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French, German, English Pages 192 [198] Year 2014
Éric Bussière / Michel Dumoulin / Sylvain Schirmann (éds.)
Économies nationales et intégration Européenne Voies et Étappes
SGEI – SHEI – EHIE
EI SGEI HEI SHEI HIE EHIE Geschichte
Franz Steiner Verlag
Éric Bussière / Michel Dumoulin / Sylvain Schirmann (éds.) Économies nationales et intégration Européenne
Studien zur Geschichte der Europäischen Integration (SGEI) Études sur l’Histoire de l’Intégration Européenne (EHIE) Studies on the History of European Integration (SHEI) ––––––––––––––––––––––– Nr. 3 Herausgegeben von / Edited by / Dirigé par Jürgen Elvert In Verbindung mit / In cooperation with / En coopération avec Charles Barthel / Jan-Willem Brouwer / Eric Bussière / Antonio Costa Pinto / Desmond Dinan / Michel Dumoulin / Michael Gehler / Brian Girvin / Wolf D. Gruner / Wolfram Kaiser / Laura Kolbe / Johnny Laursen / Wilfried Loth / Piers Ludlow / Maria Grazia Melchionni / Enrique Moradiellos Garcia / Sylvain Schirmann / Antonio Varsori / Tatiana Zonova
Éric Bussière / Michel Dumoulin / Sylvain Schirmann (éds.)
Économies nationales et intégration Européenne Voies et Étappes
Franz Steiner Verlag
Bibliografische Information der Deutschen Nationalbibliothek: Die Deutsche Nationalbibliothek verzeichnet diese Publikation in der Deutschen Nationalbibliografie; detaillierte bibliografische Daten sind im Internet über abrufbar. ISBN 978-3-515-10795-2 (Print) ISBN 978-3-515-10803-4 (E-Book) Jede Verwertung des Werkes außerhalb der Grenzen des Urheberrechtsgesetzes ist unzulässig und strafbar. Dies gilt insbesondere für Übersetzung, Nachdruck, Mikroverfilmung oder vergleichbare Verfahren sowie für die Speicherung in Datenverarbeitungsanlagen. © 2014 Franz Steiner Verlag, Stuttgart Gedruckt auf säurefreiem, alterungsbeständigem Papier. Druck: Bosch Druck, Ergolding Printed in Germany
Table des matières / Inhaltsverzeichnis / Table of Contents ÉRIC BUSSIÈRE / MICHEL DUMOULIN / SYLVAIN SCHIRMANN Introduction / Einleitung / Introduction ................................................................... 7 NADJIB SOUAMAA La loi de huit heures. Un débat autour d l‘idée d’Europe sociale (1918-1932) .... 13 LAURENT WARLOUZET La politique européenne de la France du général de Gaulle reconsidérée : les objectifs économiques français envers le Marché Commun (1958-1969) ............ 31 DAVIDE BURIGANA / PASCAL DELOGE / ANDREA PIEROTTI / PIERRE-LUC PLASMAN L’aéronautique militaire en Europe, entre dimension nationale, intégration européenne et coopération atlantique (1948-1990) .................................................. 47 PAOLO TEDESCHI L‘ Europe à tout prix? Les entrepreneurs lombards face aux premières étapes du processus d’intégration : du Plan Schuman à la naissance de la PAC............ 71 EMILIE WILLAERT LA BEI et l‘intégration économique européenne : des missions en évolution, de sa création aux années 1980. .................................................................................. 77 BIRTE WASSENBERG Les acteurs économiques et la coopération économique transfrontalière dans l’espace du Rhin supérieur dans les années 1960 à 1990 ........................................ 99 PIERRE TILLY La place de l’acteur syndical dans le dialogue social européen, de la CECA aux années 1980 .......................................................................................................... 119 ANDREA M. LOCATELLI The social security cost in the european integration ............................................. 141 MATTHIEU TROUVE L’Espagne et l’intégration économiques européenne ........................................... 155 PETR PAVLIK Process of integration of the Czech economy into the EU and selected problems of the Czech economic transformation .................................................. 171 Index des auteurs /Autorenverzeichnis/Index of authors ................................. 191 ZUR REIHE „STUDIEN DER GESCHICHTE DER EUROPÄISCHEN INTEGRATION“ ....... 193 CONCERNANT LA SERIE « ÉTUDES SUR L’HISTOIRE DE L’INTÉGRATION EUROPÉENNE » ................................................................................. 195 ABOUT THE SERIES “STUDIES ON THE HISTORY OF EUROPEAN INTEGRATION” ...... 197
INTRODUCTION ERIC BUSSIÉRE, MICHEL DUMOULIN, SYLVAIN SCHIRMANN L’historiographie de la construction européenne a posé à maintes reprises la question des interdépendances entre acteurs du processus d’intégration en cherchant la part qui revenait aux uns et aux autres. Les contributions ici réunies interrogent les acteurs de cette histoire dans leur diversité : institutions communautaires, acteurs régionaux, entreprises et syndicats, États. Le rôle de ces derniers est premier quant à la décision de s’engager au sein du processus communautaire, qu’il s’agisse de l’Italie et de la France dans les années 1950, de l’Espagne et de la République Tchèque depuis les années 1980 et 1990. Mais leur capacité à conduire le processus et la nature de leur choix doivent être également analysées eu égard au rôle d’autres acteurs et au modèle d’Europe recherché. Le poids du facteur national est en effet prégnant à travers tous les champs du cadre et du projet communautaire. C’est le cas de la dimension sociale de l’Europe où la montée en puissance des législations nationales de l’Étatprovidence a en partie stérilisé un projet d’Europe sociale en gestation depuis le début du siècle. C’est aussi le cas d’un secteur industriel, celui de l’aéronautique militaire, où les considérations de sécurité nationale et de politique industrielle jouent plus que pour d’autres, mais aussi des relations transfrontalières où le cadre national peut freiner les dynamiques de terrain. Les instruments communautaires, étudiés ici à travers le cas de la Banque européenne d’investissement, doivent également trouver les voies de la synthèse entre dynamique de l’intégration et cadre national. L’analyse des expériences italienne et française des années cinquante et soixante est révélatrice de la nature ambivalente des rapports entretenus par les acteurs nationaux, pouvoirs publics et monde des entreprises, avec le projet communautaire. Si l’on attend dans les deux cas du marché commun l’exercice d’une pression externe en vue d’objectifs de rénovation économique nationale, le jeu s’inverse selon les rapports de force du moment entre acteurs publics et privés. Dans la France du général de Gaulle, l’État souhaite jouer de l’effet de levier que représente la concurrence européenne pour imposer les réformes nécessaires à la modernisation des structures économiques nationales. C’est la concurrence européenne combinée aux réformes économiques engagées qui doit créer les conditions des mutations recherchées. En Italie, les industriels lombards appréhendent le marché commun comme une opportunité de développement de leur activité et une exigence de modernisation nécessaire mais aussi comme un levier à l’égard des pouvoirs publics en vue d’inflexions de politique économique : moindre charges fiscales sur le secteur privé, réformes de la gestion des holdings d’État. Cette spécificité des approches relève sans doute moins de caractéristiques nationales que des capacités respectives d’impulsion des acteurs concernés à un moment donné: les positions du patronat lombard vis à vis du projet communautaire s’apparentent en effet à celles du patronat français face aux gouvernements de la IVe République finissante à qui l’on reprochait de mener une politique économique en contradiction avec leurs engagements européens. Cet effet de levier sera à nouveau à l’œuvre au cours des années 1980 lorsque la mise
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en place du «grand marché» puis celle de l’Union économique et monétaire sera l’occasion en France comme en Italie d’un jeu de pression complexe entre acteurs politiques et économiques en vue de provoquer les réformes exigées par ces deux objectifs mais qu’en en tout état de cause le contexte du moment rendait indispensables. À une génération de distance, les expériences espagnole et tchèque renouent avec la stratégie de l’effet de levier. La perspective de l’entrée de l’Espagne dans le marché commun mais aussi celle de la sortie du franquisme, du dirigisme économique et du repli sur soi expliquent le mouvement de réforme engagé depuis les années 1960 à l’initiative de l’État guidé par les technocrates de l’opus dei. Les efforts d’ajustement opérés par le gouvernement socialiste au cours des années 1980 s’insèrent dans la continuité de cette première expérience même si ces efforts trouvent une bien plus grande légitimité du fait de l’installation de la démocratie. Le thème du retour à l’Europe qui sert de soutien fondamental à la démarche espagnole depuis le début du siècle est également fortement posé au sein des pays tchèques au cours des années 1990. Il se fait dans un contexte où la transition démocratique et économique impose de rudes réformes à la société. L’objectif européen joue donc aussi dans l’Europe centrale en transition un rôle moteur pour justifier les efforts demandés aux acteurs de l’économie ainsi qu’aux populations. Mais la nature des choix proposés et mis en œuvre changent des années 1960 aux années 1990. Dans le cas des deux pays fondateurs, l’on se positionne en faveur d’une voie moyenne » et maîtrisée du processus d’intégration: progressivité, programmes d’adaptation des structures économiques, sociales et régionales. En Italie on compte sur le Fonds social européen et sur la Banque européenne d’investissement pour permettre la modernisation économique, en particulier celle du Sud, et ainsi éviter que des charges trop lourdes ne pèsent sur les régions et les secteurs les plus dynamiques du pays. En France on cherche à associer une concurrence que l’on juge nécessaire et une tolérance à l’égard des ententes entre entreprises ainsi qu’à l’égard de certaines aides nationales ou communautaires. Français et Italiens souhaitent aussi promouvoir les politiques communes, politique industrielle ou politique régionale, comme stratégies d’accompagnement du processus d’intégration économique. La transition se fait dans des conditions différentes en Espagne mais surtout dans la République Tchèque. Dans les faits l’arrimage économique au cœur de l’Europe communautaire présente de fortes similitudes entre les deux cas marqués par la réorientation des flux commerciaux et d’investissement. Mais les choix assumés par l’Espagne des années 1980 ont été préparés depuis les années 1960 à l’époque de l’accord d’association. La mutation est plus brutale en République Tchèque du fait du contexte politique et de la stratégie de transition rapide qui a été choisie. On constate ainsi un fort décalage entre les options française et italienne des débuts de la construction européenne qui reposent sur un processus que l’on veut maîtriser et progressif et les objectifs des années 1990 en Europe centrale. La dimension sociale participe également d’un processus d’intégration européenne volontaire et maîtrisé. Associée dès l’origine au projet européen, elle trouve cependant difficilement les moyens d’affirmer son autonomie par rapport à la dimension économique de ce dernier. Cette subordination s’installe déjà à
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travers les réflexions qui conduisent à la rédaction de la partie XIII du Traité de Versailles qui institue l’OIT et le BIT. Les hommes qui l’inspirent ont pour une part construit leur démarche sur l’expérience qu’a représenté pour eux l’«union sacrée» et la mobilisation industrielle qu’elle a rendue possible. Subordonné à l’économique à travers l’effort de guerre, le social l’est aussi dans les considérations relatives aux distorsions de concurrence que peuvent induire les différences de législation sociale au détriment des pays les plus avancés en ce domaine. Le débat sur la durée du travail et l’histoire de la ratification de la convention de Washington au cours des années 1920 illustrent cette dépendance: les impératifs économiques fixent les limites du projet de législation internationale du travail en Europe. Les traités qui suivent la deuxième guerre mondiale obéissent à cette même logique mais de manière inverse. Si le traité de CECA fait une plus large place à la dimension sociale que le traité CEE, la finalité de l’un comme de l’autre est économique et c’est avant tout de l’expansion de la richesse créée qui doit induire le progrès social. Les moyens d’action que les traités placent entre les mains des institutions sont destinés à corriger les excès que la concurrence peut entraîner sur le niveau de vie des populations, sur les secteurs et les régions les moins bien dotées en visant pour l’essentiel à la réintégration des acteurs concernés dans le circuit économique. Depuis les années 1970 et surtout 1980 le changement d’échelle lié au projet de «grand marché» pose la question d’un même changement d’échelle dans le domaine social mais aussi dans la définition des politiques économiques, en particulier à l’époque de J. Delors. Le cadre national reste pourtant la référence dans la longue période. Il l’est depuis le début du siècle pour des raisons de sécurité. Le fait qu’un cadre institutionnel favorable au travail peut se révéler être un handicap en cas de conflit armé est présent dans les débats de la fin du XIXe siècle puis du premier aprèsguerre. En 1950 Schuman et Monnet cherchent à désolidariser facteurs économiques et facteurs politiques et militaires à travers la création de la CECA. Si l’on attend de cette dernière comme de la CEE un relèvement du niveau de vie des travailleurs c’est aussi parce que la durée et les conditions de travail ne sont plus considérées comme des facteurs de sécurité nationale. Toutefois, les politiques sociales des années 1950 et 1960 restent largement inscrites dans des traditions et des cadres nationaux que les procédures communautaires ne viennent guère contrarier puisqu’elles s’insèrent et complètent le plus souvent les premiers. Les modèles nationaux de welfare state se trouvent ainsi consolidés. Il en résulte la grande faiblesse de la coopération syndicale si on la compare à la capacité plus grande des organisations de producteurs à dialoguer et à définir des positions communes selon l’ancienne tradition des ententes industrielles. Les difficultés et confrontations relatives à la dimension sociale du projet communautaire s’inscrivent autant sinon plus dans des clivages nationaux que selon des clivages idéologiques, au moins jusqu’au début des années 1970. Le cadre national est donc souvent un frein à l’épanouissement du cadre communautaire, parfois avec l’appui des structures représentatives du monde du travail lui-même, parfois avec l’appui des milieux patronaux. Le cas de l’aéronautique militaire revêt des caractéristiques spécifiques par rapport à la plupart des autres secteurs de l’industrie étant donné son impact en termes de sécurité nationale. Les choix des entreprises concernées relèvent donc assez largement de considérations de nature politique inspirées par les États. Si chaque État souhaite préserver l’existence d’une industrie aéronautique nationa-
