Histoire de l’exploitation d’un grand réseau: La Compagnie du Chemin de Fer du Nord 1846–1937 [Reprint 2018 ed.] 9783111509846, 9783111142418


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French Pages 619 [620] Year 1973

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Table of contents :
PRÉFACE
NOTES MÉTHODOLOGIQUES
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE
SOURCES
SOURCES IMPRIMÉES
BIBLIOGRAPHIE
ABRÉVIATIONS
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE LA CRÉATION DU RÉSEAU :LA CONQUÊTE DES « BEAUX DIVIDENDES 1845-1867
DEUXIÈME PARTIE LA PÉRIODE DES COMBATS 1867-1883
TROISIÈME PARTIE PÉRIODE 1883-1914 : LE SYSTÈME D'EXPLOITATION INTENSIVE
QUATRIÈME PARTIE LA NATIONALISATION AVANT LA LETTRE 1914-1937
CONCLUSION GÉNÉRALE
INDEX
TABLE DES GRAPHIQUES
TABLE DES CARTES GÉOGRAPHIQUES
TABLE DES MATIÈRES
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Histoire de l’exploitation d’un grand réseau: La Compagnie du Chemin de Fer du Nord 1846–1937 [Reprint 2018 ed.]
 9783111509846, 9783111142418

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HISTOIRE DE L'EXPLOITATION D'UN GRAND RÉSEAU LA COMPAGNIE DU CHEMIN DE FER DU NORD 1846-1937

ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES — SORBONNE SIXIÈME SECTION : SCIENCES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES CENTRE DE RECHERCHES HISTORIQUES

INDUSTRIE

ET

ARTISANAT

VII

PARIS

MOUTON MCMLXXIII

LA HAYE

FRANÇOIS CARON

HISTOIRE DE L'EXPLOITATION D'UN GRAND RÉSEAU LA COMPAGNIE DU CHEMIN DE FER DU NORD 1846-1937

" Le fait économique dominant de notre époque, ce n'est pas le développement de l'industrie manufacturière, mais le développement des industries des transports. " Alfred MARSHALL

PARIS

MOUTON MCMLXXIII

LA HAYE

Illustration de la couverture VUE INTÉRIEURE DE L'EMBARCADÈRE DU CHEMIN DU NORD A PARIS (.Illustration, 15 juin 1846, p. 228)

Library of Congress Catalog Card Number : 72-190163 © 1973, École Pratique des Hautes Études, Paris, and Mouton & C°. Printed in France

A ma femme

PRÉFACE

Le travail que nous présentons aujourd'hui est fort peu différent de la thèse de doctorat que nous avons soutenue le 31 mai 1969 à la Faculté des Lettres de Nanterre, devant un jury présidé par M. le Professeur François Crouzet et composé de MM. Jean Bouvier, Louis Girard, Pierre Léon, Maurice Lévy-Leboyer. La seule différence entre le texte actuel et notre thèse tient dans le fait que nous avons résumé certains passages pour alléger le coût de l'impression. Ces abandons n'ont pas été consentis sans regrets. C'est M. le Professeur Labrousse qui m'a suggéré le sujet de cette thèse. C'est lui qui a guidé mes travaux jusqu'en 1965 et m'a encouragé et décidé à les poursuivre. La direction de ma thèse fut alors assurée par M. le Professeur François Crouzet, sans lequel ce travail n'aurait jamais vu le jour. M. le Président R. Mayer a bien voulu m'autoriser à consulter ses papiers personnels concernant la convention de 1937. Sans eux ma thèse n'aurait pu avoir d'épilogue. Nous avons toujours trouvé auprès des fonctionnaires de tous grades de la région Nord de la SNCF, et en particulier auprès de son sous-directeur M. Latouche, une aide efficace et compréhensive. Je ne peux tous les citer. A la SNCF, M. C. Martin, directeur du Matériel et de la Traction, et Combes, directeur de la Caisse des Retraites ont manifesté un intérêt soutenu pour mes recherches. L'Union Nord de la Fédération Générale des Retraités des Chemins de Fer de France et d'Outre-Mer et son Président M. Hazard m'ont permis de prendre bien des contacts utiles. M. Combes et M. Hazard ont rendu possible la réalisation d'une enquête auprès des cheminots retraités. Elle doit fournir la base d'une publication ultérieure. J'ai toujours trouvé à la Chambre syndicale des Constructeurs de Matériel ferroviaire, au siège de la Compagnie du Nord, au ministère des Travaux publics l'accueil le plus ouvert. M. Lengellé, rédacteur à La Vie du Rail, m'a aimablement communiqué les résultats de ses propres recherches. Madame Jelensky, du Service de Cartographie de l'École Pratique des Hautes Études, VIe Section, a exécuté les graphiques et les cartes, qui ajoutent tant à ce livre.

NOTES MÉTHODOLOGIQUES

1° Mode de calcul des unités kilométriques a. O n a adopté les chiffres de la Compagnie du Nord tels qu'ils étaient, c'est-à-dire qu'il s'agit des distances réelles et non des distances d'application. Toute correction était arbitraire et de plus inutile, car, uniformément répartie sur l'ensemble de la période, puisqu'on aurait employé un coefficient de correction unique, elle n'aurait pas modifié le résultat des calculs d'accroissement. b. Les « voyageurs-kilomètres » et les « tonnes-kilomètres » ont été assimilés. E n 1880 et en 1903 la compagnie a, par deux fois, modifié le mode d'évaluation du parcours des abonnés. Dans les chiffres officiels cela aboutit à une exagération assez grave du nombre des « voyageurs-kilomètres » durant cette période. La série a été rétablie sur les bases adoptées en 1903. c. Les accessoires de la grande vitesse ne sont donnés seulement qu'en quantités expédiées ; les bases suivantes ont été adoptées pour le calcul des « tonnes-kilomètres » : — bagages : poids expédié, multiplié p a r le parcours kilométrique moyen du voyageur à prix complet; — chiens : quantité expédiée, multipliée par 25 kg, multipliée par la même valeur; — chevaux : quantité expédiée, multipliée par 400 kg, multipliée par le parcours moyen d'une tonne de marchandises; — messageries : poids expédié, multiplié par la même valeur; — voitures : quantité expédiée, multipliée par 2 000 kg, multipliée p a r la même valeur. d. Les accessoires de la petite vitesse : — jusqu'en 1870 : la recette de ce trafic a été divisée par 9,54 centimes, moyenne de la recette par tonne-kilomètre des accessoires de la petite vitesse en 1867 et 1869. — — — — — —

après 1870 : soit a, la quantité expédiée, les formules suivantes ont été appliquées : voitures : a x 2 000 kg x parcours moyen des marchandises; chevaux : a X 400 kg X parcours moyen des marchandises; gros bétail : a X 600 kg X parcours moyen des marchandises; bétail moyen : a x 90 kg x parcours moyen des marchandises; petit bétail : a x 30 kg x parcours moyen des marchandises.

Les différences entre les résultats des deux méthodes pour les années auxquelles elles peuvent être appliquées toutes les deux, sont parfaitement négligeables. A partir de 1927 les unités kilométriques, calculées enfin selon des méthodes uniformes et cohérentes, sont connues directement.

10

LA

COMPAGNIE

DES

CHEMINS

DE

FER

DU

NORD

2° Note sur l'établissement des indices de prix a. Établissement du prix : il s'agit des prix réels. Toutes les commandes ont été notées en volume et en valeur. (On les trouve dans 32-2 pour la deuxième division et 33-2 pour la troisième division dans la série 48 AQ,.) Les prix relevés ont été pondérés par les volumes. b. Les choix des bases 1867-1869 et 1898 n'ont pas été arbitraires : elles correspondaient à des moments caractéristiques de l'évolution, à des années ni trop fortes ni trop faibles et qui au demeurant servirent longtemps aux ingénieurs, comme l'année 1913, de base de référence pour établir des comparaisons 1 , Elles sont des années de commandes importantes et qui fixèrent des types. c. Les indices synthétiques ont été le plus souvent établis d'après les moyennes simples des indices particuliers. Dans quelques cas ils ont été pondérés par les valeurs globales des commandes. Cette seconde méthode est évidemment préférable, mais la complexité des calculs est bien souvent telle qu'elle entraîne une impossibilité matérielle. 3° Note sur le mode de calcul du rendement du personnel Nous avons adopté la méthode de J e a n Dessirier (in Année Ferroviaire 1952), avec toutefois cette différence que nous avons échelonné sur quatre ans (1907-1910) les effets de la loi sur le repos hebdomadaire pour la durée de travail. L'effectif qui a servi de diviseur aux unités kilométriques est celui au 31 décembre. 4° Indice de production L'indice de la production des matériaux de construction de 1913 par rapport à 1895 a été calculé selon la formule de Laspeyres {cf. p. 399). 5° Graphiques Les graphiques 7, 15,17, 28, 29 et 34 présentent le sdroites d'ajustement du coût moyen en fonction du trafic. Il s'agit pour les graphiques 7, 15, 28, 29 et 34 d'un ajustement du coût moyen de l'unité-kilomètre (axe des_)>) en fonction du trafic (axe des x), pour le graphique 17 d ' u n ajustement de la dépense kilométrique moyenne en fonction du trafic kilométrique moyen. Dans les deux cas la méthode utilisée est celle des moindres carrés. Elle a été fréquemment employée par les ingénieurs à des fins semblables. Notre intention, à l'aide de ces graphiques, est non pas de démontrer quoi que ce soit, mais de représenter une évolution : il s'agit de mettre en valeur le fait qu'en temps normal le coût diminue lorsque le trafic augmente parce que le chemin de fer est une industrie à rendement croissant. Mais il peut aussi se trouver des périodes, courtes d'ailleurs, durant lesquelles l'évolution se fait en sens inverse, les gérants ne pouvant faire face à un accroissement trop rapide du trafic que par une mobilisation de moyens d'exploitation (main-d'œuvre auxiliaire en particulier) anormaux. Les coûts certes ne dépendent pas seulement de ces facteurs, que nous avons appelés internes. Ils dépendent aussi des « facteurs externes », prix et salaires. Tout notre travail est en fait fondé sur cette distinction. Lorsqu'une hausse des prix ou des salaires (ou les deux) s'est produite et que les coûts ont augmenté, cela prouve simplement que les méthodes d'exploitation employées n'ont pas permis de compenser cette hausse, malgré l'accroissement du trafic, qui doit normalement provoquer une baisse du coût moyen et ce fait lui-même n'est pas dénué de signification. Nous voudrions faire observer au demeurant que les salaires, qui représentent 60 à 70 % du coût, ont toujours eu tendance à s'accroître, alors que les coûts ont eu normalement tendance à décroître. Nous voudrions dans cette note montrer tout d'abord que les ajustements linéaires réalisés sont acceptables sauf pour la période 1850-1866 (graphique 15). De plus nous voudrions présenter les résultats des calculs que nous avons faits pour distinguer dans l'évolution constatée de 1867 à 1872 et de 1904 à 1913 ce qui est dû à la hausse des prix et des salaires et ce qui est dû aux « facteurs internes ». 1. L'année 1898 n'est cependant pas très bonne pour les adjudications de travaux. Pour eux l'année « normale » est plutôt 1895.

NOTES

11

MÉTHODOLOGIQUES I

a. Graphiques 7, 15, 16 et 21. — graphique 7 : 1850-1866 : l'équation de régression de y par rapport à * s'écrit : y = 3,023 — 0,000294 *; la corrélation est : — 0,43. — graphique 15 (1864-1877) : l'équation s'écrit : y = 2,15 + 0,00047 *; la corrélation est + 0,90. — graphique 16 (1874-1882) : l'équation s'écrit :y = 3,57 — 0,000281 x; la corrélation est — 0,66. — graphique 21 (1884-1907) : l'équation s'écrit : y = 3,17 — 0,000149 x; la corrélation est : — 0,84. — graphique 21 bis (1905-1913) : l'équation s'écrit : y = 1,59 + 0,000109 *; la corrélation est : + 0,87. La corrélation de l'ensemble des deux séries entre elles est évidemment négative : elle est de — 0,73. Cependant cette relation ne nous semble pas devoir être prise en considération car la structure du réseau a trop changé du point de vue de la longueur et de la nature des lignes exploitées pour qu'elle soit significative. C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas calculé la régression sur l'ensemble de la période. Le caractère non satisfaisant de la corrélation durant la période 1850-1866 s'explique d'ailleurs essentiellement par le fait que le réseau s'est constamment modifié durant cette époque. Le phénomène des rendements croissants n'a pu se manifester pleinement en raison des ouvertures de lignes nouvelles, de moins en moins « utiles » précisément. b. Graphique 17 (dépenses kilométriques en y, trafic kilométrique en x) : — corrélations (1849-1867) : + 0,97; résidus quadratiques : 5,4 % de la variance; — corrélations (1864-1877) : + 0,97; résidus quadratiques : 5,9 % de la variance; — corrélation (1874-1882) : + 0,71; résidus quadratiques : 18,4 % de la variance.

II Pour rechercher la part respective de la hausse des prix et des salaires d'une part, et des facteurs internes d'autre part dans l'évolution des coûts en 1867-1872 et 1904-1912, nous avons déterminé un « coût constant », établi pour chaque catégorie de dépense (salaires, combustibles, matières diverses, dépenses diverses), une dépense constante en fonction des indices de prix et de salaires dont nous disposions et calculé l'ajustement de ce coût constant par rapport au trafic comme pour le coût réel. Les résultats sont les suivants : — en 1864-1872 la régression est de — 0,00039 au lieu de — 0,00047; — en 1905-1913 la régression est de — 0,000048 au lieu de — 0,000109.

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE

SOURCES

1. SOURCES D'ARCHIVES

Les archives de la Compagnie du Nord, inventoriées par B. Cille et déposées aux Archives Nationales, ont constitué l'essentiel de notre documentation. Ce sont les archives du secrétariat général du comité de direction. Ce sont plutôt des archives de gestion; elles permettent de décrire la vie interne de l'entreprise, c'est-à-dire l'évolution des facteurs de production. Elles comprennent les parties principales suivantes : 1. Registres de délibérations du conseil d'administration, formés uniquement d'austères rapports d'ingénieurs, qui bien souvent se retrouvent, plus détaillés, dans les dossiers du secrétariat général. Les rapports annuels sur les comptes contiennent peu de renseignements supplémentaires par rapport aux comptes rendus devant les assemblées générales d'actionnaires. Cependant il y existe des rapports semestriels. 2. Rapports au comité de direction, formés pour l'essentiel par d'interminables listes de décision concernant le personnel. C'est la vie de l'entreprise, au jour le jour, heure par heure. 3. Recueils de copies de lettres. La grande majorité d'entre elles concernent des « broutilles ». Il n'y a pas d'index, sinon dans les tous premiers registres. Ils sont pourtant irremplaçables, parce que complets. Mais à partir des années 1890, jusqu'à la guerre ils sont difficilement lisibles, car l'encre s'est étalée sur le papier pelure. 4. Ce sont finalement les dossiers du secrétariat général qui fournissent la documentation à la fois la plus complète et surtout la mieux classée. Ils sont groupés en effet, à la fois dans la série « générale » et dans la série annuelle par services et à l'intérieur du service par catégories, très logiques. L'œuvre des archivistes de la Compagnie du Nord fut remarquable : peu de sociétés eurent des archives aussi bien tenues, aussi bien classées. Ces dossiers contiennent, soit dans la série générale, soit dans la série annuelle, les originaux des rapports faits par les ingénieurs au conseil et au comité, la correspondance s'y rapportant, la documentation technique ou commerciale les illustrant. De plus, chaque service d'archives fonctionnait comme un service de documentation, d'où surtout après 1890 d'abondants dossiers de coupures de presse.

16

LA COMPAGNIE

DES CHEMINS

DE FER DU

NORD

D'une façon générale, les séries qui concernent l'exploitation technique sont plus riches que celles qui concernent l'exploitation commerciale. Les premières sont celles de la troisième et de la deuxième division. Elles permettent de décrire dans d'infinis détails la nature des investissements et ses causes. Tout programme de travaux, même le plus minime, a laissé une trace dans les archives de la Compagnie. Il en va de même pour les commandes de matière et de matériel, jusqu'en 1914 au moins. Nous avons procédé à un dépouillement systématique de ces données : motivations de la dépense, nature, mode de fixation du prix, prix, choix des entreprises. Cependant, plus nous avançons dans le temps et plus les rapports deviennent stéréotypés; même pour les très grosses commandes. Ces dossiers contiennent, de plus, toute une documentation beaucoup trop riche parce qu'infiniment parcellaire concernant la vie interne de l'entreprise : à la deuxième division tous les rapports hebdomadaires concernant la situation du matériel ont été conservés, dans toutes les divisions tous les rapports demandant des punitions, des secours, des avancements, des récompenses, ont été conservés, sans qu'existe par ailleurs une étude synthétique sur ces questions. Ces dossiers ont pu être complétés par les registres de délibération de la Commission des Commandes, malheureusement très lacunaires (1878-1882). Les services commerciaux (23 et 24, 25 à 27) ont des archives aussi complètes certes mais beaucoup moins intéressantes pour l'historien. Ni les rapports d'ingénieurs, ni les rapports d'inspecteurs, ni les rapports de directeurs de service, ni les rapports des chefs des grandes gares, n'ont été conservés. Or, seuls ces rapports offrent une vue synthétique de la vie de l'entreprise. Quelques exceptions sous le Second Empire font regretter plus encore cette disparition. L'essentiel des dossiers est constitué par des rapports statistiques (série 23) sans continuité d'ailleurs (sauf ceux concernant les courses de Chantilly et les trains de plaisir), des rapports concernant les relations avec les correspondants (série 24) et surtout les tarifs (25 à 27). Le moindre t a r i f a son dossier. Nous avons dépouillé cette série systématiquement. La série « Personnel » (14) est assez décevante. La série « Comptabilité » (19) est très inégale : on y trouve parfois des rapports de première importance, mais aussi des dossiers sans intérêt. Les premières séries concernent les relations avec l'État et les organismes extérieurs. O n y trouve après la guerre les procès-verbaux des réunions des différents organes collectifs créés par la Convention de 1921. Cette source principale a été complétée par les archives suivantes : 1. Archives déposées aux Archives Nationales a. Les numéros intéressant notre sujet dans F 14, dans F 12, dans la série C, dans F 19, dans 65 AQ,. Dans F 14 il s'agit de : F 14 8508 à 8558 (les enquêtes concernant le réseau du Nord et F 14 8861 sont très lacunaires) ; F 14 9371 à 9377; F 14 9378 à 9387 (tarif Nord de 1842 à 1864); F 14 9590 à 9613 (service du matériel fixe des chemins de fer construits par l'État); et dans lesnouveaux versements : F , 1 4 ^ 1 2 0 4 à 11326; F 14^12111 à 12343; F 14 12362 à 12391; F 14 12409 à 12564; F 14 12612 à 12853.

SOURCES

D'ARCHIVES

17

Dans F 12 il s'agit de : F F F F

12 12 12 12

6105 7657 8768 9404

à à à à

6132; 8206; 8809; 9421.

Dans la série G : C 2853 à 2856; C 3005 à 3008. Dans 65 A Q , les numéros regroupant les documents concernant les entreprises fabriquant d u matériel ferroviaire et les sociétés d'entrepôts et de magasins généraux. Enfin la série 116 AQ, est constituée par deux cartons de dossiers, qui sont la documentation personnelle de M . René Mayer, principal négociateur de la Convention de 1937, concernant ces négociations. M . Mayer nous a accordé une autorisation de consultation, qui nous a permis de rédiger notre dernier chapitre. Qu'il en soit ici vivement remercié. Le premier carton (116 A Q 1) comprend notes personnelles, correspondances, rapports et documents; le second les différents états de la rédaction. 2. Archives de la Compagnie déposées ailleurs qu'aux Archives Nationales Les hauts fonctionnaires d u réseau d u Nord nous ont autorisé à consulter deux séries, les archives d u service de l'exploitation, les archives d u service de la voie. Les premières ont depuis lors été pour la plus grande part versées aux Archives Nationales. Elles sont en cours d'inventaire. Dès lors nos références m a n q u e n t quelque peu d'exactitude, cet inventaire n'étant pas achevé. Cette série nous a fourni d'intéressants compléments concernant les commandes, les questions commerciales, le service international et le personnel, surtout p o u r la période d'après guerre. U n e série intitulée « Vieux Spéciaux » (qui n ' a pas été versée aux Archives Nationales) concerne quelques questions particulières beaucoup plus anciennes, en particulier les relations franco-anglaises de 1850 à 1883. Enfin ces archives contenaient u n e série à peu près complète des rapports devant le Comité consultatif des chemins de fer de 1890 à 1913 : ils nous ont fourni l'essentiel de notre documentation à propos des tarifs à cette époque. Ils ont été versés aux Archives Nationales. Les archives de la voie nous ont fourni u n e documentation de premier ordre concernant les commandes de rails dans l'entre-deux-guerres. Enfin quelques dossiers ont été consultés au siège de la Compagnie d u Nord, rue Laffitte. 3. Archives du ministère des Travaux publics non encore versées aux Archives Nationales Quelques dossiers, fort utiles concernant la Convention de 1937 et les rapports de la Commission de Vérification des comptes pour les années 1930-1937. 4. Archives et sources diverses a. Archives de la C h a m b r e syndicale des Constructeurs de Matériel ferroviaire (rue Bixio, Paris). Elles comprennent surtout les procès-verbaux depuis l'origine (1899) des délibérations au Conseil d'Administration et quelques dossiers techniques entre autres à propos de la commande de l'État en 1919.

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a

18

LA COMPAGNIE

DES CHEMINS

DE FER DU

NORD

b. Archives de la Chambre de Commerce de Paris : dossier concernant les questions tarifaires dans la période 1850-1883. c. Séries M des départements pour les questions syndicales. d. Nous avons fait quelques sondages dans les séries S. Ces dossiers intéressent surtout l'histoire locale. e. Publications imprimées des différentes Chambres de Commerce du réseau (celle de Boulogne est particulièrement productive). Nous les avons trouvées soit dans 48 AQ,, soit dans la bibliothèque, malheureusement dispersée aujourd'hui, des archives de l'exploitation. f . Bibliothèque de l'École des Ponts et Chaussées.

SOURCES

19

IMPRIMÉES

2 . SOURCES

IMPRIMÉES

Les sources imprimées que nous avons utilisées comprennent : I. LES PUBLICATIONS

OFFICIELLES

a. Publications ferroviaires et documentation officielle : — Chemins de fer français d'intérêt général, Documents statistiques relatifs à l'année, publiés par le ministère des Travaux publics, Direction générale des chemins de fer (B.N. Lf 262-20). — Statistique des chemins de fer français, publiée par la même administration de 1887 à 1906, en deux tomes annuels [Documents divers, intérêt général et documents généraux] (B.N. Lf 262-49). — Statistique des chemins de fer français, France, Intérêt général, de 1906 à 1936 (B. N . , Lf 262-306). La série Lf 262 comprend quelques autres registres concernant les chemins de fer. En particulier : — Album statistique graphique, 1879-1899 (Lf 262-79). — Album des tarifs, 1882 (Lf 262-95). — Comptes d'établissement des compagnies (Lf 262-262). — Enquête sur l'exploitation et la construction clés chemins de fer, publiée par le ministère de l'Agriculture et du Commerce et des Travaux publics. 141 et 343 p. (Lf 262-15). — Rapport sur les tarifs de Waddington au comité consultatif en 1891 (Lf 262-167). — Conditions techniques d'établissement des chemins de fer (Lf 262-28). — Rapport sur le système d'adjudication (Lf 262-230). — G . V I L L A I N , De la périodicité des crises économiques et ses rapports avec l'exploitation des chemins deferfrançais, ministère des Travaux publics, Direction du contrôle commercial des chemins de fer, 1908, 60 p. (Lf 262-297). — M I N I S T È R E DES T R A V A U X PUBLICS, Direction générale des chemins de fer et des routes, Rapport sur l'évolution des grands réseaux de chemin de fer depuis 1934, Paris, Imprimerie Nationale, 1945, 279 p. — M I N I S T È R E DES T R A V A U X PUBLICS, Direction générale des chemins de fer et des routes, Rapport sur l'évolution des grands réseaux de chemin de fer depuis 1935, Paris, Imprimerie Nationale, 1936, 280 p. — M I N I S T È R E DES T R A V A U X PUBLICS, Direction des chemins de fer, Commission chargée d'étudier les mesures à prendre pour assurer les voyageurs en chemin de fer, Paris, Imprimerie Nationale, 1886. — M I N I S T È R E DES T R A V A U X PUBLICS, Direction des chemins de fer, Matériel roulant des chemins de fer. Réglementations et instructions relatives à la présentation des projets des compagnies de chemin de fer, Paris, Imprimerie Nationale, 1902, 104 p. b. Statistique de la Navigation intérieure : Publiée jusqu'en 1880 par le ministère des Finances sous le titre Relevé général du tonnage des marchandises (Lf 158-93) elle le fut ensuite par le ministère des Travaux 2.

20

LA COMPAGNIE

DES CHEMINS

DE FER DU

NORD

publics (Direction des routes et de la navigation) sous le titre Statistique de la navigation intérieure, relevé du tonnage général des marchandises (Lf 262-102 et 102 bis). En ce qui concerne les dépenses d'établissement il faut consulter Statistique de la navigation intérieure. Dépenses d'établissement et d'entretien. c. Statistiques concernant le commerce extérieur : Nous avons utilisé pour le commerce des ports : — — — —

Un siècle de commerce France-Angleterre. 1908 (4° Le 5 138 Afa). Le tableau décennal du commerce (Lf 158-73). Le tableau général du commerce de la France (Lf 158-70). Le tableau général des mouvements du cabotage (Lf 158-72).

d. Statistiques concernant les ports : Ministère des Travaux publics. Ports maritimes de France : — Notice sur le port de Calais. Paris. Imprimerie Nationale. 1904. — Notice sur le port de Boulogne. Paris, Imprimerie Nationale, 1904. — Notice sur le port de Dunkerque. Paris, Imprimerie Nationale, 1904. e. Statistiques concernant la production et la consommation de charbon : — Statistique de l'Industrie Minérale et des appareils à vapeur en France et en Algérie.

II. LES

PÉRIODIQUES

Les périodiques suivants ont été dépouillés entièrement sauf les n 0 9 9 et 13. а. Revues scientifiques et spécialisées : 1. Annales de Géographie. 2. Annales des Mines. 3. Annales des Ponts et Chaussées. 4. Bulletin du Comité cles Forges. 5. Bulletin de la Statistique Générale de la France. б. Les grands réseaux de chemins de fer français. Publication annuelle 1928-1937, par Godfernaux. On appelait cette publication « le petit Godfernaux ». 7. Revue Générale des Chemins de Fer (abrébiation en note : RGCF) depuis 1878. 8. Revue des Deux Mondes. 9. Revue Politique et Parlementaire depuis 1890 (en particulier la « Chronique annuelle des Transports » de G. Colson). 10. Société des Ingénieurs Civils. 11. Transports, Rail, Route, Air, Eau. Depuis 1934. 12. L'année ferroviaire.

SOURCES

IMPRIMÉES

21

13. Bulletin de l'Association Internationale du Congris des Chemins de Fer. Les comptes rendus des principales communications se trouvent dans la Revue Générale des Chemins de Fer. 14. La Vie du Rail. 15. La Revue de l'Association des Amis des Chemins de Fer (cf. en particulier le numéro du Centenaire des Chemins de fer du Nord, 1946). b. Journaux

1

:

16. L'Industrie du Nord et du Pas-de-Calais, journal de Douai, 1857-1870. 17. Journal des Chemins de Fer, 1842-1863. 18. Journal des Transports (exprime le point de vue des Compagnies). \9. La Mutuelle Transport (exprime le point de vue des adversaires des Compagnies).

1. A partir de 1890 la série 48 AQ, contient toutes les coupures utiles.

BIBLIOGRAPHIE

Dès 1875, Lavollée écrivait « O n peut dire que la littérature à laquelle les voies ferrées ont donné naissance mesurerait aisément des milliers de kilomètres » 1 . Or, depuis lors, la croissance d u nombre des titres a été plutôt géométrique qu'arithmétique. C'est dire q u ' u n e bibliographie exhaustive est impossible; celle q u e nous présentons recense les titres des ouvrages lus ou consultés, et de ceux qui ont influencé notre rédaction. Trois D.E.S. lillois ont été utilisés : —

LEGLAY

: « Le canal d u Nord », 1940;

— « L'évolution Industrielle de Denain », 1954; —

DUCHASTELLE

: « Le Commerce d u Charbon des Mines d'Aniche », 1956

1. Revue des Deux Mondes, 1875, p. 324.

LA COMPAGNIE

24

I. ÉTUDES

HISTORIQUES

DES

CHEMINS

SUR LES

DE FER DU

NORD

TRANSPORTS

(J. P.). « Une institution patronale au xix e siècle : la participation des employés aux bénéfices dans la Société des chemins de fer de Paris-Orléans, 1838-1870 », in Revue d'histoire économique et sociale, année 1962, n° 2, vol. 40.

ALMARIC

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AUDIGANNE

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: Archives du service de la Voie et des Bâtiments, Gare du Nord.

CCF

: Crédit Commercial de France.

CNE

: Conseil National Économique.

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: Société France Transports Domicile.

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: Grande Vitesse.

ICV

: Ingénieurs Chefs de la Voie et des bâtiments.

MR

: Matériel Roulant.

OCEM

: Office Commun d'Étude du Matériel (créé par les réseaux autres que celui du Nord).

PO

: Compagnie de Paris - Orléans.

PLM

: Compagnie de Paris - Lyon - Méditerranée.

PV

: Petite Vitesse.

RGCF

: Revue Générale des Chemins de Fer.

SAGA

: Société Anonyme de Gérance et d'Armement.

STARN : Société des Transports Automobiles du Réseau du Nord. STEF

: Société Française des Transports et Entrepôts Frigorifiques.

TC

: Travaux Complémentaires.

TCF

: Touring Club de France.

TK

: Tonnes-Kilomètres.

U C P M I : Union de Consommateurs de Produits Métallurgiques et Industriels. UK

: Unité-Kilomètre.

VK

: Voyageurs-Kilomètres.

3.

INTRODUCTION

Avoir consacré tant d'années de recherche et un aussi gros volume à un sujet aussi partiel demande une justification, alors que dans le même temps d'autres chercheurs parviennent à livrer, en quelques pages d'histoire quantitative globale, une vue d'ensemble de l'évolution économique française. Il semblerait à première vue plus raisonnable de se livrer à des activités moins austères. En un mot l'histoire économique ponctuelle (histoire régionale, histoire d'entreprise ou histoire urbaine) ne risque-t-elle pas de ne plus être qu'un effort d'érudition sans objet en face du développement de l'histoire quantitative globale? Quelques historiens de l'entreprise tentent de se faire pardonner leur entêtement en montrant qu'ils révèlent les grands secrets des affaires, qu'ils dévoilent les dessous obscurs du capitalisme, jalousement cachés aux contemporains et enfouis dans des archives, accessibles seulement aux initiés. Notre cas est plus désespéré encore. Car non seulement nous n'avons pas cherché à faire de l'histoire globale, mais encore l'histoire d'entreprise que nous avons faite n'a aucun caractère sensationnel, ne démasque aucune collusion abominable. Elle décrit simplement la gestion quotidienne d'une compagnie ferroviaire. Car, à côté de l'histoire quantitative, à côté de l'histoire des « sommets » du capitalisme, il y a place pour une histoire sectorielle, locale ou d'entreprise. Loin de nous la volonté d'affirmer la prééminence du « fait » sur la théorie; il s'agit au contraire d'insister sur l'apport non négligeable à la théorie que peut constituer l'approfondissement, à travers l'étude d'un cas, de l'histoire des facteurs de production, des comportements qu'ils conditionnent, des coûts qu'ils déterminent et qui résultent de l'action des uns sur les autres. L'approche globale de l'histoire ferroviaire est possible et n'a pas été entièrement achevée Il nous a paru pourtant utile d'appliquer à ces problèmes les méthodes traditionnelles de l'histoire économique française, c'est-à-dire réaliser le dépouillement systématique et complet d'un fonds d'archives. Il était normal de choisir la compagnie dont les

1. Cf. les ouvrages ou études cités en bibliographie de D. Renouard, Toutain et article de Jean Dessiner dans l'Année ferroviaire, 1952.

38

LA COMPAGNIE

DES CHEMINS

DE FER DU

NORD

archives étaient à la fois les plus accessibles et les plus riches, en la considérant comme fournissant un modèle de valeur générale. Elle pouvait donner une image d'autant plus exacte qu'elle était plus précise des problèmes posés par l'exploitation ferroviaire et des difficultés rencontrées par les exploitants. Cette méthode nous a paru avoir une supériorité marquée dans les trois domaines suivants, si étroitement dépendants les uns des autres : 1° Histoire des prix payés par l'entreprise; 2° Histoire des coûts, dans laquelle se résume toutes les évolutions particulières des facteurs; 3° Histoire des tarifs, prix de vente de l'entreprise, par l'intermédiaire desquels elle influe sur l'évolution économique générale. 1° Histoire des prix

Le prix n'est pas une abstraction, il résulte d'un rapport de forces. Il fallait établir un pont entre les théories des prix (prix de concurrence, prix de concurrence imparfaite, prix de monopole), et la réalité de la vie quotidienne des affaires. Les marchés des commandes ferroviaires ne furent jamais des marchés de « concurrence parfaite », c'est-à-dire dans lesquels aucun des acteurs, acheteur ou vendeur, n'était susceptible d'agir directement sur les prix. Suivant les époques, suivant les secteurs, les acheteurs — les Compagnies — ou les vendeurs — les entrepreneurs — ou l'un d'entre eux ont pu avoir une influence dominante. L'influence des acheteurs sur les vendeurs s'exerce dans le court terme directement sur le niveau des prix à l'intérieur d'une fourchette de « prix discutables », qui, dans le long terme, évoluent en fonction des prix de revient des vendeurs, sur lequel les acheteurs exercent une certaine influence, soit en groupant (ou en ne groupant pas) leurs commandes, ce qui permet au phénomène des coûts décroissants de jouer, soit en favorisant la diffusion des innovations. Ainsi est-ce l'acheteur, qui, dans le cas qui nous occupe, façonne lui-même le marché auquel il s'adresse. Mais les vendeurs peuvent tenter de reprendre l'initiative, soit en se groupant, soit en demandant aide et secours à l'État. O u bien l'un d'entre eux peut « imposer sa loi » aux autres vendeurs et aux acheteurs. 2° Histoire des coûts

Us résultent des décisions des gérants, qui ne sont pas des entrepreneurs normaux, puisque leur but n'est pas d'accroître la valeur de leur capital. Ces décisions sont prises sous la pression des facteurs externes (prix-salaires) et tendent à modifier les données internes de la gestion (investissements et innovation dont dépendent le rendement des hommes et celui du capital). Ils dépendent aussi du niveau du trafic, dont l'intensité résulte en partie des tarifs et détermine la bonne ou la mauvaise utilisation des investissements. Discourir de l'accroissement du capital et de ses conséquences sans analyser sa nature est un exercice assez vain. Non qu'il faille considérer tout capital fixe comme spécifique et rejeter toute tentative de généralisation dans l'étude de la fonction et des structures du capital. Mais l'innovation n'a pas pour seule fonction d'accroître le rendement des travailleurs, elle sert

INTRODUCTION

39

aussi à permettre aux installations existantes de supporter un effort de production plus intense, c'est-à-dire à rendre possible une réduction ultérieure des investissements. « L'inventeur » n'est jamais isolé : il n'est qu'à l'extrémité d'une chaîne. Toutes les « inventions » sont le résultat d'efforts collectifs. Plutôt que de partir à la recherche des génies ignorés, il a paru plus utile de tenter de décomposer les processus d'interactions qui aboutissent à ces découvertes, dont la nécessité est le plus souvent impérieuse pour résoudre des problèmes urgents. Mais l'enquête ne pouvait se limiter à la « technologie » proprement dite. Il est apparu assez vite que les ingénieurs éprouvaient plus de difficulté à résoudre les problèmes d'organisation que les problèmes proprement techniques. « L'art de l'ingénieur » ouvrait des voies relativement faciles et sûres. L'art de la gestion était purement empirique. Dans la mesure où ces problèmes ne furent pas consciemment perçus par les contemporains, nos sources ne nous permettaient pas d'en prendre une vue aussi complète que celle que l'on pouvait prendre de l'histoire technologique. Les Compagnies ferroviaires furent surtout de vastes organismes bureaucratiques, militairement hiérarchisés, et leur gestion fut contaminée par les méthodes administratives. Car le « rapport Nora » vient de nous rappeler que le coût ferroviaire n'était pas pur. La décision de construire une ligne, les règles des cahiers des charges, ne sont pas déterminées par la recherche de la plus haute rentabilité du capital, mais par des considérations de « service public », ou, plus simplement, électorales. Poussées trop loin ces tendances sont néfastes — une politique économique qui se préoccupe trop peu de la rentabilité des investissements est à long terme condamnée. L'investissement ferroviaire ne joua pas en France un rôle aussi créateur qu'en Allemagne, en raison de l'atonie démographique et du niveau relativement élevé du développement français antérieur. Il ne pouvait que fournir un appoint à une croissance déjà entamée ; et il ne suffisait pas de construire une ligne pour qu'elle ait du trafic. Les coûts sont variables suivant la nature du transport, plus ou moins groupé, plus ou moins régulier. Ils varient dans le temps en fonction de l'intensité du trafic. Son accroissement entraîne normalement une réduction des coûts, en raison du phénomène des rendements croissants. Mais la règle, nous le verrons, peut souffrir des exceptions : une entreprise dont les coûts moyens augmentent en période de croissance de la production (pour nous : du trafic) est gravement malade. L'expansion des bassins houillers et celle des industries complémentaires donnèrent au trafic ferroviaire, en période normale, une grande faculté d'expansion. La règle ne fut démentie qu'exceptionnellement, lors des crises (1884-1889, 1901-1905, 1930-1935). Les coûts deviennent alors des « coûts de régression » croissants. 3° La politique tarifaire générale Elle est plus contestable encore dans les principes que la politique d'investissement; ils résultaient dans leur formation d'une doctrine — la tarification ad valorem — fondée sur la volonté de tenir compte d'une utilité

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LA COMPAGNIE

DES

CHEMINS

DE FER DU

NORD

marginale, malheureusement indéterminable. Dans la mesure où elle reflète les théories économiques dominantes, il était intéressant de l'analyser. Dans la réalité, le niveau des tarifs résulta de l'évolution des coûts et de l'action des groupes de pression s'exerçant par l'intermédiaire de différents comités, d'allure assez nettement corporative. Dès lors l'étude des tarifs permet trois types d'analyse : a. Analyse du comportement des entrepreneurs et de leur plus ou moins grande conscience, de l'élasticité des coûts et de celle du trafic. Dans l'un et l'autre cas l'insuffisance des informations, dont ils disposaient pour prendre leurs décisions, est éclatante. De plus, la politique tarifaire, en raison de la complication du système ad valorem, cessa peu à peu de pouvoir être saisie globalement. Elle se perdit dans les marécages bureaucratiques; la décision cessa de pouvoir s'appuyer sur des données sûres ou sur des principes cohérents. b. La publication des tarifs est le résultat d'une longue alchimie. Assez vite, leur élaboration, à partir des réclamations des clients, jusqu'à l'approbation par le Comité consultatif des chemins de fer, passa par toute une série d'étapes qui exigeaient la rédaction d'une demi-douzaine de rapports quelle que fût l'insignifiance du tarif concerné. Cette procédure favorisait l'influence des groupes de pression. L'analyse des options essentielles dans ce domaine a un intérêt certain, dans la mesure où elle reflètent des choix généraux et des mentalités profondes. L'Etat était avant tout le défenseur du petit patron, le mainteneur des « situations acquises ». Son action était plus conservatrice qu'expansionniste. c. Les réductions tarifaires avaient pour but d'attirer le trafic, soit en l'enlevant à la voie d'eau, soit en développant l'économie régionale. L'analyse de la concurrence entre les deux modes de transport était donc nécessaire. Elle fut d'autant plus intense dans le Nord que le réseau des canaux y était mieux développé. De plus l'étude de l'évolution du trafic peut fournir des indications utiles pour l'histoire de la croissance régionale. La recherche des liens et interactions entre ces trois domaines devait constituer l'essentiel de notre effort. Les autres aspects de l'histoire de la Compagnie, c'est-à-dire l'histoire des concessions, des rivalités avec les autres Compagnies, des relations avec l'État, ont été traités dans le cadre chronologique qui nous fut dicté par la périodisation de l'histoire tarifaire et de l'histoire des coûts. Peu de ministres, sans doute, furent aussi copieusement injuriés, calomniés, insultés, que les signataires des « conventions scélérates » de 1883. Il importe que l'historien en ces matières sache se dégager des schémas polémiques. La vénalité des ministres est évidemment légendaire, ce qui ne signifie pas que les « puissances d'argent » n'aient disposé d'aucun moyen d'action, mais leur influence est largement contrebalancée par celle d'autres groupes, les notables locaux en particulier, dont le principal souci était que leur circonscription soit desservie. L'État imposa aux banquiers qui contrôlaient les compagnies, de construire et d'exploiter des lignes peu rentables, en échange de sa garantie alors qu'ils auraient — un temps au moins, vers 1860 — préféré l'indépendance. Mais la Compagnie du Nord ne pouvait se désolidariser des autres lignes, puisqu'aussi

INTRODUCTION

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bien ses dirigeants participaient à leur gestion. Or, seuls le Nord et le P L M auraient pu courir sans crainte le risque de l'indépendance. Les discussions à propos de ces affaires reflètent, au même titre que celles sur les tarifs, les conceptions des contemporains. La recherche d'une conciliation entre la limitation des profits et l'intéressement des exploitants aux bons résultats de l'entreprise n'a jamais vraiment abouti. Sous l'apparente uniformité routinière du formalisme bureaucratique, avec ses rapports et ses réunions périodiques, se cacha une diversité de données qu'il fallait mettre en valeur. Notre fil directeur a été la courbe d'évolution des tarifs [cf. graphique 61) sous-tendue par celle des coûts. Les exploitants et ingénieurs vivent dans le court terme et pensent dans le moyen terme. Il fallait suivre les méandres de leur action, bien que notre souci essentiel fût de dégager des orientations générales. La période 1847-1852 fut celle des « incertitudes », des remises en question; de 1852 à 1867 la Compagnie partit à la conquête de « beaux dividendes », qui, une fois obtenus, avaient besoin d'être protégés, car le cours des actions avait suivi leur progression. De 1867 à 1883 la Compagnie fut sur la défensive dans tous les domaines, aussi bien dans ses rapports avec l'État, qu'en matière de tarifs. De 1883 à 1913 la Compagnie put sauver les revenus de ses actionnaires, malgré la hausse des salaires, grâce à une politique de restriction des investissements, rendue possible par les innovations apparues entre 1870 et 1890, mais poussée trop loin; de 1918 à 1929 un effort d'investissement sans précédent rendit sa souplesse à l'exploitation mais plaça la Compagnie dans une position de sous-emploi tragique de ses installations après 1930. Telles furent les « périodes » de cette histoire d'une gestion d'entreprise.

PREMIÈRE

PARTIE

LA CRÉATION DU RÉSEAU : CONQUÊTE DES « BEAUX DIVIDENDES 1845-1867

CHAPITRE

PREMIER

1845-1852 : LES INCERTITUDES

I. LA CONCESSION La ligne du Nord ne fut concédée que le 10 septembre 1845, alors que tous les spéculateurs européens la considéraient comme une bonne affaire 1 et que les projets sérieux la concernant remontent à 1835. Ce retard s'explique par les hésitations du gouvernement, celles de l'opinion publique, qu'illustrent bien les débats à la Chambre, celles des banquiers. La solution des petites lignes exécutées par les utilisateurs eux-mêmes, qui fut appliquée en Alsace (Mulhouse-Thann 1839, Strasbourg-Bâle 1841), n'eut pas à notre connaissance de défenseurs décidés dans la région du Nord, alors qu'elle devait, après 1865, y prendre un si remarquable essor. Dès lors la solution ne pouvait être que la construction par l'État ou par les banquiers. En décembre 1836 le refus de Thiers d'accorder la garantie d'intérêt fit échouer un projet mis au point par la Société Générale, auquel Rothschild et Pereire avaient été associés 2. En 1837 L.L. Vallée chiffrait la dépense pour Paris-Bruxelles à 56 millions de francs. En mai de la même année la Chambre vota la concession d'un chemin de fer de « Paris à la frontière de Belgique » à John Cockerill, qui avait renoncé à la garantie d'intérêt mais obtenu une subvention en capital égale au quart de la dépense. L'affaire échoua cependant, car Cockerill n'obtint pas l'introduction de rails en franchise 3. Meeus et Cockerill n'avaient vu dans la ligne du Nord qu'un moyen de trouver des débouchés pour leurs entreprises sidérurgiques. Les Belges d'une façon générale liaient leur participation à la réalisation de l'union douanière. Les hésitations de James de Rothschild furent, semble-t-il, aggravées par la violence de la campagne d'opinion menée contre lui. Il 1. B. G I L L E , La Maison Rothschild, 1965, Genève, Droz, 493 p. « Les souscriptions s'accumulaient », écrit-il p. 343 à propos de la ligne du Nord. 2. M. L É V Y - L E B O Y E R , Les banques européennes et l'industrialisation internationale dans la première moitié du XIXe siècle, Paris, PUF, 1964, 813 p. Cf. p. 624 et 625. 3 . L É V Y - L E B O Y E R , op. cit.,

p. 625, n.

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avait maintenu le contact avec le gouvernement français mais la négociation échoua définitivement en octobre 1837. O r quelques mois plus tard, en février 1838, la Chambre repoussait le classement de neuf lignes, parmi lesquelles figurait celle de Paris à la frontière belge. Le projet gouvernemental prévoyait la construction des lignes par l'État. Seules les lignes secondaires seraient concédées à l'industrie privée. Il la justifiait en montrant que l'Etat devait rester maître des tarifs et que seul il pouvait venir à bout d'une telle entreprise. Il réservait d'ailleurs le problème de l'exploitation définitive. La Commission, animée par Arago, « qui fit véritablement une œuvre de passion » 1 rejeta le projet car elle était favorable à l'exécution des chemins de fer par l'industrie privée 2 . Le vote, notait A. Picard, « frappait l'État d'incapacité non seulement pour l'exploitation, mais aussi pour la construction des chemins de fer » 3. Cependant en 1840, 10 millions furent votés pour permettre la construction des chemins de fer de Lille et Valenciennes à la frontière belge. Une ordonnance de 1842 autorise leur exploitation par l'État. Mais pour la plupart de ses défenseurs la construction par l'État devait être suivie de l'exploitation par des Compagnies fermières disposant de baux à court terme, ce qui supposait que l'État construise non seulement l'infrastructure, mais aussi la superstructure. La poursuite de cette politique posait des problèmes financiers : l'État était engagé « dans la plus vaste entreprise de travaux publics qu'aucun régime avant lui eût entrepris » 4. Après 1840 la nécessité du programme militaire s'imposait 5. L'opinion libérale décrivit les dangers politiques de l'exploitation par l'État et son incapacité économique. Il ne fallait pas en faire « un messagiste et un entrepreneur de roulage » et « ses habitudes bureaucratiques le rendraient toujours souverainement impropre aux affaires commerciales » 6 . La solution des Compagnies concessionnaires triompha avec la loi de 1842. A ce moment l'État avait consacré trois millions à la construction des lignes, alors que les Compagnies concessionnaires en avaient consacré 175. La loi prévoyait la construction de l'infrastructure par l'État, l'établissement de la superstructure et l'exploitation par les Compagnies. Cette solution permettait de calculer la durée des concessions en fonction d'un capital restreint. Le bail pouvait donc être relativement court et donner à l'État le moyen de reprendre assez fréquemment en main son droit d'initiative en matière de tarifs. La loi de 1842 posait des principes généraux. En 1843 le gouvernement s'entendit avec une Compagnie dirigée par Rothschild et comprenant d'Eichthal, Lefebvre, Mallet. Le projet se rapprochait beaucoup du type prévu par la loi de 1842, puisque l'État exécutait l'infrastructure et remettait la ligne à une Compagnie chargée de l'établissement de la 1. A. P I C A R D , Les chemins de fer français, Paris, Rothschild, 1884, t. I, p. 127. 2. On se rappelle le discours de Lamartine à cette occasion. 3 . P I C A R D , op. cit., 4 . G I R A R D , op.

p.

127.

cit.

5. Cf. à ce propos L É V Y - L E B O Y E R , op. cit., p. 679, n. 65. Maurice Lévy-Leboyer considère que la solution de la construction par les Compagnies était inévitable pour des raisons budgétaires. 6. Rapport Muret de Bort à propos du chemin de fer du Nord. JO, 11 mai 1845.

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superstructure et de l'exploitation. James de Rothschild avait demandé que celle-ci soit concédée pour cinquante ans. Cette durée avait été ramenée à quarante; elle était justifiée par une dépense en capital évaluée à soixante millions de francs. La rivalité qui opposait Boulogne et Calais fut tranchée en faveur de Calais, mieux placée pour les relations entre l'Angleterre et la Belgique. Le projet fut remanié par la commission, présidée par Baude, dans un sens favorable au gouvernement : elle demandait en particulier le droit pour le gouvernement de réduire de 20 % les taxes de marchandises si après dix ans de jouissance, la ligne fournissait un revenu de 10 %. L'affaire ne fut jamais inscrite à l'ordre du jour. James de Rothschild considérait « qu'elle n'était pas mûre » 1 , et M. Lévy-Leboyer constate que « l'administration était tentée de construire elle-même la ligne pour en donner simplement l'exploitation à une Compagnie fermière » 2. En 1844 les conditions proposées par le gouvernement furent plus dures que celles qu'il offrait en 1843. Il n'était plus question d'abandonner Boulogne : la ligne proposée par lui dans le projet du 29 février prévoyait deux embranchements, l'un vers Dunkerque, l'autre vers Boulogne. Le cahier des charges était beaucoup plus sévère que celui de 1843 : la durée de la jouissance était ramenée de quarante à vingt-huit ans, les bénéfices devaient être partagés entre l'État et la Compagnie dès qu'ils dépasseraient 8 %, les tarifs marchandises étaient diminués de deux centimes pour chaque classe, les voitures de troisième classe devaient être couvertes et la Compagnie n'aurait droit à aucune indemnité à la fin du bail. On est loin de ce que Rothschild demandait en 1843 (cinquante ans; une subvention de 150 000 francs par kilomètre). On comprend qu'il ait écrit au banquier, londonien, Mills, que « le projet actuel pour le Nord était inacceptable » s . Le gouvernement voulait mettre à profit la concurrence qui s'esquissait entre les groupes bancaires : en 1843 était apparue une Compagnie Durand-Seillière, qui avait offert de ne pas être remboursée de la superstructure à la fin du bail et des tarifs plus bas. Au début de 1844 une troisième Compagnie se présenta, animée par les deux grandes entreprises de Messageries. Le gouvernement prévoyait le cas où aucun adjudicataire n'accepterait ces conditions : il exécuterait lui-même la superstructure et donnerait la ligne à bail pour douze ans au plus et avec un prix de ferme de 5 %. La commission préféra ce second système, qui avait à ses yeux l'avantage de laisser aux mains de l'Etat la possibilité de remanier périodiquement les tarifs. Mais elle accepta pour le cas où la première solution prévaudrait, la durée de concession de vingt-huit ans. La Chambre discuta de questions de tracés. Elle décida que l'embranchement de Dunkerque et de Calais, qui devait dans le projet gouvernemental se détacher à partir de Douai, se détacherait de Lille. Elle choisit, pour la ligne principale et cet embranchement, la construction par l'État et la prise à bail à court terme ultérieure par des Com1. Cité par L É V Y - L E B O Y E R , op. cit., p. 679. 2. Op. cit., p. 679. Si le calcul a évidemment existé dans l'administration, il n'est pas moins certain que les hésitations de James de Rothschild restaient grandes. 3 . G I L L E , op. cit.,

p.

