de la Bible grecque est interprété à partir de la formulation tirée du texte massorétique ; comme chez Irénée, la source des deux textes n’est pas précisée (Le Pédagogue 1.5.24.1-2). 29 Cf. M. Harl, « La Septante et la pluralité textuelle des Écritures : le témoignage des Pères grecs », in La Langue de Japhet. Quinze études sur la Septante et le grec des chrétiens, Paris, 1994, p. 255 ; O. Munnich, « Le polymorphisme documentaire dans l’herméneutique biblique d’Origène », dans Les révisions juives de la Septante. Modalités et fonctions de leur transmission. Enjeux éditoriaux contemporains, éd. R. Gounelle, J. Joosten, Prahins, 2014, en particulier les p. 170-175. 30 A. Le Boulluec, « Les représentations du texte chez les philosophes grecs et l’exégèse scripturaire d’Origène. Influences et mutations », dans Origeniana Quinta, éd. R. J. Daly, Leuven, 1992, p. 107.
le texte scripturaire d’irénée
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mentation remontant à des dossiers organisés par thème ou à des collections de prophéties. On en donnera trois exemples : En Is 45, 1, la tradition manuscrite unanime comporte ceci : « ainsi parle le Seigneur Dieu à Cyrus mon oint (τῷ χριστῷ μου Κύρῳ) » et l’apparat de J. Ziegler mentionne une variante, attestée seulement chez des commentateurs patristiques : Κύρῳ] κυρίῳ Ps-Barnabé, Tert., Cypr., Tyc., Aug. 31. À cette liste, il convient d’ajouter Irénée qui, en Dem 49, combine, comme le Pseudo-Barnabé, la citation d’Isaïe – avec « au Seigneur » – et une citation du Ps 109, 1 (« Le Seigneur dit à mon Seigneur (τῷ κυρίῳ μου) : assieds-toi à ma droite » : ainsi que l’a montré R. Harris, ces auteurs – mais aussi Cyprien et le Pseudo-Grégoire de Nysse – tirent leur documentation de recueils de testimonia32 . Dans le Dialogue avec Tryphon (72.4), Justin mentionne un verset relatif à la descente du Seigneur auprès des morts pour leur annoncer le salut et il reproche aux juifs de l’avoir retranché du livre de Jérémie. Or, Irénée mentionne ce verset en l’attribuant tantôt à Jérémie (AH 4.22.1 et Dem 78), tantôt à Isaïe (AH 3.20.4), tantôt sans indication de la source (AH 4.33.1 et 12 ; 5.31.1) 33. À la suite d’une étude attentive des différences entre ces citations et de leurs liens limités avec le passage du Dialogue avec Tryphon, P. Prigent a conclu qu’Irénée dépendait ici de listes de prophéties relatives aux épisodes de la vie du Christ 34. Il arrive qu’Irénée cite un passage scripturaire doté d’additions exégétiques qu’on retrouve à l’identique chez un autre auteur patristique, preuve qu’il dépend de dossiers déjà constitués. Ainsi, Is 50, 8-9 est cité avec des additions présentes chez le seul Pseudo-Barnabé. On citera leur texte en suivant le grec du Pseudo-Bar31
Ibid., p. 290 et « Einleitung », p. 100. Testimonies, Cambridge, 1916, t. 1, p. 37. Dans l’Ad Quirinum 1.21, Cyprien ne cite pas le Psaume 109 mais son argumentation est identique. En revanche, les deux textes sont présents chez le Pseudo-Grégoire de Nysse, Testimonia adversus Judaeos, chap. 16. 33 Sur l’importance de ce logion du Pseudo-Jérémie dans la théologie d’Irénée, cf. A. Orbe, Introduction à la théologie des iie et iiie siècles, Paris, 2012, t. 2, p. 1247-1259. 34 P. Prigent, Les Testimonia dans le christianisme primitif. L’Épître de Barnabé I-XVI et ses sources, Paris, 1961, p. 185-189. Selon l’auteur, la documentation d’Irénée en Is 9, 6 pourrait posséder une semblable origine. 32
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nabé : 8Τίς ὁ κρινόμενός μοι (om. μοι Ir.) ; ἀντιστήτω μοι (om. μοι Ir.)· ἢ τίς ὁ δικαιούμενός μοι (om. μοι Ir.) ; ἐγγισάτω τῷ παιδὶ κυρίου. 9 Οὐαὶ (pr. et Ir.) ὑμῖν, ὅτι ὑμεῖς πάντες παλαιωθήσεσθε ὡς ἱμάτιον καὶ σὴς καταφάγεται ὑμᾶς, « Qui plaide contre moi ? Qu’il s’oppose à moi ; ou bien qui est déclaré juste devant moi ? Qu’il s’approche du serviteur du Seigneur. Malheur à vous ! Tous, en effet, tel un vêtement vous vieillirez et la teigne vous rongera »35. Absolument identiques, les deux citations présentent en commun des éléments qui leur sont propres : au v. 8, le second ὁ κρινόμενος (« qui plaide contre moi ») est remplacé par ὁ δικαιούμενος (« qui est justifié devant moi »)36 ; le deuxième pronom personnel (μοι dans la Bible grecque) y est explicité par « le serviteur du Seigneur » ; Barnabé et Irénée écartent le début du v. 9 (« voici que le Seigneur me porte secours ; qui me fera du mal ? ») et introduisent le verset par une formule (« malheur à vous parce que », fréquente dans le Nouveau Testament)37. Comme l’a montré P. Prigent, Irénée ne peut ici dépendre directement de Barnabé : son texte en diffère sur des points mineurs (l’omission des trois μοι) et il ajoute à Is 50, 8-9, cité par Barnabé, un troisième élément tiré d’Is 2, 17, absent de l’Épître (« Toute chair sera abaissée et le Seigneur seul sera élevé dans les hauteurs »). Comme Barnabé, Irénée recourt ici à un recueil de testimonia « dans lesquels nos textes étaient unis pour annoncer la suite de l’oeuvre du Christ après la croix et la résurrection »38 ; cela explique l’élimination du début d’Is 50, 9 ἰδοὺ κύριος βοηθεῖ μοι· τίς κακώσει με, car le propos typologique se centre sur le Christ et non sur l’aide providentielle de Dieu ; cela permet également de comprendre l’addition de Οὐαὶ ὑμῖν au v. 9 : le verset d’Isaïe, compris comme relatif au malheur et à la disparition des juifs, rebelles à la Révélation, est introduit par la formule récurrente de Mt 23, 13-36 (imprécations contre les Scribes et les Pharisiens). En définitive, le détail des éléments textuels est ici fortement lié à la logique argumentative selon laquelle les citations 35
Épître de Barnabé 6.1, AH 4.33.13, Dem 88. Variante partagée par de rares manuscrits en minuscule de la Bible grecque, cf. Ziegler, Isaias : δικαζομενος 88, δικαιουμενος 26 407 410. 37 Autres points de contact textuels : v. 8 ἀντιστήτω μοι ἅμα] om. ἅμα Syp Barn. Ir.lat ; v. 9 ὡς σής] om. ὡς S* B-oII Barn. Clem. Eus.comm.et ecl. Ir.lat = 𝔐. 38 Prigent, Les Testimonia, p. 169-171. 36
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scripturaires sont isolées et enchaînées. Barnabé comme Irénée dépendent ici d’un recueil – identique ou presque – de citations ; les références y sont regroupées comme vétérotestamentaires autant d’annonces prophétiques de la naissance miraculeuse de Jésus, des guérisons qu’il opère, puis de la Passion du Christ, de sa résurrection et du Jugement dernier. Comme le note P. Prigent, si les § 53-85 de la Démonstration exposent l’Évangile en se fondant sur des prophéties vétérotestamentaires qu’on retrouve en un ordre identique dans l’Adversus Haereses 4 à partir du chap. 33.11, c’est que l’auteur dépend, dans les deux cas, d’un même recueil de citations scripturaires 39 ; la seule différence tient au fait que, dans l’Adversus Haereses, il se contente d’allusions, tandis que, dans la Démonstration – probablement postérieure –, il procède de façon plus didactique et remplace les allusions par des citations 40. 4. Une référence à la Bible médiatisée par le Nouveau Testament Dans ce qui précède, on a vu combien Irénée dépendait de sources testimoniales qui réagencent l’Ancien Testament selon les étapes de la vie et de la Passion de Jésus. Or, comme chez Justin, l’Ancien Testament est, chez l’Évêque de Lyon, médiatisé d’une seconde façon par le Nouveau : Irénée retient souvent les épisodes de l’Ancien Testament mentionnés dans le Nouveau. Ainsi, lorsqu’il rap39
Ibid., p. 183-190. D’autres lieux pourraient être cités : en Dem 43, Irénée attribue à Jérémie un macarisme (« Bienheureux celui qui était avant qu’il devînt homme ») qu’atteste sous une forme très voisine et avec une attribution identique Lactance (Institutions divines 4.8) ; en Dem 77, Irénée donne à Os 10, 6 une valeur typologique par rapport à la Passion (« Il est dit encore dans les douze prophètes : ‘Et, l’ayant lié, ils le présentèrent devant le roi’. En effet, Ponce Pilate était alors préfet de Judée et il avait alors une inimitié pleine de rancune contre Hérode, le roi des Juifs (…) » ; on trouve un recours très comparable à ce verset d’Osée chez Justin : « Hérode, le successeur d’Archélaüs, avait pris le pouvoir qui lui était échu. Pilate, pour lui être agréable, lui envoya Jésus enchaîné (δεδεμένον) ; parce qu’il prévoyait que cela se produirait, Dieu parle ainsi : ‘Et ils l’amenèrent en Assyrie comme présent au roi’ » (Dial 103.4). Un même recours à Os 10, 6 chez Tertullien dans le Contre Marcion 4.42.3. Les trois auteurs dépendent probablement d’un source testimoniale qui a associé Os 10, 6 à Mc 15, 1 (δήσαντες τὸν Ἰησοῦν ἀπήνεγκαν καὶ παρέδωκαν Πιλάτῳ). 40
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pelle l’histoire d’Abraham, puis l’exil des Hébreux en Égypte, l’auteur suit la narration qu’en donne le discours d’Étienne en Ac 7. Parfois la citation de la Genèse dans les Actes est reprise41 ; parfois, elle est reformulée en une série d’allusions narratives 42 ; dans d’autres cas enfin, l’allusion lucanienne est remplacée par une citation scripturaire tirée d’un autre chapitre de la Genèse. Par exemple, l’expression « Il lui promit (i. e. à Abraham) de lui en donner la possession [du pays], ainsi qu’à sa descendance après lui » (Ac 7, 5) donne lieu chez Irénée à la reformulation suivante : « Dieu lui apparut (i. e. à Abraham) en vision et lui dit : ‘cette terre, je te la donnerai, à toi et, après toi, à ta postérité, en possession éternelle’ » : on a, pour les éléments en italique, une citation presque littérale de Gn 17, 8 (alliance de la circoncision) ; pour le reste, Irénée suit, comme Luc, le texte de Gn 15, 13-14 (torpeur d’Abraham, annonce de l’avenir de sa descendance). L’inexactitude de la citation irénéenne ne relève pas d’une erreur de mémoire mais d’une conflation de deux lieux scripturaires permettant d’intégrer, dans la citation vétérotestamentaire donnée par l’auteur, l’allusion à la Genèse présente chez Luc au v. 5 (αὐτῷ εἰς κατάσχεσιν καὶ τῷ σπέρματι αὐτοῦ μετ᾿ αὐτόν), juste avant la citation même de Gn 15, 3-4 qu’on lit en Ac 7, 6. Quoique de façon discrète, on a là un mouvement de lectio divina du Nouveau Testament à partir de l’Ancien. La suite du développement en fournit une autre illustration. La notation de Luc « Il lui donna l’alliance de la circoncision » (Ac 7, 8) est reformulée ainsi : « ‘Lève les yeux vers le ciel et compte les étoiles, si tu peux les dénombrer : ainsi sera ta postérité’ (Gn 15, 5) ; et Dieu, ayant vu qu’il ne doutait pas dans son esprit, lui rendit témoignage par l’Esprit saint en disant dans l’Écriture : ‘Et Abraham crut et cela lui fut imputé comme justice’ (Gn 15, 6) … Et afin que la grandeur de sa foi fût reconnue par un signe, il lui donna la circoncision comme sceau de la justice de la foi 41 Gn 12, 1 (« sors de ton pays, de ta famille et de la maison de ton père … »), cité en Ac 7, 3. On remarquera que, comme Clément de Rome (Premier Épître aux Corinthiens 10.3), Irénée rétablit le texte complet abrégé par Luc (Dem 24). 42 [Il ajouta que] « sa postérité serait errante sur une terre qui ne serait pas la sienne … et que Dieu condamnerait le peuple qui avait réduit à l’esclavage sa postérité », cf. Gn 15, 13-14 (Dem 24).
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qu’il possédait dans son incirconcision » 43. On mettra ce développement en perspective avec celui, sensiblement différent, de Barnabé : les deux mêmes versets de Genèse 15 sont donnés par lui mais sans commentaire entre le premier et le second ; en revanche, ils sont suivis d’une brève notation sur la croyance d’Abraham, rendue visible par son hospitalité et par son obéissance au moment où il dut sacrifier son fils 44. Comment comprendre chez ces deux auteurs l’usage des mêmes lieux bibliques sur un mode si différent ? Il faut supposer que la mention de « l’alliance de la circoncision » en Ac 7, 8 a donné lieu à un même recours interprétatif à Gn 15, 5-6, mais lu chez Irénée à la lumière de Rm 4, 3 et 11-12 qu’ignore, pour sa part, Barnabé. Dans les deux cas, les citations de la Genèse s’expliquent comme un commentaire d’Ac 7, 8, mais la tradition d’intertextualité, commune à Irénée et à Barnabé, ne semble plus comprise par ce dernier. Dans la fin du § 24 de la Démonstration, l’évêque de Lyon reste remarquablement tributaire de la suite du discours d’Étienne. Si, à partir du § 25, Irénée cite moins le texte scripturaire, c’est parce que les citations de l’Exode présentes dans la suite du discours d’Étienne y servent à critiquer le peuple hébreu, cessant d’être compatible avec le thème de la Providence divine, souligné par Irénée dans tout son développement. En somme, la présence comme l’absence des citations vétérotestamentaires sont, chez Irénée, déterminées par le contenu du texte néotestamentaire. Dans la dernière partie de la Démonstration, nombre des citations vétérotestamentaires sont tirées du Nouveau Testament45
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Dem 24. Premier Épître aux Corinthiens 10.5-7, tr. A. Jaubert, Paris, 1971 (SC, 167), p. 117. 45 Mi 5, 2, cité en Mt 2, 6 (§ 63) ; le Ps 131, 10-12, en partie cité en Ac 2, 30 (§ 64) ; Za 9, 9, cité en Mt 21, 5-9 (§ 65) ; Is 52, 13 – 53, 1-5, cités en différents lieux du Nouveau Testament (§ 68 et 69) ; Ps 2, 1-2, cité en Ac 4, 25-26 (§ 74) ; Ps 21, 19, cité en Jn 19, 24 (§ 80 ; le reste du développement est inspiré par Jn 19, 23) ; Ps 67, 18-19, partiellement cité en Ep 4, 8 (§ 83) ; Is 10, 23, partiellement cité en Rm 9, 28 (§ 87) ; Jr 38 (𝔐 31), 31-40, longue citation reprise intégralement en He 8, 8-12 (§ 90) ; Is 65, 1 partiellement cité en Rm 10, 20 (§ 92) ; Is 54, 1 cité en Ga 4, 27 (§ 94) ; Os 6, 6, partiellement cité en Mt 9, 13 et 12, 7 (§ 96). 44
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ou appelées par le récit évangélique46 ; elles sont données selon la reformulation néotestamentaire. Ainsi, pour la fin de Za 13,7, Irénée reproduit la formulation de Mt 26, 56 (« frappe le pasteur et les brebis du troupeau seront dispersées ») et non celle de la Bible grecque (« frappez les pasteurs et dispersez les brebis ») 47 ; il en va de même pour Is 52, 7 (« Comme ils sont beaux, les pieds de ceux qui annoncent une bonne nouvelle de paix »), cité dans la formulation de Rm 10, 15 48. Le regroupement d’Os 2, 24 et 1, 10 ainsi que leur formulation même procèdent de Rm 9, 25-26 49 ; quant au Dt 32, 21, il est cité selon la formulation de Rm 10, 1950. L’adoption par l’auteur d’imprécisions néotestamentaires illustre également le poids documentaire du Nouveau Testament dans les citations de l’Ancien : à la suite d’Ac 15, 15-16 où la citation d’Am 9, 11, prise dans un réseau de références, est présentée comme « paroles des prophètes », Irénée la rapporte en l’attribuant au « prophète »51 ; quand l’auteur évoque les trente pièces d’argent que reçoit le berger en Za 11, 13, il mentionne le texte de Mt 27, 10, où le verset est regroupé avec des citations ou allusions à Jérémie et, comme Matthieu, il attribue à Jérémie l’allusion à Zacharie52 . Cette enquête, menée à partir du matériel scripturaire présent dans la Démonstration de la prédication apostolique, montre combien Irénée construit, à partir des citations du Nouveau Testament, ses références à l’Ancien : tant pour le choix des citations que pour leur formulation ou leur attribution, le Nouveau Testament constitue pour lui une voie d’accès à l’Ancien. Tantôt la référence est, pour les besoins de l’argumentation, abrégée par rapport à la citation du Nouveau Testament ; tantôt la référence est donnée sous une 46 Dem 82 : « Lorsqu’il demanda une boisson, ‘c’est du vinaigre mêlé de fiel qu’ils lui donnèrent à boire’ (Mt 27, 34), et cela même avait été dit par David : ‘Ils m’ont donné pour nourriture du fiel et, dans ma soif, ils m’ont fait boire du vinaigre’ (Ps 68, 22) ». 47 Dem 76. 48 Dem 86. 49 Dem 93. 50 Dem 95. 51 Dem 38 et 62 ; l’auteur parle des « paroles des prophètes » en AH 3.12.14 où il cite l’ensemble de la citation composite d’Ac 15, 16-17. 52 La citation de Matthieu regroupe des citations libres de Za 11, 13 et de Jr 18, 2-3 et 39 (𝔐 32), 6-15.
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forme plus complète. À l’époque où Tatien entreprend dans son Diatessaron de mettre en harmonie les Évangiles, Irénée témoigne d’une tradition testimoniale qui cite l’ancien Testament en accord avec le Nouveau. Quelles que soient leurs différences, ces deux pratiques manifestent une même tentative d’harmonisation. 5. La documentation testimoniale, témoin d’un texte ancien de l’Ancien Testament : l’exemple de Daniel L’enquête qui précède a établi que la Bible d’Irénée reflétait un état ancien du texte grec, épargné par les retouches hébraïsantes qui, en Judée-Palestine, affectèrent très tôt la traduction. À l’inverse, elle a montré que le matériel scripturaire présent dans l’Adversus Haereses et la Démonstration de la prédication apostolique dépendait souvent du Nouveau Testament, où le texte biblique est cité avec des variantes propres qui relèvent parfois d’une véritable réécriture. Si le second constat limite la valeur du témoignage irénéen pour la critique textuelle de la Bible grecque, on finira par un cas paradoxal où les données patristiques permettent peut-être de remonter à un état du texte scripturaire plus ancien que tous les témoins conservés en tradition directe. Pour le livre de Daniel, l’original sémitique a, semble-t-il, subi une réécriture complexe. L’existence même, après Daniel-Septante (désormais Dn-o’) d’une retraduction, attribuée à Théodotion (désormais Dn-θ’) en est l’indice. Selon nous, les versions grecques, en particulier la première, renseignent parfois sur un état antérieur au texte massorétique53. Dans les derniers chapitres du livre biblique, deux anges sont mentionnés par leur nom : Gabriel (8, 16 ; 9, 21) et Michel (10, 21 ; 12, 1) ; or, le témoignage de la première version grecque suggère que, au moins dans le cas de Gabriel, la mention du nom propre procède d’une glose secondaire54.
53 Cf. O. Munnich, « The Masoretic Rewriting of Daniel 4–6 : The Septuagint Version as Witness », dans From Author to Copyist. Essays on the Composition, Redaction and Transmission of the Hebrew Bible in Honor of Zipi Talshir, éd. C. Werman, Winona Lake, IN, 2015, p. 149-172. 54 Sur ce point, cf. O. Munnich, « Michel et Gabriel : gloses dans le texte biblique de Daniel ? », dans Φιλολογία. Mélanges offerts à Michel Casevitz, éd. P. Brillet-Dubois, É. Parmentier, Lyon, 2006, p. 299-313.
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En 8, 16, le texte massorétique, fidèlement reflété par Dn-θ’, comporte ceci : « Et j’entendis la voix d’un homme au milieu de ; il appela et dit : ‘Gabriel, fais comprendre à celui-ci l’Oubal la vision’ » ; le texte de Dn-o’ est celui-ci : καὶ ἤκουσα φώνην ἀνθρώπου ἀνὰ μέσον τοῦ Ωλαμ, [καὶ ἐκάλεσε καὶ εἶπε Γαβριηλ συνέτισον ἐκεῖνον τὴν ὅρασιν]. Καὶ ἀναβοήσας ὁ ᾿ἄνθρωπος εἶπεν Ἑπὶ τὸ πρόσταγμα ἐκεῖνο ἡ ὅρασις, « et j’entendis une voix d’homme au milieu de l’Olam ; [et elle appela et dit : ‘Gabriel, fais comprendre à celui-ci la vision’]. Et, élevant la voix, l’homme dit : ‘voici l’ordre que concerne la vision’ ». La version grecque comporte ici un doublet et une seconde formulation (comprenant le nom propre) s’est, juste avant l’ancienne, introduite dans le texte sans se substituer à elle ; comme toute la documentation manuscrite l’atteste, nous n’avons pas éliminé l’élément récent mais nous l’avons, dans notre édition critique, placé entre crochets droits55. En 9, 21, la seconde mention de Gabriel semble également secondaire car le texte massorétique lit ceci : « Et alors que je parlais encore dans ma prière, l’homme Gabriel ( ַּג ְב ִר י ֵא ל )וְ ָה ִא יׁשque j’avais vu au début dans la vision, en vol, me toucha à l’heure du sacrifice du soir ». L’intérêt de Dn-o’ tient au fait que, à la différence du texte massorétique, suivi par Dn-θ’, il mentionne le nom propre à une autre place : καὶ ἰδοὺ ὁ ἀνήρ, ὃν εἶδον ἐν τῷ ὕπνῳ μου τὴν ἀρχὴν, Γαβριηλ, τάχει φερόμενος προσήγγισέ μοι (…), « et voici que l’homme que j’avais vu dans mon sommeil, au début, Gabriel, se déplaçant rapidement, s’approcha de moi (…) ». La simple divergence dans l’ordre des mots ainsi que la gaucherie de l’expression du texte massorétique (« l’homme Gabriel »), sans aucun parallèle dans les textes parabibliques, suggèrent que le nom propre « Gabriel », d’abord noté dans la marge, est entré en deux lieux différents du substrat sémitique ; nous avions, dans notre apparat, signalé l’omission pure et simple du nom propre dans une citation littérale de Tertullien, sans accorder à ce fait l’importance qu’il mérite56 ; en effet, en un autre lieu du De ieiunio, Tertullien 55
Septuaginta. Vetus Testamentum graecum, vol. XVI/2, Susanna – Daniel – Bel et Draco. Editio secunda Versionis iuxta LXX interpretes textum plane novum constituit Olivier Munnich, Göttingen, 1999, p. 350. 56 Et adhuc, inquit, loquente me in oratione, ecce vir, quem videram in somniis initio, velociter volans, appropinquauit mihi quasi hora uespertini sacrificii : De ieiunio adversus psychicos, x, 13, dans Tertulliani Opera, t. 1, éd. A. Reiffer-
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évoque d’abord la supériorité de Daniel sur les devins (Dn 2), puis le jeûne, le sac et la cendre qu’il s’impose, la première année du règne de Darius, pour comprendre la prophétie de Jérémie ; la référence porte donc sur le chap. 957. La phrase qui suit chez Tertullien se rapporte à Dn 9, 21-22 : Nam et angelus missus est ad eum hanc statim professus est causam divinae dignationis : veni, inquit, demonstrare tibi, quatenus miserabilis es, ieiunando scilicet58 ; les derniers termes de la citation sont une traduction littérale du v. 23 selon Dn-o’ (ἐγὼ ἦλθον ὑποδεῖξαί σοι, ὅτι ἐλεεινὸς εἶ)59. Or, le début de l’allusion mentionne « un ange » et non Gabriel. De ce fait, dans le texte précédemment cité, l’omission du nom propre ne doit pas être tenue pour une erreur. Les deux lieux prouvent que Tertullien connaît, pour Dn 9, 21, une forme textuelle qui ne comportait pas le nom propre ; cette forme correspond au texte authentique de Dn-o’, tel qu’il n’est plus attesté en tradition directe. Un tel texte grec était traduit sur la forme authentique du texte hébreu, telle qu’on ne la connaît plus. Cela n’empêche pas Tertullien de connaître aussi un état du texte daniélique comportant le nom Gabriel : dans son Adversus Iudaeos, il cite longuement Dn 9, 1-2 et 21-27 : l’ensemble de la citation est conforme, non à Dn-o’, comme dans le De ieiunio, mais à Dn-θ’ (en particulier « voici l’homme Gabriel » au v. 21)60. Or, le témoignage d’Irénée apporte un précieux appui à celui de Tertullien. Contre les prétentions des gnostiques marcosiens, Irénée cite en ces termes la fin de Daniel : « Daniel, à les en croire, signifiait la même chose, lorsqu’il demandait à l’ange (angelum) scheid, G. Wissowa, Prague, Vienne, Leipzig, 1890 (CSEL, 20), p. 288, l. 24-27. 57 Non sur Dn 10, 12 sq., ainsi que l’écrivent Tertulliani Opera, t. 1, p. 283, l. 19. 58 De ieiunio 7, dans Tertulliani Opera, t. 1, p. 283, l. 18-20. 59 À la fin du verset, Dn-θ’ lit, non ὅτι ἐλεεινὸς εἶ, mais – conformément au texte massorétique – ὅτι ἀνὴρ ἐπιθυμιῶν σὺ εἶ. D’autres indices suggèrent que Tertullien consulte une source tirée de Dn-o’ : pour le chap. 2, l’allusion aux sophistae s’accorde à la traduction de Dn-o’ (σοφισταί) et non à celle de Dn-θ’ (σοφούς). 60 Et adhuc me loquante in oratione, ecce vir Gabriel, quem vidi in visione in principio, volans et tetigit me quasi hora sacrificii vespertini : Adversus Iudaeos, dans Tertulliani Opera, t. 2/2, éd. A. Kroymann, Vienne, Leipzig, 1942 (CSEL, 70), p. 276, l. 19-21.
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l’explication des paraboles, ce qui prouve bien qu’il l’ignorait. Mais l’ange lui-même (et angelum) tenait caché à ses yeux le grand mystère de l’Abîme, lorsqu’il lui répondait : ‘Retire-toi, Daniel, car ces paroles sont obstruées jusqu’à ce que comprennent ceux qui comprendront et soient rendus brillants ceux qui seront brillants’ » (Dn 12, 9-10) 61. Pour cette phrase essentielle, on a la chance de conserver par Épiphane de Salamine le texte grec d’Irénée 62 . Il importe peu que, à la fin de la phrase, Irénée cite le texte daniélique avec une variante qui ne possède pas de parallèle 63 ; seuls comptent les premiers mots où, comme chez Tertullien, la révélation finale des chap. 8–12 semble le fait, non de Gabriel, mais d’un ange anonyme, comme c’est le cas en Daniel aux chap. 7 (interprétation de la vision par « un de ceux qui se tenaient là », v. 16) et 10 (apparition de « l’homme vêtu de lin », v. 5). Deux autres lieux corroborent l’hypothèse qu’Irénée connaissait une telle formulation du livre de Daniel64. En effet, l’emploi par l’évêque de Lyon d’un tour impersonnel s’accorde à un texte parlant d’un ange anonyme bien mieux qu’au texte massorétique où l’on trouve depuis le chap. 8 une révélation continue faite par l’ange Gabriel. Moins probantes que le lieu précédent, ces deux formulations suggèrent cependant aussi que, comme celui de Tertullien, le texte daniélique d’Irénée ne comportait pas le nom « Gabriel ». Dans son Adversus Iudaeos, Tertullien tire probablement sa longue citation de Dn 9 d’un dossier qui juxtapose le début du récit (jeûne et prière de Daniel pour comprendre la parole de Jérémie, v. 1-2) et l’explication des semaines d’années (v. 24-27). 61
AH 1.19.2. Καὶ τὸν Δανιὴλ δὲ τὸ αὐτὸ τοῦτο σημαίνειν ἐν τῷ ἐπερωτᾶν τὸν ἄγγελον τὰς ἐπιλύσεις τῶν παραβολῶν, ὡς μὴ εἰδότα· ἀλλὰ καὶ τὸν ἄγγελον ἀποκρυπτόμενον ἀπ’ αὐτοῦ τὸ μέγα μυστήριον τοῦ Βυθοῦ εἰπεῖν αὐτῷ Ἀπότρεχε Δανιηλ· οὗτοι γὰρ οἱ λόγοι ἐμπεφραγμένοι εἰσίν, ἕως οἱ συνιέντες συνιῶσι καὶ οἱ λευκοὶ λευκανθῶσι ; Epiphanius, Ancoratus und Panarion, I-II, éd. K. Holl, Leipzig, 1915 (GCS), p. 33 (34.18). 63 Sur ce point, cf. Munnich, « Einleitung », dans Susanna – Daniel, p. 100. 64 « Et c’est pourquoi il avait été dit (dicebatur) au prophète Daniel : ‘obstrue ces paroles et scelle ce livre jusqu’au temps de l’accomplissement (…) » = Dn 12, 4 selon la formulation de Dn-θ’ (AH 4.26.1 ; « Et pour qu’on ne s’imagine pas que cette promesse concerne l’époque présente, il fut dit (dictum est) au prophète : ‘et toi, viens et tiens-toi dans ton héritage lors de la consommation des jours’ » = Dn 12, 13 selon la formulation de Dn-θ’ (AH 5.34.2). 62
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Une telle documentation comporte tantôt le texte de Théodotion (Adversus Iudaeos), tantôt un texte Septante (De ieiunio) ; dans le cas d’Irénée, la source semble également réduite à une sélection de versets jugés majeurs, plus proches dans leur formulation de Dn-θ’ que de Dn-ο’. Or, l’un comme l’autre de ces deux auteurs patristiques paraissent connaître une formulation du texte daniélique où la révélation finale est le fait d’un ange anonyme. Les recueils de citations qui sont leurs sources reflètent souvent, on l’a vu, une forme tardive du texte scripturaire de la Bible, parfois influencée par sa réécriture néotestamentaire. Néanmoins, les données suggèrent parfois une conclusion diamétralement opposée : pour un détail du livre de Daniel, Irénée, comme Tertullien, auraient eu connaissance d’une forme si ancienne du texte grec qu’ils seraient les seuls à ne pas refléter une glose secondaire (l’addition du nom propre « Gabriel »). Que ce soit en Asie ou en Afrique du Nord, l’éloignement des centres judéo-palestiniens où le texte biblique était l’objet d’un retravail, ferait ici de Tertullien et d’Irénée les seuls témoins de la première formulation du texte, non seulement grec, mais aussi hébreu de la Bible : sur celle-ci, la vérité textuelle vient parfois des Pères grecs et latins. L’enquête menée ci-dessus aboutit à des résultats contrastés : la Bible grecque d’Irénée reflète tantôt une forme ancienne du texte scripturaire, remarquablement préservée des retouches hébraïsantes qu’il a très tôt subies et digne du plus grand intérêt pour la critique textuelle de la Bible, tantôt une forme tardive. Dans ce second cas, l’intérêt du texte n’est pas moindre car il dépend fidèlement d’une reprise d’un lieu vétérotestamentaire dans le Nouveau Testament. Rares sont les passages, où, en dehors de l’influence du Nouveau Testament, Irénée cite une forme secondaire de la Bible grecque : nous n’en avons trouvé que deux qui dépendent, dans un cas, d’un lieu commun de la polémique avec le judaïsme (Is 7, 14) et, dans l’autre, d’un passage où, à l’inverse, la forme révisée de la Bible grecque ouvre à l’auteur des perspectives exégétiques (Is 9, 6). Sur le plan textuel, les seules inexactitudes se concentrent sur des références tirées de dossiers testimoniaux qui consignent une formulation particulière (κυρίῳ, Is 45, 1), un verset inconnu en tradition directe (le logion du Pseudo-Jérémie relatif à la descente du Seigneur auprès des morts), un texte réagencé selon une argumentation exégétique (Is 50, 8-9) ou, plus souvent encore, des citations de l’Ancien Testament dans le Nouveau, sous
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une forme légèrement modifiée (abrégée ou complétée). On aurait tort d’en conclure que les citations fidèles à la forme authentique de la Bible grecque dérivent de textes suivis (volumina ou cahiers de codex) et les citations inauthentiques, de dossiers testimoniaux : quoique isolé, l’exemple de Daniel atteste d’une tradition testimoniale qui renvoie à un état primitif du texte biblique, qu’elle est seule à documenter.
Irénée, les généalogies évangéliques de Jésus et le Codex de Bèze Christophe Guignard (Strasbourg) La généalogie de Jésus joue un rôle important dans plusieurs pages d’Irénée, en particulier son célèbre développement sur le nouvel Adam et la nouvelle Ève (AH 3.22.1-3)1. Sans constituer des commentaires des généalogies dressées par Mt 1, 1-17 et Lc 3, 23-38, ces pages font apparaître certains aspects de l’exégèse irénéenne de ces péricopes, mais elles laissent un problème dans l’ombre : recevant comme écrits apostoliques2 , doués d’autorité, aussi bien l’évangile selon Matthieu que l’évangile selon Luc, comment Irénée considérait-il le problème de la différence entre les généalogies qu’ils donnent à Jésus ? essayait-il, d’une façon ou d’une autre, de les concilier ? À ma connaissance, ce problème n’a guère retenu l’attention des chercheurs dans le passé 3 et n’a été
C’est surtout la généalogie matthéenne qui retient l’attention d’Irénée ; voir AH 3.11.8 ; 3.16.2 ; 3.21.9. Deux fragments caténaires édités par W. W. Harvey concernent les généalogies ou en tout cas l’ascendance davidique de Jésus (fr. 17 et 27, t. 2, Cantabrigiae, 1857, p. 487 et 493 ; voir CPG 1315, n° 9 et 15), mais le premier appartient en fait à Hippolyte ; quant au second, dont l’authenticité paraît envisageable, il ne concerne que Mt. 2 Cf. AH 3.1.1 ; 3.11.8. 3 Il faut citer les études plus que centenaires de P. Vogt, Der Stammbaum Christi bei den heiligen Evangelisten Matthäus und Lukas. Eine historischexegetische Untersuchung, Freiburg i. B., 1907 (Biblische Studien, 12/3), et de J. M. Heer, Die Stammbaüme Jesu nach Matthäus und Lukas. Ihre ursprüngliche Bedeutung und Textgestalt und ihre Quellen. Eine exegetisch-kritische Studie, Freiburg i. B., 1910 (Biblische Studien, 15/1-2) (voir plus bas). Cependant, leurs auteurs cherchent à établir le caractère marial de la généalogie luca1
Irénée de Lyon et les débuts de la Bible chrétienne. Actes de la Journée du 1.VII.2014 à Lyon, sous la direction de A. Bastit et J. Verheyden, Turnhout, 2017 (Instrumenta Patristica et Mediaeualia, 77), p. 83-90 ©
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traité que superficiellement dans la recherche plus récente4. Non sans raison, sans doute : les éléments à disposition ne permettent guère de conclusions fermes ; pour autant, l’examen des textes n’est pas sans intérêt. Dans cette enquête, le premier point à relever est qu’Irénée considère Marie comme une descendante de David. Cette idée apparaît plusieurs fois, aussi bien dans l’Adversus Haereses que dans la Démonstration de la prédication apostolique5. Cette position n’a rien d’original : elle est attestée par d’autres textes chrétiens des deux premiers siècles 6. Irénée pourrait la déduire de Rm 1, 3 (περὶ τοῦ υἱοῦ αὐτοῦ τοῦ γενομένου ἐκ σπέρματος Δαυὶδ κατὰ σάρκα7 ), puisqu’en AH 3.16.3, glosant ce passage peu après l’avoir cité, il écrit : « issu de la race de David selon la génération qui lui vient de Marie (qui de semine Dauid secundum eam generationem quae est ex Maria, l. 90s) ». Il en trouve en outre confirmation dans la formule « le fruit de ton sein » adressée à David dans le Ps 131 (132), 118. Préférée à une expression telle que « fruit des reins », qui nienne plutôt qu’à déterminer de quelle façon Irénée résolvait le problème de la différence entre les deux généalogies. 4 De son examen des généalogies chez Justin, Irénée et Tertullien, G. Broszio, Genealogia Christi. Die Stammbäume Jesu in der Auslegung der christlichen Schriftsteller der ersten fünf Jahrhunderte, Trier, 1994 (Bochumer altertumswissenschaftliches Colloquium, 18), p. 54 conclut que ces auteurs esquivent les difficultés exégétiques de ces péricopes, notamment le problème de leur conciliation. Pour sa part, W. Speyer ne traite pas de ce point dans son étude sur « Die leibliche Abstammung Jesu im Urteil der Schriftsteller der alten Kirche », Helmantica. Revista de filología clásica y hebrea, 28 (1977), p. 523-539. 5 AH 3.9.2 : voir A. Rousseau, « Annexe II », dans Irénée de Lyon, Contre les hérésies. Livre III, éd. A. Rousseau, L. Doutreleau, t. 1, Paris, 2 2002 (SC, 210), p. 481 ; 3.16.3, 21.5 ; Dem 36 ; 40 ; 59 ; 63. 6 Voir les références indiquées par E. Norelli, Ascensio Isaiae. Commentarius, Turnhout, 1995 (Corpus Christianorum. Series apocryphorum, 8), p. 539s. (à la p. 539, n. 2, on corrigera « Lc 2, 24 » en « Lc 2, 4 »). 7 Le texte grec de la citation d’Irénée (AH 3.16.3, l. 77s.) est perdu ; la version latine cite le verset sous une forme qui correspond au texte des manuscrits vieux latins et d’une partie des manuscrits de la Vulgate : de Filio suo, qui factus est ei ex semine Dauid secundum carnem. 8 A. Orbe, Introduction à la théologie des iie et iiie siècles, t. 2, Paris, 2012 (Patrimoines. Christianisme), p. 815 remarque à juste titre que l’idée de l’ascendance davidique de Marie était exigée par Ps 131, 11. De fait, dans la Démonstration, seul ce texte est exploité (§ 36 ; 63), tandis que Rm 1, 3 n’est
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aurait renvoyé au pouvoir générateur d’un homme, cette formule, affirme-t-il, « caractérise une Vierge enceinte » (3.21.5, l. 124-126). Par ces paroles, conclut-il, l’Esprit Saint indique à qui veut l’entendre que la promesse faite par Dieu à David de susciter un Roi « du fruit de son sein » a été accomplie lorsque la Vierge, c’est-àdire Marie, a enfanté (l. 136-139).
Comme le note Adelin Rousseau, « le ‘sein de David’ est la Vierge …, et le ‘fruit’ de ce sein est l’Emmanuel »9. Cette exégèse suppose évidemment que Marie soit une descendante de David. Cependant, Irénée ne met pas cette donnée en rapport avec le texte des évangiles. Comment l’évêque de Lyon considère-t-il le rapport entre les deux généalogies et l’ascendance de Jésus ? Dans le cas de celle de Mt, il n’y a aucun doute possible : c’est celle de Joseph, par conséquent pas celle de Jésus selon la chair, ce qui est d’ailleurs parfaitement en accord avec la lettre du texte évangélique (cf. Mt 1, 16). Le raisonnement d’Irénée est clair (AH 3.21.9) : Joseph apparaît comme fils de Joachim et Jéchonias selon la généalogie exposée par Matthieu. Or Jéchonias et tous ses descendants ont été exclus de la royauté, comme le montrent ces paroles de Jérémie …
Il cite alors des prophéties contre Joachim et Jéchonias, dont l’une affirme qu’aucun de leurs descendants ne s’assiéra sur le trône de David (Jr 36 [43], 30-31). La généalogie lucanienne est abordée en AH 3.22.3 : Propter hoc Lucas genealogiam quae est a generatione Domini nostri usque ad Adam LXXII generationes habere ostendit, finem coniungens initio et significans quoniam ipse est qui omnes gentes exinde ab Adam dispersas et uniuersas linguas et generationes (generationem codd.) hominum cum ipso Adam in semetipso recapitulatus est (l. 43-49). cité nulle part. Pour autant, Irénée ne paraît pas déduire l’ascendance davidique de David du verset du psaume, car, dans cette œuvre, cette donnée fonctionne comme un axiome : il fait plutôt entrer ce verset en résonnance avec une donnée qu’il tire d’une autre source – le passage paulinien et/ou une tradition indépendante – mais qui semble suffisamment bien établie pour se passer de démonstration. 9 Rousseau, Irénée de Lyon, Contre les hérésies. Livre III, t. 1, p. 266, n. 2 de la p. 105.
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Comme le faisait Sagnard10 et comme je l’ai montré ailleurs11, il faut conserver le generationem des manuscrits. Le contexte indique clairement que les 72 générations renvoient à Gn 10 : les générations de la généalogie représentent l’ensemble de « la génération des hommes » issus d’Adam, dans toute sa diversité, que le Seigneur récapitule en lui-même (Irénée met cette notion en relation avec l’ordre ascendant de la généalogie lucanienne, cf. 22.4, sub fine). Il a été suggéré il y a plus d’un siècle qu’Irénée lisait la généalogie lucanienne comme celle de Marie12 , mais cette hypothèse semble avoir été oubliée par la recherche récente. Contrairement à une idée reçue13, cette interprétation de la généalogie de Luc est attestée dès l’Antiquité14. Or trois éléments suggèrent que, pour Irénée, la généalogie de Luc est bel et bien celle de Marie : 10 Voir F. Sagnard, Irénée de Lyon, Contre les hérésies. Mise en lumière et réfutation de la prétendue « connaissance ». Livre 3, Paris, 1952 (SC, 34), p. 378. 11 Voir Ch. Guignard, « Julius Africanus et le texte de la généalogie lucanienne de Jésus », dans Papers Presented at the Sixteenth International Conference on Patristic Studies Held in Oxford 2011, vol. 11 : Biblica, Philosophica, Theologica, Ethica, éd. M. Vinzent, Leuven, 2013 (SP, 63), p. 222, n. 5. À l’argumentation que j’y ai rapidement développée, on pourrait ajouter que la mention de toutes les nations et toutes les langues montre qu’il ne s’agit pas des générations de la généalogie, mais bien de l’humanité entière. 12 Voir Vogt, Der Stammbaum Christi, p. 115s., et Heer, Die Stammbaüme Jesu, p. 98s. Ce dernier allait jusqu’à considérer qu’il s’agissait non pas du résultat de l’exégèse d’Irénée, mais d’une tradition vénérable dont celui-ci serait le témoin : « Irenäus … hat es noch gewußt, nicht als Gelehrter es erst erschlossen, sondern als Zeuge es gewußt, daß Lukas den Stammbaum Marias bietet » (voir aussi p. 48 et 102, notamment). L’influence de Julius Africanus et d’Eusèbe de Césarée (promoteurs d’une solution de conciliation qui attribue la généalogie de Luc à Joseph, voir HE 1.7) aurait été fatale à cette tradition (ibid., p. 98). 13 On lit souvent, jusque dans des travaux récents, que l’interprétation de la généalogie lucanienne comme généalogie de Marie remonterait à Annius de Viterbe (fin du xve siècle). Cette erreur paraît trouver sa source chez F. Patrizi, De Evangeliis, t. 2, Fribourg/Br., 1852, p. 84. 14 La plus ancienne attestation explicite est fournie au milieu du ive siècle par Fortunatien d’Aquilée (Commentaire sur les évangiles, f. 7rv ; voir dans ce vol., p. 109, n. 20). La façon dont il fait référence à cette interprétation (multi uolunt …) suggère toutefois qu’elle jouissait (ou avait joui) d’une certaine diffusion. Voir aussi Chromace d’Aquilée, Commentaire sur Matthieu 1, 6, l. 184188, éd. R. Étaix, J. Lemarié, Turnhout, 1974 (CCSL, 9A), p. 198. Vogt, Der Stammbaum Christi, p. 115, et Heer, Die Stammbaüme Jesu, p. 100, supposent que telle était déjà l’interprétation de la généalogie de Luc chez Justin
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1. si Matthieu dresse la généalogie de Joseph, Marie se rattache à une lignée davidique différente. Or la généalogie de Luc se trouve précisément sans propriétaire attitré ; 2. il ne semble pas y avoir de césure entre Jésus et ses ancêtres dans la généalogie lucanienne telle que la considère Irénée (3.22.3), comme cela devrait être le cas s’il s’agissait de la généalogie de Joseph. En outre, en 22.4, Irénée lit Lc 3 en lien avec l’idée de régénération, dans une inversion du rapport entre le Christ et ses ancêtres (voir aux l. 80-84 l’opposition patribus – filii dans la citation du Ps 44, 17 et la formule in sinum suum recipiens pristinos patres regenerauit eos in uitam Dei) ; 3. dans les paragraphes qui précèdent (22.1-2), Irénée insiste sur le fait que Jésus reçoit sa chair (son humanité) de Marie. Cet accent sur le fait que Jésus tire son humanité de Marie s’accorderait bien avec l’idée que la généalogie ascendante et « récapitulative » de Lc serait celle de Jésus dans sa chair, c’est-à-dire par Marie15. On remonterait ainsi non seulement de Jésus à Adam, mais aussi de Marie à Ève. C’est aussi ce que suggère le fait qu’Irénée établisse un rapport typologique non seulement entre Adam et Jésus, mais aussi entre Ève et Marie16. Néanmoins, Irénée n’affirme pas explicitement que la généalogie lucanienne est celle de Marie. Il aurait notamment pu le faire au début de 22.3, en écho à ce qu’il dit de la généalogie de Mt en 21.9. L’ascendance davidique de Marie est pour lui une donnée évidente, qui n’appelle manifestement aucune démonstration particu(Dial 100.2, 3), non sans raison, comme je l’ai montré dans une contribution à paraître dans les actes des 14 es Jornadas de Estudio sobre « La filiación en los inicios de la reflexión cristiana ». Il faut relever en outre une certaine similitude de contexte : dans les deux cas, cette lecture affleure à proximité d’un développement sur le parallèle entre Ève et Marie. 15 Tel est le point sur lequel s’appuyait Vogt, Der Stammbaum Christi, pour affirmer qu’Irénée lisait la généalogie lucanienne comme généalogie de Marie : les affirmations d’AH 3.22.3-4 « geben … nur dann einen annehmbaren Sinn, wenn der Heiland durch dessen Stammbaum [celui de Luc] auch wirklich als ein Nachkomme Adams dem Fleische nach dargestellt ist, was nur über Maria denkbar ist » (p. 116). 16 C’est sur ce double rapport type-antitype que Heer, Die Stammbaüme Jesu, p. 99, fondait le caractère marial de la généalogie lucanienne chez Irénée.
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lière, mais il ne fait aucun lien explicite entre cette donnée et les généalogies évangéliques. Cette conviction peut trouver d’ailleurs son fondement dans Rm 1, 3, sans qu’il soit nécessaire de supposer que l’une des généalogies soit celle de Marie. En lui-même, le raisonnement d’Irénée serait compatible avec une lecture purement théologique, qui ferait de la généalogie de Luc une expression symbolique de la remontée du Christ à Adam. Mais, dans ce cas, de qui la généalogie de Luc serait-elle la généalogie ? et comment en rendre compte ? De fait, l’explication de la généalogie de Luc comme généalogie de Marie aurait tout son sens chez Irénée. À cela s’ajoute que, même s’il n’établit pas de lien explicite, il y fait référence dans un contexte où Marie est très présente. En outre, si Irénée ne considère pas que Luc retrace l’ascendance de Marie, le problème de la conciliation des généalogies évangéliques resterait sans solution. Tout se passe donc comme si la lecture mariale de la généalogie lucanienne gouvernait l’exégèse d’Irénée, mais qu’il ne juge pas nécessaire, ou pas opportun, de la mentionner explicitement. S’il en est ainsi, ce paradoxe pourrait trouver une explication dans la difficulté exégétique de cette solution. Il n’est en effet pas évident de faire concorder cette idée avec la lettre du texte de Lc 3, 23. Dans ces conditions, une affirmation explicite aurait entraîné Irénée dans une défense ardue, qui aurait risqué de fragiliser son propos. En outre, il pouvait difficilement ne pas être conscient qu’une telle solution n’était pas acceptée par tous et que d’autres solutions de conciliation trouvaient des adeptes. L’une de ces solutions, qu’Irénée a pu connaître, nous est fournie par le Codex de Bèze (fin IVe -Ve s.)17. Je terminerai donc par une remarque sur le rapport entre Irénée et ce texte. Dans celui-ci, la généalogie lucanienne se présente sous sa forme ascendante, mais les noms des ancêtres ont été remplacés par ceux qu’indique Matthieu pour la partie qui est commune aux deux évangiles18. Il s’agit 17 Sur ce manuscrit (D 05), voir D. C. Parker, Codex Bezae. An Early Christian Manuscript and Its Text, Cambridge, 2 2008. 18 En outre, par rapport au texte matthéen, la généalogie insérée en Lc 3 dans le Codex de Bèze ajoute deux noms entre Josias et Jéchonias (Mt 1, 11) : Eliakim et Joakim. L’ajout du second de ces noms dans la généalogie matthéenne est attesté par un petit nombre de témoins. Il est intéressant de relever qu’Irénée lisait sans doute comme ces témoins, au v. 11 : « Josias engendra
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d’une tentative – certainement la plus radicale19, peut-être aussi la plus ancienne – de régler le problème de la divergence entre les deux généalogies20. Irénée n’y adhère évidemment pas, puisqu’il considère les deux généalogies comme différentes. Le nombre d’ancêtres fournit une preuve décisive contre l’usage d’un tel texte : Irénée compte 72 générations dans la généalogie de Luc. Le détail de ce compte, très inférieur aux 76 ou 77 noms qu’elle compte en général dans les manuscrits grecs21, n’est pas connu. Cependant ce chiffre est incompatible avec la généalogie « lucanienne » du Codex de Bèze, qui ne compte que 64 noms (Jésus et Dieu non compris). Plus généralement, en imposant une unique généalogie passant par Joachim et Jéchonias, un texte tel que celui du Codex de Bèze allait exactement à l’encontre de l’exégèse irénéenne des généalogies de Jésus, qui suppose une réelle différence entre les généalogies et qui ne saurait admettre que la généalogie ascendante, qui exprime la récapitulation opérée par le Christ, passe par Joachim et Jéchonias. Si donc, comme il est possible, Irénée, dont les citations sont souvent proches du Codex de Bèze, a connu et utilisé un manus-
Joakim, Joakim engendra Jéchonias et ses frères … », puisqu’il écrit : Ioseph enim Ioachim et Iechoniae filius ostenditur, quemadmodum et Matthaeus generationem eius exponit (AH 3.21.9, l. 186-188). Était-ce aussi le cas du Codex de Bèze en Mt 1 ? Cette question reste malheureusement sans réponse, car il est mutilé au début et commence, juste après ce point, avec le texte latin du v. 12. 19 Avec celle du Codex Washingtonianus (W 032), qui atteste une autre façon de résoudre le problème en faisant violence au texte de Lc : il omet simplement sa généalogie. 20 Le Codex de Bèze – dont on pourra par exemple lire le texte grec dans J. Read-Heimerdinger, J. Rius-Camps, A Gospel Synopsis of the Greek Text of Matthew, Mark and Luke. A Comparison of Codex Bezae and Codex Vaticanus, Leiden, 2014 (New Testament Tools, Studies and Documents, 45), p. 207-209 (pages de gauche) en est le seul témoin manuscrit, mais voir aussi Aphraate, Dem 23, 21 ; les menues différences entre les deux textes sont relevées dans The New Testament in Greek, 3 : The Gospel according to St. Luke, Part 1 : Chapters 1-12, éd. American and British Committees of the International Greek New Testament Project, Oxford, 1984, p. 69. 21 Voir par exemple les chiffres donnés dans Guignard, « Julius Africanus », p. 221s.
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crit apparenté 22 , la généalogie de Jésus montre que sa réception de cette forme textuelle particulière s’accompagnait de certaines réserves. Ce qui, le cas échéant, pourrait être une des clés de l’usage irrégulier qu’il en fait.
Sur le rapport entre Irénée et le type de texte représenté par le Codex de Bèze, voir par exemple D. J. Bingham, B. R. Todd, « Irenaeus’s Text of the Gospels in Adversus Haereses », dans The Early Text of the New Testament, éd. Ch. E. Hill, M. J. Kruger, Oxford, 2012, p. 370-392. Selon A. Souter, « The New Testament Text of Irenaeus », dans Novum Testamentum sancti Irenaei episcopi Lugdunensis. Being the New Testament Quotations in the OldLatin Version of the ἔλεγχος καὶ παρατροπὴ ψευδωνύμου γνώσεως, éd. W. Sanday, C. H. Turner, A. Souter, Oxford, 1923 (Old-Latin Biblical Texts, 7), p. cliv, Irénée utilisait un ancêtre du Codex de Bèze : « We would call special attention to the striking agreements of the Greek Ireaneus with the Greek side of the Codex Bezae alone of all Greek Mss in the following verses : Mt. iii. 16 (bis), 17 ; xiii. 16, 24 ; Lc. ii. 49 ; viii. 45 ; ix. 60, 61 ; xiv. 27 ; xix. 5 ; xxiv. 39. […] In view of the history of Codex Bezae, as far as it can be recovered, and its undoubted connexion with Lyons, it does not seem fanciful to suppose that Irenaeus used an ancestor of the Greek side of Codex Bezae. Of course this ancestor must have been of considerably greater purity of text than Codex Bezae. It was no doubt in much closer relationship to the ultimate Greek original of ‘it’ and ‘af’ than Dgr. itself is, though that relationship is close enough. Besides the agreements of Irenaeus with Codex Bezae alone of all Greek MSS, there are many with it in company with others, and it is very rare to find Iren.gr. directly opposed to Dgr., as for example in Lc. ix. 62 ». 22
À propos de la citation de Mt 3, 16-17 dans le Papyrus Oxyrhynque 405 : rapports avec le Codex Bezae ; diplai marginales Patrick Andrist (LMU Munich) Sous la cote Papyrus Oxyrhynque 405 (P.Ox. ci-dessous) on regroupe un ensemble de 7 morceaux de papyrus publiés pour la première fois en 1903 par Bernard Grenfell et Arthur Surridge Hunt1. Ils constituent les pauvres restes de deux colonnes d’un rouleau, et contiennent le texte d’AH 3.9.32 . Après un petit débat scientifique, ces morceaux ont trouvé, semble-t-il, leur disposition définitive grâce aux travaux de Louis Doutreleau publiés aux Sources Chrétiennes en 2002 : ils contiennent quelques lettres à la fin de la première colonne, et un peu plus au début de la colonne suivante. Ce fragment est très important, car il s’agit du plus ancien témoin de l’AH. Les paléographes le datent de la fin du iie siècle ou du début du iiie siècle, soit peut-être encore du vivant d’Irénée. Comme on le devine, la recherche n’a pas manqué de produire des savants romantiques, qui s’imaginent Irénée tenant le calame … Arrêtons-nous sur deux questions particulièrement dignes d’intérêt. B. P. Grenfell, A. S. Hunt, The Oxyrhynchus Papyri, Part III, London, 1903, p. 10-12 et Plate I. Identification du texte d’Irénée et nouvelle transcription par Joseph Armitage Robinson, Appendix II, dans B. P. Grenfell, A. S. Hunt, The Oxyrhynchus Papyri Part IV, London, 1904, p. 264-265. Nouvelle étude par Louis Doutreleau dans Irénée de Lyon, Contre les hérésies. Livre III, éd. A Rousseau, L. Doutreleau, t. 1, Paris, 2 2002 (SC, 210), p. 53, 125-132. 2 Irénée de Lyon, Contre les hérésies. Livre III, éd. A Rousseau, L. Doutreleau, t. 2, Paris, 1974 (SC, 211), p. 106, 108. 1
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1. La variante de Mt 3, 16-17 commune à P.Ox. et au Codex Bezae Tout d’abord, ce fragment contient une citation de Mt 3, 16-17 qui, comme la recherche l’a immédiatement remarqué, présente une variante textuelle rare, attestée également dans le Codex Bezae (ms. D du Nouveau Testament 3). Ce point est d’autant plus remarquable que le texte grec d’Irénée est ici confirmé par celui d’un autre fragment, publié en 1962 par Marcel Richard et Bertrand Hemmerdinger, qui l’ont trouvé dans le ms. d’Ochrid 86 (catal. 84), datable du xiiie siècle4 ; ce fragment appartient à un florilège théologique, que ces savants ont nommé Florilegium Achridense (Fl.Achr. ci-dessous). Or, comme on le voit à la dernière rangée du tableau ci-dessous, P.Ox., Fl.Achr. et D lisent « tu es [mon fils bien-aimé] », contrairement à la traduction latine d’Irénée, et à l’ensemble des manuscrits grecs du Nouveau Testament répertoriés dans la dernière édition Nestle-Aland5, qui contiennent tous « celui-ci est mon fils bien-aimé ». Peut-on, sur cette base, affirmer avec Joseph van Haelst, « Ce papyrus, trouvé en Egypte, … comporte une citation de Mt 3, 16-17 dans la forme que nous offre le manuscrit D : Irénée a donc connu le texte qui est maintenant représenté par le codex Bezae » 6 ? Tout d’abord, il faut se souvenir que le texte de D / P.Ox. / Fl.Achr. est, sur ce point, celui de Mc 1, 11 et de Lc 3, 22, à propos du même épisode. On ne peut donc pas exclure, chez Irénée ou chez D (voire chez les deux), une contamination par les récits parallèles ; la convergence serait alors tout à fait accidentelle. Pour 3 Datable de la fin du ive ou du début du ve siècle ; reproduction sur le site web de la bibliothèque universitaire de Cambridge, http://cudl.lib.cam.ac.uk/ view/MS-NN-00002-00041/1. 4 M. Richard, B. Hemmerdinger, « Trois nouveaux fragments grecs de l’Adversus Haereses de saint Irénée », ZNW, 53 (1962), p. 252-255, cf. p. 252 fragm. v. 5 Novum Testamentum graece, 28 e édition, Stuttgart, 2012 (NTG 28 ci-dessous). 6 J. Van Haelst, Catalogue des papyrus littéraires juifs et chrétiens, Paris, 1976 (Papyrologie, 1), p. 240-241 (no. 671-672). Voir les remarques d’Aland et Rosenbaum, qui minimisent la portée de cette observation : K. Aland – H.-U. Rosenbaum, Repertorium der griechischen christlichen Papyri. II. Kirchenväter-Papyri. Teil I : Beschreibungen, Berlin, 1995, p. 317-319, cf. p. 320 n. 8.
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progresser, cependant, il faut tenir compte, au moins, de toute la citation que nous reproduisons ici dans une présentation synoptique des témoins : και ειδεν τ[ο πνευμα του θεου] καὶ εἶδε πνεῦμα θεοῦ καὶ εἶδεν [τὸ] πνεῦμα [τοῦ] θεοῦ και [ε]ιδεν το πνευμα του θεου et vidit spiritum dei et vidit spiritum dei
P.Ox. Fl.Achr. NTG 28 D (7v rest.7 ) D lat. (8r) AH Lat
ανεω[χθησαν οι ουρανοι] ἀνεῴχθησαν αὐτῷ οἱ οὐρανοί, ἠνεῴχθησαν [αὐτῷ] οἱ οὐρανοί, ανεωχθησαν αυτω οι ουρανοι, aperti sunt ei caeli aperti sunt caeli
P.Ox. Fl.Achr. NTG 28 D (8v) D lat. (9 r) AH Lat
κατα]βαινον ως π[εριστεραν και] ὡσεὶ περιστεράν, καὶ καταβαῖνον καταβαῖνον ὡσεὶ περιστερὰν [καὶ] καταβαινοντα εκ του ουρανου ως περσιστεραν και descendentem de caelo sicut columbam et quasi columbam
P.Ox. Fl.Achr. NTG 28 D (8v) D lat. (9 r) AH Lat
και] καὶ καὶ και et et
P.Ox. Fl.Achr. NTG 28 D (8v) D lat. (9 r) AH Lat
συ ε[ι … ὁ υἱός μου σὺ εἶ οὗτός ἐστιν ὁ υἱός μου ο υιος μου συ ει filius meus tu es filius meus hic est
ιδου ἰδοὺ ἰδοὺ ιδου ecce ecce
φωνη φωνὴ φωνὴ φωνη vox vox
ἐξ ἐκ τῶν εκ των de de
[ … ] οὐρανοῦ οὐρανῶν ουρανων caelis caelo
ερχομενον ε[ … ἐρχόμενον εἰς αὐτόν· ἐρχόμενον ἐπ᾽ αὐτόν ερχομενον επ αυτον venientem super eum venientem super eum. λεγουσα λέγουσα· λέγουσα· λεγουσα προς αυτον dicens ad eum dicens :
αγα]πητος [ε]ν ω [ ὁ ἀγαπητὸς ἐν ᾧ εὐδόκησα. ὁ ἀγαπητός, ἐν ᾧ εὐδόκησα. ο αγαπητος εν ω ευδοκησα dilectus in quo bene placui dilectus in quo mihi complacui
À la suite de Louis Doutreleau, nous remarquons plusieurs divergences entre les divers témoins d’Irénée d’une part, et D d’autre part. Analysons-les, et tentons, là où c’est possible, de reconstruire le texte d’Irénée 8 : a. Les deux témoins grecs d’Irénée et D (restauration) divergent du latin pour ἀνεῴχθησαν / aperti sunt ; mais il s’agit des textes bibliques grec et latin standard. Le texte d’Irénée contenait certainement ἀνεῴχθησαν. b. Alors que D (grec restauré, mais latin de première main), comme Fl.Achr. et plusieurs témoins grecs du NT, lit αὐτῷ 7 Le texte grec de D de la première rangée du tableau appartient à une restauration du manuscrit. Dans les autres rangées, il appartient à la copie originale. 8 Voir aussi les remarques de Doutreleau en SC, 210, p. 129, et l’édition du texte grec par Rousseau et Doutreleau, en SC, 211, p. 106, 108. Pour évaluer le texte latin sur celui des Vieilles latines, nous avons consulté la base de données VLD sur le site www.brepolis.net.
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en grec et ei en latin, la traduction d’Irénée omet ce terme, qui était également absent de P.Ox., si on en croit la longueur de la lacune. Il est donc probable qu’il ne se trouvait pas dans le texte d’Irénée, contrairement à la reconstruction des éditeurs. c. P.Ox. contient l’article τὸ (πνεῦμα), qui suggère la lecture τὸ πνεῦμα τοῦ θεοῦ, comme D (restauration), alors que Fl.Achr. ne contient pas d’article. Le latin ne nous est pas utile ici. Le principe de la lectio difficilior ferait pencher pour une absence des articles, suivant du reste le choix des éditeurs, mais ce n’est pas entièrement probant. d. Par contre le καταβαινοντα εκ του ουρανου de D (grec de première main à partir de ce point) s’oppose clairement aux deux autres témoins, qui ont le texte standard καταβαῖνον, alors qu’il n’y a pas de traduction latine pour ce lieu. Le texte d’Irénée contenait probablement le texte standard, et le latin doit être une omission. e. Le ὡς de D et P.Ox., qui correspond à Mc 1, 10, s’oppose au standard ὡσεί de Fl.Achr, alors que le « quasi » de la traduction, rare mais attesté plusieurs fois, et utilisé par le traducteur aussi en AH 1.15.39, ne nous éclaire guère. Il est difficile de prendre position sur le texte d’Irénée (les éditeurs choisissent ὡσεί). f. Le εἰς (αὐτόν) de Fl.Achr. s’oppose au επ de D, corroboré par le super du latin ; mais il s’agit du texte grec standard, et d’une traduction latine fréquente. En l’absence de P.Ox. il est risqué de se prononcer sur le texte d’Irénée (les éditeurs choisissent εἰς). g. La convergence du ἐξ οὐρανοῦ de Fl.Achr. avec le de caelo de la traduction, relativement rare, contre le εκ των ουρανων de D, correspondant au texte standard, permet de reconstruire, avec les éditeurs, ἐξ οὐρανοῦ, voire ἐκ τοῦ οὐρανοῦ, pour tenir compte de la longueur de la lacune de P.Ox. h. De façon également très significative, la variante de D προς αυτον, qui s’oppose ici à tous les autres témoins, ne faisait certainement pas partie du texte d’Irénée.
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Paris, 1979 (SC, 264), p. 242.
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i. Rappelons enfin que la variante σὺ εἶ, attestée chez P.Ox., Fl.Achr. (donc chez Irénée) et D, s’oppose à tous les autres témoins directs du grec (cf. supra). En résumé, si nous nous concentrons sur les lieux où nous pouvons comparer, avec un peu d’assurance, le texte original de D à celui d’Irénée, tel qu’on peut le reconstruire, nous constatons que : - dans trois cas le texte de D s’oppose à celui d’Irénée (d., g., h.), auxquels on peut probablement ajouter b. La variante g. est particulièrement importante, car le texte reconstructible d’Irénée se distingue du texte standard, et ne court donc pas le risque d’être le résultat d’une normalisation ; - dans un seul cas le texte d’Irénée correspond à celui de D contre la tradition. C’est peu, mais suffisant pour dire que les divergences significatives sont nettement plus nombreuses que les convergences. Il est donc scientifiquement difficile de soutenir, sur cette seule base, qu’Irénée connaissait un texte de Mt 3, 16-17 correspondant à celui de D. Il en résulte peut-être que l’interpolation « σὺ εἶ » était plus largement répandue qu’on aurait pu le penser. 2. Les diplai marginales Charles Hill a récemment étudié les diplai qui, dans P.Ox., se trouvent dans la marge de la citation scripturaire ; c’est-à-dire les petits chevrons, qui semblent bien être de la même encre que le texte principal, selon les personnes qui ont vu l’original. La recherche avait déjà débattu la question de savoir si ces diplai impliquaient que le papyrus avait été produit par un copiste professionnel10. Hill, de son côté, se demande si, étant donné l’ancienneté du fragment, il ne pourrait pas s’agir d’une façon ancienne de marquer les citations de textes sacrés, comme il le dit, « As the 10 Pour une production « professionnelle », C. H. Roberts, Manuscript, Society and Belief in Early Christian Egypt, London, 1979, p. 23-24 (implicitement) ; Aland – Rosenbaum, Repertorium, p. 318. Pour une production privée, K. Haines-Eitzen, Guardians of Letters. Literacy, Power, and the Transmitters of Early Christian Literature, Oxford, 2000, p. 89, 95. Résumé chez L. Perrone, « Eine ‘verschollene Bibliothek’ ? : Das Schicksal frühchristlicher Schriften (2.-3. Jahrhundert) – am Beispiel des Irenäus von Lyon », ZKG, 116 (2005), p. 1-29, p. 20.
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nomina sacra apparently mark out certain names as holy, the marginal diple marks certain texts as holy … »11. L’implication serait que ces marques marginales nous apprendraient quelque chose sur le statut de l’évangile de Matthieu chez Irénée, et constitueraient donc une information utile pour l’histoire du canon ou la réception des évangiles. Dans l’état actuel de la recherche, cette proposition nous semble passablement problématique, principalement pour deux raisons : Tout d’abord, en admettant que ces marques ont bien été posées par le copiste, en quoi reflètent-elles vraiment la pratique d’Irénée ? Les chances que ce texte ait été copié à Lyon sur un rouleau de papyrus sous le contrôle d’Irénée, puis déplacé à Oxyrhynque, au milieu de l’Égypte, où il aurait été conservé jusqu’à aujourd’hui, sont, pour le moins, extrèmement faibles, bien plus faibles que les chances que ce soit une copie faite en Égypte pour une personne ou pour une institution dans la région d’Oxyrhynque, ou simplement acquise par elle. Pour faire remonter cette pratique à Irénée, il faudrait alors supposer que les diplai marginales ont été fidèlement reproduites depuis un original contrôlé par l’évêque de Lyon … En soi, ce n’est pas entièrement impossible, mais totalement indémontrable. Et même si on pouvait montrer que les diplai impliquaient un statut spécial du texte cité, il s’agirait avant tout du statut du texte aux yeux du copiste et de ses lecteurs égyptiens de la fin du iie ou du début du iiie siècle … ce serait déjà un acquis intéressant, même s’il ne concerne pas Irénée. Deuxièmement, la présence des diplai dans P. Ox. doit être remis dans le contexte plus large de l’utilisation de ce signe dans les papyrus de l’époque. Comme plusieurs études l’ont montré, et comme Hill le relève lui aussi, les diplai sont attestées depuis l’époque d’Aristarque, où elles signalent « any of a variety of noteworthy features »12 . Sans supplanter cet usage, elles seront ensuite utili11 C. E. Hill, « Irenaeus, the Scribes, and the Scriptures. Papyrologi», dans Irenaeus. Life, cal and Theological Observations from P.Oxy. 405 Scripture, Legacy, éd. S. Parvis, P. Foster, Minneapolis, MN, 2012, p. 119130, cf. p. 128. 12 K. McNamee, « Sigla and Select Marginalia in Greek Literary Papyri », Papyrologica Bruxellensia, 26 (1992), p. 9 n. 4 ; aussi les p. 8-17, et tableaux p. -, -. Voir aussi E. G. Turner, P. J. Parsons, Greek Manuscripts of the Ancient World, London, 1987, p. 15, n. 76.
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sées comme signe de ponctuation ou de renvoi à des notes marginales, avant de devenir, à époque médiévale, le signe de prédilection pour signaler une citation. Aux iie et iiie siècles, on trouve surtout, dans les papyrus non-homériques, des exemples de ces trois dernières fonctions, comme le montre le tableau de Kathleen McNamee13. À notre connaissance, nous n’avons conservé aucun exemple qui montrerait que cet usage a été parfois réservé à des textes à caractère sacré, au détriment d’autres textes. Hill considère ensuite la tradition biblique et, puisque les diplai ne sont pas attestées dans les papyrus néotestamentaires, il se tourne avec raison vers les grands onciaux, en particulier vers le Codex Vaticanus, qui offre le meilleur champ d’observation. Il s’arrête davantage sur les citations non scripturaires d’Ac 17, 28 et de Jude 14-1514. Il constate notamment que seules les premières lignes de la citation d’Hénoch en Jude 14-15 ont été marquées, et pose la question : « Did the scribe deem 1 Enoch a ‘semi- or deutero-canonical book’, worthy of only ‘half-quotes’ ? Or did he or she realize halfway through that the text being copied was not a scriptural text and abort ? ». Une étude récente, cependant, montre que ce ne serait pas le seul endroit du Codex Vaticanus où l’annotateur « abandonne » le marquage avant la fin de la citation15. En outre, le livre d’Hénoch est clairement mentionné ; à moins de supposer une personne particulièrement ignorante et peu zélée, l’annotateur qui aurait eu des doutes sur la présence d’Hénoch dans l’Ancien Testament pouvait le contrôler dans cette Bible elle-même, ou du moins facilement se renseigner autour de lui. En Ac 17, 28, seule la seconde des deux citations extra-bibliques est accompagnée de diplai, mais elle est précédée par la variante « nos poètes », qui, selon Hill, a pu faire penser au marqueur, à tort, qu’il s’agissait d’un poète biblique. On peut cependant se demander, plus simplement, si la première citation n’est justement pas marquée parce que, privée de formule d’introduction, elle était passée inaperçue. Ici non plus le Codex Vaticanus, malgré McNamee, « Sigla », p. -. Hill, « Irenaeus, the Scribes, and the Scriptures », p. 127-128. 15 U. Schmid, « Diplés im Codex Vaticanus », dans Von der Septuaginta zum Neuen Testament. Textgeschichtliche Erörterungen, éd. M. Karrer, S. Kreuzer, M. Sigismund, Berlin, New York, 2010 (ANTT, 43), p. 99-113, voir le tableau, notamment à propos des citations dans He, et p. 109-111. 13 14
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une grande régularité, ne manque pas de citations claires de l’Ancien Testament, qui ont été visiblement oubliées par le marqueur (copiste ou autre intervenant)16. En conséquence, dans l’état actuel de nos connaissances, l’idée selon laquelle les chevrons marginaux des codex bibliques chrétiens anciens doivent être interprétés comme des « diplai sacrae » manque de base objective suffisante. Les chances que, dans P.Ox., les diplai marginales marquent autres choses que la simple présence d’une citation scripturaire sont très faibles. Quant aux chances qu’elles reflètent une pratique particulière d’Irénée, elles sont quasiment nulles.
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Ibid., p. 108-109.
II Le statut des livres et des traditions
Le Quadruple Évangile chez Irénée1 Christophe Guignard (Strasbourg) À la mémoire de mon beau-frère et ami David Marascio (1978-2016), sicut luminare in mundo (Ph 2, 15)
Irénée est un témoin essentiel de la formation d’un canon d’Écritures chrétiennes et en particulier du recueil des évangiles, dont il est – à notre connaissance en tout cas – le premier à théoriser la « quaternité » et à la mettre en relation avec les Quatre Vivants d’Ez 1 et Ap 4. Il joue donc un rôle essentiel dans le processus de canonisation des évangiles, mais ce rôle a été décrit et apprécié de façons très diverses : Irénée innove-t-il ? s’inscrit-il au contraire dans une tradition déjà bien établie ? Le but de la présente contribution sera d’une part de relire les développements les plus importants qu’Irénée consacre aux évangiles dans le livre 3 de l’Adversus 1 Le texte de la Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur d’Irénée, traditionnellement connu sous le titre d’Adversus Haereses (AH), est cité d’après les éditions d’A. Rousseau, L. Doutreleau dans la collection Sources chrétiennes ; les références sans autre précision se comprennent comme renvoyant à cette œuvre ; sauf pour 3.11.8, les indications de lignes renvoient à la traduction latine (et non au texte grec reconstitué). Je me réfère aux introductions et notes de ces volumes en indiquant simplement « SC » et le numéro du volume. La Démonstration de la prédication apostolique, conservée uniquement en arménien, est citée d’après la traduction d’A. Rousseau (SC, 406) ; je m’en tiens à ce titre devenu traditionnel en français, mais il faut relever avec Agnès Bastit qu’il « est inadéquat, dans la mesure où ‘démonstration’ entend traduire le grec ‘epideixis’, qui signifie ‘exposition’, ‘exposé’ » : Irénée entre Smyrne et Lyon. Quelques pistes autour d’un auteur grec (vers 130vers 200), s. l., 2014, p. 22, n. 17.
Irénée de Lyon et les débuts de la Bible chrétienne. Actes de la Journée du 1.VII.2014 à Lyon, sous la direction de A. Bastit et J. Verheyden, Turnhout, 2017 (Instrumenta Patristica et Mediaeualia, 77), p. 101-168 ©
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Haereses et d’autre part de replacer la problématique des évangiles et des traditions sur Jésus dans le contexte plus large de l’œuvre d’Irénée. À partir de là, je m’efforcerai de préciser la place d’Irénée dans l’histoire de la canonisation des évangiles et d’identifier son apport particulier à la réflexion sur la quadri-unité de l’Évangile. 1. Irénée et le texte des quatre évangiles Avant d’aborder les conceptions théologiques d’Irénée relatives aux quatre évangiles, il me paraît utile d’examiner brièvement la question concrète de leur connaissance et de leur usage par l’évêque de Lyon. Le premier point à relever est que de nombreux passages attestent qu’Irénée connaît les évangiles sous les titres devenus traditionnels : Évangile selon Matthieu, Évangile selon Luc, etc.2 . Il en est d’ailleurs le premier témoin explicite. L’uniformité de ces titres témoigne de ce que les quatre évangiles formaient déjà une collection3. 2 Voir par exemple AH 1.26.2, l. 19s. : solo autem eo quod est secundum Matthaeum Euangelio utuntur (scil. Ebionaei), cf. 3.11.7, l. 158-160 ; 1.27.2, l. 20s. : id quod est secundum Lucam Euangelium circumcidens (scil. Marcion), cf. 3.11.7, l. 161s. ; ibid., l. 164-167 : id quod secundum Marcum est praeferentes Euangelium (il est question des docètes) ; ibid., l. 168s. : hi autem qui a Valentino sunt, eo quod est secundum Iohannem plenissime utentes. Aucun de ces passages n’est conservé en grec, mais on rencontre un peu plus loin dans le livre 3 un écho de cette terminologie : Καὶ τὰ εὐαγγέλια οὖν τούτοις σύμφωνα … Τὸ μὲν γὰρ κατὰ Ἰωάννην … Τὸ δὲ κατὰ Λουκᾶν … Τὸ δὲ κατὰ Ματθαῖον … Τὸ δὲ κατὰ Μάρκον … (11.8 = fr. gr. 11, l. 23-25. 28. 32s. 35). 3 La date et les causes de l’émergence de la collection des quatre évangiles devenus canoniques ont été et restent très discutées. Si la majorité des chercheurs s’accordent à reconnaître qu’à la fin du iie siècle les quatre évangiles ont acquis conjointement une autorité bien établie, comme en témoignent, outre Irénée, le Fragment de Muratori, Tertullien et Clément d’Alexandrie (voir J.-D. Kaestli, « Histoire du canon du Nouveau Testament », dans Introduction au Nouveau Testament. Son histoire, son écriture, sa théologie, éd. D. Marguerat, Genève, 2000 [MondB, 41], p. 453), la question de la priorité respective du Quadruple Évangile (en tout cas en tant que collection) et de l’Évangile de Marcion reste discutée. Considérant d’une part que Marcion lui-même connaissait vraisemblablement le Quadruple Évangile (cf. Tertullien, Contre Marcion 4.3.2 ; voir mes remarques sur ce passage dans Ch. Guignard, « Marcion et les évangiles canoniques. À propos d’un livre récent », Études théologiques et religieuses, 88/3 [2013], p. 360 et n. 56) et convaincu que l’autorité
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En ce qui concerne leur texte, on a depuis longtemps relevé l’affinité des citations d’Irénée avec le Codex de Bèze (D) et les autres témoins du « Texte occidental » 4. Elle est indéniable, quand bien même la question de la fidélité de la version latine au texte biblique d’Irénée ne me paraît pas avoir reçu une réponse définitive : il reste envisageable que le traducteur recoure parfois à une version latine existante au lieu de traduire le texte cité par Irénée ou que, plus inconsciemment, sa familiarité avec un texte évangélique latin ait parfois infléchi ses choix. Quoi qu’il en soit, Irénée a aussi connu d’autres familles textuelles. Par ailleurs, on a parfois supposé qu’Irénée utilisait une harmonie évangélique (qu’il s’agisse du Diatessaron ou d’une harmonie plus ancienne), mais aucun consensus ne s’est établi sur la question5. Ces constaacquise par ce recueil à la fin du iie siècle est trop importante et géographiquement diffusée pour qu’elle ait été acquise en moins d’un demi-siècle, je fais partie de ceux qui admettent que le « canon » des quatre évangiles, était « probablement déjà clairement établi avant Marcion » (Ch. Markschies, « Époques de la recherche sur le canon du Nouveau Testament en Allemagne : Quelques remarques provisoires », dans Le canon du Nouveau Testament. Regards nouveaux sur l’histoire de sa formation, éd. G. Aragione, É. Junod, E. Norelli, Genève, 2005 [MondB, 54], p. 11-34, p. 32, où l’on trouvera des références à d’autres auteurs), quoique parler de « canon » à une aussi haute époque puisse être discutable. À mes yeux, c’est précisément à cette étape que remontent les titres actuels (« Évangile selon … »), qui ne s’expliquent bien que comme une façon d’ordonner une pluralité de consignations écrites à la notion d’un unique Évangile, contrairement à la thèse soutenue par M. Hengel, Die vier Evangelien und das eine Evangelium von Jesus Christus. Studien zu ihrer Sammlung und Entstehung, Tübingen, 2008 (WUNT, 224). 4 Voir par exemple B. F. Westcott, F. J. A. Hort, The New Testament in the Original Greek. Introduction, Appendix, Cambridge, 1882, p. 160. Sur le rapport d’Irénée au texte représenté par le Codex de Bèze, voir aussi mes pages sur « Irénée, les généalogies évangéliques de Jésus et le Codex de Bèze » dans le présent volume (p. 83-90). 5 Sur ces différents problèmes voir en particulier D. J. Bingham, Irenaeus’ Use of Matthew’s Gospel in Adversus Haereses, Louvain, 1998 (TEG, 7), p. 7-10, avec de nombreuses références ; voir aussi D. J. Bingham, B. R. Todd, « Irenaeus’s Text of the Gospels in Adversus Haereses », dans The Early Text of the New Testament, éd. Ch. E. Hill, M. J. Kruger, Oxford, 2012, p. 370-392, en part p. 370-372 et 391s. Concernant le problème de la version latine, dans son ouvrage de 1998, Bingham, Irenaeus’ Use of Matthew’s Gospel, p. 10, tendait pour sa part à considérer que ses citations bibliques représentent fidèlement le grec, mais sa position semble s’être infléchie ; voir Bingham, Todd, « Irenaeus’s Text of the Gospels », p. 392. À raison, me semble-t-il : une rapide
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tations suggèrent qu’Irénée utilisait une pluralité de manuscrits évangéliques 6. Il est intéressant de mettre cette question en rapport avec celle du type de livre utilisé par Irénée. Le lien privilégié entre les
comparaison entre le texte de la parabole des Vignerons homicides (Mt 21, 33ss.) de la version latine d’Irénée (4.36.1) et celui de certains manuscrits vieux latins suffit à faire apparaître une grande proximité verbale. La question, hélas compliquée par le fait qu’à la fois Irénée (du moins en partie) et les vieilles latines représentent un type de texte « occidental », me paraîtrait mériter d’être reprise, en particulier pour les longues citations (où le recours à une version biblique pouvait constituer un gain de temps évident pour le traducteur), en tenant également compte, là où faire se peut, du témoignage des fragments arméniens (qui, pour ne rien simplifier, sont également susceptibles d’avoir subi l’influence des évangiles arméniens). À ces problèmes s’ajoute la possibilité, qui ne me semble pas avoir été assez prise en compte dans la recherche sur le texte biblique d’Irénée, qu’il soit parfois tributaire de matériaux exégétiques préexistants reposant sur des traditions textuelles particulières des évangiles. 6 Selon Ch. Amphoux, « Aux sources du canon, le témoignage d’Irénée », NovT, 39 (1997), p. 304-309, p. 307, Irénée aurait utilisé : (1) un manuscrit ayant un texte proche de celui du Codex de Bèze ; (2) une harmonie des évangiles, qui pourrait être le Diatessaron de Tatien ; (3) un exemplaire contenant les évangiles dans l’ordre devenu courant et reflétant une édition alexandrine. Si l’usage d’une harmonie reste incertain, la présence de plusieurs manuscrits des évangiles dans l’Église d’une ville aussi importante que Lyon est vraisemblable. À la différence d’Amphoux, toutefois, j’hésiterais à établir un lien trop rigide entre ordre des évangiles et type de texte à aussi haute époque. L’usage d’une édition (en un, deux ou quatre manuscrits) transmettant un texte de type « occidental » ne fait pas de doute, mais, à supposer qu’elle ait été en un seul exemplaire, ne pourrait-il s’agir du manuscrit qui range les évangiles dans l’ordre Mt – Lc – Mc – Jn, dont divers passages de l’Adversus Haereses suggèrent l’utilisation et qui comprenait probablement la finale longue de Mc (voir ci-après) ? Il n’est certes pas exclu qu’Irénée ait eu connaissance de l’ordre « occidental » par une source, ce qui expliquerait la présence souterraine de cet ordre en 3.11.8 ; il s’agit toutefois, au plus, d’un écho indirect (voir p. 144 s.). En tout état de cause, l’absence de tout écho direct de l’ordre « occidental » suggère qu’Irénée ne disposait pas d’un manuscrit présentant cet ordre, soit qu’il lût son texte « occidental » dans un ordre différent, comme je l’ai suggéré, soit qu’il disposât d’une édition « occidentale » sous forme de codices séparés, qui, par conséquent, n’imposait a priori aucun ordre. À ce stade, il est prudent de se limiter à constater que les données à disposition suggèrent (a) qu’Irénée utilisait au moins deux exemplaires ; (b) que l’un des deux au moins constituait un codex unique (Mt – Lc – Mc – Jn) ; (c) que l’un des deux – éventuellement le même – présentait un texte « occidental ».
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évangiles et le codex a souvent été souligné7. C’est certainement sous la forme de codices qu’Irénée lisait les évangiles. La question qui se pose est plutôt la suivante : les lisait-il dans des volumes séparés ou déjà dans un codex unique ? Le témoignage d’Irénée fait en la matière l’objet d’analyses divergentes (j’y reviendrai), mais il est parfaitement possible qu’il ait déjà existé des codices des quatre évangiles à l’époque où il rédigeait l’Adversus Haereses8. 7 Voir par exemple J. K. Elliott, « Manuscripts, the Codex and the Canon », JSNT, 63 (1996), p. 106s. Parmi les diverses théories visant à expliquer l’adoption rapide et massive du codex par les chrétiens, plusieurs l’ont attribuée à l’influence d’une édition d’un évangile ou des évangiles canoniques dans leur ensemble ; voir la présentation et les critiques de G. N. Stanton, Jesus and Gospel, Cambridge, 2004, p. 167-169. Quelle que soit la valeur de ces théories, le fait est qu’aussi loin que remontent les fragments conservés, donc bien avant Irénée, et autant qu’ils permettent d’en juger, les évangiles circulent uniquement sous forme de codex et non de rouleaux (la seule exception étant constituée par le 𝔓22 , un petit fragment de Jn écrit vers la fin du iiie siècle, qui est sans doute un opisthographe) ; voir par exemple la liste fournie par L. W. Hurtado, The Earliest Christian Artifacts. Manuscripts and Christian Origins, Grand Rapids, MI, 2006, p. 217-219. 8 En l’état actuel de la documentation, une démonstration positive est impossible à apporter sur la base d’éléments codicologiques, car les datations des plus anciens codices contenant deux ou quatre évangiles sont souvent débattues, si bien qu’aucun d’entre eux n’est datable de façon incontestable de l’époque d’Irénée. Par conséquent, les seules données papyrologiques ne permettent pas d’étayer l’affirmation de Stanton, Jesus and Gospel, p. 74, selon laquelle les codices des quatre évangiles représentaient une tradition bien établie bien avant la fin du iie siècle. Néanmoins, les papyri égyptiens fournissent des exemples qui ne sont séparés d’Irénée que par quelques décennies : le 𝔓75 (Lc et Jn) remonte sans doute au début du iiie siècle et le 𝔓45, qui contient les quatre évangiles (sans doute dans l’ordre « occidental » Mt – Jn – Lc – Mc), est daté de la moitié du même siècle. Le cas le plus intéressant est représenté par 𝔓4/𝔓 64/𝔓 67, qui proviennent probablement d’un même manuscrit, dans lequel Th. C. Skeat voulait voir le plus ancien exemplaire conservé des quatre évangiles (voir « The Oldest Manuscript of the Four Gospels ? », dans The Collected Biblical Writings of T. C. Skeat, éd. J. K. Elliott, Leiden, 2004 [SupplNT, 113], p. 158-192) : de fait, si, parmi les datations proposées, il fallait préférer les plus hautes, ce codex, qui comprenait en tous cas Mt et Lc, pourrait avoir été copié à l’époque d’Irénée (sur la date de ce papyrus, voir par exemple D. Barker, « The Dating of New Testament Papyri », NTS, 57 [2011], p. 575-578, qui estime préférable de s’en tenir à une fourchette allant de la moitié du iie à la moitié du ive siècle). Sur ce point beaucoup dépend de la rapidité des progrès effectués au iie siècle dans la technique de fabrication des codices et de la date à laquelle on a pu
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De fait, son témoignage se comprend mieux si cette possibilité existait déjà à son époque. En effet, bien que son œuvre ne fournisse aucune indication positive sur cette question, une particularité de son rapport aux évangiles pourrait néanmoins fournir des indices à ce sujet, à savoir l’ordre dans lequel il cite les évangiles. En effet, comme le remarque à juste titre le P. Pierre-Maurice Bogaert : Dans un premier temps, le choix consistant à tenir simultanément les quatre évangiles supposait leur énumération sans imposer d’ordre. Lorsque se fit jour la possibilité de grouper deux évangiles et, progressivement, les quatre en un même codex, en un « tétraévangile », la question de l’ordre a pu se poser concrètement9.
Ce qui suggère, inversement, que l’apparition d’ordres fixes des évangiles reflète la constitution de tels regroupements dans les manuscrits. Quelles constatations le témoignage d’Irénée permet-il sur ce point ? Il a souvent été relevé que l’Adversus Haereses atteste trois ordres différents10 : concevoir des regroupements de deux, puis de quatre évangiles en un seul volume. Faut-il admettre que la possibilité de copier les quatre évangiles sur un codex unique n’a probablement pas existé avant le iiie siècle ? Telle est la position représentée, par exemple, par P.-M. Bogaert, « Ordres anciens des évangiles et tétraévangile en un seul codex », Revue théologique de Louvain, 30 (1999), p. 308-313. Faut-il au contraire supposer, avec H. Y. Gamble, Livres et lecteurs aux premiers temps du christianisme. Usage et production des textes chrétiens antiques, Genève, 2012 (CAnt, 5), p. 88-94, la capacité à fabriquer dès le tournant du ier et du iie siècle un codex à cahier unique capable de réunir un corpus de dix épîtres pauliniennes (les neuf lettres adressées à des Églises et Phm), c’est-à-dire à peine moins de texte que Mt et Mc réunis et les deux tiers de la quantité que représenterait l’association de Mt avec Lc ? Si cette théorie, qui vise à expliquer l’adoption rapide du codex par les chrétiens par l’importance qu’aurait revêtue cette édition du Corpus Paulinum, s’avérait exacte, elle laisserait aux progrès techniques un intervalle tout à fait suffisant pour que, dans la seconde moitié du iie siècle, un codex à cahiers multiples ait permis de rassembler les quatre évangiles. En tout cas, faute de données permettant d’établir précisément ce qui était possible ou non du point de vue de la technique de fabrication des codices dans la seconde moitié du iie siècle, il me paraît contestable de donner trop de poids aux considérations codicologiques dans l’interprétation des témoignages littéraires. 9 Bogaert, « Ordres anciens des évangiles », p. 297. 10 Je reprends ici la numérotation de J. Hoh, Die Lehre des hl. Irenäus über das Neue Testament, Münster i. W., 1919 (Neutestamentliche Abhandlungen,
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I. l’ordre qui nous est familier en 3.1.1 : Mt – Mc – Lc – Jn11. Ce passage, qui sera analysé plus bas, retrace l’origine des quatre évangiles, si bien que cette séquence s’entend comme ordre chronologique de leur rédaction12 . Il n’est pas exclu qu’Irénée ait connu des manuscrits des évangiles qui, pour cette même raison, les rangeaient dans cet ordre13. Cependant, la nature « historique » du passage suffit à expliquer cet ordre (et il serait même envisageable que l’influence d’Irénée ait contribué à son essor dans les manuscrits) ; II. l’ordre Jn – Lc – Mt – Mc en 3.11.8, qui n’est pas à proprement parler un ordre des évangiles, puisqu’il est imposé par celui des Quatre Vivants d’Ap 4, 714. Il n’est d’ailleurs pratiquement pas attesté dans les manuscrits15 ; 7/4-5), p. 16. Pour un traitement plus approfondi des différents ordres des évangiles chez Irénée, je renvoie à B. Mutschler, Das Corpus Johanneum bei Irenäus von Lyon. Studien und Kommentar zum dritten Buch von Adversus Haereses, Tübingen, 2006 (WUNT, 189), p. 65-80 (voir également Bingham, Irenaeus’ Use of Matthew’s Gospel, p. 89-94). 11 Bingham, Irenaeus’ Use of Matthew’s Gospel, p. 92, trouve également cet ordre en 3.16.2-8 (en mettant de côté une première référence à Jean avant Matthieu), mais Mutschler, Das Corpus Johanneum, p. 75-79, a montré de façon convaincante que le principe organisationnel de cette section n’a rien à voir avec l’ordre des évangiles. Je la laisse donc de côté dans la discussion. 12 Cette interprétation est la plus répandue ; voir Mutschler, Das Corpus Johanneum, p. 66 (avec davantage de références). Il faut toutefois relever que la séquence Mc – Lc n’est pas explicitement chronologique (voir n. 31). 13 À moins que, comme le remarque Th. Zahn, il ne faille supposer le rapport inverse (quoique cela paraisse moins probable) : « Diese chronologische Ansicht könnte an sich Ausdeutung einer in einem Codex vorliegenden Ordnung sein, wie der C. Mur. die Ordnung der Paulusbriefe in der Schriftrolle als zeitliche Folge misdeutete » (Geschichte des Neutestamentlichen Kanons, t. 2/1 : Urkunden und Belege zum ersten und dritten Band, Erlangen, 1890, p. 364). 14 Irénée reproduit le texte d’Ap 4, 7 avec sa numérotation des Vivants. Il est donc naturel que, voulant montrer les correspondances entre les évangiles et les Vivants, il suive l’ordre du texte biblique, ce qu’il fait aussi lorsqu’il met les activités du Verbe en relation avec les Vivants. Il est superflu de rechercher d’autres explications, comme on l’a fait parfois (cf. Th. C. Skeat, « Irenaeus and the Four-Gospel Canon », dans Collected Biblical Writings, p. 75, n. 8). En conséquence, il vaudrait mieux, me semble-t-il, renoncer à considérer qu’à côté des séquences I et III, Irénée « en crée … une troisième » et à en conclure que « c’est bien le signe que pour lui aucune séquence n’a d’autorité particulière », comme le fait P.-M. Bogaert, « Les Quatre Vivants, l’Évangile et les évangiles », Revue théologique de Louvain, 32 (2001), p. 468.
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III. l’ordre Mt – Lc – Mc – Jn. Cet ordre est assez particulier, mais il n’est pas sans exemples. Il fait partie de ceux qui doivent avoir existé à date ancienne16, même si aucun tétraévangile comportant cette séquence n’est conservé (toutes langues confondues)17. En dehors d’Irénée et d’Hippolyte18, il n’est attesté en grec que dans une liste des
15 Cet ordre apparaît uniquement dans un manuscrit du xvie siècle, le minuscule 90 (Amsterdam, Universitätsbibliothek, Remonstr. 186). Il est omis par B. M. Metzger, The Canon of the New Testament. Its Origin, Development, and Significance, Oxford, 1987, p. 296s., probablement parce que, comme le relève le Bogaert, « Ordres anciens des évangiles », p. 305, n. 50, il lui attribue par erreur un ordre différent. Grâce aux reproductions disponibles dans le New Testament Virtual Manuscript Room de l’Institut für neutestamentliche Textforschung (Münster) [http://ntvmr.uni-muenster.de], il est possible de lever tout doute à ce sujet : le manuscrit présente bien cet ordre. De plus, il ne saurait s’agir d’une erreur au moment de la reliure, car Lc commence sur la page où finit Jn (fol. 53v) et Mt commence au verso de la dernière page de Lc (fol. 123) ; Mc, en revanche, ne commence pas directement à la suite de Mt (respectivement fol. 189 v et 190 r). 16 Voir Bogaert, « Ordres anciens des évangiles », p. 307. 17 Voir ibid., p. 300 et Bogaert, « Les Quatre Vivants », p. 459. 18 Voir le Commentaire sur le Cantique 8, 5-6 : textes traduits du géorgien et du slavon par Y. W. Smith, Hippolytus’ Commentary ‘On the Song of Songs’ in Social and Critical Context, thèse de la Brite Divinity School (Texas Christian University, Fort Worth, TX), 2009, p. 302-306, consultable par le biais de ProQuest ; je n’ai pas eu accès à la version récemment publiée : The Mystery of Anointing : Hippolytus’ Commentary on the Song of Songs in Social and Critical Contexts, Piscataway, NJ, 2015 (Gorgias Studies in Early Christianity and Patristics, 6) ; cf. Denys bar Salibi, Commentaire sur l’Apocalypse 4, 7, éd. et trad. J. Sedláček, Paris, 1909-1910 (CSCO, 53 et 60 = Scriptores Syri, 18 et 20). Dans ces textes, les évangiles sont reliés aux Vivants de l’Apocalypse (et d’Ézéchiel) d’une façon différente aussi bien de celle qu’on rencontre chez Irénée que de celle qui a fini par s’imposer : lion – Mt, taureau – Lc, homme – Mc, aigle – Jean. Avec les mêmes équivalences, un fragment syriaque du Commentaire sur Ézéchiel (trad. H. Achelis, Leipzig, 1897 [GCS, 1/2], p. 183) range les Vivants et les évangiles dans un ordre particulier et inédit pour les uns comme pour les autres : Lc, Mt, Mc, Jn. C’est par erreur que Bogaert, « Les Quatre Vivants », p. 465, attribue à ce texte l’ordre taureau – homme – lion – aigle d’Ez 10, 14 TM. En fait, seule l’inversion de Mt et de Lc différencie l’ordre qu’on trouve dans ce fragment de celui du Commentaire sur le Cantique. Cette bizarrerie serait-elle liée à l’importance qu’Hippolyte accorde à l’origine sacerdotale de Jésus en complément à son origine royale (voir L. Mariès, « Le Messie issu de Lévi chez Hippolyte de Rome », Recherches de science religieuse, 39 [1951-1952], p. 381-396) ? En tout
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livres canoniques que transmet le Londinensis Add. 17469 (xive siècle), fol. 1v, sous le titre de Βιβλία τῆς παλαιᾶς καὶ νέας διαθήκης. Il y est indiqué à propos des évangiles : Εὐαγγέλια δʹ οὕτως· κατὰ Ματθαῖον, κατὰ Λουκᾶν, κατὰ Μάρκον, κατὰ Ἰωάννην19 ; la précision οὕτως insiste sur cet ordre particulier et atteste qu’il ne s’agit pas d’une inversion accidentelle de Lc et de Mc. C’est au ive siècle en Occident qu’il est le mieux attesté : il est familier à l’Ambrosiaster, principalement, mais aussi connu de Jérôme et d’Augustin ; à ces auteurs, une découverte récente permet d’ajouter un nouveau témoin : le commentaire des évangiles rédigé au milieu du ive siècle par Fortunatien d’Aquilée20. état de cause, étant donné qu’aucun ordre ancien des évangiles ne commence par Lc, c’est le Commentaire sur le Cantique qui représente l’ordre reçu par Hippolyte. Que cet ordre ne soit pas seulement celui des Vivants, mais aussi celui dans lequel Hippolyte lit les évangiles reste ultimement indémontrable, mais, comme le relève le Bogaert, « Les Quatre Vivants », p. 467, le système d’équivalences qu’il indique s’explique au mieux comme résultant de la combinaison de l’ordre des Vivants en Ap 4, 7 et de l’ordre Mt – Lc – Mc – Jn des évangiles. C’est pourquoi il faut conclure avec lui que « l’hypothèse d’un ordre déjà fixé … s’impose, même si elle ne peut être démontrée » (ibid., p. 468). 19 D’après les reproductions disponibles sur le site de la British Library (http://www.bl.uk/manuscripts/Viewer.aspx ?ref=add_ms_17469_f. 001v). 20 Cette importante découverte est due à Lukas Dorfbauer ; voir son article « Der Evangelienkommentar des Bischofs Fortunatian von Aquileia (Mitte 4. Jh.) : Ein Neufund auf dem Gebiet der patristischen Literatur », Wiener Studien, 126 (2013), p. 177-198 ; en attendant la parution de l’editio princeps, je cite le texte d’après les folios du principal manuscrit : Köln, Erzbischöfliche Diözesan- und Dombibliothek 17. L’ordre Mt – Lc (appelé Lucanus) – Mc – Jn apparaît dès la première page du prologue (fol. 2 v-3r), mais aussi dans la liste des péricopes commentées aux fol. 19 v-22 v. Le caractère utilitaire de ce sommaire prouve qu’il s’agit bien de l’ordre dont Fortunatien était familier dans la matérialité des livres. Il n’en est donc que plus intéressant qu’il l’investisse d’un sens théologique : mettant en relation Matthieu avec la justice, Luc avec la Loi, Marc avec la prophétie et Jean avec la venue de Jésus-Christ, il relie leur ordre aux étapes de l’histoire du salut : Nam et rerum gestarum rationem euangelia seruant (fol. 3v, l. 14-16). Ce développement suggère que cet ordre, à nos yeux particulier était pour Fortunatien l’ordre normal des évangiles (et sans doute aussi celui de leur rédaction, cf. fol. 85v, col. 1, l. 19ss.), ce qui implique qu’il ait joui d’une certaine diffusion à son époque. Avec Irénée, Fortunatien partage également la même répartition des emblèmes des évangélistes (aigle attribué à Marc, lion à Jean). Je relève en outre qu’on retrouve chez Fortunatien l’ordre II lorsqu’il identifie les évan-
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En revanche, notons-le, l’ordre dit « occidental », à savoir Mt – Jn – Lc – Mc, qui est notamment celui de D et de presque tous les manuscrits vieux latins des évangiles21, n’apparaît pas chez Irénée, quand bien même, comme je l’ai signalé, il connaît et utilise le texte « occidental ». La variété des ordres a souvent conduit à souligner la souplesse d’Irénée en la matière. Cependant, aussi réelle soit-elle, cette diversité est partiellement en trompe l’œil : l’ordre II n’a sans doute jamais eu d’incarnation codicologique, tandis que l’ordre I ne joue dans l’Adversus Haereses qu’un rôle historique – ce qui, certes, n’exclut pas qu’Irénée ait pu connaître des manuscrits présentant cet ordre. En fait, l’ordre III est nettement prédominant. Il se rencontre à trois reprises (3.9.1–11.6 ; 3.11.7 ; 4.6.1)22 . D. Jeffrey Bingham a proposé d’attribuer l’inversion de Mc et Lc (par rapport à l’ordre I) à une intention polémique : le placement de Lc immédiatement après Mt viserait à souligner la continuité entre l’économie ancienne et l’économie nouvelle aussi bien contre les Ébionites que contre Marcion ; par ailleurs, en 3.9.1–11.6, Irénée voudrait placer les deux récits de l’Enfance l’un à la suite de l’autre23. Ces explications pourraient éventuellement rendre compte des occurrences du livre 3, mais bien plus difficilement de la dernière, qui intervient dans un tout autre contexte. Irénée y cite Mt 11, 27 et note : « Voilà ce qu’a écrit Matthieu, et Luc aussi (Lc 10, 22), et Marc de même ; Jean a omis ce passage », avant de citer le verset sous la forme que lui donnent les hérétiques. Ce qui compte ici, c’est de souligner l’accord des évangélistes qui incluent cette parole (au giles avec les quatre fleuves du Paradis (fol. 4v-5v ; cf. Gn 2, 10-14). Cet ordre n’a évidemment pas plus d’ancrage codicologique que chez Irénée et le rapport avec ce dernier n’est certainement pas fortuit : il est tentant d’y voir l’écho d’une source grecque s’inspirant du texte d’Irénée (le fait qu’il s’agisse vraisemblablement d’une source grecque se déduit de la présence d’une étymologie grecque du nom du premier fleuve : Fyson est rapproché de φυσάω, « souffler », fol. 4v, bas de la 1re col.). 21 Voir Bogaert, « Ordres anciens des évangiles », p. 302-304. 22 Face à cette triple occurrence, la remarque avancée par Zahn, Geschichte des neutestamentlichen Kanons, t. 2/1, p. 365 pour en diminuer la valeur ne tient pas : « Die einfache Erwägung aber, daß man von 4 Gegenständen, auch wenn sie außer aller Ordnung existieren, nicht hinter einander reden kann, ohne sie dadurch in eine Reihe zu stellen, zerstört diesen Schein auch ». 23 Bingham, Irenaeus’ Use of Matthew’s Gospel, p. 91s.
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nombre desquels Marc est compté par erreur) sur cette forme du verset. En revanche, l’ordre des évangélistes n’a aucune importance particulière dans ce contexte24. C’est cependant le premier des trois passages (3.9.1-11) qui me paraît le plus probant : Irénée y examine successivement le témoignage des évangélistes sur le vrai Dieu. Le contexte n’impose donc, a priori, aucune séquence, ce qui donne à penser qu’Irénée adopte l’ordre qui lui semblait le plus naturel. Qu’il ne s’agisse pas d’une subtile intention polémique, mais d’un ordre matériel des évangiles, c’est ce que suggère le texte lui-même. Il vaut en effet la peine de se pencher sur la façon dont cet examen est introduit : … les prophètes et les apôtres ont confessé le Père et le Fils et n’ont appelé Dieu ou Seigneur personne d’autre, et, de son côté, le Seigneur lui-même n’a pas enseigné à ses disciples d’autre Dieu et Seigneur que son Père … En conséquence il nous faut, si du moins nous sommes leurs disciples, suivre leurs témoignages, qui se présentent de la manière que voici (sequi nos oportet, si quidem illorum sumus discipuli, testimonia illorum ita se habentia). L’apôtre Matthieu ne connaît qu’un seul et même Dieu … (9.1, l. 5-13).
L’emploi de sequi n’est pas sans intérêt. Si la rétroversion proposée par Rousseau et Doutreleau est exacte, ce qui est bien probable, le grec sous-jacent était ἕπεσθαι δεῖ ἡμᾶς … ταῖς μαρτυρίαις αὐτῶν οὕτως ἐχούσαις. S’agit-il de « suivre » les témoignages des évangélistes « par la pensée », donc de « comprendre »25 ? Il est plus simple d’entendre qu’il s’agit de les « suivre » concrète24 Il n’y a donc pas lieu, me semble-t-il, de considérer que, dans ce passage, « l’ordre est étroitement lié au raisonnement », comme le fait Bogaert, « Les Quatre Vivants », p. 464, n. 37. Certes, le fait qu’Irénée cite Mt conditionne évidemment l’ordre, mais cela ne diminue guère la valeur probante de ce passage, car, outre une certaine prédilection pour les citations de Mt, ce choix pourrait précisément être conditionné par le fait que Mt était le premier dans l’ordre des évangiles. L’affirmation du P. Bogaert concerne aussi 3.11.7, où le lien me paraît encore moins évident : c’est vraisemblablement un ordre préétabli des évangiles qui détermine l’ordre des mouvements hérétiques plutôt que l’inverse. Ses réserves par rapport à ces deux passages n’empêchent toutefois pas le P. Bogaert de se dire frappé du fait qu’en 3.9.1–11.6, Irénée « suive un ordre qui deviendra ferme » (ibid., p. 465). Sa réticence à admettre qu’Irénée connaissait un ordre fixe semble surtout liée à des questions de date (voir ibid., p. 475 et ci-dessus, n. 8). 25 A. Bailly, Dictionnaire grec-français, Paris, 261963, s.v. ἕπω, Moy., sens 9.
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ment, c’est-à-dire de les parcourir l’un après l’autre. La précision « qui se présentent de la manière que voici » favorise cette interprétation. Il est donc probable que l’ordre III soit un ordre concret, à savoir celui dans lequel Irénée a l’habitude de lire les évangiles. Or, comme je l’ai noté, un ordre particulier ne saurait s’imposer sans raison précise tant que les évangiles forment des livrets séparés. Étant donné que l’œuvre d’Irénée ne fournit aucun élément susceptible de justifier la triple occurrence de cet ordre, il y a là un indice qui suggère que celui-ci lit déjà les évangiles dans un codex unique26 et que ce codex, sans doute celui qu’il utilise dans son cabinet de travail, range les évangiles dans l’ordre III 27. Un tel codex devait comprendre la finale longue de Mc, puisque Irénée y fait référence en 3.10.6, dans la première des sections où il utilise cet ordre. Il y a par ailleurs des raisons de penser qu’il ne s’agissait pas simplement d’un tétraévangile, mais qu’il contenait également les Actes des apôtres, car la section introduite par le passage cité ci-dessus (9.1, l. 1-13) couvre non seulement les évangiles (9–11), 26 L’hypothèse d’un ensemble de deux codices (Mt-Lc et Mc-Jn) serait théoriquement envisageable, pour peu qu’une telle édition ait compris clairement un « volume 1 » et un « volume 2 ». Elle ne saurait donc être résolument écartée, mais elle me paraît moins probable, car, précisément, il est difficile de concevoir qu’une telle présentation matérielle ait amené à un ordre aussi fixe des quatre évangiles. 27 Je rejoins ici en substance la conclusion qui était déjà celle de Hoh, Die Lehre des hl. Irenäus, p. 17s., avec cette différence qu’il pensait à un rouleau plutôt qu’à un codex. Pour d’autres interprétations, voir Mutschler, Das Corpus Johanneum, p. 71-74. Ce dernier admet que l’hypothèse la plus économique consiste à supposer que l’ordre III était le plus familier à Irénée, « sei es aus dem christlichen Unterricht, dem Gebrauch der Evangelien im Gottesdienst oder eben – mit Hoh – ‘seinem Bibelexemplar’ » (p. 74 ; voir aussi p. 79). Les deux premières possibilités ne constituent pas des explications suffisantes du recours à cet ordre dans les trois passages en question et dans ceux-ci seulement ; s’il reflétait un usage catéchétique ou liturgique, on s’attendrait à ce qu’il imprègne davantage l’usage d’Irénée, qui, au contraire, s’avère remarquablement libre. La troisième explication paraît d’autant plus vraisemblable que deux des trois passages dans lesquels l’ordre III apparaît sont des passages où Irénée examine systématiquement et en se fondant sur leur texte le témoignage des quatre évangélistes (le fait que, dans le cas de 4.6.1, Irénée n’a manifestement pas pris la peine de bien vérifier la présence dans Mc de la parole qu’il cite n’y change rien) : il serait naturel que, dans ces cas précis, Irénée ait suivi l’ordre d’un manuscrit des quatre évangiles.
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mais aussi les « autres apôtres » (11.9, l. 280), dont le témoignage est extrait des Actes (12–15). On ne saurait évidemment exclure qu’Irénée place les Actes après les évangiles pour des raisons à la fois logiques et littéraires (rapport Christ – apôtres et position seconde des Actes au sein de l’œuvre de Luc). Cependant, le caractère concret de la référence à la manière dont se présentent les témoignages apostoliques s’expliquerait mieux s’il lisait les Actes à la suite des évangiles, dans le même codex. Cette disposition est certes exceptionnelle (du moins selon la maigre documentation disponible pour l’époque la plus ancienne), mais le 𝔓45 (milieu du iiie siècle) en fournit un exemple relativement proche d’Irénée. J’en reviens à l’ordre III des évangiles, à savoir Mt – Lc – Mc – Jn. Quelle est son origine ? Il faut remarquer qu’il coïncide avec la chronologie des évangiles telle que l’indique une tradition des anciens presbytres » rapportée par Clément d’Alexandrie dans « 28 les Hypotyposes . Selon cette tradition, « les Évangiles qui comprennent les généalogies ont été écrits d’abord » ; ensuite Marc et, « le dernier », Jean auraient composé les leurs29. La chronologie relative de Mt et de Lc n’est pas précisée, mais elle allait probablement de soi, la priorité de Mt étant une donnée fortement enracinée dans les traditions relatives à l’ordre des évangiles 30. Ainsi, l’ordre III semble être l’expression matérielle d’une telle conception chronologique. Cette coïncidence entre l’ordre des évangiles qui est familier à Irénée (et plus tard à d’autres auteurs) et la 28 Étonnamment, ni Bingham, ni Mutschler ne prennent en considération cette coïncidence, qui avait échappé à Hoh, mais que des auteurs postérieurs avaient relevée ; voir par exemple W. R. Farmer, « The Patristic Evidence Reexamined : A Response to George Kennedy », dans New Synoptic Studies. The Cambridge Gospel Conference and Beyond, éd. W. R. Farmer, Macon, GA, 1983, p. 11. 29 Le texte est transmis par Eusèbe de Césarée, HE 6.14.5-7 ; la part qui revient exactement aux presbytres dans ce passage est discutée, mais il est vraisemblable que l’ensemble soit à rapporter à cette tradition, puisque Eusèbe marque clairement le début et la fin du passage (περὶ τῆς τάξεως τῶν εὐαγγελίων παράδοσιν … τοῦτον ἔχουσαν τὸν τρόπον, § 5 ; τοσαῦτα ὁ Κλήμης, § 7) et que le sujet annoncé (« l’ordre des évangiles ») crée l’attente d’un survol des quatre évangiles, ce qui est bien le cas si l’on rattache à cette tradition l’ensemble des indications incluses entre l’introduction et la conclusion. 30 Dans le même sens, voir G. M. Hahneman, The Muratorian Fragment and the Development of the Canon, Oxford, 1992 (Oxford Theological Monographs), p. 185.
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tradition rapportée par Clément n’est sans doute pas fortuite. Elle est d’autant plus remarquable qu’Irénée ne mentionne pas cette tradition, soit qu’il ne la connaisse pas, soit qu’il n’y adhère pas 31. Étant donné que l’ordre correspondant des évangiles est utilisé dans l’Adversus Haereses sans jamais être justifié, ses apparitions pourraient avoir une cause simplement pratique, sans que cet ordre soit investi d’une autorité particulière (et encore moins exclusive) aux yeux d’Irénée. Cette absence d’exploitation théologique est un indice supplémentaire du fait que l’ordre III est pour lui un ordre livresque, au sens étymologique du terme. Comme le montre la liberté avec laquelle Irénée fait se succéder les évangiles dans de nombreux passages 32 , il n’accordait aucune importance particulière à l’ordre des évangiles 33. Il n’y a chez lui aucun lien entre la dimension biblique et théologique des emblèmes des évangélistes, sur laquelle je reviendrai plus loin, et l’ordre dans lequel il lit les évangiles 34. À une époque de transition, où la circulation individuelle des évangiles devait seulement commencer à céder la place à des éditions en un ou deux volumes, cette absence d’investissement théologique d’un ordre ressenti comme une donnée essentiellement contingente était des plus naturelles, mais elle a peut-être été lourde de conséquences sur l’évolution des pratiques en matière d’ordre des évangiles. En effet, l’influence centrale d’Irénée dans la diffusion des emblèmes 31 Une troisième possibilité serait qu’Irénée ait connu deux traditions différentes sur la chronologie relative de Mc et de Lc (celle que rapporte Clément et celle qui correspond à l’ordre I et qu’atteste Origène [cité par Eusèbe, HE 6.25.4-6]), sans vouloir (ou pouvoir) trancher. Cette hypothèse serait tout à fait compatible avec sa présentation en AH 3.1.1, l. 17-27, où seuls Mt (comme le plus ancien évangile) et Jn (comme le dernier) ont une place clairement définie, tandis que la chronologie relative de Mc et de Lc ne paraît pas fixée (l’ordre Mc – Lc correspond à l’ordre Pierre – Paul de la phrase précédente ; comme le relève Farmer, « The Patristic Evidence Reexamined », p. 12, les deux apôtres sont rangés selon leur ancienneté dans l’apostolat, qui est aussi celui de leur activité dans les Actes). 32 Voir Bingham, Irenaeus’ Use of Matthew’s Gospel, p. 92s. 33 Cette constatation incite, me semble-t-il, à ne pas tirer trop vite des conclusions sur le fait que l’ordre III était familier à ceux à qui il s’adressait, comme le fait Mutschler, Das Corpus Johanneum, p. 80. 34 3.11.8 ne constitue pas une véritable exception, car l’ordre suivi (II) est précisément déterminé par la mise en relation des évangiles avec les quatre Vivants d’Ap 4, 7.
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des évangélistes (même si son système a fini par être supplanté par un autre) donne à penser que l’ordre III serait bien plus fortement attesté si l’évêque de Lyon l’avait investi d’un sens historique et/ ou théologique. Or, en recueillant et exposant une tradition chronologique fondant l’ordre Mt – Mc – Lc –Jn, Irénée a peut-être involontairement promu un ordre différent de celui qui lui était familier aux dépens de ce dernier. Je terminerai ce bref examen du rapport d’Irénée au texte des évangiles en mentionnant rapidement une caractéristique formelle de la plus ancienne édition de l’Adversus Haereses qui nous soit connue, à savoir celle dont le P.Oxy. 405 nous conserve un fragment, et les questions qu’elle suscite. Remontant au début du iiie siècle ou peut-être même à la fin du iie, ce témoin est remarquablement proche dans le temps de la rédaction de l’œuvre ; il s’agit d’un fragment de rouleau, ce qui suggère que, pour sa publication, Irénée avait privilégié ce support, qui restait de son temps le support habituellement utilisé pour les œuvres littéraires. Or ce petit fragment présente une caractéristique remarquable pour l’époque : la citation de Mt 3, 16s. qu’il contient est signalée en marge par des diplai (chevrons). Comme le relève Charles E. Hill, leur présence témoigne au moins de ce que le copiste du papyrus était parfaitement conscient qu’Irénée citait un texte littéraire, mais le théologien américain va plus loin. Il suggère d’une part que les diplai ont plus précisément pour fonction de signaler une citation scripturaire35, selon un usage attesté par Isidore de Séville 36 – le P.Oxy. 405 en serait l’un des rares témoins pré-constantiniens et potentiellement le plus ancien37. Il considère d’autre part que cette caractéristique formelle a des chances de remonter à Irénée 38. Dans
35 Voir Ch. E. Hill, « Irenaeus, the Scribes, and the Scriptures. Papyrological and Theological Observations from P.Oxy. 405 », dans Irenaeus. Life, Scripture, Legacy, éd. S. Parvis, P. Foster, Minneapolis, MN, 2011, p. 127 ; on trouvera à la p. 121 une reproduction du passage concerné. 36 Hanc (scil. diplen) scriptores nostri adponunt in libris ecclesiasticorum uirorum ad separanda uel [ad] demonstranda testimonia sanctarum Scripturarum (Étymologies 1.21.13). 37 Voir Ch. E. Hill, « A Four-Gospel Canon in the Second Century ? Artifact and Arti-fiction », Early Christianity, 4 (2013), p. 330-332 (où l’on trouvera également une reproduction). 38 Voir Hill, « Irenaeus, the Scribes, and the Scriptures », p. 126.
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les pages qu’il consacre à ce papyrus dans ce volume 39, Patrick Andrist relève à juste titre que ces hypothèses manquent de fondements en l’état actuel de nos connaissances. De fait, le premier point appellerait des investigations plus approfondies et l’on peut espérer que de nouvelles découvertes papyrologiques fourniront des exemples supplémentaires dont l’analyse puisse confirmer ou infirmer l’interprétation de Charles E. Hill. Quant à l’idée que le papyrus, qui est un travail soigné – probablement l’œuvre d’un copiste professionnel40 – reproduise des caractéristiques formelles qui remontent à l’exemplaire « original » préparé sous la direction d’Irénée, elle restera à jamais indémontrable, mais elle ne devrait pas pour autant être écartée trop rapidement, compte tenu de sa proximité chronologique avec la publication de l’Adversus Haereses. En tout cas, vu le statut particulier qu’Irénée reconnaît à l’Évangile et le degré déjà avancé de sa « conscience canonique »41, une telle mise en évidence du texte évangélique serait parfaitement en phase avec ses conceptions 42 . 2. Deux textes-clés Si l’Évangile et les évangiles sont très présents dans l’œuvre d’Irénée, deux passages du livre 3 de l’Adversus Haereses, où il expose
P. 91-98. Cf. C. H. Roberts, Manuscript, Society and Belief in Early Christian Egypt, Oxford, 1979 (The Schweich Lectures of the British Academy, 1977), p. 23. Le caractère professionnel de l’écriture du papyrus est un argument de poids contre l’idée (purement spéculative, mais parfois avancée) qu’il serait de la main même d’Irénée. 41 Cf. F. Bovon, E. Norelli, « Dal Kerygma al canone. Lo statuto degli scritti neotestamentari nel secondo secolo », Cristianesimo nella Storia, 15 (1994), p. 534, qui relèvent chez Irénée la présence d’une « ‘coscienza canonica’ praticamente completa ». 42 Il paraît probable que l’usage des diplai concernait aussi d’autres textes néotestamentaires. D’une manière générale, les conceptions d’Irénée relatives au statut d’autorité des Écritures chrétiennes correspondent remarquablement avec ce que Hill, « A Four-Gospel Canon », déduit de l’analyse des manuscrits chrétiens des iie et iiie siècles. 39
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ses vues à leur propos, revêtent une importance particulière pour cette étude43. Après la présentation des doctrines hérétiques (livre 1) et une réfutation sur la base d’arguments logiques (livre 2), Irénée complète dans les livres 3 à 5 sa réfutation par des preuves scripturaires. Ces preuves sont essentiellement fondées sur les écrits du Nouveau Testament44, ce qui s’explique par une raison simple : « C’est précisément sur des textes du Nouveau Testament que les hérétiques s’appuyaient pour tenter d’accréditer leur thèse d’un ‘Père’ transcendant et totalement inconnu avant la venue du Christ » 45. Première étape de cet ensemble, le livre 3 s’articule en deux grandes sections, qui affirment respectivement l’unicité de Dieu (6–16) et l’unicité du Christ, fils de Dieu incarné (16–23), avec des sections introductive (1–5) et conclusive (24–25) 46. 1. AH 3.1–4 : la transmission de l’Évangile Au sein de la section introductive, je me propose d’examiner le développement initial (dernières lignes du prologue et § 1) et, plus rapidement, l’excursus sur la Tradition des apôtres (§ 2-4). a. Les diverses expressions de l’Évangile confié aux apôtres (Pr. l. 26-3.1.1-2) Cette introduction pose les fondements théologiques et herméneutiques à partir desquels se déploiera ensuite la preuve scripturaire du livre 3 47. Important pour saisir les conceptions d’Irénée sur l’Écriture et la Tradition, cet exposé accorde une place à l’Évangile et aux évangiles. Il s’agit notamment, pour Irénée, 43 Sur ces deux passages (et plus largement sur l’Évangile chez Irénée), je signale une référence importante, dont je n’ai malheureusement pas pu tenir compte : A. Sáez Gutiérrez, Canon y autoridad en los dos primeros siglos. Estudio histórico-teológico acerca de la relación entre la Tradición y los escritos apostólicos, t. 2, Roma, 2014 (SEAug, 142/2), p. 645-885. 44 Voir H. von Campenhausen, La formation de la Bible chrétienne, Neuchâtel, 1971 (MondB, 1), p. 163. 45 Rousseau (SC 210), p. 179s. 46 Sur le plan du livre III, voir notamment Rousseau (SC, 210), p. 171-205 et Mutschler, Das Corpus Johanneum, p. 13-63. 47 Comme le dit bien Mutschler, Das Corpus Johanneum, p. 95 : « die fundamentaltheologische und hermeneutische Basis für die schriftgestützte Argumentation der Bücher drei bis fünf ».
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d’articuler ces deux réalités. Il ne saurait être question ici de commenter ce passage dans le détail ; je me limiterai aux points essentiels pour mon propos. D’emblée, Irénée affirme la légitimité des apôtres 48 pour la proclamation de l’Évangile : Le Seigneur de toutes choses a en effet donné à ses apôtres le pouvoir d’annoncer l’Évangile (potestatem Euangelii) et c’est par eux que nous avons connu la vérité, c’est-à-dire l’enseignement du Fils de Dieu. C’est aussi à eux que le Seigneur a dit : « Qui vous écoute m’écoute, et qui vous méprise me méprise et méprise Celui qui m’a envoyé (Lc 10, 16) ». Car ce n’est pas par d’autres que nous avons connu l’« économie » de notre salut, mais bien par ceux par qui l’Évangile nous est parvenu. Cet Évangile, ils l’ont d’abord (tunc) prêché (praeconauerunt) ; ensuite (postea), par la volonté de Dieu, ils nous l’ont transmis dans des Écritures (in Scripturis nobis tradiderunt), pour qu’il soit le fondement et la colonne de notre foi (Pr. l. 26-3.1.1).
Irénée pose d’une part le principe de l’autorité des apôtres en matière d’enseignement49 : par eux, on accède à l’« enseignement du Fils de Dieu »50 – c’est-à-dire à la vérité. La citation de Lc 10, 16 souligne opportunément le rapport d’équivalence entre l’écoute
48 Irénée ne juge pas nécessaire de définir précisément qui sont les apôtres. Il est clair, néanmoins, qu’il s’agit des Onze complétés par Matthias (cf. 2.20.2) et Paul, régulièrement désigné comme « l’Apôtre » et à qui, comme le relève E. Osborn, Irenaeus of Lyons, Cambridge, 2001, p. 180, Irénée accorde une autorité égale à celle des autres apôtres. En revanche, la mention dans la section consacrée au témoignage des « autres apôtres » (3.12, qui se fonde sur les Actes), de Philippe (selon les Actes, le diacre et non l’apôtre) et d’Étienne ne suffit pas, en l’absence d’indication explicite, à faire d’eux des apôtres. 49 Le mouvement général du passage (envoyé par Dieu, le Christ confie l’Évangile aux apôtres) est identique à celui qu’on trouve au chapitre 42 de l’épître de Clément de Rome aux Corinthiens, texte dont Irénée paraît s’être souvenu dans les lignes qui suivent, lorsqu’il aborde la mission apostolique (l. 10-15 ; voir Rousseau [SC, 210], p. 213-217). La différence majeure est qu’Irénée reprend ce schéma pour établir, à côté de l’autorité de la prédication apostolique, celle des Écritures qui émanent d’eux, une préoccupation évidemment étrangère à Clément. 50 Même si cet aspect n’est pas présent dans ce passage, il faut relever que l’enseignement du Fils de Dieu s’inscrit évidemment à la suite de celui de Moïse et des Prophètes (voir par exemple 4.2).
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des apôtres et l’écoute du Christ 51, tout en rappelant le rapport entre le Christ et « Celui qui [l’]a envoyé (τὸν ἀποστείλαντά με) », formule où l’usage d’ἀποστέλλω suggère une continuité entre la mission du Fils, « envoyé » par le Père et celle de ses propres « envoyés » (ἀπόστολοι)52 . D’autre part, en notant non seulement c’est par eux… »), mais aussi négativement (« ce positivement (« n’est pas par d’autres… »), le rôle des apôtres dans la transmission de l’Évangile, Irénée souligne l’exclusivité de ce canal, pointe 51 Ce rapport d’équivalence – je le note en passant – n’exclut pas, mais au contraire suppose la bipolarité Évangile – Apôtre, à propos de laquelle je renvoie à F. Bovon, « La structure canonique de l’Évangile et de l’Apôtre », Cristianesimo nella Storia, 15 (1994), p. 559-576 ; le présent passage est cité à la p. 569. À mon sens, chez Irénée, cette dualité s’exprime, selon les circonstances, de deux façons différentes. Parfois, elle tend déjà à se superposer à la distinction entre les évangiles et les (autres) écrits apostoliques ; voir 1.3.6, où Irénée évoque l’argumentation scripturaire de ses adversaires gnostiques, mais avec des distinctions qu’il assume manifestement : non solum autem ex euangelicis et apostolicis temptant ostensiones facere …, sed etiam ex lege et prophetis ; on retrouve ici les composantes essentielles de ce qui deviendra l’Ancien et le Nouveau Testament. D’autres fois, cette distinction ne se recouvre pas exactement avec ces ensembles textuels (évangiles/écrits apostoliques), mais se réfère aux instances d’énonciation : le Seigneur, les apôtres. De ce point de vue, la distinction ne passe pas entre les évangiles et les écrits apostoliques, mais entre les paroles du Seigneur et le témoignage des apôtres, y compris à l’intérieur même des évangiles. Aussi inhabituelle qu’elle nous paraisse, cette distinction entre Dominica et apostolica trouve son fondement et sa justification dans la conception d’un unique Évangile en quatre présentations apostoliques. Tout particulièrement illustrée par 3.9.1–11.6, cette approche influence plus largement le plan des livres 3 à 5. C’est à tort que von Campenhausen, La formation de la Bible chrétienne, p. 165, en conclut que les évangiles ne seraient pas considérés comme source des paroles de Jésus. Aux critiques pertinentes formulées par Bingham, Irenaeus’ Use of Matthew’s Gospel, p. 97s., on peut ajouter la remarque suivante : si tel était le cas, le développement subséquent sur le Quadruple Évangile (3.11.7-9) perdrait tout son sens. En effet, bien qu’Irénée souligne la complémentarité des évangiles en relevant leurs particularités, notamment à partir de leurs commencements (§ 8), son développement a aussi pour but de fonder leur autorité en tant que sources autorisées sur les actes et les paroles de Jésus, comme le montrent bien les § 7 et 9. 52 La dernière partie de la citation de Lc a des accents johanniques et évoque un thème récurrent du quatrième évangile, où Jésus souligne sa dépendance par rapport au Père, notamment en matière de parole : « Je n’ai pas parlé de moi-même, mais le Père qui m’a envoyé m’a prescrit ce que j’ai à dire et à déclarer » (Jn 12, 49).
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implicitement dirigée contre les tenants de la « prétendue gnose », à laquelle les formules per quos … cognouimus et non … per alios … cognouimus (traduisant un aoriste ou un parfait de γιγνώσκω) font une discrète mais insistante allusion. Une fois posée l’autorité exclusive des apôtres en matière de transmission de l’évangile, Irénée peut aborder un point capital pour la démonstration des livres 3 à 5 : le rapport entre la prédication initiale de l’Évangile par les apôtres et les Écritures de l’Église. Pour ce faire, il définit sans les opposer deux formes de communication de l’Évangile confié par le Christ aux apôtres, sous forme de prédication et sous forme d’« Écritures ». À cette dualité des formes orale et écrites du même Évangile s’ajoute une différenciation chronologique exprimée par le balancement quidem tunc / postea uero. Tunc (improprement traduit par « d’abord ») renvoie au temps depuis longtemps révolu de la prédication apostolique, tandis que postea définit une seconde phase, qui est, à proprement parler, celle d’une transmission elle aussi révolue (tradiderunt, peut-être plutôt παραδεδώκασι que παρέδωκαν, comme l’ont retraduit Rousseau et Doutreleau53), mais qui, par le fait que l’Évangile proclamé par les apôtres est, justement, transmis « dans des Écritures », a une valeur pérenne « pour nous » – un pronom auquel il faut reconnaître à la fois une valeur d’actualité (« nous », maintenant, par opposition au temps des apôtres) et une valeur ecclésiologique (« nous », qui gardons leur Tradition et leur succession)54. De la sorte, l’Évangile, que le Christ a confié aux apôtres, subsiste pour l’Église sous forme d’Écritures. En ajoutant fundamentum et columnam fidei nostrae futurum – une métaphore que nous retrouverons plus loin –, Irénée souligne le rôle que cet Évangile, sous sa forme écrite, joue pour l’Église55. Dans les lignes suivantes (l. 7-17), Irénée écarte une objection gnostique : les apôtres « [auraient] prêché avant d’avoir reçu la connaissance parfaite ». Pour ce faire, il souligne le rôle de l’Esprit Saint, qui n’avait pas encore été mentionné : sa venue confère Cf. ἐγγράφως ἡμῖν παραδέδωκεν à propos de l’évangéliste Marc (Fr. gr. 1, l. 6s.). 54 Il en va de même au début du passage, lorsque Irénée écrit : « C’est par eux que nous avons connu la vérité ». 55 La métaphore provient d’1 Tm 3, 15, mais son application est inversée : dans l’épître, c’est l’Église elle-même qui est « colonne et soutien (στῦλος καὶ ἑδραίωμα) » de la vérité. 53
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aux apôtres la « connaissance parfaite » (perfectam agnitionem, probablement τὴν τελείαν γνῶσιν, avec, une nouvelle fois, une pointe polémique). C’est alors, ajoute Irénée, qu’ils s’en allèrent jusqu’aux extrémités de la terre (cf. Ac 1, 8), proclamant la bonne nouvelle (euangelizantes) des biens qui nous viennent de Dieu et annonçant aux hommes la paix céleste : ils avaient, tous ensemble et chacun pour son compte, l’« Évangile de Dieu (Rm 1, 1) » (l. 13-17).
L’annonce « jusqu’aux extrémités de la terre » trouvera un écho dans le célèbre développement de 3.11.8 sur le Quadruple Évangile, qu’Irénée met notamment en relation avec la dissémination de l’Église « sur toute la terre » (l. 173). Dans le passage qui nous occupe, il n’est évidemment pas question de l’Évangile écrit, mais de la prédication apostolique. Cependant, cet écho n’est pas fortuit. Irénée met en place une dialectique de l’unité et de la diversité, qui sert de justification essentielle à sa conception de l’Évangile écrit à la fois dans son rapport à l’« Évangile de Dieu » et à la diversité même de ses formes écrites : le caractère pluriel et individuel qu’implique l’annonce de l’Évangile par les apôtres « jusqu’aux extrémités de la terre » n’enlève rien à l’unité du message, puisque les apôtres « avaient, tous ensemble et chacun pour son compte l’“Évangile de Dieu” (qui quidem et omnes pariter et singuli eorum habentes Euangelium Dei) ». Dans ce passage, Irénée introduit donc une dimension individuelle (singuli, correspondant sans doute à ἕκαστος) à côté de la dimension commune (pariter, correspondant sans doute à ὁμοῦ56), seule présente au début de son exposé. Cette autorité individuelle est fondée à la fois sur la connaissance parfaite et sur une commune participation à l’Évangile. Et l’emploi de la formule paulinienne « l’Évangile de Dieu » (Rm 1, 1 ; etc.) rappelle la dimension divine de cet Évangile au-delà des proclamations individuelles. Cette affirmation d’une autorité individuelle des apôtres en plus de leur autorité collégiale est immédiatement mise en relation
Le pariter de la version latine semble de prime abord exprimer une égalité des apôtres vis-à-vis de l’Évangile. Cependant, en latin tardif, pariter peut simplement signifier « ensemble » (A. Blaise, Dictionnaire latin-français des auteurs chrétiens, Turnhout, 21967, s.v. pariter, sens 3) et correspondre, comme le suppose la rétroversion de l’édition des Sources chrétiennes, à ὁμοῦ. 56
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avec la rédaction de plusieurs évangiles, mais il ne faudrait pas, me semble-t-il, la réduire à cet aspect. Elle a une portée générale et fonde, au-delà des évangiles, l’autorité des écrits apostoliques dans leur ensemble ; l’expression paulinienne « l’Évangile de Dieu » renvoie d’ailleurs le lecteur attentif à un horizon qui dépasse les seuls évangiles. Le ita (certainement οὗτως) qui introduit la notice d’Irénée sur la rédaction des quatre évangiles fait du cas de ces derniers une illustration du principe qu’il vient de poser. Lorsque Irénée reprend ensuite son propos en écrivant : « Et tous ceux-là nous ont transmis l’enseignement suivant … » (1.2), omnes isti désigne non pas les évangélistes seulement, mais bien l’ensemble des apôtres, ainsi que les évangélistes placés dans leur dépendance (Marc et Luc). C’est d’autant plus clair que, par une inclusion qui marque la conclusion d’un premier développement, Irénée reprend dans ces lignes Lc 10, 16, cité au début de celui-ci à propos des apôtres dans leur ensemble. J’en viens à la notice elle-même : Ainsi (ita) Matthieu publia-t-il aussi chez les Hébreux, dans leur propre langue, une forme écrite d’Évangile (ἐν τοῖς Ἑβραίοις τῇ ἰδίᾳ αὐτῶν διαλέκτῳ καὶ γραφὴν ἐξήνεγκεν εὐαγγελίου), à l’époque où Pierre et Paul évangélisaient Rome et y fondaient l’Église (εὐαγγελιζομένων καὶ θεμελιούντων τὴν ἐκκλησίαν). Après la mort (ἔξοδον) de ces derniers, Marc, le disciple et l’interprète de Pierre, nous transmit lui aussi par écrit ce que prêchait Pierre (τὰ ὑπὸ Πέτρου κηρυσσόμενα ἐγγράφως ἡμῖν παραδέδωκεν). De son côté, Luc, le compagnon de Paul, consigna en un livre l’Évangile que prêchait celui-ci (τὸ ὑπ’ ἐκείνου κηρυσσόμενον εὐαγγέλιον ἐν βίβλῳ κατέθετο). Puis (ἔπειτα) Jean, le disciple du Seigneur, celui-là même qui avait reposé sur sa poitrine, publia lui aussi l’Évangile (καὶ αὐτὸς ἐξέδωκεν τὸ εὐαγγέλιον), tandis qu’il séjournait à Éphèse, en Asie.