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le, notamment face à la puissante industrie américaine, les divergences apparaissent quant à la méthode à employer pour y parvenir. La solution communautaire est définie en 1975 selon des modalités inspirées du modèle de politique industrielle du mémorandum Colonna de 1970: unification du marché, regroupement des commandes publiques, encouragement aux fusions entre constructeurs nationaux. Mais jusqu’aux années 1980, les politiques de nature coopérative l’emportent dans la mesure où elles semblent permettre de concilier des ambitions pour partie contradictoires. Les grands États sont animés par la volonté d’aider leur industrie à rester acteur global pour des raisons relevant tout à la fois de la sécurité nationale, de l’indépendance technologique et d’impératifs industriels. Mais ils sont aussi conscients de la nécessité du changement d’échelle qu’implique le coût croissant des équipements. Les grands pays recherchent donc depuis les années 1950 à travers la coopération la solution qui leur permet, dans un cadre européen, de préserver leur savoir-faire national et d’exister face à l’Amérique. Dans les petits pays, la taille des entreprises concernées leur offre paradoxalement plus de latitude par rapport aux pouvoirs publics et le conduit à opter pour des activités de sous-traitance ou de niche dans le cadre de partenariats avec de grands constructeurs. Le partenariat américain s’est ainsi longtemps imposé pour ces derniers comme une nécessité. Les évolutions que connaît l’aéronautique militaire depuis les années 1950 illustrent ainsi le caractère ambivalent des liens entre déterminants économiques et politiques du processus d’intégration. Les objectifs des États comme ceux de l’Union européenne relèvent tout à la fois de considérations politiques et industrielles. Les liens entre ces deux facteurs sont ambivalents dans la mesure où les impératifs politiques induisent les stratégies industrielles mais également où les données industrielles déterminent les options politiques. La coopération régionale dans l’espace du Rhin supérieur pose la question de l’intégration au sein d’un même espace de régions frontalières aux profils économiques originellement assez différents. Dans la mesure où l’on souhaite que cette intégration conduise au rapprochement des structures économiques et des niveaux de développement dans un cadre maîtrisé, se trouve posée la question de l’adaptation des structures de décision à un tel projet. La question est rendue complexe du fait de la grande diversité des acteurs en présence et des différences de structures institutionnelles entre espaces nationaux voisins. L’expérience de la coopération entre les trois régions frontalières du Rhin supérieur montre que celle-ci relève pour l’essentiel des initiatives des acteurs de terrain qu’il s’agisse des chambres de commerce, des universités puis des acteurs politiques une fois ceux-ci dotés des moyens d’action et des compétences nécessaires. La tentative de transfert des compétences de la coopération à l’échelon national voulue par l’État en France au cours des années 1970 a de fait stérilisé la coopération transfrontalière avant que la régionalisation ne favorise la reprise de la dynamique. La Banque européenne d’investissement (BEI) se trouve, à travers ses missions, à l’intersection de l’ensemble des acteurs et des problématiques dont il est question dans cet ouvrage. Son action recoupe tout à la fois les politiques régionales et les politiques sectorielles, les logiques nationales et communautaires. Les moyens dont elle s’est dotée et les procédures qu’elle a mis en œuvre pour remplir ses missions lui ont permis de se situer entre logique de marché et intervention volontariste sur les structures.
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Si le financement des régions en retard de développement représente une priorité depuis la création de la banque, ses autres domaines d’intervention, financement d’infrastructures, d’activités nouvelles dans des zones de reconversion, prennent plus d’importance au cours des années 1970-1980 du fait des nouveaux enjeux que représentent la crise économique et les mutations structurelles qu’elle implique. Ces projets d’intérêt régional ou communautaires s’insèrent le plus souvent dans des programmes nationaux qui offrent à la BEI l’assurance de cadres d’action cohérents et intégrés combinés aux garanties financières dont elle a statutairement besoin. L’activité de la BEI est donc le produit d’une synthèse permanente entre cadre national et communautaire, entre objectifs sectoriels et régionaux. Cette action de compromis s’insère pourtant dans une dynamique dans la mesure où, à travers les politiques qu’elle a conduites, la BEI a souvent anticipé la mise en œuvre de politiques communes que les États avaient eu parfois des difficultés à formuler et à mettre en œuvre. C’est le cas de la politique régionale avant la mise en place du FEDER, d’éléments de politique industrielle et énergétique que la Commission avait cherché à promouvoir sans réellement y parvenir au cours des années 1970. L’ensemble des cas présentés dans cet ouvrage montre à quel point le sens des interactions entre acteurs européens échappe à tout déterminisme. Le processus d’unification de l’Europe peut ainsi être assimilé à un cadre au sein duquel se développent dynamiques propres aux acteurs économiques, aux institutions communautaires, aux États. Le sens de ces pressions évolue en fonction de contextes et de rapports de force entre acteurs éminemment variables même si le cadre national et le rôle des États représentent la donnée structurante des débats et des politiques jusqu’aux années 1970. Les difficultés de lecture et d’interprétation du processus d’intégration résident ainsi dans une double incertitude. D’une part entre un projet libéral à finalité universelle où les forces du marché sont les principaux moteurs des mutations structurelles et un projet régionaliste à finalité politique passant par la mise en place d’une unification économique progressive et maîtrisée. D’autre part entre une voie fondée sur une logique coopérative laissant largement le soin aux États de réguler les mutations avec le risque de provoquer une série de blocages, et une voie fondée sur une logique laissant aux institutions européennes le soin de conduire le processus. Les incertitudes permanentes entre ces voies et le contexte propre à chaque espace et segment d’Europe expliquent le caractère souvent contradictoire du jeu des acteurs et des analyses qu’il suscite depuis plus de cinquante ans de construction européenne.
Einleitung Die Nationalstaaten spielen in allen Bereichen des europäischen Projekts eine wichtige Rolle. Europäische Instrumente müssen daher versuchen die Dynamik der Integration mit dem nationalen Rahmen zu verbinden. Nationale Akteure pflegen ein ambivalentes Verhältnis zum europäischen Projekt, wie es die Fälle, die in diesem Band vorgebracht werden, zeigen. Wenn der nationale Rahmen seit Anfang des 20. Jahrhunderts der wichtigste bleibt, dann geschieht dies hauptsächlich aus Sicherheitsgründen. Sowohl Wirt-
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schaftspolitik als auch Sozialpolitik sind Teile dieses Kontextes und tragen zur Konsolidierung der nationalen Modelle des Wohlfahrtstaates bei. Der nationale Rahmen ist somit oft ein Hindernis bei der Entwicklung der europäischen Vorschriften, mal durch die repräsentativen Strukturen der Arbeitswelt selbst, mal durch das Umfeld der Arbeitgeber. Die großen Staaten helfen damit immer ihren Industrien als Global Player in der Welt zu bestehen. Auf Grund der steigenden Kosten im nationalen Rahmen sind sie sich aber auch der Notwendigkeit bewusst, den Maßstab ändern zu müssen. Seit 1950 versuchen sie Lösungen zu finden, die es Ihnen erlauben, in einem europäischen Kontext ihre Existenz und Macht nach außen zu wahren. Alle in diesem Buch vorgestellten Fälle zeigen, dass die Bedeutung der Interaktionen zwischen den europäischen Akteuren allem Determinismus entweicht. Die Interpretation ist schwierig, belastet von einer doppelten Unsicherheit: Zum einen zwischen einem liberalen Projekt, bei dem die Kräfte des Marktes dominieren, und einem politischen, von Regionalismus geprägten Projekt, das eine Einigung Europas zum Ziel hat. Und zum anderen zwischen einem Weg, der den Staaten die Regulierungen der Umwandlung überlässt, und einer Logik, nach der den europäischen Institutionen dieser Prozess zugeschrieben wird. Diese Unsicherheiten machen es möglich, das Spiel der Akteure zu verstehen.
Introduction The weight of the national factor is crucial in all areas of the European project. European instruments therefore have to mediate between the dynamics of integration and the national framework. The experiences brought forth in this volume show that national stakeholders maintain an ambivalent relationship with the European project. If the national framework happens to be the most important one since the beginning of the 20th century, it is mainly due to security reasons. Both economical and social policies are part of this concept and help to consolidate the national models of the welfare state. The national framework is thus often an obstacle for the development of common European regulations, which is sometimes supported by the representative organization of labor, while at other times it is sustained through the interest of the employers. Big states thus help their industries to remain global players. However, due to the rising cost of the national framework’s apparatus these states are also aware of the necessity to change the scale. Since 1950 they have been searching for solutions that allow them to preserve both their existence and their outwardprojection of power in the European context while still being able to hold their ground against the United States and other competing countries. All of the cases presented in this book show that the significance of the interaction between the European players escapes all determinism. The interpretation is difficult and encumbered by a double uncertainty. The first uncertainty is a liberal project in which the market forces dominate. The second one is a political project affected by regionalism, whose goal is the unification of Europe. Between the first road, which leaves the regulation of the transformation up to the states, and the logic of the second one that allows for the European institutions to drive the process, these uncertainties allow for an understanding of the game of the players.
LA LOI DE HUIT HEURES. UN DEBAT AUTOUR DE L’IDEE D’EUROPE SOCIALE (1918-1932). ASPECTS ECONOMIQUES NADJIB SOUAMAA C’est avec la Révolution industrielle que s’est posée la question de la condition ouvrière. Ainsi, au XIXe siècle, des auteurs comme Robert Owen qui constatent une augmentation du temps de travail des ouvriers prônent une intervention de l’Etat afin de limiter à 8 heures la journée de travail. Mais, cette option reste un idéal jusqu’aux années 1880. C’est à la fin du XIXe siècle, marquée par la dépression économique, que la journée de 8 heures devient une revendication internationale. Certains pays mettent en place très tôt une législation allant dans ce sens, c’est le cas de l’Angleterre qui devient ainsi un modèle pour le reste de l’Europe. Les dirigeants de la France d’avant-guerre ont également essayé de légiférer en ce sens. Plusieurs lois réduisent la durée de travail : le décret de 1848 la limite à 12 heures, la loi de 1892 réduit le temps de travail des femmes et des enfants, celle de 1906 définit le repos hebdomadaire. Cependant, les enquêtes officielles révèlent qu’aucune de ces lois n’est réellement appliquée. Pour Patrick Friedenson1, cette absence de respect de la réglementation du temps de travail est liée, notamment, au manque de connaissance des dirigeants de la réalité des pratiques du travail, au manque de contrôle efficace, à la multiplication des exceptions, aux oppositions et aux transactions suffisamment efficaces pour empêcher l’application des lois. Depuis 1893, les inspecteurs du travail considèrent que seule l’unification générale des temps de travail permettra l’application des lois en ce domaine. On peut donc considérer la loi de 1919 comme la première loi française fixant une durée de travail respectée dans son ensemble, comme le révèlent les rapports des inspecteurs du travail. Mais, l’ambition des législateurs va au-delà de la volonté d’unifier le temps de travail sur le territoire national. En effet, la promulgation de cette loi a été encouragée par les événements de 1917. Cette question des 8 heures laissée en suspens pendant la Grande Guerre est vue par les Etats soucieux d’établir une paix durable comme un moyen de freiner l’extension du bolchevisme. Le nouveau gouvernement allemand, par exemple, s’engage dès le 12 novembre 1918 à adopter une loi limitant à 8 heures le temps de travail craignant que la révolution qui mit fin à l’Empire ne se transforme en une répétition de la révolution bolchevique. Cette décision est mal perçue en France où l’on redoute une tentative allemande de paralyser l’appareil de production français en encourageant les grèves. La France se doit par ailleurs de montrer qu’elle reste une puissance soucieuse de défendre l’égalité entre citoyens. A partir de 1919, les débats touchent aussi la scène internationale, grâce à la création du Bureau International du Travail (BIT) et de l’Organisation Internatio1
