Introduction à la morphologie


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Introduction à la morphologie

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-I

i I

l :

INTRODUCTION

ALA

MORPHOLOGIE

Christine Tellier

D6partement de linguistique et de traductio:r Universit6 de Montr6al

@ Christine

Tellier

1997

4

Table des matiEres 1.

[a

morphologie

1

t.1.ou1"eto'itro"'..

I

1.2. Apergu historique

1

2. L,e mol structure interne et r6gularitds

2

3. Qu'est-ce qu'un mot'l 3.1. Le cntdre d'autonomie distributionnelle 3.2. lE critBre d'autonomie rdl-drentielle 3.3. Le critire d'autonomie phonologique . .

4 5 6 7 8

5. Typologie morphologique des langues 5. l. I-.angues isolantes

5.2. 5.3. 5.4. 5.5.

l^anguesflexionnelles .. . . l-angues agglutinantes l^angues polvsynthdti ques Limites de ces classifications

l0 l0 .

11 11 11

t2

6. Les composantes du mot 6. ]. MorphBmes libres et morphEmes li6s 6.2. Racines, radicaux et affifes 6.3. LexBme, mondme 6.4. Forme des morphBmes: les allomorphes

7.

lrs

13

t3 13

14

t4

processus morphologiques

7.1. Conversion 7.2. Suppldtion 7.3. Troncation 7.4. Infixation 7.5. Mots-valises

t6

l6

.

t8

l8 l9 20 20

7.6.Acronyil... 8. Ddrivation et flexion

20

9. Structure interne des mots 9. l. Sous-catdgorisation morphologique 9.2. Niveaux d'attachement des affixes 9.3. Un cas d'ambiguild: le prdfixe un- en anglais 9.4.1-e, pr6fixe in- en frangais

25 26 27 29 30

10.

lrs

mots compos6s

33

Bibliographie

36

Tableau 1: Quelques affixes ddrivationnels du frangais

?3

Tableau 2: Propri6t6s des affixes ddrivationnels et flexionnels . . .

.

24

I\,{ORPIIoLOGIE: INTRoDTICTION

1

l. La morphologie 1,1. Objet d'6tude La morphologie est la branche de la linguistique qui s'int6resse h l'6tude des mots, c'est-ddire ir leur forme et ir leur structure interne. On peut situer la morphologie et les autres principales branches de la linguistique selon leur objet d'6tude, de la fagon suivante:

phon6tique: phonologie:

6tude des sons 6tude de la combinaison des sons morphologie: 6tude du mot 6tude de la combinarson des mots dans la phrase 6tude de la combinaison des phrases dans la conversation ou le texte s6mantique: 6tude du sens

s!'ntaxe: discours:

i la fois avec la phonologie et avec la syntaxe. D'une part. les unitds constitutives du mot (les >) peuvent €tre affect6es par des processus phonologiques (changements de sons dans certains environnements). D'autre part, les mots se combinant entre eux pour former des phrases, certaines propridtds du mot (par exemple, les traits de nombre et de personne) peuvent avoir une incidence sur la forme d'autres mots de la phrase. L-a morphologie se trouve en relation

1.2. Apergu historique L'6tude de la morphologie n'est pas un domaine nouveilu. [-es indo-europdanistes du 1] sidcle (6cole comparatiste, notamment l'allemand Franz Bopp) s'y sont activement int6ress6s, et, plus prbs de nous, les descriptivistes amdricains (par exemple, klward Sapir, dans les ann6es vingt) ont consacr6 beaucoup de leurs travaux ir la description des propridtds morphologiques complexes des langues amdrindrennes. En Amdrique, c'est cependant aux structuralistes, et en particulier ir lronard Blmmfield, qu'il revient d'avoir dtabli de fagon pr€cise le domaine de la morphologie, en en ddfinissant systdmatiquement les mncepts fondamentaux et les mdthodes d'analyse. L'avdnement, i la fin des anndes cinquante, de la gnammaire g6ndrative (due au linguiste am6ricain Noam Chomsky), mBne ir un ddlaissement de la morphologie au profit de deux autres domaines, la syntaxe et la phonologie. Pour Chomsky, I'objectif principal de la linguistique est de d6couvrir les propri6tds g6n6rales () des langues naturelles; il s'agit aussi, mncurremment, de ddcrire et d'6num6rer au moyen de rBgles explicites I'ensemble des phrases bien form6es () de la langue, et seulement celles-li (le modBle doit donc rejeter les phrases mal form6es ou . A partir de cette observation. on pourrait ddfinir le morphbme de la fagon suivante:

Morphlme (d6finition l) Lr

morphdme est l'unitd minimale porteuse d'un sens individuel.