Ce texte, qui a été abondamment commenté, pose un certain nombre de problèmes d’interprétation qu’il n’est pas possible de reprendre ici et je ne m’attacherai pas davantage aux problèmes des sources et de la valeur historique de ces informations. Comme je l’ai indiqué, Irénée a certainement en vue l’ordre de rédaction des évangiles (seul l’ordre Mc – Lc n’est pas explicitement présenté comme chronologique)57. Les évangiles sont ainsi ancrés dans une 57
Voir p. 113 s. et n. 31
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diversité de temps, mais aussi dans une diversité de contextes ou de lieux, voire une diversité linguistique, puisque Matthieu compose son évangile « chez les Hébreux, dans leur propre langue », sans qu’Irénée juge nécessaire de parler de sa traduction en grec. Pleinement assumée, cette variété illustre, comme je l’ai souligné plus haut, la validité du principe omnes pariter et singuli eorum habentes Euangelium Dei. En outre, les références aux Hébreux, à Rome et à Éphèse relient les évangiles écrits d’une part au contexte judéen originel dans lequel l’Église est née58 et d’autre part à des Églises importantes, fondées par des apôtres59. La dimension d’œuvre écrite est présente dans chacune des notices consacrées aux différents évangiles (γραφὴν ἐξήνεγκεν εὐαγγελίου pour Mt60 ; ἐγγράφως ἡμῖν παραδέδωκεν pour Mc ; ἐν βίβλῳ κατέθετο pour Lc ; ἐξέδωκεν, « publia », pour Jn). Cependant, la prédication orale de l’Évangile est également évoquée
58 En 3.12.5, l’Église des tout premiers temps est qualifiée « d’Église de laquelle toute Église tire son origine » et de « Cité mère des citoyens de la nouvelle alliance ». Irénée n’entend certainement pas renvoyer directement à ce contexte, qui n’est plus d’actualité à l’époque de Pierre et Paul, mais la mention des Hébreux (cf. Ac 6, 1) suggère néanmoins une chrétienté qui s’inscrit dans une certaine continuité avec la toute première Église. 59 Sur cet aspect, voir aussi Bingham, Irenaeus’ Use of Matthew’s Gospel, p. 68. 60 L’expression est assez étrange, comme le note A. Y. Reed, « Εὐαγγέλιον : Orality, Textuality, and the Christian Truth in Irenaeus’ Adversus Haereses », VigChr, 56 (2002), p. 36, qui relève l’absence d’article devant εὐαγγελίου et remarque dans la n. 1 : « Indeed, this may simply denote a ‘written gospel’, although one wonders why the adjective εὐαγγελικός is not here used, as in 1.3.6, 2.27.2, and 3.10.5 ». Le contexte me paraît toutefois éclairer cette formulation. Il faut prendre en compte, d’une part, l’opposition entre prédication orale et mise par écrit de l’Évangile et, d’autre part, le fait que Matthieu est le premier à écrire. Ces éléments incitent à donner à γραφή le sens de « acción de escribir, escritura », par opposition à l’oralité (DGE en línea [http:// dge.cchs.csic.es/xdge], s.v.). Quant à l’absence d’article, elle s’explique simplement par le fait que cette « mise par écrit » n’est pas une consignation définitive et complète de l’Évangile, mais seulement celle de l’Évangile que prêchait Matthieu (l’ « évangile selon Matthieu »), qui, prenant la forme d’un évangile au sens littéraire du terme, est appelée à coexister avec d’autres présentations écrites et à former avec elles l’Évangile Quadruple. Je traduirais donc littéralement : « Matthieu publia une mise par écrit d’un évangile ».
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avec insistance. Comme cela a été relevé 61, la formulation de la phrase relative à Mt contient une référence implicite à celle-ci : Matthieu « publia aussi une forme écrite d’Évangile » (καὶ γραφὴν ἐξήνεγκεν εὐαγγελίου). Plus clairement encore, les notices sur Mc et Lc soulignent de façon parallèle comment les rédacteurs de ces évangiles ont consigné la prédication de Pierre et de Paul, respectivement. On voit ainsi s’appliquer concrètement le schéma « prédication, puis mise par écrit » défini plus haut par Irénée (1.1.3-6), à ceci près que la seconde étape est l’œuvre de personnages qui ne sont pas des apôtres, mais des compagnons d’apôtres (Marc est ὁ μαθητὴς καὶ ἑρμηνευτὴς Πέτρου, Luc ὁ ἀκόλουθος Παύλου), qui, de plus, œuvrent après leur mort. Irénée ne voit pas là de problème majeur : l’autorité de Mc et de Lc est assurée d’une part par l’identité entre ces évangiles et la prédication des apôtres sur laquelle ils reposent et d’autre part par la proximité entre leurs auteurs et ces mêmes apôtres 62 . Il me semble, néanmoins, que le souci de bien fonder l’autorité de Mc et Lc transparaît déjà dans la remarque précédente sur la concomitance de la rédaction de l’évangile de Matthieu et de l’activité de Pierre et Paul à Rome. Cette précision définit en effet un moment fondateur. Elle est donnée, il ne faut pas l’oublier, dans la partie de la notice consacrée à Mt. Elle permet donc premièrement de situer chronologiquement la rédaction de Mt à une époque qui peut être mise en rapport avec les données 61 Voir G. G. Gamba, « La testimonianza di S. Ireneo in Adversus Haereses III, 1, 1 e la data di composizione dei quattro Vangeli Canonici », Salesianum, 39 (1977), p. 563s. 62 De ce point de vue, il peut être justifié de parler de « dependent canonicity », comme le fait A. C. Sundberg, « Dependent Canonicity in Irenaeus and Tertullian », dans Studia Evangelica, t. 3 : Papers Presented to the Second International Congress on New Testament Studies, Held at Christ Church, Oxford, 1961, II : The New Testament Message, éd. F. L. Cross, Berlin, 1964 (TU, 88), p. 403-409. En revanche, la canonicité de Lc n’est pas pour autant, aux yeux d’Irénée, une canonicité de rang inférieur (la même remarque vaudrait pour Mc), comme le prouve assez le développement sur le Quadruple Évangile (3.11.8). À l’encontre de ce qu’affirme Sundberg, la lecture de 3.13–15 révèle non pas les réticences qu’aurait suscitées Lc dans la Grande Église, mais plutôt l’ampleur de sa réception à la fois au sein de celle-ci et dans divers mouvements combattus par Irénée (contrairement à Rousseau [SC, 210], p. 308 [n. 1 de la p. 269] et 310 [n. 1 de la p. 279], je ne vois pas de raison de limiter aux seuls hérétiques la portée de l’affirmation sur l’usage des passages propres à Lc « par tous » en 3.14.3, l. 93 et 3.15.1, l. 23 [voir aussi l. 26]).
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d’Ac 28, 16-31 (où le « nous » du v. 16 suggère la présence de Luc) pour Paul ou de 1 P 5, 13 (avec mention explicite de Marc) pour Pierre. D’autre part, Irénée fait ainsi remonter la prédication dont dépendent respectivement Marc et Luc aussi haut que la publication de Matthieu, même si leur rédaction est intervenue plus tard ; il rehausse ainsi l’autorité de ces deux évangiles en les inscrivant dans une sorte de contemporanéité avec Mt. Enfin, en évoquant le second volet de l’activité de Pierre et Paul, la fondation de l’Église de Rome (θεμελιούντων τὴν ἐκκλησίαν), il souligne que la succession des évêques de cette ville, qui commence avec Lin, précisément au moment où cette activité s’achève (θεμελιώσαντες οὖν καὶ οἰκοδομήσαντες οἱ μακάριοι ἀπόστολοι τὴν ἐκκλησίαν, Λίνῳ τὴν τῆς ἐπισκοπῆς λειτουργίαν ἐνεχείρισαν 1.3.3 [fr. gr. 3, l. 1-3]), remonte aussi haut que la rédaction de Mt, tandis que Valentin, Cerdon ou Marcion ont été actifs sous ses successeurs Hygin (huitième à partir des apôtres), Pie (neuvième) et Anicet (dixième), donc bien plus tard (4.3)63. Si, en revanche, le rapport entre prédication et rédaction n’est pas explicité dans le cas de Jean, c’est sans doute parce qu’il n’a rien de problématique. Sa proximité avec Jésus est particulièrement soulignée 64. La mention d’Éphèse crée un nouveau lien entre la notice sur les évangiles et les pages consacrées à la succession des apôtres, qu’Irénée clôt par une mention de cette Église, « où Jean demeura jusqu’à l’époque de Trajan », et qui est, comme Rome et Smyrne, « un témoin véridique de la Tradition des apôtres » (3.4). Ce premier développement (jusqu’à 1.2) est essentiel pour l’étude du Quadruple évangile chez Irénée. Dès le début du livre 3, c’est-à-dire en ouverture de la partie de son œuvre consacrée à la preuve scripturaire, l’évêque de Lyon établit trois principes essentiels de sa conception de l’Évangile : – l’exclusivité apostolique de sa proclamation : c’est aux apôtres et à eux seuls que le Christ a donné le pouvoir d’annoncer l’Évangile ; – la légitimité de son inscription « dans des Écritures » à côté de la proclamation orale originelle ;
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Bingham, Irenaeus’ Use of Matthew’s Gospel, p. 74s., souligne cet aspect. Voir Mutschler, Das Corpus Johanneum, p. 98.
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– l’autorité individuelle de chaque apôtre pour le transmettre, qui légitime l’existence d’écrits apostoliques (ou même subapostoliques) individuels, tout particulièrement celle de plusieurs évangiles. En fondant d’une part l’autorité des apôtres dans la transmission de l’Évangile et en définissant d’autre part le rapport entre la forme première de l’Évangile comme prédication et son incarnation dans des Écritures qui lui confèrent une valeur permanente pour la définition de la foi, Irénée assure la validité de la Tradition apostolique dans son ensemble, qu’elle soit orale ou écrite, quoique, lorsqu’il est question de sa transmission aux générations postapostoliques, l’accent soit nettement mis sur cette dernière. Au sein de celle-ci, ce sont tout particulièrement les évangiles qui retiennent l’attention. Pourquoi cela ? L’explication la plus évidente est liée à la polémique antignostique : c’est avant tout dans les évangiles que se trouve la réponse à la question de savoir si le Christ et les apôtres ont prêché le Dieu annoncé par la Loi et les Prophètes 65. Le contexte suggère toutefois une raison complémentaire : les évangiles soulèvent de façon toute particulière le problème de l’unité et de la pluralité de l’Évangile transmis par les apôtres. Ce développement initial s’avère donc essentiellement orienté vers l’établissement de l’autorité des Écritures de l’Église contre les hérétiques et tout particulièrement contre les gnostiques. Les évangiles rédigés par Matthieu, Marc, Luc et Jean apparaissent comme l’expression plurielle, à la fois historiquement située et à valeur universelle, de l’unique Évangile confié par le Christ aux apôtres et par ceux-ci à l’Église. À ce stade, cependant, il n’est pas question de leur nombre. b. La Tradition des apôtres (§ 2-4) Le reste de l’introduction concerne moins directement l’Évangile et ses formes écrites. Je me contenterai d’évoquer rapidement la question de la Tradition, à laquelle Irénée consacre les § 2 à 4 66. Voir Rousseau (SC, 210), p. 174, n. 1. Sur la Tradition chez Irénée, voir notamment J. Fantino, La théologie d’Irénée. Lecture des Écritures en réponse à l’exégèse gnostique. Une approche trinitaire, Paris, 1994 (Cogitatio fidei, 180), notamment p. 29-34, et Osborn, Irenaeus of Lyons, p. 172. Le travail d’A. BenoÎt, « Écriture et tradition chez 65
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Pour von Campenhausen, qui s’inscrit à la suite d’autres auteurs, ce passage est une parenthèse provoquée par l’opposition hérétique à la preuve scripturaire, dont il ne faut pas surestimer l’importance 67. Il est exact qu’il est étroitement lié à la lutte contre l’hérésie, puisqu’il est amené par la constatation que les hérétiques n’acceptent pas mieux les arguments tirés de la Tradition que ceux qui sont tirés de l’Écriture (§ 2) et qu’il est suivi par un développement sur la nouveauté des hérésies, qui les fait justement apparaître comme dépourvues d’une tradition remontant aux origines (§ 4, 3) ; il est exact, également, que, dans un livre consacré à la preuve scripturaire, un développement sur la Tradition fait ipso facto figure d’excursus. Cependant, à elle seule, la nécessité de faire face à « l’opposition hérétique à la preuve scripturaire » ne me paraît pas à même de rendre compte de l’ampleur de ce développement, dont la partie centrale (§ 3) fait plus de place à l’enseignement positif qu’à la polémique. Comme l’écrit Adelin Rousseau : Le souci premier d’Irénée est, certes, d’établir la vérité des Écritures et de s’assurer ainsi de la solidité du terrain sur lequel il va s’engager. Mais, comme les hérétiques prétendent subordonner l’usage des Écritures à une Tradition de leur cru, Irénée saisit avec un empressement visible l’occasion qui lui est ainsi offerte de replacer les Écritures dans le cadre de la seule Tradition authentique, c’est-à-dire celle qui vient des apôtres et se conserve dans l’Église par le moyen des successions des évêques 68.
Saint Irénée », Revue d’histoire et de philosophie religieuses, 40 (1960), p. 32-43 garde également son intérêt. Bien que l’on puisse reprocher à son auteur de trop réduire l’importance de la Tradition dans l’argumentation de l’Adversus Haereses dans la première partie de son article (voir n. 67) et de sans doute trop ramener le contenu de la Tradition à celui de la regula fidei dans sa dernière partie, il faut relever l’intérêt de son analyse du rapport entre Écriture et Tradition : « En fait, [ces deux normes] se recouvrent entièrement puisque l’une et l’autre ne sont que la prédication apostolique sous une forme différente. (…) Dès lors, Écriture et Tradition ne sont que les deux faces d’une même médaille » (p. 40 et 41). 67 Von Campenhausen, La formation de la Bible chrétienne, p. 190, n. 215 (où « Einschub », que j’ai rendu par « parenthèse », a été malencontreusement traduit par « interpolation »). Dans la même ligne, Benoît, « Écriture et tradition », p. 37, considérait déjà que « le développement sur la Tradition n’est qu’un élément second dans la démarche théologique d’Irénée ». 68 Rousseau (SC, 210), p. 173, n. 1 (italiques de l’auteur).
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De fait, dans la Tradition, le principe de l’autorité apostolique défini au début du livre 3 trouve également une expression, à côté de l’Écriture et indépendamment de celle-ci. Les successions épiscopales en garantissent l’authenticité. Même si, en pratique, Irénée en appelle bien plus souvent à l’Écriture qu’à la Tradition, celle-ci constitue encore une voie d’accès possible à l’enseignement des apôtres et, par ceux-ci, aux paroles du Seigneur. 2. AH 3.11.7-9 : les évangiles et l’Évangile Dans les premières pages du livre 3, Irénée s’intéressait à l’Évangile et aux évangiles en relation avec la prédication apostolique, en les envisageant dans leur diversité historique, mais sans considérer leur nombre ni, apparemment, lui attacher d’importance : il n’y faisait jamais mention du nombre quatre. Cet aspect sera au contraire au centre d’un autre exposé d’Irénée sur les évangiles (11.8), qui s’inscrit dans un double excursus (11.7 et 8s.) au sein des pages qu’il consacre à la preuve scripturaire de l’unicité de Dieu (6-16). Ces paragraphes s’ouvrent par un examen de l’emploi des termes « Dieu » et « Seigneur » dans les Écritures, qui se concentre sur le témoignage des prophètes, de Paul et de Jésus lui-même (6-9). Constatant que « le Seigneur lui-même n’a pas enseigné à ses disciples d’autre Dieu et Seigneur que son Père », Irénée se propose alors, dans un passage que j’ai déjà cité plus haut69, de « suivre leurs témoignages » (9.1). Il s’agit donc d’examiner le témoignage apostolique dans son ensemble, mais Irénée impose à ce développement une organisation bipartite : il commence par le témoignage des évangélistes, non sans rappeler leur qualité d’apôtres (Matthaeus … apostolus 9.1 ; Iohannes Domini discipulus 11.1) ou de disciples d’apôtres (Lucas … sectator et discipulus apostolorum70 10.1 ; Marcus, interpres et sectator Petri 10.6) ; il passera ensuite « aux autres apôtres » (11.9, l. 280), à savoir Pierre (12.1-7), Philippe (12.8), Paul (12.9), Étienne (12.10), essentiellement au travers des Actes
Voir p. 111. Alors qu’en 3.1.1, l. 23, Luc était placé dans la dépendance de Paul, il est ici placé dans la dépendance des apôtres en général (cf. 3.14.2, citant Lc 1, 2). 69 70
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des Apôtres71. La distinction entre ces deux sections est accentuée par le fait que la première inclut l’excursus sur les évangiles et l’Évangile (11.7-9). Une troisième section, consacrée aux paroles du Seigneur, est annoncée (11.9, l. 281s.), mais elle n’interviendra véritablement qu’au livre 4 (cf. 3.25.7, l. 95s.). L’excursus sur les évangiles et l’Évangile se divise superficiellement en trois ensembles, qui correspondent aux § 7, 8 et 9. a. L’autorité des évangiles reconnue par les hérétiques (3.11.7) Les premières lignes du § 7 (140-155) concluent l’examen du témoignage des évangélistes et en affirment le résultat : « les commencements de l’Évangile » – auxquels s’est limité l’exposé d’Irénée72 – « ne connaissent point d’autre Dieu ni d’autre Père » que le Dieu Créateur. Cette constatation fait écho à 9, 1 et clôt ainsi la première partie de la section consacrée au témoignage des évangélistes. En même temps, en présentant rétrospectivement les pages précédentes comme un examen systématique des « commencements de l’Évangile »73, elle prépare l’excursus sur les évangiles et l’Évangile, qui fera aussi une place de choix aux commencements dans sa partie centrale (§ 8). L’analyse de cette phrase me donne l’occasion de relever l’emploi d’« Évangile » pour désigner le recueil des quatre évangiles. Cet emploi n’a rien d’exceptionnel chez Irénée, mais on en a là un exemple particulièrement clair. En effet, les « commencements de l’Évangile (principia Euangelii) » ne peuvent se comprendre qu’en référence aux sections initiales de Mt, Lc, Mc et Jn, qu’Irénée vient de passer en revue. Bien qu’il les désigne à l’occasion comme « évangiles » au pluriel74, il les réunit sous le titre d’« Évangile », qui manifeste leur unité par-delà leur pluralité. 71 Irénée renvoie clairement à ce livre en utilisant une formule qui reflète la façon dont il a mis en avant les discours qu’il contient : ex ipsis sermonibus et actibus apostolorum (12.11, l. 385s.). 72 Sauf dans le cas de Mc, dont la fin (à savoir la finale longue) a également été citée. 73 Cette intention devient claire pour le lecteur au fil du texte, mais elle n’est nulle part explicitement présentée comme telle avant 11.7. 74 La phrase suivante en fournit un exemple : Euangelia haec, l. 156. En outre, on rencontrera à la fin du développement ex ipsis principiis ipsorum, l. 279, où ipsorum ne peut se comprendre qu’en référence aux évangiles individuels.
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C’est avec la phrase suivante que l’excursus sur les évangiles et l’Évangile commence véritablement. Il s’ouvre par une affirmation forte de l’autorité ou de la fiabilité (firmitas, littéralement « solidité », traduisant sans doute βεβαιότης) des évangiles : « Si grande est l’autorité qui s’attache à ces évangiles (circa Euangelia haec firmitas), que les hérétiques eux-mêmes leur rendent témoignage et que chacun d’eux leur arrache quelque lambeau pour tenter d’appuyer son enseignement ». Irénée illustre ce point en citant quatre hérésies qui s’attachent chacune à un évangile en particulier75 : Ébionites Marcion Docètes Valentiniens
Matthieu Luc (mutilé) Marc Jean
Dans chaque cas, il souligne que l’évangile en question (ou, dans le cas de Marcion, ce qu’il en reste) les convainc d’erreur. Il engrange ainsi un double bénéfice : non seulement chacun des groupes qu’il vise est réfuté par l’évangile qu’il privilégie, mais son recours même à cet évangile atteste son autorité76. L’autorité des évangiles ainsi établie, Irénée peut aborder de front la question de leur nombre. b. La quaternité de l’Évangile (3.11.8)77 « Il ne peut y avoir ni un plus grand ni un plus petit nombre d’Évangiles » (l. 170). Telle est la thèse qui sert de point de départ à un nouveau développement. Ample et dense, le § 8 a une articulation complexe, mais claire. Irénée commence par apporter la preuve de la thèse initiale (l. 171-180) ; il met ensuite le nombre de 75 Cet attachement peut être exclusif (Mt pour les Ébionites, Lc pour Marcion) ou représenter un usage préférentiel (Mc pour les docètes, Jn pour les Valentiniens). Dans un autre passage (14.3, 4), Irénée souligne d’ailleurs l’importance de Lc pour les Valentiniens. 76 « Ainsi donc, puisque nos contradicteurs rendent témoignage aux Évangiles et les utilisent, solide et vraie (firma et uera) est la preuve (ostensio) que nous élaborons à partir d’eux » (l. 172-174). La firmitas reconnue aux évangiles rejaillit sur la démonstration qu’ils fondent. 77 Je rappelle que les lignes indiquées pour le § 8 sont celles du texte grec édité (ou parfois reconstitué) par Rousseau, Doutreleau (SC, 211, pages impaires).
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quatre évangiles en relation d’une part avec « l’activité du Fils de Dieu », dans un long développement central qui se déploie à partir d’une citation de Ps 79, 2 (l. 180-224), et d’autre part, plus brièvement, avec les quatre alliances accordées par Dieu à l’humanité (l. 224-230). Son développement s’articule donc en trois parties, que, de façon quelque peu schématique, on peut résumer ainsi : 1. la démonstration proprement dite, sur laquelle je reviens tout de suite ; 2. un approfondissement biblique consistant à mettre en relation l’Évangile avec les Quatre Vivants et qui permet de définir ce dernier comme « tétramorphe » ; 3. un approfondissement théologique, consistant à mettre en relation l’Évangile avec les quatre alliances accordées à l’humanité. La démonstration initiale (l. 170-177) est souvent perçue comme artificielle par les lecteurs modernes. Elle prêterait effectivement à sourire si elle se réduisait à la logique à laquelle elle est trop souvent ramenée : « Il y a quatre évangiles parce qu’il y a quatre points cardinaux et quatre vents ». En fait, le propos d’Irénée est plus subtil78 : En effet, puisqu’il existe quatre points cardinaux79 du monde dans lequel nous sommes et quatre vents principaux, et puisque, d’autre part, l’Église est répandue sur toute la terre et qu’elle a pour colonne et pour soutien l’Évangile et l’Esprit de vie, il est naturel qu’elle ait quatre colonnes qui soufflent de toutes parts l’incorruptibilité et rendent la vie aux hommes. D’où il appert que le Verbe, Artisan de l’univers, qui siège sur les Chérubins et maintient toutes choses, lorsqu’il s’est manifesté aux hommes, nous a donné un Évangile à quadruple forme, encore que maintenu par un unique Esprit (l. 171-180).
L’argument se fonde sur l’harmonie entre la Création et le Salut, qui ont le même auteur, à savoir « le Verbe, artisan de l’univers (ὁ τῶν ἁπάντων Τεχνίτης Λόγος) » (l. 177) 80. Il y a correspondance Tel est aussi l’avis de Stanton, Jesus and Gospel, p. 65. Je modifie ici la traduction de Rousseau et Doutreleau, qui écrivent « régions du monde » (cf. n. 81). 80 Comme le note Osborn, Irenaeus of Lyons, p. 175 : « The argument shows how literally Irenaeus took the unity of creation and redemption and of the noetic and physical worlds ». Voir aussi les remarques de F. Sagnard, Irénée de 78
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entre la dispersion de l’Église « sur toute la terre » et la structure quadripartite de notre monde (quatre points cardinaux, quatre vents). Celle-ci, il faut le noter, ne relève pas seulement de conceptions communes 81, mais a aussi des fondements scripturaires (Jr 25, 16 LXX [49, 36] ; Mt 24, 3182 ; Ap 7, 1). De plus, le monde et l’Évangile ont l’un et l’autre un principe divin d’unité, puisque c’est le Verbe qui « maintient toutes choses » (συνέχων τὰ πάντα, l. 178), c’est-à-dire le monde dans sa structure quadripartite, qui a donné aux hommes « un Évangile à quadruple forme, encore que maintenu par un unique Esprit » (τετράμορφον τὸ εὐαγγέλιον, ἑνὶ δὲ Πνεύματι συνεχόμενον, l. 179s.) 83. Il faut aussi relever la référence à l’Incarnation (φανερωθεὶς τοῖς ἀνθρώποις, l. 178), qui inscrit l’Évangile dans l’histoire en le reliant au moment du salut. La référence à la dispersion de l’Église dans le monde fait écho à 1.1, où, comme je l’ai relevé, la dimension géographique jouait déjà un rôle, mais le lien le plus évident avec le début du livre 3 est la reprise de l’image de l’Évangile comme colonne, qu’on a aussi rencontrée en 1.1. Irénée la déploie ici de façon plus complexe en associant étroitement à l’Évangile « l’Esprit de vie » (τὸ εὐαγγέλιον καὶ Πνεῦμα ζωῆς) 84. Ainsi, l’Évangile est comparé non Lyon, Contre les hérésies. Mise en lumière et réfutation de la prétendue « connaissance ». Livre 3, Paris, 1952 (SC, 34), p. 193, n. 2. 81 Les κλίματα (l. 172) sont simplement les points cardinaux (voir par exemple Strabon, Géographie 10.2.12), et non les divisions du monde en zones circulaires parallèles à l’équateur, dont le nombre excédait quatre : voir notamment G. Aujac, Strabon et la science de son temps. Les sciences du monde, Paris, 1966 (Collection d’études anciennes), p. 168s. ; la traduction de κλίματα par « régions du monde », qui trahit l’influence de la version latine, implique une confusion entre ces deux concepts. Concernant les vents, voir n. 85. 82 Ce verset fait précisément référence à la dispersion des élus (et à leur rassemblement) ; cf. Didachè 10.5. 83 La récurrence de συνέχω aux l. 178 et 180 est mise en évidence par Osborn, Irenaeus of Lyons, p. 176. 84 On peut hésiter, me semble-t-il, sur l’opportunité de mettre ici une majuscule à Πνεῦμα. En effet, l’absence d’article devant le second terme de l’expression τὸ εὐαγγέλιον καὶ πνεῦμα ζωῆς permettrait également de comprendre que les deux termes désignent une même réalité, « l’Évangile-souffle de vie », ce qu’exprimerait ensuite l’image des colonnes « qui soufflent ». Si, en revanche, Irénée entend désigner l’Esprit Saint, il faut comprendre l’absence d’article comme une façon de souligner l’étroite articulation entre l’Évangile et l’Esprit, illustrée ensuite par l’image des colonnes par lesquelles passe le
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plus à une, mais à quatre colonnes qui, en écho aux quatre vents (désignés à dessein comme τέσσαρα καθολικὰ πνεύματα plutôt qu’ἄνεμοι 85), « soufflent (πνέοντας) de toutes parts l’incorruptibilité et rendent la vie aux hommes ». L’argumentation d’Irénée n’est sans doute plus apte à convaincre un lecteur moderne, mais il faut lui rendre cette justice qu’elle n’a rien de simpliste 86. Souffle de vie. Ce qui me conduit à privilégier cette seconde hypothèse est la récurrence dans la phrase suivante des deux termes « Évangile » et « Esprit » (τετράμορφον τὸ εὐαγγέλιον, ἑνὶ δὲ Πνεύματι συνεχόμενον), qui semblent faire délibérément écho à la formule τὸ εὐαγγέλιον καὶ Πνεῦμα ζωῆς ; or, dans ce cas, Πνεύματι désigne clairement l’Esprit Saint. 85 Les conceptions anciennes sur le nombre des vents présentent une diversité considérable. On utilisait notamment une rose à huit vents, mais bien d’autres systèmes, allant jusqu’à 24, sont attestés : voir par exemple Ph. Fleury, Vitruve, De l’architecture. Livre I, Paris, 1990 (Collection des Universités de France), p. cvi-cxiv. Appuyée par l’autorité d’Homère (qui ne nomme que quatre vents : Euros, Notos, Zéphyr, Borée ; voir Odyssée 5.295s., 331s.), l’idée de quatre vents principaux, volontiers associés aux quatre points cardinaux, gardait une certaine diffusion, comme l’attestent Vitruve (De l’architecture 1.6.4), Pline l’Ancien (Histoire naturelle 2.119) et Aulu-Gelle (Nuits attiques 2.22.16). Irénée exprime cette conception avec une terminologie particulière. Une recherche dans le Thesaurus Linguae Graecae (http://stephanus. tlg.uci.edu, 26 juin 2014) ne fournit aucun autre exemple de l’association de πνεῦμα avec l’épithète καθολικόν. Quant à l’expression καθολικοὶ ἄνεμοι, elle n’est, apparemment, que rarement attestée, mais, à ma connaissance, sa plus ancienne occurrence (pas encore répertoriée par le TLG) se trouve dans le commentaire de Galien sur le De humoribus d’Hippocrate, éd. C. G. Kühn, Lipsiae, 1829 (Claudii Galeni opera omnia, 16), p. 401, l. 3-4. Irénée fait donc référence à une conception scientifique de son temps tout en employant un vocabulaire délibérément chargé d’échos théologiques. 86 Selon Reed, « Εὐαγγέλιον », p. 22, « the ‘proof’ for the unique authority of exactly four gospels in 3.11.8 seems rather uncharacteristic of Irenaeus’ usual mode of argumentation » ; elle la rapproche en outre des interprétations numérologiques des gnostiques, qu’Irénée tourne en dérision. Ces deux affirmations me paraissent contestables. Premièrement, fondée sur l’unité de l’œuvre créatrice et rédemptrice du Logos, l’argumentation de notre passage apparaît typiquement irénéenne. Deuxièmement, il faut rappeler, avec François Bovon que, « bien qu’[Irénée] s’opposât [aux] élaborations numérologiques précises [des gnostiques], il n’était pas lui-même opposé à tout usage symbolique des nombres » (« Des noms et des nombres dans le christianisme primitif », dans Dans l’atelier de l’exégète. Du canon aux apocryphes, Genève, 2012 [CAnt], p. 43). Pour les gnostiques, la Création reflète les réalités célestes et, de même, certains nombres présents dans les Écritures y renvoient (voir notamment 1.17–18 ; 2.24) ; Irénée, pour sa part, considère comme naturel que
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La référence au Verbe fournit, comme je viens de le montrer, la clé de compréhension du premier développement d’Irénée, ce qui m’a conduit, ci-dessus, en délimitant les principales articulations du § 8, à assigner les l. 177-180 à ce premier développement, mais il s’agit en fait d’une phrase de transition, qui introduit deux éléments essentiels du second et principal développement : la référence aux Chérubins et le qualificatif τετράμορφον appliqué à l’Évangile 87. Le développement en question, qui se déploie à partir de la citation de Ps 79, 2 est ample, mais sa structure est claire : « Toi qui sièges sur les Chérubins, montre-toi » (Ps 79, 2) Thèse exégétique : les Chérubins (Ez 10, 20) ont une quadruple figure (Ez 1, 5s. 10), et leurs figures sont les images de l’activité du Fils de Dieu Description et explication des Vivants en relation avec le Fils de Dieu (Ap 4, 7 ; 5, 6) lion puissance, prééminence et royauté veau sacerdoce homme venue humaine aigle don de l’Esprit à l’Église Première application : accord des évangiles avec les Vivants Jn hardiesse lion88 caractère sacerdotal veau Lc Mt forme humaine homme Mc caractère prophétique aigle l’ordre du Salut reflète celui de la Création, puisqu’ils ont tous deux le même « artisan », le Logos. Les procédés sont certes en partie semblables, mais, fondée sur ce qu’il perçoit comme une structure fondamentale de la Création, l’argumentation d’Irénée échappe à l’accusation d’arbitraire qu’il adresse aux spéculations gnostiques. 87 La syntaxe inciterait d’ailleurs à rattacher cette phrase à ce qui suit plutôt qu’à ce qui précède, car καθὼς καὶ ὁ Δαυὶδ αἰτούμενος αὐτοῦ τὴν παρουσίαν φησίν (l. 180s.) est formellement une subordonnée, même si l’édition des Sources chrétiennes met un point avant καθώς. 88 La tradition qui s’imposera à partir de Jérôme et qui nous est devenue familière inverse les attributions du lion et de l’aigle : le premier revient à Mc, le second à Jn. Sur l’évolution des identifications dans l’Antiquité tardive et au Moyen Âge, voire notamment P. Paciorek, « Les diverses interprétations patristiques des Quatre Vivants d’Ézéchiel 1,10 et de l’Apocalypse 4,6-7 jusqu’au xiie siècle », Augustiniana, 51 (2001), p. 151-218. Dans l’iconographie tardo-antique et médiévale, les Quatre Vivants trouveront aussi place, autour du Christ, dans l’image de la Maiestas Domini ; voir A.-O. Poilpré, Maiestas Domini. Une image de l’Église en Occident (ve-ixe siècle), Paris, 2005.
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Deuxième application : accord de l’activité du Fils de Dieu avec les Vivants patriarches parlait selon sa divinité et sa gloire sous la Loi assigne une fonction sacerdotale pour nous se fit homme enfin envoya le don de l’Esprit Conclusion : forme des Vivants // forme de l’Évangile // forme de l’activité du Seigneur
La conclusion (l. 220-224) fait clairement écho à la formulation de la thèse (l. 182-184), ce qui renforce l’unité de l’ensemble. Avec toutefois une différence significative : la progression du raisonnement permet d’inscrire l’Évangile, qui ne figurait pas au début, dans l’équation finale. Par ailleurs, l’ordre des éléments dans la formule conclusive (Vivants, Évangile, activité du Seigneur, l. 222-224) correspond à l’ordre de l’exposé précédent. La difficulté du texte ne vient pas de son organisation, à la fois claire et rigoureuse. Elle tient au caractère très ramassé et allusif de l’argumentation biblique. Irénée mobilise quatre textes (Ps 79 ; Ez 1 et 10 ; Ap 4, 7) et saute de l’un à l’autre avec une aisance déconcertante. Il part de Ps 79, 2, appliqué au Verbe, sans doute parce que « manifeste-toi (ἐμφάνηθι) » est compris en relation avec l’Incarnation (cf. φανερωθείς, l. 179). Celui qui siège sur les Chérubins est donc le Verbe. Par l’intermédiaire d’Ez 10, les Chérubins sont identifiés aux quatre Vivants à quatre faces (homme, lion, taureau, aigle) d’Ez 1, tandis que la similitude des faces permet de les identifier à leur tour avec les Quatre Vivants d’Ap 4, 7, quand bien même ces derniers n’ont pas quatre faces, mais chacun l’apparence d’un seul être. Irénée glisse sur cette difficulté en passant comme si de rien n’était de Chérubins à quatre faces (τετραπρόσωπα), conformément au texte d’Ézéchiel, à la description des Quatre Vivants de l’Apocalyse 89. L’usage de l’adjectif τετράμορφος (non biblique90), appliqué à la fois aux Vivants (l. 222) et à l’Évangile (l. 179. 223) permet d’aplanir la difficulté, puisqu’il convient aussi Skeat, « Irenaeus and the Four-Gospel Canon », p. 74, relève une autre difficulté, peut-être moins problématique et qu’en tous cas Irénée ignore tout autant : l’image vétérotestamentaire de la divinité assise sur les Chérubins ne correspond pas à leur position autour du trône en Ap 4, 7. 90 Le terme même de μορφή est étranger aussi bien au texte d’Ézéchiel qu’à celui de l’Apocalypse. 89
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bien aux créatures d’Ézéchiel prises individuellement qu’à celles de l’Apocalypse considérées collectivement. Les textes d’Ézéchiel se sont avérés indispensables pour relier Ps 79, 2 et Ap 4, 7, mais c’est ce dernier qui retient véritablement l’attention d’Irénée et lui sert de référence. À cela, une raison simple : les Vivants d’Ézéchiel ne sont pas différents les uns des autres ; seuls ceux de l’Apocalypse peuvent adéquatement refléter les évangiles dans leur unité et leur singularité. La rapidité avec laquelle Irénée traite le dossier biblique est surprenante, mais elle présente un avantage : en s’arrêtant plus longuement sur les textes, Irénée aurait sans doute dû affronter les difficultés que j’ai relevées et sa démonstration aurait perdu en efficacité. Il n’est sans doute pas utile de reprendre dans le détail le rapport entre les formes des Vivants et des Évangiles. Je me contenterai de relever un aspect qui risque d’échapper au lecteur moderne, trop accoutumé aux emblèmes des évangélistes. Chez Irénée, le rapport entre les évangiles et les Vivants est loin d’être aussi simple et direct qu’il l’est devenu dans la tradition postérieure. Ainsi, lorsqu’il cite et commente Ap 4, 7, Irénée ne met pas les Vivants en relation avec les évangiles, mais avec le Fils de Dieu, conformément au principe qu’il a posé : « leurs figures sont les images de l’activité du Fils de Dieu » (l. 183s.). « Les Évangiles, dit-il ensuite, sont … eux aussi en accord (σύμφωνα) avec ces vivants … » (l. 191s.), mais cela n’implique pas un rapport très direct entre les Vivants et les évangiles : cet accord réside surtout dans le fait que ce que chaque évangile dit à propos du Fils correspond à ce qu’exprime l’un des Vivants, sans qu’Irénée ressente le besoin de relier systématiquement les évangiles à la forme particulière des Vivants correspondants91. Enfin, l’absence d’une relation exclusive entre les Vivants et les évangiles est encore soulignée par le fait qu’Irénée 91 Le langage d’Irénée suggère certes une correspondance entre les évangiles et les images des Vivants lorsqu’il évoque la persona de Jn, terme qui traduit sans doute πρόσωπον (l. 199), et attribue ainsi une « face » à cet évangile (sans toutefois l’assimiler directement au lion), lorsqu’il écrit que Mc « montre … une image (εἰκόνα) ailée de l’Évangile » (l. 211s.) et, plus clairement encore, lorsqu’il décrit Mt comme évangile « à forme humaine (ἀνθρωπόμορφον) » (l. 206) ; mais, dans le cas de Lc, il se contente de relever son « caractère sacerdotal (ἱερατικοῦ χαρακτῆρος ὑπάρχων) » (l. 199s.), sans recourir à une dimension iconique (c’est uniquement le Veau gras de la Parabole du Fils prodigue qui fait explicitement le lien avec le troisième Vivant).
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décrit le rapport entre les Vivants et les activités du Fils, sans référence directe aux évangiles. Ces trois termes reviennent d’ailleurs par deux fois dans la conclusion du développement (l. 220224). Irénée ne conçoit donc pas le rapport entre les Vivants et les évangiles indépendamment d’une dimension christologique. À ce stade, les Vivants ne fonctionnent pas à proprement parler comme des emblèmes des évangélistes – on est encore très loin d’un rapport iconographique figé. En outre, pour les auteurs anciens en général et pour Irénée en particulier, « le symbolisme appliquant les Quatre Vivants aux évangélistes, comme rappelle à juste titre le P. Bogaert, a visé moins à différencier les quatre évangélistes qu’à manifester l’unité de l’Évangile »92 . Enfin, Irénée mentionne rapidement le don de quatre alliances à l’humanité (l. 224-230), sans définir précisément le rapport entre ces alliances et le Quadruple Évangile. Le καὶ διὰ τοῦτο par lequel s’ouvre ce nouveau développement établit un lien avec ce qui précède, mais quel est exactement ce lien ? Il est impossible de mettre systématiquement en relation les quatre alliances avec l’histoire de l’activité du Verbe qu’Irénée vient de décrire : Activité du Verbe : patriarches Alliances : Noé Abraham93
Moïse Moïse
Incarnation don de l’Esprit Évangile
Il serait vain, par ailleurs, de chercher à faire correspondre chacune de ces alliances avec l’un des évangiles et cela aurait d’autant moins de sens que la dernière est précisément celle de l’Évangile. Il faut donc comprendre διὰ τοῦτο en référence à la correspondance qui vient d’être établie entre la quadruple activité du Fils de Dieu, la quadruple forme des Vivants et le quadruple Évangile. Puisque le nombre quatre est ainsi lié à l’œuvre salvatrice du Seigneur, dit en substance Irénée, on comprend qu’il y ait aussi quatre alliances. Il instaure ainsi un rapport indirect entre la quadruple forme de l’Évangile et les alliances données à l’humanité. En outre, en désignant la quatrième de ces alliances Bogaert, « Les Quatre Vivants », p. 475. Les fragments grecs (que je suis ici) et la version latine (qui commence par Adam et Noé) sont ici en désaccord, mais l’examen des passages où Irénée se réfère aux alliances noachique et abrahamique conduit à donner raison aux premiers ; voir Rousseau (SC, 406), p. 385-388. Cependant, le problème serait identique si l’on suivait le texte latin. 92
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en référence à l’Évangile, il suggère que la forme quadruple qu’il revêt en tant que livre récapitule l’ensemble des alliances dont il est l’aboutissement. Superficiellement, le § 8 pourrait être perçu comme une suite d’analogies binaires, les quatre évangiles étant tour à tour mis en relation avec les points cardinaux et les vents, avec les Quatre Vivants, les quatre activités du Fils de Dieu et les quatre alliances accordées à l’humanité. En en appelant à la configuration de la terre, à l’Écriture, à la christologie et à l’histoire du salut, Irénée donnerait alors l’impression de faire feu de tout bois au service d’une cause difficile à défendre. On pourrait légitimement parler de « tortured insistence on [the] legitimacy [of the four-Gospel collection] »94. Cependant, le passage ne se laisse pas ramener à une lecture binaire : il y a toujours un troisième terme, qui permet à Irénée de mettre en relation le nombre des évangiles avec la structure de la Création ou avec celle du Salut. Il ne faut pas s’arrêter à la correspondance entre la structure quadripartite du monde et l’Évangile, mais remonter à sa cause : l’œuvre du Verbe. De même, les quatre alliances « furent données (ἐδόθησαν, l. 224) » (par Dieu) – tout comme le Verbe « nous a donné (ἔδωκεν ἡμῖν, l. 179) » l’Évangile tétramorphe. Dans la partie centrale, ce troisième terme est encore plus explicitement présent, puisque les faces des Chérubins sont d’abord présentées comme « les images de l’activité du Fils de Dieu » (l. 183). De façon tout à fait significative, la formule conclusive reprend les trois termes de l’équation : « quadruple forme des vivants, quadruple forme de l’Évangile, quadruple forme de l’activité du Seigneur » (l. 222s.). Aussi déconcertante qu’elle puisse paraître au premier abord, la démonstration d’Irénée n’est pas une tentative artificielle, forcée, presque désespérée, de fonder le Quadruple Évangile, la multiplicité des preuves invoquées visant à pallier leur faiblesse. Non qu’Irénée ne soit pas soucieux de fonder théologiquement la quadri-unité de l’Évangile : telle est évidemment la raison d’être du § 8. Son ampleur est signe de l’importance de ce point, mais il faut souligner que la démonstration elle-même se limite à dix lignes 94 H. Y. Gamble, The New Testament Canon. Its Making and Meaning, Philadelphia, PA, 1985 (Guides to Biblical Scholarship. New Testament Series), p. 32 (le passage est repris presque textuellement par Hahneman, The Muratorian Fragment, p. 101).
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(171-180) et que le reste constitue plutôt un approfondissement biblique et théologique. Ainsi, loin de trahir un embarras ou une difficulté à justifier le principe du Quadruple Évangile, l’ampleur du § 8 reflète surtout la volonté de montrer comment il fait écho, de diverses manières, au dessein de Dieu. Dans l’ordonnancement du monde, la vision prophétique, l’histoire des rapports entre le Verbe et les hommes, la succession de quatre alliances, la récurrence du nombre quatre exprime l’harmonie de ce dessein, comme cela apparaît dans le résumé si simple qu’Irénée lui-même donnera de ce passage si dense à la fin de la section : il ne peut, dit-il, y avoir plus ou moins de quatre évangiles, « car, puisque Dieu a fait toutes choses avec harmonie et proportion, il fallait que la forme sous laquelle se présente l’Évangile fût, elle aussi, harmonieuse et proportionnée95 » (l. 275-278)96. 95 Sur l’harmonie dans ce que Dieu a fait (et notamment les nombres), voir 2.25.1-2. 96 Ces lignes soulèvent une question à laquelle mes recherches ne m’ont pas fourni de réponse évidente : Irénée perçoit-il quatre comme un nombre symbolisant, en lui-même, harmonie et proportion ? Telle est la position de Stanton, Jesus and Gospel, p. 66 : « For Irenaeus’s readers, the number four would certainly have evoked solidity and harmonious proportion, precisely his intention ». Je ne saurais l’exclure, mais je serais moins affirmatif. En effet, le nombre quatre ne compte pas parmi les plus importants dans la symbolique biblique (cf. H. Lesètre, « Nombre », dans Dictionnaire de la Bible, éd. F. Vigouroux, t. 4/2, Paris, 21912, col. 1688) et, en dehors des milieux gnostiques, il ne semble pas avoir été particulièrement investi par les penseurs chrétiens des deux premiers siècles. Sur la symbolique des nombres dans le christianisme ancien, voir notamment : V. F. Hopper, La symbolique médiévale des nombres. Origines, signification et influence sur la pensée et l’expression, Paris, 1995, p. 55-66 ; A. Quacquarelli, « Numeri (simbolica) », dans Nuovo dizionario patristico e di antichità cristiane, éd. A. Di Berardino, t. 2 (F-O), Genova, 2008, col. 3573-3575 ; A. Y. Collins, « Numerical Symbolism in Jewish and Early Christian Apocalyptic Literature », dans Aufstieg und Niedergang der römischen Welt (ANRW). II, Principat, t. 21/2 : Religion (hellenistisches Judentum in römischer Zeit : Philon und Josephus), éd. W. Haase, Berlin, 1984, p. 1253-1257 ; les remarques de M. Dulaey, Victorin de Poetovio premier exégète latin, t. 1, Paris, 1993 (Collection des Études Augustiniennes. Série Antiquité, 139), p. 117, sur quatre comme « chiffre du monde matériel » et « chiffre de l’Incarnation » sont intéressantes, mais, formulées à propos d’un auteur qui a subi l’influence d’Irénée (voir n. 988), elles ne sauraient être reprises sans précautions pour éclairer ce dernier. Il me paraît donc plus probable que ce soit précisément le rôle joué par le nombre quatre dans la création divine (cf. les exemples cités au début du § 8), dont Irénée souligne l’har-
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Excursus : le développement sur le Quadruple Évangile a-t-il une source ? L’analyse du § 8 a mis en lumière une construction soignée et cohérente. La rapidité avec laquelle Irénée traite le dossier biblique a certes de quoi surprendre, mais, comme je l’ai relevé, elle est susceptible de s’expliquer par la volonté de ne pas fragiliser sa position, car s’arrêter davantage sur les textes d’Ézéchiel aurait immanquablement mis en lumière des détails qui font difficulté. Ce souci peut aussi expliquer pourquoi Ézéchiel est utilisé sans être ni cité ni même nommé. Dans ces conditions, le § 8 est susceptible de se lire comme une production d’Irénée, sans qu’il soit nécessaire de postuler l’usage d’une source. Telle est l’opinion largement dominante dans l’histoire de la recherche97. L’opinion contraire a notamment98 été défendue par Theodore C. Skeat sur la base d’anomalies qu’il relève dans le texte. 1. Le nom de Chérubin n’est pas appliqué aux Vivants de l’Apocalypse. monie, qui lui permet de lire la même harmonie dans le nombre de quatre évangiles. 97 Von Campenhausen, La formation de la Bible chrétienne, p. 169, note ainsi que la symbolique des Vivants « apparaît pour la première fois chez Irénée, et [que] malgré son ample développement il n’y a pas lieu de lui chercher des modèles plus anciens ». Bingham, Irenaeus’ Use of Matthew’s Gospel, p. 80s. et Reed, « Εὐαγγέλιον », p. 39, n. 72 réfutent tous deux l’hypothèse de Skeat concernant l’usage d’une source. Voir aussi A. R. Christman, ‘What Did Ezekiel See ?’ Christian Exegesis of Ezekiel’s Vision of the Chariot from Irenaeus to Gregory the Great, Leiden, 2005 (Bible in Ancient Christianity, 4), p. 14 (qui ne fait même pas mention de cette éventualité). 98 Je signale pour mémoire une autre hypothèse concernant une source d’Irénée, due à J. H. Crehan, « The Fourfold Character of the Gospel », dans Studia Evangelica, t. 1 : Papers Presented to the International Congress on ‘The Four Gospels in 1957’, Held at Christ Church, Oxford, 1957, éd. K. Aland et al., Berlin, 1959 (TU, 73), p. 9, qui ne se préoccupe pas de justifier l’existence d’une telle source, mais croit pouvoir l’identifier : « It is of course a peremptory matter to interpret the Apocalypse text [Ap 4, 7] in terms of the four Gospels …, but it is safe to say that the interpretation which does so goes back to Papias. It appears in Irenaeus and in Victorinus of Pettau, who are linked by no more than by the fact that they both used Papias ». En réalité, l’influence d’Irénée sur Victorin peut être considérée comme établie (voir Dulaey, Victorin de Poetovio, p. 280), ce qui ôte tout fondement à cette théorie.
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2. L’image de la divinité siégeant sur les Chérubins n’est pas ici à sa place, puisque les Vivants de l’Apocalypse entourent le trône de Dieu. 3. Les Chérubins sont décrits comme ayant quatre faces, ce qui ne s’applique pas aux Vivants de l’Apocalypse. 4. Irénée introduit la citation de l’Apocalypse au moyen de φησίν, bien qu’il ne cite nulle part ce livre ou son auteur dans ce passage. 5. On s’attendrait à ce que l’énumération des évangiles suive un ordre reconnu. Toutes ces anomalies disparaissent, remarque-t-il, si l’on se tourne vers Ézéchiel. Il en conclut : The foregoing investigation indicates, without a shadow of doubt, that the celebrated exposition of Irenaeus, or at any rate that part of it which related to the « Living Creatures » of the Apocalypse, was taken by him from an earlier source, which, starting from the vision of Ezekiel, went on to discuss the Apocalypse, with verbal quotations, and perhaps offering some explanation for the differing order there. Irenaeus, one must conclude, took the quotations from this source and never looked at the Apocalypse himself99.
En réalité, cette hypothèse repose sur des bases fragiles. Les trois premières anomalies disparaissent dès lors qu’on remarque que l’argumentation biblique d’Irénée ne repose pas uniquement sur Ap 4, 7, mais sur le lien qu’il opère entre Ps 79, 2 et ce texte par la médiation d’Ez 1 et 10. S’il ne cite pas plus l’Apocalypse qu’Ézéchiel, c’est peut-être à dessein, car son propos repose sur une assimilation entre leurs Chérubins et Vivants respectifs. Il se pourrait, dès lors, que l’ambiguïté du φησίν (quatrième anomalie) soit délibérée. Cette formule d’introduction (comprendre : « [l’Écriture] dit » ?) n’est d’ailleurs pas sans exemples chez Irénée et ne constitue donc pas une anomalie100. Enfin, comme je l’ai Skeat, « Irenaeus and the Four-Gospel Canon », p. 76s. L’exemple de 5.29.1, tout à fait probant, cité par Bingham, Irenaeus’ Use of Matthew’s Gospel, p. 81 est loin d’être isolé. Voir par exemple les citations d’Ac 4, 31 et 33 en 3.12.5, l. 160 et 163 ; le latin a inquit, qui traduit φησίν, comme le fr. gr. 17 (l. 14) permet de le vérifier dans le premier cas. Certes, ces deux citations interviennent dans une section où Irénée se fonde sur le livre des Actes, mais φησίν/inquit n’a aucun sujet exprimé dans le contexte. Voir aussi 2.24.4 (citation de Lc 8, 51) : inquit n’a pas non plus de 99
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noté, l’ordre des évangiles est dicté par la citation d’Ap 4, 7, si bien que la cinquième anomalie n’en est pas une non plus. Ainsi, aucun des éléments avancés par Th. C. Skeat ne suffit à fonder son hypothèse. De fait, la construction soignée du passage ne s’accorde guère avec l’idée qu’Irénée suivrait de près une source et en reprendrait littéralement une part significative. C’est à raison, donc, que l’hypothèse de Th. C. Skeat a été largement rejetée101. Le fait que, manifestement, Irénée ne reproduise pas de larges extraits d’une source littéraire suggère que ses célèbres pages sur le Quadruple Évangile représentent une élaboration propre. En revanche, cela n’implique pas ipso facto que le rapport entre les Vivants et l’Évangile soit de son invention, ni même qu’il ne s’inspire pas, plus librement, d’une source. Rejoignant Th. C. Skeat sur l’existence d’une source, le P. Bogaert développe une hypothèse alternative, qui repose sur la comparaison avec Hippolyte102 . Irénée inaugurerait l’identification de tel évangéliste avec tel Vivant, mais il tiendrait de la tradition antérieure le principe de l’identification globale des évangélistes aux
sujet exprimé dans le contexte ; dans les lignes précédentes, Irénée fait allusion à d’autres passages évangéliques, mais sans mentionner ni l’Évangile, ni un évangéliste. Le cas de 3.6.2, l. 43s. est à ranger dans la même catégorie : Et iterum, Filio loquente ad Moysen : Descendi, inquit, eripere populum hunc (Ex 3, 8). En effet, bien qu’il soit clair que le propos rapporté dans ce verset de l’Exode est prononcé par le Fils, si Filio loquente rend bien un génitif absolu, le sujet du inquit qui suit est probablement différent, ce qui invite à traduire : « … lorsque le Fils parle à Moïse, il est dit : Je suis descendu … ». J’ajoute un dernier exemple, indiscutable. En 3.10.3, le commentaire de la « connaissance du salut » évoquée dans le Cantique de Zacharie (Lc 1, 77) amène Irénée à constater que le Fils de Dieu peut être nommé « Salut », « Sauveur » ou « Vertu salvatrice » dans l’Écriture, ce qu’il illustre à l’aide, respectivement, de Gn 49, 18, Is 12, 2 et Ps 97, 2, sans qu’aucun locuteur ne soit mentionné. Or, comme dans notre passage, bien qu’il change encore une fois de livre biblique, Irénée introduit ensuite une citation de Lm 4, 20, au moyen d’un inquit (l. 99). 101 Voir Bingham, Irenaeus’ Use of Matthew’s Gospel, p. 80s. ; Reed, « Εὐαγγέλιον », p. 39, n. 72. 102 Les références aux textes d’Hippolyte et les équivalences qu’il établit entre les Vivants et les évangiles ont été indiquées ci-dessus, dans la n. 18. L’Hippolyte dont il est ici question est l’exégète (première moitié du iiie siècle) ; sur le problème hippolytéen, voir par exemple M. Simonetti, « Ippolito », dans Nuovo dizionario patristico, t. 2, col. 2584-2599.
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Quatre Vivants103. Soulignant les différences entre son texte et ceux d’Hippolyte, le P. Bogaert estime que le caractère assez isolé du système de correspondance entre les Vivants et les évangiles qu’on trouve chez ce dernier (le lion revenant à Mt, l’homme à Mc) « va dans le sens d’une antiquité vénérable ». Il ajoute : … le fait qu’[Hippolyte] commente l’Apocalypse est significatif, car dans la patristique grecque l’Apocalypse johannique est très tôt entrée en latence. Dès lors l’explication la plus simple est de supposer à Irénée et à Hippolyte une source commune qui mettait en évidence le caractère unique et tétramorphe de l’évangile en référence à Ap 4,7, mais sans identifier tel évangéliste à tel Vivant. Selon cette source, chacun des quatre évangiles est « hégémonique et royal » (Lion), sacerdotal et sacrificiel (Taureau), humain, passible et humble (Homme), spirituel et mobile (Aigle)104.
Tout en relevant, aussi, des contacts ponctuels entre les deux auteurs105, le P. Bogaert ne tranche pas la question de la connaissance d’Irénée par Hippolyte, mais il note que, si l’on admettait une dépendance, c’est très vraisemblablement à l’influence de l’ordre préétabli Mt – Lc – Mc – Jn qu’il faudrait attribuer la création par Hippolyte de son système de correspondance106. Cette hypothèse n’est pas non plus dépourvue de faiblesses. Premièrement, si d’une part Hippolyte connaît effectivement Irénée et que d’autre part l’influence d’un ordre particulier des évangiles explique la modification du système par Hippolyte, est-il encore nécessaire de postuler une source commune ? C’est d’autant moins évident qu’aucun des deux éléments avancés par le P. Bogaert au moment de formuler cette hypothèse ne lui apporte d’appui solide. Je commence par le second, à savoir l’usage de l’Apocalypse plutôt que d’Ézéchiel : si Hippolyte connaît Irénée, qui recourt principalement à Ap 4, 7, il a pu s’inspirer de lui sur ce point. Quant à l’ « antiquité vénérable » du système d’Hippolyte, qui semble être Bogaert, « Les Quatre Vivants », p. 465. Ibid., p. 467. 105 Le P. Bogaert pointe le recours à l’ordre des Vivants d’Ap 4, 7 et des similitudes dans l’expression des correspondances, dans la mesure où les versions permettent d’en juger (ibid., p. 466). Il faut y ajouter le fait qu’Ez 1, 10 joue un rôle à l’arrière-plan, implicitement chez Irénée (voir ci-dessus p. 135 s.), explicitement dans le Commentaire sur le Cantique d’Hippolyte (8.5ss.). 106 Bogaert, « Les Quatre Vivants », p. 468. 103
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avancée comme indice de l’usage d’une source antérieure à Irénée, elle disparaît si l’on admet, comme le P. Bogaert le suggère ensuite, qu’Hippolyte a lui-même créé ce système. Enfin, l’association globale entre les évangélistes et les Vivants qu’il prête à la source dont il fait l’hypothèse n’est évidente ni chez Irénée107, ni chez Hippolyte. De plus, la référence à l’Apocalypse aurait difficilement conduit à une telle identification, puisqu’il y est question de quatre créatures pourvues chacune d’une apparence propre, différente des autres. À mes yeux, il n’y aurait lieu de postuler une source commune que s’il était possible de montrer qu’Hippolyte n’a pas connu Irénée. Cependant, l’influence du premier sur le second, dont on trouve d’autres traces chez Hippolyte108, est d’autant plus probable que, d’après le témoignage de Photius, Hippolyte lui-même se disait disciple d’Irénée dans son Syntagma contre toutes les hérésies et présentait son œuvre comme un résumé du traité de ce dernier (évidemment l’Adversus Haereses)109. Ainsi, ni Theodore C. Skeat, ni le P. Bogaert n’ont réussi à donner consistance à la présence d’une source à l’arrière-plan du développement d’Irénée sur le Quadruple Évangile. Néanmoins, il y a au moins un indice qui pointe sérieusement dans cette direction. En effet, la faiblesse de l’argumentation de Skeat a masqué la pertinence d’une de ses observations : alors qu’en 11.8, Irénée énumère les évangiles dans l’ordre étrange qui résulte de leur mise en relation avec l’Apocalypse (Jn – Lc – Mt – Mc), l’ordre des faces
« À lire Adv. Haer. III,11,8 », écrit le P. Bogaert, « Les Quatre Vivants », p. 465, « il est clair que la première préoccupation d’Irénée est de montrer que les quatre évangiles solidairement correspondent aux qualités attribuées aux Quatre Vivants. Dans un second temps, Irénée procède à une identification précise des évangélistes ». Cette analyse me paraît contestable, car dans ce qui serait le premier temps (soit les l. 182-191), il n’est pas question des évangiles, mais de « l’activité du Fils de Dieu » (l. 183s.). À mon sens, la première préoccupation, telle que le P. Bogaert la définit, n’est pas présente dans le texte. 108 En ce qui concerne le Commentaire sur le Cantique, voir Smith, Hippolytus’ Commentary ‘On the Song of Songs’, qui souligne régulièrement l’influence irénéenne sur cet œuvre et les points communs entre les deux auteurs. Il évoque également la possibilité que ce commentaire dépende d’un commentaire perdu d’Irénée sur le même livre biblique (p. 42, n. 105). 109 Photius, Bibliothèque, cod. 121. 107
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des créatures d’Ézéchiel 1, 10 correspond exactement à l’ordre dit occidental des évangiles selon les correspondances décrites par Irénée : homme Mt Jn lion Lc veau Mc aigle Irénée, je l’ai dit, n’atteste nulle part l’ordre « occidental ». Il ne cite pas non plus les vivants dans l’ordre d’Ézéchiel. Cependant, aussi indirect et paradoxal que soit ce contact, il peut difficilement s’agir d’une simple coïncidence. Or, si l’on se refuse à voir là l’effet du hasard, comment expliquer ce lien entre Irénée et l’ordre « occidental » des évangiles ? Deux hypothèses peuvent être proposées. La première consisterait à voir dans l’ordre « occidental » un produit de l’influence d’Irénée : le lien entre les Vivants et les évangélistes aurait servi à arranger (ou réarranger) les évangiles. L’ordre qui résultait d’Ap 4, 7 (Jn – Lc – Mt – Mc) n’aurait pas été jugé satisfaisant, on lui aurait donc substitué celui d’Ézéchiel. Il faut alors supposer que l’ordre « occidental » serait apparu vers la fin du iie siècle (il serait donc moins ancien que l’ordre Mt – Lc – Mc – Jn familier à Irénée). À ma connaissance, cette datation serait compatible avec les données à disposition. Cette hypothèse expliquerait pourquoi Irénée n’atteste nulle part l’ordre « occidental », bien qu’il soit familier du texte « occidental ». Cependant, la diffusion géographique de l’ordre « occidental » (grec, latin, syriaque) et surtout sa prégnance dans la tradition vieille latine suggèrent qu’il pourrait être antérieur à Irénée. De plus, l’ordre « occidental » est susceptible de s’expliquer autrement que par le rapport avec la vision d’Ézéchiel : il comprend d’abord les évangiles attribués à des apôtres (Mt, Jn), puis ceux qui sont dus à des compagnons d’apôtres (Lc, Mc), rangés dans les deux cas par ordre de longueur décroissante – un principe qui a aussi servi, peut-être très tôt, pour disposer les épîtres pauliniennes110. Ainsi, le système de correspondances entre évangiles et Vivants qu’atteste Irénée peut 110 Ce principe est présent dans les deux éditions en circulation au iie siècle, celle que représente, notamment, le 𝔓46 et celle qu’utilisait Marcion (non sans exceptions dans ce cas), et il pourrait même remonter plus haut ; voir Gamble, Livres et lecteurs, p. 89-91.
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tout aussi bien, sinon mieux, être un produit de l’ordre « occidental » que l’inverse. Ces considérations incitent à formuler une autre hypothèse, qui a ma préférence. Irénée ne se soucie pas de faire correspondre les Vivants avec un ordre existant des évangiles, pas même celui qui lui était le plus familier : dans son développement, il se contente de suivre l’ordre d’Ap 4, 7. Cette façon de faire s’explique parfaitement si Irénée est au croisement de deux traditions : – d’une part, une tradition qui range les évangiles dans l’ordre Mt – Lc – Mc – Jn, sans doute pour des raisons chronologiques (selon la tradition rapportée par Clément d’Alexandrie). Comme je l’ai noté, il ne connaît pas forcément cette tradition en tant que telle, mais l’ordre qu’elle fonde est celui qui lui est familier (en tout cas le plus familier) dans son accès matériel au texte des évangiles ; – d’autre part, une tradition relative à l’ordre « occidental », qu’il connaît par le biais d’une source reliant les Vivants/ Chérubins d’Ézéchiel aux quatre évangiles, mais qui ne lui est pas familière en tant que façon d’arranger matériellement ces derniers dans un codex. Cette relation aurait été établie, peut-être de bonne heure111, en plaquant l’ordre des animaux selon Ez 1, 10 sur l’ordre « occidental » des évangiles. Dans ces conditions, on comprendrait aisément que, contrairement à ce que fera Hippolyte un demi-siècle plus tard, Irénée n’associe pas les Vivants à un ordre des évangiles : il se contenterait de reprendre des équivalences à l’origine établies selon l’ordre « occidental » et d’après Ez 1, 10. La préférence accordée à Ap 4, 7 serait parfaitement logique, car Irénée a besoin d’entités à la fois distinctes et complémentaires, comme le sont les quatre points cardinaux, les quatre vents, ou les quatre colonnes, car, pour lui, l’unité des évangiles n’est pas assurée par une parfaite identité, mais par l’Esprit qui les tient ensemble (l. 180). Les quatre créatures identiquement quadruples d’Ez 1, 10 auraient plus difficilement servi son propos. En outre, avec l’homme en troisième position, l’ordre de l’Apocalypse permet de faire correspondre les 111 Le fait que « l’application des quatre animaux apocalyptiques aux évangiles [soit] quelque peu forcée » ne me paraît pas être une raison suffisante pour en conclure, comme le fait von Campenhausen, La formation de la Bible chrétienne, p. 169 : « Évidemment, elle est apparue tardivement … ».
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Vivants non seulement avec les évangiles, mais aussi avec l’activité du Fils de Dieu. En abandonnant Ézéchiel pour l’Apocalypse, Irénée pouvait obtenir un résultat certes sans signification du point de vue de l’ordre des évangiles, mais théologiquement plus signifiant et mieux adapté à sa démonstration. Dans cette hypothèse, Irénée aurait donc une source, vraisemblablement littéraire, mais il lui devrait surtout un certain nombre d’idées fondamentales : le lien entre les Vivants et l’Évangile et le système de relation entre ceux-ci et les quatre évangiles. Peut-être faudrait-il y ajouter l’architecture du dossier biblique112 . En tout cas, puisqu’il fonde l’ordre « occidental », Ez 1, 10 jouait évidemment un rôle central dans cette source113. Je soulignerai une dernière conséquence de cette reconstruction : alors que le P. Bogaert attribue un rôle central à Ap 4, 7 dans la fixation d’un canon de quatre évangiles et suppose qu’Ez 1, 10 n’a pris de l’importance que secondairement, avec la mise en veilleuse de l’Apocalypse chez les Pères grecs114, je ferais plutôt l’hypothèse d’un mouvement de balancier. – Aux origines de la tradition, il n’y aurait pas Ap 4, 7, mais Ez 1, 10. Le fait que les deux des ordres anciens des évangiles qui sont le mieux attestés, à savoir l’ordre « occidental » et celui qui nous est familier, sont liés à ce second texte n’est peut-être pas fortuit. Le recours à un texte prophétique vétérotestamentaire pourrait pointer vers une époque où l’Apocalypse de Jean n’avait pas une autorité assez bien (ou En effet, bien que, comme je l’ai noté en évaluant l’argumentation de Skeat, le rôle d’Ez 1, 10 et des Chérubins ne soit pas, à lui seul, un indice suffisant en faveur d’une source, une fois l’hypothèse d’une source établie sur une autre base – la coïncidence remarquable entre le système « irénéen » de correspondances et l’ordre « occidental des évangiles », précisément via Ez 1, 10 –, on est fondé à se demander si le caractère quelque peu forcé de la démonstration biblique initiale ne s’expliquerait pas par le réemploi d’une argumentation biblique centrée sur les textes d’Ézéchiel et désignant les Vivants comme Chérubins. 113 Ce qui n’exclut pas forcément que la vision d’Ap 4 y ait joué un rôle secondaire. Quoi qu’il en soit, contrairement au P. Bogaert, je ne pense pas qu’une telle source se soit limitée à une correspondance globale entre les Vivants et les évangiles : les quatre faces distinctes qu’Ézéchiel attribue aux Vivants pouvaient suffire à établir des rapports individuels. 114 Bogaert, « Les Quatre Vivants », p. 458 et 474s. 112
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largement) établie. Un tel souci de fonder bibliquement le Quadruple Évangile supposerait par ailleurs qu’on ressentait plus vivement qu’au temps d’Irénée le besoin de le justifier, ce qui supposerait que leur rassemblement en une collection fermée était récent. Je n’exclurais même pas que le texte d’Ézéchiel ait accompagné l’émergence du Quadruple Évangile et lui ait dès le départ servi de justification théologique. Le recours à Ez 1, 10, avec ses quatre Vivants à quatre faces, avait l’avantage de mieux souligner l’unité du Quadruple Évangile. Dans un premier temps, le rapport établi devait concerner les Vivants et les évangiles de manière globale, ce qui expliquerait que les identifications individuelles aient pu varier115. Ce recours prophétique n’impliquait pas en lui-même la notion d’ordre ; il pourrait donc être antérieur à la réunion des évangiles en un seul volume, avant laquelle la question de l’ordre se posait de façon moins aiguë. – La diversité des ordres attestés entre le iie et le ive siècle suggère que la constitution de la collection des évangiles est antérieure à leur réunion en un seul codex et que, quand elle devint techniquement possible, celle-ci s’est faite selon divers principes de classement. De ce point de vue, les Vivants ne constituaient pas un bon point de départ, car ils ne sont susceptibles de fonder un ordre que moyennant une identification préalable. Il est plus vraisemblable que l’on ait ordonné les évangiles d’après d’autres critères (chronologie : Mt – Lc – Mc – Jn ou Mt – Mc – Lc – Jn ; dignité des évangélistes : Mt – Jn – Lc – Mc). C’est sur la base de ces ordres préétablis que se seraient développées, peu à peu, les correspondances (en elles-mêmes plus ou moins arbitraires) entre les évangiles et les Vivants, soit sur la base d’Ez 1, 10, soit sur celle d’Ap 4, 7, et c’est précisément à l’influence d’Irénée que serait due la mise en avant du second texte aux dépens du premier. Son témoignage suggère que l’émergence de divers systèmes de correspondances a été progressive (et la diffusion de son œuvre pourrait avoir accéléré ce processus). En effet, il ne 115 Le P. Bogaert me paraît avoir eu sur ce point une intuition féconde (voir le passage cité ci-dessus, p. 467), qu’il faut transposer sur l’origine de la tradition (au lieu de l’appliquer à une hypothétique source commune à Irénée et Hippolyte).
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connaît apparemment pas d’identification associée à l’ordre Mt – Lc – Mc – Jn. À son époque, le seul système existant était peut-être celui qu’il reproduit, basé sur l’ordre « occidental ». Le système basé sur Ap 4, 7 et l’ordre Mt – Lc – Mc – Jn, attesté par Hippolyte (qui pourrait en être le créateur), serait né sous l’influence d’Irénée. – Enfin, comme le remarque le P. Bogaert, les débats autour de la canonicité de l’Apocalypse auraient remis à l’honneur le texte d’Ézéchiel, qui est lié aussi bien à l’ordre « occidental » qu’à l’ordre devenu habituel. À moins qu’il ne remonte à une époque où le lien originel entre le symbolisme des Vivants et Ez 1, 10 était encore clairement perçu (soit vers la fin du iie siècle au plus tard), le système de correspondance qui a fini par s’imposer, produit de la rencontre entre l’ordre Mt – Mc – Lc – Jn et Ez 1, 10, illustrerait le retour au premier plan de cette dernière référence. c. Erreur des hérétiques qui reçoivent un nombre différent d’évangiles (3.11.9) Une fois le nombre des évangiles fermement établi, Irénée peut repartir à l’attaque des hérétiques en contestant cette fois-ci le fait même de ne pas admettre ce nombre. L’usage du vocabulaire de la figure ou de la forme (παρεισφέροντες εὐαγγελίων πρόσωπα, l. 58 ; illam speciem … quod est secundum Iohannem Euangelium, l. 247-249116) renvoie à la symbolique du § 8 et place ce développement dans la continuité du précédent. On retrouve cependant la polémique antihérétique : comme au § 7, Irénée passe en revue 116 En revanche, l’expression τὴν ἰδέαν τοῦ εὐαγγελίου (fr. 11, l. 56s.) se distingue probablement de ces exemples. Il ne serait certes pas impossible de la comprendre en relation avec les figures des Vivants, car species, qui pourrait traduire ἰδέα, est employé peu après dans ce sens (l. 247). Il faut cependant relever que c’est justement le lien avec notre passage qui a commandé l’adoption d’ἰδέα dans la rétroversion des Sources chrétiennes ; cf. Rousseau (SC, 210), p. 288s., n. 1 de la p. 173. Or species pourrait tout aussi bien traduire εἶδος à la l. 247 : cf. B. Reynders, Lexique comparé du texte grec et des versions latine, arménienne et syriaque de l’ « Adversus Haereses » de Saint Irénée, t. 2 : Index des mots latin, Louvain, 1954 (CSCO, 142 ; Subsidia, 6), p. 308, s.v. species. S’agissant de l’Évangile dans sa quadri-unité, le singulier ἰδέα se comprend plus naturellement comme désignant la forme qu’il revêt en tant que recueil de quatre évangiles séparés, sans référence directe aux diverses formes des Vivants.
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divers groupes en dénonçant leurs dérogations au principe du Quadruple Évangile. Il se limite toutefois à trois groupes, qui ne se recoupent que partiellement avec ceux du § 7 : 1. Marcion, « qui rejette tout l’Évangile ou, pour mieux dire, qui se retranche lui-même de l’Évangile, ne s’en vante pas moins de posséder une partie de cet Évangile »117 (l. 242-245) ; 2. un groupe sans désignation précise (alii), qui, « pour rejeter le don de l’Esprit répandu aux derniers temps sur le genre humain (Jl 3, 1 ; Ac 2) selon le bon plaisir du Père » (l. 245247), rejette Jn à cause de la promesse du Paraclet (Jn 15, 26) et Paul en raison de ses textes sur le charisme prophétique (1 Co 12 et 14)118. En revanche, étant donné qu’Irénée ne mentionne que Jn, il est vraisemblable que ce groupe recevait les trois autres évangiles. Il s’agit clairement d’une tendance antimontaniste extrême. « Ce groupe n’est pas hérétique mais ; c’est pourquoi aucun nom n’est ici prononcé », catholique remarque von Campenhausen119. Toutefois, il ne fait guère de doute que, pour sa part, Irénée les considère comme hérétiques : il les range avec Marcion et Valentin et il considère que leur rejet du charisme prophétique équivaut au péché irrémissible de blasphème contre l’Esprit (Mt 12, 31-32) ; 3. les Valentiniens, « qui se vantent de posséder plus d’Évangiles qu’il n’en existe » (l. 262s.). Le principal reproche que leur
117 Ces lignes illustrent la souplesse de l’emploi irénéen d’« Évangile ». La première occurrence peut soit avoir son sens théologique de message du salut, soit renvoyer spécialement au Quadruple Évangile (que, quoiqu’il en garde une partie, Marcion refuse d’admettre dans sa totalité : totum reiciens Euangelium), à moins qu’Irénée ne joue sur ces deux significations (le rejet du Quadruple Évangile étant ipso facto rejet du message salutaire qu’il contient). Le sens théologique prime évidemment dans la seconde occurrence, mais seipsum abscidens ab Euangelio est une allusion malicieuse au sort que Marcion avait réservé à Lc (id [scil. euangelium] quod est secundum Lucam circumcidens), ce qui renvoie à la dimension littéraire de l’Évangile. Celle-ci réapparaît d’ailleurs pleinement dans la dernière occurrence, puisque la partem … Euangelii renvoie à son évangile, considéré du point de vue orthodoxe comme partie du Quadruple Évangile ; cf. Rousseau (SC, 210), p. 287s. 118 Bien qu’Irénée ne l’indique pas, le rejet de Paul et la réticence face à la prophétie devaient également entraîner le rejet des Actes des Apôtres. 119 Von Campenhausen, La formation de la Bible chrétienne, p. 193, n. 248.
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fait Irénée est d’avoir intitulé Évangile de vérité120 un ouvrage de leur composition, alors qu’il ne saurait y avoir d’« Évangile de vérité » en dehors de « ceux que nous ont transmis les apôtres ». Cette controverse sur l’Évangile de vérité ramène au thème de la vérité de l’Évangile et permet à Irénée d’introduire une brève conclusion (l. 272-278), qui récapitule les thèmes principaux de l’exposé : – seuls les évangiles des apôtres sont « vrais et solides (uera et firma) », ce qui renvoie à l’affirmation initiale du § 7 sur leur firmitas (§ 7) ; – leur nombre ne saurait être ni supérieur, ni inférieur, ce qui renvoie à l’affirmation initiale du § 8 ; – « puisque Dieu a fait toutes choses avec harmonie et proportion, il fallait que la forme sous laquelle se présente l’Évangile fût, elle aussi, harmonieuse et proportionnée », ce qui, comme je l’ai relevé, renvoie plus généralement à l’argumentation du § 8, qui a mis en lumière les relations que la forme quadruple de l’Évangile entretient avec la disposition du monde, avec l’activité du Fils de Dieu et avec les quatre alliances données à l’humanité. Les dernières lignes (l. 278-282) closent l’ensemble des § 9-11 en faisant une nouvelle mention des « commencements des évangiles » (cf. 11.7, l. 150). d. La construction de la section 3.11.7-9 Au premier abord, il est tentant de lire les § 7 à 9 du chapitre 11 comme un triptyque, dont les parties initiale (§ 7) et finale (§ 9), dirigées contre les hérétiques, entoureraient un développement théologique presque indépendant (§ 8). De fait, à un niveau superficiel, la correspondance indéniable entre les § 7 et 9 oriente 120 L’identité entre le texte mentionné par Irénée sous ce titre et l’écrit commençant par ces mêmes mots dont une version copte a été retrouvée à Nag Hammadi (NHC, 1.3 ; 12.2) n’est pas unanimement admise, mais cette hypothèse ne manque pas de vraisemblance. Comme le relève Einar Thomassen, « la coïncidence serait trop invraisemblable s’il s’agissait de deux écrits tout à fait distincts » : voir E. Thomassen, A. Pasquier, « Évangile de la vérité (NH I, 3 ; XII, 2) », dans Écrits gnostiques. La bibliothèque copte de Nag Hammadi, éd. J.-P. Mahé, P.-H. Poirier, Paris, 2007 (Bibliothèque de la Pléiade, 538), p. 45.
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dans cette direction. Cependant, si l’on reprend la conclusion de l’ensemble que je viens d’analyser, on constate que les trois éléments que j’ai relevés se ramènent en fait à deux thèmes principaux : d’une part, la firmitas des évangiles, objet du § 7 ; d’autre part, leur nombre, objet des § 8 et 9. Le fait qu’Irénée considère qu’il a prouvé deux points, qui correspondent respectivement aux § 7 et 8-9, confirme cette lecture : Mais [1] que, en fait, les Évangiles des apôtres soient les seuls vrais et solides et [2] qu’il ne puisse en exister ni un plus grand nombre ni un plus petit nombre qu’il n’a été dit, nous l’avons abondamment montré (l. 272-275).
De fait, seuls les § 7 et 8 s’ouvrent par l’énoncé d’une thèse, tandis que le § 9 ne fait que reprendre le résultat du développement précédent (τούτων … οὕτως ἐχόντων, fr. 11, l. 55). Il faut donc lire les § 7 à 9 non comme un triptyque, mais comme un diptyque formé de deux parties de longueur inégale, dont la seconde se subdivise à son tour en deux ensembles : § 7 Les évangiles de Mt, Lc, Mc et Jn ont une autorité incon testable (démonstration par l’usage hérétique). § 8-9 Ils forment l’unique Évangile sous quatre formes : § 8 il ne peut y avoir ni plus ni moins d’évangiles (démon stration et approfondissements biblique et théologique) ; § 9 il ne faut utiliser ni plus ni moins que ces évangiles (application polémique)
Ces deux parties se différencient par le type de démonstration employé et par la stratégie polémique. Dans la première, démonstration et polémique sont étroitement associées, puisque c’est précisément l’usage des hérétiques qui prouve la thèse. Dans la seconde, au contraire, Irénée juge nécessaire d’accompagner la démonstration de sa thèse d’un ample approfondissement biblique et théologique, avant d’en exploiter le résultat contre les hérétiques. Par ailleurs, même s’il y est déjà question des quatre évangiles (mais, de façon significative, sans référence au nombre quatre), le § 7 envisage les évangiles dans leur pluralité et leur individualité121, tandis que, dans les § 8 et 9, l’accent se déplace des évan121 Au § 7, si l’on met à part la première phrase (l. 150-155), dont j’ai montré qu’elle constitue la conclusion du développement précédent, le terme « Évangile » n’a jamais la valeur collective qu’il assume souvent chez Irénée
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giles à l’Évangile considéré, dans la complémentarité de ses parties, comme ensemble tétramorphe harmonieux122 . La question de l’architecture de 11.7-9 n’a rien d’accessoire. Lire ces chapitres comme un triptyque ferait considérer le § 7 comme une simple introduction au § 8 et ferait de ce dernier le centre de l’excursus sur les évangiles et l’Évangile, que l’on devrait alors considérer comme un excursus sur le Quadruple Évangile. En revanche, la reconnaissance de la structure binaire des § 7-9 permet de mettre en lumière le fait qu’Irénée pose deux thèses complémentaires, mais différentes. En même temps, la différence de traitement de l’une et de l’autre est significative : – au § 7, Irénée présente l’autorité des évangiles comme un acquis, en faveur duquel même l’usage des hérétiques témoigne. Il faut évidemment faire la part du procédé rhétorique, habile certes, mais peut-être un peu rapide. Cependant, cette rapidité même est révélatrice : Irénée ne ressent pas la question de l’autorité de chacun des quatre évangiles comme un problème majeur, même s’il ne peut évidemment invoquer une reconnaissance universelle. C’est davantage leur interprétation qui est en jeu ; – l’ampleur du développement biblico-théologique du § 8 et, dans une moindre mesure, le caractère plus développé de l’argumentation anti-hérétique montrent que la conception de
(et qu’il assumera notamment aux § 8-9) : il apparaît seulement au pluriel pour désigner les (quatre) évangiles (l. 156 ; voir aussi nostra de illis ostensio, l. 174, où illis renvoie aux évangiles) ou au singulier en référence à l’un d’eux (eo Euangelio quod est secundum Matthaeum, l. 159 ; id quod est secundum Lucam, l. 16s. ; id quod secundum Marcum est … Euangelium, l. 166s. ; pour Jn, l. 168s., le terme Euangelium est sous-entendu). De même, Irénée emploie le pluriel lorsqu’il reprend la thèse du § 7 à la fin du § 9 : Quoniam autem sola illa uera et firma … (l. 273). 122 La dialectique de l’unité et de la pluralité des évangiles (§ 8) et la polémique contre l’usage d’un nombre d’évangiles inférieur ou supérieur à quatre (§ 9) expliquent évidemment que l’usage du pluriel se maintienne, notamment dans l’énoncé de la thèse : Neque autem plura numero quam haec sunt neque rursus pauciora capit esse Euangelia (§ 8, 175s. ; autres occurrences : l. 197 ; § 9, l. 263. 266 ; à quoi s’ajoute 274s. dans la conclusion générale des § 7-9). Cependant, ces usages du pluriel (quatre occurrences, sans prendre en compte la conclusion générale) sont nettement supplantés par une bonne vingtaine d’occurrences du singulier.
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la quadri-unité de l’Évangile appelle un traitement plus circonstancié et représente un enjeu bien plus considérable. Cette analyse amène à nuancer le jugement de von Campenhausen, pour qui, voulant « établir la crédibilité et la valeur du témoignage [des livres néotestamentaires], à partir desquels il veut prouver l’enseignement originel de Jésus et des apôtres, de sorte que même les hérétiques n’y pourront contredire », Irénée aurait un effort particulier à fournir pour les évangiles : À cet effet, il n’a pas besoin de défendre les épîtres de Paul : elles sont admises aussi par les adversaires. Mais pour les « livres historiques » du Nouveau Testament il faut encore fournir une preuve qui soit une garantie. Irénée est le premier à le tenter123.
En réalité, il est difficile de faire des distinctions aussi nettes. Au sein du livre 3, tant 11.7 et 9 que 13.1–15.1 montrent qu’en matière d’autorité des livres bibliques, Irénée doit combattre sur plusieurs fronts. Ainsi, aux ch. 13 et 14, il affronte ceux qui acceptent Paul, mais rejettent le témoignage de Luc dans les Actes, tout en admettant Lc (partiellement s’agissant de Marcion). En 15.1, par contre, il se tourne contre ceux qui rejettent Paul et les Actes, tout en recevant Lc. Cet exemple montre clairement que les livres à défendre varient selon les fronts polémiques et que les épîtres de Paul peuvent aussi être concernées. Par ailleurs, la place réservée à ces questions montre bien leur caractère secondaire : Irénée les traite après avoir exposé le témoignage des apôtres concernés124 ; il ne s’agit donc pas d’un préalable indispensable. Il faut concéder à von Campenhausen que la position des Actes est effectivement la plus fragile, mais, en ce qui concerne les évangiles (11.7), Irénée peut se contenter d’affirmer leur autorité individuelle sans ressentir le besoin d’une démonstration en bonne et due forme. Les ch. 14 et 15 en fournissent une démonstration éclatante puisque Irénée 123 Von Campenhausen, La formation de la Bible chrétienne, p. 164. De même, à la p. 170, à propos des Actes : « … il s’agit d’abord – comme pour les évangiles – de montrer que les Actes des Apôtres sont réellement authentiques, et que par conséquent ils ont le même caractère normatif et contraignant que ceux-ci ». 124 Comme je l’ai indiqué, l’excursus relatif aux évangiles et à l’Évangile (11.7-9) suit l’examen du témoignage des évangélistes (9.1–11.6) ; quant à la défense des Actes et de Paul (13.1–15.1), elle intervient après celui des autres apôtres (12).
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s’appuie sur l’acceptation de Lc pour établir l’autorité des Actes. La firmitas des évangiles pris individuellement n’est donc pas particulièrement problématique. En revanche, le principe même du Quadruple Évangile comme collection complète et complémentaire ne va pas sans démonstration, ce qui restera à apprécier du point de vue de l’histoire du canon. 3. Le quadruple Évangile dans l’Adversus Haereses en dehors de 3.11.7-9 Je me contenterai de quelques brèves remarques sur le rapport d’Irénée aux évangiles et à leur texte dans le reste de l’Adversus Haereses. Je traiterai ensuite du rapport entre Évangile et tradition orale des paroles de Jésus. 1. Dans la droite ligne de 3.11.8, « l’Évangile » désigne régulièrement le recueil des quatre évangiles. En particulier, la formule in Euangelio125 renvoie souvent à un passage précis de ce recueil126 ; quelquefois elle vise un évangile particulier. La 125 Sur les occurrences de ἐν τῷ εὐαγγελίῳ, voir Reed, « Εὐαγγέλιον », p. 31s. 126 Le cas de 1.20.2 constitue une exception seulement apparente. La traduction de la première phrase par Rousseau et Doutreleau donne l’impression qu’Irénée considérerait que les textes qu’il cite ou mentionne, sans doute d’après une source marcosienne, figureraient dans l’Évangile, ce qui pose en particulier problème dans le cas de l’agraphon des l. 28s. (proche d’Évangile de Thomas 38a) : « Ils détournent aussi dans le même sens certaines paroles figurant dans l’Évangile ». Irénée dénoncerait simplement un détournement interprétatif de paroles évangéliques. Tel n’est cependant pas exactement le sens du texte grec, qui nous est conservé : Ἔνια δὲ καὶ τῶν ἐν τῷ Εὐαγγελίῳ κειμένων εἰς τοῦτον τὸν χαρακτῆρα μεθαρμόζουσιν (fr. gr. 2, l. 814). En réalité, μεθαρμόζω signifie « adapt » ou « in bad sense, pervert » : G. W. H. Lampe, A Greek Patristic Lexicon, Oxford, 1961, p. 837, s.v. Ce sens apparaît très clairement dans la formule très semblable en 1.11.1 (fr. gr. 1, l. 1197-1199). Il faut donc traduire de préférence : « Ils adaptent aussi, dans le même sens, des paroles figurant dans l’Évangile », ce qui suppose non seulement un détournement interprétatif, mais aussi une manipulation du texte. Il suffit dès lors qu’un texte ait un certain rapport avec une parole évangélique pour être inclus dans cette catégorie. Or l’agraphon est dans ce cas : il évoque Mt 13, 17 et Lc 10, 24. Cela explique aussi pourquoi Irénée ne prend pas la peine de relever ensuite que certaines des exégèses qu’ils rapportent se fondent sur un texte différent du texte orthodoxe. Il est donc inexact qu’Irénée « ne conteste pas l’autorité, mais seulement l’interprétation » de l’agraphon qu’il rapporte, comme l’affirme Y.-M. Blanchard, Aux sources du canon, le témoignage d’Iré-
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seule occurrence d’in Euangeliis apparaît dans un passage où il importe de souligner la pluralité du témoignage des évangiles (2.22.3). 2. À côté de citations précises, Irénée se sent la liberté de former des citations composites, résumées, approximatives127. L’unité du Quadruple Évangile l’emporte alors sur le respect des présentations individuelles, mais celles-ci sont prises en compte avec une attention inédite. En ce qui concerne les paroles de Jésus, il importe de noter, me semble-t-il, que la liberté avec laquelle Irénée les cite atteste certes, pour une part, que les paroles du Seigneur conservent une autonomie qui permet cette flexibilité dans l’usage qui en est fait, mais qu’elle est aussi, et tout autant, la conséquence et le signe du fait que la référence aux paroles de Jésus passe désormais par la référence à une pluralité de témoignages écrits faisant autorité128. La pratique d’Irénée dans l’Adversus Haereses s’avère ainsi être en accord avec ses conceptions théoriques. L’Évangile est à proprement parler le message du salut transmis par le Christ aux apôtres, mais il est désormais accessible dans des Écritures et le
née, Paris, 1993 (Cogitatio fidei, 175), p. 190. En réalité, la phrase introductive ôte tout crédit à l’usage marcosien du texte évangélique. 127 Voir Stanton, Jesus and Gospel, p. 67. Aux exemples qu’il cite, on peut ajouter le cas étonnant de 5.13.1, où, mentionnant trois récits évangéliques de résurrection (la fille de Jaïre, le fils de la veuve, Lazare), Irénée non seulement désigne à tort la fille de Jaïre comme fille « du grand prêtre » (contrairement à 1.8.2, où elle apparaît correctement comme la fille « du chef de la synagogue », cf. Mc 5, 22 ; Lc 8, 41), mais encore, délibérément ou non, mélange les détails des deux premiers récits. « Il y a là, comme le note Rousseau (SC, 152), p. 261 (n. 1 de la p. 165), une petite énigme … ». La solution avancée par Blanchard, Aux sources du canon, p. 214s. (mélange entre Lc et la tradition des logia ; voir plus bas, p. 158) paraît inutilement compliquée et ne rend guère compte du problème, qui réside dans l’association de détails pris à deux récits évangéliques. On s’attendrait à ce que les trois cas soient traités indépendamment ; aussi n’est-il pas impossible qu’il faille envisager un accident de transmission dû à la perte d’une partie du texte et/ou à l’insertion au mauvais endroit de corrections marginales. 128 Voir, par exemple, le cas du dialogue de Jésus avec un légiste sur le premier commandement en Démonstration 87, qui, comme je le signale dans la n. 146, ci-après, associe des éléments matthéens et marciens.
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terme « Évangile » est devenu une désignation commune du recueil rassemblant les quatre évangiles d’origine apostolique. C’est cet « Évangile » qui constitue la voie d’accès habituelle et privilégiée aux paroles de Jésus et aux événements de sa vie. De fait, la tradition orale reste une voie d’accès possible. L’exemple de 5.33.3 l’illustre : Irénée cite d’après Papias (ou d’après Papias et une tradition orale129) des paroles de Jésus sur l’abondance qui caractérisera le millénium. Si Irénée en appelle à cette tradition, c’est que la chaîne des témoins présente à ses yeux toutes les garanties nécessaires (soit qu’elle soit attestée par le seul Papias, soit que le témoignage de ce dernier soit complété par celui d’une autre source) : Jésus > Jean > presbytres qui ont vu Jean > Papias (+ autre source ?)
Cet exemple est d’ailleurs paradoxal, car il s’agit d’une tradition orale (au moins partiellement) sous forme écrite. Cela montre combien l’usage de la tradition orale est devenu problématique à la fin du iie siècle. Irénée insiste avec emphase sur l’autosuffisance de la tradition authentique (3.4.2), mais en pratique ce canal convient surtout pour les grands articles de la foi. Dès qu’il s’agit de se référer aux paroles de Jésus ou à l’enseignement des apôtres, la référence est, presque toujours, écrite. Comme le note Enrico Norelli, [Irénée] déplace décidément le centre de gravité de l’oral à l’écrit […] le témoignage de et sur Jésus et les apôtres est objectivé et réifié dans une série d’écrits, à l’exclusion d’autres écrits et de la tradition orale (même si celle-ci n’est pas formellement refusée en tant que telle)130.
129 Ce point est très disputé ; voir la discussion d’E. Norelli, Papia di Hierapolis, Esposizione degli oracoli del Signore. I frammenti, Milano, 2005 (Letture cristiane del primo millennio, 36), p. 194-199. 130 E. Norelli, « Le statut des textes chrétiens de l’oralité à l’écriture et leur rapport avec l’institution au iie siècle », dans Recueils normatifs et canons dans l’Antiquité : Perspectives nouvelles sur la formation des canons juif et chrétien dans leur contexte culturel. Actes du colloque organisé dans le cadre du programme plurifacultaire La Bible à la croisée des savoirs de l’Université de Genève, 11-12 avril 2002, éd. E. Norelli, Lausanne, 2004 (Publications de l’Institut romand des sciences bibliques, 3), p. 186 et 187.
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Excursus : la thèse d’Y.-M. Blanchard Cette conclusion va à l’encontre de celles d’Yves-Marie Blanchard, qui souligne l’importance qu’aurait chez Irénée la tradition orale131. Tout en reconnaissant la familiarité d’Irénée avec Lc et Jn, ainsi qu’avec les récits matthéens de l’Enfance, et tout en relevant la très large convergence textuelle de nombreuses citations avec Mt, le P. Blanchard privilégie l’hypothèse d’un usage non de Mt, mais de traditions de logia déjà utilisées par le rédacteur de cet évangile : le paradoxe demeure qu’en un temps où les évangiles sont constitués et malgré le fait qu’ils soient connus d’Irénée, l’évêque de Lyon continue de se référer au ministère de Jésus, essentiellement par le biais de paroles reçues d’une tradition antérieure à leur fixation sous la forme écrite d’un récit évangélique à la manière synoptique. (…) au temps d’Irénée, la mémoire vivante des paroles du Seigneur paraît constituer le canal privilégié de la Tradition chrétienne132 .
Une telle position est singulièrement peu économique, puisqu’elle tend à écarter l’usage d’une source qu’Irénée non seulement connaît et cite, mais encore à laquelle il attache la plus haute autorité, au profit de traditions dont il ne fait aucune mention et dont l’usage privilégié jusqu’à la fin du iie siècle – sinon l’existence même à cette époque – sont purement hypothétiques. Il faudrait, en outre, admettre une différence majeure entre les affirmations théoriques d’Irénée sur l’autorité du Quadruple Évangile et sa pratique réelle, puisque, tout en exaltant l’autorité des évangiles écrits que possède l’Église, il leur préférerait le plus souvent une tradition orale. Il ne saurait être question, dans le cadre limité de cette contribution, d’examiner dans le détail l’argumentation du P. Blanchard. Je me limiterai à discuter un cas particulièrement significatif, qui, selon lui, « [permettrait] de relativiser l’idée selon laquelle l’expres-
Voir Blanchard, Aux sources du canon, ainsi que Y.-M. Blanchard, « Irénée de Lyon, témoin et acteur d’un canon en genèse », Communio, 37 (2012), p. 53-64. Sur les thèses du P. Blanchard, voir également les remarques très pertinentes formulées par Bovon, Norelli, « Dal Kerygma al canone », p. 431-434. 132 Blanchard, Aux sources du canon, p. 221. 131
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sion ‘dans l’Évangile’ induirait forcément une référence livresque » et sur lequel il se base pour conclure que « même lorsqu’il s’appuie en fait sur une citation tirée du livre, le mot ‘Évangile’ désigne moins un texte de référence que la Tradition d’ensemble dont se fait écho telle citation … »133. En fait, ce passage bien connu (2.22.5) autorise difficilement une telle conclusion, mais il a l’intérêt d’illustrer la façon dont Irénée articule les données que lui fournissent les quatre évangiles et la tradition des presbytres – une tradition « orale » qui, en l’occurrence, pourrait lui être parvenue par les écrits de Papias, encore que ce point reste incertain134, ou éventuellement par une autre source écrite. Convaincu que Jésus a passé par tous les âges de la vie (22.4), Irénée combat l’idée, adoptée (notamment) par ses adversaires gnostiques135, selon laquelle Jésus aurait prêché une seule année, idée basée sur l’évocation d’ « une année de grâce » dans l’Évangile (Lc 4, 19 citant Is 61, 2). Voici l’essentiel de son argumentation en 22.5 : Quand il vint au baptême, il n’avait point encore accompli sa trentième année, mais était au début de celle-ci. Luc indique en effet l’âge du Seigneur en ces termes : ‘Jésus commençait sa trentième année’ [Lc 3, 23], lorsqu’il vint au baptême. S’il a prêché pendant une seule année à partir de son baptême, il a souffert sa Passion à trente ans accomplis, alors qu’il était encore un homme jeune et n’avait point encore atteint un âge avancé. […] ce n’est qu’à partir de la quarantième, voire de la cinquantième année qu’on descend vers la vieillesse. C’est précisément cet âge-là qu’avait Ibid., p. 153. À la suite d’A. Harnack, Geschichte der altchristlichen Litteratur bis Eusebius, 2 e partie : Die Chronologie, t. 1 : Die Chronologie der Litteratur bis Irenäus, nebst einleitenden Untersuchungen, Leipzig, 1897, p. 333-340, n. 2 de la p. 333, certains savants ont considéré que Papias était la source des traditions qu’Irénée attribue à des presbytres (au pluriel ; le cas du presbytre cité en 4.27.1-32, 1 est à part) ; toutefois, comme le relève Norelli, Papia di Hierapolis, p. 532, on ne dispose pas d’arguments suffisants pour considérer tous ces passages comme des fragments de Papias (voir aussi sa discussion aux p. 194-199). 135 Cette chronologie courte du ministère de Jésus jouissait également d’une grande diffusion dans la Grande Église. Les témoignages patristiques sur la durée du ministère de Jésus sont commodément réunis par U. Holz meister, Chronologia vitae Christi, Romae, 1933 (Scripta Pontificii Instituti Biblici), p. 111-129. 133
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christophe guignard notre Seigneur lorsqu’il enseigna : l’Évangile l’atteste, et tous les presbytres d’Asie qui ont été en relation avec Jean, le disciple du Seigneur, attestent eux aussi que Jean leur transmit la même tradition, car celui-ci demeura avec eux jusqu’aux temps de Trajan. Certains de ces presbytres n’ont pas vu Jean seulement, mais aussi d’autres apôtres, et ils les ont entendus rapporter la même chose et ils attestent le fait.
Irénée complète ensuite sa démonstration en citant la question adressée à Jésus par les Juifs en Jn 8, 57 : « Tu n’as pas encore cinquante ans, et tu as vu Abraham ? » « Une telle parole, commente-t-il, s’adresse normalement à un homme qui a dépassé déjà la quarantaine et qui, sans avoir encore atteint la cinquantaine, n’en est cependant plus très loin » (§ 6). Selon le P. Blanchard, « la formule ‘l’Évangile l’atteste’ » (§ 5) serait employée pour contredire l’affirmation explicite de Lc 3, 23 sur l’âge de Jésus à son baptême. Dans ce passage, le mot Évangile désignerait « la tradition reçue des presbytres, en un point précis où cette tradition contredit les données du texte lucanien auquel Irénée fait pourtant allusion en toute connaissance de cause, puisqu’il cite le nom de Luc ». Il en conclut : … bref, le mot “Évangile” n’est pas plus lié à l’écrit qu’à l’oral : il exprime seulement la tradition reçue des apôtres, et c’est cette tradition vivante, qu’elle soit transmise par l’enseignement oral ou fixée dans un texte écrit, qui intéresse Irénée et fonde son raisonnement, lequel repose sur des arguments de convenance théologique, sans préjuger de la plus ou moins grande valeur des documents écrits par rapport aux traditions orales136.
Cette conclusion s’appuie toutefois sur deux prémisses qui mériteraient d’être démontrées : d’une part, qu’Irénée contredit vraiment Lc 3, 23 ; d’autre part, que la formule sicut Euangelium et omnes seniores testantur (l. 139s.) se réfère uniquement au témoignage des presbytres. En fait, il est aisé d’établir le contraire. Concernant le premier point, loin de contredire l’affirmation de Lc, Irénée la reprend à son compte aux l. 127-129 (et déjà au § 4, l. 93s.)137. Concernant le second, la formule Euangelium et omnes Blanchard, Aux sources du canon, p. 153. D’ailleurs, ce point est admis par le P. Blanchard lui-même dans un autre passage, où il évoque « l’appel à l’autorité de Luc dans le cadre d’un débat sur l’âge du Christ » (ibid., p. 204), sans le mettre en question. Malheu136 137
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seniores suppose évidemment deux attestations différentes, celle de l’Évangile et celle des presbytres (en l’occurrence, ceux qui ont été en relation avec Jean). Il reste alors à se demander quelle est cette attestation de l’Évangile. Soit Irénée pense déjà à Jn 8, 56s. – mais, si tel est le cas, on se demande pourquoi il présente ce passage comme une attestation fournie par les Juifs qui discutaient avec Jésus plutôt que comme une attestation fournie par l’Évangile –, soit, plus simplement, il considère, sans viser un passage particulier, que les évangiles supposent nécessairement un âge bien supérieur à 30 ans lorsqu’ils montrent Jésus enseigner et être appelé « maître »138. Il n’y a donc aucune raison d’affirmer que la référence à l’Évangile viserait ici la tradition orale. Au contraire, Irénée invoque à la fois le témoignage des évangiles et celui de la tradition des presbytres. Ce cas est intéressant. Aux yeux d’Irénée, chacune des deux attestations est sans doute suffisante en elle-même. Néanmoins, défendant un point de vue qui était loin d’être unanimement accepté dans la Grande Église (dont beaucoup de représentants rejoignaient sur ce point les adversaires gnostiques d’Irénée), sans doute ressent-il la preuve biblique comme potentiellement insuffisante pour emporter la conviction. Aussi invoque-t-il en compléreusement, Irénée n’explicite guère ses vues ; cf. Holzmeister, Chronologia vitae Christi, p. 100. Manifestement, selon lui, à son baptême Jésus était trop jeune pour enseigner (voir l. 126). Il semble avoir considéré qu’il était alors au début de sa trentième année, mais qu’il fallait avoir dépassé trente ans et sans doute ne plus être un homme jeune (iuuenis) pour devenir un maître (cf. l. 127-138). Irénée estime donc que Jésus a commencé à enseigner (sans doute largement) après trente ans et, pour qu’il ait vécu tous les âges de la vie, il ne peut concevoir qu’il soit mort avant (le début de) la vieillesse (aetatem seniorem, l. 138, grosso modo entre quarante et cinquante ans, d’après le contexte). Il faut relever que la présentation de Mt et de Mc suppose un laps de temps indéterminé entre le baptême et le début du ministère de Jésus, puisque sa prédication en Galilée intervient après que Jean le Baptiste a été livré (Mt 4, 12 ; Mc 1, 14) ; cette constatation pourrait avoir facilité une telle extension chronologique de la vie de Jésus. 138 Cette seconde possibilité trouve appui dans la remarque de Reed, « Εὐαγγέλιον », p. 33 : « The latter category (i. e. πρεσβύτεροι) is clearly an oral tradition ; Irenaeus subsequently specifies that its chain of transmission originated with those who both saw and heard the apostles. Consequently, we can infer that εὐαγγέλιον here refers neither to a single gospel document nor to the entire Christian truth in all of its manifestations. Rather, it denotes the written gospel tradition as a whole ».
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ment le témoignage des presbytres d’Asie. Bien qu’il ne détaille pas précisément son contenu, cette tradition offrait sans doute une attestation claire du fait que Jésus aurait enseigné à un âge déjà relativement avancé. Il est donc tout à fait significatif qu’Irénée ne recoure à cette tradition que de façon subsidiaire et qu’il accorde la première place à l’Évangile écrit, quand bien même la preuve que celui-ci fournit exige une démonstration plus longue et laborieuse. Ainsi, ce passage illustre non seulement la valeur que conserve la tradition orale (pour autant qu’elle présente les garanties d’authenticité nécessaires), mais aussi la prééminence acquise par le témoignage des évangiles. L’argumentation du P. Blanchard ne suffit pas à établir un large recours à des traditions orales à côté des évangiles chez Irénée. Comme le remarque Christian Amphoux dans sa recension : On est frappé à la fois par l’absence de paroles ne figurant pas dans les évangiles139, et tantôt par la littéralité de la citation, tantôt par son caractère harmonisant ; il est plus vraisemblable qu’Irénée dispose de plusieurs exemplaires des évangiles140 …
Je terminerai par deux brèves remarques en écho à d’autres points soulevés par le P. Blanchard. 1. Le fait qu’Irénée fasse peu de références explicites à Mt, contrairement à Lc, ne signifie pas qu’il privilégie le second. Au contraire, la prépondérance de Mt dans ses citations suggère que cet évangile est la référence tacite et que Lc est cité en complément141. 2. L’indépendance des paroles citées par rapport à leur contexte narratif, que le P. Blanchard relève régulièrement dans son analyse, s’explique tout simplement par le fait que ce contexte
139 La même remarque était déjà formulée par Bovon, Norelli, « Dal Kerygma al canone », p. 533. 140 Amphoux, « Aux sources du canon », p. 307 ; pour son hypothèse concernant ses exemplaires, voir n. 6. 141 Voir Blanchard, Aux sources du canon, p. 207 (et plus généralement 199-207). Quant au fait que les références à Matthieu concernent toutes les récits de l’enfance, il ne signifie pas que Matthieu « [serait] perçu essentiellement comme l’auteur d’un évangile de l’enfance » (ibid., p. 201) : il s’explique simplement par le fait que ces références interviennent toutes dans des sections du livre 3 (9 et 11.8) où Irénée traite des commencements des évangiles.
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est généralement sans importance pour Irénée, qui utilise les paroles de Jésus dans une argumentation théologique142 . 4. La Démonstration de la prédication apostolique, ou le Quadruple Évangile invisible En complément à l’examen du Quadruple Évangile en dehors d’AH 3.1.1 et 11.7-9, il est intéressant de prendre rapidement en considération la Démonstration de la prédication apostolique. Dans cette brève présentation de la doctrine chrétienne, on chercherait en vain une référence au Quadruple Évangile, quand bien même cet ouvrage est postérieur à l’Adversus Haereses143. Hormis Jean144, aucun des évangélistes n’est mentionné. Un simple coup d’œil à l’index scripturaire de l’édition de Rousseau145 fait apparaître un nombre remarquablement faible de citations des matériaux évangéliques ou d’allusions à ceux-ci146. Le contraste avec Voir Blanchard, Aux sources du canon, en part. 207-229. Nombre de textes théologiques anciens (ou modernes), dont les auteurs ne puisaient pas leur connaissance des paroles de Jésus ailleurs que dans les évangiles canoniques, se prêteraient à la même analyse. 143 Irénée fait explicitement référence à cette œuvre (Dem 99). 144 Présenté comme disciple, Jean est mentionné deux fois (§ 43 et 94) en introduction à des citations du prologue de son évangile. 145 Rousseau (SC, 406), p. 396. 146 En ce qui concerne les citations, l’index de Rousseau en compte dix pour Mt (dont l’une, au § 89, lettre a, est plutôt une claire allusion), trois pour Jn, deux pour Lc, aucune pour Mc. En fait, la plupart de ces passages sont des citations vétérotestamentaires insérées dans le texte évangélique, qu’Irénée a « restituées » au prophète dont elles sont tirées. Il arrive évidemment qu’il reproduise en réalité le texte de l’évangile : ainsi, le texte de la citation de Mi 5, 1 (§ 63, lettre a) correspond à celui de Mt 2, 6 selon le codex de Bèze et la Vetus Latina (voir la note de Rousseau sur ce passage dans SC, 406, p. 320), mais Irénée renvoie précisément à Michée, alors que l’évangile se réfère simplement à « un prophète » sans plus de précision. En dehors de ces cas, il ne reste qu’une poignée de citations : (1) une citation de Jean-Baptiste selon Mt 3, 9 ou Lc 3, 9 (§ 93, lettre b), dont le cas n’est pas sans ressemblance avec celui des citations de prophètes vétérotestamentaires ; (2) une évocation du dialogue sur le premier commandement (Mt 22, 35ss. ; Mc 12, 28ss. ; Lc 10, 25ss.), avec citation des paroles de Jésus (« le Seigneur … déclara … »), sous une forme qui évoque surtout Mc (référence initiale au « premier commandement, cf. Mc 12, 36, mais voir aussi Mt 22, 38 ; mention de la force, propre à 142
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l’Adversus Haereses est donc saisissant147. Du point de vue de l’histoire du canon, il y a là une leçon de prudence méthodologique : la Démonstration prouve qu’un auteur peut avoir une idée parfaitement claire de l’autorité singulière du Quadruple Évangile sans que cela transparaisse dans son œuvre. Cette constatation invite à se méfier des arguments e silentio lorsqu’on recherche le Quadruple Évangile chez les auteurs des iie et iiie siècles. Elle montre qu’il ne faut pas uniquement penser le rapport aux évangiles (et, plus largement, aux écrits néotestamentaires) dans une œuvre donnée en termes d’évolution de la diffusion, de la réception et du statut de ces écrits – ce qui est impossible dans ce cas148 –, mais aussi d’objectif, de public et de genre littéraire. 5. Remarques conclusives : Irénée et la canonisation des évangiles Irénée est souvent présenté comme le héraut du Quadruple Évangile. À juste titre, même si la question du nombre des évangiles n’est explicitement présente que dans quelques pages de son œuvre (AH 3.11.8-9) et que le nombre quatre lui-même n’apparaît explicitement qu’au § 8. Comme aucun auteur antérieur, en tous cas à notre connaissance, il fonde son autorité et trouve un équilibre entre unité et pluralité du témoignage des évangélistes. En conclusion, je me propose donc d’examiner, à la lumière de l’ana-
Mc 12, 30 et Lc 10, 27) et Mt (citation précise de 22, 40, où Mt se singularise) et donne à penser qu’Irénée cite de mémoire (§ 87, lettre d) ; (3) une citation précise de Lc 18, 27 (cf. Gn 18, 14), qui n’est pas présentée comme telle (§ 97, lettre a) ; (4-5) deux citations explicites de Jn (voir n. 144). 147 La différence entre les deux œuvres conservées d’Irénée, en particulier en ce qui concerne le rapport aux Écritures, a souvent été soulignée ; voir notamment les remarques de Rousseau (SC, 406), p. 50-53. 148 Justement réfutée par Rousseau (SC, 406), p. 352s. (n. 4), la tentative de Blanchard, Aux sources du canon, p. 113, n. 2 (voir aussi p. 122) de placer la Démonstration avant l’Adversus Haereses procède précisément d’un préjugé évolutionniste : « … il est permis, écrit-il (p. 114 n.), de supposer que la Démonstration de la prédication apostolique soit un ouvrage précoce d’Irénée, comme le suggère la dépendance de l’auteur par rapport à l’exégèse typologique illustrée par les apologistes. En revanche, les multiples innovations introduites par l’Adversus Haereses s’accorderaient bien avec une époque plus tardive, marquée par l’affrontement direct avec l’hérésie gnostique ».
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lyse conduite dans ces pages, la place d’Irénée dans le processus de canonisation des évangiles. Tant le rapport d’Irénée au texte des évangiles en général que son développement de 3.11.7-9 sur le Quadruple Évangile supposent que les évangiles de Mt, Mc, Lc et Jn forment déjà à son époque une collection largement diffusée et reçue149. En effet, ses nombreuses références à « l’Évangile », sans explication, supposent que le recueil des quatre évangiles est familier à son destinataire et, au-delà, au public pour lequel il écrit son œuvre. Avant d’aborder spécifiquement le sujet de la pluri-unité des évangiles, Irénée a parlé, pendant plus de deux livres, de l’Évangile (exceptionnellement des évangiles) en supposant son (leur) contenu connu. Il faut en conclure à une diffusion très large et à une réception déjà avancée, même si, bien évidemment, celle-ci n’est pas universelle et ce, semble-t-il, jusque dans les rangs de la Grande Église. Dans les milieux qu’Irénée combat, la situation n’est évidemment pas uniforme, mais l’Adversus Haereses atteste que les quatre évangiles peuvent s’y voir reconnaître, quoique de façon variable, une certaine autorité. Irénée se préoccupe relativement peu d’autres documents évangéliques. Certes, il dénonce à l’occasion l’usage d’autres écrits intitulés « évangiles » (Évangile de Judas 1.31.1 ; Évangile de Vérité 3.11.9)150, mais ces écrits sont liés à des groupes bien précis. Au sein de la Grande Église, en dehors du Quadruple Évangile, Irénée ne mentionne aucun document évangélique qui serait susceptible de faire autorité. Dans l’ensemble, il se dégage de l’Adversus Haereses l’impression que les quatre évangiles n’ont pas de concurrents sérieux. Au-delà des oppositions, sa polémique contre ceux qui refusent τὴν ἰδέαν τοῦ εὐαγγελίου (3.11.9, l. 232s.151) 149 Même si l’on a parfois imaginé qu’Irénée faisait tous ses efforts pour introduire une nouveauté ; voir par exemple Gamble, The New Testament Canon, p. 31 ; Hahneman, The Muratorian Fragment, p. 101 ; ou plus récemment J. J. Armstrong, « The Paschal Controversy and the Emergence of the Fourfold Gospel Canon », dans Papers Presented at the Fifteenth International Conference on Patristic Studies Held in Oxford 2007. Ascetica. Liturgica. Orientalia. Critica et Philologica. The First Two Centuries, éd. J. Baun et al., Leuven, 2010 (SP, 45), p. 115-123. 150 Sur la connaissance d’évangiles apocryphes par Irénée, voir P. Foster, « Irenaeus and the Noncanonical Gospels », dans Irenaeus. Life, Scripture, Legacy, p. 105-117. 151 Sur cette expression, voir n. 116.
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suppose que, pour lui, indépendamment des modalités concrètes de leur réunion, la collection formée par ces quatre évangiles représente, en particulier du point de vue de leur nombre, « la forme sous laquelle se présente l’évangile ». Il dispose lui-même, semble-t-il, d’au moins un manuscrit réunissant les quatre évangiles152 . Ces indices convergents montrent qu’Irénée ne se fait pas le promoteur d’une innovation153. Ainsi, contrairement à ce que l’on a souvent affirmé, l’évêque de Lyon ne cherche pas, à proprement parler, à promouvoir le Quadruple Évangile. Son effort vise plutôt à établir son caractère exclusif. En effet, la lecture de 3.11.7-9 comme un diptyque proposée plus haut suggère que l’autorité individuelle de ces évangiles (§ 7) n’est pas ressentie comme un enjeu aussi important que le fait de les recevoir comme une collection fermée et exclusive de quatre écrits (§ 8-9), « ni plus, ni moins », selon un principe affirmé au début du § 8 et de nouveau au début du § 9. Cependant, il est probable que sur ce point la différence entre la Grande Église et les courants combattus par Irénée ait été sensible et il ne faut pas perdre de vue le caractère polémique de son ouvrage. Parmi ses adversaires, même si, comme je viens de le souligner, l’autorité des évangiles ou, en tous cas, de certains d’entre eux pouvait être admise, le caractère normatif et, surtout, exclusif du recueil des quatre évangiles en tant que tel ne l’était généralement pas. Le cas des Valentiniens et des Marcionites l’illustre bien. Dans la Grande Église, en revanche, la force sereine avec laquelle Irénée peut affirmer sa normativité suggère qu’il était nettement mieux enraciné, même si sa réception n’était pas encore universelle et si la reconnaissance de son autorité n’avait pas encore pour tous un caractère aussi exclusif que pour lui. Par conséquent, le propos d’Irénée ne devait guère paraître novateur154. Même le rapprochement entre les évangiles et les Vivants
Voir n. 6. Dans le même sens, voir Stanton, Jesus and Gospel, p. 67. 154 Je rejoins ici Ch. E. Hill, « What Papias Said about John (and Luke). A ‘New’ Papian Fragment », JTS, 49 (1998), p. 620 : « … Irenaeus’ coordinations of the four Gospels in AH 3.11.8-9 do not necessarily give the impression of introducing a novelty, but appear rather as after-the-fact justifications of a longstanding tradition ». 152
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n’était pas nécessairement une nouveauté : l’absence de documentation antérieure ne suffit pas à prouver qu’il s’agit d’une trouvaille d’Irénée ; comme je l’ai relevé, le rapport entre les identifications qu’il propose et l’ordre « occidental » des évangiles laisse envisager que celles-ci étaient préexistantes. Si tel est bien le cas, il est difficile d’évaluer son originalité sur ce point, faute de connaître comment le rapport entre Évangile et Vivants était établi avant lui. L’originalité d’Irénée est plutôt à chercher ailleurs. À mon sens, son principal apport est sa réflexion sur le nombre quatre : la véritable nouveauté, pour autant qu’on puisse en juger, réside plus vraisemblablement dans le fait de chercher (et de trouver) un sens à ce nombre au-delà des Quatre Vivants et, peut-être, à mieux établir celui-ci dans une dimension christologique. De la sorte, Irénée fait d’une caractéristique apparemment contingente du recueil des évangiles, qui non seulement paraissait intrinsèquement dépourvue de signification, mais pouvait encore être ressentie comme une difficulté, le signe de son inscription dans l’économie divine, marquée par le nombre quatre de la création du monde au salut de l’humanité. Un autre apport d’Irénée réside sans doute dans le fait d’avoir su réfléchir à cette pluralité tout en soulignant l’unité fondamentale de l’Évangile : il parle de quatre points cardinaux, de quatre vents principaux, de quatre colonnes soutenant l’Église, ou de quatre alliances ; pourtant, même pour désigner l’Évangile dans sa quaternité, il privilégie le singulier et parle d’« Évangile tétramorphe ». Son sens de l’unité de l’Évangile est si fort qu’il ne peut évoquer quatre évangiles que moyennant un langage analogique (points cardinaux, vents, alliances) ou métaphorique (colonnes)155. L’équilibre ainsi trouvé permet à Irénée de souligner avec une autorité nouvelle le caractère exclusif, définitif et divin du nombre des évangiles. Dans la mesure où l’on peut parler d’un canon des
155 Cette sensibilité se traduit par une certaine réticence à parler des évangiles au pluriel, ou, à tout le moins, par une préférence marquée pour le singulier. Aussi surprenant que cela puisse paraître, nulle part, pas même en 3.11.8 et 9, où il évoque leur nombre, Irénée n’associe directement « les évangiles », au pluriel, avec le nombre quatre, comme s’il avait de la peine à prononcer cette phrase pour nous si banale : « Il y a quatre évangiles ».
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évangiles au iie siècle156, Irénée n’est pas celui qui le forme, mais celui qui le ferme.
156 Tout dépend, évidemment, de ce que l’on entend précisément par « canon ». Selon la définition adoptée, on pourra, ou non, en attribuer un à Irénée. Si l’on admet que le canon désigne « the final, fixed, and closed list of the books of scripture that are officially and permanently accepted as supremely authoritative by a faith tradition, in conscious contradistinction from those books that are not accepted » (E. Ulrich, « The Notion and Definition of Canon », dans The Canon Debate, éd. L. M. McDonald, J. A. Sanders, Peabody, MA, 2004, p. 31), il serait contestable de parler d’un véritable canon du Nouveau Testament chez Irénée, même si un ensemble de livres reçus comme faisant autorité se dessine et qu’une « conscience canonique » s’exprime clairement (voir en particulier 4.33.8), puisque tous les éléments d’une telle définition ne seront pas en place avant, au moins, le ive siècle. En revanche, il faut reconnaître que, si l’on prend en compte les seuls évangiles, on en trouve déjà les éléments essentiels chez l’évêque de Lyon : leur collection forme déjà une liste close, qui exclut le recours à d’autres documents évangéliques (même s’il peut néanmoins admettre la réception de traditions extracanoniques, pour autant qu’elles reposent sur une tradition authentique). De plus, divers témoignages proches dans le temps, mais provenant d’horizons variés (Fragment de Muratori, Tertullien, Clément d’Alexandrie), attestent que le Quadruple Évangile est largement diffusé et reçu dans la chrétienté aux alentours de 200.
Four Gospels Indeed, but Where Is Mark? On Irenaeus’ Use of the Gospel of Mark Joseph Verheyden (Leuven) Research on the earliest reception of what later would become the New Testament writings all too often has to wade through muddy waters. Everything changes with Irenaeus. How much this is true can be seen from the titles of some of the standard works on the reception history of some of these writings in the second century which carry the subtitle “before” or “up to (i. e., not including) Irenaeus”.1 And there is quite some truth in this position. Irenaeus’ thinking and writing is imbued with Christian Scripture, even before it received such a label. Scholars have studied the sigSee, e.g., É. Massaux, Influence de l’Évangile de Saint Matthieu sur la littérature chrétienne avant Saint Irénée, Leuven, 1950; repr. with “Supplément bibliographique 1950-1985”, Leuven, 1986 (BETL, 75); The Influence of the Gospel of Saint Matthew on Christian Literature Before Irenaeus, Leuven, Macon, GA, 1992 (New Gospel Studies, 5/1-3); A. Lindemann, Paulus im ältesten Christentum. Das Bild des Apostels und die Rezeption der paulinischen Theologie in der frühchristlichen Literatur bis Marcion, Tübingen, 1979 (BHTh, 58); Id., “Der Apostel Paulus im 2. Jahrhundert”, in The New Testament in Early Christianity. La réception des écrits néotestamentaires dans le christianisme primitif, ed. J.-M. Sevrin, Leuven, 1989 (BETL, 86), p. 39-67; W.-D. Köhler, Die Rezeption des Matthäusevangeliums in der Zeit vor Irenäus, Tübingen, 1987 (WUNT, 2/24); T. Nagel, Die Rezeption des Johannesevangeliums im 2. Jahrhundert. Studien zur vorirenäischen Aneignung und Auslegung des vierten Evangeliums in christlicher und christlich-gnostischer Literatur, Leipzig, 2000 (Arbeiten zur Bibel und ihrer Geschichte, 2); A. Gregory, The Reception of Luke and Acts in the Period before Irenaeus. Looking for Luke in the Second Century, Tübingen, 2003 (WUNT, 2/169). Irenaeus is included, as the last author to be cited, in J. N. Sanders, The Fourth Gospel in the Early Church. Its Origin & Influence on Christian Theology up to Irenaeus, Cambridge, 1943, p. 66-84. 1
Irénée de Lyon et les débuts de la Bible chrétienne. Actes de la Journée du 1.VII.2014 à Lyon, sous la direction de A. Bastit et J. Verheyden, Turnhout, 2017 (Instrumenta Patristica et Mediaeualia, 77), p. 169-204 ©
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nificant influence of Paul on his theology, to the point that some have spoken of Irenaeus’ “Paulinism”, 2 as well as his exegesis of particular writings – Hebrews, 3 Matthew,4 and above all John, which takes a special place in his oeuvre, to the point that he even has been called “a Johannine theologian”. 5 He is among the first authors to have spoken out on which gospels should be accepted in the church, and he did so confidently, elaborately and authoritatively.6 The famous passage from AH 3.11.8 has often been cited 2 J. Werner, Der Paulinismus des Irenaeus. Eine kirchen- und dogmengeschichtliche Untersuchung über das Verhältnis des Irenaeus zu der paulinischen Briefsammlung und Theologie, Leipzig, 1889 (TU, 6/2), esp. p. 78-103 (on his use of citations from Paul); R. Noormann, Irenäus als Paulusinterpret. Zur Rezeption und Wirkung der paulinischen und deuteropaulinischen Briefe im Werk des Irenäus von Lyon, Tübingen, 1994 (WUNT, 2/66), esp. p. 37-375; B. C. Blackwell, “Paul and Irenaeus”, in Paul and the Second Century, ed. M. F. Bird, J. R. Dodson, London, New York (LNTS, 412), p. 190-206. 3 D. J. Bingham, “Irenaeus and Hebrews”, in Christology, Hermeneutics, and Hebrews. Profiles from the History of Interpretation, ed. J. C. Laansma, D. J. Treier, London, New York, 2012 (LNTS, 423), p. 48-73; Id., “Irenaeus and Hebrews”, in Irenaeus. Life, Scripture, Legacy, ed. S. Parvis, P. Foster, Minneapolis, MN, 2012, p. 65-79 and 224-229. 4 D. J. Bingham, Irenaeus’ Use of Matthew’s Gospel in Adversus Haereses, Leuven, 1998 (TEG, 7). 5 Sanders, Fourth Gospel, p. 66-84; Ch. E. Hill, The Johannine Corpus in the Early Church, Oxford, 2004, p. 95-118; B. Mutschler, Irenäus als johannischer Theologe. Studien zur Schriftauslegung bei Irenäus von Lyon, Tübingen, 2004 (STAC, 21); Id., Das Corpus Johanneum bei Irenäus von Lyon. Studien und Kommentar zum dritten Buch von Adversus Haereses, Tübingen, 2006 (WUNT, 189); Id., “John and His Gospel in the Mirror of Irenaeus of Lyon. Perspectives of Recent Research”, in The Legacy of John. Second-Century Reception of the Fourth Gospel, ed. T. Rasimus, Leiden, 2010 (SupplNT, 132), p. 319-343; K. Keefer, The Branches of the Gospel of John. The Reception of the Fourth Gospel in the Early Church, London, New York, 2006 (LNTS, 332), p. 44-63. Irenaeus is hardly mentioned by W. Sanday, The Gospels in the Second Century, London, 1876, p. 269-309 (p. 269; but see below n. 12) and only as a source for Gnostic exegesis of the Fourth Gospel in F.-M. Braun, Jean le Théologien et son évangile dans l’Église ancienne, Paris, 1959 (Études bibliques), p. 107-108, 128, 193-197 and passim. 6 The author of the Muratorian Fragment did so as well, but the text is incomplete, which complicates any conclusion about what the compiler really had in mind with the list, and its dating in relation to Irenaeus cannot be ascertained. The case of Papias is different because he is far more ambiguous on granting priority to the written gospels.
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and commented upon.7 Yet it remains quite a puzzling piece in which things are perhaps less clear and less clearly stated than some have thought. The author’s confident tone should not delude us. For one, it is not sufficient proof to conclude that he is merely expressing common opinion.8 It is also not fully evident which status Irenaeus gave to the written gospels. Some have argued that he clearly wished to distinguish between the teaching and sayings of Jesus as these were transmitted through oral tradition by the apostles and the written gospels reflecting the views of a later generation.9 However, this does not automatically mean that he considered the latter as of little or no value for accessing the historical Jesus. Indeed, a strong case can be made for the opposite position: Irenaeus “sees the gospels as the records of the teaching of Jesus”.10 I think it is not a matter of “either/or”, but rather of “and/and”.11 However, I will not pursue this question here, but instead would rather like to address a more modest issue that is not unrelated to the previous one, yet is not fully identical with it – the question of how Irenaeus cites the Gospel of Mark and what
7 See, most recently, the essay by Ch. Guignard in this volume (pp. 101168, esp. 128-155). 8 So rightly, L. M. MacDonald, The Biblical Canon. Its Origin, Transmission, and Authority, Peabody, MA, 2007, p. 291. 9 Cf. H. von Campenhausen, Die Entstehung der christlichen Bibel, Tübingen, 1968 (BHTh, 39), p. 213-217; Y.-M. Blanchard, Aux sources du canon, le témoignage d’Irénée, Paris, 1993 (Cogitatio fidei, 174), p. 221: “le paradoxe demeure qu’en un temps où les évangiles sont constitués et malgré le fait qu’ils soient connus d’Irénée, l’évêque de Lyon continue de se référer au ministère de Jésus, essentiellement par le biais de paroles reçues d’une tradition antérieure à leur fixation sous la forme écrite du récit évangélique à la manière synoptique”. There is a risk with such a position that one demands the same kind of “strict citing” that is expected for the sayings material also for narrative material, which, moreover, is often not really cited in full but only in an abbreviated form fit for the purpose Irenaeus has in mind. 10 So G. N. Stanton, “Jesus Traditions and Gospels in Justin Martyr and Irenaeus”, in The Biblical Canons, ed. J.-M. Auwers, H. J. de Jonge, Leuven, 2003 (BETL, 163), p. 351-368, p. 367; repr. G. N. Stanton, Jesus and Gospel, Cambridge, 2004, p. 92-109, here p. 108. 11 Cf. A. Yoshiko Reed, “Εὐαγγέλιον: Orality, Textuality, and the Christian Truth in Irenaeus’ Adversus Haereses”, VigChr, 56 (2002), p. 11-46 (including a careful analysis of the use of the noun in AH).
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this might say about its status as a gospel along and together with the others.12 12 I will also refrain from offering a detailed study of Irenaeus’ gospel text and the quality of the Latin translation, but I will occasionally refer to both of these, pointing out similarities and differences with the Old Latin. On the gospel text, see Novum Testamentum sancti Irenaei episcopi Lugdunensis. Being the New Testament Quotations in the Old-Latin Version of the ἔλεγχος καὶ παρατροπὴ ψευδωνύμου γνώσεως, ed. W. Sanday, C. H. Turner, A. Souter, Oxford, 1923 (Old-Latin Biblical Texts, 7); cf. also B. Kraft, Die Evangelienzitate des heiligen Irenäus, Freiburg/Br., 1924 (Biblische Studien, 21/4). On the quality of the Latin translation of AH, see the vocabulary lists in A. Souter’s essay on “The Date and Place of the Latin Translator of Irenaeus”, inNovum Testamentum sancti Irenaei episcopi Lugdunensis, ed. Sanday et al., p. lxv-cxi, esp. lxxiv-xcii (words attested between Tertullian and Augustine), xcvi-xcviii (words peculiar to the Latin AH), xcix-cix (“interesting words and phrases”) and the general index compiled by C. H. Turner and A. Souter (p. 310-311); further, and above all, S. Lundström, Studien zur lateinischen Irenäusübersetzung, Lund, 1943 and Neue Studien zur lateinischen Irenäusübersetzung, Lund, 1948 (Lunds Universitets Arsskrift N. F., 44); and the relevant chapter in the introduction to each of the five volumes of A. Rousseau’s edition for SC (the one to volume 4, by B. Hemmerdinger). The date of the translation cannot be fixed with any certainty. Symptomatic for the uneasiness this creates among some scholars is Sanday’s comment. The work he co-authored contains essays by F. J. A. Hort (“Did Tertullian Use the Latin Irenaeus?”, in Novum Testamentum sancti Irenaei episcopi Lugdunensis, ed. Sanday et al., p. xxxvi-lvi, published here posthumously), C. H. Turner (“Notes, Additions and Corrections to the Text of the Gospels and Acts”, p. 229-252), and Souter (“Place”). Hort had used the material he had collected from Tertullian in the Introduction to the New Testament he had co-authored with Westcott and concluded there: “We are convinced, however, not only by the internal character of this biblical text, but by comparison of all the passages of Irenaeus borrowed in substance by Tertullian, that the Greek text alone of Irenaeus was known to him, and that the true date of the translation is the fourth century. The inferior limit is fixed by the quotations made from it by Augustine about 421” (§ 220, p. 160). Souter, in a characteristically British style, concluded, “There would appear to be considerable reason to conjecture that our translator wrote in Africa in the period 370 to 420: he may have been a physician. Probably he was a Greek, as he has strange mannerisms, and does not know Latin very well” (p. xcvi). Turner refrained from giving a date, but suggested that it might well be earlier: “It is as clear as daylight that Irenaeus’ text after all was the text of D Θ and the earlier stratum of the Old Latin … How the variation arose, is another matter. The Latin translator may have had recourse, for so considerable a piece of Scripture, to his own Latin Bible: or, more probably as I think, the Latin version may itself have suffered depravation at the hands
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In 3.11.8, the Gospel of Mark is listed fourth after that of John, Luke, and Matthew.13 Irenaeus fully recognizes that each of these gospels has its own character and identity. As is well known, all four are first characterized on the basis of a citation from Rev 4,7, which is then further illustrated with a reference to that gospel or with a citation from it. Mark’s gospel is likened to an eagle, symbolizing the gift of the Spirit that flies over the church: “quartum uero simile aquilae uolanti, Spiritus in Ecclesiam aduolantis gratiam manifestans”.14 The image is illustrated with a “constructed” citation of scribes familiar with the Vulgate phrasing of the verse” (p. 250). Sanday is of a different opinion and takes advantage of Turner’s position. His comment on the work of his colleagues at the end of his own contribution to the question says it all: “It might have been hoped that these two independent lines of inquiry would have converged upon the same result. But, unfortunately, they do not – at least at first sight”. After citing Souter’s conclusion and referring to Turner, he continues: “I do not think that I should be speaking too strongly if I were to interpret his comments [i. e., Turner’s] as pointing to the third century rather than the fourth”; and then in one move concludes, “I do not indeed think that I have found anything among these comments that would be incompatible with the date just mentioned, c. a.d. 200” (“The Date of the Latin Irenaeus: A Fragment”, p. lvi-lxiv, here p. lxiv), a date favoured also by several other scholars of his time, or a slightly earlier one. Sanday failed to convince later scholars. Kraft settled for a date around 300 (Evangelienzitate, p. 47). Hemmerdinger returned to Souter’s view, but without being too specific: the translation is “antérieure à 422, date à laquelle elle est citée par saint Augustin dans le Contra Julianum” (“La tradition latine”, in A. Rousseau, Contres les hérésies. Livre IV, 1, Paris, 1965 (SC, 100), p. 15-50, here p. 16. 13 Irenaeus lists the gospels in various ways. For a good survey of the ancient and recent discussion, see Mutschler, Corpus Johanneum, p. 65-80. The “normal” order in which he lists the gospels seems to be Matt-LukeMark-John; the variant in 3.11.8 is explained by Mutschler as due to “schriftbezogener Auslegung”. 14 AH 3.11.8-9a has been preserved in Greek through a number of witnesses, most importantly Anastasius Sinaita, Quaestio 144. For a reconstruction of the Greek on the basis of the extant witnesses, see Irénée de Lyon, Contre les hérésies. Livre III, ed. A Rousseau, L. Doutreleau, vol. 1, Paris, 1974 (SC, 210), , p. 95-124, here p. 118-119. In their edition the reconstructed passage runs as follows: τὸ δὲ τέταρτον ὅμοιον ἀετῷ πετωμένῳ, τὴν τοῦ Πνεύματος ἐπὶ τὴν ἐκκλησίαν ἐφιπταμένου δόσιν σαφηνίζον. The phrase ἐπὶ τὴν ἐκκλησίαν is preserved only in Anastasius, but is nevertheless retained by the editors in their reconstruction.
