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French Pages 216 [209] Year 2021
ROMY SAUVAYRE
Initiation à l’entretien en sciences sociales Méthodes, applications pratiques et QCM 2e édition
Cursus Sociologie
Illustration de couverture : © shutterstock Conception de couverture : Hokus Pokus Créations Mise en pages : Nord Compo
© Armand Colin, 2021 pour cette nouvelle édition © Dunod, 2013 Armand Colin est une marque de Dunod Éditeur, 11 rue Paul Bert 92240 Malakoff ISBN : 978-2-200-63327-1
Sommaire Introduction
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1 Débuter9 1. Définir la question de départ 9 10 2. Se poser les bonnes questions 12 3. Anticiper pour maîtriser son projet 4. Page vierge ou connaissances préalables ? 14 2 Choisir un type d’entretien 1. L’entretien comme technique d’enquête 2. L’entretien de pré-enquête 3. L’entretien directif 4. L’entretien semi-directif 5. L’entretien compréhensif 6. Les entretiens longs 7. Le focus group
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3 Le guide d’entretien 1. Le guide d’entretien est un « pense-bête » 2. Pourquoi préparer un guide d’entretien ? 3. Traduire ses hypothèses en questions 4. Rédiger de bonnes questions 5. Adapter le guide en fonction du type d’entretien choisi
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6. Structurer le guide d’entretien 7. Exemple de guide d’entretien 8. Faire des entretiens d’entraînement 4 La prise de contact 1. Rédiger un appel à témoignage 2. Construire son échantillon 3. Prendre rendez-vous 4. Conseils pratiques pour préparer votre rencontre
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5 Commencer l’entretien 1. Un entretien est une rencontre 2. Choisir sa place 3. Sortir votre matériel 4. Donner confiance 5. Enregistrer 6. Annoncer la consigne 7. Poser votre première question
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6 Questionner et relancer 1. Adapter votre langage 2. Relancer 3. Reformuler 4. Faire des transitions 5. Recentrer le sujet 6. Utiliser des verbes d’action 7. Gérer les hésitations 8. Interrompre 9. Gérer les tabous 10. Pourquoi ne pas dire « Pourquoi » ? 11. L’erreur à éviter : « Moi, c’est pareil »
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7 Écouter113 1. Les 3 points clés de l’écoute 113 2. Maîtriser votre communication non verbale 115 3. Décrypter le regard de l’enquêté 122 124 4. Gérer les silences 5. Gérer les émotions de l’enquêté 128 6. Rester neutre et ne pas juger 131 8 Améliorer la fiabilité du discours 1. Le fonctionnement des mémoires 2. La remémoration 3. La place de l’oubli 4. L’influence des émotions sur la mémoire 5. Contextualiser pour se remémorer 6. Les indices de fiabilité du discours
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9 Mettre fin à l’entretien 1. Les questions de la fin 2. Solliciter l’effet boule de neige 3. Remercier 4. Quand l’entretien continue 5. Qu’est-ce qu’un entretien réussi ?
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10 Suivre et analyser vos entretiens 1. Le journal de terrain 2. Tenir un tableau de bord 3. Mettre fin à l’enquête : la saturation 4. Anonymiser vos enquêtés 5. Les logiciels de traitement des données
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Sommaire
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11 QCM186 1. Testez vos connaissances 186 2. Consultez les réponses des QCM 195 Conclusion201 Bibliographie203
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Initiation à l’entretien en sciences sociales
Introduction Une première collecte de données ou d’informations par entretien, qu’elle soit ou non insérée dans un travail de recherche, est faite d’incertitude, et génère du stress. Vous vous poserez beaucoup de questions, vous ne serez pas sûr d’agir de la bonne manière. La peur de mal faire peut alors vous saisir. « Le premier terrain est toujours un saut dans l’inconnu, l’épreuve de vérité… L’enseignement que j’avais reçu était théorique, je ne pouvais compter que sur moi-même et dus inventer une méthode de travail » (Griaule, 1977, p. 8-9, cité par Copans, 2008, p. 36).
Plus que de la théorie, cet ouvrage vise à partager avec vous de la pratique, de l’expérience de terrain, des astuces et des conseils. De nombreux exemples seront présentés pour vous permettre d’acquérir de l’expérience à partir de cas concrets et des photographies. Les chapitres et sections suivront les étapes de la recherche et veilleront à répondre pas à pas aux interrogations que vous vous posez. Il sera alors successivement abordé : la question de départ, le choix de la population et du type d’entretien à réaliser, la manière d’y accéder, la construction d’un guide d’entretien, la préparation à l’entretien, les premiers contacts avec l’enquêté jusqu’à la réalisation de l’entretien. Nous irons au cœur même de l’entretien en détaillant tous les éléments qui peuvent influencer la collecte de données : le choix des lieux, le positionnement de l’enquêteur et de l’enquêté dans l’espace, les différentes manières de questionner (la formulation des questions, la neutralité, l’intonation, la gestuelle, les mouvements
faciaux, etc.) et de gérer la gêne, les tabous, les pleurs, les silences et les émotions ressenties ou exprimées (celles de l’enquêté et de l’enquêteur) durant cette relation singulière. Nous aborderons également les moyens les plus efficaces pour stimuler la mémoire de son interlocuteur et obtenir les informations rétrospectives les plus fiables. Ces techniques prendront appui sur les travaux de neurosciences cognitives et de neuropsychologie portant plus spécifiquement sur la mémoire autobiographique. Enfin, des astuces pratiques vous seront proposées pour mettre fin à l’entretien d’une manière progressive pour l’enquêté. Nous aborderons également sommairement le suivi et l’analyse des données recueillies. Vous serez ainsi orienté vers des logiciels spécifiques. L’ouvrage s’achèvera par des QCM qui vous permettront de mettre en application ce que nous aurons vu ensemble au moyen de questions « mise en situation ». Cette initiation, que nous vous proposons de découvrir à présent, peut s’appliquer à tous les domaines de l’activité sociale dès lors que l’on souhaite faire parler autrui, comme dans toutes les disciplines de recherche utilisant l’entretien. L’inconnu dans lequel vous êtes plongé avant la réalisation de votre premier entretien s’effacera progressivement à mesure que vous gagnerez en expérience. Vos premiers seront donc les plus difficiles. Cet ouvrage vise donc à vous apporter tous les éléments dont vous avez besoin pour réduire cette incertitude et vous permettre de commencer vos entretiens dans les meilleures conditions possibles.
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Initiation à l’entretien en sciences sociales
Chapitre 1 Débuter
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Quelle que soit la raison vous menant vers l’utilisation de l’entretien comme technique de collecte d’informations ou de données, le meilleur moyen de mener à bien votre entreprise est de la structurer. Il s’agit alors de définir une direction (la question de départ), de vous poser les bonnes questions, de définir des étapes et des durées pour chaque tâche (planification). Anticiper sera alors la clé pour mener à bien votre projet dans les temps impartis.
1. Définir la question de départ Toute recherche débute par une question de départ : la question à laquelle vous avez envie de répondre, qui vous intrigue ou qui vous interpelle. Elle représente la colonne vertébrale de l’ensemble des démarches à entreprendre. Elle vous servira de guide dans l’exploration, la problématisation, le terrain, l’analyse et enfin la rédaction de votre travail de recherche ou votre mémoire. En effet, les choix que vous ferez lors de ce parcours ne serviront qu’un but : répondre ou se donner les moyens de répondre le mieux possible à cette question de départ. Selon Raymond Quivy et Luc Van Campenhoudt (2017), cette question de départ se doit d’avoir trois qualités : • la clarté : il vous faut être précis et concis ; • la faisabilité : il vous faut être réaliste ;
• la pertinence : il vous faut étudier ce qui existe, sans juger, et ce, en cherchant à comprendre votre objet. En somme, la construction d’une question de départ est importante et conditionnera le reste de votre démarche de recherche jusqu’à la collecte de données et l’analyse. Concevez cette question de départ comme une direction, un cap, pour vous diriger dans votre collecte d’informations. Vous pouvez changer de direction en cours de route, mais un détour vous fera permettre du temps.
Astuce Prenez le temps de définir votre question de départ, car l’ensemble des choix que vous aurez à faire seront liés à cette question (type d’entretien, nombre d’entretiens, personnes à interroger, etc.). Pour ce faire, posez une première question, lisez un peu sur le sujet, reformulez votre question, réfléchissez aux moyens d’obtenir les données pour répondre à la question, et vous verrez que votre question va s’affiner et se préciser.
2. Se poser les bonnes questions Pour préparer votre recherche, il vous faut vous poser les bonnes questions et réfléchir aux trois aspects suivants : les contraintes scientifiques, temporelles et financières.
2.1 Les contraintes scientifiques La question posée est-elle intéressante et peut-elle apporter une pierre à l’édifice du domaine considéré ? En somme, il s’agit d’avoir quelques connaissances sur ce qui a déjà été réalisé sur la question 10
Initiation à l’entretien en sciences sociales
pour savoir comment s’insérerait votre travail dans le domaine considéré. Quels seraient les atouts de votre approche ? Que proposez-vous d’apporter de supplémentaire ?
2.2 Les contraintes temporelles De combien de temps disposez-vous pour réaliser cette enquête ? Combien de temps pourriez-vous consacrer au terrain (les entretiens) en lui-même ? Les choix méthodologiques ne seront pas les mêmes si vous disposez d’un mois ou d’un an pour réaliser votre terrain de recherche. Exemple 1. Les contraintes du terrain
Il semble irréaliste d’intégrer une société secrète ou de réaliser des entretiens dans une prison en moins de trois mois, car il vous faudra plus de temps que cela pour avoir accès aux enquêtés.
2.3 Les contraintes financières De quelle somme d’argent disposez-vous pour réaliser votre enquête ? La budgétisation est une étape cruciale. Les choix relatifs à la prise de contact avec la population cible et les lieux de rencontre sont tributaires de cette question pécuniaire. Il est donc nécessaire d’anticiper les coûts matériels (papeterie, téléphonie, fournisseur d’accès Internet, enregistreur ou téléphone, logiciels, ordinateur, supports de sauvegarde, etc.), de transport, d’hôtellerie et de restauration. Vous comprenez là que l’ambition même de votre recherche est confrontée à la réalité de sa faisabilité. Sans budget conséquent, il vous faudra renoncer à une enquête à l’étranger ou hors des frontières de votre région. Dans le cas d’un budget réduit, il vous faudra réaliser vos entretiens dans la ville ou dans la région où vous résidez. Débuter
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3. Anticiper pour maîtriser son projet 3.1 Planifiez vos tâches Pour mieux vous préparer, il vous faut anticiper les différentes phases du projet et leur assigner une durée. Listez de grandes sections de tâches telles que 1) rédiger la question de départ et problématisation, 2) l’enquête (préparer le guide d’entretien, le tester, prendre contact avec les enquêtés, réaliser les entretiens), 3) traiter les données (transcrire et analyser les entretiens), 4) rédaction, relecture et correction du rapport ou du mémoire. Ensuite, il s’agit de réaliser un diagramme de Gantt au sein duquel vous définirez une durée estimée pour chaque tâche. Cette planification vous permettra de mieux maîtriser votre temps et facilitera le suivi de votre projet. Figure 1. Exemple de planification sur une année universitaire réalisée avec Excel
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Initiation à l’entretien en sciences sociales
Astuce Pour maîtriser votre projet, comme il est fréquent de prendre du retard, une astuce consiste à surestimer le temps de chaque tâche de 30 %. Il serait fâcheux de ne plus avoir suffisamment de temps à la fin pour rédiger votre rapport ou votre mémoire.
3.2 Estimez les coûts Une fois que vous avez choisi le type d’entretien, que vous savez quelle sera la durée de votre projet (6 mois pour un mémoire de Master, 3 ans pour une thèse), un test s’impose pour adapter vos choix à vos contraintes de temps, d’argent et de recherche. Ce test vous permettra de corriger vos choix avant de commencer et de vous prémunir de devoir retarder, réorienter, voire avorter votre travail. Exemple 2. Évaluer les coûts de transport
Pour réaliser 30 entretiens au sein d’une même ville, en se déplaçant au moyen de transports en commun, on pourra précéder par exemple comme suit : pour Paris intramuros avec un ticket coûtant 1,69 €, s’il est acheté par 10 : 30 x 1,69 € = 50,70 €. Si vous envisagez de rencontrer les personnes deux fois, alors la somme nécessaire avoisine les 100 €. Pour réaliser 30 entretiens disséminés partout en France, on procédera par estimation à partir de la fourchette haute du prix d’un aller-retour en bus, sans abonnement ni réduction. Mieux vaut surestimer le coût que de le sousestimer. Le coût estimé est alors le suivant : 30 x 90 € = 2 700 €.
Débuter
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4. Page vierge ou connaissances préalables ? Avant de commencer votre terrain (réaliser vos entretiens), la question des connaissances préalables se pose. Faut-il vous documenter avidement ou devez-vous aborder votre terrain vierge de toutes connaissances ? Ces deux approches antagonistes présentent toutes deux des avantages et des inconvénients. Il s’agit d’un choix méthodologique à faire, et ce, en fonction de votre question de départ et de votre approche.
4.1 Se présenter face à l’enquêté sans connaissance préalable Certains sujets sont si peu étudiés que vous n’aurez que peu de travaux à consulter. Vous ne disposerez alors que de connaissances sommaires lors de la réalisation de vos premiers entretiens. Les contraintes du terrain peuvent donc vous amener à faire ce choix par défaut ; il reste à en mesurer les effets. Les avantages. Vous avez tout à apprendre de votre enquêté. Celui-ci se présente alors comme un informateur privilégié. Outre les idées reçues du sens commun, vous n’avez pas encore d’hypothèses fermes à vérifier. Vous restez donc ouvert à la découverte, vous apprenez au cours de l’entretien, et vous formulez vos hypothèses au gré des échanges. Vous pourrez également appliquer la Grounded Theory, proposée en 1967 par Barney Glaser et Anselm Strauss (2017), qui suggère de partir des faits, du terrain, pour construire son objet de recherche. Les inconvénients. Vous avez peu de connaissances sur le sujet d’enquête, et vous vous imprégnez progressivement de votre terrain d’étude auprès des enquêtés. Vous avez en premier lieu une approche superficielle du problème qui évoluera au gré des entretiens. 14
Initiation à l’entretien en sciences sociales
Les questions posées dans les premiers entretiens n’auront ni la même teneur, ni le même niveau d’approfondissement, ni les mêmes hypothèses que celles posées à la fin de votre recueil de données. Les données nécessaires à l’analyse ultérieure seront alors présentes de manière hétérogène dans les entretiens recueillis. Par ailleurs, l’absence totale ou partielle de connaissances dans le domaine exploré peut être dépréciée par l’enquêté. Si votre posture éthique vous amène à vous prémunir de porter un jugement à l’encontre de votre interlocuteur, il n’en sera pas forcément de même de la part de votre enquêté. Il pourrait considérer que votre approche manque de sérieux ou de professionnalisme, voire s’étonner de la simplicité de vos questions. Exemple 3. Les enquêtés étonnés par les questions
Béatrice Carnel (2001, p. 79) rapporte ainsi sa propre expérience d’enquêtrice : « La “naïveté”, la redondance de nos questions ont pu provoquer un étonnement visible ou, parfois, un agacement, alors qu’il s’agissait d’une demande sincère de renseignements. »
Astuce Vos enquêtés forgent des préjugés sur l’enquêteur et lui attribuent parfois des connaissances qu’il ne possède pas. Pour éviter cette surprise de l’enquêté à la réception de vos questions, l’astuce consiste à le prévenir que vous lui poserez des questions qui lui sembleront simples, évidentes, voire insignifiantes. Il vous faudra ajouter que ses réponses vous seront très utiles. Grâce à cette annonce préliminaire, l’enquêté ne se montrera plus surpris par certaines de vos questions. Par ailleurs, pour éviter la redondance des questions, une astuce consiste à toujours commencer votre phrase par « vous m’avez dit ceci », puis ajouter votre question. Votre enquêté ne sera alors pas las des questions qui lui semblent répétitives alors qu’elles ne le sont pas pour vous (voir chapitre 6 pour approfondir).
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4.2 Se présenter devant l’enquêté avec une large connaissance préalable Le sujet de recherche que vous souhaitez aborder regorge de travaux existants et donc de lectures potentielles. Particulièrement anxieux à l’idée de ne rien savoir au préalable, vous vous lancerez peut-être à corps perdu dans la lecture de quantité d’ouvrages et d’articles. Les avantages. Les lectures vous permettront d’explorer le terrain de manière distanciée, voire théorique. Vous aborderez l’entretien sereinement, car vous avez une idée précise des données à recueillir. Le guide d’entretien qui vous accompagnera témoignera de votre maîtrise du sujet. Le recueil de données peut alors être standardisé puisque vous pourrez espérer obtenir une réponse à chaque question posée. Les inconvénients. La boulimie de lecture ou la « gloutonnerie livresque » (Quivy et Van Campenhoudt, 2017, p. 24) peut vous conduire à vous forger des certitudes sur le sujet. Confronté au terrain et à l’enquêté, vous pouvez rester campé sur ces certitudes et passer à côté d’éléments nouveaux ou contradictoires apportés au cours des échanges. En somme, soumis au biais de confirmation (Wason, 1960), vous pourriez être aveuglé et imperméable à tout changement pour ne vous focaliser que sur ce que vous êtes venu chercher. Or, même bien préparé, chaque terrain d’enquête regorge d’inattendu et c’est justement en arborant une constante ouverture d’esprit que vous saurez être attentif à de nouvelles découvertes sur des sujets pourtant bien connus.
Points clés • Un entretien bien préparé est un entretien réussi. • Anticipez, planifiez, et faites des choix méthodologiques éclairés pour vous donner toutes les chances de réussir votre enquête dans les temps impartis. • Soyez préparé, mais ouvert d’esprit.
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Initiation à l’entretien en sciences sociales
Chapitre 2 Choisir un type d’entretien 2
Au regard de votre sujet de recherche et de votre question de départ, vous avez le choix entre plusieurs types d’entretiens, des plus directifs aux moins guidés. Chacun de ces entretiens a un domaine d’application spécifique. Il s’agira, pour vous, de choisir celui qui correspond le mieux à votre approche et à votre cadre théorique. Ce choix méthodologique comporte des avantages et des inconvénients qu’il est nécessaire de prendre en considération pour anticiper les limites des résultats obtenus.
1. L’entretien comme technique d’enquête L’entretien est la méthode la plus adaptée pour recueillir le « sens subjectivement visé » (Weber, 1998) ou les « raisons » (Boudon, 2003) des enquêtés. Comme le soulignent Alain Blanchet et Anne Gotman (2007, p. 24) : « L’enquête par entretien est ainsi particulièrement pertinente lorsque l’on veut analyser le sens que les acteurs donnent à leurs pratiques, aux événements dont ils ont pu être les témoins actifs ; lorsque l’on veut mettre en évidence les systèmes de valeurs et les repères normatifs à partir desquels ils s’orientent et se déterminent. »
Avant tout, « l’entretien est une rencontre » (Blanchet et Gotman, 2007, p. 24). On pourrait penser qu’il s’agit d’un échange naturel auquel on est habitué, puisqu’il est courant dans la vie de tous les jours de rencontrer de nouvelles personnes et de parler avec elles. On a coutume de le faire continuellement dans le domaine privé avec ses proches ou dans le milieu professionnel avec ses collègues. Il vous est sans doute arrivé de faire parler quelqu’un à de multiples reprises. Intuitivement, tout un chacun est en mesure de conduire un entretien, quelle que soit sa nature. Or, l’entretien en tant que technique d’enquête en sciences sociales ne s’improvise pas : il nécessite de la préparation, une méthodologie, et la maîtrise de divers outils pour maximiser vos chances de recueillir des informations riches et fiables. Dans la littérature, les entretiens portent différents noms : individuel, collectif, directif, semi-directif, non directif, libre, compréhensif, guidé, impersonnel, approfondi, informel, histoire de vie, récit autobiographique, etc. Certains d’entre eux sont plus courants ou plus connus. Ce sont ceux-là que nous aborderons sommairement dans ce chapitre, à savoir l’entretien de pré-enquête, directif, semidirectif, compréhensif, non directif et les focus groups.
2. L’entretien de pré-enquête La phase de pré-enquête ou exploratoire représente la « base de l’édifice » (Berthier, 2016, p. 10) du projet de recherche. Les entretiens de pré-enquête permettent de tester des pistes, de se familiariser avec le terrain, de s’entraîner à questionner et à écouter, de construire progressivement le guide d’entretien et de le tester. Cette étape est à la fois essentielle pour construire la problématique de la recherche, élaborer les hypothèses, et choisir les méthodes les plus appropriées à l’objet de recherche. 18
Initiation à l’entretien en sciences sociales
L’entretien de pré-enquête est alors souvent indispensable, et ce, d’autant plus si vous abordez un terrain de recherche nouveau et peu exploré dans la littérature. Ce type d’entretien est également requis lorsque l’on souhaite élaborer un questionnaire.
3. L’entretien directif L’entretien directif a la caractéristique d’être très structuré. Ce type d’entretien est choisi lorsque l’on a des hypothèses à vérifier et des informations à collecter de manière standardisée (Brinkmann, 2013). Il se rapproche alors de la logique du questionnaire (Brinkmann, 2013). Les enquêtés répondront aux mêmes questions pré-rédigées, posées dans le même ordre et de la même manière, quel que soit l’enquêteur (Ghiglione et Matalon, 1985 ; Fenneteau, 2007). L’enquêté peut ensuite répondre librement (Desanti et Cardon, 2010) même si le cadre des échanges est plus directif. Il s’agit d’une méthode qui permet d’envisager un traitement plus quantitatif de ces données qualitatives. Toutefois, à l’instar des questionnaires, l’entretien directif nécessite un important temps de préparation et d’enquête exploratoire. Cela permet de vous assurer d’avoir recensé toutes les hypothèses à tester, et d’utiliser le vocabulaire et la formulation les plus adaptés à la compréhension de l’ensemble des enquêtés rencontrés. Il s’agit d’un type d’entretien pertinent lorsque les enquêtés ont peu de temps à vous accorder. En effet, la durée de ce type d’entretien est plus facile à maîtriser en raison de son caractère très structuré et directif. Ce sera d’ailleurs le nombre de questions qui déterminera sa durée. Ce type d’entretien dure entre 20 minutes et 1 heure. Au-delà, le caractère directif peut lasser et fatiguer l’enquêté.
Choisir un type d’entretien
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Exemple 4. La durée de l’entretien directif
Elliott et al. (2018) ont réalisé 22 entretiens directifs d’une durée oscillant entre 30 et 40 minutes.
L’un des écueils majeurs de cette méthode réside dans son caractère structuré, notamment quant à l’enchaînement des questions posées qui peuvent donner un sentiment « d’interrogatoire » conduisant l’enquêté à peu préciser sa pensée ou son expérience. Il sera moins dans le partage d’expérience que dans l’attentisme de vos questions. Ainsi sans relances, ni encouragements de la part de l’enquêteur, les données sont alors susceptibles d’être superficielles. En effet, l’enquêté répond souvent sommairement, sans donner d’exemples concrets si on ne lui demande pas de précisions.
4. L’entretien semi-directif Également appelé « entretien guidé », l’entretien semi-directif est le type d’entretien le plus utilisé dans les sciences humaines et sociales (Brinkmann, 2013). « L’entretien semi-directif combine attitude non-directive pour favoriser l’exploration de la pensée dans un climat de confiance et projet directif pour obtenir des informations sur des points définis à l’avance » (Berthier, 2016, p. 78). L’entretien semidirectif a plus de souplesse que l’entretien directif puisque, disposant d’un guide d’entretien tout aussi structuré, l’enquêteur posera les questions dans l’ordre le plus adapté au discours de l’enquêté (Quivy et Van Campenhoudt, 2017). L’enquêteur peut également opter pour un guide d’entretien thématique comptant une liste de thèmes à aborder sans questions pré-rédigées (Desanti et Cardon, 2010). Ce type d’entretien est approprié lorsque l’on souhaite approfondir un domaine spécifique et circonscrit, explorer des hypothèses sans qu’elles soient toutes définitives, et inviter l’enquêté à s’exprimer librement dans 20
Initiation à l’entretien en sciences sociales
un cadre défini par l’enquêteur. La part de directivité de l’enquêteur est moins forte que dans l’entretien directif, mais elle est plus présente que dans l’entretien libre (non-directif). Enfin, ce type d’entretien est également recommandé lorsque les enquêtés ne maîtrisent pas la langue utilisée dans le cadre de l’enquête (Barriball et While, 1994). La durée de ce type d’entretien oscille généralement entre 30 minutes et 2 heures en moyenne. Exemple 5. La durée de l’entretien semi-directif
Higham, Hopkins et Orchiston (2019) ont réalisé 31 entretiens semi-directifs d’une durée oscillant entre 22 minutes et 59 minutes, pour une durée moyenne de 43 minutes par entretien. Roulston (2014) réalisa 77 entretiens auprès de 57 personnes d’une durée moyenne de 40 minutes.
5. L’entretien compréhensif Dans ce type d’entretien, l’approche est différente puisqu’il s’agit de s’engager sur le terrain avant d’avoir construit la problématique et les hypothèses. Vous partez alors du terrain et de son analyse pas à pas pour construire votre objet de recherche (Grounded Theory, Glaser et Anselm, 2017). Comme le rapporte Kaufmann (1996, p. 121) : « Cette conception rend impossible l’application d’un protocole d’enquête prévu et codifié à l’avance. Au contraire le chercheur doit s’adapter aux contingences et aux découvertes du terrain, et s’appuyer sur la théorie en voie de formation pour redéfinir les dernières phases de l’enquête. »
En s’inscrivant dans cette démarche, Kaufmann (1996) propose ce qu’il appelle « l’entretien compréhensif ». Loin d’être fondé sur l’improvisation, l’enquêteur part du terrain pour ériger la théorie et la méthode. Choisir un type d’entretien
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« L’entretien compréhensif reprend les deux éléments (théorie et méthode), mais il inverse les phases de la construction de l’objet : le terrain n’est plus une instance de vérification d’une problématique préétablie, mais le point de départ de cette problématisation » (Kaufmann, 1996, p. 23).
Cette démarche inductive nécessite un guide d’entretien qui se caractérise par sa grande souplesse pour permettre une adaptation permanente entre les connaissances acquises sur le terrain et l’élaboration d’une théorie explicative. L’attitude de l’enquêteur est très active puisqu’il « s’engage activement dans les questions, pour provoquer l’engagement de l’enquêté » (Kaufmann, 1996, p. 23). Cette approche plus directe et précipitée avec le terrain d’enquête a l’avantage de permettre au chercheur de se laisser surprendre par les données recueillies et de rester ouvert à l’imprévu. Ce faisant, la construction théorique se forge à partir du terrain et non à partir d’hypothèses préalablement établies loin de celui-ci. Toutefois, cette méthode est perçue comme peu rigoureuse par les défenseurs de la standardisation et de l’hypothético-déduction. Enfin, la durée de l’entretien compréhensif est analogue à celle de l’entretien semidirectif.
6. Les entretiens longs Il existe une variété d’entretiens longs en ce qu’ils laissent davantage de latitude aux enquêtés. Chacun a sa spécificité quant à la manière de conduire l’entretien, mais se rejoint sur le fait que la durée de l’entretien n’est pas envisagée comme une contrainte. Ce type d’entretien est utilisé pour saisir des trajectoires, des parcours de vie, afin de replacer la question à explorer dans un contexte plus large. On peut alors recueillir la dynamique des choix individuels et des éléments biographiques (individuels, sociaux, sociétaux) qui ont concouru à ces choix et les inscrire dans une diachronie. 22
Initiation à l’entretien en sciences sociales
Cette méthode offre toutes les possibilités d’atteindre l’idéal proposé par Max Weber (1998), à savoir l’attitude compréhensive, visant à saisir le « sens subjectivement visé » des acteurs sociaux ou de saisir leurs raisons d’agir (Boudon, 2003). Enfin, ce type d’entretien est utilisé lorsque l’on souhaite recueillir les normes, les valeurs et les représentations propres à une culture (Michelat, 1975), les savoirs pratiques et les « traces de mécanismes et processus sociaux » (Bertaux, 2005, p. 86). Cette méthode permet d’obtenir des données plus riches et plus fiables que par questionnaire (Bertaux, 2005, p. 24). La durée de ces entretiens peut osciller entre 2 heures et plusieurs jours. Exemple 6. La durée de l’entretien non directif, récit de vie ou entretien biographique
Michaël Pollak (1986) a, par exemple, interrogé une survivante d’un camp de concentration durant cinq jours consécutifs. Francine Gratton (1997) réalisa 27 récits de vie d’une durée d’1 heure à 4 heures, pour une moyenne de 2 h 20 par entretien (Dépelteau, 2003). Dans une autre étude, la durée des entretiens biographiques a varié de 2 heures à 13 heures, pour une durée moyenne de 6 h 30 par entretien (Sauvayre, 2010).
On distingue généralement trois types d’entretiens longs : l’entretien non directif ou libre, l’entretien autobiographique et le récit de vie.
6.1 L’entretien non directif ou libre L’entretien non directif ou libre vise à annoncer une question générale – le thème – que l’enquêté s’appropriera (Ghiglione et Matalon, 1985, p. 78). Il s’agira ensuite de le laisser le plus libre possible dans l’organisation de sa réponse. L’objectif pour vous est d’influencer l’enquêté le moins possible par des questions (Mauger, 1991), et d’intervenir essentiellement pour l’encourager dans son effort Choisir un type d’entretien
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’explicitation. Cela ne signifie pas que vous devez vous abstenir de d toute intervention, mais que l’enquêté « détient l’attitude d’explo ration » (Michelat, 1975, p. 239). Autrement dit, vous laissez à l’enquêté la direction des échanges. « On part ainsi de l’idée que la personne interrogée est la plus apte à explorer le champ du problème qui lui est posé, en fonction de ce qu’elle pense et ressent » (Michelat, 1975, p. 229).
6.2 Le récit de vie ou l’histoire de vie Daniel Bertaux (2005, p. 35) propose de « considérer qu’il y a du récit de vie dès lors qu’un sujet raconte à quelqu’un d’autre, chercheur ou pas, un épisode quelconque de son expérience vécue ». Dans un récit de vie ou une histoire de vie, l’enquêté construit seul son récit : « On pourrait définir l’histoire de vie comme un entretien libre où un locuteur évoque son passé sans direction précise, sans élaboration préalable, sans contrôle » (Peneff, 1990, p. 102). L’enquêté ordonnera ses événements de vie à sa guise avec toutefois le souci de la narration, c’est-à-dire qu’il tentera « d’établir une certaine cohérence au moyen de liens logiques entre des événements clés [...] et une continuité par la mise en ordre chronologique » (Pollak, 1986, p. 52). En somme, il s’agit de collecter des données non conventionnelles reposant principalement sur l’interprétation que l’enquêté se fait de son expérience (Denzin, 2017). Cette méthode n’inclut pas seulement le discours de l’enquêté, mais également tous les documents (lettres, autobiographies, archives judiciaires, livret de famille, etc.) susceptibles de le mettre en perspective. Il est raisonnable de penser que si vous demandez à une personne de raconter sa vie, et ce, le plus librement possible, il lui faudra beaucoup de temps pour la restituer. Or, contre toute attente, les enquêtés sélectionnent parfois tant leur expérience, qu’ils résument leur vie en 24
Initiation à l’entretien en sciences sociales
4 heures au maximum. C’est justement ce qu’a expérimenté Gratton (1997) avec ses récits de vie d’1 heure à 4 heures.
6.3 L’entretien autobiographique L’« entretien autobiographique » est défini par Jean Peneff (1990, p. 102-103) comme des « récits travaillés et construits selon un schéma préétabli, d’une longueur conséquente avec des précisions et une chronologie suivie ». Peneff parle également de « méthode biographique » qui vise à « faire évoquer, décrire, réfléchir des périodes de vie des interrogés [...] (et) faire participer l’enquêté à une investigation sur lui-même » (Peneff, 1994, p. 27). Cette méthode semble des plus adaptées lorsque l’enquêteur aborde des événements de vie difficiles : « Ainsi, quand des questions courtes et directes difficiles à administrer pour des raisons psychologiques, sociales ou techniques (expériences délicates à évoquer, épreuves morales ou trop grande distance sociale entre enquêteur et enquêté : on pense ici à des évocations de guerre, de répression, des conflits politiques ou professionnels, des engagements clandestins), le chercheur invite l’enquêté à évoquer l’ensemble de cette séquence de vie » (Peneff, 1994, p. 28).
L’entretien autobiographique s’oppose en partie à l’entretien non directif qui consiste à ne poser aucune question à l’exception de quelques relances et d’encouragements (Peneff, 1994). En effet, dans un entretien biographique, les questions peuvent être nombreuses et indispensables à la compréhension de la trajectoire de l’enquêté ; les diverses questions et relances visent alors à inviter l’enquêté à approfondir les situations relatées et à appeler à restituer de nombreux détails, ainsi que des réflexions. L’enquêteur ne contraint pas l’enquêté, mais suit la direction narrative prise par ce dernier. Il opère néanmoins des approfondissements thématiques inscrits dans le guide d’entretien qui peuvent Choisir un type d’entretien
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éventuellement amener l’enquêté à modifier la direction de son récit. Il s’agit également d’offrir une plus grande souplesse à l’enquêté qui peut ainsi faire certaines digressions souvent profitables à l’enquête. En effet, bien qu’elles ne servent pas directement l’enquête, ces digressions ouvrent souvent des « portes dérobées » au sein du parcours biographique qu’une somme de questions directes n’aurait pas permis de révéler. L’enquêté vous ouvre naturellement ainsi la voie vers des thématiques plus difficiles à aborder. Il ne vous reste alors qu’à saisir l’occasion en posant des questions pertinentes. En somme, le récit de vie et l’entretien autobiographique se rejoignent sur la volonté de collecter le vécu des enquêtés, en leur laissant le plus de liberté possible pour s’exprimer. Ils diffèrent essentiellement au niveau de la conduite de l’entretien et des interventions de l’enquêteur : • dans le récit de vie, l’enquêté mène l’entretien : il est invité à « se raconter » et l’enquêteur fait fonction d’accompagnateur, d’incitateur à poursuivre son récit par des relances ; • dans l’entretien autobiographique, vous dirigez les échanges : l’enquêté a tout le loisir de parler et de s’égarer, mais l’enquêteur pourra lui poser davantage de questions et réorienter la thématique abordée.
7. Le focus group Utilisé depuis les années 1920, le focus group ou groupe de discussion est de plus en plus utilisé (Brinkmann, 2013). Il est plus fréquent dans les recherches sur l’étude des préférences des consommateurs. On le retrouve dans la dynamique d’opinions. Pour Krueger et Casey (2015), le focus group est particulièrement adapté à l’exploration de la perception, des émotions, et des réflexions des personnes sur un sujet donné. Ce type d’entretien repose sur la dynamique du groupe et, donc, sur les interactions entre les participants (Kitzinger, 1994). Le focus 26
Initiation à l’entretien en sciences sociales
group est constitué de petits groupes de personnes (3 à 6) qui ne se connaissent pas et qui sont choisies au regard de caractéristiques jugées intéressantes pour répondre à la question de départ. Cette méthode facilite alors les comparaisons (Morgan, 1996). Exemple 7. Constituer des groupes
Vous souhaitez étudier l’acceptation vaccinale. Vous constituez alors des groupes de personnes provaccins et des groupes de personnes antivaccins.
Le groupe de participants est animé par un ou plusieurs modérateurs qui présentent les thèmes à aborder. Il s’agit de soumettre un sujet de discussion aux groupes, puis de les laisser libres d’exprimer leurs avis. Il est alors indispensable que les participants se sentent à l’aise, respectés et libres de partager leurs opinions (Krueger et Casey, 2015). En somme, cette méthode permet de collecter les opinions majoritaires d’un groupe donné ou des expériences communément partagées afin de mieux comprendre le sujet exploré (Krueger et Casey, 2015). Or, il est à noter que la pression sociale (Asch, 1955) est plus forte au sein d’un focus group que lors d’un entretien individuel. Les désavantages de cette méthode sont donc d’obtenir des avis qui s’homogénéisent autour des opinions et des prises de paroles de personnes les plus enclines à parler en public. Les personnes introverties et timides oseront alors moins donner leur avis de peur d’être jugées par les autres. Le rôle du modérateur est alors prépondérant pour veiller à ce que chaque personne puisse s’exprimer librement et pour instaurer une dynamique de discussion bienveillante. Autrement dit, ce n’est pas avec cet outil que vous obtiendrez les avis et les opinions individuels des enquêtés, mais le fruit d’une coconstruction d’avis et d’opinions au sein des groupes. Par ailleurs, il vous faut avoir à l’esprit que cette méthode ne s’adapte pas à tous les sujets (Kitzinger, Marková et Kalampalikis, 2004). Choisir un type d’entretien
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La durée de ces entretiens de groupe peut varier entre 30 minutes et 2 heures. Le corpus minimal rencontré est de 6 focus groups comptant un total de 28 personnes interrogées (Fadda et al., 2016). Ce nombre peut toutefois être bien plus élevé : dans l’étude de Kitzinger (1994), 351 participants ont été répartis en 52 focus groups qui échangèrent durant 2 heures. Exemple 8. La durée et le nombre de focus groups
Fadda et al. (2016) ont réalisé 6 focus groups comptant un total de 28 personnes interrogées. Kitzinger (1994) a interrogé 351 participants répartis en 52 focus groups qui échangèrent durant 2 heures.
À partir de ces types d’entretien, vous pouvez ensuite aménager la méthode et obtenir des démarches hybrides en fonction des contraintes de votre terrain d’enquête, de votre approche théorique et des données que vous souhaitez recueillir.
Points clés Un entretien est un outil qui a ses avantages et ses inconvénients. À vous de choisir le type d’entretien le plus adapté au sujet que vous souhaitez explorer et aux contraintes qui sont les vôtres (temps, budget, cadre théorique, domaine de recherche) : • Si vous maîtrisez votre sujet et que vous avez des hypothèses à mettre à l’épreuve, l’entretien directif sera des plus adaptés ; • Si vous avez tout à découvrir, l’entretien exploratoire ou informel sera un bon début ; • Si votre sujet est circonscrit, l’entretien directif et semi-directif vous sera utile ; • Si vous avez besoin de collecter des trajectoires de vie, interrogez des personnes sur des événements anciens, le récit de vie ou autobiographique sera des plus pertinents.
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Initiation à l’entretien en sciences sociales
Chapitre 3 Le guide d’entretien
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Une fois que vous avez défini la question de départ, le type d’entretien que vous souhaitez utiliser, la population que vous comptez interroger, il vous faut préparer les questions que vous allez poser. Le guide d’entretien se révèle alors souvent indispensable lorsque l’on débute dans la pratique de l’entretien. Or, construire un guide d’entretien quand on ne l’a jamais fait n’est pas chose facile. Quelles questions devez-vous poser et comment ? Qu’est-ce que l’on doit mettre dans un guide d’entretien ? Or, savoir formuler de bonnes questions ne s’improvise pas. L’objet de ce chapitre est de vous guider dans cette construction afin de vous placer dans les meilleures conditions pour réaliser vos entretiens.
