Encyclopédie des bandes dessinées 2226007016

Nouvelle éd. entièrement refondue et mise à jour Enfin, voilà un outil de référence pour arriver à s'y retrouver

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French Pages [321] Year 1986

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Table of contents :
Couverture
Principales abréviations
Introduction
A
B
C
D
E
F
G
H
IJ
K
LM
NO
PQR
S
TUV
WXYZ
Bibliographie selective
Index
Planches
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Encyclopédie des bandes dessinées
 2226007016

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L'ENCYCLOPEDIE DES

BANDES DESSINEES

ENCYCLOPEDIE DES BANDES DESSINEES

Marjorie Alessandrini Marc Duveau Jean-Claude Glasser Marion Vidal

ENCYCLOPEDIE DES BANDES DESSINEES publiée sous la direction de Marjorie Alessandrini

Nouvelle edition entièrement refondue et mise èijour

Ouvrage publié avec le concours du Centre national des Lettres

ALBIN MICHEL

Les auteurs tiennent à remercier de leur aide et de leurs encouragements : à Paris : Rosine Bridonneau, Bernard Brulon, Laurence Collignon, Hubert Deveaux, Joëlle Faure, Alain Minard, Jacques Poitrat, Madie Poulain, M. Régnault, Monique Rück, Brigitte Semler, Marya Smirnoff, Hide Suzuki, M. Touranchet, aux USA : Dick Blackburn, Marge Devine, Clay Gerdes, Harvey Kurtzman, Jay Lynch, Mort Walker. A Tokyo : Corinne Bret. Ainsi que Pâquerette Villeneuve, Willem, Sture Hegerfors, Li Sellgren, Felix Valk, Hannie Scheen, P. Hans Frankfurter, D. W. van Ouwerkerk... Et tous les dessinateurs qui ont bien voulu répondre à leurs questions.

Cette édition a été entièrement refondue et remise à jour en octobre 1985, par Marjorie Alessandrini, Marc Duveau et Jean-Claude Glasser, avec la participation de Anders Hjorth-Jorgensen (Danemark) et Ito Hiromi (Japon).

Principales abréviations D RA B CND E F GB I NL USA S CH CTNYNS KFS U FS NEA NCS

Allemagne Argentine Belgique Canada Espagne France Grande-Bretagne Italie Pays-Bas États-Unis Suède Suisse Chicago Tribune New York News Syndicate United Features Syndicate United Feature Syndicate Newspaper Enterprise Association National Cartoonist Society

Maquette couverture Hervé Deslnge

Dessin couverture Ted Benoît Mise en page Didier Thlmonler ■ Yves Tanlou

Tous droits réservés, y compris le droit de reproduction en totalité ou partie, sous quelque forme et par quelque procédé que ce soit.

Composition : Charente-Photogravure à Angoulême Achevé d'imprimer en février 1986 Numéro d’édition 9113 Imprimerie Pollina à Luçon N° 781 5 Dépôt légal mars 1986 ê Éditions Albin Michel S.A., 1979 & 1986. 22, rue Huyghens, 75014 Paris

ISBN : 2-226-00701-6

Imprimé en France

Introduction

En 1978 paraissait Y Encyclopédie des Bandes dessinées. La première entreprise de ce genre menée à terme dans l’édition de langue fran­ çaise. Nous avions l’ambition de présenter un panorama mondial, informatif et critique. Il ne nous semblait pas assez d’énumérer les créations des grands auteurs de BD, de les replacer dans leur contexte historique. Il nous fallait aussi porter sur ce monde qui nous fascinait un regard nouveau. C’est ainsi que nous avons adopté une véritable « politique des auteurs », en privilégiant d’abord les dessinateurs, en affirmant des choix, voire des partis pris. Ce n’était pas évident, à l’époque ! Les « critiques de BD » se répartissaient entre les compilateurs besogneux, les nostalgiques — mais comment les blâmer ? — de Bicot ou du Sapeur Camember, les anti­ intellectuels forcenés persuadés qu’écrire une ligne sur une BD reve­ nait forcément à la déflorer, et les super-intellos s’efforçant au contraire de théoriser — ah ! les vertigineuses divagations, signifiant/signifié, des années 70!... Quant à nous, nos choix étaient d’abord guidés par le plaisir de nos lectures. Et puis, au-delà de ce plaisir, par ce que nous perce­ vions de ces artisans-artistes qui, semblables au « peintre de la vie moderne » dont parle Baudelaire, captent dans leurs images la réa­ lité de leur époque, avec ses rêves, ses fantasmes, ses angoisses.

Bien des choses se sont passées depuis 1978. En particulier dans le domaine européen, avec l’explosion de toute une nouvelle géné­ ration dont nous avions, à l’époque, pressenti l’importance. Aujourd’hui, la bande dessinée est reconnue officiellement comme un moyen d’expression à part entière, d’autant qu’elle représente actuellement le secteur le plus florissant de l’édition de langue fran­ çaise, et qu’à ce titre les pouvoirs publics s’y intéressent de très près, s’efforçant de la favoriser, parfois même de la financer. Et ce n’est évidemment pas un hasard si elle était largement repré­ sentée dans la grande exposition Art et Industrie, présentée à Paris à la fin de 1985, associée aux réalisations de nos designers et de nos stylistes... Et d’ailleurs, la BD n’a-t-elle pas toujours été à la fois un art et une industrie ? C’est même ce qui a toujours fait son ambiguïté, sa force et ses limites. C’est aussi pourquoi, dans les années qui viennent, elle sera forcément liée à toute une créativité moderne, à la fabrication de « nouvelles images », comme à l’expres­ sion d’une nouvelle sensibilité, de nouveaux styles de vie.

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De tout cela, les artisans de la BD, anciens et nouveaux, n’ont pas toujours conscience. Et c’est tant mieux. Penchés sur leurs petits dessins, c’est en toute spontanéité qu’ils tracent sur le papier ce qui sera le miroir de nous-mêmes, de nos rêves, de notre société : comme ils l’ont toujours fait depuis que la bande dessinée existe.

C’est à partir de la situation actuelle que nous avons voulu mettre à jour notre encyclopédie. Pas seulement en consacrant des rubri­ ques aux dessinateurs qui se sont affirmés depuis huit ans. Mais aussi en prenant en compte les nouvelles tendances, et surtout en remettant en perspective le travail que nous avions réalisé en 1978. Ainsi, certaines entrées ont été supprimées, d’autres ajoutées, refon­ dues ou complétées. Des regroupements différents ont été faits. Des articles de synthèse ont été consacrés à la presse des princi­ paux pays, l’index permettant ensuite de mieux préciser le contenu et l’évolution des différents titres. Au total, plus de cent nouvelles rubriques (consacrées à des auteurs ou à des tendances), quantité de remaniements dans celles qui existaient déjà et, bien entendu, une série de nouvelles illustrations. Ainsi revue et augmentée, cette Encyclopédie des Bandes dessinées traduit l’ampleur d’un phénomène qui n’a fait que se confirmer ces dernières années. Elle devrait offrir à tous les amateurs un ensemble de points de repère, précisions, anecdotes, sur cet uni­ vers qui les passionne, et qui n’a pas fini de nous réserver des sur­ prises. Paris, décembre 1985

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ACHE Jean (1923-1985)

F

Né au Havre, Jean Huet (dit Ache) réalisa quelques dessins animés avant de débuter avec « Biceps le costaud sentimental » (un extra­ terrestre) dans Le Téméraire en 1944. De ses multiples créations et participations, on retiendra l’amu­ sant «Tonton Molécule» dans OK ( 1946), « Achille, Lastuce et Crémolet » dans Mon Journal ( 1946), « Archibald le costaud sentimental » (un homme préhistorique) dans France Dimanche (1948) et surtout «Arabelle, la dernière sirène » en bande quotidienne dans France Soir (1950). Cette fameuse héroïne per­ dit sa queue de poisson au profit de jambes finement galbées. Curieuse fixation ? Ses deux autres héroïnes (dans France Dimanche) furent, l’une, «Amanda» (1949), un gra­ cieux fantôme à l’origine sans jam­ bes, l’autre, « Coraline » (1954), une paralytique. Inspiré par Dubout et Erik, puis évoluant vers un « hergéisme » figé, Ache, qu’un trait plus souple aurait pu rapprocher d’Al Capp, eut surtout le mérite d’œu­ vrer en partie hors de la seule presse juvénile. Mais dès les années 60 (et aujourd’hui encore) sa trop prolifi­ que production s’enlisa dans la ba­ nalité graphique. « Arabelle » réap­ parut le temps d’un chant dans L’Illustré du Dimanche (1967) puis dans Tintin (1972). Mais le charme était rompu. En fait, il manqua sur­ tout à Jean Ache un vrai public adulte à une époque où la bande dessinée restait méprisée même de ceux qui la lisaient quotidienne­ ment.

Achille Talon. Voir greg.

Adam Strange. Voir anderson Murphy, FOX Gardner, INFAN­ TINO Carmine, NATIONAL PERIO­ DICAL PUBLICATIONS, SCHWARTZ Julius.

ADAMS Neal (1941-

)

OSA

Débutant dans les comic books en écrivant et dessinant des pages de gags pour Archie Comics en 1960, Neal Adams devait ensuite et jusqu’à son entrée à la National Co­ mics en 1967 se consacrer principa­ lement aux comics strips et au des­ sin publicitaire. Dans le domaine

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1979, D.C. Comtes Inc

des strips, il travailla d’abord avec Howard Nostrand sur « Bat Masterson», puis de 1962 à 1966 dessina les bandes quotidiennes et les plan­ ches dominicales de son propre strip, « Ben Casey », sur des scéna­ rios de Jerry Caplin, frère de Elliot et Al Capp. Lorsqu’il interrompit la bande, celle-ci était au sommet de son succès, paraissant dans plus de trois cents journaux, mais ne répon­ dait plus à rien pour lui, le privant de toute possibilité d’innovation graphique et l’astreignant à un tra­ vail routinier. Après cette période faste, il revint à la publicité et as­ sista ou remplaça pour une ou quel­ ques semaines d’affilée Stan Drake sur «Juliette de mon cœur», Lou Fine sur « Peter Scratch » (1966), Al Williamson sur « Secret Agent Corrigan » (1967) et John Prentice sur « Rip Kirby » (1968). De retour aux comic books et aux magazines de bandes dessinées, il travailla d’abord pour James War­ ren puis chez National pour Car­ mine Infantino. Après quelques épi­ sodes de « Bob Hope » et de « Jerry Lewis » dessinés pour cette dernière firme, il se vit confier quelques his­ toires de guerre et « Elongated Man », une série auparavant dessi­ née par Infantino. Puis, dans le mouvement que tentait de lancer Infantino pour redonner vie à la Na­ tional, ce furent « Deadman » (1967-1969), «Spectre» (1968) et quelques centaines de couvertures pour tous les comics de la firme ou presque.

Deadman

Deadman était une création origi­ nale de Carminé Infantino et Ar­ nold Drake. Tué dans les premiè­ res planches du premier épisode de ses aventures, ce héros n’existait plus que comme fantôme capable de s’emparer du corps des vivants et obsédé par l’idée de retrouver et de punir son meurtrier. Sous l’in­ fluence de Neal Adams, qui, pas­ sionné par le héros, écrivit bientôt lui-même ses aventures, « Dead­ man » tourna de façon obsession­ nelle entre deux thèmes, celui de la mort, toujours présente et implaca­ ble, et celui du désespoir sans fond de Deadman, incapable de corriger la réalité que sa nouvelle situation de voyeur lui montrait dans toute sa noirceur. Vivant à la place des au­ tres, voyeur/voleur de vie au plus haut degré, Deadman tentait de se justifier en essayant de rendre meil­ leurs et plus heureux les gens dont il empruntait le corps. Sans succès. Spectre, héros de l’âge d’or repris en 1967 par Murphy Anderson dans « Showcase », était lui aussi construit autour de l’idée de la mort, personnage double, un policier mort et ressuscité et le « spectre » auquel il servait d’hôte et de refuge. Dans ces deux bandes, participant largement aux scénarios ou les écri­ vant intégralement, Adams donna libre cours à son besoin d’innova­ tion. Refusant le découpage et la structure traditionnelle des plan­ ches, il introduisit dans ses dessins un dynamisme et un esthétisme qui conjuguaient à la fois la puissance

d’un Kirby et la beauté formelle des dessins d’un Toth ou d’un Infan­ tino. Dès 1968, dessinant dans The Brave and the Bold les aventures de Batman associé chaque fois à un hé­ ros différent, il devait transformer le personnage de Bob Kane, allant beaucoup plus loin dans ses modi­ fications que ne l’avait fait le sim­ ple remodelage d’Infantino dans De­ tective Comtes et dans l’illustré Batman. S’attaquant plus au conte­ nu de la bande qu’à l’apparence du héros, il rendit Batman à la nuit et à la peur. Sur fond de pleine lune, la cape gonflée par le vent, les oreil­ les longues et pointues de sa cagoule accentuant la longueur de son vi­ sage, Batman reprit les aspects de la chauve-souris qui l’avait inspiré en 1939. Pour Adams, Batman ne pouvait pas — ne devait pas — mar­ cher dans une rue au milieu des pas­ sants comme si de rien n’était ; il était diffèrent, la Némésis du crime, inspirant la terreur aux assassins et aux voleurs, et ne pouvait être un homme public ou distribuer des au­ tographes aux enfants des écoles ; il devait, pour être crédible, retrouver sa dureté et sa violence, son besoin de vengeance et ses angoisses. Encré par Dick Giordano, Adams passa ensuite aux aventures de Bat­ man publiées dans Detective Gomics et dans Batman. Mais le chef-d’œuvre de Neal Adams fut la transformation et l’adaptation au goût du jour d’un autre personnage célèbre, Green Lantern, héros de l’âge d’or dans une première incarnation imaginée par Bill Finger (scénario) et Martin Nodell (dessin) en 1940, poursuivie entre autres par Alfred Bester, Henry Kuttner, Robert Kanigher, John Broome et Sheldon MoldofT, Sheldon Mayer, Lee Elias, Joe Kubert, Carmine Infantino... puis hé­ ros des années 60 rappelé à la vie par Gardner Fox et Gil Kane. En 1970, sur un scénario de Denny O’Neil, dessiné et encré par Adams, toujours édité par Julius Schwartz, Green Lantern devint sensible aux problèmes de son temps. D’abord le racisme et le problème des ghet­ tos des grandes villes américaines, puis le fascisme, les hell angels, les minorités raciales et culturelles, les crimes rituels, la drogue... Le dis­ cours contenu dans Green Lantern était pourtant trop étranger aux lec­ teurs de comic books, tranchant sur la ration d’aventures ronronnantes que leur fournissait la majorité des autres titres de la National, et ne réussissant pas, malgré les décors et les thèmes de science-fiction, mal­ gré les super-pouvoirs des person­ nages, malgré toutes les qualités

littéraires et graphiques de l’ensem­ ble, à trouver une adéquation quel­ conque avec le public ou le média. Mais les quatorze épisodes publiés d’avril 1970 à mai 1972 sont restés comme ayant fait évoluer le contenu des comic books et il est probable qu’on ne retrouvera jamais de façon aussi continue et concentrée une sé­ rie d’histoires ainsi destinées de fa­ çon volontaire à faire changer un média tout entier, destinées à faire passer des idées et des messages, à contre-courant de la définition habi­ tuelle d’un média considéré comme devant satisfaire une consommation de masse sans jamais déranger, inquiéter ou simplement faire réfléchir. A partir de 1969, Neal Adams commença à travailler pour Stan Lee et les Marvel Comics sur « X-men », « Inhumans », « Avengers», sans pour autant quitter la National, ce qui n’alla pas sans quelques grincements de dents de part et d’autre. Mais par son atti­ tude intransigeante face à des em­ ployeurs qui considéraient jusqu’alors dessinateurs et scénaris­ tes de leurs concurrents comme per­ sonnes indésirables, attitude que lui autorisait seul son talent, Neal Adams parvint à instituer de nou­ velles habitudes qui font qu’aujourd’hui chaque artiste peut libre­ ment ou presque aller d’une firme à l’autre selon les propositions, et choisir soit les sujets l’intéressant, soit des tarifs supérieurs. Neal Adams obtint aussi le premier de la National, après une grève solitaire de plusieurs mois, que les planches soient rendues aux dessinateurs, puis que la réédition d’une bande donne lieu à rémunération pour ses auteurs. Ces combats menés d’abord pour son propre compte, puis pour l’en­ semble de la profession au sein de l’ACBA, sa volonté d’organiser un véritable syndicat des comic books ont fini par le marginaliser face à ce qui est devenu une industrie. L’ACBA en effet, créée à l’origine sous son impulsion et sous celle de Stan Lee, Carmine Infantino et Ja­ mes Warren comme le sous-entend son nom d’Academy of Comic Book Art, était beaucoup plus un orga­ nisme de promotion des comic books, de congratulation profession­ nelle par la remise annuelle de prix, qu’un véritable syndicat, et était d’ailleurs beaucoup trop proche des maisons d’édition (Stan Lee, Infan­ tino) pour pouvoir jouer ce rôle. Il fonda, avec Dick Giordano, Continuity Associâtes, studio ou­ vert à tous les artistes, débutants ou confirmés, et travaillant pour les co-

mics, le cinéma et la publicité. En 1985, Continuity est devenu le nom d’une maison d’édition de comics dans laquelle Adams fait tout ou presque, aidé par des dessinateurs comme Esteban Maroto. Artiste hors de pair, animateur in­ lassable, volontaire, intransigeant, Neal Adams est l’égal des plus grands, Kirby, Infantino, Gil Kane, tout en étant leur cadet de quelques décennies. Ses œuvres sont malheu­ reusement devenues rares, planches pour des magazines ou de nouveaux comics publiés par de petites mai­ sons, aussi vite abandonnés que lan­ cés : Mr. Mystyc (1982) et Skateman (1983) pour Pacifie Comics.

AHERN Gene (1895-1960)

ÜSA

Né à Chicago en 1895, Gene Ahern étudia pendant trois ans, la nuit, au Chicago Art Institute tout en po­ sant, le jour, pour des dessins de mode masculine. Engagé par la NEA encore installée à Chicago, au début des années 10, il la suit à Cle­ veland en 1915 et y publie divers panels et strips sur des thèmes spor­ tifs comme « Otto Auto » ou centrés sur le base-ball, «Taking Her To The Ball Game », « Fathead Fritz » et « Dream Drope », ces deux der­ niers bientôt confondus sous le ti­ tre de «Squirrel Food». En 1921, il crée « Our Boarding House », un dailu strip auquel est bien vite ad­ joint un Sunday page, avec comme héros le Major Hoople. En 1932, il ajoute un top au Sunday page, « The Nut Brothers : Ches and Wai ». Il quitte la NEA en 1936 et crée pour le KFS sous le titre de «Room and Board» une version tout juste modifiée de « Our Boar­ ding House » avec un top domini­ cal « The Squirrel Cage » également proche des «Nut Brothers». La NEA, cependant, fit poursuivre «Our Boarding House» par Bela Zaboly avant de confier la série, en 1939, à Bill Freyse qui se montra l’égal d’Ahern. A sa mort en 1969, Jim Branagart, puis en 1971, Les Carrol ont poursuivi les aventures du Major Hoople qui prirent fin en décembre 1984 (1981 pour le Sun­ day page). Le Major Hoople, tout comme le Judge Pufile dans « Room and Board », était un personnage impo­ sant, toujours en manches de che­ mise, au langage ampoulé, qui pré­ céda de quelques années les créations de W.C. Fields auquel on peut le comparer. Il vivait dans la pension de famille tenue par

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sa peu commode épouse et connais­ sait divers démêlés généralement commentés par le chœur de trois de ses locataires. Les panels se sui­ vaient de jour en jour et formaient ainsi une sorte de véritable BD, tan­ dis que les sunday page étaient des sketches autonomes. Les tops créés par Ahern étaient encore plus « non sensiques », non seulement par les gags, mais surtout par l’usage de dé­ cors inattendus parsemés d’objets fantaisistes et changeants. C’est dans le second que Ahern créa son petit auto-stoppeur barbu et sa ri­ tuelle demande «Nov Shmoz Ka Pop?». (Crumb s’en inspira pour son «Mr. Natural».) Gene Ahern mourut le 17 novem­ bre 1960, « Room and Board » ayant pris fin en 1958. Créateur de l’une des plus populaires figures du comic strip US avec le «Major Hoople», Ahern, à mi-chemin en­ tre Fields et les Marx Brothers, en dépit d’un graphisme plaisant mais assez ordinaire, est de ceux qui très tôt introduisirent le goût de l’ab­ surde et de la dérision dans la BD américaine.

ALBERTARELLI Rino (1908-1974)

1

Né à Cesena le 8 juin 1908, Rino Albertarelli exerce, avant sa ving­ tième année, une foule de métiers dont céramiste, acteur, décorateur de théâtre, peintre et vendeur. Il part alors pour Milan où il ren­ contre Antonio Rubino qui le fait entrer au journal II Balilla. Plus tard, il collabore à Viaggi e Avventure et au Cartoccino dei Piccoli dont il assume la direction de 1933 à 1935. A partir de 1936, il com­

La cage de ¡‘Ecureuil (Squirrel Cage)

1979, Opera Mundi

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mence à réaliser ses premières sé­ ries à suivre : « I Pirati del Pacifico » dans Argentovivo et, dans L’Audace, «Capitan Fortuna» et «Big Bill». Il travaille aussi, souvent en colla­ boration avec Pedrocchi pour le scé­ nario, pour les deux grandes revues Mondadori : Topolino et Paperino. Il y dessine les aventures du « Doc­ teur Faust », de « Baghongi il Pagliaccio», d’un «Gentilhomme de seize ans», de «Gioietta Portafortuna » et surtout de « Kit Carson » et de «Gino e Gianni». «Kit Carson » a été créé en 1937 dans Topo­ lino. Le héros de ce que l’on consi­ dère généralement comme le premier western italien est un vieux sage de l’Ouest, chauve et mousta­ chu, dont les aventures seront repri­ ses en 1939, sur un scénario de Pe­ drocchi, par Walter Molino dans Paperino. L’action se déplace alors de l’Ouest américain au Mexique. «Gino e Gianni», pour sa part, était, comme beaucoup de bandes italiennes contemporaines ou pos­ térieures (voir par exemple « Anna nella Jungla » de Pratt), une retom­ bée du succès de «Tim Tyler’s Luck» de Lyman Young. Une fois de plus, nous avons une paire d’aventuriers adolescents, un décor exotique (ici, la Somalie de 1918) des actes intrépides et des épisodes à suspense. Le scénario passa en 1942 de Pedrocchi à Amedeo Mar­ tini. La série, devenue propagan­ diste, ne survécut pas à la guerre et disparut en 1943. Pendant la même période, outre sa collaboration à divers magazines sa­ tiriques (Il Bertoldo, Marc’ Aurelio, Settebello, Fra Diavolo...) Alberta­ relli commence à adapter les œuvres du célèbre romancier pour la jeu­ nesse, Salgari. Il poursuivra ce tra­ vail après son retour de la guerre dans les pages de la revue Salgari

entre 1946 et 1948. A cette date, il abandonne le domaine enfantin pour se consacrer à la bande dessi­ née sentimentale dans Nous Deux. Il illustre également des articles dans Successo, Tempo, Historia, Marie-Claire... Il réalise enfin pour Daim Press « I Protagonisti », histoires très bien do­ cumentées ayant pour héros les principales figures légendaires du Far West. La série a été interrom­ pue par sa mort le 21 septembre 1974. Par ailleurs, Albertarelli a écrit après la guerre une pièce de théâ­ tre, « Il Simulatore », en collabora­ tion avec Peppino de Filippo. Il fai­ sait également partie de l’équipe qui a organisé, en 1965, le premier Sa­ lon international de la Bande dessi­ née à Bordighera.

ALEXIS (1946-1977)

F

De son vrai nom Dominique Val­ let, Alexis a fait ses débuts à Pilote en 1968. Bientôt il crée, sur un scé­ nario de Fred, l’univers fantasticoburlesque de «Time is Money», sous-titré « Ils voyagent dans le temps pour de l’argent » (paru en al­ bum en 1973) et qui sera bientôt suivi de « Quatre Pas dans l’avenir » puis de «Joseph le Borgne». Dès 1970, il fournit à Pilote, avec des scénarios de Gotlib, une série de bandes parodiant des œuvres cé­ lèbres ou des succès du cinéma, des films de chevalerie (1970) à « La Dame aux camélias» (1973). Ces planches seront réunies en deux al­ bums, à partir de 1974. Pour Pilote encore, il a réalisé, sur des textes de Lauzier, une parodie de western ca-

© 1979, Opera Mundi

ricaturant férocement tous les cli­ chés du genre : ce sont « Les Aven­ tures d’Al Crâne » (parues en deux volumes, 1977-1978). En 1975, il publie dans Pif «Cor­ saire Julien », dont le personnage est inspiré par le chanteur Julien Clerc. Avec pour-scénaristes Gotlib, qu’il a rejoint dans l’expérience de Fluide glacial, et Jacques Lob, il dessine « Superdupont », le super-héros cent pour cent français (album paru en 1977). D’autres bandes, ayant pour auteur Gotlib et pour thème prin­ cipal la publicité (sous forme paro­ dique, bien sûr), seront réunies sous le titre « Dans la joie jusqu’au cou » (1978). Alexis, disparu très jeune, n’a laissé qu’un seul album dont il est le seul auteur : « Avatars et Coquecigrues » (1975), où il déploie toute sa verve humoristique. Dessinateur habile et d’une extrême souplesse, capable de donner vie à des univers extrême­ ment différents, il a réussi à adap­ ter son style à l’esprit de chacun de ses scénaristes tout en donnant à chacune de ses bandes sa touche personnelle.

ques dans YEspresso. Rentré en Ita­ lie en 1975, il entame une série dans le Corriere dei Piccoli, « La Pimpa » (« Prunelle » dans les albums de X'Ecole des Loisirs) et commence dans Linus ses feuilletons « Sandokan» (1976), «Colombo» (1977), «Ada nella Jungla» (1978), «Friz Melone» (1979), certains repris plus tard dans (A suivre). Suivront « Cuori Pazzi » et « Zago Oliva ». Il publie une page en couleurs dans l’hebdo politique Panorama, illus­ tre des livres et, comme dessinateur politique, a popularisé le person­ nage du métallo «Cipputi». A l’origine proche du graffiti, mais intégrant dans les feuilletons une élaboration poussée des contrastes entre le noir et le blanc, son gra­ phisme inscrit la décomposition des traits et des formes. L’atmosphère est gluante et les corps se changent en excréments. Altan pratique la su­ renchère dans la dérision, souli­ gnant par de courts et ironiques commentaires continus sous les vi­ gnettes la progressive désagrégation des personnages et de leurs rap­ ports. Mais si le rire se moque des miasmes du cloaque, il ne peut les dissiper. Quel espoir reste-t-il ?

Alix. Voir MARTIN Jacques.

ALTAN Francesco (1942-

)

I

Né le 30 septembre 1942 à Trévise, Francesco Tullio-Altan étudie l’ar­ chitecture puis travaille comme scé­ nariste, notamment avec Bertolucci, au cinéma et à la télévision. Etabli au Brésil, il crée la bande enfantine « Kika » dans le Jornal do Brasil (1972) et envoie des dessins à la re­ vue italienne Playmen. En 1974, il publie dans Linus la série « Trino » (reprise la même année en France sous le titre « La Création du Monde » dans Le Magazine Litté­ raire) ainsi que des dessins politi­

Fritz Melone

ANDERSON Cari (1865-1948)

USA

Cari Thomas Anderson naquit le 14 février 1865 à Madison dans le Wisconsin. Après de brèves études, il devint apprenti menuisier. Inté­ ressé par le dessin, il vint, en 1894, à Philadelphie suivre les cours d’une école d’art et réalisa des des­ sins de mode pour le Philadelphia Times, puis fut pendant quelques mois responsable artistique du Pitts­ burgh Cornet. Il commença alors une carrière de cartoonist indépendant, publiant dans Judge, Life, Collier’s, le Saturday Evening Post, Puck, etc. Appelé à New York pour dessiner dans le NY World, il y créa « The Filipino and the Chick», puis passa au NY Journal de Hearst où il pu­ blia diverses bandes comme « Raf­ fles and Bunny » ou, en 1900, « Kinetoscope », probablement l’une des toutes premières tentatives pour réunir BD et cinéma. Après diver­ ses allées et venues entre le World et le Journal, il crée, en 1903, pour le McClure Syndicate « Herr Spiegelberger, the Amateur Cracks­ man », puis pour le Daily News il dessine «Main Street». Pour la World Color Printing Co., il pro­ duira également un très grand nom­ bre de bandes parmi lesquelles «Teacher’s Pet». Cependant, au­ cune de ces séries ne connaîtra vrai­ ment le succès. Toujours dans les années 1900, il redevint indépen­ dant, donnant des dessins humoris­ tiques à diverses revues. En 1932, il regagne Madison où il donne quelques cours de dessin et crée en cette occasion un personnage de garçonnet chauve qu’il nomme Henry et propose au Saturday Eve­ ning Post. Le Post accepte ce qui n’est alors qu’un simple dessin. De­ venu vite populaire, ce dessin re­ tiendra, en 1934, l’attention de Hearst qui demandera à Anderson d’en faire une bande dessinée qui paraît pour la première fois le 17 dé­

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cembre 1934 et deviendra l’une des plus célèbres du KFS. Vaguement loquace dans les premiers cartoons du Post, Henry devient rapidement muet et la bande reste un des meil­ leurs exemples de pantomime strips jamais créés. Garçonnet solitaire et imperturbable, sorte de Buster Keaton en culotte courte, ignorant les obstacles ou les surmontant des fa­ çons les plus imprévues, Henry dif­ fère notablement de la plupart des gamins de la BD. Anderson fit preuve d’un style d’une grande concision, mélange harmonieux de courbes et de droites, sans effet de relief, un style épuré qui permit de faire oublier ce qui, dans son gra­ phisme, était un peu stéréotypé, no­ tamment les traits des personnages secondaires. En 1942, âgé de soixante-dix-sept ans, Anderson confia la réalisation de la série à ses deux assistants, Don Trachte qui assura la planche domi­ nicale et John Liney qui poursuivit la bande quotidienne. Tous deux en sont encore les responsables actuels, mais leurs signatures respectives ne devaient apparaître que plusieurs années après la mort de Cari Ander­ son, à Madison, le 4 novembre 1948.

1979, D.C. Comtes inc.

A-STÊNSE, NERVE-RACKINO PASS INTO THE MISTS OF TIME ...

ANDERSON Murphy (1926-

)

USA

D’un graphisme strict et serré, An­ derson fut récompensé de l’Alley Award du meilleur encreur par le fandom. Il est cependant un artiste complet et sa contribution à la bande dessinée de science-fiction n’est pas négligeable. De 1947 à 1949 et de 1958 à 1959 il dessina le strip « Buck Rogers » ; aupara­ vant, et dès 1944, il avait produit « Star Pirate » pour Planet Comtes chez Fiction House. Il donna aussi à cette maison « Life on other Stars » et « Sky Rangers » ; il dessina « Lars of Mars» pour Ziff Davis (1950); « Men into Space » pour la Western (1959)... Mais c’est à la National qu’il passa la plus grande partie de sa carrière, dessinant de 1951 à 1954 dans Strange Adventures les aventures du Captain Comet, puis à partir de 1960, sur un scénario de John Broome, celles des Atomic Knights, récit de la vie d’un groupe de rescapés d’un holocauste atomi­ que, ode à la vie d’une communauté retournée par force à une vie fruste. Il donna aussi dans cet illustré une quantité énorme de petites histoires de science-fiction, écrites par Broome, Gardner Fox et quelques

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Haukman

autres, qui relataient chaque mois l’échec d’une nouvelle invasion d’extra-terrestres ou la lutte contre un nouveau péril naturel. De 1963 à 1967, il dessina « Hawkman», faisant oublier que Joe Kubert était considéré comme le plus grand dessinateur de cette bande, puis il se consacra à toute une série de renaissances d’autres héros de l’âge d’or : Hourman, Dr. Fate, Spectre, Black Canary... Il participa en tant qu’encreur aux plus grands succès de la National durant les années 60, encrant Gil Kane pour « Atom » et « Green Lan­ tern », Carmine Infantino pour «Adam Strange» et «Batman», Curt Swann et d’autres pour « Su­ perman» et «Superboy». Mais le plus extraordinaire dans tout cela fut sans doute cette saga de« Adam Strange », chef-d’œuvre de ses trois auteurs, Infantino, Anderson et Gardner F. Fox, publiée dans l’il­ lustré Mystery in Space.

ANDERSSON Oskar (1877-1906)

S

Né à Stockholm le 11 janvier 1877, Andersson fut l’une des premières grandes personnalités de la bande dessinée suédoise. Ami du célèbre sculpteur et peintre Cari Milles (lé­ gendaire en Suède), il publia ses premières séries humoristiques dans un hebdomadaire du dimanche, le Sôndags-Nisse. Peu de temps après, le grand caricaturiste du journal, Al­ bert Engstrôm, quitta celui-ci pour fonder la revue satirique Strix qui est un peu, pour la Suède, l’équi­ valent de notre Assiette au Beurre. Ce fut pour le jeune Oskar Anders­ son la chance de sa vie, puisqu’on lui proposa immédiatement de le remplacer. Il devait publier alors « Brôderna Napoléon och Bartholomeus Lunds fran Grônkôping resa jorden runt » (« Le Voyage autour du monde des frères Napoléon et Bartholomeus Lunds de Grônkô­ ping »), en douze épisodes. Mais sa création la plus fameuse fut « Mannen som gôr vad som faller honom in » (ce qui signifie à peu près : « L’Homme qui fait ce qu’il lui plaît »), en vingt épisodes publiés de 1902 à 1906. Bande généralement muette, extrêmement originale, an­ ticonformiste, qu’on pourrait pres­ que dire anarchiste, d’un humour absurde et d’un trait extrêmement stylisé. Les initiales OA dont l’au­ teur signait cette série sont deve­ nues fameuses dans toute la Suède. Parallèlement, Andersson fut aussi l’auteur de «Urhunden», mettant en scène un personnage venu de la Préhistoire dans le monde moderne. Comme beaucoup de grands humo­ ristes, Oskar Andersson était dans la vie un homme profondément dé­ sespéré et pessimiste. Il devait met­ tre fin à ses jours, le 26 novembre 1906.

ANDREAS (1951-

)

D

« La Caverne du souvenir » est peutêtre le premier album d’Andréas (Martens, né à Düsseldorf) qui existe par lui-même. Ses œuvres précédentes laissaient transparaître l’influence de maîtres admirés, Neal Adams, Bernie Wrightson, M.C. Escher pour le graphisme, Howard Phillips Lovecraft pour l’écriture, parfois souli­ gnées en cela par les scénarios de François Rivière. On retrouvait aussi parfois le trait d’un Eddy Paape qui fut son professeur à l’ins­ titut Saint-Luc de Bruxelles et avec

lequel il collabora sur «Udolfo» dans Tintin. Après « Révélations posthumes » (A suivre) (1978), «Rork» (Tintin, 1978), « Cromwell Stone » (Le Plus Grand Illustré, 1982), «Cyrrus» (Métal hurlant, 1984), après l’Alle­ magne, la Belgique, le fantastique Anglo-Saxon, Andréas qui vit à pré­ sent près de Saint-Brieuc a trouvé en Bretagne la terre de ses propres rêves, les vagues et les pierres de son univers. « La Caverne du sou­ venir » en est l’émanation, avec ses images fortes, sa fantaisie, ses plan­ ches irréelles, sa mise en page su­ perbe. Il a aussi dessiné un «Jane Eyre» pour Je bouquine.

ANDRIOLA Alfred (1912-1983)

OSA

Né à New York, dans Greenwich Village, en 1912, Alfred Andriola, après des études plus ou moins écourtées à la Columbia University School of Journalism et à la Cooper Union, entra au studio de Milton CanifTet de Noël Sickles, en 1935, où il servit d’employé à tout faire, mais n’eut pratiquement aucune part, comme assistant, dans la réa­ lisation des bandes. En 1938, il eut l’occasion de créer pour le McNaught Synd. une série, « Charlie Chan », d’après le personnage de détective oriental imaginé par Earl Derr Biggers. Sa pratique du des­ sin était alors minime, et, si Sickles et Caniff l’aidèrent au tout début, il eut également un assistant, Char­ les Raab, qui le quitta en 1940 pour reprendre la série «Patsy». An­ driola assura sa bande dans un style très « à la Caniff» et créa le person­ nage de Kirk Barrow, blond assis­ tant de Chan, et qui permettait d’utiliser des intrigues plus mouve­ mentées. La série connaissait un succès convenable, mais Andriola désirait être l’auteur d’un héros bien à lui. En 1942, il renonça à «Charlie Chan » et réalisa une courte série de guerre, «The Yankee Rangers» pour le KFS. Au même moment, le Publishers Syndicate lui proposa de poursuivre le strip « Dan Dunn, Se­ cret Operative 48» (créé en 1933 par Norman Marsh et brièvement repris par Paul Pinson), ce qu’il ac­ cepta à condition de pouvoir ensuite créer sa propre bande. Il dessina « Dan Dunn » dans un style person­ nel, épais et pourtant dynamique, qui annonçait le style à venir d’un Hubinon ou d’un Paape. En 1943, tout en réalisant un comic book

pour les Crack Comics de Quality, « Captain Triumph », histoire d’un homme qui, hanté par l’esprit de son frère jumeau décédé, devenait un super-héros, il put enfin lancer le premier strip dont il était l’auteur complet, « Kerry Drake », avec, pour héros, un détective (dont Kirk Barrow fut la préfiguration). « Kerry Drake » se distingue par son côté quotidien prononcé ; son héros n’est pas un surhomme, mais quelqu’un saisi dans sa vie de tous les jours et à qui l’aide de son épouse Mindy est souvent pré­ cieuse. La violence y est néanmoins présente, mais l’humour et une cer­ taine sentimentalité y trouvent leur place. Si Kerry est un policier offi­ ciel, son jeune frère Lefty est un privé, et cela contribue à donner un piment supplémentaire à la série. De 1958 à 1962, pour le Hall Synd., Andriola, avec le concours de Mel Casson, et sous le pseudonyme commun d’Alfred James, créa le strip «It’s Me, Dilly» dont l’hé­ roïne était une fille de la grande ville, jolie, vive et amusante. Casson et Andriola publièrent égale­ ment ensemble un recueil de dessins humoristiques, « Ever Since Adam and Eve». Même s’il s’est appe­ santi, le graphisme d’Andriola est resté plaisant, ayant su à partir de la tradition « caniffienne » trouver un ton propre, sympathique à la manière des films de série B de la grande époque. Dans «Charlie Chan » tout particulièrement, An­ driola révéla de réelles qualités dans sa manière de construire des scènes nocturnes, apportant ainsi une contribution non négligeable à l’es­ thétique du noir et blanc dans la BD. Andy Capp. Voir SMYTHE Reginald.

ANGLETERRE (Bande dessinée en) Sans faire remonter les origines de la bande dessinée anglaise aux « sé­ quences narratives » des tableaux de Hogarth, on peut en voir une pre­ mière ébauche dans le dessin satiri­ que et la caricature politique de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle. Chez Thomas Rowlandson (1757-1827) et James Gillray (1757-1815), on rencontre déjà le texte sous l’image, le ballon, la di­ vision en cases et même un person­ nage à suivre (le Dr. Syntax de Rowlandson). L’époque victorienne se caractérise

__________________________ _____________________ __________ © 1979, collection privée

Oskar Andersson : « mannen sont gör vad som faller honom in »

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Jane


.s Gioup

dans Tomb of Dracula que son style pouvait parfaitement s’accommoder de l’horreur gothique. Quittant les héros de la Marvel, après un roman graphique Stewart the Rat sur scénario de Steve Ger­ ber (1981 - Eclipse), il passa à la Na­ tional, renouvelant l’image de Won­ der Woman et de Batman, et dessi­ nant quelques séries limitées : « Na­ thaniel Dusk», un polar de bonne facture sur scénario de Don Mc Grégor (1983-84 et 1985) et « Jemm Son of Saturn » écrit par Greg Pot­ ter (1984-85)

COLE Jack (1914-1958)

USA

Né le 14 décembre 1914 à New

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Castle (Penn.), il débute par des des­ sins dans Boy’s Life Magazine en 1935. Sous le pseudonyme de Ralph Jones, il réalise divers comic books humoristiques pour la Chesler Shop (1937) avant de rejoindre Comic House ( 1939) où il travaille sur « Sil­ ver Streak » et « Daredevil ». Remar­ qué par Everett Arnold, il passe chez Quality Comics. Après s’être occupé de quelques titres d’aventu­ res et de super-héros, il crée dans le numéro 1 de Police Comics en août 1941 sa série «Plastic Man», poursuivie jusqu’en 1950, tout en assumant le strip quotidien du « Spirit » en 1942-1943 après la mo­ bilisation de Will Eisner. En 1950, il publie des cartoons dans Collier’s, Judge et le Saturday Evening Post, puis, en 1954, sa fameuse série « Fe-

)

B

Né Dieter en territoire belge annexé et devenu Didier après la Libéra­ tion, Cornés était-il prédestiné au dédoublement? Il débute en 1969 avec des gags d’actualités, « Her­ mann au pays d’Outre-là », dans le Soir Magazine où il publie en 1972 une série sur deux rats, « Les Cheeses», après une brève incursion dans Spirou en 1971. En 1973, il est dans Pilote avec « Ergun l’errant », récit de science-fiction au graphisme réaliste, puis gagne Tintin avec une histoire de guerre, « L’Ombre du corbeau » (1975). En 1977, il parti­ cipe au Trombone illustré avec trois bandes humoristiques (« Les Zo­ zos», «Les Durs», «La Nef des fous»). C’est enfin en 1979 la ve­ nue à (A suivre) où il crée « Silence », suivi du «Maître des ténèbres» (nouvel épisode de « Ergun ») en 1980, puis « La Belette » en 1981 et « Eva » en 1982. Loin de se dégager progressivement d’influences antérieures, Cornés semble, à chaque fois, depuis tou­ jours familier du style qu’il vient

CORBEN Richard Vance (1940-

Cole, « Plastic .Man »

d’adopter (même ses trois séries co­ miques du Trombone sont graphi­ quement dissemblables) comme s’il se dissimulait derrière ce nom, non pas un, mais plusieurs dessinateurs. Cette aisance dans la métamorphose n’est pas exempte de fragilité. Si elles sont les plus accomplies, ses sé­ ries de (A suivre) évoquent trop Pratt, Tardi et Muñoz. Cornés sait cependant intégrer le fantastique au quotidien et son sens du récit atté­

i»;i.xrr

nue la gratuité de certains effets gra­ phiques. Conan. Voir BVSCEMA John, KANE Gil, .MARVEL COMICS CROIT, SEVERIN John Powers, SMITH Barry, THOMAS Roy.

Connie. Voir Godwin Frank.

)

OSA

Corben fut très longtemps un artiste de l’underground, il dessina pour de nombreux comix, en particulier Skull aux côtés de Deitch, Todd, Sheridan et Spain, Death Rattle et Fever Dreams, Slow Death, Fantagor et Anomaly. Dans ces derniers, il amena des artistes du fandom : Jan Strnad, son scénariste de prédilec­ tion, Bob Kline, Arnold Drake... et Anomaly avait en fait été d’abord un très luxueux fanzine. Dans le même temps, Corben tra­ vaillait pour le cinéma d’animation et pour les magazines de James Warren, Creepy, Eerie et Vampirella (1970). Il devint la vedette de ces magazines, y publiant des bandes en noir et blanc mais aussi en couleurs, donnant dans l’horreur et dans la science-fiction. Son style est unique, mêlant des couleurs hallucinées à un réalisme photographique que seul lui permet l’usage de l’aérographe. Réalisme photographique du graphisme mais appliqué à des personnages aux sil­ houettes trop musclées, massifs et lourds, presque disproportionnés, qu’il s’agisse d’hommes ou de fem­ mes. Ses séries les plus célèbres sont sans doute « Rowlf » et « Den », publiées

Corben, «Slow Death» (1970)

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en épisodes dans Métal hurlant, une adaptation des Mille et Une Nuits avec Jan Strnad, et plusieurs ro­ mans graphiques publiés en France par Fershid Bharucha : Jeremy Brood, La Chute de la maison Usher, ainsi que de nombreux recueils d’histoires d’horreur.

CORNILLON Luc (1957-

F

)

Voir CHALAND.

Corto Maltese. Voir Hugo.

pratt

COSEY Bernard (1950-

)

CH

De son vrai nom Bernard Cosandey, né le 14 juin 1950, il travaille d’abord dans une agence de publi­ cité en Suisse, puis collabore avec Derib en 1970 avant de créer sa pre­ mière série « Monfreyd et Tilbury » (sc. de Duchâteau) dans Le Soir Jeu­ nesse en 1971. Dans le quotidien suisse 24 Heures, il publie les séries «Paul Aroïd» et «Séraphin Ledoux» entre 1972 et 1974. Il entre à Tintin en 1974 avec les aventures de «Jonathan» dont les épisodes se succéderont jusqu’en 1984 lorsqu’il abandonne provisoirement son hé­ ros pour une tentative plus élabo­ rée « A la recherche de Peter Pan », toujours dans Tintin. Du Nord canadien («Monfreyd») au Valais suisse (« Peter Pan »), via le Népal («Jonathan »), l’univers de Cosey est celui des étendues neigeu­ ses, de la surface blanche, de la nos­ talgie d’une pureté perdue. C’est l’univers des signes et des traces, traces dans la neige, traces dans la mémoire. Comme Derib, mais avec un dépouillement du trait qui confine parfois à la calligraphie, Cosey pratique l’art des incrusta­ tions de vignettes, des montages aux formes et surfaces variées. Mais rien n’est gratuit dans ce goût des imbri­ cations. C’est qu’au-delà des modes d’hier (en dépit du Népal) ou d’au­ jourd’hui, l’aventure chez Cosey est d’abord intérieure.

COSSIO Vittorio

COSSIO Carlo (1907-1964)

I

Né à Udine le 1" janvier 1907, Carlo Cossio a commencé sa car­ rière comme décorateur. En 1928, il se lance dans le dessin animé pu­ blicitaire et dans l’illustration. En

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1932, il réalise en collaboration avec son frère Vittorio le dessin animé « Zibillo e l’Orso». Dans le domaine de la bande dessi­ née, il réalise en 1938 dans le jour­ nal illustré L’Audace, «Dick Ful­ mine » qui devait obtenir un succès immense en Italie et en Espagne où il sera, sous le nom de Juan Centella, la vedette d’une collection de comic books. Dick Fulmine était, comme le Romano de Kurt Caesar, destiné à remplacer les héros de bandes américaines bannis par Mussolini. Justicier italo-américain fort en gueule et doté de poings re­ doutables, il a combattu au cours de sa longue carrière (dix-huit ans) une foule de gredins de toutes races et de toutes nationalités, sans oublier les Alliés pendant la guerre. Les scé­ narios étaient de Vicenzo Baggioli, de Martini ou des frères Cossio euxmêmes. Carlo, à l’exception de quelques épisodes dessinés par Giorgio Scudellari, Sinchetto ou son frère Vittorio, a assumé la réa­ lisation de la bande jusqu’en 1955, date à laquelle, épuisé, il a dû se re­ tirer. Carlo Cossio qui, à la suite d’ennuis avec le ministère de la Culture mussolinien, était revenu quelque temps au dessin animé (il réalise en 1940 « Pulcinella nel Bosque ») est égale­ ment l’auteur de «Furio Almirante», créé en 1940 sur un scéna­ rio de Gianluigi Bonelli. Furio Almirante, qui s’est d’abord appelé « X-l, il Pugile Misterioso », est un boxeur justicier dans la lignée de Dick Fulmine. « Furio Almirante » a été repris en 1941 par Vittorio Cossio. La bande a reparu après la guerre, dessinée par Franco Bignot. Bien que l’idéologie fasciste en ait été soigneusement gommée, elle n’eut pas grand succès et ne dura que quelques mois. Carlo Cossio a encore réalisé «Franca», «Tanks», «La Freccia d’Argente» et «Búfalo Bill» (en 1951 dans L’Intrépido). «Búfalo Bill » (avec un seul f) est une des in­ nombrables versions en bandes des­ sinées de la biographie du célèbre William Cody, sur un scénario de Luigi Grecchi. Carlo Cossio est mort d’un cancer en 1964.

(1911-

)

I

Né en 1911, Vittorio Cossio a suivi une carrière parallèle à celle de son frère Carlo. Comme lui, il débute comme décorateur à Milan, puis les deux frères collaborent dans le des­

sin animé («Zibillo e l’Orso», 1932). Il met également la main à « Dick Fulmine », et reprend, un an après sa création, soit en 1941, l’au­ tre bande célèbre de Carlo, « Furio Almirante ». Dans les années 30, Vittorio Cossio a également dessiné « Rin Tin Tin » et « Primarosa » et en 1935, pour le Corriere dei Piccoli, « Venturino » et des séries réalistes sur la guerre d’Espagne. En 1940, il crée une bande d’aviation, «Turbine» et, pour l’hebdomadaire Giramondo, son célèbre personnage «RafT».

CRAENHALS François (1926-

)

B

Entré à Tintin en 1950, François Craenhals y fit l’essentiel de sa car­ rière. Ce n’est que l’année qui sui­ vit, après des illustrations isolées et des travaux divers, qu’il commença sa première série avec « Le Cas étrange de M. de Bonneval », une aventure de Rémy et Ghislaine. Ces deux héros enfants ne connurent qu’une autre aventure, « Le Puits » (1952-1953) mais Craenhals devait ensuite se spécialiser dans les ban­ des d’enfants et d’adolescents avec « Pom et Teddy » à partir de 1954, « Les 4 As » et même « Chevalier Ar­ dent ». « Pom et Teddy », ce sont les aven­ tures de deux adolescents, Teddy et Maggy et de leur petit âne Pom. Des aventures qui se déroulèrent d’abord dans le milieu du cirque, en Belgique, et qui les entraînèrent en­ suite dans d’autres pays, aux Indes (« Le Talisman noir »), dans l’Espa­ gne des gitans (« Le Secret de Balibach »), la Thaïlande (« Le Léopard des neiges» et «Le Bouddha des eaux »). Des pays dont l’aspect fa­ buleux et mythique, surtout dans la perception enfantine des héros de Craenhals, fit de ces histoires des contes à moitié fantastiques où ré­ gnait une atmosphère insolite. Les méchants devinrent monstres les plus noirs, les aventures pleines de mystères... Fantastique, personna­ ges propres à donner des cauche­ mars, dépaysement, le pas était étroit séparant « Pom et Teddy » de «Chevalier Ardent». Ardent, un chevalier à peine sorti de l’adolescence et en ayant encore tous les travers, prompt à s’enflam­ mer, violent, timide, orgueilleux, obstiné. Ardent, la transcription de Remy et de Teddy dans un Moyen Age né des légendes de la Table Ronde. Mais aussi une double fa­ cette, d’un côté la lutte du jeune

loup pour s’assurer d’un domaine, pour affirmer son indépendance face à un roi Arthur tout-puissant, de l’autre côté l’intrusion dans les récits de la magie et du fantastique, sous forme de cauchemars ou d’ap­ paritions réelles d’êtres fabuleux, qui fait de «Chevalier Ardent» 1 une des rares séries d’heroic fantasy d’expression française. Hors de Tintin et des « Quatre As » réalisés pour Casterman, Craenhals travailla régulièrement pour PetitsBelges qui devint Tremplin en 1962 et pour Seeonee, la revue des scouts belges. Par ailleurs, il est l’auteur du strip humoristique « Primus et Musette », publié dans La Libre Bel­ gique et autre bande consacrée aux aventures de deux enfants.

CRANE Roy (1901-1977)

USA

Né le 22 novembre 1901 à Abilene (Texas), Royston Campbell Crâne, eut, dès 1918, un travail de cartoonist dans l’équipe du Fort Worth Re­ cord. En 1920, il suivit pendant six mois les cours de la Chicago Academy of Fine Arts, puis retourna au Texas où il devint reporter à l’Austin American, tout en fréquentant brièvement l’université du Texas. Il s’embarqua comme marin sur un cargo pour Anvers, puis regagna les USA où il devint l’assistant de H.T. Webster au NY World en 1922. Après une tentative malheu­ reuse de panel, « Music to Ear », ac­ cepté par l’UFS sans trouver suffi­ samment d’acheteurs, il créa, en 1924, pour la NEA, un strip, « Was­ hington Tubbs II», dont le héros était le jeune commis d’une épice­ rie. Il s’agissait d’un strip humoris­ tique qui n’était pas sans rapport avec un autre strip du NEA, « Salesman Sam » de George Swanson. Crâne s’écarta de cette veine, en fai­ sant partir, peu après, son héros à la recherche d’un trésor dans une île lointaine. Cette introduction de l’aventure dans la série n’eut pas de suite immédiate mais, en 1926, Crâne revint à ce genre de thèmes aventureux et lança Wash Tubbs (la bande fut ainsi retitrée) dans diver­ ses expéditions plus ou moins loin­ taines avec son nouveau partenaire Gozy Gallup. Wash était un petit bonhomme aux cheveux noirs frisotants, porteur de lunettes, qui res­ tait dans la tradition des bandes co­ miques. En 1929, alors qu’il se trouvait dans le royaume de Kandelabra, déjouant de sombres complots, il y rencontra dans une prison un grand gaillard qui se fit

appeler simplement Easy. Easy s’était fait passer pour capitaine d’artillerie et travaillait pour la prin­ cesse du Kandelabra qui l’appelait «Captain Easy». C’était un Améri­ cain dont on apprit par la suite qu’il avait pour nom William Lee et avait été chassé de West Point après son divorce. Easy remplaça Gozy comme partenaire de Wash Tubbs et devint rapidement le principal héros de la série. En 1929, égale­ ment, Crâne créa un sunday page, qui n’était qu’un top humoristique de quatre vignettes surmontant le sunday page «Out Our Way». En 1933, il put enfin créer une pleine page dominicale qui fut tout entière consacrée au Captain Easy et à son passé d’aventurier, sans que Wash Tubbs y apparaisse. Titrée «Cap­ tain Easy, Soldier of Fortune» elle innova par sa structure graphique et ses nombreuses onomatopées tou­ jours soigneusement intégrées à l’ensemble. Dès lors, Crâne s’y consacra essentiellement et confia le daily strip à ses assistants, notam­ ment Bêla Zaboly qui le réalisa jusqu’en 1936. En 1937, Leslie Turner (né en 1899) lui succéda, tandis que Crâne dans le sunday page donnait libre cours à sa fantai­ sie, y introduisant même un animal magique, le «swink». Au début de la guerre, le mariage de Wash Tubbs laissa Easy seul héros de la bande (Wash réapparut par la suite). En 1943, Crâne vint au KFS, où il créa « Buz Sawyer », laissant le daily strip à Turner, tandis que le sunday page était confié à Walt Scott qui le poursuivit jusqu’en 1952, avec divers ghosts comme Charles Franck, puis le laissa à Tur­ ner lui-même qui, en 1960, en con­ fia la réalisation à Mel Graff. En janvier 1970, Turner se retira et, depuis, daily strip et sunday page sont confiés à Bill Crooks (dessin) et Jim Lawrence (texte). Crâne, de son côté, s’attacha à son nouveau héros, Buz Sawyer, un pilote de l’aéronavale. La paix revenue, tou­ jours pilote, Buz connut à son tour les charmes d’une vie aventureuse, et ses périls, dans des contrées exo­ tiques ou aux USA même. Son compagnon de guerre, l’amusant Rosco Sweeney, devint le héros du sunday page, allant vivre avec sa sœur dans une orangeraie de Flo­ ride, animant ainsi une sorte de family strip un peu particulier, et non exempt de fantaisie avec l’appari­ tion d’un sympathique Martien. Ce sunday page fut l’œuvre, surtout par la suite, de ses assistants, Al Wenzel, Edwin Granberry et Hank Schlensker, et fut arrêté en mai 1974. Crâne et ses assistants pour­

suivirent le daily strip, mais R. Crâne, depuis longtemps ma­ lade, mourut en juillet 1977. « Buz Sawyer» est actuellement l’œuvre de Joe Orlando et de Edwin Gran­ berry. L’importance de Crâne n’est pas négligeable. Il créa la bande d’aventures ; il fut l’un des premiers aussi à avoir le souci d’une docu­ mentation méticuleuse; l’un des premiers également à se servir gra­ phiquement des onomatopées, les Wop, Plunk, Crash, Bams, Yeows et autres Lickety Whops trouvent chez lui leur origine. Il fut le pre­ mier à renouveler l’esthétique du noir et blanc, utilisant les teintes grises d’une façon originale. Il commença d’abord par frotter un crayon gras sur du papier rugueux mais, dès la fin des années 30, il ex­ périmente avec Leslie Turner, un nouveau papier, le Doubletone de la firme Craftint, qui permet de tra­ mer directement deux types de gris (à la même époque Gottfredson fait de même dans Mickey), et il passe maître dans cette technique. Crâne resta fidèle à un style mi-réaliste, mi-caricatural, ses personnages fé­ minins étant particulièrement réus­ sis. Enfin, il fut aussi l’un des pion­ niers d’une narration de type cinématographique, utilisant les changements de plan au mieux de l’action, concentrant les effets dans le minimum de vignettes, cherchant un découpage rapide et sans redon­ dance. Il serait injuste d’oublier Leslie Turner qui sut continuer « Captain Easy » (c’est ainsi qu’il fi­ nit par retitrer la série entière) avec le même talent que Crâne, avec le­ quel il resta toujours en étroite re­ lation, tous deux vivant à Orlando en Floride.

CRAVERI Sebastiano (1889-1973)

I

Né le 30 mars 1889 à Turin, Sebas­ tiano Craveri, après avoir participé à la Première Guerre mondiale, puis travaillé dans l’édition et le journa­ lisme, commença une carrière dans la BD en collaborant avec le Radiocorriere en 1930 ; en 1931, il com­ mence à dessiner ses animaux humanisés dans le Giomale dei Fanciulli. Mais c’est en 1937 qu’il dé­ bute au Vittorioso, y créant de nom­ breux animaux comme Giraffone, Pinco Pallino, Bull, Tony, Birba, etc. qu’il fait vivre dans de nom­ breuses aventures, « Zoo Film », « La Chiave del Tesoro », « Zoolandia », « Il Brontolosauro », « Il Cas­ tello degli Spiriti», etc. jusqu’en 1962. Pour l’Aspirante, en 1939, il

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crée les «Avventure di Spinarello, Moccolino e Zaratustra». Après la guerre, il produit de nombreuses autres bandes d’animaux pour di­ vers journaux italiens, ne dessinant que rarement des personnages hu­ mains comme, par exemple, « Il Re Gobbo », en 1949. Craveri fut aussi illustrateur de li­ vres, décorateur de théâtre et fit des dessins publicitaires. Il occupe en Italie une place assez analogue à celle de Calvo dans la BD française. Mais son graphisme reste original, plus stylisé, plus sobre, utilisant les

lignes droites au moins autant que les courbes, tout particulièrement dans les années 30. Tel quel, son bestiaire reste l’un des plus person­ nels de la BD internationale. Cra­ veri est mort à Rome le 25 octobre 1973.

CREPAX Guido (1933-

)

1

Né à Milan, Guido Crepax, titulaire d’un diplôme de la faculté d’archi­ tecture (1958) commence une car­

rière d’illustrateur dans la publicité et l’édition, collaborant notamment au périodique Tempo Medico (1958). En 1965, c’est la création de Lbms par Giovanni Gandini ; Crepax y est présent dès le numéro 2, avec « I.a Curva di I.esme», dont le héros principal est Neutron, mais où l’on voit déjà Valentina, personnage se­ condaire de jeune femme reporter. Elle réapparaîtra bientôt seule dans l’éphémère magazine Ali Baba, avant de devenir l’héroïne privilé­ giée de Crepax, dont il se complaît à représenter les fantasmes maso-

VALENTINA

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Crespin, « Dortüfine »

.c 1985, Les Humanoïdes Aijociés

chistes. Le dessinateur publie « La Battaglia di Waterloo» (Almanach 1965 de Linus) avant de se lancer dans l’univers de la science-fiction avec « L’Astronave Pirata » (1968); puis ce sont « La Calata di Mac Similiano » (« La Chute de Maximi­ lien ») et « La Casa Matta », deux bandes réalisées en 1969. Crepax publie « Proposito di Valentina» (1975) et, avec «Valentina dans le Métro» (1975), lance son héroïne favorite dans un univers de folie où elle rencontre tous les grands héros de BD. Entre-temps, il a créé des séries aussi différentes que l’épopée de « Alexandre Newski », trois ban­ des ayant pour héroïnes de belles jeunes femmes maltraitées, « Be­ linda», « Bianca», «Anita», ainsi que sa version personnelle de « L’Histoire d’O » de Pauline Réage (1975). Il est également l’auteur d’une série de dessins animés réali­ sés pour la télévision italienne (1970). A travers toutes ces créations, Cre­ pax s’est forgé un style original, d’une extrême sophistication, qui donne aux images les plus violen­ tes, les plus crues, une sorte de per­ fection glacée. Il allie l’élégance du trait (ses héroïnes, femmes-lianes, évoquent souvent des gravures de mode des années 30) à des composi­ tions assez complexes, visant à bri­ ser la continuité de la narration par des inserts, des images flashes ; ten­ tative graphique qui trouve son exacte correspondance au niveau du scénario, dans le va-et-vient incessant entre la réalité, le rêve, les fantasmes érotiques, les images mentales.

CRESPIN Michel (1955-

)

F

Ancien élève des Arts décoratifs de Nice, Michel Crespin commence à publier ses premières BD dans Afétal hurlant (1977). D’emblée, il im­ pose un ton et un style évoquant l’angoisse d’un monde futur soli­ taire et glacé, l’horreur de l’ère post­ atomique avec un trait léger, d’une délicatesse extrême, qu’il nuancera

parfois d’aquarelles. La saga de « Marseil » (album en 1979) est pro­ che d’une certaine prise de cons­ cience politico-écologique typique de la science-fiction de cette pé­ riode. Suivront «Armalite 16» (1980) et «Lune blanche» (1981) ainsi que « Attentes » (1982), une sé­ rie de très courtes bandes, abandon­ nant parfois ses paysages familiers pour une Amérique un peu trop «cliché».

CROSBY Percy (1891-1964)

OSA

Né le 8 décembre 1891 à Brooklyn, Percy Leo Crosby ne connut qu’une brève scolarité et devint un coursier au Delinator, un magazine populaire, dans les années 1900. En 1907, il vendit son premier dessin à Life. Il étudiait cependant l’art au Pratt Institute et à l’Art Students League, puis collabora au NV Call et au NY Globe, y faisant des des­ sins d’actualité. Il entra au NY World et créa divers kid strips de brève durée comme « Babyettes », « Beany and the Gang » ou « Todd­ les». En 1915, il rejoignit le McClure Synd. où il créa le strip « The Clancy Kids » (ou « Timmie and Buddy») et, en 1917, il quitta les USA pour aller combattre en France. A son retour, il travailla en free-lance et, en 1919, il publia sa première planche de « Skippy » dans Life. « Skippy » était alors traité en pantomime, paraissant irrégulière­ ment. En mars 1923, il devint une page régulière de Life tout en ces­ sant progressivement d’être une bande muette. En 1925, un petit syndicate, Johnson Features, le dis­ tribua, Crosby étant propriétaire de sa série, et un daily strip fut dès lors créé. En 1928, le strip (daily strip et Sunday page) fut repris par le KFS. Crosby lui ajouta un top do­ minical, «Always Belittlin’». En 1927, Crosby avait écrit une nou­ velle sur «Skippy» et en publia d’autres ensuite dans le Ladie’s Home Journal, qui furent reprises en volume. La bande, en effet, fut populaire. Pourtant, «Skippy»

n’était pas un kid strip ordinaire. L’humour y était certes présent, mais les enfants, Skippy en tête, avaient le plus souvent l’air renfro­ gné et exprimaient la propre philo­ sophie pessimiste de Crosby. Skippy était amer, sceptique, sarcas­ tique même à l’égard du monde adulte. Dans un esprit différent, la bande était plus proche des actuels « Peanuts », par ses thèmes, que des autres kid strips de son époque. Un graphisme nerveux, rapide, avec des décors très simples et parfois inexis­ tants, ajoutait au modernisme de la série. Les aventures de Skippy Skinner prirent fin en 1943 lorsque Crosby, malade, dut s’arrêter. Il mourut le 8 décembre 1964 à New York. Dans les années 30, Crosby produisit également de nombreux dessins politiques et entreprit des campagnes contre la prohibition, le pacifisme, le communisme, éditant lui-même (the Freedom Press) ses li­ vres sur ces sujets. Il fit également de nombreux tableaux, et des expo­ sitions eurent lieu jusqu’à Londres, Paris et Rome. En 1931, l’œuvre de Crosby donna lieu à deux films, « Skippy » d’après sa BD, et « Sooky » d’après sa nou­ velle Dear Sooky, elle-même inspi­ rée par la bande. Ces deux films fu­ rent réalisés par Norman Taurog et eurent pour interprète Jackie Cooper. Joseph Mankiewicz participa au scénario de chacun d’entre eux.

CRÜMB Robert (1943-

)

USA

Fils d’un officier des marines, Ro­ bert Crumb est né à Philadelphie le 10 août 1943. Adolescent passionné de comics, grand admirateur de Harvey Kurtzman et des BD sati­ riques de Mad, il crée avec son frère aîné un fanzine, Foo, et dessine des personnages animaux qu’on retrou­ vera plus tard dans ses bandes (Fuzzy the Bunny, et même Fritz the Cat, esquissé dès 1959). A dix-neuf ans, il part pour Cleve­ land où il dessine des cartes de vœux. Après un long voyage en Eu­ rope, il séjourne à New York, où il

69

naturallovable

c HtxefvQ

collabore à Help, Evo, Gothic Blimp, publie dans Cavalier les premières aventures de Fritz, et dans Yarrows­ talks (périodique underground de Philadelphie) les premiers épisodes de « Mr. Natural ». A San Francisco, dès 1967, il décou­ vre la contre-culture et un nouvel art de vivre, dont il subira profon­ dément l’influence, tout en gardant toujours ses distances. Il met au point le comic book Zap, dont le nu­ méro 1 paraît en 1968 : d’abord vendu dans les rues par l’auteur et ses proches, c’est bientôt un succès gigantesque et le début de l’ère des comix. Le nom de Crumb figurera au som­ maire de nombreux comic books underground (Zap, Snatch, Motor City, Despair, Big Ass, Homegrown Funnies, People’s Comics, Black and White Comics, etc.) et de magazines de la grande presse (Esquire, Cava­ lier, Kiss, etc.). Le dessin animé réa­ lisé en 1972 par Ralph Bakshi à par­ tir du personnage de Fritz the Cat remporte un énorme succès inter­ national, qui ne profite guère à son créateur : sa méfiance vis-à-vis du dollar roi, son idéalisme et son refus d’entrer dans le système des syndi­ cates, ont eu pour conséquence un pillage systématique de son œuvre. Pourtant, il a créé les personnages les plus représentatifs de sa généra­ tion, avec les « Freak Brothers » de Shelton. A travers Fritz the Cat, personnage complexe et ambigu, il a donné une satire du monde des gauchistes et des marginaux vu de l’intérieur. Dans « Whiteman », c’est la mauvaise conscience de l’Américain blanc face aux races di­ tes sauvages, représentées par Angelfood McSpade, la Noire, et la Yeti, femme des bois à la fois éroti­ que et maternelle, symbole d’une

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certaine liberté. Honeybunch Kaminski est la petite fille fugueuse, sexy et attendrissante, qui se heurte à la répression. Léonore Goldberg est le portrait sans complaisance d’une militante. Dans la peinture des créatures féminines, Crumb s’abandonne à la fascination des amazones, se complaît à représen­ ter Horny Harriett la nymphomane ou les terribles femmes-vautours. De telles créations lui ont d’ailleurs attiré les foudres des mouvements féministes aussi bien que la censure officielle. Mr. Natural, personnage extrême­ ment ambigu, apparaît tantôt comme un gourou, un vieux sage, tantôt comme un escroc de grande classe ; auprès de lui, son disciple fa­ vori, Flakey Foont, bourré de complexes et de frustrations, fait piètre figure. A travers ces créatures significati­ ves, Crumb a donné à la contreculture son expression privilégiée, et représenté l’envers du grand rêve américain, ses mythes, ses fantas­ mes, et sa faillite idéologique ; il il­ lustre la crise de conscience de sa génération, d’une manière prodi­ gieusement drôle mais sans indul­ gence. Des influences subies (Disney et Cari Barks, Segar, Wolverton, mais aussi les autres formes de culture populaire, le blues, le cinéma, etc.), il a réussi à créer un style original et parfaitement maîtrisé qui, à son tour, a servi de modèle à bien des jeunes dessinateurs. Après 1972, déçu de la faillite des idées nouvel­ les, il ne se consacre que de loin en loin à la bande dessinée (dans Ar­ cade ou le Village Voice), et se pro­ duit parfois avec son groupe de jazzblues nostalgique, le Keep on Trucking Orchestra (dont fait partie le dessinateur Robert Armstrong). En 1980, il crée la revue Weirdo. Il participe également à Raw, et sort un nouveau Zap en 1985.

CRÜSTY BÜNKERS Ce fut le nom employé par les ar­ tistes de Continuity Associates, le studio de Neal Adams et Dick Gior­ dano, lorsqu’ils encraient en équipe une bande dessinée. Les Crusty Bunkers ont travaillé pour Marvel sur Dracula, pour Charlton sur Six Million Dollar Man et Emergency... Ont appartenu aux Crusty Bunkers, à un moment ou à un autre, Ralph Reese, Howie Chaykin, Rich Buck­ ler, Bob McLeod, Terry Austin, Mike Nasser, Marshall Rogers, Bob Wiacek... et, bien sûr, Neal Adams et Dick Giordano. La même équipe

fluctuante, moins quelques-uns, plus quelques autres, fut aussi connue sous le nom de Goon Squad.

CUVELIER Paul (1923-1978) F Enfant, Cuvelier avait inventé, pour divertir ses frères, les aventures d’un jeune garçon dont le nom, Corentin Feldoë, lui avait été inspiré par deux de ses lectures favorites, « Corentin Quimper » de Paul Féval et « Robinson Crusoë » de Daniel de Foë. En 1945, il montra à Hergé un petit album d’aquarelles qu’il avait réalisées pour illustrer ces aventu­ res. C’est ainsi qu’il fut amené à col­ laborer, en septembre 1946, au pre­ mier numéro de Tintin avec « L’Extraordinaire Odyssée de Co­ rentin Feldoë » qui devait conduire le petit orphelin breton aux Indes et plus tard dans divers pays du monde. Aidé pour les deux pre­ miers épisodes par Jacques Melkebeke (découpage, scénario), il réalisa seul le troisième, « Corentin chez les Peaux-Rouges» (1949-1950), qui mettait en scène non pas le Corentin initial, mais son petit-fils. A cette date se situe une longue pa­ renthèse dans la carrière de Cuve­ lier : abandonnant la bande dessinée il tente, sans succès, de se consacrer exclusivement à la peinture et à la sculpture. En 1958, toutefois, il re­ prend les aventures de Corentin avec « Le Poignard magique » au­ quel collabore Greg pour le scéna­ rio (les scénaristes de la série seront par la suite Acar et Jean Van Hamme). Toujours dans Tintin, il crée en 1960 «Flamme d’argent» (scénario de Greg) et en 1962 le pe­ tit Indien « Wapi » (scénario de Benoi). En 1962, également, il dessine sur un scénario de Greg le person­ nage de « Line » dans le journal du même nom (repris dans Tintin à partir de 1963). En 1968, il apporte sa contribution à la vogue de la bande dessinée « adulte » avec le très bel album « Epoxy » paru chez Eric Losfeld. Dans les aventures mytho­ logiques et sensuellement initiati­ ques de l’héroïne imaginée par Jean Van Hamme, Cuvelier donne toute la mesure de son talent, fait de sen­ sibilité frémissante, de culte de la beauté des corps en mouvement et de maîtrise classique du trait. Mal­ gré le nombre relativement modeste de ses créations et une longue inter­ ruption dans les années 50, Cuve­ lier, décédé en juillet 1978, demeure à l’égal d’un Jacobs, d’un Hergé ou d’un Martin, un des grands auteurs de l’âge d’or de Tintin.

DANEMARK C’est en 1914 qu’apparut la pre­ mière BD danoise, «De Tre Sma Maend Og Nummermanden » de Robert Storm-Petersen (1882-1949), célèbre plus tard par «Peter & Ping» (1922). Acteur connu, pein­ tre, scénariste et dessinateur, celuici est surtout remarquable par l’hu­ mour sophistiqué de ses strips, qui devait servir d’exemple à un grand nombre de dessinateurs de gags en un strip : Danish Ingvar (19081950), Helge Hall (1907-1983), au­ teur, entre autres, du family strip « Hans & Grete », conciliant les in­ fluences américaines et la réalité da­ noise, et Kaj Engholm (né en 1906), devenu une institution dans les pays Scandinaves, avec « Fedthas » (L’Avare) et au Danemark avec « Far til Fire » (Le Père des Quatre). Deux bandes muettes ont été pu­ bliées dans le monde entier : « Ferd’nand » de Henning Dahl Mikkelsen (né en 1915) sous le pseudonyme de Mik, et « Alfredo » (en français «Presto») de Cosper Cornélius et Jorgen Mogensen (né en 1922) : ces deux derniers utili­ saient le pseudonyme commun de Moco, mais chacun de son côté est l’auteur de nombreux strips ou des­ sins humoristiques mettant en scène la société danoise. Un certain nombre de bandes quo­ tidiennes créées au Danemark ont été distribuées en Europe et aux USA: «Momsemor» («Granny») de Werner Wejp-Olsen (né en 1938) influencé par le style de Mort Walker; « Statsministeren » («Exellencie » en Hollande, « No, Minister » en Grande-Bretagne, «The Kingdom » aux USA), réplique danoise à «Doonesbury» due à Carsten Graabaek. Lors de l’occupation allemande (1940-1945), la pénurie de bandes dessinées anglo-saxonnes a suscité la création de bandes d’aventure, publiées dans les journaux et maga­ zines; ainsi, «Styrmand Rask» si­ tué en Afrique par Helge Hansen (né en 1911), «Willy pa Aventyr» (l’aventure de Willy) de Harry Nielsen, qui poursuivit dans son style personnel la série de Walter Booth, «Rob the Rover». Elle devait être reprise dans les années 50 par Tage Andersen (1924-1981) qui en a fait l’une des meilleures bandes euro­ péennes de science-fiction. La tradition de l’aventure épique est illustrée par « Egene » (Les Chênes) de Willy Nielsen : elle mit en scène, de 1948 à 1961, des héros engagés dans un long périple dans le passé, de l’âge de pierre à l’Empire ro­ main, avec brutal retour au Dane­

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mark en 1961. Publiée dans la presse sous la forme d’épisodes de deux pages, cette série est reconnue comme l’équivalent danois du «Prince Valiant» de Foster. Parmi les bandes les plus populai­ res figurent « Rasmus Klump » (« Petzi ») de Vilhelm Hansen (né en 1900), une charmante bande anima­ lière pour enfants, et « Félix » : cette création du Suédois Jan Lôôf a été reprise par deux Danois, Werner Wejp-Olsen, et son dessinateur ac­ tuel Ole Munk Rasmussen. Aujourd’hui, il semble qu’une nou­ velle tendance se précise depuis 1968, sous l’influence des bandes dessinées françaises et belges dont les traductions touchent un large public. De nombreux albums et comic books, sous un aspect attrayant, reflètent avec sérieux la réalité da­ noise et les grands problèmes du monde. Freddy Milton (né en 1948) qui a travaillé avec le Hollandais Daan Jippers sur la version néerlan­ daise de «Donald Duck» a aussi dessiné la version suédo-danoise de « Woody Woodpecker », où la tradi­ tion des funny animais rejoint la cri­ tique sociale. Milton est également le créateur de bandes réalistes, et a repris dans « Villiam’s verden » (Le monde de Villiam) un personnage de Daan Jippes. Mais le dessinateur le plus populaire au Danemark est Peter Madsen avec les albums « Valhalla » (tirage moyen 100000 exem­ plaires) mettant en scène les dieux nordiques dans un style qui évoque le «Astérix» d’Uderzo (best-seller au Danemark). A Orla Klausen (né en 1946) revient le mérite d’avoir montré au grand public que l’histoire pouvait être distrayante et traitée de manière moderne, avec «Jens Langkniv» (Jens Long-couteau) situé dans le Jutland aux environs de 1600, et « Skjoldungerne » inspiré d’ancien­ nes légendes. Les années 80 marquent la nais­ sance d’une inspiration originale et indépendante en matière de BD. Ce qui n’a rien de surprenant, puisque le marché danois est, toutes propor­ tions gardées, l’un des plus prospè­ res en Europe : 200 albums publiés chaque année (dont 15 % dus à des artistes danois) pour une population de 5000000 d’habitants!

DAVIS Jack (1926-

)

ÜSA

Aujourd’hui, Davis est un dessina­ teur publicitaire admiré et respecté. Il a réalisé des affiches de films, des couvertures de disques, travaillé sur des films d’animation... Mais en

1954 ses dessins pour Crypt of Ter­ ror furent parmi les documents uti­ lisés pour prouver la nocivité des comic books, et en particulier de ceux qu’éditait la EC, dont il était l’un des dessinateurs vedettes. De 1951 à 1956, ses histoires d’hor­ reur égayèrent les pages de Crypt of Terror, de Haunt of Fear et de Vault of Horror. Son style, réaliste et pourtant parodique, le destina dans ces illustrés au fantastique le plus quotidien, à l’horreur anodine nais­ sant de situations de tous les jours. Lui seul était capable de « faire pas­ ser» le restaurateur cuit dans ses marmites ou le boucher en vente sur son étal. Mais les censeurs n’apprécièrent pas, entre autres, une partie de base­ ball dont tous les éléments, batte, balle et bases étaient faits des par­ ties d’un corps humain. Après la disparition des comic books de la EC, Davis continua à travailler pour Mad, et collabora à d’autres magazines du même style, Trump, Sick, Help! Aujourd’hui, s’il est présent dans les comic books de la Marvel et de la National, c’est seulement dans les pages de publi­ cité et il n’a en fait, depuis le temps des horror comics de la EC, donné à la Marvel que quelques rares wes­ terns («Two-Gun Kid» et «Gunsmoke Kid»).

DEBECK Billy (1890-1942)

ÜSA

Né le 15 avril 1890 à Chicago, Billy DeBeck suivit les cours de la Chi­ cago Academy of Fine Arts. En 1907, il débute comme «éditorial cartoonist » au Pittsburgh Post, suc­ cédant à Charles Payne. En 1910, il est au Telegram de Yougstown, puis devient, de 1912 à 1914, cari­ caturiste politique au Pittsburgh Ga­ zette Times. En 1915, il fonde un cours de dessin par correspondance et publie deux manuels : DeBeck Cartoon Hints et DeBeck Action Sketches. Engagé par le Chicago Re­ cord Herald, il y crée ses premières BDen 1916, « Torn Rover » (un clo­ chard), « Movies Featuring Hapha­ zard Helen » (parodie des films mé­ los) et « Married Life », strip (daily strip et Sunday page) centré sur les querelles de ménage, mais sans hé­ ros permanents au départ. Par la suite « Married Life » s’attache aux démêlés d’un couple, Aleck et Pau­ line. Lorsque Hearst, en 1918, ra­ chète le Record Herald et le fond dans le nouvel Herald Examiner, DeBeck y poursuit sa série tandis qu’il commence la publication d’un daily panel sportif très vite réputé.

DeBeck est aussi, d’une certaine façon, le maître inspirateur de l’école de Charleroi.

DEITCH Kim (1944-

DeBeck, « Barney Google »

En 1919, « Married Life » laissera la place à un nouveau strip «Take Barney Google, For Instance». En décembre 1920, DeBeck crée un daily panel absurde, « Bughouse Fa­ bles » (qui aura droit, un court mo­ ment, à un Sunday page censé être signé par Barney Google lui-même). Ce daily panel sera repris, en 1927, par Paul Fung Sr., puis par Jay Irving avant de disparaître en 1937. En 1926, c’est la création d’un top au Sunday page de « Barney». D’abord titré « Parlor, Bedroom and Sink », ce top débuta sous la forme d’un family strip parodiquement mélodramatique. La naissance d’un bébé au gros nez, Bunky, philoso­ phe précoce et désabusé (Crumb s’en inspirera plus que nettement avec son « Super-baby »), bien vite lancé dans d’extraordinaires et eflarantes aventures, va faire de la sé­ rie, non seulement une parodie de «Little Orphan Annie», mais un modèle d’intrigues « nonsensiques » qui se termineront en 1948, après que la bande eut été depuis long­ temps retitrée simplement « Bunky » et poursuivie, à la mort de DeBeck (1942), par Musial puis Fred Lasswell. « Barney Google » se démarqua vite de « Married Life » en centrant tout son intérêt sur les sports et tout par­ ticulièrement les courses. En 1922, l’achat par Barney du cheval « Spark Plug » amène à une rupture avec ce qu’il restait d’inspiration «family strip » dans la série, et Barney va dé­

19)1, DtHtck

sormais mener une existence errante d’un hippodrome à l’autre, côtoyant les univers les plus picaresques, amassant (pour les reperdre) des for­ tunes, courtisant les plus jolies fem­ mes. En 1934, sa rencontre avec un montagnard « hyperdogpatchien » du Kentucky, Snuffy Smith, petit bonhomme coiffé d’un grand cha­ peau et aussi insupportable que sa massive épouse était placide, va contribuer à l’évolution de la série. Progressivement, SnufFy deviendra le personnage principal et Barney Google ne fera plus que des appa­ ritions épisodiques à partir des an­ nées 40. DeBeck mourut le 11 no­ vembre 1942. Un moment poursui­ vie par Doc Winner et Joe Musial, son œuvre fut reprise par Fred Lasswell (assistant de DeBeck depuis 1933) qui en est toujours le respon­ sable. « Barney Google » fut adapté en films, en dessins animés TV et donna prétexte en 1923 à une chan­ son de Billy Rose et Conrad, sur un rythme de fox-trot, « Barney Google with the Goo-Goo-Googly Eyes». DeBeck fut l’inventeur d’un lan­ gage spécifique dont nombre d’ex­ pressions devinrent populaires (ainsi « horse-feathers » qui fut en 1932 le titre d’un film des Marx Brothers). En Europe, un jeune lec­ teur fut marqué par les gros nez des personnages de DeBeck et Laswell. Il s’appelait André Franquin. Si McManus fut, à son insu, le précur­ seur de l’école de Bruxelles, Billy

)

USA

Né le 21 mai 1944, fils d’un dessi­ nateur qui travaillait pour Terrytoons, Kim Deitch s’engagea très jeune dans la marine marchande et passa plusieurs années sur les mers avant de devenir l’une des figures les plus originales de l’underground américain. Collaborateur de Evo (1966) et de Gothic Blimp Works (1969), il créa le personnage de « Sunshine Girl », et revint se fixer en Californie. Aidé parfois de son frère Simon, il a su se créer un style personnel, et donne à ses bandes une atmosphère de poésie étrange, mais d’où l’humour noir n’est pas exclu. Ses bandes ont été publiées dans Yellow Dog(\9fâ>), Bijou (1969), Bogeyman (1969), Insect Fear (1970 à 1973), Slow Death (1970), Ail Stars (1970), San Francisco Comic Book (1970 à 1973), El Perfecto Comics (1973), Dope Comix (1978), etc. En France, il a été publié par Willem dans Surprise (1976).

DELINX Mic (1930-

)

F

Michel Houdelinckx publie sa pre­ mière bande en 1957 dans Pierrot, « Texas Kid », un western humoris­ tique. Suivront «Sophie» en 1958 dans Lisette et « Bull Dozer » dans Fripounet et Marisette. En 1961, il rencontre Goscinny qui sera son scénariste pour « La forêt de Chênebeau », une parodie du Roman de Renart publiée dans Jacqueline (re­ vue des magasins J) et reprise dans Pilote. C’est en 1963 qu’il gagne ce dernier journal avec « Buck Gallo » (sc. Y. Duval et Tabary), satire d’un apprenti champion mythomane qui prendra fin en 1968. Entre-temps il aura donné quelques actualités et ré­ cits complets, puis en 1968-1969, ce sera la création de « Pan et la Syrinx», une fantaisie mythologi­ que imaginée par Fred. En 1969, c’est l’apparition dans Pif de « La Jungle en folie» (sc. Godard). On lui doit aussi en 1975 le chat « Simcat » pour Simca, le chameau «Théobald» à la télévision. Il est également l’auteur de « Kouakou » pour un journal de jeunes Africains. En 1976, il figure dans un romanphoto de Fluide glacial. « La Jungle en folie », sa principale

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série, est une bande animalière bur­ lesque qui, par son sens de l’absurde mâtiné d’un relatif cynisme, renou­ vela le genre dans la presse pour jeunes. Dialogues truffés de jeux de mots, actions parallèles, les ingré­ dients sont là qui évoquent « Pogo ». Il y manque une certaine subtilité, une poésie plus affinée, tous les arrière-plans d’une série effective­ ment « adulte ». Mais on peut aussi lire la bande sans jamais songer à son possible modèle. La jungle de Delinx ne jouxte pas le marais d’Okefenokee. Avec sa propre luxu­ riance, mais aussi ses limites, il y a là un véritable univers.

DE MOOR Bob (1925-

)

B

Né à Anvers, Robert De Moor tra­ vaille dès 1943 dans un studio de dessins animés, puis crée en 1945 dans Kleine Zondagsvriend (Le Pe­ tit Ami du dimanche) « Bart, de scheepsjongen » (Bart le moussail­ lon). En 1946, dans Ons Volkske, il publie diverses séries puis, en 1947, dans ’T Kapoentje et dans le quoti­ dien Het Nieuws avec la série « Snoe en Snolleke » (dont un épisode, « Le renard qui louche », sera repris dans Tintín en 1952). La même année il publie son premier album en fran­ çais, « Le Mystère du vieux château fort » (Editions Campeador). En 1949, il entre à Kuifje (le Tintín fla­ mand) avec « De Leeuw van Vlaan-

Jean-Claude Denis, « Lue Leroi »

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deren » (Le lion des Flandres) et « Kerels van Vlaanderen » et à Tintin avec « Bouboule et Noiraud », que suivent en 1950 «M. Trie» et « L’extravagant M. Barelli », puis en 1951 les séries réalistes «Conrad le Hardi» et « Cori le Moussaillon». En 1952, il entre aux studios Hergé où il assurera désormais le fini du dessin de Tintin d’après les crayon­ nés de Hergé. Son œuvre person­ nelle se fait dès lors plus rare : « Les Pirates d’eau douce » en 1959, « Balthazar » (un petit bonhomme au gra­ phisme moderne résolument non hergéen) en 1965. En 1969, il des­ sine un épisode de « Lefranc » (« Le Repaire du loup» en collaboration avec Jacques Martin). Il reprend «M. Barelli» en 1972 et donne en 1977 une suite à «Cori» avec «L’Invincible Armada». Ainsi partagé entre réalisme et humour (et leur compromis dans «M. Barelli»), entre création pro­ pre et assistanat hergéen, De Moor a su rester original. Son dessin fin, précis, dépouillé, ignore le détail inutile, mais insiste sur les lignes principales sans schématiser. Son Barelli est l’équivalent d’un Tintin adulte et depuis « Objectif Lune » les aventures du jeune reporter lui doivent graphiquement beaucoup. Ce qui est appelé désormais « ligne claire » trouve chez lui certaines de ses origines les plus caractéristiques. La possibilité qu’il puisse terminer «Tintin et l’Alph’art », laissé à l’état d’ébauche en raison du décès de

Hergé, ne semble pas devoir connaî­ tre de suite. Par contre, son fils Jo­ hann De Moor va reprendre « Quick et Flupke » en créant de nouvelles planches à gags.

DENIS Jean-Claude (1951-

)

F

Après des études aux Arts décora­ tifs (où il a rencontré Martin Veyron), Jean-Claude Denis, né à Pa­ ris, publie ses premières illustra­ tions à partir de 1975 et, en 1978, un livre pour enfants, « Oncle Er­ nest et les Ravis». En 1979, son premier album de BD, « Cours tout nu», paraît chez Futuropolis, et il crée dans Pilote le personnage d’An­ dré le Corbeau qui donnera matière à deux albums, «Annie Mal» et «La Saison des Chaleurs», fables dont les protagonistes animaux, confrontés à un monde cruel, vivent toutes les passions humaines. En mai 81, il participe au lancement d’une collection d’albums pour en­ fants (Casterman) avec trois épiso­ des mettant en scène le personnage de Rup Bonchemin. Auparavant, en 1979, il fait son entrée dans (A sui­ vre), y publiant, en 1980, les pre­ mières aventures de Luc Leroi pa­ rues en album chez Futuropolis puis Casterman. Jeune frère du Bernard Lermite de Veyron, ce pe­ tit rouquin timide et émouvant, per­ sonnage typique du « décalé » des années 80, affronte des situations

i»»s,

Betty Boop

compliquées, rocambolesques, qui dérivent parfois vers la fantaisie po­ licière et le suspense, comme dans « Le Nain Jaune » (1985), où le hé­ ros s’épuise dans l’infernale pour­ suite d’une fausse Japonaise blonde. En 1983, il illustre pour Métal hur­ lant « Les Sept Péchés capitaux », et retrouve la veine animalière avec « La Fuite en avant » (album en 1984 chez Dargaud). Joignant à une verve de feuilleto­ niste des préoccupations de mora­ liste, trouvant un ton original entre l’humour et le côté sentimental, Jean-Claude Denis privilégie la nar­ ration plutôt que l’esthétique, l’ex­ pression plutôt que la ligne, mais a trouvé cependant un graphisme per­ sonnel, épuré et expressif. Cet enfant d’Hergé et de Crumb est aussi un enfant du rock, excellent guitariste qui se produit auprès de Denis Sire, Vuillemin, Margerin et Dodo dans le groupe Denis Twist.

DERIB (1944-

)

CH

De son vrai nom Claude de Ribaupierre, il dessine en 1965 deux « On­ cle Paul » dans Spirou et participe aux décors des « Schtroumpfs » de Peyo. Avec ce dernier, il collabore également à un épisode de «Jacky et Célestin » dans Le Soir illustré. En 1966, il réalise «Arnaud de Casteloup », série médiévale réaliste (sc. Jadoul) dans Spirou puis, en 1967, «Attila», bande animalière humo­ ristique (sc. Rosy). La même année, il fait une brève incursion dans Pi­ lote avec quelques récits complets (sc. Fred et Reiser). En 1968, pour l’hebdo suisse Le Crapaud à lunet­ tes, il crée « Pythagore et Cie » (sc. Job), puis en 1970, le petit Indien « Yakari» (sc. Job). En 1971, il en­ tre à Tintin en dessinant un western

« Go Wèst » (sc. Greg), puis en 1972 « Buddy Longway » (dans Tintin sé­ lection) qu’il poursuivra dans Tin­ tin dès 1973. En 1975, on le trouve dans l’éphémère Achille Talon ma­ gazine avec «Les Ahlalàààs». En 1981, dans Tintin, en marge de « Buddy Longway », il entreprend le cycle de «Celui qui est né deux fois», description de l’existence d’un sorcier indien. Assimilant diverses influences (Peyo, Greg), le Suisse Derib donne une vision personnelle d’une cer­ taine tradition «belge». Du gra­ phisme rond de «Yakari» au réa­ lisme du western «Buddy Long­ way », le passage semble s’opérer en douceur. Chez lui, l’innovation est d’abord formelle, petites vignettes incrustées dans de plus grandes, dé­ coupages variés des planches. Une lecture est ainsi suscitée, parfois subtile, parfois trop évidemment sollicitée et soulignée, à l’image d’une œuvre qui mêle maturité de certains types de rapports et bons sentiments écologiques. « Buddy Longway » témoigne cependant d’une évolution intéressante à l’in­ térieur d’une bande dessinée plus spécifiquement «adolescente». Tout comme Cosey, Derib a foi en ce qu’il fait. Il s’ensuit beaucoup de chaleur et non moins de naïveté.

DESSIN ANIMÉ Dès les origines, des liens très étroits se sont établis entre BD et dessins animés, les premiers expé­ rimentateurs ayant cherché à met­ tre en mouvement des images gra­ phiques avant même l’invention de la caméra. Le premier dessin animé connu « Humorous Phases of Funnv Faces» de J.S. Blackton (1906) repose sur les transforma­ tions de dessins représentant des vi­

sages. Pendant toute la période du muet, les films d’animation, établis­ sant, image par image, une conti­ nuité dramatique, étaient conçus comme des BD, inscrivant parfois le dialogue dans des bulles comme le faisaient notamment les « Mutt and Jeff » de Bowers et Barré (créés en 1916), certains « Félix the Cat » de Pat Sullivan ou la série suédoise de Gustav Victor Bergdahl, « Kapten Grogg» (1916). Très tôt les au­ teurs de comics sont tentés par le cinéma d’animation. Ainsi, dès 1909, Winsor McCay avait animé « Little Nemo » ; en 1914, il réalisa le premier grand dessin animé, « Gertie the Dinosaur », d’une du­ rée de cinq minutes, qui comprenait dix mille dessins, tous réalisés par un seul homme ! Néanmoins, ce film n’avait pas en lui-même d’in­ dépendance, puisqu’il n’était qu’une partie d’un show, McCay se produi­ sant sur scène, donnant des ordres à Gertie, ou commentant ses faits et gestes. En 1913, John R. Bray, auteur de différentes bandes comme «Mr. O.U. Absentmind » ou «Little Johnny and the Teddy Bears» vint aussi au dessin animé et produisit notamment la série «Colonel Heezaliar». En France, un dessinateur de presse, qui faisait occasionnellement de courtes BD, Emile Courtet, dit Cohl, réalise son premier dessin animé en 1908. En 1912, aux USA, il collabore avec McManus sur la série des Snookums et, en France, il réalise avec Benjamin Rabier cinq épisodes des «Pieds Nickelés» d’après Forton (1917-1918). Rabier, en 1916, avait déjà porté à l’écran certaines de ses propres créations. Par la suite, André Daix créera, en 1929, l’hippopotame «Zut» avant de transposer son « Professeur Nim­ bus » et Alain Saint-Ogan fera aussi quelques essais.

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Les premières amours de Lex Avery : la bande dessinée. Extrail d'une bande réalisée par le jeune Avery pour le journal de son college.

Outre John R. Bray, d’autres au­ teurs de dessins animés débutèrent comme cartoonists de BD. Pat Sul­ livan, bien entendu, mais aussi bien Paul Terry qui fit, en 1913, pour le KFS, le strip « Alonzo». F.M. Follett, qui devint un collaborateur de Bowers, avait connu un réel suc­ cès, vers 1905, avec son «See-See Kid» dans le NY World. L’associé de Bowers, Raoul Barré, un Cana­ dien, avait publié dans La Patrie, dans les années 1900, «Les Contes du Père Rhault » et « L’Hôtel du Père Noé». Tex Avery lui-même avait cherché, en vain, à créer un comic strip avant de choisir l’ani­ mation. Mais la démarche contraire est la plus fréquente : bon nombre d’auteurs de BD viennent du des­ sin animé. Sans citer tous les Amé­ ricains (Walt Kelly, Hank

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Ketcham, Gus Arriola, Brant Par­ ker, etc.), le cas des «Gumps» est typique. Wallace Carlson, en 1919-1921, dirige l’adaptation en dessin animé de cette bande. Il des­ sinera ensuite « The Nebbs » et ne reviendra plus à l’animation. Parmi ses collaborateurs figuraient George Clark, Stanley Link, George Swan­ son et, même, Harold Gray ; tous se reconvertiront dans la BD. En France, André Rigal, qui créa « Cap’taine Sabord » en 1928, vient du dessin animé (il y retournera en adaptant son personnage en 1943). En Italie, Carlo Cossio (1907-1964), créateur de « Dick Fulmine », avait créé auparavant, avec son frère, de nombreux dessins animés, dont « Zibillo e l’Orso » ( 1932). A Bruxel­ les, dans les années 40, de futurs grands auteurs de BD, Franquin,

Peyo, Morris, Paape, travaillaient ensemble dans le même petit studio d’animation. En Hollande, l’osmose BD-dessin animé était si évidente que, dès le début, les studios de Marten Toonder servirent à élabo­ rer conjointement séries dessinées et films d’animation. Certains cartoonists viennent épiso­ diquement au dessin animé. Ainsi Feiffer réalisa «Monro» en 1961. Bob Kane, créateur de Batman, a fait «Courageous Cat » (en 1958 pour la télévision) et « Cool McCool » (1969). Walt Kelly a animé des « Pogo » pour la télévi­ sion. Moscoso, Shelton ont fait quelques dessins animés, ainsi que Corben dont, notamment, « Neverworld» a été plusieurs fois primé. Il en est de même, en Europe, pour Poussin et surtout, Masse qui, pa­ rallèlement à ses bandes, a réalisé trois dessins animés (« Le Cagoince Migrateur», «Le Jugement der­ nier», «Evasion Expresse») et en prépare d’autres. Inversement des auteurs de dessins animés ont par­ fois réalisé quelques BD. Ainsi, Dick Huemer après avoir quitté les Fleischer, créa le strip « Good Time Guy» sur un jeune spéculateur, avec un scénario de Bill Conselman, strip qui ne survécut pas, et pour cause, au krach de 1929. En 1951, Dick Huemer fut le scénariste du strip « Buck O’Rue » (Lafave Features) de Paul Murry, par ailleurs des­ sinateur de « Mickey ». Frank Tashlin (qui signait Tish-Tash), plus tard cinéaste célèbre, commença sa carrière dans l’animation et travailla notamment aux studios de Van Beuren ; de cette expérience il tira, en 1934, un strip, «Van Boring», sur un personnage qui ne dit jamais un mot (boring = ennuyeux, et son an­ cien patron, Van Beuren y était évi­ demment l’objet de satire). En France, Peter Foldès publia dans Pilote, en 1973, un essai de BD, « Lucy ». Bien entendu, nombreuses sont les BD transposées en dessins animés. McCay en fut l’initiateur et, en 1915, Hearst fit apparaître « Krazy Kat » et les « Phables » de T.E. Powers dans son Vitagraph News Ptctorial. En 1917, il fonda l’interna­ tional Film Service, dirigé par Gregory La Cava (et où Walter Lantz fit ses classes auprès de Bill Nolan et de John Foster). Adaptant en dessins animés les strips du KFS, « The Katzenjammer Kids », « Bringing up Father », « Happy Hooli­ gan», «Jerry on the Job» (de Wal­ ter Hoban), « Silk Hat Harry » (des chiens à comportement humain, de Tad Dorgan), etc., le studio servit surtout à assurer la promotion des

comic strips eux-mêmes et ferma ses portes dès juillet 1918. En Suisse, en 1921, Lortac (Roberto Collard), futur scénariste des Editions Artima, adapte «Monsieur Vieux Bois » d’après Tôpffer. Et aux USA, le déluge ! « Mutt and Jeff» ( 1916), divers « Krazv Kat », « Popeye » (1933), «The Little King» (1934), « Superman »(1941), « Li’l Abner » (1944), « Little Lulu » (1949), « Dick Tracy» (1961), etc. Pour la télévi­ sion, « Krazy Kat », « Barney Goo­ gle», «Beetle Bailey», «B.C. », « Pogo », les « Peanuts » (seize courts et deux longs métrages), tous les hé­ ros des Marvel Comics (dans le « Marvel Superheroes TV Show »), les Fantastic Four (par Hanna et Barbera). La réalisation la plus spec­ taculaire reste « Fritz the Cat » (1972) d’après Crumb, par Ralph Bakshi. Ce dernier devait plus tard utiliser, pour « Wizards », les talents de Vaughn Bodé qui eut le tort de mourir avant que son nom ne fût inscrit au générique du film. La BD franco-belge n’est pas en reste avec « Tintin », «Lucky Luke», «les Schtroumpfs », « Astérix », grâce aux studios Belvision ou aux studios Idéfix. Sur le petit écran, l’Italie eut un «Coco Bill» et trois «Corto Maltese », l’Allemagne un « Fix und Foxi » de Kauka. En France ont été réalisés des dessins animés à partir des bandes de Bretécher, Mordillo, Fred, etc. Un curieux cas d’allerretour fut celui d’une bande de C.W. Kahles «The Yarns of Cap­ tain Fibb». Parue dans Judge de 1905 à 1910, elle fut reprise en Suède et inspira à Victor Bergdahl une série de dessins animés « Kapten Grogg »(1916-1922) qu’il trans­ posa ensuite en BD à partir de 1923. La transposition des dessins animés en BD commença avec Pat Sullivan dont « Felix the Cat », créé en 1919, fut adapté en strips dès 1923. Dis­ ney fit adapter ses séries dès janvier 1930 avec «Mickey Mouse» (créé en 1928 en dessin animé). Divers cartoonists les réaliseront. L’habi­ tude, en effet, fut prise, dès Sulli­ van, de faire signer ces bandes par les responsables des studios. Ainsi Max Fleischer était censé être l’au­ teur de « Betty Boop » (créée en 1930 dans « Dizzy Dishers») mais en réalité les bandes KFS (daily strip 1934-1935, Sunday page 19341937) étaient l’œuvre de David Francis « Bud » Counihan, auteur, précédemment, d’une bande « Little Napoleon », et qui, vivant à New York, n’avait rien à voir avec les stu­ dios Fleischer. De même, les « Bugs Bunny » qui parurent à la NEA à partir de 1942 furent d’abord signés

par Leon Schlesinger, le producteur des « Merrie Mélodies », alors qu’ils furent dessinés par Chase Craig, puis par divers cartoonists dont Ro­ ger Armstrong, Jack Taylor, Tom McKimson et enfin Ralph Heimdahl qui, avec son scénariste, Al Stoffel, finit par signer effective­ ment la bande. En 1961, «The Flintstones » et « Yogi Bear », attri­ bués à Hanna et Barbera, sont l’œu­ vre de Gene Hazelton et divers col­ laborateurs (entre autres, Harvey Eisenberg). Bien entendu, la plu­ part des héros de dessins animés ont eu droit à leurs comic books, le plus souvent de médiocre qualité (ex­ cepté Cari Barks pour « Donald » ; mais on peut relever les travaux de Jack Manning, John Carey, Jo Messerli et surtout Phil de Lara chez Warner Bros). D’autres dessins ani­ més eurent aussi leurs comic strips. Ainsi « Bosko », le simili-Mickey de la Warner, de Rudolf Ising et Hugh Harman, fut transposé en BD par le frère de ce dernier, Fred Harman, par la suite auteur de « Red Ryder ». «Scrappy», le garçonnet imaginé par Charles Mintz, fut également mis en BD (et parut en France dans Bilboquet). Dans les années 60, « Mr. Magoo » eut son comic strip, signé John Hubbley, mais réalisé, notamment, par Peter Alvarado. En 1974, en France, Christian Godard l’adapta en album pour Hachette. Toujours en France, les « Shadoks » de Jacques Rouxel ont connu une édition BD. Si les BD ont souvent pris des libertés par rapport aux des­ sins animés (ainsi dans les comic books de «Tom et Jerry», la pré­ sence d’une autre petite souris, Tuffy, modifie l’esprit des scéna­ rios), l’inverse est tout aussi vrai. Les « Krazy Kat » de Charles Mintz (à partir de 1929) font de la chatte d’Herriman un chat affublé d’une compagne, sur le modèle MickeyMinnie ; Bluto, le « méchant » barbu, rival de Popeye dans les dessins animés de Max Fleischer, ne fit qu’une courte apparition, en 1933, dans la bande de Segar. En fait, en dépit de leurs liens communs, BD et cinéma d’animation diffèrent à bien des égards et sont, chacun, irremplaçables.