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pagnies fermières 1 . Pour Amiens-Boulogne elle choisit, parce qu'il y avait vin candidat, la concession à une Compagnie privée. Le comte Daru combattit à la Chambre des Pairs le projet de construction par l'État. La loi du 26 juillet 1844 entérinait les solutions proposées par la Chambre. Le 18 octobre la ligne d'Amiens à Boulogne fut concédée à Laffitte et Blount. Cette Société, qui était déjà concessionnaire de la ligne de Rouen, fut autorisée en mai 1845. Elle avait un capital de 37,5 millions. Concessionnaire de la ligne pour 99 ans, elle acceptait le remboursement complet des travaux à l'État. Les hésitations de James de Rothschild avaient donc des conséquences néfastes. Il était temps de se décider. Les résultats du P O et de Paris-Rouen étaient favorables et pouvaient justifier un raccourcissement des concessions. La concurrence devenait dangereuse. En octobre 1844 Laffitte avait mis en avant le projet d'une grande Compagnie de chemins de fer français, qui en décembre se restreignit à une Compagnie Calais-Marseille, dont le tronçon Amiens-Boulogne pouvait n'être qu'un élément constitutif. Au début de 1845 ces projets furent repris par Gouin. Il s'associa en juin à une Compagnie Decaen et à un groupe anglais. Il soutenait aussi une Compagnie Rosamel fondée en mars. En avril fut créée la Compagnie Pépin-Lehalleur. Le projet du 18 février 1845 tendant à la concession de la ligne du Nord marqua un net recul de l'Administration : comme plus tard en 1883 l'abandon des projets d'un grand réseau d'État exploité par un système de baux fréquemment renouvelés fut justifiée par des considérations financières. L'ouverture d'un emprunt pour amortir la dette l'empêchait de subvenir aux travaux prévus par la loi de 1842. Ce recul était compensé par le fait qu'en présence des concurrences, le gouvernement pouvait maintenir des exigences élevées et espérer obtenir par l'adjudication de sérieuses concessions. La dépense était évaluée à 150 millions, y compris l'infrastructure de la ligne principale qui devait être remboursée à l'État avec un intérêt de 3 %. Le revenu net était évalué à 10 425 000 francs, soit un rendement de 7 %. En réservant 6 % à l'intérêt industriel de l'opération il restait 1 % pour l'amortissement : sa durée serait de quarante-deux ans à raison d'un intérêt de 4 %. Le gouvernement proposa donc une durée maximum de quarantecinq ans. Le concours entre les Compagnies devait porter sur cette durée. La commission parlementaire prévoyait au contraire un revenu net de 11 888 335 francs 2, donc de 8 %. Elle en conclut qu'une durée de trentetrois ans était suffisante pour reconstituer le capital en rachetant les actions. Elle voulait par là aussi « resserrer la limite dans laquelle s'exerçait la concurrence » 3 . Elle avait quelques raisons de craindre que tous les bruits de concurrence, dont la presse spécialisée était remplie, fussent exagérés. Elle désirait « se mettre en garde contre des concerts, des fusions possibles entre

1. B. Gille parle à ce propos « d'une décision bâtarde, pratiquement irréalisable ». Elle correspondait en fait au désir des entrepreneurs de transports en place de prolonger leurs activités. Cette solution en effet n'obligeait pas à mobiliser des capitaux trop importants. 2. Elle prévoyait un revenu net de 21 615 154 francs et s'appuyait sur une dépense égale à 45 % des recettes. 3. Rapport de la Commission par Muret de Bort, Moniteur Officiel, 11 mai 1845.

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les grandes puissances financières ». Certains membres auraient voulu que la durée soit ramenée à vingt et un ans. Gauthier de Rumilly, député d'Amiens, qui pourtant avait défendu la loi de 1842, tenta de relancer lors de la discussion l'idée de la construction par l'État et des baux à court terme. En janvier la Chambre de Commerce de Lille avait demandé «l'exploitation du Chemin de fer du Nord par l'État ou tout au moins par une Compagnie simplement fermière en vertu d'un bail de peu de durée » 1 . Elle fut suivie par celles d'Amiens et de Dunkerque. Gauthier de Rumilly prophétisa que l'aliénation des lignes productives rendrait très difficile l'exécution des moins rentables. Il montra avec clairvoyance que les deux moyens de pression sur les Compagnies, que le projet prévoyait, le rachat et la création de lignes concurrentes étaient inefficaces. Il représentait les intérêts des « maîtres de postes, entrepreneurs de roulage », qui étaient prêts à prendre à ferme les lignes par des baux à court terme. Garnier-Pagès avança l'idée que l'exploitation par l'État permettrait de réduire les tarifs de houille aux seuls frais de traction, ce qui était l'unique moyen de compenser le prix de revient élevé du charbon en France. Ce point de vue était partagé par de nombreux ingénieurs des Ponts et Chaussées et fut celui de Dupuit dans son article des Annales des Ponts et Chaussées de 1849. Il ajouta qu'il ne fallait pas « livrer aux caprices de quelques individus », la prospérité des différentes parties du territoire » L'un et l'autre rejetèrent l'argument financier : « vous avez le crédit de la France, qui est bien au-dessus des petits crédits qui s'agitent à la bourse ». La Chambre suivit le gouvernement : elle fixa la durée de la concession à quarante et un ans pour la ligne principale. La loi prévoyait aussi la concession d'une ligne Creil-Saint-Quentin, qui pouvait, si elle tombait en d'autres mains, créer à la ligne principale une concurrence dangereuse. De plias Ed. Delebecque, le futur vice-président de la Compagnie, fit ajouter au cours de la discussion une ligne Fampoux-Hazebrouck, destinée à concurrencer Amiens-Boulogne, en rapprochant Calais et Dunkerque de Paris. Pour éviter l'étouffement de cette ligne, la Chambre, tout en votant l'amendement, fit ajouter au Cahier des Charges un article (41 bis), qui prévoyait que toute réduction accordée sur Calais-Paris serait applicable dans les mêmes proportions sur Amiens-Paris. Les deux lignes devaient être concédées pour quinze ans maximum. Les négociations de fusion aboutirent aux traités de juillet 1845 3 . L'un fut signé entre la Maison Rothschild et Baring, Hottinguer et le duc de Galliéra. Il prévoyait une action commune pour obtenir la concession des trois lignes. Chacune des parties devait fournir la moitié du capital et partager (1/3 à Hottinguer et 2/3 à Rothschild) les parts qu'il serait nécessaire de céder ultérieurement, ainsi que celles qui le seraient au pair. L'entente existait avec Hottinguer depuis 1843. Quelques jours plus tard un traité fut signé avec Laffitte et Blount et Compagnie, qui obtenaient 7/23 des parts, dont Laffitte et Blount rétrocédaient quatre millions d'actions au 1. Journal des Chemins de Fer, 8 février 1845. 2. Moniteur Officiel, 14 mai 1845. 3. Ces traités nous ont été communiqués par M. B. Gille. 2 565053 6

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pair à Rothschild. Les commissions de banque devaient être partagées dans les mêmes proportions que le capital. Rosamel se rallia au groupe en août. Il obtint 20 500 000 francs (traité du 11 août 1845). Pépin-Lehalleur en eut 15 millions (traité du 24 août 1845) et Decaen-Lebeuf 20 (traité du 24 août 1845). Le Journal des Chemins de fer accusa Rothschild de s'être entendu avec Hottinguer pour limiter la participation de Laffitte et Blount. Bien des noms de la grande banque parisienne figuraient sur la liste des souscripteurs : Rothschild, Gouin, Mallet, Thurneyssen, d'Eichthal, Pillet-Will. On y trouvait également des représentants des Messageries avec Gaillard, administrateur des Messageries Générales, tandis que les Messageries Royales siégeaient au Conseil de l'Ouest. Relevons enfin le nom d'un industriel, Koechlin. C'était, selon la Démocratie Pacifique, « l'acte constitutif de la féodalité industrielle » 1 . L'adjudication eut lieu le 9 septembre 1845. La concession fut souscrite pour trente-huit ans. Le matériel devait être repris à l'expiration à dire d'expert. L'Etat devait achever les travaux et la Compagnie le rembourser à raison de 11 millions à prendre sur le cautionnement, 9 millions dans la quinzaine suivant l'homologation et le surplus par quart d'année en année à dater du 1 e r janvier 1847. Le capital était formé par 400 000 actions de 500 francs. La ligne de Fampoux à Hazebrouck fut adjugée, pour une différence de 49 jours entre les deux soumissions, à O'Neil. L'expérience fut méditée pour Creil-Saint-Quentin. Elle était « le véritable chemin de Paris à la frontière » 2 . Le scénario de juillet sembla se reproduire. Mais un désaccord se produisit parmi les soumissionnaires. L'affaire, selon M. Gille, fut montée par Laffitte et Enfantin 3 . Il explique le retrait des Rothschild du Lyon par leur désir d'utiliser toutes leurs ressources pour fournir le cautionnement de Creil-Saint-Quentin. Il ne pouvait être question de laisser tomber la ligne en d'autres mains. Celle de Paris à Louvre et celle joignant Cambrai à la ligne du Nord avaient été mises aux enquêtes. La ville de Cambrai craignait en effet, à juste titre, de souffrir de son isolement 4 . Le risque était grand que soient rapidement « comblés » les intervalles entre Cambrai et SaintQuentin et entre Creil et Louvre et ainsi « constitué un second chemin de fer de Paris à Douai, Lille et Valenciennes plus court de 22 à 25 kms que celui dont la Compagnie du Nord avait la concession » 6 . Cette menace amena la Compagnie à offrir une énorme réduction de la durée de la concession : elle proposa vingt-cinq ans. L'offre suivante était de trente-six ans. Il fut difficile de démontrer aux actionnaires que cet abandon de onze ans ne représentait que 2 % du capital. Les circonstances de la concession la rendaient, aux yeux de la Compagnie, discutable. « Nous étions contraints de devenir à tout prix adjudicataires de l'embranchement de Creil-Saint-Quentin » 6 . Le 9 décembre 1845 la Compa1. Cité dans le Journal des chemins de fer, n° 37, 13 septembre 1845. 2. 48 AQ, 10. Conseil d'Administration de la Compagnie du Nord, séance du 23 décembre 1845. 3. Op. cit., p. 366. 4. Voir F 14 9371. 5. 48 AQ, 10. Conseil d'Administration, séance du 23 décembre 1845. 6. 48 AQ, 2836. Lettre au ministre du 31 mai 1847.

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gnie demanda la concession de Saint-Denis-Louvre pour soixante-quinze ans. Elle redoutait qu'à l'expiration de la concession de Creil-Saint-Quentin l'État ne lui fasse concurrence. Dès 1847 elle chercha à niveler la durée des deux concessions. Elle offrit en échange de prendre Saint-Quentin-Maubeuge. Le gouvernement lui imposa en plus les embranchements de Cambrai à Douai et de Beauvais à Clermont. La révolution de 1848 empêcha la discussion du projet. Dès l'origine la Compagnie remit donc en question les clauses du contrat qu'elle avait signé. Elle eut bien d'autres occasions de le faire. Lescure a beaucoup insisté sur l'importance des imprévisions pour expliquer la crise de 1848. Ce point de vue est exact. Mais ce qu'il importe de dégager, c'est en quoi ces imprévisions compromirent la réalisation des clauses du contrat de concession. Elles furent de trois ordres : la construction fut plus coûteuse, plus longue et moins solide que prévu; le trafic fut plus difficile à conquérir qu'on ne le pensait et les troubles sociaux portèrent les coûts de la main-d'œuvre au delà des limites escomptées. Il est bon de résumer les conditions principales de la concession, afin de mieux comprendre leur remise en question :

Analyse des principales conditions de la concession (convention du 15 juillet 1845) Lignes concédées : Paris à la frontière de Belgique par Lille et Valenciennes le chemin dirigé sur Calais et Dunkerque par Hazebrouck. Mode de couverture des dépenses : L'État : néant. La Compagnie : l'État achèvera tous les travaux sauf quelques stations. Les dépenses lui seront remboursées par la Compagnie avec des intérêts à 3 %. Le remboursement aura lieu de la manière suivante : — 11 000 000 à prendre sur le cautionnement; — 9 000 000 dans la quinzaine de l'homologation; — le surplus par quart d'année en année à dater du 1 e r janvier 1847. Durée de la concession : 38 ans par adjudication. Les objets mobiliers et le matériel roulant seront repris à dire d'experts ainsi que les approvisionnements nécessaires à l'exploitation pendant six mois. Rachat : 15 années après l'achèvement des travaux, le gouvernement aura le droit de racheter la concession entière. L'annuité de rachat sera établie d'après le produit net moyen des sept dernières années. Cautionnement : 15 000 000. 4.

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Analyse des principales conditions de la convention du 24 avril 1846 Lignes concédées : Creil à Saint-Quentin. Mode de couverture des dépenses : en totalité la Compagnie. Durée de la concession : 25 ans. Rachat : voir la convention précédente. Cautionnement : 3 000 000.

II. LA REMISE EN QUESTION DE LA CONCESSION A. Les imprévisions de la construction Les travaux à la charge de la Compagnie furent retardés p a r les lenteurs administratives, dues surtout aux problèmes posés par la traversée des fortifications. U n tiers seulement en moyenne des propriétaires acceptèrent les offres amiables d'achat de terrain faites par la Compagnie. Leur hausse fut rapide : quatre à cinq fois plus q u ' à l'origine à La Chapelle dès 1845 1 . Les lignes livrées par l'Etat se révélèrent insuffisantes dès 1846, avant même que l'exploitation n'eût commencé. Le dédoublement de la gare de Paris fut décidé en 1845. L'Atelier central fut construit à La Chapelle de préférence à Amiens en raison « des goûts et des habitudes des ouvriers... qui aiment et recherchent le séjour des grandes villes » 2 . O n ne pouvait en trouver q u ' à Paris de suffisamment qualifiés. Dès que l'exploitation eut commencé sa « complexité unique dans l'histoire des chemins de fer » 3 , obligea à créer des voies d'évitement, qui étaient inexistantes, des halles pour les messageries. L'accident de Fampoux, survenu le 8 juillet 1846, et qui fit 12 morts, confirma la nécessité de renforcer la voie. O n plaça une cinquième traverse, on élargit les remblais, on adopta un rail de 37 kg au lieu de 30. Au lieu des 50 locomotives et 108 voitures laissées par l'Etat, le Directeur de l'exploitation, Jules Petiet, jugea nécessaire de disposer d ' u n parc de 150 machines, 440 voitures et 2 600 wagons. La préfecture de police força la Compagnie à modifier les modèles des voitures de troisième classe. Les modèles de locomotives et de wagons de marchandises qui avaient été adoptés se révélèrent très mal adaptés aux services qu'ils devaient fournir. Au lieu des locomotives 1. 48 AQ, 10. Conseil d'Administration, séance du 23 décembre 1845.

2. Ibid.

3. 48 AQ, 570. Assemblée générale de 1847.

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Clapeyron, Buddicom et Stephenson à roues indépendantes, il commanda en 1845 des machines à essieux pour les marchandises, que l'on appela par la suite des Mammouths. Leur surface de chauffe était de 74,10 m 2 , le diamètre des roues motrices était de 1,358 m. Elles furent construites par l'usine du Creusot .Elles pouvaient traîner 30 wagons de 6 tonnes sur une rampe de 6 mm. En août 1847 le nombre des wagons traînés, grâce à l'augmentation de la surface de chauffe, fut porté à 40 et en novembre il fit adopter pour le service voyageurs les locomotives Crampton, qui devaient maintenir leur hégémonie jusqu'à la fin de l'Empire. La mauvaise qualité du métal fut générale : les roues, les bandages, les essieux, les coussinets de rails, les rails eux-mêmes se cassèrent et s'usèrent à un rythme beaucoup plus rapide que prévu. L'industrie française n'était pas prête à subir l'assaut des commandes ferroviaires et le gouvernement refusa de diminuer les droits de douane sur les fers La Compagnie dut subir des hausses sensibles 2 . En novembre 1846 la Compagnie refusa d'acheter des rails à 385 francs et suspendit ses commandes dans toute la mesure du possible. Cette attitude dura pendant toute l'année 1847. Les travaux sur les embranchements du littoral (lignes Lille-Dunkerque et Calais) furent conçus à l'économie. O n se contenta pour les gares de simples baraquements. Dès lors, alors que les devis de la ligne principale furent dépassés de 17,8 %, ceux des embranchements furent inférieurs de 14,8 % aux prévisions (23 millions au lieu de 27) pour Creil-Saint-Quentin, de 6 % (34,3 millions au lieu de 36,5) pour ceux du littoral 3 . Mais ces mesures n'étaient que de mauvais palliatifs : il était clair en fait que les dépenses d'établissement devaient, pour que l'exploitation soit possible, se développer indéfiniment. « La somme à dépenser pour la construction du chemin de fer est beaucoup plus élevée que les prévisions du gouvernement », constata le Conseil en avril 1847, or « la Compagnie n'aurait pas soumissionné à un chiffre aussi bas si elle avait prévu la position dans laquelle elle se trouve aujourd'hui » 4 . Par lettre du 31 mai 1847 la Compagnie demanda une prolongation de jouissance « équivalente au supplément de dépenses que nous avons à supporter » 5 . Elle indique que, si elle n'est pas accordée, les réductions tarifaires devront cesser. Les charges représentèrent, en 1847, 35 % des recettes et 38 % durant le premier semestre 1848. Or, plus coûteux à construire que prévu, le chemin de fer semblait avoir un rendement financier plus faible que prévu. Il résultait de la différence entre les recettes du trafic et les dépenses nécessaires pour l'assurer.

1. Cf. F. C A R O N , « La Compagnie du Nord et ses fournisseurs, 1845-1848 », Revue du Nord, oct.-déc. 1963, n° 179, p. 349 à 389. 2. Le kilo de locomotive passa de 2 fr en 1844 à 2,50 en 1845. Les rails passèrent de 325 à 350 francs entre le premier et le dernier trimestre 1845. Ils atteignirent 360 francs en 1846. Les roues de locomotives passèrent de 1,25 franc à 1,45 franc en avril. 3. 48 A Q 570. Assemblée générale de 1849. 4. 48 AQ, 570. Assemblée générale des actionnaires. 1847. 5. 48 AQ. 2836.

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B. Les improvisions de l'exploitation a. Les transports et l'économie régionale dans les années 1840 De 1831 à 1846 la population des cinq départements desservis (sans la Seine) s'accrut de 8,54 %, de 1841 à 1846 de 2,86 %. Le taux d'urbanisation était élevé : le pourcentage de population urbaine pour une moyenne française de 24,42 %, était de 17,55 % dans l'Aisne, 15,68 % dans l'Oise, 21,42 % dans la Somme, 26,45 % dans le Pas-de-Calais, 42,83 % dans le Nord. Cette situation était bénéfique non seulement pour les transports de voyageurs, mais aussi pour ceux des marchandises car les populations urbaines « vendent et demandent beaucoup au dehors » 1 . Les productions agricoles de la région étaient en expansion. La production de froment représentait, en 1839-1840, 14,9 % de la production dans les cinq départements, en 1846-1847, 16,55 %. Pour les pommes de terre le pourcentage était passé de 9,8 % à 10,8 % . D'importants transports de blé avaient lieu vers le marché d'Arras depuis l'Aisne, la Somme et l'arrondissement de SaintPol; vers Bergues et vers Lille « il se fait des grains un mouvement continuel de petites distances », constatait une commission boulonnaise en 1842 2. Plus mouvantes encore étaient les graines oléagineuses, dont le marché principal était Lille, les plantes textiles, en particulier le lin, dont la production se développait, dans la Somme, et surtout les animaux. Dans la Somme et le Pas-de-Calais le tiers des veaux, les trois quarts des moutons, le tiers des agneaux, la moitié des porcs, les neuf dixièmes des poulains étaient transportés à grande distance soit pour la boucherie, soit vers la Normandie « où s'achève leur croissance ». La croissance industrielle régionale était plus forte que celle du reste de la France, en raison tout d'abord de quelques industries vedettes, telles que le sucre et l'extraction du charbon. Les cinq départements du réseau assuraient, en 1847, 73 % de la production nationale de sucre, le reste étant surtout localisé à Paris. Leur production avait été presque multipliée par trois de 1840 à 1847. La production de houille du Nord était passée de 568 000 tonnes en 1836 à 894 000 en 1846 (20 % de la production française). Les importations de charbon belge avaient doublé entre ces deux dates. La population des cinq départements du réseau représentait 9,5 % de la population française en 1846. La puissance des machines à vapeur installées représentait 22,6 % du total. Cette différence était due surtout au département du Nord et à celui d u Pas-de-Calais : le premier disposait de 17 % de la puissance installée pour 3,2 % de la population, le second de 2,91 % pour 1,97 % . L'Oise et la Somme avaient des pourcentages de puissance installée très légèrement inférieurs au pourcentage de leur population : 0,78 % et 1,1 % pour l'Oise, 1,3 et 1,6 % pour la Somme. L'Aisne avait 1. F 14 8821. Rapport de la commission d'enquête de Boulogne-sur-Mer.

2. F 14 8821,

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deux pourcentages sensiblement égaux : 1,57 % pour la population, 1,69 % pour la puissance en chevaux-vapeur. Il faudrait aussi pouvoir tenir compte de la force hydraulique installée. La partie non canalisée de la Somme, les vallées de l'Authie, de la Canche avaient des « pentes régulières qui permettaient l'établissement de nombreuses usines à moteur hydraulique » 1 . Il s'agissait surtout de moulins à blé (310 dans la région à desservir par la ligne Amiens-Boulogne, 151 dans celle à desservir par Arras-Calais, en 1842), mais aussi d'usines diverses (121 et 68 dans ces mêmes régions). Ces faits prouvent que la croissance n'est pas propre à certaines activités de pointe, ou à certaines régions. L'expansion des « années 1840 » est générale, tous les secteurs y participent : métallurgie à Marquise-Hardinghem (trois hauts fourneaux), Valenciennes où les hauts fourneaux furent installés en 1835, dans la vallée de la Sambre ; industries du bâtiment avec la grande prospérité des carrières et des cimenteries; industrie textile dans la région lilloise mais aussi à Amiens, à SaintQuentin ; industries alimentaires (minoteries et surtout huilerie). Amiens a une production manufacturière évaluée en 1842 à 90 millions de francs, Saint-Quentin à 71 millions 2 . La physionomie des trois ports était déjà fixée. Boulogne était un grand port de pêche. Le transport de la marée fraîche vers Paris se faisait au trot par terre. En 1842 Boulogne, E tapies, Berk, Le Crotoy, Saint-Valéry et le Tréport envoyaient 6 926 320 kg de poisson vers Abbeville, Amiens et Paris. Les produits salés expédiés pesaient 2 563 225 kg. La pêche de Calais n'était que de 711 000 kg dont 480 000 vers Paris. Dunkerque n'était port de pêche que pour la morue, qui était transportée par les canaux. Boulogne avait la supériorité sur Calais pour les transports de voyageurs vers l'Angleterre : deux fois plus de voyageurs venant d'Angleterre passaient par Boulogne que par Calais (de 1837 à 1841 : 70 169 à Calais — 142 298 à Boulogne). Le trafic de Dunkerque comprenait, en plus de la morue, des denrées coloniales et épiceries, qui étaient « dans les mains de commerçants de Lille » 3 , les sels, le soufre, le plomb, les fruits secs d'Espagne. Le fret de Dunkerque à Lille était de 6 à 7 fr. Le trafic des matières premières pour l'industrie textile était contrôlé par Le Havre. Que ce soit pour le commerce, pour l'industrie ou pour la consommation, le principal centre était Paris : « Paris longtemps ville de petit commerce et de grande consommation est successivement devenue depuis 50 ans pour la France et même pour l'Europe l'un des centres de grande fabrication, de grand commerce et surtout des opérations de finances », constatait Delebecque en 1852 4 . La disposition du réseau en étoile n'était nullement, comme on l'a prétendu, le résultat d'un calcul purement politique. Le chemin de fer n'a pas créé une situation qui lui préexistait. Saint-Quentin devait sa prospérité à la « construction de son canal ». Elle n'était avant lui qu'une « ville de peu d'importance » 5 . La région du 1. 2. 3. 4. 5.

F 14 8821. F 14 8821. 48 AQ. 3661. 24 1. AGN (Archive» de la gare du Nord). F 14 8821.

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Nord disposait d'un réseau de transports exceptionnel si on le compare à celui du reste de la France : 3 047 km de routes royales, 1 963 de routes départementales en 1837 pour les cinq départements. La durée des voyages par route avait beaucoup diminué depuis 1815 : il ne fallait plus pour aller de Calais à Paris que 22 heures au lieu de 38, pour aller de Lille à Paris 20 heures au lieu de 34. A côté des entreprises exploitant par diligences les relations à grande distance il existait tout un réseau d'entreprises secondaires qui assuraient la desserte locale. Ces transports étaient très coûteux : les messageries demandaient par kilomètre 14,5 centimes à 18 centimes en coupé, 12,5 à 15 c à l'intérieur, 8 à 12,5 c en rotonde. De Paris à Lille il fallait payer 40 à 50 francs dans le premier cas, 30 à 50 francs dans le second, 25 à 30 francs dans le troisième. Ces tarifs élevés étaient de plus très instables. Le roulage des marchandises se faisait en accéléré à un prix moyen de 0,44 c la tonne kilomètre, de 0,20 à 0,25 c en roulage ordinaire. Il pouvait être évalué à 0,36 c en 1814, à 0,40 c en 1800. Le roulage était d'après un rapport de 1860 « très actif, conduisant considérablement de marchandises dans toutes les directions » 1 . O n ne peut malheureusement préciser plus. Selon le même rapport « la batellerie était en pleine activité » 2 . La Restauration et la Monarchie de Juillet firent beaucoup pour les canaux du Nord. De 1815 à 1830 on dépensa pour eux une somme annuelle moyenne de 835 896 francs pour un investissement total de 8 387 703 francs, de 1830 à 1848, 306 742 francs pour un investissement total de 14 615 354 francs. La zone desservie par les nouvelles lignes souffrait moins que les autres régions françaises de ces lacunes « qui font perdre aux voies navigables une grande partie de leur utilité » 3 . Ce réseau comprenait un ensemble de canaux reliés les uns aux autres et permettant d'atteindre tous les centres industriels de quelque importance de la région du Nord et ceux du littoral. Cet ensemble était relié à l'Escaut et à Paris grâce à l'achèvement en 1824 du canal de Saint-Quentin. La Sambre communiquait directement avec Paris depuis 1838, date de l'achèvement du canal de la Sambre à l'Oise. Le fret était très variable. Sur Mons-Paris il évolua de la manière suivante 4 : TABLEAU

1

Évolution du fret Mons-Paris de 1835 à 1849 Années

Avant 1835 1835-1839 1839-1840 1845 et 1846 1849

Prix total

Prix T K

(F)

(Cent.)

37 31 à 25 18,75 à 12,5 12,5 à 11,5 10

10,5 8,85 à 7,14 5,35 à 3,57 3,57 à 3,28 2,85

1. 48 AQ, 3789. 25 1860. 2. Ibid. 3. BAZIN, « État de la navigation intérieure en France », Annales des Ponts et Chaussées, 1867, 2, p. 149. 4. Ibid,

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Les prix sur le canal de la Sambre à l'Oise étaient beaucoup plus élevés. Il y avait sur le grand axe Nord-Sud plusieurs départs en pleine charge chaque semaine (150 à 200 T) et le retour à 100 T. Les délais étaient de 14 à 16 jours en accéléré, de 18 à 20 en fait La batellerie transportait surtout des marchandises pondéreuses produites dans le Nord vers Paris : céruses, huiles, sucres bruts, chicorées, mélasse, alcools et les charbons belges et français. Elle contrôlait le trafic des produits importés entre Dunkerque, et Paris, Dunkerque et les régions du Nord et de l'Est (soufre pour Chauny, sel, plomb). Toute la région du Nord-Ouest des départements du Nord et du Pas-de-Calais vivait des canaux : à Saint-Omer les 19/20 du trafic (blé pour les minoteries, matières premières pour les papeteries et les sucreries). De 1840 à 1847 le trafic du canal de Saint-Quentin augmenta de 98,6 % : il atteignit 95 millions de T K . Les importations de houilles par l'Escaut et la Sambre s'élevaient en 1846 à 1 000 000 T, en 1847 à 1 314 500 T dont 73 % par l'Escaut 2 . O r dans la lutte qui se préparait entre les chemins de fer et les anciens modes de transport ceux-ci ne manquaient pas d'atouts. « Il ne faut pas croire que le commerce entraîné par la nouveauté abandonne du jour au lendemain ses relations habituelles, ses intermédiaires ordinaires, pour suivre la nouvelle voie; toute cette population qui vit sur l'eau du mouvement des marchandises défendra sa position acquise et n'abandonnera la concurrence qu'après s'être soumise aux plus dures exigences du négoce, qui exploitera à son profit cette situation nouvelle » 3 . Ces deux faits devaient dominer l'histoire du réseau : il dessert une région particulièrement active, dont le rythme de croissance est supérieur à celui du reste de la France, mais cette région (et ce fut un des facteurs de son avance) est bien équipée en moyens de transport traditionnels surtout en canaux. Il ne disposa jamais en matière de marchandises d'un véritable monopole. Ses tarifs et par conséquent ses modes d'exploitation en résultent. b . La résistance des autres moyens de transport

« L'emprise des vieilles habitudes » 4 , selon l'expression du chef de gare de Saint-Omer, empêcha le chemin de fer d'obtenir tout le trafic, sur lequel les gérants avaient compté. Les rouleurs étaient « nécessaires à leurs clients par leur entremise personnelle » 5 . Les employés du chemin de fer avaient « encore beaucoup à apprendre » 6 , pour égaler l'habileté des voituriers. Cette emprise était grave, là surtout où existaient des canaux et où par conséquent « beaucoup de commerçants avaient établi leurs magasins et entrepôts sur leurs rives » 7 , car de cette manière « ils ne chargeaient et 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7.

D'après 48 A Q 3324. 48 AQ. 3689. 48 AQ3661. 24-1. Rapport sur Dunkerque. 48 AQ, 3670. 24-1. Ibid. 48 A Q 3678. 24-1. 48 A Q 3671. 26.

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ne déchargeaient qu'une seule fois et sans beaucoup de frais » 1 . En août 1847, Petiet constatait que « les transports de la Compagnie se réduisaient aux points mal placés pour recevoir par canaux » 2 , et le Conseil admettait en juin que « le chemin de fer n'offrait pas encore les avantages qu'offraient les moyens de transport par terre et par eau » 3 . A Lille en 1847 les tarifs de roulage étaient inférieurs à ceux de la voie ferrée. A Valenciennes en février le canal transporta les quatre septièmes des sucres, tous les métaux, tout le charbon « à cause du prix trop élevé du tarif » 4 . Le trafic n'est donc pas venu de lui-même à la voie ferrée. Les commerçants n'apportent pas leurs marchandises à la gare soit parce qu'ils dépendent trop de leurs expéditeurs, soit parce que la gêne que représente cette opération, n'est pas suffisamment compensée par les avantages tarifaires qu'offre la voie ferrée, soit même qu'indifférents à la régularité, la voie d'eau et le roulage leur offraient des prix inférieurs. Il fallait conquérir le trafic. c. La

politique

commerciale

et ses

résultats

U n réseau serré de correspondances voyageurs, subventionnées par la Compagnie, fut mis en place. En 1847 ces services « luttaient péniblement contre les services de terre et avaient fait beaucoup d'efforts pour se maintenir » 5 . En ce qui concerne les marchandises, la Compagnie, malgré une opposition de principe contre les groupeurs, qui risquaient « d'être les seuls à profiter de la réduction des prix de transport » 6 , choisit de traiter avec les commissionnaires, en raison du manque de matériel. La plupart des entreprises de roulage souhaitaient d'ailleurs « trouver dans des relations établies avec la Compagnie les moyens de vivre honorablement comme elles l'avaient fait jusqu'ici par l'exploitation de leur industrie » 7 . Les rouleurs devaient, de par ces accords, démonter leurs services et utiliser les plates-formes de la Compagnie. De tels traités furent signés avec les principaux entrepreneurs parisiens (Heim, Madoré, Coquelle, Direz), les deux grandes entreprises françaises de messageries et dans toutes les grandes villes de province. En fait ces accords étaient fragiles : Petiet justifia en décembre 1846 les commandes de wagons par la nécessité de ne plus recourir aux groupeurs. Les commissionnaires demandèrent à l'expiration des traités de conserver un régime tarifaire de faveur pour le groupage. La Compagnie refusa. Les entrepreneurs de transport qui n'avaient pas de traités avec la Compagnie intentèrent des procès et la police parisienne multiplia les procès-verbaux contre les alliés de la Compagnie, qui se plaignaient de ne pas être suffisamment soutenus par elle. 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7.

Ibid. 48 A Q 3661. 26. Ibid. 48 AQ. 3661. 4« A Q 3661. 24-1. Ibid. 48 A Q 3655. 24-1.

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INCERTITUDES

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La politique des raccordements, qui devait par la suite devenir un des éléments essentiels de l'exploitation du réseau ne connut qu'un début bien timide : les transbordements directs wagon — bateau à Dunkerque et les raccordements d'Anzin et des Charbonnages belges de Saint-Ghislain sont les seuls faits à verser à l'actif des ingénieurs, qui redoutaient que les raccordements ne gênent l'exploitation normale. II apparaissait en fait qu'il s'agissait d'une action de longue haleine qui ne pouvait être menée à bien en trente-huit ans. Les tarifs généraux de 1846 furent conçus « de manière à se rapprocher autant que possible de ceux de la navigation, afin d'offrir ainsi au commerce les avantages de la célérité du chemin de fer sans notable augmentation de prix » 1 . Les principales modalités de la tarification, que nous analyserons plus loin en détail, furent alors esquissées et expérimentées : tarifs différentiels avec la distance, distances d'application, diversification en fonction de la valeur de la marchandise et du volume des expéditions. Mais ces mesures furent appliquées avec une extrême modération et le ministère des Travaux publics jugeait les tarifs proposés « un peu élevés » 2 . En 1847, Petiet définit, à propos de la houille, une politique qu'il devait largement développer sous l'Empire et qui tendait à tenir compte dans la détermination du tarif du prix de revient partiel réel du transport. Mais là non plus l'application ne fut pas à la mesure de la nouveauté de la conception : alors qu'il évaluait le coût d'une T K dans un train de 150 T à 3 centimes, il fit adopter une base kilométrique de 6 centimes. Il pensait en effet que le chemin de fer pouvait faire payer plus cher en raison des avantages « de célérité et régularité des transports, de l'économie de capital qu'il procurait, de l'avantage sur la qualité » 3 . De plus il fixa son prix en fonction d'un prix de navigation, qui était alors très haut. En août, il proposa d'aligner le tarif sur celui du canal sur la direction Mons-Paris. Le canal baissa aussitôt (cf. graphique n° 1) : dès la fin de 1847 sur ce trajet le fret atteignit 11 francs (contre 16 francs en 1845). En avril 1847, au moment où Dehaynin, le principal commissionnaire de Paris, offrait des contrats assurant à ses clients pour six ans « le bénéfice de prix réduits par eau » 4, la Compagnie signait ses premiers traités particuliers qui, « tout en maintenant l'intégralité du tarif général, devait permettre à la Compagnie d'obtenir la préférence avec une très faible réduction sur les prix, en lui laissant toujours ainsi la possibilité de rentrer à sa volonté dans l'application régulière du tarif général » 5 . Le premier concerne les transports des huiles depuis Cambrai; puis vinrent les sucres, les boissons, les alcools, les verres, les grains, les pommes de terre. L'Etat les vit d'un très mauvais œil. Dès l'origine l'afïluence des voyageurs fut « plus considérable qu'on aurait

1. 48 A Q 3789. 25-1. 1860. 2. 48 A Q 3655. 26. 3. « Car le charbon extrait récemment est meilleur ». L'économie de capital était égale à deux mois d'intérêt. 4. 48 AQ. 3661. 26. 5. 48 AQ, 3789.

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pu l'espérer» 1 . Le service de banlieue, créé le 11 juillet 1846, eut aussitôt u n grand succès. Mais la faible rentabilité des petits parcours fut dès l'origine évidente : les voyageurs qui avaient fait 148 km ne représentaient que 12 % des voyageurs et avaient procuré 58 % des recettes voyageurs, qui ellesmêmes représentaient près de 3/5 du total. Le trafic marchandises eut en 1847 u n niveau juste satisfaisant : durant le premier semestre la rigueur de l'hiver avait chassé du canal les sucres et les huiles et les mauvaises récoltes obligèrent à faire des transports de céréales depuis Anvers. Mais en juin le mouvement se ralentit et ce fait explique que la Compagnie se soit engagée dans la politique des traités. En août le Conseil déplorait que « le transport des marchandises ne se soit pas développé comme nous le pensions » 2 . Les gérants ferroviaires éprouvaient une certaine déception de constater que le trafic n'affluait pas spontanément. Cependant les trois derniers mois de 1847 et les trois premiers de 1848 furent très favorables : la Compagnie transporta 419 000 tonnes en janvier 1848, au lieu de 184 000 en janvier 1847. d. Le problème des coûts Le conseil avait d'autres sujets d'inquiétude, beaucoup plus graves : les résultats financiers de l'exploitation n'étaient pas aussi brillants qu'on l'avait espéré : les dépenses d'exploitation absorbaient 44 % des recettes, les charges 35 % et il fallait constituer une réserve statutaire de deux millions. Les jugements portés par les gérants sur l'avenir de la Société étaient pessimistes : la croissance du trafic n'avait été obtenue que grâce à des réductions tarifaires « importantes » et qui pourtant étaient encore « faibles » 3 , et par conséquent insuffisantes. Les dépenses étaient plus élevées que prévues. Il fallait qu'elles soient « très considérables pour des produits qui étaient loin de s'accroître dans une proportion correspondante » 4 . Ces premiers mois de l'exploitation se déroulèrent dans une atmosphère d'improvisations coûteuses. L'organisation administrative, calquée sur celle de la Compagnie de Saint-Germain était fort remarquable, comme le prouve sa pérennité. Mais sa mise en marche fut très lente. La division en trois grands services (Exploitation ou Première division, Traction et Matériel ou Deuxième division, Voies et Bâtiments ou Troisième division) provoqua de vives tensions, que l'autorité d u Comité, formé de cinq membres choisis par lt Conseil d'Administration en son sein, ne suffit pas à compenser. Elles ne furent surmontées que p a r la prééminence qui fut reconnue au Directeur de l'Exploitation, à partir des années 1850. A la tête de ces trois services furent nommés des hommes ayant déjà une certaine expérience de l'exploitation ferroviaire : Jules Petiet à l'Exploitation, Maniel à la Troisième division, Clapeyron à la Deuxième. Ces chefs de service et leurs adjoints ne se soumirent qu'avec réticence a u nécessaire contrôle des comptables, qui 1. 2. 3. 4.

48 A Q 10. Conseil d'Administration, séance du 26 juin 1846. 48 AQ, 10. Conseil d'Administration, séance du 20 août 1847. 48 AQ, 10. Conseil d'Administration, séance du 24 septembre 1847. Lettre du 31 maijl847 déjà citée, adressée au ministre des Travaux publics.

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devaient appliquer les principes rigoureux définis p a r la Commission de Comptabilité, émanation, elle aussi, du Conseil d'Administration. Certains incidents allèrent jusqu'aux injures et voies de fait. A l'intérieur même des services, l'organisation mit quelque temps à se définir. A la Deuxième division le Matériel et la Traction avaient été séparés. En septembre 1847 il fallut imposer la fusion. Ces inévitables tâtonnements aggravèrent l'incompétence de la maind'œuvre. L'atelier de La Chapelle p a r exemple ne satisfit vraiment aux besoins de la réparation q u ' à la fin de 1847 et encore « les méthodes d'entretien n'étaient pas appliquées partout de la même manière » x . Il avait fallu « enrôler à peu près tout ce qui se présentait, quitte à faire un triage après » 2 . O r l'atelier devait fournir des mécaniciens et des chauffeurs. O n en recruta en Angleterre, mais il fallut aligner le salaire des mécaniciens français sur celui des anglais. A la Troisième division la fragilité de l'infrastructure obligea à doubler les équipes d'entretien, la gravité des actes de malveillance à augmenter le personnel de surveillance. A la Première division « il fallait avant tout pourvoir à l'exactitude et à la sûreté d u trafic, sans trop se préoccuper de la dépense » 3 . Il y avait, en 1846, 3 222 employés, sans compter les auxiliaires. T r o p nombreux, inexpérimentés, payés trop cher, tel était le personnel vu p a r le Conseil en 1847. U n e commission désignée pour examiner les mesures à prendre décida qu'il fallait « réunir dans les mêmes mains des travaux divers qui n'ont lieu que successivement et dont l'exécution p a r les mêmes hommes ne fait qu'assurer le bon emploi de leur temps » 4 . A la fin de 1847, un effort de réduction général des effectifs fut imposé aux différents services, mais il fallut attendre les lendemains des journées de juin pour que soient prises les mesures vraiment efficaces. Le problème des effectifs était lié à celui de la durée de la concession : les effectifs pléthoriques ne pouvaient être réduits que par un effort de progrès technique et de rationalisation de la gestion dont la définition n'était concevable que dans le long terme. L'alternative était la suivante : fallait-il en maintenant des tarifs élevés se contenter de prélever une sorte de rente sur les revenus des transports déjà existants, dans le cadre d'une concession limitée à 38 ans? L'affaire n'aurait pas été si mauvaise : avec leurs 18,95 fr par action (y compris les intérêts), les actionnaires touchèrent, en 1847, 8,5 % des capitaux versés. Mais l'on pouvait aussi concevoir une autre méthode : en obtenant de l'Etat une prolongation de la concession, on pouvait envisager une baisse continue des tarifs destinés à accroître le trafic. Cet accroissement rendrait nécessaires des investissements supplémentaires, dont les charges seraient couvertes par un amortissement à long terme. De beaux profits seraient alors libérés, beaucoup plus élevés que dans la première hypothèse.

1. 2. 3. 4.

48 48 48 48

A Q 3570. 33-1. Série générale. AQ. 3662. AQ, 10. Conseil d'Administration, séance du 21 juillet 1847. AQ, 10. Conseil d'Administration, séance du 23 juillet 1847.

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C. Les improvisions financières L a crise financière, qui commença à l'automne 1846, résultait des difficultés techniques que toutes les Compagnies rencontraient pour la construction comme pour l'exploitation des lignes. Le marché des capitaux se restreignit en raison des inquiétudes que ces difficultés firent naître. Dès juillet 1846 les concessionnaires de Fampoux-Hazebrouck se « révélèrent incapables d'achever la tâche entreprise ». Il fallut liquider la Compagnie en octobre car celle du Nord refusa de la racheter. Elle en tira un nouvel argument pour demander la prolongation de sa concession : la non-exécution de Fampoux-Hazebrouck donnait à Amiens-Boulogne le monopole du trafic avec l'Angleterre et de ce fait les « embranchements, réduits au seul trafic local se trouvaient frappés d'annihilation ». Même la Compagnie du Nord éprouvait quelque difficulté à rassembler les fonds souscrits. A la fin de 1846 ses engagements s'élevaient à 27,5 millions de francs (10 millions dus aux fournisseurs et 17,5 à l'Etat à titre de renboursement). Elle ne disposait que de 10 millions. L'Etat accepta de voir retarder le paiement de 5,5 millions et la Maison Rothschild ouvrit un crédit jusqu'au versement suivant. Le projet d'une union financière entre la Compagnie du Nord et celle de Lyon qui aurait permis d'étaler les appels aux actionnaires échoua. En 1847, les actionnaires ne versèrent qu'avec réticence et les retards se multiplièrent 1 . Ils obligèrent la Compagnie à demander l'ajournement des versements qu'elle devait faire à l'Éta en 1848 : le premier fut reporté du 1 e r janvier au 15 avril. Cette mesure permit de verser un dividende aux actionnaires et de différer le quatrième appel, reporté du 20 février au 6 mars. L a révolution de 1848 a seulement aggravé une situation, déjà inquiétante. L a prolongation de la concession fut demandée par lettre du 31 mai 1847 : elle est présentée comme une conséquence nécessaire des dépassements de devis et comme une condition des réductions tarifaires. Au cas où elle ne serait pas accordée, la Compagnie demandait le remboursement de toutes les sommes excédant les prévisions ce qui n'aurait pas été sans danger « dans les circonstances difficiles où se trouvent les finances de l'Etat ».

D. Les imprévisions politiques et sociales Lorsqu'éclata la révolution de Février, le contentieux était déjà lourd : les salaires que les employés exigeaient étaient trop élevés, les prix que les fournisseurs imposaient, grâce à la protection maintenue, étaient jugés inacceptables; le gouvernement, qui déjà refusait toute réduction des tarifs de douane, semblait vouloir imposer des règles tarifaires strictes et refusait tout allongement de la concession, bien que les prévisions et devis qui avaient 1. Il fallut, conformément aux statuts, vendre 5 080 actions, dont les propriétaires n'avaient pas répondu aux appels de fonds supplémentaires.

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servi à fixer sa durée se soient tous révélés erronés. O r une nouvelle cause d'imprévisions apparaissait : les difficultés sociales et politiques. Le travail s'arrêta le 29 février aux Ateliers de La Chapelle. Le Conseil accepta aussitôt le principe d'une allocation aux agents et aux ouvriers, prise sur les bénéfices nets de l'entreprise. Mais, à la suite des décrets gouvernementaux ces mêmes ouvriers demandèrent à ne plus travailler que 9 heures par jour. Un accord fut signé début mars : ils s'engageaient à reprendre le travail « s'en rapportant entièrement à la loyauté et à la paternité de la Compagnie » \ En fait une sorte de grève perlée se poursuivit : les ouvriers « se promenaient autour des travaux » et « des dérangements venaient à chaque instant les distraire » 2 . En mai les ouvriers rappelèrent les promesses du 29 février et demandèrent une augmentation de 1 franc par jour. La Compagnie refusa et la grève éclata le 11 : « des postes... interdisaient le libre accès de la gare de La Chapelle » 3 . Le 19 mai un avis de la Compagnie annonça « la réorganisation de l'Atelier » 4 . Tous les ouvriers furent repris sauf 19 parmi « les principaux provocateurs des troubles » 5. Le travail reprit effectivement le 23 et « fut immédiatement supérieur à ce qu'il avait été depuis le 24 février » 6 . Bien plus : le décret gouvernemental sur le marchandage permit dans les ateliers de substituer le travail aux pièces au travail à la journée. Après les journées de juin, le nombre des ouvriers de La Chapelle fut ramené, en raison uniquement de leur participation à ces journées, de 1 394 à 347 (en septembre). Les activités furent reportées à Amiens et Lille. Mais dès octobre il fallut reprendre l'embauche à Paris. Le mouvement, né dans les Ateliers, ne fut réellement suivi que par les mécaniciens. « La Société fraternelle des mécaniciens français » demanda le renvoi des anglais et des augmentations de salaire. En février et en juin, la Compagnie dut céder à ces demandes. Mais « dès que le calme fut rétabli, elle s'occupa de remédier aux charges et aux inconvénients, qui résultaient pour la Compagnie de sa condescendance forcée ». « Les conditions excessives accordées aux mécaniciens » 7 furent abolies. L'effort de restriction des effectifs qui suivit les journées de juin s'appliqua à toutes les divisions : le nombre des employés fut diminué de 10 % (soit 352 employés). 210 d'entr'eux appartenaient à la Troisième division. Seule la répression avait permis de réduire la surveillance sur les voies. Car la seconde conséquence de la révolution de Février avait été l'aggravation des actes de malveillance commis sur les installations ferroviaires, qui, à vrai dire, depuis le début de l'exploitation n'avaient jamais cessé. Toutes les stations entre L'Isle-Adam et Saint-Denis avaient été saccagées, incendiées ou démolies; 69 voitures ou wagons avaient été pillés, brûlés ou détruits; un pont sur l'Escaut, près de Valenciennes, avait été brûlé et le 4 mars la gare de Lille incendiée. En juin encore « on volait des chevillettes, on volait 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7.

48 A Q 2837. Lettre au procureur de la Seine du 13 mai 1848. 48 AQ.3671. 32-2. Lettre de Koechlin à la Compagnie. Lettre au procureur de la Seine, du 13 mai. 48 AQ, 10. Conseil d'Administration du 15 juin. 48 AQ2837. Lettre du ministre des Travaux publics du 23 mai. 48 AQ, 10. Conseil d'Administration, séance du 22 septembre 1848. 48 A Q 10. Conseil d'Administration, séance du 22 septembre 1848.

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des coins, on décoinçait la voie, on brisait les clôtures, on dégradait les plantations » sur la ligne de Calais 1 . Cette impopularité était largement entretenue par la presse « qui avait un parti pris de malveillance contre la Compagnie du Nord » 2 . Ces dégâts, évalués à 1 100 000 francs, donnèrent à la Compagnie un nouvel argument pour demander la prolongation de la concession. Il fallait d'abord combattre le projet de rachat, dû au ministre des Finances Duclerc, et qui n'était que trop facilement justifié p a r la situation financière des Compagnies. Le 5 mars la Compagnie du Nord, pour ce qui la concerne, n'avait pu régler le versement de 18 millions de francs dû à l'Etat. Le quatrième appel aux actionnaires, ouvert le 22 février, n'avait fourni le 18 mars que 5 262 289 francs au lieu de 27 000 000. Il fut suspendu, au moment où « tous les fournisseurs demandaient des ressources à la Compagnie pour payer leurs ouvriers » 3 . Pourtant le ministère demanda que les versements prévus pour les 15 et 30 avril soient faits. La Compagnie répondit qu'elle devait payer en priorité ses fournisseurs, afin d'éviter une aggravation du chômage, et que les bruits de rachat ne faisaient que confirmer les actionnaires dans leur mauvaise volonté à répondre aux appels. Au demeurant le projet de rachat « violait la sainteté des contrats publics » 4 : les actionnaires devaient être indemnisés à l'aide de coupons de rente 5 % . Les cours servant de base à l'échange devaient être les cours moyens de ces deux titres durant les six mois ayant précédé la révolution de Février. L'action, qui représentait une valeur nominale de 290,70 francs, aurait été convertie au cours de 116 francs. L ' É t a t aurait payé les 400 000 actions 5 012 000 francs, alors que le produit de 1847 s'était élevé à 7 841 313 francs. Le cahier des charges de 1845 prévoyait qu'il ne pourrait avoir lieu avant quinze ans et il devait être calculé selon des modalités toutes différentes. Le journal Le National, celui même dans lequel Duclerc écrivait, tenta de montrer que les difficultés financières de la Compagnie du Nord ne dataient pas de 1848 puisqu'elle n'avait pu payer un dividende aux actionnaires qu'en retardant ses versements à l'Etat. Pour la Compagnie au contraire tous ses malheurs dataient de février. La commission des Finances, dont le président était Gouin, classa la Compagnie d u Nord dans la catégorie de celles qui éprouvaient des difficultés passagères qu'elles étaient susceptibles de surmonter : son découvert, le 6 j u i n était de 9 à 10 millions. La commission considéra, comme la Compagnie, qu'il serait facilement couvert si «le gouvernement accordait une protection efficace à l'entreprise » 5 . Pourtant la commission des Travaux publics opta pour le rachat. L a discussion s'ouvrit le 23 juin et fut interrompue « par la poudre » 8 . Le gouvernement de Cavai-

1. 48 A Q 10. Conseil d'Administration, séance du 15 juin. 2. 48 AQ, 2837. Lettre au ministre des Travaux publics. 3. 48 AQ2837. Lettre au ministre du 18 mars 1848. L'affirmation est rigoureusement exacte. 4. 48 AQ570. Assemblée générale extraordinaire de 1848. 5. 48 AQ.2837. Lettre de la Compagnie du 6 juin 1848. 6 . PEREIRE, op. cit., t . 3, p . 2 6 0 3 .