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built of elements from Mark 1,1a and 2a that in Irenaeus’ opinion would refer to the prophetic spirit coming over humanity from above. This would then also explain the compendious character of this gospel, for that is a feature of the prophetic: Marcus uero a prophetico Spiritu ex alto adueniente hominibus initium fecit: Initium, dicens, Euangelii, quemadmodum scriptum est in Esaia propheta, uolatilem et pennatam imaginem Euangelii monstrans; propter hoc et compendiosam et praecurrentem adnuntiationem fecit; propheticus enim character est hic.15
If John’s gospel emphasizes Jesus’ divine origin and that of Luke reflects the sacerdotal character of its author by referring to Zechariah, Matthew rather points to Jesus’ human nature by opening with a birth narrative, while Mark’s is the prophetic one, as is apparently also reflected in its style that is characterized as “compendiosam et praecurrentem”, which is indeed quite an accurate description.16 Irenaeus goes on to work with this distinction, but now trying to unite the four aspects in the one work of the Word of God that spoke to the Patriarchs “secundum diuinitatem 15 Anastasius and Germanus II give only an abbreviated form: Τὸ δὲ κατὰ Μάρκον ἀπὸ τοῦ προφητικοῦ Πνεύματος, τοῦ ἐξ ὕψους ἐπιόνοτς τοῖς ἀνθρώποις, τὴν ἀρχὴν ἐποιήσατο λέγων· ᾿Αρχὴ τοῦ εὐαγγελίου, ὡς γέγραπται ἐν ᾿Ησαίᾳ τῷ προφήτῃ. However, there has also been preserved a longer form that is closer to the Latin; it is found in some manuscripts at the end of a Prologue on Mark attributed to Victor of Antioch (or alternatively, Cyril of Alexandria). The text runs as follows: Μάρκος δὲ ἀπὸ τοῦ προφητικοῦ Πνεύματος, τοῦ έξ ὕψους ἐπιόντος τοῖς ἀνθρώποις, τὴν ἀρχὴν ἐποιήσατο, ᾿Αρχή, λέγων, τοῦ εὐαγγελίου, ὡς γέγραπται ἐν ᾿Ησαίᾳ τῷ προφήτῃ, τὴν πτερωτικὴν εἰκόνα τοῦ εὐαγγελίου δεικνύων· διὰ τοῦτο δὲ καὶ σύντομον καὶ παρατρέχουσαν τὴν καταγγελίαν πεποίηται· προφητικὸς γὰρ ὁ χαρακτὴρ οὗτος. See the comment by Rousseau, Doutreleau, Contre les hérésies. Livre III, 1 (SC, 210), p. 111 and 121. 16 The phrase “uolatilem et pennatam” is meant to echo the image of the eagle. The two words are most probably to be taken as synonyms. See Rousseau, Doutreleau, Contre les hérésies. Livre III, 1 (SC, 210), p. 285: “rien d’autre qu’un doublet traduisant le seul mot πτερωτικήν”; so also D. J. Unger, St. Irenaeus of Lyons: Against the Heresies, 3, New York, Mahwah, NJ, 2012 (Ancient Christian Writers, 64), p. 150 n. 51. On the meaning of “imago” in the passage, see J. Fantino, L’homme image de Dieu chez saint Irénée de Lyon, Paris, 1986, p. 98 (“figure”). On the “prophetic character” of Mark’s gospel and its connection with the Spirit, see A. Briggman, Irenaeus of Lyons and the Theology of the Holy Spirit, Oxford, 2012, p. 53-54, 56.
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et gloriam”, assigned a sacerdotal task to Israel, incarnated itself for our sake, and finally sent the gift of the Spirit as a protective force for all. Irenaeus does not wish to argue that the order in which he lists the gospels reflects any preference for one or the other, nor that the differences in their characterisation should be taken as indications that one gospel should have precedence over the others. His position rather is to point out that together these four constitute “the gospel”, in singular, or “the fourfold gospel”, as he likes to call it.17 So on principle all four accounts are of equal value, even if they have their own peculiarities. The same idea and spirit sounds through also in the conclusion of this section in which Irenaeus evokes the four covenants that God has concluded with His people as a fourfold manifestation of God’s disposition: these covenants are the one from the time of Adam, that from the time of Noah, the one given to Moses, and the final one that brings salvation to humankind.18 The four covenants obviously are not to be understood as different models or types for the gospels; rather the latter, taken together, are the way the final covenant was revealed to the world: quartum uero quod renouat hominem et recapitulat in se omnia, quod est per Euangelium, eleuans et pennigerans homines in caeleste regnum.19 17 Note the succinct “Quadriformia enim animalia, et quadriforme Euangelium, et quadriformis dispositio Domini”; Anastasius drops the third mention of “quadruple”: τετράμορφα γὰς τὰ ζῷα, τετράμορφον καὶ τὸ εὐαγγέλιον καὶ ἡ πραγματεία τοῦ Κυρίου. On this notion see repeatedly G. N. Stanton, The Gospels and Jesus, Oxford, 1989 (Oxford Bible Series), p. 125-135, esp. 133-135; “The Fourfold Gospel”, NTS, 43 (1997), p. 317-346, esp. p. 319-322, repr. in Jesus and Gospel, p. 63-91, here 64-68; “Justin Martyr and Irenaeus”, p. 364-368 (= 105-109). 18 The Greek and the Latin differ in dating the first two covenants (not Adam and Noah, but Noah and Abraham); see the comment in Rousseau, Doutreleau, Contre les hérésies. Livre III, 1 (SC, 210), p. 286. 19 Anastasius’ note is much shorter, to the point of becoming almost senseless: τετάρτη διαθήκη δὲ ἡ τοῦ εὐαγγελίου διὰ τοῦ Κυρίου ἡμῶν ᾿Ιησοῦ Χριστοῦ. But the so-called “Large Note” on the four gospels that is preserve in a number of manuscripts gives a reading that is closer to the Latin: τετάρτη δὲ ἡ ἀνακαινίζουσα τὸν ἄνθρωπον καὶ ἀνακεφαλαιούσα τὰ πάντα εἰς ἑαυτὴν ἡ τοῦ εὐαγγελίου. See Rousseau, Doutreleau, Contre les hérésies. Livre III, 1 (SC, 210), p. 108 and 123. Attentive readers may appreciate the faint echo
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Yet when it comes to citing these gospels, it turns out that Irenaeus refers to Mark far less frequently than to any of the other three, without giving any explanation or making any comment on this. Rousseau gives the following numbers for AH: Matt 219, Luke 146, John 95, and Mark 16 (and 15 allusions or general references20). The Demonstration, Irenaeus’ other great work that has been preserved, contains far less explicit citations; here Mark is lacking altogether (Matt 11, Luke and John 2 each). Of course, numbers are but numbers, and they should be checked more in detail, for editors have the habit of identifying a quotation as “from Matthew” even in such cases where there is a parallel also in Mark and/or Luke; but a sounding has demonstrated that these numbers are rather trustworthy. In the order of Irenaeus’ work, the list of citations from Mark (or with a parallel in Mark) found in Rousseau’s edition is as follows: a. 1.3.5 (Mark 10,21); b. 1.21.2 (10,38); c. 2.32.1 (9,48); d. 3.10.6 (1,1-3); e. 3.10.6 (16,19); f. 3.11.8 (1,1-2); g. 3.16.3 (1,12); h. 3.16.5 (8,31); i. 3.18.4 (8,31); j. 3.18.4 (8,34-35); k. 3.18.5 (13,9); l. 4.6.6 (1,24); m. 4.9.3 (7,9-10); n. 4.18.4 (4,27-28); o. 4.37.5 (9,23); p. 5.21.3 (3,27).21 Mark is cited in all five books of AH, in the Latin to the description of Mark as a “winged” gospel some lines before (“uolatilem et pennatam” and “eleuans et pennigerans”). The editors allude to this in their comment, but do not say it explicitly: “Toute la contexture du paragraphe montre que, si cette quatrième alliance donne aux hommes de pouvoir prendre leur envol vers le royaume céleste, c’est parce qu’elle se réalise par le don de l’Esprit Saint” (ibid., p. 286-287). 20 I have left out the allusions, because they often constitute a problem in themselves. See, e.g., the phrase “miserans eorum” in 4.28.1, which is compared to Mark 5,19. On this allusion, see Ph. Bacq, De l’ancienne à la nouvelle Alliance selon S. Irénée. Unité du Livre IV de l’Adversus Haereses, Paris, Namur, 1978, p. 209. On counting citations, see the essay by Mellerin in this volume. 21 I am well aware of the fact that this is but “a list” and not “the list” of references from Mark, if any such final list can ever be drawn. One can probably detect a few more references, but I trust this will not really change the overall picture. A somewhat longer list is found in Novum Testamentum sancti Irenaei episcopi Lugdunensis, ed. Sanday et al., p. 44-47 (4,25.31; 5,22; 8,38; 10,17; 13,32; 14,21, and a number of others that are cited only in relation to the parallels in Matthew or Luke), 212 (10,19; 13,32; 15,21), 240 (13,32), 251-252 (10,19), 262 (5,41.43 Armenian translation) and 295 (5,22.4142 Armenian), but these are either allusions or passages that have a parallel in Matthew or Luke who are actually the ones that are cited (see, e.g.,
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but half of the total (8/16) is found in book 3, and occurs there in a more or less concentrated form and in part also in combiMark 2,17 par. Luke 5,32 in AH 3.5.2 with “in paenitentiam”, attested as a variant reading in Mark as well). Kraft (Evangelienzitate, p. 80) lists references to Mark 10,19; 12,28.30.31; 13,32; and 14,50. I briefly comment on all of these: 4,25: AH 1.6.4 (“et properea adici eis”) is at best a faint allusion to a variant reading in Luke 19,26 (D (sys)). 4,31: AH 1.13.2 (“… et multiplicet in te agnitionem suam, inseminans granum sinapis in bonam terram”) is a “mixed quotation” that rather recalls Matt 13,31-32 (αὐξηθῇ). 5,22: AH 5.13.1 refers to three revivification miracles (the daughter of Jairus, the son of the widow of Naim, and Lazarus). The reading “summi sacerdotis mortua filia” must be a mistake for “head of the synagogue”; in 1.8.2 Irenaeus gives the correct identification (“illam archisynagogam filiam”). There is no reason to prefer Mark here for this detail over the parallel in Luke 8,41-42. Cf. Irénée de Lyon, Contre les hérésies. Livre V, 1, ed. A. Rousseau, Paris, 1969 (SC, 152), p. 260-261: “Irénée commet ici une erreur”. The Armenian makes things even worse and identifies the healed one with the son of the centurion. 5,41 ff.: The confusion continues in the latter part of 5.13.1 which reads, “Sed enim apprehendit, ait, Dominus manum mortui et dixit ei: Juvenis, tibi dico, surge; et sedit mortuus, et jussit ei dari manducare, et dedit eum matri suae”. The text is not found as such in any of the gospels, but seems to be a mixture of elements from Luke 8,54 (grasping the hand), 7,14 (the command to the young man), 8,55 (sitting up and be given food), and 7,15 (return to the mother). The first and third element occurs also in Mark (the first also in Matthew), but the four together are found only in Luke. No need then to invoke also Mark. 8,38: The phrase “confusurum qui confunderentur confessionem eius” in AH 3.18.5 is also found in Luke 9,26 in a shorter form than in Mark, and so closer to the text cited here. Its combination with “negaturum autem eos qui negarent eum” in the preceding rather points to Matt 10,33 par. Luke 12,9 than to anything in Mark. 10,17: AH 1.20.2 gives the opening lines of the dialogue with the rich young man as follows: “Et ei qui dixisset illi: Magister bone, eum qui uere bonus esset Deus confessum esse respondentem: Quid me dicis bonum? unus est bonus, Pater in Caelis”. The address and the question are found in this form in Mark 10,17.18, but also in Luke and as variant readings also in Matthew, including in the VL. The first part of the answer is attested only in Matthew; the second half is attested before Irenaeus in Justin, though not in VL, but it may have been inspired by VL’s “unus est bonus, Deus” that is also found in the Old Syriac and the Coptic. Finally, one should note that Irenaeus is here presenting the opinion of his Gnostic opponents, of which he says that they have “changed” the text (“Quaedam autem eorum quae in Euangelio posita sunt in hunc characterem transfigurant”; Irenaeus has in view its meaning, not necessarily also its wording) and also cites as an agraphon.
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nation with other citations from Mark. Most of the citations are rather short, limited to (part of) one verse only. Two passages are cited more than once (1,1-2 and 8,31). Several have a parallel in 10,19: In AH 4.12.5, Irenaeus again rather cites Matt 19,18, the parallel to Mark 10,19, in a chapter that is strongly marked by citations from Matthew: “Si vis in vitam introire, custodi praecepta. Illo autem interrogante: Quae? Rursus Dominus: Non moechaberis, non occides, non furaberis, non falsum testimonium reddes, honora patrem et matrem, et diliges proximum tamquam teipsum, …”. The order of the first two prohibitions is that of Luke (as a variant also in Mark), but the textual tradition of all three gospels also shows various types of other variants; and perhaps more importantly, the young man’s question (ποίας;) and the commandment on loving the neighbour are peculiar to Matthew in this context. Yet this same verse of Mark has left an interesting echo (it is an allusion rather than a formal citation) in AH 4.24.1 that reads, “sed erant praeinstructi non moechari nec fornicari, non furari nec fraudare”. The omission of the prohibition to kill and the two prohibitions are found only in D and k (c has it in combination with an initial “non occides”). Irenaeus has left out (by accidence?) the prohibition on false witnessing; his translator has opted for the somewhat singular “fraudare” to render ἀποστερέω, though it is less “unique” than Turner suggests (p. 251) for VL has “fraudem facere” along with “abnegare” (so k). 12,28.30-31: In AH 4.12.3 Irenaeus is alluding to Matt 22,38, the parallel to Mark 12,30-31, rather than citing it: “In Lege igitur et in Evangelio cum sit primum et maximum praeceptum diligere Dominum Deum ex tot corde, dehinc simile illi diligere proximum sicut seipsum, unus et idem ostenditur Legis et Evangelii conditor”. The phrase “primum et maximum” occurs in 22,38, but is not found in this form in Mark (12,28: “the first of all”, repeated at 12,30 in part of the manuscript tradition) and the word “simile” echoes Matthew’s ὁμοία in v. 39 (though here there is also a well-attested variant, including in the Latin tradition, that has this reading also for Mark, v. 31). 13,32: Matt 24,36, rather than the Markan parallel in 13,32, is cited in AH 2.28.6 (an twice alluded to in 2.28.7-8), be it in an abbreviated form (without mentioning the angels): “manifeste dicens: De die autem illa et hora nemo scit, neque Filius, nisi Pater solus”. The saying is almost identical in Matthew and in Mark, but “solus” (μόνος ) is peculiar of Matthew, though it is also weakly attested in Mark (including some Old Latin manuscripts), too weak, however, to give latter “serious consideration as Irenaeus’ source” (so Bingham, Matthew’s Gospel, p. 51 n. 131). 14,21: In AH 2.20.5 Irenaeus cites Matt 26,24b par. Mark 21b, which are virtually identical, except for the phrase “melius erat”, which Mark gives without the verb, though there is a variant reading. 14,50: I am afraid I could not identify the reference to 14,50. 15,21: Every single element of the reference in 1.24.4 to Symon of Cyrene required to carry Jesus’ cross is found in both Matthew and Mark, except perhaps the phrase “pro eo” that is missing in both (αὐτοῦ).
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Matthew or Luke. Only the double citation of 1,1-2 is duly identified as from Mark, but that is not exceptional, as Irenaeus does not make a habit of identifying his gospel citations, which for the larger part are sayings of Jesus and are referred to as such. It is impossible to say if Irenaeus had ready access to all four gospels and was (always) directly citing from the text. He may (occasionally) have been citing the gospels from memory, or perhaps even from a tradition and not from the gospels themselves, but as this cannot be checked and he clearly has an interest in the gospels as written documents, there is no reason to think that he was primarily relying on oral tradition. As a rule the citations agree, largely or completely, with the text of our modern editions or with a version that is attested also elsewhere in the textual tradition, though there are a few instances among the passages discussed below where Irenaeus (willingly?) seems to have mixed up elements from two parallels. In the following the evidence is discussed not in the order in which it occurs in AH, but starting with the citations from Book Three, where the largest concentration of citations from Mark is found. 1. AH 3.10.6 and 3.11.8 In the section leading up to the famous quotation on “the fourfold gospel”, Irenaeus presents the testimonies of the four evangelists, not on Jesus, but on “the one true” God. He does this in the order Matt, Luke, Mark, John. The section on Mark is by far the shortest of the four (Matt: AH 3.9; Luke: 3.10.1-5; Mark: 3.10.6; John: 3.11.1-6). The sections are conceived of as dossiers of citations from the gospels. For Matthew and Luke, these are taken almost exclusively from their respective Infancy Narrative and from the pericopes on the Baptist, the opening section of the triple tradition. The one on John basically is a commentary on the Prologue, with some additional elements from Matt 11,9, on the Baptist (and also, in this order, 13,17; 11,25-27; 16,16-17; 12,1821).22 For Mark, Irenaeus cites the opening lines in 1,1-3: 22 See the short comment on the Johannine section by Mutschler, Irenäus, p. 217-222 and the exhaustive one in his Corpus Johanneum, p. 176247.
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joseph verheyden Quapropter et Marcus, interpres et spectator Petri, initium Euangelicae conscriptionis fecit sic: Initium Euangelii Iesu Christi Filii Dei, quemadmodum scriptum est in prophetis: Ecce mitto angelum meum ante faciem tuam qui praeparabit uiam tuam. Vox clamantis in deserto: Parate uiam Domini, rectas facite semitas ante Deum nostrum, manifeste initium Euangelii esse dicens sanctorum prophetarum uoces, et eum quem ipsi Dominum et deum confessi sunt hunc Patrem Domini nostri Iesu Christi praemonstrans, qui et promiserit ei angelum suum ante faciem eius missurum, qui erat Iohannes, in Spiritu et uirtute Heliae clamans in eremo: Parate uiam Domini, rectas facite semitas ante Deum nostrum.
Irenaeus has the full title for v. 1 and reads “in the prophets” (instead of “in the prophet Isaiah”) in v. 2 and “before our God” (for “him”) in v. 3. The first reading is attested rather broadly in the textual tradition; the second is not, but it comes close to the Old Latin tradition (and D) of Mark, which reads “Dei nostri” (as in Isa 40,3 τοῦ θεοῦ ἡμῶν) but also shows evidence for “eius”.23 In the truncated version of Mark 1,1-2 in AH 3.11.8 Irenaeus does not actually cite the Old Testament passage itself (see above); so there is some reason to suspect that he opted for the more general formula here, because now he also cites vv. 2b-3, which come from 23 Cf. Novum Testamentum sancti Irenaei episcopi Lugdunensis, ed. Sanday et al., p. clii, 44, 240 (Turner arguing for “heremo”, not “eremo”, as the more probable reading). For the first variant, see the evidence from the Greek tradition listed in K. Aland, B. Aland, Text und Textwert der griechischen Handschriften des Neuen Testaments. IV. Die synoptischen Evangelien. 1. Das Markusevangelium. Band 1,2: Resultate der Kollation und Hauptliste, Berlin, New York, 1998 (ANTT, 27), p. 3-4. For the Old Latin (VL), A. Jülicher, Itala. Das Neue Testament in altlateinischer Überlieferung. II. Marcus-Evangelium, Berlin, ²1970, p. 1. Cf. also the evidence cited in Novum Testamentum sancti Irenaei episcopi Lugdunensis, ed. Sanday et al., p. 44-47 and passim, and Kraft, Evangelienzitate, p. 80-81, 92, 95. On the Old Latin in general, see further, B. Fischer, Die lateinischen Evangelien bis zum 10. Jahrhundert. II. Varianten zu Markus, Freiburg, 1989 (Vetus Latina. Aus der Geschichte der lateinischen Bibel, 15); J.-C. Haelewyck, “La version latine de Marc”, Mélanges de science religieuse, 59 (1999), p. 27-52; “La Vetus Latina de l’évangile de Marc. Les rapports entre les témoins manuscrits et les citations patristiques”, in The New Testament Text in Early Christianity. Proceedings of the Lille Colloquium, July 2000. Le texte du Nouveau Testament au début du christianisme. Actes du colloque de Lille, juillet 2000, ed. C.-B. Amphoux, J. K. Elliott, Lausanne, 2003 (Histoire du texte biblique), p. 151-193; Evangelium secundum Marcum, Fasc. 1. Introduction, Freiburg, 2013 (Vetus Latina. Die Reste der altlateinischen Bibel, 17).
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two different prophets.24 Variation is not necessarily a proof of absolute freedom, or of neglect and ignorance, or of the intention to promote a particular reading over another. It may also have been motivated by theological and stylistic reasons supported, or not, by variation in the textual tradition. The point Irenaeus wants to make is that for Mark the God the prophets had spoken of is identical with Jesus’ heavenly father: “eum quem ipsi Dominum et Deum confessi sunt hunc Patrem Domini nostri Iesu Christi praemonstrans”. He does this most emphatically, for he repeats the end of v. 3 immediately after and also once more rephrases his own comment on it when noting: “Quoniam quidem non alium et alium prophetae adnuntiabant Deum sed unum et eundem, uariis autem significationibus et multis appellationibus”. The God of the prophets of old is also the Father of the Saviour, and the prophets themselves are said to bear witness to this. Irenaeus’ emphasis notwithstanding, the argument is elliptic and therefore perhaps less compelling or more convoluted than he seems to have realized. A first problem is the change of μου (Mal 3,1) to σου in v. 2, which Irenaeus apparently takes for granted and passes over in silence. God does no longer speak about Himself, but addresses another one and announces a messenger to go “before you” (σου). So, a third party is brought in and a shift has taken place that also affects v. 3, for the argument obviously assumes that this verse refers to the same character. A second
24 Cf. Blanchard, Sources, p. 198 n. 1: “il est certes tentant d’y voir … une correction accommodante, adaptée au caractère composite de la citation annoncée” (with reference to Metzger’s Textual Commentary). Irenaeus’ readings may be proof that there was not yet one absolutely normative text (“un prétendu texte originel … norme absolue”), though it remains impossible to decide whether in this case he relied on textual evidence to motivate his choice, or merely on “sound reasoning”. AH 3.10.6 proves that Irenaeus knows the full formula of Mark 1,1, with the Christological elements. This would rather suggest that 3.11.8 does not so much represent a more original than an abbreviated form of the text, in line with the omission of the citation from Isaiah (pace Blanchard’s “la forme brève du début de la phrase, qui peut aussi bien être imputable à une omission que représenter un état primitif du texte”). In 3.11.4 he once more refers to the words of the prophet in Mark 1,2, but only as a paraphrase (Novum Testamentum sancti Irenaei episcopi Lugdunensis, ed. Sanday et al., p. 40).
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problem occurs when this character is then not only referred to as κύριος, but also as “our God”. The latter phrase makes it impossible to regard v. 3 as a word spoken by God, but instead turns it into a sort of confession of the ancient prophets. One could say that the citation, with σου, in a way “demonstrates” that the prophets spoke about the same God Jesus proclaimed, because Christians believe that God’s word about a forerunner of a κύριος came to be fulfilled in John the Baptist and in Jesus who called this God his Father and the One who sent him. However, nothing of this is made explicit in any way and some of it is perhaps more Johannine than Markan. Moreover, the phrase “before our God”, said by the prophets, introduces an element that is not really necessary for the argument and actually complicates it, because it creates a tension with v. 2. It is difficult to decide whether Irenaeus merely kept to the biblical text as he knew it or changed it on purpose, but perhaps a few indications point to the latter. First, he probably also changed the phrase “in the prophet Isaiah” to better adapt it to the context. Second, Mark identifies the messenger that is announced as the Baptist, but Irenaeus describes him with a phrase from Luke 1,17 rather than as in Mark. The qualification “Iohannes, in Spiritu et uirtute Heliae” looks like a “Fremdkörper”, but it may serve a purpose and hence is perhaps not completely out of place. Mark is familiar with the motif of the mistaken identity of John, whom some thought was Elijah redivivus (6,15 = Luke), and he even applies it to Jesus (8,28 = Matt/Luke). Luke 1,17 also contains what looks like an allusion to the prophecy of Mal 3,1 (προελεύσεται ἐνώπιον αὐτοῦ) and is preceded by a reference to the people of Israel and “the Lord their God” (κύριον τὸν θεὸν αὐτῶν) which at this stage in the gospel cannot yet be interpreted otherwise than as a reference to God Himself, and not to the Son. This again could imply that the phrase “ante Deum nostrum” was a deliberate choice, linked up with the combination of Mark 1,3 with that other useful reference to a precursor “of God” in Luke 1,17.25 Irenaeus seems to have played on the ambiguity, but it is not without a risk. 25 One may also note that in dealing with Luke in the preceding section, Irenaeus had focused on the Infancy Narrative, which may have helped to inspire the connection with Luke 1,17.
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There follows a citation from the end of the gospel, Mark 16,19: In fine autem Euangelii ait Marcus: Et quidem Dominus Iesus, posteaquam locutus est eis, receptus est in caelos et sedit ad dexteram Dei, confirmans quod a propheta dictum est: Dixit Dominus Domino meo: Sede a dextris meis, quoadusque ponam inimicos tuos suppedaneum pedum tuorum.
The textual tradition of Irenaeus’ text shows some minor variants (omission of “Dominus”, “Iesus” for “eis”, “postquam” or “quam” for “posteaquam”, 26 and “sedet” for “sedit”). The last two are also attested in the Old Latin tradition, which in addition also has variants for “receptus” (“adsumptus” or “ascendit”) and “dexteram” (“dextris”), 27 has good attestation for the omission of Dominus, and reads either “caelis” or “caelum”, but not the accusative plural. The Greek also reads the singular εἰς τὸν οὐρανόν, but largely agrees on the plural ἐκ δεξιῶν, though the variant ἐν δεξιᾴ is also (weakly) attested.28 The citation is itself further illustrated with an unidentified passage from “a prophet”. The text is that of Ps 109,1(LXX), which is also cited by Mark in 12,36 (and in the parallel in Matthew and Luke). The Old Latin of Mark has a variant “ad dext(e)ram meam” and reads “scabellum” (or “scamellum”) for “suppedaneum”.29 LXX reads ὑποπόδιον, which is more widely attested in Mark’s textual tradition than ὑποκάτω of NA 28. The combination, close to each other, of the plural and the singular in referring to God’s right side is perhaps somewhat unfortunate and might indicate that Irenaeus wished to keep to the wording of the text as he knew it. Does this also apply to the other readings for which there are variants in the tradition?
26 The latter is the translator’s preferred form: cf. Souter, “Place”, in Novum Testamentum sancti Irenaei episcopi Lugdunensis, ed. Sanday et al., p. cv; Lundström, Studien, p. 107. 27 Irenaeus’ translator never uses “dextra” (Lundström, Neue Studien, p. 21). See also Turner’s note on the reading “sedit” against “sedet” in Novum Testamentum sancti Irenaei episcopi Lugdunensis, ed. Sanday et al., p. 240. 28 Cf. Jülicher, Itala. II. Marcus-Evangelium, p. 160. The variant without κύριος is far better attested in the Greek than the longer form: see Aland, Aland, Text und Textwert, p. 414-415. 29 Jülicher, Itala. II. Marcus-Evangelium, p. 117-118.
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The parallel that is drawn between the two passages and the partially identical wording should convince the reader that Jesus obviously returned to the same God who had promised him a place “at His right side”. The net effect of juxtaposing Mark 16,19 and Ps 109,1 is that, just as in the beginning of the gospel “proof” was cited that the prophets spoke about the same God Jesus proclaimed and Christians believe in, now, at the end, “proof” is offered of something that had been announced by a prophet (“confirmans quod a propheta dictum est”), in this case, David, the presumed author of the passage, speaking “in the Holy Spirit”, as Mark formulates it in 12,36. 30 This gospel is all about the same God the prophets had spoken of, who is further described as the Creator, using a formula that has its origins in Jewish Scripture and echoes through in Christian tradition, though not in Mark (see Ex 20,11 and Ps 145,6LXX, and Acts 4,24 and 14,15). As far as Irenaeus is concerned, Mark’s gospel does what it says and “proves” that in Jesus the same God is at work who had been announced by the prophets of old. 31 The fact that Irenaeus cites both the beginning and the end of the gospel when referring to Mark as an author and evangelist has perhaps not sufficiently been emphasized as a plausible indication that he knows this gospel “as a whole” and also relies on it, instead of on oral tradition, when citing from it elsewhere. 32
It also makes for a nice (partial) parallel with John in Luke 1,17. Cf. Blanchard, Sources, p. 197: “un projet unique qui serait d’exprimer la continuité entre les prophéties de l’Ancienne Alliance et la nouveauté du message évangélique”. 32 Again pace Blanchard’s “comme si le corps même de l’évangile échappait à la médiation textuelle” (ibid., p. 198). Moreover, if the relative absence of Mark would be due to his absence in the liturgical life of the churches in Lyon and in Asia Minor, Irenaeus’ home, as Blanchard suggests (ibid.: “peut-être”), why would Irenaeus then wish to pay attention to this gospel. A “threefold gospel” would has been as perfect a solution as a “fourfold” one. The fact that he does cite from Mark may not be sufficient proof that he (his community) already possessed or had access to a codex that contained all four gospels (cf. Guignard’s suggestion in this volume), though such a situation cannot be ruled out in principle. 30 31
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2. AH 3.16.3 A shortened version of the opening lines of the gospel is cited immediately after 3.10.6 in 3.11.8, as the key-passage for identifying Mark (see above), and again in 3.16.3, as part of a long argument demonstrating that Jesus is the incarnated Son of God which runs all through 3.16-18 and includes four more citations that have a parallel also in Mark (see 3.16.5 and 3.18.4-5). The section opens with a presentation of the Gnostics’ scepticism about Jesus’ incarnation (3.16.1) that is countered on the basis of the testimonies of John and Matthew (2), Paul (3a), and Mark and Luke taken together (3b up to 5a). There follows a second round with further evidence from John (5b up to 8) and Paul (9), a whole chapter on the descent of the Spirit on Jesus at the baptism scene (3.17), and more from Paul (3.18.1-3), before giving a voice to Christ himself (4-6), and finally to conclude with a last reminder that the incarnation was indeed absolutely necessary for mankind to be saved (7). 33 Amidst the flood of citations, Mark takes only a modest place indeed, but the references to his gospel are not without interest. The citation from 1,1-2a again refers to “the prophets”, in plural, instead of naming Isaiah: Propter hoc et Marcus ait: Initium Euangelii Iesu Christi Filii Dei, quemadmodum scriptum est in prophetis, unum et eundem sciens Filium Dei Iesum Christum, qui a prophetis adnuntiatus est, qui ex fructu uentris Dauid, Emmanuel, magni consilii Patris nuntius.
It is the opening line of the section on Mark and Luke, and for that reason probably deemed to be of some importance. Irenaeus takes it as proof that Mark and the prophets are talking about the same figure (“unum et eundem …”). However, the evidence for this is not provided from Mark himself – he does not quote vv. 2b-3 –, but from a couple of phrases taken from the prophets (Isa 7,14 and 9,5) that are not found in Mark and from a number of fragmentary citations from Luke, with also an occasional refOn the saving effect of revelation, a crucial theme in Irenaeus’ theology, see P. Jossua, Le Salut, incarnation ou mystère pascal chez les Pères de l’Église de saint Irénée à saint Léon le Grand, Paris, 1968, p. 57-135; T. L. Tiessen, Irenaeus on the Salvation of the Unevangelized, Metuchen, NJ, London, 1993 (ATLA Monograph Series, 31), p. 154-158. 33
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erence to Matthew (see 2,4-5.11-12.16 in 3.16.4) and even to Paul (Rom 14,9 at the end of 3.16.3). One might object that the truncated citation from Mark does not seem to offer much of an argument for the issue at stake, but that might after all be a false conclusion. It rather looks as if Irenaeus is trying to create an overall impression of the perfect agreement that exists all through the biblical tradition. Mark’s “statement” is part of this tradition, but it remains true that compared to Luke, who is cited abundantly in this context, Mark is only marginally present. 3. AH 3.16.5 At the very end of the section on Mark and Luke, in 3.16.5, Irenaeus cites a shortened version of the first passion prediction (without naming those who will harm Jesus), which he combines with the statement that Jesus was born of Mary to produce another type of identification of Jesus, now as the Son of Man: Hic autem est qui ex Maria natus est: Oportet enim, inquit, Filium hominis multa pati et reprobari et crucifigi et die tertio resurgere. Non ergo alterum Filium hominis nouit Euangelium nisi hunc qui ex Maria, qui est passus est, sed neque Christum auolantem ante passionem ab Iesu; sed hunc qui natus est Iesum Christum nouit Dei Filium et hunc eundem passum resurrexisse.
The passage is not identified beyond a mere reference to “the gospel” (“Euangelium”). The reading “et crucifigi” (for ἀποκτανθῆναι) is not attested in the manuscript tradition (Greek or Old Latin), but is known already to Justin (Dial. 76.7). 34 One might suspect influence from Matt 20,19 who in the third passion prediction reads σταυρῶσαι for Mark’s (and Luke’s) ἀποκτενοῦσιν, but the rest of the citation certainly does not come from Matthew whose version of the first prediction differs considerably from the text that is cited here. Mark and Luke are almost identical, except for the reference to the third day for which Mark reads μετὰ τρεῖς Rousseau, Doutreleau, Contre les hérésies. Livre III, 1 (SC, 210), p. 322. For a short survey of the connections between Irenaeus and Justin, see A. Benoît, Irénée et Justin, in Actes des journées irénéennes des 9-10-11 mai 1984. La foi et la gnose hier et aujourd’hui: Irénée de Lyon, Lyon, 1985 (Les Cahiers de l’Institut Catholique de Lyon, 15), p. 59-73. 34
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ἡμέρας (8,31b) and Luke τῇ τρίτῃ ἡμέρᾳ (9,22 = Matt 16,21). In the immediately preceding context Irenaeus cites extensively from Luke (24,25-26.44.45-47). So there is reason to suspect that he is rather thinking of Luke here as well, but that must not necessarily be so. The two formulas are virtually identical and have been mixed up in the Greek and the Old Latin manuscript tradition of all three gospels. 35 The presence of Luke in the immediate context cannot be ignored, but none of these citations from Luke 24 are identified as such and in the concluding line of 3.16.5 Irenaeus refers most generally to “the gospel”, as if he again rather wishes to emphasize the agreements over the differences. But then at the very end there also occurs once more the combination “Iesum Christum Dei Filium”, which echoes the title verse of Mark’s gospel. So maybe the latter is not altogether absent at the end of a section that had opened precisely with this same verse. 36 4. AH 3.18.4-5 The first prediction is cited again in 3.18.4, but this time the text is much closer, though not completely identical, to Matthew and figures in a “Matthean” context. Little is found here that points to Mark, but he may not be completely absent either: Et ipse autem Dominus manifestum fecit eum qui est passus. Cum enim interrogasset discipulos: Quem me homines dicunt esse Filium hominis? Petrus cum repondisset: Tu es Christus Filius Dei uiui, et cum laudatus esset ab eo quoniam caro et sanguis non releuauit ei, sed Pater qui est in caelis, manifestum fecit quoniam Filius hominis hic est Christus Filius Dei uiui. Ex eo autem, inquit, coepit demonstrare discentibus quoniam oportet illum Hierosolymam ire et multa pati a sacerdotibus et reprobari et crucifigi et tertia die resurgere. Ipse qui agnitus est a Petro Christus, qui eum beatum dixit 35
263.
Cf. the evidence in Itala and in Fischer, Varianten zu Markus, p. 259-
36 Note the repetition of the verb “nouit” which is first used with “Euangelium” and then again in combination with the reference to Jesus as the Son of God. The reference to Jesus’ birth from Mary with which Irenaeus opens the citation from the passion prediction and which he repeats right after may allude to the phrase “qui ex fructu ventris Dauid” in 3.16.3a, right after the citation from Mark 1,1-2a, which is itself a reference to Ps 131,11LXX.
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This version agrees with the text of Matt 16,21, except for three elements. 37 The culprits who will bring Jesus to death are said to be the “sacerdotes”. They are not mentioned in the Greek in any of the three gospels, who instead agree on the phrase ἀπὸ / ὑπὸ τῶν πρεσβυτέρων as the first of three groups that were involved in Jesus’ trial. 38 Irenaeus once more refers to Jesus’ death by crucifixion, and he repeats it right after in his comment on the verse, which gives the impression that this is not a random confusion with the text of Matt 20,19, but rather part of the text as he knew it. The middle element of the trial (“et reprobari”) is not found in Matt 16,21, but occurs in Mark and Luke and might have been inserted, on purpose or by accident, as an echo of the previous citation of this verse, from any of these two gospels. However, the major inspiration definitely comes Matthew, and this is no surprise as he is all-present in the immediate context (note the partial quotations from Matt 16,13.16.17 just before the one from v. 21. But again it should also be noted that none of these citations is identified by the name of the evangelist; they are all introduced as sayings of Jesus testifying about himself. 39 The citation from 16,21 is followed immediately after by one from the same context – Jesus’ invitation to take up the cross (Matt 16,24-25 par. Mark 8,34-35 and Luke 9,23-24).40 In between The connective “autem” (δέ) is a conjecture by the editor for “enim”. It is not considered by Rousseau to be part of the biblical text, but of Irenaeus’ comment and thought to be “well in place” (tout à fait en situation”) as the second part of the argument demonstrating that it is the same person (Contre les hérésies. Livre III, 1, p. 334). 38 The text of VL shows several variant versions, including such that have a form of “sacerdotes”; so Irenaeus’ translator may have been familiar with the word. See the evidence in Itala and more complete in Fischer, Varianten zu Markus, p. 260-262. 39 On the Matthean passages, see Bingham, Matthew’s Gospel, p. 154-157; A. Orbe, Teología de San Ireneo. IV. Traducción y Comentario del Libro IV del “Adversus Haereses”, Madrid, 1996 (BAC. Maior, 53), p. 94-99; cf. also D. Wanke, Das Kreuz Christi bei Irenäus von Lyon, Berlin, New York, 2000 (BZNW, 99), p. 401-402. 40 On the importance of this motif in Irenaeus’ theology, see E. Osborn, Irenaeus of Lyons, Cambridge, 2001, p. 245-248. 37
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is a reference to Peter being reprimanded, which is mentioned by Matthew and by Mark (16,22-23 par. 8,32-33), but the explicit mention of the disciple’s discontent with the perspective of the Lord’s passion (“et passionem eius auersanti”) is closer to Matthew’s “God forbid, Lord! This shall never happen to you” than Mark’s more general “and he began to rebuke him” (also in Matthew). So again it is Matthew who is in view. Things are slightly different for the citation about the cross which goes as follows: Et tunc Petro increpauit secundum opinionem hominum putanti eum esse Christum et passionem eius auersanti, et dixit discipulis: Si quis uult post me uenire, neget se et tollat crucem suam et sequatur me. Qui enim uoluerit animam suam saluare perdet illam, et qui eam perdiderit propter me saluabit eam. Haec enim Christus manifeste dicebat, ipse exsistens Saluator eorum qui propter suam confessionem in mortem traderentur et perderent animas suas.
Irenaeus’ “post me uenire” echoes Matthew’s ἐλθεῖν rather than Mark’s ἀκολουθεῖν, though in the latter there is a strongly attested variant assimilating to Matthew; there is no trace of Mark’s “and for the gospel” (diff. Matt and Luke). But in the latter part of the citation there are also two details that may point to confusion with or subsidiary influence from Mark. The phrase “saluabit eam” might recall Mark’s (or Luke’s) σώσει, though this reading is also weakly attested in Matthew (so Origen).41 The reading “eam perdiderit” is attested (again weakly) for Mark against the more common ἀπολέσῃ/-σει τὴν ψυχὴν αὐτοῦ.42 The shorter and slightly variant citation of the same verse right after in 3.18.5 reads “inueniet eam” as in Matt 16,25. It would indicate that the reading “saluabit” in the previous case has slipped in from Mark (or Luke), though it is also possible that the reading originated from a most natural assimilation to the earlier part of v. 25 which also has the verb “to save”. This second citation of Matt 16,25 is followed by a citation from Matt 23,34a (no doubts here), which again orientates the reader to the First Gospel and which may be yet another source of inspiration, if need be, for reading “to Unger, Against the Heresies, 3, p. 172 n. 26. Cf. the text-critical evidence for 8,34-35 VL in Jülicher, Itala. II. Marcus-Evangelium, p. 73; Fischer, Varianten zu Markus, p. 270-277. For the Greek text of v. 35, see Aland, Aland, Text und Textwert, p. 240-242. 41
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crucify” instead of a mere “to kill” in the citation of Matt 16,25. And this is also the case for the mixed citation with which Irenaeus continues and that consists of a fragment from Matt 10,18 (par. Mark 13,9) to which is added a slightly variant and shorter version of Matt 23,34b, though in this case Mark may again have been in the background as well: Et quoniam passuri errant discipuli eius propter eum dicebat Iudaeis: Ecce mitto ad uos prophetas et sapientes et doctors, et ex his interficietis et crucifigetis; et discipulis dicebat: Ante duces et reges stabitis propter me, et ex uobis flagellabunt et interficient et persequentur a ciuitate in ciuitatem. Sciebat igitur et eos qui persecutionem passuri essent, …
The verb “stabitis” points to Mark’s σταθήσεσθε rather than Matthew’s ἀχθήσεσθε (Luke ἀπαγομένους), though Mark’s reading is also weakly attested for Matthew in the Greek (D Orpt) and is the majority and most likely the original reading of 10,18 in VL.43 Irenaeus has split the two halves of Matt 23,34 and has them directed to different audiences (34a to the “Jews”, the intended audience of the discourse, which in fact is said to be addressed to the disciples and the crowds; 34b to the disciples, who obviously are the subject of the trials that are announced). The assimilation of 23,34b with 10,18 is invited by Matthew himself, who is the only one to read the verb “to scourge” in both these passages (it is not in the parallels in Mark or Luke). But this latter case also shows that Irenaeus is not always citing literally and in full,44 which allows for the possibility that he may have conflated (willingly or by accident) elements from parallels passages in different gospels. So it seems that Mark is largely silent in this long section and offers little for the argument as a whole and that it is rather for Matthew to rule; yet he is not completely absent and every now and then it looks as if he is lurking from behind Matthew’s shoulder.
VL 13,9 in Jülicher, Itala. II. Marcus-Evangelium, p. 123. Note the omission of the phrase “in your synagogues” and the addition of “et interficient” (from v. 34a?). See also “doctores” in v. 34a for γραμματεῖς (VL “scribas”). 43
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5. AH 1.3.5 The citation is found in a section dealing with Gnostic exegesis, in which Irenaeus more in particularly presents their teaching on the Pleroma. Horos (“Limit”) is one of six names given to the eon that comes forth from the Father after his likening through the Monogenes (see already 1.2.4 and 1.3.1). Horos exerts a double activity, one consolidating, the other divisive.45 This is illustrated by two quotations from the gospels for each of both activities: Saluatorem autem sic manifestasse operations eius: et primo quidem confirmatiuam in eo quod dicit: Qui non tollit crucem suam et sequitur me discipulus meus esse non potest, et iterum: Tollens crucem, sequere me; separatiuam autem in eo quod dicit: Non ueni mittere pacem, sed gladium. Et Iohannem dicunt hos ipsum manifestasse dicentem: Ventilabrum in manu eius emundare aream, et colliget frumentum in horreum suum, paleas autem comburet igni inexstinguibili, et per hoc operationem Hori significasse.46
The first three quotations are only identified as words of “the Saviour”, the fourth as a saying of the Baptist. The two parts of each pair are meant to say the same; in the first pair they are connected by a mere “et iterum”, in the second by a longer the phrase. The second pair, referring to the “operatio separatiua”, is formed by a literal citation of Matt 10,34b and Matt 3,12 par. Luke 3,17.47 The first citation of the first pair, which refers to the 45 The two operations are described in the preceding verse in a somewhat unbalanced and puzzling form as “secundum id quidem quod confirmat et constabilit Crucem esse; secundum id uero quod diuidit, Horon”. The latter is thus both what moves the operation and the name of the second of these. Some manuscripts have also doubled the second activity (so also in Epiphanius: μερίζει καὶ διορίζει); see Lundström, Neue Studien, p. 178. 46 Cf. Epiphanius, Panarion, 31.15.2: τὸν δὲ Σωτῆρα οὕτως λέγουσι μεμηνυκέναι τὰς ἐνεργείας αὐτοῦ· καὶ πρῶτον μὲν τὴν ἑδραστικὴν ἐν τῷ εἰπεῖν· ὃς οὐ βαστάζει τὸν σταυτὸν αὐτοῦ καὶ ἀκολουθεῖ μοι μαθητὴς ἐμός οὐ δύναται εἶναι, καὶ · ἄρας τὸν σταυρόν, ἀκολούθει μοι (Holl, I, p. 408). 47 There is a slight variant in the second one when Irenaeus first reads the infinitive (“emundare”), but then continues with the future (“colliget”). NA 28 twice has the future for Matthew (also VL) and the infinitive for Luke, but there is also a variant with the future (VL has the future, but with variant readings). It is impossible to decide whether the combined form reflects Irenaeus’ text, or is merely a mistake. Cf. Irénée de Lyon, Contre les hérésies.
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“operatio confirmatiua”, comes from the same context in Matt 10, but is closer to the cross saying in Luke 14,27 than to its parallel in Matt 10,38 (see “the disciple” vs. “being worthy”). The second reads, “tollens crucem, sequere me”.48 Rousseau suggests Mark 10,21 as the source.49 Jesus ends his appeal to the young rich man with καὶ δεῦρο ἀκολούθει μοι, which is attested in all three gospels, but Mark also has a variant reading adding ἄρας τὸν σταυρόν (σου) to the previous phrase.50 The variant is rightly disqualified in NA 28 as an intrusion from Mark 8,34 which reads ἀράτω (v.l. ἄρας) τὸν σταυρὸν αὐτοῦ καὶ (v.l. om. καί) ἀκολουθείτω μοι; it has a parallel in Matt 16,24 (with the same two variants) and in Luke 9,23 (with intermittent καθ᾿ ἡμέραν). Mark 8,34 par. is the doublet of Matt 10,38 par. Luke 14,27 which is cited as the first half of the pair. Moreover, the order is that of the cross saying (“take up and follow”) and not that of 10,21. So it seems there is little reason for assuming that Mark 8,34 (instead of Matthew) was somehow in sight, and apparently none for bringing in 10,21.51 And yet, “sequere” is the reading of 10,21 in VL (8,34 par. have “sequatur”52). So maybe one should reserve a little place for 10,21 after all, be it perhaps only as an accidental echo.53 Livre I, 1, ed. A. Rousseau, L. Doutreleau, Paris, 1979 (SC, 263), p. 187: “impossible de savoir de façon certaine laquelle figurait dans le texte irénéen primitif”. Cf. D. J. Unger, St. Irenaeus of Lyons Against the Heresies, 1, New York, Mahwah, NJ, 1992 (Ancient Christian Writers, 55), p. 149 n. 30. 48 Cf. Epiphanius as cited above. On the relation of 8,34 par. with Matt 10,34, see Wanke, Kreuz, p. 27-29, esp. 29. 49 So also Novum Testamentum sancti Irenaei episcopi Lugdunensis, ed. Sanday et al., p. 47. 50 Contre les hérésies. Livre I (SC, 263), p. 187. The variant is also sparsely attested in VL as “sequere me tollens crucem” (Xq); cf. Jülicher, Itala. II. Marcus-Evangelium, p. 92; Fischer, Varianten zu Markus, p. 300. For the Greek, see Aland, Aland, Text und Textwert, p. 291-292. 51 Needless to add that the presence of the cross in 10,21 is not explained and not linked to physical suffering, as this is the case in 8,34-35 after v. 31. Cf. Unger, Against the Heresies, 1, p. 149 n. 28: “It is not indicated here just how the cross is supportive”. 52 Fischer, Varianten zu Markus, p. 273-274. 53 Blanchard notes that there is no other evidence that Ptolemaeus, who is the opponent in view here, had any knowledge of Mark’s gospel. In line with his overall hypothesis, he takes it as an indication that Ptolemaeus relied
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6. AH 1.21.2 In discussing redemptive rites and usages among the Marcosians, Irenaeus cites two sayings of Christ they invoke to distinguish between the Baptist’s baptism of repentance and Christ’s “baptism” of redemption leading to perfection. The first (not further identified, except as a word of Jesus) agrees with the opening words of Luke 12,50, but the motif of urgency with which Jesus looks forward to his passion is formulated differently.54 The second is said to be taken from the scene of the sons of Zebedee asking Jesus who will have precedence in the kingdom. It is a shortened (and not completely identical) version of Jesus’ reply in Mark 10,38, citing only the second half, which is peculiar to Mark: Sed et filiis Zebedaei, matre ipsorum postulante ut sedere faceret eos a dextris et a sinistris cum eo in regno, hanc apposuisse redemptionem Dominum dicunt, dicentem: Potestis baptisma baptizari, quod ego habeo baptizari? 55.
on oral tradition which was itself further supported by written collections of sayings material: “faut-il en déduire une dépendance de Ptolémée par rapport à l’évangile de Marc, alors que l’ensemble du dossier paraît ignorer cet évangile (de même déjà chez Justin …)? Il paraît plus raisonnable de parler d’un fond commun de paroles de Jésus, véhiculé par la tradition orale, elle-même relayée par des collections écrites avec, inévitablement, un nombre important de variantes” (Sources, p. 183 n. 3). Such an explanation is of course not utterly impossible, but how much can be built on Justin’s silence; moreover, the explanation would apply to Ptolemaeus, but not necessarily also to Irenaeus. The next passage shows that at least some of the Gnostic opponents seem to have had some knowledge of Mark. 54 “Aliud baptisma habeo baptizari, et valde propero ad illud”. The addition of “aliud” is obviously needed to create the contrast with John’s baptism. The second half of the verse is not attested as such in the Greek or in VL, which has several variants but none that agrees with Irenaeus (see A. Jülicher, Itala. Das Neue Testament in altlateinischer Überlieferung. III. Lucas-Evangelium, Berlin, ²1976, p. 154). 55 Cf. Epiphanius, Panarion, 34.19.5: ᾿Αλλὰ καὶ τοῖς υἱοῖς Ζεβεδαίου, τῆς μητρὸς αὐτῶν αἰτουμένης τὸ καθίσαι αὐτοὺς ἐκ δεξιῶν καὶ ἐξ ἀριστερῶν μετ᾿ αὐτοῦ εἰς τὴν βασιλείαν, ταύτην προσθεῖναι τὴν ἀπολύτρωσιν τὸν Κύριον λέγουσιν, εἰπόντα· Δύνασθε τὸ βάπτισμα βαπτισθῆναι, ὃ ἐγὼ μέλλω βαπτίζεσθαι; (Holl, II, p. 23). Not only Epiphanius differs from the text of the NT, but also Irenaeus himself (pace Unger, Against the Heresies, 1, p. 224 n. 5).
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Here it is definitely Mark who is in view, whatever one makes of this in a Gnostic context.56 But Matthew is apparently not completely absent. Indeed, the verb “habeo” (μέλλω) may betray a pinch of Matthean influence (see his parallel to Mark 10,38a in 20,22).57 The case proves that Mark can stand on his own for building an argument, or almost, for again his evidence is secondary only to the one from Luke, which actually is the displaced and rephrased parallel to Mark 10,38.58 Paul is said to offer additional proof for the thesis of the Marcosians about the redemptive character of Jesus’ death, but he is not cited and only alluded to.59 7. AH 2.32.1 When criticizing, towards the end of Book 2, the theses of Simon and Carpocrates, Irenaeus first discusses the issue of magic and then the claim that the Lord would have taught a kind of 56 While recognizing this, Blanchard points out its exceptional character in Gnostic literature and prefers to explain its presence here through a common exegetical tradition that may have become part of a sayings collection rather than through dependence on Mark: “cette référence privilégiée à Marc paraît exceptionnelle et pourrait s’expliquer par une commune réinterprétation ‘baptismale’ d’un logion dont la forme simple transparaît dans le texte matthéen; autrement dit, plus qu’un emprunt des gnostiques à Marc, il faudrait alors parler d’une commune tradition interprétative qui suppose le recours direct à des collections de logia, distinctes des mises en oeuvre narratives opérées par les évangélistes” (Sources, p. 189). Again, such an explanation is not a priori impossible, but, as in the previous case, we have little to go on to conclude that Irenaeus is really citing his opponents literally and correctly in referring to their scriptural arguments. 57 Sanday et al. compare with the Arabic Diatessaron (Novum Testamentum sancti Irenaei episcopi Lugdunensis, p. cxv: “if we allow habeo to be a rendering of μέλλω (as well as ἔχω)”; cf. p. cxlix). See also the variant readings in VL in Jülicher, Itala. II. Marcus-Evangelium, p. 97; Fischer, Varianten zu Markus, p. 367. 58 Cf., e.g., M. Wolter, Das Lukasevangelium, Tübingen, 2008 (Handbuch zum Neuen Testament, 5), p. 469: “Lukas hat diese Formulierung vermutlich aus Mk 10,38f übernommen, und als ihren Bildspender hat er die Taufe angesehen, den für sie bleibt bei ihm auch sonst das Wort βάπτισμα reserviert”. 59 The passages alluded to include Rom 3,24; Eph 1,7, or Col 1,14. Blanchard thinks these may be the letters the Marcosians preferred from Paul’s writings and offers as an argument some evidence of their use in Gnostic circles (Sources, p. 246).
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absolute freedom of action. To counter the latter, Irenaeus has put together a dossier of a fortiori sayings to argue that, on the contrary, Jesus has preached to aspire at the highest ethical standings, not only forbidding adultery, but even the idea of longing for another woman (note the repeated “non solum …, sed etiam” phrases). The dossier is closed with a couple of references to the judgement that is awaiting those who would disobey his commandments. They are said to be taken from “the teaching” of Jesus (“non utique dixisse dogmatizans, id est docens”), but are not further identified. The first one is a citation from Matt 13,43 that describes the fate of the just; the second combines the phrase “in ignem aeternum” with Mark 9,48, which serves as its illustration and is itself a citation of Isa 66,24, to describe that of the unjust. Et si quidem nihil esset mali aut rursus boni, opinion autem sola humana quaedam quidem iniusta quaedam autem iusta putarentur, non utique dixisset dogmatizans, id est docens: Iusti autem fulgebunt sicut sol in regno Patris eorum; iniustos autem et qui non faciunt opera iustitiae mittet in ignem aeternum, ubi uermis ipsorum non morietur et ignis non exstinguetur.
The phrase “in ignem aeternum” occurs only in Matt 18,8 and 25,41 in the gospels (εἰς τὸ πῦρ τὸ αἰώνιον), but there are several variants, such as εἰς τὴν γέενναν τοῦ πυρός (Matt 5,22, also 18,9 as a synonym for v. 8), εἰς τὴν κάμινον τοῦ πυρός (Matt 13,42.50, so in the immediate context of 13,43), or εἰς τὸ πῦρ τὸ ἄσβεστον (Mark 9,43 and with the verb in vv. 44.46.48, also Matt 3,12 = Luke 3,17). If Irenaeus had a particular verse in mind, it was most probably Matt 18,8-9 is the direct parallel to Mark 9,43.47, and moreover, is a doublet of Matt 5,29-30, which brings us back to the context of the antitheses to which Irenaeus had been referring in the preceding. VL shows quite some variants (including the plural “uermes” and a switch of the verbs “morietur” and “extinguetur”),60 but Irenaeus is basically true to the majority reading. There is no reason to think that he was directly going back to Isaiah. So Mark is present, though only through the prophet and for illustrating what is said in Matthew. But together the whole set makes for an impressively threatening finale of this section.
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Cf. Jülicher, Itala. II. Marcus-Evangelium, p. 86.
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8. AH 4.6.6 It has been suggested that the first half of Book Four (4.1-19) can be subsumed under the one heading of “the unity of the two testaments proven by the Lord”. It offers a more or less detailed exegesis of various sayings of Jesus (and some other material). In 4.6 Irenaeus explains Matt 11,(25-)27 par. Luke 10,(21-)22. The section contains very few citations or references to other verses than the ones to be explained, but in 4.6.6 he cites the reply (and confession) of the possessed about the identity of Jesus that is mentioned in Mark 1,24 par. Luke 4,34: Et propter hoc omnes Christum loquebantur praesente eo et Deum nominabant. Sed et daemones videntes Filium dicebant: Scimus te qui es, Sanctus Dei.
The wording is identical in Mark and in Luke. The plural (“scimus” for Greek οἶδα) is attested as a variant reading in both gospels and fits the context better (cf. τί ἡμῖν καὶ σοί … ἦλθες ἀπολέσαι ἡμᾶς;).61 So there is little to go on, but the fact that the citation is followed by the opening words of Luke 4,3 par. Matt 4,3 (Satan’s “if you are the Son of God”) would rather favour the conclusion that it is Luke who is in view, which would fit in a section commenting on a verse that occurs in Luke and Matthew, but not in Mark. In this respect, there is something strange about Irenaeus’ comment. He had begun this section by citing Matt 11,27 par. Luke 10,22 in extenso (he is closer to Matthew’s version) and identifying its origin as follows: “sic et Matthaeus posuit, et Lucas similiter, et Marcus idem ipsum; Johannes enim praeterit locum hunc” (4.6.1). The latter is true, though it has often been noted that Matt 11,25-27 par. Luke has several thematic parallels in John (see 13,3 and many others).62 But Irenaeus is mistaken about Mark who does not have the verse and nothing similar to it. Could Cf. Jülicher, Itala. II. Marcus-Evangelium, p. 5. The passage (or Matt 11,27 par. Luke 10,22) is often referred to as “the Johannine thunderbolt”. Specifically on the relation to John, see A. Denaux, “The Q-Logion Mt 11,27 / Lk 10,22 and the Gospel of John”, in John and the Synoptics, ed. A. Denaux, Leuven, 1992 (BETL, 101), p. 163-199 (with in appendix on p. 193-199 a survey of the many parallels between Matt 11,25-30 par. Luke 10,21-22 and John’s gospel). 61
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it be an indication that he was not really familiar with this gospel, at least not to the same degree as with that of Matthew, or did he just forget to check on the text?63 Probably not too much is to be made of it, except perhaps that it is a nice example of the axiom “Quandoque dormitat bonus Homerus”.64 9. AH 4.9.3 To illustrate his point that Jesus’s disciples kept to the commandments of the Law, Irenaeus cites Jesus’ words from Matt 15,3-4 par. Mark 7,9-10 and Matt 15,6b, together with its “original” in Ex 20,12 65: Quemadmodum ipse ait ad eos qui accusabant ejus discipulos quasi non servarent traditionem seniorum: Quare vos frustramini praeceptum Dei propter traditionem vestram? Deus enim dixit: Honora patrem et matrem; et: Qui maledixit patri aut matri, morte moriatur. Et iterum secondo ait eis: Et frustrati estis sermonem Dei propter traditionem vestram, manifestissime Patrem et deum confitens Christus eum qui in lege dixit: Honora patrem et matrem, ut tibi bene sit. Verbum enim Dei confessus est legis praeceptum verax Dominus, et neminem alterum Deum appellavit quam suum Patrem.
63 Both possibilities were suggested by A. Bastit in correspondence about this paper; both are equally plausible and as a matter of fact interconnected. 64 The mistake goes unmentioned in Rousseau’s commentary who rather focuses, with good reason, on the differences Irenaeus points out between his “orthodox” version of the verse and that of his opponents. The section has received quite some attention: see A. Rousseau, Contre les hérésies. Livre IV, 1 (SC, 210), p. 206-208, with reference to R. Luckhart, “Matthew 11,27 in the ‘Contra Haereses’ of St. Irenaeus”, Revue de l’Université d’Ottawa, 23 (1953), p. 65-79 and A. Houssiau, “L’exégèse de Matthieu 11,27b selon saint Irénée”, ETL, 26 (1953), p. 328-354. See also J. Ochagavía, Visibile Patris Filius. A Study of Irenaeus’ Teaching on Revelation and Tradition, Rome, 1964 (Orientalia Christiana Analecta, 171), p. 62-69; A. Orbe, “La revelación del Hijo por el Padre según san Ireneo (Adv. Haer. IV,6). Para la exegesis prenicena de Mt. 11,27”, Gregorianum, 51 (1970), p. 5-83; Tiessen, Salvation, p. 111-115; and the more than exhaustive analysis by Orbe, Teología de San Ireneo. IV, p. 50-103. 65 This whole section of 4.9 deals with the relation between the two “testaments”, which is here best understood as “the old and the new alliance”, or the Law and Jesus’ teaching. Cf. Blanchard, Sources, p. 146-147, 149.
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The two citations are closer to Matthew’s version (v. 3 formulated as a question and compare “propter traditionem vestram” = διὰ τὴν παράδοσιν ὑμῶν in v. 6b, both diff. Mark). The concluding comment also rather recalls Matthew who uses the motif far more frequently than Mark.66 But perhaps Mark is not completely absent. Irenaeus’ version of Matt 15,3-4.6b contains a few words that are not attested in VL.67 The word “praeceptum” is attested in VL for Mark 7,9 (along with other variants: “mandatum”, “testamentum”); the verb “frustrare” (used twice) rather renders Mark’s ἀθετεῖτε (v. 9) than Matthew’s παραβαίνετε.68 10. AH 4.18.4 When criticising such people who despise the material world, Irenaeus objects that they thus cannot have any certainty that the Eucharistic bread represents the body of the Lord and the cup his blood, unless they recognize Him to be the son of God, His Word, by which the earth is fructified. The latter is expressed in three images, the last of which is a fairly literal citation of Mark 4,28: Quomodo autem constabit eis eum panem in quo gratiae actae sint corpus esse Domini sui, et calicem sanguinem ejus, si non ipsum Fabricatoris mundi Filium decant, hoc est Verbum ejus, per quod lignum fructificat et effluunt fontes et terra dat primum quidem fenum, post deinde spicam, deinde plenum triticum in spica?
Irenaeus does not identify the text as a citation. The motif that the earth would produce “of itself” (αὐτομάτη) is missing;69 66 Cf. the repeated use in Matt 6 and note its presence in the immediate context in 15,13 diff. Mark. 67 See “frustramini praeceptum” for VL “transgredimini/egredimini mandatum”; “praeceptum” is attested for Mark 7,9 (with other variants: “mandatum”, “testamentum”), but this may not be enough to assume a secondary influence from this gospel. Cf. Jülicher, Itala. II. Marcus-Evangelium, p. 60-61. 68 Contre les hérésies. Livre IV, 1 (SC, 210), p. 226: “la quasi-certitude qu’il n’y avait … qu’un seul et même verbe grec. Celui-ci a toutes chances d’être ἀθετέω (cf. Mc 7,9)”. On “frustrare” in the Latin Irenaeus, see Lundström, Neue Studien, p. 19. 69 In VL the word αὐτομάτη is rendered with (or rather, substituted by) “ultro” (v.l. “ultronia”). Cf. Jülicher, Itala. II. Marcus-Evangelium, p. 32.
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instead it is pointed out that it is thanks to the divine Word that the earth produces fruit, which is obviously also what was hinted at in Mark.70 The verb “fructificat” in the first image better renders Mark’s καρποφορεῖ than the mere “terra dat”; the latter is probably better not rendered with βλαστᾷ,71 which means that there is no reason also to refer to 4,27 but perhaps rather to 4,7-8 (καὶ καρπὸν οὐκ ἔδωκεν and καὶ ἐδίδου καρπόν).72 The citation is not so much a part of the core of the argument than an illustration of the theological statement that precedes it. Rousseau thinks the differences with the biblical text are best explained as the result of citing from memory, but the citation would also demonstrate Irenaeus’ familiarity with Scripture.73 When taken together the two observations are somewhat in tension, perhaps even contradictory. If the omission of αὐτομάτη could be shown to be accidental, this would weaken the second claim; if it happened on purpose, the first claim is rendered void. Rousseau further assumes the verse popped up “spontaneously” and was regarded by Irenaeus as a most appropriate way for illustrating the point he was making. This is not impossible, but actually Irenaeus, as usual, does not tell us anything about where he found his inspiration for citing this particular verse in this context and he does not explicitly claim credentials for it.74 70 Cf. J. Marcus, Mark 1–8. A New Translation with Introduction and Commentary, New York, 1999 (AB, 27), p. 326: the preceding passage, and indeed the whole of Mark 4,13-20.21-25 deals with the idea that “the dominion of God is … mysteriously present, but hidden…”; Mark 4,26-29 “continues this theme by emphasizing that the manner of the growth of God’s dominion eludes comprehension and is beyond human power to control. All that the farmer does is cast the seed into the ground and wait; the seed germinates and develops by itself, even while he is sleeping, and he has no idea how it grows”. 71 So in Rousseau’s reconstruction of the Greek (Contre les hérésies. Livre IV, 1 [SC, 210], p. 244). VL instead reads “fructificat”. 72 But the link with the parable in 4,26-29 is thus not completely severed and there is still room for a Eucharistic interpretation of the text; see Y. de Andia, Homo vivens. Incorruptibilité et divinisation de l’homme selon Irénée de Lyon, Paris, 1986, p. 239. 73 Ibid., p. 245. 74 On Irenaeus’ exegesis of the parable in mark, see A. Orbe, Parábolas evangélicas en san Ireneo, II, Madrid, 1972, p. 198-204; Id., Teología de San Ireneo. IV, p. 254-255.
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11. AH 4.37.5 The third and final part of the fourth book aims at demonstrating the unity of the two testaments on the basis of some of Jesus’ parables, and more particularly, of the polemics against Jerusalem that are found in it (or that Irenaeus wishes to detect). The first one to be commented upon is that of the Wicked Husbandmen which is cited in the version of Matthew (21,33-43), though this goes unmentioned, and is further illustrated from citations from the prophets. The second is the warning to be vigilant from Luke 21,34-35 which is also cited in full and is followed by two more citations, the one from Luke 12,35-36a and the other a somewhat more free and partly conflated citation from Luke 17,26-30 (with an element from Matt 24,39, “et non scierunt”) rounded off by Matt 24,42. The mention of Sodom also brings on a passing reference to Luke 10,12 par. Matt 10,15, which in turn directs Irenaeus to Matt 11,23-24 (par. Luke 10,15) that is cited according to Matthew (4.36.1-4). The next parable is that of the Great Supper, cited again according to Matthew (22,2-14) that is also amply commented upon with some help from other passages (4.36.5-6). Other parables are not cited but merely referred to,75 apart from a quotation from Luke 13,7. This long subsection is then concluded in 4.36.8 with some extras, not from parables, but from other sayings of Jesus, again with some citations: Matt 23,37-38 par. Luke 13,34-35 (the two are almost identical; Irenaeus reads “deserta” at the end, which is Matthew’s reading, but there is a variant also in Luke) and Matt 8,11-12 par. Luke 13,28-29 (this one clearly cited in Matthew’s version). The next section deals with human freedom (4.37.1-6a).76 It picks up on Matt 23,37 that is cited again and said to be an excellent illustration “of the old law of human freedom” (4.37.1 “veterem legem libertatis hominis manifestavit”). The theme is further developed and illustrated with two citations from Paul’s Letter to the Romans (2,4-5.10), duly identified this time (4.37.1), a dossier of citations from Matt and Luke (4.37.3), in part from texts and 75 See, in this order, in 4.36.7-8, Luke 15,11-32; Matt 20,1-16; Luke 18,1014; Matt 21,28-32; Luke 13,6-9. 76 See Tiessen, Salvation, p. 218-222.
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contexts that had been mentioned before (Matt 5,16; Luke 21,34; 12,35-36.43.47; 6,46; 12,45-46), one more citation from Paul, again identified as such (1 Cor 6,12 or 10,23), and a second catena of citations, all from Paul (Eph 4,25.29; 5,4.8; Rom 13,13; 1 Cor 6,11).77 Irenaeus in 4.37.5 then steps up the argument by also demonstrating that God allows humans to be free, not only in their acts, but also in their capacity to come to faith. The latter is illustrated with another round of citations (Matt 9,29b; Mark 9,23b; Matt 8,13b), before concluding that John is right when he has Jesus promise punishment and reward according to whether one does or does not assent to his offer (3,36) and once more citing Matt 23,37-38 (par. Luke), with which he had opened this section. The triple quotation on coming to faith is taken from three different healing stories: Et non tantum in operibus sed etiam in fide liberum et suae potestatis arbitrium hominis servavit Dominus, dicens: Secundum fidem tuam fiat tibi, propriam fidem hominis ostendens, quoniam propriam suam habet sententiam. Et iterum: Omnia possibilia credenti, Et: Vade, sicut credidisti fiat tibi. Et omnia talia suae potestatis secundum fidem ostendunt hominem.
The citations are explicitly identified as such. The first one has a parallel in Mark and Luke, but Irenaeus clearly cites from Matthew’s rather different version; the second and third are peculiar to Mark and Matthew.78 They are said to be only a selection from among many other such passages (“et omnia talia …”). The selection is well chosen. The three clearly make the same point and are in a sense interchangeable.79 But as usual, Irenaeus does not give a clue as to why he chooses these verses and put them in this configuration. Other such verses were available (e.g., Mark 5,34 par. Matt/Luke). It is then hazardous to speculate about how Irenaeus might have proceeded, but one should perhaps draw attention to the fact that Matt 9,29b and 8,13b are closer to each other (see On the use of Paul in 4.37, see Noormann, Paulusinterpret, p. 252-260. Irenaeus cites the phrase without the copula, as it is in Mark, which is regarded by Turner as the best reading (Novum Testamentum sancti Irenaei episcopi Lugdunensis, ed. Sanday et al., p. 240). 79 Cf. Bacq, Alliance, p. 258: “Il prouve ainsi que la foi appartient en propre à l’homme, qu’elle est sienne, par là même que celui-ci possède sa décision en propre”. Cf. also Bingham, Matthew’s Gospel, p. 246. 77 78
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γίνομαι in both) than to anything in the parallels in Mark and Luke and that the somewhat more general formulation of Mark is now flanked by two very similar phrases from Matthew, even though the citation from Mark 9,23 is not given any particular emphasis beyond its position in the middle (if that means anything), is not specifically singled out as from Mark’s gospel, and appears as something of a stranger or a surprise amidst the many citations from Matthew and Luke that had preceded. 12. AH 5.21.3 In discussing the Temptation Narrative as an illustration of how Jesus conquers Satan and decides the eternal conflict with the help of God’s commandments (5.21.2–22.1), Irenaeus not only cites from Matt 4,1-11 and the OT passages that are quoted there, but also throws in a couple of passages from Paul (Gal 4,4 and Rom 3,30) and an allusion to Luke 1,78 (God’s misericord). He also adds a quotation from the saying on the binding of the strong man in Mark 3,27a par. Matt 12,29a, which he rightly considers to be a good illustration of how Christ has triumphed over Satan and freed those made captive by the latter: per hominem ipsum iterum oportebat victum eum contrario colligari iisdem vinculis quibus alligavit hominem, ut homo solutus revertatur ad suum Dominum, illi vinculis relinquens per quae ipse fuerat alligatus, hoc est transgressionem. Illius enim colligation solution facta est hominis, quoniam non potest aliquis introire in domum fortis et vasa ejus diripere, nisi primum ipsum fortem alligaverit.
The passage is largely identical in the two gospels (Luke differs considerably).80 The double infinitive depending on “non potest” is
80 Irenaeus plays on the word “homo”, which refers to humankind and to the strong man, a foil for Satan. He extends this play in the next line when he refers to Christ as “a man”: “fugitivum eum homo ejus et legis transgressorem et apostatam Dei ostendens, postea jam Verbum constanter eum colligavit”. The “homo ejus” (Rousseau: “l’homme qu’il était”) is also the Word. On the (exceptional) use of the former as a title for Christ, see A. Houssiau, La christologie de saint Irénée, Leuven, 1955, p. 31.
four gospels indeed, but where is mark?
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closer to Matthew (Mark has εἰσελθὼν … διαρπάσαι),81 but Matthew phrases it as a question (ἢ πῶς), which makes Mark perhaps the more plausible source.82 Conclusion The conclusion can be brief. Mark is one of the four gospels, or part of the fourfold gospel; there can be no doubt about that. But it takes a modest place in AH compared to Matthew and Luke, and he is mobilised far less frequently than the other two. Irenaeus gives no explanation for it, but also never gives the impression that, in his opinion, it somehow would affect the status of that gospel. This relatively sparse use of Mark makes it very diffiVL shows several variants for 3,27, including the participle (“ingressus” or “introiens”) for the first verb and “nemo potest” for “non potest aliquis”. Cf. Jülicher, Itala. II. Marcus-Evangelium, p. 25. 82 Cf. A. Orbe, Teología de San Ireneo. Comentario al Livro V del “Adversus Haereses”, II, Madrid, 1987 (BAC. Maior, 29), p. 414: “La forma ‘non potest’ responde a Mc”. Orbe also mentions AH 3.8.2: “Sed et diabolum cum dixisset fortem, non in totum, sed uelut in comparationem nostrum, semetipsum in omnia et uere fortem ostendit Dominus, dicens non aliter aliquem posse ‘diripere uasa fortis, si non ipsum prius adliget fortem, et tunc domum eius diripiet’”. The wording differs from that in 5.21. Matthew and Mark are identical for the second half of the verse, but again Irenaeus formulates as a positive clause, not as a question, which would point to Mark as his primary inspiration. Rousseau refers only to Matt 12,29 at 3.8.2 and regards it rather as an allusion. Similar allusions to Mark 3,27 par. in AH 3.18.6; 3.23.1; and 5.22.1. “The binding of the strong man became a favourite metaphor for Irenaeus of the conflict between Satan and Christ” (D. Minns, Irenaeus. An Introduction, London, 2010, p. 105 n. 20). Others have qualified this passage as an example of “powerful exegesis”: cf. G. Wingren, Man and the Incarnation. A Study of the Biblical Theology of Irenaeus, transl. R. MacKenzie, Philadelphia, PA, 1959 (orig. 1947), p. 103 n. 69. B. Sesboüé, Tout récapituler dans le Christ. Christologie et sotériologie d’Irénée de Lyon, Paris, 2000 (Jésus et Jésus-Christ, 80), p. 118, compares it with Irenaeus’ exegesis of 1 Cor 15,47 in AH 3.23.1 in the context of his Adam Christology, another crucial topic of his theology that has produced quite some literature. For the latter, see the connection suggested by de Andia, Homo vivens, p. 343: “Le premier type de temporalité, celui de la croissance, est celui de l’économie de la création, où Adam a été créé enfant. Le second qui se superpose au premier est celui de l’économie du salut où le Christ, par sa ‘Passion puissante’, a ligoté l’homme fort et triomphé de la mort et où l’Incorruptibilité a absorbé la corruption”. 81
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cult, even more so than for the other gospels, to discover a pattern or strategy in Irenaeus’ use of this gospel, beyond the rather obvious cases where a particular passage was chosen because it has a verbal or thematic connection with passages from other gospels, and even then it is often not clear why Mark was added to these others. An obvious reason for why Mark is less prominent may well have to do with the fact that this gospel contains less sayings material, which constitutes the prime material Irenaeus quotes from the gospels. It is Jesus who speaks to us, and it is just so that does this more often through Matthew and Luke. The fact that so much of Mark is covered by Matthew and Luke, often in fairly similar form, certainly may also have contributed to his relative absence, though theoretically Irenaeus could have chosen for Mark against the others in a more consistent way than he seems to have done. Whether other reasons played a role, such the possibility that Mark was absent from the liturgy in the communities Irenaeus served or came from, or doubts about its presence in the writings of his opponents, remains disputed or speculative. This said, the inevitable consequence is that the two “longer” gospels and John take the lead and that Mark is called upon only occasionally, to bolster an argument that is illustrated also from the other gospels, but hardly ever, it would seem, because it would offer something that the others have missed, and in any case never as the leading or critical voice in Irenaeus’ argument or reasoning. Mark is “one of the four”, but it does not take the front stage.
Irénée fait-il de l’apôtre Jean le Disciple bien-aimé ? Le point sur une question controversée Luc Devillers (Fribourg) À la mémoire du fr. Marie-François Berrouard OP, qui, avec une compétence et une délicatesse extrêmes, initia à saint Irénée les dominicains de ma génération.
Introduction On attribue souvent à Irénée1 le fait d’être le premier à identifier l’auteur du quatrième évangile avec l’apôtre Jean, frère de Jacques et fils de Zébédée. Dans sa recherche sur les « sources du canon », Yves-Marie Blanchard écrit, à propos d’un passage où Irénée qualifie Jean d’apôtre (1.9.2, p. 61) : Ainsi, comme pour les prologues narratifs de Matthieu et de Luc, le prologue méditatif du quatrième évangile est reçu [par Irénée] comme une œuvre d’apôtre et imputé à Jean, l’un des Douze […] Cette autorité apostolique du prologue de Jean se trouve confirmée en de multiples occurrences2 .
Dans une monographie sur la Wirkungsgeschichte de l’apôtre Jean, R. Alan Culpepper se faisait l’écho de la même opinion : Toutes les références à l’Adversus Haereses, ainsi que les numéros des pages, renvoient à la version française en un volume des Éditions du Cerf : Irénée de Lyon, Contre les hérésies, éd. A. Rousseau, Paris, 1984/20012 (Sagesses chrétiennes). Cette édition reprend, moyennant de très légères modifications, la traduction des Sources chrétiennes. Pour la Démonstration apostolique, références et numéros des pages sont empruntés à l’édition des Sources chrétiennes, Paris, 19952 (SC, 406). 2 Y.-M. Blanchard, Aux sources du canon, le témoignage d’Irénée, Paris, 1993 (Cogitatio fidei, 175), p. 231. 1
Irénée de Lyon et les débuts de la Bible chrétienne. Actes de la Journée du 1.VII.2014 à Lyon, sous la direction de A. Bastit et J. Verheyden, Turnhout, 2017 (Instrumenta Patristica et Mediaeualia, 77), p. 205-218 ©
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luc devillers First, while Irenaeus continues the practice of referring to John as ‘the disciple of the Lord,’ which is his customary term for John, we can hardly doubt that Irenaeus regarded this John of Asia, who ‘lived up to the times of Trajan,’ as the apostle John […] If not entirely original with Irenaeus, therefore, the coalescing of the traditional view that the Gospel of John was of apostolic authorship – written by the apostle John, who was also the Beloved Disciple, the elder, and the seer of the Apocalypse – owes a great deal to Irenaeus’s interpretation of the tradition he used in his defense of the Gospel of John as an orthodox, apostolic writing3.
Dans les premiers tirages de la troisième édition de la Bible de Jérusalem, l’introduction aux écrits johanniques disait : Même en faisant abstraction des retouches apportées par l’ultime rédacteur, peut-on maintenir un lien étroit entre le quatrième évangile et l’apôtre Jean ? L’auteur le plus ancien qui l’affirme explicitement est saint Irénée de Lyon4.
Dix ans plus tard, la nouvelle édition de la Traduction Œcuménique de la Bible abondera encore en ce sens, en ajoutant un argument de convenance : Pour Irénée […], il s’agit du fils de Zébédée, l’un des Douze. A cette époque, la tendance est très forte, malgré certaines hésitations, à attribuer à l’un des Douze les écrits considérés comme canoniques 5.
Et, jusqu’à ce jour, la plupart des commentaires scientifiques soutiennent la même interprétation. Ainsi Jean Zumstein, dernier commentateur francophone, affirme qu’« Irénée de Lyon […] est le premier témoin sûr […] qui professe cette opinion » 6 (l’attribution
3 R. A. Culpepper, John, the Son of Zebedee : The Life of a Legend, Minneapolis, MN, 2000 (Studies on Personalities of the New Testament), p. 124, 127 (c’est moi qui souligne). Voir ma recension de la première édition (Columbia, SC, 1994), dans RB, 105 (1998), p. 105-118. 4 La Bible de Jérusalem, traduite en français sous la direction de l’École biblique de Jérusalem, nouvelle édition revue et corrigée, Paris, 1998, p. 1814 (c’est moi qui souligne). 5 La Bible, notes intégrales, traduction œcuménique TOB, 11e édition, Paris, 2010, p. 2296. 6 J. Zumstein, L’évangile selon saint Jean (1–12), Genève, 2014 (Commentaire du Nouveau Testament, deuxième série, IVa), p. 39.
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de l’évangile au fils de Zébédée). C’est aussi l’avis de l’Américain Urban C. von Wahlde7, et de l’Allemand Johannes Beutler8. Après avoir fréquenté pendant plus de trente ans les écrits d’Irénée, je suis personnellement très réservé face à cette opinion si répandue. Or, durant mon séjour à l’École biblique de Jérusalem (1995-2008), on m’avait confié la révision de l’introduction aux écrits johanniques de la nouvelle Bible de Jérusalem9. Puisque cette bible était destinée à un large public, je n’avais pas jugé convenable d’en modifier radicalement l’introduction anonyme, pour y introduire des idées trop personnelles. Cependant, il m’avait paru possible, utile et même nécessaire d’inviter au moins le lecteur à la prudence face à une opinion qui ne semblait pas aussi claire que cela. Dans ce but, j’ai procédé à une double modification du texte10. Tout d’abord, je l’ai corrigé en écrivant : « Saint Irénée de Lyon semble être le premier auteur à affirmer un lien entre l’évangile et l’apôtre », au lieu de : « l’affirme explicitement ». Mais surtout, un peu plus loin, j’ai inséré le paragraphe suivant, qui offrait déjà quelques éléments d’une nouvelle interprétation : En outre, le témoignage de saint Irénée, souvent invoqué en faveur de l’apôtre, n’est pas sans ambiguïté. Irénée appelle toujours 7 U. C. von Wahlde, The Gospel and Letters of John, Vol. 3, Grand Rapids, MI, Cambridge, 2010 (Eerdmans Critical Commentary), p. 410 : « The first actual identification of John with the BD and with the authorship of the Gospel is from Irenaeus ». Voir encore p. 412 et 415. 8 Beutler cite en premier lieu Irénée (AH 2.22.5) à l’appui de l’opinion selon laquelle le disciple bien-aimé « wird seit dem späten 2. Jh. mit dem Apostel und ‘Jünger des Herrn’ Johannes identifiziert » ; J. Beutler, Das Johannes evangelium : Kommentar, Freiburg im B, Basel, Wien, 2013, p. 66. 9 C’était en 1999, soit un an après la parution des premiers exemplaires de cette édition, au parcours assez chaotique, avec divers états du texte. En effet, des raisons commerciales avaient poussé l’éditeur à procéder aux premiers tirages de sa nouvelle édition avant même d’avoir obtenu l’imprimatur des autorités ecclésiastiques. Ce « détail » n’a pas manqué d’attirer l’attention de ses détracteurs, qui ont dénoncé cette bible comme non catholique. Mais le Cardinal Eyt, à l’époque Président de la Commission doctrinale de l’Épiscopat catholique de France, m’avait alors assuré que la Bible de Jérusalem aurait son imprimatur. Ce qui fut fait le 30 septembre 1999. 10 On comparera, par exemple, la p. 162 de l’édition du Nouveau Testament de la BJ, paru en 2002, avec la version de 1998 de l’introduction, citée au début de cet article.
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luc devillers « apôtre » Pierre, Paul ou les fils de Zébédée11, tandis que l’évangéliste est presque toujours pour lui « Jean, le disciple du Seigneur ». Irénée connaîtrait-il deux groupes, « les apôtres et les disciples du Seigneur, c’est-à-dire l’Église » (Contre les hérésies 3.12.5, et passim) ?
En m’engageant ainsi discrètement dans le débat irénéen, j’ouvrais une piste que j’aurais voulu explorer davantage par la suite ; malheureusement, l’occasion m’en a manqué. Puis un livre de Richard Bauckham a consacré quelques pages à ce thème12 : dans la ligne déjà entrouverte par Martin Hengel13, cet auteur signalait que le texte d’Irénée était beaucoup plus difficile à interpréter qu’on ne le pensait sur la question de l’auteur de l’évangile14. Plus récemment, dans le cadre d’une vaste étude sur la Wirkungsgeschichte des Douze apôtres dans le christianisme ancien, Régis Burnet se fait l’écho de l’hésitation des spécialistes quant à l’inter11 Sur ce dernier point, je dois faire amende honorable : Irénée parle une seule fois des « fils de Zébédée », mais sans les nommer « apôtres » (AH 1.21.2 ; p. 101). Cependant il est clair que, pour lui, ils faisaient partie des Douze. 12 R. Bauckham, Jesus and the Eyewitnesses : The Gospels as Eyewitness Testimony, Grand Rapids, MI, Cambridge, 2006, p. 452-458 (« Irenaeus on John »). 13 M. Hengel, Die johanneische Frage, Tübingen, 1993 (WUNT, 67), p. 13-25 (« Irenäus und ‘Johannes, der Jünger des Herrn’ ») : « Dennoch ist es sehr auffällig, daß er [= Irenäus] diesen Johannes mit einer Ausnahme – die ein Zitat des Gnostikers Ptolemäus sein kann – nie unmittelbar „Apostel‟ nennt und daß Johannes nur noch an drei Stellen, etwa zusammen mit Petrus in der Apostelgeschichte als „Apostel‟ erscheint » (p. 20). 14 « It has commonly been assumed and sometimes argued that Irenaeus identified the author of the Gospel with John the son of Zebedee, but this has also been vigorously contested. What is revealing in itself is how difficult it is to find conclusive evidence one way or the other […] We should make it clear that none of Irenaeus’s references to John that we have been considering indicate that he was John the son of Zebedee » ; Bauckham, Jesus and the Eyewitnesses, p. 458 ; voir aussi, du même auteur, The Testimony of the Beloved Disciple : Narrative, History, and Theology in the Gospel of John, Grand Rapids, MI, 2007, p. 70). Bauckham écrit encore : « Irenaeus, by placing John the disciple of the Lord alongside ‘the other apostles’ (alios apostolos) seems to include John among the apostles in a way that he does very occasionally elsewhere […] But since Irenaeus can treat the seventy as ‘other apostles’ in addition to the Twelve (Haer. 2.21.1), there is no need to suppose he included the fourth evangelist among the Twelve » (The Testimony of the Beloved Disciple, p. 63, 71).
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prétation de la pensée d’Irénée, tout en estimant à titre personnel que l’évêque de Lyon distinguait le disciple bien-aimé de l’apôtre : Si Irénée parle bien du Quatrième évangile comme de ‘l’évangile de Jean’, il ne dit pas que ce Jean est le frère de Jacques. En effet, une revue précise de toutes les occurrences du prénom ‘Jean’ sur les œuvres d’Irénée montre que celui-ci est toujours désigné comme ‘le disciple du Seigneur’ […] Or Irénée fait un usage consistant des termes ‘apôtre’ et ‘disciple’ […] Irénée semble donc montrer qu’il ne considère pas l’auteur de Jn comme un apôtre […] On conclura donc qu’Irénée, sans assimiler le Disciple au fils de Zébédée, fait de celui qui s’est penché sur la poitrine de Jésus l’auteur du quatrième évangile, de la Prima Johannis et de l’Apocalypse. Il fonde ainsi toute la tradition15.
Je ne puis que dire mon plein accord avec les résultats de ces études récentes. Le congrès de Lyon m’a permis d’exprimer publiquement cet avis. Et, dans ce volume destiné à garder une trace écrite de ces belles journées irénéennes, je voudrais simplement faire le point sur la question, en facilitant l’accès du lecteur à l’opinion d’Irénée sur celui qu’il aime à nommer « Jean, le disciple du Seigneur ». 1. Relire Irénée Tout d’abord, il faut noter qu'Irénée ne mentionne qu’une seule fois « les fils de Zébédée », dans un passage sur l’exégèse des Marcosiens : « De même, aux fils de Zébédée, tandis que leur mère demandait qu’ils fussent assis à sa droite et à sa gauche avec lui dans le royaume… » (1.21.2, p. 101.) Ici, Irénée ne suggère nullement que l’un de ces fils serait le « disciple du Seigneur », auquel il attribue les écrits johanniques. De même, lorsqu’il associe un Jean à un ou plusieurs des Douze apôtres16, il ne suggère pas 15 Cf. le chapitre intitulé « Jean, le grand homme et ses homonymes », dans R. Burnet, Les Douze Apôtres. Histoire de la réception des figures apostoliques dans le christianisme ancien, Turnhout, 2014 (Judaïsme ancien et origines du christianisme, 1), p. 366, 368. 16 Irénée ne mentionne que trois fois de façon explicite les douze apôtres : « le Seigneur […] avait douze apôtres » (2.12.8, p. 173) ; « l’apôtre Pierre […], voulant compléter le nombre des douze apôtres » (3.12.1, p. 317) ; « il a donné douze sources, à savoir l’enseignement des douze apôtres » (Dem 46, p. 151).
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qu’il s’agit de l’évangéliste : « cinq hommes se sont trouvés avec le Seigneur au moment où le Père lui a rendu témoignage, à savoir Pierre, Jacques, Jean, Moïse et Élie » (2.24.4, p. 225, cf. Mt 17, 1) ; « Pierre, accompagné de Jean, vit le boiteux de naissance […] ; les grands prêtres relâchèrent Pierre et Jean » (3.12.3, 5, p. 319-321, cf. Ac 3, 1 – 4, 22) ; « partout on trouve à ses [Jésus] côtés Pierre, Jacques et Jean » (3.12.15, p. 335). Il est vrai qu’Irénée semble quelquefois faire de l’évangéliste un apôtre, en l’associant à l’un des Douze comme Pierre ou Matthieu, ou encore à Paul, l’apôtre surnuméraire. Ainsi, il déclare que « certains […] presbytres n’ont pas vu Jean seulement, mais aussi d’autres apôtres » (2.22.5, p. 218 : non solum Iohannem, sed et alios apostolos). Pour Irénée, Jean a témoigné par écrit en faveur du Fils de la Vierge ; du coup, à l’inverse des traductions de Théodotion et d’Aquila, la version des Septante est « en accord avec la tradition des apôtres : Pierre, Jean, Matthieu, Paul » (3.21.3, p. 377). Pour Irénée, « l’Église d’Éphèse, fondée par Paul et où Jean demeura jusqu’à l’époque de Trajan, est aussi un témoin véridique de la Tradition des apôtres » (3.3.4, p. 282 ; 3.16.1-2, p. 346). Il désigne même une fois explicitement Jean comme « l’apôtre », en citant le quatrième évangile : « Jean proclame […] un seul Fils unique, […] le Verbe de Dieu […] ; le Christ, le Maître de Jean. En réalité, ce n’est point de leurs syzygies que parle l’Apôtre, mais de notre Seigneur Jésus-Christ, qu’il sait être le Verbe de Dieu » (1.9.2, 3, p. 61). Mais, remarquons-le, cela reste exceptionnel dans toute l’œuvre d’Irénée. Par ailleurs, l’évêque de Lyon atteste à plusieurs reprises que la catégorie d’apôtres ne se limite pas au cercle des Douze. En s’inspirant sans doute de Paul lui-même – qui revendique le droit reçu de Dieu de s’appeler ainsi (voir surtout Ga 1, 1) –, il crée un usage qui sera repris dans la tradition ecclésiale postérieure : pour lui, Paul devient en effet « l’Apôtre » par excellence, celui dont il n’est même plus besoin de donner le nom. À l’opposé de la pratique de Paul, Luc a la réputation de réserver le titre d’apôtres aux Douze ; malgré cela, il décerne ce titre à Paul et Barnabas, durant leur passage à Iconium et Lystres (Ac 14, 4.14). Irénée lui emboîte le pas, lorsqu’il écrit : « Paul et Barnabé montèrent alors à Jérusalem vers les autres apôtres » (3.12.14, p. 332). De la même manière, Irénée applique en plusieurs passages le terme « apôtre » à des disciples qui ne font pas partie des Douze. Ainsi, avant de par-
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ler du « diacre » Philippe (3.12.8, p. 326) et du protomartyr Étienne (3.12.10, p. 328-329), voire de l’évangéliste Luc17 (3.21.4, p. 377378), il déclare : « venons-en aux autres apôtres et recherchons avec soin leur doctrine sur Dieu » (3.11.9, p. 317). Ces différents personnages agissent comme des apôtres au service de la vérité, si du moins on se réfère au début du développement au cours duquel leur exemple est évoqué (3.9.1, p. 297). Yves-Marie Blanchard, pour qui – nous l’avons vu au début de cet article – Irénée semblait voir en l’évangéliste Jean « l’un des Douze », nuancera fort heureusement sa pensée par la suite. Et, finalement, il en viendra lui aussi à comprendre l’apostolicité de ce Jean dans un sens large, non limité au groupe des Douze : « le quatrième évangile, lui, se situe nettement du côté des apostolica, c’est-à-dire d’œuvres littéraires exprimant au sujet du Christ le témoignage de la génération apostolique »18. Plus loin encore, il précise : « Les écrits regroupés sous le nom de Jean constituent l’écriture apostolique par excellence »19. À ce propos, il note avec paroles apostoliques » par justesse que, pour Irénée, les deux « excellence sont « celle du ‘disciple’ Jean, auteur aussi bien du quatrième évangile que de la (ou les) lettre(s) ainsi que de l’Apocalypse, [et] celle de l’‘apôtre’ proprement dit, Paul »20. Puisque, chez Irénée, le terme « apôtre » peut aussi désigner un disciple important de la première génération, sans qu’il s’agisse de l’un des Douze, nous ne devrions pas nous étonner qu’il l’emploie quelquefois à propos de l’évangéliste Jean. Cependant, ce qui frappe chez lui, c’est que cela reste l’exception, et qu’il donne le plus souvent à l’évangéliste le titre de « disciple du Seigneur ». Si cette appellation ne vient pas de lui, il l’a bel et bien adoptée, et on la rencontre souvent dans son œuvre. Près d’une vingtaine de fois, elle y accompagne le nom de Jean :
Ailleurs, Luc est bien appelé « compagnon et disciple des apôtres » (Λουκὰς δέ, ὁ ἀκόλουθος καὶ μαθητὴς τῶν ἀποστόλων : 3.10.1, p. 301) ; cependant, ici Irénée évoque son témoignage parmi « les apôtres » qui « ont également attesté que l’ange Gabriel lui dit : ‘L’Esprit Saint surviendra sur toi et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre’ … » (cf. Lc 1, 35). 18 Blanchard, Aux sources du canon, p. 237. 19 Ibid., p. 242, n. 8. 20 Ibid., p. 243. 17
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– « Ils [= les gnostiques, Ptolémée] enseignent encore que Jean le disciple du Seigneur a fait connaître la première Ogdoade… Jean le disciple du Seigneur … » (1.8.5, p. 57 : ἔτι δὲ ’Ιωάννην τὸν μαθητὴν τοῦ Κυρίου διδάσκουσι τὴν πρώτην ’Ογδοάδα μεμηνυκέναι … ’Ιωάννης ὁ μαθητὴς τοῦ Κυρίου …) ; – « Jean, le disciple du Seigneur, les a condamnés d’une manière plus sévère encore, en nous défendant même de les saluer : ‘Celui qui les salue, dit-il (2 Jn 11), participe à leurs œuvres mauvaises’ » (1.17.1, p. 92 : ’Ιωάννης ὁ τοῦ Κυρίου μαθητής …) ; – « comme Jean, le disciple du Seigneur, le dit [du Verbe] (Jn 1, 3) : ‘Toutes choses ont été faites par son entremise, et sans lui, rien n’a été fait’ » (2.2.5, p. 144-145 : Iohannes Domini discipulus) ; – « c’est alors que ‘beaucoup crurent en lui, en voyant les miracles qu’il faisait’, ainsi que le rapporte Jean (Jn 2, 23), le disciple du Seigneur » (2.22.3, p. 216 : Iohannes Domini discipulus) ; – « l’Évangile l’atteste [l’âge du Christ], et tous les presbytres d’Asie qui ont été en relations avec Jean, le disciple du Seigneur, attestent eux aussi que Jean leur transmit la même tradition, car celui-ci demeura avec eux jusqu’aux temps de Trajan » (2.22.5, p. 218) ; – [Publication des évangiles : Matthieu, puis Marc, « le disciple et interprète de Pierre », Luc, « le compagnon de Paul »] ; « puis Jean, le disciple du Seigneur, celui-là même qui avait reposé sur sa poitrine, publia lui aussi l’Évangile, tandis qu’il séjournait à Éphèse » (3.1.1, p. 277) ; Polycarpe […] fut disciple des apôtres […] Certains l’ont – « entendu raconter que Jean, le disciple du Seigneur, étant allé aux bains à Éphèse, aperçut Cérinthe à l’intérieur » (3.3.4, p. 281) ; – « C’est cette même foi qu’a annoncée Jean, le disciple du Seigneur. Il voulait, en effet, par l’annonce de l’Évangile, extirper l’erreur semée parmi les hommes par Cérinthe et […] les Nicolaïtes » (3.11.1, p. 308) ; – « C’est exactement ce qu’affirme Jean, le disciple du Seigneur, lorsqu’il dit (Jn 20, 31) : ‘Ces choses ont été écrites pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu’ […] C’est pourquoi, dans son épître, il nous a encore donné ce témoignage (1 Jn 2, 18-19) : ‘Mes petits enfants, c’est la dernière heure…’ » (3.16.5, p. 351) ; – « Ces gens-là, le Seigneur nous a dit d’avance de nous en garder, et son disciple Jean, dans son épître déjà citée, nous a prescrit de les fuir, en disant (2 Jn 7-8) : ‘Beaucoup de séducteurs sont venus
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dans le monde …’ » (3.16.8, p. 354 – Irénée cite encore 1 Jn 4, 1-3, et semble croire qu’il s’agit de la même lettre) ; – « Jean, son disciple, n’aurait pas écrit de lui (Jn 4, 6) : ‘Jésus, fatigué du voyage, était assis’ » (3.22.2, p. 384) ; – « Jean, le disciple du Seigneur, vit lui aussi, dans l’Apocalypse, la venue pontificale et glorieuse de son royaume : ‘Je me retournai, dit-il (Ap 1, 12-16), pour voir la voix qui me parlait…’ » (4.20.11, p. 478) ; – « Tout cela, Jean, le disciple du Seigneur, l’atteste lui aussi, lorsqu’il dit dans son Évangile (Jn 1, 1-3.10-12.14) : ‘Au commencement était le Verbe…’ » (5.18.2, p. 624) ; – « Une révélation plus claire encore […] a été faite par Jean, le disciple du Seigneur, dans son Apocalypse (Ap 17, 12-14) » (5.26.1, p. 646) ; – « C’est ce que les presbytres qui ont vu Jean, le disciple du Seigneur, se souviennent avoir entendu de lui, lorsqu’il évoquait l’enseignement du Seigneur relatif à ces temps-là » (5.33.3, p. 666667) ; et, juste après, Irénée attribue à Jean une prophétie fantastique attestée aussi par l’Apocalypse syriaque de Baruch (2 Ba 29, 5)21 ; – « Quand donc ces choses auront passé, nous dit Jean (Ap 21, 1-3), le disciple du Seigneur, sur la terre nouvelle descendra la Jérusalem d’en haut… » (5.35.2, p. 675) ; – « C’est pourquoi aussi Jean, son disciple, voulant nous annoncer qui est ce Fils de Dieu […], s’exprime ainsi (Jn 1, 1-3 : ‘Au commencement…’ » (Dem 43, p. 146-147) ; – « [Le] Verbe de Dieu […] s’est incarné et a habité parmi les hommes, comme le dit son disciple Jean (Jn 1, 14) : ‘Et le Verbe’ de Dieu ‘s’est fait chair et il a habité parmi nous’ » (Dem 94, p. 209). En AH 3.11.1, 3, la formule « disciple du Seigneur » se lit aussi seule. Mais le contexte (mention explicite de « Jean, le disciple du Seigneur », au début du passage ; puis, référence à l’évangile) lève toute ambiguïté. Cette formule, qui provient peut-être d’un prédécesseur d’Irénée, voire d’un auteur gnostique, est à comprendre comme une adaptation de la formule johannique « le disciple que Jésus aimait », souvent raccourcie par les exégètes modernes en 21 Cf. La Bible. Écrits intertestamentaires, Paris, 1987 (Bibliothèque de la Pléiade), p. 1505.
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« disciple bien-aimé » (Beloved Disciple, Lieblingsjünger). Rejoignant sur ce point l’avis de Yves-Marie Blanchard, j’en conclus qu’Irénée voit en Jean « le disciple du Seigneur » par excellence, tout comme il voit en Paul « l’Apôtre » par excellence. 2. Flagrant délit chez Eusèbe Malgré ces passages explicites de l’œuvre d’Irénée, toute une tradition, encore attestée dans les commentaires bibliques, fait de l’évêque de Lyon l’initiateur du mouvement d’identification de Jean le « disciple bien-aimé » avec le fils de Zébédée. Cela dépasse les propos d’Irénée, beaucoup plus vagues ou nuancés, et qui invitent plutôt à distinguer les deux personnages. Mais comment comprendre qu’on ait pu en arriver à cette lecture forcée des mots d’Irénée, en surinterprétant sa pensée ? La réponse me semble se trouver du côté de l’œuvre d’Eusèbe de Césarée22 . Dans son Histoire ecclésiastique, l’évêque de Palestine cite à plusieurs reprises des passages de saint Irénée. Il nous rend d’ailleurs ainsi un fier service, car il nous donne accès, quoique partiellement, au texte grec d’Irénée. Or, la comparaison entre le texte de l’Histoire ecclésiastique et celui de l’Adversus Haereses montre qu’Eusèbe a dépassé les mots d’Irénée. Sans doute même – du moins est-ce mon opinion – en a-t-il aussi dépassé l’esprit. Vérifions-le. HE 3.23.1-4, p. 160-161 : « En ces temps-là, en Asie, demeurait encore en vie celui-là même qu’aimait Jésus, Jean, à la fois apôtre et évangéliste, et il gouvernait les Églises de ce pays, après être revenu, après la mort de Domitien, de l’île où il avait été exilé. Qu’il fût en vie jusqu’à ces temps, il suffit de confirmer la chose par deux témoins, dignes de confiance s’il en fut, car ils ont la première place dans l’orthodoxie ecclésiastique : Irénée et Clément d’Alexandrie. Le premier d’entre eux, au second livre Contre les Hérésies, écrit ainsi en propres termes : ‘Et tous les presbytres qui se sont rencontrés en Asie avec Jean, le disciple du Seigneur, témoignent que Jean a transmis (ce qu’il avait appris). Car il demeura parmi eux jusqu’aux temps de Trajan’ (cf. AH 2.22.5, p. 218). Et au troisième livre du même ouvrage, Irénée montre la même chose par 22 Cf. Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, trad. de G. Bardy, revue par L. Neyrand et une équipe, Paris, 2003 (Sagesses chrétiennes). Je cite cette édition, en indiquant la page.
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ces mots : ‘Ajoutons que l’Église d’Éphèse, fondée par Paul et où Jean demeura jusqu’au temps de Trajan, est aussi un témoin véritable de la tradition des apôtres’ » (cf. AH 3.3,4, p. 282). Ici, conformément à son habitude, Irénée nomme une fois « Jean, le disciple du Seigneur ». Puis, dans le deuxième passage, il témoigne de la « tradition des apôtres » en évoquant la dette de l’Église d’Éphèse à l’égard de Paul et Jean. Mais la mention de Paul, au premier rang du binôme, suffit à montrer que, pour Irénée, le titre d’apôtre n’est pas réservé à l’un des douze disciples qui ont marché avec Jésus sur les routes de Palestine. Or, pour introduire ces deux références à Irénée, Eusèbe désigne Jean comme « celui-là même qu’aimait Jésus […] à la fois apôtre et évangéliste ». Pour lui, le « disciple du Seigneur » d’Irénée est bien le « disciple que Jésus aimait » de l’évangile ; même si cela est vrai, il faut admettre que ce ne sont pas exactement les mots d’Irénée. Mais surtout, Eusèbe surinterprète son prédécesseur, puisqu’il nomme Jean « à la fois apôtre et évangéliste », alors qu’Irénée ne le fait pas dans ce passage. Pour arriver à cela, Eusèbe doit citer un autre passage, celui où, de fait, Irénée associe Jean à Paul et leur attribue « la tradition des apôtres ». Mais, on l’a vu, cela ne fait pas de Jean l’un des douze disciples galiléens de Jésus. Le deuxième cas est encore plus intéressant, car Eusèbe raconte deux fois la même histoire (HE 3.28.6, p. 172 ; HE 4.14.6, p. 210). Il écrit tout d’abord : « Irénée […] dans le troisième [livre de l’ouvrage Contre les hérésies…] confie à l’écriture un récit qui est digne de n’être pas oublié et qu’il tient, d’après lui, de la tradition de Polycarpe. L’apôtre Jean [’Ιωάννην τὸν ἀπόστολον], dit-il, était entré un jour dans les bains pour s’y laver. Apprenant que Cérinthe y était, il quitta la place et s’enfuit vers la porte, ne supportant pas d’être couvert par le même toit que lui, et il donna le même conseil à ceux qui étaient avec lui : ‘Fuyons, dit-il, de peur que les bains ne s’écroulent : Cérinthe est là, l’ennemi de la vérité’ ». Puis, plus loin, il revient sur cet épisode : « Il y a encore des gens qui l’ont entendu [Polycarpe] raconter que Jean, le disciple du Seigneur [’Ιωάννης ὁ τοῦ κυρίου μαθητής], étant allé aux bains à Éphèse, aperçut Cérinthe à l’intérieur : il bondit hors des thermes sans s’être baigné, en s’écriant : ‘Fuyons, de peur que les bains ne s’écroulent ; Cérinthe est là, l’ennemi de la vérité’ ». Ces deux récits, surtout le deuxième, doivent être comparés à ce qu’Irénée dit précisément (AH 3.3.4, p. 281) : « Certains l’ont
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entendu [Polycarpe] raconter que Jean, le disciple du Seigneur, étant allé aux bains à Éphèse, aperçut Cérinthe à l’intérieur ; il bondit alors hors des thermes sans s’être baigné, en s’écriant : ‘Sauvons-nous, de peur que les thermes ne s’écroulent, car à l’intérieur se trouve Cérinthe, l’ennemi de la vérité !’ » Dans sa deuxième citation (HE 4.14.6), Eusèbe est très fidèle à l’original irénéen. En revanche, dans la première (HE 3.28.6), il écrit « l’apôtre Jean [’Ιωάννην τὸν ἀπόστολον] », là où Irénée ne parle que du « disciple du Seigneur ». C’est un nouveau petit coup de pouce en faveur de l’identification de Jean avec l’apôtre. Le troisième exemple (HE 5.20.4, 7, p. 295-296) nous donne accès à un écrit perdu d’Irénée : « Dans la Lettre à Florinus, citée à l’instant, Irénée lui rappelle ses relations avec Polycarpe, en disant : ‘Ces doctrines, Florinus, […] les presbytres qui ont été avant nous et qui ont vécu avec les apôtres, ne te les ont pas transmises. Je t’ai vu en effet, quand j’étais encore enfant, dans l’Asie inférieure, auprès de Polycarpe […] je peux dire l’endroit où s’asseyait le bienheureux Polycarpe pour parler, comment il entrait et sortait […] comment il rapportait ses relations avec Jean et avec les autres qui avaient vu le Seigneur […] comment Polycarpe, après avoir reçu tout cela des témoins oculaires du Verbe de vie, le rapportait en accord avec les Écritures. Ces choses […], je les ai ruminées avec fidélité, et je puis témoigner en face de Dieu que si ce presbytre bienheureux et apostolique avait entendu quelque chose de semblable à ce que tu dis, Florinus, il aurait poussé des cris et se serait bouché les oreilles …’ » D’après le contexte, ce « presbytre apostolique » doit être Polycarpe. Cependant, plus haut dans son ouvrage (HE 5.8.8, p. 274), : « (Irénée) mentionne encore des Eusèbe en évoque un autre Mémoires d’un presbytre apostolique dont il a tu le nom, et il cite de lui des Exégèses des Écritures divines ». Ce passage renvoie à AH 4.27.1-2 (p. 495) : « un presbytre – il le tenait des apôtres, qu’il avait vus, et de leurs disciples », ainsi qu’à AH 4.28.1 ; 30.1 ; 31.1, et surtout 32.1 (p. 512), où Irénée mentionne « le presbytre, disciple des apôtres ». Irénée parle bien ainsi. Mais Eusèbe voit en lui un presbytre apostolique : à tout le moins un collaborateur intime des apôtres, sinon lui-même un apôtre. On remarquera une même façon de parler dans la Constitution dogmatique Dei Verbum de Vatican II, où les « viri apostolici » (§ 7) ou « apostolici viri » (§ 18)
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désignent de proches collaborateurs des apôtres23. Dans la pensée des pères conciliaires, il s’agissait sans doute de collaborateurs directs de la première génération chrétienne ; mais les exégètes ont volontiers étendu cette notion à la deuxième génération, ce qui rappelle la formule irénéenne « presbytre, disciple des apôtres ». Ces trois exemples, tirés de l’œuvre d’Eusèbe, nous montrent probablement le début d’une longue tradition interprétative, qui fait d’Irénée le premier témoin de l’apostolicité au sens strict – l’un des Douze – de l’auteur du quatrième évangile, « Jean, le disciple du Seigneur ». Conclusion Au vu de la complexité du dossier, et de la première exégèse qu’en fit Eusèbe, on peut comprendre la position dominante, quasi officielle, selon laquelle Irénée serait le premier témoin de l’attribution du quatrième évangile à l’apôtre Jean, fils de Zébédée. Revenons alors à Irénée (AH 5.13.2, p. 605), en citant l’un de ses propos concernant une célèbre expression paulinienne : « La chair et le sang ne peuvent hériter du Royaume de Dieu » [1 Co 15, 50]. En prenant à Paul ces deux vocables, [les hérétiques] n’ont ni perçu la pensée de l’Apôtre ni cherché à comprendre la 23 À vrai dire, les Pères conciliaires n’innovent pas totalement, puisque la formule « apostolici viri » apparaît dès le début du iiie siècle chez Tertullien : « … aliqu[is] ex apostolicis viris qui tamen cum apostolis perseveraverit » (De praescriptione haereticorum 32, CSEL, 70 / SC, 46). On la lira encore au xiie siècle, par exemple sous la plume de Thomas Becket (1118-1170) : « apostolis et apostolicis viris in ecclesiarum fastigiis succedentes » (Lettre 74, PL 190, col. 533). Si les hommes de Vatican II ont renoué avec une formule traditionnelle, rien n’indique que ce remploi fut conscient, même chez celui qui semble en avoir été l’initiateur : « Ensuite, indiquait que la prédication des Apôtres avait précédé la mise par écrit, elle-même faite tant par les Apôtres que par des ‘hommes apostoliques’ (viri apostolici) » (Ch. Moeller, « Le texte du chapitre II dans la seconde période du Concile (Sessions II, III et IV) », dans La Révélation divine. Constitution dogmatique « Dei verbum », éd. B.-D. Dupuy, t. I, Paris, 1968 [Unam Sanctam, 70a], p. 315). Un commentateur de Dei Verbum y a simplement vu une « nouvelle addition au texte d’Irénée, mais en un style peu heureux ! » ; X. Léon-Dufour, « Sur le Nouveau Testament. Commentaire du chapitre V », dans La Révélation divine. Constitution dogmatique « Dei verbum », éd. B.-D. Dupuy, t. II, Paris, 1968 (Unam Sanctam, 70b), p. 412.
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luc devillers portée de ses paroles ; cramponnés à de simples mots sans plus, ils meurent contre ceux-ci, ruinant, autant qu’il est en leur pouvoir, toute l’« économie » de Dieu.
Dans ces lignes, Irénée s’en prend à la méthode exégétique de ses adversaires. Le grand défaut qu’il dénonce chez eux consiste à tordre le sens des mots et des phrases bibliques, en extrayant de leur contexte certains vocables, qui sont alors susceptibles d’être interprétés dans n’importe quel sens : ici, les mots « chair » et « sang ». Ne devrait-on pas admettre que l’on procède d’une façon analogue, lorsque l’on attribue à Irénée, au sujet de l’auteur du quatrième évangile, une affirmation qui s’appuie trop sur un repérage superficiel de mots, interprétés à partir d’un contexte postérieur – l’interprétation d’Eusèbe, ou plus tard, et jusqu’à nos jours, la position traditionnelle des Églises –, mais sans chercher à savoir ce qu’Irénée a voulu dire exactement ? Sans chercher à voir de qui il parle ? Parvenu au terme de ce bref parcours, si je me retiens d’affirmer qu’Irénée nie absolument que l’auteur de l’évangile soit l’apôtre Jean, je me garde davantage encore d’affirmer le contraire. Cette position, trop souvent tenue et entretenue, comme par habitude, mérite pour le moins d’être sérieusement nuancée.
Le figure di Pietro e Paolo in Ireneo Enrico Cattaneo S.J. (Roma) Il nostro intento non è quello di considerare le figure di Pietro e Paolo in Ireneo separatamente, bensì congiuntamente e nei loro reciproci rapporti. Per cogliere bene la posizione del vescovo di Lione nella sua principale opera a noi rimasta, l’Adversus Haereses (AH)1, occorre però prima inquadrarla nel contesto del tempo2 . 1. Le figure di Pietro e Paolo in Marcione e nelle dottrine gnostiche Basandosi su alcune forti affermazioni della Lettera ai Galati, Marcione, verso la metà del II secolo3, ha sottolineato il contrasto Ricordiamo che il titolo dato da Ireneo è Smascheramento e confutazione della falsa gnosi (cfr. AH 2.Pr.). Seguiremo l’edizione delle « Sources chrétiennes » (SC). 2 Per quanto riguarda le figure di Pietro e Paolo dal Nuovo Testamento alla metà del II secolo, si veda il mio lavoro « Pierre et Paul dans les traditions littéraires avant Irénée », in Irénée entre Asie et Occident, a cura di A. Bastit, Paris, 2017 (Collection des Études Augustiniennes) in corso di pubblicazione. Per le sigle dei libri biblici, seguiremo quelle latine della Vulgata (Bibliorum Sacrorum iuxta Vulgatam Clementinam nova editio curavit A. Gramatica, Mediolani, 1913). 3 I dati essenziali della biografia di Marcione sono: nascita nel Ponto verso il 90 da famiglia cristiana; suo arrivo a Roma verso il 140 e diffusione della sua dottrina; espulsione dalla Chiesa nel 144 e fondazione di una sua congregazione; la sua morte si colloca verso il 160. Si veda A. Harnack, Marcion. L’évangile du Dieu étranger, Paris, 2003, p. 41-49 (orig. Marcion. Das Evangelium vom fremden Gott, Leipzig, 1924 2). Ireneo dà una notizia abbastanza dettagliata su Marcione in AH 1.27.2 e 3.12.12. 1
Irénée de Lyon et les débuts de la Bible chrétienne. Actes de la Journée du 1.VII.2014 à Lyon, sous la direction de A. Bastit et J. Verheyden, Turnhout, 2017 (Instrumenta Patristica et Mediaeualia, 77), p. 219-271 ©
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tra Paolo e Pietro, sullo sfondo della contrapposizione tra giudaismo e cristianesimo4. Dai Prologhi marcioniti5 premessi alle lettere paoline si evince che, per Marcione (se i prologhi esprimono fedelmente il suo punto di vista), non solo Paolo è l’apostolo per eccellenza, ma è anche l’unico vero apostolo di Cristo, da lui direttamente chiamato mediante una particolare rivelazione. Tutti gli altri sono di fatto degli pseudo-apostoli, perché non hanno compreso l’insegnamento di Gesù e lo hanno contaminato con la loro mentalità giudaica. Il punto di partenza della dottrina marcionita è dunque una precisa delimitazione del canone degli scritti apostolici6. Marcione respingeva i Vangeli della grande Chiesa, perché ritenuti provenire da falsi apostoli, e teneva solo quello che Paolo chiamava « il mio Vangelo » (Rm 2, 16; 16, 25), identificato da Marcione con 4 Cfr. E. Pagels, The Gnostic Paul. Gnostic Exegesis of the Pauline Letters, Philadelphia, PA, 1975. Marcione e gli gnostici non possono essere semplicemente equiparati, nonostante i forti elementi in comune. Per una puntualizzazione della questione, si veda U. Bianchi, « Marcion : Théologien biblique ou docteur gnostique ? », Studia Evangelica V, Berlin, 1968 (TU, 103), p. 234241; E. Norelli, « La funzione di Paolo nel pensiero di Marcione », Rivista Biblica Italiana, 34 (1986), p. 543-597; 578-586; A. Lindemann, Paulus in ältesten Christentum. Das Bild des Apostels und die Rezeption der paulinische Theologie in der frühchristlichen Literatur bis Marcion, Tübingen, 1979, p. 97-101; 297-343 (gnostici); 378-395 (Marcione); E. Dassmann, Der Stachel im Fleisch. Paulus in der früchristlichen Literatur bis Irenäus, Münster, 1979, p. 176-192. 5 Testo latino proveniente probabilmente da un originale greco e forse opera dello stesso Marcione. Cfr. http://www.textexcavation.com/marcionite prologues.html. Sulla questione dell’autore, si veda A. Feuillet, « Saint Paul et l’Église de Rome », in Petrus et Paulus Martyres. Commemorazione del XIX centenario del martirio degli apostoli Pietro e Paolo, a cura di M. Pellegrino, Milano, 1969, p. 85-113, qui p. 101-102 e Norelli, « La funzione di Paolo », p. 589-591 (entrambi rifiutano l’attribuzione a Marcione e Feuillet pensa che essi dipendano dall’Ambrosiaster). 6 Se Marcione abbia trovato un « canone » neotestamentario già almeno in parte costituito o se sia stato lui a formarlo, è una questione ancora discussa, ma prevale l’idea che la sua azione non sia stata determinante. In effetti, il suo intento era di « correggere » quello che la Chiesa riteneva già come Scrittura. Così per Ireneo, Marcione « taglia », « decurta » le Scritture che Dio ha dato alla Chiesa: AH 3.12.12: « Unde et Marcion et qui ab eo sunt ad intercidendas conversi sunt Scripturas [= NT], quasdam quidem in totum non cognoscentes, secundum Lucam autem Evangelium et epistulas Pauli decurtantes, haec sola legitima dicunt esse quae ipsi minoraverunt ». Abbiamo evidenziato i verbi che indicano i « tagli » fatti da Marcione.
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il Vangelo messo per iscritto da Luca: Paolo lo avrebbe ricevuto direttamente da Cristo, ma Luca se ne sarebbe appropriato, adulterandolo con interpolazioni giudaizzanti7. Per Marcione tuttavia, non solo il Vangelo, ma anche tutte le lettere paoline sarebbero state interpolate dai giudaizzanti, ragion per cui bisognava emendarle per ritrovare l’autentico testo di Paolo8. Il fondamento dell’esegesi marcionita, che è sempre strettamente letterale, è la discordanza tra Legge e Vangelo, derivata da una lettura forzata e personale della Lettera ai Galati, che Marcione pone al principio del suo canone. Soprattutto l’incipit di Gal 1, 1 è letto come la rivendicazione di Paolo ad essere l’unico vero apostolo di Cristo, eletto direttamente dal Cristo glorioso e non dal Gesù terreno (per hominem)9. Diversa è la posizione dei valentiniani e degli altri gnostici10. Per loro la differenza tra giudaismo e cristianesimo è quella tra Cfr. Harnack, Marcion, p. 108-109. Le lettere paoline ritenute autentiche da Marcione sono: Gal, 1-2 Cor, Rm, 1-2 Th, Laod (= Eph), Col, Ph, Phl. L’operazione di emendamento dei codici fu resa possibile perché nel II secolo, sebbene i testi paolini avessero già una forma fissa, in quanto considerati in qualche modo canonici, tuttavia circolavano copie con varianti più o meno estese. Ireneo si preoccuperà perché si usino « copie accurate e antiche », dato che era sempre possibile « un errore degli amanuensi », avvertendo che « chi aggiunge o toglie qualcosa alla scrittura, subirà una pena non da poco » (AH 5.30.1). La stessa regola vale per la fede (cfr. Dem 2: bisogna « conservare integra la fede in Dio senza nulla aggiungervi o togliervi » (SC 406, p. 85). Sul precetto di non aggiungere o togliere nulla ai testi ispirati (cfr. Ap 22, 18-19), si veda W. C. van Unnik, « De la règle Mēte prostheinai mēte aphelein dans l’histoire du canon », VigChr, 3 (1949), p. 1-36, e E. Norelli (cur.), Papia di Hierapolis. Esposizione degli oracoli del Signore. I frammenti, Milano, 2005, p. 313-315. Altri dettagli in A. Orbe, Teología de San Ireneo, t. 3, Madrid, 1988, p. 352-353. Sul lavoro di « emendazione » dei codici di Luca e Paolo, si veda Harnack, Marcion, p. 57-96. 9 Non entro qui in merito al « paolinismo » di Marcione e al suo influsso sulla teologia del II secolo. Cfr. Lindemann, Paulus im ältesten Christentum, p. 383-395; I. P. Culianu, « L’abolition de la loi et du père réel : Marcion de Synope », in Id., Les gnoses dualistes d’Occident : Histoire et mythes, Paris, 1990, ch. 6 (trad. it. I miti dei dualismi occidentali, Milano, 1989, p. 175-192). Ireneo si riprometteva di scrivere un’opera proprio contro Marcione (cfr. AH 3.12.12), ma pare che non sia riuscito ad attuare questo proposito. 10 Cfr. Lindemann, Paulus im ältesten Christentum, p. 298-343. Più che sulla figura di Paolo, questo studioso si sofferma sulla recezione dell’epistola7 8
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l’uomo « psichico » e quello « spirituale »11. Prima della sua conversione, anche Paolo era uno « psichico », immerso nell’ignoranza del vero Dio, il Padre supremo; ma dopo aver ricevuto la rivelazione, si manifestò in lui il suo vero essere spirituale (pneumatico). Allora divenne un vero gnostico, dotato di una conoscenza « perfetta », cioè da « iniziato ». Così, quando Paolo nomina i « Giudei » e i « Gentili », non bisogna fermarsi al senso letterale, ma capirne il significato profondo: « Giudei » sono i cristiani psichici, mentre « Gentili » sono gli spirituali12 . Pur dando una certa preminenza a Paolo, a motivo delle sue molte lettere, gli gnostici ammettevano che anche Pietro e gli altri apostoli fossero stati beneficiati di una « gnosi », ma solo in un secondo momento. Quando predicavano o scrivevano i Vangeli, – ad eccezione di Giovanni – essi non avevano ancora avuto la « perfetta gnosi », ragion per cui le loro scritture e il loro insegnamento risultavano imperfetti13. Valentino non dice quando gli apostoli ricevettero questa illuminazione, però non la ritiene definitiva, e ammette che ci sia stato un progresso anche dopo di loro, e quindi che gli attuali maestri della gnosi possano essere superiori a Pietro, agli altri apostoli e allo stesso Paolo. Ma vedremo questo meglio esaminando i testi di Ireneo (cfr. 2.a in finem). Mentre Marcione aveva organizzato una chiesa alternativa, con una sua struttura e un suo canone biblico ristretto, gli gnostici valentiniani intendevano restare all’interno della « grande Chiesa »14, conservandone tutte le Scritture. Così essi accettavano tutti e quattro i Vangeli (anche se privilegiavano quello di Giovanni) e l’epistolario paolino (compreso Heb), interpretandoli rio e della teologia paolina secondo le testimonianze dei Padri e negli scritti di Nag Hammadi. In conclusione, non pare che gli gnostici abbiano rivelato una speciale affinità con Paolo, come invece era il caso di Marcione. 11 Cfr. A. Pitta, Lettera ai Galati. Introduzione, versione e commento, Bologna, 1996, p. 55-56. 12 Pagels, The Gnostic Paul, p. 6-7. 13 Cfr. AH 3.1.1: « … ante praedicaverunt quam perfectam haberent agnitionem ». 14 L’espressione « Grande Chiesa » non proviene da Celso, come dice P. Lampe, From Paul to Valentinus. Christians at Rome in the First Two Centuries, Minneapolis, MN, 2003, p. 381, n. 1 (orig. Die stadtrömischen Christen in den ersten beiden Jahrhunderten: Untersuchungen zur Sozialgeschichte, Tübingen, 1989 [WUNT, 2/18]), ma essa si trova già nei Salmi (Ps 21, 26; 39, 10 LXX).
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però in modo esoterico15. Essi, come dirà Ireneo, si lamentavano di essere trattati dalla Chiesa come eretici, mentre sostenvano di pensare le stesse cose e avere la stessa dottrina dei cattolici. In realtà, usavano lo stesso linguaggio, ma non avevano lo stesso pensiero16. Con questo sotterfugio, osserva sempre Ireneo, essi attirano i più semplici e sprovveduti, i quali si lasciano persuadere dai loro discorsi seducenti17. 2. Pietro e Paolo in Ireneo a. Premesse metodologiche Il vescovo di Lione presenta le figure di Pietro e Paolo specialmente nel libro 3 dell’Adversus Haereses18. La presentazione di Ireneo è evidentemente condizionata dalla sua prospettiva antimarcionita e antignostica, ed è inserita in un contesto più ampio, che tocca questioni di ermeneutica biblica (3.1–5) e teologica (3.6– 25)19. Più specificamente, in 3.6–15 Ireneo vuole dimostrare che c’è stato, è vero, un progresso nella rivelazione, ma ciò è consistito 15 Cfr. Pagels, The Gnostic Paul, p. 163. Si discute se i valentiniani abbiano accettato o no le lettere pastorali (1-2 Tm e Tt). 16 AH 3.15.2: « Essi [i discepoli di Valentino] si lamentano di noi, perché, pur pensando come noi [così essi dicono], senza motivo ci rifiutiamo di essere in comunione con loro (abstineamus a communicatione eorum) e li chiamiamo eretici (vocemus illos haereticos), sebbene sostengano di dire le stesse cose e di avere la stessa dottrina [nostra] ». Ciò non significa che tra i cristiani di Roma ci fosse allora una pacifica tolleranza di tutte le tendenze, come sostiene Lampe, From Paul to Valentinus, p. 387-391. 17 Cfr. AH 1.Pr.1; 3.15.2; 3.17.4; 4.33.3. 18 Questo tema è già stato toccato, sia pure a grandi linee, da E. Lanne, « L’Église de Rome, a gloriosissimis apostolis Petro et Paulo Romae fundatae et constitutae ecclesiae (Adv. haer. 3.3, 2) », Irenikon, 49 (1976), p. 275-322; 294301. 19 Manca ancora un commento sistematico al libro 3 dell’AH. Per una prima presentazione, si veda A. Benoit, Saint Irénée. Introduction à l’étude de sa théologie, Paris, 1960, p. 169-182; A. Rousseau, « Introduction », SC 210, p. 171-205; J. Behr, Irenaeus of Lyons. Identifying Christianity, Oxford, 2013, p. 13-16. Ottimi spunti in S. Barbaglia, « Ireneo di Lione e la comunicazione della fede cristiana in una coscienza canonica delle Sacre Scritture », in E. Cattaneo, L. Longobardo (curr.), Consonantia salutis. Studi su Ireneo di Lione, Trapani, 2005, p. 81-158, spec. p. 128-145; A. Sáez Gutiérrez, Canon y autoridad en los dos primeros siglos. Estudio histórico-teológico acerca de la
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nella manifestazione del Figlio, non quella di un altro Dio, e questa rivelazione è completa, perché è terminata con gli apostoli: non c’è più un’altra verità rivelata da attendere, superiore a quella attestata dagli apostoli. C’è dunque un solo Dio, che è insieme Padre e Creatore, e c’è un solo Signore, il Figlio suo, Gesù Cristo, nato da Maria20. Gli gnostici, partendo dall’idea di una rivelazione totalmente nuova del vero Dio supremo – rivelazione avuta da Paolo, e anche dagli altri apostoli, ma solo dopo il ministero terreno di Gesù e la sua risurrezione – avevano gettato il sospetto sulla tradizione della Chiesa, giudicata inferiore nel suo modo di interpretare le Scritture. Secondo loro, gli apostoli e i loro discepoli avevano predicato e scritto i Vangeli « prima di aver ricevuto la perfetta gnosi » (3.1.1)21, ragion per cui anche le Scritture, che da loro derivano, « non sono corrette, non sono affidabili, perché non sono concordanti, e quindi non si può trovare la verità a partire da esse se si ignora la tradizione » (3.2.1). Prova ne sia che in quelle scritture essi « hanno mescolato alle parole del Salvatore le prescrizioni della legge », cioè del Demiurgo (3.2.2). Inoltre, il Salvatore stesso era sottoposto a diversi influssi, ragion per cui « ha pronunciato parole ora provenienti dal Demiurgo, ora dall’Intermediario, ora dalla Suprema Potenza » (3.2.2)22 . Gli evangelisti, riportando queste parole senza discernimento, hanno prodotto una grande conrelación entre la Tradición y les escritos apostólicos, 2 vol., Roma, 2014 (SEAug, 142), p. 645-885. 20 Sono queste le due grandi parti di AH 3 contro le varie eresie divisive, che separavano sia il Dio Padre dal Creatore (c. 6–15) e sia il Gesù uomo dal Verbo (c. 16–23). 21 Si veda sopra, n. 13. Dunque gli gnostici ammettevano che gli apostoli avessero raggiunto la « perfetta gnosi », anche se non definitiva, ma non è chiaro quando sia avvenuta questa rivelazione. Alcuni valorizzavano il periodo dopo la risurrezione di Gesù, e per questo « erano soliti dilatare il tempo delle apparizioni del Risorto (cfr. AH 1.3.2; 1.30.14) »: G. Laiti, « La Chiesa nell’economia di Dio secondo Ireneo di Lione », in Cattaneo - Longobardo, Consonantia salutis, p. 159-178 p. 160, n. 3. 22 Questo tema è tipicamente valentiniano, come risulta da AH 4.35.1: « I discepoli di Valentino e gli altri sedicenti gnostici dicono che alcune delle cose contenute nelle Scritture sono state dette dalla Potenza suprema a causa del seme proveniente da lei, altre dall’Intermediario per mezzo della madre Prunica, ma la maggior parte dal Creatore del mondo, dal quale furono mandati i profeti ».
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fusione, che può essere chiarita solo da chi ha la conoscenza della « pura verità » (sinceram veritatem) (3.2.2); e questa conoscenza ce l’ha solo chi è addentro alla tradizione segreta. Così gli gnostici si richiamavano a una superiore rivelazione, portatrice della vera « gnosi », quella testimoniata dall’insegnamento orale non solo di Paolo, ma anche di alcuni altri apostoli23. Solo essa è capace – secondo loro – di fornire la vera e spirituale interpretazione delle Scritture, perché insegna a evitare l’errore capitale degli « psichici », che consiste nell’identificare il vero Dio Supremo con il Dio dei Giudei, ovvero con il Creatore dell’Antico Testamento, il quale è un Dio minore, solo di poco superiore agli angeli. Ireneo, prima di accingersi ad usare la Scrittura come prova contro gli eretici, ritiene necessario fare una digressione per mostrare dove si trova la vera tradizione, che precede e dalla quale derivano le Scritture24. Il punto di partenza è un’inversione 23 È qui la differenza, accennata più sopra, tra Marcione e gli gnostici: per il primo, l’unico vero apostolo era Paolo, e gli altri erano tutti pseudo-apostoli; per i secondi invece, anche altri apostoli ebbero accesso alla gnosi, anche se solo dopo la risurrezione e l’ascensione di Gesù. Da qui si capisce come ci siano state correnti gnostiche che hanno valorizzato Pietro, Giacomo e altri apostoli. Marcione non avrebbe mai fatto una cosa simile. Molti scritti gnostici sono basati sul personaggio di Pietro, considerato come « il primo e perfetto gnostico »: Apocalisse di Pietro gnostica (NHC, 7.3), Lettera di Pietro a Filippo (NHC, 8.2), Atti di Pietro e dei dodici apostoli (NHC, 6.1). Cfr. Ch. Grappe, Images de Pierre aux deux premiers siècles, Paris, 1995, p. 23-28; R. Pesch, Simon Pietro. Storia e importanza storica del primo discepolo di Gesù Cristo, Brescia, 2008, p. 266-270 (orig. Simon-Petrus. Geschichte und geschichtliche Bedeutung des ersten Jüngers Jesu Christi, Stuttgart, 1980); J. Gnilka, Pietro e Roma. La figura di Pietro nei primi due secoli, Paideia, Brescia 2003, p. 238239 (orig. Petrus und Rom. Das Petrusbild in den ersten zwei Jahrhunderten, Freiburg i.B., 2002); M. Mazzeo, Pietro. Roccia della Chiesa (Prefazione di R. Fabris), Milano, 2004, p. 353-357; R. Burnet, Les Douze Apôtres. Histoire de la réception des figures apostoliques dans le christianisme ancien, Turnhout, 2014, p. 206-216. Sulla figura di Pietro nella letteratura gnostica e apocalittica, si veda anche K. Berger, « Unfehlbare Offenbarung. Petrus in der gnostischen und apokalyptischen Offenbarungsliteratur », in Kontinuität und Einheit. Für Franz Mußner, a cura di P.-G. Müller - W. Stenger, Freiburg i.B., 1981, p. 261-326. Non meraviglia che in alcuni scritti gnostici anche Maria di Magdala sia presentata come destinataria di rivelazioni particolari e « come una donna pneumatica superiore a Pietro » (Pesch, Simon Pietro, p. 89). Si veda Burnet, Les Douze Apôtres, p. 236-239. 24 Ireneo intende per Scrittura non solo l’Antico Testamento, ma anche i quattro Vangeli, gli Atti, le Lettere apostoliche e l’Apocalisse di Giovanni
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di prospettiva rispetto agli gnostici: mentre questi facevano della rivelazione « semplicemente un evento di comunicazione », Ireneo ribadisce che è anzitutto « la comunicazione dell’evento di Gesù Cristo; così la ‘Verità’ non è un pensiero logico su Gesù Cristo, ma è l’evento di Gesù Cristo stesso »25, verità salvifica che ha origine divina dal Padre; questa verità è comunicata da Cristo agli apostoli, i quali la trasmettono alla Chiesa: Il Signore di tutte le cose dette ai suoi Apostoli il potere di annunciare il Vangelo (potestatem evangelii) e attraverso di loro noi abbiamo conosciuto la Verità, cioè l’insegnamento che riguarda il Figlio di Dio. A loro il Signore disse: Chi ascolta voi ascolta me e chi disprezza voi disprezza me e colui che mi ha inviato (Lc 10, 16) (AH 3.Pr.).