DESSINATRICES Une telle rubrique demande une explication préalable. Il n’est pas dans notre intention, en effet, de considérer les femmes qui ont fait ou font des bandes dessinées comme une catégorie à part (sinon pourquoi dans un souci d’équilibre, ne pas ré­ diger aussi une rubrique « dessina­

teurs » ?). S’il est vrai que certaines ont pu récemment revendiquer une spécificité et chercher à créer, en ce domaine aussi, des œuvres qui se­ raient «de femmes», sans rien de­ voir à l’univers masculin, notre pro­ pos n’est pas ici d’en parler, mais simplement d’aller à l’encontre d’une idée reçue selon laquelle, jusqu’à une période récente, la BD est restée un domaine quasi réservé aux hommes. Nous ne parlerons donc pas ici des dessinatrices appa­ rues, tant aux USA qu’en Europe, au cours de ces dix dernières an­ nées, la plupart se trouvant d’ail­ leurs citées ou étudiées dans le ca­ dre d’autres rubriques. Aux USA, l’apparition de femmes dessinatrices fut très précoce et, dès le début des années 1900, Kate Carew publiait «The Angel Child» dans le World et poursuivait « Handv Andy » créé par Herriman. Rose O’Neill vendit ses premiers dessins à diverses revues en 1889 alors qu’elle avait tout juste quinze ans et créa plus tard «The Kewpies » qui, dans les années 30, de­ vint une véritable BD. Grâce Drayton (1877-1936) créa de nombreuses séries depuis «Bobbie Blake and Dolly Drake », dans les années 1900, jusqu’à « The Pussycat Princess» en 1935, poursuivie de 1936 à 1947 par une autre dessinatrice, Ruth Carroll. D’autres femmes se révélèrent également dès le début du siècle ou les années 10, comme Fay King, Ethel Plummer ou Barksdale Rogers. Fanny Cory (1877-1972) dessina très tôt dans des revues, mais ne vint que tardive­ ment à la BD, en 1934, avec «Babe», puis «Little Miss Muffet». La plupart d’entre elles res­ taient fidèles à des histoires enfan­ tines. Mais dans les années 20, des dessinatrices rivalisèrent avec leurs collègues hommes dans la réalisa­ tion de comic strips de type cou­ rant. Edwina Dumm fut l’auteur d’un kid strip parmi les meilleurs, «Captain Stubb and Tippie». Gladys Parker sacrifia à la mode du « flapper strip » avec « Flapper Fanny», plus tard poursuivi par Ethel Hays, et récidiva avec « Mopsy ». Martha Orr, dans les an­ nées 30, fut l’excellente dessinatrice de «Apple Mary», poursuivi un temps par son assistante Dale Connor. Les années 40 virent aussi bien les « teenagers strips » de Vir­ ginia Clark, Hilda Terry ou Marty Links, que les bandes d’aventures fort diverses de Mabel Odin Burvik (Odin), Tarpe Mills ou Dale Messick, qui créa en 1940 «Brenda Starr Reporter». Aujourd’hui, cette bande est l’œuvre d’une nombreuse

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équipe, mais Dale Messick est seule à signer. De même si Marge Hen­ derson dessina bien le panel « Little Lulu» dans le Saturday Evening Post, elle n’eut aucune part dans la réalisation des BD qui en furent ti­ rées. Ces dernières n’en portaient pas moins sa signature, « Marge » ; on était bien loin du chauvinisme

connues. Mais d’autres y collaborè­ rent parfois de façon durable comme Ann Brewster ou Ruth Geller, souvent pendant de brèves pé­ riodes, notamment durant la Se­ conde Guerre mondiale. Beaucoup y travaillent comme coloristes ou encreuses, mais aussi comme scéna­ ristes ou responsables d’édition. En

gne, elle a toujours été une pépi­ nière d’auteurs féminins (voir rubri­ que Espagne). Même la BD arabe a ses créatrices avec Magdeleine Bartoni ou Salah Ascar. Liliane Funcken ou Davine (épouse de Ro­ bert Velter) illustrent la présence des femmes dans la BD francobelge, ainsi que Martine Berthelemy qui adapta de nombreux récits dans le «Mickey» d’après-guerre, et, bien entendu, les nombreuses dessinatrices ayant essentiellement travaillé dans le cadre des illustrés pour filles (Colette Pattinger, Ma­ non Iessel, Janine Lay, etc.). Claire Bretécher n’est donc pas la pre­ mière quels que soient son origina­ lité et son talent. Cela ne veut nul­ lement dire que les femmes ont été nombreuses ; simplement, certes largement minoritaires, elles y ont, depuis le début, joué un certain rôle tout comme dans la création ciné­ matographique ou les genres dits « paralittéraires ». Faire une réputa­ tion de misogynie particulière à la BD est un mauvais procès. Autre idée reçue, le faible attrait des femmes pour la lecture des BD. Une étude serait nécessaire qui tienne compte des traditions cultu­ relles propres à chaque pays et des modes de diffusion des BD. Il est en tout cas certain qu’aux USA, les comic strips sont lus à peu près au­ tant par les femmes que les hom­ mes, certains genres étant encore plus populaires auprès des femmes, et cela quels que soient les classes d’âge et les milieux sociaux. S’il a pu exister ici ou là, notamment en France, un moindre intérêt de la part des filles que des garçons en­ vers les illustrés, cela tient davan­ tage à des particularités de produc­ tion et de contenu, qu’aux principes mêmes de la BD comme mode d’ex­ pression.

Dick Tracy. Voir GOULD Chester.

DIRKS Rudolph (1877-1968) 1979, Opera Mundi

mâle prêté parfois aux cartoonists. A cette liste, il faudrait ajouter tou­ tes celles qui, en marge de la BD, se spécialisèrent dans le panel, comme Linda Walker, Kate Osann, ou, la plus proche de la BD, Martha Blanchard, et bien d’autres. Le comic book, lui-même, eut ses des­ sinatrices. Tarpe Mills, déjà citée, et Marie Severin sont les plus

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Angleterre, l’un des tout premiers auteurs de BD fut une femme, Ma­ rie Duval. Mary Tourtel créa « Ru­ pert » en 1920. On connaît, par ail­ leurs, Pat Tourret (« Tiffany Jones » en 1954). En Finlande, Tove Jansson ; au Japon, Machiko Hasegawa ; en Italie, Lina Buffolente : autant de dessinatrices connaissant une certaine notoriété. Quant à l’Espa­

USA

Né le 26 février 1877 à Heide en Al­ lemagne, Rudolph Dirks émigra avec ses parents aux USA, en 1884. Etabli à Chicago, il vendit son pre­ mier dessin en 1890 à l’hebdoma­ daire Golden Days. Il collabora par la suite à divers magazines dont Life et Judge et gagna New York en 1896. Le NY Journal lui proposa de créer un sunday page en s’inspi­ rant de «Max und Moritz», l’œu­ vre de Wilhelm Busch. C’est ainsi que parut, pour la première fois, «The Katzenjammer Kids» le

fut une bande souvent plagiée, et Dirks, lui-même, alors qu’il travail­ lait pour Hearst, s’en inspira en créant, pour le Philadelphia Inquirer, «The Terrible Twins» que Hearst lui interdit de continuer. «Dem Boys» du dessinateur Karl fut également une imitation ainsi que « The Feinheimer Kids » de Marriner et Knerr. Dirks ne fut pas seulement un cartoonist, mais consacra beaucoup de son temps à la peinture. En tant que cartoonist, son graphisme fut plus sec, moins « velouté » que celui de Knerr; il n’en reste pas moins l’un des créateurs essentiels de l’histoire de la BD. Son frère cadet, Gus Dirks, fut également dessinateur, publiant dans Life et dans le NY Journal, créant notamment une sé­ rie, « Latest News From Bugville », mettant en image des insectes et au­ tres petits animaux dans un gra­ phisme « prédisneyen » encore ma­ ladroit. Gus mourut très jeune dans les années 1900.

DISNEY PRODUCTIONS USA

12 décembre 1897. En fait, cette demi-page hebdomadaire, à ses dé­ buts, n’innova pas réellement puis­ que les images étaient simplement accompagnées de légendes impri­ mées en dessous. Mais, très vite, Dirks remplaça ces dernières par des ballons. Ceux-ci devinrent d’usage constant et, avec la présence de personnages permanents, firent des « Katzenjammer Kids » la pre­ mière bande dessinée au sens strict du terme. Ses héros étaient deux garnements en lutte contre toute forme d’autorité et jouant les tours les plus pendables à leur entourage. Les premières planches montrèrent le père Katzenjammer. Mais il ne resta bien vite que leur mère, «die Marna » (Tante Pim en France), re­ jointe par « der Captain » et « der Inspector » (l’Astronome, en France). Tous s’expriment dans un sabir germano-américain et connaî­ tront diverses tribulations qui les amèneront à travers les USA aussi bien que dans les parties les plus di­ verses du monde, avant de s'établir assez tardivement dans une île du Pacifique qui est devenue leur « image de marque » tant dans la version Dirks que dans la version Knerr. En 1912, en effet, Dirks dé­ cida de se retirer pendant un an et entra en conflit avec Hearst. Le

World de Pulitzer en profita pour faire des offres à Dirks. Le procès qui opposa Hearst à Dirks permit à ce dernier de conserver ses person­ nages sous un autre titre, tandis que Hearst pouvait poursuivre la publi­ cation des « Katzenjammer Kids » avec un autre dessinateur. Knerr se les appropria en 1914, tandis que Dirks, pour le World, publiait sa bande sous le titre de « Hans and Fritz», puis de «The Captain and the Kids». En 1931, avec la dispa­ rition du World, la bande passa à l’UFS et, en 1932, un daily strip fut créé. Dirks, en conflit avec l’UFS, se retira provisoirement et jusqu’en 1937, la série fut confiée à un ghost, Bernard Dibble, qui la signa, même, un court moment (Dibble était l’auteur d’un strip, « Danny Dingle», d’une grande fantaisie burlesque, qui dura de 1927 à 1940). Après le retour de Dirks, le daily strip fut supprimé. En 1946, le fils de Dirks, John, assista son père et assura la bande à partir de 1958, la signant effectivement après la mort de Dirks survenue le 20 avril 1968. John Dirks modernisa le dessin de façon plaisante et intro­ duisit des thèmes de science-fiction humoristique, poursuivant au­ jourd’hui encore cette série octogé­ naire. «The Katzenjammer Kids»

En 1928, Walt Disney (Walter Elias Disney, 1901-1966) avait déjà plu­ sieurs années de création dans le do­ maine du dessin animé lorsqu’il porta à l’écran les aventures d’une petite souris dans «Plane Crazy». Inspiré par l’exploit de Charles Lindbergh, ce dessin animé vit la naissance de Mickey Mouse. En janvier 1930, le thème de «Plane Crazy » servit de prétexte à la créa­ tion du premier comic strip adapté d’après les dessins animés de Dis­ ney, que le KFS se chargea de dis­ tribuer. Ecrit par Disney et dessiné par Ub Iwerks, ce strip fut encré par Win Smith. Le nom d’Ub Iwerks paraissait alors à côté du ti­ tre de la bande avec celui de Dis­ ney, mais lorsqu’il quitta Walt Dis­ ney en mars 1930, les épisodes suivants furent attribués à Disney seul. En fait, Disney ne s’occupa plus dès lors des strips et Win Smith prit la place d’Iwerks. En avril 1930, succéda au poste d’en­ creur Floyd Gottfredson (né en 1907), jusqu’alors employé comme apprenti animateur. Gottfredson se montra si doué qu’il remplaça Smith définitivement vers le début de janvier 1931, en tant que dessi­ nateur de la série, assurant égale­ ment le script. Charles Alfred Taliaferro en devint alors l’encreur. Un sunday page fut créé le 10 jan­ vier 1932. Le premier fut médiocre­ ment dessiné par Earl Duvall et Gottfredson prit sa succession. Ta-

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L’un des premiers strips mettant en scène Mickey Mouse (dessin d’Ub Iwerks)

liaferro devint l’un des responsables de l’autre Sunday page créé d’après les « Silly Symphonies » (parmi ses collaborateurs figurait notamment Ralph Heimdahl) et Ted Thwaites assura l’encrage de «Mickey» jusqu’en 1940. Le Sunday page resta l’apanage de Gottfredson jusqu’en 1938, et Manuel Gonzales lui succéda alors. Gottfredson s’écarta du style encore fantaisiste de Iwerks et introduisit un plus grand réalisme dans les daily strips, s’inspirant des thèmes de la bande d’aventure de l’époque sans pour autant négliger l’humour. Il expé­ rimente sans cesse et, en 1938, il est avec Roy Crane l’un des premiers à tirer tous ses effets graphiques de l’emploi du Doubletone. La même année il est un court moment rem­ placé par Harvey Eisenberg qui va introduire (sur le modèle des dessins animés) des modifications dans le physique de Mickey et de ses com­ pagnons. (Dippy Dog, plus tard Goofy, apparaît en 1933; Pluto en 1931.) Gottfredson dessinera le strip jusqu’en 1975 et sera remplacé par Roman Arambula. Depuis 1955, il s’agissait d’un simple strip à gags. Les principaux scénaristes furent Ted Osborne et Merril De Maris dans les années 30, puis Bill Walsh. Après 1955, Roy Williams, puis Del Connell imaginèrent les gagsDans les « Silly Symphonies » paraît en 1934, dans l’épisode «The Little Wise Hen », un canard râleur et couard, Donald. Il entre, en 1935, dans la bande de Mickey. En août 1936, Taliaferro (1905-1969) en fait la vedette d’une série de Sunday pa­ ges toujours dans le cadre des « Silly Symphonies». En août 1937, la ré­ férence aux « Silly » disparaît, mais la série s’arrête en décembre 1937,

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Donald Duck

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peu après que les trois neveux de Donald sont apparus. En février 1938, Taliaferro crée le daily strip de « Donald » et fait revivre le sunday page en décembre 1939. Les « Silly Symphonies » passent alors à Bob Grant qui, en 1943, dessinera notamment, dans le cadre de la sé­ rie, «José Carioca». Taliaferro, avec son scénariste Bob Karpe, poursui­ vra longtemps « Donald », avec beaucoup de talent. Il introduit Daisy en 1940, et se lance dans des recherches de mise en page fort plai­ santes jusqu’en 1943. Il tombe en­ suite dans une certaine routine qui s’accentuera dans les années 50-60 où des dessinateurs moins doués comme Don Relley assureront cer­ taines planches. Depuis sa mort, il a été remplacé par le catastrophique Frank Grundeen. Taliaferro reste fidèle, avec talent, au principe du gag. Dès décembre 1937, pourtant, des histoires à sui­ vre de Donald paraissent en Italie, réalisées par Federico Pedrocchi puis par Mario Pinochi. Un anima­ teur de chez Disney, Cari Barks (né en 1901), qui n’avait rien à voir avec le comic strip, eut l’occasion d’adap­ ter en comic book, en 1942, un an­ cien projet de dessin animé. Le co­ mic book, «Donald Duck Finds Pirate Gold », obtint un grand suc­ cès (dessiné avec Jack Hannah en commun) et la Western Publishing Co., qui publiait des reprises de co­ mic strips, proposa à Barks de réa­ liser des histoires originales pour elle. En 1943, Barks entama sa col­ laboration avec la WPC et la pour­ suivit jusqu’en 1965. Il créa de nombreux personnages qui n’exis­ taient pas dans la bande de Talia­ ferro, et notamment, en 1947, sa plus célèbre vedette, Üncle Scrooge (Oncle Picsou). Il arriva aussi à Barks de dessiner, en 1945, des adaptations de Mickey pour la WPC, ainsi que, de 1943 à 1947, di­ vers personnages non disneyens tels que Andy Panda, Happy Hound, Barney Bear and Benny Buro ou Porky Pig. En fait, Cari Barks était tout à fait indépendant des Disney Productions. Son graphisme, sur­ tout au début, était d’une souplesse et d’une finesse remarquables; ses scénarios, toujours subtils et drôles, étaient des modèles de narration avec juste ce qu’il fallait de clin d’œil parodique pour rendre ses lec­ teurs complices, mais non dupes. Il ne fut pas seul à dessiner Donald ; d’autres, comme Tony Strobl, le fi­ rent aussi. De son côté, Paul Murry fut l’un des meilleurs adaptateurs de Mickey pour le comic book. Ce der­ nier, auparavant, avait dessiné en 1946 les «Taies ofUncle Remus»

qui succédaient aux « Silly Sympho­ nies » et furent par la suite l’œuvre de Dick Moores, Riley Thompson, Bill Wright et, depuis 1963, Jack Ushler, sur des textes de George Stalling, puis Jack Boyd. En 1955, les Disney Productions ajoutèrent un nouveau comic strip à leur liste, « Scamp ». Dick Moores participa à sa création et le strip fut, par la suite, réalisé par Manuel Gonzales et Mike Arens sur des scénarios de Bill Berg. Les personnages de Disney furent également très tôt dessinés en Ita­ lie. Des dessinateurs comme Romano Scarpa ont eu certaines de leurs bandes reprises dans les comic books américains. Une telle diver­ sité de production, d’origines si dif­ férentes, rend bien légères et futi­ les certaines analyses de l’univers disneyen. Un univers moins facile à cerner que ne semblent l’imaginer ses censeurs.

DITKO Steve (1927-

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Pour « Spiderman », pour « Doctor Strange» chez Marvel de 1962 et 1963 à 1966, les lecteurs de comic books se souviennent de Steve Ditko. Quant à « Gorgo », « Konga », «Captain Atom», «Blue Beatle», « The Question », parues chez Charlton, les histoires de la bande dessinée ne les mentionnent même pas. Avant «Spiderman», Ditko avait travaillé depuis 1953 pour différen­ tes firmes : pour Prize dans Black Magic; pour Farell dans Fantastic Fears; pour St. John; pour Charl­ ton sur une première série d’aven­ tures de Captain Atom; et pour Marvel où il était, depuis 1956, aux côtés de Jack Kirby, l’un des grands illustrateurs des petites histoires fantastiques et de science-fiction alors en vogue. Après le succès de Fantastic Four, dans la vague de création de super-héros qui s’ensui­ vit chez Marvel, Ditko se vit attri­ buer «Spiderman», l’homme arai­ gnée, et cela par chance, Kirby n’étant pas disponible. Si Stan Lee avait estimé Ditko incapable de don­ ner vie à un super-héros, les ventes de Spiderman le détrompèrent vite : dans un registre totalement diffé­ rent de celui de Kirby, la bande des­ sinée par Ditko passionnait les lec­ teurs. Spiderman, étudiant studieux sous son identité de Peter Parker, frêle et portant lunettes, devint le symbole de toute une génération, un héros des campus beaucoup plus proche de ses lecteurs que ne

l’avaient jamais été Superman ou Batman, ou que ne l’étaient The Thing ou Thor. Fondu dans le même moule que ses autres créa­ tions des années 60, ce super-héros de Stan Lee détonnait parmi ses frè­ res et sœurs. Sous l’impulsion de Ditko, il se modifia, devenant acide et acerbe, pourchassé par la police et accusé de tous les crimes par la presse, justicier parallèle dont se méfiaient même les autres héros. De même Doctor Strange, magicien sans cesse égaré dans d’autres di­ mensions, devint l’idole du mouve­ ment psychédélique qui crut re­ connaître dans ses voyages une transposition de ceux que procurait le LSD. Mais Ditko n’était pas à l’aise chez Marvel, manquant de liberté, même si ses personnages s’écartaient déjà trop de la norme recherchée par Stan Lee pour rendre cohérent son monde de papier, aussi quitta-t-il la firme en 1966 ; sans bruit et sans ex­ plications, abandonnant à d’autres ses créations les plus fameuses. Il travailla alors pour Dell (« Nukla »), pour Tower («Dynamo», «Noman ») sous la direction de Wallace Wood, pour Warren, se lançant dans l’heroic fantasy et l’horreur sur des scénarios d’Archie Goodwin, et surtout pour Charlton que Dick Giordano venait de reprendre en main. Dessinant pour Marvel, il avait d’ailleurs toujours continué à collaborer aux illustrés de la Charl­ ton, y trouvant une plus grande li­ berté et pouvant y exprimer ses idées politiques. Depuis 1960, il avait fait apparaître dans « Konga » et « Gorgo » des communistes obtus, des pays de l’Est opprimés, des ré­ publiques sud-américaines noyau­ tées par des révolutionnaires impor­ tés... C’était l’époque de la guerre froide et Ditko y participait à sa fa­ çon. De 1966 à 1968, dans «Cap­ tain Atom », « Blue Beatle » et « The Question » le discours politique de­ vint plus évident. Pour Ditko, il existait plusieurs types d’hommes et de comportements, mais seules trouvaient grâce à ses yeux l’honnê­ teté, la pureté, l’intransigeance. Et il partit dans une croisade solitaire contre le crime, la corruption, les compromissions et les lâchetés de tous ordres, jusqu’à montrer The Question regardant sans intervenir deux gangsters se noyer dans un égout, une justice expéditive qui contredisait le comics code. Mais cette attitude, anticommuniste, avide de justice, n’était en rien l’ex­ pression d’une majorité silencieuse conservatrice, ou la défense de la dé­ mocratie et de VAmerican way of life. Ditko dans ses bandes s’en pre-

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D » comme Daily strips DISMISSED**^ 014 ™B CrRCMJHDS THAT ON WHAT TRUE PEELJNOS \ El ENMASCARADO ATURDE AU TUNECINO.

Manuel Gago, El Guerrero del Antifaz

qui, outre la science-fiction (avec les aventures de Chatillo, Federico, le Colonel Bustamante et le Capitaine Izquierdo) s’illustra aussi dans l’aventure historique, le policier, le western («Primo Villa») et le jun­ gle strip (avec les aventures de « Sadhu » et « El Capitán Misterio »), et Jesús Blasco qui apporta le person­ nage de « Cuto » auquel des milliers de jeunes Espagnols s’identifièrent. Jesús Blasco fit entrer dans l’équipe

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collaborèrent les mêmes dessina­ teurs que pour Chicos, en particu­ lier la tribu Blasco : Jésus avec «Anita Diminuta » (pendant fémi­ nin de « Cuto »), son frère Adriano, et sa sœur Pili avec ses contes de fées et ses histoires romantiques. En 1950, Mis Chicas devint Chicas et s’adressa à un public plus âgé d’ado­ lescentes, voire de jeunes femmes. Dès lors, photos et textes l’empor­

tèrent sur la bande dessinée propre­ ment dite. En 1942 paraît Chiquito, supplément mensuel de Chicos, de très petit format. En 1945, c’est le tour de Cran Chicos où l’on re­ trouve « Cuto », « Anita Diminuta », « El Capitân Misterio » et où débute Carlos Balitô (en fait Carlos Freixas, fils d’Emilio) avec « Pistol Jim». A cause des difficultés économiques (restrictions de papier, manque d’imprimeries...) la bande dessinée connaît une certaine régression dans les années 40, particulièrement en­ tre 1940 et 1946. En outre, la cen­ sure extrêmement forte et la situa­ tion d’autarcie qui durera en gros jusqu’à l’entrée de l’Espagne à l’ONU en 1955 ne sont pas des conditions particulièrement favora­ bles au développement d’un genre longtemps considéré, plus que tout autre, suspect. Au lendemain de la guerre civile, seules d’ailleurs étaient autorisées les revues éditées dans la zone nationale comme Flé­ chas y Pclayos, Maravillas et les pu­ blications du groupe Chicos. La ca­ talane Hispano-Americana de Ediciones, de son côté, avait rem­ placé ses revues défuntes (Yumbo, Aventurera et La Revista de Tint Tylcr) par I.eyendas Infantiles, pu­ bliée en zone nationale à partir de 1944. On y retrouve les meilleures bandes américaines («Tarzan», « Flash Gordon », « Popeye », « King of the Royal Mounted», etc.) par­ fois calquées d’après des revues bré­ siliennes ou portugaises par des des­ sinateurs espagnols comme Alfonso Figueras ou les frères Blasco, ou en­ core redessinées pour des raisons de censure. Après avoir tenté sa chance dans le domaine du comic book, la Hispano-Americana a cessé d’exis­ ter en 1955. Peu à peu, cependant, les éditeurs d’avant-guerre, en particulier ceux de Barcelone, reprennent leurs ac­ tivités interrompues pendant les hostilités. Cela ne se fait pas sans difficultés, plusieurs dessinateurs ayant disparu ou ayant dû s’exiler durant la guerre civile. • TBO TBO fait une timide réapparition en 1942 avec de nouvelles bandes, en particulier « La Familia Ulises » et « Morcillon y Babalî » de Benejam, « Angelina y Cristobal », « Dona Exagerancia » et « Josechu el Vasco» de Muntanola, «Joaquinete y su chupete » d’Antonio Ayné, « Los Kakikus » de Blanco (qui uti­ lisait parfois le pseudonyme de White), « Altamiro de la Cueva » de Bernet Toledano. Plus tard seront intégrés à l’équipe de nouveaux des­ sinateurs : Coll, Sabatès, Raf, Ma-

ría Angeles et Isabel Bas. Dans les années 50, TBO atteint un tirage de 350000 exemplaires. De pério­ dicité variable selon les époques, il conserva, grâce à la permanence d’une équipe de collaborateurs dont certains assurèrent la jonction entre l’avant et l’après-guerre, un style re­ marquablement stable : graphisme statique et un peu archaïque, hu­ mour sociologiquement et politi­ quement désengagé, prédominance des histoires isolées sur les séries et les personnages à suivre. Vers le dé­ but des années 60, cette formule éditoriale devenant périmée face au dynamisme des autres maisons d’éditions, la revue entra dans son déclin. Avec son optique conserva­ trice et sa vision patriarcale du contexte sociologique espagnol, elle garde toutefois une incontestable valeur de document.

• Bruguera En 1939, les fils de Juan Bruguera ressuscitent sous le nom de Edito­ rial Bruguera les éditions barcelo­ naises du Gato Negro dirigées avant la guerre civile par leur père. Ils commencent par rééditer Pulgar­ cito qui prend, vers la fin des années 40, un réel essor grâce à Rafael González, éditeur, journaliste, scé­ nariste et romancier (sous le pseu­ donyme de Douglas L. Templewood). Contrairement à TBO, Pulgarcito témoigne d’un sens aigu du contexte espagnol, avec ses dif­ ficultés économiques, ses rapports d’autorité hiérarchisés et les frustra­ tions fondamentales du mâle ibéri­ que. En 1951 est créé El DDTqui, visant un très large public (en par­ ticulier les anciens lecteurs de Pul­ garcito devenus adultes) s’oriente de plus en plus vers l’humour satirique au détriment de la bande dessinée. La tendance est nette surtout au mi­ lieu des années 60 avec l’incorpo­ ration d’humoristes comme Oli, Turnes et surtout Perich qui as­ sume pratiquement la direction de la revue. En 1967, toutefois, en par­ tie à cause des difficultés avec la censure, El DDTredevient une pu­ blication «juvénile» dans la lignée de Pulgarcito. En 1957, un groupe de dessinateurs de l’école Bruguera (Escobar, Conti, Cifré, Peñarroya, Giner...) se réu­ nissent en coopérative pour fonder Tío Vivo inspiré, comme d’ailleurs El DDT à ses débuts, de la publi­ cation argentine Rico Tipo. En 1960, Tío Vivo est racheté par les Editions Bruguera et devient, sous la direction de J. Garcia Castell puis de Joaquín Grau, et la supervision de Rafael González, une revue très appréciée, atteignant au début des

années 70 les tirages de Pulgarcito et El DD T (entre 200000 et 250000 exemplaires). En 1960, Bruguera lance El Cam­ peón, destiné aux amateurs de sports et qui dure à peine deux ans, puis en 1965, Din Dan étroitement lié au média télévisuel et accueillant beaucoup de matériel étranger. En 1968, c’est le tour de Bravo, qui comprend beaucoup de séries d’aven­ tures et en 1969, Gran Pulgarcito qui réédite, dans son « Musée de la bande dessinée » un grand nombre d’anciennes séries de Pulgarcito et El DDT. En 1970 paraît Mortadelo, ainsi nommé après la célèbre bande d’Ibaftez « Mortadelo y Filemôn », et qui publie également « Astérix », «Blueberry» et «Achille Talon». Au début des années 70, Bruguera était devenu le plus grand éditeur de comics espagnols avec un tirage de plus d’un million d’exemplaires pour l’ensemble de ses titres, ce qui explique que l’on ait parlé, à son su­ jet, de quasi-monopole. Les dessi­ nateurs de l’école Bruguera sont parmi les plus connus : Cifré (« Cucufato Pi », « Don Furcio Buscabollos», Iranzo («La Familia Pepe», « Perico y Frescales »), Manuel Váz­ quez («Las Hermanas Gilda» et plusieurs family strips dont « La Fa­ milia Cebolleta»), Escobar («Car­ panta», le vagabond toujours af­ famé, « Zipi y Zape », les jumeaux terribles), Martz-Schmidt (« El doc­ tor Cataplasma »), Jorge (« Doña Ur­ raca»), Peñarroya («Don Berrin­ che »), Francisco Hidalgo (« Doctor Niebla »), etc. Plus tard, au moment de la création de Tío Vivo et du dé­ part consécutif d’une partie des membres de l’équipe, ont été enga­ gés de nouveaux dessinateurs comme Ibáñez (« Mortadelo y File­ môn»), Segura, Raf... Tous ces dessinateurs ont contribué à la définition de ce que l’on a ap­ pelé le « style Bruguera », style dif­ férent de celui de TBO ou des édi­ teurs plus traditionnels comme Germán Plaza ou les Editions de Valence. Chez Bruguera, l’accent était mis sur l’expressivité et le dynamisme du graphisme, sur un langage quasi cinématographique et sur la prédominance des personna­ ges fixes et des séries à suivre. L’hu­ mour y était volontiers inconoclaste et, pour l’époque, relativement au­ dacieux. D’ailleurs, les dessinateurs de Pulgarcito collaboraient aussi aux revues satiriques Bruguera, comme Ven y Ven et Can Can.

• Marco Troisième éditeur barcelonais im­ portant, la Editorial Marco dispo­ sait d’une infrastructure industrielle

comparable à celle de Bruguera. Sa principale revue, La Risa Infantil, s’inspirait de TBO, mais faisait une place plus grande à la bande dessi­ née et surtout témoignait d’un hu­ mour agressif proche de celui de Bruguera. Plusieurs bandes célèbres furent créées dans cette revue : « Bob Aína y Patacón » et « Nicomedes Camueso » de Boix (reprises par la suite par Martinez), « Los gran­ des inventos del Profesor Canuto » et «La Familia Tranquilino» de Rizo, «Hogar, dulce hogar» de Martínez, puis de Raf, sur un scé­ nario de Carlos Bech, « Levy Berzotas », de Raf (une des rares ban­ des antisémites de l’époque), « Shelo Cornes » de Boix et « Sherlock Gô­ mez » de Raf (reprises par Cubero et Ripoll), «Doctor Cianuro» de Nene Estivill, « Haciendo el Indio» de Ibáñez. Le principal mérite de La Risa est toutefois d’avoir servi de tremplin à un certain nombre de grands dessinateurs : Coll y fit ses premières armes avant de passer, en 1952, à TBO, Raf et Ibáñez y col­ laborèrent avant d’aller remplacer, à la fin des années 50, les dessina­ teurs de Bruguera partis fonder Tío Vivo. Ces défections furent appa­ remment fatales à La Risa. Après avoir réédité pendant quelque temps du matériel ancien, elle dis­ parut en 1959. L’autre revue importante des Edi­ tions Marco, Hipo, Monito y Fifi, était destinée aux jeunes enfants et comportait surtout des séries anima­ lières. Créée en 1934, elle fut sus­ pendue entre 1956 et 1958 et reprit alors pour une trentaine de numé­ ros à peine. La plupart des dessina­ teurs de La Risa y collaborèrent : Boix, avec la bande qui donne son titre à la revue, Rizo (« La Familia Orejitas »), Martinez, Antonio Gar­ cia, Ibáñez («Melenas», «Kokolo»), Ripoll... Certains, comme Ayné (« El émulo de Pancho Villa », « Las Aventuras de Tatán », « El Vi­ kingo Pérez »), Cubero (« El tío Bastián », « Zacarías Mendrugón ») et Tora («Johnny Calamidad», «Do­ nald Calamar ») travaillèrent à Hipo, Monito y Fifi avant d’entrer à La Risa.

• Les Editions de Valence Face aux grands éditeurs barcelo­ nais, la Editorial Valenciana, fondée en 1932, devint sous l’égide de son propriétaire Juan B. Puerto Belda une importante entreprise de pro­ duction de comics dans les années 40. Jaimito fait son apparition en 1943 mais ne devient régulier qu’à partir de 1945. En 1948 paraît S.O.S., publication de courte durée. En 1955, c’est le tour de Pumby, re­

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vue animalière comme Hipo, Monito y Fiji et Yumbo. Jaimito et Pumby donnèrent naissance à deux publications annexes : Selecciones de Jaimito (1957) et Super Pumby (1961). L’originalité des Editions de Va­ lence réside dans la cohérence de son équipe de collaborateurs recru­ tés, pour la plupart, dans les écoles de Beaux-Arts locales. Cette cohé­ rence se retrouve dans l’expérience de la revue catholique madrilène Trampolín dans laquelle Alberto de Macua a engagé, à côté de quelques dessinateurs Bruguera la majeure partie de l’équipe Valencienne (Palop, Serafín, Karpa, Liceras...). Les principales séries publiées par les revues de l’école de Valence sont «Jaimito » de Palmer (repris par Iz­ quierdo, Liceras et Karpa), « Pumby » (un chat qui ressemble à Félix), « El Soldadito Pepe » et « El Capitán Mostachete» de Sanchîs, « El Ratón Pérez » et « Renato y Sapete » de Liceras, « La Familia Conejil», et «Doña Tere, Don Panchito y su hijo Teresito » de Serafín, «Robinsón Pérez» et «Bartolo, as de los vagos » de Palop, « Cangurito» de Karpa...

• Germán Plaza Il s’agit en fait d’un complexe édi­ torial qui, outre les Editions Ger­ mán Plaza, regroupe la HispanoAmericana de Ediciones, Cliper, Cisne, etc. En 1947, Germán Plaza lance El Coyote (qui, dans sa der­ nière étape, deviendra Nuevo Coyote) d’après le mondialement cé­ lèbre personnage de romans popu­ laires créé par José Mallorqui sous le pseudonyme de Carter Mulford. El Coyote, de son vrai nom Don César de Echagüe, est, comme Zorro, un justicier masqué exerçant ses talents dans la Californie de l’époque coloniale. Dessiné par Francisco Batet, il fut ensuite repris par divers auteurs pour la plupart anonymes. Dans El Coyote, on trou­ vait en outre « El Corsario Azul » de Batet, «Pistol Jim» de Carlos Freixas, « Gus Miley » de Julio Ri­ bera, « Mr. Radar » de Alfonso Fi­ gueras, « El Jinete del espacio » de Darnís, « Dos Hermanos » et « Smiley O’Hara » de Jesús Blasco et « Polito» de José Toutain. Le succès de El Coyote entraîne la création de Nicolas (1948), auquel collaborent Alfonso Figueras avec « Loony », Gustavo Martz-Schmidt avec « Él Doctor Cascarrabias », An­ tonio Ayné avec « La Familia Tarúguez » et Pedro Garcia avec le per­ sonnage de Nicolás. Quant à Yumbo, il reparaît en 1953 sous une formule nouvelle et publie «El Conejito

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Atómico» d’Ayné (un petit lapin froussard qui se mue en « lièvre ato­ mique» doté de super-pouvoirs), « Nicotîn » de Garcia et « El Faunito Pepino» de Salvador Mestres. La reprise de Pinocho (1957) sera, elle, de très courte durée, de même que l’expérience de Topolino (1951) dont le personnage vedette est un petit chien dessiné par Jesús Blasco. L’évolution de la bande dessinée es­ pagnole depuis les années 40 a été marquée en outre par deux faits im­ portants : l’essor du comic book et le développement de la bande des­ sinée «féminine». • Le comic book Inauguré par la Hispano-Americana de Ediciones avec ses « cuadernos » en noir et blanc (Grandes Aventuras, Audaz, Aventuras y Misterio où l’on retrouve « The Lone Ranger », « Mandrake », « Tarzan », « The Phantom», «Brick Bradford»), le genre connaît dans les années 50 et 60 une expansion extraordinaire. La Hispano-Americana publie El Ca­ pitán Marvel, Mary Marvel et Juan Centella (c’est-à-dire le « Dick Ful­ mine» de Carlo Cossio). Les éditeurs concurrents se lancent dans la bataille : Marco avec ses co­ mic books de science-fiction illus­ trés par Darnís, Farell et Alfonso Figueras («Jaime Bazán»); Toray avec « El Capitán Coraje » d’Iranzo et la série des « Histoires de Guer­ re» à laquelle collabore Boixcar; Bruguera avec ses séries inspirées de Walt Disney et ses comics d’aventures (« El Capitán Trueno ») ; Rialto avec les aventures de « Ginesito» (d’abord appelé «Satanas»), héros adolescent dessiné entre au­ tres par Victor de la Fuente; les Editions de Valence avec sa collec­ tion de comic books adaptés d’œu­ vres cinématographiques et les créa­ tions de Vaño («Pedrin», autre adolescent qui parcourt le monde en compagnie de son idole, le journa­ liste Roberto Alcázar) et de Manuel Gago (« El Capitán España », « El Pequeño Luchador » et surtout « El Guerrero del Antifaz », célèbre che­ valier masqué du temps des Croi­ sades); enfin l’éditeur Cid apporte sa contribution au domaine de la science-fiction avec « Diego Valor » de Buylla et Bayo sur un scénario de Jarber.

• La bande dessinée «fémi­ nine» A la suite de l’expérience de Mis Chicas, les Editions Toray lancent en 1947 le premier véritable comic book destiné à un public féminin, Azucena, qui durera jusqu’aux an­ nées 70. Azucena tire bientôt à

60000 exemplaires. Encouragé par ce succès, Toray lance dans les an­ nées 50 une profusion de publica­ tions sentimentales dont Rosas Blancas et Serenata au tirage à peu près comparable. 1949 marque le lancement de Ardillita aux Editions Ricart et de Florita aux Editions Cliper. Ricart sera à la fin des années 50 un grand édi­ teur de revues féminines avec une foule de titres (Gacela, Gardenia Azul, Magnolia, Sentimental...). Florita a pour personnage vedette une jeune fille moderne, élégante et sportive vivant dans un milieu aisé. Création de Vicente Roso, «Florita » sera reprise par Ripoll et Pé­ rez Fajardo avant de devenir, dans les années 60, la simple narratrice d’histoires sentimentales. Le succès de Florita incite Cliper à lancer la même année Lupita. «Lupita», sorte de petite sœur de Florita est dessinée par Ripoll. Citons encore, parmi les publica­ tions à succès Marilô des Editions de Valence (1950) à laquelle colla­ bore la majeure partie de l’équipe de Jaimito, ce qui donne à la revue un ton plus populaire et plus axé sur le comique; Sissi (1958) et ses revues annexes publiées par les Edi­ tions Bruguera qui éditaient déjà en 1950 un supplément féminin à Pul­ garcito (Celia) ; enfin Claro de Luna (1959) de Ibero Mundial de Edicio­ nes qui publiera aussi les aventures de « Lilian hôtesse de l’air » et de « Mary Noticias », l’intrépide jour­ naliste. Dans le courant des années 60, la vogue du roman-photo sup­ plante la bande dessinée dans les re­ vues féminines. Les années 70 mar­ quent le déclin du genre, avec les rééditions nostalgiques de matériel ancien et Lily, des Editions Bru­ guera, qui tente de recueillir le pu­ blic de Sissi. Démobilisateur et conservateur, le « comic femenino » est un document sociologique par­ ticulièrement révélateur de la men­ talité méditerranéenne des années 40 et 50. En outre, il a été le ter­ rain d’expression favori d’un grand nombre de cartoonists femmes qui ont eu sans doute plus de difficul­ tés à se faire admettre dans les do­ maines traditionnellement mascu­ lins de l’aventure ou de la satire. Ainsi Isabel Bas, María Pascual, Carmen Barbará, Josefina, Juanita Bañólas et Rosa Galcerán.

• Les années 70-80 L’underground a fait son apparition en Espagne avec un certain retard dû aux conditions d’isolement culturel et de censure existant dans ce pays. Les idées de la contreculture ont commencé à cheminer

de lu

M u n d ia l

au début des années 70 dans la re­ vue de cinéma Fotogramas et dans la publication satirique Mata Ratos lorsque le jeune dessinateur Tom en assuma la direction à la suite de Conti. En 1974, El Rrollo Enmascarado fondé par une coopérative d’artistes donne l’exemple, aussitôt suivi par Star, véritable vitrine du comix étranger, et par Ajo Blanco, première revue consacrée à la litté­ rature marginale. Dès lors, on as­ siste à une prolifération de titres, gé­ néralement de courte durée : De Quommic, I.a Ptrana Divina, Carajtllo, A l'alenciaa, W'endigo, Hutifarra... Barcelone est le centre le plus actif, avec des dessinateurs comme Alsina, Antonio Carino, Germân Maestu, Joan Ramon, Kim, Max (qui dessine dans un style très Crumb) ou Miracle et Martin qui ont fait la satire des Edi­ tions Bruguera dans « Filebanez o el Commendador de Brujera ». Inu­ tile de préciser qu’en Espagne plus qu’ailleurs procès, amendes et inter­ dictions n’ont cessé de jalonner le mouvement. Parallèlement au mouvement un­ derground, a commencé, dans les années 70, une phase de réflexion et d’ouverture grâce à des revues comme Trinca (1970) ou Dracula (1971). Avec des dessinateurs comme F.nric Siô, Estebân Maroto, Victor de la Fuente, Palacios, le comic espagnol semble définitivement sorti de son ghetto. Avec la démocratisation de l’Espa­ gne et la montée d’un humour po­ litique, un grand vent de liberté va souffler sur la BD ibérique. Créée en 1979 à Barcelone par José Ma­ ria Berenguer, El l’tbora (Ea Vipère) impose d’emblée un ton contesta­ taire, virulent et s’en prend à tous les tabous, sexuels notamment. Forte de ses 50000 exemplaires mensuels, cette revue va imposer une génération de nouveaux dessi­ nateurs : Nazario, auteur d’histoires d’amour et de répression dans les milieux homosexuels, avec pour hé­ ros le travelo détective Anarcoma ; Marti, d’abord inspiré par Chester Gould pour ses illustrations de san­ glants faits divers, mais qui se ca­ ractérise par un superbe expression­ nisme en noir et blanc (son album « Taxista Cuatroplazas » est une sorte de «Taxi Driver» barcelo­ nais); Pons, qui situe également ses bandes dans les quartiers mal famés de la ville; Gallardo; Max... Paral­ lèlement, El Vibora publie Ceesepe le Madrilène, mais aussi I.iberatore, Shelton, Martin Vevron, Tatsumi. Face à la « linea chunga » (ligne sale) au style virulent, postunderground de cette revue « libérée » va s’oppo-

Unc heroine Je la bande dessinée féminine espagnole, création de Sylvia Duarte et Carmen Rarbara (1961)

ser Cairo, lancé en 1981 par Joan Navarro, adepte de la « ligne claire», et qui mettra l’accent sur l’aventure, proposant un style pro­ che de la grande tradition francobelge. Auprès de Jacobs, Tardi, Chaland, Floc’h et Rivière, Cairo va proposer Roger et Montesol (« Destino Gris»), Ramon d’Espana et Montesol (« Fin de Semana »), Pere Joan (« Pasaiero en Transito »). Da­ niel Torres, qui s’est fait connaître dans El Vibora avec « Angel Caido » (« I.’Ange déchu », publié en France chez Futuropolis) dans un style en­ core marqué par l’underground, va trouver sa voie dans Cairo avec «Opium» et «Triton», créant un univers futuriste où le baroque est uni à la pureté des lignes. Torres est le plus illustre des dessinateurs de Valence (on a pu parler à leur sujet d’« école valentienne »), avec Sento, l’auteur de « Velvet Nights » (sc. Ra­ mon de Espana), Mique Beltran, Micharmut, Catalvud et Balaguer. El Cairo publie également les ban­ des dessinées du peintre et designer Mariscal, de Miguel Gallardo, créa­ teur de « Makoki » (sc. Mediavilla) l’un des personnages les plus popu­ laires de la BD espagnole. Au dé­ but de 1985, ce magazine cesse de paraître (Juan Navarro créant alors la revue Complot), mais, sous la

pression du public, sera relancé trois mois plus tard par son éditeur Rafael Martinez. Toute cette effervescence qui se ma­ nifeste à Barcelone a sa contrepartie à Madrid, surtout à travers la revue Madriz, financée par la municipa­ lité. La fin des années 70 et le début des années 80 auront vu la multiplica­ tion des petits éditeurs de BD, bat­ tant en brèche les grandes compa­ gnies comme Bruguera. A travers Unicorn, lara, Mamagraph, La Cu­ pula (Barcelone), Arrebato (Va­ lence), on assiste à une atomisation de la production, qui reflète bien la diversité et la liberté de la bande dessinée espagnole contemporaine.

EVERETT William (Bill)

(1917-1973) USA Après des débuts dans le dessin pu­ blicitaire et comme editor du maga­ zine Radio News, Everett découvrit la bande dessinée lorsqu’il trouva un emploi chez Centaur Press en 1938, créant bientôt pour cette firme «Skyrocket Steele», «Ama­ zing Man » et « Dirk the Demon ». En 1939, avec Carl Burgos (créateur de « The Torch ») et Lloyd Jacquet

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il fonda Funny’s Inc., un studio em­ ployant de nombreux dessinateurs/scénaristes qui réalisa pour l’éditeur Martin Goodman le nu­ méro 1 de Marvel Comics, puis les autres illustrés qu’édita la firme ain­ si inaugurée. La nouvelle compa­ gnie de Martin Goodman, éditeur jusqu’alors spécialisé dans les ma­ gazines plus luxueux et dans les pulp magazines (Marvel Stories), fut baptisée Timely et devait plus tard devenir Atlas, puis Marvel. Pour Marvel Comics, Everett créa le personnage de Sub-Mariner, le Prince Namor. Ce premier des anti­ héros des comic books haïssait l’hu­ manité et avait juré sa perte. Fils d’une princesse sous-marine et d’un commandant de navire, il était doué de super-pouvoirs qu’il appliqua à venger son peuple presque détruit par la folie humaine. Durant la guerre, il lutta du côté des Alliés mais eut aussi quelques rudes batail­ les avec The Torch et Captain America, les deux autres grands hé­ ros de la Timely. Jusqu’en 1957, Everett travailla pour les illustrés de la Timely/Atlas puis, après un retour au dessin publicitaire qui dura quelques an­ nées, il devait revenir vers cette firme devenue la Marvel, pour y dessiner «Daredevil» et «Hulk», encrer les aventures de nombreux autres héros et surtout reprendre «Sub-Mariner» dans les pages de Taies to Astonish. « Sub-Mariner » passa entre les mains de nombreux dessinateurs et scénaristes, Ray Gill, Alex Shomburg, Mike Sekowsky, Mickey Spillane, Otto Bin­ der, Gene Colan, Roy Thomas... mais sa haine de l’humanité et son visage aigu, aux sourcils étranges et aux oreilles pointues, resteront tou­ jours associés au nom de Bill Eve­ rett.

EWER Ray

üsa

Raymond Crawford Ewer demeure une énigme. Sa carrière semble débuter en 1908 à la World Color

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Printing Co. avec « Those Foolish, Foolish Questions », un quelconque démarquage de la série de Gold­ berg. Lui succèdent «Things as They Ought to be » (1909), « Brown the City Farmer» (1910) ainsi que la reprise d’une création de Herri­ man, «Alexander the Cat». En 1911, il remplace Frink sur la série «Slim Jim» qu’il abandonne en 1915, collaborant depuis 1913 à Judge et depuis 1914 à Puck. Le

Ray Ewer, « Slim Jim »

travail tout en dynamisme du trait et profusion de détails de Ewer sur «Slim Jim» mérite une redé­ couverte. Si son graphisme peut évoquer Herriman, son sens des compositions tabulaires l’appa­ rente à McCay et Feininger. Mais contrairement à ces derniers, il lui manqua de publier dans des jour­ naux qui par leur diffusion auraient pu assurer à son œuvre le retentis­ sement qu’elle appelait.

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FALK Lee (1905-

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Né en 1905 à St. Louis (Missouri) Lee Falk étudia à l’université de l’Il­ linois. Il entra alors dans une agence de publicité de St. Louis comme rédacteur et responsable de shows radiophoniques. En cette occasion, il fit la connaissance de Phil Davis (1906-1964), jusque-là dessinateur industriel et publicitaire, et, ensem­ ble, ils créèrent « Mandrake » dont le premier daily strip parut le 11 juin 1934, accepté tout de suite par le KFS. Falk avait imaginé le thème de la série et prêté son pro­ pre physique au personnage. Le nom du héros lui avait été inspiré par un poème de l’Anglais John Donne où il était question d’une « mandrake root ». Il découvrit que cette racine de mandragore était, au Moyen Age censée posséder des fa­ cultés magiques. Il fit de son héros un magicien, en habit et haut-deforme, d’abord pourvu de réels pou­ voirs extraordinaires, mais qu’il ra­ mena à une dimension plus hu­ maine en le faisant simplement agir par suggestions hypnotiques. Mais Mandrake restera néanmoins doué de facultés extrasensorielles telles que télépathie ou dédoublement. Le géant noir Lothar et, par la suite, sa fiancée Narda, princesse de Cockaigne, l’accompagnent dans des

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aventures qui brassent les genres, les pays et même, dans une certaine mesure, les époques, créant un uni­ vers où le roman d’aventure et de mystère se teinte de Lewis Carroll en de nombreuses occasions. Lors­ que Davis fut mobilisé en 1942, sa femme Martha assura le strip et lui servit ensuite d’assistante, jouant un rôle actif dans le dessin, sa forma­ tion de dessinatrice de mode se re­ trouvant dans le graphisme de la bande. Elle reprit également la sé­ rie lorsque son mari, malade, dut l’interrompre peu avant sa mort le 16 décembre 1964. Fred Fredericks (né en 1929) assure depuis la bande. Falk, entre-temps, imaginait un nouveau héros, The Phantom, et en confia le dessin à Ray Moore qui était un assistant de Davis pour «Mandrake». Le daily strip parut le 17 février 1936 (le sunday page ne sera créé qu’en mai 1939). Falk créait ainsi le premier héros entiè­ rement revêtu d’une combinaison collante et bien entendu masqué, et qui, sans être un super-héros, les préfigurait par sa force et son ap­ parente immortalité. Vivant dans une caverne du Bengale, il était amené à lutter contre différents tra­ fiquants, pirates et autres écumeurs, quittant parfois sa jungle pour me­ ner des enquêtes aux USA ou en Europe. Ray Moore (1905-1984), avec son graphisme léger et ses hé­

roïnes très années 30, servit mer­ veilleusement le script de cette bande. Mobilisé, il fut remplacé par le lourdaud Wilson McCoy. Il re­ prit brièvement la bande de 1945 à 1947 mais, malade, dut la laisser de nouveau à McCoy qui la poursui­ vit jusqu’en 1961. Reprise un court moment par Bill Lignante, Sey­ mour (Sy) Barry la continua à par­ tir de 1962, avec un graphisme plus strict et assez conventionnel. L’es­ prit de la bande a changé. Le pro­ tecteur (moins paternaliste qu’on eût pu craindre) du début s’est transformé en une sorte d’agent de l’ONU, et sa fidèle fiancée depuis toujours, Diana Palmer, est deve­ nue son épouse légitime en octobre 1977 ! Certes le Phantom n’était pas le premier héros de BD à se marier ; mais, dans son cas, c’était presque la destruction d’un mythe. Lee Falk a transposé son héros en nouvelles. Une douzaine ont été pu­ bliées par Avon Books, dont quatre ont été entièrement écrites par Falk lui-même. Passionné de théâtre, di­ recteur de cinq compagnies théâtra­ les, il a écrit une douzaine de piè­ ces. La première fut « The Big Story » et l’une d’elles, « Eris », fut jouée à Paris en 1968. Il a écrit éga­ lement le livret d’une comédie mu­ sicale inspirée d’un ancien épisode de «Mandrake». « Mandrake » fut porté à l’écran en

1939 dans une série de douze épi­ sodes (Columbia) et «The Phan­ tom» en 1943, en quinze épisodes (Columbia).

FAMILY STRIP I. Etats-Unis Caractéristique de la BD améri­ caine, le family strip n’est pourtant pas le premier genre en date. C’est probablement Charles W. Kahles qui, en 1902, avec sa courte série parue dans le World » Mrs. Biggerhalf and her smaller half » s’inspira le premier du thème du couple. J. A. Lemon dans «How Would You Like to be John?» (McClure Synd.) dénonce lui aussi le matriar­ cat tandis qu’en 1904 McManus avec ses « Newlyweds » anticipe sur le thème du jeune couple, et que Hy Gage, dans «Mr. Gouch and his Beautiful Wife», rompt lui aussi l’image de la mégère caricaturale. Si, en 1910, « The Dingbat Family » de George Herriman est d’inspira­ tion nettement « nonsensique », la plupart des autres séries traitent surtout du thème de la guerre conjugale, que ce soit sous la forme stéréotypée de la forte femme et du petit mari comme dans «Let the Wedding Bells ring out » de T.E. Powers poursuivi jusque dans les années 30 par le KFS ou en ré­ férence avec le mouvement des suffragettes comme dans « Poor Mr. W » de Gene Carr ou «Mr. Hubby» de Williams Stenigans. En 1913, McManus créa le classique du genre avec « Bringing up Father». D’autres séries appa­ raissent qui mettent en scène un mi­ lieu familial plus diversifié. Il en est ainsi en 1912 de « Polly and her Pals » de Cliff Sterrett à mi-chemin entre girl et family strips, « Roger Bean» de Chic Jackson (1913), de « Pa’s Son-in-Law » de Charles K. Wellington (publié de 1914 à 1942) ou de « Doings of the Duffs » créé en 1915 par Walter Allman et pour­ suivi, jusqu’en 1931, par Ben Batsford, puis par Buford Tune. En 1917, «The Gumps » de Sidney Smith, fidèle aux chamailleries conjugales, inaugure la série des « sagas » familiales aux intrigues for­ tement construites dans lesquelles des éléments du family strip voisi­ nent aussi bien avec le mélo (Win­ nie Winkle), la satire burlesque (Moon Mullins) ou l’aventure (The Gumps). C’est en 1919 que paraît la plus typique de ces sagas « Gaso­ line Alley » de Frank King, série op­ timiste et calme. Par contre, créée en 1918 sous le titre de «Home,

Sweet Home», «The Bungle Fa­ mily » de Harry J. Tuthill pousse à son paroxysme l’état de guerre do­ mestique avec de nombreux rebon­ dissements qui laissent place à la critique sociale avant d’évoluer vers des thèmes loufoques et même de la pure science-fiction jusqu’à sa fin en 1945 (McNaught Synd.). Une telle évolution n’est pas sans rappe­ ler celle de « Sappo » de Segar, créé en 1920. Les années 20 sont une époque de transition. Créé en 1919 par Jimmy Murphy, « Toots and Casper» (KFS) illustre le thème des jeunes mariés, bientôt rejoints, en 1920, par leur bébé Buttercup, avant d’évoluer vers un soap opera humo­ ristique qui prendra fin en 1956. En 1926, Murphy adjoint à « Toots and Casper » un top dominical : « It’s Papa who pays » sur les aléas sou­ riants d’une famille nombreuse. « The Willets », Sunday page créé dans les années 20 dans la foulée du daily panel de James R. Williams «Out our Way » (1921, NEA), s’ins­ pire des menus faits de la vie fami­ liale. Négligée par Williams cette planche fut surtout l’œuvre de George Scarbo et de Neg Cochran, en tant que ghosts, puis, après la mort de Williams en 1957, de Paul Gringle et, en 1971, d’Ed Sullivan (à partir des années 60, les Willets eurent droit à un strip quotidien dessiné par Walt Wettenberg). Ecrit par Sol Hess et dessiné par Wallace A. Carlson, «The Nebbs» (19231947, Bell Synd.) ignore les affron­ tements entre époux et introduit le thème de la famille avec adolescents et enfants. « For better or worse » de Tad Dorgan (1923-1929, KFS), « Mr. and Mrs. » (créé en 1919) de Clare Briggs, «The Man in the brown Derby» (1923-1931, NY World) et « The Timid Soul » (19241953) de Harold T. Webster, avec leur lot de maris ridicules, coléri­ ques ou pusillanimes, insistent plus sur les petits malentendus que sur de graves querelles, tandis que Wood Cowan reflète surtout la mo­ notonie des existences suburbaines dans «Mom’n’ Pop» (1927-années 30, NEA). Sur des scénarios de W. Holbrook, Frank Fogarty (qui ne rencontra jamais son scénariste !) dessina avec beaucoup de finesse «Clarence» (sunday page 19291949, NY Trib.), un gros bon­ homme qui s’entend au mieux avec sa jolie et sympathique épouse et qui fut créé en 1924 par Crawford Young. Par contre, en créant, au dé­ but des années 20, « Cicero Sap» (NY World), Fred Locher maintient la tradition des guerres conjugales, mais innove en faisant de l’époux

l’éventuel vainqueur. En 1931, Lo­ cher reprend ce thème dans « Ho­ mer Hoope » (AP News), poursuivi, en 1943, par Rand Taylor, puis, jusqu’en 1956, par Phil Berube. Gus Mager, par contre, tentant de prendre pour héros, dans «Main Street» (1922-1924, NY World), l’ensemble des familles riveraines d’une rue, ne rencontre aucun suc­ cès. Si, au début des années 30, Rea Irvin, avec un graphisme très « New Yorker» dans «The Smythes » (NY Trib.) et Pop Momand dans «Keeping up with Joneses» s’at­ tachent aux rivalités entre voisins, tout comme le fera Jack Callahan dans « Home, Sweet Home » (19351941, KFS), la tendance est à l’a­ paisement et à la complicité. Celleci peut exister entre père et fils comme dans « Sweeney and Son» (sunday page, 1933-1960, CTNYNS) d’Al Posen, mais elle s’installe surtout au sein du couple comme dans «The Love Byrds » (KFS) de Paul Robinson ou le bref « The Little Woman» de Vic Forsythe (KFS). Le classique du genre appa­ raît en 1933 lorsque « Blondie » de Chic Young devient un family strip. Les années 40 voient se préciser cette évolution. Tandis que, issus de «Boots» (NEA) d’Edgar Martin, « Bab’n’Horace » forment, dans leur top, un jeune couple grassouillet, le sunday page « The Ripples » (1939, CTNYNS) de George Clark, tou­ jours distribué, est typique de la tendance : famille de la classe moyenne, suburbaine et considérée dans ses petits tracas anodins. Le principe du gag strip tend dès lors à déborder des sunday pages. Dans les daily strips Carl Grubert crée «The Berrys» (1942-1974, Field NS), Buford Tune «Dotty Drip­ pie» (1944-1973, Field NS). En 1943, George Swanson lance «The Flop Family», un peu plus har­ gneux et encore publié (KFS). Créés pendant la guerre, des per­ sonnages poursuivent, la paix ve­ nue, des aventures domestiques. Ainsi l’ex-private Breger (1941) de Dave Breger devient de 1945 à 1970 «Mr. Breger» (KFS) tout comme « Hubert » de Dick Wingert (KFS), depuis 1945 burlesquement coincé entre sa charmante épouse et sa re­ doutable belle-mère. En 1947 paraît « Pricilla’s Pop » de Al Vermeer (NEA) tandis que de 1948 à 1969, Charles Kuhn dans «Grandma» campe un personnage de grandmère fort rustique (KFS). Peu d’innovation dans les années 50. Quelques séries reviennent au thème traditionnel des vieux cou­ ples, mais avec moins d’acrimonie

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1974. Opera Mundi

(« Biddie and Bert » de Bob Dono­ van ; « Eb & Flo » de Paul Sellers, «The Little Woman» de Donald Tobin ou même «Mrs. Fitz» de Frank Roberge, davantage centré sur le thème de la pension de fa­ mille). Si Gill Fox, dans « Bumper to Bumper» (1952-1963, CTNYNS),

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présente un ménage de jeunes ga­ ragistes, les autres séries restent dans la mouvance de « Blondie » mais en mettant l’accent sur l’en­ semble de la cellule familiale. « The Flibbertys» (1954, CTNYNS) de Ray Helle, «The Ryatts» (Field NC) créé en 1954 par Carl Alley et

poursuivi en 1965 par Jack Elrod et «Hi and Lois» (1954, KFS) de Mort Walker et Dik Browne illus­ trent cette tendance où le kid strip prend souvent le pas sur le pur fa­ mily strip tandis que l’épouse se contente d’être une gentille ména­ gère. En fait, le genre décline. Dans les années 60, l’image paternelle de­ vient une des cibles favorites. Si, en 1960, Bill Yates avec son «Profes­ sor Phumble» (KFS) introduit le thème classique du savant distrait, * Big George » (1960, Field NS) de Virgil Partch — avec de fréquentes échappées vers le pur nonsense — «Pops» (1964) de George Wolf et surtout « Moose » (1965, KFS), une sorte de Andy Capp US, de Bob Weber, présentent un joli choix de vantards, râleurs et fainéants. Paro­ dié avec salacité par l’underground, le genre semble moribond au début des années 70 et bien loin de l’Amé­ rique du Women’s Lib. Mel Laza­ rus tente une nouvelle approche avec « Momma » (1970, Field NS) tandis que Mel Casson et William F. Brown semblent signer la mort du genre avec « Mixed Singles » (1972, UFS) dont les héros habitent une résidence pour célibataires des deux sexes. Mais en 1975 le strip est rebaptisé « Boomer » du nom du principal personnage qui ne devait pas tarder à se marier ensuite. Di­ verses tentatives relancent alors le genre, parfois dans ses marges comme «Splitsville» (1978) de Frank Baginski et Reynold Dodson ou « Father’s day » ( 1981 ) de Mario Russo qui traitent du divorce. D’au­ tres thèmes sont également moins usuels comme la classe ouvrière (il est vrai embourgeoisée) dans « Mot­ ley’s Crow » (1976) de Tom Forman et Ben Templeton, les minorités ra­ ciales dans «Lookin’ fine» (1980) de Ray Billingsley, les retraités dans «Ben Swift» (1981) de John Lane, l’épouse soucieuse de sa car­ rière dans «Koky» (1979) de Richard O’Brien et Mort Gerberg ou « Adam » (1985) de Brian Basset. La formule classique subsiste néan­ moins avec «Wright Angles » (1977) de Larry Wright, « Willy ’n Ethel » (1981) de Joe Martin, «Ribbons» (1982) de Steve Carpenter et Ed Wallenstein, le plus typique étant « For better or for worse » ( 1979) de Lynn Johnston. Ce retour en faveur d’une forme particulièrement tradi­ tionnelle du comic strip est signifi­ catif de l’évolution de la société américaine. 2. BD internationale Exigeant une parution fréquente, si possible quotidienne, le family strip

a surtout triomphé là où existait un mode de publication voisin de l’américain. C’est le cas de la Grande-Bretagne où, dès 1921, « Pop » de John Millar Watt était un gros bonhomme dessiné non sans élégance et inventions graphiques. La série prit fin en 1960, signée alors par Gordon Hogg. « Ruggles » (1935-1957) de Steve Dowling tourna vite au soap opera humoris­ tique tandis que « All in a day’s work» de Rick Elmes était le clas­ sique gag strip sur la vie subur­ baine. On retrouve la même inspi­ ration dans « The Gambols » ( 1950) de Barry et Dobs Appleby ou « The Larks » (1957), « Sam et Zette », de Jack Dunkley. Seulement hebdoma­ daire, «Mr. and Mrs. Dillwater» (1923-1948) d’Ernest Shaw présen­ tait un vieux couple. Si « The Flut­ ters» de Leonard Gamblin (19471971) était surtout sportivoburlesque, «Jack and Jill », dans les années 60, de Frank Langford et Les Lilley introduit un graphisme nettement réaliste et des thèmes qui ne tiennent plus compte des tabous sexuels longtemps imposés au genre. Quant à « Andy Capp » (1957) de Reg Smythe, un de ses mérites est de rompre avec le tradi­ tionnel univers petit-bourgeois de la plupart des autres séries. En Aus­ tralie, «The Potts », créé en 1919 par Stan Cross et repris en 1939 par Jim Russel, connaît toujours une diffusion internationale. Ailleurs, le genre eut moins de suc­ cès en dépit de quelques réussites locales comme «Don Pancho Talero » (1922-1944) d’Arturo Lanteri en Argentine, « La Familia Burron » (1937) de Gabriel Vargas au Mexi­ que, «Sazae-San» (1947) de Machiko Hasegawa au Japon, «Saku Sàmpylâ » de Poika Vesanto en Fin-

lande (années 30) ou « Lilla Fridolf » (1957) de Torsten Bjarre en Suède. En revanche, en Espagne, le genre est extrêmement populaire, encore qu’étroitement surveillé par la cen­ sure qui veille à ce que l’autorité pa­ ternelle ou l’image de la belle-mère (comme dans « Zipi y Zape » et «Doña Tula, suegra» d’Escobar) n’y soient pas trop malmenées. Parmi les séries les plus connues, ci­ tons « La Familia Ulises » ( 1945) de Beñejam, « Don Pío » et « La Fami­ lia Pi » (1957) de Penarroya et, dans les années 60, «La Familia Trapi­ sonda» et « 13 Rue del Percebe» d’Ibañez, multibande familiale en forme de panel strip. Le grand spé­ cialiste est Manuel Vázquez, auteur de « La Familia Cebolleta » (1951). Dans les années 60, il a étendu le champ d’action du genre à des mi­ lieux autres que ceux de la petite et moyenne bourgeoisie citadine aux­ quels il semble la plupart du temps confiné : « La Familia Churumbel » se passe chez les gitans d’Andalou­ sie et « La Familia Gambérrez » dans la province campagnarde.

En Italie, le classique « Sor Pampurio» (1929-1941) de Carlo Bisi se rattache au genre. Mais il convient de noter la délirante « Famiglia Spaccabue» (1958-1959) de Jacovitti et, de 1962 à 1972, la beaucoup plus conventionnelle « Famiglia Bertolini » de Lino Landolfi. En fait les auteurs européens, s’adressant aux enfants, évitent difficilement les situations outrancières ou excessive­ ment burlesques au détriment de tout sens du quotidien. En France et en Belgique, malgré Christophe, le genre a du mal à s’imposer. Dans les années 50, ni Tibet avec sa « Fa­ mille Petitou », ni Goscinny-Uderzo avec leur « Famille Moutonet » (tou­ tes deux dans Tintin), ni Godard avec « Pipsi » (1959-1960, Vaillant) ne réussissent. Tout aussi éphémè­ res seront « la famille Fohal » (1973, Pif) de Pierre Séron et « les Familleureux» (1975, Spirou) de Guy Mouminoux, tentative pourtant originale et drôle. Sur des thèmes souvent proches du family strip, le personnage du célibataire (du « M. Poche » de Saint-Ogan au « Cé­ sar » de Tillieux) a su trouver un pu­ blic. Ce paradoxe explique peut-être le succès de « Modeste et Pompon » (1955) de Franquin où se retrouvent tous les éléments du family strip sauf le principal : la famille. La même imprécision des relations en­ tre personnages se retrouve dans «La Pension Radicelle» (19471968, Vaillant) d’Eugène Gire, elle aussi proche du genre. Pourtant, dans les années 50, quel­ ques séries parurent ailleurs que dans la presse pour jeunes. Ainsi « Charlie et Charline », strip quoti­ dien belge de Jean Mortier, et les tentatives de dessinateurs non spé­ cialisés dans la BD comme « Adam et Eve » (Intermonde Presse) de Jac­ ques Faizant et « Roméo et Lu­ cette » (Opéra Mundi) de Kiraz : sé­ ries fort conventionnelles, mais d’une relative durée. La seule réus-

1921, Chicago Tribune

Franck King, «Gasoline Alley»

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site reste « Sylvie », série conçue par Uderzo, mais réalisée, à partir de 1952, pour l’hebdo Bonnes Soirées par Martial (Martial Durand) avec, au tout début, des scénarios de Goscinny. Martial créa également, dans les années 60, notamment dans Pi­ lote, « La Famille Bottafoin » sur un couple de jeunes et modernes agri­ culteurs. Quant à « Sylvie », à l’ori­ gine plutôt un girl strip, le mariage de l’héroïne en a fait un typique family strip toujours publié et qui sait, parfois, faire appel à des gags plus «adultes» prenant en consi­ dération la sexualité, fût-ce timide­ ment, ce qui est exceptionnel dans un genre resté, surtout aux USA, encore très puritain.

Fantastic Four. Voir BUSCEMA John, GOODWIN Archie, KIRBY Jack, LEE Stan, MARVEL COMICS GROUP.

FEIFFER Jules (1929-

)

FEININGER Lyonel USA

Né le 26 janvier 1929 dans le Bronx à New York, Jules Feiffer fréquenta l’Art Students League de New York et, de 1947 à 1951, étudia le dessin au Pratt Institute de Brooklyn. Au même moment, il travailla comme assistant auprès de Will Eisner sur le « Spirit » et créa une série « Clif­ ford» qui dura de 1949 à 1951 et qui paraissait à la huitième page du supplément dominical dévolu au

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« Spirit ». Ce kid strip, au dessin en­ core maladroit, sur des enfants ter­ ribles, eut la particularité de met­ tre en scène un milieu strictement urbain. De 1951 à 1953, il servit dans le corps des Transmissions, y faisant des dessins animés. Après différents travaux, il entra en 1956 au Village Voice et commença à des­ siner ses panels où des personnages dépourvus de tout arrière-fond ve­ naient dialoguer ou soliloquer sur des thèmes sociaux ou politiques, ou bien exposaient leurs hantises personnelles. Cette série, titrée «Feiffer», a été depuis distribuée par l’actuel Field Newspaper Syndi­ cale. Feiffer réalisa en 1961 un des­ sin animé « Munro » (un gamin de quatre ans mobilisé par erreur dans l’armée) et publia également des dessins et des bandes dans diverses revues et notamment Playboy. Il a écrit de nombreuses pièces, «The Explainers» inspirée par ses des­ sins, « Crawling Arnold », « Little Murders», «God Bless», «The White House Murder Case », et de nouveau inspirées par ses cartoons « Knock Knock » et « Hold Me ». Il a écrit également deux nouvelles «Harry the Rat with Women» (1963) et « Ackroyd» (1977). Il est l’auteur des scénarios des films « Little Murder » et « Carnal Know­ ledge ». Dans son principe graphique, « Feiffer » n’a pas vraiment innové. Clare Briggs usait, par exemple, de procédés identiques (personnage sans décors monologuant) dans des séries comme «Wonder What... Thinks About », et Gluyas Williams s’en rapprochait dans certains de ses panels. Mais Feiffer a renouvelé le contenu, créant avec une ironie lu­ cide un univers de névrosés, d’ina­ daptés et d’introvertis en tous gen­ res. Mais la satire est aussi bien sociale et politique que simplement humaine. Série typiquement « intel­ lectuelle », « Feiffer » est la preuve, s’il en fallait encore, que l’humour n’est qu’un paravent du désespoir.

(1871-1956)

USA

Né à New York le 17 juillet 1871, Lyonel Feininger fut envoyé par ses parents en Allemagne pour étudier la musique en 1886. Une fois à Hambourg, il s’orienta vers la pein­ ture et poursuivit des études à Ber­ lin et à Paris jusqu’en 1893. De 1893 à 1906, il s’établit à Berlin où il dessine pour Ulk et le Lustigen Blätter. De retour à Paris, il est contacté par le Chicago Tribune et

réalise deux planches hebdomadai­ res pour son supplément dominical, « The Kin-der-Kids » (avril-novem­ bre 1906) et « Wee Willie Winkie’s World» (août 1906-janvier 1907), qu’il signe «Your Uncle Feinin­ ger ». En désaccord avec le Tribune, il abandonne ses bandes. Retourné à Berlin, il commencera une car­ rière de peintre, découvrant Delaunay et le cubisme, en 1911, et ex­ posant, en 1913, avec le groupe du «Blaue Reiter». De 1919 à 1933, il enseigne au Bauhaus et fonde, en 1924, avec Kandinsky, Klee et Jawlensky le groupe des « Blauen Vier ». Le nazisme l’amène à retourner aux USA où il enseignera au Mills Col­ lege d’Oakland et réalisera notam­ ment des peintures murales pour l’Exposition mondiale de New York en 1939. Il meurt le 13 janvier 1956. Auteur de BD pendant une seule année, Feininger reste un des géants en ce domaine. «The Kin-derKids » racontait les tribulations au­ tour du monde d’une bande de gos­ ses embarqués dans une baignoire pour échapper aux inquiétants Cou­ sin Gussie et Tante Jim-Jam. Dans « Wee Willie Winkie’s World », Fei­ ninger donna plus libre cours en­ core à ses recherches esthétiques, créant un monde, entre rêve et cau­ chemar, en proie à d’incessantes métamorphoses terribles ou rassu­ rantes. On y trouve les tendances expressionnistes qui s’affirmeront par la suite dans sa peinture. Fei­ ninger ne reniera pas son bref passé de cartoonist et sa peinture mon­ trera vers la fin un penchant mar­ qué pour la caricature. Feininger évoqua-t-il la BD au Bau­ haus ? Il serait hasardeux de l’affir­ mer. Mais les rapports de Klee ou de Kandinsky avec l’art de la composition des sunday pages ne sont peut-être pas une vue de l’es­ prit. Certaines toiles de Kandinsky, à partir de 1930, avec leur juxta­ position de cases et de formes, amènent à s’interroger, surtout lorsqu’on remarque la composition en bandes superposées et, plus en­ core, le titre de l’une d’elles en 1932: «Une Histoire indienne». N’était-ce qu’une coïncidence?

FELDSTEIN Albert (Al) B. (1925-

)

USA

Dessinateur et scénariste, il travailla de 1942 à 1947 pour Fiction House, Fox, Aviation Press et Quality. Il dessina pour cette firme les aventu­

res de Dollman et de beaucoup d’autres héros nés de 1937 à 1940 dans l’atelier de Samuel Iger et de Will Eisner, et que produisait en­ core Iger depuis que Eisner l’avait quitté pour publier le Spirit. A partir de 1947, il travailla avec William Gaines à remettre sur pieds la firme Educational Comics. Avec lui, il choisit les directions qu’ils allaient suivre jusqu’à l’apparition du comics code en 1954, l’horreur, le crime, la science-fiction. Durant sept ans, il fut le rédacteur en chef et le scénariste principal (avec Gai­ nes) de tous les illustrés de la EC, abandonnant seulement les comics de guerre et Mad à Harvey Kurtzman. Après 1954, il fut à la base de la New Direction chez EC (histoi­ res de journalisme, de médecins..., plus sages que les histoires d’hor­ reur qui les avaient précédées) et après l’échec de cet essai, Kurtzman ayant quitté Mad, devint le rédac­ teur en chef de cette revue, y gar­ dant beaucoup d’anciens artistes de la EC (Jack Davis, Wallace Wood, Frank Frazetta, Joe Orlando...) et recrutant peu à peu de nouveaux collaborateurs : Don Martin, Al Jaffee, Kelly Freas, Norman Mingo, Dave Berg... Il a aussi travaillé pour la télévision et pour divers magazines.

éducation le pouvoir de voler et un regard perçant d’oiseau de proie. Il utilisa ses talents dans des aventu­ res qui firent les beaux mois de Crack Comics, signées d’abord Ken­ neth Lewis puis Louis K. Fine. Dans Smash Comics à la même épo­ que, « The Ray » paraissait sous la signature de E. Lectron. Mais dans les deux bandes, le style était le même, à l’opposé de celui d’un Jack Kirby. Lou Fine peignait le mou­ vement, le dynamisme plutôt que la puissance, son trait était fin et n’ou­ bliait aucun détail. Que ce soit dans la science-fiction et l’aventure avec « Black Condor » ou dans le policier avec « The Ray », il donna aux lec­ teurs des bandes d’une qualité in­ habituelle. On y retrouvait parfois l’influence de Will Eisner, Fine ayant appris son métier de dessina­ teur de 1938 à 1939 dans le studio de Iger et Eisner et ayant plus tard remplacé ce dernier sur la bande quotidienne du Spirit (1940-1943).

FISHER Bud (1885-1954)

USA

Né le 3 avril 1885 à Chicago, Harry Conway « Bud » Fisher, après un trimestre à l’université de Chicago, rejoignit en 1905 le San Francisco Chronicle où il illustra diverses ru­ briques. Le 15 novembre 1907, Fis­ her fit paraître un strip dans la page sportive du journal sous le titre « Mr. A. Mutt Starts In To Play the Races » et la publication en fut poursuivie les jours suivants. Le daily strip était effectivement créé. Tout comme Briggs, dans sa tenta­ tive antérieure «A. Piper Clerk », Fisher dessina un personnage de pa­ rieur invétéré et malchanceux. Le San Francisco Examiner de Hearst engagea Fisher en décembre 1907, tandis que le Chronicle confiait pen­ dant quelques mois à Russ Westo­ ver le soin de poursuivre sa propre version de «A. Mutt ». A [’Exami­ ner, Fisher reprit sa bande et fit ren­

C.ollcuion pmrt

Felix the Cat. Voir si'l.l.lVAN Pat.

FINE Louis (Lou) Kenneth (1914-1971)

USA

Parmi les plus grands du premier âge d’or des comic books, Lou Fine a sa place autant que Jack Kirby, Bill Everett ou Joe Kubert. S’il est moins connu que ceux-ci, c’est sans aucun doute le fait de la brièveté de sa carrière dans les comic books, un média abandonné dès 1943 pour le dessin publicitaire et l’illustration de magazines. De 1938 à 1941, il dessina entre au­ tres pour Fiction House « Sheena » et «The Count of Monte Cristo». De 1939 à 1942 pour Fox, il donna «Flame», pour Chesler «Rocket Man» et «Master Key»... mais c’est surtout pour Quality, de 1939 à 1943, qu’il réalisa le meilleur de son œuvre avec « Dollman », « Black Condor» et «The Ray». Black Condor, nouvel enfant sau­ vage élevé par les condors de Mon­ golie comme le fut ailleurs Tarzan par des singes, avait retiré de son

Mutt and Jeff

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contrer à son héros, dans un asile d’aliénés, un petit bonhomme se prenant pour le boxeur James J. Jef­ fries, et qui fut, dès lors, nommé JefT. Ce dernier devint rapidement le compagnon inséparable de Mutt, aussi petit et ébahi que Mutt était grand et débrouillard. En 1909, Hearst appela Fisher au NY Ame­ rican, mais en 1915 ce dernier re­ joignit le Wheeler Syndicate. Hearst lui fit un procès tout en faisant poursuivre la bande anonymement par Billy Liverpool. Fisher était seul propriétaire de sa bande (cas unique à l’époque, il en détenait le copyright); Hearst perdit son pro­ cès et dut cesser la bande parallèle. Fisher poursuivit « Mutt and JefT» (titre désormais de la série), distri­ bué à partir de 1921 par le Bell Synd. Cartoonist parmi les mieux payés du moment, il devint proprié­ taire d’écuries de course et utilisa divers « ghosts ». Ken Kling fut l’un d’eux et le quitta en 1925 pour réa­ liser sa propre série «Joe and Asbes­ tos» qui dura jusqu’en 1966 et re­ prit, en y restant constamment fidèle, le thème des fans de courses hippiques. Billy Liverpool et Ed Mack lui succédèrent et, en 1932, Al Smith prit la responsabilité de la série, Fisher continuant de signer et supervisant dans la mesure où il n’était pas ivre. En décembre 1933, Smith, toujours sous la signature de Fisher, créa un top au Sunday page qu’il intitula « Cicero’s Cat ». Cicero était le fils de Mutt, et, avec son chat, avait fait sa première appari­ tion dès novembre 1907 ; Al Smith, cependant, s’inspira tout autant d’un chat qu’il avait créé dans un panel sur la vie de bureau, « From 9 to 5 » paru dans le NY World dans les années 20. La chatte Esmeralda, souvent humanisée, fut l’héroïne de cette bande muette qui prit fin au début des années 60. «Mutt and JefT», repris après la disparition du Bell-McClure Synd. par le McNaught Synd., continue de paraître sous la direction de Al Smith et sa signature, Bud Fisher étant décédé le 7 septembre 1954. Durant sa longue carrière, « Mutt and Jeff » fut une bande de qualité inégale. Ce tandem de born-losers aux caractères néanmoins distincts fut souvent drôle, mais n’évita pas toujours les dialogues de mauvais vaudeville ou les gags purement verbaux. Smith en a atténué l’iro­ nie un peu cruelle pour placer Mutt dans des situations de classique fa­ mily strip plus fréquemment qu’auparavant, même si JefT continue d’affronter avec maladresse et naï­ veté les aléas d’une existence peu gratifiante.

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Prétexte à chansons et même à un ballet dans les années 20, «Mutt and JefT» fut adapté en dessins ani­ més par Charles Bowers et Raoul Barré. Bud Fisher était propriétaire du Barré-Bowers Animated Cartoon Studio, mais n’eut aucune part dans la réalisation des films. Le premier dessin animé, «JefTs Toothache», fut programmé le 1" avril 1916.

FLOCH Jean-Louis

MUTT AND JEFF

(1951-

Après diverses vicissitudes, la série prit fin en 1921. Vers 1925, les «As­ sociated Animators » (Guillett, Huemer, Gould, Harrison) en réalisè­ rent de nouveau quelques-uns pour une courte période. Flash. Voir broome John, FOX Gardner, INFANTINO Carmine, KUBERT Joe, NATIONAL PERIO­ DICAL PUBLICATIONS, O’NEIL Dennis, SCHAFFENBERGER Kurt, SCHWARTZ Julius, SCIENCE­ FICTION, TOTH Alexander.

Flash Gordon. Voir frazetta Frank, RAYMOND Alex.

FLOC’H Jean-Claude (1953-

)

à la tradition hergéenne, Floc’h en « déconstruit » les principes consti­ tutifs, en déstructure le limpide classicisme, mettant en circulation des bribes de récits aux interpréta­ tions multiples. Ce travail sur les si­ gnes le prédispose aux travaux pu­ blicitaires (ainsi l’album « Le Secret de la Pulmoll Verte» en 1981), et plus encore à ce jeu avec les images isolées qui ouvrent sur autant de narrations aussitôt escamotées comme en témoigne l’album «Ma Vie » (1986) aux Humanoïdes Asso­ ciés avec son pendant « Life » aux Editions Carton. Ici peut-être se donne encore mieux à voir la dé­ marche qui règle son œuvre.

F

Après un bref passage aux Arts dé­ coratifs, il réalise sa première bande, « Le Conservateur » (sc. Rodolphe), dans Imagine (1975). Avec François Rivière, il publie dans Pilote « Les Rendez-vous de Sevenoaks » (1977), puis «Le Dossier Harding» (1979) et « A la recherche de sir Malcolm » (1983). Auparavant, toujours avec Rivière, il est l’auteur de « Blitz », prépublié dans Le Matin (1981) et édité chez Albin Michel. Si l’univers de ces bandes (Agatha Christie revisitée par Jacobs) doit beaucoup à François Rivière, la complicité est totale entre le ton des scénarios et le graphisme. Tout ici est art du décalage. La réalité est pur faux-semblant, les personnages jouent plus qu’ils n’agissent, le ré­ cit est représentation (et, dans « Blitz », le théâtre se révèle en ef­ fet comme tel). Apparemment fidèle

)

F

Frère aîné de Jean-Claude Floc’h, mais signant en omettant l’apostro­ phe intérieure du nom, Jean-Louis Floch, titulaire d’une maîtrise de droit, ne vient que tardivement à la BD dans Métal hurlant (1977), puis en créant dans Astrapi la série des «Jacopo» (sc. Colette Tournés) en 1978. Cette bande très hergéenne de trait raconte les tribulations d’une famille de saltimbanques dans un style qui évoque Hergé, De Moor ou Craenhals. En janvier 1979, il publie dans Pilote les plan­ ches de « You are my Destiny » (sc. Rodolphe), puis à partir de 1980 collabore à Métal hurlant avec di­ vers courts récits (ou parfois simples assemblages de vignettes légendées) sur des scénarios de J.-L. Fromental. En 1985, il crée dans Astrapi une nouvelle série, « Max, Ludo et Praline », sur un scénario de Marc Voline. Si les bandes de Métal mettent en question la notion d’identité, Floch semble traduire cette thématique dans sa pratique même de dessina­ teur en se dédoublant. Dans les «Ja­ copo », les héros Pol, Nella et leur oie Farine font référence à Jo, Zette et leur singe Jocko. Même si le des­ sin s’y trouve légèrement «swartisé », la série est des plus classiques dans sa narration. Au contraire sa collaboration avec Fromental le conduit à une remise en cause de l’apparente naïveté de la tradition hergéenne. Ici l’apport de l’esthéti­ que de Swarte est plus évident, le travail sur les formes plus primor­ dial tandis que les personnages per­ dent toute attache qui pourrait les situer et leur donner consistance. Mannequins, sosies privés de réfé­ rent initial génèrent des intrigues qui tournent à vide. Cette sédui­ sante mise en reflet du récit classi­

que appelle des prolongements, mais déjà l’ensemble de ces courts récits constitue un moment révéla­ teur de la bande dessinée d’au­ jourd’hui, lorsque les codes sont forcés d’avouer leur duplicité.

F’MÜRR (1946-

)

F

Né à Paris le 31 mars 1946, Richard Peyzaret publie sous le pseudonyme de F’Murr ses premières planches des « Contes à rebours » dans Pilote (1971-1972). Il y inaugure « Le Gé­ nie des Alpages », mettant en scène un berger et son troupeau de bre­ bis surdouées, dotées chacune d’une personnalité, avec le chien et le bé­ lier Romuald, dans un univers de fantaisie absurde, trouvant très vite une veine qu’il va approfondir avec la série consacrée à Jehanne d’Arc commencée dans Métal hurlant (1976), poursuivie dans (A suivre) (à partir de 1978). En 1985, il y aura dans (A suivre) les « Histoires dépla­ cées », situées en Afghanistan, sur le thème du conflit russo-afghan. Bousculant les stéréotypes, les cli­ chés de l’histoire, de la politique, des contes de Perrault, du folklore (« Robin des Bois » dans Fluide gla­ cial, 1976-1977), de la tradition re­ ligieuse («Vingt Dieux c’est le Synode» publié en 1977 par Arte­ fact, « Porfirio et Gabriel » dans le Canard sauvage en 1973, puis Circus en 1976), il réinvente à sa ma­ nière les personnages historiques ou légendaires : Jehanne d’Arc, Gilles de Rais, Attila, l’Archange Gabriel ou le Petit Chaperon rouge sont les anti-héros d’un univers absurde qui jongle avec les faits et les dates, al­ lant jusqu’à confronter le Moyen Age et la science-fiction. Un monde en apparence anarchique, en réalité construit avec rigueur. L’esprit de F’Murr est quelque chose de très spécial, mais qui s’ins­ crit bien dans un certain courant de la BD française des années 70 : on y retrouve le goût du nonsense cher à Mandryka, l’humour surréel de Fred, la manière de jouer avec les stéréotypes d’un Gotlib ou d’une Bretécher. F’Murr a également collaboré à Charlie mensuel (1973), Ah! Nana (1977) sur un scénario d’Evane Hanska, Tintin, Spirou, Le Trom­ bone illustré, Neuvième Rêve..., pu­ blié des illustrations dans Le Matin de Paris, Le Monde..., réalisé des couvertures de livres, des affiches, etc. Ses « Contes à rebours » ont fait l’objet, à Liège, d’une adaptation théâtrale.

FOERSTER Philippe ( ) B Révélé par Neuvième Rêve en 1979, publiant brièvement dans Tintin, il collabore depuis 1980 à Fluide gla­ cial, participe à Ice Crim’s (1984) tout en étant l’auteur de l’album «Pinocchio» (1983) chez Magic Strip. Ses courts récits fantastiques imbriquent étrangement surenchère morbide et défoulement jubilatoire. Humour noir ? L’expression trahi­ rait le sens du propos. Si Foerster joue avec les archétypes d’un genre, les amplifiant jusqu’aux limites du grotesque, il en respecte la logique. Le rire ici n’est jamais l’antidote de l’angoisse. Cet univers stylistiquement distordu doit beaucoup à ClifT Sterrett, mais en plus sec et pré­ gnant, comme pour mieux rappeler que le burlesque n’y sert pas d’échappatoire. Ce retour à Sterrett, on l’observe chez un autre jeune au­ teur belge, Jan (Spirou et Métal hur­ lant). Plus graphiquement fidèle, moins assuré dans ses thèmes, Jan doit encore mûrir. Direct ou non, l’héritage de Sterrett n’est pas moins évident chez le tandem Phi­ lippe Dupuy/Charles Berbérian (Fluide glacial, album « Petit Pein­ tre» chez Magic Strip). Au carre­ four d’influences diverses, leur aventure stylistique s’annonce par­ ticulièrement prometteuse.

FOREST Jean-Claude (1930-

)

F

Né en 1930 au Perreux (Val-deMarne), Jean-Claude Forest débute dans la bande dessinée en 1949 en adaptant pour OK » La Flèche noire» de Stevenson. En 1951, il fournit à 34 (Caméra), banc d’essai du journal Vaillant, des illustrations et des récits complets. Entre 1951 et 1953, il réalise pour Vaillant «Pour la Horde» et les aventures d’un animal mythique de son invention, le Copyright/Copyrit. A cette époque, il dessine éga­ lement plusieurs épisodes de « Chariot » dont un « Chariot et les Mammouths » déjà typiquement forestien. Entre le milieu des années 50 et le début des années 60, ses collabora­ tions sont nombreuses. Il fournit il­ lustrations et couvertures à V Ma­ gazine, Hitchcock, Fiction, Le Rayon fantastique, Les Nouvelles Littérai­ res et Le Livre de Poche. Parallèle­ ment, il réalise sur des scénarios de Marijac «Princesse Etoile» (1956), « Cendrillon » ( 1958) et « Les Deux Isabelles» (1959) dans Mireille et Nano et Nanette et, sur un scénario

d’Alain Dorémieux « Bicot et Doro­ thée dans l’espace » (1962) dans Li­ sette. Au printemps 1962 naît dans V Ma­ gazine le personnage qui devait lui apporter une notoriété internatio­ nale : Barbarella, symbole pour toute un génération d’avant 1968 d’une très attendue libération sexuelle et de l’accession de la femme au rang d’héroïne de bandes dessinées à part entière. Barbarella fut lourdement transposée à l’écran en 1968 par Roger Vadim, les seu­ les qualités du film demeurant le jeu très enlevé de la titulaire du rôle, Jane Fonda, et les très beaux décors de Forest. Barbarella vécut ultérieu­ rement deux autres aventures des­ sinées : « Les Colères du Mangeminutes» (1974) et «Le SembleLune» (1977) où elle expérimente une espèce de maternité onirique. Elle apparaît aussi, vieillie, dans le rôle du professeur Nemo de la très libre adaptation de «L’Ile mysté­ rieuse » réalisée par Forest pour Pif gadget en 1971, «Mystérieuse, ma­ tin, midi et soir». Entre 1963 et 1965, Forest colla­ bore à France-Soir avec « Thaddéa », «Du sang dans la plaine» et «Le Seigneur des Iles». En 1964-1965, il participe au lancement du jour­ nal Chouchou dans lequel il réalise « Bébé Cyanure » et écrit sous le pseudonyme de Jean-Claude Valherbe le scénario des « Naufragés du Temps» de Paul Gillon. En 19651966, il crée pour l’émission « Dim Dam Dom » le personnage de Marie-Mathématique, expérience particulièrement réussie d’adapta­ tion de la bande dessinée au média télévisuel. En 1967, il s’essaie dans Plexus au photo-roman avec «Les Magiciennes ». Les années 70 sont marquées par la création de Hypocrite, d’abord dans France-Soir (1971) puis dans Pilote (1972-1974), par la réalisation d’un film pour la télévision (« Les Pou­ les bleues de l’automne », 1974), par la publication dans diverses revues de récits et poèmes-chansons (réu­ nis en 1976 dans l’album «Tiroirs de poche et fonds de miroirs »), par les «Contes de la Barque soûle» dans Métal hurlant et Fluide glacial et par les scénarios de « Renart » et de « Ici Même » illustrés respective­ ment par Cabanes et par Tardi (dans (A suivre), 1978). Lui-même y dessinera «La Jonque fantôme vue de l’orchestre» (1980) et «En­ fants, c’est l’hydragon qui passe» (1982). L’univers de Jean-Claude Forest est un des plus originaux que nous ait fournis la bande dessinée. Traversé par les grands courants du surréa­

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lisme et de l’aventure, imprégné de toute une poétique du rêve et de la nostalgie des chansons populaires, peuplé d’héroïnes à mi-chemin de l’Eve futuriste et de l’Alice de Le­ wis Carroll, il est à l’image d’une personnalité protéiforme qui choi­ sit de s’exprimer tantôt par le des­ sin, tantôt par le poème, tantôt par le cinéma ou le photo-roman, et s’y exprime chaque fois totalement.

FORTON Louis (1879-1934)

F

Né à Sées (Orne) le 14 mars 1879, il vient très tôt à Paris, où son père était marchand de chevaux. Lui même sera successivement lad et jockey avant de rencontrer sur les champs de courses de Vincennes les frères OfTenstadt. Il débute en 1904

dentes étaient autant de préfigura­ tions. Parallèlement à cette série, il publie en 1909 «La Carrière mili­ taire de Casimir Baluchon » dans La Vie de Garnison (OfTenstadt), suivi en 1910 des « Tribulations de Cons­ tantin Labouillotte ». En 1911, il collabore également à Mon Copain du Dimanche (Tallandier) et en 1917 à La Croix d’honneur avec « Les Tri­ bulations de Berlingot». En 1920, dans ¡’Epatant, il dessine « Les Cent Vingt-Six Métiers de Caramel » (sc. Jo Valle). Autant d’histoires en ima­ ges, tout aussi savoureuses, mais éclipsées par la gloire des « Pieds Nickelés ». En 1924, il met en scène, pour Le Petit ///ustré (OfTenstadt), «Bibi Fricotin », jeune lad des champs de courses ; on peut déceler sans peine dans ces pages le regard nostalgique de Forton sur sa propre adoles­ 1'17'1. S I’ I'

Les Pieds Nickelés de Forton

dans un de leurs journaux, L’Illus­ tré. Toujours en 1904 il collabore également à L’Illustré national (Ed. J. Rueff), Le Jeudi de la Jeunesse (Tallandier) et La Jeunesse moderne (H. GefTroy). En 1906, il publie dans Le Petit Illustré amusant (H. GefTroy). Dans American Illustré (Librairie Mondiale), en 1907, il crée « Les Aventures de Séraphin Laricot », suivi en 1908 des «Ex­ ploits d’Isidore MacAron et Anatole Fricotard» et «Ce p’tit n’amour d’enTant» (inspiré par les «Newlyweds » de McManus). Dans ce jour­ nal, il utilise les pseudonymes de W. Paddock, Tom Hatt ou Tommy Jackson. Toujours en 1908, on l’en­ trevoit à Diabolo Journal (H. Geffroy), mais c’est dans ¡’Epatant des Trères OfTenstadt qu’il crée « Les Aventures des Pieds Nickelés», dont la plupart des bandes précé­

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cence. Bibi est le type même du titi parisien, malicieux, débrouillard et le cœur sur la main, victime de la méchanceté des autres, souvent à la limite de la délinquance. A la mort de Forton (de cirrhose) en 1934, Bibi Fricotin devait être repris par Callaud. Interrompue par la guerre, la série devait renaître grâce à Pierre Lacroix, élève de Forton, qui la poursuit encore actuellement, Tai­ sant de Bibi un héros plus conven­ tionnel. En 1951, ses aventures de­ vaient être adaptées à l’écran. Forton a laissé à ses contemporains l’image d’un bon vivant, person­ nage truculent et haut en couleur comme ses créatures de papier. La liberté avec laquelle il tire les ficel­ les de héros joyeusement amoraux, plus ou moins anarchisants, son hu­ mour populaire, et surtout son lan­ gage truffé d’expressions argotiques

savoureuses, sont uniques dans le domaine des bandes dessinées. Dans ses bandes, il a été l’un des premiers à utiliser des techniques quasi cinématographiques (gros plans, images panoramiques, etc.); malgré l’apparence classique de ses images, il a très tôt utilisé la bulle comme moyen de mettre en valeur une réplique clef, une interjection, une onomatopée, etc. Il a introduit dans la BD la notion de continuité dramatique, se rattachant en cela à la grande tradition des feuilletons de la littérature populaire.

FOSTER Hal (1892-1981)

USA

Né le 16 août 1892 à Halifax, en Nouvelle-Ecosse (Canada) Harold Foster s’installa avec sa famille à Winnipeg en 1906. A dix-huit ans, il devient trappeur, puis boxeur professionnel. Il illustre des catalo­ gues de vente par correspondance mais retourne à la vie dans les grands espaces, devenant guide au Manitoba et chercheur d’or. En 1921, il gagne Chicago à bicyclette et étudie successivement à l’Art Institute, la National Academy of De­ sign et l’Academy of Fine Arts. Il se lance alors, avec succès, dans l’illustration et le dessin publici­ taire. En 1928, la popularité de Tar­ zan amena un agent littéraire, Jo­ seph H. Neebe, à signer un contrat avec E.R. Burroughs; J. Allen St. John s’étant récusé, Foster accepta de dessiner le premier épisode en daily strip qui parut de janvier à mars 1929 et Rex Maxon lui suc­ céda. En septembre 1931, l’UFS (qui désormais distribuait le strip) rappela Foster pour prendre la res­ ponsabilité des sunday pages que l’on venait de créer. Foster, sans en assurer le scénario, les réalisa jusqu’en 1937, Hogarth lui succé­ dant. Désireux de créer une bande qui lui soit personnelle, Foster s’en vit offrir la possibilité par le KFS et publia « Prince Valiant » à partir de février 1937, poursuivant cette série, toujours uniquement en sun­ day page. Il leur ajouta brièvement, d’avril 1944 à novembre 1945, une courte bande de trois vignettes « The Médiéval Çastle » (sur la vie quotidienne de jeunes écuyers), jusqu’en 1970-1971, étant aidé les derniers temps par divers assistants dont Wavne Boring. Foster n*a pas créé le strip d’aven­ tures, mais il fut le premier et l’un des meilleurs dessinateurs réalistes. Son « Tarzan » fut une véritable ré­ volution graphique, même si, par certains côtés (l’absence de ballons),

1979, National Cartoonists Society

TOO LONG HAVE YOU MADE ME A HERO, FOSTER, NOW WRITE SOME PLEASANT SIN INTO MY SAGA Foster se parodiant !ui-même, ou une image peu conventionnelle de Prince Valiant

il s’écarta, tout comme « Prince Valiant », de la définition stricte de la BD. Mais Foster évita les écueils de la simple illustration. Ses intrigues savamment construites, ses décou­ pages dynamiques, son sens pro­ fond de la nature et de ses cycles en font un des tout premiers créateurs de BD. « Prince Valiant » s’impose par ses dessins fouillés, la force et la violence intelligente des histoires, la subtilité des caractères et l’hu­ mour qui en est le constant contre­ point. Son Moyen Age, qui mêle l’ensemble des siècles, de la fin de l’Empire romain à la Renaissance, fournit le cadre propice à cette belle et authentique épopée, digne des chefs-d’œuvre de la littérature che­ valeresque. Foster eut une influence considérable tant aux USA qu’en Europe. Clarence Gray, Alex Ray­ mond s’en inspirèrent. Après la guerre, en France, l’hebdomadaire Vaillant eut de nombreux collabo­ rateurs qui travaillèrent avec plus ou moins de bonheur dans la tradi­ tion de Foster. Paul Gillon (notam­ ment dans « Fils de Chine £), René Bastard (« Yves le Loup »), Eduardo Teixeira-Coelo, alias Martin Sièvre, (« Ragnar le Viking »), Lucien Nortier en sont les plus représentatifs. Mais l’œuvre de Foster, surtout dans son sommet des années 30-40, ne fut jamais égalée en raison de son génie graphique mis au service

d’une intelligence narrative exempte de tout cliché.

FOX Fontaine (1884-1964)

ÜSA

Né le 3 mars 1884 à Louisville (Kentucky), Fontaine Talbot Fox Jr. débuta comme reporter et car­ toonist au Louisville Herald. En 1904, il fréquenta la Indiana Uni­ versity tout en poursuivant sa col­ laboration avec le Herald, puis re­ joignit le Louisville Times et enfin le Chicago Post. Il fournit, dès lors, divers panels centrés sur les gamins des banlieues (alors que les cartoo­ nists s’inspiraient généralement du milieu rural). En 1915, il est diffusé par le Wheeler Syndicate (qui de­ viendra peu après le Bell Synd.) et crée un sunday page qui, en 1920, recevra le titre définitif de « Toonerville Folks». Cette série (daily pa­ nel et sunday page) qui sera reprise par le McNaught Synd., puis sera la propriété de Fox, aura un thème central, un tramway («The Toonerville Trolley That Meets All Trains »); mais tout un petit monde y sera représenté dont Powerful Katrinka, une maîtresse femme à la force herculéenne, et Mickey (Him­ self) McGuire (à la fin des années 20, une série de courts métrages s’en inspirera, avec Mickey Rooney

qui dut à ce rôle l’origine de son prénom). Fontaine Fox ne toucha vraiment à la BD qu’avec ses sun­ day pages, mais son style en fait un auteur particulièrement original. Son graphisme développa, bien avant la BD « intellectuelle », une simplification extrême des traits et se singularisa par sa vision en plon­ gée des scènes représentées tant dans les daily panels que dans les sunday pages. L’inspiration « nonsensique » de la bande la situe éga­ lement dans la meilleure veine sur­ réaliste du comic strip US. Fox, qui publia divers livres et articles par ailleurs, abandonna sa série le 9 fé­ vrier 1955 et mourut le 10 août 1964.