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gnac retira le projet. Seule la Compagnie de Lyon fut reprise par l'État. Avec celle du Nord le gouvernement signa l'accord du 11 août 1848.

III. LA VICTOIRE DE LA COMPAGNIE A. Les exigences nouvelles la convention du 11 août 1848 et l'échec de la convention de 1850 L'accord du 11 août 1848 régla le problème le plus urgent. « Pour venir en aide aux actionnaires », Goudchaux accepta une prolongation de la période de remboursement en échange d'une augmentation du taux de l'intérêt. Au lieu de se faire par tranches annuelles de 18 millions, il se ferait par tranches de 12 millions pendant deux ans, et ensuite de quatre millions. Les intérêts, à compter du 15 août 1848, étaient portés de 3 à 5 % et capitalisés. L'appel en cours put ainsi être réduit de 75 à 50 francs (soit 35,25 fr en déduisant l'avoir des actionnaires). Il s'agissait de sauver l'avoir de « 25 000 petits porteurs ». Pour mener ce sauvetage à bien il fallait obtenir beaucoup plus : ce sont les « mesures réparatrices » 1 , définies par Mouchy, devant l'Assemblée en octobre 1849 : garantie du capital-obligations, qui éviterait de faire de nouveau appel aux actionnaires, et qui était nécessaire pour achever la mise en état du réseau, concession à quatre-vingt-dix-neuf ans. Il s'inspirait d'un projet de la Compagnie elle-même. Les justifications de ces exigences étaient toujours la non-exécution de Fampoux-Hazebrouck, le dépassement des devis, chiffré maintenant à 37,5 millions, les abaissements de tarif. Dans l'immédiat la Compagnie décida de limiter les appels de fonds aux actionnaires à 400 francs bien que ceux qui furent faits en 1849 et 1850 (25 francs en février, 25 francs en mai-juin, 40 francs en janvier 1850) aient été réglés normalement. L'État avait pour principale préoccupation « la reprise des grands travaux ». En échange de la révision il voulait obtenir « un programme de construction d'embranchements nouveaux ». Le Conseil présenta en décembre 1849 une soumission pour la ligne de Saint-Quentin à la frontière. Dans l'accord du 4 février 1850 elle acceptait en échange d'une prolongation de la concession sur quatre-vingt-dix-neuf ans de rembourser sa dette en un seule fois, de construire cette ligne et de réduire les tarifs « d'objets divers ». Pour permettre ces dépenses, elle devait renoncer à limiter ses actions à 400 francs et faire un emprunt de 40 à 45 millions de francs. L'accord fut soumis au Conseil d'État qui crut bon d'entamer une vaste enquête sur l'usage que la Compagnie faisait de son pouvoir tarifaire. La procédure risquait de se prolonger indéfiniment. Le Conseil d'Administration décida le 30 avril le retrait du traité. Il justifia sa décision par la crise financière qui avait éclaté depuis le 4 février et qui « a rendu inquiétante pour les actionnaires 1. G I R A R D , op. cit., p . 5 2 .

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la prévision d'un versement de 100 francs, qui leur aurait été facile en d'autres circonstances » et par les lenteurs du Conseil d'Etat, qui faisaient planer l'incertitude sur la valeur des titres. Ils étaient passés de 472,50 francs le 1 e r février à 405 francs. Or, les apports des petits porteurs « représentaient et représenteront toujours la plus grande partie de notre fonds social ». D'après James de Rotchschild de nombreux actionnaires avaient écrit pour qu'il n'y ait pas de nouvel appel de 100 francs et pour que « l'on n'achète pas les avantages d'un avenir éloigné par les sacrifices énormes du présent » 1 . « L'on pouvait craindre que, comme en Angleterre, les concessions ferroviaires deviennent mauvaises lorsqu'elles se chargent d'embranchements » 2 . Le 27 mars James de Rothschild considérait que le rejet n'était pas dangereux puisque «les recettes actuelles rapporteraient un intérêt convenable » 3 . C'était choisir le premier terme du dilemme défini plus haut. Le développement des tarifs différentiels se heurtait à une vive opposition, à laquelle le Conseil d'Etat donnait la possibilité de s'exprimer à loisir. Son enquête tournait à la mise en accusation des Compagnies et il apparaissait clairement qu'il voulait leur imposer un contrôle strict de leurs méthodes d'exploitation en donnant à l'Administration un droit de regard plus étendu et surtout en l'obligeant à ne pas spécialiser ni individualiser ses concessions tarifaires.

B. Les données de l'exploitation Les données de l'exploitation pouvaient paraître inquiétantes : dans un premier temps les concurrences semblèrent s'intensifier. Les lenteurs des expéditions dues à la mauvaise organisation du service de l'exploitation permirent le rétablissement de services de terre, sur Amiens-Paris par exemple. En 1850 les Messageries Nationales reconstituèrent leur exploitation par terre et installèrent « des bureaux à la porte même des stations » 4 . En janvier 1851 la Compagnie rompit ses relations avec les deux grandes entreprises de messageries françaises et avec le principal groupeur d'Amiens, Guérin. La création des Bureaux de Ville fut une réponse à cette réapparition des services de terre, mais aussi des services par eau. Les commissionnaires en sucre utilisaient à nouveau le canal, car « la différence de deux ou trois francs, qu'ils payaient de plus par tonneau, n'était pas assez grande pour compenser la perte d'intérêt qui aurait lieu pendant le trajet en bateau » 5 . Les Messageries Nationales et Dehaynin continuaient d'entretenir des services accélérés par voie d'eau. Le chef du service commercial de la Compagnie constatait, en août 1849, que « le transport se faisait peu sur la ligne, tant à cause du prix réduit de la navigation, que parce que le commerce des charbons se trouvait partout installé au bord de l'eau » 6 . 1. 48 AQ.570. Assemblée générale ordinaire de 1850. 2. 48 AQ, 10. Conseil d'Administration, séance du 4 avril 1850. 3. Ibid., 27 mars. 4. 48 AQ.2839. Lettre aux Messageries Nationales du 21 février 1851. 5. PEREIRE, op. cit., t. IV, p. 3584. Déposition de Dehaynin devant la commission du Conseil d'État. 6. Ibid., p. 3530.

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Cette constatation valait pour d'autres produits, tels que le verre. Cependant la concurrence de la voie ferrée avait forcé les bateliers à baisser leurs tarifs jusqu'à un niveau juste rémunérateur et à les maintenir stables. Cette évolution fut favorisée par la fin de la concession du canal de Saint-Quentin en 1849 Les droits de navigation furent réduits de 2 francs par tonne de Paris à Mons. Le fret passa d'une moyenne de 11,06 francs, en 1849, à 9,69 en 1850 et 9,13 en 1851 (cf. graphique 1). La Compagnie se heurtait également à la concurrence de la Compagnie d'Amiens-Boulogne. La non-exécution de Fampoux-Hazebrouck amena celle du Nord à ne pas appliquer l'article 41 bis du cahier des charges, qui, rappelons-le, prévoyait que toute réduction accordée sur Calais-Paris serait applicable dans les mêmes proportions sur Amiens-Paris. Le ministère ayant refusé cette interprétation, la Compagnie appliqua les tarifs du cahier des charges sur la liaison Paris-Calais. La Compagnie d'Amiens-Boulogne lui intenta un procès qu'elle gagna le 7 mai 1851, parce qu'elle avait appliqué des distances tarifaires inférieures aux distances réelles. La meilleure façon de mettre fin à cette concurrence était d'absorber Amiens-Boulogne. Les négociations commençèrent aux lendemains même du procès. Cette ligne ne rapportait que 1,50 % de la valeur du capital. Ses gérants risquaient gros à maintenir la concurrence, tandis que la Compagnie du Nord risquait beaucoup en entamant une procédure de cassation et ne voulait à aucun prix s'engager dans une guerre tarifaire. Au même moment les concurrences par terre disparaissaient. En août les Messageries Nationales, en octobre Dehaynin acceptèrent de démonter leurs services parallèles. Seul se poursuivait le procès entamé par Guérin à propos du groupage. La fin des concurrences par terre fit naître des inquiétudes, qui s'exprimèrent devant le Conseil d'État en 1850 : la Compagnie fut accusée de relever ses tarifs ou de refuser de les abaisser là où elles avaient disparu. En 1850 les traités particuliers, qui venaient à expiration en 1850 furent renouvelés car « la Compagnie se trouvait en présence de la concurrence par eau des messageries » 2 . Mais les autres tarifs ne furent pas réduits et les prix des transports par chemin de fer « restaient trop élevés » 3 . Cette réticence aux réductions avait d'autres causes : de 1847 à 1851 les recettes augmentèrent de 68,3 % passant de 15,6 millions de francs à 26,3. Elles avaient stagné entre 1847 et 1848, s'étaient fortement accrues de 1848 à 1850 ( + 53 %), faiblement accrues de 1850 à 1851 ( + 1 1 %). Cet accroissement était dû en très grande partie à l'ouverture des lignes du littoral (août 1848) et des autres embranchements 4 . Les recettes du trafic « marchandises » s'accrurent plus rapidement que celles du trafic « voyageurs ». Mais, dans l'ensemble, les résultats ne pouvaient être considérés comme brillants : « les embranchements, constatait le Conseil en 1849, n'ont à peu près produit que leurs frais d'exploitation ». En novembre il considérait qu'en tenant compte des chiffres du premier semestre les 1. La concession datait de 1826. 2. 48 AQ, 3789. 26. 1860. 3. 48 AQ.570. Assemblées générales de 1849. 4. Creil-Compiègne fut ouvert en octobre 1847, Compiègne-Noyon en février 1849, Noyon-Chauny en octobre 1849 et Chauny-Saint-Quentin en mai 1850. 5.

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GRAPHIQUE 1

de Mons et Jemmapes à Paris

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actionnaires étaient en droit d'éprouver une « véritable déception »; « sans l'obtention de nouvelles conditions, plus avantageuses que celles de notre concession primitive les produits nets de notre entreprise resteront audessous de ce qu'il était permis à nos actionnaires d'en attendre » 1 . U n an plus tard les résultats étaient jugés « loin d'être en rapport avec la hardiesse des combinaisons financières qu'il avait fallu réaliser » 2. Ces résultats décevants ne s'expliquent pas seulement par la relative lenteur de l'accroissement des recettes. Ils sont dus aussi au dépassement des devis de construction et à la difficulté de réduire les dépenses. Cependant l'impression s'impose que les gérants ont volontairement dépeint la situation sous un jour systématiquement noirci : bien des faits annoncent les beaux dividendes du Second Empire. La dépense pour la ligne principale dépassa de 46 % les prévisions : 111 500 000 f r a n c s 3 au lieu des 76 000 000 prévus 4 . Pourtant à partir de 1849 on avait « ajourné tout ce qui pouvait être retardé » 5 . Le Conseil refusa en 1851 de faire les commandes de matériel qui auraient permis de s'orienter vers le développement du trafic des houilles. Sur les embranchements les dépenses avaient pu être maintenues à un niveau légèrement inférieur aux prévisions 6 . Les prévisions d'amortissement d u capital étaient les suivantes : pour un capital total de 203 millions de francs, les actionnaires avaient donné 160 millions. Les 40 millions supplémentaires dus à l'État devaient être fournis par l'affectation conditionnelle d u fonds d'amortissement et les 3 millions par des retenues annuelles affectées à un fonds de réserve. Jusqu'en 1850 les versements à l'État avaient été assurés p a r ceux des actionnaires. A partir du premier janvier 1851 il fallait faire appel au fonds d'amortissement et aux prélèvements sur les produits de l'exploitation. La dette serait éteinte en 1862, et les 160 millions restant devaient être amortis jusqu'en 1886. Le refus de faire l'appel des derniers 100 francs par action aggravait le « poids des charges ». Elles comprenaient l'amortissement statutaire, celui destiné à couvrir les 40 millions (près de 2,5 millions), les intérêts des fonds dus à l'État (plus de 2 millions), les intérêts des actions (plus de 6 millions). Elles atteignirent 50,6 % des recettes en 1849, 44,7 % en 1850. Le « coefficient d'exploitation » 7 fut en 1848 de 51 % . Après ces excès le mot d'ordre fut l'économie. Elle porta surtout sur les dépenses salariales : le nombre des employés passa de 3 486 à 3 147 de 1848 à 1850. La reprise d'Amiens-Boulogne fut l'occasion de sérieuses compressions dans le personnel de l'ancienne Compagnie. Les salaires des mécaniciens et chauffeurs furent réduits par petits coups successifs en mars 1849, mai 1850, mars 1851, 1. 48 A Q 10. Conseil d'Administration, séance du 30 novembre 1849. 2. 48 AQ, 10. Conseil d'Administration, séance du 15 novembre 1850. 3. Sur la dépense totale 15,6 % étaient consacrés aux achats de terrains, 22,8 % aux terrassements et ouvrages d'art, 41,7 % à l'établissement de la voie, 15,6 % aux gares, 4,3 % aux frais généraux. 4. 48 AQ, 570. Assemblée générale de 1849. 5.

Ibid.

6. 32 700 000 francs pour les embranchements du littoral, au lieu de 36 500 000. 21 700 000 pour Creil-Saint-Quentin, au lieu de 27 000 000. 7. C'est-à-dire le rapport entre la recette et la dépense.

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septembre 1851 x . Ces mesures expliquent pour l'essentiel la baisse des dépenses. Cette constatation était susceptible de justifier un certain pessimisme quant à l'avenir. Cependant certains faits étaient encourageants : les dépenses d'entretien du matériel n'avaient évolué de façon défavorable qu'en raison des mesures de déconcentration des ateliers prises après les journées de juin : au contraire les dépenses d'entretien de la voie et les dépenses d'exploitation connaissaient une évolution plus favorable car ces services étaient « mieux organisés ». Le coefficient d'exploitation fut de 37 % en 1851. Le coût moyen de l'unité kilométrique transportée passa de 3,5 centimes en 1849 à 3,08 en 1851. L'effort d'économie aboutissait à des innovations. Cette évolution n'était que le point de départ d'une longue période favorable qui se prolonge jusqu'aux dernières années de l'Empire. On ne peut dès lors prendre très au sérieux l'affirmation de G. Pereire, en 1850 devant le Conseil d'Etat, selon laquelle la Compagnie du Nord avait atteint la limite inférieure des réductions tarifaires possibles. Au même moment Petiet préconisait une politique de larges réductions, fondée sur la prise en considération des prix de revient partiels. Tout, en fait, était suspendu à la réduction des charges, à la prolongation de la concession, à l'acceptation de la limitation des actions à 400 francs. L'échec de la convention de 1850 avait retardé de deux ans le démarrage de la politique de Petiet. Jusqu'à la conclusion de la convention de 1852 les forces de production latentes que renfermait l'investissement initial avaient été systématiquement contenues. Elles furent miraculeusement libérées entre le 2 décembre 1851 et le 19 février 1852. Le 16 février James de Rothschild annonça au Conseil « qu'il était en rapport avec des Ministres et même avec le Président de la République, à l'effet d'obtenir une prolongation de la concession ». La crise de 1847 a été une crise de l'investissement ferroviaire. La révolution de 1848 s'est faite contre eux et contre leurs exploitants. La prolongation de la crise jusqu'en 1851 est due en partie aux craintes que les Compagnies inspiraient. Car les incertitudes qui furent dénouées par la venue au pouvoir de l'Empereur prolongeaient les hésitations de l'opinion publique, des dirigeants politiques et même des financiers. Les actes de vandalisme commis en février et mars 1848 traduisaient une haine qui se retrouve tout au long des textes et dépositions de l'enquête du Conseil d'Etat de 1850. Les uns et les autres étaient inspirés par ceux que le chemin de fer condamnait à plus ou moins long terme : rouleurs, messagers, hôteliers. Cette haine était d'autant plus forte que chacun comprenait la puissance du nouveau mode de transport. Les entrepreneurs, petits ou grands, redoutaient de devoir subir la loi du grand capitalisme parisien, qui, en contrôlant les voies ferrées s'était « rendu maître de la fortune ou de la ruine de tous ». Les ingénieurs de l'Etat ont souffert de ce qu'ils considéraient comme un démantèlement du patrimoine public et ne l'ont conçu que comme très provisoire. Les banquiers ne se sont engagés qu'avec hésitation et ont bien vite aperçu tous les dangers de l'entreprise. O r les premiers ont voulu profiter des circonstances pour limiter les initiatives des concessionnaires et ont 1. 48 AQ, 10. Conseil d'Administration, séance du 15 novembre 1850.

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ainsi paru vouloir reprendre ce qu'ils avaient accordé tandis que les seconds manifestèrent leur volonté de subordonner toute politique progressive et créatrice à la prolongation de la concession. Cette menace d'un «malthusianisme ferroviaire » était trop contraire aux desseins du nouveau régime pour être acceptée. En fait, en 1851, tous les espoirs étaient permis : malgré les maigres résultats apparents les exploitants savaient — du moins les plus clairvoyants d'entre eux — que l'outil dont on disposait déjà récélait des réserves de production et de profit immenses. La prolongation des concessions, qui en bouleversa complètement l'esprit, découle logiquement des imprévisions que nous avons analysées. Cette durée fut peut-être, comme le pense Raoul Dautry, trop longue. Elle le fut surtout parce que l'Administration ne renonça jamais à son pouvoir de contrôle. Ce qu'elle avait perdu apparemment, elle le reconquit patiemment, peu à peu, et finalement, les grandes Compagnies ressemblèrent bien vite à des administrations d'Etat, dès la fin du Second Empire, selon Louis Girard.

CHAPITRE

II

L E SECOND E M P I R E :

L'INVESTISSEMENT ET SES CONSÉQUENCES

INTRODUCTION

LES « MIRACLES » DU DEUX DÉCEMBRE Jusqu'en 1851 l'exploitation et l'investissement ferroviaires avaient été « prudents ». Dans la perspective d'une concession à court terme, chargée par une dette à rembourser très lourde, d'une technique hésitante et d'un marché restreint par la crise, la Compagnie avait maintenu le niveau des concessions tarifaires en deçà de ce qu'elles auraient pu être en fonction des possibilités de transport qu'offrait le réseau. Le « miracle de l'économie du 2 décembre » est triple : financier, technologique, économique. Les conventions de 1852 et de 1859 libérèrent immédiatement le compte d'exploitation des énormes charges qui pesaient sur lui et permirent de calculer la rentabilité des investissements nouveaux sur une durée beaucoup plus longue : ils pouvaient être considérés non plus comme une augmentation insupportable des charges de capital, qui avaient atteint un niveau maximum aux yeux du Comité dans le cadre d'une concession à court terme, mais comme un moyen de donner aux investissements initiaux le rendement le plus élevé possible. Cet investissement additionnel a une double utilité : les recettes supplémentaires, qu'il procure, assurent sa rémunération propre et participent à la rémunération du capital initial. Ces accroissements étaient d'autant plus facilement acceptés que les ingénieurs s'efforçaient d'augmenter le rendement de ces dépenses en y introduisant une série d'innovations remarquables, qui accroissaient la rentabilité non seulement du capital supplémentaire, mais aussi du capital initial. Le progrès technique s'est introduit dans la comptabilité ferroviaire soit par le canal des dépenses d'entretien et de remplacement, soit par celui des dépenses de capital. Certains progrès, assez rares, ne provoquaient

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aucune dépense supplémentaire de capital, n'étaient qu'une simplification des méthodes. Mais le principal canal de diffusion du progrès technique fut l'investissement, c'est-à-dire la mise en place d'installations utilisant des techniques nouvelles et plus coûteuses que les installations initiales. Il est rare en fait qu'un investissement de remplacement soit exactement identique à l'investissement du même type qui l'a précédé. Il s'y glisse presque toujours une innovation, comme il s'en glisse presque toujours une dans une dépense d'entretien ou de renouvellement. Dès lors la distinction faite par certains auteurs entre l'extension du capital et son approfondisseemnt est, pour cette période au moins, largement artificielle 1 . L'exploitant devait comparer les charges entraînées par ces dépenses d'établissement avec les dépenses provoquées par les errements en cours. Le problème de la substitution de l'éclairage au gaz, à l'éclairage à l'huile par exemple, se réduisait à une soustraction : à Creil le second coûtait en 1863, pour une consommation de 45 000 m 3 , 22 000 francs; les charges de capital d'une usine à gaz produisant cette quantité (coûtant 60 000 francs) et les dépenses d'entretien et d'exploitation coûtaient 13 000 francs. Ce calcul était valable pour toutes les formes d'investissement ou de progrès technique, même pour les lignes nouvelles, qui venaient se substituer à des services de correspondance. Car le progrès technique n'est pas une donnée uniforme. Son influence sur le rendement du capital investi est très variable. Mais cette considération ne pouvait suffire. La substitution de l'investissement à la dépense d'exploitation n'est intéressante qu'à la condition d'être assurée d'un minimum d'utilisation; en-dessous de ce minimum il est préférable de maintenir l'éclairage à l'huile ou des services de correspondance, ou des détours. Tout l'art de l'exploitant consiste à découvrir ce niveau minimum. Le problème est facile lorsque l'on peut, comme dans le cas de l'éclairage au gaz, raisonner sur des données de consommation existantes. Pour certaines lignes de même, le doute n'était pas permis : le transport préexistant à leur construction rendait celles-ci rentables à coup sûr. Dans d'autres cas, comme dans celui de la ligne des houillères, il fallait compter sur des accroissements de trafics ultérieurs. Ils pouvaient contribuer à couvrir les dépenses d'exploitation et de capital non seulement de la nouvelle ligne, mais aussi des lignes déjà construites. Il s'agit alors non plus d'un simple phénomène de substitution, mais d'un phénomène d'accroissement, d'addition. En conclusion les deux données du problème de l'investissement ferroviaire sont : le prix des charges conséquentes, le flux prévisionnel d'utilisation. La première donnée dépend elle-même de plusieurs facteurs : la durée et les conditions de la concession, qui déterminent le niveau de « l'amortissement financier », la situation du marché financier, dont dépend le taux de l'intérêt et de remboursement des titres, mais il dépend aussi du progrès technique, de ce que l'on pourrait appeler le taux d'innovation contenu dans l'investissement. Le flux prévisionnel d'utilisation dépend en grande 1. Michel CHATELUS (Production et structure du capital, éditions Cujas, Paris, 307 p.) a un point de vue qui se rapproche du nôtre, en empruntant une voie toute différente.

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partie des données extérieures à l'entreprise, mais aussi de sa politique tarifaire, qui peut tendre à la croissance du trafic ou non. Or, à la même époque l'accroissement naturel du transport des voyageurs entraînait la Compagnie sur la voie de très larges investissements supplémentaires. De plus les exploitants, en la personne surtout du directeur de l'Exploitation, Jules Petiet, prirent conscience de la nécessité d'attirer sur ses lignes par de larges concessions tarifaires les transports de masse, jusque-là réservés à la voie d'eau pour augmenter la rémunération du capital. Le Comité, malgré ses réticences, accepta en fait assez facilement, jusqu'en 1867, les augmentations de dépenses de capital que lui présentaient les ingénieurs en chef et qui résultaient de cette politique. Enfin, la nécessité de construire des lignes nouvelles s'imposait aussi bien en raison de la pression astreignante de l'opinion publique, que d u besoin d'aller chercher la marchandise sur son lieu de production pour éviter de la voir échapper, ou de rendre sa production impossible. Ces trois facteurs expliquent que durant l'Empire, jusqu'en 1867, la Compagnie eut intérêt à « faire du trafic », même au risque de provoquer un accroissement des dépenses de capital; l'exploitation jouissait d'une large « élasticité » et « faire du trafic » était le meilleur moyen de faire du profit. La situation se modifia dans les dernières années de l'Empire et surtout après la guerre. Dans un premier temps nous étudierons cette « belle époque » de l'Empire : puisque durant cette période l'économie régionale nous semble avoir été entraînée principalement par l'innovation ferroviaire, nous partirons de celle-ci pour aller vers celle-là. Nous examinerons tout d'abord l'investissement ferroviaire : les conditions financières de son développement, c'est-àdire avant tout, les Conventions avec la Compagnie; ses causes, c'est-à-dire la pression du trafic, sa nature, c'est-à-dire le progrès technique et ses conséquences sur l'exploitation. Elles furent telles qu'elles rendirent possible une série de concessions tarifaires, que nous analyserons ensuite en détail, mais telles également que l'accroissement du trafic dû à ces concessions et lié à un développement de l'économie régionale ne pouvait plus être à la fin de l'Empire aussi facilement assuré que dans les années précédentes. Et l'inquiétude de voir les dépenses de capital s'accroître indéfiniment réapparut.

I. LES CONDITIONS DE L'INVESTISSEMENT A. Les conditions financières Autofinancement, actions, obligations La comptabilité ferroviaire est fondée sur la distinction entre les dépenses de capital et les dépenses d'exploitation. Cette distinction claire sur le plan théorique soulève dans la réalité d'innombrables difficultés Sous 1. Elles furent la source de polémiques interminables entre les services financiers de la Compagnie et le contrôle.

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DES BEAUX

DIVIDENDES

l'Empire « le Comité prit pour règle quand il y avait doute, de trancher les questions dans un sens favorable au dégrèvement d u capital » Cette méthode a favorisé une sorte d'autofinancement continu car une dépense d'entretien est presque toujours l'occasion d'introduire quelque nouveauté. Les dépenses d'entretien avaient pour fonction principale d'assurer le maintien en l'état du capital et comprenaient une part importante de dépenses de renouvellement. Il faut avouer cependant que les problèmes posés par l'amortissement industriel n'étaient pas clairement perçus. Les deux conventions de 1852 et de 1859 avaient pour but de favoriser l'investissement, d'attirer les capitaux vers les chemins de fer. Pour y parvenir deux types de mesure étaient possibles : d'une part on chercha à réduire et à fixer d'une façon certaine les revenus de ces placements; d'autre part on utilisa la garantie d'intérêt pour une partie des capitaux. Du premier point de vue, les services financiers firent un constant effort pour fixer « une annuité d'amortissement constamment la même » 2 , afin d'aboutir à « l'égalité parfaite dans la répartition des charges, qui résultent de l'amortissement » 3 . Il fallut faire de nouveaux calculs à chaque augmentation de capital. O r le compte de premier établissement ne put jamais être fermé. La comparaison entre les comptes définitifs de 1850 et ceux de 1851 résume les avantages que la Compagnie tirait des nouvelles conditions de la concession (cf. graphique 2). TABLEAU

2

Comparaison des comptes de 1850 et de 1851 Années

Recettes

Charges

Dépenses

Produit net distribué (millions de F)

1850 1851

22,4 26

— 10,5 -

7,7

+ 8,8 + 9,2

3,1 9,1

La marge bénéficiaire passait de 14 à 34 %. Mais surtout « un bel avenir s'ouvrait », selon l'expression de la commission de comptabilité vers la conquête de « beaux dividendes » 4 . Ce résultat avait été obtenu de deux

1. 48 AQ, 13. Conseil d'Administration, séance du 4 avril 1862. 2. 48 AQ, 2841. Lettre de Delebecque à Casteleyn, administrateur du chemin de fer de Charleroi. 1854. Il s'agit ici de l'amortissement financier au sens strict du terme, c'està-dire du remboursement du capital du fonds social et des emprunts obligataires. 3. 48 AQ, 14. Conseil d'Administration, séance du 10 avril 1863. 4. En prenant pour base les comptes de 1850 et en supposant que la proportion Recettes/ Dépenses + Charges reste fixe, le produit net sur la base d'un accroissement de la recette brute de 4 % se serait élevé à 45,9 millions au bout de dix ans et 67,9 au bout de vingt ans, alors qu'en prenant pour base les comptes de 1851 et en usant des mêmes hypothèses le produit net aurait été de 134,7 millions après dix ans et de 199,4 après vingt ans.

L'INVESTISSEMENT

ET SES CONSÉQUENCES

77

manières : d'une part les modalités de remboursement de la dette à l'État étaient modifiées en faveur de la Compagnie (intérêts de 3 % au lieu de GRAPHIQUE 2

1850

1851

Comptes en 1850 et 1851

5 % , et non capitalisés comme cela avait été jusque-là). U n e charge, qui en 1850 avait représenté 10 % des recettes, n'en constituait plus que le centième Mais surtout « le premier effet de la modification apportée aux 1. La Compagnie paya deux millions en 1850 soit plus de 9 % des recettes; en 1851 : 765 433 francs; en 1854 : 367 000 francs, soit 1 % des recettes.

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LA CONQUÊTE

DES BEAUX

DIVIDENDES

conditions de notre concession, est de réduire notre amortissement de 2 326 300 francs à 168 200 francs » 1 . En effet un capital de 200 millions à intérêt à 4 % remboursable en trente-huit ans devenait du jour au lendemain un capital de 200 millions à intérêt à 4 % reconstituable en quatre-vingtdix-neuf ans. C'est là l'un des « miracles de l'économie du Deux Décembre » selon l'expression de Louis Girard. La convention de 1852 « consacrait définitivement et irrévocablement » 2 la limitation à 400 francs du capital de chaque action. U n tableau pour l'amortissement des actions jusqu'en 1947 fut établi; il était calculé de façon très progressive : en 1908, 40 millions seulement devaient être amortis 3 . Mais jusqu'en 1908 l'amortissement devait servir à reconstituer la somme qui devait être remboursée à l'Etat en 1865; en d'autres termes, la Compagnie devait avoir soldé en 1865 une somme considérable, qui ne devait être réintégrée dans sa caisse que 43 ans plus tard et cela grâce aux facilités de trésorerie. « En conservant, constatait le Comité, à l'amortissement sa puissance et sa fonction régulière, on évitera pendant 56 ans les tirages pour le remboursement des actions, ce qui maintiendra pendant longtemps l'unité des titres ». Ainsi avait-on réduit à fort peu de chose la charge immédiate d'amortissement du fonds social. La convention de 1857 résolut définitivement le problème de la dette envers l'État. Il allait rester, en 1865, 34 millions de francs à amortir sur les quarante payés à l'Etat. Ils furent joints aux 110 millions de dépenses prévus pour la construction des nouvelles lignes concédées. Ces 144 millions devaient être couverts par l'émission de 125 000 actions nouvelles et par des obligations. Libérables à 575 francs et réservées aux anciens actionnaires, ces actions nouvelles furent assimilées progressivement aux actions anciennes. Un tableau d'amortissement, aussi progressif que le précédent fut établi de 1865 à 1950, la concession étant allongée jusqu'à cette d a t e 4 . La convention de 1857 consacrait l'utilisation des obligations pour assurer l'achèvement du réseau. Les premières avaient été créées pour remplacer les actions d'Amiens-Boulogne en 1851. Les obligations représentèrent très vite la plus grande part du capital : 40 % dès 1860, 58 % dès 1870. Jusqu'en 1855, elles furent remboursables en soixante-quinze ans, après cette date durant toute la durée de la concession. Cette méthode se justifiait par le fait qu'une fois le capital réalisé, sa valeur était entièrement conservée jusqu'à la fin de la concession, grâce au mode de répartition des dépenses entre le compte capital et le compte d'exploitation. Mais tous les titres devraient être remboursés à la fin de la concession, de sorte que le nombre d'années sur lequel il était calculé allait toujours en diminuant. Ce facteur d'alourdissement des charges était dès cette époque prévisible. On saisit la principale conséquence du choix fait par la France en matière de chemin

1. 48 A Q 470. Assemblée générale des actionnaires de 1852. 2. 48 AQ_470. Assemblée générale des actionnaires de 1852. 3. Les 160 millions restant devaient l'être jusqu'en 1947, à un rythme très progressif également, les trois dernières années étant très chargées. 4. Jusqu'en 1923 la charge d'intérêt et d'amortissement des actions était de 8 245 000 francs; de 1924 à 1930 elle augmentait jusqu'à 11 millions et atteignit 28 365 000 de 1947 à 1950.

L'INVESTISSEMENT

ET SES CONSÉQUENCES

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de fer : contrairement aux pays libéraux, où il constitue une propriété perpétuelle, et aux pays étatiques, où il est financé par des rentes, son prix doit être entièrement remboursé aux prêteurs pendant la durée de la concession. Cette charge devint de plus en plus lourde. La Compagnie du Nord ne dépendait pas autant qu'une autre des fluctuations du marché obligataire (cf. graphique 56), en raison surtout de l'aisance exceptionnelle de sa trésorerie. « La Compagnie, constatait le Conseil en 1862, aura toujours à sa disposition douze à treize millions sur les bénéfices réalisés et non distribués » 1 . Ces disponibilités « servaient, jusqu'à l'époque de la distribution des dividendes, à faire face aux travaux de construction » 2 . De plus la banque Rothschild fit à plusieurs reprises des avances à la Compagnie afin d'éviter l'appel au marché des capitaux dans une conjoncture mauvaise. Enfin la vente des obligations se faisait par petits paquets « au fur et à mesure des besoins ». La Compagnie dut cependant subir les tendances à long terme des cours. Ses titres furent toujours placés à un niveau nettement supérieur à la moyenne des obligations de chemin de fer. Sous l'Empire, l'argent fut cher : entre 5 et 6 % . Ces taux augmentèrent fortement de 1852 à 1857 3 . Louis Girard a décrit les hésitations des dirigeants du Nord à entrer dans le système de la garantie d'intérêt, mis en place en 1857 par l'Etat, pour assurer le financement des lignes nouvelles concédées 4 . La baisse des cours s'étant accentuée en 1857, le rêve d'une indépendance complète ne put être maintenu. En juin 1858 la Compagnie fit appel au ministère pour demander sa participation aux avantages de la garantie d'intérêt. Il ne s'agissait pas d'une nécessité absolue, mais aussi d'une précaution en prévision des temps de crise ou d'exigences trop grandes de l'Etat, que l'on voulait intéresser à la bonne marche de l'entreprise, afin de lui ôter toute tentation de provoquer des concurrences. Toute l'articulation de la convention de 1857 est fondée sur la distinction entre l'ancien réseau, formé des lignes concédées avant 1857, et le nouveau réseau, formé des lignes concédées alors 5 , afin d'éviter que les revenus du premier, c'est-à-dire les dividendes conquis, ne soient diminués ou menacés de diminution par les déficits du nouveau réseau. En effet jusqu'en 1865 les déficits des lignes du nouveau réseau qui seraient mises en exploitation seraient portés au compte de premier établissement (c'est-à-dire le compte capital) 6 . De plus l'Etat accorda au nouveau réseau une garantie d'intérêt pour son capital, formé uniquement d'obligations, pendant les cinquante années qui suivaient l'année 1865 (c'est-à-dire jusqu'en 1914). Le taux

1. 48 AQ, 14. Conseil d'Administration, séance du 19 décembre 1862. 2. « Il n'est pas bon, constatait la Commission de Comptabilité en 1862, de balancer trop vite les dépenses p a r des ressources permanentes. Il faut surtout se bien garder de le faire quand on a à sa disposition des ressources provisoires à bon marché ». 3. La valeur nominale était de 500 francs. Mais la vente se faisait toujours au-dessous de ce chiffre, de sorte que l'intérêt réel était bien supérieur à 3 % . De 1852 à 1857 les cours diminuèrent, passant de 330 francs à 279 francs, c'est dire que le taux d'intérêt augmenta. 4. Voir la liste de ces lignes dans le paragraphe suivant. 5. Idem. 6. La France devait par la suite abuser de ce procédé.

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DES BEAUX

DIVIDENDES

d'intérêt garanti est de 4 %, soit 4,65 % avec l'amortissement. Mais le cours des obligations avait atteint un niveau tel que la charge réelle était alors de 5,75 %. Pour que ce revenu soit entièrement garanti l'ancien réseau devait dans tous les cas fournir les 1,10 % manquants. Le revenu net de l'ancien réseau avait une série d'affectations prioritaires : d'abord le service de ses propres obligations, puis le règlement de ces 1,10 %, puis le règlement d'un dividende fixe, défini d'après le revenu moyen des dernières années. Ce dividende réservé était, en plus des 4 % d'intérêt, de 50 francs par action. L'excédent de ce revenu réservé t o t a l 1 devait être en priorité « déversé » sur le nouveau réseau pour couvrir éventuellement les charges de son capital non couvertes par son revenu propre 2 . La garantie de l'Etat n'intervenait qu'en cas d'insuffisance de ce « déversoir ». Les versements de l'Etat n'étaient que des avances remboursables avec intérêt à 4 %, dès que le produit net du nouveau réseau dépasserait les charges garanties par l'Etat. En échange de ces avantages, la Compagnie consentait à partager avec l'Etat ses bénéfices par moitié, dès que les revenus du nouveau réseau atteindraient 6 % du capital. Cette clause prit par la suite une grande importance car elle permit de faire reculer la limite du partage de la différence entre les charges réelles des investissements nouveaux sur ce réseau et les charges calculées sur la base de 6 %. Cette convention permit de surmonter la crise du crédit {cf. graphique 56). Une charge de 5,77 % était devenue en 1869 une charge de 4,87 %. Il fut vite évident que les inquiétudes de 1857 étaient injustifiées. En décembre 1860 la Compagnie demanda de pouvoir reprendre sa liberté. En 1861 elle obtint seulement, grâce à un transfert de lignes du nouveau réseau à l'ancien réseau, que le dividende avant partage soit porté de 80 à 83 francs par action, tandis qu'en contrepartie le capital garanti était diminué 3 . En 1864 la Compagnie tenta de nouveau de reprendre sa liberté et une convention fut signée en ce sens, mais le gouvernement retira son projet en 1866 « en raison, selon le Conseil, de l'augmentation qui s'est produite dans les recettes de notre exploitation en 1865 et qui a été considérée comme un acheminement vers le partage des bénéfices entre l'État et la Compagnie » 4 . La Compagnie eut pour politique constante d'éviter le partage, car au lieu du partage l'État lui aurait imposé des sacrifices, tarifaires en particulier, qui pouvaient être dangereux à long terme. Au total tant la politique du gouvernement que l'évolution du marché financier furent des facteurs très favorables à la croissance de l'investissement ferroviaire.

B. Les facteurs de l'investissement En fait l'accroissement du produit sous l'Empire fut rendu possible par l'augmentation de l'investissement, maintenu cependant dans des 1. 2. 3. 4.

37 132 000 francs, soit 38 400 francs par kilomètre. D'où le terme de « déversoir ». De 22 millions : le revenu réservé passa de 28 400 francs à 35 500 francs par kilomètre. 48 AQ, 15. Conseil d'Administration, séance du 17 mars 1866.

L'INVESTISSEMENT

ET SES CONSÉQUENCES

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limites, qui permettaient de dégager de larges plus-values. De 1852 à 1867, pour une augmentation annuelle moyenne des recettes de 8,1 %, les charges n'augmentèrent que de 6,3 % {cf. graphique 57). Le tableau suivant rend compte du niveau des dépenses d'investissement et de leur nature. Il indique les moyennes annuelles de dépenses en francs {cf. graphique 58) :

TABLEAU

Dépenses totales

Années

Construction Sommes

3 Travaux complémentaires

0/ /o du total

Sommes

du % total

Matériel roulant Sommes

du % total

24,1

...

2 6 167 2 6 2

13 8 8 4 4 2 6

53,0

5 992 780

22,9

6 290 056

1852-1853 . . .

8 167 5 0 0

2 414 000

29,5

1 649 000

20,1

4 104 5 0 0

50,4

1854-1857 . . .

32 6 4 5 5 1 0

13 9 6 1 3 4 1

42,7

9 513 595

29,1

9 170 5 7 4

28,2

1858-1864...

22 969 900

13 9 0 5 3 9 1

60,5

5 099 593

22,2

3 964 916

17,4

1865-1867

36 999 285

21 379 907

57,7

6 287 652

17,0

9 331 726

25,3

1852-1867

...

L'investissement tout entier fut entraîné par la croissance du trafic, due elle-même autant aux ouvertures de lignes nouvelles qu'au développement du trafic sur les lignes anciennes. Au total la croissance annuelle moyenne des unités kilométriques fut de 1850 à 1866 de 8,6 %, de 7,50 % de 1850 à 1872 et un peu plus de la moitié de la dépense d'investissement est due à la construction des lignes nouvelles. Nous examinerons successivement les trois chapitres de ces dépenses. a. Les lignes nouvelles Le Comité estimait que les lignes concédées en 1852 (Saint-QuentinErquelines, Noyelles-Saint-Valéry, Le Cateau-Cambrai) seraient rémunérées par le seul trafic local au taux de 5 %. De plus elles permettaient la constitution d'un véritable réseau, exempt de toute menace grave de concurrence. Enfin Saint-Quentin-Erquelines devait permettre de décharger la ligne principale déjà encombrée et dont les pentes étaient un peu trop fortes pour les trains lourds de charbon, que Jules Petiet envisageait de former, et la ligne transversale devait permettre d'éviter les détours coûteux. En juillet 1853, malgré les propositions faites par les Compagnies du Nord et de l'Est réunies, le ministre Magne concéda la ligne des Ardennes et Beauvais-Creil à la Compagnie du Nord-Est issue du Crédit Mobilier. Mais, dans le cadre des conventions de 1857, Rouher imposa la fusion de cette Société avec l'Est et l'échange de Creil-Beauvais, qui fut donnée au Nord, contre Laon-Reims 2 . Au même moment, le 13 août 1853, la 1. Cf. le graphique 13 et le chapitre intitulé « Les résultats : le trafic » . 2. Cf. à ce propos GIRARD, op. cit., p. 89.

2 565053 6

6

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DES BEAUX

DIVIDENDES

Compagnie obtint Saint-Denis - Creil, qu'elle avait déjà demandée en 1845. Cette concession répondait à une exigence d'exploitation, le dégorgement des voies vers Paris, mais elle offrait aussi un trafic local important, comparable à celui de Paris-Pontoise. En même temps la Compagnie constituait son réseau belge : en 1853 elle reprit l'exploitation de Charleroi-Erquelines. Concédée à une Société anglaise, qui se trouvait en mauvaise posture, elle fut prise en location La Compagnie mettait ainsi son réseau « en contact immédiat avec les charbonnages » 2 , par l'intermédiaire d'Erquelines-Saint-Quentin. En 1854 la ligne Namur-Liège, ouverte en 1852, subit le même sort. Mais le gouvernement belge refusa de lui laisser le contrôle de Namur-Charleroi, ainsi que de Mons-Manage, condamnant ainsi la Compagnie à laisser son réseau belge inachevé. Elle dut se contenter de compléter les prolongements de ses lignes françaises vers les charbonnages de Mons. La ligne de Hautmont à Mons, où la voie ferrée « allait chercher la houille jusqu'aux forces d'où on les extrait » 3, fut concédée en 1854 à une Société, dont les principaux actionnaires étaient James de Rothschild et la Société Générale. La Compagnie du Nord la reprit aussitôt à bail. En même temps elle construisit Givet-Namur, comme le prévoyait le cahier des charges de la Compagnie Namur-Liège. « Il importait en effet de ne pas laisser passer cette ligne en d'autres mains » constata le Conseil 4 . Ainsi ce réseau belge donnait à la Compagnie le contrôle des importations de houilles belges en France et de presque tout la transit belge francoallemand. Les premières années furent difficiles. Mais en 1860 le Conseil admettait que ces lignes « avaient été créées comme auxiliaire du réseau pour en augmenter le produit, plutôt que comme avantageuses par ellesmêmes » 5 . Celles concédées en France après 1853 étaient toutes suceptibles de fournir de beaux profits, soit parce qu'elles avaient un trafic local important, soit parce qu'elles allaient chercher le trafic à sa source, soit parce qu'elles soulageaient le trafic des lignes antérieurement construites. C'est ainsi que la ligne des houillères devait desservir le gisement du Pas-de-Calais, la ligne de Boulogne-Calais l'usine de Marquise. Paris-Soissons et ChantillySenlis complétaient le réseau des lignes desservant la région parisienne. Les transversales (Amiens-Rouen et surtout la ligne reliant celle de SaintQuentin-Erquelines à Soissons-Frontière) achevaient de donner au réseau sa cohérence et l'ouvraient vers ses voisins de l'Est et de l'Ouest. Ainsi la construction de lignes nouvelles fut facilement acceptée jusqu'en 1867 car il s'agissait de constituer un réseau assurant à la Compagnie le triple monopole de la desserte de Paris en produits du Nord, du trafic franco-belge et du transit de l'Allemagne du Nord. Ces lignes desservaient des régions actives et ajoutaient aux axes existants un nouvel élément 1. dont 2. 3. 4. 5.

La location fut préférée à la vente car elle évitait la discussion au parlement belge, l'issue était douteuse et qui risquait de soulever bien des polémiques. 48 AQ570. Assemblée générale extraordinaire de 1858. 48 A Q 11. Conseil d'Administration, séance du 14 juin 1853. 48 AQ, 12. Conseil d'Administration, séance du 22 janvier 1858. 48 AQ, 13. Conseil d'Administration, séance du 11 avril 1860.

L'INVESTISSEMENT

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ET SES CONSÉQUENCES

de rentabilité. Il s'agissait d'investissements additionnels qui devaient participer à la rémunération du capital initialement dépensé. Son importance même rendait souhaitable la recherche d'investissements nouveaux; d'autant plus que le système de la convention et l'appel aux obligations permettaient de réserver aux premiers investisseurs les plus-values résultant de l'exploitation de ces nouvelles lignes, en d'autres termes les profits tirés de ces investissements additionnels. Dès 1861 le Conseil constatait que « sauf quelques raccordements sans aucune importance... il ne restera plus de places pour de nouvelles lignes dans toute la partie de l'Empire que nous desservons » 1 . Les résultats décevants des lignes concédées en 1857 ne purent que le confirmer dans sa « circonspection », selon sa propre expression en 1869, au moment où « se déchaînaient les appétits » régionaux 2. O r le gouvernement concéda en 1864 à d'autres compagnies une ligne Lille-Valenciennes et une ligne Arras» Etaples 3 , et en 1865 la loi sur les chemins de fer d'intérêt local fut votée. Pourtant, en acceptant en 1869 d'entrer dans l'engrenage des conventions pour sauver son crédit, la Compagnie avait fourni à l'Etat des moyens de pression astreignants, mais aussi réussi à l'intéresser à ce qu'aucune atteinte grave ne soit portée à ses recettes. O r une autre raison rendait impossible la fixation à un chiffre définitif des charges de capital, c'est la croissance indéfinie des dépenses sur les lignes déjà construites, celles pour le matériel d'une part, celles pour les « travaux complémentaires » d'autre part. b. Les commandes de matériel roulant Les dépenses de matériel (cf. graphique 58) dépendaient plus étroitement que les autres de la croissance d u trafic. De 1852 à 1857, le nombre des locomotives doubla, celui des unités de matériel roulant augmenta de 175 % 4 . Ces commandes furent toutes provoquées par la gêne qu'éprouvaient les services de l'exploitation pour assurer le trafic. Car il fallait pour que le Conseil accepte d'engager des dépenses que le directeur de l'Exploitation, Jules Petiet, prouve leur nécessité par les difficultés que ses services rencontraient. C'est ainsi qu'en 1852-1853, les commandes faites (66 locomotives au lieu de 100 demandées) « étaient loin de représenter ce qui lui paraissait nécessaire d'avoir dans les trois ou quatre ans » 6 . De 1849 à 1854 le nombre des machines « voyageurs » avait augmenté de 25 % , celui des « marchandises » de 15 %, alors que les parcours s'étaient accrus de 55 % et de 160 % . L'entretien ne pouvait plus être assuré comme il convenait pour la sécurité et la bonne conservation du matériel. Alors que les transports de houille « ne faisaient que commencer » 6 , Petiet commanda en 1854 et 1855 plus de 300 wagons de houille et 106 locomotives car « en 1. 48 AQ, 570. Assemblée générale de 1861. 2. L'expression est de Louis Girard. 3. La première fut concédée le 16 juillet 1864 à Estevez, Hamoir et Viette, la seconde le 5 novembre avec subvention du département du Pas-de-Calais. 4. Le nombre des locomotives passa de 199 à 405, celui des unités MR de 3 207 à 8 830. 5. 48 AQ. 3697. 32-2. 6. 48 AQ.3714. 32 - 2. Rapport de Petiet en décembre. 6.

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DIVIDENDES

1855, constatait un rapport de 1856, on se trouvait en présence d'un accroissement considérable du trafic et d'importantes concessions faites... il y avait donc à se mettre en garde contre les chances de voir le matériel devenir insuffisant » 1 . Mais la Commission de Comptabilité s'inquiéta, tout en se « défendant de vouloir pousser un cri d'alarme » : elle « demanda que le Conseil soit mis à même de pourvoir en temps opportun aux voies et moyens nécessaires, de façon à mettre la Société à l'abri des éventualités de l'avenir » 2 . Au total, l'investissement pour le matériel roulant atteignit alors un niveau qu'il ne devait retrouver que dix ans plus tard {cf. graphique 58) : il représenta 50,4 % de l'investissement total en 1852-1853, 28,2 % en 1854-1857. La moyenne annuelle de cette dépense de 1853 à 1856 fut de 7 250 000 francs. Petiet, pour tenir compte des observations de la Commission, dut rester « deux années sans faire faire de matériel » 3 . En novembre 1857 il tenta d'obtenir de nouvelles commandes en s'appuyant sur « une règle qui permît en tout temps de composer l'effectif de chaque catégorie de voiture et de wagons en raison de leur emploi » 4 . Cette tentative de rationalisation de l'exploitation du matériel se heurta à l'indifférence du Conseil, qui ne se laissa convaincre en 1858 que par la « gêne évidente dans laquelle nous nous trouvons » 5 . Mais un fait nouveau, et grave, fut invoqué : « les embranchements, indique Petiet, en disséminant le matériel, exigent plus de wagons pour faire le même transport » 6 ; de plus l'irrégularité saisonnière du trafic entraînait une sous-utilisation des wagons, en particulier ceux de houille, qui ne faisaient que 12 500 km par an, dont la moitié à vide. Enfin le bon emploi du matériel se heurtait à l'irrégularité conjoncturelle du trafic, qui obligeait à disposer d'un matériel « en plus grande quantité que les besoins » 7 . Au total furent commandées de 1858 à janvier 1862, 80 machines qui furent exécutées de 1859 à 1864. De 1857 à 1863 l'effectif de wagons fut augmenté de 34,8 % (3 842 unités), celui des voitures de 34,8 % (396 unités). L'augmentation des parcours de 1856 à 1862 avait été de 29,2 % pour les wagons, de 35, 3 pour les voitures : l'utilisation des premiers était donc de moins en moins satisfaisante. Pourtant la croissance des unités kilométriques avait été de 44,3 % pour les marchandises et de 27,7 % pour les voyageurs : ces chiffres étaient plus favorables pour les premiers que pour les seconds. En 1864, des commandes furent faites, en prévision des ouvertures prochaines, qui furent limitées au strict nécessaire. Mais en janvier 1865 la Compagnie « était à la limite extrême de ses moyens » 8 , et « la troisième division ne pouvait plus répondre aux besoins de l'exploitation », pour les locomotives. Or Petiet considérait que de tels besoins correspondaient au «développement normal du trafic » 9 . Seule la crise de 1884-1887 compromit 1. 48 A Q 3737, 32-2. 2. 48 AQ3709. 19. Lettre de Saint-Didier, au nom de la Commission de Comptabilité à James de Rothschild, du 15 novembre. 3. 48 AQ, 3752. 32-2. 4. Ibid. 5. 48 AQ. 3767. 32-2. 6. 48 AQ3767. 32-2. 7. 48 A Q 3805. 32-2. 8. 48 AQ, 3857. 32-2. 9. Ibid.