MoRpHot-ocIE: INTRoDticrtoN

9

Cette d6finition est celle que propose le linguiste amdricain Charles Hockett (1958).r Cette d6finition pose toutefois des problbmes i deux niveaux. ProblBme

1

Tout d'abord, elle nous force ir analyser comme morphBmes les expressions idiomatiques dont le sens ne d6rive pas du sens des composantes. Par exemple: casser sa pipe (=mourir), donner du fil d retordre (--creer des difficult€s), prendre la mouche (=se f0cher), etc. Puisque ces expressions ont un sens individuel ind6pendant des parties qui les mnstituent, elles sont identillables mmme morphbmes selon la ddfinition ci-haut. Or cela est contraire aux intuitions des locuteurs, qui ne considdrent pas que les 6l6ments casser, fil ou mouche sont fondamentalement diff6rents selon qu'ils font partie d'une expression idiomatique ou qu'ils sont employ6s seuls dans la phrase. Dans ce dernier cas, il s'agit bien de morphdmes (qui sont en mOme temps des mots: morphEmes libres).

ProblEme 2.

Un autre problBme est le suivant la ddfinition ci-haut nous amdne i la conclusion que les suites de segments -cev- . -sum - ou -dui - en frangais ne sont pas des morphBmes, puisqu'il ne s'agit pas de suites porteuses de sens. Or, on peut constater que ces suites sont r€currentes, et que. de plus, toutes le occurrences de ces suites se comportent de la mOme fagon lors de Ia nominalisation:

(a)

-cev-

-sum-

(b)

recevolr concevoir decevoir

(c)

resumer

consumer

-duirdduire conduire ddduire

prdsumer

induire

Nominalisations:

rdception. conception. d6ception; consomption, pr6somption r6duction, conduction, d6duction, induction

On constate, tout d'abord. que les m6mes suites de segments se retrouvent devant ces formes (re-, con-, d6-, pr6-) et, de plus, que les formes citdes ci-haut n'ont pas une rdalisation aleatoire lors de la nominalisation: -cev- devient -ception, -sum- devient -somption, et -duidevient -duction.ll y a bien ld une gdndralisation qu'un modEle de morphologie devrait Otre i m6me de saisir. Cependant, bien qu'il s'agisse de morphEmes ddrivds du latin (et qui pouvaient, dans

i

cette langue, se ddfinir comme tels partir de la ddhnition ci-dessus), il est clair que ces unitds ne portent pas de sens immddiatement ddtectable pour un locuteur du frangars moderne. Au vu de ces

deux types de probldmes, la ddfinition proposde par Bloomfield (1%3, p.161),6nonc6e ci9 A Course in Modern Linguistics, New York, MacMllan, p.123

10

CgRrsrtNp TELLIER

dessous, semble plus ad6quate.

Morphbme (d6finition 2) Une lbrme linguistique qui n'a pas de ressemblance phon6tique-s6mantique partielle avec une autre lorme est un morPhBme.lo

Cette ddllrution permet de consid6rer les formes du frangais donndes ci-haut comme des morphEmes; elle permet d'auffe part d'identifier comme morphbmes d'autres formes r6currentes dont le iens n'est pis imm6diatem-ent identifiable, mmme c'est souvent le cas dans les langues peu connues.

On pourrait sans doute ajouter d la ddfinitron de morphBme de Bloomfield une consid6ration structurale,-i savoir que la notion de morphbme se ddfinit en ternes de structure interne et de relations entre les mots.

5. Typologie morphologique des langues En morphologie traditionnelle, on a parfois classifi6 les langues selon leur r-vR9^.mo1phologlque (voii par exemple von Humboldt, au 19e siEcle). Bien qu'il convienne de se mdfier de par Sapir et Bloomfield et posant certains problbmes, tettes itdssifications. critiqu6es -il notamment ne praft pas inutile de ddcrire trBs briBvement ici les grands types rcmme nous le velrons, morphologiques de langues. soii les langues isolantes, les langues flexionnelles, les langues agglutinantes et les langues polysynth6tiques.