1. Le guide d’entretien est un « pense-bête » Un guide d’entretien est souvent présenté comme un « pensebête » (Berthier, 2016, p. 78 ; Combessie, 2007, p. 24). Il compte des éléments correspondant aux questions que vous vous posez à un moment donné de votre enquête (Bertaux, 2005). Le guide d’entretien peut subir diverses évolutions et changements au cours de l’enquête : lors de la phase exploratoire, il est en construction, puis il deviendra définitif pour « obtenir des entretiens
de contenu homogène où tous les points prévus seront abordés » (Combessie, 2007, p. 24). Dans les étapes de la réalisation de l’enquête, le guide d’entretien « stabilisé » ou définitif se place idéalement après la construction de la problématique. En effet, la question de départ mène à une exploration du domaine choisi qui aboutit à une problématique, au choix du cadre théorique et des méthodes les plus adaptées, et à l’élaboration d’hypothèses. Ces hypothèses sont alors transformées en questions claires, neutres et compréhensibles par tout enquêté, quels que soient son origine sociale ou son niveau d’étude.
2. Pourquoi préparer un guide d’entretien ? 2.1 Les avantages du guide Se munir d’un guide au cours d’un entretien a plusieurs avantages, en ce que cela offre de la rigueur en structurant votre approche et vous apporte de la sérénité. 2.1.1. Un gain en rigueur et structure
La première fonction du guide est d’offrir de la rigueur scientifique à la démarche d’enquête. En effet, le guide contient les hypothèses de recherche traduites en questions : se munir d’un guide favorise la collecte de l’ensemble des indicateurs et des informations nécessaires pour la mise à l’épreuve des hypothèses. S’assurer de poser les questions ou d’aborder les thèmes présents dans le guide, c’est s’assurer de disposer des données requises auprès de chaque enquêté pour une analyse ultérieure. Les comparaisons sont alors possibles, légitimes (Beaud et Weber, 2010) et nécessaires. 30
Initiation à l’entretien en sciences sociales
2.1.2. De la sérénité pour l’enquêté et pour l’enquêteur
Le guide a, par ailleurs, une fonction rassurante : il peut rassurer l’enquêté et il rassurera l’enquêteur. Côté enquêté, cet outil participe à la définition du cadre de l’interaction (Goffman, 1991) comme différente d’une conversion et contribue à voir son interlocuteur comme un chercheur. Le guide peut inspirer confiance et montrer à l’enquêté que vous avez fourni un travail en vue de votre rencontre. Côté enquêteur, le guide donne une contenance ou un point de repli sur lequel s’appuyer en cas d’oubli ou de gêne. Comme l’expriment Stéphane Beaud et Florence Weber (2010, p. 178) : « en cas de “panique” vous aurez toujours une question à poser, vous ne serez jamais “sec” devant l’interviewé. Il vous permettra de faire face. C’est un remède contre l’angoisse, comme beaucoup d’instruments d’enquête. »
2.2 Les inconvénients du guide Malgré ces avantages, un usage trop rigide du guide peut se révéler contre-productif et nuire à la relation entre enquêté et enquêteur. Avoir les yeux rivés sur le guide peut vous empêcher de regarder l’enquêté. Celui-ci deviendra alors attentiste à vos questions, restera superficiel dans les réponses qu’il vous apportera, et pourra passer sous silence le fond de sa pensée. De plus, lire des questions pendant que l’enquêté parle, vous rend moins attentif à ce qu’il dit et vous amène à être perçu comme quelqu’un manquant d’écoute. Vous risquez, en outre, d’introduire des ruptures dans la discussion en posant une question à un moment inapproprié ou en changeant brutalement de sujet. Il est alors préférable de suivre le cours de la narration de votre enquêté, de modifier légèrement la question figurant sur votre guide en introduisant le vocabulaire propre à l’enquêté, ou de rebondir au moyen d’une relance afin de préserver la dynamique de l’entretien. Le guide d’entretien
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Réaliser un entretien avec un guide n’est pas naturel. C’est un outil de recherche très utile, mais qui peut autant décontenancer l’enquêteur que l’enquêté. Il donne un caractère « officiel, et presque scolaire » qui « peut changer la relation d’enquête » (Beaud, 1996, p. 239). Il peut même inquiéter votre interlocuteur qui vous dira parfois, en début d’entretien : « Vous allez me poser toutes ces questions ?! » Comme nous le verrons ultérieurement, des astuces vous permettront de limiter ces écueils (voir chapitres 5, 6, et 7).
3. Traduire ses hypothèses en questions Comme l’expriment justement Blanchet et Gotman (2007, p. 58), le guide d’entretien est « un premier travail de traduction des hypothèses de recherche en indicateurs concrets et de reformulation des questions de recherche (pour soi) en questions d’enquête (pour les interviewés) ».
Astuce : Par où commencer ? Si vous ne parvenez pas à construire votre guide d’entretien, si vous ne savez pas quelles questions vous souhaitez poser à votre enquêté, commencez par reprendre votre question de départ, et à lister les réponses provisoires que vous pourriez formuler. Ces réponses provisoires sont des hypothèses. Il ne vous reste alors qu’à vous interroger sur la manière d’obtenir, auprès des enquêtés, les informations nécessaires à la mise à l’épreuve de vos hypothèses (les infirmer ou les confirmer). Ces éléments sont autant d’indicateurs que vous jugerez pertinents pour alimenter votre enquête. Il vous faut alors les retrouver exhaustivement dans votre guide d’entretien.
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Initiation à l’entretien en sciences sociales
Exemple 9. Étudier l’usage des e-mails en entreprise
Vous souhaitez étudier l’utilisation des e-mails (Sauvayre, 2012b). Imaginons que vous vous dites que l’usage des e-mails nuit à la concentration du salarié. Il s’agit d’une hypothèse qu’il vous reste à mettre à l’épreuve. Les indicateurs sont à rechercher dans tous les facteurs nuisant à la concentration comme les interruptions générées par l’arrivée d’un e-mail dans la boîte de réception de l’usager. Mais ce lien entre l’arrivée d’un e-mail et l’interruption n’est existant que si l’enquêté dispose d’un signal sonore ou visuel qui l’en informe. Par conséquent, le guide comptera : • une question sur la fréquence d’utilisation des e-mails comme moyen de communication ; • une question sur le type de boîte e-mail dont l’enquêté dispose et sur la manière avec laquelle il est averti de l’arrivée d’un nouvel e-mail ; • des questions plus concrètes invitant l’enquêté à donner des exemples de ce qu’il faisait au moment de l’interruption par l’e-mail, des effets qu’elle a eus sur lui et sur l’activité qu’il réalisait, etc.
4. Rédiger de bonnes questions Une rédaction soignée des questions peut se révéler très utile au cours des premiers entretiens, puisque l’une des plus grandes difficultés d’un entretien réside dans la formulation de bonnes questions. Une bonne question se doit d’être : • ouverte ; • neutre ; • claire ; • courte ; • simple.
4.1 Rédiger une question ouverte Une question ouverte permet à vos enquêtés d’interpréter et de répondre à la question de diverses manières, alors qu’une question fermée n’inclut que deux possibilités (oui ou non). Le guide d’entretien
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Exemple 10. Question fermée
« Êtes-vous étudiant ? » « Est-ce que vous aimez aller au cinéma ? » « Est-ce que vous êtes écologiste ? » Exemple 11. Question ouverte
« Qu’est-ce qui vous a amené à faire des études ? » « Quels films aimez-vous regarder au cinéma ? » « Que pensez-vous de l’écologie ? »
Sachez que spontanément, vous poserez plus souvent des questions fermées. Il est alors nécessaire de produire un effort particulier, qui demande de l’entraînement, pour parvenir à transformer les questions fermées qui vous viennent spontanément à l’esprit, par des questions ouvertes. Le fait de rédiger des questions ouvertes à intégrer dans votre guide sera alors des plus utiles et vous servira de « béquille » durant l’entretien. Pour instaurer une dynamique d’entretien ouverte et agréable, les questions ouvertes devront être majoritaires par rapport aux questions fermées. Les questions ouvertes ou fermées ont toutes deux des avantages et des inconvénients. Il convient alors de les utiliser à des moments spécifiques de l’entretien. 4.1.1. Avantages et inconvénients des questions fermées
Si vous enchaînez de nombreuses questions fermées, vous donnerez le sentiment à votre enquêté qu’il subit un interrogatoire. Votre enquêté donnera peu de détails puisqu’il vous répondra souvent par oui ou par non. Vous aurez également plus tendance à orienter le discours et ses réponses. Les questions fermées sont alors requises pour reformuler ce que l’enquêté vous a dit afin de vous assurer d’avoir bien compris ce qu’il vous a restitué. Ces reformulations peuvent également vous aider à recentrer le sujet. Elles ont également l’avantage de donner 34
Initiation à l’entretien en sciences sociales
le sentiment à votre enquêté d’être compris et écouté. Il pourra, en outre, ajouter quelques approfondissements ou corriger votre restitution. Exemple 12. Reformulation
« Si j’ai bien compris, vous avez commencé vos études de sociologie en 2001 parce que vous ne saviez pas trop quoi faire comme métier ? »
4.1.2. Avantages et inconvénients des questions ouvertes
Les questions ouvertes sont requises en entretien parce qu’elles sont non directives, qu’elles facilitent le discours des enquêtés et qu’elles mettent à l’aise la plupart des gens. Vous influencerez peu les réponses des enquêtés, ce qui vous permettra d’obtenir une multitude d’informations, souvent inattendues. Comme l’enquêté est libre de répondre à la question comme il l’entend, il sera souvent amené à répondre à plusieurs questions en même temps ou à aborder des thèmes que vous n’aviez pas envisagés. La difficulté réside alors dans le fait que les enquêtés ne vous donnent pas les informations attendues parce qu’ils interprètent la question différemment de vous. Il vous faudra alors revenir sur le sujet d’une manière détournée. Ces questions ouvertes peuvent donc conduire l’enquêté à faire de longues digressions qui ne servent pas forcément votre question de recherche. Enfin, les réponses peuvent être si longues que vous n’avez alors plus la maîtrise du temps. Ces difficultés vous amèneront alors à apprendre à diriger les échanges et à recentrer les débats au moyen de questions fermées. Il vous faudra oser, sans froisser votre interlocuteur. 4.1.3. Comment transformer une question fermée en une question ouverte
Comme il vous viendra plus facilement à l’esprit une question fermée, une astuce consiste à transformer votre question fermée en une question ouverte. Le guide d’entretien
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Astuce Transformez toutes les questions commençant par « est-ce que » par « qu’est-ce que » ou « comment ».
Exemple 13. Transformer une question fermée en question ouverte
Question fermée : « Ce verre est-il à moitié plein ? » Question ouverte 1 : « Comment ce verre est-il rempli ? » Question ouverte 2 : « Que pensez-vous du niveau de remplissage de ce verre ? »
4.2 Rédiger une question neutre Une bonne question doit être exempte de jugement de valeur ou d’idée préconçues. Elle ne doit pas contenir la réponse à la question que vous posez, sans quoi vous orientez les réponses et vous risquez de passer à côté de dimensions nouvelles et inattendues. Exemple 14. Erreur à éviter : la question pleine de jugement
« Vous n’avez même pas fait d’études ? » Si vous ajoutez des petits mots comme « même pas », vous imprimez un jugement et votre interlocuteur n’aura plus le sentiment de pouvoir parler librement. Exemple 15. Erreur à éviter : la question contenant des présupposés
« Comment gérez-vous les personnes qui ne vous obéissent pas ? » Dans cette question, vous présupposez que votre interlocuteur conçoit une relation managériale directive où le collaborateur se doit d’obéir aux directives qu’on lui donne. Or, votre interlocuteur peut avoir une tout autre conception et être choqué par votre manière d’aborder le monde.
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Initiation à l’entretien en sciences sociales
Astuce : « Tournez autour du pot » Reprenons la question orientée : « Comment gérez-vous les personnes qui ne vous obéissent pas ? » Vous souhaitez, en fait, savoir comment votre enquêté réagit quand ses consignes ne sont pas suivies. L’astuce pour éviter d’imprimer vos présupposés dans la question est de décomposer la question en plusieurs questions qui vous permettront d’approcher le sujet plus indirectement. Il s’agit en somme de « tourner autour du pot » plutôt que d’avoir une approche directe. Cette astuce permet également de limiter les biais de désirabilité sociale, car votre enquêté perçoit moins aisément ce que vous cherchez à savoir.
Exemple 16. « Tournez autour du pot » pour éviter les jugements
Au lieu de dire : « Comment gérez-vous les personnes qui ne vous obéissent pas ? » Décomposez votre approche en plusieurs étapes : 1) Posez des questions sur les relations que le manager a avec ses collaborateurs et comment il les conçoit. 2) Posez des questions sur sa manière de transmettre ses attentes à ses collaborateurs. 3) Abordez la question des écarts entre les attentes du manager et les réalisations de ses collaborateurs. 4) Il ne vous reste plus qu’à poser des questions pour recueillir sa manière de réagir face aux écarts constatés.
4.3 Rédiger une question claire et courte Une bonne question est facile à comprendre. N’utilisez pas de termes complexes, de jargon, de formulation alambiquée. Privilégiez le langage le plus adapté à vos enquêtés. N’y incluez pas de termes théoriques, car vos enquêtés n’ont probablement pas les mêmes connaissances que vous et vous pourriez les mettre dans l’inconfort. Enfin, une bonne question est courte. Plus une question est longue, plus l’enquêté risque d’oublier le début quand vous lui annoncez la fin. Le guide d’entretien
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Exemple 17. Erreur à éviter : la question complexe et fermée
« Est-ce que vous pouviez l’instrumentaliser comme une source de savoir facilement accessible ? » Exemple 18. Erreur à éviter : la question complexe, longue et orientée
« Que pensez-vous du fait que les délocalisations successives ont mis à mal la souveraineté des États au point de les assujettir à une dépendance récurrente et à des risques de pénuries dommageables pour la santé publique ? »
4.4 Rédiger une question simple Une bonne question ne compte qu’une idée. Ne posez pas plusieurs questions à la fois sans quoi votre interlocuteur ne répondra qu’à l’une, l’autre, voire à aucune des deux. Exemple 19. Erreur à éviter : deux questions en une
« Pourquoi le développement durable et quel a été votre premier projet innovant dans ce domaine ? »
Astuce Si vous ne savez pas comment rédiger vos questions, étudiez le guide d’entretien fourni (voir section 7, p. 52-59), inspirez-vous de sa structure et de ses formulations. Comme il n’y a pas de bon ou de mauvais guide d’entretien, composez le guide qui correspond le mieux aux informations dont vous auriez besoin pour répondre à votre question de départ.
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Initiation à l’entretien en sciences sociales
5. Adapter le guide en fonction du type d’entretien choisi La structure du guide d’entretien prendra une forme différente et recouvrira un usage différent en fonction du type d’entretien pratiqué.
5.1 Le guide exploratoire Pour un entretien de pré-enquête ou exploratoire, les hypothèses seront peu nombreuses puisque vous avez tout à découvrir. Le guide sera révélateur de cela en ce qu’il comptera quelques thèmes généraux à aborder. Il sera alors voué à évoluer à mesure de vos avancées (Bertaux, 2005 ; Combessie, 2007). Inscrivez les thèmes que vous jugez utile ou intéressant d’aborder. Formulez quelques questions, mais restez ouvert à l’intégration de nouveaux thèmes à mesure de vos avancées.
5.2 Le guide d’entretien directif Dans le cas d’un entretien directif, vous aurez à tester les hypothèses construites au cours d’un travail bibliographique et de l’exploitation des entretiens exploratoires. Le guide est alors très structuré. Les questions sont précises et exhaustives. Vous dirigerez les échanges de manière rigoureusement identique d’un enquêté à l’autre et vous poserez les questions dans l’ordre du guide de l’entretien tel que vous l’avez conçu. Il va alors de soi que vos entretiens débutent avec un guide stabilisé et définitif.
Le guide d’entretien
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Astuce Comme les questions peuvent être mal comprises parce que mal formulées, il est important de tester le guide d’entretien sur vos proches et sur des enquêtés proches de votre population. Vous pourrez également vous assurer du bon enchaînement des questions et de leur pertinence.
5.3 Le guide d’entretien semi-directif Dans le cas d’un entretien semi-directif ou autobiographique, le guide pourra être soit précis, soit compter des thèmes généraux en fonction de votre sensibilité. Il peut être tout aussi structuré qu’un guide directif, mais les questions ne sont pas vouées à être posées dans le même ordre d’un enquêté à l’autre, même si tous les thèmes doivent être abordés. La souplesse de ce type d’entretien se retrouve dans l’utilisation du guide d’entretien : votre usage s’adaptera à l’interaction, ce ne sera pas à l’enquêté de s’adapter au guide que vous aurez conçu, mais bien l’inverse. Vous sélectionnerez, dans votre guide, les questions les plus adaptées à la situation, et vous les formulerez parfois au regard de ce que l’enquêté aura dit précédemment. Par ailleurs, si le contenu thématique du guide est arrêté au moment de la collecte des entretiens, vous pouvez ajouter des questions au gré des échanges avec vos enquêtés. Ce guide est donc là tel un « pense-bête » pour vous aider à collecter, auprès de chaque enquêté, les mêmes informations jugées indispensables pour votre enquête. Néanmoins, au cours des échanges, rien ne vous empêche de poser des questions complémentaires au regard de la situation. Cela est d’autant plus indispensable pour un récit autobiographique au cours duquel vous tentez de comprendre l’enchaînement des différents événements biographiques.
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Initiation à l’entretien en sciences sociales
Astuce Pour que l’interaction avec votre enquêté soit la plus fluide et la plus naturelle possible, mémorisez votre guide d’entretien. Vous pourrez alors poser la question la plus pertinente parmi celles que vous avez préparées, et ce, au moment le plus approprié, sans même avoir à poser les yeux sur votre guide.
5.4 Le guide du récit de vie Dans le cadre d’un récit de vie ou d’un entretien non directif, le guide d’entretien est plus thématique en ce qu’il mentionne les parties de la vie de l’enquêté à explorer. Dans ce cas, la consigne de départ ou l’amorce de l’entretien est déterminante pour la suite du recueil, puisque l’enquêté est invité à raconter sa vie le plus librement possible. Bertaux (2005) suggère d’ailleurs d’avoir le guide auprès de soi durant l’entretien, mais de ne s’en saisir qu’à la fin dans le cas où un des thèmes n’aurait pas été abordé.
6. Structurer le guide d’entretien En fonction des besoins, un guide d’entretien peut être composé de divers éléments : • une consigne ; • une liste de questions ou de thèmes à aborder ; • des zones de prise de notes ; • une frise biographique (pour les récits de vie ou les entretiens autobiographiques) ; • un court questionnaire portant sur les caractéristiques générales de l’enquêté pour faciliter l’analyse. Le guide d’entretien
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6.1 Rédiger une consigne La consigne a plusieurs fonctions et est indispensable en préambule de l’entretien. Elle pose le cadre de l’entretien, de cette interaction particulière entre enquêté et enquêteur. Rapidement, l’enquêteur novice s’accoutumera à ce type d’échanges, mais l’enquêté le vit souvent pour la première fois. Il a très naturellement des appréhensions, des incertitudes, et des questions. Cette consigne vise donc également à le rassurer sur de nombreux points pour favoriser sa prise de parole et à instaurer un climat de confiance. Que doit contenir la consigne ? Rodolphe Ghiglione et Benjamin Matalon (1985, p. 80-81) donnent des conseils et des directives détaillées pour rédiger une consigne. Les auteurs invitent l’enquêteur à éclaircir, vis-à-vis de l’enquêté, les éléments suivants : • le nom de l’enquêteur et son appartenance institutionnelle ; • l’objet de la recherche (l’enquêté demandera souvent ce qui vous a amené à choisir ce sujet particulièrement) ; • ce qui vous a amené à choisir cet enquêté et comment vous avez procédé pour le contacter ; • la durée estimée de l’entretien ; • les modalités de recueil de données (l’enregistrement) ; • les règles de déontologie : anonymat et confidentialité ; • le déroulement de l’entretien et les attentes de l’enquêteur. Il s’agit d’inviter l’enquêté à parler le plus librement possible et à lui expliquer qu’il ne sera pas jugé. Vous pourriez, par exemple, dire : « Vous pouvez me dire tout ce qui vous passe par la tête, il n’y a pas de bonne réponse, ce que je désire connaître, c’est votre avis sur la question, etc. » (Ghiglione et Matalon, 1985, p. 80-81). Puis, vous pourriez lui indiquer qu’il peut arrêter l’entretien à tout moment, qu’il est fortement invité à vous faire répéter si vous ne vous faites pas bien comprendre. Vous pourriez ajouter, avec un sourire, « N’hésitez pas ! Cela arrive 42
Initiation à l’entretien en sciences sociales
souvent », pour dédramatiser la situation. Gardez à l’esprit que l’enquêté peut être intimidé par votre niveau d’études et par votre langage parfois obscur ; • répondre aux questions que les enquêtés se posent. Il s’agit d’inviter l’enquêté à vous poser toutes les questions qui lui viennent à l’esprit, et ce le plus librement possible. C’est un moment très important où se joue la confiance naissante, et où se finalise le contrat tacite qui vous liera à l’enquêté pendant la durée de l’entretien. Les questions ne manqueront pas de fuser et pourront porter sur votre parcours universitaire, votre étude, votre appartenance sociale, les enquêtés que vous avez déjà rencontrés, etc. Certains enquêtés utiliseront ce moment pour s’assurer que leur anonymat et la confidentialité de leur propos leur seront garantis ; d’autres vous questionneront sur la méthode employée pour ce faire. Exemple 20. Une consigne utilisée dans le cadre d’entretiens autobiographiques
« Je suis étudiante à l’université de Strasbourg. Je poursuis actuellement des études de sociologie. Dans le cadre de mon doctorat en sociologie, je mène une recherche sur les croyances d’anciens membres de mouvements ou communautés spirituelles. C’est en votre qualité d’ancien·ne membre du groupe XXX que je vais m’entretenir avec vous aujourd’hui. Afin de ne pas altérer la qualité et l’authenticité de vos propos, et si vous n’y voyez pas d’objection, cet entretien sera enregistré à l’aide d’un dictaphone. Vous pouvez être assuré·e que l’enregistrement sera détruit dès la fin de son traitement, sauf si vous souhaitez disposer de la bande. La durée de cet entretien sera fonction de votre vécu : il pourra durer entre une heure et trois heures, voire plus. Votre anonymat et celui de votre discours seront totalement préservés. Au cours de cet entretien, je serai amenée à vous poser des questions : vous pourrez parler librement, me dire tout ce qui vous passe par la tête, il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses. Je ne porterai aucun jugement et aucune critique sur votre discours. Ce que je désire connaître, c’est votre Le guide d’entretien
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vécu et votre avis sur la question. En somme, j’ai tout à apprendre de vous ! Je serais amenée à approfondir des détails qui vous paraîtront insignifiants, mais, ne vous inquiétez pas, j’adore les détails ! Toutefois si, je ne me fais pas bien comprendre lorsque je pose des questions, alors n’hésitez pas à me faire répéter. Si vous avez la moindre appréhension ou la moindre question concernant cet entretien ou son objectif, n’hésitez pas à m’en faire part. Enfin, si vous en ressentez le besoin au cours de l’entretien, n’hésitez pas à m’interrompre. Avez-vous des questions ? » (Sauvayre, 2010, p. 387).
6.2 Organiser les questions par thème Organisez les questions par thème, c’est-à-dire par bloc de questions similaires ou abordant une dimension temporelle commune comme l’enfant, l’adolescence, le travail, les loisirs, etc., ou des dimensions pratiques similaires. En structurant vos thèmes, vous aiderez vos interlocuteurs à se focaliser sur certaines dimensions et à se remémorer plus facilement des événements passés.
Astuce : Avant l’heure, ce n’est pas l’heure ; après l’heure, c’est trop tard Il vous faut avoir en tête que chaque question amène l’enquêté à réactiver des parties de sa mémoire. Si vous posez une question avant même d’avoir conduit votre enquêté à se replonger dans un contexte passé donné, vous n’obtiendrez que peu d’informations. En revanche, si vous posez de nombreuses questions sur le contexte avant de poser une question plus réflexive, alors votre enquêté formulera des réponses plus riches. Pensez alors à poser vos questions dans un ordre permettant ces remémorations. Pour mieux comprendre les mécanismes de la mémoire, voir chapitre 8.
Ajoutez des transitions. Étonnamment, nous avons autant besoin de transitions à l’oral que dans un texte écrit. Les transitions aident 44
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l’enquêté à refermer les « tiroirs » de sa mémoire avant d’en ouvrir de nouveaux. Si vous changez de thème sans prévenir, vous produisez une rupture brutale qui peut fatiguer votre interlocuteur et lui donner envie d’interrompre prématurément l’entretien. En somme, les transitions sont salutaires pour fluidifier le discours et réduire le déplaisir de l’enquêté. Exemple 21. Transition entre deux thèmes
« Nous sommes arrivés au terme du thème X. À présent, j’aimerais aborder avec vous le thème Y. »
6.3 Ajouter des zones de prise de notes La prise de notes est un complément à l’enregistrement qui peut se montrer fort utile (Bardot, 2010). L’enregistrement est nécessaire au traitement ultérieur des données recueillies. La prise de notes, quant à elle, trouve tout son intérêt au cours de l’entretien, car il est difficile de se remémorer l’ensemble des éléments fournis par l’enquêté ou toutes les questions qui vous viennent à l’esprit lorsqu’il parle. Vous pouvez, par exemple, réserver un encart en début de première page pour inscrire le numéro de l’entretien (par exemple le 12e entretien pourra être codé E12), la date, et toute autre information utile. On pourra trouver plusieurs avantages à procéder ainsi : • les notes prises en cours d’entretien et les informations sur l’enquêté inscrites sur ces pages sont anonymes dès le début de l’entretien ; • le classement de ces données est plus commode puisque vos notes ne sont pas éparpillées ; • vous pouvez les consulter quand bon vous semble et la saisie dans un tableur sera facilitée. Le guide d’entretien
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6.4 Une frise biographique La frise biographique est un outil des plus utiles lors des récits de vie ou les entretiens autobiographiques. Elle vous permettra d’avoir une vision d’ensemble du parcours de l’enquêté au cours de l’entretien, pour cibler des questions dans les zones laissées vacantes sur la frise, voire pointer des incohérences biographiques. Pour ce faire, prévoyez un espace conséquent sur une page du guide pour inscrire à la main les événements de vie cités au cours de l’entretien (figure 2 ci-dessous). Figure 2. Frise biographique parcellaire remplie en cours d’entretien
6.5 Du quantitatif au qualitatif 6.5.1. Un court questionnaire
À la fin de l’entretien, vous pourriez ajouter un court questionnaire que vous administrez à l’enquêté. Il vous permettra de recueillir des informations sociodémographiques utiles que vous n’aurez pas à rechercher dans des heures d’entretiens. Il vous permettra, en outre, de disposer de cette information pour l’ensemble de votre corpus. Les variables les plus usuelles sont le genre (féminin, masculin), l’âge ou l’année de naissance, la profession de l’enquêté, celle de ses parents, et le niveau d’études. Ensuite, on ajoute d’autres variables en fonction de l’enquête. À titre d’exemple : pour une enquête portant sur l’entreprise, on peut inclure le niveau hiérarchique et la 46
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fonction de l’enquêté ; pour une enquête sur la famille, on ajoutera le nombre d’enfants et le statut matrimonial ; pour une enquête sur les croyances, on ajoutera l’appartenance religieuse ; etc.
Astuce Préparez la liste de questions, des espaces pour vous permettre d’inscrire les réponses, une identification de l’entretien, la date, et toutes les informations complémentaires que vous jugerez utiles. Vous pourrez ainsi toujours retrouver les données brutes en cas de besoin et vous limiterez les risques de perte et de confusion entre les entretiens réalisés.
Exemple 22. Questionnaire sur les caractéristiques générales de l’enquêté
Entretien n° ________ Date : __________ Genre : Homme Femme Autre : _______ Âge : __________ Profession de l’enquêté·e : ___________________________________ Profession du père : _________________________________________ Profession de la mère : ______________________________________ Niveau d’étude : ___________________________________________ Etc.
6.5.2. Les échelles numériques ou qualitatives
Une astuce pour faciliter la collecte d’informations et leur traitement par la suite consiste à quantifier les données qualitatives. C’est ce que les échelles de mesure sont susceptibles de vous apporter. Les échelles de mesure peuvent s’utiliser à tout moment au cours de l’entretien dès lors que l’on souhaite avoir des précisions sur l’intensité d’une émotion (amour, gêne, joie, ressentiment, colère, peur…), d’une adhésion ou d’un assentiment, d’une délégation de confiance, etc. Elles peuvent faciliter la compréhension et l’interprétation, là où la polysémie des mots peut conduire à des écarts Le guide d’entretien
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interprétatifs. Cet outil est d’autant plus utile lorsque l’on souhaite procéder à des comparaisons ou saisir des évolutions dans le temps. Deux types d’échelles, que l’on peut retrouver dans certains questionnaires, peuvent être mobilisés au cours de l’entretien : • les échelles numériques : « À quel point adhérez-vous à l’idée que les extraterrestres existent sur une échelle de zéro à dix (0 étant “pas du tout” et 10 “totalement”) ? » ; • les échelles qualitatives : « Vous diriez que vous adhérez à l’idée que les extraterrestres existent : pas du tout, un peu, moyennement, beaucoup ou totalement ? » 6.5.3. Exemple d’utilisation d’échelles de mesure : l’« évaluation du doute »
Au cours d’une enquête portant sur les croyances, une partie des entretiens réalisés comportait une phase plus directive au cours de laquelle étaient introduites diverses échelles de mesure qualitatives dans le but de disposer d’une forme de quantification de l’intensité de l’adhésion à des croyances et des doutes vécus par l’enquêté. Nous avons appelé cet outil l’« évaluation du doute » (Sauvayre, 2010). L’évaluation du doute était présentée comme un exercice particulier au cours duquel les enquêtés étaient amenés à retracer et à évaluer les doutes ou contradictions qu’ils avaient vécus ou ressentis lors de leur parcours au sein d’un mouvement prônant des croyances « invraisemblables » jusqu’à leur sortie dudit mouvement. Cette méthode se présente sous la forme d’un entretien directif composé d’une suite de questions formelles et pré-rédigées et d’échelles de mesure. L’enquêté est alors invité à décrire les circonstances du doute éprouvé, à savoir le contexte de son apparition. L’intensité de chaque doute est alors quantifiée au moyen d’une échelle de mesure numérique (échelle allant de 0 à 10). Cette même échelle est également convoquée pour quantifier l’intensité de l’adhésion aux croyances mises en doute avant et après l’apparition d’une contradiction importante. Ce faisant, il est possible de retracer l’évolution de 48
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l’adhésion des enquêtés jusqu’à la rupture de leurs croyances, et ce pour chacune des fortes contradictions vécues. Ajoutée aux échelles numériques, l’« évaluation du doute » est composée d’échelles qualitatives (pas du tout, un peu, moyennement, beaucoup, totalement) visant à qualifier l’ébranlement de la croyance. Cette échelle qualitative visait à mesurer la cohérence des réponses des enquêtés en la croisant avec la baisse d’intensité de l’adhésion. Au moyen de ces échelles de mesure, il a été possible de quantifier des données qualitatives et de les exploiter en gardant toutefois à l’esprit que ces données sont de nature subjective. Ce faisant, ce ne sont pas les chiffres en eux-mêmes qui ont du sens – d’autant que les enquêtés éprouvaient parfois des difficultés à quantifier leurs émotions ou leur rapport à la croyance –, mais les fluctuations de ces intensités lors de leur parcours de désadhésion qui ont éclairé plus spécifiquement la dynamique des croyances. La figure 3 ci-dessous représente les fluctuations de l’intensité d’adhésion aux croyances diffusées par le mouvement auquel l’enquêtée a appartenu, de son entrée à son départ plusieurs années après. Figure 3. Fluctuation de l’intensité de l’adhésion d’une enquêtée, de l’entrée à la sortie de son mouvement d’appartenance
Source : Sauvayre, 2012a, p. 341
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Le recours à ces échelles de mesure se montra tout à fait approprié pour améliorer l’interprétation du discours de l’enquêté. Nombreuses furent les situations au cours desquelles le contenu du discours pouvait conduire à une interprétation légèrement différente de celle apportée par une évaluation par échelle. Par exemple, lorsque nous demandions d’évaluer l’intensité du doute ou de la contradiction perçue à un instant donné, il était fréquent d’avoir une réponse du type « Oh là là, il était très important ce doute ! » Ainsi, au vu de l’émotion manifestée, de l’intonation et du discours de l’enquêté, nous nous attendions à une évaluation numérique d’au moins 9 sur 10. Or, l’enquêté évaluait ledit événement à hauteur de 6 sur une échelle de 10 points. Ce faisant, les échelles de mesure permettaient d’apporter une précision là où les mots soulevaient des mécompréhensions. Toutefois, l’utilisation d’échelles de mesure numériques de 0 à 10 demande un temps d’adaptation aux enquêtés qui n’ont pas l’habitude de mettre un chiffre sur une émotion ou un ressenti. Cependant, après quelques minutes d’adaptation entre enquêté et enquêteur, une dynamique spécifique s’installe. Voici un exemple de cette dynamique particulière qui s’instaure après 40 minutes d’évaluation du doute. L’habituation de l’enquêté est telle que nous n’avons plus besoin d’annoncer chaque question. Nous les avons néanmoins ajoutées entre crochets à l’extrait pour faciliter la compréhension du lecteur. En outre, l’extrait d’entretien présenté cidessous (comme ceux mobilisés dans l’ensemble de l’ouvrage) pourra surprendre le lecteur quant à sa syntaxe et sa grammaire. En effet, par souci méthodologique, le discours des enquêtés a été transcrit le plus fidèlement possible pour ne pas déformer leurs propos. Enquêteur : « Juste avant cette scène à quel point vous adhériez [sur une échelle de 0 à 10] ? » Enquêtée : « Ah ben j’adhérais ! Je n’avais pas lu le document, comme je ne lisais jamais ! Donc (rire léger) j’étais à 8, 9 quoi à peu près ! Peut-être moins fort, ouais, 8, 8, comme l’autre. C’est-à-dire que je n’avais plus l’adhésion des débuts ! » 50
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Enquêteur : « Oui. [Ce doute a-t-il ébranlé votre croyance ? Pas du tout, un peu, moyennement, beaucoup, totalement ?] » Enquêtée : « Là ça m’a, je dirais ébranlée totalement ! (Rire léger.) » Enquêteur : « Oui. [Quelle est l’intensité de votre adhésion après ce moment de doute ?] » Enquêtée : « Là, ça a été vraiment euh, et après c’est tombé (…) pas encore tout à fait pour quitter le mouvement ; je dirais, je suis tombée de ouais 8 à entre 4 et 5, je ne sais pas lequel ! (Rire.) Ça m’a vraiment ébranlée, beaucoup, mais pas au point que je parte donc… »
En somme, le recours aux échelles de mesure, aménagées à la suite d’un entretien biographique, permit d’obtenir des informations complémentaires d’une grande richesse.
7. Exemple de guide d’entretien Afin de vous aider à mieux vous représenter la structuration d’un guide d’entretien par thème, avec des questions exclusivement ouvertes, nous allons aborder ensemble un cas concret. Depuis plusieurs années, les étudiants de Polytech Clermont (Clermont Auvergne INP) réalisent plusieurs entretiens semi-directifs avec un manager ou une manageuse de leur choix. Pour les aider à collecter tous les aspects du métier de manager, ils disposent d’un guide d’entretien structuré et détaillé que vous trouverez en intégralité ci-dessous. Vous pourrez ainsi mieux vous représenter l’organisation des questions par thème et vous disposerez d’exemples de questions neutres et ouvertes. Ce guide contient de nombreuses questions afin de s’assurer de ne pas oublier une dimension qui s’avérerait utile. Comme nous l’avons déjà expliqué, il s’agit d’une « béquille » et, en ce sens, les questions n’ont pas vocation à toutes être posées puisque les enquêtés répondent souvent à plusieurs questions en même temps. Sachez qu’au moyen de ce guide, les étudiants réalisent des entretiens d’une durée de 40 minutes lorsqu’ils posent les questions dans l’ordre (ils mènent alors un entretien directif) à 1 h 30 lorsqu’ils Le guide d’entretien
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développent une excellente posture d’écoute (ils mènent alors un entretien semi-directif). La durée d’un entretien dépend donc autant de vous que de la relation que vous tisserez avec vos enquêtés.
Astuce • Placez une case à cocher devant vos questions pour identifier rapidement durant l’entretien celles auxquelles l’enquêté a déjà répondu. • Identifiez les thèmes par des titres plus gros, en gras, voire surlignés. Cela vous permettra de penser à faire une transition avant d’aborder un nouveau thème. • Préparez des transitions pour passer d’un thème à l’autre.
Exemple 23 : Le guide d’entretien sur le métier de manager
Consigne (à adapter en fonction de votre manière de parler) Je suis élève ingénieur de dernière année en [discipline] à Polytech Clermont. Dans le cadre du cours de Management que je suis, je suis invité·e à rencontrer un manager afin d’apprendre de son expérience. C’est ce qui m’a amené·e à vous rencontrer aujourd’hui. Votre expérience de [indiquer la fonction du manager] sera, j’en suis certain·e, très riche d’enseignement. Je vous remercie vivement de m’accorder du temps pour répondre à mes questions. Pour ne pas déformer vos propos et pour me permettre de ne rien oublier, je vous propose, et si vous n’y voyez pas d’objection, d’enregistrer notre entrevue. Votre anonymat et celui de votre discours seront totalement préservés pour ne servir qu’à l’exercice universitaire qui m’est demandé. La durée de cet entretien sera fonction de votre expérience : il pourra durer 1 heure, voire 1 h 30. Au cours de cet entretien, je serais amené·e à vous poser des questions : vous pourrez parler librement, me dire tout ce qui vous passe par la tête, il n’y a pas de bonnes ou mauvaises réponses. Je ne porterais aucun jugement et aucune critique sur votre discours. Ce que je désire connaître, c’est votre expérience et votre avis sur la question. En somme, j’ai tout à apprendre de vous ! Si vous avez la moindre appréhension ou la moindre question concernant cet entretien ou son objectif, n’hésitez pas à m’en faire part. Enfin, si vous avez besoin de vous arrêter pour régler des problèmes ou voir vos collaborateurs et collaboratrices, n’hésitez pas à m’interrompre. 52
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Exemple de phase de transition : « Pour commencer, je souhaiterais faire connaissance avec vous, mieux connaître votre parcours et vos missions. » Le manager (faire connaissance avec vous) • Le poste actuel * Quels postes avez-vous occupés jusqu’à présent ? * Quelle est la nature de votre poste actuel ? (Demander des exemples concrets de ce qu’il·elle est amené·e à faire au quotidien.) * Comment fonctionne l’entreprise pour laquelle vous travaillez ? * Actuellement, quelle place occupez-vous dans votre entreprise (organigramme) ? (Demander à l’enquêté·e de dessiner un organigramme.) • Missions et journée type * Quelles missions vous sont confiées ? * Qu’est-ce qui vous motive au quotidien (professionnellement) ? * Comment se déroule une journée type pour vous ? (Demander à l’enquêté·e de vous décrire une journée type de son arrivée à son départ de l’entreprise.) * Quel est en moyenne votre temps de travail quotidien ? * Comment gérez-vous votre temps au quotidien ? * Comment gérez-vous les tâches imprévues, importantes ou urgentes ? • Responsabilité et collaborateur·rices * Quelles sont vos principales responsabilités ? * Depuis combien de temps avez-vous des personnes sous votre responsabilité ? * Combien de personnes avez-vous (ou avez-vous) eues sous votre direction ? * Quelles fonctions occupent (ou occupaient) vos collaborateur·rices ? Les débuts dans la fonction de manager * À quelle occasion avez-vous managé une équipe pour la première fois ? * Comment avez-vous vécu votre premier poste de manager ? * Quelles difficultés avez-vous rencontrées ? * Quel a été votre meilleur souvenir à vos débuts en tant que manager ? * Quel a été votre pire souvenir de vos débuts en tant que manager ? * Que changeriez-vous si c’était à refaire ?
