Études de l’acte graphique [Reprint 2020 ed.] 9783112317402, 9783112306338


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French Pages 215 [216] Year 1974

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Table of contents :
Préface
Introduction générale
L’organisation du mouvement dans l’acte graphique
PREMIÈRE PARTIE
Introduction
1. Genèse de l’acte graphique
2. Elaboration théorique des données de l’observation continue
Conclusion de la première partie: Espace de configuration du bras et espace graphique
DEUXIÈME PARTIE
Introduction: L’organisation du mouvement, spontanée et d’après modèle
3. Etude des aspects dynamiques de l'acte graphique dans la reproduction des courbes : Problèmes moteurs des altérations de la forme
4. Aspects cinématiques de la reproduction des courbes : Etude du renversement du mouvement; précession de la forme sur la trajectoire
Conclusion de la deuxième partie
TROISIÈME PARTIE
Introduction : Les sens dominants de courbure
5. Les sens dominants dans la reproduction des modèles de courbes
6. Étude des sens de courbure spontanés dans la réalisation de cercles
Conclusion de la troisième partie : Les différents niveaux et les différentes significations des sens dominants
Conclusion générale
Bibliographie
Liste des tableaux
Table des matières
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Études de l’acte graphique [Reprint 2020 ed.]
 9783112317402, 9783112306338

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Études de l'acte graphique

ÉCOLE P R A T I Q U E DES H A U T E S É T U D E S — S O R B O N N E VI' SECTION

: SCIENCES

ÉCONOMIQUES

Connaissance et langage 1

MOUTON • PARIS • LA

HAYE

ET

SOCIALES

LILIANE LURÇAT

Études de l'acte graphique

MOUTON

• P A R I S • LA

HAYE

Cet ouvrage a été publié avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique.

© 1974 Mouton & École Pratique des Hautes Études ISBN : 2-7193-0889-7 et 2-7132-0006-7 Library of Congress Catalog Card Number : 73-81820 Couverture de Jurriaan Schrofer Imprimé en France

Préface

Le mathématicien que je suis n'a d'autre compétence dans le domaine étudié par Mme Lurçat que celle qu'a pu lui donner une réflexion soutenue sur le problème de l'Epigenèse et du développement embryologique en particulier. Je crois ainsi retrouver, dans les phénomènes mis en évidence par Mme Lurçat lors de la formation des champs moteurs de l'écriture, certains traits tout à fait généraux qu'une théorie complète du développement embryologique et fonctionnel permettrait de prévoir. Il est frappant d'observer le fait suivant : alors que l'Embryologie — sous sa forme anatomique et biochimique — a fait l'objet d'une immense littérature, une Embryologie physiologique, qui décrirait la naissance et la formation des grands réflexes, n'existe guère : on ne trouve au plus dans les Manuels qu'un calendrier rudimentaire donnant, en fonction de l'âge, l'apparition des principaux mouvements observés et leur diversification progressive. Une des raisons de cette lacune réside, moins dans la difficulté d'observation, que dans l'inexistence d'une notation précise des différents mouvements pris à l'état naissant. Comme on le voit bien dans la thèse de Mme Lurçat, la description de la totalité des positions d'un organe comme la main exige (et encore sans tenir compte des degrés de liberté liés aux doigts) un espace de configuration de dimension huit au moins, espace canoniquement projeté dans l'espace euclidien usuel par la position de la main. L'étude des différents champs élémentaires associés à chaque articulation se trouve ainsi ramenée à celle des courbes « élémentaires » qui en sont la projection dans l'espace usuel ou graphique : cercles, cycloïdes, spirales, etc. Très vraisemblablement, la plupart des coordonnées de l'espace de configuration global résultent d'une contrainte créée par la structure organique et ne répondent à aucune nécessité fonctionnelle directe. Autrement dit, en vue de réaliser

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Préface

dans l'espace usuel des champs fonctionnels d'importance biologique fondamentale, comme la locomotion, la préhension, etc., l'organisme a dû créer des organes secondaires (os, articulations) introduisant une foule de paramètres superflus. C'est très artificiellement, je pense, qu'on a séparé l'organogenèse de la constitution des champs fonctionnels qui mettent en jeu les organes ; dans une théorie globale, la formation des grands réflexes régulateurs de l'organisme apparaît comme le stade ultime du déploiement des grands « champs » formateurs de l'Embryologie. Certes, une telle conception ressort pour le moment, encore, de la spéculation. Dans le cas d'un « champ » partiel — comme celui de l'ébauche d'un membre par exemple, on peut déjà donner du « champ » formateur une description géométrique un peu plus précise, qui permettrait, par exemple, d'expliquer comment peuvent se former dans l'embryon des surfaces d'articulation entre deux os consécutifs parfaitement adaptées à leur vocation mécanique ultérieure, bien que cette articulation n'ait à aucun moment été fonctionnelle. Selon cette théorie, l'établissement des grands champs fonctionnels d'une fonction physiologique donnée procède, comme tout le développement embryologique, par étapes sucessives comportant chacune les deux stades suivants : 1. Une période d'acquisition de la compétence (selon la terminologie des embryologues). Dans le modèle mathématique, l'attracteur du champ primitif se complique, augmente en dimension, par une suite de « bifurcations » successives : dans une « bifurcation » élémentaire, il apparaît un nouveau processus cyclique, périodique qui se superpose aux oscillations préexistantes. En Embryologie, ceci correspond au déblocage d'un cycle de réactions biochimiques ; en physiologie des articulations, par exemple, à la mise en route d'une paire de muscles extenseurfléchisseur. 2. Une période de « différenciation », de dégénérescence de la compétence. Ce stade est marqué par une diminution qualitative des mouvements présents, par une certaine perte de capacité fonctionnelle ; mathématiquement, il y a dégénérescence de l'attracteur multidimensionnel en un attracteur de dimension plus petite, par un phénomène de « résonance ». Par une succession de ces résonances, le « champ » définitif arrive à se

Préface

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constituer et à se stabiliser. Géométriquement, en période de compétence, le point représentatif du système, considéré comme un système dynamique, remplit ergodiquement son espace de configuration ; à la fin de la seconde période, seules subsistent certaines trajectoires, ou groupes de trajectoires, correspondant aux grands champs fonctionnels, biologiquement significatifs. Alors que la période (1) ne demande, pour être expliquée, que des facteurs relativement grossiers (par exemple, l'augmentation de l'intensité du métabolisme global), la période (2) est par nature beaucoup plus indéterminée ; elle se caractérise par une compétition des résonances possibles, une « lutte d'influence » des différents champs en formation. Par suite, le contrôle, la régulation de cette période critique nécessite souvent l'intervention d'agents extérieurs. En Embryologie ce sont les agents dits « inducteurs », dont la diffusion, à partir des tissus voisins dans le tissu compétent, a un effet géométrico-spatial tout autant que biochimique. Prenons un autre exemple : la formation du langage chez l'enfant ; la période (1) est la période du « babillage » primitif, où l'enfant émet des sons appartenant à tous les systèmes phonématiques des langues connues. Sous l'effet « inducteur » de la parole des adultes, seuls subsisteront les sons, les phonèmes de la langue des éducateurs. On sait d'ailleurs que, si on laisse passer la période de compétence sans présenter l'agent inducteur (sans parler à l'enfant), ni la langue, ni l'intelligence ne s'éveilleront. Ce modèle trouve une illustration dans le champ graphique étudié par Mme Lurçat. Les premiers mouvements observés sont cycliques, périodiques : balayages dans les directions horizontale et verticale d'abord (ce sont là les directions des gradients directeurs de l'Embryologie) ; puis apparition de cycles avec sens de rotation dominants symétriques. Il s'agit là d'une première « résonance » entre un oscillateur de balayage horizontal et un oscillateur de balayage vertical de même période. Dans le tore produit des deux oscillateurs, on a dégénérescence du mouvement vers une diagonale du tore ; on a le choix en principe entre deux diagonales, et ce choix détermine le sens de rotation dominant. On a là un cas typique du mode d'action des déterminismes génétiques ; les gènes interviennent pour fixer, aiguiller un choix entre deux évolutions également

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Préface

probables, non pour déterminer tout le développement, comme l'affirment — trop souvent — les biologistes : le sens d'enroulement de la coquille de l'escargot est lui aussi génétiquement déterminé, par un processus foncièrement semblable. Puis la régulation purement motrice et articulatoire des champs primitifs fait place progressivement à une régulation visuelle et kinesthésique plus souple, qui aboutit finalement à l'imitation de dessins modèles. Le facteur « inducteur » essentiel est alors le langage en voie de formation. A cet égard, il serait très intéressant d'étudier de manière systématique et comparative la facilité de reproduction des diverses figures élémentaires. On trouvera peut-être qu'une forme est d'autant plus facilement reproduite qu'elle a le pouvoir d'évoquer, de symboliser un processus dynamique abstrait (comme le coup, le choc, la chute, etc.) ; ces formes primitives apparaissent comme constituant des premiers idéogrammes de l'enfant (par exemple le rond, le segment dans la formation du « bonhomme têtard ») ; il n'est peut-être pas utopique de chercher à les identifier avec les premiers schémas classificatoires (les « sèmes ») qui organisent l'univers verbal et conceptuel de l'enfant. Dans l'interprétation de la forme naissante d'un champ, Mme Lurçat semble — implicitement — proposer le postulat suivant : les « oscillateurs » primitifs correspondraient aux articulations successives dans le sens proximo-distal : leur mise en fonction s'effectuerait dans un sens somatofuge — comme d'ailleurs la différenciation des os dans la formation embryologique du membre. Il y a là un postulat extrêmement intéressant, dont la formulation précise et la vérification expérimentale seraient du plus haut intérêt. Très certainement, la forme naissante du champ fonctionnel reflète la structure organique qui le crée mais est-on fondé à postuler une correspondance biunivoque entre cycles primitifs, et organes individuels ? Pourquoi un cycle de mouvement naissant ne pourraitil comporter « ab initie » une synchronisation de muscles divers ? A cet égard, l'étude expérimentale d'autres champs moteurs — moins complexes que ceux de la main, pourrait peut-être apporter quelques lumières... J'espère avoir montré ici l'ampleur des problèmes théoriques que soulève le travail de Mme Lurçat ; elle a fait là œuvre de pionnier dans un

Préface

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domaine à peine exploré, d'un intérêt théorique fondamental — et d'un intérêt pratique non négligeable. Je suis convaincu que l'avenir ne fera que confirmer l'importance de ses observations. R E N É THOM Professeur à l'Institut des Hautes Scientifiques de Bures-sur-Yvette Médaille Field

Etudes

La main qui écrit va droit et en spirale. Son chemin est un et le même. HERACLITE

Introduction générale

I.

L'ACTIVITÉ

GRAPHIQUE

1. L E DESSIN ET L'ÉCRITURE

On désigne ordinairement sous le nom d'activité graphique l'ensemble des activités groupant l'écriture et le dessin. Le but de l'activité graphique est la réalisation de tracés. L'étude de ces tracés peut se faire à trois niveaux, selon qu'elle porte sur le mouvement, sur la forme ou sur le contenu. Dans une perspective génétique, le mouvement peut être étudié en recherchant la transposition du geste dans le tracé : c'est l'aspect moteur, objet des études de la motricité graphique. La forme peut être étudiée en analysant la transposition du tracé dans cette même forme : c'est l'aspect perceptif ; la convergence de la motricité et de la perception fait ainsi l'objet des études de la forme. Le contenu peut être étudié en recherchant la transposition de la forme dans le sens symbolique du mot ou dans la réalisation du modèle. La convergence du langage et du graphisme d'une part, du modèle et du graphisme d'autre part, fait à son tour l'objet des études du contenu de l'activité graphique. L'écriture et le dessin ont en commun d'être des mouvements organisés en vue de réaliser des formes qui sont porteuses d'un contenu, ce contenu pouvant être expressif, figuratif ou significatif. Les deux activités graphiques sont indistinctes dans les premiers gribouillages de l'enfant. La différenciation est progressive et se manifeste dans la forme et dans la destination des tracés. Suivre les étapes de cette différenciation, c'est analyser comment se réalisent la spécificité de l'écriture et celle du dessin. Tant que le mouvement et la forme se confondent, c'est-à-dire tant que les tracés sont la simple transposition des gestes, l'activité graphique est indifférenciée. L'apparition des premières formes permet une première

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Introduction générale

dissociation dans le but, les tracés pouvant être figuratifs ou non figuratifs. Déjà intervient l'influence différenciatrice du langage. Mais c'est au moment où le graphisme s'objective, qu'il se donne des thèmes de réalisation, que s'opère vraiment la différenciation entre l'image et le signe. A partir de ce moment, les deux activités divergent et subissent un développement autonome. L e dessin progresse dans une voie essentiellement figurative et décorative. L'écriture devient possible, grâce à l'apprentissage des signes codifiés et de leur signification. L a comparaison des deux activités graphiques, une fois élaborées en fonctions autonomes, peut se poursuivre alors dans leur destination. On peut entreprendre cette comparaison au niveau de l'acte et au niveau du contenu. Une distinction paraît importante, elle a trait à l'automatisation. Automatiser un acte, c'est le réaliser comme un acte involontaire, en excluant toute représentation de cet acte. A v e c la pratique, l'écriture s'automatise progressivement, c'est-à-dire qu'on peut écrire sans avoir à se représenter les détails des mouvements nécessaires à la réalisation des mots et des phrases. L e mouvement devient partiellement autonome, il n'est plus nécessaire de contrôler son déroulement en permanence. L'automatisation de l'écriture s'accompagne d'une schématisation qui se manifeste progressivement elle aussi dans l'économie des gestes nécessaires à sa réalisation. L a lettre cesse d'être une individualité et se coule dans l'ensemble que constitue chaque mot. Elle peut n'être pas identifiable en tant que signe individualisé, mais le mot reste identifiable. L'automatisation de l'écriture est rendue possible par la répétition des mêmes signes utilisés dans des combinaisons variables. C'est sous la forme la plus courante, celle de l'écriture cursive, que s'opère l'automatisation de l'écriture. L e dessin, lui, ne se prête que partiellement à l'automatisation. Il existe une activité graphique automatique sous forme de remplissage au cours d'une conversation téléphonique par exemple, ou dans toute autre situation où elle intervient comme un dérivatif. Mais le dessin dans son ensemble ne se prête guère à l'automatisation, car les associations nécessaires à sa réalisation sont fragiles et peuvent donner lieu à la détérioration quand le contrôle se relâche. On peut observer alors des tâtonnements, ou encore une dissociation des éléments graphiques qui tendent à se produire pour

L'activité graphique

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eux-mêmes. Dans le dessin, la détérioration consiste dans une simplification mais qui amène à la stéréotypie, car la simplification est ici une simplification de but, ce n'est pas la régulation d'une action, c'est une détérioration pour elle-même, purement mécanique, purement abstraite (Wallon et Lurçat, 1957). L'écriture et le dessin expriment donc deux degrés d'automatisation graphique. Dans l'écriture, ce qui est automatisé c'est l'aptitude à enchaîner différents groupes de lettres pour la formation de syllabes et de mots. Les mots nouveaux, les mots techniques ou étrangers, s'ajoutent au stock des mots usuels et ne demandent qu'une mise en mémoire de la succession des lettres, sans apprentissage graphique : il y a une généralisation de l'automatisation qui s'étend aux mots nouveaux. L'automatisation progresse différemment dans le dessin. La répétition de thèmes habituels, comme dans l'acte graphique machinal ou dans le dessin de stéréotypes, s'apparente à l'écriture ; comme elle, gribouillages ou stéréotypes se réitèrent pareils à eux-mêmes. Mais dès qu'il s'agit d'introduire des éléments nouveaux, la difficulté apparaît. Il n'y a pas en général de signes collectivement codifiés dans le dessin, chaque peintre se crée les siens. On n'observe pas de généralisation immédiate de l'automatisme des thèmes habituels aux réalisations nouvelles. Celles-ci impliquent une réorganisation, un réapprentissage avec tâtonnements ; même chez le peintre il n'y a pas de passage direct. Une autre raison de cette différence tient à l'usage autre de l'espace graphique, suivant qu'il s'agit d'écriture ou de dessin. L'espace graphique (Wallon et Lurçat, 1959) est le plan dans lequel se déroule l'activité graphique. Il peut être horizontal et se confond avec le plan de la table ou du sol ; il peut être vertical, le plan du mur ou du tableau ; oblique, le plan d'un pupitre. Le dessin cherche à utiliser différentes possibilités de l'espace graphique, notamment les directions variables dans lesquelles s'inscrivent les formes pour créer un espace virtuel, espace de l'objet, espace inter-objets. L'écriture impose au contraire une direction privilégiée, variable avec les civilisations. C'est une forme cursive dont les éléments s'ajoutent les uns aux autres en série continue, excluant volume et espace. Elle est linéaire et se développe comme une arabesque discontinue. Elle constitue par rapport à l'ensemble des possibilités du dessin une sélection et une spéciali-

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Introduction générale

sation des tracés. Sélection dans les possibilités de réalisation, spécialisation motrice dans l'acquisition des mouvements et dans l'apprentissage des signes. Cette spécialisation explique le degré différent d'automatisation. Une autre distinction entre l'écriture et le dessin peut s'établir au niveau du contenu. Le contenu de l'acte graphique peut être expressif, figuratif et significatif. On rattache habituellement la signification à l'écriture et la figuration au dessin. La signification paraît être le but essentiel de l'écriture puisqu'il s'agit de transmettre un message à l'aide de signes graphiques. L'écriture est la jonction entre deux procédés d'expression, oral et graphique, et la substitution à la parole d'un signe visuel. L'écriture est le substitut graphique du langage. Les signes de l'écriture servent à représenter et à conserver le langage, à un certain niveau, ils servent aussi à l'organiser. Ils existent en nombre limité et peuvent se combiner de multiples façons. Les écritures phonétiques présentent un caractère séquentiel en accord avec la succession linéaire des phonèmes, syllabes et mots dans le langage parlé. Le problème est de passer du successif et du discret au conceptuel, de la succession des signes à l'idée à exprimer. Ce passage s'effectue dans l'écriture d'une façon additive, le sens se dégage progressivement de l'assemblage des signes graphiques. C'est la notation des sons du langage qui permet à l'écriture d'être signifiante, par un double processus phonétique et sémantique. Le processus phonétique dans la norme où il continue à se réaliser, restitue, à travers la notation graphique, la succession des sons. Le processus sémantique correspond à la possibilité de distinguer le mot, élément qui peut être isolé et qui comporte un sens par lui-même, mais en même temps de le réinsérer dans le réseau des relations qui lui donnent sa valeur particulière. Pour donner une signification à l'écriture, il faut établir une correspondance entre certains signes, une certaine continuité auditive et une certaine continuité intellectuelle. Il faut retrouver la continuité du langage après l'avoir décomposé dans ses éléments. Historiquement et génétiquement, le son et le mot, le phonétique et le sémantique, sont disjoints au départ. L'origine de l'écriture est dans le message. Le message étant un objet auquel est associé un contenu symbolique, la signification est attachée à un objet, non au langage. Cette indépendance à l'égard du langage le rend plus proche du symbole, de

L'activité graphique

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l'idéogramme. Génétiquement, l'individualisation du mot n'est réalisée définitivement que lors de l'apprentissage de l'écriture. L'écriture des demi-illettrés montre des groupements et des coupures arbitraires. On peut tenter de concrétiser les rôles respectifs des facteurs sémantique et phonétique dans l'écriture à l'aide de l'exemple suivant : il s'agit des deux méthodes de simplification du langage dicté, la sténographie et la sténotypie. La sténographie se présente sous la forme de signes abréviatifs, la sténotypie sous la forme de sons phonétiques. Ces deux techniques mettent en évidence l'existence des deux fonctions de l'écriture, l'une en rapport avec le sens, l'autre en rapport avec le son. La sténographie est un système de signes qui simplifie les mots à partir de leur signification. Elle ne conserve qu'un nombre limité de sons, si bien qu'il est nécessaire de recomposer le mot à la lecture, par un effort intellectuel d'analyse des éléments qui constituent un squelette du mot, à peu près comme on le fait dans les écritures consonantiques du type arabe. Le signe sténographique donne un schéma qui peut avoir plusieurs significations possibles le contexte aidant à retrouver le sens. La sténotypie est un système en rapport avec la phonétique. Les sons les plus courants sont figurés sur un clavier dans une orthographe phonétique. On peut ainsi transcrire littéralement les sons perçus, sans respecter l'individualité des mots. Là aussi le contexte permet de mieux ressaisir le mot. Mais à la différence de la sténographie, c'est parce que c'est le « continu », la phrase, qui l'emporte sur « l'élément », le mot. La sténographie correspond à l'élément, elle part de l'individuel. La sténotypie correspond au continu, elle rend l'ensemble de ce qui est dicté, sans respect des espacements entre les mots. Pour recomposer correctement l'écriture dans les deux cas, le transcripteur doit rétablir les rapports entre les mots et la phrase. Mais l'une est une « simplification sémantique » du langage, l'autre une « simplification phonétique ». La signification ne paraît pas essentielle au dessin. Elle s'exerce sur un autre plan, non plus par le moyen de signes, mais à l'aide d'images. Il paraît utile de distinguer la signification de la figuration. La figuration consiste à représenter l'image de l'objet par le moyen de techniques graphiques. La signification peut être littérale, se confondant avec l'image de l'objet. Il faut distinguer différents niveaux de signification. Celle qui est associée au signe, qui est codifiée, et qui s'acquiert avec l'appren-

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Introduction générale

tissage de l'écriture. C'est une signification objective. Une autre forme de signification de nature plus subjective peut être observée dans le dessin. Ainsi, le jeune enfant attribue un sens aux tracés qu'il produit, c'est ce que Luquet a appelé le gribouillage interprété. L'attribution d'un sens aux graphismes précède, ou coïncide avec les premières tentatives de figuration. Les interprétations qui sont données à ces graphismes sont instables et fortuites, mais elles sont d'un grand intérêt au point de vue psychologique, car elles manifestent une activité déjà élaborée sur le plan intellectuel. La coïncidence entre les ébauches de figuration et l'attribution d'un sens à ces tracés arbitraires montre un synchronisme dans le développement de l'enfant. En même temps qu'apparaît la possibilité de réaliser des formes se manifeste l'interprétation de ces formes, par convergence du langage et de l'activité graphique. On peut supposer que le graphisme devient alors l'équivalent d'un objet. Une étape importante est alors franchie, celle du dépassement du syncrétisme initial où l'enfant confond ses gestes avec le monde extérieur. C'est l'objectivation du graphisme qui rend possible la différenciation entre l'écriture et le dessin. A la différence de l'écriture où la signification est inhérente au signe, dans le dessin elle dépend de l'interprétation que donne le sujet, elle ne part pas de critères objectifs liés à la conformité au modèle, elle est essentiellement variable. La signification et la figuration peuvent coïncider sans se confondre. Elles se recouvrent partiellement quand, par exemple, dans les premiers dessins du personnage apparaît la représentation du corps figuré à l'aide d'un cercle. L'enfant devient alors capable de dessiner deux cercles tangents extérieurement, l'un figurant la tête, l'autre le corps. Il est capable en même temps d'attribuer une signification différente à ces tracés identiques. A l'origine verbale de la signification, on peut opposer l'origine graphique de la figuration dans l'apparition des premières représentations sommaires de l'objet sous la forme d'idéogrammes. L'idéogramme ne retient de l'image initiale que des arabesques simplifiées. C'est une simplification de l'ensemble de l'objet ou de l'animal condensé en une formule graphique. La convergence du verbal et du graphique, de la signification et de l'idéogramme, permet le perfectionnement de la figuration grâce à l'organisation d'éléments différents cherchant à représenter une scène ou un paysage.. Alors apparaît le thème dans le dessin. La figuration joue un rôle important dans le déve-

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loppement de la signification, elle permet l'attribution d'un sens objectif au tracé en lui donnant le support de l'image. En effet, le perfectionnement de la représentation d'objets réels amène à une ressemblance progressive des dessins de l'enfant avec l'imagerie courante des illustrations et des livres pour enfants. La ressemblance des détails figurés progresse et permet une plus grande lisibilité du dessin. La signification dépasse alors le stade de l'arbitraire, du subjectif, elle se détache du sujet et fait partie de l'objet dessiné. Ainsi, la signification s'objective progressivement dans le dessin, grâce au support de l'image de l'objet. C'est, encore une fois, une étape importante sur le plan génétique que l'apparition de la possibilité d'attacher une signification objective au graphisme. Elle facilite l'apprentissage de l'écriture où la signification est attachée d'emblée au signe graphique. Il y a évidemment une différence : dans le dessin la signification objective est concrète, dans l'écriture elle est abstraite ; il faut encore que s'effectue l'apprentissage du signe. Un autre aspect de l'activité graphique est lié à l'expression. L'expression dans la production graphique introduit une nouvelle dimension, elle relève d'un domaine différent. Représenter un objet ou attribuer un sens à un tracé est un acte intentionnel. L'expression semble moins dépendre de la volonté du sujet que des dispositions affectives. Mais là encore, il faut distinguer l'expression artistique de l'expression psychologique. L'expression artistique est un effet voulu, recherché par l'artiste. L'expression psychologique est l'indice de la personnalité, elle donne une coloration personnelle au tracé. L'expression artistique et l'expression psychologique peuvent se confondre. Cependant une production graphique donnée peut être dépourvue d'expression artistique mais plus rarement d'expression psychologique, à l'exception peut-être de certains tracés standardisés, du type dessin industriel. L'expression appartient aussi bien à l'écriture qu'au dessin. Dans l'écriture elle fait l'objet des études de graphologie. Quand, dans le graphisme, convergent le langage et le modèle pour la réalisation du signe et de l'image, on assiste au « dédoublement entre l'objet et ce qui peut en être devenu le signe (Wallon, 1942). C'est le moment où la fonction symbolique s'approprie l'activité graphique dans son ensemble.

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Introduction générale

2 . L E S É T U D E S DU G R A P H I S M E

Le plus souvent, les études psychologiques portent sur la forme ou sur le contenu de l'activité graphique. On peut distinguer deux courants principaux des recherches correspondant à la perspective dans laquelle l'étude est entreprise. Le critère est le suivant : le graphisme est-il un moyen ou bien un but de l'étude ? Dans cette optique, on peut grouper d'une part les travaux qui utilisent l'activité graphique en vue d'explorer différents phénomènes psychologiques ayant trait à la personnalité, au caractère, à l'intelligence. Le graphisme est considéré comme un moyen d'expression direct par son contenu, indirect par son organisation, de phénomènes psychologiques. Il renseigne sur la coordination motrice, l'état mental, les fluctuations affectives, le niveau intellectuel. On peut suivre dans l'évolution des tracés d'un même sujet les variations des différents facteurs énoncés ci-dessus. D'un autre côté, on peut grouper les travaux qui se proposent l'étude de l'activité graphique en tant que telle. Non plus comme l'expression psychologique d'un individu donné, mais comme une activité, au même titre que le langage, par exemple. Cette activité tient une place prépondérante dans la vie psychique et sociale, son existence est un phénomène psychologique de grand intérêt. Le graphisme a des origines motrices et perceptives, différentes fonctions concourent à sa réalisation. Il présente une évolution dont on peut suivre les manifestations dans la forme et le contenu. Il a une histoire qui peut être étudiée aussi bien sur le plan ontogénétique que sur le plan philogénétique. La genèse de l'activité graphique peut s'établir à trois niveaux différents. D'abord à l'échelle historique : quelle est l'origine de l'activité graphique et comment s'est-elle développée ? Ensuite à l'échelle sociale : quel est le rôle des facteurs socio-culturels dans le développement de l'activité graphique ? Enfin, à l'échelle individuelle : comment naît, se différencie et évolue l'activité graphique, sous la forme de l'écriture et du dessin ? La présente étude se rattache à ce second type de travaux, et, plus particulièrement, au troisième niveau décrit ci-dessus. Comment naît, se différencie et évolue l'activité graphique ? Ces deux perspectives de recherches sont complémentaires et parfois se recoupent. La distinction

L'activité graphique

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présentée ici a pour but de situer cette étude et les considérations théoriques dont elle est l'aboutissement. A. Le graphisme et la connaissance de l'individu : les techniques graphiques d'exploration psychologique * De nombreuses techniques d'exploration psychologique illustrent les conceptions selon lesquelles le graphisme exprime directement ou indirectement des phénomènes psychologiques. La valeur artistique d'une réalisation est en rapport direct avec son contenu expressif. L'expression artistique d'une œuvre a été analysée longtemps avant que l'intérêt ne se porte sur la personnalité du créateur. Rapprocher l'œuvre de l'auteur, c'est-à-dire voir dans une œuvre non seulement ses qualités plastiques mais ce qu'elle peut peut exprimer des particularités psychologiques de son auteur, une telle démarche est relativement récente. Elle résulte d'une convergence d'intérêts. Parmi lesquels, les confrontations qui ont eu un certain succès à la fin du siècle dernier : on s'est plu à comparer les réalisations des hommes préhistoriques, des primitifs, des enfants, des aliénés. De tels rapprochements ont contribué à alimenter le courant, en psychologie comparée, orienté vers la recherche des traits distinctifs et communs de la genèse historique et individuelle de notre espèce. Introduisant une dimension historique dans les études psychologiques, la mise en rapport de l'œuvre et de la mentalité a eu des conséquences dans le domaine du graphisme. Le dessin, témoin de la mentalité, est devenu témoin du caractère. Renseignant sur l'histoire de l'espèce, il devait renseigner sur l'histoire de l'individu. Les événements qui tissent l'existence de chaque être et dont certains ont des conséquences durables sur le modelage de la personnalité ont des répercussions décelables dans le dessin. Analysant les différents usages que l'on peut faire du dessin dans une telle perspective, J. Boutonnier (1959) distingue deux conceptions, l'une statique, l'autre dynamique. Ainsi, les études de F. Minkowska, qui a recherché une correspondance entre les types de dessins et des types constitutionnels déterminés, le type rationnel et le type sensoriel, se ratta* Ce paragraphe, volontairement limité, constitue un résumé non critique.