5.1. Langues isolantes Ces langues sont parfois aussi appel6es analytiques. Il s'agit de langues oD les mots ne comportent pas {ou trEs peu) de morphologie flexionnelle (c'est-}-dire de morph_dmes porteurs.de renseignements grammaticaux: temps, personne, nombre, etc.: voir la sectioon 6).-kscat6gories grammaticales (aspect, temps, etc.) ont ainsi tendance ir Ote realisees par des mots s6pards.

[r

chinois et le vietnamien sont souvent considdrds comme des exemples-t]Pe de langues

isolantes.

I

oDans cette d6linition,

il

faut entendre

D'autre part, certaines langues, comme l'anglais, ont peu d'affixes flexionnels, com-

ll suffit de penser au paradigme du personne du singulier est morphologipr6sent en anglais, par exemple, of seule la troisiEme quement marqu6e: I love, you love he loves, we love, you love, they love. Pour une langue comme l'anglais, la classification donnee ci-haut ne semble pas pertinente, d'autant plus qu'on trouve en anglais des formes qui se rapprochent de I'incorporation: c'est le cas notamment de horseriding dans une phrase comme We spent two days horseriding. parativement d des langues comme le latin ou m6me le frangais.

13

IvloRpgot-octE: INTRoDucrIoN

6. Les composantes du mot 6.1. MorphEmes libres et morphlmes li6s Toute forme qui n'est pas d6composable en morphdmes plus petits est elle-mCme une unit6 minimale pour la morphologie, c'est-i-dire un morphdme. Dani les-exemples suivants, les unitds morphologxques minimales sont indiqudes i l'aide de crochets:

lroil [re] [travail] [erJ IbasqueJ

lroyl [al] liste] [-a diff6rence essentielle entre les morphBmes roi, basque, d'une part, et re, able, al, iste, d'autre part, est q-ue les se_conds-ne peuvent jamais apparaftre de fagon autonome dans une phrase. Il s'agit de morphimes li6s, c'est-d-dire de morphdmes qui doivent toujours s'attacher i un autre morphEme ou un mot. En revanche, les morphBmes roi et basque sont aussi des mots, en ce sens qu'ils peuvent apparaitre seuls dans une phrase (voir supra. definition de .15 faisable, musxrationable,

Le fait qu'un affixe s'attache i un radical de cat6gorie N ou V, c.-)-d. sous-catr6gorisation de ce morphBme.

ses contraintes

catdgorielles, constituent la

ll est i noter que des restrictions catdgorielles opErent de fagon analogue dans la syntaxe, soit par-deld la frontidre du mol Ainsi, le verbe nvttre requiert la pr6sence de deux compl6ments, un syntagme nominal (SN) et un syntagme prdpositionnel (SP): l'absence de l'un de ces compldments ou des deux donne lieu i des phrases agrammati€les: Les voisins ont mis [5p leur vieille voiture] [sp

x [-es voisins ont mis x Lrs voisins ont mis [551 leur vieille voitureJ

*

Les voisins ont mis [5p

i

i

la founidreJ

la founiEre]

On dira en synta\e, de fagon analogue, que le verbe mzttre sous-catdgorise deux compl6menls, un SN et un SP, ce que I'on exprimera par le cadre de sous-catr6gorisation suivant: mettre: [_SN SP] Les propri6t6s des morphBmes sont encodees dans le lexique au moyen de ce que l'on nomme des entr6es lexicales. Ces entrdes sffcilient les propri6tds inh6rentes de chaque morphbme, soit:

l.

sa prononciation 2. son sens 3. sa sous-catdgorisation 4. sa cat6gone, (ou, pour un

affixe, quelle cat6gorie il crie)

Une exception possible esl naral. Cepeirdant, il y a lieu de croire que la racine li& na- est non-spdcifiee pour sa catdgorie syntaxique. Ainsi, on trouve les mots suivmts: nation, rufiure, natif (alors gue les suflixes -ion, --ure et -if s'attachent aux verbes, cf . dispersion, edflure, abusifl. Ia

ls Un contre-exernple apparent i la ontrainte catdgorielle sur -ablc serait le mol raisowtablc, oi -able s'affixe i un nom. Cependant, iq -able n'a pas le sens de "qui peut eEe X", mais plutdt "qui possBde X", i.e dou6 de raison. Il s'agit par cons6quent d'un suffixe distinct.