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* Quelle partie de votre formation vous a-t-elle préparé à exercer le poste que vous occupez actuellement ? * Quelles formations en management avez-vous suivies ? * Dans quelle mesure ces formations vous ont-elles aidé ? Le manager selon vous * Qu’est-ce qu’un manager pour vous ? * De quelles qualités et compétences doit disposer un manager ? * Quelles sont, selon vous, les missions ou les tâches d’un manager ? * Comment qualifieriez-vous votre manière de manager ? Les débuts au sein d’une nouvelle équipe * Comment prenez-vous en main la direction d’une nouvelle équipe ? * Lors de votre prise de poste en tant que manager, quelle a été votre première prise de contact avec vos collaborateur·rices ? * Certains managers font connaissance avec leur collaborateur·rice individuellement, d’autres organisent une réunion collective, qu’en est-il de vous ? * Qu’est-ce qui vous semble important de dire et de découvrir au moment de cette première rencontre avec vos collaborateur·rices ? (Relancer au besoin pour savoir comment il procède concrètement lors de cette première rencontre pour faire connaissance avec leurs collaborateur·rices) * Comment procédez-vous pour intégrer un nouveau collaborateur·rice à votre équipe ? * Comment procédez-vous pour vous faire accepter par vos collaborateur·rices ? * Quelles règles instaurez-vous au sein de votre équipe ? (Demander des exemples concrets) * Quelles valeurs plébiscitez-vous au sein de votre équipe ? L’animation d’équipe * Comment procédez-vous pour animer votre équipe ? * Comment impliquez-vous vos collaborateur·rices dans les missions que vous leur confiez ? * Qu’est-ce qui, selon vous, peut le mieux motiver un salarié ? * Comment stimulez-vous la motivation de vos collaborateur·rices ? (Demander des exemples) * Quelles sont les attentes de chacun de vos collaborateur·rices (tâches, autonomie, etc.) ? * Comment en avez-vous pris connaissance ? 54
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* Dans quelle mesure satisfaites-vous leurs attentes ? * Comment qualifieriez-vous la relation que vous entretenez avec vos collaborateur·rices ? * Comment pensez-vous être perçu par vos collaborateur·rices ? * Quel est votre meilleur souvenir de management d’équipe ? * Quel est votre pire souvenir de management d’équipe ? Le management intergénérationnel et interculturel * Comment gérez-vous les collaborateur·rices plus âgés que vous ? * Comment gérez-vous les collaborateur·rices plus jeunes que vous ? * Comment gérez-vous les collaborateur·rices issus d’une autre origine ethnique ou sociale que la vôtre ? * Quelles différences avez-vous pu constater entre les hommes et les femmes que vous dirigez, si tant est que vous en ayez constaté ? * Comment gérez-vous les collaborateur·rices aux contrats courts du type stage, CDD, intérimaires ? Délégation et confiance * Quels types de tâches confiez-vous à vos collaborateur·rices ? * Comment répartissez-vous ces tâches entre vos collaborateur·rices ? * Comment faites-vous part de vos attentes à vos collaborateur·rices ? * Comment fixez-vous les objectifs de vos collaborateur·rices ? * Quels types de résultats attendez-vous ? * À partir de quels critères attribuez-vous ces tâches ? (La compétence, la confiance, la disponibilité, la motivation, etc.) * Quelles tâches déléguez-vous et à qui ? * Quelles tâches ne déléguez-vous jamais ? * À quels types de collaborateur·rice accordez-vous votre confiance ? * Évaluez le degré de confiance que vous accordez à chaque collaborateur·rice sur une échelle allant de zéro (aucune confiance) à 10 (totale confiance) ? * Comment s’est construite cette confiance ? * Comment se traduit cette confiance au quotidien avec vos collaborateur·rices ? * Quelle place occupent les prises d’initiative de vos collaborateur·rices au quotidien ? * Comment vos collaborateur·rices vous rendent-ils compte des tâches qu’ils ont réalisées ? * Comment évaluez-vous leurs réalisations ?
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* Comment procédez-vous lorsque ces tâches ne sont pas réalisées selon vos attentes ? * Quelle place accordez-vous aux erreurs et aux retards dans les tâches que vous avez déléguées ? * Selon vous, quels sont les avantages de la délégation ? * Quels sont les inconvénients de la délégation ? * Quel est votre meilleur souvenir de délégation ? * Quel est votre pire souvenir de délégation ? La communication * À quelle fréquence communiquez-vous avec vos collaborateur·rices ? * Quels médias privilégiez-vous avec vos collaborateur·rices : les réunions individuelles, les réunions collectives, le téléphone, les e-mails, etc. ? * Qu’est-ce qui vous a amené à faire ces choix de moyen de communication ? * Quels sont les avantages de ces moyens de communication selon vous ? * À quel rythme faites-vous des réunions ? * Comment se déroulent ces réunions ? * Comment gérez-vous la parole des participants durant la réunion ? * Quelles difficultés avez-vous rencontrées dans la communication avec vos collaborateur·rices ? * Comment les avez-vous surmontées ces difficultés ? (Demander des exemples) Évaluation et compétences * Comment gérez-vous les compétences de vos collaborateur·rices (GPEC Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences) ? * Que pensez-vous de l’entretien annuel d’évaluation ? * Comment appréhendez-vous ce moment ? * Comment vous organisez-vous avant, pendant et après cet entretien annuel d’évaluation ? (Demander des exemples) * Combien de temps consacrez-vous aux entretiens annuels d’évaluation ? * Quel est votre meilleur souvenir d’entretien annuel d’évaluation ? * Quel est votre pire souvenir d’entretien annuel d’évaluation ? Stress et risques psychosociaux * Quelles sont les différentes situations de stress que vous rencontrez en tant que manager ? * Évaluez l’intensité de votre stress au travail sur une échelle de zéro (pas du tout stressé) à 10 (totalement stressé) 56
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* Qu’est-ce qui vous stresse le plus au quotidien ? * Comment gérez-vous ces situations de stress ? * Comment gérez-vous les contraintes imposées par votre responsable ou votre entreprise ? * Quel est l’impact des nouvelles technologies sur votre travail ? (mails, logiciels, etc.) * Combien de mails recevez-vous par jour en moyenne ? * Combien de temps passez-vous en réunion ou au téléphone dans une journée en moyenne ? * Comment gérez-vous les désaccords avec les membres de votre équipe ? * Quels conflits avez-vous déjà eu à gérer ? * Comment gérez-vous ces conflits ? (Aborder les conflits avec les collaborateur·rices, entre collaborateur·rices, avec des clients, des fournisseurs, ou son responsable) * Comment gérez-vous le stress de vos collaborateur·rices (gestion des risques psychosociaux) ? * À quels indicateurs de la santé au travail êtes-vous attentif ? * Quelle attention portez-vous aux troubles musculosquelettiques, à l’absentéisme et aux accidents du travail ? * Qu’est-ce que vous mettez en place pour y remédier ? * Quelle est la politique de votre entreprise à ce niveau ? Conduite du changement * Comment appréhendez-vous les changements au sein de votre entreprise ? (changement de pratiques, de procédés, de réglementation, de personnel, etc.) * Comment procédez-vous pour communiquer ces changements à vos collaborateur·rices et pour les mettre en place ? * Qu’est-ce qui vous semble le plus important dans la gestion du changement ? * Dans quelle mesure êtes-vous (ou avez-vous été) impliqué·e dans la conduite du changement ? (Dans le cas où la·le manager a conduit le changement, lui demander des exemples concrets de ce qu’il a mis en place, des difficultés rencontrées et de ce qu’il changerait s’il devait recommencer)
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Qualité et amélioration continue * Dans quelle mesure votre entreprise est-elle impliquée dans la démarche qualité (certification ISO, management par la qualité, etc.) ? (les questions suivantes ne sont à poser que si l’entreprise est impliquée dans une certification ISO ou autre) * Que pensez-vous de la démarche qualité ? * Quels outils issus de la démarche qualité ou de l’amélioration continue utilisez-vous au quotidien ? * Comment gérez-vous les plans d’action à mettre en place ? (Demander des exemples concrets) Le recrutement * Lorsque vous avez besoin d’un nouveau collaborateur·rice, comment procédez-vous : de l’expression de vos besoins jusqu’au recrutement ? * Qu’est-ce qu’un bon candidat à vos yeux ? * Quels sont les critères auxquels vous prêtez particulièrement attention ? * Dans quelle mesure les RHs (Ressources Humaines) sont-elles impliquées dans le processus de recrutement ? * Quel est votre meilleur souvenir de recrutement ? * Quel est votre pire souvenir de recrutement ? Bilan sur la pratique managériale * Quelle méthode de management mise en place vous procure pleinement satisfaction ? (Demander des exemples concrets) * Quelles difficultés avez-vous surmontées dans votre activité de management ? (Demander des exemples concrets) * Comment pourriez-vous améliorer votre pratique managériale ? Transition : « Avant de terminer l’entretien, je vais vous poser quelques questions courtes qui n’auront pas forcément de lien les unes avec les autres » Questions diverses (court questionnaire) * Quel âge avez-vous ? * Quel est votre niveau d’étude ? * Depuis combien d’années managez-vous des collaborateur·rices ? * Combien de temps après votre premier emploi avez-vous obtenu un poste de manager ? * Avez-vous suivi une formation en management ?
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Initiation à l’entretien en sciences sociales
Clôture de l’entretien (les indispensables questions de la fin) Transition : Nous arrivons à la fin de cet entretien, * Pensez-vous à d’autres aspects du management que nous n’avons pas abordés ou à d’autres questions que j’aurais pu poser ? * Quels conseils pourriez-vous me prodiguer en tant que novice en management ? * Comment avez-vous vécu cet entretien ? Je tiens à vous remercier pour le temps que vous m’avez consacré et pour la richesse de vos réponses qui me seront très utiles à l’avenir.
8. Faire des entretiens d’entraînement À présent que votre guide d’entretien est ébauché, réalisez des entretiens d’entraînement avec vos proches pour commencer. C’est un bon moyen de limiter votre stress et d’acquérir des automatismes. Vous pourrez vous rendre également compte que vos questions telles qu’elles sont rédigées sont difficiles à dire à haute voix, voire difficiles à comprendre. Ensuite, l’idéal serait de réaliser des entretiens d’entraînement dans les conditions réelles, à ceci près que vous interrogeriez des personnes proches de votre population cible et faciles d’accès pour maximiser votre temps. À la fin de chaque entretien d’entraînement, vous pourriez échanger sur votre pratique et votre maîtrise des techniques avec un tiers (quand cela est possible) dans le but de vous corriger avant la réalisation des « vrais entretiens ». Le nombre d’entretiens d’entraînement à pratiquer sera fonction du temps dont vous disposez pour ce faire et de vos besoins : vous y mettrez fin une fois acquis le sentiment d’être préparé.
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Points clés Le guide d’entretien est un aide-mémoire, mais également un outil indispensable pour structurer votre collecte d’informations. Les questions qu’il contient regroupent toutes les hypothèses ou informations dont vous avez besoin pour répondre à votre question de départ. Cela demande de la préparation pour rédiger des questions les plus neutres, claires, ouvertes, et concises possible. Lors de sa rédaction, mettez-vous à la place de vos interlocuteurs pour que vos questions suivent une logique et facilitent leur remémoration. En somme, ce guide se travaille, se teste et se retravaille pour parvenir à sa version finale et stabilisée que vous utiliserez sur l’ensemble de vos enquêtés. Enfin, rassurez-vous, les guides d’entretien sont toujours perfectibles. Le plus important est de commencer vos entretiens quand votre guide semble contenir les informations principales dont vous pourriez avoir besoin, sachant que de nouvelles hypothèses (et donc de nouvelles questions) émergeront durant votre terrain d’enquête.
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Chapitre 4 La prise de contact
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Une fois que la problématique, les hypothèses, et la méthode sont définies, et que vous avez préparé votre guide d’entretien, il ne vous reste qu’à prendre contact avec la population cible pour constituer votre échantillon d’entretiens. Parvenir à accéder aux enquêtés demande parfois du temps, de la ténacité, une bonne connaissance du terrain et de l’ingéniosité. Certains terrains seront plus difficiles d’accès que d’autres. Comme l’exprime Bertaux (2005), les difficultés que vous rencontrerez ne sont ni à sous-estimer, ni à surestimer. La prise de contact et les moyens d’accéder à vos enquêtés se préparent en amont afin d’améliorer vos chances de mener à bien votre recherche.
1. Rédiger un appel à témoignage Quel que soit le moyen choisi, il est préférable de préparer un appel à témoignage en deux versions : une version longue d’une page et une version courte de quelques lignes. Ce travail préparatoire sera nécessaire pour maximiser vos chances de réussite, car vous aurez préparé une réponse à toutes les questions que se posent vos futurs enquêtés, et vous apporterez une forme de standardisation dans votre manière de les solliciter. Dès ce premier contact, il vous faut
répondre à toutes les questions que se pose l’enquêté, donner un sens à sa future collaboration (il lui faut une bonne raison de participer) et lui inspirer confiance. Votre appel à témoignage doit contenir 9 éléments attendus par l’enquêté : 1) votre nom ; 2) votre statut ; 3) le thème de la recherche ; 4) le but de la recherche et son utilité sociale en tentant d’utiliser des mots clés connus de cette population et qui ont du sens pour elle ; 5) vos attentes vis-à-vis de l’enquêté ; 6) le type de questions que vous seriez amené à poser (facultatif dans l’appel, mais l’enquêté vous posera la question dès qu’il le pourra) ; 7) la déontologie : anonymat et/ou confidentialité ; 8) la durée estimée de l’entretien ; 9) vos coordonnées et les modalités de prise de rendez-vous. Exemple 24. Appel à témoignage version longue
L’appel à témoignage ci-dessous a été travaillé pour tenter d’apporter le plus d’informations possible à l’enquêté et lui donner confiance. Il était destiné à la fois à une diffusion via Internet, via les associations d’aide aux victimes de dérives sectaires et via le réseau des enquêtés déjà rencontrés. « Actuellement étudiante en doctorat de sociologie, je m’intéresse à l’étude des croyances. Cette recherche sociologique, menée sous la direction du professeur X, a pour vœu d’étudier les mécanismes de la croyance afin de mieux en comprendre les ressorts. Votre expérience, votre vécu et vos réflexions à ce sujet sont autant d’éléments précieux pour cette recherche. Le regard théorique et l’approche dynamique que je souhaite apporter à cette recherche vous paraissent peut-être secondaires ou, au contraire, intrusifs, mais ils permettraient de donner un souffle nouveau à l’étude des croyances collectives. Ce faisant, votre expérience unique, vos ressentis, votre histoire et vos souvenirs, même les plus anodins, permettront de sculpter les contours d’une nouvelle approche de la compréhension de ces croyances en mettant en exergue 62
Initiation à l’entretien en sciences sociales
les mécanismes qui ont été à l’œuvre lors de votre parcours. Au-delà de cet objectif personnel de compréhension, j’aime à croire que ce travail pourra apporter aux associations d’aide aux victimes, aux familles et aux victimes elles-mêmes de nouvelles approches pour comprendre le phénomène sectaire et pour lutter contre ses dérives. Afin de vous permettre de mieux appréhender cette recherche, je vous propose quelques exemples de questions que je serai amenée à vous poser : “Comment avez-vous été amené à croiser le chemin de ce groupe auquel vous avez appartenu ? Quel était votre quotidien en son sein ? Dans quelles conditions en êtes-vous sorti ?” Le recueil de votre témoignage sera réalisé dans le plus strict anonymat, en toute confidentialité et sous couvert de la plus grande discrétion. Tous les propos que nous échangerons au cours de cet entretien ne seront partagés que par vous et moi et tous les éléments susceptibles de dévoiler votre identité ou celle de vos proches seront modifiés afin de préserver votre sérénité. La durée de cet entretien sera fonction de votre histoire personnelle et de votre disponibilité. Si vous souhaitez me rencontrer et me faire part de votre expérience, sachez que le lieu et l’heure de notre rencontre seront laissés à votre convenance. Je vous remercie par avance de l’attention que vous avez portée à la lecture de ce document et reste à votre disposition pour tout autre renseignement complémentaire. Vous pouvez, si vous le souhaitez, me contacter par mail à l’adresse suivante : [email protected] ou par téléphone au numéro suivant : 06 66 41 09 23 (n’hésitez pas à me laisser un message avec vos coordonnées). Au plaisir de vous lire ou de vous entendre prochainement, Romy Sauvayre » (Sauvayre, 2010, p. 387)
Astuce Demandez à vos proches de relire votre appel à témoignage. Lisez-le à voix haute et corrigez-le jusqu’à ce qu’il soit fluide et facile à comprendre. Testez le vocabulaire utilisé, car ce qui va de soi pour vous, ne va pas de soi pour vos lecteurs.
La prise de contact
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2. Construire son échantillon Une fois que vous avez préparé votre appel à témoignage, il vous faut contacter des personnes susceptibles d’accepter de répondre à vos questions. Vous allez donc construire votre échantillon d’enquêtés. Il existe plusieurs manières de construire un échantillon. Le choix à faire dépend de multiples facteurs. Si vous connaissez la population totale à enquêter parce que vous vous intéressez aux salariés d’une petite ou moyenne entreprise, vous ne choisirez pas les mêmes modalités d’accès à la population que si vous ignorez tout de vos enquêtés. Si vous enquêtez dans un milieu difficile d’accès au sein duquel la population est invisible, vous procéderez encore différemment. En outre, il est à noter que le choix des modalités d’accès à la population a des conséquences sur l’échantillon total obtenu. Autrement dit, chaque intermédiaire ou médiateur utilisé vous donnera accès à un type d’enquêtés qui aura ses caractéristiques propres. Ainsi, multiplier les médiateurs, lorsque cela est possible, permet d’obtenir un échantillon varié.
2.1 Un choix méthodologique à faire La recherche qualitative, menée par entretiens, suppose de s’intéresser à une petite partie de la population totale. Elle n’est pas régie par la quantité, mais par la qualité et la variété des recueils. Il n’y a pas de quête à la représentativité statistique de l’échantillon constitué. En revanche, l’échantillon se doit d’être « constitué à partir de critères de diversification » (Michelat, 1975, p. 236). Sachant que votre échantillon sera de taille réduite, par rapport à une enquête par questionnaire, tendre vers une variété de cas différents, vers l’hétérogénéité du corpus, est indispensable pour vous donner toutes les chances d’accéder à tous les types d’enquêtés que compte le terrain choisi. Pour ce faire, vous pouvez utiliser des variables générales (âge, profession, niveau 64
Initiation à l’entretien en sciences sociales
d’éducation, etc.) ou des variables plus spécifiques au terrain d’enquête (le lieu d’habitation, l’appartenance à un syndicat, etc.). En fonction de la posture méthodologique adoptée, les modalités de construction de l’échantillon seront différentes. Avec une approche hypothético-déductive, les hypothèses sont construites lors de la phase exploratoire, et il s’agit de les tester sur une population choisie selon des caractéristiques définies. Les variables jugées les plus pertinentes sont donc définies à l’avance, ce qui permet de circonscrire la recherche d’enquêtés à partir d’une définition claire et précise de ceux-ci. Alors qu’en adoptant une démarche inductive, comme peut la proposer la Grounded Theory (Glaser et Strauss, 2017), il s’agit d’intégrer le terrain au plus vite, sans hypothèses préalables, et de les construire progressivement. Ce faisant, l’échantillon se forme au gré de l’analyse successive des entretiens, car il n’est pas possible de déterminer les caractéristiques de la population a priori (Bardot, 2010). Les premières analyses vous guident vers l’exploration ou l’approfondissement d’un secteur donné et vous dirigerez les sollicitations d’enquêtés en fonction de cela.
2.2 Solliciter des enquêtés : les modes de prises de contact Une certaine ingéniosité est parfois nécessaire dans une telle entreprise, car non seulement il n’est pas toujours aisé d’accéder à la population cible, mais il n’est pas non plus toujours facile d’obtenir leur accord pour réaliser un entretien. Chaque mode d’accès à la population a ses avantages et ses inconvénients qu’il s’agit de prendre en considération pour mesurer les limites des données recueillies. Toutefois, cela dépend du terrain d’enquête, c’est pourquoi les modes d’accès suivants sont développés dans cette section à titre d’exemple : • l’effet boule de neige ; • les blogs, les forums et les réseaux sociaux ; La prise de contact
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• le téléphone ; • les e-mails ; • les affichettes dans des lieux publics ou chez les commerçants ; • le démarchage en personne. 2.2.1. L’effet boule de neige
Recourir à des intermédiaires est le moyen le plus efficace d’obtenir, auprès de votre futur enquêté, sa participation à l’enquête. Dans la mesure où vous êtes introduit par une personne connue, qui recommandera votre projet auprès des personnes sollicitées, vous dépassez plus aisément sa méfiance a priori. Le médiateur saura convaincre, au risque de déformer quelque peu les objectifs de votre recherche. C’est pourquoi il vous sera indispensable de prendre soin, dans ce type de démarchages, de clarifier le cadre de l’enquête auprès du nouvel enquêté, davantage que pour les autres modes de sollicitation. Les intermédiaires potentiels sont nombreux : vous pouvez ainsi contacter des associations, des institutions, des syndicats, des dirigeants d’entreprise, des collègues, des parents d’élèves, des amis, etc. Plus indispensable encore est l’informateur ou médiateur privilégié (Combessie, 2007) : membre ou proche de la population cible, il s’intéresse à votre enquête et vous met en relation avec vos futurs enquêtés. En outre, il vous aide à cerner le monde que vous souhaitez étudier et vous livre des informations précieuses. Dans des secteurs difficiles d’accès, secrets, ou empreints de méfiance, cet informateur se révèle la clé de la faisabilité de votre enquête. L’effet boule de neige consiste alors à solliciter la participation des enquêtés de proche en proche. Elle consiste à demander à chaque informateur privilégié ou à chaque enquêté rencontré de vous mettre en contact avec quelqu’un de leur connaissance correspondant aux critères souhaités. Vous pouvez leur laisser votre carte de visite et votre appel à témoignage pour qu’ils puissent les diffuser autour d’eux. Ce moyen est particulièrement efficace pour accéder à des personnes inaccessibles ou « invisibles » socialement. Cela vous permet 66
Initiation à l’entretien en sciences sociales
d’atteindre plus facilement la population cible et d’être recommandé par votre enquêté (s’il a apprécié votre rencontre et s’il vous fait confiance). On peut toutefois craindre une trop forte homogénéité de votre échantillon. C’est pourquoi ce ne peut être le seul mode de prise de contact utilisé. 2.2.2. Les blogs, les forums, et les réseaux sociaux
Les réseaux sociaux personnels (Facebook, Instagram, twitter, etc.) et professionnels (LinkedIn, Viadeo) vous permettent de toucher en quelques minutes des milliers d’utilisateurs résidant partout en France ou dans le monde. Pour rédiger votre post, optez pour une version courte de l’appel à témoignage avec une mise en forme agréable et facile à lire. Vous pouvez également visiter des blogs et des forums de discussion spécialisés pour accéder à des personnes ciblées répondant aux caractéristiques souhaitées. Les informations laissées par les utilisateurs ou leur profil public seront alors d’une grande aide. En revanche, le taux de non-réponse ou de défections (avec ou sans acceptation préalable) peut être considérable avec ce mode de prise de contact. En effet, préparez-vous à fixer un rendez-vous, mais à avoir des annulations de dernière minute. 2.2.3. Le téléphone
Au moyen d’une liste de numéros de téléphone obtenue par ailleurs ou glanée sur Internet (ex. : le site Internet des entreprises), vous pouvez accéder à une population différente et accélérer votre prise de contact. Il est même envisageable de sélectionner les personnes au hasard au moyen, par exemple, de table de nombres au hasard. La version courte de l’appel à témoignage se révélera indispensable. Par ailleurs, vous ne toucherez pas le même profil de personnes en fonction des heures et des jours auxquels vous appelez. Vous serez soumis à la concurrence du démarchage commercial qui a coutume La prise de contact
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d’appeler au cours des heures de repas et qui a pour effet d’agacer vos futurs enquêtés. Les défections seront alors nombreuses, car il vous faut convaincre ou susciter de l’intérêt en moins de trente secondes. 2.2.4. Les e-mails
Solliciter des personnes par e-mails reste un moyen à ne pas négliger même s’il reste impersonnel et que vos chances d’être lu sont faibles. Si vous êtes dans une entreprise, une collectivité territoriale ou une université, vous disposerez de listes de diffusions. Vous pouvez également vous rapprocher de professionnels disposant de listes ou les créer vous-même à partir des e-mails glanés sur Internet. Renseignez-vous. 2.2.5. Les affichettes ou flyers dans des lieux publics
Si les enquêtés que vous recherchez sont circonscrits à un secteur géographique ou à un quartier donné, vous pouvez procéder par voie d’affichage. Il est fréquent de voir des sollicitations sur les panneaux d’affichage au sein des universités, mais vous pouvez envisager bien d’autres lieux : salles de sport, boulangeries, arrêts de bus, etc. Soyez créatif ! 2.2.6. Le démarchage en personne
Il est également possible d’envisager d’autres moyens d’atteindre vos enquêtés. Vous pouvez faire du porte-à-porte en vous munissant de votre appel à témoignage et d’une carte de visite. Le démarchage dans la rue peut également être une nécessité et peut être le seul moyen restant à votre disposition pour réaliser votre enquête. C’est le cas lorsque l’on cherche à atteindre des personnes sans domicile fixe ou des personnes qui sont plus facilement accessibles dans la rue comme les prostituées de rue ou les dealers, ou dont l’entité de groupe qui vous intéresse est visible dans la rue comme les tagueurs, les skateurs, les musiciens de rue, etc. 68
Initiation à l’entretien en sciences sociales
2.3 Le taux de refus Les modes d’accès à la population ont un impact différent sur le taux de refus. Certains enquêtés sont plus faciles d’accès que d’autres, et cela se lit aisément dans ce taux de refus. Exemple 25. Une enquête en collectivité territoriale
Dans une recherche portant sur l’usage des technologies de l’information et de la communication (Sauvayre, 2012b) réalisée auprès des employés d’une collectivité territoriale, avec l’appui du corps dirigeant de l’organisation, le taux de refus n’atteignit que 29,7 % ; ils étaient contactés individuellement sur leur téléphone professionnel durant les heures de bureau. Exemple 26. Un terrain difficile d’accès
Dans une enquête portant sur les croyances d’anciens adeptes de mouvements marginaux (Sauvayre, 2012a), la population cible était particulièrement difficile d’accès en ce qu’elle était invisible. Pour obtenir 48 entretiens biographiques, 125 anciens adeptes ont été contactés ; on obtient alors un taux de refus de 61,6 %. En approfondissant les données collectées sur ce point, il est apparu que le taux de refus différait en fonction du mode d’accès sollicité. Ce taux de refus était de 43,5 % via les informateurs privilégiés, de 50 % via les associations sollicitées et de 84 % via les forums et autres sites Internet.
Astuce : Le journal des refus Tenez un journal précis du nombre de personnes contactées, du mode de prise de contact, ainsi que du taux de refus. Grâce à lui, vous aurez une vision générale des difficultés rencontrées, du mode de prise de contact le plus efficace, et des limites de l’échantillon dont vous disposez au terme de votre enquête.
La prise de contact
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3. Prendre rendez-vous Une fois que l’enquêté accepte votre proposition d’entretien ou à tout le moins qu’il est intrigué par votre recherche au point de vous appeler ou de répondre à votre sollicitation (e-mail, post, etc.), quelle est la marche à suivre pour qu’il vous donne rendez-vous dans un lieu ou sur le média approprié, à une date qui vous convienne et, surtout, qu’il ne vous fasse pas faux bond ?
3.1 Les 4 piliers à suivre La clé de votre réussite repose sur quatre piliers : votre rapidité, votre flexibilité, votre capacité d’adaptation et votre préparation. • La rapidité. Répondre immédiatement aux messages et aux appels, ou si vous ne pouvez pas vous libérer, répondre dans l’heure qui suit la sollicitation. • La flexibilité. Fixer une date de rendez-vous dans la semaine qui suit la prise de contact. • L’adaptabilité. S’adapter à l’enquêté et à ses contraintes. • La préparation. Être en mesure de réaliser l’entretien dès le lendemain de l’envoi de l’appel à témoignage.
3.2 L’épreuve du téléphone : un test à passer Il est indispensable de vous rendre joignable. La première précaution d’usage est d’avoir toujours un téléphone à portée de main pour que vos futurs enquêtés puissent vous joindre facilement. S’ils ne vous joignent pas à leur première tentative et qu’ils ne souhaitent pas vous laisser leurs coordonnées, les enquêtés peuvent ne pas réitérer leur appel. La seconde précaution est de vous assurer que votre message vocal soit sobre et donne de vous une représentation conforme 70
Initiation à l’entretien en sciences sociales
à la manière avec laquelle vous souhaitez être perçu par votre enquêté. Vous décrochez votre téléphone avec une voix calme et apaisante. Après avoir remercié l’enquêté, les premiers échanges débutent. Ce premier contact est souvent décisif : l’enquêté se forgera une première représentation de vous. La première attitude de l’enquêté est celle de la méfiance. Ce premier contact est un test de confiance, tout autant qu’un test relationnel. Lorsque vous êtes recommandé, introduit par un tiers de confiance, vous jouissez d’un a priori plus favorable que lorsqu’il s’agit d’un contact sans intermédiaire. Par ailleurs, cet appel téléphonique sera aussi l’occasion de vous assurer que l’enquêté correspond aux caractéristiques que vous attendez pour constituer votre corpus (Duchesne et Haegel, 2005). Néanmoins, il vous faut avoir à disposition le matériel nécessaire pour vous aider à donner bonne impression dès les premiers instants et pour ne pas faire perdre son temps à votre enquêté. En effet, si vous êtes stressé, perdu ou hésitant parce que vous ne vous souvenez plus de ce que vous avez à dire ou que vous manquez d’attention parce que vous êtes en quête de vos notes pendant que votre interlocuteur vous parle, vous risquez le désistement de l’enquêté ou une fin de non-recevoir. Ayez donc toujours à votre disposition votre agenda, de quoi prendre des notes, votre appel à témoignage, et une trame d’entretien téléphonique pour ne rien oublier. Plusieurs points seront abordés au cours de ce premier contact qui peut être téléphonique ou en personne : • les présentations ; • la présentation de la recherche et les réponses aux questions que votre futur enquêté se pose ; • le lieu de l’entrevue ; • les personnes en présence ; • la date ; • la clôture. La prise de contact
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3.3 L’exercice du « question-réponse » Votre appel à témoignage (si vous en avez réalisé un) vous sera donc utile à l’étape des questions-réponses. À divers moments de l’enquête, vous serez amené à répondre aux questions que l’enquêté se pose. Vous y avez déjà répondu lors de la rédaction de l’appel à témoignage, et l’enquêté vous les posera à nouveau lors du premier contact que vous aurez avec lui (par téléphone, par e-mail ou en personne). Il vous faudra y répondre à nouveau avant de commencer l’entretien. Si l’enquêté n’aborde pas cet aspect, suggérez-le-lui : « Avez-vous des questions ? » Il s’agit d’un test de sincérité et de confiance. La manière avec laquelle vous répondrez aux questions que l’enquêté se pose lui indiquera le niveau de confiance qu’il peut vous accorder et votre capacité à écouter. Une bonne préparation est un plus pour vous permettre de décrocher vos entretiens. En effet, répondre efficacement à des questions ne s’improvise pas, mais demande de l’entraînement pour que les réponses soient organisées, claires et pertinentes, et pour qu’elles donnent confiance à l’enquêté. Vous pourriez, par exemple, vous exercer sur un proche ou un collègue et recueillir leurs impressions. Les questions qui s’avèrent les plus importantes portent sur l’anonymat, l’enregistrement des échanges, l’intérêt de la recherche et surtout sur ce qui vous a amené à solliciter spécifiquement cet enquêté.
3.4 Négocier le lieu de l’entrevue Le lieu influe beaucoup sur la qualité de l’entretien, c’est pourquoi le moment de sa négociation est important. 3.4.1. Les effets du lieu sur l’enquêté
Le choix du lieu de réalisation de l’entretien n’est pas anodin et ne conduira pas au même recueil de données. En effet, les interruptions, le flux de passants, les oreilles indiscrètes, le bruit ambiant 72
Initiation à l’entretien en sciences sociales
sont autant de freins à la réalisation de l’entretien. Les bars ou les brasseries ne sont donc pas propices à une discrète discussion. Mais il est possible que vous n’ayez pas le choix du lieu lors de la prise de rendez-vous. Beaud et Weber (2010, p. 173) suggèrent : « Réalisez des entretiens dans des lieux où les enquêtés se sentent comme chez eux. Ce peut être pour le militant ouvrier une pièce du local syndical (à l’écart des autres) ou un café proche de l’usine. » Il reste à garder à l’esprit que le lieu a un effet sur le discours de l’enquêté. Le lieu crée une forme de stimulation mnésique, ou produit un effet de cadre, faisant primer les souvenirs, les événements ou les réflexions rattachés audit lieu, ce qui peut faciliter ou non la remémoration de souvenirs personnels. Il est également lié à une activité qui lui est propre, à des règles, à des normes et à des rôles endossés par l’enquêté. Lorsqu’un individu est sur son lieu de travail, de loisir ou dans sa sphère privée, il ne fera pas appel aux mêmes connaissances, ni n’aura accès aisément aux mêmes souvenirs. Par conséquent, si vous réalisez l’entretien sur le lieu de travail de l’enquêté, celui-ci sera plus enclin à répondre aux questions qui auront trait à son activité professionnelle qu’à sa vie privée. Inversement, si vous réalisez l’entretien à son domicile, il répondra plus aisément aux questions d’ordre personnel et cela lui demandera plus d’efforts d’aborder ses activités professionnelles. Par ailleurs, toute interruption fera perdre le fil des pensées de l’enquêté ou rendra difficile sa recherche de souvenirs. Un lieu de passage aura les mêmes effets, surtout si l’enquêté est en mesure de percevoir les mouvements et l’agitation ambiante. En outre, si l’enquêté perçoit des individus s’approchant trop près de ce qu’il identifiera comme sa « zone de confidentialité », cela peut mettre à mal son sentiment de sécurité vis-à-vis de la confidentialité de ses propos. Soit il s’interrompt et oublie ce qu’il vous disait ; soit il baisse le ton jusqu’à devenir inaudible pour limiter la portée de sa voix. En somme, les lieux publics conduisent les enquêtés à un maintien de soi, à une certaine retenue, peu propice aux réminiscences émotionnelles. Enfin, un environnement bruyant rendra difficile l’écoute La prise de contact
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mutuelle, mais, plus ennuyeux encore, l’enquêté pourra être inaudible sur l’enregistrement et l’entretien se verra inexploitable. Cet effet de l’environnement sur la qualité de l’entretien est à prendre en considération lorsque vous vous apprêtez à déterminer le lieu où se déroulera l’entrevue. Si vous réalisez un entretien semi-directif sur l’activité professionnelle des salariés du privé, il sera préférable de réaliser les entretiens dans un espace professionnel (bureau, salle de réunion, salle de repos, etc.). Si vous réalisez un récit de vie, il sera préférable d’opter pour le lieu de résidence de l’enquêté. Il s’agit alors pour l’enquêté d’accueillir chez lui un inconnu dont il ignore tout. Il vous faudra donc être convaincant pour dépasser ses réticences. En effet, une fois que vous avez choisi le lieu idéal dans le cadre de votre enquête, il vous faut convaincre l’enquêté de réaliser l’entretien dans celui-ci. 3.4.2. « Vous êtes libre de… » faire l’entretien là où je le souhaite
Deux psychologues français, Alexandre Pascual et Nicolas Guéguen (2002), vont vous aider à amener l’enquêté à choisir le lieu le plus approprié pour réaliser l’entretien. Ils ont montré que le simple fait d’annoncer à son interlocuteur qu’il est libre d’accepter ou de refuser de réaliser l’action proposée augmente sensiblement sa réalisation. Rapporté à la négociation du lieu de rendez-vous, il s’agit d’indiquer à l’enquêté que c’est comme bon lui semble, que c’est à lui de voir le lieu le plus approprié, tout en lui soufflant qu’un endroit calme, où il se sentirait à l’aise serait idéal. « Prenons, pour exemple, cet échange avec un enquêté qui, après avoir accepté le principe de l’entretien, se met volontiers “à la disposition” de l’enquêteur : Enquêté : “Où voulez-vous faire ça ?” Enquêteur : “Dites-moi ce qui vous arrange le mieux…” Enquêté : “Je pourrais venir à votre bureau ?” Enquêteur : “C’est comme vous voulez… je peux aussi me déplacer, dans un endroit où nous serions plus tranquilles” » (Bardot, 2010, p. 124). 74
Initiation à l’entretien en sciences sociales
Il ne sera pas toujours possible de réaliser l’entretien chez l’enquêté, mais avec ce procédé, vous pourrez augmenter vos chances de l’obtenir. Exemple 27. S’adapter à l’enquêté
Nous avons réalisé une enquête par entretiens biographiques qui nous mena à parcourir la Belgique, la France, le Luxembourg et la Suisse. Comme la population enquêtée était parfois suspicieuse, les entretiens biographiques ne se sont pas toujours déroulés dans les lieux les plus appropriés pour ce type de recueils de données. Nous avons ainsi réalisé tout ou partie des entretiens chez les enquêtés (dans leur séjour, salle à manger, cuisine, véranda, jardin), chez des proches des enquêtés (parents ou amis), sur leur lieu de travail, dans leur voiture, dans des bars, dans une association, à l’université, dans une bibliothèque, dans une église, et dans des jardins publics. Avec l’aide de cette approche de la prise de contact basée sur la liberté consentie à l’enquêté, nous avons pu réaliser 71 % des entrevues dans le lieu le plus approprié pour cette recherche, à savoir le lieu de résidence de l’enquêté.