In forza di questo mandato, ricevuto dagli apostoli, la Chiesa possiede la « regola della verità »26. Ora se « il Padre è la Verità » e se « Cristo è la Verità », e se gli apostoli sono « discepoli della verità », ciò significa che in loro non c’è menzogna, e quindi i loro insegnamenti sono veritieri e di conseguenza le loro Scritture sono veritiere (cfr. 3.5.1). Ma come questa verità è giunta inalterata sino a noi? Dio deve aver provveduto che ci fosse una catena ininterrotta che, a partire da Dio e da Cristo, attraverso gli apostoli, arrivasse all’oggi della Chiesa. Ora solo la Chiesa ha la prova di questa tradizione, non Marcione né gli gnostici. Tale prova non può consistere in una mera affermazione di principio, come facevano quelli, senza alcun fondamento verificabile, trattadosi di una tradizione esoterica e segreta, ma deve appoggiarsi su fatti certi e verificabili, che noi potremmo chiamare « fatti teologici ». Sono (cfr. Benoit, Saint Irénée, p. 120-122). Cfr. Sáez Gutiérrez, Canon y autoridad, p. 816-820. Non usa però l’espressione « Nuovo Testamento » per indicare queste Scritture della Chiesa. 25 Barbaglia, « Ireneo di Lione », p. 140. 26 Quindi la « regola della verità » o « della fede » (κανὼν τῆς ἀληθείας, τῆς πίστεως) è qualcosa di più del simbolo battesimale; è la fede stessa della Chiesa, che proviene dall’accordo tra la Tradizione apostolica e le Scritture. Il termine « « regola » indica « la partie principale et invariable du dépôt apostolique, celle dont la négation ou l’altération constitue l’hérésie » (D. van den Eynde, Les normes de l’enseignement chrétien dans la littérature patristique des trois premiers siècles, Gembloux, Louvain, 1933, p. 313; cfr. p. 281-289). Sulla storia del termine κανών si veda Barbaglia, « Ireneo di Lione », p. 81-85; sulla « regola della fede », ibid., p. 97-110.
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« fatti », cioè eventi e persone che riguardano la storia, riscontrabili nella storia, ma questa storia è anche « teologica », cioè guidata da Dio e portatrice del messaggio divino di salvezza. Si tratta quindi di provare che c’è attualmente una continuità nella rivelazione tra Dio Padre e Cristo, tra Cristo e gli apostoli, tra gli apostoli e le Chiese da loro istituite, tra le Chiese fondate dagli apostoli e le Chiese attuali. Tale continuità è allo stesso tempo dottrinale (la stessa fede)27, e temporale, cioè garantita nel tempo dalla personale successione di coloro che sono stati posti dagli apostoli a capo delle Chiese come vescovi. La concordanza tra le varie Chiese, anche geograficamente molto distanti tra loro e culturalmente eterogenee, è la prova della verità della tradizione, a cui si contrappone la frammentazione dei gruppi gnostici in contrasto fra di loro. Tra questi « fatti teologici » ha poi una particolare importanza la predicazione e il martirio degli apostoli Pietro e Paolo a Roma, e di conseguenza anche la Chiesa che si fonda su di loro e che ha conservato la fede ricevuta dagli apostoli grazie alla successione ininterrotta dei suoi vescovi, successione che Ireneo è in grado di riprodurre portando i nomi di ciascuno, fino al suo tempo28. È proprio questa continuità che Marcione e gli gnostici non possono addurre: le loro false congregazioni sono nate con loro stessi e sono recenti29. Se pretendono di riallacciarsi al tempo apostolico, possono solo richiamarsi a Simone, il mago samaritano, capostipite di tutte le eresie 30. Dunque, « se la tradizione degli eretici risulta essere falsa e quella della Chiesa vera, gli eretici non possono condannare le Scritture in nome della loro tradizione che è falsa, e bisogna allora attenersi alle Scritture trasmesse dalla vera tradizione che risale agli apostoli »31. Si veda la bella sintesi della fede apostolica in AH 3.4.2. Cfr. E. Cattaneo, « La successione apostolica in Clemente Romano e Ireneo », Ricerche storico-bibliche, 2 (2013), p. 143-164, spec. 144-146. Su questo « fatto teologico » della Chiesa di Roma torneremo più avanti. La sua importanza non sfugge a nessuno, perché se, ad esempio, fosse provato che Pietro non è mai stato a Roma, cadrebbe ogni pretesa della Chiesa romana di avere nel suo vescovo un successore di Pietro. Inoltre Ireneo non poteva addurre come « prova certa » una lista di nomi che gli gnostici avrebbero potuto smentire. 29 Cfr. AH 3.4.3. 30 Cfr. AH 1.23.1-4. 31 Benoit, Saint Irénée, p. 171 (traduzione mia). 27
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Gli apostoli quindi, con la grazia dello Spirito Santo ricevuto alla Pentecoste (cfr. Ac 2), sono stati mandati anzitutto a predicare il Vangelo del Figlio32 , ma poi, « per volontà di Dio, essi ce lo hanno trasmesso in alcune scritture perché fosse fondamento e colonna della nostra fede » (3.1.1) 33. Nell’annuncio orale tutti gli apostoli sono stati coinvolti, mentre nella fase scritta solo quattro di essi: due direttamente (Matteo e Giovanni) e due indirettamente, Pietro attraverso Marco e Paolo attraverso Luca34. Quindi le Scritture del Nuovo Testamento sono sorte « per volontà di Dio », non per iniziativa umana, perché fossero di sostegno alla predicazione della fede. Vanno dunque ritenute solo quelle Scritture che sono state lasciate alla Chiesa dagli apostoli, e in particolare i quattro Vangeli. Chi ne toglie alcuni (come Marcione) o ne aggiunge altri (come i Valentiniani), sono fuori dalla tradizione apostolica. Siccome sono nate dalla predicazione, le Scritture vanno interpretate conformemente ad essa. Di conseguenza, « chi non dà il proprio assenso a questi insegnamenti, disprezza coloro che sono diventati partecipi del Signore, disprezza il Signore e disprezza anche il Padre e si condanna da sé, perché resiste e si oppone alla pro-
32 Sul concetto di euangelium in Ireneo, si veda Sáez Gutiérrez, Canon y autoridad, p. 646-676. 33 Molti studiosi nelle parole fundamentum et columna vedono una reminiscenza di 1 Tm 3, 15, ma giustamente W. Rordorf (« Was heisst: Petrus und Paulus haben die Kirche in Rom ‘gegründet’? Zu Irenäus, Adv. haer. III,1,1; III,2,3 », in Id., Lex orandi, lex credendi. Gesammelte Aufsätze zum 60. Geburts tag, Freiburg, 1993, p. 203-210, p. 207) fa notare che il testo paolino parla di columna et firmamentum (non fundamentum); l’ordine delle parole è diverso, e in Paolo esse sono riferite alla Chiesa, non al Vangelo. Per Ireneo columna et firmamentum della fede è il Vangelo, scritto e predicato, cioè non disgiunto dalla Tradizione ecclesiale. Tra i due non vi è una sorta di « giustapposizione », bensì una reciproca « inclusione » (cfr. Sáez Gutiérrez, Canon y autoridad, p. 870-873), così come « tra Spirito e Chiesa » vi è « inclusione reciproca, tuttavia non simmetrica » (Laiti, « La Chiesa », p. 169). Per questo in 3.11.8 Ireneo riprende l’espressione, certamente con riferimento a 1 Tm 3, 15, mettendo insieme Vangelo e Spirito: « Columna autem et firmamentum Ecclesiae est Evangelium et Spiritus vitae ». È interessante notare che anche gli apostoli sono chiamati « colonne » della Chiesa (cfr. Gal 2, 9; 1 Clem 5, 2). Nella Lettera sui martiri di Vienne e Lione 1.17, il martire Attalo è chiamato « colonna e sostegno dei nostri fratelli ». 34 Sugli apostoli quali garanti dei quattro Vangeli canonici torneremo più avanti.
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pria salvezza, come fanno tutti gli eretici » (3.1.2). Costoro « si vantano di avere ricevuto una conoscenza superiore agli altri » (1.8.1), e perciò pretendono di essere « più sapienti (sapientiores) non solo dei presbiteri, ma anche degli apostoli » (3.2.2), « superiori (meliores) all’apostolo [Paolo] » (2.30.7), e « si vantano di essere correttori (emendatores) degli apostoli » (3.1.1), dicendo « di aver trovato essi stessi più degli apostoli (plus invenisse quam apostoli) » e di essere « più chiari e intelligenti (sinceriores et prudentiores) degli apostoli » (3.12.12)35. b. La confutazione del paolinismo di Marcione e degli gnostici Alludendo probabilmente a Marcione, Ireneo intende confutarne il paolinismo esasperato: « Alcuni dicono che solo Paolo ha conosciuto la verità, perché solo a lui, mediante una rivelazione, è stato manifestato il mistero (Eph 3, 3) » (AH 3.13.1). Gli altri apostoli, compreso Pietro, non avrebbero avuto lo stesso grado di conoscenza, e di conseguenza, non possedendo la « perfetta gnosi » (perfectam agnitionem) (3.12.7), cioè non conoscendo il vero Dio, continuavano ad annunciare il Dio Creatore: « Secondo loro Pietro era imperfetto (imperfectus) ed erano imperfetti anche gli altri apostoli » (AH 3.12.7). Da parte loro, i valentiniani « notavano come Paolo metteva in contrasto la propria missione verso i Gentili, o pneumatici, con quella di Pietro, rivolta agli Ebrei o psichici (Gal 2, 7) »36. Inoltre Paolo stesso, sempre secondo i valentiniani, non ha potuto riportare per iscritto, nelle sue lettere, la tradizione segreta di cui fu beneficato, perché essa andava trasmessa solo oralmente a persone capaci di accoglierla. Infatti il metodo della predicazione di Paolo era quello di adattarsi al pubblico che aveva 35 Alcuni gnostici, come Marco e i suoi discepoli, pretendono di avere una conoscenza superiore persino a quella degli apostoli: « Anche alcuni dei suoi [di Marco] discepoli […], si dichiarano perfetti, come se nessuno potesse raggiungere la grandezza della loro conoscenza, neppure se dici Paolo o Pietro o qualche altro degli apostoli » (AH 1.13.6). Ma forse qui Ireneo è ironico. Anche Carpocrate e i suoi seguaci « dicono di essere superiori ai suoi [di Gesù] discepoli, quali Pietro e Paolo e agli altri apostoli », e anche di Gesù stesso (1.25.2). È interessante notare come Ireneo associ spontaneamente i nomi dei due apostoli Pietro e Paolo (cfr. Lanne, « L’Église de Rome », p. 295). 36 Pagels, The Gnostic Paul, p. 7: « The Valentinians note how Paul contrasts his own mission to the pneumatic Gentiles with Peter’s mission to the psychic Jews (Gal 2:7) ».
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davanti37. Con i semplici (gli « ilici ») parlava del Cristo crocifisso (cfr. 1 Cor 1, 23), ma con i perfetti presentava il Cristo superiore (cfr. AH 3.18.2-3). L’insegnamento « a viva voce » è il solo vero insegnamento, molto superiore a quello scritto38. Soltanto chi ha ricevuto la sapienza per viva voce è in grado di fare un discernimento nelle Scritture e interpretarle nel modo giusto. È in questo contesto che vanno inserite le affermazioni di Ireneo su Pietro e Paolo, i quali hanno avuto entrambi la rivelazione del Figlio per un dono del Padre: Perché il Signore inviava gli apostoli alle pecore perdute della casa di Israele (cfr. Mt 10, 5-6), se è vero che non avevano conosciuto la verità? […] Poteva ignorarla Pietro, al quale il Signore attestò che non gliel’avevano rivelata la carne e il sangue, ma il Padre che è nei cieli (Mt 16, 17)? Come infatti Paolo divenne apostolo non da parte di uomini né per mezzo di un uomo, ma per mezzo di Gesù Cristo e di Dio Padre (Gal 1, 1) , perché il Figlio li aveva condotti al Padre e il Padre aveva rivelato loro il Figlio (AH 3.13.2) 39.
c. La testimonianza di Luca su Paolo e Pietro È vero che molti testi di Paolo si prestavano ad essere interpretati in senso gnostico40 e Ireneo conosce l’interpretazione gnostica delle lettere paoline41. Il lavoro del vescovo di Lione sarà pro37 Probabilmente gli gnostici si appellavano a 1 Cor 9, 19-23, dove Paolo dice che si è fatto giudeo con i Giudei, gentile con i gentili, insomma si è fatto « tutto a tutti ». 38 AH 3.2.1: « Dicono [gli eretici] che questa verità è stata trasmessa non per iscritto, ma a viva voce, ragion per cui Paolo ha detto: Noi parliamo di sapienza con i perfetti, ma non della sapienza di questo mondo (1 Cor 2, 6) ». 39 Per la giustificazione del testo così integrato, si veda A. Rousseau, SC 210, p. 304-305. 40 La ricostruzione dell’esegesi gnostica di Paolo è stata abozzata da Pagels, The Gnostic Paul, p. 64. L’autrice non pretende di avere scoperto il « vero » Paolo, ma pone comunque un forte interrogativo sulla legittimità dell’interpretazione « ortodossa » di Paolo. La questione non può essere risolta a livello puramente esegetico, ma occorre verificare su quali basi filosofiche e teologiche si fondano i vari tipi di esegesi. Se il punto di partenza è il dualismo (teologico, cosmologico, antropologico), è chiaro che tutta l’interpretazione ne verrà condizionata. 41 Cfr. AH 1.3.1 (Eph 3, 21); 1.3.4 (Col 3, 11; Rm 11, 36); 1.3.5 (1 Cor 1, 18; Gal 6, 14); 1.8.2 (1 Cor 15, 8); 1.8.3 (1 Cor 15, 48; 1 Cor 2, 14.15; Rm 11, 16);
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prio quello di scardinare questa esegesi, mostrando che essa non è veramente scritturale. Egli accetta la sfida di mantenersi sul terreno biblico, partendo da quei testi che erano ammessi anche dai marcioniti. Come abbiamo visto, Marcione ammetteva come Scrittura un solo « Evangelium » (quello di Luca, ma emendato) e l’« Apostolikon », cioè le lettere di Paolo, rigettando gli Atti e tutti gli altri scritti. A motivo della sua pretesa di ritrovare il testo originale, sfrondato dalle interpolazioni giudaizzanti, egli fu il primo a porre problemi di critica testuale; con i valentiniani invece era solo questione di interpretazione, perché essi accettavano le Scritture così come erano recepite dalla Chiesa42 . Gli argomenti di Ireneo sono questi: Luca è stato discepolo e compagno di Paolo, cosa che nessuno contesta43; Luca ha riportato fedelmente ciò che ha appreso dagli apostoli, come dice all’inizio del suo Vangelo (ibid. = Lc 1, 2); se dunque quello che dice Luca concorda con quanto scrive Paolo nelle sue lettere, ciò significa che Luca è veritiero 44; se Luca è veritiero, deve essere ritenuto veritiero in tutta la sua opera (Vangelo-Atti) e in tutte le sue parti, non solo in alcune45. 1.8.4 (1 Cor 2, 6; Eph 5, 32); 1.8.5 (Eph 5, 13); 1.21.2; 3.2.1 (1 Cor 2, 6); 3.7.1 (2 Cor 4, 4); 5.9.1 (1 Cor 15, 50). 42 Cfr. AH 3.12.12: « Marcione e i suoi seguaci si sono messi a mutilare le Scritture: alcune non le riconoscono affatto; il Vangelo di Luca e le Lettere di Paolo le mutilano, dicendo che sono autentici solo gli scritti che essi hanno così ridotto. […] Tutti gli altri che si vantano della falsa gnosi riconoscono sì le Scritture, ma ne pervertono l’interpretazione ». Su questa attenzione di Ireneo alla correttezza del testo biblico e della sua interpretazione, si veda più sopra n. 9 e Sáez Gutiérrez, Canon y autoridad, p. 848-861. 43 Cfr. AH 3.14.1: « Luca era inseparabile da Paolo e suo collaboratore (cooperarius) nel Vangelo […]. Fu compagno e collaboratore degli apostoli e di Paolo in particolare […]. Egli predicò sempre con Paolo e da lui fu chiamato carissimo (Col 4, 14), annunciò il Vangelo assieme a lui, e ricevette l’incarico di riferirci il Vangelo, e non ricevette da lui nessun altro insegnamento ». 44 Cfr. AH 3.13.3: « Sono concordanti e praticamente identiche la predicazione di Paolo e la testimonianza di Luca a proposito degli apostoli ». Questo a mio parere è l’argomento decisivo, che permette di evitare una « petizione di principio », volendo dimostrare a partire dagli Atti che gli Atti sono veritieri. Come argomento complementare vale il presupposto dell’onestà di Luca come scrittore (cfr. 3.14.2). Sulla difesa degli Atti da parte di Ireneo, si veda Benoit, Saint Irénée, p. 122-127. 45 Cfr. AH 3.14.3: « Ora se si rifiuta Luca [= Atti] come se non avesse conosciuto la verità, è chiaro che si rifiuterà anche il Vangelo di cui pretende essere discepolo ». 3.14.4: « Chiunque abbia senno non potrà consentire con loro
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Paolo infatti ha parlato apertamente a tutti, senza tenere insegnamenti segreti, anzi denunciando i futuri falsi maestri (3.14.2 = Ac 20, 18-28). Una volta stabilita la validità e la concordanza delle fonti, la confutazione dell’interpretazione gnostica è cosa che viene da sé46. Negli Atti47 Luca dice che Paolo, dopo avere incontrato il Signore, predicava il Figlio di Dio: E anche Paolo, dopo che il Signore gli ebbe parlato dal cielo, mostrandogli che perseguitava il suo proprio Signore perseguitando i suoi discepoli (cfr. Ac 9, 4-5), e gli ebbe mandato Anania perché ricuperasse la vista e fosse battezzato (cfr. Ac 9, 10-19), nelle sinagoghe – dice – in Damasco predicava Gesù con molta franchezza dicendo che è il Cristo, il Figlio di Dio (Ac 9, 19-20) (3.12.9) 48.
È vero che in Damasco Paolo parlava ai Giudei, e quindi presentava Gesù come il Figlio del Dio da loro conosciuto; ma anche quando si mise a predicare ai Gentili, come ad Atene – dove non c’erano Giudei ad ascoltarlo, e quindi sarebbe stato facile per lui predicare liberamente il vero Dio, diverso dal Creatore, se l’avesse conosciuto – egli non cambiò la sua predicazione, ma continuò ad [marcioniti] nell’accettare alcune cose dette da Luca come espressione della verità e rifiutarne altre, come se non avesse conosciuto la verità ». 46 Se in AH 3.14 Ireneo ha fondato la credibilità di Luca sulla sua conformità a Paolo, in 3.15 deve fare l’inverso nei riguardi di coloro che « non riconoscono Paolo come apostolo » (qui Paulum apostolum non cognoscunt), ma accettano l’opera lucana. Non mi è chiaro chi possano essere costoro; forse sono gli stessi che in 3.11.9, in reazione alla « nuova profezia » dei discepoli di Montano, rifiutano sia il Vangelo secondo Giovanni, perché contiene la promessa del Paraclito (in qua Paraclitum se missurum Dominus promisit), sia l’apostolo Paolo (neque apostolum Paulum recipiant), perché parla dei carismi profetici. Cfr. E. Cattaneo, « Spirito e profezia. Il peccato irremissibile contro lo Spirito Santo (Mt 12,31-32) in S. Ireneo di Lione », in Ecclesiae Sacramentum. Studi in onore di A. Marranzini, a cura di G. Lorizio - V. Scippa, Napoli, 1986, p. 169-181. 47 Ricordiamo che Ireneo cita Atti secondo il cosiddetto « testo occidentale », testimoniato da quel prezioso esemplare del IV secolo che è il Codex Bezae (sigla D), che proviene proprio da Lione. In particolare, per gli Atti in AH 3, si veda G. Ferrarese, Il concilio di Gerusalemme in Ireneo di Lione. Ricerche sulla storia dell’esegesi di Atti 15,1-29 (e Galati 2,1-10) nel II secolo, Brescia, 1979, p. 81-101. 48 Le parole con molta franchezza (cfr. Ac 28, 31) e il Cristo sono proprie di Ireneo.
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annunciare il Dio Creatore e Gesù risorto, quale giudice universale. Anche con i pagani di Listri, in Licaonia, Paolo ripete lo stesso annuncio (cfr. 3.12.9). Se si passa poi a Pietro e agli altri apostoli, vediamo che la loro predicazione è identica a quella di Paolo. Già durante il ministero terreno di Gesù, Pietro aveva avuto la rivelazione circa il Figlio49, ma è soprattutto nel giorno della Pentecoste che lui e tutti gli altri apostoli hanno ricevuto la « conoscenza perfetta » con il dono dello Spirito Santo, e solo allora hanno cominciato a predicare il Vangelo50: In effetti, dopo che nostro Signore risorse dai morti e furono rivestiti di forza dall’alto con la venuta dello Spirito Santo, e dopo essere stati riempiti di ogni certezza ed ebbero ricevuto la conoscenza perfetta (perfectam agnitionem), allora uscirono [spingendosi] sino ai confini della terra, predicando quei beni che Dio ci aveva dato e annunciando agli uomini la pace celeste. Tutti essi, così come ciascuno di loro, avevano il Vangelo di Dio (Mr 1, 14; Rm 1, 1; 15, 16) (AH 3.1.1)51.
Questa « perfetta conoscenza » non porta però Pietro a disprezzare il Dio d’Israele. Infatti egli giustifica il suo agire citando continuamente i profeti dell’Antico Testamento. Nell’elezione di colui che doveva sostituire Giuda, e così completare il numero dei Dodici, Pietro si appoggia a una profezia di Davide; parimenti, nello spiegare il prodigio della Pentecoste, Pietro richiama un testo del profeta Gioele (3.12.1). Inoltre nell’episodio di Cornelio (Ac 10), Pietro è presentato come un giudeo osservante, « che ha un tale rispetto (timorem) verso il primo Testamento, al punto da non voler mangiare insieme ai Gentili » (3.12.15). Quindi in un primo tempo anche Pietro si attiene alle osservanze alimentari e ne parla « con molto rispetto » (cum timore multo) (3.12.15). E tuttavia a lui fu rivelato che era stato il medesimo Dio di Israele ad aver « reso puri » i Gentili « mediante il sangue del Figlio suo » (3.12.7). Così 49 Ireneo si riferisce alla rivelazione avuta da Pietro a Cesarea in 3.11.6: « A quo [= a Patre] et Petrus edoctus (cfr. Mt 16, 17) cognovit Christum Filium Dei vivi (cfr. Mt 16, 16) ». Cfr. 3.13.2; 3.18.4; 3.19.2. 50 Marcione e gli gnostici non davano nessuna o scarsa importanza alla Pentecoste di Ac 2: cfr. A. Orbe, Introduction à la théologie des iie et iiie siècles, 2 vol., Paris, 2012, p. 1377-1378. 51 Si possono notare affinità di questo testo con 1 Clem 42.3 (SC 167, p. 168).
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parlando al centurione Cornelio, Pietro mostra da una parte di mantenere la fede in quel Dio che già Cornelio e i suoi veneravano, in quanto « timorati di Dio », « ma poi attestò loro che Gesù Cristo è il Figlio di Dio, il giudice del vivi e dei morti […], lo stesso che è nato da Maria » (3.12.7)52 . Pietro dunque, secondo Ireneo, testimonia la continuità con la fede nel Dio dell’Antico Testamento, e insieme annuncia la novità del Vangelo, che consiste nella venuta del Figlio di Dio, così che da una parte i Giudei sono chiamati a credere in modo nuovo, e i Gentili ad abbracciare la nuova fede senza passare per il giogo del giudaismo. Pietro avrà poi occasione di chiarire questa sua posizione all’assemblea apostolica di Gerusalemme (Ac 15), riunita per risolvere la questione, sollevata da alcuni, se si dovesse imporre la circoncisione – e quindi tutta la legge mosaica – ai credenti provenienti dai Gentili: Allorché infatti alcuni scesero dalla Giudea ad Antiochia (Ac 15, 1), – dove per la prima volta i discepoli del Signore per la loro fede in Cristo furono chiamati cristiani (Ac 11, 26) –, e allorché cercarono di persuadere quelli che avevano creduto nel Signore a farsi circoncidere e a compiere le altre pratiche secondo l’osservanza della Legge (cfr. Ac 15, 5 e 24 secondo i mss CY), dopo che Paolo e Barnaba salirono a Gerusalemme dagli altri apostoli per tale questione (Ac 15, 2), e dopo che l’intera Chiesa si fu riunita (convenisset in unum), Pietro disse loro (segue il discorso di Pietro in Ac 15, 7b-11, riportato interamente da Ireneo) (3.12.14)53.
Come si può notare dal brano ora citato, nel presentare l’intervento di Pietro54, Ireneo lo pone in posizione centrale, pronunciato 52 Notiamo come Ireneo insista sull’unità di Cristo, contro tutte le cristologie gnostiche e adozioniste, per le quali Gesù non sarebbe che un uomo, sul quale sarebbe poi disceso lo Spirito adottivo (cfr. SC 210, 298, a p. 213, n. 1). 53 È interessante osservare le omissioni e le integrazioni fatte da Ireneo nel riassumere Ac 15, 1-7a. Notiamo che mentre Ac 15, 2 dice che Paolo e Barnaba salirono a Gerusalemme dagli apostoli e anziani, Ireneo scrive « dagli altri apostoli », omettendo anziani ed equiparando Paolo e Barnaba agli altri apostoli. Inoltre Ireneo tace della lunga discussione che secondo Ac 15, 7a ha preceduto l’intervento di Pietro. Cfr. Ferrarese, Il concilio di Gerusalemme, p. 99-101. Giustamente Ferrarese fa notare come Ireneo riassuma ed abbrevi la cornice narrativa di Ac 15, e ciò è molto importante per capire il modo con cui egli legge e interpreta il testo (cfr. ibid., p. 98). 54 Per un’analisi del passo dal punto di vista della critica testuale, cfr. Ferrarese, Il concilio di Gerusalemme, p. 92.
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davanti a tutta la Chiesa, come appare dalla costruzione stessa della frase: « Allorché alcuni scesero dalla Giudea ad Antiochia …, e dopo che Paolo e Barnaba salirono a Gerusalemme …, e dopo che l’intera Chiesa fu riunita (conveniset in unum), Pietro disse loro … »55. In questo discorso, l’apostolo sottolinea che è stato Dio a volere l’apertura ai Gentili per mezzo della fede, senza che siano obbligati a passare per il « giogo » della legge mosaica, poiché Dio – dice – « non ha fatto alcuna differenza tra noi [Giudei] e loro [Gentili], avendo reso puri i loro cuori mediante la fede » (3.12.14 = Ac 15, 9). Voler loro imporre questo « giogo » « che né i nostri padri né noi siamo stati in grado di portare », sarebbe un « tentare Dio ». La conclusione del discorso non lascia dubbi sulla posizione di Pietro: « Noi crediamo che è per la grazia del Signore nostro Gesù Cristo che possiamo essere salvati noi [Giudei] così come loro [Gentili] » (ibid. = Ac 15, 11). Pietro qui parla alla universa ecclesia come uno che sta al di sopra delle parti56. Toccherà a Giacomo difendere la posizione dei Giudei nel discorso di Ac 15, 13-20 riportato anch’esso interamente da Ireneo (ibid.)57. Giacomo, appoggiandosi su una citazione profetica, accetta il Vangelo della libertà per i Gentili, ma per lui questo non significa abolizione della legge per i Giudei che hanno accolto il Signore 58. Infatti, « Giacomo e gli altri 55 Cfr. ibid., p. 98: « … per quanto riguarda la stessa struttura sintattica, le varie proposizioni del testo sono state ridotte ad un unico e lungo periodo, che porta al discorso di Pietro ». Purtroppo questa struttura non si nota più nella traduzione francese, dove il lungo periodo di Ireneo viene suddiviso in quattro frasi separate (SC 211, p. 239). 56 Cfr. O. Bucci, Gesù il Legislatore. Un contributo alla formazione del patrimonio storico-giuridico della Chiesa nel I millennio cristiano, Città del Vaticano, 2011, p. 338: « Il discorso di Pietro è un capolavoro di oratoria, degno di chi è consapevole di essere Capo indiscusso della Comunità uscita dalla Pentecoste, ed è un discorso categorico che non concede scappatoie a nessuno, né a chi vuole obbligare alla circoncisione i pagani divenuti cristiani, né chi, come Paolo, con durezza di linguaggio, ama lo scontro ». 57 Per un’analisi del passo dal punto di vista della critica testuale, cfr. Ferrarese, Il concilio di Gerusalemme, p. 92-94. 58 È interessante la citazione che Giacomo fa di Am 9, 11-12, dove Dio promette di intervenire per « riedificare la tenda di Davide, che era caduta » e fare in modo che « tutte le genti » invochino il suo Nome. Quindi anche per Giacomo il progetto di Dio è quello di riunire insieme Giudei e Gentili. Entrambi devono però passare per una « conversione », che consiste per i Gentili « invocare il Nome », e per i Giudei risollevarsi dalla « caduta ».
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apostoli, permettevano sì ai Gentili di essere liberi [dalla Legge], affidando noi [Gentili] allo Spirito di Dio, ma loro, sapendo che si trattava dello stesso Dio, perseveravano nelle antiche osservanze » (3.12.15). La conclusione del raduno apostolico fu il raggiungimento di un pieno accordo59, ratificato con la lettera « che gli apostoli inviarono non ai Giudei né ai Greci, ma a quei Gentili che avevano creduto in Cristo, confermando la loro fede » (3.12.14), e convalidando « il dono della libertà del nuovo testamento per coloro che, grazie allo Spirito Santo, credevano in Dio in maniera nuova (nove) » (ibid.). Tale libertà non è intaccata dalle limitazioni che la lettera apostolica impone riguardo ai cibi (idolotiti, sangue, animali soffocati) e alle unioni illegittime (πορνείας), limitazioni suggerite da Giacomo 60. In definitiva, è questo il medesimo Vangelo che gli apostoli avevano ricevuto dal Signore e che annunciavano a tutti, Giudei e Gentili: È chiaro, dunque, che [gli apostoli e i loro discepoli] non abbandonavano la verità, ma predicavano con molta franchezza (cfr. Ac 4, 29; 28, 31) ai Giudei e ai Greci: ai Giudei annunciavano che quel Gesù, che essi avevano crocifisso, era il Figlio di Dio, giudice dei vivi e dei morti, il quale aveva ricevuto dal Padre il regno eterno in Israele, come abbiamo dimostrato; ai Greci invece annunciavano un solo Dio, colui che ha creato tutte le cose, e il Figlio suo Gesù Cristo (AH 3.12.13) 61.
La « franchezza » ovvero « libertà di parola » (παρρησία) propria degli apostoli e dei loro discepoli è quel « parlare chiaro » che si contrappone « all’esoterismo degli gnostici e alle loro tradizioni segrete » 62 . Fin qui l’esposizione di Atti. Occorre ora vedere se gli Cfr. AH 3.12.14: « Et cum haec dicta essent et omnes consensissent ». Ireneo cita le norme apostoliche secondo il « testo occidentale », dove non si parla di animali soffocati, e compare l’aggiunta della regula aurea (nella sua forma negativa: e non fate agli altri ciò che non volete che gli altri facciano a voi) con la finale ambulantes in Spiritu sancto. Cfr. Ferrarese, Il concilio di Gerusalemme, p. 96; 165-176. 61 Cfr. AH 3.12.7: « È dunque il Figlio di Dio e la sua venuta, che gli uomini non conoscevano, ciò che gli apostoli annunciavano a coloro che già erano stati istruiti su Dio [= Giudei], e non introducevano un altro Dio ». 62 Ferrarese, Il concilio di Gerusalemme, p. 115. Giustamente questo autore fa notare in AH 3.13–14 l’uso dei termini manifestum, manifestius, in polemica contro l’esoterismo gnostico. Proprio per questo motivo Ireneo 59
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Atti concordano con le lettere di Paolo, soprattutto con la lettera ai Galati63. d. La testimonianza di Gal 1–2 su Paolo e Pietro Il cosiddetto « raduno apostolico » di Gerusalemme, narrato da Luca in Ac 15, è riportato da Paolo Gal 2, 1-10 secondo la sua personale prospettiva. La situazione e i personaggi sono essenzialmente gli stessi: da una parte Paolo e Barnaba, che portano con loro anche Tito (però non menzionato da Ac); dall’altra le persone più ragguardevoli della Chiesa madre di Gerusalemme, Giacomo, Kefa/Pietro e Giovanni (quest’ultimo non menzionato da Ac); in mezzo ci sono quelli che Paolo chiama « falsi fratelli » (Gal 2, 4), che volevano imporre la circoncisione ai Gentili convertiti64. Paolo allude a una riunione « privata », con i più ragguardevoli, e a un dibattito pubblico con quei « falsi fratelli ». Lo scopo era quello di mantenere « la verità del vangelo » (Gal 2, 5). Stabilito questo punto essenziale e accordatisi sulla distinzione dei campi di apostolato (Gal 2, 7-9), con l’impegno di mantenere i contatti di koinōnia con i “poveri » (Gal 2, 10), cioè lo scambio tra beni spirituali e materiali (cfr. Gal 6, 6), Paolo passa subito al diverbio avuto con Pietro ad Antiochia, a motivo del comportamento di quest’ultimo, che pareva smentire l’accordo raggiunto a Gerusalemme, e la conseguente rottura con Barnaba, che aveva seguito Pietro (Gal 2, 11-14). L’esegesi gnostico-marcionita di Gal 1–2 sottolineava la libertà e l’indipendenza di Paolo in rapporto agli apostoli « prima di lui », i quali predicavano un vangelo psichico, non quello spirituale 65. riporta per intero i discorsi di Atti, lasciando in secondo piano le parti narrative. 63 Nelle opere a noi rimaste (AH, Dem), Ireneo cita tutte le lettere di Paolo ad eccezione di Filemone. Egli è il primo autore che ricorre sistematicamente a Paolo. Circa 1/3 delle sue citazione neotestamentarie dell’AH sono tratte dalle lettere paoline. Cfr. Benoit, Saint Irénée, p. 127-129. 64 Cfr. R. E. Brown - J. P. Meier, Antiochia e Roma. Chiese-madri della cattolicità antica, Assisi, 1987, p. 50-60 (orig. Antioch and Rome. New Testament Cradles of Catholic Christianity, New York, 1983). 65 Cfr. Pagels, The Gnostic Paul, p. 101-105; G. Costa, « Principi ermeneutici gnostici nella lettura di Paolo (Lettera ai Galati) secondo l’Adv. haer. di Ireneo », Rivista Biblica Italiana, 34 (1986), p. 615-637 (riprende quasi sempre Pagels).
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Marcione introduce significative modifiche nel testo di Gal 1–2 66. Della prima visita di Paolo a Gerusalemme « per consultare Kefa » (Gal 1, 18), Marcione non fa cenno, anzi elimina dalla lettera i vv. 1, 18-24 come aggiunti dai giudaizzanti, « dal momento che Marcione riteneva di non dover lasciar trasparire le relazioni dell’Apostolo con Pietro e con le comunità giudeo-cristiane » 67. Paolo va dagli altri apostoli solo dopo quattordici anni di attività, e vi va « in seguito a una rivelazione » (Gal 2, 2), « non perché fosse sottomesso alla loro autorità » 68. Parla loro in privato, « perché egli sa che la riservatezza è una condizione essenziale perché il Vangelo pneumatico possa essere comunicato » 69. Vi si reca « al fine di preservare l’autonomia spirituale degli pneumatici e la loro libertà di coscienza innanzi agli psichici, autoritari e moralisti »70. Da qui la resistenza di Paolo, che scrive: « Ad essi non cedemmo per riguardo neppure un istante, perché la verità del vangelo potesse continuare a rimanere a vostro vantaggio » (Gal 2, 5). Quando poi Pietro si avventura in territorio gentile (Antiochia), sembra che per un momento abbandoni i dettami psichici, ma poi all’arrivo di alcuni di essi, si ricrede, ritornando alle osservanze giudaiche, e anzi obbligando alcuni « Gentili » (= pneumatici) a comportarsi come i Giudei. Per questo viene rimproverato apertamente da Paolo71. Ireneo contesta questa interpretazione distorta della lettera paolina, sottolineando che la « rivelazione » avuta da Paolo, non è stata quella di un nuovo Dio, ma del Figlio (cfr. Gal 1, 16), che egli prima non conosceva e anzi perseguitava. Paolo ebbe la stessa grazia degli altri apostoli, sebbene dopo di loro, ma non ebbe una rivelazione diversa o superiore alla loro:
66 Si veda Harnack, Marcion, p. 66-67; Ferrarese, Il concilio di Gerusalemme, p. 40-41. 67 Harnack, Marcion, p. 67. È curioso che anche Ireneo non citi mai quei versetti. 68 Pagels, The Gnostic Paul, p. 103. Così Marcione espunge da Gal 2, 9 la parola κοινωνίας, riducendo il concilio apostolico a « un confronto sterile e solo apparentemente amichevole » (Harnack, Marcion, p. 156). Neppure Ireneo cita quel versetto. 69 Pagels, The Gnostic Paul, p. 104. 70 Ibid. 71 Cfr. Pagels, The Gnostic Paul, p. 105.
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Dice nella lettera ai Galati: Quando colui, che mi aveva scelto fin dal seno di mia madre e mi aveva chiamato per mezzo della sua grazia, si compiacque di rivelare il suo Figlio in me, affinché lo annunciassi tra i Gentili (Gal 1, 15-16): dunque non è vero che altro era colui che nacque dal seno materno, come abbiamo detto, e altro colui che annunciava il Figlio di Dio, ma quello stesso che prima non lo conosceva e perseguitava la Chiesa (cfr. Gal 1, 13), dopo che gli si fu presentata una rivelazione dal cielo e il Signore ebbe parlato con lui (cfr. Ac 9, 4-6), come abbiamo dimostrato nel terzo libro, annunciò il Figlio di Dio, Gesù Cristo, che fu crocifisso sotto Ponzio Pilato, una volta che la sua ignoranza precedente fu distrutta dalla conoscenza che sopravvenne (AH 5.12.5).
L’ignoranza nella quale Paolo era immerso e che lo aveva portato a perseguitare la Chiesa non era dunque l’ignoranza del presunto Dio di Marcione o degli gnostici, bensì la non conoscenza del Figlio di Dio, il Signore Gesù Cristo. Ciò significa che Paolo dopo la sua conversione non ha rinnegato il Dio della sua fede giudaica, dato che annunciava proprio il Figlio di quel medesimo Dio: Questo è il mistero – dice – che gli è stato manifestato per rivelazione (cfr. Eph 3, 3): colui che ha patito sotto Ponzio Pilato è il Signore di tutti, Re, Dio e Giudice, avendo ricevuto il potere dal Dio di tutti, perché divenne obbediente fino alla morte e alla morte di croce (Ph 2, 8) (AH 3.12.9).
Quanto al raduno apostolico di Gerusalemme secondo Gal 2, 1-10, Ireneo cita il testo paolino solo in piccola parte, rileggendolo alla luce di Ac 15. Vale la pena di riportare il passo per intero: Che poi Paolo abbia accondisceso (adquievit) a quelli che lo citarono davanti agli apostoli per una questione controversa (cfr. Ac 15, 2) e sia salito da loro a Gerusalemme assieme a Barnaba – non senza motivo, ma perché fosse confermata da quegli stessi la libertà dei Gentili – lo dice egli stesso nella lettera ai Galati: In seguito, dopo quattordici anni, salii72a Gerusalemme assieme a Barnaba, portando anche Tito. Vi salii però in seguito ad una rivelazione ed esposi loro il Vangelo che predico tra i Gentili (Gal 2, 1-2). E dice ancora: Sul momento cedemmo alla sottomissione perché la verità del Vangelo rimanesse presso di voi [Gentili] (Gal 2, 5) (AH 3.13.3).
72 Ireneo omette iterum (di nuovo), forse come nel testo di Marcione, che aveva espunto la prima visita di Paolo.
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Qui Ireneo sottolinea due cose: la prima è che l’incontro di apostolica »73. La Gerusalemme ha un’impronta nettamente « seconda è la messa in evidenza di Gal 2, 5, letto però secondo la seguente versione: « Sul momento noi cedemmo alla sottomissione, perché rimanesse nei vostri confronti la verità del Vangelo » (Ad horam cessimus subiectioni uti veritas evangelii perseveret apud vos)74. Il testo di Marcione, che poi è diventato quello comunemente ammesso, dice invece esattamente il contrario: « Ad essi non cedemmo, non sottomettendoci neppure per un istante »75. Dunque, adottando la lezione attestata dal Codex Bezae, Ireneo evidenzia la momentanea « sottomissione » di Paolo al fine di salvaguardare la libertà dei Gentili di fronte alla Legge. In che cosa sia consistita quella « sottomissione », Ireneo non lo dice, ma certamente non è stata la circoncisione di Tito, espressamente negata in Gal 2, 376. Il passo di Ireneo fa capire che il « cedimento » di Paolo non fu altro che l’accondiscendere (adquievit) a salire a Gerusalemme per difendere la libertà dei Gentili. Tuttavia questo « accondiscendere » di Paolo riveste un più profondo significato, perché esso implica un riconoscimento della Chiesa dei circoncisi, con la loro pratica della Legge, salvando però sempre la verità del Vangelo77. Qui il cerchio si chiude in modo perfetto: da una parte, Giacomo e i giudeo-cristiani, pur mantenendo le osservanze giudaiche, riconoscono la libertà del Vangelo per i Gentili; dall’altra, Paolo, Ferrarese, Il concilio di Gerusalemme, p. 105: esso sembra ridotto a « una faccenda che si svolge e si risolve tra apostoli ». 74 Cfr. Sáez Gutiérrez, Canon y autoridad, p. 746-747. 75 Secondo Tertulliano, la negazione οὐδέ (non cedemmo) sarebbe un’aggiunta di Marcione (senza οἷς) per sottolineare il distacco tra Paolo e i giudeo-cristiani di Gerusalemme (cfr. Norelli, « La funzione di Paolo », p. 559). La lezione di Ireneo è anche quella del Codex Bezae (D), di Mario Vittorino, dell’Ambrosiaster, di Pelagio ed è attestata da Girolamo (cfr. NestleAland, Novum Testamentum, ad locum). Sul passo ha scritto A. Orbe, « Ad horam cessimus subiectioni », Compostellanum, 41 (1996), p. 75-91. 76 Gli Atti presentano tre casi nei quali si vede Paolo mettere in pratica un’osservanza della Legge: Ac 16, 3 (circoncisione di Timoteo), Ac 18, 18 (voto) e Ac 21, 26 (purificazione). Ireneo non cita mai questi passi. 77 Del resto, ciò è conforme a quello che Paolo scrive in 1 Cor 9, 20-21: « Mi sono fatto giudeo con i giudei, per guadagnare i giudei; con coloro che sono sotto la legge sono diventato come uno che è sotto la legge, pur non essendo io stesso sotto la legge, allo scopo di guadagnare coloro che sono sotto la legge ». 73
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l’apostolo della libertas evangelii, riconosce la Chiesa dei circoncisi. Pietro è il garante dell’unità tra queste due ali della Chiesa. A questo punto non avrebbe più senso citare il cosiddetto « incidente » di Antiochia riportato in Gal 2, 11-14. Infatti Luca non ne parla. Ireneo vi allude senza nemmeno nominare Antiochia, ma presentando il comportamento di Pietro semplicemente come un positivo segno di rispetto per l’antica legge, come già aveva fatto nell’episodio di Cornelio78. Ma ascoltiamo ancora Ireneo: Giacomo, e gli apostoli che erano con lui, permettevano bensì ai Gentili di agire liberamente, […] ma essi, conoscendo il medesimo Dio, perseveravano nelle antiche osservanze, così che anche Pietro, temendo (timens) di essere biasimato da loro, mentre prima mangiava con i Gentili (Gal 2, 12) per la visione che aveva avuto e per lo Spirito che si era posato su di loro (cfr. Ac 10), quando arrivarono alcuni da parte di Giacomo, si separò e non mangiò più con loro (cfr. Gal 2, 12). E Paolo dice che anche Barnaba fece questa stessa cosa (cfr. Gal 2, 13) (3.12.15).
Secondo Ireneo, nell’episodio di Gal 2 Pietro smette di mangiare con i Gentili e va con i Giudei, non perché rinneghi la libertas evangelii, ma perché non vuole essere accusato di mancare di rispetto alla legge mosaica. In questo senso Ireneo presenta come positivo anche il comportamento di Barnaba, segno che anche lui aveva rispetto per la legge, la cui osservanza, pur non avendo più alcun valore salvifico, testimoniava pur sempre la sua origine dall’unico Dio. Lo si ricava dalla conclusione di Ireneo, dominata dalla preoccupazione anti-marcionita: Così gli apostoli, che il Signore fece testimoni di tutto il suo agire e di tutto il suo insegnamento – sempre infatti si trovano con lui Pietro, Giacomo e Giovanni79 – mostravano rispetto (religiose age78 È curioso che Ireneo ricordi l’episodio di Ac 10 dopo aver esposto Ac 15, come a conferma che le decisioni del raduno apostolico erano già state anticipate da Pietro (AH 3.12.14-15). 79 In questa menzione, piuttosto curiosa, dei tre apostoli (Pietro, Giacomo e Giovanni), sembra che Ireneo pensi al Giacomo di Gal 2, 12 come al fratello di Giovanni e non al « fratello del Signore » (cfr. SC 210, p. 304). Questo darebbe un senso ancora più positivo al comportamento di Pietro. Pare che anche Marcione (per opposti motivi) invece di leggere τινας ἀπὸ ’Іακώβου leggesse ’Іάκωβον καὶ ’Ιωάννην, seguito in questo da Tertulliano; cfr. F. Cocchini, « La recezione della ‘controversia’ di Antiochia (Gal 2, 11-14) nelle comunità cristiane di ambiente orientale », in Paolo di Tarso. Archeologia – Sto-
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enrico cattaneo bant) verso la legge di Mosè, indicando che essa proveniva da un solo e medesimo Dio. Ora non l’avrebbero fatto, come abbiamo già detto, se oltre a Colui che aveva dato la legge avessero appreso dal Signore l’esistenza di un secondo Padre (AH 3.12.15).
Il resoconto di Ireneo, purtroppo per noi, si ferma qui; non dice nulla del rimprovero di Paolo a Pietro e della conseguenza che l’atteggiamento pastorale di Pietro poteva avere sulla dottrina della giustificazione secondo Paolo. Non sappiamo dunque come Ireneo avrebbe interpretato il testo di Gal 2, 14 nel caso che avesse dovuto commentare l’intera epistola paolina. Dall’insieme delle argomentazioni di Ireneo possiamo però supporre che egli non avrebbe accentuato il contrasto fino a renderlo un’opposizione radicale, come aveva fatto Marcione. Per lui sarebbe stato solo un semplice « incidente », dettato forse dall’eccessivo zelo di Paolo. Ireneo in realtà non ha mai affrontato esplicitamente il problema di come nella pratica potessero coesistere la « Chiesa dei circoncisi », fedeli alle loro osservanze, con la « Chiesa dei Gentili », libera da quelle osservanze. Dal punto di vista teologico però, è chiaro che per lui il « nuovo testamento, quello della libertà » 80, vale per tutti, e quindi, – si potrebbe concludere –, l’osservanza della Legge da parte dei Giudei credenti non ha lo stesso significato dell’osservanza dei Giudei increduli, perché questi vivono ancora in uno spirito di schiavitù, mentre i primi sono nella grazia dello Spirito Santo, che rende liberi. Così Zaccaria, il padre di Giovanni Battista e simbolo di Israele, « cessando da quel mutismo che aveva patito per la sua incredulità, ricolmo di uno Spirito nuovo, benediceva Dio in modo nuovo (nove) » (3.10.2). Infatti, con la venuta del Verbo nella carne, « tutto è diventato nuovo » (omnia nova), non perché sia stato rivelato un altro Dio, ma perché lo stesso Dio « era venerato in modo nuovo (nove) » (ivi) 81. Importante a questo proposito è la citazione che Ireneo fa di Paolo: Vi è un solo Dio, che giustifica i circoncisi a partire dalla fede e gli incirconcisi mediante la ria – Ricezione, 3 vol., a cura di L. Padovese, t. III, Cantalupa, TO, 2009, p. 365-377, qui p. 373. 80 AH 3.10.5: « Novum libertatis testamentum ». 81 Come si vede, Ireneo non teme di essere frainteso usando la parola « nuovo » così cara a Marcione (cfr. Harnack, Marcion, p. 111: « Aucun mot clé ne semble être d’un usage plus fréquent dans les Antithèses que le terme ‘nouvau’ »).
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fede (Rm 3, 30) (3.10.2) 82 . Quindi sarebbe assurdo fare di Paolo un avversario del giudaismo, dal momento che egli stesso riconosceva la missione di Pietro verso i circoncisi. Con il suo silenzio sull’incidente di Antiochia, Ireneo vuole senz’altro minimizzarne la portata, poiché egli « tende a considerare l’epoca apostolica come fonte di armonia e di unanimità nelle cose di fede », non utilizzando termini che denoterebbero una contesa troppo marcata e quindi non adatta « a dei rapporti tra apostoli » 83. Ma in fondo questa interpretazione è forse quella che più si avvicina alla realtà storica dei fatti84. È evidente che Paolo stesso scrivendo ai Galati, minacciati dai falsi apostoli, ha intesso drammatizzare la scena. Ma fuori da quel contesto, vediamo che il suo atteggiamento è più arrendevole, come si ricava dalla successiva lettera ai Romani, dove egli invita « forti » e « deboli » a convivere pacificamente, avendo come criterio ultimo la carità, cioè il rispetto della coscienza dell’altro e l’edificazione vicendevole (cfr. Rm 14–15) 85. Le norme stabilite nell’assemblea di Gerusalemme non negavano la libertas evangelii, però di fatto si imposero,
Passo citato anche in 4.22.2 e in 5.22.1. Ferrarese, Il concilio di Gerusalemme, p. 128. Già in Atti si nota la tendenza a non usare parole forti come στάσις (sedizione, rivolta), ma ζήτησις (discussione) o συνζήτησις (ricerca fatta insieme) in Ac 15, 7D (ibid., p. 127130). 84 H. Köster, « ΓΝΩΜΑΙ ΔΙΑΦΟΡΟΙ. The Origin and Nature of Diversification in the History of the Early Church », HTR, 58 (1965), p. 279318, p. 285-286. Già nella Chiesa antica l’interpretazione di questo episodio era controversa. Le dispute si accenderanno soprattutto all’inizio del V secolo con la polemica tra Girolamo e Agostino, ricordando che già Porfirio aveva utilizzato quell’episodio per sottolineare la litigiosità dei cristiani: cfr. G. Rinaldi, La Bibbia dei pagani, 2 vol., Bologna, 1998, p. 489-492; Id., « Contumeliae communes. Circolazione di testi e argomenti nelle controversie religiose di età romana imperiale », in Lessico, argomentazioni e strutture retoriche nella polemica di età cristiana (III-V sec), a cura di A. Capone, Turnhout, 2012 (Recherches sur les rhétoriques religieuses, 16), p. 3-65, qui p. 10-11. 85 Non bisogna identificare semplicisticamente i « forti » con i credenti Gentili e i « deboli » con i credenti Giudei. Sulla difficoltà a individuare chi ci sia esattamente dietro questi gruppi, cfr. R. Penna, Lettera ai Romani. Introduzione, versione, commento, 3 vol., Bologna, 2004-2008, 3. p. 141-146. Evidentemente, l’osservanza o la non osservanza di una determinata norma in tanto è lasciata alla coscienza in quanto è in se stessa « indifferente », cioè non peccaminosa. 82
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e continuarono ad essere osservate a lungo, almeno per tutto il II secolo, e certamente anche nelle Chiese di Vienne e Lione 86. In definitiva, Ireneo ci tiene a sottolineare che la testimonianza di Paolo concorda con quella di Luca, il quale dà risalto all’accordo tra gli apostoli, per cui se è degna di fede l’una (quella di Paolo), sarà degna di fede anche l’altra (quella di Luca). Fare dell’apostolo Paolo e della sua dottrina un caso speciale, superiore a quella di tutti gli altri, per Ireneo è in contraddizione con le parole stesse dell’Apostolo. Egli infatti in Gal 2, 8 afferma che « un solo e medesimo Dio ha agito in Pietro per farlo apostolo dei circoncisi e in lui dei Gentili » (3.13.1). E in Rm 10, 15 Paolo riconosce di non essere il solo ad annunciare il Vangelo, ma che « molti sono gli evangelizzatori della verità » (ibid.). E ancora, « nella lettera ai Corinzi, dopo aver nominato tutti coloro che videro il Signore dopo la sua risurrezione [e cioè Pietro (Kefa), Giacomo e tutti gli apostoli], aggiunge: Sia io, sia loro così predichiamo e così avete creduto (1 Cor 15, 11), riconoscendo che una e medesima è la predicazione di tutti quelli che hanno visto il Signore dopo la sua risurrezione dai morti » (ibid.). Dunque, conclude Ireneo, « nostro Signore non è venuto per salvare il solo Paolo, né Dio è così povero da non avere che un solo apostolo che conoscesse l’economia del Figlio suo » (ibid.). In questo contesto, Ireneo è portato a vedere più ciò che unisce che ciò che distingue Pietro e Paolo. Essi hanno due missioni diverse, ma non portano due vangeli diversi. I due apostoli predicano lo stesso Dio e lo stesso Cristo: « Lo stesso Dio e Figlio di Dio, che Pietro annunciava ai circoncisi, Paolo lo annunciava ai Gentili » (3.13.1). Per Ireneo non ci sono distinzioni tra i due apostoli a livello di predicazione della fede. Ai Giudei, che già credevano in Dio, bastava il semplice annunzio del Figlio; ai Gentili idolatri bisognava annunciare anzitutto il vero Dio e poi il Figlio,
86 In AH 1.6.3; 1.24.5; 1.26.3 e 1.28.2 Ireneo rimprovera gli gnostici perché ritengono cosa senza importanza cibarsi di idolotiti. Inoltre la Lettera dei martiri di Vienne e Lione 1.26 attesta che i cristiani si astenevano dal sangue degli animali. Che ciò sia in connessione con il decreto apostolico di Ac 15 è discusso: cfr. Ferrarese, Il concilio di Gerusalemme, p. 21, 138-143. Si veda anche Ch. Perrot, « Les décisions de l’assemblée de Jérusalem », Recherches de science religieuse, 69 (1981), p. 195-208, p. 204-205.
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e ciò era più faticoso87. In conclusione, per Ireneo vi è piena concordanza tra i testi degli Atti e le lettere paoline, non solo su questo punto centrale della fede, ma anche dal punto di vista cronologico88. Tuttavia, neppure Pietro e Paolo costituiscono un caso a parte, come se fossero dei « super-apostoli », perché essi partecipano alla comune missione di tutti gli apostoli: « E infatti, il Signore di tutte le cose diede ai suoi apostoli il potere del Vangelo (potestas evangelii) 89, ed è per mezzo di essi che noi abbiamo conosciuto la verità, cioè l’insegnamento (doctrinam) sul Figlio di Dio » (3.Pr.). È questa la « buona novella », quella che annuncia il Figlio di Dio, quella che porta « la conoscenza della salvezza (cfr. Lc 1, 77), quella che rende perfetti nei confronti di Dio coloro che conoscono la venuta del suo Figlio » (3.12.5). Quindi per Ireneo non vi è nessun particolarismo, nessuna preferenza per un qualche Vangelo o per un qualche apostolo, perché tutti parlano con una sola voce e tutti erano « perfetti » « perché resi perfetti dallo Spirito » (3.12.5). Ireneo ci tiene inoltre a non presentare gli apostoli come personaggi ormai chiusi nel passato, ma come maestri il cui insegnamento è vivo nei loro discepoli, ai quali hanno trasmesso il Vangelo ricevuto dal Signore90. Quindi anche i « discepoli degli apostoli », se si mantengono nella fedeltà al loro insegnamento e al loro esempio 87 Per questo Paolo dice: Ho faticato più di tutti loro (1 Cor 15, 10). Si veda la lunga spiegazione di questo versetto in AH 4.24.1-2, così riassunta: « Perciò colui che aveva ricevuto la missione apostolica per i Gentili faticava di più di quelli che predicavano il Figlio di Dio tra i circoncisi ». Su questo passo, si veda F. Cocchini, « Le ‘fatiche’ di Paolo nella più antica interpretazione cristiana », in Paolo di Tarso, a cura di Padovese, t. 3, p. 129-136. 88 Cfr. AH 3.12.9: « Che con queste predicazioni [riportate dagli Atti] concordano tutte le sue lettere, lo dimostreremo in base alle lettere stesse al momento opportuno, quando esporremo l’insegnamento dell’Apostolo »; 3.13.3: « Ora, se si esamina accuratamente, in base agli Atti degli Apostoli, il tempo in cui sta scritto che salì a Gerusalemme per la suddetta questione, si troverà che gli anni di cui parla Paolo corrispondono. Per cui sono concordanti e, per così dire, identiche la predicazione di Paolo e la testimonianza di Luca a proposito degli apostoli ». 89 Cioè « il potere di annunciare il vangelo » come spiega bene A. Rousseau in SC 210, p. 212-213. Lo stretto rapporto tra vangelo e apostoli è ben evidenziato da Sáez Gutiérrez, Canon y autoridad, p. 712-719. 90 Ireneo insiste molto nel nominare insieme gli apostoli e i loro discepoli: « Gli apostoli e i loro discepoli insegnavano esattamente ciò che la Chiesa pre-
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di dedizione, sono anch’essi « perfetti »91. Sono questi – gli apostoli e i loro veri discepoli – l’anello di congiunzione tra il Signore e la Chiesa92 . 3. Pietro e Paolo garanti del Vangelo (AH 3.1.1) In AH 3 la confutazione di Marcione e degli gnostici in base alle Scritture è preceduta, come abbiamo visto, da una difesa della tradizione apostolica conservata nella Chiesa. Ora tale difesa non poteva basarsi sulle Scritture, ma su quelli che noi abbiamo chiamato « fatti teologici ». Essi sono sostanzialmente due: (1) La garanzia apostolica circa i quattro Vangeli, e (2) l’ininterrotta successione episcopale, con il caso particolare della Chiesa di Roma93. Questi due fatti sono pure connessi tra di loro. In effetti, nella sua prima menzione congiunta di Pietro e Paolo, Ireneo dice che i due apostoli sono stati a Roma e vi hanno svolto un’attività di evangelizzazione e di fondazione della Chiesa, cosa che ripeterà parlando della Chiesa di Roma. Vedremo più avanti come si debba interpretare questa duplice azione. Ecco intanto che cosa scrive Ireneo circa il rapporto degli apostoli con i Vangeli: Matteo tra gli Ebrei pubblicò, nella loro propria lingua, anche una forma scritta (γραφήν) del Vangelo, mentre a Roma Pietro e Paolo predicavano il Vangelo (εὐαγγελιζομένων) e fondavano (θεμελιούντων) la Chiesa. Dopo la loro dipartita (ἔξοδον), Marco, discepolo e interprete di Pietro (μαθητὴς καὶ ἑρμηνευτὴς Πέτρου), ci ha trasmesso anch’egli per iscritto la predicazione di Pietro (τὰ ὑπὸ Πέτρου κηρυσσόμενα). Quanto a Luca, che era stato al seguito di Paolo (ἀκόλουθος Παύλου), egli mise in un libro il Vangelo da quello predicato. Infine Giovanni, il discepolo del Signore (ὁ μαθητὴς τοῦ κυρίου), quello che aveva posato il capo sul suo
dica, e così insegnando furono perfetti (perfecti) perché erano chiamati a ciò che è perfetto (ad perfectum) » (3.12.13). Cfr. anche 3.3.4; 3.12.5; 3.15.3; 3.24.1. 91 Così Stefano con il suo martirio « portò a compimento la perfetta dottrina (perfectam doctrinam) »; non potevano non essere « perfetti » coloro che hanno dato la loro vita per il Vangelo. 92 Cfr. Ferrarese, Il concilio di Gerusalemme, p. 113-122. 93 Cfr. van den Eynde, Les normes, p. 159-180.
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petto, pubblicò anch’egli il Vangelo mentre si trovava a Efeso dell’Asia [Minore] (AH 3.1.1)94.
Ireneo dà per scontata la presenza di Pietro e Paolo a Roma, e non sente il bisogno di giustificarla con un riferimento a qualche fonte. Dal Nuovo Testamento egli poteva attingere con certezza solo il soggiorno e la prigionia biennale di Paolo a Roma (Ac 28, 16-31), nonché il passaggio di Pietro ad Antiochia (Gal 2). Probabilmente il soggiorno dei due apostoli a Roma e il loro martirio – indicato di sfuggita con il termine « uscita » (ἔξοδος) come vedremo più avanti (IV/B) 95 – era un dato della tradizione, conosciuto da tutti e non contestato da nessuno, nemmeno da marcioniti e gnostici. Ireneo sembra inoltre supporre che Pietro e Paolo siano stati a Roma contemporaneamente 96 . L’indicazione cronologica però è piuttosto vaga e poco utile allo storico. In realtà, l’intento di Ireneo non è storico, ma apologetico e teologico. Egli intende porre la composizione dei quattro Vangeli canonici sotto l’autorità degli apostoli, al punto da chiamarli globalmente apostolorum evangelia, « Vangeli degli apostoli » (3.11.9)97. Per Matteo e Giovanni non ci sono problemi, appartenendo essi al gruppo dei Dodici98. Marco e 94 Il testo greco di questo passo è stato conservato da Eusebio, HE 6.8.2-4. Quella di Ireneo è la più antica testimonianza a noi giunta della raccolta dei quattro Vangeli canonici. Cfr. H. Merkel, La pluralità dei Vangeli, Torino, 1990, p. 2-3 (orig. Die Pluralität der Evangelien als theologisches und exegetisches Problem in der Alten Kirche, Bern, 1978). 95 Il termine ἔξοδος (reso in latino con excessus), noi lo intenderemo come « uscita dalla vita » (= morte) e non come « uscita da Roma » (= partenza). Cfr. C. P. Thiede, Simon Pietro, dalla Galilea a Roma, Milano, 1999, p. 233235. 96 La notizia di una predicazione simultanea di Pietro e Paolo a Roma non è da prendere alla lettera, come sarà fatto nei tardivi Atti di Pietro e Paolo dello Ps. Marcello (V sec.): cfr. M. Erbetta, Gli apocrifi del Nuovo Testamento. t. II. Atti e leggende, Casale, 1966, p. 178-192. 97 SC, 211, p. 174, 266. Cfr. A. Yoshiko Reed, « Euaggelion: Orality, Textuality, and the Christian Truth in Irenaeus’ Adversus Haereses », VigChr, 56 (2002), p. 11-46. 98 In AH 3.9.1 Ireneo chiama espressamente Matteo apostolus. Giovanni è chiamato « discepolo » (μαθητής) del Signore », in conformità con lo stesso Vangelo, dove il termine apostolos non compare mai per designare i Dodici, ma solo μαθητής (almeno 70 volte). Comunque non vi è dubbio che per Ireneo Giovanni evangelista era uno degli apostoli (cfr. AH 1.9.2: nel Prologo del Quarto Vangelo « l’apostolo non ha parlato delle loro [degli gnostici] sizigie,
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Luca invece non erano apostoli, ma diretti discepoli degli apostoli, l’uno di Pietro e l’altro di Paolo99. I due grandi apostoli hanno svolto solo un ministero di fondazione e di predicazione (ministero nel quale rientrano anche le loro lettere, che sono come una predicazione a distanza), ma non hanno scritto nessun Vangelo100. Questo lo hanno fatto i due loro fedeli discepoli, Marco e Luca. Riguardo ai Vangeli di Matteo e Marco, Ireneo può avere attinto la notizia da Papia, vescovo di Hierapolis, autore di cinque libri su La spiegazione dei detti del Signore, scritti verso il 130/140 e ben noti a Ireneo101. Tuttavia Ireneo concorda con il frammento di Papia solo per la notizia su Matteo, che avrebbe scritto il suo Vangelo « nella lingua ebraica » e su Marco, qualificato quale « interprete » di Pietro102 . La notizia concernente il soggiorno di Pietro e ma del Signore nostro Gesù Cristo »; cfr. anche AH 3.3.4). Si veda B. Mutschler, Das Corpus Johanneum bei Irenäeus von Lyon. Studien und Kommentar zum dritten Buch von Adversus Haereses, Tübingen, 2006 (WUNT, 189). Diversamente Burnet, Les Douze Apôtres, p. 366-368. 99 In AH 3.10.6 Ireneo riprende gli epiteti di Marco come interpres et sectator Petri, che in greco doveva essere ἑρμηνευτὴς καὶ ἀκόλουθος Πέτρου. Luca è chiamato sectator et discipulus apostolorum (3.10.1), come se fosse stato a contatto anche con altri apostoli, forse con Pietro, oltre che con Paolo. 100 Paolo parla spesso di « vangelo » e anche del « mio vangelo » (Rm 2, 16; 16, 25; cfr. 1 Cor 15, 1; Gal 1, 11), ma è chiaro che si tratta di predicazione, non di un testo scritto. Molti autori antichi, compreso Marcione, pensavano invece a un vangelo scritto. Quanto a Pietro, Serapione di Antiochia verso l’anno 200 attesta l’esistenza di un Vangelo di Pietro (cfr. Eusebio, HE 6.12.36), ma Ireneo lo ignora. Si veda Ch. E. Hill, « Serapion of Antioch, the Gospel of Peter, and the Four Gospel Canon », in Ascetica, Liturgica, Orientalia, Critica et Philologica, First Two Centuries, a cura di J. Baun, A. Cameron, M. Edwards, M. Vinzent, Oxford, 2010 (SP, 45), p. 337-342. Su questo Vangelo, cfr. Burnet, Les Douze Apôtres, p. 202-206 (stranamente non è citata l’edizione di M. G. Mara in SC 201 [Paris, 1973], ora in edizione italiana: Il Vangelo di Pietro, Bologna, 2002). 101 Cfr. AH 5.33.4. Di Papia rimangono solo scarsi frammenti, ma la loro importanza è considerevole, soprattutto in rapporto al passaggio dal periodo apostolico a quello subapostolico e alla storia del canone neotestamentario: si veda l’approfondito studio di Norelli, Papia. In particolare, sul passo di Papia riguardante Marco e il suo rapporto con Pietro, la lunga discussione in Norelli, Papia, p. 294-315. Cfr. anche Sáez Gutiérrez, Canon y autoridad, p. 193-258. 102 Sul significato da dare alla qualifica di « interprete di Pietro » (ἑρμηνευτὴς Πέτρου), presa da Papia si veda Norelli, Papia, fr. 5.15, p. 237239; 299-301; 548-559. Sono stati notati dei contalti lessicali tra la notizia di
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Paolo a Roma, così come la loro morte, sono un’informazione che Ireneo ha preso da altra fonte. Si può notare inoltre come egli citi i quattro Vangeli nello stesso ordine che prevarrà nella posteriore tradizione manoscritta, e cioè Mt Mr Lc Io103. Ireneo inoltre sottolinea la loro provenienza geografica: Matteo ha scritto tra gli Ebrei (Palestina?), Marco e Luca presumibilmente a Roma, e Giovanni a Efeso104. Volendo fare una confutazione degli gnostici (e degli altri eretici) a partire dalle Scritture (ex Scripturis)105, la prima cosa da difendere è la natura delle Scritture, e cioè la loro dipendenza dalla predicazione apostolica. Di conseguenza bisogna mantenere l’integralità dei Vangeli, che sono « quattro forme » di un « unico » Vangelo106. Solo così si può rimanere « nella sola, vera e vivificante Papia e il prologo di Luca, ma Norelli esclude una dipendenza letteraria, e li spiega come provenienti da una medesima problematica (cfr. Papia, p. 105112; 294; 518-519). A mio parere però è stato sottovalutato l’aspetto apologetico della notizia di Papia su Mt e Mr (cfr. P. Vannutelli, Sinossi degli Evangeli. Con Introduzione e Note, Roma 1938, p. 19-20). Non posso qui entrare nella questione, ma nell’ipotesi che Papia difendesse i Vangeli di Mt e Mr contro chi accettava solo il Vangelo di Luca, si spiegherebbero i contatti con il prologo lucano. Questo ci porterebbe a datare Papia al tempo di Marcione, cosa per sé non inverosimile. Comunque, anche sostenendo, come fa Norelli, Papia, p. 51, « che i frammenti di Papia non mostrano di polemizzare né contro Marcione, né contro gnostici », non si può escludere che le idee di Marcione e degli gnostici circolassero già prima in una forma meno radicale. 103 Tuttavia nella esposizione delle testimonianze evangeliche nel libro 3, Ireneo segue l’ordine Mt Lc Mr Io. Nel Codex Bezae, copia di quello che Ireneo conosceva, l’ordine è Mt Io Mr Lc. Sulla questione dell’ordine dei quattro vangeli, si veda Ch. Guignard, « Le Quadruple Évangile chez Irénée », in questo stesso volume. 104 Per Ireneo è importante mostrare come i più importanti centri del mondo allora conosciuto abbiano prodotto forme diverse di un unico Vangelo (cfr. Barbaglia, « Ireneo di Lione », p. 133-134). 105 È chiaro che qui Ireneo per « Scritture » intende proprio il Nuovo Testamento e non solo l’Antico, come pare sostenga Behr, Irenaeus of Lyons, p. 109, 128, 138, 185, 205 (si veda più sopra, nota 25). 106 Per questo Ireneo usa quasi sempre il termine Vangelo al singolare. Sull’evangelo quadriforme e le giustificazioni che ne dà Ireneo, si veda Benoit, Saint Irénée, p. 112-120; Barbaglia, « Ireneo di Lione », p. 141-145; Sáez Gutiérrez, Canon y autoridad, p. 676-709. Tra i vangeli non canonici Ireneo cita il Vangelo di Giuda (AH 1.31.1) e il Vangelo di verità (AH 3.11.9), respingendoli. Cfr. P. Foster, « Irenaeus and the Noncanonical Gospels », in Irenaeus. Life, Scripture, Legacy, a cura di S. Parvis, P. Foster, Minneapo-
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fede, che la Chiesa ha ricevuto (percepit) dagli apostoli e trasmette (distribuit) ai suoi figli » (pref.)107. Qui Ireneo usa il linguaggio tecnico della paradosis: ricevere-trasmettere, che già Paolo aveva usato (« io vi ho trasmesso ciò che ho ricevuto… »: 1 Cor 11, 23; 15, 1). Anche Papia aveva collegato tradizione e Scrittura, preoccupandosi di ricordare che la vera tradizione è quella garantita dai « presbiteri » discepoli degli apostoli108. Ireneo tende a identificare questi « presbiteri » con i capi delle Chiese, cioè con i vescovi, che sono tali in forza di un mandato apostolico. La Chiesa è il soggetto della tradizione, ma per Chiesa Ireneo, come spiegherà in seguito, intende quella retta proprio dai successori degli apostoli. Il messaggio di salvezza è passato necessariamente attraverso di loro e non c’è stata altra via: « Infatti non è attraverso altri che abbiamo conosciuto l’economia della nostra salvezza se non per mezzo di coloro grazie ai quali il Vangelo è giunto sino a noi » (AH 3.1.1). Questa « buona notizia » della salvezza, cioè il Vangelo, ci è giunto attraverso due forme strettamente connesse ed entrambe predisposte dal volere divino: la predicazione e lo scritto: « Questo [Vangelo], [gli apostoli] prima lo hanno predicato, e poi, per volontà di Dio, ce lo hanno trasmesso per iscritto (in Scripturis), perché fosse il fondamento e la colonna della nostra fede » (AH 3.Pr.). Non si possono staccare i Vangeli dalla predicazione apostolica109. lis, MN, 2012, p. 105-118. Sul significato di scriptura (γραφή) in senso non biblico, cfr. Sáez Gutiérrez, Canon y autoridad, p. 842-847. 107 Notiamo le tre qualifiche della fede apostolica: sola, vera et vivifica. Scrive Barbaglia, « Ireneo di Lione », p. 128: « Con il libro terzo Ireneo svilupperà un’ampia e distesa argomentazione sul « Vangelo » che non trova paragone in nessun altro punto non solo nei suoi scritti ma anche in tutte le opere a noi pervenute dalla tradizione patristica ». 108 Notiamo questa affermazione di Ireneo dal forte sapore papiano: « Quando noi a nostra volta ci appelliamo alla tradizione che viene dagli apostoli (ad eam traditionem quae est ab apostolis) e che è custodita nelle Chiese mediante le successioni dei presbiteri (per seccessiones presbyterorum)… » (AH 3.2.2). Sui « presbiteri » di Papia e le loro interpretazioni, cfr. Sáez Gutiérrez, Canon y autoridad, p. 790-798. In ogni caso, le parole di questi presbiteri riportate da Ireneo, soprattutto in riferimento al millennio, non hanno « la normadividad del texto escrituristico como tal » (ibid., p. 884). 109 Interessante questa osservazione di Benoit, Saint Irénée, p. 119, nota 1: « Ce qu’il y a de remarquable, c’est qu’Irénée [en 3.21.3], au lieu de mentionner les quatre évangélistes, mentionne les garants apostoliques de l’autorité de deux d’entre eux: Pierre pour l’évangile de Marc, Paul pour l’évangile de
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4. Pietro e Paolo, e la Chiesa di Roma a. Pietro e Paolo evangelizzatori e fondatori della Chiesa di Roma A questo punto non si può non toccare il famoso passo di AH 3.3.2, che, soprattutto nella parte finale, è stato oggetto di interminabili dispute circa la sua esatta interpretazione, essendo conservato solo nell’antica versione latina. Qui ci soffermeremo maggiormente sulle parole che riguardano Pietro e Paolo. Vogliamo però tener presente anche il § 3, che è stato trasmesso in greco da Eusebio. Nominando la Chiesa di Roma, Ireneo anzitutto la definisce (citiamo volgendo al nominativo) maxima, antiquissima et ab omnibus cognita, cioè « grandissima », « antichissima » e « conosciuta da tutti ». Ireneo manifesta qui una grande ammirazione per quella Chiesa, tanto più che la vede ornata delle gemme preziose dei due apostoli e martiri. Secondo alcuni, quei superlativi, più che intenderli come assoluti, sarebbero meglio compresi come relativi, dato che Ireneo mette a confronto la Chiesa di Roma con tutte le altre Chiese. Quindi si può tradurre: Ma poiché sarebbe troppo lungo, in un libro come questo, enumerare le successioni [episcopali] di tutte le Chiese, faremo riferimento alla Chiesa più grande e più veneranda e conosciuta da tutti, a quella [cioè] fondata e costituita a Roma dai due gloriosissimi apostoli Pietro e Paolo (AH 3.3.2)110. Luc. Ainsi il apparait que les textes évangéliques font autorité parce qu’ils sont garantis par l’apostolicité de leur auteur ». Cfr. Sáez Gutiérrez, Canon y autoridad, p. 748-750. Questo autore, studiando la nozione di euaggelion in Paolo, giunge alle medesime conclusioni: « Ningún contenido relativo a la fe pudo ser ni fue sin los apóstolos, es decir, el contenudo de la fe siempre tuvo forma apostólica. En la gracia del evangelio estaba incluida su trasmissión por medio de la tradición de los apóstoles » (ibid., p. 79). E ancora: « Así pues, a partir de las apariciones, resulta imposible creer en el evangelio sin estar vinculado a los apóstoles. Y no a uno de ellos por su cuenta y riesgo, sino a uno de ellos en comunión con todos, o dicho en otro modo, no sólo a un apóstel en concreto, sino también al grupo apostólico en su conjunto » (ibid., p. 126). Questa è esattamente la posizione di Ireneo, applicata anche alla forma scritta dei Vangeli. 110 Cfr. M. Guarducci, « Il primato della Chiesa di Roma (Ireneo, Adversus Haereses 3, 1-2) », Rivista di filologia e istruzione classica, 105 (1977), p. 307320, p. 311-313. Ho tradotto antiquissima con « più veneranda », seguendo il
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Nel dire che la Chiesa di Roma è « conosciuta da tutti » (ab omnibus cognitae), Ireneo riprende quasi certamente quello che già Paolo scriveva ai cristiani di Roma, con una certa captatio benevolentiae, ma non senza un fondamento reale: « La vostra fede è annunciata in tutto il mondo (in universo mundo) » (Rm 1, 8) e: « [la notizia della] vostra obbedienza ha raggiunto tutti (ad omnes pervenit) » (Rm 16, 19). Paolo dunque riconosce che la fede dei romani è nota in tutte le Chiese, e dichiara, con giuramento, di avere sempre presente quella Chiesa nelle sue preghiere, e chiede a Dio la grazia di poterla visitare, essendone stato fino ad allora ripetutamente impedito (cfr. Rm 1, 9-10.13; 15, 22-23). Da dove veniva a Paolo questa alta considerazione per i fratelli di Roma? Che cosa aveva la Chiesa di Roma di particolare? Perché Paolo ha un così ardente desiderio di vederla? E come mai desidera andarvi non solo per dare, ma anche per ricevere qualche dono spirituale, sulla base della comune fede (cfr. Rm 1, 11-12)111? Abbiamo già incontrato il passo nel quale Ireneo ricorda l’azione evangelizzatrice e fondatrice dei due apostoli a Roma: cum Petrus et Paulus Romae evangelizarent et fundarent ecclesiam – τοῦ Πέτρου καὶ τοῦ Παύλου ἐν ῾Ρώμῃ εὐαγγελιζομένων καὶ θεμελιούντων τὴν ἐκκλησίαν (3.1.1). Qui il verbo « evangelizzare » non significa necessariamente portare il primo annuncio. Scrivendo ai Romani, che certamente erano già stati evangelizzati prima di lui, Paolo manifesta il suo desiderio di portare anche lì il Vangelo: « Per quanto sta in me, sono pronto a evangelizzare (εὐαγγελίσασθαι) anche voi, che siete a Roma » (Rm 1, 15)112 . In Gal 4, 13 Paolo parla di una prima evangelizzazione, segno che poi ce ne è stata una seconda. Ireneo qui associa anche Pietro in questa azione evangelizzatrice a Roma. suggerimento della Guarducci, secondo la quale nella letteratura greca gli aggettivi ἀρχαιός e παλαιός hanno spesso il significato di « venerando », che dà un senso più consono che non « la più antica ». 111 Certamente l’incontro a Corinto nel 51 con Aquila e Priscilla, cacciati da Roma, e con i quali instaurò una lunga collaborazione, deve aver avuto un suo ruolo nel far conoscere a Paolo la situazione romana (cfr. G. Edmundson, The Church in Rome in the First Century, London, 1913, p. 10-14). 112 Ireneo può avere preso da qui questo verbo. Mi sembra un po’ forzata l’interpretazione secondo la quale Paolo avrebbe inteso « annunciare l’evangelo anche a Roma, non però tra i cristiani ma genericamente tra gli abitanti della città » (Penna, Lettera ai Romani, t. I, p. 121).
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I due verbi « evangelizzare » e « fondare » sono poi strettamente collegati. Infatti è con l’annuncio del Vangelo che si fonda una Chiesa113. Tuttavia, un conto è portare la Parola e un conto è « fondare » una comunità (ekklēsía). La prima evangelizzazione non significa ancora « fondazione » di una Chiesa114. All’inizio del libro 3, Ireneo aveva detto che il Vangelo, prima predicato e poi scritto, è fundamentum et columna fidei nostrae (3.1.1)115. Il verbo fundare ritorna anche più avanti, assieme al verbo constituire: A gloriosissimis duabus apostolis Petro et Paulo Romae fundatae et constitutae ecclesiae (3.3.2). Mancando qui l’originale greco, possiamo solo congetturare quali fossero i verbi greci corrispondenti. Secondo Rousseau (SC, 211, p. 33) sarebbero θεμελιόω e καθίστημι. La conferma per il primo verbo viene da 3.3.3, per il quale abbiamo il testo greco citato da Eusebio: Fundantes igitur et instruentes beati apostoli [Petrus et Paulus] ecclesiam, Lino episcopatum administrandae ecclesiae tradiderunt. θεμελιώσαντες οὖν καὶ οἰκοδομήσαντες οἱ μακάριοι ἀπόστολοι [Πέτρος καὶ Παῦλος] τὴν ἐκκλησίαν, Λίνῳ τὴν τῆς ἐπισκοπῆς λειτουργίαν ἐνεχείρισαν.
« Costituire » potrebbe riferirsi al fatto di dotare una Chiesa di una struttura ministeriale: solo così infatti si può dire che una Chiesa risulta pienamente fondata. Qui compare anche un terzo verbo, οἰκοδομέω, « edificare ». In definitiva i tre verbi « fondare » « costituire » « edificare » si riferiscono sempre alla Chiesa come « casa di Dio » (1 Tm 3, 15), « edificata sul fondamento degli apostoli e dei profeti, avendo come pietra angolare lo stesso Cristo Gesù » (Eph 2, 20). Ireneo non poteva non ricordare che in Mt 16, 18 Gesù aveva fatto questa solenne promessa a Pietro: « E io ti dico che tu sei Pietro e su questa pietra edificherò (οἰκοδομήσω) la mia Chiesa (τὴν ἐκκλησίαν) »116. Quanto a Paolo, è vero che egli si era fatto un punto d’onore « di non annunciare il vangelo (εὐαγγελίζεσθαι) se non dove ancora non era giunto il nome di Cristo, per non edifiQuesto punto è stato bene evidenziato da Rordorf, « Was heisst ». Cfr. Ac 14, 23: è nel secondo passaggio che Paolo e Barnaba costituiscono presbyteroi nelle Chiese, e quindi le fondano. Si veda anche Tt 1, 5. 115 Si veda più sopra, nota 34. 116 Il vescovo di Lione, anche se si riferisce spesso a Mt 16, 16-17 (cfr. più sopra n. 51), tuttavia non cita mai espressamente Mt 16, 18. 113 114
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care (οἰκοδομῶ) su un fondamento (θεμέλιον) altrui » (Rm 15, 20), ma è pronto a fare un’eccezione per la comunità di Roma. Volendo far partecipi i romani del suo Vangelo, Paolo si pone implicitamente come co-fondatore di quella Chiesa. Ireneo non ha dunque torto quando attribuisce a Pietro e a Paolo l’azione « fondatrice » ed « edificatrice » nei confronti della Chiesa di Roma. Certamente il vescovo di Lione sapeva che Paolo aveva « fondato » la Chiesa di Efeso117, ma non aveva certamente « fondato » quella di Roma nel senso del primo annuncio. Su Pietro non aveva notizie dal Nuovo Testamento, ma sicuramente poteva supporre che non era stato lui a portare il primo annuncio a Roma118. In ogni caso, Ireneo riporta quella che era la convinzione dei cristiani di Roma, i quali consideravano i due apostoli Pietro e Paolo idealmente come i loro fondatori, non nel senso dei primi portatori del Vangelo, ma come coloro che con la loro predicazione e soprattutto con il loro martirio hanno posto le fondamenta della Chiesa119. Può essere poi un indizio dell’ecclesiologia di Ireneo osservare che egli non dice che Pietro e Paolo hanno fondato la Chiesa « di Roma », ma che « hanno fondato la Chiesa a Roma ». Infatti per Ireneo in ogni autentica Chiesa locale c’è la Chiesa. Tornando al passo più sopra citato, anche se non vi compaiono i nomi dei due apostoli, esso è sottinteso, trattandosi specificamente della Chiesa romana. La trasmissione dell’ufficio dell’episkopé a Lino è presentata come il primo anello della catena e come 117 AH 3.3.4: « … la Chiesa in Efeso, fondata (τεθεμελιωμένη) da Paolo ». Eppure Paolo non è stato il primo evangelizzatore di Efeso (cfr. Ac 19, 1). 118 Probabilmente i primi a portare il Vangelo a Roma sono stati quei giudei romani che erano presenti a Gerusalemme per la festa di Pentecoste e che ricevettero il battesimo dopo il discorso di Pietro, secondo Ac 2, 10.41. Quanto a Pietro, dopo la sua liberazione miracolosa nel 42, Luca lo fa partire per un luogo sconosciuto (cfr. Ac 12, 17). Un’antica tradizione pone in quella data il primo arrivo di Pietro a Roma (cfr. Edmundson, The Church in Rome, p. 44-58). Ma perché Luca ha taciuto il nome del luogo, che non poteva non conoscere? Forse quel silenzio faceva parte della sua « strategia narrativa », come se avesse inteso dire: « Del luogo dove è andato Pietro, ne parlerò nel seguito della mia storia », seguito che però non c’è mai stato. Che Luca avesse avuto l’intenzione di scrivere un « terzo libro », potrebbe essere un’ipotesi da prendere in considerazione. 119 Cfr. Sáez Gutiérrez, Canon y autoridad, p. 779. Sul rapporto tra predicazione e martirio dei due apostoli, si veda P. Grelot, « Pierre et Paul fondateurs de la ‘primauté’ romaine », Istina, 27 (1982), p. 228-268.
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opera congiunta dei beati apostoli Pietro e Paolo. Ciò non va preso come una notizia di carattere storico, immaginando la scena dei due apostoli che, in una specie di solenne liturgia, conferiscono l’episcopato a Lino. Ciò sarebbe una rappresentazione completamente anacronistica. L’operazione congiunta dei due apostoli è puramente ideale, e la trasmissione dell’episcopato, comunque sia avvenuta, indica la volontà di stabilire una continuità. Tuttavia non è da sottovalutare il termine usato ἐνεχείρισαν, che significa « rimettere nelle mani », « affidare », « consegnare », come se implicasse anche un gesto sensibile e visibile di consegna, come poteva essere l’imposizione delle mani. È chiaro che il ministero apostolico, nel contesto della comunicazione del Vangelo e del messaggio di salvezza, è tutto orientato alla successione, e « alla successione di un testimone con funzione di mediazione personale, che come successore deve garantire per la tradizione e custodire l’unità della Chiesa »120. Se la Chiesa deve « distribuire ai suoi figli la sola vera e vivificante fede che ha ricevuto dagli apostoli » (3.Pr.), ciò non può avvenire che attraverso coloro che il Signore stesso ha posto e che gli apostoli hanno designato, in continuità con la parola del Signore (cfr. Lc 10, 16): « Chi ascolta voi ascolta me, e chi disprezza voi disprezza me e colui che mi ha inviato » (3.Pr.). E questa trasmissione deve avvenire in modo visibile, pubblico. Chi si designa da se stesso, come i capofila gnostici, sono fuori dalla vivificante fede. Il Signore non può permettere che dopo la morte degli apostoli, la Chiesa rimanga senza pastori121. Ireneo conosceva la Lettera di Clemente dove egli scrive che « i nostri apostoli [evidentemente Pietro e Paolo] hanno istituito coloro di cui si è detto [cioè 120 R. Pesch, « Ciò che era visibile in Pietro, è passato nel Primato. I fondamenti biblici del Primato e della sua trasmissione », in Il Primato del successore di Pietro nel mistero della Chiesa. Testo e commenti, a cura della Congregazione per la Dottrina della Fede, Città del Vaticano, 2002, p. 25-50, p. 37. Queste parole, che Pesch riferisce al Nuovo Testamento, rispecchiano bene la concezione di Ireneo, per il quale la Chiesa, « benché disseminata in tutto il mondo » (AH 1.10.2) deve « custodire salda la fede » ricevuta (1.3.6); questa fede « l’abbiamo ricevuta dalla Chiesa e la custodiamo […]. Alla Chiesa, infatti, è stato affidato il Dono di Dio » (3.24.1). 121 Ireneo non nomina mai il rito dell’imposizione delle mani per l’ordinazione. Ricorda però l’imposizione delle mani fatta da Pietro e Giovanni in Samaria sui battezzati (AH 1.23.1): « Coloro sui quali gli apostoli imponevano le mani, ricevevano lo Spirito Santo (cfr. Ac 8, 17-19) » (AH 4.38.2).
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episcopi e diaconi] e in seguito stabilirono la norma che dopo la morte di questi ultimi, altri uomini approvati subentrassero nel loro ministero » (1 Clem 44.1-2)122 . b. Il martirio di Pietro e Paolo È singolare che Ireneo non nomini mai espressamente il martirio dei due apostoli. Ad esso però vi allude con tre parole: (a) excessus (ἔξοδος), (b) gloriosissimi e (c) beati. (a) Il primo termine ricorre in 3.1.1 – testo riportato più sopra – e significa letteralmente « uscita » o « partenza ». Il dilemma è: partenza da questa vita (= morte) o da Roma? Secondo Rousseau, « il semble que le mot ἔξοδος, employé absolument, ne puisse signifier ici, sous la plume d’Irénée, autre chose que le ‘départ’ de ce monde, la ‘mort’ »123, e porta come conferma due passi della Lettera sui martiri di Vienne e Lione (1.55; 2.3), oltre che Lc 9, 31 e 2 Pt 1, 15. Tuttavia alcuni autori, basandosi sulla notizia riportata da Eusebio (HE 2.15) e attribuita sia Clemente Alessandrino, sia a Papia, – dove si dice che Pietro conobbe e confermò il Vangelo scritto da Marco –, concludono che Ireneo, che conosceva l’opera di Papia, non poteva dire che Marco aveva scritto il suo Vangelo dopo la morte di Pietro. Per questo motivo, dicono, ἔξοδος va inteso come « partenza » da Roma, e non come « morte »124. Ora Norelli, che ha studiato a fondo quel passo di Eusebio (fr. 3), è giunto alla conclusione, primo, che la notizia di una conferma del Vangelo di Marco da parte di Pietro non proviene da Papia, ma da Clemente125; secondo, che Ireneo dipende senza dubbio da Papia, ma da un altro passo, quello citato in HE 3.39.16 (fr. 5 di Norelli); terzo, inoltre Ireneo attinge anche da « un’altra tradizione, verosi-
122 Cfr. E. Cattaneo, « La successione apostolica in Clemente Romano e Ireneo », p. 155-158. 123 SC 210, p. 217. 124 Così M. Sordi, I Cristiani e l’Impero Romano, Milano, 2 2004, p. 32-34. 125 In un antico prologo antimarcionita si legge: « [Marcus] rogatus Romae a fratribus hoc breve evangelium in Italiae partibus scripsit. Quod cum Petrus audisset, probavit ecclesiaeque legendum sua auctoritate firmavit. Verum post discessum Petri, adsumpto hoc evangelio quod ipse confecerat, perrexit Aegyptum et primus Alexandriae episcopus ordinatus, Christum adnunctians, constituit illic ecclesiam », in K. Aland (ed.), Synopsis Quattuor Evangeliorum, locis parallelis evangeliorun apocryphorum et patrum adhibitis, Stuttgart, 61969, p. 532.
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milmente di origine romana »126, dalla quale ha appreso del soggiorno e del martirio dei due apostoli a Roma. In effetti è solo Ireneo che parla di ἔξοδος, non Papia. Certo, dato il contesto che abbiamo evidenziato più sopra parlando degli apostoli come « garanti » dei Vangeli, a Ireneo avrebbe fatto più comodo presentare i Vangeli di Marco e Luca dotati dell’approvazione esplicita dei due apostoli. Invece non lo ha fatto, per fedeltà ai dati che conosceva. In conclusione, pensiamo che ἔξοδος vada tradotto con « morte » e, dato i passi paralleli sopra citati, si riferisca non a una morte naturale, ma violenta, come quella del martirio. (b) Gli apostoli Pietro e Paolo sono poi detti gloriosissimi (3.3.2). Questa parola è stata ben studiata da E. Lanne nel contesto della teologia del martirio presente in Ireneo127. Non si tratta di un semplice epiteto onorifico, come se dicesse « illustrissimi »128, ma qualcosa di molto di più. È vero che il traduttore latino in altri due casi ha reso con il superlativo gloriosissime il semplice avverbio ἐνδόξως, che andrebbe tradotto con gloriose129; ma nel passo in questione non abbiamo un avverbio, bensì un aggettivo, che potrebbe essere stato al superlativo anche in greco. Già nel Nuovo Testamento il concetto di « gloria » (δόξα) ha un forte significato teologico ed escatologico: esso è connesso con la divinità e con la risurrezione, sia di Cristo sia dei credenti che seguono Cristo sulla via della croce130. Infatti il martirio è un « glorificare Dio » (Io 21, 19). Per i primi cristiani, la partecipazione alla « gloria » di Cristo è riservata proprio ai martiri, che sono l’esempio dei cristiani « lottatori » che hanno conseguito la « corona » preziosa del regno cele126 Norelli, Papia, p. 208-221, sp. 216-217. Cfr. O. Zwierlein, Petrus in Rom. Die literarischen Zeugnisse. Mit einer kritischen Edition der Martyrien des Petrus und Paulus auf neuer handschriftlicher Grundlage, Berlin, New York, 2 2010, p. 143. 127 Lanne, « L’Église de Rome », p. 281-294. 128 P. Nautin, « Irénée Adu. Haer. III, 3, 2, Église de Rome ou Église universelle? », Revue de l’histoire des religions, 151 (1957), p. 37-78, afferma che si tratta di un semplice « épithète de vénération » (p. 56). 129 Cfr. 3.3.3: « (Telesforo) ὃς καὶ ἐνδόξως ἐμαρτύρησεν = qui etiam gloriosissime martyrium fecit »; 3.3.4: « (Policarpo) ἐνδόξως καὶ ἐπιφανέστατα μαρτυρήσας ἐξέλθεν τοῦ βίου = gloriosissime et nobilissime martyrium faciens exivit de hac vita ». In definitiva, per Lanne, « L’Église de Rome », p. 281, si tratta di « un mot technique ». 130 Cfr. Io 17, 5; Rm 8, 18; 1 Cor 15, 43; Ph 3, 21, ecc.
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ste, grazie al loro grande amore131; e – scrive Ireneo – « quanto più ameremo, tanto più gloriosi saremo presso Dio » (AH 4.37.7)132 . La Lettera delle Chiese di Vienne e Lione lo attesta chiaramente, con un linguaggio schiettamente ireneano, là dove cita Rm 8, 18: « Le sofferenze del tempo presente non sono paragonabili alla gloria che si rivelerà in noi » (1.6); « niente fa paura dove c’è l’amore del Padre e niente è doloroso dove c’è la gloria di Cristo » (1.23); « chiunque ha patito per la gloria di Cristo è per sempre in comunione con il Dio vivente » (1.39). Termini come « lotta », « atleta », « vincitore », « gloria » tornano ripetutamente in questa lettera. Il modello è Cristo, « il grande ed invincibile atleta » (1.42), e dietro a lui bisognava che i martiri « nobili atleti sostenessero un molteplice combattimento e, dopo aver riportato una grande vittoria, ottenessero la grande corona dell’incorruttibilità » (1.36)133. Dunque qualificando di gloriosissimi i due apostoli Pietro e Paolo, Ireneo afferma che essi sono i nobili « atleti » – come già doveva leggerlo nella Prima Clementis134 –, che hanno testimoniato con il sangue il loro amore a Cristo, e perciò sono ora con lui nella gloria.
131 Cfr. Erma, Il Pastore, Sim. 9.28.4: « Coloro che, portati davanti all’autorità (ἐπ’ἐξουσίαν), furono interrogati e non negarono, ma patirono di buon animo, costoro sono più gloriosi (ἐνδοξότεροι) davanti al Signore ». 132 Cfr. anche AH 4.13.3: « …e quanto più lo ameremo, tanto più grande sarà la gloria che riceveremo da lui, quando saremo per sempre alla presenza del Padre ». Cfr. Sáez Gutiérrez, Canon y autoridad, p. 779. 133 La tradizione dice che Paolo fu decapitato (in quanto cittadino romano), mentre Pietro fu crocifisso (con la testa in giù). Ireneo non dice nulla su questo. Pare che il primo a parlare della crocefissione di Pietro e della decapitazione di Paolo sia stato Tertulliano, se si prescinde dagli Atti apocrifi del martirio di Pietro e Paolo, che alcuni datano alla fine del II secolo (Zwierlein, Petrus in Rom, p. 401-449: Editio critica der beiden Martyrien mit Übersetzung). Si veda anche G. Rinaldi, « Pietro apostolo ed i vescovi romani nel giudizio dei pagani », in Pietro e Paolo. Il loro rapporto con Roma nelle testimonianze antiche. XXIX Incontro di studiosi dell’antichità cristiana, Istitutum Patristicum Augustinianum, Roma, 4-6 maggio 2000, Roma, 2001, p. 291-314, qui p. 303). 134 Già la 1 Clem 5 aveva usato il linguaggio del « combattimento » nel contesto della persecuzione: atleti (ἀθλητάς), combattere (ἤθλησαν), valorosi (ἀγαθούς), premio (βραβεῖον), gloria (δόξης), fama (κλέος) (SC 167, p. 106108). In particolare dice che Pietro, « dopo avere testimoniato (μαρτυρήσας), se ne è andato al soggiorno di gloria (τόπον τῆς δόξης) che gli spettava ».
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(c) In 3.3.3 i due apostoli sono chiamati beati, μακάριοι (due volte nel testo greco di Eusebio). Anche questo termine non è da sottovalutare. Secondo Hauck, il gruppo semantico μακαρ- « è caratteristico del NT in quanto è riferito in gran prevalenza alla singolare gioia religiosa che viene all’uomo dalla partecipazione alla salvezza del regno di Dio »135. In particolare, μακάριος è un termine che appartiene « all’annuncio escatologico » e « per questo motivo si trova in prevalenza nei sinottici e nell’Apocalisse » (ibid.). Qui « (Ap 14, 13) sono chiamati beati i testimoni di Cristo, che ἀπ’ ἄρτι, cioè dall’inizio dell’assalto definitivo alla comunità, troveranno la morte nel martirio » (ibid., p. 372-373). Per questo l’appellativo di « beato » compare con frequenza nella Lettera sui martiri di Vienne e Lione: coloro che testimoniano la loro fede sotto le torture sono detti « beati martiri » (1.1) o « beati » (1.27,47); il vescovo Potino è detto « beato » (1.29); e anche Blandina, la « nobile atleta », è chiamata « beata » (1.19,55). Denominando « beati » gli apostoli Pietro e Paolo, Ireneo intendeva certamente riferirsi alla beatitudine che essi hanno conseguito con loro martirio. c. Gli apostoli Pietro e Paolo e la Chiesa di Roma (AH 3.3.2-3) In 3.3.3 compare spesso il plurale « apostoli », senza ulteriore specificazione; ma poiché si tratta sempre della Chiesa di Roma, il termine sottintende evidentemente Pietro e Paolo, anche se non sono nominati. Esplicitando i loro nomi, si ha un quadro più completo di quello che Ireneo pensava dell’azione dei due apostoli a Roma. Un primo testo, dove si afferma la trasmissione dell’episcopé dai beati apostoli a Lino l’abbiamo esaminato più sopra. C’è ora un secondo testo da prendere in considerazione: Post eum [= Anacletus] tertio loco ab apostolis [Petro et Paulo] episcopatum sortitur Clemens, qui et vidit apostolos ipsos [Petrum et Paulum] et contulit cum eis et cum adhuc insonantem praedicationem apostolorum [Petri et Pauli] et traditionem ante oculos haberet, non solus: adhuc enim multi supererant tunc ab apostolis [Petro et Paulo] edocti. Sub hoc igitur Clemente, dissensione non modica inter eos qui Corintho essent fratres facta, scripsit 136 quae est Romae ecclesia potentissimas litteras Corinthiis, ad pacem eos congregans et reparans
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TWNT, IV, p. 370. Integrazione mia (cfr. più sotto, n. 153).
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enrico cattaneo fidem eorum et adnuntians quam in recenti ab apostolis [Petro et Paulo] acceperat traditionem (AH 3.3.3). Μετὰ τοῦτον δὲ τρίτῳ τόπῳ ἀπὸ τῶν ἀποστόλων [Πέτρου καὶ Παύλου] τὴν ἐπισκοπὴν κληροῦται Κλήμης, ὁ καὶ ἑωρακὼς τοὺς μακαρίους ἀποστόλους [Πέτρον καὶ Παῦλον] καὶ συμβεβληκὼς αὐτοῖς καὶ ἔτι ἔναυλον τὸ κήρυγμα τῶν ἀποστόλων [Πέτρου καὶ Παύλου] καὶ τὴν παράδοσιν πρὸ ὀφθαλμῶν ἔχων, οὐ μόνος· ἔτι γὰρ πολλοὶ ὑπελείποντο τότε ὑπὸ τῶν ἀποστόλων [Πέτρου καὶ Παύλου] δεδιδαγμένοι. ҆ Επὶ τούτου οὖν τοῦ Κλήμεντος, στάσεως οὐκ ὀλίγης τοῖς ἐν Κορίνθῳ γενομένης ἀδελφοῖς, ἐπέστειλεν ἡ ἐν ῾Ρώμῃ ἐκκλησία ἱκανοτάτην γραφὴν τοῖς Κορινθίοις, εἰς εἰρήνην συμβιβάζουσα αὐτοὺς καὶ ἀνανεοῦσα τὴν πίστιν αὐτῶν καὶ ἣν νεωστὶ ἀπὸ τῶν ἀποστόλων [Πέτρου καὶ Παύλου] παράδοσιν εἰλήφει137.
Abbiamo evidenziato in questo passo i nomi degli apostoli, perché qui Ireneo, come aveva già fatto Dionigi di Corinto, suppone che le Chiese di Roma e di Corinto siano state « irrorate » dall’insegnamento di Pietro e Paolo138. Egli ci dà inoltre importanti notizie sul terzo successore degli apostoli, cioè Clemente. Pur affermando che questi non è subentrato a loro immediatamente, Ireneo fa poggiare tutta la sua argomentazione sulla figura di Clemente: è lui l’anello di congiunzione tra la Chiesa di Roma e gli apostoli Pietro e Paolo, da lui conosciuti personalmente (vidit apostolos ipsos) e di cui è stato discepolo (contulit cum eis)139. Inoltre Clemente non era il solo testimone auricolare dell’insegnamento apostolico, perché al suo tempo c’erano ancora molti (multi) che avevano conosciuto e ascoltato i due apostoli. Infine Ireneo afferma che la distanza di tempo tra essi e la lettera scritta dalla ekklēsίa di Roma sotto Clemente è pochissima (in recenti, νεωστί). Il suo intento è quello 137 Il testo greco è conservato da Eusebio, HE 5.6.1-2 (si veda SC 211, p. 34). 138 In Eusebio, HE 2.25.8 (SC, 31, p. 93). « Che i due [apostoli Pietro e Paolo] abbiano subito il martirio nella stessa circostanza, lo attesta Dionigi, vescovo di Corinto, scrivendo ai Romani : Nella vostra precedente ammonizione [= 1 Clem], voi avete unito la piantagione dei Romani e dei Corinzi uscita da Pietro e Paolo. Infatti tutti e due, dopo avere piantato anche nella nostra Corinto e averci parimenti istruito, e dopo aver parimenti insegnato in Italia nello stesso luogo, hanno dato la loro testimonianza nella medesima circostanza ». 139 Questo significa che Clemente sarebbe stato a Roma almeno tra il 62 e il 67.
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di mostrare che non c’è spazio per la tradizione segreta e superiore reclamata dagli gnostici. Più avanti, egli farà lo stesso ragionamento per la Chiesa di Smirne: come Clemente ha trasmesso alla Chiesa di Roma e di Corinto ciò che aveva ricevuto direttamente dagli apostoli Pietro e Paolo, così Policarpo ha trasmesso alla Chiesa di Smirne ciò che aveva ricevuto dall’apostolo Giovanni (3.3.4)140. E che nella Chiesa ci sia una sola fede, è testimoniato dalla visita che Policarpo fece ad Aniceto a Roma, durante la quale riuscì a convertire molti dall’eresia (ivi)141. E come Giovanni ha dichiarato pubblicamente Cerinto « nemico della verità », così Policarpo ha sconfessato pubblicamente Marcione come « primogenito di Satana » (ivi)142 . A questo punto bisogna tornare al passo più discusso di tutti, quel famoso 3.3.2b che non ha ancora trovato una interpretazione soddisfacente sotto tutti i punti di vista. Non è mia intenzione riprendere qui tutta la questione, anche se spero di farlo in una prossima pubblicazione143. Quello che ora mi interessa notare è che anche in queste righe si parla della tradizione che proviene Seguo qui la posizione di A. Orbe, « En torno a una noticia sobre Policarpo (Ireneo, Adversus Haereses 3.3, 4) », in Studi sul Cristianesimo antico e moderno, in onore di Maria Grazia Mara, a cura di M. Simonetti, P. Siniscalco, Roma 1995, t. II, p. 597-604. Orbe difende il testo latino tràdito, che dice: « [Polycarpus] haec docuit semper quae ab apostolis didicerat, quae et ecclesiae tradidit et sola sunt vera ». Il testo greco di Eusebio invece fa della Chiesa il soggetto: « Policarpo insegnò sempre la dottrina che aveva appreso dagli apostoli e che la Chiesa trasmette ». 141 Della visita di Policarpo a Roma al tempo di Aniceto (155-166 ca), Ireneo ne parla ancora nella lettera a papa Vittore sulla questione della Pasqua (cfr. Eusebio, HE 5.24.16). Il motivo di tale visita non è detto, ma certo è singolare che Policarpo, in età ormai avanzata, abbia intrapreso un tale viaggio solo per discutere di una questione che neppure allora fu risolta. 142 Che questa espressione sia proprio di Policarpo, risulta dalla sua Lettera ai Filippesi 7.1: « Chi svia le parole del Signore per assecondare le proprie concupiscenze, e dice che non c’è né resurrezione né giudizio, costui è primogenito di Satana ». Qui non è detto che queste parole siano rivolte contro Marcione (cfr. la nota di Camelot, SC 10, p. 187). 143 Probabilmente una soluzione soddisfacente di questo dibattutissimo passo non la si troverà mai, però sono convinto che, nonostante i terribili ammonimenti di Ch. Pietri, Roma Christiana. Recherches sur l’Eglise de Rome, son organisation, sa politique, son idéologie de Miltiade à Sixte III (311-440), Rome, 1976, p. 299-301, continuando a discuterne, si può arrivare a una comprensione più profonda dell’ecclesiologia di Ireneo. 140
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dagli apostoli (ea quae est ab apostolis traditio). Abbiamo visto che in 3.3.2-3, dove si nomina la Chiesa di Roma, dietro il termine apostoli ci stanno sempre Pietro e Paolo. Ora ci chiediamo se ciò sia vero anche in quest’ultimo testo, dato che qui Ireneo parla ancora della Chiesa di Roma (hanc ecclesiam), ma la pone in relazione con « la Chiesa tutta » (omnem ecclesiam), cioè con « i fedeli di ogni dove » (eos qui sunt undique fideles). Mancando l’originale greco ed essendo quello latino diventato una crux interpretum, ripropongo una mia congettura – che mi sembra ancora valida144 – a proposito di quel ab his qui sunt undique, che fa così tanta difficoltà a motivo del precedente eos qui sunt undique: infatti, mentre quest’ultimo sta bene al suo posto, l’altro sembra male collocato. Noi dunque leggiamo: Ad hanc enim ecclesiam propter potentiorem principalitatem necesse est omnem convenire ecclesiam, hoc est eos qui sunt undique fideles, in qua semper ab his qui sunt {undique} conservata est ea quae est ab apostolis traditio (AH 3.3.2).
In una ipotetica retroversione greca, il passo suonerebbe: πρὸς ταύτην γὰρ τὴν ἐκκλησίαν διὰ τὴν ἱκανωτέραν ἀρχὴν ἀνάγκη πάσαν συμφωνεῖν τὴν ἐκκλησίαν, τουτέστι τοὺς πανταχόθεν πιστούς, ἐν ᾗ ἀεὶ ὑπὸ τῶν ἐφυλάχθη ἡ ἀπὸ τῶν ἀποστόλων παράδοσις.
Traduzione: Infatti, con questa Chiesa [di Roma], a motivo della sua origine [più eccellente deve necessariamente accordarsi ogni Chiesa, cioè i fedeli di ogni dove, nella quale [Chiesa di Roma] sempre dai è stata con[servata la tradizione che viene dagli apostoli145.
E. Cattaneo, « Ab his qui sunt undique. Una nuova proposta su Ireneo Adv. haer. 3.3.2b », Augustinianum, 40 (2000), p. 399-405. Spero di giustificare più diffusamente questa mia congettura in un prossimo articolo. 145 La mia congettora sostanzialmente converge con quella di P. Batiffol, La Chiesa nascente e il cattolicesimo. Introduzione del card. Jean Daniélou, Firenze, 1971, p. 210-212. 144
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In sintesi, la mia interpretazione si basa su una osservazione di carattere filologico. Nell’antica traduzione latina dell’AH, il pronome seguito dal relativo e dal verbo ‘essere’, è il modo abituale con cui viene reso l’articolo greco, soprattutto quando esso è separato dal suo sostantivo146. Nel nostro passo ne abbiamo tre esempi in due righe: eos qui sunt…fideles; ab his qui sunt…(?); ea quae est…traditio. Ora mentre il sostantivo, che nel greco accompagna l’articolo, c’è nel primo caso (eos qui sunt… fideles) e nel terzo (ea quae est… traditio), manca nel secondo (ab his qui sunt…?). Di conseguenza bisogna dedurre che qui tale sostantivo è caduto, e, a mio giudizio, esso non può essere che presbyteri147. Sappiamo che in Ireneo i termini presbyteri ed episcopi sono intercambiabili, ma quando entra in gioco la traditio, egli usa di preferenza presbyteri (« anziani ») soprattutto nel contesto antignostico, da contrapporre ai novatores148. Se questi presbyteri siano i presbiteri/vescovi della Chiesa di Roma o quelli della Chiesa « sparsa in tutto il mondo »149, dipende da come si interpreta in qua, se in riferimento alla Chiesa di Roma (Rousseau) o alla Chiesa universale (Nautin). Se si riferisce alla Chiesa di Roma, come noi e molti sostengono, la tradizione di cui si parla (ea quae est ab apostolis traditio) è proprio quella derivata dagli apostoli Pietro e Paolo, che però non vanno 146 Nel mio accennato lavoro, che spero di pubblicare, porterò numerosi esempi che giustificano questa osservazione. Ne troviamo già due casi nel testo di AH 3.3.3 sopra citato e di cui possediamo l’originale greco. Infatti, τοῖς ἐν Κορίνθῳ… ἀδελφοῖς è tradotto: inter eos qui Corintho essent fratres; ed ἡ ἐν ῾Ρώμῃ ἐκκλησία è tradotto: quae est Romae ecclesia. L’integrazione con mi sembra necessaria, dato le premesse che ho esposto. 147 Notiamo che in questa ricostruzione riappare quella struttura a tre cola così cara a Ireneo: fideles, presbyteri, traditio. Nella mia congettura, il secondo {undique} va espunto. 148 Cfr. E. Cattaneo, Les ministères dans l'Église ancienne. Textes patristiques du ier au iiie siècle, Paris, 2017, p. 281-298. 149 Sebbene Ireneo non usi mai l’espressione « Chiesa cattolica », che si trova già in Ignazio di Antiochia (Smirn 8.2), tuttavia per lui la Chiesa è di sua natura « universale », cioè sparsa in tutto il mondo: « Ecclesia enim per universum orbem usque ad fines terrae seminata » (1.10.1); « Ecclesia et quidem in universum mundum disseminata » (1.10.2); « Traditionem itaque apostolorum in toto mundo manifestatam in omni Ecclesia adest videre » (3.3.1); « Disseminata est Ecclesia super omnem terram » (3.11.8); « Ecclesia vero per universum mundum ab apostolis habens initium » (3.12.7); « Et Ecclesiae praedicatio vera et firma […] in universo mundo ostenditur » (5.20.1).
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separati da tutto il collegio apostolico150. Poiché la Chiesa di Roma si fonda sugli apostoli Pietro e Paolo, con lei deve necessariamente – cioè in forza dell’unità della tradizione – trovarsi d’accordo (necesse est convenire) ogni Chiesa151. Tale è la potentior principalitas cioè « l’origine più eccellente » di questa Chiesa, che la rende un punto di riferimento indubitabile, valido per tutti152 . Riassumendo, ritengo che l’ad hanc enim ecclesiam, a motivo dell’enim, si riferisca a quanto precede, cioè alla Chiesa di Roma, e che tale riferimento rimanga anche nell’in qua semper, a motivo del semper e dell’igitur con cui inizia il § 3, a dimostrazione della continuità ininterrotta della tradizione (semper). Il rapporto tra la Chiesa di Roma e la Chiesa universale è indicato nell’omnem convenire ecclesiam, ed è di immanenza reciproca: la fede della Chiesa di Roma è la fede della Chiesa, cosa che è vera anche per tutte le altre Chiese apostoliche153. Tuttavia è un « fatto » che i due principali apostoli abbiano fissato la loro dimora mortale proprio a Roma con il martirio, ed è un « fatto » che Ireneo possa presentare l’elenco dei vescovi successori degli apostoli per la Chiesa di Roma fino al tempo in cui scrive154. Ma se Ireneo riconosce la potentior 150 Cfr. 3.2.2: « [traditio] quae est ab apostolis, quae per successiones presbyterorum in ecclesiis custoditur ». 4.26.2: « Quapropter eis qui in ecclesia sunt pres byteris obaudire oportet, his qui successionem habent ab apostolis, sicut ostendimus ». Cfr. Sáez Gutiérrez, Canon y autoridad, p. 780-782. 151 Si tratta « d’une nécessité naturelle ou logique » (van den Eynde, Les normes, p. 178), basata e sia sulla speciale prerogativa della Chiesa romana, come dice van den Eynde, sull’unicità della tradizione apostolica. 152 Cfr. van den Eynde, Les normes, p. 172-177. 153 Cfr. AH 3.3.1: « Traditionem itaque apostolorum in toto mundo manifestatam in omni ecclesia adest perspicere omnibus qui vera velint videre, et habemus adnumerare eos qui ab apostolis instituti sunt episcopi in ecclesiis et successores eorum usque ad nos, qui nihil tale docuerunt neque cognoverunt quale ab his deliratur ». 154 La lista di Ireneo, che non contiene indicazioni cronologiche, è la prima del genere che noi conosciamo. Non può averla presa da Egesippo, il quale ha scritto le sue Memorie a Roma sotto Eleuterio (quindi in contemporanea con l’AH di Ireneo). Sul discusso passo di Egesippo (« mi sono assicurato della successione (διαδοχὴν ἐποιησάην) fino ad Aniceto », in Eusebio, HE 4.22.3), si veda van den Eynde, Les normes, p. 72-75. Notiamo che Ireneo inizia a contare i vescovi « dopo » gli apostoli, così che Lino è il « primo » ed Eleuterio è il dodicesimo. Non è il caso di speculare su questo numero 12, ritenendolo messo lì ad arte (come ritengono Lampe, From Paul to Valentinus, p. 405 e
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principalitas della Chiesa romana, non trae nessuna conseguenza immediata di ordine ecclesiologico, nel senso di un « primato » di quella Chiesa rispetto alle altre Chiese155. Egli infatti non dice che, in caso di dubbio, bisogna rivolgersi alla Chiesa di Roma, bensì alle Chiese apostoliche, ove evidentemente è compresa anche Roma156. E tuttavia rimane il « fatto » che questa Chiesa, poiché è la più conosciuta e poiché ha a fondamento i due più grandi apostoli, può essere presentata con più efficacia quale garante della tradizione apostolica contro gli gnostici, che proprio nella capitale dell’impero avevano numerosi adepti157. Che poi Ireneo in 3.3.2-3 tenga costantemente insieme i due apostoli, senza marcare nessuna differenza, come se avessero parlato e agito sempre insieme, ciò, oltre che rispondere ad una preoccupazione antimarcionita e antignostica, può essere un indizio che a Roma già vi era una forma
Zwierlein, Petrus in Rom, p. 156). Sulla lista dei « vescovi » di Roma fatta da Ireneo si è molto discusso, spesso con evidenti anacronismi, in un senso o nell’altro. Cfr. Pietri, Roma Christiana, p. 389-397; 1600-1604; A. Brent, « How Irenaeus Has Misled the Archeologists », in Irenaeus. Life, Scripture, Legacy, a cura di Parvis, Foster, p. 35-52. 155 Sul pericolo di « anacronismi » nella questione del « primato » della Chiesa di Roma, si veda E. Prinzivalli, « Le origini della chiesa di Roma in contesto: alcuni elementi di riflessione », Vetera Christianorum, 50 (2013), p. 275300, qui p. 280-290. Tuttavia non si può negare che ci sia « un » primato riconosciuto sia a Pietro nel Nuovo Testamento e sia alla Chiesa di Roma fin dai più antichi testi patristici. Si veda Pesch, Simon Pietro, p. 273-284; Mazzeo, Pietro, p. 396-398. 156 AH 3.4.1: « Se ci fosse qualche controversia su una questione di qualche importanza (de modica quaestione), non si dovrebbe forse ricorrere alle Chiese più antiche (antiquissimas), nelle quali vissero gli apostoli, e prendere la dottrina esatta sulla questione presente? ». La conclusione di van den Eynde, Les normes, p. 196 che la Chiesa di Roma, a motivo degli apostoli Pietro e Paolo, « passe aux yeux d’Irénée […] pour la pierre de touche de la foi de l’église universelle », mi sembra che vada oltre il pensiero di Ireneo, anche se è lì che esso sembra portare. 157 Per questo Ireneo conclude dicendo di aver dato una plenissima ostensio, cioè « la prova più completa ». Tuttavia in 3.3.4 Ireneo allude anche ai vescovi successori di Policarpo (qui usque adhuc successerunt Polycarpo), ma senza nominarli. Non è perché non li conoscesse, ma perché probabilmente il destinatario della sua opera era di quelle regioni e quindi era a conoscenza di quei nomi. Così si spiegherebbe meglio anche perché Ireneo faccia la lista dei vescovi romani, per farla conoscere alle Chiese dell’Asia Minore.
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di venerazione che accumunava i due martiri158. Anche il fatto che nelle fonti antiche, conosciute pure da Ireneo, Pietro compaia sempre al primo posto, può essere un indizio che già allora i vescovi di Roma si considerassero esclusivamente successori di Pietro e non di Pietro e Paolo159. Ireneo non entra in tale questione, perché nella sua prospettiva, più che il modo della successione storica, interessa sottolineare l’apostolicità della Chiesa, cosa che è meglio garantita dall’unione dei due grandi apostoli. Conclusione Certamente la polemica antignostica ha spinto Ireneo a unire le figure di Pietro e Paolo in un unico disegno evangelizzatore e fondatore. Tuttavia non è stato lui l’inventore di questo « abbraccio » tra i due grandi apostoli. Esso era già presente nella tradizione della Chiesa (testimoniata da Clemente, Ignazio e Dionigi), nella formazione del canone neotestamentario (che include le lettere di Paolo e di Pietro), e in particolare nella Chiesa romana, che li considerava come i propri fondatori. Certo, questa visione armonizzante rischiava di sottovalutare le differenze tra i due apostoli, favorendo gli aspetti edificanti, amplificati poi in tanti tratti leg-
158 La prima notizia ufficiale di una celebrazione comune per Pietro e Paolo il 29 giugno si ha solo con la Depositio Martyrum che la data al 258 (cfr. Pietri, Roma Christiana, p. 366-380). Ciò non significa che prima non ci fosse nulla. L’edicola trovata sotto l’altare maggiore della basilica di San Pietro in Vaticano e costruita sul luogo della presunta tomba di Pietro, è datata dagli archeologi tra il 160 e il 170, come si ricava dai bolli laterizi di un muro di sostegno (cfr. H. Brandenburg, « L’antica basilica vaticana costantiniana di S. Pietro », in San Pietro. Storia di un monumento, a cura di H. Brandenburg, A. Ballardini, Ch. Thoenes, Introduzione di F. Buranelli, Città del Vaticano - Milano, 2015, p. 9-34). Dunque Ireneo poteva averla vista nel suo viaggio a Roma nel 177. Ora un’edicola funeraria è segno di un culto. Cfr. Edmundson, The Church of Rome, p. 149-150; M. M. Cecchelli Trinci, « Il culto di San Pietro in Roma », in Pietro e Paolo nel XIX centenario del martirio, a cura di L. Vannicelli, B. Mariani, Napoli, 1969, p. 133-165, qui p. 133-144. 159 Cfr. R. Minnerath, « La tradizione dottrinale del primato di Pietro nel primo millennio », in Il Primato del successore di Pietro nel mistero della Chiesa. Testo e commenti, a cura della Congregazione per la Dottrina della Fede, Città del Vaticano, 2002, p. 51-80.
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gendari160. Chi ne fece maggiormente le spese fu Paolo e la sua teologia, almeno come la intendono i moderni161. Tuttavia non sarebbe corretto qualificare l’abbraccio tra i due apostoli semplicemente come risultato di una « politica ecclesiastica » volta a rafforzare il primato di Roma sulle altre Chiese. Se fosse così, dovremmo mettere sotto accusa il canone stesso del Nuovo Testamento (cosa che del resto è stata fatta). Quello che vogliamo dire è che una lettura più « dialettica » degli avvenimenti, che contrappone Pietro a Paolo, non è sicuro che sia anche la più storica. Siamo anzi convinti che la posizione di Ireneo, che pone l’accento sull’accordo tra Pietro e Paolo, e quindi sulla legittimità di una ecclesia ex circumcisione accanto alla ecclesia ex gentibus, all’interno dell’unica ecclesia Dei, è quella che più si avvicina alla realtà storica di quello che realmente avvenne nell’incidente di Antiochia162 . Questo però significa anche riconoscere che l’unità della fede non annulla le legittime differenze, ovvero quelle differenze dovute a tradizioni particolari, che non intaccano la sostanza della fede, come la data della celebrazione della Pasqua e la conseguente pratica del digiuno163, nonché le stesse osservanze mosaiche per i giudeo-cristiani164. 160 Cfr. M. Cagiano De Azevedo, « Le memorie archeologiche di Pietro e Paolo a Roma », in Petrus et Paulus Martyres. Commemorazione del XIX centenario del martirio degli apostoli Pietro e Paolo, Milano, 1969, p. 31-57. 161 Benché le lettere di Paolo siano conosciute e spesso citate nel II secolo, tuttavia è un tema ricorrente tra gli studiosi quello di sottolineare la scarsa presenza di ciò che è proprio della teologia di Paolo nella prima letteratura cristiana fino a Ireneo. Cfr. H. Schneemelcher, « Paulus in der griechischen Kirche des zweiten Jahrhunderts », ZKG, 75 (1964), p. 1-20. Sulla questione si veda Lindemann, Paulus im ältesten Christentum; Dassmann, Der Stachel im Fleisch. 162 Per un tentativo di leggere l’incidente dalla parte di Pietro, cfr. Pesch, Simon Pietro, p. 159. 163 Cfr. Eusebio, HE 5.24.11-18. 164 In questa tolleranza, Ireneo segue Giustino, il quale affermava che i cristiani di origine giudaica che continuavano a osservare le prescrizioni mosaiche potevano essere salvati, a condizione che non esigessero questa osservanza dai cristiani di origine gentile e che non la considerassero come necessaria alla salvezza (cfr. Dialogo con Trifone 47.1). Ireneo condanna gli « ebioniti » non per la loro osservanza della legge mosaica, ma per la loro cristologia errata, perché ritenevano Gesù un semplice uomo, figlio di Giuseppe e di Maria (cfr. AH 1.26.2). Diversamente valuta G. Strecker, « La ques tion du judéo-christianisme », in W. Bauer, Orthodoxie et hérésie aux débuts
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Forse i moderni hanno dato troppo credito al Paolo della lettera ai Galati, quando si sa bene che quello è uno scritto fortemente polemico e di parte165. Paolo era un impulsivo e non andava troppo per il sottile. Del resto la famosa « divisione » dei campi di apostolato (Pietro ai circoncisi, Paolo ai Gentili), va presa con molte cautele166. La Lettera ai Romani lo mostra167. Paolo da parte sua ha sempre avuto a che fare con i giudaizzanti, se li trova sempre davanti168. Il suo « Vangelo », che esclude le « opere della legge » dalla salvezza, è chiaramente in funzione anti-giudaizzante. Ma du christianisme. Seconde édition revue et complété par un Supplément de G. Strecker, Paris, 2009, p. 267-309, qui p. 296-299. 165 Cfr. Meier in Brown, Meier, Antiochia e Roma, p. 41: « Anche se il racconto in Galati deve essere preferito a quello in Atti […], la testimonianza di Paolo non è tuttavia senza problemi. […] Per di più, Gal 2,11-21 è un passo altamente apologetico e polemico, e quindi si deve tener conto della inclinazione personale di Paolo quando si valuta l’informazione da lui fornita ». In questo senso, si veda P. Gaechter, Petrus und seine Zeit. Neutestamentliche Studien, Innsbruck, 1957, p. 213-257. 166 Cfr. Pitta, Lettera ai Galati, p. 122-123; R. Penna, « La missione di Paolo nel quadro delle origini cristiane », in Paolo di Tarso, a cura di Padovese, t. 2, p. 149-164. In Mt 28, 19, Mr 16, 15 e Lc 24, 47 gli apostoli sono inviati indistintamente « a tutte le genti ». Quindi al tempo della redazione dei Vangeli sinottici la distinzione paolina era ormai caduta. Anche la Predicazione di Pietro (Kerygma Petri), databile all’inizio del II secolo, ma ignorata da Ireneo, in un frammento citato da Clemente Alessandrino riporta la missione conferita da Gesù ai Dodici Apostoli di predicare il Vangelo « agli uomini sparsi su tutta la terra » (cfr. Sáez Gutierrez, Canon y autoridad, p. 401-403). 167 Cfr. J. Dupont, « Saint Paul, témoin de la collégialité apostolique et de la primauté de saint Pierre », in La collégialité épiscopale. Histoire et théologie, Paris, 1965 (Unam Sanctam, 52), p. 11-39, qui p. 29-30: « On a beaucoup épilogué sur cette division. Elle semble n’avoir jamais été appliquée : ni par Paul, qui ne se désintéresse évidemment pas de l’évangélisation des Juifs, ni par Pierre, qui ne pouvait guère s’interdire l’apostolat auprès des Gentils. Non seulement la mesure n’a pas été appliquée, mais on voit mal comment elle aurait pû être applicable ». Forse in Gal 2, 7-10 Paolo era convinto che l’evangelizzazione degli Israeliti fosse una porta ancora aperta e non chiusa, come invece risulta da Rm 11. 168 Cfr. J. Gnilka, Paolo di Tarso. Apostolo e testimone, Brescia, 1998, p. 179 (orig. Paulus von Tarsus. Apostel und Zeuge, Freiburg i. B., 1996): « Si tratta di tener fermo che Paolo svolge il suo lavoro missionario volto interamente ai popoli pagani, con riguardo anche, o addirittura in fin dei conti, a Israele ». Quanto alla missione di Pietro tra i Gentili, cfr. Pesch, Simon Pietro, p. 133-189.
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Pietro non era certamente un giudaizzante, come Paolo stesso riconosce; e tuttavia aveva « rispetto » per le osservanze giudaiche, altrimenti la sua missione verso i Giudei non avrebbe avuto senso. Ireneo vede ancora Pietro nella prospettiva paolina della divisione dei campi di evangelizzzazione e non in quella di Mt 16, 18-19, che inserisce « l’autorità petrina nell’orizzonte della missione universale tra i pagani »169. Certo, se si interpreta il « Vangelo di Paolo » nel senso luterano della giustificazione sola fide, senza le opere della legge, è difficile non riproporre l’opposizione tra Paolo e Pietro, il quale, con il suo giudeo-cristianesimo, comunque lo si voglia intendere, è colui che ha iniziato o patrocinato il classico « compromesso cattolico » fra fede e opere. Ma di tutto questo in Ireneo non c’è traccia. Per lui il Vangelo è l’annuncio del Figlio di Dio, del Signore Gesù Cristo, morto e risorto, ed è la fede in Lui che salva. Sarà la Riforma protestante a far rivivere l’antagonismo tra i due apostoli, riprendendo in qualche modo la posizione di Marcione e degli gnostici: « Paolo costituisce per Lutero il carisma che si oppone a Pietro, che è l’emblema dell’istituzione »170. L’ecclesiologia di Ireneo, in polemica antignostica e antimarcionita, dove erano posti in primo piano i nomi dei rispettivi fondatori, sottolinea per la Chiesa romana l’origine apostolica, non specificamente l’origine petrina171. La Chiesa di Roma non è solo 169 Pesch, Simon Pietro, p. 60. In effetti, Ireneo non cita mai Mt 16, 18-19 (cfr. più sopra n. 51). Secondo alcuni autori, il testo del primato petrino sarebbe scaturito proprio dall’incidente di Antiochia, dove quindi il vero vincitore sarebbe stato Pietro (cfr. ibid., p. 153-189). 170 G. Pani, Paolo, Agostino, Lutero: alle origini del mondo moderno, Catanzaro, 2005, p. 75. Questa contrapposizione ha avuto molti seguaci, a partire dalla scuola di Tubinga (Bauer) almeno fino ad H. Lietzmann. Sostenitore della presenza e del martirio di Pietro a Roma, Lietzmann però continuò a considerare Pietro come un acceso giudaizzante contrapposto a Paolo. Questi avrebbe scritto la sua Lettera ai Romani proprio per contrastare l’influenza di Pietro (H. Lietzmann, « Zwei Notizen zu Paulus », in Preußischen Akademie der Wissenschaften, Berlin, 1930). Si veda Feuillet, « Saint Paul et l’Église de Rome », p. 86. È interessante constatare come l’esegesi protestante più recente sia molto vicina alle posizioni di Ireneo: si veda l’articolo di E. Lohse, « St. Peter’s Apostelship in the Judgement of St. Paul, the Apostle to Gentiles », Gregorianum, 72 (1991), p. 419-435. 171 Tuttavia, pochi anni dopo Ireneo, l’autore dello scritto contro Artemone parla di Vittore come « tredicesimo vescovo a partire da Pietro » (in Eusebio,
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la Chiesa di Pietro e neanche solo quella di Pietro e Paolo, ma è la Chiesa, quella degli apostoli, e quindi quella di Cristo e di Dio172 . Ma questo vale per ogni Chiesa apostolica. Per Ireneo la voce degli apostoli è la voce della Chiesa tutta. Per Ireneo vi è una dialettica feconda tra « molteplicità » e « unità », tra i « molti » apostoli e l’« unica » predicazione, così come il Vangelo è insieme « uno » e « quadriforme »173. Ciò è possibile così perché le Scritture sono attraversate dall’unico evento che è Gesù Cristo, e questo evento è trasmesso nel tempo dalla Chiesa. Vi è così immanenza reciproca tra Scrittura (Antico e Nuovo Testamento) e Tradizione174. Per questo HE 5.28.3). Tertulliano presenterà Clemente come successore di Pietro, non di Pietro e Paolo (De praescr 32.2: Romanorum [ecclesia] Clementem a Petro ordinatum edit). Comunque, nel pensiero del cartaginese, sono ancora le « Chiese apostoliche » al centro delle sue considerazioni, più che i loro vescovi. Infatti nomina le Chiese di Corinto, Filippi, Tessalonica, Efeso (ibid., 36). Solo per Roma ricorda i nomi degli apostoli, aggiungendo anche la presenza di Giovanni: « Ita quam felix ecclesia, cui totam doctrinam cum sanguine suo profuderunt; ubi Petrus passioni dominicae adequatur [= crocifissione], ubi Paulus Ioannis [Baptistae] exitu coronatur [= decapitazione], ubi apostolus Ioannes posteaquam in oleum igneum demersus nihil passus est, in insulam relegatur » (ibid.). In Ireneo, come abbiamo notato, non si trova nessun particolare sul martirio di Pietro e Paolo, ma questo non vuol dire che li ignorasse. 172 Dire che la Chiesa è « apostolica » significa affermare che essa si fonda sulla testimonianza del « collegio apostolico », non di un singolo apostolo. La pluralità degli Apostoli, a cui segue la pluralità della Chiese, invece di creare una « frantumazione in gruppi autonomi », come è avvenuto nello gnosticismo, ha mantenuta l’unità della fede grazie al legame tra (1) il corpus delle Scritture apostoliche, (2) lette secondo la regula veritatis, (3) con la garanzia del ministero episcopale (cfr. Laiti, « La Chiesa », p. 162). 173 Cfr. Sáez Gutiérrez, Canon y autoridad, p. 880: « Así se puede hablar de una homogénea y multiforme predicación del evangelio en el tiempo apostólico, en la cual Ireneo parece contemplar cuatro corrientes principales, universales y llamadas a permanecer durante todo el tiempo de la Iglesia, las de Pedro, Pablo, Mateo y Juan ». Il riferimento è a AH 3.21.3. Questa dialettica, secondo Ireneo, è riscontrabile già nell’AT, perché i profeti « sebbene fossero molti, prefiguravano uno solo e annunciavano le vicende di uno solo » (4.33.10). 174 Sulla questione dell’immanenza reciproca fra Tradizione e Scrittura, va detto che il criterio ermeneutico di un « testo normativo » non è solo interno, ma è sempre anche « esterno », nell’intenzione dell’autore o degli autori. Le Scritture, in quanto « ispirate », possiedono un criterio ermeneutico « interno », Tradizione il criterio ma in quanto nate dalla Tradizione, hanno nella « ‘esterno’ (si veda il Canone). Ma è sempre il medesimo Spirito che agisce nella Tradizione e nelle Scritture » (cfr. Laiti, « La Chiesa », p. 175).
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è impossibile capire Ireneo se non si riconosce in lui una « coscienza canonica »175. La molteplicità delle correnti gnostiche invece mostra che vi è solo frammentazione, non unità. Pietro e Paolo non sono privilegiati perché hanno avuto una conoscenza superiore a quella degli altri apostoli, ma perché sono i corifei degli apostoli. Così la Chiesa di Roma non è superiore alle altre Chiese per una qualche dottrina più elevata, ma perché in essa vi è la prova tangibile che è stata sempre conservata, grazie alla successione dei « presbiteri/ episcopi », la tradizione che viene dagli apostoli, cioè la fede della Chiesa, la doctrina apostolorum176. Certamente per Ireneo ci sono anche altre Chiese, come quella di Efeso e di Smirne, che hanno conservato la tradizione apostolica. Tuttavia, come Dio nella sua Provvidenza ha disposto che la predicazione del Vangelo rivestisse anche la forma scritta dei quattro Vangeli canonici177, così ha predisposto che gli apostoli Pietro e Paolo, con la loro predicazione e con il loro martirio, stessero a fondamento della Chiesa di Roma, e quindi della Chiesa tutta. E perché la loro predicazione non andasse perduta, ha pure disposto un visibile collegamento attraverso il tempo, grazie alla successione dei vescovi, che sono discepoli dei discepoli degli apostoli178. Così attraverso il vescovo di Roma è la voce degli apostoli Pietro e Paolo, e quindi del collegio apostolico intero, che continua a risuonare nella Chiesa179.
175 L’espressione « coscienza canonica » è usata da Sáez Gutiérrez, Canon y autoridad, p. 12 e 883, ma la si trova già in Barbaglia, « Ireneo di Lione » (non citato da Sáez). 176 Sulla ricorrenza di questa espressione nell’AH e soprattutto nel libro 3, si veda Ferrarese, Il concilio di Gerusalemme, p. 116-119. 177 Cfr. AH 3.11.9: « Etenim cum omnia composita et apta Deus fecerit, oportebat et speciem Evangelii bene compositam et bene compaginatam esse ». 178 Per questo la « successione apostolica » non deve solo essere legittima, cioè approvata da tutta la Chiesa, ma deve comportare purezza di dottrina e santità di vita. Cfr. E. Cattaneo, « Il ritratto del vero presbitero-vescovo secondo s. Ireneo di Lione », in Sicut flumen pax tua. Studi in onore del Card. Michele Giordano, a cura di A. Ascione - M. Gioia, Napoli, 1997, p. 157-166. 179 Cfr. A. Rousseau, SC 210, p. 176. La prospettiva sostanzialmente non cambia se si vede il vescovo di Roma quale vicarius Petri, come se attraverso di lui risuonasse ancora la voce di Pietro, poiché Pietro è sempre il corifeo degli apostoli. Cfr. G. Corti, Il Papa Vicario di Pietro. Contributo alla storia dell’idea papale. I. Dal Nuovo Testamento a Leone Magno, Brescia, 1966; M. Farci, « Pietro il nuovo Abramo », Rassegna di Teologia, 47 (2006), p. 731-751.