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Introduction

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cheraient à une conception statique, mettant l'accent sur les dispositions innées. Par contre, lorsque l'intérêt ne s'attache pas seulement à la forme des dessins mais à leur contenu, la conception devient plus dynamique. Le contenu est identifié à l'expérience vécue dont le souvenir ou le symbole reste apparent dans le dessin. Le dessin n'est plus seulement le reflet du type constitutionnel, du caractère ou de l'intelligence, il est la projection de l'ensemble de la personnalité, permettant de déceler des situations vécues, actuelles et passées. L'épreuve des arbres de R. Stora (1953) est, dans cette conception, un exemple d'épreuve projective. Mais c'est dans le dessin libre que s'opère réellement la projection. La recherche des symboles peut être utilisée dans le traitement psychothérapique. F. Dolto Marette (1948) le dit expressément : « chaque dessin résume sous forme d'un rébus symbolique l'état affectif du sujet et sa forme inconsciente d'agir ou de réagir ». Il n'y a pas de hasard dans le dessin, dit-elle, tout y est nécessaire. Analyser un dessin, c'est rechercher dans l'utilisation de l'espace, dans chaque objet figuré, une signification différente de son contenu apparent. Il faut déchiffrer des symboles qui révèlent la personnalité profonde du sujet. Cependant, le dessin peut témoigner de certains phénomènes psychologiques sans que soit impliquée directement l'histoire du sujet. Le développement mental, en particulier, a fait l'objet de nombreuses recherches entreprises à l'aide de techniques graphiques. La notion d'étapes dans le développement de l'enfant, date du début de ce siècle. L'idée d'associer un type de réalisation à un âge donné vient sans doute de A. Binet (1965). L'application au dessin de critères d'âge est devenue possible à la suite de nombreuses monographies décrivant des étapes observées sur un ou plusieurs enfants. Des auteurs comme R. Rouma (1912) et surtout G.H. Luquet (1927) ont analysé la production graphique de jeunes enfants au cours des premières années de la vie. Luquet (1912) a décrit des stades d'évolution, gribouillage pur, gribouillage interprété, réalisme intellectuel puis réalisme visuel, qui sont restés classiques. De là toute une filiation de travaux et d'écoles qui ont eu pour but de classer et de fixer les étapes de l'activité graphique en fonction des possibilités de réalisation des enfants (Naville, 1950). La préoccupation du niveau global atteint par l'enfant se manifeste dans certaines épreuves comme le tests de F. Goodenough (1957) dont l'administration

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est commode puisqu'il s'agit simplement de dessiner un bonhomme. Elle exprime une coïncidence entre les recherches sur le dessin et la méthode des tests, le dessin devenant l'occasion de tests de développement, de tests d'investigation de l'affectivité, des possibilités motrices et intellectuelles. L'évolution des formes et des figurations a pour contrepartie celle d'une fixation à une étape donnée dans le cas de l'arriération mentale, ou d'une régression par retour à cette étape dans le cas de troubles pathologiques. On sait, par exemple, que le dessin du bonhomme vers l'âge de trois ans ne comporte pas encore de représentation du corps. Seuls la tête et les membres sont figurés. L'étude du dessin des arriérés montre la fixation au stade têtard, alors que par ailleurs, l'enfant peut fort bien produire des dessins plus évolués. La notion de discordance (Wallon et Lurçat, 1957) a été utilisée pour qualifier de telles variations de qualité et de niveau chez le même enfant. D'autres phénomènes psychologiques ont pu être étudiés dans la forme des tracés, que ce soit dans l'écriture ou dans le dessin. Ainsi, la qualité du trait peut renseigner sur l'anxiété, l'impulsivité, l'agressivité, l'inhibition, etc. Les altérations de la forme des lettres ont permis des classements typologiques (Gobineau et Perron, 1954). L'étude du dessin peut se faire à l'aide de modèles à reproduire. Ils peuvent être de deux types. Non figuratifs, ce sont des formes ; figuratifs, ce sont des objets ou des personnages. De simples figures géométriques peuvent renseigner sur l'âge mental. C'est le cas du carré et du losange utilisés déjà dans le test de Binet et Simon. Les recherches sur la perception, notamment celles entreprises selon les conceptions de la Gestalt (Guillaume, 1937), ont apporté à l'étude de la forme dans le dessin une perspective intéressante. Des auteurs comme L. Bender (1957) ont voulu étudier l'aptitude à identifier, combiner et orienter des formes selon les directions de l'espace. L'importaïice donnée aux facteurs perceptifs dans une telle conception tient aux implications théoriques et en particulier au rôle de la bonne forme. La classification des modes de reproduction se fait en fonction de l'âge. Les désorganisations dans l'espace peuvent donner de précieuses indications sur les difficultés de l'apprentissage de la lecture. Il existe d'autres épreuves basées sur l'analyse de la reproduction de formes, c'est le cas de la figure complexe de A. Rey (1962). Ici aussi, les critères d'organisation spatiale sont prépondérants.

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Dans la Fiche de Prudhommeau, le modèle est figuratif. L a différence entre un modèle figuratif et un modèle non figuratif se manifeste dans la reproduction. Dans un cas les altérations portent essentiellement sur l'ajustement des traits et leur orientation. Dans l'autre, les déformations portent sur l'objet à reproduire. Aux désorganisations liées à la forme et à l'orientation, s'ajoutent les altérations plus spécifiques en rapport avec le contenu figuratif. Ainsi parmi les 18 modèles proposés par Prudhommeau, un certain nombre représentent des personnages dans des attitudes différentes. Les personnages peuvent être identifiés comme tels, mais réalisés d'une façon sommaire et stéréotypée, par exemple sous la forme d'un ovoïde vu de face. Ce type de déformation n'est possible que dans le cas d'un modèle figuratif. La réalisation de l'enfant montre l'écart entre ce qui est proposé et ce qu'il est capable d'accomplir à un âge donné, ou à un niveau mental donné. On peut voir là un rapport entre le contenu figuratif et le contenu significatif d'un modèle. L a réalisation du personnage stéréotypé est antérieure à celle de l'attitude du personnage de face ou de profil, du mouvement indiqué par la direction des membres, du sexe exprimé dans le décor vestimentaire. Que ce soit dans l'écriture, le dessin libre, sur consigne, avec thème imposé ou d'après modèle, l'étude des tracés peut être entreprise soit comme une psychologie totale impliquant l'ensemble de la personnalité, soit comme le reflet du niveau mental ou de différents aspects du caractère, soit comme l'indice du degré d'organisation perceptivo-motrice.

B. Etude du graphisme en tant que fonction : l'activité graphique Le graphisme peut être non plus seulement le moyen d'accéder à divers aspects du psychisme d'un individu, il peut être également en soi, un objet de la recherche psychologique, les problèmes posés dans cette perspective sont variés. Certains sont de nature théorique ; par exemple celui des rapports entre le dessin et l'écriture. D'autres sont pratiques, ils ont une application. On peut citer, par exemple, les recherches ayant trait aux mouvements nécessaires à la réalisation de l'écriture, qui ont une application directe dans l'apprentissage et la rééducation. Chronologiquement, on peut distinguer deux types de recherches. Les unes portent sur l'apparition de l'activité graphique. Les autres sur

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l'écriture ou bien sur le dessin constitués en activités autonomes. L'analyse des débuts de l'activité graphique a suscité des opinions différentes sur la genèse de l'écriture et du dessin. P. Naville (1950) voit dans le gribouillage l'origine du graphisme, simple expression motrice de la main ou du bras. On peut l'observer vers 10-12 mois. Il coïncide avec les premiers pas et avec les premiers éléments du langage. De ces tracés se distingueront l'écriture et le dessin. Comparant l'expression graphique à l'expression vocale, Naville est amené à se demander si la fonction graphique, à partir du gribouillage, n'émerge pas d'un système antérieur de production de tracés comme le langage articulé de signification courante émerge d'un système antérieur et plus diffus de vocalisation. Pour P. Prudhommeau (1948), il existe dès l'origine une divergence entre le dessin et l'écriture, aussi bien dans le moment de l'apparition que dans l'intention graphique. Cette divergence persiste jusqu'à l'apprentissage. Ces deux points de vue se recoupent. L'activité graphique est globale au départ, les tracés étant la simple transposition de gestes dans l'espace graphique. Cependant, dans l'évolution des mouvements spontanés de l'enfant, on peut déjà voir une préfiguration de ceux que sélectionnera l'écriture. Mais, bien entendu, les premiers tracés sont indifférenciés dans le but. La conscience de la destination des tracés est ultérieure, elle apparaît au moment où l'activité graphique s'objective. La différence essentielle entre le dessin et l'écriture au moment de leur apparition semble être la suivante : le dessin apparaît dans la réalisation de formes qui sont au départ la répétition voulue des premiers effets obtenus spontanément ; le graphisme est son propre modèle, l'enfant s'imite lui-même ; par contre, quand l'écriture se différencie ultérieurement de l'activité graphique globale, c'est par imitation de l'adulte. Comme le dit Wallon (Prudhommeau, 1951, préface), la différence fondamentale entre l'écriture et le dessin réside en ceci que l'imitation conditionne la naissance du graphisme d'écriture ; le dessin, lui, paraît naître spontanément, il est basé sur l'interprétation que donne l'enfant de ses propres tracés. Quand les recherches portent sur l'écriture et le dessin en tant qu'activités bien différenciées, elles divergent dans leur démarche. Les problèmes sont liés à la destination de chaque activité. On envisagera successivement l'étude de l'écriture, puis celle du dessin.

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L'écriture. Les travaux sur l'écriture portent généralement sur les moments importants du développement et de l'évolution de cette activité. Trois aspects ont fait l'objet de la plupart des analyses : l'apprentissage, l'automatisation et les désintégrations. L'intérêt que les psychologues et les pédagogues portent à l'écriture naît le plus souvent avec le début de l'apprentissage des lettres. L'étude de J. de Ajuriaguerra et M. Auzias (1960) est un inventaire des méthodes d'apprentissage et des principes sous-jacents. Certaines méthodes tiennent compte de la première activité graphique spontanée de l'enfant, ainsi la méthode Freinet. Elle est basée sur l'utilisation des graphismes spontanés dans l'apprentissage. Les premiers tracés en ligne brisée constituent la forme intuitive de l'écriture. L'enfant, laissé à une activité graphique spontanée, intègre progressivement le dessin des lettres à son écriture intuitive. Maria Richardson a, elle aussi, observé la première activité graphique. Elle a constaté combien les mouvements de la main et du bras sont aisés dans les premiers gribouillages rythmés. Rejoignant le point de vue de Naville, elle pense que ces mouvements rythmés constituent une préparation naturelle à l'écriture, de la même façon que le babillage est une préparation naturelle au langage. D'autres méthodes procèdent d'une analyse des facteurs de l'écriture. Elles présentent un intérêt particulier pour notre perspective, par exemple la méthode de Théa Bugnet : « le Bon départ ». Théa Bugnet dissocie le mouvement de sa projection dans l'espace graphique. Le mouvement ainsi isolé donne lieu à des exercices. L'apprentissage graphique proprement dit est ainsi précédé par la réalisation de gestes dans l'espace. Ces figures gestuelles ont un lien avec l'écriture, elles sont conçues à partir de l'analyse des tracés de l'écriture. La méthode de Borel-Maisonny également dissocie le mouvement du tracé et utilise la réalisation de gestes dans l'espace. De plus, le rôle des facteurs spatio-temporels paraît à madame Borel-Maisonny prépondérant dans l'écriture, et justifie un apprentissage particulier. Pour cela, elle fait précéder l'apprentissage des lettres de celui des directions, horizontale, verticale et oblique, l'apprentissage du sens s'accomplissant dans la réalisation de cercles selon les deux courbures. Le facteur temporel est aussi objet d'apprentissage. Il s'exerce dans la réalisation rythmée des premières lettres.

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Ce sont les troubles de l'apprentissage de l'écriture qui ont amené les auteurs à dissocier davantage les différents facteurs de l'écriture. Les travaux sur la dyslexie {Enfance, 1955) mettent l'accent sur la difficulté d'acquisition du langage écrit. Pour certains enfants, ce sont de véritables obstacles qu'ils ont à surmonter. Ces difficultés peuvent être de nature motrice, visuelle, spatiale ou linguistique. Les difficultés motrices tiennent à l'organisation et à la réalisation du mouvement. Les difficultés spatiales sont en rapport avec l'agencement du mouvement selon les directions de l'espace graphique. Les difficultés visuelles peuvent être purement perceptives, ou résulter de liaisons défectueuses entre la sphère motrice et la sphère visuelle. La cause des troubles peut tenir également aux conditions d'apprentissage et en particulier aux méthodes. Le problème est alors davantage d'ordre psycho-pédagogique. On peut distinguer deux conceptions qui s'opposent, dans les techniques d'apprentissage, suivant que l'accent est mis sur la lettre (méthode Dottrens) ou sur le mot (méthode Decroly). On a pu attribuer à la méthode globale certains troubles d'apprentissage, l'accent étant mis sur les facteurs visuels plutôt que sur les facteurs auditifs qui se prêtent davantage à la décomposition. Des confusions peuvent apparaître de ce fait, l'enfant devinant le mot au lieu de l'analyser. Les études sur l'écriture portent également sur son automatisation progressive. Celle-ci se manifeste notamment dans la vitesse, l'inclinaison, la schématisation des lettres. La vitesse est considérée comme un facteur très important de la réussite scolaire, elle est indispensable à l'acquisition des différentes matières enseignées. Elle peut, quand elle devient obligatoire, créer des difficultés sérieuses à l'enfant, notamment lors de l'entrée en sixième (Enfance, 1960). C'est pourquoi il a paru utile d'enseigner précocement à écrire vite. Différentes recherches ont porté sur les rapports entre la rapidité du mouvement et la lisibilité de l'écriture (Bang, 1955). Vin Bang, notamment, a comparé expérimentalement les vitesses respectives de l'écriture script et de l'écriture liée. Notant la supériorité de l'écriture liée, il a conçu un programme d'entraînement à l'écriture rapide. Sa préparation comporte d'abord un entraînement à la continuité du mouvement en veillant aux levers de plume et à la liaison. L'automatisation du mouvement rapide est entreprise à partir de 9 ans. Mais elle

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porte d'abord sur des courbes simples, des cercles, des ellipses et des cycloïdes, ainsi que sur des tracés comportant des éléments de l'écriture sous la forme de jambages. C'est à partir de 10 ans que les mouvements rapides sont appliqués à l'écriture. L'automatisation de l'écriture a été analysée par de nombreux auteurs. H. Delacroix (1930) montre les rôles des facteurs tactiles et kinesthésiques dans ce processus : il rappelle que l'enfant apprend à écrire sous le contrôle de la vision, mais que l'acte graphique peut devenir par la suite purement moteur et tactile, et enfin presque automatique. Quand le mécanisme est acquis, on peut observer une spécialisation sensorielle. Les yeux servent à surveiller l'alignement, l'espacement. Quant à la formation des lettres, elle dépend essentiellement de la sensibilité musculaire et tactile. On peut noter à ce moment une relative autonomie du graphisme qui se rend indépendant de la vision et de l'audition. Le rôle de la kinesthésie dans l'apprentissage et dans l'automatisation est mis en vedette dans certaines méthodes d'apprentissage. Ainsi, Maria Richardson, dans sa technique des mouvements libres et rythmés, s'inspire des travaux de Freeman. Freeman a montré que l'apprentissage de l'écriture se fait grâce au contrôle kinesthésique, ce contrôle remplaçant le contrôle visuel au moment où l'écriture s'automatise. L'inclinaison de l'écriture a fait l'objet de recherches variées. L'étude de R. Zazzo et M. C. Hurtig (1960) se rattache à la première catégorie de recherches, groupées ici sous le titre de « graphisme et connaissance de l'individu ». Elle se donne pour but, en effet, de saisir par le biais d'une caractéristique grapho-motrice le signe d'une caractéristique mentale. Par contre, c'est dans la perspective d'une pédagogie de l'apprentissage que se situe celle de H. Callewaert (1951). Critiquant l'inclinaison de l'écriture qu'il attribue aux techniques calligraphiques, il voit en elle l'origine de certains troubles dysgraphiques. Callewaert pense en effet que la tendance naturelle des enfants est d'écrire droit et de relaxer le poignet. Cette position est la meilleure car elle permet une écriture qui coordonne le mouvement scripteur des doigts avec la progression cursive de l'avant-bras et de la main. Par contre, l'écriture penchée oblige à des mouvements d'extension de la main chez des enfants encore malhabiles. Callewaert préconise pour cette raison l'abandon de l'écriture penchée.

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D'autres recherches sur l'écriture ne portent plus expressément sur la période de l'apprentissage. L'écriture de l'adulte peut donner lieu à des recherches expérimentales ou encore consacrées à sa pathologie. La vitesse de l'écriture a fait l'objet de recherches expérimentales qui ont débuté à la fin du siècle dernier, dans les travaux de Binet et de Courtier, et également dans les travaux de Freeman, dont la préoccupation était de connaître les caractéristiques temporelles de l'écriture. Dans ce but, il a utilisé les techniques cinématographiques ; d'autres auteurs, comme Saudek, ont également utilisé ces techniques. Les expériences de F. Katz (1950) ont été menées à l'aide du scriptochronographe, c'est-àdire d'un appareil qui permet la mesure des caractéristiques temporelles de l'écriture. Il enregistre uniquement la durée de l'écriture réelle, quand le stylet est en contact avec le papier. Les intervalles de temps entre les périodes d'écriture sont appelés transitions ou pauses. Les transitions peuvent être interverbales ou intraverbales, suivant qu'elles se situent entre des mots qui se succèdent, ou à l'intérieur d'un même mot. Les pauses sont d'origine variée, elles peuvent correspondre au temps de la réflexion ou encore au temps de la copie. La distinction entre la pause et la transition est parfois difficile à établir. Katz a appelé temps total de l'écriture la durée qui englobe l'écriture proprement dite et les intervalles, pauses et transitions. Il appelle temps objectif la durée réelle de l'écriture. Ses expériences ont consisté à mesurer la variation des rapports entre le temps objectif et le temps total dans différentes situations, écriture copiée, écriture dictée, texte improvisé. Les troubles de l'écriture ont fait l'objet de nombreux travaux de la part de neurologues et de psychologues. On peut distinguer les troubles calligraphiques des troubles psychographiques. Les troubles calligraphiques résultent d'obstacles mécaniques, par exemple, le tremblement, la chorée, l'ataxie. Les troubles psychographiques apparaissent dans les états d'aphasie, les états d'obnubilation intellectuelle, comme l'idiotie et l'imbécilité et les diverses formes d'aliénation mentale. Le classement des troubles n'est pas la seule préoccupation des chercheurs. L'atteinte sélective de l'activité graphique et la fragilité de celle-ci ont suscité de nombreuses études. On peut citer les points de vue du docteur Ley et du docteur Hécaen. Pour J. Ley (1935) seule la représentation graphique du lan-

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gage, l'écriture, peut être atteinte isolément. H. Hécaen (1963) montre que la fragilité de l'écriture tient en partie à la diversité de ses origines : il y a une relative dispersion des mécanismes qui sous-tendent l'écriture. En effet, l'écriture est en liaison avec plusieurs ordres d'activités. Par le lobe temporal, elle est liée au langage parlé, par les circonvolutions pariétales, elle est liée aux activités gestuelles de formulation symbolique. Quelle que soit la nature des atteintes du langage écrit, il paraît difficile d'en faire l'analyse sans se référer à la genèse de cette activité. C'est le point de vue de Ley, pour qui il existe une parenté entre les troubles de l'intégration et les troubles de la désintégration. Cela s'explique à ses yeux par le fait que l'écriture peut être atteinte d'une façon sélective. Un tel point de vue se rencontrait déjà chez P. Janet (1934). Pour comprendre les régressions provoquées par les maladies, écrit ce dernier, il serait nécessaire de comprendre et de bien déterminer quelles sont les formes supérieures et récentes de l'écriture et de la lecture, et quelles sont les formes élémentaires et primitives. Ce point de vue se justifie parfaitement. Comparer la détérioration d'une activité à sa genèse c'est chercher un repère. Les étapes de l'évolution dans la réalisation d'une activité ne sont pas arbitraires. Cela donne d'autant plus de signification aux analogies qui peuvent se rencontrer entre une forme de désintégration et un niveau donné de l'acquisition. Le dessin. Contrairement à ce qui se passe dans les recherches sur l'écriture, peu d'auteurs se sont intéressés au dessin en tant que fonction. Les premiers observateurs, comme Luquet, ont analysé l'évolution du dessin, cette évolution étant l'objet même de la recherche. Mais, très rapidement, la curiosité des chercheurs est passée de l'étude de l'activité à celle de la personne. Ceci a profondément modifié l'optique dans laquelle les études ont été poursuivies. Le mouvement, la forme des tracés, ont été analysés fréquemment. Mais on n'a retenu de ces facteurs que leur signification expressive, afin d'en dégager un témoignage psychologique ou la confirmation d'un diagnostic. La recherche, abandonnant des préoccupations plus théoriques, s'est tournée vers le singulier, le particulier. L'étude des facteurs d'évolution est restée dans l'ombre. Et pourtant, elle existe comme une référence implicite, dans chaque interprétation, dans chaque attribution de niveau. Ce déséquilibre entre l'usage clinique

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et la recherche théorique comporte un certain nombre d'inconvénients. Il peut parfois porter atteinte à la qualité des diagnostics psychologiques. Les études entreprises par Wallon, en collaboration avec Lurçat (1957), ont eu pour point de départ les travaux de Luquet. Leur perspective se situe par rapport à celle de Luquet. L'objet de la recherche est le même ; ce qui diffère, ce sont les conceptions. Dans la perspective de Wallon, deux attitudes sont possibles quand on étudie une activité. Ou bien on l'étudié en tant que telle, on observe son évolution. Ou bien, non seulement on l'étudié en tant que telle, mais on recherche ce qui l'a rendue possible ; on cherche à la situer par rapport à des ensembles qui l'englobent. Wallon a analysé la méthode de Luquet. Elle consiste à étudier le dessin de façon indépendante, en faisant abstraction d'un certain nombre de facteurs qui ont cependant un rôle déterminant. Luquet n'admet qu'un seul facteur, le facteur chronologique. Les niveaux se succèdent en fonction de l'âge, mais pourquoi le passage d'un type à un autre, et comment s'effectue ce passage ? Lorsque Luquet observe l'évolution dans la succession des dessins d'un même enfant, il l'envisage dans une perspective continue. La causalité qu'il attribue aux phénomènes est directement liée aux formes successives du même élément. Wallon appelle cette forme la causalité, causalité homogène. Pour atteindre les mécanismes, dit-il, il ne faut pas craindre de trouver une causalité hétérogène, c'est-à-dire de nature différente de l'objet étudié. On est ainsi amené à rechercher les processus dans le passage du physiologique au social, de l'organique au fonctionnel, du fonctionnel au psychique. Dans cette perspective, l'étude du dessin consiste à rechercher les différents niveaux d'activité impliqués : niveau moteur, niveau perceptif, niveau de la représentation. Ainsi, le gribouillage est une activité de type moteur. Elle apparaît sous la forme de décharges motrices et de remplissage. Le niveau perceptif, ou niveau des associations visuo-kinesthésiques, s'amorce par l'exercice d'un contrôle visuel et kinesthésique. Les décharges musculaires deviennent des mouvements contrôlés et permettent l'apparition des arabesques. Grâce au contrôle visuel, on peut observer l'apparition des premières figures géométriques, cercles, carrés, angles, dans lesquels l'enfant inscrit des images d'objets familiers. Au niveau de la représentation, l'enfant devient capable de reproduire un modèle. Le dessin a pour schéma fonctionnel des intégrations entre l'œil et la main. C'est sur ce

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circuit physiologique œil-main, dont l'espace d'action est l'espace graphique, que doivent s'établir les connexions nécessaires au dessin. Elles permettront d'insérer l'image de l'objet dans l'espace graphique. Ces connexions sont très nombreuses et variables suivant les sujets, elles opèrent aux trois niveaux de l'activité décrits précédemment. Le dépassement de Luquet, tel que Wallon l'entrevoit, n'est pas seulement théorique. On peut le mettre en évidence dans l'étude du dessin. C'est ainsi que les deux phénomènes décrits par Wallon et Lurçat, la détérioration et le contraste, peuvent le faire comprendre. La détérioration est une forme de simplification qui rappelle le type génétiquement antérieur. Elle apparaît très souvent dans le dessin et peut être provoquée. Le contraste est une forme d'évolution du dessin. Il a été analysé dans le dessin du personnage fait par l'enfant. On a pu observer que le progrès se fait par opposition au type antérieur, par effet de contraste. Si les modifications par contraste tendent à l'amélioration du type, les progrès du dessin ne sont pas pour autant continus. Il y a conflit entre la forme nouvelle et la forme ancienne, l'aboutissement du conflit peut avoir des niveaux différents. A un premier niveau, le conflit se manifeste par une simple hésitation sur la forme. A un second niveau le résultat est un type hybride, où des éléments du type nouveau coïncident avec le type ancien. A un troisième niveau on a affaire à une mutation de type, le type nouveau remplace le type ancien. S'il existe une série de types de personnages correspondant à des étapes différentes, ces étapes n'ont pas une succession régulière. Constamment s'opposent les exigences nouvelles et les réalisations antérieures. Ces deux notions, la détérioration aboutissant à une forme qui rappelle le type antérieur, le contraste qui amène par un conflit entre le type ancien et le type nouveau la mutation du type ancien vers le type nouveau, permettent de contester la notion d'évolution continue dans le domaine du dessin. Wallon dit que la psychologie est la charnière entre la matière reconnue comme matière et l'acte psychique. Ce rôle de charnière apparaît avec netteté dans le dessin. Il a sa raison d'être dans deux ordres de phénomènes en eux-mêmes hétérogènes. Phénomènes kinesthésiques, purement moteurs au départ, phénomènes visuels, liés à la perception et la représentation. La liaison de ces facteurs indépendants est indispensable et éclaire la notion de causalité hétérogène telle que la conçoit Wallon.