P. Friedenson et B. Reynaud, La France et le temps de travail (1814-2004). Paris 2004, p. 67-68.
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nale du Travail (OIT)2. La création de ces organisations internationales a été réclamée dès juillet 1916 par les Fédérations syndicales lors de la conférence de Leeds. C’est d’ailleurs durant cette rencontre qu’est élaborée une liste de revendications ouvrières qui devaient être intégrées dans le futur traité de paix dont la limitation de la durée de travail à 8 heures. Ainsi cette question du temps de travail ne se limite plus à un débat national, mais fait l’objet de discussions à l’échelle internationale. Contrairement à ce qu’affirmait le chercheur et conseiller ministériel Alfred Sauvy, la France a participé, durant l’entre-deux-guerres, à la réflexion internationale, son implication a été telle qu’elle est devenue un des pôles des débats sur les 8 heures. Derrière la question du temps de travail se pose en réalité celle d’une « Europe sociale » conçue non comme une institution mais comme un espace réunissant un ensemble de pays autour d’une même législation. Le gouvernement français a d’abord œuvré pour élaborer une loi en vue d’en faire un modèle pour l’ « Europe », étape dans la mise en place d’une législation internationale du travail. Cette loi a très rapidement généré des débats relatifs à la nature même de cette « Europe sociale ». Les oppositions qu’elle suscita ont été si virulentes que ce n’est que sous l’effet de la crise des années 1930 que les 8 heures et l’idée d’un rapprochement européen s’affirmèrent réellement. I. Un débat national et international Dès 1918, le gouvernement français consulte les inspecteurs du travail et les ambassadeurs pour légiférer sur le temps de travail révélant ainsi la volonté de poser un débat à double échelle. A. D’une loi nationale à un nécessaire modèle international La majorité des inspecteurs du travail se montre favorable aux 8 heures, tout en émettant une réserve : la baisse du temps de travail risque d’engendrer une diminution de la production qui profiterait aux pays qui n’ont pas réduit le temps de travail. Cette crainte est partagée par le patronat, mais aussi par les ouvriers français qui redoutent avant tout la concurrence des ouvriers étrangers. Il faut donc que le gouvernement français agisse en vue de l’adoption des 8 heures par les autres Etats afin d’assurer la paix sociale. En réalité les dirigeants français s’inspirent des réflexions des membres d’une « nébuleuse réformatrice »3 dont les
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L’OIT a été créée lors de la conférence de paix en avril 1919. Sa constitution correspond à la Partie XIII du Traité de Versailles. La première conférence internationale de l'OIT eut lieu à Washington en 1919 : elle y a adopté les six premières conventions internationales du travail qui concernent la durée du travail dans l'industrie, le chômage, la protection de la maternité, le travail de nuit des femmes, l'âge minimum et le travail de nuit des enfants dans l'industrie. L'OIT est composée de 3 organes : 1. La Conférence internationale du travail dont le rôle est de définir les normes internationales du travail. 2. Le Conseil d'administration, il se réunit généralement deux fois par an, au siège de l'OIT. Son rôle est de définir la politique générale de l'OIT. 3. Le Bureau International du Travail (BIT), dirigé par un directeur général, est chargé d’appliquer la politique définie par le conseil. Gary Cross, A quest for time: the reduction of work in Britain and France. 1840-1940, Los Angeles 1989. Gary Cross a mis en évidence un réseau transnational de réformateurs. Ce groupe prônait une coopération internationale et interclasse, seule alternative à la lutte des classes. En Grande Bretagne, par exemple, les principaux acteurs sont Georges Barnes, chef
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principaux membres sont Albert Thomas et Justin Godart4. La mise en œuvre d’une telle législation permettrait également à la France d’apparaître comme une puissance industrielle soucieuse de la condition ouvrière. La mise en place d’une législation internationale exige cependant une méthode. Le gouvernement reprend les travaux de l’Association nationale française pour la protection des travailleurs (APLT). Cette association, créée en 1900, réclamait en 1913 la création d’un institut officiel de la politique sociale internationale et la signature de conventions par les pays, bases d’une législation sociale internationale. De plus, le gouvernement français se réfère à la conférence de Leeds de 1916 ayant réuni les principales centrales syndicales soucieuses de maintenir le dialogue social dans un contexte de guerre et de préparer une législation sociale internationale en prévoyant la réunion d’une Conférence internationale de législation du Travail. Le ministre français du Travail, Pierre Colliard, souhaite donc que cette conférence aboutisse à la signature de « conventions assurant l’égalité des salaires et des conditions de travail entre les travailleurs étrangers et nationaux pour répondre à la plus énergique des revendications du monde du travail ». De plus Colliard prône la création d’un organisme administratif permanent sur le modèle proposé à Leeds et qu’il nomme le BIT (Bureau international du travail). Selon le ministre du travail, on doit légiférer sur la durée du temps de travail à l’échelle internationale. Il faut donc discuter des questions de la généralisation de la semaine anglaise et de la réduction du temps de travail journalier des hommes adultes. Le ministre se fait aussi le défenseur d’une limitation du temps de travail à 8 heures pour les mines et les usines, autre réforme pour laquelle il ne peut envisager qu’une intervention à l’échelle internationale. B. La loi des 8 heures : une loi à l’ambition internationale Ce travail à 2 échelles fait évoluer le projet français. En effet, le gouvernement est passé d’un projet de loi élaboré en décembre 1918 qui établit la journée de travail à 8 heures uniquement « dans les arsenaux et établissements hors des ports de la Marine »5 et la semaine de travail à 49 heures, à la loi du 23 avril 1919 qui limite la durée de travail à 8 heures par jour et à 48 heures hebdomadaires pour toutes les entreprises industrielles et commerciales. Cette loi a été rédigée dans le but de servir de modèle à une future convention internationale. En réalité, depuis la fin de la guerre, le gouvernement français œuvre pour inscrire la question du temps de travail dans le débat international. Dès février 1919, durant la Conférence internationale du Travail réunie à Paris, Colliard obtient l’inscription de la question dans le projet de législation internationale du travail en cours d’élaboration si bien qu’elle figurera dans la Partie XIII du traité
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modéré de l’Almalgamayed Society of Engineers (ASE) et qui est actif dans le mouvement des 8 heures depuis 1897. Christian Topalov a nommé ce groupe la « nébuleuse réformatrice ». Albert Thomas a été sous-secrétaire d’Etat puis ministre des Armements entre 1915 et 1917. Il a publié en 1903 une étude sur Le syndicalisme allemand. Justin Godart a été Sous-secrétaire d’Etat à la guerre, chargé de santé militaire du 1er juillet 1915 au 12 décembre 1916 et du 14 décembre 1916 au 11 septembre 1917, et Sous-secrétaire d’Etat à la guerre chargé du service de santé militaire du 12 septembre au 15 novembre 1917 puis du 17 novembre 917 au 5 février 1918. Ce docteur en droit a été l’auteur de nombreuses monographies comme l’ouvrier de la soie en 1889 et les travailleurs et métiers lyonnais publié en 1909. F 22–401, circulaire du Ministre du Travail et de la Prévoyance sociale aux Inspecteurs du Travail, op. cit.
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de Versailles. Dans le but de promouvoir un modèle social français, le gouvernement et la Commission interministérielle des traités internationaux ont collaboré activement. Cette collaboration aboutit ainsi à la loi du 23 avril 1919 dont les termes ont été repris dans le projet que les dirigeants français présentent à la Conférence internationale du temps de travail. Cette loi repose sur 2 principes, la globalisation et la souplesse, qui garantissent l’unification du temps de travail sur le territoire français ainsi que son adoption par les autres Etats. Tout d’abord, cette loi ne tient pas compte de la nature de l’entreprise comme le montre son article 6. C’est pourquoi ce texte est complété par les lois du 24 juin et du 2 août 1919 qui rendent les 8 heures applicables, respectivement, dans les mines de charbon et sur les navires. En outre, cette loi est appliquée dans les colonies, malgré les réserves du ministre des colonies. Dans une lettre datant de 1921, ce ministre explique que les 8 heures sont inopportunes dans les territoires d’Outre-Mer puisqu’elles constituent une gêne dans sa politique de relance de la production. Quoiqu’il en soit les dirigeants français incluent les colonies dans le champ d’application de la loi de 1919. Cette loi6 repose sur le système de convention défini par les rencontres internationales précédemment citées et par la loi française de mars 1919. Le texte ne pose que le principe de la réglementation « laissant aux organismes patronaux et ouvriers le soin de déterminer les conditions d’application en négociant des conventions et les règlements d’administration »7. Cette loi intègre donc les ouvriers dans la vie de l’entreprise, conformément aux souhaits de la « nébuleuse réformatrice », tout en assurant la souplesse nécessaire au contexte de reconstruction ainsi qu’à l’internationalisation de la loi. Ainsi, aucune exception ne peut être possible en dehors des dérogations prévues par la loi8 et celles-ci ne sont applicables qu’avec l’accord des autorités. L’autre spécificité de la loi des 8 heures est de synthétiser les précédentes mesures qui limitent le temps de travail. Par exemple, le système des heures supplémentaires qui trouve son origine dans le décret du 17 mai 1851. Ce décret définit les exceptions à la loi du 9 septembre 1848 qui fixe la durée de travail à 12 heures. Ce système de dérogations est, en réalité, apparu pour la première fois dans la loi du 18 novembre 1814 qui introduit le repos obligatoire les dimanches et les jours fériés tout en prévoyant des dérogations.
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La loi des 8 heures est la première en France dont l’application repose sur la signature de conventions collectives. Comme le prévoit l’article 8. En effet, ce texte définit les points précis qui doivent être définis par les règlements d’administration : « 1. La répartition des heures de travail dans la semaine des 48 heures afin de permettre le repos de l’après-midi du samedi ou tout autre modalité équivalente. 2. La répartition des heures du travail dans une période de temps autre que la semaine. 3. Les délais pour lesquels la durée actuelle est pratiquée dans l’industrie, le commerce ou la catégorie professionnelle considérée, sera amenée en une ou plusieurs étapes aux limitations fixées à l’article 6. Les établissements se voient donc concéder une liberté dans la répartition du temps de travail, ainsi qu’un temps d’adaptation. » L’article 8 définit 2 types de dérogation : « 4. Les dérogations permanentes qu’il y aura lieu d’admettre pour les travaux préparatoires ou complémentaires qui doivent être nécessairement exécutés en dehors de la limitation assignée au travail général de l’établissement ou pour certaines catégories d’agents dont le travail est essentiellement intermittent. 5. Les dérogations temporaires qu’il y aura lieu d’admettre pour les travaux préparatoires ou complémentaires qui doivent être nécessairement exécutés en dehors de limite assignée au travail général de l’établissement ou pour certaines catégories d’agents dont le travail extraordinaire, à des nécessités d’ordre national ou à des accidents survenus ou imminents ».
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Ce système de convention est global pour éviter les multiplications d’exceptions qui ont nui jusqu’alors à l’application des lois sans pour autant gêner l’économie. Cette loi, pour les législateurs, est suffisamment souple et globale pour être reprise au plan international. Cet argument est d’ailleurs utilisé par les représentants français pour défendre le projet de convention internationale sur les 8 heures inspirée par la loi d’avril 1919 et que le gouvernement souhaite faire adopter lors de la Conférence internationale du travail qui doit se tenir à Washington en novembre 1919. C’est durant cette conférence que la conception française des 8 heures triomphe puisque la convention qui y est adoptée s’inspire de la loi française, reprenant notamment son système de dérogations, aux dépens du projet présenté par les dirigeants anglais qui repose sur la signature de contrats collectifs et par branches. Ce succès est complété par les nominations en 1920 d’Albert Thomas au poste de directeur du Bureau International du Travail (BIT) et d’Arthur Fontaine à celui de président du Conseil d’administration l’année suivante. La France a donc réussi à placer le débat des 8 heures sur le devant de la scène tout en faisant de sa conception des 8 heures le centre des discussions. C. D’un débat international à un débat européen ? La convention de Washington a pour vocation la mise en place d’une législation internationale. Or, il faut remarquer que la convention à travers sa souplesse a écarté de nombreux pays extra-européens de l’application des 8 heures. L’article 11, par exemple, exclut de la convention la Chine, la Perse et Siam, dont la réglementation du temps de travail « devra être examinée lors d’une prochaine session de la Conférence générale »9. En réalité, c’est le contexte politique qui a imposé la réduction des ambitions des promoteurs de la législation internationale du travail à l’Europe. Les EtatsUnis, en refusant d’entrer au BIT, ont favorisé la suprématie européenne au sein de cette institution. L’absence des Etats-Unis a été suivie avec inquiétude par les agents de l’OIT. Selon les auteurs de l’ouvrage qui célèbre les 10 ans de l’OIT, cette absence constitue une perte énorme : « L’absence de la Confédération américaine constitue sans doute à l’heure actuelle la lacune la plus grave dont souffre l’Organisation internationale du Travail. Pays industriellement le plus puissant du monde, dont la place sur le marché du travail s’étend d’année en année, son abstention constitue pour le progrès futur de la législation internationale du travail une sérieuse menace »10. II. Une question qui crée des oppositions en Europe La convention de Washington n’a pas réglé la question de la limitation du temps de travail. En effet, les différences de conceptions économiques et sociales, notamment sur la question du rôle de l’Etat, ainsi que les difficultés économiques du début des années 1920 révèlent des oppositions en Europe et en France, qui ne ratifie la convention qu’en 1927.