Irenaeus, Pseudonymity, and the Pastoral Letters James R. Payton, Jr1 (Hamilton) The Pauline authorship of the Pastoral Letters – 1 Timothy, 2 Timothy, and Titus – was embraced universally within the Church until the early nineteenth century, when Friedrich Daniel Ernst Schleiermacher first urged 1 Timothy was not written by St. Paul. Ferdinand Christian Baur and the Tübingen school which followed him shortly took up Schleiermacher’s assessment and expanded it to include 2 Timothy and Titus. By the present day, the pseudonymous character of the Pastoral Letters has been embraced by the vast preponderance of New Testament scholars.2 This perspective raises a number of questions, since these letters – which are identified in the texts as authored by St. Paul – found acceptance in the New Testament canon, but it is not the purpose of this paper to address that large complex of issues. Neither will this paper attempt to assess the precise nature and contours of the consensus regarding Pauline authorship of the Pastoral Letters during the patristic period – as, e.g., was that consensus firmly asserted or was it unreflectively accepted? Did any 1 I am grateful to Prof. Dr. Agnès Bastit-Kalinowska, organizer of “Colloque du Irénée entre Bible et Hellénisme”, for the invitation to participate in the conference, and to Redeemer University College for the grant to cover costs to attend. 2 To be sure, some New Testament scholars, usually from within the larger evangelical world, espouse and defend the Pauline authorship of the Pastoral Letters. For a trenchant example of this, see T. L. Wilder, “Pseudonymity, the New Testament, and the Pastoral Epistles”, in Entrusted with the Gospel: Paul’s Theology in the Pastoral Epistles, ed. A. J. Köstenberger, T. L. Wilder, Nashville, TN, 2010, p. 28-51.
Irénée de Lyon et les débuts de la Bible chrétienne. Actes de la Journée du 1.VII.2014 à Lyon, sous la direction de A. Bastit et J. Verheyden, Turnhout, 2017 (Instrumenta Patristica et Mediaeualia, 77), p. 273-282 ©
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church father express hesitations about the affirmation of Pauline authorship (for whatever reason)? How widely were the Pastoral Letters used by the church fathers, and to what purposes? Would (or did) those uses depend on apostolic authorship? Another broad question would be, is it possible somehow to bring these two consensuses together? Much work remains to be done before anything of that sort could be attempted. As a way forward, this paper will keep both the widespread contemporary scholarly consensus and the contrasting patristic one in mind as it turns to consider the writings of the first great post-apostolic theologian of the Church, Irenaeus of Lyons. We will examine the evidence found in his magnum opus, A Refutation and Subversion of What is Falsely Called Knowledge (better known as Against Heresies) 3 and his only other extant work, On the Apostolic Preaching, to see what they offer on the question of pseudonymity and the Pastoral Letters.4 1. Irenaeus on Pseudonymity and Christian Writings Many pseudonymous works had circulated in the ancient world. However, the information we have from Irenaeus himself about his training5 and his response to ancient culture does not include any3 References to the English translations will be to J. R. Payton, Jr., Irenaeus on the Christian Faith: A Condensation of ‘Against Heresies’, Eugene, OR, 2011 (hereafter cited as ICF); for references to sections of AH elided in ICF but cited in this paper, citation will be to the nineteenth-century English translation found in Ante-Nicene Fathers: The Writings of the Fathers Down to A.D. 325, ed. A. Roberts, J. Donaldson, vol. 1, Peabody, MA, 2004 (reprint ed.), p. 315-567 (hereafter cited as ANF 1). 4 This paper constitutes a first step toward a planned treatment of the genesis and transmission of the “rule of faith” found in the writings of Irenaeus and Tertullian. 5 Irenaeus was trained under Polycarp, bishop of Smyrna (see AH 3.3.4 [ICF, p. 58-59]; a fuller description appears in his “Letter to Florinus,” preserved by Eusebius in HE 5.20.4-7). Scholarship has emphasized the significance of the Second Sophistic for the intellectual culture in Asia Minor at the time, noting that this training especially flourished in Smyrna. It is altogether likely that Irenaeus had received this schooling, with its foci on literature, argument, and rhetoric. These can be discerned in Irenaeus’ writings, but he does not explicitly refer to them or to the broader training he had received, restricting his comments to his schooling under Polycarp.
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thing relevant to the larger question of how he might have viewed the issue of such works in a general sense – that is, whether he saw pseudonymity as inevitably duplicitous and objectionable, or as potentially innocuous. He did know of pseudonymous works in Christian circles, though, works which claimed apostolic authorship, and he left his readers in no doubt whatsoever about how he viewed them. Early in Against Heresies, Irenaeus pointed out that the various gnostic teachers and others against whom he inveighed “appeal to an incredible number of apocryphal and spurious writings which they themselves have forged”. While Irenaeus averred that those well taught in the Christian faith would be capable of detecting the deception, he urged that these pseudonymous works were designed “to bewilder the minds of foolish people who do not know the Scriptures of truth”.6 The contrast between what he designates “true” Scriptures and the pseudonymous ones is bold here. In preceding paragraphs Irenaeus had laid out the apostolic tradition received and passed on within the Church ;7 after the sharp contrast between true and spurious writings, he went on to set forth and critique the “tradition” claimed and communicated by his opponents, contrasting it with the tradition held by the Church.8 This back-and-forth treatment showed clearly that Irenaeus repudiated these “apocryphal and spurious writings” his opponents had produced. In this regard, the pseudonymous character of those writings was utterly objectionable: it was intended to mislead the unwary and uninformed, to direct them away from the apostolic tradition and the Scriptures which it served to expound. Subsequently, Irenaeus belabored reasons there could only be but must be four gospels9 – those by Matthew, Mark, Luke and John (which in due course were accorded canonical status).10 Immediately afterwards, he denounced the adherents of the gnosAH 1.20.1 (ICF, p. 35). AH 1.10.1-3 (ICF, p. 32-34). 8 AH 1.21.1-5; 1.22.1 (in condensed form, ICF, p. 35-36; the full treatment appears at ANF 1, p. 345-347). 9 AH 3.11.8 (ICF, p. 65-66). 10 With this declaration, Irenaeus became the first known witness to the Church’s embrace of the four gospels which would be accorded canonical status. 6 7
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tic teacher Valentinus for “their fantasies”, among which was their “boasting that they possess more gospels than there really are”. He expresses astonishment that “they have arrived at such a pitch of audacity as to entitle the writing they have recently compiled ‘The Gospel of Truth’,11 although it does not agree with the gospels of the apostles in anything” and is “full of blasphemy”. Irenaeus excoriated the work’s title as “The Gospel of Truth”, since it did not accord with those of apostolic provenance.12 Later in Against Heresies, as Irenaeus painstakingly presented the Christian faith laid out in the tradition received from the apostles, he returned to the issue of writings pseudonymously attributed to them. He asserted, “True knowledge” – as contrasted to the false knowledge propounded by the “Gnostics” against whose teaching he wrote – “is the doctrine of the apostles, which is the ancient constitution of the Church throughout the entire world”. Irenaeus declared that this “true knowledge … has been guarded and preserved by a thorough presentation of doctrine”, which he explicitly went on to specify as “without any spurious scriptures”. This apostolic tradition “reads the Word of God without falsification” and offers “a legitimate and diligent exposition in harmony with the Scriptures”.13 Since the “apocryphal and spurious writings” 11 The cache of Gnostic literature found at Nag Hammadi in 1945 includes a tractate without title which opens with the phrase, “the gospel of truth”. Scholars have ascertained that it reflects perspectives found within the Valentinian Gnostic circle and dates from the second century, but it is uncertain whether it is the writing to which Irenaeus here refers. 12 AH 3.11.9 (ICF, p. 66-67). For the same reason, Irenaeus rejected “The Gospel of Judas” (AH 1.31.1 [ANF 1, p. 358]), which has only recently been published (in 2006); scholars have shown that Irenaeus had significant acquaintance with its contents (and those of “The Gospel of Truth”): see P. Foster, “Irenaeus and the Non-Canonical Gospels”, in Irenaeus: Life, Scripture, Legacy, ed. P. Foster, S. Parvis, Minneapolis, MN, 2012, p. 106109. 13 AH 4.33.8 (ICF, p. 135). In this passage, Irenaeus credited this faithful transmission to “the successions of bishops”; elsewhere, he wrote that “the tradition which originated from the apostles … has been preserved through the succession of presbyters” (AH 3.2.2 [ICF, p. 57]). In this regard, as in others, Irenaeus suggests nothing in Adversus Haereses which would assume or require a distinct threefold office within the Church (in general) or monarchical episcopacy (in particular). Irenaeus shows no interest in the juridical power of an office: for him, the “succession” is a succession in teaching the
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Irenaeus repudiated at the beginning of Against Heresies were not consonant with the Scriptures, they must be rejected: these “spurious scriptures” would not lead to “a legitimate and diligent exposition in harmony with the Scriptures”. Scholarship has long recognized that Irenaeus knew and cited in his extant works all the books which would ultimately be accepted within the New Testament canon except Philemon and 3 John. His willing embrace of all of these as apostolic in provenance – either written by an apostle or by a close associate of one14 – indicates that he saw none of them as “spurious” or “apocryphal”; put explicitly, in Irenaeus’ estimation they were not pseudonymous. The works that pseudonymously claimed apostolic authorship had been “forged” by his opponents, the gnostic and other heretical leaders. These pseudonymous works must be rejected, as neither authored by an apostle nor expounding the tradition which came from the apostles. From that perspective, Irenaeus certainly assumed the apostolic authorship of the Pastoral Letters – 1 Timothy, 2 Timothy, and Titus – which he knew and cited in his own writings. 2. Irenaeus on the Authorship of the Pastoral Letters The assessment that Irenaeus accepted the Pauline authorship of the Pastoral Letters rests not merely on his repudiation of pseudonymity. Irenaeus explicitly and repeatedly affirmed their Pauline, apostolic authorship. In the first sentence of his magnum opus, Irenaeus decried that “Some people have been setting the truth aside in favor of myths and endless genealogies”; he dealt with this in a fashion striking for our considerations when he immediately went on to declare, “which, as the apostle says, ‘promote speculations rather than the divine training that is known by faith’”,15 quoting 1 Tim 1,4. apostolic tradition faithfully from one generation to the next; cf. the brief discussion of this pattern in both Hegesippus and Irenaeus by N. Perrin, Thomas: The Other Gospel, Louisville, KY, 2007, p. 118. 14 Cf. Irenaeus’ comments to this effect about Mark and Luke (AH 3.1.1 [ICF, p. 56]). 15 AH 1.Pr.1 (ICF, p. 27).
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Later Irenaeus warned against those who turn away from Christian truth to follow “old wives’ fables” as “self-condemned”, using the wordings of 1 Tim 4,7 and Tit 3,11, followed by the declaration, “These are the people about whom Paul commands us, ‘after a first and second admonition, have nothing more to do with them’”, quoting Tit 3,10.16 Subsequently, Irenaeus cited this passage again, noting specifically, “this is what Paul instructs”.17 Irenaeus affirmed the apostle’s authorship further when he urged that the denounced speculations and fables belonged to the total package of “false knowledge” decried by St. Paul.18 As shown above, Irenaeus directly asserted the Pauline authorship of 1 Timothy and Titus; our author did the same regarding 2 Timothy. Having mentioned one Linus whom the apostles had appointed bishop in Rome, Irenaeus commented, “Paul mentions this Linus in his letters to Timothy”,19 referring to what is found in 2 Tim 4,21. Further, Irenaeus specifically affirmed Pauline authorship of the letter when he wrote, “Paul has himself declared also in the letters: ‘Demas has forsaken me … and has departed into Thessalonica; Crescens to Galatia, Titus to Dalmatia. Only Luke is with me’”,20 quoting 2 Tim 4,10-11. 3. Irenaeus on the Authority of the Pastoral Letters Irenaeus’ confidence that St. Paul had authored the Pastoral Letters rests, not only on specific declarations to that effect, but also on his regular and frequent citation of statements from those letters as authoritative for the Church. He did so, both to counter his opponents and also to defend what he and the Church taught. In rejecting the teaching of Saturninus and his followers, Irenaeus urged, “He also declares that marriage and procreation are
AH 1.16.3 (ICF, p. 34). AH 3.3.4 (ICF, p. 59). 18 Earlier in Adversus Haereses, Irenaeus alluded to the passage to denounce his opponents’ duplicitous use of language, declaiming, “Paul well says of them that [they make use of] ‘novelties of words of false knowledge’”, alluding to 1 Tim 6,20 (AH 2.14.7 [ANF 1, p. 378]). 19 AH 3.3.3 (ICF, p. 57). 20 AH 3.14.1 (ANF 1, p. 438). 16 17
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from Satan. Many of those who belong to his school also abstain from meat and impress many people with such abstinence”.21 Irenaeus here followed the warning issued in 1 Tim 4, that “in later times some will renounce the faith” (vs. 1). This would be seen in that “they forbid marriage and demand abstinence from foods, which God created to be received with thanksgiving” (vs. 3). As well, 2 Tim 3 declared that “in the last days distressing times will come” (vs. 1), followed by a list of ways this would be seen, culminating in the declaration that some people “are always being instructed and can never arrive at a knowledge of the truth” (vs. 2-7). Irenaeus seized on these points as he declaimed against his opponents’ mishandling and misinterpretation of Scripture, 22 bringing his assertions to a climax with the declaration, “In this approach, people would always be seeking but never finding the truth”, paraphrasing 2 Tim 3,7. Irenaeus returned to this specific assessment again, near the end of Against Heresies. Repudiating those who preferred their gnostic teachings to the apostolic tradition passed down in the Church, Irenaeus adapted Matt 15,14 to speak against his opponents, declaring, “they are blind men led by the blind who will deservedly fall into the ditch of ignorance lying in their path”. He immediately followed this up with “ever seeking and never finding out the truth”.23 The similarity between the statements in the Pastoral Letters and Irenaeus’ declarations is too close to be coincidental: Irenaeus treated 1 and 2 Timothy as authoritative instruction about what the Church and its leaders would face.24 Irenaeus also viewed AH 1.24.2 (ICF, p. 37). AH 2.27.1-2 (ICF, p. 48-49). 23 AH 5.20.2 (ICF, p. 172). Irenaeus subsequently returned to this passage again, putting the conclusion even more pointedly, that they were “ever seeking, yet shall never find God” (AH 4.9.3 [ANF 1, p. 473]); emphasis added. 24 In three other places, Irenaeus commented about his opponents and their followers in ways that recall statements from 1 and 2 Timothy: he wrote about those “who have their consciences seared as with a hot iron” (AH 1.13.7 [ANF 1, p. 336]), and about “men having their consciences seared” (AH 2.21.2 [ANF 1, p. 390]), possibly citing 1 Tim 4,2; he also alluded to hearers with “itching ears” (AH 2.21.2 [ANF 1, p. 389]), a possible reference to 2 Tim 4,3. Since these comments might have been tropes used in common parlance 21
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the third of the pastoral letters, to Titus, as authoritative. In the midst of instructions about how Christians should live – in which he cited passages from Deuteronomy, Matthew, Mark, John, and the Letter to the Romans – Irenaeus warned that Christians should not “tempt God by relying on the righteousness we have done”, 25 alluding to Tit 3,5: “He [God] saved us, not because of any works of righteousness that we had done”. This comment about divine salvation serves to introduce consideration of how Irenaeus cited the Pastoral Letters positively, to present the teaching he and the Church offered. In sharp counter to the warnings about the last times facing the Church given above, Irenaeus also declared, “In the last times the Lord has restored us to friendship through his incarnation, having become the ‘one mediator between God and humankind’”, quoting 1 Tim 2,5. Irenaeus asserted that this mediator, the incarnate Son, had cancelled our disobedience and taught us to ask the Father for forgiveness, inasmuch as we had broken his commandments.26 This reference to broken commandments invites consideration of Irenaeus’ earlier observation that “the law is laid down not for the innocent”, taken from 1 Tim 1,9.27 In his other extant work, Irenaeus cited this passage again, declaring that “the Law is not laid for the righteous”. But Irenaeus urged that the Last Adam, by his economy, had cancelled human disobedience and overcome its results, for he had “abolished death”28 – using the striking phrase found in 2 Tim 1,10. In writing about the way the Christian message had been communicated, Irenaeus twice modified and appropriated 1 Tim 3,15, which describes the Church as “the pillar and bulwark of the truth”. At one point, he referred to “the gospel and the Spirit of life” as the “pillar and bulwark” of the Church ;29 at another, he (and not unique to the Pastoral Letters), these passing statements may not actually be references to 1 and 2 Timothy, so they play no role in this paper. 25 AH 5.22.2 (ICF, p. 175). 26 AH 5.17.1 (ICF, p. 169). 27 AH 4.16.3 (ICF, p. 105). 28 Irenaeus, On the Apostolic Preaching, trans. J. Behr, Crestwood, NY, 1997, Sections #35 (p. 63) and #37 (p. 64). 29 AH 3.11.8 (ICF, p. 65).
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commented that at first the apostles proclaimed the gospel orally, but then, under divine direction, they “handed it down to us in the Scriptures” to serve as “the ground and pillar” of what the Church believed. 30 His reliance on an unusual phrase unmistakably lifted from the Pastoral Letters again showed that Irenaeus viewed those letters as authoritative for the Christian faith. A final consideration shows definitively that Irenaeus viewed the Pastoral Letters as genuinely authored by an apostle and as authoritative for the Church. He began Book 2 of Against Heresies by describing what he had done in Book 1 as “exposing ‘what is falsely called knowledge’”, 31 taking the wording from 1 Tim 6,20. This passage so commended itself to him that, as he started the last book, he cited the passage again, now as a designation for the entire work, identifying it as the “fifth book of this work which exposes and refutes what is falsely called knowledge”. 32 This passage was fundamentally important for Irenaeus 33: he openly utilized it to describe his magnum opus. It would have been folly in the extreme for him to appeal so directly and expansively to that passage if he had any suspicion or inkling that it was pseudonymous, since he himself had declared that only his opponents, but never the Church, had produced and relied on such works. In review of what we have considered – which includes all the extant data available from Irenaeus himself – we can see, without question, that Irenaeus viewed the Pastoral Letters as genuinely apostolic in provenance, from St. Paul. Irenaeus offered a vigorous endorsement of the Pauline authorship of the Pastoral Letters, together with an affirmation of their apostolic authority for and within the Church. The question posed earlier in this treatment, of possibly bringing together the contemporary scholarly consensus with the AH 3.1.1 (ICF, p. 55-56). AH 2.Pr.1 (ICF, p. 41). 32 AH 5.Pr. (ICF, p. 155). 33 Irenaeus cited this passage at two other places: he asserted that Simon Magus and his followers had concocted “most impious doctrines”, which were “knowledge falsely so called” (AH 1.23.4 [ANF 1, p. 348]); as pointed out above (see n. 18), Irenaeus specifically urged that the phrase came from St. Paul himself (AH 2.4.7 [ANF 1, p. 378]). 30 31
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patristic one, has definitely not been made easier by what we have found in Irenaeus. Much work still needs to be done, first of all, to set forth the contours of that patristic consensus on the Pauline authorship of the Pastoral Letters and, secondly, on how (or whether) it can be brought together with the contemporary scholarly one. 34
34 In closing this paper, I recall a comment by a New Testament professor under whom I studied nearly four decades ago during seminary training, who said that a good scholar in his field needed also to be well-versed in Ante-Nicene patristic literature. The tensions between the two consensuses noted above would suggest that such wider expertise may be recommended but is not commonly attained. Otherwise, why have no notable attempts to bring these two consensuses together appeared?
III Lieux d’interprétation
Rationalis Esca (AH 4.16.3) Manger et connaître dans l’exégèse irénéenne de Dt 8, 3 Joaquín Blas Pastor (Madrid) Dans l’œuvre d’Irénée de Lyon parvenue jusqu’à nous, notamment dans l’Adversus Haereses, on trouve deux allusions claires à Dt 8, 3, verset que l’on peut traduire ainsi, à partir du texte des LXX1 : « Et il t’a maltraité, il t’a épuisé de faim et il a mis en morceaux dans ta bouche la manne que ne connaissaient pas tes pères, afin de t’annoncer que l’homme ne vivra pas seulement de pain, mais que l’homme vivra de toute parole qui sort par la bouche de Dieu »2 et qui fait immédiatement suite, dans le livre biblique, à une remarque se rapportant à l’observation des commandements par le peuple sauvé. Le présent exposé est consacré à la première de ces deux allusions (AH 4.16.3). La deuxième allusion ne nous intéresse pas, nous la trouvons dans le livre 5, chap. 21, par. 2. Là, en suivant le parallélisme entre l’obéissance de Jésus jeûnant dans le désert et la désobéissance d’Adam qui mange dans le Paradis, l’un des piliers de l’argumentation d’Irénée est la citation de Dt 8, 3 par Matthieu : Non in pane solo vivet homo (« L’homme ne vit pas seulement de pain ») (Mt 4, 4). Cette citation ne comprend que la première partie du proverbe, sans la proposition adversative de Dt 8, 3. Irénée nous 1 Cf. La Bible d’Alexandrie. 5, trad. C. Dogniez, M. Harl, Paris, 1992, p. 169-170. 2 Καὶ ἐκάκωσέν σε καὶ ἐλιμαγχόνησέν σε καὶ ἐψώμισέν σε τὸ μάννα, ὃ οὐκ εἴδησαν οἱ πατέρες σου, ἵνα ἀναγγείλῃ σοι, ὅτι οὐκ ἐπ᾿ ἄρτῳ μόνῳ ζήσεται ὁ ἄνθρωπος, ἀλλ᾿ ἐπὶ παντὶ ρήματι τῷ ἐκπορευομένῳ διὰ στόματος Θεοῦ ζήσεται ὁ ἄνθρωπος (Septuaginta, éd. A. Rahlfs, Stuttgart, 1935, 1979, p. 301).
Irénée de Lyon et les débuts de la Bible chrétienne. Actes de la Journée du 1.VII.2014 à Lyon, sous la direction de A. Bastit et J. Verheyden, Turnhout, 2017 (Instrumenta Patristica et Mediaeualia, 77), p. 285-295 ©
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montre ainsi que, dans son exégèse, il s’intéresse moins à la nature de l’aliment pris qu’à l’action de manger, manifestation éclatante de l’humanité du Verbe. À la mise en question de sa divinité par l’Adversaire, Jésus répond d’abord par le silence, puis il le met en déroute en affirmant son humanité, révélée par la faim de celui qui jeûne en tant que vrai homme ayant besoin des fruits de la terre pour subsister. La citation complète de Dt 8, 3 se trouve au Livre 4, chap. 16, par. 3 : Non in pane solo vivet homo, sed in omni verbo Dei quod procedit de ore ejus vivet homo (« L’homme ne vivra pas de pain seulement, mais l’homme vivra de toute parole qui sort de la bouche de Dieu »). Irénée considère ici la nature de l’aliment – que la version latine appelle rationalis esca –, et nous permet d’y entrevoir la dimension nutritive de la connaissance. C’est là l’un des traits les plus caractéristiques de sa théologie. Plusieurs clés théologiques de la pensée d’Irénée de Lyon convergent, sans aucun doute, en AH 4.16.3, une pensée dont la profondeur ne devrait cesser de féconder de manière de plus en plus significative la réflexion de l’Église. Un avertissement : je ne suis pas un spécialiste de la Bible et je n’ai donc pas la prétention de contribuer par cet article à la science exégétique au sens strict. Mon but, beaucoup plus modeste, est d’analyser le contexte herméneutique de Dt 8, 3 dans la pensée d’Irénée. Cette analyse est bien sûr théologique et répond à une clé de lecture de l’Adversus Haereses à laquelle j’ai consacré ma recherche : l’herméneutique conviviale3. Le présent article se divise en deux parties, suivies d’une brève conclusion. La première est une analyse de la citation de Dt 8, 3 dans le cadre de la pensée d’Irénée telle qu’il la développe au Livre 4 de l’Adversus Haereses. Dans la seconde, je tenterai une approche systématique de l’expression rationalis esca, qu’Irénée glose par la citation littérale de Dt 8, 3. Abordons maintenant, sans autres préambules, la première partie de cet exposé : un regard sur AH 4.16.3 éclairé par son contexte.
3 Cf. J. Blas, Deo nutriente. Hermenéutica de las imágenes convivivales en la teología de Ireneo de Lyon : de la creación al milenio, Madrid, 2013.
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1. Dt 8, 3 (AH 4.16.3). La manne : nourriture d’amour et initia trice d’amitié Le Livre 4 s’adonne à la lecture de plusieurs paroles claires du Seigneur – Domini sermones – choisies en raison de leur interprétation controversée. Irénée cherche à répondre aux valentiniens et aux marcionites ; leur imprégnation hellénique les conduit à n’admettre aucune activité créatrice du Dieu suprême, Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ. La ligne maîtresse du texte d’Irénée est le mystère de l’Incarnation, dans lequel le Créateur et le Verbe manifestent leur unité et orientent l’économie propter carnem. L’exégèse de Dt 8, 3 s’inscrit dans la première partie du Livre 4 de l’Adversus Haereses qui s’achève par le chapitre 19. Le noyau dur de la doctrine de tout cet ensemble est, à mon avis, la présence ubique du Verbe, c’est-à-dire en tout lieu et à tout moment de l’économie, notamment celle qui est révélée dans l’Ancien Testament. C’est probablement au chapitre 14 que l’on trouve la manifestation la plus claire de cette clé de lecture : la chair crucifiée et glorieuse du Verbe étendue d’une extrémité à l’autre de la création et du temps. La contemplation du Verbe – et chez Irénée le ministère du Verbe est indissociable de celui de l’Esprit –, à l’origine des événements de révélation qui forment peu à peu l’économie, nous aide à découvrir celle-ci à sa source même : le placitum Patris (« le bon plaisir du Père »). Irénée, pour sa part, dans ces premières pages du livre, con temple selon diverses perspectives la présence du mystère du salut dans l’Ancienne Alliance : Jésus et la Loi, la continuité essentielle entre les deux Testaments, la révélation du Père par le Fils et vice versa, la signification du sort historique de Jérusalem, le sens de la servitude, le passage à l’amitié avec le Verbe de Dieu … Toutes ces images relèvent d’un même principe : Dieu n’a pas besoin de l’hommage des hommes ; s’il requiert leur obéissance, c’est pour pouvoir leur octroyer ses biens. Telle est la clé de lecture pour le don de la Loi à Moïse. Lorsque le peuple a oublié la liberté, et lorsque l’amour de Dieu s’est éteint à cause de l’idolâtrie de l’Égypte, il ne suffit pas de rappeler aux Israélites le Décalogue, implanté dans le coeur de leurs pères et accepté par connaturalité. Il devient nécessaire de recevoir davantage de préceptes, comme discipline de maturation et prophétie annonçant la communion vers laquelle le peuple se dirige.
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Irénée justifie les prescriptions de Moïse par l’image de l’hameçon sauveur. Au livre 4, chap. 15, par. 2, de l’Adversus Haereses, il écrit : […] per eas [observationes] salutarem Decalogi absorbentes hamum et detenti ab eo non reverterentur ad idolatriam neque apostatae fierent a Deo, sed toto corde discerent diligere eum. […] ayant grâce à elles [les prescriptions] mordu à l’hameçon sauveur du décalogue et y restant accrochés, ils ne pussent plus retourner à l’idolâtrie et se détacher de Dieu, mais apprissent à l’aimer de tout cœur.
Le Décalogue apparaît ainsi comme cet hameçon sauveur mangé par le peuple du Seigneur qui, en y restant accroché, se voit accorder la croissance et l’apprentissage de l’amour de Dieu, ne pouvant plus retomber dans l’idolâtrie. Voilà donc, dans cette image, les deux clés qui permettent à Irénée de tracer l’horizon sémantique de l’exégèse de Dt 8, 3 : la maturation et la guérison. Après cette image du hamus salutaris, Irénée revient, dans le chapitre 16, à son affirmation selon laquelle les patriarches antérieurs à l’idolâtrie de l’Égypte n’avaient pas besoin de la Loi, parce qu’elle était déjà inscrite dans leurs coeurs. Après la servitude, Dieu se manifeste de nouveau à ses créatures, leur fait entendre sa Voix – par son Verbe – et les nourrit de sa force libératrice – l’Esprit – pour qu’ils redeviennent ses disciples et ses compagnons. Dieu s’approche de son peuple en le nourrissant de la manne, qui se révèle comme le lieu privilégié du don du salut dans les jours de l’exode. Cette affirmation fait l’objet du texte que nous sommes en train d’analyser : le paragraphe 3 du chapitre 16 dans le quatrième livre de l’Adversus Haereses. Je le cite en latin suivi de sa traduction française. Il convient de lire attentivement le texte pour distinguer une nouvelle fois les deux dimensions du hamus salutaris : Affligebat indicto audientes ut non contemneret eum qui se fecit, et manna cibavit eum uti rationalem acciperet escam. Il châtia les désobéissants, afin qu’il ne méprisât pas celui qui l’a créé (première dimension : guérison) ; et il le nourrit de la manne, afin qu’il reçut un aliment spirituel (deuxième dimension : maturation).
À ce dernier aliment spirituel – esca rationalis –, Irénée juxtapose Dt 8, 3 en guise de glose. Continuons avec la citation de l’AH 4.16.3 :
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[…] quemadmodum et Moyses in Deuteronomio ait : Et cibavit te manna, quod non sciebant patres tui, uti cognoscas quoniam non in pane solo vivet homo, sed in omni verbo Dei quod procedit de ore ejus vivet homo. Selon que Moïse dit dans le Deutéronome : et il t’a nourri de la manne, que ne connaissaient pas tes pères, afin que tu saches que l’homme ne vivra pas de pain seulement, mais que l’homme vivra de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.
Le contexte postérieur à ce texte est d’une importance capitale pour en approfondir l’exégèse. Il part d’une réflexion sur la double purification qu’opère la dispositio salutis par l’intermédiaire de l’incarnation du Verbe : la purification par les préceptes et celle par les sacrifices. Irénée continue avec un traité magistral de théologie eucharistique, dont les lignes maîtresses sont encore inédites pour bon nombre de théologies sacramentaires 4. Dans les chapitres 17 et 18 de ce quatrième livre de l’Adversus Haereses, grâce à une très belle exégèse de Ml 1, 10-11, Irénée rend possible une lecture de l’économie sacrificielle où le mystère du corps et du sang du Seigneur fait mûrir et révèle la fécondité et le don reçus de la création. Ce grand ensemble du livre 4 s’achève au chapitre 19 par quelques lignes paradigmatiques : Quoniam autem magnitudinem Dei ex his quae facta sunt nemo enarrare potest, hoc omnibus manifestum est ; et quoniam magnitudo ejus non deficit, sed omnia continet et pervenit usque ad nos et nobiscum est, omnis quicumque digne Deo sapit confitebitur (AH 4.19.3). Que nul ne puisse exprimer la grandeur de Dieu qui ressort de son œuvre, c’est chose manifeste à tous ; et que cette grandeur ne connaisse pas de déclin, mais qu’elle contienne tout, qu’elle soit venue jusqu’à nous et soit avec nous, tout homme dont la pensée est digne de Dieu le reconnaîtra.
4 Cf. E. J. Kilmartin, « The Catholic Tradition of Eucharistic Theology : Towards the Third Millennium », Theological Studies, 55 (1994), p. 405-457. Il est symptomatique que, même dans les tentatives explicites pour relier l’Eucharistie avec la chair, on ne fait pas référence à la création et à sa dimension conviviale : cf. E. Falque, Les Noces de l’agneau. Essai philosophique sur le corps et l’eucharistie, Paris, 2011.
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L’architecture de toute cette pensée, comme nous venons de le voir, nous invite à regarder vers une complémentarité entre manger et connaître, où le mystère de l’Incarnation se profile de plus en plus nettement. En mangeant la manne, le peuple sort de son indigence et connaît la force de l’Esprit de Dieu. Nourri dans sa chair, il avance en pèlerin vers l’amitié – in amicitiam – avec Lui, promise pour les jours de l’Incarnation. 2. Rationalis esca : connaître le Verbe et s’en nourrir Dt 8, 3 est un passage privilégié pour comprendre le génie d’Irénée, la finesse d’une pensée sensible à l’importance de la chair et de l’histoire de l’homme dans l’économie du salut. Pour bien montrer la richesse de l’exégèse de Dt 8, 3, je considérerai brièvement trois aspects : la légitimité d’une lecture de l’expression rationalis esca comme nourriture du Logos, le rôle essentiel du temps et du progrès dans la communion avec le don de Dieu et le lien intime entre la manne et l’Eucharistie. a. Sous le prisme de la ‘nourriture du Logos’ En AH 4.16.3, 63, Irénée se sert de l’expression rationalis esca pour parler de la manne, suite à l’exégèse de Dt 8, 3, cité de manière littérale tout de suite après : … homo vivet in omni verbo Dei quod procedit de ore ejus (« l’homme vivra de toute parole qui sort de la bouche de Dieu »). En 1 Co 10, 3, saint Paul appelle la manne Πνευματικὸν βρῶμα. Irénée pourrait dépendre, ne fût-ce que du point de vue sémantique, de ce passage de Paul. Je n’ai pas l’intention d’établir des parallélismes, mais il suffit de constater la coïncidence de plusieurs lectures pour voir dans l’expression d’Irénée une possible allusion au don du Verbe (et de l’Esprit). Si on s’en tient au texte de l’Adversus Haereses, il ne semble pas facile de parvenir avec une précision absolue à l’expression originale d’Irénée, d’autant plus que l’original grec a été perdu. Toutefois, nous pouvons tenter une approche ou, au moins, une méthode de lecture permettant de légitimer une intuition de base : rationalis n’est pas seulement une allusion allégorique à la nature rationnelle de l’aliment, mais aussi une affirmation de la présence typologique du Verbe dans cet aliment. L’analyse des passages dans lesquels apparaît le terme grec traduit en latin par rationalis mène à de très faibles résultats. Sous
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sa forme originale, cet adjectif ne nous est parvenu qu’en AH 5.3.2 où rationalis traduit certainement le grec λογικός. Quant aux conclusions de l’analyse du substantif ratio, elles sont plus encourageantes. En AH 3.18.3, ce mot traduit le terme grec αἰτία, mais dans tous les autres passages il est l’équivalent de λόγος : AH 1.13.6 ; 1.14.5 ; 1.14.6 et 5.30.1. Enfin, la version grecque du Deutéronome désigne par le terme ῥῆμα la vraie nourriture de l’homme, celle qui sort de la bouche de Dieu, selon Dt 8, 3. Les différentes versions de la Septante ne présentent pas de variantes significatives à propos de ce mot ; on pourrait donc en déduire qu’Irénée connaissait aussi ce terme ῥῆμα. Les affirmations qui précèdent ne sont pas concluantes, en raison aussi de l’ampleur du champ sémantique des termes grecs λόγος et λογικός. Toutefois, les résultats obtenus sont suffisamment fiables pour permettre de soutenir que rationalis pourrait être la traduction d’un adjectif grec qui mettrait en relation la nourriture et la parole sortie de Dieu, sans identifier nécessairement celle-ci – la nourriture – avec son Verbe5. Dans l’expression rationalis esca, il est légitime d’interpréter l’adjectif rationalis en relation avec la présence typologique du Verbe dans l’aliment ; cela ne s’oppose pas à la philologie, mais une telle lecture repose plutôt sur la théologie d’Irénée. Tout don du Père implique toujours le Verbe et l’Esprit, et non seulement il se révèle efficace dans la chair de l’homme, mais c’est à partir de cette chair qu’une telle économie du Pére commence à agir et développe son action. b. La notion de l’‘assuescere’ comme clé dans la lecture irénéenne de Dt 8, 3 La théologie d’Irénée, entre autres, est fondée sur l’affirmation de l’homme en tant que créature toujours en croissance. De ce fait, on présente également un Créateur éternellement occupé à soutenir et à protéger l’oeuvre de ses mains : Deus facit, homo autem fit (AH 4.11.2). Dans l’un de ses textes paradigmatiques (AH 4.38.1), Irénée évoque l’Incarnation par l’image d’une mamelle, d’un sein, 5 On trouve une étude précise et très intéressante sur la réception et la sémantique de ces vocables dans la liturgie eucharistique primitive, en B. Botte, C. Mohrmann, L’ordinaire de la messe. Texte critique, traduction et études, Paris, Louvain, 1953, p. 117-122.
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où manger et obéir se confondent. Il esquisse ainsi la vocation de l’homme : accueillir toujours davantage et éternellement le don de Dieu. Quelques pages avant de citer Dt 8, 3, Irénée fait allusion au temps de l’Ancien Testament par ces paroles : prophetas vero praestruebat, in terra assuescens hominem portare ejus Spiritum et communionem habere cum Deo (AH 4.14.2). préparait les prophètes, pour habituer l’homme, sur la terre, à porter son Esprit et à posséder la communion avec Dieu.
L’Évêque de Lyon pénètre ainsi dans le mystère de l’Incarnation. Rien à voir avec le docétisme ! L’homme doit s’habituer, doit grandir, doit mûrir jusqu’à pouvoir porter sans peine l’Esprit de Dieu et accueillir la communion avec Lui. Dans la perspective de l’assuescere, on peut comprendre Dt 8, 3 comme la présence nourricière du Verbe dans les jours qui précèdent l’Incarnation. Ce n’est pas là, au sens propre, une communion dans la chair, car celle-ci n’a pas encore suffisamment mûri pour pouvoir accueillir le Verbe et porter l’Esprit de Dieu. On peut parler, en revanche, d’un don reçu propter carnem. La manne nourrit le peuple avec une efficacité qui va au-delà de la simple nourriture matérielle, en lui permettant d’accepter et de comprendre les voies de la dispositio salutis tracées par le Père et en lui faisant goûter dans l’espérance les fruits de la terre promise. c. La théologie eucharistique d’Irénée dans son herméneutique de Dt 8, 3 Comme je l’ai déjà souligné, l’exégèse irénéenne de Dt 8, 3, en AH 4.16.3, est suivie d’une lecture très précise de l’économie sacrificielle sous l’angle de l’Eucharistie. D’une façon nouvelle, Irénée relie ici le commandement de sacrifier à Dieu à la gratitude primitive de la création et à la pureté de l’oblation de l’Église. L’un des fondements les plus élaborés et les plus suggestifs de la théologie eucharistique d’Irénée est la présence de la création dans le mystère de l’Eucharistie et vice versa. Cette ‘clé’ théologique apparaît très souvent dans plusieurs passages eucharistiques de l’Adversus Haereses (AH 3.11.5 ; 4.17.5 ; 4.18.5 ; 5.2.2). La manne vient du ciel, mais en quelque sorte elle féconde la terre, en régénérant les hommes dans la gratitude et la conscience
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de la présence de Dieu dans les fruits de cette terre. Ce sont là des traits bien réels et fréquents dans l’herméneutique eucharistique d’Irénée. Mais c’est sans doute dans la théologie sacrificielle d’Irénée que se manifeste de la façon la plus claire le lien entre la manne et l’Eucharistie. Cette théologie montre bien, en effet, que l’Ecclesiae oblatio offerte par obéissance au commandement du Seigneur sur toute l’étendue du temps et de la terre est le seul sacrifice pur et agréable à Dieu, où la réponse reconnaissante de la création parvient véritablement jusqu’au Créateur. Toutefois, l’Eucharistie ne fait pas irruption ex abrupto dans l’histoire ; elle jaillit de la gratitude imprimée par l’Artisan à son oeuvre, puis façonnée, guidée et préparée durant une longue étape de l’économie : les jours de l’Ancienne Alliance. La communion avec Dieu se réalise toujours par la médiation de son Verbe qui, inséparable de l’Esprit, est présent, sous plusieurs formes, parmi toutes les étapes de l’histoire du salut. Le type, la figure et l’ombre de l’Eucharistie se dessinent sur les préceptes de la Première Alliance ; ces traits ne sont pas arbitraires, mais ils sont conformes à l’image de la Vérité éternelle et infinie. Ils en anticipent la réalité et la font goûter, en tant que promesse, dans l’espace et le temps préalables à l’Incarnation. La manne est, selon Irénée, cette nourriture inséparable des préceptes médicinaux de la Loi qui engendre, chez ceux qui y goûtent, la mémoire et la connaissance du Créateur et de ses bienfaits ainsi que la force pour le suivre. La liberté du Verbe, mystérieusement présent dans la manne, s’insinue dans l’obéissance que l’esca rationalis commence à susciter chez le peuple de l’Alliance. Conclusion Ma première approche du quatrième livre de l’Adversus Haereses était axée sur la riche théologie eucharistique de ce texte. Irénée, en effet, y relie magistralement le mystère de l’Eucharistie et l’économie sacrificielle de l’Ancient Testament, en traçant ainsi un net horizon herméneutique où l’histoire du salut s’ouvre à une lecture à la fois féconde et suggestive. Les lignes qui précèdent sont un développement minutieux et paradigmatique de cette clé d’interprétation. C’est pourquoi j’ai
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abordé la lecture de Dt 8, 3 dans un contexte sémantique bien déterminé : la première partie du quatrième livre de l’Adversus Haereses. Le but initial de notre recherche était de montrer la relation intime et indissoluble entre manger et connaître dans la communion de la créature avec le don de son Créateur. Comme c’est souvent le cas lorsqu’on étudie Irénée, l’analyse va largement au-delà de ce que le chercheur attendait au départ. Irénée glose le don de Dieu dans le désert par le logion de Dt 8, 3, une note concise et brève, mais incisive. L’évêque témoigne ainsi tant de la présence typologique du Verbe incarné dans le don de la manne au peuple d’Israël que de l’efficacité singulière de ce don sur la chair de ceux qui marchent vers la terre promise. Être nourri et être illuminé, manger et obéir se révèlent chez Irénée comme autant de dimensions indissociables respectivement du don de Dieu et de son accueil. L’entière dépendance entre se nourrir du don de Dieu et le connaître fait référence à la fécondité première du Verbe incarné dans la création et dans l’histoire. Le Père nous prépare au salut, sa Voix nous instruit et nous accompagne, sa Force nous soutient. Mais c’est dans notre libre accueil de ses chemins que s’ourdit la trame de l’histoire du salut. Celle-ci a eu son Égypte, où l’homme avait oublié l’amour et éteint toute flamme qui brûlait encore en lui ; Dieu délivre alors son peuple captif, lui fait entendre sa Voix, l’arrache au mal avec sa Force et le nourrit de la manne. Le cheminement de l’homme se poursuit, mais le dialogue ne s’interrompt pas et la nourriture ne lui manque pas ; bien au contraire, les choses du ciel deviennent terrestres et l’avenir se rapproche. Découpé sur cet horizon, le mystère eucharistique dessine sa triple dimension : parole, nourriture et engagement dans la justice. L’exégèse irénéenne de Dt 8, 3 n’a rien d’une allégorie qui assimilerait le don de la manne à celui de la seule connaissance intellectuelle. Irénée ne fait pas allusion non plus à un miracle d’ordre physique, purement intra-historique et circonstanciel. La dimension invisible est présente dans le don de la manne, mais pas indépendamment de son efficacité nutritionnelle sur la chair des enfants d’Israël ; elle est là précisément en raison de cette efficacité. Cet ample tour d’horizon qui permet de contempler AH 4.16.3 inséré dans son contexte d’origine, aide considérablement à ne pas ignorer la profondeur de l’exégèse d’Irénée. Le contexte eucharis-
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tico-sacrificiel ainsi que la lecture de l’histoire du salut à partir de la liberté de l’homme sont essentiels pour mesurer la portée de l’exégèse irénéenne de Dt 8, 3. L’Évêque de Lyon décrit la manne avec l’expression rationalis esca. Rationalis peut se lire non seulement comme un adjectif qui détermine la nature rationnelle de l’aliment, mais il légitime aussi sa lecture comme nourriture du Logos, ce qui est plus conforme à la théologie d’Irénée. De nombreuses clés théologiques d’Irénée sont à l’origine de notre choix herméneutique pour cette deuxième interprétation, notamment la présence de l’Eucharistie dans la création et la nécessité de s’habituer, c’est-à-dire de se préparer historiquement à l’Incarnation. Irénée est le théologien de la communion, de l’unité et de la symphonie. Son système, en dépit de sa rude austérité, est magistralement construit et jouit d’une cohérence exemplaire. L’exégèse du don de la manne révèle également cette clé unitaire. Création et histoire, cosmos et amour, nécessité et liberté sont contemplés dans la perspective unique du mystère de la chair de Dieu.
Il Salmo 21 (LXX) nell’esegesi di Ireneo di Lione Maurizio Girolami (Padova) 1. Premessa a. L’eredità dei primi testi cristiani Le prime attestazioni circa l’uso del Sal 21 ricorrono nei primi testi cristiani denominati poi Nuovo Testamento. Dai quattro evangelisti canonici viene ricordato Sal 21, 19, citato dal Quarto Evangelista e alluso dai sinottici, nella scena della crocifissione; Sal 21, 2, secondo Matteo e Marco, è pronunciato da Gesù stesso in croce; secondo Eb 2, 12 Cristo risorto proclama all’assemblea dei fratelli la sua presenza con le parole di Sal 21, 23. La presenza di alcuni versetti di questo salmo nel racconto della crocifissione del Nazareno stimolano a ricercare il perché i primi autori cristiani abbiano scelto questo testo – assieme ad altri salmi chiamati della passione – per descrivere il fatto fondamentale della fede cristiana. Se l’uso del salmo è legato al metodo apostolico espresso dal kerygma di 1 Cor 15, 3, secondo il quale la morte e la risurrezione di Cristo avviene ‘secondo le Scritture’, l’indagine storica tiene desta l’attenzione anche sulla metodologia esegetica applicata dai primi cristiani alla Scrittura giudaica, nella convinzione che tali primi tentativi sono la fondazione di metodi esegetici applicati e sviluppati successivamente dagli autori cristiani dei primi secoli. Per quanto riguarda i testi neotestamentari, le espressioni riportate non dimostrano preoccupazione nella precisione della citazione o nel considerare il genere letterario del salmo in quanto tale; piuttosto gli autori cristiani si limitano a prendere quanto essi ritengono più utile per lo sviluppo della loro narrazione. Non è il contesto di partenza del salmo, insomma, a guidare la lettura della Scrittura giudaica, dalla quale, invece, essi Irénée de Lyon et les débuts de la Bible chrétienne. Actes de la Journée du 1.VII.2014 à Lyon, sous la direction de A. Bastit et J. Verheyden, Turnhout, 2017 (Instrumenta Patristica et Mediaeualia, 77), p. 297-318 ©
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ricavano parole ed espressioni come elementi costitutivi di un’altra narrazione che offre altri significati. Si può notare, però, che la convinzione manifestata da questi autori è che tutta la Scrittura è ‘profetica’ in ordine a Cristo e perciò trova suo compimento nei fatti e nella persona di Gesù stesso, come attestano le varie formule di introduzione alle citazioni scritturistiche. Se il Quarto Evangelista utilizza quello che verrà astrattamente chiamato lo schema ‘profezia-adempimento’1, nell’uso che Matteo e Marco fanno di Sal 21, 2, a causa dell’assenza di formule introduttive e soprattutto della evidente identificazione che viene messa in atto tra parole della Scrittura e parole di Gesù, viene superato ogni schema di tipo temporale tra un prima e un dopo, andando ben oltre quello che, semplificando, si può chiamare metodo tipologico o profetico. Le parole del salmista sono le stesse parole di Gesù e non vengono pronunciate per compire la profezia di quel testo, ma per esprimerne invece la sua validità in quel momento. Tale differenza di approcci porta a dover concludere, ragionevolmente, che, come non vi è un’unica tecnica per rifarsi all’AT così non vi sia neanche un unico orizzonte ermeneutico. La diversità di accostamento ai testi veterotestamentari permette tuttavia di raccogliere due elementi comuni: le citazioni non vengono strappate al loro senso letterale2 e, inoltre sono sempre riferite alla persona di Cristo, stabilendo così un circolo ermeneutico tra Cristo e la Scrittura, senza trascurare il fatto che Gesù, morendo in croce con le parole della Scrittura, assegna a quest’ultima un posto privilegiato per la preghiera. Dunque, non solo Gesù ha usato per il suo insegnamento parole della Scrittura, ma le ha usate e ha 1 Sul rapporto circolare tra Cristo e le Scritture si veda V. Fusco, La Scrittura nella tradizione sinottica e negli Atti, in La Bibbia nell’antichità cristiana. I. Da Gesù a Origene, a cura di E. Norelli, Bologna, 1993, p. 143. Non è del tutto condivisibile il concetto di circolarità se questo esclude l’ineludibile superiorità che gli autori dei testi del NT danno a Cristo rispetto alla Scrittura. 2 L’espressione ‘senso letterale’ potrebbe indicare l’odierno concetto di ‘senso originario’, cioè il senso che l’autore umano intendeva dare al suo scritto (cfr. Dei Verbum 11). Ma gli antichi non avevano tale senso, almeno fino ad Agostino (cfr. De Doctrina Christiana 1.36.40–37.41). Per gli alessandrini (Filone, Clemente, Origene) contava unicamente l’autore divino: la Scrittura ha un senso immediato (cfr. πρόχειρον) che nasconde – e qui la fatica dell’esegesi – un senso nascosto e vero da scoprire: cfr. Origenes, De Principiis 4.2.4.
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insegnato ad usarle in ordine alla comprensione della sua persona. Questo carattere ‘personale’3 dell’uso dell’AT orienterà la ricerca esegetica dei Padri a cercare in tutto l’Antico Testamento profezie di Cristo, favorendo così il metodo esegetico, caratterizzante il secondo secolo, chiamato tipologico. b. L’esegesi di Giustino Giustino, superando l’approccio di Clemente e dello Pseudo-Barnaba, offre due importanti elementi nel panorama esegetico dei primi secoli: il primo è il senso profetico della lettera di tutto l’Antico Testamento, non solo di frammenti, dove per profetico si deve intendere cristologico: egli identifica il senso letterale con lo stesso significato cristologico; un secondo elemento di novità riguarda il commento quasi integrale al Sal 21 di cui tratta nel Dialogo con il giudeo Trifone (97–106). Non è corretto considerare questa sezione del Dialogo come il primo commentario cristiano ad un testo dell’AT, sullo stile dei commentari composti poi da Origene. Secondo Giustino le parole della Scrittura giudaica possono essere lette solo e unicamente come profezia di Cristo, il quale, secondo la visione del filosofo e martire, non è solo il Maestro di Nazaret e il Figlio di Dio, ma è il Logos stesso incarnato che agisce e parla nella Scrittura e nella storia. Come afferma Rondeau, tra i cristiani è Giustino che inaugura una nuova tappa dell’esegesi e della teologia con la formula ἐκ προσώπου, espressione che, permettendo l’identificazione del locutore nei testi scritturistici, si costituisce come nuovo metodo di interpretazione, fondata non sulla storia come legame tra promessa e compimento, ma sull’analisi letteraria4. Infatti, nello spiegare il Sal 21, dimostra di non avere gli strumenti necessari per applicare ogni frase alla storia della passione, infatti non fa che menzionare le ‘memorie degli apostoli’5, rimandando in continuazione a episodi della vita di Cristo. 3 Con l’aggettivo ‘personale’ si intende mettere in evidenza la dimensione prosopologica dei passi veterotestamentari pronunciati da Gesù. La questione, per quanto riguarda il NT, è solo introdotta da M. J. Rondeau, Les Commentaires patristiques du Psautier (iiie-ve siècles), vol. II. Exégèse prosopologique et théologique, Roma, 1985, p. 21-24 e 97-98. 4 Cfr. ibid., p. 23. 5 Si vedano: L. Abramowski, « Die ‘Erinnerungen der Apostel’ bei Justinus », in Das Evangelium und die Evangelien, a cura di P. Stuhlmacher,
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Seguendo l’intuizione ancor valida di Daniélou6, possiamo affermare che il naplutense richiama i testi dell’AT per arricchire di dettagli i racconti evangelici della passione. Infatti egli non si preoccupa di richiamarsi se non alla storia di Cristo, come unico dato a cui si riferiscono i testi sia dell’AT che del NT. Ed è in nome di questa ‘storia’ del Verbo incarnato, che egli recupera le storie dell’AT e le storie dei greci7, individuando nel momento dell’Incarnazione il punto massimo di continue e progressive rivelazioni del Logos. Si può affermare che l’unica esegesi che Giustino riconosce è quella storica, sapendo che l’unica ‘storia’ degna di questo nome, perché rivelatrice e comunicatrice, è quella di Cristo. Il caso del Sal 21, studiato nella sezione di Dial 98–106, rimane dunque tradizionale nella sua ermeneutica fondamentale, ma porta con sé anche la novità di far coincidere la presentazione dei misteri di Cristo con l’ordine del testo del salmo, perché Cristo-Logos aveva parlato in quei testi. 2. Ireneo e il Sal 21 (LXX) 8 Le citazioni e allusioni al Sal 21 (LXX) consentono di prendere contatto con alcuni snodi fondamentali dell’opera di Ireneo. Biblia Patristica segnala ben dieci referenze al salmo: AH 1.8.2 (Sal 21, 2a); AH 1.24.1 (Sal 21, 7a); AH 3.19.2 (Sal 21, 7b e 16c); AH 4.20.8 (Sal 21, 16c); AH 4.33.12 (Sal 21, 7b.8.16c.19ab); AH 5.7.1 (Sal 21, 30c)9. Per quanto riguarda Demonstratio invece vengono segna Tübingen, 1983, p. 341-353; F. Aragione, « Justin, ‘philosophe’ chrétien, et les Mémoires des Apôtres qui sont appelés Évangiles », Apocrypha, 15 (2004), p. 41-56. 6 J. Daniélou, « Le psaume 21 et le mystère de la passion », in Id., Études d’exégèse judéo-chrétienne, Paris, 1966, p. 32-33. 7 Assicurando al Logos il principale posto nella storia, egli ha garantito così anche il criterio dell’antichità, che è segno di verità: C. Moreschini, Storia della filosofia patristica, Brescia, 2004, p. 68. I greci, di conseguenza, hanno ‘rubato’ alla sapienza più antica di Mosè. L’idea del ‘furto’, già presente in Filone, è chiaramente espressa da Clemens Alexandrinus, Strom 6.2.4ss. 8 Il contributo è una sintesi aggiornata di M. Girolami, La recezione del Salmo 21 (LXX) agli inizi dell’era cristiana. Cristologia ed ermeneutica biblica in costruzione, Roma, 2011 (SEAug, 121), p. 286-316. 9 Per i primi tre libri dell’Adversus Haereses, Biblia Patristica prende le citazioni da Sancti Irenaei, Libros quinque Adversus Hæreses. Textu graeco in locis
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late quattro citazioni tutte contenute nei brevi paragrafi 79–80 dell’opera: Sal 21, 15c.17.21a.18b-19. Si studierà la citazione/allusione nel suo contesto prossimo per mettere in evidenza i significati attribuiti al riferimento scritturistico. Va premesso che, se Ireneo riesce sul piano logico e teologico a bandire ogni forma di dualismo, dal punto di vista della tecnica esegetica egli rimane ancora nell’alveo tradizionale di quanti si accostano alla Scrittura come ad un ‘tesoro dal quale si trae cose nuove e cose antiche’ (cfr. Mt 13, 52 in AH 4.9.1 e 4.26.1), indicando con questo, un atteggiamento esegetico non ancora pronto a discutere, come farà Origene, la materialità del testo e le incongruenze di significato. Bisogna considerare anche che la pole mica contro gli gnostici, che per primi hanno posto il problema del linguaggio in teologia e quindi in esegesi10, porta Ireneo ad argomentare continuamente con il testo scritturistico, ritenendolo la fonte di autorità indiscussa. Bisogna ulteriormente notare, sulla base dell’impostazione dell’Adversus Haereses, che criterio di verità e di autenticità per Ireneo non è il testo in quanto tale, come già ‘canonizzato’ dal riconoscimento ecclesiale pubblico, ma è la sua origine cristologica e apostolica: infatti pur affermando il principio di unità dei due testamenti11, Ireneo nel 3 libro si appella alla tranonnullis locupletato, versione latina cum codicibus claromontano ac arundeliano denuo collata, præmissa de placitis gnosticorum prolusione, fragmenta necnon græce, syriace, armeniace, commentatione perpetua et indicibus variis. Tom. I-II, a cura di W. W. Harvey, Cambridge, 1857, mentre per i libri IV-V da SC, 100/1-2 e SC, 152-153. 10 J. Fantino, La théologie d’Irénée. Lecture des Écritures en réponse à l’exégèse gnostique. Une approche trinitaire, Paris, 1994, p. 159: « les valentiniens furent les premiers à poser explicitement la question du language utilisé en théologie ». 11 Si deve notare che di per sé non è mai affermato esplicitamente che AT e NT sono uguali, ma il NT o ‘nuova alleanza’ si trova sempre in uno stadio di progresso avanzato e superiore rispetto alle profezie dell’AT: cfr. AH 4.9.3; 4.28.2. Per questo risulta fondamentale il concetto di ‘ricapitolazione’ che dev’essere inteso, come nota giustamente A. Houssiau, La christologie de Saint Irénée, Louvain, 1955, p. 223, come un « ‘répéter’, mais la ‘répetition’ est l’accomplissement des figures ». Si veda oltre a Dem 37, il testo di AH 4.20.8. Si veda E. Osborn, « The Logic of Recapitulation », in Pléroma. Salus carnis. Homenaje a Antonio Orbe S.J., a cura di E. Romero-Pose, Santiago de Compostela, 1990, p. 321-335. Id., Irenaeus of Lyons, Cambridge, 2001, p. 97-142.
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dizione apostolica e nel 4 a quella diretta di Gesù, riaffermando l’assoluta priorità del criterio cristologico sulla concezione unitaria della Scrittura. È la persona di Cristo come oggetto della memoria apostolica e come soggetto locutore a dettare le regole perché i credenti rimangano nel ‘corpo della verità’12 . 3. Adversus Haereses 1.8.2 (Sal 21, 2) Nel primo libro Ireneo, presentando le dottrine gnostiche, espone il sistema degli ‘eoni’ e il loro rapporto con il mondo. La prima citazione del Sal 21 che troviamo non è propriamente di Ireneo, ma è riportata da lui come ricavata da testi gnostici. Infatti la citazione di Sal 21, 213 sostiene la spiegazione del momento in cui Sophia, l’ultimo dei trenta eoni del Pleroma divino, si trova abbandonata dalla luce e, trattenuta dal Limite/Croce, lascia andare, fuori dal Pleroma, Achamoth, sapienza inferiore soggetta alle passioni. La citazione di per sé coincide con il testo della versione marciana (la forma θεός e εἰς τί), sia per la sua forma testuale (manca il πρόσχες μοι dei LXX), che per la situazione menzionata, cioè la croce. Dopo aver spiegato in forma sintetica la dottrina di Tolomeo, in AH 1.8.1, Ireneo inizia a enumerare le prove bibliche del pensiero gnostico: Ecco poi gli argomenti tratti dalle Scritture che cercano di applicare alle cose accadute fuori del Pleroma: il Signore è venuto a patire negli ultimi tempi del mondo per mostrare la passione che
L’espressione ‘corpo della verità’ non sembra essere più ripresa nella letteratura cristiana posteriore; con Clemente (Strom 6.132.2-3) invece emerge l’espressione ‘corpo delle Scritture’. Si veda A. van den Hoek, « The Concept of σῶμα τῶν γραφῶν in Alexandrian Theology », in Historica, Theologica, Gnostica, Biblica et Apocrypha, a cura di E. A. Livingstone, Leuven, 1989 (SP, 19), p. 250-254. 13 Si deve notare che il testo latino (SC, 264, p. 118) dice: « Deus meus, Deus meus, ut quid me dereliquisti? », che corrisponde più a Mc 15, 34 che non al testo di Sal 21, 2 (LXX), a causa della mancanza di πρόσχες μοι. La traduzione italiana di E. Bellini ha tralasciato inspiegabilmente la ripetizione dell’invocazione. Inoltre egli rimanda a Mt 27, 46 e non a Mc 15, 34; ma seguendo da vicino il testo greco nel frammento tramandato da Epiphanius, Panarion 31.9-32, sembra che sia più la versione marciana (θεός e εἰς τί) ad essere fonte di Ireneo, che non Matteo (θεε μου e ἱνατί). 12
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aveva preso l’ultimo degli Eoni, e con questa fine ha fatto vedere la fine dell’attività intorno agli Eoni14.
Poi allude al testo di Lc 8, 41-56 per spiegare con la figura della fanciulla di dodici anni (il dodicesimo eone), Achamoth, formata e guidata da Cristo alla percezione di essere stata abbandonata dalla potenza divina; poi usa l’immagine dell’aborto di 1 Cor 15, 8 per parlare di Achamoth estromessa dal Pleroma divino; prosegue con l’immagine del velo di 1 Cor 11, 10 per indicare sempre Achamoth che si è coperta il viso, rivelato da Mosè (cfr. 2 Cor 3, 13 con Es 34, 34). Poi riprende il testo: Il Signore, poi, ha rivelato sulla croce le passioni cui essa fu soggetta: infatti con le parole: ‘Dio mio, perché mi hai abbandonato’? (cfr. Mt 27, 4615) ha indicato che Sophia fu abbandonata dalla luce e fu impedita dal Limite dall’andare avanti; il suo dolore con le parole: ‘la mia anima è grandemente afflitta’ (cfr. Mt 26, 38); il timore con le parole: ‘Padre, se è possibile, passi da me il calice’ (cfr. Mt 26, 39); il disagio infine nelle parole: ‘non ho che dire’ (cfr. Gv 12, 27).
Ireneo ci fornisce i testi scritturistici che venivano utilizzati dagli gnostici come prove di appoggio al loro sistema teologico. Tutti i riferimenti sono legati alla raccolta neotestamentaria, molto coerente con l’esegesi gnostica, che ha fatto dei primi testi cristiani la ‘Scrittura’ in assoluto. Su questo campo di battaglia – l’esegesi del NT –, Ireneo mette alla prova il suo genio teologico, cercando di avvalorare, con l’autorità del NT, anche i testi dell’AT, considerati dagli gnostici come frutto di una rivelazione inferiore. Questa constatazione fa concludere che, almeno in questo testo, l’espressione riportata da Mc 15, 34 sia attinta direttamente dai testi evangelici e non tanto dal testo veterotestamentario di Sal 21. Si deve anche notare che la situazione di ‘croce’ non è certo quella descritta nei racconti della passione. È piuttosto una crocifissione che estende sul piano cosmico e sul piano divino, l’evento del Golgota, annullandone la sua consistenza storica. Infatti, seguendo la prassi linguistica tipicamente gnostica di legare a cop14 Le traduzioni italiane sono tratte da Ireneo di Lione, Contro le eresie e gli altri scritti, a cura di E. Bellini, e per la nuova edizione G. Maschio, Milano, 21997. 15 Vedi n. 6.
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pie le parole (in sizigie: maschile e femminile), alla parola σταυρός viene collegata la parola ὅρος, che spiega la Croce come Limite, oltre il quale Sophia non è potuta andare e oltre il quale la sapienza inferiore Achamatoh, abbandonata dalla luce del Cristo, è stata lasciata preda delle passioni, che vengono elencate come taedium, timor, consternatio, e tutte e tre corroborate da una citazione neotestamentaria tratta dai racconti della passione. La situazione di abbandono16 del crocifisso dunque non ha più lo spessore storico della morte di Cristo, ma diventa un elemento che consolida, da una parte, il Pleroma divino, impedendo che l’ultimo eone, Sophia, esca da esso ed entri nel cosmo disperdendosi, e, dall’altra, separa come un confine le passioni – dolore, timore e disagio – dal mondo numericamente perfetto (i 30 eoni) del Pleroma17. Il trasporto del significato letterale dei versetti evangelici ad una situazione ‘mitologica’, pur non sconfessando la realtà storica della croce di Cristo, che mai è negata, estende il senso soteriologico non tanto al mondo umano, ma al mondo divino: la croce/limite ha ‘salvato’ il Pleroma dall’uscire da sé, evitandogli di rimanere prigioniero delle passioni materiali. Il pensiero dualista, tipicamente gnostico, non riesce a coordinare in unità Dio e mondo, storia e salvezza; il mondo divino rimane estraneo al mondo della materia, e la croce, nella dottrina gnostica, diventa il limite che impedisce al divino di snaturarsi. Il riferimento a Sal 21, 2, recepito attraverso Mc 15, 34, e gli altri versetti evangelici, dunque, dimostrano come i ‘misteri’ della passione e morte di Cristo divengano materiale utilizzato dagli gnostici per rileggere in chiave cosmologica e teogonica l’incolmabile distanza tra mondo divino e mondo umano, e per esprimere il fatto che anche il mondo divino ha avuto un male dentro di sé. Ireneo, che riceve una tradizione esegetica neotestamentaria non 16 Il tema dell’abbandono di Gesù è studiato da A. Orbe, Cristología gnóstica: Introducción a la soteriología de los siglos II y III, t. 1, Madrid, 1976 (BAC, 384-385), p. 224-262. 17 Si veda D. Wanke, Das Kreuz Christi bei Irenäeus von Lyon, Berlin, New York, 2000, spec. p. 16-29. Per la descrizione di Sophia e Oros si veda D. Voorgang, Die Passion Jesu und Christi in der Gnosis, Frankfurt am Main, Bern, New York, Paris, 1991, p. 50-52. Per l’aspetto esegetico si veda J.-M. Prieur, La croix dans la littérature chrétienne des premiers siècles, Bern, 2006, p. 31.
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difforme da quella usata dagli gnostici – cioè servirsi di ciò che è utile, trascurando il contesto di partenza –, si sforza di ricollocare i versetti evangelici nel loro contesto proprio, non tanto facendo riferimento al contesto letterario, quanto alla akolouthia dei misteri di Cristo, senza perdere di vista l’unico piano di salvezza attuato dall’unico e medesimo Dio a beneficio dell’unico uomo. Tuttavia si deve notare che il confronto rimane su un piano teologico, preoccupato più della consonanza cristologica dei contenuti, che non un vero dibattito sulla pertinenza e autorevolezza del testo. Non era infatti la lettera del testo a creare difficoltà, ma il suo contesto di significato, per cui gli stessi testi potevano assumere contenuti completamente diversi, a seconda della sensibilità del lettore. 4. Adversus Haereses 1.24.1 (Sal 21, 7?) Di fatto non si tratta di una citazione e neanche di un’allusione. L’unico termine di contatto è la parola ‘verme’18, usata dallo gnostico Saturnino nel trattare della creazione dell’uomo per mano degli angeli. L’immagine del verme, che si agita e non è capace di stare in piedi19, e che attende l’intervento della superiore potenza per mettersi in posizione eretta, non ha nulla a che vedere né con il contesto letterario del salmo, che sottolinea il senso di vituperio, né al disprezzo del crocifisso – Sal 21, 7 è infatti assente nei racconti evangelici –, né alla positiva trasformazione che il verme può subire nel diventare fenice, come dice il De Origine Mundi20. SC, 264, p. 322: vermiculus. La retroversione greca parla di σκώληξ. Sul tema della postura eretta che denota l’assistenza interrotta della divinità, si veda Orbe, Cristología gnóstica, t. 1, p. 228-229. La stessa idea della creazione dell’uomo da parte di angeli come di un verme, non capace di stare in piedi, si trova in Tertullianus, De Anima 23.1 (cfr. Corpus Christianorum. Series Latina, 2, p. 815 ll. 4-5). 20 Cfr. De Origine Mundi 122.27-28. Si veda L’Écrit sans titre. Traité sur l’origine du monde (NH II,5 et XIII,2 et Brit. Lib Or. 4926[1]), a cura di L. Painchaud, Louvain, Paris, 1995, e L. Painchaud, « Deux citations vétéro-testamentaires dans l’écrit sans titre (NH II,5): Sal 22,7, 92,13 et Is 41,25 », Le Muséon, 98 (1985), p. 83-94. L’immagine del verme nel contesto creazionista sarà ripreso invece nel III sec. dall’autore dell’Elenchos: cfr. Elenchos 7.28.3, dove riporta la dottrina di Saturnino, come Ireneo, e anche Elenchos 10.34.2. Per l’interpretazione cristologica invece si veda Origene in D. A. Bertrand, 18 19
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5. Adversus Haereses 3.19.2 (Sal 21, 7b.16c) Il libro 3 di Adversus Haereses ha lo scopo di confermare la verità del vangelo che si riassume nella professione di fede nell’unico e medesimo Dio (3.6.1–15.3) e nell’unico e medesimo Cristo (3.16.1– 23.8). I due riferimenti al Sal 21 si trovano in questa seconda parte dedicata alla dimostrazione della verità dell’incarnazione del Verbo di Dio in Cristo Gesù. Vediamo il testo di 3.19.2 21: perciò ‘la sua generazione chi la racconterà?’ (cfr. Is 53, 8). Perché ‘è uomo, e chi lo conoscerà?’ (cfr. Ger 17, 9). Lo conosce colui al quale l’ha rivelato il Padre che è nei cieli, affinché capisca che il Figlio dell’uomo, ‘che non è nato né dalla volontà della carne né dalla volontà dell’uomo’ (cfr. Gv 1, 13), è Gesù Cristo, il Figlio del Dio vivo (cfr. Mt 16, 16). Che tra i figli di Adamo nessuno è chiamato Dio o Signore in senso assoluto, in se stesso, lo abbiamo dimostrato a partire dalle Scritture (cfr. 3.6–8); ma che egli, a differenza di tutti gli altri uomini che esistettero allora, è proclamato in senso vero e proprio Dio, Signore, Re eterno, Unigenito e Verbo incarnato da tutti i profeti, dagli apostoli e dallo Spirito stesso, lo possono vedere tutti coloro che hanno raggiunto la verità, sia pure in piccola misura. Ora le Scritture non attesterebbero tutto questo di lui, se fosse stato soltanto un uomo come tutti gli altri. Ma poiché a differenza di tutti gli altri, aveva in sé la gloriosa generazione (cfr. Is 53, 8) che gli deriva dal Padre Altissimo, e poiché ha ricevuto anche la gloriosa nascita che gli deriva dalla Vergine (cfr. Is 7, 14), le divine Scritture attestano di lui l’una e l’altra cosa: che è uomo senza bellezza e soggetto al dolore (cfr. Is 53, 2-3), seduto su un figlio dell’asina (cfr. Zac 9, 9), abbeverato di aceto e di file (cfr. Sal 68, 22), egli che era disprezzato nel popolo e scese fino alla morte (cfr. Sal 21, 7.16); e, d’altra parte, che è « Le Christ comme ver. À propos du Psaume 22 (21), 7 », in Le Psautier chez les Pères, Strasbourg, 1994, p. 221-234. 21 Manca il testo greco di riferimento; quello che si trova è la retroversione degli editori di SC, 211 che recita: ἐξουθενούμενός τε ἐν τῷ λαῷ καὶ μέχρι θανάτου καταβαίνων, rifacendosi solo parzialmente al testo del Sal che invece recita: v. 7: ἐξουδένημα λαοῦ e v. 16: εἰς χοῦν θανάτου κατήγαγές με. Il testo latino invece dice: SC, 211, p. 378: et quoniam homo indecorus et passibilis, et super pullum asinae sedens, aceto et felle potatus, et spernebatur in populo, et usque ad mortem discendit, et quoniam Dominus sanctus, et mirabilis Consiliarius, et decorus specie, et Deus fortis, super nubes veniens universorum Iudex: omnia de eo Scripturae prophetabant. L’edizione curata da F. Sagnard per AH 3, Paris, 1952 (SC, 34), non segnala la citazione di Sal 21.
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Signore santo, Consigliere mirabile (cfr. Is 9, 5), bello di aspetto (cfr. Sal 44, 3) e Dio forte (cfr. Is 9, 5), che viene sopra le nubi, come giudice di tutto (cfr. Dn 7, 13.26). E le Scritture profetavano di lui tutte queste cose.
Si deve notare che nell’ultima parte del testo, le allusioni sono tutte implicite. Il tema generale è la dimostrazione dell’unico e identico Cristo, attraverso prove scritturistiche che attestano sia la generatio del Verbo da parte del Padre che la genitura del Cristo da parte della Vergine. La doppia ‘generazione’ non impedisce a Ireneo di riferire i passi allo stesso e medesimo Cristo Verbo di Dio, contrariamente agli gnostici che li applicano ora a Gesù ora al Cristo, come fossero due persone. Le allusioni scritturistiche però sono questa volta tutte tratte dall’AT, affermandone il valore profetico. Infatti, dal punto di vista ermeneutico risulta capitale quanto dice Ireneo alla fine: « le Scritture profetavano di lui tutte queste cose », e poco prima aveva introdotto le allusioni alle Scritture22 dicendo che « egli (Cristo)… è proclamato in senso vero e proprio Dio, Signore, Re eterno, Unigenito e Verbo incarnato da tutti i profeti, dagli apostoli e dello Spirito stesso », assicurando così la medesima autorità profetica allo Spirito, agli apostoli e ai profeti, ritenuti partecipi già del mistero di Cristo23. Ireneo, come Giustino (cfr. Dial 87), considera l’AT come raccolta di oracoli detti dai profeti, che partecipano dello stesso spirito di Cristo e di lui parlano e annunciano l’incarnazione. Le allusioni a Sal 21 sono, dunque, interpretate cristologicamente. Va notato che, per la prima volta, Ireneo, con l’ausilio di Sal 21, 16c parla della morte Wanke, Das Kreuz Christi bei Irenäeus von Lyon, p. 113 n. 92 dice che Ireneo parla di Scripturae dominicae 2.30.6; 2.35.4; 5.20.2; Scripturae sanctae: 3.16.3; o Scripturae divinae: 3.19.2. A p. 203 a proposito del passo in questione dice che il problema del testo riguarda l’unità di Gesù Cristo: il Logos stesso venne una capacità attiva di soffrire in silenzio nell’umanità. 23 Si veda per questo R. Polanco Fermandois, El concepto de profecía en la teología de San Ireneo, Madrid, 1999, p. 210-218. Importanti sono le osservazioni di A. Orbe, La teologia dei secoli II e III. Volume I, Casale Monferrato, 1995, p. 486-520. Facendo il confronto con Marcione, che aveva eliminato la profezia in nome dell’assoluta novità di Cristo, Ireneo concepisce un unico spirito « che durante l’AT è denominato ‘profetico’, senza cambiamenti sostanziali diventa – per influsso del Verbo incarnato – ‘adottivo’ (Spirito di filiazione ) e si muterà nell’eternità – grazie all’influsso diretto del Padre – in ‘paterno’ » (p. 488). 22
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di Cristo come un ‘discendere nella morte’ 24. Tale tema troverà sviluppo nella dottrina della discesa agli inferi, come prolungamento della redenzione a tutti i livelli25. 6. Adversus Haereses 4.20.8 (Sal 21, 16c) Il libro 4 dell’Adversus Haereses intende confutare le eresie a partire dalle parole del Signore26. Ireneo va a cercare il Figlio di Dio seminato nelle Scritture, « che ora parla con Abramo, ora con Noè…, ora cerca Adamo, etc. … » (AH 4.10.1). Seguendo il criterio prosopologico – è Cristo che parla nelle Scritture – il vescovo di Lione affronta la questione spinosa della natura e della finalità dell’AT, riconducendolo alla categoria di profezia di Cristo. In modo particolare nei paragrafi AH 4.20.1-8, il vescovo di Lione qualifica la profezia non sulla base della concezione veterotestamentaria, né su quella oracolare ellenistica; piuttosto, sulla scia di Giustino (cfr. Dial 87), parla dei profeti, come di coloro che, « ricevuto il carisma profetico dal medesimo Verbo, predicarono la sua venuta secondo la carne » (cfr. 4.20.4). Ma se Giustino, guidato dall’idea del Λόγος σπερματικός, si soffermava innanzitutto sulle parole e sulle azioni dei profeti (τύποι e λόγοι in Dial 114.1), Ireneo sottolinea fortemente il tema della visione del Verbo: i profeti hanno visto il Verbo di Dio, perché Dio si è reso visibile agli uomini. Grazie a questa ‘visione’ essi ottengono la vita, così che sinteticamente può dire che « gloria Dei vivens homo, vita autem hominis visio Dei » (AH 4.20.7). Pur rimanendo fedele alla definizione di profezia come « predizione delle cose future, cioè l’annuncio anticipato di ciò che sarà dopo » (cfr. 4.20.5)27, egli nel futuro vede un unico evento: l’incarnazione di Cristo, momento massimo della visibilità di Dio agli uomini e quindi salvezza e 24 Si veda anche AH 3.18.2 dove la discesa fino alla morte è parallela alla discesa dal Padre nell’incarnazione, che è « compimento dell’economia della nostra salvezza ». Così anche in 4.20.8 e 24.2. 25 Si veda A. Orbe, La teologia dei secoli II e III. Volume II, Casale Monferrato, 1995, p. 364-396. In Dem 78 Ireneo distingue due fasi: il morire (in polvere di terra) e il discendere agli inferi del Salvatore. 26 Cfr. AH 4.Pr.1-3. 27 M. Simonetti, « Per typica ad vera. Note sull’esegesi di Ireneo », Vetera Christianorum, 18 (1981), p. 357-382, spec. p. 361 n. 10.
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vita per la carne degli uomini. Stabilisce così nella economia della storia della rivelazione una prima fase, dove Dio « fu visto profeticamente mediante lo Spirito », e una seconda fase dove « fu visto poi adottivamente mediante il Figlio e lo sarà poi anche nel regno dei cieli paternalmente, perché lo Spirito prepara in precedenza l’uomo per il Figlio di Dio, il Figlio lo conduce al Padre e il Padre gli dà l’incorruttibilità per la vita eterna che tocca a ciascuno per il fatto di vedere Dio » (cfr. 4.20.5). Anche se le due fasi sono distinte (profezia e adozione), esse sono accomunate dal fatto che sempre si è potuto ‘vedere’ Cristo all’opera nella storia, specialmente nell’incarnazione, momento ‘ricapitolativo’ di tutto il rapporto tra Dio e uomo. Questa concezione gli permette di ampliare gli elementi profetici non solo alle parole e alle azioni dei profeti, ma anche anche le loro visioni: infatti alla fine di 4.20.8 riassume significativamente: Di tutte le altre economie della sua ricapitolazione alcune le contemplavano in visione, altre le predicavano con la parola, altre le indicavano figuratamente con l’azione: contemplavano visibilmente le cose che sarebbero state viste, predicavano con la parola le cose che sarebbero state udite e compivano con l’azione le cose che sarebbero state fatte; ed annunciavano tutto profeticamente.
Visione, parola e azione convergono nell’unica ricapitolazione di tutte le economie, che è la incarnazione del Figlio di Dio. Le stesse categorie poi vengono applicate all’apostolo, ritenuto l’autore dell’Apoc., che, come i profeti dell’AT, ha visto e ha udito Cristo, Verbo di Dio (cfr. AH 4.20.11). Così, come aveva già detto in AH 3.19.2, vengono assimilati nella stessa categoria profetica i profeti dell’AT, gli apostoli e lo Spirito Santo che null’altro annunciano se non il Verbo incarnato. Tenendo conto di questa prospettiva ermeneutica vediamo il passo dove si trova la citazione di Sal 21, 16c, già utilizzato da Ireneo nel passo precedentemente studiato: I profeti non profetavano soltanto con la lingua, ma con la visione, il comportamento e gli atti che compivano secondo il consiglio dello Spirito. In questo modo, dunque, vedevano il Dio invisibile, come dice Isaia: ‘Ho visto con i miei occhi il Re, il Signore di Sabaoth’ (cfr. Is 6, 5), indicando che l’uomo avrebbe visto Dio con i suoi occhi e ne avrebbe udita la voce. Dunque, in questo modo vedevano il Figlio di Dio, come uomo che conversa con gli uomini
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La citazione della breve espressione del salmo28, senza alcuna formula introduttiva, è abbinata con la realtà di Cristo che abita nei cieli, e conclude la serie delle triplici espressioni polari che riassumono l’identità del Verbo incarnato preannunciato dai profeti: era presente colui che non lo era; divenuto passibile colui che era impassibile; disceso nella ‘polvere di morte’ colui che era nei cieli29. L’opposizione semantica presente nell’ultima espressione è doppia: sia per il contrasto tra morte e vita, sia per la contrapposizione tra l’essere (stabile) nei cieli e il discendere nella polvere, una situazione statica e una situazione dinamica. Il riferimento al Sal 21 resta legato quindi all’evento della passione e morte di Gesù, come compimento del processo di incarnazione, che è stato innanzitutto un ‘discendere’ dal Padre verso gli uomini. 7. Adversus Haereses 4.33.12 (Sal 21, 7b.8.16c.19ab) Secondo Jossa30, questo paragrafo appartiene ad una probabile fonte comune con AH 4.33.1 riguardante quelle profezie, che nella polemica antigiudaica servivano a sostenere la professione di fede nell’unico Gesù Cristo crocifisso. Gli avversari, però, per Ireneo sono gli gnostici e i marcioniti, che, suggestionati da un dualismo applicato a tutti i livelli, sembrano non voler riconoscere « l’intero corpo dell’opera del Figlio di Dio » (4.33.15). Vediamo il testo nella parte che riguarda il Sal 21: alcuni, dicendo che sarebbe stato un uomo disprezzato e senza gloria, che sa sopportare l’infermità (cfr. Is 53, 3), che sarebbe andato a Gerusalemme assiso su un puledro di asina (cfr. Zac 9, 9), che avrebbe presentato il dorso ai flagelli e le sue guance agli schiaffi (cfr. Is 50, 6), che come una pecora sarebbe stato condotto al macello (cfr. Is 53, 7), che sarebbe stato abbeverato di aceto e Nei LXX l’espressione εἰς χοῦν θανάτου è un hapax legomenon. Si veda anche A. Orbe, Teología de San Ireneo. IV. Comentario al libro IV del « Adversus haereses », Madrid, 1996, p. 303 n. 72 e p. 304. 30 G. Jossa, Regno di Dio e Chiesa. Ricerche sulla concezione escatologica ed ecclesiologica dell’Adversus haereses di Ireneo di Lione, Napoli, 1970, p. 141-142. 28 29
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fiele (cfr. Sal 68, 22), sarebbe stato abbandonato dagli amici e dai famigliari (cfr. Sal 37, 12), che avrebbe disteso le braccia per tutto il giorno (cfr. Is 65, 2) e sarebbe stato deriso e insultato da quelli che lo avrebbero visto, che le sue vesti sarebbere state divise e la sua tunica tirata a sorte, che sarebbe disceso nella polvere della morte (cfr. Sal 21, 8.16.19), e tutte le cose simili, profetizzavano la sua venuta come uomo, come entrò in Gerusalemme, dove patì, fu crocifisso e subì tutti i tormenti che abbiamo detto.
Le allusioni sono individuate dagli editori e non si tratta in nessun caso di citazioni dirette. Il punto di vista infatti rimane strettamente legato alla condizione umana del Cristo, cioè alla sua visibilità e alla sua presenza nel mondo attestata da profeti e apostoli. Riguardo al Sal 21, sembra che Ireneo non si preoccupi di un’esattezza testuale, né per quanto riguarda la precisione delle parole né per quanto riguarda l’ordine del testo: l’essere deriso e insultato (v. 7), la spartizione del vesti e le sorti sulla tunica (v. 19) e la discesa nella polvere di morte (v. 16)31 sono espressioni che per Ireneo sembrano inequivocabilmente riferite al Cristo dei vangeli. Egli sembra ricordare a memoria le varie espressioni, seguendo più la akolouthia del racconto evangelico32 , che non l’ordine del testo del salmo33. 8. Adversus Haereses 5.7.1 (Sal 21, 30c) Il quinto libro concentra l’attenzione sulla questione più spinosa dal punto di vista filosofico, cioè la risurrezione della carne, che Il versetto era già stato citato in AH 4.20.8. Si veda anche Dem 78, dove citando un testo che è detto essere di Geremia, Ireneo distingue il discendere nella polvere di terra, che è la morte, e il discendere agli inferi del Salvatore per salvare i suoi. 32 Seguendo l’edizione critica del GNT ( 52014): Mt 27, 46 – come Mc 15, 34 – cita Sal 21, 2; Mt 27, 39 – come Mc 15, 29 – allude a Sal 21, 8; Mt 27, 43 allude a Sal 21, 9; Gv 19, 24 sarebbe l’unico evangelista a citare Sal 21, 19, i sinottici invece farebbero solo allusione. 33 Su questo punto si veda P. Prigent, Les Testimonia dans le christia nisme primitif: l’Épître de Barnabé 1–16 et ses sources, Paris, 1961, p. 183-190. A p. 184 sostiene che la maggior parte delle citazioni di Ireneo, in questi capitoli di Adversus Haereses e in quelli di Demonstratio riguardanti la passione, vengono da Giustino, anche se nel caso di Dem 79, come si vedrà dopo su Sal 21, 16.15 i testi sembrano simili a quelli di Pseudo-Barnabas 5.13, e quindi Ireneo non attingerebbe al solo Giustino. 31
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rimanda allo statuto antropologico degli elementi che costituiscono l’identità umana34. L’Incarnazione del Verbo divino, che assume sangue, carne e anima, è l’accesso alla salvezza di tutto l’uomo. Se dunque il Signore ci ha riscattati con il suo proprio sangue, se ha dato la sua anima per la nostra anima e la sua carne per la nostra carne, se ha effuso lo Spirito del Padre per operare l’unione di Dio e degli uomini, facendo discendere Dio negli uomini mediante lo Spirito e facendo salire l’uomo fino a Dio mediante la sua propria Incarnazione; se certamente e veramente nella sua venuta ci ha donato l’incorruttibilità mediante la comunione con lui, tutti gli insegnamenti degli eretici vengono meno.
Concentriamo l’attenzione sulla referenza a Sal 21, 30, che, per la prima volta nella letteratura cristiana35, viene addotto come prova per la risurrezione dai morti, a partire dall’idea della incorruttibilità e dell’immortalità dell’anima, che, per Ireneo, coincide con il soffio vitale ricevuto da Dio che non può venire meno. La citazione diretta ed esatta è posta nel contesto delle prove scritturistiche, specialmente paoline 36, circa la risurrezione corporea di Cristo come pegno della nostra risurrezione corporea. Dunque quali sono i corpi mortali? Forse le anime? Ma le anime sono incoporee, se si confrontano con i corpi mortali. Dio infatti ‘soffiò sul volto’ dell’uomo ‘un soffio di vita e l’uomo divenne anima vivente’ (cfr. Gn 2, 7). Ora questo soffio di vita è incorporeo. Non si può più dire che l’anima è mortale, perché è soffio di vita. Perciò anche Davide dice: ‘e la mia anima vivrà per lui’ (cfr. Sal 21, 30), persuaso che la sua sostanza è immortale. Né possono dire che sia lo spirito questo corpo mortale. Allora che cos’altro dobbiamo intendere come corpo mortale se non l’opera plasmata, cioè la carne, della quale appunto si dice che Dio la risusciterà? È questa, infatti, che muore e si dissolve, non l’anima, né lo Spirito.
34 In AH 5.6.1 Ireneo aveva affermato che « l’uomo perfetto è la mescolanza e l’unione, che ha ricevuto lo Spirito del Padre e si è mescolata alla carne plasmata ad immagine di Dio ». 35 Orbe, Teología, t. I, p. 333: « Es la única citación (de Sal 21, 30), entre autores claramente cristianos, previa a Orígenes ». 36 Y. de Andía, Homo Vivens. Incorruptibilité et divinisation de l’homme selon Irénée de Lyon, Paris, 1986, p. 281-282, dimostra come Ireneo da AH 5.7.1 fino a 5.13.5 segua l’ordine dei vv. di 1 Cor 15, 42-55.
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La citazione del salmo viene addotta per spiegare l’identità immortale del soffio vitale/anima che l’uomo ha ricevuto nel momento della sua plasmazione e, quindi, questo soffio vitale non potendo morire – perché morire significa, come prosegue dopo, « perdere la costituzione che fa vivere » – non viene mai meno, ma ciò che si perde nella morte è la carne, che « si dissolve a poco a poco nella terra da cui è stata presa ». La prima considerazione riguarda la formula introduttiva37: « et propter hoc David ait ». Ireneo non si è fermato al dossier scritturistico tradizionale, ma è andato a cercare nella Scrittura qualche lume, coerentemente con il suo metodo teologico di partire dalle cose chiare per spiegare quelle più oscure (cfr. AH 2.10.1). Giustino, che aveva commentato Sal 21 fino al v. 24, sembra non conoscere questa ultima parte del salmo. Il versetto del salmo poi è riferito a Davide, sulla scia della tradizionale attribuzione davidica e profetica del salterio. Se in Giustino però la menzione di Davide era utilizzata in senso antigiudaico, in Ireneo si sottolinea fortemente la dimensione umana, in senso antignostico, per affermare l’incarnazione reale del Verbo, profetata da colui che è capostipite della discendenza. La preoccupazione di difendere a tutti i costi la concretezza della ‘carne’ del Verbo, si evince anche dal felice accostamento dei due versetti scritturistici di Gen 2, 7 e Sal 21, 30, che vengono letti sullo sfondo ermeneutico della creazione di Adamo. La citazione del salmo infatti viene a confermare, per contrasto, l’immortalità dell’anima umana che coincide con il soffio vitale ricevuto da Dio nella plasmazione. Lo stretto rapporto che c’è tra realtà divina e vita umana, fa sì che Ireneo non possa concepire nessun soffio di vita se non in rapporto a Dio. Ne deriva che la carne, soggetta a corruzione, ma legata all’anima, è destinata anch’essa a ‘vivere per Dio’38 e quindi a risorgere. 37 Circa le questioni delle formule introduttive si veda A. Benoît, Saint Irénée, Paris, 1960, p. 75-76. 38 Circa l’espressione ‘viventes Deo’ si veda Orbe, Teología, t. I, p. 420 su AH 5.9.2. Orbe sostiene che Ireneo si ispiri al Vangelo, più che al salmo Sal 21, 30 o Rm 6, 11. Per Ireneo, i giusti e gli spirituali del NT sono Deo viventes. L’espressione ‘vivere per Dio’ si trova anche in Hermas, Mandata 1.2; Visio 1.1.9. In Origene invece si applica solo alle anime dei giusti (si vedano le referenze riportate da Orbe).
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La cosa interessante è il contesto genesiaco di Gen 2, 7 come sfondo per rileggere il testo profetico del Sal 21, 30, che non sembra, in questo caso, avere nessun rapporto con la realtà della passione e morte di Cristo39. Va considerato che Ireneo, impegnato nella battaglia con gli gnostici sulla natura umana, legge i testi della creazione, non in chiave protologica, come gli gnostici, ma a partire dall’escatologia, o meglio dalla realtà di Cristo risorto che ha ricapitolato in sé tutte le cose. 9. Demonstratio 79–80 (Sal 21, 15c; 17; 21a; 18b-19) Le varie allusioni al Sal 21 si trovano concentrate nei capitoli dedicati alle profezie circa la passione del Signore, in modo particolare Dem 79-80. Vediamo il testo. 79. di nuovo, a proposito della croce, Isaia dice: ‘Ho steso le mani tutto il giorno ad un popolo indocile e ribelle’ (cfr. Is 65, 2). Prefiguarava così la croce. E ancora più chiaramente Davide: ‘Cani da caccia mi hanno circondato, una banda di perversi mi ha assediato; hanno forato le mie mani e i miei piedi’ (cfr. Sal 21, 17), e nuovamente: il mio cuore è come cera liquefatta in mezzo alle mie viscere; hanno slogate le mie ossa… (cfr. Sal 21, 15). E ancora: ‘Risparmia alla mia anima la spada e inchioda il mio corpo, perché una banda di perversi si è levata contro di me’ (cfr. Sal 21, 21; 85, 14) 40. Questi testi descrivono in modo luminoso la sua crocifissione. Mosè dice la stessa cosa al popolo: ‘la tua vita sarà sospesa davanti ai tuoi occhi; temerai notte e giorno e non sarai sicuro della tua vita’ (Deut 28, 66). 80. Continua Davide: ‘Mi hanno osservato attentamente: si sono divise le mie vesti e sulla tunica hanno gettato la sorte’ (cfr. Sal 21, 18-19; Gv 19, 24). Quando lo crocifissero, i soldati si divisero gli indumenti secondo il loro costume: ‘lacerarono le vesti per spartirsele, ma la tunica, intes39 Dopo Ireneo si dovrà attendere Eusebio di Cesarea (cfr. Eusebius, Commentarii In Psalmos, PG 23, 216) perché l’espressione di Sal 21, 30c venga ripresa a commento della risurrezione di Cristo. Ma, ad es., in Demonstratio Evangelica 10.8, dove commenta il Sal 21, la trascura completamente, così come aveva fatto Origene (cfr. PG 12, 1488). 40 L’edizione di Bellini alla nota 126 dice che la citazione composita era già presente in Pseudo-Barnabas 5.13. La conflazione di versetti salmici è stata studiata per la prima volta da L.-M. Froidevaux, « Sur trois textes cités par saint Irénée (Adv. Haer., IV, 29,3 et 55,4; Démonstration, 79 et 88) », Recherches de Science Religieuse, 44 (1956), p. 408-421.
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suta senza cuciture, fu tratta a sorte, perché l’avesse chi la vinceva’ (cfr. Gv 19, 23-24).
Come ha notato Ferguson41, l’akolouthia delle profezie non segue l’ordine dei testi biblici, ma un ordine di tipo ‘storico’ o profetico, se con questi due termini si intende l’accordo dei misteri di Cristo, così come i vangeli ce li presentano42 . Ireneo qui adduce i versetti veterotestamentari come figure della ‘croce’43, intendendo riferirsi al tipo di morte che Cristo ha subito come realizzazione delle profezie di Isaia, Davide e Mosè. È probabile che, redigendo un trattato con finalità catechetiche e non polemiche, Ireneo non senta più il peso dell’interpretazione gnostica, con la quale si era confrontato in AH 1.8.2. Infatti non fa menzione di Sal 21, 2, ma riferisce la profezia di Isaia sull’estensione delle mani sul popolo, per indicare il valore soteriologico di quella morte, la cui descrizione poi è affidata alle reminescenze dei vv. del Sal 21. I riferimenti scritturistici, frammentari e posti senza seguire l’ordine del testo del salmo44, sono funzionali a rendere ragione contemporaneamente della verità storica, in quanto profezia realizzata, delle morte in croce di Cristo, e della verità soteriologica che è per tutti gli uomini. 41 E. Ferguson, « Irenaeus’ Proof of the Apostolic Preaching and Early Catechetical Instruction », in Second Century, Tertullian to Nicaea in the West, Clement and Origen, Cappadocian Fathers, a cura di E. A. Livingstone, Leuven, 1989 (SP, 18/3), p. 119-135. 42 Così anche J. Daniélou, Messaggio evangelico e cultura ellenistica, Bologna, 1973, p. 273. 43 Seguendo le referenze di B. Reynders, Vocabulaire de la « Démonstration » et des fragments de Saint Irénée, s. l., 1958, n. 717 il termine ‘croce’ appare solo in Dem 50; 65; 67, ma la versione latina non sorregge queste referenze. 44 Alcuni studiosi individuano una differenza tra Barnaba, Giustino e Ireneo proprio sul fatto che il vescovo di Lione sembra seguire un ordine coerentemente biblico quando si riferisce alla Scrittura. Questa è l’idea di A. Benoît, « Irénée Adversus haereses IV 17,1-5 et les Testimonia », in SP, 4, a cura di F. L. Cross, Berlin, 1961, p. 26. Ma il caso delle citazioni del Sal 21 sconfessano questa posizione, anche se, trattandosi di profezie della passione, si può legittimamente rifarsi all’ipotesi dei Testimonia. Ma se fosse così quale sarebbe stato il rapporto tra la raccolta dei Testimonia e il testo complessivo della Scrittura? Ammessa anche la possibilità che entrambi le fonti letterarie trovassero dignità di ascolto presso gli autori cristiani, andrebbe investigato meglio perché fu scelta poi la Scrittura come normativa per la fede e non la raccolta di Testimonia.
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10. Sarx Christi Clavis Scripturarum45 L’analisi fin qui condotta sulla presenza del Sal 21 nell’opera di Ireneo porta a constatare che l’approccio alla Scrittura resta fedele alla tradizione precedente, già neotestamentaria, di citare e/o alludere a frammenti di testi, raccolti attorno al contenuto cristologico. Rispetto alle opere di Giustino, che usava la Scrittura per annunciare Cristo Verbo e Messia, la polemica antignostica di Ireneo si concentra sull’incarnazione del Verbo, rivelato attraverso i testi dell’AT e del NT. Se per Giustino il senso primo del testo, soprattutto le profezie dell’AT, era ‘immediatamente’ cristologico, per Ireneo, che usa abbondantemente i testi del NT come Scrittura, è il punto di vista della memoria apostolica e degli insegnamenti di Gesù a orientare la lettura dell’AT secondo la regula fidei. Giustino che conosce le ‘memorie degli apostoli chiamate vangeli’ non sembra dare all’AT un grado diverso rispetto ai testi del NT, dal momento che l’AT parla proprio di Cristo; in Ireneo, invece, si nota il primato dei primi testi cristiani sulla lettura dell’AT. Se per Giustino il senso immediato dell’AT è cristologico, per il vescovo di Lione, impegnato nella spinosa battaglia sul linguaggio in esegesi e in teologia avviato dagli gnostici, deve agganciare il senso cristologico non al senso immediato del testo – gli gnostici davano prova che la lettera dei testi poteva assumere molti significati a seconda dei contesti in cui erano posti46 –, ma alle fondamentali formule di fede47 della comunità cristiana che riconoscevano un unico Dio, un unico Cristo e un unico Spirito (cfr. Dem 6). La regula fidei è il ‘contesto’ di senso della Scrittura48. 45 L’espressione è mutuata da Orbe, La teologia dei secoli II e III, t. 1, p. 514-519. 46 Per l’esegesi gnostica si veda Écrits gnostiques. Codex de Berlin, a cura di M. Tardieu, Paris, 1984, p. 9-10. 47 Se si lasciano in secondo piano le ‘professioni di fede’ reperibili già dall’epoca neotestamentaria (cfr. J. N. D. Kelly, Early Christians Creeds, Harlow, 3 1972, p. 6-29), non ci sono notizie specifiche sull’esistenza di ‘simboli di fede’ scritti nelle comunità cristiane. Non si deve quindi confondere ‘regola di fede’ con simbolo di fede. 48 Sulla ‘regola di fede’ si veda AH 1.9.4; 1.22.1; 3.2.1-2; Dem 3; 6–7. Per una presentazione del senso della Scrittura in Ireneo si veda M. Jourjon, « Saint Irénée lit la Bible », in Le monde grec ancien et la Bible, a cura di
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Ireneo, per la prima volta, cita Sal 21, 16c 49 e 30c: il primo caso a proposito della morte come discesa nella polvere e il secondo caso per affermare l’immortalità del soffio vitale/anima ricevuto direttamente da Dio. Gli altri casi, come i vv. 7, 8, 19 vengono trattati secondo una metodologia che possiamo chiamare ‘frammentaria’. Unica eccezione è il caso di Sal 21, 2 dove il grido in croce viene attribuito all’eone gnostico. Tale grido è posto come segno di separazione e quindi di spiegazione della origine del mondo e dell’assoluta trascendenza del Pleroma. Per Ireneo la croce è stato il punto di arrivo dell’incarnazione del Figlio di Dio50. Il valore soteriologico della morte di Cristo espresso da Paolo in 1 Cor 15, 3 (‘per noi’)51, viene esteso da Ireneo a tutto il mistero dell’incarnazione del Verbo di Dio, con lo scopo preciso di dimostrare che l’evento della croce è stato compimento del processo di ricapitolazione operato dallo Spirito divino, e che, quindi, tutto ciò che è stato assunto dal Verbo è stato redento. Ireneo così si pone in stretta continuità con l’interpretazione paolina, ma porta avanti il processo di riflessione sul valore della croce, ricavandone le conseguenze soteriologiche a livello universale. Non è solo un’estensione e una generalizzazione della tipologia, intesa come tecnica esegetica52 , a guidare la riflessione del vescovo di Lione, ma è l’applicazione a tutti i livelli di un contenuto salvifico che permette a Ireneo di vedere nell’incarnazione del Verbo il nesso che tiene legato insieme mondo divino e mondo umano, anima e corpo, storia e salvezza. Questa è la chiave teologica con la quale Ireneo rilegge i testi dell’AT, che sono visti come profezia di quell’evento C. Mondésert, Paris, 1984, p. 145-151, che espone l’idea di Scrittura come testimonianza apostolica sulle verità spirituali rivelate dal Verbo. L’autore non affronta la questione esegetica. 49 Giustino (Dial 102.5) aveva commentato solo i primi due emistichi di Sal 21, 16, trascurando il terzo emistichio che invece Ireneo cita per ben due volte nella sua opera. 50 Orbe, La teologia dei secoli II e III, t. 1, p. 283: « Chi considera la croce la chiave interpretativa delle Scritture comprende il significato ultimo delle figure o tipologie da un lato e delle profezie dall’altro ». Per quanto riguarda il concetto di ‘croce’ esposto dagli gnostici si vedano le precisazioni di Wanke, Das Kreuz Christi, p. 141. 51 Si veda il testo di AH 3.18.3 e Dem 69–70 dove Ireneo collega la passione per la salvezza degli uomini alla origine divina di Cristo. 52 Il giudizio è di Simonetti, Per typica ad vera, p. 382.
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fondamentale. Questa visione di insieme è guidata dall’idea che lo Spirito divino è uno solo, che nell’AT è stato profetico, dall’Incarnazione è diventato spirito adottivo e conduce gli uomini ‘a poco a poco’ a partecipare dello spirito paterno. Da questo unico Spirito, che profetizzava un unico Cristo Verbo incarnato, Ireneo ricava l’unità della Scrittura, che non è dettata né da criteri letterari, né storici, ma unicamente dal suo contenuto cristologico, che è contemporaneamente soggetto e oggetto di tutti gli oracoli biblici. In Ireneo, rispetto al lavoro filologicamente impegnato ed ermeneuticamente elevato di Origene, la Sacra Scrittura, pur essendo un terreno di confronto continuo53, non è pensata come elemento distinto dalla stessa economia salvifica divina, in quanto il testo non fa che narrare i fatti fondamentali della storia della salvezza. Ireneo non discute il testo e il suo significato letterale, ma confronta gli gnostici sui discutibili significati che nascono dal leggere i testi in altri contesti che non siano la Scrittura stessa o la regola di fede. Infatti non era il testo nella sua lettera ad essere in discussione, ma il suo contesto ermeneutico. Non bastava più rifarsi ad una raccolta di testi, ma era necessario esplicitare il più possibile i principi guida per una lettura corretta. Chi entra in discussione non è solo il testo, ma anche il lettore del testo. Ireneo, rifacendosi all’insegnamento ricevuto dagli autori dei testi che saranno chiamati NT, ribadisce che è il criterio dato da Cristo e dai suoi apostoli a dover orientare ogni interpretazione. Ne è prova l’impostazione stessa dell’Adversus Haereses che confuta le eresie a partire dall’insegnamento apostolico (e profetico) e dalle parole stesse di Gesù, diade cardine per la conoscenza della verità.
53 Ricorda M. Simonetti, Lettera e/o allegoria, Roma, 1985, p. 43: « Ireneo è il primo autore cattolico che, sulla traccia dei valentiniani, usa correntemente del NT, assegnandogli la stessa validità e autorità che al VT. E poiché egli legge tutta la Scrittura in funzione cristologica, per il NT non ha bisogno dell’allegoria per arrivare a Cristo e perciò qui la sua interpretazione è normalmente letterale ».
La référence au dernier repas du Christ Une question herméneutique au cœur des arguments eucharistiques d’Irénée de Lyon Marie-Laure Chaieb (Angers) Au livre I de l’Adversus Haereses1, Irénée de Lyon évoque deux pratiques rituelles de Marc le Mage. Alors que certains groupes gnostiques récusent l’utilisation d’éléments matériels pour célébrer la gnose toute transcendante2 , Marc, s’inspirant visiblement des eucharisties de l’Église, utilise des coupes, du vin et de l’eau, et donne à voir à ses fidèles divers prodiges. Le premier cité consiste en un changement de couleur : 1.13.2. Feignant d’ « eucharistier » une coupe mêlée de vin (ποτήριον οἵνῳ κεκραμένον) et prolongeant considérablement la parole de l’invocation, il fait en sorte que cette coupe apparaisse pourpre ou rouge. On s’imagine alors que la Grâce venue des régions qui sont au-dessus de toutes choses fait couler son propre sang dans la coupe de Marc en réponse à l’invocation de celui-ci, et les assistants brûlent du désir de goûter à ce breuvage, afin qu’en eux aussi se répande la Grâce invoquée par ce magicien.
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Nous nous appuierons sur le texte de l’Adversus Haereses (abrégé AH), dans l’édition des Sources chrétiennes. 2 Cf. 1.21.4 à propos des rites de la Rédemption : « D’autres, rejetant toutes ces pratiques, disent qu’on ne doit pas accomplir le mystère de la Puissance inexprimable et invisible au moyen de créatures visibles et corruptibles, ni le mystère des réalités irreprésentables et incorporelles au moyen de choses sensibles et corporelles. La ‘rédemption’ parfaite, c’est la connaissance même de la Grandeur inexprimable : puisque c’est de l’ignorance que sont sorties la déchéance et la passion, c’est par la gnose que sera aboli tout l’état de choses issu de l’ignorance ». Irénée de Lyon et les débuts de la Bible chrétienne. Actes de la Journée du 1.VII.2014 à Lyon, sous la direction de A. Bastit et J. Verheyden, Turnhout, 2017 (Instrumenta Patristica et Mediaeualia, 77), p. 319-336 ©
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Le second prodige consiste en un accroissement de volume du liquide, symbolique de l’accroissement de la gnose dans l’élu(e) : 1.13.2. Ou bien encore, présentant à une femme une coupe mêlée (κεκραμένα), il lui ordonne de l’ « eucharistier » en sa présence. Cela fait, il apporte une autre coupe beaucoup plus grande que celle qu’a « eucharistiée » cette égarée, puis il vide la coupe plus petite « eucharistiée » par la femme dans la coupe beaucoup plus grande apportée par lui, tout en disant la formule suivante : « Que Celle qui est avant toutes choses, l’incompréhensible et inexprimable Grâce, remplisse ton Homme intérieur et multiplie en toi sa gnose, en semant le grain de sénevé dans la bonne terre ! ». Après avoir dit de telles paroles et égaré ainsi la malheureuse, il donne une démonstration de sa thaumaturgie en faisant en sorte que la grande coupe soit remplie au moyen de la petite, au point même de déborder. Par d’autres prodiges semblables, il a séduit et entraîné à sa suite beaucoup de monde.
Soucieux de protéger les fidèles de la séduction de Marc, et des enseignements gnostiques en général, Irénée revient à plusieurs reprises sur la question de l’eucharistie. Le corpus de ses arguments, disséminés dans toute l’œuvre, finit même par exposer une théologie eucharistique complète. Mais, on le perçoit déjà dans ces brefs extraits, le recours des gnostiques à des pratiques empruntées à l’Église ainsi qu’aux Écritures, rend la réfutation particulièrement ardue ; le doute semé dans l’esprit des fidèles n’est pas aisé à lever. Dans ces conditions, comment Irénée réfute-t-il les eucharisties déviantes des gnostiques dans l’Adversus Haereses et quelle place le récit du dernier repas du Christ tient-il dans son expression de l’orthodoxie ? Dans la démonstration d’Irénée, qui se caractérise par une certaine circularité, nous dissocierons dans un premier temps les arguments de type « pratique », puis les sources scripturaires participant au débat, afin de mieux rendre compte finalement de leur articulation. 1. La célébration de l’eucharistie comme « lieu » de vérification de l’orthodoxie Dans l’ensemble de l’AH, l’eucharistie de l’Église est évoquée, ou explicitement développée, dans huit passages : trois au livre III3, 3 3.11.5 ; 3.16.7 et 3.18.2-3. Sur les deux premiers passages, greffant une allusion eucharistique au commentaire des noces de Cana, Cf. M.-L. Chaieb,
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trois au livre IV4, et deux au livre V5. Une lecture transversale de ces passages permet de remarquer d’emblée que, pour Irénée, la célébration de l’eucharistie est posée comme source ou fondement de la réflexion. La liturgie concrète joue en effet dans sa démonstration un rôle de révélateur et de vérificateur de l’orthodoxie. Confirmant et prolongeant les descriptions liturgiques des témoins précédents, Irénée rappelle la célébration autour de termes clefs qui évoquent, davantage qu’ils ne décrivent, l’eucharistie de l’Église 6. Le pain (ὁ ἄρτος) est cité par Irénée dans cinq7 passages concernant l’eucharistie de l’Église. Le vin (ὁ οἶνος) est mentionné dans la totalité des textes eucharistiques d’Irénée, souvent sous-entendu sous l’expression du Nouveau Testament : la coupe (τὸ ποτήριον) 8. Irénée précise dans trois passages9 que cette coupe contient un mélange de vin et d’eau10. La plupart des textes sont très allusifs quant au déroulement de l’action de grâce ; cependant, « Les Noces de Cana, une réfutation de la gnose selon Irénée de Lyon », dans Les Noces de Cana, éd. J.-M. Vercruysse, Lille, 2015 (Graphè, 24), p. 45-57. 4 4.17.5–19.1 ; 4.33.2 ; 4.38.1. 5 5.2.2-3 ; 5.33.1. On pourrait également voir une allusion eucharistique en 5.1.3 concernant les Ébionites mais l’hypothèse est sujette à débat, Cf. M.-L. B ourgueil- Chaieb, Les textes eucharistiques d’Irénée de Lyon, aux origines de la théologie sacramentaire, Lille, 2002, p. 112-120. 6 Contrairement à Justin qui décrit les célébrations à des païens (1 Apol 65–66) ou à des juifs (Dial 41 ; 70 ; 116–117), Irénée s’appuie sur une liturgie qu’il suppose connue des lecteurs. L’ensemble de l’AH est adressé à un ami d’Irénée, pour lui fournir « les moyens de réfuter [les gnostiques], en montrant que leurs dires sont absurdes, inconsistants et en désaccord avec la vérité » (1.Pr.2). L’œuvre dédicacée « à toi et à tous ceux qui sont avec toi » (id.) concerne donc des chrétiens au sein de l’Église. 7 3.11.5 ; 4.17.5–19.1 ; 4.33.2 ; 4.38.1 ; 5.2.2-3. 8 Cf. les textes précédents auxquels il faut ajouter 3.16.7 ; 3.18.2 et 5.33.1. 9 1.13.2 : la « coupe de vin mêlée (ποτήριον οἵνῳ κεκραμένον) » des gnostiques ; 4.33.2 : le « mélange de la coupe (temperamentum calicis) » dans la grande Église ; 5.2.3 : la « coupe qui a été mélangée (τὸ κεκραμένον ποτήριον) » de la grande Église encore. On pourrait ajouter aussi l’allusion de 5.1.3 si l’on accepte l’hypothèse de sa connotation eucharistique : le « mélange du vin céleste (commixtionem vini caelestis) » repoussé par les Ébionites. 10 Justin précisait déjà : « On apporte à celui qui préside l’assemblée des frères du pain et une coupe d’eau et de vin trempé (ποτήριον ὕδατος καὶ κράματος) » (1 Apol 65.3, éd. Wartelle p. 189). Et plus loin : « Les diacres donnent à chacun des assistants d’avoir part au pain, et au vin mélangé d’eau sur lesquels a été dite la prière de l’action de grâces (ἀπὸ τοῦ εὐχαριστηθέντος
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le récit du dernier repas en 4.17.5 suit le schéma de l’eucharistie selon les évangiles synoptiques11 et 1 Co 11 : d’abord l’action de grâces sur le pain, puis sur le vin ; on peut donc supposer que cette succession est la référence liturgique d’Irénée, comme elle l’est pour les Pères précédents12 . D’ailleurs, il conclut son commentaire eucharistique des Noces de Cana dans cet ordre : « Dieu octroie […] par l’entremise de son Fils, la bénédiction de la Nourriture et la grâce du Breuvage » (3.11.5). L’« eucharistie » en tant que substantif apparaît sept fois dans l’AH en 4.18.5 et 5.2.2-3. Déjà bien attesté dans les écrits patristiques précédents13, le terme désigne l’eucharistie en tant que nourriture, devenue (Irénée emploie deux fois le verbe γίνεται) corps et sang du Christ : « la coupe qui a été mélangée et le pain qui été confectionné reçoivent la parole de Dieu et deviennent l’eucharistie, c’est-à-dire le sang et le corps du Christ » (5.2.3, deux occurrences ; frag grec 4 transmis par les Sacra Parallela de Jean Damascène). Mais les emplois du verbe εὐχαριστεῖν sont également très éclairants malgré les difficultés de transmission du grec. Pour Irénée, « rendre grâces » consiste à poser un acte proprement théologique de reconnaissance à l’égard de Dieu, mais aussi d’acceptation de la condition de créature. Il ne s’agit donc pas seulement d’un acte isolé mais d’une manière d’exister, de l’attitude conforme à son anthropologie, qui se prolonge dans la vie éternelle : « C’est pourἄρτου καὶ οἴνου καὶ ὕδατος), et ils en portent aux absents » (1 Apol 65.5, éd. Wartelle p. 191). 11 Cf. Mt 26, 26-29 ; Mc 14, 22-25 ; Lc 22, 19-25 ; 1 Co 11, 24-25. 12 Sauf pour la Didachè, qui rend grâces « d’abord pour la coupe », (Didachè 9.2, SC, 248, p. 175). Pour la succession pain-coupe, Cf. Ignace d’Antioche, Rm 7.3 ; Philad 4.1 ; Justin 1 Apol 66.2-3. Cf. l’étude de E. M azza , L’Action eucharistique. Origine, développement, interprétation, Paris, 1999 (Liturgie, 10), p. 41-47. 13 Le terme « eucharistie » est explicite par exemple en Didachè 9.5 : « Que personne ne mange ni ne boive de votre eucharistie (εὐχαριστία) en dehors de ceux qui sont baptisés au nom du Seigneur » (SC, 248, p. 177) ; Ignace d’Antioche, Philad 4.1 : « Ayez donc soin de ne participer qu’à une seule eucharistie (εὐχαριστία) » (SC, 10bis, p. 143) ; Smyrn 7.1 : « Ils s’abstiennent de l’eucharistie (εὐχαριστία) et de la prière, parce qu’ils ne confessent pas que l’eucharistie est la chair de notre Sauveur Jésus-Christ » (SC, 10bis, p. 161) ; et encore Eph 13.1 et Smyrn 8.1 ; Justin (1 Apol 66) définit l’eucharistie en rappelant son sens pour les chrétiens, la nécessité d’être baptisé pour y participer, et le récit de la Cène (éd. Wartelle p. 191).
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quoi celui qui garde le don de la vie et rend grâces à Celui qui le lui a donné recevra aussi ‘la longueur des jours pour les siècles des siècles’ (cf. Ps 148, 5-6 ; 32, 9) » (2.34.3). C’est dans ce contexte de gratitude à témoigner envers Dieu, que se situe le « rendre grâces » eucharistique. Parmi les cinq occurrences du verbe εὐχαριστεῖν intransitif, trois ont pour sujet le Christ, rendant grâces lors du dernier repas14. Dès lors, le fait de rendre grâces est non seulement fondé sur l’attitude naturelle qui convient à toute créature, mais c’est aussi un geste posé par le Christ comme modèle à réitérer. Suite à sa demande, « Faites ceci… », le verbe εὐχαριστεῖν peut être utilisé comme verbe transitif et désigner ainsi la prière sur les offrandes : « Comment auront-ils la certitude que le pain eucharistié (panem in quo gratiae actae sint) est le corps de leur Seigneur, et la coupe son sang, s’ils ne disent pas qu’il est le Fils de l’Auteur du monde » ? (4.18.4, grec perdu)15. Irénée se montre donc fidèle à la pratique de l’Église : il se présente comme le porteur de la Tradition16. Les concordances avec les témoignages de ses prédécesseurs confirment cette intention. Ainsi comprend-on mieux que la référence à la pratique soit le pivot de la démonstration pour les textes eucharistiques de l’AH : les trois illustrations suivantes permettront de rendre compte de cette méthode irénéenne. En 4.33.2, Irénée demande : « Comment, si le Seigneur était issu d’un autre Père, pouvait-il sans injustice déclarer que le pain appartenant à notre création était son corps et affirmer que le mélange de la coupe était son sang ? » (le grec de ce passage est perdu). Selon la logique marcionite explicitement visée dans ce passage, le Christ, relevant du Père Suprême, s’approprierait indûment un élément de la création relevant d’un autre Dieu, s’il identifiait le pain à son corps. Au contraire, Irénée croit à l’unité de l’économie : le geste du Christ n’a alors rien d’une usurpation, 14
3.11.5 ; 4.17.5 ; 5.33.1. Ce sens technique du verbe transitif était déjà employé par Justin pour désigner la prière de « celui qui préside » en 1 Apol 66.2 : τὴν εὐχαριστηθεῖσαν τροφήν (éd. Wartelle p. 190). 16 Suite aux deux volumes de l’étude de Y. Congar intitulée La Tradition et les traditions (Paris, 1960 et 1963), nous emploierons ici la majuscule pour signifier le processus de transmission de l’évangile et distinguer ainsi la Tradition des usages et coutumes liturgiques concernés. 15
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puisqu’il utilise ce qu’il a lui-même créé. La démonstration procède à partir de la pratique : est-il raisonnable de croire que le Sauveur puisse être injuste ? À moins de ne pas tenir compte des récits de la Cène, les Marcionites ne peuvent accepter sans incohérence que le Christ déclare le pain son corps. S’ils l’acceptent, ils renient de facto la justice du Dieu Suprême. On pourrait bien sûr rétorquer que tous les gnostiques ne partagent pas la foi de l’Église concernant le sens de l’eucharistie. Il n’en demeure pas moins intéressant de constater que l’argument est mis en œuvre non à partir d’un raisonnement spéculatif, mais à partir de la foi en l’eucharistie telle qu’elle est célébrée dans l’Église. Essentiellement orienté vers la réaffirmation de la foi chrétienne en l’unité du Dieu Créateur et Sauveur, et en l’unité du Christ, homme et Dieu, ce passage utilise l’eucharistie comme « preuve » de l’incohérence marcionite. Il en va de même en 3.18.2-3 (grec perdu). Commentant 1 Co 10, 16, Irénée développe : 3.18.2. « La coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas une communion au sang du Christ ? » (1 Co 10, 16). 18.3. Quel est donc Celui qui nous fait entrer ainsi dans une communion de nourriture ? Serait-ce le « Christ d’en haut » inventé par ces gens, celui qui s’est étendu sur « Horos » et a formé leur « Mère » ? N’est-ce pas plutôt l’Emmanuel qui est né de la Vierge, qui a mangé du beurre et du miel (cfr. Is 7, 14-15) et dont le prophète a dit : « Il est homme et pourtant qui le connaîtra ? » (Jr 17, 9).
Pour Irénée, la communion est d’abord le fait du Verbe, qui s’incarne pour opérer le salut. La communion est avant tout le désir de Dieu. Il était impossible que l’homme se restaure luimême dans la communion divine, et à ses yeux, il était même impossible « qu’eût part au salut cet homme ainsi tombé sous le pouvoir du péché » (3.18.2). Alors « le Fils a opéré l’un et l’autre » (id.) en récapitulant en lui l’humanité pour la sauver. Cependant, la part des hommes n’est pas négligée. La communion est en effet aussi un désir des hommes, qui veulent être sauvés en s’unissant au Christ. D’où la citation de Paul dans le contexte immédiat : « Si tu confesses de ta bouche que Jésus est Seigneur et si tu crois dans ton cœur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, tu seras sauvé » (Rm 10, 9). La première manifestation de la communion au Christ sauveur est donc l’adhésion du cœur, d’où jaillit l’acte de
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foi proféré. Mais Irénée mentionne aussi un autre mode de communion : la communion de nourriture. Par trois fois dans ce bref passage, le terme de communion est mis en rapport avec la nourriture. D’abord dans les termes mêmes de saint Paul : « la coupe de bénédiction que nous bénissons n’estelle pas une communion au sang du Christ ? » (1 Co 10, 16), puis dans la question d’Irénée : « Quel est donc celui qui nous fait entrer ainsi dans une communion de nourriture ? », enfin dans son recours à la prophétie d’Isaïe : « N’est-ce pas plutôt l’Emmanuel qui est né de la Vierge, qui a mangé du beurre et du miel » (Is 7, 14-15). Chez Paul, cette affirmation apparaît dans le cadre d’une mise en garde contre l’idolâtrie ; on ne peut manger à la fois à la table de Dieu et à celle des idoles. Car le fait de manger met les hommes en communion. Ceux qui mangent les victimes des repas sacrés des païens entrent en relation avec les idoles ; ceux qui participent à la fraction du pain deviennent un seul corps, car ce pain est communion au corps du Christ. Sous la plume d’Irénée, le mot de communion possède un sens très concret : la communion a sa source dans des réalités possédées en commun. Ces réalités partagées sont matérielles mais elles induisent une communion de conviction, une communion spirituelle. Pour Irénée, le partage de la coupe « eucharistiée » représente donc la rencontre du désir de Dieu d’entrer en communion avec son peuple et de la réponse de l’homme croyant. Là encore on peut souligner comment Irénée part de la célébration de l’eucharistie et en tire son argumentation. Enfin une dernière illustration de cette méthode d’argumentation, à partir de la célébration, est encore manifeste en 5.2.2 où Irénée propose un raisonnement par l’absurde : « S’il n’y a pas de salut pour la chair, alors le Seigneur ne nous a pas non plus rachetés par son sang (cf. Col. 1, 14), la coupe de l’eucharistie n’est pas une communion à son sang et le pain que nous rompons n’est pas une communion à son corps » (fragment grec 4 transmis par les Sacra Parallela de Jean Damascène). Cette récurrence permet d’affirmer que le fait de s’appuyer sur la célébration ne relève pas d’un argument occasionnel, mais d’une authentique méthode parfaitement consciente et assumée. Cette référence à la pratique de l’Église comme normative éclaire la vive réaction d’Irénée concernant les deux rites marcosiens rapportés en 1.13.2 : si Marc veut faire passer son geste pour une célébration eucharistique, Irénée démontre qu’il ne cherche pas à inscrire ce
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rite dans la trasmission de l’évangile mais à séduire et « entraîner à sa suite ἀπαγήοχεν beaucoup de monde »17. Dans ce contexte, la question du statut conféré au récit du dernier repas du Christ prend une dimension argumentative toute particulière18. Irénée recourt-il à ce passage majeur pour justifier l’orthodoxie de l’Église ? Fait-il appel à ce récit comme référence pour l’orthopraxie ? 2. Le récit du dernier repas du Christ, argument scripturaire ? Dans l’exposé des rites de Marc le mage, les allusions scripturaires ne manquent pas : sous-jacente à son invocation, on voit affleurer à la fois la parabole du semeur (Mt 13, 3-9 // Mc 4, 2-9 // Lc 8, 4-8) et celle du grain de sénevé qui devient la plus grande de toutes les plantes (Mt 13, 31-32 // Mc 4, 30-31 // Lc 13, 18-19). L’allusion à l’augmentation de la gnose fait penser également au logion lucanien sur l’augmentation de la foi : « Les apôtres dirent au Seigneur : ‘Augmente en nous la foi’. Le Seigneur dit : ‘Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous auriez dit au mûrier que voilà : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous aurait obéi » (Lc 17, 5-6). Enfin, l’évocation de l’homme intérieur rappelle Ep 3, 16-19 : « Qu’il daigne, selon la richesse de sa gloire, vous armer de puissance par son Esprit pour que se fortifie en vous l’homme intérieur […]. Ainsi vous connaîtrez l’amour du Christ, qui surpasse toute gnose et vous entrerez par votre plénitude dans la plénitude de Dieu ». Le champ sémantique est incontestablement voisin. Cependant, dans l’épître aux Ephésiens, la gnose est surpassée par l’amour du Christ, alors que Marc demande la connaissance comme une fin en soi. Ce dernier exemple permet de bien situer le reproche qu’Irénée adresse aux gnostiques : à ses yeux, ils « utilisent » en effet les 17 Cf. l’étude de J. Reiling concernant les termes techniques de magie : « Marcus Gnosticus and the New Testament : Eucharist and Prophecy », dans Miscellanea neotestamentica I, éd. T. Baarda et al., Leiden, 1978 (SupplNT, 48), p. 165. 18 Déjà Justin mettait l’eucharistie en relation avec le dernier repas du Christ afin d’expliciter sa cohérence aux yeux de ses interlocuteurs juifs en Dial 41.1 ; il est donc particulièrement intéressant d’étudier le statut de cette référence chez Irénée pour ses enjeux théologiques internes à l’Église.
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Écritures pour étayer leur propos mais souvent de façon tronquée19 et pour justifier a posteriori la doctrine découlant de leur mythe. Ces quatre allusions scripturaires de la prière de Marc en sont une bonne illustration : elles renvoient les élus à leur participation au mythe et non plus à l’évangile, ni en tant que message ni en tant qu’œuvre littéraire. Il convient d’ailleurs de souligner que l’institution de l’eucharistie par le Christ, en une recommandation explicite lors du dernier repas, n’est évoquée ni par Marc le Mage, ni dans les œuvres gnostiques qu’Irénée aurait pu consulter20. L’Exposé du mythe valentinien, daté des années 17021, s’il fait allusion à une nourriture et une boisson au cours d’une action de grâces, ne semble pas comporter d’allusion aux paroles du Christ – du moins dans les pages très fragmentaires qui nous restent. De même, légèrement plus tard selon la datation de J.-P. Mahé22 , l’ouvrage Melchisédek, comporte également une allusion probable à l’eucharistie mais aucune référence explicite aux paroles du Christ lors de son dernier repas. Il est à noter que même L’évangile de Philippe au ive siècle, évoquera bien l’eucharistie mais pas son institution23. Si cela est vrai, l’évêque Irénée aura tout intérêt à renvoyer ses lecteurs aux récits de l’institution pour « confondre » et dénoncer les « eucharisties » gnostiques : il est donc intéressant de voir comment il fait référence au dernier repas du Christ. 19
Cf. 1.8.1. En 1.Pr.2, Irénée déclare avoir lu des commentaires gnostiques et interrogé des adeptes, mais la datation des œuvres gnostiques, toujours problématique, rend difficile l’établissement d’une liste des œuvres qu’il a pu consulter. 21 Cf. Écrits gnostiques. La bibliothèque de Nag Hammadi, éd. J.-P. Mahé, P.-H. Poirier, Paris, 2007 (Bibliothèque de la Pléiade) (abrégé Écrits gnostiques), p. 1512. 22 Mahé, Écrits gnostiques, p. 1355. 23 Cf. EvPhil 100 : « La coupe de prière contient du vin et de l’eau puisqu’elle est considérée comme le type du sang – sur laquelle on rend grâces. Et elle est remplie de l’Esprit Saint et elle appartient à l’Homme parfait. Lorsque nous en buvons nous recevons en nous l’Homme parfait » (trad. L. Painchaud, Écrits gnostiques, p. 366). Le rapport entre Jésus et une nourriture est spiritualisé et mis en relation avec la Vérité, en EvPhil 93 : « C’est de ce lieu-là que Jésus est venu et qu’il a apporté de la nourriture. Et à ceux qui le désiraient, il a donné [à manger], a[fin] qu’ils ne meurent pas » (Écrits gnostiques, p. 365). 20
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Nous l’avons évoqué plus haut, le dernier repas du Christ est rapporté selon quatre versions plus ou moins détaillées dans le Nouveau Testament. Celle de Paul dans la première Lettre aux Corinthiens est considérée comme la première mise par écrit : 1 Co 11, 23-25. Moi, voici ce que j’ai reçu du Seigneur, et ce que je vous ai transmis : le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain, et après avoir rendu grâce, il le rompit et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous, faites cela en mémoire de moi ». Il fit de même pour la coupe, après le repas, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang ; faites cela, toutes les fois que vous en boirez, en mémoire de moi »24.
Irénée évoque explicitement cette scène dans quatre passages de l’AH. Ces passages sont tous situés dans les livres IV et V consacrés de moins en moins à une réfutation systématique des thèses gnostiques, et de plus en plus à la formulation proprement irénéenne de la cohérence de la foi. Un premier passage, en 4.33.2, évoque le récit de l’institution, mais il n’est pas conservé en grec : Comment si le Seigneur était issu d’un autre Père, pouvait-il sans injustice déclarer (confitebatur) que le pain appartenant à notre création était son corps et affirmer (confirmavit) que le mélange de la coupe était son sang ?
Sous le récit, nous pouvons conjecturer les deux paires de termes grecs fonctionnant en parallèle dans le Nouveau Testament : ἄρτος/σῶμα, ποτήριον/αἷμα. Le mélange (temperamentum), s’il est attesté par deux fois dans la description de l’eucharistie marcosienne, relève plutôt de la tradition pratique puisqu’il ne figure dans aucune tradition scripturaire se rapportant à l’institution de l’eucharistie. Enfin, sous les verbes confitebatur et confirmavit, aucun équivalent grec ne concorde avec les récits du dernier repas dans le Nouveau Testament. Dans ce passage, Irénée procède donc moins par une citation du récit de l’institution que par une réécriture : certes il rend compte de la source scripturaire, mais en la reformulant. Les deux verbes confitebatur et confirmavit relevés ci-dessus trouvent cependant un correspondant grec en 5.2.2 (frag grec 4
24
Traduction TOB.
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transmis par les Sacra Parallela de Jean Damascène) où ils figurent dans ce même ordre. Dans ce chapitre, un premier passage évoque l’eucharistie comme un argument contre la doctrine dualiste des gnostiques, nous l’avons cité plus haut ; mais l’argument se poursuit avec une glose du récit de l’institution : Et parce que nous sommes ses membres et sommes nourris par le moyen de la création – création que lui-même nous procure, en faisant lever son soleil et tomber la pluie selon sa volonté – la coupe, tirée de la création, il l’a déclarée (confessus est – ὡμολόγησεν) son propre sang, par lequel se fortifie notre sang, et le pain, tiré de la création, il l’a proclamé (confirmavit – διεβεβαιώσατο) son propre corps, par lequel se fortifient nos corps.
Dans ce passage-ci, deux éléments attirent l’attention. On remarque d’une part sous la plume d’Irénée l’inversion coupe / pain par rapport aux récits du Nouveau Testament : que ce soit Mt 26, 26 ; Mc 14, 22 ; Lc 22, 19 ou 1 Co 11, 24, la transmission du dernier repas du Christ mentionne toujours la bénédiction du pain avant celle de la coupe. D’autre part, l’attention est attirée par la répétition des deux verbes ὁμολογέω et διαβεβαιόομαι selon la même succession qu’en 4.33.2 : ces deux verbes, qui ne sont pas utilisés dans le récit de l’institution, laissent supposer soit une source extérieure commune, soit une réécriture tendant à se formaliser sous la plume d’Irénée. Dans les deux cas, il appert que ce n’est pas le Nouveau Testament en tant que texte qui sert ici de référence à Irénée, encore moins l’une des versions du récit qui serait privilégiée, mais plutôt une transmission – orale ou écrite ? – à laquelle il se réfère comme étant l’expression authentique de la Tradition. Notre développement précédent tend à prouver qu’Irénée s’appuie sur le récit tel qu’il est transmis lors de la célébration eucharistique plutôt que sur la transmission littéraire des récits du Nouveau Testament. Voyons s’il en va de même dans les deux autres passages mentionnant le récit de l’institution. Le texte le plus développé – et le plus célèbre – au sujet de l’eucharistie se développe sur huit chapitres au cœur du livre IV. La perte du grec sous-jacent est d’autant plus dommageable pour notre étude que l’extrait débute par le récit de l’institution : 4.17.5. À ses disciples aussi, il conseilla d’offrir à Dieu les prémices de ses propres créatures, non que celui-ci en eût besoin, mais pour qu’eux-mêmes ne fussent ni stériles ni ingrats. Le pain, qui pro-
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marie-laure chaieb vient de la création, il le prit, et il rendit grâces, en disant : « Ceci est mon corps ». Et la coupe pareillement, qui provient de la création dont nous sommes, il la déclara son sang et il enseigna qu’elle était l’oblation nouvelle de la nouvelle Alliance. C’est cette oblation même que l’Église a reçue des apôtres et que, dans le monde entier, elle offre au Dieu qui nous donne la nourriture, comme prémices des propres dons de Dieu, sous la nouvelle Alliance.
L’expression « novi testamenti novam oblationem » donne à penser qu’Irénée s’appuie sur Lc 22, 20 ou 1 Co 11, 25 qui mentionnent tous les deux une καινὴ διαθήκη, expression absente chez Matthieu et Marc. Cependant, là encore, il s’agit davantage d’une réécriture que d’une citation proprement dite. Irénée glose le récit fondateur : il ajoute des incises, insistant notamment sur les produits « qui proviennent de la création » pour souligner la cohérence du projet du créateur qui est aussi sauveur ; il qualifie également le geste du Christ d’enseignement (« docuit ») et de conseil (« dans consilium »), et expose son sens : il ne s’agit pas d’un besoin pour Dieu mais d’une pédagogie pour l’homme. Fidèle au récit tel qu’on peut le trouver dans le NT, Irénée pourtant ne le cite pas mais le commente. Enfin en 5.33.1 (grec perdu), quelle version est-elle citée par Irénée ? C’est pourquoi, lorsqu’il vint à sa Passion, pour annoncer à Abraham et à ceux qui étaient avec lui la bonne nouvelle de l’ouverture de cet héritage, après avoir rendu grâces sur la coupe, en avoir bu et l’avoir donnée à ses disciples, il leur dit : « Buvez-en tous, car ceci est mon sang, le sang de la nouvelle Alliance, qui va être répandu pour un grand nombre en rémission des péchés. Je vous le dis, je ne boirai plus désormais du fruit de cette vigne, jusqu’au jour où j’en boirai du nouveau avec vous dans le royaume de mon Père ».