L'INVESTISSEMENT

ET SES CONSÉQUENCES

85

cet optimisme. Les commandes des années 1864-1865 n'avaient comme seul précédent que celles des années 1854-1855 : 204 locomotives, soit u n accroissement de 38,4 % , 362 voitures (23,6 %) et surtout 4 568 wagons ( + 39 %). Le Comité refusa d'accorder en 1867 les commandes demandées par Petiet ( 1 640 wagons) car il ne « prouvait pas la nécessité absolue de cette commande ». Il dut pourtant en demander plus encore en 1870 (2 840 wagons et 50 locomotives), mais « ses demandes successives de matériel avaient fait éprouver au Conseil une mauvaise impression » 1 . Depuis 1858 le nombre des wagons avait augmenté de 86 % et les parcours de 70 %, car, en raison des embranchements « les pertes de temps » se multipliaient aux points de bifurcation, où les trains doivent être composés et décomposés 2 . Ainsi à la fin de l'Empire, tandis que le Comité cherchait à mettre un frein aux commandes de matériel, les ingénieurs reconnaissaient leur impuissance à proportionner leur accroissement à celui du trafic. Le parcours moyen d ' u n train était passé de 161 km en 1853 à 113 en 1869, tandis que le réseau s'allongeait. En 1872 la plus grave « crise de transport », que le réseau ait jamais connue, éclata. De 1851 à 1867 la valeur d u matériel avait triplé, passant de 32 à 97 millions. Le rapport existant entre la valeur de ce capital et la recette réalisée diminua passant de 1 336 francs pour 1 000 francs en 1848-1852 à 1 049 francs en 1863-1867. O n voit que les inquiétudes du Comité étaient, dans ce domaine, assez justifiées. c. Les travaux complémentaires dans les gares et sur la voie Cette inquiétude était plus justifiée pour les travaux complémentaires, c'est-à-dire ceux rendus nécessaires par l'accroissement d u trafic sur les lignes déjà construites (cf. graphique 58). De 1852 à 1868 il fallut commander pour le seul réseau français 16 000 tonnes de rail par an en moyenne, 19 000 en y comprenant le réseau belge. Le renouvellement représente près de la moitié ce des commandes. Le même phénomène se produisit pour l'appareillage de la voie 3 . Pourtant, de 1854 à 1858, on avait procédé à une refonte complète de la voie, remplacé les rails de 30 kg « qu'écrasaient les lourds convois du Nord » 4 , et le Conseil imposait des restrictions de crédit très sévères pour l'entretien, bien que « l'augmentation toujours croissante du trafic accélère la détérioration des rails » 5 . A la fin de l'Empire sur ParisCreil le remplacement avait lieu tous les cinq ans. Le budget de ces dépenses de voie était réparti entre les dépenses d'entretien, prises en charge par le compte d'exploitation, et les dépenses de « T r a vaux complémentaires », financées par le marché des capitaux. Ce compte capital prenait en charge tout ce qui venait en supplément de la valeur du capital initial. Ces « Travaux complémentaires » comprenaient par 1. 48 A Q 3857. 32-2. 2. 48 AQ, 3932. 32-2. 3. Jusqu'en 1860 on commandait 100 plaques tournantes par an, 150 après. 4. F 14 9234. Délibérations du Comité consultatif des chemins de fer, séance du 20 mars 1854. 5. 48 AQ, 3832. 33-4.

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ailleurs tous les travaux et agrandissements de gares 1 . Ils représentèrent 23 % des dépenses de capital faites de 1852 à 1867. La convention de 1852 permit aux ingénieurs de raisonner dans le long terme, de concevoir les travaux de façon plus durable. D'après les ingénieurs du contrôle il se serait agi à cette époque « plutôt du parachèvement de travaux intentionnellement omis, que d'agrandissements nécessités par l'accroissement du trafic >>2. En effet, bien des gares à l'allure de « baraques » 3 furent dans les années 1850 remplacées par des installations définitives. Pourtant l'essentiel des dépenses est bien dû à la croissance du trafic. L'investissement, ici aussi, a suivi les besoins que les difficultés d'exploitation révélaient, car « il fallut du temps pour reconnaître que les Compagnies auront toujours de nouvelles dépenses d'établissement » 4 et peu de travaux furent conçus d'une manière prévisionnelle. Les travaux étaient entrepris en fonction des « encombrements », qui se produisirent très tôt : dès 1854 dans toutes les gares, qu'il s'agisse des gares expéditrices de betteraves, de petites gares industrielles ou de grands centres urbains. Ces dernières gares étaient plus difficiles à étendre : Lille était gênée par les remparts : en 1860 elle ne pouvait décharger que les deux tiers des wagons qu'elle recevait journellement. Les chefs de gare s'avouaient périodiquement « débordés » 5 . A Paris en 1854 le désordre fut indescriptible : tous les services « étouffaient » 6 . Rien de sérieux ne fut entrepris et en 1865 il fallut « consigner chaque jour hors de la gare pendant plus de trois semaines 1 000 wagons chargés » 7 . Ces deux périodes de dfficultés accentuées (1854-1855 et 1865) annoncent les crises générales et périodiques de transport que le réseau français connut jusqu'en 1914. Dans les années 1850, les gares voyageurs étaient pour la plupart indigentes : à Enghien en 1857 les dames « ne pouvaient pas s'asseoir », partout les voyageurs fortunés se plaignaient de la promiscuité que l'exiguïté de bâtiments leur imposait de subir avec les membres des classes inférieures, à Esquelbecq en 1861 dans une salle de 5 X 3 mètres étaient « entassés les voyageurs, les bureaux, les deux employés, leurs registres, la balance, le poêle, et le télégraphe électrique » 8 . A Arras il n'y avait pas de hangar en 1854 et le préfet de la Somme, un soir de l'hiver 1855, dut rejoindre la préfecture en compagnie de cages de volailles, qui se renversèrent sur lui. Les préfets, les Chambres de Commerce, les organisations professionnelles commencèrent leurs interminables lamentations. On ne peut se contenter d'y voir de simples exagérations polémiques : la timidité de l'investissement ferroviaire a gêné les initiatives des industriels et des commerçants, a entraîné des « préjudices journaliers » 9 . Mais l'inconvénient le plus grave de ces encombrements était qu'ils obligeaient à mobiliser des moyens d'exploita1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9.

Les dossiers des moindres travaux sont conservés pour chaque gare in 48 AQ, 33-5. 48 AQ4146. 19-1. « Note sur les travaux complémentaires de 1857 à 1862 ». 48 AQ, 3739. 33-5. 5.1856. Gares d'Amiens-Boulogne. 48 AQ. 4146. 48 A Q 3894. 33-5. Chef de gare de Beauvais en 1867. 48 AQ3726. 33-5. 48 A Q 3859. 33-5. 48 A Q 3807. 33-5. 48 A Q 3808. 33-5. Lettre du maire de Lille en 1861.

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ET SES CONSÉQUENCES

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tion coûteux : l'insuffisance de l'investissement avait, nous le verrons en détail plus loin, des conséquences néfastes sur l'évolution des dépenses de l'exploitation. Au total, cette partie de l'investissement resta en deçà des besoins. Après avoir atteint des chiffres très élevés (9,5 millions en 1854-1857) en raison de l'inachèvement des premières installations, il se réduisit à 5 millions en 18581864, à 6 millions en 1865-1867, ne représentant alors que 17 % de l'investissement total. Les ingénieurs achetaient du matériel sans mettre en place les installations qui seules auraient rendu possible sa bonne utilisation. Cette politique eut de grave conséquences en 1870 et dans les années qui suivirent la guerre En 1870, il suffit que l'Administration cesse d'enlever les marchandises de la gare pendant 48 heures pour que La Chapelle soit paralysée : le 31 août, elle ne pouvait plus rien recevoir et les trains se garaient en dehors des fortifications tandis que la ligne de Soissons était bloquée par l'évacuation du camp de Châlons. La situation fut aggravée par la réduction de 50 % sur le tarif des céréales, les départs des Parisiens vers la banlieue et des banlieusards, qui venaient dans Paris avec leur mobilier, les trains spéciaux d'Allemands expulsés de Paris 2 . L'efficacité pratique et le rendement financier de ces investissements furent élevés sous l'Empire. Quelques chiffres simples le démontrent. En 1852, la dépense d'établissement par kilomètre était de 33 640 francs pour un trafic de 515 726 U K ; en 1867, elle était de 45 958 pour un trafic de 1 192 757. L'intensité du trafic moyen avait augmenté de 131 % pour une dépense moyenne augmentée de 36,60 %. La recette kilométrique avait augmenté de 104,1 %. Si au total le coût en capital des unités kilométriques supplémentaires (0,360 fr environ de 1851 à 1867) peut paraître légèrement supérieur à ce qu'il fut dans la période suivante (0,335 fr de 1867 à 1883), c'est que les dépenses de construction, c'est-à-dire d'infrastructure, en représentent la plus forte part. Il faut tenir compte en fait seulement des dépenses en travaux complémentaires et matériel roulant : la comparaison est alors au profit de l'Empire : pour une U K supplémentaire, il a fallu de 1851 à 1867, investir 0,175 fr; de 1867 à 1883 : 0,205 fr. Cette réduction du rendement du capital additionnel préoccupa très tôt le Comité, il eut deux réactions : il freina, nous le verrons, la politique d'abaissement tarifaire, il accentua la pression qu'il exerçait sur les ingénieurs pour les forcer à trouver des économies de capital et de dépenses d'exploitation. Les ingénieurs furent, comme l'écrivait le Réveil de la Voie Ferrée en 1897, à propos de Bricogne, des « coupeurs de liards en quatre ». Mais, il y a plusieurs façons de le faire : l'une est coûteuse, elle consiste à préférer les expédients aux solutions définitives, l'autre est rentable : elle consiste à préférer celles-ci aux solutions provisoires, à adopter les innovations, même si elles sont immédiatement coûteuses, à payer les fournisseurs le moins cher possible, soit en commandant au bon moment, soit en utilisant tous les moyens de pression dont on dispose pour les forcer à baisser leurs prix. 1. Cf. infra, p. 170. 2. L'insuffisance des installations ne fut pas la cause principale des désordres qui se produisirent. Il sont dus à la mauvaise organisation du commandement, à la trop grande dispersion des décisions.

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II. LA NATURE DE L'INVESTISSEMENT L'efficacité et la rentabilité de l'investissement dépendent non seulement de son volume, plus ou moins bien adapté aux besoins, mais aussi de sa nature. Il convient d'abord de s'interroger sur la structure du capital, puis nous examinerons quels furent ses rythmes à court terme, comment furent passés les marchés. Quant à l'analyse de son efficacité, nous la ferons en examinant l'évolution des dépenses d'exploitation, puisqu'aussi bien le but principal de l'innovation est de les réduire.

A. La structure du capital Nous pouvons préciser 1 , assez grossièrement il est vrai, quelle fut la répartition des dépenses d'établissement de la Compagnie du Nord. Pour se faire une idée exacte de cette répartition, il faut d'ailleurs éliminer les chiffres des dépenses des lignes en construction lors de l'année considérée, car elles ne sont pas encore ventilées par chapitres, dans les statistiques du ministère. Le tableau 4 précise d'une part la répartition des dépenses depuis l'origine, d'autre part la répartition des dépenses faites entre le premier janvier 1854 et le 31 décembre 1867.

TABLEAU

Répartition

4

des dépenses de premier

Frais généraux et intérêts pendant la construction Terrains Terrassements Ouvrages d'art Bâtiments Voie et accessoires de la voie Matériel roulant et outillage (équipement)

établissement

1846-1867

1854-1867

(%)

(%)

6,4 11,2 11,2 ) 7,3 31,4 12,9 ) 30,5 20,5

8,6 9,4 33,7 25,8 22,5

Les pourcentages ne se sont pas sensiblement modifiés. L'accroissement des frais généraux est dû surtout à la prise en compte des déficits des lignes 1. F 14. 8. 541 A et F 14 8.541 B.

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ET SES CONSÉQUENCES

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non achevées durant les premières années de leur exploitation. La diminution des terrains est due au fait que l'on a construit dans des zones moins urbanisées. La hausse des terrassements et des ouvrages d'art par rapport aux dépenses de voie est due au fait que l'on construit dans des zones plus difficiles du point de vue de leur configuration. Le fait le plus intéressant est le développement de l'importance des équipements, malgré celui des terrassements et ouvrages d'art. C'est l'une des raisons essentielles de l'accroissement de la rentabilité du capital, non seulement supplémentaire mais global. Ce fait rend compte de la forte élasticité dont jouissait le capital initial : pour assurer le trafic supplémentaire il était surtout nécessaire de développer les équipements, les installations disposant d'une forte réserve de capacité 1 . Pour tenter d'évaluer l'importance qu'a eue l'investissement ferroviaire pour les différents secteurs économiques, il faut ventiler les dépenses de voie. La Compagnie du Nord ne fournit pas les détails. D'après les comptes de celle de l'Est on aboutit aux résultats suivants :

TABLEAU

5

Répartition des dépenses de voie Pourcentages du total des dépenses « voie »

Supports, traverses, coins (bois) Rails, coussinets, changements de voie, plaques tournantes (métallurgie et grosse mécanique). . Clôtures, signaux, passages à niveau Pose (main-d'œuvre)

Pourcentages du total général des dépenses

14

3,6

53 23 10

13,7 5,9 2,6

Au total les industries du bâtiment et des travaux publics ont absorbé environ 34 % de l'investissement ferroviaire, les industries métallurgiques et mécaniques 26,2 %, les industries diverses 9,5 %, soit un total de 69,7 % de biens physiques. Le reste se répartit entre l'achat de terrains et les indemnités afférentes à ces acquisitions (9,4 %), la main-d'œuvre payée directement par la Compagnie, qui comprend non seulement la main-d'œuvre de pose de la voie, mais aussi celle de l'administration centrale, les frais d'études et les intérêts pendant la construction.

1. Nous avons déjà noté (p. 83 et 87) la haute rentabilité de ces dépenses. Nous reviendrons sur ce point.

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B. Les rythmes de la construction La mise en chantier des lignes concédées en 1852 fut rapide, car la Compagnie voulait devancer « la hausse des matériaux » Pour achever SaintQuentin-Erquelines, elle demanda de pouvoir importer des rails anglais et prit l'engagement en échange de terminer la ligne plus tôt que prévu, en mai 1855. Pour hâter les travaux, elle «doubla le nombre de ses ouvriers, au moyen d'accroissements insolites dans les salaires » 2. La ligne fut terminée en octobre. Il avait donc fallu trois ans et demi pour achever cette ligne de 87 km, il fallut cinq ans pour Tergnier-Laon, qui en avait 40, quatre ans pour Busigny-Somain qui en avait 49. Les ingénieurs invoquèrent la rigueur de l'hiver 1854, les lenteurs administratives, mais la raison principale fut la situation du marché financier qui, comme en 1847, accompagnait la pénurie des matériaux 3. La construction des lignes concédées en 1857 fut ralentie par de nombreuse difficultés de tracé. Ces discussions firent perdre un an et demi. Les exigences de plus en plus élevées des propriétaires de terrains obligèrent presque toujours à recourir à la procédure du jury, d'où de nouveaux allongements de délais. La météorologie fut contraire aux travaux en 1859 et 1860. Enfin en avril 1859 le gouvernement força la Compagnie à diminuer ses dépenses de 40,9 millions de francs à 29 millions en raison des événements politiques. La ligne des Houillères et Paris-Soissons furent pourtant pressées au maximum. Les autres lignes furent menées beaucoup plus lentement. Le rythme des travaux y dépendait en partie de l'achèvement d'importants ouvrages 4 . Ainsi la situation du marché financier et l'engorgement du marché des fournitures expliquent le ralentissement de 1856; la guerre a exagéré en 1859 un recul dû surtout à l'impossibilité d'ouvrir les chantiers aussitôt après avoir obtenu la concession; le peu de hâte de la Compagnie à mettre en chantier des lignes dont le rapport était incertain, alors que le marché des Travaux publics était de nouveau engorgé, a joué un rôle. Les Compagnies, indique Louis Girard, « obéissent dans l'exécution de leur programme au double souci de ne pas abuser du crédit et de ne pas provoquer un renchérissement des travaux par l'accélération de leur cadence » 6. Cependant, une fois qu'un chantier est ouvert, il faut le fermer le plus tôt possible, ce qui explique l'allure hachée de la courbe des dépenses de construction.

1. 4« AQ, 11. 2. 48 AQ, 12. Conseil d'Administration, séance du 25 janvier 1856. 3 . Cf. GIRARD, op. cit., p . 142-146.

4. Citons le souterrain de Somery et le viaduc de Poix sur Amiens-Rouen, le souterrain de Vierzy sur Paris-Soissons, le viaduc de Vauxaillon sur Soissons-Laon, celui de Wimereux sur Boulogne-Calais. 5. GIRARD, op. cit., p .

142-146.

L'INVESTISSEMENT

ET SES

CONSÉQUENCES

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C. Analyse globale des marchés La « volonté de ne pas provoquer un renchérissement des travaux par l'accélération de leurs cadences » a joué un rôle pour l'ensemble des fournitures. La négociation des marchés retenait plus encore l'attention des ingénieurs que les problèmes purement techniques. La doctrine du conseil était simple : le marché idéal était celui sur lequel jouait la concurrence. Elle seule pouvait, grâce à l'émulation, faire hausser les prix et améliorer la qualité des fournitures. Il fallait éviter la constitution de monopoles, en soumettant le marché français aux pressions extérieures, en menaçant les fournisseurs de construire dans les ateliers, en maintenant sur le marché le plus grand nombre de fournisseurs possible. En 1854, comme en 1846, les Compagnies de chemin de fer mirent la métallurgie française en accusation pour obtenir l'introduction de rails étrangers avec des droits réduits. Elles obtinrent cette fois satisfaction. L'enjeu était pour le gouvernement l'achèvement des lignes. Après que Pereire eut percé « la barrière douanière » 1 , en novembre 1854 en menaçant d'arrêter les travaux du Midi, le Nord obtint l'introduction de 8 000 T la même année, puis de 20 000 en mai 1855 et 12 000 T en 1856. Il ne s'agissait plus de compenser « les retards apportés aux livraisons », mais de « freiner la hausse des prix en France » 2. Le Nord invoqua non seulement « l'intérêt national » qu'il y avait à terminer les lignes en construction, mais aussi « l'intérêt de sécurité publique » 3 que représentait la nécessité de remplacer les voies, mal construites par l'État, de la ligne principale. Piérard, le rapporteur de la commission gouvernementale, reconnut que les maîtres de forges français utilisaient une situation de pénurie pour augmenter leurs prix. Les importations furent autorisées avec un droit de 60 fr au lieu de 110 fr; s'appuyant sur un marché signé dans ce but avec Hamoir, la Compagnie soutint que le prix en France était de 260 fr, prix auquel seraient payés les rails anglais avec un droit de 60 fr. Les commandes de 1855 furent passées en Angleterre, de 1856 en Angleterre et en Belgique. Les marchés anglais causèrent d'ailleurs bien des déceptions : les usines n'acceptèrent « qu'après une certaine résistance » de se soumettre aux cahiers des charges français. De plus, une grave fraude se produisit. Mais ces marchés contribuèrent à la baisse des prix en France. L'appel à l'étranger fut plus important pour les pièces de rechange du matériel roulant. La qualité de certains produits en rendait l'emploi obligatoire : les aciers Bowling pour les essieux et bandages de locomotives, Brown de Sheffield pour les ressorts, surtout les aciers fondus Krupp pour les bandages de locomotives et voitures express. Les entreprises françaises étaient soumises à la pression des innovations étrangères. Les importations

1. GIRARD, op. cit., p. 145. 2. Ibid. 3. F 14 9592.

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de Belgique se justifiaient au contraire par des prix plus bas, car « en Belgique la matière première était moins chère qu'en France, la main-d'œuvre généralement plus élevée » Ces marchés « permettaient de peser sur les constructeurs français et d'exiger d'eux des conditions équivalentes » 2. Cet appel s'intensifia après le traité de commerce de juin 1861 et « les bas prix du fer » dans ce pays après cette date. Il fut pratique normale, pour les roues : la Compagnie importait des pièces belges et les montait dans ses ateliers : elle pouvait ainsi utiliser des acquits à caution. Pour casser « les exigences » des fournisseurs, la Compagnie pouvait aussi utiliser ses propres ateliers. Curtel, ingénieur à la Compagnie de l'Est, préconisa, en 1857, la fabrication des rails par les Compagnies : il prétendait qu'elles pourraient obtenir des prix plus bas et une qualité supérieure 3 . Le Conseil fut suivi pour d'autres fabrications : la décision de fabriquer des roues dans les ateliers fut prise en 1852 à la suite d'exigences jugées excessives du fournisseur, Emile Martin, «pour vérifier si le prix de revient ne serait pas notablement inférieur » 4 . L'expérience fut concluante à La Chapelle, mais surtout à l'atelier belge de Saint-Martin après 1857. Le façonnage des aiguilles était fait exclusivement à l'atelier. En 1855, le procédé fut « après mûre réflexion » étendu aux locomotives. Le prix de revient fut inférieur de 4,13 % à celui de l'industrie privée : l'avantage ici était mince. L'expérience fut suspendue jusqu'en 1870, lorsque les «prétentions des constructeurs » parurent de nouveau exagérées et obligèrent à trouver un « point de résistance » contre elles. La création en 1864 des chantiers de fabrication de traverses à Villers-Cotterêts et Anizy avait pour but de détruire la « coalition formée par les principaux marchands de bois pour augmenter d'une manière assez notable les prix des traverses ». La Compagnie pour « résister à leurs prétentions » devait leur opposer elle-même une concurrence » s . La Compagnie avait pourtant de bonnes raisons de réserver ses commandes à certaines usines, et de favoriser ainsi la formation de monopoles. L'idée a existé de créer autour de la Compagnie du Nord une sorte de vaste unité de production intégrée : en 1846, le correspondant des Rothschild à Bruxelles utilisait cet argument pour les convaincre d'acheter l'entreprise d'Anzin, que la Société Générale voulait revendre et que Léon Talabot acheta finalement en 1847 6 ; en 1854, l'entreprise belge de Saint-Léonard offrit au baron James de prendre une part majoritaire au Conseil d'Administration et évoquait « les services qu'elle serait à même de lui rendre... pour les constructions qu'elle pourrait entreprendre pour ses chemins de fer » 7 . Mais les participations financières des membres du Conseil pouvaient avoir 1. 48 AQ. 3806. 33-2. 1861. 2. 48 AQ. 3945. 33-2. 1871. 3. M. A. CURTEL, Mémoire sur la fabrication et le prix de revient des rails, Paris, V. Dalmart (à la bibliothèque de l'École des Ponts et Chaussées). 4. 48 AQ, 3697 32-3. 5. 48 A Q 14. Conseil d'Administration. 6. B. GILLE, Lettres adressées à la Maison Rothschild de Paris par son correspondant à Bruxelles, Louvain, Newvelaert, 1961, t 1, 391 p., t. 2, 401 p. Lettre du 8 mars 1846. 7. 48 Q 3 7 1 4 .

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CONSÉQUENCES

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des orientations différentes : si les principales maisons de banque intéressées au Nord l'étaient également dans l'entreprise Gouin, Sclessin en Belgique était une affaire en grande partie contrôlée par Rothschild et Talabot alors que Hottinguer et d'Eichthal contrôlaient « une grande partie » de Seraing 2 . Ces liens financiers jouèrent un rôle dans la politique des commandes. Les forges de Denain-Anzin furent toujours traitées avec ménagement : en 1856, elles furent exemptées de toute pénalité malgré les gros retards qu'elles avaient pris dans leurs livraisons. Mais, ni Talabot, ni Gouin, ni Sclessin, ni Seraing ne jouèrent un rôle exclusif. Des sociétés n'ayant aucun lien de cette nature avec la Compagnie eurent au contraire des relations suivies avec elle. Aucun lien d'intégration partant du chemin de fer en tant que client ne peut être décelé. Dans l'affaire des retards de 1856, Hamoir fut presque aussi bien traité que Talabot : il évoqua le fait qu'il avait été l'un des premiers à utiliser, dans la Sambre, la voie ferrée pour ses transports. A tous les niveaux un réseau complexe de recommandation pouvait jouer : les petits entrepreneurs locaux se rappelaient souvent au bon souvenir de tel de leur protecteur, haut placé, pour obtenir un marché. De vrais cabales pouvaient se former. Ainsi, un seul entrepreneur, Faucille, était parvenu, étant donné ses prix et ses qualités, à fournir la plus grande partie des bâches, après 1865. Un de ses anciens chefs de fabrication, qui se prétendait hautement recommandé, mena contre lui une campagne de diffamation auprès des ingénieurs, sans succès d'ailleurs. La Compagnie avait mis au point un procédé chimique de contrôle des fabrications de toile. La recommandation avait une limite : la qualité du travail fourni, sur laquelle l'ingénieur engageait sa propre responsabilité. Le lien, issu du patronage social changeait de nature : il devenait purement économique. La recommandation des imbéciles ou des mauvais fournisseurs à la longue était sans effet. Un grave différend opposa la Compagnie à Sclessin en 1863, car les surveillants de fabrications avaient décelé trop de rails avariés (15 % ) ; un plus grave encore l'opposa en 1868-1869, à Vezin-Aulnoye, dont Deschamps était l'un des principaux actionnaires et en même temps membre du Conseil d'Administration. La Compagnie adopta une attitude des plus intransigeantes. Un ingénieur, satisfait d'un fournisseur, a toutes raisons de lui maintenir la commande suivante, et celui-ci a toutes raisons de vouloir maintenir ces liens. En 1859, après avoir conclu un marché de deux ans avec Talabot, fondé sur l'échange de vieux rails contre des neufs, l'ingénieur constatait que le délai d'application d'une transaction de cette nature pourrait en quelque sorte être reculée indéfiniment 3 . La diversité des modèles est une gêne : en 1863, pour une commande de ponts à bascule, l'ingénieur demanda de ne pas faire d'adjudication qui « amènerait peut-être un nouveau four-, nisseur et par conséquent, un nouveau modèle » 4 . De même, en 1869, Petiet considérait « comme un grand inconvénient pour l'entretien et une Lettres du 10 au 14 avril 1846, in G I L L E , op. cit. Lettre du 8 avril 1846, in G I L L E , op. cit. 3. 48 AQ. 3781. 33.2. 4. 48 AQ, 3832. 33.2. 1. 2.

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LA CONQUÊTE

DES BEAUX

DIVIDENDES

source de dépenses considérables que d'avoir des machines du même type faites par des constructeurs différents » 1 . Il fallait autant de types de pièces de rechange que de fournisseurs. L'avantage des fabrications de série s'imposait aux uns et aux autres. Le souci de la qualité tendait au même résultat : en 1851, Rafïin fournissait des boîtes à graisse « plus nettes, mieux fondues » parce que ses ouvriers « se trouvaient au courant de cette fabrication » 2 . En 1858, Petiet trouvait, dans le fait que les forges de Saint-Denis étaient « au courant de la construction des wagons », une « garantie de bonne exécution » 3 : cette société se spécialisa dans les wagons PV, le Creusot dans les locomotives PV, Graffenstaden dans les locomotives GV. Le brevet d'invention, au même titre que l'habitude, tendait à engendrer le monopole. En 1865, par exemple, 1'« ingénieur admettait que les prix des cercles de roulement cémentés ne pouvaient être réglés par la concurrence... à cause de la cémentation que nous ne pouvons demander qu'à M. Leseigneur » 4 . L'aciérie était alors par excellence le domaine des secrets bien gardés : la supériorité des bandages Krupp pour les locomotives fut écrasante pendant tout l'Empire 5 ; les essieux Bowling et Brown étaient obligatoires pour les machines express. Petin et Gaudet fut le fournisseur exclusif des rails et roues en acier fondu de 1857 à 1864 et surtout à partir de 1851, grâce à un brevet, des bandages en fer sans soudure. Leurs essieux coudés restèrent jusqu'en 1868 «incontestablement» les meilleurs. L'impression s'impose que cette entreprise eut tendance alors à s'endormir sur ses lauriers. La recherche de la qualité tendait à créer des liens presque organiques, qui confinaient au monopole. A la grosse commande livrable immédiatement, les fournisseurs préféraient celle qui s'étalait dans le temps : leur principal souci est d'assurer sur une base certaine l'amortissement de leur capital. Ils ont recherché des marchés conclus pour plusieurs années ou prévoyant la fourniture pendant un certain temps de tous les besoins de la Compagnie. Les marchés de rails furent souvent du premier type : deux ans avec Talabot en 1853, trois ans avec Hamoir en 1857, avec de Wendel en 1858, avec Hamoir et de Wendel en 1863. Les marchés avec Petin et Gaudet conclus à partir de 1852 et jusqu'en 1858, pour les essieux et bandages, furent du second type, mais ils étaient résiliables et ne couvraient que six neuvièmes des besoins. En fait, la Compagnie n'alla pas très loin sur cette voie, malgré les impératifs techniques qui l'orientaient vers elle. Toutes les Compagnies pratiquaient l'imprévision et l'imprévoyance. Le fournisseur, en période de disette de commandes quémandait des commandes et signait parfois à des prix peu rémunérateurs. En 1855, un fournisseur de wagons offrait des bas prix parce qu'il « se trouvait sans travaux » 6 . En 1858, tout le monde fut logé à la même enseigne : les « circonstances » per-

1. 2. 3. 4. 5. 6.

48 AQ. 3919. 32.2. 48 AQ, 3690. 32.3. 48 AQ, 3767. 32.2. 48 AQ, 3857. 32.3. Il offrit une garantie de 100 000 km avant retournage au lieu de 30 000 habituellement. 48 AQ 3724. 32.2.

L'INVESTISSEMENT

ET SES

CONSÉQUENCES

95

mettaient de trouver des voitures à des « prix avantageux 1 et la « pénurie des travaux dans les petites usines » 2 d'avoir des menus matériaux de voie à bas prix; de même pour les rails. En octobre, le Ministre demanda aux Compagnies de faire des commandes « pour machines, rails, etc. », « la situation actuelle du marché, ajoutait-il, vous permettrait d'obtenir des conditions de prix très favorables » 3 . En 1863, la Société des Batignolles parlait « d'une suspension des commandes depuis un an » et Petin et Gaudet du « peu d'importance des commandes de chemin de fer ». La Société VezinAulnoye fit savoir à la Compagnie que si elle ne commandait pas des rails à Martial Leclerc, son client, elle devait éteindre ses hauts fourneaux. Hamoir sollicita des commandes. Leclerc rouvrit ses portes en 1864. En 1867, le gérant de Vezin-Aulnoye parlait dans une lettre à Deschamps « de la crise épouvantable de l'industrie » et, en février 1869, Hamoir offrait des prix très bas en raison de « son vif désir de maintenir du travail à ses nombreux ouvriers » 4 . Le plus souvent, la Compagnie ne se dérobait pas à ces sollicitations. Il s'agissait d'appliquer « cet esprit de réciprocité de bons procédés » 5 dont parlait Petiet en 1866. Car le fournisseur, lorsque le déséquilibre se produisait dans l'autre sens, pouvait lui aussi rendre à la Compagnie des services. Les industriels pouvaient alors tenter d'imposer leur loi. Très tôt les ingénieurs constatèrent qu'il n'était pas, en ces circonstances, judicieux de faire appel à la concurrence. Un exemple suffit : en octobre 1865, Petiet demanda de pouvoir commander directement 1 030 wagons, malgré l'insistance renouvelée du Comité. Il montra que les matériaux et la main-d'œuvre avaient augmenté depuis l'adjudication précédente et « si nous faisions aujourd'hui l'épreuve » d'una nouvelle adjudication, « nous serions exposés à subir des conditions bien moins favorables » 6 . De même, treize ans plus tard, les ingénieurs chargés de passer pour l'État des commandes de rails pour les lignes du plan Freycinet, déclaraient que « les résultats d'une adjudication annoncée à jour fixe sont joués sur un coup de dé » 7 . La conclusion d'un marché à des « prix raisonnables » avec un bon fournisseur habituel était bien préférable. Certains se prêtèrent parfois à des manoeuvres pour détruire les coalitions possibles. Denain-Anzin a, nous le verrons, pesé sur les prix des rails. A partir de 1866-1867, pour « se garantir contre la coalition » 8 , on s'entendit de plus en plus souvent, avant l'adjudication, avec un fournisseur (Maze et Voizine pour les wagons en 1866, Schneider en 1867 pour les machines). La Compagnie soumissionnait la moitié de la commande, s'engageant à laisser l'autre à cet entrepreneur. Celui-ci s'engageait à proposer un prix fixé. Si tous les concurrents propo-

1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8.

48 AQ 3767. 32.2. 48 AQ. 3768. 33.3. Lettre du 7 octobre 1858 adressée à toutes les Compagnies. 48 AQ, 3906. 33.2. 48 AQ 3874. 33.3. 48 AQ 3857. 32.2. F 14 9592. 48 AQ 3873. 32.2.

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LA CONQUÊTE

DES BEAUX

DIVIDENDES

saient un prix plus élevé, il emportait l'ensemble, sinon, il conservait la moitié au prix de l'adjudication. Telles sont les justifications de ces alliances de raison : liens financiers, désir de favoriser de gros acheteurs de transport, désir d'avoir des produits de qualité, volonté de maintenir des relations suivies avec des entreprises qui acceptent de rompre les coalitions toujours possibles. Mais l'habitude risque de devenir routine, le lien d'affaires monopole. Le « fournisseur habituel » avait parfois besoin d'être rappelé à l'ordre, tel Pinart de Marquise en 1866, gros fournisseur de plaques tournantes depuis l'origine, auquel il fut interdit de participer à une adjudication parce qu'il devenait moins « exact » dans ses fournitures, ou Petin et Gaudet, la même année, qui « refusait de changer sa fabrication » et avait besoin « d'être stimulé à faire de nouveaux efforts » 1 . Mais surtout, le monopole, monstre toujours renaissant, devait être de nouveau à chaque instant détruit. Les alliances de raison ne pouvaient être que provisoires, tactiques, conjoncturelles. La tendance profonde, la mentalité essentielle était autre. La Compagnie a toujours favorisé la création d'entreprises nouvelles, de préférence sur son réseau, la participation du plus grand nombre possible de fournisseurs à ses adjudications « pour préparer de nouveaux concurrents » 2. Les commandes faites en période de dépression avaient aussi pour but de ne pas laisser disparaître des entreprises. La Compagnie favorisa la diffusion des innovations dans le plus grand nombre d'usines possible : ce fut le cas pour les tampons de choc en acier, dans les années 1850, pour les rails d'acier dans les années 1860, nous le verrons. Les commandes étaient divisées pour permettre au plus grand nombre possible de fournisseurs de participer aux adjudications. Les services définissaient leurs besoins au jour le jour et faisaient plusieurs commandes dans l'année. Enfin, le « mode de l'adjudication » fut toujours suivi par la Compagnie et « le sentiment de notre responsabilité, indiquait le Conseil en 1863, nous empêchera sans doute d'y renoncer » 3. Les soumissions cachetées étaient ouvertes en séance du Comité. Mais l'adjudication était une arme à double tranchant et n'était pas toujours le meilleur moyen de provoquer la concurrence désirée. La négociation directe et simultanée avec plusieurs fournisseurs et la commande directe pouvaient bien mieux — souvent — servir les intérêts de la Compagnie.

D. Analyse par secteurs L'analyse des différents marchés illustrera ces propos. De 1852 à 1856 la Compagnie subit une hausse sur les rails, car « toute la fabrication des usines était, en octobre 1853, engagée pour deux ans » 4 . La Compagnie 1. 48 AQ. 3874. 32.3. 2. 48 AQ, 3781. 33.3, à propos d'une adjudication de boulons, à laquelle participe un nouvel entrepreneur. 3. 48 AQ, 3832. 33.2. 4. 48 AQ, 3706. 33-2.

L'INVESTISSEMENT

ET SES CONSÉQUENCES

97

tenta de la limiter en faisant appel à l'étranger, comme nous l'avons vu, et en concluant en France des marchés à long terme avec Talabot en 1853, Hamoir en 1857. Mais en 1858 la pénurie de commandes fut générale dans les usines. La Compagnie fit jouer la concurrence de Wendel en France, de Blondiaux en Belgique, qui « offrirent les prix les plus bas depuis dix ans » 1 . Lorsqu'elle reprit ses commandes en 1863, Wendel et Hamoir signèrent à des prix « très bas » 2 . La longueur de ces marchés permit d'échapper à la hausse de 1864 et dans les dernières années de l'Empire la Compagnie obtint, malgré une légère tendance à la hausse des prix du fer (cf. graphiques 3 et 4), une légère diminution. Après la guerre la hausse s'aggrava. Les prix des rails n'avaient un temps échappé à l'évolution générale des prix des fers qu'en raison de l'influence prépondérante des acheteurs, c'est-à-dire les Compagnies, qui avaient également obtenu une amélioration des qualités : les produits fournis par Wendel étaient « supérieurs » à ceux des usines du Nord 3 . La diffusion des rails d'acier résulte d'une politique systématique des Compagnies de chemin de fer tendant à favoriser la diffusion des innovations et destinée à rompre le cercle des entrepreneurs routiniers, producteurs dans le cas présent de rails en fer peu satisfaisants. La Compagnie créa un marché concurrentiel : jusqu'en 1864 Petin et Gaudet jouirent d ' u n monopole qu'ils exploitèrent en imposant des prix élevés 4 . Une commande à Imphy faite alors créa un premier « concurrent sérieux », une autre à Terre-Noire en 1865 un second. J u s q u ' à la fin de l'Empire les prix continuèrent de baisser (288 fr en octobre 1868 au lieu de 600 fr en 1864) sous la triple influence de l'accroissement du volume des commandes, de l'adoption de nouveaux procédés de fabrication 5 , qui de plus amélioraient la qualité des produits, et de la concurrence (interventions de DenainAnzin, puis du Creusot en 1868). La baisse de l'acier rendait son emploi intéressant sur toutes les lignes où les rails en fer duraient six ans et moins et la hausse du fer ne fit qu'augmenter cette limite. Après la guerre la Compagnie fit un prêt à la Société de Denain-Anzin pour lui permettre d'installer des convertisseurs. La firme « Petin et Gaudet » assura sa prospérité sous l'Empire par l'exploitation de brevets de fabrication pour la fabrication des essieux de wagons, des essieux coudés de locomotives et surtout par la fourniture, à partir de 1851, de bandages de wagons sans soudures. Malgré la qualité de ses produits ses prix étaient inférieurs à ceux de ses concurrents, comme Dietrich. Cependant nous avons vu que la Compagnie, dans les marchés conclus avec cette firme, maintint toujours une « réserve d ' u n septième sur la consommation pour en disposer au profit de tout autre fournisseur » 6 . En mai 1856, Petiet constatait que « les essais faits en France pour avoir de

1. 2. 3. 4. 5. 6.

239 fr et 159 fr 48 AQ. 3768. 33-2. 180 fr. 48 AQ.3933. 33-2. 600 fr en 1864. Lingotières à rotation à Imphy en 1866, procédé Martin au Creusot en 1868. 48 AQ, 3737. La phrase fut reprise tous les ans.

2 565053 8

T

98

LA

CONQUÊTE

DES

BEAUX

DIVIDENDES

bons bandages en acier fondu avaient échoués » Il fallut, pour cette fourniture, faire appel à Krupp. Petiet se félicitait à bon droit en 1857 des mé-

GRAPHIQUES 3 ET

4

Indice des prix des plaques tournantes, des ressorts, des rails (d'après les statistiques de l'Industrie minérale) et des rails commandés par la Compagnie du Nord 100 = moyenne des années 1867-1869 (soit 186 fr d'après la SIM, 183,5 fr d'après les rails commandés par la Compagnie)

1. 48 AQ, 3753. 32-3.

L'INVESTISSEMENT

ET

SES

99

CONSÉQUENCES

thodes de commandes utilisées pour ces produits, qui tout « en assurant un approvisionnement régulier », maintenaient des prix inférieurs à ceux pratiqués sur le marché des fers : alors que d'après l'indice de l'INSEE le fer augmenta de 55 % de 1852 à 1856, la hausse des produits en fer pour wagons et locomotives fut de 16 à 18 % entre ces deux dates. Le règne de Petin et Gaudet s'acheva en 1869 : c'est alors qu'apparut la concurrence de la Société des Forges de Saint-Étienne, entreprise fondée en 1865 par un ancien ingénieur de cette firme, Barrouine, pour les bandages de wagons en fer; pour les essieux la concurrence opposa Russery-Lacombe, Petin et Gaudet et les Forges de Saint-Étienne. Un fournisseur principal que l'on aiguillonnait en faisant l'essai d'autres produits, en partageant les commandes, en revenant même de temps en temps (entre 1858 et 1862 en particulier) à l'adjudication, ou en faisant venir des produits de l'extérieur, telle était la structure de ce marché. Au total le bilan fut positif. L'évolution des indices des prix fut la suivante pour les objets en fer (en utilisant comme base 100 la moyenne des années 1867-1869) (cf. graphiques 5 et 6).

GRAPHIQUES 5 ET

| M 1840

6

I I | I I I I | I I I I | I | I I | I I I I | I I I I | I I II 1845

1850

1855

18(0

1865

1870

| I I I II 1875

| I |

1880

Indice des prix des bandages et essieux en fer et des locomotives (1844-1883) base 100 = moyenne des années 1867-1869

7.

100

LA

CONQUÊTE

TABLEAU

DES

BEAUX

DIVIDENDES

6

Évolution du prix des bandages et essieux en fer de 1851 à 1869

Années

1851 1852 1853 1854 1855 1856 1857 1858 1859 1860 1861 1862 1863 1864 1865 1866 1867 1868 1869

Bandages

Bandages

Moyenne

Essieux

Essieux

wagons

locomotives

bandages

wagons

locomotives

145,8 130 145,8 145,8 141 147,9 137 137 120,7 120,7 109,4 109,4 83,3 83,3 83,3 83,3 100 100 100

127,6 114,9 124,8 124,8 128,6 141,4 125,6 125,6 121,6 115,7 105,2 105,2 104,7 104,7 101 100 100 100 100

136,7 122,4 135,3 135,3 134,8 125 131,3 131,3 121,1 118,2 107,3 107,3 94 94 92,1 91 100 100 100

116 125 125 121 121 128 128 114 105 107 107 107 107 107 100 100 100 100

118 121 121 121 112 121 121 114 105 107 107 107 107 107 100 100 100 100

Moyenne bandages Essieux

118,7 129,1 129,1 127,9 132,2 127,9 127,9 117,5 111,6 107,1 107,1 100,5 100,5 99,5 95,5 100 100 100

De 1851 à 1859 les marchés de ressorts de suspension furent partagés entre Fimbel, Fontaine et Dufloss, Jackson 1 et Allevard : les prix baissèrent de 50 % {cf. graphiques 3 et 4). Après cette date Gouvy, de Rombourg, se tailla la première place 2 . Les boîtes à graisse furent partagées entre Vivaux de Dammarie, qui jouit d'un monopole jusqu'en 1861, et Guillet d'Harancourt : les prix passèrent de 40 à 33 fr. Les tubes et plaques de locomotives en cuivre « étaient faites alternativement chez « messieurs Laveissière » ou à la « Société des lamineurs de cuivre, afin de maintenir la concurrence » 3.

1. En 1851 Fimbel était associé avec Bergés. En 1852 Bergés se sépara de Fimbel et son usine fut reprise par Jackson. 2. Sur Gouvy, cf. Actes du colloque international : Le fer à travers les âges, p. 346, « La Maison Gouvy ». 3. 48 AQ. 3831.32-3.

L'INVESTISSEMENT

ET SES

CONSÉQUENCES

101

Jusqu'en 1861, le marché des plaques tournantes fut monopolisé par deux entrepreneurs, Hamoir et Pinart de Marquise. En 1862 la Compagnie parvint à leur imposer un « concurrent sérieux » Baudon Porchez, de Lille, qui dut « créer un outillage spécial de fonderie ». Cet entrepreneur était le principal fournisseur pour les appareils de voie : « il a dû, écrivait l'ingénieur, faire de faibles bénéfices avec nous, car pour assurer cette continuité de relations, il nous a toujours fait des prix exceptionnellement bas et les conditions que nous avons obtenues de lui ont été avantageuses non seulement d'une façon absolue, mais encore par l'influence qu'elles ont eue sur les prix des autres constructeurs, que nous mettions à chaque fourniture en concurrence avec lui » 2 . Le prix passa de 48 fr en 1853 à 25 fr en 1866, soit une baisse de 48 % (cf. graphiques 3 et 4). En 1851 Schneider « livra des locomotives marchandises à meilleur prix que l'Angleterre » 3 . Mais de 1852 à 1855 « les prétentions augmentèrent toujours » 4 et les prix retrouvèrent alors leur niveau de 1848 (2,45 fr le kilo). Cette coalition fut rompue par l'intervention de deux usines belges, SaintLéonard et Seraing, et surtout par celle de Graffenstaden, qui commença ses fabrications de locomotives avec les Engerth du Nord 5 , et des ateliers de la Compagnie. En 1858, grâce à l'adjudication, on retrouva le niveau des prix de 1851 (1,91 fr) chez Gouin et Cail. Dans les années 1860 « les commandes des chemins de fer se faisaient de plus en plus rares » 6 et de ce fait la concurrence put jouer à plein : les prix ne cessèrent de baisser, atteignant 1,45 fr grâce à Koechlin et Schneider en 1869. La Compagnie avait assortie l'adjudication d'une entente préalable avec ces fournisseurs (cf. graphiques 5 et 6). En ce qui concerne les Travaux publics, les ouvrages d'art et les bâtiments, la Compagnie abandonna le procédé de l'entrepreneur unique, utilisé en 1847 et 1848 sur les embranchements. Après 1852, elle divisa ses travaux en lots de plus en plus nombreux et les donna à des entrepreneurs de plus en plus petits, soumis à un contrôle de plus en plus étroit 7 . Cette division fut poussée à l'extrême sur la ligne des Houillères, où la Compagnie employa des tâcherons, qui, étant « leurs propres chefs d'ateliers, n'avaient pas de frais généraux en grande partie ». Alors que sur Busigny-Somain il y avait eu trois entrepreneurs pour 4 600 000 francs de travaux, il y en eut ici dix pour 3 500 000 francs. Les rabais obtenus furent de 20 % en moyenne, au lieu de 17 %. Sur Paris-Soissons la Compagnie fit construire les bâtiments par « des entrepreneurs se trouvant sur les lieux mêmes » 8 . En 1864 l'ingénieur évaluait à 10 % le bénéfice obtenu par l'appel à « divers petits

1. 48 A Q 3820.33-3. 2. 48 AQ. 3844.33-3. 3. 48 AQ. 3690.32-2. 4. 48 A Q 3705.32-2. 5. 48 A Q 3724.32-2. « Il est utile, constatait Petiet, aux chemins de fer en général que des établissements nouveaux se créent pour fabriquer des locomotives en France ». 6. 89 A Q . Assemblée des commanditaires de la Société des Batignolles, 1867. 7. A partir de 1859 la Compagnie fit enregistrer ses marchés car on supprima alors le droit d'enregistrement proportionnel. Les réclamations furent moins nombreuses. 8. 48 A Q 14. Conseil d'Administration, 14 septembre 1860,

102

LA

CONQUÊTE

DES

BEAUX

DIVIDENDES

entrepreneurs » sur Soissons-Laon. Cette politique rencontrait une double limite, technique et financière. Certains entrepreneurs étaient seuls à pouvoir réaliser certains travaux : Castor était seul capable de draguer le lit de la Seine pour obtenir du ballast, seul encore avec l'un de ses concurrents à pouvoir construire le souterrain de Sommery; de plus la Compagnie redouta vite de traiter avec des entrepreneurs n'ayant pas les reins suffisamment solides et qui, de ce fait, pouvaient se révéler incapables de payer leurs ouvriers. Les incidents étaient fréquents : en 1857 à Chantilly, en 1861 sur Chantilly-Senlis la gendarmerie dut intervenir. L'entrepreneur de cette ligne, Roussin, ne put l'achever « à cause de l'insuffisance de ses ressources financières » 2 . Aussi fallut-il atténuer cette division outrée des travaux et la Compagnie dut-elle servir de banquier à ses entrepreneurs. Au total, le nombre des soumissionnaires pour les travaux alla plutôt en augmentant qu'en diminuant. Les entrepreneurs voyageaient d'un réseau à l'autre. Groseil, qui travailla sur le Nord de 1858 à 1864, venait de l'Ouest; Lebard, qui obtint Rouen-Douchy, venait du P O. Ce monde des entrepreneurs était en perpétuel mouvement : faillites fréquentes mais ascensions nombreuses. L'un des adjudicataires de Paris-Soissons était un ancien conducteur de l'entreprise qui exécuta Busigny-Somain. Farina, l'un des tâcherons de Roussin, fut l'un des entrepreneurs de Boulogne-Calais. L a Compagnie a aidé à la formation de ce large cercle d'entrepreneurs, formés par elle, dépendants d'elle, tels que Fouchard ou Culom. Deux conclusions générales se dégagent de cette analyse : la Compagnie est parvenue à créer un marché concurrentiel; cette politique a été efficace. Aucun des marchés examinés n'est fermé : la pression étrangère, belge surtout est toujours menaçante, un nouvel entrepreneur peut toujours intervenir. Ce marché toujours ouvert a tendance à se concentrer plus ou moins autour d'un petit nombre de fournisseurs principaux. Cette domination s'explique soit par une supériorité technique, soit par l'établissement de bonnes relations d'affaires fondées sur « un échange de bons procédés ». Peu perceptible sur le marché des travaux et des traverses, incomplète sur celui des voitures et wagons, elle est très sensible sur la plupart des autres marchés. L a concentration peut se faire autour d'un seul fournisseur, ou de plusieurs. L a concentration unitaire s'est immédiatement réalisée et presque constamment maintenue pour les bandages en fer et en acier. Elle s'est réalisée peu à peu pour les rails en fer. Des concentrations dualistes ou triangulaires caractérisent au contraire les marchés des plaques tournantes, tubes de locomotives, locomotives, boîtes à graisse, essieux en fer. Dans ce cas la concurrence s'exerce de deux manières : entre les deux ou trois partenaires habituels d'abord, par leur confrontation avec l'ensemble du marché ensuite. Cette structure concurrentielle est inséparable de la tactique conjoncturelle. En période de réduction de la demande et de baisse des prix, la Compagnie peut faire jouer la concurrence au maximum en divisant ses commandes en volume et dans le temps, et en utilisant l'adjudication. Au

1. 48 AQ, 14. Conseil d'Administration, 27 mai 1864. 2. 48 AQ. 13. Conseil d'Administration, 18 octobre 1861.