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Article 11 de la Convention de Washington. Dix ans d’Organisation internationale du Travail. op. cit., p. 31.
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A. La volonté de protéger des secteurs économiques La convention de Washington n’a pas traité de tous les secteurs industriels. C’est pourquoi il a été convenu lors de la première conférence internationale du travail qu’une session spéciale serait chargée d’étudier la fixation de la durée de travail dans le transport maritime. C’est durant cette réunion de Gènes en 1920 que l’on voit apparaître une opposition à la convention menée par la majorité des armateurs, menée par les Scandinaves, qui souhaitent en rediscuter le texte. Le délégué des armateurs norvégiens11, Odfell, expose que la réduction du temps de travail dans un trop grand nombre de navires conduirait à augmenter la taille des équipages ce qui engendrerait inévitablement une diminution des salaires. Les gouvernements suédois et norvégiens, étant donnée l’importance de l’armement maritime dans ces pays, se sont ralliés à ce refus de la convention en s’opposant à la motion établissant la journée de 8 heures dans la marine. Toutefois, certains des délégués des armateurs n’ont pas adopté de position aussi radicale en ne s’opposant pas au fait que la journée des 8 heures et la semaine des 48 heures soient considérées comme un but à atteindre. C’est sans doute dans la crainte de réveiller les conflits sociaux qui ont marqué la fin de la guerre, et de l’extension du bolchevisme que les délégués armateurs des Pays Bas, de l’Inde, et de l’Italie ont opté pour le « oui », lorsque cette motion fut proposée au cours de la 4ème séance, contrairement aux représentants armateurs de la Grande Bretagne, du Canada, du Japon, de la Norvège du Danemark, et de la Suède. A l’issue de cette session, le préambule de la convention qui affirmait le principe des 8 heures fut adopté par 65 voix contre 5 et 8 abstentions, mais l’ensemble du projet ne recueillit que 48 voix contre 25. N’ayant pu réunir les 2/3 requis, il fut donc rejeté. En raison de cette opposition, le cas de la Marine fut laissé en suspens jusqu’en 1926, date à laquelle fut votée une motion qui inscrivit la question des 8 heures dans la marine à l’ordre du jour de la session de 1929 de la Conférence internationale du travail. Le gouvernement français a, lui aussi, émis des réserves concernant le principe de globalité dans ce débat sur la réduction du temps de travail. En effet, au début des années 1920, le gouvernement français ne souhaite pas appliquer les 8 heures dans le secteur agricole, conformément aux souhaits des professionnels de la terre. Les syndicats professionnels agricoles ne cessent de rappeler que leur secteur souffre d’un manque de main d’œuvre dans un contexte de reconstruction. Selon eux, leur profession a la particularité de prendre en compte les différences de longueur des journées de travail, les pertes de temps liées aux intempéries. Cette position n’est pas sans conséquence sur le plan international. Beaucoup de pays européens ont limité le temps de travail dans le secteur agricole dès les années 1920. C’est le cas de l’Allemagne où la durée maximale de travail en moyenne est de 8 heures par jour les 4 premiers mois, 10 heures par jour les 4 mois suivants, la journée de travail devant être inférieure à 11 heures par jour pendant les 4 derniers mois. Les agriculteurs tchécoslovaques ont aussi bénéficié d’une réduction du temps de travail grâce à la loi du 19 décembre 1918 et se sont montrés favorables à l’adoption d’une convention internationale. Sans doute, craignent-ils la concurrence des travailleurs étrangers qui ne bénéficient pas 11
Les délégués armateurs qui ont voté contre cette motion sont : Cuthbert Laws (Grande Bretagne), le capitaine Harris (Canada), Nijgh (Pays Bas), Brunelli (Italie), Odfjell (Norvège), Host (Danemark), Carmann (Suède).
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d’une telle législation. Même un pays comme l’Italie, dont la population agricole est très importante, dispose de la semaine des 48 heures et de la journée des 8 heures dans ce secteur, depuis la loi-décret du 15 mars 1923. Cette loi prévoit la rédaction de règlements. Celui de l’agriculture est réalisé le 10 septembre 1923 par un décret qui ne s’applique qu’au personnel temporaire et aux salariées affectés à des travaux agricoles, à l’exception des services fournis avec participation aux bénéfices 12 : Cette mesure alimente les craintes des agriculteurs français. C’est pourquoi les dirigeants français se sont particulièrement intéressés aux effets des 8 heures dans l’agriculture de ces pays. Ainsi, le ministre du travail dispose dans ses dossiers d’un article publié par la Gazette de Prague du 22 décembre 1920 qui fait état des résultats d’une enquête commandée par le ministre du travail de Tchécoslovaquie le 9 décembre 1920, en vue de préparer la Conférence Internationale du Travail de Genève d’avril 192113. Selon cette enquête, la situation des ouvriers s’est améliorée grâce aux traités de paix qui les empêchent d’être « l’objet des marchandages ». Le BIT souhaite donc poser la question de l’élargissement des 8 heures à l’agriculture lors de la conférence tenue à Genève entre le 25 octobre et le 19 novembre 1921.Or le délégué du gouvernement français s’oppose à toute discussion sur ce point. Durant la Conférence, les délégués français, rejoints par leurs homologues suisses, ont justifié leur refus par le fait que les délégués italiens et des pays de l’Europe de l’Est qui ont souhaité l’élargissement des 8 heures à l’agriculture, n’ont accordé qu’une faible protection sociale à leurs agriculteurs et connaissent des troubles sociaux dans ce secteur. De plus, l’agriculture française souffre d’une stagnation de sa production. Le gouvernement a donc posé une série de questions qui remettent en cause la prérogative de l’OIT en matière agricole, afin de retarder voire d’annuler la tenue du débat. La crise agricole des années 30 et le mouvement de résistance à l’élargissement des 8 heures au secteur agricole ont eu une telle importance que la réduction du temps de travail dans l’agriculture n’a plus été mise à l’ordre du jour. Quoiqu’il en soit c’est la volonté de certains Etats européens, y compris de la France, qui en souhaitant préserver certains secteurs frappés par des crises, qui pose la question des limites à fixer au principe de globalité inhérent à la réduction du temps de travail. B. Le refus de la convention de Washington. A partir de 1921, des pays européens vont ouvertement s’opposer à la convention de Washington, le Royaume-Uni en tête, bien que cet Etat ait participé à son élaboration. Ainsi, dans un article publié dans le Bulletin officiel du BIT datant du 17 août 1921, les dirigeants de Grande Bretagne exposent les difficultés suscitées par la ratification de la convention. Selon ce gouvernement, il y a une incompatibilité entre les « dispositions expresses du projet de Convention, touchant les heures supplémentaires et les termes des conventions collectives qui ont réglé, en Grande Bretagne, les modalités d’application de la loi des 8 heures dans la majo12 13
F 22-401, « La réglementation du temps de travail dans l’agriculture ». F 22-401, « enquête sur la journée des 8 heures dans l’agriculture », Gazette de Prague, le 22 décembre 1920, document confidentiel transmis par l’Etat-major de l’Armée, section de renseignement, 2e Bureau, au Ministre du Travail.
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rité des industries ». Le principal problème, pour la Grande Bretagne, réside dans la différence de souplesse entre les 2 législations. En effet, les heures de travail sont fixées par des conventions collectives discutées entre les organisations patronales et ouvrières. Les Britanniques refusent donc de se voir imposer une réglementation du temps de travail par une convention générale comme celle de Washington. Par conséquent, le gouvernement britannique demande qu’une conférence internationale du travail se réunisse afin de la réviser. Les dirigeants français y voient une mauvaise excuse, considérant que la convention de 1919 repose sur la souplesse contrairement à ce qu’affirme le gouvernement anglais. Gary Cross14 tente d’expliquer l’opposition de ce pays considéré comme un précurseur en matière de politique sociale. Cette opposition parait étonnante, puisque la convention de Washington semblait, à première vue, aller dans le sens des intérêts britanniques. En effet, ce texte privait les pays industrialisés d’Europe des avantages concurrentiels gagnés sur une Grande Bretagne qui disposait d’une durée de travail plus courte, donc de coûts de production plus élevés. Gary Cross pense que ces attaques contre la convention résultent de problèmes pour adapter l’accord britannique de 1919 dans les chemins de fer à la convention de Washington. En effet cet accord autorise l’adoption régulière d’heures supplémentaires en raison des difficultés d’adaptation des transports à longue distance à des normes trop rigides. L’application de la convention de Washington serait beaucoup plus coûteuse. L’auteur admet comme autre explication possible le fait que ce désaccord puisse résulter d’un différent dans l’approche de la question du temps de travail : la Grande Bretagne a une interprétation de la loi des 8 heures faisant moins de place au rôle des pouvoirs publics. On peut voir, selon lui, derrière cette remise en cause des résultats de la Conférence de Washington une affirmation de l’isolationnisme et de la méfiance britannique vis-à-vis de ses partenaires continentaux du BIT. Le gouvernement suédois annonce lui aussi son refus de ratifier. En effet, une lettre du ministre de affaires étrangères suédois, datant du 16 août 1921 et adressée au BIT15, signale que le Riksdag approuve la proposition du gouvernement de ne pas ratifier la convention en raison des nombreux points de divergence entre la loi suédoise et les dispositions de la convention, mais aussi à cause du caractère provisoire de la loi, qui expire en 1930, année durant laquelle est prévue une éventuelle révision de la convention de Washington16. Ces différences résident principalement dans le champ d’application de la loi, puisqu’elle ne concerne pas les entreprises de plus de 4 ouvriers, les travaux entrepris par l’Etat, les travaux qui ne peuvent être effectués à des heures fixes, le personnel des chemins de fer et les cas qui se sont vus accorder des dérogations. De plus, la loi suédoise ne définit pas de cadre pour le paiement des heures supplémentaires. L’Assemblée 14 15 16
G. Cross, A quest for time: the reduction of work in Britain and France. 1840-1940, op. cit., p. 162. SDN–2346, projet de rapport du BIT, 1928, op. cit. Ce rapport cite la lettre que le Ministre des Affaires Etrangères a adressée au BIT, le 16 août 1921, pour expliquer son refus de ratifier la Convention de Washington. Cette discussion était prévue par l’article 20 de la Convention de Washington : « Tout Membre ayant ratifié la présente convention peut la dénoncer à l’expiration d’une durée de dix années après la date de la mise en vigueur initiale de la convention par un acte communiqué au Secrétariat général un rapport sur l’application de la présente convention et décidera d’inscrire à l’ordre du jour de la Conférence la question de la révision ou de la modification de ladite convention ».