FOX Gardner F. (1911-

)

ÜSA

Fox débuta dans les pulp magazi­ nes dans les années 20, publiant ses nouvelles dans Amazing, Super­ science, Big Book Football et dans beaucoup d’autres magazines, allant du western au récit historique et à l’espionnage en passant par l’his­ toire d’amour ou de sport. Sa biblio­ graphie comprend plus de cent ro­ mans, dans tous les genres et dans tous les styles, mais toujours desti­ nés à un public populaire. Admira­ teur de Edgar Rice Burroughs et de

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Robert E. Howard, ses deux séries de romans les plus connues sont cel­ les de « Thief of Llarn » et de « Kothar», démarquages respectifs de « John Carter de Mars » et de « Conan». De 1937 à 1968, il a donné à la National une quantité énorme de scripts, faisant vivre et agir à lui seul presque tous les héros de la firme et en tout cas tous les mem­ bres de la Justice Society of America. Dans les années 60, c’est lui qui ressuscita les héros de l’âge d’or, Flash, Green Lantern, Atom, Hawkman... et qui trouva une ex­ plication pour justifier leurs nou­ veaux visages et leurs nouveaux cos­ tumes. Dans Ail Star Comtes et dans Flash Comic, vers 1940, c’est d’une Terre Deux et de ses héros que Fox avait rêvé, et c’est sur Terre Un (peut-être notre Terre) que leurs doubles des années 60 vivaient. Il réunit tous ces nouveaux héros dans une Justice League of America,

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semblable à l’ancienne Justice So­ ciety of America, et réussit même l’exploit de faire collaborer les deux groupes au sein d’aventures com­ munes... Il écrivit aussi les scénarios de « Adam Strange » et les « Space Mu­ séum Stories » pour Carmine Infan­ tino, fidèle pour ces bandes à la science-fiction la plus pure (et la plus traditionnelle). Chez Marvel, après 1971, sa colla­ boration se résume à quelques scé­ narios pour «Dracula», «Dr. Strange », « Red Wolf » et quelques autres bandes.

FRANC Régis (1948-

)

F

Né le 11 février 1948 à Lézignan (Aude). En 1972, il fait ses débuts à Paris dans la photographie publi­ citaire. Trois ans plus tard, il décide

de tenter l’aventure de la bande des­ sinée. Le succès ne se fait pas atten­ dre : après une nouvelle (parue dans Pilote en 1975), il débute presque simultanément, entre le printemps et l’été 1976, dans trois des plus grands magazines spécialisés du mo­ ment, Pilote, l’Echo des Savanes et Charlie mensuel. En mars 1977, il entreprend pour Le Matin de Parts une série fort appréciée des ama­ teurs, « Le Café de la plage ». Cette success-story cache en fait une œu­ vre profondément originale et d’un abord pas toujours facile. L’univers de Régis Franc est une sorte de bes­ tiaire proustien où volailles éna­ mourées et lapins séducteurs échan­ gent leurs états d’âme. Petites saynettes où les allusions cinémato­ graphiques (de Visconti aux stars de Hollywood) et les réminiscences lit­ téraires (Proust, bien sûr, mais aussi McCullers, Faulkner ou Dos Passos) abondent, faisant de l’œuvre de

Régis Franc une sorte de rêverie or­ ganisée autour des grands thèmes et modèles culturels de notre siècle. S’inspirant d’une figure bien connue des médias parisiens, il a créé (1981) pour (A suivre) le personnage de Tonton Marcel, capitaine d’indus­ trie et milliardaire, tyrannisant son entourage, sénile, sadique, haineux et parano, caricature de vieux capi­ taliste confronté à un monde dont les nouvelles règles lui échappent, ridiculisé mais toujours le plus fort, puisque c’est lui qui possède l’ar­ gent, donc le vrai pouvoir. Tenté par les grands voyages, Régis Franc a réalisé en 1985 plusieurs reporta­ ges en textes et en dessins, publiant dans Corto ses impressions d’Egypte, et en album le journal d’un grand périple européen, «Vienne, Trieste, Venise».

FRANKLIN Jim (1943-

)

USA

Né à Galveston, Texas, le 28 dé­ cembre 1943, Jim Franklin se sen­ tit dès l’âge de treize ans une voca­ tion de peintre. Sorti de la «high school», il part sur la route, sé­ journe à San Francisco et à New York. Mais c’est à Austin, où il se fixe en 1964, qu’il s’intégre à la grande communauté des margi­ naux. En 1968, sollicité pour l’afiïche d’un grand concert gratuit de plein air, il dessine un « armadillo » (sorte de tatou du Texas) fumant un joint de marijuana : celui-ci va de­ venir presque instantanément un symbole, celui des hippies. Comme eux, l’armadillo vit « underground » (sous la terre), comme eux il est per­ sécuté. Cet animal sera l’objet de plusieurs comic books (1969-1971) où Franklin a réussi à exprimer de manière saisissante, à travers des images parfois surréalistes, l’an­ goisse, la frustration, le besoin de liberté face à l’oppression latente des Etats du sud-ouest américain. Depuis la fin de 1973, il a cessé toute publication dans le domaine des bandes dessinées pour se tour­ ner définitivement vers la peinture.

FRANQÜIN André (1924-

)

B

Né en 1924 à Bruxelles. Il étudie pendant un an aux Beaux-Arts, puis entre dans un studio d’animation où travaillent également Jijé, Morris et Peyo. En 1946, il débute à Spirou où il re­ prend de Jijé (qui l’avait lui-même reprise de Bob Vel en 1944), la bande vedette du journal. L’apport

de Franquin à « Spirou », pendant les vingt-trois ans où il a été chargé de la série, est d’une importance ca­ pitale, non seulement par le ton qu’il a su lui donner, mais surtout par les personnages secondaires qu’il y a introduits, en particulier le Marsupilami (né en 1952), déli­ cieux animal tacheté à longue queue qui se déplace en bondissant aux cris de «Houba! Houba!». En 1969, Franquin a abandonné «Spi­ rou » à Jean-Claude Fournier qui le dessine jusqu’en 1979. La série sera reprise par Nie Broca et Cauvin, ainsi que par Tome (Philippe Vandevelde) et Janry (Jean-Richard Geurts), ses actuels responsables. En 1955, à la suite d’un désaccord passager avec son éditeur, Franquin avait proposé au journal rival Tintin « Modeste et Pompon », sorte de faux family-strip qui, dans un dé­ cor suburbain, racontait les mésa­ ventures quotidiennes des deux hé­ ros, leurs voisins, leurs amis et leurs neveux. La bande s’est poursuivie jusqu’en 1959 (et fut ensuite reprise par Attanasio, Mitteï, Griffa, Du­ pont et enfin Walli et Bom). Entre-temps, Franquin a repris dans Spirou un personnage qui était parfois apparu dans la bande du même nom. Gaston Lagaffe a eu ainsi son propre strip à partir de 1957. Il s’agit là d’une des créations les plus réussies de Franquin. Gas­ ton est un gaffaur débordant d’ima­ gination qui sévit aux Editions Du­ puis. Ami des bêtes, il élève dans son bureau toute une ménagerie de poissons rouges, souris blanches, mouette et chat de gouttière. Artiste méconnu, il joue du gaffaphone, instrument de son invention capa­ ble de désintégrer une flottille d’avions supersoniques. Grand amateur de farniente, il déploie une activité et une ingéniosité hors de pair pour protéger son repos et son intimité. Lorsqu’il n’est pas occupé à faire échouer la signature d’un contrat entre son collègue Prunelle et l’irascible De Mesmaeker, il se livre à de redoutables expériences chimiques ou culinaires, les secondes se différenciant fort peu des premiè­ res. Calamité ambulante en espa­ drilles éculées, Gaston Lagaffe a toutefois une admiratrice et une al­ liée inconditionnelle, M’oiselle Jeanne, la secrétaire à lunettes et queue de cheval folâtre qu’il em­ mène parfois à la campagne dans sa voiture antédiluvienne. De la pre­ mière case à la signature « person­ nalisée » de Franquin (qui fait allu­ sion à l’épisode qui vient de se dérouler et lui apporte un ultime gag), les planches de « Gaston Lagaffe » sont des petits chefs-d’œuvre

de finesse, de drôlerie et de gentil­ lesse sans mièvrerie. La jeunesse d’esprit de Franquin, son gra­ phisme extrêmement moderne par son élégante vivacité et sa mobilité font du maître de « l’école de Marcinelle » un des rares auteurs de sa génération à être reconnu et admiré sans réserve par les jeunes dessina­ teurs contemporains. C’est ainsi que Gotlib s’est assuré sa collabo­ ration pour le journal qu’il venait de créer, Fluide glacial. En 1977, Franquin a apporté son concours à la brève expérience du Trombone il­ lustré, supplément du journal Spi­ rou pour lequel il réalisait les « Idées noires » qu’il poursuit ensuite dans Fluide glacial.

FRANZ (DRAPPIER Franz) (1948) B Après Saint-Luc et les Beaux-Arts à Mons, Franz débute en 1969 dans Tintin et Spirou par des histoires vraies, sur des scénarios d’Yves Duval dans le premier, et de Joly et Grégoire pour les «Histoires de l’Oncle Paul» dans le second. Il continuera toujours à réaliser ce type de récit qu’il affectionne, sur­ tout avec Y. Duval, en parallèle avec ses nombreuses séries. La première paraît en 1971 dans Tintin : « Korrigan », une suite de récits complets historico-hilarants sur des scénarios de Vicq. Puis, tra­ vail alimentaire amèrement regretté, sont édités au Fleuve Noir sept al­ bums produits à la chaîne, de 1972 à 1975, des aventures de San Anto­ nio, en collaboration avec le studio Henri Desclez. Vite revenu à Tin­ tin Franz y dessine brièvement Mandrin sur des textes de Vicq. Et enfin vient «Jugurtha» en 1976, huit ans après l’abandon du héros par Hermann. Sur les scénarios sou­ vent critiqués de Jean-Luc Vernal qui signa d’abord Laymilie, Franz y donne la pleine mesure de son ta­ lent et s’y forge une image d’excel­ lent dessinateur réaliste, au trait vif et au découpage inventif. Autre sé­ rie, lancée en 1979 avec Duchâteau, « Hypérion », histoire de sciencefiction postatomique, n’aura que sept chapitres. En 1980, Franz crée Lester Cockney pour lequel il signe dessin et scénario et qui donnera : « Les Fous de Kaboul», «La neige était cris­ sante», «Une Hongroise au Pen­ jab »... Poursuivant en parallèle une carrière de scénariste, il travaille pour Jean-Louis Pesch (« Les Pri­ meurs »), Christian Denayer («Gord») et Erik.

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Le succès critique lui vient seule­ ment hors de Tint in, dans Charlie avec « Thomas Noland » (1982, scé­ nario Daniel Pecqueur), bande curieuse, pleine de rêves et de bou­ cles et excessivement bien écrite, et dans Métal hurlant aventure avec «Mémoire d’un 38» (1984, scéna­ rio J.-L. Bocquet et J.-L. Fromental). Grand amateur de chevaux, ses ban­ des sont toujours pleines de pursang hennissant et caracolant, il leur a même consacré des séries entières, « Les Aventures de Christopher » dans Le Soir Jeunesse sur un scéna­ rio de Duval (1972-1974), « Captain Tom» et «Pur Sang».

FRAZETTA Frank (1928-

)

(ISA

Lorsqu’il dut choisir une carrière, Frazetta hésita entre le dessin et le base-bail professionnel : son adoles-

à affoler les associations bienpensantes. De 1949 à 1954, son travail pour Fawcett, National, ACG et d’autres firmes resta dans le domaine de l’aventure, du western et du récit historique, avec des héros tels que Dan Brand l’Indien blanc, Thunda, Shining Knight, Tomahawk... En 1952, son strip «Johnny Cornet» raconta les exploits d’un coureur au­ tomobile... Cependant sa collaboration avec Al Williamson, en particulier sur Cap­ tain Cornet, le mena chez EC et au fantastique et à la science-fiction, genres qu’il devait ensuite n’aban­ donner que très rarement. De 1952 à 1954 chez EC, il ne fut jamais as­ sez apparent dans les illustrés d’hor­ reur et de science-fiction pour de­ venir l’un des grands artistes de la firme; se contentant d’aider Wil­ liamson ou d’autres en encrant leurs dessins ou en complétant les décors ou même des images entières, imité

Johnny Comet

cence se passa en effet entre les cours de la Brooklyn Academy of Fine Arts et les « diamants » de ga­ zon sur lesquels se joue le sport le plus populaire des Etats-Unis. De cette époque, celle de « L’Equipée sauvage » de Laslo Benedek, de son quartier d’origine de Brooklyn, sont restées quelques photos surprenan­ tes, Frazetta sur une gigantesque moto, Frazetta posant (dés)habillé en Tarzan... mais demeure surtout cette violence qui parcourt toute son œuvre, qu’il s’agisse de ses ban­ des dessinées ou de ses peintures. Et pourtant, en 1945, lorsqu’il dé­ buta dans l’illustré Tally Ho chez Baily, puis lorsqu’il passa chez Pines en 1946, les dessins et les ban­ des signés « Fritz » décrivaient tout un monde d’animaux et d’êtres fan­ tastiques, de « funny animais » plus proches de Disney que des comics d’horreur, de science-fiction ou po­ liciers qui commençaient déjà alors

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comme l’un des plus grands pein­ tres actuels. Il a régulièrement donné aux maga­ zines Creepy, Eerie et Vampirella de merveilleuses couvertures et même quelques dessins et bandes.

FRED (1931-

)

F

De son vrai nom Othon Aristides, Fred, d’origine grecque, est né à Pa­ ris le 5 mars 1931. Son talent de dessinateur est précoce, et il a déjà publié quelques dessins dans OK avant d’effectuer son service mili­ taire ; occasion de faire provision de croquis satiriques et cruels sur l’ar­ mée. C’est comme dessinateur humoris­ tique qu’il essaie de s’imposer d’abord : en marge de travaux de publicité et de décoration, il est pu­ blié dans Ici-Paris, Le Hérisson, France-Dimanche, et bientôt, Punch,

1952, McNaughl Svndi.jle

en cela par Roy G. Krenkel, autre ghost très doué des artistes de la EC. Avec la fin de la EC, Frazetta passa à d’autres médias. A la fin des an­ nées 50, il fut l’assistant d’Al Capp sur le strip «Li’l Abner». Il rem­ plaça aussi le temps de quelques bandes Dan Barry sur le strip « Flash Gordon ». Mais la révélation devait venir avec son passage à la peinture et à l’il­ lustration de couvertures de pocket books. Il se partagea avec Roy Krenkel au début des années 60 les couvertures d’une série de réédi­ tions de romans de Edgar Rice Burroughs et il est devenu depuis le plus grand artiste dans ce média, spécialisé dans l’heroic fantasy mais capable d’illustrer tous les genres. Plusieurs recueils (publiés en France par les Editions du Chêne) présentant une partie de ses pein­ tures, lui ont valu l’admiration du grand public et l’ont enfin révélé

Quick, le New Yorker. Sa première bande dessinée, «Journal de bord », paraît dans une revue intitulée Zéro, qui disparaît à peine créée. Mais il a rencontré Cavanna, avec qui il met sur pied le premier numéro de Hara-Kiri (paru en septembre 1960). Il y publiera de nombreux dessins humoristiques, illustrera avec caus­ ticité des poèmes ou des chansons populaires, mais réalise également des histoires à épisodes et des ban­ des dessinées; ainsi la série des «Contes de Fred», l’histoire du « Manu-Manu », mais surtout « Le Petit Cirque » qui lui donne l’occa­ sion de créer un petit chef-d’œuvre d’humour absurde et de poésie cruelle. En 1965, Fred quitte Hara-Kiri et publie dans Pilote « Le Mystère de la Clairière aux Trois Hiboux », dé­ but de la série des « Philémon », dont le premier épisode, publié seu­

lement en album en 1978, mettant en scène un cirque souterrain dont les artistes, clowns, acrobates, dompteurs, pris au piège d’un fou hypnotiseur, passent leur vie à re­ jouer inlassablement le rituel du cir­ que. Cette série, qui se poursuit en­ core (onze albums à la date de 1978), obtient très vite un énorme succès, en dépit, ou peut-être du fait de son étrangeté dans le monde des bandes dessinées. Fred a promené Philémon, adolescent candide, dans des aventures à dormir debout qui tiennent à la fois du merveilleux des contes de fées, de l’absurde et du fantastique, évoquant Lewis Carroll ou Edgar Poe, avec parfois des ré­ miniscences de mythologie grecque ou des Mille et Une Nuits. Il lui donne des compagnons : l’âne Ana­ tole, Barthélemy le puisatier à la re­ cherche de son paradis perdu hypo­ thétique, Félicien l’initiateur, ainsi qu’un père, paysan rustre et incré­ dule, qui restera toujours aveugle à l’infinie richesse du monde de son enfant (n’a-t-il pas bien des points communs avec les parents, dans les « Contes du chat perché » de Mar­ cel Aymé ?). Fred définit peu à peu un style extrêmement original, d’une étonnante fantaisie poétique, manie l’absurde, l’insolite, joue sur le langage avec une virtuosité savou­ reuse. En marge de « Philémon », Fred a publié dans Pilote de nombreux des­ sins ou planches humoristiques ; il y a joué le rôle de scénariste pour Mézières, Hubuc, Pellos, Lacroix, Loro, Pichard, etc. Il a écrit trois longues histoires dessinées par Alexis, se situant à la limite de la science-fiction et du fantastique : « Time is Money » ( 1969), « Quatre Pas dans l’Avenir» (1971) et «Jo­ seph le Borgne » (1972), dont le hé­ ros est le naïf Timoléon. Avec la voix du chanteur Jacques Dutronc, il a réalisé deux disques pour en­ fants, « Le Sceptre » et « La Voiture du clair de lune » (bande publiée en 1969 dans Total Journal)', il est aussi l’auteur de dessins animés pro­ duits par le service de la recherche de l’ex-ORTF. En 1974, il participe à la bande esti­ vale de France-Soir, « Les Français en vacances ». Il publie des dessins dans Fluide glacial en 1975. Il a créé « Cythère l’apprentie sorcière » dans Pif, en 1979.

FREIXAS Emilio (1899-1976)

E

Ancien élève du peintre Emilio Ca­ sais, Emilio Freixas fait ses débuts dans Mickey en 1935 en illustrant

entre autres le « Faucon des Mers » de Rafael Sabatini, et les « Voyages de Gulliver». En 1939, il passe à Chicos dont il sera, avec Jesús Blasco, le principal collaborateur. Spécialiste du fantastique et de la science-fiction, il y dessine, sur un scénario de José-María Huertas Ventosa, les aventures de Chatillo, Fedérico, le colonel Bustamante et le Capitaine Izquierdo (lequel épouse bientôt la reine Otilia et quitte la série). Le premier épisode, « La Ciudad de las tres murallas », sera suivi de plusieurs autres, d’abord dans Chicos, puis dans Chi­ quito en 1942. En 1943, la bande re­ vient à Chicos avec un scénario de Antonio Torralbo Marin. En 1954, le dessin lui-même est confié à Borné. Pour Chicos, Freixas a encore créé « El Caballero sin nombre » qui se passe dans l’Espagne du début du XIX' siècle, «La Gran Hazaña de Primo Villa », bande western, « El Secreto de la guía telefónica », aven­ ture policière, «Sadhu» (1944), un jungle strip qui permet à Freixas de déployer ses talents de dessinateur d’animaux sauvages et de paysages exotiques (après sa retraite tempo­ raire, Freixas a repris « Sadhu » dans Chito (1974), toujours sur des scé­ narios de José Canellas Casais). En­ fin, il a publié dans le comic book Mosquito en 1944, puis dans les re­ vues du groupe Chicos la série « El Capitán Misterio » sur un scénario d’Angel Puigmiquel. Le héros en était un justicier masqué tenant à la fois du Fantôme pour l’apparence physique et de Mandrake en ce qui concerne les pouvoirs hypnotiques. Le fils d’Emilio Freixas, Carlos, s’est également illustré dans le do­ maine de la bande dessinée en pro­ duisant, sous le pseudonyme de Carlos Balito, la bande « Pistol Jim » dans Gran Chicos en 1945.

Fritz-the-Cat. Voir CRUMB Ro­ bert.

FÜMETTI NERI C’est en 1962 que naquit en Italie le premier des « héros » qui allaient peu à peu décrire autour d’euxmêmes un nouveau genre d’illus­ trés, les fumetti neri ou fumetti per adulti. Diabolik, né de l’imagination des sœurs Angela et Guiliana Giussiani, dessiné par toute une série d’illustrateurs, Marchesi, Facciolo, Zaniboni, Ongaro..., était «un per­ sonnage d’une intelligence hors de la normale et d’une audace sans li­ mites», il était par ailleurs exem­

plaire d’un adage nouveau dans la bande dessinée et qui dit que le crime paie et que des criminels peu­ vent devenir pour le public de vé­ ritables héros, mais Fantomas aussi avait été à la fois un criminel et le héros véritable des romans d’Alain et Souvestre. Et Diabolik, aidé par sa compagne Eva, se mit à voler, à tuer, à torturer sans l’ombre d’un scrupule ou d’un doute et, en 1964, ce fut le succès et la multiplication d’imitations qui allèrent très loin dans la surenchère, les illustrés n’existant parfois que pour un nu­ méro, saisis, interdits, mais renais­ sant sous d’autres formes quelques mois plus tard. Hors de sa philosophie du crime, « Diabolik » était une bande assez sage, ses auteurs cultivant l’art de l’ellipse pour éviter au lecteur tout sang et tout sexe. Ses imitations, pour le dépasser, jouèrent simple­ ment sur la suppression des ellip­ ses. Dans le déferlement de titres et de personnages, seules quelques productions méritent d’être notées, pour leur qualité ou pour les excès de leurs auteurs. Magnus et Bunker (Roberto Raviola et Luciano Secchi) réalisèrent quelques-unes des meilleures ban­ des parues dans les fumetti neri. Kriminal (1964) fut un second Dia­ bolik, portant les mêmes masques de plastique mou qui lui permet­ taient de prendre l’apparence de n’importe quel homme (une res­ source qui fut commune à beaucoup d’autres personnages), mais avec en plus un très beau costume représen­ tant un squelette et surmonté d’un crâne humain. La deuxième créa­ ture de Magnus et Bunker fut la première héroïne des fumetti neri : Satanik, dite la Sorcière ou la Veuve noire, était une femme laide qu’une potion chimique transformait pour un temps limité en beauté fatale, lui permettant ainsi d’assouvir tous ses désirs. La troisième fut Jézabel, la corsaire de l’espace (1965). Cette héroïne de science-fiction, qui par­ tageait son temps entre la piraterie spatiale et l’épuisement des mâles de son harem, était une héritière de la Barbarella de Forest, revue et cor­ rigée dans le cadre des fumetti neri par l’humour habituel de Magnus et Bunker ; elle ne fut pas la seule, et l’on vit bientôt fleurir les Selene, Alika, Auranella (de Floriano Bozzij, Cosmine... Diabolik et Kriminal furent suivis dans le domaine du banditisme et de la violence gratuite par Sadik, Fantasm, Mister X, Magnus, Isterik, Infernal... pour lesquels le des­ sin révélait parfois quelques em­ prunts au domaine anglo-saxon,

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comic books ou comic strips. Pro­ blème qui fut résolu lorsqu’on passa au photo-roman, lui aussi per adulti, avec des titres comme Ktlltng de­ venu en France Satanik et Genius. Puis les fumetti neri se diversifiè­ rent, donnant dans le péplum et le Moyen Age avec Isabclla de Renzo Barbiéri et Sandro Angiolini (1966),

l-Wturr

Messaline, Lucrèce, Angelique... dans le western avec Raque!, l'artan... dans l’horreur avec Jacula, I.ucifera, Wallenstein, de Sade, Vdmpirissimo... et quel que soit le genre ou le sous-genre, donnant dans l’éro­ tisme le plus débridé, avec une va­ riété de positions et de goûts qui aurait étonné les auteurs des under­

ground conux américains ou des eight pagers des années 40. En France, surtout édités par Elvifrance, tous ces illustrés ont subi très régulièrement les foudres de la censure, réapparaissant ensuite sous d’autres titres et tentant de la débor­ der par le seul nombre des paru­ tions.

GAINES William M. (1922-

)

ÜSA

Fils de M.C. Gaines, Bill Gaines hérita à la mort de son père d’un empire sur le déclin, les Educational Comics, qui n’avaient comme publications importantes que Piclure Stories from the Bible et Picture Scories from World History. En quelques années, de 1947 à 1954, à force de passion et de tra­ vail, Bill Gaines réussit à recons­ truire cet empire et à donner à l’Amérique l’un des éléments im­ portants de sa culture populaire, les EC, toute une collection d’illustrés d’horreur, de guerre, de sciencefiction, qui servit de pièce à convic­ tion lors du procès des comics books qui devait aboutir en 1954 à l’éta­ blissement d’une censure, le « Co­ mics Code Authority» et à la res­ tructuration de l’industrie au profit des plus grosses compagnies. Depuis 1955, après quelques der­ nières tentatives pour continuer la publication de ses illustrés, Bill Gai­ nes édite Mad, seul survivant de tous ses titres, passé à un plus grand format et au noir et blanc pour échapper à la censure et devenu au fil des ans le plus grand des maga­ zines d’humour.

Gaston Lagaffe. Voir franql’IN André.

/-v

Berck, de Gébé

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GÉBÉ (1934-

)

F

Dessinateur, humoriste, auteur de films, Georges Blondeau, dit Gébé, dépasse de très loin les limites du monde de la bande dessinée. Il a commencé sa carrière comme des­ sinateur... industriel, à la SNCF, ce qui lui fournit l’occasion de placer ses premiers dessins dans La Vie du Rail. Après plusieurs tentatives en direction de la grande presse (il col­ labore à Paris-Presse, au Journal du Dimanche...), il entre à Hara-Kiri et va devenir l’un des grands hommes des Editions du Square. En dehors de contributions de toutes sortes (dessins, romans-photos, images dé­ tournées, et même, plus tard, prise en main du journal en tant que ré­ dacteur en chef), il crée l’inoublia­ ble Berck, créature informe, bête et méchante, qui dévore joyeusement tout ce qui passe à sa portée, ciment armé, roses, poissons rouges, etc., et sème la panique chez les humains pour qui elle représente la menace suprême, le désordre et la subver­ sion. De 1969 à 1971, Gébé va col­ laborer à Pilote, fournissant à l’heb­ domadaire dirigé par Goscinny dessins et scénarios; c’est pour ce journal qu’il crée le mystérieux Clo­ vis, sorcier, ferrailleur, dont certai­ nes aventures sont restées sous forme de scénario; un album paraî­ tra sous le titre « Une plume pour Clovis» (Square, 1975).

C’est avec « L’An 01 » que Gébé va devenir l’un des grands utopistes des temps modernes : à partir d’une histoire de cinq pages publiée dans Politique Hebdo, puis dans Charlie mensuel, le mythe va grandir, don­ ner matière à un film, réalisé par Jacques Doillon qui n’a malheureu­ sement pas su traduire dans ses ima­ ges la force et la poésie rigoureuse et glacée des dessins de Gébé. Pour­ tant, ce film est devenu un peu, avec sa proclamation « On arrête tout... et c’est pas triste», un symbole pour toute une génération. Collaborateur régulier de Charlie hebdo, puis de B.D. à ses débuts, Gébé a donné libre cours à son ima­ gination futuriste dans «L’Age de Fer». Son humour glacial, plutôt intellectuel (l’un de ses albums n’est-il pas intitulé « Il est trop in­ tellectuel »), son dessin rigoureux et précis, sa férocité font de lui la per­ sonnalité la plus attachante parmi celles qui ont marqué les Editions du Square.

GERVY Yves (1908-

)

F

Né à Blaye (Gironde), Yves Desdemaines-Hugon, dit Gervy, dé­ buta en 1926 dans Le Combat périgourdin. Après divers dessins humo­ ristiques dans Rie et Rac, Gringoire, Marianne, Benjamin, etc., il publia ses premières bandes à partir de

1932 dans Rustica, Guignol, Pierrot (notamment « Plouck le Moussail­ lon » en 1937) et Lisette (dont « Plick le lutin» en 1939). Mais surtout il participe parallèlement à la presse catholique en créant «Paulo» (1936) dans Bayard, «Pat’Apouf» (1938) dans Le Pèlerin, «Alain» ( 1940) dans Jean et Paul, « Miette » (1941) dans Marie-France et des sé­ ries réalistes, «Joë Typhon» (1941) et «Pacifique» (1943) dans Le Foyer. A partir de 1937, avec « Les Facéties de Ch’nik », il dessine éga­ lement dans l’hebdo catholique Pe­ tits Belges (suivront « Le Pr Pouic » en 1939, «Wisky et Boule» en 1947, etc.). Toujours en Belgique, il réalise un album pour Gordinne «Le Trésor de l’île aux mouettes» (1936), puis «Bobby reporter» en 1947 (repris dans Wrill). Il participa aussi à l’éphémère Goupil (19451946) édité à Périgueux et publia brièvement en 1947 dans Fripounet et Marisette. Il se retire en 1973, abandonnant sa série fétiche « Pat’Apouf» qui sera continuée par Jean Ache. Géographiquement et éditorialement « marginale », cette carrière a occulté l’intérêt d’une œuvre diver­ sifiée. A côté d’aimables séries en­ fantines, Gervy reste surtout l’au­ teur de «Pat’Apouf» qu’il dessina de 1938 à 1973 en dehors des tradi­ tionnels supports « juvéniles » de la bande dessinée. Il y révéla son sens du mystère, de l’aventure, des intri­ gues aux multiples rebondisse­ ments, mais c’est plus encore son graphisme qui le situe à part. Gervy n’ignore pas Hergé, mais la sou­ plesse du trait évoque davantage les comics et les dessins animés améri­ cains. «Pat’Apouf» (et le bref « Bobby reporter ») apparaît dès lors comme une création insolite, qui ré­ sumerait diverses tendances et serait lourde de potentialités stylistiques. Et si dans Rigolo, en 1984, Chaland crut bon de le convoquer parmi d’autres personnages, ce ne fut cer­ tainement pas par hasard. Gervy ne fut pas le seul dessinateur « marginalisé » par sa participation trop exclusive à la Bonne Presse (de­ venue Bayard Presse). Plus caracté­ ristique encore est le cas de Pierre Forget qui publia diverses bandes dans Bayard de 1951 à 1962 (no­ tamment une fort originale série médiévale, « Thierry de Royaumont » de 1953 à 1959), puis dans Bernadette en 4962-1963. Le gra­ phisme de Forget mêlait curieuse­ ment réalisme et caricature, distor­ dait les perspectives, dynamisait les découpages. Mais (à l’exception de ses humoristiques « Mic et Mac » de 1957 à 1962) ses personnages res­

tent plus sagement dans le droit fil de la banale illustration. Toute grâce a sa pesanteur. Forget devait par la suite se reconvertir dans la gravure de timbres-poste. Trop illustrateurs aussi seront des dessinateurs comme Loÿs Petillot (dont on peut noter le western « Bill Jourdan» dans Bayard de 1956 à 1961) ou Alain d’Orange dont les carrières ne se limitent pas à la Bonne Presse. Ce dernier collabo­ rera assidûment aux Editions de Fleurus, l’autre grande maison ca­ tholique (il débute en 1949 dans Fri­ pounet). Plus éphémère et tardive sera la participation de Pierre Brochard à Bayard-Presse {Rallye Jeu­ nesse au début des années 60), lui aussi un habitué de Fleurus depuis 1947. En 1952, il crée «Zéphyr» dans Fripounet, puis en 1956 «Alex Tambour» dans Cœurs Vaillants. Une finesse de trait, qui évite l’écueil du banal « hergéisme », rend plaisantes des séries par ailleurs as­ sez enfantines. Autre collaborateur aujourd’hui encore fidèle des publi­ cations Fleurus, Noël Gloesener (ou Gloesner) débute dans Fripounet en 1945. Il y dessinera « Les Indégon­ flables de Chantovent» (1946) et, dans Cœurs Vaillants, «Yann le Vaillant» (1948). Mais il participe aussi à d’autres journaux, notam­ ment à la presse Marijac, de Coq hardi à Nano et Nanette, et même à Chouchou avec « Sylvie » ( 1964). A l’aise dans les styles les plus divers, Gloesener n’échappe pas toujours aux pièges de l’illustration. Mais surtout, dispersant et fragmentant un réel talent, il préféra agir en vir­ tuose bien qu’il eût les qualités gra­ phiques d’un authentique créateur. Ghastly. Voir INGELS Graham.

GIBRAT Jean-Pierre (1954-

)

F

Né le 17 avril 1954 à Paris, JeanPierre Gibrat, après des études d’arts plastiques, fait ses débuts dans Pilote et dans Fluide glacial (1977). Collaborant à B.D. et Charlie mensuel, il rencontre Berroyer qui va devenir son scénariste pour la série du «Dossier Goudard», commencée en 1978-1979, suivi de « C’est bien du Goudard » (publié dans Fluide glacial en 1980). En 1982, leur association va donner «La Parisienne». Le duo GibratBerroyer est l’exemple parfait d’une osmose réussie entre un scénario et des images. Le dessin de Gibrat, réaliste, assez cru, illustre à la per­ fection les éternels problèmes de

l’adolescence, et le regard qu’elle porte sur le monde des adultes. Avec beaucoup de sensibilité, et des notations psychologiques qui tou­ chent juste, et qui donnent à pen­ ser que les deux coauteurs se réfè­ rent à des expériences vécues.

GIFFEY René (1884-1965)

F

Né le 8 mars 1884 à Paris, il débute précocement en 1899 par des illus­ trations de couvertures de cahiers. Après des études aux Arts décora­ tifs et aux Beaux-Arts, il dessine dans le Saint-Nicolas (1904) de l’édi­ teur Delagrave pour lequel, à par­ tir de 1906, il illustrera de nombreu­ ses collections (manuels d’histoire, livres d’étrennes, romans). A partir de 1908, il fait de même pour Fayard. Après la guerre, il publie des dessins dans de nombreuses re­ vues « légères » et « polissonnes » {Parisiana, Fantasio, L’Humour, Sans-Gêne, Gens qui rient, Le Jour­ nal amusant, etc.). Sa rencontre avec l’histoire en image date de 1921 lorsqu’il reprend en album « L’Es­ piègle Lili » créée par A. Vallet en 1909. Sa carrière dans la presse Offenstadt/SPE se poursuit avec no­ tamment dans Fillette » Nigaude et Malicette» (1929) et «La petite Shirley» (1936), d’après Shirley Temple. Sa première bande avec bulles paraît en 1936 dans ParisSoir Dimanche (« Les Exploits de Jacquou»). D’autres suivent dans Boum, L’As et Junior de 1937 à 1942. A partir de 1941, il dessine dans la presse Del Duca (« Surcouf » dans Hurrahl, «Monte-Cristo» et « Le Corsaire de la mort » dans L’Aventureux/L ’Audacieux, etc.). En dehors de brèves participations chez d’autres éditeurs {Le Journal de Taty, les récits Marcel Daubin, France-Soir Jeudi, Robin ¡’Ecureuil, Pic et Nie), il y reste fidèle jusqu’en 1962 avec notamment «Buffalo Bill » dans Tarzan (1946), puis L’In­ trépide (1952), «Dédé Loupiot contre les Boches » dans L’Astucieux (1947), « Les Misérables » (1946) et « Quatre-Vingt-Treize » (1949) dans Tarzan. Il revient aussi à la SPE avec « Cinq-Mars » et « Le Capi­ taine Fracasse » dans Fillette (1954), etc. Sa dernière série, «Janine et Djaïmina » paraît dans Nano et Na­ nette de Marijac en 1963. Il meurt le 1er septembre 1965 à Arcachon. Tout comme Le Rallie, il aima les « polissonneries », les récits histori­ ques, les aventures de flibustes et les westerns. Mais Gifley, qui ne col­ labora jamais à la presse catholique, contribua davantage encore aux re­

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vues « légères » et à l’illustration éro­ tique (sado-maso inclus). Son gra­ phisme, jouant avec le noir et blanc, multipliant les hachures, évite une trop grande clarté de ligne au pro­ fit du flou, de l’ébauche, du sug­ géré. Malheureusement ses person­ nages, mousquetaires, pirates, révolutionnaires ou cow-boys, sem­ blent tous sortis du même moule. Mais il y a de la vie dans ses des­ sins que sous-tend une discrète styli­ sation. Et devant ses remarquables illustrations « galantes », on rêve aux malicieuses bandes humoristiques qu’il eût pu faire (certaines planches muettes publiées dans Le Rire en 1926-1927 en sont les prémices inabouties).

Robert Gigi a fait cavalier seul pour «Gentil Clovis», strip publié dans Chouchou, ainsi que « Les Confiden­ ces d’une Quinze Ans », ou les pe­ tits problèmes quotidiens d’une adolescente pour le journal Quinze Ans', son intérêt pour le Japon lui a inspiré « Ugaki le samouraï», créé pour le journal hollandais Pep, paru ensuite en France dans Tintin. Il a également travaillé comme illustra­ teur de publicité, et pour plusieurs magazines (Constellation, FrancsJeux...). 1979, Hachette

GIGI Robert (1926-

)

F

Robert Gigi est né le 29 juillet 1926 à Besançon. A l’époque où la vogue de Barbarella avait fait naître un en­ gouement pour les pulpeuses héroï­ nes de BD, il fut le dessinateur de « Scarlett Dream », agent secret fé­ minin lancé dans de délirantes aven­ tures (sur un scénario de Claude Moliterni), publié pour la première fois dans V Magazine (1965). Cette série devait être reprise plus tard pour une publication quotidienne (France-Soir), dans une version lé­ gèrement différente de celle des an­ nées 60, cherchant à restituer plu­ tôt l’atmosphère des romans et films policiers. Sa publication en France devait être interrompue lors du ra­ chat du journal (1976), mais se poursuit toujours dans plusieurs quotidiens étrangers. Avec le même scénariste, Gigi de­ vait créer dans « Orion le laveur de Planètes » (1968-1969) une autre sé­ duisante héroïne, Rône, dans un monde de fantaisie insolite, proche de la science-fiction et du fantasti­ que; cette série fut publiée dans Phénix, abandonnée (non sans avoir reçu un prix à Lucca) puis termi­ née pour la publication en album (1974). C’est pour le Corriere dei Ragazzi que les mêmes auteurs réa­ lisèrent ensuite « Agar », publié en France dans le Journal de Lucky Luke, situé dans un univers compa­ rable à celui d’Orion, mais plus pro­ che du merveilleux des contes pour enfants. Avec le scénariste Lob, Gigi eut l’occasion de montrer un autre as­ pect de ses talents : ce fut le « Dos­ sier des soucoupes volantes », publié à l’origine dans Pilote, puis sous forme d’albums (à partir de 1972), où il réalisait une sorte de reportage en images.

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Les Naufragés du Temps

GILLON Paul (1926-

)

F

Passionné de BD, mais aussi de ci­ néma, de théâtre, de music-hall, Paul Gillon, né le 11 mai 1926, commence sa carrière par des illus­ trations de chansons, et des carica­ tures (Samedi Soir, FranceDimanche, Gavroche). En 1947, il entre au journal Vaillant, où il il­ lustre des scénarios de Lecureux : avec « Lynx Blanc », il reprend la sé­ rie créée par Bob Sim, où il essaie de retrouver l’inspiration d’Alex Raymond; avec «Fils de Chine», c’est la reconstitution purement imaginaire d’un monde sur lequel il n’a que peu de renseignements : la Chine de Mao (1950-1953); puis

c’est la reprise de « Capitaine Cor­ moran » (créé par Lucien Nortier) sur un scénario de Jean Ollivier (1954-1959) et de « Wango » ( 19581960) de nouveau écrit par Lecu­ reux. Plus tard, il sera l’auteurdessinateur de «Jérémie» (19681972) pour la même maison d’édi­ tion. Cependant, il a quitté Paris pour s’installer sur la Côte d’Azur, puis à la campagne, a collaboré à Radar «Les Aventures de Rex» (19561958), et, comme illustrateur, à Femmes d’Aujourd’hui, mais surtout France-Soir. C’est pour ce quotidien qu’il dessine « 13, Rue de l’Espoir », sur des textes de J. et F. Gall, illus­ tre série quotidienne qpi lui permet de créer un strip unique dans la bande dessinée française (4 139 ban­ des parues entre septembre 1959 et décembre 1972). En 1964, pour la création de Chou­ chou (rédacteurs en chef Forest et Forlani), il met au point la première mouture des «Naufragés du Temps», avec Jean-Claude Forest comme coauteur. La série est inter­ rompue avant même la disparition du magazine (neuf planches parues), mais reparaîtra près de dix ans plus tard dans France-Soir, à deux repri­ ses, de mai à septembre 1974 et de mai à novembre 1975 : deux grands épisodes qui seront publiés en qua­ tre albums par Hachette. Curieuse association que celle de Gillon et de Forest ! Le premier, amoureux de la rigueur et des for­ mes épurées, voire géométriques, donne à ses images une beauté gla­ ciale à l’opposé du monde foison­ nant de fantaisie baroque du se­ cond. Peut-être est-ce cet antagonisme même qui a fait de cette bande une réussite exception­ nelle. Dans un univers de sciencefiction, elle met en scène Christo­ pher, héros ambigu, projeté dans le futur, et tiraillé entre deux femmes, Valérie, celle du passé, faible et ins­ table, et Mara, la passionnée, celle du futur. Quelques créations typi­ quement forestiennes ont été intro­ duites : Quinine, la mutante, femme-oiseau de proie, Bebbé, gamine-robot qui crache du feu, ou le fascinant Tapir. Mais bientôt les deux coauteurs éprouveront des dif­ ficultés de plus en plus grandes dans leur collaboration : celle-ci cesse avec l’épisode «Tendre Chi­ mère », signé dans Métal hurlant par Gillon seul (1977); celui-ci élimine peu à peu les personnages introduits par Forest, créant notamment un nouveau personnage féminin, Béryl Rosemayor. Il retrouve au niveau du scénario la rigueur qui corres­ pond à son style graphique.

Paul Gillon a également collaboré au Journal de Mickey (« Barbe Noire» en 1968, «Teva» de 1973 à 1977, etc.), Caméra, Elle, ¡’Ex­ press, Marie-Claire... Il est l’auteur de « L’Histoire du parti socialiste » en bandes dessinées (1977). Il entame « Les Léviathans » dans B.D. (1978). On lui doit aussi un «Moby Dick» (Hachette 1983) et une bande érotico-science-fiction, « La Survivante » dans L’Echo des Savanes (1985).

GIMENEZ Carlos (1941-

)

E

Excellent dessinateur réaliste, capa­ ble de mettre en scène les univers de la science-fiction, c’est pourtant à travers une BD à la première per­ sonne que Gimenez s’est imposé comme l’un des plus grands. Après une enfance passée en partie dans un pensionnat de l’Assistance publi­ que, dans l’Espagne franquiste, il a débuté dans les années 60 aux stu­ dios Creaciones Illustradas de Bar­ celone. En France, il a été publié dès 1971 dans Timin, avec la série consacrée à Dany Futuro, poursuivie jusqu’en 1976, et qui a donné lieu à sept al­ bums. Vers la fin des années 70, il entre à l’Echo des Savanes qui pu­ blie son « Koolau le lépreux », puis « Les Bourreaux » (1979). Mais c’est de « Paracuellos », série commencée la même année dans Fluide glacial, que va venir le grand choc : récit au­ tobiographique, en épisodes de deux planches, d’une enfance en milieu quasi carcéral, avec la faim, les brimades infligées aux petits pauvres par l’institution sous cou­ vert d’éducation et de charité chré­ tiennes, c’est le plus vibrant plai­ doyer pour les droits de l’enfant qui ait jamais été publié. En filigrane, le fascisme quotidien. En prime, un humour sombre, dévastateur, déses­ péré. Après les deux volumes des « Paracuellos » (publiés par les édi­ tions Audie), Gimenez poursuit cette inspiration autobiographique dans « Barrio », puis « Les Profes­ sionnels ». L’émotion et la violence contenue vont peu à peu laisser place à la nostalgie du temps des co­ pains et des vaches maigres. Mais l’humour, souvent énorme, parfois d’une cruauté aiguë, va sombrer peu à peu dans la farce, voire le co­ mique troupier. Reste un témoi­ gnage vécu de l’intérieur sur le monde des petits artisans de la bande dessinée, et le talent d’un ex­ cellent dessinateur, rompu à toutes les ficelles du métier.

GIORDANO Richard (Dick) (1932-

)

(ISA

Artiste complet, dessinateur et en­ creur, Giordano n’a cependant pas eu une influence prépondérante sur les comic books des années 70 du fait de son crayon ou de son pin­ ceau. Même si les encreurs peuvent parfois devenir plus importants que l’auteur des crayonnés d’une bande par leur personnalité et leur style propre (Wally Wood, Murphy An­ derson, Tom Palmer, Jeff Jones...), même s’il a reçu deux ans de suite, en 1971 et 1972, le prix décerné par l’ACBA au meilleur encreur. Non, Giordano fut surtout et de tous temps un animateur et un guide capable d’influencer une large partie de la profession et de la pro­ duction des comic books. Editor à la Charlton en 1966 et 1967, il réus­ sit à redresser l’image de marque de cette firme, écrasée par la puissance de la Marvel et de la National, et y produisit avec des dessinateurs comme Jim Aparo et Steve Ditko quantité de bandes qui renouve­ laient les comics traditionnels. A cette époque parurent entre autres «The Question» et les meilleures planches de « Captain Atom » de Ditko. De 1968 à 1970, passé à la National Comics et ayant entraîné avec lui les meilleurs artistes et scé­ naristes de la Charlton, Steve Skeates, Aparo, Ditko, il devait partici­ per au renouveau que tentait de donner Carminé Infantino à la pro­ duction de la firme. Il fut l’editor des bandes de Steve Ditko, « Hawk and Dove » et « The Creeper », de Neal Adams, «Deadman» dans Strange Adventures, de Aparo, « Aquaman » et « Phantom Stranger»... Retourné à l’encrage en 1970, il participa à la création des meilleures bandes de la National, et certains épisodes du « Green Lantern » ou du « Batman » de Neal Adams doivent énormément à son talent. Toujours avec Neal Adams, il s’est trouvé largement impliqué dans les activités de l’ACBA, syndicales ou autres, et il a créé Continuity Asso­ ciâtes. Pour Star Reach, le comic book en noir et blanc et à diffusion limitée de Mike Friedrich, il a dessiné (sur un scénario de ce dernier) une très jolie bande de science-fiction, « Sté­ phanie Starr », reprise en France en 1976 dans le numéro 1 de l’Echo des Savanes Spécial USA. Revenu depuis chez National, il y a suivi l’ascension de Jenette Kahn qui remplaçait Infantino. Avec de

grands anciens de la firme et des dé­ çus de la Marvel, dessinateurs, scé­ naristes, editors, Marv Wolfman, Roy Thomas, la firme a depuis re­ trouvé son premier rang perdu ja­ dis au profit de la Marvel de Stan Lee puis de... Roy Thomas.

GIRAÜD Jean (1938-

)

F

Né le 8 mai 1938 à Fontenay-sousBois (Val-de-Marne). Après avoir suivi des cours de dessin par corres­ pondance, il entre à seize ans aux Arts appliqués. En 1956, il a commencé à collaborer à Far-West (« Frank et Jérémie »), Fripounet et Marisette, Ames Vaillantes et Cœurs Vaillants où il réalise dans le do­ maine western des récits complets, sur des scénarios de Hempay ou des histoires à suivre («Un géant chez les Hurons », « Le Roi des Bisons ») sur des scénarios de Noël Carré. C’est là qu’il rencontre Jean-Claude Mézières avec lequel il collaborera à l’encyclopédie Hachette « Histoire des civilisations » (parue entre 1961 et 1966). Il fait également la connaissance de son « maître » Jo­ seph Gillain (Jijé) qui lui confie l’encrage d’un épisode de «Jerry Spring », « La Route de Coronado », paru dans Spirou en 1961 (en échange, Jijé dessinera, en 1965 au cours d’un voyage de Giraud en Amérique, quelques planches du « Cavalier Perdu »). Après cette période formative, Jean Giraud entame sa véritable carrière sous le signe de l’ambiguïté : à par­ tir de 1963, il dessine dans Pilote, sous le pseudonyme de Gir, « Fort Navajo », premier épisode de ce qui allait devenir la saga du Lieutenant Blueberry, et dans Hara-Kiri, sous le pseudonyme de Moebius, des his­ toires d’humour noir et de fantasti­ que surréaliste qui préfigurent la période science-fiction de Métal hur­ lant. « Lieutenant Blueberry », sur des scénarios de Charlier auxquels Gi­ raud a plus d’une fois mis la main, est une des plus éclatantes réussi­ tes dans le domaine très fréquenté de la bande western. Son héros, transfuge de l’armée, a vite perdu sa ressemblance initiale avec l’ac­ teur Jean-Paul Belmondo, et par­ court un Ouest saturé des mythes du western classique (ou parfois «crépusculaire»). On trouve dans cette bande comme dans un certain cinéma américain le même sens de l’espace admirablement rendu par le cadrage des vignettes et la compo­ sition rythmique des planches, les mêmes couleurs expressives (œuvre

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de Giraud, Poppé, Evelyne TranLê ou Jannick Dionnet), les mêmes personnages pittoresques : Jimmy McClure, le prospecteur ivrogne, Angel Face, le tueur d’élite au vi­ sage d’ange qui finira horriblement défiguré, ou la belle Chihuahua Pearl. En 1979, avec Charlier, il crée dans Métal hurlant un nouvel héros de western, «Jim Cutlass», qui ne vi­ vra qu’une unique aventure, « Mississipi River». Giraud poursuit «Blueberry», désormais prépublié dans divers titres pour les Editions Novedi. En 1985, le personnage est également dessiné par Colin Wil­ son, dessinateur néo-zélandais au­ teur de « Rael » (1982) dans Circus. Côté Moebius, Pilote a publié quel­ ques bandes superbes : « La Dévia­ tion» (1973), «L’Homme est-il bon » (1974). Dans l'Echo des Sava­ nes ce sont, en 1974-1975, les aven­ tures de John Watercolor et « Cau­ chemar blanc». Enfin, en 1975, la collaboration à Métal hurlant, que Giraud fonde avec Dionnet, Druillet et Farkas. Mêlant de façon très personnelle le fantastique, la poésie et la science-fiction, il y raconte les aventures étranges de Arzach (Harzak/Arzak/Harzakc...), du Major Grubert ou de Jerry Cornélius et son garage hermétique. Le style de Moebius, différent du style « Gir » par son côté plus épuré, plus aéré, atteint son maximum lorsqu’il s’ap­ puie sur un scénario solide, comme c’est le cas dans «The Long ToMorrow » pour lequel Dan O’Bannon introduit la mythologie du ro­ man noir dans l’univers de la science-fiction. Une collaboration

Blueberry

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avortée avec Jodorowski pour la préparation du film « Dune» a dé­ bouché sur la réalisation d’un très beau livre, Les Yeux du Chat (1978) avant de donner naissance en 1980 dans Métal hurlant à la série « L’In­ cal » avec son héros maladroit, le dé­ tective John Difool. Celle-ci ne tarde pas à s’embourber dans un ésotérisme niais tandis que le gra­ phisme évolue vers un trait de plus en plus simplifié, dérivé du cinéma d’animation, une des nouvelles pas­ sions de l’auteur. Persévérant dans cette voie frelatée sous l’influence du groupe mystique Iso-zen, Jean Gir (telle est sa nouvelle signature) publie de nouveau dans Pilote avec sa « Venise Céleste » ( 1984), que suit «Le Cristal Majeur» (1985) avec son assistant Bâti (avec qui il réa­ lisa une décevante adaptation du ro­ man de Orwell, « La Ferme des Ani­ maux »). Auteur de port-folios et de sérigraphies, on lui doit notamment l’album publicitaire «Sur l’Etoile, une croisière Citroën » (1983). Moe­ bius a participé aux décors du film « Alien » (1979) et collaboré au des­ sin animé de René Laloux, « Les Maîtres du Temps» (1981) ainsi qu’au film «Tron» (1982). Il a en projet un dessin animé (à la sauce Iso-zen), «Internel Transfert». Considéré à juste titre comme un des plus grands auteurs européens actuels, Jean Giraud n’a cessé d’influencer toute une génération de jeunes dessinateurs. Son approche de la bande dessinée, son univers, sa technique particulière (le tracé au pinceau retouché par des hachures et des pointillés à la plume pour plus de relief) ont été souvent imités.

1979, Darguud

GIRL STRIP I. Etats-Unis La jeune fille, comme personnage central d’un comic strip, fit son ap­ parition essentiellement dans les an­ nées 10 mais, dès le début du siè­ cle, le thème de la secrétaire, ou plus généralement de la femme ga­ gnant sa vie, apparut avec « Sallie Snooks, Stenographer» de Dink Shannon, dans la section couleur éditée par la World Printing de St. Louis. «Somebody’s Stenog» de A.E. Hayward parut de la fin des années 10 à la fin des années 30. En 1912, « Polly and her Pals » de Cliff Sterrett, tout en restant davantage un family strip, annonce les futu­ res « flappers » des années 20. En 1914, pour le NY Herald, Russ Westover créa «Betty», reprise en 1919 par Charles Voight qui pour­ suivit jusqu’en 1943, dans un style proche de l’illustration, cette bande sur une jolie fille et son ridicule che­ valier servant, le maigrichon Lester de Pester. Westover imagina en 1921 un thème semblable, mais avec un graphisme moins sophisti­ qué, lorsqu’il créa « Tillie the Toi­ ler» pour le KFS lui donnant comme soupirant le non moins gro­ tesque Clarence McDougall (Mac). Tillie poursuivit son existence jusqu’en 1959, dessinée depuis 1954 par Bob Gustafson, et épousa Mac quelques jours avant la fin de la série. « Winnie Winkle » de Branner date de 1920. En 1925, Gladys Parker crée « Flapper Fanny », re­ prise ensuite par Ethel Hays, tan­ dis qu’elle reprendra le même thème dans « Mopsy », avec un gra­ phisme aux traits fins, où les cour­ bes dominent. A la même époque, Chic Young dessine girls, girls et girls! 1924 voit l’apparition de « Boots and her Buddies » d’Edgar « Abe » Martin, l’une des plus jolies filles de la BD de l’époque qui pour­ suivra sa route et se mariera en 1946, donnant lieu à un family strip de plus, repris en 1960, pour quel­ que temps, par Les Carroll (NEA). Auparavant, en 1922, c’est l’appa­ rition de « Fritzi Ritz» de Larry Whitington qui, en 1925, l’aban­ donne pour créer « Maisie the Mo­ del », laissant «Fritzi» à Ernie Bushmiller qui en fera un strip (NY World, puis UFS) fort plaisant avant de donner progressivement la vedette à sa nièce Nancy (cf. Kid strip). «Dixie Dugan» débute en 1929 (McNaught Synd.), avec John H. Striebel comme dessinateur et J. P. McEvoy comme scénariste, plus proche par certains côtés du soap opera sentimental, et ne pren-

Paul Pung : Dumb Dora

dra fin que dans les années 60. De plus courte durée, en 1929, paraît également « Dolly of the Follies » de Chet Garde, parmi d’autres. Le grand graphiste John Held Jr. avec sa très stylisée « Merely Margy » (1927-1935) maintient le thème de la flapper dans les premiè­ res années 30, tout comme, plus caricaturalement, la « Betty Boop » de Bud Counihan. On voit même Chester Gould s’essayer très briè­ vement au genre en 1931 avec « The Girl Friends» dans le Chicago News. Mais la flapper est passée de mode, comme le prouve « Big Sister » (KFS) que crée en 1934 Leslie Forgrave, bande moralisante qui, reprise en 1954 par Bob Naylor, ne terminera sa bien-pensante carrière qu’en 1972. Une préfiguration du style pin-up fut donnée par Bob Oksner et Jerry Albert, toujours dans les années 30, avec « Miss Cairo Jones » (Oksner avec le scénariste Weldon fut l’au­ teur, en 1967, et pour une brève pé­ riode, de « Soozi », un girl strip qui, sous une forme plus moderne, n’était pas sans renouer avec la veine des années 20). Il faut atten­ dre les années 50 pour que la pinup passe vraiment dans le comic strip. C’est notamment le fait de Russel Patterson dans sa bande «Mamie» (UFS) de 1951 à 1956. Andriola et Casson, en 1958, ima­ ginent ensemble la jeune et belle ci­ tadine Dilly, tandis qu’en 1955, Pete Hansen revient au thème de la secrétaire avec « Lolly », mais dans la formule du strip à gag (CTNYNS). Mais le girl strip ne comprend pas seulement des flappers, des working girls ou des pin-up ; un autre de ses thèmes fut l’adolescente, la teenager. « Etta Kett » de Paul Robinson, créé en 1925 pour le KFS, fut pionnier en ce domaine et devait survivre à toutes les révolutions des mœurs imaginables, jusqu’en 1974, avec son héroïne presque identique à ce

qu’elle était un demi-siècle plus tôt. Etta pouvait à la rigueur faire par­ fois figure de flapper, il en alla dif­ féremment de celles qui lui succé­ dèrent. «Eisa Poppin », créée en 1939 par Ving Fuller et poursuivie jusqu’en 1944 par George Swanson (KFS), n’eut guère de rapport avec « Helzapoppin » (bien que Olsen et Johnson aient été censés le cosi­ gner), mais ce strip, néanmoins, mit en vedette une fort « nonsensique » jeune personne. «Oh, Diana», commencé par Don Flowers, pour­ suivi par divers cartoonists dont Bill Champs, Virginia Clark, et Phil Berube, revint aux adolescentes collé­ giennes. D’autres dessinatrices eu­ rent aussi leurs héroïnes; Hilda Terry créa « Teena » en 1941 (KFS) et Marty Links la suivit, peu après avec « Bobby Sox », depuis retitré « Emmy Lou » (UFS). En 1943, Harry Haenigsen imagina, pour le Herald Tribune, «Penny» qu’il abandonna en 1970. En 1946, ce fut le tour de « Aggie » par Hal Rasmusson (CTNYNS), à mi-chemin entre le girl strip et le mélo. « Aggie » fut poursuivie, depuis 1962, par Roy Fox (il en existe une version fran­ çaise « créée » par Alexandre Gérard et poursuivie par Pierre Lacroix). En 1950, pour le McNaught, Dick Brooks dessine «The Jackson Twins », deux jumelles brunes, Jan et Jill, dans un style mi-réaliste, mihumoristique. En 1960, Lee Holley, dans « Ponytail » (KFS), s’atta­ che à la prime adolescence. Dans les années 70, le girl strip semble en crise, en dépit de brèves créations comme « Plain Jane» (McNaught) de Frank Baginski. En 1977, la jeune dessinatrice Cathy Guisewite trouve un ton plus juste avec «Cathy» (Universal Press Syndicate), exprimant les contra­ dictions d’une fille coincée entre une éducation traditionnelle et les mises en question féministes. Le post-Women’s Lib inspire diverse­ ment deux dessinatrices, Nicole

Hollander avec «Sylvia» (1982), plus caustique, et Perry Howze avec sa jeune journaliste «Verbena» (1981) tandis que Bob Johnson dans «Helio Carol» (1981) reste plus « californien » dans son inspiration. Plus que d’autres genres tradition­ nels, le girl strip paraît chercher en­ core son renouveau. 2. Angleterre C’est essentiellement en Angleterre que le girl strip (si on ne place pas sous cette appellation les bandes des illustrés pour filles qui, en Europe, étaient parfois centrées sur des ado­ lescentes, cf. « Line » par exemple) s’est développé d’une manière ori­ ginale par rapport aux U.S.A. George William Wakefield fut très tôt un spécialiste de personnages féminins (« Flossie and Phyllis the Fascinating Flappers», 1914); mais c’est dans les comic strips que le girl strip anglais s’illustra le mieux. D’abord sous une forme proche de l’américaine avec les séries sur les secrétaires comme « Dot and Carrie» (1922-1962) de J.F. Horrabin ou son presque plagiat de Batchelor «Office Hours». Mais le girl strip anglais se caractérise à partir de 1932, tout particulièrement avec l’apparition de «Jane» de Norman Pett, par son inspiration érotique si­ non plus poussée, du moins plus franche. Norman Pett poursuit des thèmes semblables, en 1948, avec « Susie », tandis que Mike Hubbard dessine désormais «Jane» jusqu’à sa sup­ pression en 1959. Arthur Ferrier dans son strip hebdomadaire « Spotlight on Sally » paru en 1945, pro­ fite du moindre prétexte pour mon­ trer ses charmantes héroïnes dans des tenues légères. Son daily strip « Eve » (1953-1956) se rapproche du soap opera, mais Eve n’est pas pour autant un modèle de pudeur. Le dessinateur hollandais Alfred Mazure, qui fit de nombreuses bandes

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en Angleterre, créa, en 1957, « Car­ men and Co. » restant dans le même esprit, et de 1961 à 1963, avec «Jane, Daughter of Jane», va en­ core plus loin dans une inspiration aussi bouffonne que déshabillée. Auparavant, Bob Hamilton avec « Patti », sur un scénario de Janny McLaughlin, avait réalisé une bande qui, elle aussi, unit humour, érotisme et soap opéra (1959-1961). « Tiffany Jones » de Pat Tourret et Jenny Butterworth, plus sophisti­ quée, est une série qui témoigne de cette imbrication des deux genres. Elle est tout aussi bien un girl strip moderne qu’un soap opéra particu­ lièrement raffiné. Le girl strip an­ glais se veut, au moins graphique­ ment, plus réaliste tout en accentuant le côté humoristique de certaines situations. En cela sa dé­ marche est à l’inverse de la plupart des bandes américaines.

GODARD Christian (1932-

)

F

En trente ans de carrière, Godard s’est entouré d’une cohorte de per­ sonnages que l’on imagine aisément être devenus au fil des histoires ses amis et ses reflets, exigeants et in­ dépendants, vivant leur propre vie autant qu’il la dirige de son pinceau ou de sa machine à écrire. De 1954 à 1958, ce furent sous le pseudonyme de Eme : aux éditions Rouff « Les Aventures de Biscotto le marmiton », « Les Aventures de Pip et Joc » ; dans Pierrot champion, «Les Aventures de Titi Volcan». Mais il y eut aussi des histoires dans Hoppy, Biribu («L’Agence Flick contre Fantomuch »), Kriss, Franc Jeux, Fillette, Lisette, Jocko, Coq hardi... en fait une bonne partie de la presse pour jeunes de l’époque. Déjà aussi il croise Goscinny, le précédant sur « Benjamin et Benja­ mine » qui sera poursuivi par Uderzo et Goscinny (1955-1956), le suivant dans Paris Flirt sur « Lili » créé par Will et Goscinny (1957-1958), travaillant avec lui pour Pistolin (1957-1958). A partir de 1957, il réalise pour Vaillant sa première grande série, « Les Aventures de Gil Bagout » un jeune avocat, puis pour la même re­ vue « Les Aventures de Pipsi » par­ fois sur scénario de Goscinny, et plus tard «Tonton Lachance». Avec le numéro 1 de Pilote (29 oc­ tobre 1959) sa carrière va prendre un nouveau départ avec «Jacquot le Mousse» puis «Tromblon et Bottaclou » sur scénario de Goscinny. Mais surtout sous l’influence de ce dernier il améliore sa maîtrise du

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texte et devient un scénariste complet, ce qui lui permettra plus tard de travailler pour d’autres des­ sinateurs. Il réalise ainsi seul « Les Missions de l’Agent secret E 1000 » (Pilote, 1962-1967)et surtout «Nor­ bert et Kari» (Pilote, 1963-1969). Toujours dans Pilote, il participera aux pages d’actualité et réalisera di­ vers petits travaux seul, avec Gos­ cinny ou comme scénariste pour Mic Delinx, Loro, Ribera. Dans le même temps, il pourvoit Mittéi en gags pour « Modeste et Pompon » et en scénarios pour « L’Indésirable Désiré » dans Tintin. Fin 1967, Martin Milan naît dans Tintin, avec son avion brinqueballant, sa pipe, sa mèche, ses yeux éternellement désabusés. Il vivra ré­ gulièrement des aventures étranges au fil des ans, parfois avec la parti­ cipation de Dufranne : « Destina­ tion guet-apens» (1969), «Les Clo­ chards de la Jungle » ( 1970), « Mille ans pour une agonie » (1977), « Ade­ line du bout de la nuit» (1979), « L’Enfant à la horde » (1979-1980), «Une Ombre est passée» (1981), «L’Ange et le surdoué» (1984)... En 1969, il commence une autre grande série, dessinée par Mic De­ linx, « La Jungle en folie », qui fera la joie des lecteurs de Pif gadget avant d’être reprise en albums chez Dargaud. Histoire d’animaux, c’est probablement et de façon curieuse la bande la plus dure et la plus vio­ lente de Godard. Dans cette jungle isolée au milieu d’un désert « abso­ lument désertique», Joe le tigre, Gros Rino, Auguste le crocodile, Mortimer le serpent font face à tou­ tes les tares de notre société, sans le calme d’ün Norbert ou d’un Mar­ tin Milan. Au lieu de fuir ou de hausser les épaules, ils se battent, font des jeux de mots, courent, chu­ tent... dans un grand éclabousse­ ment de couleurs et de cris. Humour, ambiguïté des personna­ ges et des situations se retrouveront dans «Le Vagabond des limbes» longue série publiée directement en album chez Hachette (1975), puis dans Circus (1975-1976), Tintin (1977) et Pilote (1978). Mais où le drame apparaissait ici et là sous l’humour, c’est à présent l’humour qui transparaît sous la tragédie, car cette bande de science-fiction sou­ tenue par le dessin réaliste de Julio Ribera, cette quête de l’amour qui se poursuit d’étoile en étoile est par­ semée de clins d’œil qui font accep­ ter le caractère illusoire de la recher­ che obstinée que mène Axle Munshine, le vagabond. Julio Ri­ bera y déploie un talent qui fut long à être reconnu puisqu’il arriva en France en 1954, travaillant pour le

mensuel Zorro, pour A tout cœur, La semaine de Suzette, Bayard («Tony Sextant, chevalier de l’es­ pace »), Le Parisien libéré, L’Aurore, France-Soir, puis Pilote à partir de 1965, y publiant de nombreuses planches et se faisant finalement re­ marquer pour « Dracurella ». De sa collaboration fructueuse avec Godard naissent en 1985 «Les Chroniques du temps de la vallée des Ghlomes» où Godard revient une fois de plus à l’humour, avec cette fois un caractère polisson qui lui était inhabituel.

GODWIN Frank (1889-1959)

USA

Né le 20 octobre 1889 à Washing­ ton, D.C. Francis Godwin eut très tôt le goût du dessin et, dès l’âge de quinze ans, fit ses débuts dans l’équipe du Washington Star. Il sui­ vit ensuite, à New York, les cours de l’Art Students League et commença une carrière de dessina­ teur humoristique, publiant dans Judge, Life et autres magazines et, surtout d’illustrateur, collaborant à Collier’s, Cosmopolitan, etc. Il fit également du dessin publicitaire et ne vint à la BD qu’en 1927, en créant, pour le Ledger Syndicale, le sunday page « Connie • accompagné d’un top humoristique «The Wet Blanket». Connie était une jeune fille qui vivait dans sa famille, me­ nant une existence fort raisonnable ponctuée de petits détails humoris­ tiques. Lorsqu’un daily strip fut ajouté en 1929, le ton de la série évolua progressivement et Connie eut alors à affronter des gangsters et autres personnages malintention­ nés tandis qu’elle se découvrait une vocation d’aviatrice. Cette évolution devint tout à fait nette dans les an­ nées 30. « Connie » fut, dès lors, une bande d’aventure et même de science-fiction qui prit fin en 1944. Pour le Ledger, Godwin participa également à la réalisation du strip « Roy Powers, Eagle Scout » qui fut l’œuvre d’un ensemble de cartoonists groupés sous le pseudonyme commun de « Paul Powell » et qui réunissait, outre Godwin, Kemp Starrett et Jimmy Thompson, ainsi que le scénariste Paul Roberts. Roy Powers était un jeune scout qui, avec un copain (stéréotype du scout gros et lourdaud), connaissait diver­ ses aventures autour du monde. Après un passage dans les comic books (où il travailla notamment sur « Wonderwoman », héroïne, elle aussi, «libérée», mais, en ce do­ maine, moins représentative que sa propre « Connie »), Godwin fut en­

gagé par KFS pour créer une bande sur un jeune jockey, « Rusty Riley », dans laquelle éléments documentai­ res sur les courses et les chevaux et intrigues policières s’entremêlaient habilement et qui disparut en 1959, peu avant la mort de Godwin le 5 août 1959. Godwin, dont « Connie» fut très mal distribuée aux USA, est resté longtemps méconnu. Son œuvre est importante par son graphisme ha­ churé (mais différent de celui des dessinateurs du CTNYNS comme H. Gray par un refus de l’expres­ sionnisme, à la recherche, au contraire, d’une clarté dans la tra­ dition de l’illustration), par ses compositions audacieuses des Sun­ day pages aux vignettes de formes et grandeurs diverses, par son per­ sonnage même de Connie, l’une des premières héroïnes à part entière (quand bien même regretterait-on son trop grand sérieux). Du temps du Ledger, d’autres strips distribués par ce syndicate furent remarqua­ bles par leur graphisme hachuré et il est probable que Godwin y colla­ bora parfois : « Babe Bunting » créé par Fanny Cory et poursuivi par Roy L. Williams, puis Kemp Star­ rett, une histoire d’orpheline, et « War on Crime », une série sur les grandes luttes du FBI, écrite par Rex Collier et dessinée anonyme­ ment par Kemp Starrett, puis Jimmy Thompson. Frank Godwin fut davantage célébré en Europe. Si son style hachuré s’est retrouvé sur­ tout chez certains cartoonists an­ glais (D. Wright, G. Stokes, H. Bis­ hop, T. Weare), son influence est restée plus discrète en France où il convient de relever, dans le Vaillant des années 50, «P’tit Joc» de An­ dré Joy (Gaudelette), bande inspi­ rée par « Rusty Riley » dans un style un brin plus académique, mais non sans mérite.

GOETZINGER Annie ) F

(1951-

Née à Paris, Annie Goetzinger a suivi les cours de l’Ecole supérieure des Arts appliqués (1967-1971), avec Georges Pichard comme pro­ fesseur. En fin d’études, elle ren­ contre Jacques Lob qui l’encourage à se présenter à Goscinny qui dirige alors Pilote. Ses premières planches seront publiées dans Lisette (1972), puis Pilote, où elle travaillera sur des scénarios signés Lob, François Truchaud et Dionnet. En 1974, on la retrouve dans Le Canard sauvage et elle dessine «Casque d’Or», vi­ sion personnelle de l’héroïne incar­ née au cinéma par Simone Signoret,

bande publiée dans Circus (1975). L’album (Hachette) lui vaudra un certain succès, à une époque où l’on commence à parler de bande dessi­ née féminine, et contribuera à orien­ ter toute sa carrière : elle illustre la vie de George Sand (Editions des Femmes), crée « Félina » sur un scé­ nario de Mora, dans Circus (1979) puis Pilote (1982). Entre-temps, Pierre Christin a écrit pour elle « La Demoiselle de la Légion d’hon­ neur », puis « La Diva et le Kriegspiel », deux grands romans en bande dessinée parus dans Pilote (1980 et 1981). De leur collaboration naîtra également « La Voyageuse de la Pe­ tite Ceinture» (1984). Un goût du romanesque, voire du feuilleton, une passion pour le style Art Nou­ veau, sont les deux pôles de l’uni­ vers de Annie Goetzinger, qui a si­ tué plusieurs de ses albums dans les années 1900. Son dessin minutieux manque peut-être de génie, mais elle a le mérite d’avoir créé d’inou­ bliables héroïnes, des créatures de chair frémissantes de passion, de vraies femmes bien vivantes, ni wonderwomen, ni poupées stéréoty­ pées. La séduisante Casque d’Or, la romanesque Félina, Aline la demoi­ selle de la Légion d’honneur à qui on a confisqué son destin de femme, l’éblouissante Diva qui sent son uni­ vers doré menacé par les bruits de bottes de la montée du nazisme... toutes sont des créations à part dans le monde de la bande dessinée. Aux deux dernières, l’intervention de Christin, les inscrivant dans un contexte social et historique, a donné une valeur exemplaire.

GOLDBERG Rube (1883-1970)

USA

Né le 4 juillet 1883 à San Francisco, Reuben Lucius Goldberg étudia à l’université de Californie. Diplômé de l’institut des mines en 1904, il travailla comme ingénieur pendant six mois, dessinant des plans d’égouts. Ayant déjà donné des des­ sins au magazine de l’université, il entre au San Francisco Chronicle et y publie des dessins sportifs. Il les poursuit au SF Bulletin où il suc­ cède à Tad Dorgan. En 1907, il crée pour la World Color Printing Co. de St. Louis sa première BD, « The Look-A-Like Boys », où paraissent pour la première fois ses deux pe­ tits jumeaux, plus ou moins clo­ chards, appelés ici Tom et Jerry, mais qui seront plus tard connus comme «Mike and Ike». La série prend fin en 1908, tandis que Gold­ berg, désormais installé à New York, collabore au NY Evening

Mail, de nouveau comme dessina­ teur sportif. En fait, dès cette épo­ que, Goldberg ne se cantonne pas au seul domaine du sport, mais commence la publication de diver­ ses séries qui seront reprises de temps à autre avec une périodicité irrégulière (il en existera près de soixante-dix, certaines d’existence très brève entre les années 10 et le début des années 40). Certaines sont des panels comme « Foolish Ques­ tions» (1907-1934) ou «Phoeney Films» (1914-1925), mais d’autres adoptent la forme du strip, soit avec de simples successions de vignettes sans véritable narration (ainsi, «Life’s Little Jokes», 1911-1935), soit en adoptant les principes du gag strip (ainsi, « I’m the Guy», 191134). C’est en 1914 qu’il crée ses cé­ lèbres « Inventions of Professor Lu­ cifer Gorgonzola Butts» dont les dernières paraîtront en 1964. Leur principe est de faire concourir, par un enchaînement causal très rigou­ reux, un ensemble d’objets hétéro­ clites et d’actions inattendues à la production d’un effet généralement très banal (en fait, il fut précédé en ce domaine par Clare V. Dwiggins, dans son panel dominical « School Days »). En 1915, il commença dans le NY Mail la publication d’un sunday page, « Boob McNutt » qui, en 1918, fut distribué par Hearst. Boob McNutt était un jeune homme lunaire, un malchanceux clownesque dans la tradition de Si­ mon Simple ou de Happy Hooli­ gan, qui fut lancé dans des aventu­ res de plus en plus burlesques et loufoques avec pirates, îles désertes, créatures fantastiques, inévitable sa­ vant fou et autres excentricités. Boob, entre-temps, était parvenu à épouser la femme de ses rêves, Pearl, en 1924. En 1927, il fut re­ joint par Ike et Mike, les deux ju­ meaux créés en 1907 et qui, en 1917, étaient déjà réapparus occa­ sionnellement dans quelques strips à gag. En 1934, «Boob McNutt» prit fin, ainsi que son top, « Bill », créé en 1926 et qui avait pour hé­ ros un adolescent sans grand relief. Indépendamment de son «Boob McNutt », Goldberg poursuivait ses strips ou panels quotidiens. En 1916-1917, intéressé par le dessin animé, il se lança dans la réalisation d’une série, « The Boob Weekly », qui se voulait une sorte de parodie des actualités cinématographiques. Il abandonna en raison du trop grand travail que cette entreprise exigeait. Il est impossible de citer alors tous les daily strips qu’il va publier tout au long des années 20, même les séries les plus suivies

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1979. Opcrj Mundi

L’une des mémorables inventions du Professeur But! (1928): un procédé pour ouvrir automatiquement une porte de garage! Le pare-choc (A) heurte le maillet (B), et, l’abaissant sur le pétard (C), provoque une explosion, ce qui effraie le lapin (D) qui se précipite vers son terrier (B), tirant la ficelle (F) liée à la gâchette du pistolet (G). La balle pénètre dans le récipient (ii) dont l’eau se met à couler goutte à goutte dans l’aquarium (I). Le niveau de l’eau monte dans l’aquarium et pousse vers le haut le bouchon flottant (J); la tige heurte la balançoire (K), fait perdre son équilibre à la mouche (L) qui tombe sur la queue du petit chien (M) qui se réveille et commence à agiter sa queue de droite à gauche, faisant peu à peu tourner la plate-forme (N), ce qui ouvre le robinet (O). L'eau qui se met à couler dans le tuyau (P) entraîne l’arroseuse (Q); autour d'elle s’enroule la corde (R) qui ouvre la porte du garage. Naturellement, si vous préférez, vous pouvez franchir la porte sans vous arrêter, ce qui éliminera définitivement le problème.

n’apparaissant pas de façon conti­ nue. Quelques-unes méritent d’être distinguées, comme «Soup and Fish» ou «Steve Himself», un fa­ mily strip paraissant périodique­ ment entre 1921 et 1930. Ces daily strips sont distribués par le McNaught Syndicate (à la création duquel Goldberg a contribué) et pu­ bliés dans la presse de Hearst. De 1927 à 1928, l’un d’eux, «Bobo Baxter », a cependant une réelle continuité et montre un burlesque émule de Lindbergh, volant sur une bicyclette aérienne et connaissant diverses aventures dans la plus pure veine « nonsensique ». Goldberg re­ tourne ensuite à ses daily strips au jour le jour, jusqu’en 1934 où, tou­ jours pour le McNaught, il change de style et tente un essai de soap opera des plus sérieux, « Doc Wright ». C’est un échec et, en 1936, il crée pour le Frank Marley Syndicate une nouvelle série (daily strip et Sunday page), « Lala Palooza» qu’il poursuit jusqu’en 1939. De 1939 à 1941, il publiera, distribuée par le Register and Tri­ bune Syndicate, une page domini­ cale, « Rube Goldberg’s Sideshow », comprenant divers titres, « Twisted Taies», série de vignettes sur un même thème, « Weekly Invention », et une seule véritable BD, «Brad and Dad». Ce sera sa dernière sé­

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rie. En fait, il est dès lors beaucoup plus intéressant par le dessin poli­ tique, devenant «éditorial Cartoo­ nist » du NY Sun (il aura le prix Pu­ litzer en 1948). Il fera aussi quelque temps des dessins publicitaires, créant notamment, au début des an­ nées 40, la série « Pepsi and Pete » pour Pepsi Cola. En 1946, il orga­ nise la National Cartoonists Society qui regroupe aujourd’hui près de 400 dessinateurs, tant dans le do­ maine des comic strips et des comic books que du dessin animé ou du dessin de presse. En 1964 il com­ mence sa production de sculptures qui occupera les dernières années de sa vie. Il meurt le 7 décembre 1970. Il fut également l’auteur d’un nombre im­ portant de livres, souvent d’inspi­ ration « nonsensique » (dont certains illustrés comme « Is There a Doctor in the House? ») et de nouvelles, non indignes de celles de Ring Lardner. En 1930, il écrivit le scé­ nario d’un film, «Soup to Nuts», de Benjamin Stoloff (un inventeur farfelu et une section de pompiers loufoques) avec deux des futurs «Three Stooges». Lui-même fut l’objet d’un court métrage, en 1938, de Leslie Roush, « Rube Goldberg’s Travelgab» (Paramount Paragra­ phes). Rube Goldberg a joué un rôle

considérable dans l’histoire du co­ mic strip américain. Paradoxale­ ment, il n’eut qu’une série de véri­ table longue durée, « Boob McNutt ». Mais il fut un maître du délire « nonsensique », un fabuleux inventeur d’expressions depuis lors restées dans la langue populaire américaine. Il fut également un sa­ tiriste aigu des mœurs quotidiennes. Enfin, il est un de ceux qui témoi­ gnent de l’enracinement de la BD dans la vie culturelle des USA. Il est aussi un exemple du hiatus sou­ vent manifeste entre la pratique réelle d’un artiste et ses idées géné­ rales sur l’art et la société. Ainsi ses premières séries d’inventions farfe­ lues attirèrent l’attention de Marcel Duchamp, alors fêté aux USA. Or Goldberg détesta toujours le da­ daïsme et le surréalisme (ses sculp­ tures sont tout ce qu’il y a de plus figuratif). Et ses dessins et bandes témoignent de tout ce que les car­ toonists underground lui doivent. Pourtant nul doute que ce vieux gentleman, qui n’a pu assister à l’es­ sor du mouvement des comix, n’y ait été profondément hostile. Il n’en reste pas moins que Rube Goldberg est de la même importance qu’un Herriman, qu’un Raymond ou un Will Eisner dans l’histoire de la bande américaine et, donc, dans l’histoire de la BD tout court.

GOLO (1948-

GOODWIN Archie )

F

Né le 26 août 1948 à Bayonne, Guy Nadeau, dit Golo, débute dans Best (1973) avec des bandes sur l’actua­ lité musicale. En 1975, il publie des planches dans la presse égyptienne. On en trouve des traces dans son court récit, « La Poursuite infer­ nale», paru (sous le pseudo de « Shéhérazade ») dans Charité men­ suel de mars 1978, suivi en juillet 1978 par la série « Ballades pour un voyou » sur un scénario de Frank (Frank Reichert, né en 1942). En­ semble, ils réalisent des récits complets dans Charlie, » Théo Ricin » (1979) dans Hara-Kiri, « Le Bonheur dans le crime » (1981) dans l’Echo des Savanes, puis, à partir de 1982, le cycle des « Noces d’Argot » dans le nouveau Charlie. Parallèle­ ment paraîtront de courts récits dans (A suivre), Pilote, Chic, Circus, Zoulou, Libération, L'Autre Journal, ainsi que dans la revue consacrée aux genres policiers, 813. Dans la mouvance du néo-polar, in­ tégrant références tant à la chanson qu’au parler populaire, Golo et Frank témoignent d’un souci de réa­ lisme sociale sur fond de dérives individuelles, de ratages et de malentendus qui se résolvent en drames promis à l’indifférence. A travers un récit élaboré, la noirceur de la vision est faussement tempé­ rée par un graphisme aux limites de la caricature. Entre prégnance du réel et apparente liberté des for­ mes, un jeu cruel s’instaure : une issue heureuse ne peut être qu’un leurre. A certains égards on rapprochera l’œuvre de Golo de celle de Farid Boudjellal (né à Toulon en 1953). Mais l’inspiration de ce dernier dif­ fère et son graphisme se veut plus stylisé. Boudjellal qui publia les « Dingues Digues » (1978) dans Circus, puis les «Soirées d’Abdulah» (1980) dans Charlie mensuel avant d’y faire dé­ buter 1’« Oud »(1981), depuis pour­ suivi en albums par Futuropolis, a également fondé avec José Jover et Roland Monpierre le collectif Anita Comix (qui publia dans Virgule et Pilote) et collabore avec Larbi Mechkour dans Rigolo, puis l’Echo des Savanes (1984). Son cycle de 1’« Oud », tout en reflétant le quoti­ dien de la génération beur, retrouve le souffle allié à l’invention narra­ tive des grandes sagas familiales à la Sydney Smith. Cette imbrication de la fantaisie dans un réel très précis est la mar­ que d’un authentique auteur qui n’a pas fini de surprendre.

(1937-

)

USA

Comme Harry Harrison, célèbre aujourd’hui comme auteur de science-fiction, Goodwin est un scénariste/écrivain qui fut d’abord des­ sinateur. Elève de la School of Visual Arts de 1956 à 1958, il commença sa carrière comme cartoonist free-lance et comme assis­ tant du directeur artistique de Redbook (1959-1965); dans le même temps, il commença à vendre ses nouvelles à des magazines et colla­ bora au strip « On Stage ». Toujours dans les comic strips, il devint en 1966 scénariste de «Secret Agent Corrigan» avec Al Williamson comme dessinateur, en 1967 celui de «Captain Kate». Dans le domaine des comic books, il est surtout connu comme editor, rôle qu’il tint épisodiquement chez Warren (1965-1970), National (1972-1974) et Marvel, passant, hors quelques périodes de stabilité, parfois seulement quelques mois d'affilée dans chaque firme. Chez Warren, c’est lui qui donna dès leur naissance à Creepy et Eerie leur ton propre, retrouvant le style des comics d’horreur de la EC qu’avait tués la censure en 1954, mais pro­ fitant du plus grand format et de l’impression en noir et blanc pour viser un public différent et théori­ quement plus adulte que celui des comic books habituels. Pour dessi­ ner les histoires à chute qu’il écri­ vait, semble-t-il, au fil de la plume, il fit appel aux anciens artistes de la EC, Frank Frazetta, Reed Crandall, John Severin, Johnny Craig, Al Williamson mais aussi à des des­ sinateurs de comic books comme Gene Colan et Steve Ditko. En 1968, sous le nom de Robert Franklin, il signa le scénario du seul et unique numéro de His Name Is Savage, le magazine de Gil Kane dont la violence apparemment gra­ tuite rappelait les films de Don Siegel et le personnage principal Lee Marvin, leur vedette. Comme scénariste de comic books, il collabora à « Flash Gordon » et « Secret Agent X9 » chez King Comics (1966-1967), à «Iron Man», «Captain Marvel», «Dracula», « Dr. Strange », « Fantastic Four »... chez Marvel, à « Batman » chez Na­ tional. Depuis 1974, il va d’une maison à l’autre et est même devenu le numéro deux de la Marvel der­ rière Stan Lee durant quelques mois. Peu intéressé par ces respon­ sabilités, il laisse la place à d’autres et se contente depuis de diriger la revue de luxe de la Marvel, Epie IIlustrated, et la ligne de comics qui

en est née en 1982 avec Dreadstar de Jim Starlin, Six From Sirius de Paul Gulacy, Alien Légion, Timespirits, Starstruck de Kaluta, Coyotte...

GOOSSENS Daniel (1955-

)

F

Est-il un éternel étudiant, bon gar­ çon s’endormant sur sa planche tan­ dis que ses parents regardent la télé (comme illustré sur la couverture de son album « Ga » chez Bédérama en 1980), ou bien un lutin au rire sa­ tanique élevé dans le giron de Gotlib comme tant d’autres dessinateurs/scénaristes révélés par Fluide glacial? L’histoire en jugera, mais ce que l’on sait de Goossens ne per­ met pas de trancher. D’un côté ma­ thématicien et informaticien, il pro­ duit par ailleurs et très réguliè­ rement des pages de BD hésitant entre le délire et le mauvais goût (opposé au « bon goût » ce n’est pas péjoratif) mais généralement hila­ rantes. Considéré comme l’un des nouveaux grands de l’humour en bande dessinée, il a d’abord colla­ boré à Pilote (1976), a travaillé à (A suivre) en 1978 et 1979, et à Rigolo, mais l’essentiel de sa carrière s’est déroulé dans Fluide glacial. Ses prin­ cipaux albums sont « Le Messie est revenu» (Audie, 1979), «La Vie d’Einstein» 1 et 2 (Audie, 1980 et 1983), « Le Romantisme est absolu » (Audie, 1981), «L’Esprit, le corps et la graine» (Audie, 1984) et « Laisse autant le vent emporter tout» (Humanoïdes, 1985).

GOSCINNY René (1926-1977)

F

Né à Paris, René Goscinny suivit ses parents, à l’âge de deux ans, en Argentine, où il vécut son enfance et son adolescence. Après d’infruc­ tueuses tentatives pour s’imposer comme dessinateur en Argentine, puis aux USA, où il travaille, en 1948, avec Harvey Kurtzman (c’est avec son aide qu’il publie quatre vo­ lumes illustrés pour enfants, les « brightbooks », à la couverture im­ primée sur papier d’aluminium) et l’équipe du futur magazine Mad, et rencontre Gillain et Morris, il se lance, en France et en Belgique, dans une carrière d’humoriste. Bien que ses illustrations ou ses bandes dessinées fassent l’objet de publica­ tions (« Dick Dicks », « Le Capitaine Bibobu»), c’est comme scénariste qu’il va très vite s’affirmer. Il col­ labore avec Franquin (« Modeste et Pompon »), Uderzo (« Benjamin et

121

1979. líjrsauJ

Astérix, promu au rang de super-star, en couverture Je ¡’Express (19 septembre 1966)

Benjamine», «Jehan Pistolet», et bientôt « Oumpah-pah »), Paape (« L’Oncle Paul » dans Spirou), Sempé («Le Petit Nicolas»), Mar­ tial («Sylvie», publié dans Bonnes Soirées), Hubinon (« Pistolin », créé pour la promotion du chocolat Pupier), Attanasio («Signor Spa­ ghetti »), Berck (« Strapontin »), Coq (« Professeur Gaudeamus » publié dans Jours de France), Tibet, Bob de Moor, Macherot, Maréchal... Avec Morris, passionné de western, il écrit, à partir de 1955, les aventu­ res de « Lucky Luke». En 1959, Goscinny supervise la création de Pilote, premier maga­

I.e Baron noir

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zine de bandes dessinées visant un autre public que celui des jeunes en­ fants, relevant d’une conception nouvelle du genre. Pour ce nouveau journal, il crée, avec Uderzo, «As­ térix» qui est appelé à connaître, à partir de 1965, un succès gigantes­ que, et qui valut à son auteur d’être fait, en 1967, chevalier des Arts et Lettres par André Malraux. En dehors d’une courte période de deux ans environ, consécutive au ra­ chat de Pilote par Dargaud, Goscinny continuera jusqu’en 1974 à mener de front des activités de ré­ dacteur en chef, découvreur de nou­ veaux talents, et de scénariste extrê­ mement prolifique. Pendant ces années, il a réussi à faire de Pilote le creuset où s’est élaborée toute la nouvelle bande dessinée de langue française, aidant de jeunes dessina­ teurs (Bretécher, Gotlib et bien d’autres) à prendre conscience d’eux-mêmes. En même temps, il écrit pour Tabary (« Valentin le Va­ gabond », puis le célèbre « Iznogoud » appelé à un grand avenir dans la presse périodique), Cabu («La potachologie», «Le potache est servi »), Gotlib (« Les Dingodossiers »). Après mai 68, il instaure les Actualités, pages hebdomadaires de commentaires et de critique sociale qui malheureusement n’iront jamais très loin, Goscinny ayant tenu à ce qu’elles restent strictement apoliti­ ques. Goscinny est également l’auteur de plusieurs dessins animés («Astérix le Gaulois», «Astérix et Cléopâ­ tre», «Lucky Luke», «Les Douze Travaux d’Astérix »), d’un scénario de film (« Le Viager »), d’émissions de radio et de télévision (dont les

« Minichroniques » où il a échoué à transposer l’esprit des « Dingodossiers »), d’enregistrements discogra­ phiques tirés de ses plus célèbres créations (« Astérix », « Oumpahpah », « Lucky Luke »), et de nom­ breux courts textes humoristiques, articles, nouvelles, etc. Même si chacune des bandes dont il fut le scénariste porte l’empreinte du dessinateur qui les a réalisées, il a su communiquer à toutes un hu­ mour percutant, sans violence ni amertume, prenant parfois un ton de fantaisie poétique, le plus sou­ vent lisible à différents niveaux (fai­ sant appel aux gags les plus simples, comme à des références culturelles plus recherchées); humour qui re­ pose souvent sur les situations, ne néglige pas de recourir aux jeux de mots (sauf dans « Lucky Luke », où Morris les refuse systématique­ ment), mais surtout se fonde en gé­ néral sur l’exploitation au second degré des vieux clichés véhiculés par la culture populaire. Et ce n’est pas un hasard si ses trois bandes dessinées les plus célèbres se situent dans des lieux, à des époques, ayant suscité une abondante mythologie : le Far-West («Lucky Luke»), la Gaule des manuels d’histoire (« As­ térix »), ou l’Orient exotique et mystérieux des Mille et Une Nuits et des sortilèges (« Les Aventures du Calife Haroun El Poussah » et le grand vizir « Iznogoud »).

GOT Yves (1939-

)

F

Né le 31 octobre 1939 à Cahors (Lot). De 1957 à 1959, il a suivi les

l'OSS. 1.linons .lu S.fun

cours de la Visual Arts School de New York où l’un de ses profes­ seurs fut Burne Hogarth. Ce n’est toutefois que huit ans plus tard qu’il se lance dans la carrière de dessina­ teur, ce qui explique sans doute qu'il ait pu éviter les tâtonnements et accéder d’emblée à une sorte de maturité. Il commence par publier quelques dessins et peintures dans Ilara-Ktri mensuel, puis ses deux premières bandes dessinées dans Le Miroir du Fantastique et Under­ ground n° 0. A partir de 1970, il fournit à Pilote des illustrations de dossiers dans un style réaliste et des bandes dans un style poéticofantastique. De 1974 à 1976, il col­ labore au Canard enchaîné. Enfin, en 1976, il crée avec René Pétillon «Le Baron noir» d’abord dans l’Echo des Savanes, puis, à partir de mars 1977, dans I.c Matin de Paris sous forme de strip quotidien. La collaboration de Pétillon au scéna­ rio a cessé depuis mars 1978. «Le Baron noir» est, comme «Pogo», une satire politique en forme de pa­ rabole animalière. Mais le style en est infiniment plus cru et outrancier. Son héros, un vautour aux sourcils épais et au sourire carnas­ sier, passe son temps à enlever des moutons que « protègent », au sens proxénète du terme, une armée de rhinocéros policiers. Les rhinocéros sont par ailleurs occupés à écraser un ennemi intérieur représenté par des fourmis (rouges bien entendu). Le désert du Baron noir est égale­ ment peuplé d’autruches, d’un élé­ phant et d’une tortue préoccupés par les problèmes des masses, d’un ours strabique et psychanalyste... A la fois politique et fantasmagori­ que, l’œuvre de Got est à mille lieues de la joliesse et de la mièvre­ rie. Des cieux d’un noir d’encre y pèsent sur des territoires inhospita­ liers, hantés de monstres gothiques. Le trait, volontiers agressif, et le rapport violent des masses d’ombre et de clarté contribuent à l’impres­ sion générale de menace et de bru­ talité. S’il fallait lui trouver des cor­ respondances, il faudrait les chercher du côté du grotesque hugolien ou des ébauches inspirées d’un Goya visionnaire.

GOTLIB Marcel (1934-

)

F

Marcel Gottlieb naît à Paris le 14 juillet 1934 de parents d’origine hongroise. Il suit quelque temps des cours de dessin publicitaire aux Arts appliqués, où son professeur est Georges Pichard. A vingt ans, il est engagé à Edi-Monde comme let-

(¡otlib, au

.1 de /’Echo des Savanes

treur. Entre 1959 et 1961, il illus­ tre, parfois avec l’aide de sa future épouse Claudie, des albums de co­ loriage et des contes pour enfants. En 1962, il entre à Paillant avec « Nanar », le petit garçon qu’il avait créé pour présenter les catalogues des Editions Lito. Dès le début, Na­ nar est accompagné du renard Ju­ jube. L’année suivante apparaît la petite Piette. Enfin, la série s’enri­ chit en 1964 de l’impassible GaiLuron, un chien qui rappelle un peu le Droopy de Tex Avery et dont le succès sera tel qu’il finira par éli­ miner Nanar et Piette de la bande (dix ans plus tard, Gotlib se livrera dans l’Echo des Savanes à une irré­ sistible et fort salace parodie de «Gai-Luron»). « Gai-Luron » sera repris en 1970 par Dufranne. En 1965, Gotlib fournit à Record des

histoires scientifico-satiriques où ap­ paraît l’explorateur Frédéric Rosebif dans lequel on peut voir l’ancê­ tre du Professeur Burp de la « Rubrique à Brac ». Toujours en 1965, il entre à Pilote avec les « Dingodossiers » (sur des scénarios de Goscinny) et surtout, à partir de 1968, avec la « Rubrique à Brac », idolâtrée par toute une gé­ nération d’étudiants. A Pilote, il des­ sine également « Superdupont » (sur un scénario de Lob) et écrit la série des « Clopinettes » pour Mandryka et, pour Alexis, les parodies littérai­ res et cinématographiques regrou­ pées plus tard sous le titre «Cinémastock ». En 1971, il crée dans Rock & Folk le personnage de « Hamster Jovial », boy-scout passablement débile en butte aux polissonneries d’une

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bande de gamins déchaînés. En 1972, Gotlib fonde avec Bretécher et Mandryka l’F.cho des Savanes où son goût de la psychanalyse se donne libre cours. Les planches de l’Fxho des Savanes sont des sortes de « Rubriques à Brac » iconoclastes et exacerbées, libérées des contraintes du bon goût et de la discrétion qui siéent aux publications enfantines. En 1975, Gotlib quitte l'Echo des Savanes et lance son propre journal, Fluide glacial, où il reprend en tant que scénariste le personnage de « Superdupont » dessiné par Alexis. Il crée également « Pervers Pépère », vieillard plus farceur que véritable­ ment cochon. Héritier de l’esprit Mad, Gotlib est le champion de ce que l’on pourrait appeler «l’humour juif parisien» (par référence à «l’humour juif new-yorkais »). Son dessin, à la fois réaliste et caricatural, est étonnam­ ment expressif. En outre, un second degré toujours présent fait que l’on tire encore plus de plaisir aux relec­ tures de ses bandes qu’à leur pre­ mière lecture, à cause de l’appari­ tion de personnages fétiches (Isaac Newton dans la « Rubrique à Brac ») ou du commentaire apporté par des petits personnages secondaires (la souris de « Gai-Luron », la cocci­ nelle de la « Rubrique à Brac »). Dans le domaine de la radio, Got-

lib a collaboré avec Goscinny, Gébé et Fred à l’émission d’Europe 1 « Le Feu de camp du dimanche matin » (1969-1970). Dans le domaine du ci­ néma, il a écrit avec Patrice Leconte le scénario du film réalisé par ce dernier « Les Vécés étaient fermés de l’intérieur» (1975) où l’on re­ trouve sous d’autres noms deux per­ sonnages célèbres de la « Rubrique à Brac», Bougret et Charolles.

GOÜLD Chester (1900-1985)

USA

Né le 20 novembre 1900 à Pawnee dans l’Oklahoma, Chester Gould poursuivit ses études tout en sui­ vant les cours par correspondance de la W. L. Evans School of Car­ tooning et en collaborant au Tulsa Democrat, puis, comme dessinateur sportif, à [’Oklahoma City Daily Oklahoman. De 1921 à 1923, il ter­ mine des études commerciales à la North-Western University de Chi­ cago. Pendant un an il travaillera successivement dans la quasi-totalité des journaux de cette ville avant d’être engagé par la Chicago Ameri­ can que possédait Hearst. En 1924, il y crée son premier strip « The Ra­ dio Lanes» consacré aux événe­ ments locaux, bientôt remplacé par « Fillum Fables », une parodie gen­

tille des films de l’époque qu’il poursuivit jusqu’en 1929, y intro­ duisant à partir de 1927 de fré­ quents thèmes policiers burlesques. Après un passage au Chicago Dailv News, il propose sa bande « Plain­ clothes Tracy » au directeur du Chi­ cago Tribune, le Captain Patterson, qui l’accepte mais la fait retitrer « Dick Tracy » («Dick», diminutif de Richard, signifiant aussi en ar­ got : détective). Parue d’abord sous forme de Sunday page le 4 octobre 1931, elle commença à paraître quo­ tidiennement une semaine plus tard, le 12 octobre. Indépendants, au début, des daily strips, les Sun­ day pages furent un temps accompa­ gnés d’une bande complémentaire «Cigarette Sadie », un girl strip humoristico-mélancolique sur une jeune vendeuse de cigarettes. Premier strip policier réaliste à être publié, « Dick Tracy » n’a jamais été vraiment égalé. Avec son impres­ sionnante galerie de criminels monstrueux et grotesques, dont les noms reflètent le physique, son style expressionniste (l’un des som­ mets du noir et blanc dans la BD), son graphisme où s’équilibrent par­ faitement éléments réalistes et traits caricaturaux, ses constructions nar­ ratives complexes qui intègrent de multiples actions finalement convergentes, ce strip, qui ne s’est

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Dick Tracy

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jamais caché de défendre « l’ordre et la loi », reste aussi hors du commun par sa violence souvent extrême mais jamais gratuite. Il y eut long­ temps dans « Dick Tracy » un côté documentaire qui, à partir surtout des années 50, dut s’accommoder de l’apparition de divers gadgets scien­ tifiques. Ceux-ci, quoique Gould s’en soit défendu, contribuèrent à donner à la série une légère teinte de science-fiction, encore plus affir­ mée à partir de 1964 avec l’appari­ tion d’habitants de la Lune. Gould sut cependant préserver l’humanité de ses principaux personnages, en­ tourant Tracy de toute une équipe et le faisant même épouser en 1949 sa fiancée depuis l’origine, Tess Trueheart. En 1977, Gould cessa de dessiner. I.e romancier Max CLollins écrivit les scénarios et son assistant Dick Eletcher dessina la bande, remplacé depuis par Dick I.ocher. Chester Gould est mort le 11 mai 1985. Parmi les assistants de Gould, deux méritent une mention spéciale dans la mesure où ils firent passer un peu du style de ce dernier dans leurs propres créations. Dick Moores, qui seconda Gould de 1932 à 1936, créa «Jim Hardy» en mai 1936 pour l’l'ES et fit de son héros (un ancien

forçat) un redresseur de torts. Jour­ naliste, Jim Hardy agissait plutôt dans le cadre des petites villes et on n’v trouve pas la poésie urbaine de « Dick Tracy ». Retitrée « Windy & Padles », la bande donna la vedette à un cow-boy et son cheval de course et se termina en 1942. As­ sez. curieusement, c’est un sort quel­ que peu analogue que connut « In­ visible Scarlet O’Neil» de Russel Stamm. Celui-ci avait succédé à Moores auprès de Gould et créa son strip en 1940 pour le Chicago Ti­ mes Synd. Sa rousse héroïne avait le pouvoir de se rendre invisible. Si les enquêtes évoluèrent du mélo à l’humour, les décors étaient, au dé­ part, très «Tracy». A partir de 1949, avec « Scarlet and Chips », la série s’inspira à son tour d’une to­ nalité « western » qui se précisa avec la venue du Texan Stainless Steel en 1952. Ce cow-boy non dénué d’humour finit par donner son nom à la série qui, néanmoins, disparut en 1956.

GRAY Clarence (1902-1957) USA Né en 1902 à Toledo (Ohio), Cla­ rence Gray suivit des cours d’art et fut très tôt engagé au Toledo News-

Bee où il fit des dessins politiques et sportifs. Il collabora à de nom­ breux magazines. En 1933, Hearst l’engagea et en août débuta le daily strip d’une nouvelle série «Brick Bradford», distribuée par l’un des syndicates de Hearst, la Central Press Association (absorbée ensuite par le KFS) qui fournissait les jour­ naux des petites villes. Un Sunday page s’y ajouta en mai 1934, qui eut, un court moment, en 1935, un top, « The Time Top». Ces séries étaient écrites par William Ritt (1901-1972) qui était un admirateur d’Abraham Merritt et d’E. R. Bur­ roughs. Ritt imagina des scénarios qui utilisèrent aussi bien les thèmes traditionnels du roman d’aventures que la science-fiction. Brick Brad­ ford voyagea dans le passé, le futur, l’infiniment petit, le centre de la terre ou dans des contrées oubliées peuplées de Vikings, d’incas ou de pirates. The Time Top (la Chronosphère) qui fut bientôt partie inté­ grante de sa série lui permit de voyager à différentes époques. Le graphisme de Gray fut toujours simple, efficace, rapide et plaisant, un mélange d’élégance et de dyna­ misme au service de la seule narra­ tion dont il mettait en valeur les mystérieuses atmosphères. Quant

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Ritt abandonna la série en 19481949, Gray continua seul, mais laissa le daily strip à Paul Norris en 1952. Celui-ci reprit également le sunday page en 1957, après la mort de Clarence Gray survenue le 7 jan­ vier 1957. Norris accentua l’aspect science-fiction de la série, avec un graphisme lourd et pesant, et en est toujours le responsable actuel, bien éloigné de la poésie et de l’esprit de joyeuse aventure du tandem GrayRitt. En 1948, la Columbia produi­ sit un sérial de quinze épisodes, di­ rigés par S.G. Bennet et Thomas Carr, sur « Brick Bradford » (« Luc Bradefer» en France).

GRAY Harold. Voir ORPHE­ LINES, WESTERN, DESSIN ANIMÉ.