3.4.3. Seul·e ou accompagné·e ?
Pour votre enquête, avez-vous besoin de voir votre enquêté seul, accompagné de son·sa conjoint·e, en famille, dans un groupe d’amis ou d’inconnus, etc. ? La dynamique de l’entretien ne sera pas la même s’il est seul ou accompagné. Ce que l’on peut dire à un inconnu (l’enquêteur que l’on ne reverra probablement plus jamais ensuite) est bien différent de ce que l’on peut livrer à un proche. Il y a un côté libérateur dans le fait de parler à quelqu’un qui ne semble pas vous juger et avec lequel vous n’avez aucune attache : vous avez le sentiment de pouvoir tout dire. Il est alors souvent conseillé d’éviter de réaliser des entretiens avec des personnes de votre connaissance. Les choix méthodologiques que vous aurez à faire peuvent vous amener à privilégier des entretiens en couple afin, par exemple, de retracer leur parcours biographique commun. Les oublis de l’un pourront être alimentés par les souvenirs de l’autre. Vous obtiendrez alors La prise de contact
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des informations plus précises et plus fiables (voir chapitre 8). Il a d’ailleurs été démontré que les femmes avaient davantage la mémoire des dates que les hommes (Riandey, 1995 ; Auriat, 1996). Le revers de ces conditions d’enquête est le secret : même si vos enquêtés vous affirment que mener l’entretien en présence de leur conjoint·e ne leur pose aucun problème puisqu’ils n’ont « rien à cacher ». Or, il reste souvent des zones d’ombre qu’ils préféreront taire, ou des questions qui les mettront dans l’inconfort. Il est alors fréquent que durant l’entretien, à un moment d’absence du conjoint, l’enquêté se penche en avant et corrige ses propos, en chuchotant, pour s’assurer qu’aucune oreille indiscrète ne l’entende. Il vous précisera même les raisons de son mensonge. Cela signifie que sur certains éléments de son parcours et de son discours (et non la totalité), l’enquêté sera dans l’incapacité de parler librement. Enfin, dans le cas d’un entretien collectif, le discours individuel peut être davantage perturbé par la présence des autres membres. Cette dynamique est bien connue des psychologues sociaux : cet effet de groupe porte le nom de conformisme. Salomon Asch (1955) démontra, au moyen d’expériences, que les réponses d’un individu peuvent être influencées par la présence d’un groupe unanime. Le sujet de l’expérience ira jusqu’à douter de ses sens ou se conformera au groupe de peur de montrer son désaccord. Les partisans de l’entretien collectif se centrent alors sur la coconstruction du discours en groupe et peuvent compléter cette collecte par des entretiens individuels. En effet, comme le rapportent Sophie Duchesne et Florence Haegel (2005, p. 89), l’entretien collectif ne peut être « une méthode adaptée au recueil d’opinions individuelles ». Quel que soit le choix méthodologique que vous ferez, la première prise de contact est le moment de le soumettre à l’enquêté. Comme pour la négociation du lieu, vous n’aurez pas toujours la possibilité de réaliser les entretiens dans des conditions optimales. La négociation préalable des conditions de l’entretien peut alors vous prémunir de « surprises » à votre arrivée chez l’enquêté. Imaginez-vous vous 76
Initiation à l’entretien en sciences sociales
présenter chez votre enquêté. Vous envisagez de vous entretenir seul avec cette personne. Or, à votre arrivée, elle vous lance en arborant un large sourire : « Je vous présente mon conjoint, il assistera à l’entretien, car nous n’avons rien à cacher l’un pour l’autre et ce sera l’occasion pour lui de découvrir cette partie de ma vie. » Il est donc important de négocier ce point avant le moment de l’entrevue, c’est-àdire lors de la prise de rendez-vous.
3.5 Négocier la durée de l’entretien Pour négocier la durée de l’entretien, il est nécessaire de faire une estimation haute du temps nécessaire à sa réalisation. La phase d’entretien de pré-enquête ou les entretiens tests que vous pourriez passer vous aideront à faire cette estimation. Il est toutefois à prendre en considération que la durée des entretiens varie d’un enquêté à l’autre : cela dépend de l’environnement, de l’intérêt nourri à l’égard de votre enquête, du temps qu’il a à sa disposition, du climat de confiance que vous instaurerez avec lui, de sa capacité à parler librement, etc. Il vous est donc difficile de faire une estimation précise. C’est pourquoi il est préférable de prévoir large et de vous assurer des contraintes qui pèsent sur l’enquêté pour choisir un créneau flexible. Par exemple, vous pourriez annoncer à l’enquêté : « La durée d’un entretien varie d’une personne à l’autre. Elle dépend de votre expérience, cela peut durer entre _____ et _____ heures ». Faire référence aux entretiens déjà réalisés, au temps que vous avez pris avec d’autres enquêtés, permet d’apporter une justification réaliste et concrète pour l’enquêté. Pour un entretien semi-directif estimé d’une heure, il est préférable de disposer d’une heure trente à deux heures. Pour un récit de vie, il est conseillé de demander à l’enquêté de se rendre disponible une demi-journée. Les enquêtés peuvent réagir avec surprise à votre demande et vous dire : « Il vous faut tout ce temps ! » Rassurez-les en leur disant qu’en effet, parler de leur expérience peut prendre du temps. La prise de contact
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3.6 Négocier la date du rendez-vous Il n’est pas rare de voir des enquêtés accepter un entretien, se rétracter à la dernière minute, ou ne jamais se présenter sur le lieu du rendez-vous (Bertaux, 2005 ; Beaud et Weber, 2010). Pour limiter ce risque, la temporalité entre le moment de la prise de rendez-vous et l’entretien est cruciale. Lors de la prise de rendez-vous, les enquêtés peuvent accepter et vous fixer une date très rapidement – dès le lendemain ou dans la semaine qui suit – et d’autres, très occupés, vous fixeront le rendez-vous trois semaines plus tard. Dans ce dernier cas de figure, les risques de voir l’entretien annulé ou reporté sont grandes. Le temps passe, le quotidien de l’enquêté prend le pas sur l’intérêt qu’il porte à l’enquête, il prend le temps de réfléchir au fait de se livrer (Pollak, 1986), il interroge ses proches qui le dissuadent (Pollak, 1986), il a peur de rouvrir des plaies émotionnelles ou de parler de choses gênantes, etc. En somme, lors de la prise de rendez-vous, la souplesse de votre emploi du temps vous permettra de maximiser vos chances de programmer les rencontres le plus tôt possible, et donc de réaliser vos entretiens. Vous serez amenés alors à réaliser vos entretiens à des heures de bureau en semaine, les dimanches, les jours fériés, durant les vacances scolaires, tôt le matin et très tard le soir. Le sentiment de liberté est ici aussi à susciter. Il s’agit donc de laisser l’enquêté libre de vous proposer la date qui lui convient le mieux et d’accepter le premier ou le deuxième créneau qu’il vous suggère. Une date de rendez-vous perçue comme contraignante par l’enquêté augmentera les risques d’annulation, tout comme une date fixée au-delà des quinze jours suivant la prise de rendez-vous. La spontanéité de l’enquêté est un atout pour votre collecte de données. Toutefois cela peut vous prendre de court si vous lancez vos sollicitations avant d’être prêt à partir sur le terrain. Imaginons : un premier appel retentit. Vous convainquez brillamment votre interlocuteur de 78
Initiation à l’entretien en sciences sociales
participer à votre enquête. Très motivé, il accepte de vous voir dès le lendemain. Or, vous n’êtes pas encore prêt et vous avez besoin de gagner du temps alors vous fixez la rencontre deux semaines plus tard. Quelques heures avant votre première entrevue, votre enquêté est aux abonnés absents. Pour vous prémunir de ces éventuelles déconvenues, vous pourriez par exemple proposer à votre enquêté de lui envoyer un courriel de confirmation stipulant la date, l’heure et le lieu de l’entrevue. En outre, vous pourriez également demander à l’enquêté – tel un service que vous lui rendez – s’il souhaite être rappelé avant la date de l’entrevue pour ne pas l’oublier.
Astuce : Maximiser vos chances Pour augmenter vos chances de réaliser votre terrain de la manière la plus favorable pour vous, veillez à être : • Préparé. Être prêt à réaliser un entretien dès le lendemain du lancement des sollicitations et de la diffusion de l’appel à témoignage ; • Souple. S’adapter à l’enquêté et à ses contraintes ; • Rapide. Fixer la date du rendez-vous le plus tôt possible.
4. Conseils pratiques pour préparer votre rencontre Une fois que votre entretien est programmé et approche à grands pas, il ne vous reste plus qu’à vous préparer pour cette rencontre qu’elle se réalise par téléphone, en visioconférence ou en présentiel. Anticiper est le maître mot d’une rencontre réussie. Pour ce faire, plusieurs conseils pratiques vous seront peut-être utiles. La prise de contact
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4.1 Le choix de la tenue vestimentaire Votre tenue vestimentaire permettra à l’enquêté de se forger une première représentation de vous : qui êtes-vous au travers de ces vêtements qu’il perçoit comme autant d’informations lui permettant de vous catégoriser ? Le choix de cette tenue n’est pas anodin. Comment voulez-vous être perçu ? Que voulez-vous que l’enquêté se dise de vous à partir de cette tenue ? Ce sont autant de questions à vous poser avant de partir sur le terrain. Par ailleurs, suivant le lieu de l’enquête et la catégorie socioprofessionnelle des enquêtés, vous serez soumis à des codes et des normes différentes. Il n’est pas rare de rencontrer, successivement, des personnes appartenant à diverses classes sociales. Par exemple, vous pourrez vous entretenir avec un ouvrier un jour, puis avec un chef d’entreprise ou un rentier le lendemain. Devez-vous changer de tenue vestimentaire pour vous adapter à l’enquêté ou garderez-vous la même tenue par souci de standardisation ? Beaud et Weber plaident en faveur d’une adaptation au terrain de l’enquête : « Lorsque vous allez voir un maire, un directeur d’entreprise, un proviseur de lycée (ou plus généralement ce qu’on appelle un “institutionnel”) sur son lieu de travail, vous êtes obligé de faire un peu attention à votre apparence physique. Ils vous accordent du temps et un peu de considération. Il vous suffit de rendre la pareille. Il est évident que si votre présentation ne correspond pas à celle qu’ils attendent, si elle les heurte ou les choque, ils seront moins disponibles pour vous “aider” dans l’enquête, ils marqueront une réticence à collaborer. La présentation de soi joue ici un rôle important, car elle peut conditionner la poursuite de l’enquête, vous ouvrir ou, au contraire, vous fermer des portes » (Beaud et Weber, 2010, p. 93-94).
Le même conseil est prodigué par Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot (1991) qui, enquêtant sur la bourgeoisie, furent éconduits par leur enquêté lorsque l’un d’eux se présenta sans cravate.
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Ces sociologues invitent donc à la « prudence vestimentaire » et à la réduction de la distance sociale. « Il s’agit d’une certaine façon de se montrer digne d’intérêt, et de convaincre du sérieux de l’entreprise en s’efforçant, dans son vêtement, mais aussi, bien sûr, dans tout son maintien et dans la manière de s’exprimer, de paraître aussi proche que possible d’un univers dont on est pourtant si loin » (Pinçon et Pinçon-Charlot, 1991, p. 127).
En résumé, il serait préférable de vous adapter à l’enquêté et à son milieu social, tout en vous permettant d’être à votre aise : être vous-même avec quelques variations vestimentaires. Par exemple, opter pour un jean ou un pantalon de costume peut suffire à vous permettre de passer sans heurt d’une classe sociale à l’autre. La question qui vous vient peut-être à l’esprit est la suivante : « Comment puis-je connaître à l’avance ou par téléphone la classe sociale de mes enquêtés si je ne sais rien d’eux ? » Le moment de la prise de contact par écrit ou par téléphone sera le moment privilégié pour recueillir cette information à partir du registre langagier utilisé par l’enquêté. Un registre soutenu vous indiquera que votre enquêté appartient à une classe sociale favorisée et inversement.
4.2 Les conseils pratiques 4.2.1. La check-list pour ne rien oublier
Astuce Pour vous assurer de ne rien oublier avant de partir sur le terrain, vous pouvez réaliser une liste à cocher, sur papier ou sur une application pour smartphone, mentionnant les éléments dont vous avez besoin. Elle vous évitera, par exemple, d’arriver chez l’enquêté sans piles de rechange pour votre enregistreur ou sans votre guide d’entretien.
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Exemple 28. Check-list du nécessaire de terrain
* Nom de l’enquêté, numéro de téléphone et adresse de destination * Guide d’entretien imprimé * Cartes de visite * Pièce d’identité * Appel à témoignage imprimé * Stylos * Titres de transport * Enregistreur ou smartphone équipé de Smart Recorder * Piles, batterie, chargeur de téléphone * Téléphone portable * Chargeur de téléphone * GPS ou assimilé * Bloc-notes / journal de terrain * Ordinateur * Cordons et clés USB * Disques de sauvegarde * Agenda * Boissons * Nourriture * Argent liquide ou devises (à l’étranger) * Mouchoirs en papier *…
4.2.2. Un temps de concentration
Prévoyez un temps de concentration juste avant l’entretien pour vous remémorer les étapes à suivre, la consigne, le guide d’entretien, votre manière de vous présenter, et surtout pour vous détendre. 4.2.3. La ponctualité
Présentez-vous à l’heure sur le lieu de la rencontre, ni trop à l’avance, ni en retard. En cas de retard, prévenez immédiatement l’enquêté.
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4.2.4. L’entretien en présentiel : prévoir les modalités de transport
Votre enquêté souhaite vous rencontrer chez lui ou dans un lieu public. Commencez par réfléchir à l’avance aux modalités de transport : itinéraires, achat de titres de transport, réservation d’un hébergement, etc. Ces recherches peuvent prendre beaucoup de temps, et en particulier si vous devez vous rendre dans une ville ou un pays qui vous est totalement inconnu. Éditez sur papier ou enregistrez sur un Drive les plans, itinéraires et toute autre information utile pour vos déplacements, et programmez des rappels dans votre téléphone portable. Prévoyez également une marge de temps de transport supplémentaire en cas de difficultés telles que les retards des transports en commun, les ralentissements de la circulation, ou l’impossibilité de trouver le lieu de votre rencontre. Pour réduire l’incertitude sur ce dernier point, vous pouvez par exemple utiliser Google Maps Street View pour repérer les lieux à l’avance. 4.2.5. L’entretien en visioconférence : familiarisez-vous avec l’outil
Vous réalisez des entretiens par visioconférence. Pour que l’enquêté soit le plus à l’aise possible, l’idéal est de lui laisser le choix de l’outil à utiliser (Microsoft Teams, Zoom, Skype, Discord, etc.). De votre côté, si vous maîtrisez ces outils, alors il ne vous reste qu’à planifier la visioconférence au moyen de l’outil choisi. En revanche, si vous ne l’avez jamais utilisé, il est préférable de vous familiariser avec l’outil et de réaliser des entretiens tests. Les précautions d’usage : • Veillez à avoir un casque avec micro pour éviter que votre enquêté ne s’entende en écho et pour vous permettre d’accroître votre confort d’écoute ; • Veillez également à ce que votre ordinateur soit chargé ; • Évitez de vous connecter à Internet au moyen du wifi, car vous aurez des pertes de connexion. Privilégiez une connexion par La prise de contact
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câble Ethernet ou au moyen de la 4G ou de la 5G de votre smartphone ; • Éloignez vos animaux de compagnie ; • Prenez des notes sur papier, car le bruit des touches de votre ordinateur pourrait perturber vos enquêtés ; • Prévoyez un plan B au cas où la communication ne passe pas. Ex. : téléphone, WhatsApp, etc. Enfin, vous trouverez dans le chapitre 7 (p. 121-122) des astuces pour gérer votre regard par visioconférence. 4.2.6. L’entretien par téléphone : prévoyez un espace
Vous réalisez vos entretiens par téléphone. Les précautions d’usages sont les suivantes : • Chargez votre téléphone ; • Installez-vous dans une pièce au calme ; • Posez vos notes et votre guide d’entretien imprimé ; • Prenez des notes sur papier, car le bruit des touches de votre ordinateur pourrait perturber vos enquêtés ; • Prévoyez un kit mains libres ; • Éloignez vos animaux de compagnie ; • Prévoyez un plan B au cas où votre réseau s’interromprait.
Points clés Obtenir la participation des personnes cibles à votre enquête n’est pas toujours facile. • Multipliez les modes de contact, car il est possible que vous essuyiez de nombreux refus. • Rédigez un message (l’appel à témoignage) contenant toutes les informations dont vos enquêtés ont besoin pour réduire leur incertitude et déclencher leur souhait de vous aider. Votre manière de rédiger ce message peut être motrice, comme elle peut être infructueuse. Testez-le sur plusieurs personnes avant de l’envoyer sur les réseaux sociaux.
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Initiation à l’entretien en sciences sociales
• Avant de lancer vos sollicitations, soyez prêt à passer un entretien dès le lendemain, soyez flexible pour fixer un rendez-vous compatible avec les contraintes de vos enquêtés. • Attendez-vous à ce que vos rendez-vous ne soient pas toujours honorés (surtout si vous contactez les personnes sur Internet). • Préparez votre entrevue au moyen de la check-list, en veillant à disposer d’un matériel en bon état de marche et d’une tenue appropriée.
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Chapitre 5 Commencer l’entretien
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À présent, vous êtes prêt à réaliser votre entretien. Vous disposez de l’ensemble du matériel nécessaire, vous êtes préparé, vous avez votre guide d’entretien, il ne vous reste plus qu’à mener l’entretien. Comment débuter ? Quelle tenue choisir ? Où vous positionner par rapport à l’enquêté ? Comment donner confiance ? Comment enregistrer ? Ce chapitre abordera toutes ces questions pour vous permettre de réaliser vos entretiens dans les meilleures conditions.
1. Un entretien est une rencontre Réaliser un entretien, suppose en premier lieu de faire une rencontre. Comme toutes les nouvelles rencontres, tout commence par des salutations, des présentations et des échanges de convenance que l’entretien se déroule par téléphone, par visioconférence ou en présentiel. Ces premiers échanges sont également l’occasion de remercier chaleureusement l’enquêté pour sa participation à votre enquête, pour le temps qu’il vous accorde, et pour l’aide précieuse qu’il vous apporte. L’enquêté peut douter du fait que sa « vie ordinaire » puisse vous aider dans votre travail d’enquête. Valoriser les apports de son
témoignage améliorera les chances de le voir parler librement et largement de tout, même de ce qui lui semblera inintéressant. Cette attitude souhaitée de l’enquêté est d’autant plus importante à obtenir que votre étude porte justement sur les aspects les plus triviaux de son quotidien. Comme l’écrit Peter Berger (1973, p. 35), le sociologue « se laissera fasciner aussi par le banal et le quotidien » ou par des « questions que d’autres trouveraient parfaitement ennuyeuses ». L’enquêté ne vous confiera pas naturellement ce qu’il considère comme inintéressant si vous ne l’incitez pas à le faire.
2. Choisir sa place Le lieu de l’accueil et celui où sera réalisé l’entretien peuvent être différents. En effet, l’enquêté anticipe votre arrivée et l’endroit où il envisage de s’entretenir avec vous, et ce, d’autant plus s’il opte pour son lieu de résidence. Au moment de prendre place, on notera un moment de flottement au cours duquel vous communiquerez, le plus souvent de manière non verbale, sur le siège à prendre par rapport à lui. Le fait de vous positionner en face-à-face ou à 45 degrés par rapport à l’enquêté n’aura pas les mêmes effets sur lui et sur la relation qui se tissera au cours de l’entretien. En prendre connaissance vous permet de choisir la position qui convient le mieux à la relation d’enquête souhaitée. Les travaux de sociométrie de l’école de Palo Alto ont largement étudié l’influence des dimensions spatiales sur la communication et les apports du psychologue Robert Sommer (1959) en particulier peuvent nous éclairer sur ce point. Sommer intervint dans un hôpital psychiatrique d’une capacité de 1 500 lits, à la demande du service pour personnes âgées qui, malgré l’environnement neuf et attrayant, voyait très peu de relations s’instaurer entre les individus qui y séjournaient. Sommer y étudia la relation entre le mobilier Commencer l’entretien
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et la communication. Le psychologue entreprit alors d’observer les relations entre les membres du personnel (infirmières, plombiers, comptables, secrétaires, etc.) fréquentant la cafétéria de l’hôpital. La cafétéria comportait des tables rectangulaires de 90 cm sur 1,80 m pouvant accueillir huit personnes (figure 4 ci-dessous). Figure 4. Table et disposition des chaises lors de l’observation de Sommer
Source : D’après Sommer, 1959, p. 249
Sommer réalisa 50 observations sur une période de deux mois. Au terme de ce travail, il montra que la relation « de coin » entre les individus A et B (figure 4 ci-dessus) était largement surreprésentée par rapport à une relation en face-à-face (B et H). En effet, la relation « de coin » (A et B) est six fois plus fréquente que la relation en face-à-face (B et H), et elle est deux fois plus fréquente que la relation côte à côte (G et H). Ainsi, seuls 27 % des observations voyaient des personnes s’installer en face-à-face (Sommer, 1959, p. 250). Lorsqu’il réitéra cette recherche non plus par observation, mais par expérimentation au moyen de tables de 90 cm par 1,20 m pouvant accueillir quatre sièges, seuls 20 % des personnes s’installèrent en face-à-face et 80 % « en coin » (Sommer, 1959, p. 252). 88
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Rapporté au contexte de l’entretien de recherche, il est raisonnable de penser que les enquêtés préféreront s’entretenir avec vous en « coin » ou à 45 degrés qu’en face-à-face. Cela dépendra toutefois de la configuration des lieux. Quels effets peuvent avoir ces positions sur l’enquêté ?
2.1 La relation en face-à-face La relation en face-à-face (figure 5 ci-dessous) est commune dans le monde du travail. Elle est utilisée dans la négociation, la confrontation, l’embauche, le recadrage, etc. Cette position frontale affirme les statuts de chacun. L’enquêté est soumis de manière plus frontale à votre regard et à la perception d’un jugement potentiel, même fugace. Lorsque l’enquêté manque d’assurance ou aborde un point gênant, être soumis ainsi à votre regard peut rendre la situation d’enquête intimidante. En outre, dès lors qu’il part dans ses réflexions ou ses souvenirs, il percevra plus aisément chacun de vos gestes qui pourraient produire une interruption et lui faire perdre le fil de ses pensées. Certains enquêtés préféreront toutefois cette relation qui leur apporte plus de contrôle sur la situation, ainsi que la possibilité de cerner qui vous êtes et ce que vous pensez. Enfin, dans certains secteurs d’activités, vos entretiens correspondront quasi exclusivement à cette spatialité. Par exemple, si vous réalisez votre entrevue dans le bureau de votre enquêté situé sur son lieu de travail, il y a aura de fortes chances qu’il se déroule en face-à-face eu égard à l’agencement du mobilier et des habitudes qu’il s’est forgées à mesure de s’entretenir ainsi avec ses collègues. Le « rôle » (Goffman, 1991) que votre enquêté endosse sur son lieu de travail primera alors sur les autres rôles sociaux (citoyen, conjoint, père, frère, ami, etc.) qu’il peut endosser dans son quotidien. Cela peut alors rendre malaisé l’accès aux dimensions extraprofessionnelles de son vécu.
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Figure 5. Relation en face-à-face entre enquêteur et enquêté
2.2 La relation en coin (à 45 degrés) Dans la relation à 45 degrés (figure 6 ci-dessous), moins frontale que le face-à-face, les enquêtés sont susceptibles d’être plus à l’aise et de se détendre plus rapidement. En effet, l’enquêté n’est pas toujours soumis à votre regard et à son jugement potentiel ; cela peut lui donner le sentiment de pouvoir parler plus librement. Au-delà de ce bénéfice immédiat, cette position est des plus appropriées pour la conduite d’entretiens non directifs (récits de vie, entretiens autobiographiques) et plus spécifiquement lorsque l’enquêté se remémore et revit son expérience passée. Lors de ces moments, toute interruption fait sortir l’enquêté de ses réminiscences, parfois brutalement. Ces interruptions peuvent se produire avec un simple geste de votre part ou dès lors que l’enquêté croise votre regard. Ce faisant, si l’enquêteur n’est pas dans le champ de vision de l’enquêté, il nuit moins au voyage mental (Tulving, 1985) le menant dans ses souvenirs. Dans cette position, l’enquêteur pourra toutefois avoir accès au regard de l’enquêté, et être ainsi attentif à de nombreuses indications non verbales qui se laissent entrevoir plus aisément. À l’inverse, l’enquêté pourra également percevoir l’enquêteur lorsqu’il tentera de l’interrompre ou d’attirer son attention, ce que la relation « côte à côte » permet difficilement. 90
Initiation à l’entretien en sciences sociales
Figure 6. Relation en coin (à 45 degrés) entre enquêteur et enquêté
Comme tous les enquêtés ne sont pas à leur aise dans la relation à 45 degrés (ils représentent 80 % des sujets de l’expérience de Sommer), il est préférable, autant que possible, de laisser l’enquêté prendre place et de vous adapter ensuite à son choix.
2.3 La relation côte à côte La relation côte à côte (figure 7 ci-dessous), quant à elle, a plusieurs désavantages. Vous ne pouvez pas susciter l’attention de l’enquêté par le regard, car vous êtes hors de son champ de vision. Il sera alors amené à plus facilement partir dans de long discours sans que vous puissiez l’interrompre sans heurt. Là, on est à l’exact opposé de la relation en face-à-face qui vous amène à trop facilement l’interrompre. Figure 7. Relation côte à côte entre enquêteur et enquêté
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En outre, cette position conduit immanquablement à se placer à une distance trop courte de l’enquêté. Cela peut produire de la gêne et de l’inconfort pour les deux parties. Enfin, il s’agit d’une position particulièrement inconfortable pour l’enquêteur qui, pour saisir les expressions faciales de son enquêté, tournera la tête ou le buste de manière souvent peu ergonomique. Cette relation côte à côte se présentera à vous essentiellement lorsque les contraintes du lieu de la rencontre rendront tout autre placement impossible. En effet, comme l’a montré Sommer (1959), ce type de positions entre interlocuteurs est bien moins souvent choisi que les autres.
2.4 La distance vis-à-vis de l’enquêté Quelle que soit la position occupée par rapport à l’enquêté, la notion de distance sociale (la proxémie) reste l’un des éléments les plus importants de l’interaction comme l’a montré Edward T. Hall (1971). L’anthropologue américain fit mention de quatre distances entre deux individus en interaction : la « distance intime » (de 15 à 45 cm), la « distance personnelle » (de 45 à 125 cm), la « distance sociale » (de 1,2 à 3,6 m) et la « distance publique » (de 3,6 à 7,5 m) (Hall, 1971, p. 147157). Si ces distances varient d’une culture à l’autre, il est conseillé de leur accorder une attention particulière. En effet, il vous faut veiller autant que possible, à ne pas entrer dans la « bulle » (« distance intime ») de l’enquêté et à ne pas être trop distant de lui, afin de favoriser les échanges et la mise en place d’une relation de proximité. Frédéric Nils et Bernard Rimé (1999) conseillent de se placer à un mètre de l’enquêté. Comme pour le choix du placement, l’enquêté définira lui-même la distance qui lui sied. Il est alors nécessaire d’être attentif à son intention de placement, traduite dans sa gestuelle, qui indiquera ses préférences. Ce court panorama sur la spatialité dans l’entretien montre que certaines considérations de la proxémie peuvent servir le recueil de données et la relation enquêteur-enquêté. 92
Initiation à l’entretien en sciences sociales
3. Sortir votre matériel Une fois que vous avez fait connaissance, que vous avez évoqué divers points, et que vous vous êtes installés, vous vous demandez quel est le moment propice pour commencer l’entretien et la manière avec laquelle vous devez procéder. Tout en discutant, vous pouvez commencer à sortir le matériel dont vous avez besoin, à savoir le guide d’entretien et un stylo dans un premier temps. Il n’est pas encore opportun de brandir votre enregistreur sous les yeux de l’enquêté. En effet, il pourrait être tétanisé ou inquiet en le voyant immédiatement et il serait imperméable à la consigne que vous avez minutieusement préparée pour lever ses inhibitions et ses craintes. La discussion prendra rapidement la forme de questions-réponses amorcées par l’enquêté. Il ignore tout de vous, de la situation d’enquête et à présent que vous êtes devant lui, il saisira l’occasion d’évaluer la confiance qu’il peut vous accorder tout en espérant être rassuré par vos réponses.
4. Donner confiance L’enquêté vous reposera des questions s’il en éprouve le besoin ou s’il lui vient à l’esprit des questions supplémentaires qui n’auraient pas été évoquées au préalable. Ces questions peuvent être plus précises quant à l’anonymat et à la confidentialité que vous lui promettez. La réponse que vous apportez et la confiance que vous suscitez à ce moment précis conditionnent le bon déroulement de l’entretien et surtout ce que l’enquêté sera prêt à dévoiler de lui-même. Plus il a confiance en vous et en votre rigueur d’enquêteur, plus il sera amené à vous confier des détails qu’il jugera importants, sensibles, ou intimes. Il sera alors d’autant plus enclin à répondre sans réticences à toutes vos questions, même à celles qui pourraient être gênantes. Commencer l’entretien
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Il peut arriver que les questions qu’il pose avant le début de l’entretien aient été abordées lors de la prise de rendez-vous, mais l’enquêté vous sollicitera à nouveau pour être rassuré ou pour que ses proches, présents au moment de votre accueil, puissent l’être également. Il peut aussi s’agir d’un moyen pour vous interpeller à nouveau sur votre capacité à répondre sincèrement. Il s’agit souvent d’un test, car l’enquêté ne sait que peu de choses sur vous et qu’il lui faut se forger une opinion pour savoir s’il peut ou non vous donner sa confiance le temps de l’entretien. En fonction des sujets abordés et des enquêtés, ce test de confiance peut durer plusieurs heures. C’est également le moment où l’enquêté vous pose des questions plus précises sur votre parcours, votre recherche, son but, ou sur la manière avec laquelle vous comptez exploiter les données. Enfin, il aborde des questions plus intrusives qui lui tiennent à cœur et qui lui permettent de mieux cerner qui vous êtes par rapport au sujet donné. Les enquêtés souhaitent comprendre ce qui vous a amené à choisir le thème de recherche pour lequel vous venez les solliciter et ils désirent savoir comment vous vous positionnez vis-à-vis de lui (autrement dit vos opinions). Ainsi aurez-vous immanquablement à répondre à la question suivante : « Pourquoi avez-vous choisi ce sujet ? » Par exemple, si vous vous engagez dans une recherche portant sur les croyances, vous devrez, en outre, répondre à des questions concernant votre appartenance religieuse. C’est l’expérience qu’ont vécue Beaud et Weber (2010, p. 93) : « Avant de commencer l’entretien, notre interlocuteur posa la question de notre appartenance religieuse. Chacune de nos réponses lui fit lever les yeux au ciel. » Or, quelle que soit la réponse apportée, il vous faut garder à l’esprit qu’elle aura des conséquences sur la perception que l’enquêté aura de vous et donc sur le déroulement de l’entretien. La collecte de données sera colorée par la réponse que vous apporterez. Il est donc important de préparer une réponse qui permette à l’enquêté de satisfaire son besoin de catégorisation en minimisant ses effets 94
Initiation à l’entretien en sciences sociales
délétères. Vous pouvez aussi envisager de reporter la réponse à la fin de l’entretien en le justifiant par les exigences de l’enquête.
5. Enregistrer Comment faire accepter l’enregistrement de l’entretien et à quel moment l’annoncer ? Il s’agit de rassurer l’enquêté vis-à-vis de votre utilisation de ses propos. Comme le dit le proverbe : « Les paroles s’envolent, les écrits restent. » Toute l’inquiétude des enquêtés est là. Une fois que vous êtes installé, que vous avez échangé avec l’enquêté, et que la discussion se tarit, vous êtes prêt à commencer l’entretien. C’est à ce moment qu’il est opportun de sortir votre enregistreur naturellement, sans gêne, ni appréhension, tout en prononçant une phrase du type : « Et comme on va se dire beaucoup de choses [l’enquêté acquiesce], que je ne vais pas pouvoir me souvenir de tout, je vous propose [sortir l’appareil à enregistrer ou votre téléphone portable], si vous le voulez bien, d’enregistrer nos échanges. » Vous pouvez ensuite ajouter : « Vos propos seront transcrits et votre nom, ainsi que tout ce qui serait susceptible de vous identifier, sera modifié ou supprimé pour vous garantir le plus strict anonymat. » Il peut s’ensuivre des questions plus précises sur votre manière de traiter les entretiens et leur exploitation en général. Par ailleurs, vous pouvez proposer à votre enquêté de lui transmettre un enregistrement. Il sera d’autant plus heureux de ce geste qu’il s’agit d’un récit de vie ou d’un entretien autobiographique. Dans le cadre d’entretien en visioconférence, chaque outil intègre une fonction enregistrement. Vous pourriez en plus utiliser votre téléphone pour avoir un plan B en cas de problème. L’application Smart Recorder est à la fois très fiable et produit des enregistrements de qualité que ce soit pour vos appels téléphoniques ou visios. Commencer l’entretien
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Précautions Il vous faut l’accord de votre interlocuteur pour l’enregistrer. Certaines personnes peuvent refuser et c’est leur droit. Vous pouvez néanmoins dialoguer avec votre interlocuteur pour comprendre ses réticences et ainsi les effacer en le rassurant. Si vous avez bien appuyé sur le fait que ses propos sont anonymes et que vous inspirez l’honnêteté, il n’y a pas de raison que votre interlocuteur refuse cet enregistrement.
6. Annoncer la consigne Une fois que toutes les inhibitions sont levées, que les questions ont été posées et que vous y avez patiemment répondu, il ne vous reste plus qu’à annoncer : « On peut commencer ? » Il s’agit d’une question de transition qui remportera à coup sûr une réponse positive. Si tel n’est pas le cas, c’est que l’enquêté a besoin d’autres précisions, que vous lui apporterez volontiers. Vous pouvez alors annoncer votre consigne (voir chapitre 3 – 6.1, p. 42). Même si l’enquêté demande à passer cette étape, insistez pour poursuivre. Comme la consigne contient tous les éléments nécessaires pour poser le cadre de l’entretien, la manière avec laquelle l’enquêté pourra intervenir, parler librement sans crainte d’être jugé, il est crucial que l’ensemble des enquêtés puissent l’entendre. Lors de la lecture de la consigne, l’idéal serait d’appuyer sur les points importants – c’est-àdire de marquer un ralentissement et de prononcer certains mots plus clairement et distinctement – tels que l’anonymat, la confidentialité, la liberté de parole, le fait que parfois vous ne vous faites pas comprendre et qu’il n’hésite pas à vous faire répéter, etc. Enfin, il ne vous reste plus qu’à mettre en marche votre enregistreur et à poser votre première question, regarder l’enquêté d’un air intéressé et écouter. 96
Initiation à l’entretien en sciences sociales
7. Poser votre première question Commencer l’entretien par une première question large qui a déjà été évoquée lors de la prise de contact est essentiel. En effet, introduire l’entretien par une question à laquelle les enquêtés ont déjà été familiarisés par ailleurs peut être rassurant dans la mesure où cela ne brise pas leurs éventuelles anticipations. Exemple 29. Une première question
Vous étudiez la conversion à l’agriculture biologique chez les cultivateurs français. Si vous commencez votre entretien par demander à l’enquêté de vous raconter son enfance, il sera surpris, puis réticent. Posez alors une première question sur le bio ou la conversion. L’enquêté s’attend à ce que vous lui demandiez pourquoi le bio ou quand est-ce qu’il a commencé à penser à la conversion. Soit vous posez une question sur ce qui l’a amené à se convertir au bio, soit vous posez une question sur ses débuts dans le métier d’agriculteur. L’enquêté vous parlera naturellement de ces deux aspects.
En effet, il est raisonnable de penser que les enquêtés se prépareront, en quelque sorte, à répondre aux questions qu’ils anticipent d’avoir de votre part. Il n’est pas rare de voir les enquêtés entrer dans une forme de logorrhée qui peut durer jusqu’à deux heures en fonction du sujet et du type d’entretien. Laisser les enquêtés restituer ce qu’ils envisagent de raconter de leur histoire ou ce qu’ils jugent important de livrer, c’est leur éviter de ressentir les éventuelles frustrations consécutives à l’impossibilité de délivrer le message souhaité. N’oublions pas que chaque enquêté a une raison d’accepter de témoigner et de se livrer à un inconnu (le chercheur). En d’autres termes, chacun dispose d’une motivation qui lui est propre. Il est donc important de laisser à l’enquêté (dans la mesure où vous le pouvez) la possibilité de restituer ce pour quoi il s’est engagé dans l’entretien. En outre, il est parfois difficile d’amener l’enquêté à répondre à vos questions : lorsqu’il n’a pas le sentiment de s’être pleinement exprimé Commencer l’entretien
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sur la question posée, il peut réaborder ladite question jusqu’à ce qu’il ait le sentiment d’avoir présenté l’ensemble du discours préconstruit qu’il avait l’intention de vous livrer. Beaud et Weber invitent d’ailleurs l’enquêteur à laisser l’enquêté digresser avant de recentrer sur le sujet, même si cet écart est sans apport a priori pour l’enquête. Or, souvent « ces digressions vous feront comprendre la manière dont les deux types de propos étaient liés. Les associations d’idées ont nécessairement du sens pour l’enquêté et un sens social à découvrir pour l’enquêteur » (Beaud et Weber, 2010, p. 180).
Points clés Un entretien est d’abord une rencontre avec votre enquêté. Celui-ci se forgera une représentation de vous à partir de votre tenue qu’il vous faudra choisir sciemment et en prenant le temps d’anticiper les avantages et les écueils de cette tenue. La manière avec laquelle vous vous positionnerez par rapport à l’enquêté (en face-à-face ou en coin) aura également une influence majeure sur le discours de votre enquêté. Enfin, la consigne que vous aviez préparée sera un point clé, car elle permettra à votre enquêté de vous faire confiance au point d’accepter de se faire enregistrer et de vous parler librement. Ne négligez pas cette étape importante qui pose le cadre de l’interaction (Goffman, 1991).
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Initiation à l’entretien en sciences sociales
Chapitre 6 Questionner et relancer 6
L’entretien étant une interaction sociale qui est loin d’être une discussion. Elle nécessite de la part de l’enquêteur du savoir-faire pour poser ses questions au bon moment, pour relancer, recentrer le sujet, interrompre ou gérer les sujets tabous. Avant votre premier entretien, ces techniques peuvent vous sembler difficiles à mettre en place, mais vous les appliquerez progressivement, un entretien après l’autre, jusqu’à ce que cela vous vienne naturellement. Ce chapitre vise donc à vous présenter des astuces, des exemples et des conseils pour échanger efficacement avec vos enquêtés afin d’améliorer la qualité de votre recueil de données.