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fédérale suisse ne souhaite pas non plus ratifier la convention en 192117. Or, ce pays a mis en place les 8 heures depuis la loi fédérale du 27 juin 1917 qui touche les fabriques, complétée par la loi fédérale du 6 mars 1920, concernant l’exploitation des chemins de fer et les autres entreprises de transport et de communication. En fait, cette législation ne touche pas l’industrie du bâtiment. En outre, le Conseil fédéral peut autoriser une durée hebdomadaire de 52 heures ou plus, quand, suite à l’application des 48 heures, une industrie risquerait de ne pouvoir soutenir la concurrence en raison de la durée du travail dans les autres pays, disposition que la convention ne permet pas. L’Allemagne tient enfin une place exceptionnelle dans ce débat en raison de la suspicion qui pèse sur cet Etat. En effet, l’éventualité d’une guerre économique menée par l’Allemagne est prise très au sérieux par les dirigeants français pour qui il est nécessaire que ce pays adopte la loi des 8 heures sans quoi il s’enrichirait aux dépens des pays qui ont ratifié le projet de convention de Washington. Cette inquiétude est renforcée par le caractère provisoire de l’ordonnance allemande traitant des 8 heures d’autant plus que la crise aiguë qui touche l’Allemagne à cette époque incite les dirigeants à modifier la réglementation de 1918 en vue de faciliter la prolongation des heures de travail. C’est pour ces raisons que l’Etat français nourrit un intérêt particulier pour ce pays, en s’interrogeant sur la nature de la législation définitive que les dirigeants allemands s’apprêtent à mettre en place18, et sur la conformité de la loi avec le projet de convention internationale. Le gouvernement allemand promulgue donc un décret le 21 décembre 1923 qui modifie l’ancienne réglementation19. Par exemple, ce texte permettait au Ministère fédéral du travail d’augmenter la durée du temps de travail même dans le cas où la conclusion d’une convention ne le permettrait pas. De plus, la base était définie à 10 heures de travail quotidien et non à 8 heures, afin d’éviter aux industriels de recourir aux heures supplémentaires. Ce décret inquiète donc les gouvernements français et polonais qui y voyaient un retour en arrière. C. L’ambiguïté française Cette remise en cause de la convention de Washington entraîne une situation de blocage qui perdure jusqu’au milieu des années 20 sans que le gouvernement français ait tenté de dénouer cette situation. En effet sa priorité va au règlement de la question des Réparations. C’est pourquoi le gouvernement français adopte une attitude modérée face à la volonté britannique de réviser la convention de Washington. En effet, dès septembre 1921, le ministre du travail ne souhaite pas, à l’instar d’Arthur Fontaine, d’opposition directe à cette requête qu’il rejette cependant : « J’estime, en accord avec vous, que le gouvernement français ne doit pas s’opposer formellement à la prise en considération de demande du gouvernement britannique ». Le ministre du travail propose une solution plus subtile 17 18 19
SDN-2346, Projet de rapport du Conseil d’administration du Bureau International du Travail sur l’application de la convention tendant à limiter à 8 heures par jour et à 48 heures par semaine le nombre des heures de travail dans les établissements industriels, 1928. En effet, le décret du 23 novembre 1918 est valable jusqu’au 31 mars 1922. Le paragraphe du décret cité dans : SDN-2380, note de la Haute Commission relative au décret allemand du 21 décembre 1923 sur la durée du temps de travail, transmis dans une lettre de Paul Tirard, Haut Commissaire de la République française dans les Provinces du Rhin, à Raymond Poincaré, Président du Conseil et Ministre des Affaires Etrangères, le 3 février 1924.
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qui consiste à soumettre au Conseil d’Administration du BIT une série de questions sur les réserves faites afin de retarder le débat. L’arrivée au pouvoir de Raymond Poincaré signifie la priorité accordée à la question des réparations aux dépens du problème de la réduction du temps de travail. C’est pourquoi elle a été critiquée par Albert Thomas. De plus, ce retour s’accompagne d’un rapprochement franco-belge, qui se traduit par la signature de conventions, dont l’une traite de 8 heures, en dehors du cadre de l’OIT ce qui a accru la colère de Thomas20. La réaction française face à la révision de la loi allemande des 8 heures est révélatrice de cette position paradoxale de la France, inspiratrice d’une convention qu’elle ne ratifie qu’en 1927. Ainsi, le gouvernement allemand, au cours de la 21e séance du Conseil d’Administration, a présenté la prolongation de la durée du temps de travail comme « une mesure destinée à permettre le paiement des réparations »21. Les dirigeants français ont donc attendu la publication d’un rapport d’experts qui démontre que « le plan des paiements de réparation ne dépend, en aucune manière, d’une augmentation de la journée de travail »22 pour affirmer une réelle opposition face à la hausse du temps de travail en Allemagne, position qu’elle partage avec l’Angleterre. La question des 8 heures n’est pas la priorité des dirigeants français jusqu’au milieu des années 20. D. Les solutions originales d’Albert Thomas Face à cette situation, Albert Thomas a essayé de mettre en avant des solutions originales. Albert Thomas voit non seulement dans les oppositions à la convention de Washington un obstacle de taille à la diffusion des 8 heures, mais aussi un affaiblissement des syndicats européens. La multiplication de ses voyages en Europe a pour vocation d’encourager le développement des mouvements ouvriers dans les pays qui n’ont pas ratifié la convention de Washington et qui ne disposent pas de loi des 8 heures. Nous pouvons citer à titre d’exemple une conférence de Thomas en juin 1924 pour « réveiller (…) les syndicats ou socialistes allemands »23. En réponse à la crainte de voir les 8 heures gêner la productivité, Albert Thomas, à l’instar de certains industriels comme Louis Renault, devient l’avocat, dès le début des années 20, des méthodes nouvelles destinées à accroître la productivité telles que le Fordisme24. Ainsi, lors de son séjour en Finlande le 10 juillet 1921, le directeur du BIT explique que la dépression économique n’a pas nui à l’établissement de réformes sociales aux Etats Unis comme la journée des 8 heures qui n’a pas gêné le développement industriel, voire l’a favorisé25.
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En 1923, le gouvernement français y renonce après une longue controverse juridique. Y-605, note du service français de la SDN pour le service de la sous-direction d’Europe, Paris, le 10 avril 1924. Y–605, télégramme de Saint-Quentin au ministre des Affaires Etrangères, rédigée le 2 juillet 1924 à Berlin et reçue le 4 juillet à 11h 20. 94/AP/377, lettre d’Albert Thomas à Ch. Andler, le 19 août 1924. Henri Ford a repris les principes développés par Taylor qui reposent sur la parcellisation et le chronométrage du temps d’exécution des tâches et la réduction des temps morts. Il y a ajouté une chaîne continue qui se déplace devant le travailleur, ainsi que la standardisation des produits. Y–607, lettre de Jean Fabre, Ministre de France en Finlande, au Ministre des Affaires Etrangères, Helsingfors, le 13 juillet 1921. Fabre rapporte le contenu d’une conférence de presse que Thomas a accordé afin de convaincre les Finlandais d’appliquer les 8 heures.
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Albert Thomas oeuvre aussi pour accélérer les ratifications26. Comme l’explique Denis Guérin, l’OIT n’a obtenu que 400 ratifications de ses conventions soit 25% du total maximal théorique au terme de sa première décennie d’existence. Le BIT l’explique par les difficultés liées aux « pratiques législatives nationales »27. En effet, le gouvernement français ne soumet au Parlement que des conventions ayant préalablement fait l’objet d’un échange de signatures avec un autre Etat. C’est pourquoi, le 24 janvier 1921, Paris et Bruxelles signent un texte reprenant les articles des projets de conventions adoptées à la conférence de Washington de 1919, et déclarent ouvert un protocole auquel d’autres Etats pourraient souscrire. Redoutant une nouvelle source de complications juridiques28, l’OIT s’y oppose. Parmi, les conventions issues de la conférence de Washington de 1919, celle qui établit les 8 heures connaît d’importantes difficultés. C’est pourquoi l’OIT est prête à accorder des concessions à certains pays en vue de faciliter leur ratification. Le directeur du BIT prône, notamment, la ratification de la Finlande, qui consacrerait l’entrée définitive d’un pays sorti de l’influence bolchevique. Mais, ce pays, qui a participé aux précédentes conférences, hésite en raison de sa situation particulière : des conditions climatiques rigoureuses et une économie fondée sur l’agriculture. Par conséquent, Thomas, au cours de son séjour à Helsinfors en juillet 1921, reconnaît les caractéristiques exceptionnelles de cet Etat. C’est pour cette raison que Thomas défend le développement de ratifications conditionnelles c’est-à-dire des ratifications subordonnées à celles de pays déterminés (souvent frontaliers). Le directeur du BIT invite ainsi le gouvernement travailliste britannique à organiser une conférence qui doit poser le problème des ratifications conditionnelles. Une conférence est donc tenue à Berne, les 8 et 9 septembre 1924, en présence des 5 Etats les plus industrialisés de l’Europe occidentale pour s’accorder sur une interprétation commune de la convention de Washington. Ce choix montre bien la place particulière que Thomas donne aux pays européens qui doivent servir de modèle social aux autres. Aucune interprétation commune ne ressort cependant de la conférence de Berne. Cette conférence ne met pas fin au refus allemand de se lier à des conventions internationales29. Le réel tournant a lieu en 1926 lors de la Conférence de Londres, dont le résultat est plus abouti. III. Un débat européen à partir de 1926 Le milieu des années 20 a été marqué par le rétablissement de relations normalisées entre la France et l’Allemagne grâce au règlement de la question des réparations et à l’évacuation de la Ruhr. Mais, à l’exception du secteur textile et de l’agriculture, cette période est aussi celle du redressement économique français. 26 27 28 29
Entre 1919-1925, la convention fut ratifiée par : la Bulgarie (14 février 1922), la Grèce (19 novembre1920), la Roumanie (12 juin 1921), la Tchécoslovaquie (24 août 1921) et l’Inde (14 juillet 1921). D. Guérin, Albert Thomas au BIT (1920-1932), Les vastes dessins d’un directeur à l’étroit, Paris 1995, p. 32-37. Le 17 mars 1924, le gouvernement français y renonce sous les pressions de l’OIT. Y–605, lettre de P. de Margerie, ambassadeur de la République française à Berlin à A. Briand ; ministre des Affaires Etrangères. De Margerie analyse un article de la Deutsche Allgemeine Zeitung du 25 juin 1925 qui témoigne une grande sympathie pour l’OIT.
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Le contexte est donc favorable à un réel débat dans lequel les dirigeants français peuvent prendre une position ouvertement favorable à la convention de Washington. A. La conférence de Londres : la mise en avant de l’ « Europe sociale ». Comme la conférence de Berne, cette réunion des Etats les plus industrialisés est le résultat d’une initiative britannique. En effet, le nouveau gouvernement conservateur anglais renoue avec la position qui repose sur la volonté de réviser la convention en avançant comme argument l’incompatibilité de ce texte avec certains accords comme celui relatif aux chemins de fer. Cette réunion est encouragée par les patrons et ouvriers de l’industrie mécanique, en réponse à une double constatation : le texte n’est pas appliqué et la Grande Bretagne est défavorisée dans le domaine des heures supplémentaires. Le gouvernement semble vouloir appliquer la convention de Washington à l’industrie mécanique, contrairement aux souhaits des ouvriers et des patrons. Comme à Berne, les objectifs sont de faciliter la ratification de la convention de Washington. En réalité, la conférence de Londres est allée plus loin en réaffirmant les principes d’une Europe sociale. En janvier 1924, Thomas qualifie la conférence de Berne de conférence internationale. En 1926, il n’hésite pas à affirmer que les conférences de Berne et de Londres sont des « conférences des Ministres du Travail des 4 ou 5 grands Etats industriels de l’Europe occidentale »30. On peut supposer que le règlement des Réparations a joué un rôle dans cette inflexion. Le BIT et l’OIT critiquent la participation de Thomas dans l’organisation de ces 2 conférences tenues en dehors de leur cadre et qui remettent donc en question le rôle de ces organismes. Certes aucune interprétation définitive ne résulte de cette conférence qui s’est tenue entre le 15 et le 19 août 1926, puisque c’est à la Cour de Justice Internationale de juger les différents. Mais, on peut remarquer que les dirigeants britanniques ont accepté de ne pas réviser la convention, conformément aux souhaits des dirigeants français. Le seul but de cette rencontre est donc d’éclaircir les points flous qui constituent des obstacles à la ratification de la convention de Washington. Le protocole qui en résulte a été accepté par tous les pays industrialisés d’Europe. Les pays participants se sont accordés sur les professions concernées par l’expression « travail spécialement intermittent » employé dans l’article 6 à savoir les portiers, les gardiens préposés au service d’incendie et les « autres agents qui ne concernent pas la production proprement dite, et qui, par leur nature, sont coupées de longues périodes d’inaction pendant lesquelles ces agents n’ont à déployer ni attention, ni action soutenue et ne restent à leur poste que pour répondre à des appels éventuels ». Cette conférence a précisé que les dirigeants ne peuvent utiliser l’article 14 qui permet de suspendre la convention de Washington sur simple ordre du gouvernement en cas de menace sur l’économie. La conférence va dans le sens du ministre français Durafour lorsqu’il faut définir ce qui est entendu par la notion de « temps de travail ». En effet, le protocole reprend les termes de Durafour et exclut donc les temps de repos, contrairement aux souhaits britanniques. En outre, le gouvernement britannique affirme qu’il lui est impossible de ratifier la convention en raison de l’incompatibilité entre la 30
SDN–2346, Lettre d’A. Thomas à Berthelot, Secrétaire général du Ministère des Affaires Etrangères, Paris, le 12 janvier 1926.