)1

Ex.:

IvloRpgol-clclE: INTRoDLrcrtoN

r6gion

-al

-ts

-(a)tion

/reSj5/

/all

/izl

/as$/

relatifh X

rendre

lN-lnai

lAdj-lv

temtoire dont les cract6ristiques physiques et humaines en font une rmit6 distincte

[-]N

X;

le fait d'6re X ou I'action de X

[V-]r.r

9.2. Niveaux d'attachement des affixes

Lr problbme du niveau d'attachement des affixes se pose lorsqu'un mot complexe comport€ i la fois des prdfixes et des suffixes. Considdrons l'adverbe inlassablemenr. ll est relativement facile d'identifier les morphBmes qui constituent ce mot, de mOme que leur sens ou leur fonction, soit: 1n-

p#fixe n6gatif

lass -able

racine verbale

suffixe adjectival (qui peut 6tre X) suffixe adverbial (de manidre X)

-ment

Lr problBme consiste cependant possibilitds:

Adv

a

in-

b

mcnt e

identifier la structure interne du mot. A priori, il y a trois

-Adv

Adj

Adv

Adj

i

ln

c. Adv Adj ment

ment

Adj

V ln

ablc

CnRrstrNg TELLTER

28

Dans les trois structures ci-haut, le suffixe -nwnt a 6td attachd i un radical de catigorie Adj. in- s'attache ir un radical de catdgorie Adv en (a), de catdgorie Adj en (b), et de catdgorie V en (c). Afin de choisir parmi ces trois structures, il faut prdalablement ddterminer quel est le cadre de sous-cat6gorisation du prdfixe ln-. Ce cadre de sous-catdgorisation ne peut bien entendu Otre ddtermind sur la base du mot complexe ci-dessus. Afin d'6tablir le cadre de souscat6gorisation d'un pr6fixe, il faut construire des exemples qui ont I'une ou I'autre des propri6tes suivantes: Cependant, le prdfixe

- ils ne

comprennent que deux morphBmes, soit question; ou

la

racine

et le pr6fixe en

-

ils comprennent plus de deux morphBmes, mais le troisidme morphdme est aussi un pr6llxe; ou

-

ils comprennent un radical complexe incluant un sufllxe flexionnel (i.e. qui ne change pas la cat6gorie)

Il

est ainsi possible de v6rifier si le prdfixe

in-

s'attache aux adverbes, aux adjectifs ou aux verbes:

in+ Adv

in+Adj

in+V

x in+souvent x in+ trop * in+ Ioin x in+ bien * in+assez

ln+apte ln+compns in+stable in+salubre in+juste

x in+vendre x in+mmprendre x in+lire x in+toucher x in+apporter

pgrt, d'aprBs ces faiq, conclure que Ie pr6fixe ln- s'attache aux adjectifs, et non pas aux Iadverbes ou aux verbes. L'entree lexicale du prdfixe fz- est donc comme suit: ln-

lxl qui n'est pas X

[-AdjJaa;

Puisque

in-

ne s'attache qu'aux adjectifs, la structure interne du mot inlassablement est

donc celle de (b) ci-haut.

Il importe de noter que le prdfixe in-, s'il s'attache aux adjectifs, ne s'attache pas i tous les adjectifs, cl. *inbleu, *inrapide, *tninfect, *insale, *infroid, *inmat, *insec, *infiei, etc. Cela n'infirme pas la g6n6ralisation donn6e plus hauu lorsque in- s'affixe i un radical, celui-ci doit 6tre adjectival. Cependant, le prdfixe in- est un affixe non-productif, en ce sens qu'il ne peut pas toujours €tre_utilisd pour former de nouveaux mols i sens n6gatif. Nous verrons plus loin qu'il y a en fait lieu de postuler I'existence de deux pr6fixes rn-, qui tous deux s'attachent aux adiectifs,

MoRplroloclE: INTRoDUCTIoN

29

mais dont I'un est productif et l'autre non.

9.3. Un cas d'ambiguit6: Ie pr6fixe un- en anglais Tout comme l'exemple cit6 au paragaphe pr6cedent, l'adjectif complexe unfoWable en anglais a deux structures internes possibles:

Adj

a.

,,\ V

Adj

un

Adj

b

able

unV I

fold

fold

[r

m€me test que pr6c6demment devrait nous pernettre de d6terminer si le prefixe un- et anglais s'attache aux adjectifs (comme en (a)) ou aux verbes (comme en (b)). Or, il n'y a pas de contraste de grammaticalitd entre les mots de la mlonne de gauche et ceux de droite:

m+Adj un + fair un + safe un + happy un + able un + afraid

un+V

un + tre



un + zip un + @ver

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