1. Adapter votre langage Sachant que vos enquêtés peuvent appartenir ou être issus de diverses classes sociales, il est indispensable d’adapter votre registre langagier pour deux raisons principales : • donner toutes les chances de vous faire comprendre ; • limiter la distance symbolique entre l’enquêté et vous, ce qui a pour effet de mettre à l’aise votre interlocuteur. Pour ce faire, le plus simple reste de formuler des questions à partir des mots utilisés par l’enquêté. Or, ce n’est pas toujours possible. Donc,
il peut vous arriver de revenir à votre langage universitaire obscur. Si l’enquêté est à l’aise avec vous, il n’hésitera pas à vous demander de clarifier votre question comme le montre l’extrait d’entretien suivant. Exemple 30
Enquêteur : « Est-ce que vous pouviez l’instrumentaliser comme une source de savoir facilement accessible ? » Enquêté : « C’est-à-dire ? » Enquêteur : « C’est-à-dire que… » Enquêté : « Utiliser ce qu’il savait lui pour pouvoir ensuite l’utiliser… » Enquêteur : « Pour vous enrichir vous ? » Enquêté : « Ah, pour m’enrichir moi, oui, oui, oui. » Enquêteur : « C’était cette idée ? » Enquêté : « Oui, oui, oui. Oui, d’ailleurs… »
Réciproquement, comme le sens des mots n’est pas le même chez chacun, il est souvent nécessaire de demander aux enquêtés leur propre définition des mots qu’ils utilisent pour s’assurer d’une bonne compréhension mutuelle. La demande de précision terminologique vous permet d’obtenir une réponse courte et précise qui vise à compléter le discours de l’enquêté : lorsqu’il y a un oubli, une imprécision de sa part ou que vous n’êtes pas sûr d’avoir bien compris le mot employé et les notions développées. Il s’agit de reprendre un mot prononcé par l’enquêté pour l’inviter à donner des précisions. Exemple 31
Enquêté : « Ouais, on peut le dire parce que je me permets-moi, du haut de ma splendeur, de dire ça pour moi ouais, ça peut être inspiré, ça, c’est un peu prétentieux… » Enquêteur : « Inspiré ? » Enquêté : « Inspiré de Dieu oui, oui pardon. Je veux dire que je pense qu’effectivement (…). »
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Exemple 32
Enquêtée : « Je planais, je planais, c’était vraiment ça, je me sentais légère, tout était beau, tout le monde était gentil… et dans ce que Alain était, dans son comportement, je l’admettais, je trouvais ça normal. » Enquêteur : « Qu’est-ce que vous voulez dire par “son comportement” ? »
2. Relancer La relance est une intervention de l’enquêteur qui prend la forme d’une « paraphrase ou un commentaire de l’énoncé précédent de l’interviewé » (Blanchet et Gotman, 2007, p. 62). Lorsque l’enquêté répond à une question, il ne le fait pas toujours de manière aussi complète que vous le souhaiteriez. Plutôt que d’abandonner la question et de vous contenter de sa réponse partielle, relancer votre interlocuteur vous permettra d’approfondir le sujet et obtenir des précisions utiles. La relance est également indispensable lorsque vous n’êtes pas sûr d’avoir compris ou lorsque l’enquêté reste obscur. N’hésitez alors pas à le relancer.
Astuce Vous avez le droit de ne pas tout savoir, vous êtes justement là pour apprendre de vos enquêtés, alors n’hésitez pas à demander des précisions quand vous n’avez pas bien compris ou que vous ne maîtrisez pas suffisamment le sujet. Vos interlocuteurs se feront un plaisir de vous expliquer ce que vous ignorez.
Exemple 33. Plusieurs exemples de relances
• « C’est-à-dire… » • « Par exemple… » Questionner et relancer
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• « Qu’est-ce que vous entendez par là ? » • Votre enquêté utilise des mots que vous ne comprenez pas. Coupezlui la parole en prononçant ce mot pour qu’il vous l’explique : « conspirationnisme… » • « Vous avez dit ceci, vous pourriez m’en dire plus. » • « Vous avez dit ceci, vous auriez un exemple… » • « Vous avez dit ceci ; qu’est-ce qui vous a amené à penser cela, à faire cela, à dire cela. »
3. Reformuler La reformulation consiste à paraphraser les propos de votre enquêté. Pour ce faire, vous formulez une phrase qui résume ce que l’enquêté a dit en commençant par « si j’ai bien compris… ». Il est alors fréquent que l’enquêté ne s’arrête pas à la réponse « oui » ou « non », mais qu’il ajoute des précisions comme le montrent les exemples 34 et 35 ci-dessous. Exemple 34
Enquêteur : « Oui parce que, si j’ai bien compris, il n’y a que (monsieur X) qui pouvait vous ouvrir les chakras ? » Enquêté : « Oui, oui, oui, complètement ! Il y a que lui qui pouvait les ouvrir donc avec le travail on s’ouvre les chakras. Mais, pour les ouvrir à 100 %, il n’y a que (monsieur X), en apposant les mains, qui pouvait les ouvrir. » Exemple 35
Enquêteur : « Si j’ai bien compris, vous croyez en la Bible, mais pas à la totalité de ce qui y est écrit ? » Enquêté : « Voilà, c’est ça. Je crois en la valeur pratique de la Bible, lorsqu’elle aborde des sujets comme je viens de, par exemple dans les écritures grecques chrétiennes, c’est-à-dire ce qu’on appelle le Nouveau Testament, dans les Évangiles, dans les lettres de l’apôtre. »
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Pourquoi formuler les propos de votre enquêté ? Parce que les reformulations : • donnent le sentiment à l’enquêté d’avoir été entendu et compris ; • permettent à l’enquêteur de s’assurer d’avoir bien compris les éléments énoncés ; • permettent à l’enquêté de corriger le résumé proposé par l’enquêteur et d’apporter des précisions pour aider ce dernier dans la compréhension de son discours.
4. Faire des transitions Pour rendre les échanges plus fluides et faciliter l’enchaînement des questions (éviter de donner le sentiment qu’il s’agit d’un interrogatoire), alors que vous souhaitez réorienter l’enquêté, introduire une forme de transition est salutaire. Ces transitions sont fonction de l’importance de la réorientation souhaitée. Si vous changez radicalement de sujet, vous ne procéderez pas tout à fait de la même manière que si vous restez dans le même domaine. Par exemple, pour une réorientation mineure, il suffit de paraphraser, de résumer ce que l’enquêté vient de dire, et de poursuivre par une question reprenant des termes identiques. Exemple 36
« Oui. Et donc, vous étiez accompagnée pendant toute cette période avant l’initiation et qu’est-ce qu’on vous transmettait pendant cette période ? »
Pour une réorientation majeure, il est préférable de faire une transition plus marquée. Il s’agit d’amener l’enquêté à sortir du contexte dans lequel il est plongé pour l’emmener dans un tout autre domaine. Si vous procédez de manière brutale, cela peut casser la dynamique de l’entretien et demander d’importants efforts cognitifs à l’enquêté. Questionner et relancer
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Pour ce faire, vous pouvez amener l’enquêté à se représenter le bond que vous l’invitez à faire en employant des termes comme « vous ramener », « revenir en arrière », « rembobiner », etc. Ajouter des éléments contextuels (exemples 37 à 39 ci-dessous) ou présenter les thèmes généraux que vous souhaitez aborder en poursuivant par une question plus précise (exemple 40 ci-dessous) améliore alors le changement de cadre. Exemple 37
« J’aimerais “rembobiner” le cours de votre histoire, et revenir au moment où vous me disiez… » Exemple 38
« J’aimerais, si vous le voulez bien, vous ramener à ce retour en Angleterre : qu’est-ce qui vous a motivé à y retourner avec votre femme ? » Exemple 39
« J’aimerais vous ramener au soir où vous voyez cet enfant malade, à ce moment-là, que pensiez-vous de… » Exemple 40
« À présent, j’aimerais aborder avec vous votre vie professionnelle. Quel a été votre premier emploi ? »
Quelle que soit l’importance de la réorientation à opérer, une bonne connaissance du guide d’entretien ou des thèmes à aborder est indispensable pour pouvoir poser les questions les plus appropriées au regard du discours de l’enquêté. Cela vous permet alors de garder un fil conducteur au cours des échanges et de donner un sens à l’enchaînement de vos questions. Cela évite également les ruptures de discours et les malaises, ce qui favorise la décrispation de l’enquêté. 104
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5. Recentrer le sujet Un jeu entre questions ouvertes et questions fermées peut être fort utile lorsque l’on veut centrer le discours sur un point précis, on invite l’enquêté à entrer dans le contexte souhaité par une question fermée. Puis, l’on peut ajouter les questions ouvertes permettant de développer et d’approfondir les dimensions attendues. Dans un premier temps, il est nécessaire de rappeler la partie de la discussion qui vous intéresse en formulant une question fermée au moyen des mots prononcés par l’enquêté. Puis, il vous suffit d’annoncer votre question ouverte pour l’inviter à fournir davantage de détails. Voici un exemple d’utilisation d’une question fermée pour centrer la discussion, suivie d’une question ouverte pour approfondir : Exemple 41
Enquêté : « Je, je, j’étais très intellectuel dès que j’ai été tout petit et je, je lisais le dictionnaire, j’apprenais par cœur, je bouquinais, je, je, j’avais un frère qui faisait de la prêtrise… je bouquinais tous ses bouquins de philosophie et de théologie alors que j’avais que treize ans quoi. Et alors, euh, dans le milieu scolaire, ma priorité, c’était d’apprendre le plus possible. J’étais très fort, très doué, et euh, j’étais une petite boule quoi… et tout ça, c’est parce que j’essayais déjà de me construire, ça remplissait du vide. » Enquêteur : « Le vide dont vous m’avez parlé… » Enquêté : « Oui, oui. » Enquêteur : « Donc euh, vous avez essayé de le combler avec l’étude de livres ? » Enquêté : « Oui, oui, je suis toujours un grand lecteur, un très grand lecteur. Je lis beaucoup de psychologie, de psychanalyse, de théologie, de philosophie. Ce sont les domaines qui me plaisent. » Enquêteur : « Qu’est-ce que vous apportaient ces lectures ? » Enquêté : « Ah beaucoup de choses : de la connaissance…, de la compréhension de soi, des autres… oui… ça répond toujours à un besoin quoi. Je reprends un Jung, je vais le relire à grande vitesse. J’ai toujours besoin d’être nourri… par l’intellect, mais vorace hein. Quand, quand, quand un bouquin me Questionner et relancer
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plaît, je le lis en une journée, quitte à y passer douze heures, ah oui, il faut que j’le capte très vite… voilà. »
Cet exemple permet de voir qu’un point particulier de la première locution a été approfondi, à savoir la question du « vide ». La question fermée a permis à l’enquêté d’arrêter son discours pour se concentrer sur ce point particulier de son vécu. La question ouverte a permis ensuite d’obtenir une réponse riche, précise et qui donnait du sens au parcours biographique de l’enquêté. L’enchaînement question fermée et question ouverte a permis, ici, de garder une dynamique discursive volubile qui découle naturellement, sans produire de rupture.
6. Utiliser des verbes d’action Les verbes d’action tels que « amener », « conduire » ou « diriger » peuvent être utilisés à dessein afin d’inviter l’enquêté à retracer une succession de faits, et d’éviter les interprétations ex post des différentes étapes qui ont jalonné le parcours de vie de l’enquêté. Ces verbes d’action ont l’avantage de projeter l’enquêté dans une diachronie, en le contextualisant rapidement dans son histoire personnelle. Exemple 42. Sélection de verbes d’action
Accomplir, accueillir, achever, acheter, adapter, aider, améliorer, analyser, anticiper, appliquer, apprécier, approuver, attacher, attribuer, augmenter, changer, chercher, communiquer, comprendre, compter, concevoir, conduire, conseiller, constituer, construire, correspondre, créer, creuser, cultiver, décider, démontrer, déterminer, développer, écouter, écrire, éduquer, effectuer, élaborer, engager, entraîner, entretenir, envoyer, ériger, estimer, établir, étendre, étudier, évaluer, examiner, exécuter, expliquer, exploiter, exposer, exprimer, faciliter, former, formuler, … 106
Initiation à l’entretien en sciences sociales
Astuce : Intégrer les verbes d’action à ses questions • Étape 1 : substituez le verbe initial par un verbe d’action (ex. : amener) : « Qu’est-ce qui vous a amené à intégrer l’université ? » • Étape 2 : donnez du mouvement à votre question. Lorsque vous prononcez cette question, faites un geste lent de la main, allant de votre corps vers l’extérieur, pour imprimer implicitement l’idée de mouvement.
7. Gérer les hésitations Alors que vous posez une question, il faut vous attendre à ne pas toujours avoir une réponse. L’enquêté ne se souvient plus, il n’a pas d’avis sur la question, il ne sait tout simplement pas ou ne voit pas comment vous l’expliquer. Lorsque vous invitez votre enquêté à parler de ses pratiques, il lui sera d’autant plus difficile de les décrire que c’est une action procédurale. Autrement dit, il est toujours plus facile de le montrer, de le décrire en réalisant l’action que d’en parler sans autre forme de stimulation. Ce sera d’autant plus difficile que l’enquêté n’est pas sur le lieu où il réalise généralement l’action en question. Lorsque l’enquêté a des difficultés à vous répondre malgré sa bonne volonté, vous pouvez soit le mettre en situation et lui demander de vous montrer (s’il s’agit d’une pratique), soit lui demander de vous relater un exemple autant de fois que nécessaire. Exemple 43. Aider l’enquêté à vous répondre
• « Par exemple » + [silence]. • « Pourriez-vous me donner un exemple ? » • « Par exemple, pourriez-vous me raconter une journée type ? »
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En sollicitant l’enquêté de cette manière, vous l’invitez à voyager mentalement (Tulving, 1985) dans son quotidien, à se contextualiser en somme. Il ne lui reste plus qu’à décrire ce qui lui revient à l’esprit. À partir de là, vous disposez d’éléments supplémentaires sur lesquels rebondir pour débloquer la parole de l’enquêté.
8. Interrompre Bertaux (2005) suggère de ne jamais interrompre l’enquêté pour lui poser une question, mais d’attendre qu’il ait terminé d’exprimer son idée. « Une fois que l’entretien, ou plutôt le sujet, est bien lancé, vous pourrez intervenir avec quelques questions. Mais attention, ne l’interrompez pas, attendez qu’il ait fini un développement (l’interruption intempestive est le défaut le plus courant des débutants) et ne posez jamais qu’une seule question à la fois » (Bertaux, 2005, p. 63).
Bertraux ajoute, en outre, que « l’interruption intempestive est le défaut le plus courant des débutants » (Bertaux, 2005, p. 63). En effet, il est préférable de laisser l’enquêté développer son propos. Mais dans les cas où il s’égare ou que vous souhaitez rediriger l’orientation de l’entretien, l’interrompez-vous ? Il existe une forme d’interruption qui, utilisée au bon moment, vous permet de reprendre la direction des échanges. Il est nécessaire pour cela d’être attentif à l’intonation de l’enquêté et de profiter de moments où le ton de sa voix décroît et où il reprend sa respiration pour lui poser une question.
9. Gérer les tabous L’enquêteur est mû par une forme d’indiscrétion qui peut l’amener à poser des questions sur toutes les facettes de la vie de l’enquêté : des plus ordinaires, aux plus intimes. Kaufmann (1992) explora par 108
Initiation à l’entretien en sciences sociales
exemple l’organisation des tâches ménagères au sein du couple. Il avance ainsi que : « L’indiscrétion du thème peut inciter aux dissimulations et aux mensonges pour protéger ses petits secrets » (Kaufmann, 1996, p. 64). Être attentif à la manière qu’a l’enquêté d’aborder ces tabous est essentiel pour lever, au moins partiellement, les réticences qu’il peut avoir à se confier et qui sont le plus souvent dues à la peur du jugement. Aborder un sujet que vous considérez comme gênant en ce qu’il est particulièrement intime (ce qui est le cas par exemple de la sexualité) peut également vous mettre dans l’embarras. Cette retenue ou cette gêne sera perçue par l’enquêté qui pourra penser que vous ne pouvez pas tout entendre. Il est donc indispensable de ne pas avoir peur de poser tous types de questions et de le faire le plus naturellement possible. Si vous abordez un tabou, posez la question de manière directe, sans ambages en vous convainquant qu’elle est analogue à toutes celles que vous avez posées et que vous poserez par la suite. En outre, ce que vous trouvez gênant ne le sera pas forcément pour votre enquêté et inversement. Par exemple, un enquêté peut parler de sa vie sexuelle, sans gêne, ni retenue, et avoir de grandes difficultés à avouer qu’il discute régulièrement avec le fantôme d’une personne décédée.
10. P ourquoi ne pas dire « Pourquoi » ? Il est fréquent, dans la vie de tous les jours, de commencer une question par « pourquoi ». Cela est souvent spontané, comme un réflexe d’incompréhension, manifestant votre volonté d’être éclairé sur les propos tenus par votre interlocuteur. Mais quels sont les effets de l’usage de ce terme au cours d’un entretien ? Becker (2002) explique les « ficelles » du métier de sociologue en présentant notamment les dessous de la recherche qu’il mena sur Questionner et relancer
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les fumeurs de Marijuana. En tant qu’enquêteur, préféreriez-vous demander « Pourquoi êtes-vous devenu fumeur de Marijuana ? » ou « Comment êtes-vous devenu fumeur de Marijuana ? » ? La réponse de Becker penche vers l’usage du « comment » qui, selon lui, « engageait l’enquêté à développer plus largement les circonstances qui l’ont conduit vers cette pratique » (Bardot, 2010, p. 129). Au contraire, l’usage du « pourquoi » conduirait à une attitude défensive, d’autant plus prégnante que la pratique à expliciter est normativement réprouvée. En effet, l’usage du terme « pourquoi » amène l’enquêté dans une démarche de justification de sa position. Plus encore, il peut rester hébété à la suite d’une question commençant ainsi, cherchant désespérément sans pourtant y trouver de réponse. Finalement, l’enquêté a bien plus de difficultés à présenter les causes de ses actions, car par cette question, on lui demande une analyse à brûle-pourpoint. D’une part, l’effort cognitif qu’il doit consentir est plus que conséquent, et d’autre part, pour satisfaire l’enquêteur, il se doit de se remémorer en quelques secondes un très grand nombre d’événements susceptibles d’être pertinents. Après un long « euh », l’enquêté pourra au mieux dire « je ne sais pas » et, au pire, avancer une cause qui ne sera pas forcément la plus pertinente à donner expliquant le sens à son action. En somme, il s’agit de demander à l’enquêté de produire en quelques secondes le travail d’analyse que l’enquêteur réalise à tête reposée en compulsant l’ensemble des données recueillies. En revanche, en utilisant le terme « comment », on fait appel à des faits, à des événements stockés dans la mémoire de l’enquêté qu’il placera rapidement dans une diachronie et qu’il vous racontera plus ou moins longuement en fonction du cadre de l’entretien. Mais ici une multitude d’événements ont pu avoir un effet sur sa trajectoire. Il restera à l’enquêteur, par ses relances, de tenter de découvrir quels seront les plus déterminants d’entre eux avec l’aide de l’enquêté. C’est ainsi que l’on place plus aisément l’enquêté dans une posture réflexive vis-à-vis de ses pratiques, de ses savoirs, de ses opinions, de ses réflexions ou de son parcours en général. 110
Initiation à l’entretien en sciences sociales
11. L’erreur à éviter : « Moi, c’est pareil » Vous songez peut-être à importer dans l’entretien de recherche certains « outils » issus des échanges ordinaires. Peut-être que dans vos interactions quotidiennes, vous avez constaté que lorsque vous répondiez à votre interlocuteur « moi aussi, c’est pareil », il était plus enclin à vous parler. Or, utiliser cette phrase dans un entretien de recherche n’est pas sans conséquence néfaste. En effet, si vous pensez que cela facilitera le discours de l’entretien et la proximité qui s’établira entre vous, vous apporterez néanmoins plusieurs biais dans le recueil de données qui viennent rompre avec la neutralité attendue de la part de l’enquêteur et avec cette dynamique d’interaction laissant libre cours à l’expression de l’enquêté.
11.1 Une rupture avec la neutralité En avançant ainsi votre opinion, réelle ou feinte, vous quitter la posture de neutralité de l’enquêteur nécessaire à la collecte des données (voir chapitre 7 – 6, p. 131) et vous risquez ainsi de biaiser le discours de l’enquêté. Celui-ci pourra renchérir son propos vous sachant du même avis que lui. Au contraire, il pourra ne plus expliciter sa pensée, ses pratiques ou ses opinions avec autant de détails parce qu’il considérera que vous êtes identique à lui : il supposera que vous savez de quoi il parle puisque pour vous « c’est pareil ». Par ailleurs, vous exposez votre collecte d’information au biais de désirabilité sociale qui conduit certaines personnes à vous dire ce que vous voulez entendre ou ce qu’elles pensent être la réponse socialement attendue même si elle ne correspond pas vraiment à ce qu’elles pensent (Phillips et Clancy, 1972 ; Barriball et While, 1994). Questionner et relancer
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11.2 Une interruption fâcheuse Cette intervention suppose de devoir interrompre l’enquêté pour parler de soi. Cela a pour effet de rompre la dynamique de l’entretien, de sortir l’enquêté de ses pensées et de sa contextualisation. D’une certaine manière, vous lui imposez de vous prendre en considération dans l’interaction, alors qu’auparavant, vous étiez comme « effacé », tourné vers l’enquêté, en lui prodiguant de l’attention, de l’écoute et quelques relances mises au service de son discours. Il était tellement plongé dans son discours qu’il vous oubliait, qu’il oubliait l’interaction, l’enregistrement, etc., et avait davantage tendance à se livrer pleinement. L’interrompre de la sorte aura l’effet inverse de celui escompté, car c’est bien en laissant libre cours à ses pensées que l’enquêté est plus enclin à se livrer. Or, il est possible d’amener l’enquêté à parler librement tout en limitant les biais du recueil de données, à savoir, en adoptant une posture d’écoute adéquate.
Points clés Pour questionner efficacement, il est nécessaire de : • Éviter de commencer vos questions par « Est-ce que » ou par « Pourquoi ». • Adapter votre langage à vos enquêtés. • Faire des transitions pour aider votre enquêté à passer d’un sujet à l’autre sans le fatiguer. • Insérer des verbes d’action dans vos questions pour obtenir plus d’informations. • Reformuler et relancer pour vous assurer d’avoir compris et pour inviter votre interlocuteur à préciser ses propos. • Faire des bilans (« si j’ai bien compris… ») pour vous assurer d’avoir compris et pour donner le sentiment à votre interlocuteur de l’écouter activement. • Ne pas raconter pas votre expérience personnelle : un entretien n’est pas une discussion.
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Chapitre 7 Écouter
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Après avoir abordé les manières de questionner votre enquêté, il nous faut aborder à présent une autre dimension de l’entretien tout aussi importante : la posture d’écoute. Comment écouter votre enquêté ? Comment se tenir ? Comment le regarder ? Comment lui accorder votre attention ? Comment ne pas juger ? Cette posture d’écoute a une influence majeure sur la dynamique de l’entretien et sur la capacité de l’enquêté à vous faire confiance au point de parler librement.
1. Les 3 points clés de l’écoute Nous pourrions résumer l’entretien comme technique d’enquête en 4 verbes : écouter, questionner, ressentir et comprendre. Écouter va alors de pair avec l’empathie, la neutralité et l’attitude compréhensive.
1.1 L’empathie L’empathie consiste à « se mettre à la place de l’autre pour ressentir son état émotionnel à partir des indices objectifs non verbaux (les attitudes, les gestes, les mimiques, la voix) et verbaux (les contenus du discours, les connotations spécifiques) » (Guittet, 2013, p. 84).
Il vous faudra donc parvenir à ressentir les émotions de vos enquêtés, mais en les maîtrisant pour garder la capacité de tout entendre.
1.2 La neutralité La neutralité consiste à écouter votre interlocuteur sans le juger. Or, lorsque l’on écoute, il est fréquent de comparer le discours de l’enquêté avec ce que vous auriez fait, dit ou pensé. La tâche la plus difficile à entreprendre est alors d’éviter d’opérer cette comparaison pour ne vous centrer que sur l’enquêté. Nous reviendrons en fin de chapitre sur cette question de la neutralité et de la manière avec laquelle vos enquêtés testeront votre capacité à ne pas les juger.
1.3 L’attitude compréhensive L’attitude compréhensive consiste à se mettre intellectuellement à la place de l’autre. Écoutez votre interlocuteur et questionnez-le jusqu’à disposer de suffisamment d’informations pour vous dire que dans les mêmes conditions, dans le même contexte, vous n’auriez pas agi différemment. En revanche, si vous ne comprenez toujours pas ses choix, c’est qu’il vous manque encore des informations importantes pour vous mettre intellectuellement à sa place.
Astuce : Comment ne pas juger ? Lorsque quelque chose vous surprend, demandez-vous ce qui a amené votre enquêté à penser, croire, dire ou faire ce qu’il vous relate, plutôt que vous dire que vous n’auriez pas agi de cette manière.
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2. Maîtriser votre communication non verbale Au cours des échanges, il est nécessaire de signifier à l’enquêté que vous entendez, réceptionnez, et comprenez ce qu’il vous dit. Cela va du sourire ou d’une émotion émise en reflet, au hochement de tête, à des interjections du type : « Hum, hum », « Oui », « D’accord », « Je vois », etc. Il ne s’agit donc pas de rester de marbre durant l’ensemble de l’entretien. Votre enquêté a besoin d’avoir une forme d’« accusé de réception » de ce qu’il vous dit. Comme l’écrit Bertaux (2005, p. 62) : « Deux attitudes extrêmes sont à proscrire : trop parler, interrompre à tout bout de champ ; mais aussi ne rien exprimer (masque inexpressif, silence équivoque). Comme le remarque fort justement Franco Ferrarotti, on ne raconte pas sa vie à un magnétophone. » Comme l’explique Bardot (2010, p. 134) : « Les interventions non verbales jouent ainsi un rôle important et peuvent souvent remplacer avantageusement un propos maladroit. Hochements de tête, attention marquée, rires partagés, donnent une présence à l’enquêteur qui contribue activement au maintien de la mobilisation de l’enquêté. »
Quelle serait alors la posture d’écoute conseillée ? Prêter attention à sa tenue vestimentaire, comme nous l’avons vu, permet de gérer les représentations sociales que vous véhiculez en tant qu’enquêteur. Alors que prendre en considération le langage de votre corps donne des indications sur vos intentions, votre attention, votre écoute, voire votre personnalité. Cela suppose de prendre conscience : • de votre gestuelle : les mouvements de vos mains (y compris lors de la manipulation des objets qui sont à votre portée tels que le stylo, l’enregistreur, les documents papier, etc.), de vos bras, le port de votre tête et de votre buste ; Écouter
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• du regard que vous posez sur l’enquêté ; • de vos mimiques faciales : du froncement de sourcils aux sourires ; • de vos marques verbales d’écoute : « hum, hum », « oui », « continuez », « c’est-à-dire », « d’accord », « ah oui », « je comprends », « je vois », etc.
2.1 Gérer votre posture Une posture d’écoute appropriée aura pour effet de donner le sentiment à l’enquêté que tout ce qu’il dit vous intéresse, ce qui a pour conséquence de l’encourager dans son effort d’explicitation de son vécu, de ses opinions, de ses pratiques. Nils et Rimé (1999) suggèrent de se pencher très légèrement en avant pour manifester votre intérêt pour les propos de l’enquêté. En effet, préféreriez-vous vous confier à quelqu’un qui a le corps en arrière adossé à son siège (photo A, figure 8 ci-dessous), ou quelqu’un qui se penche légèrement (photo B) ?
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Figure 8. Postures d’écoute en retrait (A) et en avant (B)
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Comme vous pouvez le constater, la posture du corps en retrait (photo A ci-dessus) donne une impression de distance et donne le sentiment à l’enquêté d’un manque d’implication, alors que la posture en avant (photo B) donne le sentiment d’une écoute attentive et d’un vif intérêt pour le discours de l’enquêté.
2.2 Gérer votre gestuelle Pour poursuivre sur la maîtrise de la gestuelle de l’enquêteur, la position des bras a également de l’importance. Tenir ses bras serrés très près du corps comme le représente la figure 9 ci-dessous, même si cette posture vous semble confortable, est à éviter. En effet, ce type de postures est souvent perçu comme une forme de repli sur soi, de fermeture à la communication, qui dénoterait un manque de sociabilité.
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Figure 9. La posture fermée (bras croisés) à éviter
La meilleure chose à faire reste d’être détendu et ouvert. Cet état d’esprit se traduira naturellement dans votre manière de vous tenir. Ainsi, pour mettre à l’aise votre interlocuteur, il vous faut également « avoir l’air » d’être à l’aise. Écouter
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La manipulation d’objet au cours de l’entretien peut également avoir une influence sur son bon déroulement. Pour éviter de nuire à la concentration de votre enquêté lorsqu’il répond volubilement à vos questions, il est conseillé de prêter attention à votre manière de manipuler votre stylo, votre guide d’entretien et votre enregistreur. Le stylo. Il vous est indispensable au cours de l’entretien pour la prise de notes. Apprenez à maîtriser vos tics lorsque vous aurez à passer des heures le stylo à la main, car un simple cliquetis de celui-ci pourrait déconcentrer votre enquêté. Le guide d’entretien ou tout autre document papier. Évitez de taquer les feuilles, de les égrainer une à une, de les remettre sans cesse en pile régulière compulsivement, etc. L’enregistreur. Il est tentant de lancer un regard sur votre enregistreur, voire de le saisir, ne serait-ce que pour vous assurer que l’enregistrement s’effectue sans encombre ou simplement pour vous assurer que la batterie est suffisamment chargée pour supporter le reste de l’entretien. Ce simple mouvement oculaire, même discret, peut être capté par votre enquêté et peut suffire à lui rappeler sa présence. Or, l’enregistrement est souvent un frein à la pleine libération de l’enquêté : il est donc nécessaire qu’il oublie l’appareil le plus rapidement possible, et ce pour la durée complète de l’entretien afin de limiter les effets de censure qu’il produit.
2.3 Soignez votre prise de notes Nous avons vu précédemment qu’il était important de ne pas interrompre l’enquêté pour lui poser toutes les questions qui vous viennent à l’esprit. La prise de notes est alors indispensable pour vous permettre de différer vos interventions. Vous inscrirez sommairement des idées, des mots-clés, ou tout élément que vous aimeriez approfondir avec l’enquêté. Lorsque le moment vous semblera opportun, il vous suffira de lancer un bref regard sur vos notes 118
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pour formuler les questions laissées en suspens. Toutefois, prenez garde à votre gestuelle, car au moment de la prise de notes ou de la consultation des questions à poser, vous pourriez ne plus être attentif à l’enquêté comme vous pouvez le constater sur la figure 10 ci-dessous.
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Figure 10. La prise de notes trop assidue à éviter
Des postures plus ouvertes et tournées vers l’enquêté sont à privilégier.
2.4 Gérer vos mimiques faciales Ne pas juger votre enquêté est de plus important pour lui permettre de vous parler librement. Pour cela, présenter un visage neutre, exempt de tout jugement, ne revient pas à porter un masque inexpressif, mais à maîtriser vos mimiques faciales tout se montrant empathique. Observez les visages suivants (figure 11 ci-dessous) : à qui auriezvous envie de vous confier si vous deviez choisir entre les expressions du visage A ou celles du visage B ? Écouter
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Figure 11. Visage fermé (A) et ouvert (B)
Les travaux de psychologie sociale expérimentale montrent que le visage A est souvent perçu comme moins sympathique et moins sociable que le visage B (Willis et Todorov, 2006 ; Wang et al., 2017). De nombreux éléments sont susceptibles d’influencer vos enquêtés lors d’un entretien : la manière avec laquelle vous allez poser le regard sur votre enquêté, votre usage des mimiques faciales (froncer ou non les sourcils), et les émotions que vous ferez passer dans votre regard et sur votre visage. Gérez votre communication non verbale pour mettre à l’aise vos interlocuteurs et les faire parler librement. Parfois, esquisser un subtil sourire plutôt qu’un visage pleinement neutre améliore votre « capital sympathie ». Observez les visages C et D ci-dessous pour vous en rendre compte par vous-même.
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Figure 12. Visage neutre (C) et légèrement souriant (D)
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Vous l’aurez compris, être dépourvu d’émotion (visage C) ne sera pas gage de réussite, alors que revêtir de très subtiles émotions (visage D) en miroir de celles transmises par l’enquêté facilitera les échanges et lui donnera le sentiment d’être écouté, voire compris.
Astuce : Gérer votre regard lors d’un entretien par visioconférence Lorsque l’on réalise un entretien par visioconférence (Teams, Zoom, Skype, etc.), vous aurez tendance à regarder le retour d’image de votre enquêté. Or, cela le conduira à penser que vous ne le regardez pas ou que vous êtes distrait. L’astuce consiste à réduire la fenêtre de la visioconférence et de la rapprocher de votre webcam.
Figure 13. Agencement de la fenêtre de visioconférence de l’enquêté sur le bureau de l’ordinateur de l’enquêteur
Écouter
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Lorsque vous fixerez la webcam avec soin pour donne le sentiment à votre enquêté que vous le regardez, votre vision périphérique vous permettra de voir son retour d’image. Toutefois, cette dernière sera inconfortablement petite. Naturellement, vous regarderez votre enquêté au lieu de la webcam, alors pensez à vous entraîner avec vos proches pour que cette astuce devienne naturelle pour vous.
3. Décrypter le regard de l’enquêté Au cours de l’entretien, les questions que vous poserez conduiront l’enquêté dans différentes dimensions de son vécu, de ses opinions ou de ses pratiques. Lorsqu’il mobilisera son propre savoir pour répondre à vos interrogations, il passera par divers états réflexifs et émotionnels. Ces états sont perceptibles sur son visage et dans son regard. Être en mesure de percevoir les moments au cours desquels l’enquêté est plongé dans ses pensées aura plusieurs avantages : • ne pas l’interrompre de manière inopportune et donc apprendre à gérer les silences ; • obtenir des indicateurs de fiabilité du discours. Les photographies suivantes saisissent le regard de l’enquêtée pendant qu’elle répond aux questions alors qu’elle est face à l’enquêteur. L’enquêtée relate ses pratiques et ses opinions : elle fixe son regard dans le vague sur sa droite ou sur sa gauche. On peut alors constater qu’au moment où elle discourt, les yeux plongés dans ses souvenirs, elle manifeste quantité d’émotions.
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Figure 14. Les réminiscences émotionnelles au cours de l’entretien
Comme le mettent en exergue les photos ci-dessus, on peut saisir un large éventail émotionnel sur le visage de l’enquêté lorsqu’il répond à vos questions. Lire et identifier ce regard plongé dans le vague, vous permettra de prendre en considération l’émotion qui l’accompagne, car elle a de fortes chances d’être celle qui a été ressentie par l’enquêté au moment de la survenue de l’événement qu’il Écouter
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relate ou de se référer aux pensées de celui-ci. On obtient des indices de fiabilité du discours par l’émotion exprimée. Il s’agit donc d’être attentif à ces émotions qui sont des informations à prendre en considération et qui peuvent être saisies, par exemple, par l’image. Ekman et Friesen (1978) ont d’ailleurs proposé une méthode, le FACS (Facial Action Coding System), pour faciliter l’analyse des émotions.
4. Gérer les silences L’enquêteur débutant est toujours effrayé par le silence (Quivy et Van Campenhoudt, 2017), synonyme de gêne pour lui et pour l’enquêté. Selon Beaud et Weber (2010, p. 231), « un long silence, en entretien, témoigne toujours d’un embarras ». Dans ce cas-là, pour Kaufmann (1996), il est nécessaire d’intervenir. Mais comme le rappelle Berthier (2016), si les silences sont « souvent craints par les enquêteurs débutants, ils ne sont pas toujours gênants ». En effet, le silence peut être un temps nécessaire « d’autoexploration pour enrichir ou formuler ses idées » (Berthier, 2016, p. 76). Comment savoir à quel silence vous avez affaire ? Est-ce qu’il vous faut réagir ou au contraire vous taire ? Le silence étant tout aussi important que le discours, en premier lieu, il est nécessaire d’en identifier les deux principaux types que sont le silence de fin de discours et le silence de remémoration ou de réflexion.
4.1 Enchaîner les questions sans silence et sans gêne Lorsqu’un enquêté répond à vos questions, il est fréquent qu’il arrive à la fin d’une idée, puis se taise et vous regarde fixement. Ce silence vous indique : « Ça y est, je n’ai plus rien à dire sur la question posée, 124
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qu’est-ce que vous voulez savoir d’autre ? » Si vous ne percevez pas cette fin du discours, une gêne peut s’installer. Plus encore, vous indiquez implicitement à votre interlocuteur que non seulement vous n’êtes pas à l’écoute, mais qu’en plus vous n’êtes pas très intéressé par ce qu’il vous raconte puisque vous n’avez pas de question ou de relance à lui proposer. La dynamique de l’entretien peut alors en pâtir.
Astuce : Anticipez la fin de la prise de parole de votre enquêté Si son intonation ralentit, si le ton de sa voix est descendant, préparez une question ou une relance dans votre tête, car moins de 3 secondes plus tard, votre enquêté achèvera sa prise de parole (parfois par un « voilà ») et vous regardera fixement.
Exemple 44. « Voilà », un indicateur de fin de discours
Enquêté : « Je me souviens qu’on était remonté euh dans notre chambre, je sais plus pour faire quoi, mais euh je sais qu’ (…) on a dû redescendre pour la méditation… voilà. Et, euh, on est là, on médite, voilà. »
En revanche, si vous tardez à poser une question, votre enquêté peut reprendre la parole et même vous interrompre pendant que vous lui posez une question. Il vous faut donc être réactif.
4.2 Identifier le silence de remémoration ou de réflexion Il s’agit du silence le plus important au cours d’un entretien, car il permet à l’enquêté de réfléchir et de se remémorer. Comment distinguer ce silence de réflexion du silence de fin de discours ? Ce type Écouter
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de silences est plus facile à déceler, car il vous suffit de prêter attention au regard de l’enquêté. Si celui-ci est dans le vague, cela signifie que l’enquêté est en pleine réflexion ou remémoration de ce qu’il souhaite vous confier. L’expression que vous pourriez lire dans son regard pourrait ressembler à la figure 15 ci-dessous.