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convention et les contrats collectifs qui réglementaient en Grande Bretagne le temps de travail, notamment dans le domaine des chemins de fer. Le contrat dans ce secteur garantit au personnel la semaine de 48 heures (6 journées de 8 heures) et prévoit que le travail du Dimanche sera rétribué au taux des heures supplémentaires31. La Conférence de Londres a coupé court à cet argument en reconnaissant que cet accord collectif était conforme à la convention de Washington : « Il est entendu que les chemins de fer sont soumis à la Convention. Dans la mesure où l’article 5 et l’article 6a ne suffisent pas pour les besoins des chemins de fer, les heures supplémentaires nécessaires à cet effet, sont autorisées en vertu de l’article 6b »32. Notons que les différents articles qui constituent le Protocole issu de la Conférence ne cessent de se référer à la Convention de Washington, révélant le refus des participants de la remettre en cause. Mais de nombreuses concessions ont été accordées au gouvernement britannique ; c’est le cas dans l’industrie du bâtiment qui pourra être réglementée par des conventions entre les patrons et les ouvriers, car la Grande Bretagne est défavorisée au niveau des heures supplémentaires. De cette conférence est né un espoir de régler le problème du temps de travail au niveau européen, espoir alimenté, en juillet 1926, par la ratification belge qui devient le premier pays industrialisé d’Europe à ratifier la convention. La France ratifie ce texte en 1927. Ainsi, les membres de l’OIT espèrent que les pays les plus industrialisés d’Europe ratifieront la convention durant l’été et que la question du temps de travail dans la marine sera réglée dans les plus brefs délais. B. De nouveaux débats Pourtant, de nombreuses critiques vont être émises à l’encontre des ratifications conditionnelles. En effet, les dirigeants britanniques voient dans ces ratifications la preuve de l’inefficacité de la convention de Washington. Cette position anglaise trouve le soutien de la plupart des autres pays qui se sont ouvertement opposés à la convention durant la première moitié des années 20 en affirmant qu’elle était inadaptée à leur législation. Albert Thomas, luimême, se montre méfiant face à cette pratique et craint que la multiplication des ratifications conditionnelles ne freine les adhésions. C’est pourquoi le directeur du BIT souhaite limiter cette pratique aux pays capables de prendre la tête du mouvement. Le directeur du BIT s’est toujours affirmé favorable à une ratification conditionnelle de la France, mais il a refusé que l’Italie ne fasse partie des conditions françaises, étant donné que ce pays a fait dépendre sa ratification de l’adhésion suisse, dont l’Assemblée fédérale a décidé, en 1921, de ne pas la ratifier. Mais, le directeur veut que la ratification anglaise fasse partie des conditions françaises. Les dirigeants britanniques eurent, cependant, une argumentation plus conciliante après la 39e session du conseil d’administration du BIT tenue à Genève du 25 au 28 avril 1928 durant laquelle Albert Thomas présenta une nouvelle procédure de révision limitée de la convention. L’année suivante, Steel-Maitland, ne 31
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SDN–2346, Rapport du BIT sur l’application de la convention de Washington, 1928, op. cit. Dans ce rapport, il est fait état d’un débat tenu à la Chambre des Communes, le 27 février 1928, durant lequel a été décrit les termes de l’accord collectif britannique réglementant le temps de travail dans les chemins de fer. SDN–2346, article 6b cité dans la note concernant la Conférence des Ministres du Travail d’Allemagne, de Belgique, de France, de Grande Bretagne et d’Italie, mars 1926.
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pouvant plus demander la révision de la convention de Washington, essaye d’utiliser à son profit la nouvelle procédure. Ainsi, en affirmant que la convention doit être adoptée par tous les pays membres de l’OIT et donc ne pas se limiter aux Etats européens, le ministre britannique ne considère pas le protocole de Londres comme le dénouement du débat des 8 heures. Il souhaite donc que tous les « points ambigus » relevés par la chambre des communes soient précisés. C’est le cas, notamment, de l’expression « heures de travail » qu’il définit comme le temps pendant lequel l’ouvrier est à la disposition de l’employeur. Cette définition diffère totalement de la conception des autres pays qui voient, dans les « heures de travail effectif », celles pendant lesquelles a été exécuté un travail productif. Par exemple, un homme qui fait 12 heures de présence dans une usine électrique peut être considéré comme ne faisant que 8 heures de travail effectif. Les dirigeants britanniques essayent de diffuser leur modèle qui repose sur la semaine de 48 heures répartie sur 5 jours et remettent en cause une série de points précis de la convention. C. Une « Europe sociale » affirmée face à la crise (1929-1932) Face à l’apparition des premières difficultés économiques dans les pays les plus industrialisés d’Europe, les dirigeants français ont fait des principes d’une « Europe sociale », une solution à la crise, justifiant ainsi leur refus de toute révision de la convention de Washington. Cette affirmation d’une politique française de rapprochement européen est devenue une nécessité lorsque la question des dettes allemandes a été réglée en 1925. Les dirigeants français, Louis Loucheur et Aristide Briand en tête, ont donc pensé une nouvelle politique, davantage tournée vers l’Europe, et qui a été prudemment avancée sur la scène internationale dès la fin des années 1920. Le premier jalon de ce projet a été présenté par Louis Loucheur, lors de la conférence économique internationale tenue à Genève en 1927. Selon lui, il faut un réel rapprochement entre les pays industriels de l’Europe pour ne plus être en position de faiblesse face aux Etats-Unis. Ce rapprochement doit prendre la forme de cartels par branches industrielles, permettant ainsi une meilleure gestion des conditions de concurrence. Loucheur souhaite aussi l’abaissement des obstacles non tarifaires sur le vieux continent. Or, l’ouverture des frontières, si elle n’est pas accompagnée d’une homogénéisation des conditions de travail, peut favoriser les Etats industriels qui disposent de la législation sociale la moins avancée. De ce fait, la France devient un défenseur affirmé, à partir de 1925, de la convention de Washington, garante de l’unification d’une réglementation sociale dans l’Europe industrielle et, donc, du bon fonctionnement de l’ouverture des frontières en Europe. La déclaration d’Aristide Briand à la SDN de septembre 1929 et le Mémorandum qui la suit en 1930 s’inscrivent dans la continuité de cette politique. Le lien fédéral prôné par le président du conseil ne peut dissocier le Politique, l’Economique et le Social sans nuire à l’établissement d’une concurrence loyale entre les pays européens : « Evidemment, l’association agira surtout dans le domaine économique : c’est la nécessité la plus pressante. Je crois qu’on peut, dans ce domaine, obtenir des succès. Mais je suis sûr qu’au point de vue politique, au point de vue social, le lien fédéral, sans toucher à la souveraineté d’aucune des nations qui pourraient faire partie d’une telle association, peut être bienfai-
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sante »33. Tout en optant pour un projet d’Europe global Briand semble hésiter entre une voie d’inspiration fédérale qui une fois adoptée pourrait faciliter l’adoption des 8 heures par l’ensemble des pays s’y étant ralliés et la formule de la convention plurilatérale, qui a l’avantage, selon Albert Thomas, de protéger la souveraineté des pays membres. Mais, rien dans le discours de septembre 1929 ni dans le Mémorandum du printemps 1930 ne permet de le préciser. Le projet de Briand est d’autant plus difficile à interpréter qu’il ne dit pas quels pays européens pourraient être concernés. On peut penser que Briand pense à l’ensemble des pays européens représentés à l’Assemblée de la SDN34 d’autant plus qu’il s’est toujours refusé à exclure la Grande Bretagne de toute combinaison européenne35. Le Mémorandum qui reprend les grandes lignes du projet Briand met en cause l’OIT et la SDN, puisque aucun de ces organismes n’a été consulté. Face à cette situation, Thomas décide de reprendre ce plan à son compte tout en y insufflant un peu plus de substance à travers l’établissement d’une commission permanente d’étude regroupant des représentants et spécialistes européens. Il développe également un programme international de lutte contre le chômage qui encourage la limitation de la journée de travail à 8 heures. En 1932, il propose de ramener la durée du travail à 40 heures par semaine réparties sur cinq jours. L’objectif, fixé par le BIT, est l’élaboration d’ententes internationales par industries traitant des différents problèmes sociaux. Thomas s’inspire d’une convention européenne traitant le temps de travail dans les mines et réaffirme par là même les principes de « l’Europe sociale ». En 1925 la Conférence internationale du Travail avait reconnu la particularité des conditions de travail des mineurs. En 1931, une série de pays européens (la France, la Belgique, l’Allemagne, la Grande Bretagne, les Pays-Bas, la Pologne et la Tchécoslovaquie) signèrent un accord fixant le temps de travail à 7 heures 45 dans ce secteur, qui servit de modèle au BIT. En 1932, Thomas refuse de parler de crise dans la question des 8 heures36. Certes, la Grande Bretagne n’a pas ratifié la convention, mais, l’Espagne a supprimé les conditions de sa ratification et l’Italie s’apprête à discuter une mesure de cette nature. Mais, les décès successifs de Fontaine et de Thomas en 1931 et 1932, qui ont joué un rôle majeur dans la question du temps de travail, marquent un tournant. Les années 1930 sont le théâtre de débats laborieux qui n’aboutissent qu’à une convention de principe établissant les 40 heures hebdomadaires. La France est le seul Etat à avoir adopté ce texte. Bien qu’implicite, la loi du 23 avril 1919 affirme les particularismes d’une Europe, modèle social pour les autres pays. Cette « Europe sociale », qui doit adopter la loi des 8 heures « à la française », se compose principalement des Etats les plus industrialisés du continent, mais aussi des nouveaux Etats qui sont frontaliers de la Russie. Pour atteindre ce but et sur les conseils de personnalités comme Albert Thomas, le ministère du travail élabore une loi qui repose sur 33 34
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SDN–639, Discours prononcé à Genève par A. Briand, Président du Conseil et Ministre des Affaires Etrangères devant la 10e Assemblée de la SDN, le 5 septembre 1929. L’Albanie, l’Allemagne, la Belgique, la Bulgarie, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la France, la Grande Bretagne, la Grèce, la Hongrie, l’Etat d’Irlande, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, le Royaume des Serbes, des Croates et Slovènes, la Suède, la Suisse et la Tchécoslovaquie. SDN–639, article du Whaley Baton Service, 9 juin 1929. Y-609, résumés des travaux de l’Organisation internationale du travail, mai 1932.
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deux principes, repris par la convention de Washington : la globalité et la souplesse. Mais, les oppositions, notamment britannique et même française, suscitent des blocages. Le règlement des réparations constitue un réel tournant poussant le gouvernement français soutenu par ses homologues allemand, belge, espagnol et polonais, à se tourner définitivement vers une politique de rapprochement européen. Cette Europe regroupant les Etats les plus industrialisés ne peut fonctionner sans des règles homogènes de concurrence dont la convention de Washington serait le garant. L’Europe devait être, pour Albert Thomas, une étape vers une législation internationale du travail. L’OIT se montre critique à l’encontre de cette volonté de rapprochement européen, qui remettait en question ses fondements internationaux. Cette expérience d’ « Europe sociale » à travers le problème des 8 heures révèle donc la nécessité d’institutionnaliser une « Europe ». La loi des 8 heures est donc un pas important dans l’évolution de l’idée d’Europe. Archives, sources imprimées et bibliographie Archives Des documents ont été cités dans cet article en précisant les côtes. Les documents dont la côte débute par f 12 et f 22 sont accessibles aux archives nationales et correspondent aux archives de la présidence du conseil. Des documents du ministère des affaires étrangères ont aussi été citées dans cet article : ceux dont les côtes débutent par SDN ont été rangés dans les archives de la SDN et les séries Y sont consacrés aux divers traités internationaux qui ont intéressés la France. Sources imprimées Dix ans d’Organisation Internationale du Travail. Bureau Internationale du Travail, Genève 1931. Revue d’Economie Politique, 1925. Revue Internationale du Travail, 1932. Bibliographie Cross, G. A quest for time: the reduction of work in Britain and France. 1840-1940, Los Angeles 1989. Dewerpe, A. Le monde du travail en France. 1800-1950, Paris 1998. Friedenson, P./ Reynaud, B. La France et le temps de travail (1814-2004). Paris 2004. Guedj F. / Sirot, S. (sous direction), Histoire sociale de l’Europe. Paris 1997. Guedj, F. / Vindt, G. Le temps de travail, une histoire conflictuelle. Paris 1997. Guérin, D. Albert Thomas au BIT (1920-1932) : les vastes dessins d’un directeur à l’étroit, Paris 1995. Luciani, J. Histoire de l’Office du travail. Paris 1992. Launay, M. Le syndicalisme en Europe. Paris 1990. Robert, J. « 1914-1920 : De la guerre au Congrès de Tours », in : La France ouvrière : des origines à 1920. Willard Claude, les éditions de l’atelier, Paris 1995. Souamaa, N. La Loi des 8 heures : un projet d’Europe sociale (1919-1932). Paris 1999.