L'INVESTISSEMENT

ET SES

CONSÉQUENCES

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plus bas de la baisse, juste avant la reprise, si elle est pressentie par les ingénieurs, la Compagnie conclut des marchés à long terme qui verrouillent les prix au niveau le plus bas. C'est le cas par exemple de la commande de 55 000 tonnes de rails en 1863. Lorsque la hausse a commencé la Compagnie continue dans les premiers mois à diviser ses commandes et à utiliser l'adjudication. Mais lorsqu'elle s'accélère, l'adjudication est abandonnée : la Compagnie cherche à traiter directement avec ses fournisseurs habituels en prolongeant les marchés antérieurs et à conclure des marchés à long terme. C'est toujours en ces circonstances qu'elle tente d'ouvrir le marché. Cette politique a été efficace. Elle nous semble en effet avoir été l'une des causes essentielles de l'évolution des prix révélée par les courbes que nous avons établies (graphiques 3 et 4, 5 et 6). La plupart des prix s'emballent jusqu'en 1856 : presque inexistante pour les wagons, faible pour les bandages et les rails, la hausse est très forte pour les locomotives (2,45 fr au lieu de 1,85), car sur ce marché restreint la pénurie était facile à exploiter. Ces hausses sont beaucoup moins fortes que celles des fers marchands. Tous les prix diminuent de 1857 jusqu'en 1866 et le plus souvent jusqu'en 1869 et même 1870. Cette baisse est très importante : 50 % pour les locomotives marchandises, 25 % pour les bandages, 35 % pour les rails, 50 % pour les plaques tournantes, si l'on compare les prix des années 1854-1856 à ceux des années les plus basses de la fin de l'Empire. Les cours se relèvent tous en 1871-1873. Mais comme en 1852-1856 la hausse des prix payés par la Compagnie est très atténuée par rapport à celle des fers marchands. Même après cette hausse, les prix sont très inférieurs à ce qu'ils étaient en 1852-1856. La tendance à long terme est donc à la baisse. Elle est plus marquée encore pour les fournitures en acier : les ressorts de suspension passent de 170 fr à 63 fr, les rails d'acier de 550 fr en 1857 à 288 fr en 1870 et 320 fr en 1872. Elle est plus faible pour les fournitures dans la fabrication desquelles dominent le fer, la fonte et le bois. Cette évolution est d'autant plus remarquable qu'elle s'est accompagnée — de nombreux rapports y font allusion — d'une hausse du prix de la main-d'œuvre. Les prix des industries travaillant pour le chemin de fer ont subi l'influence de la construction rapide du réseau et de la pression de ces clients dominants que sont les Compagnies. Les commandes ferroviaires ont fait baisser les prix de revient des entreprises par leur volume même : les entrepreneurs consentent toujours des prix d'autant plus bas que les commandes sont plus importantes. La baisse des rails en fer est une fonction directe de l'augmentation des quantités commandées. Ce phénomène de coût décroissant est encore accentué par la diffusion du progrès technique : c'est dans le domaine de l'acier où il fut le plus remarquable que la baisse pour cette raison même fut la plus forte. Or, cette diffusion résulte pour l'essentiel de la pression qu'exerce l'acheteur dominant sur l'entrepreneur, qui voit la qualité de ses produits confrontée à celle de tous les autres produits similaires et qui ne peut compenser les baisses de prix que la concurrence lui impose, que par un accroissement de sa productivité. Enfin la confrontation permanente des fournisseurs entre eux limitait les effets spéculatifs des insuffisances. En 1853, les deux producteurs de ressorts en acier firent observer aux ingénieurs que l'essentiel de leurs bénéfices venait non pas « des aciers fondus de grosse consommation » (ressorts,

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DES BEAUX

DIVIDENDES

broches pour filature, limes), mais de la fabrication des outils 1 . On peut penser que cette différence résulte de la différence des rapports de force entre acheteurs et vendeurs. Parlant en 1861 du marché des locomotives en France, le gérant de la Société des Batignolles, Gouin, écrivait : « La concurrence intérieure maintient les prix trop bas et ne permet plus d'y trouver les bénéfices d'autrefois » 2 . Or, il en allait de même pour les ponts en fer. Il en déduisait la double nécessité de s'orienter vers d'autres productions et vers l'extérieur. Dès lors, on peut se demander si les Compagnies n'ont pas poussé trop loin une politique, qui a contribué à détourner de ces fabrications les entrepreneurs français.

III. LE PROGRÈS TECHNIQUE ET L'ÉVOLUTION DES DÉPENSES D'EXPLOITATION A. Introduction générale La baisse du coût de l'investissement par le jeu combiné de la baisse du taux de l'intérêt et de la baisse des prix des produits eux-mêmes n'a pas suffi à détruire l'inquiétude du Comité quant au développement de ces dépenses. Pourtant l'augmentation du rendement financier du capital était dû pour l'essentiel à la lenteur de l'accroissement des charges (cf. graphique 57). Cependant l'évolution des dépenses d'exploitation était aussi très favorable, à peu près parallèle à celle du trafic. De 1850 à 1866 l'augmentation annuelle moyenne fut de 8,5 % pour les dépenses, de 8,6 % pour lë trafic, de 8,1 % pour les recettes. Le décalage entre recettes et dépenses est très faible. « C'est le propre de toute entreprise industrielle, constatait l'ingénieur en 1865, d'avoir de bons et de mauvais jours... nos bons jours ont été plus fréquents que nos mauvais » 3 . Nous nous sommes expliqués dans notre introduction sur notre conception de l'histoire des coûts. Certaines données de l'évolution des facteurs s'imposent à l'entreprise de l'extérieur (niveau des salaires et des prix). Elles ont sur les coûts une action directe, très sensible dans le court terme, mais aussi une action indirecte, par l'influence qu'ils exercent sur le comportement de l'entrepreneur, dont dépendent les facteurs internes d'évolution, c'est-à-dire la répartition entre le facteur capital et le facteur main-d'œuvre des dépenses et la structure du capital (élasticité et complémentarité). L'analyse de l'évolution du coût en fonction du trafic exprime l'élasticité du système d'exploitation. Cette dépendance a été mise en valeur par tous les théoriciens et praticiens de l'exploitation ferroviaire depuis J . Dupuit jusqu'à M. Hutter en passant par Ch. Baum et C. Colson. Étant donnée 1. 48 AQ 3706. 32-3. 2. 89 AQ, Mj 1513. 3. 48 AQ, 3324.

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ET

SES

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l'importance des dépenses indépendantes du trafic (au moins 60 % de la dépense) le chemin de fer est une industrie à rendement croissant, c'est-àdire que les coûts moyens diminuent quand le trafic augmente. Nous dirons que durant ces périodes d'évolution normale des coûts, l'exploitation réalise une élasticité satisfaisante, les accroissements de trafic n'exigeant pas une mobilisation excessive de moyens d'exploitation immédiats. Il nous est donc apparu qu'il était légitime de tracer la droite de régression du coût par rapport au trafic, en plaçant en ordonnée le coût moyen et en abscisse le trafic total {cf. graphique 7), ou encore en plaçant en ordonnée la dépense GRAPHIQUE

7

unités kilométriques

| o

I

I

I

1

1 500

1

I

1

1

1

1

1

en

1

1000

millions

1

-| 1500

Évolution du coût moyen en fonction du trafic de 1850 à 1866

moyenne par kilomètre exploité et en abscisse le trafic par kilomètre {cf. graphique 17) 1 . La précision de l'ajustement est très peu satisfaisante pour le premier calcul, en raison des perturbations apportées dans les coûts par les ouvertures de ligne; elle est au contraire satisfaisante pour le second. Les formules s'écrivent : G = 3,023 centimes - 0,000 294; en d'autres termes un accroissement de 100 millions du nombre des U K correspond à une diminution de 0,029 centimes du coût moyen; et 1. Cf. à ce propos pour plus détails sur ces calculs et la précision de leur ajustement les Notes méthodologiques.

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C K = 4228 fr + 0,02292; en d'autres termes un accroissement de 100 000 unités de trafic correspond à un accroissement de 2 292 francs et la dépense augmente moins vite que le trafic 1 . La situation se renversa entre la fin de l'Empire et l'après guerre, nous le verrons en détail plus loin. Indiquons simplement pour le moment que de 1866 à 1873 le trafic augmenta de 53 % et la dépense de 74 %. La comparaison entre la courbe du coût moyen (graphique 8) et celle de l'accroissement du trafic est d'ailleurs assez démonstrative de l'influence du trafic sur les coûts : les périodes d'effondrement des coûts correspondent à des périodes d'accroissement rapide, les périodes de stabilisation des coûts à des périodes de stabilisation du trafic. Le coût très bas atteint en 1852 se maintint jusqu'en 1855, parce que le trafic doubla presque en trois ans. En GRAPHIQUE

8

T - ]—n—n—T—n—r—]—n—ri—| i i—i—i—|—i—i—i—i—j—ri—i—i—|—i—r—i 1850

1855

1860

1865

1870

1875

1880

Prix de revient de l'unité kilométrique 1. Le point moyen pour le premier calcul correspond à un coût de 2,81 centimes et à un trafic de 724,7 millions d'UK; pour le second calcul à une dépense de 22 632 francs et à un trafic de 803 786 unités. Le premier calcul concerne la période 1850-1866, le second la période 1849-1867. Cf. les Notes méthodologiques.

L'INVESTISSEMENT

ET

SES

CONSÉQUENCES

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1856-1857 le prix de revient augmenta parce que le trafic stagna. De 1858 à 1861 il se stabilisa à un niveau supérieur parce que la progression du trafic fut beaucoup plus lente (21 % en quatre ans). La stagnation du trafic en 1862-1863 entraîna une forte augmentation du prix de revient. Sa croissance rapide (35 % en trois ans) de 1863 à 1866 permit de retrouver les niveaux de 1852-1856. Des constatations du même ordre peuvent être faites en comparant la courbe d'évolution du rendement du personnel (cf. graphique 62) et celle du trafic : avant 1867, lorsque le trafic augmente le rendement augmente, lorsque le trafic stagne ou diminue, le rendement baisse. Cette évolution se produit autour d'une moyenne assez stable. Mais après 1867 l'augmentation du rendement déterminée par celle du trafic se produit dans une proportion bien moindre. « Au fur et à mesure de l'augmentation du trafic, constatait Léon Say en 1870, devant une commission du parlement, le prix de revient moyen et par conséquent le tarif moyen a baissé » L'investissement initial jouissait d'une grande élasticité : son rendement augmentait de lui-même, au prix d'un faible effort d'investissement 2 et de dépenses d'exploitation supplémentaires relativement faibles. L'on pouvait envisager de larges accroissements de trafic sans que les dépenses augmentent en proportion. L'analyse détaillée de l'évolution des dépenses d'exploitation permettra de mieux comprendre ces phénomènes et de mesurer exactement l'influence des facteurs internes et externes sur les coûts. Cette analyse est inséparable de l'histoire de l'innovation. Le progrès technique, qui se diffuse grâce à l'investissement, modifie en permanence la structure du capital, augmente l'élasticité des installations, accroît la complémentarité des différents éléments qui le composent. Les dépenses de l'exploitation se divisent en quatre chapitres : Administration centrale, Division de l'Exploitation (ou Première division), Division du Matériel et de la Traction, ou Deuxième division, Division de la Voie et des Bâtiments, ou Troisième division. Ces services assurent les transports tels qu'ils se présentent, tout en maintenant le capital en état, grâce à l'entretien des installations et du matériel, et à leur renouvellement. La Compagnie du Nord n'a pas constitué, comme celle du PLM un compte spécial de renouvellement, qui aurait été alimenté par un prélèvement régulier sur le compte d'exploitation en fonction de l'usure, car selon la Commission de Comptabilité « l'introduction dans les comptes de dépenses moyennes imaginées, c'est la destruction de toute comptabilité, c'est l'impossibilité d'un contrôle sérieux. Nos comptes, ajoutait-elle, représentent ce qui est » 3 . La dépense de renouvellement, en l'absence de tout amortissement industriel, était prise en charge par le compte d'exploitation de l'année où le renouvellement avait lieu effectivement. Ces pratiques, justifiées par la volonté de maintenir un contrôle strict sur les ingénieurs, ont gêné le développement d'une comptabilité dynamique ou prévisionnelle et freiné la diffusion du progrès technique. 1. 48 AQ. 3324. 2. Cela s'accompagne, rappelons-le, d'une modification de la structure de l'investissement, la part de l'équipement augmentant. 3. 48 AQ.3851 19.

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LA

CONQUÊTE

DES

BEAUX

DIVIDENDES

L'organisation administrative de la Compagnie est caractérisée par une forte concentration des pouvoirs. Le Comité, formé de quatre membres, issus du Conseil, dispose du pouvoir de décision dans tous les domaines de quelque importance. Tout part de lui, tout remonte à lui. Le Conseil n'est qu'un organe d'enregistrement pour les questions les plus importantes. Les ingénieurs rendent compte au Comité deux fois par semaine de la marche des services et lui soumettent les principales décisions. Cette subordination des services aux vues du Comité est accentuée par trois circonstances : tout d'abord la fusion, au niveau du commandement, des services de la Première et de la Deuxième division. Jules Petiet concentra entre ses mains ces deux fonctions. Ce fut un acheminement vers la transformation du chef de la Première division en un véritable directeur en chef, et vers la subordination des deux autres divisions à la Première. Ce parti était rationnel et fut efficace : seule la Première division est à même de définir les besoins du service. Les deux autres doivent se contenter de réaliser les programmes définis par elle. Sans ces directives la Deuxième division risquerait de mettre au point des locomotives inutilisables et la Troisième des gares soit trop petites, soit trop grandes. Dès lors les décisions résultent de l'accord qui s'établit entre Jules Petiet et le Comité, dont le président était James de Rothschild. De plus le Comité fut secondé dans sa mission de contrôle des services par la Commission de Comptabilité, qui définit les techniques comptables et la politique financière de l'entreprise. Léon Say en fut, après 1860, l'animateur. Elle institua un budget pour la Troisième division. Elle définit des règles strictes pour la tenue des comptabilités « Magasins », « Ateliers », « approvisionnement », etc. Elle ne fut pas un organisme rival du Comité, mais un moyen de raffermir les liaisons entre lui et les services. Enfin, à l'intérieur des services eux-mêmes, la décentralisation était peu poussée. Le lien dominant entre les différents éléments du système était un lien d'autorité. « Tout était à la volonté du chef de service », constatait un journaliste en 1866

B. Première division (Exploitation) L'évolution des dépenses de la Première division {cf. graphique 9), qui se répartissent entre le service des gares et le service des trains, a été défavorable : elles représentent 10 % des recettes au début de l'Empire, 14 % dans les dernières années et plus de 16 % lors de « la crise de transport » de 18711872. L'accroissement annuel moyen de ces dépenses fut de 1850 à 1872 de 7,19 %. Il fut supérieur de 0,67 point à celui du trafic et de 1,69 à celui des recettes. L'accroissement est en fait proportionnel à celui du parcours des trains, or le coût du kilomètre-train est passé de 0,576 fr en 1854 à 1 fr en 1872. Toutefois cette évolution très défavorable ne s'explique pas par les facteurs externes, bien que les dépenses de personnel aient représenté 75 à 80 % de la dépense totale dans les dernières années de l'Empire. L'ingénieur reconnaissait alors que les agents des gares étaient « très 1. Journal de l'industrie du Nord et du Pas-de-Calais, janvier 1866.

L'INVESTISSEMENT

ET SES CONSÉQUENCES

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peu payés » 1 : leurs salaires s'étalaient entre 1 000 et 1 650 francs. Les auxiliaires, nombreux dans les gares, ne touchaient encore que 2,50 à 2,75

GRAPHIQUE

9 •50

%

2e DIVISION

•40

•30

1ère DIVISION

•20

3e DIVISION

•10

ADMINISTRATION CENTRALE

V.

w \/ -

\ I /

—V 1851

—v— 1867

Structure des dépenses de chaque service par rapport aux dépenses totales

francs par jour. Plusieurs faits prouvent qu'à partir de 1860 ces salaires ne correspondaient plus à l'évolution générale : à Paris en 1865, il fallut décider qu'aucun salaire ne serait inférieur à 1 500 francs et l'on prépara la création d'un système de primes, qui fut appliqué en 1872, car « les mesures disciplinaires plus énergiques ne suffisaient pas » 2 et les ingénieurs constataient un « laissez-aller du personnel », qui n'était qu'une réponse spontanée, informelle à de trop bas salaires, tandis que « les meilleurs employés étaient sollicités par le commerce et se dégoûtaient ». Ces mesures prises tardivement furent sans effet sur les comptes que nous étudions. L'évolution défavorable n'est donc pas due aux salaires. 1. 48 AQ. 3570. 2. 48 AQ. 3570.

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LA CONQUÊTE

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DIVIDENDES

Elle est due surtout à l'augmentation des effectifs, plus rapide que celui du trafic. Cet accroissement eut tendance à s'accélérer dans les années 1860 : il fut de 7,12 % par an en moyenne de 1863 à 1873, de 9,13 % en comprenant les auxiliaires. Il s'explique certes par l'augmentation du nombre des gares et des services, mais aussi par trois autres raisons : tout d'abord l'organisation administrative mit du temps à s'adapter à la complexité croissante du trafic. Au début de l'Empire le réseau fut divisé en deux sections, l'une ayant son centre à Paris, l'autre à Lille. Un chef du mouvement général résidait à Paris. Mais les graves accidents des années 1859 et 1860 entraînèrent la division de ces sections en onze districts, dans lesquels devaient résider des inspecteurs uniquement chargés de contrôler la marche des trains et d'organiser une rotation rationnelle des wagons. Ils devaient faire la chasse aux wagons vides. En 1866, les deux sections furent supprimées et remplacées par six inspections principales, qui furent par la suite fréquemment remaniées. A l'échelon central, la division du travail n'intervient qu'en 1874, après la mort de Petiet, dont l'autoritarisme eût souffert d'une pareille mesure. A côté de l'ingénieur en chef, un fonctionnaire fut chargé des affaires courantes « qui absorbaient dans une trop large mesure le temps » du premier 1 . A la fin de l'Empire le service de l'Exploitation n'a donc pas encore trouvé sa forme définitive, ni la mieux adaptée à la bonne marche des transports : les circonscriptions n'étaient pas adaptées aux courants réels du trafic et ce facteur a alourdi les coûts. Mais le fait le plus grave fut sans doute l'insuffisance chronique de l'investissement dans les gares. Le Comité, nous l'avons dit, n'acceptait que des projets « réduits à la dernière limite de la dépense » 2 . Cette politique aboutit dans les années 1850 à ajouter toujours les uns aux autres « des bâtiments provisoires, sans aucun plan d'ensemble, autour des bâtiments primitifs » 3, à user des bâtiments jusqu'à ce qu'ils tombent en ruine, à ouvrir de petits crédits pour allonger des quais, une halle, quelques mètres de voie, « expédients entraînant avant peu d'années de nouvelles dépenses » *. Une réaction, certes, se produisit après 1857-1858, qui amena, dans de nombreux cas, à adopter des « remèdes radicaux », de gros devis et avec eux les solutions innovatrices. De 1855 à 1862, par exemple, la longueur des voies de garage passa de 181 à 444 km, représentant 43,6 % de la longueur du réseau au lieu de 22,7 %. La Compagnie mit au point différents modèles de gare correspondant chacun à des besoins déterminés. La politique du provisoire se révélait donc d'une certaine façon efficace : elle permettait de concevoir les bâtiments définitifs en tenant compte des leçons de l'expérience 5 . Dans toutes les villes il fallut dégager les gares en créant une vaste place dont l'accès devait être rendu plus facile par l'élargissement des voies qui y débouchaient. Les principes de l'urbanisme du Second Empire sont largement une conséquence des besoins de l'exploitation ferroviaire. A 1. 2. 3. 4. 5. Lille

48 AQ, 2450. 48 AQ, 3769. 33-5. Dossier général. 48 AQ, 3769. 33-5. Dossiers Paris 1858. 48 AQ, 3739. 33-5, Dossier Amiens 1856. Ce fut Roubaix en 1857, Jeumont en 1859, Dunkerque en 1860, Saint-Omer en 1865, de 1857 à 1863.

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ET

SES

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Paris la Compagnie participa aux dépenses de prolongement de la rue La Fayette jusqu'à la rue Cadet et la gare fut déplacée vers l'Ouest de façon que la façade soit sur la rue de Dunkerque. Le coût des travaux fut relativement faible, car les entrepreneurs consentaient de très gros rabais, afin d'utiliser ces marchés pour « accroître leur notoriété » 1 . A la Chapelle, dès 1865 Petiet avait entrevu les solutions d'avenir, c'est-à-dire « l'installation de groupes de voies spéciales, en dehors du mouvement de la gare » pour « décomposer les trains de passage » 2 . O n renonça peu à peu aux matériaux trop fragiles. La maçonnerie coûtait moins cher que de simples carcasses de bois complétées de briques. Le chemin de fer a favorisé la diffusion des différents matériaux. Ainsi, sur la ligne de Soissons à Dammartin, son exemple fut « le point de départ de l'emploi de la brique » 3 et la Compagnie « fit connaître » dans le Nord les pierres de Saint-Maximin. Les quais, d'abord souvent en bois, furent construits en pierres puis en ciment (Amiens 1861), l'éclairage au gaz fut substitué à l'éclairage à l'huile dans les gares 4 . Elles furent dotées de treuils et de grues, qui « fournissaient le double de travail des grues à bras » 5 . Ces machines et les pompes à eau furent, le plus souvent possible, mues à la vapeur 6 . En fait un nouveau réseau était né : gares de voyageurs organisées rationnellement, gares de marchandises plus vastes, tendant à devenir de véritables entrepôts, dont se séparent de plus en plus les opérations de triage. Ces progrès ne faisaient que systématiser les leçons de la pratique quotidienne sans la bouleverser et restèrent en deçà des besoins. L'insuffisance en volume de l'investissement avait bien souvent empêché d'appliquer à temps des solutions coûteuses mais rentables. Dès 1854, Petiet constatait « qu'il fallait suppléer par de la main-d'œuvre au manque de place » dans les gares 7 et que « tout était difficile et cher avec des emplacements et des locaux aussi exigus » 8 . Les ingénieurs considéraient que « les transports à petite vitesse, en raison de leur manutention et de leur tarif bas ne peuvent se développer sans entraîner une augmentation des dépenses à peu près proportionnelle à celle des recettes » 9 . Or, après 1860, les choses s'aggravèrent : en 1861 les dépenses de gare augmentèrent de 7,75 % et les produits de 6,25 %. En 1862 la Commission de Comptabilité insista sur « la nécessité de faire des économies dans les services des gares » 10 . Les indemnités pour avaries avaient atteint 5,25 % des recettes. En 1866 « les frais de manutention dans les gares augmentèrent dans une proportion plus forte que le trafic » u , en 1. 48 A Q 14. Conseil d'Administration, séance du 27 mai 1864. A propos d'un rabais de 33 % pour la vitrerie à Paris. 2. 48 A Q 3860. 33-5. 3. 48 AQ, 3782. 33-5. 4. Voir supra, p. 74. 5. 48 AQ. 3907. 33-5. 6. La Compagnie refusa d'« engager ses capitaux » dans les recherches sur le matériel hydraulique, qui firent perdre beaucoup au PLM. 7. 48 A Q 3720. 23. 8. 48 A Q 3726. 33-5. 1854. 9. 48 A Q 3730. 23. 1856. 10. 48 A Q 3801. 23. 11. 48 A Q 3801. 23.

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raison « de locaux insuffisants ». Toutes ces constatations pessimistes annonçaient les niveaux records de 1871-1872 : la seule solution était de faire « d'importantes dépenses » qui « seront productives » 1 . Enfin le rendement du personnel des trains n'évolua pas non plus d'une façon favorable dans l'ensemble. Il dépendait de la quantité de personnel que leur service mobilisait et du bon emploi des véhicules eux-mêmes. Du premier point de vue la fonction principale de ces agents était alors d'actionner les freins. Bricogne, ingénieur du matériel roulant, inventa en 1885 le frein à contrepoids qui permettait « d'augmenter le nombre des voitures sans être obligé de multiplier les agents chargés de manoeuvrer les freins » 2 . En 1861 fut mis au point par Prudhomme un appareil électrique permettant d'établir des relations efficaces entre le mécanicien et les gardes-freins. Mais l'essentiel ne fut pas modifié : les gardes-freins dans leur guérite supportaient toute la responsabilité du freinage et les contrôleurs pour passer d'un compartiment à l'autre sautaient (le train en marche) de marchepied en marchepied. Du second point de vue deux faits agirent dans un sens favorable aux économies : l'évolution positive du chargement des trains PV 3 (79 tonnes de 1851 à 1854, 113 tonnes en 1868-1869), rendue possible par l'augmentation de la capacité des wagons et de la puissance des locomotives 4 (de 1854 à 1872 la capacité moyenne des wagons augmenta de 25 %), l'augmentation de la capacité du réseau grâce à l'utilisation des trains de nuit en particulier. Cependant les facteurs défavorables ont pesé sur les comptes d'un poids plus lourd : nous avons déjà insisté sur l'influence de la multiplication des embranchements ; il faut y ajouter la baisse du parcours moyen des marchandises (165 km en 1854, 113 en 1872), le développement des parcours à vide. Couche dans son traité constatait que « les wagons circulaient très souvent à charge incomplète et même complètement vides » 5 . L'organisation était en retard sur la technique : la répartition des wagons « était une des parties de l'exploitation qui présentait le plus de difficultés » 6 . Il n'y avait pas de grandes gares de triage répartitrices, d'où des va-et-vient inutiles de matériel. La tarification eut, nous le verrons, pour but de remplir les trains au maximum et de faire libérer les wagons le plus vite possible. Mais au total aucune des innovations analysées n'a provoqué de révolution suffisante dans l'exploitation des trains pour modifier favorablement le rendement de ces agents et de ce matériel.

1. 48 AQ.4. Assemblée générale de 1873. 2. AGN. Conférence de Bricogne, non datée. 3. Par contre l'utilisation des places voyageurs est toujours restée très faible : pas plus de 15 à 20 % en troisième. Le coefficient d'utilisation des wagons à la fin de l'Empire atteignait 45 à 47 %. 4. Le wagon de 10 tonnes se substitua, au fur et à mesure des remplacements et des commandes nouvelles, au wagon de 6 tonnes. 5 . COUCHE, op. cit.,

6. Ibid.

t.

Ier.

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SES

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C. Troisième division (Travaux et Surveillance) L'évolution des dépenses de la Troisième division fut elle aussi défavorable. Egales à 6,6 % des recettes en 1854, à 9,5 % en 1867, elles en formaient 10 % en 1872. Égales à 16,9 % des dépenses totales en 1851, elles en formaient 22,3 % en 1867 {cf. graphique 9). Leur accroissement annuel moyen de 1850 à 1872 fut de 7,58 %, soit 1,06 point d'accroissement de plus que le trafic et 2,08 de plus que les recettes. L'allongement du réseau en est la première cause : quel que soit le trafic « le nombre des trains change peu », constatait le Conseil en 1872. Or la Troisième division est celle dont les dépenses sont les moins dépendantes du trafic : de 1868 à 1872 les dépenses kilométriques sur le nouveau réseau représentaient 45 % de celles de l'ancien à la Troisième division, contre 39 % à la Deuxième et 29 % à la Première. L'évolution défavorable des comptes est due avant tout à des raisons technologiques. Du point de vue humain cette division éprouva plutôt des difficultés d'encadrement que d'organisation. Elle était divisée en six sections elles-mêmes divisées en districts. Leurs chefs furent d'abord recrutés par un système de promotion interne, à partir des chefs d'équipe de garde. Mais il fallut en 1855 changer de politique, car ces promotions hâtives ne donnaient pas toujours de bons résultats. On choisit dès lors les chefs de district « parmi les jeunes gens instruits, dont on puisse faire plus tard des conducteurs » 1 . Mais les administrations ferroviaires s'arrachaient les hommes capables de construire et d'entretenir les voies ferrées 2 . Les cantonniers avaient, selon les ingénieurs eux-mêmes, un service très « fatigant » car « outre l'entretien proprement dit ils devaient faire toute la surveillance de jour en dehors des passages à niveau » 3 . Pourtant au début de l'Empire leur rémunération était si faible « qu'il suffisait que le pain montât un peu pour que le salaire que reçoivent ces agents ne puisse plus les nourrir » puisqu'il « suffisait à peine en temps normal pour obtenir les aliments indispensables à leur existence et à celle de leur famille » 4 . Le Comité, certes, dut en 1860 faire un effort pour « mettre la rémunération en rapport avec le salaire que gagnent les ouvriers du pays » 6 , car le mouvement de démisssions, que les ingénieurs prévoyaient depuis plusieurs années, avait pris des proportions telles que le service fut désorganisé. Il décida une augmentation globale de la rémunération de 4,5 %. Mais les salaires du Nord étaient toujours bons derniers et la diversification par classe fut aggravée tandis que l'on introduisait un système de zones tenant compte des différences dans le coût de la vie. Ces augmentations n'eurent qu'une influence très secondaire 1. 48 AQ 3570. 2. L'exemple venait de haut : en 1855 Maniel, chef du service de la Troisième division, fut nommé directeur des chemins de fer autrichiens. Cette affaire provoqua un incident au Conseil. James de Rothschild accusa Baring d'avoir débauché Maniel et il fit voter un blâme contre lui. Baring démissionna. 3. 48 AQ. 3570. 4. 48 AQ, 3570. 5. Ibid. 2 565053 6

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sur les comptes. En fait l'évolution défavorable s'explique de deux manières : l'insuffisante évolution des techniques de la signalisation malgré l'intensification du trafic, le coût très élevé du renouvellement en raison de l'usure très rapide de la voie. La surveillance et la signalisation restèrent largement manuelles. Les gardes de nuit furent maintenus bien que leur service fût dangereux « la plupart d'entre eux faisant leur ronde en sommeillant » 1 . Cependant « l'accroissement du nombre et de la vitesse des trains » 2 fit faire quelques pas à l'innovation en ce domaine. Lartigue, qui avait été associé aux travaux de Leverrier et devint en 1859 inspecteur des signaux à la Compagnie, inventa un appareil de contrôle du fonctionnement des aiguilles et des signaux qui en étaient solidaires. En 1865, on installa sur les voies uniques des cloches électriques Siemens, qui furent très efficaces. Pour les lignes à double voie, Lartigue rechercha d'abord un système qui faisait mettre en mouvement automatiquement p a r un train en marche le signal fixe destiné à le protéger. Mais le sifflet automoteur ne fut mis au point qu'en 1872. L'espacement entre les trains était toujours assuré par le temps 3 . Mais l'évaluation des gardes était presque toujours erronée et la Compagnie commença des études pour appliquer pratiquement l'idée d u block system (espacement par la distance) apparue dès l'origine des chemins de fer en Angleterre. Mais le brevet de l'électro-sémaphore ne fut pris qu'en 1872 (Lartigue, Tesse et Prudhomme). Dans ce domaine, comme dans celui de l'exploitation des gares, les inventions d'avenir n'apparurent que dans les années qui suivirent immédiatement la période que nous étudions. Ces découvertes furent l'aboutissement des difficultés pratiques rencontrées à cette époque. Les lignes du Nord furent construites à l'économie. Les ouvrages d'art comportaient le plus de brique possible. La généralisation de l'emploi des tabliers métalliques fut la principale innovation dans ce domaine. En ce qui concerne la superstructure, à l'origine le ballast le moins cher était considéré comme le meilleur. Mais, en 1854, les traverses flottèrent dans la boue. O n finit par reconnaître que le ballast bon marché coûtait très cher et l'on alla le chercher au loin ou dans le lit des rivières. De 1853 à 1856 toute la superstructure fut refaite. Le rail Vignoles triompha du rail Barlow, formé d ' u n seul bloc avec la traverse, et du rail symétrique, car les bénéfices du retournement étaient en fait très faibles et l'économie de coussinets que procurait le Vignoles était plus forte. En 1860, les tirefonds furent substitués aux crampons. La voie fut dès lors plus homogène, plus solide 4. La voie du Nord avait trouvé sa forme définitive en fonction de considérations fondées sur le prix de revient du renouvellement. Mais la qualité des rails et des bois resta médiocre. Pourtant la Compagnie organisa sous la direction d'un ancien ingénieur des forges d u Nivernais, Calabre, u n service de contrôle 1. 48 AQ. 3570. Rapport du 26 décembre 1863. 2. L. BRAME et L. AIGUILLON, Étude sur les signaux de chemin de fer français, Paris, Dunod, 1883, 155 p., p. 1. 3. Les gardes présentaient les signaux d'arrêt absolu pendant cinq minutes après le passage du train. 4. La nécessité d'« un approvisionnement homogène » s'imposait pour des raisons d'économie d'entretien.

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de la fabrication qui s'exerçait aussi bien pendant la fabrication qu'après, grâce à un système sévère d'épreuves. De 1846 à 1855, la Compagnie expérimenta six procédés différents pour le traitement des bois. Le procédé Boucherie qui consistait à remplacer la sève par du sulfate de cuivre s'imposa. Deux petites commandes de traverses en fer furent passées à la fin de l'Empire à Anzin et aux Forges de Franche-Comté. Leur durée devait être double, mais l'expérience ne fut pas poursuivie. Malgré cette sévérité, malgré l'importance des dépenses faites pour la substitution de 1853 à 1857, l'usure des rails reprit à un rythme accéléré à partir de 1861. Le Comité eut beau « prescrire un renouvellement moins rapide des voies » elles continuèrent de s'user et les crédits d'être dépassés 2 . Sur Paris-Creil il fallait renouveler la voie tous les cinq ans. Il était évident dès lors « que dans un bref délai, on serait conduit à remplacer le fer des rails par une matière plus résistante » 3 . Jusqu'en 1864, l'acier, jusque-là puddlé, avait servi à fabriquer les rails des aiguilles. L'apparition de l'acier fondu et la baisse des prix, qui s'ensuivit, en rendirent rapidement l'emploi rentable sur des parties de plus en plus longues de la voie courante. En 1867 Couche, l'ingénieur de la voie, décida la substitution de 40 km de voie sur ParisCreil. L'expérience prouva que l'usure était au moins dix fois plus faible que celle des rails en fer. En 1868, en fonction des prix, on avait intérêt à utiliser l'acier sur le tiers du réseau : on le plaça sur les voies de retour de Paris-Erquelines et de Paris-Lille. Mais pour réduire la dépense d'établissement 4 , on commit l'erreur de choisir des rails de 30 kg. L a fréquence du renouvellement provoquait non seulement des dépenses exagérées de matériaux, mais aussi, au même titre que l'archaïsme de la signalisation, des dépenses de personnel. L'effectif au kilomètre passa de 2,2 en 1851 à 5,6 en 1872. De 1863 à 1873, l'accroissement annuel moyen fut de 11,7 %, contre 9,13 pour l'ensemble des effectifs, en raison du classement parmi les commissionnés des auxiliaires, car on pouvait espérer « en les embrigadant, obtenir plus de travail pour moins d'argent ». De 1867 à 1872, les dépenses de personnel représentèrent 52 à 56 % des dépenses de la division.

D. Deuxième division (Matériel et Traction) L'évolution des dépenses de la Deuxième division fut favorable : 5,4 % d'accroissement annuel moyen de 1850 à 1872. Elles représentaient 16 à 18 % des recettes de 1852 à 1859, 15 % en 1861-1862, 14 % en 1863-1866, pour s'élever de nouveau à près de 18 % en 1872. Egales à la moitié des dépenses totales en 1851, elles n'en représentaient plus que 40 % en 1867 (cf. graphique 9). L a Deuxième division pouvait mieux adapter ses dépenses au trafic : les lignes à faible trafic pesaient d'un poids moins lourd. Elle a surtout été le domaine privilégié de l'innovation à cette époque. Les trois principaux 1. 2. 3. 4.

48 AQ. 3832. 33-4. Le taux de remplacement fut de l/15 e en 1867 au lieu de l/30 e . 48 A Q 4 1 8 3 . 33-2. 48 AQ, 3874. 33-2. 8.

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chapitres des dépenses (salaires des mécaniciens et chauffeurs, entretien du matériel, dépenses de combustible) dépendaient d'abord du rendement de la locomotive. Car dès 1851, Petiet faisait observer que les dépenses d'entretien et de main-d'œuvre étaient indépendantes de la puissance de la machine et que celles de combustible ne s'accroissaient pas proportionnellement à cette puissance, dès lors « le prix de revient du transport d'une tonne kilométrique diminuerait, si le nombre des wagons remorqués par la machine augmentait » La locomotive resta à cette époque un engin plus empirique que scientifique, bien que dans les années 1860 on ait commencé à utiliser la méthode expérimentale scientifique. Citons les expériences faites par Petiet et Beugniot sur Chauny-Saint-Gobain pour étudier le problème de l'adhérence, celles menées par Nozo et Geoffroy sur la vaporisation et l'échappement. Mais bien des erreurs sont encore commises, tant en ce qui concerne la dimension des tubes de fumée, qu'en ce qui concerne la position du point de gravité. L'évolution résulte d'une adaptation aux exigences du trafic. Le Nord de ce point de vue avait vocation pour rechercher les machines puissantes. Mais « Il est toujours facile », écrivait en 1892 Du Bousquet, alors directeur de la Deuxième division, « d'augmenter la puissance; il est plus difficile d'y adapter les autres caractéristiques de l'engin, d'éviter les poids excessifs, les adhérences insuffisantes, les consommations excessives de combustible, les passages en courbe impossibles à cause de la longueur, les freinages trop dangereux ». Pour les locomotives « marchandises » Petiet a poussé à l'extrême la tendance à l'accroissement de la dimension de la chaudière et du foyer afin d'augmenter la puissance. Il a amélioré le travail des pistons sur les roues : il est parvenu à doubler la traction théorique par atmosphère effective (de 73 kg à 165,2 kg). Le nombre de wagons 10 tonnes remorqués sur des rampes de 5 millimètres passa de 20 (petites machines à trois essieux couplés de 1848) à 45 (6 essieux couplés, 4 cylindres). Le poids passa (machine pleine) de 39 000 kg à 59 700. Petiet considérait que cette augmentation favorisait la stabilité. Il multiplia les essieux moteurs pour accroître celle-ci et faciliter les démarrages et la traction en pente. Il conçut ainsi des « machines à adhérence totale » 2 , selon la définition de Demoulin, c'est-à-dire dont toutes les roues accouplées étaient motrices. L'adoption en 1851 d'une machine à six roues couplées, dérivée de la Mammouth de 1848 3 , et en 1854 d'une « Engerth » modifiée en fonction des besoins particuliers du Nord était justifiée par la nécessité « de réduire les prix de revient de la traction au point de vue du prix de la tonne kilométrique » 4 , car « la concurrence de la navigation forçait la Compagnie à réduire les tarifs déjà si bas et à adopter tous les perfectionnements » possibles. Il voulait « constituer des trains complets de houille », pour lesquels « la puissance des machines établit la limite du nombre des wagons,

1. 2. 3. 4.

48 AQ.3690. 32-2. A propos de la commande des grosses locomotives Creusot en 1851. Traité pratique de locomotive. Paris, 1898, vol. 1, chap. 1. La surface de chauffe était de 126,6 m 2 au lieu de 74,1. 48 AQ. 3737. 32-2.

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dont ils se composent ». Le prix de revient moyen de la TK passa de 1,65 centime en 1852 à 1,08 en 1857. Parallèlement Petiet avait mis au point des locomotives « fortes rampes » adaptées aux lignes à forte déclivité assurant un certain trafic. L'accroissement du trafic des houilles détermina Petiet à chercher un engin « réunissant les avantages de charge des Engerth et l'adhérence des fortes rampes ». Ce fut la locomotive à six essieux accouplés trois à trois, chaque groupe recevant l'impulsion de deux cylindres 1 . Lors des commandes de 1871-1872 ces modèles furent abandonnés au profit d'engins plus simples : la locomotive Engerth de 1854, dont le tender avait été séparé pour les gros trafics (600 tonnes sur Paris-Lens), la locomotive « Le Bourbonnais » empruntée au P O, les fortes rampes. Dans le domaine des locomotives voyageurs, la Crampton maintint son règne pendant tout l'Empire. Il en fut commandé 60 en tout. Elle était pourtant d'une « grande raideur » 2 . Ses démarrages étaient trop lents. En 1855, l'adoption d'un type mis au point par Engerth 3 permit de résoudre le problème des trains de nuit, surchargés de lait et de poisson. Deux locomotives express anglaises, mises au point sur le réseau du Great Northern, furent essayées en 1860. Mais Petiet la critiqua, il préféra appliquer à la Grande Vitesse les solutions adoptées pour la Petite, en employant « quatre cylindres à vapeur agissant par couple de deux sur deux essieux moteurs séparés » 4 . Ce fut un « fiasco complet » 5 . L'on revint au modèle anglais, qui avait été amélioré par l'adjonction d'un deuxième essieu moteur accouplé. Pour la Grande comme pour la Petite Vitesse une réaction très vive se produisit donc après sa mort, contre l'œuvre de Jules Petiet, accusé de ne pas tenir un compte suffisant des réalités de l'exploitation. Pourtant, la rapidité des progrès de la locomotive est démontrée par l'apparition précoce de phénomènes d'obsolescence. En 1872, les Clapeyron et les Buddicom de 1845 ne « répondaient plus aux exigences de la composition des trains » 6 , et les 64 petites locomotives marchandises de 1848 «encombraient les lignes en remorquant des trains faibles sans être susceptibles de marcher vite ». Sur toutes les machines des améliorations diverses furent apportées qui permirent soit d'augmenter leur efficacité, soit de mieux les adapter aux services auxquelles elles étaient destinées. La grille Belpaire permit de réaliser de grandes économies de combustible. L'injecteur GifFard permit de supprimer les pompes. La Compagnie eut une conception très innovatrice du freinage, en considérant, contrairement à l'Administration, que le mécanicien devait disposer de la puissance de freinage la plus grande possible. Il faut dire que, vers 1857, les trains « voyageurs » ne pouvaient bien souvent s'arrêter que sur une distance de 800 à 1 200 mètres. Ce fut d'abord le frein automoteur Guérin, qui fut abandonné en 1865. Dès 1857, des freins à 1. Surface de chauffe : 221 m a . 2 . D E M O U L I N , op.

cit.

3. 48 AQ3737. 32-2. La surface de chauffe était de 120 m. Elle avait les roues et les cylindres des machines du Midi. 4. 48 A Q 3780. 32-2. 5. 48 AQ, 3819. 32-2. 1862. 6. 48 AQ, 3958. 32-2.

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manivelle furent mis en place sur les Crampton, puis ce fut à la fin de l'Empire la contrevapeur, inventée par Le Châtelier, mais elle détériorait les mécanismes. En fait, aucune de ces solutions n'était satisfaisante : la Compagnie commençait à expérimenter les freins continus. Ces progrès de la locomotive expliquent pour l'essentiel l'évolution positive des dépenses de traction : leur accroissement fut seulement de 4,23 % en moyenne annuelle de 1854 à 1872. Tandis que les trains devenaient plus lourds, le coût du kilomètre de traction de ces trains baissa jusqu'en 1867. De 1854 à 1872, la puissance moyenne des machines s'accrut de près de 40 %. Mais cette puissance n'a pu être entièrement utilisée. L'exploitation était incapable de suivre les progrès réalisés dans le domaine de la traction. C'est un point sur lequel Couche, dans son traité, insiste beaucoup. Mais Petiet avait tenu compte non du prix de revient moyen, mais du prix de revient particulier de certains trafics, de la houille surtout « qui coûtent beaucoup moins cher que les autres, faits par wagons en général incomplets ou peu chargés » 1 . Il avait une conception presque américaine de l'exploitation, peut-être mal adaptée le plus souvent au trafic français. Le rendement des mécaniciens par rapport au nombre d'unités kilométriques transportées passa de l'indice 100 en 1853, à l'indice 125 en 1869 et 133 en 1872. Les parcours des mécaniciens correspondaient à un nombre d'heures de travail très peu inférieur à celui de l'ouvrier normal 2 . Mais la durée de travail eut tendance à s'allonger et surtout sa difficulté et son intensité à s'aggraver, en raison de l'emploi de combustibles de moins en moins coûteux et de l'intensification du trafic, à laquelle ni le freinage ni la signalisation n'étaient adaptés. Ces résultats avaient été obtenus grâce à la structure de la rémunération, dans laquelle la part du salaire fixe ne représentait que 40 à 50 % du total 3. Les mécaniciens étaient de très loin les mieux payés des cheminots, pourtant leur salaire avait été assez brutalement diminué au début de l'Empire. Après 1860, comme dans presque tous les services, la pression des salaires extérieurs obligea à faire quelques concessions grâce à des promotions un peu plus rapides. Mais dans l'ensemble la rémunération des tractionnaires stagna : indice 100 en 1859, 90 en 1867, 100 en 1869 pour le salaire moyen. Les dépenses de combustible évoluèrent de façon très favorable : le coût combustibles du kilomètre-train passa de 0,55 fr en 1855 à 0,17 ; en 1869, malgré l'augmentation de la puissance des locomotives, elles ne représentaient plus que 20 à 25 % des dépenses de la division, au lieu de 30 %. Après cette date il se releva jusqu'en 1872 d'une façon vertigineuse sous l'influence des prix du combustible. L'évolution résulte d'abord de « la substitution de la grosse houille au coke dans les trains de marchandises », puis de « l'emploi simultané des briquettes et de la grosse houille dans le même service », puis de la « substitution de ces deux combustibles au coke dans les trains-voyageurs eux-mêmes » et enfin « de l'emploi de plus en plus 1. 48 AQ.3767. 32-2. 1858. 2. Les mécaniciens « marchandises » pouvaient faire des trajets allant jusqu'à 10 heures de suite. Cf. notre article paru dans le Mouvement Social. 3. Cf. notre article du Mouvement Social.

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étendu du tout venant » 1 . Cette politique fut rendue possible par l'emploi de la grille Chobrzynski en 1855, de la grille Belpaire en 1860. Ces ingénieurs démontrèrent que les charbons n'usaient pas plus les tubes que le coke. Ce fut la cause principale de diminution des prix de revient sous l'Empire. Ce résultat fut obtenu grâce à des dépenses de capital très faibles. Mais en 1866 cette politique rencontra une limite. Or la consommation en poids diminua passant de 11,5 kg en 1855 à 9,8 en 1864, mais ici aussi une limite avait été atteinte. La consommation s'accrut de nouveau (11 kg en 18681869). « L'emploi de la houille, constatait Commines de Marsilly en 1859, l'ingénieur chargé de ce service, a empêché l'élévation du prix du coke 2. » La politique des qualités permit d'exercer une pression sur les prix. Les fournitures, d'abord exclusivement belges, furent de plus en plus françaises : 48 % en 1860, près de 70 % en 1868-1869. Au début la Compagnie signait des marchés à long terme. Elle y renonça car en cas de baisse elle perdait sur les prix et en cas de hausse l'extracteur se rattrapait sur les qualités. A partir de 1862, elle généralisa les engagements ne dépassant pas un mois. Le contrôle des fournisseurs était rigoureux : un système de primes et de pénalités sanctionnait les constatations faites sur les quantités de cendres et d'eau contenues dans les échantillons. Mais « les usines de briquettes sont insuffisantes », constatait Delebecque en 1866 3. L'emploi du tout venant porta remède à cette insuffisance. Les prix augmentèrent jusqu'en 1856 et baissèrent à partir de cette date jusqu'en 1865. La hausse commença en Belgique en 1863, se répandit en France du milieu de 1865 jusqu'au milieu de 1867. La baisse, d'ailleurs très faible, de 1868-1869 fit long feu et la hausse de 1872-1873 fut sans précédent : de 1865 à 1872 la hausse fut de 48 % pour les briquettes, 58 % pour le tout venant. Les dépenses d'entretien par kilomètre-train diminuèrent de 36 % de 1851 à 1861, stagnèrent jusqu'en 1864, s'accrurent de 25 % de 1864 à 1872. Leur accroissement annuel moyen de 1854 à 1872 fut de 5,27 %. Cette évolution se décompose en deux temps : jusqu'en 1862-1865 la baisse du salaire et l'augmentation du rendement de l'outillage et des hommes compense et au delà l'effet du vieillissement des véhicules. Après cette date l'augmentation des salaires s'ajouta à celui-ci pour contrebalancer l'effet du progrès technique de sorte que la dépense d'entretien par kilomètre-train augmenta de nouveau. Dès 1851 Petiet avait mis en valeur le fait que ces dépenses ne variaient pas beaucoup quelles que soient la puissance du moteur et la capacité des véhicules. Elles furent aussi influencées par la qualité des matériaux employés, bien que, dans ce domaine la Compagnie du Nord ait été des plus conservatrices. Malgré ses nombreux essais de pièces en acier (bandages Krupp, essieux Bowling), le fer dominait encore à la fin de l'Empire pour les organes de roulement et le bois pour les autres parties des 1. 48 A Q 3857. 32-4. 2. 48 AQ, 3780. 32-4. 3. 48 AQ, 3873. 32-4. Il y avait quatre usines : une à Marchiennes (Gosselies), une à Anzin, deux dans le bassin de Charleroi (Félix et Camille Dehaynin). Il s'agit d'Édouard Delebecque, fils d'O. Delebecque, premier vice-président du Conseil d'Administration. Il devint à la mort de Jules Petiet directeur de la Deuxième division.