Green Lantern. Voir adams Neal, ANDERSON Murphy, FOX Gardner, GIORDANO Richard, INFANTINO Carmine, KANE Gil, NATIONAL PERIODICAL PUBLICA­ TIONS, SCHWARTZ Julius, TOTH Alexander, WRIGHTSON Bernard.

Achille Talon

1979.

GREG (1931-

)

B

Né le 5 mai 1931 à Ixelles, faubourg de Bruxelles (nom réel Michel Ré­ gnier). A seize ans, il publie dans le quotidien belge Vers ¡’Avenir sa pre­ mière bande dessinée, « Les Aven­ tures de Nestor et Boniface ». Deux ans plus tard, il entre en contact

126

avec les Editions Dupuis, qui l’adressent à Franquin dont il de­ vient l’élève. A partir de 1953, il commence à publier dans Heroic Al­ bums les aventures d’un détectivejusticier, «Le Chat». A cette épo­ que, il utilise le pseudonyme de Mi­ chel Denys qu’il abandonnera bien­ tôt pour celui de Greg. En 1954, il édite son propre journal, Paddy, un bimensuel qui ne durera que quel­ ques numéros. On y trouvait, à côté de Greg, Tillieux et Mittéi, « Henry » de Cari Anderson et « Steve Canyon » de Milton CanifF. A partir de 1956, il travaille sur les bandes maison de l’international Press : « Fifi et ses amis » (reprise de Hubinon), « Fleurette », « Bronco et Pepito », « Toutsy », « Luc Junior » (reprise de Sirius qui avait lui-même repris la bande d’Uderzo et Goscinny). En 1957, il entre à Tintin, d’abord comme scénariste, puis à partir de 1960 comme dessinateur. Comme scénariste, sa production est énorme. Pour Tintin, il a collaboré entre autres avec Tibet («Chick Bill», «Mouminet»), Franquin et Attanasio (« Modeste et Pompon »),

Macherot et Dupa («Chlo­ rophylle »), Hermann (« Bernard Prince», «Comanche»), Jo-El Azara, Turk et De Groot («Clif­ ton»), Cuvelier (« Corentin », « Flamme d’argent », « Line »), Ma­ réchal («Prudence Petitpas»), Vance («Bruno Brazil»), Paape (« Luc Orient », « Tommy Banco »), Aidans (« Les Panthères »), Derib

(«Go West »), Dany («Olivier Ra­ meau »), Fahrer (« Cobalt »), Auclair («Les Naufragés d’Arroyoka »), Mittéi (« Rouly-la-Brise »).... Greg a également écrit le scénario de cer­ tains épisodes de «Tiger Joe» réa­ lisés par Gérald Forton, les scéna­ rios de plusieurs « Spirou et Fantasio» dessinés par Franquin pour Spirou et de « Frère Boudin », illustré par Claude Marin. Par ail­ leurs, Greg a entièrement réalisé un certain nombre de bandes dans Tin­ tin (« Rock Derby », « Babiole et Zou», «Broussaille et Bolivar», « Constant Souci » et « Zig et Puce » qu’il reprend d’Alain Saint-Ogan en 1963), Vaillant/Pif (« Les As»), Le Nouvel Adam (« Tagadobudoirement vôtre »), L’Illustré du Diman­ che (« Haineux Gordien ») et, bien entendu, sa création la plus célèbre «Achille Talon» dont la brillante carrière a débuté à Pilote en novem­ bre 1963. Avec « Achille Talon », Greg donne libre cours à son penchant pour l’éloquence sans frein et le calem­ bour sans garde-fou. Achille Talon, aussi enflé que les bulles qui por­ tent sa pensée, glose et pérore en compagnie de son papa buveur de bière, de la distinguée Virgule de Guillemet ou de l’avare commerçant Vincent Pourcent ; avec son redoutable voisin Hilarion Lefuneste, nous avons les Bouvard et Pécuchet d’un univers tout entier voué au slapstick. Achille Talon fut d’abord la vedette de gags en deux pages, puis, après la transformation de Pilote en mensuel, le héros d’his­ toires à suivre parues en prépubli­ cation dans Le Parisien libéré et un certain nombre de journaux de pro­ vince. La plupart du temps, le dé­ cor et le lettrage des bulles sont l’œuvre de Dupa. Les aventures d’Achille Talon ont fourni la ma­ tière d’une vingtaine d’albums dont le tirage fait de notre héros la troi­ sième star de la bande dessinée franco-belge après Astérix et Lucky Luke. Il eut en 1976 son propre journal, Achille Talon Magazine, qui ne dura qu’une demi-douzaine de numéros. Les activités de Greg ne s’arrêtent pas là. Outre la rédaction en chef de Tintin (de 1965 à 1974) et une participation au conseil de rédaction de Pilote depuis 1975, il a également collaboré aux scénarios, dialogues et adaptations du « Mystère de la Toi­ son d’Or », du « Temple du Soleil » et du « Lac aux Requins ». En 1978, il a écrit pour la télévision suisse treize épisodes d’un feuilleton po­ licier destiné aux enfants, «L’Agence Labricole». Un pareil palmarès se passe de

commentaires. Si l’on ajoute que Greg, à la tête de son « Studio » de Bruxelles, a contribué à former une partie des collaborateurs de Tintin (De Groot, Dupa, Hermann, Danv...), on comprendra son impor­ tance dans l’histoire de la bande des­ sinée. Auteur prolixe, capable de fournir à la demande scénarios de fiction, bandes réalistes ou comi­ ques, ou de sauver miraculeusement une série en perdition, il est le champion du langage amphigouri­ que, et toujours renouvelé, du gag sans prétention.

GROSS Milt (1895-1953)

USA

Né dans le Bronx à New York, en 1895, Milton Gross abandonna ses études secondaires et fit divers mé­ tiers avant de devenir coursier au NY American. Ses talents de dessi­ nateur remarqués, il passa au quo­ tidien frère, le NY Journal, où il as­ sista bien vite Tad Dorgan et put créer son premier strip, une satire des sportifs fanatiques, « Phool Phan Phables ». C’était en 1915, et divers strips ou panels suivirent comme « Izzy Human », « Amateur Night », « Sportograms », « Kinney B. Alive », «And Then The Fun Began » (panel poursuivi par Wal­ ter Berndt) et, en 1917, «Harry Peck, A Happy Married Man». Gross quitta alors le Journal et fit quelques films d’animation aux Bray Studios. Il partit combattre en France et, à son retour, après un bref daily strip, « Frenchy », de nou­ veau pour la presse de Hearst, il ga­ gna le iVÏ World où il commença, en 1921, sa série «Banana Oil» (sans personnages permanents) ainsi que le panel « Help Wanted». Il se rendit surtout célèbre par sa rubri­ que «Gross Exaggerations» qu’il accompagnait d’illustrations et dans laquelle il narrait les démêlés de quelques familles juives s’exprimant dans un mélange d’anglais et de yid­ dish, qui devint vite populaire. Il en tira un livre, « Nize Baby », en 1926, et, l'année suivante, l’adapta en Sun­ day page sous le même titre et en daily strip, d’abord nommé «The Feitlebaum Family », puis retitré « I.ooy Dot Dope» (poursuivi par Johnny Devlin, puis Bernard Dib­ ble, pour l’L’FS, jusque dans les an­ nées 40). Gross joignit « Banana Oil» comme top à «Nize Baby», mais arrêta ce dernier en 1929 et le remplaça par « Count Screwloose of Tooloose», un fou qui s’échappait continuellement de l’asile de Nuttycrest, mais effrayé par l’absurdité du monde extérieur, s’empressait d’y

retourner. En 1930, Gross publie directement en volume « He Done Her Wrong», une longue bande muette sans le moindre signe typo­ graphique, parodie de mélo, avec un graphisme dépouillé sans décors, et de nombreux rebondissements. Avec la disparition du World en 1931, Gross rejoint le KFS. Il amène « Screwloose », mais sup­ prime « Banana Oil » qu’il remplace brièvement par « Babbing Brooks ». Bientôt, « Screwloose » devint sim­ ple top d’un nouveau Sunday page, « Dave’s Delicatessen » qui paraîtra également en daily strip et qui est centré sur un épicier et ses aventu­ res burlesques (son chien, un dalmatien, aura droit brièvement à un daily strip, en 1933, « The Spotted Wonder»). En 1934, Screwloose re­ joint Dave dans son strip et connaî­ tra avec lui diverses aventures à Hollywood ou même à la Légion Etrangère, si bien qu’en 1935, « Dave’s Delicatessen » est retitré « Count Screwloose » (le daily strip a été supprimé). Lui succèdent comme top, d’abord « Otto and

Blotto» (deux pingouins), puis « That’s My Pop », qui par la suite occupera une demi-page, tandis que Gross créera, à côté de «Screwloose », un panel : « Grossly Xaggerated ». « Screwloose » durera jusqu’en 1945, depuis longtemps repris par des ghosts, notamment Bob Dunn dans les années 30. Gross dans les années 40 poursuivra diverses acti­ vités, et fera même quelques comic books, Picture News en 1946, « Pete the Pooch » et « The Kiddy Katty Körner» pour ACG, en 1948, mais, malade, s’arrêtera. Il mourut le 28 novembre 1953. Il fut également l’auteur d’un grand nombre de li­ vres et participa à divers scénarios de films, travaillant notamment avec Charlie Chaplin pour « Le Cir­ que». Ces activités multiples, ce bouillonnement, se retrouvent dans son œuvre de cartoonist, non seu­ lement à travers son graphisme ner­ veux, mais aussi en raison de son inspiration nourrie de slapstick, de nonsense, et d’humour juif. De tous les cartoonists de son époque, ex­

127

cepté peut-être Goldberg, il est ce­ lui qui, dans la BD, représente le mieux l’équivalent de ce que fai­ saient les Marx Brothers au cinéma.

GÜLACY Paul (

)

USA

Il ne serait sans doute jamais de­ venu dessinateur de comic books s’il avait continué à ne lire que les ban­ des de guerre de Joe Kubert pu­ bliées par la National. La lecture était formatrice, riche en découver­ tes techniques et graphiques, mais il fallut celle de «Nick Fury Agent ofShield», de Jim Steranko, pour que le déclic se fasse. Gulacy trouva là son idéal et sa vocation, allant jusqu’à recopier des planches entiè­ res pour mieux en saisir la concep­ tion, redécoupant et redessinant toute une histoire comme exercice destiné à obtenir une bourse qui lui permit de continuer à étudier le des­ sin. C’est après avoir fait la connais­ sance de Val Mayerick et de Dan

128

Adkins qu’il envoya, sur les conseils de ce dernier, une histoire en six pages à la Marvel Comics. L’his­ toire acceptée par Roy Thomas, il se vit ensuite confier des travaux d’encreur sur Morbius et Daredevil, puis un comic book, The Hands of Shang-Chi Master of Kung Fu dont il fit les crayonnés et parfois l’encrage, laissant cependant sou­ vent ce dernier travail à Dan Adkins ou Jack Abel. Dans Master of Kung Fu, le gra­ phisme de Gulacy et les scénarios de Doug Moench se conjuguèrent pour donner une suite à l’œuvre de Steranko. Les sujets étaient diffé­ rents, Nick Fury avait été un espion dérivé de James Bond, Shang-Chi fut avant tout une reproduction fidèle de Bruce Lee, mais il fut aussi le fils de Fu Manchu et ses aventu­ res retrouvèrent l’atmosphère des romans de Sax Rohmer, avec cepen­ dant un contexte réactualisé, espions, femmes fatales aux longues robes moulantes, organisations secrètes et technologiquement avan­ cées... un milieu fait de mystères et

de périls que n’aurait pas renié Nick Fury. Et le découpage, la mise en page, le traitement des ombres, des visages et des silhouettes furent si proches de ceux de Steranko que le lecteur pouvait s’attendre à chaque planche à voir surgir les héros de celui-ci. Master of Kung Fu devint rapide­ ment l’un des illustrés les plus ven­ dus de la Marvel, sans avoir aucun rapport avec la production habi­ tuelle de cette firme et alors même que la mode des arts martiaux com­ mençait déjà à décliner aux USA. Depuis, Paul Gulacy s’est consacré à d’autres projets. Il a publié, sur un scénario de Don McGregor, un album intitulé « Sabre », dont le héros noir vit sur une terre future où le culte du passé, corsaires et armes blanches, fait un curieux mélange avec des décors surchargés d’appareillages compliqués. Pour Epie Comics, ligne d’illustrés de luxe de la Marvel, il a réalisé en 1984 une série de science-fiction, Six From Sirius.

HAMLIN Vincent T. (1900-

)

USA

Vincent T. Hamlin est né en 1900 à Perry dans l’Iowa. Engagé à dixsept ans, il combattit en France et revint à Perry en 1918. Après des études de journalisme à l’université du Missouri, il travailla dans divers journaux de Des Moines, puis fut photographe, reporter et cartoonist dans la presse texane. En 1927, il devint dessinateur pour des compa­ gnies pétrolières et se passionna dès lors pour la géologie et surtout la paléontologie. Il réalisa des projets de comic strips sur le thème de la préhistoire, mais revint pourtant au journalisme. En 1933, pour la NEA, il créa « Alley Oop », un daily strip auquel il ajouta un Sunday page l’année suivante. Sorte de Po­ peye à tête gorillesque, Alley Oop en compagnie de son dinosaure Dizzie connaissait des aventures burles­ ques au royaume de Moo, sous le règne contesté (par son épouse et par son grand sorcier) du roi Guzzle. A partir de 1939, la ma­ chine temporelle du professeur Wonmug le transporta à différentes époques, souvent en compagnie de sa jolie et brune fiancée Oola, les mêlant aux événements historiques les plus divers. Hamlin poursuivit jusqu’en 1971 cette série réalisée ac­ tuellement par son ancien assistant David Graue. Bande drôle, graphiquement soi­ gnée, innovatrice même dans le dé­ coupage des Sunday pages, « Alley Oop » ne fut pas la seule à s’inspi­ rer de la préhistoire dans les années 30. Vers 1935, F.M. de Ripperda créa pour le KFS « Peebles the Stone Age Kid », série au dessin fort maladroit en dépit d’assez bons gags visuels et qui transposait la vie mo­ derne à l’époque des cavernes comme le fera à partir de 1960 « The Flintstones », un family strip néolithique réalisé pour le McNaught Syndicate par Gene Ha-

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zelton d’après les dessins animés de Hanna et Barbera. D’une plus grande durée fut « Peter Piltdown », une sorte de kid strip de l’âge de pierre, créé en 1935 par Mal Eaton pour le Herald Tribune Syndicate et retitré « Pookie » dans les années 40 tandis qu’Eaton reprenait des thèmes voisins dans un autre strip, « Tizzy ». C’est d’ailleurs le Herald Tribune qui, en 1958, donna de la préhistoire une vision plus sophis­ tiquée avec « B.C. » de Johnny Hart. Et tout récemment, en 1977, « Stanley» de Murray Bail (Universal Press Syndicate) vient de confirmer que, pour le comic strip, préhistoire et actualité n’ont cessé de s’interpé­ nétrer.

HAMPSON Frank (1918-1985)

GB

En 1932, petit employé des postes âgé de quatorze ans, Hampson commença à publier des dessins hu­ moristiques dans Meccano Maga­ zine. Puis, ayant suivi des cours du soir de dessin, il donna tout natu­ rellement ses premières tentatives dans le domaine de la bande dessi­ née à Thc Post, magazine de la poste anglaise. Mais ce n’est qu’après la guerre et après d’autres études qu’il devint véritablement un professionnel de la bande dessinée et de l’édition. En 1950, avec le révérend Marcus Morris, il lança l’hebdomadaire pour adolescents Eagle qui devait devenir le modèle du Pilote français. Pour Eagle, Hampson dessina de nombreuses bandes, mais la plus cé­ lèbre fut « Dan Dare Pilot of the Fu­ ture» qui assura le succès de la revue. Dan Dare qui faillit être aumônier plutôt que pilote du futur, fut l’in­ carnation de tous les vieux rêves d’hégémonie maritime de l’Angle­ terre, le marin/aventurier, idéal d’un peuple obsédé par la qualité

d’île de son territoire. Peut-être estce pour cela qu’au contraire des hé­ ros des comic strips et des comic books américains, plus universels pour la plupart, il ne parvint jamais à être mondialement célèbre. Ses aventures furent publiées dans Eagle jusqu’en 1969, date de la dis­ parition de la revue, mais, durant les dernières années, les éditeurs n’avaient fait que se contenter de rééditions ou de décalques d’anciens épisodes, et magazine et héros per­ dirent de leur charme et leur public. Créateur de « Dan Dare » et son principal illustrateur, travaillant avec un studio important, Frank Hampson signa parfois Hampson et Harley, ou ne signa pas la bande de­ venue œuvre collective. En décem­ bre 1952, il fut remplacé pour quel­ que temps par Harold Johns. Puis, à partir de 1960, Eagle ayant été ra­ cheté par Odham Press, M. Morris et Frank Hampson quittèrent leur héros et leur magazine, et « Dan Dare» fut dessiné par Frank Bel­ lamy, puis Don Harley et Bruce Cornwell, Keith Watson, Brian Le­ wis et de nouveau Bellamy (1967). Depuis 1960, Hampson a fait de l’illustration de livres pour enfants et est devenu professeur dans un collège anglais, mais son nom reste attaché dans l’esprit du public à ceux de Dan Dare et de Eagle. Il meurt le 8 juillet 1985.

HARMAN Fred (1902-1982)

(ISA

Né le 9 février 1902 à St. Joseph (Missouri), Fred Harman passa son enfance à Pagoosa Spring dans le ranch familial. En 1915, il ga­ gna Kansas City où, en 1920, il commença une carrière de cartoonist au Star avant de se tourner un court moment vers le film d’anima­ tion publicitaire pour la Kansas City Film and Co. où il eut notam­ ment pour partenaires Walt Disney

et Ub Iwerks. Après une dizaine d’années d’activités diverses, il ga­ gna Hollywood et commença à pro­ duire des BD. La première fut pro­ bablement « Bosko », d’après le dessin animé (un simili-Mickey) que son frère Hugh réalisait, avec Ru­ dolf Ising, à la Warner. En 1934, il créa « Bronc Peeler », son premier western qu’il situa, d’abord, dans les années 30, lui faisant perdre pro­ gressivement son caractère contem­ porain et y introduisant même, à la fin, une diligence. Bronc Peeler était un jeune cow-boy à la crinière rousse (tout comme Harman), flan­ qué d’un faire-valoir moustachu et hâbleur, Coyote Pete. Le sunday page était agrémenté d’un panel « On the Range », accompagné de commentaires de Fred Harman. Celui-ci distribuait lui-même sa bande qui ne connut jamais un grand succès; aussi, en 1938, décida-t-il de produire un western plus traditionnel, avec un héros d’âge plus mûr, que la NEA ac­ cepta. Ce fut « Red Ryder» dont l’action se passait à la fin du XIX' siècle, dans un Ouest pacifié, mais encore troublé par divers hors-la-loi. La bande débuta en novembre 1938 et, à partir de 1940, Harman la réa­ lisa depuis son ranch de Pagoosa Spring. Il créa le personnage de Little Beaver (Petit Castor), un or­ phelin Navajo, adopté par Red Ryder, qui apporta une note d’hu­ mour dans le strip (Harman, pour­ tant ami des Indiens, n’échappa pas cependant à tout stéréotype en le créant). En fait, Harman eut parfois des ghosts. Jim Gary, John Wade Hampton, Edmond Good travaillè­ rent aussi sur la bande. A la fin des années 40, la série fut distribuée par le McNaught Syndicate. En 1960, Harman se retira et la bande fut réa­ lisée par Bob MacLeod qui la cosi­ gna, à partir de 1963, et y mit un terme en 1966 (le KFS assure la dis­ tribution des anciennes bandes réa­ lisées pour le McNaught). Harman se consacra, désormais, à la peinture, notamment de l’Ouest. En fait, c’est surtout cet élément, ainsi que ses scénarios, qui déjà ren­ daient intéressant «Red Ryder». L’Ouest d’Harman n’est pas celui des grandes étendues, mais des pe­ tites vallées et des zones monta­ gneuses. Il fut surtout à l’aise dans les scènes d’action et dans la présen­ tation de paysages pris dans leur en­ semble. Il est moins doué pour les plans rapprochés, et son sens de l’anatomie peut parfois paraître curieux. Cependant son style ner­ veux, haché, avec ce qu’il pouvait avoir de « mal léché », s’adapte par­ faitement à l’inspiration «western»

1979, Fields Newspaper Syndicarc

OVER HERE WE ARE

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HOW ARE THINGS OVER 1PERE ?

de la bande. Sa popularité en Eu­ rope lui a permis de faire école. Jijé, assurément, a subi l’influence de Fred Harman, et tout le western « franco-belge » lui doit quelque chose. « Red Ryder » eut droit à son comic book, mais les aventures y furent réalisées par des tâcherons. Un frère de Fred Harman y publia une bande intitulée «Kiyote Kids». « Red Ryder » fut adapté en films, de 1940 à 1950 (34 épisodes; Don Barry, Allan Lane, Jim Bannon se succédèrent dans le rôle de Red Ryder).

HART Johnny (1931-

)

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Né le 18 février 1931 à Endicott, N.Y., Johnny Hart, après sa scola­ rité, rejoignit en 1950 l’Air Force et participa à la guerre de Corée. Il eut, en cette occasion, la possibilité de dessiner dans le Pacifie Stars and Stripes. Rendu à la vie civile en 1953, il se maria et commença, l’an­ née suivante, sa carrière de cartoo­ nist en collaborant à divers maga­ zines dont le Saturday Evening Post, Collier’s, etc., et en travaillant au dé­ partement artistique de la General Electric. En 1958, il crée, pour le New York Herald Tribune Synd. (depuis fondu dans l’actuel Field Newspaper Synd.), le strip « B.C. » (Before Christ) qui met en scène di­ vers hommes préhistoriques et au­ tres partenaires. En 1964, il colla­ bore, en tant que scénariste, avec le cartoonist Brant Parker et pour réa­ liser un autre strip, « Wizard of Id », qui est également un grand succès. « B.C. », qu’il dessine lui-même et écrit avec l’aide d’un collaborateur, Jack Caprio, introduisit une petite révolution dans le monde du comic strip, même si « Peanuts » avait déjà préparé les esprits. Hart a introduit un graphisme extrêmement simpli­ fié, tout en créant un univers des plus incertains, où des hommes des

cavernes fort individualisés côtoient des dinosaures pacifistes, des ser­ pents philosophes, des fourmis à problèmes, des fourmiliers qui n’en sont pas exempts non plus, et bien d’autres protagonistes parmi les­ quels des fleurs ou des pierres fort loquaces. Qu’il y ait là une satire de notre univers, cela ne fait aucun doute, mais la bande reste aussi dans la grande tradition de l’absurde et du nonsense. L’humour sophis­ tiqué de Hart est à l’origine de mul­ tiples créations plus récentes; luimême cependant doit être replacé dans une lignée qui comprend Herriman ou Jack Kent. Le mérite de Hart est surtout d’être allé encore plus loin dans le dépouillement tant graphique que narratif, recherchant systématiquement une certaine abs­ traction qui accompagnait les œu­ vres de ses prédécesseurs plus qu’elle n’en était la substance. Tan­ dis que Schulz s’installait à l’inté­ rieur d’un genre « classique », le kid strip, Hart s’est donné la possibilité d’imaginer un véritable univers à la manière d’un Herriman ou d’un Al Capp, c’est en cela que « B.C. » peut passer, sinon pour la première bande «intellectuelle», du moins pour la première du genre qui en ait véritablement exprimé tous les as­ pects.

HERGÉ (1907-1983)

B

Georges Remi (= R.G. = Hergé) naît à Etterbeek près de Bruxelles le 22 mai 1907. En 1924, membre des Scouts catholiques belges, il commence à dessiner (sans avoir ja­ mais suivi de cours) dans leur or­ gane Le Boy-Scout Belge, d’abord sous son nom, puis, au bout de quelques mois, sous le pseudonyme d’Hergé. Il y crée, en 1926, le per­ sonnage de «Totor, C.P. des Han­ netons », dans lequel certains ont vu l’ancêtre de Tintin. Après son service militaire, Hergé

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entre au Vingtième Siècle dans les dé­ partements abonnements et photo­ graphie. En 1928, il est chargé d’il­ lustrer la page hebdomadaire destinée aux enfants, Le Petit Ving­ tième. Après les malhabiles « Aven­ tures de Flup, Nénesse, Poucette et Cochonnet », il y crée le 10 janvier 1929 « Tintin au pays des Soviets ». Suivront « Tintin au Congo » (19301931), « Tintin en Amérique» (1931-1932), en Orient (ou « Les Ci­ gares du Pharaon» en 1932-1934), en Extrême-Orient (ou « Le Lotus bleu» en 1934-1935), chez les Arumbayas (ou « L’Oreille cassée » en 1935-1937), «Le Mystère de l’avion gris» (ou «L’Ile noire» en 1937- 1938), «Tintín en Syldavie» (ou « Le Sceptre d’Ottokar » en 1938- 1939), enfin « Tintin au pays

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de l’or noir » (1939), interrompu par l’invasion allemande. Le Vingtième Siècle ayant cessé de paraître, Hergé trouve du travail au Soir et fait dé­ buter dans son supplément hebdo­ madaire Le Soir-Jeunesse « Le Crabe aux pinces d’or» (1940-1941) qui, après la disparition du Soir-Jeunesse, se poursuit en bandes quotidiennes dans Le Soir, tout comme « L’Etoile mystérieuse »(1941-1942), « Le Se­ cret de la Licorne» (1942-1943), « Le Trésor de Rackham le Rouge » (1943) et « Les Sept Boules de cris­ tal » qui débute en décembre 1943 et est interrompu en septembre 1944 par la Libération. Accusé d’avoir prêté son concours à un journal collaborateur, Hergé est condamné au silence pendant deux ans.

Il refait surface en 1946 avec la créa­ tion de l’hebdomadaire l'inrin où paraîtront « Le Temple du Soleil » (1946-1948), «L’Or noir» (19481950), « Objectif Lune » et «On a marché sur la Lune» (1950-195 3), «L’Affaire Tournesol» (19541956), «Coke en Stock» (19561958) , «Tintin au Tibet» (19581959) , «Les Bijoux de la Castafiore » (1961-1962), « Vol 714 pour Sydney » (1966-1967) et « Tintin et les Picaros » (1975-1976). Avec son mélange d’aventure, de mystère et d’humour, ses royaumes de fantaisie et ses allusions aux réa­ lités politiques, sa galerie de person­ nages pittoresques (le chien Milou, les policiers Dupond/t, le Profes­ seur Tournesol, la redoutable Castafiore et l’impérissable Capitaine

Haddock, grand amateur de whisky et d’injures homériques) qui entou­ rent un héros plus neutre, voire quelque peu falot, le monde d’Hergé était de nature à toucher, selon la formule consacrée, « les jeu­ nes de 7 à 77 ans ». Mais à la liberté graphique des premières histoires, succède dès 1934, avec «I.e Lotus bleu», ce souci d’exactitude et de précision documentaire qui va faire basculer l’œuvre hergéenne dans le mimétisme référentiel. Cette tendance s’accentue à partir de 1945-1946 lorsque Hergé colla­ bore désormais avec 13.P. Jacobs (sous le pseudonyme commun de Olav, ils envisagent quelques pro­ jets de bandes et conçoivent le synopsis de «Tom Colby», pre­ mière œuvre de Paul Cuvelier qui paraîtra en album en 1947). En 1950, il fonde les Studios Hergé auxquels participe Bob De Moor, rejoint par d’autres dont Jacques Martin et Roger I.eloup. Entre au­ tres tâches, ces studios redessine­ ront en les « modernisant » un cer­ tain nombre d’épisodes plus anciens de «Tintin». Avec eux (mais déjà dès la création de l’hebdo Tintin) s'impose le concept d’« Ecole de Bruxelles ». Hergé cependant n'avait pas tout abdiqué en faveur du seul «Tin­ tin». Dans I.e Petit Vingtième, il avait imaginé dès 19 30 les deux ga­ mins bruxellois « Quick et Elupke », œuvre plus burlesque où il n’hésite pas à jouer avec les codes mêmes de ¡a bande dessinée, l’n intermède plus puéril dans le supplément de I.a Meuse, « Tom et Millie » (1933), sera transformé en « Popol et Vir­ ginie au pays des Lapinos» (1934) dans I.e Petit Vingtième. Et c’est dans l’hebdo catholique français Cœurs Vaillants qu’il crée en 1936 « Les Aventures de Jo et Zette », un garçonnet et une fillette qui forment une sorte de Tintin dédoublé, tan­ dis que le singe Jocko remplace Milou. Près tôt, un style hergéen se ré­ pand. Ainsi Evanv (Eugène Van Nijverseel) donne en 1930 une suite à « Totor » dans le Bov-Scout Belge («Les Mémoires de Totor»), puis publie dans Petits Belges « Zim et Boum» (1931) et «La Momie nu­ méro 1 3 » ( 1936), tandis que Jijé y sera également l’auteur de bandes encore très hergéennes. Autre imi­ tateur, mais moins doué, E. Gianolla publiera « Ered, Mile et Bob », en fait reprise d’une bande commen­ cée par Hergé en 1931 dans l’hebdo catholique belge Mon Avenir. D’au­ tres Belges, tel Christo (notamment «Les Aventures de Domino» en 1945 dans le quotidien La Cité Nou­

velle), feront de l’hergéisme plus ou moins maîtrisé. La presse catholique française n’est pas en reste. En 1942, dans Cœurs Vaillants, Trucy commet un her­ géen « Daniel enfant du cirque », mais la tendance se précise après la Libération. De 1945 à 1955, Frédéric-Antonin Brevsse publiera dans Cœurs Vaillants «Oscar Ha­ mel » tandis que dans Fripounct et

Marisette, René Bonnet (Herboné) animera de 1945 à 1968 les aventu­ res de « Fripounet et Marisette » (elles seront reprises dans un style différent en 1984 par Roland Gremet sur un scénario de D. Convard, alias Grégory). De son côté François Bel sera l’auteur de « Phil et Jordi » (1956) dans Cœurs Vaillants, puis de « Pat et Moune » dans Ames Vaillan­ tes. Un parfum d’authentiques

1< j.iMertti.in

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aventures, une combinaison plus ou moins heureuse de caricature et de réalisme, rendent attachants ces ré­ cits dégoulinants de bons senti­ ments, mais imprégnés de l’esprit de «Tintin» et de «Jo et Zette». Influencé lui-même par Gus Bofa, Saint-Ogan, Pinchon et George McManus, Hergé devint donc ini­ tiateur d’un style qui inspirera aussi bien ses proches (De Moor, Jacobs, Martin) et ses voisins (Vandersteen) que ceux qui simplement le prirent comme modèle (Bonnet, Bel ou même Jean Ache avec ses « Nie et Mino» dans Mickey de 1958 à 1966). A cette tradition caractérisée par une extrême lisibilité vient se greffer dans les années 70 une ten­ dance, souvent issue de l’under­ ground ou marquée par lui, qui à son tour fait école. Swarte utilisa l’expression « Klare Lijn » (ligne claire) pour définir le graphisme hergéen. En fait la ligne claire (qui englobe une pluralité d’inspirations où l’avant-gardisme a pu côtoyer de plus simples nostalgies) innova sur­ tout en faisant du style le vrai contenu des bandes. Pure entreprise de simulation, elle n’eut plus le souci d’exprimer le réel, mais pro­ céda à la mise en circuit d’un en­ semble de signes qui ne renvoyaient qu’à eux-mêmes, la bande dessinée s'exhibant comme telle ou se faisant son propre référent. Swarte, Kiki Picasso, Ever Meulen, Benoît, les frères Floch/Floc’h, Torres ont pu de manières diverses incarner cette tendance. La notion de « ligne claire », débor­ dant celle d’« Ecole de Bruxelles», reste ambiguë. Ce « retour » à Hergé a conduit divers dessinateurs à adopter ce style tout en se préoc­ cupant de nouveau d’une narration plus traditionnelle, même lorsqu’ils en renversent certains stéréotypes. En témoignent ainsi Savard avec son «Dick Hérisson» (1983) et D. Rousseau avec «Condor» (1983) sur un scénario de Autheman (qui en dessina le premier épisode, « Es­ cale à Nacaro », dans un style tout à fait différent), tous deux dans Charlie mensuel. C’est également le cas de Jean-Louis Tripp (né en 1958) qui crée en 1983, aux éditions Milan, le personnage de Jacques Gallard, ou de Alain Goffin (né en 1956) qui crée en 1981 dans (A sui­ vre) son jeune héros « Thierry Laudacieux » (sc. François Rivière). Même si, dans ces deux cas, narra­ tion traditionnelle et jeux référen­ tiels sont davantage imbriqués, ces séries (et le terme ici est significa­ tif) s’inscrivent dans un courant néo-hergéen qui utilise un gra­ phisme plus qu’il ne tente de le ré­

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fléchir. Cette « innocence » devient plus évidente chez des auteurs qui visent un plus jeune public comme les Hollandais Dick Briel (né en 1950), dessinant dans Eppo à partir de 1979 les aventures du «Profes­ seur Lapalme», ou Jan Vervoort avec ses néo-Jo et Zette : « Maxime et Lisa ». Ici la filiation est presque directe avec 1’« Ecole de Bruxelles ». Plus personnelle en est la vision qu’en donne Yvan Pommaux avec sa « Marion Duval » (1982) dans Astrapi. Un tel héritage, si hétérogène, donne la mesure de l’importance d’Hergé dans l’histoire des créations européennes. Encore ne faut-il pas non plus la surestimer. Ainsi Swarte doit plus à McManus ou John Held Jr., tandis qu’Ever Meulen est sur­ tout un admirateur de Chic Young. Les jeux d’influences sont souvent plus complexes qu’un franco-belgocentrisme naïf ne conduit à le sup­ poser. Hergé n’en demeure pas moins l’un des créateurs essentiels qui ont influencé durablement la bande dessinée. Il est mort dans la nuit du 3 au 4 mars 1983, laissant en chantier un nouvel épisode de «Tintin», «Tintin et l’Alph’Art». Dans cette fin-oméga sous le signe de l’Art, il était permis de voir comme un ultime hommage.

poursuivra cette série historique, avec le scénariste initial Jean-Luc Vernal, dérivant peu à peu vers le fantastique et ponant la bande à son sommet. A partir de 1969, Greg et Hermann allaient collaborer sur une autre sé­ rie pour Tintin, «Comanche», un western flamboyant, à l’écriture so­ lide, qui allait devenir au fil des ans le seul contrepoint dans le genre aux « Aventures de Blueberry » de Gi­ raud et Charlier. En 1979, l’abandon de «Bernard Prince » permit à Hermann de s’es­ sayer à la science-fiction et cette fois sur ses propres scénarios. « La Nuit des rapaces», premier épisode de « Jeremiah», description d’une Terre postatomique retournée à la sauvagerie et parsemée d’îlots aux micro-cultures folles, allait plus loin dans la violence que « Comanche », pourtant influencé par le western italien, et fut publié dans Super-As et plus naturellement dans Métal hurlant. Continuant ses expérimen­ tations, Hermann devait encore commencer en 1980, dans Spirou, une jolie série inspirée de « Little Nemo in Slumberland », avec « Hé Nie ? Tu rêves ». Plus récemment il a rejoint Bourgeon et Juillard parmi les grands auteurs de séries histori­ ques avec «Les Tours de Bois Maury » dans Circus puis Vécu.

HERMANN (HÜPPEN Hermann) (1939) B

(1880-1944)

Parmi les grands dessinateurs des années 70-80, Hermann est l’un des seuls à s’être attaché à perpétuer des séries d’aventure, digne héritier en cela des Jijé, Paape, Hubinon et au­ tres piliers de Spirou, Tintin et Pilote (l’hebdo). Comme eux il s’est, en maintenant près de vingt ans, exercé à tous les genres et à tous les styles, de l’aventure historique à la science-fiction, du réalisme cinéma­ tographique à la fantaisie parodi­ que. Il y eut d’abord à partir de 1967 et pour treize albums «Ber­ nard Prince», jeune premier aux cheveux blancs parcourant le monde à bord de son bateau, le Cor­ moran, accompagné d’un équipage haut en couleur. Au fil des histoires le graphisme de­ vait s’affirmer jusqu’à l’abandon de la série au profit de Dany, en 1980, et toujours avec Greg comme scé­ nariste. Toujours en 1967 et tou­ jours dans Tintin, Hermann lance une autre série, «Jugurtha», qu’il n’illustrera que sur deux épisodes, « Le Lionceau des sables » et « Le Casque celtibère ». C’est Franz qui

HERRIMAN George USA

Né le 22 octobre 1880 à La Nouvelle-Orléans, George Herri­ man s’installa à Los Angeles avec sa famille qu’il quitta très tôt, deve­ nant coursier au Los Angeles Herald. Après avoir vendu quelques dessins à divers magazines comme Judge et Life, il partit, âgé de vingt ans, pour New York où il fut engagé dans l’équipe de cartoonists du NY World, en 1901, sans cependant pouvoir y créer de véritables BD. En 1903, il publie sa première et fort éphémère série « Lariat Pete » pour le McClure Syndicate (un cow-boy de retour dans l’Est ra­ contait ses exploits dans le vieil Ouest). Après un passage au AT Journal de Hearst où, notamment, il sera parfois le « ghost » de Tad Dorgan, il collabora, en 1905, avec la World Color Printing Co. de St. Louis qui fournissait des Sunday pages à différents journaux. Il y créa de nombreuses séries comme « Grandma’s Girl », « Bruno and Pietro», «Handy Andy», «Bud Smith », « Rosy-Posy Mama’s Girl », «Alexander the Cat», « Butch Smith, the Boy Who Does

Stunts » et « Major Ozone, Fresh Air Crusade » (satire d’un pionnier de l’écologie). Souvent ces séries se confondaient et beaucoup d’entre elles furent poursuivies par d’autres cartoonists tels que John Gruelle, Clarence Rigby, George Frink et W.H. Wellington. En 1907, de re­ tour au NY Journal, il créa un daily strip, «Baron Mooch», suivi, en 1909, par « Mary’s Home from Col­ lege». En 1910, Herriman publie «The Dingbat Family», un mo­ ment retitré «The Family Ups­ tairs », qui se terminera en 1916. Ce family strip n’était pas encombré de querelles conjugales, mais les situa­ tions bizarres y abondaient et Her­ riman y expérimentait ses jeux avec les codes de la BD. Très vite un chat, un chien, puis une souris y ap­ parurent, d’abord dans une minus­ cule bande située sous les aventu­ res des Dingbats, restant en relation avec eux. En 1913, ils eurent droit à un strip totalement indépendant : « Krazy Kat » auquel un Sunday page fut ajouté en 1916. Tout en poursuivant le daily strip de « Krazy Kat », Herriman remplaça, en 1916, les Dingbats par un autre daily strip, « Baron Bean », un perpétuel et chaplinesque bonhomme désar­ genté, souvent amoureux et tou­ jours élégamment débrouillard. En janvier 1919, Herriman le remplaça par une reprise de « Mary’s Home » rapidement suivie par «Now Lis­ ten, Mabel », une love story ironi­ que. En 1922, Herriman produisit un autre daily strip, «Stumble Inn », sur les tenanciers d’un hôtel miteux et leurs étranges clients, qui prit fin en 1925. En 1926, il créa également un bref Sunday page, «Us Husbands» (sur les querelles de ménage) accompagné d’un top, « Mistakes Will Happen ». Se concen­ trant ensuite sur « Krazy Kat », il ne devait plus publier à la fin des an­ nées 20 qu’un daily panel « Embar­ rassing Moments », retitré, au début des années 30, « Bernie Burns» du nom du personnage permanent. Herriman dessina également des illustrations pour les poèmes « nonsensiques » de Don Marquis «Archie and Mehitabel » et fut, un moment, le ghost de Bud Fisher sur «Mutt and Jeff». Il mourut le 26 avril 1944 à Los Angeles. Sans conteste, le chef-d’œuvre d’Herriman reste « Krazy Kat ». Si les premiers strips s’apparentaient à la tradition du «slapstick», la bande évolua vite vers l’étrange et le surréel en raison des rapports curieux entre les personnages, le chien Offisa Pupp protégeant et ai­ mant secrètement la chatte Krazy

(son sexe ne fut jamais, il est vrai, précisé clairement) qui ne songeait 3u’au souriceau Ignatz Mouse qui, e son côté, lui envoyait immanqua­ blement une brique sur la tête, preuve évidente d’hostilité que la chatte interprétait néanmoins de façon positive. Bien d’autres per­ sonnages apparaissaient dans les paysages désertiques du comté de Coconino, contrée onirique parse­ mée d’objets incertains et chan­ geants. Une logique de l’absurde y règne qui ne saurait étonner ses habitants habitués aux dialogues « nonsensiques ». Surtout Herriman, dans ses sunday pages, sut jouer avec les principes, les codes et la matière même de la BD, non seulement esthétiquement en variant la composition des plan­ ches et la surface des vignettes, mais surtout en mettant sur le même plan support (le papier), matière (l’encre), conventions graphiques et contenu (l’histoire). Tout devient eflet de surface. Herriman pousse à l’extrême ce que McCay avait déjà expérimenté. Après lui la BD n’avait pratique­ ment plus rien à inventer. « Krazy Kat » n’eut jamais un grand succès populaire, mais fut la première bande à être vraiment appréciée par les intellectuels. Se vendant peu (trente-cinq journaux), elle dut à ¡’admiration de Hearst d’être pour­ suivie jusqu’à la mort de son créa­ teur en 1944. Elle fut alors abandonnée. En 1926, «Krazy Kat» fournit le prétexte d’un ballet. Dès 1916 le strip fut adapté en dessins animés sous la supervision de Herriman. D’autres séries produites par Paramount (fin des années 20) et Char­ les Mintz pour la Columbia (années 30) n’eurent plus de rapport, excepté le titre, avec l’œuvre de Herriman. Par contre les séries TV (1963) tentèrent de renouer avec ¡’esprit original. En BD, Herriman ne fut pas oublié. Si des comic strips comme « King Aroo » de Jack Kent ou « Odd Bodkins » de Dan O’Neil lui sont peu ou prou redevables, on trouve aussi beaucoup de lui chez James Frankfort (cartoonist du Village Voice), Massimo Mattioli («M. le Magi­ cien » dans Pif) et dans le « Concombre Masqué » de Mandryka. Mais il faut surtout noter la recréa­ tion méticuleuse et néanmoins per­ sonnelle de l’univers herrimanien par Bobby London dans «Dirty Duck» (1971). L’underground ne pouvait que se sentir à l’aise dans ¡es étendues mystérieuses du comté de Coconino.

HERSHFIELD Harry (1885-1974)

USA

Né à Cedar Rapids (Iowa) le 13 oc­ tobre 1885, de parents émigrés de Russie, Harry Hershfield travailla pour le Chicago Daily News dès 1899 comme illustrateur tout en créant sa première bande, « Home­ less Hector » (sur un chien perdu), puis rejoignit en 1907 le San Fran­ cisco Chronicle, y faisant des croquis dans la page des spectacles. Il ga­ gna, en ¡909, le Chicago Examiner, où il créa son second strip, « Rub­ ber, the Canine Cop». En 1910, pour le NY Journal, il produit, en­ fin, son premier strip célèbre, « Des­ perate Desmond», satire des mélo­ drames cinématographiques avec méchant en chapeau haut de forme, innocente héroïne et chevalier ser­ vant toujours prêt à la sauver. En 1913, «Dauntless Durham of the USA» lui succéda sur un modèle identique. Hershfield y poursuivit ses expériences narratives, créant un véritable suspense d’un jour à l’au­ tre et introduisant des personnages politiques de temps à autre, comme îe président Wilson. En 1914, il fit paraître « Abie the Agent », un strip sur la vie d’un marchand de voitu­ res, à la fois centré sur son activité professionnelle et sur sa vie la plus quotidienne. Ce fut probablement aussi le premier strip à mettre en va­ leur un milieu essentiellement ur­ bain, et plus précisément les diffé­ rents aspects d’une grande ville. Abie lui-même évolua, se maria, de­ vint propriétaire d’un cinéma. Sur­ tout le strip fit place à l’humour juif, Hershfield introduisant des ex­ pressions yiddish dans le vocabulaire d’Abie, et le rendant ainsi par­ ticulièrement populaire (en fait, c’est dès «Desperate Desmond» que Hershfield s’était amusé à in­ troduire quelques mots de yiddish dans les propos d’un chef cannibale, nommé « Gomgatz »). Au début des années 30, HershfieÎd fut en désac­ cord avec le KFS. Le KFS garda les droits sur la bande, mais Hershfield, propriétaire des personnages, reprit ¡a série brièvement au NV Herald Tribune sous le titre de « Meyer the Buyer» tout en créant un sunday page, « According to Hoyle », sur un vieux couple de New-Yorkais. En 1935, Hershfield retourna au KFS pour reprendre « Abie the Agent » resté sans dessinateur. Auparavant, de 1928 à 1930, il était revenu, comme scénariste, à la parodie des vieux mélos en créant, pour le des­ sinateur Darrell McClure (plus tard responsable de « Little Annie Roo­ ney»), «Vanilla and the Villains», puis « Hard-Hearted Hicky », où il

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put donner toute la variété de son esprit « nonsensique » et de son goût de l’invraisemblable. Ayant mis un terme, en 1940, à sa carrière d’au­ teur de BD en cessant «Abie the Agent », il continua une carrière fort riche d’activités multiples, déjà en­ tamée dans les années 30 où il s’oc­ cupa un moment d’animation à la MGM et tint une rubrique dans le NYDaily Mirror. Il fit ensuite une carrière à la radio, à la télévision, écrivit des livres et devint une per­ sonnalité new-yorkaise des plus ré­ putées. Il mourut à New York le 17 décembre 1974.

Un personnage de Henri de Sta

HISTOIRES EN IMAGES France Loin de se limiter aux seuls Chris­ tophe, Rabier, Pinchon et Forton, les débuts de la bande dessinée fran­ çaise se lisent au fil des pages de nombreux illustrés et journaux

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amusants aux dessinateurs multi­ ples et diversement talentueux. Si les images d’Epinal fournirent un modèle vieillot que le conformisme des éditeurs continua d’imposer, en­ core faut-il noter que l’imagerie Pel­ lerin avait su évoluer et que dès la fin du XIXe siècle bon nombre de planches, rompant avec les thèmes historiques ou moralisateurs, repo­ saient sur des intrigues humoristi­ ques illustrées par des auteurs comme B. Rabier, O’Galop, B. Mo­ loch, H. de Sta, G. Angéli, G. Lion, A. Blondeau, etc. Mais, dans la presse (La Caricature, Le Figaro, Le

Chronique amusante

Journal, Gil Bios, etc.), le premier genre à succès fut celui de l’histoire sans paroles auquel se consacrèrent notamment Caran d’Ache (Emma­ nuel Poiré), Crafty, Théophile Steinlen ou Adolphe-Léon Willette. Fondé en 1882, ¡’hebdomadaire Le Chat noir accorda une place nota­ ble à de telles histoires et, de Caran d’Ache à Henri de Sta ou B. Rabier,

divers auteurs susmentionnés y col­ laborèrent. On en retrouve égale­ ment un bon nombre, ou d’autres comme Tybalt, dans La Chronique amusante, créée en 1886 pour ne disparaître qu’en 1912. Ici, seuls régnent les dessinateurs et cette feuille va faire la jonction entre la « préhistoire » précédente et la floraison des publications du début du XXe siècle. Si elle n’est guère graphiquement novatrice, tout en présentant des histoires aussi bien muettes que légendées, La Chronique amusante, par ses thèmes et son prix élevé, met en évidence l’existence à cette épo­ que d’un lectorat strictement « adulte ». Que les histoires en images ne soient pas l’apanage du seul public enfantin, d’autres signes en témoi­ gnent. Ainsi en trouve-t-on quelques-unes dans la presse humo­ ristique (Le Rire, Le Pêle-Mêle, Le Journal amusant, etc.), familiale comme Mon Dimanche ou spéciali­ sée comme Le Journal des Voyages où publie notamment Albert Robida. Significatives sont les évolu­ tions parallèles et rivales de L’Illus­ tré national ( 1898) et du Petit Illustré amusant (1898) qui accordent une place croissante aux histoires en images tout en servant de supplé­ ments dominicaux à de nombreux quotidiens de province. On y verra notamment Emile Cohl, A. Blon­ deau, Dandurand, O’Galop, Ph. Norwins, G. Lion, Tybait, Landelle, G. Ri (Victor Mousselet), Préjelan ou Thomen. La trop facile osmose avec la presse «pour la jeunesse» empêcha-t-elle le développement d’une authenti­ que création «adulte»? Le fait est que les journaux « pour la famille » s’adressèrent principalement aux enfants et qu’un phénomène sem­ blable à l’exemple américain, un moment pourtant envisageable, n’eut pas de véritable lendemain. Les publications « pour la jeunesse » et/ou « pour la famille » seront nom­ breuses ainsi que leurs éditeurs. Parmi ces derniers, Offenstadt, Tal­ landier, Rueff, Fayard ou même Geffroy se signalèrent par la diver­ sité des titres (passant parfois de l’un à l’autre d’entre eux). On signa­ lera aussi Albin Michel avec Le Bon Point amusant (1911), La Librairie Mondiale avec l’éphémère American Illustré ( 1907) ou, cas plus par­ ticuliers, Gautier-Languereau et sa plus bourgeoise Semaine de Suzette (1905) et La Bonne Presse avec son catholique Echo du Noël (1906) — que remplacera Bayard en 1936 — et Bernadette (1914) identique alors par le contenu imagé. Ici une poli-

tique éditoriale est plus sensible. A I.a Semaine de Suzette, Pinchon et Henri Morin (« Nane »), à La Bonne Presse, Hérouard, Carrier, Colette Pattinger ou Eugène Damblans (qui, à partir de 1919, créera ses ro­ mans en images, ultérieurement dits « cinématiques ») font plus ou moins bande à part. Mais ailleurs, surtout avant 1914, les dessinateurs produi­ sent volontiers tous azimuts. Parmi les titres Offenstadt (environ une quinzaine), on retiendra L’Illustré (1904) devenu Le Petit Illustré (1906), L’Epatant (1908), Fillette (1909), L’Intrépide (1910), Le CriCri (1911) ou I.tli (1919). Aux des­ sinateurs déjà cités, ou répertoriés dans d’autres notices (Le Rallie, Giffey, etc.), on ajoutera A. Vallet, A. Galland, E. Nicolson, Marcel Capv, H. Steimer, Louis Valvérane, Raymond Tournon, Paul d’Espagnat, Moriss, Albert Lanmour (A. Mourlan, futur réalisateur de dessins animés), Rose Candide, Sel­ lier, Thélem ou Georges Omry (1880-1914), l’un des initiateurs du récit historico-légendaire dans la presse Fayard comme La Jeunesse illustrée (1903) et Les Belles Images (1904). Cette tradition de l’histoire en images, qui s’enrichit dans les années 20 des titres des Editions du Petit Echo de la Mode, Guignol (1920), Lisette (1921) et Pierrot (1925), permit à quelques dessi­

nateurs remarquables de s’expri­ mer. De quelques-uns subsistent seulement des pseudonymes, d’au­ tres purent poursuivre une car­ rière « phylactérisée ». Beaucoup connurent très tôt les bandes amé­ ricaines et seuls les ukases bornés des éditeurs les empêchèrent d’en adopter les principes. Pourtant on ne saurait minimiser non plus les défauts de trop de ces œuvres (sens défaillant de la narration, surabon­ dance d’enjolivements décoratifs, humour trivial ou moralisme niais, etc). Cette période, encore mal connue, reste riche néanmoins de graphistes à redécouvrir, mais révèle plus encore l’existence d’une amorce de production non spécifiquement enfantine. Probablement eût-il fallu une rupture plus immédiate d’avec l’antique modèle spinalien pour qu’une véritable bande dessinée « adulte » puisse dès ce moment avoir* ses chances. Cette tradition de l’histoire imagée sera illustrée d’une façon différente (écriture manuscrite tout au long des dessins) par le peintre Jean de Brunhoff (1899-1937) qui crée le petit éléphant habillé de vert « Babar » en 1931 dans Jardin des Mo­ des, repris en une série d’albums (1931-1941), tandis que son fils Laurent (né en 1925) poursuivra la série jusqu’en 1981.

HOGARTH Burne (1911-

)

USA

Né le 25 décembre 1911 à Chicago, Burne Hogarth étudia l’histoire de l’art et l’anthropologie au Crane College, à la Northwestern Univer­ sity de Chicago et à la Columbia University. Il acquit également la pratique du dessin à 1’Art Institute de Chicago. Dès l’âge de quinze ans, il devint assistant à l’Associated Editors Syndicate tout en pour­ suivant ses études et, l’année sui­ vante, il illustra un panel « Famous Churches of the World » et deux sé­ ries sportives. En 1929, il créa son premier comic strip « Ivy Hemman­ haw » pour Bonnet-Brown Co, sans grand succès, et, en 1930, il publia la série « Odd Occupations and Strange Accidents» pour Leeds Features. Il enseigne, en 1933, le dessin dans le cadre d’un pro­ gramme social du New Deal, puis s’établit à New York où il devient brièvement assistant de Lyman Young sur «Tim Tyler ». Il fait quelques décors pour des dessins animés et travaille dans le dessin pu­ blicitaire, lorsqu’en 1935, le scéna­ riste Charles Driscoll lui demande de prendre la succession du dessi­ nateur Montfort Amory sur la sé­ rie « Pieces of Eight » (McNaught), une bande sur la mer et les pirates. En 1936, après que l’UFS eut ac­

137

cepté une de ses bandes, « Bonny Old Day », également une série d’aventures maritimes, Hogarth fut vite amené à prendre la succession de Foster sur «Tarzan». Sa pre­ mière planche paraît en mai 1937. Après avoir respecté le style de Fos­ ter, Hogarth va vite imposer son propre graphisme baroque, expres­ sionniste, nourri de son admiration tant pour les grands peintres euro­ péens que pour les arts de la Chine et du Japon. Chaque vignette de­ vient le lieu de compositions raffi­ nées où se répondent le mouvement des corps, le surgissement des raci­ nes et des feuillages et le balance­ ment des lianes. Jusqu’en 1945, Ho­ garth réalisera quinze épisodes (succédant à Foster dans le premier, et laissant la fin du dernier à Ru­ ben Moreira), tous en sunday pages. En 1947, il reprend la série et réa­ lisera encore six épisodes (ainsi qu’une aventure en daily strip, avec la collaboration de Dan Barry, en 1947) jusqu’en 1950 où il aban­ donne le dernier épisode à Bob Lubbers. En désaccord avec l’UFS, il réalise, de novembre 1945 à dé­ cembre 1946, un nouveau sunday page, pour le NY Post Synd. de Ro­ bert Hall, « Drago », une bande tout aussi baroque sur un jeune gaucho argentin en lutte contre des nazis en quête de revanche. De retour à l’L’FS en 1947, en même temps qu’il y reprend « Tarzan », Hogarth crée un autre sunday page, « Mira­ cle Jones», qui ne durera que jusqu’en novembre 1948. Cette sé­ rie sur un petit personnage pusilla­ nime, anti-Tarzan par excellence,

Modesty Biaise, en pleine action

138

qui rêve sa vie sans parvenir à vi­ vre ses rêves, est assez curieuse comme mélange de réalisme et de caricature. Mais Hogarth ne parut jamais très à l’aise dans ce style hybride, l’ensemble du graphisme se caractérisant par une vulgarité as­ sez décevante en dépit du dyna­ misme du dessin. Après 1950, Hogarth va surtout se consacrer à la School of Visual Arts qu’il a fondée avec Silas Rhodes en 1947. Cette école est devenue pro­ gressivement un centre important où se sont formés des dessinateurs comme Wallace Wood, Al William­ son, Gil Kane, Russ Manning, etc. Peintre et graveur, Hogarth a éga­ lement publié trois ouvrages d’en­ seignement, « Dynamic Anatomy », «Drawing the Human Head» et « Dynamic Figure Drawing » pour les Watson-Guptill Publications. Ayant quitté la direction de son école en 1970, Hogarth a dessiné en 1972, pour une publication direc­ tement en album, de nouveau, « Tarzan », dans une nouvelle adap­ tation de la nouvelle de E.R. Bur­ roughs, « Tarzan of the Apes ». Pu­ blié par Watson-Guptill, le livre a pu décevoir notamment à cause de couleurs quelque peu fades. En 1976, un second album en noir et blanc, «Jungle Tales of Tarzan », toujours d’après E.R. Burroughs, semble devoir être son adieu à Tar­ zan. Plus proches du maniérisme que du pur baroque, les dessins de cet album sont assurément super­ bes, même si leur luxuriance les sur­ charge quelquefois. Quitte à scan­ daliser certains fidèles, avouons que

certaines planches ont tendance à se dégrader en rococo, au moins bon sens du terme. Ge fut là, d’ailleurs, le danger qui menaça toujours l’art de Burne Hogarth et explique, en partie, qu’il n’ait jamais été reconnu aux USA comme il l’a été en Eu­ rope. Comme l’écrivait le critique Ron Goulart (in « The Adventurous Decade ») : «Tout le monde est large d’épaules dans la jungle d’Ho­ garth, même les écolières. » Juge­ ment certes excessif, mais qui a sa part de vérité. Ces quelques réser-' ves ne doivent pas faire oublier l’es­ sentiel. Hogarth a su adapter ses qualités d’illustrateur aux exigences narratives de la bande dessinée. Ce qui aurait pu être un handicap est devenu chez lui une force, et lui a permis d’imposer un style où l’es­ thétique se confond avec le récit, chaque image contribuant à pro­ duire le sens et non pas seulement à le représenter, alors que chez la plupart l’image vaut en tant que prise dans une succession d’autres vignettes, le sens naissant du décou­ page. Probablement, l’essence de la BD est-elle là plus que chez Ho­ garth. Ce dernier n’ignore pas les découpages savants ou cinématogra­ phiques, mais son art est ailleurs. C’est pourquoi, parfois, il lasse comme toute chose un peu trop par­ faite.

HOLDAWAY James (1927-1970)

GB

Né à I.ondres, James Holdawav de­ vait faire des études de dessin, avant

l-'.'i. I„1.1, S,s-.,,."

d’être incorporé dans l’armée an­ glaise en 1945. A son retour, il ef­ fectue divers petits travaux, puis de­ vient illustrateur pour la firme Scion Ltd. Il y réalise alors des cou­ vertures de livres, des publicités, quelques bandes dessinées; entre autres, « Inspector Hayden », « Lex Knight », pour le comic book Gal­ lan! Detective (1952). Devenu dessinateur indépendant, il contribue à des séries telles que «Captain Vigour», «Dick Hercu­ les », « Steve Samson », collaborant également à Football Comics, puis Tit-Bits Science-Fiction Comics, pu­ blications résolument destinées à un public adulte. Intéressé également par le monde du western, il réalise «Cal McCord» (1953) puis «ClifT McCoy » (1955), « The Red Rider » (1956). C’est avec la reprise de « Romeo Brown », créé par Mazure en 1954 dans le Daily Mirror, qu’il fait son entrée dans le monde des bandes quotidiennes, celui où il va s’il­ lustrer avec le plus d’éclat. Dans cette bande humoristique, souvent fort drôle, il donne au héros, pour compagnes de ses aventures, des blondes brûlantes et des brunes ex­ plosives, et ces pin-up vont bientôt devenir sa spécialité. Cette bande lui donne l’occasion de travailler avec Peter O’Donnell, avec qui il crée «Modesty Biaise» (1963). Cette superbe aventurière qui se voue à la bonne cause est refusée d’abord par le Daily Express, pour ses trop grandes audaces. Elle pa­ raît enfin dans The Evening Stan­ dard, avec le succès que l’on sait ! « Modesty Biaise » a fait le tour du monde des quotidiens, et a inspiré un film réalisé par Joseph Losey, et dont les vedettes étaient Monica Vitti et Terence Stamp. Elle est pré­ sente également dans les romans relatant ses aventures, publiés par Peter O’Donnell à partir de 1965. A la mort de Holdaway (1970), l’Es­ pagnol Enrique Romero reprend la série jusqu’en 1979, lorsqu’il crée la belle et postatomique « Axa » dans le Daily Express. John Burns lui succède, bientôt remplacé par Neville Colvin.

HOLMAN Bill (1903-

)

USA

Né en 1903 à Crawfordsville dans l’Indiana, Bill Holman étudia à la Chicago Academy of Fine Arts sous la direction de Cari Ed, puis fut gar­ çon de bureau au département ar­ tistique du Chicago Tribune. En 1921, à Cleveland, il travailla pour

la NEA où il réalisa l’année suivante un animal strip parodique, « Billville Birds ». Parti pour New York, il créa en 1924 pour le Herald Tri­ bune un kid strip, « G. Whizz Ju­ nior», qu’il poursuivit jusqu’en 1929 tandis qu’il distribuait luimême un autre strip, «Wise Quacks», dans lequel il répondait par des jeux de mots aux ques­ tions posées par les lecteurs. Au He­ rald Tribune, il eut l’occasion de rencontrer diverses célébrités et no­ tamment W.-C. Fields qui lui ap­ prit à jongler. Vers 1930, il devient cartoonist indépendant, publiant d’innombrables dessins, d’abord dans Judge puis dans diverses pu­ blications, du Saturday Evening Post à Ballyhoo, en passant par Col­ lier’s, Film Fun, Redbook et autres revues tant anglaises qu’américai­ nes. On lui prête parfois d’avoir tra­ vaillé en « ghost » sur « Felix the Cat» de 1932 à 1935. En 1935, il est engagé par le CTNYNS pour y réaliser un panel quotidien, « Nuts and Jolts» et deux Sunday pages, «Smokey Stover» et «Spooky». Smokey était un joyeux pompier en­ touré de sa femme Cookie, de son fils Earl et de son chef Cash U Nutt. Loin d’être un family strip, c’était une bande où l’absurde do­ minait. Tout y concourait : situa­ tions, dialogues, objets bizarres, dé­ cors avec leur vie propre (les «wall-nuts» notamment, sorte de petits tableaux-calembours) et ces formules aussi déroutantes que cé­ lèbres : « Foo », « Notary Sojac » ou « 1506 Nix Nix», qui parsemaient les vignettes. Spooky était une chatte particulièrement loufoque qui apparaissait également dans « Smokey » et dans « Nuts and Jolts». Comme Sunday page, « Spooky » eut une distribution ir­ régulière, n’étant plus à la fin qu’une simple bande de quatre ou cinq vignettes, mais au début des années 40 Holman y révéla un réel talent dans sa composition, jonglant avec les cases et les cercles avec un sens sûr de l’équilibre. Le panel prit fin en 1963, mais « Smokey » et « Spooky» furent poursuivis jusqu’en 1973. Si, dans les dernières années, le style de Bill Holman avait faibli, son importance n’est pas négligea­ ble. Récapitulant la tradition bur­ lesque et « nonsensique » de Golberg, Gross et Segar, systématisant des procédés comiques imaginés, dans les années 20, par Walter Ho­ ban («Jerry on the Job» ou par Gene Ahern, accentuant plus que ces derniers les aspects non narra­ tifs de la BD, Holman, de l’intérieur du comic strip, a préparé les révo­

lutions à venir de Kurtzman et Elder et préfiguré certains aspects de l’underground. A cet égard, il n’est pas sans intérêt de noter qu’en 1958 l’un des premiers fanzines édités par Crumb s’intitulait justement «Foo». Annonçant également les futurs délires d’un Jacovitti, Holman a influencé divers dessinateurs français d’avant-guerre (Badert et Mat notamment), amenant à une rupture avec la tradition comique purement « fortonienne » qui s’ac­ centuera après la guerre avec Eu­ gène Gire et culminera dans les an­ nées 60 avec le « Concombre Masqué » de Mandryka. Quelles que soient ses limites, Holman est peut-être bien l’un des auteurscharnières de la BD comique inter­ nationale.

HUBINON Victor (1924-1979)

B

Né en 1924 à Angleur, près de Liège. Après ses études supérieures, il entre aux Beaux-Arts de Liège, puis fait son service militaire dans la Royal Navy. A la fin de l’occupa­ tion allemande, il travaille comme directeur d’imprimerie, caricatu­ riste ou publicitaire dans des quo­ tidiens belges. Enfin, il rencontre Jean-Michel Charlier avec lequel il passe son brevet de pilote et réa­ lise une première bande dessinée, « L’Agonie de Bismarck». A partir de 1947 ils créent ensemble dans Spirou la série des « Buck Danny ». Les premières planches ont été réa­ lisées par Hubinon en collaboration avec Troisfontaine, qui a servi de modèle au héros. Charlier est l’au­ teur des scénarios et, au début du moins, du dessin des avions et des bateaux. Paape et Pascal ont eu éga­ lement l’occasion de dessiner quel­ ques planches. En compagnie de ses amis, Tumbler et Sonny Tuckson, Buck Danny a traversé, en tant que capitaine puis colonel de FUS Air Force, toute la Deuxième Guerre mondiale. Après la guerre, engagés dans une compagnie privée, tous trois se sont opposés aux réseaux de trafic d’armes et de drogue. Enfin, devenus pilotes d’essai, ils ont vécu la grande aventure des jets et les épi­ sodes les plus angoissants de la guerre froide (où l’ennemie jurée de Buck est la très caniffienne et ma­ léfique Lady X). On a reproché à la bande son militarisme impéria­ liste, son racisme larvé et sa misogy­ nie latente. Bande « américaine » (bien que Hubinon ne soit jamais allé aux Etats-Unis), elle véhicule la même idéologie que le cinéma ou la bande dessinée américains de l’épo­

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que et offre un témoignage sur la guerre et l’après-guerre «du point de vue de Washington». La do­ cumentation extrêmement précise, le dessin soigné et efficace, les in­ trigues bien menées doivent cepen­ dant être portés au crédit de cette série. Les autres créations importantes du tandem Charlier-Hubinon concer­ nent un épisode dramatique de la guerre du Pacifique, « Tarawa, atoll sanglant » (dans Le Moustique en 1948-1949), les biographies de Surcouf et Mermoz dans Spirou (le scé­ nario du « Stanley » était par contre de Joly), «Jo la Tornade» dans Bimbo en 1948-1949 (sous le pseu­ donyme commun de Charvick), en­ fin, dans Pilote, à partir de 1959, « Le Démon des Caraïbes » qui pro­ longe le travail effectué sur «Surcouf » et raconte les tribulations du redoutable pirate Barbe-Rouge, de son fils adoptif Eric, du géant noir Baba et de l’astucieux éclopé Triple-Patte, et, en 1964, «Tiger Joe », jungle strip paru en prépubli­ cation dans La Libre Junior (19501953), dont le héros broussard res­ semble à Buck Danny et est escorté comme lui de deux comparses, Gin et Mouton. Spécialiste de la bande d’aventures, Hubinon a cependant réalisé trois séries comiques connues : « Blondin et Cirage » (qu’il a reprise de Jijé en 1950), «Fifi» (où un poussin, à l’instar du redoutable Titi, marty­ rise un pauvre chat) et « Pistolin » (sous le pseudonyme de Victor Hu­ gues, en collaboration avec René Goscinny). En 1978, il crée une nouvelle série maritime, « La Mouette », dans Spi­ rou, mais meurt l’année suivante. « Buck Danny » est dessiné désor­ mais par Francis Bergèse pour les Editions Novedi.

Hulk. Voir DITKO Steve, EVERETT William, KIRBY Jack, LEE Stan, MARVEL COMICS GROUP, SEVERIN John.

HUMOUR INTELLECTUEL

üsa

Considéré comme « intellectuel » ou « sophistiqué », un certain type d’humour a caractérisé, à partir des années 50, le comic strip américain, contribuant à créer ainsi, sinon un genre, du moins une nouvelle ten­ dance. Divers éléments peuvent dé­ finir celle-ci : un retour au principe du gag accompagné de variations en nombre infini à partir de quelques principaux thèmes; un graphisme

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non réaliste, avec peu de décors, à la limite proche du graffiti ; un goût marqué pour l’absurde, la parabole et la réflexion « philosophique » ; avoué ou non, un arrière-fond psychanalytique; enfin, dans de nombreux cas, le choix de micro­ sociétés hors de l’ordinaire. En fait, la plupart de ces éléments ont tou­ jours existé dans le strip US, et il serait faux de voir dans la BD « in­ tellectuelle » une rupture avec l’an­ cien comic strip. Ainsi la variation sur des thèmes, l’usage de plans fixes caractérisaient déjà « Blondie », tandis que le goût de l’absurde est une constante de la tradition « nonsensique ». La psychanalyse est déjà objet de satire au début des années 40, dans « Doc Syke » de Ving Fuller (McNaught), série par ailleurs fort classique. En fait, le strip « in­ tellectuel» est l’aboutissement de toute la tradition humoristique an­ térieure. « Pogo », par son gra­ phisme, appartient encore au vieux comic strip, et c’est « Peanuts » qui inaugure cette tendance en octobre 1950. En novembre suivant, c’est l’apparition de « King Aroo» de Jack Kent (McClure) qui durera jusqu’en 1965, trait d’union entre « Krazy Kat • et le nouveau comic strip, mélange de nonsense et de sa­ tire avec un graphisme très simpli­ fié. En 1958, paraissent « B.C. » de Johnny Hart et «Short Ribs» (NEA) de Frank O’Neal, curieux strip aux univers differents qui al­ ternent. En 1957, Mel Lazarus a lancé sa «Miss Peach». En 1965, Howie Schneider confine au vérita­ ble graffiti dans « Eek and Meek » (NEA) avec ses souris aussi raison­ neuses que stylisées. En 1975, Schneider revient à une inspiration plus traditionnelle avec « The Circus of P.T. Bimbo» (NEA). En 1968, Howard Post crée «The Dropouts» (UFS), deux naufragés sur une île déserte qui se révèle vite contenir beaucoup de monde, per­ mettant ainsi une satire de notre univers. Virgil Partch (1916-1984), dans « Captain’s Gig » (Field Newspaper, 1977), part d’une situation identique, mais avec un nonsense

tout particulier (on ne peut qu’évo­ quer, en cette occasion, « Les Dé­ boussolés» de Watch et Bom qui, en 1975, dans Spirou, furent l’équi­ valent de ce genre de strips). «Conchy» de James Childress {Field Newspaper) était un autre de ces strips allant encore plus loin dans l’abstraction, malheureuse­ ment interrompu par la mort de son auteur en 1977. De tous les syndi­ cates, le KFS est celui qui resta longtemps le plus méfiant, d’une certaine façon, à l’égard de ces strips. En fait, Mort Walker, dès « Beetle Bailey », en est souvent fort proche, mais c’est avec « Boner’s Ark », en 1968, qu’il entre vraiment dans cette tendance. Malgré quel­ ques expériences malheureuses comme «Versus» (1969-1973) de Jack Wohl ou «Occupant» (19741976) de Clifford Harris, le KFS a lui aussi produit quelques strips marquants : « The Small Society » de Morrie Brickman (1966), plus politique et le charmant « Dooley’s World » (1972) de R. Bradfield, vi­ sion sophistiquée d’un univers en­ fantin. L’humour «intellectuel» permet, avec ses variations, de prendre un groupe imaginaire comme dans « Broom-Hilda » de Russel Myers ou réaliste comme l’hôpital dans «Doctor Smock » (1973-UFS) de George Lemont ou l’armée dans « Beetle Bailey », et d’en tirer tous les gags possibles en jouant aussi bien sur la satire que sur l’absurde. Cela peut être aussi un personnage comme dans « Momma » de Lazarus ou « Agatha Crumm » de Bill Hoest (KFS-1977), deux femmes du troi­ sième âge qui sortent de l’ordinaire. En fait, l’humour intellectuel au­ jourd’hui est devenu la banalité même du comic strip. Cette résorption se confirme dans les années 80. Seul « Bloom County» (1982) de Berke Breathed, distribué par le Washington Post, persiste dans la veine sophistiquée qu’inaugura « Peanuts ». Une veine parodique semble se dessiner, qu’elle vise les contes de fées comme «Conrad» (1982) de Bill Schorr, « Mother Goose & Grimm » (1985) de Mike Peters, les super­ héros, «Captain Vincible» (1983) de Ralph Smith, les détectives, « Speed Walker, private eye » (1983) de Cris Hammond. La satire se di­ lue dans un retour aux genres plus traditionnels avec parfois quelques milieux plus typés, comme la télé­ vision dans « John Darling »(1979) de Torn Armstrong, ou le nouveau cynisme de la jeunesse, « Arnold » (1982) de Kevin McCormick. Mais la pure fantaisie n’est plus de mise.

IBANEZ Francisco (1935-

)

E

Né en 1935, Francisco Ibáñez est d’abord employé de banque avant de faire ses débuts professionnels aux Editions Marco où il crée, au milieu des années 50, un certain nombre de bandes dans La Risa et Hipo, Monito y Fifi : « Haciendo el Indio », « Doña Usura », « Melenas » (ou les mésaventures du « roi des animaux»), «Kobolo» (les aventu­ res exotiques d’un petit négrillon). A la suite du départ des Editions Bruguera des dessinateurs fonda­ teurs de Tío Vivo, il est engagé par cette maison et crée en janvier 1958 dans Pulgarcito sa bande la plus cé­ lèbre, « Mortadelo y Filemón, agen­ cia de información ». A l’origine, il s’agit du thème souvent exploité des mésaventures d’un détective genre Sherlock Holmes (Filemón) et de son assistant (l’inénarrable Morta­ delo, jamais à court de déguise­ ments invraisemblables). Plus tard, les deux compères perdent les attri­ buts de leur profession et cohabitent bourgeoisement, Mortadelo, facto­ tum de son patron, s’adonnant, au gré de ses humeurs, à des travestis­ sements de plus en plus ahurissants. Il leur arrive aussi de «collaborer » avec le professeur Bacterio, inven­ teur de machines démentes. Les aventures de Mortadelo y Filemón

parurent également dans les années 60 dans Tío Vivo et dans Gran Pul­ garcito. Ils eurent en 1970 leur pro­ pre journal, Mortadelo. Dans les autres publications Bru­ guera (El DDT, Din Dan, El Cam­ peón et Tío Vivo lorsque la revue fut reprise par cette maison d’édition), Ibáñez a créé plusieurs séries dont certaines traitaient, avec de multi­ ples variations, du thème de base de « Mortadelo y Filemón » : les rap­ ports d’un patron avec son assistant. Ainsi, « Ande, ríase usté con el Arca de Noé» (1960) avec son proprié­ taire d’une sorte de ménagerie d’ap­ partement accompagné d’un poulpe familier et d’un assistant gaffeur, « Godofredo y Pascualino» (1961) dans leur agence sportive, « Pepe Gotera y Otilio » (1966) et leurs ca­ tastrophiques travaux à domicile. Dans d’autres genres, on peut citer « Don Adolfo » (Cancan, 1958), « 13, Rue del Percebe» (Tío Vivo, 1961), curieuse planche à gags montrant un immeuble sans façade et les évé­ nements loufoques qui se produi­ saient chez les différents locataires, «El Botones Sacarino» (El DDT, 1963) bande partiellement autobio­ graphique qui racontait, comme « Gaston Lagaffe », la vie quoti­ dienne dans les locaux d’un journal, « Rompetechos » (Tío Vivo, 1964) ou les bévues tragi-comiques d’une sorte de Mr. Magoo, enfin, dans El DDT en 1969, le family strip « La Familia Trapisonda». Le style d’Ibáñez, d’abord inspiré de celui de Manuel Vázquez, n’a pas tardé à éclater et à se distinguer par sa violence quasi sadique, son dynamisme dévastateur et son sens inné de l’absurde et du slapstick.

Illico (Bringing Clp Father). Voir McMANUS George.

INFANTINO Carmine (1925-

1479, 1),C. Comtes inc

142

)

ÜSA

Couronné meilleur artiste de comic book par les fans quatre années de suite (1961 à 1964), cofondateur de l’ACBA (Academy of Comic Book Arts), de simple dessinateur, Infan­ tino (Cinfa) est devenu en 1968 di­ recteur de la National Comics et en 1972 président des NPP (National Periodical Publications), pour rede­ venir ensuite simple dessinateur, hauts et bas d’une carrière riche en honneurs. Travaillant de 1941 à 1947 pour la Marvel et pour d’au­ tres firmes, il se consacra dès 1947 presque uniquement aux illustrés de la National, dessinant Flash, Green Lantern, Atom. C’est son travail sur

Flash, de 1959 à 1967, qui permet le mieux de caractériser son style. Se libérant de toutes les conven­ tions, il introduisit dans les pages qu’il dessinait sa passion du design et de l’architecture futuriste. Très influencé par les grands cinéastes américains, par Orson Welles, mais aussi par tous les peintres des grands espaces de l’ouest des EtatsUnis, il poussa à son paroxysme le jeu des lignes sans fin et des espa­ ces vierges. Il joua avec la forme des images, les étirant jusqu’à les ren­ dre linéaires, les meublant d’un seul détail, personnage ou objet. Il fut aussi le grand costumier des comic books, habillant ses héros et héroï­ nes de tenues qui semblaient sortir des grands magazines de mode. En 1968, lorsque Bob Kane se retira, il prit partiellement sa succession, donnant un nouveau costume à Batman et repensant complètement le graphisme de ses aventures avant de l’abandonner à d’autres dessina­ teurs. Nommé directeur de la National, il entreprit de renouveler complète­ ment la production de la firme, poussant en avant de nouveaux des­ sinateurs de talent comme Neal Adams et de nouveaux scénaristes comme Denny O’Neil, allant cher­ cher chez les concurrents Steve Ditko, Wallace Wood, relançant la créativité de chacun et essayant de trouver un remède magique au dé­ périssement de la National face à la Marvel de Stan Lee. De 1967 à 1969, quelques chefsd’œuvre virent le jour : « Deadman », créé par Infantino lui-même et repris par Neal Adams; « Firehair», un très beau western signé Kubert ; « The Creeper » et « Hawk and Dove » de Steve Ditko; «Captain Action» de Wood; «Nightmaster» de Jerry Grandenetti et Dick Giordano, puis de Bernie Wrightson. Malheureusement, tous ces personnages lancés et testés se­ lon des principes commerciaux er­ ronés n’eurent que des existences très courtes, de plus certains dessi­ nateurs comme Wood et Ditko étaient connus pour leur instabilité et quittèrent la National, passée la première euphorie ; quant à Gil Kane, il était à ce moment préoc­ cupé par d’autres aventures et avait presque cessé de travailler pour la firme. Les années suivantes, la politique d’Infantino n’eut plus pour élément essentiel que le talent d’Adams qui revampa complètement Green Lan­ tern avec Denny O’Neil, donnant un chef-d’œuvre et un échec com­ mercial, dessinant à lui seul à cer­ tains moments la moitié de toutes

FILTHY HOUSE...

/Vr.;;/ J 'mi ei’iite harribie, sii;né Impels

les couvertures des illustrés de la Nat ional. Depuis, faute de résultats probants. In tant ino a été remplacé par Jenette Kahn à la tête de la National et a recommencé à dessiner pour les ma­ gazines de James Warren et pour les Marvel Comies, y revenant après trente ans d'absence. I,e métier d'homme d'affaires n'avait heureu­ sement pas gâché son talent de des­ sinateur et il est redevenu, en un an, l'un des meilleurs slvlistes de comic books. Depuis 1981, il est revenu à la National, y retrouvant Phe /•'/us/t et dessinant «Dial II Eor Hero», ■< Red Tornado » et «V» d'après le feuilleton télé de sciencet'ict ion.

INGELS Graham (19 15-

)

GSA

Au contraire de la plupart des dessinateurs de la LC, lorsqu'il commença à dessiner pour les illus­ tres d'horreur de William (raines, Ingels avait déjà une longue carrière derrière lui.

De 1942 à 1944, chez fiction House, il avait travaillé pour Pla­ ner Comics, dessinant « Los! World » et « Auro, Lord of Jupiter». En 1947 il fut directeur artistique d’une autre firme, la I’ines. En 1948, en­ fin, il passa chez EC, y abordant tous les genres, le western, le poli­ cier, les histoires d'amour, la science-fiction et surtout l’horreur qui lui valut sa réputation. Ingels signait ses planches «Ghasllv », l’horrible, et ses bandes étaient les plus épouvantables de toutes celles que publiait la EC. Il se complaisait dans les marais étouf­ fants, dans les maisons en ruine, dans les vieillards décrépits et concupiscents, tout un monde sur le déclin dont son graphisme met­ tait en relief le caractère pourri, abîmé, déjà presque mort. Son trait lourd et torturé, ses om­ bres envahissantes et déformées ont inspiré beaucoup d’artistes et le plus célèbre de ses admirateurs est Her­ nie Wrightson, dessinateur de « La Créature des Marais» et de nom­ breuses histoires d'horreur pour les magazines de James Warren.

ITALIE Dès les origines deux caractéristi­ ques sont typiques de l’Italie : l’im­ portante diffusion de bandes étran­ gères, surtout américaines, l’émergence d’une production na­ tionale qui par la suite et périodi­ quement s’imposera en dehors des frontières. La création, te 27 décem­ bre 1908, du Carrière dei Pieeoli va populariser « Buster Brown » ou « Happv Hooligan », mais permet­ tre aussi la publication de « Bilbolbul » d'Attilio Mussino, une série volontiers absurde où chaque ex­ pression se trouve prise au pied de la lettre. Au cours de ses premières décennies, le Carrière (qui ignore l'usage des bulles) révélera divers dessinateurs comme Antonio Rubino, Sergio Tofano, dit Sto (1886197 3), qui imagine en 1917 son in­ volontairement chanceux « Signor Bonavventura », Bruno Angelotta ( 1889-195-1) qui publie diverses sé­ ries comme « Romolino e Romoletta», «Centerbe Ermete » et sur­ tout, en 1928, le pauvre soldat « Marmittone », Carlo Bisi avec son

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«Sor Pampurio» (1929) ou Gio­ vanni Manca et sa série « Pier Cloruro de’ Lambicchi » dont le héros peut rendre vivante toute figure des­ sinée (1930). D’autres illustrés paraissent au cours des années 20 comme 11 Giornale dei Balilla (1923), Il Gtornalino (1924) ou II Cartoccino dei Piccoli (1929) où Rino Albertarelli fait ses débuts. Avec les années 30, les jour­ naux se multiplient, le plus souvent avec du matériel américain (Junibo, Topolino, L’Ai'venruroso, L’Audace, L ïntrepido, Il Giornale di Cino c Franco, etc.). Mais même dans leurs pages des bandes italiennes voient le jour. D’ailleurs dans Topolino, en 1932, les premiers «Mickey Mouse » sont l’œuvre de Gaetano Vitelli et de Buriko (Burattim) qui animera plus tard le personnage (un poussin) de «Pisellino» qui aura son propre journal après avoir été publié dans Cino e Franco. Dans ce dernier titre figurent des dessina­ teurs comme Eerdinando Vichi ou Giorgo Scudellari qui y fait débu­ ter sa série burlesque «Romolo» (un garçonnet). C’est dans Topolino qu’est créé en 1937 le western « Kit Carson » de Rino Albertarelli et c’est dans I Tre Porcellini (tous les deux édités par Mondadori) que commence la même année « Saturno contro la terra» de Giovanni Scolari. En 1936 sort II Tittorioso, il­ lustré catholique qui va faire appel uniquement aux dessinateurs ita­ liens, tels Kurt Caesar, Sebastiano Craveri, Antonio Canale, Franco Caprioli (qui y publie en 1937 «(îino e Piero»). Fin 1937 paraît Argeniovivo, proche du ministère de la Culture (Minculpop), qui ne pu­ blie évidemment que des Italiens. Caprioli y débute et parmi d’autres figurent Walter Molino et Rino Al­ bertarelli. En 1938, le pouvoir in­ terdit la publication des bandes étrangères (seul fait exception « Mickey », dont Romano et AnnaMaria Mussolini obtiennent la grâce auprès de leur Duce de père). I.a décision entraîne la disparition de certains titres, mais favorise l’es­ sor de la production nationale. Quelques séries émergent comme « Virus, il mago de la foresta morta » de Federico Pedrocchi et Walter Molino en 1939 dans L’Audace. C’est dans ce dernier que Carlo Cossio crée en 1938 son « Dick Ful­ mine». Les années de guerre vont voir les débuts de Jacovitti dans II Vittorioso tandis que Caprioli af­ firme son talent dans le Corriere dei Piccoli. Après la guerre apparaît une nouvelle génération, notamment au­ tour de l’/fcwt di Picche en 1947 avec Pratt, Ongaro, Battaglia, Roy

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Sam Pc.'co

d’Ami, Mario Faustinelli, Damiano Damiani, etc., tandis que surgissent divers essais de super-héros à l’ita­ lienne comme «Amok» (1946) de Canale, « Misterix » ( 1946) de Paul Campani, etc. I.e western trouve un nouvel héros en 1948 avec « Tex Wilier » dessiné par Aurelio (îalleppini (sc. Gianluigi Bonelli), suivi en 1949 de « Pecos Bill» (sc. Guido Martina) et dessiné par une cohorte d’auteurs comme Raflaele Paperella, Pier Euigi di Vita, Antonio Canale, Roy d’Ami, Gino d’Antonio et même Dino Battaglia. Ces fascicules témoignent surtout d’une production plus populaire où la qualité souffre de la trop grande ra­ pidité de l’exécution. Dans les jour­ naux traditionnels, des auteurs continuent de s’affirmer comme Ca­ prioli qui poursuit sa collaboration au Tittorioso. Dans cet hebdoma­

daire, se révèle I.ino I.andolfi (né en 1925) qui débute en 1946 dans 1! Giornalino. Entré au Tittorioso en 1948, il y crée en 1951 « Procopio », personnage qui change de lieux et d’époques, tout en étant censé être un « cop » américain (il sera publié en France dans Pierrot en 1956). I.andolfi poursuivra cette bande jusqu’en 1968, tout en dessinant «La Famiglia Bertolini » (1962) pour le Aiessagero dei Ragazzi, au­ tre publication catholique. Auteur au style humoristique original, I.andolfi retournera également au Gior­ nalino en 1968 avec «Bertoldo», puis en 1970 le western comique «Colonel Casier Bum». Entre-temps, les années 50 assistent à l’explosion de Jacovitti (notam­ ment «Cocco Bill » en 1957 dans II Giorno dei Ragazzi). C’est aussi le maintien d’un filon populaire et co­

mique avec Bottaro et Rebuffi. Avec les années 60, tandis que Diabolik en 1962 marque la naissance des « Fumetti neri », l’Italie entre dans l’ère de la bédéphilie avant la France (« I Fumetti » de Carlo délia Corte, étude sur les bandes dessi­ nées, paraît en 1961 chez Mondadori dans l’équivalent de la collec­ tion «Microcosme» du Seuil). En 1965 le phénomène s’accélère avec Linus, première revue « adulte » qui accorde au départ une grande place aux séries américaines mais publie « Neutron » de Crepax, qui révèle le personnage de Valentina. Linus pu­ bliera Battaglia et plus tard Pratt, fera connaître quelques Italiens comme Enzo Lunari ou Renato Calligaro et surtout, à la fin des an­ nées 70, Manara, Altan et Cinzia Ghigliano dont les « Canzoni delfaltra storia » sont publiés en 1977, histoire des luttes populaires à travers les chansons, puis « Nora » en 1978. En 1975 paraît une revue, jumelle Alterlinus, qui devient Al­ ler Altcr en 1977. En 1967 sont publiées deux revues. La première, SGTKirk, reste assez peu diffusée, mais favorise le renou­ veau de faveur envers Pratt et met en évidence des dessinateurs comme Battaglia et Sergio Toppi que le Carrière dei Piccoli avait déjà pu faire apprécier. La seconde, Eurêka, est davantage consacrée aux strips amé­ ricains si l’on excepte le « Maxmagnus » de Magnus et Bunker. En dé­ pit de vélléités ultérieures, la revue ne parviendra jamais vraiment à promouvoir des dessinateurs ita­ liens autres que Magnus, Bonvi, Silvestri ou Giampaolo Chies. C’est également Bonvi qui bénéficiera de la brève parution en 1969 de OffSide. Il y fait pratiquement ses dé­ buts. De même Sorry qui paraît en 1972-1973 publie Bonvi dans son numéro 1, ainsi que le strip humo­ ristique « Ancillotto », d’Enzo Jannuzzi, qui se tournera plus tard vers l’érotisme. On y trouve aussi au nu­ méro 8 un récit de Buzzelli, «Un­ derground », sur un scénario de Rinaldo Traini. Mais la revue, à l’exception de 1’« Anita » de Crepax, est surtout consacrée aux séries étrangères. Plus intéressante est l’évolution de Il Mago. Née en 1972, cette revue éditée par Mondadori semble d’abord presque uniquement dévo­ lue aux séries US, puis à partir de 1976 cherche à favoriser de plus en plus les seuls Italiens. Si l’expé­ rience le plus souvent déçoit, des auteurs s’y révèlent. Dès 1976, c’est le cas de Panebarco avec « Big Sleeping », au curieux graphisme très simplifié, des frères A. et F. Ori-

gone avec leurs strips « Petrus », «Nilus», très démarqués du style US et, en 1977 «John Killer», plus original. En 1978, Pichard, sur un scénario d’Alfredo Castelli, y publie même une série inédite « Sir Aladdin Gulliver Simbad Münchhausen Jr. » qué poursuivra Jannuzzi. C’est aussi en 1978 que paraît dans le nu­ méro 78 « L’Ultima Storia di Oz », œuvre encore maladroite de quelqu’un qui ne tardera pas à s’af­ firmer ailleurs, Giorgio Carpinteri. Mais c’est en 1979, avec la création de «Sam Pezzo» de Vittorio Giardino(né en 1946), un polar qui joue finement avec le noir et blanc, que Il Mago sert le mieux la nouvelle bande dessinée italienne. La revue peut disparaître au début des années 80, ayant changé d’éditeur, d’autres vont prendre la relève. La presse pour jeunes connaît diver­ ses tribulations. Le Corriere dei Pic­ coli accorde une place accrue aux sé­ ries franco-belges, mais le Corriere dei Ragazzi qui le prolonge renoue en partie avec les auteurs italiens (Bonvi, Battaglia, Tacconi, Uggeri, etc.), publiant notamment «Johnny Focus » d’Attilio Micheluzzi (né en 1930). Ce même Micheluzzi créera « Captain Erik » dans II Giornalino qui voit Caprioli (qui mourra en 1974) revenir à la BD en 1970 pour adapter Jules Verne avec sa manière si délicate de dessiner les paysages. C’est dans le Giornalino que Gianni De Lucca imagine en 1970 «Il Commissario Spada » et que Mattioli crée «Pinky» (1973). En marge de la presse, l’éditeur Sergio Bonelli lance en 1976 la collection «Un Uomo, Una Avventura» avec no­ tamment Battaglia (« L’Homme de la Légion»), Sergio Toppi (« L’Homme du Nil », « L’Homme du Mexique », « L’Homme des Ma­ rais »), Crepax (« L’Homme de Har­ lem »), Manara (« L’Homme des Neiges »), Buzzelli (« L’Homme du Bengale») et même l’Espagnol Enlic Sio («L’Homme des Pyrami­ des »). Aller Aller évolue à travers des for­ mules qui sont autant de nouvelles avancées. Servant de support à des dessinateurs réputés comme Ma­ nara et Buzzelli, la revue accueille Attilio Micheluzzi avec « Marcel Labrume » et « Petra » (créée en 1977 dans II Giornalino) et révèle, en 1978, Anna Brandoli (née en 1945) avec « La Strega». Après un détour par le Corriere dei Piccoli (« Il Mago di Oz»), on la retrouve dans Linus où elle crée « Rebecca » (1982), qu’elle poursuit dans OrientExpress avec un art du noir et blanc, en partie dérivé de Muñoz, au ser­ vice de narrations originales et maî­

trisées. Linus reste fidèle à Cinzia Ghigliano dont «Solange» (1983) témoigne de son fin graphisme influencé par Crepax (à noter que d’autres dessinatrices se font un nom comme Cinzia Leone, Cecilia Capuana, Bianca Maria Rizzoli ou Laura Scarpa). Mais la grande révolution d’Alter Aller est d’avoir offert, par ses sup­ pléments ou ses numéros spéciaux, des supports à deux groupes qui, collaborant en partie un moment, se sont aujourd’hui totalement sépa­ rés, Storiestrisce et Valvoline. Storiestrisce est une sorte de collectif multimédia, fondé en 1979, qui pro­ gramme certains numéros d’Aller Aller. En relation avec la revue Raw d’Art Spiegelman, Storiestrisce (ouverte aussi bien sur la vidéo, le design et la mode) fait connaître des dessinateurs comme Massimo Iosa Ghini, Danilo Maramotti, Roberto Da Pozzo, François Berthoud et Daniele Scandola. Géométrisation exacerbée, influence de l’architec­ ture futuriste sont à l’origine d’œu­ vres hyperstylisées dont on retrou­ vera certains équivalents chez les dessinateurs de l’autre groupe, Val­ voline, créé en 1983 et publiant un supplément inclus dans Aller Aller. Le groupe est issu de l’éphémère re­ vue II Pinguino (1980), fondée par Mattoti et Carpinteri. Lorenzo Mattoti (né en 1954) publia pour la première fois dans la revue française

Scozzart

c 1985, Primo Camera Editore

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Circus en 1975. Avant la création de Valvoline, il participe déjà à Aller Aller («Dottore Nefasto», «Il Signor Spartaco», etc.) et même au Corriere dei Piccoli (« Barbaverde »). Son évolution le mène vers un souci du décor et des ambiances expres­ sionnistes, sombres et colorées tout à la fois, profondément musicales. Giorgio Carpinteri est le plus in­ fluencé par les avant-gardes du dé­ but du siècle, cubisme, futurisme, constructivisme. Personnages aux contorsions anguleuses, stylisation géométrique qui tourne à l’obses­ sion délirante, les bandes de Carpin­ teri figurent parmi les plus origina­ les sans rompre avec des influences plus classiques, notamment venues des comics américains. Les autres auteurs de Valvoline sont Igort Tuveri (alias Igort), qui participa éga­ lement au Pinguino et pousse à l’ex­ trême le raffinement, influencé par l’esthétique des années 30 et 40 qu’il recrée en en accentuant le chic moderniste, Marcello Jori, peintre de formation et dessinateur de BD depuis 1977, moins styliste que les précédents, travaille à l’aquarelle des photographies, en tirant de su­ perbes effets mis en valeur par un découpage, par ailleurs assez clas­ sique. Andrea Pazienza (né en 1956), déjà familier de Alter Aller, est le plus éclectique, marqué par l’underground et capable de faire se succéder dans une même bande réa­ lisme soigné et défoulement carica­ tural. D’autres encore comme Daniele Brolli, Giacon, Elfo, etc., participent aux activités du groupe dont Mattioli fut le compagnon de route avant de l’intégrer officielle­ ment en octobre 1984. Ce renouveau de la BD italienne, élitiste plus que populaire, date en fait de 1978 avec la création de II Male, bimensuel bientôt suivi par

> 1985, Primo Camera Editóte

son prolongement, la revue Canni­ bale, avec Gaetano Liberatore, Stefano Tamburini, Massimo Mattioli, Filippo Scozzari et Andrea Pa­ zienza, qu’on retrouve de nouveau réunis en 1980 pour créer Frigidaire (une revue comparable, à certains égards, au nouvel Actuel), où vient les rejoindre Carpinteri. Si Frigi­ daire n’est pas la tribune privilégiée du groupe Valvoline, on voit néan­ moins que, par certains de ses col­ laborateurs, il n’y est pas tout à fait étranger. Ce qui caractérise l’en­ semble de ces dessinateurs, ce sont les rapports étroits qu’ils entretien­ nent avec les milieux de la télévi­ sion, de la mode, du rock (surtout New Wave), de l’architecture, du design, de la création théâtrale et des performances. Cette indiffé­ rence aux frontières entre modes d’expressions et de créations n’a guère de véritables équivalents ail­ leurs. A côté de ces tendances radicale­ ment novatrices, des revues comme L’Etemauta ou Orient-Express, tou­ tes deux lancées en 1982, paraissent plus prudentes. La première, sur­ tout consacrée aux auteurs espa­ gnols ou argentins, publie aussi des Italiens comme Eleuteri Serpieri, Sergio Toppi ou Attilio Micheluzzi («Avventura de Pierra», «Avventura in Manciuria »). Le second récupère divers collaborateurs d’Il Mago (Cavezzali, Panebarco et sur tout Giardino qui, dans sa nouvelle série « Max Fridman », évolue vers une ligne néo-jacobsienne où l’on décèle progressivement quelques in­ fluences venues de McCay, comme en témoigne par ailleurs sa parodie érotique de « Little Nemo », « Little Ego », qu’il crée en 1982 dans la re­ vue Glamour) et accorde une grande place à des auteurs déjà connus comme Anna Brandoli, Attilio Mi-

cheluzzi (qui y reprend «Johnny Focus » et y crée « Air Mail », avec son graphisme qui donne une nou­ velle vie à Frank Robbins, revu par Alex Toth et Hugo Pratt) et même Magnus (entrevu peu avant dans II Mago). On y trouve aussi de nou­ veaux noms comme Roberto Baldazzini dont le « Alan Hassad » s’inscrit dans le courant « ligne claire», Silvio Cadelo (déjà publié ailleurs, y compris dans Frigidaire) qui y dessine « Il Dio Geloso » (sc. Jodorowski), Eleuteri Serpieri (« L’Indiana Bianca »). Plus classi­ que est Franco Saudelli (né en 1952) avec ses séries « Iberland », « La Figlia di Wolfland » et « Luna Caliente » tandis que la satire est l’apa­ nage de Sergio Staino (auteur également de « Bobo » dans le quo­ tidien L’Unita). D’autres s’y révè­ lent aussi comme Ivo Milazzo et son western « Ken Parker » ou son po­ lar « Marvin il Détective », Massimo Rotundo avec « Il Pescatore » et « Il Détective senza Nome », etc. Même Pazienza fera un tour dans OrientExpress, mais on le trouvera aussi dans Corto Maltese, la revue créée en 1983 avec des auteurs désormais plus classiques comme Pratt, Crepax et Manara, rejoints depuis par Vittorio Giardino. Preuve s’il en est que Pazienza, dessinateur camé­ léon, est un vrai trait d’union entre les revues les plus diverses. La plu­ part de ces nouveaux auteurs sont désormais traduits par les éditeurs français, mais la production ita­ lienne, victime de la mauvaise or­ ganisation de ses circuits de diffu­ sion, a un avenir problématique en dépit de l’euphorie créatrice. OrientExpress a cessé sa parution au dé­ but de 1985. Paradoxe transalpin! Quelques séries ¿'Orient Express sont cependant poursuivies dans Comic Art, revue créée en 1984 et surtout dévolue à la production étrangère. C’est le cas des bandes de Saudelli, de Berardi et Milazzo («Ken Parker») et de Giardino (« Little Ego ») tandis que son « Max Fridman » paraît dans Corto Mal­ tese. De son côté, l’éditeur de Frigi­ daire lance Frizzer, dans l’esprit d’Alter Alter, où l’on retrouve Pa­ zienza, Carpinteri, Scozzari, Tam­ burini, mais aussi Buzzelli.

«Mumble Rumble« Giorgio Carpinteri

146

L'heure du départ étant venue, le train, /ou/ l'effort puir/ant de fer /ourcief bielle/, /'ébran­ le dan/ un ofrand jet de vapeur et quitte lentement Kinq 's Cro/s Jtat/on

A -JTM

•3 • • •

JACOBS Edgar Pierre (190-1-

)

B

I.'œuvre d’Hergé et certaines aven­ tures de Tint in doivent beaucoup à Edgar Pierre Jacobs. Peut-être estce en cela que l'on peut parler d’une école belge, en cela et en la pépi­ nière de talents que constitua la re­ vue Tintin durant les premières an­ nées de son existence, avec surtout Hergé, Jacobs, Jacques Martin et Bob de Moor. Dès la Pin de 19-13, Jacobs commença avec Hergé une collaborât ion qui devait durer jusqu'au début de 19-17. Hergé de­ vait plus tard travailler avec un stu­

dio important, mais à l’époque Ja­ cobs lut sa première et seule ombre, s’occupant surtout des décors et des couleurs sur de nouvelles aventures de Tintin ou sur la réédition d'an­ ciennes histoires: «Le Sceptre d’Otokar », « I.e I.otus bleu ». A par­ tir des « Sept Boules de cristal », la collaboration devint plus étroite et Jacobs assista même Hergé pour le scénario et le découpage. Mais en septembre 1946, le lancement de l'hebdomadaire Timin et la charge de travail qui s’ensuivit pour ses fondateurs devait interrompre à court terme ce travail en équipe, non sans que l'influence de l’un sur

7>.

l’autre soit devenue une constante de leurs œuvres respectives. Entre les illustrations pour «I.a Guerre des Mondes » de VC’ells et pour « Les Erères de la Côte », les couvertures du journal et la bande qu’il fut amené à créer pour remplir les pa­ ges de celui-ci, Jacobs, qui fut tou­ jours un dessinateur méticuleux et lent, dut se résoudre à abandonner Tintin. Les goûts de Jacobs, son passé de baryton d’opéra, le pous­ saient vers le récit historique, mais I.audy et Cuvelier ayant déjà lancé dans les pages de Tinrin des bandes relevant de ce genre, ce sont Blake et Mortimer et leurs aventures tein-

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Mortimer comprend trop tard qu'il ejt joué, recule en chancelant.».

|*J79. Editions du Lombard

tées de science-fiction et de fantas­ tique qui virent le jour. La science-fiction n’était pas étran­ gère à Jacobs : lors de l’entrée en guerre des USA, la source s’étant ta­ rie, c’est lui qui avait été chargé de continuer l’aventure en cours de Flash Gordon, puis de l’achever en une planche quand la censure alle­ mande interdit définitivement la bande. Pour remplacer les héros d’Alex Raymond, Jacobs dut ima­ giner une série les pastichant mais ayant toutefois un ton et un style propres pour ne pas attirer à nou­ veau les foudres de la censure. Et ce fut « Le Rayon U », inspiré de « Flash Gordon » et du « Monde perdu» d’Arthur Conan Doyle; l’ébauche de « Blake et Mortimer ». Flash Gordon devint Lord Calder qui serait plus tard l’inspecteur Blake, et Zarkov se retrouva Marduk qui deviendrait Mortimer. Depuis la naissance de ses deux hé­ ros et de leur ennemi Olrik dans une aventure intitulée « Le Secret de l’Espadon », Jacobs est devenu l’au­ teur de bandes dessinées d’expres­ sion française le plus loué, le plus critiqué, découpé, disséqué, analysé. Blake et Mortimer ont à ce jour vécu seulement sept aventures ; leur huitième, «Les Trois Formu­ les du Pr Sato », a vu sa première partie publiée en album en 1977, mais l’exégèse représente en papier bien plus que ces maigres centaines de planches étalées sur trente ans. Dans «Les Trois formules du Pr Sato», on retrouve le même gra­ phisme que dans les histoires pré­ cédentes, mais le lyrisme que conte­ naient « Le Mystère de la grande Pyramide » ou « La Marque jaune »

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semble s’être émoussé avec les ans. D’étude en analyse, la bande dessi­ née a fait place à sa paraphrase, de­ venant exercice de style, contrainte à une rigueur fabriquée pour ne pas décevoir ou déchoir. Rien n’efTacera jamais pourtant le plaisir que peut donner la lecture ou la relecture des premières aventures de Blake et Mortimer. Son influence est repérable, avec des nuances diverses, chez Tardi, Giardino, Floc’h, Torres ou Ber­ thet. Il trouve même un imitateur appliqué avec P.J. Zanon dans Charlie (• Harry Dickson », 1985). Autre jacobsien, Dominique Hé (né en 1949), dans Pilote en 1973, avec de courts récits (sc. Gir), puis dans Rock'n’Folk et Métal hurlant (1976), où il crée ses héros « Roland Dön­ ges» (1978) et «Marc Mathieu» (1980), œuvre dans une zone indé­ cise où le goût de la citation hésite entre la fidélité excessive et le libre jeu référentiel.