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Zusammenfassung Um eine Expansion der kommunistischen Ideen zu vermeiden bemühten sich die europäischen Demokratien - allen voran Frankreich - auch im Namen des sozialen Friedens, die soziale Frage zum Gegenstand einer internationalen und nicht nur nationalen Debatte zu machen. Nach dem Ersten Weltkrieg spielte die französische Regierung eine große Rolle in der Gründung der Internationalen Arbeitsorganisation (IAO) und im Anschluss daran in der Ausarbeitung des Washingtoner Abkommens von November 1919, das die Einführung des Achtstundentages vorsah. Der Text griff das einige Monate zuvor verabschiedete Achtstundengesetz weitgehend wieder auf, das aus Sicht der französischen Regierung die Grundlage einer internationalen Gesetzgebung darstellen sollte. Ziel des Gesetzes war jede Form von sozialem Dumping zu vermeiden und die Weichen eines fairen Wettbewerbs zwischen den wichtigsten europäischen Industrienationen zu stellen. In dem von Frankreich vorgeschlagenen Modell wurde der Staat zu einem zentralen Akteur der sozialen Frage, was allerdings den Vorstellungen vieler europäischer Industrienationen kaum entsprach. Deshalb entbrannten zwischen 1919 und 1932 heftige Debatten über die Entstehung eines „sozialen Europas“.
Summary In the name of the social peace and to avoid the expansion of communist ideas, European democracies, with France in the lead, worked at making the social question the object of an international debate, but not a national one. The French government played a major role in the institution of the ILO (International Labour Office) and in the writing of the international convention of Washington dating November 1919 which had to limit working time to eight hours a day. This text resumed the main ideas of the French law of eight hours adopted a few months before. For these leaders, it would be the base of an international law. The real purpose of the French government was to prevent social dumping and to put the foundations of a loyal competition between the major European industrial powers. This international model made the State a main actor in the social question. So, the State intervention in the question was rejected by European industrial powers, such as Great Britain which provoked animated debates between 1919 and 1932. The stake was the institution of “social Europe”.
LA POLITIQUE EUROPEENNE DE LA FRANCE DU GENERAL DE GAULLE RECONSIDEREE : LES OBJECTIFS ECONOMIQUES FRANÇAIS ENVERS LE MARCHE COMMUN (1958-1969) LAURENT WARLOUZET La politique européenne de la France de Charles de Gaulle peut-elle se réduire à la seule figure du prestigieux général ? Les objectifs européens de la France de cet époque sont généralement décrit comme étant principalement politiques –faire de l’Europe des Six un levier de puissance, et agricoles –obtenir des avantages financiers et commerciaux1. L’objet de cet article est de démontrer la force des objectifs proprement économiques de la politique européenne de la France, à l’exclusion du secteur agricole qui répond plus à des logiques sociales ou politiques. Les lois du marché ne s’appliquent à ce dernier qu’imparfaitement car l’offre est peu élastique et la fixation des prix largement influencés par des mesures administratives. Les objectifs économiques de la politique européenne de la France avaient une place fondamentale dans le processus de reconstruction et de modernisation de l’économie française engagé depuis la Libération. L’enjeu est de faire passer l’économie française d’une base agricole, protectionniste et coloniale, à une orientation industrielle et libre-échangiste. L’étude des objectifs proprement économiques de la France dans la construction européenne a trois intérêts historiques fondamentaux. Tout d’abord, elle permet de rendre à la politique européenne de ce pays toute sa complexité, en identifiant les différentes conceptions de l’engagement européen, de nature politique et économique, qui pouvaient motiver les décideurs français. Ensuite, elle autorise une meilleure compréhension de l’évolution de la politique économique intérieure. Le gouvernement et l’administration française conçoivent la CEE comme un levier pour la modernisation des structures françaises. Enfin, il est impossible de comprendre l’évolution de la CEE en oubliant la dimension économique non-agricole. Le Traité de Rome n’est pas un traité commercial complété d’une part par des clauses agricoles pour séduire la France, et d’autre part par des clauses à tendance supranationale pour satisfaire les européistes. Il est très détaillé sur la mise en place d’une union douanière –le « Marché Commun »mais aussi sur l’harmonisation des législations et le développement de politiques communes dans divers domaines (agriculture, concurrence, transports, etc.). C’est un traité qui vise à créer une union économique tout en laissant ouvertes les 1
Cet article est issu d’une thèse de doctorat sur La France et le Marché Commun industriel, 1956-1969 sous la direction du professeur Éric Bussière (Paris IV-Sorbonne). Devant être soutenue prochainement, elle contient de nombreux éléments et références complémentaires. Abréviations utilisées : AHUE : archives historiques de l’Union Européenne (Bruxelles et Florence), AMINEFI : archives du ministère des Finances à Savigny-le-Temple, AMAEF : archives du ministère des Affaires étrangères français à Paris (RPUE : fond de Nantes), ANF : archives nationales françaises à Paris ; ASGCI : archives du secrétariat général du comité interministériel pour les questions économiques européennes à Fontainebleau.
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questions de la méthode d’application -plus ou moins supranationale- et de la doctrine économique – « Europe organisée » ou « Europe du libre-échange »2, les deux pouvant se combiner. D’où l’intérêt de pratiquer une véritable histoire économique de la construction européenne. La France du général de Gaulle développe une politique économique européenne fondée sur trois projets complémentaires. Tout d’abord, la France conçoit la CEE avant tout comme un espace de libéralisation économique à la fois progressive et régulée. Ensuite, de 1962 à 1965, elle est séduite par des perspectives de planification européenne ambitieuses. Enfin, elle promeut à partir de 1965 des projets plus pragmatiques de politiques industrielles.
I. La CEE : un cadre de libéralisation stimulante et régulée Pour la France, la CEE constitue avant tout, et ce bien au-delà de la période dominée par le général de Gaulle (1958-1969), un cadre autorisant une libération des échanges à la fois indispensable et bien acceptée. Par ailleurs, elle offre aussi des possibilités de régulation de cette dynamique. Enfin, la France rejette les excès de ce processus de libéralisation, qui se produit dès le début des années soixante, avec la politique de la concurrence. A. Une libéralisation des échanges bien acceptée Tout au long des années cinquante, la France a été particulièrement réticente envers le processus de libération des échanges conduit dans le cadre de l’OECE. Elle considérait que ses entreprises n’étaient pas compétitives. Alors que l’OECE demandait à ses membres de parvenir à un taux de libération des échanges de 90% dès 1955, la France –seule parmi ses voisins- ne parvenait qu’à un taux de libération de 82% en 1956, puis de 0% lors de la suspension de la libération des échanges en 1957-583. En pleine crise financière et commerciale, la France paraissait incapable de supporter la concurrence internationale. Le retour au pouvoir du général de Gaulle a permis à la France de s’intégrer pleinement dans le mouvement européen et international d’ouverture des marchés par le plan Rueff. Ce dernier a permis d’atteindre un taux de libération de 90%. Cette rupture s’explique également par l’intégration de la France dans la CEE, qui lui permet d’envisager une véritable libération des échanges à toutes les échelles. À l’échelle de la France tout d’abord, la libéralisation des échanges intérieurs est particulièrement encouragée. Le gouvernement encourage la modernisation des structures de distribution en particulier par la promotion des supermarchés4. 2
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Éric Bussière, Conclusions. In : Éric Bussière, Michel Dumoulin, Sylvain Schirmann (dir.), Europe organisée, Europe du libre-échange ? Fin XIX°-Années 1960, Bruxelles 2005, pp. 251254. Voir aussi la différence entre l’approche « contractuelle » et l’approche « libérale » née dans l’entre-deux-guerres : Éric Bussière et Michel Dumoulin, L’émergence de l’identité économique européenne d’un après-guerre à l’autre. In : René Girault (dir.), Identités et conscience européenne au XX° siècle, Paris 1994, pp. 82-85. Au début de 1956, la France passe de 77,5 à 82,3% de libération contre 99,1% pour l’Italie, 91,5% pour la RFA par exemple. L’objectif fixé en janvier 1955 à l’OECE était de libérer 90% du commerce (sur la base de 1948). Voir : L’année politique, 1956, Paris 1957, p. 129. Du 17 juin 1957 au premier janvier 1959, la libération des échanges de 82,3% est suspendue. AMINEFI, B 55.897, étude de la DG Prix sur la distribution, février 1964.
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Il développe une politique de surveillance des comportements anticoncurrentiels symbolisée par la célèbre circulaire Fontanet qui réprime sévèrement le refus de vente5. Cette politique est directement conçue comme complémentaire du Marché Commun : pour pouvoir profiter à plein de la suppression des barrières aux échanges à la frontière, il est nécessaire de supprimer les barrières intérieures qui pourraient subsister ou se renforcer6. À l’échelle des Six, la situation est encore plus explicite. La France accepte les deux accélérations du processus de libération des échanges intracommunautaires (12 mai 1960 et 15 mai 1962). Dans le cas de la première accélération, la France est même demandeuse : le ministre des Finances Antoine Pinay souhaite utiliser la baisse des droits de douane et l’accroissement des contingents pour faire pression sur les prix intérieurs7. L’ouverture extérieure est utilisée comme un outil intérieur de lutte contre l’inflation. À l’échelle internationale enfin, la France accepte également sans réticences majeures les négociations d’ouverture des marchés conduites dans le cadre du GATT. Comme l’a démontré Piers Ludlow, la négociation du Kennedy Round a permis à la France d’obtenir des concessions de ses partenaires dans le cadre de la CEE en instrumentalisant sa réticence traditionnelle envers la libération des échanges, alors qu’en réalité, elle n’y était pas hostile sur le fond8. Mais la libéralisation des échanges extérieurs et intérieurs ne doit pas être brutale et déstabiliser un tissu industriel endormi par le protectionnisme. La CEE offre un cadre idéal pour réguler cette ouverture extérieure. B. Une volonté de régulation forte Contrairement à une zone de libre-échange, la CEE offre de très nombreux outils de contrôle de l’ouverture des marchés. Il ne s’agit pas ici de contreparties à la libéralisation, comme la conception néo-protectionniste de nombreux responsables français qui analysaient la CEE comme un troc entre des exportations industrielles allemandes et des exportations agricoles françaises. La régulation désigne au contraire la promotion d’une logique libérale, fondée sur la réalisation de conditions de concurrence les plus loyales possibles par une suppression de l’ensemble des distorsions. La CEE offre plusieurs outils permettant de se rapprocher de cet idéal. Tout d’abord, la CEE est une union douanière. Cette forme d’union commerciale se distingue de la zone de libre-échange par l’établissement d’un tarif extérieur commun. Ce dernier permet d’éviter une concurrence qui débouche sur des détournements de trafic : un pays à tarifs douaniers bas importe de l’extérieur 5 6 7 8
AMINEFI, B 55.910, compte-rendu du Comité des prix du 17 février 1961 sur la circulaire Fontanet. AMINEFI, B 55.909, compte-rendu du Comité des prix du 29 juin 1959 : étude d’un rapport sur la distribution qui tire argument de la mise en place du Marché Commun pour préconiser la réforme de ses structures. AMINEFI B 17.680, lettre d’Antoine Pinay, ministre des Finances et des Affaires économiques, à Maurice Couve de Murville, 30 novembre 1959. Piers Ludlow, The European Community and the Crises of the 1960s. Negotiating the Gaullist challenge, Londres 2005, p. 127: “France’s efforts to defend its producers’ interests were in no sense out of line with those of the Germans, Belgians, Dutch or Italians when their domestic economic factors were threatened. And several of the disagreements that arose between the more hesitant liberalisers like France and the enthusiastic Dutch or German partisans of the Kennedy Round reflected divergent tactical assessments rather than genuine arguments over substance.”