Les jacteurs spatio-moteurs de l'écriture

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II. L E S F A C T E U R S S P A T I O - M O T E U R S DE L ' É C R I T U R E Le travail présenté ici concerne l'étude des facteurs non linguistiques de l'écriture, les facteurs spatio-moteurs. Il veut s'inspirer de la notion de causalité hétérogène. L'intérêt de cette étude, Wallon l'avait exprimé dans ces termes : « Il est d'autant plus intéressant en recherche génétique de montrer les combinaisons des différents facteurs de l'écriture, que cela peut déboucher sur les désintégrations de l'écriture dans certains cas d'agraphie, d'une part, et d'autre part, sur les systèmes différents d'écriture, arabe, japonais, dont la direction est différente. L'écriture présente des avantages pour l'analyse par rapport au dessin, car le classement est beaucoup plus discriminatif, on part de choses beaucoup plus élémentaires, on étudie beaucoup plus les rapports du geste et de la forme. A ce niveau, on peut faire beaucoup plus de recherches sur les synthèses élémentaires. On trouve très tôt une pluralité de facteurs. L'intérêt est de dissocier, sinon cela devient trop général. Il faut étudier la jonction entre le mouvement, la forme et la signification. » La recherche d'une causalité hétérogène dans la genèse individuelle de l'écriture peut trouver une justification dans l'histoire de l'activité graphique. L'écriture a une histoire qui est liée à celle du développement des sociétés. La méthode historique a amené les linguistes (Cohen, 1958) à distinguer la genèse et l'évolution de l'écriture. Il s'agit là de deux étapes différentes, celle de la constitution de l'écriture, celle de son évolution, une fois constituée en moyen de transmission du langage articulé. L'aspect phylogénétique concerne la racine commune de l'écriture et des arts graphiques, et la façon dont l'écriture et les arts graphiques se sont spécifiés en se dissociant. L'aspect évolutif est lié plus particulièrement au développement autonome de l'écriture, à mesure qu'elle devenait plus apte à la transmission du langage articulé. On a pu ainsi mettre en évidence des systèmes différents, utilisant un fonds défini de signes graphiques. La classification a consisté à distinguer les éléments symbolisés par des signes : des énoncés entiers, des mots séparés, des syllabes, des sons. De là découlent en gros, quatre types d'écritures, l'écriture pictographique, l'écriture idéographique, l'écriture svllabique et l'écriture alphabétique.

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Entre le moment où l'écriture s'est constituée et son évolution ultérieure; il n'y a pas de rupture nette. L'écriture idéographique manifeste encore l'indistinction initiale dans la forme, mais, en même temps, elle se spécifie déjà par le contenu et par le but. Des auteurs comme R. Huygue (1955), ont pu manifester un regret de cette séparation du signe et de l'image. Les premières écritures réelles, dit-il, se sont dépouillées de leur pouvoir évocateur, et ne sont plus que des marques conventionnelles. L'acquisition de l'écriture à l'échelle individuelle peut être envisagée sous l'angle génétique. La psychologie génétique, dit Wallon (1956), «... part du plus simple, c'est-à-dire de ce qui a précédé, de ce qui est premier dans la série chronologique des transformations, et c'est dans cette succession qu'elle cherche la signification fonctionnelle des formes plus différenciées ou plus compliquées. L'explication psycho-génétique voudrait être une histoire fidèle de l'évolution. Elle cherche à retrouver l'ordre de filiation dans les objets qu'elle étudie.» L'analyse génétique, appliquée à l'étude de l'écriture amène à rechercher, bien avant la période relativement brève de l'acquisition des lettres, qui se situe généralement vers six ans, les perfectionnements moteurs et perceptifs qui rendent possible une telle acquisition. L'activité graphique se manifeste dès les premiers tracés que produit l'enfant. C'est souvent à l'école maternelle qu'elle débute. Il n'y a pas de différenciation au départ entre activité d'écriture et activité de dessin. Cette différenciation est déjà un aboutissement ; elle apparaît cependant avant l'apprentissage des lettres. Un premier problème est de comprendre comment s'opèrent la genèse et la sélection des tracés nécessaires à l'écriture, et quels types de mouvements les rendent possibles. Pour que l'écriture soit mécaniquement possible, il doit s'opérer génétiquement un processus de coordination des mouvements et de sélection progressive des tracés. D'autre part, et en rapport avec l'espace graphique, un autre aspect important des facteurs de l'écriture doit être analysé, il a trait à la genèse de l'aspect cursif de l'écriture et à ses déterminations spatiales. L'orientation dans l'écriture joue un rôle important, ainsi que la sélection d'une direction privilégiée. Ce double aspect, moteur et spatial, mérite une analyse particulière.

Les jacteurs spatio-moteurs de l'écriture

1. L E

MOUVEMENT

DANS

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L'ÉCRITURE

A. Phénoménologie de l'écriture Avant d'aborder le problème du mouvement dans l'écriture, il a paru utile de consacrer un paragraphe à la description du mouvement et de l'attitude dans l'acte d'écrire (Lurçat, 1968). L'écriture manuscrite se présente sous la forme de tracés sériés selon la direction droite. L'ensemble des mots se répartit en lignes parallèles au bord de la feuille. Quand on écrit sur une feuille blanche, on écrit selon une direction horizontale abstraite. On la réalise en alignant les mots. Quand on écrit le premier mot, puis la première ligne, on se réfère au bord de la feuille. Quand on écrit les lignes suivantes, on se réfère aux lignes déjà écrites. Chaque mot est écrit dans le prolongement de celui qui précède, et parallèlement à celui qui lui correspond dans la ligne supérieure. • Cet alignement de mots selon une direction qui se construit progressivement est le résultat d'ajustements visuo-moteurs. Pour la réalisation de l'alignement, deux facteurs paraissent déterminants, l'un est lié à un rapport entre l'espace et la durée, l'autre relève plus particulièrement du mouvement et de son réglage visuel. Pour aligner les mots, l'enfant doit d'abord établir une correspondance spatio-temporelle, elle consiste dans la coordination de deux types de succession, la succession orale des mots dans la durée, la succession écrite des mots qui se fait selon un ordre dans l'espace graphique. Cette coordination s'acquiert dans le début de l'apprentissage et ne sera pas envisagée ici. L'aspect moteur et visuel concerne directement la réalisation de l'alignement des mots. Sont en jeu dans l'aspect moteur : l'origine du mouvement, la spécialisation des segments du bras et l'équilibration du mouvement ; dans l'aspect visuel le guidage du mouvement permettant la réalisation des lettres selon la direction voulue, le maintien de cette direction à l'intérieur et dans la succession des mots dans les lignes qui se succèdent. L'intégration des facteurs moteurs et visuels se manifeste dans la réalisation d'un servo-mécanisme de direction : c'est l'automatisation du réglage de la direction. Deux critères visuels contribuent à sa réalisation, le critère local et le critère global. Le critère local consiste dans le repère contigli, la lettre ou le mot

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qui précède immédiatement. Le critère global dans la référence à l'ensemble, au cadre. Pour le maintien de la direction, les mots doivent se placer de façon précise à la suite les uns des autres et parallèlement au bord de la feuille. Pour comprendre comment se réalise le contrôle visuel de l'alignement, il paraît indispensable de partir du mouvement dans l'écriture. Pour écrire, il faut établir une coordination entre un mouvement de translation d'origine proximale et des mouvements de rotation d'origine distale. La cursivité est donnée par les segments proximaux, la calligraphie est distale, elle nécessite un mouvement sur place. Il y a une contradiction entre la cursivité et la calligraphie. Ces deux facteurs doivent se lier pour la réalisation de l'écriture. La calligraphie provoque une immobilisation relative pour la réalisation de la lettre, un freinage dans le déploiement du mouvement cursif. On peut donc rechercher dans l'équilibre donné à chaque instant au mouvement un des facteurs de la réalisation de l'écriture. L'équilibre et le mouvement dans l'écriture sont liés directement à la posture. Deux types d'équilibres interviennent dans la réalisation de l'écriture. D'une part l'équilibre du corps qui se réalise dans la position assise et dans l'appui sur la table. D'autre part, l'équilibre du mouvement proprement dit. Il se réalise à chaque moment, dans le déroulement de l'écriture par l'établissement d'un point d'appui du bras qui écrit sur la table. Alors que l'attitude du corps se caractérise par sa stabilité, le point d'appui du bras qui écrit est essentiellement mobile, puisqu'il se renouvelle à chaque déplacement du bras. L'équilibre du corps se réalise dans l'appui sur le siège. Le bras gauche peut y contribuer ; dans ce cas, le corps est légèrement incliné à gauche, la main droite réalise l'écriture, entraînée par le bras droit qui est libéré du poids du corps. Si le tronc s'incline à droite et prend appui sur le bras droit, l'avant-bras droit est amené à jouer le double rôle de point d'appui du corps et de point d'appui du mouvement, ce qui peut amener à un blocage de la translation. Le mouvement de translation nécessite une certaine liberté du tronc qui se manifeste dans un léger pivotement du tronc sur le bassin. Le point d'assiette du mouvement se réalise à chaque instant, dès qu'il y a appui pour pouvoir écrire. C'est essentiellement au niveau de l'avantbras droit qu'il se situe, mais il peut également se déplacer. Ainsi, quand

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l'écriture est localisée dans le haut de la feuille, le point d'appui est sur l'avant-bras, mais quand elle atteint le bas de la feuille, le point d'appui peut se déplacer vers le poignet ou même la main. Si l'appui se localise dans la main, il peut bloquer ou freiner la cursivité de l'écriture. Il existe un rapport direct entre la réalisation de la direction et le point d'appui donné au mouvement. La direction s'organise progressivement en fonction de l'habileté à établir le point d'appui du mouvement. A amplitude égale de la contraction musculaire, le déplacement produit par le bras est beaucoup plus ample que celui produit par la main. C'est une simple question de bras de levier. Plus le réglage est éloigné, plus les oscillations sont fortes. Une faible oscillation au niveau du bras provoque un déplacement relativement important au niveau des doigts. Par contre, une faible oscillation au niveau de la main provoque un déplacement d'amplitude égale au niveau des doigts. La régularité de la direction est en rapport direct avec l'appui sur l'avant-bras. Il est frappant de noter l'aspect sinueux de la ligne du débutant. Cela tient à l'instabilité du point d'appui du mouvement. Il y a également un facteur de nature plus visuelle. Dans l'écriture du jeune enfant, chaque lettre est individualisée, de telle sorte que la reprise du mouvement est fréquente et nécessite l'interférence du contrôle visuel pour l'aligner à la suite de celle qui précède. Il s'exerce une rectification constante par recherche de l'horizontale. C'est une étape dans le réglage du servo-mécanisme réalisé par la main et la vue pour le maintien de la direction. C'est dans les rapports entre l'équilibre et le mouvement que se réalisent les deux critères de l'alignement, le critère local et le critère global. Le critère local s'établit par rapport à ce qui se meut, c'est-à-dire en fonction des déplacements du point d'appui de la main qui écrit et de l'angle que fait la main sur le poignet. Le critère global s'établit en fonction de l'attitude prise, face à la feuille de papier. Obtenir la continuité au niveau local, c'est être capable de conserver la même hauteur et la même inclinaison des lettres dans le mot et des mots à la suite les uns des autres. Dans la calligraphie primitive du jeune enfant, l'aspect sinueux de la ligne provient en particulier des irrégularités de hauteur et d'inclinaison des lettres. Mais quand le mot peut être réalisé de façon continue, la lettre se fond dans la réalisation du mot. Il apparaît alors une continuité motrice au niveau d'un ou de plusieurs

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Introduction générale

mots, ce qui favorise le réglage moteur et visuel de l'alignement au niveau local. La direction d'ensemble de l'écriture, c'est-à-dire la réalisation du critère global, dépend directement de l'attitude prise face à la feuille de papier. La posture déclenche l'orientation du mouvement proximal. Suivant la position prise, le mouvement du bras s'inscrit dans une direction différente qui peut être engendrée soit par l'axe vertical soit par l'axe horizontal. Ces deux axes correspondent aux deux possibilités de mouvement de bras dans sa rotation autour de l'épaule, la coordination des mouvements selon ces deux axes permet la réalisation du mouvement circulaire. Chez le jeune enfant, cette direction peut être le simple enregistrement des mouvements du bras autour de ces deux axes, horizontal et vertical ; de telle sorte que les lignes successives affectent une distribution en éventail, la direction des lignes passant progressivement d'un mouvement ascendant vers la droite à un mouvement descendant vers la droite. B. La localisation du mouvement Dans l'acte d'écrire, l'outil, crayon ou stylo, est maintenu et manipulé continuement. Les mouvements qui lui sont imprimés pour la réalisation des lettres sont distaux : les doigts et la main les provoquent. Ces gestes coordonnés sont l'aboutissement de longs perfectionnements dont on peut voir l'origine dans les premiers gestes de préhension (Koupernik, 1954). La préhension volontaire commence à 4 mois, avec ses deux composantes kinétiques, l'approche et la saisie. La seule articulation mobile est d'abord celle de l'épaule, vers 4-5 mois, puis celle du coude, 7-8 mois. L'approche directe apparaît ensuite, mettant en jeu l'épaule, le coude, les articulations du poignet et de la main. La saisie, c'est la préhension proprement dite. Vers 7-8 mois apparaît la préhension paumepouce, le pouce servant de butoir car il n'y a pas encore d'opposition. A 9 mois s'installe le type définitif de la préhension stade radio-digital. L'approche est directe, toutes les articulations y participent. La préhension se digitalise progressivement, du 4e au T mois elle est essentiellement palmaire, c'est un empaumement. A la fin de la première année, la préhension fine s'effectue à l'aide de la pince supérieure, entre la pulpe du pouce et celle de l'index, opposés frontalement. A la fin de la première année, dit

Les facteurs spatio-moteurs de l'écriture

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Koupernik, la préhension devient le type même de l'acte cortical : elle est distale, radiale, synergique, car il y a collaboration des agonistes et des antagonistes ; les membres supérieurs sont mis à la disposition du psychisme. Dès ce moment l'élaboration des praxies est rendue possible et en particulier la praxie du crayon qui apparaît au début de la seconde année. La loi du développement proximo-distal s'exprime au niveau des membres supérieurs dans l'extension des manifestations motrices de la racine aux extrémités, bras, coude, poignet (Wallon, 1962). On peut voir là une manifestation du contrôle des mouvements, c'est-à-dire du pouvoir de les inhiber, de les sélectionner, de les modifier. Ce contrôle suit une progression régionale, il commence dans les régions supérieures du corps et dans les parties proximales des membres, il ne se manifeste que plus tardivement dans le bas et aux extrémités distales. L'émigration du contrôle du mouvement de la partie proximale à la partie distale du bras, telle qu'elle apparaît dans la genèse de la préhension, n'est pas transférée directement dans l'acte graphique. Dans la réalisation du graphisme, les différentes coordinations des mouvements de rotation du bras autour de l'épaule, de l'avant-bras autour du coude, de la main autour du poignet devront s'organiser différemment car elles devront obéir à d'autres nécessités. C'est également dans le sens proximodistal qu'on pourra suivre les étapes de ce perfectionnement. Nous serons amenées à analyser dans un chapitre de cet ouvrage comment ces coordinations se perfectionnent dans la genèse de l'acte graphique et quels retentissements elles ont sur la réalisation des tracés. C. L'équilibre et le mouvement Nous avons vu précédemment comment le mouvement du bras qui écrit est sans cesse équilibré grâce au point d'appui situé au niveau du poignet ou de l'avant-bras. Ces rapports entre l'équilibre et le mouvement sont fondamentaux ; dans tout déplacement il y a nécessairement une modification corrélative de l'équilibre. L'analyse des rapports entre l'équilibre et le mouvement a été faite par Wallon (1954). Toute la dynamique de stabilisation dans les rapports entre le mouvement et l'équilibre dépend du cervelet. Wallon (1959) signale deux sortes d'attitudes, les unes qui relèvent de la contraction tonique qui accompagne les déplacements du

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Introduction générale

membre en mouvement et qui en soutient les positions successives. Ces contractions toniques se produisent à propos de chaque mouvement, dans les parties du corps qui ne sont pas en mouvement. C'est ce qui correspond dans l'acte d'écrire à ce que nous avons appelé l'équilibre d'ensemble. Les autres se manifestent dans l'accord des réactions posturales et du mouvement qui se produit dans les opérations exigeant de la précision et de la fermeté, par substitution graduelle de l'attitude au geste. Il y a dans ce cas une immobilisation des articles qui n'est pas neutre, car elle doit fournir à chaque instant le support souple ou rigide, fixe ou plastique, qu'exige chaque étape de la manipulation. Dans le cas de l'écriture, c'est ce qui correspond au point d'appui du bras qui écrit. Ce point d'appui se reconstitue sans cesse le long de la ligne et de haut en bas de la feuille. L'écriture reste la même, et cependant elle est produite par un changement continu de la position du membre et des rapports entre les segments du bras. L'équilibre tient le mouvement sous sa dépendance, dit Wallon, puisque c'est lui qui fournit le point d'appui nécessaire. Ce point d'appui se proportionne aux résistances rencontrées. Sans point d'appui, pas de précision, ni de souplesse du mouvement. Wallon précise d'ailleurs que sous l'aspect rigide du point d'appui, l'équilibre est un système incessamment modifiable de réactions compensatrices. Il a un pouvoir déterminant sur le mouvement qu'il accompagne, puisqu'il le rend possible à l'exclusion de tout autre. Aucun mouvement n'est possible, dit encore Wallon (1954) sans une exacte régulation de l'équilibre, et cette régulation est encore plus délicate et plus précise si le mouvement est menu. C'est la fonction posturale qui permet la continuité des mouvements. Par une régulation continue du mouvement et du tonus postural, elle permet la transformation en points d'appui fixes de segments auparavant mobiles. Chez l'enfant, les rapports précis entre l'équilibre et le mouvement se construisent progressivement, et pendant longtemps la possibilité d'une immobilisation globale du corps, ou partielle d'un segment, n'existe pas. On peut voir dans l'écriture du débutant l'enregistrement de telles difficultés, dans la taille et dans l'irrégularité des lettres, dans leur alignement sinueux et dans les variations de la pression de l'écriture. Dans la description de l'acte d'écrire, on a pu voir le rôle de la vue dans le guidage du mouvement, notamment pour l'alignement des mots.

Les facteurs spatio-moteurs de l'écriture

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Avant d'exister sous la forme d'un servo-mécanisme de direction, ces rapports entre le contrôle visuel et le mouvement franchissent différentes étapes. D. Contrôle visuel et mouvement Les rapports du contrôle visuel et du mouvement sont très précoces, puisqu'ils apparaissent dans les premiers mois de la vie. La description de l'étape sensori-motrice est classique en psychologie de l'enfant (Piaget, 1936). On peut rappeler l'importance du mouvement dans les associations intersensorielles. A. Tournay lui attribue un rôle déterminant dans l'union des différents champs sensoriels, car il leur constitue un dénominateur commun ; la main détient une place particulière. Dans le système extéroceptif, la sensibilité tactile est la plus précoce, c'est elle qui fournit les premiers repères du mouvement. Mais l'intervention de la vue apporte une dimension nouvelle en modifiant les rapports avec l'objet. Ainsi, dans la seizième semaine, la main attire le regard quand elle est en contact avec l'objet. Les rapports qui s'établissent alors permettent à la vue de se substituer en partie au tact. Ce n'est plus le contact de l'objet qui déclenche le geste le saisie, ce sont les yeux qui guident la main vers l'objet. Alors s'établissent les associations pour l'exploration et pour la manipulation des objets du monde extérieur. L'activité circulaire caractérise la période sensorimotrice parce que l'effet du mouvement entraîne sa reproduction ; de telle sorte que l'enfant s'imite lui-même. Un dépassement de la réaction circulaire se manifeste dans l'imitation d'un modèle extérieur. C'est le stade projectif de Wallon (1959). Pour Piaget (1960), c'est au niveau du stade sensori-moteur une sorte de représentation par le geste. Wallon signale différentes étapes de l'imitation. L'imitation de soi, quand l'enfant répète ce qu'il vient de faire, les liaisons perceptivo-motrices de la réaction circulaire, l'imitation incubée de nature plus perceptive, et qui est en rapport avec la représentation. Elle correspond à l'imitation différée de Piaget. Du point de vue moteur, l'imitation suppose la possibilité de choisir le mouvement adéquat dans une masse d'habitudes motrices de nature plus automatique ou rythmique. C'est déjà un pouvoir de contrôle et de sélection du mouvement. Dans l'analyse des rapports qui s'établissent entre le mouvement et la

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Introduction

générale

vue, il paraît indispensable de comprendre comment l'œil peut guider la main, mais aussi comment le mouvement peut trouver en lui-même ses propres repères. Autrement dit, il s'agit de comprendre le développement parallèle du contrôle kinesthésique et du mouvement. La kinesthésie, dit Tournay (1961), c'est le sens du mouvement comprenant les impressions cutanées, les impressions venant des muscles, fascia, tendons et surfaces articulaires, et, en addition, un jeu d'impressions non senties, ou que peu senties, qui guident l'activité du cerveau par l'information inconsciente qu'elles apportent. E. Contrôle kinesthésique et contrôle visuel La kinesthésie apparaît avec l'activité circulaire (Wallon, 1959) quand l'effet visuel ou auditif d'un geste entraîne la répétition de ce geste. La série kinesthésique et la série visuelle s'intriquent dès le départ, car la kinesthésie a besoin de références dans le domaine de la vue pour se délimiter. Ces deux séries agissent de façon complémentaire dans la vie psychique, de telle sorte qu'on peut difficilement distinguer les aspects visuels des aspects kinesthésiques du mouvement. Les deux sont confondus au départ. Cependant, précise Wallon, l'union de la kinesthésie et de la vue n'a pas de base organique, elle n'est fondée que sur l'expérience. C'est grâce à l'expérience que s'opère la jonction entre les impressions kinesthésiques et les impressions visuelles, à tous les niveaux du comportement psycho-moteur. Leur dissociation reste possible, pour la même raison. Nous avons été amenée à provoquer une telle dissociation au cours d'expériences dont on verra l'analyse dans la seconde partie de cet ouvrage. Les synthèses qui doivent s'établir entre la kinesthésie et la vue pour la réalisation de l'écriture sont spécifiques à cette activité. Apprendre à écrire, c'est apprendre à organiser certains mouvements en vue de reproduire un modèle. C'est l'effet de la conjugaison de ces deux activités, une activité visuelle d'identification du modèle, une activité motrice de réalisation de la forme. Cela suppose également l'exercice d'un contrôle dont la manifestation est le guidage du mouvement. Contrôler un acte, c'est maîtriser les étapes de son déroulement. Ce contrôle s'exerce dans une double dimension, temporelle et spatiale. L'aspect temporel consiste

Les facteurs spatio-moteurs de l'écriture

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dans le pouvoir d'anticiper, d'interrompre, de freiner, de reprendre le mouvement. L'aspect spatial consiste dans le pouvoir de le diriger dans une direction voulue et au besoin de rectifier. Ces composantes du contrôle sont le résultat d'interactions kinesthésiques et visuelles. Le freinage et l'interruption paraissent relever davantage de la kinesthésie. La reprise ou le maintien de la direction davantage de la vue. En fait il paraît difficile de réduire le contrôle à l'un des facteurs, à l'exclusion de l'autre. Leur liaison est trop intime et apparaît trop précocément dans l'activité. Par contre, ce qui peut être précisé, c'est l'espace où s'exerce la forme de contrôle correspondant à la kinesthésie et celle correspondant à la vue. Ce problème sera abordé dans les différents chapitres de cet ouvrage.

2. L ' É C R I T U R E

MOUVEMENT

VOLONTAIRE

L'activité graphique est une des circonstances qui permettent la coïncidence d'action du sens kinesthésique et de la vue. Cette action s'exerce volontairement, on peut classer l'écriture dans les mouvements volontaires. Le mouvement volontaire se définit au niveau du but et dé la commande. Le but de l'écriture est, primitivement, la réalisation de la forme des lettres, c'est une activité de reproduction d'un modèle. Apprendre à écrire, c'est apprendre à organiser des mouvements en vue de reproduire un modèle. L'apprentissage s'exerce conjointement au niveau moteur et au niveau visuel. Nous développerons dans un paragraphe du second chapitre de la première partie quelques données relatives à la convergence d'action de la kinesthésie et de la vue dans l'apprentissage de l'écriture. A. Etudes physiologiques du mouvement

volontaire

Selon Wacholder, le mouvement volontaire se différencierait du mouvement automatique par l'existence d'un projet mental de mouvement. Le mouvement est coordonné dans la mesure où il réalise le projet mental. La caractéristique essentielle de notre appareil des mouvements est la tendance à l'oscillation. Cette propriété résulte des lois propres à la commande nerveuse et aussi de l'entrée en jeu de forces purement méca-

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Introduction générale

niques. Ce sont les mouvements de va-et-vient et non les mouvements isolés qui sont les plus adaptés à notre appareil de mouvements, ils doivent être considérés comme les plus naturels. Ce va-et-vient rythmique a été signalé dans l'activité graphique du jeune enfant. J. Piaget et B. Inhelder (1948) la décrivent ainsi : « l'expression la plus élémentaire du graphisme de l'enfant est le résultat d'un va-et-vient continu sur le papier, et c'est de ce jeu rythmique de mouvement que se différencieront les premières formes ». Nous en avons également refait l'analyse dans la première partie de ce travail. Lorsque chaque segment du bras est animé d'un mouvement de rotation uniforme autour de son articulation proximale, le bras décrit une certaine courbe que nous avons appelée trajet homogène. L'organisation des actes même les plus simples est très complexe (Paillard, 1959). Il existe un schème de distribution spatio-temporelle dans la participation des différents muscles impliqués dans un acte. Cela permet à la mélodie kinétique de s'exercer selon les séquences d'une orchestration très précise, où chaque exécutant participe d'une façon définie. Mais le schéma d'action des muscles présente une extrême fluidité, le même effet final peut être obtenu de 100 façons différentes selon la position initiale des segments et la nature des forces de résistance. Ceci nous permet de mieux comprendre comment l'écriture peut être la même dans le bas comme dans le haut de la feuille alors que la position des segments du bras n'est pas la même. Cependant, dit Paillard, on ne peut reproduire deux fois le même mouvement. Au niveau du muscle, le schéma spatio-temporel des unités motrices, impliqué dans un mouvement volontaire, n'est jamais deux fois identique et cependant, le même mouvement exécuté par un même sujet conserve quelque chose de commun dans des exécutions successives. Il existe des mécanismes d'auto-régulation et d'auto-stabilisation permettant la sélection et la combinaison privilégiée de muscles, parmi une variété considérable de combinaisons possibles, et capables de soumettre le programme fixé à l'action aux exigences de la situation.