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Figure 15. Le regard plongé dans le vague au cours d’un silence de remémoration ou de réflexion
Interrompre l’enquêté à ce moment-là ou ne pas lui laisser suffisamment de temps pour réfléchir lui serait nuisible. Mobiliser des informations stockées en mémoire, pour produire une réflexion ou se remémorer un événement requiert des efforts cognitifs conséquents de la part de votre enquêté. Toute interruption dans ce processus lui ferait perdre toutes les informations mobilisées, le ramènerait brutalement à l’interaction et le désorienterait. Au contraire, laisser trop de temps à l’enquêté peut l’amener à s’enfoncer plus profondément dans ses souvenirs. Cela a pour conséquence de casser la dynamique de l’entretien : l’enquêté perd le fil de la discussion tant il est absorbé par ses réminiscences. Lui poser une question l’invitant à vous décrire ce qu’il voit ou ce qu’il pense, vous permettra de le ramener progressivement au cœur de l’entretien. Vous pouvez ainsi guider sa recherche de souvenirs. Il s’agit donc d’une interruption profitable à la dynamique de l’entretien. 126
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4.3 Des indices de fiabilité Le temps de réflexion peut parfois indiquer que l’enquêté a bien retrouvé un souvenir, mais qu’il hésite à vous en faire part, souvent par gêne ou par peur d’être jugé. C’est également un indicateur sur le sujet abordé. Cela nécessite donc davantage de questions pour approfondir et comprendre ce qui produit les réticences de l’enquêté : la gêne ou le mensonge. L’assaut des questions amenant l’enquêté à fournir davantage de précisions conduit le fabulateur potentiel à se trahir, car il n’aura pas préparé suffisamment de mensonges pour être en mesure d’apporter autant de précisions sans se contredire. L’enquêté gêné sera au contraire en mesure de produire un discours avec force détails et réflexions. En outre, pour achever de vous assurer de la fiabilité du témoignage, il reste à solliciter la remémoration des émotions passées en disant à plusieurs reprises : « Qu’est-ce que vous avez ressenti à ce moment-là ? » Vous pouvez également solliciter ses réflexions passées en lui demandant : « Qu’est-ce que vous vous êtes dit à ce moment-là ? » • Si l’enquêté parvient à vous répondre, c’est qu’il est dans les meilleures conditions de remémoration ; cela signifie qu’il est contextualisé dans son passé et qu’il a alors accès aux émotions et réflexions passées. On peut alors se fier à sa remémoration. • Si l’enquêté répond : « ah, je sais pas, ça fait longtemps », la contextualisation n’est pas opérante. Il sera nécessaire de réitérer à un autre moment pour encourager la production de réminiscences. • Si l’enquêté répond : « j’ai dû penser ceci ou j’ai dû ressentir cela », il spécule à partir du présent sur ce qu’il a ressenti ou pensé dans le passé, mais il ne s’en souvient pas. Le discours est le plus souvent peu fiable, car l’enquêté colore le passé à partir de ce qu’il vit dans le présent, en dehors de tout élément contextuel. Ces points seront plus largement développés au chapitre suivant autour des mécanismes de la mémoire et d’une technique facilitant la remémoration des enquêtés. Écouter
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5. Gérer les émotions de l’enquêté 5.1 Gérer les discours chargés émotionnellement ou les événements de vie tragiques Comment devez-vous réagir si votre enquêté vous relate des événements particulièrement douloureux, voire révoltants ? Suivant le sujet que vous aurez choisi, vous pouvez être confronté à des contenus d’entretien plus ou moins difficiles à entendre. L’enquêté peut d’ailleurs avoir des réticences à vous les raconter, non seulement parce qu’il est difficile de faire ressurgir du passé des événements douloureux, mais aussi parce qu’il pourrait douter de votre capacité à entendre ce qu’il a à vous dire et à rester neutre. Comme lors de la phase de mise en confiance, l’enquêté testera votre capacité à entendre en vous scrutant lorsqu’il discourt. Devezvous être touché, montrer de la compassion ou le réconforter ? Vous n’êtes pas dans le cadre d’une discussion, mais dans celui d’un entretien de recherche. Il est plus facile de tout dire à un inconnu si celui-ci ne s’effondre pas à chaque mot. Ainsi, garder une posture d’écoute neutre en laissant légèrement filtrer sur votre visage les émotions en miroir de celles de votre enquêté permettra la poursuite de l’entretien dans les meilleures conditions. Imaginez que vous racontiez un événement tragique à l’enquêtrice suivante. Que penseriez-vous si vous lisiez les expressions suivantes sur son visage (figure 16 ci-dessous) ?
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Figure 16. Expressions non maîtrisées des émotions
À n’en pas douter, le fait de manifester trop vivement ses émotions peut avoir des conséquences sur l’enquêté et sur votre capacité à recueillir les informations recherchées. Lorsque vous ne maîtrisez pas suffisamment vos émotions, vous indiquez à votre enquêté que soit vous le jugez, soit vous ne pouvez pas tout entendre. Plus encore, vous pourriez imprimer sur le vécu de votre interlocuteur une interprétation qu’il n’avait pas : de la surprise, de la pitié ou de l’effroi là où l’enquêté ne voyait qu’un événement quotidien sans grande importance. En effet, il est possible que l’enquêté ne porte pas le même jugement que vous sur son vécu. Or, votre réaction l’amènera peut-être à s’interroger, voire à modifier sa grille de lecture sur son histoire personnelle. Vous pourriez donc produire un effet majeur. C’est pourquoi la neutralité n’est pas qu’un état d’esprit, mais également des expressions faciales maîtrisées pour ne laisser transparaître aucun jugement. Comme le conseillent Nils et Rimé (1999, p. 181) : « Il est donc souhaitable d’éviter toute mimique particulière ou autre interjection. » En somme, pour que votre enquêté puisse se livrer sans crainte d’être jugé ou d’affecter l’enquêteur, veillez à arborer des expressions maîtrisées (mimiques faciales, regard). Notez cependant que vous n’avez pas à devenir un mannequin de cire inexpressif : la subtile émotion transparaissant dans le regard suffit à accuser réception du contenu parfois émotionnellement difficile que votre enquêté partage avec vous. Écouter
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Astuce Écouter activement et efficacement consiste à restituer la juste émotion. Il ne s’agit donc pas d’être totalement inexpressif. • Souriez, si l’enquêté sourit et si le contenu de son discours est positif. • Abordez un visage légèrement affecté, si l’enquêté parle d’événements tristes. • Restez neutre, si l’enquêté vous dit des choses surprenantes, choquantes, ou que vous désapprouvez.
5.2 Gérer les pleurs Il n’est pas rare que les événements rapportés soient si chargés émotionnellement, que l’enquêté se laisse aller à verser quelques larmes, voire des sanglots. Dans ces conditions, il est conseillé de rester à l’écoute, de ne pas montrer son affectation pour que l’enquêté ait le sentiment que vous pouvez tout entendre, que vous serez suffisamment robuste pour cela. La plupart du temps, l’enquêté maîtrisera ses émotions au maximum pour éviter de pleurer. Mais parfois, il ne pourra pas retenir ses larmes. Quand cela arrive, proposez à l’enquêté de faire une pause ; ce qu’il refusera, mais il sera touché par votre sollicitude. Ensuite, comme l’enquêté est entièrement plongé dans ses émotions, il est nécessaire de l’en faire sortir pour continuer à parler de l’événement tout en l’amenant à prendre de la distance. Un moyen d’y parvenir est de poser une question réflexive sur la situation qui est évoquée. Il ne s’agit pas de changer de sujet, ce qui aurait pour conséquence de laisser penser à l’enquêté que vous souhaitez éviter d’en parler, mais d’approfondir l’événement relaté pour accéder à d’autres dimensions de son vécu. Par exemple, vous pourriez demander : • Qu’est-ce que cela représentait pour vous ? • Qu’est-ce que vous avez pensé de… • Qu’est-ce que vous vous êtes dit à ce moment-là ? 130
Initiation à l’entretien en sciences sociales
• Quelles conséquences cela pouvait-il avoir ? • Etc. Ce type de questions a pour effet d’amener l’enquêté à réfléchir sur la situation relatée. Pour cela, il quitte progressivement les émotions du passé qu’il revit à nouveau, et adoptera un point de vue de plus en plus extérieur, un point de vue d’observateur, plus que d’acteur.
6. Rester neutre et ne pas juger Quelle serait l’attitude à adopter durant l’entretien ? Comment parler, intervenir, être neutre, etc. ? Telles sont les questions que l’on peut se poser avant de réaliser des entretiens.
6.1 La neutralité de l’enquêteur en débat Pour Beaud et Weber (2010, p. 244-245), « la “neutralité” de l’enquêteur est un mythe qui a la vie dure » ou « un leurre méthodologique » qu’il serait contre-productif de suivre. Ils invitent donc à ne pas vous censurer, mais à garder vos remarques pour vous. Kaufmann (1996, p. 53), quant à lui, conseille de vous exprimer parce que l’enquêté aurait « besoin de repères pour développer son propos ». Il ajoute : « L’enquêteur qui reste sur sa réserve empêche donc l’informateur de se livrer » (Kaufmann, 1996, p. 53). Or, au moment où vous laissez libre cours à vos jugements, vous ne posez pas le même regard sur votre enquêté que si vous tentez simplement de comprendre son monde sans imprimer sur celui-ci vos propres préjugés. Dans un cas, votre jugement affleure dans vos yeux ; dans l’autre cas, ils ne laissent voir que curiosité et bienveillance. Le plus important n’est pas forcément d’atteindre cette neutralité, mais de tenter de s’en approcher le plus possible et de la Écouter
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prendre pour objectif à atteindre. Ce faisant, l’on tend vers la limitation des biais et de l’autocensure de l’enquêté (Dépelteau, 2003) en lui donnant la possibilité de parler librement. En effet, la confiance de l’enquêté progresse à mesure qu’il ne lit aucun jugement sur votre visage : il se livre alors plus volontiers, sans freins et sans crainte. Vous obtenez ainsi un discours plus complet et plus fiable. Berthier (2016) parle ainsi de la neutralité bienveillante : « L’enquêteur joue un rôle de stimulateur, de facilitateur et par ses interventions montre qu’il écoute et qu’il comprend. Il doit apparaître comme quelqu’un de neutre (d’une “neutralité bienveillante”), capable de tout entendre, mais sans être indifférent, qui ne suggère, ni n’évalue, ni n’argumente. Les personnes interrogées prennent alors plaisir à parler avec un étranger qui ne met pas en doute leurs affirmations, qui prête attention à chacune de leurs paroles, ne les bouscule pas, ne les contredit jamais. Dans ce climat de confiance, les informations obtenues peuvent être riches et nuancées » (Berthier, 2016, p. 72).
Il ne s’agit pas ici d’affirmer qu’il est possible de ne juger à aucun moment l’enquêté des heures durant, mais que tendre vers cet objectif est réalisable. Il en passe par une forme d’effacement de l’enquêteur pour n’être plus que le reflet de l’enquêté et de ses émotions afin de laisser pleinement la possibilité à l’enquêté de s’exprimer en limitant les effets de l’interaction. Tout repose sur la gestion des émotions et de leur traduction dans les mimiques faciales. Nils et Rimé (1999, p. 181) conseillent ainsi à l’enquêteur de « ne jamais montrer son accord ou sa désapprobation par rapport aux réponses données, car cela risquerait de biaiser tout l’entretien. Il est donc souhaitable d’éviter toute mimique particulière ou autre interjection ». Les auteurs conseillent de maîtriser sa voix, sa posture, et ses mimiques faciales pour ne donner aucune orientation sur les réponses que l’enquêté « devrait » apporter. En somme, on pourrait distinguer deux types de neutralité : • la neutralité discursive qui renverrait aux propos que vous pourriez tenir à tout moment de la rencontre et qui ne seraient teintés 132
Initiation à l’entretien en sciences sociales
d’aucun jugement, quelle que soit leur nature. Les questions posées et les remarques faites à l’enquêté se veulent neutres ; • la neutralité non verbale qui renverrait à la prosodie, la posture, les regards qu’il est nécessaire de maîtriser pour ne laisser paraître aucune forme de jugement.
6.2 Quand l’enquêté vous teste Le contexte discursif dans lequel sont placés l’enquêté et l’enquêteur est singulier en ce qu’il met en présence deux « inconnus » dans une situation dissymétrique. En effet, cette relation s’établit selon un contrat plus ou moins tacite, dans lequel l’un s’engage à livrer son vécu et l’autre à lui garantir anonymat, confidentialité et absence de jugement. La réussite de cette entreprise repose donc sur un climat de confiance que l’enquêteur tentera d’instaurer auprès de l’enquêté. L’entretien commence donc par une « phase de test » au cours de laquelle l’enquêté met à l’épreuve la fiabilité, la résistance et l’impartialité de l’enquêteur afin de s’assurer de la réelle liberté d’expression qui lui a été promise au cours de l’annonce de la consigne. L’enquêté émettra donc des informations sensibles et observera minutieusement les différentes postures et mimiques faciales de l’enquêteur pour identifier le moindre signe de jugement de valeur apparent ou toute autre manifestation émotionnelle. Avec certains enquêtés, cette phase d’évaluation à laquelle est soumis l’enquêteur pourra perdurer quatre heures durant avant que la confiance ne s’établisse pleinement, alors qu’avec d’autres enquêtés elle s’établira plus rapidement. Une fois la confiance instaurée, l’enquêté pourra revenir sur des événements déjà abordés afin de les préciser ou de les étayer, ce qu’il n’avait pas osé faire plus tôt dans l’entretien. Lorsque le contenu est des plus délicats pour l’enquêté, cette clarification peut survenir au terme de six heures d’échanges consécutifs. On comprend aisément que les entretiens semi-directifs de courte durée peuvent difficilement permettre l’instauration d’un tel sentiment de confiance. Écouter
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Cette phase de « découverte » de l’enquêteur par l’enquêté favorise donc la décontraction progressive de l’enquêté : ce relâchement se traduit notamment par un changement de registre langagier (l’élocution et la structure du discours maîtrisées jusqu’alors reprennent une mesure plus « naturelle ») et par une attitude de plus en plus détendue (l’enquêté peut par exemple se lover sur son siège). Ce changement de registre langagier de l’enquêté est un indicateur intéressant : si au début de l’entretien, l’enquêté tente de rehausser son niveau langagier, après une demi-heure environ d’échanges, il reprendra peu à peu son registre habituel.
6.3 Quand l’enquêté vous questionne 6.3.1. Rassurer, encourager et expliciter
Comme dans toute interaction, l’enquêté sera amené à vous poser des questions durant l’entretien (Roulston, 2014). Une partie de ces questions sont mues par la volonté d’être rassuré ou d’être guidé durant cet exercice singulier. L’enquêté peut par exemple vous demander s’il doit continuer à approfondir le sujet qu’il aborde ou vous questionner pour mieux comprendre la question que vous avez posée. Il s’agit également de rassurer l’enquêté dès que vous percevez son anxiété ou qu’il vous manifeste ses craintes : la crainte de ne pas répondre correctement à la question, la culpabilité de ne pas se souvenir, de ne pas avoir d’opinion sur la question posée, de trop parler, de ne pas parvenir à se faire comprendre, etc. Les questions les plus fréquentes des enquêtés et les réponses à apporter
Votre enquêté a un défaut de mémoire : Enquêté : « Je ne me souviens pas. Je suis désolé. C’est grave ? » Enquêteur : « Ne vous inquiétez pas, c’est normal d’oublier. Peut-être que cela vous reviendra plus tard. »
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Initiation à l’entretien en sciences sociales
Votre enquêté se trouve volubile : Enquêté : « Je parle trop hein ? » Enquêteur : « Rassurez-vous, plus vous en dites, mieux c’est ! (en arborant un large sourire) ». Votre enquêté manque de structuration dans son discours : Enquêté : « Mais je voyais bien que, je voyais bien dans tout ce qu’on a vécu, allez, par exemple dans les questions-réponses. J’espère que je ne vais pas du coq-à-l’âne hein. Donc, je raconte. » Enquêteur : « Ne vous inquiétez pas, allez-y. » Enquêté : « Oui, vous avez. » Enquêteur : « On reviendra euh. » Enquêté : « Hum, vous allez sans doute reconstruire tout ça par après (inspiration). Dans nos questions-réponses, ça… ça s’échelonnait, je vais dire, sur un trimestre (…) » Votre enquêté veut s’assurer d’être compris : Enquêté : « Vous me suivez ? Je ne suis pas toujours clair hein ? » Enquêteur : « Vous êtes très clair » ou si vous ne l’avez effectivement pas compris, vous pourriez ajouter « Justement je me demandais… (ajouter le point à éclaircir) »
6.3.2. « Botter en touche »
Au cœur même de l’entretien, il peut arriver que les enquêtés vous interpellent avec d’autres questions du type : « Vous êtes d’accord avec moi, hein ? », « Qu’est-ce que vous en pensez, vous ? », « Ça vous est déjà arrivé ça ? », « C’est tout de même inadmissible ce qu’on m’a fait ! Vous ne trouvez pas ? » Surpris au départ, vous balbutiez un « euh » ne sachant pas si vous devez ou non répondre à ces questions et quels effets cela pourrait avoir sur le recueil de données. Pour Beaud et Weber (2010, p. 188), il semble difficile de se « dérober à ces demandes ». Ils vont alors jusqu’à conseiller de donner votre assentiment aux propos de l’enquêté même s’ils vont à l’encontre de vos convictions et vos valeurs. Écouter
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La question de la neutralité axiologique chère à Max Weber (2003) – posant que le chercheur se doit d’éviter d’émettre des jugements de valeur dans son travail – ressurgit rapidement à la suite de tels conseils. Ces auteurs précisent d’ailleurs qu’ils ont une vision souple de cette posture méthodologique du sociologue allemand. Ensuite, il apparaît une forme de contradiction : comment susciter la confiance dans de telles conditions. Par exemple, si vous réalisez une enquête auprès d’une population particulièrement suspicieuse, qui teste votre sincérité et votre neutralité tout au long de l’entretien, vous pouvez entacher votre recueil de données et la confiance qui vous a été accordée. La plupart du temps, les questions des enquêtés sont des actes de discours de la vie courante : ils posent très souvent une question pour s’assurer d’avoir été entendus et compris. Ce sont des moments où l’enquêté oublie qu’il n’est pas dans une discussion habituelle, mais dans un entretien de recherche. Il suffit alors de reposer le cadre de l’entretien en lui expliquant par exemple que vous vous ferez un plaisir de répondre à ses questions à la fin de l’entretien, mais que pour l’heure c’est son avis et son vécu qu’il vous intéresse d’entendre. Rassurez-vous, les enquêtés n’en sont pas offusqués et reviennent à leur récit. D’ailleurs, à la fin de l’entretien, ils auront oublié les questions qu’ils souhaitaient vous poser. En outre, il n’est nul besoin de donner son assentiment à l’enquêté pour qu’il parle avec prolixité. Acquiescer très légèrement de la tête pour signifier que vous l’entendez et que vous le comprenez est tout ce dont vous avez besoin au cours de cette interaction. Indiquer par votre langage non verbal ou verbal que vous êtes en accord avec l’enquête produira des effets sur son discours, et vous vous éloigneriez ainsi de la neutralité nécessaire à la limitation des biais du recueil de données. Vous l’avez compris, intervenir durant l’entretien n’est pas anodin et n’est pas sans effet sur le recueil de données.
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Points clés Ce qu’il faut retenir sur la posture d’écoute, c’est qu’il est nécessaire de : • Rester neutre. • Ne pas donner votre avis. • Gérer vos émotions. • Rester décontracté. • Maîtriser vos mimiques faciales. • Maîtriser vos émotions. • Montrer de l’empathie : vous mettre émotionnellement à la place de votre enquêté. • Vous montrer compréhensif : vous mettre intellectuellement à la place de votre enquêté. • Faire attention à vos gestes. • Vous tenir légèrement en avant. • Montrez à votre interlocuteur que vous l’écoutez par des « hum hum », « intéressant », « je vois », etc., et des acquiescements.
Écouter
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Chapitre 8 Améliorer la fiabilité du discours 8
À présent que vous êtes en mesure de réaliser un entretien, la question de la fiabilité du témoignage recueilli se pose. Or, une meilleure connaissance des mécanismes de la mémoire peut vous aider à améliorer le recueil d’informations, et sa fiabilité, au cours d’entretiens de différentes natures. Il s’agit de tenter de transposer les apports de ces connaissances théoriques en techniques d’enquête favorisant la remémoration des enquêtés. Ces connaissances s’appliquent plus particulièrement aux entretiens non directifs (récits de vie et entretiens autobiographiques).
1. Le fonctionnement des mémoires Le fonctionnement de la mémoire est complexe et, à ce jour, son étude demeure encore une source abondante et inépuisable de questionnements auxquels tentent de répondre diverses disciplines. Le processus de mémorisation, les circuits cérébraux et les éléments neurochimiques à l’œuvre sont donc encore à l’étude. Les modèles tentant de représenter le fonctionnement de la mémoire se succèdent et s’opposent. Au niveau neurophysiologique, la mémorisation ou construction d’une trace mnésique est un
processus en trois étapes : l’encodage, le stockage et la récupération. Le stockage à court et à long terme dépendrait de plusieurs zones cérébrales : l’hippocampe, intégré dans un vaste système comprenant le cortex préfrontal, la région septale, l’amygdale (apportant la coloration affective des souvenirs) et l’hypothalamus. Lors du processus de mémorisation, l’individu opérera une sélection des informations qui passeront successivement dans divers types de mémoires : la mémoire sensorielle, la mémoire à court terme et la mémoire à long terme (Purves, 2018) (figure 17 ci-dessous). Figure 17. Les différents types de mémoires
La mémoire sensorielle (visuelle ou iconique et auditive ou échoïque) prolonge pendant quelques secondes les informations sensorielles, visuelles et auditives, perçues (Deschamps et Moulignier, 2005 ; Croisile, 2009), lesquelles seront ensuite oubliées si elles ne sont pas relayées par la mémoire à court terme. L’oubli est alors incontournable dans ce processus (Sauvayre, 2010). Améliorer la fiabilité du discours
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La mémoire à court terme ou mémoire de travail, selon l’acception du psychologue Alan Baddeley (1993), prend ensuite le relais. Elle est indispensable à la réalisation de tâches diverses : elle intervient dans l’analyse des informations sensorielles qui seront restituées après une à deux minutes de traitement. Elle offre des capacités limitées qui peuvent être évaluées par la mesure de l’empan mnésique (Miller, 1956) qui établit que nous pouvons retenir sept éléments (plus ou moins deux). À l’issue du traitement de l’information, les données seront soit oubliées, soit stockées dans la mémoire à long terme. La mémoire à long terme comprend divers types de mémoire : « la mémoire procédurale, épisodique, biographique, sémantique, encyclopédique, verbale, imagée… » (Rossi, 2005, p. 34). Bien que les contours de ces mémoires ne soient pas encore dessinés avec précision, un consensus s’est établi autour de l’agrégation de plusieurs modèles. La mémoire à long terme est alors composée de deux éléments : les mémoires déclarative et non déclarative. La mémoire déclarative ou explicite regroupe les souvenirs conscients (les tâches à réaliser ultérieurement, les souvenirs biographiques, les connaissances diverses). La mémoire non déclarative ou implicite comprend l’ensemble des éléments dont un individu ne peut se souvenir consciemment (les savoir-faire, les réflexes, les conditionnements, etc.). Selon la modélisation d’Endel Tulving (1972), chercheur en psychologie expérimentale et en neurosciences cognitives, la mémoire déclarative comprend deux composantes : la mémoire sémantique et la mémoire épisodique. La mémoire sémantique contient l’ensemble de nos connaissances. Elle correspond aux connaissances générales, aux connaissances partagées et aux connaissances de soi (date d’anniversaire, goûts alimentaires, etc.) ; indépendante du contexte d’apprentissage, elle est peu sensible aux émotions. La mémoire épisodique renvoie aux souvenirs conscients d’expériences passées et aux souvenirs personnels. Elle est sensible aux émotions ; inscrite dans le temps et dans l’espace, elle est associée au contexte de l’apprentissage. La mémoire autobiographique serait alors 140
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inscrite dans la mémoire épisodique et s’opposerait à la mémoire sémantique, mais d’autres recherches montrent que cette mémoire autobiographique est composée à la fois d’éléments sémantiques et épisodiques (Croisile, 2009). « Composante fondamentale de la mémoire humaine, la mémoire autobiographique rassemble les expériences vécues et forme l’essence de l’identité personnelle. Elle permet ainsi de conserver les traces mnésiques du passé propre à chaque individu : les épisodes importants de la vie, les lieux, les visages et les voix des personnes absentes ou disparues, les images, les mélodies, les odeurs, les saveurs perçues et même les émotions et les sentiments éprouvés dans le passé » (Piolino, Desgranges et Eustache, 2000, p. 15).
Plusieurs types de mémoires ont donc été découverts par les neuroscientifiques et l’une d’entre elles est particulièrement sollicitée dans les enquêtes par entretien : la mémoire autobiographique. Lorsque l’enquêteur s’attache à recueillir la mémoire collective d’un individu, il sollicitera la composante sémantique de la mémoire autobiographique et lorsqu’il tentera de recueillir les événements personnels de son enquêté, il sollicitera sa composante épisodique. Nous nous concentrerons donc, à présent, exclusivement sur les mécanismes de la mémoire autobiographique. Avoir connaissance de ces différentes mémoires et des autres éléments neurophysiologiques permet de comprendre que, si vous souhaitez accéder à un épisode passé à partir du témoignage d’un enquêté, il est nécessaire que cet événement ait été mémorisé et stocké (encodé) au cœur de sa mémoire autobiographique ; en somme, que l’enquêté ait porté son attention, qu’il ait ressenti une vive émotion ou qu’il ait été impliqué par ledit événement. Ce faisant, la mémoire ne fonctionne pas comme un « appareil d’enregistrement », mais elle est fonction de la cognition de l’individu et du contexte dans lequel l’épisode a été mémorisé. Ainsi, deux individus assistant aux mêmes événements ne le mémoriseront pas de manière identique. Une recherche menée par la neuropsychologue Tali Sharot et ses Améliorer la fiabilité du discours
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collaborateurs (2007) auprès de New-Yorkais a ainsi montré que les souvenirs de l’attentat du 11 Septembre 2001 étaient plus détaillés chez les personnes situées à proximité du World Trade Center que chez les personnes plus éloignées géographiquement. Retenons de cette exploration des mémoires humaines que les épisodes biographiques peuvent être mémorisés avec les émotions et les éléments de contexte présents au moment de la mémorisation. Cependant cela n’indique pas encore quelles seront les modalités d’accès à ce souvenir pour permettre à l’enquêteur de le recueillir.
2. La remémoration Le neurobiologiste Yadin Dudai (2004, p. 157) définit la remémoration (memory retrieval) comme « l’accès, la sélection, la réactivation ou la reconstruction de représentations internes mémorisées ». On distingue plusieurs manières de se remémorer ou de récupérer une information encodée et stockée en mémoire : le rappel (recall), la reconnaissance (recognition), le souvenir (recollection), et le réapprentissage (relearning). Deux types de remémoration vont souvent de pair (Arnold, 1984) : la reconnaissance et le rappel. La reconnaissance se traduit par un sentiment de familiarité vis-à-vis d’un événement ou d’un mot : l’individu sait qu’il a déjà vu ce mot, mais il n’est pas en mesure de se souvenir du contexte dans lequel il l’a déjà rencontré. Un individu peut ainsi reconnaître un visage familier sans pour autant se souvenir du patronyme de la personne associée à ce visage. Lors d’un rappel en revanche, un individu se souviendra à la fois de l’événement et du contexte dans lequel il s’est manifesté. Or, le neuropsychologue Tony Buchanan (2007, p. 762), à l’instar du biologiste Gerald Edelman (1992), avance que « la récupération est une reconstruction d’une expérience passée » largement influencée par de nombreux éléments du contexte. Elle ne serait donc ni le reflet exact de l’information primaire, ni celui des éléments mémorisés. 142
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La remémoration est alors une reconstruction d’expériences personnelles passées qui pourront être influencées par de nombreux facteurs présents au moment de l’accès aux souvenirs. Cette remarque permet d’entrevoir le caractère malléable de la mémoire. Les souvenirs pourraient alors être influencés par l’imagination de son porteur ou par la manipulation d’un tiers (Buchanan, 2007). Cette plasticité de la mémoire est illustrée par le phénomène des faux souvenirs induits ou syndrome de la fausse mémoire (Loftus et Ketcham, 1997) qui amène un individu à insinuer un faux souvenir dans l’esprit d’un autre ; ce dernier serait alors convaincu que ce faux souvenir appartient à son propre passé. Si certaines études démontrent que la mémoire est reconstruite, d’autres montrent que l’homme est en mesure de se rappeler parfaitement des événements mémorisés (Courgeau et Lelièvre, 1989 ; Auriat, 1996). Néanmoins, les modalités de cet accès (libre, indicée, avec présentation de mots, d’images, etc.) et la nature des souvenirs considérés (anodins, importants, impersonnels, etc.) varieront en fonction du type de mémoires sollicitées. Puisque chaque événement est mémorisé avec son contexte, à savoir le moment, le lieu, l’émotion (Underwood, 1969), l’accès à ces éléments favoriserait la remémoration (Koriat, Levy-Sadot, Edry et de Marcas, 2003). Comme nous l’avons déjà mentionné, la mémorisation procède d’une sélection de l’information puis de l’encodage d’éléments contextuels, sémantiques, sensoriels et émotionnels. Les effets de contexte et les facteurs attentionnels (Brown et Craik, 2000) conduisent ainsi à une fixation différenciée de l’épisode en mémoire. Mais d’autres facteurs participent à la différenciation du traitement de l’information et à son stockage en mémoire tels que le sens qu’un individu attribue à une information, la position active ou passive de l’acteur, la volonté ou non de maîtriser ses émotions, le genre, ou l’incertitude face à l’avenir (Kensinger, 2009). Un souvenir pourra alors être remémoré si l’un de ces éléments présents lors de l’encodage est stimulé. Les effets de la madeleine de Proust en sont une illustration bien connue ; une stimulation olfactive se montrera ainsi Améliorer la fiabilité du discours
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plus efficace qu’une stimulation sémantique (Willander et Larsson, 2007). Cet effet facilitateur de l’odorat se retrouve également dans l’ouïe en ce que la musique stimulera la remémoration de souvenirs autobiographiques (Ford, Addis et Giovanello, 2011). En somme, comme l’ont montré les psychologues Endel Tulving et Donald Thomson (1973), la sélection du rappel est plus efficace si certains aspects de l’encodage sont présents au cours de la remémoration. Par exemple, si le mot « paume » a été mémorisé dans une palmeraie, le mot « main » sera moins efficace pour susciter une remémoration que les mots évoquant l’image des arbres (Buchanan, 2007). Ces travaux montrent ainsi que la mobilisation d’éléments présents lors du processus de mémorisation peut améliorer la remémoration : cela peut être des éléments de contexte comme un lieu, des objets, des mots, l’évocation de personnes, et les saisons. Le contexte a donc une influence sur la remémoration au cours de laquelle l’individu formera une image mentale de l’événement passé. Selon Tulving (1985), ces remémorations s’accompagnent de l’état de conscience de l’époque passée qu’il nomme la conscience « autonoétique ». Cette conscience autonoétique serait indispensable à la remémoration d’événements personnels et permettrait à un individu de voyager mentalement dans le passé comme dans le futur. Ceci constitue une piste intéressante qui tend à devenir consensuelle au sein de la communauté scientifique, alors que le neuropsychologue canadien l’a proposé il y a près de trente ans. En effet, cette théorie permet d’envisager qu’un individu puisse être plongé dans une expérience passée avec les éléments du contexte.
3. La place de l’oubli Outre la prégnance des déformations de la mémoire, l’enquêteur doit lutter contre l’oubli. Or, l’oubli est considéré, ainsi que l’envisagent les neurosciences et la psychologie cognitive, comme une composante 144
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indissociable du processus de mémorisation. Sans l’oubli, le cerveau serait encombré de nombreuses informations inutiles. En effet, Dale Purves et ses collaborateurs (2003, p. 671-672) avancent que « le cerveau humain possède une excellente capacité d’oubli […] la capacité d’oublier des informations dénuées d’intérêt est probablement aussi essentielle pour l’activité mentale normale que la rétention des informations que nous estimons importantes ». Les informations jugées négligeables sont donc plus aisément oubliées. Les premières études quantifiant l’ampleur de l’oubli furent menées par Hermann Ebbinghaus. En 1885, il publia les résultats d’une recherche reposant sur l’apprentissage de mots et sur leur rappel qu’il expérimenta sur sa propre mémoire. Il mémorisa des listes de mots puis consigna méticuleusement sa capacité à les restituer sur une période de 31 jours. Les résultats de cette étude, qui furent confirmés depuis, montrèrent que l’oubli est très rapide lors des premières heures qui suivent l’apprentissage et qu’il atteint, tout aussi rapidement, un effet de palier (figure 18 ci-dessous). Figure 18. Courbe de l’oubli d’après les données recueillies par Ebbinghaus
Source : Ebbinghaus, 1913, p. 76
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Prenant également pour objet d’étude sa propre mémoire, Willem Wagenaar (1986) obtint, sur une période de six ans, une courbe de rétention similaire. Il montra que les événements les plus fréquemment oubliés étaient ceux qu’il ne pouvait différencier d’autres événements similaires ainsi que ceux qui ne faisaient plus sens pour lui au moment du rappel. Mais un test ultérieur montrera que le souvenir de ces événements, qu’il ne parvenait pas à se remémorer seul, pouvait être stimulé par des tiers et provoquer ainsi un rappel en mémoire. Nous exposerons, dans la section suivante, l’expérience de Wagenaar portant sur les indices mnésiques qui l’amena à conclure que certains événements semblent ne pas être oubliés définitivement. Mais les souvenirs ne sont pas toujours pérennes comme l’a montré l’étude de Larry Squire (1989) qui visait à comprendre les mécanismes de l’oubli. Chaque année, sur une période de neuf ans (1978-1986), des individus, différents d’une année à l’autre, étaient amenés à reconnaître le nom d’émissions télévisées diffusées quinze ans auparavant et uniquement lors de cette année-là. Cette étude montra que les souvenirs non utilisés se détériorent avec le temps : l’oubli est alors un processus progressif et continu sur plusieurs années (Squire, 1989). Toutefois, si l’oubli est omniprésent, comme le montrent ces recherches, elles ne mentionnent guère le fait qu’il semble exister un seuil en deçà duquel les souvenirs sont préservés : 20 % dans l’étude sur la mémoire à court terme d’Ebbinghaus et 56 % sur la mémoire à long terme dans l’expérience de Squire. Tous les souvenirs ne tombent donc pas dans l’oubli et peuvent alors être le terreau sur lequel le travail de recherche rétrospectif peut se développer. Reste alors à s’interroger sur les moyens à mettre en œuvre pour stimuler la mémoire et faire émerger ses souvenirs à l’esprit de l’enquêté, dans le cadre de l’entretien.
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4. L’influence des émotions sur la mémoire Outre les éléments du contexte, les émotions peuvent également améliorer la remémoration. Ce lien entre émotion et mémoire fut déjà souligné par William James (1890), un siècle auparavant. Même si les effets des émotions sur la mémoire sont encore à l’étude et que les modèles s’affinent et s’opposent, le lien entre émotion et mémoire n’est plus à démentir comme l’atteste le neuroscientifique Rémy Lestienne (2009, p. 58) : « D’un point de vue neurophysiologique, émotions et mémoire sont bien intimement liées. » Plusieurs modèles coexistent sur les causes de l’influence de l’émotion sur la mémoire : la valence émotionnelle (émotions positives ou négatives), la congruence à l’humeur à savoir l’état émotionnel d’un individu au moment de la mémorisation ou de la remémoration et l’intensité émotionnelle.
4.1 La valence émotionnelle (émotions positives ou négatives) Un individu se rappellerait mieux un événement dès lors qu’il est coloré d’une teneur émotionnelle positive ou négative. Des stimuli émotionnels (histoire, mots, image) seront mieux rappelés que des stimuli neutres (Sergerie, Lepage et Armony, 2005). Néanmoins, selon Elizabeth Kensinger (2009), les émotions négatives faciliteraient un rappel avec force détails alors que les émotions positives n’auraient pas plus d’effets sur ce point que les émotions neutres. En effet, diverses expériences ont montré que des patients dataient plus fidèlement les actes de dentisterie coûteux et douloureux (Riandey, 1995 ; Auriat, 1996) ; des sujets en situation d’expérience se remémoraient mieux les détails d’une histoire relatifs à un viol (Kensinger, 2009) ou à un accident (Lestienne, 2009) ; une image de Améliorer la fiabilité du discours
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serpent ou de grenade était mieux rappelée qu’une image de gâteau (Kensinger, 2009). Dans d’autres contextes, ce serait l’émotion positive qui aurait le plus d’influence sur la mémoire. Les événements publics positifs ou les événements biographiques issus de journaux intimes sont ainsi mieux rappelés que les événements négatifs (Linton, 1978 ; Wagenaar, 1986 ; Petrican, Moscovitch et Schimmack, 2008). On se souviendra mieux de dessins animés humoristiques (Schmidt, 2002) ou de mots grossiers (Riandey, 1995) que de leurs équivalents émotionnellement neutres.
4.2 La congruence à l’humeur Par ailleurs, les émotions qu’un individu ressent au moment de la remémoration auraient également une influence sur la mémoire. Les souvenirs qui nous reviennent plus facilement à l’esprit seront fonction des émotions que l’on ressent : on se souviendra davantage d’événements positifs si on est dans un état émotionnel positif, et inversement. Il s’agit du phénomène de congruence à l’humeur ou de congruence émotionnelle (Oishi et al., 2007). Ainsi, la remémoration sera plus efficace si les questions posées sont congruentes à l’état émotionnel de l’individu questionné (Buchanan, 2007). On perçoit aisément les effets des émotions sur le recueil de données par entretien : le contenu du discours de l’enquêté peut varier en fonction de l’état émotionnel dans lequel il est au moment où vous lui posez une question.
4.3 L’intensité émotionnelle Les psychologues sociaux Roger Brown et James Kulik (1977) ont montré que lorsqu’un événement très surprenant se manifestait, un mécanisme spécifique de mémorisation, la flashbulb memory, s’enclenchait et conduisait à une mémorisation parfaite des éléments contextuels et émotionnels de la scène. Ainsi, quelle que soit la nature de l’émotion (positive ou négative), un événement émotionnellement 148
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intense sera mieux rappelé et comportera plus de précisions (Talarico, LaBar et Rubin, 2004). En somme, cela signifie que lorsqu’un événement autobiographique est empreint d’émotions fortes, il sera mieux mémorisé et mieux remémoré qu’un autre événement. Ces effets des émotions sur la mémoire pourraient reposer sur ce que Gordon Bower (1981) appelle la structure associative de la mémoire. Les événements de vie seraient inscrits dans un réseau neuronal qui, activé par des indices mnésiques, contribuerait à leur remémoration. Les événements émotionnels émergeraient alors avec plus d’aisance et de saillance. Le modèle du psychologue cognitif Gordon Bower et du psychologue social Joseph Forgas (2000), l’affect infusion model (AIM), met également en lumière les effets des émotions sur la cognition sur la base de l’influence de l’humeur sur la remémoration. Ils suggèrent que les souvenirs sont associés à des émotions puis mémorisés dans un réseau d’associations. En outre, ce modèle intègre, en plus des informations émotionnelles, des données contextuelles. Si les contradictions sont légion dans les études portant sur la relation qu’entretient la mémoire avec les émotions, il n’est plus à contester qu’une émotion peut faciliter une mémorisation fiable et précise d’événements sur lesquels a porté l’attention de l’individu. Ces deux extraits d’entretiens témoignent de la présence de cet effet des émotions sur la mémoire. Enquêté 1 : « Alors, attendez, ça devait être… fin novembre, début décembre. Je m’en rappelle parce que je passais mon permis de conduire, et je m’en rappelle parce que j’avais une douleur terrible dans la voiture. » Enquêté 2 : « Mais, vous voyez, je m’en souviens parce que ça a été tellement fort, tellement violent ; c’est quelque chose qui m’a permis de me libérer (…) c’est ce fameux déclic qui a fait que j’ai réagi. »
En prenant appui sur ces effets des émotions sur la mémoire ainsi que d’autres influences mnésiques, il est possible de développer des « outils » pour améliorer l’accès aux épisodes mnésiques les plus lointains si tant est qu’ils aient été intenses. Améliorer la fiabilité du discours
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En résumé, de cette exploration parcellaire des travaux portant sur la mémoire en général et la mémoire autobiographique en particulier, il apparaît que la mémoire est soumise à des reconstructions et à des déformations, que l’oubli est omniprésent, que la question de la fiabilité du souvenir se pose, mais que les éléments issus du contexte et les émotions faciliteraient l’accès à des épisodes biographiques passés, et ce en toute précision. Les résultats de ces travaux sur la mémoire permettent d’envisager que l’ensemble des éléments présents dans l’environnement de l’enquêté au moment de la remémoration (à savoir lors de l’entretien) peuvent agir comme stimulations mnésiques et influer sur la qualité du discours.