Comme précédemment, la mention de la « nouvelle alliance » fait préférer un appui sur Lc ou 1 Co ; pourtant ces deux sources ne mentionnent pas la finale « je ne boirai plus désormais du fruit de cette vigne, jusqu’au jour où j’en boirai du nouveau avec vous dans le royaume de mon Père ». Cette formule renvoie plutôt pour cette part soit à Mt 26, 29 soit à Mc 14, 25, avec une préférence pour Mt car la fin de l’extrait mentionne la « rémission des péchés » qui ne se trouve que chez Mt. Irénée ne suit donc pas ici non plus une version privilégiée. Malgré l’apparence de citation, on constate
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une réminiscence associant plusieurs sources davantage qu’une citation littérale. À quatre reprises, alors qu’il avait la possibilité de citer l’une ou l’autre transmission du récit de l’institution selon le Nouveau Testament, Irénée préfère s’appuyer sur les faits – reformulés selon les besoins de la polémique anti-gnostique – plutôt que sur les textes. Bien entendu la forme liturgique se montre particulièrement fidèle aux récits néotestamentaires, mais force est de constater que ce qui fait la force de l’argument aux yeux d’Irénée n’est pas qu’il soit « écrit », sinon il prendrait soin de le citer avec la plus grande exactitude. D’où une ultime question : quel statut Irénée confèret-il à cet argument scripturaire spécifique dans l’environnement plus large de sa réflexion sur l’eucharistie ? 3. Herméneutique de l’argument d’institution : Écriture ou Tradition ? Les arguments qui précèdent ne doivent pas donner à penser qu’Irénée ne s’appuierait pas sur les Écritures pour démontrer la cohérence de sa foi eucharistique. Au contraire, il faut souligner que tous les passages traitant de l’eucharistie au sein de l’Église comportent toujours au moins une citation scripturaire explicite autour de laquelle s’organise l’argumentation. En 3.11.5 le récit des noces de Cana selon Jn 2, 1s est commenté en incluant une allusion à la multiplication des pains présentée comme figure de l’eucharistie (selon Jn 6, 11 ou bien selon les Synoptiques). L’argument de 3.18.1-2 s’organise autour de la citation explicite de 1 Co 10, 16. L’extrait de 4.38.1-2 concernant l’eucharistie s’appuie sur 1 Co 3, 2 : « Je vous ai donné du lait à boire non de la nourriture solide, car vous ne pouviez pas encore la supporter » et présente également des allusions à Jn 6, lorsqu’il s’agit de « manger et boire le Verbe de Dieu » (grec attesté par le fragment grec 23, transmis par les Sacra Parallela de Jean Damascène). Dans les passages où nous avons isolé une allusion au récit de la Cène, d’autres citations sont convoquées. En 5.2.2, par exemple Irénée explique la force de vie contenue dans l’eucharistie pour ceux qui y participent à partir de Col 1, 14 : « En lui nous avons la rédemption par son sang, la rémission des péchés ». La participation au corps du Christ étant étayée par Ep 5, 30 en 5.2.3 : « Nous sommes les membres de son corps, formés de sa chair et de ses
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os ». En 5.33.1, pour commenter la promesse « J’en boirai [du vin] avec vous du nouveau dans le Royaume de mon Père », Irénée fait appel au Ps 103, 30 : « Il renouvellera la face de la terre ». Mais c’est assurément le jeu des citations en 4.17.5–19.1 qui met le mieux en valeur le foisonnement des citations scripturaires dans le cadre d’une argumentation autour de l’eucharistie. L’abondance et la variété des citations sont caractéristiques dans ce passage. Rien d’étonnant à cela, puisqu’il s’agit de démontrer l’unité des Écritures en confrontant des textes de l’Ancien et du Nouveau Testament. L’agencement des citations au sujet des sacrifices est particulièrement éclairant. On peut relever dans l’extrait trois familles de citations – qui pourraient être issues de Testimonia25. Une première famille dénonce une mauvaise compréhension des sacrifices, et une attitude intérieure incompatible avec l’offrande. Caïn (Gn 4, 7) incarne cette attitude, mais les prophètes Malachie (Ml 1, 10-11), Jérémie (Jr 22, 17), Isaïe (Is 66, 3), montrent que cette attitude peut s’étendre à tout le peuple. Le Christ enfin, en prêchant la réconciliation avec le prochain avant de se présenter à l’autel (Mt 5, 23-24), et en dénonçant l’hypocrisie des pharisiens (Mt 23, 27-28), réitère cette accusation. Cette première famille, qui regroupe une dizaine de citations, exprime donc une rupture avec une certaine conception ritualiste du sacrifice. Mais, à l’aide d’une deuxième famille de citations, Irénée montre que l’Ancien Testament comporte aussi des témoignages d’une conception droite du sacrifice telle qu’elle sera illustrée par le Christ : il y a alors unité des deux Testaments. Cette famille comprend l’exemple d’Abel (Gn 4, 4), ainsi que les exhortations des prophètes Malachie (Ml 1, 10), Jérémie (Jr 22, 17) ou Isaïe (Is 30, 1 ; 66, 3), et l’enseignement du Christ. Irénée résume sa 25
Après étude d’un dossier détaillé, A. Benoit dans son ouvrage Saint Irénée, introduction à l’étude de sa théologie, Paris, 1960, conclut qu’Irénée a recours à des Testimonia autant dans la Démonstration de la prédication apostolique (p. 80-89) que dans l’AH (p. 96-102). Il évoque notamment la succession des citations en 4.17 : « L’allure même de ce chapitre 17, qui accumule les citations bibliques, en précisant chaque fois leur origine et qui centre son développement sur le thème du sacrifice, donne l’impression qu’Irénée avait devant lui un recueil de textes bibliques, groupant des passages relatifs à ce sujet ». Cette opinion est aussi partagée par P. Prigent à l’occasion de l’étude du même passage : P. Prigent, Les Testimonia dans le Christianisme primitif, l’Épître de Barnabé I-XVI et ses sources, Paris, 1961, p. 40-42.
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démonstration scripturaire en ce domaine par une nette affirmation de l’unité des deux Testaments en matière de sacrifice : « Le genre des oblations n’a donc pas été abrogé : il y avait des oblations là-bas, il y en a ici aussi ; il y avait des sacrifices dans le peuple, il y en a également dans l’Église » (18.2). La troisième famille de citations met enfin à jour l’accomplissement parfait des Écritures par le Christ. Désormais, nous avons dans le Christ un exemple du sacrifice parfait, encore complété par son enseignement : le sacrifice de la nouvelle Alliance, c’est se donner soi-même, offrir tout ce que l’on a, en toute liberté, comme la veuve pauvre (Lc 21, 4), dans l’Église et au nom du Christ, non pas par calcul, mais « pour lui rendre grâces à l’aide de ses dons et sanctifier la création » (18.6). C’est dans cette troisième famille qu’Irénée exprime le plus original de la conception chrétienne du sacrifice et de l’eucharistie. Elle est développée comme venant couronner l’évolution progressive de l’ancien au nouveau sacrifice. Cette notion de progression, qui efface toute dichotomie entre l’Ancien et le Nouveau Testament, est explicitée par Irénée au début du chapitre 19, grâce au terme de « type, figure » : le premier peuple avait reçu « in typo » l’annonce de ce que serait le sacrifice parfait. Ce repérage de l’environnement scripturaire global dans lequel s’insère le récit de l’institution met en évidence la variété des citations scripturaires utilisées par Irénée. Cette variété de citations est intéressante à noter dans le contexte gnostique : c’est toute l’Écriture qui est fondement de la foi d’Irénée, et pas seulement un florilège capable de faire pièce aux enseignements des gnostiques. Par ailleurs, chez Irénée, le recours à des « lieux » scripturaires diversifiés concourt à l’affirmation de l’unité de l’Écriture et de son principe interne de cohérence : les textes inspirés se comprennent à la lumière les uns des autres dans leur complémentarité. Pourtant, nous l’avons vu, Irénée ne se cantonne pas à ce qui est écrit. Qu’il s’agisse de réfuter les erreurs gnostiques dans leur enseignement sur l’eucharistie ou de « rendre compte » de la cohérence de la foi dans les eucharisties de l’Église, il apparait que la méthode d’Irénée ne consiste pas seulement à revenir à la façon dont le commandement du Christ est mis par écrit. Il semble plus adapté de dire que ce récit représente à ses yeux une source de la Tradition, vécue par les communautés, à laquelle il puise ses arguments. Dans cette optique, nous pouvons affirmer que c’est
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davantage la convergence des « lieux bibliques » avec la Tradition vécue dans la célébration qui semble lui importer. Il recourt alors à la célébration de l’eucharistie avec une confiance et une force de conviction semblable à la façon dont il se réfère aux Écritures, puisqu’à ses yeux elle procède de la même Tradition. Effectivement, on peut appliquer à la célébration de l’eucharistie plusieurs critères développant aux yeux d’Irénée le caractère fondateur de la « Tradition qui vient des apôtres ». Tout d’abord, comme l’Évangile, l’eucharistie a été transmise avant d’être mise par écrit. Irénée souligne en effet que les peuples qui ne lisent pas le grec ne sont pas pour autant privés de la Bonne Nouvelle car ils peuvent recourir à « l’ordre de la Tradition » : 3.4.2. C’est à cet ordre que donnent leur assentiment beaucoup de peuples barbares qui croient au Christ : ils possèdent le salut, écrit sans papier ni encre par l’Esprit dans leurs cœurs, et ils gardent scrupuleusement l’antique Tradition […] Ceux qui sans lettres ont embrassé cette foi sont, pour ce qui est du langage, des barbares ; mais, pour ce qui est des pensées, des usages, de la manière de vivre, ils sont, grâce à leur foi, suprêmement sages et ils plaisent à Dieu, vivant en toute justice, pureté et sagesse.
Même si le contexte ne le précise pas, on peut poser l’hypothèse que ces « usages » et cette « manière de vivre », qualifiant l’authentique Tradition qui vient des apôtres, comportent notamment pour ces peuples la célébration de l’eucharistie26. Par ailleurs, comme l’Évangile, la célébration de l’eucharistie est bien transmise par les apôtres : 4.17.5 : C’est cette oblation même que l’Église a reçue des apôtres et que, dans le monde entier, elle offre au Dieu qui nous donne la nourriture, comme prémices des propres dons de Dieu, sous la Nouvelle Alliance.
Ce n’est qu’ensuite qu’elle sera consignée par écrit : 3.1.1. Car ce n’est pas par d’autres que nous avons connu l’ ‘économie’ de notre salut, mais bien par ceux par qui l’Évangile nous est parvenu. Cet Évangile, ils l’ont d’abord prêché ; ensuite, par la 26 F. Sagnard, dans la première édition du livre III dans la collection Sources chrétiennes (SC, 34, 1952, p. 117-119) proposait ici un rapprochement éclairant avec Justin, Dial 117.5, traitant des « barbares » qui offrent « au Père et Créateur des prières et des actions de grâces (εὐχαὶ καὶ εὐχαριστίαι) ».
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volonté de Dieu, ils nous l’ont transmis dans des Écritures, pour qu’il soit le fondement et la colonne de notre foi.
Il est donc possible, à partir de cet exemple significatif et particulièrement représentatif du récit de l’institution de montrer qu’Irénée, dans le débat gnostique, ne réduit pas la Révélation à sa partie écrite : la mise par écrit n’enferme pas le tout de la Révélation chrétienne, c’est le recours à la Tradition vivante dans les communautés par la transmission d’usages et de principes de discernement qui permet de distinguer en quoi l’interprétation gnostique « dévie » de l’enseignement des apôtres27. Enfin, Irénée tire lui-même une sorte d’adage de cette articulation entre Tradition et Écritures lorsqu’il affirme : « Pour nous, notre façon de penser s’accorde avec l’eucharistie, et l’eucharistie en retour confirme notre façon de penser » (4.18.5) ; on pourrait s’autoriser à traduire ici « façon de penser » par « théologie ». La célébration au sein de l’Église fait bien partie intégrante de la Tradition de foi et fait autorité aux yeux d’Irénée28. Les fondements de cette conviction reposent sur sa théologie de l’histoire du salut et sur la dimension économique de la Révélation : portant à leur accomplissement les bénédictions de l’ancienne Alliance, l’eucharistie, donnée comme modèle et recommandation par le Christ, renouvelle le sens de l’action de grâce. Elle est désormais non seulement la manifestation de la reconnaissance de la créature pour les dons du créateur, mais encore l’expression de la gratitude de l’humanité sauvée, la participation au Mystère du salut, adaptée aux capacités humaines, pour le temps de l’Église.
27 Pour l’étude de cet argument d’autorité porté par les communautés, cf. notre étude « Aux origines du sensus fidelium, la ‘règle de vérité’ d’Irénée de Lyon », dans Les Pères de l’Église à l’écoute du peuple de Dieu : Sensus fidelium et discours autorisés durant l’antiquité tardive, éd. M.-L. Chaieb, La Rochelle, 2016, p. 25-40. 28 Nous sommes ainsi aux origines de la conception selon laquelle la célébration liturgique de l’Église indique sa manière de croire, conception qui sera plus tard exprimée sous la forme de l’adage « Lex orandi, lex credendi » en s’appuyant sur l’expression de Prosper d’Aquitaine. Cf. P. De C lerck , « Lex orandi, lex credendi. Un principe heuristique », La Maison Dieu, 222 (2000), p. 61-78.
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Au cœur de l’argumentation anti-gnostique de l’Adversus Haereses, la référence au dernier repas du Christ constitue donc un repère éclairant sur les fondements de la théologie irénéenne. Malgré l’âpreté du débat, on constate qu’Irénée ne s’enferme ni dans le recours fondamentaliste à la lettre, ni dans une absolutisation de la coutume. Au contraire, sa démonstration repose sur la convergence de la Tradition et des Écritures, de façon équilibrée et complémentaire, convergence qui constitue son argument le plus abouti contre les déviances. Ce faisant, il confère à l’institution de l’eucharistie une dimension d’expression de l’économie divine tout à fait nouvelle, en la situant dans une histoire de la Révélation autant que du salut : « Dès le commencement, le Fils est le Révélateur du Père, puisqu’il est dès le commencement avec le Père […] le Verbe s’est fait le dispensateur de la grâce du Père pour le profit des hommes : car c’est pour eux qu’il a accompli de si grandes ‘économies’, montrant Dieu au hommes et présentant l’homme à Dieu » (4.20.7).
Dimore eterne e fine dei tempi nei Vangeli e nell’Apocalisse, e per sant’Ireneo Pino Di Luccio (Napoli)1 Gli scritti del Nuovo Testamento (NT) descrivono la fine dei tempi con la varietà di rappresentazioni che all’epoca del secondo Tempio caratterizzavano le attese escatologiche di gruppi giudaici come quello dei Sadducei, dei Farisei e degli Esseni2 . I Sadducei non credevano nella risurrezione dei corpi (cfr. Mt 22, 23-33 par). L’anima, inoltre, per i Sadducei non sopravvive, e perciò dopo la morte non ci sono ricompense né punizioni (cfr. Antichità Giudaiche = AG 18.16; m Avot 1,3; m Ber 9,5)3. I Farisei, d’altra parte, credevano nella resurrezione e nell’immortalità dell’anima (cfr. Mt 22, 23-33; Mc 12, 18-27; Lc 20, 27-39; At 23, 1-5.6-10; 1 Cor 15, 35-53; Gal 6, 7-9), nel premio dei virtuosi e nella punizione dei malvagi – in entrambi i casi sotto la terra (ὑπὸ χθονός, AG 18.14) 4. 1 Ringrazio P. Enrico Cattaneo per la lettura che ha fatto di questo testo e per i consigli che mi ha dato. Lo ringrazio anche per avermi introdotto allo studio della letteratura patristica, e nella Compagnia di Gesù. 2 Cfr. G. W. E. Nickelsburg, « Judgment, Life-After-Death, and Resur rection in the Apocrypha, and the Non-Apocalyptic Pseudepigrapha », in Judaism in Late Antiquity, Part Four, a cura di A. J. Avery-Peck, J. Neusner, Boston, MA, Leiden, 2001, p. 141-162. 3 Cfr. ARN 5: S. Schechter, Aboth de Rabbi Nathan, New York, 1945; Libro di Baruch, Libro del Qohelet (cfr. Qo 1, 2-3; 2, 13-16; cfr. anche Sir 17, 27-28), Primo Libro dei Maccabei e Libro di Tobia. Tobi, nel Libro di Tobia, sfoga l’amarezza che gli procurano le parole di sua moglie Anna chiedendo di partire « verso la dimora eterna » (εἰς τὸν αἰώνιον τόπον, Tb 3, 6; cfr. Tb 4, 5-11). Ma la « benedizione », nel Libro di Tobia, è attesa solo durante la vita terrena. 4 L’escatologia dei Farisei caratterizza, per esempio, il Libro di Daniele, il Secondo Libro dei Maccabei, il Quarto Libro dei Maccabei e il Libro della
Irénée de Lyon et les débuts de la Bible chrétienne. Actes de la Journée du 1.VII.2014 à Lyon, sous la direction de A. Bastit et J. Verheyden, Turnhout, 2017 (Instrumenta Patristica et Mediaeualia, 77), p. 337-361 ©
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Come i Farisei anche gli Esseni credevano che le anime sopravvivono alla morte. Secondo lo storico ebreo Giuseppe Flavio, alle anime virtuose, per gli Esseni, è riservata una dimora oltre l’oceano (τὴν ὑπὲρ ὠκεανὸν δίαιταν) in un luogo rinfrescato da una brezza leggera. Le anime « basse », invece, sono destinate ad una prigione oscura e tempestosa (ζοφώδη καὶ χειμέριον μυχόν, Guerra Giudaica = GG 2.155)5. 1. La « Storia » di Lazzaro Una rappresentazione delle « dimore » dell’al-di-là simile a quella che caratterizzava l’escatologia degli Esseni è contenuta nel racconto di Lazzaro e del ricco epulone. Tra tutti i Vangeli canonici questo racconto si trova solo nel Vangelo di Luca (Lc 16, 19-31) e per alcuni Padri della Chiesa, tra i quali Ireneo (AH 4.2.4), questo racconto sarebbe una « storia » e non una parabola6. Secondo il racconto di Luca, durante la vita terrena il povero Lazzaro giaceva davanti alla porta di casa di un anonimo ricco il quale banchettava ogni giorno sontuosamente, incurante della fame di Lazzaro
Sapienza. Per il Libro di Daniele, scritto verso la metà del secondo secolo a.C., nel tempo dell’angoscia sorgerà Michele, e chiunque si troverà scritto nel Libro sarà salvato. Tutti quelli che dormono « nella regione della polvere » ( )אדמת־עפרsi risveglieranno: gli uni alla vita eterna e gli altri alla vergogna e per l’infamia eterna (Dn 12, 1-3). Nel Secondo Libro dei Maccabei la punizione dei malvagi è sulla terra e anche dopo la morte, e la resurrezione è una « restaurazione » dei corpi che subiscono il martirio (cfr. 2 Macc 7, 9-23). 4 Macc riscrive 2 Macc e come il Libro della Sapienza parla della resurrezione dei corpi in termini di immortalità (4 Macc 17, 11-15). Per il Libro della Sapienza il peccato conduce alla morte e la giustizia all’immortalità. Morte e immortalità cominciano sulla terra e continuano dopo la morte biologica. I giusti sembrano morire, ma in realtà passano alla pienezza dell’immortalità e le loro anime riposano « nelle mani di Dio » (δικαίων δὲ ψυχαὶ ἐν χειρί, Sap 3, 1; cfr. v. 2-8; 5, 15-16). 5 Gli Esseni credevano anche nella resurrezione. Cfr. É. Puech, La croyance des Esséniens en la vie future: Immortalité, résurrection, vie éternelle?, 2 vol., Paris, 1993 (Études Bibliques, NS, 22), t. II, p. 558-561. 6 Cfr. Tertullianus, De anima 7.1-4; Ambrosius, Expositio in Lucam 8.13; Clemens Alexandrinus, Stromata 6.16.136.1; Gregorius Nyssenus, De opificio hominis 6.
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(Lc 16, 19-21)7. Al momento della morte Lazzaro fu trasportato dagli angeli « nel seno di Abramo » (εἰς τὸν κόλπον ᾿Αβραάμ, Lc 16, 22) e qui poté finalmente « sfamarsi », se con questa espressione, cioè se con il « seno di Abramo », si può intendere una descrizione del banchetto in Paradiso (cfr. Lc 13, 28-29 par) 8. Al ricco, che una volta sepolto si trovò negli inferi, e che tra i tormenti (ἐν τῷ ᾅδῃ […] ἐν Βασάνοις, Lc 16, 23) implorava Abramo di alleviargli la sete mandando Lazzaro a bagnargli la lingua, ed implorava il patriarca anche di mandare Lazzaro ad ammonire i suoi familiari ancora in vita, Abramo rivela alcuni dettagli della vita « futura ». Nell’al-di-là si verifica un capovolgimento di situazioni: il ricco ora è nei tormenti perché prima ha goduto dei beni terreni; mentre Lazzaro, che nella vita terrena ha sofferto, ora è consolato. Poi, tra gli inferi e « il seno di Abramo » c’è un abisso, grande ed invalicabile (χάσμα μέγα ἐστήρικται, v. 26)9. Infine, le Scritture di Mosè e dei Profeti permettono di comprendere quali sono le condizioni per evitare il luogo di tormenti (Lc 16, 27-29). Se i familiari del ricco non ascoltano le Scritture « non si convinceranno neppure se uno risorgesse dai morti » (οὐδ᾿ ἐάν τις ἐκ νεκρῶν ἀναστῇ πεισθήσονται, Lc 16, 31). L’ascolto e l’intelligenza delle Scritture, per il Vangelo di Luca, sono una condizione indispensabile per la comprensione della vita « futura » e per la convinzione della fede nella resurrezione (cfr. Lc 24, 25-27.45-47).
7 In una tradizione manoscritta di Lc 16, 19-31 che include la versione copta sah, il ricco si chiama Nineue. Secondo gli autori latini il ricco si chiamava Fines (cfr. Nm 25, 7). Lazzaro è chiamato Eleazaro, per esempio, in Tertullianus, De idolatria 13.3s. 8 M. Zerwick, M. Grosvenor, A Grammatical Analysis of the Greek New Testament, Roma, ³1988, p. 248 : « … leaning on the bosom of one’s neighbour signifying being in his intimate company ». 9 Sui meriti di Lazzaro, cfr. R. Bauckham, « The Rich Man and Lazarus: The Parable and Its Parallels », NTS, 37 (1991), p. 63. Per A. Giambrone, « ‘Friends in Heavenly Habitations’ (Luke 16:9): Charity, Repentance, and Luke’s Resurrection Reversal », RB, 120/4 (2013), p. 550, e p. 529-552, Luca svilupperebbe l’escatologia di Tobia. Mentre in questo libro l’elemosina salva solo dalla morte terrena (Tb 4, 10; 12, 9; cfr. Dn 4, 24), per Luca la ricompensa dell’elemosina è in vista della resurrezione futura. Per R. Bultmann, History of the Synoptic Tradition, Oxford, 1963, p. 178, l’evangelista è convinto che la resurrezione di un morto non produrrà nessun cambiamento nella vita di un ricco (vv. 27-31).
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Per sant’Ireneo la resurrezione di cui parla Abramo, nel Vangelo di Luca, non è quella del povero Lazzaro, che il ricco vorrebbe mandare dai suoi fratelli, per ammonirli, ma è la resurrezione di Gesù (AH 2.34.1)10. L’ascolto di Mosè e dei Profeti (Lc 16, 31) è un rimedio per accogliere la resurrezione di Gesù e per evitare il luogo di tormenti (AH 4.2.4)11. Inoltre, contro l’opinione di Epicuro, per Ireneo la « storia » di Lazzaro dimostra che le anime a differenza del corpo sussistono, e che non passano da un corpo ad un altro – come sostenevano invece Platone e Plotino, e anche i Farisei. Poi, fino al giorno del Giudizio, per Ireneo, le anime conservano la figura del corpo in cui vissero12 . Per questo il ricco fu in grado di riconoscere Lazzaro. Le anime, per il vescovo di Lione, conservano la memoria di ciò che operarono nel corpo (cfr. AH 4.2.4), e si vedono assegnata la dimora che meritano (AH 2.34.1)13. 10 La resurrezione di cui parla Abramo nel terzo Vangelo canonico potrebbe essere quella di Gesù, che anticipa la resurrezione di Lazzaro, oppure quella di Lazzaro che anticipa la resurrezione di Gesù. Per R. Dunkerley, « Lazarus », NTS, 5 (1958-1959), p. 321-327, la seconda parte di Lc 16, 19-31 suppone la conoscenza del racconto della resurrezione di Lazzaro in Gv 11. 11 Lc 16, 31 permette a Irenaeus, AH 4.2.3, di difendere l’unità dei due testamenti, per esempio contro i Valentiniani. Chi ascolta Mosè sente Cristo. Le lettere di Mosè sono le parole di Cristo. 12 La credenza nella resurrezione dei morti non presuppone necessariamente quella nell’immortalità dell’anima. Cfr. O. Cullmann, Immortalité de l’âme ou résurrection des morts?, Neuchâtel, 1956. Nella Passione di Perpetua (iie siècle d.C.) l’anima sperimenta la percezione sensoriale senza il corpo e senza attesa della resurrezione e del Giudizio. Cfr. E. Gonzalez, « Anthropologies of Continuity: The Body and Soul in Tertullian, Perpetua, and Early Christianity », JECS, 21 (2013), p. 492-493, e cfr. p. 479-502. Per A. Briggman, « Irenaeus’ Christology of Mixture », JTS NS, 64 (2013), p. 534, e p. 516-546, la deduzione di Ireneo dalla storia di Lazzaro, che l’anima conserva la figura del corpo, dimostrerebbe l’uso stoico del concetto di fusione (mixture). Per gli Stoici l’anima sopravvive per un tempo e poi si disfa nella conflagrazione. 13 Iustinus, 1 Apol 18.1s, parla di coscienza (αἴσθησις) dell’anima, che può soffrire o godere, e riferendosi a 1 Sam 28 parla anche di memoria dell’anima (Dial 105.4). Tertullianus (De anima 7.1-4), si riferisce a Lc 16, 19s per dimostrare la corporeità della psiche e la figura corporea dell’anima che può soffrire o godere anche senza il corpo (De anima 58.4, 6; cfr. De Resurrectione carnis 17). Per Gonzalez, « Anthropologies of Continuity », « […] because he [Tertullian] maintains the corporality of God’s nature, it is only reasonable that the soul, emanating from the breath of God (De anima 22.2), must also be corporeal in nature » (p. 484-485). Prima del De anima, Tertullianus, Apo-
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Secondo questa storia, dopo la sua morte il ricco conosceva Lazzaro e conosceva anche Abramo. Ciascuno dimorava al posto che gli era stato assegnato (et manere in suo ordine unumquemque ipsorum) […] Tutto ciò suppone chiaramente che le anime sussistono, che non passano in altri corpi, che posseggono i tratti dell’essere umano in modo da poter essere riconosciute, e che si ricordano delle cose di quaggiù (et habere hominis figuram ut etiam cognoscantur et meminerint eorum quae sint hic). Si vede anche che Abramo possedeva il dono della profezia e che ogni anima, prima del Giudizio, si vede assegnare il soggiorno che merita (et dignam habitationem unamquamque gentem percipere etiam ante iudicium)14.
Parlando della « storia » di Lazzaro e del ricco, Ireneo non specifica che cosa e dove sia il « seno di Abramo ». Osserva solo che in attesa della resurrezione e del Giudizio ciascuno dimora al posto che gli è assegnato, e nell’abitazione che gli conviene e che merita (dignam habitationem)15. I luoghi dell’attesa della resurrezione e del Giudizio, per Ireneo, sono indicati dall’esempio del Signore. Gesù ha soggiornato per tre giorni nelle regioni della terra, dove sono le anime dei morti. Anche noi, « dobbiamo prima attendere il momento della nostra resurrezione stabilito da Dio e annunciato dai Profeti. Poi una volta resuscitati saremo elevati (et sic resurgentes assumi). Tutti quelli di noi, almeno, che il Signore giudilogeticum 47.13; 48.4; De testimonio animae 4.1; Adversus Marcionem 4.34.12, presuppone l’incorporeità della psiche e nega che l’anima possa soffrire in forma corporea prima della resurrezione. L’anima perde memoria e sensibilità fino al giorno del Giudizio e della resurrezione (De testimonio animae 4.1). Cfr. C. Tibiletti, S. Ireneo e l’escatologia nel ‘De Testimonio Animae’ di Tertulliano, Torino, 1959; Gonzalez, « Anthropologies of Continuity », p. 488. 14 A. Orbe, Parábolas evangélicas en San Ireneo, 2 vol., Madrid, 1972, t. II, p. 415: « La frase ‘et habere hominis figuram, ut etiam cognoscantur’ se presta a dos sentidos, según se entienda ut como partícula final (‘para que sean también conocidas’) o consecutiva (‘de suerte que sean también conocidas’) […] El único sentido aceptable es este secundo. La partícula ut denuncia una consecuencia del hecho ». Le traduzioni dei testi sono mie. 15 Per Tertullianus (De idolatria 13.3s; De ieiunio 16.3; Apologeticum 47.13), le anime dei giusti sono nel « seno di Abramo » fino a quando dimoreranno per sempre in cielo con il corpo resuscitato. Nel De anima 7.3s. (cfr. 55.5; 58.1-2), però, Tertulliano dice che tutte le anime, quelle dei giusti e quelle dei malvagi, dimorano negli inferi in attesa del giorno del Giudizio. Iustinus, Dial 5.3, a questo proposito, aveva parlato di un luogo migliore (ἐν κρείττονί ποι χώρῳ) per le anime dei pii e di un luogo peggiore (ἐν χείρονι) per le anime dei malvagi, in attesa del giorno del Giudizio.
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cherà degni » (AH 5.31.2). Le anime, perciò, per Ireneo, andranno al luogo invisibile che gli è assegnato da Dio, e vi dimoreranno fino alla resurrezione (animae abibunt in invisibilem locum definitum eis a Deo et ibi usque ad resurrectionem commorabuntur). Allora, recupereranno i loro corpi e resusciteranno come è resuscitato il Signore, e in questa maniera verranno alla presenza di Dio (AH 5.31.2)16. 2. Le dimore eterne e la « Casa » del Padre La resurrezione e il Giudizio, per Ireneo, avranno luogo a Gerusalemme dopo la resurrezione dei giusti, i quali si eserciteranno all’incorruttibilità per mille anni mentre regnano con Cristo (cfr. Ap 20, 4-6.12/14; AH 5.35.1-2). Come è vero che la resurrezione sarà reale, così sarà reale l’abitazione della Città di Dio (AH 5.35.2). Non tutti abiteranno nello stesso luogo. Nel libro 5 dell’Adversus Haereses, nel contesto messianico del riferimento all’insegnamento dei presbiteri asiatici, Ireneo spiega le abitazioni eterne collegando la parabola della festa di nozze (Mt 22, 1-14) a quella del seminatore (Mt 13, 8), e al significato delle dimore di cui parla Gesù in Gv 14, 2 (cfr. AH 5.36.1-2)17. Quando dice che nella « casa » del Padre vi sono molte « dimore » (ἐν τῇ οἰκίᾳ τοῦ πατρός μου μοναὶ πολλαί εἰσιν, Gv 14, 2), Gesù, per Ireneo, parla delle diverse abitazioni escatologiche alla fine del « millennio »: il Cielo, il Paradiso e la Città. Questa è la Gerusalemme terrena, prima ricostruita e poi riunita a quella celeste (AH 5.34–35) secondo la profezia di Isaia e secondo le rivelazioni dell’Apocalisse (cfr. Is 6; 13; 26; 31–32; 49;
16 Per Irenaeus, « né la sostanza e né la materia della creazione saranno annientate » (Non enim substantia neque materia conditionis exterminatur) (AH 5.36.1). Cfr. AH 5.33.1-3. Nel secondo secolo d.C. la continuità della materia – non solo alla resurrezione e anche senza la resurrezione – dipende dalla concezione aristotelica del dualismo e dalla concezione aristotelica del platonismo. Cfr. Gonzalez, « Anthropologies of Continuity », p. 479-502 e p. 500: « Important though it was, bodily resurrection was only one view of how material continuity could be achieved, even within texts traditionally denominated as ‘orthodox’ ». 17 Ireneo descrive le dimore eterne anche collegando la parabola degli invitati alle nozze (Mt 22, 1-14; AH 4.36.6; 4.39.3) alla « grande cena » di Lc 14, 15-24 (AH 3.14.3; 5.33.2).
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54; 65; Gal 4, 26; Ap 21, 1-4; AH 5.34.4–35.2). Quelli che nella parabola del seminatore hanno fruttificato il cento per uno, per Ireneo, sono coloro che abiteranno in Cielo. Coloro che, in questa parabola, hanno fruttificato il sessanta sono quelli che abiteranno in Paradiso, e quelli che hanno fruttificato il trenta sono coloro che abiteranno la Città. Tale sarà la differenza di abitazione tra quelli che avranno prodotto cento per uno, sessanta per uno, trenta per uno (Esse autem distantiam hanc habitationis eorum qui centum fructificaverunt et oerum qui sexaginta et eorum qui triginta, cfr. Mt 13, 8): i primi saranno innalzati al Cielo, i secondi soggiorneranno nel Paradiso, i terzi abiteranno la Città. È la ragione per la quale il Signore ha detto che presso il Padre ci sono numerose dimore (quorum quidam in caelum assumentur, alii in paradiso conversabuntur, alii in civitate inhabitabunt: et propter hoc dixisse Dominum multas esse apud Patrem mansiones). Perché tutto appartiene a Dio, il quale procura a ciascuno l’abitazione adatta (qui omnibus aptam habitationem praestat) (AH 5.36.2; cfr. Gv 14, 2; AH 4.36.8).
Tra i critici moderni le opinioni a proposito del significato della « casa » con molte dimore di Gv 14, 2, sono varie e molto diverse tra loro. Robert H. Gundry, per esempio, intende la ricorrenza del termine « casa » in questo testo nel senso di « famiglia » e di « ambito familiare »18. Per Don A. Carson, Gesù userebbe questa terminologia per parlare del cielo19. Per George Beasley-Murray, la « casa » con molte dimore sarebbe una rappresentazione della Gerusalemme celeste, come in Eb 12, 22 e in Ap 21, 9–22, 520. Mark Jennings fa notare una relazione tra Gv 14, 1-2 e Mc 13, 1-2.24-27. In entrambi i casi Gesù spiegherebbe ai suoi discepoli ciò che accadrà nel futuro, al suo ritorno. Mentre il Vangelo di Marco utilizza la profezia della distruzione del Tempio per parlare degli eventi che condurranno alla fine, il Vangelo di Giovanni interpreterebbe la tradizione marciana parlando dell’abitazione spirituale del Padre
R. H. Gundry, « ‘In my Father’s House are Many Μοναί’ (John 14, 2) », ZNW, 58 (1967), p. 68-72. 19 D. A. Carson, The Gospel according to John, Grand Rapids, MI, 1991, p. 489. Cfr. L. Morris, The Gospel according to John, Grand Rapids, MI, 1995, p. 567. Cfr. anche Philo, De Somniis 1.256; De Confusione Linguarum 78; Quis Rerum divinarum heres 274; De Vita Mosis 2.288. 20 G. R. Beasley-Murray, John, Nashville, TN, 1999 (WBC, 36), p. 249. 18
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alla quale Gesù sta per tornare21. Per James McCaffrey, la ricorrenza della terminologia della « casa » in Gv 14, 2 indica che Gesù parla del Tempio (cfr. Gv 2, 16)22 . Per Johannes Beutler, infine, Gv 14, 2 sarebbe una reinterpretazione escatologica, successiva al 70 d.C., del Tempio di Gerusalemme menzionato in Sal 42/4323. Le parole di Gesù in Gv 14,2s possono far riferimento ad alcune concezioni del Tempio escatologico24, come suggerisce, per esempio, la terminologia di un testo di Qumràn. 4Q174 1,1-13 spiega la promessa del Signore a Davide in 2 Sam 7 in riferimento al Tempio futuro, sulla base della ricorrenza del termine « casa » ( )ביתche 21 M. Jennings, « The Fourth Gospel’s Reversal of Mark in John 13,31– 14,3 », Biblica, 94 (2013), p. 210-236. Gv 14, 3 sarebbe un riferimento alla Parusia, quando Gesù tornerà a prendere i suoi discepoli perché abitino dove è lui, con il Padre. 22 « It would be in line with Jewish tradition to interpret ‘the Father’s house’ of Gv 14,2-3 with reference to the heavenly temple ». J. McCaffrey, The House with Many Rooms. The Temple Theme of Gv. 14,2-3, Rome, 1988, p. 62. Il Tempio terreno era modellato su quello celeste (cfr. Es 25, 9.40; 26, 30; Ger 17, 12; Sap 9, 10; Philo, De Vita Mosis 1.158; 2.74-76; Quaestiones et Solutiones in Exodum 2.52, 82). Il cielo è il Tempio celeste (cfr. Dt 26, 15; Is 63, 15; Mi 1, 2-3). Qui abita il Signore (1 Re 22, 19s; Gb 1, 6-12; 2, 1-7; Is 6, 1s; Zc 3, 1-7; Dn 7, 9s), e con lui abitano esseri celesti, e anche i giusti (Sap 3, 9; Philo, De Somniis 1.34, 215; De Specialibus Legibus 1.66; 1QH 3,19-21; 4,24s; 6,12s; 7,22-25; 11,3s; 1 En 3.4-6; 20.40; 39.3-8; 41.2-51; 58; 62.13-16) in attesa della resurrezione finale (4 Esdra 7.32, 75, 78, 80, 91, 95; 2 Bar 21.23; 23.4; 30.2) e del Giudizio (1 En 22.5-9; 39.3-8; 70; 89.52). In 4 Esdra (7.80, 85, 101, 121; cfr. 4.35; 7.32, 95) i giusti attendono la resurrezione in abitazioni e abitacoli. Per 1 En 39.4; 2 En 61.2 in cielo ci sono abitazioni e compartimenti diversi. Cfr. anche Giuseppe e Aseneth 8.11; 22.9. McCaffrey, The House with Many Rooms, p. 70: « Entrance of the just into heaven immediately after death is not clearly affirmed [in the OT]. Hence, we find many descriptions of the habitation(s) or room(s) of the just in an intermediate state while expecting the final resurrection and the judgment ». 23 J. Beutler, Do Not Be Afraid. The First Farewell Discourse in John’s Gospel, Frankfurt am Main, 2011, p. 35. Cfr. anche C. S. Keener, The Gospel of John. A Commentary, Peabody, MA, 2003, p. 921. 24 Alcuni ebrei religiosi aspettavano un nuovo Tempio non solo dopo la distruzione del 70 d.C., ma anche nei decenni precedenti a questo tragico evento. Come il Tempio erodiano, quello futuro che lo avrebbe sostituito (1 En 90.28s) doveva avere molte stanze (cfr. Ez 40, 17; 11QT). Questo Tempio sarebbe stato il luogo della riunione e del riposo finale, e anche dell’attesa del Giudizio (cfr. Es 15, 17; 2 Sam 7, 10; 1 Cr 17, 4; 2 Macc 1, 29; 1 En 3.4-6; 5.1-2; 14.16-18, 20; 90.28-29).
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nel testo biblico designa il Tempio e la discendenza davidica (cfr. 2 Sam 7, 5s.11s). Nel documento di Qumràn, il Tempio promesso per gli ultimi tempi, quello che il Signore stesso costruirà attraverso la discendenza davidica, e secondo la Parola della Scrittura, è un « Tempio di Adamo », oppure un « Tempio dell’Uomo » (מקדש אדם, 4Q174 1,6). Quando Gesù nel quarto Vangelo parla della « preparazione » di un « posto » per i discepoli nella « casa del Padre » può fare riferimento a una simile concezione del Tempio escatologico, può cioè riferirsi a un « Tempio dell’Uomo ». Il posto di cui Gesù parla in Gv 14, 2, in questo caso, non sarebbe un luogo nello spazio celeste, e la partenza di Gesù, necessaria per la preparazione di un posto ai discepoli (cfr. Gv 14, 2-3), non sarebbe un rapimento in cielo come quello di Enoc (cfr. Gen 5, 24)25. La « partenza » di cui Gesù parla sarebbe invece la sua morte e la sua « glorificazione », che comporta il dono dello Spirito (Gv 19, 30; 20, 20-23). Con questo evento Gesù, nel Vangelo di Giovanni, prepara un « posto » ai discepoli. L’espressione di Gv 14, 2 può descrivere da una parte i molteplici aspetti della comunione con Gesù, e d’altra parte può indicare la partecipazione alla sua unione con il Padre. Per il quarto Vangelo, Gesù dona ai discepoli lo Spirito che ha promesso, in un tempo « breve » (cfr. Gv 14, 19; 16, 16), e in un tempo breve, con la pratica del suo comandamento (Gv 15, 12-17) e con la pratica del perdono dei peccati (cfr. Gv 14, 15-21; 20, 20-23), permette loro di partecipare al suo corpo « glorificato » che è identificato con il Tempio escatologico (cfr. Gv 2, 12s)26. La 25 Per casi di personaggi rapiti in cielo, cfr. 2 Cor 12, 1-4; 2 En; S. Pfann, « Abducted by God? The Process of Heavenly Ascent in Jewish Tradition, from Enoch to Paul, from Paul to Akiva », Henoch, 33/1 (2011), p. 113-128. Per una lista di personaggi che come come Elia entrarono in paradiso senza morire, cfr. L. Ginzberg, The Legends of the Jews, 7 vol., Philadelphia, PA, 1968, t. V, p. 68, n. 67. Per Satt Gen 5,24 (Satt = shared aggadic targumic tradition) Enoc non fece un semplice viaggio in cielo, ma fu rapito in cielo alla fine della sua vita. Per TO Gen 5,24, Enoc morì come ogni altro essere umano. Cfr. A. Shinan, The Embroidered Targum. The Aggadah in Targum Pseudo-Jonathan of the Pentateuch, Jerusalem, 1992, p. 24-34 (Heb). TO = A. Sperber, The Bible in Aramaic Based on Old Manuscripts and Printed Texts, t. I-III, Leiden, Boston, MA, 2004. 26 Del luogo di cui Gesù parla i discepoli conoscono la « via » (Gv 14, 2), cioè la Parola che ha annunciato loro (cfr. Sal 118, 1s; 1QS 8,12-16; At 9, 2; 19, 9.23; 22, 4; 24, 14), e che lo Spirito ricorderà ed insegnerà (cfr. Gv 14, 26). In Gv 14, 4, D Θ e altri manoscritti mettono in evidenza la relazione
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« casa » del Padre con molte dimore in Gv 14, 2 non è da intendere necessariamente nel senso di un edificio fisico, né come un luogo di enormi dimensioni situato in uno spazio celeste, ma potrebbe essere intesa in termini temporali più che in termini « spaziali », e in ogni caso dovrebbe riguardare Gesù stesso e il suo corpo. Il corpo morto e risorto di Gesù, per il Vangelo di Giovanni, infatti, è il « nuovo » Tempio (Gv 2, 12s)27. 3. Il Tempio per Ireneo e nella letteratura rabbinica Nel N"T i riferimenti al Tempio futuro sono più diffusi di quelli che parlano del futuro del Tempio di Gerusalemme (cfr. Mc 13 par). Quest’ultimo è forse anche il caso del racconto della « purificazione del Tempio » (cfr. Mc 11), che il Vangelo di Giovanni presenta come una profezia sul futuro del Tempio, ma in relazione al Tempio futuro ed escatologico che è il corpo di Gesù (cfr. Gv 2, 12s). L’antica letteratura cristiana « ortodossa », invece, contiene più riferimenti alla distruzione del Tempio di Gerusalemme che al significato teologico ed escatologico del Tempio. Mentre la Lettera di Barnaba (16.1-10) spiega la costruzione del nuovo Tempio come un evento che per il battezzato ha già avuto luogo, con il perdono dei peccati e con la « ricreazione dall’inizio »28, Ireneo parla che esiste tra la conoscenza della « strada » e quella del « luogo » a cui Gesù è diretto (καὶ ὅπου [ἐγὼ] ὑπάγω οἴδατε καὶ τὴν ὁδὸν οἴδατε), come nella Vulgata (et quo ego vado scitis et viam scitis) e nella Peshitta (ܘܐܠܝܟܐ ܕܐܙܐܠ )ܐܢܐ ܝܕܥܝܢ ܐܢܬܘܢ ܘܐܘܪܚܐ ܝܕܥܝܢ ܐܢܬܘܢ. 27 Vangelo di Tommaso 64 fa riferimento a Gv 14, 2 e anche a Gv 2, 12s, spiegando la parabola dell’invito al banchetto nuziale (Mt 22, 1s): « mercanti e commercianti non entreranno nei luoghi (τόποι) di mio Padre ». Cfr. anche Vangelo di Tomasso 4.60. Per R. E. Brown, The Gospel according to St. John, 2 vol., Garden City, NY, 1966-1970 (AB, 29-29A), t. II, p. 627, la casa del Padre è il corpo di Gesù. Per un’interpretazione della tenda di Eb 9, 11 come il corpo di Cristo glorificato, cfr. A. Vanhoye, « Par la tente plus grande et plus parfaite … (He 9, 11) », Biblica, 46 (1965), p. 1-28. 28 « 6a Dobbiamo perciò cercare se c’è un tempio di Dio. Sì, uno c’è, dove Lui stesso dice che lo realizza e lo prepara […] 7 e come sarà costruito al Nome del Signore? Imparalo. Prima di credere in Dio, i nostri cuori erano un’abitazione corruttibile e fragile, come un tempio costruito con le mani di uomini […] Fa’ attenzione che il Tempio del Signore sia costruito in splendore. 8b Come? Imparalo. Ricevendo il perdono dei peccati, mettendo la nostra speranza nel Nome noi siamo diventati nuovi, ricreati secondo l’inizio.
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del Tempio di Gerusalemme come del luogo in cui si manifesterà l’Anticristo, il quale « trasporterà la sua regalità a Gerusalemme e siederà nel Tempio di Dio persuadendo insidiosamente i suoi adoratori che egli è il Cristo » (AH 5.25.4. Cfr. 2 Tess 2, 3-4; AH 5.25.2). Sant’Ireneo interpreta le parole con le quali Gesù annuncia la desertificazione del Tempio (Mt 23, 37s; 24, 2; cfr. AH 4.36.8, 308s; 4.4.1-2, 36s) come fine dell’economia preparatoria a quella del Vangelo. Con la distruzione del Tempio, per Ireneo, finisce un’epoca, e ne comincia – subito – un’altra che è definitiva (AH 4.4.2, 29s, 36s)29. La Gerusalemme adultera ha abbandonato il suo vero Sposo e si è unita all’Anticristo. Quando questi tornerà, si siederà nel Tempio, a Gerusalemme, e si presenterà come il Cristo (AH 5.25.4, 82s). Il Tempio sarà restaurato, ma per essere la sede dell’Anticristo (cfr. 2 Tess 2, 3-4) durante tre anni e sei mesi, prima della venuta del Signore e prima dell’inizio del « millennio » (AH 5.30.4, 106s). Allora, Gerusalemme sarà ricostruita ad immagine della Gerusalemme celeste, prima di essere definitivamente unita ad essa30. Ireneo fa riferimento al Tempio quando parla della Gerusalemme futura che sarà ricostruita sul modello di quella celeste disegnata nelle mani di Dio (Hierusalem quae in manibus Dei descripta est, AH 5.35.2, 59s; cfr. 2 Bar 4.2-7), come quando 8c Perciò Dio abita veramente in noi dove Egli fa la sua abitazione. 9a Come? Per la parola della sua fede, la vocazione della sua promessa, la sapienza dei suoi precetti, i comandamenti della sua dottrina » (Epistola di Barnaba 16.1-9). 29 A. Orbe, « Metamorfosis de la ciudad de Jerusalén », in Id., Introducción a la teologia de los siglos II y III, Roma, 1987, p. 1012: « La suerte de la Ciudad no compromete la verdad de la economía transitoria del A.T. Para que una dispensación sea verdadera, no tiene por qué ser definitiva. Basta que tenga la verdad que le pertenece, en los designios de Dios; y ser buena para su tiempo. La Ley mosaica, aunque temporal, fué buena en sus días; y solo dejó de serlo con la venida de la Dispensación evangélica […] En la providencia de Dios entraba que Jerusalén principiase sus días de gloria con David, y después de haber colmado los tiempos de la Ley, terminara con la manifestación del Evangelio ». Per la presentazione del pensiero di Ireneo in A. Orbe, Introducción a la teologia de los siglos II y III, Roma, 1987, cfr. A. BastitKalinowska, « L’Introduction d’Antonio Orbe. Une vision inédite de la première pensée chrétienne », Gregorianum, 94/2 (2013), p. 231-237. 30 Cfr. Orbe, « Metamorfosis de la ciudad de Jerusalén », p. 1009-1024. Il Tempio di Gerusalemme per Ireneo sarà il luogo della manifestazione dell’Anticristo, prima del settimo millennio (AH 5.25.2, 4; 5.28.2-3; 5.30.4; 5.33.2-3; 5.36.3; cfr. 2 Tess 2, 3-4).
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Mosè costruì il Tabernacolo sull’esempio di un modello celeste (cfr. Es 25s; Sal 102, 20). Il riferimento al Tabernacolo serve però ad Ireneo a parlare degli eventi che caratterizzano l’ultimo « millennio ». Innanzitutto, nonostante la menzione del Tabernacolo, la relazione tra la Gerusalemme futura e il Tempio escatologico non è una questione alla quale Ireneo dà molto rilievo. Poi, l’ultimo « millennio » non è proprio il tempo della fine, ma quello in cui si verificano alcuni eventi che preparano e precedono la fine (cfr. Ap 20). Probabilmente Ireneo non si sofferma su questioni relative al Tempio futuro ed escatologico perché vuole indicare la novità e l’evoluzione delle concezioni relative al Tempio. Nelle descrizioni della fine dei tempi e della vita futura Ireneo, inoltre, non fa tanti riferimenti al Tempio escatologico, forse anche per evitare che questo sia identificato con il Tempio di Gerusalemme, come è invece il caso di un Midràsh al Libro dell’Esodo datato al secondo secolo d.C. Questo Midràsh spiega il tempo del Giudizio e il significato del Tempio menzionato in Es 15, 17 alludendo alla ricostruzione del Tempio di Gerusalemme. Il Signore Regnerà. Quando? Quando tu lo costruirai di nuovo con le tue due mani. Con una parabola, a che cosa assomiglia? A ciò che segue: Ladri entrarono nel palazzo di un Re, depredarono la sua proprietà, uccisero la famiglia reale e distrussero il palazzo del Re. Dopo un certo tempo, comunque, il Re esercitò il (letteralmente: sedette in) Giudizio su di essi ()לאחר זמן ישב עליהן המלך בדין. Alcuni di essi li imprigionò. Alcuni li uccise. Altri li crocifisse. E allora abitò di nuovo nel suo palazzo. E così il suo Regno fu riconosciuto nel mondo. In questo senso è detto: Il tuo Santuario, O Signore, che le tue mani hanno stabilito. Il Signore regnerà per sempre (Mek Es 15,17-21)31.
A differenza della spiegazione di questo Midràsh a Es 15, 17-21, Ireneo non si sofferma su questioni che possono comportare un’ 31 Z. Lauterbach, Mekilta de-Rabbi Ishmael, 3 vol., Philadelphia, PA, 1933, t. II, p. 79-80. Nella letteratura rabbinica in alcuni casi la venuta del Messia coincide con la resurrezione e con il Giudizio finale. In altri casi, il Messia viene a preparare il Giudizio e la resurrezione finale inaugurando un tempo, della durata di un certo numero di anni – da quaranta a mille. Al Giudizio finale fa seguito la vita eterna o la condanna. Cfr. H. L. Strack, P. Billerbeck, Kommentar zum Neuen Testament aus Talmud und Midrash, 5 vol., München, 1922-1969, t. IV/2, p. 799–976; 1138-1142; soprattutto p. 815–821.
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identificazione tra il Tempio futuro e quello di Gerusalemme, o le evita, e addirittura le esclude quando certi riferimenti al Tempio sono chiaramente indicati dalla letteratura rabbinica. Per il Targùm, per esempio, prima di impartire la benedizione a Giacobbe, il vecchio e cieco Isacco identifica il profumo dei vestiti del figlio con quello dell’incenso di profumi scelti, che saranno offerti sull’altare della montagna del Santuario, la montagna che Colui che vive per sempre ha benedetto כריח קטרת בסמניה טביה דעתיד למתקרבא על גבי מדבחא בטור בית מקדשא הוא טורא ברך יתיה חי וקיים כל עלמיא (N Gen 27,27)32.
Per Ireneo se non si intendono le parole di Isacco a Giacobbe in senso letterale, e se la rugiada del cielo e il grasso della terra, l’abbondanza di frumento e di vino non fanno riferimento ai tempi del Regno, « si cade in contraddizioni e difficoltà considerevoli, quelle stesse in cui cadono e si dibattono gli ebrei » (in grandem contradictionem et contrarietatem incidet, quemadmodum Judaei incidentes in omni aporia constituuntur, AH 5.33.3)33. Ireneo vuole evitare, escludere, o sfumare, la relazione tra il Tempio escatologico e quello di Gerusalemme. Per questa ragione, probabilmente, menziona il Tempio di Gerusalemme quando parla dell’Anticristo e non menziona il Tempio futuro quando descrive le dimore eterne, in relazione al significato di Gv 14, 2 e in relazione al « seno di Abramo » nella « storia » di Lazzaro. Anche quest’ultima espressione nel secondo secolo d.C. poteva essere intesa come una menzione del Tempio escatologico. Nel caso in cui indicasse il banchetto in Paradiso34, il « seno di Abramo », nel racconto di Lazzaro e del ricco, può essere riferito infatti al modo con cui alcuni gruppi dell’epoca di Gesù vivevano la loro religiosità in relazione al Tempio, e al Tempio escatologico. Alcuni gruppi giudaici dell’epoca del secondo Tempio, come i Farisei, prima della comunione N = A. Díez Macho, Neophyti 1, Targum Palestinese Ms de la Biblioteca Vaticana, 5 vol., Madrid, Barcellona, 1968-1978. 33 Per le relazioni tra le comunità dell’Asia Minore da cui proveniva Ireneo e le comunità ebraiche di questa zona, cfr. P. Trebilco, Jewish Communities in Asia Minor, Cambridge, 1991. 34 Cfr. Zerwick, Grosvenor, A Grammatical Analysis of the Greek New Testament, p. 248. 32
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delle mense praticavano riti di purificazione come quelli previsti in occasione dei sacrifici del Tempio (cfr. Mc 7, 1-5 par) allo scopo di trasferire l’altare del Tempio – e probabilmente anche le attese relative al Tempio futuro e al banchetto escatologico (cfr. Is 25, 6-12) – sulle mense di tutto Israele 35. Anche altri indizi possono indicare che il « seno di Abramo », nel racconto di Lazzaro e del ricco, contiene un riferimento al Tempio. I Targumìm, cioè le traduzioni aramaiche della Bibbia ebraica, presentano la redenzione futura in relazione al sacrificio di Isacco, mettendo in evidenza, da una parte, l’unione di Abramo e di Isacco nell’esecuzione del sacrificio (cfr. Satt Gen 22,10) – a partire dal testo biblico (וילכו שניהם יחדיו, « e poi proseguirono tutti e due insieme », Gen 22, 6) – e chiarendo, d’altra parte, che nel futuro la remissione dei peccati e la liberazione saranno ottenute per il sacrificio di Isacco nel luogo in cui si è manifestata la Gloria del Signore, cioè sul monte del Tempio. La redenzione e la liberazione, il soccorso nelle difficoltà e il perdono dei peccati, per le tradizioni haggadiche dei Targumìm, saranno sempre collegate al Tempio, e all’unione di Abramo e di Isacco nel luogo dove sarà costruito il Tempio (cfr. Gen 22, 2 con 2 Cr 3, 1; cfr. N Es 12,42)36. La vita futura, e il futuro del Tempio, in queste tradizioni, sono messi in relazione al sacrificio di Isacco e all’unione dei due patriarchi, che nella storia di Lazzaro potrebbe essere indicata dal « seno di Abramo », soprattutto se l’espressione di Lc 16, 22 facesse riferimento a quella di Gen 15, 4 (לא ירשך זה כי־אם אשר יצא ממעיך הוא יירשך, « Non sarà costui il tuo erede, ma uno nato da te [letteralmente: colui che uscirà dalle tue viscere] sarà il tuo erede »)37. 35 Cfr. J. Neusner, « The Fellowship (Haburah) in the Second Jewish Commonwealth », HTR, 53 (1960), p. 125-142; C. Blomberg, « Jesus, Sinners, and Table Fellowship », Bulletin for Biblical Research, 19/1 (2009), p. 35-62. 36 A Gen 22 e all’Aqedà la tradizione ebraica associa la fede nella resurrezione dei morti. Cfr. M. Remaud, « Isaac et la foi en la résurrection des morts », Nouvelle Revue Théologique, 132 (2010), p. 529, e Gn 22, 4-5 con GenR 56,1; Amidà, benedizione detta « Gevurà » (cfr. note 42 e 43); Rom 15, 6; Eb 11, 17-19. 37 Il termine מעהin Gen 15, 4 significa anche « pancia » (belly) e « grembo » (womb). Questi signifcati sono inclusi nel termine greco κόλπος di Lc 16, 22, e di Gv 1, 18. Cfr. F. Brown, S. R. Driver, Ch. A. Briggs, A Hebrew and English Lexicon of the Old Testament with an Appendix Containing the Biblical Aramaic, Based on the Lexicon of W. Gesenius, as Translated by E. Robin-
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Nel caso in cui il « seno di Abramo » nel racconto del Vangelo di Luca contenesse un riferimento al Tempio, Ireneo parlando del significato della « storia » di Lazzaro e del ricco, avrebbe evitato riferimenti al Tempio escatologico. A differenza di Tertulliano per il quale il « seno di Abramo » non è negli inferi – come invece sosteneva Marcione – e non è neppure nel cielo, ma è in una regione intermedia sotto terra (Adversus Marcionem, 4.34.11-13; 5.12), Ireneo non si mostra particolarmente interessato ai dettagli relativi al « seno di Abramo », se non per specificare che ciascuno dimora nell’abitazione che gli conviene, in attesa della resurrezione e del Giudizio (AH 2.34.1). La « storia » del povero Lazzaro, per il vescovo di Lione, vuole mettere innanzitutto in guardia coloro che vivono come il ricco, abusando della loro ricchezza (AH 4.2.4). Ireneo può aver evitato, anche in questo caso, di parlare del Tempio escatologico per non confondere le attese escatologiche del Tempio futuro con il Tempio di Gerusalemme, e anche a motivo delle attese escatologiche di coloro, ebrei e forse giudeo-cristiani, i quali nel secondo secolo d.C. aspettavano la fine dei tempi con la venuta del Messia, e tra i compiti del Messia includevano la ricostruzione del Tempio (cfr. Mek Es 15,17-21). Il racconto dell’Annunciazione nelle Questioni di Bartolomeo (2.15-21), per esempio, potrebbe interpretare il concepimento di Gesù e l’attesa della sua venuta secondo una teologia messianica del Tempio, includendo nelle attese della fine la ricostruzione del Tempio. L’Annunciazione, in questo testo, è raccontata dalla madre di Gesù in prima persona, ed è ambientata nel Tempio. L’annuncio del concepimento della Parola del Signore è fatto dal Signore stesso il quale appare a Maria nelle sembianze di un Angelo. Prima di annunciare a Maria che entro tre anni concepirà un figlio per mezzo del quale tutto il mondo sarà salvato, il son, Oxford, 1906, p. 588-589; H. G. Liddell, R. Scott, A Greek-English Lexicon. With a Supplement, Oxford, 1968, p. 974. Ireneus, AH 4.5.2-5; 4.8.1; 4.25.3, che si riferisce a Gen 22 per spiegare Gv 8, 56, probabilmente conosce le tradizioni dell’Aqedà. Alcuni elementi della tradizione dell’Aqedà potrebbero essere contemporanei agli scritti del NT. Per Philo, De Abrahamo 172, Abramo e Isacco « camminavano con uguale velocità di pensieri, piuttosto che fisica » (βαδίζοντες δ᾿ ἱσοταχῶς οὐ τοῖς σώμασι μᾶλλον ἢ ταῖς διανοίαις). Cfr. L. A. Huizenga, « The Aqedah at the End of the First Century of the Common Era: Liber Antiquitatum Biblicarum, 4 Maccabees, Joseph’s Antiquities, 1 Clement », JSP, 20 (2010), p. 105-133.
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Signore prende dai due lati delle sue proprie vesti un grande pane e una coppa di vino e li depone sull’altare del Tempio. Ne mangiano e ne bevono entrambi, e dopo le parole dell’Annunciazione l’Angelo scompare. Il Tempio, allora, torna ad essere come era prima dell’apparizione. Questa « riscrittura » dell’Annunciazione può implicare che nell’attesa della venuta, e del ritorno, di Gesù alcuni gruppi giudeo-cristiani includevano riferimenti alle attese « messianiche » del Tempio, come sono esplicitate dalla letteratura rabbinica38. Nella letteratura rabbinica, l’attesa del Messia e del « mondo che deve venire » ( – )העולם לעתיד לבואcon cui si intende sia la vita futura che l’era messianica, cioè il tempo e lo spazio « celeste » dopo la morte, e il tempo inaugurato dalla venuta del Messia – sono descritti in alcuni casi con la distinzione tra « questo mondo » e il « mondo futuro », e con l’attesa del nuovo Tempio39. La costruzione 38 Per F. Bovon, « The Reception and Use of the Gospel of Luke in the Second Century », in Reading Luke: Interpretation, Reflection, Formation, a cura di C. G. Bartholomew, J. B. Green, A. C. Thiselton, Grand Rapids, MI, 2005, p. 379-400, alcuni autori nel secondo secolo d.C. utilizzano il Vangelo di Luca come una « fonte » per raccontare di nuovo e per « riscrivere » la storia di Gesù. Altri autori dello stesso periodo trattano invece il testo di Luca come un documento e una Scrittura autoritativa da preservare e da interpretare. L’opera di Ireneo di Lione apparterrebbe a questo secondo gruppo, e ai testi del secondo secolo d.C. ai quali risale la nascita dell’esegesi neotestamentaria. Del gruppo precedente fa parte il racconto dell’Annunciazione nel Tempio, nelle Questioni di Bartolomeo 2.15-21. 39 Nella letteratura rabbinica il « mondo che deve venire » ()העולם לעתיד לבוא è l’era messianica, cfr. b Niddah 61b; E. E. Urbach, The Sages: Their Concepts and Beliefs, 2 vol., Jerusalem, 1975; 1979, t. I, p. 651–652. Questo mondo (עולם )הזה, nella letteratura rabbinica, è distinto dal mondo futuro ()עולם הבא. Per J. Bonsirven, Le judaïsme palestinien au temps de Jésus-Christ, Paris, 1935, p. 312, la distinzione tra « questo mondo » e il « mondo che deve venire » comparve al tempo di Gesù. Col « mondo futuro » si intende la resurrezione dei morti (cfr. m Ber 9,5), il Giudizio finale, e anche il mondo celeste (t Ber 7,21) in cui abitano le anime dei giusti. Cfr. Avot 2,7; j BM 2,8c (18); GenR 14 (10b) = GenR 14,5; t Pea 4,18. In m Ber 9,5 l’espressione עולם הבאricorre nel contesto di una polemica con i Sadducei i quali negavano l’esistenza della resurrezione. Il testo di t Ber 7,21 si riferisce a questa tradizione, e parla di « questo mondo » come del corridoio che conduce al « triclinio », col quale si intende il mondo celeste. Il « mondo futuro » di ARN 5 non è un mondo celeste, ma il « futuro » ()עתיד לבא. Per questioni relative alla resurrezione dei corpi secondo la letteratura rabbinica, cfr. GenR 14,5.
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del nuovo Tempio sarà compito del Messia (cfr. Zc 6, 9s)40, come è detto in un Midràsh il quale spiega la lampada del « consacrato » in Sal 132, 17 in riferimento a quella del Santuario (Tanchuma Es 27,20; cfr. Lev 24, 2; cfr. anche 1 Sam 7; Sal 89). Disse il Santo, benedetto sia il Suo Nome, ad Israele: In questo mondo avevate bisogno della luce del Tempio, ma nel mondo futuro grazie alla stessa luce vi porterò il Re Messia che assomiglia alla luce: אמר הקב’’ה לישראל בעולם הזה הייתם זקוקים אביא לכם את, אבל לעולם הבא בזכותו של אותו הנר,לאורו של בית המקדש מלך המשיח שנמשל לנר Perché si dice: Lì farò germogliare una potenza per Davide (Sal 132, 17). E non solo, ma che, Io sarò per voi la sua luce, perché così dice Isaia, Il Signore sarà per te luce eterna, il tuo Dio sarà il tuo splendore (Is 60, 19, Tanchuma Es 27,20, Tetzawe 6) 41.
Per gli ebrei religiosi l’attesa del Messia ha continuato ad essere associata a quella del « nuovo » Tempio, anche dopo la distruzione del Tempio di Gerusalemme nel 70 d.C. Nelle iscrizioni tombali di epoca bizantina trovate a Zoar, sulla sponda sud-orientale del Mar Morto, l’attesa della vita futura è espressa con la menzione della resurrezione dei morti che avrà luogo con la venuta del Re Messia « il quale annuncia la pace » (משמיע שלום, cfr. Is 52, 7; Naum 2, 1) e con la menzione della ricostruzione del Tempio. Le iscrizioni e le decorazioni di queste tombe, con la menorà, l’arca, il lulàv – utilizzato per la festa di Sukkòt – e con lo shofàr, indicano che con la resurrezione è attesa la ricostruzione del Tempio e la ripresa del In 11QTemple (11QT) il Signore stesso costruirà il Tempio messianico. Sul Tempio in questo documento, cfr. E. E. Popkes, « Vorstellungen von der Einwohnung Gottes in der Tempelrolle: 11QT 29,7b-10 und die Entwicklungsgeschichte frühjüdischer Schechina-Vortellungen », in Das Geheimnis der Gegenwart Gottes. Zur Schechina-Vorstellung in Judentum und Christentum, a cura di B. Janowski, E. E. Popkes, Tübingen, 2014, p. 85-101; L. H. Schiffman, « The Temple Scroll between the Bible and the Mishnah », Henoch, 36/1 (2014), p. 6-20. 41 Sh. Buber, Midrash Tanchuma, 2 vol., Jerusalem, 1964, t. II, p. 91. Cfr. D. Flusser, « No Temple in the City », in Id., Judaism and the Origins of Christianity, Jerusalem, 1988, p. 454-465. In AH 5.28.1, la dimora adatta (aptam habitationem) che il Verbo di Dio assegnerà a ciascuno è riferita alla luce alla quale accorrono taluni, unendosi a Dio per la fede, e dalla quale altri si allontanano, separandosi da Dio. 40
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servizio liturgico dei sacerdoti42. Escludendo riferimenti all’escatologia del Tempio nelle spiegazioni di Gv 14, 2, di Lc 16, 19-31 e dei testi dell’Apocalisse, Ireneo, d’altra parte, vuole probabilmente evitare fraintendimenti con certe attese del Tempio futuro come quelle formulate dalla letteratura rabbinica, e anche in alcuni ambienti giudeo-cristiani, in relazione cioè ai tempi della fine e alla ricostruzione del Tempio di Gerusalemme alla fine dei tempi43. 4. Gerusalemme nell’Apocalisse e per sant’Ireneo Nel Libro dell’Apocalisse la descrizione della nuova Gerusalemme che scende dal cielo corrisponde al Tempio futuro (Ap 21), e potrebbe essere una rappresentazione dell’evento della « glorificazione » di Gesù, annunciata nel Vangelo di Giovanni con l’episodio della « purificazione » del Tempio44. Le antiche interpretazioni 42 Tra le iscrizioni tombali di Zoar, una richiesta esplicita della ricostruzione del Tempio compare, dopo la data del decesso secondo la menzione della distruzione del Tempio, su due tombe datate al 504 d.C. (tomba numero 25) e al 577 d.C. (tomba numero 29), con una formulazione simile a quella che ricorre nell’Amidà (cfr. la nota seguente) e in m Avot 5,20. « […] The use of the dating formula relating to the destruction of the Temple is not a casual matter, but carries with it a meaning of commemoration of the Temple and hope for Israel’s deliverance which will include the resurrection of the dead and the rebuilding of the temple ». Y. Wilfand, « Aramaic Tombstones from Zoar and Jewish Conceptions of the Afterlife », JSJ, 40 (2009), p. 510-539, p. 535. In Pseudo-Philo, AntBib 19.12; 23.13; 28.10, nel tempo tra la morte e la resurrezione le anime dei giusti riposano nei depositi della terra. Per la letteratura rabbinica le anime vanno nei tesori ( )אוצרותche si trovano sotto il trono di Dio. « These chambers of the just, at least as interpreted by the later Jewish tradition, would seem to be situated in some way within the heavenly temple under the throne of God »; McCaffrey, The House with Many Rooms, p. 71. 43 La relazione tra il Tempio futuro e quello di Gerusalemme è espressa anche nella quattordicesima benedizione dell’Amidà che menziona la venuta del Messia con la ricostruzione del Tempio. « Abbi pietà Signore, e torna a Gerusalemme, la tua città. La tua Presenza abiti lì, come hai promesso. Costruiscila adesso, nei nostri giorni e per sempre. Ristabilisci lì la maestà di Davide tuo servo. Lode a te Signore che costruisci Gerusalemme. Fai fiorire il germoglio del tuo servo Davide. Affretta l’avvento della redenzione messianica. Lode a te Signore che assicuri la liberazione ». Cfr. A. Shinan, Siddur Avi Chai, 2 vol., Jerusalem, 1999 (Heb.), t. I, Yom haShabbat beBet haKnesset, p. 16-31. 44 La liturgia dell’Apocalisse celebra la « presenza » del Signore. Cfr. F. Tóth, « Die Schechina-Theologie in der Johannesapokalypse », in Das Geheim-
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dell’Apocalisse, con il comprensibile adattamento della terminologia e dei concetti richiesti dalle mutate circostanze dei tempi, hanno raramente esplicitato che, nel Libro dell’Apocalisse come nei testi profetici (cfr. Is 40–66), il significato del futuro di Gerusalemme coincide con quello del Tempio. Ireneo descrive il futuro di Gerusalemme controbattendo le tesi degli gnostici per i quali il compimento della profezia di Gesù sul futuro del Tempio dimostrava che Gerusalemme non poteva essere la città del vero Cristo, ma era invece la città del Demiurgo animale e dei suoi seguaci (AH 4.37.5, 108) 45. Per Ireneo, invece, la Gerusalemme definitiva, alla fine del « millennio », è l’unione sponsale della Gerusalemme celeste e di quella terrena (AH 5.35.2, 86s, 99s) 46. Ireneo evita, però, di specificare l’identificazione del futuro di Gerusalemme con il Tempio futuro, e distingue la Gerusalemme ricostruita ad immagine della Gerusalemme celeste all’inizio del « millennio » dalla Gerusalemme purificata e celeste instaurata in quella terrena alla fine del « millennio » (AH 5.35.2, 68s) 47. Antonio Orbe ha descritto nel modo seguente la comunione che nell’esca-
nis der Gegenwart Gottes, p. 257-304. Gesù, nel Libro dell’Apocalisse, è il Tempio futuro, e ha « dimensioni » comunitarie (cfr. 1 Cor 3, 16; 6, 19). La liturgia dell’Apocalisse interpreta la « glorificazione » di Gesù, in cui si compie la comunicazione del cielo e della terra in un « uomo » (cfr. Gv 1, 51), come la sua manifestazione nella storia. Cfr. P. Di Luccio, « Il Tempio di Gerusalemme e il Tempio futuro », in Ecce Homo. Il futuro come mosaico. Saggi sul Tempio di Gerusalemme e sul sacerdozio di Gesù, a cura di A. Trupiano, N. Salato, Trapani, 2016, p. 25-40. 45 Orbe, « Metamorfosis de la ciudad de Jerusalén », p. 1011: « Arrasada la ciudad, y con ella el Templo, queda patente, según los adversarios de Ireneo, lo efímero del culto hebreo, de la ciudad misma de Jerusalén, y lo que es más, de la economía de Yahvé concentrada en ella […] La Ley, y en general, todo el A.T. (con su dios, Mesías y profetismo) tenían que desaparecer definitivamente para dar paso a la Nueva economía del Evangelio, no vinculada a Jerusalén, ni a tierra, región o templo alguno ». 46 L’instaurazione della Gerusalemme definitiva in quella terrena, per Ireneo, coincide con la resurrezione dei malvagi e con il Giudizio finale. Cfr. ibid., p. 1020-1022. 47 Riferendosi al Tempio dell’Apocalisse Ireneo parla del Regno, ma non dice esplicitamente che si tratta del Tempio escatologico (AH 4.20.11). Per l’Apocalisse in AH, cfr. D. Bertrand, « L’Apocalypse déployée d’Irénée de Lyon », Cahiers de Biblia Patristica, 14 (2014), p. 35-52.
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tologia di Ireneo caratterizza la vita degli abitanti della Gerusalemme definitiva: Al descenso de la Jerusalén superior a la ‘tierra nueva’ síguese un nuevo régimen entre los hombres […] A lo largo de la eternidad pasarán a otro régimen, de convivencia con Dios […] Por encima de los ángeles, serán como dioses (ἰσόθεοι); cohabitarín con Dios, en unidad de Espíritu paterno con el Verbo encarnado […] En la actual Jerusalén – de régimen divino – entran los Justos en posesión de la incorruptela, inmortalidad y vida eterna de Dios […] Entran a poseer ‘según la carne’ el mismo Espíritu de Dios, con Sus propiedades de incorruptela e inmortalidad. Han dejado atrás el Milenio y, por encima de los ángeles, se constituyen como la Carne gloriosa de Cristo en imagen y similitud perfectas del Padre. Lo visto por Moisés en la montaña, paradigma del Tabernáculo (resp. Templo) terrestre, se verifica finalmente entre los hombres […]48.
Gerusalemme per Ireneo sarà ricostruita dal Cristo per essere sede del « millennio », secondo il modello della Gerusalemme celeste (AH 5.35.2, 53s, 59s; cfr. Is 49, 16; Gal 4, 26) alla quale guardava Mosè quando costruiva il Tabernacolo (AH 4.14.3, 75s; cfr. Es 25, 40; Eb 8, 5). Quando poi però parla della Gerusalemme definitiva Ireneo non sembra fare riferimenti al Tempio futuro, perlomeno come essi sono esplicitati da Antonio Orbe49. Nella descrizione della Gerusalemme definitiva Ireneo fa riferimento solo ad alcune 48 Orbe, « Metamorfosis de la ciudad de Jerusalén », p. 1020-1021. Per Ireneo la venuta del Signore, dopo il tempo dell’Anticristo, produrrà un cambiamento secondo le profezie: « Ecce ego preparabo tibi carbunculum lapidem et fundamenta tua sapphirum, et ponam propugnacula tua jasphin et portas tuas lapidem crystallum et circumvallum tuum lapides electos et omnes filios tuos docibiles Dei » (AH 5.35.1, 12s; cfr. Is 54, 11s). Non solamente la città e i suoi edifici saranno trasformati, nella qualità e non nella sostanza, ma anche i suoi abitanti i quali da mortali e corruttibili diventano « figli della resurrezione ». Orbe, « Metamorfosis de la ciudad de Jerusalén », p. 1015-1016: « La novedad de la Jerusalén reedificada no está en los materiales e construcción […] Los materiales de construcción, la mayor o menor hermosura de los edificios, incluído el Templo de Jerusalén, la feracidad misma inusitada de los campos […] son elementos secundarios, de puro ornato ». 49 Per sant’Ireneo la Gerusalemme definitiva (AH 5.35.2, 68s) non è quella rivelata all’inizio del « millennio », purificata e ricostruita ad immagine della Gerusalemme – celeste – disegnata nelle mani di Dio (Hierusalem quae in manibus Dei descripta est, AH 5.35.2, 59s; cfr. 2 Bar 4.2-7), come quando Mosè costruì il Tabernacolo, sull’esempio di un modello celeste.
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immagini dell’Apocalisse (cfr. Ap 21, 1s), senza menzionare quelle in cui tutta Gerusalemme è il Tempio (cfr. Ap 21, 22s)50. Ireneo descrive la Gerusalemme definitiva come unione sponsale della Gerusalemme celeste e di quella terrena (AH 5.35.2, 86s, 99s)51. Come per il significato del « seno di Abramo » nel racconto di Lazzaro, anche in questo caso Ireneo non riferisce le « dimore eterne » al Tempio futuro. Dopo aver spiegato la differenza di abitazione tra quelli che hanno prodotto cento, sessanta e trenta per uno (Mt 13, 8) con la tripartizione delle dimore future in Cielo, in Paradiso e nella Città, in riferimento alle dimore di Gv 14, 2, Ireneo conclude che gli invitati al banchetto nuziale che avrà luogo mille anni dopo la resurrezione universale (cfr. AH 5.35.2), pasteggeranno nell’abitazione adatta a ciascuno (AH 5.36.2)52 . I preparativi del banchetto nuziale, per Ireneo, risalgono alla Creazione, e hanno come scopo la comunione con Dio, prima nella carne del Figlio e poi nella carne degli uomini53. L’invito al banchetto (cfr. Lc 14, 16) delle nozze del Figlio (cfr. Mt 22, 2.4) è rivolto a tutti, per la bontà di Dio e non per la dignità degli invitati, ed è in realtà un invito alle nozze degli invitati. I gruppi incaricati dell’invito alla cena delle nozze sono tre: i primi due gruppi sono i Profeti dell’An50 Nella Gerusalemme definitiva non c’è Tempio, perché tutta la città è l’abitazione di Dio con gli uomini (Ap 21, 1-4; cfr. AH 5.35.2, 83s). 51 Orbe, « Metamorfosis de la ciudad de Jerusalén », p. 1018: « La Jerusalén celeste, toda ella, desciende del cielo, a modo de esposa hermosísima y divina, a la Jerusalén terrena, Esposo, para unírsele en matrimonio definitivo, y hacer para siempre con ella una sola Ciudad, divino/humana (celeste/terrena) […] La Jerusalén celeste pone el Espíritu, como Esposa divina; la Jerusalén terrena la Materia, como Esposo terreno. Y juntos – Esposa divina y Esposo terreno, Ciudad celeste y Ciudad terrena – hacen unidad de Espíritu, levantando la Ciudad terrena a la vita de Dios ». 52 « Perché tutto appartiene a Dio il quale procura a ciascuno l’abitazione che gli conviene (Omnia enim Dei sunt, qui omnibus aptam habitationem praestat). Come dice il suo Verbo, il Padre condivide a tutti secondo quanto ciascuno ne è o ne sarà degno. È lì la sala della festa a cui prenderanno posto e pasteggeranno gli invitati alle nozze (Et hoc est triclinium in quo recumbent hi qui epulantur vocati ad nuptias) » (AH 5.36.2). 53 Il beato contrarrà un matrimonio a livello divino, quello del Verbo con la Chiesa, e sarà come Dio (AH 4.38.4; cfr. AH 5.36.3). Per Briggman, « Irenaeus’ Christology of Mixture », p. 516-546, l’escatologia nuziale di Ireneo dipende dalla sua cristologia dell’unione (κρᾶσις = blending), probabilmente di matrice stoica.
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tico Testamento (AH 4.36.5), e il terzo gruppo sono gli Apostoli che si rivolgono alle genti (AH 4.36.6). I Profeti annunciano l’inizio delle nozze del Verbo con la natura umana, con la venuta di Cristo nella carne, e gli Apostoli annunciano la consumazione delle nozze54. La partecipazione alla cena delle nozze (Lc 14, 16 e Mt 22, 2.4) richiede di indossare un abito adatto (AH 4.36.6), cioè le opere dello Spirito di Dio (cfr. 2 Cor 5, 4), dopo aver abbandonato il vestito dell’uomo vecchio che è la condotta cattiva (AH 5.12.4). L’abito nuziale è lo Spirito santo e l’immortalità della carne dei beati che nella fase finale della salvezza umana è esaltata fisicamente dalla « forma di Dio » del Figlio55. Alla resurrezione alcuni si presenteranno nel Regno, che è la festa di nozze e la « cena » del settimo millennio (cfr. Lc 14, 12-13; AH 5.33.2), con la veste bianca della santità che fu perduta da Adamo ed è stata ridonata con lo Spirito santo, ed altri si presenteranno con vestiti inadeguati che sono le opere indegne (AH 4.36.6)56. 54 L’invito dei Profeti alla cena delle nozze non ha successo. Solo la missione degli Apostoli ha successo. Gli eletti della parabola degli invitati al banchetto di nozze sono gli abitanti della nuova Gerusalemme (AH 5.34.4). Il Re in Mt 22, 2 è il Padre, lo stesso Re la cui città è Gerusalemme (cfr. Mt 5, 35) ma che ha un dominio universale (AH 4.36.5). Quelli che puniscono coloro che hanno rifiutato l’invito sono i romani, e la città incendiata è Gerusalemme (AH 4.36.6). Per Origenes, Commentarius in Matthaeum 17.23, invece, gli eserciti del Re in Mt 22, 7 sono « la moltitudine dell’esercito celeste » e la città è quella degli empi governata dai principi di questo mondo. 55 Attraverso lo Spirito si sale al Figlio, e attraverso il Figlio si sale al Padre (AH 5.36.2). Orbe, Parábolas evangélicas en San Ireneo, p. 289-293, riassume l’escatologia nuziale di sant’Ireneo dicendo che per il vescovo di Lione gli invitati alle nozze del Verbo saranno attratti alle nozze della loro carne con lo Spirito, trasformando il « triclinio » in « talamo ». Le nozze del Figlio del Re sono prefigurate nelle nozze di Osea e in quelle di Mosè con la donna etiope, e iniziano nell’incarnazione, con il connubio tra il Verbo e la carne. Poi le nozze si ratificano con la resurrezione e l’ascensione, nella comunione tra il Figlio e la sua carne gloriosa. Infine, si consumano definitivamente nella dimensione ecclesiale, con il connubio, secondo lo Spirito, nella carne gloriosa del Figlio e degli eletti. L’unione è caratterizzata dalla forma Dei che passa dalla persona del Figlio alla carne del Cristo ed è comunicata alla carne degli eletti, anche se per gli eletti non si identifica quantitativamente con la Gloria di Gesù. Alcuni vi partecipano come trenta, altri come sessanta e altri come cento. 56 Come per Tertullianus, De Resurrectione carnis 27.1-3; cfr. 35.12-13, anche per Irenaeus, AH 4.36.6, i vestiti nuziali della parabola di Mt 22, 1s
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Ireneo parla della vita futura, dei luoghi di attesa della fine dei tempi e delle dimore eterne con la terminologia che caratterizza l’escatologia del Tempio, anche se non evidenzia i riferimenti al Tempio escatologico dove essi potevano essere contenuti negli scritti del NT, e dove, in questi scritti, nel secondo secolo d.C. poteva essere notato un riferimento al Tempio escatologico57. L’uomo a cui per Ireneo è stata ridonata la veste bianca della santità, nella letteratura intertestamentaria, e forse anche in alcuni testi del NT, è presentato in relazione al Tempio escatologico (cfr. 4Q174; Gv 14, 1-3)58. Lo Spirito santo che per Ireneo è l’abito nuziale, nella Bibbia (cfr. Ez 36), nella letteratura intertestamentaria (cfr. 1QS 5,1-7; 8,4-10; 9,1-6) e anche nel NT (cfr. 1 Cor 6, 17; 6, 19), permette ad una comunità di considerarsi il Tempio escatologico59. La terminologia nuziale con la quale Ireneo spiega la vita futura, in epoca biblica era utilizzata per celebrare l’incontro tra i fedeli e il Signore nel Tempio (cfr. Sal 44), e dopo l’esilio babisono una figura della carne rediviva. Orbe, Parábolas evangélicas en San Ireneo, p. 245: « Nadie sera admitido a él sin un cuerpo resplandeciente de santidad. El vestido sucio, la carne machada con el pecado, es indigno de comparecer en el festín ». 57 La Gerusalemme definitiva di cui parla Ireneo è caratterizzata dalla stessa comunione che caratterizza il Tempio futuro nell’Apocalisse (Ap 21, 22s), e la « casa » del Padre con molte dimore in Gv 14, 1s. Questa comunione è descritta anche dall’immagine della vite e dei tralci in Gv 15, 1s. La vite, raffigurata all’ingresso del Tempio di Gerusalemme – con grappoli grandi come un uomo (cfr. GG 5.210; AG 15.394-395; Lc 20, 9-19 par) – è menzionata in Gv 15, 1s per spiegare il significato della casa e delle dimore di Gv 14, e per illustrare come la Parola di Gesù, testimoniata dallo Spirito, permette ai discepoli di essere, in anticipo, il Tempio escatologico (Gv 15, 12-17.26). 58 Nella letteratura rabbinica l’Uomo che è Adamo fu creato con la polvere del Tempio (cfr. Satt Gen 2,7). Quando parla delle dimensioni cosmiche dell’Uomo, Irenaeus (AH 3.16.6; 5.17–18; 5.23), si riferisce ad alcune tradizioni del NT (Rom 5, 14-15; Ef 1, 10; 4, 6), e della letteratura del secondo Tempio (cfr. Sir 49, 16), ma conosce le opinioni degli Ofiti e dei Sethiani i quali parlavano dell’immensa ampiezza e lunghezza di Adamo (AH 1.30.6), e non ignora forse quelle tradizioni per le quali Adamo condivide le proporzioni sconfinate del Tempio (cfr. GenR 8,1; 21,3; b Chag 12a). Per le tradizioni del Primo Uomo con dimensioni cosmiche, cfr. Ginzberg, The Legends of the Jews, t. V, p. 79 n. 21; J. L. Kugel, Traditions of the Bible. A Guide to the Bible as It Was at the Start of the Common Era, Cambridge, MA, London, 1998, p. 82-84. 59 Cfr. S. Ruzer, « From Man as Locus of God’s Indwelling to Death as Temple’s Destruction », RB, 119 (2012), p. 383-402.
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lonese esprimeva una teologia messianica del Tempio escatologico (cfr. Tg Ct 3,9; 8,2) 60. La ragione per la quale Ireneo parla delle dimore eterne e della fine dei tempi senza menzionare esplicitamente il Tempio escatologico, può essere dovuta al fatto che si rivolge a persone che non sono familiari con la teologia e con l’escatologia del Tempio, oppure perché vuole evidenziare l’evoluzione delle concezioni del Tempio escatologico. Oppure, quando parla della fine dei tempi sant’Ireneo evita riferimenti al Tempio escatologico per il fatto che nel secondo secolo d.C. il tempo del compimento delle attese escatologiche in alcuni ambienti giudaici, e giudeo-cristiani, includeva la speranza della ricostruzione del Tempio di Gerusalemme. Evitando di trattare in modo esplicito e dettagliato questioni relative al Tempio escatologico, e parlando invece dettagliatamente del « millennio », Ireneo evidenzia il prolungamento della fine dei tempi. Riducendo ed evitando riferimenti al Tempio escatologico, Ireneo, infine, evita anche « fraintendimenti » tra il Tempio escatologico e le speranze della ricostruzione del Tempio di Gerusalemme. Conclusioni Nella letteratura cristiana « ortodossa » dei primi secoli d.C. le menzioni del Tempio escatologico non sono concordi con quelle contenute nella letteratura rabbinica e nelle iscrizioni sulle tombe giudaiche di epoca bizantina, ma non sono neppure tanto concordi con l’escatologia del Tempio di alcuni testi del NT. Il « seno di Abramo » (Lc 16, 19-31) nel secondo secolo d.C. poteva essere interpretato in riferimento al Tempio escatologico, che in 4Q174 è definito « Tempio dell’Uomo », o « Tempio di Adamo ». Questa espressione nel quarto Vangelo è adatta alla presentazione del corpo di Gesù come Tempio escatologico, e a una simile escatologia del Tempio si può riferire Gesù quando nel Vangelo di Giovanni parla delle dimore della « casa » del Padre (Gv 14, 2; cfr. 1 Cor 3, 16; 6, 19; cfr. Rom 5, 14-15; Ef 2, 21-22). Gv 14, 2 può fare riferi60 Nel Cantico dei Cantici con la terminologia nuziale può essere descritta una teologia messianica del Tempio escatologico. Cfr. P. Di Luccio, « Shulamìt e la Samaritana », La Civiltà Cattolica, 3914 (2013), p. 123-134.
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mento alla « casa » del Padre e al Tempio dell’Uomo che è il corpo di Gesù. Il dono dello Spirito, la Parola di Gesù ricordata dallo Spirito, e la preghiera di Gesù, nel Vangelo di Giovanni permettono l’inabitazione del Padre e del Figlio nel credente, introducono il credente nella « dimora eterna » e lo rendono come Gesù, in questo mondo e come « testimonianza » per il mondo (Gv 14, 23; 17, 20-23), compiendo le attese del Tempio escatologico. Il « viaggio » di Gesù in Gv 14, 1s ha lo scopo di rendere accessibile ai discepoli il Tempio escatologico, che è il suo corpo « glorificato ». Ireneo, d’altra parte, non esplicita i riferimenti al Tempio escatologico, quando spiega il significato di Gv 14, 2, quando parla del racconto di Lazzaro e del ricco, quando tratta la questione del « millennio » di Ap 20 e quando parla delle dimore eterne con una terminologia con la quale gli scritti del NT descrivono il Tempio escatologico. Ireneo, invece, parla del « seno di Abramo » come di una dimora degna, e spiega le dimore di Gv 14, 2 con le immagini nuziali della tradizione sinottica (cfr. Mt 22, 1-14; AH 5.36.1-2; e Lc 14, 15-24; AH 3.14.3; 5.33.2), senza esplicitare però che alcuni testi dei Vangeli e del NT contengono riferimenti all’escatologia del Tempio. Anche gli scritti del NT, come quelli della letteratura intertestamentaria e rabbinica, interpretano l’escatologia del Tempio, com’è presentata nella letteratura biblica. Tra le ragioni per le quali quando parla della fine dei tempi sant’Ireneo non tratta esplicitamente le questioni relative al Tempio escatologico, può essere inclusa l’intenzione di evitare che il Tempio escatologico venga identificato con quello di Gerusalemme, com’è invece il caso della letteratura rabbinica, e forse anche di alcune tradizioni del Vangelo di Luca e della letteratura cristiana non « ortodossa ».
Vase d’argile ou vase précieux ? Saint Irénée et la théologie paulinienne du ministère (2 Co 4, 7 et 12, 9) Pierre Molinié S.J. (Paris) La conclusion du livre 3 de l’Adversus Haereses s’ouvre par un très beau paragraphe, au cœur duquel se trouve la fameuse formule : « là où est l’Église, là est aussi l’Esprit de Dieu ; et là où est l’Esprit de Dieu, là est l’Église et toute grâce ». Au début et à la fin de ce paragraphe, Irénée s’en prend à ceux qui rejettent la prédication de l’Église, et se coupent ainsi de la vérité. Au milieu, il propose une description dense et profonde de l’Église, précisant notamment les rapports qu’elle entretient avec la foi et l’Esprit Saint : Dès lors, cette foi, que nous avons reçue de l’Église, nous la gardons avec soin, car sans cesse, sous l’action de l’Esprit de Dieu, telle un dépôt de grand prix renfermé dans un vase excellent, elle rajeunit et fait rajeunir le vase même qui la contient. C’est à l’Église elle-même, en effet, qu’a été confié le don de Dieu, comme l’avait été le souffle à l’ouvrage modelé, afin que tous les membres puissent y avoir part et être par là vivifiés ; c’est en elle qu’a été déposée la communion avec le Christ, c’est-à-dire l’Esprit Saint, arrhes de l’incorruptibilité, confirmation de notre foi et échelle de notre ascension vers Dieu : car ‘dans l’Église’, est-il dit, ‘Dieu a placé des apôtres, des prophètes, des docteurs’ et tout le reste de l’opération de l’Esprit. De cet Esprit s’excluent donc tous ceux qui, refusant d’accourir à l’Église, se privent eux-mêmes de la vie par leurs doctrines fausses et leurs actions dépravées. Car là où est l’Église, là est aussi l’Esprit de Dieu ; et là où est l’Esprit de Dieu, là est l’Église et toute grâce. Et l’Esprit est Vérité (3.24.1)1. 1 Les citations d’Irénée sont données dans la traduction d’Adelin Rousseau (Paris, 2001).
Irénée de Lyon et les débuts de la Bible chrétienne. Actes de la Journée du 1.VII.2014 à Lyon, sous la direction de A. Bastit et J. Verheyden, Turnhout, 2017 (Instrumenta Patristica et Mediaeualia, 77), p. 363-381 ©
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Parmi la floraison d’images et d’allusions bibliques de ce passage, l’une a retenu notre attention : garder la foi « comme un dépôt de grand prix renfermé dans un vase excellent », où le « vase excellent » (uaso bono) désigne l’Église. Nous la rapprocherons d’abord de l’image paulinienne du trésor contenu dans des vases d’argile, et nous montrerons que la différence de traitement de l’image du vase dans l’un et l’autre cas reflète l’écart qui se creuse, plus largement, entre la vision du ministère apostolique proposée par l’Apôtre en 2 Co et celle que dessine Irénée, quelque cent trente ans plus tard (1). Nous préciserons ensuite la nature de cet écart, en puisant dans les références que fait l’AH au chapitre 12 de l’épître – qui comprend cette parole également fameuse : « ma force te suffit, car ma puissance se déploie dans la faiblesse » (2). Nous complèterons notre analyse par l’examen des autres versets de l’épître qui, cités par Irénée, éclairent sa conception du ministère et de l’autorité du ministre (3 et 4). 1. L’image du vase et du dépôt, de Paul à Irénée Un verset de 2 Co, où Paul utilise également l’image du vase, présente avec notre passage deux points communs : d’une part, le vase ne joue pas le rôle d’une simple métaphore désignant l’humanité dans sa faiblesse, mais renvoie expressément à un contenant et à son contenu. D’autre part, le vase et le contenant sont qualifiés dans les deux cas en fonction de leur valeur. Le texte de Paul est le suivant : Non, ce n’est pas nous-mêmes, mais Jésus Christ Seigneur que nous proclamons. Quant à nous-mêmes, nous nous proclamons vos serviteurs à cause de Jésus. 6 Car le Dieu qui a dit : que la lumière brille au milieu des ténèbres, c’est lui-même qui a brillé dans nos cœurs pour faire resplendir la connaissance de sa gloire qui rayonne sur le visage du Christ. 7 Mais ce trésor, nous le portons dans des vases d’argile, pour que cette incomparable puissance soit de Dieu et non de nous. 8 Pressés de toute part, nous ne sommes pas écrasés ; dans des impasses, mais nous arrivons à passer ; 9 pourchassés, mais non rejoints ; terrassés, mais non achevés ; 10 sans cesse nous portons dans notre corps l’agonie de Jésus afin que la vie de Jésus soit elle aussi manifestée dans notre corps (2 Co 4, 5-10). 5
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a. La théologie paulinienne du ministère apostolique Que désigne, chez Paul, l’image du vase d’argile contenant un trésor ? Dans le contexte de la Deuxième aux Corinthiens, et plus particulièrement du chapitre 4, Paul décrit son ministère apostolique. Il exalte le contraste entre la dignité de ce ministère, qui reflète déjà partiellement la présence glorieuse du Christ mort et ressuscité, et les multiples épreuves qui l’accablent. En apparence, celles-ci semblent invalider le kérygme de Paul, dont la personnalité contestée et les échecs déçoivent les Corinthiens en attente d’un leader charismatique et convainquant. En réalité, elles révèlent que l’apôtre n’est pour rien dans le succès éventuel de l’Évangile : si celui-ci progresse, ce n’est pas du fait de l’instrument bien imparfait qui est utilisé, mais entièrement de celui qui l’utilise : Dieu lui-même. Le vase désigne donc, non seulement le corps de l’apôtre – qui est certes fragile et périssable –, mais plus globalement toute sa personnalité, et même toute son existence, comprenant non seulement l’homme avec son caractère et ses faiblesses, mais aussi les tribulations qu’il subit et ce qui pourrait ressembler, de l’extérieur, à une existence ratée – ce que Margaret Thrall résume par l’expression : « the unimpressive and vulnerable nature of his apostolic life »2 . Le trésor désigne de son côté le ministère apostolique en tant que tel3, ou plus largement « l’Évangile de la gloire de Dieu révélée en Christ » 4, en tant qu’il se révèle dans l’apôtre. Le contraste est donc généralement celui de la puissance divine se manifestant dans la faiblesse humaine 5, mais plus particulièrement celui qui caractérise le ministère de la Nouvelle Alliance : décrit au chapitre 3 comme glorieux et surpassant infiniment celui de Moïse, 2 M. E. Thrall, A Critical and Exegetical Commentary on the Second Epistle to the Corinthians, Edinburgh, 1994, p. 324. 3 Voir M. Carrez, La Deuxième Épître de saint Paul aux Corinthiens, Genève, 1986, p. 112. Cf. 2 Co 4, 1 : « Puisque par miséricorde nous détenons ce ministère (ἔχοντες τὴν διακονίαν ταύτην), nous ne perdons pas courage » // 4, 7 : ἔχομεν δὲ τὸν θησαυρὸν τοῦτον. 4 Thrall, A Critical and Exegetical Commentary, p. 322. 5 Ainsi, Jean Chrysostome fait le lien avec 2 Co 12, 9 et affirme : « L’apôtre, par ces vases d’argile, représente la fragilité de la nature humaine et la faiblesse de notre chair » (Homélie 8, PG 61, 457).
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ce ministère se manifeste dans des apôtres dont la mission, à vues humaines, ressemble plutôt à un échec. Où l’on voit que Paul fait preuve d’originalité tout en reprenant une image banale. L’idée du corps humain comme récipient indigne du trésor qu’il contient, l’âme, est en effet des plus communes dans la littérature antique 6. L’image de l’homme comme fragile et voué par nature à la destruction, opposée à la solidité et à la permanence de son créateur, est quant à elle un poncif de la littérature biblique7. Le fait que les épreuves rencontrées par le sage soient le lieu même où celui-ci révèle sa supériorité appartient quant à lui à la tradition stoïcienne, dont Paul se montre souvent proche 8. Enfin, que la divinité se manifeste précisément lorsque l’inspiration touche des hommes insignifiants trouve même un parallèle chez Platon9. Ce qui est propre à Paul, ce n’est donc pas la reprise de cette image, mais la théologie qui la sous-tend : il n’y a pas seulement un paradoxe entre la puissance divine et la faiblesse humaine, ni une convenance de cette dernière pour manifester la première. Il y a aussi une corrélation profonde entre la condition du ministre, 6
Une liste d’exemples empruntés à toute la littérature antique se trouve chez A. Plummer, A Critical and Exegetical Commentary on the Second Epistle of St Paul to the Corinthians, Edinburgh, 1915. L’auteur commente : « Il est vrai qu’on parle souvent du corps humain comme d’un ustensile de peu de prix, ou d’un vase qui contient quelque chose de bien plus précieux, l’esprit ou l’âme. C’est là l’une des métaphores qui sont tellement évidentes qu’elles en deviennent inévitables » (p. 126). 7 Voir J. Murphy-O’Connor, The Theology of the Second Letter to the Corinthians, Cambridge, MA, 1991, p. 44-45 : « Le ministre est semblable à un ‘pot de terre’ : de faible valeur, fragile, remplaçable, irréparable (4.7). L’image était naturelle pour tout lecteur de l’Ancien Testament. Si l’humanité avait été faite à partir de la poussière (Gn 2, 7), il était inévitable que l’on pense à Dieu comme à un potier (Is 29, 16 ; 45, 9 ; 64, 8) et à l’être humain comme à un pot ; la destruction des mauvais est présentée comme le fait de briser un pot (Is 30, 14 ; Jr 18, 1-11 ; 19, 1-13) » (ma traduction). Voir G. Kittel, l’article σκεῦος, dans Theological Dictionary of the New Testament, 10 (1971), p. 359, qui distingue dans les emplois vétérotestamentaires figurés (2.a) la fragilité (“fragility, worthlessness and transitoriness of man”) ; (b) la supériorité radicale de Dieu sur l’homme, son instrument ; et (c) la connection fréquente avec l’image du potier. 8 Cf. Thrall, A Critical and Exegetical Commentary, p. 325, note 927. 9 Ibid. et la note 926.
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dont la faiblesse constitue une caractéristique essentielle, et le Christ faisant de la Croix le lieu parfait où se révèle la divinité, ce que Paul affirme quelques versets plus bas : Sans cesse nous portons dans notre corps l’agonie de Jésus afin que la vie de Jésus soit elle aussi manifestée dans notre corps (2 Co 4, 10).
b. L’image irénéenne du vase ecclésial L’image proposée par Irénée en AH 3.24.1 rassemble plusieurs éléments : • La foi, objet de l’affirmation principale : reçue de l’Église et conservée par l’auteur (« nous »10), elle « rajeunit et fait rajeunir le vase qui la contient ». • L’Esprit Saint, introduit sous la forme d’un complément à l’ablatif et simplement traduit par A. Rousseau par « sous l’action de l’Esprit de Dieu » sans qu’on sache très bien à quoi l’expression se rapporte. • Le point de comparaison : un dépôt de grand prix dans un vase excellent. Plus précisément, la foi est présentée tour à tour comme un objet : l’Église la confie au « nous » de l’auteur, et celui-ci la garde ; et comme un sujet : elle rajeunit et fait rajeunir. La première situation évoque clairement l’idée d’un dépôt : l’Église – c’est-à-dire « les prophètes, les apôtres et tous leurs disciples » (l. 8-9) – confie la foi – autrement dit : « la prédication de l’Église » (l. 6) à Irénée et ses collègues. La phrase suivante introduit une inflexion : l’Église n’est plus celle qui transmet, mais celle qui reçoit. Si nous remplaçons les verbes passifs par des formes actives, en suppléant le sujet « Dieu »11, on lit en effet que Dieu a confié (creditum est) à l’Église le don de Dieu12 , et déposé (deposita est) en elle l’Esprit Saint. 10 Ce « nous » désigne-t-il la communauté chrétienne (alors, il y aurait une forme de redondance, puisque l’expression signifierait : « cette foi reçue de l’Église, l’Église la conserve avec soin ») ? Ou plus spécialement la communauté orthodoxe ? Ou, à l’intérieur de celle-ci, les ministres chargés d’enseigner ? 11 La citation de Paul qui suit voit en effet Dieu « poser » dans l’Église les différents ministres : posuit (l. 22) // deposita (l. 19). 12 Et le parallèle avec le geste créateur montre bien que ce creditum est est davantage compris comme un dépôt matériel inaliénable (« comme l’avait été le souffle à l’ouvrage modelé ») que comme un acte commercial.
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En reprenant tout l’enchaînement, on peut comprendre que (1) Dieu, de même qu’il avait « déposé » en Adam une haleine de vie, a « déposé » dans l’Église un don très précieux qui est à la fois la prédication évangélique, la foi et l’Esprit Saint lui-même ; que (2) l’Église est semblable à un vase précieux lui aussi, qui abrite ce trésor et bénéficie de cette présence qui la rajeunit sans cesse ; et que (3) Irénée et sa communauté (ou le collège presbytéral) conservent tout à la fois ce vase précieux (l’Église dans sa pureté) et ce qu’elle contient (la foi héritée des apôtres et l’Esprit Saint). Arrêtons-nous un instant pour examiner déjà les enjeux de ce qui précède : d’abord, Irénée compare l’Esprit Saint au souffle de vie de Gn 2, 713, d’une façon qui suggère que l’Esprit Saint est « l’âme de l’Église », comme le remarque Adelin Rousseau14. Ensuite, par le jeu des analogies, l’Église se trouve dépositaire non seulement de la prédication des apôtres, mais aussi de la foi, et même de l’Esprit Saint, qui se trouve enfermé dans le vase ! On peut remarquer le déplacement de l’image des arrhes entre Paul et Irénée : le premier parle des « arrhes de l’Esprit » que Dieu « met dans nos cœurs » et « nous a données » (2 Co 1, 22 ; 5, 5) ; l’auteur deutéro-paulinien transforme légèrement cette perspective et désigne l’Esprit Saint comme « arrhes de notre héritage » – néanmoins, il n’affirme pas que le chrétien possède ces arrhes i. e. l’Esprit, mais qu’il est « marqué de son sceau »15 (Ep 1, 13-14) ; ici au contraire, l’Esprit Saint est désigné comme « arrhes de l’incorruptibilité » actuellement déposées dans l’Église16. 13 Ailleurs, Irénée compare aussi l’Esprit (πνεῦμα) et le souffle (πνοή), mais plutôt pour les opposer : l’un est éternel, l’autre périssable (cf. 5.12.1). 14 « L’identité de signification des mots Πνεῦμα et πνοή n’est-elle pas bien faite pour suggérer que le ‘Souffle’ incréé de Dieu qu’est l’Esprit Saint doit jouer dans le corps ecclésial un rôle comparable à celui que ce ‘souffle’ créé qu’est l’âme joue dans le corps de chair ? En retrouvant de la sorte son contenu originel, à la fois simple et riche, la présente phrase apparaît comme le premier grand témoignage patristique relatif à la doctrine de l’Esprit Saint ‘âme’ de l’Église » (SC, 210, p. 392). 15 C’est-à-dire : il devient la propriété de l’Esprit. L’Esprit Saint reçu lors du baptême joue alors un rôle analogue à la circoncision signifiant l’appartenance au peuple élu. 16 Il ne faudrait pourtant pas durcir le trait : en AH 5.7.2–8.1, commentant le texte d’Ep 1, 13-14, Irénée se montre au contraire attentif à affirmer, contre ses adversaires, qu’aucun homme ne peut prétendre « posséder » l’Esprit
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Enfin, la réunion d’un dépôt et d’un vase l’un et l’autre précieux tranche avec les images, tant bibliques que classiques, qui jouaient habituellement sur le contraste entre le contenant et le contenu. Jerome Murphy-O’Connor l’explicite parfaitement : La valeur insignifiante du récipient contraste avec le ‘trésor’ qu’il contient. Les deux ne sont pas de même nature. Il faut que quelqu’un ait placé le trésor dans le récipient. De la même façon, la ‘puissance incomparable’ déployée par le ministre ne peut pas trouver son origine dans la fragilité et la vulnérabilité de sa personne : elle doit provenir d’une source plus élevée17.
Chez Irénée, entre le dépôt de grand prix (eximium depositum) et le vase excellent (uaso bono), c’est au contraire la convenance qui frappe : l’Église est « apte », elle est « digne », elle est le récipient « adapté » à contenir le trésor de l’Évangile. Cette exaltation de l’Église se comprend, dans le contexte d’Irénée qui cherche à défendre la prédication de la « Grande Église » contre des interprétations qu’il juge déviantes. Elle contribue néanmoins à diminuer l’écart entre la dignité du message et l’indignité de ceux qui le portent, et donc à atténuer la radicalité de la transcendance de l’Évangile sur ses messagers. À une théologie du kérygme, que certains interprètes protestants d’Irénée reconnaissent chez lui18, se superpose une théologie de l’Église qui tend à revendiquer pour elle-même une partie de la perfection divine. Ce que, en termes plus prudents, Bernard Sesboüé décrit comme « l’entrée ecclésiale » qui « constitue le portique d’ouverture de l’entrée scripturaire », et « reste englobante » à l’égard de celle-ci19.
Saint et être pleinement spirituel. Il souligne la dimension eschatologique du don de l’Esprit, dont nous n’avons encore reçu que les « arrhes ». Cf. R. Noormann, Irenäus als Paulusinterpret. Zur Rezeption und Wirkung der paulinischen und deuteropaulinischen Briefe im Werk des Irenäus von Lyon, Tübingen, 1994, p. 290 et surtout 497 : « Irénée suit Paul, en ce qu’il souligne fortement l’efficacité actuelle de l’Esprit, mais en même temps il prend soin de maintenir le don complet de l’Esprit à l’écart. La différence tient à ce que Paul décrit l’Esprit lui-même comme des arrhes, là où Irénée parle d’une réception partielle de l’Esprit ». 17 Ibid., p. 44-45. 18 Voir W. Schmidt, Die Kirche bei Irenäus, Helsingfors, 1934, p. 173-175. 19 B. Sesboüé, Tout récapituler dans le Christ : christologie et sotériologie d’Irénée de Lyon, Paris, 2000, p. 50-51.
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Une telle conception constitue une étape importante dans la naissance de la catégorie théologique de tradition. Celle-ci trouve d’ailleurs dans le Nouveau Testament des éléments fondateurs. Mais le champ typique où s’observent ceux-ci est constitué des épîtres pastorales et catholiques. Dans un document important pour l’émergence de ce concept, la Première aux Corinthiens, Paul ne se réfère jamais à l’Église ! Il se réfère à ce qu’il a reçu « du Seigneur » (1 Co 11), et commande à ses correspondants de garder fidèlement ce que lui-même leur a enseigné (1 Co 15). Et lorsque, dans la Deuxième aux Corinthiens, l’apôtre doit se défendre contre ceux qu’il nomme de « faux apôtres » – une situation semblable à celle d’Irénée –, loin d’invoquer sa propre perfection, il invoque sa propre faiblesse. Il reste fidèle, en somme, à une théologie de la Croix. Irénée s’en écarterait-il ? Pour formuler quelques éléments de réponse, nous allons examiner la place accordée, dans l’Adversus Haereses, au fameux chapitre de 2 Co 12 sur la puissance divine et la faiblesse humaine. 2. « Ma grâce te suffit » – Le commentaire de 2 Co 12 par Irénée Un quart des références à la Deuxième aux Corinthiens dans l’AH sont tirées du chapitre 12, et plus précisément de deux passages : les versets 2-4, qui décrivent l’enlèvement de Paul « au troisième ciel », et les versets 7-9, où figure la parole adressée à l’apôtre : « ma grâce te suffit, car ma puissance se déploie dans la faiblesse ». a. L’expérience mystique de Paul L’expérience de Paul est utilisée largement dans un premier passage (AH 2.30.7-9) et reprise par une allusion en 5.5.1. Elle est principalement exploitée pour les éléments qu’elle fournit sur le paradis : puisque Paul déclare qu’il a été emporté « jusqu’au troisième ciel », il est absurde de prétendre que celui-ci est l’œuvre d’un Démiurge inférieur, car dans ce cas Paul ne se vanterait pas d’être resté en chemin dans son ascension vers les mondes supérieurs. De même, le témoignage de l’apôtre sur les « paroles ineffables » qu’il y a entendues est le signe qu’un seul Dieu a fait la terre et ces réalités célestes, et qu’il n’y a rien ni personne au-dessus de lui :
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Ce Dieu a donc fait également les réalités spirituelles que l’Apôtre a pu contempler jusqu’au troisième ciel ; et les paroles ineffables, qu’il n’est pas permis à un homme de redire parce qu’elles sont spirituelles, c’est encore ce même Dieu qui les fait entendre à ceux qui en sont dignes, de la manière qu’il veut, car c’est à lui qu’appartient le paradis. Et ce Dieu est en toute vérité le Dieu Esprit, et non un Démiurge psychique, sans quoi jamais il n’eût pu faire des êtres spirituels (2.30.8).
L’incise répétée de Paul (« était-ce dans son corps, était-ce hors de son corps, Dieu le sait ») permet à Irénée de réfuter deux erreurs : croire que le corps n’est pas digne de la vision céleste, ou croire que c’est à cause de ce corps que Paul en serait resté au troisième ciel sans monter plus haut (2.30.7). Enfin, la même expérience confirme ce que l’Écriture dit sur les justes qui sont emportés « au paradis » en attendant la consommation finale (5.5.1). En tout cela, l’expérience de Paul est déconnectée de son contexte immédiat (la nécessité pour l’apôtre de se glorifier), et érigée en témoignage digne de foi sur les réalités spirituelles qu’affectionnent les gnostiques. L’apôtre, au passage, est également érigé en figure indépassable : la portée de toute l’argumentation d’Irénée repose sur sa conviction que chacun reconnaît Paul pour un modèle supérieur : Or, si Paul a raconté son enlèvement jusqu’au troisième ciel comme quelque chose de grand et d’extraordinaire, il est clair que ces gens-là ne montent pas au-dessus du septième ciel, car ils ne sont pas supérieurs à l’Apôtre. S’ils se prétendaient meilleurs que lui, ils seraient réfutés par les faits : jamais, en effet, ils ne se sont vantés de quelque chose de pareil (2.30.7).
b. « La faiblesse, c’est la chair » La manière dont Paul vient de se vanter est exceptionnelle : il en revient très vite à la description de ses épreuves, dans lesquelles « il se complaît ». Entre les deux, il donne une nouvelle fois la raison de ce choix, dans quelques formules très fortes : Et parce que ces révélations étaient extraordinaires, pour m’éviter tout orgueil, il a été mis une écharde dans ma chair, un ange de Satan chargé de me frapper, pour m’éviter tout orgueil. 8 À ce sujet, par trois fois, j’ai prié le Seigneur de l’écarter de moi. 9 Mais il m’a déclaré : ‘Ma grâce te suffit ; ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse’. Aussi mettrai-je mon orgueil bien
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pierre molinié plutôt dans mes faiblesses, afin que repose sur moi la puissance du Christ. 10 Donc je me complais dans les faiblesses, les insultes, les contraintes, les persécutions, et les angoisses pour Christ ! Car lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort (2 Co 12, 7-10).
Ces versets sont à nouveau cités au commencement du livre 5, où Irénée cherche à prouver que la chair est bien concernée par la résurrection. Une objection vient du constat que le corps charnel est destiné à mourir et à pourrir dans la terre. Irénée répond par une comparaison, qui s’appuie sur les espèces eucharistiques : le pain et le vin transformés sont tirés de graines qui ont poussé dans la terre. L’auteur compare classiquement la mort et la résurrection à ce processus : […] de même nos corps qui sont nourris par cette eucharistie, après avoir été couchés dans la terre et s’y être dissous, ressusciteront en leur temps, lorsque le Verbe de Dieu les gratifiera de la résurrection pour la gloire de Dieu le Père (Ph 2, 11) : car il procurera l’immortalité à ce qui est mortel et gratifiera d’incorruptibilité ce qui est corruptible (cf. 1 Co 15, 53), parce que la puissance de Dieu se déploie dans la faiblesse (cf. 2 Co 12, 9) (5.2.3).
À la comparaison eucharistique s’ajoutent deux preuves scripturaires. La première (1 Co 15, 53) répond directement à l’objection, et affirme que la mort et la corruption ne sont pas définitives, mais transitoires. La seconde (2 Co 12, 9) déplace quelque peu la discussion : la faiblesse se substitue ici au caractère mortel, et la puissance de Dieu fait écho à l’action de procurer l’immortalité et l’incorruptibilité. On pourrait objecter que, pour Paul, la faiblesse ne renvoyait pas à la mortalité. Mais Irénée poursuit : Dans ces conditions, nous nous garderons bien, comme si c’était de nous-mêmes que nous avions la vie, de nous enfler d’orgueil et de nous élever contre Dieu en acceptant des pensées d’ingratitude ; au contraire, sachant par expérience que c’est de sa grandeur à lui, et non de notre propre nature, que nous tenons de pouvoir demeurer à jamais, nous ne nous écarterons pas de la vraie pensée sur Dieu ni ne méconnaîtrons notre nature ; nous saurons quelle puissance Dieu possède et quels bienfaits l’homme reçoit de lui, et nous ne nous méprendrons jamais sur la vraie conception qu’il nous faut avoir des êtres existants, je veux dire de Dieu et de l’homme. Au reste, comme nous le disions antérieurement, si Dieu a permis notre dissolution dans la terre, n’est-ce pas précisément afin que,
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instruits de toute manière, nous soyons dorénavant scrupuleusement attentifs en toutes choses, ne méconnaissant ni Dieu ni nousmêmes ? (5.2.3).
Irénée introduit ici un thème qui fait écho aux accusations proférées depuis le début du livre contre les hérétiques : « vains, tout d’abord, ceux qui prétendent qu’il s’est montré d’une façon purement apparente » (1.2) ; « vains aussi les Ébionites » (1.3) ; « vains aussi ceux qui prétendent… » (2.1) ; « vains, de toute manière, ceux qui rejettent toute l’économie de Dieu » (2.2). Ces accusations sont ici récapitulées comme autant de formes d’un orgueil qui conduit à s’écarter de la « vraie pensée sur Dieu ». Et comme en 2 Co 12, la notion d’orgueil ouvre la voie à une dialectique faiblesse humaine / puissance divine. Pour Paul, toutefois, sa propre faiblesse (d’apôtre) était la condition voulue par Dieu pour faire apparaître l’éclat du ministère de la Nouvelle Alliance, un ministère épousant l’humiliation du Christ jusqu’à en reproduire les épreuves et les moqueries ; pour Irénée, dans ce passage, la faiblesse (de tout homme) et sa condition mortelle est voulue par Dieu pour que l’homme garde sa place de créature et évite toute ingratitude. Irénée, pourtant, ne s’est pas contenté d’une simple allusion à une formule détournée de son sens premier. Il poursuit en effet : L’Apôtre montre fort clairement que l’homme a été livré à sa propre faiblesse de peur que, venant à s’enorgueillir, il ne s’écarte de la vérité. II dit en effet dans la seconde épître aux Corinthiens. Et pour que l’excellence de ces révélations ne m’enorgueillisse pas, il m’a été mis une écharde en la chair, un ange de Satan chargé de me souffleter. A son sujet, j’ai par trois fois imploré le Seigneur, pour qu’il s’éloigne de moi. Mais il m’a dit : Ma grâce te suffit, car ma puissance se déploie dans la faiblesse. Volontiers donc je me glorifierai surtout de mes faiblesses, afin qu’habite en moi la puissance du Christ. Eh quoi ! dira-t-on, le Seigneur voulait-il que son Apôtre fût souffleté de la sorte et supportât une telle faiblesse ? Oui, dit l’Écriture, car ma puissance se déploie dans la faiblesse, rendant meilleur celui-là qui, par le moyen de sa faiblesse, connaît la puissance de Dieu. Comment, en effet, l’homme aurait-il appris que lui-même était faible et mortel par nature, tandis que Dieu était immortel et puissant, s’il n’avait reçu l’expérience de l’un et de l’autre ? Car apprendre sa faiblesse en la supportant n’était pas un mal pour l’homme ; c’était même plutôt un bien pour lui que de ne pas se méprendre sur sa nature. Par contre, s’élever contre Dieu et prétendre à une gloire propre, cela, en faisant de l’homme un ingrat,
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pierre molinié lui causait un grave préjudice, le dépossédant de la vérité en même temps que de son amour envers son Créateur. L’expérience de l’un et de l’autre a produit en lui la vraie connaissance de Dieu et de l’homme et a accru son amour pour Dieu. Or là où il y a accroissement d’amour, une gloire plus grande sera procurée par la puissance de Dieu à ceux qui l’aiment (5.3.1 ; p. 575-576).
L’auteur se livre ici à une véritable exégèse du texte paulinien, tout en demeurant fidèle à sa ligne initiale : la puissance qui se déploie dans la faiblesse oblige l’homme à reconnaître la puissance de Dieu. En revanche, il n’est pas fait mention ici du Christ, en qui la puissance de Dieu se révèle paradoxale. Des deux raisons mentionnées par l’apôtre, seule la première (« pour que je ne m’enorgueillisse pas ») est citée, et non la deuxième (« afin que la puissance du Christ habite en moi »). C’est, à travers cette reprise partielle, la figure d’un Dieu tout-puissant et immortel qui apparaît, et non celle d’un Dieu crucifié. Le texte se poursuit : Dieu ne cesse pas d’être puissant, et la puissance qui lui a permis de créer l’homme est la même qui lui permettra aussi de le ressusciter. La chair est donc « capable de recevoir et de contenir la puissance de Dieu » (capax caro virtutis Dei), elle qui par sa complexité et son harmonie rend hommage au travail du Créateur. Et ce développement s’achève avec une dernière allusion à 2 Co 12, 9, qui résume ce qu’Irénée a retenu de ce passage : Or ce qui participe à l’art et à la sagesse de Dieu participe aussi à sa puissance. La chair n’est donc pas exclue de l’art, de la sagesse et de la puissance de Dieu, mais la puissance de Dieu, qui procure la vie, se déploie dans la faiblesse, c’est-à-dire dans la chair (5.3.2).
c. Une théologie de l’Incarnation et non de la Croix Les paragraphes suivants présentent des exemples bibliques de la puissance de Dieu : la longévité des patriarches, les ascensions d’Énoch et d’Élie, Paul lui-même (dans le passage cité plus haut où il est lui aussi « enlevé »), puis Jonas et les trois jeunes Hébreux. La référence à Jonas constitue un point commun avec l’autre passage de l’AH où 2 Co 12, 9 est cité : le livre 3. Désireux de montrer que Jésus n’est pas simplement un homme, mais le Fils de Dieu, Irénée apporte plusieurs arguments. Il en vient à citer les prophéties de l’Ancien Testament qui montraient, en figure, la naissance du Christ : le signe de l’Emmanuel (Is 7), et celui de Jonas.
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Après avoir évoqué le premier, et ajouté une douzaine de références néotestamentaires sur la résurrection, Irénée poursuit : Dieu a donc usé de longanimité devant l’apostasie de l’homme, parce qu’il voyait d’avance la victoire qu’il lui donnerait un jour par l’entremise du Verbe : car, tandis que la puissance s’est déployée dans la faiblesse, le Verbe a fait apparaître la bonté de Dieu et sa magnifique puissance. Il en a été, en effet, de l’homme comme du prophète Jonas. Dieu a permis que celui-ci fût englouti par un monstre marin, non pour qu’il disparût et pérît totalement, mais pour qu’après avoir été rejeté par le monstre il fût plus soumis à Dieu et qu’il glorifiât davantage Celui qui lui donnait un salut inespéré (3.20.1).
L’élément principal de la comparaison, dans le texte qui suit, est l’être humain en général : comme le prophète, il tire profit de son engloutissement dans la mort, car c’est là que Dieu peut lui apporter le salut : la résurrection et l’incorruptibilité. Nous avons donc affaire ici à une lecture non christologique, mais anthropologique du signe de Jonas : il ne préfigure pas tant la mort et la résurrection du Christ, que la mort et la résurrection de tout homme, par là amené à « glorifier Dieu davantage ». La fin du paragraphe revient d’ailleurs sur la notion d’orgueil et sur les « pensées contraires à Dieu ». Quel rôle joue dans tout cela le verset cité ? La puissance de Dieu est ici explicitée comme « sa bonté et sa magnifique puissance », et la faiblesse semble désigner, en général, le Verbe – et donc l’Incarnation20. Plus que la mort et la résurrection du Christ, c’est le fait que Dieu ait pris une chair humaine et mortelle qui est 20 Noormann, Irenäus als Paulusinterpret, p. 154-155 commente (ma traduction) : « Irénée cite implicitement une formule de 2 Co 12, 9a : ἡ γὰρ δύναμις ἐν ἀσθενείᾳ τελεῖται, et transfère la sentence qui, quoique adressée à Paul dans la perspective de sa souffrance concrète, revêt immédiatement une signification générale, à l’acte par lequel Dieu sauve l’humanité déchue. Le paradoxe que Paul a reconnu dans la condition du Christ (2 Co 13, 4a) et qu’il a expérimenté dans sa propre existence apostolique (12, 7-9 ; 13, 4b) – le fait que c’est précisément dans la faiblesse que la puissance de Dieu se manifeste –, Irénée l’aperçoit ici aussi, en ce qu’il relie l’ἀσθένεια à l’incapacité de l’humanité déchue à se sauver, et la δύναμις à la bonté et à la puissance salvatrice de Dieu ». Il nous semble que la faiblesse est plus directement liée ici à la personne du Verbe ; mais à travers l’Incarnation, c’est bien le fait que celle-ci se fasse au sein d’une humanité incapable de se sauver – et destinée à la mort et à la corruption – qui constitue le paradoxe.
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mis en avant. En corollaire, le lien spécifique entre le propos paulinien et son contexte est ramené à une question de circonstances, dont la « maxime » ou « pensée fondamentale » de Paul pourrait être détachée. L’ensemble du développement sur Jonas s’achèvera d’ailleurs par ce très beau résumé de l’économie divine : Car cet homme-là, gardant sans enflure ni jactance une pensée vraie sur les créatures et sur le Créateur – qui est le Dieu plus puissant que tout et qui donne à tout l’existence – et demeurant dans son amour, dans la soumission et dans l’action de grâces, recevra de lui une gloire plus grande, progressant jusqu’à devenir semblable à Celui qui est mort pour lui. Celui-ci en effet s’est fait à la ressemblance de la chair du péché pour condamner le péché et, ainsi condamné, l’expulser de la chair, et pour appeler d’autre part l’homme à lui devenir semblable, l’assignant ainsi pour imitateur à Dieu, l’élevant jusqu’au royaume du Père et lui donnant de voir Dieu et de saisir le Père, – lui, le Verbe de Dieu qui a habité dans l’homme et s’est fait Fils de l’homme pour accoutumer l’homme à saisir Dieu et accoutumer Dieu à habiter dans l’homme, selon le bon plaisir du Père (3.20.2).
Où l’on voit que le triomphe du Christ sur le péché n’est pas du tout passé sous silence. Mais le « d’autre part » (autem) montre que ce n’est pas par là que s’effectue essentiellement l’autre aspect de l’économie : l’habitation du Verbe en l’homme, pour que celui-ci soit divinisé. 3. D’autres allusions à une théologie du ministère Plusieurs autres passages de 2 Co se référant clairement à une théologie du ministère montrent comment Irénée reçoit plus largement la manière dont Paul présente son rôle d’apôtre : – L’apôtre fidèle à la Parole de Dieu et à la Vérité : On doit donc se détourner de tous les hommes de cette espèce, mais s’attacher au contraire à ceux qui […] gardent la succession des apôtres et, avec le rang presbytéral, offrent une parole saine et une conduite irréprochable, pour l’exemple et l’amendement d’autrui [Suivent les exemples de Moïse, de Samuel, et de Paul]. C’est ainsi encore que l’apôtre Paul, fort de sa bonne conscience, se justifiait auprès des Corinthiens : Nous ne sommes pas comme la plupart, qui frelatent la parole de Dieu ; mais c’est dans sa pureté, telle qu’elle vient de Dieu, que nous la prêchons devant Dieu dans le Christ. Nous n’avons fait de tort à personne, nous n’avons corrompu
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personne, nous n’avons trompé personne. Ce sont de tels presbytres que nourrit l’Église (4.26.4-5). Cf. 2 Co 2, 17 : Nous ne sommes pas en effet comme tant d’autres qui trafiquent de la parole de Dieu ; c’est avec sincérité, c’est de la part de Dieu, à la face de Dieu, dans le Christ, que nous parlons. Cf. 2 Co 7, 2 : Faites-nous une place dans vos cœurs ; nous n’avons fait de tort à personne, nous n’avons ruiné personne, nous n’avons exploité personne.
– L’apôtre qui comprend les prophéties vétérotestamentaires et en est illuminé : Si donc quelqu’un lit les Écritures de cette manière, il y trouvera une parole concernant le Christ et une préfiguration de la vocation nouvelle. Car c’est lui le ‘trésor caché dans le champ’, c’està-dire dans le monde, puisque ‘le champ, c’est le monde’. Trésor caché dans les Écritures, car il était signifié par des figures et des paraboles qui, humainement, ne pouvaient être comprises avant l’accomplissement des prophéties, c’est-à-dire avant la venue du Seigneur. [L’auteur cite Dn 12 et Jr 23, et poursuit]. Car toute prophétie, avant son accomplissement, n’est qu’énigmes et ambiguïtés pour les hommes ; mais, lorsqu’arrive le moment et que s’accomplit la prédiction, alors celle-ci trouve son exacte interprétation. Voilà pourquoi, lue par les Juifs à l’époque présente, la Loi ressemble à une fable : car ils n’ont pas ce qui est l’explication de tout, à savoir la venue du Fils de Dieu comme homme. Au contraire, lue par les chrétiens, elle est ce trésor naguère caché dans le champ, mais que la croix du Christ révèle et explique : elle enrichit l’intelligence des hommes, montre la sagesse de Dieu, fait connaître les ‘économies’ de celui-ci à l’égard de l’homme ; elle préfigure le royaume du Christ et annonce par avance la bonne nouvelle de l’héritage de la sainte Jérusalem ; elle prédit que l’homme qui aime Dieu progressera jusqu’à voir Dieu et entendre sa parole et qu’il sera glorifié par l’audition de cette parole, au point que les autres hommes ne pourront fixer leurs yeux sur son visage glorieux, selon ce qui fut dit à Daniel : ‘Les sages brilleront comme la splendeur du firmament et, parmi la multitude des justes, comme les étoiles, éternellement et à jamais’. Si donc quelqu’un lit les Écritures de la manière que nous venons de montrer – et c’est de cette manière que le Seigneur les expliqua à ses disciples après sa résurrection d’entre les morts […] –, il sera un disciple parfait, ‘semblable au Maître de maison qui extrait de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes’ (4.26.1). Cf. 2 Co 3, 7-8 : Or si le ministère de mort gravé en lettres sur la pierre a été d’une gloire telle que les Israélites ne pouvaient fixer le visage de Moïse à cause de la gloire – pourtant passagère – de
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pierre molinié ce visage, 8 combien le ministère de l’Esprit n’en aura-t-il pas plus encore ?
– L’apôtre qui prêche Jésus-Christ, et ne se prêche pas lui-même : Aussi est-il normal que, d’après eux, la vérité soit tantôt chez Valentin, tantôt chez Marcion […]. Car chacun d’eux est si foncièrement perverti que, corrompant la règle de vérité, il ne rougit pas de se prêcher lui-même (semetipsum praedicare non confunditur) (3.2.1 ; p. 278) Cf. 2 Co 4, 5 : Non, ce n’est pas nous-mêmes, mais Jésus Christ Seigneur que nous proclamons (non enim nosmet ipsos praedicamus). Quant à nous-mêmes, nous nous proclamons vos serviteurs à cause de Jésus.
– La pluralité des évangélisateurs : C’est tout en étant unique, en effet, qu’Abraham préfigurait en sa personne les deux alliances, où les uns ont semé et les autres moissonné : Car ici, est-il dit, se vérifie la parole : Autre est le peuple qui sème et autre celui qui moissonne, mais unique est le Dieu qui fournit à chacun ce qui lui convient, au semeur la semence, au moissonneur le pain pour nourriture, tout comme autre est celui qui plante et autre celui qui arrose, mais unique est le Dieu qui fait croître (4.25.3). Cf. 2 Co 9, 10 : Celui qui fournit la semence au semeur et le pain pour la nourriture (qui autem administrat semen seminanti et panem ad manducandum), vous fournira aussi la semence, la multipliera, et fera croître les fruits de votre justice. Cf. 1 Co 3, 6-7 : Moi, j’ai planté, Apollos a arrosé, mais c’est Dieu qui faisait croître. 7 Ainsi celui qui plante n’est rien, celui qui arrose n’est rien : Dieu seul compte, lui qui fait croître.
– Les faux apôtres, semblables au serpent de la Genèse : Car, de même que le serpent trompa Ève (Quemadmodum enim serpens Evam seduxit) en lui promettant ce qu’il ne possédait pas lui-même, de même ces gens, en faisant miroiter une connaissance supérieure et des mystères inénarrables et en promettant une assomption au sein du Plérôme, plongent dans la mort leurs crédules auditeurs, qu’ils rendent apostats à l’égard de Celui qui les a faits (4.Pr. 4) Cf. 2 Co 11, 3 : Mais j’ai peur que – comme le serpent séduisit Ève par sa ruse – (timeo autem ne sicut serpens Evam seduxit) vos pensées ne se corrompent loin de la simplicité due au Christ.
De ces différents textes, on peut retenir les éléments suivants : • L’authenticité du ministre ne se définit pas seulement par l’extérieur (la succession apostolique et le rang de prêtre),
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mais également de l’intérieur : par la parole saine et la conduite irréprochable, ce qui renvoie chaque fidèle à son propre jugement sur la qualité de l’enseignement et du ministre. • Dans son interprétation ecclésiale des Écritures, éclairée par la Croix du Christ, le ministre jouit d’une lumière particulière, d’aspect déjà eschatologique. La lecture juive de la Loi, par contraste, constitue l’altérité totale d’une telle lecture. Le chrétien se veut fidèle à l’Ancien Testament et revendique l’exclusivité de son interprétation plénière. • Le ministre prétend vivre un décentrement de sa prédication, tout entière tournée vers le Christ, et accuse ses opposants de se « prêcher eux-mêmes ». • Il accuse ces mêmes opposants de faire le jeu du diable, en détournant les hommes du message évangélique. À chaque fois, Irénée se montre tout à fait proche de l’apôtre dans sa conception de lui-même et dans sa manière de présenter ses opposants. Le seul point de divergence notable est celui qui souligne la diversité des évangélisateurs : pour Paul, celle-ci renvoie à l’unité du Dieu qui seul évangélise ; pour Irénée, cette diversité est ramenée à l’écart entre l’Ancien et le Nouveau Testament. 4. Le fondement de l’autorité du ministre Venons-en pour finir à la question de l’autorité apostolique. C’est en effet la question centrale à laquelle répond la Deuxième aux Corinthiens : confronté à une contestation de son autorité, l’apôtre montre d’une part qu’il pourrait se glorifier au même titre que ses adversaires, et même plus qu’eux, de ce dont ils se parent – aussi bien la naissance que les expériences mystiques – d’autre part et surtout, il montre comment tout cela est réduit à néant par la Croix du Christ : ce que tous tiennent pour des marques de succès – et donc ce qu’ils attendent d’un chef de communauté –, la manière propre dont le Christ a vécu sa Passion et sa Résurrection l’invalide radicalement. Honneur, richesse, éloquence sont ainsi décrits comme des « balayures ». Ce qu’il reste à l’apôtre, c’est au contraire ce en quoi il imite – et par là rend témoignage – au Christ : humiliation, rejet, marginalité. À aucun moment dans cette épître Paul ne fait de l’Incarnation, comme telle – c’est-à-dire au sens de
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« devenir homme » –, le lieu de la faiblesse du Christ. Si le Christ est « devenu pauvre », ce n’est pas en assumant « la chair », mais en assumant une existence dont la Croix est le résumé et le symbole. La prétention de Paul à l’autorité se trouve, dès lors, résumée à son rapport personnel aux Corinthiens : l’Église de Corinthe a été fondée par ce personnage insignifiant, et les Corinthiens devraient en être conscients, eux qui, par différents aspects, sont exclus des premières places dans la société de Corinthe. Le miracle est qu’une telle Église soit née de par la sollicitude d’un homme faible et persécuté. La gloire de son ministère, dès lors, est toute intérieure : certes, elle peut lui donner le visage plus resplendissant que celui de Moïse, mais cela ne se voit pas… si ce n’est au regard du croyant. Celui-ci est renvoyé, pour tout argument, à la foi : reconnaît-il, dans le disciple persécuté, le visage authentique du Maître ? De cette épître, nous l’avons vu, Irénée retient surtout quelques formules, notamment la dialectique de la puissance et de la faiblesse. Il fait de cela, comme le note Rolf Noormann, une maxime de sagesse, dont la portée dépasse le cas particulier de Paul : Dieu se plaît à manifester sa puissance à travers des hommes faibles, car elle apparaît alors dans toute sa clarté de manière incontestable. C’est ce qui s’est produit chez l’apôtre, mais c’est aussi ce qui se produit lorsque Dieu s’incarne : il choisit de prendre une forme humaine, pour montrer que le corps humain et la vie humaine sont « capables » de recevoir cette puissance divine et d’en être vivifiés, dans la résurrection et le partage de la vie divine. Ce faisant, il semble passer à côté de la raison concrète qui faisait employer par Paul cette dialectique de la force et de la faiblesse : la théologie de la Croix. On pourrait objecter que celle-ci est liée, précisément, au contexte de 2 Co. Il peut alors être intéressant de noter qu’Irénée, dans son débat avec les hérétiques de tout poil, ne se contente pas de réfuter leurs cosmologies et leurs sotériologies. Il va les chercher sur le terrain de l’autorité ecclésiale : il se présente luimême, en assumant le « nous » ecclésiastique, comme un exégète autorisé de l’Écriture et comme un témoin fidèle de la tradition des apôtres. Paul ne présentait pas de preuves « externes » de son autorité : il invitait les Corinthiens à reconnaître, dans la qualité
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de la relation qui les unissait, tant le lien d’affection paternelle que le témoignage de souffrance christique qui confirmaient son statut d’apôtre. Irénée, de son côté, ne présente pas beaucoup de preuves « internes » : la principale réside dans la prétention à ce que sa prédication soit conforme à l’Évangile ; mais il invoque plutôt la continuité entre les prophètes et les apôtres, d’une part, leurs disciples les « presbytres », d’autre part, et enfin l’Église que connaît Irénée. Il invoque aussi la communion entre les évêques, la communauté d’une foi universelle, ainsi que la succession des évêques de Rome. Ainsi, à travers cet appel à la tradition apostolique et à la solidarité entre les évêques, l’élément essentiel de la théologie paulinienne du ministère – la fragilité et la souffrance – est remplacé par d’autres éléments – l’unité et la solidité. L’image du vase est donc bien typique de ce changement : la fragilité du vase d’argile était particulièrement adaptée pour porter un trésor caché – le ministère glorieux, ou l’Évangile caché dans un champ ou au fond d’un océan. La beauté du vase de l’Église irénéenne est au contraire particulièrement adaptée pour porter un dépôt dont le grand prix s’impose à tous : le message explicite de la foi catholique, qui s’expose dans des livres et se proclame dans les assemblées. C’est que l’Esprit Saint, dont Paul et sa communauté ne possédaient que les arrhes, est désormais contenu dans le vase de l’Église, et Irénée prend bien soin d’affirmer qu’il ne saurait susciter en dehors de celle-ci ses actions charismatiques et son œuvre de vérité. Peut-être le trésor de la Deuxième épître aux Corinthiens, cette description paradoxale du ministère ne faisant l’économie ni de la gloire ni de la croix, s’est-il perdu en route. Ce trésor, pourtant, n’allait pas disparaître, puisqu’il fait partie du dépôt qu’Irénée, et à sa suite l’Église, ont continué d’abriter et de répandre : l’Écriture, qui dépasse toujours la compréhension partielle que nous en avons.