B. Etudes de la kinesthésie L'acquisition de l'écriture sous son aspect dynamique suppose la possibilité de percevoir les différentes positions du bras dans la réalisation de

Les facteurs spatio-moteurs de l'écriture

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l'écriture. Elle dépend donc directement des données kinesthésiques, qui nous renseignent sur la position de notre corps dans l'espace, celle des positions respectives de nos membres, ainsi que leur changement dans le mouvement. Selon V. B. Mountcastle et J. E. Rose (1959), ce sont les organes récepteurs des capsules articulaires et du tissu péricapsulaire qui joueraient un rôle majeur dans l'appréciation de la position et du mouvement des pièces du squelette. Les informations sont transmises par des fibres spécialisées émanant de deux catégories de récepteurs, les récepteurs à adaptation lente et les récepteurs à adaptation rapide. Les articulations joueraient donc un rôle prépondérant comme source de l'information kinesthésique. Tournay (1963), citant Duchêne de Boulogne à ce propos, « nous savons aujourd'hui que le défaut de la perception des mouvements du membre est dû à la sensibilité articulaire », rappelle que cette affirmation contenait une anticipation de la clinique sur la connaissance expérimentale. Depuis lors en effet, Mountcastle, s'inscrivant dans un riche courant de recherche, a pu montrer avec précision le rôle de certains neurones du gyrus post-central. Il a inventorié 325 de ces neurones capables de détecter les angles des articulations du corps et les modifications de ces angles. Ces neurones correspondent aux articulations du bras et de l'épaule. Le mouvement de l'articulation constitue le stimulus des cellules du gyrus post-central. La stimulation mécanique des tendons, de la capsule articulaire et du tissu de liaison péricapsulaire produit un accroissement de la cadence de décharge de la cellule observée. Dans l'écriture, il faut réaliser une coordination entre les mouvements de rotation du bras autour de l'épaule, de l'avant-bras autour du coude, de la main autour du poignet. L'écriture est le fruit des mouvements coordonnés des articulations du bras et de la main. Au cours de l'apprentissage, un réglage s'effectue grâce au sens kinesthésique : l'enfant acquiert le sentiment du déplacement dans l'espace et de l'action musculaire. Exposant une conception bio-mécanique du mouvement, Tchkaïtzé (1962) part de la notion de champ de force. Le mouvement du corps humain, ou de certaines de ses parties, est toujours la résultante de l'interaction de forces externes et internes. Les forces externes sont en rapport avec la pesanteur qui exerce une force constante sur les récepteurs musculaires

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Introduction générale

et tendineux et sur les mécano-récepteurs. Elle joue un rôle décisif sur la formation des fonctions de ces récepteurs et dans la synthèse et l'élaboration des informations qu'ils envoient au cerveau. Les forces internes sont en rapport avec la traction des muscles. Celle-ci agit sur les segments du corps et leur fournit une certaine accélération, ce qui permet les déplacements du corps. Les muscles agissent presque tous sur les parties rigides du corps comme sur des leviers. Pour un mouvement d'amplitude faible du muscle, on obtient un déplacement considérable du membre, ce qui implique une régulation centrale des mouvements. A cette amplification de la trajectoire des segments coïncide un grand nombre de degrés de liberté inhérents au corps humain. Le corps humain étant considéré comme une chaîne cinématique. Le champ de force est l'ensemble de tous les vecteurs force appliqués aux différents segments du corps qui ont des degrés de liberté indépendants. Ainsi l'exécution d'un mouvement volontaire par une chaîne cinématique aussi perfectionnée qu'un membre du corps se déroule dans un champ de force très complexe. Il y a trois causes à la complexité du champ de force : la première tient à l'existence de chaînes cinématiques à nombreux maillons, la plupart sont ouvertes au cours des mouvements. En second lieu ces chaînes ont un nombre de degrés de liberté exceptionnellement grand. Ceci se manifeste dans la mobilité du bout des doigts. Enfin, troisièmement, il existe des forces réactives apparaissant dans tel ou tel maillon d'un segment, dans ses rapports avec le segment voisin. Dans l'exécution d'un mouvement nouveau, les forces réactives font presque toujours obstacle à sa bonne exécution. Le problème s'est posé dans l'industrie de réaliser des machines pouvant exécuter des mouvements de manipulation imitant ceux de la main humaine. Un ingénieur, R. Mosher (1964), a décrit un appareil qui s'inspire directement du sens kinesthésique humain. Pour le réaliser, il s'est inspiré du mouvement réalisé par l'homme. Partant des deux observations suivantes, il a été amené à réaliser une machine cybernétique anthropomorphe, le handyman. La première observation est que dans un acte comme d'ouvrir une porte, la main est sensible à la résistance de la porte, de telle sorte qu'elle ne la manoeuvre pas en sens contraire de son fonctionnement. Car le système moteur humain répond à un feedback des forces qu'il faut interpréter. C'est le sens kinesthésique qui permet de transmettre cette

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information. La seconde observation concerne la réalisation du cercle. Jamais parfait quand il est exécuté à main levée, il peut être exécuté parfaitement en manipulant le manche d'un moulin à café. Dans ce cas, le manche devient le guide du sens kinesthésique. S'inspirant de telles observations Mosher a voulu équiper sa machine d'un sens kinesthésique, afin qu'elle puisse détecter les changements de position et de force et qu'elle les transmette à l'opérateur humain. Une telle machine possédant les propriétés de feedback et de kinesthésie doit disposer d'un répertoire de mouvements semblables à ceux des hommes. Pour poser un objet, il faut six degrés de liberté du mouvement, trois pour le manœuvrer dans l'espace, trois pour le placer dans la position voulue. Le handyman y parvient. Il est composé d'une paire de bras et de mains mécaniques, il peut imiter les mouvements de l'épaule, du coude, du poignet et des doigts. Il est directement couplé au système sensoriel et moteur de l'homme qui le manœuvre. Il réalise des mouvements aussi précis que l'opérateur qui est guidé directement par des signes physiques et par l'angle des bras et des doigts. La machine, en manipulant l'objet, enregistre la position et les forces associées à la manipulation. Cette information est transmise à l'opérateur. Le couplage de l'homme et de la machine est tel que l'homme n'a pas à contrôler les détails de la manœuvre, il peut se concentrer uniquement sur sa tâche de manipulation proprement dite, guidant les actions des bras et des mains mécaniques, comme s'ils étaient les siens propres. La machine est loin cependant de réaliser l'ensemble des mouvements caractéristiques de la main. La main de l'homme présente en effet une exceptionnelle complexité dans ses mécanismes.

C. La structure de la main La main est l'organe par excellence des mouvements fins et habiles (Tournay, 1963). C'est un organe des sens mobile : les doigts permettent les explorations du toucher. Elle est capable progressivement de préhension, de manipulation, d'exercices de travail manuel et de travaux avec outils. Elle réalise deux types d'actes, les actes se déroulant selon un schéma préétabli qui font partie d'un répertoire moteur, et les actes ajustés. C'est la structure de la main qui rend possibles les actes ajustés. Elle se trouve à l'extrémité du membre supérieur, lui-même libéré de la station et de la

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Introduction générale

locomotion. Ce membre supérieur est composé de segments extrêmement mobiles. Elle est à proximité du visage et en particulier des organes de la vue. La main est globalement mobile, les muscles palmaires permettent l'inflexion, les muscles radiaux et cubital postérieur l'extension. La latéralité cubitale est donnée par les muscles cubitaux, la latéralité radiale par le muscle premier radial. Les doigts se composent de phalanges mobiles en extension et en flexion, le pouce s'oppose aux autres doigts, il possède un long fléchisseur dont l'action indépendante permet la flexion isolée de la seconde phalange. Son entrée en action vers deux ans rend possible la production distale de l'écriture. La main possède trente muscles permettant mille actes différents. J. Paillard a décrit le fonctionnement des articulations de la main. On peut distinguer deux types d'articulations, à charnières et à rotules. Les articulations à charnières sont les plus rares, on les trouve à l'articulation des phalanges. La mobilité d'une telle articulation nécessite deux muscles ou groupes de muscles, insérés sur les côtés opposés de l'os. L'action simultanée de ces deux muscles permet la fixation et le maintien de l'articulation. L'action antagoniste de ces deux muscles quand l'un se contracte et l'autre se relâche, permet le mouvement de levier. Les articulations à rotules se trouvent dans les doigts, le pouce, le poignet. Elles supposent une organisation musculaire plus complexe car plusieurs séries de muscles agissent dans des plans différents. On peut obtenir toutes les directions dans un cône d'action, selon les degrés de contraction de ces différents muscles. Selon Winslew, il y a trois types de participation musculaire à une action complexe : les principaux moteurs qui exécutent l'action principale, les modérateurs qui contrebalancent l'effet des précédents, et les directeurs qui stabilisent l'action latéralement. Ces derniers sont synergiques et coopèrent directement avec les principaux moteurs, ils stabilisent les articulations. Dans l'exemple du handyman décrit précédemment, il est frappant de noter que l'automatisme des mouvements de l'homme se prolonge dans la machine, tandis que le contrôle se porte sur les réalisations de l'acte. C'est en fait ce qui se passe dans tout acte s'exerçant à l'aide d'un outil. Le sens kinesthésique se prolonge dans l'outil à des degrés divers. Ainsi, quand on écrit, le crayon fait corps avec la main qui le manipule, de telle sorte que le contrôle peut s'exercer sur la trace laissée par le crayon. Quand

Les facteurs spatio-moteurs de l'écriture

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l'alignement des mots et leur orthographe présentent un degré d'automatisation suffisant, le contrôle s'exerce sur le contenu de l'écriture, sur la signification. C'est le contrôle du langage écrit. L'automatisation des contrôles du mouvement, de la forme, de l'enchaînement des lettres, de l'orthographe des mots, se réalise dans la fusion totale du mouvement de l'outil et du but. Il y a comme une substitution progressive du contrôle, le contrôle kinesthésique supplantant le contrôle visuel, ce qui permet au contrôle sémantique, c'est-à-dire au contrôle du contenu de l'acte, de pouvoir s'exercer. Il semble utile de voir comment se réalisent ces substitutions de contrôle, dans l'automatisation progressive de l'écriture.

3. L ' É C R I T U R E ,

AUTOMATISME

ACQUIS

A. Les habitudes Il est classique de voir dans l'automatisation d'un acte la substitution progressive du contrôle kinesthésique au contrôle visuel. Apprendre à écrire, c'est acquérir une habitude. P. Guillaume ( 1 9 3 6 ) a montré que la formation des habitudes et des tours de main professionnels relève d'un processus de tâtonnement, ce sont des apprentissages par essai et erreur. Dans les habitudes supérieures et proprement humaines, dit-il, il existe un modèle de l'acte. L'habitude ne se crée pas dans l'invention de nouveaux mouvements mais dans la superposition de la commande cérébrale à celle des centres inférieurs, par systématisation des formes de mouvements préexistantes. Il se constitue alors des enchaînements d'actes musculaires pouvant se modifier au gré des circonstances (Wallon, 1 9 6 3 ) . L'automatisme porte en lui la détermination de l'enchaînement. Guillaume précise que c'est la perception des effets d'une phase de l'acte qui, en s'accomplissant, sert de signal à la suite. Tant que cette perception est essentiellement visuelle, le signal demeure peu efficace. Progressivement, c'est la sensibilité proprioceptive qui remplit ce rôle : l'acte exécuté d'abord sous le contrôle de la vue ou de l'ouïe, s'en affranchit. C'est une tendance générale des sensations proprioceptives de se substituer à certaines sensations extéroceptives qui au début interviennent dans chaque phase de l'acte, dans la régulation des mouvements habituels. Ainsi, dans l'écriture

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Introduction

générale

(Guillaume, 1925) la sensation visuelle est désaffectée au profit de la sensation kinesthésique à mesures que les groupes de mouvements acquièrent leur unité interne et leur autonomie. B. Automatisation

de l'acte appris

L'automatisation des actes appris est en rapport avec leur apprentissage. Apprendre un acte nouveau, dit Paillard, nécessite une rupture des unités fonctionnelles préexistantes, puis un choix sélectif des combinaisons motrices utiles et finalement leur assemblage dans une nouvelle unité de travail. Il y a deux aspects complémentaires, le premier est lié à la phase initiale de l'apprentissage, il implique une activité sélective. Le second est lié au processus d'apprentissage lui-même et trouve son expression finale dans l'acte automatique achevé. Celui-ci se libère progressivement du contrôle supérieur. Les performances motrices s'améliorent progressivement grâce à la sélection des mouvements nécessaires à leur réalisation. C'est dans le contrôle sélectif de certaines parties de la musculature, en particulier des muscles de la main que se réalise la correction des mouvements défectueux. L'effort mental nécessaire au début de l'apprentissage mobilise les systèmes de contrôle les plus élevés, qui dirigent pratiquement l'ensemble de l'acte au début et contribuent à sa raideur. Initialement, les feedback sont principalement visuels dans les activités manipulatrices. Progressivement, les chaînons reliant certaines parties des actes sont confiés à d'autres modalités sensorielles, principalement les proprioceptives. De ce fait, chaque partie de l'acte devient le signal de la suivante. Les récepteurs, libérés de la tâche du contrôle volontaire, peuvent se concentrer sur les réalisations les plus délicates de l'acte. L'acte automatique devient parfait quand la mélodie kinétique a, comme le langage, sa propre régulation en main, quand il devient l'expression d'une unité fonctionnelle auto-régulatrice. Comme on a pu le voir dans l'analyse de Paillard, ce sont les sensibilités inconscientes détachées du contrôle volontaire qui se spécialisent dans le contrôle du geste. Le contrôle du contenu peut alors requérir l'effort de concentration attentive nécessaire. Dans l'écriture, il s'agit du contrôle de la signification. Tchkaïtzé appelle cette partie la plus complexe de l'acte, le contenu sémantique de l'acte. C'est, d'après lui, la partie de

Les facteurs spatio-moteurs de l'écriture

51

l'acte qui reste constamment sous le contrôle de l'activité nerveuse supérieure. L'automatisation ne joue pas de rôle à ce niveau. C. La désorganisation de l'acte appris Comme toutes les formes acquises des mouvements habiles, l'écriture peut se désorganiser, elle peut donner lieu à une forme particulière d'apraxie, l'agraphie apraxique. C'est une apraxie spécialisée qui se manifeste par la rupture plus ou moins spécifique des formules kinétiques acquises durant l'apprentissage. Dans l'écriture, cette désorganisation apparaît sous la forme de l'agraphie, le sujet devenant incapable de guider sa plume pour former les lettres. Dans une étude du schéma corporel (Wallon et Lurçat, 1959) portant sur les étapes par lesquelles passent les rapports des activités motrices et de l'espace ambiant, une classification des gestes a été proposée. En premier lieu, viennent les gestes orientés par l'habitude ou par l'automatisme et la prise de conscience de leur adaptation aux directions de l'espace. Dans ce cas il existe une relative autonomie du mouvement. A un second niveau, on peut classer les actes qui ont une motivation extérieure à l'automatisme et qui sont l'adaptation objective à l'espace ambiant ; il y a dans ce cas adaptation nécessaire du mouvement ou des attitudes à des directions concrètes ou vers des objets situés dans l'espace. Enfin, à un troisième niveau, l'acte symbolique ou fictif qui se passe de la présence réelle de l'objet. Ici le mouvement s'exécute sans objet mais avec un objet imaginaire, l'acte se rattache ainsi à la fois au mouvement automatique et au mouvement objectif. L'écriture, de par sa nature, est un acte objectif. Elle se rattache au troisième niveau des gestes décrits ci-dessus. On peut trouver une confirmation de ce point de vue dans les études de la pathologie de l'écriture. Dans une analyse des différentes formes d'agraphies en rapport avec les lésions centrales qui en sont l'origine (Hécaen, Angelergues et Douzenis, 1963), on retiendra la mise en évidence d'un double aspect de l'écriture, à la fois langage et geste. Ainsi, la liaison de l'écriture avec le langage parlé se manifeste dans l'atteinte isolée du lobe temporal. Le second aspect de l'écriture qui la lie aux activités gestuelles de la formulation symbolique se manifeste dans l'atteinte conjointe des circonvolutions pariétales des deux

52

Introduction générale

lobes. La relation de l'agraphie avec l'atteinte des circonvolutions pariétales est, selon ces auteurs, le fait caractéristique concernant l'agraphie. Ils ont approfondi leur analyse en distinguant trois sortes de désorganisations donnant l'agraphie liée à l'aphasie d'expression, l'agraphie liée à l'aphasie sensorielle et l'agraphie du syndrome pariétal. Ces trois types d'agraphies sont des formes anatomiques fronto-rolandiques, temporale et pariétale. Notre perspective étant l'étude des facteurs non linguistiques de l'écriture, on retiendra l'existence d'une désorganisation de l'écriture de nature gestuelle. 4. V O I E S

D'APPROCHE

DES

FACTEURS

SPATIO-MOTEURS

Si l'on reprend, rapidement, les différents points par lesquels l'étude de l'écriture se raccorde aux concepts généraux regroupés ici, on peut dégager certaines voies d'approche des facteurs non linguistiques de l'écriture. Il a été dit, précédemment, que, pour que l'écriture soit possible, il doit s'opérer génétiquement un processus de coordination des mouvements et de sélection progressive des tracés. Ces tracés se répartissant selon un ordre et dans une direction de l'espace graphique. C'est le double aspect moteur et spatial de l'écriture. Au point de vue moteur, l'écriture est produite par un mouvement du bras. Ce mouvement est complexe, à la fois proximal et distai. La réalisation de l'écriture naît de l'activité de tout le bras. L'aspect cursif, en rapport avec la direction, est d'origine proximale, l'aspect calligraphique, en rapport avec le sens des tracés, est d'origine distale. La coordination des mouvements d'origine proximale et d'origine distale se réalise grâce au point d'appui, à l'équilibre du mouvement qui se renouvelle constamment dans le déroulement du geste. A ce niveau, le problème est de comprendre comment se réalise dans l'écriture la spécialisation des segments, comment les doigts se spécialisent dans le dessin de la lettre, le bras dans la réalisation de la ligne, l'avant-bras dans le point d'appui permettant à la fois la réalisation distale et fine des lettres et le déploiement du mouvement selon la direction droite. Au point de vue visuel, l'écriture est un mouvement guidé afin de réaliser la forme des lettres, leur alignement horizontal et le parallélisme des lignes. C'est par un double critère local et global que se réalise l'ali-

Les facteurs spatio-moteurs de l'écriture

53

gnement, il est rendu possible par la convergence d'action des sphères proprioceptives et extéroceptives. Au point de vue visuo-moteur, car il est difficile de dissocier les aspects visuels des aspects moteurs, leur convergence dans la réaction circulaire permet l'établissement des différents contrôles, le contrôle kinesthésique et le contrôle visuel. Tous deux concourent au guidage du mouvement dans la réalisation de l'écriture. Ces contrôles comportent un aspect temporel et spatial. L'aspect temporel est en rapport avec les séquences motrices, l'aspect spatial est en rapport avec l'espace dans lequel s'exerce le contrôle. Le problème à ce niveau est de comprendre comment ces types de contrôles convergent dans la réalisation de l'écriture. Il est aussi de comprendre leur spécificité. Au point de vue de l'organisation de l'acte, si l'on part non plus des mouvements ou de la perception, mais de l'acte à réaliser, il nécessite une organisation et des ajustements du corps, considéré comme un mécanisme complexe. Cela, au double point de vue cinématique et dynamique. Le problème abordé ici est celui du modèle. Pour le reproduire, il est nécessaire de freiner et de découper le mouvement continu primitif. Alors le guidage du mouvement devient possible, avec, pour objectif, la reproduction d'une forme. Les contrôles kinesthésique et visuel contribuent à ce découpage et à cette reproduction guidée. Au point de vue de l'automatisation de l'acte : dans l'automatisation, le contrôle kinesthésique se substitue partiellement au contrôle visuel. Ce n'est pas la seule substitution. Le processus d'automatisation s'étend progressivement à la forme et à l'orthographe des mots, à leur alignement. Seul le contrôle sémantique reste cortical. Suivant les circonstances, l'activité est tantôt polarisée vers l'automatisme, tantôt vers la vigilance active. Le problème abordé ici est celui des substitutions et des superpositions de contrôles, de leur étagement génétique, et en rapport avec la complexité de la tâche. Enfin, l'acte peut se désorganiser, la désorganisation de l'écriture peut porter sur l'ajustement spatio-temporel de l'acte. Elle peut porter sur la réalisation de l'acte ou sur le contenu sémantique, être gestuelle ou linguistique. Le problème est ici celui de la rupture du contrôle et du niveau auquel elle peut apparaître.

L'organisation du mouvement dans l'acte graphique

Introduction

Les recherches rassemblées dans les six chapitres qui suivent ont pour objet l'étude de l'organisation du mouvement dans l'acte graphique. Ce problème a été abordé par la méthode longitudinale, dans l'observation continue des productions graphiques d'une enfant, et par la méthode transversale, en faisant reproduire des courbes géométriques par des enfants d'âges différents. La première partie est consacrée aux résultats de l'observation continue. Les deux autres aux résultats expérimentaux. Cet ordre de présentation n'est pas arbitraire, en effet, ce sont les résultats de l'observation continue qui sont mis à l'épreuve dans la deuxième et dans la troisième partie de ce travail. Pour cela, il a paru nécessaire d'opérer une sélection parmi les faits observés. Ce qui nous a guidée dans le choix des épreuves, c'est d'avoir observé la genèse de certaines courbes géométriques qui mettent en jeu des composantes motrices de base de l'écriture. L'écriture est produite par la coordination d'un mouvement de rotation distai et d'un mouvement de translation proximal 1 . Au point de vue géométrique, la forme la plus élémentaire engendrée par ce type de coordination est une courbe apparentée à la cycloïde allongée. L'observation continue a permis d'analyser la genèse de la cycloïde allongée dans l'organisation motrice spontanée, c'est-à-dire non enseignée, de l'acte graphique. Cette genèse sera rapportée dans le chapitre 1. La cycloïde allongée constitue un modèle élémentaire de l'écriture quand on l'analyse indépendamment de sa fonction sémantique, simplement comme le fruit d'un déplacement continue de la main tenant un crayon sur la feuille de papier. Mais on peut voir l'écriture également, 1. L'aspect cursif de l'écriture est donné par le déplacement du bras, c'est le mouvement proximal. L'aspect calligraphique est donné par la main et les doigts, c'est le mouvement distai.

58

L'organisation du mouvement dans l'acte graphique

et cela est vrai surtout chez l'enfant qui débute, comme l'addition de lettres s'échelonnant selon la direction droite. Dans ce cas, chaque lettre est individualisée. Au point de vue moteur, la lettre est produite par un mouvement distal. Chez le jeune enfant, le mouvement n'est pas distal, souvent la rotation est proximale. Au point de vue géométrique, la forme la plus élémentaire produite par une rotation proximale et une translation distale est une spirale : l'observation continue a permis d'analyser la genèse de la spirale dans le découpage de la cycloïde allongée primitive. Elle sera rapportée également dans le chapitre 1. La spirale et la cycloïde allongée peuvent être dessinées selon quatre possibilités différentes (figure 1). La spirale peut être croissante ou décroissante, de sens positif ou de sens négatif. La cycloïde peut être de direction droite ou gauche, dessinée dans le sens positif ou dans le sens négatif.

r u ü M

CJ io R w

MM.

•i

n n n n r 1. LES CYCLOIDES ALLONGÉES

2. LES SPIRALES

1. 2. 3. 4.

1. 2. 3. 4.

sens sens sens sens

négatif positif négatif positif

direction direction direction direction

droite droite gauche gauche

spirale spirale spirale spirale

décroissante de sens négatif décroissante de sens positif croissante de sens négatif croissante de sens positif

Figure 1 Pour reproduire ces courbes, l'enfant doit être capable d'identifier la forme et la trajectoire suivie. Reproduire la forme, c'est-à-dire dessiner correctement une spirale ou une cycloïde allongée, suppose la possibilité de coordonner les deux mouvements de rotation et de translation. Nous étudierons dans le chapitre 3 les difficultés que rencontre l'enfant quand il doit coordonner ces deux mouvements. C'est dans l'espace moteur ou

Introduction

59

espace de configuration de chaque bras que s'effectue la coordination des mouvements de rotation et de translation. Pour reproduire la trajectoire, c'est-à-dire pour respecter le sens et la direction du modèle, l'enfant doit identifier les coordonnées spatiotemporelles du modèle. Nous étudierons dans le chapitre 4 les différents renversements du mouvement, renversement partiel au niveau de la rotation ou de la translation, renversement complet du mouvement au niveau de la rotation et de la translation. C'est dans l'espace graphique que l'enfant reproduit la trajectoire du modèle. Nous serons ainsi amenée à étudier les relations que l'enfant doit établir entre l'espace de configuration du bras et l'espace graphique, pour reproduire les modèles qui lui sont fournis. L'observation continue a portée également sur l'étude longitudinale du sens de courbure des tracés spontanés. On a pu noter ainsi que l'enfant n'utilise qu'un sens de rotation sur les deux possibles. Hélène n'a d'abord produit que le sens positif de la main droite et le sens négatif de la main gauche. Progressivement, ce sens unique s'est transformé en sens dominant, l'enfant étant devenue capable d'utiliser les deux sens de courbure de chaque main, mais elle a conservé l'usage du sens unique initial. Nous avons ainsi été amenée au cours de l'observation continue à définir la notion de sens dominant. Nous appelons sens dominant le sens utilisé exclusivement ou de façon dominante dans la réalisation des tracés courbés. Ces sens dominants sont le plus souvent symétriques pour les deux mains, soit positif à gauche et négatif à droite, soit l'inverse. Nous avons recherché systématiquement l'existence des sens dominants à l'aide des courbes géométriques, spirales, cycloïdes allongées et cercles. Les résultats sont rapportés dans les chapitres 5 et 6. Le sens de courbure est un facteur important de l'écriture. L'analyse de la courbure des lettres manuscrites nous montre que 12 lettres sont de sens positif, 6 lettres sont de sens négatif et 8 sont mixtes. D'autre part, les lettres utilisées le plus fréquemment en français (Bélévitch, 1956) sont : i e s a n t u r . Parmi ces 8 lettres, 5 sont de sens positif, e i a t u, et 3 sont mixtes : n s r ! . Ces faits confirment l'idée suivante : pour écrire, l'enfant 2. Cette estimation reste approximative dans" la mesure où le sens de courbure des lettres peut varier selon les habitudes individuelles. Ainsi la lettre o peut être dessinée par certains dans le sens positif et par d'autres dans le sens négatif.

60

L'organisation

du mouvement

dans l'acte

graphique

doit être capable de réaliser les deux sens de courbure dans des mouvements successifs. Comme la majorité des lettres est de sens positif, le sens dominant de l'écriture est positif également. Ce sens positif remplace progressivement le sens dominant initial de la main qui écrit. C'est ce que nous verrons dans le chapitre 6. Une autre composante de base de l'écriture est liée à la direction 3 . La direction d'ensemble de l'écriture implique un mode de réalisation de chaque lettre qui n'est pas arbitraire puisqu'il doit permettre l'enchaînement successif des lettres dans le mot. Ce mode de réalisation consiste dans une progression du mouvement vers la droite. Un fait d'observation courante est la fréquence du renversement en miroir des lettres ou des mots chez l'enfant débutant. Le miroir est dû au fait que l'enfant réalise indifféremment la lettre ou le mot selon la direction droite ou gauche et modifie la trajectoire, cela tient principalement au fait que la forme n'est pas encore inscrite dans la direction imposée par l'écriture. Ce phénomène de miroir des lettres a pu être observé chez Hélène entre 4 et 5 ans. Il nous a d'autant plus frappée que des lettres comme le e ou le i, qui sont de sens positif et de direction droite, ont été écrites en miroir, c'est-à-dire selon la direction gauche et par conséquent dans le sens négatif. Or, le sens positif est le sens dominant de la main droite d'Hélène. Ces observations nous ont amenée à dissocier la notion de sens dominant de celle de miroir. Le sens dominant est de nature motrice, c'est la courbure donnée habituellement aux tracés. Le miroir est lié à la forme et à la direction, il est de nature spatiale, il provient d'une modification dans la trajectoire d'inscription d'une lettre dont le dessin est acquis préalablement. Le sens dominant existe avant la possibilité de reproduire une forme, il a été observé avant l'âge de 2 ans chez Hélène. Le miroir est d'apparition plus tardive, c'est au début de l'apprentissage des lettres qu'apparaissent les désorientations de la forme donnant lieu au miroir. Le problème des rapports entre la forme et la trajectoire dans laquelle elle doit s'inscrire sont traités dans le chapitre 4. En somme, parmi les faits dégagés de l'observation continue, trois notions ont été retenues. La première concerne l'organisation du mouve3. Nous ne nous intéressons, ici, qu'aux écritures s'inscrivant dans la direction droite.

Introduction

61

ment pour la réalisation de la forme, elle sera traitée dans le chapitre 3 consacré aux aspects dynamiques de l'acte graphique. La seconde concerne l'inscription de la forme dans l'espace graphique, elle sera traitée dans le chapitre 4 consacré aux aspects cinématiques de l'acte graphique. La troisième concerne les sens dominants de courbure dans l'espace de configuration et dans l'espace graphique, elle sera traitée dans les chapitres 5 et 6. L'observation continue elle-même a fait l'objet d'une conceptualisation qui sera présentée dans le chapitre 2.

PREMIÈRE

PARTIE

Introduction

Les faits rapportés dans la première partie concernent l'observation longitudinale de l'activité graphique d'un enfant qui s'est poursuivie au cours de plusieurs années. Le but initial de cette observation était de dissocier dès l'origine les trois niveaux de l'activité graphique dégagés dans des travaux antérieurs réalisés sous la direction de Henri Wallon. En effet, la mise en évidence de tracés spécifiques du niveau moteur, du niveau perceptif et du niveau de la représentation est une base indispensable pour entreprendre une étude portant plus spécialement sur les aspects moteur et perceptif de l'acte graphique. Le chapitre 1 est une première élaboration de l'observation continue qui a amené au classement des faits sous trois rubriques, consacrées chacune à l'un des trois niveaux signalés précédemment. Le chapitre 2 est un second niveau d'élaboration des faits concernant plus spécifiquement les niveaux moteur et perceptif. C'est une élaboration géométrique des données, réalisée avec l'aide de François Lurçat. Elle s'inspire à la fois des faits de l'observation continue et des concepts élaborés avec Henri Wallon dans une recherche antérieure portant sur le schéma corporel.