5. Contextualiser pour se remémorer Si, lors de la remémoration, un individu opère une sélection au sein des événements retenus en mémoire, cette sélection peut être encadrée par l’enquêteur afin de faire émerger dans le discours de l’enquêté ce qui sert plus spécifiquement son étude et sa problématique. Certes, certains éléments du discours pourront varier en fonction des entrevues ou des enquêteurs (Auriat, 1996), mais il est possible de réduire ces effets de position et d’améliorer la fiabilité des données recueillies en mobilisant les savoirs inhérents au processus de mémorisation et aux modalités de la remémoration pour élaborer des techniques d’enquête appropriées. Rappelons que la mémoire autobiographique (épisodique) est sensible aux émotions et qu’elle encode les éléments du contexte concomitamment à l’épisode lui-même. Plusieurs « outils » reposant sur ces effets de contexte émotionnels et cognitifs peuvent alors être mobilisés pour faciliter la remémoration : d’une part, la contextualisation cognitive s’appuyant sur des indices mnésiques et, d’autre part, la 150
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contextualisation émotionnelle amorcée par une induction émotionnelle. Ces outils deviennent particulièrement efficaces lorsqu’ils sont utilisés consécutivement dans un mouvement dialectique circulaire.
5.1 Contextualisation cognitive Nous avons vu qu’une sélection de l’information était réalisée tant au cours de la mémorisation (l’encodage) que lors de la remémoration (le rappel). Tulving et Thomson (1973) ont montré que la sélection du rappel est plus efficace si certains aspects de l’encodage sont présents au cours de la remémoration. Le concept de « traitement approprié au transfert », développé par Morris, Bransford, & Franks (1977), recouvre une idée similaire : les performances mnésiques augmentent si certains éléments présents lors de l’encodage peuvent s’apparier avec des éléments présents au moment du rappel. Les éléments du contexte peuvent ainsi faciliter la remémoration en ce qu’ils sont intégrés à la mémoire lors de l’encodage. C’est sur la base de ce fonctionnement neuropsychologique que la contextualisation cognitive se montrera des plus intéressantes comme technique de stimulation mnésique en situation d’entretien. Ces contextualisations cognitives seront sous-tendues par l’emploi de divers indices mnésiques (indices spatio-temporels, événements repères et « périodes de vie ») qui sont autant d’outils puissants pour stimuler efficacement la mémoire en ce qu’ils se composent de toutes les informations issues de l’environnement interne ou externe de l’individu, intériorisées au moment du codage d’un épisode en mémoire. La recherche menée par Wagenaar (1986) sur sa propre mémoire constitue une démonstration édifiante de l’efficacité des indices mnésiques sur la mémoire. Le psychologue néerlandais consigna des événements personnels, à raison de deux par jour maximum, et faisant mention de divers éléments qui deviendront des indices mnésiques lors de la remémoration de ces événements. Ainsi, il enregistra 2 402 événements à raison de 400 événements par an sur Améliorer la fiabilité du discours
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une période de six ans. Puis, régulièrement avec l’aide de son assistant, il s’attacha à se remémorer chacun d’eux ; il le fit avec succès dans 68 % des cas. Comme le met en exergue la figure 19 ci-dessous, plus grand est le nombre d’indices mobilisés au cours du rappel, plus la remémoration est efficace et fiable. Un indice mnésique permet une remémoration fidèle de 17 % de souvenirs vieux de cinq ans alors que l’utilisation de trois indices amène à un taux de rappel de 52 %. Plus encore, des événements qu’il ne parvenait pas à se remémorer seul lui revenaient en mémoire lorsqu’un tiers, ayant connaissance de l’événement, stimulait ses souvenirs par des détails situationnels (figure 19 ci-dessous, courbe « jugement de rétention »). L’utilisation d’indices spatio-temporels (lieu, période de la vie, saison, etc.) améliore donc considérablement le rappel mnésique et sa fiabilité. Figure 19. Courbe de rétention en fonction des indices mnésiques issue de l’étude de Wagenaar
Source : Wagenaar,1986, p. 235
Les indices peuvent être de plusieurs ordres et générer des effets spécifiques sur la remémoration. Des enquêtes démographiques ont 152
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mis en évidence que les « événements repères » (Riandey, 1995) se montreront particulièrement adaptés lorsque l’enquêté a des difficultés à situer dans le temps des événements remémorés. En prenant appui sur des événements fiables tels que les mariages et les naissances, l’ensemble des événements connexes sera situé temporellement avec plus de justesse. L’évocation des saisons semble également un bon appui en ce qu’elles sont bien restituées dans les enquêtes rétrospectives (Auriat, 1996). Enfin, les indices matériels tels que des photographies, des livrets de famille stimulent efficacement la mémoire en améliorant considérablement sa fiabilité (Auriat, 1996). Le sociologue et historien Michaël Pollak (Pollak, Glas-Larsson et Botz, 1982 ; Pollak, 1986) a utilisé ce procédé pour faciliter la remémoration de femmes ayant survécu à la déportation dans un camp nazi. En effet, le recours à ce type de supports durant cinq jours consécutifs d’entretien avec l’une de ces femmes, Margaretha, aura permis d’extraire de sa mémoire ce dont elle ne pourra se souvenir par la suite malgré les sollicitations des chercheurs. Outre les divers indices mnésiques et autres événements repères, les « périodes de vie » ont également un effet sur la remémoration. Selon Martin Conway et Christopher Pleydell Pearce (2000), la mémoire serait ordonnée selon des « périodes de vie » (« quand j’étais enfant » ; « quand j’étais à l’université ») qui contiennent des connaissances sous forme de schéma temporel individuel, et des événements généraux. Ces événements généraux sont composés d’événements répétés (« mon jogging quotidien »), et d’événements singuliers (« mon voyage à Paris »). L’évocation de ces périodes de vie engagera la contextualisation cognitive de l’enquêté. Des souvenirs propres à ces périodes se montreront alors plus disponibles à la remémoration. En somme, les indices mnésiques évoqués forment des outils précieux pour faciliter la contextualisation cognitive de l’enquêté et améliorer la fiabilité de son discours. En effet, plus nombreux et variés seront les indices cités dans l’énoncé précédant les questions Améliorer la fiabilité du discours
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posées aux enquêtés (spatio-temporels, saisonniers, etc.), plus la contextualisation sera précise, et plus les souvenirs émergeront aisément. Toutefois, à eux seuls ces outils cognitifs ne suffisent pas pour maximiser le taux de remémoration et dépasser les résultats obtenus par Wagenaar. Nous proposons donc de coupler les outils d’une contextualisation cognitive (indices mnésiques) avec des inductions émotionnelles afin de provoquer une contextualisation émotionnelle.
5.2 Contextualisation émotionnelle Ce ne sera qu’une fois l’enquêté contextualisé dans un espace et un temps passé, que l’utilisation de l’induction émotionnelle permettra de faire émerger des souvenirs qui semblaient oubliés. L’induction émotionnelle consiste alors à placer un individu dans un état émotionnel donné pour encourager le rappel d’épisodes autobiographiques. Cette technique est largement utilisée en psychologie expérimentale pour plonger un individu dans un état émotionnel donné et observer les effets de cette émotion sur la mémorisation et la remémoration lors d’expérimentations. De nombreuses études, comme le recensent Tapia et al. (2007), ont démontré que l’induction émotionnelle améliore les performances de rappel mnésique en situation expérimentale. Nous proposons donc d’importer l’induction émotionnelle en l’adaptant à l’entretien de recherche. Il ne s’agit donc pas à proprement parler d’induire une émotion comme dans ces études de psychologie expérimentale qui, par exemple, amènent leur sujet à lire des textes dont l’histoire a une teneur émotionnelle positive ou négative. En revanche, l’induction émotionnelle, adaptée à l’entretien de recherche, vise à lancer une stimulation émotionnelle en invitant l’enquêté à ressentir l’émotion vécue à un instant donné. C’est pourquoi, avant d’engager une contextualisation émotionnelle, il est nécessaire que l’enquêté soit contextualisé cognitivement (spatialement et temporellement) dans une situation biographique passée. 154
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Comme l’a montré Bower (1981, p. 130) : « Les événements mémorisés dans un état psychique seront mieux remémorés si l’on est replongé dans le même état que lors de l’expérience originale. » En d’autres termes, un événement biographique est d’autant mieux rappelé à la mémoire d’un individu que ce dernier se situe émotionnellement dans les mêmes conditions que lors de la mémorisation de l’événement. Ces effets de l’émotion sur la mémoire (mood effect) reposent sur le phénomène de congruence à l’humeur et sur celui de dépendance à l’humeur. Le mécanisme de dépendance à l’humeur, s’appuie sur le rappel de l’émotion en présence lors du codage de l’épisode en mémoire. Comme l’a montré Bower (1981, p. 130) : « Les événements mémorisés dans un état psychique seront mieux remémorés si l’on est replongé dans le même état que lors de l’expérience originale. » Par exemple, on se souviendra plus facilement d’un événement heureux si l’on est d’humeur joyeuse (Brouillet, 2006). Ces travaux ont montré que les événements négatifs sont remémorés plus rapidement si les participants de l’étude sont préalablement plongés dans un état émotionnel négatif. Il en est de même avec les émotions positives (Buchanan, 2007). Le mécanisme de congruence à l’humeur, voit une amélioration de la remémoration lorsque les stimulations émotionnelles (à savoir la teneur émotionnelle des questions posées par l’enquêteur) sont similaires à l’humeur de l’enquêté (Buchanan, 2007). En d’autres termes, la remémoration sera plus efficace si les questions posées sont congruentes à l’état émotionnel de l’individu questionné (Buchanan, 2007). En outre, l’utilisation de l’induction émotionnelle comme technique d’enquête à la suite d’une contextualisation cognitive s’avérera particulièrement appropriée pour révéler et approfondir certains événements en détail, ou atteindre des éléments connexes issus du contexte. Ce faisant, cet outil favorise l’accès aux représentations, aux croyances, aux réflexions, et aux motivations. La contextualisation Améliorer la fiabilité du discours
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émotionnelle, en reposant sur ces effets de l’émotion sur la mémoire, conduit alors à une remémoration fiable d’événements parfois très lointains. De plus, l’induction émotionnelle contribue au passage d’un souvenir à un autre sur la base d’un contexte émotionnel commun ou similaire qui ne serait pas nécessairement accessible par voie cognitive. Le changement de contexte mnésique se fait alors avec douceur, instaure une continuité dans le discours, encourage son abondance, et facilite une nouvelle contextualisation cognitive dans des épisodes mnésiques émotionnellement connexes. C’est pourquoi l’utilisation conjointe de ces deux techniques (contextualisation cognitive et contextualisation émotionnelle) concourt à un recueil de données riches, fiables, jusqu’à l’accession à des épisodes parfois très anciens et oubliés aux yeux des enquêtés eux-mêmes. Comment peut-on expliquer ces effets émotionnels et cognitifs sur la mémoire ? Ces effets pourraient reposer sur ce que Bower (1981) appelle la structure associative de la mémoire ou ce que Bower et Forgas (2000) appellent le modèle AIM (Affect Infusion Model). La mémoire serait structurée sous forme de nœuds émotionnels reliés entre eux dans un réseau associatif. Ce faisant, l’activation d’un état affectif conduirait à l’activation de « nœuds d’événements » auxquels ils sont liés. Ainsi, l’évocation aussi vague que « au jardin d’enfants » peut activer un nœud émotionnel et conduire à une remémoration totale des souvenirs associés à ces émotions (Bower, 1981). En effet, lorsqu’un état émotionnel est activé dans le réseau d’associations, les souvenirs associés à cette émotion auront plus de chance d’être remémorés que les événements qui n’ont pas été mémorisés conjointement à cet état émotionnel (Bower et Forgas, 2000). En facilitant le passage d’un épisode mnésique à un autre, reposant sur cette structure associative de la mémoire, ces stimulations émotionnelles permettent ainsi de tisser un fil conducteur biographique. Cette induction émotionnelle amènera l’enquêté à plonger profondément dans ses souvenirs. La contextualisation cognitive amène 156
Initiation à l’entretien en sciences sociales
l’enquêté à revivre des événements passés : le film de sa vie défile à son gré. Mais lorsque lui est posée la question « qu’est-ce que vous avez ressenti à ce moment-là ? », c’est comme si on l’invitait à mettre sur pause le déroulement de son histoire personnelle puis à zoomer sur divers éléments représentés à son esprit. Reposant sur l’influence des émotions sur la mémoire au moment de la mémorisation, lorsque l’on invite l’enquêté à ressentir à nouveau ses émotions passées, les souvenirs deviennent plus précis et il peut être en mesure de revoir, ressentir et repenser ces détails passés. L’induction émotionnelle a en outre un effet cumulatif, car il est possible de stimuler à nouveau l’enquêté au moment de cette première remémoration. Cela permettra alors de recueillir ses croyances, ses représentations, ses pensées et ses réflexions plus précises. Tout l’intérêt de cette stimulation émotionnelle réside dans le fait d’amener l’enquêté à se remémorer une émotion passée : par le réseau associatif de la mémoire reviendront à son esprit les divers éléments qui ont fait naître cette émotion. Ce faisant, l’on obtient bien plus d’informations avec cette stimulation émotionnelle qu’avec nombre de questions directes. Par ailleurs, en opérant une dialectique entre contextualisation cognitive et induction émotionnelle, il est possible de naviguer sans heurt dans les différentes « périodes de vie » de l’enquêté. Alors qu’il est pleinement contextualisé dans un événement donné de son passé, il s’agit de rebondir sur des termes évoqués dans son discours et d’intégrer dans la question posée un mot-clé recueilli dans les précédents échanges ou reflétant une autre période de vie. L’enquêté partira du point actuel de sa contextualisation et tissera un lien avec ce que lui évoque le mot-clé inséré dans la question posée. Ce mot-clé fera ainsi office de stimulation mnésique et d’outil exploratoire de la mémoire. En effet, cela amènera l’enquêté, par association d’idées, à faire émerger des souvenirs connexes sans rupture ni décontextualisation, sans que l’enquêteur influence sa réponse. Par contextualisation, l’on peut amener l’enquêté si profondément dans ses souvenirs que cela peut le conduire à faire des bonds temporels dans sa propre biographie. Améliorer la fiabilité du discours
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L’enquêté se détache alors de son discours préparé et s’immerge pleinement dans son passé : il perd la notion du temps à mesure qu’il voyage dans ses souvenirs. Il s’opère une forme de désorientation temporelle. Les mots, les idées, les images, les protagonistes évoqués seront autant de passerelles vers d’autres contextes biographiques de l’enquêté. Placé dans son cadre professionnel, il pourra évoquer son cadre familial puis sa petite enfance avant de revenir à ses perspectives d’avenir, etc., et voyager ainsi dans son histoire personnelle en ayant le sentiment de transitions douces, voire imperceptibles. Cette technique de contextualisation émotionnelle reposant sur la stimulation du réseau associatif de la mémoire amenant l’enquêté à tisser un fil conducteur émotionnel de son histoire personnelle sans créer de rupture de contextualisation et générant une forme de désorientation temporelle a de nombreux avantages. Cela permettrait alors, d’une part, de contourner la narration de soi, les rationalisations, les reconstructions mnésiques ex post, les discours stéréotypés et autres spéculations et, d’autre part, d’améliorer la fiabilité du discours et l’accès aux souvenirs les plus lointains si tant est que l’émotion mémorisée fût intense. Cette technique permet également de vérifier la consistance du discours en réitérant les mêmes questions dans des contextes biographiques ou « période de vie » différents. Enfin, elle permet de maintenir l’enquêté dans une contextualisation active continue afin d’obtenir la description la plus fidèle des événements encodés en mémoire.
5.3 Contextualisations cognitive et émotionnelle en pratique La contextualisation vise donc à reconstruire chez l’enquêté les dimensions spatiale, temporelle et émotionnelle d’un événement de son parcours biographique. Concrètement, contextualiser un enquêté se résume à réaliser des relances contextualisantes en situation d’entretien. Pour ce faire, il est nécessaire de recueillir les informations contextuelles 158
Initiation à l’entretien en sciences sociales
délivrées par l’enquêté pour les inclure dans la formulation d’une relance. Chaque élément intégrant cette relance contextualisante sera autant d’indices mnésiques pour amener l’enquêté à se forger une image mentale d’une scène passée. C’est pourquoi l’utilisation successive des indices spatiaux, temporels et émotionnels améliore la contextualisation au niveau de ces trois dimensions. Le procédé vise, dans un premier temps, à réaliser une contextualisation en formulant une phrase (relance contextualisante) composée de trois éléments : 1) Un avertissement quant au changement de contexte, plus ou moins important, auquel sera soumis l’enquêté. Deux formules peuvent être employées : -- « je vais vous ramener au moment où … » ; -- « alors, on va rembobiner le cours de votre histoire, et revenir… » Le terme « rembobiner » est très évocateur pour l’enquêté, ce qui facilite l’opération. Cette formulation est accompagnée d’une intonation particulière et d’une gestuelle qui, après plusieurs contextualisations, conduit l’enquêté à pressentir rapidement qu’un « bond biographique » lui sera demandé. 2) La reprise des informations livrées par l’enquêté lors de l’entretien (contextualisation cognitive) : des éléments précis du contexte relationnel, émotionnel ou environnemental de l’enquêté au moment précis que vous souhaitez approfondir. Il s’agit alors d’intégrer successivement une dimension temporelle, puis d’ajouter des éléments contextuels, voire émotionnels. Une attention toute particulière sera portée à l’utilisation du vocabulaire de l’enquêté dans la formulation des relances et des questions afin d’améliorer la contextualisation et la compréhension de ces questions. Cette adaptation constante à l’enquêté (langage, pause, etc.) facilitera le recueil de données. 3) Ajouter à la suite de ces informations contextuelles : • soit une stimulation par une question de fait (extrait 1) invitant l’enquêté à reprendre le fil de son récit à partir d’un point biographique précis ; Améliorer la fiabilité du discours
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Extrait 1 – Stimulation mnésique
Enquêteur : « J’aimerais revenir au moment où vous rencontrez pour la première fois ce couple […] pendant votre séjour avec votre frère. Donc, votre frère vous présente ces personnes, enfin une discussion s’engage, sur différents éléments, qu’est-ce qui se passe ensuite ? »
• soit baisser progressivement l’intonation et ralentir l’élocution pour que l’enquêté poursuive la description de la situation sans que l’enquêteur imprime une direction particulière à son discours (extrait 2) ; Extrait 2 – Baisse de l’intonation
Enquêteur : « Alors, j’aimerais revenir sur le groupe auquel vous avez appartenu, et à vos débuts dans ce groupe. Alors, vous êtes invitée chez votre ami ; vous voyez, avant même ça, qu’il commence déjà à vous parler d’énergie qui pourrait vous guérir » (l’enquêté coupe la parole et commence à décrire une situation inédite).
• soit une induction émotionnelle pour approfondir un élément spécifique, recueillir les réflexions, les raisons, les croyances et représentations à un moment spécifique de son parcours (extrait 3) ; ou pour encourager les réminiscences par association d’idées lorsque l’enquêté ne parvient pas à se souvenir. Extrait 3 – L’induction émotionnelle pour approfondir
Enquêteur : « Qu’est-ce que vous avez ressenti à ce moment-là ? » Enquêté : « … Euh une sorte d’incohérence entre la représentation que je me faisais de ce groupe et du message philosophique qui était véhiculé tel que moi je l’avais interprété – en fait parce qu’on est, en fait, c’était qu’une interprétation personnelle et subjective –, et puis ce que je voyais de l’extérieur qui, pour moi, était en dissonance totale. Je croyais être dans une, dans un groupe qui développait une philosophie athée, libératrice, etc., et là j’avais l’impression d’être dans une religion classique avec un gourou, des adeptes et (prrt) et des croyances religieuses traditionnelles quoi. »
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Initiation à l’entretien en sciences sociales
L’extrait 4 illustre cette association d’idées (« Ah oui ! » exprimet-il lorsqu’elle survient) qui le conduit à exprimer avec précision les raisons qui ont retenu cet enquêté dans le mouvement marginal auquel il a appartenu et qui ont rendu difficile sa rupture d’appartenance. Extrait 4 – Induction émotionnelle, remémoration, associations d’idées et accès aux raisons
Enquêteur : « Qu’est-ce que vous ressentiez quand ils vous… » (l’enquêté coupe la parole). Enquêté : « … Quelque chose qui dépassait mes limites. Ouais, ça dépassait mes limites… Alors euh. Ah oui ! J’ai eu difficile d’en sortir parce que j’avais toutes ces qualités-là : la chaleur, l’accueil, le euh les douleurs, la sérénité. J’allais pas avoir facile de me passer de tout ça. »
Cette technique d’entretien qu’est la contextualisation (émotionnelle et cognitive) facilitera ainsi l’accès à des événements qui n’ont pas été évoqués spontanément par l’enquêté, ou à des événements dont il ne parvenait pas à se souvenir. Cela offre donc de multiples avantages, tels que l’accès à la mémoire avec fiabilité, le changement de contexte biographique avec douceur. Or, si ces contextualisations améliorent la remémoration d’un épisode biographique tel qu’il a été mémorisé, peut-on se fier à ces remémorations ? Dispose-t-on d’indices de fiabilité du discours de l’enquêté ?
6. Les indices de fiabilité du discours Comment peut-on se fier aux remémorations des enquêtés alors qu’on ne dispose pas d’informations complémentaires pour en tester la validité ? La fiabilité du discours se lit dans le non verbal de l’enquêté (gestuelle, regard, intonation, etc.) En outre, lorsque l’enquêté est Améliorer la fiabilité du discours
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contextualisé, il revit les émotions inhérentes à l’épisode relaté : cela se traduit donc par des manifestations allant du rire aux larmes, en passant par un panel émotionnel complet. C’est ce que Rimé (2004, p. 81) appelle l’« effet de réactivation ». Lorsqu’un individu se souvient d’un épisode autobiographique chargé émotionnellement, il activera « des images mentales vives de l’épisode » (Rimé, 2004, p. 81), il éprouvera des émotions intenses qui se traduiront dans ses attitudes corporelles, et il vivra une expérience subjective semblable à celle éprouvée dans le passé. Kenneth Strongman et Simon Kemp (1991) ont constaté que les souvenirs émotionnels négatifs étaient plus souvent accompagnés de réactions physiques lorsqu’il s’agissait de la colère (provoquant des réactions comportementales) ou de la peur (provoquant des réactions physiologiques [Talarico, LaBar & Rubin, 2004]). Ces réactions physiologiques induites par l’émotion peuvent constituer, pour l’enquêteur, un premier indice de fiabilité du discours. Ces indices verbaux et non verbaux permettent d’indiquer que la contextualisation émotionnelle est opérante chez l’enquêté. En ce qu’il est directement issu des nœuds mnésiques stimulés, le contenu du discours au moyen de cette contextualisation émotionnelle a de fortes propensions à la fiabilité. Un deuxième indice de fiabilité : le regard. Lorsqu’un enquêté est pleinement contextualisé dans son passé, le point de fixation de son regard change, car il visualise mentalement le contexte spatial et émotionnel issu de ce passé. Dès lors, le regard de ces enquêtés paraît alors se poser dans le vague et l’impalpable (figure 15, p. 126). Ce regard devient alors un indice de contextualisation en ce qu’il montre que l’enquêté est pleinement inscrit dans un contexte passé duquel il extrait une réalité qui lui semble concrète à la suite des injonctions formulées par le chercheur. Le changement de registre langagier constitue un troisième indicateur. Lorsqu’un enquêté est pleinement contextualisé dans un épisode mnésique passé, le vocabulaire et la prosodie peuvent varier. Le changement de registre est plus marquant lorsque l’enquêté relate un souvenir issu de son enfance, car il utilisera un vocabulaire, une intonation et 162
Initiation à l’entretien en sciences sociales
une simplicité dans la construction des phrases qui peuvent s’opposer parfois radicalement au discours issu d’un autre contexte discursif. Selon les contextes, certains enquêtés pourront alors utiliser un vocabulaire plus pauvre, plus complexe, plus grossier, etc. En outre, ces réminiscences et leur fiabilité sont présentes de manière encore plus ostensible dans le discours des enquêtés en ce que ces derniers font spontanément mention des effets mnésiques qu’ils éprouvent. Ils évoquent ainsi s’ils se souviennent, s’ils ne se souviennent pas, ou s’ils font des associations d’idées. Les six extraits d’entretiens suivants mettront en lumière cette place de la mémoire dans le discours. Nous terminerons cette succession d’extraits par un extrait plus long au cours duquel l’enquêtée prend conscience d’un élément charnière dans le parcours qui l’amena à la sortie du mouvement marginal auquel elle était affiliée. Extrait 5 – L’absence totale de remémoration
Enquêté 1 : « Euh, c’est trop loin, je ne me souviens plus. » Enquêté 2 : « Je ne me souviens pas de ce que je lui ai dit. » Extrait 6 – Un oubli partiel
Enquêté : « Et puis où est le libre arbitre s’il y a un Dieu ? Et puis comment est-ce qu’on peut se positionner par rapport au fait d’avoir, d’être dans une religion ou pas ? C’est un peu les trucs que j’ai pas tellement relus depuis en fait, je me rappelle pas, je me rappelle juste que ça m’avait frappé. » Extrait 7 – Spéculation ex post 1
Enquêté : « … (Léger soupir) Pff ! (Gros soupir) Pff ! C’est difficile de se souvenir ! Je sais pas, mais j’imagine que je commençais vraiment à me poser des questions. »
Dans cet extrait, l’enquêtée ne parvient pas à se souvenir et spécule sur l’événement passé qu’elle relate. Dans ce cas, il n’est pas possible de se fier à ces spéculations en l’absence de tout souvenir ou de toute émotion. Améliorer la fiabilité du discours
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Cet extrait montre également que, lors d’un rappel mnésique, toutes les informations ne ressurgissent pas aisément à l’esprit de l’enquêté. Ce dernier comblera alors les vides mnésiques par une spéculation raisonnée de ce qu’il a pu penser, dire ou faire dans ce contexte. L’enquêté donnera une réponse sans en avoir le souvenir en indiquant souvent ses difficultés à se remémorer. Le discours traduit également cette spéculation par l’emploi de formulations du type « j’ai dû penser ceci ». Il présupposera ainsi ses réflexions comme dans l’extrait 8. Extrait 8 – Spéculation ex post 2
Enquêté : « […] Mais je ne me suis pas trop posé la question. Mais je pense que c’est une déduction logique que j’ai dû faire […] ».
Le discours peut être parsemé de reconstructions fallacieuses du passé ou de spéculation ex post. Or, à elle seule, la question « En avez-vous le souvenir ? » permet à l’enquêté de se rendre compte qu’il discourt sur des présupposés. Il fera alors presque immédiatement un effort mnésique qui aboutira ou non à une remémoration. Le cas échéant, afin de contourner ce problème de reconstruction mnésique, l’émotion deviendra un atout majeur pour l’enquête via l’induction émotionnelle – en posant la question suivante : « Qu’est-ce que vous avez ressenti à ce moment-là ? » – si tant est que l’émotion encodée à cet instant soit suffisamment intense. Si les enquêtés manifestent aisément leurs difficultés à se souvenir, ils expriment tout aussi spontanément les moments où ils se souviennent d’un événement personnel. Cette réminiscence est très souvent accompagnée d’un éclat de voix qu’il est hélas impossible de restituer ici (extrait 9). Extrait 9 – Remémoration soudaine
Enquêté : « Et quand je suis devenu croyant – voyez ça me revient maintenant ! – j’avais une discussion avec […] ».
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Initiation à l’entretien en sciences sociales
Avant de se souvenir ainsi du moment où il a adhéré aux croyances qui lui étaient proposées, cet enquêté ne parvenait pas à se remémorer cet instant avec précision. Mais à force de sollicitations contextuelles et autres stimulations mnésiques, le souvenir lui revint en mémoire comme il l’exprime lui-même dans l’extrait 10. Extrait 10 – Remémoration et prise de conscience
Enquêtée : « Et je me souviens en fait quand j’ai fait la recherche […] pour voir qui, enfin pas pour voir qui était en réalité ce bonhomme, parce que pour moi il était ce qu’il était, comme tout le monde le voyait ! Mais quand j’ai découvert que, en fait, il n’était pas ce qu’il disait qu’il était, là, j’en ai parlé à mon mari. Et alors là, c’est à ce moment-là qu’il m’a dit : “Continue à faire, continue à chercher !” parce que, pour lui, c’était impossible qu’une personne seule comme lui, enfin, comme lui ou, comme n’importe qui, ait autant de choses positives à son actif et soit parvenue à faire autant de choses à lui tout seul. Et que, il a fait des choses de façon tellement positive, en agissements et sur n’importe quel plan, que mon mari trouvait ça un peu irréel, irréaliste ! Et ça, ça me revient à l’esprit maintenant, et en fait, c’est parti de là ! Qu’il m’a dit “ben continue à chercher !” Et bon et que j’ai trouvé le reste quoi ! »
Cet extrait 10 a ceci d’intéressant que ce fut lors de l’administration de notre outil « l’évaluation du doute » (chapitre 3 – 6.5.3, p. 48), alors que nous retracions le parcours de cette enquêtée, qu’elle se remémora en détail les circonstances d’un moment charnière. Elle avait ainsi oublié ce moment initiateur de sa désadhésion au mouvement considéré ; ce que les injonctions de l’évaluation du doute, précédées de nombreuses heures d’entretien biographique, avaient permis de remettre au jour. Après avoir décrit la situation, elle se remémore l’importance de cet événement et l’exprime : « Et ça, ça me revient à l’esprit maintenant, en fait, c’est parti de là ! » Cet effet de l’entretien sur les enquêtés renvoie à ce qui a déjà été largement décrit : le fait que la situation d’enquête modifie les deux protagonistes que sont l’enquêteur et l’enquêté. Pour les enquêtés, ce dispositif est souvent cognitivement, émotionnellement, voire Améliorer la fiabilité du discours
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physiquement éprouvant dans la mesure où ils revivent alors les émotions passées, tout comme le stress. Comme l’exprima Wagenaar (1986) dans son étude, l’action de se remémorer est épuisante. Il en est de même pour les enquêtés rencontrés qui peuvent ressentir une vive fatigue pendant l’entretien et un profond épuisement le lendemain.
Points clés Afin de faciliter la remémoration des enquêtés, avec fiabilité, veillez à être attentif aux éléments suivants : • Lorsque l’enquêté est plongé dans un certain état émotionnel, il se remémorera des événements de la même teneur émotionnelle. En conséquence, réinterroger l’enquêté lorsqu’il est dans d’autres dispositions émotionnelles peut enrichir le recueil de données en ce que de nouveaux souvenirs pourront émerger de sa mémoire, et ce avec force détails. • La teneur émotionnelle des questions posées doit être congruente à l’humeur de l’enquêté. Il est alors possible d’induire un changement émotionnel au moyen des énoncés des questions. Dans le cas contraire, le discours de l’enquêté sera réduit à sa plus simple expression en ce qu’il n’aura pas aisément accès à l’information sollicitée. • Intégrer les émotions et les éléments contextuels à votre boîte à outils méthodologique comme autant de stimulations mnésiques donnant accès aux données à recueillir. Ces deux dimensions peuvent être transmises par voie orale dans le discours, mais également dans la communication non verbale par les gestes, l’intonation, la posture et les expressions du visage.
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Initiation à l’entretien en sciences sociales
Chapitre 9 Mettre fin à l’entretien 9
1. Les questions de la fin L’entretien arrive à son terme lorsque vous avez posé toutes les questions nécessaires à votre enquête, que tous les thèmes ont été explorés et qu’il ne reste plus a priori de zones d’ombre à éclaircir. Vous pouvez parcourir votre guide pour vous assurer de ne rien avoir oublié, puis amorcer la clôture de l’entretien. Cette clôture s’opère en plusieurs étapes indispensables pour accompagner l’enquêté intellectuellement et émotionnellement vers la sortie de l’entretien. En somme, il s’agit de le préparer à la fin de l’entrevue et à refermer tout aussi progressivement les « tiroirs » de sa mémoire.
Astuce : Des questions-transition Lorsque vous regardez des films ou lisez des fictions, vous pouvez constater qu’ils ne s’arrêtent pas brutalement, mais suivent des étapes qui vous permettent de vous dire que la fin approche. Dans un entretien de recherche, c’est pareil. Pour produire cet effet, et amener l’enquêté à se préparer à sortir de l’entretien, il vous suffit de poser une série de questions qui l’invitent à prendre de la distance ou de la hauteur. Ce sont des questions-transition
qui invitent l’enquêté à produire une réflexion ou une analyse. L’enquêté sort alors intellectuellement et émotionnellement de l’entretien pour l’observer dans son ensemble et à distance.
Les questions-transition sont des plus utiles, à la fois pour l’enquêteur, et pour l’enquêté : 1) un court questionnaire, 2) des questions-transition intellectuelles, 3) des questions-transition émotionnelles. Si le court questionnaire est facultatif, les questions-transition intellectuelles et émotionnelles sont toutes deux fortement conseillées.
1.1 Un court questionnaire Vous pouvez recueillir les informations générales sur l’enquêté, préparées et insérées à la fin de votre guide d’entretien (voir l’exemple présenté dans le chapitre 3 – 6.5.1, p. 46). Comme cela prend la forme d’un petit questionnaire administré par vos soins, la dynamique des questions et l’absence de lien entre elles pourront surprendre l’enquêté. Il est alors préférable de l’avertir du changement de dynamique que cela occasionnera en introduisant le questionnaire par exemple par la phrase suivante : « Avant de terminer l’entretien, je vais vous poser quelques questions courtes qui n’auront pas forcément de lien les unes avec les autres. »
1.2 Les questions-transition intellectuelles Ces questions sont indispensables pour amener l’enquêté à « sortir » intellectuellement de l’entretien. Il faut élaborer des questions qui invitent l’enquêté à apporter une réflexion sur le contenu de l’entretien. 168
Initiation à l’entretien en sciences sociales
Avec ce type de questions, vous pouvez collecter les dimensions manquantes à votre guide d’entretien. Vous pouvez également laisser la possibilité à l’enquêté d’aborder des points qui lui tenaient à cœur et qui ne faisaient pas partie de votre problématique. Le simple fait de l’évoquer peut lui permettre de réduire sa frustration, ainsi que les explications que vous pouvez lui fournir sur les raisons de cette impasse. Vous pouvez également collecter les raisons de participation de l’enquêté à votre enquête. Ces raisons d’acceptations sont diverses et propres à chaque enquêté. Les recueillir peut faciliter l’analyse du contenu de l’entretien et des intentions qu’il peut mettre dans ses interventions. Autrement dit, si l’enquêté participe à l’enquête parce qu’il a eu le sentiment de ne pas avoir le choix, le contenu de son discours ne sera pas le même que s’il répond à vos questions dans l’espoir d’aider son prochain. On peut distinguer deux types de raisons de participer à une enquête : des raisons externes (la recherche, aider les personnes qui ont vécu la même expérience, militer, aider un ami, etc.) et des raisons internes (parler, avoir de la compagnie, faire une introspection à l’aide du chercheur, etc.). La dynamique des échanges, le contenu de l’entretien et l’implication de l’enquêté dans les réponses qu’il apporte diffèrent selon sa motivation à répondre. Il est donc important de prendre connaissance des raisons d’acceptation de l’enquête, car celles-ci servent de guide interprétatif lors de l’analyse des entretiens. Exemple 45. Questions-transition intellectuelles
• « Qu’est-ce que vous auriez envie de rajouter ? » • « Qu’est-ce que vous auriez aimé aborder que nous n’avons pas vu au cours de l’entretien ? » • « Pensez-vous à d’autres aspects que nous n’avons pas abordés ou à d’autres questions que j’aurais pu poser ? » • « Qu’est-ce qui vous a amené à accepter de participer à cette enquête ? » • « Quels conseils pourriez-vous me prodiguer ? »
Mettre fin à l’entretien
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Enfin, vous pouvez collecter des conseils généraux. Les enquêtés peuvent parfois être surpris, voire déroutés, par cette question : « Quels conseils pourriez-vous me prodiguer ? ». L’enquêté peut vous donner des astuces et des connaissances supplémentaires sur la population à contacter.
1.3 Les questions-transition émotionnelles La question-transition émotionnelle est indispensable pour amener l’enquêté à « sortir » émotionnellement de l’entretien. Exemple 46. Question-transition émotionnelle
• « Comment avez-vous vécu l’entretien ? »
Cette question permet également de recueillir les impressions de l’enquêté, positives comme négatives, sur le déroulement de l’entretien. Vous aurez là un indicateur vous permettant d’évaluer la qualité de votre préparation, questionnement et posture d’écoute. L’enquêté peut, en effet, vous dire à quel point c’était intéressant de parler librement, qu’il a découvert des choses sur lui-même, qu’il a trouvé vos questionnements intéressants, etc. Au contraire, il peut vous dire à quel point l’entretien était long, qu’il lui était difficile de se souvenir de certaines choses, qu’il ne pouvait pas forcément répondre à vos questions, etc. Toutes ces informations peuvent être utiles lors du traitement de vos données et ce retour des enquêtés peut vous permettre de corriger les écueils de votre pratique. Si vous avez su les mettre en confiance, ils répondront tout aussi librement à cette question qu’à toutes celles que vous leur avez posées jusqu’alors.
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Initiation à l’entretien en sciences sociales
Astuce : Posez la question sans gêne Attention : il est important de poser cette question « Comment avez-vous vécu cet entretien » sans gêne, ni retenue, et ce, avec une attitude tournée vers l’enquêté. Vous cherchez à savoir ce qu’il a ressenti au cours de l’entretien, et non l’inviter à exprimer son jugement sur votre manière de mener l’entretien. Or, si vous exprimez de la gêne en prononçant cette question, vous indiquez implicitement à votre enquêté que cette question est tournée vers vous et non vers lui. Elle n’aura alors pas atteint son objectif qui est de l’aider à sortir émotionnellement de l’entretien.
2. Solliciter l’effet boule de neige À présent que vous êtes arrivé au terme de l’entretien, c’est le moment pour vous de solliciter le réseau de votre enquêté si le mode d’échantillonnage choisi le nécessite. Exemple 47. Question recrutement
• « Est-ce que des personnes de votre connaissance accepteraient de participer à cette enquête ? »
Vous pouvez alors lui demander de diffuser l’appel à témoignage que vous lui tendez. Vous obtiendrez par ce biais des enquêtés qui viendront diversifier votre échantillon. En effet, lorsque vous utilisez l’entretien comme technique d’enquête, vous ne recherchez pas la représentativité de l’échantillon, mais vous tentez de rencontrer les cas les plus variés possible. En mutualisant les modes de prise de contact, vous avez plus de chance d’obtenir la participation de personnes diverses.
Mettre fin à l’entretien
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3. Remercier Une fois que vous avez posé toutes les questions complémentaires à l’entretien en lui-même, il vous reste à remercier l’enquêté et à éteindre l’enregistrement. Une fois que l’ensemble des informations est collecté, il est nécessaire de spécifier à l’enquêté que l’entretien est terminé. Vous pouvez par exemple lui dire la phrase ci-dessous. Exemple 48. Mettre fin à l’entretien et remercier
Enquêteur : « Nous sommes arrivés au terme de l’entretien [coupez l’enregistrement]. Je vous remercie du temps que vous m’avez accordé. Ce que vous m’avez dit va beaucoup m’aider. »
Astuce : Être sincère et sans gêne La plupart des enquêtés acceptent de vous rencontrer afin de vous aider. N’hésitez pas alors à leur dire à quel point ils vous ont aidé et à les remercier pour leur aide. Remerciez avec sincérité, sans gêne, et en faisant passer votre message tant par les mots que par les yeux.