Les « Négateurs de la salus carnis internes à l’Église » et le conflit exégétique avec Irénée sur les Épîtres de Paul Alberto D’Anna (Roma) 1. Les adversaires ad intra d’Irénée La première partie du cinquième livre de l’Adversus Haereses (5.1.1–14.4) est consacrée à l’eschatologie individuelle et son thème central est la résurrection de la chair. Irénée parvient rapidement à aborder ce sujet, à partir du thème de l’Incarnation, nécessaire pour le salut de l’homme. C’est en effet par l’Incarnation qu’on a la révélation et la connaissance du Père1, la rédemption de l’homme selon la justice2 , l’effusion de l’Esprit qui rétablit la ressemblance avec Dieu perdue en Adam, le don de l’incorruptibilité par la communion avec le Seigneur (5.1.1). L’Incarnation réelle du Logos, en raison de ses implications doctrinales, rend vaines toutes les doctrines des hérétiques : le docétisme des Valentiniens (5.1.2), l’adoptianisme des Ébionites (5.1.3), l’hétérogénéité du Père et du Fils par rapport au créateur et aux créatures humaines, théorisée par les Marcionites (5.2.1). Cependant, dans cette première partie du cinquième livre, l’attention d’Irénée se concentre, plutôt que sur les Gnostiques, les Ébionites et les Marcionites, sur un quatrième groupe d’opposants, qui ne sont pas appelés ‘hérétiques’ comme les trois précédents. L’Incarnation – dans sa continuation sous les espèces eucharis1 La gnoséologie sensualiste est ici évidente ; il s’agit d’un trait caractéristique du christianisme asiate : cf. Just., Dial 3.3-7 ; 7.1 ; Ps.-Just., De res 1. 2 C’est-à-dire réalisée grâce au rachat par le sang (grand relief est donné à Col 1,14) et par la persuasion.
Irénée de Lyon et les débuts de la Bible chrétienne. Actes de la Journée du 1.VII.2014 à Lyon, sous la direction de A. Bastit et J. Verheyden, Turnhout, 2017 (Instrumenta Patristica et Mediaeualia, 77), p. 383-399 ©
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tiques – met également en échec leur doctrine de la résurrection. De ces chrétiens anonymes Irénée souligne le caractère dangereux. a. Caractéristiques Qui sont-ils ? Quelle est la position doctrinale soutenue par ces adversaires ? Je crois encore fondamentalement valable la thèse d’Antonio Orbe, formulée d’abord dans un important article de 19793 et ensuite, d’une façon plus détaillée, dans les trois volumes du commentaire au cinquième livre de l’Adversus Haereses, des années 1985-1988 4. Selon le grand connaisseur d’Irénée, il s’agirait de membres des communautés de la ‘Grande Église’, ni Gnostiques ni Marcionites, qui niaient le salut de la chair et soutenaient la résurrection de l’âme seule ; celle-ci se détacherait du corps à la mort et s’élèverait immédiatement jusqu’à un lieu situé au dessus les cieux et, à la fin du monde, jusqu’à Dieu. Ils auraient été pourvus d’une bonne culture philosophique, de tendance platonicienne, qui les aurait poussés à mépriser le monde matériel, à dévaloriser le corps par rapport à l’âme et à refuser que le premier puisse partager le sort de la seconde. Ils auraient été également auteurs d’une interprétation très allégorique de l’Écriture et de la doctrine du Millénium. Pour toutes ces raisons, Orbe les appelle « Origénistes ante Origenem ». Ces mêmes adversaires auraient aussi été combattus par Justin, ainsi que par l’auteur du De resurrectione attribué à Justin et par Tertullien. b. Témoignages Je crois avoir déjà démontré qu’il faut exclure l’identification des antimillénaristes du Dialogue avec Tryphon 80.3-4 avec les adversaires d’Irénée : Justin parle, à mon avis, des Gnostiques et/ ou des Marcionites5. 3
A. Orbe, « Adversarios anónimos de la Salus carnis », Gregorianum, 60 (1979), p. 9-53. 4 A. Orbe, Teología de San Ireneo. Comentario al libro V del « Adversus Haereses », I-III, Madrid, Toledo, 1985-1988 (BAC, 25, 29, 33). Pour trouver les notes sur ces adversaires, voir l’Indice de herejes y doctrinas heterodoxas, à la fin du vol. III, sous le mot ‘Dimidia salus’, p. 794-795. 5 Cf. A. D’Anna, Pseudo-Giustino, Sulla resurrezione. Discorso cristiano del II secolo, Brescia, 2001, p. 251-257. Le même en Orbe, Teología, III, p. 290, parle de deux groupes semblables, mais pas identiques. En ce qui concerne l’allusion intéressante, en 1 Apol 19.5, à une objection contre la résurrection
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De même, je crois avoir déjà démontré que Tertullien connaissait indirectement ces membres de l’Église, grâce aux sources qu’il utilisait pour son De carnis resurrectione, mais aussi qu’il est témoin d’une phase ultérieure dans l’histoire de la doctrine de la résurrection des morts, phase dans laquelle s’était déjà implanté dans l’église l’article de foi « je crois à la résurrection de la chair ». Tertullien, en outre, en raison précisément du développement de la doctrine sur la résurrection, groupait tous ceux qui niaient ou avaient nié le salut de la chair sous l’étiquette de l’hérésie ; ce qui, ajouté à la dispositio de son traité – organisé thématiquement et non pas en fonction des auteurs des objections –, rend presque impossible de déterminer avec certitude si le Carthaginois a connu directement des adversaires de la résurrection de la chair appartenants à la Grande Église 6. Une comparaison détaillée avec le De resurrectione issu de l’école de Justin se révèle beaucoup plus fructueuse et utile pour la connaissance de ces Négateurs de la résurrection de la chair7. Les caractéristiques de l’identité ecclésiale des adversaires du Pseudo-Justin et de ceux d’Irénée, de leur position idéologique dans son ensemble et de leur polémique spécifique contre la croyance à la résurrection de la chair se ressemblent d’une manière significative. Cela nous permet, à mon avis, d’affirmer avec un niveau raisonnable de certitude que les adversaires combattus par les deux œuvres étaient les mêmes. La manière aussi dont les deux auteurs décrivent et accusent ces chrétiens est très semblable et montre qu’ils partagent une même sensibilité ecclésiologique et doctrinale. La façon dont les deux auteurs s’opposent à ces adversaires est pourtant différente. L’auteur du De resurrectione accorde plus de place qu’Irénée à la description des arguments des opposants et recherche une réelle efficacité persuasive à l’égard des adversaires eux-mêmes 8. Irénée, au contraire, adopte un comportement moins dialogique ; il s’oppose frontalement aux adversaires anonymes. Cela est partide la chair, elle n’est pas suffisante pour prouver que Justin connaissait aussi les mêmes milieux ‘internes’ dont le Lyonnais parle : cf. D’Anna, Pseudo-Giustino, Sulla resurrezione, p. 140-142 ; 208-209, n. 83. 6 D’Anna, Pseudo-Giustino, Sulla resurrezione, p. 272-277. 7 Ibid., p. 257-271. 8 Ibid., p. 202-223.
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culièrement évident dans la façon dont Irénée utilise les sources faisant autorité : il oppose à l’interprétation de certains passages de l’Écriture donnée par ses opposants sa propre exégèse, et il la soutient en particulier par un dense réseau d’autres citations. Je vais essayer de donner ici quelques exemples de cette méthode, en particulier à propos de certains passages pauliniens, qui étaient l’objet d’interprétations conflictuelles de la part d’Irénée et de ses adversaires anonymes. Comme c’est bien connu, on estime généralement qu’Irénée fut, dans la ‘Grande Église’, le premier à employer systématiquement les épîtres de Paul et certains sujets du corpus paulinum ont un grand relief dans l’élaboration idéologique du maître de Lyon9. Il sera intéressant de remarquer, dans les textes pris en considération, qu’il n’était pas le seul. Nous verrons, en effet, que ses adversaires pratiquaient eux aussi une lecture articulée des épîtres pauliniennes, différente de celle d’Irénée : une donnée, du reste, clairement attestée aussi par le De resurrectione du Pseudo-Justin10. c. Présence dans l’Adversus Haereses Le Contre les hérésies ne se réfère à ce groupe d’opposants qu’au cinquième livre, à savoir lorsqu’Irénée traite de l’eschatologie. En effet, le point de distinction manifeste et formel entre les positions doctrinales d’Irénée et celles de ses adversaires était la doctrine de la résurrection des morts : ils niaient la résurrection de la chair, de sorte qu’Orbe, en l’absence d’une dénomination explicite, les définit aussi « les Négateurs de la salus carnis »11. 9 Sur la présence et sur l’influence des épîtres pauliniennes dans l’œuvre d’Irénée, voir l’analyse systématique de R. Noormann, Irenäus als Paulusinterpret : Zur Rezeption und Wirkung der paulinischen und deuteropaulinischen Briefe im Werk des Irenäus von Lyon, Tübingen, 1994 (WUNT, 2/66) ; une synthèse intéressante se trouve chez B. C. Blackwell, « Paul and Irenaeus », dans Paul and the Second Century, éd. M. F. Bird, J. R. Dodson, London, New York, 2011 (LNTS, 412), p. 190-206. 10 D’Anna, Pseudo-Giustino, Sulla resurrezione, p. 147-152. 11 En outre, ils ne croyaient pas au futur royaume millénaire du Christ sur cette terre. Nous savons bien, cependant, que même un millénariste comme Justin – qui a exercé une grande influence sur Irénée – ne considérait pas le refus d’une telle doctrine comme un critère hérésiologique en soi suffisant : cf. Dial 80.2. Le danger spécial qu’Irénée percevait chez ces adversaires dérivait justement du manque d’éléments doctrinaux et formels de conflit évident
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Selon Orbe, ils constituent la référence polémique de la dernière section du cinquième livre de l’Adversus Haereses (5.31.1–36.2), dédiée au Millénium et, finalement, au royaume du Père12 . Mais déjà dans la première section (5.1.1–14.4), sur la résurrection de la chair, Irénée polémiquerait exclusivement contre eux dans les paragraphes 5.2.2-3, tandis que, dans ce que suit, il s’attaquerait indistinctement aux Gnostiques, aux Marcionites et aux adversaires internes à l’Église, sauf en certains passages spécifiques où il s’opposerait seulement aux hérétiques13. L’identification de ce front polémique ad intra a été acceptée, en général, par la critique successive. Winfried Overbeck a exprimé cependant son désaccord à propos de la référence spécifique de AH 5.2.2-3 aux adversaires anonymes seuls : le savant croit improbable qu’Irénée s’occupe d’un groupe spécifique au début de la section dédiée à la résurrection de la chair, et passe ensuite de la polémique spéciale au sujet général sans fournir au lecteur aucun indice d’un tel élargissement de perspective14. À cet argument, qui concerne surtout l’étude rhéavec sa position, au-delà de la conception de la résurrection. Celle-ci assumait donc une fonction essentielle dans la définition du contenu authentique de la foi chrétienne, selon le point de vue du maître de Lyon. Avec Outi Lehtipuu on peut affirmer : « the belief in resurrection and especially its correct under standing functioned as a boundary marker that divided Christians into ‘us’ and ‘them’, into insiders and outsiders » ; cf. O. Lehtipuu, « ‘Flesh and Blood Cannot Inherit the Kingdom of God’ : The Transformation of the Flesh in the Early Christian Debates Concerning Resurrection », dans Metamorphoses : Resurrection, Body and Transformative Practices in Early Christianity, éd. T. K. Seim, J. Økland, Berlin, 2009 (Ekstasis, 1), p. 147-168, spéc. 168. 12 Cf. Orbe, Teología, III, p. 287-289. 13 Cf. Orbe, Teología, I, p. 167. 14 Cf. W. Overbeck, Menschwerdung. Eine Untersuchung zur literarischen und theologischen Einheit des fünften Buches ‘Adversus Haereses’ des Irenäus von Lyon, Bern, 1995 (BSHST, 61), spéc. p. 115-122. Dans ses notes critiques, Overbeck attribue un poids excessif à l’argument de la variante dans la tradition textuelle d’AH 5.2.2 : les textes latin et arménien, en effet, disent qu’ils sont vains ceux qui « universam dispositionem Dei contemnunt », le texte syriaque ceux qui « universam dispositionem contemnunt ». Il est vrai que, dans son premier article (« Adversarios anónimos », p. 11-15), Orbe avait mis en évidence la variante et avait privilégié le texte syriaque, pour mieux joindre 5.2.2 avec 5.31.1, où l’expression « universam reprobant resurrectionem » recourt. Mais ensuite, dans le commentaire (Teología, I, p. 130), il donne un poids assez minime à la variante et conclut : « En todo caso, aun la lectura más obvia (‘universam dispositionem Dei’) se orienta hacia la Economia de Dios
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torique de la dispositio de la matière de la part d’Irénée, on peut en réalité en opposer d’autres, soit du même ordre, soit relatifs au style et au contenu du texte. On remarquera, d’un côté, qu’Irénée passe avec désinvolture du général au particulier et vice versa. Dans les paragraphes initiaux du cinquième livre, après avoir introduit le sujet général de l’Incarnation (5.1.1), il explique comment celle-ci rend vaines les doctrines des docètes valentiniens, (5.1.2), des Ébionites (5.1.3), des Marcionites (5.2.1) ; il dédie à chacune des trois hérésies un bref développement spécifique, toujours introduit par l’attribut « μάταιοι/ vani » ; il nomme explicitement les premiers deux groupes d’adversaires, pas le troisième, bien qu’il aurait pu le faire aisément (comme du reste il le fait ailleurs dans son ouvrage15). Rien ne s’oppose donc, du point de vue de la rhétorique, à ce que la répétition de l’attribut pour la quatrième fois (5.2.216) introduise un quatrième objet polémique spécifique et non la mention collective de tous les adversaires. La proposition d’Orbe de reconnaître, en AH 5.2.2-3, un quatrième groupe d’adversaires – particulièrement insidieux (« vani omnimodo »), parce que totalement interne aux communautés – est non seulement légitime, mais aussi préférable. Du point de vue stylistique, en effet, un passage du quatrième livre (AH 4.33.17) fournit une indication importante sur l’usage de l’anaphore par Irénée, quand il s’agit de distinguer des catégories différentes d’adversaires17. De toute façon, en faveur de la thèse d’Orbe, l’arsobre la carne. Mejor, hacia la ‘Economia íntegra de Dios’ sobre el hombre, en cuerpo y alma ». 15 Cf. p. ex. AH 3.12.12 ; 4.8.1 ; 4.33.2 ; 4.34.1 ; 5.26.2. 16 « [5.1.2] vani enim sunt qui putative dicunt eum apparuisse … μάταιοι οὖν οἱ ἀπὸ Οὐαλεντίνου … [1.3] vani autem et Ebionaei … [2.1] vani autem et qui in aliena dicunt dominum venisse … [2.2] vani autem omnimodo qui universam dispositionem Dei contemnunt … ». 17 Cf. Orbe, Teología, I, p. 130 ; AH 4 : « [33.1] [discipulus vere spiritalis] iudicat gentes … iudicat autem etiam Iudaeos … [33.2] examinabit autem et doctrinam Marcionis … [33.3] iudicabit autem eos qui sunt a Valentino … iudicabit autem et vaniloquia pravorum Gnosticorum … [33.4] ἀνακρίνει δὲ καὶ τοὺς Ἐβιωναίους … [33.5] iudicabit autem et eos qui putativum inducunt … [33.6] iudicabit autem et pseudoprophetas … [33.7] ἀνακρίνει δὲ καὶ τοὺς τὰ σχίσματα ἐργαζομένους … iudicabit autem et omnes eos qui sunt extra veritatem, hoc est qui sunt extra ecclesiam ». Ce dernier membre de l’anaphore ne reprend pas
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gument relatif au contenu du texte, mis en évidence par le savant espagnol même, se révèle être décisif. Orbe exclut, en effet, que AH 5.2.2 puisse être un résumé des positions des Valentiniens, des Ébionites et des Marcionites, précédemment exposées, parce que les Ébionites ne niaient pas la résurrection de la chair et que l’argumentation d’Irénée – fondée sur la rédemption ex sanguine Christi et sur la célébration de l’eucharistie avec du pain et du vin, transformés en corps et sang ‘communs’, matériels, sensibles du Christ – implique que ses interlocuteurs partageaient avec lui la même doctrine de l’Incarnation réelle du Seigneur, contrairement aux Ébionites, Marcionites et Gnostiques18. Les adversaires considérés ici d’un côté niaient la résurrection de la chair, de l’autre célébraient l’eucharistie d’une manière formellement et doctrinalement identique à celle du Lyonnais19. les précédents (ça se voit à la répétition de l’et), mais fait allusion à tous les autres susceptibles de se trouver hors de la communion ecclésiale et qui n’auraient pas été précédemment nommés. 18 Cf. Orbe, « Adversarios anónimos », p. 10 ; 39-41 ; Teología, I, p. 133-148. Cf. aussi : A. Orbe, « Errores de los ebionitas », Marianum, 41 (1979), p. 147170 ; A. von Harnack, Marcion. L’évangile du Dieu étranger, éd. fr. Paris, 2005, p. 145-149 ; J. E. Ménard, « Les repas ‘sacrés’ des Gnostiques », Revue de Sciences Religieuses, 55 (1981), p. 43-51. 19 J’étends volontiers la part de texte rapportée principalement, sinon exclusivement, aux adversaires ad intra aussi aux chapitres 3 et 5 du cinquième livre – consacrés à la capacité de Dieu de ressusciter la chair et à la possibilité pour la chair d’être ressuscitée –, à l’exception du chapitre 4, où Irénée polémique contre ceux qui niaient la résurrection de la chair sur la base de la distinction entre un Dieu créateur et un Dieu bon : Gnostiques et Marcionites. Ce chapitre 5.4 semble être une unité littéraire complète. Le chapitre 5.5, par contre, n’apparaît pas continuer le chapitre précédent, mais AH 5.3. L’auteur revient, en effet, sur le sujet général de la capacité de Dieu de donner la vie à la chair, et de la chair de participer à la vie éternelle ; il y a, en outre, un lien spécifique entre la conclusion de AH 5.3.3 (affirmation théorique de la possibilité que la chair vive aussi longtemps que Dieu le veut, même dans ce monde) et le début de AH 5.5.1 (exemplification de la vie pluricentenaire des Patriarches antédiluviens). Du reste, le problème de la possibilité pour Dieu – le même Dieu auquel Irénée croit – de ressusciter la chair ne semble pas concerner les Gnostiques et les Marcionites, et contre ces derniers les preuves tirées de l’AT seraient restées sans grande efficacité. Il est plausible, donc, qu’Irénée s’adresse aux mêmes adversaires déjà rencontrés en AH 5.2.2-3. Il faut remarquer aussi que, en conclusion du chapitre 5 (AH 5.5.2), ceux qui ne croient pas à la longévité des Patriarches sont accusées d’ignorare les économies de Dieu (dispositiones Dei) ; par la suite, cette
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En ce qui concerne les autres chapitres de la première partie, où la croyance en la résurrection de la chair est soutenue surtout par des passages du corpus paulinum, il n’est pas toujours facile d’isoler les références à ces Négateurs de la salus carnis ; cependant, au moins dans certains cas, ce n’est pas impossible, comme je vais essayer de le montrer. 2. Les membres du Christ et l’homme pneumatique Voyons, donc, comment Irénée développe concrètement son exégèse de certains passages du corpus paulinum, en l’opposant à celle de ses adversaires. Je suivrai la trace du thème des ‘membres du Christ’, traité de manière diffuse par Irénée dans la première section du cinquième livre. a. Les membres du Christ Un premier passage important est 1 Co 6, 15 : « Ne savez-vous pas que vos corps sont des membres du Christ ? Et j’irais prendre les membres du Christ pour en faire des membres de prostituée ? Jamais de la vie ! ». Au centre de l’attention d’Irénée il y a l’idée de ‘membres’ (μέλη). La question fondamentale soulevée par Irénée concerne l’identité des membres du Christ : qui sont, à proprement parler, les membres du Christ ? En effet, une fois qu’on aura établi ceci, on aura également établi qui participe du salut : « Dès lors, prétendre que […] les membres du Christ n’ont point part au salut, mais vont à la perdition, comment ne serait-ce pas le comble du blasphème ? » (AH 5.6.2 20).
même accusation se répète, identique, dans le chapitre 32 (AH 5.32.1), où les membres de la Grande Église qui sont induits en erreur par les hérétiques sont accusés eux aussi d’ignorare les économies de Dieu. En tout cas, même en s’en tenant à l’identification plus circonscrite d’Orbe, il me semble difficile de nier la référence spécifique aux Négateurs ‘internes’ de la résurrection de la chair au moins en AH 5.2.2-3. 20 Les traductions des textes d’Irénée sont tirées de : Irénée de Lyon, Contre les hérésies, livre V. Éd. critique par A. Rousseau, L. Doutreleau, Ch. Mercier, II (texte et traduction), Paris 1969 (SC, 153), avec quelques modifications.
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Nous trouvons la discussion du passage de 1 Co en AH 5.6.2, c’est-à-dire au début de la longue démonstration sur la résurrection de la chair, au moyen de l’exégèse combinée de passages pauliniens (de 5.6.1 à 5.14.4). Comme Orbe l’a dit, il s’agit, bien sûr, d’une démonstration scripturaire qu’Irénée considère comme valable en général contre tous les ennemis de la résurrection de la chair. Cependant, dans le cas spécifique de l’exégèse de ce passage, il est fort probable qu’Irénée s’oppose aux adversaires internes à l’Église ; en effet, il y a un étroit parallélisme entre cette exégèse et celle qu’on peut lire en AH 5.2.3, c’est-à-dire dans le premier passage – AH 5.2.2-3 – avec toute vraisemblance écrit contre les négateurs de la salus carnis appartenants à l’Église : AH 5.2.3 Si donc la coupe qui a été mélangée et le pain qui a été confectionné reçoivent la parole de Dieu et deviennent l’eucharistie, c’està-dire le sang et le corps du Christ, et si par ceux-ci se fortifie et s’affermit la substance de notre chair, comment ces gens peuvent-ils prétendre que la chair est incapable de recevoir le don de Dieu consistant dans la vie éternelle, alors qu’elle est nourrie du sang et du corps du Christ et qu’elle est membre de celui-ci [μέλος αὐτοῦ], comme le dit le bienheureux Apôtre dans son épître aux Ephésiens : « Nous sommes les membres de son corps, formés de sa chair et de ses os [μέλη ἐσμὲν τοῦ σώματος αὐτοῦ, ἐκ τῆς σαρκὸς αὐτοῦ καὶ ἐκ τῶν ὀστέων αὐτοῦ] [Ep 5, 30] » ? Ce n’est pas de je ne sais pas quel homme pneumatique et invisible [οὐ περὶ πνευματικοῦ τινος καὶ ἀοράτου ἀνθρώπου] qu’il dit cela, « car l’esprit [τὸ γὰρ πνεῦμα] n’a ni os ni chair » [Lc 24, 3921], mais il
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De plus, l’Apôtre sait que nos corps sont non seulement le temple, mais les membres du Christ [membra Christi], car il dit aux Corinthiens : « Ne savez-vous pas que vos corps sont les membres du Christ ? Prendrai-je donc les membres du Christ pour en faire les membres d’une prostituée [1 Co 6, 15] ? ». Ce n’est pas de quelque autre homme pneumatique [Non de alio quodam homine spiritali] qu’il dit cela, car celui-ci ne pourrait s’unir à une courtisane, mais c’est de notre propre corps,
21 La grec, cité d’après le texte des Sacra Parallela, lit l’article τό qui manque chez Luc.
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parle de l’organisme authentiquement humain [περὶ τῆς κατὰ τὸν ἀληθινὸν ἄνθρωπον οἰκονομίας], composé de chairs, de nerfs et d’os : c’est cet organisme même qui est nourri de la coupe qui est le sang du Christ et fortifié par le pain qui est son corps.
autrement dit de notre chair [sed corpus nostrum, hoc est caro], qu’il parle : le corps persévère-t-il dans la sainteté et la pureté, il est membre du Christ ; s’unit au contraire à une courtisane, il devient membre de cette courtisane.
b. Exégèse d’Ep 5, 30 En AH 5.2.3 Irénée est encore en train d’expliquer, en guise d’introduction, comment l’Incarnation détruit les doctrines hétérodoxes. À partir d’AH 5.2.2, il affronte les adversaires de la salus carnis à l’intérieur de l’Église. En s’adressant à eux, Irénée fonde son argumentation sur la ‘continuation’ de l’incarnation dans les éléments de l’eucharistie, vrai sang et vrai corps du Christ : la chair des croyants est, dans son état actuel, nourrie et fortifiée par eux et, donc, elle pourra évidemment recevoir de Dieu aussi le don de la vie éternelle. Comme on l’a dit, si Irénée fait usage d’une telle argumentation, nous devons en déduire que ses interlocuteurs partageaient avec lui les mêmes doctrine et pratique eucharistiques. L’argument de la participation actuelle à la vie du Christ est renforcé par la citation d’Ep 5, 30, où on trouve le thème ecclésiologique, typiquement paulinien22 , des ‘membres (du corps) du Christ’23. Irénée introduit le thème, mais en donne une interprétation anthropologique. Une telle exégèse implicite est rendue plus facile par l’emploi de la forme longue d’Ep 5, 30, laquelle contient une allusion à Gn 2, 23. Ep 5, 30 en Tischendorf (Octava maior), NA 28 [P46 ; ℵ* ; A ; B ; 048… pauci ; vgms ; co] : μέλη ἐσμὲν τοῦ σώματος αὐτοῦ Ep 5, 30 en Irénée, textus receptus, Stephanus [ℵ2 , D, F, G… å ; lat ; sy] : μέλη ἐσμὲν τοῦ σώματος αὐτοῦ, ἐκ τῆς σαρκὸς αὐτοῦ καὶ ἐκ τῶν ὀστέων αὐτοῦ Gn 2, 23a (LXX) : 22
Cf. R. Penna, La lettera agli Efesini, Bologna, 1988 (Scritti delle origini cristiane, 10), p. 239. 23 D’ailleurs déjà anticipé brièvement dans le précédent paragraphe AH 5.2.2.
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καὶ εἶπεν Αδαμ· τοῦτο νῦν ὀστοῦν ἐκ τῶν ὀστέων μου καὶ σὰρξ ἐκ τῆς σαρκός μου
En général, la forme la plus longue du verset est considérée comme secondaire par les éditeurs les plus récents, même si des opinions contraires ne manquent pas24. En tout cas, l’allusion à Gn 2, 23 aurait été introduite – à l’origine ou successivement – pour souligner « l’étroite homogénéité existante entre le Christ et l’Église, comparable à celle entre Adam et Ève, fondée sur l’idée que la seconde dérive du premier »25. Irénée s’en sert parce qu’il en donne, implicitement, une lecture anthropologico-eucharistique, relative au fait de se nourrir du corps du Christ : la citation renforce l’idée que les croyants sont membres du Christ en leur chair, dans ce sens qu’ils accèdent dès maintenant à la vie divine dans leur corps réel, matériel, dans leur chair, par les espèces eucharistiques du pain et du vin, qui sont vrai corps et vrai sang du Christ26. La chair, donc, recevra elle aussi la vie éternelle. c. Exégèse de 1 Co 6, 15 En AH 5.6.2 Irénée cite, par contre, 1 Co 6, 15, comme nous l’avons vu. Ce verset est extrait d’un passage, 1 Co 6, 12-20, qui, contrairement au précédent, n’a pas de valeur ecclésiologique mais morale : il s’agit d’une exhortation de l’Apôtre, suite à la considérable insouciance de certains Corinthiens par rapport à des comportements sexuels, perçus comme liés à une dimension, physique, transitoire et de peu de valeur27. L’exhortation de Paul, manifestée explicitement surtout dans les trois derniers versets du passage (1 Co 6, 18-20), présente également des implications anthropologiques 24
Cf. P. R. Rodgers, « The Allusion to Genesis 2 :23 at Ephesians 5 :30 », JTS NS, 41 (1990), p. 92-94. 25 Cf. Penna, La lettera agli Efesini, p. 238, n. 553. 26 Dans l’exégèse d’Irénée, le sens ecclésiologique paulinien passe résolument à l’arrière-plan ; selon Molinié, il reste comme conséquence implicite de la communion personnelle avec le Christ ; P. Molinié, « L’exégèse de textes pauliniens dans l’Introduction d’Antonio Orbe. Une ouverture sur d’autres christianismes », Gregorianum, 94 (2013), p. 301-320, spéc. 308-309. 27 Sur la section 1 Co 6, 12-20 on peut consulter utilement le commentaire documenté et minutieux de G. Barbaglio, La Prima lettera ai Corinzi, Bologna, 1995 (Scritti delle origini cristiane, 7), p. 253-261 ; 305-319.
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et eschatologiques : le corps, c’est-à-dire le croyant dans sa dimension personnelle concrète28, appartient dans le présent au Seigneur, il est l’un de ses membres (6, 13.15), et il est destiné à la résurrection, comme le Christ a été ressuscité (6, 14). Le but principal de l’Apôtre est une exhortation morale ; la perspective eschatologique sert à renforcer cette exhortation. Irénée ne met pas en relief les éléments eschatologiques explicites présents dans le texte de Paul. Toute son attention se concentre sur le verset 6, 15, qu’il cite presque en entier, avec son caractère de question rhétorique, typique d’une diatribe : « Nescitis quoniam corpora vestra membra Christi sunt ? Tollens ergo membra Christi, faciam membra meretricis ? ». L’identité des membra Christi, comme je l’ai dit, c’est ce qui l’intéresse : s’ils peuvent s’unir avec une prostituée, au lieu de s’unir avec Christ, ils sont évidemment corpus nostrum, hoc est caro. d. L’homme pneumatique Les interprétations des deux citations sont donc liées entre elles par le thème de l’identité des membres du Christ : si ceux-ci sont les croyants dans leur chair, cette même chair pourra recevoir la vie éternelle. Mais il y a aussi un autre élément commun aux deux passages exégétiques. Dans les deux, en effet, la même mise au point polémique est répétée : Paul ne se réfère pas, quand il parle des membres du Christ, à un homme pneumatique. C’est une mise au point éclairante, parce qu’elle nous permet de d’entrevoir, avec un bon degré de vraisemblance, l’exégèse paulinienne des adversaires d’Irénée à l’intérieur de l’Église. Un des passages-clé devait être justement 1 Co 6, 12-20, en particulier le surprenant second membre du parallélisme des versets 16-17 : « [16] Ou bien ne savez-vous pas que celui qui s’unit à la prostituée n’est avec elle qu’un seul corps ? Car il est dit : Les deux ne seront qu’une seule chair. [17] Celui qui s’unit au Seigneur, au contraire, n’est avec lui qu’un seul esprit ». On ne peut pas, ici, s’arrêter sur les difficultés qu’aujourd’hui encore, ce parallélisme soulève pour les exégètes. Il suffit de rappeler la possible lecture non anthropologique, mais éthico-axiologique du passage, selon 28
Ibid., p. 313-314 : « il sostantivo ‘corpo’ funziona qui come categoria antropologica e personale, non organica e sociale, indicando gli stessi credenti che nella loro costitutiva somaticità sono membra di Cristo ».
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laquelle Paul opposerait deux relations possibles de l’unique sujet concret, somatique : l’une, avec la prostituée, sous le signe de la chair ; l’autre, avec le Seigneur, sous le signe de l’Esprit29. Mais les adversaires d’Irénée devaient en donner une interprétation différente. Ils devaient lire ce passage, avec de nombreux autres du même apôtre, comme une allusion à deux niveaux de réalité, présents tous les deux dans l’homme, l’un – la chair – destiné à la dissolution, l’autre – l’esprit – à la vie éternelle. Dans la vie actuelle, au niveau de la chair, il y a l’union sexuelle, qui amène à former un seul corps charnel ; au niveau de l’esprit, il y a l’union avec le Seigneur et le fait de devenir membres de son corps spirituel. On peut découvrir une preuve particulièrement intéressante d’un tel dualisme anthropologique dans une autre section du cinquième livre de l’Adversus Haereses, certainement écrite elle aussi contre les adversaires internes : AH 5.31–35. En effet, après la section d’AH 5.15–22, explicitement dirigée contre les hérétiques qui distinguaient le Dieu créateur et législateur de l’AT du Père du Seigneur, et après la section d’AH 5.23–30, sur l’action du Diable dans l’histoire, Irénée reprend la polémique contre les soi-disant croyants qui, cependant, selon le Lyonnais, s’étaient faits fourvoyer par les hérétiques à propos de l’eschatologie. En AH 5.31.1 nous lisons : Mais certains, qui passent pour croire avec rectitude, négligent l’ordre suivant lequel devront progresser les justes et méconnaissent le rythme selon lequel ils s’exerceront à l’incorruptibilité. Ils ont ainsi en eux des pensées hérétiques : car les hérétiques, méprisant l’ouvrage modelé par Dieu et n’acceptant pas la salut de leur chair [despicientes plasmationem Dei et non suscipientes salutem carnis suæ], dédaignant aussi, par ailleurs, la promesse de Dieu et dépassant complètement Dieu par leurs pensées, assurent qu’aussitôt après leur mort ils monteront par-dessus les cieux […]. Ceux donc qui rejettent la résurrection intégrale [universam reprobant resurrectionem] et, autant qu’il dépend d’eux, la suppriment, qu’y a-t-il d’étonnant s’ils ignorent jusqu’à l’ordre selon lequel aura lieu cette résurrection ? Ils ne veulent pas comprendre que, si les 29
Ibid., p. 316 : « E se si vuole insistere dicendo che il testo genesiaco citato si riferisce all’unione matrimoniale, sottintendendo che non diverso deve essere il suo significato nel nostro passo, si ignora che l’apostolo non si sente schiavo del senso originario e tradizionale del passo biblico, da lui interpretato secondo le esigenze della sua teologia ».
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alberto d’anna choses étaient telles qu’ils le prétendent, le Seigneur lui-même, en qui ils se targuent de croire, n’aurait pas opéré sa résurrection après trois jours, mais, après avoir expiré sur la croix, serait aussitôt remonté dans les hauteurs en abandonnant son corps à la terre.
Irénée est ici sur le point de commencer la section du cinquième : AH 5.31–35. Simultanément, il livre consacrée au Millénium reprend la polémique contre les Négateurs ad intra de la salus carnis ; en effet, ils proposaient eux aussi une interprétation allégorique des mille ans, inacceptable pour l’évêque de Lyon. La mise au point polémique sur leur conception de la résurrection – qui, selon Irénée, aurait eu pour conséquence d’éliminer le descensus ad inferos du Christ – nous intéresse comme confirmation de la doctrine de l’abandon de la chair de la part de l’homme pneumatique, au moment de la mort physique. Ce point trouve une correspondance dans un passage parallèle, consacré à la résurrection du Christ, que nous pouvons lire dans le discours De resurrectione du Pseudo-Justin (2.4) : Il y a d’ailleurs des gens qui affirment que Jésus lui-même [sous-entendu : après sa résurrection] était présent en esprit seulement, et non plus dans la chair [πνευματικὸν μόνον παρεῖναι, μηκέτι δέ ἐν σαρκί], qu’il a montré une image de chair [φαντασίαν δὲ σαρκὸς παρεσχηκέναι].
L’union des mots πνεῦμα et φαντασία peut faire supposer le recours, de la part de ces adversaires, à l’idée d’un corps pneumatique éthérée, grâce auquel le Ressuscité aurait pu montrer un corps charnel, même avec les signes de la Passion et de la crucifixion. En d’autres termes, il est possible que les adversaires aient eu recours à une doctrine semblable à celle de l’ὄχημα-πνεῦμα néoplatonicien, dont les historiens de la philosophie retrouvent par ailleurs plusieurs attestations déjà au deuxième siècle (par exemple chez Galien, Marc Aurèle, les Oracles Chaldaïques) 30. De toute façon, au-delà de cette hypothèse, le schéma anthropologique à deux
30
Cf. Proclus, The Elements of Theology. A Revised Text with Translation, Introduction and Commentary by E. R. Dodds, Oxford, 21963, p. 313-321 (Appendix II : The Astral Body in Neoplatonism) ; M. Di Pasquale Barbanti, Ochema-pneuma e phantasia nel neoplatonismo. Aspetti psicologici e prospettive religiose, Catania, 1998 (Symbolon, 19), p. 11-71.
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niveaux des Négateurs de la salus carnis appartenant à l’Église est clair : selon eux, la composante matérielle de l’homme est ontologiquement distincte de la composante spirituelle et intrinsèquement imparfaite ; la σάρξ, donc, à cause de sa nature ne peut pas accéder à la résurrection. Irénée met en évidence dès le début ce point décisif de la doctrine des adversaires, « dicentes non eam [i. e. carnem] capacem esse incorruptibilitatis » (AH 5.2.2) ; et, vraisemblablement, ce sont encore eux-mêmes qu’il accuse de se contredire : « ces gens-là assurent qu’ils vivent, se glorifient de porter la vie en leurs membres [ἐν τοῖς ἰδίοις … μέλεσιν] ; puis, se mettant en contradiction avec eux-mêmes, ils prétendent que leurs membres [τὰ μέλη αὐτῶν] sont incapables de recevoir la vie » (AH 5.3.3 31). Cette dernière citation confirme d’un côté l’anthropologie à deux niveaux, de l’autre le profond enracinement de la doctrine des adversaires dans l’exégèse du corpus paulinum. En effet, entre les lignes d’Irénée, on perçoit leur recours au thème des membres, concernant encore une fois deux niveaux de réalité, deux hommes, l’un charnel et l’autre spirituel, tous les deux présents dans la vie actuelle ; ceci renvoie à l’exégèse de 1 Co 6, 15 et Ep 5, 30, que nous avons examinée, mais aussi aux chapitres 7 et 8 de l’Épître aux Romains, dont on peux utilement évoquer quelques versets : « Car je me complais dans la loi de Dieu du point de vue de l’homme intérieur ; mais j’aperçois une autre loi dans mes membres qui lutte contre la loi de mon nous et m’enchaîne à la loi du péché qui est dans mes membres » (Rm 7, 22-23). Les exégètes contemporains, qui tendent à exclure la présence d’une anthropologie dualiste chez Paul, soulignent néanmoins le caractère platonicien du langage utilisé ici32 ; il pouvait légitimer une exégèse dualiste, une vision d’ « un homme dans l’homme », selon la définition du νοῦς donnée par Philon33. Les versets initiaux du chapitre 8 de l’Épître aux Romains, qui suivent presque immédiatement, sont marqués à plusieurs reprises par l’opposition entre σάρξ et πνεῦμα et par 31
Sur la référence de ce passage aux mêmes adversaires, cf. supra, n. 19. Cf. H. D. Betz, « The Concept of the ‘Inner Human Being’ (ὁ ἔσω ; ἄνθρωπος) in the Anthropology of Paul », NTS, 46 (2000), p. 315-341 R. Penna, Lettera ai Romani, II. Rm 6–11, Bologna, 2006 (Scritti delle origini cristiane, 6), p. 116-120 ; cf. aussi 2 Co 4, 16. 33 Philo, Congr 97 (éd. Wendland) : ἄνθρωπός ἐστιν ἐν ἀνθρώπῳ ; cité par Penna, Lettera ai Romani, II, p. 119. 32
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la connexion entre la chair et le péché ; ils devaient certainement étayer ce type d’exégèse et soutenir l’affirmation de l’insuffisance non seulement ontologique, mais aussi morale, de la chair pour vivre avec Dieu. Des traces d’une interprétation de ce type, en effet, se trouvent en AH 5.10.2, où Irénée, quand il cite Rm 8, 13 (« si vous vivez selon la chair vous mourrez »), précise tout de suite que Paul « n’entendait pas repousser loin d’eux la vie dans la chair […], mais retrancher les convoitises de la chair, qui donnent la mort à l’homme ». Bref, les mots d’Irénée laissent filtrer un conflit d’interprétations des passages pauliniens, dans lequel, de chaque côté, on ne recourait pas à des citations isolées, mais on produisait une réflexion systématique et organique sur les textes des épîtres. 3. Une issue provisoire Nous avons vu s’affronter, dans ces pages d’Irénée, deux interprétations systématiques opposées du corpus paulinum : celle, asiate, du Lyonnais et celle, platonicienne, de ses adversaires anonymes à l’intérieur de l’Église. L’un et les autres s’efforçaient d’interpréter Paul par Paul, pour construire une réflexion sur la foi dans la résurrection des morts cohérente avec un système idéologique plus ample. Nous savons, par Tertullien et par l’ancien Credo romain, quelle fut la conclusion de ce conflit. La foi de l’Église dans la résurrection des morts fut précisée, dans les professions semi-formelles et formelles de la fin du deuxième et du début du troisième siècle, comme foi dans la résurrection de la chair, exactement dans le sens dans lequel Irénée avait interprété, en AH 5.13.3, la phrase paulinienne « afin que ce qui est mortel soit englouti par la vie » (2 Co 5, 4) : « c’est évidemment de la chair qu’il parle, car ni l’âme ni l’Esprit ne sont choses mortelles »34. Toutefois, les exigences intellectuelles de ceux qui, formés par la philosophie grecque, étaient déconcertés par un pareil article 34 D’une manière analogue, le Pseudo-Justin avait précisé : « La résurrection est de la partie charnelle morte ; l’esprit, en effet, ne meurt pas. L’âme est dans le corps ; un corps dépourvu d’âme ne vit pas : quand l’âme l’abandonne, il n’existe plus. Le corps, en effet, est la maison de l’âme, l’âme est la maison de l’esprit. Les trois seront sauvés en ceux qui ont sincère espérance et une foi sûre en Dieu » (De res 10.1).
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de foi n’allaient pas disparaître pour autant. C’est ce qui allait bientôt se manifester avec Origène et avec sa relativisation de la foi dans la résurrection de la chair, résurrection qu’il attribuait au substrat matériel35. Mais ceci est une autre histoire.
35 Origène cite occasionnellement la formule ‘résurrection de la chair’, expression « des simples » (cf. p. ex. Comm. in Rom 5.9), par référence au : cf. E. Prinzivalli, substrat matériel amorphe, temporaire et muable Magister Ecclesiæ. Il dibattito su Origene fra III e IV secolo, Roma, 2002 (SEAug, 82), p. 65-136 (« Polemiche escatologiche fra origenisti e antiorigenisti »), spéc. p. 99, n. 137.
Interprétations scripturaires en conflit chez Irénée Quelques réflexions théoriques et un exemple significatif Andrés Sáez Gutiérrez (Madrid) 1. Introduction La seconde moitié du deuxième siècle est un moment crucial pour comprendre la collection d’écrits chrétiens qui, peu après, recevra l’appellation de Nouveau Testament, et en général, pour comprendre le Canon chrétien de la Bible. Si nous laissons de côté Marcion, nous trouvons chez Irénée de Lyon des affirmations nouvelles en rapport avec le caractère normatif et universel des Écritures chrétiennes. Ce fait supposait la reconnaissance de la valeur de l’héritage prophétique et apostolique qui s’y reflète, reconnaissance qui restera définitivement acquise pour ce qu’on appelle d’ordinaire la Grande Église1. D’autre part, le fait que cette valeur ait été, dans une certaine mesure, reconnue par d’autres courants, soit comme manifestation 1
En rapport avec cette thématique, très vaste, on trouve par exemple L. M. McDonald, J. A. Sanders (éds), The Canon Debate, Peabody, MA, 2002 ; J.-M. Auwers, H. J. de Jonge (éds), The Biblical Canons, Leuven, 2003 (BETL, 163) ; E. Norelli, « Le statut des textes chrétiens de l’oralité à l’écriture et leur rapport avec l’institution au iie siècle », dans Recueils normatifs et canons dans l’Antiquité. Perspectives nouvelles sur la formation des canons juif et chrétien dans leur contexte culturel, éd. E. Norelli, Lausanne, 2004, p. 147-194 ; Id., « Il canone biblico cristiano. Formazione e problemi », dans Il cristianesimo. Grande atlante. III : Le dottrine, éd. G. Ruggieri, Torino, 2006, p. 952-983, 1352-1354 ; G. Aragione, E. Junod, E. Norelli (éds), Le Canon du Nouveau Testament, Genève, 2005 ; A. Sáez, Canon y autoridad en los dos primeros siglos, Roma, 2014 (SEAug, 142), en particulier le chapitre consacré à Irénée, p. 645-885. Irénée de Lyon et les débuts de la Bible chrétienne. Actes de la Journée du 1.VII.2014 à Lyon, sous la direction de A. Bastit et J. Verheyden, Turnhout, 2017 (Instrumenta Patristica et Mediaeualia, 77), p. 401-431 ©
10.1484/M.IPM-EB.5.113507
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du Dieu suprême soit comme manifestation provenant du démiurge psychique, impliqua un effort pour éclaircir la véritable signification des passages scripturaires ; un effort qui prit une dimension polémique aussi bien en controverse avec le judaïsme qu’entre les différents courants chrétiens des origines s’appuyant sur les Écritures anciennes et nouvelles. Dans cette contribution, nous présenterons les principaux éléments des discussions auxquelles a donné lieu l’interprétation de l’Écriture chez Irénée, en nous concentrant sur la polémique de celui-ci avec ses principaux adversaires, les valentiniens, à partir de deux passages significatifs de ce qu’on appelle la « grande notice », contenue dans les premiers chapitres du premier livre de l’Adversus Haereses (= AH)2 . Dans un deuxième moment, nous présenterons un exemple paradigmatique de ce qui aura été exposé dans la première partie, en examinant la place que la σάρξ occupe dans la regula fidei, pour Irénée et pour les valentiniens, et en 2
Ce n’est pas le lieu ici de discuter de quels valentiniens il s’agit. Comme on le sait, on hésite au moment de préciser l’étendue exacte de la « grande notice » en rapport avec l’attribution de son contenu. Cf. sur ce sujet C. Zamagni, « Herméneutique biblique dans les discours sur l’hérésie. Le cas du prologue de Jean d’après les ‘valentiniens’ en Irénée, Adv. haer., I,8,5 », dans Des « haireseis » aux hérésies. Constructions de l’hérésie dans le christianisme antique, éd. A. A. Nagy, E. Norelli, C. Zamagni, Lausanne, 2016, p. 219-243. F. Sagnard, La gnose valentinienne et le témoignage de saint Irénée, Paris, 1947, p. 220-232, pense que la notice embrasse AH 1.1.1-8.4 et doit être attribuée aux valentiniens de l’école de Ptolémée. Cf. aussi dans ce sens M. Simonetti, Testi gnostici in lingua greca e latina, Milano, 1993, p. 206, 280-325. Mais il est courant de voir l’étendue élargie jusqu’à inclure AH 1.8.5, où Irénée transmet une exégèse valentinienne du prologue de Jean (cf. E. Norelli, « Le Décalogue dans la Lettre de Ptolémée à Flora », dans Le décalogue au miroir des Pères, éd. R. Gounelle, J.-M. Prieur, Strasbourg, 2008, p. 107-176, ici p. 109 ; G. Chiapparini, Valentino gnostico e platonico. Il valentinianesimo della ‘grande notizia’ di Ireneo di Lione : fra esegesi gnostica e filosofia medioplatonica, Milan, 2012, p. 263 avec la n. 1 et p. 279-369), voire AH 1.9.1-5, où on lie la réfutation irénéenne de ladite interprétation : cf. Irénée de Lyon. Contre les hérésies I, éd. A. Rousseau, L. Doutreleau, Paris, 1979 (SC, 263), p. 83-85, 116-130. En relation avec AH 1.8.5, on discute sur l’attribution à Ptolémée lui-même, laquelle se trouve dans la version latine de l’Adversus Haereses, mais pas dans le grec transmis par Épiphane. En sa faveur s’est prononcé Sagnard, La gnose valentinienne, p. 220-232, 565. À l’encontre, on trouve C. Markschies, « New Research on Ptolomaeus Gnosticus », Zeitschrift für antikes Christentum, 4 (2000), p. 225-254, ici p. 249-252, pour lequel l’exégèse serait un fruit anonyme de quelques sectateurs de Ptolémée.
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considérant quelques passages scripturaires sur lesquels les uns et les autres se sont fondés pour interpréter cet élément de la prédication apostolique. 2. Interprétations scripturaires en conflit : le cadre théorique a. Description du conflit selon Irénée Il n’est pas nécessaire de lire beaucoup de pages de l’Adversus Haereses pour constater que l’Écriture Sainte était devenue, dans la seconde moitié du iie siècle, un champ de bataille où se livraient de durs combats. En AH 1.3.6, Irénée affirme en rapport aux événements survenus dans le Plérôme des éons : Voilà ce qu’ils disent au sujet de leur Plérôme et de la formation des Éons, faisant violence aux belles paroles des Écritures pour les adapter à leurs scélérates inventions (ἐφαρμόζειν βιαζόμενοι τὰ καλῶς εἰρημένα τοῖς κακῶς ἐπινενοημένοις ὑπ’ αὐτῶν). Et ce n’est pas seulement des évangiles et des écrits apostoliques qu’ils s’efforcent de tirer leurs preuves, en dénaturant les interprétations et en faussant les exégèses (καὶ οὐ μόνον ἐκ τῶν εὐαγγελικῶν καὶ τῶν ἀποστολικῶν πειρῶνται τὰς ἀποδείξεις ποιεῖσθαι, παρατρέποντες τὰς ἑρμηνείας καὶ ῥᾳδιουργοῦντες τὰς ἐξηγήσεις), mais ils recourent aussi à la loi et aux prophètes, puisqu’il s’y rencontre nombre de paraboles et d’allégories susceptibles d’être tirèes dans des sens multiples (ἀλλὰ καὶ ἐκ νόμου καὶ προφητῶν, ἅτε πολλῶν παραβολῶν καὶ ἀλληγοριῶν εἰρημένων καὶ εἰς πολλὰ ἕλκειν δυναμένων). En accommodant habilement et trompeusement ce qui est ambigu à leur fiction au moyen de l’exégèse (τὸ ἀμφίβολον διὰ τῆς ἐξηγήσεως δεινῶς τῷ πλάσματι αὐτῶν καὶ δολίως ἐφαρμόζοντες), ils retiennent ainsi captifs loin de la vérité ceux qui ne gardent pas solidement leur foi en un seul Dieu Père tout-puissant et en un seul Jésus-Christ, Fils de Dieu (αἰχμαλωτίζουσιν ἀπὸ τῆς ἀληθείας τοὺς μὴ ἑδραίαν τὴν πίστιν εἰς ἕνα Θεὸν πατέρα παντοκράτορα καὶ εἰς ἕνα κύριον Ἰησοῦν Χριστὸν τὸν υἱὸν τοῦ Θεοῦ διαφυλάσσοντας) 3.
Ces mêmes idées se retrouvent en AH 1.8.1, avec peu de variantes, dans le récit des événements survenus hors du Plérôme : 3 Contre les hérésies I (SC, 264), p. 60-63. Nous avons changé légèrement la traduction et la ponctuation du fragment. Les éditeurs signalent le caractère problématique aussi bien du texte grec que du latin : cf. Contre les hérésies I, p. 188-189.
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andrés sáez gutiérrez Telle est leur doctrine (τοιαύτης δὲ τῆς ὑποθέσεως αὐτῶν οὔσης), que ni les prophètes n’ont prêchée, ni le Seigneur n’a enseignée, ni les apôtres n’ont transmise (ἣν οὔτε Προφῆται ἐκήρυξαν, οὔτε ὁ Κύριος ἐδίδαξεν, οὔτε Ἀπόστολοι παρέδωκαν), et dont ils se vantent d’avoir reçu la connaissance plus excellemment que tous les autres hommes (ἣν περισσοτέρως αὐχοῦσι πλεῖον τῶν ἄλλων ἐγνωκέναι). Tout en alléguant des textes étrangers aux Écritures et tout en s’employant, comme on dit, à tresser des cordes avec du sable (ἐξ ἀγράφων ἀναγινώσκοντες, καὶ τὸ δὴ λεγόμενον, ἐξ ἄμμου σχοινία πλέκειν ἐπιτηδεύοντες), ils s’efforcent d’accommoder à leurs dires, d’une manière plausible, tantôt des paraboles du Seigneur, tantôt des oracles de prophètes, tantôt des paroles d’apôtres (ἀξιοπίστως προσαρμόζειν πειρῶνται τοῖς εἰρημένοις ἤτοι παραβολὰς κυριακὰς, ἢ ῥήσεις προφητικὰς ἢ λόγους ἀποστολικοὺς), afin que leur fiction ne paraisse pas dépourvue de témoignage (ἵνα τὸ πλάσμα αὐτῶν μὴ ἀμάρτυρον εἶναι δοκῇ). En bouleversant l’ordonnance et l’enchaînement des Écritures et, autant qu’ils sont capables, en disloquant les membres de la Vérité (τὴν μὲν τάξιν καὶ τὸν εἱρμὸν τῶν γραφῶν ὑπερβαίνοντες, καὶ ὅσον ἐφ’ ἑαυτοῖς, λύοντες τὰ μέλη τῆς ἀληθείας), ils transfèrent et transforment, et, en faisant une chose d’une autre, ils séduisent nombre d’hommes par le fantôme inconsistant qui résulte des paroles du Seigneur ainsi accommodées (μεταφέρουσι δὲ καὶ μεταπλάττουσι, καὶ ἄλλο ἐξ ἄλλου ποιοῦντες ἐξαπατῶσι πολλοὺς τῇ τῶν ἐφαρμοζομένων κυριακῶν λογίων κακοσυνθέτῳ φαντασίᾳ) 4.
Ces passages ne sont pas exempts de problèmes de critique textuelle, mais ceux-ci ne modifient pas leurs éléments principaux. Ce sont : 1. Pour Irénée, le problème n’est pas dans l’Écriture en soi. Au contraire, l’évêque de Lyon affirme dans AH 1.3.1 que ce qu’elle contient est bien dit (τὰ καλῶς εἰρημένα). Et d’après AH 1.8.1, les valentiniens bouleversent l’ordre et l’enchaînement des Écritures (τὴν μὲν τάξιν καὶ τὸν εἱρμὸν τῶν γραφῶν ὑπερβαίνοντες). Celles-ci ont donc τάξις et εἱρµός5, qui sont un reflet de l’ordre et de l’harmonie de l’historia salutis6. 4 Contre les hérésies I (SC, 264), p. 112-115. Nous avons légèrement modifié la traduction française et la ponctuation du fragment. 5 Par τάξις (ordo dans la version latine), il faut comprendre un ordre non pas principalement chronologique ou textuel, mais un ordre du sens, ordre en rapport avec la réalité, avec la vérité, ordre qui peut être appliqué à l’ensemble de l’historia salutis et qui se reflète aussi dans les Écritures qui l’exposent et en rendent témoignage (cf. en rapport avec ce sujet AH 1.9.4 ;
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2. En lisant bien ce qui a été dit, Irénée signale que ses adversaires l’adaptent avec violence à ce qu’ils ont maladroitement inventé (ἐφαρμόζειν βιαζόμενοι τὰ καλῶς εἰρημένα τοῖς κακῶς ἐπινενοημένοις ὑπ’ αὐτῶν), ou qu’ils en font de fausses interprétations (παρατρέποντες τὰς ἑρμηνείας καὶ ῥᾳδιουργοῦντες τὰς ἐξηγήσεις)7. Ils maltraitent ainsi les Écritures, en disloquant la Vérité véhiculée par le texte 8. L’exégèse valentinienne serait donc en réalité, pour Irénée, εἰσήγησις. 3. La controverse porte sur toutes les Écritures : évangiles, écrits apostoliques, loi et prophètes, selon la division de AH 1.3.6. La loi et les prophètes semblent offrir aux valentiniens tout un éventail de possibilités, puisque ces textes contiennent un grand nombre de paraboles, d’allégories et de passages ambigus qui se prêtent facilement aux manipulations9. 6
AH 2.2.4 ; 2.26.3 ; 2.34.1 ; AH 3.16.7 ; AH 4.4.2 ; 4.38.3 ; 4.39.2 ; AH 5.18.3 ; 5.31.1). Le deuxième terme, εἱρμός, avec sa traduction latine textum se trouve seulement ici dans l’ensemble de l’AH. Bien que εἱρμός puisse indiquer l’ordre d’un discours ou d’une narration (cf. Philon d’Alexandrie, De congressu eruditionis gratia 63), ici il indique le réseau des Écritures, c’est-à-dire, en un sens très semblable à τάξις, sa logique, son sens, comme c’est aussi le cas chez d’autres auteurs chrétiens (cf. Clément d’Alexandrie, Stromateis 4.2.4.1 ; Origène, De principiis 4.2.9 ; 4.3.5). 6 L’idée et son fondement apparaissent clairement exprimés dans d’autres endroits de l’AH. En AH 4.10.1, Irénée affirme que le Fils de Dieu se trouve disséminé dans les Écritures. Pour cela, il convient que le chrétien se nourrisse de toute Écriture du Seigneur (cf. AH 5.20.2). En outre, Irénée affirme en AH 2.28.2-3 que les Écritures sont parfaites (perfectae), puisqu’elles ont été prononcées par le Verbe de Dieu et par son Esprit ; et qu’elles sont toutes spirituelles (universis scripturis spiritalibus exsistentibus). Dans le premier passage, au Livre 4. il parle des Écritures d’Israël. Dans les autres, il embrasse aussi sous le terme « Écritures » les écrits évangéliques et apostoliques. 7 Cf. AH 1.3.6. Ils profitent en particulier « accommodant habilement et trompeusement ce qui est ambigu à leur fiction au moyen de l’exégèse » (τὸ ἀμφίβολον διὰ τῆς ἐξηγήσεως δεινῶς τῷ πλάσματι αὐτῶν καὶ δολίως ἐφαρμόζοντες). 8 Voir, en rapport avec la réfutation d’Irénée de l’exégèse adverse du prologue johannique, AH 1.9.1 : ἐπηρεάζοντες ταῖς γραφαῖς. Cf. aussi AH 1.9.3 : ils dévastent les Écritures (κατατρέχουσι τῶν γραφῶν). 9 Pour ce sens de παραβολή, appliqué aux Écritures anciennes ou aux paraboles évangéliques, cf. Irénée, AH 2.27 ; 4.29 ; 4.36.8 ; Justin, Dial 52.1 ; 68.6 ; 77.4.
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4. D’après AH 1.3.6, les valentiniens tentent de fournir des preuves (τὰς ἀποδείξεις ποιεῖσθαι) à partir de ces écrits. Et dans AH 1.8.1 Irénée affirme que les interprétations leur sont utiles pour montrer que leur fiction ne manque pas de témoignage (ἵνα τὸ πλάσμα αὐτῶν μὴ ἀμάρτυρον εἶναι δοκῇ)10. 5. Ces preuves manifestent que leur doctrine, qualifiée souvent de fiction par Irénée, ne manque pas de témoignages pour les soutenir. Les valentiniens disloquent ainsi les membres de la Vérité et détournent de celle-ci les plus faibles. Pour désigner cette ‘fiction’, Irénée se sert, en AH 1.8.1, du terme grec ὑπόθεσις et sa version latine, du terme argumentum, traduits normalement comme doctrine. Or, il faut absolument retenir l’étymologie de « ὑπόθεσις » comme fondement, c’est-à-dire « ce qui est à la base »11. Irénée montre par là que l’interprétation de ses adversaires relève et dépend d’une réalité qui ne s’identifie pas avec l’écrit, mais qui le transcende et le soutient. La polémique se développe donc à deux niveaux : celui des Écritures et celui de l’ὑπόθεσις qui s’y reflète et guide leur interprétation. b. Le double niveau de la polémique : l’Écriture et la regula fidei Cherchons maintenant à réfléchir sur la manière dont les valentiniens d’Irénée auraient réagi aux observations de celui-ci et sur ce qu’ils auraient dit à propos de la controverse scripturaire. En AH 3.2.1-212 , Irénée affirme que, selon ses adversaires, on ne peut trouver la Vérité à partir des Écritures si l’on ignore la Tradi10 La même idée se répète encore en AH 1.9.1. À partir des Écritures, les disciples de Ptolémée prétendent donner consistance à leur invention (τὸ πλάσμα αὐτῶν ἐξ αὐτῶν συνιστάνειν πειρώμενοι). Ou, comme le dit le texte latin de AH 1.9.3 : infamant Scripturas ad propriam argumentationem confingendam. 11 Pour ὑπόθεσις en ce sens, cf. par exemple AH 1.4.4 ; 1.8.1 ; 1.9.4 ; 1.10.3. 12 « En effet, lorsqu’ils se voient convaincus à partir des Écritures, ils se mettent à accuser les Écritures elles-mêmes : elles ne sont ni correctes ni propres à faire autorité, leur langage est équivoque, et l’on ne peut trouver la vérité à partir d’elles si l’on ignore la Tradition (non possit ex his inveniri veritas ab his qui nesciant Traditionem). Car, disent-ils, ce n’est pas par des écrits que cette vérité a été transmise, mais de vive voix … » : Irénée de Lyon, Contre les hérésies III, éd. A. Rousseau, L. Doutreleau, Paris, 2002 (SC, 211), p. 24-27. Le passage requerrait une analyse beaucoup plus détaillée que nous ne pouvons le faire ici. Nous nous limitons à signaler ce qui nous intéresse. Dans le contexte de ce passage, Irénée cite nommément Valentin, Mar-
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tion. Il est bien connu que Ptolémée dans sa Lettre à Flora 7.9 fait allusion à la Tradition apostolique que Flora pourra apprendre en temps voulu et qui lui donnera accès à une connaissance profonde de la réalité, y compris celle de la doctrine du Seigneur exposée dans les Écritures13. Les plaintes d’Irénée répondraient donc, semble-t-il, à une thèse réelle des valentiniens14. Or cela signifie cion, Cérinthe et Basilide. Il est probable que tous les reproches de l’évêque de Lyon ne se soient pas appliqués à tous les hérétiques. En particulier, il ne semble pas que les valentiniens se soient plaints ni des Écritures ni de son autorité, encore moins du fait que son langage serait équivoque. En effet, selon AH 1.7.3, d’après les valentiniens, les prophéties procèdent en partie de Sophia, en partie de la semence spirituelle, en partie du Démiurge ; et les paroles du Sauveur proviennent en partie du Sauveur, en partie de Sophia, en partie du Démiurge. Dans ce sens l’Écriture serait un véhicule de la Vérité au sens strict (spirituel) et aussi d’un certain message psychique avec une importance secondaire mais réelle également. En outre, l’usage que les valentiniens ont fait des Écritures ne correspond pas non plus aux reproches cités. On pourrait bien penser qu’Irénée simplifie de manière substantielle les critiques valentiniennes ; ou bien que celles-ci correspondent davantage à une critique marcionite de l’Ancien Testament ou des écrits apostoliques déformés par la compréhension déficiente de l’évangile qui était celle des ecclésiastiques, selon la théorie bien connue de Marcion à propos des origines du christianisme. À ce sujet on peut voir E. Norelli, « La filiación en Marción. Algunos testimonios cruciales », dans Filiación. Cultura pagana, religión de Israel y orígenes del cristianismo, II, éd. J. J. Ayán, P. de Navascués, M. Aroztegui, Madrid, 2009, p. 305-328. 13 Cf. Lettre à Flora, éd. G. Quispel, Paris, 1949 (SC, 24bis), p. 72-73 : « Car, si Dieu le permet, vous recevrez plus tard des éclaircissements plus précis sur leur principe et leur naissance, quand vous aurez été jugés dignes de connaître la tradition des apôtres (τῆς ἀποστολικῆς παραδόσεως), tradition que, nous aussi, nous avons reçue par voie de succession. En ce cas aussi, nous confirmerons nos conceptions par les paroles de notre Sauveur ». 14 Pour cet argument nous renvoyons à A. Orbe, « Ideas sobre la Tradición en la lucha antignóstica », Augustinianum, 12 (1972), p. 19-35. Nous sommes conscients qu’on discute le rapport entre celle-ci et la « grande notice » d’Irénée en AH 1.1-8, voire que certains spécialistes ont remis en question le caractère valentinien de Ptolémée, l’auteur de la Lettre à Flora. C’est ce que Markschies défend dans « New Research on Ptolemaeus Gnosticus ». Ptolémée serait un théologien de tendance médio platonicienne mais pas un gnostique ou un valentinien. Pour notre part, à la suite d’Orbe et d’autres spécialistes, nous pensons que ce qui est plus probable est qu’il y ait au moins une continuité entre la conception de Ptolémée et celle qui se reflète dans la « grande notice » d’Irénée. Concrètement, il est remarquable que la narration d’Irénée offre la réponse à ce que Ptolémée, à la fin de la lettre (7.9), promet
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que, selon les valentiniens aussi, les Écritures disent la Vérité. Seulement, il faut savoir la découvrir et, pour ce faire, il faut accéder à la παράδοσις apostolique valentinienne, secrète, communiquée de manière privilégiée dans les révélations du Seigneur après sa résurrection15 qui, elle aussi, revêt pour eux le caractère de κανών et de ὑπόθεσις16. Les valentiniens auraient donc conclu que les ecclésiastiques étaient incapables de comprendre la Vérité ultime et profonde des Écritures et que leurs méthodes exégétiques les auraient conduits, au mieux, à des interprétations propres aux psychiques. On peut également supposer que la critique des valentiniens faite par Irénée, selon laquelle ils expliquent les Écritures et l’historia salutis de manière aléatoire, est restée sans effet chez eux. On peut le vérifier sur l’exemple de AH 2.25.117. L’évêque de Lyon de révéler à Flora au moment précis, c’est-à-dire quand elle serait avancée dans le processus de l’initiation à la foi : comment à partir du Dieu-esprit sont nées la substance intermédiaire, la substance psychique et celle de la corruption, l’hylique. Les analyses et hypothèses qui aboutissent à un hiatus entre la Lettre à Flora et la « grande notice » d’Irénée nous paraissent plus compliquées et par conséquent moins acceptables que le point de contact auquel nous nous sommes référé, lequel, par ailleurs, n’est pas unique. Quoi qu’il en soit, le fait que les valentiniens s’en sont remis à une tradition secrète révélée au moment des apparitions du Sauveur, laquelle s’est transmise par une chaine secrète, ne se base pas seulement sur le témoignage de la Lettre à Flora, bien que les données soient maigres. Cf. Irénée de Lyon, AH 3.3.1 ; Clément d’Alexandrie, Stromateis 7.17.108.1-2. On peut voir aussi AH 1.30.14 pour une autre secte « gnostique », non considérée comme valentinienne. 15 Cf., par exemple, la mention des agrapha auxquels Irénée fait allusion en AH 1.8.1. 16 Cf. Orbe, « Ideas sobre la Tradición », p. 27. 17 Cf. Contre les hérésies II (SC, 294), p. 250-252 : « Quelqu’un objectera peut-être : Quoi donc ? Est-ce sans raison et au hasard qu’ont eu lieu l’imposition des noms, le choix des apôtres, l’activité du Seigneur, l’agencement des choses créées ? – Nullement, répondrons-nous. C’est au contraire avec une profonde sagesse et un soin minutieux que Dieu a conféré proportion et harmonie à toutes les choses qu’il a faites, tant les anciennes que celles que son Verbe a accomplies dans les derniers temps. Et on doit rattacher tout cela, non à une Triacontade d’Éons, mais à la doctrine fondamentale de la vérité (Et debent ea, non numero XXX, sed subiacenti copulare argumento siue rationi). On ne doit pas non plus se livrer à une recherche sur Dieu à partir de nombres, de syllabes ou de lettres …, mais rattacher les nombres eux-mêmes, ainsi que les choses qui ont été faites, à la doctrine fondamentale de la vérité (sed ipsos numeros et ea quae facta sunt aptare debent subiacenti ueritatis argu-
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cherche à discréditer l’argument numérologique des marcosiens18, par lequel ceux-ci prétendent offrir une explication cohérente des événements salvifiques. Irénée rejette leur exposé, bien sûr, mais il ne pense pas que ces événements soient dépourvus de toute logique – vanum est et ut prouenit. En effet, l’imposition des noms, le choix des apôtres, l’activité du Seigneur et, en général, la compositio de tout ce qui a été fait ont leur raison d’être, car cum magna sapientia et diligentia ad liquidum apta et ornata omnia a Deo facta sunt (« c’est avec une profonde sagesse et un soin minutieux que Dieu a conféré proportion et harmonie à toutes les choses qu’il a faites »). Ainsi, ce qui distingue les uns et les autres, ce ne sont pas les faits en tant que tels, mais l’harmonie et la compositio qu’il faut établir entre eux19. Plus concrètement, l’évêque de Lyon reproche à ses adversaires de rattacher les événements au nombre trente, une allusion claire au mythe du Plérôme, au lieu de les relier à l’argument sous-jacent de la vérité, subiacens veritatis argumentum (ὑπόθεσις) ou au subiacens (…) argumentum sive ratio (λόγος), termes employés ici parallèlement à regula20 (gr. probablement κανών21). Bien que les termes ne soient pas exactement mento). Car ce n’est pas la doctrine qui dérive de nombres, mais ce sont les nombres qui proviennent de la doctrine ; ce n’est pas non plus Dieu qui dérive des choses créées, mais ce sont les choses créées qui proviennent de Dieu (Non enim regula ex numeris, sed numeri ex regula, neque Deus ex factis, sed ea quae facta sunt ex Deo), car toutes choses sont issues d’un seul et même Dieu (omnia enim ex uno et eodem Deo) ». Nous avons modifié légèrement la traduction de l’édition de Sources Chrétiennes. 18 Cf. AH 2.24.1-6. 19 Pour reprendre les exemples mêmes utilisés par Irénée, avec des pierres identiques les valentiniens et Irénée forment des figures toutes différentes ; avec des versets identiques, ils composent des poèmes différents. Cf. AH 1.9.4. 20 AH 2.25.1 (in fine) : « Car ce n’est pas la doctrine qui dérive des nombres, mais ce sont les nombres qui proviennent de la doctrine ; ce n’est pas non plus Dieu qui dérive des choses créées, mais ce sont les choses créées qui proviennent de Dieu (Non enim regula ex numeris, sed numeri ex regula, neque Deus ex factis, sed ea quae facta sunt ex Deo) » : Contre les hérésies II, p. 252253. Argumentum et regula apparaissent en ce sens comme des synonymes en AH 1.9.4, passage dans lequel les deux sont aussi synonymes de corpusculum veritatis. 21 Pour la traduction de κανών par regula, cf. AH 1.9.4. Regula peut aussi être la traduction de ὑπόθεσις – cf. par exemple en AH 1.20.3 –, mais ce dernier terme est traduit en AH 1.9.4 par argumentum, si bien qu’il est rai-
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synonymes, le rapport et la proximité entre eux me semblent, dans le contexte d’ AH 2.25.1, indéniables. Or, comme nous l’avons signalé à une autre occasion, ce κανών ou regula n’est pas quelque chose d’abstrait pour Irénée ; il existe depuis son origine comme dispositio dans le Fils préexistant, qui est la mesure du Père (mensura Patris)22 , engendré en vue de l’historia salutis, si bien que les événements de celle-ci se déroulent harmonieusement selon cette mesure23. Cela signifie que, quand Irénée fait grief à ses adversaires de rattacher les événements salvifiques au nombre trente24, déformant ainsi la Vérité, il caricature leur doctrine ; pourtant, en se référant aux trente lettres du Plérôme, ils disent et font précisément la même chose que lui. Les marcosiens, en effet, s’en remettaient au Corps de la Vérité, appelé Homme – probablement le νοῦς de Ptolémée25 –, dont les membres correspondent aux virtualités du Fils par rapport à l’Économie. Par ailleurs, pour Ptolémée, Βυθός et Ἔννοια sont à l’origine de l’Économie et émettent le Verbe, circonscrit, constitué de trente éons qui expliquent l’histoire future du salut26. En rattachant sonnable de penser que le traducteur aurait conservé le même terme latin si les termes grecs avaient été les mêmes, comme il le fait en d’autres occasions. Quoi qu’il en soit, nous restons dans le même champ sémantique. 22 Cf. AH 4.4.2. 23 Cf. Canon y autoridad en los dos primeros siglos, p. 677-686. 24 Pour les marcosiens, cf. AH 1.14.1-2. Pour les valentiniens de la « grande notice », cf. AH 1.1.3. 25 Cf. AH 1.14.3. Cf. A. Orbe, La Teología del Espíritu Santo. Estudios Valentinianos IV, Roma, 1966 (Analecta Gregoriana, 158), p. 145-148. Marc décrit Aletheia penchée et accessible ad extra. Ainsi elle manifeste la mesure de l’Économie sur l’homme, jusqu’alors dans la pensée de Dieu. Aletheia profère un Logos (interne) de syllabes variées, en les divisant en lettres pour les synthétiser après, restituant le Logos à l’extérieur. Les lettres et les syllabes auraient la même fonction que les éons de Ptolémée. Ainsi donc, le Corps de la Vérité possède ses membres où se synthétisent les vertus inhérentes au Fils. Cf. aussi A. Orbe, Hacia la primera teología de la procesión del Verbo. Estudios Valentinianos I/1, Roma, 1958 (Analecta Gregoriana, 99), p. 375ss. 26 Pour une explication détaillée de la délimitation de l’Économie dans le monde intradivin, cf. Orbe, La Teología del Espíritu Santo, 126ss. Dans l’idée pure de l’Économie, appelée Ennoia ou Charis, sans qu’elle soit réalisée encore, on pouvait lire déjà ce qu’était le Fils et plus tard l’homme à son image et ressemblance. Le Noûs est la réalisation subsistante de ladite idée en vertu de la Volonté – Thelema – et en lui se rejoignent toutes ses caractéristiques. Ainsi, il jouit de toutes les perfections qui le constituent Médiateur
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les événements de l’historia salutis au nombre trente, les valentiniens font exactement ce qu’Irénée leur reproche pourtant de ne pas faire : harmoniser les événements de l’historia salutis selon une regula ou mensura d’origine divine, déjà disposée dans le Fils engendré ante tempus. Il s’agit là simplement, chez Irénée comme chez les valentiniens, d’un Fils et d’une Économie différents. c. Les ἀποδείξεις des valentiniens sont-elles de vraies ἀποδείξεις ? La loi, les prophètes, les évangiles et les écrits apostoliques servaient aux adversaires de l’évêque de Lyon à fournir des preuves (ἀποδείξεις) de leur doctrine. Quant au but poursuivi par les valentiniens en recourant à l’Écriture, certains spécialistes corrigent aujourd’hui l’opinion d’Irénée là-dessus. Par exemple, B. Aland, dans un article publié il y a quelques années27, fait état de la manière extrêmement précise dont les valentiniens citaient l’Écriture, selon les données de AH 1.1–8 et de la Lettre de Ptolémée28. Toutefois, les gnostiques n’auraient pas regardé ces citations comme des preuves (ἀποδείξεις), telles qu’Irénée les présente29. S’ils l’avaient fait, ils auraient été les premiers à justifier leur théologie par les Écritures, ce qui signifierait que celles-ci auraient atteint le rang d’« autorité », c’est-à-dire d’Écriture proprement dite. Bien au contraire, les valentiniens, d’après Aland, auraient considéré ces écrits comme des textes respectables, certes, mais nullement normatifs (« zwar angesehene aber keineswegs normative Texte »), et ils les auraient cités suivant les principes de la bonne littérature qui conseillait d’enrichir l’allure du texte par des citations. Ainsi, les critiques d’Irénée à propos des citations gnostiques, comprises et qui s’expriment dans le Plérôme des éons ; et en même temps il possède le substrat de l’Esprit divin qui le rend capable d’attirer à sa propre connaissance les destinataires de sa médiation. Dans la Vérité imprimée par le Père dans le Noûs, on peut contempler primordialement la révélation de l’historia salutis et la possibilité que, par elle, l’homme contemple l’image du Père. 27 Cf. B. Aland, « Die Rezeption des neutestamentlichen Textes in den ersten Jahrhunderten », dans The New Testament in Early Christianity, éd. J.-M. Sevrin, Leuven, 1989 (BETL, 86), p. 1-38. Dans sa première partie, celle qui nous intéresse, elle étudie la transmission du texte néotestamentaire et la naissance et le développement de la conscience textuelle dans le christianisme du deuxième siècle. 28 Ibid., p. 5-16. 29 Ibid., p. 16-24.
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par Aland comme portant sur les modifications valentiniennes du texte, n’auraient pas de sens 30. Pour étayer sa thèse, Aland signale que les marcosiens recouraient non seulement à des raisonnements scripturaires, mais aussi à des arguments de type numérologique qui ne pouvaient pas servir de preuve face aux chrétiens « ecclésiastiques ». Elle fait également remarquer que nous connaissons l’existence, parmi les gnostiques, d’autres écrits qu’ils ne partageaient pas avec les ecclésiastiques. Elle en déduit ceci : « Ein solches Verfahren passt schlecht zu dem angeblichen gnostischen Anspruch, aus der Schrift ihre Theologie zu beweisen »31. L’erreur de jugement d’Irénée allait cependant produire un fruit précieux : la preuve scripturaire de l’évêque de Lyon. C’est ainsi que, pour la première fois, la conscience textuelle et la conscience canonique iront de pair chez lui. Il n’y a pas de doute que l’article d’Aland est suggestif et très bien documenté. À mon avis, cependant, on est en droit de se demander si Irénée n’a pas eu raison de considérer les citations des valentiniens comme des ἀποδείξεις. Et d’abord, en raison de l’usage que Ptolémée fait de ce terme dans la Lettre à Flora (3.8) : Ainsi il nous reste, à nous qui avons été gratifiés de la connaissance de ces deux [Dieux], la tâche de vous exposer avec exactitude l’origine de la loi et la nature du législateur qui l’a promulguée. Les preuves (τὰς ἀποδείξεις) de nos assertions, nous les tirerons des paroles de notre Sauveur, les seules qui puissent nous mener sans le moindre faux pas à l’intelligence de la vérité 32 .
Le contenu de toute la lettre et le contexte immédiat de l’affirmation de Ptolémée selon laquelle seules les paroles de notre Sauveur peuvent nous guider sans risque aucun vers l’intelligence de la réalité, expriment l’autorité et le caractère normatif que Ptolémée prête à ces paroles pour montrer la vérité de l’historia salutis 30 Comme l’écrit Aland, « Die Rezeption », p. 19 : « Ptolemäus zitiert neutestamentliche Schriften als gnosticher Christ und gebildeter Mann, der den Regeln des guten Geschmacks Genüge tun will, er zitiert nicht zum « Beweis » für Nicht-Gnostiker, sondern um die seinen Adressaten bekannten Schriften des (späteren) Neuen Testaments so in seine Ausführungen einzubeziehen, wie er es von seiner hellenistischen oder auch jüdisch-hellenistischen Bildung her sprachlich und exegetisch gelernt hatte ». 31 Ibid., p. 17. 32 Cf. Lettre à Flora 3.8 (SC, 24bis), p. 54-55.
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ou, en l’occurrence, de la loi. Or, il est hors de doute que Ptolémée prend les paroles de Jésus qu’il invoque des textes évangéliques écrits. En conséquence, je pense qu’il est plus probable que Ptolémée ait compris les paroles du Christ, et donc les citations évangéliques, non seulement comme une simple manière d’enrichir son style, mais plutôt comme une preuve nécessaire pour renforcer son argumentation33. En effet, il ne s’agit pas seulement de l’emploi du terme ἀποδείξεις, mais encore de la manière d’introduire les citations, en tant que preuves des thèses défendues par Ptolémée. En outre, à la fin de son ouvrage, l’auteur va jusqu’à dire que, lorsque la Tradition apostolique aura été transmise à Flora, tous les discours seront mesurés, canonisés et jugés conformément aux paroles du Seigneur qui se trouvent peut-être dans la παράδοσις secrète 34, mais aussi dans les évangiles écrits, interprétés bien sûr correctement, conformément à cette Tradition35. En conséquence, si Irénée cite les Écritures comme il le fait, ce n’est pas parce qu’il aurait mal compris la manière dont les valentiniens se servaient de ces textes. Mieux, le fait que les valentiniens citent l’Écriture comme preuve n’implique pas que la manière de procéder de l’évêque de Lyon soit seulement le résultat de sa controverse avec eux. Nous trouvons une confirmation de cela dans l’œuvre de Justin, qui emploie de la même façon, lui aussi, les termes ἀπόδειξις et ἀποδείκνυμι. Le philosophe martyr montre que le recours à des preuves tirées des anciennes Écritures est devenu tout à fait habituel au milieu du iie siècle. Par exemple, dans 1 Apol 30.1, il affirme que la preuve la plus convaincante de 33
Même si Ptolémée recourt principalement aux paroles de Jésus que l’on trouve dans les évangiles, cette explication est valable aussi pour la doctrine de saint Paul, rapportée dans ses lettres, à laquelle Ptolémée se réfère, et pour la loi et les prophètes, également cités. 34 Cf. Lettre à Flora 7.10 (SC, 24bis), p. 72. 35 Zamagni, « Herméneutique biblique dans les discours sur l’hérésie », p. 219-243, d’une autre manière, montre aussi que l’évangile de Jean était une référence normative scripturaire pour les valentiniens dont procède l’exégèse d’AH 1.8.5. Il affirme en outre qu’ « un tel statut scripturaire s’accorde bien avec l’usage de Jean qui est fait par exemple dans la Lettre à Flora de Ptolémée » (p. 230) ; et dans la conclusión : « L’exégèse ptoléméenne du prologue de Jean ne nous montrerait donc pas une pratique de l’usage d’un texte de référence dans le cadre d’une controverse ? » (p. 243).
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la vérité de la foi est la preuve prophétique, qui constitue le noyau de son œuvre (1 Apol 24–67)36. Or, dans cette preuve, au premier terme de la comparaison – les prophéties – correspond toujours, comme second terme, leur accomplissement dans la vie de Jésus. Bien souvent, Justin se limite à mentionner les moments de celle-ci auxquels font allusion les divers passages vétérotestamentaires 37. Néanmoins, Justin cite parfois la tradition évangélique comme faisant partie de la preuve qu’il apporte 38. Nous trouvons également un passage significatif en 1 Apol 22.4, avant que l’auteur aborde la preuve prophétique ; dans ce passage, après avoir cité dans les chapitres précédents 39 quelques commandements de Jésus selon la tradition évangélique qui lui est familière, Justin signale qu’il a déjà démontré la vérité du christianisme40, ce qui n’empêchera pas en tout cas l’Apologie de suivre son cours. Il en va de même pour le Dialogue. Justin y considère également que les passages prophétiques ont une importance particulière comme preuves parce qu’ils sont des témoignages anciens, bien antérieurs au déroulement des événements. Dans sa controverse avec les juifs, d’un côté l’auteur annonce qu’il va apporter 36 Cette preuve est annoncée dans 1 Apol 14.4. Ce passage pourrait donner l’impression d’annuler la valeur probatoire de la tradition évangélique, puisque Justin affirme qu’avant la preuve il va rappeler certains enseignements de Jésus. Pourtant il n’en est pas ainsi parce que le terme ἀπόδειξις se rapporte ici aux c. 24-67, c’est-à-dire, au développement central de l’écrit, non aux preuves en général. 37 Cf. par exemple 1 Apol 32.5-14 ; 34-35 ; 39-41 ; 45 ; 49-50. 38 Cf. par exemple 1 Apol 33.5 ; 63.10. En dehors de ces chapitres, cf. aussi 1 Apol 16.4, où la vérité de la foi se prouve non seulement par les préceptes de Jésus de la tradition évangélique, mais aussi par la vie même des chrétiens. 39 Cf. 1 Apol 15–20. 40 « À en croire l’histoire, en effet, les tourments qui les ont conduits à la mort ne furent point les mêmes mais plutôt différents, si bien que, pour ce qui concerne le genre de supplice qui lui fut particulier, (le Christ) ne leur paraît pas inférieur ; au contraire, comme nous l’avons promis, dans la suite de notre discours, nous démontrerons qu’il leur est supérieur, ou plutôt la démon stration en a déjà été faite (προϊόντος τοῦ λόγου καὶ κρείττονα ἀποδείξομεν, μᾶλλον δὲ καὶ ἀποδέδεικται) » : C. Munier (éd.), Apologie pour les chrétiens, Paris, 2006 (SC, 507), p. 190-191. Cf. aussi 1 Apol 20.3, où Justin parle d’une démonstration qui pourrait être celle qu’il va réaliser, mais aussi celle qui a déjà été réalisée par les paroles de Jésus.
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des preuves à partir des Écritures reconnues par ses interlocuteurs et non à partir de celles qu’il utilise41. Il fait ainsi allusion aux différences qui, selon lui, existent à son époque entre les Écritures d’Israël reçues par les juifs et celles des chrétiens 42 . D’un autre côté, il est évident que, dans ce contexte, les écrits évangéliques ne peuvent pas se trouver au centre de la preuve. Il est pourtant significatif que Justin n’ait pas totalement renoncé à ces témoignages, comme le montre bien Dial 99–107 où la tradition évangélique est fréquemment invoquée43, faisant partie de la démonstration dans le même sens que dans l’Apologie, en tant que terme de comparaison des passages du Ps 21 qu’il est en train d’expliquer44. Justin semble donc avoir incorporé à ses preuves les écrits qu’il considère comme Écriture, parmi lesquels figuraient les Mémoires des apôtres ou évangiles. Ainsi, lorsqu’Irénée cite ici et là les Écritures nouvelles comme preuves de ses affirmations, je pense qu’il ne le fait pas seulement à cause de sa controverse avec les valentiniens ; il imite aussi une manière d’agir de la communauté dont il fait partie et de ses propres maîtres. L’évolution de l’évêque de Lyon par rapport à Justin serait sans aucun doute liée à l’apparition de la conscience canonique par rapport aux quatre évangiles et à l’héritage paulinien écrit, qui aurait à son tour une relation avec la prolifération des écrits gnostiques. Ainsi, alors que Justin semble avoir cité la tradition évangélique non directement à partir de chacun des évangiles écrits, mais à partir des harmonisations partielles contenues dans des documents intermédiaires appar-
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Cf. Dial 32.2. Cf. Dial 71.2 ; 120.4-5 ; 131.1 ; 137.3. 43 En particulier, cf. Dial 100.1, 6, où apparaît en outre le verbe ἀποδείκνυμι. Cf. aussi Dial 100.4 ; 101.3 ; 102.5 ; 103.6, 8 ; 104.1 ; 105.1, 5, 6 ; 106.1, 3, 4 ; 107.1. 44 On a suggéré avec de bonnes raisons que cette section du Dialogue aurait préexisté à sa propre composition et aurait fait partie du Syntagma contre toutes les hérésies auquel Justin fait référence en 1 Apol 26.8. Cf. Norelli, « Le statut des textes chrétiens », p. 175-176 ; Id., « Que pouvons-nous reconstituer du Syntagma contre les hérésies de Justin ? », Revue de théologie et de philosophie, 139 (2007), p. 167-181. Si tel est le cas, il faut penser que, déjà dans sa première œuvre, Justin aurait employé la tradition évangélique de manière semblable à ce qui apparaît en Dial 99–107. 42
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tenant à divers contextes 45, Irénée, en général, cite directement cette tradition à partir des livres évangéliques et apostoliques. Par ailleurs, il est vrai que l’interprétation des Écritures par les valentiniens allait sans doute de pair avec la rédaction d’autres œuvres – qu’aujourd’hui nous appelons apocryphes –, selon le témoignage d’Irénée en AH 1.18-20 46. Or le rôle qu’A. Orbe attribue à ces écrits par rapport à ceux du Nouveau Testament me semble révélateur : « une telle littérature révèle son artifice même au moins averti. Aussi ancienne qu’on ait voulu la peindre, personne ne croit à son attribution à l’un des Douze. Il est certain que les valentiniens n’y croyaient pas beaucoup eux-mêmes, et qu’il ne venait à l’esprit de personne de mettre leurs évangiles – ni même l’Évangile de vérité – sur le même plan que les quatre canoniques, ni de faire leur exégèse, comme Héracléon l’a faite pour le quatrième évangile : ils étaient beaucoup trop intelligents pour se laisser tromper » 47. Les citations, les références et les allusions à la tradition évangélique ecclésiastique par les gnostiques dans des ouvrages comme l’Évangile de Philippe et l’Évangile de Vérité, vont dans le même sens. D’après Orbe, les valentiniens se seraient servis de cette littérature pour mettre par écrit les principes de leur système – révélés par le Sauveur essentiellement au moyen d’une παράδοσις orale –, critères herméneutiques pour l’interprétation des autres traditions du Sauveur. En tout cas, même si l’argument 45
Catéchétiques, liturgiques, missionnaires … Cf. A. J. Bellinzoni, The Sayings of Jesus in the Writings of Justin Martyr, Leiden, 1967 (SupplNT, 17), 139-142. 46 Cf. AH 1.18–19 pour l’activité exégétique des marcosiens. En ce qui concerne la production d’écrits par ceux-ci, on lit dans AH 1.20.1 : « Outre cela, ils introduisent subtilement une multitude infinie d’Écritures apocryphes et bâtardes confectionnées par eux-mêmes (ἀμύθητον πλῆθος ἀποκρύφων καὶ νόθων γραφῶν, ἃς αὐτοὶ ἔπλασαν, παρεισφέρουσιν) pour faire impression sur les simples d’esprit et ceux qui ignorent les écrits authentiques (εἰς κατάπληξιν τῶν ἀνοήτων, καὶ τὰ τῆς ἀληθείας μὴ ἐπισταμένων γράμματα) » : Contre les héresies I (SC, 264), p. 288. 47 « Semejante literatura denuncia al más corto su artificio. Por muy antigua que la pintaran, a nadie podía convencer su atribución a uno de los Doce. Es seguro que los valentinianos creían poco en ella y que a ninguno se le ocurrió parangonar sus Evangelios – ni siquiera el Evangelium Veritatis – con los IV canónicos, ni hacer su exégesis, como la hizo Heracleón, del IV evangelio. Eran demasiado listos para llevarse a engaño » : Orbe, « Ideas sobre la Tradición », p. 28.
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d’Orbe n’était pas valable, le caractère probatoire des textes évangéliques communs demeurerait, à défaut de leur exclusivité. On peut dire presque la même chose au sujet des spéculations numérologiques 48. Même en admettant qu’elles ne pouvaient pas être une preuve pour les ecclésiastiques, elles l’étaient bien pour les marcosiens ; il est donc logique que les arguments scripturaires et les arguments numérologiques s’entrecroisent. En outre, les calculs numérologiques employés pour parler du monde divin et de la cosmogonie sont clairement mis en relation avec les données de l’Économie qui se reflètent en partie dans les Écritures ; je doute donc qu’elles aient eu par elles-mêmes une existence autonome, détachée de l’exégèse. Quoi qu’il en soit, on ne voit pas pourquoi leur utilisation aurait amoindri le caractère de preuve attribué aux citations de l’Écriture ; en mettant les choses au pire, seule leur exclusivité serait affectée. B. Aland estime, pour sa part, que le caractère de preuve que l’on prête à une citation se manifeste essentiellement par l’exactitude de celle-ci. Irénée, dit-elle, aurait reproché aux valentiniens de citer les textes de manière peu précise, en altérant ainsi leur vérité49. Cela, cependant, n’est pas conforme à ce que l’on constate dans l’œuvre de l’évêque de Lyon, car celui-ci ne critique que rarement l’inexactitude textuelle de ses adversaires quand tel ou tel point de la foi est en jeu50. Le plus souvent, ce n’est pas leur manière de citer qui est en cause, mais leur interprétation des 48
Cf. AH 1.14–16. Aland, « Die Rezeption », p. 18 : « Was Irenäus als unangemessene Fälschung des Schrifttextes erscheint, ist dieses in keiner Weise, sondern die « geziemende » Zitierung und Deutung eines angesehenen, aber nicht normativen Textes ». 50 Cf. par exemple AH 4.6.1, où les valentiniens sont accusés de pervertir le texte de Mt 11, 27 et de l’interpréter incorrectement, en montrant à partir de ce verset que le Père de Jésus n’a pas été connu jusqu’à sa venue aux derniers temps. Sur ce sujet, cf. Sáez, Canon y autoridad en los dos primeros siglos, p. 850-851. Ce verset est celui qu’Irénée appelle « preuve de tout ce qui précède et, pour ainsi dire, comme l’expression ultime de tout leur système » (Ἀπόδειξιν δὲ τὴν τῶν ἀνωτάτω καὶ οἱονεὶ κορωνίδα τῆς ὑποθέσεως αὐτῶν φέρουσι ταῦτα) en AH 1.20.3 en rapport avec les marcosiens. Or, la valeur du verset est indubitable pour les valentiniens, de sorte que l’observation d’Irénée n’est pas déplacée, comme le pense au contraire Aland, « Die Rezeption », p. 15, 16, 19, qui applique de manière erronée l’expression à la preuve scripturaire en général et non pas au passage concerné en particulier ; et traduit 49
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citations. En d’autres termes, le problème de l’évêque de Lyon ne réside pas dans l’adaptation d’une citation au contexte littéraire de l’ouvrage dans lequel elle est introduite (« ein ‘Anpassen’ des Zitats an den Kontext »51), mais dans son adaptation à un système ou à une foi qui sont faux. Par ailleurs, Aland reconnaît ellemême qu’Irénée et d’autres auteurs plus tardifs comme Origène continuent d’adapter leurs citations au contexte, ce qui n’implique pas, évidemment, qu’ils n’aient pas considéré que l’Écriture avait un caractère probatoire52 . En conclusion, je pense qu’il faudrait nuancer l’affirmation de B. Aland. Sans nier que chez Irénée se reflète une conscience canonique appliquée aux écrits évangéliques et apostoliques, qui n’existait ni chez Justin ni chez les valentiniens, et qui a pu influer sur la croissance de la conscience textuelle en relation avec les écrits nommés, je pense que Justin a cité à partir des Mémoires des apôtres appelés évangiles et considérés comme Écriture, en continuité et au même niveau que les Écritures d’Israël ; et je pense aussi que les valentiniens ont fait de même avec les écrits évangéliques et apostoliques, ce qui implique qu’ils les ont considérés comme des témoignages normatifs, autorisés, de la vérité de la foi. Par conséquent Irénée, en continuité dynamique avec Justin, ne s’est pas trompé en valorisant les citations de ses adversaires. 3. Un exemple significatif : la place de la σάρξ dans la regula fidei et sa répercussion dans l’interprétation scripturaire a. La matière et la chair dans les regulae fidei d’Irénée et des valentiniens Il n’est pas nécessaire d’insister sur la place toute différente que la matière, le corps matériel ou la chair commune occupent dans les règles de foi ou traditions irénéenne et valentinienne, aussi bien sur le terrain christologique que dans les domaines anthropologique et eschatologique. Pour ce qui est de ces derniers, sans quitter la première section de l’Adversus Haereses, Irénée déclare en AH 1.3.5 sans plus l’expression comme « Haupt und Kronbeweis », ce qui ne rend pas entièrement justice au texte. 51 Ibid., p. 19. 52 Cf. ibid., p. 21-24.
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que la Croix valentinienne consomme materialia omnia (ἀναλίσκειν τὰ ὑλικὰ πάντα 53) ; et en AH 1.6.1 que l’élément hylique de l’homme périra inévitablement, incapable de recevoir le moindre souffle d’incorruptibilité (κατὰ ἀνάγκην ἀπόλλυσθαι λέγουσιν, ἅτε μηδεμίαν ἐπιδέξασθαι πνοὴν ἀφθαρσίας δυνάμενον 54). Ceci est répété en AH 1.6.2 et AH 1.7.1 et 1.7.555. A fortiori ces affirmations peuvent être appliquées aux tuniques de peau ou élément charnel perceptible pour les sens56, dont l’homme fut finalement revêtu. En dehors d’Irénée, nous retrouvons des affirmations allant dans le même sens. Ainsi, l’Évangile selon Philippe (= EvPhil) 66 déclare : « Ne crains pas la chair ni ne l’aime. Si tu la crains, elle te dominera. Si tu l’aimes, elle te dévorera (et) t’étranglera… Pendant que nous sommes en ce monde, il nous convient d’acquérir la résurrection, afin que, lorsque nous nous dépouillerons de la chair, nous soyons dans le Repos et que nous ne devions pas déambuler dans la Médiété »57. Et un peu plus loin, on peut lire en EvPhil 82 : « Lorsqu’Abraham [se réjouit] en voyant ce qu’il était sur le point de voir, [il circoncit] la chair du prépuce, pour nous apprendre qu’il est nécessaire de détruire la chair »58. La même idée est présente également dans l’Evangelium Veritatis (= EV) 20 : « Après s’être dépouillé des haillons périssables, il (= Jésus) se revêtit de l’Incorruptibilité, ce que personne ne peut 53
Contre les hérésies I (SC, 264), p. 59. Ibid., p. 90. 55 On pourrait voir aussi Clément d’Alexandrie, Excerpta ex Theodoto 56.1. 56 Cf. AH 1.5.5 ; Clément d’Alexandrie, Excerpta ex Theodoto 55.1. 57 Pour donner la traduction de ce texte, on a consulté les traductions qui se trouvent dans : Nag Hammadi Codex II,2-7, éd. B. Layton, Leiden, 1989 (NHS, 20), p. 173 (traduction de W. W. Isenberg) ; Écrits gnostiques. La Bibliothèque de Nag Hammadi, éd. J.-P. Mahé, P.-H. Poirier, Paris, 2007 (Bibliothèque de la Pléiade), p. 359 (traduction de L. Painchaud) ; Textos gnósticos. Biblioteca de Nag Hammadi II. Evangelios, hechos, cartas, éd. A. Piñero, J. Montserrat Torrents, F. García Bazán, Madrid, 1999, p. 37-38 (traduction de F. Bermejo) ; L’Évangile selon Philippe, éd. J. Ménard, Paris, 19882 , p. 77. 58 Pour la traduction, cf. Nag Hammadi Codex II,2-7, p. 207 ; Écrits gnostiques. La Bibliotèque de Nag Hammadi, p. 373 ; Textos gnósticos. Biblioteca de Nag Hammadi II. Evangelios, hechos, cartas, p. 49 ; L’Évangile selon Philippe, p. 109. 54
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lui enlever »59. On trouve encore dans le Traité sur la Résurrection 45 l’affirmation suivante : « Le Sauveur a englouti la mort – tu ne dois pas rester dans l’ignorance – car il a abandonné le monde périssable » 60. Et dans le n. 47-48, appliqué au domaine anthropologique, on lit : « Si toi (= Reghinus) n’as pas (pré)existé dans la chair, tu a pris chair, quand tu es venu en ce monde. Pourquoi ne prendras-tu pas chair, quand tu monteras dans l’Éon ? Ce qui est supérieur à la chair, c’est ce qui représente pour elle la cause de la vie … Les membres visibles, qui sont morts, ne seront pas sauvés, puisque (seulement) les membres vivants qui sont en eux vont ressusciter » 61. Sans entrer dans une analyse approfondie du sens des textes cités, la valeur infime et le destin périssable de la σάρξ dans le domaine valentinien apparaissent à l’évidence. Comme on sait, chez Irénée nous nous trouvons exactement aux antipodes. Ainsi l’évêque de Lyon déclare, dès sa première formulation de la regula fidei en AH 1.10.1-3, que le Christ Jésus, le Fils de Dieu a été incarné pour notre salut (τὸν σαρκωθέντα ὑπὲρ τῆς ἡμετέρας σωτηρίας) et qu’il est ressuscité et est monté corporellement aux cieux (καὶ τὴν ἔγερσιν ἐκ νεκρῶν καὶ τὴν ἔνσαρκον εἰς τοὺς οὐρανοὺς ἀνάληψιν 62). Cette donnée, avec ses conséquences anthropologiques, se trouve réaffirmée continuellement tout au long de son œuvre. Voici comme échantillon l’affirmation suivante de AH 4.Pr.4 : « Car, quelque solennelles déclarations qu’ils fassent, tous les hérétiques aboutissent en fin de compte à ceci : blasphémer le Créateur et nier le salut de cet ouvrage modelé par Dieu 59
La traduction est tirée de : L’Évangile de Vérité, éd. J.-É. Ménard, Leiden, 1972 (NHS, 2), p. 47. On notera le rapprochement terminologique avec 2 Cor 5, 4. Cf. L’Évangile de Vérité (NHS, 2), p. 101 ; Nag Hammadi Codex I (The Jung Codex). Notes, éd. H. W. Attridge, Leiden, 1985 (NHS, 23), p. 60. Toutefois, tandis que l’apôtre Paul affirme, sur un plan anthropologico-eschatologique, que les chrétiens ne veulent pas être dépouillés (de la chair), mais revêtus de l’incorruptibilité, l’Evangelium Veritatis souligne que celle-ci est donnée à Jésus après qu’il se soit dépouillé des haillons périssables. 60 Le Traité sur la Résurrection, éd. J. É. Ménard, Québec, 1983 (BCNH. Section « Textes », 12), p. 47. 61 Pour la traduction, cf. Le Traité sur la Résurrection, p. 51-53 ; Écrits gnostiques, p. 104 (traduction de J. Ménard, révisée par J.-P. Mahé) ; Textos gnósticos, p. 208-209 (traduction de A. Quevedo, que nous avons préférée ici). 62 Contre les hérésies I (SC, 264), p. 155-156.
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qu’est la chair (contradicant saluti plasmatis Dei, quod quidem est caro) » 63. b. « Caro et sanguis regnum Dei hereditare non possunt » : la polémique autour d’1 Cor 15, 50 Parmi les lieux scripturaires objets de polémique à ce propos, le plus connu est certainement 1 Cor 15, 50. Irénée lui-même témoigne de la discussion autour de sa signification. Voici le texte d’AH 5.9.1 : C’est ce qui a été dit aussi ailleurs par l’Apôtre en ces termes : « La chair et le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu » (« Quoniam caro et sanguis regnum Dei hereditare non possunt »), texte que tous les hérétiques allèguent dans leur folie et à partir duquel ils s’efforcent de prouver qu’il n’y a pas de salut pour l’ouvrage modelé par Dieu (Id est quod ab omnibus haereticis profertur in amentiam suam, ex quo et nos retardare et ostendere conantur non salvari plasmationem Dei). Car ils ne comprennent pas que trois choses, ainsi que nous l’avons montré, constituent l’homme parfait : la chair, l’âme et l’Esprit. L’une d’elles sauve et forme, à savoir l’Esprit ; une autre est sauvée et formée, à savoir la chair ; une autre enfin se trouve entre celles-ci, à savoir l’âme, qui tantôt suit l’Esprit et prend son envol grâce à lui, tantôt se laisse persuader par la chair et tombe dans des convoitises terrestres. Ceux donc qui n’ont pas l’élément qui sauve et forme en vue de la vie, ceux-là sont et se verront appeler à bon droit « sang et chair », puisqu’ils n’ont pas l’Esprit de Dieu en eux. C’est d’ailleurs pourquoi ils sont dits « morts » par le Seigneur – « Laissez, dit-il, les morts ensevelir leurs morts » –, car ils n’ont pas l’Esprit qui vivifie l’homme 64.
Dans le chapitre précédent, Irénée termine en soulignant qu’ils sont charnels ceux qui vivent selon les œuvres de la chair, sans accueillir l’esprit de Dieu65. C’est ce que Paul nous apprend aussi en 1 Cor 15, 50 : Quoniam caro et sanguis regnum Dei hereditare non possunt 66. L’incapacité, aussi bien ontologique qu’éthique, de la chair et du sang à hériter par eux-mêmes le Royaume de Dieu, 63
Contre les hérésies IV (SC, 100), p. 390-391. Contre les hérésies V (SC, 153), p. 106-109. Pour un commentaire du passage, cf. A. Orbe, Teología de san Ireneo, I, Madrid, Toledo 1985, p. 404-415, pour ce qui nous intéresse en particulier aux pages 404-405. 65 Cf. AH 5.8.3. 66 Cf. aussi AH 5.9.3-4 ; 5.10.1-2 ; 5.11.1. 64
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n’est pas un empêchement pour que l’Esprit de Dieu leur vienne en aide, et qu’accueilli par eux, il les possède et les conduise au Royaume. Selon l’évêque de Lyon, la lettre de l’apôtre est alléguée par tous les hérétiques 67 pour embrouiller les ecclésiastiques et montrer que la plasmation de Dieu ne se sauve pas, ce qui n’est pas étonnant, puisque le texte scripturaire jouit dans ce cas de la formulation propre d’un principe ou axiome. Bien que les références explicites des hérétiques à 1 Cor 15, 50 soient relativement rares (A. Orbe en signale quatre : ophites d’Irénée, Évangile de Philippe, Pistis Sophia et marcionites 68), cependant on peut croire Irénée lorsqu’il étend à tous les hérétiques le recours à ce logion paulinien, précisément pour son caractère concis, immédiat et décisif dans le refus de la résurrection de la chair matérielle. Il faut remarquer que ceux qui étaient experts dans l’emploi de l’allégorie pour donner sens au texte écrit, curieusement se sont attachés dans ce cas-là à la lettre et ont isolé également le verset paulinien de son contexte, comme le dénonce Irénée lui-même 69 : « En prenant à Paul ces deux vocables, ils n’ont ni perçu la pensée de l’Apôtre ni cherché à comprendre la portée de ses paroles ; cramponnés à de simples mots sans plus »70. Ceci pourrait aider à expliquer a contrario l’absence du verset paulinien des florilèges patristiques de l’Écriture et l’insistance avec laquelle, en le citant, les auteurs ecclésiastiques cherchent à prévenir, comme un cauchemar, l’exégèse adverse71. Parmi les hérétiques dont nous savons qu’ils employèrent le verset paulinien se trouvent les ophites d’Irénée. Ces derniers soutenaient que de nombreux disciples de Jésus n’avaient pas remarqué que le Christ était descendu sur lui lors du baptême, rendant 67
Selon E. Pietrella , « Caro et sanguis regnum dei possidere non possunt (I Cor. XV,50) », Aevum, 49 (1975), p. 36-76, ici p. 45 avec la n. 53 pour les références, il faudrait compter parmi ceux-ci les ophites, les valentiniens, Basilide, Marcion et les carpocratiens. Voir aussi, dans le présent volume, l’étude d’A. D’Anna , « Les ‘négateurs de la salus carnis internes à l’Église’ et le conflit exégétique avec Irénée sur les Épîtres de Paul ». 68 Cf. Orbe, Teología de san Ireneo, I, p. 404-405. 69 Cf. AH 5.13.2-5. 70 AH 5.13.2 : Contre les hérésies V (SC, 153), p. 168-169. 71 Outre Irénée, on peut voir Tertullien, Novatien, Pseudo-Tertullien, Philastre, Grégoire d’Elvire et Épiphane. Cf. Orbe, Teología de san Ireneo, I, p. 405.
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possible dès lors à Jésus la réalisation de miracles et l’annonce du Père inconnu. Quand il fut conduit à la mort, le Christ retourna avec Sophia dans l’éon incorruptible et Jésus fut crucifié. L’histoire continue ainsi, selon AH 1.30.13 : Le Christ n’oublia pas ce qui était sien : il envoya d’en haut une puissance (virtutem quandam) qui le ressuscita dans un corps (in corpore), qu’ils appellent corps psychique et pneumatique (quod et corpus animale et spiritale vocant), car, pour ce qui est des éléments cosmiques, Jésus les abandonna dans le monde (mundialia enim remisisse eum in mundo). Ses disciples, lorsqu’ils le virent après sa résurrection, ne le connurent pas et ne surent même pas par la faveur de qui il était ressuscité d’entre les morts. Les disciples, disent-ils, tombèrent ainsi dans cette erreur énorme de s’imaginer qu’il était ressuscité dans son corps cosmique (in corpore mundiali resurrexisse) : ils ignoraient que la chair et le sang ne s’emparent pas du royaume de Dieu (caro et sanguis regnum Dei non apprenhendunt) (1 Cor 15, 50)72 .
Le Christ n’oublia pas ce qui était à lui, mais il envoya en Jésus une certaine force (virtutem quandam), qui le ressuscita in corpore, mais dans un corps appelé animale et spiritale, laissant ce qui était de terre à la place qui lui revient. Mais « la chair et le sang » de 1 Cor 15, 50 désignent précisément dans leur sens évident le corps terrien (mundiale corpus, κοσμικόν) que Jésus abandonna sur terre, celui qui est incapable d’obtenir (apprehendere) le Royaume de Dieu. Les disciples, ignorant l’enseignement paulinien, se trompèrent en appliquant la résurrection de Jésus non pas à son vrai corps animale et spiritale, mais à son corps de terre73. Chez les valentiniens, le témoignage principal de l’usage du verset paulinien se trouve dans EvPhil 56-5774 : Ceux qui disent que le Seigneur est mort d’abord et qu’il est ressuscité se trompent, car il est ressuscité d’abord et il est mort. Si quelqu’un n’acquiert pas la résurrection d’abord, ne doit-il pas mourir ? Aussi vrai que Dieu est vivant, il… […]
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Contre les hérésies I (SC, 264), p. 382-383. Cf. Pietrella, « Caro et sanguis », p. 41-42 ; et Orbe, Cristología gnóstica, II, Madrid, 1976, p. 510ss. Pour une application anthropologique, cf. AH 1.30.14. 74 Cf. Pietrella, « Caro et sanguis », p. 46ss ; et Orbe, Cristología gnóstica, II, p. 336, 342ss, 503s. 73
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andrés sáez gutiérrez On ne cache pas un objet de grande valeur dans un grand vase, mais souvent des sommes incalculables sont placées dans un vase d’une valeur d’un as. Il en est de même de l’âme. Elle est un objet précieux ; elle s’est trouvée dans un corps méprisable. Il y en a qui craignent de ressusciter nus. C’est pourquoi ils veulent ressusciter dans la chair, et ils ne savent pas que ceux qui portent la [chair, ceux-là] sont nus. Pour ceux qui se [dépouilleront] au point de se mettre nus, [ceux-là] ne sont pas nus. Il n’y a ni chair [ni sang qui peut] hériter [du Royaume de] Dieu. Quelle est celle qui n’héritera pas ? Celle que nous avons revêtue. Mais quelle est celle qui héritera ? Celle de Jésus et son sang. C’est pourquoi il a dit : « Celui qui ne mangera pas ma chair et ne boira pas mon sang n’a pas la vie en lui » (cf. Jn 6, 53). Qu’est-ce que sa chair ? Sa chair est le Logos, et son sang, l’Esprit-Saint. Celui qui a reçu ceux-là a une nourriture et une boisson et un vêtement75.
Dans son article portant sur l’interprétation primitive de 1 Cor 15, 50, Egidio Pietrella prend en compte les difficultés que ce passage, ainsi que sa suite, ont suscitées parmi les spécialistes. En relation avec notre propos, il paraît clair que l’auteur identifie la chair et le sang de 1 Cor 15, 50 avec la chair commune, avec le corps méprisable auquel il fait référence peu avant. Ce corps, celui qui est possédé avant de mourir, est en soi substantiellement incapable d’hériter le Royaume de Dieu, c’est-à-dire, de ressusciter. C’est pourquoi, être nu signifie se vêtir de cette chair. À l’inverse, ceux qui se débarrassent d’elle ne sont pas nus. Selon Pietrella, ceci ne signifie pas que l’Évangile de Philippe exclue toute résurrection charnelle, puisque la chair et le sang de Jésus hériteront, eux, le Royaume de Dieu. À ce propos, le fragment laisse voir que les valentiniens ne pensèrent même pas à faire abstraction des passages dans lesquels leurs principes ne se reflétaient pas de façon aussi claire et immédiate que dans le verset paulinien d’1 Cor 15, 50. Ils avaient suffisamment de moyens pour conserver le texte et l’interpréter en accord avec leurs principes. Ainsi Jn 6, 53 (cité dans la forme suivante : « celui qui ne mangera pas ma chair et ne boira pas mon sang n’a pas la vie en lui »), en faisant 75
La traduction est tirée de J. E. Ménard, L’Evangile selon Philippe, p. 57-59, bien que nous l’ayons comparée et modifiée en tenant compte de celle de L. Painchaud dans Écrits gnostiques, p. 349 ; de celle de F. Bermejo dans Textos gnósticos, p. 28-29 ; et de celle de W. W. Isenberg dans Nag Hammadi Codex II,2-7, p. 153-155.
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référence à la chair et au sang de Jésus, ne désignait pas la chair et le sang conventionnels, mais plutôt le Logos et l’Esprit Saint. c. Que signifie se faire chair ? L’interprétation de Jn 1, 14 La dernière observation se rapporte à un verset d’importance manifeste, Jn 1, 14a : « Le Verbe s’est fait chair ». En AH 1.9.2-3, Irénée affirme contre les valentiniens de Ptolémée : La fausseté de leur exégèse saute donc aux yeux. En fait, Jean proclame un seul Dieu tout-puissant et un seul Fils unique, le Christ Jésus, par l’entremise de qui tout a été fait ; c’est lui le Verbe de Dieu, lui le Fils unique, lui l’Auteur de toutes choses, lui la vraie Lumière éclairant tout homme, lui l’Auteur du cosmos ; c’est lui qui est venu dans son propre domaine, lui-même qui s’est fait chair et a habité parmi nous … Revenant en effet à Celui dont il (Jean) a dit plus haut qu’il était au commencement, c’est-à-dire au Verbe, il ajoute cette précision : Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous. Selon leur système, au contraire, ce n’est pas le Logos-Verbe qui s’est fait chair, puisqu’il n’est même jamais sorti du Plérôme, mais bien le Sauveur, qui est issu de tous les Éons et est postérieur au Logos … Car, d’après eux, le Logos ne s’est pas à proprement parler fait chair (προηγουμένως σὰρξ γέγονε) : le Sauveur, disent-ils, s’est revêtu d’un corps psychique provenant de l’Économie et disposé par une providence inexprimable de façon à être visible et palpable (λέγουσι δὲ τὸν Σωτῆρα ἐνδύσασθαι σῶμα ψυχικὸν ἐκ τῆς οἰκονομίας κατεσκευασμένον ἀῤῥήτῳ προνοίᾳ, πρὸς τὸ ὁρατὸν γενέσθαι, καὶ ψηλαφητόν). Mais, leur répondrons-nous, la chair est ce modelage de limon effectué par Dieu en Adam à l’origine, et c’est cette chair-là même que, au dire de Jean, le Verbe de Dieu est en toute vérité devenu (Σὰρξ δέ ἐστιν ἡ ἀρχαία ἐκ τοῦ χοῦ κατὰ τὸν Ἀδὰμ ἡ γεγονυῖα πλάσις ὑπὸ τοῦ Θεοῦ, ἣν ἀληθῶς γεγονέναι τὸν Λόγον τοῦ Θεοῦ ἐμήνυσεν ὁ Ἰωάννης)76.
Avant de pénétrer dans le passage lui-même, il convient de rappeler que ce très important verset de Jean avait provoqué un grand nombre d’interprétations au sein du christianisme d’alors, révélant les possibilités que l’Écriture offrait aux auteurs antiques. Clément d’Alexandrie, dans les Excerpta ex Theodoto (= ET) 19.1-2, applique Jn 1, 14 à divers moments de l’Économie du Logos : Et le Logos est devenu chair : non seulement en devenant homme au moment de sa Venue [ici-bas], mais encore dans le Principe, 76
Contre les hérésies (SC, 264), p. 138-145.
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andrés sáez gutiérrez quand le Logos en sa constante identité est devenu Fils, dans sa délimitation et non par essence. Il est encore devenu chair en opérant à travers les Prophètes77.
Selon A. Orbe, ces courtes lignes suggèrent quatre modes d’incarnation du Logos : a) Le premier, explicité dans le passage, consiste à devenir Fils au sein du Père, en tant que Fils unique. Il n’a pas de subsistance propre, mais seulement une περιγραφή en communauté de substance avec Dieu le Père. Il correspond au Noûs de Ptolémée développé à l’intérieur du Plérome. b) Le deuxième, implicite ici, mais explicité dans la suite (cf. ET 19.5), consiste à devenir Fils en dehors du Père, en tant que Primogenitum. Il n’est plus seulement Logos délimité, mais se transforme désormais en Verbe subsistant, avec περιγραφή et substance propre. c) Parmi les hommes de l’AT, en tant que « Verbe de Dieu adressé aux prophètes ». Le Logos en agissant chez eux se fait chair dynamiquement. d) En Jésus, le Verbe se fit chair par présence, en s’unissant à la substance humaine selon un processus de κρᾶσις78. À partir de ce que nous connaissons de la doctrine valentinienne de la génération du Verbe et de la présence de l’Esprit divin chez les prophètes et aussi de la signification multiple du terme σάρξ, il est possible, et même probable, que des exégèses analogues et polyvalentes de Jn 1, 14 aient circulé parmi les gnostiques. En ce cas, il faudrait penser que Clément et les valentiniens devaient être d’accord sur les trois premières interprétations du passage79. 77
Extraits de Théodote, éd. F. Sagnard, Paris, 1948 (SC, 23), p. 92-93. Cf. Cristología gnóstica, I, p. 324. A. Orbe commente à ce propos : « Las dos primeras son metafóricas, porque entienden la σάρξ como persona (κατὰ περιγραφήν) – ‘El Logos fue hecho persona’ – o como sustancia o natura (κατ’ οὐσίαν) – ‘El Logos fue hecho persona con sustancia propia’. Las otras dos son literales : una imperfecta – ‘El Verbo se hizo energéticamente carne’ entre los profetas – y otra perfecta – ‘El Logos se hizo sustancial o presencialmente carne’ en Jesús ». 79 Cf. par exemple A. Orbe, Introducción a la teología de los siglos II y III, Roma, Salamanca, 1988, p. 33-95 (Introduction à la théologie des iie et iiie siècles, Paris, 2012, pp. 83-117) pour la génération chez les valentiniens. Sur les analogies avec Clément d’Alexandrie, cf. P. de Navascués, « Dios en Su bondad, paternidad y maternidad en Clemente Alejandrino » y A. Sáez, 78
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Mais pas pour la quatrième. Encore moins les valentiniens et Irénée, comme nous pouvons l’observer en AH 1.9.2-3. Selon l’évêque de Lyon, les valentiniens de Ptolémée identifiaient la σάρξ de Jn 1, 14 avec un corps psychique provenant de l’Économie et mis en place par une providence inexprimable pour être visible et tangible (λέγουσι δὲ τὸν Σωτῆρα ἐνδύσασθαι σῶμα ψυχικὸν ἐκ τῆς οἰκονομίας κατεσκευασμένον ἀῤῥήτῳ προνοίᾳ, πρὸς τὸ ὁρατὸν γενέσθαι, καὶ ψηλαφητόν) 80. En plus de la composante pneumatique et psychique, le Logos assume, dans sa chute depuis le monde pléromatique vers le cosmos, un corps de substance psychique ayant des propriétés matérielles en raison de l’Économie. Contrairement à la pensée des ophites, pour lesquels le corpus mundiale était abandonné après la mort de Jésus, chez les valentiniens le fait que Jésus ait eu un corps hylique n’aurait eu aucun sens, puisque cette substance n’était pas destinée au salut. De son côté, Irénée profite du verset pour, d’après sa règle de foi, expliquer ce que signifie la σάρξ en Jn 1, 14, en s’appuyant en ce cas sur Gn 2, 7 pour renforcer le caractère terrestre de la σὰρξ en la liant au χοῦς à partir duquel fût façonné Adam : la chair est la plasmation ancienne qui eût lieu en Adam à partir de la terre (ἡ ἀρχαία ἐκ τοῦ χοῦ κατὰ τὸν Ἀδὰμ ἡ γεγονυῖα πλάσις ὑπὸ τοῦ Θεοῦ). Ensuite Irénée ratifie que celle-ci est la chair que le Logos avait assumée dans l’incarnation selon Jn 1, 14 à travers le traditionnel adverbe ἀληθῶς (ἣν ἀληθῶς γεγονέναι τὸν Λόγον τοῦ Θεοῦ ἐμήνυσεν ὁ Ἰωάννης). Malgré les efforts de l’évêque de Lyon, l’argumentation n’aurait pas inquiété du tout les valentiniens. En fait, Irénée laisse voir dans son exégèse du miracle de l’aveugle de naissance en Jn 9 que ses adversaires parlaient d’une terre fluida et effusa, invisible, matière de l’homme hylique 81. En conclusion, ni Irénée ni les valentiniens n’interprètent de la même façon le terme σάρξ en 1 Cor 15, 50 et en Jn 1, 14. Pour l’évêque de Lyon, la σάρξ de ce verset paulinien signifie, dans le champ anthropologique, la chair dépouillée de l’Esprit, ou les œuvres de la chair, alors qu’en Jn 1, 14 elle indique, dans « Algunos aspectos del Hijo como Mediador en Clemente de Alejandría », dans Filiación. Cultura pagana, religión de Israel, orígenes del cristianismo, VI, éd. A. Sáez, G. Cano, C. Sanvito, Madrid, 2015, p. 201-216 et 233-258. 80 AH 1.9.2-3. Cf. aussi AH 1.6.1 ; ET 59.4-60, 62. 81 Cf. AH 5.15.4. Cf. aussi AH 1.5.5 ; ET 50.1.
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le domaine christologique, tout simplement la chair en tant que substance. Pour les valentiniens, la chair et le sang sensibles, incapables de salut et irrémédiablement destinés à la destruction selon 1 Cor 15, 50, sont bien éloignés du corps psychique doté de propriétés matérielles qu’ils voient en Jn 1, 14. Ce que nous venons de dire en rapport avec ce dernier verset conduit à ne pas s’étonner du fait que les valentiniens aient affirmé sans gêne que l’Esprit saint descend sur la chair du Logos (ἐπὶ τὴν τοῦ Λόγου σάρκα)82 ou, par allusion à la scène des tentations de Jésus, que celui qui vainc les anges dans la chair (ἐν σαρκὶ κρατήσας) est servi par ces derniers 83. Quoique la christologie des divers courants valentiniens n’ait pas été identique, en aucun cas ils n’appliquèrent la σάρξ dans le terrain christologique comme le fit l’évêque de Lyon. d. La valeur analogique de la σάρξ dans le domaine anthropologique En ce qui concerne le domaine anthropologique, σάρξ ne désigna pas seulement la chair matérielle abandonnée dans le monde au moment de la mort comme nous l’avons observé dans l’exégèse d’EvPhil 56–57 sur 1 Cor 15, 50. Lisons en premier lieu ET 67.1, appartenant à la quatrième section de l’œuvre, selon la sous-division réalisée par Sagnard : Quand nous étions dans la chair, dit l’Apôtre : il parle comme s’il était déjà sorti du corps. L’Apôtre entend par cette chair, dit (Théodote ?), cette faiblesse qui est l’émission de la Femme d’en haut (« ὅτε ἦμεν ἐν τῇ σαρκί », φησὶν ὁ Ἀπόστολος, ὥσπερ ἔξω τοῦ σώματος ἤδη λαλῶν. Σάρκα οὖν λέγειν αὐτόν φησιν ἐκείνην τὴν ἀσθένειαν, τὴν ἀπὸ τῆς ἄνω Γυναικὸς προβολήν) 84.
Selon ce fragment, l’apôtre parle en tant que prototype des hommes spirituels. En énonçant Rm 7, 5 (Quand nous étions dans la chair), il fait référence à sa situation passée, antérieure à l’illumination, fruit de la chute de l’élément pneumatique féminin dans le monde kénomatique. Les spécialistes sont d’accord sur le fait qu’il est question de celui-ci dans ces lignes. Cependant, nous retrouvons un certain désaccord parmi eux au moment de préciser avec quoi il faut identifier le terme σάρξ, lequel selon le passage 82 83 84
Extraits de Théodote 16 (SC, 23), p. 88-89. Extraits de Théodote 85.2 (SC, 23), p. 208-209. Extraits de Théodote 67.1 (SC, 23), p. 190-191.
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signifie la faiblesse, l’émission procédant de la Femme d’en-haut (ἐκείνην τὴν ἀσθένειαν, τὴν ἀπὸ τῆς ἄνω Γυναικὸς προβολήν). F. Sagnard, dans son édition des Excerpta ex Theodoto85, maintient qu’il s’agit de l’élément né de la passion de Sophie, c’est-à-dire les éléments psychique et hylique. L’élément pneumatique féminin se trouverait en état de faiblesse, c’est-à-dire lié aux substances inférieures et aux passions que cet état entraîne. De son côté, M. Simonetti comprend que Paul, après l’expérience de Damas, c’est-à-dire après son illumination, reconnaît l’imperfection de son état antérieur en tant que spirituel féminin faible, déchu dans le monde matériel. Dans ce cas, la chair serait directement la semence spirituelle dans son état antérieur à l’illumination86. Nous n’essayerons pas d’élucider maintenant cette question. Il nous suffit de signaler qu’Irénée fait référence en AH 5.14.4 à Rm 7, 5, non pas exactement à la partie citée en ET 67.1, mais à sa suite. En tout cas, on peut en déduire que, pour lui, « être dans la chair » signifie en Rm 7, 5 servir le péché et fructifier pour la mort. En aucun cas, la chair n’est autre chose que de la chair courante, elle n’est pour lui ni esprit affaibli, ni éléments psychique ou hylique. Après l’illumination, la même chair, comprise dans le sens irénéen, doit servir la justice et fructifier pour la vie de Dieu87. En second lieu, un autre passage des ET 51, nous intéresse : Il y a donc l’homme dans l’homme, le psychique dans le terrestre (ψυχικὸς ἐν χοϊκῷ), non comme une partie qui s’ajoute à une partie, mais comme un tout se joignant à un tout, par l’inexprimable puissance de Dieu [ = du Démiurge]. De là vient que l’homme est façonné dans le Paradis, au quatrième Ciel. Car la chair terrestre (χοϊκὴ σὰρξ) ne monte pas jusque-là : mais, pour l’âme divine [ = psychique], l’âme hylique (ἡ ὑλική) était comme une chair (οἷον σὰρξ). C’est ce que signifie : Voici maintenant l’os de mes os, – allusion à l’âme divine, cachée à l’intérieur de la chair, âme solide, difficilement passible, suffisamment forte – et la chair de ma chair, l’âme hylique, qui est le corps de l’âme divine 88.
ET 50 développe la formation de l’homme à l’image du Démiurge. À partir de la matière multiple et variée, non pas de 85 86 87 88
Cf. ibid., p. 191. Cf. Testi gnostici in lingua greca e latina, Milano, 1993, p. 522. Cf. Orbe, Teología de san Ireneo, I, p. 699. Extraits de Théodote 51 (SC, 23), p. 164-167.
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la terre aride, le Démiurge fit l’homme hylique, à l’image. De sa propre substance il fit cependant l’homme psychique, à sa ressemblance, laquelle fut insufflée dans l’homme hylique. Cette création eut lieu au quatrième ciel, lieu inaccessible pour la chair terrestre (χοϊκὴ σὰρξ). Celle-ci se distingue de l’homme hylique, appelé ici âme hylique, qui est pour l’âme divine ou homme psychique comme une chair (οἷον σὰρξ), dans laquelle l’âme divine se trouve cachée. Telle est la signification de Gn 2, 23, où « l’os de mes os » indique la composante psychique de l’homme ; et « chair de ma chair » l’homme hylique, différent substantiellement de la chair choïque provenant de la terre aride. Comme on peut facilement le penser, ce dernier sens est celui d’Irénée, lequel cite ce verset en Dem 13 89, aussi bien à propos des os que de la σάρξ. Conclusion La seconde moitié du deuxième siècle est un moment crucial pour les Ecritures anciennes et nouvelles. Chez les auteurs ecclésiastiques, les deux corpora cheminent vers leur canonisation définitive, universellement normative. Les gnostiques valentiniens ont été des pionniers, non seulement en bâtissant un système théologique complet, depuis la vie intradivine jusqu’à l’eschatologie, mais aussi en se servant pour cela des sources écrites de la révélation depuis Moïse jusqu’à Paul. Dans ce contexte, la polémique autour de la vérité des Écritures a été vive entre les valentiniens et Irénée, ainsi que le montre le début de AH 3. Or, cette polémique s’est déroulée sur deux plans : le plan proprement scripturaire d’une part et celui des présupposés qui constituaient la règle de foi des uns et des autres, de l’autre. Leur manière différente de comprendre Jésus et l’historia salutis a influencé de manière essentielle l’interprétation du texte écrit. Le grand succès d’Irénée face à ses adversaires n’a sûrement pas résidé dans ses critiques des interprétations valentiniennes complexes, mais plutôt dans la refutatio de leurs derniers (ou premiers) principes, dont dépendait leur exégèse. Qui plus est Irénée, sûr de la valeur normative des Écritures, a réagi devant l’ensemble de l’exégèse de ses adversaires, en produisant une autre exégèse, 89
Cf. Démonstration de la prédication apostolique (SC, 406), p. 103.
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en beaucoup de cas parallèle à l’exégèse valentinienne, qui utilisait également loi, prophètes, évangiles et apôtres. Nous ne pensons pas qu’en effectuant cette opération Irénée ait mal interprété la manière valentinienne de citer. Dans les deux cas, l’Écriture a servi pour montrer la vérité de leurs manières respectives de croire en Jésus telles que celles-ci leur avaient été transmises dans leurs Traditions respectives. Ces affirmations théologiques et herméneutiques se reflètent aussi bien dans le cadre anthropologique que dans le domaine christologique. C’est ce que nous avons voulu montrer dans la deuxième partie du texte pour le cas particulier de la valeur de la σάρξ dans la règle de foi et de l’interprétation de certains versets en rapport avec celle-ci.
Épilogue : vers l’esquisse d’une économie théologique
Quelques principes herméneutiques chez Saint Irénée1 Patricio de Navascués (Madrid) Les Écritures qui, pour Irénée sont aussi bien prophétiques qu’évangéliques (c’est-à-dire, l’Ancien Testament aussi bien que le Nouveau2), présupposent pour lui le fait de la révélation de Dieu. Elles nous permettent, d’une façon particulière, l’accès à la révélation de Dieu. Comment l’homme peut-il avoir accès à la révélation d’un Dieu inconnu et inénarrable conformément à sa grandeur ? Quel est le rôle des Écritures dans cette révélation ? 1. Le Fils, en tant que l’Unigenitus Filius (Jn 1, 18), est l’exégète du Dieu inénarrable À l’origine même de la révélation nous trouvons un Dieu inaccessible dans sa grandeur (secundum magnitudinem non est cognoscere Deum) qui a voulu, poussé par son amour (secundum dilectionem ejus), se faire connaître gratuitement (paterna gratia) par l’entremise de son Verbe. Le Verbe, en qualité de Fils Unique et, en tant que tel, le seul capable de comprendre la grandeur paternelle, est le seul à pouvoir raconter (enarrare, ἐξηγέομαι) tout ce qui est propre à Dieu le Père (quae sunt Dei) ; absolument aucune autre médiation possible ne pourrait garantir la vérité. Il est ainsi 1 Pour toutes les citations du texte de l’Adversus Haereses d’Irénée, j’ai toujours utilisé l’édition publiée par Sources chrétiennes. Pour la bibliographie essentielle sur saint Irénée de Lyon, cf. récemment J. J. Ayán, Ireneo di Lione, en Letteratura patristica, éd. A. di Berardino, G. Fedalto, M. Simonetti, Milano, 2007, p. 775. 2 Cf. 2.27.2 : « Cum itaque universae Scripturae et propheticae et evangelicae … ».
Irénée de Lyon et les débuts de la Bible chrétienne. Actes de la Journée du 1.VII.2014 à Lyon, sous la direction de A. Bastit et J. Verheyden, Turnhout, 2017 (Instrumenta Patristica et Mediaeualia, 77), p. 435-455 ©
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appelé interpretator Patris, enarrator Patris, dispensator paternae gratiae … Nous avons également accès à ce Verbe Dieu médiateur grâce au fait qu’il s’est laissé voir, qu’il s’est laissé entendre, qu’il s’est laissé imiter, qu’il a voulu entrer en communion avec nous, et tout cela d’une façon sensible et adaptée aux hommes 3. De cette première prémisse découlent, au moins, deux conséquences. Première conséquence : l’interprétation de l’Écriture, qui renferme la révélation de la paterna gratia, ne sera jamais le résultat du seul effort intellectuel de l’homme, car celui-ci aura besoin, avant tout, du don de l’Esprit Saint4. : L’homme ne cherchera pas à comDeuxième conséquence prendre à tout prix l’Incompréhensible, mais il cherchera plutôt à comprendre ce Dieu incompréhensible en utilisant le même code que celui que Dieu emploie pour se faire connaître des hommes, 3 Cf. 4.20.1 : « Igitur secundum magnitudinem non est cognoscere Deum : impossibile est enim mensurari Patrem ; secundum autem dilectionem ejus –haec est enim quae nos per Verbum ejus perducit ad Deum– obaudientes ei semper discunt quoniam est tantus Deus … » ; 4.6.3 [à propos de Mt 11, 27] : « Et Patrem quidem invisibilem et indeterminabilem, quantum ad nos est, cognoscit suum ipsius Verbum, et cum sit inenarrabilis, ipse enarrat eum nobis … » ; 5.1.1 : « Non enim aliter nos discere poteramus quae sunt Dei, nisi magister noster, Verbum existens, homo factus fuisset : neque enim alius poterat enarrare nobis quae sunt Patris, nisi proprium ipsius Verbum. Quis enim alius cognovit sensum Domini ? Aut quis alius consiliarius ejus factus est ? (Rm 11, 34) Neque rursus nos aliter discere poteramus, nisi magistrum nostrum videntes et per auditum nostrum vocem ejus percipientes, uti imitatores quidem operum, factores autem sermonum ejus facti, communionem habeamus cum ipso … » ; 4.20.6-7 : « Omnia enim per Verbum ejus discunt quis et unus Deus Pater, qui continet omnia et omnibus esse praestat, quemadmodum in Evangelio scriptum est : Deus nemo vidit unquam, nisi Unigenitus Filius, qui est in sinu Patris, ipse enarravit (Jn 1, 18). Enarrator ergo ab initio Filius Patris, quippe qui ab initio est cum Patre, qui et visiones propheticas et divisiones charismatum et ministeria sua et Patris glorificationem consequenter et composite ostenderit humano generi apto tempore ad utilitatem … Et propterea Verbum dispensator paternae gratiae factus est ad utilitatem hominum propter quos fecit tantas dispositiones … » ; 4.20.11 : « manifestum est quoniam Pater quidem invisibilis, de quo et Dominus dixit : Deum nemo vidit unquam (Jn 1, 18), Verbum autem ejus, quemadmodum volebat ipse et ad utilitatem exponebat, quemadmodum et Dominus dixit : Unigenitus Deus, qui est in sinu Patris, ipse enarrabit (Jn 1, 18). Et ipse autem interpretator Patris Verbum … ». 4 2.28.3 : « … eorum quae in Scripturis requiruntur […], quaedam quidem absolvimus secundum gratiam Dei … ».