3

Genèse de l'acte graphique

Les faits rapportés dans ce chapitre constituent, pour l'essentiel, une analyse des tracés produits par Hélène entre un an et demi et quatre ans. Ils ont permis de dégager une image d'ensemble de la genèse de l'acte graphique. Certains faits concernant la réalisation des premières lettres, entre quatre et cinq ans, sont rapportés également dans ce chapitre. Hélène est née le 11 octobre 1959. L'observation a été entreprise en mars 1961 à l'âge d'un an et cinq mois. Il n'y avait pas de consigne précise. Hélène était simplement invitée à « écrire pour maman ». Le recueil des tracés, hebdomadaire jusqu'en janvier 1962 fut quotidien depuis cette époque. Hélène a réalisé ses tracés sur des feuilles de papier blanc, format 21 X 27, disposées dans le sens horizontal. Le crayon a été présenté indifféremment à la main gauche ou à la main droite, et parfois aux deux mains simultanément, un crayon dans chaque main. Cette situation laisse le maximum de liberté pour la détermination de la latéralité graphique. Les mouvements simultanés permettent d'étudier certains aspects du contrôle. Trois étapes importantes marquent l'évolution du graphisme entre 1;5 et 4;0. La première est caractérisée par l'aspect impulsif du graphisme, les tracés sont le résultat d'une activité motrice non contrôlée, c'est le niveau moteur de l'activité graphique. La seconde est liée à l'interférence du contrôle dans la réalisation des tracés, c'est le niveau perceptif de l'activité graphique. La troisième a trait à l'objectivation du graphisme qui se différencie en dessin et en écriture, c'est le niveau de la représentation. On verra successivement le niveau moteur, le niveau perceptif et le niveau de la représentation dans l'évolution du graphisme entre 1;5 et 4;0. Ces trois moments se succèdent chronologiquement. Une fois le dessin et l'écriture constitués en activités autonomes, les facteurs moteurs, perceptifs et intellectuels sont intégrés mutuellement.

68

L'organisation du mouvement dans l'acte graphique 1

I. L E 1. L E S

NIVEAU GESTES

MOTEUR

DE

L'ACTIVITÉ

GRAPHIQUE

HOMOLATÉRAUX

Les tracés décrits ici sont réalisés dans la partie de l'espace graphique faisant face à l'hémichamp corporel, moitié gauche de la feuille pour la main gauche, moitié droite pour la main droite.

A. Les mouvements à départ axial Première observation d'Hélène à l'âge de 16 mois. Le crayon tenu de la main gauche, production de segments de direction gauche. Le crayon tenu de la main droite, production de segments de direction droite. Pour chaque main, le point de départ du tracé est l'axe de la feuille. Cet axe est la projection, dans l'espace graphique, du plan de symétrie du corps. Le geste du bras droit a pour espace d'action un champ correspondant au côté droit du corps, celui du bras gauche un champ correspondant au côté gauche du corps. Dans les deux directions, la gauche et la droite, le geste s'étale au-delà de la feuille de papier. L'espace graphique n'intervient pas comme un espace fermé, limité dans l'espace de la table, puisque le geste s'étale au-delà de ses limites. Il permet simplement d'enregistrer un mouvement de départ axial et de direction opposée pour les deux mains. Ces premiers tracés enregistrent une direction. Ils sont produits par un mouvement du bras au niveau de l'épaule. On sait qu'à ce niveau il existe deux axes, un axe vertical et un axe horizontal. C'est le mouvement autour de l'axe vertical qui est à l'origine des tracés de direction gauche ou droite dans l'espace graphique. Les tracés de direction haut ou bas dans l'espace graphique ont pour origine la rotation du bras autour de l'axe horizontal. Tous ces tracés sont somatotropes ou somatofuges. Est somatotrope tout tracé produit par un mouvement de retour du bras vers le corps, est somatofuge tout tracé produit par un mouvement d'écartement du bras par rapport au corps. C'est de la coordination des mouvements autour de l'axe vertical et l'axe horizontal que naîtra le mouvement circulaire. Différentes courbes apparaissent, ponctuant la coordination progressive de ces deux mouvements. D'abord des courbes à deux points de rebroussement, balayages, balayages

Genèse de l'acte graphique

69

incurvés ou fuseaux. Ensuite des courbes à un seul point de rebroussement, la courbe s'arrondissant à une extrémité, celle où se déterminera le sens dominant de courbure. Ensuite des courbes sans point de rebroussement : avec la disparition du second point de rebroussement, la courbe prend la forme d'un haricot dont la partie creusée est la plus proche du corps. Différentes formes se succèdent alors, ellipses, ellipses superposées. Jusque-là l'amplitude du mouvement autour de l'axe vertical est plus grande que celle du mouvement autour de l'axe horizontal. Puis apparaissent les mouvements circulaires proprement dits où l'amplitude des deux mouvements est sensiblement la même. B. Les courbes à deux points de rebroussement, balayages ou fuseaux Observation d'Hélène, main gauche : le mouvement simple, dirigé vers la gauche, se complique d'un mouvement de retour qui n'est jamais simple mais qui, au contraire, se complique d'une succession d'allers et de retours de l'axe de la feuille de papier vers la gauche et de retour à l'axe. Par un processus d'auto-accélération, ce mouvement devient de plus en plus rapide. La main droite produit le même mouvement dans la direction droite, symétriquement. Les deux mains, quand chacune d'elles tient un crayon, s'éloignent en même temps et, en même temps, vont à la rencontre l'une de l'autre dans un mouvement symétrique très rapide. C. Des courbes à un point de rebroussement au mouvement circulaire Le balayage s'incurve, prenant la forme de fuseaux présentant toujours deux points de rebroussement à chaque extrémité des tracés. Ces points de rebroussement manifestent la discontinuité du mouvement. L'incurvation de la courbe a pour origine l'intervention de la rotation de l'avantbras autour du coude dans le plan horizontal, qui se combine au mouvement du bras dans une direction horizontale. Cette rotation de l'avant-bras amène à la production d'arcs de cercles. Elle déclenche également l'intervention du mouvement du bras autour de l'axe horizontal au niveau de l'épaule. Le point de rebroussement le plus proche du plan de symétrie du corps disparaît, faisant place à une courbe, et le mouvement devient continu à ce niveau. Le

70

L'organisation du mouvement dans l'acte graphique I

sens de rotation apparaît alors, négatif à gauche et positif à droite. Quand le second point de rebroussement disparaît la courbe prend la forme d'un haricot dont la partie creuse est tournée vers le corps, ce creux manifeste toujours l'interférence de la rotation de l'avant-bras autour du coude. Au haricot succède l'ellipse. Les ellipses sont parfois superposées en croix, manifestant la dominance successive du mouvement autour de l'axe vertical puis autour de l'axe horizontal. Quand le mouvement circulaire est net, l'amplitude des mouvements autour de ces deux axes devient sensiblement égale. Le mouvement circulaire est apparu le 11 juillet 1961 à l'âge de 21 mois. On le voit encore en janvier 1962.

2. L E S

GESTES

CROISÉS

:

GENÈSE

DE

LA

CYCLOÏDE

Le geste est croisé quand le tracé produit par le crayon tenu de la main droite est réalisé dans la partie gauche de la feuille faisant face à l'hémichamp gauche du corps. La main gauche produit les tracés dans la partie droite de la feuille, faisant face à l'hémichamp droit du corps. A. Les boucles L'apparition du geste croisé provoque un mouvement de flexion qui favorise le retour de la main vers l'hémichamp corporel correspondant au bras. C'est ce mouvement du poignet qui permet la réalisation de la première boucle. C'est le premier mouvement de rotation du poignet : la boucle est produite par le mouvement de pivot de la main autour du poignet. La boucle est apparue le 21 juillet 1961 à l'âge de 20 mois, d'abord dans un tracé de la main gauche. Les boucles apparaissent par groupes de deux ou trois, formant comme un trèfle. Elles sont réalisées dans un mouvement continu. Par la suite, elles permettent de varier la direction d'un tracé rectiligne un certain nombre de fois au cours d'un même mouvement. A l'élément de direction produit par le déplacement du bras succède une boucle produite par la rotation de la main autour du poignet. Successivement, on voit apparaître un élément de direction puis une courbe. On assiste alors à une spécialisation motrice, c'est la rotation de la main qui donne le sens, et le mouvement du bras qui donne la direction.

Genèse de l'acte graphique

71

B. La cycloïde allongée La cycloïde allongée apparaît en janvier 1962 à l'âge de 2;3. C'est la coordination de deux mouvements qui rend sa réalisation possible, le mouvement de translation du bras autour de l'axe vertical qui donne la direction et la rotation de la main autour du poignet qui donne le sens. Très vite, elle est produite intentionnellement et porte un nom, «le petit trains qui roule roule» ou, plus simplement, «un roule roule» : C'est au cours d'une période relativement brève que le balayage, le mouvement circulaire et la boucle sont apparus, entre 20 et 21 mois. Cette succession de mouvements rend possible la réalisation de la cycloïde allongée. Progressivement, le mouvement a émigré de la partie proximale à la partie distale du bras. L'apparition de la cycloïde allongée suppose à la fois l'émigration du mouvement et la coordination de deux mouvements, elle constitue une synthèse du sens et de la direction.

C. Genèse de l'épicycloïde Entre 2;4 et 2;11 on peut observer une évolution des rapports du bras et de la main dans la réalisation de tracés disposés spontanément en série. Les premiers tracés sériés ont été les tirets, à 2;3, les tirets verticaux apparus en même temps que la lignes brisée à 2;5. Puis sont apparues des formes plus complexes, constituées de cercles ou de petits polygones avec un ou plusieurs segments, puis des cercles groupés par deux, tangents extérieurement. A 2;10 apparaissent des cercles groupés en chapelets. On observe dans ces réalisations des rapports d'alternance entre la main qui réalise la forme et le bras qui donne la direction. La succession de ces deux mouvements succédant à leur coordination dans la cycloïde allongée, permet de dissocier la réalisation de la forme de celle de la direction, elle permet la complémentarité des deux mouvements. Un perfectionnement apparaît avec la possibilité d'inhiber le tracé au niveau de la main, alors que le mouvement du bras reste continu. Ainsi a-t-on pu voir à 2; 10 le dessin de trois boucles discontinues faites d'un seul jet, c'est ici qu'est apparue avec netteté la synthèse d'un mouvement continu au niveau de l'avant-bras et discontinu au niveau de la main. Ces premiers tracés sériés aboutissent par une généralisation du mou-

72

L'organisation du mouvement dans l'acte graphique I

vement au retour à la continuité, c'est ce qui a été observé dans un tracé de type épicycloïde. On a pu observer à plusieurs reprises le phénomène suivant, un tracé commencé sous une certaine forme est continué sans interruption du mouvement sous une forme différente, par modification des coordinations motrices impliquées dans sa réalisation. Ces variations en cours de réalisation apparaissent fréquemment entre 2;9 et 2; 10, pour donner naissance à 2; 11 à un tracé de type épicycloïde allongée, ou double mouvement circulaire. Ainsi, des tirets sériés obliquement deviennent une cycloïde tour à tour allongée, puis raccourcie, puis de nouveau allongée, la figure d'apparence circulaire est ensuite fermée d'un trait continu. A 2;11, la coordination des deux mouvements circulaires devient systématique, 7 fois sous la forme d'une épicycloïde allongée, 11 fois sous la forme d'une spirale cycloïde et deux fois sous la forme d'une hypocycloïde. Si l'on compare l'origine motrice respective de la cycloïde et de l'épicycloïde, on peut observer une différence dans le nombre de coordinations nécessaires à leur réalisation. La cycloïde est produite par la coordination de deux mouvements, celui de la main autour du poignet, celui fait par le bras, autour de l'axe vertical ou horizontal. L'épicycloïde nécessite la rotation du bras autour de l'épaule qui donne l'apparence circulaire à l'ensemble de la figure. L'épicycloïde confirme le sens dominant, il apparaît au niveau de la main qui donne le sens à la bouche et au niveau du bras qui donne l'orientation de l'ensemble de la figure. La convergence du sens à ces deux niveaux permet la réalisation de l'épicycloïde ; quand il y a opposition de sens, c'est alors qu'apparaît l'hypocycloïde, beaucoup plus rare de ce fait.

II. L E N I V E A U P E R C E P T I F DE L ' A C T I V I T É G R A P H I Q U E A partir de 1;8, le geste s'adapte à l'espace graphique. De 1;8 à 2;3, le tracé est localisé dans son ensemble dans l'espace graphique, distinct de l'espace de la table. Ce n'est pas encore le contrôle du tracé, c'est celui du geste laissant une trace dans l'espace graphique. Progressivement, et le changement s'amorce dès 2;1, on assiste au passage du contrôle du geste à celui du tracé. Les perfectionnements moteurs

Genèse de l'acte graphique

13

vont permettre une modification radicale des rapports œil-main, l'œil va d'abord suivre la main au cours de la production graphique, puis il va la guider. On verra les conséquences dans la forme des tracés de l'intervention du contrôle visuel.

1. L E

CONTRÔLE

SIMPLE

OU C O N T R Ô L E

DE

DÉPART

Le contrôle simple correspond à un certain niveau d'organisation des rapports œil-main, rendant possible le guidage de la main par l'œil vers un tracé déjà produit. Il apparaît entre 2;3 et 2;6. Pour qu'il puisse s'établir, il doit être précédé d'un contrôle du mouvement ou contrôle kinesthésique. Ce contrôle est réalisé grâce à l'intervention du fléchisseur du pouce. Au moment de son entrée en action, Hélène arrive à produire des tracés minutieux, faits sur place, non plus impulsifs, mais lents. Ces petits tracés apparus épisodiquement à 2 ans sont produits systématiquement à partir de 2;3. D'abord faits de petits éléments continus, petites boucles, petits traits, ils deviennent morcelés à partir de 2;3. Ce sont alors de petits traits repris et superposés, parfois des hachurages exécutés sur place. Ce morcellement exprime bien l'intervention du fléchisseur du pouce. C'est un facteur dont il faut noter l'importance, car il rend possible ce qu'on verra se développer par la suite, la possibilité d'interrompre un tracé en cours d'exécution, il permet la discontinuité volontaire. Le mouvement sur place et le morcellement du trait manifestent, outre l'intervention du fléchisseur du pouce, la possibilité de contrôler le déplacement du bras, ce qui introduit sur le plan de la réalisation du tracé un freinage, les tracés ne sont plus impulsifs ou rapides, ils sont lents. La discontinuité volontaire donne lien à partir de 2;3 à une série d'exercices dont on va voir l'évolution. Le morcellement se perfectionne grâce à la coordination entre le mouvement de la main et le déplacement de l'avant-bras, il permet l'apparition des tirets. Ces tirets réalisent la fragmentation du trait continu initial. Le ralentissement fait aussi l'objet d'exercices spontanés, les exercices de freinage. Ils apparaissent à 2;4 et persistent pendant un mois. Les tracés rectilignes et circulaires de la période antérieure réapparaissent, mais à leur tour ils sont faits lentement. On peut voir là un double perfectionne-

74

L'organisation du mouvement dans l'acte graphique I

ment : sur le plan kinesthésique, c'est la généralisation du contrôle du mouvement au niveau du bras et de l'avant-bras ; sur le plan perceptif c'est une appropriation des tracés du niveau moteur. Ce sont les exercices spontanés d'ajustement, apparus à 2;4 qui présentent une importance particulière, car ils consistent dans le guidage de la main par l'œil vers un tracé déjà produit, ce sont des exercices de contrôle simple, comme il a été défini précédemment. Ils présentent plusieurs niveaux, chacun correspondant à un type de tracé. Il y a d'abord le complètement, ou tracé de double direction. Il consiste dans un retour de la main vers un tracé rectiligne déjà produit, à son point d'origine. L'enfant produit un tracé de même type et de direction contraire, l'ensemble pouvant être vertical, horizontal ou oblique. Vient ensuite le rayonnement, il se fait autour d'une forme initiale, généralement circulaire, il utilise des segments obliques et orthogonaux. C'est un tracé déjà complexe dont on peut analyser les diverses composantes. Il succède d'une part au complètement, et d'autre part à des tracés rectilignes d'orientation variée, effectués lentement à 2;3 et 2;4. De la première origine vient la possibilité de ramener la main vers un tracé, c'est l'aspect le plus visuel. De la seconde vient l'aptitude à produire des mouvements variés successivement et à utiliser les différentes directions de l'espace graphique : c'est l'aspect kinesthésique et spatial. De plus, le contrôle des tracés en cours d'exécution dans les mouvements lents constitue la prise en charge visuelle de la kinesthésie. Le type segmentaire associé est une variété du type rayonnant : sur un tracé courbé, on observe la production de petits segments qui coupent ce tracé. Le type segmentaire successif est fait de petits tracés rectilignes ou légèrement courbés qui s'enchaînent les uns aux autres. Ce type d'enchaînement est apparu jusqu'à quinze fois de suite au cours d'un même exercice. Ces différents tracés apparaissent entre 2;2 et 2;6, ils se succèdent chronologiquement dans l'ordre de la description.

2. L E

CONTRÔLE

OU

CONTRÔLE

DOUBLE, DE

DÉPART

ET

D'ARRIVÉE

Au cours d'une seconde période débutant à 2;7, une modification notable intervient dans les tracés d'Hélène, elle exprime un niveau différent d'orga-

Genèse de l'acte graphique

75

nisation des rapports œil-main. La main est guidée par l'œil d'un tracé vers un autre tracé, tous deux produits antérieurement. L'enfant devient capable de joindre deux traits. Le contrôle double se distingue du contrôle simple par la différence d'origine. L'apparition du contrôle simple a coïncidé avec l'entrée en action du fléchisseur du pouce. Dans le contrôle double, ce sont les facteurs spatiaux et perceptifs qui déclenchent le perfectionnement. Ainsi, l'encadrement est d'origine spatiale : à 2;6, on peut observer la production d'un tracé courbé exécuté contre les bords de la feuille, consistant dans la répétition maladroite de ce contour ; en même temps apparaît la tendance à encadrer des tracés déjà produits. A 2;7, au tracé courbé succède un rectangle fait de quatre segments se coupant avec netteté. Par contre, la fermeture d'une figure mal close est d'origine perceptive ; ainsi, à 2;6, après avoir procédé à l'ajustement de plusieurs segments formant comme un polygone convexe, Hélène dit : «on ferme», puis elle ajoute deux traits qui lui permettent de clore la figure. Le double contrôle permet un perfectionnement des exercices d'ajustement, puisque le geste est contrôlé à la fois à son départ et à son arrivée. Il manifeste une maîtrise nouvelle du geste et de l'espace graphique. La clôture des figures, l'encadrement des tracés, les contours de la feuille, apparaissent avec une relative fréquence à partir de 2;7. Ensuite, viennent les tracés combinant un polygone ou un cercle avec un ou plusieurs segments. Ces tracés apparus à 2;8 sont divers, ils sont d'abord répartis sans ordre dans l'espace graphique, puis ils tendent à être sériés selon une direction. Le retour à la continuité dans la réalisation de ces tracés a permis l'apparition de l'épicycloïde, comme on a pu le voir précédemment. Plus complexes sont les formes combinant deux figures circulaires et dont la réalisation amorce un grand changement dans les tracés figuratifs. Ces cercles tangents extérieurement apparaissent en même temps que le corps dans le dessin du personnage. L'exécution d'un personnage avec une tête et un corps est un progrès d'origine fonctionnelle. Le rayonnement précède les cercles tangents, cela se conçoit sur le plan de la réalisation ; il paraît plus facile de faire partir un segment d'un cercle que d'y accoler un second cercle qui suppose un mouvement de départ et un retour. Il semble, d'après l'évolution des tracés d'Hélène, que le personnage sans corps, ou bonhomme-têtard, corresponde à l'existence du contrôle simple, le personnage avec corps au contrôle double.

76

L'organisation du mouvement dans l'acte graphique I

3. M I S E EN É V I D E N C E DU C O N T R Ô L E P E R C E P T I F : L E S T R A C É S SIMULTANÉS

La situation expérimentale consistant à faire tenir un crayon dans chaque main a déjà été signalée, on obtient ainsi des tracés faits simultanément des deux mains. Les tracés simultanés déjà décrits étaient le balayage et les mouvements circulaires. Ces tracés étaient à la fois simultanés et symétriques. L'évolution des tracés simultanés présente un intérêt pour la mise en évidence de la prise en charge perceptive de la main par l'œil. En effet, l'activité graphique contrôlée est une activité asymétrique, c'est la production d'une seule main, de la main dominante, le plus souvent la main droite. L'observation continue permet de mettre en évidence l'évolution des mouvements simultanés, ils sont symétriques au départ, puis asymétriques. On peut suivre la genèse de cette asymétrie à deux niveaux, au niveau moteur on voit s'établir progressivement une asymétrie aux dépens d'une symétrie initiale, au niveau de la forme à réaliser, on observe une asymétrie consistant dans le choix progressif d'une main dominante. Au départ, les deux mains font ensemble ce que ferait chaque main séparément, que ce soit le balayage ou les mouvements circulaires. Ensuite, vient une période au cours de laquelle séparément les deux mains produisent des tracés plus évolués, et ensemble des tracés plus archaïques. Plus tard, apparaît l'asymétrie et une symétrie plus complexe. Il y a donc une double évolution, évolution des tracés symétriques et évolution de l'asymétrie ; la symétrie se perfectionne, la dominance latérale s'impose. Parmi les mouvements symétriques simultanés, les balayages et les mouvements circulaires constituent un type archaïque, de même les mouvements somatofuges et somatotropes. Plus récents sont les tracés simultanés à départ et à retour axial. Les premiers ont été observés entre 2;3 et 2;6, les seconds entre 2;8 et 2;10. Les tracés faits d'éléments combinés successivement montrent la possibilité d'une combinaison symétrique simultanée. Cependant les réalisations de ce type sont très sommaires, ce sont des groupements de segments verticaux et horizontaux, ou bien de courbes et de segments. Ils présentent un intérêt dans la mesure où ils montrent le passage de la symétrie motrice à la symétrie perceptive, mais l'évolution se fait dans une marge très limitée de formes.

Genèse de l'acte graphique

77

L'asymétrie peut se présenter sous la forme d'alternance, dans ce cas, les tracés ne sont pas faits simultanément mais successivement de chaque main, d'une façon très rapide. C'est un phénomène primitif, lié à la structure du corps. Entre 1;10 et 2;3 on a pu observer des mouvements alternants, les tracés issus de ces mouvements sont élémentaires, balayages, mouvements circulaires, tappings. Plus complexe que la simple alternance fonctionnelle paraît être l'asymétrie dans la réalisation des tracés. Elle peut être soit de forme, soit de direction. C'est dans la production de petits tracés qu'on rencontre une indépendance relative des deux mains donnant une asymétrie de la forme. L'emprise de la direction d'une main sur l'autre se manifeste dans les tracés de type boucle ou cycloïde. Le contrôle visuel intervient à son tour comme facteur d'asymétrie, l'attention se portant progressivement sur la production d'une seule main. On observe alors l'arrêt d'une main, tandis que l'autre produit une forme sous contrôle visuel. Cet arrêt peut être immédiat, le crayon restant en l'air ou immobile. Il peut se faire après ébauche d'un tracé simultané. Dans ce cas, on observe l'inhibition de la réalisation d'une main au profit de l'autre qui continue la forme entreprise en mouvement simultané, ou bien en commence une autre. Ces arrêts deviennent fréquents à partir de 2;3. Ainsi, entre 2;3 et 2;4 on a pu noter dix fois l'arrêt de la main gauche au profit de la main droite, une fois l'arrêt s'est fait alternativement pour chaque main, la main regardée continuant la forme entreprise. Les mêmes arrêts de la main gauche ont été observés 10 fois également entre 2;4 et 2;5 et l'arrêt successif deux fois. On notera de ces arrêts jusqu'à 2; 11 avec des complications dans la réalisation liées aux possibilités nouvelles se manifestant dans les tracés courants. Au début, c'est une des deux formes produites qui capte l'attention d'Hélène, le plus souvent celle faite par la main droite. Puis, progressivement, on voit le complément se faire pour chaque forme, soit pour les deux formes groupées dans un ensemble. A la différence de l'alternance qui est un phénomène moteur, l'arrêt d'une main suppose un choix entre les deux mains, choix imposé par la forme. On voit là nettement le passage de la kinesthésie spontanée à la perception.

78

4.

L'organisation du mouvement dans l'acte graphique I

CONTRÔLE

DES

COURBES,

HYBRIDES

ET

ARABESQUES

A trois ans apparaît la possibilité de réaliser indifféremment un tracé de sens positif ou de sens négatif de chaque main, ainsi que l'exécution des deux sens dans une même courbe, ou hybride. Jusque-là, on avait signalé la permanence d'un sens dominant de chaque main, positif à droite et négatif à gauche. C'est en octobre 1962, à l'âge de trois ans, qu'apparaît la réalisation de cercles de sens positif à gauche et négatif à droite. A 3;1 apparaît le premier hybride à droite et à 3;2 la première arabesque. La cycloïde de sens négatif apparaît à 3;3. A partir de 3;6 un grand changement s'opère, ces tracés, rares dans les mois précédents, deviennent systématiques. La production d'hybrides et d'arabesques se multiplie, et les courbes plus anciennes, cycloïdes et spirales, sont réalisées indifféremment dans les deux sens. L'apparition des hybrides et des arabesques, outre qu'elle exprime une plus grande habileté motrice, amorce un enrichissement net de la production graphique. Elle exprime la condition motrice de l'apparition des lettres, car les lettres sont, du point de vue moteur, des hybrides de sens. Pour comprendre ce perfectionnement, il faut en rechercher l'amorce dans la réalisation contrôlée de la première courbe sans chevauchement, la spirale. Apparue fortuitement comme fraction d'épicycloïde, elle devient à 3;2 une courbe figurative : l'escargot. C'est la première courbe sur laquelle s'exerce un contrôle permanent car la spirale, courbe d'ampleur contrôlée, demande pour sa réalisation un contrôle continu du déroulement du mouvement. L'arabesque est également contrôlée dans son développement, mais à la différence de la spirale, ce n'est pas pour réaliser une même forme ; elle est le produit d'un jeu visuo-moteur qui fait naître des formes variables. Le contrôle du trait continu dans les courbes sans chevauchement manifeste une maîtrise du mouvement permettant l'évolution décrite ici, qui va du contrôle de l'ampleur au contrôle de la courbure. Au niveau moteur, la conséquence en est le renversement du sens. Au niveau perceptif, c'est la réalisation de la symétrie, notamment dans certains détails du personnage, les bras et les jambes. Au niveau de la représentation, comme on le verra plus loin ce sera l'exploitation de l'hybride à des fins d'écriture.

Genèse de l'acte graphique

III. L E

NIVEAU

DE

LA

79

REPRÉSENTATION

II arrive un moment où la trace laissée par le crayon s'objective et devient le but de l'activité graphique. Elle est interprétée comme l'image de l'objet. On assiste alors à la convergence de l'expression orale et de l'expression graphique. Le langage accompagne l'activité graphique, il la suscite, la justifie et la traduit. Pour analyser la genèse du rôle de la représentation dans le graphisme, il paraît indispensable de suivre les rapports entre le tracé et son accompagnement verbal ; gribouillage interprété, dit Luquet. L'analyse nous montre que ce n'est pas seulement sous la forme d'une signification donnée à un graphisme arbitraire que la représentation se manifeste. On verra dans les tracés l'interférence de la représentation, sous la forme essentiellement d'une différenciation entre le graphisme de dessin et le graphisme d'écriture.

1.

LE

DESSIN

A. La dénomination

arbitraire

La dénomination coïncide progressivement avec la figuration. Elle peut la précéder ou bien s'exercer indépendamment de toute représentation schématique de l'objet : il n'y a pas encore influence du modèle sur le graphisme. Ainsi à trois ans, Hélène interprète trois cercles concentriques de la façon suivante : « un arbre, il s'est enfermé ». A 3;2, une figure close est interprétée comme « un grand boire, il y a du boire, on peut boire comme ça », puis elle mime l'acte de boire. A 3;4, des segments horizontaux et parallèles sont appelés des microbes qui rient. Très vite, la dénomination arbitraire devient ludique. Elle apparaît de plus en plus épisodiquement, laissant la place à des figurations schématiques. C'est sous une forme très verbale encore que l'image de l'objet apparaît, la figuration des détails réels est le plus souvent une simple énumération. B. L'énumération

des détails, le personnage

Dans l'évolution des personnages dessinés par Hélène, on pourra suivre l'accroissement en nombre des détails figurés, dans des réalisations où

80

L'organisation du mouvement dans l'acte graphique I

l'aspect graphique et l'aspect verbal s'entremêlent. Le schéma ovoïde s'enrichit de détails, le perfectionnement est de nature spatiale, topologique. Les détails sont le plus souvent localisés correctement. On voit apparaître progressivement, les mains, les doigts, les pieds, les chaussures, etc., parfois aussi certains éléments du décor vestimentaire. Cependant chaque détail existe pour lui-même, il n'est pas intégré à l'ensemble, c'est pourquoi, selon l'intérêt du moment, on assiste à une hypertrophie des extrémités ou de la tête, s'accompagnant d'une véritable détérioration segmentaire. Cet aspect énumératif est en rapport direct avec le langage. Chaque détail est signalé à l'aide d'un graphisme. Le graphisme sert d'indice du détail réel. Il reste sous la dépendance du langage qui le spécifie ; l'énumération l'emporte sur la réalisation d'ensemble. Il ne s'agit pas encore, au cours de cette période, de conformité à un modèle extérieur. Simplement la forme évolue et s'intègre des éléments nouveaux. L'évolution se fait par conflits et mutations. Les détériorations sont inévitables et liées à la fréquence de l'activité graphique. Ce sont des invasions graphiques qui affectent par vagues successives des détails différents de la forme. Un aspect verbal se lie à cette détérioration, le détail énuméré détériore. On peut attribuer la détérioration segmentaire à un conflit entre la connaissance verbale des détails et l'impuissance à réaliser l'ensemble. L'interférence de la représentation sous la forme verbale est source de conflits : on observe ici le conflit entre le verbal et le graphique.