4. Quand l’entretien continue Dès lors que vous mettez fin à l’enregistrement, une nouvelle dynamique interactionnelle débute. L’enquêté se détend et il est souvent désireux de parler de cet exercice particulier qu’est l’entretien. C’est comme si le cadre de l’entretien tel que vous l’aviez instauré et entériné par l’enregistreur avait fini d’exister pour laisser place à une nouvelle forme d’interaction libérée et informelle au sein de laquelle l’enquêté pouvait parler plus librement. Les échanges que vous aurez 172
Initiation à l’entretien en sciences sociales
avec votre enquêté seront à nouveau bilatéraux et l’enquêté pourra entamer tous types de discussions. Comme l’explique Bardot (2010, p. 139) : « La rencontre se poursuit encore pendant une durée plus ou moins longue. Si certains enquêtés vous reconduisent simplement à la porte de leurs bureaux, d’autres vous proposent un café, ou vous ramènent à la gare… Après l’entretien, la relation entre l’enquêteur et l’enquêté se transforme. » Il peut arriver que l’échange prenne la forme d’une discussion intégrant les proches ou les amis de l’enquêté. L’enquêté peut aussi avoir envie de vous dire, en off, tout ce qu’il n’a pas souhaité vous dire alors que l’enregistreur était en marche. Il peut également, une fois dans le cadre d’une interaction ordinaire, vous faire de nouvelles confidences que vous auriez aimé intégrer à votre corpus. L’arrêt de l’enregistreur peut être vécu comme libérateur et amener les enquêtés à poursuivre l’entretien alors qu’il ne vous est plus possible d’enregistrer, ni d’exploiter les informations qu’il vous donne. Vous entrez là dans la dynamique de l’entretien informel.
Astuce : Prévoyez du temps Prévoyez une marge dans votre emploi du temps et dans celui de votre enquêté pour que les échanges informels de fin d’entretien puissent avoir lieu.
5. Qu’est-ce qu’un entretien réussi ? Vous disposez de plusieurs indicateurs vous permettant de savoir si l’entretien s’est bien déroulé du point de vue de l’enquêté et si votre pratique de l’entretien est maîtrisée. Mettre fin à l’entretien
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5.1 Les indices positifs L’entretien est une réussite si au cours de l’entretien, votre inter locuteur : • s’est détendu au fur et à mesure de l’exercice ; • a changé sa manière de parler au cours de l’entretien pour utiliser un langage de plus en plus usuel, voire argotique ; • a oublié la présence de l’enregistreur ; • vous a remercié à la fin de l’entretien. Si votre interlocuteur a répondu à la question de la fin « comment avez-vous vécu cet entretien ? » en vous disant : • « C’était très intéressant, ça m’a fait réfléchir » ; • « C’était très complet, vous avez tout abordé » ; • « C’était très agréable, j’ai passé un excellent moment » ; • « Ça fait longtemps que j’avais plus pensé à tout ça ».
5.2 Les indices négatifs Votre manière de mener l’entretien est perfectible, si au cours de l’entretien, votre interlocuteur : • vous a dit : « Mais j’ai déjà répondu à cette question » ; • vous a dit : « Je vous l’ai déjà dit » ; • a été mal l’aise ou a hésité à vous parler ; • a montré des signes d’impatience à la fin de l’entretien. Si votre interlocuteur a répondu à la question de la fin « comment avez-vous vécu cet entretien ? » en vous disant : • « Bien » ; • « Ça va » ; • « Je ne pensais pas que ça allait durer si longtemps ».
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Initiation à l’entretien en sciences sociales
Points clés Clore l’entretien demande d’intégrer l’enquêté dans un processus qui l’amènera à sortir progressivement intellectuellement et émotionnellement de vos échanges. Vous devez, en somme, l’aider à refermer tous les « tiroirs » de sa mémoire que vous avez ouverts à force de questionner votre interlocuteur. Le processus de clôture nécessite les étapes suivantes : • Un court questionnaire (facultatif). • Des questions-transition intellectuelles (indispensable) : « Qu’est-ce que vous auriez aimé aborder que nous n’avons pas vu au cours de l’entretien ? » • Des questions-transition émotionnelles (indispensable) : « Comment vous avez vécu l’entretien ? » • Des remerciements sincères (indispensable).
Mettre fin à l’entretien
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Chapitre 10 Suivre et analyser vos entretiens
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1. Le journal de terrain Dès les premiers pas de l’enquête, il est préférable de tenir un journal de terrain. Les formes peuvent être multiples : vous pouvez avoir une partie manuscrite sur des cahiers que vous transporterez partout et/ ou un complément numérique sur votre ordinateur ou dans votre téléphone portable. En quoi ce journal de bord peut-il vous être utile ? Quelle que soit la durée de l’enquête, vous êtes irrémédiablement amené à oublier, même si vous êtes convaincu d’avoir une excellente mémoire. Le journal de bord sera alors votre mémoire externe pour y consigner, par exemple, vos démarches, vos observations et remarques, votre autocritique ou vos réflexions.
1.1 Vos démarches Vous pouvez noter pas à pas les démarches que vous avez entreprises : les personnes contactées, comment vous les avez trouvées, leurs coordonnées, les notes résumées de la rencontre, ce que vous avez appris avec elles, les difficultés rencontrées, les moyens de transport utilisés,
le nombre de kilomètres parcourus, etc. Vous pourrez ensuite réaliser des tableaux avec le nombre de personnes contactées, les taux de refus, etc.
1.2 Vos observations et remarques Lorsque vous vous rendez sur le lieu de votre rendez-vous, vous pouvez consigner tout ce que vous observez, les conditions de l’entretien (le nombre de personnes présentes, le lieu, les conditions météorologiques, la durée, les interruptions, la dynamique d’échange, un plan schématique des lieux, etc.), les questions posées par l’enquêté, et vos réflexions à chaud sur le contenu de l’entretien ; ce que l’enquêté a dit quand vous avez éteint l’enregistreur : ses remarques, ses impressions, ses ressentis. Ces données pourront vous être utiles pour décrire votre méthodologie, les effets que peuvent avoir les lieux et vos questions sur l’enquêté, et réaliser des tableaux descriptifs.
1.3 Votre autocritique Après chaque démarche entreprise, chaque personne rencontrée, et chaque entretien réalisé, vous pouvez réaliser un retour réflexif sur votre propre pratique. Vous pouvez consigner les points positifs à reconduire, les points négatifs à éviter ou à améliorer, et tout ce que vous changeriez si vous deviez revenir en arrière. La question de fin d’entretien (« comment avez-vous vécu cette entreprise ») que vous poserez à chaque enquêté vous sera des plus utiles pour faire cette autocritique et améliorer votre pratique. Cette autocritique continue vous aidera à perfectionner votre recueil de données pendant la durée du terrain, et elle vous aidera à prendre du recul durant la phase de rédaction des résultats de votre enquête. Vous aurez une trace de l’évolution de votre terrain et de toutes les stratégies mises en place pour le réaliser. Suivre et analyser vos entretiens
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1.4 Réflexions et débriefing à chaud Après chaque interaction, chaque prise de contact, chaque lecture, chaque entretien, vous apprenez, vous analysez, et vous pouvez consigner vos hypothèses et explications provisoires dans ce journal. Cela vous sera utile au moment de la rédaction de vos résultats de recherche. En effet, la prise de notes juste après l’entretien apparaît indispensable pour consigner vos impressions sur le déroulement de l’entretien, le lieu, les personnes en présence, les interruptions, et vos analyses « à chaud ». Cette prise de notes se montre également nécessaire pour consigner tout ce que votre enquêté vous aura dit avant ou après l’enregistrement. Pour cela, vous pouvez utiliser des carnets de terrain papier, mais vous pouvez aussi consigner ces notes par voie orale au moyen de votre enregistreur. Cela peut avoir l’avantage de vous faire gagner du temps, de confier vos ressentis et vos impressions librement sans craindre de mettre à mal l’anonymat de vos enquêtés. Cette méthode est particulièrement adaptée lorsque vous avez à recueillir des récits chargés émotionnellement. On vous aura relaté des événements parfois tragiques dont la teneur émotionnelle sera difficile à gérer. Cette première prise de notes, immédiatement réalisée après l’entretien, peut alors avoir un effet libérateur de toute cette charge émotionnelle accumulée qui vous aidera à poursuivre votre enquête.
2. Tenir un tableau de bord Remplir régulièrement un tableau de bord informatique ou fichier récapitulatif vous sera salutaire. Vous pouvez le réaliser au moyen de divers logiciels payants ou gratuits : Excel, Calc, Google Spreadsheet, SPSS, etc. Ce tableau de bord vous permettra, en premier lieu, de suivre les avancées de la constitution de votre échantillon et d’avoir une 178
Initiation à l’entretien en sciences sociales
visibilité sur la diversification qu’il vous faut obtenir à mesure que votre collecte de données progresse. En deuxième lieu, ce tableau facilitera le traitement de vos données, en ce que vous pourrez décrire plus facilement votre population en réalisant des tableaux et graphiques. Vous n’exploiterez peut-être pas toutes les données que vous y consignerez, mais vous en disposerez en cas de besoin dans un fichier facile d’accès. Il vous sera enfin aisé de décrire et de justifier votre méthode d’enquête. En troisième lieu, vous pouvez envisager des traitements statistiques adaptés aux petits échantillons exploitables à partir de 20 individus statistiques. C’est le cas du test de Kruskal-Wallis ou celui de Wamnn-Whitney. Exemple 49. Informations à consigner dans votre tableau de bord
• nom des enquêtés ; • pseudonyme ; • adresse mail ; • téléphone ; • adresse ; • mode de prise de contact ; • date de réalisation de l’entretien ; • nombre de rencontres ; • durée de l’entretien ; • mode d’échange (téléphone, visioconférence, présentiel) ; • lieu de l’entrevue ; • les données recueillies au moyen du court questionnaire de fin d’entretien : âge, profession, etc.
3. Mettre fin à l’enquête : la saturation Avant même de partir sur le terrain, vous vous interrogez sans doute déjà sur le nombre d’entretiens que vous devriez réaliser. Tous les livres Suivre et analyser vos entretiens
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traitant de la méthode de recherche en sciences sociales abordent cette question de la saturation de l’échantillon ou, autrement dit, du moment le plus approprié pour mettre fin à la réalisation des entretiens. Berthier (2016) propose une fourchette comprise entre 10 et 30 entretiens. Dépelteau (2003) plébiscite les corpus de 30 entretiens qui sont d’autant plus raisonnables qu’ils autorisent les traitements statistiques. Le point de saturation de l’échantillon apparaît lorsque vos entretiens successifs ne vous apprennent plus rien de nouveau quant à la problématique de votre recherche. Il a un caractère somme toute subjectif, qui rend la définition de ce point de saturation particulièrement délicate. Lorsque vous commencez à avoir une certaine répétition des propos d’un enquêté à l’autre, le premier réflexe serait de se poser la question de la diversification de l’échantillon via le mode de prise de contact, plus que de s’interroger immédiatement sur l’achèvement du recueil de données. Cette diversification donnera un souffle nouveau à vos hypothèses et à la construction de votre objet de recherche : vous aurez un sentiment de nouveauté jusqu’à ce qu’il se tarisse à nouveau. Une fois que vous avez utilisé tous les moyens possibles pour diversifier votre corpus et que vos enquêtés ne vous apprennent rien de nouveau, alors il est temps de mettre fin à votre terrain. Il est toutefois à noter que le nombre d’entretiens recueillis dépendra du type d’entretiens choisi. En effet, vous pouvez réaliser un seul récit de vie comme l’a fait Pollak (1986) ou une dizaine comme le suggère Bertaux (2005), alors que ce nombre sera insuffisant dans le cas d’un recueil par entretiens semi-directifs. Le corpus sera également fonction du type de recherches dans laquelle vous vous lancez. Le critère de faisabilité de la recherche vous impose de réfléchir au temps dont vous disposez pour réaliser votre collecte de données. Si vous disposez de six mois, un an ou trois ans pour réaliser votre recherche, vous ne pouvez pas allouer le même temps à la réalisation des entretiens. Les attentes ne seront pas non plus les mêmes pour un mémoire de master ou pour une thèse de doctorat. 180
Initiation à l’entretien en sciences sociales
Enfin, le mode de traitement de données choisi influera sur le nombre d’entretiens à réaliser : si vous optez pour un traitement purement qualitatif, un total de 20 entretiens est un standard souvent conseillé, alors que si vous souhaitez réaliser des traitements statistiques, un nombre plus important ne sera pas indispensable, mais souhaitable pour certaines analyses.
4. Anonymiser vos enquêtés Quand vient le moment de l’exploitation des données de vos enquêtés, il se pose la question du moyen de leur garantir l’anonymat que vous leur avez avancé. Il vous faut tout d’abord attribuer un pseudonyme à chacun de vos enquêtés. Idéalement, il est souhaitable que le pseudonyme puisse refléter la génération ou l’âge de l’enquêté. Les travaux sur le choix de prénoms montrent qu’ils sont distribués différemment en fonction de la classe sociale d’appartenance (Coulmont, 2011) et en fonction de leur popularité à un moment donné. Le choix du pseudonyme, nécessaire pour anonymiser vos enquêtés, n’est pas anodin. Exemple 50. Le mauvais choix de prénom
Imaginons que votre enquêtée s’appelle Georgette et que vous lui donniez le pseudonyme Amélie. Vous comprenez que ce choix n’est pas le plus adéquat pour représenter votre enquêtée
Astuce : La base de données INSEE Pour choisir le pseudonyme correspondant le plus à celui de votre enquêté, prenez appui sur la fréquence des prénoms par année pour sélectionner un prénom de la même popularité et attribué au cours des mêmes années. Pour cela, consultez le classement des prénoms attribués en France
Suivre et analyser vos entretiens
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depuis 1900. L’Institut National de la Statistique et des Études Économiques (INSEE) le met à disposition sur son site Internet : https://www. insee. fr/fr/ statistiques/3532172.
Exemple 51. Anonymiser un.e enquêté.e
Méthode 1 Vous savez que votre enquêtée Emma est née en 1998. En consultant le site de l’INSEE et en sélectionnant l’année 1998 dans l’onglet « classement », vous constatez que le prénom Emma a été distribué 4 570 fois. La liste affichée par l’INSEE vous permet d’identifier les prénoms d’une popularité similaire que sont Anaïs (4 345 fois) et Lucie (4 267 fois). Vous attribuerez alors le pseudonyme Anaïs à votre enquêtée. Méthode 2 Vous ne connaissez pas la date de naissance de votre enquêté Stéphane. Rendez-vous sur le site de l’INSEE et sélectionnez l’onglet « graphique », tapez « Stéphane » dans la section « ajouter/supprimez un prénom ». Figure 20. Distribution de l’attribution du prénom Stéphane en France.
Source : INSEE.
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Initiation à l’entretien en sciences sociales
Vous pouvez ainsi constater que ce prénom a été particulièrement populaire durant l’année 1971. À présent que vous disposez de la popularité du prénom de votre enquêté, il ne vous reste qu’à choisir un pseudonyme tout aussi populaire au cours de cette même année. Reprenez alors la méthode 1 et choisissez l’année 1971. Vous constatez que le prénom qui a été tout autant attribué cette année-là est Christophe. Vous attribuerez alors le pseudonyme Christophe à votre enquêté
5. Les logiciels de traitement des données Lorsque vous disposez de vos entretiens, la question de leur analyse se pose. Des outils de transcription et d’analyse peuvent vous y aider. Plusieurs logiciels vous permettent de transcrire vos notes en frise biographique (timeline). On notera par exemple Timeline Maker, Office Timeline, Genially, Preceden, TimeToast. Par ailleurs, un choix dans le traitement des données est à faire entre l’analyse sur la base de la transcription du discours des enquêtés ou directement à partir des enregistrements. Le passage à la transcription des entretiens n’est pas forcément un passage obligé. Avec un logiciel gratuit comme Sonal (http://www.sonal-info.com/fr/page/ t%C3%A9l%C3%A9chargement), vous pouvez analyser votre corpus artiellement. directement à partir de l’enregistrement et le transcrire p Toutefois, en optant pour une transcription partielle, il vous sera difficile d’utiliser des CAQDAS (Computer Aided Qualitative Data Analysis Systems) à savoir des logiciels d’aide à l’analyse qualitative des données. Ils vous permettent de coder les transcriptions, c’està-dire apposer des « étiquettes » sur les réponses des enquêtés. Les regroupements d’enquêtés, les catégorisations et l’accès au contenu du discours sont facilités. Ces logiciels proposent même un codage automatique en fonction d’une grille de codage préétablie par vos soins. Voici quelques logiciels aux interfaces et fonctionnalités différentes : MaxQDA, QSR Nvivo, Atlas.ti et QDA Miner. Suivre et analyser vos entretiens
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Astuce : Utilisez des logiciels de transcription automatique Le travail de transcription est particulièrement fastidieux. Si votre enregistrement est de bonne qualité, vous pouvez envisager d’utiliser un logiciel de transcription automatique. Il vous faudra toutefois relire attentivement la transcription en écoutant en même temps votre entretien, car ce sont des logiciels encore perfectibles.
Une fois que vous disposez de la transcription, vous pouvez réaliser des analyses de contenu (lexicométrie ou textométrie). Vous pourrez identifier la fréquence d’apparition de mots dans le discours (champs lexicaux utilisés) ou de cooccurrences (les groupes de mots). Plus intéressant encore, vous pouvez créer des graphes projetant les mots dans un réseau (figure 21 ci-dessous). Vous obtenez même des données quantitatives issues de ces graphes. Pour en savoir plus, il vous faut vous familiariser avec la théorie des graphes. Là encore, de nombreux logiciels existent tels que Alceste, Lexico, WordStat, Hyperbase, DtmVic. Figure 21. Exemple de graphe obtenu à la suite d’une analyse de cooccurrences (lexicométrie).
Source : Sauvayre, 2020, p. 367.
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Initiation à l’entretien en sciences sociales
Enfin, vous pouvez introduire une forme d’analyse quantitative des données qualitatives. Pour cela, il vous faut transformer certaines données pertinentes en parcourant vos transcriptions, en variables qualitatives. À partir de ces variables, vous pouvez réaliser des analyses factorielles de correspondances multiples (AFCM) au moyen de logiciels tels que R, Spad ou XLStat. Vous pouvez également réaliser des tests de rang, qui sont applicables sur des échantillons de petite taille (Howell, Yzerbyt et Bestgen, 1998 ; Dancey et Reidy, 2007).
Points clés La collecte des entretiens n’est qu’une étape dans la collecte et l’exploitation des données recueillies. Vous serez rapidement submergé par de grandes quantités de données à analyser qui vous laisseront parfois perplexes, parfois vous ne saurez pas comment vous départir des contractions, parfois vous ne saurez tout simplement comment vous y prendre. L’idée est alors de : • Tenir un journal de bord et prendre des notes régulières : les mécanismes de la mémoire n’ont plus de secret pour vous depuis que vous avez lu le chapitre 9. Même si vous êtes convaincu d’avoir bonne mémoire, vous savez à présent que vous allez pratiquement tout oublier. Alors, prévenez cet oubli en prenant des notes. • Restituer vos impressions et votre analyse à chaud à la suite de chaque entretien avant de tout oublier. • Créer et remplir un tableau de bord contenant des informations importantes. • Anonymiser les prénoms de vos enquêtés grâce à l’INSEE. • Transcrire tout ou des parties d’entretien au moyen de logiciels. • Analyser le discours en vous appuyer sur des outils informatiques (lexicométrie). Cette approche vous permettra d’observer vos données autrement.
Suivre et analyser vos entretiens
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Chapitre 11 QCM
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1. Testez vos connaissances 1.1 Questions relatives au choix du type d’entretiens QCM 1 : Vous souhaitez aborder un sujet, mais vous n’avez pas encore pu élaborer d’hypothèse, quel type d’entretien choisissez-vous ? 1) L’entretien exploratoire. 2) L’entretien directif. 3) L’entretien semi-directif. 4) L’entretien non directif. 5) Le récit de vie. 6) Tous les types d’entretien conviennent. QCM 2 : Vous souhaitez travailler sur la perception du changement climatique dans les années 1970 à 1990, quel type d’entretien choisissez-vous ? 1) L’entretien exploratoire. 2) L’entretien directif. 3) L’entretien semi-directif. 4) L’entretien non directif. 5) Le récit de vie. 6) Tous les types d’entretien conviennent.
QCM 3 : Vous souhaitez étudier les trajectoires de vie des militants écologistes pour mieux comprendre les étapes qui mènent à cet engagement, quel type d’entretien choisissez-vous ? 1) L’entretien exploratoire. 2) L’entretien directif. 3) L’entretien semi-directif. 4) L’entretien non directif. 5) Le récit de vie. 6) Tous les types d’entretien conviennent.
1.2 Questions relatives à la préparation et à la prise de contact QCM 4 : Vous souhaitez étudier la valeur que les salariés donnent à leur travail, quel mode de prise de contact vous semble le plus approprié pour accéder à votre population cible ? 1) Votre réseau personnel : en parler autour de vous jusqu’à trouver des personnes intéressées. 2) Le réseau social Facebook. 3) La liste de diffusion de votre université. 4) Le réseau social professionnel LinkedIn ou Viadéo. 5) Des forums de discussion sur Internet dévolus à ce sujet. 6) Des syndicats d’entreprise. 7) L’inspection du travail. 8) Des associations d’aide aux salariés. QCM 5 : Quel est le meilleur moment pour s’atteler à la prise de contact avec les personnes susceptibles de vous accorder un entretien ? 1) Immédiatement, avant même d’avoir réfléchi au sujet. 2) Dès que vous avez posé la question de départ. 3) Dès que vous avez rédigé votre guide d’entretien. 4) Dès que vous avez préparé la question de départ, le guide d’entretien, ma posture d’écoute, ma tenue, etc. 5) Toutes ces réponses, car ça dépend du sujet.
QCM
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QCM 6 : À la suite de vos sollicitations, un.e enquêté.e accepte de vous rencontrer. Comment allez-vous fixer ce rendez-vous ? 1) Vous ne savez pas, vous improviserez durant ce premier contact. 2) Dès le premier créneau disponible dans l’agenda de votre enquêté.e, même si cela ne vous arrange pas trop. 3) Dans une ou deux semaines, car il vous faut du temps pour vous préparer. 4) À la date et l’heure la plus compatible avec votre agenda, même si cela n’arrange pas trop votre enquêté.e.
1.3 Questions relatives à la formulation des questions et des relances QCM 7 : Quel type de question est-ce : « Quels loisirs pratiquez-vous » ? 1) Une question ouverte. 2) Une question fermée. QCM 8 : Quel type de question est-ce : « Mangez-vous des produits bio » ? 1) Une question ouverte. 2) Une question fermée. QCM 9 : Que pensez-vous de la question : « Pourquoi n’aimez-vous pas aller à la campagne » ? 1) C’est une question bien formulée et ouverte. 2) C’est une question ouverte, mais elle peut mettre les gens sur la défensive. 3) C’est une question fermée qui contient la réponse dans la question. 4) Je ne sais pas. QCM 10 : Quel type de question est-ce : « Que pensez-vous de l’écologie » ? 1) Une question ouverte. 2) Une question fermée. QCM 11 : Que pensez-vous de la question : « Qu’est-ce qui vous a amené à travailler dans le développement durable et quel a été votre premier projet innovant » ? 1) C’est une question bien formulée et ouverte. 2) C’est une question ouverte, mais elle peut mettre les gens sur la défensive.
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3) C’est une question ouverte, mais elle est complexe parce qu’elle contient deux questions. 4) Je ne sais pas. QCM 12 : Quel type de question est-ce : « Aimez-vous la série Game of Thrones » ? 1) Une question ouverte. 2) Une question fermée. QCM 13 : Que pensez-vous de la question : « Comment gérez-vous les personnes qui ne vous obéissent pas » ? 1) C’est une question fermée, mais ce n’est pas gênant. 2) C’est une question bien formulée et ouverte. 3) C’est une question ouverte, mais elle n’est pas neutre. 4) Je ne sais pas. QCM 14 : Vous avez pris conscience dans votre quotidien que les personnes avec qui vous discutiez parlaient davantage lorsque vous leur répondiez « moi, c’est pareil ». Que vous dites-vous à ce sujet ? 1) Vous vous dites alors que ce serait très utile d’en faire de même dans le cadre d’un entretien, car les enquêtés pourront vous parler plus librement. 2) Vous vous dites que ce qui vaut dans le quotidien ne s’applique pas forcément dans le cadre d’un entretien de recherche. 3) Vous vous dites que vous pourriez dire « moi c’est pareil », même si ce n’est pas toujours vrai, du moment que vous arriviez à faire parler les enquêtés. 4) Vous vous dites qu’un entretien de recherche n’est pas une discussion. Or, en disant ce que l’on pense (« moi, c’est pareil »), on n’est plus neutre. 5) Vous n’avez pas d’avis.
QCM
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1.4 Questions relatives à la posture d’écoute
© Romy Sauvayre
QCM 15 : Que pensez-vous des gestes de cette « enquêtrice » lorsqu’elle écoute et questionne son interlocuteur ?
1) À reproduire. 2) À éviter. 3) Je ne sais pas.
© Romy Sauvayre
QCM 16 : Que pensez-vous de la posture d’écoute de cette « enquêtrice » ?
1) À reproduire. 2) À éviter. 3) Je ne sais pas.
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Initiation à l’entretien en sciences sociales
© Romy Sauvayre
QCM 17 : Que pensez-vous de la posture d’écoute de cette « enquêtrice » ?
1) À reproduire. 2) À éviter. 3) Je ne sais pas.
© Pixabay
QCM 18 : Que pensez-vous de la posture d’écoute de cette « enquêtrice » ?
1) À reproduire. 2) À éviter. 3) Je ne sais pas.
QCM
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© Pixabay
QCM 19 : Que pensez-vous des mimiques faciales de cet enquêteur alors qu’il écoute son interlocutrice lui parler de ses difficultés au travail ?
1) À reproduire. 2) À éviter. 3) Je ne sais pas.
© Romy Sauvayre
QCM 20 : Que pensez-vous des mimiques faciales de cette « enquêtrice » alors qu’elle écoute son interlocutrice lui dire qu’elle n’a jamais voulu faire d’études ?
1) À reproduire. 2) À éviter. 3) Je ne sais pas.
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Initiation à l’entretien en sciences sociales
© Romy Sauvayre
QCM 21 : Que pensez-vous des mimiques faciales de cette « enquêtrice » lorsqu’elle écoute son interlocuteur lui dire que les femmes ne sont bonnes qu’à faire le ménage ?
1) À reproduire. 2) À éviter. 3) Je ne sais pas.
© Romy Sauvayre
QCM 22 : Que pensez-vous des mimiques faciales de cette « enquêtrice » alors qu’elle écoute son interlocutrice lui dire qu’elle va vendre tout ce qu’elle possède pour s’acheter une île déserte ?
1) À reproduire. 2) À éviter. 3) Je ne sais pas. QCM
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© Romy Sauvayre
QCM 23 : Que pensez-vous des mimiques faciales de cette « enquêtrice » alors qu’elle écoute son interlocuteur lui dire qu’il subit un pesant harcèlement moral au travail ?
1) À reproduire. 2) À éviter. 3) Je ne sais pas.
© Pixabay
QCM 24 : Que pensez-vous des mimiques faciales de cette « enquêtrice » alors qu’elle écoute son interlocutrice lui expliquer qu’elle rit à gorge déployée lorsque son fils lui fait des farces ?
1) À reproduire. 2) À éviter. 3) Je ne sais pas. 194
Initiation à l’entretien en sciences sociales
© Pixabay
QCM 25 : Que pensez-vous du regard de cet « enquêteur » alors qu’il écoute son interlocuteur lors d’un entretien par visioconférence (Skype, Teams, Zoom) ?
1) À reproduire. 2) À éviter. 3) Je ne sais pas.
2. Consultez les réponses des QCM QCM 1 : 1) L’entretien exploratoire. QCM 2 : 5) Récit de vie ou entretien biographique. Comme il vous faut accéder à la mémoire des enquêtés, ces types d’entretiens sont les plus appropriés. QCM 3 : 5) Récit de vie ou entretien biographique, ou 3) Entretien semi-directif. Retracer une trajectoire demande du temps si l’on souhaite enquêter de manière approfondie sur les raisons de cet engagement. L’entretien biographique est d’ailleurs le plus recommandé. Par contre, vous pourriez très bien réaliser un entretien semi-directif sur un plus grand nombre de personnes pour identifier des étapes communes dans le parcours des militants. Tout dépend du niveau de détails et d’expériences que vous souhaitez recueillir.
QCM
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QCM 4 : 4), 5), 6), 7) et 8) Multiplier les modes de contact est indispensable pour obtenir un échantillon le plus varié possible composé d’enquêtés aux conditions de travail difficiles, démotivés et en souffrant, ainsi que de personnes motivées, heureuses, et satisfaites de leur travail. QCM 5 : 2), 3) et 4) 2) « Dès que vous avez posé la question de départ ». À choisir quand vous avez une ébauche de question de départ, mais que vous n’avez pas encore formulé d’hypothèses ou que vous vous inscrivez dans la Grounded Theory. 3) « Dès que vous avez rédigé votre guide d’entretien ». À choisir quand vous avez une question de départ et des hypothèses à explorer de manière rigoureuse. Toutefois, il vous faut tester votre guide d’entretien avant la prise de contact. 4) « Dès que vous avez préparé la question de départ, le guide d’entretien, ma posture d’écoute, ma tenue, etc. ». À choisir quand vous ne voulez rien laisser au hasard, que vous avez une population si difficile d’accès ou si peu de temps que chaque entretien réalisé doit être exploitable. QCM 6 : 2) Dès le premier créneau disponible dans l’agenda de votre enquêté.e, même si cela ne vous arrange pas trop. Il s’agit du meilleur moyen pour limiter les désistements de la part de vos enquêtés. QCM 7 : 1) Question ouverte. À privilégier durant les entretiens. QCM 8 : 2) Question fermée. À limiter durant les entretiens. QCM 9 : 2) C’est une question ouverte, mais elle peut mettre les gens sur la défensive. En effet, lorsqu’on commence une question par « pourquoi », cela amène l’enquêté à devoir se justifier et cela lui donne le sentiment d’être jugé. Pour éviter cela, il suffit de remplacer « pourquoi » par « qu’est-ce qui vous a amené à ». Les verbes d’action conduisent l’enquêté à visualiser différentes étapes passées qui vous apporteront bien plus d’informations. Lorsque vous demandez « pourquoi », vous amenez l’enquêté à porter un jugement décontextualisé sur ce qu’il pense ou sur ce qu’il a fait. Il lui faut d’abord se souvenir, avant de pouvoir répondre. 196
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QCM 10 : 1) Question ouverte. À privilégier durant les entretiens. QCM 11 : 3) C’est une question ouverte, mais elle est complexe parce qu’elle contient deux questions. Ne posez pas plusieurs questions à la fois, car votre interlocuteur ne répondra qu’à l’une des deux. QCM 12 : 2) Question fermée. À limiter durant les entretiens. QCM 13 : 3) C’est une question ouverte, mais elle n’est pas neutre. En utilisant le verbe « obéir », vous imprimez le présupposé selon lequel un salarié se doit d’obéir à son responsable. Or, un enquêté convaincu qu’une bonne relation managériale est collégiale n’appréciera pas du tout votre question. Attention, vos idées reçues et vos jugements ne doivent pas transparaître dans les questions que vous poserez. C’est pourquoi il est important de prendre le temps de rédiger des questions et de s’entraîner lors d’entretiens tests pour apprendre à formuler des questions ouvertes, claires, et neutres. QCM 14 : 4) Vous vous dites qu’un entretien de recherche n’est pas une discussion. Or, en disant ce que l’on pense (« moi, c’est pareil »), on n’est plus neutre. Il est fréquent d’être tenté de dire « moi, c’est pareil » durant un entretien parce que vous avez pu constater que cela facilitait le discours des personnes avec qui vous discutiez au quotidien. Or, lors de la collecte d’informations, quelle qu’elle soit, il est important de rester neutre et d’être entièrement tourné vers l’écoute, à savoir questionner et écouter, sans donner votre avis. Il existe, en effet, un biais de désirabilité sociale qui amène certaines personnes à être tentées de dire ce que l’enquêteur a envie d’entendre plutôt ce que l’enquêté pense vraiment. Si l’enquêté ne sait pas ce que vous pensez, vous améliorez vos chances de collecter une information fiable. En outre, de manière contre-intuitive, lorsque vous prononcez la phrase « moi, c’est pareil », vous replacez l’enquêté dans la dynamique d’une discussion et non d’un entretien. Vous indiquez également que vous existez dans cette conversation. L’enquêté dès lors va davantage prêter attention à vous et pourra même vous questionner. Or, lorsque vous souhaitez collecter le vécu d’un individu, il est préférable de le faire « voyager » dans ces souvenirs. Lorsque vous QCM
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prononcez cette phrase (« moi, c’est pareil »), vous pourriez le ressortir brutalement de ses souvenirs et briser la dynamique de remémoration. En somme, même si votre expérience vous dicte le contraire, il est préférable de pas prononcer cette phrase, ni donner son avis. QCM 15 : 2) À éviter. La posture d’écoute est indispensable pour mettre à l’aise votre interlocuteur. Vous donnez davantage le sentiment d’écouter si votre corps est légèrement en avant et si votre attitude est décontractée, ce qui n’est pas le cas sur cette photo. QCM 16 : 2) À éviter. Le visage est bienveillant et l’enquêtrice semble attentive, mais elle a le corps en arrière. Or, une posture du corps en arrière indique implicitement à votre interlocuteur que vous n’êtes pas intéressé par la discussion. QCM 17 : 1) À reproduire. Le visage est souriant et surtout, le corps est en avant. Vous pouvez percevoir par vous-même en comparant cette photographie avec la précédente l’effet que génère une posture en avant. Implicitement vous indiquez à votre interlocuteur que vous êtes très intéressé par la discussion. QCM 18 : 2) À éviter. Il s’agit d’une posture que vous pourriez considérer comme correcte. Or, dans la mesure du possible, il faut éviter de placer votre bras sous votre menton. Alors qu’on pourrait penser que cela donnerait un sentiment d’écoute et d’attention, ce geste peut également être perçu comme un signe d’ennui. En revanche, le visage est neutre. QCM 19 : 1) À reproduire. Le visage de cet enquêteur est neutre, ouvert et détendu. Le regard laisse entrevoir de légères émotions correspondant au discours de l’enquêté. L’enquête semble alors à l’écoute, avec empathie, mais sans juger. Il restitue ainsi une légère partie des émotions reçues. QCM 20 : 2) À éviter. Le visage est fermé, mais surtout le port de tête est à revoir. Ce menton trop en avant peut conduire son interlocutrice à penser qu’elle la méprise ou qu’elle la 198
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juge. Il est donc très important de maîtriser votre posture pour éviter ce type d’interprétation malgré vous. QCM 21 : 2) À éviter. Le visage est fermé, et cette fermeture est amplifiée par des sourcils froncés. L’interlocuteur peut percevoir ces mimiques faciales comme des jugements. Restez neutre, et ce, en particulier, lorsque vos interlocuteurs vous disent quelque chose qui vous choque ou que vous réprouvez. QCM 22 : 2) À éviter. Le visage est trop expressif. Cette surprise qui naît le plus souvent d’un écart entre la représentation que se forge l’enquêteur de son enquêté et le contenu de son discours. Cette surprise relève alors que l’enquêteur n’est pas neutre et peut conduire l’enquêté à avoir le sentiment d’être jugé. Un dernier effet probable est de conduire l’enquêté à ne plus se livrer de peur d’être jugé. QCM 23 : 2) À éviter Le visage est trop expressif. L’écoute va de pair avec l’empathie, mais lorsque l’enquêteur retransmet trop d’émotions, il indique à l’enquêté qu’il n’est pas en mesure de tout entendre. Écouter, c’est donc également se mettre à distance de ses émotions pour n’en restituer qu’une infime partie. De plus, lorsque l’enquêteur a une réaction émotionnelle aussi forte, il imprime une intensité à la situation qui n’est peut-être pas du tout ressentie de la même manière par l’enquêté. Pour s’assurer de cette interprésentation, il suffit de poser la question suivante : « Qu’est-ce que vous avez ressenti à ce moment-là ? ». QCM 24 : 1) À reproduire La conduite d’un entretien est avant tout une relation sociale incluant le partage des émotions. Les émotions restituées ici par l’enquêtrice correspondent au discours de l’enquêtée et démontrent son empathie (ressentir les émotions d’autrui). Cela permet à cette dernière de se sentir écoutée et comprise. En outre, l’enquêtrice a la tête légèrement penchée sur le côté, ce qui renforce le sentiment d’écoute chez l’enquêté. QCM 25 : 2) À éviter L’enquêteur regarde le retour d’image de l’enquêté sur son écran d’ordinateur au lieu de fixer la webcam. Cela donne alors le sentiment à l’enquêté de ne pas être QCM
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regardé ou que l’enquêteur fait autre chose pendant l’entretien. Lorsque vous ferez des entretiens par visioconférence, il vous faudra vous habituer à fixer la webcam et à ne pas regarder votre enquêté. Sachez que ce n’est pas facile à faire, que cela demande de l’entraînement, mais que cela permet de réduire l’effet « distanciel » de l’entretien par visioconférence (voir l’astuce, chapitre 7 – 2.4, p. 121). Par ailleurs, le port de lunettes à bord épais fait chuter le capital sympathie de l’enquêteur. Des études de psychologie sociale expérimentale (Leder et al., 2011) ont montré que les personnes portant des lunettes sont perçues comme moins sympathiques et moins attractives que celles qui n’en portent pas.
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Conclusion L’entretien comme technique d’enquête en sciences sociales est une rencontre entre deux ou plusieurs protagonistes qui s’organise autour d’échanges plus ou moins structurés. Ces échanges se forment autour d’une question générale, la question de départ, qui est déclinée en thématiques à explorer, elles-mêmes traduites en questions. Il se joue alors un jeu de questions et de relances qui s’avère crucial dans le processus de recueil de données. La dynamique de l’entretien, qu’elle soit vertueuse ou laborieuse, trouve ses chances de réussite dans une bonne préparation. C’est en somme ce que ces pages ont tenté de vous montrer en levant le voile sur les coulisses de la recherche. Nombre de conseils et d’exemples ont été abordés pour vous familiariser avec cet exercice singulier qu’est l’entretien, et vous permettre de faire vos premiers pas le plus sereinement possible. Parmi ce qui a été abordé, votre manière d’aborder vos enquêtés, de poser le cadre de l’entretien et de les accompagner aura une influence majeure sur les informations recueillies. La tenue vestimentaire, la gestuelle, les expressions affichées sur votre visage et le regard que vous porterez sur vos enquêtés seront à maîtriser pour vous aider dans cet ouvrage. Plus important encore, cette relation qui se tissera ne vous laissera pas indemne, et vous-même apposerez une marque indélébile dans le parcours des personnes que vous rencontrerez, et que vous écouterez avec attention. « Une telle rencontre […] elle laisse rarement indemnes les deux partenaires, et constitue toujours un enrichissement » (Raphael, 1980, p. 129).
Ainsi, après les premiers pas de votre enquête, encore un peu fébrile et anxieux à l’idée de vous immerger dans un terrain d’enquête dont vous ignoriez tout, vous ressortirez de cette expérience intellectuellement et émotionnellement grandi, plus assuré, voire transformé.
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