JACOBSSON Oscar (1889-1945)

S/USA

Oscar Jacobsson est né le 7 novem­ bre 1889 à Göteborg. Ce n’est qu’en 1918 qu’il commença à publier des illustrations dans la presse, attirant l’attention de l’hebdomadaire Sondags-Nisse qui, en 1920, lui de­ manda de réaliser un comic strip. Ainsi naquit «Adamson», une bande muette, dépourvue de tout décor ou arrière-plan et centrée sur un petit personnage fumant un per­ pétuel cigare, chauve à l’exception de trois cheveux et en proie aux me­ nues difficultés de la vie quoti­

dienne dont il triomphait avec ma­ lice et nonchalance. La bande connut très vite un succès interna­ tional, étant distribuée tant au Ja­ pon qu’aux USA ou en Europe (en France, la Librairie Stock en publia un recueil en 1929). Outre « Adamson », Jacobsson créa dans les der­ nières années de sa vie un autre strip, « Abu Fakir », pour le journal Vi, bande également muette. A sa mort, en 1945, le Danois Viggo Ludvigsen poursuivit, mais sans si­ gner, «Adamson» jusqu’en 1965. Depuis, les anciens strips de Jacobs­ son ont été republiés. Cependant, aux USA, le strip de Ja­ cobsson connut d’autres tribula­ tions. Distribué dès 1922 par les Consolidated News Features et re­ baptisé, pour la circonstance, « Silent Sam», le strip fut, à partir de 1936, repris par un cartoonist amé­ ricain, Henry Thol, auquel succéda, en 1944, Jeff Hayes. Ce dernier, tout particulièrement, modifia pro­ fondément l’esprit de la bande en y introduisant des arrière-plans et des dialogues. Cette série parallèle américaine disparut, vraisemblable­ ment, à la fin des années 40. «Adamson» fut la première bande muette à personnage permanent à paraître sous la forme classique du strip quotidien.

JACOVITTI Benito (1923-

)

I

Né le 9 mars 1923 à Termoli; à quinze ans, il s’installe avec sa fa­ mille à Florence, qu’il quittera en 1946 pour s’établir définitivement à Rome. Sa carrière commence très tôt, puisqu’il fournit déjà des des­ sins satiriques à l’hebdomadaire II Brivido en 1939. En 1940, il publie dans le journal pour enfants II Vittorioso sa première bande dessinée, « Pippo e gli Inglesi», satire anti­ anglaise qui, en ces temps de pro­ pagande mussolinienne, a contribué à attacher à son auteur l’étiquette de fasciste. Cependant, les aventures de Pippo et ses deux compères, Pertica et Palla, se poursuivront, hors de tout contexte politique, jusqu’à la disparition du Vittorioso en 1967. Jacovitti, qui signe parfois « Lisca di Pesce » ou simplement « Jac », est l’auteur prolifique d’une quantité de bandes parues, outre II Vittorioso, dans II Travaso, Il Piccolo Missionario, La Notte, L’Europeo, Linus, Albi Costellazione, Intervallo... « Il Barbiere délia Prateria » (1941), « Chicchirichi » (1944), « Raimondo il Vagabondo» (1946), «Ghigno il Maligno» (1946), «Giacinto, corsaro dipinto» (1947), « Pasqualino

e Pasqualone» (1950), «Jack Man­ doline» » (1967)... Dans II Giorno dei Ragazzi, supplément hebdomadaire du quotidien milanais II Giorno, il crée en 1957 le célèbre «Cocco Bill », cow-boy buveur de camo­ mille, parcourant, en compagnie de son cheval Trottalemme, un Ouest « nonsensique » et délirant où des poissons à pattes traversent le désert et où les colts font des trous bien nets dans le corps des victimes, les­ quelles ne semblent pas particuliè­ rement affectées par ce traitement. En 1968, «Cocco Bill» passe au Corriere dei Piccoli et, en 1972, au Corriere dei Ragazzi. Toujours dans Il Corriere dei Ragazzi, Jacovitti avait créé, la même année que « Cocco Bill », le personnage du re­ porter Tom Ficcanaso et, l’année suivante, «Gionni Galassia», une parodie de science-fiction. Ce goût de la parodie est d’ailleurs une constante chez lui, comme en té­ moignent «Mandrago il mago», « L’Onorevole Tarzan», «Zorry Kid». Jacovitti est en outre l’adaptateurillustrateur d’un célèbre «Ali Baba et les Quarante Voleurs» et d’un « Pinocchio ». Son graphisme, dont la rondeur a quelque chose de disneyen, contraste, comme plus tard chez Crumb, avec une agressivité effré­ née mais ici totalement abstraite. Rien ne tire à conséquences dans l’univers de Jacovitti, et les arêtes de poisson (« lisca di pesce ») ou les salamis qu’il sème au hasard de ses vignettes sont là pour le prouver.

JANSSON Tove (1914-

)

Fi

Née le 9 août 1914, à Helsinki (Fin­ lande) dans une famille d’artistes, Tove Jansson, romancière, peintre, illustratrice, est aussi l’un des plus importants auteurs de bandes des­ sinées au féminin. Après des études artistiques (à Helsinki, Stockholm et Paris), elle écrit « Kometjakten » (1939, publié seulement en 1945), mettant en scène pour la première fois des petits personnages extraor­ dinaires, les Mumin : un petit peu­ ple de trolls ressemblant curieuse­ ment à des hippopotames, évoluant dans un univers qui évoquerait vo­ lontiers celui de Tolkien. Devant le succès considérable de ce volume, destiné aux enfants mais lu par beaucoup d’adultes, elle devait conti­ nuer la série et obtenir, en Finlande, plusieurs prix littéraires. C’est en 1953 que l’Associated Newspapers Syndicate de Londres lui demanda de réaliser un comic strip

à partir de ses «Mumin». Pu­ bliée d’abord dans YEvening News (sous le titre de « Moomin »), la bande devait faire le tour du monde et être traduite en près de vingt lan­ gues. Tove Jansson devait poursuivre cette série jusqu’en 1960 ; dès 1958, elle s’était fait aider par son jeune frère, Lars Jansson (né le 8 octobre 1926), qui devait finalement assu­ mer totalement la suite de «Mu­ min » à partir de 1961. La poésie dé­ licate et mystérieuse de ses créations lui a valu de recevoir à plusieurs re­ prises le prix Hans Christian An­ dersen, ainsi que la médaille Hans Christian Andersen, récompenses destinées à couronner des auteurs de contes de fées au pays de la Pe­ tite Sirène.

JAPON Bien que le Japon ait une très an­ cienne tradition de l’estampe, et même de récits en images, bien que, dès le début du XXe siècle, des strips inspirés de ceux des quoti­ diens US soient apparus dans la presse, l’histoire de la bande dessi­ née proprement dite (manga, c’està-dire image[^a] humoristique [man]) commence après la Seconde Guerre mondiale, avec Osamu Tezuka, le premier à faire de ce genre un véritable moyen d’expression. Les séries les plus populaires d’avant-guerre sont des contes pour enfants, comme « Shu Chan no boken » (Les Aventures de Shû Chân) de Kabashima Katsuichi (1923) ou «Les Voyages de Dango Kushisuke » de Shigeo Migao (1924). Les années 30 ont connu entre autres les aventures de « Speed Taro » (1930), de Sako Shishido et « Norakuro » de Suiho Tagawa, dont le héros est un chien errant engagé dans l’armée de métier sous les ordres d’un capitaine bouledogue. Cette série très popu­ laire créée en 1931, mais poursui­ vie jusque dans les années 40, porte nettement l’empreinte d’un milita­ risme nippon; une constante que l’on retrouve dans « Boken Dankichi » de Keizo Shimada, mettant en scène un gamin naufragé sur une île du Pacifique. La violence guerrière est encore présente sous une forme humoristique dans «Tanku Tankuro » de Gajo Sakamoto (1934). En 1936, le quotidien Asahi Shinbun lance « Fuku Chan » dont le héros est un enfant des quartiers populai­ res, avec un succès tel que le per­ sonnage sera utilisé par la propa­ gande US. Si, de 1940 à 1945, la BD, étroite­ ment contrôlée par la censure, s’est

cantonnée dans des thèmes guer­ riers, celle qu’on verra fleurir au lendemain du conflit s’orientera dif­ féremment, démilitarisation oblige. Ainsi, le family strip « Sazae San », publié dans VAsahi Shinbun par la dessinatrice Machiko Hasegawa, qu’on a comparé à la « Blondie » de Chic Young, fera l’objet de plu­ sieurs albums, d’adaptations à la ra­ dio et plus tard à la télévision. L’in­ fluence des comics US, diffusés massivement après 45, sera sensible chez Fukujiro Yokoi, qui se tourne vers les grandes aventures de science-fiction, avec «Putcher au Pays des Merveilles » (1947), et réa­ lise une adaptation japonaise de Tarzan ainsi que diverses bandes d’inspiration satirique avant de mourir, en 1948. C’est dans ce contexte qu’apparaît Osamu Tezuka. Créateur de nombreux comic books à la fin des années 40, il commence en 1951 la série «Tetsuwan Atomu », mettant en scène le premier des robots invincibles du folklore japonais contemporain. Dans les années 60, il crée son stu­ dio d’animation, produisant pour la télévision les aventures de son hé­ ros cybernétique. Rebaptisé « Astroboy » pour l’exportation, ce feuille­ ton animé connaîtra un succès mondial. Tezuka a innové en utili­ sant des techniques cinématographi­ ques, introduisant réalisme et mou­ vement dynamique. Avec « Hi no tori » (L’oiseau de Feu), en 1966, il raconte une histoire qui procède par

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bonds du plus lointain passé au fu­ tur de la nation nippone, proche de la démarche de la science-fiction, mais basée entièrement sur la phi­ losophie bouddhiste. La forme ellemême reflète l’influence du cinéma et du dessin animé américain, Walt Disney en particulier. Il existe véritablement une coupure entre la BD d’avant et d’après Tezuka. Certains dessinateurs suivront la voie qu’il a ouverte : ainsi Shotaro Ishimori, et les deux artistes qui signent du pseudonyme commun de Fujiko Fujio, Hiroshi Fujimoto et Motoo Abiko. Chez Ishimori, tex­ tes et illustrations sont marqués par le lyrisme ; dans « Le Carnet des aventures policières de Sabu et Ichi», il combine un goût de la psychologie, un sens très japonais du passage des saisons, et l’atmos­ phère de l’époque d’Edo. Contrairement à Tezuka et Ishimori, qui ont réalisé une BD pour adultes, l’équipe Fujiko Fujio a trouvé le succès auprès du public enfantin auquel s’adressent l’am­ biance et la simplicité du dessin. Leur première grande création est « Tenshi no Tama-Chan » (Un ange nommé Tama-Chan), mais la plus populaire est « Doraemon », où un chat-robot futuriste au pelage bleu vif vient au secours d’un petit gar­ çon, Nobita, dans les difficultés de sa vie quotidienne. Dans les années 60-70 apparaît un nouveau genre de manga appelé gekiga (littéralement « BD dramati­ que »), qui raconte dans un style

1979, Sun Cornus

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plus dramatique des histoires plus « sérieuses ». Une veine illustrée en particulier par Takao Saito, auteur de «Golgo 13» nettement influencé par le cinéma de Kurosawa, et Shirato Sanpei, auteur de la série « Les Ninja » et de « Kamui Den » (La lé­ gende de Kamui, 1964), très popu­ laire à l’époque des grandes mani­ festations étudiantes de la fin des années 60. De même, les bandes de Tetsuya Chiba, auteur du « Faucon du Shidenkai », une bande ambiguë où l’on perçoit l’absurdité de la guerre et dont le héros est un pilote d’avion de la Seconde Guerre mon­ diale. Il observe les marginaux avec une certaine sensibilité, s’attachant aux finesses psychologiques : son « Ashita no Jo » (Jo de demain) a marqué la culture des jeunes Japo­ nais des années 70. Jo le boxeur et les autres personnages qui l’entou­ rent sont des antihéros déchus sur le plan humain ou social, mais affi­ chant des attitudes où s’est re­ connue toute une génération. A la fin des années 60 s’est créé, au­ tour de Tezuka, le magazine expé­ rimental Com. A côté de son «Oi­ seau de Feu », on pouvait y lire des bandes de Shotarô Ishimori (comme « Cyborg 009 », créé en 1964) et Fu­ miko Okada, qui se démarquaient résolument de la BD destinée au grand public. Fumiko Okada, bien qu’elle ait très peu produit, a forte'ment marqué les lecteurs pour qui la BD représente avant tout une forme d’expression personnelle. A la même époque, le magazine Garo, cherchant lui aussi à dépasser le côté purement distrayant et commer­ cial, proposait de nombreuses ban­ des de qualité : à côté de « Kamui Den » (cité plus haut), « Nejishiki » (littéralement «A vis») de Yoshiharu Tsuge, très proche du roman traditionnel japonais, a touché plu­ sieurs générations de lecteurs. La plus récente découverte de Garo est le créateur de bandes érotiques Michio Hisauchi. Alors que la BD, depuis Tezuka, était un genre produit par des hom­ mes, pour un public résolument masculin, Hideko Mizumo, con­ temporaine de Shotarô Ishimori, a exercé une influence marquante sur la production féminine. Tandis que les comics au masculin ont en gé­ néral des héros japonais et se situent rarement à l’étranger, c’est souvent le contraire pour ceux qui sont des­ tinés au public féminin, la femme étant, dans la société nippone, un être aux possibilités limitées. Sans doute ce phénomène reflète-t-il le désir des Japonaises de s’évader de leur réalité quotidienne. Aussi, les héroïnes auxquelles les lectrices

s’identifient sont-elles souvent des étrangères blondes, flirtant avec des garçons de type occidental. La BD féminine a connu des créatrices de talent, et les Shojo manga (manga pour jeunes filles) ont évolué, par­ fois comparables à la poésie, au ci­ néma, à une certaine littérature pour enfants : celles d’auteurs comme Yumiko Oshima, Ryoko Yamagashi, Moto Hagio, etc. Yumiko Oshima s’attache à dépeindre la psychologie des adolescentes japo­ naises, avec un graphisme original, un ton poétique et une sensibilité délicate. Moto Hagio s’exprime dans le registre de la science-fiction, avec un trait et un langage d’une ex­ trême précision, tandis que Ryoko Yamagashi prend pour thèmes la psychologie et l’art. A côté de cette BD féminine à tendance artistique, on trouve des bandes qui traduisent la vie plus « libérée » et les fantas­ mes des jeunes Japonaises d’au­ jourd’hui, notamment chez Fusako Kuramochi. Les bandes d’horreur sont représen­ tées en particulier par Kazuo Umezu, qui a commencé sa carrière à la fin des années 60, mettant d’abord en scène l’horreur touchant l’individu, puis à l’échelle de la so­ ciété tout entière. « Dômu » de Katsuhiro Otomo va dans le même sens. Otomo est, avec Fumiko Takano, l’un des grands créateurs des années 80, et à ce titre souvent imité. Apprécié par les fans de BD, il a connu, avec « Dômu », un très grand succès tous publics. L’hor­ reur qui engloutit la société est ren­ due incroyablement présente par le dessin réaliste au trait précis, la ca­ ractérisation des personnages, l’in­ trigue et les scénarios bien construits. Quant à Fumiko Takano, elle a réussi à réaliser de façon raffinée ce qu’avait tenté Fumiko Okada dans le registre de l’avantgarde : sous une forme simple, elle donne libre cours à son lyrisme et à sa nostalgie de l’enfance. Loin d’aborder les grands problèmes so­ ciaux et politiques, comme l’avait fait Yumiko Oshima, elle se contente de se laisser aller à sa sen­ sibilité, ce qui est tout à fait nou­ veau dans la BD japonaise. Telles sont les directions les plus in­ téressantes vers lesquelles semblent s’engager aujourd’hui les bandes dessinées, à travers une production impressionnante : en 1983, les manga représentaient plus du quart de l’édition japonaise, livres et ma­ gazines confondus. En 1985, on trouvait dans les kiosques environ 165 titres, les trois quarts d’entre eux étant destinés aux adultes. Et selon Tezuka, « leur influence dans

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J

1-iiiiko Sliogaktikan. l'\' Asahi

JIJÉ (1914-1980)

B

Joseph Gillain, dit Jijé, est né à Gedinne le 13 janvier 1914. Après des études aux Beaux-Arts, il travaille comme peintre, puis entre à Spirou en 1939. Il y crée « Freddy Fred», «Trinet et Trinette» et en 1941, « Jean Valhardi », une bande d’aven­ tures sur un scénario de Jean Doisy. En 1939, Jijé avait également publié dans Petits-Belges une bande comi­ que qui eut beaucoup de succès, « Blondin et Cirage», dont les hé­ ros étaient un petit blond et un pe­ tit Noir. La bande passera à Spirou où elle sera reprise quelque temps par Hubinon. Toujours à Spirou, Jijé travaille avec Rob-Vel sur la sé­ rie vedette du journal, qu’il assu­ mera entièrement de 1944 à 1946, date à laquelle elle fut confiée à Franquin. L’apport de Jijé à «Spirou » concerne essentiellement le personnage de Fantasio. Au début des années 50, il fait, en compagnie de Franquin et Morris, un long voyage aux Etats-Unis. Il en rapporte l’idée d’une bande wes­ tern, «Jerry Spring», qui débute dans Spirou en 1954. La bande a été abandonnée en 1967, puis reprise en 1974. Jijé, son frère Philippe, Lob, Goscinny ont collaboré aux scénarios. Giraud lui-même, alors à ses débuts, a encré en 1961 l’épi­ sode «La Route de Coronado». Exemple typique de bande western européenne, «Jerry Spring» a ins­ piré, tant graphiquement que thé­ matiquement, la plupart de celles qui ont suivi, y compris, à ses dé­ buts du moins, la série des «Blueberrv ».

En 1969, Jijé collabore à Pilote en reprenant la célèbre bande d’avia­ tion créée en 1959 par Charlier et Uderzo, «Michel Tanguy». En 1970, il dessine pour Johnny, sur un scénario de son frère Philippe, une autre bande western, « Le Spécia­ liste», demeurée inachevée. Il reprend « Tanguy et Laverdure » en 1978 dans l’hebdo allemand Zack, ainsi que « Barbe Rouge » (abandonné par Hubinon en 1969) qu’il dessine avec son fils Laurent. Après sa mort en 1980, la série est reprise parallèlement par Christian Gaty et Patrice Pellerin, tandis que « Tanguy et Laverdure » est confié à Patrick Serres (Editions Novedi).

JOHNSON Crockett (1906-1975)

OSA

Né le 20 octobre 1906 à New York, David Johnson Leisk (qui signa « Crockett Johnson »), après des étu­ des artistiques à la Cooper Union, fit du dessin publicitaire et publia dans divers magazines. Au début des années 40, il dessina dans Col­ lier’s un strip sans titre. En 1942, pour le nouveau tabloïd new-yorkais PM, il créa un daily strip « Barnaby », dont le jeune héros s’échap­ pait hors du monde des adultes, mais, contrairement à Little Nemo, ne rêvait pas. Mr. O’Malley, un gé­ nie maladroit et hâbleur (à michemin entre W.C. Fields et cer­ tains héros de Capra), avec son ci­ gare en guise de baguette magique, lui servait de guide dans un univers peuplé d’êtres bizarres, parmi les­ quels Gus le fantôme qui avait peur de son ombre, Launcelot McSnoyd le fantasque farfadet et Gorgon, le chien parlant (peut-être un souve­ nir de Bazoo, le chien parlant de Barney Google en 1919, la seule bande, avec « Krazy Kat », que

JelT Jones, 197'

le Japon contemporain est aussi considérable que celle de la rockmusic dans le monde occidental».

Johnson ait aimée). Bien entendu, les parents de Barnaby niaient l’existence de cet univers auquel son amie Jane avait parfois accès. Une des premières bandes « intellec­ tuelles », une des premières aussi à faire allusion explicitement (et iro­ niquement) à la psychanalyse, « Bar­ naby» se singularisa par son gra­ phisme stylisé, son art particulier du noir et blanc, et ses ballons composés en caractères typographi­ ques. Johnson, qui se souciait peu de BD, abandonna la série (distri­ buée par le Chicago Sun Times, puis par le Bell Synd.) en 1946 et la laissa poursuivre par Jack Morley (dessin) et Ted Ferro (texte). Il en écrivit cependant le dernier épisode en 1952. En 1960-1961, le Hall Synd. tenta de relancer la série avec l’aide du dessinateur Peter Wells. Johnson, qui avait écrit de nom­ breux livres pour enfants, mourut le 11 juillet 1975. « Barnaby » restait dans une tradi­ tion déjà illustrée par John Gruelle avec « Mr. Tweedeedle », par exem­ ple, dans le vieux NY Herald; mais Johnson sut introduire sa féerie hu­ moristique dans le monde le plus quotidien. Un thème semblable fut repris par le cartoonist Bob Kay,

Jones

151

peu après, lorsqu’il créa «Miki» pour le Geo Matthew Adams Synd. ; cette série, visiblement ins­ pirée par « Barnaby », évolua cepen­ dant différemment, avec des intri­ gues policières, et reste un curieux exemple de graphisme à la Chester Gould en plus arrondi et banalisé. « Barnaby » ne resta pas inaperçu en Angleterre, et le Daily Mail, en 1949, décida la création d’un strip s’inspirant d’un thème analogue. Ainsi naquit, en avril 1949, une sé­ rie titrée « Rufus », mais qui fut ra­ pidement dénommée « Flook ». Ru­ fus était un garçonnet élevé sévèrement par son oncle et qui se réfugiait dans le rêve. Un des per­ sonnages imaginaires ainsi évoqués, Flook, une sorte d’animal préhisto­ rique, suivit Rufus dans le monde réel. Cette bande, dessinée depuis l’origine par Wally Fawkes (un mu­ sicien de jazz qui signe Trog, d’après le nom d’un groupe auquel il appartint, The Troglodytes), a été écrite par divers scénaristes succes­ sifs. Conçue pour un public enfan­ tin par Douglas Mount, elle fut poursuivie par Robert Raymond, sir Compton Mackenzie, Humphrey Lyttleton, George Melly, Barry Norman et Barry Took, son auteur actuel, évoluant dans le sens d’une satire de plus en plus vive de la so­ ciété contemporaine. « Flook », en ce sens, est une sorte de « Barnaby » mâtiné de « Little Nemo », qui au­ rait progressivement pris des allu­ res de « Pogo ».

JONES Jeffrey (Jeff) Durwood (1944-

)

OSA

En 1968 parurent ses premières peintures, en couverture de maga­ zines de science-fiction ou de livres de poche, illustrant Samuel Delany, Dean Koontz, Roger Zelazny, Fantastic et Amazing... et depuis Jones est toujours resté peintre et illustra­ teur plus que dessinateur de bandes dessinées. Pourtant c’est dans les comic books

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qu’il avait débuté, en 1967, dessi­ nant, pour la Western, une histoire intitulée « The Screaming Skull » qui fut publiée dans Boris Karloff Tales of Mystery, un illustré dans le­ quel les histoires étaient présentées et théoriquement choisies par l’in­ terprète de « Frankenstein » de Ja­ mes Whale. Toujours en 1967, il dessina quelques petites aventures de Flash Gordon pour King Co­ mics, prenant ainsi la suite d’Al Williamson et de Reed Crandall, et collabora au magazine Monsters & Heroes et à Creepy et Eerie. De 1969 à 1970, il participa à l’aventure Web of Horror avec Bruce Jones, Mike Kaluta et Ber­ nie Wrightson, dessinateurs avec lesquels il créerait, réaliserait et édi­ terait plus tard la revue Abyss. Il eut aussi des bandes publiées dans Witzend (1969) et dans les magazi­ nes de la Skywald (1972) mais ses deux œuvres les plus connues sont un illustré underground, Spasm (1973) et « Idyl », une suite de plan­ ches isolées parues depuis 1974 dans le National Lampoon. Cette bande, éditée en France par Futuropolis, mêlait savamment un gra­ phisme classique et des gags très in­ tellectuels, version moderne des funny pages du début du siècle. Avec Barry Smith, Wrightson et Kaluta, il forme un groupe à l’écart des comics, plus intéressé par la peinture et l’illustration. Seul Ka­ luta produit épisodiquement des couvertures pour les comics de la National et créa même pour les Epic Comics d’Archie Goodwin une bande de science-fiction : «Starstruck» (1985) sur un scéna­ rio d’Elaine Lee.

JUILLARD André (1948-

)

F

Il fallut « La Blanche Morte », pre­ mier album des «Sept Vies de l’Epervier» (1983), et «Le Pique rouge », premier volume de « Arno » (1984) pour que Juillard atteigne à la notoriété critique et au succès po­

pulaire, après dix ans d’illustrations, d’histoires courtes, de collabora­ tions. Le temps d’affiner son trait pour atteindre une presque perfec­ tion, le temps de trouver des scéna­ ristes dont l’excellence complète la sienne. Il y eut d’abord une longue période dans les revues des Editions Fleurus : un western, « La Longue Piste de Loup Gris » sur un scénario de Claude Verrien pour Formule 1 (1974-1975), suivi de « Bohémond de Saint-Gilles » avec Claude Verrien puis Pierre Marin (1976-1980). Dans Djin, après des récits à pré­ texte historique ou littéraire, « Ro­ méo et Juliette», «Les Cathares», « Sarah Bernhardt », il dessina avec Didier Convard, sur des textes de Jacques Josselin, « Les Missions d’Isabelle Fantouri ». Cette série as­ sez longue, une douzaine d’épisodes de 1977 à 1979, contait les aventu­ res mi-sérieuses, mi-irréelles d’une jeune et jolie médecin de l’OMS et plut au public d’adolescentes de Djin. Mais c’est pour Pif gadget, de 1980 à 1982, qu’il réalisa «Les Aventu­ res de Masque Rouge » sur un scé­ nario de Patrick Cothias. Scénarios solides, progrès du graphisme, après quinze épisodes les deux auteurs allèrent avec bonheur chercher dans Circus plus de place pour dévelop­ per leurs récits et surtout un public plus large et plus capable de leur as­ surer la notoriété. Et ce fut « Les Sept Vies de l’Epervier », suite/origine de «Masque Rouge» et des aventures d’Ariane de Troïl, sous Henri IV et ses successeurs. En 1983 Juillard devait lancer sa deuxième série à succès, «Arno», sur un scénario de Jacques Martin, d’abord dans les pages de Circus puis dans celles de Vécu. Là encore, outre la qualité graphique, c’est le soin de la reconstitution qui frappe, mais sans étonner de la part d’un touche-à-tout qui consacra aussi bien son talent à des histoires de ca­ thédrales, des albums dédiés à des provinces, ou un hommage aux che­ minots.

KAHLES Charles William (1878-1931) OSA Né le 12 janvier 1878 à Lengfurt (Allemagne), Charles William Kah­ les s’installa avec sa famille, en 1884, aux USA. Il étudia au Pratt Institute ainsi qu’à la Brooklyn Art School. A l’âge de seize ans, il en­ tra au journal Grir, puis au NY Re­ corder avant d’être engagé au NY Journal de 1897 à 1898, y publiant un certain nombre de dessins sans personnages permanents et y créant sa première bande dessinée, « The Little Red Schoolhouse» (briève­ ment poursuivie dans World en 1901). En 1898, il rejoint le NY World où il crée, en 1900, « Butch the Butcher’s Boy » et « Clarence the Cop». Tout en continuant de travailler pour le World, il collabo-

rera en même temps à d’autres jour­ naux ( le Philadelphia Press, le Phi­ ladelphia Inquirer, le Ph. North American, le Kansas Daily Eagle, Judge) si bien qu’en 1905 il assu­ rera, un moment, la réalisation de huit planches hebdomadaires diffé­ rentes, et cela sans l’aide d’assis­ tants ! Kahles, dans sa carrière, des­ sina au moins vingt-six séries différentes, certaines d’assez longue durée. Il fut pionnier en bien des domaines. «Clarence the Cop» fut la première bande à mettre en ve­ dette un policier. « Mr. Suburb » fut peut-être la première satire des ban­ lieusards (1901-1902) ; «The Perils of Submarine Boating» (1901), la première bande d’aventures sousmarines; «Mrs. Biggerhalfand her Smaller Half», le premier family strip (1902); « Sandy Highflier the Airship Man» (1902-1903), la pre-

ANDTHE NEXT MOMENT HE WAS SEIZ­ ED BY THE HEELS AND SHAKEN VIOLENTLY! 192k Public l edger Co

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mière BD d’aventures aériennes; «Billy Bounce» (1902-1908), la pre­ mière BD dont le héros peut se dé­ placer dans les airs sans l’aide d’un quelconque équipement. Et surtout il crée, en 1906, «Hairbreadth Harry», une parodie des mélos de l’époque, qui sera la première bande à introduire un suspense de semaine en semaine. En 1923, un daily strip lui sera ajouté, et, après la mort de Kahles, en 1931, la bande sera poursuivie par F.O. Alexander jusqu’en 1939. Les autres séries de Kahles comprennent « Burglar Bill» (1902); «Charley Harduppe» (1902); «A Fairy Tail» (1902); «The Teasers» (1902-1908); « Pre­ tending Percy» (1903-1909); «Mr. Buttin» (1904-1906), un brave homme toujours tenté de se mêler de ce qui ne le regarde pas, et cela à son détriment ; « The Ter­ rible Twins» (1905-1906), proba­ blement la reprise d’une bande créée par Dirks et imitant les « Katzenjammer » ; « Fun in the Zoo » (1905), une bande créée en 1904 par Gus Hutaf sur des animaux spor­ tifs; «Doubting Thomas» (19051906); «The Funny Side Gang» (1906-1907); «The Merry Nobles Three They Never Can Agree » (1906), dans laquelle un Anglais, un Français et un Allemand, ne pou­ vant se mettre d’accord sur les mé­ rites respectifs de leurs nations, se battent et se retrouvent générale­ ment en prison ; « Tatter and Turk » (1907) reprise d’une bande créée en 1902 par Robert Carter, l’une des premières séries centrées sur un or­ phelin ; « Billy Bragg » ( 1906-1908) ; «The Yarns of Captain Fibb» (1905-1910); «Clumsy Claud» (1909-1915) ; « Optimistic Oswald » (1912), un homme au sourire per­ pétuel, même dans les pires cir­ constances, ce qui le rend souvent suspect ; enfin, en 1919, création de « The Kelly Kids » pour la World Color Printing Co. de St. Louis, de nouveau des gosses farceurs que Kahles dessinera jusqu’en 1923. La bande sera poursuivie jusqu’en 1927 par Lyman Young. Le graphisme de Kahles était plai­ sant, servi par un sens affirmé des lois de la narration graphique. Il est incontestablement l’un des « pères fondateurs » de la BD comme mode d’expression distinct de la classique illustration. «Mr. Buttin» fut adapté en film vers 1905; «Hair­ breadth Harry» le fut également, en 1924, par les West Brothers Hap­ piness Comedies; «The Yarns of Captain Fibb» inspira au Suédois G.V. Bergdahl une série de dessins animés, « Kapten Groggs Aventyr », entre 1916 et 1922.

KALENBACH Dieter (1937-

)

D

Né le 29 août 1937 à Düsseldorf, Dieter Kalenbach a fait des études à Hambourg et effectué, au début de sa carrière, différents travaux touchant aux arts graphiques. En 1973, il fut le créateur de « Turi und Tolk» sur un scénario d’Erka, bande d’aventures ayant pour cadre les terres glacées de la Laponie, dans un style quelque peu inspiré par celui du Belge Hermann. Cette série a été publiée dans Zack, jour­ nal de BD du groupe Springer, créé en 1972, et publiant uniquement des créations venues d’ailleurs : bandes reprises de Pilote, Tint in, ou du Corriere dei Piccoli. Dans ce ma­ gazine qui fut couronné à Lucca en 1973, obtenant le « Yellow Kid» du meilleur journal de BD, Dieter Ka­ lenbach était alors le seul collabo­ rateur allemand !

KALÜTA Michael (Mike) William (1947-

)

OSA

Artiste précis et lent, il préfère au­ jourd’hui dessiner des posters, aux illustrations touffues et à l’atmo­ sphère sombre et lourde, plutôt que courir sans cesse après des dates de remise de planches impossibles à tenir. Admirateur de Roy Krenkel, de Al Williamson, de Frank Frazetta, il commença sa carrière en donnant des dessins à Spafon, fanzine en partie dédié aux EC Comics, mais aussi à d’autres revues semiprofessionnelles comme Graphie Showase, Imagination, This is I.cgcnd, Reality... Il réalisa en particulier pour ces re­ vues «As Night Falls», une série d’adaptations de chansons illustrées dans des styles très divers et qui n’étaient pas sans rappeler les œu­ vres d’artistes du début du siècle comme Maxfield Parrish. Il fut l’un des principaux dessina­ teurs du magazine Web of Horror, donna des illustrations à ScrewMag et régulièrement depuis 1970 à Fantastic et Amazing Stories. Il édita et réalisa aussi avec Jeff Jones, Bernie Wrightson et Bruce Jones l’unique numéro de Abyss (1971). Après un bref passage en 1969 à la Charlton où il dessina des histoires d’amour et des westerns, c’est dans deux illustrés de la National qu’il fournit sa contribution la plus im­ portante à la bande dessinée : « The Shadow » dans le comic book consa­ cré à ce héros et « Carson of Venus » dans Tarzan.

« The Shadow » que se disputèrent les plus grands dessinateurs du mo­ ment, Jim Steranko, Bernie Wright­ son... n’eut que douze numéros, dont cinq seulement dus à Mike Kaluta. Celui-ci, puis Frank Robbins avaient trop bien su retrouver l’atmosphère des romans parus dans les pulp magazines de la première moitié du siècle et les lecteurs des années 70 n’avaient pas accroché à ce style rétro qui transparaît dans toute l’œuvre de Kaluta. Il est revenu aux comics en 1985, avec « Starstruck », pour les Epie Comics, d’Archie Goodwin, chez Marvel.

KANE Gil (1926-

)

ÜSA

De son vrai nom Eli Katz, il des­ sina sous les noms de Gil Stack, de Scott Edward, de Al Stak, de Al Kame, de Staktil, de Pen Star, mais c’est sous son pseudonyme de Gil Kane qu’il est le' plus connu. Dès dix-sept ans, il travailla pour diver­ ses firmes, faisant les décors de « Green Lama » chez Prize pour John Binder qui l’employait alors dans son studio, dessinant aussi ceux de « Blackstone » chez Street & Smith et encrant Paul Reinman sur «Scarlet Avenger». Parmi les autres firmes qu’il fréquenta depuis, on peut retenir Marvel, National et Tower. Comme Ditko et quelques autres grands dessinateurs, il participa à la brève aventure de Tower sous la di­ rection artistique de Wallace Wood, dessinant de 1966 à 1967 des aven­ tures de Noman, Menthor, Raven... Passant régulièrement de la Marvel à la National, depuis 1943 il a des­ siné à un moment où à un autre presque toutes les grandes séries de la première et beaucoup des séries annexes de la seconde. «Captain Cornet », « Johnny Thunder », « Rip Hunter », « Hopalong Cassidy », « Captain Action », « Hawk and Dove », « Plastic Man », ainsi que les aventures de quelques-uns de ses grands héros. De 1960 à 1970, et presque sans discontinuer, il a des­ siné pour National les aventures de Green Lantern et de 1962 à 1968 celles de Atom, donnant à ces deux héros de l’âge d’or un nouveau vi­ sage mais les gardant, sur des scé­ narios de Gardner Fox et de John Broome, trop proches de leurs in^ carnations précédentes pour qu’ils puissent vivre éternellement. A la différence des personnages lancés par Stan Lee depuis 1960, Atom, Green Lantern, Flash, Hawkman avaient un passé lourd à porter et

ils ne purent jamais rivaliser avec les Fantastic Four, Spiderman ou même Superman et Batman, malgré le talent des dessinateurs et des scé­ naristes qui tentèrent l’impossible pendant dix ans. Réminiscence d’un passé disparu, ces héros vécurent des aventures qui comptent de nom­ breux chefs-d’œuvre et furent les leaders d’un type de bande dessinée très particulier, détaché des réalités sociales, concentré sur la vie de pe­ tites villes américaines, graphique­ ment joli et agréable à l’œil ; à l’op­ posé des histoires contenues dans les Marvel Comics qui utilisaient la réalité sociale pour accrocher le lec­ teur et qui se situaient dans un New York banalisé aux alignements in­ finis de gratte-ciel et aux embouteil­ lages permanents. Depuis 1970, Gil Kane a dessiné chez Marvel : « Spi­ derman », « Black Panther », « Cap­ tain América», «Conan», «Warlock », «Captain Marvel», «Morbius», «Ka-Zar»... sans tou­ tefois rester assez longtemps sur l’une de ces bandes pour y attacher définitivement son nom. Il a aussi travaillé pour les magazi­ nes de James Warren en 1967, et pour ceux de la Marvel dès leur création en 1971, y dessinant entre autres «Ironfist» et «Conan». Célèbre pour sa longue contribution aux aventures de Green Lantern et d’Atom, il a aussi donné à la bande dessinée américaine deux créations originales : « His Name is Savage » et « Blackmark ». La première de ces œuvres, seul et unique numéro d’un magazine produit et dessiné par Kane en 1968, contait les aventu­ res d’un espion au visage dur qui avait sur la couverture les traits de Lee Marvin. Dans Savage, la nar­ ration était alourdie par de nom­ breux pavés de texte placés audessus et au-dessous des images. Alors que Kane était connu pour le dynamisme de sa mise en page et de son dessin, Savage, par la surabon­ dance des textes, était devenu stati­ que et la violence de l’histoire ne se traduisait que par un étalage de sang et de sadisme disparu des bandes dessinées américaines depuis l’appa­ rition du Comics Code. Au fil des pages se multipliaient jaillissement de sang sous l’impact des balles, main écrasée par un poing de fer, visages tuméfiés, dents brisées. S’inspirant de Don Siegel et des films de violence, Kane n’avait donné qu’une œuvre gratuite, im­ portante non dans son contenu mais dans sa forme d’édition et de distri­ bution. La deuxième tentative de Kane pour sortir la bande dessinée du cir­ cuit des comic books et de leur pu-

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blic fut « Blackmark », une histoire d’heroic fantasy publiée par Bantam Books en livre de poche. De la sé­ rie prévue ne parut jamais que le premier numéro, faute de succès commercial, et la bande dont plu­ sieurs planches avaient été dessinées par Neal Adams fut rééditée en 1974 dans les premiers numéros de Savage Sword of Conan, l’un des magazines en noir et blanc de la Marvel. Mais là encore la bande était étouffée par son texte et si le passage au grand format et dans une nouvelle mise en page marqua un progrès par rapport à la publication en livre de poche, Blackmark n’avait pas convaincu et Kane n’avait pas réussi dans sa recherche d’un autre média. Autre tentative, en 1977, Kane s’est laissé tenter par la production d’un comic strip pour la NEA. Ainsi est né, sur des scé­ narios de l’écrivain et critique Ron Goulart, «Star Hawks», un space opéra plein de fureur et de techno­ logie, mais aussi de fantaisie. Dans cette série, publiée en France dans B.D., Kane a remplacé le classique strip quotidien par l’équivalent de deux bandes superposées, cherchant ainsi à retrouver l’espace qu’offre une page de comic book afin de di­ versifier la forme et la surface de ses vignettes. Il est depuis revenu par intermit­ tence à la National, en particulier pour une renaissance d’Atom dans une curieuse transmutation du super-héros en personnage d’heroic fantasy, « Sword of the Atom » sur un scénario de Jan Strnad, puis « Jallus of the Wilderness Seas».

donner en 1968, il resta considéré comme l’auteur unique de la bande, sans que les lecteurs semblent se souvenir du nom ou de l’existence de Bill Finger, scénariste de Batman et son autre père, ou fassent atten­ tion à la diversité des styles que connurent les aventures de l’homme chauve-souris, sous les crayons de Jerry Robinson, de George Roussos, de Mort Meskin, de Jim Mooney, de Curt Swan... De façon étrange, les scénaristes de Batman restèrent toujours quantité négligea­ ble, même s’il y eut parmi eux quel­ ques grands scénaristes des comic books et nombre d’écrivains de science-fiction célèbres : Alfred Bester, John Broome, Gardner Fox, Mort Weisinger, Edmond Hamilton, Otto Binder... Et l’image que l’on garde du héros de Bob Kane et de ses aventures est celle d’un per­ sonnage vêtu d’un collant gris, à la cape un peu raide, à la silhouette et aux gestes manquant de souplesse et de puissance, qui rencontra sou­ vent des vilains obsédés par les ob­ jets les plus gigantesques et les plus démesurés. Une aventure typique

KANE Robert (Bob) (1922-

)

OSA

Au contraire de Jerry Siegel et Joe Shuster, les créateurs de Super­ man, Bob Kane garda longtemps le contrôle de Batman ou du moins une influence énorme sur lui. En fait, de la date de sa création en 1939, au moment où il dut l’aban-

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Batnian et Robin

de Batman le montrait errant avec Robin parmi un matériel de couture dont le moindre dé à coudre pou­ vait représenter une prison, la moindre aiguille une lance, ou bien courant sur une roulette dont la bille lancée menaçait de l’écraser. Détails et manies graphiques de Kane, mais importants en ce sens qu’ils montrent l’évolution que connut le personnage. En 1939, de­ venu justicier masqué pour venger ses parents assassinés alors qu’il était encore enfant, son costume était destiné à inspirer la terreur et à faire de lui une créature de la nuit. I.es objets gigantesques et les vilains chamarrés qui les fabriquaient transformèrent ses aventures en nu­ méros de cirque et destinèrent la bande aux lecteurs les plus jeunes. Depuis 1968, sous l’impulsion de Carminé Infantino, puis sous celle de Neal Adams, Batman est rede­ venu une créature de la nuit, sa cape déployée et les oreilles pointues de sa cagoule accentuant sa ressem­ blance avec l’animal qui lui a donné son nom. Avant Batman, Bob Kane avait dessiné quelques autres ban­

des pour Henle (1936), Fiction House (1937-1939), Fox (1938) et National (1938); aucune n’a laissé de trace importante. Batman par contre, qui restera comme son œu­ vre et son personnage, quel que soit le talent de ses successeurs, est tou­ jours, après quarante ans, l’un des personnages principaux de la Natio­ nal, surpassé en popularité seule­ ment par Superman. Katzenjammer Kids. Voir Rudolph, KNERR Harold.

dirks

«Mischa», etc. Fix et Foxi ont donné lieu à une importante exploi­ tation commerciale (jeux, jouets, gadgets, T-shirts, etc.). En 1975, Rolf Kauka fut le fonda­ teur de la Kauka Comic Akademie, créée pour former de jeunes dessi­ nateurs. Passionné par le dessin animé, il a produit le « Baron Münchhausen », avant de produire et réaliser un long métrage, « Ma­ rio d’Oro», ainsi qu’un court mé­ trage mettant en scène ses person­ nages fétiches, Fix et Foxi, «Synfonie in Müll » (1972).

« Bumbazine and Albert the Alliga­ tor», sur un petit garçon qui ap­ prend à parler aux animaux du ma­ rais d’Okefenokee. Le gar­ çonnet disparut par la suite, tandis qu’un opossum prit de plus en plus d’importance comme compagnon d’Albert. Le comic book ne connut que quelques numéros, mais Kelly demeura jusqu’à la fin des années 40, alors même qu’il produisait déjà son comic strip, un collaborateur de la WPC pour qui il dessina diver­ ses séries des Dell Comics y com­ pris des « Donald Duck » et surtout

)

1979, Rolf Kauka

KAÜKA Rolf (1917-

D

Bien qu’il n’ait lui-même que fort peu dessiné, Rolf Kauka est l’une des personnalités dominantes de la BD allemande, par ailleurs assez pauvre en créations originales, si on la compare à ses voisines euro­ péennes. Né à Leipzig le 9 avril 1917, il commence sa carrière à dix-sept ans, en publiant des dessins humoristi­ ques dans des journaux régionaux. Premières tentatives qui tournent court : c’est la guerre, et il est in­ corporé en 1937, jusqu’en 1945. On le retrouve alors à Munich, où il es­ saie de monter une petite maison d’édition. S’inspirant du folklore, il écrit le scénario d’« Eulenspiegel » (Till l’Espiègle), dont les dessins se­ ront réalisés par Dorul van de Heide. Un fascicule de BD portant le nom de ce héros est édité ; mais, au numéro 10, apparaissent deux personnages d’une autre série : « Fix und Foxi » ; dans la grande tradition des bandes animalières, ils donnent bientôt leur nom à cette publica­ tion, tant leur succès est grand au­ près des lecteurs. Si Kauka a tou­ jours été le scénariste de la série, il ne l’a jamais dessinée, faisant appel à Walter Negebauer, mais aussi à Werner Hierl, Ludwig Fisher, Branco Karabajac, Vlado Magdic, Ricardo Rinaldi, V. Kostanjsek, F. Roscher, F. Julino... Au fil des années et des changements de des­ sinateurs, le graphisme, d’abord as­ sez chargé, se fait de plus en plus stylisé. Dès 1952, Fix et Foxi se trouvent au centre d’un petit monde d’animaux anthropomorphes : Lupo le loup, l’oncle Fax, le cou­ sin Lupinchen, le professeur Knox, Eusebia la grand-mère, Kauka ayant voulu créer, à l’instar de Disney, une « famille » à ses héros. Dans les fascicules se développent également une série de bandes parallèles : un western, «Tom und Klein Biber», une histoire de science-fiction,

Fix, Foxi (dans la piscine), Lupo et compagnie

KELLY Walt (1913-1973)

ÜSA

Né le 25 août 1913 à Philadelphie, Walter Crawford Kelly, après des études secondaires à la Harding Wigh School de Bridgeport, au jour­ nal de laquelle il donna de nom­ breux dessins, travailla comme re­ porter et cartoonist au Bridgeport Post, où il illustra notamment la vie de P.T. Barnum, un des enfants cé­ lèbres de Bridgeport (qui inspirera, dans «Pogo», la création de l’ours P.T. Bridgeport). En 1935, il gagne Hollywood et travaille comme ani­ mateur aux studios Disney jusqu’en 1941, participant notamment à la réalisation de « Blanche-Neige », «Pinocchio», « Dumbo », «Fanta­ sia». De retour sur la côte est, il commence une collaboration avec la Western Publishing Co. et, en 1943, publie pour celle-ci un comic book avec des personnages de sa création,

la série «Our Gang», d’après Hal Roach et ses films. Pour cette série notamment, Kelly s’inspirait de ses propres enfants. Après avoir illus­ tré des manuels, comme employé ci­ vil de l’armée, pendant la guerre, il devint responsable artistique du nouveau quotidien new-yorkais, le NY Star, et c’est là que, le 4 octo­ bre 1948, le premier strip de «Pogo» fut publié. Le Star n’eut qu’une parution fort brève, dispa­ raissant en janvier 1949, mais « Pogo » fut repris par le Hall Syndi­ cale qui, dès lors, le distribua à un nombre de plus en plus important de journaux. Marqué par le graphisme disneyen, qui était d’ailleurs celui de tous les « Funny Animais » de l’époque, Kelly en renouvela vite l’intérêt en donnant à sa bande un contenu beaucoup plus sophistiqué, mélange de nonsense, de poésie, de satire so­ ciale et politique ainsi que de re­

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cherches graphiques utilisant les conventions de la BD (entre autres, l’emploi de caractères typographi­ ques, dans les ballons, reflétant les caractéristiques de chaque person­ nage). Le bestiaire du marais d’Okefenokee est l’un des plus diversifiés qui soit. On peut compter au moins 150 personnages différents, mais les plus célèbres sont Pogo, l’opossum, raisonnable et, au bon sens du terme, naïf ; Albert, l’alligator, pré­ somptueux, pusillanime, fanfaron, égocentrique et semeur de désor­ dre; Howland Owl, le hibou, intel­ lectuel fumeux ; Porkypine, gro­ gnon et philosophe ; Churchyla-femme, la tortue, poète à l’inspi­ ration « nonsensique » ; Beauregard, ancien limier, aux souvenirs inépui­ sables, etc. Des personnages réels y sont, de temps à autre, satirisés, de-

puis le sénateur Joseph McCarthy (Simple J. Malarkey, un chat sau­ vage, en 1953) jusqu’à Spiro Agnew, sous les traits d une hyène. Des différents types de rapport en­ tre tant de caractères, Kelly tira tou­ tes les combinaisons possibles ou impossibles, créant un univers d’une richesse et d’une profondeur aptes à susciter l’attention des analystes en tous genres. Mais Kelly fut, lui-même, le plus expert d’en­ tre eux. « Pogo », par cette capacité à s’auto-analyser, est la bandecharnière par excellence. Graphi­ quement, elle appartient encore à 1 univers du strip traditionnel, mais, par son contenu, elle est la première série de l’ère intellectuelle, celle que caractérisent des strips dans lesquels la réflexion des personnages accom­ pagne et souligne la progression de l’action, lorsqu’elle ne la remplace pas (alors que dans « Krazy Kat », par exemple, le commentaire n’est jamais inclus dans la bande qui, simplement, se donne à voir, mais ne se réfléchit pas). Walt Kelly fut aidé, dans la réalisa­

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tion de «Pogo», par divers assis­ tants dont George Ward, le plus an­ cien, et Dan Noonan, Henry Shikuma, Bill Vaughan, etc. A la mort de Kelly, le 18 octobre 1973, le daily strip fut continué par son fils Steven (texte) et Don Morgan (dessin), un ancien assistant qui tra­ vaillait désormais avec Ralph Bakshi, tandis que le Sunday page était assuré (texte et dessin) par sa veuve, Selby Kelly (sa troisième épouse, une ancienne des studios Disney qu’il rencontra à la MGM, en 1968). Mais l’esprit n’y était plus et la série prit fin en juillet 1975. Walt Kelly illustra de nombreux li­ vres. Il écrivit les textes, composa une partie de la musique de chan­ sons inspirées par Pogo, et lorsqu’un disque, « Songs of Pogo », en fut produit, il interpréta luimême, excellent baryton, quelquesunes d’entre elles (1956). Il existe trois dessins animés de « Pogo » ; le premier, « Pogo Special Birthday Special » fut réalisé, en 1969, par la MGM, sous la direction de Chuck Jones, supervisé partiellement par Kelly; Selby et Walt Kelly réalisè­ rent ensuite, eux-mêmes, un dessin animé antipollution, « We have Met the Enemy and He is Us » ; un troi­ sième « Pogo the Candidate for the Office of your Choice » fut projeté pour la première fois en 1974. Kelly fut aussi un dessinateur poli­ tique, notamment à l’époque du NY Star, et donna aussi quelques dessins à Life Magazine. En 1972, il donna une courte bande spéciale de Pogo, « Pogo’s Smoke Filled Ta­ vern», au NY Times, réputé alors pour ne pas accorder de place à la bande dessinée dans ses fort sérieu­ ses pages. « Pogo » ne fut jamais une bande essentiellement politique, mais c’est le NY Times qui, juste­ ment, en 1975, rompant avec son long mépris pour les comics, lança une bande ouvertement politique avec «Don Q» de David Gantz. Cette parodie de Don Quichotte fai­ sait revivre bon nombre de person­ nalités dans une satire des mœurs actuelles. David Gantz n’avait été l’auteur, jusqu’alors, que d’une brève série muette, «Dudley D», dans le Herald Tribune, au début des années 60. «Don Q» est probable­ ment la bande qui restait le plus dans la tradition de « Pogo » et son graphisme, certes différent, n’était pas, cependant, sans évoquer cer­ tains dessins politiques de Kelly, tel justement celui paru en novembre 1955 dans Life Magazine où Kelly représente Adlai Stevenson en che­ valier médiéval, devant affronter di­ vers politiciens dont l’un d’eux, d’ailleurs, en Don Quichotte.

KID STRIP 1. Etats-Unis Dès l’origine, l’enfant, le plus gé­ néralement farceur ou désobéissant, fut l’un des thèmes de la BD amé­ ricaine. Outcault, Dirks, Kahles, Herriman, Marriner, McDougall, Steinigan, Swinnerton, parmi bien d’autres, illustreront le genre. Il convient de noter, en 1900, le « Foxy Grandpa » de Carl Edward Schultze, sorte d’anti-Katzenjammer où l’adulte savait détourner à son profit les farces des gosses. L’un des premiers kids à gagner le do­ maine du daily strip fut probable­ ment Jerry, le héros de « Jerry on the Job», de Walter C. Hoban en 1913, dans le NY Journal, qu’il poursuivit jusqu’en 1932 (KFS) et que Bob Naylor fit revivre de 1948 à 1954. « Jerry on the Job » fut l’un des premiers à mettre en vedette 1’«office boy», le coursier (beau­ coup de cartoonists et Hoban luimême commencèrent ainsi). Payne produisait déjà son « S’matter Pop » depuis 1910 et, en 1915, Merrill Blosser créa, pour la NEA, son « Freckles and his Friends » à la lon­ gue carrière puisque repris, en 1965, par son assistant depuis 1933, Henry Formhals qui le continua jusqu’en janvier 1973. «Freckles» évolua, son jeune héros grandissant, et, au début des années 30, connut même des aventures maritimes. Il devint adolescent et, en 1937, ren­ contrera ses premières girl-friends. Celles-ci devaient de plus en plus être au centre de ses préoccupations par la suite. « Us Boys » et « On our Block» de Tom McNamara furent également consacrés aux bandes de gosses. « Reg’lar Fellers » (19171949) de Gene Byrnes (Herald Tri­ bune, puis Bell Synd.) fut un des strips les plus caractéristiques de cette tendance avec ses gosses sim­ plement heureux de vivre. La meil­ leure période de cette bande se si­ tue néanmoins entre 1924 et 1929 lorsque Tack Knight (1895-1976) lui servit de ghost. Tack Knight fut de 1929 à 1935, au CTNYNS, l’au­ teur de « Little Folks » et de « Baby Sister». Dans cette dernière bande est employé le procédé qui consiste à faire connaître les sentiments réels d’un bébé, procédé qu’on retrou­ vera, de 1935 à 1941, chez Jack Cal­ lahan, « The Baby Speaks », et chez d’autres par la suite. Les années 20 furent une période faste en création. «Smitty» de Walter Berndt pré­ senta un autre office boy, également à la longue carrière (1922-1973, CTNYNS). Branner, en 1922, ac­ corda le Sunday page de « Winnie Winkle » à Perry et ses copains. En

1923, Ad Carter créa, pour le KFS, « Just Kids » dont le daily strip prit fin en 1947, mais le Sunday page fut poursuivi jusqu’en 1956; Carter avait un style nerveux et faisait pas­ ser, en arrière-fond, des personna­ ges « nonsensiques » sans rapport avec l’histoire. On retrouve cette inspiration dans le top qu’il ajouta dans les années 30, «Nicodemus O’Malley and his Whale » (un gar­ çonnet et une baleine). Wally Bis­ hop créa en 1927 « Muggs McGin­ nis» (retitré en 1937 «Muggs and Skeeter ») et poursuivit les aventu­ res des deux frères jusqu’en 1974 (KFS), en restant fidèle à l’inspira­ tion du début. Edwina Dumm et Percy Crosby, dans un esprit diffé­ rent, créèrent également leurs ban­ des dans les années 20. Auparavant, dès 1916, A.C. Fera avait publié son Sunday page « Just Boy » centré sur

Skippy

un garçonnet assez farceur et le strip fut repris, en 1925, par Doc Winner qui le dessina jusqu’en 1956 (KFS), ayant repris entre­ temps, également, les « Katzies » de Knerr («Just Boy» fut retitré « Elmer » de 1925 à 1956). En 1928, Bert Green créa «Kids» (CTNYNS). Si l’on excepte les orphelins (trai­ tés par ailleurs) ou le muet «Henry», le kid strip ne connut guère de créations marquantes dans les années 30. « Tiny Tim », cepen­ dant, doit être placé à part. Créée en 1933, cette bande de Stanley Link montrait un jeune garçon qui, grâce à une amulette magique, pou­ vait acquérir une taille minuscule. La série (CTNYNS) évoluait entre le simple gag et les aventures plus construites. « Aladdin Jr. » de Les­ lie Forgrave (1942-1943), sur un thème proche, fut moins heureux (KFS). Les années 40, si l’on met à part « Barnaby », voient peu d’ap­ paritions nouvelles si ce n’est « The Toodles» («Nano et Nanette» en France) de Rod Ruth et « Double

Trouble» de Bill MacLean (KFS) qui, en 1955, sera (fait exception­ nel) repris et poursuivi, en Angle­ terre, par Brian White. Ces ju­ meaux seront rejoints dans les années 50 par de nombreux kids. Les « Peanuts », en 1950, ouvrent le ban. Mais leurs compagnons ne se­ ront pas forcément tous aussi so­ phistiqués. Un élément, souvent présent dans les bandes précéden­ tes, va prendre de l’importance : le chien. «Dennis the Menace» de Hank Ketcham voit le jour en 1951. En 1953, c’est «Will-Yum» de Dave Gérard. En 1956, Dick Cavalli lance « Morty Meekle », retitré en 1958 «Winthrop» (NEA) lors­ que le jeune héros s’affirma comme vedette du strip. « Nubbin » de Jim Burnett et Henry Boltinoff, en 1958, suit pour le KFS. «Freddy» de Robert G. Baldwin (Rupe), au-

1979, Skippy inc./Percy Crosby

jourd’hui au Field Newspaper Synd., s’ajoute à la liste. En 1965, Bud Blake crée son « Tiger » (daily strip et sunday page) pour le KFS avec beaucoup de talent, notam­ ment dans l’utilisation des masses noires. Les années 70 verront appa­ raître «Kelly et Duke» de Jack Moore (1972, Universal Press Synd.) dans lequel le chien est plus que jamais important, à commencer par sa taille. La plupart de ces ban­ des ont reçu l’influence des « Pea­ nuts», mais gardent une plus grande parenté que ces derniers avec les bandes d’avant-guerre. Mais ne soyons pas sexistes, un au­ tre type de strip a aussi eu pour vedettes des fillettes. Herriman, W.O. Wilson («Madge the Magician’s Daughter», 1906), notam­ ment, ou McCay sont pionniers en ce domaine. Dans les années 10, Grâce Drayton publie diverses sé­ ries, dont « Dolly Dimples » (1915), et Robert Brinkerhoffcrée, en 1917, sa « Little Mary Mixup » (UFS) qui grandira nettement par la suite. En 1940, «Nancy» («Arthur et Zoé»)

débuta, mais la fillette qui en était l’héroïne était déjà depuis long­ temps connue comme nièce de Fritzi Ritz qu’elle remplaça dès lors comme principal personnage de la bande (UFS) d’Ernie Bushmiller, le daily strip de « Fritzi » étant à son tour retitré «Nancy» (repris par Mark Lasky, puis Jerry Scott et Al Plastino). Une autre fillette, encore plus décidée, vit le jour en 1943 sous la plume de Jimmy Hatlo, « Little Iodine » (KFS), aujourd’hui encore poursuivie (en tout bien, tout honneur) par Bob Dunn et Hy Eisman. « TufTy » (KFS) de Sydney HofT fut également une fillette dé­ gourdie de 1940 à 1950, tout comme « Little Debbie » (Register and Tribune Syndicate) de Cecil Jensen. «Little Lulu», un panel créé en 1935 par la dessinatrice Marjorie Henderson Buell (Marge),

by Percy Crosby

fut adapté en comic book en 1945 par John Stanley. De 1955 à 1967, le CTNYNS en fit un daily strip dessiné notamment par Woody Kimbrell et Roger Armstrong, la si­ gnature étant toujours, néanmoins, celle de Marge. En 1941, Dudley Fisher donna naissance à « Myrtle », une gamine délurée dont les aven­ tures prirent fin en 1965 (KFS). Il est à remarquer qu’elle venait du grand panel dominical créé en 1938 par Fisher, « Right Around Home », dans lequel elle continua d’appa­ raître. D’autres kid strips furent créés dans les années 60, notamment par des dessinateurs noirs (cf. Morrie Tur­ ner). D’autres concernent plutôt les adolescents: « Funky Winker­ bean », ou plus récemment « Drab­ ble» (1979) de Kevin Fagan, « Kudzu » (1981) de Doug Marlette et « Dupie » (1982) de Gil Morales. Ce dernier thème fut plus rarement traité (contrairement aux adolescen­ tes) dans le passé. Seul émerge (avec « Archie» de Bob Montana) «Ha­ rold Teen» de Cari Ed, créé en

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1919 pour le CTNYNS et qui fut un fidèle reflet de la jeunesse amé­ ricaine d’avant-guerre. La série continua cependant jusqu’en 1959, dessinée par Cari Ed et surtout son assistant John J. Ryan vers la fin. Il est juste aussi de remarquer que « Freckles » se mua en strip sur l’adolescence et que « Smitty » gran­ dit dans sa bande, et était même ma­ rié lorsque celle-ci prit fin. « Our Bill» de Harry Haeningsen fut un autre strip sur un adolescent, créé pour le Herald Tribune et dura de 1939 à 1966, tandis qu’Haenigsen, de 1943 à 1970, publiait également « Penny », un strip sur une adoles­ cente. On observera enfin un retour signi­ ficatif au thème du bébé avec « Mar­ vin» de Tom Armstrong (1983). 2. Angleterre La BD anglaise compte divers daily strips consacrés aux enfants. Beau­ coup de ceux-ci parurent sous forme de bandes muettes et, outre ceux ci­ tés dans la rubrique qui leur est consacrée, on peut ajouter les créa­ tions de Robert St John Cooper « The Home Page Kids » ou, après la guerre, «The Cooper Kids». « Cheeky Charlie » de Rodger ou « His Nibs» de Charles Holt illus­

trèrent également le genre. Brian White fut, en 1933, le créateur de «Nipper», le kid strip le plus po­ pulaire de la presse quotidienne an­ glaise, souvent traité (mais pas ex­ clusivement) en pantomime également. White excella à donner de la petite enfance une image hu­ moristique, mais réaliste. En 1955, il continua pour le Star la bande américaine «Double Trouble» de Bill MacLean. La petite enfance a été, par la suite, traitée sous des for­ mes plus modernes ou sophisti­ quées. Ce fut notamment le cas, en 1966, de « Choochie and Twink » de Cyril Jacob (Chic), où un bébé et un basset échangeaient réparties désen­ chantées et pointes moqueuses, mais qui dérouta ses lecteurs. « Willie Biggelow » de Frank Dickens transporte dans le monde de l’en­ fance la même ironie déjà à l’œuvre dans « Bristow ». « Horatio » de Da­ vid Judd reprend le thème connu du bébé exprimant ses pensées et ju­ geant ridicules les adultes qui s’agi­ tent autour de lui en bêtifiant. « The Perishers» de Dennis Collins, créé en 1958, est une sorte de « Peanuts » britannique mais dans un décor plus urbain et avec un graphisme plus traditionnel. Le strip est original dans sa forme avec ses vignettes tou-

KATZENJAMMER KIDS tes en hauteur. «Clive», créé en 1968 par Angus McGill (texte) et Dominic Poelsma (dessin), s’attache au portrait d’un jeune adolescent particulièrement au courant des der­ nières modes intellectuelles, mais le strip s’est de plus en plus centré sur sa jeune sœur Augusta, une gamine tout aussi évoluée et féministe ar­ dente (le strip paraît également aux USA où il est titré «Mrs. Au­ gusta »). Il va sans dire que cet aperçu du comic strip centré sur les enfants, dans les quotidiens anglais, ne doit pas faire oublier l’énorme production de bandes sur les gosses, parues dans les nombreux illustrés, et destinées à un public enfantin.

3. Australie Autre pays où existe une formule de production proche de l’américaine, ¡’Australie a vu naître quelques kid strips non négligeables. « Ginger Meggs » fut le premier à paraître, sous forme de sunday page, dans le Sydney sunday Sun, où il fut créé en 1921 par Jimmy Bancks qui le pour­ suivit jusqu’en 1952, la série étant reprise depuis par divers dessina­ teurs. Bande diffusée internationa­ lement (et même aux USA où elle le fut par Arthur J. Lafave, respon­ sable d’un petit syndicale à son nom), populaire, mais peut-être da­ vantage appréciée par les adultes, « Ginger Meggs » eut, dès 1923, un rival avec « Fatty Fin», un autre sunday page, créé en 1923 par Syd Nicholls, pour le Sydney Sunday News. Cette bande, toujours exis­ tante, se rapprochait davantage de l’esprit des strips américains avec leurs bandes de gosses joyeux et gentiment turbulents. Nicholls la dessina dans un style qui devait tout autant à Percy Crosby qu’à Gene Byrnes et qui s’est légèrement mo­ dernisé par la suite.

KING Frank (1883-1969)

Litrle Iodine

160

h?». opcu Mumii

USA

Né le 11 juin 1883 à Cashton (Wis­ consin), il débuta en 1901 au Min­ neapolis Times. En 1905, il suit les cours de la Chicago Academy of Fine Arts, puis collabore aux jour-

naux locaux de Hearst avant de re­ joindre le Chicago Tribune en 1910. Outre un bref daily strip, «Jonah, the Whale for Trouble », il créa de nombreux Sunday pages dont « Oh Agustus », « Look Out for Motorcy­ cle Mike ! », « Tough Teddy », « Hi Hopper» (une grenouille) et en 1915 son premier succès, « Bobby Make-Believe », une sorte de « Little Nemo» aux rêveries plus liées au réel (en 1919, la série est reprise par Frank Willard, puis Everett E. Lowry). En 1917, il y joint un se­ cond Sunday page en noir et blanc dont la partie supérieure, «The Rectangle », concernait la vie de Chicago tandis que l’inférieure était divisée en dessins à thèmes propres. C’est dans l’un d’eux qu’en novem­ bre 1918 apparut l’univers de la Ga­ soline Alley. Vite apprécié, ce des­ sin l’amena à abandonner « Bobby Make-Believe», en 1919, tandis que « Gasoline Alley » devenait un daily strip ainsi qu’un Sunday page l’an­ née suivante. Il s’agissait à l’origine de présenter quelques voisins qui se réunissaient pour discuter voitures et mécanique. (En 1920, le cartoo­ nist Frank Beck, dans «Gas Bug­ gies», devait s’inspirer de thèmes voisins.) Afin d’attirer les lectrices, le héros célibataire du strip, Walt Wallet, découvrit en 1921 un bébé abandonné devant sa porte. Le ton de la série changea, Walt épousant d’ailleurs Phyliss Blossom en 1926 et devenant père «effectif» par la suite de deux enfants. Family strip mais de façon originale, «Gasoline Alley » s’attacha à relater les menus faits de la vie provinciale américaine et surtout fit vivre ses différents per­ sonnages dans le temps réel, chacun vieillissant en même temps que les lecteurs. Aujourd’hui la série compte plus d’une trentaine de per­ sonnages permanents dont certains sont nés dans les années 20 ou 30 et à leur tour devenus parents ou grands-parents. Chronique tendre, amusée et optimiste, document so­ ciologique à sa façon, modèle de narration limpide et maîtrisée (s’il n’y eut que rarement des intrigues mouvementées, ce ne fut jamais un simple strip à gag), « Gasoline Al­ ley » fut l’œuvre de King jusqu’à sa retraite en 1960. Mais dès 1951, celui-ci avait confié le Sunday page à son assistant depuis 1926, Bill Perry, qui le reprit ainsi que son strip complémentaire « Little Bro­ ther Hugo». Depuis 1960, c’est Dick Moores qui est responsable du daily strip, le réalisant avec un gra­ phisme net et méticuleux, synthèse heureuse de ses travaux auprès de Chester Gould et des Disney Prod., et enrichissant la distribution du

strip de caractères nouveaux tels Joel et Rufus, deux campagnards à la Laurel et Hardy. Depuis 1975, Dick Moores réalise également le Sunday page. Bande essentiellement américaine, «Gasoline Alley» fut publiée en France, dans les années 30, dans Benjamin. Titrée « Pata­ tras », la série fut poursuivie par J.P. Pinchon.

KIRBY Jack (1917-

)

ÜSA

C’est sous son véritable nom, Jack Kurtzberg, qu’il signa ses premiers dessins humoristiques publiés dans des journaux américains. Mais Jack Kirby pourrait aussi avoir une ou des entrées dans cette encyclopédie sous des pseudonymes aussi divers que : SANDE Fred ; GRIFFITH Mi­ chael ;

CURTISS Jack;

KELLY

Floyd; KIRBY Lance; davis Curt. Autant de noms adoptés selon l’épo­ que et selon l’employeur par un des­ sinateur prolixe. Mais il en est un autre sous lequel il aurait pu à juste titre figurer ici, celui de «King». Car au fil des années, il est le seul dessinateur américain à s’être vu dé­ cerner ce titre, et cela non par une association officielle quelconque mais par la grande masse des lec­ teurs de comic books, seulement in­ fluencés en cela par son compère Stan Lee, éditeur des Marvel Comics et lui aussi vénéré par les mas­ ses. Il faut dire à la décharge de ce public si facilement influençable et enthousiaste qu’à l’époque, au dé­ but des années 60, le dessin de Jack Kirby et les scénarios de Stan Lee, associés entre autres dans Fantastic Four, Hulk, Thor, Captain America et Avengers, étaient l’événement de la décennie, le raz de marée laissant pantois les lecteurs, la dernière mode dont on parlait sur le campus, entre un cours de physique et une séance de drive-in au clair de lune. Et que d’autre part le graphisme fracassant de Kirby avait déjà com­ mencé à influencer tous les dessina­ teurs de comic books depuis le dé­ but des années 40 et la naissance de Captain America, créé avec Joe Si­ mon. En 1961, Lee et Kirby créèrent les Quatre Fantastiques; depuis plu­ sieurs années, ils collaboraient sur des histoires de science-fiction de quelques pages publiées dans des illustrés aux noms aussi évocateurs que AmazingAdult Fantasy, Taies toAstonish, Taies of Suspense... mais dans les premiers numéros de Fan­ tastic Four, le seul souvenir de ces histoires fut la peau craquelée de « The Thing », La Chose, et la pré­

sence d’une race d’extraterrestres foncièrement mauvais, les Krulls, ces deux éléments rappelant les monstres des histoires précédentes, créatures gigantesques bâties sur le modèle de Gorgo ou de Konga, êtres verdâtres décidés à envahir la Terre, monstres en fait qui rappe­ laient ceux déjà vus dans les films de science-fiction des années 50 (Them, Tarentula...). Ce sont les scénarios de Stan Lee qui assurèrent la cohérence des Marvel Comics des années 60, faisant voyager les héros et les « vilains » d’un illustré à l’au­ tre, créant un tissu de références dans lequel le lecteur pouvait se lais­ ser capturer, un monde complexe et complet, très sensible aux moindres modes et variations d’état d’âme que traversait la jeunesse américaine, si sensible en fait que celle-ci pouvait trouver dans les Marvel Comics un reflet de sa propre réalité et de ses désirs. Mais la contribution de Jack Kirby à l’institution de ce monde fut énorme. Sa productivité éton­ nante fit qu’il parvint à donner à l’ensemble des séries et des héros un aspect uniforme, les exagérations mêmes de son dessin devenant le si­ gne de ralliement de toute une école de dessinateurs, de tout un culte de la part des lecteurs. Ses personna­ ges étaient massifs et pourtant d’un dynamisme et d’une vitalité extraor­ dinaire, muscles toujours bandés dans un effort mais n’ayant qu’un lointain rapport avec l’anatomie hu­ maine, corps toujours en mouve­ ment. Ils étaient les symboles d’une puissance et d’une force presque animale qui culmina avec la créa­ tion de « Black Panther », la pan­ thère noire, le nom du mouvement révolutionnaire américain étant ainsi curieusement détourné et donné à un prince africain, parfai­ tement cultivé et éduqué au sein des meilleures universités américaines mais devenant un fauve féroce une fois revêtu son costume de héros. L’autre caractéristique graphique qui rendit uniformes les Marvel Co­ mics sous le crayon de Jack Kirby fut la suppression dans la plupart des cases des décors et de tous les détails susceptibles d’entraver la description d’une action. Dans les chocs et les coups, les onomatopées dessinées aux formes et aux cou­ leurs délirantes recouvraient tout, débordaient du cadre des images. Un style et une technique qui per­ mettaient de dessiner beaucoup plus rapidement et de produire plus de planches, et qui devinrent, constam­ ment employés par Kirby, modèle et chef-d’œuvre. Parmi les émules de Jack Kirby, il y eut à leurs débuts Jim Steranko

161

et Barry Smith, et ensuite toute la kyrielle de jeunes dessinateurs qui reprirent « Fantastic Four », « Thor », « Hulk »... lorsque le King quitta la Marvel en 1970 et que John Buscema ne put tout dessiner à sa place : Rich Buckler, Herb Trimpe, George Perez... les élèves ne parvenant cependant jamais à égaler le maître. De 1971 à 1975, devenu son pro­ pre scénariste pour quatre illustrés de la National Comics, Jimmy Oi­ se» Superman ’s Pal, Forever People, New Gods et Mister Miracle, Jack Kirby tenta enfin de développer sa propre thématique, hors de l’in­ fluence d’un Joe Simon ou d’un Stan Lee. Et ses héros furent des dieux et des démons venus sur no­ tre Terre pour y porter leur guerre. En un millier de planches, Kirby mit sur pied toute une mythologie complexe. Longtemps à l’école de

Jack Kirby

Stan Lee, il chercha à créer entre les épisodes, entre les illustrés, tout un réseau d’interférences, d’histoires annexes, d’aventures parallèles qui donnaient à l’ensemble de ses illus­ trés, pourtant très disparates, leur unité. Devant le manque de succès de cette œuvre, trop dans la tradi­

162

tion des Marvel Comics pour sé­ duire le public plus casanier de la National, Kirby lança d’autres illus­ trés. The Demon (août-septembre 1972), curieuse histoire de magie et de super-héros ; Kamandi, the Last Boy on Earth (octobre-novembre 1972), démarquage de La Planète des Singes où le héros et une poignée d’autres êtres humains rescapés d’un cataclysme mondial se trou­ vaient pourchassés par toute une ménagerie intelligente ; The Sand­ man (décembre 1974), Omac One Man Army (septembre 1974), Jus­ tice Inc. (1975) et d’autres séries qui tentaient toutes de renouer avec des bandes qu’il avait dessinées pour la National durant les années 40 ou de profiter des modes du moment. Dans le même temps, d’ailleurs, la firme rééditait de vieilles aventures de «The Boy Commandos», un groupe d’enfants engagés dans la

Marvel Conn,, Group

Seconde Guerre mondiale, et de «The News-boy Legion and the Guardian», autre célèbre groupe d’enfants, dessinées dans les années 40 par Kirby. Lassé au bout de quelques mois par ce retour aux sources, Kirby re­ tourna chez Marvel, lançant The

Eternals en juillet 1976 et 2001 A Space Odyssey en décembre de la même année, et reprenant en sus deux séries qu’il avait déjà dessinées dans les années 60, Black Panther et surtout Captain America. Le thème de The Eternals montrait une progression par rapport à celui de New Gods et de Forever People, progression dans la folie et dans ¡’excès. Les Eternels qui y étaient présentés étaient les descendants des dieux de l’Olympe, et leurs dieux venus de l’espace étaient les êtres dont parlent Robert Charroux ou Erich Von Dâniken dans leurs livres, tout cela bien sûr sur fond de cavernes secrètes sous les Andes, d’Eternels déchus, de luttes fratri­ cides entre immortels, et avec en prime le sort de l’humanité tout en­ tière mis en balance. Cette série, qui fut interdite par la censure lors de sa traduction en français (Editions Lug 1977), reprenait tous ¡es tics et les trucs du grand Kirby de Thor (un autre dieu mais nordique celuilà), de Fantastic Four et de Silver Surfer, mais avec une démesure fa­ buleuse qui en accroissait la vio­ lence et le caractère saisissant. Là non plus pourtant le succès espéré ne vint pas, malgré le caractère à la mode de ce genre de mythe. De même Black Panther et Captain America, qu’il dessina pourtant épi­ sodiquement pendant plus de trente ans, ne lui permirent pas de retrou­ ver la grande masse de son public. Toujours pour la Marvel, il a tenté de lancer d’autres séries : Devil Dinosaur destiné à suivre la mode des grosses bêtes, et Machine Man dans la lignée des hommes et femmes bioniques de la télévision, séries destinées à connaître le même sort que New Goods, The Eternals... et iî apparut que le style de Kirby était alors dépassé, d’autres graphistes tels John Buscema, Neal Adams, Jim Steranko, Barry Smith, Bernie Wrightson et Alex Nino donnant au public une autre pâture, plus mo­ derne et plus apte à satisfaire ses goûts. Des séries lancées pour Pa­ cifie Comics, Captain l'icrorv (1981), Silver Star (1983), ont confirmé cette tendance et Kirby a préféré travailler pour Hanna et Barbera et Marvel sur la mise en images animées de ses anciens suc­ cès. Il est cependant revenu à la BD chez Marvel pour un album origi­ nal du Silver Surfer et chez Natio­ nal pour une suite en album de The New Gods, et pour des petites séries telles Super-Powers (1985). En 1983, il a dessiné chez Eclipse le Destroyer Duck de Steve Gerber, expression de la rancœur de ce der­ nier envers la Marvel qui avait

conservé les droits de sa création : Howard the Duck.

KITCHEN Denis (19-16-

)

USA

Né à .Milwaukee (Wisconsin) le 27 août 1946, il a travaillé pour plu­ sieurs journaux d’étudiants et un hebdomadaire gratuit de la ville, le Bi/g/c American, jusqu’au jour où il découvre le premier numéro de Bi­ lan, en 1968. C'est ce qui lui ins­ pire la création de Mom’s Home­ made Comics, qu’il dessine et édite lui-même. Avec les dessinateurs de Milwau­ kee, le soutien de Lynch et Crumb, il tente, en vain, de créer un syndi­ cale (Krupp), puis lance Kumquat Production qui édite Shangrila et Quagmire. En 1970, il est à l’origine de Krupp Comic Works qui fonc­ tionne en coopérative, réunissant Don Glassford (créateur en 1970 du premier comic book underground en trois dimensions), Jim Mitchell (créateur de « Smile »), Bruce Wal­ thers (créateur d’«O.K. Kabbibler »). En dehors de la section « co­ mics», baptisée Kitchen Sink Enterprises, Krupp crée des jeux, des T-shirts, effectue des travaux publicitaires, et lance sur le marché le premier disque de Crumb. Editeur dynamique, Kitchen a re­ noué avec les grands anciens, et pu­ blié Will Eisner et Kurtzman au­ près des dessinateurs de comix. Cartoonist, il s’exprime dans le do­ maine de l’humour et de la satire burlesque (il a créé des parodies de gag strips et de detective stories), dans un style vif et alerte, extrême­ ment clair et précis. Il apparaît au sommaire de tous les comic books qu'il a publiés (Snarf, Hungry Chuck Biscuits, Deep 3D, ProJunior, Shangrila, Smile, etc.), et dans beaucoup d’autres (Dope Co­ mix en 1978, etc.).

KNERR Harold (188 3-1949)

USA

Né en 188 3 à Bryn Mawr (Pennsyl­ vanie), Harold Knerr fit quelques études artistiques à Philadelphie et commença par dessiner des repro­ ductions de gravures de pierres tom­ bales pour le Philadelphia Records. Pour le Philadelphia Ledger, il pro­ duisit un animal strip « Zoo-Illogical Snapshots» et, en 1902, il vint au Philadelphia P.mparer où il créa deux kid strips avant de reprendre en 1910 le Sunday page de C.M. Pavne, « Scary William » (un redou-

Denis Kirche» : Ingrid the Bitch

table garnement) et de poursuivre, de 1905 à 1914, la série créée, en 1902, par William Marriner, « The Eeinheimer Kids » (avec Jackev, Johan et l'ncle I.ouie) qui n’était au­ tre qu’une imitation assez, réussie des « Katzenjammer Kids» de Dirks. Quand Hearst décida de faire continuer les « Katzies », il choisit, en 1914, Knerr. Celui-ci se montra l’égal de Dirks (il était également d’ascendance allemande) et fit de la bande (retitrée en 1917-1919, en rai­ son de la guerre, « The Shenanigan Kids ») son œuvre propre, créant denouveaux personnages et notam­ ment, dans les années 30, l’hypo­ crite Lena, la maigre et sévère Miss Twiddle et l’affreux Rollo (ces deux derniers connus en France sous les noms de Miss Ross et d’Adolphe).

i».».

Kr.i»-»

L’humour pince-sans-rire de Knerr, son graphisme rond et souple, son habileté dans le découpage firent de ses planches autant de petites mé­ caniques hilarantes parfaitement huilées. Un éphémère top «Jungle Bed-Time Stories » fut remplacé en 1926 par «The Dinglehoofer und his Dog Adolph», toujours dans une veine germano-américaine, au comique beaucoup plus souriant et calme. En raison de l’arrivée de Hitler au pouvoir, le dog Adolph fut remplacé par un basset, Schnappsy. Knerr mourut le 8 juil­ let 1949; Doc Winner lui succéda sur les «Katzies» jusqu’à sa mort en 1956 (ainsi que sur « Dinglehoo­ fer » qui prit fin en février 1952). Winner ne possédait pas le trait dvnamique de Knerr. Ses personna-

163

Thc Katzenjammer Kids

l'l I 1. Km: l-v.irures Svn.b,.».

ges lourds se prêtaient mal au rythme vivace qu’exigeait l’esprit de la bande. Mais la catastrophe sur­ vint lorsque Joe Musial reprit la sé­ rie; ce «ghost» professionnel, mieux inspiré sur d’autres bandes, adopta un graphisme brouillon et simplifié qui rendit insipides les ex­ ploits des célèbres garnements. Mu­ sial (auteur mieux inspiré de kid strips comme «Jan and Aloysius» ou « Teddy and Sitting Bull » parus en comic books) décéda en 1977. Mike Senich lui a succédé, s’effor­ çant d’imiter le graphisme de Knerr avec un certain bonheur. L’œuvre de Knerr est connue en France sous le nom de « Pim, Pam, Poum ». Cer­ tains fascicules publient sous ce ti­ tre également l’œuvre de Dirks et d’exécrables apocryphes, dont cer­ tains dus à Jean Cézard.

Krazy Kat. Voir George.

herriman

KRENKEL Roy Gerald (1918-1983)

OSA

A soixante ans, Roy Krenkel était encore un inconnu ou presque de ce côté de l’Atlantique, car seuls quelques fanzines lui avaient jusqu’alors ouvert leurs pages et quelques spécialistes éclairés men­

Eric de Noornam

164

tionné son nom à propos des EC co­ nfies d’Edgar Rice Burroughs ou de Robert E. Howard. Mais à vrai dire il n’a pas non plus aujourd’hui et n’eut d’ailleurs jamais une notoriété beaucoup plus considérable aux Etats-Unis. Travaillant dans les domaines de l’illustration fantastique et de la bande dessinée plus pour son plai­ sir que pour en tirer les moyens de subsister, Krenkel s’est toujours contenté, et cela depuis les années 50, de choisir ici un contrat, là une collaboration, ailleurs une contribution gracieuse à l’iconogra­ phie des pages d’un fanzine, par amitié, pour enrichir son expérience graphique, ou simplement en guise d’hommage aux textes d’un auteur depuis longtemps révéré. Ainsi, lorsque Donald Wollheim commença la réédition des œuvres de Burroughs pour Ace Books, Krenkel peignit-il les premières couvertures de la s,érie, laissant en­ suite la place à Frank Frazetta; ainsi, lorsque Lancer Books publia les récits d’heroic fantasy de Robert E. Howard, Krenkel donna-t-il un visage et une silhouette à King Kull, concédant Conan à Frank Frazetta. Krenkel et Frazetta, carrières entre­ croisées, firent ensemble leurs pre­ mières armes dans les pages des EC en 1955, assistant Wallace Wood, Al Williamson, Harry Harrison ou d’autres, mais ne signant pour Fra-

zetta qu’une seule bande et pour Krenkel aucune, puis passèrent tous deux à l’Art Commercial et à la peinture, aux couvertures de livres de poche et aux revues de James Warren, Crcepy et Eerie. Mais si Frazetta, par son impact visuel et sa productivité étonnante, a désormais atteint la célébrité et symbolise un certain style, une cer­ taine école riche en élèves, Krenkel reste et restera toujours un artiste de chapelle, porté aux nues par les initiés mais inconnu du grand public. Ses villes aux tours élancées, d’abord décor futuriste pour les héros d’Al Williamson, des pages de science-fiction des EC aux aventu­ res de Flash Gordon pour King Comics en 1967, sont peu à peu devenues cités d’un passé révolu, Cnossos, Atlantide, Ninive, Jérusa­ lem, Carthage, Byzance. Villes aux noms éternels ramenées à la vie par la magie du trait, la rigueur du gra­ phisme, la passion des architectures démesurées que possède Krenkel : illustrant un livre de L. Sprague de Camp consacré aux cités antiques, donnant un merveilleux recueil dedessins sur le même thème, « Cities and Scenes from the Ancien! World », faisant revivre dans les pages du fanzine Arnra les vieilles pierres, les barbares de temps révo­ lus, les machairodontes, ptérodacty­ les et autres monstres à jamais disparus.

1».», Kn-ssc

KRESSE Hans (1921-

)

NL

Né le 3 décembre 1921 à Amster­ dam, Kresse publie à dix-sept ans sa première bande dessinée, dans le périodique scout De l'erkenner : c’est sa version personnelle de Tar­ zan («Tarzan van de Apen ») pro­ fondément influencée par celle de Poster. I.e texte n’est pas disposé à l’intérieur de bulles, mais sert de lé­ gendes aux images, procédé avec le­ quel Kresse ne rompra que bien plus tard. Après la publication d’un western dessiné, « De Avonturen van Tom Texan » dans De I erZtiw/cr ( 194019 11), Kresse entre aux studios de Marten Toonder. Il y réalise d’abord une bande de sciencefiction, «Per Atoomraket naar Mars » (« En fusée atomique vers Mars »), puis « Robby Robijn », pu­ blié dans Trouw (1945-1946). L’est alors le début, sur une idée suggérée par Toonder, de la saga d'Eric l’Homme du Nord (« Eric de Noorman »). Le héros apparaît pour la première fois dans le journal lier I.aaste Xieutes, le 6 juin 1946 ; la sé­ rie sera reprise dans l’hebdomadaire Tout Plies (1947). Jusqu’en 1964, Kresse réalisera 66 épisodes, parfois en collaboration, pour le scénario, avec Dick Huizinga et Jan Walin Dijkst ta, avant d’abandonner cette bande, extrêmement populaire aux Pays-Bas. Elle met en scène Eric et sa femme W’inona, rescapés de la destruction de l’Atlantide, et qui parcourent le monde sous des pré­ textes divers, ce qui fournit à Kresse la matière d’une riche épopée roma­ nesque et poétique, faisant souvent appel aux légendes et aux traditions populaires. (Lest pendant ces an­ nées où il poursuit la saga d’Eric que le style de Kresse a considéra­ blement évolué, s'affirmant résolu­ ment dans le réalisme. Mais il continue à ignorer l’usage (tu phvlactère, faisant toujours du texte une légende au dessin (certains édi­ teurs étrangers d’Eric l’ont d’ail­ leurs remanié, pour lui donner un aspect plus moderne, v introduisant les bulles). En 1966, Kresse don­ nera une suite à Eric, en mettant en scène le fils de celui-ci, « Erwin » (paru dans Pep), utilisant alors le système des bulles. Kresse est aussi l’auteur, au début des années 60, d’une bande d’ins­ piration western, «Metho Tonga» (parue dans De Kjcine Zondagstriend, puis à partir de 1962 dans Pep), de « Zorro » ( 1964) et de « Vi­ docq » (1965), également parus dans Pep. Lette dernière série occupe une place à part dans son œuvre : il v

retrouve la tradition du feuilleton à épisodes à la manière des roman­ ciers populaires de la fin du XIXe siècle : reprenant le journal de Vi­ docq, il construit une intrigue à re­ bondissements multiples, campe des personnages mystérieux ou pit­ toresques, allant des bas-fonds et des cabarets louches aux salons de­ là haute société parisienne. «Vi­ docq » est remarquable par la façon dont Kresse a su, grâce à l’emploi du noir et blanc, créer des atmo­ sphères, jouer sur les ombres, les clairs-obscurs. En 1972, il commence « Les PeauxRouges», où il a voulu tracer, en couleurs cette fois, une grande fres­ que de l’Amérique du Nord aux premiers temps de la conquête es­ pagnole, exaltant la vitalité, les va­ leurs, le courage et la fierté du peu­ ple indien face à l’invasion étrangère, ('elle série (six volumes publiés en France à ce jour) lui a valu à Angoulême le prix Alfred de­ là meilleure œuvre étrangère (1977). Ainsi, de Eric aux Peaux-Rouges, Kresse s’est bien affirmé comme l’un des grands du réalisme en bande dessinée.

fiction de la EL est la seule partie de sa carrière qui lui ait valu une grande notoriété, Bernie Krigstein travailla aussi durant les années 40 et 50 pour beaucoup d’autres fir­ mes, dessinant en particulier « Nyoka the Jungle Girl » pour Faw­ cett et « Wildcat » pour National en 1948, « Galamity Kate » pour Orbit en 1950, «Space Patrol» et « Spa­ cebusters » pour Ziff Davis en 1952. Il fut l’un des artistes employés par la Marvel pour illustrer les petites histoires fantastiques et de sciencefiction publiées dans les années 50 dans A dventures into Weird Worlds, Adventures into Terror, Astonishing, Journey into Mystery et Strange Ta­ les, illustrés qui résistèrent pour la plupart au Lomics Gode et qui abri­ tèrent dans les années 60 les aven­ tures de quelques-uns des super­ héros de Jack Kirby et de Stan Lee. A l’époque, Krigstein était prési­ dent de la SOGBI (Society of Comic Book Illustrators), l’ancêtre de l’AGBA des années 70 que devait aider à créer puis animer Neal Adams. De sa tentative pour créer un véritable syndicat des dessina­ teurs de comic books, capable d’exi­

THE TRAIN GRINDS TO A STOP. THE DOORS SLIDE OPEN. HE’S COMING TOWARD YOU, CARL f RUN* THIS IS YOUR

Krigstein : Course-poursuite avec la mort

KRIGSTEIN Bernard (Bernie) B. (1919-

)

USA

Si sa contribution aux illustrés de guerre, d’horreur et de science-

ger des éditeurs l’acceptation d’un prix minimal de la planche, il ne retira que des déboires, les assem­ blées générales n’aboutissant à rien et certaines firmes, dont la Natio­ nal, cessant de lui confier des ban­ des à dessiner.

Bill Gaines n’eut pas cette attitude, lui donnant pour premier travail l’encrage d’une histoire de sciencefiction dessinée par Al Williamson, au grand déplaisir de celui-ci lorsqu’il vit le résultat, si grand même qu’il exigea de Gaines que l’encrage soit recommencé par d’au­ tres. Incompatibilité de styles ou de personnes... Gaines ne commit pas deux fois cette erreur d’affectation, et Krigstein collabora ensuite à presque tous les illustrés de la EC, de Vauli of Horror à Mad, Two Fisted Taies et aux comics de la New Direction. Malgré son talent, Krigstein fut toujours un peu rejeté par les lec­ teurs des EC. Son style était com­ plètement différent de ceux de Johnny Craig, Wallace Wood, Jack Davis ou des autres dessinateurs de la EC. Il était plus sophistiqué, plus inhabituel, et le seul à présenter des recherches graphiques qui irritaient parfois Al Feldstein et William Gai­ nes. Malgré ce décalage par rapport au reste du contenu des EC, Krigstein donna à ceux-ci une de leurs ban­ des les plus connues et les plus ad­ mirées : « Master Race », dans le nu­ méro 1 d'impact (mars-avril 1955). Cette histoire de la rencontre d’un tortionnaire nazi et d’une de ses victimes rescapée d’un camp de concentration, bénéficiant d’un gra­ phisme très dépouillé et très pur, d’un scénario longuement travaillé par Feldstein, est surtout remarqua­ ble par son découpage qui aug­ mente l’intensité dramatique de la bande et la conduit vers une fin très dure tout en éliminant toute des­ cription de violence. Dans d’autres histoires, Krigstein développa en­ core cet art du découpage, emprun­ tant largement aux techniques du cinéma et parfois à ses effets, allant même jusqu’à dessiner les reflets dans les lentilles d’une caméra ima­ ginaire placée entre le lecteur et l’image. En 1955, il quitta la EC et abandonna presque complètement les comic books, ne dessinant plus que quelques rares histoires pour la Marvel et se consacrant à l’ensei­ gnement, à l’illustration de couver­ tures de livres et de disques et au dessin publicitaire.

KCJBERT Joe (1926-

)

USA

Dans sa longue carrière, Kubert a tout fait ou presque : dessinateur, scénariste, editor; travaillant sur­ tout pour les comic books mais aussi parfois sur des comic strips ; allant depuis 1942 de firme en firme, mais

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restant toujours fidèle à la National dont il est aujourd’hui l’un des pi­ liers les plus solides. Dans le domaine des strips, Kubert a collaboré avec Lou Fine sur The Spirit (1943-1944) et eu sa propre bande sur un scénario du journaliste Robin Moore, « The Green Bé­ rets », histoire romancée des bérets verts américains qui se sont rendus célèbres au Viêt-nam et dans d’au­ tres lieux d’intervention. Dans les comic books, il a dessiné « Phantom Lady » pour Quality, « Flag-man » pour Holyoke, « Black

ter Time Master», « Sea Devils», « Firehair » et même «Superman» mais seulement en tant qu’encreur. Historiquement, Kubert est surtout connu pour «Viking Prince» et pour « Tor ». Une bande située dans le Moyen Age des pays nordiques mais tellement envahie par le fan­ tastique qu’elle relevait plus de l’heroic fantasy que du récit historique, et à l’opposé les aventures d’un homme préhistorique. Mais depuis le milieu des années 50, la seule constante thématique de son œuvre est le fait des histoires de guerre

Cat » pour Harvey, «Mighty Mouse » pour St John, des histoires de guerre pour la EC et les aventu­ res d’une cinquantaine d’autres per­ sonnages, pour ces maisons et pour beaucoup d’autres. Chez National, la liste de ses œu­ vres ressemble à un catalogue des productions de la firme : « Dr. Fate», «H.iwkman», «Flash», «The Newsbov Legion», «Wild­ cat », « Viking Prince », « Rip Hun-

qu’il dessine et édite pour la Natio­ nal : «Sgt. Rock of Easy Co », « Haunted Tank», «G.I. Joe» et « Enemy Ace », le « Baron rouge ». Dans ces bandes qui ont pour cadre la Première et la Deuxième Guerre mondiale, il a pu développer toute une série de techniques graphiques destinées à rendre plus présente et plus horrible la dureté de la guerre. Ces techniques, le plus souvent dé­ rivées de mouvements réels ou ar­

tificiels de caméra, se servent de la page du comic book pour créer un espace dans lequel se déplace le point de vue du lecteur. Zoom : un cercle inséré dans une image gros­ sit un détail de celle-ci, visage gri­ maçant ou main crispée sur une arme. Panoramique : une suite d’images s’enchaînant suit les dépla­ cements d’un personnage ou d’un véhicule dans un décor qui n’est in­ terrompu que par les bandes blan­ ches séparant les cases. Plan fixe : partie de la ligne d’horizon, d’image en image, une colonne de tanks avance vers le lecteur dans un dé­ cor figé, jusqu’à sembler assez près pour l’écraser sous ses chenilles... Ce que chercha à traduire Kubert dans ses histoires de guerre, sur des scénarios dus le plus souvent à Ro­ bert Kanigher, ce fut la stupidité et l’horreur des combats ; simples sol­ dats, ses héros souffraient de la cha­ leur des déserts d’Afrique du Nord, du froid du front russe, de la boue des Ardennes. Les soldats améri­ cains restaient du bon côté, mais cette règle fut loin d’être exempte d’exceptions et Allemands et Ita­ liens gagnèrent dans ses bandes une humanité que leur avaient en géné­ ral refusée les films de guerre de Hollywood. Enemy Ace fut même allemand et héros à la fois, mais dans le cadre, il est vrai, de la Pre­ mière Guerre mondiale. Depuis 1968, dirigeant toujours la ligne d’illustrés de guerre de la Na­ tional, Kubert s’est livré à différents essais tels que « Firehair », très beau western, et en tant que scénariste, « Rima, héroïne de la Jungle ». Il a aussi dessiné «Tarzan» et édité le comic book qui lui fut consacré par la National ainsi que Korak, Son of Tarzan, de 1972 à 1977, avant que la Marvel ne reprenne à son tour ces héros.

des textes placés en légende sous les images (certaines éditions hors des Pays-Bas y ont ajouté des bulles), Kuhn a signé ainsi (parfois avec la collaboration d’Evert Werkman pour le scénario) 72 aventures (en tout 5420 strips quotidiens, pour la plupart réédités en albums) de Rob l’aventurier des mers et de son chien Skip, sur son bateau portant le nom de Liberté. Contrairement à un usage courant dans les bandes dessinées européennes où le héros n’évolue pas, Kuhn a raconté le ma­ riage du Kapitein Rob (1954), la ve­ nue au monde de son premier en­ fant (1955)... La bande s’est brutalement interrompue à la mort de Kuhn, le 20 janvier 1966 : le der­ nier épisode, « Rendez-vous à la Ja­ maïque», reste inachevé dans Het Parool, bien que le dessinateur ait eu le temps de le terminer ; il a, de­ puis, été réédité dans son intégra­ lité dans le fanzine Stripschri/t. Pieter Joseph Kuhn a très souvent utilisé le pseudonyme de ON.

KÜRTZMAN Harvey (1924-

)

ÜSA

New-Yorkais, né à Manhattan le 3 octobre 1924, Kurtzman passe

son enfance à Brooklyn et dans le Bronx, où il crée sa première bande dessinée, « Ikie and Mikie», à la craie, sur le trottoir, pour la plus grande joie des gamins du quartier. Il est le lauréat d’un concours de dessin, ce qui lui vaut d’entrer à la High School of Music and Art de NYC, où il rencontre Al Feldstein, John Severin, Bill Elder. Son pre­ mier cartoon, jamais publié, s’inti­ tule «BufTalo Bob» (dans Tip Top Comics, 1939). Après son service militaire, on le re­ trouve en 1943 collaborant à divers comic books, créant des bandes d’aventures (« Mr. Risk », « Magno and Davey»...) ou humoristiques («Fiat foot Burns », etc.) Jusqu’en 1952, il va s’exercer à tous les gen­ res, y compris western, aventures aéronautiques, humour, etc. Il col­ labore également à Yank, hebdoma­ daire de l’armée (1945), réalise des pages intitulées « Hey Look! » pour les publications Timely (1946-1949) et crée, dans le supplément hebdo­ madaire du New York Herald Tri­ bune, la série des « Silver Linings » (1948). En 1947, il a créé, avec son ami William (dit Bill) Elder (né le 22 septembre 1922), un petit studio de création de BD. C’est aussi l’épo­ que où il rencontre Goscinny, alors

KOHN Pieter Joseph (1910-1966)

NL

Né le 22 mai 1910, Pieter Joseph Kuhn avait derrière lui des études artistiques, une expérience de la li­ thographie et du dessin publicitaire, lorsqu’il publia sa première bande dessinée dans Het Parool (11 décem­ bre 1945) : c’était le premier épi­ sode de Kapitein Rob, intitulé « De /Xvonturen van het Zeilschip de Vrijheid » (« Les aventures du Vais­ seau Liberté»), Ainsi commençait une grande histoire d’aventures ma­ ritimes, dont l’auteur devait faire l’œuvre de toute sa vie, et qui a mar­ qué toute une génération de jeunes Néerlandais. Dans un style réaliste, en utilisant la forme traditionnelle

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à New York, avec lequel il restera très lié. En 1950, Harvey Kurtzman entre chez EC, comme scénariste et des­ sinateur pour des publications de science-fiction, d’horreur (Weird Science, Haunt of Fear, etc.) et des récits d’aventures militaires (Two Fisted Taies, Frontline Combat). Elder, qui l’a suivi dès 1951, tra­ vaille pour lui sur une bonne par­ tie de ces comic books. En 1952, c’est la création de Mad, entière­ ment conçu par Kurtzman, et où Will Elder, Jack Davis, Wallace Wood et lui-même vont donner li­ bre cours à une saine agressivité, à une satire féroce des institutions américaines. Le numéro 1 est pu­ blié en octobre-novembre 1952, sous la forme d’un comic book qui durera jusqu’en 1955, année où Mad devient un magazine de plus grand format et élargit ses centres d’intérêt (jusque-là principalement orienté vers les bandes dessinées) : parodies de la télévision, du cinéma, de la publicité, des hommes en vue, des modes, etc. Mad ne respecte rien, ne prend rien au sérieux; et son personnage fétiche, Alfred E. Neuman, image du parfait dégénéré aux oreilles en feuille de chou et au sourire béat, va faire rire tous les adolescents, provoquer l’inquiétude des parents et des éducateurs. A ces enfants des années 50, Mad apprend l’irrespect, et les sociologues y re­ lèveront plus tard tous les germes de la contre-culture américaine des années 60-70. Les premiers numé­ ros contiennent les plus étonnantes parodies de comics jamais réalisées

et qui ont nom « Flesh Garden », «Prince Violent», « Darnold Duck », « Poopeye », « Superduperman ». En juillet 1956, après le nu­ méro 28 de Mad, Kurtzman quitte EC à la suite de dissensions avec Bill Gaines, l’éditeur; il est rem­ placé par Al Feldstein. De janvier à mars 1957, il travaille avec Hugh Heflher (éditeur de Play-Boy) à un nouveau magazine d’humour, Trump, éblouissant, mais voué à l’échec commercial, et qui n’aura que deux numéros. Il crée alors Humbug, dans le même esprit, en noir et blanc (11 numé­ ros, 1957-1958). Puis, c’est la créa­ tion de Help! (26 numéros d’aoùt 1960 à septembre 1965), nouveau magazine d’humour, qui a marqué bon nombre de jeunes dessinateurs et constitué une véritable pépinière de talents : y collaboraient des per­ sonnalités aussi différentes que Glo­ ria Steinem, Terry Gilliam et John Cleese (créateurs, plus tard, de Monty Python), Crumb, Shelton, Jay Lynch, Skip Williamson... On y voit même Jerry Lewis, Dick van Dyke, Mort Sahl ou Woody Allen dans des parodies de romansphotos ! Aux environs des années 60, Kurtz­ man crée également « Kermit the Hermit», sur un scénario d’Elliot Caplin (le frère d’Al Capp) qui ne sera publié qu’en 1976. Cependant, avec Will Elder qui l’a accompagné dans toutes ses expé­ riences, tout en poursuivant de son côté une carrière d’illustrateur, il va créer, pour Play-Boy, « Little Annie Fanny » (1962), parodie de «Little

linings COULD I HAVE A CUP OF BLACK COFFEE I

« Silver Linings »

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HE/ JOE '

Orphan Annie» où il reprend un des stéréotypes les plus enracinés dans la culture américaine, la jeune fille éternellement sexy et éternel­ lement vierge, sex-symbol par excel­ lence ; il se livre à travers elle à une satire de l’Amérique des années 6070. Pour la publication en couleurs, Elder doit simplifier son dessin, très touffu ; la série a fait appel à la col­ laboration de Frazetta, Jack Davis, Russ Heath et Bill Stout. Elle a bé­ néficié d’une exposition au musée de Brooklyn (1974). Dès 1969, Kurtzman s’est joint aux dessinateurs d’EFO pour des jamsessions; ses dessins sont apparus dans des publications underground comme Yellow Dog (1969), Bijou (1973), Snarf (1973), Nardu' Pat (1974), etc. Il est impossible de citer ici toutes les créations d’Harvey Kurtzman. Il a publié de nombreux livres, des albums, créé des dessins animés pour l’émission de télévision « Sesame Street » (1972); tout en conti­ nuant d’écrire « Little Annie Fanny », il a assumé les fonctions de cartoon editor d'Esquirc. Se rattachant à cette tradition bien vivante de l’humour juif newyorkais, il a exercé une influence énorme sur des générations de des­ sinateurs, non seulement aux EtatsUnis, mais aussi en France (Wo­ linski, Gotlib, Mandryka, Pétillon et bien d’autres lui doivent beau­ coup); elle est ressentie bien au-delà du domaine de la BD pour des per­ sonnalités telles que Marty Feldman ou Phil Proctor, l’un des créa­ teurs du Firesign Theatre.