C. L'idéogramme,

l'objet

A l'opposé de l'énumération des détails où le support verbal paraît jouer un rôle déterminant, on peut situer un autre type de dessins dont le but est de figurer un objet ou un animal. L'extrême simplification de la forme rappelle le dessin d'un idéogramme. On avait signalé de tels idéogrammes dans le dessin de l'arriéré, en doutant d'ailleurs de leur existence dans le dessin de l'enfant normal. La genèse de l'objet dans le dessin d'Hélène a permis cependant d'en observer un certain nombre. Idéogrammes d'objets ou d'animaux, ils répondent bien à la définition qu'on en avait donnée : l'idéogramme ne retient de l'image initiale que des arabesques simplifiées, c'est une réduction abusive de l'expression graphique. Cette schématisation de l'objet peut être consciente : « je fais des ronds, mais c'est des

Genèse de l'acte graphique

81

oranges », dit Hélène à 3;2. L'idéogramme est une simplification d'ensemble de l'objet ou de l'animal, condensé dans une formule graphique. C'est en cela qu'il diffère du type énumératif décrit précédemment, où le graphisme jouait le rôle d'indice du détail réel signalé verbalement. Ici, le graphisme devient schéma de l'objet, il acquiert une spécificité dans l'expression. Jusque-là, la signification donnée au graphisme était essentiellement verbale, à présent, si sommaire soit-elle, elle appartient au graphisme. D. Perception et idéogramme Il faut distinguer dans la schématisation de l'objet l'aspect graphique et l'aspect perceptif. Ce sont deux opérations différentes, l'une consiste à réduire l'objet à une forme simplifiée, l'autre à identifier l'objet dans le tracé. Pour qu'il y ait idéogramme, les deux opérations doivent être possibles simultanément. Un exemple montrera comment s'établissent les rapports entre la perception et la forme. A 3;8 Hélène tapant du crayon rageusement produit trois points. Ces points sont perçus comme un visage, les yeux, la bouche. Les points figurant les yeux et la bouche ont été fréquemment associés dans le dessin du personnage, leur groupement est familier. La nouveauté consiste à reconnaître dans leur simple distribution les éléments du visage, sans que le contour soit dessiné. On comprend alors comment la réduction de l'objet à quelques signes distinctifs n'est pas une entrave à son identification. E. La juxtaposition : l'énumération des objets La convergence du verbal et du graphique, de l'énumération et de l'idéogramme permettra l'apparition des ébauches de scènes et de paysages. La scène suppose la possibilité d'établir des relations entre des éléments différents et de les organiser de façon à ce qu'ils constituent un ensemble. Hélène n'est pas capable encore de réaliser une telle synthèse. Les éléments qu'elle dessine sont simplement juxtaposés dans l'espace. A cette juxtaposition des formes correspond un certain développement des rapports du verbal et du graphique. Ils se complètent mutuellement, différents moments de la scène ou de l'acte sont figurés, le raccord entre eux

82

L'organisation du mouvement dans l'acte graphique I

est verbal. Chez Hélène, l'énumération des objets se fait sous des formes différentes. Ainsi, elle peut être proche de la série et la forme énumérative paraît justifiée. Par exemple, à 3;5, elle dessine successivement un quadrilatère puis un cercle d'où part un segment ; elle répète cela trois fois et dit : « le grand yaourt d'Hélène, avec la cuiller d'Hélène, le yaourt de maman avec la cuiller de maman, le yaourt de papa avec la cuiller de papa ». Quand il s'agit d'une action, le complément verbal devient indispensable, à 3;3 elle dessine deux personnages côte à côte, un grand et un petit, et dit : « un papa et un bébé, c'est le papa qui va coucher le bébé avec son grand bras et son autre grand bras ». A 3;5 également, elle dessine un rectangle et à côté un personnage : « c'est un lit pour un papa qui se couche ». A 3;4 elle dessine un personnage et une auto : « c'est une auto, la petite Hélène va entrer dans l'auto ». Le dessin d'un paysage affecte la même disposition dans l'espace. Ainsi, à 3;6 elle dessine ce qu'elle voit de la fenêtre, la pelouse, un arbre et le bassin. Le dessin est fait de la façon suivante, le bassin, à côté la pelouse, à côté l'arbre. Les trois éléments sont dissociés, chacun possède son espace propre. Cependant un dépassement de cette juxtaposition s'annonce déjà dans certains dessins. Ainsi, à 3;6 elle dessine deux personnages, l'un est plus petit et disposé dans un cadre rectangulaire. Le commentaire est le suivant : « c'est une maman et un bébé avec la poussette ». De même, à 3;8 elle dessine un quadrilatère avec au centre une petite figure fermée : « c'est le bassin avec le canard qui nage dans l'eau ». Egalement à 3 ;11 elle dessine un quadrilatère avec une petite figure à l'intérieur et dit « c'est le petit oiseau dans sa cage ». Mettre l'enfant dans sa poussette, le canard dans l'eau et l'oiseau dans la cage, est un dépassement de la simple juxtaposition. On peut voir l'indice d'un début d'organisation d'objets comportant une signification différente. La simplification extrême des objets rassemblés montre qu'il s'agit là encore d'idéogrammes. Le groupement favorise la schématisation des formes. Ainsi, dans l'auto signalée précédemment, le chauffeur est représenté par un cercle, la tête, et l'indication des yeux à l'intérieur. F. La concrétisation, l'acte et l'objet dessiné Quelques exemples de concrétisation montrent la difficulté à dissocier le dessin de l'activité. L'objet dessiné doit se séparer de l'acte, cette

Genèse de l'acte graphique

83

séparation n'est pas immédiate. Il y a comme un simulacre de manipulation s'exerçant sur le dessin. Ce sont principalement les figurations alimentaires qui donnent lieu à la concrétisation. On peut classer dans cette catégorie l'exemple du « grand boire » cité précédemment. A 3;10 également, Hélène dessine des sucettes et des bonbons, puis elle fait le geste de s'en emparer et de les manger. Ces concrétisations sont un effet de l'attraction qu'exerce l'objet, elles sont la manifestation d'un désir suggéré par l'évocation de l'objet. Cependant, l'irréalité de l'objet dessiné s'est déjà exprimée clairement, quand, à 3;7 ayant dessiné « une Hélène » elle précise « c'est une statue, quand on écrit c'est une statue ». De l'interprétation des graphismes arbitraires aux figurations sommaires, la représentation fait franchir au graphisme des étapes essentielles en l'objectivant. L'influence du langage est déterminante, elle se manifeste dans l'énumération. On peut voir dans la succession des détails d'un personnage, une correspondance avec les mots dans la description orale. Cependant, la schématisation réalisée dans l'idéogramme ne part pas du langage mais de l'objet. Elle est l'aboutissement d'une série de transpositions, du mouvement dans le tracé, du tracé dans la forme, de la forme dans l'objet. Son origine est kinesthésique et perceptive. Entre trois et quatre ans, le graphisme est ainsi profondément modifié par la convergence du langage et de l'objet. Dans leur liaison se manifeste l'interférence de la représentation. Elle permet les premières apparitions du modèle dans l'activité graphique.

2.

L'ÉCRITURE

Une manifestation essentielle de la représentation consiste dans la séparation qui s'opère entre les deux fonctions du graphisme, l'une en rapport avec l'image, l'autre en rapport avec le signe. Pour Hélène, l'activité graphique n'a pas comporté de spécificité dans le but jusqu'à 3 ans. Elle « écrivait pour maman », sans que les tracés produits aient une fonction précise. Son intérêt s'est déplacé progressivement du mouvement au tracé, puis du tracé à la forme. Mais c'est au stade de l'objet que s'est amorcée la différenciation entre le dessin et l'écriture. Dans ce changement, il faut voir l'effet de l'imitation. Celle

84

L'organisation du mouvement dans l'acte graphique I

de l'adulte intéressé par ses dessins. Il semble légitime de voir dans cette écriture avant la lettre, la genèse du signe, la destination n'étant plus de figurer l'objet mais le langage. On suivra cette genèse dans certaines réalisations où de tels signes viennent doubler le dessin. On verra comment, par la suite, l'écriture devient un des buts de l'activité graphique. A. L'imitation Un acte quotidien de l'adulte, l'acte d'écrire, devient un jour un objet d'imitation. Hélène à 3;1 a voulu renverser les rôles. Elle guide la main de l'adulte pour lui donner un modèle, puis après quoi, elle réalise un petit tracé en forme de cycloïde allongée et dit : « j'ai marqué ». L'écriture est un attribut de l'adulte, l'imitation se fait à trois niveaux : le rôle, la forme et la destination du tracé. L'imitation du rôle montre la confusion syncrétique de l'acte et du sujet qui écrit. L'écriture apparaît d'abord comme un tracé qui vient compléter le dessin. C'est ainsi qu'Hélène se l'approprie et qu'elle s'exerce à marquer ses propres dessins. Dès cette période, s'établissent des rapports entre le graphisme de dessin et le graphisme d'écriture. B. Différenciation entre le dessin et l'écriture Différentes étapes devront être franchies avant que l'écriture ne devienne une fonction autonome. Et d'abord, il faut qu'elle se sépare du dessin dont elle n'est au départ que le complément. A 3;4 Hélène dessine deux rectangles de taille différente, l'un figurant un petit lit, l'autre un grand lit. Chaque dessin est accompagné d'un signe. Le commentaire est le suivant : « j'ai marqué un grand lit, j'ai marqué un petit lit. » Le signe utilisé est une boucle ; ce qui est remarquable, c'est que la dimension de cette boucle est proportionnelle à celle du lit : pour le grand lit c'est une grande boucle, pour le petit, c'est une petite boucle. Le signe se dégage mal de l'objet, il reste proche de l'idéogramme, manifestant une confusion entre ce qui est signifié et le signifiant. On peut citer un autre exemple de la dépendance dans laquelle se trouve le signe par rapport au dessin dans la réalisation d'une série

Genèse de l'acte graphique

85

de cercles figurant des bonbons. Chacun d'eux est accompagné d'un signe en forme de boucle et du commentaire « j'ai marqué ». La correspondance terme à terme de l'objet et du signe est encore une illustration du syncrétisme initial du dessin et de l'écriture. On observe à différentes reprises des dessins accompagnés d'un signe et du commentaire « j'ai marqué », à 3;1, 3;5 et 3;9. Mais, en même temps, le dessin n'est plus le motif exclusif de l'écriture. L'écriture devient un but de l'activité graphique. Ainsi, à 3;4, Hélène veut écrire son nom à l'aide de tirets verticaux. On peut interpréter dans ce sens également les essais d'écriture suivis d'imitation de lecture. A 3;3 une série de boucles sont lues o, ai, eni, coda. A 3;4 également, des boucles sont lues u, a, un, doga. Hélène précise : c'est des lettres. A 3;3, des boucles sont commentées ainsi « j'ai écrit ute, ate, atome ». A 3;6 des hybrides sont lus i, o, a, ita, anemass, oussan. Dans tous ces exemples, le signe est arbitraire, le mot ou la lettre énoncés le sont également. C'est une activité de simulacre. On l'observera encore à 3;8 et 3;9. Ainsi, Hélène à 3;8 remplit sa feuille de traits verticaux sériés vers la droite et dit : « j'ai écrit du psychologique », elle précise « c'est des traits mon psychologique parce que je ne sais pas encore faire comme toi ». L'usage fréquent des boucles pour la réalisation de l'écriture spontanée a suscité l'expérience suivante. Hélène a été sollicitée d'écrire une lettre ; l'expérience a été faite une dizaine de fois entre 3;2 et 3;11. On note de 3;2 à 3;5 un usage exclusif de la boucle en sens positif puis à partir de 3;6 les hybrides sont devenus la forme la plus fréquente de l'écriture sollicitée ou spontanée. Cette expérience a présenté un autre intérêt, elle a permis de voir le rapport direct entre le langage et le graphisme. Un exemple montre que le mot peut aussi bien susciter l'objet que le signe. Ainsi, à 3 ;4, dans une lettre où il était question d'une sucette, chaque mot a été traduit par un signe, à l'exception du mot sucette figuré par un idéogramme. C'est l'unique exemple où l'idéogramme a servi explicitement pour écrire. Ce qui justifie encore l'idée émise précédemment sur le rapport pouvant exister entre l'objet et l'idéogramme. On peut voir dans le dessin de la sucette une concrétisation, le signe est remplacé par l'image.

86

L'organisation du mouvement dans l'acte graphique I

C. Sériation des signes et succession des mots La sériation des tracés a été une activité fréquente entre trois et quatre ans. Elle s'est exercée sur toutes les formes nouvelles. Ainsi a-t-on pu voir des cercles circonscrits sériés, à 3;1 et 3;2, des boucles sériées à 3;3 et 3;4, des quadrilatères sériés à 3;5, des spirales à 3;5, des hybrides à partir de 3;6, des hypocycloïdes à 3;9, des arabesques à 3;8, des croix à 3;11. La sériation a pu être figurative, fleurs sériées à 3;4, fraises à 3;8 ; chewinggum à 3;8. Progressivement, la sériation a été utilisée le plus souvent à des fins d'écriture, sous la forme d'hybrides. Les directions ont varié, la direction droite étant dominante. Mais on a pu observer des séries verticales et des boustrophédons. On peut voir là un début de convergence entre la succession des signes dans l'espace et celle des mots dans la durée, ces rapports précèdent l'acquisition de l'écriture proprement dite.

IV. G E N È S E DU D E S S I N D E L A L E T T R E E N T R E Q U A T R E E T C I N Q ANS C'est entre quatre et cinq ans, en moyenne section de l'école maternelle, qu'Hélène apprend à reproduire les lettres. L'institutrice, s'adressant à des enfants très jeunes, a voulu rendre cet apprentissage le plus concret possible en comparant chaque lettre à une forme familière. C'est ainsi que le «e» est une balançoire, le «p» un crochet, le «n» deux ponts, le «u» un pont à l'envers, le «i» un bâton. Il ne s'agit évidemment pas d'un apprentissage comparable à celui d'une préparatoire de l'école primaire. C'est à peine un dégrossissage, les enfants parviennent à écrire leur prénom en fin d'année scolaire. Tel qu'il est, ce début d'écriture présente un intérêt pour l'observation continue ; il permet de voir comment les hybrides font place, progressivement, dans la production spontanée, à des lettres. Le stock de lettres mémorisées ne s'accroît guère, les mêmes lettres sont répétées avec plus ou moins de bonheur. Cependant, en même temps, se développe le goût de copier. Hélène réclame des modèles, elle s'exerce à recopier les inscriptions des objets familiers, taille-crayon, crayon. A un moment donné, ce sont les inscriptions en filigrane de ses feuilles de papier qui deviennent le modèle

Genèse de l'acte graphique

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favori, car elle peut les repasser d'un trait de crayon. Ainsi peut-on voir se développer trois aspects de l'écriture, les lettres mémorisées, les lettres décalquées et les copies spontanées ou proposées.

1. L ' É C R I T U R E

MÉMORISÉE

A partir de novembre 1963, à 4;1 l'apprentissage scolaire commence à se répercuter sur la production spontanée. Les premières lettres, quoique très altérées, se distinguent des hybrides précédemment utilisés dans l'imitation de l'écriture. Elles sont de grande taille et réparties en désordre sur la feuille. Ce sont des tracés faits de courbes, de segments, et d'angles ajustés entre eux. Dès novembre Hélène écrit les lettres e, m, n, o, d. En décembre apparaissent p, a, E. En janvier, s et u ; en février, H, h, V, A, Y, T, N. En mars, les premiers chiffres sont écrits, 4, 8, 6 et X. En mai, le prénom est mémorisé. Le stock de lettres ne s'accroît plus jusqu'en septembre, mais l'écriture du nom est fréquente. Les lettres présentent des altérations de la forme et des altérations du sens de réalisation. Les altérations de la forme, plus marquées dans les premiers temps de l'apprentissage, se manifestent de différentes façons. Par la dissociation des éléments : séparation du cercle et de la barre du d ; par la persévération : répétition des jambages du m, des barres du E. Les schématisations sont fréquentes, les lettres sont réduites à leurs éléments, barre et cercle, barre et deux cercles ; on voit se substituer des angles, des rectangles, des triangles aux lettres. Quand les lettres sont identifiables, ce sont les renversements d'orientation qui apparaissent : la forme est flottante, elle ne s'inscrit pas dans la direction de l'écriture et ne possède pas encore un sens de parcours unique. C'est ainsi que la même lettre peut être écrite correctement, ou bien elle peut présenter un miroir latéral, par le renversement gauche droite ou droite gauche, ou encore un miroir vertical, par renversement bas haut. Le renversement peut être à la fois latéral et vertical pour la même lettre. Enfin, et plus rarement, la lettre peut être réalisée de droite à gauche sans miroir, c'est le renversement de parcours qui ne provoque pas de renversement d'orientation. Ainsi, le d est écrit en décembre avec la barre à gauche, induisant un miroir latéral. Le a est renversé dans le sens vertical, le n est oblique, incliné à droite. En janvier,

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L'organisation du mouvement dans l'acte graphique I

le s présente un renversement latéral, le u un renversement vertical. En février, le N présente un renversement latéral. En mars, le 4 présente un renversement latéral et vertical, le 6 un renversement latéral. L'écriture en miroir d'une série de lettres est observée en mai. En juin on observe un renversement latéral du e. En août, une série de lettres est groupée dans la direction haut bas, un autre groupe de lettres enchaînées dans la direction gauche sont parcourues en sens contraire du parcours usuel, c'est-à-dire de droite à gauche, mais pouvant se lire de gauche à droite.

2. L ' É C R I T U R E

DÉCALQUÉE

L'inscription apparaissant en filigrane sur les feuilles utilisées par Hélène est SAVOYEUX oo c. Le décalquage de ces lettres apparaît en février 1964, à l'âge de 4;4. On observe également dans les lettres décalquées les deux types d'altération, l'une liée à la forme, l'autre au parcours des lettres. La forme n'est pas toujours respectée, elle peut être altérée, comme dans l'écriture mémorisée. Parfois Hélène superpose au filigrane les lettres mémorisées faisant partie de son stock habituel, on peut voir côte à côte, des lettres mémorisées et des lettres décalquées. La même lettre d'abord décalquée est répétée, c'est la persévération. Parfois encore, Hélène introduit des lettres de fantaisie, une barre avec deux points ou une barre avec deux cercles. Certaines lettres sont omises. Ce n'est pas encore la copie fidèle. Le sens de parcours est variable, Hélène n'a pas acquis perceptivement l'orientation des lettres. C'est ainsi qu'elle décalque le filigrane aussi bien à l'endroit qu'à l'envers, même si les lettres se présentent renversées dans le sens haut bas. Ces décalquages sont fréquents jusqu'en juin 1964 (4;8). Hélène leur attribue quelquefois une signification «c'est mon nom». Il faut noter la coïncidence entre la copie des filigranes et l'apprentissage scolaire de l'écriture. Jusque-là, jamais Hélène n'avait prêté attention à ces lettres vues en transparence. Leur apparition correspond au besoin nouveau de modèle visuel.

Genèse de l'acte graphique

3. L ' É C R I T U R E

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COPIÉE

Avant de remarquer les filigranes, Hélène s'est déjà exercée à copier les inscriptions du taille-crayon ou des crayons. Mais surtout, elle réclame des modèles. Les modèles fournis par l'adulte sont aussi bien des dessins que des lettres, ils sont demandés quotidiennement. Le modèle visuel supplante progressivement le dessin d'imagination. C'est une période où l'imitation graphique déclenchée par les premiers exercices scolaires impose une réorganisation de l'attitude face à l'activité graphique. La copie spontanée s'exerce d'abord sur l'inscription du taille-crayon «TENOR» puis sur celle du crayon «BAIGNOL ET FARJON». Ces copies apparues en février 1964 (4;4) précèdent le décalquage des filigranes. On peut noter dans les copies spontanées les altérations observées ailleurs, persévération des barres du E, répétition des mêmes lettres. D'autres altérations paraissent spécifiques à la copie, c'est la détérioration graphique des lettres, les confusions, le non-respect de l'ordre des lettres. Parfois entremêlés aux lettres, on trouve des spirales et des dessins géométriques témoignant d'une discontinuité de l'attention. L'inscription BAIGNOL ET FARJON, assez longue, provoque le boustrophédon, Hélène ayant atteint le bord droit de la feuille continue la copie dans la direction gauche. Dans la copie des modèles fournis par l'adulte, on rencontre la même difficulté à répartir l'attention entre le modèle et la réalisation. Les premiers modèles proposés en novembre 1963 à 4;1 n'influencent pas encore les réalisations d'Hélène qui produit ses hybrides habituels. Mais, dès le mois de décembre, l'enfant est capable de copier. Là aussi, on observe des altérations d'origine motrice ou perceptive. C'est ainsi que le «g» provoque un sens dominant, la boucle inférieure qui doit normalement se courber dans le sens négatif est dessinée en sens positif. Le «e», normalement dessiné dans un mouvement d'amplification croissante, est dessiné dans un mouvement décroissant, il est de ce fait transformé en «6». Dans une autre copie du «e» Hélène dissocie un cercle et un angle droit. En janvier, le «e» est transformé en spirale décroissante, isolément ou dans le mot. La première copie de «Hélène» est une arabesque faite d'une fraction de cycloïde allongée de sens positif terminée par une spirale. Les caractères d'imprimerie sont de copie plus facile : en février Hélène est noté correctement. A la même époque, la copie de l'alphabet fait apparaître

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L'organisation du mouvement

dans l'acte graphique I

deux miroirs latéraux pour «j» et «N» et des altérations graphiques, «B» est transformé en cycloïde, dans «K» les traits s'entremêlent, «r» est hybride ainsi que «v» et «w». La copie de l'écriture anglaise provoque des altérations graphiques plus importantes que celle des caractères d'imprimerie ; mais la lettre isolée est mieux identifiée et réalisée seule que dans le mot. Si l'on demande à Hélène de réaliser une série de lettres, par exemple le «m», la détérioration d'une lettre à l'autre est très rapide ; on observe une amplification progressive des lettres, jointe à une altération de la forme, le «m» se transforme en fraction de cycloïde allongée. Dès le mois de mai, à 4;5, Hélène copie correctement plusieurs mots : MAMAN PAPA OLIVIER HÉLÈNE. Les mêmes mots en écriture anglaise sont rapidement détériorés. «Maman» est copié correctement, dans «papa», le «p» est altéré, «Olivier» et «Hélène» sont des hybrides cycloïdes. Cette différence dans la qualité de la copie des caractères d'imprimerie et de l'écriture anglaise persistera encore en juin et en juillet : la précession du modèle en caractère d'imprimerie paraît nette.

Elaboration théorique des données de l'observation continue

L'étude présentée ici suggère une élaboration théorique des données obtenues grâce à l'observation continue des dessins d'Hélène. Le cadre conceptuel est fourni au niveau psychologique par les travaux faits antérieurement sous la direction de H. Wallon (Lurçat, 1963), (Wallon et Lurçat, 1957), (Wallon et Lurçat, 1959), (Wallon et Lurçat, 1963). Certaines notions mathématiques sont reprises d'un travail en collaboration, elles concernent l'espace de configuration (Lurçat et Lurçat, 1965). Il a paru nécessaire de se livrer à ce travail non seulement pour distinguer les facteurs kinesthésiques et visuels de l'acte graphique, mais pour comprendre comment est rendu possible, à un moment donné du développement, la reproduction d'un modèle fourni par l'adulte. Ce que nous montre l'observation continue, c'est que l'enfant se construit ses premiers modèles. Ce sont des modèles fonctionnels, appelés ainsi car ils naissent de l'activité spontanée de l'enfant. Les premiers gestes graphiques sont en effet très dépendants de la forme et de la position du corps et du bras qui agit ; ils se répètent longtemps et se perfectionnent jusqu'à la réalisation de formes sommaires. Ces formes deviennent à leur tour objet d'imitation par automatisation, ce sont les stéréotypes graphiques. Puis il arrive un moment où le modèle n'est plus seulement dû à la combinaison fortuite de tracés rudimentaires s'automatisant progressivement. Le modèle devient extérieur à l'enfant, il est fourni par l'adulte, ou bien recherché spontanément par l'enfant. C'est là un phénomène remarquable. Dans la reproduction de tels modèles doivent converger la représentation du modèle, ainsi que le contrôle visuel et le contrôle kinesthésique permettant sa réalisation. Pour donner une image de ce progrès, on peut considérer la période au cours de laquelle l'enfant se crée ses propres modèles comme une période de mise au point d'un système de guidage du mouvement, par contrôle kinesthésique et visuel. La reproduction d'un

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L'organisation du mouvement dans l'acte graphique I

modèle différent des schémas spontanés, le dessin d'une lettre par exemple, est l'amorce d'une seconde période. Le dispositif que s'est créé l'enfant dans ses exercices répétés, devient l'instrument de reproduction de modèles perçus ou représentés. C'est alors qu'apparaît la spécificité des facteurs visuels dans l'identification et dans l'analyse des formes perçues. On peut voir là une modification dans le but de l'acte graphique, manifestant le passage d'une activité de remplissage de l'espace graphique par la combinaison de tracés, à une activité de reproduction du modèle perçu ou représenté, ou de certains de ses éléments. Le rôle prépondérant de la kinesthésie dans la réalisation des premiers tracés et leur installation sous la forme de modèles fonctionnels est tempéré progressivement par l'interférence des facteurs visuels dans l'activité graphique. Grâce à l'action combinée de la kinesthésie et de la vue, les combinaisons de mouvements font place à des combinaisons de formes. Ce que l'observation continue a permis de montrer, c'est l'établissement d'un système de guidage du mouvement, de nature visuo-motrice. Pour bien mettre en évidence les rôles respectifs de la kinesthésie et du contrôle visuel dans la genèse de l'acte graphique, cette étude comprendra deux parties. Dans une première partie, nous envisagerons les rapports existant entre le mouvement et le tracé. Les tracés seront envisagés comme la projection de mouvements dans l'espace graphique. Les mouvements se réalisant dans un espace qui leur est propre, l'espace de configuration, c'est en termes de rapports d'espaces que sera faite l'analyse de la période où l'activité graphique est régie essentiellement par la kinesthésie. Dans une autre partie, c'est le problème du contrôle visuel de l'acte graphique, dans ses rapports avec le contrôle kinesthésique, qui sera étudié. On verra la répercussion du contrôle sur la forme des tracés. Les tracés seront envisagés comme étant le produit d'un servo-mécanisme où intervient l'action rétroactive de la kinesthésie et de la vue sur le mouvement. Les deux aspects de la mise en place de ces régulations au cours de la genèse, et l'intervention de ce servo-mécanisme, seront envisagés dans la production et dans l'évolution des tracés.