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voitures et wagons, bien que ses avantages fussent illusoires. L'équipement des ateliers jouait aussi un grand rôle. La construction de ceux de Tergnier reflète cette conception économique de l'investissement, que nous avons déjà notée dans les gares. Les bâtiments étaient constitués par de simples supports de fer ou de fonte remplis de moellons ou de briques. La mécanisation marcha à un rythme relativement modéré, bien que sa rentabilité fût extraordinairement élevée : un marteau pilon acheté en 1862 coûta 54 000 francs : il procurait une économie annuelle de 31 750 francs. Les tours à engrenage remplacèrent les tours à poulie, les tours à chariot ceux à engrenage. Le travail à la tâche était la règle dans ces ateliers. Grâce à lui et à la mécanisation les effectifs s'accrurent moins vite que les travaux : de 1862 à 1873 l'accroissement annuel moyen fut, pour l'ensemble des ateliers, de 4,2 %, alors que les parcours augmentaient de 4,5 %. Les salaires baissèrent jusqu'en 1856, stagnèrent jusqu'en 1867, puis eurent une légère tendance à augmenter 1 . Cette pression des salaires explique l'accentuation de l'effort pour augmenter les rendements. En fait après 1864 le rythme d'accroissement des dépenses de la Deuxième division s'est accéléré, malgré la poursuite de l'effort technique. De 1863 à 1873 les dépenses annuelles s'accrurent en moyenne de 6,1 % par an alors que les recettes n'augmentaient que de 4,5 %. Or tous les accroissements de la productivité réalisés avaient été dus à cette division. Ce changement s'explique d'abord par le fait que les autres divisions n'ont pas suivi les progrès réalisés par elle : la recherche de l'augmentation de la puissance avait cessé de produire des effets aussi généralement bénéfiques que dans les années 1850; le chargement des trains ne s'y adaptait plus que pour quelques services; les économies dans l'emploi du combustible rencontrèrent une limite en 1865; la pression qu'il avait été possible d'exercer sur les salaires ne pouvait plus se prolonger et après avoir stagné quelque temps, ils tendaient à augmenter. Enfin les prix du combustible augmentèrent de façon catastrophique dans les années 1872-1873. Cette cause externe venait exagérer, tel un miroir grossissant, la détérioration du prix de revient ferroviaire, due à l'évolution interne de la gestion, à un changement profond des données de la dépense. Dès 1865, Petiet admettait que l'effort technique de réduction des dépenses avait atteint une limite et « que les causes générales de hausse (salaires, prix, parcours) allaient jouer à nouveau » 2 . Le tournant des années 1867-1872 est donc dû à un renversement dans l'évolution des dépenses de la Deuxième division et à une aggravation dans l'évolution défavorable des autres. CONCLUSION

DU

CHAPITRE

II

L'évolution d'ensemble résulte de ces évolutions par service. Ses principales orientations sont confirmées par la courbe d'évolution du prix de revient du kilomètre-train (graphique 10). Les coûts baissèrent jusqu'en 1854 1. Salaire moyen à La Chapelle : 1850 : 3,98 fr - 1856 : 3,78 - 1872 : 4,50 (montage seulement). 2. 48 AQ, 3853. 23-1.

L'INVESTISSEMENT

ET

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CONSÉQUENCES

grâce à la baisse des prix, à la réduction des salaires et des effectifs, aux premières innovations, en matière d'utilisation du combustible en particulier.

GRAPHIQUE

10

£c

I—I—I—I—I—I—I—I—I—I—I—I—I—I—I—I—I—I—I—I—I—I—I—I—I—I 1850

1855

1860

1865

1870

1875

Coût moyen du kilomètre-train de 1851 à 1874

L'accroissement de 1854 à 1856 (14 % : 2,389 au lieu de 2,093) s'explique par la hausse des prix, les corrections apportées aux mesures de réduction des effectifs, les engorgements de trafic provoqués par l'inadaptation de nombreuses gares, qui obligent à recourir à des palliatifs coûteux. Ce second temps ne fut qu'un épisode dans une évolution à long terme, orientée vers la baisse. Le troisième temps (baisse de 14 % de 1856 à 1865) s'explique par le jeu combiné et coordonné de la baisse des prix et des innovations, par le maintien à un niveau très bas des salaires, par l'élasticité que le réseau offrait. L'évolution favorable fut rompue en 1866. L'élasticité (c'est-à-dire la possibilité d'accroître le trafic sans augmentation proportionnelle des dépenses) du réseau initial explique pour la plus forte part, cette évolution favorable. Les installations étaient dans une

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situation de sous-emploi : il suffisait pour qu'elles fussent utilisées à plein, soit de quelques dépenses de capital supplémentaires relativement faibles, et d ' u n rendement assuré (commandes de matériel, renouvellement de la voie, agrandissement des gares), soit de simples mesures d'ordre ou d'organisation très facilement applicables : fusion des services de surveillance et d'entretien des voies, augmentation du chargement des trains par des avantages accordés aux wagons complets, multiplication du nombre des trains sur des voies encore peu fréquentées, création de trains de nuit. La technique ferroviaire par les quelques progrès qu'elle accomplit dans le secteur de la traction surtout, permit de mettre à profit cette situation de sous-emploi. Cependant, les difficultés que l'exploitation rencontra se comprennent mieux. Les méthodes d'exploitation restèrent empiriques et improvisées. Ainsi le rôle que les hommes jouaient fut rendu plus important encore : malgré le bas niveau des salaires, les dépenses de personnel représentaient 45 % des dépenses totales. Seuls ces très bas salaires permettaient de limiter les dépenses d'exploitation à un niveau qui permit une rémunération normale du capital. L'exploitation ferroviaire avait tous les caractères d'une activité primaire. Ces bas salaires expliquent aussi le faible effort d'innovation que l'on remarque dans les divisions autres que la Deuxième et l'absence générale d'une véritable politique de recherche technologique : les découvertes, mises à part celle de Petiet pour les locomotives ou de Lartigue pour les signaux furent le fait de « bons ouvriers », ou « d'habiles fabricants » selon l'expression de Couche à propos de Petin et Gaudet. Cet empirisme fut cependant plus grave encore à la Première et à la Troisième division qu'à la Deuxième. Dans celle-ci les progrès furent beaucoup plus rapides que dans les deux autres. L'augmentation de la puissance des machines fut rendue inutile et coûteuse par l'incapacité du service de l'exploitation à concentrer suffisamment le trafic. Le même Petiet qui recherchait cette augmentation de puissance fit, nous le verrons, la guerre aux groupeurs. La multiplication du nombre des trains sur les lignes se heurta à la lenteur des découvertes en matière de signalisation, à l'absence complète d'un procédé quelconque de freinage puisqu'il s'agit plutôt de procédés de ralentissement, à l'absence d ' u n système de gares de triage spécialisées, au développement insuffisant de l'éclairage artificiel, à la fragilité d'une infrastructure conçue « à l'économie », à la mauvaise qualité du métal. Dans un monde livré à l'énergie animale et humaine, aux improvisations, et aux tâtonnements dans le domaine de l'organisation, la machine à vapeur avait réalisé une percée technologique dont les effets ne purent, de ce fait, être aussi totalement bénéfiques, qu'ils auraient dû l'être. Le chemin de fer gaspillait les forces humaines : les exemples des gardes de nuit « hébétés » par un travail dur et pourtant très peu utile et inefficace et celui de la manutention à la main, sont symboliques de ce premier âge de l'exploitation ferroviaire. La machine à vapeur n'est qu'une exception. Ce manque de synchronisme entre les rythmes du progrès dans les différents services explique le « blocage » des années 1867-1872. U n e nouvelle percée technique qui ne fût plus limitée à la Deuxième division était nécessaire et s'amorçait à la fin de l'Empire : le block-system et la signalisation

L'INVESTISSEMENT

ET

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CONSÉQUENCES

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électrique, le rail d'acier, les triages spécialisés, les grands ateliers soumis à des normes rigides d'organisation, tout cela existait sous forme de projets, d'esquisses ou de premières commandes. A ces blocages internes s'ajoutèrent des blocages externes : hausse des prix, entraînés par celle du charbon, hausse des salaires dont la pression s'exerça sur la Troisième division dès 1860, évolution de la structure du trafic : les lignes récemment construites avaient un trafic insuffisant pour rémunérer le capital, tandis que les lignes anciennes souffraient d'un engorgement chronique et immédiat très coûteux. L a Compagnie n'avait plus autant qu'autrefois intérêt à « faire du trafic ». « Il n'est pas douteux, écrivait Petiet en 1867, que le renchérissement progressif de la main-d'œuvre et du combustible, l'extension de nos établissements, la prépondérance de plus en plus prononcée de la part contributive des recettes de marchandises dans l'ensemble de nos produits, jointe aux exigences de plus en plus prononcées du public et de l'Administration Supérieure tendent à augmenter le prix de revient de nos transports à PV et à réduire par conséquent le rendement net » et il ajoutait que « la manutention et la traction de plus en plus coûteuse devaient chaque année peser plus lourdement sur nos dépenses » x . Un rapport de 1874 parlait, à propos du rapport Dépense/Recette, d'une espèce de « rupture d'équilibre », survenue au cours des dernières années. Ces analyses pessimistes eurent pour première conséquence un effort sans lendemain, parce qu'insoutenable de limitation de l'investissement supplémentaire. Elles amenèrent surtout le Comité à réviser sa politique tarifaire dans le sens d'une limitation des réductions. En 1872, nous le verrons, Mathias 2 écrivit un long rapport conseillant cette politique pour la houille.

1. 48 AQ. 3886. 23-1. 2. Félix Mathias, successeur de Jules Petiet comme directeur de l'exploitation en 1871, avait été avant cette date sous-chef de l'exploitation.

CHAPITRE

III

LES TARIFS LA POLITIQUE COMMERCIALE SOUS L'EMPIRE

I. LES FACTEURS La tarification française a été dès l'origine inspirée par les principes de la tarification dite ad valorem, qui tendaient à demander « au voyageur (ou à la marchandise) non pas une somme proportionnelle aux frais qu'il occasionne, mais une somme un peu inférieure à celle qui lui ferait renoncer à son transport, pourvu que cette somme ne constitue pas la Compagnie en perte » cela aboutissait « à faire payer à ceux qui passent sur une voie de communication un péage proportionnel à l'utilité du passage », cette utilité variant « suivant chaque usage auquel chaque consommateur l'emploie » a . Le tarif ne dépend donc pas directement du prix de revient. Celui-ci ne définit qu'une limite inférieure pour les abaissements, tandis que le tarif dépend directement des « circonstances commerciales », c'est-à-dire de l'utilité marginale du transport pour l'expéditeur. La plupart des auteurs ont conclu après avoir analysé ces principes que « le tarif ad valorem ne tenait pas compte des coûts des transports et tendait à réduire les effets naturels de l'espace » 3 . Dans la pratique il était à peu près impossible de connaître l'utilité marginale des différents transports. Pourtant il n'est pas douteux que les principes définis par Dupuit en 1849 ont inspiré directement les dirigeants. « Le transport de la houille, écrivait Petiet en 1855, pour être fait en grande quantité doit être opéré à un tarif réduit, même sur les points où il n'y a pas de concurrence de la navigation » 4 . Il ajoutait « une différence de un 1. Jules Dupuit, « De l'influence des péages sur l'utilité des voies de communication », in Les Annales des Ponts et Chaussées, Mémoires et documents, série 2, t. 17, 1849, p. 170-248. 2. Ibid. 3. T . 9. de L'Encyclopédie française, 9 - 7 2 - 5 , sous la signature de Jacques B o u d e v i l l e . 4. 48 AQ. 3721 25-1.

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à deux francs peut influer grandement sur la direction que prendront les transports » Et Léon Say déclarait en 1870 que « l'on percevait un tarif suffisant sur certaines marchandises pour pouvoir assurer des prix très bas aux transports des marchandises qui ne pourraient pas supporter des prix élevés » 2 . Dupuit avait montré que cette valeur était particulière à chaque transport. Dans la pratique ces principes aboutissaient à proportionner le tarif à la valeur marchande de la marchandise. Ils tendaient à favoriser les entreprises en place et les courants de trafic préexistants, car la Compagnie n'entendait pas jouer l'incertain. La politique tarifaire tendait à confirmer les situations acquises. Lorsqu'un commerçant ou un industriel demandait qu'on lui accorde des réductions, la Compagnie exigeait la promesse de fournir un minimum de transport pendant un certain temps. Elle a ainsi cherché pas à pas, sans prendre de risques, à ouvrir des marchés plus lointains et plus larges aux industries locales. En fait elle fut toujours prête à faire des concessions « quand il s'agissait, à la faveur de cette concession de développer ou de créer le trafic » 3 , et ses « intérêts étaient étroitement liés à ceux des commerçants du Nord » 4 . La Compagnie disposait « de la ruine et de la fortune de tous » 5 . Les charbonnages français prétendirent qu'elle favorisait les charbonnages belges; les métallurgistes soutenaient que les tarifs des métaux étaient calculés pour aider Denain-Anzin. Plus généralement les Compagnies françaises furent hostiles aux intermédiaires, ces parasites inutiles. Il y avait une étrange contradiction à vouloir favoriser les expéditions groupées et à combattre les groupeurs. Le tarif « houilles » de 1855 fut calculé pour « dispenser les petits industriels de tout intermédiaire » 6 . La jurisprudence leur fut d'abord favorable 7, puis, à partir des dernières années 1850, hostile 8 . Toute la tarification marchandises Grande Vitesse fut élaborée contre eux. En fait la principale des « circonstances commerciales » dont la Compagnie eut à tenir compte fut la concurrence. Le roulage et la navigation accélérée continuèrent la lutte jusque vers 1860. Mais « par l'établissement de bureaux centraux aux principaux points d'expédition, déclarait le chef du service commercial en 1854, la Compagnie a obtenu d'une manière certaine et complète le transports de toutes les principales marchandises, et notamment celles dites de roulage » 9 . Quelques services de navigation

1. Ibid. 2. 48 A Q 3324. 3. 48 AQ. 4126. 4. 48 AQ, 3888. 5. 48 A Q 3695. 6. 48 A Q 3721. 7. La Compagnie perdit le procès que lui intenta un commissionnaire d'Amiens, Guérin. Elle dut « contrainte et forcée » accepter le groupage à condition que les colis soient réunis en un seul. L'arrêt est de 1854. 8. Cour de Paris. Kellerman et Compagnie de l'Ouest. 6 mai 1865 (in P I C A R D , Traité, t. IV, p. 298). L'arrêt établit que les commissionnaires ne pouvaient établir le groupage qu'à couvert et devaient payer autant de fois 10 centimes qu'il y avait de colis groupés. En Allemagne au contraire la tarification fut très favorable au groupage. 9. 48 A Q 3710.

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accélérée fonctionnaient encore entre Paris et Lille à la fin de l'Empire. Leur trafic était insignifiant. A la fin de la Monarchie de Juillet plusieurs auteurs 1 annoncèrent la mort inévitable de la navigation intérieure. La réaction vint des ingénieurs de la navigation et surtout des Chambres de Commerce et du Comité des Houillères, qui annonçaient que la Compagnie « ne voulait qu'écraser toute espèce de concurrence pour renforcer son monopole » 2 . Le programme de l'Empereur du 5 janvier 1860 fut l'aboutissement de cet effort. Il consista en deux points : tout d'abord un programme de construction et d'amélioration des voies navigables 3 , dont la région du Nord ne profita qu'à peine (3,62 % du total). Grâce à ces travaux, en 1867, la batellerie pouvait « parcourir sans obstacle et en pleine charge l'artère principale de la ligne du Nord » 4 . Mais surtout on diminua les charges financières de la batellerie. Déjà en 1850 la reprise du canal de Saint-Quentin avait permis de ramener de 2 à 1 centime les charges par tonne sur cette voie. De Mons à Paris la réduction de 1860 ramena la valeur des droits par rapport à la dépense totale d'un voyage de 45 % à un quart ou un cinquième. En même temps l'État racheta les canaux d'Aire à La Bassée et de la Sensée et y appliqua les mêmes tarifs. Seuls ne furent pas rachetés les canaux de la Scarpe et de la Sambre à l'Oise, sur lesquels les droits étaient par conséquent beaucoup plus élevés, ce qui favorisait les intérêts de la Compagnie du Nord. Elle soutint que ces charges ne correspondaient pas aux charges réelles du capital dépensé pour la construction du réseau. Pourtant même si elles avaient été payées à un taux de 5 %, elles auraient été trois fois inférieures à celles des charges du capital ferroviaire payé au même taux. Les réductions de droits ne faisaient qu'accentuer une supériorité naturelle de la voie d'eau. Cependant si le coût global moyen des charges est plus élevé pour le chemin de fer, il en va différemment si l'on considère les coûts marginaux : ces considérations pouvaient justifier l'exonération de la voie d'eau. Les autres éléments du prix de revient donnaient, en principe au moins, un avantage à la voie d'eau : car « ce qui fera toujours, écrit l'ingénieur Bazin, le bas prix de la navigation, c'est la simplicité de ses moyens comparés à l'excessive complication de l'exploitation des chemins de fer et la masse énorme des capitaux qu'elle exige » 5 . La valeur du matériel de traction est incomparablement plus faible pour la navigation 6 . Les frais de traction sont très faibles. Mais ces avantages étaient en grande partie compensés par « la manière barbare » selon laquelle la batellerie était pratiquée. L'introduction du touage sur certains points critiques améliora quelque peu la situation, mais le halage par chevaux ne fut jamais bien organisé et le désordre s'aggrava après le rétablissement par Rouher en 1859 de la liberté 1. Cf. en particulier Collignon, Teisserenc et Louis Chevalier. 2. 48 AQ, 3625. 3. Sous l'Empire, pour l'ensemble du territoire français la dépense moyenne annuelle fut de 12 568 000 francs, contre 8 775 254 sous la Restauration, 20 073 300 sous la Monarchie de Juillet, 9 448 000 sous la Seconde République. 4. Exposé de la situation de l'Empire de 1867. 5. Article des Annales des Ponts et Caussées. 1867. 6. Un bateau ne coûte que quelques milliers de fr, un train complet plus de 100 000 fr.

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commerciale. L'inorganisation de la profession batelière entraînait d'énormes pertes de temps. U n bateau ne pouvait faire que cinq voyages tous les deux ans. Avant 1860 ils pouvaient à peine couvrir les frais d'amortissement de leur matériel. Les réductions de droit de 1860 et 1867 sauvèrent la batellerie. Le prix de revient sur la ligne du Nord était de 0,013 à 0,015 par T K . Le prix de revient de la navigation était libéré au moment où le prix de revient ferroviaire devenait plus pesant. Les bateliers n'avaient résisté que parce que, selon l'expression de Bazin, ils avaient lutté « pro aris et focis » 1. Il n'est pas douteux que « partout où la ligne du Nord a dû subir la concurrence de la voie d'eau, elle s'est montrée modérée » 2. C'est la raison pour laquelle les tarifs du Nord furent inférieurs à ceux des autres Compagnies : « bien loin de prouver le soi-disant désintéressement des Compagnies ces tarifs n'ont été », constatait la Chambre de Commerce de Paris, « conçus que dans le but de vaincre la concurrence des messageries, du roulage et de la navigation » 3. En revanche, les traités de partage de trafic avec les Compagnies voisines furent précoces et les périodes de vraie concurrence rares. Les clients situés près de la voie d'eau jouissaient d'un avantage naturel. L'exploitation ferroviaire renforçait l'inégalité au lieu de la supprimer. Fallait-il parce que ce port n'était pas desservi par les canaux sacrifier Boulogne? Mais aussi condamner les petits centres industriels parce qu'ils ne pouvaient alimenter le trafic en un flux régulier de wagons complets? Car quel que fût le faible rôle du coût dans la théorie tarifaire, la prise en considération du prix de revient fut dans la pratique décisive. Dupuit déjà constatait que « dans de nombreuses circonstances on peut dans un chemin de fer transporter beaucoup de voyageurs à très peu de frais » et que pour les marchandises « un surcroît de chargement n'occasionne pas un surcroît de dépenses proportionnel et on peut faire descendre considérablement le prix du péage » 4 . Une expérience quotidienne enseignait que la dépense de traction n'était pas proportionnelle à la charge ni à la distance; que la dépense d'un train vide n'était pas beaucoup plus faible que celle d'un train chargé. Nous avons insisté sur l'importance des dépenses d'exploitation et de capital fixes, indépendantes du trafic. G. Marqfoy utilisa cet argument en 1863 pour accuser les Compagnies françaises de timidité : d'après les comptes de la Compagnie du Midi il concluait que ces dépenses spéciales représentaient 64 % des dépenses d'exploitation des trains. Nous avons vu que Petiet utilisa cet argument dans les années 1850 pour imposer au Comité la constitution de trains lourds de houille. Il affirmait en 1858 que « les prix de revient du transport des charbons sont probablement inférieurs à un centime », alors qu'au même moment l'inspecteur général de Fourcy concluait qu'une tonne-kilomètre sur le réseau du Nord sans les charges de capital coûtait 2,59 centimes, et avec elles 5,76 centimes. On savait donc que le coût moyen ne devait pas être 1. Article cité de 1867. 2. AGN. 3. Archives de la Chambre de Commerce de Paris. 4 . DUPUIT, lot.

cit.

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pris comme limite inférieure des abaissements : « il n'y a aucun lien, aucune dépendance, aucune action réciproque entre les tarifs et les dépenses d'établissement » écrivait Marqfoy. On savait que le coût réel variait en fonction inverse de la charge et de la distance, en fonction directe de la régularité et de la durée du magasinage. On savait « que la distance kilométrique des transports diminue lorsque le trafic augmente » 1 . Les tarifs particuliers ne firent que tirer les leçons de ces faits d'expérience et ont eu pour seul but d'amener les transporteurs à donner à leurs transports le régime le moins coûteux possible pour la Compagnie. Il s'agit d'ailleurs pour la plupart d'entre eux de tarifs conditionnels : or chacune des conditions avait une répercussion sur le prix de revient des transports. Les ingénieurs sous l'Empire ont senti qu'une exploitation progressive devait être orientée vers une diversification tenant compte dans une mesure importante de la diversité des prix de revient. Mais les techniques comptables rendaient impossible toute analyse sérieuse des prix de revient différentiels. Leur ignorance leur a fait rencontrer assez vite une limite. Cependant la Compagnie a cherché à créer un espace économique cohérent par référence à ses intérêts : trains complets parcourant les plus longs trajets possible, trafics réguliers sans pointes ruineuses, trafics équilibrés. Ce programme pouvait introduire dans l'ensemble du système productif une plus grande rationalité. Les contemporains ont surtout été sensibles aux injustices. « La France est ruinée », écrivait ironiquement Ed. Boinvilliers en 1859 « car nos chemins de fer transportent à trop bon marché » 2 . Certaines Chambres, telles celle de Saint-Quentin, se déclarèrent toujours satisfaites. Toutes déplorèrent non les abaissements eux-mêmes mais leur inégalité. Les Compagnies « pouvaient ruiner les uns pour enrichir les autres » 3 . Toutes prenaient la défense des petits expéditeurs contre les gros car « l'inégalité des tarifs profitait à ceux-là que favorise déjà l'importance de leurs relations commerciales » 4 . Plus graves encore étaient les inégalités de traitement de ville à ville. Les tarifs différentiels provoquaient « un remaniement de la carte de France » 5 ; ils favorisaient les points extrêmes aux dépens des villes intermédiaires. Les protestations les plus véhémentes émanèrent des villes placées dans la seconde position : Rouen, Amiens, Boulogne, les charbonnages du Pasde-Calais. Même les villes extrêmes, même les gros expéditeurs ne désiraient pas que la Compagnie « ruine les autres voies de transport et attire sur sa ligne tous les transports » 6 . En 1850, devant le Conseil d'État, Kuhlmann déclarait que toutes les industries étaient solidaires des bateliers. Petiet ne cessa de déplorer ces « revendications anticommerciales », qui tendaient à maintenir un trafic par canaux jugé plus coûteux et archaïque, à obtenir des 1. G. MARQFOY, De l'abaissement des tarifs de chemin de fer en France, Paris, 1863. 2. Ed. BOINVILLIERS. Des transports à prix réduits sur les chemins de fer, Paris, Hachette, 1859, 167 p., citation p. 3. 3. Archives de la Chambre de Commerce de Paris. 4. Ibid., 1856. 5. Ibid., 1856. 6. Chambre de Commerce de Lille, 1850. 2 566053 6

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tarifs établis sur les bases les plus égales possible, ce qui contredisait aussi bien la diversité des circonstances commerciales que celle des prix de revient. L a première revendication triompha après 1860. L a seconde ne fut pas sans rencontrer d'échos. La Chambre de Commerce de Rouen demandait en 1857 « un seul prix uniforme par tonne-kilomètre », et celle de Paris « l'égalité absolue entre tous qui commence à la tonne pour le poids et pour la distance à six kilomètres » Cette campagne d'opinion obtint l'interdiction des traités particuliers, puis celle des tarifs d'abonnement, puis parvint à faire imposer aux Compagnies des clauses telles que celle de la « station non dénommée », qui généralisaient à plusieurs trajets les concessions faites pour un seul. Ces résultats vinrent, à la fin de l'Empire, confirmer la Compagnie dans la politique de prudence à l'égard des réductions que l'évolution des coûts tendait à lui faire adopter. Ils contribuèrent à diminuer la souplesse de l'exploitation et sont une conséquence néfaste de la tutelle. L'analyse des tarifs sera faite en deux temps : analyse de leurs modalités tout d'abord; analyse de leur évolution ensuite.

II. LES MODALITÉS A. Les moyens non tarifaires de lutte contre la concurrence L a tarification n'était pas le seul moyen de conquête du trafic. Les avantages que le chemin de fer apportait lui permettait, quel que soit le niveau des tarifs, de s'imposer. S'il nous fallait d'un mot résumer la révolution ferroviaire, nous dirions que cet investissement a permis au capital déjà existant ou au capital nouveau d'être utilisé plus intensément, avec une plus grande souplesse, grâce à l'amélioration des liaisons entre les différents éléments le composant. L a plus grande rapidité des voyages d'hommes d'affaires, le développement des embranchements particuliers et des entrepôts liés aux gares, la rapidité et surtout la régularité plus grande des transports de marchandises sont autant de facteurs qui rendirent ces liaisons plus faciles. Elles furent sources d'économies : économie de stock, économie due à la suppression des temps morts dans l'utilisation du capital et des matières premières produites. Pour les marchandises l'avantage de la régularité était au moins aussi grand que celui de la vitesse. Un arrêté de 1859 fixa le délai de livraison à 24 heures pour 125 km, cette distance fut portée à 200 en 1866. Par rapport au canal la supériorité du chemin de fer était écrasante : 6 à 7 jours depuis les bassins houillers jusqu'à Paris au lieu de 50 à 70. L a nécessité des stocks d'hiver disparaissait. L'immobilisation d'un important capital et le paiement de lourds intérêts étaient évités. L a certitude des délais donnait au chemin de fer sa principale supériorité.

1. Archives de la Chambre de Commerce de Paris.

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Pour les voyageurs l'exploitation française était caractérisée par la faible longueur des étapes franchies sans arrêt par les trains express entre chaque station : 31 km sur Paris-Bruxelles, 63,5 sur Paris-Calais alors qu'en Angleterre on atteignait normalement 100. De plus les trains express étaient réservés aux voyageurs de première et de seconde et « les voyageurs étaient souvent obligés de subir une longue attente aux croisements » « en raison des correspondances insuffisantes » 1 . Les véritables améliorations dans ce domaine n'apparurent qu'après 1879. Jusque-là les services voyageurs du continent furent peu satisfaisants. Plus souple que le canal, le chemin de fer l'était moins que le roulage. Dès l'origine, nous l'avons vu, un réseau dense de correspondances fut mis en place qui compensa en partie cet inconvénient. Les bureaux de ville, les agences à l'étranger permirent au commerce de « trouver les habitudes du roulage » et « la possibilité de l'expédition directe à prix fixes jusqu'à destination » 2. Ils étaient d'ailleurs gérés par d'anciens commissionnaires ou rouleurs, qui perdaient ainsi « la bonne et douce indépendance de l'industrie particulière » 3. Les facteurs à la halle de Paris eux-mêmes se firent les propagandistes influents des chemins de fer *. L'extension progressive du réseau atténua peu à peu le désavantage dont le chemin de fer souffrait vis-à-vis du roulage. Enfin les ingénieurs abandonnèrent leur hostilité à l'égard des embranchements particuliers. Il fut construit autant d'embranchements en 1856-1857 que durant les huit années précédentes. Jusqu'en 1868 la moyenne annuelle fut de 8,5, avec un maximum en 1860-1862. En 1869 il y avait 102 raccordements 5. Certaines usines étaient reliées directement à leur source de matières premières 6 . Le chemin de fer permettait de rationaliser la gestion interne des entreprises. Certaines houillères créèrent leurs propres dépôts de charbon pour la vente. En ce qui concerne les entrepôts, le chemin de fer avait une position d'infériorité, car les navires eux-mêmes, les quais des rivières pouvaient « servir de gares d'arrivage et de séjour », tandis que « les entrepôts et les magasins généraux étaient au bord même du canal » 7 . En fait les chemins de fer français ne parvinrent jamais à imposer une discipline à leurs clients et « le commerce français s'accoutuma à transformer les gares en magasins et en entrepôts », bien que « le séjour soit interdit dans les gares » 8 . Ces pratiques anormales ne pouvaient résoudre le problème, or la Compa-

1. Ministère d e l'Agriculture, d u C o m m e r c e et des T r a v a u x publics, Enquête sur l'exploitation et la construction des chemins de fer, Paris, 1863, 343 p. 2. 48 A Q . 3710. 3. Article d e François M O R I N dans le Figaro, reproduit dans L'Industrie du Nord et du Pasde-Calais, 17 juillet 1862. 4. C'est le cas en particulier d ' u n certain Dreyfus, facteur à la halle a u x blés. 5. 20 houillères, 26 usines métallurgiques, 19 sucreries, 16 usines céramiques ou verreries, 5 usines textiles, 6 usines à gaz, 12 carrières ou fours à c h a u x , 2 scieries, 2 usines à ciment. 6. L'usine d e Saint-Gobain aux sables d e Montescourt, l'usine de ciment de D e m a r l e à la carrière d e craie d e Neufchatel, l'usine d e D e n a i n a u gisement d e minerai d u coteau de Lienne, l'usine d e M o n t a t a i r e à O u t r e a u a u x castines d'Étaples. 7. Archives d e la g a r e d u N o r d . L e t t r e d e F l a c h a t à Petiet de 1861. 8. J A C Q M I N , op. cit., p . 9. Cf. n. 6 ci-dessus.

9.

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gnie eut de mauvaises relations avec les établissements jouissant du privilège légal d'entrepôts. Les Compagnies de chemin de fer, craignant de devoir se soumettre à la loi de son monopole, firent échouer la Société des Docks fondée en 1852 et il fallut le liquider en 1862. Ses installations furent reprises par la Compagnie des Entrepôts et Magasins Généraux de Paris 1 , qui transporta ses établissements près des voies ferrées et signa avec les Compagnies des accords d'exploitation. Par contre la Compagnie des Docks de Saint-Ouen échoua après avoir agité de trop ambitieux projets et ses installations furent rachetées en 1872 par la Compagnie du Nord. Les entrepôts d'Amiens, de Douai, de Dunkerque, de Valenciennes furent raccordés en 1861 et 1862, celui de Saint-Denis en 1864. Le chemin de fer avait donc ainsi peu à peu adapté son exploitation aux habitudes du commerce et aux besoins de l'industrie. Cet effort d'adaptation permit aux économies de stocks, de capital, de temps que le chemin de fer rendait possible d'avoir leur pleine efficacité. Mais ces avantages ne sont rien en comparaison des économies directes provoquées par la baisse du coût des transports eux-mêmes.

B. Les modalités des tarifs voyageurs L a taxation par classes pour les voyageurs est le meilleur exemple d'une diversification en fonction des circonstances commerciales et des prix de revient. Les trois classes ont pour but de faire payer à chacun ce qu'il accepte de payer pour un service semblable. Mais pour attirer le plus de voyageurs possible dans les classes les plus élevées, les chemins de fer devaient diversifier au maximum les services. Les express étaient réservés aux classes supérieures et les omnibus très lents car « la vitesse est une marchandise qu'il faut payer » 2 . De plus les voitures de troisième « devaient être d'un séjour aussi désagréable que possible » 3 . Ces distinctions reflètent aussi tout un système de préjugés sociaux : elles furent « imitées à l'origine de nos chemins de fer du système adopté en Angleterre par des considérations sociales », or « les Anglais n'avaient jamais pensé que les gens pauvres dussent jamais profiter de ce moyen de transport »... 4 . Ils avaient donc « construit des voitures de luxe pour l'aristocratie, des voitures strictement confortables pour la bourgeoisie ». L'afflux des voyageurs de troisième classe obligea à réviser ces conceptions, en France comme en Angleterre, mais plus tardivement.

C. Les modalités des tarifs marchandises Pour les marchandises, une tarification qui n'aurait tenu compte que du prix de revient aurait été fondée uniquement sur le poids et sur la distance : 1. Cf. à ce propos 65 A Q . F 481 et 482. 2. Enquête de 1862. 3. E. MARCHÉ, Le poids mort dans les transports sur chemins de fer, Paris, E. Lacroix, 1871, 138 p. 4. Ibid.

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ce fut le système de la tarification naturelle pratiquée en Allemagne après 1871. Pour les tarifs généraux la prise en considération des « circonstances commerciales » aboutissait à la classification, héritage des tarifications routières antérieures. Le tarif de 1858 consacra un grand nombre de déclassements. La Compagnie du Nord orienta toutes les Compagnies françaises vers la multiplication des classes « de manière à n'avoir pas une trop grande différence de l'une à l'autre » 1 . Elle avait six séries comprenant 1 384 articles et 1 836 désignations, Les séries les plus hautes comprenaient les marchandises de faible valeur, la sixième les matières premières de l'industrie métallurgique, chimique, minière et du bâtiment. La quatrième classe créée par l'Etat en 1865 devint sur le Nord une septième série (houilles, marnes, engrais, pavés, minerais). La première série payait 0,16 fr au km, la dernière 0,03 à 0,10 suivant les distances. La considération du prix de revient n'était pas ignorée. Les marchandises des classes les plus basses étaient celles qui demandaient le moins de soin et étaient le plus facilement groupées. La septième série était réservée aux marchandises transportées par wagons complets. La décroissance du prix en fonction de la distance était une application du même principe 2 . La Compagnie pour supprimer les détours avait multiplié « les distances d'application ». Elles furent ramenées à une distance égale à la distance à vol d'oiseau, plus un tiers. Leur nombre alla en diminuant au fur et à mesure de l'achèvement du réseau. Elles posaient de délicats problèmes et soulevèrent de nombreuses polémiques : Boulogne se jugea toujours injustement traitée et n'avait pas tout à fait tort, car « la Compagnie ne cachait pas sa préférence pour Dunkerque » 3 . Dès 1852 la plupart des transports avaient cessé d'être faits aux conditions des tarifs généraux. La Compagnie avait soit accordé des tarifs spéciaux soit surtout signé des traités particuliers pour « avoir des transports », « en échange des abaissements de prix » 4 . Les traités prévoyaient que les signataires remettraient à la Compagnie tous leurs transports. Cette clause de « préférence exclusive » était la condition principale de l'abaissement car les traités furent avant tout une arme contre la batellerie et le roulage. La Chambre de Commerce de Saint-Quentin remarquait « que chaque jour les manufacturiers vendent à des prix de faveur... à condition expresse que leurs acheteurs leur assureront soit un écoulement plus considérable et déterminé de leurs produits, soit l'acquisition de tous ceux qu'ils consomment » 5 . Les voituriers et les bateliers utilisaient couramment cette méthode. Toutes les grandes industries du Nord s'y soumirent. Mais dans la pratique la clause de la préférence exclusive était très difficile à faire respecter. En 1854 le Comité consultatif des chemins de fer refusa de laisser

1. 48 - A Q 3763. 1856. 2. La Compagnie du Nord fut la première à adopter la tarification belge, qui permet de graduer réellement et sans palier l'abaissement; alors que le système P L M obligeait à établir des paliers. 3. 48 AQ. 3748. 4. Ibid.

5. 48 AÇ) 3748. Lettre de la Chambre de Commerce de Saint-Quentin, du 17 juillet 1857.

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introduire dans les traités une clause obligeant les signataires à imposer le chemin de fer à leurs acheteurs ou à leurs vendeurs. Ces traités, qui permettaient périodiquement « aux acheteurs et aux vendeurs... de fixer après discussion la rémunération d'un transport » 1 correspondaient à l'idéal défini par Jules Dupuit. En 1857 ils étaient devenus la règle, car une concession accordée à une entreprise était peu à peu étendue à tout un secteur. Le Comité consultatif les interdit en 1857. La Compagnie introduisit la clause de la préférence exclusive dans les tarifs d'abonnement, qui avaient été utilisés dès 1852 pour la houille et le plâtre. Ils créaient une prime, proportionnelle à la quantité de transport effectivement fournie, en faveur des expéditeurs qui s'engageaient pour un minimum. En 1860 ils furent à leur tour interdits. La Compagnie transforma ses tarifs d'abonnement en tarifs spéciaux. Us étaient avant tout conditionnels s'appliquant « aux grosses marchandises se transportant en masses, auxquelles on accorde des réductions de prix suivant certaines conditions déterminées » 2 , telles que l'obligation de donner des wagons complets, la faculté de prendre de plus longs délais, la suppression de toute responsabilité en cas d'avarie, l'engagement de libérer le matériel dans un délai restreint. En fait des clauses secrètes de préférence exclusive furent encore fréquemment utilisées. Ces tarifs spéciaux étaient soit des tarifs à barème décroissants, comme les tarifs généraux, soit des tarifs à prix ferme s'appliquant à un transport donné sur une distance donnée. « Chaque fois », déclarait Mathias, le successeur de Petiet à l'exploitation, « que nous avons vu qu'il y avait un besoin à satisfaire, nous avons homologué un nouveau tarif » 3 . Us permettaient de limiter les concessions au strict minimum, c'est-à-dire aux relations sur lesquelles on pouvait être sûr qu'un abaissement déterminé du tarif pouvait entraîner une augmentation proportionnelle du trafic. Le chemin de fer suivait les initiatives locales plutôt qu'il ne les suscitait. La prudence s'imposait d'autant plus à la fin de l'Empire que le gouvernement obligeait les Compagnies, par la clause de la station non dénommée, à généraliser la concession à toutes les gares se trouvant sur le trajet 4 .

III. L'ÉVOLUTION La baisse des tarifs peut être analysée à l'aide de la courbe des tarifs moyens perçus par tonne-kilomètre {cf. graphique 61), établie non d'après les chiffres réels, mais d'après les moyennes mobiles sur trois ans. Les réductions furent très accentuées jusqu'en 1865, se poursuivirent jusqu'en 1873, mais à un rythme beaucoup plus lent. De 1849 à 1866 la réduction fut de 40 %, de 1866 à 1873 de 9 %. Après cette date il y eut stagnation jusqu'en 1. 2. 3. 4.

48 AQ, 3748. 48 AQ. 3816. 48 A Q 3 8 1 6 . Cf. supra, p.

Lettre de la Chambre de Commerce de Valenciennes, du 23 juillet 1857. 25. 25. 130.

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1882 (5,48 centimes en 1873 et 5,43 en 1882). La période qui débute en 1867 fut donc une période transitoire, au cours de laquelle les tarifs furent moins généralement et moins facilement abaissés. On peut distinguer plusieurs périodes courtes : jusqu'en 1855 se produisit une véritable effondrement (— 32 % depuis 1849) : 6,82 centimes au lieu de 10,15. Puis le tarif se stabilisa jusqu'en 1862 (6,90). Une nouvelle et très forte baisse se produisit de 1862 à 1865 (— 12,3 % en trois ans).

A. 1852-1855 La cause principale de l'effondrement des tarifs durant la première période fut la réduction des tarifs houilles, décidée sous la pression de la concurrence de la navigation et en fonction des analyses de prix de revient et des commandes de grosses locomotives, que nous avons évoquées 1 . La concurrence imposa sa loi pour bien d'autres marchandises (plâtre cru, sel de Saint-Gobain depuis Calais, minerais de cuivre 2 et même les sucres). Liées strictement à la concurrence, les réductions furent en fait assez limitées. Le bilan fut positif : si les marchandises autres que la houille étaient encore taxées 9 centimes à la tonne-kilomètre en moyenne, pour les combustibles l'essentiel était acquis (3,60 centimes alors que ce tarif moyen ne s'abaissa jamais au-dessous de 2,65). En matière de trafic international, cette période fut peu innovatrice : les nouvelles conventions signées en 1852 et 1854 avec les Compagnies belges et allemandes étaient moins favorables que celles de 1849. La Compagnie ne créa pas de tarifs directs pour l'Angleterre. Quant aux tarifs communs avec les autres Compagnies françaises, ils étaient peu développés. Une réaction contre les réductions se produisit à partir de 1853 et s'affirma en 1855. Elle s'explique de trois façons : tout d'abord les exploitants eurent l'impression que la concurrence s'atténuait car « le chemin de fer n'était plus supérieur au prix de la navigation » 3 . De plus les craintes exprimées par la commission de comptabilité concernant les dangers d'un accroissement trop rapide des dépenses de capital, au moment où les services manquaient de matériel pour satisfaire les expéditeurs, incitèrent à modérer les réductions. Enfin la campagne d'opinion hostile aux tarifs différentiels poussait les dirigeants à la prudence. En jouant contre la diversification les freins mis aux initiatives des exploitants jouaient contre les abaissements.

B. 1855-1862 C'est pourtant « avec une grande hésitation et même avec une certaine répugnance », que Petiet « se décida » 4 en septembre 1855 à proposer 1. En 1852 le fret Mons-Paris était tombé à 7,80 fr en hiver et à 9 fr en été, alors que le chemin de fer revenait à 15,10 fr. 2. 48 AÇ) 3713. Il était destiné à l'usine de Techyer et Merdasch à Biache près de Vitry, car « ces marchandises servaient à alimenter la navigation ». 3. Conseil d'Administration, séance du 7 septembre 1855. 4. 48 AQ.3746. 23. Rapport sur le trafic houille 1855.

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un tarif de houille qui entraînait certains relèvements Mais l'atténuation de la concurrence, sur laquelle on avait compté fit long feu et en 1856 le fret « subit une baisse considérable » 2 . L'écart entre les prix d u canal et du chemin de fer passa à 38 % pour Saint-Ghislain-Paris, 28 % pour Charleroi-Paris. La Compagnie avait dans les différents bassins des agents dont la mission était « d'enlever à la navigation le plus de tonnage possible ». Celui de Mons conseilla en 1858 de revenir sur les relèvements de 1856. C'est alors que fut mis au point le système de tarification des marchandises en fonction du nouveau cahier des charges 3 . « Le tarif général, écrivait Petiet à propos de ce nouveau livret de 1858, se trouve plus bas que les tarifs anciens pour lesquels on n'avait fait que de faibles réductions et plus élevé que ceux pour lesquels des abaissements avaient été opérés » 4 . C'est alors que furent supprimées les distances d'application anormalement faibles. Toutes les marchandises « transportées en petite quantité et à des distances plus ou moins rapprochées » passèrent à la série supérieure 5 , alors que les marchandises « transportées p a r fortes parties et à de longues distances » passaient dans la série inférieure, à condition d'être transportées en wagons complets. Ces tarifs spéciaux ne faisaient que prolonger les traités particuliers : comme eux ils résultaient d'une adaptation à la concurrence des canaux et au prix de revient. Lorsque les tarifs d'abonnement furent interdits en 1860, la Compagnie en profita pour relever, en les taxant au taux ordinaire du tarif général, les tarifs de transports non concurrencés p a r la voie d'eau, en raison de la rapidité nécessaire à leur expédition (sucres, trois-six, huiles, vins, poisson). Au contraire les transports de grain, farine, pommes de terre, bières et cidres, matériaux de construction, minerais, fers et fontes « ne pouvaient être acquis à la Compagnie que moyennant les prix réduits des tarifs d'abonnement » 6 . L'abaissement des droits de navigation en 1860 fut une réponse à ces « surélévations impolitiques ». Pourtant dès 1861 il apparut que certaines de ces décisions n'avaient pas tenu u n compte suffisant de la concurrence, en particulier pour les sucres. En 1863 il fallut consentir un nouvel abaissement pour les houilles, à la suite de la réduction des droits de navigation de 1860, dont on avait cru pouvoir négliger les effets. Cette décision ouvrait une période nouvelle dans l'histoire des tarifs : au total, en ce qui concerne les tarifs intérieurs au réseau, de 1855 à 1862 le relèvement fut faible mais normal en cas de non concurrence, la stagnation la règle en cas de concurrence. En matière de tarifs internationaux au contraire, la Compagnie accorda de nombreux et sensibles abaissements, justifiés tous par la concurrence des réseaux voisins. Ces progrès concernent plus les relations avec l'Angleterre 1. U n barème général de 6 centimes jusqu'à 100 kilomètres et de 3 centimes au delà. 2. 48 A Q 12. Conseil d'Administration, séance du 8 mai 1857. 3. Il prévoyait non seulement, comme nous l'avons vu, l'interdiction des traités mais aussi la réduction des tarifs légaux, réductions qui pour la plupart les situaient à un niveau encore supérieur aux tarifs généraux déjà homologués de la Compagnie. 4. 48 AQ. 3365 25. 5. Ibid. 6. 48 AQ, 3789. 26-1. Rapport du 16 février 1860.

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que celles avec les pays du continent 1 . Cependant la politique de développement des tarifs communs avec les autres réseaux français resta timide. 80 % d'entre eux intéressaient les relations régionales entre l'Est et le Nord. Au total de 1855 à 1862 le tarif moyen perçu se maintint aux environs de 7 centimes (4,06 pour la houille, 9,5 pour les autres marchandises).

C. 1862-1870 Le développement des échanges dû aux traités de commerce a été contemporain de l'achèvement des lignes de grande communication françaises et européennes : tous les grands ports français, toutes les grandes places commerciales françaises étaient reliés par des voies très directes. Cet achèvement intensifia les formes anciennes de concurrence et en créa de nouvelles. Au même moment l'abaissement des droits provoqua l'intensification de la concurrence par la voie d'eau. L'évolution favorable des dépenses d'exploitation a permis que ces différentes concurrences portent leurs fruits. La période 1862-1870 est caractérisée ainsi par la facilité avec laquelle les abaissements furent accordés et surtout généralisés à l'ensemble des relations, par l'importance de ces abaissements et enfin par la multiplication des tarifs communs entre les Compagnies, pour lesquels le mouvement a commencé dès 1860, comme pour les internationaux. Ces faits expliquent le nouvel affaissement du tarif moyen perçu : il passe de 6,89 centimes en 1861 à 5,88 en 1869. Mais, alors que celui des années 1851-1855 était dû pour l'essentiel à l'abaissement du tarif des houilles, celui-ci est dû autant aux autres marchandises qu'aux combustibles : elles sont taxées de 1858 à 1862 à 9,40 centimes en moyenne, en 1866 à 8,18 centimes et entre 7 et 8 centimes après cette date, toujours en moyenne. La multiplication des tarifs communs tendait à faire de la région du Nord une région importatrice de matières premières à très bon marché et exportatrice de produits industriels finis ou semi-finis. L'analyse de ces abaissements peut donc se décomposer en deux temps : suivant la nature des marchandises, suivant les directions du trafic. Le niveau de la tarification réelle restait en 1860 assez élevé : seul le tarif moyen perçu pour le minerai était inférieur à 4 centimes (3,6), celui de la houille était de 4 centimes, les fers et fontes les moins taxés payaient encore 5,3 centimes, les engrais 6 centimes. Ainsi même les marchandises tarifiées le moins cher subissaient des charges qui grevaient lourdement les prix de revient industriels. Pour la houille, on se rendit compte en 1863, nous l'avons dit, que le refus de réduire les tarifs en 1860 lors de l'abaissement des droits de navigation avait été une erreur. On créa un tarif unique de 7,80 fr pour Paris à partir de tous les bassins et lorsque les droits furent de nouveau diminués en 1867, on le réduisit sans tarder jusqu'à 7,40 fr, car il fallait « rétablir l'équilibre entre la navigation et le chemin de fer le plus

1. Avec l'Angleterre les grosses réductions datent de 1857.

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tôt possible » 1 . Ce genre de tarifs à prix fermes fit descendre la tarification pour les liaisons les plus importantes à des niveaux très inférieurs à la tarification normale, soit par tonne kilométrique : Matières premières pondéreuses (minerais, perches pour les mines, goudrons)

2 à 3 centimes

Produits industriels pondéreux (produits métallurgiques, ciments) .

3,5



Produits semi-finis, produits chimiques, produits alimentaires Produits finis industriels, produits agricoles autres que les betteraves et les céréales

5



6 à 7

—•

Les tarifs que l'on avait cru pouvoir maintenir à un niveau élevé en 1860 (sucres, huiles, denrées fraîches) en raison de l'absence de concurrence durent être abaissés en 1863. Ainsi l'abaissement est d'autant plus fort que la marchandise est plus lourde, plus facilement groupée, moins coûteuse et moins susceptible de subir des avaries. Cela favorisa les transports de matières premières et de produits industriels semi-finis, aux dépens des produits finis. Les tissus étaient taxés « au prix intégral du cahier des charges » 2. Il y avait une énorme disparité entre les produits métallurgiques semi-finis et les produits élaborés. Tous les tarifs exceptionnellement bas que nous avons cités ne s'appliquent qu'à certaines directions, celles pour lesquelles l'importance des transports justifie un tel abaissement et dont la longueur est suffisante pour rendre le transport rémunérateur, malgré son faible prix : les centres manufacturiers situés aux extrémités du réseau et jouissant déjà d'une desserte par canaux, les mines et Paris furent ces relations privilégiés. Sur les 22 tarifs spéciaux les plus utilisés en 1872, 15 avaient Paris pour destination 3. Les provenances étaient plus variées : 5 sont fournies par les ports, 8 par les villes industrielles du Nord, deux par les mines 4 . La multiplication des tarifs communs fut le principal progrès de cette époque. Dans l'ensemble les tarifs au départ du Nord étaient plus nombreux que ceux au départ des autres réseaux. La première direction est le « sens utile » 5 . La faiblesse des expéditions vers le Nord explique les plus bas tarifs : les 2 centimes par km pour les minerais de l'Est en 1865, les 4 centimes pour les sucres bruts s'expliquent par la volonté d'utiliser les wagons vides au retour. Le Nord exporte dans toute la France ses produits industriels et vers l'Est surtout son charbon 6. Il en reçoit ses vins, une partie de ses matières premières, ses filés.

1. 48 AQ.3888. 26. Rapport du 18 juillet. Ces tarifs furent étendus aux relations avec les autres réseaux, « pour que les houillères du Nord puissent lutter plus avantageusement contre celles du centre et de l'étranger ». 2. 48 AQ.3869. 3. Venaient ensuite Amiens, Lille et Tourcoing (charbon, matières premières, textiles), Somain (sel), Béthune (engrais), Valenciennes (minerai de fer), Abbeville (plâtre). 4. Lille : huiles et produits chimiques. Douai : sucres et huiles. Valenciennes : verre à vitre. Maubeuge : fer en barre. Arras : sucres. Armentières : bières. 5. 48 AQ.3930. 6. Vers l'Ouest : trois-six, chanvres, bouteilles, sucres bruts. Vers le PO et le PLM : sucres, alcools, bouteilles.