LAMBIL Willy (1936-

)

B

Agé de seize ans, Willy Lambillotte débuta comme lettreur aux Editions Dupuis. En 1959, dans Spirou, il crée « Sandy et Hoppy », une série réaliste dont le héros est un jeune Australien et qu’il poursuivra jusqu’en 1973. Parallèlement, de 1960 à 1973, il dessine une bande humoristique très épisodique, « Hobby & Koala » (sc. Delporte ou Gennaux). Après la mort de Salvérius, il poursuit en 1973 le western «Les Tuniques bleues» (sc. Cauvin) et publie « Pauvre Lampil » (sc. Cauvin), un family strip dans lequel il apparaît sous les traits d’un des­ sinateur peu chanceux. Abandonnant un réalisme assez fade et banal, Lambil modifia le style de la série dessinée par Salvérius de fa­ çon plus caricaturale de 1970 à 1972 (Salvérius était déjà l’auteur d’un western burlesque dans Spirou, « Whaloka et Whikilowat », de 1963 à 1968). Il introduisit plus de net­ teté et de rigueur, mais alliées à une grande souplesse. Echappant aux poncifs de l’école Spirou sans rejoin­ dre les conventions hergéennes pour autant, il unit schématisation et précision, traitement réaliste des ambiances et simplification humo­ ristique des physionomies, tout comme la série joue thématique­ ment aussi bien avec l’héroïsme que sa négation. Lambil et Lampil, le réel et son double inversé, c’est cette simultanéité des contraires qui fait l’intérêt d’une œuvre qui, sans rom­ pre avec une tradition franco-belge, sait de l’intérieur mettre en question les stéréotypes les plus figés.

LAÜDY Jacques (1907-

)

B

Peintre, Laudy ne débuta dans la presse qu’en 1940 en illustrant la couverture du numéro 1 de Bravo où il publia, de 1944 à 1946, sa pre­ mière bande, « Bimelabom et sa pe­ tite sœur Chibiche», puis en 1947, «Gus le Flibustier». En 1946, il dessina « Buonamico » dans Grand Cour et entra à Tintin avec « La Lé­ gende des quatre fils Aymon » avant d’y créer en 1948 « Hassan et Kaddour » et en 1952 « David Balfour ». Il quitta Tintin et collabora à Petits Belges avec, de 1954 à 1958, «Les Contes et Légendes de CharlesQuint » et, en 1960, un nouvel épi­ sode de « Hassan et Kaddour » (« Chasseurs de chimères ») dont il reprendra les aventures dans Tintin en 1962 («La Mission tragique du

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major Redstone »). Il renonce alors à la bande dessinée. Mais en 1985 un album, «Les Rues d’Edim­ bourg », sort chez Magic Strip, té­ moignant de son intérêt, trop sou­ vent contrarié, pour ce mode d’expression. Pratiquant la technique de l’aqua­ relle, Laudy, bien qu’il ait été un des fondateurs de Tintin, ne put ja­ mais imposer ses vues auprès de son éditeur. Son œuvre où se mêlent hu­ mour et poésie (à l’image de l’Ecosse, son autre passion), allie un style en partie hergéen aux exigen­ ces nées de sa formation de peintre et de décorateur. Bon nombre d’épi­ sodes de « Hassan et Kaddour » eu­ rent pour scénariste Jacques Van Melkebeke. Ce dernier prêta ses traits au professeur Mortimer de E.P. Jacobs tandis que Laudy ser­ vit de modèle pour Blake. Ainsi, parfois, fiction et réalité se répon­ dent pour mieux souligner ce que fut un groupe de dessinateurs où les créations des uns n’étaient jamais totalement étrangères ne fût-ce qu’à la simple existence des autres.

LAUZIER Gérard (1932-

)

F

Né le 30 novembre 1932 à Mar­ seille, après des études secondaires (à Marseille, puis Tananarive), une licence de philosophie et quatre ans d’études d’architecture aux BeauxArts, Lauzier fait ses débuts de dessinateur d’humour en 1954. Il participe alors à deux recueils de dessins : « Liberté Chérie » et « Fri­ volité», aux côtés de Bosc, Trez, etc. Parti pour des vacances au Bré­ sil, il y demeurera plus de sept ans, travaillant à Rio de Janeiro, puis à Bahia, comme illustrateur de publi­ cité et caricaturiste au Journal de Bahia (1958-1959). De retour en France, il collabore à de nombreux périodiques de la grande presse (Lui, France-Soir, Le Journal du Di­ manche, Paris-Presse, Paris-Match, Le Nouveau Candide...), ce qui lui vaut la renommée dans le monde des humoristes. C’est en 1974 qu’on lui propose, par hasard, de créer une bande des­ sinée : c’est « Lili fatale » qui sera publiée directement en album. Sui­ vront des années de collaboration régulière à Pilote, donnant lieu à de nombreuses bandes réunies en al­ bums : «Un certain malaise», « Chroniques de l’Ile Grande » (1977), mais surtout la série des «Tranches de vie» commencée en 1975. Dans la même veine, il y aura « La Course du Rat », « La Tête dans le sac », « Les Cadres », « Sou­

venirs d’un jeune homme»... Avec une ironie mordante, Lauzier s’at­ tache à mettre en scène un milieu social qu’il connaît bien (un peu à la manière de Claire Bretécher) : ca­ dres confortables, jeunes loups de la publicité, arrivistes et minables, femmes pseudo-libérées ou fillesobjets de désirs et de marchanda­ ges... tous engagés dans l’infernale course à l’argent et au pouvoir. De ce monde vulgaire et sordide, il a donné une caricature légèrement ambiguë, mais franchement drôle, qui a fait l’objet de nombreuses adaptations théâtrales et de plu­ sieurs films, dont il a lui-même écrit scénario et dialogues («Je vais cra­ quer » de Leterrier, « Psy » de Phi­ lippe de Broca). Lauzier est également l’auteur d’une bande dessinée érotique dont la première parution, dans Lui (1975) avait été interrompue par la censure, et qui a été rééditée en al­ bum en 1978. Aux Editions Glénat, il a donné «Les Sextraordinaires Aventures de Zizi et Peter Panpan », dont la parution dans Lui (1974-1975) avait été interrompue par la censure, et « Les Sexties ». Il a été le scénariste d’Alexis pour « Al Crâne », western parodique, ainsi que de l’illustrateur Quadrado pour une grande aventure dessinée, sur le mode poétique et romanesque, «Siri Bouche d’Or» (un seul épi­ sode paru dans Pilote en 1977). On en retrouve le personnage, Siri, dans le roman «Le Voleur de den­ telles », écrit avec la collaboration de Marie-Ange Guillaume (1985).

LAZARUS Mel (1927-

)

USA

Né le 3 mai 1927 à Brooklyn (NY), Mel Lazarus garda un fort mauvais souvenir de sa scolarité. A seize ans, il vend son premier cartoon, colla­ bore en free-lance à divers magazi­ nes comme Collier’s ou le Saturday Evening Post, puis devient l’assis­ tant d’Al Capp (il en tirera une nou­ velle «The Boss Is Crazy, Too»). Au début des années 50, il crée des panels hebdomadaires, «Wee Wo­ men » et « Li’l One », consacrés aux enfants précoces. Il reprend ce thème en publiant à partir de 1957 son strip « Miss Peach » pour le NY Herald Tribune Synd. (depuis ab­ sorbé par l’actuel Field Newspaper Synd.). Dans « Miss Peach », Laza­ rus donne libre cours à sa verve sar­ castique contre les enseignants, les opposant à des élèves pour la plu­ part surdoués, quoique non

exempts de conflits entre eux. Le graphisme de Lazarus est des plus simples : peu de décors, des petits corps surmontés de grosses têtes. Le daily strip est une simple et large vignette rectangulaire. En 1966, avec le dessinateur Jack Richard, Mel Lazarus tenta une expérience malheureuse avec « Pauline McPeril », parodie des vieux serials de Pearl White. Mais en 1970 il renoua avec le succès en publiant « Momma » (Field Newspaper), satire d’une mère abusive, une veuve intervenant le plus souvent à contretemps dans l’existence de ses trois enfants. Renouvellement quel­ que peu parodique du family strip, cette bande reste dans la même li­ gne « sophistiquée » que « Miss Peach » toujours produite (Lazarus est, depuis 1975, aidé par un jeune assistant, Mark Lasky). Mel (comme il signe parfois) est l’auteur de trois pièces, montées offBroadwav : « Everybody Into the Lake», «The Fly » et «Lifetime Eggcreams ».

devaient suivre : USA Comics, Amazing, Ail Winners, Young Allies, Daring Mystery, Raven... et Stan Lee, d’abord simple homme à tout faire de la firme, devint bientôt son scénariste principal et son editor en titre, responsable de tous ses illus­ trés, jusqu’à devenir en 1972 éditeur/directeur du Marvel Comics Group. Sa carrière se résume donc à un long cheminement de concert avec Timely Comics, puis Atlas Comics, puis Marvel Comics, mais compte aussi bon nombre d’articles de jour­ naux et quelques livres consacrés aux Marvel Comics : « Origin of Marvel Comics» (1974), «Sons of Origins » (1975), « Bring on the Bad Guys» (1976) et «The Superhero Women » (1977). Ce n’est cependant que depuis 1961 que son nom est devenu aussi célè­ bre que celui de sa firme, de ses hé­ ros, de ses illustrés : 1961 et la créa­ tion des Fantastic Four que suivirent Spiderman, The Aven­ gers, le retour de Captain America

jusqu’à la névrose et à la dépression. Les Quatre Fantastiques étaient vê­ tus de combinaisons bleues très fonctionnelles, ils constituaient un groupe uni, presque une famille, ils louaient l’immeuble qui leur servait de quartier général et de résidence, ils devaient payer des impôts et se retrouvaient poursuivis par l’admi­ nistration lorsqu’ils oubliaient de le faire ou n’en avaient simplement pas les moyens. Ils avaient en fait les mêmes problèmes que l’homme de la rue, et Stan Lee vendit ses per­ sonnages comme l’on vend les hom­ mes politiques, les montrant dans leur vie quotidienne, les faisant par­ ler avec leur concierge ou un chauf­ feur de taxi, consacrant plusieurs pages d’un épisode à faire visiter leur habitation, leur faisant dépouil­ ler le courrier de leurs admira­ teurs... Les deux créatures que lança ensuite Stan Lee, Hulk et Thor, avaient elles aussi toutes sor­ tes de problèmes : Hulk était un jeune et brillant savant qui se trans­ formait sous l’effet de la colère en I'î71L Marvel ( onius Group

Jack Ktrby/Stan l.ee : Lantastic l-’our

LEE Stan (Stanley Lieber) (1922-

)

USA

En 1939, lorsqu’il engagea Stan Lee, Martin Goodman était en train de diversifier les productions de sa maison d’édition et, séduit par le succès de Détective Comtes et de Ac­ tion Comtes, venait de lancer Mar­ vel Mystcry Comtes. Sous le label de Timely Comics, d’autres illustrés

et de Sub-Mariner, Thor, Iron Man, The X-Men, Captain Mar­ vel... Avec les Quatre Fantastiques, Stan Lee initia un mouvement qui fit des héros de comic books non plus seulement des personnages ha­ billés de costumes chamarrés et oc­ cupés à sauver la Terre ou à faire régner l’ordre, mais aussi des êtres humains auxquels leurs super­ pouvoirs et les responsabilités qu’ils impliquaient pouvaient poser des problèmes et même les pousser

colosse grimaçant, destructeur et in­ contrôlable ; Thor était le dieu ger­ manique du Tonnerre et en même temps un chirurgien affligé d’une jambe plus courte que l’autre. Quant à Spiderman, quatrième créature essentielle des Marvel Co­ mics, il s’appelait Peter Parker, était étudiant sans le sou et vivait avec une vieille tante possessive et de santé fragile. Essayant de conjuguer ses devoirs de super-héros, ses étu­ des et les petits travaux susceptibles

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de lui amener quelque argent, sa vie devint vite un cauchemar perma­ nent, un labyrinthe qui le condui­ sait de problème en problème. Il fut l’idole des campus américains, le symbole de toute une jeunesse qui se cherchait, entre le psychédélisme et la culture pop, la guerre du Viêtnam et le «make love, not war». Mais l’astuce commerciale suprême de Stan Lee fut de construire un univers cohérent. Vivant dans la même ville, ayant parfois les mêmes ennemis, menant le même combat, ses super-héros se mirent à sauter d’un illustré à l’autre, commençant une aventure ici, la terminant ail­ leurs, obligeant en fait le lecteur à acheter et à collectionner tout s’il voulait pouvoir s’y retrouver dans un univers qui devint de plus en plus complexe et touffu. Les histoi­ res se poursuivaient sur plusieurs épisodes et parfois sur plusieurs il­ lustrés, les références à des aventu­ res antérieures se multipliaient, les héros avaient une personnalité pro­ pre et attachante... les vilains mê­ mes étaient des figures familières et dont le comportement était très hu­ main. Depuis 1972, Stan Lee a peu à peu abandonné ses héros à d’autres scé­ naristes et editors, se contentant de superviser la cohérence de l’ensem­ ble. Cohérence qui s’est relâchée du simple fait de l’augmentation du nombre de titres publiés par la Mar­ vel, mais aussi par l’intrusion de hé­ ros et d’illustrés peu compatibles avec ceux lancés durant les années 60 par Stan Lee : Conan the Barba­ rían, Kull the Destroyer, Tomb of Dracula, Star Wars, Frankenstein... La publication depuis 1971 d’illus­ trés d’un format plus grand, impri­ més en noir et blanc, ayant d’autre part une influence perturbatrice dans la construction établie, car nécessitant un graphisme différent de celui qu’avait dix ans aupa­ ravant imposé Jack Kirby à toute la production de la firme, phéno­ mène également amplifié par le départ de Kirby de la Marvel, en 1971, et par son remplacement par John Buscema comme inspi­ rateur et maître à dessiner de la firme. La dérive s’est encore accentuée depuis l’accession de Stan Lee à de plus hautes fonctions au sein du groupe multimédia Cadence qui a pris le contrôle de la Marvel. D’une suite d’éditeurs, d’une lutte de succession acharnée, a surgi Jim Shooter, personnalité contestée, scé­ nariste de talent, jeune cadre aux dents longues, qui a pris le pouvoir à la Marvel, assurant à la firme une certaine agressivité commerciale,

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mais provoquant aussi le départ vers la concurrence des gens les plus créatifs.

LELOUP Roger (1933-

)

B

Né en 1933 à Verviers, Leloup étu­ die les arts décoratifs avant de col­ laborer avec Jacques Martin à Tintin (planches techniques auto et aviation). De 1955 à 1969, il tra­ vaille dans le cadre des Studios Hergé (éléments de décor pour « Tintin », « Alix », « Lefranc »). Pa­ rallèlement, à partir de 1966, il as­ siste Francis (Francis Bertrand) pour des décors tant à J2 Jeunes (di­ vers récits en 1966-1967) qu’au Soir Magazine («Jacky et Célestin» en 1967-1968) et Spirou («Les Pen­ seurs de Rodain» en 1967). En 1969, dans J2 Jeunes, il publie une brève série, « M. Bouffu » et c’est en 1970 que débute dans Spirou sa bande «Yoko Tsuno». Mêlant heureusement au fil des épi­ sodes mystère et science-fiction, mo­ dernité et tradition, il a su imposer avec la jeune Japonaise Yoko Tsuno, sans démagogie ou fausses audaces, une héroïne crédible et at­ tachante. Graphiquement, il est parvenu à faire coexister les deux grandes tendances belges, minutie hergéenne et souplesse caricaturale de 1’«école Spirou», en un ensem­ ble homogène. Mais, à l’opposé du travail référentiel ultérieur d’un Chaland qui mettra à jour les con­ nivences de deux styles apparem­ ment distincts, il serait vain de cher­ cher chez Leloup une réflexion sur les formes. La démarche est ici em­ pirique dans les limites d’un classi­ cisme que rien ne vient mettre en question. Non pas simple épigone, mais créateur original, Leloup a sa place aux côtés d’Hergé, Jacobs, Martin et De Moor, comme repré­ sentant « historique » de ce qui fut parfois appelé 1’ École de Bruxelles. Il est dommage que parfois le sou­ venir des planches techniques vienne ralentir le plaisir de la pure narration. Travers d’école...

LE RALLIC Étienne (1891-1968)

F

Ce chouan de cœur naît à Angers en 1891. Au fil d’une carrière pro­ lifique, il illustrera aussi bien des vies édifiantes que des scènes coqui­ nes. A partir de 1910 on le trouve dans Le Pêle-Mêle, puis La Chroni­ que amusante, Fantasio, La Baïon­

nette, Le Régiment, Le'Sourire, Le Rire, La Vie parisienne, Bagatelle, Pages folles, etc. Dans la presse en­ fantine, il participe au Bon Point amusant, Lili, Guignol, Lisette (où il signe Slime, puis Levesque), Pier­ rot. En 1930, il est à Cœurs Vail­ lants et réalise avec Marijac, en 1935, l’album « Flic et Piaff » pour l’éditeur Gordinne. Illustrateur, Le Rallie est alors hésitant devant la bande dessinée. Ce n’est qu’en 1938 que, dans Pierrot, il crée sa première œuvre en ce domaine, un western, «Le Réveil des Sioux». D’autres suivront tant dans Pierrot que dans O Lo Lê (1941), Coq hardi (« Pon­ cho Libertas» en 1944, puis d’au­ tres), les premiers titres de la presse Dargaud (Allô les Jeunes en 1945 et Bob et Bobette en 1946), les fascicu­ les Marcel Daubin (1944-1946), dans Wrill (1945-1949, avec le wes­ tern «Yan Keradec» et «Bernard Chamblet »), dans Cap’taine Sabord (1947, entre autres, «Le Seigneur d’Ahaggar »), Cadet-Journal ( 1946), France Soir Jeudi (1946), Tintin (1947-1951, avec «Jojo cow-boy», « Teddy Bill », « Leclerc »), L’Intré­ pide (1951-1961, avec « Horn du West » et, entre autres, « Davy Crockett »), Mireille (1953) et Nano et Nanette où il publiera diverses bandes dont sa dernière « Aliboron du Far West». Il meurt à SorelleMoussel en octobre 1968. Cow-boys, corsaires, militaires de toutes époques inspirèrent plus par­ ticulièrement Le Rallie, et les che­ vaux, beaucoup de chevaux ! Sa pas­ sion du détail en fit une sorte de « Meissonier de la bande dessinée ». Remarquable dessinateur, il lui manqua cependant le vrai rythme de ce mode d’expression. Ce sens du mouvement, on le trouve para­ doxalement plutôt dans ses dessins pour revues «légères». L’absence d’une tradition du girl strip en France l’empêcha d’être l’équiva­ lent d’un McManus ou d’un Chic Young, tout comme sa minutie le paralysa dans ce qui aurait pu le rapprocher d’Alex Raymond. Car il y a chez lui une pureté de lignes qui ne fut probablement pas sans in­ fluencer son confrère de Wrill et de Tintin, Jacques Martin. Et c’est en­ core à Le Rallie qu’on songera à propos d’André Juillard, Didier Convard, François Bourgeon ou Philippe Adamov. Il y a bien là une « qualité » française dont un disciple de Le Rallie, Robert Rigot, fut re­ présentatif dès les années 30 dans L’Epatant, L’As et Cœurs Vaillants (où il publie ensuite, en 1941, « La Cité perdue» et, à partir de 1950, « Frederi le Gardian », puis dans Ames Vaillantes, «Chantal»). Tout

Cannibale

cela a son intérêt, mais aussi ses li­ mites. Il est permis de regretter que ce ne soit pas le Le Rallie humoriste et amateur de jolies filles qui ait fait carrière dans la bande dessinée.

LIBERATORE Gaetano (1954-

)

1

Né à Quadri, dans les Abruzzes, en 1954, Gaetano (dit Tanino) Liberatore étudie l’architecture. Dès 1975, il illustre de nombreuses pochettes de disques avant de débuter dans la BD en 1978 en dessinant (de

concert avec Andrea Pazienza et Stefano Tamburini) les aventures d’un dénommé « Rankxerox » (sc. Tamburini), ainsi que d’autres histoires, dans la revue Cannibale. La même année, il publie dans II Male «Johnny Devo» parmi d’au­ tres planches. En 1980, il reprend « Ranxerox » dans le nouvellement créé Frigidaire, toujours sur des scé­ narios de Tamburini, lui donnant son orthographe et son apparence actuelles. Succès international, la bande sera notamment reprise dès 1981 dans l’ancien Echo des Sava­ nes (et poursuivie dans le nouveau). Tout en continuant de travailler pour Frigidaire, Liberatore s’installe

à Paris. Deux courts récits origi­ naux paraîtront ainsi dans l’Echo des Savanes (sc. Setbon, 1983) et dans Chic (sc. Daniel Varenne, 1984), ainsi que diverses illustrations (Té­ lérama, Le Gai Pied, Métal hurlant, Chic, etc.). Fêté aux USA, il publie «Shut-in» (sc. Bruce Jones, 1984) dans Twisted Taies des Pacifie Có­ mics et « Honey Hooker » (sc. Bruce Helford, 1984) dans le magazine porno Hustler. En Italie, Liberatore collabore également à Glamour, fait de nombreuses illustrations, crée des modèles de vêtements et a ima­ giné la scénographie d’une des sé­ quences de l’émission musicale de la RAI, «Mister Fantasy».

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Hyperréalisme ? Postmodernisme ? Vérisme punk? Liberatore défie les étiquettes, rendant compte de styles plus que ne se confondant avec eux. Ranxerox, androïde robot, au sens littéral branché, est finalement plus spectateur qu’acteur de la désespé­ rance urbaine. Ce détachement fait la force de Liberatore dont les jeux avec les stéréotypes d’une déca­ dence chic et d’une violence choc échappent ainsi aux risques d’une douteuse complaisance. Car si cette chorégraphie de câbles et de viscè­ res est d’une grande séduction, elle est d’abord — horriblement et furieusement — drôle. Version contemporaine de l’esprit des EC Comics, l’œuvre de Liberatore ne saurait à cet égard faire figure de simple effet de mode. Une adapta­ tion cinématographique de « Ranxe­ rox » est prévue, réalisée par JeanBaptiste Mondino. Et la popularité de la bande aux USA lui a déjà valu une parodie, « Wanxerox », par Bob Fingerman. Ligne claire. Voir

hergé.

Lil’Abner. Voir capp Al.

participe également à divers récits complets, notamment aux éditions Marcel Daubin (1946), aux éditions Mondiales («Tom Mix» en 19481949, « Satanax » en 1948-1949, un super-héros à la française, etc.), puis chez Artima (« Kromagoul », un singe qui parle dans Ardan en 19551956, etc.). Il donne plusieurs ban­ des à Ima de 1955 à 1958 et publie de nombreuses adaptations illus­ trées d’œuvres littéraires dans divers journaux dont L’Humanité. Il se re­ tire dans la Beauce en 1959 pour se consacrer à la peinture et meurt le 1er septembre 1969. Il serait excessif de tenir Liquois pour un vrai créateur, mais cet hon­ nête dessinateur est saisi par une sorte de grâce. Ses séries de sciencefiction témoigneraient presque d’un style «extraterrestre». Soudain le dessin semble éclater, l’utilisation habile des surfaces noires produit un effet de dislocation, inspire un rythme haché dans la composition de chaque vignette. Une atmo­ sphère bizarre naît de ces cases qui paraissent privées d’auteur. Par quels étranges mondes inconnus Auguste Liquois fut-il donc parfois hanté ? Little Orphan Annie. Voir ORPHELINS ET ORPHELINES.

LIQUOIS Auguste (1902-1969)

F

Né à Angers le 2 juillet 1902, Liquois y suit les cours du soir aux Beaux-Arts avant de gagner Paris en 1926. D’abord dessinateur de mode, affichiste, publiant des dessins dans Rie et Rac, Le Rire, etc., il crée en 1937 sa première bande, «Coco de la lune », dans Boum, puis, en 1938, «A travers les mondes inconnus» dans Pierrot. Diverses séries sui­ vront dans des genres variés tant dans Pierrot, Lisette, L’Epatant, que Junior où, en 1942, il termine un épisode du «Tarzan» de Hogarth. En 1942, il dessine deux des fasci­ cules des Cahiers d’Ulysse, puis en 1943-1944 participe au Téméraire avec «Vers les mondes inconnus» (que poursuivra Poïvet). Cette imi­ tation assez convaincante de « Flash Gordon » est dans l’esprit pro-nazi de ce journal et Liquois surenché­ rit avec « Zoubinette » dans Le Mé­ rinos (1944). Cette grossière satire des résistants ne l’empêche pas de se retrouver à Vaillant en 1945 pour y créer « Fifi gars du maquis». Il publiera dans Robin ¡’Ecureuil (1946), Cadet Journal (1946), Coq hardi (« Guerre à la Terre » en 19461947, repris par Pierre Duteurtre), Tarzan (« Salvator », autre série de Science-fiction en 1947-1948). Il

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Bielsa, il fut l’auteur des «MangeBitume » ; pour Alexis, de « Super­ dupont » ; pour Jijé, de quelques épisodes de «Jerry Spring». On n'en finirait plus d’énumérer toutes les bandes dont Lob fut le scéna­ riste, mais il faut mentionner son travail avec des dessinateurs comme Bretécher, Gotlib, Vern, Mandryka, Solé, Clavé, la jeune Annie Goetzinger, et bien d’autres chevaliers de la plume et du pinceau. Au début des années 80, il a été le rédacteur en chef du magazine Chic. En tant que dessinateur, Lob a créé « L’Homme au landau » (paru dans l’Echo des Savanes en 1975), où il donne libre cours à son humour noir et son goût de l’absurde, et « Roger Fringant » (paru dans Mé­ tal hurlant en 1976-1977) où il sa­ tisfait son penchant de toujours pour la parodie et le détournement des stéréotypes. L’intelligence et l’humour de scénarios bien cons­ truits font un peu oublier les imper­ fections et les maladresses du des­ sin. Lob est en effet l’un des seuls véritables scénaristes de la bande dessinée actuelle en France. Il a également signé le scénario et les dialogues d’un court métrage de C. Ferlet, lauréat de plusieurs prix (1970).

LOISEL Régis

LOB Jacques (1932-

)

(1952F

Né le 19 août 1932, Lob a fait ses débuts comme dessinateur humoris­ tique, collaborant au Baladin de Pa­ ris, puis à Hara-Kiri, à Fiction, Pla­ nète, Minute, etc. En 1963, il abandonne le dessin d’humour pour le monde de la BD qu’il aborde d’abord en tant que scénariste des plus prolifiques. Ainsi, il a écrit, pour Pichard, «Ténébrax» publié dans Chouchou en 1964 et en album en 1973, « Blanche Epiphanie », ai­ mable parodie de la littérature po­ pulaire du début du siècle (paru dans V-Magazine à partir de 1969 et en album en 1972), «Submerman », curieuse bande d’aventures sous-marines (dans Pilote à partir de 1967, en album en 1978), ainsi qu’« Ulysse» (publié dans Charlie en 1969, lauréat du prix Phenix de «science-fantasy»). Pour Robert Gigi, il est l’auteur du « Dossier des soucoupes volantes » (paru dans Pi­ lote en deux albums), présenté comme une sorte d’enquête journa­ listique en images, et, pour Philippe Druillet, de « Delirius » (paru dans Pilote en 1972), lauréat du prix Phenix de science-fiction; pour

)

F

Après des planches encore mala­ droites (sc. Le Mouëllic) dans Les Pieds Nickelés Magazine (19711972), il publie un récit complet, «L’Empreinte» (sc. Cothias) dans Pilote (1974), puis dessine en 1975 une première version de « La Quête de l’Oiseau du Temps» (sc. Serge Le Tendre) dans Imagine, éphémère revue de science-fiction animée par Rodolphe. La même année, il col­ labore à Tousse Bourin avec de courts récits, « Les Nocturnes ». En 1977, il crée dans le mensuel publi­ citaire pour enfants Plop « La Cu­ rieuse Aventure de Norbert le Lé­ zard». Il illustre ensuite des nou­ velles dans la presse érotique (Ab­ solu, Plus, Club). Après une unique apparition dans Métal hurlant (1979) sur un scénario de Rodolphe, il revient à la BD en 1982, repre­ nant toujours avec Le Tendre « La Quête de l’Oiseau du Temps » dans le nouveau Charlie mensuel. Son œu­ vre est désormais mûre, d’un clas­ sicisme ayant su intégrer les acquis plus récents de la BD. Si sa carrière est partiellement proche de celle d’un Cabanes, Loisel se tient davan­ tage à l’intérieur d’un genre établi,

l’heroic fantasy, mais c’est pour en dynamiter le sérieux souvent pesant par un ravageur sens de l’humour. Nul souci parodique dans un tel traitement, mais, comme chez Ca­ banes, un rare bonheur dans l’art de conférer une réelle humanité à des univers imaginaires. On lui doit également un portfolio, « L’Of­ frande» (1984) aux éditions Ludo­ vic Trihan.

LÔÔF Jan (1940-

)

S

Né à Trôllhattan, après des études académiques à Stockholm et la réa­ lisation de plusieurs livres pour en­ fants, il devait publier une bande d’aventures, « Fifïige Alf». Mais sa création la plus célèbre fut « Félix » (1967) qui fait figure de «Tintin» suédois : bande d’aventures semihumoristiques semi-sérieuse, d’un graphisme extrêmement soigné et minutieux, assez souvent subverti par les intentions de l’auteur, et qui pouvait s’adresser aussi bien aux en­ fants qu’aux adultes. Il a inspiré une série de dessins animés pour la té­ lévision suédoise. En 1972, Lôof de­ vait collaborer à l’hebdomadaire po­ litique FIB/KuhurJront, pour lequel il créa « Bellman ». Mais l’année 75 devait voir ce qui est considéré comme son chef-d’œuvre : « Ville ». Cette bande à arrière-plan politique, mettant en scène un chômeur, est un tableau sans indulgence de la Suède contemporaine ; il lui est ar­ rivé, au fil des épisodes, de mettre en scène des personnages de la scène politique, tels que le roi, ou le premier ministre Olaf Palme. La satire était à ce point corrosive que M. Palme devait spectaculaire­ ment suspendre son abonnement à Kulturfront ! Jan Lôôf est ainsi devenu en quel­ que sorte le chef de file de toute une jeune génération de dessinateurs contestataires qui se sont exprimés surtout dans le journal satirique Puss à partir de 1967, et dans la presse d’opinion. Pour mémoire, ci­ tons Lars Hillersberg, auteur de dif­ férentes séries politiques, et Peter Wanger, auteur de « Storfamiljen » (1976) dans le journal socialdémocrate Dagens Nyheter.

LOÜP Jean-Jacques (1936-

)

F

Tout comme Mordillo, Quino ou Sempé, Loup œuvre dans ces zones indécises et mal balisées où la fron­ tière reste floue entre dessin d’hu­ mour et bande dessinée. Illustrateur

de livres pour enfants (Harlin Quist, L’Ecole des Loisirs, etc.), il comble aussi bien les adultes avec son re­ marquable «Help» (1980) pour l’éditeur allemand Heyde. Dessina­ teur de presse, il publie dans de nombreux magazines dont MarieClaire, Playboy, Pilote, Record, etc. et a créé avec Siné et Cabu les « Re­ buts de Presse» de l’émission « Droit de Réponse». Il se rappro­ che de la BD dans ses planches de L'Express et de VSD (tout comme dans ses « Entretiens » parus dans Le Trombone illustré en 1977), peu­ plées de petits personnages qui dis­ cutent, invectivent et gesticulent pour mieux sombrer dans le déri­ soire et le ridicule à la faveur du gag final. Collaborateur de Mormoil et, jusqu’en 1978, de Fluide glacial, il imagine de courts récits loufoques, parsemés de séquences qui s’accu­ mulent dans l’attente d’une impré­ visible conclusion. Dans le nouveau Charlie mensuel (1982), il donne sa version parodique de la Bible (thème qu’il traita déjà dans Fluide). Ici les vignettes, qui regorgent de petits crobards hachurés, sont au­ tant d’instants forts qui captent le regard. Loup a assimilé l’école de Mad, lui ajoutant la touche d’un graphisme savoureux, mêlant sou­ venirs de Dubout et clins d’œil du côté de Franquin, mais le laissant inclassable, loup toujours à l’affût, habile à croquer le mouvement tout autant que les formes.

rigoureuses. L’un des mérites de Loustal est d’avoir compris que les images les plus sublimes ne sau­ raient se passer d’une histoire, et d’avoir fait appel, dès ses débuts dans la BD, à Philippe Paringaux, rédacteur en chef de Rock & Folk puis de l’Echo des Savanes, devenu son scénariste attitré. C’est lui qui a donné à «New York-Miami», « Clichés d’amour » ou « Cœurs de sable » un certain ton littéraire, une manière un rien désabusée de jouer avec les clichés du romanesque de toujours, trouvant le contrepoint idéal au charme pénétrant des des­ sins de Loustal, auxquels la cons­ truction narrative donne d’autant plus de force.

Lucky Luke. Voir

morris, gos-

CINNY René.

LOUSTAL Jacques de (1956-

)

F

Après avoir participé au fanzine de lycéens Cyclone, Jacques de Loustal publie ses premières bandes des­ sinées dans Rock & Folk (1977). On le retrouve pour une brève appari­ tion dans B.D. (1978), mais surtout, à partir de 1980, dans Métal hurlant. De son service militaire au Maroc, il rapportera une série d’aquarelles publiées en 1984 dans le mini­ album « Zénata Plage » (Editions Magic Strip), et l’inspiration d’une bande dessinée romanesque, « Cœurs de sable », publiée dans (A suivre) (1984). Il contribuera également à l’éphémère magazine Zoulou. Plas­ ticien plutôt que dessinateur de BD, Loustal a créé un univers graphique aux couleurs de ses rêves, aux déli­ cates nuances d’aquarelles qui dé­ gagent une atmosphère d’indicible mélancolie. L’œil se perd dans les étendues d’eau bleue étincelante et les déserts de sable, le long de lignes épurées,

1979. Jav l.ynch

LYNCH Jay Patrick (1945-

)

OSA

Né à Orange (New Jersey) le 7 jan­ vier 1945, passionné de bandes des­ sinées dès l’âge le plus tendre, il participa à plusieurs expériences de fanzines, avec Art Spiegelman et Skip Williamson (Wild, publié par Don Dohler), avant de venir cher­ cher fortune à Chicago. Il devait collaborer à différents journaux (The Realist, Help, EVO, Gothic Blimp Works...) avant de créer, pour le périodique underground Chicago Seed, le premier épisode de « Nard n’Pat » (1967). La même an­ née, il retrouve ses deux vieux com­ pères, Spiegelman et Williamson, et c’est avec eux, pendant la conven­

175

tion démocrate, qu’il publie le Chi­ cago Mirror et conçoit l’idée d’un comic book intitulé Bijou Funnies. Le premier numéro de Bijou, paru en 1958, connaît immédiatement une grande popularité. Jay Lynch y poursuivait les aven­ tures de «Nard n’Pat», dans un style nostalgique des années 20-30, qui rappelle Bud Fisher («Mutt & JefT») et Sidney Smith («The Gumps ») : le personnage de Nard est d’ailleurs une reprise d’Andy Gump. Tout cela replacé dans le contexte de la « nouvelle culture » ; Pat est un chat intellectuel de gau­ che, qui fait preuve en toute occa­ sion de sa supériorité sur son naïf de maître, et bon nombre de ces bandes relatent ses prouesses sexuelles. Il est devenu l’un des per­ sonnages vedettes de l’under­ ground. En dehors de « Nard & Pat », tout en poursuivant ses activités d’édi­ teur, Jay Lynch a travaillé pour de nombreux périodiques ( Yellow Dog, Pro-Junior, Young Lust, Dope Comix, etc.) et a donné des cours (his­ toire des comics) à l’institut d’Art de Chicago.

McCAY Winsor (1869-1934)

OSA

Né à Spring Lake (Michigan) le 26 septembre 1869, Winsor McCay n’eut qu’une brève scolarité, mais put acquérir quelques notions de dessin auprès d’un vieux professeur nommé Goodeson. A dix-sept ans, il vint à Chicago et se perfectionna. En 1897, il entama sa carrière jour­ nalistique, en collaborant à divers journaux de Cincinnati et en créant, dans l’un d’entre eux, le Inquirer, en 1903, son premier strip «Taies of the Jungle Imps » dont certains personnages, notamment le canaque Impy, réapparaîtront ensuite dans « Little Nemo». Il vient à New York où, pour le Evening Telegram de Gordon Bennett, il crée sous le pseudonyme de « Silas » divers strips parmi lesquels « Dull Care », « Poor Jake » et surtout « Dreams of a Rarebit Fiend», en 1904, mon­ trant les cauchemars d’un amateur impénitent de fondue. Passé au journal frère, le NY Herald, il y poursuit, sous son vrai nom, ses créations avec « Little Sammy Sneeze » et les catastrophes provo­ quées par ses éternuements, « Phoolish Philipe’s Phunny Phrolics», «Sister’s Beau» et, en 1905, « Hungry Henrietta». C’est le 15 octobre 1905 que paraît la pre­ mière planche de « Little Nemo in Slumberland». En 1911, il passe

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avec sa bande retitrée « In the Land of Wonderful Dreams» chez Hearst où il la poursuit jusqu’en 1914, continuant ensuite de faire des des­ sins éditoriaux. En 1924, il retourne au Herald où il publie une version revue de « Little Nemo » jusqu’en 1927. De nouveau chez Hearst, il publiera de nombreux dessins poli­ tiques jusqu’à sa mort, le 26 juillet 1934. Dès 1909, McCay avait adapté son « Little Nemo » en dessin animé. En 1912, il réalisa un second dessin animé : « How a Mosquito Opera­ tes». En 1914, ce fut son grand suc­ cès «Gertie, the Trained Dino­ saure». En 1916, il réalisa «The Adventures of a Rarebit Eater », puis, en 1918, ce fut le premier des­ sin animé de long métrage, «The Sinking of Lusitania », et, en 1920, sa dernière réalisation, « The Flying House ». En ce domaine, McCay fut un véritable pionnier. « Little Nemo » est, bien entendu, son chef-d’œuvre. Les aventures audelà du sommeil, au pays des son­ ges, d’un jeune garçon entouré de personnages d’une haute fantaisie et répondant à l’appel de la princesse de ce royaume de la nuit, princesse dont le nom demeure un mystère, restent inégalées. La poésie, l’hu­ mour, l’aventure, la satire s’y ren­ contrèrent avec bonheur, rehaussés par le graphisme de McCay, avec ses arabesques Modem Style, ses changements audacieux de perspec­ tives et sa mise en question des conventions de la BD. S’il n’est pas allé aussi loin, de façon constante, que le fera un Herriman, du moins est-il le premier à voir combien jouer avec les codes graphiques peut produire un effet de nonsense spé­ cifique qui s’ajoute à celui né de la seule narration. Si McCay s’inscrit dans une tradition littéraire déjà re­ prise par la BD (en 1904, dans le Philadelphia American, Walt McDougall a déjà transposé le « Wi­ zard of Oz » de L.F. Baum, et d’au­ tres dessinateurs s’inspirent du thème du rêve), il lui donne une di­ mension graphique nouvelle et ne fera pas vraiment école (McManus, avec son «Nibsy the Newsboy in Funny Fairyland » s’en rapprochera parfois avec un certain goût paro­ dique). Maurice Sendak a pu s’en inspirer dans « Night Kitchen», mais son véritable et original suc­ cesseur est le Français Fred. Le thème de l’imaginaire, aux USA, devait par contre se dégrader jusqu’à aboutir, dans les années 60, au décevant « Little Orvy » de Rick Yager. Si ce n’est une brève reprise, en 1935, par le KFS, dans une ver­ sion revue par Robert Winsor

McCay Jr. (modèle de Nemo et au­ teur, dans les années 20, d’une bande, « Dino », adaptant « Gertie ») et quelques comic books, « Little Nemo » resta plus ou moins oublié jusqu’au milieu des années 60. «Dreams of a Rarebit Fiend» fut, peu après sa parution, porté à l’écran par Edwin S. Porter.

MACHEROT Raymond (1924-

)

B

Raymond Macherot naît le 30 mars 1924 à Verviers. Il fait ses débuts dans le journalisme et dessine dans l’hebdomadaire satirique bruxellois Pan avant de se présenter à Tint in en 1952 avec un projet de bande d’aventures médiévales « Le Cheva­ lier blanc». Pendant un an, il tra­ vaille au studio des Editions du Lombard et y apprend le métier aux côtés d’Evany. Après quelques his­ toires complètes en 1953, il crée «Chlorophylle», première en date des séries animalières qui feront son succès. Chlorophylle le lérot et ses amis, le mulot Minimum, le cor­ beau Bitume, le hérisson Goupil­ lon, le lapin Serpolet et la loutre Torpille, vivent à la campagne ou au Royaume de Coquefredouille des aventures mouvementées, face à leur ennemi déclaré, le rat noir Anthracite. « Chlorophylle » sera re­ pris par Guilmard, Hubuc et Dupa (ce dernier sur des scénarios de Greg). Toujours pour Tintín, Macherot a créé deux personnages pittores­ ques : le vieux marin Père La Houle (1956) et le colonel-espion-scoutdétective Harold Wilberforce Clifton (1959) qui sera repris par Jo-El Azara, Turk et De Groot sur des scénarios de Greg. En 1964, Macherot passe à Spirou où il dessine successivement les aventures de Chaminou (1964), de Pantoufle (1966, sur un scénario de Goscinny) et la série « Sibylline » (1965) comparable, sur bien des points, à «Chlorophylle». Sibylline la souris, son fiancé Taboum et leurs amis (Flouzemaker le corbeau commerçant, Verboten le hérisson brigadier) ont eux aussi un ennemi implacable en la personne du rat noir Anathème. Enfin, en 1970, Macherot crée sur un scénario de Cauvin les aventures du chat Mir­ liton. Joliment dessiné, gentiment mani­ chéen, agrémenté de couleurs sou­ vent ravissantes, le petit monde de Macherot déborde de charme, de délicatesse et de drôlerie.

McMANüS George (1884-1954)

USA

George McManus est né le 23 jan­ vier 1884 à St. Louis. Entré à seize ans comme coursier au Sr. Louis Re­ public, il y devient cartoonist et des­ sinateur de mode, puis y publie son premier strip «Alma and Oliver». En 1904, il vient à New York et est engagé par le World. Il y publiera de nombreuses séries, « The Merry Marcelene», «Snoozer», « The Ready Money Ladies», «Let George Do It», «Cheerful Char­ ley » (un Indien qui, contrairement à son nom, restait de marbre), «Nibsy the Newsboy» (1905), une parodie réussie de «Little Nemo», « Panhandle Pete » ( 1904-1910) sur les tribulations burlesques d’un clo­ chard à travers le monde, et surtout « The Newlyweds» (1904-1912), son premier family strip sur un jeune couple et leur bébé, Snookums, criard et insupportable, McManus ayant toujours eu sur les enfants une vision très proche de celle de W.C. Fields. Avec cette sé­ rie, retitrée « Their Only Child», McManus, en 1912, passe au NY American de Hearst (le World pu­ bliera cependant, parallèlement.

une suite des «Newlyweds» due à un certain Carmichael), et, avec le Français Emile Cohl, l’adapte en dessins animés (1912-1914). Chez Hearst, McManus poursuit ses créations de Sunday page. Outre « Their Only Child », paraîtront, en 1913, «Love Affairs of a Mutton Head», en 1914-1916, « The Whole Blooming Family», en 1916-1918, une première version de « Rosie’s Beau » avant la création en 1918 du Sunday page de «Bringing Up Fa­ ther». Pendant toute cette période l’infatigable Geo produisit égale­ ment le Sunday page « Spareribs and Gravy» sur un tandem de clochards-explorateurs et leurs dé­ mêlés avec un roi nègre (série qui ne manquait pas de clichés racistes qu’il convient de situer dans leur contexte « nonsensique »). Mais dès le 10 décembre 1912, McManus commença à publier des strips quotidiens, intercalant des es­ sais divers. Le premier, «Outside the Asylum », laissa la place provi­ soirement, le 2 janvier 1913, à «Bringing Up Father». D’autres suivirent comme «Ah Yes! That Happy Home» ou «Little Willie Gettit » (un autre garnement). Ce n’est qu’en 1916 que « Bringing Up

Father» deviendra permanent. En 1918, un sunday page lui est ad­ joint. Dans les années 20, celui-ci aura droit à un top, d’abord « Good Morning, Boss », puis, en 1926, une recréation de « Rosie’s Beau », où l’on retrouve les deux éternels amoureux qui roucouleront jusqu’en 1944, lorsque «Snookums», version modernisée des « Newlyweds », leur succédera pour prendre fin en 1956, réalisé, depuis la mort de McManus en 1954, par Frank Fletcher. Le chef-d’œuvre de McManus reste cependant « Bringing Up Father» (« La Famille Illico »). Inspirée à son auteur par une pièce, «The Rising Génération », cette série relate l’in­ cessante guerre conjugale qui op­ pose Jiggs, un ancien maçon, à son épouse Margaret, alias Maggie, une ex-blanchisseuse, depuis qu’une for­ tune gagnée aux courses leur a per­ mis de changer de statut social. Tandis que Maggie ne songe qu’aux mondanités, Jiggs est surtout dési­ reux de retrouver les vieux copains d’antan et de se régaler avec un plat de bœuf bouilli aux choux dans le bistrot de son ami Dinty Moore. Ce thème suffit à différencier ce family strip en ne lui donnant pas comme

ROSIE’S BEAU-

*

BY

ÍíO.ÍWAMó WH AT THAT

1979, Opera Mundi

Bringing Up Father

Comment faire éclater les cadres de la BD quotidienne: les deux «strips» superposés sur la même page de journal sont traités par McManus comme des étages d’un immeuble, le même personnage passant de l’un à l’autre.

cadre l’univers petit-bourgeois tra­ ditionnel du genre. Bien qu’il n’y ait jamais eu d’intrigues suivies à proprement parler, la bande connut des épisodes plus élaborés dans les­ quels les situations évoluaient de jour en jour à l’occasion de voyages autour du monde ou à travers les USA, notamment. McManus, il est vrai, maniait ses personnages à sa guise. Ainsi, en 1939, Nora, la fille du couple, épousa un lord anglais ; puis, un beau jour, elle redevint cé­ libataire sans autre forme de procès. Il y eut également un fils, Sonny, apparu dès l’origine, puis oublié, et qui revint en 1937 sous les traits d’un collégien plutôt stupide, puis se retrouva, en 1939, marié et père d’un bébé forcément hurleur. Peu après, sa blonde épouse et son reje­ ton disparurent et lui-même, inénar­ rable recrue de l’US Army en 1942, finit par quitter à tout jamais la scène. « Bringing Up Father », par la diver­ sité des personnages secondaires

Bill Kavanagh (texte) et Frank Flet­ cher pour les sunday pages et Vernon Greene (qui fut brièvement « ghost » de McManus en 1935) pour les daily strips. A la mort de ce dernier, en 1965, lui succéda Hal Campagna (Camp). En 1980, Frank Johnson prit le relais. Mondiale­ ment diffusé, le strip fut adapté en dessins animés, en films (en 1928 à la MGM, de 1946 à 1950 dans une série « Monogram » dont McManus fut l’un des interprètes), plusieurs fois au théâtre, et en une série ra­ dio (avec Agnes Moorehead dans le rôle de Maggie).

MANARA Milo (1945-

)

I

Avant de trouver son style à succès («H.P. et Giuseppe Bergman», « Le Déclic »), Milo Manara s’est es­ sayé à bien des modes et à plusieurs arts : la peinture, la sculpture, la

clic » paru à l’origine dans la revue italienne Playmen puis en France dans l’Echo des Savanes (1983) et adapté au cinéma par Jean-Louis Richard (1985). On compte parmi ses autres réalisations : « L’Homme des neiges » sur un scénario de Cas­ telli et dans un graphisme moins léché (Dargaud, 1979); un curieux western, «Quatre doigts» (Pilote, 1982); et surtout une merveille née en Italie en 1983 dans Corto Mal­ tese, et publiée en France seulement en 1985 dans la revue de voyages Corto lancée par Casterman, « L’Eté indien» sur un scénario d’Hugo Pratt. Il retrouve Pratt, auquel il avait rendu hommage dans les aven­ tures de Guiseppe Bergman, pour une bande historique largement teintée d’érotisme, narrant un épi­ sode de la colonisation de la Nouvelle-Angleterre, et joliment mise en couleurs par Cettina Novelli.

Mandrake. Voir l'AI.K Lee.

McManus

toujours socialement très typés, par la beauté des décors, l’attention por­ tée à l’évolution des modes et des mœurs, fut l’un des meilleurs strips jamais créés. McManus sut cons­ truire un univers très personnel qui unissait modernité et nostalgie avec un mélange de Modem Style (les jeunes femmes), d’architecture ro­ coco et de stylisation « Art Déco » (objets et arrière-fonds). Plus géné­ ralement, McManus excella dans la satire, la comédie de situation et le recours au nonsense, jouant même avec les conventions graphiques de la BD en de nombreuses occasions. Ses combinaisons entre éléments ca­ ricaturaux et réalistes devaient in­ fluencer considérablement un Hergé et, aujourd’hui encore, le meilleur de son style se retrouve chez un Joost Swarte. Aidé, depuis les années 30, par son assistant, Zeke Zekley, McManus mourut le 22 octobre 1954. «Brin­ ging Up Father » fut alors repris par

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lins. Oper.1 MunJi

bande dessinée érotico-policière dans le fumetti... C’est dans ce der­ nier genre qu’il vint à la BD avec, en 1969, vingt-deux épisodes de «Genius», et de 1971 à 1973 «Jolanda» avec Francesco Rubino. Après s’être essayé à la BD pour en­ fants, il donne en 1976 sa première bande importante à Aller Linus : « Le Singe », sur un scénario de Silverio Pisu, qui lui vaudra le « Yellow Kid » du meilleur dessinateur italien. Cette bande publiée dans Charlie le fait connaître en France où il dessine des épisodes de «L’Histoire de France en bandes dessinées », de « La Découverte du monde » et « La Chine de Confucius à nos jours» en 1980. Ses œuvres les plus célèbres sont « H.P. et Guiseppe Bergman » en 1978 et sa suite «Jour de colère» en 1980, aventures intellectuelles et érotiques d’un sosie de Delon dont il signe dessin et un scénario. Mais le succès lui vient surtout du « Dé­

MANDRYKA Nikita (1940-

)

F

Enfant des années de guerre, né d’un père médecin d’origine russe, Nikita Mandryka dit avoir rêvé, dès l’âge le plus tendre, d’animer un journal ; enfant, il inventait des his­ toires dessinées, inspirées, souvent, par Morris et, plus tard, par Forest. En 1956, dans Risque-Tout, paraît sa première bande : « Prosper, ha­ bitant de la planète Farce », dans la rubrique couronnant, à chaque nu­ méro, l’œuvre d’un jeune lecteur. Mais il faut attendre la fin de 1964 pour qu’il fasse ses débuts profes­ sionnels dans Vaillant avec une sé­ rie de gags mettant en scène un per­ sonnage nommé Boff (sous le pseudonyme de Nik). Bientôt inter­ vient le « Concombre Masqué » (d’abord sous le pseudonyme de Kalkus). Ce personnage apparaîtra à partir de 1969 dans Pif et de 1971 dans Pilote.

Dès les origines, le « Concombre » tranche sur les bandes dessinées tra­ ditionnellement proposées dans les journaux pour enfants; l’humour, fondé sur des gags absurdes, rejoint très vite la tradition du nonsense; retiré dans son cactus-blockhaus, le légume justicier possède dans sa bi­ bliothèque «Popeye», « Krazy Kat », « Le Copyright » (de Forest) mais aussi Lewis Caroll, Edward Lear, Harpo Marx. L’atmosphère est celle du rêve éveillé, avec son ir­ réalisme et sa logique. Peu à peu, le personnage évolue; ses partenai­ res humains disparaissent, rempla­ cés par d’autres légumes ou des créations totales ; les décors se styli­ sent, deviennent les infinis déserts de sable du sommeil; le travail sur le langage se fait systématique, et l’auteur dote son légume d’une lan­ gue savoureuse et originale. Mandryka, qui a découvert peu à peu la psychanalyse et l’under­ ground américain, enrichit considé­ rablement « Le Concombre Mas­ qué », ayant pris conscience que cette bande était, dit-il, « un déchif­ frage hebdomadaire de mon in­ conscient mis en images». Entre-temps, Mandryka aura colla­ boré à de nombreux journaux : Vaillant, encore, pour lequel il crée « Les Minuscules» (1967-1968), his­ toire d’une bande d’enfants et de leurs animaux-fétiches ; Pilote, où il travaille sur des scénarios de Lob, Reiser, Gotlib, etc., joue lui-même le rôle de scénariste pour Got, Poppé, Gotlib, etc. Avec ce dernier, il réalise en 1970 les « Clopinettes », pages fondées sur un gag absurde ou une contrepèterie; et puis aussi, Spirou, Phénix, Actuel, Le Nouveau Clarté... Pour Métal hurlant, il crée avec J.-P. Dionnet une parodie de «Guy Léclair», «Jules l’éclair». Comme lors de ses débuts, il lui ar­ rive de rejouer le jeu des masques, empruntant des pseudonymes dont le plus célèbre fut « Géraldine Mandrax ». Mais l’influence de l’under­ ground américain se fait jour peu à peu, ainsi que le besoin d’une presse différente : Mandryka a l’idée d’un journal de bandes dessinées où l’on s’exprimerait en toute liberté. Une planche du « Concombre » refusée par Pilote précipite le cours des évé­ nements : en mai 1972 va paraître le numéro 1 de l’Echo des Savanes, auquel participeront Gotlib et Bretécher; le journal sera quelque temps l’œuvre commune de ce trio vedette. Lorsque ses partenaires partiront vers de nouvelles aventu­ res, Mandryka continuera de prési­ der aux destinées de l’Echo, mani­ festant sa volonté de faire éclater la bande dessinée, de l’ouvrir sur une

pratique qu’on peut qualifier, au sens large, de politique. Il le quitte en 1979 et reprend dans Pilote les aventures du Concombre Masqué, devenant, en 1982, rédacteur en chef de Charlie mensuel, lors du ra­ chat de ce titre par les Editions Dargaud. S’il n’a pas fait véritablement école, Mandryka a influencé des dessina­ teurs comme Paul Carali (né en 1945) qui a collaboré à Pif, HaraKiri, Charlie mensuel et hebdo, BD, L'Echo des Savanes, Le Petit Psikopat et Edika (né en 1940) qui publie dans Pif-Poche (1976), Charlie men­ suel, Pilote et surtout Fluide glacial. Chez eux l’humour absurde et volontiers salace ou scatologique perpétue l’esprit de Mad revu par l’underground non sans une cer­ taine efficacité.

MANNING Russ (1929-1981)

USA

Elève de la School of Visual Arts de New York, Manning travailla pour des magazines tels que Drag Cartoons et Big Daddy Roth, et sur ses propres comic strips, « Laura Good» et surtout «Tarzan» (de 1967 à 1973 pour la bande quoti­ dienne, et à partir de 1973 pour la planche dominicale). Mais avant que «Tarzan» ne lui prenne tout son temps, l’essentiel de sa carrière s’était déroulé dans les comic books et chez un seul employeur, la Wes­ tern, dont les illustrés étaient pu­ bliés sous le label Gold Key (1952 à 1968). Son adaptation de «Tarzan» dans les pages des illustrés de la Western lui valut son contrat sur le strip,

l»-». Mandryka

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mais il dessina aussi pour la firme « Ben Hur », « Wyatt Earp », « Raw­ hide », « Korak Son of Tarzan »... et surtout «Brothers of the Spear», histoire d’une civilisation perdue di­ rigée par un Noir et un Blanc, qui n’était pas sans rappeler les livres de Burroughs, mais aussi ceux de H. Ridder Haggard ; « Aliens », une très jolie bande de science-fiction et «Magnus Robot Fighter», autre bande de science-fiction, mais im­ portante quant à elle dans l’histoire du genre.

avait apporté le progrès. Face à ce danger, Magnus, seul athlète de son temps, adepte du karaté, élevé et formé par le plus vieux des robots, mettait à mal de ses mains nues les machines les plus imposantes, ten­ tait d’entraîner à sa suite l’humanité et de lui rendre sa dignité. La bande fut marquée par le style délié et aérien de Manning : les traits purs de ses personnages, les costumes particulièrement élégants et recherchés, les machines parfai­ tement finies, les villes aux tours

books américains de cette époque. Et cette bande très critiquée marqua sans doute profondément ses lec­ teurs si l’on en accepte comme preuve la bande dessinée plus tard par Richard Corben pour un comix underground et qui parodiait Magnus en le transformant en Mangler, héros costaud et stupide qui succombait à l’attaque d’un an­ droïde dans la dernière planche de l’histoire. Jusqu’en 1981, il dessine le comic strip de « Star Wars » (Los Angeles Time Synd.) que reprendra Al Wil­ liamson. Sur «Tarzan», il fut as­ sisté par Dave Stevens (né en 1957) qui, en 1981, pour Pacifie Comics, créera le personnage de « Rocketeer ».

MARGERIN Frank (1952-

Magnus, Robot Fighter

Dans «Magnus Robot Fighter» (1963-1968), Russ Manning peignit une Terre future à la civilisation technologiquement très avancée dans laquelle les robots prenaient peu à peu le pouvoir face à une hu­ manité laxiste et rendue faible et apathique par le confort que lui

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i»;».

k.

élancées que parcouraient des véhi­ cules volants... tout cela fit de Ma­ gnus Robot Fighter un très joli illus­ tré au scénario peu profond mais à la beauté permanente. De plus, il s’agissait de l’une des rares bandes relevant purement de la sciencefiction à être publiée dans les comic

)

F

Que restera-t-il de Métal hurlant dans les décennies à venir ? La liste de ses créateurs, Druillet, Giraud, Farkas, Dionnet ? Les noms de quelques-uns des dessinateurs que ses pages entraînèrent vers le suc­ cès? Mais s’il n’en reste qu’un, après les désastres financiers et commerciaux traversés par la revue, on peut sans se tromper dire que ce sera Frank Margerin, le poète des rockers des villes, des loubards de banlieue. Né le 9 janvier 1952, Margerin dé­ buta dans Métal en 1976, et y resta, hormis quelques travaux commer­ ciaux et publicitaires, un passage au Marin, une participation à Zoulou et à Fluide, et bien sûr des planches pour la revue sœur, Rigolo, lancée en 1983. Margerin c’est l’homme des huma­ nos, le bon jeune homme de la bande des Denis Sire, Serge Clerc, Dodo et Ben Radis, Tramber et Jano, de l’orchestre de rock... Mar­ gerin c’est aussi un créateur origi­ nal qui développa tout un monde d’humour et de gentillesse en cuir noir, à moto, à fond la sono, dans des albums qui sentaient la France profonde des ensembles urbains : «Frank Margerin présente», «Tranches de brie», « Ricky Ban­ lieue», «Votez Rocky», «Bananes métalliques», «Radio Lucien»... Flirtant parfois avec la sciencefiction, parodiant d’illustres modè­ les, donnant dans le quotidien, mais loin, très loin de l’insécurité étalée dans les médias des banlieues hon­ teuses, du chômage et de la peur. A sa manière Jano (Jean Le Guay, né en 1955) en est plus proche avec son « Kébra » qu’il créa avec Tram­ ber (Bertrand Huon de Kermadec,

né en 1952) dans B.D. (1978) et poursuivit dans Charlie, puis Métal hurlant, Rigolo, Zoulou et L'Echo des Savanes (1985), dessinant seul « Keubla » dans Métal Aventure (1984), tandis que Tramber, après leur séparation en 1982, imaginait son « William Vaurien » dans Métal hurlant et Rigolo. « Kébra », avec ses animaux zonards et déphasés, son graphisme crumbien visité par des nostalgies franco-belges, a contribué à populariser le concept de « BD rock ». l'Jfu. Opei.i Minuit

tre 1934 et 1937). Russel, un ancien assistant de Percy Crosby, publia divers tops à son sunday page. «The Tucker Twins» (Les Ju­ meaux), « Pete’s Pup» (Touffou), un chien jaune qui rejoignit bien­ tôt Pete dans sa propre bande, et «Shorty» (P’tit Jules), un petit va­ gabond qui était le contraire de Pete. Tandis que ce dernier était le clochard sédentaire et individua­ liste, préoccupé de reconstituer un semblant de vie bourgeoise, Shorty était le « hobo » caractéristique, no­ made et vivant en bande, souffredouleur de ses compagnons. Marginal, sans être vraiment clo­ chard, était Slim Jim, héros de la bande du même nom. «Slim Jim» fut créé à la fin des années 1900 sous le titre de « Circus Solly » et fut distribué, à partir de 1910, par la World Printing Co. de St. Louis jusqu’en 1937. La bande fut l’œu­ vre successive de George Frink,

MARGINAUX ET Cie 1. Etats-Unis A côté de personnages, certes comi­ ques, mais situés dans un cadre so­ cial bien défini, en général la fa­ mille, le comic strip US eut très tôt aussi une certaine tendresse pour des caractères moins intégrés ou simplement plus malchanceux, trouvant là, tout comme le cinéma, une veine d’inspiration burlesque aujourd’hui encore exploitée. « Happy Hooligan », d’Opper ou « Panhandle Pete » de McManus fi­ gurent parmi les premiers clochards et vagabonds qui illustreront la BD. « Brainy Bowers » de R.W. Taylor, poursuivi par Ed Carey, fut un autre clochard du tout début du siècle. Carey, en 1915, adapta, d’ailleurs, le célèbre vagabond qu’incarnait Charlie Chaplin à l’écran pour la BD tout comme le firent parallèlement d’autres cartoonists dont Segar. Herriman, avec son « Baron Bean », créa un person­ nage de vagabond toujours désar­ genté, astucieux et digne, incorrigi­ blement séducteur. Le clochard type de la BD américaine reste, néanmoins, «Pete the Tramp» de Clarence D. Russel. Créé à la fin des années 20 dans la revue Judge, où il parut déjà sous forme de BD, « Pete the Tramp» devint un sunday page du KFS en janvier 1932 et fut publié jusqu’à la mort de Rus­ sel en 1963 (un daily strip exista en­

Raymond Crawford Ewer et Stan­ ley Armstrong. Dans cette série fort populaire, Slim Jim passait le plus clair de son temps à échapper aux policiers de la Grassville Force, vé­ ritables précurseurs des Keystone Kops. Il peut être paradoxal de ran­ ger les « cops » parmi les marginaux, mais ils en sont le complément pres­ que obligatoire. C.W. Kahles créa le premier d’entre eux avec « Cla­ rence the Cop » en 1900 ; Eddie Eks suivit avec « Alex the Cop », tandis que dans les années 20, « Casey the Cop » de H.M. Talburt assura la re­ lève. Les années 30 virent « Needle­ nose Noonan » (Jacques Beaunez), un flic gafTeur créé par Walter C. Hoban (1932-1935, KFS) ou « Officer 6 7/8 » de George Swan­ son. Jay Irving, un cartoonist à la vocation de policier contrariée, en­ richit le genre, en 1946, avec son bref « Willie Doodle » (Herald Tri­ bune Synd.) et surtout, de 1955 à 1970, avec «Pottsy» (CTNYNS). En 1970, Phil Krohn créa, pour quelques années, sa bande « Gummer Street », sorte de rue de la mar­

ginalité et des laissés-pour-compte, dont l’un des héros était l’agent Ha­ rold Cooney (UFS). En 1971, ce fut « The Badge Guys » de Chuck Bowen et Ted Schwarz, avec deux flics burlesques, l’un noir, l’autre blanc. Enfin, en 1976, «Casey» (un nom qui semble propice aux cops) a renoué avec l’univers de « Gummer Street» tout autant qu’avec celui de «Pottsy». Casey, flic ser­ viable, qui sert de confident aux ri­ verains hétéroclites de la rue qu’il surveille, a en outre une particula­ rité digne d’attention. Il est, en ef­ fet, la création, pour le CTNYNS, de Charles Rodrigues, l’un des des­ sinateurs les plus originaux révélés par le National Lampoon. En 1979, James Schumeister dans « Levy’s Law » (NEA) met en scène les effectifs d’un commissariat ur­ bain (y compris des femmes flics), toujours dans une veine bouffonne. Les malchanceux constituent une autre catégorie de marginaux. « Si­ mon Simple» d’Ed Carey fut, dès 1905, la bande type dont le héros, naïf et quelque peu ridicule, allait de déveine en déveine. Percy et Ferdie, les deux héros de «The Hall Room Boys » de H.A. McGill, cher­ chèrent en vain, de 1910 à 1923, à progresser dans l’échelle sociale, sans pour autant être à court d’ini­ tiatives. L’un des plus malchanceux parmi les malchanceux fut le per­ sonnage du « Sad Sack », créé par George Baker en 1942, comme pro-

Pete the Tramp

totype du soldat persécuté, et rendu à la vie civile en 1946 où il revint, jusque dans les années 50, héros d’un sunday page, avant de retrou­ ver la vie militaire dans les comic books par la suite. « Herkimer Fuddle » d’Eric Ericson fut briève­ ment, en 1946-1947, un autre de ces perdants-nés. Tout aussi burlesque­ ment peu favorisé fut, tout au long des années 60, « Hapless Harry » de George Gately (CTNYNS). En 1965, Art Sansom créa «The Born Loser» au titre explicite (NEA),

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avec comme cible privilégiée mais non unique le malheureux Brutus Thornapple. En 1972, Bob Thaves a lancé une paire de maladroits, non indignes de Laurel et Hardy, avec ses « Frank and Ernest » (NEA). Les autres marginaux se composent de ces personnages inclassables qui vont de l’extrémiste (« Fitzboomski the Anarchist » de Bradford dans les années 10) au moine franciscain («Brother Juniper» créé en 1966, pour le Field Synd., par Fred McCarthy et Ren Leno). L’un des plus pittoresques parmi ces margi­ naux, si la richesse est tant soit peu une forme de marginalité, est assu­ rément « Mr. Abernathy », créé en octobre 1957 par Ralston Jones (dessin) et Frank Ridgeway (texte), un petit séducteur âgé et milliar­ daire qui continue de mener une vie aussi oisive que prodigue en événe­ ments comiques (KFS). En fait, beaucoup de séries ne du­ rèrent que quelques années, même si quelques-unes ont eu ou ont en­ core une longue existence. Il fau­ drait aussi évoquer les employés de bureau plaisantins (comme dans « Mostly Malarkey» de W.C. Carlson, 1946), les colporteurs et autres représentants («The Démon Demonstrator » de Russ Westover, années 10), les savants (une longue tradition depuis « Professor Knix » de Swinnerton jusqu’au récent « The Genius » d’Oldden pour le

KFS), le music-hall («Guss and Gussie » de Paul Fung Sr., années 20, KFS). Un thème d’actualité, le demandeur d’emploi, vient d’inspi­ rer le cartoonist Joe Martin, avec «Tucker» (Field Newspaper Svnd.). Tucker, patron d’un bureau d’emploi, est entouré d’un bon nombre de malchanceux et naïfs de tous ordres. Enfin, il convient de faire une place dans cette rubrique à « Gordo » de Gus Arriola (né en 1917). «Gordo», bande créée en

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1941, a pour héros un Mexicain, Gordo, célibataire qui n’a jamais cessé d’échapper à la menace que re­ présente pour lui la veuve Gonza­ les, une femme décidée à l’épouser. Gordo vit au Mexique et connaît di­ verses aventures toujours drôles, souvent satiriques à l’égard des Américains. Arriola, lui-même na­ tif de l’Arizona, mais d’ascendance mexicaine, a également porté un soin particulier à la réalisation de sa bande, se livrant à des jeux formels dans ses sunday pages. La présence de tout un environnement étrange (dont des insectes et autres petits animaux parlants) a permis à cette série de s’adapter fort bien à l’ère nouvelle du strip « intellectuel » (UFS).

2. Grande-Bretagne Le comic strip anglais n’ofTre pas une aussi abondante collection de marginaux que le strip US, mais il a su traiter certains thèmes prati­ quement ignorés aux USA. Ainsi «Wack» (1968) de Hugh Morren est assurément original dans la me­ sure où il est l’unique comic strip à prendre pour sujet l’univers des usines. Wack est peut-être, au mi­ lieu de tant de « cols blancs », le seul prolétaire de la bande quotidienne internationale (Andy Capp étant un cas à part, puisque chômeur profes­ sionnel). Par contre «Bristow» de Frank Dickens nous réintroduit

Guerre à la Terre dessine par I.iquois sur un scenario de Marijac

dans le monde des employés de bu­ reau. Créé, comme strip, en 1962, « Bristow » est remarquable pour son ironie subtile et son superbebruitage onomatopéïque qui sert de constant contrepoint à la série.

MARIJAC (1904-

)

F

De son vrai nom Jacques Dumas, Marijac est originaire de ClermontFerrand. 11 fit des débuts assez tar­ difs dans la bande dessinée, à Cœurs Vaillants (1934). C’est dans les pa­ ges de cet hebdomadaire catholique qu’il crée « Jim Boum », héros d’un des premiers westerns dessinés en France. En même temps, il réalise pour Pierrot plusieurs séries, dont certaines seront reprises plus tard dans Coq hardi (« Rouletabosse Re­

porter», «Onésime Pellicule Dès 1935, il collabore à divers pé­ riodiques destinés à la jeunesse (Le Bon-Point, Francis, Guignol...) et publie une série de récits en images, exploitant tantôt la veine de l’hu­ mour, tantôt celle du réalisme. Pen­ dant la «drôle de guerre», il crée deux journaux du front ; fait prison­ nier en Allemagne, il s’évade et re­ joint les rangs de la Résistance en Auvergne ; il y crée Le Corbeau dé­ chaîné, journal de la clandestinité, préludant à la fondation de Coq hardi (1944). C’est à travers ce jour­ nal dont il restera le rédacteur en chef jusqu’en 1953 (date à laquelle il prend en charge la nouvelle revue enfantine Pierrot, réunissant des dessinateurs comme Saint-Ogan, Trubert, Marin...) puis, à partir de 1957 jusqu’à sa disparition, qu’il marquera de son influence une bonne partie de la bande dessinée française des années 50. Parallèlement, Marijac fut le créa­ teur de plusieurs importantes réa­ lisations : pour les tout-petits, il lance Baby-Journal (1948) où entre au numéro 27, «Cri-Cri», person­ nage créé par Calvo dans Coq hardi-, ce périodique est alors rebaptisé Cri-Cri Baby Journal. Y collaborent régulièrement Calvo, Trubert, Ma­ rin. Plus tard, il devait créer, pour le même public, Nano et Nanette qui fut mensuel, puis bimensuel, puis hebdomadaire, avec des bandes importées et des séries françaises de Marin, Trubert, Martial, Le Rallie, Gloesner, souvent sur des scénarios de Marijac lui-même. Au milieu des années 50, il crée Mi­ reille, destiné à offrir aux adolescen­ tes une bande dessinée moderne, mensuel, puis bimensuel, puis, le succès aidant, hebdomadaire. Sur trente-deux à quarante pages de for­ mat tabloïd, il donnait la plus grande place aux BD. Outre les aventures de « Mireille » par Vicente Rosso, puis par le tandem MarijacMarin, on retrouve certains des col­ laborateurs attitrés de Marijac : Le Rail ic («Moustique»), Dut («La Fille de Buffalo Bill »), Gloesner (« Mlle Ci-Devant », « Boule de Neige»), Kline («Iseult»), Mathelot (« Liliane, hôtesse de l’air ») ainsi qu’un nouveau venu, Forest (« Prin­ cesse Etoile »). En 1957, Marijac de­ vait céder Mireille aux Editions Del Duca, et renouveler l’expérience avec Mes Histoires illustrées préférées, puis Frimousse (m format de poche). Outre Marijac-Marin, qui cosi­ gnaient « Frimousse », on y retrou­ vait à peu près les mêmes dessina­ teurs (Dut, Mathelot, Novi) et le même genre de bandes dessinées que dans Mireille : des histoires hu­

moristiques ayant pour cadre des fa­ milles bourgeoises et pour héroïnes des jeunes filles modernes mais bon genre, et des bandes d’aventures ba­ sées sur des situations romanesques et la glorification de métiers fémi­ nins à l’époque prestigieux (hôtesse de l’air en particulier!). Après la disparition de Coq hardi, Marijac tenta plusieurs expériences de bandes western, avec Ouest Ma­ gazine et Mark Trail, ou sportives avec Allez-France, réalisations dans l’ensemble assez médiocres. Il vit aujourd’hui retiré, loin d’un univers qu’il a contribué à enrichir considé­ rablement, mais dont l’évolution l’a laissé un peu désemparé. Car Ma­ rijac, c’est toute une époque de la bande dessinée française. Il a écrit d’innombrables scénarios pour les dessinateurs les plus appréciés de cette période; lui-même a calculé qu’il avait dessiné personnellement dans sa carrière plus de 15 kilomè­ tres de bandes !... Sachant manier le suspense et l’humour, dispenser l’inquiétude, la peur, sans jamais « aller trop loin », il a été, à travers Coq hardi et ses autres publications, le principal créateur de toute cette bande dessinée d’évasion qui a fait rêver une génération de petits Fran­ çais.

MARISCAL Javier (1950-

)

E

Né à Valence en 1950, Mariscal s’il­ lustre aussi bien dans la BD que dans le design, la conception de meubles, la décoration et la pein­ ture. Mais c’est comme auteur de

Esteban Maroto

BD qu’il se fit connaître en partici­ pant à l’une des premières revues underground espagnoles, El Rrollo Enmascarado (1974). Il publia en­ suite dans Purita (1975), Nasti de Plasti (1976), El Sidecar (1977), A la Calle (1977). En 1980, il est de l’équipe de El Vibora. Il collabore également à la revue américaine Raw. Comme illustrateur on le trouve dans Domus, Vogue, Modo. A première vue, Mariscal est un des jalons qui permettent de mieux comprendre le passage, dans les an­ nées 70, d’une génération venue de l’underground à l’esthétique «an­ nées 50», version «ligne claire». Chez lui les deux tendances parais­ sent encore coexister. Mais ses per­ sonnages herrimano-disneyens sim­ plifiés dans des décors fonctionnels montrent le bout de l’oreille d’une stylisation rigoureuse (ainsi égale­ ment Olivia Clavel). Comme le fai­ sait déjà Fontaine Fox, Mariscal pratique l’art des scènes en légère plongée, mais les distorsions le re­ situent du côté de Ever Meulen. Il est là tout entier, dans ce va-et-vient continu entre réminiscence et mo­ dernité, profusion et ordonnance, exubérance de l’ensemble et mini­ malisme du détail. Peut-être est-ce le mystère de son art : son trait sem­ ble errer sur la page, multipliant les formes, comme si l’œuvre ne cessait de s’improviser sous nos yeux.

MAROTO Esteban (1942-

)

E/ÜSA

En Espagne, Maroto fut au début des années 60 l’assistant de Manuel

I »7». Comí« I 10

183

1479, ('.astcrtnan

Lopez Blanco, il dessina « Buck John», «Le Prince de Rhodes», « Amargo » et surtout une très belle bande de science-fiction « Cinq pour l’infini » et une bande d’heroic fantasy, « WolfT». Travaillant pour les firmes améri­ caines depuis 1971, il a dessiné, pour les magazines en noir et blanc de la Marvel, des aventures de Red Sonja, Dracula, Satanna, a collaboré à celles de Conan et a donné de très nombreuses histoires en noir et blanc et en couleurs à Creepy, Eerie et Vampirella, signant même quel­ ques épisodes de la bande consacrée à ce dernier personnage. Au début de sa carrière et même parfois en­ core aujourd’hui, on peut jouer à re­ trouver dans ses planches les dessins empruntés à d’autres artistes (Carmine Infantino, Jeff Jones...), une habitude prise lorsqu’il devait pro­ duire à la chaîne des séries populai­ res pour les illustrés espagnols et français. En 1985, publiant aux USA « Cinq pour l’infini » sous le titre de « Zéro Patrol », Neal Adams réhabilla la bande mais célébra le talent de Maroto.

Mariner lorsqu’elle était dans l’eau, avec Flash en vitesse... Elle pouvait faire tout ce que fai­ saient les machos qui dominaient la bande dessinée depuis l’apparition de Superman en 1938 et parfois le faire mieux, utilisant son lasso ma­ gique pour capturer ses adversaires, ses bracelets et le bandeau de métal qui retenait ses cheveux pour arrê­ ter les balles. Bracelets, lassos, Wonder Woman souvent captive et liée ou enchaînée, autant d’éléments qui permirent aux avis de se parta­ ger : d’un côté Wonder Woman super-femme remplaçant l’homme en tout, de l’autre Wonder Woman maltraitée, soumise, appelant son li­ bérateur. Wonder Woman n’a pas fini de faire couler l’encre des analystes, mais il est vrai qu’elle constitue dans la bande dessinée une excep­ tion, mythe consciemment construit pour montrer et démontrer des thè­ ses très doctes et pourtant capable de passionner les lecteurs et de res­ ter pendant plus de trente ans l’un des personnages favoris du public.

MARTIN Jacques (1921-

MARSTON William Moulton (1893-1947)

USA

Parmi les œuvres que publia Wil­ liam Moulton Marston figurent des titres aussi évocateurs que « Emo­ tions of Normal People » (1928), « Venus with Us » (1932), « The Lie Detector Test » (1938) et « Wonder Woman» (1941-1947). Eclectisme qui n’est qu’un résumé de celui de sa vie tout entière : psychologue, professeur, responsable d’un dépar­ tement de la Universal Pictures en 1929, vice-président d’une agence de publicité, directeur de la Bruns­ wick School et créateur et scénariste de « Wonder Woman » pour la Na­ tional. Sous le pseudonyme de Charles Moulton, il construisit «Wonder Woman » pour servir de support à ses théories sur les relations hommes/femmes et devint un précur­ seur que rejettent ou acclament les féministes, selon les moments et les mouvements. Wonder Woman était une princesse des amazones lancée dans l’Amérique des années 40 et dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale, comme tous ses confrères héros, Superman, SubMariner, Flash... et sa seule parti­ cularité était d’être une femme ca­ pable de rivaliser avec Superman en force et en adresse, avec Sub­

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)

F/B

Français, né le 25 septembre 1921 à Strasbourg, Jacques Martin n’en est pas moins un des grands auteurs de l’Ecole de Bruxelles. Après des études d’ingénieur sanctionnées par un poste de technicien dans une usine d’aviation et une expérience peu concluante comme décorateur de théâtre, il part pour la Belgique où il travaille dans une agence de publicité. Il y rencontre Henri Leblicq qui l’encourage à se consacrer à la bande dessinée. Tous deux col­ laboreront sous le pseudonyme commun de Marleb, que Martin continuera d’utiliser quelque temps après leur séparation. Après une première histoire, « Le Hibou gris», parue en 1946 dans l’Indépendance et La Wallonie, et quelques bandes pour Bravo, Story, Wrill, etc., il entre en 1948 à Tintin où il crée le personnage d’Alix puis, en 1952, les très jacobsiennes aventures du journaliste Guy Lefranc. Les deux séries alterneront, avec un net avantage à la première. Les dernières aventures de Lefranc ont d’ailleurs été dessinées, sur des scénarios de Martin, par Bob De Moor et Gilles Chaillet. «Alix l’intrépide» est un jeune Gaulois, romain d’adoption, vivant aux environs de 50 av. J.-C., dans diverses contrées du monde médi­ terranéen. Dès le deuxième épisode, « Le Sphinx d’or », il rencontre ce-

lui qui allait devenir le compagnon privilégié de ses aventures, l’Egyptien Enak, de quelques années son cadet. L’ennemi des débuts, le cruel et raffiné Arbacès, disparaît par contre dès le quatrième épisode pour faire place à d’autres « mé­ chants ». L’influence que Jacques Martin reconnaît le plus volontiers est celle d’Hergé. Il a d’ailleurs travaillé aux Studios Hergé sur des épisodes de «Jo et Zette » et de «Tintin». Toutefois, son style, surtout dans « Alix », se distingue aisément : son dessin privilégie la pose hiératique et la plastique académique par rap­ port à la dynamique des formes et au mouvement ; le texte, soigné et littéraire, est abondant, que ce soit dans les bulles ou dans les cartou­ ches au sommet des images ; le décor, résultat de recherches do­ cumentaires très poussées, culmine fréquemment en de véritables tableaux-paysages; la couleur (œu­ vre, souvent, de Roger Leloup sur indications de Martin) offre des ca­ maïeux raffinés d’ocre-orangé ou de bleus. Bref, l’œuvre de Jacques Martin frappe par un parti pris de classicisme et une érudition histo­

rique et littéraire assez inhabituels, à ce degré du moins, dans l’univers de la bande dessinée. L’évolution récente de la série peut d’ailleurs, à ce titre, décevoir les amateurs : le dessin, se voulant plus dynamique, trahit ses insuffisances, l’abandon des cartouches aux textes sagement alignés au profit d’onomatopées et d’un lettrage plus «expressif» des bulles, tout en facilitant la lecture, détruit parfois l’architecture de la vignette. Martin, qui depuis 1977 a confié le dessin des « I.efranc » à Chaillet, est aussi le scénariste de la série médié­ vale « Xan » (retitrée en 1983 « Jhen » en changeant d’éditeur) des­ sinée par Jean Pleyers et parue ini­ tialement dans Tintin en 1978. l’ievers (né en 1953) débuta dans l'intin en 1970 avant d’assister Cuvelier. Il dessina aussi les «West Stories » dans Le Soir Jeunesse et « I.es Enragés de la peste blanche» pour l’éditeur Deligne avant de re­ joindre Martin dont il transposera le style dans une série de sciencefiction, « Les Etres de lumière », pa­ rue dans Métal hurlant (1981). Avec Chaillet (né en 1946) qui, en 1979, dans l'intin, lance sa propre série postmédiévale «Vasco», Pleyers re­ présente la stricte orthodoxie « martinienne ». En 1983, Martin écrit le scénario d’une série ayant pour ca­ dre l’épopée napoléonienne, «Arno», qui paraît d’abord dans Cireus, puis en 1985 dans l’éeti, des­ sinée par André Juillard, qui ouvre cette voie « néo-martinienne » qu'emprunte à son tour Philippe Adamov ; celui-ci, après « Seule au monde» dans Okapi (1983), dessine dans l’éeu (1985) «Le Vent des dieux » (sc. Cothias). Le trait est dé­ licat, certaines scènes relativement hardies , cela suffira-t-il pour fran­ chir l’écueil du néo-classicisme?

ainsi que celles de Kazar, The An­ gel et The Masked Raider. Marvel Mystery Comics devait être suivi par beaucoup d’autres titres : Mystic Comics (mars 1940), Red Ra­ ven Comics (août 1940), USA Co­ mtes, Young Allies et All Winners (été 1941)... En 1941 et 1942, Jack Kirby et Joe Simon assurèrent la direction des il­ lustrés de la Timely, créant durant ce temps le personnage de Captain America. Lorsqu’ils partirent tra­ vailler pour la National, c’est Stan Lee qui les remplaça et qui a depuis veillé au contenu littéraire et artis­ tique des productions de la Timely, puis de la Atlas (1950-1959) et en­ fin du Marvel Comics Group (1960). Les illustrés édités par Stan Lee bé­ néficièrent toujours du talent des plus grands artistes du moment : Jack Kirby, Basil Wolverton, Bill Everett, puis Al Williamson, John Severin, John Buscema... Mais ce n’est que depuis les années 60 et la naissance des Fantastic Four et de Spiderman que la firme est devenue le concurrent unique de la National car, même en 1940, et malgré le succès de Captain America, Sub­ Mariner et The Torch, les comics du groupe dirigé par Max Gaines sous le label de All American, qui se fondit ensuite avec DC (Detec-

format imprimés en noir et blanc et avec le lancement de nombreux hé­ ros dans des voies très diverses, beaucoup de succès venant récom­ penser ces essais : Tomb of Dracula, Planer of the Apes et surtout Conan the Barbarian. En 1981, la Marvel lança un magazine luxueux, Epie IIlustrated, destiné à rivaliser avec Heavy Métal et à donner un lieu d’expression bien payé aux artistes maison et à quelques invités excep­ tionnels. L’année suivante apparut une nouvelle ligne d’illustrés, les Epie Cornics, plus chers, mieux im­ primés que les cornics normaux, destinés à une vente en librairies spécialisées. Depuis, les Epie Comics se sont multipliés sous la direc­ tion d’Archie Goodwin : Dreadstar de Jim Starlin ; Coyotte de Steve Engleheart et Steve Leiahoha; Alien Légion par Cari Potts, Alain Zelenetz, Terry Austin et Frank Cirocco...

MASSE Francis (1948-

)

F

Né le 21 août 1948 à Gap (HautesAlpes), Francis Masse suit des étu­ des à Grenoble et enseigne le des­ sin. Attiré par l’animation, il réalise trois courts métrages, « Evasion Ex­ presse », « Le Cagoince migrateur »

MARVEL COMICS GROCJP (1939-

)

fondée en 1939 par Martin et Ar­ thur Goodman, la firme Timely eut comme première publication l’illus­ tré Marvel Comics qui devait deve­ nir avec son deuxième numéro Mar­ vel Mystery Comies, puis avec son quatre-vingt-treizième numéro Mar­ vel Talcs (1949). Marvel Comies numéro 1 avait été réalisé par Eunnies Inc., le studio de Lloyd Jacquet, et contenait les premières aventures de The Torch de Carl Burgos et de Sub-Mariner de Bill Everett et Mickey Spillane,

Spiderman (l'araignée), en pleine action

W79, Marvel Conitcs Group

tive Cornics) pour donner les Natio­ nal Cornics, eurent toujours une po­ pularité supérieure à celle de leurs concurrents. Dans les années 70 la Marvel s’est montrée la plus innovatrice avec toute une série de magazines grand

et « Le Jugement dernier». Publiant des bandes dessinées dans différents fanzines et journaux, la notoriété lui vient dès 1973 grâce au Canard sau­ vage avec des bandes encore très ins­ pirées par son style d’auteur de des­ sins animés, et surtout grâce à

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Actuel. La liste de ses collaborations est impressionnante. Outre les deux revues précitées, figurent Zéno, Go­ nocoque, Zinc, l’Echo des Savanes, Métal hurlant, Hara Kiri, Charlie, La Gueule ouverte, Fluide glacial, Surprise (pour des illustrations) et, après un silence de près de deux ans, B.D. en 1978. Puis, de nou­ veau, Masse semble hiberner, col­ laborant à l’ensemble « Nimbus pré­ sente le grand orchestre » des éditions suisses Cumulus en 1980 et effectuant sa véritable rentrée en 1981 dans Métal hurlant («On m’appelle l’Avalanche »). On le re­ trouve alors dans (A suivre) en 1982 (et à partir de 1984), dans Rigolo (1984) et dans Zoulou (1984). En 1985, Futuropolis lui consacre un album 30 x 40. Masse est dès l’origine un cas, le seul dessinateur peut-être auquel il serait vain de chercher des influen­ ces. Son graphisme tout en hachu­ res fait de lui un virtuose du noir et blanc, mais il prouve qu’il est tout aussi à l’aise avec la couleur. Masse propose un univers évident, entendons par là, un univers qui se suffit, qui véhicule sa propre logi­ que, qui repose sur sa propre physi­ que et s’impose à partir du simple enchaînement ainsi réglé des ima­ ges et des dialogues. Il n’est même pas besoin d’évoquer le fameux nonsense. Certes Masse n’y est pas insensible, mais rien n’est pourtant plus sensé que l’univers qu’il nous présente. Car le plus surprenant est là, l’univers de Masse est un univers familier. Il en est d’autant plus in­ quiétant.

MAT (1895-1982)

F

Né à Paris, Marcel Turlin, dit Mat, fut d’abord typographe. Blessé et ré­ formé en 1917, il publie des dessins dans Le Carnet de la Semaine. En 1921, il entre au Canard enchaîné. C’est en 1930 qu’il crée dans Rie et Rac le personnage de « Pitchounet » qui, avec son père Marius et son chien Babylas, deviendra suffisam­ ment célèbre pour bénéficier d’une série radiophonique en 1936. Tout au long des années 30, il sera l’un des collaborateurs assidus des publi­ cations Offenstadt, publiant « Lau­ rel et Hardy» (1934-1938) dans Le Cri-Cri, Boum! et L’As, «CésarNapoléon Rascasse» (1934-1940) dans L’Intrépide, Hardi!, L’Epatant et Junior, « Le Professeur Soupe », «M. Godichard» et «M. Toufou» dans Junior, « Baby Pancrace » dans L’Epatant, etc. Il publie également dans de nombreux quotidiens et di­

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verses publications dont L’Os à Moelle (1937-1940). En 1941, il crée dans Fillette « Oscar le petit canard » (qui y sera repris en 1946). Après la guerre, il poursuit sa collabora­ tion avec de nombreux journaux, publiant brièvement dans Vaillant (1945) et créant de nombreuses sé­ ries dans Wrill (1945-1949) dont «Les Farces de Tutur et Tatave» et «Le Professeur Bigoudi», Capt’aine Sabord, France-Soir Jeudi (« Youpla le Kangourou » en 1946), Pic et Nie («Papa Laglobule» en 1947), Coq hardi (« Baby Baluchon » entre 1947 et 1952), Le Journal des Pieds Nickelés (« Le Père Latignasse» en 1948-1949) et parmi bien d’autres, L’Epatant («TétarZan » en 1951), les albums Rouff avec diverses créations. En 1967, dans le nouvel Epatant, paraît sa dernière série, « Spâ-Râ-Drâh », une évocation burlesque de la préhis­ toire. Mat a dessiné de très nombreuses séries, mais cette œuvre dispersée mérite d’être mise en évidence. Très tôt, dans une BD française encore soumise à la tradition de l’histoire en images, il a su donner une vie propre à ses successions de vignet­ tes, trouvant ainsi un langage spé­ cifique qui l’amènera vite à l’au­ thentique BD. Son humour, qui reste encore, dans une large mesure, dans la tradition de Forton, s’en dis­ tingue cependant par un goût mar­ qué pour le loufoque, qui s’accen­ tuera sous l’influence des films burlesques américains et de la pa­ rution en France (dans L’As, notam­

ment) des bandes de Bill Holman. Mat subira, en fait, l’influence de ces deux traditions, la française et l’américaine. En ce sens, il annonce les futures créations de GoscinnyUderzo. Son canard «Oscar», qui commente sans cesse les actions qu’il est en train de mener, reste une des plus réjouissantes créations de la BD d’après-guerre. Probable­ ment le style de Mat s’est-il ressenti de sa trop grande dispersion ; avec lui, pourtant, c’est un des plus drô­ les et des plus originaux créateurs de la BD française qui mérite d’être redécouvert et placé parmi le plus grands. Il meurt le 29 septembre 1982.

MATTIOL1 Massimo (1943-

)

1

Né à Rome, Mattioli débute dans diverses publications telles que Vin (l’ancien Vittorioso), avec des séries comme « Il ragnetto Gigi », « Ipo », « Rita e Pino». Gagnant Paris en 1968, il crée dans Pif « M le Magi­ cien » qui prendra fin en 1973 (an­ née où on peut voir de lui quelques dessins dans Le Canard sauvage). Il imagine alors « Pinky » pour II Giornalino. Ce lapin rose marque uneévolution. Au graphisme influencé par les graffiti enfantins, Herriman et Johnny Hart, succède une réfé­ rence plus épurée aux dessins ani­ més US. Mais Mattioli va opérer le passage de l’ancienne à la nouvelle bande dessinée italienne. En 1978 il est de l’équipe de Cannibale avec

Scozzari, Liberatore, Pazienza et Tamburini. On le voit expérimen­ ter avec des personnages comme «Lucertola», «Gatto Gattino» ou des récits prétextes à des jeux stylis­ tiques. A partir de 1980, il publie dans Frigidaire diverses séries telles que «Joe Galaxy», «Squeak the Mouse », « Frisk the Frog », « Superwest », où Tex Avery et Chuck Jo­ nes semblent revisités par le gore, la science-fiction et le porno, avec en prime la passion de l’auteur pour le rap, le funk et le techno pop. Mais ce goût pour le rock peut l’amener aussi à des recherches gra­ phiques plus froides, d’un réalisme stylisé qui emprunte à Roy Lich­ tenstein comme dans « Il caso Joy Division» (1982). Tout comme il s’exprime à travers d’autres médias (vidéo, scénarios pour la RAI, illus­ trations de mode dans Vanity), Mattioli, qui de Vitt à Frigidaire en pas­ sant par Pif pratique la mise en question, ne se renie pas pour au­ tant. Dans les charcutages les plus dévergondés de «Squeak the Mouse », c’est toujours la même malice, la même candeur que dans «M le Magicien». La naïveté de l’un pouvait être cruelle et dans le cauchemar de l’autre le rêve de­ meure entier. Fin 1984, officialisant un long flirt, Mattioli rejoint le groupe Valvoline. Ce magicien n’a pas fini d’enchanter.

MAZÜRE Alfred (1914-1974)

NL

Né le 8 septembre 1914 à Nijmegen (Pays-Bas), Mazure était déjà l’auteur d’une bande dessinée poli­ cière, « De Chef » (« Le Patron », 1932), avant de lancer le héros qui devait le rendre célèbre, Dick Bos. Le premier volume de ses aventu­ res, signé du pseudonyme de Maz, paraît, sous forme de fascicule de très petit format, le 20 juin 1940, et s’intitule «De Geval Kleyn» (« L’Affaire Kleyn »). Le héros de cette série devient rapidement po­ pulaire, au même titre que les grands détectives de la BD améri­ caine, à tel point que, pendant les années de guerre, la propagande na­ zie cherche à s’en emparer pour en faire le champion de l’idéologie al­ lemande. Sur le refus catégorique de Mazure, la publication est interrom­ pue en 1945. Elle reprendra après la guerre, d’abord avec des réédi­ tions, puis de nouveaux épisodes. Il y aura donc, en tout, trois séries de ces petits livres : la première de 1940 à 1943, la seconde de 1946 à 1950, la troisième de 1963 à 1967. Les aventures de « Dick Bos » ont

Dick Bos

1979. Mazure

été également publiées dans la presse (Televizier, De Prins). « Dick Bos » s’inscrit dans la grande tradition de la littérature policière, et son créateur l’a conçu comme un roman populaire en images. Le hé­ ros est l’un de ces « privés », un dur qui lutte contre le crime en marge de la police officielle. A travers un dessin réaliste, mais stylisé, Mazure a réussi à donner à cette série atta­ chante une atmosphère de film noir, excellant à jouer sur les contrastes du noir et blanc, les clairs-obscurs. Alfred Mazure, à Londres, a créé en 1954 «Roméo Brown», poursuivi ensuite par Jim Holdaway, puis «Jane, Daughter of Jane» (19611963), tentant ainsi, sans grand suc­ cès, de donner une suite à la célè­ bre bande de Norman Pett. Peu avant sa mort, il chercha à aller en­ core plus loin dans la loufoquerie érotique avec «Perdita», utilisant un graphisme plus stylisé qui n’était pas sans évoquer celui de rorest. Il ne doit pas être confondu avec George Mazure (né le 19 novembre 1919), créateur de strips comme « Sport Morton », « Don O’Kay », «Myra van Dijk», etc.

MEÜLEN Ever (1946-

)

B

Né à Kuurne (Flandre occidentale) le 13 octobre 1946, Abraham Eddy Vermeulen, alias Ever Meulen, étu­ dia à l’Académie des beaux-arts de Bruxelles. Si en 1972 il publie une bande, « Mammouth », dans la re­ vue bruxelloise Curiosity Magazine et dessine dans Télé-Moustique ou son pendant en néerlandais Humo (notamment « Piet Peuk» en 1975), c’est surtout par Tante Lény (où il publie entre autres « Frederico Fleg-

matico » sur un texte de Swarte) qu’il se fait connaître dés le début des années 70. Toujours aux PaysBas, il collabore à Oor tandis qu’en France on lui doit la couverture du numéro 4 de Surprise (1976) ainsi que des illustrations pour 20 Ans. Il a réalisé des décors pour la télé­ vision flamande et travaille pour la publicité. Il est l’auteur de divers portfolios originaux dont le très beau «Huiles sur papier» (1985) chez Futuropolis. Chez Ever Meulen, l’espace graphi­ que avec ses déformations raffinées, ses distorsions élégantes, ses exagé­ rations stylisées, est à lui-même son propre objet qui évacue la nécessité, même simulée, d’un récit ou d’une quelconque référence autre qu’aux signes de la bande dessinée. Ici les catégories n’ont plus cours. S’il est illustrateur, c’est dans la mesure où la bande dessinée devient elle-même pur matériau utilisable en d’autres champs que celui qui était initiale­ ment le sien. La « ligne claire » n’est pas chez Meulen simple allégeance à Hergé, Jacobs ou Jijé. On ignore trop souvent sa passion pour l’œu­ vre de Chic Young. Pourtant c’est bien là, du côté de la délicatesse du trait de « Blondie », de la stylisation distordue de « Colonel Potterby and the Duchess » qu’il faut chercher le vrai secret de la Ever Meulen « touch ». On ne saurait rêver meil­ leure aventure graphique. Une aventure qui ouvre sur d’au­ tres. Celle de Benito, directeur ar­ tistique de l’éphémère Zoulou, au­ teur notamment de « Moko Club », inclus dans le 45 tours du groupe Moko (1983), et du portfolio «Chic ou Voyou » (1984), surenchérit dans les distorsions, introduisant un ef­ fet caricatural dans un contexte d’années 50 revisitées par une dé­ bauche Art Déco. A l’inverse, Bèja (né en 1964) qui se révèle en 1983 dans Métal hurlant ainsi que dans Rigolo (1984), illustrant des tubes musicaux réels ou simulés, accroche l’esthétique de Meulen à un pur leurre narratif. Pourtant, lorsque le scénario prend une apparence plus élaborée (ainsi dans «Creole Comics »), le graphisme ne peut que se teinter d’hergéisme plus référentiel, si ce n’est traditionnel. Cette com­ position avec l’artifice d’un récit, on la repère dans le curieux « Icarus » (1982) du Belge Jan Bosschaert. Longue chute silencieuse à travers les réminiscences qui précèdent la mort, cette bande se rattache à Meulen moins par son souci de stylisation (de Tardi à Chaland, d’autres influences affleurent) que par le maniérisme de la mise en page. Auteur, comme Meulen ou

187

1979, Ever Meulrn

Scène d’une bande policière d’Ever Meiden

Benito, de sérigraphies, Bosschaert explore un nouveau champ où la bande dessinée devient lecture d’un espace, rappelant que la seule aven­ ture qui compte est celle du gra­ phisme lui-même.

MÉZIÈRES Jean-Claude (1938-

)

F

Jean-Claude Mézières est né à Pa­ ris, dans un milieu favorable à sa fu­ ture passion : son frère aîné créait, en amateur, des bandes dessinées, et sa sœur est devenue l’une des meilleures coloristes de la BD fran­ çaise, sous le nom de Tran-Lé. A quinze ans, il entre à l’école des Arts appliqués où il a pour condisciples Pat Mallet et Giraud ; dès cette épo­ que, il travaille pour Cœurs Vail­ lants et Fripounet, puis Spirou (en 1958). A sa sortie de l’école, il tra­ vaille un temps comme illustrateur et maquettiste, dans les studios Ha­ chette et une agence de publicité. Un beau jour, fatigué de cette rou­ tine, il décide de partir pour un long voyage aux Etats-Unis. Il y retrouve Pierre Christin, un de ses amis d’enfance, alors professeur de français à Sait Lake City. Ensem­ ble, ils réalisent quelques planches humoristiques qui, par l’intermé­ diaire de Giraud, seront acceptées par Goscinny à Pilote. A son retour

188

en France, Mézières commence à travailler sérieusement pour Pilote, illustre notamment des scénarios de Fred. Mais son scénariste préféré reste cependant Christin, avec qui il crée, en 1967, le personnage de Valérian. Les aventures de ce héros pas comme les autres deviendront 7 bientôt l’essentiel de sa production ' (il réalise de temps à autre quelques planches pour Pilote ou Total Jour­ nal}, et il y exprime mieux que par­ tout ailleurs ses talents de dessinateur-créateur d’univers. La série des aventures spatiotemporelles de Valérian représente un parfait exemple de collaboration équilibrée et réussie entre scénariste et dessinateur. Dues à Pierre Chris­ tin, écrivain de science-fiction et scénariste de BD (parfois sous le pseudonyme de Linus) et à J.-C. Mézières, elles firent leurs débuts dans Pilote, avec «Valérian contre les mauvais rêves» (1967). Mais le premier épisode à être publié en al­ bum fut « La Cité des eaux mouvan­ tes» où s'affirmait l’originalité de ce « space-opéra » pas comme les au­ tres. Tout se déroule, en effet, dans le ca­ dre de la science-fiction : les auteurs ont inventé des univers fabuleux, avec des architectures complexes, des paysages tourmentés, des ma­ chines futuristes, des créatures étranges, dues surtout à l’imagina­ tion et à la fantaisie de Mézières, qui recompose, à partir d’éléments pris dans toutes les civilisations, des mondes nouveaux. Christin, homme de culture, a multiplié (par­ fois avec une pointe d’humour au second degré) les références à la science-fiction (Asimov, Van Vogt, Sturgeon, etc.), à la littérature (« Le Rivage des Syrtes » de Gracq a ins­ piré la cité de Syrte dans « L’Em­ pire des Mille Planètes»), ou aux bandes dessinées qu’il aime. Pour­ tant, les lieux les plus fantastiques, les humanoïdes les plus bizarres renvoient toujours à la réalité sociopolitique contemporaine : on re­ trouve sur toutes les planètes les op­ presseurs et les opprimés, les dic­ tateurs, les prolétaires, les marginaux, etc. Des préoccupations politiques, sociales, écologiques, fé­ ministes (entre autres) y sont cons­ tamment apparentes. On les retrouve dans la création des deux principaux personnages : Va­ lérian est un anti-héros ambigu, par­ fois faible ou lâche, un peu égoïste, beaucoup plus humain que les cos­ monautes sans peur et sans repro­ che de la bande dessinée de sciencefiction en général. Le lecteur naïf s’identifierait plus volontiers à Laureline, héroïne unique dans toute

l’histoire des bandes dessinées, qui porte en elle dans les temps loin­ tains et les espaces intersidéraux une soif de liberté et de justice so­ ciale qui vient tout droit de mai 68. Au-delà de la page imprimée, Mé­ zières a tenté une synthèse entre la bande dessinée et l’audiovisuel. En 1984, il a reçu le Grand Prix de la ville d’Angoulême pour l’ensemble de son œuvre. Avec douze albums, la saga de Va­ lérian occupe une place à part dans l’univers des bandes dessinées. Michel Tanguy. Voir chareier Jean-Michel, l'DIiRZO Albert.