Elaboration théorique des données de l'observation

I. L ' E S P A C E M O T E U R D A N S SES AVEC L'ESPACE GRAPHIQUE 1. L ' E S P A C E

DE

CONFIGURATION

continue

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RAPPORTS

DU BRAS

: LES

MOUVEMENTS

Pour comprendre comment se réalise l'acte graphique, il paraît nécessaire de définir l'espace du mouvement et l'espace graphique. La notion d'espace graphique est évidente. C'est le plan dans lequel se déroule l'activité graphique. Il peut être vertical, c'est le plan du tableau, horizontal, c'est le plan de la table, oblique, c'est le plan d'un pupitre. Moins évidente est la notion d'espace du mouvement. Toute l'évolution des premiers tracés montre que leur complication progressive est liée directement au perfectionnement du contrôle des mouvements produits par le bras. De ce fait, dans la description des premiers tracés, nous avons été amenée naturellement à mettre en parallèle d'une façon constante la double évolution des tracés et des mouvements contrôlés. C'est ainsi que nous avons pu analyser, en particulier, la progression dans le sens proximo-distal de la localisation du mouvement directeur et le perfectionnement des coordinations entre les articulations des différents segments du bras, celle du bras autour de l'épaule, de l'avant-bras autour du coude, de la main autour du poignet. Ces phénomènes moteurs ont un reflet direct dans les tracés ; les coordinations entre les articulations des différents segments par la production de courbes s'apparentant aux différents types de cycloïdes. Si l'on considère l'acte graphique comme le résultat de mouvements de plus en plus perfectionnés, il paraît nécessaire de partir d'une conception d'ensemble des mouvements, c'est ainsi qu'on est amené à considérer l'espace des mouvements. Cette idée a été exprimée déjà explicitement dans des travaux anciens de Wallon (1959, p. 151). «Un mouvement quelconque ne peut être distingué de sa projection dans l'espace, son orientation appartient à sa structure. Il y a un espace moteur, qui n'est d'ailleurs pas encore l'espace représenté, ni l'espace conceptuel, contrairement à l'opinion commune qui unit des niveaux fonctionnels différents et en fait une réalité immuable, nécessaire, s'imposant d'elle-même et en une fois. Il n'y a pas lieu d'opposer le mouvement à un milieu en soi où il aurait à trouver secondairement

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L'organisation du mouvement dans l'acte graphique I

des déterminations locales. Il implique par son existence même le milieu où il doit se déployer. Il n'est pas tâtonnant d'emblée, il le devient par expérience. » Cet espace du mouvement, nous l'avons étudié plus récemment dans un travail fait sous la direction de H. Wallon, portant sur l'étude du schéma corporel. La notion s'est élargie à celle d'espace postural, envisagé comme l'ensemble de nos gestes. Ces gestes présentent des niveaux différents. A un premier niveau, les gestes instinctifs ou fonctionnels, comme le coup de pied ou la course. A un second niveau, les gestes habituels, comme prendre un objet, c'est là que se manifeste la prédominance habituelle d'une main. A un troisième niveau, le geste sur consigne, avec représentation des phases habituelles du geste, c'est la prise ds conscience, le geste qui semble donner lieu à l'apraxie, à la confusion des espaces droit et gauche, à l'homolatéralité et au miroir. Dans ce travail, le schéma corporel était envisagé en termes de rapports d'espaces. Il y a d'une part l'espace ambiant où nous rangeons les choses et nous-mêmes et, d'autre part, le résultat de ces sensibilités rapportées à nous-mêmes et qui constitue l'espace postural. L'espace postural et l'espace ambiant sont, de ce fait, indivisibles et complémentaires. L'espace postural n'est pas un ensemble fermé mais un tout dynamique qui peut varier avec l'orientation de l'activité du sujet, c'est un espace morpho-dynamique. Un essai de formulation de l'espace postural a été tenté, c'est l'espace de configuration. L'espace de configuration est l'expression mathématique de l'espace postural. Alors que l'espace postural est de nature kinesthésique et psychologique, l'espace de configuration permet de décrire l'aspect mécanique de l'ensemble de nos mouvements. L'espace de configuration peut être une partie de l'espace postural. Par exemple, le bras gauche a son espace de configuration, la jambe droite a le sien. En fait, il y a un espace postural qui est l'espace de configuration du corps tout entier, mais pour l'analyser, il est nécessaire de le décomposer. On peut trouver la justification de la notion d'espace de configuration dans les travaux de psychologues comme Wallon ou Piaget. Alors que nombre de psychologues situent plus ou moins leurs recherches dans l'espace euclidien ordinaire, la psychologie génétique montre que cet espace euclidien est une construction abstraite et l'aboutissement d'une évolution compliquée. En fait, on a pu montrer, dans l'étude du schéma corporel, que

Elaboration théorique des données de l'observation continue

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les différents phénomènes psychologiques doivent être étudiés chacun dans leur espace propre. Ce qui signifie que, si on s'intéresse, par exemple, à des phénomènes qui mettent en jeu des mouvements d'un bras, on doit les étudier dans l'espace de configuration de ce bras. Pourquoi est-ce la notion d'espace de configuration qui est la bonne et pas celle d'espace euclidien ? C'est que sur l'espace de configuration viennent s'inscrire tout naturellement les relations qui sont importantes au point de vue psychologique, c'est-à-dire les relations de proximité, et, à un stade plus avancé, de distance. Deux points voisins de l'espace de configuration correspondent à deux positions voisines du bras, une courbe sur l'espace de configuration représente un mouvement du bras. Chaque point de l'espace de configuration représente une configuration possible du bras. Au point de vue mathématique, l'espace de configuration est une variété topologique, c'est-à-dire la généralisation de la notion commune de surface. En ce qui concerne le bras, si on fait abstraction des mouvements des doigts, on peut, à une bonne approximation, décrire son espace de configuration comme le produit de trois sphères à deux dimensions (une pour le bras, une pour l'avant-bras, une pour la main). Plus exactement, c'est une partie de cette variété, puisque la rotation du bras est limitée, ainsi que celle de l'avant-bras autour du coude et de la main autour du poignet \ Dans la suite, nous considérerons l'espace de configuration C d'un bras déterminé (disons le bras droit). On peut définir sur C des régions, des directions, des trajets homogènes. L'ensemble des positions du bras telles que l'extrémité du crayon soit dans le plan de symétrie du corps constitue une région de C, la surface médiane. La surface médiane sépare l'espace de configuration en deux régions, les hémichamps corporels. L'hémichamp corporel droit est l'hémichamp homolatéral, c'est-à-dire l'hémichamp qui correspond au côté droit du corps. L'hémichamp corporel gauche est l'hémichamp croisé, il correspond au côté gauche du corps. Dans C, il y a des directions homolatérales (de l'hémichamp croisé vers l'hémichamp homolatéral) croisées, (de l'hémichamp homolatéral vers

1. Je dois à François Lurçat ces précisions sur la nature mathématique de l'espace de configuration.

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L'organisation du mouvement dans l'acte graphique I

l'hémichamp croisé) somatofuges, c'est-à-dire partant du corps, somatotropes, c'est-à-dire revenant vers le corps. Dans C il y a des trajets, chaque segment tourne autour de son articulation proximale, le bras autour de l'épaule, l'avant-bras autour du coude, la main autour du poignet. En particulier quand chaque segment est animé d'un mouvement de rotation uniforme autour de son articulation proximale, le bras décrit une courbe dans son espace de configuration que l'on appelle trajet homogène.

2. L ' E S P A C E

D E C O N F I G U R A T I O N DU B R A S D A N S S E S

AVEC L ' E S P A C E GRAPHIQUE

: LES

RAPPORTS

TRACÉS

Le plan que constitue l'espace graphique ne peut être envisagé d'une façon neutre, indépendamment de l'activité qui s'y déploie. Il est orienté, car il est imprégné d'éléments posturaux, la droite, la gauche, le «haut», le «bas». L'espace de configuration du bras se projette dans l'espace graphique : à chaque point de l'espace de configuration du bras correspond une posisition de l'extrémité du crayon, c'est-à-dire un point de l'espace graphique. On envisagera les faits rapportés dans l'observation continue en termes de projection de l'espace de configuration du bras dans l'espace graphique et en fonction des notions définies précédemment, à savoir : les régions, les directions, les trajets. A. La projection des régions dans l'espace graphique La projection de la surface médiane dans l'espace graphique constitue l'axe de l'espace graphique. C'est l'intersection de l'espace graphique avec le plan de symétrie du corps. On peut rappeler que, si on place un crayon dans la main de l'enfant à 16 mois, spontanément, la main se place sur cet axe, que ce soit la main droite ou que ce soit la main gauche. On peut signaler également que le plan de symétrie du corps continue de jouer un rôle important dans l'écriture, c'est le point de départ du geste de l'écriture. L'habitude de nombreuses personnes de placer la feuille de papier vers la droite, c'est-à-dire face à l'hémichamp corporel droit, les amène

Elaboration théorique des données de l'observation continue

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à faire coïncider le plan de symétrie du corps avec le bord gauche de la feuille de papier. Mais, dans l'observation du jeune enfant, la position du papier face au corps permet d'enregistrer avec netteté la projection de la surface médiane et l'existence de l'axe découpant l'espace graphique par le milieu. La projection de l'hémichamp homolatéral se manifeste par la réalisation des tracés dans la partie droite de la feuille pour la main droite et dans la partie gauche pour la main gauche. La projection de l'hémichamp croisé se manifeste par la réalisation de tracés dans la partie gauche de la feuille pour la main droite et dans la partie droite de la feuille pour la main gauche. Les mouvements de balayage et les mouvements circulaires sont réalisés dans les régions homolatérales, les mouvements croisés dans l'hémichamp spatial croisé. B. La projection des directions dans l'espace graphique Pour le bras droit, la direction droite dans l'espace graphique correspond à la projection de la direction homolatérale, la direction gauche dans l'espace graphique correspond à la projection de la direction croisée. Pour les deux bras, la direction «haut» dans l'espace graphique correspond à la direction somatofuge, la direction «bas» correspond à la projection de la direction somatotrope. La translation et la rotation sont les deux composantes du mouvement. La rotation se définit par son sens qui peut être positif ou négatif. La translation se définit par sa direction vers la gauche, par exemple, ou vers la droite. Le sens et la direction, sans avoir une origine mécanique constante, sont des schèmes moteurs bien distincts. Le sens est le signe de la courbure du tracé, positif ou négatif. Au point de vue géométrique, le sens est une notion locale, c'est-à-dire qu'un tracé possède un sens en chaque point. Au point de vue moteur, le sens du tracé résulte de la rotation de la main autour du poignet, ou du bras autour de l'épaule dans un tracé de plus grande amplitude. La direction est une notion aussi simple. C'est la direction générale du tracé, par exemple vers le haut ou vers le bas de la feuille de papier. Au point de vue géométrique, la direction est une notion globale et non locale. C'est-à-dire qu'un tracé peut être dirigé vers la droite, tout en présentant des retours locaux vers la gauche. C'est le cas

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L'organisation du mouvement dans l'acte graphique I

de la cycloïde allongée. Au point de vue moteur, la direction résulte d'un mouvement du bras autour de l'axe vertical ou horizontal. Elle peut cependant être d'origine purement distale, dans le cas de la digitalisation du mouvement, ce qui produit une miniaturisation du tracé. La coordination entre la translation proximale et la rotation distale, c'est-à-dire entre la direction et le sens, permet la réalisation de la cycloïde. C. La projection des trajets homogènes dans l'espace graphique Les trajets homogènes se projettent dans l'espace graphique sous la forme de tracés continus et rythmés. Les premiers mouvements circulaires font place progressivement à des courbes de la famille des cycloïdes, généralement allongées. Elles apparaissent selon les cas sous la forme de fractions d'épicycloïdes, d'hypocycloïdes, de cycloïdes, et, quand le mouvement est plus bref, de spirales et de boucles. Selon le sens dans lequel sont décrits ces trajets homogènes, les courbes sont décrites dans le sens positif, ou bien dans le sens négatif. Comme le signalait déjà Wacholder, la caractéristique générale du mouvement, c'est une tendance à l'oscillation. Le mouvement volontaire apériodique est une opération plus complexe que le mouvement rythmique de va-et-vient qui réalise une forme élémentaire du mécanisme physiologique. C'est ainsi qu'avant que s'établisse avec netteté le jeu des coordinations entre la rotation du bras autour de l'épaule, et de la main autour du poignet, ce jeu permettant la réalisation nette de l'épicycloïde, on a pu voir se succéder les mouvements continus déjà signalés : le balayage, le mouvement circulaire, la cycloïde. Le découpage de ces courbes continue qui s'effectuera grâce à l'intervention du contrôle, comme on le verra plus loin, permettra la réalisation des boucles, des cercles, des spirales et, plus tardivement, des arabesques. Le fait essentiel est que la projection de ces mouvements rythmiques permet, en gros, la réalisation de courbes s'apparentant à la cycloïde allongée. Cela, essentiellement, pour des raisons mécaniques, en rapport avec l'agencement des segments du bras. La réalisation de ces courbes tient à la relation suivante ; l'épaule commande le coude, qui commande le poignet ; il existe une relation d'ordre entre les différents segments du bras.

Elaboration théorique des données de l'observation continue

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L'analyse des mouvements et de leur projection dans l'espace graphique, faite à l'aide des notions fournies par l'espace de configuration, a permis de montrer que les activités graphiques simultanées ou non des deux mains se correspondent par symétrie2. En effet, les régions, les directions et les sens des espaces de configuration des deux bras se correspondent par symétrie. Ces faits permettent de supposer que l'activité graphique du jeune enfant est presque exclusivement régie par la kinesthésie. Il n'y a pas encore de spécialisation hémisphérique de l'activité graphique. Cette spécialisation apparaîtra avec le contrôle qui est de nature kinesthésique et visuelle. Le contrôle est un facteur essentiel dans l'évolution des tracés. Le contrôle des mouvements est kinesthésique, le contrôle des tracés est visuel. C'est ce double aspect du contrôle qui est abordé à présent.

II. L E C O N T R Ô L E

DES MOUVEMENTS

ET DES

TRACÉS

1. L E CONTRÔLE V I S U E L

Le mouvement sera contrôlé d'abord par la direction choisie en fonction du projet d'action, puis par les renseignements qui proviennent à chaque instant de l'exécution du mouvement en cours. Le contrôle kinesthésique s'exerce dans l'espace de configuration, il porte donc sur l'ensemble des degrés de liberté mis en jeu dans le mouvement. Le contrôle visuel s'exerce dans l'espace graphique, et ne porte que sur une partie des degrés de liberté. La prise en charge visuelle de l'activité graphique modifie les propriétés fondamentales de l'activité graphique simultanée ou non des deux mains. Le contrôle conduit à une modification de cette activité qui se traduit en particulier par une tendance au parallélisme des tracés. A quoi tient une telle modification ? Elle paraît de nature fonctionnelle, liée à la pratique du graphisme. Le fait d'utiliser toujours la même main pour écrire amène à une spécialisation d'un hémisphère dans le contrôle 2. Voir chapitre 1.

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L'organisation du mouvement dans l'acte graphique I

de cette activité, de telle sorte qu'il y a généralisation du tracé produit par la main dominante. Le tracé courbé de la main dominante est généralement positif, c'est le sens dominant des lettres de l'alphabet. Ce sens positif devient dominant pour la main gauche également, de la même façon, l'usage de la direction droite se généralise à la main gauche. L'écriture est le résultat d'une activité asymétrique et contrôlée de la main dominante. Il paraît utile, pour la compréhension de l'acquisition individuelle de l'écriture, d'analyser la façon dont se développent et convergent les contrôles kinesthésiques et visuels nécessaires au guidage du mouvement, ce guidage étant la condition de la reproduction des lettres. La manifestation du contrôle visuel s'observe dans la modification des tracés produits par l'enfant. La perception de l'espace graphique, la perception du tracé, puis le guidage de ce tracé sont trois moments qui se succèdent, le guidage du tracé paraissant l'étape la plus importante, car c'est à ce moment que s'établit la liaison interfonctionnelle entre la kinesthésie et la vue dans l'activité graphique. Avant 1 ;8, il y a guidage purement mécanique de la main en appui sur un crayon qui repose sur un plan solide. Aussi le tracé s'étale au-delà de la feuille de papier, jusque sur la table, par simple extension du geste. Au cours de la période qui va de 1 ;8 à 2;3, les tracés sont localisés dans l'espace graphique, il n'y a plus extension du geste au-delà des limites de la feuille de papier. Ce qui signifie que l'espace est contrôlé visuellement mais aussi kinesthésiquement, l'enfant ne réalisant dans l'espace de configuration que les mouvements dont la projection se limite à l'espace graphique. A partir de 2;3 le contrôle visuel va s'exercer de façon de plus en plus fine sur l'exécution des tracés. On analysera chaque perfectionnement du contrôle visuel en rapport avec les perfectionnements de nature kinesthésique. Sur le plan visuel, le contrôle s'établit en fonction d'un double critère, le critère local et le critère global. Comme on le verra plus loin, le critère local apparaît d'abord sous la forme du contrôle simple, puis du contrôle double. Le critère global apparaît plus tardivement, sous la forme d'un contrôle par repère extérieur au tracé produit.

Elaboration

2. C O N T R Ô L E

théorique

des données

KINESTHÉSIQUE

ET

de l'observation

CONTRÔLE

continue

101

VISUEL

C'est en partie grâce aux perfectionnements de nature kinesthésique qu'est rendu possible le guidage de la main par l'œil. Ce perfectionnement est le fruit de la migration distale du mouvement qui se manifeste à deux ans par l'entrée en action du fléchisseur du pouce. Les tracés réalisés alors ne sont plus impulsifs, mais lents. C'est alors qu'apparaît la discontinuité du mouvement qui se traduit par le morcellement du trait continu initial. Le freinage est la manifestation du contrôle kinesthésique, et, en même temps, il rend matériellement possibles les perfectionnements du contrôle visuel qui peut s'exercer d'abord en suivant, puis en guidant le tracé. Les critères local et global du contrôle visuel s'établissent dans l'espace graphique, ils sont de nature spatiale. Dans le critère local, on peut classer le contrôle simple et le contrôle double. Ils manifestent la prise en charge visuelle de la kinesthésie, puisque la main est ramenée grâce au contrôle visuel vers un tracé déjà produit. C'est le début de la convergence d'action de la kinesthésie et de la vue, persistant en cours de réalisation. Le critère global est un contrôle par repère extérieur au tracé produit. C'est l'anticipation visuelle de l'acte graphique. Ce contrôle apparaît entre trois et quatre ans. Il ne nécessite plus le contact avec un tracé antérieurement réalisé. C'est dans l'alignement des tracés selon une direction horizontale et dans la réalisation de la croix que ce perfectionnement se manifeste. Cette simultanéité d'apparition correspond au facteur commun entre ces deux possibilités graphiques, elles a trait à la prévision. Dans la croix, la prévision consiste à couper un segment vertical en prévoyant cette coupure. Le segment vertical constitue le repère extérieur au point de départ choisi pour la réalisation du segment horizontal. Dans les tracés sériés selon la direction droite, l'alignement se fait par rapport au bord de la feuille qui constitue le repère extérieur. De ce fait, la direction selon laquelle se fait l'alignement est abstraite, elle se déduit. Au contrôle par repère extérieur correspond sur le plan kinesthésique un perfectionnement dont l'évolution a été analysée dans la succession des tracés courbés, de la spirale à l'arabesque. Dans ces courbes, le tracé est contrôlé de façon continue sur le plan kinesthésique. C'est la maîtrise du trait continu dans son déroulement qui permet l'apparition de l'arabesque. Elle est aussi la

102

L'organisation du mouvement dans l'acte graphique I

condition kinesthésique de l'anticipation visuelle, car le guidage du mouvement permet la correction éventuelle et la reprise du trait en fonction de critères visuels. Si on reprend ce résumé des rapports entre les contrôles kinesthésique et visuel, une caractéristique peut être dégagée, elle est de nature temporelle. Nous avons pu voir que l'acte graphique est, au départ, essentiellement régi par la kinesthésie, l'interférence du contrôle visuel dans les tracés étant plus tardive. Nous avons pu voir également que le contrôle visuel et le contrôle kinesthésique ont chacun leur espace d'action. Le contrôle kinesthésique s'exerce dans l'espace de configuration, le contrôle visuel dans l'espace graphique. Comment se fait leur jonction ? Elle paraît être de nature temporelle. Les premiers tracés sont constatés : la précession de la kinesthésie sur la vue est nette. Progressivement, s'opère une modification dans le temps : le contrôle simple en est la première manifestation, puisque c'est l'œil qui guide la main vers le tracé produit. Dans le contrôle double, l'anticipation temporelle de la vue sur la kinesthésie s'exerce le temps de la jonction entre les deux repères. Enfin, dans le contrôle par anticipation visuelle, le guidage de la main par l'œil s'installe de façon permanente. Si on reprend à présent la définition du contrôle du mouvement : c'est sa direction en fonction d'un programme préétabli et, d'autre part, des renseignements qui parviennent à chaque instant sur l'exécution du mouvement, on peut tenter de vérifier, à la lumière de ce qui a été décrit précédemment, ce qui peut, dans l'activité graphique, justifier que le contrôle est acquis. Le programme préétabli, c'est la forme que veut réaliser l'enfant. Entre trois et quatre ans, on voit apparaître différentes formes dans le dessin de l'enfant, figuratives et non figuratives. Si l'on retient simplement parmi toutes les possibilités la réalisation courante du bonhomme ou de la maison, telle qu'on a pu l'observer dans les dessins d'Hélène, on peut considérer l'intention de faire une maison comme constituant le programme préétabli. Les renseignements fournis à chaque instant dans la réalisation de la maison sont de nature visuelle, ils concernent les ajustements des traits entre eux et le niveau d'élaboration de la forme. Ces renseignements sont également de nature kinesthésique : la main guidée par l'œil réalise

Elaboration théorique des données de l'observation continue

103

les traits selon la direction correspondante au programme préétabli, qui est le stéréotype habituel utilisé pour représenter la maison. C'est ainsi que se crée l'habitude motrice de réaliser la forme dans un certain ordre. Cependant, des variations dans les dimensions et dans la qualité apparaissent en rapport avec les dispositions du moment dans lesquelles se trouve l'enfant. On comprend pourquoi, dans ces conditions, les mêmes formes se répètent longtemps dans le dessin du jeune enfant. Varier volontairement la forme suppose une modification de tout le dispositif visuo-moteur de commande du mouvement, cela suppose l'élaboration de nouveaux réglages qui font intervenir des rapports extérieurs au circuit visuo-moteur en cours d'élaboration. Ces influences extérieures sont liées à l'existence d'un modèle visuel. Mais la reproduction d'un modèle visuel est une opération très élaborée, qui suppose la maîtrise du dispositif visuo-moteur. C'est pourquoi l'apparition des premiers modèles visuels se fait sous la forme de schémas extrêmement simplifiés. Il est bien évident que de nombreuses variations fortuites apparaissent fréquemment dans le dessin de l'enfant. Leur origine est bien différente. Le plus souvent, elles sont le produit de variations purement kinesthésiques que l'enfant exploite plus ou moins ludiquement, ou qu'il conserve parfois comme modèles fonctionnels. Il ne s'agit plus alors de l'aspect fondamental du contrôle réalisé dans le guidage du mouvement tel que nous cherchons à l'analyser ici. En somme, le dispositif que l'enfant élabore dans ses premiers actes graphiques s'apparente à un servo-mécanisme, la kinesthésie et la vue constituent les deux éléments régulateurs du mouvement. Dans ce système à feedback, la boucle kinesthésique s'élabore avec le freinage volontaire du mouvement, la boucle visuelle avec l'établissement du guidage dans les différents contrôles.

3. L E S

PRÉMISSES

DE

L'ÉCRITURE

L'apprentissage de l'écriture est précédé d'une période au cours de laquelle l'enfant, sans connaître le dessin de la lettre, cherche à imiter le geste de l'adulte qui écrit, son but étant de reproduire l'écriture. Dans cette écriture spontanée, il cherche à reproduire le déroulement du geste en

104

L'organisation du mouvement dans l'acte graphique I

réalisant des tracés sériés, enchaînés ou isolés. L'imitation ne porte pas sur l'écriture achevée, mais sur le geste d'écrire. Elle est globale, c'est autant l'imitation d'un mouvement que celle d'une forme, c'est une imitation motrice d'origine perceptive. Différents caractères de cette écriture avant la lettre peuvent être analysés. Du point de vue moteur, elle provient d'une translation de l'avant-bras droit, généralement dans la direction droite, combinée à des mouvements distaux. Ces mouvements permettent la réalisation des différents tracés sériés décrits précédemment. En se donnant pour but « d'écrire », l'enfant est amené à imiter le geste et la forme de l'écriture. Bien que le résultat soit grossier et schématique, il cherche à se servir du dispositif visuo-moteur pour la reproduction d'un modèle présent ou représenté. C'est un moment important pour la compréhension de la genèse individuelle de l'écriture, qui peut permettre de comprendre la jonction qui doit s'opérer entre les perfectionnements spontanés du geste graphique et la réalisation de la forme dans l'apprentissage de l'écriture. Mais pour cela, il paraît utile d'analyser rapidement le modèle fourni à l'enfant lors de l'apprentissage.

4. L E S

MODÈLES DANS L ' E N S E I G N E M E N T

DE

L'ÉCRITURE

On peut voir deux aspects dans le mécanisme de l'écriture, un aspect dynamique, c'est le mouvement ramené à sa cause motrice. Il suppose une organisation du mouvement telle qu'elle rende possible la reproduction des lettres. On peut voir également un aspect cinématique, c'est le déroulement du geste selon la direction droite. Il suppose acquis le sens dans lequel se réalisent la lettre et le mot. L'apprentissage de l'écriture permet à l'enfant, grâce à l'usage combiné des modèles visuels et des modèles de mouvements, de reproduire correctement le geste de l'écriture. L'apprentissage s'exerce conjointement au niveau moteur et au niveau visuel. L'enseignement des débutants tient compte de cette convergence perceptive de la kinesthésie et de la vue. L'image de la lettre est associée, dès les premiers jours, à un mouvement orienté. On peut analyser trois niveaux de cette association. Celui de la forme vue, celui de l'acte perçu dans son déroulement, celui du mouvement guidé. La forme, c'est le

Elaboration

théorique

des données de l'observation

continue

105

dessin de la lettre, tel qu'il figure dans les premiers abécédaires. L'acte, c'est celui que réalise le maître, au tableau ou sur le cahier de l'enfant, en le commentant. Le mouvement guidé, c'est celui qu'imprime le maître à l'enfant, en lui maintenant le crayon dans la main. En enseignant l'écriture, le maître est naturellement amené à dissocier l'aspect cinématique de l'aspect dynamique de l'écriture : il fournit un modèle kinesthésique de l'aspect dynamique et un modèle visuel de l'aspect cinématique. Le modèle visuel, c'est la réalisation du mouvement dans l'espace et dans le temps, il s'enseigne pour chaque lettre, car chaque lettre comporte un sens de réalisation de nature spatio-temporelle. Le modèle kinesthésique est donné à l'enfant en lui guidant la main, de telle sorte qu'il n'ait pas seulement à se représenter l'acte, mais qu'en l'exerçant, il puisse associer la représentation de l'acte à l'automatisation du geste. Ainsi, progressivement, l'enfant est amené à franchir d'importantes étapes : la perception du modèle, la représentation du modèle, puis l'automatisme moteur du geste devenu habituel. L'association de la perception visuelle de la lettre au mécanisme de sa réalisation sous le double aspect cinématique et dynamique constitue l'apprentissage du mouvement organisé qu'est l'écriture. L'enfant devient alors capable de guider son geste afin de reproduire la lettre ou le mot qu'il a ou n'a pas sous les yeux. C'est l'aboutissement d'une période de l'activité graphique dont on a pu analyser les débuts dans l'établissement des premières liaisons entre les contrôles kinesthésique et visuel. Quand l'enfant arrive à l'âge de l'apprentissage, il dispose déjà d'un système de liaisons entre la vue et la kinesthésie relativement élaboré au point de vue fonctionnel. C'est au cours de l'activité graphique spontanée, en milieu familial ou à l'école maternelle, qu'il a pu perfectionner ce système. Cet entraînement à faire coïncider la vue et la kinesthésie dans l'espace graphique rend possible l'apprentissage de formes différentes des schémas habituellement produits, et constitue une condition de l'apprentissage rapide de l'écriture.