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Du point de vue du trafic international, les Compagnies françaises étaient en position d'infériorité, car les Compagnies étrangères n'avaient à respecter aucune des règles rigides concernant l'homologation et la publicité des tarifs prévues par les cahiers des charges. Or chaque transport était une affaire à saisir tout de suite, pour laquelle il fallait pouvoir proposer un tarif concurrentiel au moment où il se décidait. En France « il fallait écrire au Ministre, prévenir dix préfets, apposer des affiches, attendre un mois ou deux... et quand toutes les formalités étaient accomplies, la marchandise était depuis longtemps partie » 1 . En 1862 cette procédure d'homologation fut assouplie et les Compagnies furent exemptées de devoir appliquer la clause de la station non dénommée pour les tarifs de transit 2 . Vers l'Allemagne des « réductions énormes » (45 %) furent accordées en 1862 et en partie supprimées en 1865. Le décret de 1862 concernant les tarifs internationaux classa les ports français en plusieurs groupes. Les ports de chaque groupe devaient avoir les mêmes tarifs d'exportation et de transit. De 1862 à 1866 une série de tarifs accordèrent des réductions de 20 à 30 % par rapport aux tarifs normaux pour les marchandises destinées à ou venant des ports. Quant aux tarifs de transit, ils étaient « un peu » 3 inférieurs aux tarifs d'exportation. Mais du point de vue du transit comme des trafics d'importation et d'exportation 4 le réseau du Nord avait une position marginale. C'est en ce sens que l'on peut dire que Dunkerque est en partie une création de la Compagnie du Nord : sans ses tarifs ce port serait resté isolé. Malgré le décret de 1862 la Compagnie avait un parti pris en sa faveur. Elle y subventionnait des trafics réguliers de navigation vers l'Angleterre et la Baltique et elle maintint un régime de distances d'application favorisant ce port. Enfin il avait fallu « contre la voie d'eau apporter aux barèmes des dérogations en faveur de Dunkerque, qui ne paraissaient pas nécessaires pour Boulogne, dont la situation est toute différente » 5 .

D. Les tarifs voyageurs Le haut niveau des tarifs voyageurs compensait aux yeux des exploitants les abaissements accordés aux marchandises. Les deux expériences faites pour augmenter les recettes grâce aux accroissements de trafic provoqués par des réductions de tarifs, celle de la Compagnie de Saint-Germain avant 1855, de l'État belge en 1866, échouèrent. L'élasticité de la demande de transport était très faible pour les longues distances et « les transports qu'il était le plus facile de multiplier étaient les transports aller retour à courte et moyenne distance » 6 . Pour l'ensemble des chemins de fer français les voyageurs faisant plus de 100 km ne représentaient à la fin de l'Empire 1. 2. prix 3. 4. 5. 6.

Jacqmin, De l'exploitation des chemins de fer, Paris, 1868, p. 5, t. 2. Cette clause oblige les Compagnies à appliquer à toutes les stations intermédiaires les fermes accordés entre deux stations. 48 AÇ) 3841. 27-1. 1864. Cf. infra, une analyse détaillée du problème p. 378. AGN. P I C A R D , Traité, t. 5, p. 203.

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que le dixième des voyageurs, mais fournissaient plus de la moitié de la recette. Dès lors Petiet avait dans ce domaine une position contraire à celle qu'il avait pour les marchandises. A propos d'un relèvement en 1858, il écrivait : « en admettant que le nombre des voyageurs diminue, cette diminution sera compensée par une augmentation des produits » 1 . Les années 1850 furent marquées par un net retour en arrière : la Compagnie limita le développement des trains de plaisir, en novembre 1856, lors de l'établissement de l'impôt de 10 % sur les voyageurs elle « releva sur plusieurs points de la ligne des prix qui à l'origine avaient été réduits à cause des allongements de tracés ou pour nous défendre contre les concurrences » 2 . En 1858 tous les tarifs réduits sous forme de distances d'application furent supprimés ou fortement augmentés. Trois types de billets réduits ont cependant été utilisés : les touristiques 3 , les aller-retours et les abonnements. Les deux dernières catégories intéressaient surtout les « relations jusqu'à 50 kms », c'est-à-dire de banlieue. De 1854 à 1869 le tarif moyen perçu par voyageur-kilomètre diminua de 2,61 % ! Il passa de 6,11 centimes à 5,95. CONCLUSION

DU

CHAPITRE

III

Les abaissements des années 1852-1855 étaient dus surtout à la volonté de se tailler une place à côté des canaux. Les relèvements des années 1855-1856 traduisirent les inquiétudes du Comité devant une augmentation trop rapide du capital et ses craintes qu'en raison de l'usure rapide des rails, le prix de revient des transports ne fût trop élevé pour permettre ces abaissements. La stagnation qui suivit résultait de l'abolition des traités particuliers et des tarifs d'abonnement et de la volonté de résister aux exigences de l'opinion. Les abaissements des années 60 furent la conséquence directe de la réduction des droits de navigation et d'un optimisme retrouvé quant aux prix de revient grâce à la prise en considération des bons résultats de l'exploitation. Mais les grandes réductions tarifaires de 1868 furent les dernières d'une série inaugurée en 1862. A partir des dernières années de l'Empire et jusqu'aux années 1880 les tarifs marchandises stagnèrent ou ne s'abaissèrent du moins que dans une très faible proportion. Ce retournement est dû tout d'abord à la pression de l'opinion publique. La campagne contre les tarifs différentiels et les injustices dues aux tarifs spéciaux s'intensifia sous l'Empire libéral, animée par les Chambres de Commerce de Boulogne, Rouen, Amiens, Paris, par les Houillères du Pasde-Calais, par les défenseurs de la batellerie. Après l'interdiction des traités et des tarifs d'abonnement, elle obtint que soient imposées aux Compagnies des clauses généralisant à d'autres parcours que ceux qu'elles désiraient favoriser les avantages, qu'elles leurs avaient accordés. Les Compagnies furent obligées d'accepter la « soudure » des tarifs spéciaux à l'intérieur de leurs réseaux. Mais surtout à partir de 1864 l'administration leur imposa la clause de la « station non dénommée », sauf pour les tarifs de transit 1. 48 AQ, 3763. 2. 48 AQ. 3732. 25. 3. En particulier les billets circulaires rhénans par exemple.

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et pour ceux accordés aux produits exotiques importés par les ports Or, au même moment, sous la pression également de l'opinion publique, la Compagnie se voyant obligée de prendre en charge des lignes à faible trafic elle ne pouvait accepter des réductions qui risquaient d'y être généralisées. Car la raison principale du changement d'attitude fut la conscience que la limite inférieure des abaissements possibles avait été atteinte, en fonction de l'évolution des coûts, dont l'analyse a été faite plus haut. Dès 1865 Petiet constatait que « les transports sur de faibles parcours avaient nécessité dans plusieurs circonstances l'agrandissement des stations » 2 , que ce trafic mobilisait les wagons presque aussi longtemps que les longs parcours et « n'étaient pas rémunérateurs ». Sur les longues distances, à partir de 1868, les refus d'abaissement se multiplièrent 3 . A la fin de l'Empire les analyses de prix de revient ferroviaire aboutirent à des conclusions pessimistes. Alphonse de Rothschild demanda à Mathias, le successeur de Petiet, de calculer le coût des transports de houille en tenant compte « de l'ensemble des frais d'exploitation et de la somme nécessaire pour la rémunération du capital d'établissement » 4 . Dès lors, tout en admettant que les charges de construction « resteraient les mêmes si la Compagnie n'avait peu ou point de transport de houille », il refusa de les éliminer de ses calculs. Selon une première hypothèse (toutes les charges de construction faites pour assurer le service des houilles leur étant attribuées), il conclut que le trafic des houilles était en grave déficit; selon une seconde hypothèse (il ne fait supporter aux houilles que la moitié de ces charges) il n'assurait qu'une « rémunération plus que modeste » 5 . Il ajoutait que les deux tiers des transports de combustible entraînaient des retours à vide, que les wagons étaient responsables des encombrements et que « l'EtatMajor de l'exploitation était absorbé de façon continue par les détails que comportait le service des houilles ». Dès lors le retard de l'organisation sur la technique, l'incapacité à dominer un mouvement trop important nous apparaît bien comme la cause principale du changement d'attitude des dirigeants. Il conclut à la nécessité de ne plus accorder d'abaissements à la houille et même d'effectuer certains relèvements. Ce rapport de Mathias peut être considéré comme l'aboutissement de l'évolution défavorable des dépenses. Il marque, quelques mois après la mort de Petiet, et au même titre que le manuel de Couche, la victoire d'un courant hostile aux vues

1. La soudure permet à l'expéditeur de relier ensemble plusieurs tarifs spéciaux qui se rejoignent. La clause de la station non dénommée prévoit l'application aux stations intermédiaires situées entre deux stations jouissant d'un tarif spécial de profiter de ce tarif, elle ne s'appliquait pas aux ports pour éviter que ces tarifs ne profitent aux expéditions d'Anvers. En fait par le procédé des réexpéditions la chose était tout de même possible. 2. 48 AQ, 3869, 26-1. 3. Citons le refus d'un tarif de deux centimes pour les huiles du Nord vers l'Est en 1869, plusieurs refus pour la houille en 1874. 4. 48 AQ, 3483. 24. 5. D'après Mathias pour une recette de 22 millions, les combustibles exigeaient une dépense de 24 millions dans la première hypothèse. La T K coûtait 2,17 centimes sans les charges, 3,59 avec elles.

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larges de cet ingénieur, l'apparition d'une génération d'exploitants prudents après les conquêtes du Second Empire. Or l'analyse de Mathias n'était pas isolée. Jacqmin avait donné l'alarme : « pendant 99 ans, disait-il, les Compagnies recevront toujours la même rémunération, tandis que leurs dépenses iront toujours en augmentant » 1 . Dans son premier mémoire de 1875 sur les prix de revient, Baum concluait que « le développement du trafic obligeait à agrandir, améliorer les bâtiments, l'outillage, les aménagements, poser de nouvelles voies de garage et quelquefois même doubler la voie, augmenter le nombre des locomotives, des voitures, des wagons ». Ces travaux déterminaient des charges de capital, ces installations entraînaient des dépenses d'exploitation supérieures aux revenus du trafic.

1. 48 AQ_ 3324. Déposition devant la Commission parlementaire de 1870.

CHAPITRE

IV

LES RÉSULTATS : LE TRAFIC

I. LE TRAFIC « VOYAGEURS » A. Les différents types de voyages De 1850 à 1872, le nombre des unités kilométriques transportées s'accrut en moyenne de 7,50 % par an : 4,7 % pour les voyageurs et 10,8 % pour les marchandises. De 1867 à 1883, les accroissements furent de 4,8, 4,2 et 5,2 % (cf. le graphique 59). Il faut tenir compte de la forte élasticité des chiffres faibles. De 1850 à 1872, l'accroissement annuel moyen du nombre des voyageurs-kilomètres fut de 59 400 000, celui des tonnes-kilomètres de 41 890 000. Au début de l'Empire deux gares assuraient plus de 10 % du trafic des voyageurs (moyenne des années 1852-1854) : Lille (10,82 %), Paris (23,13 %). Huit gares (Amiens, Douai, Roubaix, Tourcoing, Valenciennes, Enghien, Mouscron, Saint-Denis) recevaient 2 à 10 % des voyageurs et fournissaient au total 28,37 % du trafic. Donc dix gares en fournissaient 62,32 % sur un total de 86 et 23 gares assuraient 80 % du trafic. Certaines différences existent entre le pourcentage des voyageurs et celui des recettes : certaines gares ont une différence en faveur des recettes; ce sont les gares expéditrices de voyageurs à longue distance : Paris (35,5 % des recettes et 23,10 % des voyageurs), Boulogne (6,06 % et 1,44 %), Calais (4,89 et 1,26 %). Pour d'autres au contraire l'écart entre les deux pourcentages est très faible (inférieur à 1 %). Ce sont les capitales régionales sans banlieue importante, qui expédient des voyageurs sur le réseau : citons Compiègne, Creil, Dunkerque, Saint-Quentin, Valenciennes, Arras, Saint-Omer, Clermont, Douai. L'écart entre les deux chiffres est d'autant plus faible que l'on se rapproche de Paris, sauf pour Dunkerque en raison de l'importance des relations de cette ville avec Lille. Pour d'autres enfin, où les relations locales de banlieue dominent, le pourcentage des recettes est inférieur à celui du nombre des voyageurs. Presque toutes les gares assurant de 2 à 10 % du trafic figurent dans cette catégorie. Citons Lille, Quiévrain, Roubaix, Tourcoing, Enghien, Saint-Denis, Armentières.

144

LA CONQUÊTE

DES BEAUX

DIVIDENDES

Le trafic à la fin de l'Empire (moyenne des années 1867-1869) est plus dispersé en raison de la multiplication du nombre des gares (207 au lieu de 86). L'accroissement du trafic des gares ouvertes en 1852-1854 a donc été inférieur à l'accroissement du trafic total. Le nombre total des voyageurs passa de l'indice 100 à l'indice 299. Certaines gares atteignirent un indice supérieur à 250 : Boulogne (266), Arras (265), Paris (250), Armentières (256). Entre 200 et 250 se trouvent Amiens, Calais, Lille, Roubaix, SaintQuentin, Tourcoing, Saint-Denis, Abbeville, Creil, Enghien. Les autres gares avaient un indice inférieur à 200. Ces évolutions différentes s'expliquent de deux façons : l'importance plus ou moins grande du nombre des nouvelles gares ouvertes près de la gare considérée (Arras est au cœur d'un désert ferroviaire) ; les gares de banlieue et les gares assurant le trafic international ont vu leur trafic s'accroître plus que celle assurant les échanges régionaux. Car la différenciation entre les différents types de gares s'est accentuée. Dans chacune des trois catégories on retrouve les mêmes gares qu'en 1852 et 1854. Trois types de gares; trois types de voyages; trois types de voyageurs (le voyageur international, le voyageur régional, le voyageur local.). A la fin du Second Empire les voyageurs utilisant les billets spéciaux d'abonnement ou de trains de plaisir ne représentaient que 6,4 % du total des voyageurs. L'évolution vers le développement des voyages à prix réduits était à peine esquissée : 85 % des kilomètres parcourus le sont par des voyageurs à prix complet. Les efforts déployés lors des expositions universelles ont joué un grand rôle. Celle de 1855 entraîna un accroissement de 27 % du nombre des voyageurs à toute distance de 24 % des voyageurs à un kilomètre. Celle de 1867 détermina « un développement considérable de la circulation des voyageurs à longs parcours » 1 : l'accroissement des « voyageurs kilomètres » fut de 36 %. Il fallut ensuite attendre 1862 et 1875 pour que les chiffres du trafic atteignent de nouveau ceux des années d'exposition. La moitié de ces accroissements exceptionnels était due au trafic international 2 . En trafic intérieur au contraire « l'attrait que présentaient les trains de plaisir, constatait un rapport de 1855, n'est plus ce qu'il a été les premières années » 3 . Le public populaire semble avoir voulu faire au moins une fois l'expérience d'un voyage en chemin de fer. Ce premier voyage accompli, il n'a pas renouvelé l'expérience. Sous l'Empire on voyage encore surtout par nécessité. En 1854, les trains de plaisir assuraient 4,2 % des « voyageurs kilomètres », 1,1 % en 1862, 2,1 % en 1869. Le développement du trafic des voyageurs avec l'Angleterre a été le plus spectaculaire : pour les deux ports de Calais et Boulogne, le nombre des passagers a doublé entre 1850 et 1869 passant de 136 000 à 272 000; en 1850, Boulogne assurait 60 % du trafic total des deux ports, en 1869, 42 %. Dieppe assura en 1859, 20 % du trafic total des trois ports. Son trafic avait doublé de 1854 à 1857. Mais en 1869, sa part n'est plus que de 16 %. Bou1. 48 AQ.570. Rapport à l'Assemblée générale du 27 avril 1868, p. 23. 2. Le nombre des voyageurs étrangers est passé de 122 000 en 1866 à 260 000 en 1867. Il y eut 45 000 Allemands au lieu de 15 000. 3. 48 AQ.570. Rapport à l'Assemblée générale du 28 avril 1856, p. 13.

LE

TRAFIC

145

logne et Calais assuraient 70 % en 1854, 68 % en 1859, 75 % en 1869 du trafic total de tous les ports de la mer du Nord et de la Manche avec l'Angleterre. Boulogne et Dieppe profitaient plus que Calais des trafics d'exposition. Calais avait surtout la clientèle normale de première classe. 60 à 80 % de ces voyageurs passaient suivant les années directement du bateau dans les trains de la Compagnie. Les échanges de voyageurs avec la Belgique, l'Allemagne et la Hollande représentaient au total un chiffre à peu près égal à celui des échanges avec l'Angleterre. En 1860, pour un trafic de 90 000 voyageurs au départ et à l'arrivée à la gare de Paris, 52 % allaient en Angleterre, 32 % en Belgique, 12 % en Allemagne. En 1869, pour un total de 150 000, les proportions sont comparables (51 %, 35 % et 12 %). Ces chiffres sont modestes : en 1868, il n'arrive ou il ne part de Paris-Nord que 410 voyageurs internationaux par jour en moyenne. Mais ce trafic procurait à lui seul le quart des recettes voyageurs. Le voyage quotidien du banlieusard et surtout à cette époque le voyage dominical de l'homme des villes, qui s'échappe vers la banlieue furent les causes principales de l'accroissement du trafic intérieur sous l'Empire. La prépondérance de ce facteur explique le déclassement lent mais irrésistible des voyageurs : ceux de troisième représentent 69 % du total en 1869, contre 65 % en 1851. Ils assurent 32 % des recettes voyageurs en 1851, 45 % en 1869. Il explique surtout l'abaissement du parcours moyen : 40 à 50 km dans les années 1850; 37 km dès 1863. Plus tard, il sera normalement de 35. Cette réduction est due à la multiplication des embranchements et au développement des billets d'aller-retour. Les gares de banlieue figurent au premier rang dans le classement des gares en fonction du trafic, SaintDenis vient en troisième position après Lille et Paris, Enghien vient en quatrième position, Argenteuil a autant de voyageurs que Douai, Pontoise, autant que Boulogne, Ermont autant que Saint-Omer ou C a m b r a i 1 . Roubaix vient en cinquième position. Tourcoing est au niveau de Douai et de Pontoise. Armentières est proche de Saint-Quentin 2. Seclin et l'isleAdam ont plus de voyageurs que Béthune. La gare de Noeux, celle de BillyMontigny, toutes celles du pays noir sont envahies tous les jours par des travailleurs, avec lesquels les voyageurs de première classe supportent mal d'être mélangés. Somain voit son trafic passer de 22 300 en 1854 à 76 500 en 1869. Dès l'époque impériale le chemin de fer fut, selon l'expression de J a n Bastié, « à l'origine du phénomène moderne de banlieue... en rendant possible le va et vient journalier » 3. Dès 1871, 77 % des voyageurs de la gare de Paris sont des voyageurs de banlieue 4 . Quelques faits épars permettent de deviner le développement de la spéculation immobilière, cause et conséquence de ces migrations. En 1861, un propriétaire d'Enghien propose à la Compagnie, qui accepte, de rembourser les frais de construction d'un pont sur la voie ferrée établi afin 1. Le trafic de Saint-Denis est à la fin de l'Empire de 750 000 à 780 000 par an. Celui d'Enghien de 500 000 en 1869, celui d'Argenteuil de 230 000, de Douai de 240 000, de Pontoise et de Boulogne de 200 000, d'Ermont, Saint-Omer et Cambrai de 100 000. 2. Roubaix a 470 000 voyageurs en 1869, Armentières 140 000, Saint-Quentin 160 000. 3 . Jean B A S T I É , La croissance de la banlieue parisienne, Paris, PUF, 1 9 6 4 , p. 1 0 5 . 4. 11 291 voyageurs de banlieue sur un total de 14 158.

3 566053 6

10

146

LA CONQUÊTE

DES

BEAUX

DIVIDENDES

« d'augmenter la valeur de ses terrains en les rendant plus accessibles de la gare » En 1862, une demande de création, de halte à La Courneuve par le général Schramm avait pour seul but « d'augmenter la valeur de quelques terrains » 2 . R. Clozier cite le lotissement de Bauchamp en 1865 dans lequel « seul l'îlot le plus proche de la voie ferrée trouva preneur » 3 . La demande de concession de la ligne de Bondy à Aulnay en 1870 devait selon les demandeurs « créer près d'Aulnay de nouveaux centres d'agglomérations analogues à celui qui s'est formé il y a quelques années près Le Raincy » 4 . Les travaux près des gares étaient toujours gênés par le coût des terrains malgré les précautions d'achat préventif prises au départ : l'atelier de la voie fut transporté à Ermont lors de son agrandissement parce que les terrains près de cette gare étaient encore à des prix « admissibles », ce qui n'était plus le cas dans les gares plus proches de Paris 5 . Le chef de gare de Chocques attribuait pour sa part le développement du trafic de sa gare au fait qu'elle « était située à proximité d'une foire à bestiaux mensuelle » 6 . En effet, les voyageurs de banlieue mis à part, la catégorie la plus nombreuse devait être celle des voyageurs d'affaires. La majorité des voyageurs internationaux en sont. La Compagnie s'efforça de créer des services permettant de faire le voyage de Paris aller-retour en une journée, en laissant le temps d'y régler ses affaires ou de faire ses courses. La provinciale est attirée par la vie parisienne que le chemin de fer met à sa portée : le fait d'aller faire ses courses à Paris est un moyen d'y participer. U n j o u r n a l de province tel q u e L'industrie et le commerce du Nord

et du Pas-de-Calais de Douai déplore cette « révolution des mœurs commerciales », cette « manie qu'ont les provinciaux d'aller se faire voler à Paris, croyant trouver beaucoup mieux que chez eux » 7 . Le grand magasin, c'est le snobisme à la portée de la petite bourgeoise de province. En fait Jacqmin a sans doute raison d'écrire que « si le commerce local a perdu quelques clients de la bourgeoisie, il a gagné les clients de la campagne en bien plus grand nombre » 8 . Les services locaux étaient organisés de telle manière en effet que les administrés des départements pouvaient se rendre dans la journée au chef-lieu. Le voyage familial enfin permettait de maintenir la cohésion de familles dont les différents ménages s'étaient dispersés en raison des migrations intérieures. A ce propos Jacqmin montre de façon assez pénétrante que les chemins de fer n'ont pas déterminé les migrations internes en France « mais ont ramené les hommes au pays et renoué les relations affaiblies ». Lors de la création des trains à prix réduit sur l'Est, ils furent « envahis par des

1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8.

48 A Q 3808. 33.5. Dossier Enghien. 48 AQ. 3821. 33-5. R. CLOZIER, La gare du Nord, Paris, J.B. Baillière, 1940, p. 277. 48 AQ, 3603. Rapport du 16 juin 1870. 48 A Q 3946. 33-5. Ermont. 48 A Q 3808. 33-5, Chocques. Numéros des 17 octobre 1858 et 25 juin 1865. A. JACQMIN, De l'exploitation des chemins de fer, Paris, Garnier, 1868, t. 2, p. 258.

LE TRAFIC

147

hommes et des femmes éloignés depuis de longues années du pays natal et dont le retour a été un véritable événement » 1 .

B. L'évolution démographique Le développement du trafic des voyageurs sous l'Empire est donc une conséquence et un des aspects de l'urbanisation de la zone desservie par le réseau. Les villes non atteintes par le chemin de fer ont souffert d'un désavantage incontestable : « il faut s'attendre à des temps d'arrêt, constate la Statistique de la France en 1856, dans le développement d'un certain nombre de villes, tant que le réseau de nos voies ferrées ne sera pas terminé. Il est certain que celles qui n'y sont pas reliées se trouvent par rapport aux autres dans une condition d'infériorité » a . R. Fruit a étudié les phénomènes migratoires dans la région de Saint-Amand. De 1830 à 1870 ce pays « qui avait profité de l'essor de la première moitié du siècle, connaît une période de stagnation démographique » 3 car cette population est attirée par les pôles de croissances voisins, qui, pour la plupart, sont reliés à la voie ferrée, alors que le chemin de fer ne passa à Saint-Amand qu'en 1870. Les différences de rythme d'accroissement de la population entre les différents cantons des arrondissements du sud du département s'accusèrent alors. Le chemin de fer a accentué ces différences antérieures. Les cantons les plus favorisés sont ceux de Lille, Roubaix, Tourcoing, Maubeuge et Trélon : l'expansion est d'au moins 60 % et va jusqu'à 130 % pour Roubaix. Les cantons répulsifs sont Orchies et Saint-Amand (baisse de 5 à 3 %). Cysoing, Le Quesnoy, le Hainaut-Cambrésis sont en stagnation. La divergence d'évolution existait à l'échelon du réseau : elle a joué aux dépens de la région picarde et au profit des deux régions extrêmes, région parisienne et région du Nord. Si l'on donne l'indice 100 à la population de ces trois régions en 1851, on trouve l'indice 94,8 pour la région picarde en 1831, 76,2 pour la région parisienne et 88,8 pour la région du Nord. Les indices en 1872 sont de 98,2, 135,6 et 119,3. Pour la Picardie la croissance est devenue régression, pour le Nord et la région parisienne il y a eu accélération de cette croissance. Le pourcentage de la population picarde par rapport à la population totale a diminué de 4,4 % de 1831 à 1851, de 6,8 % de 1851 à 1872. Pour la région du Nord il y a eu au contraire accroissement de 2,2 % de 1831 à 1851, de 12,7 % de 1851 à 1872. Le cas de la Picardie n'est pas isolé : la Champagne, la Bourgogne sont dans la même situation et connurent la même évolution. Le mouvement d'urbanisation {cf. tableau 7) des régions desservies par le réseau avait commencé avant l'établissement des chemins de fer. Les départements autres que le Nord, situés sur le réseau, ont connu après 1851 une urbanisation inférieure à celle de la France dans son ensemble. Alors que

1. JACQMIN, op. cit., p . 2 4 8 , t . 2.

2. Statistique générale de la France. Recensement de 1856. 3. René FRUIT, La croissance économique du pays de Saint-Amand (1668-1914), Paris, A. Colin, 1963, 5 5 0 p., p. 2 4 2 .

10

148

LA CONQUÊTE

DES BEAUX

DIVIDENDES

la population urbaine s'accrut en France de 6,64 points en pourcentage de 1851 à 1872 (24,42 à 31,06), celle de l'Oise ne s'accrut que de 2,92, celles de la Somme de 3,68, de l'Aisne de 4,32, du Pas-de-Calais de 5,13; mais celle du Nord de 13,89. Lille et Paris annexèrent dans les années 1850 quelques communes avoisinantes (à Lille : Wazemmes, Moulins-Lille, Esquernes et Fives). La Chapelle avait augmenté de 244,6 % de 1836 à 1846, Wazemmes de 51,2 % . D u r a n t les dix années suivantes les accroissements furent de 56,95 et de 74,12. Paris, sans les communes annexées, s'accrut moins vite après 1846 qu'avant : 11,4 % au lieu de 15,9 % ; Lille s'accrut plus vite : 5,65 % au lieu de 3,36 % . Le chemin de fer ne faisait que confirmer ou accentuer une évolution en cours. Les villes du réseau qui avaient plus de 20 000 habitants en 1846 (sauf Saint-Omer) connurent un accroissement de 18,7 % de 1836 à 1846 (18,17 % avec Saint-Omer), de 25,18 % de 1846 à 1861 (23,7 avec Saint-Omer), de 18,64 % de 1861 à 1876. Il n'y a donc aucune accélération après 1846 et un ralentissement après 1861. Les villes de plus de 7 000 (sauf Abbeville, Wazemmes, SaintDenis et Saint-Pierre-lez-Calais) se sont accrues de 20,27 % de 1846 à 1861. Mais il faut distinguer : Laon, Soissons et Compiègne ont vu leur accroissement ralenti (9,15 % au lieu de 12,76 %) alors que les villes du Pas-de-Calais et d u Nord ont vu le leur s'accélérer (25,7 % de 1846 à 1861). De 1861 à 1876, Laon, Compiègne et Soissons augmentèrent de 12,9 %, les villes d u Nord et d u Pas-de-Calais de cette catégorie de 32,27 % . Les jugements des statisticiens de 1856 doivent donc être nuancés pour le réseau du Nord : Paris et Lille connurent un accroissement accéléré; les autres villes, de plus de 20 000 habitants, ont vu un accroissement en cours se poursuivre à un rythme semblable; les villes de 7 000 à 20 000 des départements intermédiaires ont vu leur accroissement antérieur se ralentir; celles des départements du Nord et du Pas-de-Calais l'ont vu s'accélérer très rapidement. L'exemple d'Halluin au nord de Roubaix est remarquable : 4 851 en 1846, 10 803 en 1861, 13 771 en 1876. Le chemin de fer a confirmé, en l'accentuant, une différenciation qui lui préexistait. Sa mise en place est l'un des aspects d'une croissance régionale, commencée antérieurement. Tourcoing s'était accrue de 34,8 % de 1836 à 1846, Roubaix de 59,5 %, Saint-Quentin de 15,8 %, Dunkerque de 14,4 %. « Nos richesses, constatait Griolet en 1891, avaient pu avant les chemins de fer, être mises en valeur dans une bien plus large mesure que celles de l'Allemagne; on pouvait donc s'attendre à voir notre pays profiter beaucoup moins d u nouvel instrument de transport » Pour mieux comprendre ces évolutions démographiques, il faut analyser l'évolution d u trafic marchandises.

1. F. 14. 12185. Séance du Comité consultatif du 14 février 1891. Griolet était viceprésident du Conseil d'Administration de la Compagnie du Nord.

LE

TRAFIC

149

TABLEAU 7

Taux d'accroissement des différentes villes du réseau (d'après la Statistique générale de la France) Vili»

1836-1846

1846-1861

(%)

Accroissement

1850-1866 Recettes d'exploitation Dépenses d'exploitation Charges du capital 1 Produit

3 788 000 1 507 700 812 000 1 406 500

7,03 7,40 5,95

8,1 8,5 6,3

4 825 000 2 649 000 1 308 000 868 000 500 400

3,94 4,41 3,67

4,08 4,70 3,80

1867-1883 Recettes d'exploitation Dépenses d'exploitation Charges de capital Produit Produit distribué (dividende)

1. Y compris les intérêts et l'amortissement des actions.

Ce tableau exige deux explications : 1° Pourquoi cette différence entre le produit brut et le produit distribué? 2° Pourquoi cette évolution des comptes d'exploitation eux-mêmes? La réponse à la première question va de soi : cette différence est le résultat de la balance défavorable entre les recettes exceptionnelles d'une part et les dépenses exceptionnelles d'autre part après 1876. Les premières comprenaient surtout les produits des lignes Nord belge et les revenus des placements de fonds, que nous avons déjà analysés. Les secondes comprenaient les réserves et amortissements exceptionnels, déjà étudiés également. Il y faut ajouter un prélèvement de deux millions fait sur les comptes de 1880 pour amortir les dépenses faites pour l'amélioration des docks de Saint-Ouen et pour couvrir les pertes de cette exploitation. Mais elles comprenaient surtout les déficits des lignes reprises et des lignes d'intérêt local. De 1879 à 1883 ces déficits s'élevèrent à une moyenne de 5 571 800 fr soit une perte de 10,6 fr par action. Ce chiffre ne mesure pas la perte totale faite par la Compagnie du fait de ces reprises : l'accroissement des charges du capital mesurées d'après les chiffres publiés par le ministère des Travaux publics fut non pas de 1 308 000 fr par an mais de 1 420 000 fr. Le premier chiffre comprend les seules lignes de l'ancien réseau, du nouveau réseau et d'Amiens-Rouen; le second toutes les lignes effectivement exploitées par la Compagnie du Nord, y compris celles reprises après 1876.

224

LA PÉRIODE

DES

COMBATS

Le second problème mérite une analyse approfondie : les données de base de toute l'exploitation ferroviaire ont commencé à se modifier profondément à cette époque. Trois faits statistiques le démontrent. Le plus net est la comparaison entre les accroissements proportionnels des recettes, des dépenses et des charges {cf. graphique 57). L'écart défavorable entre l'accroissement des dépenses et celui des recettes, qui dans la période antérieure était de 0,4 (8,5 — 8,1), a augmenté : il est passé à 0,62 (4,70 — 4,08); l'écart favorable entre l'accroissement des recettes et celui des charges s'est amenuisé passant de 1,8 (8,1 — 6,3) à 0,28 (4,08 — 3,80). L'évolution est donc défavorable à la fois pour les charges et pour les dépenses. Pour ces dernières deux autres faits sont également significatifs : l'évolution des recettes et des dépenses pour un kilomètre de train a été la suivante : TABLEAU

16

Moyenne annuelle

Recettes

5,53 fr 4,73 fr

1867-1869 1881-1883 ÉVOLUTION

-

14,4 %

Dépenses

2,41 fr 2,44 fr + 1,2 %

Quant au coût moyen de l'unité kilométrique il est passé de 2,81 centimes entre 1850-1867 en moyenne à 2,88 entre 1876 et 1883, en y comprenant les seules lignes de l'ancien et du nouveau réseau {cf. graphique 8). Dans un rapport de 1883, adressé à A. de Rothschild 1 , Level a tenté de prouver que cette évolution « fâcheuse » était due à l'incurie des ingénieurs. La dépense par kilomètre de train aurait dû « diminuer par kilomètre parcouru à raison de l'accroissement de parcours, qui n'affecte presqu'uniquement que les frais de traction ». « Si les choses avaient été prudemment conduites la dépense aurait diminué comme la recette par kilomètre »; mais « on fait trop de trains ce qui diminue la recette et on exploite trop chèrement ce qui augmente les frais d'exploitation ». Les ingénieurs du Nord répondirent qu'ils ne pouvaient, comme les petites Compagnies, « exploiter à l'épicier : noblesse oblige et une grande Compagnie comme le Nord ne peut toujours répondre par des refus aux sollicitations du public, du gouvernement et des autorités locales ». La lourdeur du système administratif mis en place, la complexité du système de tarification, mal adapté à un trafic local réduit, la rigueur des normes de sécurité et d'exploitation, en ce qui concerne en particulier le minimum des trains, ne permettaient pas aux services d'adapter, autant qu'il était souhaitable, les dépenses soit aux faibles trafics des petites lignes soit au trafic trop intense des grands axes. A ces causes internes d'alourdissement des coûts venaient s'ajouter 1. 48 AQ, 3603.

LES COMPTES

DE 1867 À 1883

225

les pressions externes, en particulier la hausse des salaires. Dès cette époque jouaient les trois causes qui plus tard devaient condamner les chemins de fer aux déficits endémiques : sa nature de service public, la rigidité de son système tarifaire, la part prépondérante de la main-d'œuvre dans ses coûts. L'analyse détaillée de l'évolution de l'investissement et des dépenses d'exploitation par services nous permettra de mieux comprendre cette évolution. Avant de l'entreprendre il faut cependant observer que l'évolution durant cette époque est loin d'avoir été uniformément défavorable, bien au contraire. Du point de vue des dépenses et des charges cette période ne constitue pas un tout. Jusqu'en 1875 une série de causes s'accumulèrent pour rendre l'exploitation de plus en plus coûteuse. Le coût total d'un kilomètre de train augmenta de 3,9 % en moyenne par an de 1867 à 1875. De 1875 à 1883 il diminua de 1,8 %. De 1867 à 1873 l'accroissement moyen des dépenses par an fut de 6,3 % pour une augmentation des recettes de 4,01. De 1873 à 1883 l'accroissement moyen des recettes ne fut que de 3,4 % , à cause de la crise du trafic des années 1874-1877, mais l'accroissement des recettes lui fut inférieur : 3,25 %. De 1864 à 1877 le coût de l'unité kilométrique a été en moyenne de 2,9 centimes pour un trafic moyen de 1 609 millions d'unités kilométriques. La droite d'estimation du coût moyen en fonction du trafic s'écrit ( c f . graphique 15) : G = 2,15 centimes + 0,00047 GRAPHIQUE

15

3,5

2,1 2,4

2,31 1,62

9 020 1 986 (%) 3,65 5,84

4,85 1,71

Trois conclusions peuvent être dégagées de l'analyse de ces chiffres : 1° Jusqu'en 1904, l'accroissement des recettes a été très modéré, bien que le point de départ de nos calculs se situe dans une période de profonde dépression. Durant la période 1892-1900, qui fut la plus prospère, le taux d'accroissement annuel moyen ne fut que de 2,80 % par an, encore faudraitil tenir compte de l'année 1900 dont l'accroissement fut tout à fait anormal. L'accroissement des années 1905-1913 est d'une toute autre nature : il fut, malgré un léger ralentissement en 1908 et 1909, continu et d'un niveau très supérieur, sans qu'aucune cause anormale ne vienne le sublimer. En ce qui concerne le trafic du réseau du Nord, et le trafic de tout le réseau français 1 , la coupure se situe plutôt en 1905 qu'en 1895. 2° La relation entre l'accroissement des recettes et celui des charges mérite attention. Le rapport entre les deux accroissements absolus est de 28,06 % de 1885 à 1907, de 16,32 % de 1892 à 1900, de 17,3 % de 1905 à 1913. Les accroissements en pourcentage sont largement indépendants du trafic (1,62 %, 1,36 %, 1,64 %). Ces contrastes suggèrent que le réseau fut sous-employé durant une grande partie de cette période. Cependant, 1. Cf. notre article dans la Revue d'Histoire de la Sidérurgie, t. 6, 1965 3. a 565053 6

18

290

LE

SYSTÈME

D'EXPLOITATION

INTENSIVE

ces faibles accroissements sont dus également au fait que l'effort d'investissement a été insuffisant. En 1913, le réseau du Nord était surchargé. Un effort d'investissement sans précédent venait d'être entrepris et l'on pouvait se demander s'il n'était pas insuffisant encore. 3° Plus frappant encore est le contraste entre l'évolution des dépenses et celle des recettes, même si l'on ne tient pas compte des dépenses destinées à alimenter les caisses de retraite. De 1905 à 1913, l'accroissement de recettes en valeur absolue fut supérieur de 120 % à ce qu'il fut de 1885 à 1907, de 1,02 en pourcentage. Or, pour la dépense, en soustrayant les versements pour retraite, les augmentations des accroissements furent de 198 % et de 2,54. Les différences entre la période 1892-1900 et 19051913 sont plus caractéristiques encore puisqu'il s'agit dans les deux cas d'accroissements accentués des recettes. En 1892-1900, l'évolution fut beaucoup plus favorable qu'en temps normal : le rapport entre l'accroissement des dépenses et celui des recettes fut de 55,7 au lieu de 63,04 de 1885 à 1907; (54,2 % au lieu de 58,3 %, si l'on enlève les prélèvements pour retraite). De 1905 à 1913, ces rapports furent de 87,8 % et de 78,8 %, près des neuf dixièmes des plus-values de recettes étaient absorbés par l'accroissement des dépenses. Dans les premières années du siècle, certains commentateurs, tels que Leroy-Beaulieu, étaient pourtant optimistes : selon lui, en 1906 l'Etat allait bientôt pouvoir cesser de payer des garanties. La Compagnie du Nord ne fut pas loin du partage cette année-là. Mais la situation se dégrada très vite ensuite. Golson parlait en 1910 d'« une rupture d'équilibre de la comptabilité ferroviaire » 1 . Elle était telle que la hausse du produit brut à partir de cette date n'entraîna pas un accroissement proportionnel ni même sensible du produit net. Pour le Nord de 1905 à 1910 les accroissements des charges et ceux des dépenses additionnés dépassaient en valeur absolue celui des recettes (12 044 000 fr et 11 445 000 fr). En 1908 les dépenses augmentèrent de 14 millions et les recettes de 4,7 millions. « Avec cette allure décroissante, la marge dont la Compagnie dispose, faisait observer Griolet, en sus des charges d'intérêt et d'amortissement peut très vite disparaître » 2 . Le même Griolet écrivait en 1909 que « les seules augmentations de charges d'intérêt et d'amortissement provenant des travaux complémentaires et des accorissements de matériels roulants excédaient les plus-values de produit net à espérer » 3 . En 1910 Colson déplorait que « l'augmentation rapide des dépenses de capital engagé dans l'industrie ferroviaire ait accentué la baisse du taux de rémunération qui résultait de la baisse du produit net » 4 . Ces résultats provoquèrent l'inquiétude des milieux financiers qu'exprime l'évolution des cours en bourse des actions et des obligations {cf. graphiques 56 et 60). Dans les années 1890, les titres ferroviaires sont considérés par les journaux spécialisés comme des « placements excellents, même aux cours 1. C . C O L S O N , Revue Politique et Parlementaire, 1910. 2. 48 AQ, 3441. Déposition de Griolet devant la commission sénatoriale chargée de discuter la loi sur les retraites, 1909. 3. 48 AQ. 3441. Idem. 4. Revue Politique et Parlementaire, 1910.

LA

GESTION

DE

L'ENTREPRISE

291

élevés auxquels ils sont cotés » 1 . Le livre de Richard de Kaufmann, publié en France en 1896, vint confirmer le porteur de titre français dans son optimisme 2 . Le jugement de Colson dans ses chroniques était déjà plus nuancé 3 . Dès 1892 il constatait que les améliorations de produit net étaient pour l'ensemble de la France « très supérieures à la charge des capitaux » 4 . Tous les ans il exprimait des inquiétudes qui devaient se révéler justifiées. La belle époque des titres ferroviaires s'acheva en 1900. L'action Nord atteignit alors son cours annuel moyen maximum (2 316 fr) « L'année 1900 a marqué le terme, remarque Colson, de l'extrême prospérité dont les chemins de fer avaient partout bénéficié depuis 1895 » 5 . Dès 1904 les actions retrouvèrent leur niveau des années 1890-1898 (1 764 fr). Elles s'abaissèrent ensuite jusqu'à 1 687 fr en 1913, à ce prix elles étaient surestimées, bien que leur rapport fût de 4,3 %. Les études abondent, qui cherchent à déterminer la cause de l'évolution des cours. La préférence marquée des épargnants pour les placements étrangers et les placements industriels a atteint les rentes d'État aussi bien que les actions et obligations de chemin de fer. Mais les titres ferroviaires furent plus atteints que ceux de l'État : pour eux les causes particulières sont plus importantes. Les journaux financiers incriminent, non sans raison, la politique gouvernementale et les inquiétudes dues aux revendications des agents et aux grèves. Le salarié grignote la part de l'actionnaire 0 . En 1914 Albert Sartiaux considérant ce que coûtait un million de recettes supplémentaires concluait : « 475 000 fr de plus pour le personnel, 450 000 pour l'outillage supplémentaire à créer, il reste 75 000 fr à dépenser en charbon, en matières de consommation de toutes sortes, en indemnités etc. pour faire le million de recettes supplémentaire, il est naturel qu'on ne puisse pas s'en tirer » 7 . En d'autres termes le coût marginal était plus élevé que le coût moyen. On comprend dès lors le pessimisme des commentateurs. Mais ne peut-on penser que, comme en 1867-1872, la Compagnie n'était plus en état de pouvoir faire face à un accroissement brutal et pourtant soutenu du trafic que par une augmentation anormale des dépenses d'exploitation immédiates, tandis que les charges, pour la même raison, s'accroissaient à un rythme plus rapide que les amortissements ?

B. Les prix de revient L'accroissement annuel moyen des U K transportées a été de 1881 à 1913, de 3,75 % par an : 3,43 pour les marchandises, 4,5 % pour les voyageurs {cf. graphique 59). 1. 48 AQ. 4534. Le Crédit National, 25 décembre 1896. 2. Publié à Stuttgart en 1896, traduit en français en 1900. Ce livre dû à un professeur d'université était très élogieux pour le système français et fut largement commenté par la presse française. 3. Dans ses chroniques de la Revue Politique et Parlementaire. 4. Revue Politique et Parlementaire, avril-juin 1892, p. 386. 5. Revue Politique et Parlementaire, 1902. 6. Cf. infra, p. 316. 7. AGN. Rapport du 9 juiUet 1914.

19.

292

LE SYSTÈME

D'EXPLOITATION

INTENSIVE

En utilisant le procédé des moindres carrés, on trouve que le nombre des voyageurs-kilomètres a augmenté de 72 millions par an et celui des tonnes-kilomètres de 89. La courbe des moyennes mobiles permet de distinguer {cf. figures n° 20) trois périodes : une période de stagnation et même de repli jusqu'en 1886; une période d'accroissement marqué mais irrégulier de 1887 à 1903 : l'accroissement annuel moyen des U K 1 fut de 3,95 % ; enfin de 1903 à 1913, une période d'accroissement plus rapide GRAPHIQUE

20

Voyageur-kilomètre, tonne-kilomètre et unité-kilomètre de 1881 à 1912 (moyennes mobiles)

et surtout plus soutenu : le pourcentage annuel d'augmentation fut de 4,46 %. Il est bon de préciser dès à présent le rôle joué par chacun des deux 1. Tous les pourcentages cités dans ce paragraphe ont été calculés selon la méthode de l'ajustement exponentiel.

LA GESTION

DE

L'ENTREPRISE

293

trafics dans cette évolution. L'accroissement du trafic voyageurs est plus continu que celui du trafic marchandises : 3,32 % par an de 1881 à 1891, avec seulement un ralentissement pendant la crise, 5,12 % de 1891 à 1903 en raison de l'abaissement des tarifs de 1892 et de l'exposition de 1900, 4,52 % de 1903 à 1913. L'évolution du trafic marchandises fut sensiblement différente : il s'effondra jusqu'en 1887, s'accrut assez modérément (3,33 %) de 1887 à 1903, de 4,47 % de 1903 à 1915. La grande époque de croissance du trafic voyageurs fut les dernières années 1890, celle du trafic marchandises, les dernières années 1910 et surtout les trois années qui précédèrent la guerre. A ces trois périodes correspondent deux types de coûts différents. La droite d'ajustement du coût moyen en fonction du trafic s'écrit de 1884 à 1907 : GRAPHIQUE

21

-

1884• 1885•

1886° >

^^1889 18 ,?o 1892 1891 o ,018» 1890° 1894 \ 1897 1902 1»00 o ° o «b 1588 1895 V 1901 1896° ^^1903 1898 o 189

1887 0

unités kilométriques

ÛjÔÔ

2000

3000

4000

5000

6000

Droite de régression du coût en fonction du trafic (1884-1907)

C -- 3,17 — 0,000149

en millions

7M0

294

LE SYSTÈME

D'EXPLOITATION

INTENSIVE

alors que de 1905 à 1913 cette droite présente l'allure suivante :

GRAPHIQUE 2 1

bis

1911 o 1910 1908» o"""""""^ 1905

o . o - 0 P.M.

^ -

^„ o * • 1912

*

0 1907

unités

i

6000

01913" m J

1

6500

1

r~

7000

7500

1

8000

kilométriques

1

8500

en

millions :

—I

9000

Droite de régression du coût kilométrique par rapport au trafic (1905-1913)

C = 1,59 + 0,000109 Q , 1

Le calcul des coûts marginaux n'est pas moins démonstratif (cf. le tableau des coûts moyens et des coûts marginaux). Évalués par périodes moyennes, ils furent de : 1885 1892 1899 1907

à à à à

1892 1899 1907 1912

: : : :

1 1 1 3

centime 64; centime 54; centime 87; centimes 08.

1. Rappelons que (cf. Notes méthodologiques 5°) la régression calculée en coût constant est : + 0,000048. Durant la première période le coût moyen est de 2,51 centimes et le trafic moyen de 4 359 millions d'UK, durant la seconde période les chiffres sont 2,34 et 7 087.

LA GESTION

295

DE L'ENTREPRISE

Ces chiffres confirment les conclusions que l'on peut tirer du tableau suivant : TABLEAU

24

Tableau de comparaison des coûts moyens et des coûts marginaux

Années

Coût moyen (cent.)

Coût marginal (cent.)

1887

2,63

0,66

1888

2,50

1,20

1889

2,64

1890

2,57

1891

2,63

1892

2,60

0,16

(

=

3,49

)

Pointe de trafic. Baisse de trafic.

5,4

Très faible accroissement.

1893

2,58

2,11

1894

2,57

2,30

1895

2,51

0,56

1896

2,43

0,31

1897

2,49

1,51

1898

2,34

1,64

1899

2,32

1,89

1900

2,50

1901

2,47

1902

2,48

Idem.

1903

2,38

Idem.

1904

2,29

1905

2,23

1906

2,24

1907

2,22

1908

2,34

1909

2,33

1910

2,36

1911

2,45

1912

2,45

1913

2,45

3,96

Pointe de trafic. Baisse de trafic.

Idem. 1,51 6,66

Accroissement insignifiant.

5,96

Pointe de trafic.

1,89

1,84 2,44 2,45 2,30 4,17

Jusqu'en 1907, les coûts marginaux furent toujours inférieurs aux coûts moyens. L'avantage est moins grand avant 1892 qu'après, car l'accroissement du trafic est plus lent. L a période 1892-1899 est la plus favorable pour les coûts marginaux : la croissance du trafic est bien adaptée aux possibilités du réseau. L a situation est encore assez favorable jusqu'en 1907 : les fortes hausses de trafic des années 1904-1907 ont encore entraîné une réduction des coûts. Les années dont les coûts marginaux furent, de 1885 à

296

LE SYSTÈME

D'EXPLOITATION

INTENSIVE

1907, exceptionnellement élevés sont, soit des années de très faible accroissement du trafic (1891-1906), soit surtout les deux années d'exposition. Cette constatation illustre les difficultés que rencontraient les exploitants de plus en plus hostiles, d'ailleurs, à ces manifestations, pour assurer les services de pointe. Le problème n'est pas particulier aux voyageurs : dès avant 1907, les derniers mois de l'année tendent à devenir à nouveau pour les cheminots, un cauchemar. La situation fut de plus en plus tendue après cette date. Mais le réseau du Nord n'est pas un organisme isolé : autant, sinon plus que l'élasticité technologique du système (installations et personnel), les facteurs externes ont pesé sur les coûts. Nous avons entrevu le poids des versements pour retraite. Celui des salaires, plus encore que celui des prix, n'est pas moins ressenti par les exploitants comme une cause dramatique de déséquilibre. Cette conscience fut assez vive pour arrêter dans les toutes dernières années {cf. graphique 61) la politique de réduction tarifaire qu'ils poursuivaient depuis 1885, en fonction de la situation de sous-emploi que nous avons décrite. Ces réductions avaient eu, en ce qui concerne les voyageurs en particulier, une influence directe sur le niveau du trafic. Il nous paraît donc convenable d'examiner tout d'abord les facteurs d'évolution des coûts internes et externes, puis la politique tarifaire de la Compagnie et, enfin, la structure et l'évolution du trafic.

CHAPITRE

X

LES FACTEURS EXTERNES

I. LES PRIX A. Les relations entre la Compagnie et ses fournisseurs Le principe est toujours de maintenir entre les fournisseurs la concurrence la plus intense possible, en utilisant non pas l'adjudication publique, mais soit l'adjudication restreinte entre quelques fournisseurs choisis par la commission des commandes, qui envoyaient leurs propositions sous plis cachetés, ouverts en commission, soit la négociation de gré à gré, le plus souvent liée aux commandes à long terme. La première procédure était normale pour toutes les commandes métallurgiques, celles de bois, celles de travaux publics. Pour les charbons au contraire « nous n'avons, écrit Griolet en 1913, jamais recours à l'adjudication publique ou restreinte, et nos marchés se font toujours de gré à gré »... Il en allait de même pour les rails. La Compagnie eut à cette époque deux occasions d'affirmer officiellement son refus de la première procédure : lorsqu'en 1906 le député Chanal proposa de la lui imposer elle répondit que « souvent les entrepreneurs les moins sérieux font des rabais excessifs et sont déclarés adjudicataires » De plus lorsqu'un petit nombre seulement de fournisseurs et d'entrepreneurs étaient susceptibles de répondre à la commande l'adjudication publique devait aboutir à l'entente, c'est-à-dire à des prix plus élevés que ceux que l'on pouvait obtenir par la négociation ou l'adjudication restreinte. La Compagnie montra que l'Etat belge payait ses rails 8 à 10 % de plus que le réseau Nord belge et son charbon beaucoup plus cher. O r le premier utilisait le système « des adjudications pour de grosses quantités avec un faible nombre de fournisseurs » et le Nord belge « les marchés à long terme » négociés de gré à gré.