Mickey Mouse. Voir

disney

PRODUCTIONS.

MILLER Frank (1957-

)

(JSA

Frank Miller est l’homme de deux réussites, Daredevil et Ronin. Dans le premier illustré il se contenta d’abord, à partir de mai 1979, d’il­ lustrer les aventures du héros aveu­ gle imaginé en 1964 par Stan Lee et mis en images auparavant par Bill Everett, Joe Orlando, Wallace Wood, Jack Kirby, et surtout Gene Colan. Puis en 1980 il prit aussi en charge les scénarios, privilège rare pour un dessinateur au sein de la Marvel. Il donna à Daredevil un ton nouveau, moins d’adversaires doués de super-pouvoirs, plus de gangsters petits et grands. Daredevil connut les bas-fonds de New York, les bou­ ges, les allées borgnes, les camés. Une histoire écrite par Roger McKenzie pour le Daredevil 167 fut même censurée pour son thème tournant autour de l’adolescence et de la drogue, pour être « libérée » ensuite dans le numéro 183. Mais la caractéristique des bandes de Miller, pour Daredevil aussi bien que pour Ronin, est la violence am­ biante, les meurtres et les exécu­ tions, la justice et les justiciers expéditifs. Ronin fut un illustré luxueux publié chez DC, qui n’eut volontairement que six numéros. Histoire de science-fiction mêlant mutants et réincarnation de héros et démons ja­ ponais médiévaux, Miller y afficha l’influence des illustrés japonais et surtout de Moebius. Après cette série, Miller s’est atta­ qué au développement d’un person­ nage de combattante ambiguë et sanguinaire créé pour le Daredevil de la Marvel, Elektra, et à une

transformation très personnelle de Batman chez DC.

MILLS Tarpe

üsa

Tarpe Mills est probablement la seule femme à avoir fait carrière aussi bien dans les comic books que dans les comte strips. Elle débuta dans les comic books en 1938, créant pour la firme Centaur des sé­ ries comme « Daredevil Barry

masochiste et fétichiste avec fouets, chaussures à talons aiguilles et lin­ gerie fine. Typique des années 40 avec ses atmosphères nocturnes et son goût d’une certaine outrance, mais desservi peut-être par une cer­ taine raideur du graphisme, le strip prit fin en 1952. Tarpe Mills, qui avait brièvement repris contact avec le comic book en 1949 pour la firme Avon, semblait avoir abandonné la BD, lorsqu’en 1971 elle réalisa

lement inquiétante, de personnages ineptes (Bob Debil’s, Tobor le Ro­ bot, Buddy et Flappo, etc.) dans un style à mi-chemin de Willem et Masse. I.e Belge Kamagurka (Luc Zeebroek, né en 1951) débute en 1974 par une « Carte blanche » dans Spirou, publie des dessins dans llumo (1975), se glisse dans Surprise (1976) et collabore à partir de 1978 à Hara-Kiri, Charlie mensuel et Charlie hebdo. Aux Pays-Bas, on le trouve dans le Haagsche Post et dans Tante I.cny ainsi que dans Slapstick en Allemagne. B crée notamment le personnage de « Bert Vanderslagmulders », type du crétin borné en prise avec le non-sens du monde. Kamagurka apparaîtra également dans Le Petit Psikopat Illustré ( 1982), dans Pilote ( 1984) et dans le nouvel Echo des Savanes. Le Suisse Philippe Petit-Roulet (né en 1953) se fait remarquer dans Zinc (1974) et La Gueule ouverte avec un gra­ phisme encore très « underground », puis, influencé par Willem, Pous­ sin et Kamagurka, se révèle dans /’Echo des Savanes ( 1979) et Charité mensuel (1980). Avec son scénariste xMartiny, il évolue bientôt vers une infra-« ligne claire», tant dans (A suivre) avec « Bruce Predator » (1982) que dans Pilote (1982), où pa­ raît notamment «Macumba River», dans Métal hurlant et Rigolo (1983), y créant « Le Cirque Flop », autant de récits d’aventures dérisoires et de rêves inaboutis. Modesty Biaise. Voir HOI.DAVi’AY James.

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l'C'i. Ai.I-.ujI l’rrs, In. . .m.l I .upc Mill.

Moebius. Voir GIRAUD Jean.

Finit », « The Cat-Man » et « Diana Dean in Hollywood». En 19401941, elle dessina pour N'ovclty les «Lantastic Feature Films» tandis qu'elle produisait pour « Eastern Color » jusqu’en 1942 « Man Of In­ dia » et «The Purple Zombie» au titre évocateur. A travers ces thèmes se reconnaît sa passion pour l’étrange, l’aventure et le cinéma. En 1941, elle créa pour le Bell Svndicate un sunday page « Black Furv », bientôt retitré « Miss Fury ». Une jeune fille de la haute société, Maria Drake, revêtait la nuit une peau de panthère noire et pourchas­ sait criminels, espions de la Gestapo et autres incarnations du mal. L’in­ fluence des comic books était évi­ dente, mais Tarpe Mills sut intro­ duire dans sa série un climat tout particulier de violence qu’accentuait un appel aux accessoires tradition­ nels de la littérature sado­

quelques histoires du type « ro­ mance » pour Marvel. « Miss Furv » n’était plus qu’un souvenir.

MINIMALISME

ch/b

Par « minimalisme » on entend ici un type de BD qui, à partir des an­ nées 70, se distinguera tant par un graphisme délibérément simplifié qup par un humour absurde dont la drôlerie peut sembler aux frontières du subliminal. C’est le Suisse Gérald Poussin (né en 1946) qui en est l’initiateur. Que ce soit dans des pu­ blications helvétiques (Barbarie, Go­ nocoque, La Pomme) ou dans Zinc, Surprise, Charlie mensuel, HaraKiri, B.D., l’Echo des Savanes (l’an­ cien comme le nouveau) ainsi que dans (A suivre) avec « Le Clan des Cervelas » ( 1981 ), il impose son ap­ proche faussement débile, mais réel­

MONTELLIER Chantal (1947-

)

F

Née le 1er août 1947 à Bouthéon (Loire), elle poursuit à SaintEtienne des études sanctionnées par un diplôme national des Beaux-Arts (1969), puis enseigne le dessin tout en se consacrant à la peinture, ex­ posant quelques toiles dans le cadre du Salon de la Jeune Peinture au Grand Palais. S’orientant vers le dessin de presse et l’illustration, elle apparaît pour la première fois dans le contexte BD dans Le Canard sau­ vage, puis Charlie mensuel (1974), avec des textes signés d’Alain Scoff. En 1976, elle crée pour Ah! Nana le personnage d’Andy Gang, inspec­ teur de police, dans une série ins­ pirée d’authentiques bavures poli­

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cières. Lorsque la revue cesse de paraître, elle publie dans Métal hur­ lant la série des Andy Gang, et les bandes qui seront réunies dans les albums « 1996» (1978), «Shelter» (1979), «Lectures» (1982), et dans (A suivre) «Les Rêves du Fou» (1978-1979) qui feront l’objet d’un 30 x 40 chez Futuropolis (1981). Il y aura ensuite dans Métal l’uni­ vers d’angoisses futuristes de « Wonder City », la hantise du viol de « Odile et les Crocodiles », « L’es­ clavage c’est la Liberté» où plane le spectre de Big Brother (1984), et «Rupture» (1985). Parallèlement, elle a réalisé pour Révolution le por­ trait quasi journalistique, en épiso­ des de cinq pages, d’un quartier du Havre et de ses habitants avec « La Mare rouge» (1984-1985) ainsi qu’une série autobiographique sur l’enfance, «Le Deuil blanc» (fin 1985). A travers toutes ses créations, Chan­ tal Montellier apparaît hantée par un profond besoin de liberté. Li­ berté dans son inspiration, avec un tableau frappant de l’oppression sous toutes ses formes (sociale, po­ litique, sexuelle...) : atteintes aux droits de l’homme, bavures policiè­ res, et tout ce qui menace le libre épanouissement de l’individu dans une société déshumanisée. Avec une sensibilité écorchée, elle s’identifie douloureusement aux marginaux, aux exclus, et propose, sous une forme graphique d’autant plus frap­ pante qu’elle est épurée, une grande vision d’un univers de poésie glacée, habité par la violence aveugle, le fascisme latent au quotidien, l’an­ goisse, la mort. Mais c’est aussi de liberté qu’il s’agit dans la forme même de ses créations : refusant tous les conformismes (et capable d’ailleurs de s’engager à ce sujet dans des polémiques), mal à l’aise dans le carcan de la BD classique et les images subordonnées à un ré­ cit, elle a tenté, dès les premières planches de « Blues » publiées dans Charlie, de réunir « une image libre et un texte libre qui se rencontrent », et n’a cessé, depuis, de chercher à redéfinir la relation texte-image et l’espace de la page imprimée : déjà avec « Le Sang de la Commune » en 1982 (textes de Pierre Charras) mais surtout avec «La Toilette» (1984) où avec P. Charras (textes) et Etienne Robial (images vidéo) elle a tenté la création d’un « objet gra­ phique » et une redécouverte de l’es­ pace du livre. Revendiquant pour la bande dessinée le droit à une ins­ piration et une expression «adul­ tes », elle y a apporté un ton nou­ veau et une dimension totalement originale.

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MORRIS

MORDILLO Guillermo (1932-

)

(1923RA

Né le 4 août 1932 à Buenos Aires, Mordillo se découvre très jeune, in­ fluencé par Disney, une vocation pour le dessin animé, au point de réaliser à l’âge de douze ans son pre­ mier film d’animation en 16 mm. Dès 1950, il illustre des livres pour enfants, travaille à des dessins ani­ més pour la TV argentine (1952), s’essaie à la bande dessinée. Un sé­ jour au Pérou (1955-1960) où il réa­ lise des dessins publicitaires, des li­ vres pour les enfants, puis à New York (1960-1963) où il est quelque temps l’un des rouages de l’usine à cartoons de Paramount (il travaille à des films de « Popeye » et « Little Lulu ») et dessine des cartes humo­ ristiques, et il s’embarque pour l’Europe. Il se retrouve un peu par hasard à Paris, dessine des cartes humoristi­ ques (Mic-Max) avant de publier ses premiers dessins dans Paris-Match, Lui (1966) et l’hebdomadaire alle­ mand Stern. Ses cartoons connaî­ tront alors une diffusion inter­ nationale. En 1970, il publie «Le Gallion », histoire en images pour les enfants, et commence la série des « Girafes » pour Pif gadget. La série connaît un très vif succès (album en 1975), ainsi que ses différents albums, «Crazy Cow-Boy» (1972), «Crazy Crazy» (1974)... S’il se considère avant tout comme un dessinateur d’humour, c’est dans ces courtes BD, construites généra­ lement sur un gag, en une planche, presque toujours muette, que Mor­ dillo a trouvé son expression privi­ légiée, renouvelant la forme du gag strip. Son dessin, influencé par Oski, est enrichi par une utilisation expres­ sionniste de la couleur, à la Disney. Mordillo compare volontiers son humour à celui de Keaton dont il est un fervent admirateur. Il n’a pas négligé ses premières amours, le dessin animé, puisque plusieurs séries ont été réalisées d’après ses dessins en France (1974) et en Allemagne (à partir de 1976). Parallèlement, il a illustré livres, calendriers, jeux, etc. Il a été exposé dans le monde entier, de Tokyo à Moscou ; il a obtenu de nombreux prix et récompenses offi­ ciels, notamment celui du « meilleur cartoonist de l’année 77 » décerné à Montréal par un jury formé des plus grands dessinateurs du monde entier appelés à voter par corres­ pondance.

)

B

Né à Courtrai le 1er décembre 1923, Maurice de Bevere entre à vingt ans dans un studio belge de dessin animé. En 1945, il contribue au journal humoristique Le Moustique, et prend en 1946 le pseudonyme de Morris pour publier, dans Spirou, les premières aventures de Lucky Luke, cow-boy de fantaisie, qui trouve très vite le succès. En 1948, désireux de se documen­ ter sur le terrain, il part pour les USA qu’il traverse d’est en ouest, et où il demeurera six ans, sans ces­ ser d’envoyer régulièrement à Spi­ rou les planches de Lucky Luke. C’est au cours de ce long séjour qu’il rencontre Harvey Kurtzman et Jack Davis, mais aussi Goscinny. A son retour en Europe, en 1955, celui-ci deviendra son collaborateur attitré : il le rejoindra, en 1968, à Pilote, et c’est ensemble qu’ils pro­ duiront, avec Pierre Tchernia, le premier dessin animé de long mé­ trage, «Lucky Luke». Il s’agit d’une aimable parodie de western, qui reprend les thèmes et les mythes de l’Ouest américain ; la passion de Morris pour ce domaine de la culture des ÜSA l’a poussé à chercher l’exactitude et la fidélité à la réalité historique (reprise de per­ sonnages authentiques, de situa­ tions typiques, noms de villes, etc.). Lorsque Goscinny devient, à partir de 1955, avec « Des rails sur la prai­ rie » (9e épisode), le collaborateur de Morris, il entre à son tour dans le jeu. Tous deux recréent, d’une ma­ nière parodique sans être trop cari­ caturale, l’univers du western : Lucky Luke, cow-boy solitaire et flegmatique, est confronté, avec son vieux camarade chevalin Jolly Jumper, à toute une sarabande de per­ sonnages pittoresques, pilleurs de banques, promoteurs véreux, joueurs sans scrupules, et tout le pe­ tit peuple des honnêtes gens, tenan­ ciers de saloons, dames respectables, croque-mort... On retrouve des grandes figures de l’Ouest améri­ cain, comme Billy the Kid, le juge Roy Bean, les frères Dalton trans­ posés par l’humour du scénariste. Sans compter une caricature peu flatteuse de Rin-Tin-Tin, Ran Tan Plan, le chien le plus stupide de tout l’Ouest. Ces aventures palpitantes, où le sang n’est jamais versé (Gos­ cinny excellant alors à transformer les interdits de la censure officielle en source de gags, de clins d’œil au lecteur), se terminent systématique­ ment par la vision de Lucky Luke s’éloignant, au soleil couchant, au rythme du désormais célèbre re­

frain, « I’m a poor lonesome cowboy ». Avec un graphisme clair et précis, et une technique largement inspirée du cinéma, Morris a très vite fait de Lucky Luke' un des grands classi­ ques de la bande dessinée. De « La Mine d’or de Dick Digger» (1949) à « La Fiancée de Lucky Luke » (1985), la série ne compte pas moins de 53 albums, a inspiré pendant quelque temps un journal (1974) et semble ne jamais avoir accusé une baisse de qualité, comme c’est sou­ vent le cas avec les bandes dessinées prolongées durant de nombreux épisodes. Bien au contraire, Morris et Goscinny ont réussi à renouve­ ler leur inspiration avec bonheur, ce que surent faire inégalement les scé­ naristes qui se succédèrent après la mort de Goscinny.

MORROW Dwight Graydon (Gray) (1934-

)

USA

Comme Alex Toth, l’un de ses mo­ dèles avoués, Gray Morrow semble être un touche-à-tout à la carrière si touffue qu’elle en devient difficile­ ment résumable : dessin publici­ taire; films d’animation («Spiderman», «Max the 2000 Years Old Mouse »...); illustrations pour Playboy, National Lampoon, Monster Ti­ mes ; couvertures de livres de po­ che... Dans le domaine des comic strips, il a remplacé, parfois pour une seule planche, les dessinateurs habituels de « X 9 », « Rip Kirby », « Ben Boit» et même «Prince Valiant» et eu sa propre bande, « Space Conquerors» en 1967. Il avait débuté dans les comic books en 1956, mais c’est surtout depuis 1970 qu’il y est revenu de façon no­ table, dessinant le western El Diablo et Vigilante, Rose & Thom et Zatanna pour la National, Captain America et Gullivar Jones pour la Marvel; devenant en 1973 l’editor des Archie Comics, ne réussissant malheureusement pas à imposer sur le marché des comic books toute une série de nouveaux illustrés lan­ cés à l’époque par cette firme. Il a aussi travaillé pour les magazi­ nes de James Warren, Creepy et Eerie, dès leur création (1964), donné des dessins au Witzend de Wallace Wood (1969) et illustré l’une des histoires publiées dans le premier numéro de Savage Taies, le premier des magazines en noir et blanc de la Marvel (1971). Heavy Métal, version américaine de Métal hurlant, a publié ses adapta­ tions de nouvelles de Roger Ze-

lazny, curieuses bandes qui ne sont pas sans rappeler les tentatives de Gil Kane dans His Name is Savage et Blackmark.

MOUMINOUX Guy (1927-

)

F

Pur autodidacte, Guy Mouminoux est encore dans la marine nationale lorsqu’en 1946 il publie sa première planche professionnelle, « Les Aventures de Monsieur Minus», dans Nous les Jeunes, un petit fasci­ cule qui ne comptera que quelques numéros. En 1947, il collabore à Cœurs Vaillants où il produit un ré­ cit comique « Papillon et Slipp » et quelques bandes à gag dans un style très inspiré de Disney. En 1948, il dessine « Les Cinq Bandits de Ca­ labre » dans O. K. ; la même année, il produit une vague imitation de Zorro, « Zar’o », pour des fascicules. En 1949, ce sera «Atkin», un homme préhistorique. Dès ce mo­ ment, Mouminoux affirme sa dou­ ble capacité de dessinateur réaliste et humoristique. En 1949-1950, il crée pour ELAN de fort nombreux récits complets et notamment «Maya le Sioux», aux aventures multiples et souvent extrawesterniennes. En 1951, il collabore un court moment à Vaillant, don­ nant une histoire sur la Résistance. Il publie également dans Bravo une série « Troubles à Guadalcanal », et dans Jocko « Gorneval chevalier er­ rant ». Après un passage à l’éphé­ mère L‘Equipe Junior où il travaille sur une vie de Mermoz, il entre à Fillette et à Pschitt Aventures, où après quelques illustrations il pren­ dra en main, dans ce dernier jour­ nal, la réalisation de « Mexico Kid » qu’il poursuivra jusqu’en 1959. Éntre-temps, dans Hurrah, en 1957, il reprend «Robin des Bois». En 1959, il entre à Spirou où il réalise quelques « Oncle Paul » (en 1963, il collaborera avec Jijé sur trois épi­ sodes de « Valhardi »). La même an­ née, il entame sa longue collabora­ tion avec les éditions Fleurus en reprenant dans Cœurs Vaillants la série créée par Hidalgo, « Le Che­ valier au blason d’argent », série qu’il poursuit toujours dans Fripounet. En 1964, il participe à l’expé­ rience de Chouchou, y publiant « Kilimandjaro» et «Oui, mon Adjudant ! » dès le premier numéro, et, en 1965, dans le petit format, un récit complet, «Tchninggiz Khan». Cette dernière série amorce son re­ tour au style humoristique. En 1965, il fait son entrée à Pilote avec « Les Disparus de Pol-Croac » et, en 1966, y crée sa célèbre série humo­

ristique de «Goutatou et Dorochaux», deux chats d’une grande drôlerie dans un univers d’une fran­ che fantaisie. Il poursuivra cette sé­ rie jusqu’à son départ du journal en 1970, ayant également, en 1969» 1970, donné quelques pages d’ac­ tualités. Il entre alors à Tintin où il publie une nouvelle série animale « Rififi le Moineau », bande à l’hu­ mour caustique et satirique, tou­ jours pQursuivie. Mouminoux continue cependant sa collaboration avec Fleurus, créant aussi bien les séries réalistes teintées d’humour comme « 100 Chevaux entre les pat­ tes », une série moto, que « Prémo­ laire » dans Formule 1, un crocodile dans un univers humain souvent plus animal que lui. En 1975, il des­ sine pour Spirou un family strip très original, « Les Familleureux », qui n’aura qu’une existence fort brève. En cette occasion, pour la première fois il utilise le pseudonyme de Di­ mitri Lahache. La même année, il publie dans le fanzine Hop quelques planches de « Krampon l’imputres­ cible », une série sur un léopard qui sera reprise et poursuivie dans Charlie mensuel. Le personnage ser­ vira de base au héros qu’il fera en­ suite vivre, à partir de 1977, dans « Le Goulag », la série qu’il crée pour l’hebdomadaire B.D. et conti­ nue dans Charlie hebdo, puis dans le nouvel Echo des Savanes à partir de 1982. La même année on le re­ trouve dans Pilote, puis dans Charlie mensuel avec de courts récits que suivent « Le Meneur de chiens » (1983) et «Les Mange-merde» (1984). Mouminoux a une longue carrière (aux titres cités, il faut encore ajou­ ter des productions très mineures, comme les bandes d’aventures qu’il fabriqua pour la firme anglaise Fleetways, ainsi que les albums du Fleuve Noir adaptant les films des Chariots). Son style réaliste, au dé­ but très quelconque, a évolué et, dans ses meilleures séries, se révèle remarquable par son sens des décors brossés en quelques touches impres­ sionnistes; mais c’est surtout par son graphisme d’auteur comique que Mouminoux montre qu’il est de toute évidence l’un des plus grands de la BD française. «Le Goulag» lui apporte aujourd’hui une consé­ cration tardive que «Goutatou et Dorochaux » ou « Rififi » justifiaient depuis déjà longtemps. Influencé par Knerr et Segar, réaliste ou bur­ lesque, se renouvelant sans cesse, il occupe une place à part et n’accède que tardivement à une production plus adulte. Son humour désen­ chanté, sarcastique, quelque peu célinien, reste suffisamment ambigu

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oms.

Muñoz

pour que deux épisodes du « Gou­ lag » aient été prépubliés, l’un dans le néo-droitiste Magazine Hebdo, l’autre dans le recentré Evénement du Jeudi. L’œuvre, il est vrai, trouve l’une de ses sources dans l’adoles­ cence de l’auteur qui, Allemand par sa mère, combattit sur le front russe (sous le nom de Guy Sajer, il en tira un récit, «Le Soldat oublié», au­ jourd’hui repris chez Marabout).

MÜÑOZ Jose-Antonio (1944-

)

RA

D’origine argentine, José Muñoz a fait ses classes dans la célèbre Escuala Panamericana de Arte de Bue­ nos Aires dirigée par Enrique Lipszyc, et où ont enseigné, entre autres, Pratt et Breccia. Il fait par­ tie de ces Latino-Américains «exi­ lés» en Europe par la situation po­ litique, et dès le début des années 70 ses bandes sont publiées en Ita­ lie (« 56th District», en 1973). En 1974, il a retrouvé en Espagne Car­ los Sampayo (né en 1943), Argen­ tin lui aussi, qui a travaillé dans la publicité, et le fruit de leur pre­ mière collaboration « Alack Sinner » paraît en janvier 1975 dans la revue italienne Aller Linus. Authentique renouvellement de la BD policière, cette histoire de détective privé, an­ cien flic officiel et qui, dégoûté, de­ viendra un moment chauffeur de taxi, est non seulement aussi belle que du Chandler, mais elle révèle un graphisme nouveau (en dépit des influences de Pratt) qui témoigne d’une maîtrise du noir et blanc peu commune. La solidité du découpage et de la technique narrative, jointe à la profonde humanité des person­ nages, en font une œuvre à part. En 1977, Muñoz et Sampayo, toujours en Italie (ils se sont fixés à Breccia), réalisent «Sophie» dont l’héroïne,

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R.™

apparue dans un épisode de « Alack Sinner», s’efface rapidement au profit d’une étonnante fresque ba­ roque, expressionniste et macabre. Le public français qui les a décou­ verts en 1976 dans Charlie, puis B.D., trouvera dans (A suivre) (1979) une série de courts récits réu­ nis dans « Le Bar à Joe » (1981), puis la suite des aventures de «Alack Sinner» (1982). S’éloignant ensuite de la fascination des bas quartiers de New York, ils plongent dans leurs souvenirs d’exilés pour réali­ ser, dès 1982, l’admirable série «Su­ dor Sudaca » («Sueur de Métè­ ques »), parue en Italie dans Frigi­ daire, puis dans (A suivre) en 1983-1984 : récits intimistes et par­ fois poignants d’une jeunesse dans l’Argentine de Perón et d’Evita, où apparaît notamment, dans un des plus beaux épisodes, l’écrivain Ju­ lio Cortázar.

MÜNTAÑOLA Joaquín (1914-

)

E

Né à Barcelone le 9 avril 1914, Joa­ quín Muntañola, outre ses activités d’écrivain et d’auteur de pièces de théâtre et de scénarios de films, a marqué à la fois le dessin d’humour et la bande dessinée de l’aprèsguerre. Il a fait ses débuts dans Esquitx, En Patufet (où il signait « Kim ») et TBO. En tant que des­ sinateur satirique, il a collaboré à un grand nombre de revues sportives (El Mundo Deportivo, Dicen, Vida Deportiva...) ou d’humour (Tururut, La Olla, La PZ, Pepe Cola...) ainsi qu’à deux grands quotidiens barce­ lonais, La Vanguardia où il succéda dans les années 60 à Moreno et fut rejoint en 1970 par Perich, et El Correo Catalan où il dessina, sous le pseudonyme de « Don », dans un style très différent.

En décembre 1955, il a fondé sa propre revue humoristique, Locus, où l’on trouvait les signatures de Coll, Castanys, Tinet, Cesc et Gar­ cia. D’un esprit assez proche de Mad ou Hara-Kiri, la revue, sans doute trop en avance sur la menta­ lité espagnole de l’époque, n’a duré que jusqu’en mars 1956. Dessina­ teur prolifique, Muntanola a créé dans TBO trois séries importantes : «Angelina y Cristôbal», couple formé d’une grosse femme autori­ taire et de son petit mari, « Dona Exagerancia» et «Josechu cl Vasco». Son trait fin et précis, en­ nemi de l’inessentiel, anticipait, dès les années 50, sur le style des dessi­ nateurs actuels.

Mutt and Jeff. Voir l isuilR Bud.

MYERS Russel (1938-

)

USA

Né le 9 octobre 1938 à Pittsburg (Kansas), Russel Myers suit des étu­ des d’art à l’université de 'I'ulsa et est engagé en 1960 par la Hallmark Company où il dessine pendant dix ans des cartes de vœux. En 1970, sur un thème suggéré par l’imagi­ natif Elliot Caplin, il crée le comic strip « Broom-Hilda » pour le CTNYNS. Broom-Hilda, une sor­ cière à la magie pour le moins peu efficace, son compagnon, le busard à tête d’intellectuel Gaylord, et l’hirsute farfadet Irwin forment la distribution de cette bande d’hu­ mour sophistiqué (daily strip et Sun­ day page) devenue rapidement l’une des meilleures du genre. Myers ex­ celle dans le nonsense, la parodie et la drôlerie née des fréquents ana­ chronismes, mais surtout réussit une synthèse entre le graphisme simple et direct du moderne comic strip et l’art plus ouvragé des vieil­ les bandes. Il y a notamment dans «Broom-Hilda» une utilisation du noir et blanc, du dessin hachuré, qui ramène à « Krazy Kat » et plus encore à la tradition du CTNYNS des années 20, celle de « Moon Mul­ lins » ou de « Little Orphan Annie ». Grand admirateur de la BD classi­ que, Myers est de ceux qui témoi­ gnent que le nouveau comic strip se nourrit de l’ancien beaucoup plus qu’il n’introduit une rupture avec celui-ci. Se souvenant de son pas­ sage à la Hallmark Co., Myers a créé pour le CTNYNS, en 1974, une série de cartes humoristiques à découper dans les journaux, « Hollybelle Hoopla’s Greeting Cards ».

NATIONAL PERIODICAL PUBLICATIONS La National Periodical Publications Inc. est née de la réunion dans les années 40 de deux firmes : Detec­ tive Comics, compagnie de Harry Donenfeld, et Ail American, que possédaient conjointement Donen­ feld et Max Gaines. Gaines ayant vendu ses parts et ayant fondé Entertaining Comics (1945), Donen­ feld resta seul maître de la firme dont tous les illustrés portèrent et portent encore aujourd’hui le sigle DC. Ail American avait publié Ail Ame­ rican Comics (avril 1939), Ail Star Comics (été 1940); Flash Comics (janvier 1940), Ail Flash (été 1941), Green Lantem (automne 1941), Sen­ sation Comics (janvier 1942), Mon­ der VToman (été 1942)... Plus ancienne, la DC avait commen­ cé avec New Adventure Comics (dé­ cembre 1935) et More Fun Comics (février 1935) construits sur le mo­ dèle des deux premiers comic books : Funnies on Parade (1933) et Famous Funnies (1934). Puis étaient venus Action Comics (juin 1938), Adventure Comics (octobre 1938) exNew Adventure Comics, Superman (été 1939), Batman (printemps 1940)... Le succès de la National reposa tou­ jours sur deux héros principaux, Superman de Siegel et Shuster et Batman de Bob Kane, et sur toute une série de personnages moins im­ portants inventés pour la plupart par Gardner F. Fox : The Sandman (juillet 1939), Hawkman, The Flash, Doctor Fate, Starman... aux­ quels vinrent s’ajouter le Green Lantern de Martin Nodell et la Wonder Woman de William Moulton Marston. Certains de ces héros vivent encore aujourd’hui de nouvelles aventures, parfois inchangés ou presque, sou­ vent modifiés pour suivre l’évolu­ tion des goûts du public. Depuis 1940, époque durant laquelle la pré­ pondérance était donnée aux scéna­ rios, les artistes ont pris à la Natio­ nal de plus en plus d’importance (Infantino, Gil Kane, Murphy An­ derson, Mike Sekowski, Joe Kubert...), Carmine Infantino deve­ nant même directeur de la firme en 1972. Depuis, il a dû laisser la place à Jeanette Kahn. D’abord sans bruit, patiemment, année après an­ née, Jeanette Kahn a su s’entourer des plus grands talents de la profes­ sion, accueillant aussi bien des editors après leur rupture avec la Mar­ vel de Jim Shooter, des artistes en

194

pleine ascension comme George Pe­ rez, (ayant quitté Avengers et Fan­ tastic Four il vint chez DC dessiner. Justice League of America puis The New Teen Titans), que des anciens comme Carmine Infantino et Jack Kirby. Elle a su laisser le pouvoir éditorial et artistique à de grands professionnels comme Dick Gior­ dano, Len Wein, Marv Wolfman pour faire dans les années 80 de la DC la firme la plus créative et la plus fascinante dans sa production, loin devant la Marvel et faisant jeu égal dans l’innovation avec les pe­ tites maisons telles Pacifie, First Co­ mics ou Eclipse.

NÉO-FRANQUIN. Voir WASTERI.AIN Marc.

NEUGEBAUER Walter (1921-

)

YG

Né le 28 mars 1921 en Yougosla­ vie, élevé à Zagreb, Walter Neuge­ bauer était encore adolescent quand il publia ses premiers dessins. Mais ses premières réalisations dans le domaine de la BD furent « Gusarko Blago» («Le Trésor des Pirates», 1935-1936), et « Nasredin Hodza» (Nasdine Hodja) publié dans Oko. Avec un ami journaliste, il crée le premier magazine de BD yougos­ lave, Mickeystrip (1940), pour lequel il réalise (scénario et dessins) «Bimbo Bambus». Bientôt, ce jeune homme entreprenant est à la tête de son propre journal, Veseli Vandrokàs, où il publie, outre son « Nasredin Hodza », « Pùz and Pùzek » et un western, «Wjnnetou». Il doit cesser cette publication lors de l’entrée en guerre de la Yougos­ lavie. Après la guerre, il collabore au magazine satirique Kerempuch (1946-1948), mais cherche surtout à se consacrer à ses deux grandes passions, la BD et le dessin animé. Il réalise et produit un court mé­ trage d’animation, « Veliki Miting », mettant en scène des crapauds et des grenouilles, et fonde DugaFilms, qui fait faillite en 1951-1952. Il est alors le créateur de la première BD yougoslave d’après-guerre, « Prica Rubasume » publiée dans Pionir, et travaille à des adaptations de Jules Verne. Une rencontre avec Rolf Kauka lui permettra de travailler sur « Fix und Foxi », auquel il contribuera large­ ment, marquant cette série de son style personnel. Il restera d’ailleurs pendant de longues années (19581972) le directeur artistique des pu­

blications Kauka. Au cours de cette période, il a créé avec Kauka le des­ sin animé mettant en scène le Ba­ ron Münchhausen, ainsi que les bandes «Tom und Biber», «Mis­ cha », « Bussi Bär », s’affirmant aussi bien dans le domaine de l’hu­ mour que dans celui du réalisme.

NIÑO Alex N. Ph Parmi les dessinateurs philippins dont les dessins ont envahi depuis une dizaine d’années les illustrés de la National, puis ceux de la Marvel, Alfredo Alcala, Ernie Chua, Tony de Zuniga, Jess Jodloman, c’est sans doute Niño qui apporta le plus à la bande dessinée américaine. Alcala, de Zuniga et quelques autres sont de merveilleux encreurs, solides, précis, surchargeant parfois trop les planches d’ombres envahissantes, mais Niño a un génie particulier qui oblige à le considérer à part. Tra­ vaillant d’abord pour la National, y dessinant à partir de 1972 des his­ toires de science-fiction ou d’hor­ reur, mais aussi les aventures de «Captain Fear», un pirate qui ne vécut que quelques aventures dans l’illustré Adventure Comics, « Korak Son of Tarzan» et «Space Voya­ ger», Niño est ensuite passé aux magazines en noir et blanc de la Marvel et à un format qui lui con1979, Warren Publishing C.o

Alex Niño, des envahisseurs venus d'une autre planète

venait mieux. Dans le numéro 1 de Marvel Preview (1975), il dessina « Man Gods », sur un thème inspiré des thèses développées par Erich Von Dâniken dans Le Chariot des dieux et dans ses autres livres, dans Savage Sword of Conan numéro 6 (1975), il illustra l’adaptation d’une nouvelle de Robert E. Howard. Science-fiction, horreur, heroic fantasy, il est encore chez National et Marvel l’un des meilleurs artistes spécialisés dans ces genres, mais c’est surtout dans les magazines de James Warren, Creepy, Eerie et Vampirella, qu’il se laissa aller à ses jeux avec les cases et les planches, ses visions dantesques aux images imbriquées, superposées, éclatées, dont le format des pages et la plati­ tude du noir et blanc et de la feuille imprimée n’arrivent pas à limiter la profondeur, l’espace ainsi créé, qui est ouverture sur d’autres mondes et sur d’autres dimensions.

OPPER Frederick Burr

O’NEIL Dennis (Denny) J. (1939-

)

gna les textes de « Patsy Walker », « Patsy et Hedy », « Millie the Mo­ del », dans les love comics de l’épo­ que et surtout « Dr. Strange » sous le pseudonyme de Sergius O’Shaugnessy. De 1967 à 1969, chez Charlton, il s’occupa des principaux héros de cette firme : Hercules, Thunderbolt..., et écrivit de nom­ breuses histoires fantastiques, de science-fiction ou de cow-boys. A partir de 1969, chez National, il a travaillé pour Superman, Batman, Wonder Woman, Justice League of America et a participé en tant qu’editor ou scénariste à : « The Creeper» avec Steve Ditko (1968), « Nightmaster » avec Bernie Wrightson (1969), «Shadow» avec Michael Kaluta (1973), « Pellucidar » (1972), « Fafhrd and the Grey Mouser» d’après Fritz Leiber, «Iron Wolf» avec Howie Chaykin (1974).

(1857-1937)

USA

Scénariste et editor de comic books, écrivain, copywriter, critique, jour­ naliste, O’Neil est surtout célèbre pour les épisodes de « Green Lantern » réalisés avec Neal Adams de 1970 à 1972. Il sut exprimer dans les scénarios qu’il écrivit pour cette bande une conscience politique et sociale rare sinon chez les scénaris­ tes de comic books, du moins dans leurs histoires. Après des années d’aventures relevant seulement de la science-fiction, de vilains doués de super-pouvoirs et d’un besoin irrépressible de richesses et de puis­ sance, tous maîtres du monde en dé­ sir, qu’ils se nomment Prince Péril, The Shark, Lamplighter, The Count of Calamiti^ÿ, Dr. Polaris... Green Lantern, flanqué d’un autre héros classique, Green Arrow se re­ trouva soudain face aux problèmes de la drogue, de la violence, du ra­ cisme. La position politique, l’en­ gagement ainsi révélés, s’ils res­ taient loin de toute attitude extrémiste, montraient pourtant une évolution chez O’Neil dont les scénarios pour The Creeper, influen­ cés par son dessinateur Steve Ditko, avaient exprimé la philosophie et l’idéologie de celui-ci. Si le reste de sa carrière ne fut pas aussi marquant, il n’en est pas moins l’un des meilleurs scénaris­ tes actuels et reçut même en 1970 le prix du meilleur scénariste dé­ cerné par les fans. En 1965 et 1966, chez Marvel, il si­

USA

Né le 2 janvier 1857 à Madison (Ohio) de parents d’origine autri­ chienne, Opper quitta le collège, âgé de quatorze ans, pour aller tra­ vailler au Madison Gazette. Il ven­ dit de nombreux dessins à divers magazines, et, à vingt ans, installé sur la côte Est, il poursuivit en freelance sa carrière de dessinateur avec le Harper’s Bazaar et Puck. Engagé par un nouveau magazine, le Les­ lie’s, il y resta trois ans, puis devint dessinateur politique attitré de Puck pendant plusieurs années. En 1899, Hearst l’engagea au NY Journal pour dessiner dans la section heb­ domadaire 1’« American Humorist ». En mars 1900, il y créa sa première planche en BD, « Happy Hooli­ gan », le vagabond coifle d’une boîte de conserve, toujours naïf, toujours berné, maltraité par les « cops » et trahi par ses proches. En 1902, Op­ per imagina un duo de Français, « Alphonse et Gaston », moustachus et barbichus que leur excessive po­ litesse mettait dans des situations plus que critiques. En 1904, ce fut ¡’apparition de Maud, la mule têtue et aux ruades redoutables ; avec elle figurait aussi le fermier Si et sa femme Mirandy. Parfois ces diffé­ rents personnages avaient leurs pro­ pres bandes, parfois, au contraire, ils se retrouvaient ensemble, Happy Hooligan voisinant dans le même sketch avec Maud, Si, Alphonse et Gaston. A la même époque, Opper collaborait parfois avec Dirks sur «The Katzenjammer Kids» et on

put voir, de ce fait, Alphonse et Gaston rencontrer Hans et Fritz, sé­ rie d’Opper et série de Dirks se confondant en cette occasion. Dans les années 1900, Opper fit égale­ ment des illustrations pour les « Dickenspiel Stories», contes germano-américains de George V. Hobart, et créa quelques autres bandes comme « Our Antediluvian Ancestors» (une préfiguration des futures bandes à thèmes préhistori­ ques) et « Howson Lotts » (une des premières à satiriser les habitants des quartiers suburbains). « Happy Hooligan » poursuivit sa carrière jusqu’en 1932, ayant même, un court moment, au début des années 20, un daily strip. En fonction de l’apparition de nou­ veaux personnages, qui prenaient momentanément la vedette, la plan­ che fut retitrée et parut sous l’ap­ pellation de « Mr. Dubb », « Down on the Farm » ou « Mr. Dough and Mr. Dubb», de 1919 à 1927, avec un retour à son titre original de 1923 à 1925. En 1926, Opper pro­ duisit un top et, après quelques es­ sais comme la reprise de « Our An­ tediluvian Ancestors », il réutilisa le personnage de Maud dans une sé­ rie intitulée «And Her Name Was Maud ». Elle se termina tout comme la planche originale, « Happy Hoo­ ligan», en 1932, lorsque F.B. Op­ per, en raison de l’état de sa vue, dut cesser de dessiner. Opper qui, parallèlement à ses BD, avait pour­ suivi ses dessins politiques, dénon­ çant les trusts et certains politiciens (utilisant même, parfois, la forme du strip pour cela), mourut à New Rochelle, le 28 août 1937. Opper fut l’un des premiers maî­ tres de l’absurde, de la fantaisie poussée jusque dans ses plus extrê­ mes conséquences. Avec « Happy Hooligan », il a aussi inauguré ces types de relations entre personna­ ges que d’autres développeront. Ses trois neveux notamment serviront de modèles aux bandes disneyennes et à d’autres. Son graphisme cari­ catural, sans fioritures, restera long­ temps le graphisme type de la BD humoristique américaine. Dès 1900, « Happy Hooligan » sera porté à l’écran par E.S. Porter. Il sera mis en chanson en 1902, joué au théâtre, adapté en dessin animé.

ORPHELINS ET ORPHELINES 1. Etats-Unis

La première bande centrée sur le thème de l’orphelin fut probable-

195

|974, U.hiçago Tribune Syndicate

Little Orphan .-1 utile

ment celle réalisée par Robert Car­ ter en 1902 et reprise par C.W. Kahles en 1907, «Tatters and Turk ». Kahles préfigura les bandes à venir en créant le couple classique de l’enfant sans foyer et du chien comme seul compagnon. -Dans les années 10, Mary Pickford triompha sur les écrans. Spécialiste des rôles d’orphelines, elle inspira dès lors la bande dessinée. Harold Gray (18941968) était déjà assistant de Sidney Smith sur les « Gumps » depuis 1921, lorsqu’en 1924 il soumit un projet de bande sur un orphelin au Captain Patterson du CTNYNS. Celui-ci préféra remplacer le garçon par une fille et, le 5 août 1924, le premier épisode de « Little Orphan Annie» parut. Annie vécut d’abord, en compagnie de son chien Sandy, des aventures plutôt humoristiques

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avec un brin de sentimentalité. L’apparition de Daddy Warbucks, type du self made man, marchand d’armes et porte-parole des opinions ultra-conservatrices de Gray, donna à la série un souffle nouveau. An­ nie fut au cœur d’intrigues multi­ ples qu’elle affronta avec un cou­ rage toujours égal et sans la moindre faiblesse. Le sens de la narration que possédait Gray a fait de cette bande une des plus incontestables réussites du strip US, mélange d’humour, d’action, d’émotion aussi, mais jamais bêtifiante ou pleurnicharde. Son graphisme, en lui-même, un peu sommaire, fut re­ haussé par son trait hachuré et son goût pour les jeux d’ombre et de lu­ mière dans la bonne tradition ex­ pressionniste du CTNYNS. Après la mort de Gray en 1968, la série fut

poursuivie par Tex Blaisdell (des­ sin) et Elliott Caplin (texte) qui ne surent respecter l’esprit de la série, puis passa à divers auteurs pour fi­ nir, en 1974, entre les mains de Da­ vid Lettick qui chercha à faire de la jeune orpheline une contestataire. On était loin de Gray, et le CTNYNS préféra reprendre, dès lors, d’an­ ciens épisodes de la bande (Gray à partir de 1933 dessina une bande « Maw Green » sous le Sunday page, qui était centrée sur une figure ap­ parue auparavant dans «Little Or­ phan Annie »). «Little Annie Rooney » fut le titre d’un film de Mary Pickford en 1925. Tom McNamara et Bud Cou­ nihan (futur dessinateur de « Betty Boop») en tirèrent un projet de strip que le KFS refusa alors. Le même syndicate pourtant fit, en 1927, de «Little Annie Rooney » une série confiée à Edward Verdier qui signa Verd. Le style était alors plutôt caricatural, et la série évolua lorsque Ben Batsford l’assura à par­ tir de juillet 1929, créant le person­ nage de Mrs. Meany, la directrice de l’orphelinat et persécutrice de la malheureuse Annie. Darrell Mc­ Clure lui succéda en octobre 1930. Quand Brandon Walsh assura le scénario, cela demeure matière à controverse. Avec l’apparition de McClure, cependant, la série chan­ gea de cap, prenant une tournure plus mélodramatique même si l’aventure et l’humour continuèrent d’y jouer un rôle. En 1933, le Sun­ day page fut donné à Nicholas Afonsky, également sur des scéna­ rios de Brandon Walsh, qui intro­ duisit un jeune garçon, Joey Rob­ bins qui avec un aventurier chinois, Ming Foo, se mit à parcourir le monde. En 1935, «Ming Foo» de­ vint un top au Sunday page de «Little Annie», les deux restant confiés à Afonsky. Bande d’aventu­ res souvent maritimes, « Ming Foo » prit fin en 1943, à la mort de Ni­ cholas Afonsky; McClure reprit alors le Sunday page de « Little An­ nie» et redevint seul dessinateur de la série (assurant également le scé­ nario à partir de 1954, après la mort de Walsh) jusqu’à sa suppression en 1966. De 1934 à 1937, McClure dessina un Sunday page, « Donnie », consacré aux aventures maritimes d’un orphelin. Son graphisme fut celui d’un illustrateur, soigné, agréable, adapté au ton d’une série que son climat mélodramatique ne rendit jamais, pour autant, lar­ moyante. Il faut noter, d’ailleurs, qu’en 1927, le KFS produisit une seconde bande d’orphelins, en même temps que « Little Annie ». Il s’agissait de « Two Orphans », de Al

Zère, série centrée sur un frère et une sœur, accompagnés bien en­ tendu d’un chien. Mais son exis­ tence fut des plus brèves. Fanny Young Cory (1877-1972) vint relativement tard à la BD, en créant en 1934, pour le Ledger Syndicale, un strip sur une orphe­ line, « Babe Bunting» (poursuivi jusqu’en 1939 par Roy L. Williams, puis Kemp Starrett). En 1935, elle fut engagée par le KFS pour réali­ ser un autre strip sur le même thème, « Little Miss Muffiet » qui débuta en septembre 1935 pour prendre fin en juin 1956. Ce fut surtout la gentillesse qui prima dans cette série, servie par la délicatesse et la précision du trait de Fanny Cory. L’Associated Press produisit, en 1934, un strip, « Patsy », démar­ quage au début du « Magicien d’Oz » ou de Lewis Carroll. L’hé­ roïne quitta son monde imaginaire pour entrer dans celui, tout juste plus réel, de Hollywood. Créé par Mel Graffi jusqu’en 1940 (Sickles servit de ghost en 1939), le strip fut repris par Charles Raab jusqu’en 1943, puis par George Storm, Ri­ chard Hall et, enfin, Bill Dyer, avant de se terminer dans les années 50. « Patsy » est un peu à part dans cet univers d’orphelins. Certains épisodes appartiennent au pur thril­ ler, d’autres se rapprochent du soap opéra sur fond de show business, d’autres, enfin, se réclament de la fantaisie féerique. « Ella Cinders » ne fut pas vraiment un strip d’or­ pheline, même si l’idée de départ s’inspirait de Cendrillon. Créé en 1925 par Charlie Plumb (dessin) et Bill Conselman, le strip fut poursuivi jusqu’en 1961, dessiné depuis 1950 par Roger Armstrong et écrit par Fred Fox (Metropolitan Newspaper, puis UFS). Une autre Cendrillon fut Aggie Mack, née en 1946 sous le crayon de Hal Rasmusson (CTNYNS), mais « Aggie » fut, d’abord, un strip sur la jeunesse américaine des petites villes, sou­ vent très drôle et plaisant au cours de ses premières années d’existence. A côté de « Donnie », de McClure, d’autres orphelins firent aussi leur apparition dans les années 30. Don­ nie fut d’ailleurs précédé dans les aventures maritimes par « Phil Hardy» qui, créé en 1925 par Jay Jerome Williams (texte) et George Storm (dessin), prit fin dès 1926, trop nouveau pour l’époque. J.J. Williams créa un autre strip sur le même thème, « Born to Win», dessiné anonymement par divers cartoonists. Storm, en 1927, créa « Bobby Thatcher » (McClure). Ce fut le pendant mâle de « Little Orphan Annie », qui connut un grand

succès. Passé, en 1930, au Bell Synd., puis réintégrant le McClure en 1937, le strip ne fut pas seule­ ment sentimental et mélo, mais tou­ cha à tous les types d’aventures pos­ sibles, notamment maritimes, prenant fin en 1938, dessiné la der­ nière année par Sheldon Mayer. Ben Batsford, après « Little Annie Rooney», créa pour l’UFS, «The Doodle Family » (« Frankie », en France), avec pour héros un orphe­ lin héritier d’une grande fortune, et par là victime d’autant plus dési­ gnée d’escrocs et de profiteurs de toutes sortes, mais connaissant lui aussi diverses aventures dans Chi­ natown ou ailleurs. Gus Mager, en 1928, de son côté, avait déjà tenté une expérience semblable avec « Oliver’s Adventures » (NY World) envoyant son orphelin vivre les aventures les plus typiques qui soient. Elles se terminèrent en 1934, brève parenthèse dans l’œu­ vre par ailleurs burlesque de l’au­ teur. La guerre en Europe amena la création, en décembre 1940, de « Spunkie », un strip (UFS) de Loy Byrnes sur un jeune orphelin de guerre, sans nationalité précise, qui trouve refuge aux USA. Le strip fut seulement de circonstance, mais un thème voisin fut repris en 1955 par Gus Edson (texte) et Irwin Hasen (dessin) avec « Dondi » (CTNYNS). Dondi est un jeune orphelin italien (fils d’un GI décédé) et adopté par une famille américaine. Assez joli­ ment réalisée par Irwin Hasen (au­ teur du scénario depuis la mort de Gus Edson en 1966), la bande évo­ lue entre kid strip et soap opéra, chronique finement construite d’une petite ville américaine. 2. Angleterre Le comic strip anglais possède une bande qui illustra fort bien le thème dans la tradition de « Little Orphan Annie». Créée en 1935, dans le Daily Mirror, par un dessinateur (dessinatrice ?) qui signait « Gloria », la série « Belinda, Blue Eyes » fut re­ prise, en 1936, par Steve Dowling qui la laissa, en 1943, à Tony Royle. Ce dernier l’a poursuivie jusqu’en 1959. Belinda, tout comme l’hé­ roïne de Harold Gray, sut faire preuve, en toutes circonstances, d’un courage méritoire.

OSKI (1914-

)

RA

Oscar Conti est né à Buenos Aires en 1914. Après des études à l’aca­ démie des Beaux-Arts, il réalise des affiches, avant de publier ses pre­ miers dessins d’humour en 1942.

Depuis, il est publié régulièrement en Argentine, et dans toute l’Amé­ rique du Sud, mais aussi en Espa­ gne et en Italie. Grand voyageur, il a vécu au Pérou (1943-1944) où il étudiait l’archéologie et le folklore, à Paris (1948), à Rome, en Espa­ gne... En 1960-1961, à La Havane, il réalisait des affiches, parmi les plus célèbres, de la Révolution cubaine. Oski, s’il est très connu pour son travail dans la publicité, les dessins animés, les livres pour enfants, s’il a à son actif diverses réalisations dans la presse, la peinture, etc., est aussi l’un des premiers auteurs de BD argentins, qui a inspiré prati­ quement tous les auteurs-dessi­ nateurs contemporains de ce pays. Sa bande la plus célèbre est « Amarotto », publiée en particulier dans Rico Tipo. Il est également l’auteur d’une série quotidienne, « Versos y Noticias de César Bruto».

OÜTCAÜLT Richard (1863-1928)

USA

Né le 14 janvier 1863 à Lancaster (Ohio), Richard Felton Outcault fit des études artistiques à la McMicken University de Cincinnati. Ga­ gnant New York au début des an­ nées 90, il travaille, en free-lance, comme illustrateur pour diverses re­ vues et publie de nombreux dessins humoristiques dans Life et Judge. Bientôt il collabore au NY World de Pulitzer et y donne des dessins, aux titres divers, centrés sur des gosses des quartiers populaires de Manhat­ tan. La série finit par être connue sous l’appellation de « Hogan’s Alley ». Devenu collaborateur perma­ nent du World en 1894, Outcault introduisit le 5 mai 1895 dans ses panels un garçonnet aux larges oreilles, vêtu d’une chemise de nuit bleue. Par la suite, il réapparut épi­ sodiquement, la tête désormais chauve et, le 5 janvier 1896, la che­ mise de nuit fut pour la première fois de couleur jaune (une couleur jusqu’alors difficile à reproduire). Les lecteurs eurent leur attention at­ tirée, et le gamin reçut le surnom de «Yellow Kid». Celui-ci n’utili­ sait pas de ballons pour s’exprimer, mais ses paroles se trouvaient repro­ duites sur sa chemise. En mai 1896, Outcault fut engagé par Hearst pour reprendre son panel, cette foisci sous le titre officiel de «Yellow Kid», dans le NY Journal, tandis que le World fit poursuivre « Ho­ gan’s Alley» par le dessinateur George Luks. Au Journal, Outcault divisa son panel en plusieurs cases et amorça ainsi l’apparition de la

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bande dessinée moderne. Un pro­ cès entre le World et le Journal donna à Hearst le droit de faire continuer par Outcault son person­ nage, tandis que Pulitzer pouvait publier la bande sous son titre an­ cien. En fait, Luks cessa vite de poursuivre « Hogan’s Alley » tandis qu’en 1898, Outcault, que ce pro­ cès avait désolé et qui, surtout, était désireux de dessiner autre chose que des gosses des bas-fonds, quitta le Journal, redevenant indépendant, puis entrant au NY Herald où il créa une nouvelle série, « Li’l Mose » en 1901. Le héros en était un petit Noir qui ne connut pas un grand succès. En 1904, il publia de courtes séries, « Tommy Dodd » et «Aunt Ophelia» et en 1905, « Buddv Tucker», une bande sur un jeune Anglais, précé­ demment apparu dans « Buster Brown » lors du voyage européen du héros de cette dernière série. Auparavant il avait publié dans Judge divers dessins sur des gosses noirs sous le titre de « Shakespeare in Possumville ». En même temps qu’il travaillait au Herald, Outcault collabora aussi

avec le Philadelphia Enquirer où il produisit « Barnyard Fables». Mais c’est en 1902 que, dans le He­ rald, Outcault créa la série qui de­ vait le rendre célèbre. « Buster Brown ». Davantage en accord avec ses propres penchants sociaux, il choisit cette fois-ci de raconter les mésaventures d’un gamin genti­ ment farceur, vivant dans une fa­ mille de la haute bourgeoisie, habi­ tant les beaux quartiers et voyageant aussi bien aux USA qu’en Europe. En 1905, il regagna le Journal (le Herald conserva la propriété du ti­ tre et fit poursuivre la bande par di­ vers dessinateurs jusqu’en 1910) où il poursuivit sa série sous les titres les plus divers jusqu’en 1920, des reprises de vieilles planches étant publiées ensuite jusqu’en 1926 (le premier «Buster Brown» publié dans le Journal parut le 14 janvier 1906). «Buster Brown» est une bande intéressante dans la mesure où elle apporta certaines innova­ tions comme la présence du chien Tige, un dogue souvent hilare, ex­ primant ses opinions et servant de contrepoint au reste de la narration. Mais on ne saurait pour autant,

Opper, « Happy Hooligan

toute nostalgie écartée, minimiser ce que le graphisme a souvent de figé, les farces de conventionnel et le dé­ coupage d’arbitraire. Outcault était plus à son aise dans les grands pa­ nels du « Yellow Kid » que dans ce nouveau mode d’expression qu’était la BD et qu’il n’a jamais vraiment sû maîtriser. Reste un certain charme, un peu désuet. L’importance de « Buster Brown » est ailleurs. Ce fut d’abord une bande très vite diffusée internatio­ nalement, suscitant même des imi­ tations dans la presse européenne, soit sous forme de pur plagiat, soit sous forme de planches à l’inspira­ tion et au graphisme fort proches, comme par exemple « Sam et Sap » de Rose Candide, dans VEeolier il­ lustré, en 1908. De plus, le héros de la bande, Buster, fut le premier per­ sonnage de BD à faire carrière dans la publicité. On le retrouva depuis les chaussures d’enfants jusqu’aux bouteilles de whisky. Un musée a pu être organisé à partir de tout ce matériel, installé à New York. R.F. Outcault est mort le 25 sep­ tembre 1928 à Flushing, Long Island (NY).

PAAPE Eddy (1920-

)

B

Parmi les grands de la génération des Jijé, des Hubinon, des Charlier, Paape est peut-être (et cela très in­ justement) l’un des moins reconnus. C’est pourtant lui qui, dans Spirou, donna avec J.-M. Charlier les pre­ mières « Histoires de l’Oncle Paul ». C’est aussi lui qui assura un long intérim, huit épisodes de 1946 à 1954, sur «Jean Valhardi », le détec­ tive imaginé par Doisy et Jijé. Sur des scénarios de Charlier, il dessina entre autres pour cette série « Le Château maudit », « Le Rayon Super-Gamma » et « La Machine à conquérir le monde». C’est encore avec Charlier qu’il réa­ lisa les aventures d’un autre détec­ tive, André Lefort, pour RisqueTout (1955-1956), puis celles d’un journaliste-détective, Marc Dacier, pour Spirou (1960-1966). Lignée de héros qui devait aussi donner nais­ sance au Guy Lebleu de Poïvet et... à Charlier, héros de « Allô DMA » (Dix Millions d’Auditeurs de Radio Luxembourg) dans Pilote. Après une brève collaboration à Record (1963-1965) où il dessina une his­ toire de mousquetaires caricaturale, « Pathos de Sétungac », sur un scé­ nario de Hubinon, il créa sa bande la plus importante en 1967 pour Tintin avec Michel Greg, alors scé­ nariste doué d’ubiquité de la revue. « Luc Orient », l’un des rares spaceoperas de la BD franco-belge, pro­ jeta ses héros, des savants terriens, sur des mondes étranges, aux fau­ nes et aux flores hostiles. On ne compte plus dans la série les planè­ tes sauvées des félons, les périls évi­ tés à la Terre, ou à Terango, la pla­ nète qui fut le décor des cinq premiers épisodes. Depuis, tout en poursuivant les aventures de Luc Orient, Paape n’a donné que des sé­ ries de moindre envergure, «Tommy Banco», «Yorik des Tempêtes» avec Duchâteau, et «Udolfo» assisté par Andréas. Il a aussi collaboré à la revue Spa­ tial de Michel Deligne. On peut encore citer parmi ses œu­ vres, même si elles n’enrichissent pas directement son palmarès bande dessinée, ses chroniques pour Spi­ rou dans les années 50 et 60 : « Le Coin des petits curieux », « Le Coin des dégourdis» et «Le Fureteur».

PANEL

usa

Aux USA, le terme de « panel » dé­ signe toute vignette d’une bande dessinée. Mais, plus particulière­ ment, on appelle aussi « panel » toute série humoristique composée

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d’une seule vignette. Le panel n’est donc pas fondamentalement diffé­ rent du dessin humoristique, mais se caractérise par son appartenance à une série possédant un titre pré­ cis, par des personnages ou des thè­ mes permanents, par l’utilisation fréquente (mais non nécessaire) de ballons pour exprimer les dialogues. Le panel ne concernerait qu’indirectement les bandes dessinées, si certaines d’entre elles ne parais­ saient pas également sous cette forme. En effet, plusieurs séries US ne sont des BD que le dimanche, devenant de simples panels en se­ maine. «Toonerville Folks» de Fontaine Fox, « The Strange World of Mr. Mum» d’Irving Phillips, « Dennis the Menace » de Hank Ketcham, « Big George » de Virgil Partch, « Marmaduke » de Brad An­ derson, « Heathcliff » de George Gately, « Frank and Ernest » de Bob Thaves, etc., ont été ou sont encore dans ce cas. Parfois le panel précède de plusieurs années la planche du dimanche comme dans «Tooner­ ville Folks » ou « The Timid Soûl » de H.T. Webster. Dans certains cas («Our Boarding House» de Gene Ahern-Bill Freyse; «Room and Board » d’Ahern ; « Out Our Way » de J.R. Williams) les daily panels mis bout à bout révèlent une conti­ nuité qui les rapproche d’un véri­ table strip. Plus rarement un strip quotidien possède un panel domi­ nical. Ce fut le cas pour « Myrtle » (1941-1965) dont la petite héroïne était issue du panel dominical de grand format « Right Around Home» créé en 1938 par Dudley Fisher et qui prit fin également en 1965. En Angleterre, certaines ban­ des sont nées sous forme de panel et ne sont devenues strip que par la suite comme « Andy Capp » de Reg Smythe. Inversement, « Pop » créé par John Millar Watt, termina sa carrière, dessiné par Gordon Hogg, sous forme d’un simple panel. Une forme intermédiaire entre pa­ nel et daily strip est constituée par certaines séries qui, telles « Miss Peach » de Mel Lazarus ou « Professor Pi » de Bob van der Born (Hol­ lande), ne se composent que d’une seule et longue vignette occupant la surface d’un strip ordinaire. Le genre de lecture qu’elles supposent les assimile néanmoins à la BD clas­ sique. Parfois, comme dans « Pop », la scène est unique, tout en étant di­ visée en plusieurs vignettes. Au contraire, lorsque de grands panels paraissaient, dans les années 1900, dans la presse quotidienne améri­ caine, certains d’entre eux étaient parfois divisés en plusieurs cases, formant ainsi une véritable BD.

Tad Dorgan et Clare Briggs main­ tinrent cette tradition dans les an­ nées 10 et 20. Aujourd’hui, des pa­ nels quotidiens comme « Hazel » de Ted Key ou «Trudy» de Jerry Marcus sont souvent divisés en deux rectangles superposés que cer­ tains journaux publient côte à côte de façon à former ainsi une sorte de daily strip de deux vignettes. Enfin, il existe un type de panel à contenu davantage social et politi­ que. Dans ce cas, il n’y a pas de per­ sonnages de fiction permanents, mais seulement des thèmes et éven­ tuellement des personnages réels satirisés. La plupart n’ont pas de version en BD. Mais certains pa­ raissent cependant le dimanche, non sous forme de sunday page, mais en simple strip de trois ou qua­ tre vignettes, comme «Berry’s World» (NEA) de Jim Berry ou « Dunagin’s People» (Field Newspaper) de Ralph Dunagin.

PARKER Brant (1920-

)

USA

Né le 26 août 1920 à Los Angeles, Brant Parker fit ses études dans cette ville, fréquentant notamment l’Otis Art Institute. Après quelques années passées dans la Marine, il entra au Los Angeles Daily News, puis devint animateur chez Walt Disney. Il s’installa ensuite sur la côte Est, à Endicott, N.Y., où il eut l’occasion d’encourager les débuts d’un jeune cartoonist, Johnny Hart. Parker faisait alors des dessins po­ litiques pour le Binghamton Press. Il travailla ensuite pour IBM jusqu’en 1964, lorsque Hart lui pro­ posa de collaborer avec lui pour créer un nouveau strip, « Wizard of Id». Tout en poursuivant la réali­ sation du «Wizard», Parker, en 1975, toujours pour le même syndi­ cale, l’actuel Field Newspaper, lança une nouvelle bande, «Crock», sur un thème cher aux Américains, la Légion étrangère (déjà traitée de façon humoristique, dans les années 30, par Gottfredson et Milt Gross notamment). «Wizard of Id» est assurément l’anti-« Little King». Le roi est un petit despote sournois et cruel, promettant tout avec l’in­ tention de ne jamais rien tenir ; son entourage est composé d’un cheva­ lier couard, d’un magicien ineffi­ cace, d’un bouffon ivre. Encore ceux-ci restent-ils relativement épar­ gnés par le monarque. Sans même parler du Spook, le prisonnier à vie, la bande s’est progressivement en­ richie de nombreux personnages, dont un avocat qui a les traits de W.C. Fields. Série à l’humour cruel,

sardonique, tout aussi sophisti­ quée mais bien plus méchante que « B.C. », elle doit beaucoup à Hart, mais non moins à Parker tant par son dessin précis et dépouillé que par la part qu’il prend à la création des gags. Avec son nouveau strip, «Crock», qui peut apparaître comme une transposition de l’uni­ vers du « Wizard » dans celui de la Légion, Parker reste fidèle à cet humour incisif, mais en y ajoutant une touche parodique plus nette, jouant avec les clichés des films des années 30 (cf. « Beau Geste »). Le commandant Vermin P. Crock peut soutenir la comparaison avec le roi de «Wizard», mais sa cruauté est, dans son cas, plus bête que mé­ chante ou sournoise. Parker est aidé, pour cette série, par l’écrivain Don Wilder qui assure l’essentiel des scénarios et par le dessinateur Bill Rechin qui signe la bande et, né en 1930, a déjà une assez longue carrière de cartoonist derrière lui, ayant créé notamment, en 1971, le strip « Pluribus, the Revolutionary American Eagle» qui satirisait l’oiseau-emblème des USA et qui connut un certain succès quoique distribué par un petit syndicate (Ar­ tists and Writers Syndicate). En 1980, toujours avec Don Wilder, Parker créa le strip « Goosemyer », une satire de la bureaucratie parti­ cipant à sa façon du courant anti­ étatique.

vra sous forme de top au sunday page de «S’Matter, Pop?», par la suite). «S’Matter Pop?» (titré aussi « Nippy’s Pop » ou « Say, Pop! ») de­ vait durer jusqu’en 1940, passant du World au KFS, puis au Bell Syndicate. Ce fut un kid strip très particulier, dont le héros était sur­ tout Desperate Ambrose, un gamin insupportable qui venait semer la zi­ zanie au sein d’une famille voisine, celle de Pop et de ses enfants. L’hu­ mour y était plus abstrait, davantage « nonsensique » que dans les séries du même genre (ce fut une des ban­ des préférées du jeune Schulz), et le graphisme rapide, nerveux, haché de la bande, la composition des sun­ day pages où souvent les cercles remplaçaient les carrés des vignet­ tes font de Payne un styliste non né­ gligeable, indigne ni de Herriman, ni de Sterrett en bien des cas. Après 1940, Payne ne put faire accepter de nouvelles créations («G.I. Daddy » et autres essais furent des échecs) et sombra progressivement dans la misère. Vieillard, néanmoins toujours lucide et actif, amoureux, selon ses termes, des jolies femmes et du cha-cha-cha, cachant sa pau­ vreté, il fut attaqué chez lui par des rôdeurs, à la fin de 1962. Blessé au­ tant physiquement que morale­ ment, il ne s’en remit jamais et mourut en 1964.

d’un boléro noir et d’un ceinturon de cuir, Pravda traversait sur sa moto un univers de décor de flip­ per illuminé des couleurs crues des néons des juke-boxes. En 1968, de nouveau dans Hara-Kiri, Peellaert crée une bande-collage, «The Game », ou comment un footballeur devient soldat à partir du moment où on lui enlève son terrain de jeu. La même année, c’est sur un scéna­ rio de Roger Wolfs, «She and the Greenhairs », un montage à base de photos coloriées et retouchées. Et en 1969, il revient à la stricte BD, tentant de renouveler son esthétique pop avec « Carashi ! » (Hara-Kiri, repris en 1974 dans Charlie). Peellaert borna là l’application de l’esthétique pop au domaine de la bande dessinée. D’autres, moins inspirés, tentèrent d’utiliser les mê­ mes recettes. Ainsi, Tito Topin dans les deux albums réalisés en 1969 avec Jean Yanne («La Lan­ gouste ne passera pas » et « Voyage au centre de la c...ulture »). Pendant cinq ans, Peellaert aban­ donna la bande dessinée pour se consacrer au théâtre et à la télévi­ sion. Il est revenu sur le devant de la scène en 1973 avec « Bye bye, bye Baby, bye bye » (« Rock Dreams »), y traduisant en visions à la fois hyperréalistes et fantasmatiques les analyses par Nick Cohn du phéno­ mène du rock et de l’univers de la pop-music.

Peanuts. Voir SCHULZ Charles.

PAYNE Charles (1873-1964)

PELLOS René USA

Charles M. Payne est né à Queens­ town (Pennsylvanie) en 1873. En 1896, il est « editorial cartoonist » au Pittsburgh Post. Une concentration de journaux, en 1900, lui permet, tout en poursuivant son dessin de première page, de créer son premier Sunday page « Coone Hollow Folks » (sur un raton laveur). Il pro­ duit également pour le Philadelphia Enquirer diverses séries, « The Little Possum Gang » (une préfigu­ ration de Pogo, poursuivie par Joe Doyle et Jack Gallagher), « Kid Trubble» et surtout «Bear Creek Folks », « Scary William » et « Yennie Yonson » (sur une servante sué­ doise). Ces strips sont largement diffusés et, en 1907, Payne s’établit à Hollywood, abandonnant son « editorial cartoon » à Billy De Beck. En 1909, il crée pour le NY World un panel trihebdomadaire « Honeybunch’s Hubby » (des jeunes ma­ riés) et l’année suivante produit pour le World «S’Matter, Pop?» tandis qu’il abandonne toutes ses autres séries (« Honeybunch » revi­

(1900-

PEELLAERT Guy (1934-

)

B

Né à Bruxelles le 6 avril 1934, Guy Peellaert étudie aux Beaux-Arts puis débute dans le dessin publici­ taire, domaine dont l’influence se fera nettement sentir tout au long de sa carrière. Il fait son entrée dans la bande des­ sinée avec la publication chez Eric Losfeld, en 1966, des «Aventures de Jodelle ». Jodelle, qui ressemblait à la chanteuse Sylvie Vartan, par­ courait une Antiquité pseudo­ romaine peuplée de personnages cé­ lèbres contemporains, des Beatles à François Mauriac en passant par Dick Rivers. Le scénario parodique de Pierre Bartier et le graphisme pop de Peellaert assurèrent le suc­ cès de l’entreprise. L’année sui­ vante, Peellaert créa dans HaraKiri, sur le modèle de Françoise Hardy, « Pravda la Survireuse » (paru chez Losfeld en 1968). Le scé­ nario était l’œuvre du futur cinéaste Pascal Thomas. Vêtue en tout et pour tout d’une paire de bottes,

)

F

Né à Lyon, René Pellarin (alias Pellos), saisi dès ses jeunes années, en Suisse, par la rage de dessiner, réa­ lise lui-même de petits journaux, s’initie à la technique de la lithogra­ phie et devient, à l’âge de seize ans, le pilier du périodique humoristique Le Gugusse de Genève. En 1930, il «monte» à Paris où il travaille pour L’Intransigeant et Match comme dessinateur sportif. Car, avec le dessin, le sport est sa deuxième passion : il en a pratiqué pluskurs, et représenté tous les per­ sonnages qu’il a créés, même Durga Rani ou les héros de « Futuropolis », comme de superbes athlètes. Pellos publie dans L’Intransigeant sa pre­ mière bande dessinée, « Les Aven­ tures de Riri, Gogo et Lolo». Re­ marqué par les frères Offenstadt, c’est grâce à leurs encouragements qu’il va créer de nombreuses histoi­ res en images : « Monsieur Petipon » (paru dans Jeunesse-Magazine, 1936-1938), «Jean-Jacques Ardent athlète» (1938-1939) suivi de «J.J Ardent à la guerre» (1939-1940,

201

REINE DESJUNGLEJ 1979, S P E.

jeunesse des années 50 (Cœurs Fail­ lants, Zig et Puce, Zorro, Fripounet, Faillant, L’Intrépide...) et même fait une incursion dans Pilote (1967). Abandonnant « Les Pieds Nicke­ lés », en 1979, il dessine dans l’éphé­ mère Neutron, en 1980, « Novopolis» (sc. Pierre Pascal), faisant ainsi un retour à la science-fiction. Si son abondante production est des plus inégales, avec « Futuropolis » ou «Durga Rani» il a pourtant laissé une contribution non négligeable à l’histoire de la bande dessinée fran­ çaise.

PEÑARROYA José (1910-

dans Junior). Mais surtout il réalise pour Junior (1937-1938) « Futuropolis», considéré par les esthètes comme un immortel chef-d’œuvre. Cette bande de science-fiction, ins­ pirée à Pellos par le film de Fritz Lang, « Metrópolis », lui permet d’effectuer un impressionnant tra­ vail sur le cadrage qui s’adapte étroitement à l’action et devient élé­ ment dynamique de la bande dessi­ née. Il prolongera ce récit avec, dans Jean-Pierre, «Electropolis» (1940) qui reste inachevé. Pendant les années de guerre, Pellos continue son travail pour la presse de jeunes (Jumbo, Robinson, Le Journal de Mickey...)-, on retrouve également sa signature dans la presse sportive ou humoristique. En 1946, il crée « Durga Rani, reine des jungles », série parue en feuil­ leton dans Fillette jusqu’en 1953. C’est un personnage à part que cette super-héroïne culturiste à la fran­ çaise. Pellos a représenté en elle son idéal féminin athlétique, lui don­ nant de surcroît les traits de son épouse. Misanthrope déçue par le

202

monde des humains, Durga a choisi de se retirer dans la jungle sauvage, avec pour seuls compagnons les ani­ maux, seuls et libres, comme elle. Pellos se livre à un magnifique tra­ vail d’illustrateur : pas encore de ballons, mais des dessins et des tex­ tes. Pourtant, grâce au découpage, aux cadrages recherchés, il a réussi à donner à cette histoire mouve­ ment et vie. En 1948, Pellos crée « Atomas » (Mon Journal), s’insérant dans la grande tradition des savants fous de la littérature fantastique. C’est aussi à partir de cette date qu’il reprend « Les Pieds Nickelés » et fait évoluer cette bande jusqu’à celle que nous connaissons au­ jourd’hui. Parallèlement, il a pour­ suivi une carrière d’illustrateur, adapté des romans en images (« Les 5 Sous de Lavarède », « La Guerre du Feu », « Moby Dick »...), créé en­ core d’autres personnages de bande dessinée (Monsieur Bémol, Pschitt Junior...), mais est toujours resté at­ taché à son activité de dessinateur sportif. Il a pratiquement collaboré à tous les magazines destinés à la

)

E

Né en 1910, José Peñarroya commence par être comptable avant d’entrer aux Dessins Animés Cha­ maron où il cultive un style dyna­ mique, audacieux, d’une grand ri­ chesse expressive et caricaturale, ainsi qu’une technique très cinéma­ tographique d’enchaînement des plans. Avec plusieurs de ses collè­ gues (Moreno, Escobar, Cifré, Iranzo...), il passe bientôt aux Edi­ tions Bruguera pour lesquelles il crée, dans El DDT, Pulgarcito, El Campeón... plusieurs séries connues. Parmi sa galerie de por­ traits pittoresques, citons « Don Berrinche» (1948), personnage agressif qui passe son temps à cher­ cher querelle à ses semblables et possède tout un arsenal de jurons imagés. Cette virulente vitalité lui a d’ailleurs attiré des ennuis avec la censure. Mis en veilleuse entre 1954 et 1962, Don Berrinche est alors reparu considérablement amoindri, son redoutable gourdin en moins et l’hypocrisie en plus. Ci­ tons encore « Gordito Relleno », un bon gros paisible dont l’inépuisable candeur contraste avec la méchan­ ceté du monde qui l’entoure et la malchance qui s’acharne contre lui ; «Floripondia Piripi», vieille fille très laide obsédée par l’idée du mariage (créée en 1958 dans Sissi puis reprise dans El DDT) -, «Pitagortn », enfant surdoué et doté de super-pouvoirs qu’il utilise toujours pour le bien de l’humanité ; « Pepe el Hincha », le fanatique de football, et aussi « Calixto », « Pedrusco Brutote », «Quinielo Futbolinez», «Don José Calmoso»... Peñarroya est également l’auteur d’un family strip célèbre, « Don Pío » qui rap­ pelle, par certains côtés, la famille Illico. Don Pío, dans lequel Peñar­ roya déclare avoir placé beaucoup de lui-même, se débat entre ses en­ nuis financiers, ses querelles avec son épouse Doña Benita et les visi­

tes ruineuses et inopportunes de son patron. A défaut d’enfants, un ne­ veu, Luisito, vint bientôt complé­ ter cette famille très représentative des problèmes de l’Espagnol moyen durant l’ère franquiste. Lorsque Penarroya a fondé, en 1957, Tío Vivo avec un groupe de dessinateurs de Bruguera, il n’a pu récupérer les droits de « Don Pío ». Il a donc réa­ lisé une série comparable, « La Fa­ milia Pi », sorte de famille Pío élar­ gie (en plus du couple, on y trouve quatre enfants, une bonne et un on­ cle). Lorsque les fondateurs de Tío Vivo sont revenus au sein des Edi­ tions Bruguera, «La Familia Pi» a été interrompue. Peñarroya est en outre un dessina­ teur satirique très coté. Il a colla­ boré à Dicen, Can Can, La Olla, Don José, Tururut, El Noticiero Universal. Il avait pour spécialités le dessin d’humour à thème sportif et les jolies filles sexy, que la cen­ sure régnante empêchait toutefois d’être aussi dénudées et suggestives que celles qui, sous la plume de Divito, avaient fait le succès de la re­ vue argentine Rico Tipo.

PEP

NL

Pep est le nom d’un hebdomadaire de bandes dessinées néerlandais qui, bien que de création beaucoup plus récente, a joué un peu au Pays-Bas le rôle assumé par Spirou en France et en Belgique, définissant toute une tendance de BD d’humour et d’aventures destinée à un jeune pu­ blic. Le premier numéro parut le 6 oc­ tobre 1962. Pendant plusieurs an­ nées, Pep se borna à publier des bandes d’importation étrangère, achetées à Disney, Tintin, ou repri­ ses de Pilote (à partir de 1964). Il fut décidé plus tard d’adopter une politique nouvelle, favorisant la création de comics hollandais. Ainsi, dès 1966, Pep accueillait « Erwin » de Kresse, qui y publiait éga­ lement «Zorro» (1964-1967) puis « Vidocq » (1970). En 1968, H. Hagebeuk, rédactrice en chef, confia à Jos Looman (né le 20 novembre 1941) la réalisation de «Dzjengis Khan » (scénario d’Anton Kuyten) : le résultat, sous-titré « De Stnjd om het Bestaan » (« La Lutte pour la survie », 1968) dépassait de très loin le simple travail de commande, grâce à l'effort de documentation et de recréation d’une atmosphère du dessinateur qui créait ainsi une grande épopée en couleurs. Par la suite, Looman devait créer «Jacht naar Geluk» («La Poursuite du

bonheur ») sur un scénario de J. van Erp (autre rédacteur en chef de Pep) publié dans le numéro 1 de Baberiba, périodique destiné à un public plus âgé. Dès 1968, Pep publiait également « De Argonautjes », dessiné par Dick Matena (né le 24 avril 1934), écrit par Lo Hartog van Banda, tous deux des studios Toonder. Placée sous l’influence de l’école francobelge, proche de l’esprit d’Astérix, cette série s’inspire de la mytholo­ gie grecque dont elle fait une source de gags ; comme Goscinny, Hartog van Banda joue avec les clichés his­ toriques et culturels. Avec le même scénariste, Matena réalise, égale­ ment pour Pep, « Ridder Roodhart » (1969), puis crée entièrement (tex­ tes et dessins) « De Grote Peer » (1970), bande humoristique mettant en scène un Viking, et dont le ton rappelle encore une fois « Astérix ». Matena a également été l’auteur de scénarios pour Dino Attanasio, avec les aventures des Macaroni, pu­ bliées dans Pep. Parmi les bandes publiées par Pep, il faut citer « Athi» (1967) de Gerrit Stapfel (né le 19 mai 1921), déjà auteur de grandes fresques histori­ ques publiées en particulier dans De Telegraaf', «Agent 327» (1966) de Martin Lodewijk (né le 30 avril 1939), également l’auteur de «Frank de Vliegende Hollander», «Arent Brandt», etc.; de John Bakker (né le 19 août 1947), « Blook », parodie de super-héros sur un scénario de Hartog van Banda (1969), puis «Danteal» (1970-1971) et «Tab en Smock» (1974); des bandes de Henk Albers ( 1927), créateur de « Tom Lucky », et qui reprit « Lucky Luke » de Morris pour une version hollan­ daise dans Pep (1969) ; « Rosie Geur en Manus Gein » de Cari Hollander (1970), «De Generaal» (1971), «Anna Tommy» (1972), «Joris» (1972) de Peter de Smet ; « Welling­ ton Wish» (1971) de Fred Julsing (né le 12 mars 1942), créateur éga­ lement de « De Broertjes Samovaroff » (1973). Les lecteurs de Pep ap­ précièrent également « Bernard Voorzichtig » (1972) de Daan Jippes (né en 1945), les aventures de «Ti­ tus» (1971-1974) de Henk’T Jong (né en 1948), « Eppo Wordt » (1974) d’Uco Egmond (né en 1948) ainsi que les bandes humoristiques des jeunes Robert van den Kroft (né le 2 avril 1952) et Wilbert Plignaar (né en 1953). Ainsi Pep a-t-il été à l’origine de toute une génération de dessina­ teurs, et d’une tendance importante de la bande dessinée néerlandaise dont devaient s’écarter les dessina­

teurs underground de Tante Leny, ainsi que Swarte et Willem. A l’ac­ tif de Pep, il faut signaler également que, loin de s’enfermer dans une étroite politique nationaliste, il de­ vait publier également des bandes originales de dessinateurs comme Claire Bretécher (sur un scénario de Delporte) ou Robert Gigi.

PEREZ George (1954-

)

OSA

D’abord un parmi les multiples imitateurs/admirateurs de Jack Kirby, George Perez réalisa à ses débuts des petits travaux pour la Marvel, des bandes bouche-trou, en particu­ lier pour les magazines en noir et blanc de la firme, The Deadly Hands of Kung Fu ou Bizarre Adventures où se rodèrent beaucoup d’autres jeunes dessinateurs de l’époque. Puis il reprit deux bandes du King Kirby, dessinant Fantastic Four pendant deux ans, et seize numéros à’Avengers. Mais sa véritable carrière se fit à la DC, où il commença par reprendre Justice League of America à la dis­ parition de Dick Dillin. Puis il y fut avec Marv Wolfman, en 1980, l’ar­ tisan de la renaissance des «Teen Titans». Ce groupe d’adolescents, né en 1964 dans les pages du nu­ méro 54 de The Brave and The Bold de la réunion de Robin, Kid Flash et Aqualad — les jeunes équipiers de Batman, Flash et Aquaman —, devait connaître une vie agitée et souvent interrompue : dans les pa­ ges de The Brave and The Bold, mais aussi dans Showcase, illustré spécialisé dans les lancements réus­ sis ou ratés de héros, dans DC Su­ per Stars et dans son propre illus­ tré (février 1966 - février 1973 et novembre 1976 - février 1978, nu­ méro 53). Relancée dans DC Comics Presents en novembre 1980, puis dans la fou­ lée dans son propre illustré, The New Teen Titans, la série allait connaître un succès extraordinaire grâce à ses auteurs et à une nouvelle composition, Robin, Kid Flash mais aussi Wonder Girl et des hé­ ros moins connus ou neufs : Changelling, Starfire, Raven, Cyborg... En fait cette équipe allait vivre un peu comme les héros de la Marvel dans les années 60, avec ses problè­ mes, ses joies, ses crises, ses amours (à l’intérieur où à l’extérieur du groupe) et s’attacher un public fi­ dèle et concerné. Devant le succès, l’illustré toujours dessiné par Perez et encré par Romeo Tanghal se transforma en Tales of the Teen Ti­ tans (titre déjà utilisé avec seule­

203

ment un New en plus pour quatre numéros en 1982), tandis que The New Teen Titans devenait un autre illustré plus luxueux, bientôt des­ siné par José Luis Garcia Lopez. En fait, s’il restait au générique des aventures des Teen Titans comme cocréateur, George Perez préparait avec Marv Wolfman pour 1985 un extraordinaire cinquantenaire de la DC. Depuis la fin des années 50 et la renaissance des grands héros clas­ siques de la DC sous d’autres traits et d’autres costumes, Flash, Green Lantern... heureusement expliqués par Julius Schwartz et Gardner Fox comme venant de l’existence de mondes parallèles, l’univers de la DC était devenu complexe, touffu, incohérent, et Wolfman décida, simplement, de le réunifier. Cela donna douze numéros de Crisis on Infinité Earths, dessiné par George Perez, graphiquement superbe et réunissant un nombre incalculable de personnages de la DC mais aussi de maisons d’édition dont le fonds avait été repris, comme Quality Comics. Dans le même temps était pu­ blié sous couverture de Perez et avec des illustrations dues à toute la profession le « DC Who’s Who », un index de tous les personnages de la firme. George Perez, malgré ce travail, a aussi trouvé le temps en 1985 de donner des bandes à Wally Wood’s T.H.U.N.D.E.R. Agents, un illus­ tré reprenant les héros lancés dans les années 60 par Wood, Reed Crandall, Steve Ditko, George Tuska et Gil Kane.

PETERSSON Rudolph ( ■ )

s

Rudolph Petersson avait été durant dix ans dessinateur de presse à Cleveland (USA) avant de créer, en

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Suède, le plus célèbre des person­ nages de BD de ce pays : 91 : An Karlsson (An Karlsson : matricule 91), pour le journal Allt For Alla. De tout temps, les journaux desti­ nés à un public « familial » ont joué, en Suède, un rôle important dans le développement des bandes dessi­ nées. Ainsi, c’est le Allers-FamiljJoumal qui avait publié la première BD due à un Danois, Cari Allers (1877). C’est dans ce journal que fu­ rent publiés «Arkimedes Blom» (1908), de H.F. Behrends, mettant en scène un savant et ses deux fils, Gustaf et Hans; puis «Johannes Brun » (1908) signé des initiales de Th. J., mettant en scène un person­ nage cherchant en vain à s’embar­ quer pour l’Amérique et ajournant sans arrêt son départ pour les rai­ sons les plus farfelues. Allt for Alla, quant à lui, avait publié dès 1910 une bande de Axel Bâckmans, « Burre-Busses âventyr », qui appa­ raît à bien des égards comme un re­ piquage intégral de « Buster Brown », ainsi que plusieurs family strips, comme « Skônbloms » de Knut Stangenberg (1871-1955), au­ teur de nombreuses caricatures du monde politique ou artistique dans Strix ou Sondags-Nisse ; celui-ci pu­ blia également dans Allt for Alla « Fridolf Celinder »(1912). Ce jour­ nal avait également publié « Pelle och Kickan» de Ringstrôm, une bande de Rube Goldberg, et « Jocke, Nicke och Majken » de Pe­ ter Lindroth (1878-1933), sur un scénario du rédacteur en chef, Eric Palm, mettant en scène deux ni­ gauds faisant la cour à une blondi­ nette, série interrompue à la mort du dessinateur. C’est dans ce contexte que devait apparaître, en juin 1932, «91 : An Karlsson ». Dans cette série plus ou moins autobiographique, Petersson mettait en scène un jeune paysan, Mandel Karlsson, incorporé dans l’armée, y commettant toutes les gaffes imaginables et courtisant la fille du capitaine, Elvira. Cette bande dessinée eut un succès tel qu’elle devait passer dans Levande Livet et y demeurer pendant vingtcinq ans, puis dans Aktuelt et Aret Runt (1963). Elle a donné lieu à la création de son propre journal, sous forme de fascicule format comic book, 91 : An (1956). Lorsque Petersson prit sa retraite en 1960, la série fut reprise par Nils Egerbrandt. En 1965, Petersson reçut pour son œuvre le prix Adamson. «91 : An » devait inspirer plusieurs créations similaires. Entre autres, « Flygsoldat 113 Bom », situé dans l’aviation, réalisée par Torsten B jarre (1941), le dessinateur de

«Oskar» et de « Lilla Fridolf» (1956).

PÉTILLON René (1945-

)

F

Né le 12 décembre 1945 à Lesneven (Finistère). Il débute par le des­ sin d’humour dans diverses revues : Penthouse, Planète, Plexus, WeekEnd, Vingt Ans, L’Enragé... En 1972, il entre à Pilote et se consa­ cre à la bande dessinée. Plus tard, l’Echo des Savanes, Métal hurlant, Fluide glacial et B.D. s’assureront sa collaboration. Pétillon se rattache à la tradition de l’humour « nonsensique » de Mad. Dans ses bandes, on remarque d’abord le dessin soigné, le trait précis, les noirs et blancs harmonieusement répartis, puis une foule de détails plus saugrenus les uns que les autres saute aux yeux. Seul un sens aigu de la narration permet à Pétillon de maîtriser ce foisonnement extravagant de gags qu’une unique lecture suffit rare­ ment à épuiser. Le personnage fé­ tiche de Pétillon est le détective Jack Palmer : vêtu d’un trench-coat trop grand pour lui et coiffé d’un feutre emprunté à Humphrey Bogart, il réussit, grâce à une logique parfai­ tement tortueuse et un raisonne­ ment constamment déviant, à se diriger dans cet univers hellzapoppinien. Avec «Le Baron noir», réalisé en collaboration avec Yves Got, la verve humoristique de Pétillon s’est trouvée canalisée dans la voie bien précise de la satire politique, sans rien perdre de sa puissance icono­ claste. Depuis mars 1978, Pétillon a toutefois décidé d’abandonner « Le Baron noir » pour se consacrer entièrement aux aventures de Jack Palmer qu’il poursuit dans l’Echo des Savanes, puis dans Pilote (où il le créa en 1974) tandis que, sans rien sacrifier de son goût pour l’exu­ bérance, il évolue paradoxalement vers une ascèse graphique héritée de la « ligne claire ».

PEYO (1928-

)

B

Pierre Culliford, dit Peyo, naît à Bruxelles en 1928. Il y fréquente quelque temps l’académie des Beaux-Arts, puis devient opérateur de cinéma. En 1945, il entre dans un studio de dessins animés où il rencontre Jijé, Franquin, Morris et Paape. Après un an de dessin pu­ blicitaire, il débute enfin dans la bande dessinée avec le personnage de «Johan», un petit page du

Moyen Age. «Johan» paraît en 19-17 dans le quotidien belge La Dernière Heure, puis en 1950-1952 dans Le Soir. En 1952, Peyo trans­ porte «Johan» à Spirou. La bande s’enrichit bientôt du personnage de l’irlouit accompagné de sa chèvre Biquette et surtout, à partir de 1958, des célèbres Schtroumpfs, lu­ tin bleus à chausses et bonnets blancs qui, à l’exemple des nains de Blanche-Neige, se distinguent cha­ cun par un trait de caractère parti­ culier. Les Schtroumpfs parlent le schtroumpf (ou plutôt «schtroumpfent le schtroumpf») et obéissent au Grand Schtroumpf. L’épisode qui les a vu naître, « La Flûte à six schtroumpfs», a fait l’objet en 1976 d’un dessin animé de long métrage. Depuis, les Schtroumpfs sont deve­ nus les héros à part entière de leurs propres aventures. I’eyo a également créé en 1960 dans Spirou le personnage de Benoît Brisel'er, petit garçon doué d’une force surhumaine (sauf lorsqu’il est en­ rhumé). Les décors étaient l’œuvre de Will, puis de Walthéry qui a de­ puis repris la série. Parmi ses autres créations, on peut citer le petit Indien Pied Tendre pour la revue scout Mowgli (1948) et le petit chat Poussy paru dans Le Soir 7avec les mêmes collabo­ rateurs auxquels s’ajoutent Giffey, Le Rallie, Brantonne, Cézard, Mat, Melliès, Nortier et Eugène Gire, ici plus porté sur l’aventure réaliste. Pic et Nie prend fin en 1948. Certains récits complets paraissent sous l’Occupation tels Les Cahiers d’Ulysse (1941-1942) où on peut trouver quelques auteurs français comme Bastard, Liquois, Souriau et Calvo. Sélections Prouesses paraîtra par contre de 1943 à 1949 et Odys­ sées de 1943 à 1946. Ici encore les Italiens sont nombreux, mais Bourlès, Melliès, Souriau, Brantonne,

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Bastard sont aussi des auteurs mai­ son. Les récits complets vont pro­ liférer surtout à partir de la Libéra­ tion. Publi-Vog, les Editions Marcel Daubin, E.L.A.N., Editions Sprint, Edition Moderne et surtout Artima constituent quelques-unes de ces en­ treprises parisiennes ou provincia­ les qui débitent avec plus ou moins de bonheur de la bande dessinée comme d’autres des chipolatas. Pressurés, d’honnêtes illustrateurs tels Brantonne, Niézab ou Dansler y gâchent un relatif talent (avec par­ fois une vague grâce comme Niézab dans son « Petit Riquet » de 1948 à 1955). Mais la réhabilitation de cet humble artisanat a quelque chose d’aberrant. Méritent cependant d’être signalés les frères Raoul et Robert Giordan à l’inspiration science-fiction dynamique ou Bob Leguay comme significatifs d’un moment de la production française. Une place doit cependant être ac­ cordée à Pierre Mouchot qui débuta dans Aventures en 1940. Mouchot (1911-1966), alias Chott, crée sa maison d’édition à Lyon en 1946 avec «Fantax» (un justicier mas­ qué). D’autres titres suivent, dessi­ nés le plus souvent par des collabo­ rateurs, comme « Big-Bill le Casseur » (1947), « Robin des Bois » (1947, par Bertrand Charlas), «Marco Polo» (1948, par Alvaro Mairani et René Bertolo) ou dans un style comique « Gus et Gaëtan » créés en 1946 par Chott dans Pic et Nie et repris en fascicules vers 1947, dessinés ensuite par René Bertolo et Claude Rittaud. Chott pratique le plagiat à outrance des classiques américains, pourtant l’effet produit n’est pas sans qualités. Bizarrerie plaisante plus qu’authentique créa­ tion, son travail pousse à l’extrême une logique où le contenant (notam­ ment les couvertures) a souvent plus d’attrait que le contenu. Avec l’année 1946, c’est la floraison des illustrés. Paraissent alors CadetJournal, France-Soir Jeudi, OK, Jeudi-Magazine, Robin ¡’Ecureuil, Francs Jeux, Récréation, Le Petit Canard, autant de journaux qui publient un certain nombre d’auteurs français. On notera « Kaza le Mar­ tien » de Kline dans OK, dessina­ teur qu’on retrouve dans Coq hardi et Vaillant. Ces deux titres sont les plus importants de cette période. Le premier (créé en 1944) est l’affaire d’un homme, Marijac, l’un des vrais pionniers en ce domaine. Le second, né sous le titre Lejeune Pa­ triote (1944), devenu Vaillant en 1945, est paradoxalement, avec une orientation idéologiquement oppo­ sée, une conséquence du Téméraire, dont on retrouve la plupart des si-

« Prince malgré lui» de Cazanavc

gnatures. On verra dans Vaillant bon nombre de noms importants de la bande dessinée française. A cer­ tains égards, il peut apparaître comme une version française de mo­ dèles américains, mais les dessina­ teurs font preuve de personnalité. La plupart d’entre eux sont cités par ailleurs, mais c’est à Vaillant que Eugène Gire donne la mesure de son talent loufoque avec « A. Bâ­ bord», «R. Hudy Junior», «La Pension Radicelle», « Kam et Rah». Abandonnant son grand for­ mat en 1962, Vaillant va dans les années 60 opérer le passage vers la nouvelle bande dessinée avec no­ tamment Gotlib et Mandryka. En 1969 il devient Pif gadget, perdant progressivement ses principaux col­ laborateurs tout en présentant en­ core quelques séries intéressantes grâce à Delinx ou Mattioli, révélant Pratt, mais son rôle de grand sup­ port de la création française n’est plus qu’un souvenir. En fait, depuis 1959, un nouveau venu, Pilote, assume ce rôle. A sa manière Pilote est une révolution. Animé par Goscinny, Uderzo et Charlier, il est au confluent des évo­ lutions françaises et des acquis bel­ ges. Certes Vaillant a préparé le ter­ rain. Par ailleurs Hara-Kiri fondé en 1960 amorce un nouveau cou rant plus adulte auquel Pilote saura s’ouvrir notamment en accueillant dès 1962 Cabu, puis Fred, Reiser et Gébé. Mais l’intelligence de Pi­ lote est de savoir fondre ces courants divers dans une revue pluraliste (il n’y a pas une école graphique « Pi­ lote ») qui stimule, brasse, agite, in­ tègre et dynamise les styles et per­ met de former un lectorat plus mûr et exigeant, au moment même où le phénomène bédéphile (parfois mal reçu) rompt avec l’idée que bande dessinée = art «infantile». Plus modestement, un mensuel comme Record contribue à cette évolution. Né en 1962, il est la suite de Bayard, lui-même reparu en 1946. Record (qui bénéficie de l’aide

de Georges Dargaud, éditeur de Pi­ lote et de Tiwii'n/France) témoigne à sa façon de la symbiose entre tra­ ditions belge et française vers da­ vantage de maturité. Même l’échec de Chouchou (19641965) participe cependant de cet ef­ fort de renouveau. D’une autre ma­ nière, l’éditeur Losfeld favorise l’émergence d’une certaine bande « adulte ». Mais « Barbarella » de Forest est publiée initialement en 1962 dans V Magazine, où paraîtront aussi « Scarlett Dream » de Gigi et Moliterni et « Blanche Epiphanie » de Pichard et Lob. V Magazine ser­ vait déjà de support à la fin des an­ nées 40 aux bandes de Jean David comme « Les Amours de Barbara Smith » dans le style « à la Capp » de cet auteur. C’est aussi l’occasion de rappeler l’existence de supports non enfantins à travers FranceDimanche, Paris-Flirt, etc. Ces ban­ des d’un érotisme gentillet sont l’amorce des productions plus « adultes » des années 60. Ce panorama très général serait in­ complet si n’était pas mentionnée la presse catholique Fleurus d’aprèsguerre (Cœurs Vaillants qui devien­ dra J2 en 1963, puis Formule 1 en 1970; Ames Vaillantes devenu J2 Magazine en 1963, puis Djin en 1974; Fripounet et Marisette né en 1945 pour devenir Fripounet en 1969). Fleurus est un exemple de politique éditoriale qui privilégie des auteurs maison. Une tradition s’y maintiendra au long des années 70 qui aujourd’hui regagne des po­ sitions chez d’autres et parfois plus récents éditeurs. Enfin, de la Libération au début des années 60, une tradition française (Giffey, Le Rallie) sera véhiculée par les titres Del Duca (Tarzan, L’Intrépide, Hurrah I). En fait, cette période, abusivement dénommée parfois «années 50», est extrême­ ment hétéroclite. S’y prolongent aussi bien les années 30 et 40 que s’y amorcent les nouvelles évolu­ tions. La plupart des dessinateurs collaborent aux titres les plus divers et si quelques journaux ont une in­ déniable personnalité ( Vaillant, Coq hardi, la presse catholique, et bien­ tôt Pilote), c’est plus par un état d’esprit ou une ligne éditoriale que par des graphismes spécifiques qui distingueraient à coup sûr chaque groupe de presse.