Conclusion de la première partie : Espace de configuration du bras et espace graphique

La perspective dans laquelle est décrite la genèse de l'acte graphique amène à distinguer fondamentalement deux espaces, l'espace subjectif des mouvements du bras ou espace de configuration, l'espace objectif dans lequel se réalisent les tracés ou espace graphique. Décrire les relations qui s'établissent progressivement entre ces deux espaces c'est suivre le perfectionnement et la complexité croissante de l'acte graphique. Le contrôle de cet acte s'exerce en effet dans ces deux espaces. Au niveau du mouvement, c'est le contrôle kinesthésique, au niveau du tracé c'est le contrôle visuel. Au départ, les premiers tracés observés dans l'espace graphique sont la simple projection des mouvements dans l'espace de configuration. La caractéristique essentielle des mouvements des deux bras est leur symétrie : régions, directions, trajets homogènes se correspondent par symétrie. Plus tard, quand l'enfant contrôle ses mouvements et les tracés qu'il produit, l'espace graphique réagit sur l'espace de configuration. Le moment où la symétrie initiale des mouvements disparaît coïncide avec la prise en charge par l'hémisphère majeur des activités graphiques des deux mains. Cette spécialisation hémisphérique a pour origine l'exercice de la fonction graphique par la main dominante. C'est dans l'évolution des tracés produits par l'enfant qu'on peut suivre les relations entre l'espace de configuration et l'espace graphique. Un moment important est celui de l'apparition du modèle fonctionnel : ce modèle suppose d'abord la possibilité de réaliser une forme produite par une série de mouvements. Cette forme, identifiée visuellement, est alors reproduite, elle existe au niveau moteur et au niveau perceptif. Dès lors, il y a action réciproque entre les deux espaces. Une nouvelle étape montrant la complexité croissante des relations entre ces deux espaces consiste dans la possibilité de reproduire un modèle

Conclusion : Espace de configuration du bras et espace graphique

107

non plus fonctionnel mais purement visuel, fourni par le milieu extérieur. Reproduire un tel modèle suppose la possibilité de restructurer l'espace de configuration à partir des données perceptives. Cela suppose un apprentissage, car la reproduction d'un tel modèle n'est pas immédiate. Nous analyserons dans les chapitres suivants certains facteurs qui rendent possible un tel apprentissage, dont l'un des aboutissements est l'acquisition de l'écriture.

DEUXIÈME PARTIE

Introduction : L'organisation du mouvement, spontanée et d'après modèle

La seconde partie est consacrée à l'étude de certains aspects des mouvements nécessaires à l'écriture. Dans les rapports qui s'établissent entre le contrôle visuel et le mouvement, progressivement l'œil est amené à guider la main, mais aussi le mouvement trouve en lui-même ses propres repères : il y a un développement parallèle du contrôle kinesthésique et du mouvement. Selon Wallon, la kinesthésie apparaît avec la réaction circulaire, quand l'effet visuel du geste entraîne la répétition de ce geste. La série visuelle et la série kinesthésique s'intriquent dès le départ car la kinesthésie a besoin de références dans le domaine visuel pour se délimiter. Ces deux séries agissent de façon complémentaire, de telle sorte qu'on peut difficilement distinguer les aspects kinesthésiques des aspects visuels du mouvement, les deux sont confondus au départ. Mais leur union n'a pas de base organique, elle est fondée sur l'expérience. C'est grâce à l'expérience que s'opère la jonction kinesthésique et visuelle à tous les niveaux du comportement psycho-moteur. Leur dissociation reste possible pour la même raison. Ce sont les relations entre les aspects visuels et kinesthésiques du mouvement qui seront étudiées à présent, mais à un niveau plus élaboré de l'activité. Nous avons vu en effet dans la première partie qu'il y a un développement spécifique des relations entre le mouvement et la vue dans la genèse de l'acte graphique, alors que leurs relations sont déjà très •développées dans d'autres aspects du comportement, en particulier dans les manipulations. Pour étudier les relations entre la vision et la kinesthésie dans l'activité graphique, il a paru intéressant de faire reproduire les courbes géométriques engendrées par le jeu des rotations entre les segments du bras. La genèse de l'acte graphique montre, en effet, que les différentes coordinations qui s'établissent entre la rotation du bras

112

L'organisation du mouvement dans l'acte graphique II

autour de l'épaule, de l'avant-bras autour du coude et de la main autour du poignet permettent la réalisation spontanée de courbes géométriquement simples. Ces réalisations sont le produit de l'activité motrice, elles résultent du jeu des articulations du bras. Les mouvements privilégiés issus du jeu de ces articulations sont tels que l'extrémité du crayon décrit une courbe qui fait partie de la famille des cycloïdes. Les courbes sont identifiées et reproduites volontairement par l'enfant à l'étape de la prise en charge perceptive de la motricité. C'est le passage d'une activité fortuite à une activité volontaire. Une nouvelle étape consiste à reproduire non plus seulement les modèles que l'enfant s'est forgé dans sa propre activité, mais également des modèles extérieurs, dont l'identification est perceptive. L'introduction d'un modèle extérieur comporte un intérêt particulier, elle est la confirmation de l'anticipation de la vue sur la kinesthésie : la perception se fait guide de la motricité. L'apprentissage de l'écriture suppose une organisation de la motricité telle que le contrôle du mouvement analysé précédemment dans la jonction des contrôles kinesthésiques et visuels soit mis au service de la reproduction des modèles. L'utilisation des spirales et des cycloïdes pour l'exploration de la motricité graphique permet d'exploiter la possibilité que présentent ces courbes d'être engendrées par la composition de deux mouvements, de telle sorte que certaines particularités motrices, en particulier le renversement du mouvement peut s'exercer sur l'un des deux mouvements, la rotation ou la translation, ou sur les deux. L'usage de ces courbes géométriquement simples permet d'éclairer également certains aspects de l'organisation motrice de l'acte graphique. Dans le mécanisme de l'acte graphique on peut distinguer les causes, les forces qui produisent le mouvement : c'est l'aspect dynamique de l'acte graphique. On peut voir également le mouvement dans son déroulement, c'est l'aspect cinématique de l'acte graphique. Nous chercherons à distinguer les aspects dynamiques des aspects cinématiques, dans la comparaison des courbes reproduites par les enfants aux courbes modèles. La modification de la forme tient à une modification de l'organisation motrice de l'acte, c'est une perturbation dynamique. Suivant les cas, l'un des deux mouvements est supprimé, ou les deux mouvements ne sont pas coordonnés mais ils sont réalisés alternativement.

Introduction

: L'organisation du mouvement

113

La forme peut être réalisée sans que l'enfant respecte toujours la trajectoire. Dans ce cas, 4 possibilités de reproduction apparaissent, la réussite ou identité, i, le renversement de rotation, r, le renversement de translation, t, le renversement de rotation et de translation, rt. Ces quatre possibilités de reproduction correspondent au groupe cinématique de la cycloïde ou de la spirale (figure 2). Il est bien évident que les aspects dynamiques et cinématiques ne sont pas totalement dissociables, c'est ainsi que la courbe reproduite correctement présente souvent une modification des proportions qui peut être d'origine dynamique ; l'enfant peut déplacer les axes du mouvement tout en conservant la forme car il coordonne toujours deux mouvements, l'un de rotation et l'autre de translation. De même, une altération dynamique de la forme peut être associée à un renversement de rotation. Dans ce cas, l'altération est à la fois cinématique et dynamique. Le but de la présente étude étant l'analyse des facteurs de l'écriture, la démarche consiste essentiellement à dissocier afin de voir ce qui relève plus spécifiquement des aspects dynamiques ou cinématiques de l'acte, ce qui relève plus spécifiquement des aspects visuels ou kinesthésiques. C'est dans cette perspective que nous avons été amenée à créer des situations où, suivant les cas. le modèle peut être visuel ou kinesthésique. Car apprendre à écrire c'est apprendre à organiser certains mouvements en vue de reproduire un modèle. L'apprentissage se fait par la conjugaison de deux activités, une activité visuelle d'identification du modèle, une activité motrice de reproduction de la forme. L'apprentissage s'exerce conjointement au niveau moteur et au niveau visuel. L'acquisition de l'écriture sous son aspect dynamique suppose la possibilité de contrôler les différentes positions du bras dans la réalisation du geste d'écrire, elle dépend directement des données kinesthésiques. L'acquisition de l'écriture sous son aspect cinématique suppose la possibilité de reproduire la forme et la direction données aux lettres et aux mots, elle dépend également des données visuelles. Le chapitre 3 sera consacré à l'étude des aspects dynamiques de l'acte graphique. Le chapitre 4 sera consacré à l'étude des aspects cinématiques de l'acte graphique. Les aspects dynamiques seront étudiés dans les altérations de la forme, les aspects cinématiques seront étudiés dans les modifications de la trajectoire des formes reproduites correctement.

114

L'organisation du mouvement dans l'acte graphique II

Le modèle Les épreuves qui vont être décrites à présent ont pour but de dissocier les rôles respectifs des facteurs visuel et kinesthésique dans le contrôle du mouvement. Pour cela, il a paru indispensable de varier les conditions d'administration du modèle. L'enfant est invité à reproduire trois types de modèles, un modèle visuel, un modèle visuo-kinesthésique, un modèle kinesthésique sans visibilité. Dans la reproduction d'un modèle visuel, l'enfant doit organiser son mouvement de façon à reproduire non seulement la forme mais également le sens de courbure dans lequel elle s'inscrit, sa trajectoire en quelque sorte. Il doit l'identifier visuellement en analysant la forme pour guider son mouvement dans le sens imposé par le modèle : la kinesthésie est guidée par la vue pour la reproduction de la forme. Dans la reproduction d'un modèle kinesthésique avec visibilité, la forme est associée au mouvement puisque le modèle est donné en guidant la main de l'enfant. L'enfant dispose, en principe, d'un modèle à la fois visuel et kinesthésique. Mais ces deux modèles peuvent se conjuguer ou se concurrencer. Dans la reproduction d'un modèle kinesthésique sans visibilité, l'enfant ne dispose que d'un modèle de mouvement, ce mouvement pouvant d'ailleurs être reproduit sans interférence nécessaire de la représentation de la forme. L'intérêt de ces différentes situations réside dans les conflits qui sont ainsi créés et qui permettent de dissocier les rôles respectifs des contrôles kinesthésique et visuel. En effet, la présence d'une forme vue amène l'enfant à concentrer son attention sur la forme, c'est-à-dire sur la perception visuelle du modèle. Par contre, la suppression de la vue l'amène à se concentrer sur le mouvement guidé, c'est-à-dire sur la perception kinesthésique du modèle. Dans le modèle visuel, seule la forme existe, dans le modèle visuo-kinesthésique elle est associée au mouvement, dans le modèle sans visibilité, le mouvement est dissocié de la forme.

3

Etude des aspects dynamiques de l'acte graphique dans la reproduction des courbes : Problèmes moteurs des altérations de la forme

Nous avons distingué précédemment dans le mécanisme de l'acte graphique deux aspects, un aspect dynamique et un aspect cinématique. Le présent chapitre est consacré à l'étude des aspects dynamiques de l'acte graphique. L'étude des aspects dynamiques de l'acte graphique est entreprise sur les formes altérées. L'idée générale est la suivante, une modification des mouvements nécessaires à la réalisation de la forme peut avoir pour conséquence une modification de la forme. Par contre, une modification de la forme a toujours pour cause une modification des mouvements. La démarche qui consiste à partir du tracé pour atteindre certains aspects du mouvement se justifie dans la mesure où le tracé constitue une projection du mouvement dans l'espace graphique \ S'il est vrai qu'une même courbe peut être de réalisation distale ou proximale, donc produite par des mouvements différents, une modification du tracé correspond toujours à une modification des mouvements impliqués dans sa réalisation. Nous rechercherons dans les modifications de la forme une modification des deux mouvements étudiés à l'aide des courbes géométriques, la rotation et la translation. La déformation peut avoir pour origine une altération de la rotation : certains enfants présentent une instabilité de sens provoquant l'apparition d'hybrides. La déformation peut avoir pour origine une modification de la translation, elle se manifeste dans les modifications de la direction dans la reproduction des courbes. Parfois la déformation porte sur les relations entre les deux mouvements, la rotation et la translation. Reproduire une courbe suppose une organisation séquentielle des différents mouvements impliqués dans sa réalisation. La coordination temporelle des mouvements 1. Voir première partie, le chapitre 2.

116

L'organisation du mouvement dans l'acte graphique II

est modifiée quand, par exemple, la rotation et la translation ne sont pas coordonnées mais réalisées alternativement. Nous étudierons dans ce chapitre les modifications de la forme et plus particulièrement les modifications de la rotation et les modifications de la translation dans les spirales et dans les cycloïdes. Nous analyserons ensuite les facteurs visuels et kinesthésiques du guidage moteur dans la reproduction de la forme. Puis nous verrons les aspects séquentiels dans les rapports entre la rotation et la translation. Enfin, nous aborderons les problèmes moteurs soulevés par les altérations de la forme.

I.

DESCRIPTION

DES

ÉPREUVES,

POPULATION

1. L E S MODÈLES

Modèle visuel de la spirale. Sur une feuille de papier sont dessinées deux spirales, l'une de sens positif et l'autre de sens négatif, placées l'une sous l'autre, à gauche de la feuille. L'enfant est invité à reproduire chaque spirale de la main droite ; sur une autre feuille, il doit les reproduire de la main gauche. Modèle visuel de la cycloïde allongée. Sur une feuille de papier sont dessinés quatre fragments de cycloïdes allongées, deux de sens positif et deux de sens négatif. Deux cycloïdes de chaque courbure sont dessinées à gauche de la feuille et deux autres à droite. L'enfant est invité à prolonger les fragments de cycloïdes dans la direction droite et dans la direction gauche. Il fait l'épreuve successivement de la main droite sur une feuille de papier, puis de la main gauche sur une autre feuille de papier. Modèle visuo-kinesthésique de la spirale. Il est donné en guidant la main de l'enfant. Sur une feuille de papier, on guide la main de l'enfant de façon à lui faire réaliser une spirale décroissante de sens positif. Il est invité à la reproduire immédiatement. De la même façon, on lui fait réaliser une spirale décroissante de sens négatif qu'il doit reproduire

Etude des aspects dynamiques de l'acte graphique

117

immédiatement. L'épreuve est faite successivement par la main droite, puis par la main gauche, sur deux feuilles de papier différentes. Modèle visuo-kinesthésique de la cycloïde allongée. Il est donné en guidant la main de l'enfant dans la réalisation d'un fragment de cycloide allongée, l'enfant est ensuite invité à continuer seul. C'est ainsi qu'on lui fait réaliser successivement une cycloïde allongée de sens négatif et de direction droite, une cycloïde allongée de sens négatif et de direction gauche, une cycloïde allongée de sens positif et de direction droite, une cycloïde allongée de sens positif et de direction gauche. L'épreuve est faite successivement par la main droite sur une feuille de papier, puis par la main gauche sur une autre feuille. Modèle kinesthésique sans visibilité de la spirale. Il est réalisé de la façon suivante : l'enfant a les yeux bandés, on lui fait reproduire successivement, d'après modèle kinesthésique, le groupe cinématique de la spirale, d'abord de la main gauche, puis de la main droite. (Le groupe cinématique correspond au dessin de quatre spirales, deux spirales décroissantes de sens positif et de sens négatif, deux spirales croissantes de sens positif et de sens négatif). La situation a été compliquée de la sorte, car en modèle visuel les enfants ont reproduit la forme soit en mouvement croissant, soit en mouvement décroissant, ce qui a fait apparaître le groupe cinématique de la spirale.

2.

POPULATIONS

Les épreuves visuelles et visuo-kinesthésiques de spirales et de cycloïdes ont été réalisées par 182 enfants, élèves d'une école maternelle. Ils ont été répartis en trois groupes d'âges, petite section 2;11 à 3;10, 45 enfants, moyenne section 3 ;11 à 5;1, 65 enfants et grande section 5;2 à 6;2, 72 enfants. Les épreuves de spirales à reproduire d'après modèle kinesthésique sans visibilité ont été réalisées par 158 enfants, élèves de l'école maternelle. Les trois groupes d'âge sont constitués de 41 enfants de la petite section, âgés de 3;2 à 3;4, de 62 enfants de la moyenne section, âgés

118

L'organisation du mouvement dans l'acte graphique II

de 4;5 à 5;4 et de 55 enfants de la grande section âgés de 5;5 à 6;3. Par ailleurs, 134 enfants de l'école primaire, âgés de 9;6 à 11;6, élèves d'une classe de 7% ont réalisé l'épreuve de reproduction des spirales sans visibilité.

II. L E S M O D I F I C A T I O N S

DE LA

FORME

Les modifications de la forme se présentent de façon différente dans la spirale et dans la cycloïde allongée. Avant d'analyser en détail les altérations au niveau de la rotation et au niveau de la translation, nous passerons en revue les principales altérations. Nous chercherons, en dégageant les facteurs des déformations, à distinguer certains réglages visuels et kinesthésiques du mouvement. C'est essentiellement à l'aide des spirales que cett analyse sera faite, car nous disposons de trois situations pour cette épreuve, le modèle visuel, le modèle visuo-kinesthésique, le modèle kinesthésique sans visibilité.

1. L E S

SPIRALES

Nous verrons la nature des déformations et leur fréquence globale d'apparition suivant la situation expérimentale, dans le tableau 1.

A. Analyse des résultats La spirale a donné lieu à de nombreuses déformations en raison de la relative complexité de sa réalisation. Pour régler l'ampleur du mouvement, le contrôle visuel est nécessaire. C'est la translation qui est le plus souvent altérée. Une manière de simplifier la forme consiste dans la suppression du mouvement d'amplification, ce qui amène à la réalisation de cercles, ou d'enchevêtrements circulaires. Une autre déformation courante consiste dans la transformation de la spirale en cycloïde allongée. Selon la durée du mouvement, l'enfant produit une boucle ou une fraction plus ou moins

Etude des aspects dynamiques de l'acte graphique

119

longue de cycloïde allongée, ou parfois d'épicycloïde. L'altération peut porter sur le sens, si l'enfant change le sens de rotation au cours du même tracé, ce qui l'amène à produire un hybride. Enfin, le modèle visuel a donné lieu à quelques altérations spécifiques, tracés parallèles, circulaires ou angulaires, qui peuvent persévérer chez certains jeunes enfants dans la reproduction du modèle visuo-kinesthésique. Le nombre de courbes déformées est sensiblement le même en modèle visuel et visuo-kinesthésique, pour les 182 enfants de l'école maternelle. Pour voir l'importance du réglage visuel dans la reproduction des spirales, on a comparé le nombre total de courbes déformées en modèle visuokinesthésique et en modèle kinesthésique sans visibilité, dans les deux groupes d'enfants de l'école maternelle, les 182 enfants qui ont réalisé les épreuves visuelles et les 158 qui ont réalisé les épreuves sans visibilité. Pour voir l'importance du facteur génétique dans le réglage kinesthésique du mouvement, on a comparé également le nombre total de courbes déformées en modèle kinesthésique sans visibilité chez les 158 enfants de l'école maternelle âgés de 3 à 6 ans et chez les 134 enfants de l'école primaire âgés de 9;6 à 11;6. La première comparaison, qui permet de mettre en évidence le rôle du facteur visuel dans la réalisation de la forme, a porté uniquement sur les modèles décroissants de spirales, en situation visuo-kinesthésique et kinesthésique sans visibilité. Le nombre total de déformations augmente de façon significative quand on supprime la visibilité. Elle est significative à .001, pour les deux mains et les deux courbures 2 . La seconde comparaison, qui permet de mesurer l'importance du facteur génétique dans le contrôle kinesthésique de la forme, a porté sur les courbes croissantes et décroissantes. Ici aussi, la différence est significative à .001 dans toutes les situations, partout, le nombre total des déformations décroît avec l'âge.

2. Le test statistique utilisé est le test de MacNemar, calculé sur les chiffres absolus.

120

L'organisation

du mouvement

T a b l e a u 1. Les modifications

de la forme

MODELE

Ecole maternelle N = 182 Ages : 3;0 à 6;0 Cercles Enchevêtrements Boucles Cycloïdes Epicycloïdes Tracés parallèles Hybrides Non classables Ensemble (%)

Main gauche

Cercles Enchevêtrements Boucles Cycloïdes Epicycloïdes Hybrides Non classables Ensemble (%)

l'acte

graphique

II

dans la réalisation

de la

VISUEL

MODELE

Main droite

Main gauche

nég.

pos.

nég.

pos.

21 10 6 6 0 14 10 18

20 11 4 5 0 14 8 18

23 9 6 5 0

20 9 6 5 0

85 (47)

80 (44)

14 9 12 78 (43)

14 10 12 76 (41)

II Ecole maternelle N = 158 Ages : 3;0 à 6;0

dans

nég.

spirale

VISUO-KINESTHESIQUE

Main droite

pos.

nég.

pos.

13 15 30 29 9 8 9 9 4 7 2 4 8 8 7 . 5

10 21 12 16 2 3 6 2

8 31 7 12 2 4 8 1

72 (39)

73 (40)

81 (44)

86 (47)

MODÈLE KINESTHÉSIQUE SANS V I S I B I L I T E MODÈLES CROISSANTS

Main gauche

MODÈLES

Main droite

DECROISSANTS

Main gauche

Main droite

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122 (77)

117 (74)

116 (73)

103 (65)

127 (80)

110 (69)

118 (75)

110 (69)

Etude des aspects dynamiques de l'acte graphique

121

Tableau 1 (suite) III Ecole primaire N = 134 Ages : 9;6 à 11 ;6

Cercles Enchevêtrements Boucles Cycloïdes Epicycloïdes Hybrides Ensemble (%)

MODELE KINESTHESIQUE SANS VISIBILITE MODELES CROISSANTS

Main gauche

MODELES DECROISSANTS

Main droite

Main gauche

Main droite

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13 3 10 15 5 0

13 2 15 16 3 6

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31 (23)

44 (32)

31 (23)

47 (35)

63 (47)

46 (36)

55 (41)

46 (36)

4

Le détail des différentes déformations de la courbe est donné pour chaque modèle et pour chaque main. Trois populations sont comparées, deux groupes d'enfants de l'école maternelle et un groupe de l'école primaire.

B. Discussion Le nombre total des déformations de la spirale varie avec la situation expérimentale. Si l'on compare les épreuves réalisées selon un modèle kinesthésique donné avec ou sans visibilité, ce nombre augmente avec la suppression du contrôle visuel, de façon significative, dans une population d'enfants âgés de 3 à 6 ans. Si l'on compare deux populations d'âge différent dans les mêmes épreuves exécutées sans visibilité, on s'aperçoit que le nombre de courbes déformées diminue de façon significative dans la population plus âgée. Ces deux phénomènes peuvent s'interpréter de la façon suivante : chez l'enfant de 3 à 6 ans, le facteur visuel est déterminant pour la reproduction correcte de la forme, mais avec l'âge, les équivalences kinesthésiques du guidage moteur se développent dans le contrôle de l'acte graphique. En particulier, le réglage des deux mouvements nécessaires à la réalisation de la spirale peut être de nature purement kinesthésique dans une population d'enfants âgés de 9;6 à 11 ;6; déjà entraînés à écrire,

122

L'organisation du mouvement dans l'acte graphique II

2. L E S

CYCLOÏDES

ALLONGÉES

Le détail des déformations de la cycloïde allongée est donné dans le tableau 2 pour le modèle visuel et le modèle visuo-kinesthésique. Analyse des résultats Dans la cycloïde allongée, les principales altérations de la forme sont dues à une mauvaise coordination des mouvements de rotation et de translation. La réalisation de la cycloïde paraît plus simple, puisque la translation est rectiligne, c'est d'ailleurs une courbe d'apparition plus précoce dans la genèse de l'acte graphique. Cependant, quand l'enfant doit la reproduire et qu'il ne dispose que d'un modèle visuel, il lui est difficile d'identifier l'aspect continu de la courbe, c'est pourquoi on observe en modèle visuel un nombre important de tracés discontinus, alignés en série, sous la forme de boucles, de cercles ou d'autres tracés connexes ou non. La discontinuité peut être partielle, affectant le début ou la fin de la courbe. Sans identifier la forme, l'enfant peut produire un tracé continu. Enfin, on observe un certain nombre de tracés hybrides de sens. Quand l'enfant dispose du modèle kinesthésique, il devient généralement capable de reproduire correctement la forme. Ainsi, le passage du modèle visuel au modèle visuo-kinesthésique fait baisser sensiblement de moitié le nombre des déformations pour l'ensemble des courbes réalisées par les deux mains. Ces faits montrent que chez le jeune enfant le guidage du mouvement dans la reproduction correcte de la cycloïde doit être à la fois visuel et kinesthésique. Le modèle visuel ne permet pas d'identifier à lui seul l'aspect continu de la courbe. Le mouvement guidé, associé à l'image de la courbe, amène à un progrès immédiat dans la même population. Nous verrons à présent les déformation liées plus spécifiquement à une modification de la rotation et à une modification de la translation.

Etude des aspects dynamiques de l'acte graphique

123



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Apects cinématiques de la reproduction des courbes

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150

L'organisation du mouvement dans l'acte graphique II

qu'en modèle visuel et visuo-kinesthésique, on trouve une différence significative entre l'identité et le renversement du mouvement. Par contre, dans l'épreuve sans visibilité, le nombre de formes réussies est très faible, et sur ce nombre le renversement du mouvement relativement important. C'est seulement en classe de 7° que la suppression de la vue n'est plus un handicap pour l'identification de la forme, chez la majorité des enfants. C'est aussi dans ce groupe que l'identité l'emporte sur le renversement du mouvement. Un autre phénomène a été mis en évidence, il concerne le rôle du facteur génétique dans l'acquisition de l'identité. En modèle visuel et visuokinesthésique, on note une augmentation significative de l'identité quand on passe de la moyenne à la grande section. Le renversement du mouvement apparaît dans les trois situations, que le modèle soit une forme, un mouvement guidé associé à la forme ou simplement un mouvement guidé, et non contrôlé par la vue. C'est donc un phénomène indépendant de la situation expérimentale et qui exprime une propriété de la motricité. Un caractère propre à la perception de la forme a pu être dégagé dans le modèle visuel : les spirales sont perçues par la majorité des enfants comme des courbes décroissantes. Par contre, dans les épreuves kinesthésiques, il n'y a pas de trajectoire privilégiée. C'est donc un phénomène lié à la perception visuelle de la forme. Chez l'enfant de 3 à 6 ans, la spirale est vue comme s'enroulant progressivement vers le centre. Nous avons pu voir, en analysant les formes réussies, que certains enfants respectent la trajectoire et d'autres ne la respectent pas. L'acquisition de la forme précède l'acquisition de la trajectoire. Il semble que les aspects dynamiques et cinématiques de l'acte graphique ne sont pas d'acquisition simultanée. Un enfant peut reproduire une courbe sans respecter la trajectoire. La réalisation correcte de la forme correspond à l'aspect dynamique de l'acte graphique. L'insertion de la forme dans la trajectoire modèle correspond à l'aspect cinématique. On peut, à l'aide des faits décrits précédemment, dégager certains aspects des rapports qui s'établissent entre l'espace de configuration et l'espace graphique. Chez l'enfant de 3 à 6 ans, la reproduction correcte de la forme est meilleure en situation visuelle, par la perception visuelle en effet, l'enfant est capable d'organiser son mouvement pour reproduire la courbe. Il y a donc.

Aspects cinématiques de la reproduction des courbes

151

dès ce moment, un système à feed back qui permet le passage de l'espace graphique à l'espace de configuration, puis le retour de l'espace de configuration à l'espace graphique par le biais du guidage visuel. Chez l'enfant de 9;6 à 11 ;6 la trajectoire est réalisée correctement dans la plupart des formes réussies. A cet âge, le développement des relations entre les aspects cinématiques et dynamiques de l'acte graphique est tel que le facteur visuel n'est plus indispensable ni à l'identification de la forme, ni à l'identification de la trajectoire. On peut dire à ce moment que les suppléances kinesthésiques du contrôle de l'acte graphique s'exercent dans les deux espaces, espace de configuration du bras et espace graphique.

III. L E S C Y C L O Ï D E S

ALLONGÉES

Pour les cycloïdes allongées, nous disposons de deux situations, le modèle visuel et le modèle visuo-kinesthésique, réalisés par les 182 enfants des trois sections de l'école maternelle. Rappelons que les enfants ont à reproduire quatre cycloïdes, deux de direction droite et de sens positif et négatif, deux de direction gauche et de sens positif et négatif. Dans les deux situations, il n'existe, en fait, que deux possibilités de reproduction, identité et renversement de rotation, car les modèles partent chacun d'un bord de la feuille, à gauche ou à droite. Cette disposition des modèles n'a pas permis d'observer des renversements de translation. L'étude du renversement du mouvement dans la cycloïde allongée ne porte que sur des courbes où la même rotation a été conservée en permanence, les courbes présentant un renversement partiel ont été exclues de ce classement.

1. M O D È L E

VISUEL

DE

LA

CYCLOÏDE

Les résultats sont présentés dans le tableau 9. Il comprend deux parties, identité et renversement de la rotation. Comme il n'y a pratiquement pas de réussite de la forme en petite section, la comparaison statistique a porté sur les résultats de la moyenne et de la grande section. L'identité évolue en fonction de l'âge. C'est en grande section, entre 5 et 6 ans que

152

L'organisation

du mouvement dans l'acte graphique

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