1. AGN. Note de 1893.

298

LE SYSTÈME

D'EXPLOITATION

INTENSIVE

En fait les ingénieurs avaient fort à faire pour maintenir le caractère concurrentiel du marché. Ils devaient éviter de se laisser tenter par des prix trop bas ou des marchés à long terme trop avantageux. En 1887, par exemple, les Aciéries du Nord et de l'Est fournirent des bandages à des « prix susceptibles d'aucune baisse ». Pourtant la Compagnie accepta les offres de Schneider parce que cela « permettait d'établir une concurrence et de comparer les produits entre eux » 1 . Les marchés à long terme présentaient certains dangers quand la conjoncture était mauvaise : celui conclu en 1882 avec la Société de Saint-Denis pour la fourniture de wagons était fondé sur une évaluation des besoins bien supérieure à la réalité en 1885-1887. Cette Société offrit de prolonger le traité de trois ans en échange de l'engagement pris par la Compagnie de lui réserver toutes ses commandes. O r la Compagnie ne désirait pas « donner à la Société de Saint-Denis une espèce de monopole » 2 . Le traité fut donc prolongé non de trois ans mais de sept ans, et en 1892 une commande fut répartie entre trois fournisseurs, Albaret, Taza et Desouches parce qu' « il y avait intérêt à avoir trois constructeurs » 3 . Ils devaient résister aux sollicitations d'administrateurs intéressés dans telle ou telle entreprise. Ainsi en 1904, Griolet, administrateur de la Société des Aciéries du Nord et de l'Est, « fit connaître à Du Bousquet que la Compagnie du P L M avait commandé à cette entreprise au prix de 31 francs les 100 kilos, un certain nombre d'essieux en acier finis » 4 . Du Bousquet répondit qu'il préférait commander les essieux bruts et les tourner dans les ateliers. La Commission des commandes et les ingénieurs avaient donc le dernier mot. Malgré ces intentions, le marché tendait à devenir de moins en moins concurrentiel, car d'une part il était protégé et soumis à des ententes de plus en plus nombreuses, et d'autre part les raisons techniques de concentrer les commandes, que nous avons vues s'affirmer dans la période antérieure 5 , sont devenues de plus en plus astreignantes. Bien qu'elle fût très lourde la protection n'annula pas l'appel à l'étranger. Les Chambres syndicales de constructeurs ne purent obtenir que l'obligation soit imposée aux Compagnies de réserver leurs marchés aux fournisseurs français. Les campagnes d'opinion contre les commandes étrangères 6 furent cependant de plus en plus gênantes pour les Compagnies et réduisirent leur liberté d'action en les obligeant en fait à fournir des justifications circonstanciées. Le protectionnisme favorisa l'entente entre les fournisseurs. Celle-ci semble avoir été moins organisée en France qu'elle ne le fut à l'étranger. Il n'y avait en France que quatre comptoirs de vente dans la métallurgie : le Comptoir métallurgique de Longwy, le Comptoir des poutrelles, le Comp-

1. 48 AQ, 4279. 32-3. Dossier « Pièces de rechange ». Rapport de septembre 1887. 2. 48 AQ. 4205. 1884. Rapport du 28 janvier. 3. 48 AQ. 4422. 32-2. 1892. 4. 48 A Q 4829. 32-3. 1904. 5. Cf. supra, p. 237. 6. Particulièrement intenses en 1900 {cf. La Libre Parole) et à la veille de la guerre. Elles sont orchestrées par la Chambre syndicale.

LES

FACTEURS

EXTERNES

299

toir des ressorts de carrosserie, le Comptoir des essieux de charrette 1 . D'après Carlioz, ce faible développement était dû à l'attitude de l'Etat qui « en était resté à l'époque de accapareurs de grains », à celle des industriels eux-mêmes, attachés « aux habitudes de liberté et d'indépendance commerciale », à celle des clients enfin qui « pensaient qu'en mettant adroitement les producteurs en concurrence les uns avec les autres, ils achèteraient à meilleur prix que leurs confrères ». On ne saurait mieux définir la mentalité des responsables ferroviaires. Selon R. Thibaut 2 l'entente fut moins rare que ne le dit Carlioz : il y aurait eu huit comptoirs couvrant la plus grande partie de la production : le Comptoir métallurgique de Longwy, fondé en 1876, le Comptoir des essieux en 1892 3 , celui des ressorts de carrosserie et celui des poutrelles en 1896, celui des exportations de produits métallurgiques en 1904, des exportations de fonte en 1905, des tubes en 1906. Dès 1896 Du Bousquet considérait que « les forges étaient syndiquées » et que cette situation influençait les prix d'une façon défavorable. Le Comité des Forges et la Chambre syndicale des constructeurs, fondée en 1899, favorisèrent probablement les ententes, sinon permanentes, du moins conjoncturelles. Les Compagnies, nous le verrons, agirent avec la plus grande prudence dans leurs relations avec cette dernière de crainte de favoriser ainsi la formation d'une « coalition ». La réduction de la concurrence augmentait les avantages de la fidélité. Le « fournisseur habituel » devint une institution. Nous avons comparé les noms des fournisseurs en 1884, 1900 et 1913 et suivi quelques séries durant toutes les années : le nombre des abonnés est impressionnant. L'entreprise Coignet a toujours fourni la colle forte ; l'entreprise Michaud le savon noir, l'entreprise Boutmy les boîtes à huile et les dessous de boîtes à huile; mais dans la plupart des cas, la Compagnie continue de maintenir en présence deux, trois et jusqu'à sept fournisseurs, toujours les mêmes en fait, bien au courant de la fabrication du Nord : Dickson, Faucille et Saint Frères pour les bâches; Paix, Desmarais et Deutsch pour les huiles minérales; Marine et Homécourt, Schneider, la Société du Nord et de l'Est, les Aciéries de France, les Forges de Firminy pour les bandages et les essieux; les Aciéries de France, la Société du Nord et de l'Est et DenainAnzin pour les rails; Allevard, Firminy et Lacombe pour les essieux coudés et les ressorts. Bruay (à partir de 1892), Anzin, Lens, Béthune, étaient les principaux fournisseurs de charbons, Dehaynin, Anzin et l'Escarpelle, de briquettes. L'équilibre a donc été maintenu tant bien que mal entre la nécessaire fidélité et la diversité. La tendance à favoriser les fournisseurs situés sur le réseau s'est accentuée : c'est une des raisons les plus fréquemment invoquées pour écarter l'adjudication publique. L'exemple des usines de montage de voiture et wagons est caractéristique : parmi les sept fournisseurs, quatre

1. F 12 8049. D'après C A R L I O Z : « Étude sur l'organisation de la production française après la guerre », rapport au Comité consultatif des Arts et Manufactures. 2. Cartels et concurrence dans la métallurgie française, Paris Les Presses Modernes, 1938. 3. Pour cet auteur, contrairement à ce que dit le rapport de Carlioz, l'entente ne se limite pas aux essieux de charrette.

300

LE SYSTÈME

D'EXPLOITATION

INTENSIVE

sont dans le Nord (Malissard-Taza de Douai, les Ateliers de Construction du Nord de la France à Douai, la Société franco-belge de Raismes, les Usines et Fonderies de Baume et Marpent), deux dans la région parisienne (La Compagnie française de Matériel de Chemin de fer d'Ivry et la Société Desouches et David à Pantin), une est alsacienne (la Société de Dietrich). De même en matière de Travaux publics la Compagnie dispose dans chaque section d'entrepreneurs attitrés : certains noms se retrouvent d'un bout à l'autre de notre période, tels ceux de Rouzé, de Thévenot pour la maçonnerie, de Detrain et Desbarbieux pour la couverture. De nouveaux noms apparaissent dans les dernières années du siècle, mais ils constituèrent un cercle de fidèles aussi solide que l'ancien : citons Déhé 1 , Dequeker, Latapie, Tumerelle, Drouard, l'un des grands noms de l'entreprise ferroviaire encore aujourd'hui. L'entrepreneur de Travaux publics était devenu un chef d'entreprise : il avait définitivement cessé d'être dans « la dépendance servile des ingénieurs » 2, « se livrant à un labeur sans éclat autant que sans profit ». Une Chambre syndicale avait été fondée en 1882, qui s'employa surtout à obtenir une révision des clauses et conditions générales des marchés de l'État, dont s'inspiraient les Compagnies. Cet effort n'aboutit réellement qu'en 1910. Les travaux du bâtiment proprement dit sont de plus en plus groupés. A partir des dernières années du siècle, les adjudications comprennent des « travaux de toute nature » ou « les travaux de terrassement, maçonnerie, charpente, couvertures, menuiserie, peinture et vitrerie » 3 . En même temps, apparaissent de grosses entreprises qui, en fonction du matériel dont elles disposent, se spécialisent dans tel ou tel travail. Cette tendance, que nous avions déjà notée antérieurement, n'a fait que se confirmer. Citons ces travaux de Lille qui en 1888 exigent « un entrepreneur de premier ordre et puissamment outillé » 4 . L'entreprise Drouard de Rouen se spécialisa dans la pose, puis l'entretien des voies et le concassage du ballast, l'entreprise Moisant et Savey dans les fondations par air comprimé; Giros 5 dans le traitement du ciment, Piketty et Vecquaindry dans les travaux en béton armé. Pour les travaux les plus délicats, les souterrains en particulier, la spécialisation s'imposait. « En raison de la difficulté spéciale des travaux », constatait en 1889 l'ingénieur à propos des travaux de Liart-Laon, il fallait traiter de gré à gré avec le seul entrepreneur « qui puisse traiter en connaissance de cause » 6 . Cette spécialisation allia ses effets au groupement des constructeurs pour expliquer la baisse du taux des adjudications (cf. graphique 26).

1. Sur l'entreprise Déhé : cf. Entrepreneurs et Entreprises. Livre d'Or de l'Entreprise française, édité par le Moniteur des Travaux Publics et du Bâtiment, juin 1957, p. 59 à 63. 2 . Cf. G A L L O T T I , L'entrepreneur à travers les âges, Paris, Eyrolle, 1921, 5 4 4 p. 3. Exemple cité : Gare de Valenciennes, Conseil d'Administration, séance du 2 septembre 1904. 4. 48 AQ. 4311. 33-5. Dossier Lille. 5. Il s'agit de l'entreprise Giros et Loucheur, le futur ministre. 6. Conseil d'Administration, séance du 27 décembre 1889.

LES FACTEURS

301

EXTERNES

B. Les principaux marchés L'analyse des tableaux (25) et courbes de prix que nous avons établis (graphiques 22 à 26) oblige à nuancer beaucoup l'idée courante d'une baisse des prix jusqu'en 1896, suivie d'une hausse jusqu'en 1913. Tout d'abord, l'affaissement des prix des années 1885-1886 a, pour tous les produits ou presque, été plus accentué que celui des années 1894-1896. TABLEAU 2 5 (A) Indices annuels des prix de différentes matières

(base 100 en 1898) Bois

Huile de pétrole

Huile de colza

Bâches

Objets en cuivre

1884

106,4

167,6

122,9

133,8

100,5

112,2

1885

98,6

167,6

114,8

90,5

102,3

88,4

82,1

Années

1886

119,8

1887

89,4

1888

90,2

150,9

89

160

123,5

1889 1890 1891

Charbons

100,3

119,2

70,9

110

118,6

74,3

139

116,8

97,7

88,3

97,7

150,1

Rails d'acier

102,1

95,3 85,1

158,5

130,7

102,5

105,9

1892

108

150,4

99

87,8

102,1

1893

106,1

137,1

94,2

1894

99,5

105,9

78,9

1895

95,1

120,4

83,5

1896

92,7

114,3

93,3

116,9

111,7

100

100

1897

92,8

1898

100

1899

100,9

1900

100,2

1901

97,4

1902

79,3

80,7

98,8

77,8

74,3

97,1

78,5

77,7

96,8

86,2

77,5 110,6

100

100

100

100

141,1

94,4

99,1

114,4

121,1

120,6

138,3

98,4

106,7

102

128,4

94,5

94,2

95

122

1903

91,5

108,9

87,5

118,8

1904

86,3

105,4

83,1

1905

94,4

100,6

92,3

108,3

1906

110,6

100,6

113,8

121,8

153

138

124,3

1907

111,3

98,7

133

134

163,5

143,5

122,6

95,7

139,4

122,1

96,6

128,8

115,8

111,2

113,1

117,4

102,5

122

112,3

109,5

134,5

100,2

154,3

97,7

126,7

120,6

1908

108

1909

109,5

1910

102,2

127,3 101,4

117

100,1

106,2

109

98,2

102,3

100

95

112,7

120,6

1911

111,4

105,4

125,1

1912

115,5

124,8

128,9

134,2

128

143

126,7

1913

113,6

127,7

119,8

139

120,5

164

126,7

LE SYSTÈME

302

TABLEAU 2 5

D'EXPLOITATION

INTENSIVE

(b)

Indice des prix de 1884 à 1913 (base 100 en 1898)

Années

1884

Loco-

Wagons

motives

couverts

Essieux

133

Bandages

Tabliers métalliques et plaques tournantes

128,1

95

1885

109,7

74,2

1886

91,2

111,2

87,4

1887 1888

Pièces diverses

102,3 92,7 92,7

91,2

55,3

90,9

97,5

77,2

90,7

1889

82

97,5

81,7

87,3

1890

89

120

118,2

73,9

99,9

1891

84

117

113,1

86,5

98,8

1892

91

115,4

1893

101

105,5

1894

90,2

90,3

95,1

108,2

68,9

95,6

74,1

98,5

87,8

92,9

102

94

1895

100,8

95,1

1896

100,8

95,1

1897

98

1898 1899

102

135,1

1900

112,3

124,9

1901

110

113,4

1902

102

98,3

1903 1904

100

100

123,5

146,1

175,6

113 100,6 99,8

99,2 100

100

100

100 117,7

136,2

115,3

93,9

94,7

111

102,3

94,5

112,1

89,3

96,1

81,4

95,9

118

97

82

81,5

99,1

81,7

1905 136,5

Voitures

(1)

112,6

124,3

146,1

139

113,1

90

1906

92

1907

109

166,2

133,3

113,5

114,1

1908

99

125,5

117,1

92,2

111,2

1909

97

109,7

115,5

77,7

1910

87

111,4

92

114,6

83,6

1911

90

121,4

99,1

115,6

117,4

82,1

107

1912

98

135

143

124

104,7

84,6

115,6

123

152,8

123,9

129,9

1913

126,1

1. Dessous de boîte à huile, plongeurs, tendeurs, boisseaux.

108

LES FACTEURS

EXTERNES

303

TABLEAU 2 5

(c)

1

Indice de prix de 1852 à 1883

(base 100 en 1898)

Années

1852 1853 1854 1855 1856 1857 1858 1859 1860 1861 1862 1863 1864 1865 1866 1867 1868 1869 1870 1871 1872 1873 1874 1875 1876 1877 1878 1879 1880 1881 1882 1883

Locomotives

117,9 117,9 139 137,6

117,9

Rails

325 334 359 366 354 354 308,4

109,5 109,5

94,6 94,6 92,6 92,6 87 81,4 76,9 90,4 98,3 111,2

81,4 73 75,8 85,9 96 95 89

233,7 233,7 238,3 245,7 236 238 212 197,5 195,1 226,5 245,7 214,4 190,3 178,3 168,6 166,2 163,8 156,6 134,9 134,9

Bandages et essieux

Moyenne des trois

299,2 322,7 322,7 319,7 330,5 320,2 320,2 293,7 279 267,5 267,5 262,5 262,5 248,7 238,7 250 250 250

247,3 258,2 273 274,4 274 270 248 240 231 228,4 228,4 201 196 193 193 193 191,6 189 179 179 176,6 203 199,8 165 138 133 127,6 125,2 134 134,3 125,8 123,8

237,5 273,7 242,5 170 143,7 141,2 133,7 133,7 152,5 150,5 147,5

1. Séries raccordées à la base 100 en 1898. Pour les rails l'équivalence du prix des rails d'acier en 1867-1869 et du prix des rails en fer à la même époque a été admise, les ingénieurs considérant qu'aux prix de l'époque les deux produits sont équivalents, si l'on tient compte de la durée plus longue de l'acier.

LE SYSTÈME

304

TABLEAU 2 5

D'EXPLOITATION

INTENSIVE

(d)

Indices de prix de 1884 à 1913 (base 100 e n 1898)

TerrasAnnées

sements et ouvrages d'art

1884 1885 1886 1887 1888 1889 1890 1891 1892 1893 1894 1895 1896 1897 1898 1899 1900 1901 1902 1903 1904 1905 1906 1907 1908 1909 1910 1911 1912 1913

52,3 62,1 51,9 40,1 53 60,8 83,8 90,6 72,9 60,3 40,1 46 63,2 100 146 130,7 108,3 90,5 78,9 76,9 63,4 93,4 106,2 86,5 100 100 100 95,1 98,3

Moyenne locomotives Idem rails, essieux, sans charbon bandages, charbon

111,4 106,3 93,1 85,8 88,9 88,5 110,1 102,9 96,8 97,5 93,2 92,8 92,2 95,2 100 127,7 145,1 117,9 102 100,2 98,5 104,4 119,4 129,4 116 110,2 109,5 112,1 124,6 130,4

ni 107 102 99,2 91 88 96 100 99,5 103,2 99,5 97 97 101,2 100 114 123 102,7 97 97 98 111,4 112,6 124,7 111,8 106,2 105,3 107,2 118 119,2

Idem plus terrassements et ouvrages d'art

99,5 97,4 85,4 77,3 67,7 81,4 100,2 98,7 95,6 92,6 86,6 82,2 82,9 88,8 100 131,4 142,2 116 99,7 95,9 94,2 96,2 114,2 124,7 110,1 108,1 107,6 109,7 118,7 123,9

LES

FACTEURS

EXTERNES

GRAPHIQUES 22, 23, 24, 25

Prix du charbon, des rails, des essieux de locomotives (1880-1912) indice 100 = 1898

305

LE STSTÈME

306

GRAPHIQUE

D'EXPLOITATION

INTENSIVE

26

% TRAVAUX MÉTALLIQUES

1 - A\ — \/ v\\ —

y

V

v u

1885

TERRASSEMENT, OUVRAGES D'ART, MAÇONNERIE

\

i i i

i i i r~] i i i i —i—i—i—i—|—i—i—i—i——i—r—i—r 1890 1895 1900 1905 1910 1915 Rabais moyens obtenus dans les adjudications de 1885 à 1914

Nous présentons enfin un indice « pondéré » des dépenses d'investissement ferroviaire, pondéré en fonction de la répartition de ces dépenses 1 d'investissement net. TABLEAU

25

Pourcentage

1884 1885 1886

1887

1888

1889 1890 1891 1892 1893 1894 1895 1896 1896 1897 1898

81

80,5 85.2 78,5 72,9 69,1 77,7 87.3 93,3 90.7 78,1 74.8 76.9 76,9 89,8 100

(e)

Pourcentage

1899 1900 1901 1902 1903 1904 1905 1906 1907 1908 1909 1910 1911 1912 1913

113,5 118.4 107,8 98 94,7 93.5 90,4 97,2 100 90 100,2 95.6 97,4 101.5 102,3

1. Cette ventilation sera présentée et justifiée dans une étude à paraître sur le capital ferroviaire en France. Cette série est la seule qui n'ait pas figuré dans notre thèse de doctorat.

LES FACTEURS

EXTERNES

307

D'autre part, si la baisse des années 1909-1910 est pour la grande majorité des produits moins accentuée que les baisses antérieures (ce qui prouve la tendance à l'accroissement à long terme), il faut noter que pour certains d'entre eux (les pièces de wagons, en fonte en particulier, les essieux de wagons) il n'en est rien et que, mis à part les charbons, les bâches, les objets en cuivre, les essieux de locomotive, les rails, les prix de 1903-1905 sont inférieurs aux prix de 1894-1896 et de 1885-1886. Enfin, les niveaux atteints en 1911-1912 sont, pour la grande majorité des produits, inférieurs à ceux atteints en 1906-1907. Pour tous les produits, une tendance marquée à la baisse se dessinait nettement à la fin de 1913 et au début de 1914. L'évolution est différente suivant le degré d'élaboration du produit. Les matières premières et les produits faiblement élaborés tendent à augmenter. La hausse à long terme débute en 1885-1887 qui marque le creux de la vague pour la plupart des produits : les charbons, les objets en cuivre et en zinc, les bois, les fers, les fontes, les rails, les bâches sont dans ce cas. Le tableau suivant résume l'évolution du prix des matières premières. Il donne des moyennes annuelles d'accroissement des indices :

Matières premières

Charbon Chêne (bois de) Huile de colza Rabais (ouvrages d'art)

1884-1894

1895-1913

(%)

(%)

— 1,81 + 0,95 — 2,56

+ + + —

1,81 1,91 1,70 3,78

L'accroissement des années 1895-1913 n'est donc pas très élevé sauf pour les rabais, dont les chiffres sont artificiellement gonflés par les niveaux très élevés de 1895 et 1896 (si l'on prend 1897 comme point de départ des calculs, on trouve une baisse des rabais de 0,8 %). Ce faible taux moyen est dû autant à l'irrégularité de l'accroissement qu'à sa faiblesse. Les prix maxima du charbon furent atteints en 1900 et non en 1913, qui pourtant fut une année exceptionnelle. De même la réduction des rabais en 18981900 fut plus marquée qu'en 1912-1913. Il est intéressant de comparer l'évolution d'un produit nouveau tel que l'huile de pétrole à celle d'un produit ancien comme l'huile de colza. L'un et l'autre connurent une sensible réduction entre 1884 et 1898, mais la baisse fut beaucoup plus forte pour le pétrole que pour le colza. Pour le pétrole la baisse se poursuivit jusqu'en 1908, date à partir de laquelle il y eut une brutale augmentation (5 % par an). Les prix de l'huile de colza s'accrurent dès 1895 (1,70 %). Elle atteignit son prix le plus élevé au moment où le pétrole atteignait son prix le plus bas et tandis que le pétrole augmentait de 1907 à 1913, le colza baissait. Sa défaite était définitive. 20.

308

LE

SYSTÈME

D'EXPLOITATION

INTENSIVE

La situation est toute différente pour les produits élaborés. O u bien la hausse est beaucoup moins nette et de toute manière plus tardive : les bandages de wagon et ceux de locomotives, les essieux décroissent jusqu'en 1903-1904. Pour de nombreux produits c'est alors que « les prix les plus bas ont été atteints », selon l'expression même des rapports. L'indice des voitures et wagons doit, pour être correctement interprété, être corrigé par le fait que les prix de 1897-1898 ont été négociés très bas souvent même au-dessous du prix de revient. De plus de nombreuses améliorations ont été introduites dans les modèles ultérieurs. Enfin certains produits ont stagné ou ont même baissé : c'est le cas des aciers, des pièces de wagons en acier et surtout des locomotives. On peut tenter de distinguer l'évolution des produits de première élaboration, qui ont connu une hausse plus faible que les matières premières et les produits totalement élaborés qui ont diminué : les deux tableaux suivants expriment ces différences d'évolution.

1884-1896

1897-1913

(%)

(%)

— 0,59 + 0,69

+ 1,08 + 1,17 + 1,17

1° Produits de première élaboration Rails Essieux et bandages (indice moyen) Tabliers métalliques et plaques tournantes 2° Produits élaborés Locomotives Pièces diverses

— 0,8 + 0,69

-

1,11

Pourtant, la hausse des matières premières, du charbon surtout, mais aussi du cuivre et la hausse de la main-d'œuvre pesaient sur les coûts industriels comme sur les coûts ferroviaires. Les méthodes de négociation des marchés ont eu pour but d'obliger les industriels, malgré le protectionnisme et la hausse des matières premières et de la main-d'œuvre, à faire un effort de productivité et à le répercuter sur les prix. La « belle époque » ne fut à aucun titre une époque de facilité, comme l'avait été, dans une certaine mesure, le Second Empire. L'effort de productivité, auquel s'ajoute la baisse du prix des transports, a compensé, et au delà, l'effet de la hausse des matières premières et des prix. Dans les dernières années, les prix de revient français tendaient à se rapprocher des prix allemands. Ils devenaient compétitifs. La guerre a rompu une évolution prometteuse 1 . Les fluctuations à court terme furent très violentes. Pour les analyser la coupure annuelle est mauvaise. La véritable unité de l'histoire des prix 1. Cf. infra, p. 314. La discussion du problème à propos des locomotives.

LES FACTEURS

EXTERNES

309

ne devrait pas être l'année civile mais « l'année d'affaire » qui correspond à l'année scolaire. La baisse ou la hausse s'esquissent en octobre, s'affirment de novembre à mars et se confirment ou disparaissent entre juillet et septembre : c'est alors seulement que l'on sait si elles dureront. Ces fluctuations ont deux causes qui réagissent l'une sur l'autre : le prix des matières premières, l'état du marché. L'instabilité des prix du charbon et des métaux entraînait l'instabilité des autres prix. Pour les wagons, par exemple, l'essentiel des fluctuations est dû à celles du prix des pièces métalliques. Les caisses eurent des prix beaucoup plus stables en raison de la plus forte stabilité des prix du bois et des textiles. Mais la hausse des matières premières et des métaux n'était jamais qu'un effet de la situation du marché. Les producteurs étaient tentés de mettre à profit les situations de pénurie que produisait périodiquement l'irrégularité des commandes des Compagnies. Analysant ses inconvénients, G. Villain écrivait en 1908, à propos du prix des locomotives de 1901 à 1907 : « dans l'hypothèse de commandes plus régulièrement faites... l'industrie française n'eût évidemment pas livré des locomotives à des prix de misère comme ceux de 1904, où la moyenne fut de 1,471 fr. Mais d'autre part, les Compagnies n'eussent pas contribué, par la surabondance des commandes faites en pleine période d'activité économique, au relèvement progressif des prix unitaires (1,704 fr en 1905; 1,94 fr en 1906; 1,974 fr en 1907) Cette critique s'appliquait d'ailleurs moins à la Compagnie du Nord et au PO qu'aux autres : en 1886-1887, en 1897, en 1902, en 1908, elles firent, nous le verrons pour la première, d'importantes commandes qui leur permirent à la fois d'acheter bon marché et de soutenir l'activité des usines se trouvant sur leur réseau. Il y eut au total quatre crises des prix de ce type : 1889-1891 ; 1889-1900; 1906-1907; 1912-1913. La première fut brève : elle fut sensible surtout pour le charbon, nettement atténuée pour les produits élaborés. La seconde fut exceptionnelle. Une première poussée des prix s'était produite en 18971898, sous l'effet des commandes faites en vue de l'exposition. Ils se tassèrent légèrement en 1898-1899. Mais les commandes provoquées par la crise des transports de 1899-1900 entraînèrent une hausse des prix sans précédent. « La situation du marché est telle qu'il faut prendre rang le plus longtemps possible à l'avance dans les commandes aux fournisseurs » constatait un rapport sur les boulons, en avril 1900, qui enregistrait une hausse de 40 % 2 . Mais, à ce moment déjà, les acheteurs avaient commencé à réagir. Pour les objets métalliques, le maximum fut atteint en juillet 1899, mars 1900. La Compagnie différa plusieurs commandes en raison de prix excessifs. Elle accepta des hausses allant jusqu'à 34 % pour les bandages bruts (juillet 1899), 47,8 % pour ceux de wagons (novembre 1899), 36 % pour les aciers plats (avril 1900), 43 % encore pour les harpons en fer, en septembre 1900. Mais la Compagnie avait, dès le mois de décembre 1899, 1. G. VILLAIN, Notice sur la périodicité des crises économiques, Paris, 1908, Imprimerie Nationale, p. 55. 2. 48 AQ.4698. 32-3. Dossier « Matières diverses ». Rapport du 2 avril 1900

310

LE SYSTÈME

D'EXPLOITATION

INTENSIVE

différé une commande de plaques de garde et d'entretoises parce qu'on lui demandait 100 % de plus 1 . En février 1900, la même mesure fut prise pour le charbon — nous le verrons — et en juillet pour les bâches parce que « les prix présentaient une majoration considérable » 2. Dans les derniers mois de 1900, la détente apparut sur le marché des charbons maigres. Elle fut interprétée comme signe avant-coureur d'une baisse générale : dès janvier 1901, tous les produits subirent des réductions qui contrebalançaient, ou presque, celles de 1899-1900. Pour de très nombreux produits, les prix atteints en 1903-1905 furent « les prix les plus bas jamais obtenus jusqu'ici » 3 : c'est le cas des pièces de wagons, des wagons eux-mêmes. La flambée de 1905-1907, accompagnée comme la précédente d'une hausse anormale des commandes due à la crise des transports, fut aggravée par la pénurie de charbons due aux grèves 4 et par la crise qui se produisit sur le marché des métaux en général et surtout du cuivre. La hausse des cours, commencée dès janvier, s'accéléra en octobre 1905. La pressentant, la Compagnie commanda dès cette époque la plus grande partie des produits dont elle avait besoin pour 1906. Elle put ainsi, « en surveillant les cours et en conduisant ses achats en conséquence, réaliser ces achats à des prix très inférieurs aux cours moyens annuels » 5 . Mais, comme, en 1900, elle dut en 1907 subir la hausse au maximum. Le Journal des Économistes interprétait cette hausse comme résultant d'une manœuvre d'accaparement aux États-Unis 6 . La tactique des commandes obtint dans les dernières années de l'exploitation des résultats remarquables : la Compagnie sut satisfaire ses plus gros besoins avant que ne soit atteint le maximum des prix en 1912. Elle passa de fortes commandes en 1909 et 1910 et les compléta en 1911, alors que la hausse s'affirmait sans atteindre encore de trop hauts niveaux. Les prix des charbons, bien que 80 % des commandes fussent passés par marchés à long terme de trois à quatre ans, furent particulièrement sensibles à ces fluctuations. La Compagnie supportait mal de devoir subir des prix « convenus » entre les mines, comme en 1899 7 . Du Bousquet dut alors accepter, après « avoir résisté longtemps », « de payer à ses principaux fournisseurs des prix excessifs, presque le double des marchés précédents » 8 . De tels excès se produisirent en 1890, 1900, 1906, 1907, 1911,1912. En 1906, à l'occasion de la grève des mineurs, de fortes commandes avaient été faites en Grande-Bretagne 9 . La brèche était ouverte : à la coalition des charbonnages il fallait répondre par des commandes à l'étranger. En 1912 la Compagnie conclut des marchés à long terme avec des fournisseurs

1. 48 AQ.4663. 32-3. Dossier « Pièces de rechange ». Rapport du 14 décembre 1899. 2. 48 AQ,4698. 32-3. Dossier « Bâches ». Rapport du 6 juillet 1900. 3. 48 AQ. 4886. 32-3. Dossier « Pièces de rechange ». Rapport de février 1906 à propos d'une commande de boîtes à huile. 4. Les produits en verre virent leurs prix s'accroître de 30 %. 5. Archives de la gare du Nord. Rapport du 4 octobre 1905. 6. « Le marché en 1907 », Journal des Économistes, n° du 15 janvier 1908. 7. 48 AQ4622. 32-3. Dossier « Charbons ». 8. 48 AQ, 4663. 32-3. Rapport du 12 décembre 1899. 9- 177 000 tonnes sur un total de 507 000 tonnes.

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anglais, bien que les houilles anglaises aient été plus coûteuses que les françaises : leur qualité était supérieure. D u r a n t la crise de 1884-1887 les commandes de rail des Compagnies servirent de régulatrices de l'activité des usines du Nord : celle des Aciéries de France créée par Dorlodot à Berguette en 1884, celle de Denain-Anzin, celle de la Société des Forges et Aciéries du Nord et de l'Est. Ces trois entreprises se divisèrent les commandes jusqu'en 1913. Les prix les plus bas furent ceux de 1889. Leur fixation donnait lieu à de « longues et vives discussions » 1 . Nous examinerons avec un peu plus de détail les commandes de véhicules et de locomotives, car elles furent l'objet de nombreuses polémiques. De 1883 à 1886 les locomotives furent construites dans les ateliers de la Compagnie, le principal but étant d'éviter les débauchages d'ouvriers spécialisés. La pénurie de commandes plaça de nombreuses Sociétés dans une situation délicate à cette époque. En mai 1886 la Compagnie dut faire une avance à la Société de Saint-Denis pour assurer l'équilibre de sa trésorerie. La même année la Compagnie Française de Matériel de Chemin de Fer « envisageait l'éventualité d ' u n arrêt temporaire de ses ateliers » 2 . Les marchés extérieurs, prospectés avec un bonheur inégal, ne compensaient pas l'abstention des Compagnies françaises, et les quelques commandes passées en France l'étaient à des prix « tellement avilis qu'il n'y avait pas de bénéfices à prévoir sur la fabrication » 3 . La hausse des années 1891-1892 fut limitée grâce au jeu de la concurrence et aussi parce que la reprise des commandes fut en fait très modérée 4 . Pour les wagons « en présence des exigences de la Société de Saint-Denis » la Compagnie « convoqua les différents constructeurs et provoqua leurs offres » : par ce moyen la hausse fut limitée à 1,8 % . Les prix des locomotives restèrent modérés 5 car « les usines avaient besoin de travail pour leurs ateliers » 6 . En 1895-1897, malgré la «hausse des matières», les prix obtenus pour les voitures et locomotives furent tellement intéressants pour les Compagnies qu'ils firent perdre de l'argent aux constructeurs 7 . Mais en 1900 il fallut subir « les prix excessifs » 8 . C'est en 1899 que fut créée la Chambre syndicale des constructeurs de matériel ferroviaire. Ses deux principaux objectifs furent d'obtenir que les Compagnies réservent leurs commandes aux constructeurs français 9 et qu'elles les régularisent. Cette seconde revendication tomba en période de grande pénurie de commandes (1901-1902), qui succédait aux commandes excessives de 1898-1900. U n e commission 1. Conseil d'Administration, séance du 19 novembre 1911. A propos d'une commande de 21 000 tonnes à 155 fr au lieu de 170 fr. 48 AQ.46. 2. 65 AQ,M 121. Assemblée générale des actionnaires, 1886.

3. Ibid.

4. Le parc des Compagnies était en fait encore alors supérieur aux besoins. 5. 1,38 fr le kilo en 1889 (indice 89 sur une base 100 en 1898), 1,60 fr en 1890, 1,72 en 1892. Il y eut même une commande à 1,50 en 1892. 6. 48 AQ. 4393. 7. La chose est certaine pour De Dietrich, qui désirait avant tout se placer sur un marché nouveau, celui des voitures à couloir. 8. Le kg de locomotive atteignit 1,90 à 2,10 fr.

9. Cf. supra, p. 299.

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fut créée qui conclut à la nécessité de standardiser les types de locomotives, et de régulariser les commandes en menant une politique de prévision à moyen terme et en pratiquant les renouvellements durant les périodes de trafic affaissé. Il fallait tenir compte non « des besoins spéciaux de chaque année », mais de « la progression moyenne des besoins » 1 . Pour les Compagnies, la Chambre syndicale ne pouvait être que l'amorce d'un monopole fondé sur l'entente. En 1901 elles refusèrent de communiquer, comme le ministre le demandait, la liste des fournisseurs auxquels les commandes devaient être faites. Ce serait, pensa le Comité de Ceinture « provoquer la coalition » 2 , et « presque certainement une majoration des prix 3 . Les Compagnies voulaient conserver « leur liberté d'action et de négociation » 4 . Elles refusèrent de communiquer leurs projets de commandes à moyen terme car « les constructeurs... en profiteraient pour demander des prix que ne justifieraient ni nos besoins ni l'état du marché » 5 . Elles introduisirent un recours en Conseil d'État : le fait de s'engager à commander une certaine quantité de matériel en fonction de besoins prévus serait « se mettre à la discrétion des constructeurs » 6 . Refusant de céder sur les principes, la Compagnie du Nord mena en fait une politique très souple : ses commandes passées en 1902 en pleine crise du trafic, inaugurent une pratique prévisionnelle à moyen terme. En fait les commandes de 1895-1896 avaient donné d'excellents résultats et la Compagnie voulut recommencer l'opération sur une plus grande échelle en 1902, en saisissant l'occasion des bas prix pour faire de fortes commandes : en 1901 les prix des wagons retrouvèrent leurs niveaux de 1893 ou 1898. En 1902 ils furent inférieurs de 32 à 43 % à ceux de 1899, de 5 à 8 % à ceux de 1897. Les locomotives, qui avaient atteint 2,10 fr en 1900, furent à 1,48 fr en novembre 1901. Ces commandes permettaient aussi « d'assurer une bonne marche » des ateliers des principaux clients 7 . Parallèlement, les Compagnies acceptèrent de négocier avec la Chambre syndicale. Elles prirent en 1906 l'engagement moral de commander une quantité minimum de matériel à partir de 1909 8 . Or, dès 1906, ces chiffres furent largement dépassés pour l'Ouest, l'Est et le P L M et ces Compagnies firent de nouveau appel à l'Allemagne. Tirant argument de ces erreurs prévisionnelles, la Chambre syndicale obtint en 1911 que se tiennent des réunions périodiques entre elle et les ingénieurs des Compagnies. Ceux-ci se donnèrent d'ailleurs le mot pour ne pas pousser trop avant cette collaboration pour les raisons déjà invoquées en 1902 et aussi parce qu'aucun

1. C. COLSON, « Revue des questions de transport », Revue Politique et Parlementaire, 1902. 2. Schryver, directeur de la Société franco-belge, montra à l'aide de chiffres les inconvénients de l'irrégularité des ordres : de 1891 à 1901 les ateliers de Raismes avaient eu un effectif de 812 hommes en moyenne, avec un maximum de 218 en 1895 et de 1943 en 1900. 3. Réponse du PO au ministre, du 2 juillet 1901. 4. Note de Du Bousquet à Sartiaux pour un projet de réponse, du 17 décembre 1901. 5. Lettre au ministre, du 6 novembre 1901. 6. Archives de la gare du Nord, 1966, note du 30 octobre. 7. Saint-Denis, Société franco-belge, Desouches, Société du nord de la France. 8. 150 locomotives (dont 25 pour le Nord) et 73 000 wagons en 1909, 1910 et 1911.

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d'entre eux ne désirait abandonner ce pouvoir de décision, dont Le Châtelier dit qu'il était pour eux une sorte de violon d'Ingres Mais, lors des pourparlers de 1906, les Compagnies demandèrent qu'en échange de leur engagement éventuel de commander une certaine quantité de matériel, les prix des constructeurs « ne soient pas supérieurs de plus de x % aux prix de revient obtenus dans les ateliers des Compagnies françaises » 2 . Or la Compagnie du Nord constatait entre ses prix de revient atelier et les prix des constructeurs une différence de 25 à 43 % en 1901, de 40 à 47 % en 1902, de 54 % en 1903. De plus certaines Compagnies firent appel de nouveau aux constructeurs étrangers : en 1910 sur un total de 449 locomotives commandées par les chemins de fer français, 120 le furent à l'étranger, en 1911 sur un total de 635, 170. La Compagnie du Nord y figurait pour 30 machines en Belgique en 1910 (obtenues à 1,40 fr) et pour 70 en 1911 (à 1,38 fr) 3 . A ce moment une discussion opposa au sein de la Commission ministérielle du matériel roulant les constructeurs aux Compagnies. Les premiers soutinrent que les Allemands pratiquaient à leur égard un dumping rendu possible par le fait qu'ils disposaient d'un marché intérieur mieux assuré et plus régulier, où ils pratiquaient des prix plus élevés. Les prix de revient allemands pouvaient être plus faibles parce que les cahiers des charges des chemins de fer prussiens étaient moins sévères. Les Compagnies pouvaient répondre que les prix intérieurs allemands étaient plus faibles que les prix intérieurs français et que les constructeurs allemands se soumettaient sans réticence aux cahiers des charges français. La régularité des commandes n'était possible que si les « constructeurs français pendant les périodes de dépression du trafic et du fléchissement des cours tenaient compte de la situation du marché et abaissaient leurs prix » 4 . Les constructeurs affirmaient avoir réduit au maximum grâce « aux derniers perfectionnements apportés dans l'outillage » leurs coûts de main-d'œuvre, et les Compagnies avoir unifié au maximum leurs cahiers des charges afin de favoriser la standardisation. Les Compagnies jugeaient trop élevés les « frais généraux » tels que les constructeurs les évaluaient 5 et considéraient que la plus-value de 0,20 fr que garantissait la protection douanière était suffisante pour les rémunérer. Enfin la supériorité de la construction française n'était qu'une légende et les Allemands pouvaient, bien guidés, faire aussi bien que les Français. Il paraissait par contre ridicule aux constructeurs de favoriser pour une différence qu'ils jugeaient faible et que les ingénieurs trouvaient énorme « l'impérialisme métallurgique de l'Allemagne » 6 . Les prix du matériel roulant proprement dit subirent en 1906 et 1907 une hausse très forte par rapport aux prix de

1. Cf. notre article dans Revue d'Histoire de la Sidérurgie, 1965, 3. 2. AGN. Décision de la Conférence des ingénieurs du Matériel et de la Traction, du 8 novembre 1906. 3. En 1910 le prix français moyen était de 1,56. 4. A G N . Réponse des réseaux aux constructeurs. 5. Les ateliers de l'Est et du P L M avaient fourni des locomotives pour 1,113 fr le kg et les constructeurs demandaient 1,96. Les Compagnies jugeaient l'écart de 0,83 fr un peu trop élevé pour couvrir les frais généraux et les bénéfices. 6. Assemblée générale des constructeurs. 1913.

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misère de 1902 1 , mais les quelques commandes de 1908 et 1909 furent signées à des prix sensiblement inférieurs 2 et si avantageux même que les ingénieurs conseillèrent « de profiter des prix exceptionnellement bas pratiqués par les constructeurs pour augmenter le parc en prévision des années futures » 3 . Il convient au terme de cette analyse de s'interroger sur les causes de la cherté française. Les Compagnies l'expliquaient par l'entente : sur un marché rigide, protégé, dominé par les « syndicats », les hausses des salaires et des matières premières jouaient à plein, sans que fût suffisante la compensation apportée par l'accroissement de la productivité. L'interprétation des constructeurs différait. Parce qu'elles ne disposaient que d'un marché restreint et qu'elles étaient excessivement dispersées, les principales industries vivant des commandes ferroviaires, ne pouvaient accroître suffisamment leur productivité pour abaisser leurs coûts au niveau des coûts internationaux. Pourtant, un remarquable effort fut accompli, qui rencontrait comme limite principale non pas les prétendues habitudes des ouvriers français ou un esprit routinier chez les ingénieurs, mais bien le faible développement du marché intérieur. La faiblesse des exportations justifiait les hauts prix intérieurs. L'étroitesse du marché intérieur justifiait la faiblesse des exportations. Ses effets néfastes étaient aggravés par la structure du marché français : « Il faut, écrivait Carlioz en 1917, après avoir cité l'exemple des chemins de fer agissant comme clients, que disparaisse enfin ce fâcheux état d'esprit, que Monsieur V. Cambon appelle l'esprit de boutique, qui a trop longtemps prévalu, incitant chaque industriel, chaque Société, à vouloir méthodes, machines, appareils différents de ceux que le voisin a adoptés, par faux point d'orgueil, simplement pour n'avoir pas l'air de faire comme les autres, quoi qu'il en coûte » 4 . Il demandait l'unification des profils, la spécialisation des usines, le groupement des commandes car « pour que la spécialisation soit la cause d'une réduction du prix de revient, il faut qu'elle soit justifiée par une quantité suffisante de commandes ». En fait ce débat pose le problème du bon ou du mauvais emploi des monopoles. En effet, pour réaliser cette rationalisation des productions Carlioz préconise non seulement un changement dans la politique de commande des Compagnies ferroviaires, mais aussi la création d'un Comptoir. Selon lui les Comptoirs créés avant 1914, bien loin d'avoir provoqué une hausse des prix, ont assuré leur relative stabilité : comparant le prix des poutrelles à celui des aciers marchands, qui échappent au système du Comptoir, il montre que les premiers ont connu de 1896 à 1914 un écart maximum de prix de 26,7 %, les seconds de 93,5 %. De plus les Comptoirs ont pu mener une politique commerciale de « promotion » des ventes et une politique technologique de normalisation des types, qui ont permis l'élargissement des marchés et l'abaissement des coûts. Selon cette interprétation, les Compagnies de chemin de fer payaient cher, parce qu'elles refusaient 1. 2. 3. 4.

Les fourgons augmentèrent de 33 %, les tombereaux de 50 %. Baisse de 7 à 15 % sur les voitures, de 27 % sur les fourgons. AGN, octobre 1910. F 14 8089. Rapport cité.

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de jouer ce rôle de « réductrices d'incertitude », que la permanence de leurs besoins leur assignait, parce qu'elles s'obstinaient à utiliser des méthodes de commandes destinées à rendre impossible cette entente qui aurait permis à leurs fournisseurs de baisser leurs prix. Les deux interprétations se complètent : les Compagnies et le contrôle n'ont pas fait un effort de standardisation suffisant. Mais sur ce point les constructeurs ont une part de responsabilité : pour la plupart des ingénieurs d'avant 1914 standardisation et progrès technique étaient contradictoires. Les Compagnies ont opposé une sourde résistance à l'organisation du marché. Dès lors les ententes ne pouvaient devenir un instrument d'abaissement des coûts et étaient réduites à n'être que des réactions de défense dans le cadre d'une tactique à court terme des affaires, sans présenter aucun des avantages de « l'organisation des marchés ». Elles permettaient seulement aux fournisseurs de profiter pleinement, comme pour les charbons en 1900, des situations de pénurie et d'engorgement. Cependant, une constatation s'impose : dans les années qui précédèrent immédiatement la guerre, la cherté française tendait à devenir une légende, en ce qui concerne au moins les industries fournissant des produits industriels élaborés. La conjoncture de hausse des prix qui l'emporta à partir de 1896 (ou de 1905, peu importe) est beaucoup plus nette pour les matières premières (bois, charbon) et les produits semi-finis (bâches, essieux, bandages, tôles) que pour les produits de l'industrie mécanique (locomotives, voitures et wagons). Même pour les deux premières catégories, les niveaux atteints en 1913 1 ne furent jamais très supérieurs et furent souvent inférieurs aux niveaux de 1907. Pour la troisième catégorie, ils furent toujours inférieurs. Ces industries parvenaient, par l'importance de leur effort technologique, à compenser les effets de la hausse des matières premières et de la maind'œuvre. En d'autres termes, le mouvement de baisse des prix à long terme, amorcé dans les dernières années de l'Empire, et lié à la diffusion des progrès technologiques se poursuivait 2 . Or, tandis que la « cherté » française s'atténuait, la qualité française se maintenait. La pression que les prix exerçaient sur les comptes de la Compagnie fut par conséquent une cause non négligeable de ses difficultés. Le poids des hausses l'emporte de beaucoup sur celui des baisses. L'équilibre de la comptabilité ferroviaire a été compromise par la hausse des prix du charbon : l'accroissement annuel moyen de cette dépense a été de 5,2 % de 1883 à 1913. Elle représentait, en 1884-1888, 7,35 % des dépenses, en 1909-1913, 9,32 %. Par rapport aux recettes, la hausse des prix a annulé l'effet des progrès réalisés dans l'utilisation du combustible : ces dépenses représentaient 5,9 % des recettes en 1884-1888, 5,7 % en 1909-1913. Nous avons construit un indice pondéré (tableau 25«) du coût des biens capitaux destinés à l'investissement ferroviaire afin de donner une idée de l'influence 1. Or la tendance à la baisse apparaît dès août 1913. 2. J. Bouvier a montré que la baisse des aciers s'était poursuivie jusqu'en 1913. (Dans e J . B O U V I E R , F . F U R E T et M . G I L L E T , Le mouvement du profit en France au XIX siècle, Paris, SEVPEN 1965, 465 p.

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de ce facteur. Le fait le plus frappant est évidemment le niveau très bas de cet indice jusqu'en 1897, dû à l'influence de la dépression de l'indice des prix des « bâtiments et ouvrages d'art » 1 et des prix métallurgiques.

II. LES CHARGES SALARIALES A. Les salaires La principale cause de l'accroissement des dépenses est à chercher dans l'accroissement des dépenses de personnel : elles représentaient au total 64 % des dépenses en 1899-1902, 68,6 % après cette date, et plus de 70 % si l'on tient compte des prélèvements exceptionnels pour retraite. Cette évolution résulte de quatre facteurs, trois facteurs externes, un facteur interne : I o La hausse des salaires. 2° L'accroissement des charges patronales pour retraite. 3° La baisse de la durée du travail due à la réglementation « dite sociale » selon l'expression toujours employée par les ingénieurs. 4° Le rendement de ce personnel, c'est-à-dire le progrès technique. « Si le progrès technique, écrivait Colson en 1898, ne compensait pas les charges résultant des améliorations apportées à la situation du personnel le prix de revient des transports arrêterait bientôt l'abaissement des tarifs » 2 . Le problème se pose donc de savoir si le rythme du progrès technique a été suffisant, pour compenser l'accroissement des dépenses dû à l'augmentation des salaires. Nous examinerons tout d'abord les trois premiers facteurs. La hiérarchisation des salaires s'était institutionnalisée : il y avait 17 groupes d'agents, à l'intérieur desquels existait un échelonnement par classes, le plus souvent au nombre de quatre. Nous avons représenté graphiquement cette division en catégories (cf. graphique 27). Les groupes les plus nombreux sont ceux à partir du groupe V I I I . La position des agents dépend de deux facteurs leur spécialisation professionnelle et leur position dans la hiérarchie du commandement. Sans tenir compte des groupes supérieurs le groupe V I I comprend des hommes qui pour la plupart sont à la fois des chefs et des techniciens : sous-chefs de dépôts et chefs mécaniciens à la Deuxième division, chefs de districts et contrôleurs à la Troisième, chefs de gare, chefs de laboratoire des services électriques, chefs de service PV et GV à la Première. La catégorie V I I I est par excellence la catégorie des techniciens supérieurs : mécaniciens de locomotive, contremaîtres d'ateliers, contrôleurs 1. Construit d'après les rabais obtenus par la Compagnie lors des adjudications. 2. Revue Politique et Parlementaire, 1898.

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des services électriques, mécaniciens de ces mêmes services, contrôleurs des gares et receveurs. La Troisième division n'a aucun membre dans ce groupe. Les groupes IX et X étaient ceux des employés et des petits cadres : comptables, dessinateurs, rédacteurs, expéditionnaires, commis, caissiers de toutes les divisions, chefs de section de la Troisième, chefs visiteurs, chefs de brigade de la Deuxième, chefs de stations; les groupes XI et XII sont ceux de toute la foule des petits chefs de la Première et de la Deuxième division; mais aussi des chauffeurs, des conducteurs, aiguilleurs et garçons de bureau. Les autres groupes comprennent la masse des sans grades. La catégorie XVI est celle des dames employées, XVII des dames à mi-temps. L'évolution des salaires se divise en deux temps : 1. Ils se sont accrus lentement jusqu'en 1910. Ces augmentations avaient été faites pour maintenir le recrutement. Sans elles, il n'aurait pu être assuré,

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