PRESSE FRANÇAISE (NOUVELLE) Le début des années 70 se ressent des conséquences de Mai 68 (qui avait déjà connu Action et L’Enragé

où s’illustrèrent notamment Wo­ linski et Siné) ainsi que de la décou­ verte de l’underground et de la contre-culture des USA. Les Edi­ tions du Square lancent Hara-Kiri hebdo le 3 février 1969, rebaptisé Charlie hebdo en novembre 1970, après la saisie du fameux numéro du 1er novembre titrant sur « Bal tragi­ que à Colombey : un mort ». Intro­ duisant l’esprit « bête et méchant » de Hara-Kiri dans la satire sociale et politique, ses dessinateurs (Wo­ linski, Reiser, Willem, Cabu, Gébé) contribuent à leur manière à la nais­ sance d’un esprit nouveau dans la BD. Si l’hebdomadaire est représen­ tatif d’une partie de la décennie, il subit les contrecoups de la banali­ sation d’une contestation qui bien­ tôt passe de mode, entraînant sa dis­ parition en 1981. C’est également en 1969 qu’est créé Charlie mensuel avec une présentation inspirée du Linus italien, mais un contenu ori­ ginal et intelligemment éclectique, tant importé que local. Première re­ vue « adulte », Charlie révélera des auteurs comme Montellier (1974), Marcelé (1974), Varenne (1979) ou Alex Barbier (1975) qui, avec ses planches peintes et son univers glauque proche de Willem Bur­ roughs, innove totalement mais pro­ duit peu. Si l’on excepte une parti­ cipation au Gai Pied en 1979, il restera fidèle à Charlie et ne réap­ paraîtra qu’en 1985 dans Hara-Kiri. En 1981, Willem succède à Wo­ linski comme responsable de la re­ vue. Quelques numéros superbes lui sont alors dus, mais qui dé­ concertent trop de lecteurs frileux. La même année, la revue doit sus­ pendre sa parution avant d’être ra­ chetée par Dargaud. Les Editions du Square furent aussi à l’origine du mensuel écolo La Gueule ouverte (1972) où la BD trouva sa place et de deux tentatives de courte durée, Surprise (1976), encore influencé par l’underground, et le plus clas­ sique hebdomadaire B.D. (19771978). Aujourd’hui repliées sur Hara-Kiri, elles en ont renforcé la partie BD. La tendance underground trouva dès 1970 un support de choix avec Actuel, publiant surtout les Améri­ cains, mais s’ouvrant à des auteurs comme Masse, Mandryka, tandis que Benoît, Olivia Clavel, Rochette et même Veyron (en 1973) y font leurs débuts. Une presse dite « pa­ rallèle » tend alors à s’organiser, multiple et souvent provinciale (Le Parapluie, La Veuve joyeuse, Vroutsch, Géranonymo, Minuit, Les Pieds Nickelés superstars, Le Citron hallucinogène, Le Rictus occitan, etc.). Surtout sensible entre 1971 et

1974, le phénomène décline en­ suite. Aucun titre n’était spécialisé dans la BD, mais l’un d’eux, Zinc, créé en 1971 (édité par Balland en 1973), qui publiera Bertrand, Guitton, Nicoulaud, Besnaïnou, Pous­ sin, Petit-Roulet, Soûlas, Lesluin, Filipandré, Hugot, Vasco et Masse, est le plus proche d’un équivalent français des underground comix. Il disparaît en 1974, n’ayant pu, comme l’ensemble des autres publi­ cations parallèles, susciter un véri­ table courant à l’image de ce qui se passait aux USA ou même aux Pays-Bas. Mais le mouvement donna à réfléchir à des dessinateurs déjà reconnus, notamment certains de ceux que Goscinny avait réunis à Pilote. C’est ainsi qu’à la suite du refus, par Pilote, d’une bande de Mandryka, celui-ci mit sur pied avec Gotlib et Bretécher le nu­ méro 1 de l’Echo des Savanes (mai 1972) qui, d’un tirage initial de 5000 exemplaires, passa au bout de six mois à 100000. Pendant plu­ sieurs mois il fut animé par le célè­ bre trio qui y exprimait des préoc­ cupations personnelles rejetées ou censurées ailleurs. Par la suite, pas­ sant sous le seul contrôle de Mandryka, il devait s’ouvrir dura­ blement ou occasionnellement à des dessinateurs comme Alexis, Masse, Moebius, Druillet, Tardi, Lob, Got, Petillon, Carali, Autheman, Lucques, Solé, Marcelé, Benoît, les Bazookas, Régis Franc, Poïvet, An­ nie Goetzinger, Anne-Marie Simond, Taffin, Baudoin, Rochette, Veyron, Sire, Teulé, Vuillemin, tout en publiant des bandes améri­ caines underground, puis tradition­ nelles. En constante et parfois dé­ routante évolution, intégrant diverses préoccupations éloignées de la BD, l’Echo favorisa l’essor d’une création nouvelle, mais contri­ bua à situer cette dernière plus en continuité qu’en rupture avec la production classique. Mandryka quitta la revue en 1979, se déta­ chant d’un souci de recherche pour, jetant le bébé avec l’eau du bain, se faire le chantre d’un retour aux vieilles recettes. l’Echo cessera de paraître en 1982. Le titre fut racheté par Albin Michel et un nouvel Echo des Savanes sortit en novembre 1982, qui inventa une formule neuve (en dépit de tâtonnements malheureux comme sa passagère transformation en Ebdo des Savanes en 1984), intégrant la BD dans un véritable magazine et dosant habi­ lement créations françaises et repri­ ses étrangères, notamment italien­ nes. En 1974, d’autres transfuges de Pi­ lote (Mulatier, Ricor, Rampai, Luc-

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ques, Leconte, Bridenne) créèrent Mormoil qui publia également Ca­ banes, Binet, Loup, Barbe, Clayes, mais ne put trouver un ton original et disparut dès 1975 tandis que Tousse Bourin avec Loro, Taffin, Cabanes, Loisel et Anne-Marie Simond, tentait à son tour sa chance, mais sans plus de succès. Pourtant c’est en 1975 que se produisent trois créations importantes, celles de Mé­ tal hurlant, Fluide glacial et Circus. Initialement conçu pour être une re­ vue sœur de l’Echo des Savanes, Mé­ tal hurlant parut finalement sous la houlette des Humanoïdes Associés (Druillet, Moebius, Dionnet, Farkas). De 1975 à 1977, la sciencefiction et le fantastique, parfois tein­ tés d’humour, y prédominèrent, mais la revue s’élargit ensuite aux genres les plus divers. Le grand mé­ rite de son principal animateur, Jean-Pierre Dionnet, fut de savoir

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révéler quantité de jeunes dessina­ teurs (Margerin, Clerc, Sire, Ceppi, Chaland, Cornillon, Ben Radis, Macedo, etc.) qui y acquirent leur véritable statut de professionnels. Plus que tout autre revue, Métal contribua à renouveler le paysage de la BD francophone. C’est dans Métal que débuta en 1980 Arno (Arnaud Dombre, né en 1961), dis­ ciple graphiquement inspiré de Moebius, et c’est encore Métal qui sait prendre des risques avec la semi-abstraction d’un Stéphane Rosse et l’extraordinaire recréation du style « cartoon » de Michel Pirus. Métal fut la seule revue française à bénéficier d’une édition américaine, Heavy Métal, qui suivit ensuite sa voie propre. En 1976, les Humanos lancèrent Ah Nana !, premier pério­ dique de BD au féminin (avec no­ tamment Claveloux, Montellier, l’illustratrice Keleck, la dessinatrice

italienne Cecilia), interrompu par la censure en 1978. Deux autres titres furent créés en 1983, Rigolo (dis­ paru en 1984) et Métal hurlant Aventure (jusqu’en 1985). Der­ nier «survivant» du quatuor initial, Dionnet quitta la direction de Métal en 1985, mais ces dix années, en dépit de contradictions diverses, furent bel et bien posi­ tives. A l’inverse de Métal, Fluide glacial est resté la revue d’une formule uni­ que : l’humour dans toutes ses va­ riantes. Fondée par Gotlib, elle a publié à un moment ou un autre Alexis, Forest, Solé, Masse, Loup, Lacroix, Goossens, Binet, Cabanes, Franquin, Coucho, Carali, Edika, Boucq, Lucques, Gibrat, Gimemez, Foerster, Lelong, Maester, Dupuy et Berbérian, ayant même accueilli occasionnellement Margerin. Cette constance d’inspiration, fût-elle iné­ gale, ne s’est jamais dégradée en routine, mais a conféré à Fluide une unité d’esprit, un ton spécifique qui font de chaque numéro un tout animé de sa vie propre et non un simple support de pré-publications. En 1973-1974, le fan-éditeur Jac­ ques Glénat-Guttin fit paraître unerevue, Le Canard sauvage, assez brouillonne, mais permettant quel­ ques rapides défoulements à des dessinateurs traditionnels (Aidans, Dany, Derib, Greg ou Walthéry) tout en publiant des planches d’au­ teurs encore peu connus comme Masse, F’Murr, Taffin, Goetzinger, Baudoin et même Montellier et Ro­ chette. En 1975, Circus prit la re­ lève avec d’autres ambitions. Au contraire de l’Echo, Fluide ou Mé­ tal, créés à l’origine par des auteurs soucieux d’échapper aux tutelles éditoriales, Circus servit de support aux Editions Glénat, plus tradition­ nellement organisées. Admirateurs des séries franco-belges juvéniles, ses responsables, à travers divers changements de formule, se firent les apôtres d’un néo-classicisme soustrait aux limitations de la presse enfantine. Cette politique fut illus­ trée un temps par de vieux routiers talentueux comme Poïvet, Pierre Le Guen ou René Novi, mais se systé­ matisa avec l’arrivée de dessinateurs venus de la presse Fleurus (For­ mule 1, Djin) et parfois de Pif comme Bourgeon, Juillard, Claude Lacroix ou Pierre Tranchand (né en 1953, qui sur des scénarios de Fran­ çois Corteggiani créa dans Djin «Chafouin et Baluchon» en 1978, puis « Bastos et Zakouski » en 1980) ou plus récemment de Spirou (Marc Hardy, Frank Le Oall, Hislaire, Bercovici, Yann et Conrad). Outre, en 1980, le Suisse Ab’Aigre

(Pascal Habegger, né en 1949) dont les noirs et blancs contrastés sont dans la lignée de Pratt, et le Belge Michel Schetter (né en 1948) qui y fait débuter sa série fantasmatique «Cargo» en 1983, en usant d’un graphisme d’une extrême finesse, mais trop illustratif (rappelant l’Ita­ lien Caprioli), Circus favorise les carrières de dessinateurs réalistes in­ fluencés par Giraud comme Geor­ ges Ramaïoli (né en 1945, qui pu­ blia un court récit western sur un scénario de Giraud dans Charlie mensuel d’août 1974 et créa dans Circus « L’Indien français » en 1977, 197‘L ('abanes

Dessin de Cabanes (Fluide Glacial)

puis «La Terre de la Bombe» en 1978, série postatomique qui con­ nut sa première mouture dans le Canard sauvage en 1974) ou Chris­ tian Rossi (né en 1954, qui débuta brièvement dès 1972 dans For­ mule 1 et dessina notamment « Les Aventures de Claire » dans Djin en 1980, année où il crée «Les Aven­ tures de Frédéric Joubert » dans Cir­ cus sur un scénario de H. Filippini, puis le western « Le Chariot de Thespis » dans Gomme en 1981, re­ pris dans Circus en 1985, tandis qu’il dessine « Léa » sur un scéna­ rio de Le Tendre dans l’Echo des Sa­ vanes). En 1981, Gomme, un men­ suel pour les jeunes, est lancé, mais disparaît deux ans plus tard. On y

trouve notamment la « Balade au bout du monde» de Laurent Vi­ comte (sc. Makyo), poursuivie dans Circus en 1983. Le graphisme assez rigide de Vicomte s’oppose à celui plus souple de son scénariste Makyo, lui-même dessinateur de « Grimion gant de cuir » dans Cir­ cus (1983). Makyo (de son vrai nom Pierre Fournier, né en 1952) fut no­ tamment l’auteur de « A la recher­ che du roi Rodonnal » dans Spirou (1983). Des dessinateurs réalistes de Circus, Makyo est probablement le plus original, le moins conforme aux modèles traditionnels tels qu’on en trouve les reflets dans Vécu, men­ suel lancé en 1985, tentant d’adap­ ter à la BD la mode du roman his­ torique. Ici, le risque du chromo n’est jamais bien loin, ou la routine de l’illustration narrative. Pourtant, Circus publie aussi Teulé... Le goût pour la BD historique fut auparavant satisfait par les fasci­ cules des Editions Larousse qui lan­ cèrent en 1976 L’Histoire de France en bandes dessinées, que suivirent La Découverte du Monde, L’Histoire du Far-West, L’Histoire de la Chine et La Bible. En dépit d’auteurs répu­ tés (Poïvet, Ribera, Coelho, Sio, Manara, Battaglia, Sergio Toppi, Crepax, Buzzelli, etc.), ni l’imagi­ nation graphique, ni le savoir his­ torique ne gagnèrent beaucoup dans une telle entreprise trop conven­ tionnellement illustrative. Mais le désir d’un retour au récit se renfor­ çait. C’est la revue (A suivre) qui, en 1978, sut répondre à cette attente d’une manière enfin originale. Si la notion de « roman » appliquée à la BD fut discutable et si (A sui­ vre) n’inventa pas le principe de lon­ gues narrations (Sidney Smith y ex­ cellait déjà dans les années 20), la revue, éditée par Casterman, a pu­ blié, d’Andréas à Veyron, bon nom­ bre d’auteurs marquants de la pé­ riode, accordant une place de choix à ceux (Tardi, Muñoz, Montellier) qui apportent une nouvelle repré­ sentation du réel, faisant ainsi connaître ViolefTen 1980 (déjà pu­ blié en 1977 dans B.D.) et Alain Korkos (né en 1955) en 1983. La re­ vue fit quelques écarts néo­ classiques (Bourgeon), mais élargit son horizon vers diverses formes d’humour, accueillant notamment Franc et Masse sans faire du conte­ nu de son titre une obligation contraignante. Paradoxalement, elle n’a révélé que peu de débutants (dont Sokal et Korkos), mais favo­ risa la maturation d’auteurs déjà connus ou en voie de reconnais­ sance. En 1985, Casterman publia une nouvelle revue, Corto, formule hybride entre magazine de voyages

et de BD. Outre Manara et Pratt, on y trouve Régis Franc et JeanMarc Rochette. Mais la BD est là presque en étrangère... La seconde moitié des années 70 ne voit pas la disparition de la presse parallèle, mais sa transformation. Oubliée, la contre-culture cède la place au simple désir de publier pour se faire connaître, même si le goût de la recherche ou de la pro­ vocation persiste ici ou là, mais sous des formes nouvelles. C’est bien sûr le cas des divers titres des Bazookas, mais tout autant de Crapaud baveux (1976-1980), fondé par Pierre Ouin et publiant notamment Max (tous deux collaboreront plus tard à Mé­ tal hurlant). C’est aussi le cas de A4 Comix (1977-1978), chaque fois consacré à un dessinateur différent. C’est en partie celui de Méfi! (19771980) qui présente Volny (vu éga­ lement dans Fluide glacial), Rougé et Ramaïoli (« Maldo et Maldur »). A côté d’eux, des fanzines sont réa­ lisés par des amateurs qui espèrent devenir professionnels, comme Cyclone (1975-1979), édité par la coopérative du lycée de Sèvres, où débutent Vuillemin, Tito et Loustal, ou encore Le Reptile au Style (1976-1979), publié par les élèves des Arts décoratifs de Nice, qui pré­ sente Jacques Ferrandez ou Ra­ maïoli. Intéressant aussi, mais de brève durée, Vitamine BD, animé par François Plassat en 1980 et qui publie Gibrat, Cabanes, Goossens et Picotto, autant d’auteurs déjà cé­ lèbres. Le passage au professionnalisme fut raté en 1974 par Submarine (où pourtant F’Murr publia une bande, « Borax », qui amorce son évolu­ tion). A côté d’échecs subis par des éditeurs déjà spécialisés (ainsi Virus lancé en 1980 par l’Echo des Sava­ nes), d’autres tentatives se révéle­ ront illusoires. Ainsi Scop Magazine (1977) fut éphémère tout en pu­ bliant Régis Franc, Alexis ou Al Coutelis. Viper (1981-1984) tenta de moderniser certains des thèmes de l’underground, notamment la dro­ gue, et fit appel aux collaborations occasionnelles de tout le gotha de la jeune BD, de Andréas à Vuille­ min en passant par Ben Radis, Margerin et Schlingo. Le Petit Psikopat illustré {1982-1985) perpétua égale­ ment une tradition post-« soixantehuitarde» avec Schlingo, Hugot, Gébé, Pichon, Kamagurka, Edika, Goossens, Carali, Nicoulaud et Wil­ lem. Mais les deux essais les plus significatifs se produisirent en 1984, avec Chic et Zoulou. Chic chercha à systématiser le principe de numé­ ros à thèmes, dans un premier temps sous la responsabilité de Jac­

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ques Lob. De nombreux dessina­ teurs (Bignon, Golo, Goetzinger, Loustal, Coutelis, Rochette, Régis Franc, Cestac, Buffin, Scozzari, Liberatore, Gillon, Vuillemin, Ber­ trand, Krist Mirror, etc.) purent ainsi donner un ou plusieurs courts récits. L’idée fut séduisante mais la réalisation brouillonne, et la revue disparut en 1985. Zoulou vécut seu­ lement le temps de l’année 1984. On y trouva une partie de l’équipe de Métal hurlant (Margerin, Sire, Max, Tramber, Jano), un moment débauchée, ainsi que Gibrat, Golo, Baudoin, Masse, etc. Passionnant à bien des égards, Zoulou fut victime de son « hyper-câblage » qui le voua à l’impatience et au discontinu, là où il eût fallu plus d’obstination et de discernement. La revue mourut d’overdose graphique plus que d’in­ signifiance en un tel domaine (un de ses grands mérites fut de révéler le groupe Mix Mix et son graphisme dansant en perpétuelle transforma­ tion). Tout au long des années 70 et jusqu’à aujourd’hui, Pilote va évo­ luer à travers des crises, des redres­ sements, des expériences parfois malheureuses et des réussites. La création de l’Echo des Savanes se fit en grande partie aux dépens de Pi­ lote. En juin 1974, ce dernier devint mensuel et dut subir la concurrence des nouvelles revues. Goscinny se retira et Guy Vidal en fut le nou­ veau responsable. Après divers tâ­ tonnements, Pilote trouve son rythme et parvient, même s’il en reste parfois marqué, d’autant mieux à faire oublier ses origines plus « juvéniles » que les titres « adultes » perdent progressivement leur marginalité pour définir un es­ pace éditorial nouveau (que facili­ tent depuis 1974 des manifestations du type « Angoulême ») où Pilote trouve naturellement sa place. Le retour de Mandryka et de son «Concombre Masqué» en 1979 symbolise définitivement cette re­ mise en ordre, elle-même produit de toute une évolution. En fait Pilote publiera (si l’on excepte les dessina­ teurs liés à Métal hurlant) la plupart des auteurs français importants de ces dix dernières années, en révélant quelques-uns comme Alain Bignon (né en 1947) qui, sur des scénarios intéressants de Guy Vidal, traite de la guerre d’Algérie (« Une éducation algérienne », 1982) et du terrorisme (« Plus con, on tue ! », 1983) avec un style inspiré de Munoz, Baru ou l’étrange Frémond et sa « ligne claire » statique (depuis également publié dans le nouvel Echo des Sa­ vanes). Il manqua peut-être à Pilote de trouver une véritable unité de

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ton qui aurait mieux mis en valeur sa riche diversité graphique. En 1985, après des essais qui se révé­ lèrent inadaptés et dont Mandryka, un moment responsable de la revue, fit avec d’autres les frais, Pilote cher­ che une nouvelle jeunesse. Les Editions Dargaud connurent quelques échecs avec la tentative de transformation de la revue bédéphilique Phénix en revue de BD (19731974) en dépit d’auteurs comme Druillet («Vuzz») ou Buzzelli (le western «Nevada Hill», sc. J.-P. Gourmelen) et les éphémères (et plus juvéniles) Lucky Luke (1974) et Achille Talon Magazine (1975). En 1982, Dargaud relance Charlie mensuel, acheté aux Editions du Square, un premier temps confié à Mandryka. Trouvant progressive­ ment sa formule, le nouveau Charlie, s’il en garde quelques auteurs (Gébé, Mouminoux, Rousseau, Hugot) diffère totalement de l’ancien. Si l’on y privilégie l’aventure, ce n’est pas en l’érigeant en dogme. Des auteurs confirmés de l’ancien Pilote comme les Espagnols Florenci Clavé et Antonio Parras illus­ trent le genre tout comme Franz ou Al Coutelis (né en 1949) — apparu, mais brièvement, dès 1970 dans Pi­ lote — qui dessine sur scénario de Rodolphe (« Le Cimetière des fous ») ou de Francis Lambert (« Cecil Sander ») en disciple original de Jijé. Outre Cestac, l’humour est re­ présenté par Coucho (qui publia dans Pilote et Fluide) et Lucques (qui débuta dans Pilote en 1970, puis publia dans Mormoil, Fluide et l’Echo), au style original et fluc­ tuant, à l’inspiration qui refuse l’en­ fermement dans un genre. Des sé­ ries de Pilote émigrent dans Charlie comme celles de Cabanes ou de Vink (Vinh Khoa, né en 1950), dont le « Moine fou » (créé dans Pilote en 1984) unit l’art de l’illustration la plus fine au sens du découpage de la BD. La démarche de Charlie reste pragmatique, à la recherche d’un ton spécifique. Comme l’indiquent les notices de cet ouvrage, rares sont les dessina­ teurs qui furent liés à une revue pré­ cise. D’autres cas le confirment. Ainsi Philippe Marcelé (né en 1943) promène son univers de fantasmes et de décors felliniens aussi bien dans Charlie mensuel (1974) que dans l’Echo (1976) ou Pilote (1978), avant de s’accommoder d’un réa­ lisme moins convaincant (« Les Capahuchos ») dans Circus (1982). De même Jacques Ferrandez (né en 1955) pratique un néo-classicisme rehaussé de quelques touches « tardiennes » aussi bien dans (A suivre), Métal hurlant et Pilote que dans Cir­

cus. Michel Duveaux (né en 1951), qui évolue vers un tachisme « pho­ tographique », publie notamment dans L’Echo, Fluide glacial, puis Circus et Métal Aventure. C’est le cas aussi de scénaristes comme Pa­ trick Cothias (né en 1948) ou de Ro­ dolphe (Rodolphe Jacquette, né en 1948) qui multiplient les collabora­ tions les plus diverses. Mais la presse dessinée est en crise, en partie victime de la préférence accordée aux albums. Ce dernier marché se diversifie lui aussi par l’apparition de pratiques bibliophiliques (tirages de tête) et de port­ folios (qui, eux, permettent la création d’œuvres d’un type nou­ veau). Des éditeurs ne publient pas de revues, tel Futuropolis qui, sous la direction d’Etienne Robial, dé­ fend une bande dessinée de qualité, pensée dans ses rapports avec les re­ cherches graphiques en général. Une telle politique courageuse, à travers des collections de présenta­ tions différentes, n’est peut-être pas la seule solution à la crise, mais as­ surément celle qui respecte le plus ce mode d’expression qui est aussi un art. La presse enfantine connaît certai­ nes évolutions. Le groupe BayardPresse lance Okapi {1971), puis Astrapi (1978). Okapi tout particuliè­ rement s’ouvre aux nouveaux des­ sinateurs, y compris les Bazookas. On y trouvera Claveloux, Tito ou même Arno (en 1983). Le groupe publie aussi Phosphore (1981) où Régis Franc dessine « DiaboloCitron» depuis 1982. En 1984 pa­ raît Je Bouquine qui veut favoriser la lecture par la BD et fait appel à divers dessinateurs (de Juillard à Servais). Fleurus, de son côté, a remplacé Djin et Formule 1 par Triolo (1981) tout en maintenant Fripounet. Des titres sont apparus comme Mikado et Toboggan. Et Le Journal de Mickey accorde plus de place à des dessinateurs français, an­ ciens comme Claude Marin ou nou­ veaux comme Tranchand, que l’on trouve également dans Pif et Circus. ici, la crise est moins sensible, mais les exemples de Super-As (19791980) et Gomme prouvent que rien n’y est forcément joué.

Prince Valiant. Voir

foster

Hal.

QCIINO (1932-

)

RA

Joaquin Salvador Lavado, dit Quino, est né à Mendoza le 17 juil­ let 1932. Après des études à l’insti­ tut d’Art de Buenos Aires, Quino

publia de nombreux dessins dans les revues argentines (un recueil « Mondo Quino » fut édité en 1963). Contacté pour imaginer un person­ nage publicitaire, il créa la fillette « Mafalda » qu’il transposa, après l’échec du projet, en bande hebdo­ madaire dans Prima Plana en 1964, puis, en 1965, quotidienne dans El Mundo. Le succès fut considérable (en 1967, un album reprenant les strips fut tiré à 170000 exemplai­ res), mais Quino abandonna cette série au début des années 70 et se consacra de nouveau à ses planches humoristiques, très proches dans leur principe de la bande dessinée, où il mêle dans d’habiles dosages noirceur de la satire et dérèglement de la logique quotidienne. Paradoxalement « Mafalda » connut un certain succès en France au mo­ ment où l’époque contestataire qui l’avait vu naître n’était plus qu’un souvenir. En son temps, cette fil­ lette venue d’un projet publicitaire était pourtant le symbole de la mise en question de la consommation et des mythes qui la prolongeaient. « Peanuts » de l’hémisphère sud en partie seulement, la série jouait trop sur de purs stéréotypes qui, à l’in­ verse des héros de Schulz, pou­ vaient difficilement évoluer et élar­ gir leur propre univers. « Mafalda » resta plus proche d’un kid strip tra­ ditionnel (« Nancy » de Bushmiller), mais phraseur. Quino était resté sa­ tiriste. Seul faisait défaut son réel sens de l’absurde.

Rahan. Voir CHERET André.

RAYMOND Alex (1909-1956)

RABIER Benjamin (1864-1939)

sin constituant déjà le support pri­ vilégié de la narration ou du gag. Dès lors, Rabier va poursuivre son œuvre de conteur-illustrateur, créant un nombre incalculable de personnages, surtout animaux ; et curieusement un petit garçon en pantalon golf, Onésime, sosie de Tintin par anticipation! En 1923, c’est le début d’une longue série au­ tour du personnage de Gédéon : parti du thème du vilain petit ca­ nard, Rabier va très vite le débor­ der pour créer un héros malicieux, évoluant dans un univers d’animaux auxquels il prête des sentiments hu­ mains, pas toujours dénués d’une certaine cruauté, transposant dans une cour de ferme la hiérarchie so­ ciale. C’est aussi le retour à une forme plus classique, plus proche des traditionnels livres pour enfants que des bandes dessinées. Rabier a tenté également sa chance au théâtre (il est l’auteur de plu­ sieurs vaudevilles) et a illustré des fables (La Fontaine, Florian) ainsi que 1’« Histoire naturelle» de Buffon. Mais sa création la plus célè­ bre reste Gédéon, devenu héros de dessins animés (1976), d’enregistre­ ments discographiques, et qui a ins­ piré de nombreuses réalisations dans l’industrie du jouet, la publi­ cité, etc.

F

Né à La Roche-sur-Yon, Benjamin Rabier exerçait la profession de vé­ rificateur des perceptions municipa­ les, aux Halles, sur les volailles et le gibier, avant de se consacrer en­ tièrement à sa passion, le dessin. Il travaille alors pour l’imagerie Pellerin d’Epinal, et publie dans des périodiques un certain nombre de caricatures et de gags en images, réunis dans « L’Album drolatique » (1895). De 1900 à 1906, il réalise nombre d’histoires en images et de portraits-charge (Le Journal amu­ sant, Le Rire, Le Pêle-Mêle, etc.). Dans le « Gêneur évincé »? il invente un animal qui, repris par une mar­ que de fromage, restera à la posté­ rité : la Vache qui rit. Dès 1906, il choisit de se consacrer presque exclusivement à des livres pour les enfants. Ainsi dans « Le Fond du Sac» (1906), il publie de courts récits en images de forme déjà très moderne : peu ou pas de légendes (celles-ci sont le plus sou­ vent réduites à une réplique), le des­

USA

Né le 2 octobre 1909 à New Ro­ chelle (New York), Alexander Gillespie Raymond étudia à la Grand Central School of Art. Un de ses voisins, à New Rochelle, était le cartoonist Russ Westover, et Alex Ray­ mond put ainsi entrer au KFS comme assistant de ce dernier sur «Tillie the Toiler» en 1930. De 1932 à 1933, il assistera et, en fait, servira le plus souvent de « ghost » (c’est-à-dire, pour la BD américaine, ¡’équivalent du «nègre» littéraire français) tant Chic Young sur « Blondie » que son frère Lyman sur « The Kid Sister » et « Tim Tyler ». Fin 1933, le directeur du KFS, Jo­ seph Connolly, songe à lancer un strip qui pourrait concurrencer « Buck Rogers ». Un livre de Philip Wylie et Edwin Balmer, «When Worlds Collide », fournit un thème de départ : une planète menace d’entrer en collision avec la Terre. Le 7 janvier 1934 paraît le premier sunday page de la série. Le début est fulgurant. Quelques vignettes suffisent pour présenter le héros Flash Gordon, intellectuel aussi

Jim la Jungle

1979, Optra Mundi

bien que sportif, une jeune femme, Dale Arden, passagère avec lui d’un avion accidenté, et les mettre en présence du savant Zarkov qui les contraint à partir avec lui dans une fusée pour tenter de sauver la terre. Ce qui suit (l’arrivée sur Mongo, étrange planète aux multiples uni­ vers, soumise à la dictature de l’em­ pereur Ming, la lutte de Flash contre le tyran, son triomphe final) appartient désormais à la légende de la BD. Alex Raymond et son scéna­ riste Don Moore créeront là une au­ thentique épopée, très éloignée de la science-fiction, plus proche des romans de chevalerie ; et les décors moyenâgeux qui souvent caractéri­ sent la série ne peuvent que renfor­ cer cette impression. Dès le milieu des années 30, Raymond est aidé par son assistant Austin Briggs, et lorsque le KFS ajoutera un daily strip à la série, de 1940 à 1944, c’est Briggs qui sera chargé de le réali­ ser. En 1944, Raymond, mobilisé dans les Marines, quittera «Flash Gordon » et le sunday page sera poursuivi par Briggs, tandis que le daily strip sera momentanément ar­ rêté. Briggs dessinera jusqu’en 1948. Manuel « Mac » Raboy pren­ dra alors sa succession, tandis que le nom de Don Moore sera enfin in­ diqué comme scénariste. Mac Ra­ boy meurt en 1967 et c’est Dan Barry qui, avec de nombreux ghosts (parmi lesquels figurèrent son frère Seymour, Frank Frazetta, Al Wil­ liamson, Roy Krenkel, etc.) est de­ puis responsable de la bande domi­ nicale. En 1951, le KFS fit revivre le daily strip et ce fut Dan Barry qui, déjà, l’assura. En 1967, en pre­ nant le sunday page, il abandonna le daily strip à son assistant Rie Es-

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trada. En fait, «Flash Gordon» n’est plus désormais qu’une classi­ que bande de science-fiction à base de patrouille intergalactique, bien loin de l’épopée créée par Ray­ mond, poursuivie non sans mérite par Briggs et maintenue à un niveau honnête par Raboy. En janvier 1934, le sunday page de « Flash Gordon » paraît avec un top, «Jungle Jim», qui l’accompagnera jusqu’en 1954. Comme la bande principale, «Jungle Jim» sera re­ prise en 1944 par Austin Briggs (ayant été, dans les années précé­ dentes, plus ou moins abandonnée par Raymond et confiée à des ghosts, dont son frère Jim, par ailleurs as­ sistant de Chic Young), puis, après le départ de Briggs en 1948, pour­ suivie par Paul Norris et Don Moore jusqu’à sa suppression en 1954. «Jungle Jim» fut dessiné par Raymond, une splendide bande d’aventures se déroulant, la plupart du temps, dans le Sud-Est asiatique. Là encore le héros est montré sous les traits d’un homme cultivé, véri­ table gentleman-aventurier en lutte contre des trafiquants, des pirates ou des tyranneaux en mal de vo­ lonté de puissance. Lil’ de Vrille est aussi une création féminine parmi les plus réussies des comics, au ca­ ractère complexe, amoureuse impi­ toyable, indépendante et passion­ née. Jungle Jim lui-même est déjà la préfiguration de Rip Kirby. Mais en janvier 1934, le 22, paraît également un daily strip signé par Alex Raymond. Connolly avait en­ gagé le célèbre romancier Dashiell Hammett pour écrire un scénario de bande policière. Plusieurs dessina­ teurs soumirent des projets et Ray­ mond fut retenu comme responsa­ ble du strip qui eut pour nom « Secret Agent X-9 ». Hammett créa un personnage qui, lui aussi, préfi­ gura Rip Kirby. Son héros était cer­ tes un policier dans la grande tra­ dition des « pulp magazines », il n’en était pas moins plutôt fortuné, s’assurant même les services d’un domestique philippin. En fait, Hammett, peu intéressé par son tra­ vail mais bien davantage par l’al­ cool, quitta la série dès avril 1935 et Alex Raymond lui-même en poursuivit le dessin, écrivant pro­ bablement le scénario, seulement jusqu’en novembre suivant. Puis, la série fut poursuivie par Charles Flanders (dessin) et Leslie Charteris (texte) et bien d’autres (cf. Poli­ cier). En 1946, Alex Raymond, dé­ mobilisé, créa un nouveau daily strip policier, « Rip Kirby ». Crimi­ nologue et ancien commandant des Marines, Rip Kirby était une sorte de Philip Marlowe qui aurait été en

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même temps Raymond Chandler. En fait, il fut inspiré à Raymond par deux de ses voisins, un savant et un ancien champion de football. Utili­ sant plus volontiers son intelligence que la force physique, Kirby n’en menait pas moins des aventures as­ sez mouvementées, mais le ton de la bande restait détendu, un mé­ lange de sophistication et d’humour discret le caractérisant. Raymond réalisa le strip jusqu’en 1956, aidé notamment par son assistant Ray Burns. Depuis 1952, Fred Dickenson écrivait le scénario. Alex Ray­ mond se tua en essayant, avec le cartoonist Stan Drake, une nouvelle voiture, le 6 septembre 1956; de­ puis, « Rip Kirby » est dessiné par John Prentice qui, de 1961 à 1964, eut Al Williamson comme assistant (et ghost). « Kirby », dont les scéna­ rios sont toujours assurés par Dickenson, a été fort bien continué par Prentice (né en 1920) dont le style, plus rigide, reste cependant proche de celui de Raymond, et paraît tou­ jours. Alex Raymond est l’un des plus grands créateurs de BD. Son style est d’abord celui d’un illustrateur (contrairement à un Caniff plus « ci­ nématographique »). Raymond, d’ailleurs, donna de nombreuses il­ lustrations à Blue Book, Look, Collier’s, Esquire, Cosmopolitan, fit des affiches et illustra un livre, « Scuttle Watch». Son style évolua, d’abord en touches légères, en créations d’atmosphères, avec des paysages suggérés plus que montrés. A la fin des années 30 les lignes sont plus nettes, les traits solides, le dessin est trop parfait pour ne pas tomber par­ fois dans un certain académisme. Le mouvement se concentre dans les vignettes, s’appuyant sur une nar­ ration familière de l’ellipse, d’où des planches belles, mais un peu froi­ des. «Jungle Jim» dépasse parfois en beauté graphique « Flash Gor­ don » ; il suffit pour cela d’un pal­ mier qui se découpe dans le lointain et un univers est créé. Avec « Rip Kirby», Raymond revient au daily strip qu’il n’a que brièvement pra­ tiqué, douze ans plus tôt, avec « Agent X-9 ». Il se montre vite un maître du noir et blanc, imposant un style réaliste, introduisant son graphisme d’illustrateur classique dans un genre plus propice à l’ex­ pressionnisme. Il en résulte une narration souple et efficace, un art élégant et virtuose, jouant avec les taches noires et ¡eur disposition dans la continuité du strip. Pren­ tice, Williamson, Drake, Alden McWilliams (qui fut son assistant de 1950 à 1952) comptent parmi ceux qui ont su le mieux maintenir

cette qualité de graphisme toujours menacée parce que plus exposée que d’autres (l’école « caniffienne ») au risque de l’académisme. « Flash Gordon » fut adapté en sé­ rie en 1938 par la Columbia (et pré­ texte à une parodie, dans les années 70, « Flesh Gordon»). «Secret Agent X-9 » eut deux séries (Univer­ sal) en 1937 et en 1945. «Jungle Jim» eut une série (Universal) en 1937 et plusieurs films (Columbia) dans les années 40-50 avec Johnny Weissmuller, ainsi qu’une série TV.

REBÜFFI Giorgio (1928-

)

1

Né le 7 novembre 1928 à Milan, Giorgio Rebuffi débute dans la bande dessinée avant même d’avoir quitté l’université. En 1949, en ef­ fet, il publie dans Gaie Fantasie, le mensuel des Editions Alpe, un wes­ tern animalier dont le héros, Lo Sceriffo Fox, est un corbeau assisté d’un lapin, Conny (la bande a été reprise par la suite par Colantuoni et Maria-Luisa Uggetti). Il travaille également sur les personnages de « Cucciolo e Beppe » créés en 1940 par Giuseppe Caregaro et Rino Anzi. Son apport y est capital : des deux chiens humanoïdes, il fait de véritables humains, il définit leur psychologie et leur donne l’aspect physique que nous leur connaissons aujourd’hui. En outre, il introduit dans la bande plusieurs personna­ ges secondaires particulièrement réussis : Grifagno Sparagno, le Pro­ fesseur Cerebrus et surtout le loup des steppes PugaciofT(1959), qui ne tarde pas à devenir la véritable ve­ dette de la série. «Cucciolo» a, en décembre 1951, son propre comic book dans lequel Rebuffi réalise, en collaboration avec Roberto Renzi, «Tiramolla» (1952). Tiramolla — en français Elastoc — est un per­ sonnage paresseux et anamorphique capable de prendre toutes les formes imaginables. En 1959, Tiramolla a donné à son tour son nom à un co­ mic book. La bande a été reprise par Umberto Manfrin qui avait aussi travaillé sur «Cucciolo e Beppe». Rebuffi est, avec Luciano Bottaro et Carlo Chendi, un des fondateurs en 1968 du «Studio Bierreci». Sur des scénarios de Carlo Chendi, il réalise en 1969 «Vita di un Commesso Viaggiatore» ou les tri­ bulations de Tore Scoccia, commisvoyageur de la Galaxie et « Roméo Lancia» ou les mésaventures d’un play-boy calamistré et motorisé. A partir de 1970, Rebuffi travaille à Topolino sur les personnages de Walt Disney, Donald et Mickey en

SEI TU LO STRANIERO CHE HA PRESO A CALCI 0AFPOS? NON Ml GARSA IL TUO COMPOR~ TA MENTO .'j

particulier. Sa prédilection pour les bandes animalières se marque dans des séries comme « Il Volpone Dulcamare », « Esopo Minore », « Tom Porcello». Pour Trottohno, le jour­ nal fondé par l’éditeur Bianconi, il crée également, outre « Trottolino », « I.uky I.oris et le Fantôme Aiace ». Dans La l'ispa Teresa, il anime un petit champignon «Fungolino» et raconte les aventures de «Tita e Toto». Enfin, en 1974, il réalise pour II Carrière dei Piccoli « I Dispettieri ». Mais son œuvre peut-être la plus at­ tachante et la plus originale est la série fantastico-autobiographique «Vita con il gatto » (1970). Le hé­ ros en est un cartoonist, Giorgio Squadratura, aux prises avec son éditeur, son scénariste, sa petite fa­ mille et surtout un chat, un gatto, ou plutôt un «ottag» puisque ledit chat provient d’un univers parallèle. Tout noir et très « design », les yeux

vides largement ouverts sur le si­ lence éternel des espaces infinis ou sur on ne sait quels mystères d’un autre monde, l’ottag de Rebuffi mé­ rite largement sa place dans une an­ thologie des chats de la bande des­ sinée, entre Krazy Kat et Félix le Chat.

REISER Jean-Marc (1941-1983)

F

Désireux, très jeune, de faire car­ rière dans le dessin d’humour, mais obligé de faire face aux dures néces­ sités de l’existence, Jean-Marc Reiser effectue divers petits travaux (emplois de bureau, coursier...) et se fait engager chez Nicolas, négociant en vins bien connu ; ce qui lui vaut de pouvoir publier ses premiers des­ sins dans La Gazette de Nectar, jour­ nal interne de la maison, sous le pseudonyme de J.-M. Roussillon

OH .OH Z > GU4RD4, ) GUARDA > CHE SCERlFPETTO SÖRUP RONE '

(1959). Durant ses heures de loisir, il s’efforce de placer ses dessins dans les journaux, sans grand succès. C’est ainsi qu’il rencontre Bernier, Cavanna et Fred, qui le publient dans Cordée (ancêtre de Hara-Kiri}-, on retrouve encore ses productions, sous le pseudonyme de Jiem, dans Top, Blagues (1959) et Baladin de Pans (1961). C’est ainsi qu’il entrera dans la toute première équipe de Hara-Kiri dès le premier numéro de ce nou­ veau mensuel (septembre 1960); il ne cessera d’y collaborer que pen­ dant son service militaire (19611962) et les périodes où une inter­ diction pèsera sur le journal. C’est d’ailleurs à la suite de la seconde de ces interdictions (1966) qu’il entre à Pilote où il écrit d’abord des scé­ narios (pour Monzon, puis Mandryka, Lacroix, Gotlib, Cabu, Mézières, Alexis, Delinx, etc.), avant de réaliser entièrement de courtes bandes dessinées. Il est aussi l’auteur d’une « Histoire de France en 80 gags» mise en images par Pouzet (de 1967 à 1969). Cette col­ laboration à l’hebdomadaire de Goscinny se prolongera jusqu’en 1972. Entre-temps, il y a eu Mai 68, où Reiser a suivi de loin les événe­ ments, mais collaboré à ¡’Enragé, et la création de Hara-Kiri hebdo (1969), du mensuel Charlie la même année, puis de Charlie hebdo qui remplace le premier hebdomadaire lors de l’interdiction de celui-ci (1970) : Reiser est devenu tout na­ turellement l’un des piliers des Edi­ tions du Square, ce qui le pousse à cesser désormais toute collaboration à Pilote (1972). Il deviendra égale­ ment l’un des dessinateurs-vedettes de La Gueule ouverte 2}, et réa­ lisera de courtes bandes pour B.D. (1977). Ses grandes séries publiées dans les différents journaux des Edi­ tions du Square ont été réunies en albums : « Mon Papa » (1966), « Ils sont moches» (1970), «La Vie au grand air» (1972), «La Vie des bê­

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tes» (1974), «On vit une époque formidable » (1976) dont le titre est d’ailleurs passé en proverbe, et «Vive les femmes» (1978). Pendant toutes ces années, il est gra­ duellement passé du dessin d’hu­ mour proprement dit à cette forme d’expression un peu hybride qui tient du dessin satirique et de la BD, et qu’ont imposée Hara-Kiri et Charlie hebdo : des histoires très courtes (rarement plus d’une ou deux pages) et significatives. En même temps, son goût de l’obser­ vation, son bon sens tout simple, sa méchanceté se font plus « politi­ ques ». A travers ses planches d’un humour sombre, un peu anarchisant, tranches de vie ou petites fa­ bles, Reiser donne une image féroce de la France des années 60-70, et de l’humanité en général. Il traduit le point de vue des petits, des refou­ lés, des bafoués, tourne en dérision sa conscience aiguë de l’oppression quotidienne. S’il s’est fait le porteparole des idées écologiques (sur­ tout en ce qui concerne les nouvel­ les sources d’énergie, la dégradation de l’environnement, etc.), c’est tou­ jours en gardant un très fort sens critique. Son trait rapide, précis, a atteint une expressivité étonnante et fait mouche à tous les coups, va droit à l’essentiel, sans effet ni dé­ tail inutile. Mais il a créé des types, et formé toute une génération de lecteurs à cette forme de subversion rigolarde. Parallèlement à ce travail, il a pu­ blié des dessins dans d’innombra­ bles périodiques, de La Vie du Rail

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à Paris-Match, de Arts au Journal du Dimanche, de Elle au Nouvel Ob­ servateur, à Actuel, Record, La Re­ cherche, La Nouvelle Critique, et même Minute ! Il a créé pour le quo­ tidien Le Monde « La Famille Oboulot en vacances » (1978), illustré des livres, réalisé des affiches de ci­ néma, des cartes postales humoris­ tiques... En 1978, il a reçu à Angou­ lême le prix Alfred. Rip Kirby.Voir RAYMOND Alex.

ROBA Jean (1930-

)

B

Il réalise des vitraux, pratique la photogravure et le dessin publici­ taire avant d’entrer à Spirou en 1957 en illustrant un conte de Peyo. En 1958, il collabore avec E. Paape (des « Oncle Paul ») et publie sa première bande, «Tiou le Petit Sioux». En 1959, «Boule et Bill» sont intro­ duits par un mini-récit tandis que débutent en 1962 les « Aventures de la Ribambelle». En 1962-1963, brève incursion dans Record avec «Pomme» ( une fillette). En 1959, il avait été de l’équipe qui dessina le « Boumptéryx » avec Marcel De­ nis, Jidehem et Franquin. Avec ce dernier il contribua aux « Spirou » publiés dans Le Parisien Libéré en 1958-1960. On lui doit aussi divers récits sans suite parus dans Spirou comme « Les Frères Fratelli » (1965) ou «Le Récit d’Harry» (1979). En 1977, modifiant son style, il parti­

cipa au Trombone illustré avec une parodie biblique, «Le 6' Jour». Avec « Boule et Bill », planche à gag à partir de 1960, tout comme avec la «Ribambelle», aux épisodes dé­ veloppés qui allient agréablement comique et aventure, Roba a su donner un équivalent du kid strip à l’américaine, même si, à l’image d’un graphisme aux courbes trop soulignées, son inspiration n’est pas toujours exempte d’une tendresse un peu mièvre. S’il en est proche, tout en l’affadissant parfois, le gra­ phisme de Roba n’est pas un sim­ ple démarquage de celui de Fran­ quin. Plutôt une évolution parallèle qui est un phénomène de généra­ tion. Ainsi d’Arthur Berckmans, alias Berck, né en 1929 à Louvain, dont la carrière et l’inspiration sont plus diversifiées, notamment à Tintin avec «Strapontin» (1958), « Rataplan » ( 1962), « Ken Krom »(1965), « Lady Bount » (1967), Pilote (« Ca­ pitaine Racagnac» en 1963), Le Soir Jeunesse (« Lombok et Gurdieff» en 1969) et autres collaborations (Sjors, Eppo, Zack, etc.), mais surtout de­ puis 1968 à Spirou avec « Mulligan », puis « Sammy » créé en 1970 (sc. Cauvin) et « Lou, James et Blub» (1978). Ici le trait est plus nerveux, tout comme les thèmes, plus particulièrement dans « Sammy », sans les subvenir, se dé­ gagent des clichés manichéens des séries enfantines. Idem d’Eddy Ryssack né en 1928 à Anvers. Ici s’ajoutent les influen­ ces américaines de Dedini ou Jack

Davis. Publiant des mini-récits dans Spirou en 1959, y créant en 1960 une bande « nonsensique » assez no­ vatrice, « Patrick Lourpidon » (sc. Finas), et les minimalistes «Arthur et Léopold» (sc. Cauvin) en 19681969, Ryssack publiera ensuite dans Tintin (les «Schmoucks») et sur­ tout, en 1969, dans Sjors, « Brammetje Bram» (Colin Colas/Brieuc Briand), aventures humoristicomaritimes poursuivies dans Zack, et dans Eppo, en 1975, «Opa» (la vie dans une maison de retraite). Ryssack, qui réalisa des dessins ani­ més, dynamise un style et opère le passage qui conduira aux créations, désormais en rupture avec la tradi­ tion enfantine, de Yann et Conrad.

ROBBINS Trina (1938-

)

USA

Née à Brooklyn le 17 août 1938, Trina Robbins est vendeuse dans un magasin de vêtements lorsqu’elle a l’idée de donner, dans EVO (1966), une publicité pour sa bou­ tique, en forme de comic strip : « Suzie Slumgodess », mettant en scène une jeune hippie et ses douze chats dotés de patronymes tels que «Allen Ginsberg» ou «Alan Watts ». Elle travaille pour EVO et Gothic Blimp Works où elle crée « Panthea » (1969); elle part s’instal­ ler à San Francisco où elle jouera, à partir de 1970, un rôle important dans le mouvement des Wimmen Comics, s’efforçant de créer des hé­ roïnes féministes, qu’on trouve réu­ nies, en particulier, dans son antho­ logie, « Girl Fight Comics », publié dans deux comic books (1972 et 1974), et «Trina’s Girls» (1978) : K.C. Starr-Childe, héroïne d’aven­ tures de science-fiction, Fox, une ré­ volutionnaire noire qui ressemble à Kathleen Cleaver, Rosie the Riveter, personnage repris des Green Hornet Comics des années 40, Pan­ thea et Lulu, dont les aventures pa­ rurent d’abord dans High Times. En dehors des comic books pure­ ment féminins, All-Girls »Thrills (1970), It Ain’t me Babe (1970), Wimmen’s Comics (1972-1978), elle a collaboré à de nombreuses publi­ cations underground : El Perfecto (1973), San Francisco comic book (1970-1973), Yelloui Dog, Illumina­ tions, Pro-Junior, etc., et «overground » {High Times...), et inspiré, paraît-il, le costume de Vampirella lors de la création de celle-ci par Ja­ mes Warren et Frazetta. En 1985, elle a entamé une série de bandes « féminines » pour Marvel. Son style s’est largement inspiré des comic

strips des années 30 et 40 avec des réminiscences «art nouveau» ou «art déco».

ROB-VEL (1909-

)

F

Robert Velter, dit Rob-Vel ou Bozz, devient à seize ans steward sur le Majestic. Faisant la traversée ParisNew York sur des paquebots fran­ çais et y dessinant affiches et pros­ pectus, il est présenté à Martin Branner. Auprès de lui il apprendra le métier de cartoonist, devenant même un de ses assistants. Il ren­ contre alors Sidney Smith, McManus, Milton Caniff. Rentré en France, il crée en 1935 la bande quotidienne «M. Subito» pour Opéra Mundi. En 1937, il des­ sine le mousse «Toto» dans Le Journal de Toto, puis pour Spirou imagine en 1938 les marins « Bibor et Tribar» et surtout le héros du journal, «Spirou», créant aussi « Babouche et Babouchette » dans Cadet-Revue. Mobilisé, Rob-Vel abandonne « Spirou » à Jijé en 1940. De retour à Paris en 1941, il re­ prend « Spirou » et dans Pierrot pu­ blie des bandes policières (« Le Dé­ tective Guy Voitoux ») ou humoristiques (« Le Père la Purée ») avec une reprise de «Bibor et Tribar » en 1942. Pour une somme dé­ risoire, il vend le personnage de « Spirou » à l’éditeur Dupuis en 1943. En 1945, il donne les récits complets « Mic et Mac » aux Editions Ar­ mand Fleury, puis de 1947 à 1949 reparaît dans Pierrot avec des ban­ des d’humour comme « Les Tribu­ lations du chien Petto » et parallè­ lement dans Lisette avec « Babouche et Babouchette ». En 1948, il publie « Bizouk et Pélik » dans Poucet (Al­ bin Michel), puis au long des an­ nées 50 anime « Ce pauvre Plouk » (un chien) dans le journal belge La Dernière Heure. Il poursuit « M. Su­ bito» jusqu’en 1969, et de 1970 à 1974 (sous le pseudonyme collectif de «J. Darthel») assure le strip de «Nimbus» avant de se retirer. Influencé par les cartoonists US, Rob-Vel tenta d’en adapter le gra­ phisme dans les illustrés francobelges, mais fut plus à l’aise dans la formule du strip quotidien avec son humour volontiers absurde. Son épouse Davine dessina « Moustique reporter » dans Le Bon Point amu­ sant et « Zizette » dans Spirou. Elle participa parfois à «Toto», «Spi­ rou », « Guy Voitoux » ou « Subito » et publia dans Lisette jusque dans les années 50.

ROCHETTE Jean-Marc (1956) F Bien que ses premières bandes aient été publiées dans Actuel, puis dans B.D. (1978), c’est réellement avec sa collaboration à l’Echo des Sava­ nes que Rochette (né le 23 avril 1956) a fait ses débuts de dessina­ teur et d’auteur. Dès le numéro 21 (1976), il signe dans ce mensuel de courtes histoires d’humour noir, puis collabore avec Mandryka pour la série « Anodin et Inodore », avec Martin Veyron pour «Edmond le Cochon » ; enfin, sous son propre nom, il crée « Les Mésaventures de Claudius Vigne» (mai 1980) qui sera repris en février 81 dans (A sui­ vre), où Rochette avait d’ailleurs fait sa première apparition en mars 80. Claudius Vigne, un fort en thème aux épaisses lunettes, s’exprimant dans un langage châtié, est le souffre-douleur des épouvantables frères Mandaloni ; ils font de la vie de l’adolescent un enfer dont celuici s’évade par le rêve. Et quel rêve ! Sous l’influence de ses lectures, ce Little Nemo moderne est sculpteur à l’île de Pâques, révolté sur le Bounty, découvreur de continents... Avec Jacques Lob, Rochette signera « Le Transperceneige » dans (A sui­ vre) (octobre 82), récompensé à Angoulême en 1985, et où s’affirme un remarquable style graphique. En mars 86 débutera dans le même ma­ gazine «Requiem blanc» sur un scénario de B. Legrand. Tenté à ses débuts par le film d’ani­ mation, Rochette avait réalisé « La Chasse » (1975) qui reçut le Prix des Ciné-clubs de France.

RODRIGUEZ Manuel dit «Spain» (1940-

)

USA

Né à Buffalo (Etat de New York), le 2 mars 1940, il fut trois ans étudiant des Beaux-Arts dans le Connecticut et devint l’un des prin­ cipaux collaborateurs de EVO (1967) dès les débuts du-mouve­ ment underground. Il fut le créateur de «Trashman», le type même du héros de l’Amérique contestataire des années 60. A mi-chemin entre Fidel Castro et Robin des Bois, c’est un guérillero, défenseur du peuple opprimé. Spain, qui a été pendant plusieurs années membre d’un « gang » à moto, les « Road Vultures », prend le contre-pied du grand rêve hippie : seule la violence peut mettre fin à la répression, et les pro­ létaires doivent prendre en main

223

leur destin ; aidés par les révolution­ naires comme Trashman, ils abat­ tront la hideuse bourgeoisie déca­ dente et anthropophage. Un dessin réaliste, tourmenté et expression­ niste est mis au service de cette fa­ ble politique où apparaissent des personnages représentatifs de tous les groupes militants. Spain a été l’organisateur des « Uni­ ted Cartoon Workers of America » à San Francisco, et ses dessins ont été publiés entre autres dans Sub­ vert Comtes (1970-1976), Zap (19731974), Insect Fear(1970 à 1973), Ta­ ies of the Leather Nun (1973), Snatch ( 1969), Thrilling Murder ( 1971 ), El Perfecto (1973), Skull, Arcade, etc.

ROSINSKI Grzegorz (1941-

)

PL

Pour Rosinski tout a commencé à l’âge de dix ans en Pologne par la découverte d’un exemplaire de Vail­ lant. Depuis il n’a cessé de vouloir faire de la BD. Après douze ans de Lycée des beaux-arts puis d’Académie des beaux-arts, il devient illus­ trateur de livres pour enfants, pro­ duit des dessins humoristiques pour des journaux, dessine des pochettes de disques, dirige une revue d’ama­ teurs pour laquelle il réalise plu­ sieurs BD. Pour l’éditeur Sport et Tourisme il donne onze albums de «Kpt. Zbik» (capitaine chat sau­ vage), cinq de « Pilot Smigeowca » (pilote d’hélico), un volume sur la Coupe du monde de football du Brésil et trois de « L’Histoire légen­ daire de la Pologne » (1968 à 1976). Pour un autre éditeur, Kaw, il des­ sine quatorze volumes de « Uwaga Piegowaty» de 1968 à 1970 et di­ rige la partie artistique du magazine Relax de 1976 à 1982; il réalise aussi deux histoires de sciencefiction pour Alfa. Dans le même temps, il commence à travailler à distance pour Spirou et Tintin. Ses premières planches paraissent en 1976 dans Spirou où il collabore au Trombone illustré de Delporte et Franquin avec une pre­ mière bande importante sur un scé­ nario de Mythic : « La Croisière fantastique» (1977). Il commence aussi à travailler pour Tintin et ren­ contre Jean van Hamme au cours d’un séjour à Bruxelles. Celui-ci a

déjà écrit Epoxy (1967) et des scé­ narios de « Corentin » pour Paul Cuvelier et travaillé avec divers des­ sinateurs ; il « vend » Rosinski à A.-P. Duchâteau, alors rédacteur en chef de Tintin, et le premier épisode de « Thorgal » (1977) sera dessiné en Pologne, Rosinski venant seulement ensuite s’installer en Belgique avec sa famille. Conçue d’abord comme une his­ toire de Vikings, « Thorgal » va évo­ luer rapidement vers la sciencefiction, et le graphisme de Rosinski va se transformer aussi rapidement que le thème de la série. D’abord figé par ses habitudes d’illustrateur, peu exposé dans son pays d’origine à la BD européenne, Rosinski se li­ bère, apprend beaucoup, et au bout de huit épisodes « Thorgal » est de­ venu la série préférée des lecteurs de Tintin. Il dessine aussi « Hans », une série de science-fiction sur un scénario d’André-Paul Duchâteau, dont deux albums ont déjà été publiés (« La Dernière Ile » en 1983 et « Le Prisonnier de l’éternité» en 1985).

RÜBINO Antonio (1880-1964)

I

Né à San Remo en 1880, Antonio Rubino réalise sa première bande dessinée à six ans. Il fait des études de droit qui lui inspirent des poé­ sies burlesques. A vingt-deux ans, il s’essaie à la peinture puis, en 1907, à l’illustration pour enfants dans le Giornalino délia Domenica. En décembre 1908, il fait partie de l’équipe fondatrice du Corriere dei Piccoli. Le Corriere diffuse les gran­ des bandes américaines de l’époque («Happy Hooligan», « Buster Brown», «The Katzenjammer Kids», « Bringing Up Father», « Maud »...) et Rubino à l’idée, tant pour des raisons de commodité que par réflexe éducatif, d’en remplacer les bulles par des textes en vers au pied de l’image, donnant ainsi à ses talents de poète l’occasion de s’exer­ cer. Parallèlement, il réalise une quantité de bandes : « Abetino », « Cirillo », «Quadratino» (1910), « Pino e Pina » ( 1910), « Il Collegio la Delizia» (1913), «Lola e Lalla» (1913), «Italino e Kartoffel Otto» (1915), «Pierino e Burattino»

(1921), « Rosaspina e Spinarosa» (1922), « Pippotto ed il Caprone Barbacucco» (1924), «Lionello e Nerone » (1926)... En 1914, il collabore au journal des armées La Tradotta où il crée le personnage du Caporal C. Piglio. En 1927, il passe au journal fasciste pour enfants II Balilla. Il y adapte en particulier les fables d’Esope, dans un sens que la censure n’ap­ précie pas toujours. En 1931, il se retrouve dans l’équipe du jeune édi­ teur Arnoldo Mondadori qui le met à la tête de son service de publica­ tions enfantines. En 1934, Rubino devient directeur de l’hebdomadaire Topolino. Il y fait pour la première fois un usage réticent et fort peu convaincu de la bulle. En 1937, il abandonne la bande dessinée et s’installe à Rome où il tente l’expé­ rience du dessin animé. Sa première production « Il Paese dei Ranocchi » obtient dans sa catégorie le grand prix de la Biennale de Venise en 1942. L’original et les négatifs de son second dessin animé « Cres­ cendo Rossiniano » seront par mal­ heur détruits dans l’incendie des Etablissements Agfa. Jusqu’en 1955, Rubino se consacre à la peinture. A cette date, il accepte de renouer avec la bande dessinée au Corriere dei Piccoli. Mais il a beaucoup de mal à s’adapter à l’évo­ lution du genre et se retire en 1959. Il meurt à San Remo en 1964. On retrouve dans les œuvres de Ru­ bino les influences curieusement conjuguées des deux grands cou­ rants artistiques de sa jeunesse : l’art floral et l’art déco. Ce contraste est particulièrement net dans « Qua­ dratino » dont le héros, un petit gar­ çon à la tête parfaitement carrée, évolue au milieu de personnages adultes et symboliques (la Géomé­ trie, l’Algèbre, les Mathématiques) qui semblent issus des affiches ou des cartes postales à volutes 1900. S’il n’a pas su se libérer du complexe littéraire et culturel de la bande dessinée (il se voulait poète à l’égal de peintre et avait obtenu le grand prix au festival de San Remo pour une chanson qu’il avait composée), l’importance de Rubino ne doit pas être sous-estimée. Il est en particulier un des plus audacieux et des plus remarquables coloristes de l’histoire du comic.

SAINT-OGAN Alain (1895-1974)

F

Alain Saint-Ogan, né à Colombes le 7 août 1895, dès l’enfance se desti­ nait comme son père à la carrière journalistique. Après des études aux Arts déco, encouragé dans son goût pour le dessin par Benjamin Rabier qu’il admirait, il réussit à publier son premier dessin dans Le Matin en 1913. Après une éclipse due à la guerre, il devait commencer une vé­ ritable carrière de dessinateur de presse, collaborant à de nombreux périodiques (L’Echo de Paris, Le Pe­ tit Journal, L’Intransigeant, Le Pe­ tit Parisien, La Semaine de Suzette, Le Charivari, Rie et Rac...). Person­ nage de la scène parisienne, il fré­ quente les personnalités les plus en vue, Raimu, Claude Farrère, Curnonsky... En 1925, il publie la première page des aventures de Zig et Puce, l’au­ teur y a créé une atmosphère origi­ nale, mêlant le merveilleux poétique et l’humour. « Zig et Puce » devait apparaître dans Dimanche Illustré, Alain SaintOgan ayant été appelé en dernière minute pour remplacer une page de publicité défaillante. Le succès fut foudroyant auprès du public enfan­ tin dont cette bande comblait le be­ soin d’évasion et de rêve, tout en le faisant rire. Elle devait être publiée en albums à partir de 1928 (onze albums de 1927 à 1941, les cinq der­ niers de 1947 à 1952) et inspirer des dessins animés, des plaques pour lanternes magiques, des disques, des émissions de radio... Zig et Puce forment l’un de ces cou­ ples de personnages complémentai­ res comme il y en a tant dans la BD : le grand maigre et le petit gros, le brun et le rouquin. Leur créateur en a fait d’éternels voya­ geurs émerveillés de l’espace et du temps, et leur a fait visiter aussi bien les Amériques, les Indes ou l’Afrique que la planète Vénus au XXI' siècle, dans une atmosphère à la fois poétique et burlesque. Un voyage au pôle Nord leur a fait adopter le pingouin Alfred, person­ nage dont le succès devait dépasser encore celui des deux gamins : il fut motif décoratif ou publicitaire, bou­ chon de radiateur ou mascotte d’aviateurs avant de devenir trophée décerné à des auteurs de BD. Les rejoindront plus tard le cheval Mar­ cel et une petite fille nommée Dolly. Le dessin d’Alain Saint-Ogan a naturellement été marqué par la période des Arts déco dont il est l’un des illustrateurs. Graphisme qui va de pair avec son imagination futuriste; il se complaît, en effet,

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Lois Lane l’amie de Superman de Kurt Schaffenberger

dans l’invention d’étranges machi­ nes, des plus séduisantes (avions ovoïdes, engins spatio-temporels aux formes arrondies) aux plus lou­ foques (une machine à donner des coups de pied dans le derrière...). En 1963, Saint-Ogan devait deman­ der à Greg de reprendre, pour Tintin, cette bande, qui devait finale­ ment être abandonnée à la fin des années 60 (non sans avoir donné lieu à six nouveaux albums signés Greg, parus entre 1965 et 1970). Mais Alain Saint-Ogan a également créé, en dehors de Zig et Puce, bien d’autres héros, «Mitou et Toti» (1932), «Prosper l’Ours» (1933), «Monsieur Poche» (1934), «Jakitou » (1935), « Galoche et Bitumet » (1939); si certains adultes s’en sou­ viennent avec nostalgie, aucun ne restera aussi profondément gravé dans l’imagerie populaire que Zig et Puce. En 1933, Saint-Ogan lance Cadet Revue, journal de jeunes financé par Ovomaltine. Il y publiera « Le Rayon mystérieux» (1937-1939), sa seule histoire « sérieuse », ayant pour héros des adultes et pour thème la science-fiction, avec un scénario qui rappelle Gustave Le Rouge. En 1934, il réalise un des­ sin animé, « Prosper dans : Le Concours de beauté » et devient, en 1940, le rédacteur en chef de Ben­ jamin dont le bureau sert de boîte aux lettres à un réseau de la Résis­ tance; il y jouera un rôle actif sous le nom de guerre de Lasage. SaintOgan est aussi l’auteur de plusieurs romans et livres de Mémoires, a animé des émissions radiophoni­ ques tout en poursuivant des acti­ vités syndicales, mais sans négliger sa carrière d’illustrateur et dessina­ teur humoristique. Il y a donné li­ bre cours à son goût de la caricature et de l’étude de mœurs qui transpa­ raît dans ses BD. En 1967, la consécration lui fut ac­ cordée sous la forme d’une médaille frappée à son effigie par la Mon­ naie.

SCHAFFENBERGER Kurt (1920-

)

OSA

C’est l’un des dessinateurs de Superman et de toutes les bandes tour­ nant autour de ce personnage qui reste aujourd’hui parmi les plus

1979,

Comics un

connus, sans doute parce qu’il signa régulièrement au bas de la première planche des histoires qu’il dessinait, à une époque où cette habitude était proscrite de façon générale par la di­ rection de la National dans tous les illustrés que cette firme éditait. Depuis 1959, SchafTenberger a des­ siné pour la National des aventures de Superman, Wonder Woman, Jimmy Olsen, Supergirl, Flash... mais surtout la majeure partie de celles de Lois Lane Superman’s Girl Friend, donnant à cette héroïne son visage, ses tailleurs stricts et ses petits chapeaux, la transformant en femme type des années 60. Il a aussi dessiné pour National «Marvel Family», «Captain Mar­ vel » et « Captain Marvel Jr. », une tâche qui lui revenait de droit puisqu’il avait déjà été l’un des principaux illustrateurs de ces séries de 1945 à 1953 chez Fawcett,y suc­ cédant à C.C. Beck, George Tuska, Jack Kirby, Dave Berg, Chic Stone, Peter Costanza...

SCHLINGO Charlie (1955-

)

F

Jean-Charles Ninduable, alias Charlie Schlingo, travaille en usine, fait du jazz et publie sa première bande en 1975 dans Le Café au Lait du Di­ manche Matin, éphémère zine d’An­ nette et Gérard Pateloux, avant de

créer en 1976 son propre titre, Le Havane primesautier. Ses débuts professionnels datent de 1978 lorsqu’il fait paraître son «Tamponn Destartinn » dans B.D., puis le non moins inénarrable « Désiré Gogueneau » dans Charlie mensuel. En 1979, c’est le tour de «Josette de Rechange » dans Charlie hebdo. Egalement publié dans Hara-Kiri, Schlingo semble alors abonné aux seules Editions du Square, même si la revue hollandaise Talent lui ou­ vre ses pages. Avec les années 80, enfin reconnu, on le verra dans Pi­ lote, Sandwich (le supplément de Li­ bération), Rigolo et Métal hurlant (où il fut pourtant refusé en 1978), dans l’Echo des Savanes, Viper, Chic et Le Petit Psikopat illustré. Futuropolis lui consacre un album 30 x 40 en 1984. Schlingo, c’est Hergé revu par Segar (et sa version fruste, Bud Sagendorf), puis passé à la moulinette des Jacovitti, Bottaro et surtout Rebuffi dont les « Cucciolo et Beppe » (« Pipo et Concombre») furent les vrais héros des cours de récréation de naguère. Mais ce joyeux irres­ pect est d’abord amour passionné. Si le graphisme, par le biais d’un simplisme assumé, renvoie à tout un pan de l’histoire des BD, l’uni­ vers de Schlingo est tout autant ce­ lui du pur langage. De l’enchaîne­ ment de dialogues ineptes naissent des logiques rigoureuses à l’origine de situations imparables. Les mau­ vaises odeurs se transmutent en noms propres (Kokott Dunouga, etc.) tandis qu’à l’inverse des ono­ matopées, où c’est le langage qui se fait bruit, ici ce sont les sons (cognelalourde, etc.) qui disent (parlent) les actes qui les provoquent. Ouïe ou odorat, les sens renvoient tou­ jours aux mots, tandis que les mots brouillent tout sens et que le trait déstabilise les styles. On ne saurait manier l’absurde avec plus de doigté que Schlingo.

Schtroumpfs. Voir PEYO.

SCHUITEN François (1956-

)

B

Il a publié ses premières planches dans Pilote en 1973 et il fallut en­ suite attendre 1977 pour le retrou­ ver dans Métal hurlant avec « Cara­ paces » puis d’autres histoires qui seront regroupées en 1981 dans un album du même titre signé par son frère Luc Schuiten pour le scénario. Il collabora aussi avec Claude Re­ nard pour « Aux Médianes de Cymbiola »(1979-1980), « Le Rail »

(1981) toujours dans Métal hurlant mais aussi pour Le 9‘ Rêve, ces re­ cueils collectifs où les élèves de Claude Renard, professeur à l’ins­ titut Saint-Luc de Bruxelles, déve­ loppent annuellement les résultats de ses cours. Il faut noter l’impor­ tance de Renard : dans tout un mouvement graphique qui s’est bâti autour de ces recueils et de son en­ seignement (Sokal, Foerster, Goffin); pour ses collaborations avec Schuiten dans le domaine de la BD mais aussi dans celui du cinéma (dé­ cors et costumes de « Gwendoline » de Just Jaeckin) ; et pour son œuvre propre, « Les Aventures d’Ivan Ca­ sablanca» (1983). Mais l’œuvre la plus achevée de François Schuiten, diverse, graphi­ quement parfaite, mystérieuse, est sans nul doute la série des «Cités obscures » écrite par Benoît Peeters et publiée dans (A suivre) à partir de 1982. On y retrouve sublimé tout ce qui rendait passionnantes ses bandes précédentes et d’abord sa passion pour l’architecture, folle, envahissante, précise, visionnaire, seconde nature pour ce fils d’une fa­ mille d’architectes : « Les Murailles de Samaris» (1982); «La Fièvre d’Urbicande» (1983-1984).

SCHULTHEISS Matthias (1946-

)

D

Dans un pays resté longtemps quel­ que peu à l’écart de l’engouement bédéphilique, Schultheiss vécut un début de carrière sans cesse retardé. Une série sur les camionneurs, «Truckers», pour Zack en 1980 resta ainsi dans ses cartons en rai­ son de la disparition de la revue. Il publia quelques brèves histoires dans des recueils collectifs comme Comic Reader en 1981 chez Becker & Knigge et un semblant de re* connaissance lui vient en 1984 lors­ que l’éditeur Heyne Verlag publie son adaptation des « Folies ordinai­ res » d’après Bukowski, dessinée en 1982. C’est en France qu’il trouve sa consécration avec divers courts récits publiés dans Spécial USA, l’Echo des Savanes et Chic. Dans l’Echo, en 1985, il met en images un plus long scénario, « Le Théorème de Bell », et prépare une histoire de pirates modernes pour Circus, des éditions Glénat (qui ont publié la traduction française des « Folies or­ dinaires»). D’abord influencé par Moebius, Manara et d’autres, Schultheiss progresse dans ses re­ cherches, intégrant une approche plus picturale aux tons glauques ou

ocres. Le regard dissèque froide­ ment les rapports difficiles de pro­ tagonistes dans des intrigues pois­ seuses qui ne mènent qu’à la mort. Un auteur complet se révèle qui s’exprimera aussi à travers le ci­ néma pour prolonger sa vision d’un univers contemporain figé dans une lente érosion, une décomposition sans terme. Parmi d’autres jeunes auteurs inté­ ressants (Andreas Marschall, Jôrg Schultz, Birger, etc.), l’Autrichien Cari Scheuer n’a pas fini d’étonner. Révélé d’abord en France avec «Marie-Jade» (sc. Rodolphe) en 1984 dans Charlie mensuel, il publie également les aventures de la belle espionne « Morgana » dans le sup­ plément d’un quotidien viennois ainsi que des récits dans le magazine spécialisé Comic Forum. Son graphisme qui unit les acquis d’un certain réalisme à un net souci de stylisation — du Forest revisité par Ever Meulen ou Serge Clerc — est de ceux, rares, qui semblent pro­ mis à faire date dans l’histoire des bandes dessinées.

SCHULZ Charles (1922-

)

USA

Né le 26 novembre 1922 à Minnea­ polis, Charles Monroe Schulz, après ses études secondaires, suivit les cours par correspondance de la Art Instruction School. De 1943 à 1945, il fut mobilisé et servit en Eu­ rope. De retour aux USA, il s’ins­ talla à St. Paul et fut lettreur pour une publication religieuse. Il entra ensuite comme enseignant à la Art Instruction. Il vendit un pannel hebdomadaire « Li’l Folks » au St. Paul Pioneer Press, mais ne put le faire devenir quotidien. A partir de 1948, il vendit quelques cartoons au Saturday Evening Post et tenta de faire accepter un strip basé sur « Li’l Folks ». Finalement l’UFS ac­ cepta le strip en 1950, mais le fit re­ titrer « Peanuts » contre l’avis de Schulz qui trouvait cette appellation vulgaire. « Peanuts » ne fut pas la seule création de Schulz pour UFS. Dans les années 50 et au début des années 60, il publia également des séries de panels, «It’s Only a Game» et «Teen-Agers Unité», dans lesquels il eut l’occasion de dessiner des adultes ou des adoles­ cents. C’est cependant «Peanuts» qui lui assura la célébrité. « Peanuts » fut une révolution dans le domaine du comic strip. Par son graphisme réduit à l’essentiel, stylisé à l’extrême, par son humour abstrait jouant non sur des narra­ tions longues et suivies, mais sur

227

des variations à partir de quelques situations de base, par son mélange de nonsense et de réflexion sur la condition humaine, « Peanuts» fut la première bande « intellectuelle » dans la mesure où elle fut la pre­ mière à en rassembler tous les consti­ tuants. Il est probable, néanmoins, que Schulz sut se souvenir de ban­ des plus anciennes comme « S’Matter Pop » de Payne et aussi de « Little Folks» de Tack Knight où déjà figuraient des enfants à l’esprit précoce, sans la présence d’adultes («Li’l Folks» n’était peut-être pas une coïncidence). A travers Charlie Brown et sa fascination de l’échec, Linus, surdoué angoissé, Schroeder, l’égocentrique beethovénien, Lucy, l’ambitieuse et agressive révoltée ou le chien Snoopy, philosophe et mythomane, c’est évidemment plus qu’un univers enfantin que décrit Schulz. Un certain ton de désespoir s’insinue dans la bande, et le rire qu’elle provoque n’est pas sans lais­ ser un goût d’amertume. Schulz a su introduire de nouveaux caractè­ res dans sa série, enrichissant ainsi les différents types de rapports en­ tre personnages et approfondissant son univers. Le chien Snoopy est devenu également un élément de plus en plus affirmé, manifestant un détachement superbe à l’égard de ses compagnons humains sans ou­ blier pour autant sa nourriture. Que Schulz se soit mis en partie dans sa bande est incontestable. L’humour est pour lui un moyen de se défen­ dre et de se préserver, et sa bande une façon subtile de communiquer, d’où une certaine ambiguïté et, de sa part, une certaine méfiance que le succès de la série a pu même ren­ forcer. «Peanuts» est devenu aussi une grande affaire commerciale. La bande a été adaptée en dessin animé, et a inspiré une comédie mu­ sicale en 1967, «You’re a Good Man, Charlie Brown».

bury et plaçant les textes d’Edmond Hamilton, Otto Binder, H. P. Lovecraft, Alfred Bester... C’est Bester qui l’envoya se présenter à Max Gaines en 1944, alors que celui-ci présidait aux destinées de la Natio­ nal et cherchait un editor qualifié pour le seconder. Editant d’abord AU Star Comics, Western Comics, puis Mystery in Space, Strange Adventures, Justice League of America, Green Lantern, Flash, enfin Bar­ man, Superman, Détective Comics..., il eut chez National une influence peut-être équivalente à celle de Stan Lee chez Marvel, orientant toute une partie de la production de la firme et en particulier les aventures des super-héros, vers une sciencefiction d’inspiration classique, ap­ pelant même comme scénaristes des écrivains connus dont Alfred Bes­ ter, Henry Kuttner, Ed Hamilton et John Broome. Dans les illustrés

SCHWARTZ Julius (Julie) (1915-

)

USA

Avec Mort Weisinger, qui édita plus tard l’illustré Superman pour la National, Schwartz publia dans les années 30 l’un des premiers fan­ zines de science-fiction, The Time Traveller, puis lança avec Forrest J. Ackerman et d’autres passionnés Science-Fiction Digest, autre fanzine célèbre rebaptisé ensuite Fantasy Magazine. Il fut l’un des meilleurs agents littéraires qu’ait connus la science-fiction, découvrant Brad1979, DU Unîmes Iik

228

de science-fiction Aiyrrerv in Space et Strange Adventures, il y eut quel­ ques grands héros comme Adam Strange de Carmine Infantino et Gardner Fox, mais surtout une multitude de petites histoires en sept ou huit pages dont l’écriture ri­ goureuse permettait aux lecteurs de vivre chaque mois plusieurs inva­ sions d’extraterrestres ou de crain­ dre un nouveau péril venu de l’es­ pace, en y croyant et en étant intensément soulagés lorsque le brave Terrien du coin découvrait au dernier moment la solution miracle susceptible de sauver la Terre. Il suffisait à l’époque d’un peu d’ima­ gination et souvent d’objets aussi simples qu’une montre déréglée ou qu’un arrosoir plein. Dans les illustrés de la firme consacrés aux super-héros, l’in­ fluence de Schwartz se traduisit en­ core par cette omniprésence de thè­

mes de science-fiction, mais aussi par la structure même des comic books et par leurs couvertures. A l’opposé des Marvel Comics, les il­ lustrés de la National ne conte­ naient alors et ne continrent long­ temps que des histoires courtes, les aventures débutant, se développant et s’achevant en quelques pages et nécessitant de ce fait une écriture et une mise en page très strictes sacri­ fiant tout à l'efficacité du récit. Les couvertures des illustrés de la Na­ tional pourraient quant à elles cons­ tituer une exposition sans fin de tous les moyens d’intriguer, de sur­ prendre, d’attirer le lecteur (et de lui faire sortir les 10 ou 12 cents de l’époque); pleines de gadgets, de spectacles incongrus, de héros dans les pires situations, ces couvertures étaient à l’opposé de celles des Mar­ vel Comics, qui ne jouaient que sur la relation établie entre le héros et le lecteur, intéressant ce dernier aux problèmes du premier, mais plus à leur nature propre qu’à leur comment et à leur pourquoi.

SCIENCE-FICTION La grande époque de la sciencefiction dans les comic strips débuta aux USA en 1929 avec la publica­ tion de « Buck Rogers in the 25th Century » de Dick Calkins et Phil Nowlan. Dans cette bande apparais­ saient pour la première fois tous les clichés de la science-fiction des an­ nées 20, popularisés dans Amazing Stories (1926) et dans toutes les sé­ ries publiées dans les pulp magazi­ nes. Réacteurs dorsaux, astronefs, tenues voulues futuristes et péril jaune, héroïne enlevée, sauvée, en­ levée à nouveau, traîtres aussi noirs qu’on peut les rêver, héros bon et courageux... et la formule fonc­ tionna et dura. En 1947, Murphy Anderson succéda à Dick Calkins comme dessinateur de « Buck Ro­ gers», puis ce furent Leon Dworkins, Rick Yager, de nouveau An­ derson et finalement George Tuska, jusqu’à l’arrêt du strip en 1967. Devant le succès de « Buck Rogers » d’autres bandes virent le jour dont les deux plus importantes furent «Brick Bradford» de William Ritt et Clarence Gray (1933) et «Flash Gordon» d’Alex Raymond (1934). Dans « Brick Bradford », l’élément de science-fiction était apporté par les voyages dans le temps et dans l’espace qu’effectuaient les héros (et aussi par un célèbre «Voyage dans une pièce de monnaie»); dans « Flash Gordon » les trois Terriens, Gordon, Zarkov et Dale étaient pro­ jetés sur la planète Mongo que do­

minait le tyran Ming. Mais dans les deux bandes, le caractère commun et essentiel était la recherche constante de l’aventure et de l’épi­ que : par la rencontre de civilisa­ tions anciennes, égyptienne ou maya, dans la première ; par la lutte héroïque contre un jaune oppres­ seur et la découverte de peuples et de créatures étranges dans la se­ conde, à la manière des récits d’Ed­ gar Rice Burroughs. Paul Norris succéda à Clarence Gray comme dessinateur du strip « Brick Brad­ ford» en 1952; Alex Raymond laissa beaucoup plus tôt ses héros entre les mains d’autres artistes, déjà en 1940 son assistant Austin Briggs avait inauguré la version quotidienne de la bande, puis il re­ prit aussi la planche dominicale, suivi par Mac Raboy (1948-1967), Dan Barry et Rie Estrada. Après le lancement de ces trois sé­ ries et de quelques autres de moin­ dre importance comme « Don Winslow of the Navy » de Frank V. Martinek et Leon A. Beroth (mars 1934) et «Don Dixon and the Hidden Empire » de Bob Moore et Cari Pfeuffer (octobre 1935), parfois ban­ des d’aventure utilisant de façon marginale des objets ou des idées ti­ rés de la science-fiction, parfois dé­ calque pur et simple de bandes an­ térieures, la grande époque de la science-fiction dans les strips amé­ ricains n’eut pas de fin réelle mais prit un aspect différent. «Brick Bradford », « Buck Rogers », « Flash Gordon » perdirent peu à peu de leur fascination pour les lecteurs, l’événement était ailleurs et ces strips rentrèrent pour toujours dans la normalité, normalité qui en su­ bit dans le même temps un contre­ coup énorme. La science-fiction fut soudain partout ou presque. Myra North de Ray Thompson et Char­ les Coll, Connie de Frank Godwin, Scorchy Smith de Frank Robbins, ou même Mandrake de Lee Falk et Phil Davis, Mickey, Popeye et beaucoup d’autres virent leurs aven­ tures transformées par l’utilisation que faisaient leurs adversaires ou eux-mêmes d’ustensiles futuristes : rayons de la mort, fusées, véhicules bizarres... et tous les grands strips, au fil des ans et des décennies, connurent cette imprégnation étrange par la science-fiction. Mais à côté des strips, un autre mé­ dia, plus jeune, apprenait à la même époque tout ce qu’il pouvait tirer de la science-fiction en termes d’im­ pact, d’attrait et de fascination sur les masses, de rêves à bon marché fournis régulièrement, de paysages différents, de monstres et de mer­ veilles.

C’est en juillet 1934 que parut le premier numéro de Famous Funnies, le premier des comic books. Et dès la naissance de cette forme de pu­ blication, la science-fiction y fut présente avec la réimpression des grands strips du genre : « Buck Ro­ gers », puis « Connie ». « Flash Gor­ don » et « Brick Bradford » furent quant à elles reprises dans les pa­ ges de King Comics à partir de jan­ vier 1936. Mais c’est en janvier 1940, avec le numéro 1 de Planet Comics, que des histoires de science-

1940 : Alex Raymond parti pour la guerre, c’est Austin Briggs (son assistant depuis 1936) qui reprit a Flash Gordon »

fiction originales firent leur appa­ rition dans les comic books, venant s’y ajouter au concept du super­ héros récemment inventé par Jerry Siegel et Joe Shuster avec « Superman » dans le numéro 1 d’Action Comics (juin 1938), pour faire de ce média le support privilégié d’une science-fiction populaire qui mar­ qua et marque encore toute la so­ ciété américaine, « intoxiquant » de façon discrète mais certaine ses cou­ ches les plus jeunes et faisant que la publicité ou la télévision utilisent à présent volontiers les super-héros pour attirer clients ou spectateurs, que « Star Wars », le plus grand suc­ cès de toute l’histoire du cinéma, est souvent traité de bande dessinée fil­ mée, à juste titre mais de façon si péjorative... Dans Planet Comics, publié par la firme Fiction House, outre « Lost World » de Lily Renée et Thornecliffe Herrick, aventures d’un jeune homme musclé et d’une jolie blonde dans un New York postatomique; « Star Pirate » de Murphy Anderson

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« Buck Rogers » de Dick Calkins

et Len Dobson, bande à intentions humoristiques; « Red Cornet» et « Auro I.ord of Jupiter » ; « Flint Ba­ ker and Reef Ryan Space Rangers » de Lee Elias et Hugh Fitzugh, ap­ parut toute une série d’héroïnes aux charmes obstinément dévoilés par leurs dessinateurs : Futura, Mysta of the Moon, Gale Allen... Une ha­ bitude, presque un style, qui se re­ trouva dans beaucoup d’illustrés de la Fiction House : Ranger Comtes (1941), Jungle Comies ( 1940), Jumbo Comtes (1938), Kadnga Comics (1949), Fire/tair Comics (1948)... Dix ans après Planer Comics appa­ rurent W’cird Science et W'etrd Fantasy qui furent ensuite réunis en ITeird Science Fantasv qui devint à son tour Incrediblc Science-Fiction. Curieuse succession de titres qu’im­ posèrent des nécessités commercia­ les, mais W'eird Fantasy n’était-il pas lui-même issu de A Moon, a Girl... Romance, issu lui-même de Moon Girl Fig/tts Crime, issu lui-même de... Ces illustrés publiés par la EC étaient dus, comme les comics d’horreur ou d’humour de la firme, aux plus grands dessinateurs : Wal­ lace Wood, Al Williamson, Joe Or­ lando, Bernie Krigstein, Reed Crandall... Quant aux scénarios, certains étaient tirés de nouvelles de Ray Bradbury, et le reste était dû à William Gaines, à Al Feldstein, et à d’autres scénaristes dont les noms ne sont pas restés. Planei Comics disparut en 1954, suivi par Famous Funnies en 1955, puis par les illustrés de la EC en 1956. Pour la science-fiction dans les comic books, les années 50 marquè­

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rent donc la fin d’une époque, mais elles furent aussi le début d’une au­ tre. Elle virent en effet la naissance de nombreux illustrés à l’existence parfois éphémère : Amazing Adven­ tures (Ziff Davis, 1950), An Partit Manon ITvin.v (Avon, 1951), A:stonis/ting (Marvel, 1951), Attack on Planet Mars (Avon, 1951), Space Detective (Avon, 1951), Space Ad­ ventures (Charlton, 1952), Space Pa­ trol (Ziff- Davis, 1952), Space Squa­ dron (Marvel, 1951), Only a Strong America can prevent Atomic ll"ur (Ace, 1952), Atom Age Combat (St John, 1952)... et surtout Strange Ad­ ventures (National, 1950) et Afvirerv in Space (National, 1951). Strange Adventures et Mystery in Space, sous la direction de Julius Schwartz, devinrent les hauts lieux de la science-fiction en bandes des­ sinées et le restèrent pendant plus de vingt ans. Ces deux comics fu­ rent toujours constitués selon un même schéma, un ensemble d’his­ toires d’environ huit pages relevant de la science-fiction la plus classi­ que et traitant soit d’une invasion d’extraterrestres ou d’un péril met­ tant en jeu la vie de l’humanité, soit des aventures de quelques héros de l’espace. Il y eut ainsi dans Strange Adventures Captain Comet, les sol­ dats des « Space Museum Stories », Star Hawkins, les Atomic Knights, et dans Mystery in Space : « Knights of the Galaxy», Space Cabbie, «Star Rovers» et Adam Strange. Sous l’impulsion de Schwartz, ces illustrés bénéficièrent toujours du talent des meilleurs scénaristes, sou­ vent en même temps écrivains de science-fiction, et des plus grands dessinateurs : Frank Frazetta, Vir­

gil Finlay, Carmine Infantino, Alex Toth, Gil Kane, Murphy Ander­ son, Mort Meskin, Bernie Krigs­ tein... En 1954, l’apparition du Comics Code ne leur fut pas fatale et les his­ toires devinrent simplement un peu plus sages, dans leur déroulement mais non dans leur débordement d’inventions et de périls les plus fous. A la National et aussi dans d'autres firmes comme Charlton et Marvel, ce type d’illustrés constitués d’his­ toires courtes de science-fiction ou fantastique fut un phénomène im­ portant qui contribua à la survie des comic books, évoluant au fil des ans pour devenir le support de lance­ ment de nouveaux héros chez Mar­ vel à partir de I960, restant partie intégrante de l’image de la Natio­ nal jusqu’en 1970 lorsqu’ils firent place à des illustrés plus strictement consacrés au fantastique et à l’hor­ reur, se maintenant chez Charlton grâce à quelques dessinateurs comme Steve Ditko, Jim Aparo et Dick Giordano. La science-fiction dans les comic­ books fut aussi très souvent le fait d’adaptations de films ou de séries télévisées. « Konga » de John Le­ mont et « Gorgo » d'Eugène I.ourie devinrent des séries à suivre chez Charlton sous le crayon de Steve Ditko dès 1961. La Western (Gold Key) et Dell se spécialisèrent dans les adaptations de films en un nu­ méro de comic book, « First Men in the Moon», «The Fantastic Vovage », « Dr. Who and the Da­ leks», «Santa Claus Conquers the Martians», et dans les adaptations de feuilletons: «Land of the

Giants», «Les Envahisseurs», «Star Trek», «Space Family Ro­ binson Lost in Space»... Science-fiction adaptée d’autres mé­ dias, science-fiction en histoires courtes, mais aussi et toujours de­ puis la naissance de Superman en 1938, science-fiction comme sup­ port, attrait et ressort principal de toutes les aventures de super-héros. Superman venait d’une autre pla­ nète, Krypton ; The Flash dut sa cé­ lébrité à la combinaison accidentelle de produits chimiques; les Quatre Fantastiques furent transformés du­ rant un voyage dans l’espace par l’action de radiations inconnues; la naissance de Hulk fut le résultat d’une explosion atomique... Aux Etats-Unis, la science-fiction se concentra ainsi dans les comic books, les comic strips conservant leurs principaux héros nés dans les années 30 et 40, Flash Gordon, Brick Bradford, et n’utilisant plus les gadgets et les décors habituels du genre que de façon accidentelle. Quelques rares bandes relevant strictement du genre virent le jour, ainsi « Beyond Mars » de Lee Elias et Jack Williamson, « Sky Masters » de Jack Kirby et Wallace Wood (1958-1960) ou «Twin Earths» d’Alden McWilliams et Oscar Lebeck, d’une relative durée (19531963, UFS). En 1977, Gil Kane et Ron Goulart ont lancé «Star Hawks » (NEA). Mais de telles ban­ des n’ont jamais connu de véritable succès. Dans les comic strips, c’est dans d’autres pays et en particulier en Angleterre que la science-fiction connut une nouvelle vogue. Déjà, depuis 1943, «Garth» de Steve Dowling était devenu l’un des at­ traits principaux de la page de ban­ des dessinées du Daily Mirror, puis en 1954 «JefTHawke» de Sidney Jordan apparut dans le Daily Ex­ press, ce très beau space-opera se spécialisant dans les extraterrestres les plus biscornus et les plus étran­ ges et sa sophistication, au niveau du récit et du dessin, en faisant ra­ pidement l’un des chefs-d’œuvre de la science-fiction en bande dessinée. Toujours en Angleterre un autre héros, Dan Daré de M. Morris et Frank Hampson, fit le succès du magazine Eagle (1950), un hebdo­ madaire qui servit de modèle quel­ ques années plus tard pour le lan­ cement de Pilote. L’Angleterre et le reste de l’Europe avaient d’ailleurs semblé depuis la fin des années 30 destinés à pren­ dre peu à peu la relève des EtatsUnis dans leur exploitation de thè­ mes de science-fiction. Flash Gor­ don, Brick Bradford, Buck Rogers

traversèrent l’Atlantique peu après leur naissance et servirent de mo­ dèles et d’idéal à toute une généra­ tion d’illustrateurs. En Italie, il y eut « Les Conquérants de l’Avenir » de Cesare Avai (1936), «Saturne contre la Terre» de Giovanni Scolari (1937) et « Korgan le Magicien de la forêt morte » de Walter Mo­ lino (1939). En France apparurent « Kaza le Martien » de Kline (1948), « Guerre à la Terre» d’Auguste Liquois et Marijac (1946), «Les Pionniers de l’Espérance » de Roger Lecureux et Raymond Poïvet (1945), «Futuropolis» de Pellos (1937). En Belgique, Tintin d’Hergé et les héros d’Edgar Pierre Jacobs vé­ curent de nombreuses aventures de science-fiction. Plus récemment, en 1962, la « Barbarella » de Jean-Claude Forest de­ vint exemplaire du space-opera à la française, traversa même l’Atlanti­ que, et devait donner naissance à toute une vague de héros et surtout d’héroïnes : Scarlet Dream de Gigi et Moliterni ; Lone Sloane de Phi­ lippe Druillet (1967); et les Italien­ nes de l’espace Auranella, Selene, Alika dans les fumetti neri. Au­ jourd’hui, en France, c’est surtout dans des rares numéros spéciaux de Pilote et dans Métal hurlant que la science-fiction trouve son expres­ sion dessinée la plus intéressante, avec Druillet, Moebius, Bilal, Auclair, Dennis Sire, Paul Gillon et beaucoup d’autres dont ce genre est devenu le champ d’expression unique.

SEGAR Elzie Crisler (1894-1938)

(ISA

Né à Chester (Illinois) le 8 décem­ bre 1894, Elzie Crisler Segar gran­ dit en même temps que les comics s’affirmaient, si bien qu’il voulut très tôt devenir cartoonist. Tout en étant projectionniste, il suivit les cours par correspondance de la Evans School. Il fut également batteur dans quelques orchestres de danse et photographe pour le journal local. Avec son diplôme de la Evans, il vint à Chicago où R.F. Outcault, favorablement im­ pressionné par ses dessins, lui pro­ cura une place au Chicago Herald.

Là, il eut à poursuivre la série (daily strip et Sunday page) « Charlie Cha­ plin’s Comic Capers », créée anony­ mement par divers cartoonists du Herald (à la même époque, Ed Ca­ rey, pour le McClure, ayant repris une bande de C.H. Wellington, « Pa’s Family and Their Friends», y introduisit également le person­ nage de Chaplin, de 1915 à 1918). Segar publia sa bande en 1916 et 1917 et innova même, par rapport aux films de Chaplin, créant des scénarios originaux et faisant, en 1917, de Chaplin un soldat de la Première Guerre mondiale. Après que Chaplin eut repris son autori­ sation, Segar continua en imaginant une nouvelle série fort proche, « Barry the Boob », sur un soldat particulièrement débile. En 1918, il fut engagé par Hearst au Chicago American. Il y créa un strip verti­ cal, « Looping the Loop », un com­ mentaire des divers événements lo­ caux, qui connut un franc succès. Appelé par Hearst à New York en 1919, Segar crée, dans le NY Jour­ nal, un nouveau strip, « The Thim­ ble Theatre». Paru pour la pre­ mière fois le 27 décembre 1919, ce daily strip s’inspirait des «Midget Movies» d’Ed Wheelan (cf. CI­ NEMA) et présentait des mélodra­ mes burlesques dans la lignée des serials de l’époque. Bientôt Segar privilégia certains personnages, la maigre Olive Oil, son frère Castor et son petit ami Ham Gravy. Hearst demanda à Segar de créer un autre daily strip pour NY American. Ce fut « The Five-Fifteen » (du nom du train que prenait son héros), un fa­ mily strip centré sur les querelles de John Sappo et de sa femme Myrtle, qui débuta le 24 décembre 1920 et qui, par la suite, fut retitré « Sappo ». Lorsque Segar ajouta un Sunday page au « Thimble Theatre » en 1925, « Sappo » devint peu après, en 1926, le top de ce Sunday page, et cessa de paraître en daily strip. Au cours des années 30, « Sappo » évolua, surtout avec l’apparition du Professeur O.G. Wottasnozzle, vers une science-fiction burlesque, avec voyage dans l’infiniment petit et le système solaire. Le « Thimble Theatre », de son côté, présenta des aventures de plus en plus longues et complexes avec des héros laids, stupides et souvent antipathiques qui permettaient à Se­ gar de donner libre cours à son hu­ mour cynique et ravageur. Le strip était déjà d’un haut niveau de drô­ lerie lorsque, le 17 janvier 1929, un nouveau personnage apparut, un marin borgne nommé Popeye. Très vite, il prit la vedette, devenant le soupirant attitré d’Olive Oil, relé­

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guant dans l’oubli le malheureux Ham Gravy. Les histoires devinrent encore plus folles et violentes. Grâce à une poule magique appa­ rue dès 1928, « Whifïle Hen», Popeye fut doué d’une force peu commune qu’il accrut par la suite en ingurgitant des épinards (en fait, ceux-ci ne jouèrent qu’un rôle très secondaire dans les strips de Segar et furent surtout popularisés par les dessins animés de Max Fleischer). Popeye se fit également remarquer par son langage déformé (inspiré à Segar par les babillages de sa fille). Mais Segar sut créer un univers at­ tachant autour de son nouveau hé­ ros, avec son père, individu fruste et désopilant dont il avait perdu la trace, Poopdeck Pappy; Toar, le bon géant ; The Sea Hag, la sor­ cière; Alice the Goon; Swee’pea, fils adoptif de Popeye ; Roughouse, le gargotier; Eugene the Jeep, un nouvel animal magique, capable de lire l’avenir; et, surtout, l’impertur­ bable, le misérable, le toujours af­ famé J. Wellington Wimpy, di­ plômé ès hamburgers, l’une des créations les plus réjouissantes de toute l’histoire de la BD. Car le gé­ nie de Segar fut justement dans sa capacité à concevoir une humanité certes peu reluisante, mais tellement vivante. Il y eut, dans le «Thimble Theatre », un art du découpage inouï, une façon de casser la succes­ sion attendue des vignettes selon un rythme syncopé dont on ne trouve guère ailleurs d’exemple, bref, un modèle de littérature graphique au­ jourd’hui encore inégalé. Segar mourut le 13 octobre 1938. Dans les années 30, Bud Sagendorf devint son assistant, mais lorsqu’en 1937 Segar, malade, se retira mo­ mentanément, ce fut Doc Winner qui lui servit de « ghost ». A sa mort, après un bref intermède de Joe Musial, Winner reprit la bande jusqu’en 1939 ; Bêla Zaboly (qui ve­ nait de la NEA où il avait assuré l’intérim de «Our Boarding House ») lui succéda et signa la sé­ rie, Tom Sims assurant les scéna­ rios, jusqu’en 1959 (les daily strips étant écrits, cependant, depuis

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1954, par Ralph Stein). Bud Sagen­ dorf, depuis 1959, assure la totalité des daily strips et sunday pages de «Popeye». Un comic book existe, réalisé par George Wildman. Mais Segar, bien entendu, est demeuré irremplacé. « Sappo », de son côté, fut poursuivi par Winner, puis par Za­ boly, et se termina en mai 1947.

SEMPÉ Jean-Jacques (1932-

)

F

Né le 17 août 1932 à Pessac (Gi­ ronde). Il abandonne assez tôt ses études et exerce divers métiers (il travaille entre autres chez un cour­ tier en vins). En 1951, il place quel­ ques dessins dans Sud-Ouest sous le pseudonyme de Drô. La même an­ née, il part faire son service militaire à Paris et collabore au Rire et à Noir et Blanc, puis à Ici-Paris, ParisMatch, L’Express, Marie-Claire, Le Figaro, Elle, Lui... ainsi qu’à un cer­ tain nombre de revues étrangères (Punch, Stern, Linus, Life, The New York Times...). Ses dessins satiri­ ques, réunis en albums à succès, brocardent sans acrimonie un petit monde familier de P-DG fatigués, d’intellectuels snobinards, de jeunes loups de la publicité et du marke­ ting, de play-boys tropéziens et de ménagères suspendues aux révéla­ tions de la presse du cœur. Sempé est un des meilleurs chroniqueurs de notre temps, dont il dénonce les valeurs frelatées : esprit moutonnier du Français moyen, dictature des modes intellectuelles et artistiques, stupidité des jeux télévisés et cuis­ trerie des émissions culturelles, ur­ banisation à outrance menant au saccage du territoire, information détournée par la publicité pour le plus grand profit de la consomma­ tion. La satire, quoique jamais ap­ puyée, atteint toujours sa cible. Le trait, d’une spontanéité et d’une vi­ vacité qui gomment toute trace d’ef­ fort (Sempé avoue pourtant recom­ mencer parfois ses dessins trente ou quarante fois), excelle à représenter

l’individu noyé dans une foule im­ mense ou écrasé par un décor lour­ dement rococo ou glacialement fonctionnel. Les rapports entre l’humour graphi­ que de Sempé et la bande dessinée apparaissent clairement dans la structure séquentielle d’un grand nombre de ses cartoons. D’autre part, il lui est arrivé de réaliser de véritables bandes : à partir de ses dessins parus dans Le Moustique en 1956-1958, il a conçu avec René Goscinny la bande « Le Petit Nico­ las», reprise par la suite sous la forme de textes illustrés dans SudOuest et Pilote. Quant à « L’Ascen­ sion sociale de Monsieur Lambert », publiée par L’Express en 1972, elle racontait la carrière à l’intérieur de son entreprise d’un nouvel avatar du «petit homme» cher à Sempé, et la transformation consécutive de ses rapports avec ses collègues. Cette évolution était mise en paral­ lèle avec 1’« aménagement » du quar­ tier où ils travaillaient et la moder­ nisation du petit restaurant où ils prenaient leurs repas, façon pour Sempé de nous représenter en une sorte de capsule les changements en train de s’opérer dans notre société.

SERVAIS Jean-Claude (1956-

)

B

Quel que soit le temps, haut Moyen Age ou environs de 1900, sur ses propres récits ou sur ceux de Gé­ rard Dewamme, Servais peint des tragédies paysannes. Non qu’elles aient toutes pour personnages des paysans au sens propre, mais plu­ tôt des gens de la terre, hobereaux, servants et servantes, bourgeois et notables, vagabonds, elfes et fées, sorcières et vieilles gens dont les ri­ des renvoient aux sillons de la cam­ pagne belge. En quelques années, depuis 1979 et la naissance de Vio­ lette dans les pages de (A suivre), sur un scénario de Dewamme, Servais qui débute dans Tintin en 1978 s’est fait une place dans la bande dessi-

l'cndrc Violette

née, à force de visages, de silhouet­ tes, de paysages qui demeurent lors­ que les histoires disparaissent de la mémoire : «I.a Tchalette» (Lom­ bard, 1982); «Iriacynthe» (Bédescope, 1982); « Isabelle» (Lombard, 1981) ; et surtout Violette avec «Tendre Violette» (Casterman, 1982) , «Malmaison» (1984) et « L'Alsacien » ; et un livre d’illustra­ tions, « Accordailles », ces fiançail­ les qui riment avec semailles.

SEVERIN John Powers (1921) USA Artiste précis et consciencieux, sans les fioritures ni les essais de style de certains de ses confrères, mais avec une solidité et une rigueur à toute épreuve, Severin s’est fait une spé­ cialité des westerns et des histoires de guerre, ne donnant que peu dans le super-héros (« Hulk » et « SubMariner » pour Marvel dans les an.nées 60). S’il peut s'accommoder de scénarios d’humour, comme l’a prouvé son travail pour Crackcd et pour Mad, il revient toujours au western et même certaines bandes fantastiques réalisées pour Warren ne quittaient pas ce genre. De même, il semble considérer « King Kull » et « Conan » comme les ancêtres des cowboys américains, en donnant une version très différente de celle de John Buscema, de Barry Smith ou de Mike Ploog. Pour Marvel, il a dessiné depuis 1948 « Two (îun Kid», « Ringo Kid », « Black Rider », « Kid Colt », « Rawhide Kid », « Wyatt Earp »... ; pour LC, de 1951 à 1955, des his­ toires dans Two Ftstcd Taies et Front/ine Combat; pour Charlton « Billy The Kid»; pour National « The I.osers » et « Sgt Rock».

SHELTON Gilbert (1940-

)

USA

Né le 31 mai 1940 à Dallas (Texas), c’est tout naturellement dans le Texas Ranger, magazine de l’univer­ sité de Houston, qu’il publie ses premiers dessins humoristiques, puis dans Baehanal les premiers épi­ sodes de «Wonder Wart Hog» (1961), sur un scénario de Bill Kileen. Le personnage réapparaît un peu plus tard dans le Ranger, Char­ latan, puis dans le célèbre Help de Harvey Kurtzman (1965), avant d’être repris par de nombreux jour­ naux de la presse marginale. C’est le premier des anti-super-héros de l’underground américain : «Won­ der Wart Hog», «The Hog of Steel », est une caricature de Super­ man, dissimulé sous l’apparence de Philibert Desanex, minable petit re­ porter ; lorsqu’une « noble cause » le réclame, il jaillit de son costume à carreaux, quitte ses lunettes, laisse apparaître son énorme groin. Car Wonder Wart Hog, super-flic, est un super-porc, bête et méchant, champion de la répression, chauvin et réactionnaire, un misérable super-héros qui ne trouve satisfac­ tion que dans la violence et qui (Wilhem Reich est passé par là...) est doté d’un pénis minuscule, tirebouchonné comme une queue de cochon. Par la suite, le personnage évolue sous l’influence de la drug­ culture, s’humanise, fréquente en sympathisant les festivals pop où il rencontre Janis Joplin! En 1967, Shelton publie le premier épisode des « Fabulous Furry Freak Brothers » dans le magazine under­ ground texan /lustin Rag. Très vite, ces personnages vont conquérir la jeune génération : Phinéas, le gau­ chiste aux cheveux broussailleux, Freewheeling Franklin le cow-boy psychédélique, et Fat Freddy, astu-

cieux et gaffeur, dont les géniales as­ pirations tournent le plus souvent à la catastrophe, sont unis par leur goût immodéré des drogues douces. Un quatrième personnage a inspiré des strips parallèles aux aventures des trois compères : c’est le chat de Fat Freddy, animal vicieux et mal élevé, d’une redoutable indépen­ dance de caractère (dessiné parfois avec la collaboration de Dave Sheridan). Shelton a tracé là, d’un trait vif et acéré, visant avant tout l’effi­ cacité et l’humour, un tableau dé­ sopilant de l’univers des marginaux américains, évoquant sur un mode gentiment satirique tous les sté­ réotypes de la contre-culture : la drogue, bien sûr (comment s’en pro­ curer : tel est le problème fonda­ mental de ces modernes Pieds Nic­ kelés), mais aussi l’écologie, le refus du service militaire, les manifesta­ 1»7». sb

I.es Freak Brothers

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tions politiques, et même le droit à la paresse !... En dehors de ces créations qui ont fait de lui, avec Robert Crumb, l’un des plus populaires parmi les des­ sinateurs des comix, Shelton a réa­ lisé des posters, publié quelques bandes satiriques (parodies de Dick Tracy ou des orphan strips, criti­ ques sociales et politiques) et des bandes en forme de comptines, blues ou nursery rhymes mis en images. Il a depuis longtemps quitté son Texas natal pour vivre à San Francisco, et a été publié dans de nombreux magazines qui vont de Esquire à High Times, ainsi que dans un nombre incalculable de comic books underground (Rip Off Comix, 1976-1977, et « Give Me Liberty », album parodique publié pour le bi­ centenaire des USA en 1977, etc.).

SHÜSTER Joseph (Joe) (1914-

)

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