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c’est-à-dire, le code de la charité (dilectio). Il ne s’agit donc pas de connaître dans le but d’acquérir des connaissances mais surtout de connaître pour aimer. En raison de sa capacité limitée de connaître, l’homme apprendra de lui-même à s’ouvrir de manière appropriée à l’amour envers son Créateur et Père5. Irénée ne recommande pas, parce qu’elle est dangereuse, la méthode de la recherche (zetesis) perpétuelle parce qu’elle n’aboutit jamais mais suscite continuellement de nouvelles questions. Il n’incrimine pas la recherche, mais il recommande une discipline : la discipline propre à la créature, qui vient d’être faite, nuper facta, face au Créateur Non-créé, infectus, face à Son Verbe, semper cum Patre, et face aux Écritures parfaites qui proviennent de Lui6. Au moyen de cette discipline, l’homme se lancera à la recherche du mystère de Dieu, en appliquant la règle de la foi pour expliquer ce qui est obscur, et en augmentant, ainsi, l’amour envers son Père7. À propos de la citation paulinienne la science enfle, tandis que la charité édifie (1 Co 8, 1), saint Irénée considère plus utile de s’approcher de Dieu par l’amour tout en étant ignorant, que de se croire savant et de s’éloigner de Dieu8. L’expérience des limites 5 2.25.4 : « … ordinem ergo serva tuae scientiae et ne ut bonorum ignarus supertranscendas ipsum Deum … » ; 2.26.1 : « Melius est ergo et utilius idiotas et parum scientes exsistere et per caritatem proximum fieri Deo, quam putare multum scire et multa expertos in suum Dominum blasphemos inveniri, alterum Deum Patrem fabricantes ». 6 Cf. 2.25–28 en particulier, 2.28.2 : « Cedere autem haec talia debemus Deo qui et nos fecit, rectissime scientes quia Scripturae quidem perfectae sunt, quippe a Verbo Dei et Spiritu ejus dictae ; nos autem, secundum quod minores sumus et novissimi a Verbo Dei et Spiritu ejus, secundum hoc et scientia mysteriorum ejus indigemus ». 7 2.28.1 : « Habentes itaque regulam ipsam veritatem et in aperto positum de Deo testimonium, non debemus per quaestionum declinantes in alias atque alias absolutiones eicere firmam et veram de Deo scientiam ; magis autem, absolutionem quaestionum in hunc characterem dirigentes, exerceri quidem convenit per inquisitionem mysterii et dispositionis exsistentis Dei, augeri autem in caritate ejus qui tanta … ». 8 2.26.1 : « Melius itaque est, sicut praedixi, nihil omnino scientem quempiam, ne quidem unam causam cuiuslibet eorum quae facta sunt cur factum sit, credere Deo et perseverare eos in dilectione, aut per huiusmodi scientiam inflatos excidere a dilectione quae hominem vivificat, neque aliud inquirere ad scientiam nisi Iesum Christum Filium Dei qui pro nobis crucifixus est, aut per quaestionum subtilitates et minutiloquium in impietatem cadere ».
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dans l’exégèse est une caractéristique de la créature qui grandit dans l’amour envers le Père et qui maintient la science au rang qui lui convient. En 5.20.2 Irénée interprète le commandement concernant l’interdiction de manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal comme faisant référence à la manducatio des Écritures9. Il n’est pas convenable d’enquêter sur tout ni de savoir plus que ce qui convient, mais d’employer l’Écriture comme l’humble Jésus l’a fait lors des tentations : Elatio itaque sensus quae fuit in serpente dissoluta est per eam quae fuit in homine humilitas (5.21.2). L’humilitas irénéenne acquiert une valeur profonde au moment d’interpréter l’Écriture. L’homme se heurtera, plus d’une fois, aux limites dans sa recherche. 2. Le Verbe révèle le Père à travers une série harmonique d’éco nomies Si l’amour et la bonté se manifestent dans l’initiative qui poussa le Père à se révéler lui-même, la sagesse divine se manifeste précisément dans l’harmonie de tous les mystères. C’est une caractéristique de la théologie de saint Irénée, reconnue unanimement : l’insistance sur l’harmonie de l’historia salutis, sur l’harmonie de toutes les « économies » de Dieu que le Verbe opérera pour mener à terme la révélation : de la création au salut définitif10. 9 5.20.2 : « Fugere igitur oportet sententias ipsorum et intentius observare necubi vexemur ab ipsis, confugere autem ad Ecclesiam et ejus sinu educari et dominicis Scripturis enutriri. Ab omni ergo ligno paradisi escas manducabitis (Gn 2, 17), ait Spiritus Dei, hoc est ab omni Scriptura dominica manducate, a superelato autem sensu ne manducaveritis neque tetigeritis universam haereticam dissensionem. Ipsi enim confitentur semetipsos agnitionem habere boni et mali, et super Deum qui fecit eos jaculantur sensus suos impios. Supra igitur sentiunt quam est mensura sensationis. Quapropter et Apostolus ait : Non plus sapere quam oportet sapere, sed sapere ad prudentiam (Rm 12, 3), ut non illorum manducantes agnitionem, eam quae plus quam oportet sapit, projiciamur de paradiso vitae, in quem Dominus inducit eos qui obaudiunt praeconio ejus, recapitulans in se omnia quae in caelis et quae in terra (Ep 1, 10) ; sed quae in caelis spiritalia sunt, quae autem in terris secundum hominem est dispositio… ». 10 Cf. inter alia 2.25.1 : « … cum magna sapientia et diligentia ad liquidum apta et ornata omnia a Deo facta sunt » ; 2.25.2 : « … et ad omnem qui-
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Si je le mentionne ici c’est pour montrer que ce caractère symphonique de l’histoire a énormément influencé l’interprétation des Écritures. En effet, cette caractéristique polyphonique est fixée dans les Écritures. Toutes les économies de Dieu, dispositiones Dei, donnent lieu, chez Irénée, à plusieurs divisions de l’historia salutis. Irénée peut diviser en deux parties le cours de toute l’histoire (lex et gratia, testamenta11), ou en trois (esprit prophétique, esprit adoptif, esprit paternel12), ou en quatre (testamenta13), ou en cinq (cf. parabole des ouvriers envoyés à la vigne14), ou en de nombreuses parties (una enim salus et unus Deus … et non pauci gradus qui adducunt hominem ad Deum15). Toutes ces multiples dispositions de Dieu ne sont en fait qu’une seule voix qui résonne, celle du Verbe qui contient, pleine d’harmonie, les nombreuses eaux de l’Esprit, témoignage d’un Père riche et généreux16. On pourrait penser que nous nous trouvons face à ce que nous appellerions de nos jours une interprétation canonique, en vertu de laquelle l’interprétation d’un verset ne doit pas seulement correspondre au point de vue de l’auteur du livre, mais être également compatible avec l’interprétation des autres livres bibliques, c’està-dire avec les livres canoniques. En fait, Irénée pense un peu différemment et il a une vision plus large. Son point de départ n’est pas l’Écriture. Il part des économies de Dieu qui se reflètent dem facturam bene aptata et bene consonantia … » ; 2.25.3 : « … sed propter eminentem bonitatem ejus, nunc initium facturae accipiens, sensim discis a Verbo dispositiones Dei qui te fecit … » ; 4.38.3 : « Circa Deum autem virtus simul et sapientia et bonitas ostenditur, virtus quidem et bonitas in eo quod ea quae nondum erant voluntarie constituerit et fecerit, sapientia vero in eo quod apta et consonantia quae sunt fecerit (ἐν τῷ εὔρυθμα καὶ ἐμμελῆ καὶ ἐγκατάσκευα τὰ γεγονότα πεποιηκέναι), quae quidem propter immensam ejus benignitatem augmentum accipientia et in multum temporis perseverantia infecti gloriam referunt, Deo sine invidia donante quod est bonum ». Pour ce que concerne les thèmes de l’économie et l’harmonie dans la pensée gnostique exposée apud Irénée, cf. verbi gratia, 1.3.6 ; 1.8.1 ; 2.Pr.1. 11 Cf. 3.12.11 ; 4.9.1. 12 Cf. 4.20.5. 13 Cf. 3.11.8. 14 Cf. 4.36.7. 15 Cf. 4.9.3. 16 Cf. 4.14.2.
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dans l’Écriture. Ignorer les « économies » de Dieu c’est ignorer les Écritures17. La pensée d’un auteur ne doit pas simplement s’interpréter en harmonie avec celle des autres auteurs bibliques, mais c’est toute l’Écriture qui devra être interprétée en harmonie avec toutes les « économies » salutaires de Dieu. Ces économies se reflètent de façon concise dans la règle de la foi et sont expliquées par la prédication apostolique (comme nous le verrons plus tard). Le point de départ, ce n’est pas l’harmonie des livres canoniques, mais c’est plutôt l’harmonie de l’histoire du salut, qui doit nécessairement se refléter dans les Écritures18. Cette harmonie structure l’Écriture intérieurement et articule ses parties. Les évangiles s’accordent entre eux dans leur harmonie quaternaire19 ; l’apôtre Paul présenté dans les Actes est en harmonie avec l’auteur des épîtres pauliniennes20 ; la Loi, en harmonie avec l’Évangile21 ; l’annonce de Paul, avec le témoignage de Luc22 ; la traduction des LXX, en harmonie avec ce que les apôtres ont transmis23 …
17 3.12.12 : « Haec omnia contulit eis Scripturarum et dispositionis Dei ignorantia. Nos autem et causam differentiae Testamentorum et rursum unitatem et consonantiam ipsorum in his quae deinceps futura sunt referemus ». 18 3.11.8 : « Et ipsum autem Verbum Dei illis quidem qui ante Moysen fuerunt patriarchis secundum divinitatem et gloriam colloquebatur ; his vero in lege, sacerdotalem et ministerialem actum praebebat ; post deinde nobis homo factus, munus caelestis Spiritus in omnem misit terram, protegens nos alis suis. Qualis igitur dispositio Filii Dei, talis et animalium forma ; et qualis animalium forma, talis et character Evangelii. Quadriformia enim animalia, et quadriforme Evangelium, et quadriformis dispositio Domini. Et propter hoc quattuor data sunt testamenta humano generi ». 19 3.11.9 : « Quoniam autem sola illa vera et firma et non capit neque plura praeterquam praedicta sunt neque pauciora esse Evangelia, per tot et tanta ostendimus. Etenim cum omnia composita et apta Deus fecerit, oportebat et speciem Evangelii bene compositam et bene compaginatam esse ». 20 3.12.9 : « Quoniam autem his adnuntiationibus ejus omnes epistulae consonant, ex ipsis epistolis ostendemus apto in loco, exponentes Apostolum ». 21 Cf. a contrario selon les hérétiques, 3.12.12 : « ab ea legisdatione … dissimilem eam et contrariam Evangelii doctrinae arbitrantes ». 22 3.13.3 : « Sic est consonans et velut eadem tam Pauli adnuntiatio quam et Lucae de apostolis testificatio ». 23 3.21.3 : « Etenim apostoli, cum sint his omnibus vetustiores, consonant praedictae interpretationi, et interpretatio consonat apostolorum traditioni ».
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Dans ce contexte symphonique, tout ce qui était connu d’avance par le Père, notre Seigneur l’a accompli ordine et tempore et hora praecognita24 … Dieu n’improvise pas l’histoire du salut. Ce principe harmonique est essentiel, entre autres, pour pouvoir comprendre la technique typologique d’Irénée. En vertu de cette typologie, le futur (qui se réalisera, au cours de notre ère et sur cette terre) est déjà contenu dans le passé. Saint Irénée ne fait pas appel à la typologie comme à un artifice, comme à une astuce afin de christianiser l’Ancien Testament. La typologie n’est pas une stratégie exégétique. La typologie est une conséquence de l’histoire du salut. En effet, dans chacune des œuvres que Dieu fait, il pense à l’histoire dans son ensemble. À chaque seconde, Dieu embrasse tous les siècles et, en quelque sorte, il communique à chaque instant, selon les conditions propres du moment, l’empreinte, le typos, de tous les siècles. Pour Irénée, il est tout à fait légitime de découvrir à chaque pas l’empreinte de tout le dessein historique salutaire25. En peu de lignes, il fait souvent des résumés de toute l’histoire qui montrent une vision très dominée, concise et articulée26. En dernier lieu, d’après Irénée, il est vivement conseillé d’interpréter les passages obscurs au moyen des plus lumineux, de ne pas 24 3.16.7 : « Nihil enim incomptum atque intempestivum apud eum, quomodo nec incongruens est apud Patrem. Praecognita sunt enim omnia a Patre, perficiuntur autem a Filio, sicut congruum et consequens est, apto tempore. […] Per quod manifestum est quoniam omnia quae praecognita erant a Patre, ordine et tempore et hora praecognita et apta perfecit Dominus noster, unus quidem et idem existens, dives autem et multus … ». 25 Cf. par exemple, 5.28.3 ; 5.23.2 ; 3.21.3, etc. 26 Cf. par exemple, 3.16.6-7 : « Unus igitur Deus Pater quemadmodum ostendimus et unus Christus Iesus Dominus noster veniens per universam dispositionem et omnia in semetipsum recapitulans. In ‘omnibus’ autem est homo plasmatio Dei ; et hominem ergo in semetipso recapitulatus est, invisibilis visibilis factus et incomprehensibilis factus comprehensibilis et inpassibilis passibilis et Verbum homo, universa in semetipsum recapitulans, uti sicut in supercaelestibus et spiritalibus et in invisibilibus princeps est Verbum Dei, sic et in visibilibus et corporalibus principatum habeat, in semetipsum primatum adsumens, et adponens semetipsum caput Ecclesiae universa adtrahat ad semetipsum apto in tempore. Nihil enim incomptum atque intempestivum apud eum, quomodo nec incongruens est apud Patrem ; praecognita sunt enim omnia a Patre, perficiuntur autem a Filio sicut congruens et consequens est apto tempore ».
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tomber dans une ambigüité de plus en plus grande. Selon Irénée la solution viendra à travers ce qui est manifeste et harmonique, en même temps qu’il nous avertit que l’ambigüité des Écritures n’est pas due à l’existence de plusieurs dieux, mais aux nombreuses dispositiones Dei27. Irénée recommande également d’interpréter ce qui est obscur en harmonie avec ce qui est lumineux dans le cas des paraboles28. 3. Ab initio le Verbe est le révélateur du Père Il n’y a pas un seul moment dans l’histoire où le Verbe ne soit pas l’intermédiaire entre le Père et l’homme : per totum tempus positum est, si l’on interprète la médiation mentionnée par Mt 11, 27 au sens le plus large29. Ainsi donc, dès le commencement de la création, ab initio, le Verbe ne cesse de raconter les mystères du Père. La création est « la première Écriture » que le Père offre à l’homme. C’est une ostensio Dei, comme on peut le voir, par exemple, en 4.6.6, per conditionem … Conditorem … per mundum Fabricatorem mundi … per Filium Patrem30. On ne peut douter du caractère polémique de cette affirmation ; une affirmation qui, sans aucun doute, va à l’encontre des marcionites, des valentiniens et, en quelque sorte, à l’encontre des juifs qui, tout en reconnaissant l’œuvre de l’unique Dieu Créateur ne croyaient pas dans le Verbe 31. 27 2.10.1 : « Omnis autem quaestio non per aliud quod quaeritur habebit resolutionem, neque ambiguitas per aliam ambiguitatem solvetur apud eos qui sensum habent, aut aenigmata per aliud maius enigma ; sed ea quae sunt talia ex manifestis et consonantibus et claris accipiunt absolutiones ». 28 2.27.1 : « Et ideo parabolae debent non ambiguis adaptari : sic enim et qui absolvit sine periculo absolvit, et parabolae ab omnibus similiter absolutionem accipient, et a veritate corpus integrum et simili aptatione membrorum et sine concussione perseverat ». 29 4.6.7 : « ‘Revelaverit’ [Mt 11, 27] enim non solum in futurum dictum est, quasi tunc inceperit Verbum manifestare Patrem cum de Maria natus, sed communiter per totum tempus positum est. Ab initio enim assistens Filius … ». 30 4.6.6 : « Etenim per ipsam conditionem revelat Verbum Conditorem Deum, et per mundum Fabricatorem mundi Dominum, et per plasma eum qui plasmaverit artificem, et per Filium eum Patrem qui generaverit Filium … » ; 4.20.7 : « Si enim quae est per conditionem ostensio Dei … ». 31 4.7.2 : « Non enim tantum propter Abraham haec dixit, sed ut ostenderet quoniam omnes qui ab initio cognitum habuerunt Deum et adventum Christi prophetaverunt revelationem acceperunt ab ipso Filio … ».
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À partir de là, souvenons-nous du principe de la pédagogie divine, abondamment utilisé par Irénée 32 . En vertu de cette pédagogie, le Verbe va devenir un petit enfant pour l’homme, il va se mettre à son niveau, afin de pouvoir être compris par ce dernier, nuper factus. Il est également évident qu’Irénée s’est servi de ce principe (comme d’autres Pères l’ont fait aussi), afin de se défendre des critiques à propos de certaines actions attribuées à Dieu. On ne doit point expliquer l’imperfection apparente de ces actions au moyen de deux dieux, l’un inférieur et imparfait, et l’autre supérieur et parfait, mais par le fait que l’homme était incapable de recevoir autrement les dons de Dieu. On déduit de l’œuvre d’Irénée, particulièrement en 2.25–28, que celui qui ne découvre pas le Verbe dans la création ne pourra pas non plus interpréter les Écritures correctement. L’homme se trouve face à l’Écriture tel qu’il se trouve face à la création33 (une intuition, d’ailleurs, de caractère assez judaïque) 34. Irénée demande à l’interprète, au lecteur, d’avoir une intelligence saine, prudente et circonspecte ; une intelligence qui aime la vérité et qui se contente de ce que Dieu met devant ses yeux, à savoir, la création et l’Écriture, sans l’intention de s’enquérir des profondeurs divines cachées aux yeux des hommes. C’est la création même qui doit nous éclairer sur ce qui demeure ambigu dans l’Écriture. Et au lieu d’essayer d’éclairer ce qui est ambigu par ce qui l’est encore plus, comme par exemple à travers le Plérôme que personne n’a vu, il faudra résoudre cette difficulté au moyen de la création sensible, justement connue par tous 35. Par ailleurs, l’homme a besoin 32 4.38.2 : « Sic et initio Deus quidem potens fuit dare perfectionem homini, ille autem nunc nuper factus non poterat illud accipere vel accipiens capere vel capiens continere. Et propter hoc coinfantiatum est homini Verbum Dei, cum esset perfectus, non propter se sed propter hominis infantiam, sic capax effectus quemadmodum homo illum capere potuit ». 33 4.6.6 : « per ipsam conditionem revelat Verbum Conditorem Deum … per Legem et Prophetas similiter Verbum et semetipsum et Patrem praedicabat … ». 34 Sans aller plus loin, il suffit de penser aux deux parties qui structurent le psaume 18 (19) : la Création et la Loi. 35 2.27.1 : « Sensus autem sanus et qui sine periculo est et religiosus, et amans verum, quae quidem dedit in hominum potestatem Deus et subdidit nostrae scientiae, haec prompte meditabitur et in ipsis proficiet, [et] diuturno studio facilem scientiam eorum efficiens. Sunt autem haec quae ante oculos
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de converser quotidiennement avec la création et l’Écriture, et de méditer sur elles (ruminatio) pour en faciliter la lecture et progresser vers Dieu36. 4. L’âge des patriarches En la personne des patriarches et des prophètes, le Verbe accomplissait jusqu’à quatre fonctions : il anticipait ses œuvres par les préfigurations (praefigurans), il annonçait le futur à travers eux (praenuntians), il s’exerçait à l’avance à disposer les « économies » futures (praeexercens suam partem) et il accoutumait le genre humain à devenir disciple du Verbe (assuescens). Toutes les rencontres entre Dieu et les patriarches se réalisent dans le cadre de la médiation du Fils. C’est pour cela que, dans tous ces cas, il ne s’agit pas simplement de théophanies, mais plus concrètement de Logophanies. Le Logos, tout comme le genre humain – représenté très noblement par le comportement des patriarches – avaient besoin de s’accoutumer petit à petit à la pleine communion entre Dieu et l’homme qui adviendrait en Jésus-Christ 37.
nostros occurrunt et quaecumque aperte et sine ambiguo ipsis dictionibus posita sunt in Scripturis ». 36 5.8.3 : « Qui sunt ergo mundi ? Qui in Patrem et Filium per fidem iter firmiter faciunt, haec est enim firmitas eorum qui duplicis sunt ungulae, et eloquia Dei meditantur die ac nocte uti operibus bonis adornentur, haec est enim ruminantium virtus ». 37 3.11.8 : « Et ipsum autem Verbum Dei illis quidem qui ante Moysen fuerunt patriarchis secundum divinitatem et gloriam colloquebatur … » ; 4.21.3 : « Qui tunc quidem per patriarchas suos et prophetas praefigurans et praenuntians futura, praeexercens suam partem dispositionibus Dei, et assuescens hereditatem suam obaudire Deo et peregrinari in saeculo et sequi Verbum ejus et praesignificare futura : nihil enim vacuum, neque sino signo apud eum » ; 4.7.2 : « Non enim tantum propter Abraham haec dixit, sed ut ostenderet quoniam omnes qui ab initio cognitum habuerunt Deum et adventum Christi prophetaverunt revelationem acceperunt ab ipso Filio, qui et in novissimis temporibus visibilis et palpabilis factus est et cum humano genere locutus est, uti ex lapidibus excitaret filios Abrahae, et adimpleret repromissionem quam promiserat illi Deus, et faceret semen ejus tamquam stellas caeli, quemadmodum ait Johannes Baptista : Potens est enim Deus ex lapidibus istis suscitare filios Abrahae (Mt 3, 9 ; Lc 3, 8) ». Cf. aussi, 4.21.1-3 ; 4.5.3-5 ; 4.7.1-2.
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Dans ces manifestations, il ne s’agissait pas d’anges – tel que les juifs le croyaient –, mais du Verbe lui-même, Image du Père (ipsum autem Verbum Dei illis … colloquebatur) 38, Celui qui devait converser un jour face à face avec les hommes. Par conséquent, voici deux présupposés théologiques qui cimentent, a parte dei, les Logophanies : l’un de caractère trinitaire (le Fils en tant qu’Image du Père) et l’autre de caractère sotériologique (le Fils qui devait s’incarner en vue de sauver l’homme, s’exerce déjà dès le commencement en s’entretenant avec Abraham). A parte hominis, l’homme apprenait en Abraham et dans les patriarches à donner une réponse de foi, à suivre et à être en rapport avec le Verbe en tant que son disciple (assuescens hereditatem suam obaudire Deo et peregrinari in saeculo et sequi Verbum ejus). La vie et les actes des patriarches devenaient totalement typologiques et préfiguraient les mystères du Verbe dans la chair (praesignificare futura). 5. L’économie de la Loi39 La situation calamiteuse de la semence d’Abraham, au temps d’Israël en Égypte, où le peuple ne vivait plus dans la justice et dans l’amour de Dieu, poussa Dieu dans son immense miséricorde (propter multam suam erga homines benivolentiam) à donner la Loi à Moïse40. Irénée, de même que certains maîtres l’avaient fait aupa38 Cf. aussi 4.5.2 : « Qui igitur a prophetis adorabatur Deus vivus, hic est vivorum Deus, et Verbum ejus, qui locutus est Moysi ». 39 Cf. in toto 4.15–20. 40 Cf., par exemple, 4.16.3 : « Cum autem haec justitia et dilectio quae erat erga Deum cessisset in oblivionem et extincta esset in Aegypto, necessario Deus propter multam suam erga homines benivolentiam semetipsum ostendebat per vocem ; et eduxit de Aegypto populum in virtute, uti rursus fieret homo discipulus et sectator Dei ; et affligebat indictoaudientes, ut non contemneret eum qui se fecit ; et manna cibavit eum, uti rationalem acciperent escam, quemadmodum et Moyses in Deuteronomio ait : Et cibavit te manna, quod non sciebant patres tui, uti cognoscas quoniam non in pane solo vivet homo (Dt 8, 3) ; et erga Deum dilectionem praecipiebat et eam quae ad proximum est justitiam insinuabat, ut neque injustus neque indignus sit Deo, praestruens hominem per decalogum in suam amicitiam et eam quae circa proximum est concordiam : quae quidem ipsi proderant homini, nihil tamen indigente Deo ab homine » ; 4.17.2 : « Non enim sicut homo motus, ut multi
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ravant – tels le gnostique Ptolémée et l’ecclésiastique Justin –, distingue certains passages de la Loi des autres afin de les interpréter correctement. D’une part, il signale très clairement les praecepta naturalia que les patriarches respectaient en toute liberté mais que Dieu fut obligé de donner par écrit au temps de Moïse. D’autre part, il identifie une suite de préceptes donnés propter duritiam illorum, qui devraient cesser du fait de la libération que le Christ allait apporter. Et finalement, il y a toute une série de préceptes cultuels donnée à Israël quae in figuram futurorum traditae erant, velut umbrae cujusdam descriptionem faciente lege atque deliniante de temporalibus aeterna, de terrenis caelestia (4.11.4). Les marques de la polémique antimarcionite sont nettement apparentes tout au long de l’interprétation irénéenne portant sur l’ensemble de la Loi et de façon très explicite dans certains passages avec continuellement l’intention de montrer l’absence de besoin du Dieu de Moïse. C’est pourquoi Irénée interprètera les premiers préceptes (praecepta naturalia) à la lettre. Ces préceptes naturels de la Loi ne cesseront jamais, même si au temps de Jésus ils seront amplifiés et accomplis 41. Les deuxièmes s’expliquent pro utilitate populi (4.15.2) et au moyen d’un raisonnement a fortiori : si l’apôtre Paul (choisi par Marcion) accordait encore des préceptes par concession (secundum ignoscentiam) au temps des premiers chrétiens, il est d’autant plus compréhensible que cela arrive au temps de Moïse.
audent dicere, devertit eorum sacrificia, sed miserans eorum caecitati et verum sacrificium insinuans … » ; 4.12.4 : « Et quomodo finis legis Christus, si non et initium ejus esset ? Qui enim finem habuit, hic et initium operatus est ; et ipse est qui dicit Moysi : Videns vidi vexationem populi mei qui est in Aegypto, et descendi ut eruam eos (Ex 3, 7-8), ab initio assuetus Verbum Dei ascendere et descendere propter salutem eorum qui male haberent ». 41 4.13.1 : « Et quia Dominus naturalia legis, per quae homo justificatur, quae etiam ante legisdationem custodiebant qui fide justificabantur et placebant Deo, non dissolvit, sed et extendit et implevit, ex sermonibus ejus ostenditur […] Et quacumque sunt talia. Omnia enim haec non contrarietatem et dissolutionem praeteritorum continent, sicut qui a Marcione sunt vociferantur, sed plenitudinem et extensionem, sicut ipse ait : Nisi abundaverit justitia vestra plus quam scribarum et Pharisaeorum, non intrabitis in regnum caelorum (Mt 5, 20). Quid autem erat plus ?… ».
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En dernier lieu, les préceptes cultuels n’étaient pas simplement un enseignement (discipline), mais également la manifestation du caractère sacerdotal et liturgique du futur Évangile renfermant la prophétie du vrai culte, du repos sabbatique, de la circoncision, etc. : non autem sine symbolo erant signa, id est sine argumento, neque otiosa, tamquam quae a sapiente artifice darentur … (4.16.1). Leur mise en pratique au sens strict deviendra obsolète mais le contenu symbolique qu’ils annonçaient par avance restera à jamais, provoquant ainsi une exégèse typologique singulière : per ea quae erant secunda ad prima vocans, hoc est per typica ad vera et per temporalia ad aeterna et per carnalia ad spiritalia et per terrena ad caelestia … (4.14.3). Ceci mérite une explication. Il ne faut pas interpréter les mots prima, vera, aeterna, spiritalia, caelestia de façon platonisante, comme s’ils faisaient référence à des réalités non créées préexistantes. Il s’agit là, bien évidemment, de réalités spirituelles, mais néanmoins créées par le même Dieu (ab eodem tamen Deo facta). Ces réalités ne sont pas seulement, effectivement créés, elles sont de plus, créées par le même Dieu, ab eodem Deo. Et comme cela va de soi : par le même Dieu qui fit les secunda, typica, temporalia, carnalia, terrena. Encore plus, elles sont futures 42 . Ceci donne lieu à une polémique entre Irénée et les gnostiques. Ils admettent, aussi bien l’un que les autres, l’exégèse typologique. Ce qu’Irénée n’admet pas c’est qu’il y ait un Dieu (inférieur) qui fit les figures et qu’il y en ait un autre (supérieur) duquel pro42 4.14.3–15.1 : « Ipse quidem nullius horum est indigens – est enim semper plenus omnibus bonis omnemque odorem suavitatis et omnes suaveolentium vaporationes habens in se, etiam ante quam Moyses esset –, facilem autem ad idola reverti populum erudiebat, per multas vacationes praestruens eos perseverare et servire Deo, per ea quae erant secunda ad prima vocans, hoc est per typica ad vera et per temporalia ad aeterna et per carnalia ad spiritalia et per terrena ad caelestia, quemadmodum dictum est Moysi quoniam Facies omnia secundum typum eorum quae vidisti in monte (Ex 25, 40 ; He 8, 5). Quadraginta enim diebus discebat tenere sermones Dei et characteres caelestes et imagines spiritales et praefigurationes futurorum, quemadmodum et Paulus ait : Bibebant enim de sequenti petra, petra autem erat Christus (1 Co 10, 4). Et rursum praedictis his quae in lege sunt, intulit : Omnia haec autem in figura veniebant illis ; scripta sunt autem ad correptionem nostram, in quos finis saeculorum devenit (1 Co 10, 11). Per typos ergo discebant timere Deum et perseverare in obsequiis ejus. Itaque lex et disciplina erat illis et prophetia futurorum ».
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cédèrent les modèles. Cela entraînerait un enchaînement infini de figures et d’images. Par contre, à l’avis d’Irénée, il n’y a qu’un seul et même Dieu, garant d’une économie fermée, un Dieu auquel appartiennent aussi bien la figure que le modèle43. 6. L’économie des prophètes Face à la thèse gnostique valentinienne qui présente des prophètes soumis à l’impulsion de plusieurs puissances 44, les prophètes chez Irénée se caractérisent par le fait qu’ils sont sous l’impulsion d’un même Esprit dans tous leurs actes 45 : cet Esprit les pousse à voir, à accomplir, à dire tout ce qui est en rapport avec les mystères, non pas du Verbe, en qualité de Dieu, mais, plus concrètement, du Verbe incarné. 43 4.19.1 : « Munera autem et oblationes et sacrificia omnia in typo populus accepit, quemadmodum ostensum est Moysi in monte, ab uno et eodem Deo, cujus nunc in Ecclesia glorificatur nomen in omnibus gentibus. Sed terrena quidem, quae sunt erga nos disposita, congruit typos esse eorum quae sunt caelestia, ab eodem tamen Deo facta : nec enim alter poterat assimilare spiritalium imaginem. Quae autem supercaelestia et spiritalia sunt et, quantum ad nos spectat, invisibilia et inenarrabilia, typos rursum alterorum caelestium dicere et alterius Pleromatis et Deum alterius Patris imaginem esse, et errantium est a veritate et omnimodo stultorum et hebetum. Cogentur enim hi tales, quemadmodum saepe numero ostendimus, semper typos typorum et imagines imaginum adinvenire et nunquam figere animum suum in uno et vero Deo ». 44 5.26.2 : « confutati resipiscant qui Demiurgum respuunt et non consentiunt ab eo Patre praemissos prophetas a quo et Dominus venit, sed asseverant ex differentibus virtutibus factas esse prophetias. Quae enim a Demiurgo praedicta sunt similiter per omnes prophetas, haec Christus in fine perfecit, ministrans Patri sui voluntati et adimplens secundum hominem genus dispositionem ». 45 Cf. in toto 4.20 ; en particulier, 4.20.8 : « Non enim solum sermone prophetabant prophetae, sed et visione et conservatione et actibus quos faciebant secundum id quod suggerebat Spiritus. Secundum hanc igitur rationem invisibilem videbant Deum … » ; 4.33.10 : « Quod quidem prophetae cum reliquis quae prophetabant et hoc prophetaverunt, quoniam super quoscumque requieverit Spiritus Dei et obaudierint Verbo Patris et secundum virtutem servierint ei, persecutionem patientur et lapidabuntur et occidentur : in semetipsis enim haec omnia praefigurabant prophetae propter dilectionem Dei et propter Verbum ejus » ; 4.20.6 : « Quod, sicut praedixi, per prophetas figuraliter manifestabatur quoniam videbitur Deus ab hominibus qui portant Spiritum ejus et semper adventum ejus sustinent … » ; 4.34.3 : « Nam omnes quidem Christi passiones prophetaverunt, ipsi autem ad patiendum similiter ut ipsa praedicta sunt longe erant ».
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La prophétie n’est pas tout simplement une prédiction du futur, mais c’est une prédiction qui est également praesignificatio. Elle inclut un élément typologique dans lequel interviennent, lors de la prophétie, deux extrêmes, Dieu et l’homme, ceux-là mêmes qui interviendront lors de l’accomplissement de la prophétie dans les derniers temps : le seul et même Dieu, Créateur et Père, et le même homme fait d’argile, en qui le signe prophétique s’accomplit. Deux traits qui s’éclairent l’un l’autre caractérisent les prophètes chez Irénée : leur mission partielle46 et leur identité polyphonique. La mission de chaque prophète correspond à un aspect déterminé du futur mystère du Christ. Leur vie n’exprime jamais la totalité de la vie du Christ. Mais, en même temps, toute la vie du Verbe incarné est totalement recueillie par le chœur des prophètes, considérés dans leur ensemble. Leur mission partielle exige pour eux de participer en chœur à la vérité future afin de pouvoir accomplir pleinement leur tâche. Dans ce contexte, Irénée donne ici, de manière très opportune, l’exemple du corps 47. Il y a un autre passage où Irénée indique que l’homme spirituel qui se trouve devant un texte prophétique devra savoir à quel aspect, ou à quel trait de l’économie du Seigneur ce passage prophétique fait référence (c’est ce qui est spécifique de la mission personnelle et partielle de chaque prophète) mais, cependant, il devra montrer le corps entier de l’œuvre accomplie par le Fils de Dieu. C’est-à-dire que chaque prophétie correspond à un trait du mystère du Christ, mais elle laisse voir, en quelque sorte, le corps entier au moyen de chaque action48. 46 4.20.10 : « Manifestius autem adhuc et per Ezechiel factum est quoniam ex parte dispositiones Dei, sed non ipsum videbant prophetae proprie Deum ». 47 4.33.10 : « Cum enim et ipsi membra essent Christi, unusquisque eorum secundum quod erat membrum, secundum hoc et prophetationem manifestabat, omnes et multi unum praeformantes et ea quae sunt unius annuntiantes. Quomodo enim per nostra membra operatio quidem universi corporis ostenditur, figura autem totius hominis per unum membrum non ostenditur, sed per omnia, sic et prophetae omnes quidem unum praefigurabant, unusquisque autem eorum secundum quod erat membrum, secundum hoc et dispositionem adimplebat et eam quae secundum illud membrum erat operationem Christi prophetabat ». 48 4.33.15 : « Et reliqua omnia quaecumque per tantam seriem Scripturae demonstravimus prophetas dixisse spiritalis vere qui est interpretabitur, unumquodque eorum quae dicta sunt in quem dictum sit characterem dis-
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7. Le Verbe incarné et glorifié À la plénitude des temps, incarnato in homine propter hominem, et omnem secundum hominem dispositionem implente, le Verbe s’est incarné en vue d’accomplir la promesse faite dans l’Ancien Testament49. On peut définir toute l’Écriture d’Israël comme un discours au sujet du Christ, comme un champs semé par la semence du Verbe50. Les écrits de Moïse sont les paroles du Christ 51. Celui qui était au commencement de la Loi et qui est descendu en Égypte pour les libérer de l’oubli de la charité, devient maintenant Celui qui amplifie et accomplit cette Loi52 , en devenant la fin ultime de positionis Domini et integrum corpus operis Filii Dei ostendens, semper eundem Deum sciens, et semper eundem Verbum Dei cognoscens etiamsi nunc nobis manifestatus est, et semper eundem Spiritum Dei cognoscens etiamsi in novissimis temporibus nove effusus est in nos, et a conditione mundi usque ad finem idipsum humanum genus, ex quo qui credunt Deo et sequuntur Verbum ejus percipiunt eam quae est ab eo salutem, qui vero abscedunt a Deo et contemnunt praecepta ejus et per opera sua inhonorant eum qui se fecit et sententia sua blasphemant eum qui se alit, justissimum adversus se coacervant judicium ». 49 3.17.4 : « Spiritu itaque descendente propter praedictam dispositionem, et Filio Dei Unigenito, qui et Verbum est Patris, veniente plenitudine temporis, incarnato in homine propter hominem, et omnem secundum hominem dispositionem implente, Iesu Christo Domino nostro uno et eodem exsistente, sicut et ipse Dominus testatur et apostoli confitentur et prophetae adnuntiant, mendaces ostensae sunt universae doctrinae eorum qui … ». 50 4.10.1 : « scilicet quod inseminatus est ubique in Scripturis ejus Filius Dei, aliquando quidem cum Abraham loquens, aliquando cum Noe, dans ei mensuras, aliquando autem quaerens Adam, aliquando autem Sodomitis inducens judicium, et rursus cum videtur, et in viam dirigit Jacob, et de rubo loquitur cum Moyse. Et non est numerum dicere in quibus a Moyse ostenditur Filius Dei … » ; 4.11.1 : « Quomodo autem Scripturae testificantur de eo, nisi ab uno et eodem Deo omnia semper per Verbum revelata et ostensa fuissent credentibus … ». 51 4.2.3 : « Quoniam autem Moysi litterae verba sunt Christi, ipse ait ad Iudaeos, quemadmodum Iohannes in Evangelio commemoratus est : Si credidissetis Moysi, credidissetis et mihi : de me enim ille scripsit ; si autem illius litteris non creditis, neque meis sermonibus credetis (Jn 5, 46-47), manifestissime significans Moysi litteras suos esse sermones. Ergo si Moysi, et reliquorum sine dubio prophetarum sermones ipsius sunt, quemadmodum demonstravimus ». 52 4.13.4 : « in nobis augmentum et adimpletionem perceperunt ».
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celle-ci. Avec le Christ toutes les promesses s’accomplissent, toutes les figures se découvrent, tous les sceaux se brisent. On laisse l’énigme de côté et on commence à contempler le visage de Dieu face à face, même si cela demande une évolution graduelle 53. Le mystère même du Verbe incarné et glorifié ne nous est pas entièrement dévoilé une fois pour toutes. La croix du Christ, considérée dans toute sa totalité, illumine le sens de tout ce qui aurait pu demeurer ambigu dans l’ancienne alliance54. En consonance avec les premiers auteurs chrétiens, il est évident qu’Irénée mettra en relief l’accomplissement prophétique mené à terme par l’incarnation, l’onction, etc …, du Verbe, dans un sens 53 L’expression facie ad faciem ne semble pas être la même chose en 4.9.2 : « neque alium Spiritum sanctum percipiemus, nisi hunc qui est nobiscum et qui clamat : Abba, Pater (Ga 4, 6) ; et in isdem ipsis augmentum habebimus et proficiemus, uti jam non per speculum et per aenigmata sed facie ad faciem fruamur muneribus Dei » (relative au temps eschatologique), qu’en 4.11.1 : « Quoniam autem non solum prophetae sed et justi multi, praescientes per Spiritum adventum ejus, oraverunt in illlud tempus venire in quo facie ad faciem viderent Dominum suum et sermones audirent ejus … » (relative au temps de Jésus de Nazareth). 54 4.26.1 : « Si quis igitur intentus legat Scripturas, inveniet in eisdem de Christo sermonem et novae vocationis praefigurationem. Hic enim est thesaurus absconsus in agro, hoc est in isto mundo – ager enim mundus est – absconsus vero in Scripturis, quoniam per typos et parabolas significabatur, quae non poterant hoc quod secundum hominem est intellegi priusquam consummatio eorum quae prophetata sunt veniret, quae est adventus Christi. Et propter hoc Danieli prophetae dicebatur : Muni sermones et signa librum usque ad tempus consummationis, quoadusque discant multi et adimpleatur agnitio … (Dn 12, 4). Omnis enim prophetia, priusquam habeat effectum, aenigmata et ambiguitates sunt hominibus ; cum autem venerit tempus et evenerit quod prophetatum est, tunc prophetiae habent liquidam et certam expositionem. Et propter hoc a Judaeis quidem cum legitur lex in hoc nunc tempore, fabulae similis est : non enim habent expositionem omnium rerum pertinentem ad adventum Filii Dei qui est secundum hominem. A Christianis vero cum legitur, thesaurus est absconsus in agro, cruce vero Christi revelatus est et explanatus, et ditans sensus hominum, et ostendens sapientiam Dei, et eas quae sunt erga hominem dispositiones ejus manifestans, et Christi regnum praeformans … Quemadmodum igitur ostendimus si quis legat Scripturas – etenim Dominus sic disseruit discipulis post resurrectionem suam a mortuis, ex ipsis Scripturis ostendens eis quoniam oportebat Christum pati et intrare in gloriam suam et in nomine ejus remissionem peccatorum praedicari in toto mundo (Lc 24, 47) –, et erit consummatus discipulus, et similis patrifamilias qui de thesauro suo profert nova et vetera ».
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antimarcionite, antignostique 55 … D’autre part, cet accomplissement montre la fonction préparatoire de l’étape des prophètes56. Novo enim Testamento cognito et praedicto per prophetas (4.9.3), qu’est-ce que le Verbe apportait de nouveau ? Il apportait toute nouveauté, parce qu’il est venu dans la chair (omnem novitatem attulit semetipsum afferens, qui fuerat annuntiatus), il apportait toute la vérité qui illuminait les énigmes, les paraboles et les figures57. Irénée ne s’oppose pas à l’allégorie purement et simplement. De fait, il admet qu’il y a dans l’Écriture (surtout dans l’Ancien Testament) des énigmes, des allégories, des paraboles et des ambigüités58. Ce qu’il n’admet point, c’est que celles-ci se résolvent en dehors du Corps du Christ (Tête et membres). Il ne polémique pas sur la méthodologie exégétique avec les gnostiques, mais sur l’emploi de celle-ci. Il critique l’allégorie des gnostiques parce qu’elle aboutit à des résultats discordants, dont on déduit que l’allégorie est subordonnée à la consonantia salutis perceptible dans le corps total du Christ. La chair du Christ ressuscitée de même que celle des justes réclame en conséquence la réalité de la terre renouvelée, de la Jérusalem céleste 59. Il s’oppose à l’allégorie qui se résout en d’autres mondes et qui pourrait se prolonger, hypothétiquement, ad infinitum60 ; il s’oppose à une allégorie qui se résout en un Plérôme inventé et qui ne trouve pas une solution où toutes choses soient fermes et véritables et dotées de substance (firma et vera et substantiam habentia). La figure doit garder une loi de ressemblance, secundum habitum, avec la vérité et montrer ce qui est encore absent au moyen Cf. 4.34.1-3, 5. Cf. 4.23.1-2 (à propos de Joseph, Jésus, Philippe). 57 Cf. 4.34,1-3. 58 Cf. 1.3.6. 59 5.35.1 : « Si autem quidam temptaverint allegorizare haec quae hujusmodi sunt, neque in omnibus poterunt consonantes sibimetipsis inveniri, et convincentur ab ipsis dictionibus disserentibus quoniam … », et infra, 5.35.2 : « Et nihil allegorizari potest, sed omnia firma et vera et substantiam habentia, ad fruitionem hominum justorum a Deo facta. Quomodo enim vere Deus est qui resuscitat hominem, sic et vere resurget homo a mortuis et non allegorice, quemadmodum per tanta ostendimus ; et sicut vere resurget, sic et vere praemeditabitur incorruptelam et augebitur et vigebit in regni temporibus, ut fiat capax gloriae Patris ; deinde omnibus renovatis, vere in civitate habitabit Dei ». 60 Cf. 2.7.5 ; et aussi supra 2.1.2-3. 55
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de ce qui est présent61. La destruction de la substance que la figure entraîne est une offense au modèle éternel et véritable, dont on déduit a contrario que la permanence éternelle de la figure temporelle sera congrue avec la dignité du modèle éternel62 . 8. La tradition apostolique Depuis Adam jusqu’au Christ glorifié dans la chair, toute la grande dispositio Dei (qui contient à son tour maintes dispositions) est efficacement communiquée aux apôtres à la Pentecôte. C’est justement au moment où ils reçoivent ce don que commence ce que l’on appelle la Traditio Apostolica. L’Église tire son firmum initium ab apostolis63. Les voix de l’Église, les voix des citoyens de la Cité-Mère de la nouvelle Alliance, les voix des apôtres, les voix des disciples du Seigneur (3.12.5) confèrent un initium à toute Église 64. Les apôtres, grâce au don de l’Esprit, sont devenus parfaits et ils ont obtenu une connaissance parfaite (perfecti exstiterunt, perfecta agnitio) au sujet de Dieu et de son Fils 65. Irénée ne porte pas un grand intérêt à la science des Apôtres lorsqu’ils vivaient avec Jésus. Par contre, il fixe son attention sur le moment que l’exégèse historico-critique du XXe siècle a appelé post-pascal. Certes, ce moment l’intéresse, mais il en dégage des présupposés assez dif61 2.23.1 : « Typus enim et imago secundum materiam et secundum substantiam aliquotiens a veritate diversus est ; secundum autem habitum et liniamentum debet servare similitudinem, et similiter ostendere per praesentia illa quae non sunt praesentia ». 62 2.7.1 : « Quae autem statim ut facta sunt exterminantur in contumeliam magis eorum qui putantur honorari facta esse juste dicentur, et contumeliose tractari id quod est aeternum, corrupta ejus et soluta imagine ». 63 3.12.7 : « Ecclesia vero per universum mundum, ab apostolis firmum habens initium, in una et eadem de Deo et de Filio ejus perseverat sententia ». 64 3.12.5 : « Hae voces Ecclesiae ex qua habuit omnis Ecclesia initium ; hae voces civitatis magnae novi Testamenti civium ; hae voces apostolorum, hae voces discipulorum Domini, eorum qui post adsumptionem Domini per Spiritum et perfecti exstiterunt et invocaverunt Deum qui fecit caelum et terram et mare, qui per prophetas adnuntiatus est, et ejus Filium Iesum, quem unxit Deus, et alterum autem nescientes … » 65 3.1.1 : « Postea enim quam surrexit Dominus noster a mortuis, et induti sunt [apostoli] superveniente Spiritu sancto virtutem ex alto, de omnibus adimpleti sunt et habuerunt perfectam agnitionem … ».
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férents de certains exégètes du XXe siècle. Ce qui pour nombre d’entre eux supposait une élaboration réalisée par les chrétiens après la Pentecôte, et qui, en quelque sorte, nous éloignait du message originel de Jésus est justement pour Irénée la garantie qui nous permet de ne pas nous tromper dans la doctrine sur Jésus. La raison en est explicitée chez Irénée plus d’une fois 3.1.1 : et induti sunt [apostoli] superveniente Spiritu sancto virtutem ex alto, de omnibus adimpleti sunt et habuerunt perfectam agnitionem – ou comme il l’indiquera encore en 3.12.5 : per Spiritum… perfecti exstiterunt. Ce qui est propre à l’Esprit c’est justement de rendre parfait. Ils ont la potestas Evangelii qui permet de connaître la doctrina, la vérité du Fils, la potestas de l’Évangile qu’ils ont prêché et qu’ils nous ont transmis ensuite dans les Écritures (in Scripturis nobis tradiderunt) 66. Cet enseignement des apôtres, cette doctrine apostolique, ils l’ont transmise à leurs successeurs, les presbytres, à qui ils confièrent les Églises 67. Cette transmission implique, en ce qui concerne les Écritures : (1) custoditio sine fictione Scripturarum ; (2) plenissima tractatio neque additamentum neque ablationem recipiens ; (3) lectio sine falsatione ; (4) secundum Scripturas expositio legitima et diligens et sine periculo et sine blasphemia68. Irénée ne peut décrire le statut des Écritures de manière plus élevée. Les Écritures sont certes un texte pour lui mais pas un texte quelconque, vu son origine, sa nature, son contenu. D’après Irénée, au moment d’examiner les questions soulevées par les Écritures, nous devons abandonner celles que nous ne comprenons pas à Dieu, rectissime scientes quia Scripturae quidem perfectae sunt, quippe a Verbo Dei et Spiritu ejus dictae [ou datae ?] (2.28.2) 69. Ce sont les Écritures qui nous dévoilent ce qui est spirituel et céleste, et ce qui est essentiel pour l’homme70, puisqu’elles sont elles-mêmes
Cf. 3.1.1. 4.31.1 : « … post deinde et omnis sermo ei constabit, si et Scripturas diligenter legerit apud eos qui in Ecclesia sunt presbyteri, apud quos est Apostolica doctrina, quemadmodum demonstravimus ». 68 4.33.8. 69 2.28.3 : « … et omnis Scriptura a Deo nobis data » et la remarque d’A. Rousseau et L. Doutreleau, SC, 293, p. 315. Mais il faut ajouter aussi à leur argumentation la citation de 3.2.1 : « … et quia varie sint dictae [Scripturae] ». 70 2.28.2 : « Et non est mirum, si in spiritalibus et caelestibus et in his quae habent revelari … ». 66 67
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spirituelles71. À mon avis, la raison de leur perfection réside ici : du fait qu’elles ont été prononcées et données (respectivement dictae o datae selon l’option textuelle) par l’Esprit72 . Plusieurs conséquences en découlent donc ici : c’est dans le cadre de la Tradition qui provient publiquement des apôtres que l’on interprète légitimement les Écritures73. C’est dans l’Église, apud presbyteros, où l’on garde, où l’on fixe le texte, où l’on proclame en vérité et où l’on commente avec charité, sans péril et avec foi. C’est une très grande responsabilité pour les presbytres74 car les conséquences sautent aux yeux. S’ils se conduisent correctement, alors magna utilitas pour le peuple. S’ils ont une mauvaise conduite, summa calamitas75. Finalement, on peut dire que tous ces fondements n’empêchent pas Irénée de considérer les questions strictement littéraires76 quand cela lui semble opportun, ou de réaliser des travaux de critique textuelle à propos des Écritures77, bien que cette préoccupation ne soit pas une question centrale dans son œuvre, principalement dédiée à exposer la foi et la lutte contre les hérésies.
2.28.3 : « … universis Scripturis spiritalibus exsistentibus … ». Par analogie avec ce qu’Irénée dit à propos de l’homme en 5.6.1 : « Cum autem Spiritus hic commixtus animae unitur plasmati, propter effusionem Spiritus spiritalis et perfectus homo factus est ». 73 3.2.1 : « … et quia non possit ex his inveniri veritas ab his qui nesciunt traditionem ». 74 Cf. 4.26.1. 75 3.3.1 : « Valde enim perfectos et irreprehensibiles in omnibus eos volebant esse quos et successores relinquebant, suum ipsorum locum magisterii tradentes : quibus emendate agentibus fieret magna utilitas, lapsis autem summa calamitas … » ; 4.26.5 : « Ubi igitur charismata Dei posita sunt, ibi discere oportet veritatem, apud quos et ea quae est ab Apostolis Ecclesiae successio, et id quod est sanum et irreprobabile conversationis, et inadulteratum et incorruptibile sermonis constat. Hi enim et eam quae est in unum Deum qui omnia fecit fidem nostram custodiunt ; et eam quae est in Filium Dei dilectionem adaugent, qui tantas dispositiones propter nos fecit ; et Scripturas sine periculo nobis exponunt, neque Deum blasphemantes, neque patriarchas exhonorantes, neque prophetas contemnentes ». 76 3.6.1-3, à propos de la dénomination de dieu ; 3.7.1, à propos du style littéraire de Paul ; 3.14.3, où Irénée fait un recueil de matériau spécifique provenant uniquement de Luc. 77 Cf. v.g. 5.30.1, à propos du nombre 666 (ou 616) du texte de l’Apocalypse. 71
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Résumés Patrick Andrist, À propos de la citation de Mt 3, 16-17 dans le Papyrus Oxyrhynque 405 : rapports avec le codex Bezae ; diplai marginales This paper explores two questions linked to the quote of Mt 3,16-17 in the oldest papyrus witness of Irenaeus (Oxyrhynchus Papyrus 405) which may date from the end of the 2nd century. Firstly, contrary to what is often thought, its biblical text does not show any close affinity with the text of Codex Bezae (D). Secondly, in the current state of our knowledge, the recent suggestion that the marginal marks called diplai denote the “sacred” status of the text of Matthew at the time or any peculiar use by Irenaeus lacks a sufficient basis. Joaquín Blas Pastor, Rationalis Esca (AH 4.16.3), Manger et connaître dans l’exégèse irénéenne de Dt 8, 3 In Irenaeus’ theology, the creation is the principle and the foundation of the sacramental reality of the Logos. This is so from a double perspective. First, because creation supports the flesh of Christ, and second, because creation renders possible the interaction of this flesh with ours, making it visible. Irenaeus considers the history of salvation as that of man’s growing up and of the recovery of human freedom from the “illness” of disobedience. Against this illness stands the Father’s economy, ruled by his good disposal (“beneplacitus”), indefatigably offering the gift of the Spirit through the Son. The sacramentality of creation and the obedience of the Verb towards the Father’s disposition of salvation, fundamentally structured by the incarnation of the Son, set up the twofold hermeneutic horizon of Dt 8,3. In AH 4.16.3 Irenaeus refers to this gift as “rationalis esca”. In the first place, the expression points to the intellectual and moral instruction of the people that hardly escaped from Egypt. But, in Irenaeus’ exegesis, it is also justifiable to understand the expression as referring to the Logos as nourishment for the human flesh. Irenaeus illuminates the verse in a fruitful and suggestive way which allows to outline two of the main streams of his thinking. First, there is the necessity for a historical progress in which God
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may become used to human flesh and the flesh to God. Second, there is the inseparable unity between the fecundity of the earth and of the heavenly gifts. This bound represents the distinctive uniqueness of the mystery of Christ’s Eucharist. Enrico Cattaneo S.J., Le figure di Pietro e Paolo in Ireneo This article examines the role the figures of Peter and Paul play in the work of Irenaeus. It is argued that since Marcion and some Gnostics, especially on the basis of Gal 2 (the incident at Antioch), opposed Paul (free from the law) to Peter (still under the law), Irenaeus first wants to show that this exegesis is unfounded: Peter and Paul had a different mission, but they did not preach a different Gospel. Then Irenaeus presents Peter and Paul as the guarantors of the Gospels (through their link with Mark and Luke) and as the “founders” of the Church of Rome, not because they were the first evangelizers, but because by their preaching and their martyrdom they laid the foundations of the Church. The essay concludes with an analysis of the famous passage in AH 3.3.2 on the role of the Church of Rome in the communion of all the apostolic churches. Marie-Laure Chaieb, La référence au dernier repas du Christ, une question herméneutique au cœur des arguments eucharistiques d’Irénée de Lyon In his refutation of Gnostic teachings and rites, Irenaeus refers to the institution of the Eucharist by Christ during the Pascha meal with his disciples. The essay studies how Irenaeus uses this as an argument. Obviously it is a question of establishing the orthopraxis of the Church, but the celebration is for him also an integral part of the Tradition of faith and hence most authoritative. In this way, his treatment of this passage in the New Testament points to an hermeneutic question about the status of written gospels versus tradition. Alberto D’Anna, Les «Négateurs de la salus carnis internes à l’Église» et le conflit exégétique avec Irénée sur les Épîtres de Paul In AH 5.2.2-3 (probably also in 5.3 and 5.5) and 5.31.1 to 36.2, Irenaeus argues with a group of opponents inside the Church that is also known from the tractate de Resurrectione from the circles
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around Justin and that explicitly denied the resurrection of the flesh, the most obvious sign of a dualistic thought-structure and ideology. The paper intends to show that both Irenaeus and his opponents founded their positions on an articulated exegesis of passages from Paul’s letters which are systematically and coherently interpreted by both sides. Patricio de Navascués, Quelques principes herméneutiques chez Saint Irénée Nowhere in the works that have come to us does Irenaeus offer a systematic explanation of his hermeneutical position. However, some of his key hermeneutical principles can be deduced from what he says about Christ. Thus, the only mediator between the indescribable God and man is His only begotten Son, the Word, expression of paternal grace. This mediation is carried out by the Word throughout history, from the beginning of creation, through the patriarchs, the Mosaic Law, the prophets and the times of His coming in the flesh. It is always the same God who gives His Spirit, through the only Son, to the same man, but in different ways, adapting Himself to man’s capacity. The hermeneutical framework of revelation is the tradition handed down by the apostles and guarded by the Church, within which the fixed text – susceptible of analysis – of the Scriptures deserve a prominent place. Luc Devillers, Irénée fait-il de l’apôtre Jean le Disciple bien-aimé ? Le point sur une question controversée Irenaeus is quite often supposed to be the first witness of the identification of the author of the Fourth Gospel with the Apostle John, the brother of James and son of Zebedee. Yet if one reads Irenaeus carefully, it is clear that he generally does not argue in this way. In fact, in only one passage of his works does he name John, i. e., the author of the Johannine writings, “the Apostle”; however, the context shows that he does not have one of the twelve disciples of Jesus in mind. Moreover, Irenaeus applies the name “apostle” to many, not only to Paul (following the tradition initiated by Paul himself), but also, according to the context, to figures like Philip, Stephen or even Luke. The crystallization of this way of naming the author of the Gospel is best attributed to Eusebius of Caesarea, a major witness of Irenaeus’ work. In three
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quotations from his predecessor, Eusebius does not hesitate to supplement the information concerning John, “the Disciple of the Lord”, by explicitly conferring upon him the true status of one of the Twelve. This paved the way for the further development of the ecclesiastical tradition. Such an over-interpretation, however, at the very least needs to be discussed, if not rejected. Pino Di Luccio, Dimore eterne e fine dei tempi nei Vangeli e nell’ Apocalisse, e per sant’Ireneo The mention of the future Temple in Christian “orthodox” literature of the first centuries does not agree with the descriptions of the future Temple that are found in Rabbinic literature and in inscriptions on Jewish tombs of Byzantine times, nor with the eschatology linked to the Temple presented in some New Testament texts. Irenaeus does not make any explicit reference to the eschatological Temple when explaining the meaning of John 14,2, the parable of Lazarus and the rich man (Luke 16,19-31), or the topic of the “millennium” in Rev 20. Instead, Irenaeus speaks of the “bosom of Abraham” as a “worthy dwelling”. He explains John 14,2 with the nuptial images of the synoptic tradition (cf. Mt 22,1-14, AH 5.36.1-2 ; and Lk 14,15-24, AH 3.14.3 ; 5.33.2), without even mentioning that the motif of the “dwelling” might be a reference to the eschatological Temple. A possible reason why he refrains from treating topics related to the eschatological Temple could be the wish to avoid identification of this future Temple with the Temple of Jerusalem. The latter is the case in Rabbinic literature and probably already in some traditions in Luke’s Gospel and in early Christian “non-orthodox” literature. Maurizio Girolami, Il Salmo 21 (LXX) nell’esegesi di Ireneo di Lione This article studies the citations of Ps 21 (LXX) in the works of Irenaeus of Lyon. His approach could be called fragmentary, because there is, as yet, no serious reflection about the nature of the biblical text and about exegetical method and technique. However, Irenaeus makes constant use of Scripture in his controversy with the Gnostics in an effort to have them recognize what he considers to be the original meaning of the biblical text. Hence, Irenaeus proves himself not only to be very familiar with
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the Scriptures, but also claims to be their authentic interpreter. The case of Jesus’ cry on the cross reveals for him that the Gnostics had a very different interpretation from that of the biblical tradition. According to Irenaeus, every authentic interpretation is rooted in the Incarnation, by which God explains that the creation of man is the principal object of his salvific power. Through the flesh of Christ, man becomes one with the work of God. Christophe Guignard, Irénée, les généalogies évangéliques de Jésus et le Codex de Bèze The fact that Matthew (1,1-18) and Luke (3,23-38) offer two different genealogies of Jesus was considered to be a problem from the moment Christians began to accept these Gospels as authoritative. While the genealogies play a significant role in some passages of his Adversus haereses, Irenaeus never explicitly deals with this problem. Nevertheless, a careful reading of these passages (most notably 3.22.1-3) suggests that he views Luke’s genealogy as reflecting Mary’s lineage. On this exegetical problem, the Codex Bezae (5th cent.), which represents a kind of text that is often close or identical to Irenaeus’, testifies to another, more radical, but probably very early solution, which consists in simply replacing the Lukan genealogy with an adaptation of Matthew’s one. If Irenaeus was convinced that Luke traced Mary’s descent, he could not accept a text similar to the one of Codex Bezae on this point. This major disagreement could be a key to his use of various Gospel texts. Christophe Guignard, Le Quadruple Évangile chez Irénée After examining the practical conditions of Irenaeus’ access to the collection of the Four Gospels, with a particular attention devoted to the question of the different orders in which they were arranged, this paper engages with two sections of the Adversus Haereses (3.1.1-4 and 3.11.7-9) that are crucial for understanding Irenaeus’ view on this question and on the authoritative status of the gospels. Contrary to what is often claimed, a careful analysis of the latter passage shows that Irenaeus’ famous statement on “the Fourfold Gospel” is not a somewhat artificial and arbitrary attempt to offer a justification for adopting precisely these four gospels. Indeed this text is rather intended as a demonstration of
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how the fact that four gospels were already largely recognized as authoritative is coherent with God’s design in creation and salvation. Laurence Mellerin, Étude des usages bibliques d’Irénée à l’aide de Biblindex Biblia Patristica provides an exhaustive list of citations and biblical allusions in the corpus of Irenaeus. This material can now be searched most easily thanks to Biblindex, the online index of scriptural references in Christian writings of Antiquity and the Middle Ages (http: //www.biblindex.org), and the tools it offers for statistical analysis. The essay first looks for the scope of Irenaeus’ Bible, identifying his favorite books. It then shows, from the example of Eph 1,10, that in order to produce a relevant study, a thin granularity has to be chosen to deal with verse constellations underlying the argumentation. The last part initiates a presentation of the biblical profiles that are specific to each work or parts of it, opening on methodological questions raised by the application of mathematical approaches to a literary corpus. Pierre Molinié S.J., Vase d’argile ou vase précieux ? Saint Irénée et la théologie paulinienne du ministère (2 Co 4, 7 et 12, 9) At the end of Book 3 of the Adversus Haereses, Irenaeus compares the Church to a “great vessel containing a precious deposit” – faith. This picture contrasts strongly with the Pauline image of the “earthen vessel” (2 Cor 4,7). In this article, it is suggested that Irenaeus’ way of quoting Second Corinthians modifies the theology of this epistle. The verse “power is perfected in weakness” (2 Cor 12,9) is read in a Christological perspective (God comes in human flesh) instead of a ministerial one (the strength of the apostle lies in his apparent failure). As a result, Paul’s theology of ministry gives place to ecclesiology: the Church’s unity and steadiness is a convenient container for the precious deposit of faith. Olivier Munnich, Le texte scripturaire d’Irénée, témoin d’un état ancien de la Bible grecque et de reformulations néotestamentaires Living far away from the centers where the Bible was corrected, both in Hebrew and in Greek, Irenaeus had at his disposal wit-
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nesses of the Greek Bible that were very close to an old and unrevised form of the Biblical text. In some cases, he does not quote from a Greek exemplar of the Bible but rather from Testimonies which are sometimes influenced by the rewriting of the Old Testament text in the New Testament. However, in at least one case (the book of Daniel), the documentation conveys a very original form of the Biblical text that is not attested elsewhere, neither in Hebrew nor in Greek. In that case, paradoxically, Irenaeus (and Tertullian) would be the only witnesses to a pre-Masoretic form of that biblical book. James R. Payton, Jr., Irenaeus, Pseudonymity, and the Pastoral Letters This paper points out that there is a striking contrast between the contemporary consensus opinion among New Testament scholars that the Pastoral Letters (1-2 Timothy and Titus) are pseudonymous and the patristic consensus that they were written by Paul. The paper goes on to examine how Irenaeus viewed pseudonymous works that claimed apostolic authorship and looks at the ways Irenaeus used the Pastoral Letters in his works. This results in a clear demonstration that Irenaeus unquestionably viewed the Pastoral Letters as genuinely authored by Paul and thus as authoritative for the Church. Andrés Sáez Gutiérrez, Interprétations scripturaires en conflit chez Irénée : quelques réflexions théoriques et un exemple significatif This paper presents the main elements of the controversy between Irenaeus of Lyon and the Valentinians on the interpretation of Scripture, starting from the analysis of two significant paragraphs from the beginning of the Adversus Haereses. In the first part it is argued that the confrontation takes place at two levels : the first one concerns the Scriptures themselves ; the second one takes into consideration the doctrinal principles that guide the interpretation of scriptural texts. The paper further discusses the status of scriptural quotations for the Valentinians, asking whether they are proofs to support their doctrine or a stylistic way to enrich their literary compositions. The second part of the paper offers an example of what has been said before. After recalling the different value and salvific destiny of the sarx in Irenaeus
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and among the Valentinians, some scriptural verses are presented that the bishop of Lyons and his adversaries employed to explain and defend the truth of the apostolic preaching. Joseph Verheyden, Four Gospels Indeed, but Where Is Mark ? On Irenaeus’ Use of the Gospel of Mark The paper gives a brief survey of the citations from the gospel of Mark in the AH. It discusses, in this order, AH 3.10.6 ; 3.11.8 et 3.16.3 (Mark 1,1-2.3) ; 3.10.6 (16,19) ; 3.16.5 et 3.18.4 (8,31.3435) ; 3.18.5 (13,9) ; 1.3.5 (10,21) ; 1.21.2 (10,38) ; 2.32.1 (9,48) ; 4.6.6 (1,24) ; 4.9.3 (7,9-10) ; 4.18.4 (4,27-28) ; 4.37.5 (9,23) ; and 5.21.3 (3,27). Mark’s gospel takes a modest place in the list of gospel citations, but this does not affect its status as a gospel. A possible explanation for the sparse use of Mark might be that it contains far less sayings material than Matthew and Luke. Mark plays a secondary role only, often offering a kind of supplementary argument to the ones based on the other gospels.
Liste des auteurs Patrick Andrist est Privat-dozent à la Faculté des Lettres (littérature grecque) de l’Université de Fribourg (CH) et responsable du projet projet ERC ParaTexBib, sur les paratextes de la Bible grecque. [email protected] Agnès Bastit est maître de conférence habilitée (Littérature grecque) à l’Université de Lorraine (Metz-Nancy) et membre senior (2011-2016) de l’Institut universitaire de France. agnes.bastit@ univ-lorraine.fr Joaquin Blas Pastor est professeur d’histoire de l’Église et de patrologie à la Faculté Antoni Gaudi de Barcelone. jblaspastor@ gmail.com Enrico Cattaneo, professeur émérite de patrologie et de théologie fondamentale à la Faculté de théologie de l’Italie méridionale (Naples), enseigne la théologie patristique à l’Institut pontifical oriental de Rome. [email protected] Marie-Laure Chaieb est maître de conférence en théologie patristique à l’Université catholique de l’Ouest (Angers). marie.chaieb@ gmail.com Alberto D’Anna est professeur des origines chrétiennes à l’Université de Rome 3. [email protected] Patricio de Navascués est professeur de patrologie à la Faculté de théologie San Damaso à Madrid. [email protected] Luc Devillers est professeur de Nouveau Testament à la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg (CH). [email protected] / [email protected] Pino Di Luccio est professeur de Nouveau Testament à la Faculté de théologie de l’Italie méridionale (Naples) et professeur invité de christianisme ancien à l’Université hébraïque de Jérusalem. [email protected]
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liste des auteurs
Maurizio Girolami enseigne la patrologie à la Faculté de théologie de Padoue et l’exégèse patristique au Studium biblicum franciscain de Jérusalem. [email protected] Christophe Guignard est maître de conférence en littérature chrétienne ancienne à la Faculté de théologie catholique de l’Université de Strasbourg. [email protected] / christophe.guignard@ bluewin.ch Laurence Mellerin est ingénieur de recherche à l’Institut des Sources chrétiennes à Lyon et enseigne la littérature latine ancienne à l’Université catholique de Lyon. [email protected] Pierre Molinié enseigne la théologie patristique et l’histoire du christianisme ancien à la Faculté jésuite de théologie «Centre Sèvres» de Paris. [email protected] Olivier Munnich est professeur de Langue et Littérature grecque à l’Université Paris-Sorbonne et y occupe la chaire de littérature religieuse de l’antiquité tardive. [email protected] James Payton est professeur émérite d’histoire du christianisme au Redeemer University College d’Ancaster (Ontario, Canada). [email protected] Andres Sáez Gutiérrez est professeur de littérature chrétienne ancienne à la Faculté de théologie San Damaso à Madrid. [email protected] Joseph Verheyden est professeur de Nouveau Testament à la Faculté de théologie et d’études religieuses de la KU Leuven ainsi que «Extraordinary Researcher» de la North-West University (NWU) Potchefstroom Campus (Afrique du Sud). jos.verheyden@ kuleuven.be
Indices Index des références bibliques Index des lieux irénéens Index d’autres auteurs et textes anciens Index des auteurs modernes
Références bibliques Ancien Testament Genèse 1–19 1–3 1, 26-27 2 2, 5 2, 7 2, 10-14 2, 16-17 2, 17 2, 23 3, 1-6 3, 6 3, 15 4, 4 4, 7 5, 5 5, 24 9 10 12, 1 15 15, 3-4 15, 4 15, 5-6 15, 13-14 17, 8 18, 14 19 19, 24 22 22, 2 22, 4-5 22, 6 46, 27 49, 18
38, 43, 44, 47, 49, 51, 61 51 52, 53 49, 53, 56, 57 52 56, 57 11, 22, 49, 50, 53, 56, 57, 65, 312314, 368, 427 110 56, 57 438 29, 392, 393, 430 56, 57 56 56 332 332 56, 57 345 52 86 74 52 74 350 52, 74, 75 74 74 164 52 52 350, 351 350 350 351 66 142
Exode 1, 5 3, 7-8 3, 8 15, 17-21 15, 17 20, 11 20, 12 25–26 25, 9 25, 40 26, 30 34, 34
38, 43, 44, 61 66 446 142 348 344, 348 184 197 348 344, 348 344, 356, 447 344 303
Lévitique 24, 2
38, 43, 44 353
Nombres 25, 7
38, 43, 44 339
Deutéronome 8, 3 26, 15 28, 66 32, 21 32, 31
38, 43, 44, 60, 61 8, 21, 285-295, 445 344 314 76 56
Josué
38, 41
Juges
38, 41
Ruth
39, 40
I Samuel 7 28
38, 41 353 340
II Samuel 7 7, 5-6 7, 10
38, 41 344 345 344
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références bibliques
7, 11-12 345 I Rois 22, 19-20
38, 41, 44 344
II Rois
38, 41
I Chroniques 38 17, 4 344 39 29, 12 II Chroniques 38 3, 1 350 39 6, 6 Esdras 38-40 3, 1 39 Néhémie 8, 1-18
38, 39 39
Tobie 3, 6 4, 5-11 4, 10 12, 9
40 337 337 339 339
Judith
40
Esther
39, 40
I Maccabées 40 II Maccabées 1, 29 7, 9-23 7, 28
40 344 338 40
Job 1, 6-12 2, 1-7 10, 8
38, 41 344 344 56, 57
Psaumes 2, 1-2 18 21 21lxx
38, 41, 44 75 443 415 8, 22, 297-318
21, 2 21, 7 21, 8 21, 9 21, 15 21, 16 21, 17 21, 18-19 21, 19 21, 21 21, 23 21, 26 21, 30 32, 9 37, 12 39, 10 42/43 44 44, 3 44, 17 67, 18-19 68, 22 79 79, 2 85, 14 89 97, 2 102, 20 103, 30 109, 1 118, 1-2 119, 73 131 131, 10-12 131, 11 132, 17 145, 6 146 148, 5-6 Proverbes
22, 297, 298, 300, 302, 304, 311, 315, 317 300, 305, 306, 310, 311, 317 300, 310, 311, 317 311 301, 311, 314 22, 31, 300, 306311, 317 301, 314 301, 314 75, 297, 300, 310, 311, 317 301, 314 297 222 22, 31, 300, 311314, 317 323 311 222 344 359 307 87 75 76, 306, 311 135 131, 134-136, 141 314 353 142 348 332 71, 183, 184 345 56, 57 68 75 84, 187 353 184 40 323 38, 41
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références bibliques Ecclésiaste / Qohéleth 38 337 1, 2-3 2, 13-16 337 3, 11 39 Cantique des Cantiques 39 Sagesse 1, 7 1, 14 2, 23 2, 24 3, 1 3, 2-8 3, 9 4, 10 5, 15-16 6, 19 7, 5-6 9, 10 10, 4 11, 20
38, 40 40, 56, 57 40 40 40 338 338 344 40 338 40 40 344 40 40
Écclésiastique / Siracide 40 1, 3 40 17, 27-28 337 44, 16 40 359 49, 16 Isaïe 2, 17 6 6, 1-2 6, 5 6, 12 7, 14-15 7, 14 9, 5 10, 23 12, 2 13 13, 9
3, 8, 41, 43, 44 72 342 344 309 66 324, 325 10, 49, 50, 66-68, 81, 185, 306, 374 11, 69, 71, 81, 185, 307 69, 75 142 342 66
25, 6-12 25, 9 26 26, 10 26, 19 30, 1 31–32 35, 4 35, 6 40–66 40, 3 40, 28 45, 1 49 49, 16 50, 6 50, 8-9 52, 13–53, 1-5 52, 7 53, 2-3 53, 3 53, 7 53, 8 54 54, 1 54, 11-12 57, 1-2 60, 19 61, 2 63, 15 65 65, 1 65, 2 66, 24 66, 3 66, 7 Jérémie 17, 9 17, 12 18, 2-3 22, 17 23, 20 25, 16 [49, 36] 36[43], 30-31 38[31], 31-40 39[32], 6-15
350 65 342 65 66 332 342 66 66 355 180 40 71, 81 342 356 310 71, 72, 81 75 76, 353 306 310 310 306 343 75 356 66 353 159 344 343 75 65, 311 195 65, 332 65 38, 40, 41, 43, 44 306, 324 344 76 332 377 132 85 75 76
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références bibliques
Lamentations 3, 30 4, 20
38, 39 40 40, 142
Baruch 3, 29–4, 1 3, 38 4, 36–5, 19 5, 3
38, 40 40 40, 310 40 40
Ézéchiel 1 1, 5-6 1, 10 10 10, 20 36 40, 17
38, 41, 43 101, 135, 141 134 17, 143, 145-149 135, 141 134 359 344
Daniel 2 4, 24 7 7, 9-10 7, 13 7, 26 8, 16 9, 1-2 9, 21-27 9, 21-23 9, 21 10, 5 10, 12 10, 21 12, 1-3 12, 1 12, 4 12, 7 12, 9-10 12, 13
38, 41, 43, 44, 60, 61 79 339 80 344 307 307 77, 78 79, 80 79, 80 79 11, 77-79 80 79 77 338 77 80, 377, 451 377 80 80
Osée 1, 10 2, 24 6, 6 10, 6
38, 41 76 76 75 73
Joël 3, 1
38, 41 150
Amos 9, 11-12 9, 11
38, 41 235 76
Abdias
39
Jonas 2, 1-11
38, 41 375
Michée 1, 2-3 5, 1 5, 2
38, 41 344 163 75
Nahum 2, 1
39 353
Habaquq
38, 41, 46
Aggée
39
Sophonie 39 Zacharie 3, 1-7 6, 9-10 9, 9 11, 13 13, 7
38, 41 344 353 75, 310 76 76
Malachie 1, 10-11 3, 1
38, 41 289, 332 181, 182
Nouveau Testament Évangile selon Matthieu 45-47, 60, 61, 228, 246-249 1 89 1, 1-18 56 57, 83, 87 1, 1-17 1, 11 88
références bibliques 1, 16 1, 18 2, 4-5 2, 6 2, 11-12 2, 16 3, 9 3, 12 3, 16-17 3, 16 3, 17 4, 1-11 4, 3 4, 4 4, 12 5, 16 5, 17 5, 20 5, 22 5, 23-24 5, 29-30 5, 35 6 8, 11-12 8, 13 9, 13 9, 29 10, 5-6 10, 15 10, 18 10, 33 10, 34 10, 38 11, 9 11, 23-24 11, 25-27 11, 27 12, 7 12, 29 12, 31-32 12, 39-40 13, 3-9 13, 8 13, 17 13, 31-32 13, 38-39
85 57 186 75, 163 186 186 163, 444 191, 195 12, 92-95, 115 90 90 202 196 285 161 201 61 446 195 332 195 358 198 200 201 75 201 230 200 190 177 191 192-194 179 200 196 10, 49, 50, 110, 417, 436, 442 75 202, 203 150, 232 375 326 342, 343, 357 155 177, 326 56, 57
13, 13, 13, 13, 15, 15, 15, 15, 16, 16, 16, 16, 16, 16, 16, 16, 16, 16, 16, 17, 18, 18, 18, 19, 20, 20, 20, 21, 21, 21, 22, 22, 22, 22, 22, 22, 22, 22, 22, 22, 22, 23, 23, 23, 23, 23, 24,
42 43 50 52 3-4 6 13 14 13 16-17 16 17 18-19 18 21 22-23 24-25 24 25 1 8-9 8 9 18 1-16 19 22 5-9 28-32 33-43 1-14 1-2 2-14 2 4 7 11 23-33 35-38 38 40 13-36 27-28 34 37-38 37 2
473 195 195 195 301 197, 198 197, 198 198 279 188 253 188, 233, 306 19, 188, 230, 233 269 253 187, 188 189 188 90, 192 189, 190 210 195 195 195 178 200 186, 188 194 75 200 104, 200 342, 361 346, 358 200 357, 358 357, 358 358 25 337 163 163, 178 164 72 332 189, 190 200, 201, 347 200 347
474 24, 24, 24, 24, 25, 26, 26, 26, 26, 26, 27, 27, 27, 27, 27, 28,
références bibliques 31 36 39 42 41 24 26-29 38 39 56 10 34 39 43 46 19
132 178 200 200 10, 49, 50, 195 178 322, 329, 330 303 303 76 76 76 311 311 22, 302, 303, 311 268
Évangile selon Marc 45-47, 228, 246 249, 256, 257 1, 1-3 176, 179-182 1, 1-2 14, 176, 178, 179, 185, 187 1, 1 174 1, 2-3 185 1, 2 174 1, 3 14 94 1, 10 1, 11 92 1, 14 161, 233 1, 24 14, 176, 196 2, 17 177 3, 27 14, 176, 202, 203 326 4, 2-9 4, 7-8 199 4, 13-20 199 4, 21-25 199 176, 177 4, 25 4, 26-29 199 4, 27-28 14, 176 4, 27 199 198 4, 28 4, 30-31 326 4, 31 176, 177 176 5, 19 5, 22 156, 176, 177 201 5, 34
5, 41-42 5, 41 5, 43 6, 15 7, 1-5 7, 9-10 7, 9 8, 28 8, 31 8, 32-33 8, 34-35 8, 34 8, 38 9, 23 9, 43 9, 44 9, 46 9, 47 9, 48 10, 17 10, 18 10, 19 10, 21 10, 38-39 10, 38 11 12, 18-27 12, 28-31 12, 28 12, 30-31 12, 30 12, 31 12, 36 13 13, 1-2 13, 9 13, 24-27 13, 32 14, 21 14, 22-25 14, 50 15, 1 15, 21 15, 29 15, 34 15, 42 16, 15
176 176, 177 176 182 350 14, 176, 197, 198 198 182 14, 176, 178, 187 189 14, 176, 188 192 176, 177 14, 176, 201, 202 195 195 195 195 14, 176, 195 176, 177 177 176-178 14, 176, 192 194 14, 176 346 337 163 177, 178 178 164, 177 177 163, 183, 184 346 343 14, 176, 190 343 176-178 176, 178 322, 329, 330 177, 178 73 176, 178 311 302-304, 311 56, 57 268
références bibliques 16, 19
14, 176, 183, 184
Évangile selon Luc 45-47, 60, 61, 220, 221, 228, 231, 246, 248, 249, 257 1, 2 128, 231 182, 184 1, 17 1, 34-35 56, 57 1, 35 211 1, 38 56, 57 142, 245 1, 77 1, 78 202 2, 49 90 3, 8 444 3, 9 163 3, 17 191, 195 3, 22 92 3, 23-38 56, 57, 83, 87-89 23, 88, 159, 160 3, 23 4, 3 196 4, 19 159 4, 34 196 5, 32 177 6, 46 201 7, 14 177 7, 15 177 8, 4-8 326 303 8, 41-56 8, 41-42 177 8, 41 156 8, 45 90 8, 51 141 8, 54 177 177 8, 55 9, 22 187 9, 23-24 188 9, 23 192 177 9, 26 9, 31 256 9, 60 90 9, 61 90 90 9, 62 10, 12 200 10, 15 200 118, 122, 226, 255 10, 16 10, 21-22 196 110 10, 22
10, 10, 10, 12, 12, 12, 12, 12, 12, 13, 13, 13, 13, 13, 14, 14, 14, 14, 15, 16, 16, 16, 16, 17, 17, 18, 18, 19, 19, 20, 20, 21, 21, 21, 22, 24, 24, 24, 24, 24, 24,
24 25-28 27 9 35-36 43 45-46 47 50 6-9 7 18-19 28-29 34-35 12-13 15-24 16 27 11-32 19-31 22 29 31 5-6 26-30 10-14 27 5 26 9-19 27-39 4 34-35 34 19-25 25-27 25-26 39 44 45-47 47
475 155 163 164 177 200, 201 201 201 201 193 200 200 326 200 200 358 342, 361 357, 358 90, 192 200 338-340, 354, 360 24, 350 25 24, 25, 31, 340 326 200 200 164 90 177 359 337 333 200 201 322, 329, 330 339 187 90, 391 187 187, 339 268, 451
Évangile selon Jean 46, 47, 222, 228, 232, 246, 247, 249 1, 1-3 56, 213 49, 50, 57, 212 1, 3 1, 10-12 213
476 1, 10 1, 11 1, 13 1, 14 1, 18 1, 51 2, 1-2 2, 12-13 2, 16 2, 19 2, 21 2, 23 3, 36 4, 6 5, 46-47 6, 11 6, 53 6, 58 8, 56-57 8, 56 8, 57 9 11 11, 25-27 12, 18-21 12, 27 12, 49 13, 3 13, 17 14 14, 1-3 14, 1-2 14, 2-3 14, 2 14, 3 14, 4 14, 15-21 14, 19 14, 23 14, 26 15, 1-2 15, 12-17 15, 26 16, 16-17
références bibliques 56 56 306 10, 29, 49, 50, 56, 57, 213, 425-428 350, 435, 436 355 331 345, 346 344 24 24 212 201 213 450 331 424 21 161 351 160 427 340 179 179 303 119 196 179 359 359 343, 359, 361 344, 345 24, 25, 342-346, 349, 354, 357, 360, 361 344 25, 345 345 345 361 345 359 345 150, 359 179
16, 17, 17, 19, 19, 19, 19, 19, 20, 20, 21,
16 5 20-23 14-15 23-24 23 24 30 20-23 31 19
345 257 361 56, 57 315 75 75, 311, 314 345 345 212 257
Actes des Apôtres 46, 60, 61, 225, 231, 232, 236, 237, 240, 243, 245, 268 1, 8 121 2 150, 228, 233 2, 10 254 2, 30 75 2, 41 254 3, 1–4, 22 210 184 4, 24 4, 25-26 75 4, 29 236 4, 31 141 4, 33 141 6, 1 123 7, 3 74 7, 5-8 74, 75 66 7, 14 8, 17-19 255 345 9, 2 9, 4-6 239 9, 4-5 232 9, 10-19 232 232 9, 19-20 10 233, 241 11, 26 234 12–15 113 254 12, 17 14, 4 210 14, 14 210 184 14, 15 14, 23 253 26, 234, 237, 239, 15 241, 244 19, 25 15, 1-20
477
références bibliques 15, 15, 15, 15, 15, 15, 15, 15, 15, 15, 15, 15, 16, 17, 18, 19, 19, 19, 20, 21, 22, 23, 23, 24, 28, 28,
1-7 1 2 5 7-11 7 9 11 13-20 15-16 16-17 24 3 28 18 1 9 23 18-28 26 4 1-5 6-10 14 16-31 31
234 234 234, 234 234 234, 235 235 235 76 76 234 240 97 240 254 345 345 232 240 345 337 337 345 125, 232,
239 243
247 236
Épître aux Romains 45, 46, 221, 243, 268 1, 1 121, 233 1, 3 84, 88 1, 8 252 252 1, 9-10 1, 11-12 252 1, 13 252 1, 15 252 200 2, 4-5 2, 10 200 2, 16 220, 248 3, 24 194 202, 243 3, 30 4, 3 75 4, 11-12 75 5 57 5, 12 56 359, 360 5, 14-15
5, 14 5, 17-21 6, 11 7–8 7 7, 5 7, 13-14 7, 17-18 7, 22-23 8, 18 9, 25-26 9, 28 10, 9 10, 15 10, 19 10, 20 10, 21 11 11, 16 11, 34 11, 36 12, 3 13, 13 14–15 14, 9 15, 6 15, 16 15, 20 15, 22-23 16, 19 16, 25
56 56 313 397 57 29, 428, 429 56 56 397 257, 258 76 69, 75 324 76, 244 76 75 65 268 230 436 230 438 201 243 186 350 233 254 252 252 220, 248
Première épître aux Corinthiens 46, 221 1, 10 8 1, 18 230 230 1, 23 2, 6 230, 231 2, 14 230 2, 15 230 331 3, 2 3, 6-7 378 3, 16 355, 360 201 6, 11 6, 12-20 393, 394 201 6, 12 6, 15 390, 391, 393, 394,
478 6, 17 6, 18-20 6, 19 8, 1 9, 19-23 9, 20-21 10, 3 10, 4 10, 11 10, 16 10, 23 11 11, 10 11, 23 11, 24-25 12 14 15 15, 1-3 15, 1 15, 3 15, 8 15, 10 15, 11 15, 35-53 15, 42-55 15, 43 15, 44 15, 45 15, 47 15, 48 15, 50 15, 53-54 15, 53
références bibliques 397 359 393 355, 359, 360 437 230 240 21, 290 447 447 324, 325, 331 201 322, 370 303 250, 370 322, 328-330 150 150 57, 370 370 248, 250 297, 317 230, 303 245 244 337 312 257 56 56 56, 203 230 10, 27-29, 49, 50, 56, 217, 231, 421424, 427, 428 56 372
Deuxième épître aux Corinthiens 46, 221 1, 22 368 377 2, 17 3, 7-8 377-378 3, 13 303 365 4, 1 4, 4 231 364-367 4, 5-10
4, 5 4, 7 4, 10 4, 16 5, 4 5, 5 7, 2 8, 9 9, 10 11, 3 12 12, 1-4 12, 2-4 12, 7-10 12, 9 13, 4 Épître aux Galates 1–2 1, 1 1, 11 1, 13 1, 15-16 1, 15 1, 16 1, 18-24 1, 18 2 2, 1-10 2, 1-2 2, 2 2, 3 2, 4 2, 5 2, 7-10 2, 7-9 2, 7 2, 8 2, 9 2, 10 2, 11-21 2, 11-14 2, 12 2, 13 2, 14
378 26, 363-381 367 397 358, 398, 420 368 377 380 378 378 370, 373 345 370-371 370-375 26, 31, 363-381 375 46, 219, 221, 237, 268 237, 238 19, 210, 221, 230 248 239 239 56 238 19 238 19, 25, 26, 241, 247 25, 237, 239 239 238 240 237 25, 237-240 268 237 229 244 228, 238 237 268 26, 237, 241 241 241 242
479
références bibliques 4, 4, 4, 4, 4, 4, 6, 6, 6,
4 6 13 21-31 26 27 6 7-9 14
56, 202 451 252 8 343, 356 75 237 337 230
Épître aux Éphésiens 46, 221 1, 7 194 1, 10 10, 49, 50, 53, 54, 56, 57, 359, 438 1, 13-14 368 2, 20 253 2, 21-22 360 229, 239 3, 3 3, 16-19 326 3, 21 230 4, 6 359 4, 8 75 4, 22 56, 57 4, 25 201 4, 29 201 5, 4 201 201 5, 8 5, 13 231 5, 30 331, 391, 392, 397 5, 32 231 Épître aux Philippiens 221 1, 22 56 2, 8 239 2, 11 372 379 3, 8 3, 21 257 Épître aux Colossiens 46, 94, 1, 14 1 56, 1, 15-18 1, 18 49, 56 3, 9-11 3, 11 57,
4, 14
Première épître aux Thessaloniciens 221 Deuxième épître aux Thessaloniciens 221 2, 3-4 347 Première épître à Timothée 223, 273-282 1, 4 20, 21, 277 1, 9 280 2, 5 280 3, 15 20, 120, 228, 253, 280 4 279 4, 1 279 4, 2 279 4, 3 279 4, 7 278 6, 20 20, 278, 281 Deuxième épître à 1, 10 3 3, 1 3, 2-7 3, 7 4, 3 4, 10-11 4, 21 Épître à Tite 1, 5 3, 5 3, 10 3, 11
221 325, 331, 383 57 50 230
231
Timothée 223, 273-282 56, 57, 280 279 279 279 20, 279 279 278 278 223, 273-282 253 280 278 278
Épître à Philémon 44, 221, 277 L’Épître aux Hébreux 45, 46, 222 2, 12 297 356, 447 8, 5 8, 8-12 75
480 9, 11 11, 5 11, 17-19 12, 22
références bibliques 346 40 350 343
Première épître de Pierre 46 3, 20-21 8 5, 13 125 Deuxième épître de Pierre 44 1, 15 256 3, 7 45 45 3, 8 Première épître de Jean 1, 1-2 38 212 2, 18-19 4, 1-3 213 Deuxième épître de Jean 44 7–8 45, 212 45, 212 11 12 45
Troisième épître de Jean 44, 277 Épître de Jude 44 97 14–15 Apocalypse 1, 12-16 4 4, 7 5, 6 7, 1 14, 13 17, 12-14 20 20, 4-6 20, 12-14 21 21, 1-4 21, 1-3 21, 1-2 21, 9–22, 5 21, 22-23 22, 18-19
46, 60 213 101 17, 56, 107, 109, 114, 134-136, 140143, 145-149, 173 134 132 259 213 348, 361 342 342 354 343, 357 213 357 343 357, 359 221
Lieux irénéens Contre les hérésies 37, 38, 219, 237 58-60, 117 1 1.Prol. 1 223, 277 1.Prol. 2 321, 327 407, 411 1.1–8 1.1.1–8.4 402 125 1.1.2 1.1.3-6 124 1.1.3 410 191 1.2.4 1.3.1 191, 230, 404 1.3.2 224 125 1.3.3 1.3.4 54, 125, 230 1.3.5 14, 176, 191-192, 230, 418 1.3.6 7, 119, 123, 255, 403, 405, 406, 439, 452 1.4.3 125 1.4.4 406 419, 427 1.5.5 1.6.1 419, 427 1.6.2 419 244 1.6.3 177 1.6.4 419 1.7.1 407 1.7.3 1.7.5 419 7, 22, 229, 302, 1.8.1 327, 403, 404, 406, 408, 439 156, 177, 230, 300, 1.8.2 302, 315 1.8.3 230 231 1.8.4 212, 231, 402, 413 1.8.5 1.9.1-5 402 1.9.1 405, 406 425, 427 1.9.2-3 1.9.2 205, 210, 247
210, 405, 406 1.9.3 1.9.4 30, 316, 404, 406, 409 1.10.1-3 275, 420 1.10.1 263 255, 263 1.10.2 1.10.3 406 1.11.1 155 177, 319-321, 325 1.13.2 1.13.6 229, 291 279 1.13.7 1.14–16 417 1.14.1-2 410 410 1.14.3 1.14.5 291 1.14.6 291 94 1.15.3 1.15.5 40 1.16.3 45, 278 212 1.17.1 1.18–20 416 1.18–19 416 80 1.19.2 1.20.1 275, 416 48, 155, 177 1.20.2 409, 417 1.20.3 1.21.1-5 275 14, 176, 193-194, 1.21.2 208, 209, 231 319 1.21.4 40, 275, 316 1.22.1 1.23.1-4 227 1.23.1 255 281 1.23.4 300, 305 1.24.1 1.24.2 279 178 1.24.4 244 1.24.5 1.25.2 229 102, 267 1.26.2 1.26.3 244
482 1.27.2 1.27.4 1.28.2 1.30.6 1.30.10 1.30.13 1.30.14 1.31.1
lieux irénéens 102, 219 9 244 359 40 423 224, 408, 423 249, 276
58-60, 117, 281 2 219 2.Prol. 281, 439 2.Prol.1 452 2.1.2-3 40, 405 2.2.4 2.2.5 212 281 2.4.7 40 2.6.2 453 2.7.1 452 2.7.5 313, 442 2.10.1 40 2.10.2 209 2.12.8 278 2.14.7 118 2.20.2 178 2.20.5 208 2.21.1 279 2.21.2 156, 212 2.22.3 159 2.22.4 18, 159, 207, 210, 2.22.5 212, 214 453 2.23.1 2.24.1-6 409 2.24.2 141 2.24.4 210 437, 443 2.25–28 2.25.1-2 139 2.25.1 408-410, 438 438 2.25.2 439 2.25.3 437 2.25.4 437 2.26.1 2.26.3 405 2.27.1-2 279 2.27.1 442, 443 123, 435 2.27.2 437 2.28.1 2.28.2-3 405
2.28.2 437, 454 436, 454, 455 2.28.3 2.28.6 178 2.28.7-8 178 2.30.3 40 307 2.30.6 2.30.7-9 370-371 2.30.7 229 40 2.30.9 14, 176, 194-195 2.32.1 40 2.32.5 340, 351, 405 2.34.1 40 2.34.2 323 2.34.3 307 2.35.4 3 3.Prol. 3.1–5 3.1–4 3.1.1 3.1.2 3.2.1-2 3.2.1 3.2.2 3.3.1 3.3.2-3 3.3.2 3.3.3 3.3.4 3.4.1 3.4.2 3.4.3 3.5.1 3.5.2
58-61, 101, 116, 117, 223, 224, 232, 246, 363, 430 226, 245, 250, 255 223 117-128 83, 107, 114, 128, 132, 163, 212, 222, 224, 228, 229, 233, 246-247, 250, 252, 253, 256, 277, 281, 334, 453, 454 229 316, 406 224, 230, 231, 378, 454, 455 224, 225, 229, 250, 264, 276 263, 264, 408, 455 259-262, 265 251, 253, 257, 261263 251, 253, 257, 259260, 263, 278 210, 212, 215, 246, 248, 254, 257, 261, 265, 274, 278 265 45, 157, 227, 334 227 226 177
lieux irénéens 3.6–25 223 3.6–15 223, 224, 306 3.6.1-3 455 3.6.2 142 3.6.4 39 3.7.1 231, 455 3.8.2 203 3.9–11 14, 111, 112 3.9 162, 179 110, 119, 154 3.9.1–11.6 3.9.1 111, 112, 128, 211, 247 3.9.2 84 3.9.3 12, 91 3.10.1-5 179 3.10.1 39, 128, 211, 248 3.10.2 242 243 3.10.3 40, 142 19, 123, 242 3.10.5 3.10.6 14, 112, 128, 176, 179-185, 248 3.11.1-6 179 3.11.1 128, 212, 213 3.11.3 213 3.11.4 181 3.11.5 292, 320-323, 331 233 3.11.6 3.11.7-9 16, 119, 128-157, 163, 165, 166 3.11.7 102, 110, 111 3.11.8-9 164, 173 3.11.8 13, 14, 40, 83, 101, 102, 104, 114, 121, 124, 133, 167, 170, 173, 176, 179-185, 228, 263, 275, 280, 439, 440, 444 3.11.9 113, 128, 167, 211, 232, 247, 249, 271, 276, 440 3.12–14 76 3.12 118, 154 3.12.1-7 128 3.12.1 209, 233 3.12.3 210 123, 141, 208, 210, 3.12.5 245, 246, 453, 454
483
229, 233, 234, 236, 3.12.7 263, 453 3.12.8 128, 211 3.12.9 128, 232, 233, 239, 245, 440 3.12.10 128, 211 3.12.11 129, 439 3.12.12 219-221, 229, 231, 388, 440 3.12.13 236, 246 3.12.14-15 241 3.12.14 210, 234-236 3.12.15 26, 210, 233, 236, 241, 242 3.13–15 124 3.13–14 236 3.13 154 3.13.1–15.1 154 3.13.1 229, 244 3.13.2 19, 230, 233 231, 239, 245, 440 3.13.3 3.14 154, 232 3.14.1 231, 278 3.14.2 128, 231, 232 3.14.3 124, 130, 231, 342, 361, 455 3.14.4 130, 231 3.15 154, 232 124, 154 3.15.1 3.15.2 223 3.15.3 246 3.16–23 224, 306 3.16–18 185 3.16.1-9 185 3.16.1-2 210 3.16.2-8 107 3.16.2 83 3.16.3 14, 69, 84, 176, 185-187, 307 186 3.16.4 3.16.5 14, 176, 185-187, 212 3.16.6-7 441 3.16.6 359 320, 321, 405, 441 3.16.7 3.16.8 45, 213 185 3.17
484
lieux irénéens
3.17.4 223, 450 3.18.1-3 185 55, 331 3.18.1 3.18.2-3 230, 320, 321, 324, 331 3.18.2 308, 321 291, 317 3.18.3 3.18.4-6 185 3.18.4-5 185, 187-190 14, 176, 233 3.18.4 14, 176, 177 3.18.5 203 3.18.6 55, 185 3.18.7 22, 69, 233, 300, 3.19.2 306, 307, 309 3.20.1 375 376 3.20.2 66 3.20.3 71 3.20.4 3.21–22 53 3.21 67 67, 68 3.21.1 3.21.2-3 11 3.21.2 39 210, 250, 270, 440, 3.21.3 441 211 3.21.4 84, 85 3.21.5 23, 55, 83, 85, 87, 3.21.9 89 3.21.10 55 3.22.1-3 83 3.22.1-2 87 3.22.1 55 213 3.22.2 3.22.3-4 87 3.22.3 55, 85, 87 86, 87 3.22.4 55, 203 3.23.1 246, 255, 363, 3673.24.1 370 129 3.25.7 4 4.Prol. 1-3 4.Prol.4 4.1–19 4.2
58-61 308 378, 420 196 118
4.2.3 340, 450 4.2.4 338, 340, 351 4.4.1-2 347 4.4.2 40, 347, 405, 410 351 4.5.2-5 4.5.2 64, 445 4.5.3-5 444 4.6.1 110, 112, 196, 417 55 4.6.2 4.6.3 436 4.6.6 14, 176, 196-197, 442, 443 4.6.7 442 4.7.1-2 444 4.7.2 442, 444 4.8.1 351, 388 301, 439 4.9.1 4.9.2 451 4.9.3 14, 176, 197-198, 279, 301, 439, 452 4.10.1 308, 405, 450 4.11.1 450, 451 4.11.2 291 4.11.4 446 4.12.3 178 446 4.12.4 4.12.5 178 4.13.1 446 4.13.3 258 4.13.4 450 4.14 287 292, 439 4.14.2 4.14.3 356, 447 4.14.3–15.1 447 4.15–20 445 4.15.2 288, 446 4.16.1 447 4.16.3 21, 280, 285-295, 445 4.17–18 289 4.17.2 48, 445 4.17.5–19.1 321, 322, 332 292, 322, 323, 329, 4.17.5 334 333 4.18.2 4.18.4 14, 176, 198-199, 323
lieux irénéens 4.18.5 292, 322, 335 4.18.6 333 4.19 287, 289 4.19.1 448 4.19.3 289 4.20 448 4.20.1-8 308 4.20.1 65, 436 4.20.2 40 40, 308 4.20.4 4.20.5 308, 309, 439 4.20.6-7 436 4.20.6 448 4.20.7 308, 336, 442 4.20.8 22, 40, 55, 300, 301, 308, 309, 311, 448 4.20.10 449 213, 309, 355, 436 4.20.11 4.21.1-3 444 4.21.3 444 4.22.1 71 4.22.2 243 4.23 452 4.24 245 4.24.1 178 308 4.24.2 4.25.3 351, 378 4.26.1 80, 301, 377, 451, 455 4.26.2 264 4.26.3 64 4.26.4-5 376-377 4.26.5 455 4.27.1-2 216 4.28.1 176, 216 301 4.28.2 4.29 405 4.30.1 216 4.31.1 216, 454 216 4.32.1 4.33.1-7 388 4.33.1 71, 310 321, 323, 328, 329, 4.33.2 388 223 4.33.3 4.33.8 168, 276, 454
485
270, 448, 449 4.33.10 66, 69, 73 4.33.11 4.33.12 22, 71, 300, 310 4.33.13 72 310, 449 4.33.15 4.34.1-3 452 4.34.1 388 448 4.34.3 452 4.34.5 224 4.35.1 355, 357 4.35.2 4.36.1-4 200 4.36.1 104 39 4.36.2 4.36.5-6 200 4.36.5 358 342, 358 4.36.6 4.36.7-8 200 4.36.7 439 343, 347, 405 4.36.8 4.37.1-6 200 4.37.1 200 200 4.37.3 14, 176, 200-202, 4.37.5 355 258 4.37.7 291, 321, 331 4.38.1 4.38.2 255, 443 40, 405, 439 4.38.3 357 4.38.4 405 4.39.2 4.39.3 342 55 4.40.3 5 5.Prol. 5.1–14 5.1.1 5.1.2 5.1.3 5.2.1 5.2.2-3 5.2.2 5.2.3 5.3
58-61 281 383, 387 383, 388, 436 55, 373, 383, 388 321, 373, 383, 388 373, 383, 388 321, 322, 325, 328, 331, 387-391 292, 373, 387-389, 392, 397 27, 40, 372-373, 391, 392 389
486
lieux irénéens
5.3.1 373-374 5.3.2 291, 374 5.3.3 389, 397 5.4 389 5.5 389 5.5.1 40, 371, 389 389 5.5.2 5.6–14 391 5.6.1 312, 455 390, 391, 393 5.6.2 5.7.1 22, 300, 311, 312 5.7.2–8.1 368 5.8.3 421, 444 231, 421 5.9.1 5.9.2 313 5.9.3-4 421 5.10.1-2 421 5.10.2 398 5.11.1 421 5.12.1 368 5.12.4 55, 358 239 5.12.5 5.13.1 156, 177 5.13.2-5 422 5.13.2 217, 422 5.13.3 398 312 5.13.5 5.14.1 55 5.14.2 55 5.14.4 429 5.15–22 395 5.15.1 66 5.15.4 427 39 5.16.1 5.17–18 359 5.17.1 280 5.18–20 53 5.18.2 213 5.18.3 40, 405 56 5.19.1 5.20.1 263 54, 279, 307, 405, 5.20.2 438 5.21 203 5.21.1 55 5.21.2–22.1 202 5.21.2 285, 438 5.21.3 14, 176, 202-203
203, 243 5.22.1 5.22.2 280 5.23–30 395 5.23 359 45, 56, 441 5.23.2 5.24.4 40 5.25.2 347 5.25.4 24, 347 5.26.1 213 5.26.2 388, 448 353 5.28.1 5.28.2-3 347 5.28.3 45, 441 5.29.1 141 221, 291, 455 5.30.1 5.30.4 347 5.31–35 396 5.31.1–36.2 387 5.31.1 27, 71, 387, 395, 405 5.31.2 342 5.32.1 390 25 5.33 5.33.1-3 342 5.33.1 321, 323, 330, 332 5.33.2-3 347 5.33.2 342, 358, 361 157, 213, 349 5.33.3 5.33.4 248 5.34–35 342 5.34.1 66 80 5.34.2 5.34.4–35.2 343 5.34.4 358 64-66, 342 5.35.1-2 5.35.1 40, 356, 452 25, 40, 213, 342, 5.35.2 347, 355-357, 452 342, 361 5.36.1-2 5.36.1 342 343, 357, 358 5.36.2 5.36.3 347, 357 Démonstration de tolique 2
la prédication apos11, 12, 37, 38, 58-60, 176, 237 221
487
lieux irénéens 3 4 6-7 6 11 12 13 24 25 30 32-33 36 37 38 40 43 46 49 50 53-85 54-5 54 59 62 63 64 65 67 68 69-70 69 71 72 74
316 40 316 54, 316 40 40 430 74, 75 66 54 55 84 56, 301 76 69, 84 73, 163, 213 209 71 315 73 69 65, 69 84 76 75, 84, 163 75 75, 315 66, 315 40, 64, 75 317 45, 75 40, 64 66 75
76 77 78 79-80 79 80 82 83 86 87 88 89 90 92 93 94 95 96 97 99
76 73 71, 308, 311 22, 301, 314 65, 311 75 76 75 76 69, 75, 156, 164 72 163 75 75 76, 163 75, 163, 213 55, 76 75 40, 64, 164 55, 163
Lettre à Florinus (Eusèbe, Hist. eccl. 5.20.4) 37, 216 Lettre à Victor sur la Pâques 38 Lettre à Victor sur Florinus 38 Sur l’Ogdoade contre Florinus 37 Fragments
38, 39
Auteurs et textes anciens Actes de Pierre et de Paul 247 Ambroise de Milan 36, 338 Sur saint Luc 8.13 338 Ambrosiaster
36, 109
Amphiloque d’Iconium 36 Anastase le Sinaïte 174, 175 Questions et réponses 144 173 Annius de Viterbe 86 Aphraate Démonstrations 23, 21 Aristarque 96 Athanase d’Alexandrie 36 Augustin 109, 172 Doctrine chrétienne 1.36.40–37.41 298 Aulu-Gelle Nuits attiques 2.22.16 133 Épître de Barnabé 2.10 5.13 6.1 16.1-10 16.1-9
71, 72, 75, 299, 315 48 311, 314 72 346 347
2 Baruch 4.2-7 21.23 23.4 29.5 30.2
347, 356 344 344 213 344
Basile de Césarée 36 Cerdon
125
Chromace d’Aquilée Commentaire sur Matthieu 1, 6 86 Clément d’Alexandrie 10, 36, 37, 44, 64, 102, 114, 146, 168, 214, 298, 299, 338 Extraits de Théodote 27, 29 16 428 425 19.1-2 19.5 426 50 429 427 50.1 29, 429 51 419 55.1 419 56.1 427 59.4–60, 62 67.1 428, 429 428 85.2 Hypotyposes 113 Le pédagogue 1.5.24
70
Stromates 405 4.2.4.1 300 6.2.4 6.16.136.1 338 6.132.2-3 302
489
auteurs et textes anciens 7.17.108.1-2 408 Clément de Rome Premier Épître aux Corinthiens 260 5 258 5.2 228 10.3 74 10.5-7 75 42 118 42.3 233 44.1-2 256 Cyprien de Carthage À Quirinus 8 1.21 71 Cyrille d’Alexandrie 36 Cyrille de Jérusalem 36, 174
61.2 62.13-16 70 89.52 90.28-29
344 344 344 344 344
2 Enoch 61.2
345 344
Épître des martyrs de Vienne et de Lyon (Eusébe, Hist. eccl. 5.4.1-2) 1.6 258 1.17 228 1.23 258 244 1.26 1.36 258 1.39 258 1.42 258 256 1.55 2.3 256 Épicure
340
Denys bar Salibi Commentaire sur l’Apocalypse 4, 7 108
Épiphane de Salamine 36 Ancoratus 80
Depositio Martyrum 266
Panarion 31.9-32 31.15.2 34.19.5
Didachè 9.2 9.5 10.5
322 322 132
Didyme d’Alexandrie 36 1 Enoch 3.4-6 5.1-2 14.16-18 14.20 20.40 22.5-9 39.3-8 39.4 41.2-51 58
344 344 344 344 344 344 344 344 344 344
80 302 191, 192 193
3 Esdra 40 4 Esdra 40 4.35 344 7.32, 75, 78, 80, 85, 91, 95, 101, 121 344 Eusèbe de Césarée 36, 70, 314 Commentaire sur les Psaumes 314 Démonstration évangélique 10.8 314 Histoire ecclésiastique 37, 38
490
auteurs et textes anciens
1.7 86 2.15 256 2.25.8 260 3.23.1-4 214 3.23.1 15 3.28.6 215, 216 19 3.39.15 3.39.16 256 4.14.6 215, 216 264 4.22.3 5.6.1-2 260 5.8.8 216 5.8.10 68 9 5.20 5.20.4-7 274 5.20.4 216 5.24.11-18 267 5.24.16 261 5.26 9 5.28.3 270 6.8.2-4 247 248 6.12.3-6 6.14.5-7 113 6.25.4-6 114 Évangile de Judas 249 1.31.1 165 Évangile de Philippe 27, 29, 327 29, 423, 428 56–57 66 419 82 419 Évangile de Pierre 248 Évangile de Thomas 4.60 346 48, 155 38 64 346 Évangile de Vérité 27, 249, 276 3.11.9 165 20 419 Flavius Josèphe Antiquité 15.394-395 359
18.14 18.16
337 337
Guerre 2.155 5.210
338 359
Florus de Lyon
7
Fortunatien d’Aquilée 109 Commentaire sur les évangiles 86 Galien
133
Germanus II
174
Grégoire de Nazianze 36 Grégoire de Nysse 36 De opificio hominis 6 338 Ps.-Grégoire de Nysse Contre les juifs 16 71 Grégoire le Grand 36 Hégésippe de Jérusalem Mémoires 264 Pasteur d’Hermas 40 Sim. 9.28.4 258 Vis. 1.1.9 313 313 Mand. 1.2 1.26 40 Hilaire de Poitiers 36 Hippocrate Des humeurs 133 Hippolyte 142-144, 146, 148 Commentaire sur le Cantique 8, 5-6 108, 109, 143
491
auteurs et textes anciens Ps.-Hippolyte Elenchus 7.28.3 305 10.34.2 305 Homère Odyssée 5.295-296 5.331-332
133 133
Ignace d’Antioche Eph. 13.1 322 Philad. 4.1
322
Rom. 7.3
322
Smyr. 7.1 8.1 8.2
322 322 263
Isidore de Séville Étymologies 1.21.13 115 Jean Chrysostome 36 Homélies sur 2 Co, hom. 8 365 Jean Damascène 322, 325, 329, 331 Jérôme
36, 109
Joseph et Aséneth 8.11 22.9
344 344
Julius Africanus 86 Justin 1 Apologie 14.4 15–20 16.4 18.1-2 19.5 20.3
10, 11, 67-70, 84, 86, 193, 299, 300, 307, 308, 311, 313, 315, 316, 340, 341 414 414 414 340 384 414
22.4 24–67 26.8 30.1 32.5-14 33.5 34–35 35.2 39–41 45 49–50 63.10 65–66 67.3
414 414 415 413 414 414 414 69 414 414 414 414 321, 322, 323 8
Dialogue avec Tryphon 3.3-7 383 5.3 341 7.1 383 32.2 415 41 321, 326 47.1 267 52.1 405 68.6 405 70 321 71.1 68 71.2 415 72.4 71 69 76.3 76.7 186 77.4 405 80.2 386 80.3-4 384 87 307, 308 97–106 299 300 98–106 99–107 415 100.1, 6 415 100.2-3 87 100.4 415 415 101.3 102.4 415 102.5 317 103.4 73 415 103.6, 8 104.1 415 415 105.1 105.4 340
492 105.5, 6 106.1, 3, 4 107.1 114 116–117 120.4-5 126.1 131.1 137.3
auteurs et textes anciens 415 415 415 308 321, 334 415 69 415 415
Ps.-Justin De la résurrection 385, 386 383 1 2.4 396 398 10.1 Kérygme de Pierre 268 Lactance Institutions divines 4.8 73 Lettre de Jérémie 40 4 Maccabées 17, 11-15
338
Marcion 8, 19, 25, 26, 102, 125, 145, 150, 307, 351 Antithèses 242 Martyre de Pierre et Paul 258 Maxime le Confesseur 36
Melchisédek 327 Traité de la résurrection 27 45 420 47-48 420 Traité sur l’origine du monde 305 122.27-28 Odes de Salomon 40 Origène 30, 36, 65, 69, 114, 298, 299, 301, 313, 314, 318, 358 Commentaire sur Matthieu 358 17.23 Commentaire sur l’Épître aux Romains 5.9 399 Lettre à Africanus 70 Sur les principes 298 4.2.4 405 4.2.9 4.3.5 405 Papias Frag. 5
157, 158, 170 248, 256
Philon d’Alexandrie 36, 298, 300, 343, 344, 351 De la confusión des langues 78 343
Textes de Nag Hammadi Actes de Pierre et des Douze Apôtres 225 NHC 6.1
De la vie de Moïse 1.158 344 2.74-76 344 2.288 343
Apocalypse de Pierre NHC 7.3 225
Des lois speciales 1.66 344
Épître de Pierre à Philippe NHC 8.2 225
Des rêves 1.34 1.256
Exposé du mythe valentinien 327
L’héritier des biens divins 274 343
344 343
493
auteurs et textes anciens L’union et l’éducation 63 405 97 397 Questions et réponses sur Exode 2.52, 344 82 Sur Abraham 172 351 Ps.-Philon Les antiquités bibliques 19.12; 23.13; 28.10 354 Photius Bibliothèque Cod. 121
144
Platon
340
Pline l’Ancien Histoire naturelle 2.119 133 Plotin
340
Polycarpe Phil. 7.1 261 Procle
396
Procope de Gaza 36 Prologues marcionites 220, 256 Psaumes de Salomon 40 Ptolémée Lettre à Flora 3.8 7.9 7.10
28, 412 407 413
1QH 4,24s 1QH 6,12s 1QH 7,22-25 1QH 11,3s 1QS 5,1-7 1QS 8,4-10 1QS 8,12-16 1QS 9,1-6 4Q174 4Q174 1,1-13 4Q174 1,6 11QT 11QT 29,7b-10
344 344 344 344 359 359 345 359 359, 360 344 345 344, 353 353
Textes rabbiniques 359 b Chag 12a b Niddah 61b 352 352 j BM 2,8c (18) m Avot 1,3 337 m Avot 2,7 352 m Avot 5,20 354 337, m Ber 9,5 t Ber 7,21 352 t Pea 4,18 352 Amidah 350, 337, ARN 5 GenR 8,1 359 GenR 14 (10b) 352 GenR 14,5 352 359 GenR 21,3 GenR 56,1 350 Mek Es 15,17-21 348, Tanchuma Es 27,20 353 349 Tg Gen 27,27 Tg Gen 2,7 359 345 Tg Gen 5,24 Tg Gen 22,10 350 350 Tg Is 12,42 Tg Ct 3,9 360 360 Tg Ct 8,2
Questions de Bartolomé 2.15-21 351, 352
Strabon Géographie 10.2.12 132
Textes de Qumran 1QH 3,19-21 344
Tatien Diatessaron 104
352 354 352
351
494 Tertullien Apologétique 47.3 47.13 48.4
auteurs et textes anciens 10, 36, 37, 39, 40, 44, 46, 84, 102, 168, 172, 338, 340, 341, 351, 358 341 341 341
Contre les juifs 79, 80 Contre Marcion 102 4.3.2 4.34.11-13 351 4.34.12 341 4.42.3 73 351 5.12 De l’âme 7.1-4 22.2 23.1 55.5 58.1-2 58.4 58.6
338, 340 340 305 341 341 340 340
De l’idolâtrie 13.3-4
339, 341
De la prescription des hérétiques 32 217
32.2
270
De la résurrection de la chair 385 17 340 27.1-3; 35.12-13 358 Du jeûne 7 16.3 10.13
79 341 11, 78
Témoignage de l’âme 4.1 341 Théodoret de Cyr 36 Thomas Becket Lettre 74
217
Valentin 125, 150 Victor d’Antioche 174 Victorin de Poetovio 140 Vitruve De l’architecture 1.6.4 133
Auteurs modernes Abramowski, L. 299 Achelis, H. 108 Aland, B. 180, 183, 189, 192, 411, 412, 417 Aland, K. 18, 28, 92, 95, 140, 180, 183, 189, 192, 240, 256 Albl, M. C. 8 Amphoux, Ch.-B 104, 162, 180 Andrist, P. 12, 32, 91, 116 Aragione, F. 300 103, 401 Aragione, G. Armstrong, J. J. 165 Aroztegui, M. 407 271 Ascione, A. Attridge, H. W. 420 132 Aujac, G. Auwers, J.-M. 171, 401 Avery-Peck, A. J. 337 407, 435 Ayán, J. J. Baarda, T. Bacq, Ph. Bailly, A. Ballardini, A. Barbaglia, S. Barbaglio, G. Bardy, G. Barker, D. Barthélemy, D. Bartholomew, C. Barton, J. Bastit, A. Batiffol, P. Bauckham, R. Bauer, W. Baun, J. Baur, F. C.
326 176, 201 111 266 223, 226, 249, 250, 271 393 214 105 68 G. 352 8 7, 20, 69, 101, 197, 219, 273, 347 262 208, 339 267 165, 248 273
Beasley-Murray, G. R. 343 223, 249, 280 Behr, J. Bellini, E. 302, 303, 314 Bellinzoni, A. J. 416 7, 126, 127, 186, Benoît, A. 223, 226, 227, 231, 237, 249, 250, 313, 315, 332 Berger, K. 225 424 Bermejo, F. Bernard-Valette, C. 70 Bertrand, D. A. 305, 355 397 Betz, H. D. Beutler, J. 207, 344 Bianchi, U. 220 348 Billerbeck, P. Bingham, D. J. 90, 103, 107, 110, 113, 114, 119, 123, 125, 140-142, 170, 178, 188, 201 170, 386 Bird, M. F. Blackwell, B. C. 170, 386 Blaise, A. 121 Blanchard, Y.-M. 14, 18, 155, 156, 158-163, 171, 181, 184, 192, 194, 197, 205, 211, 214 Blas Pastor, J. 8, 21, 31, 285, 286 350 Blomberg, C. Bogaert, P.-M. 17, 64, 106-111, 137, 142-144, 147 149 352 Bonsirven, J. 291 Botte, B. 116, 119, 133, 158, Bovon, F. 162, 352 Brandenburg, H. 266 Braun, F.-M. 170 265 Brent, A . Briggman, A. 174, 340, 357
496
auteurs modernes
Briggs, Ch. A. 350 Brillet-Dubois, P. 77 Broszio, G. 84 Brown, F. 350 Brown, R. E. 237, 268, 346 Buber, Sh. 353 235 Bucci, O. Bultmann, R. 339 Buranelli, F. 266 208, 209, 225, 248 Burnet, R. Cagiano De Azevedo, M. 267 Camelot, P. 261 248 Cameron, A. Campenhausen, H. von 117, 119, 127, 140, 146, 150, 154, 171 427 Cano, G. Capone, A. 243 Carrez, M. 365 Carson, D. A. 343 15, 18-20, 25, 31, Cattaneo, E. 219, 223, 224, 227, 232, 256, 262, 263, 271, 337 Cecchelli Trinci, M. M. 266 Clivaz, C. 49 Cocchini, F. 241, 245 139 Collins, A. Y. Congar, Y. 323 Corti, G. 271 237 Costa, G Crehan, J. H. 140 124, 315 Cross, F. L. Culianu, I. P. 221 Culpepper, R. A. 205, 206 Cullmann, O. 340 23, 31, 319-321, Chaieb, M.-L. 335 Chiapparini, G. 402 Christman, A. R. 140 D’Anna, A. Daly, R. J. Daniélou, J.
9, 27, 30, 50, 383386, 422 70 262, 300, 315
Dassmann, E. 220, 267 de Andia, Y. 199, 203, 312 De Clerck, P. 335 de Jonge, H. J. 171, 401 Delmulle, J. 70 196 Denaux, A. de Navascués, P. 29, 31, 407, 426, 435 Devillers, L. 15, 31, 205 Di Berardino, A. 139, 435 Díez Macho, A. 349 Di Luccio, P. 24, 25, 31, 337, 355, 360 Di Pasquale Barbanti 396 Dodds, E. R. 396 Dodson, J. R. 170, 386 Dognier, C. 285 Donaldson, J. 274 Dorfbauer, L. 109 Doutreleau, L. 37, 63, 84, 91, 93, 101, 111, 120, 130, 131, 155, 173-175, 186, 192, 390, 402, 406 Driver, S. R. 350 Dulaey, M. 139, 140 Dunkerley, R. 340 268 Dupont, J. Dupuy, B.-D. 217 Edmundson, G. Edwards, M. Elliott, J. K. Erbetta, M. Étaix, R.
252, 254, 266 248 105, 180 247 86
Falque, E. Fantino, J. Farci, M. Farmer, W. R. Fedalto, G. Ferguson, E. Ferrarese, G. Feuillet, A. Fischer, B.
289 126, 271 113, 435 315 232, 240, 271 220, 180,
174, 301 114 234-236, 238, 243, 244, 246, 269 187-189, 192,
497
auteurs modernes Fleury, Ph. Flusser, D. Foster, P. Froidevaux, L.-M. Fusco, V.
194 133 353 12, 96, 115, 165, 170, 249, 265, 276 37, 63, 314 298
Gaechter, P. Gamba, G. G. Gamble, H. Y. García Bazán, F. Gerzaguet, C. Gesche, S. Gesenius, W. Giambrone, A. Giguet, P. Ginzberg, L. Gioia, M. Girolami, M. Gnilka, J. Gonzalez, E. Gounelle, R. Grappe, Ch. Green, J. B. Gregory, A. Grelot, P. Grenfell, B. P. Grosvenor, M. Guarducci, M. Guignard, Ch. Gundry, R. H.
268 124 63, 106, 138, 145, 165 419 70 35 350 339 49 345, 359 271 8, 22, 30, 31, 297, 300 225, 268 340-342 70, 402 225 352 49, 169 254 91 339, 349 251 9, 12, 13, 16-18, 23, 30, 32, 46, 63, 83, 86, 89, 101, 102, 171, 184, 249 343
139 Haase, W. Haelewyck, J.-C. 180 Hahneman, G. M. 113, 138, 165 Haines-Eitzen, K. 95 Hamidovic, D. 49 70, 285 Harl, M.
Harnack, A. von 159, 219, 221, 238, 242, 389 Harris, R. 71 Harvey, W. W. 36, 38, 83, 301 Heer, J. M. 83, 86, 87 Hemmerbinder, B. 92, 172, 173 Hengel, M. 103, 208 12, 90, 95-97, 103, Hill, Ch. E. 115, 116, 166, 170, 248 Hoh, J. 106, 112, 113 Holzmeister, U. 159, 161 Holl, K. 80, 191, 193 Hopper, V. F. 139 Hort, F. J. A. 103, 172 197, 202, 301 Houssiau, A. Huizenga, L. A. 351 Hunt, A. S. 91 Hurtado, L. W. 105 Isenberg, W. W. 419, 424 Janowski, B. Jaubert, A. Jennings, M. Joly, R. Joosten, J. Jordan, H. Jossa, G. Jossua, P. Jourjon, M. Jülicher, A. Junod, É. Kaestli, J.-D. Karrer, M. Keefer, K. Keener, C. S. Kelly, J. N. D. Kilmartin, E. J. Kittel, G. Köhler, W.-D. Köstenberger, A. Köster, H. Kraft, B. Kraft, R. A.
353 75 343, 344 40 70 38 310 185 316 180, 183, 189, 190, 192-196, 198, 203 103, 401 102 97 170 344 316 289 366 169 J. 273 243 172, 177, 180 48
498 Kreuzer, S. Kroymann, A. Kruger, M. J. Kugel, J. L. Kühn, C. G.
auteurs modernes 97 79 90, 103 359 133
Laansma, J. C. 170 Laiti, G. 224, 228, Lampe, G. W. H. 155 222, 223, Lampe, P. Lanne, E. 223, 229, Lauterbach, Z. 348 Layton, B. 419 Le Boulluec, A. 70 387 Lehtipuu, O. Lemarié, J. 86 Lesètre, H. 139 Leysens, Th. 36 351 Liddell, H. G. Lietzmann, H. 18, 269 Lindemann, A. 169, 220, Livingstone, E. A. 302, 315 Lohse, E. 269 Longobardo, L. 223, 224 Lorizio, G. 232 Luckhart, R. 197 Lundström, S. 172, 183,
270 264 257
221, 267
191, 198
MacDonald, L. M. 8, 171 Mahé, J.-P. 151, 327, 419, 420 248 Mara, M. G. Marcus, J. 199 Marguerat, D. 102 266 Mariani, B. Mariès, L. 108 Markschies, Ch. 103, 402, 407 Maschio, G. 303 Massaux, É. 169 322 Mazza, E. Mazzeo, M. 225, 265 344, 354 Mccaffrey, J. McDonald, L. M. 168, 401 96, 97 McNamee, K. Meier, J. P. 237, 268 Mellerin, L. 9, 10, 26, 32, 35, 49, 176 Ménard, J. E. 29, 389, 419, 420, 424
390 Mercier, Ch. Merkel, H. 247 Metzger, B. M. 108, 181 Minnerath, R. 266 Minns, D. 203 291 Mohrmann, C. Molinié, P. 26, 31, 363, 393 317 Mondésert, C. Montserrat Torrents, J. 419 Moreschini, C. 300 Morris, L. 343 225 Müller, P.-G. Munier, C. 414 Munnich, O. 11, 12, 30, 32, 63, 70, 77, 78, 80 Murphy-O’Connor, J. 366, 369 Mutschler, B. 107, 112-114, 117, 125, 170, 173, 179, 248 Nagel, T. 169 Nagy, A. A. 402 38, 257 Nautin, P. Nestle, E. 240 Neusner, J. 337, 350 Neyrand, L. 214 Nickelsburg, G. W. E. 337 Noormann, R. 170, 201, 369, 375, 380, 386 Norelli, E. 84, 103, 116, 157 159, 162, 220, 221, 240, 248, 249, 256, 257, 298, 401, 402, 407, 415 Ochagavía, J. Økland, J. Orbe, A.
197 387 25, 27, 71, 84, 188, 197, 199, 203, 221, 233, 240, 261, 301, 304, 305, 307, 308, 310, 312, 313, 316, 317, 341, 347, 355359, 384, 387-389, 391, 407, 408, 410,
499
auteurs modernes Osborn, E. Overbeck, W.
416, 421-423, 426, 429 118, 126, 131, 132, 188, 301 387
134 Paciorek, P. Padovese, L. 242, 245, 268 Pagels, E. 220, 222, 223, 229, 230, 237, 238 Painchaud, L. 305, 327, 419, 424 Pani, G. 269 Parker, D. C. 88 Parmentier, É. 77 Parsons, P. J. 96 Parvis, S. 12, 96, 115, 170, 249, 265, 276 Pasquier, A. 151 86 Patrizi, F. Payton, J. R., Jr. 20, 32, 273, 274 Pellegrino, M. 220 Penna, R. 243, 252, 268, 392, 393, 397 Perrin, N. 277 Perrone, L. 95 Perrot, Ch. 244 225, 255, 265, 267Pesch, R. 269 Pfann, S . 345 Pietrella, E. 422, 423 261, 265, 266 Pietri, Ch. Piñero, A. 419 Pitta, A. 222, 268 366 Plummer, A. Poilpré, A.-O. 134 151, 327, 419 Poirier, P.-H. Polanco Fermandois, R. 307 Popkes, E. E. 353 44 Presley, S. O. Prieur, J.-M. 304, 402 8, 12, 71-73, 311, Prigent, P. 332 Prinzivalli, E. 265, 399 Puech, É. 338 Quacquarelli, A. 139 Quevedo, A. 420
Quispel, G.
407
36, 285 Rahlfs, A. Rasimus, T. 170 Read-Heimerdinger, J. 89 Reed, A. Y. 123, 133, 140, 142, 155, 161, 171, 247 Reifferscheid, A. 78 Reiling, J. 326 Remaud, M. 350 Reynders, B. 149, 315 92 Richard, M. Rinaldi, G. 243, 258 Rius-Camps, J. 89 Roberts, A. 274 Roberts, C. H. 95 Roberts, D. H. 116 Robinson, E. 350 Robinson, J. A. 91 Rodgers, P. R. 393 Romero-Pose, E. 301 Rondeau, M. J. 299 Rordorf, W. 228, 253 Rosenbaum, H.-U. 92, 95 Rousseau, A. 37, 63, 84, 85, 91, 93, 101, 111, 117, 118, 120, 124, 126, 127, 130, 131, 137, 149, 150, 155, 156, 163, 164, 172-177, 186, 188, 192, 197, 199, 202, 203, 205, 223, 230, 245, 271, 363, 368, 390, 402, 406 401 Ruggieri, G. Ruzer, S. 359 Sáez Gutiérrez, A. 9, 27-30, 50, 117, 223, 226, 228, 231, 240, 245, 248-251, 254, 258, 264, 268, 270, 271, 401, 417, 422, 426, 427 Sagnard, F. 86, 131, 306, 334, 402, 426, 428, 429 Salato, N. 355
500
auteurs modernes
Sanday, W. 90, 170, 172, 173, 176, 180, 181, 183, 192, 194, 201 Sanders, J. A. 8, 168, 401 Sanders, J. N. 169, 170 Sanvito, C. 427 232 Scippa, V. Scott, R. 351 Schechter, S. 337 Schleiermacher, F. D. E. 273 Schmid, U. 97 Schmidt, W. 369 Schneemelcher, H. 267 Schwartz, E. 37, 38 Sedláček, J. 108 Seim, T. K. 387 10, 203, 369 Sesboüé, B. Sevrin, J.-M. 169, 411 Shiffman, L.H. 353 Shinan, A. 345, 354 Sigismund, M. 97 Simonetti, M. 142, 261, 308, 317, 318, 402, 429, 435 Siniscalco, P. 261 Skeat, Th. C. 17, 105, 107, 135, 140-142, 144, 147 Smith, Y. W. 108, 144 Sordi, M. 256 Souter, A. 90, 172, 173, 183 345 Sperber, A. Speyer, W. 84 Stanton, G. N. 105, 131, 139, 156, 166, 171, 175 Stenger, W. 225 348 Strack, H. L. Strecker, G. 267, 268 Stuhlmacher, P. 299 Sundberg, A. C. 124 Tardieu, M. Thiede, C. P. Thiselton, A.C. Thoenes, Ch. Thomassen, E. Thrall, M. E. Tibiletti, C. Tiessen, T. L.
316 247 352 266 151 365, 366 341 185, 197, 200
Todd, B. R. Tóth, F. Trebilco, P. Treier, D. J. Trupiano, A. Turner, C. H. Turner, E. G.
90, 103 354 349 170 355 90, 172, 173, 180, 183, 201 96
Ulrich, E. Unger, D. J. Urbach, E. E.
168 174, 189, 192, 193 352
van den Eynde, D. 226, 246, 264, 265 van den Hoek, A. 302 van Haelst, J. 92 346 Vanhoye, A. Vannicelli, L. 266 Vannutelli, P. 249 van Unnik, W. C. 221 Vercruysse, J.-M. 321 Verheyden, J. 13-15, 18, 31, 32, 46, 169 Vigouroux, F. 139 86, 248 Vinzent, M. Vogt, P. 83, 86, 87 von Wahlde, U. C. 207 Voorgang, D. 304 188, 192, 304, 307, Wanke, D. 317 Wartelle, A. 321-323 397 Wendland, P. Werman, C. 77 170 Werner, J. Westcott, B. F. 103, 172 273 Wilder, T. L. Wilfand, Y. 354 203 Wingren, G. Wissowa, G. 79 194 Wolter, M. Zahn, Th. Zamagni, C. Zerwick, M. Ziegler, J. Zumstein, J. Zwierlein, O.
107, 110 402, 413 339, 349 69, 71, 72 206 257, 258, 265
Table des matières Abréviations . . . . . . . . . . . . . . . .
5
Agnès Bastit, « Introduction » . . . . . . . . . .
7
I. Études autour du texte biblique d’Irénée Laurence Mellerin, « Étude des usages bibliques d’Irénée à l’aide de Biblindex » . . . . . . . . . . . . 35 Olivier Munnich, « Le texte scripturaire d’Irénée, témoin d’un état ancien de la Bible grecque et de reformulations néotestamentaires » . . . . . . . . . . . . . 63 Christophe Guignard, « Irénée, les généalogies évangéliques de Jésus et le Codex de Bèze » . . . . . . . . . 83 Patrick Andrist, « À propos de la citation de Mt 3, 16-17 dans le Papyrus Oxyrhynque 405 : rapports avec le Codex Bezae ; diplai marginales » . . . . . . . . 91 II. Le statut des livres et des traditions Christophe Guignard, « Le Quadruple Évangile chez Irénée » 101 Joseph Verheyden, « Four Gospels Indeed, but Where Is Mark ? On Irenaeus’ Use of the Gospel of Mark » . . 169 Luc Devillers, « Irénée fait-il de l’apôtre Jean le Disciple bien-aimé ? Le point sur une question controversée » . 205 Enrico Cattaneo, « Le figure di Pietro e Paolo in Ireneo »
219
James R. Payton Jr, « Irenaeus, Pseudonymity, and the Pas toral Letters » . . . . . . . . . . . . . . 273 III. Lieux d’interprétation Joaquín Blas Pastor, « Rationalis Esca (AH 4.16.3) : Manger et connaître dans l’exégèse irénéenne de Dt 8, 3 » . . 285
502
table des matières
Maurizio Girolami, « Il Salmo 21 (LXX) nell’esegesi di Ireneo di Lione » . . . . . . . . . . . . . . 297 Marie-Laure Chaieb, « La référence au dernier repas du Christ: Une question herméneutique au cœur des arguments eucharistiques d’Irénée de Lyon » . . . . . . . . 319 Pino di Luccio, « Dimore eterne e fine dei tempi nei Vangeli e nell’Apocalisse, e per sant’Ireneo” . . . . . . . 337 Pierre Molinié, « Vase d’argile ou vase précieux? Saint Irénée et la théologie paulinienne du ministère (2 Co 4, 7 et 12, 9) » . . . . . . . . . . . . . . . . . 363 Alberto D’Anna, « Les ‘Négateurs de la salus carnis internes à l’Église’ et le conflit exégétique avec Irénée sur les Épîtres de Paul » . . . . . . . . . . . . . 383 Andrés Sáez Gutiérrez, « Interprétations scripturaires en conflit chez Irénée : Quelques réflexions théoriques et un exemple significatif » . . . . . . . . . . . . 401 Épilogue : vers l’esquisse d’une économie théologique Patricio de Navascués, « Quelques principes herméneutiques chez Saint Irénée » . . . . . . . . . . . . . 435 Résumés .
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. 457
Liste des auteurs . . . . . . . . . . . . . . . 465 Indices Index Index Index Index
des références bibliques . . . . . . . . . des lieux irénéens . . . . . . . . . . . d’autres auteurs et textes anciens . . . . . des auteurs modernes . . . . . . . . . .
469 481 488 495