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des produits qui ont donc un prix de vente intérieur faible. Ils peuvent ensuite être réexportés vers un pays voisin qui a supprimé ses droits de douane avec le premier et inonder son marché, même si ce dernier a cherché à se protéger par des tarifs douaniers élevés. L’unification des tarifs douaniers vis à vis de l’extérieur du Marché Commun permet d’éviter ces détournements de trafic, ce qui est particulièrement important pour la France car ses tarifs sont plus élevés que ceux de plusieurs pays parmi les Six comme ceux du Benelux notamment9. Le tarif extérieur commun se met en place progressivement au cours de 1959 à 1968. Ensuite, la CEE prévoit de s’attaquer aux formes de protectionnisme subsistant après la libéralisation douanière et commerciale. Il s’agit notamment du protectionnisme fiscal, qui s’exprime par des taxes non douanières qui élèvent le prix des produits importés et abaissent le prix des produits exportés. C’est par exemple le cas des taxes compensatoires. La France est, en 1958, le seul pays à appliquer la TVA10. Elle est déduite des produits exportés et ajoutée aux produits importés. Le système est donc transparent. Dans les cinq autres pays au contraire, c’est un système de taxes en cascade qui s’applique : des taxes d’un montant faible sont appliquées aux différents stades du processus de production alors que la TVA est appliquée en une fois au stade de la consommation. Les Cinq ont donc reçu le droit d’appliquer des taxes compensatoires. Cependant, de nombreux abus peuvent se développer. Pour lutter contre ce protectionnisme fiscal discret, la France a réclamé à de nombreuses reprises une action de la Commission européenne, puis a encouragé avec succès une harmonisation fiscale précoce par la diffusion du système de TVA aux Six11. Enfin, la CEE peut accorder des exceptions au principe de base de libéralisation des échanges en accordant des contingents tarifaires12, des tarifs spéciaux (liste G)13 ou même des protections temporaires. Ainsi, en 1962, la France a eu recours à la protection de l’article 226 -clause de sauvegarde en cas de difficultés sectorielles ou régionales, contre des importations massives de réfrigérateurs italiens, afin de permettre une restructuration du secteur concerné14. La CEE offre ainsi pour la France un cadre de régulation de la libération des échanges qui rend ce dernier processus stimulant sans être menaçant pour les structures économiques nationales. L’harmonisation du cadre législatif, en particulier sur le plan fiscal et du tarif extérieur, est le complément indispensable à une libération des échanges elle-même incontournable. Ce couple harmonisa-
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Voir notamment les craintes des constructeurs automobiles : ASGCI 1991.004, art 1, Lettre de Renault (M. Bosquet) au SGCI (J.-F. Deniau) du 7 février 1957. Sur sa genèse : Frédéric Tristram, Une fiscalité pour la croissance. La direction générale des Impôts et la politique fiscale en France de 1948 à la fin des années 1960, Paris 2005, pp. 295334. Frédéric Tristram, op. cit, pp. 573-576. Jacques et Colette Nême, Économie européenne. Paris 1970, p. 60 : exemples d’application de l’article 25 sur les contingents tarifaires. Article 20 sur la liste G : « Les droits applicables aux produits de la liste G sont fixés par voie de négociations entre les États membres. Chaque État membre peut ajouter d'autres produits à cette liste dans la limite de 2% de la valeur totale de ses importations en provenance de pays tiers au cours de l'année 1956. » Jacques et Colette Nême, Économie européenne. Op. cit., p. 71.
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tion/libéralisation est à la base du modèle français d’intégration économique européenne15. L’harmonisation ne doit toutefois pas entraîner de mutations trop radicales comme le propose le modèle allemand d’une régulation ordo-libérale. C. Le rejet d’une régulation ordo-libérale L’ordo-libéralisme est une doctrine économique fondée sur une base néoclassique : elle postule la nécessité de promouvoir le libre jeu du marché. De manière plus novatrice elle reconnaît la nécessité d’autoriser et d’encourager une intervention de l’État si elle se limite à la mise en place d’un cadre juridique permettant aux lois du marché de s’exprimer. Elle favorise le développement d’une politique de la concurrence efficace et sévère. Cette dernière doit lutter contre les accords entre les entreprises qui leur permettent de contourner les lois du marché telles que les ententes sur les prix. Dans ce type d’accord, les vendeurs s’accordent pour vendre à un prix supérieur à celui qui serait en vigueur si une concurrence véritable existait entre eux. Cette doctrine ordo-libérale est née en Allemagne16. Elle est particulièrement défendue par Ludwig Erhard, ministre de l’Économie de 1949 à 1963 et Chancelier fédéral de 1963 à 1966, et ceux qui le soutiennent comme Alfred MüllerArmack, l’inventeur de l’expression « économie sociale de marché »17. Ils sont à l’origine de la naissance d’une politique de la concurrence allemande particulièrement sévère, en tout cas sur le plan doctrinal, en 195718. Ce groupe ordo-libéral allemand cherche à promouvoir sa doctrine à l’échelle européenne en créant une politique de la concurrence communautaire forte. Cette ambition aboutit à l’adoption en 1962 du règlement 17/6219. Inspiré de la loi allemande, il instaure une politique théoriquement très sévère envers les ententes et appliquée par la Commission européenne. Ce système pose deux problèmes pour la France. D’une part, sur le plan institutionnel, il accorde trop de prérogatives à la Commission. D’autre part, sur le plan économique, il menace la politique de la concurrence française fondée sur un dialogue étroit et compréhensif entre les autorités publiques et les entreprises20. L’approche française repose sur la concertation, sur une discussion essentiellement économique et sur une décision de l’autorité politique nationale. Au contraire, le règlement 17/62 instaure une procédure ordo-libérale de type
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Sur la naissance de cette doctrine française dans le cadre de la CEE, nous nous permettons de renvoyer à notre article : Quelle Europe pour la France ? Les diplomates de la DAEF et le CNPF entre Petite et Grande Europe. In : Matériaux pour l’histoire de notre temps. 2004, p. 16. David J. Gerber, Law and competition in XXth Century Europe. Protecting Prometheus, Oxford 1998. pp. 232-265. Alfred Müller-Armack est un universitaire, professeur d’économie, et un collaborateur de Ludwig Erhard au ministère de l’Économie, d’abord comme directeur du bureau de la politique économique (1952-58) puis comme secrétaire d’État (1958-1963). Loi du 27 mai 1957, applicable à partir du 1er janvier 1958, dite loi GWB (Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen : loi contre les restrictions à la concurrence). Laurent Warlouzet, La France et la mise en place de la politique de la concurrence communautaire (1957-1964). In : Éric Bussière, Michel Dumoulin, Sylvain Schirmann (dir.), Europe organisée, Europe du libre-échange ? Fin XIX°siècle-Années 1960, Bruxelles 2006, pp. 175-202. Jacques Vandamme, Maurice Guerrin, La réglementation de la concurrence dans la CEE. Paris 1974, chapitre 2.
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juridique et d’inspiration répressive, mise en œuvre par une autorité supranationale. Pourtant la réaction des autorités françaises paraît très modérée : le gouvernement français a voté le règlement 17/62 et c’est surtout du patronat européen que provenaient les critiques les plus virulentes des ambitions de la Commission européenne21. Les ambitions des promoteurs de l’Europe ordo-libérale ne s’arrêtent pas là et concernent bientôt la question des aides d’État. La Commission européenne cherche dès le début des années soixante à élargir ses prérogatives dans cette direction22. Si les aides d’État sont surveillées par l’autorité communautaire, la dimension interventionniste de la politique économique intérieure française s’en trouve directement menacée. Le modèle économique français, fondé sur le jeu croissant des forces du marché combiné avec un interventionnisme étatique fort mais ciblé, est directement menacé. Le groupe ordo-libéral allemand propose donc une régulation du libéralisme qui laisse les États-nations de côté. Ce modèle s’oppose à une volonté française d’encadrer une libération des échanges, par ailleurs considérée comme indispensable, par une régulation forte fondée sur l’harmonisation législative et la coordination des interventions nationales. Le développement de l’Europe ordo-libérale avec le règlement 17/62 pousse les défenseurs du modèle économique français à réagir. La première réponse française ne provient toutefois pas de Paris mais de Bruxelles, avec la promotion d’un projet de planification européenne ambitieux.
II. Un projet de planification européenne ambitieux (1962-65) Le modèle économique français des années cinquante et soixante est marqué par une très forte originalité : le rôle central joué par un processus de planification indicative. Or les réseaux planificateurs se mobilisent vers 1962-63 sous l’impulsion du commissaire français Robert Marjolin pour promouvoir ce modèle à l’échelle européenne. Ce projet ambitieux et radical d’infléchissement de la CEE connaît un début de réalisation en 1964 mais sombre rapidement dès 1965. A. La mobilisation des réseaux planificateurs autour de Marjolin (1962-63) Le premier plan français de 1946 était de nature contraignante et concentré sur quelques secteurs. Avec les progrès de la reconstruction, la planification est moins utile mais elle est relancée dans les années 1960. À partir du IV° Plan de 1962-65, mis en œuvre par le nouveau commissaire au plan Pierre Massé, la planification se veut beaucoup plus globalisante que strictement sectorielle23. Elle intègre de nouveaux domaines comme l’aménagement du territoire, le développement des équipements sociaux (secteurs de la santé, de l’éducation et de 21
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Laurent Warlouzet, op. cit., pp. 187-193, et Sigfrido Ramirez, Antitrust ou anti US ? L’industrie automobile européenne et les origines de la politique de la concurrence de la CEE. In : Éric Bussière, Michel Dumoulin, Sylvain Schirmann (dir.), Europe organisée, Europe du libre-échange ? Fin XIX° siècle-Années 1960, Bruxelles 2006, pp. 203-228. La Commission européenne s’intéresse à ce problème dès 1958 : AMAEF, RPUE 619, Lettre de Pieter Verloren Van Themaat au représentant permanent français du 23 décembre 1958. Pierre Pascallon, La planification de l’économie française. Paris 1974 ; témoignage de Pierre Massé in Philippe Mioche et Bernard Cazes, Modernisation ou décadence. Contribution à l’histoire du Plan Monnet et de la planification en France, Aix-en-Provence 1990, pp. 151-168.
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l’urbanisme) ou la politique des revenus24. Elle constitue un cadre de référence mais non contraignant pour l’action des décideurs privés et surtout publics. Établie après un large processus de concertation, elle concrétise les ambitions de mise en œuvre d’une démocratie économique et sociale25. Les progrès de ces thématiques de gestion concertée de l’économie et des relations sociales ne sont d’ailleurs pas propres à la France. La Grande-Bretagne a montré la voie en matière de politique des revenus en se dotant d’une National Incomes Commission en 196226. Un bureau central du Plan existe aux Pays-Bas tandis que la Belgique et l’Italie se sont dotées d’institutions voisines entre 1959 et 196227. Le contexte est donc favorable pour la promotion de l’idée de planification à l’échelle européenne. C’est ce projet que défend le commissaire français Robert Marjolin à partir de 1962. Robert Marjolin est un économiste français keynésien qui a adhéré à des groupes planistes dans l’entre-deux-guerres28. Attentif également à une certaine rigueur dans la gestion économique, il est s’engagé pleinement dans la défense d’une modernisation libérale de la France et de l’Europe après la guerre, d’abord comme commissaire-adjoint au Plan (1946-48), comme secrétaire général de l’OECE (1948-55) puis comme l’un des principaux responsables de la négociation du Traité de Rome en France. En 1958, il devient viceprésident de la Commission européenne, chargé de l’économie et des finances. Il choisit de défendre la « programmation » européenne, c’est-à-dire l’adaptation à l’échelle européenne de la méthode de la planification française. Elle repose sur la concertation généralisée entre les acteurs publics et privés économiques et sociaux, pour définir les grandes lignes de l’évolution économique à cinq ans. Face à l’hostilité de principe de la RFA, rétive à toute rhétorique dirigiste, Marjolin retient l’appellation de « programmation » en lieu et place de celle de « planification », qui rappelle trop les régimes autoritaires. Il promeut la « programmation » européenne par une opération de communication, en organisant de grands colloques destinés à soutenir cette thématique, et en commandant des rapports. Il s’appuie pour cela sur le réseau planificateur français : Pierre Massé fait une intervention remarquée dans un colloque de 1962 dont Marjolin est l’acteur principal et qui a été financé par la Commission européenne29, des études sont commandées à des figures proches des milieux planifi24
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La politique des revenus désigne la tentative d’aboutir à une régulation nationale et concertée de la progression des revenus de l’ensemble des catégories sociales afin d’éviter les disparités trop importantes et une inflation trop forte. Voir le Rapport sur la politique des revenus établi à la suite de la conférence des revenus (octobre 1963-janvier 1964), présenté par Pierre Massé le 13 février 1964. Sylvain Schirmann signale par exemple que les Cahiers Reconstruction, proches de la CFDT, sont consacrés à la planification justement en 1962-63 : Sylvain Schirmann, CFDT et organisation des marchés européens au cours des années 1960. In : Éric Bussière, Michel Dumoulin, Sylvain Schirmann (dir.), Europe organisée, Europe du libre-échange ? Fin XIX° siècle-Années 1960, Bruxelles 2006, p. 243. Rapport sur la politique des revenus établi à la suite de la conférence des revenus (octobre 1963-janvier 1964), présenté par Pierre Massé le 13 février 1964, conclusion. Robert Marjolin, Rapport général. In : La programmation économique européenne et la programmation économique nationale dans les pays de la CEE, Vallechi, 1963, p. 10. Voir l’autobiographie de Robert Marjolin : Robert Marjolin, Le travail d’une vie. Mémoires 1911-1986, Robert Laffont, 1986, chapitres 4, 6 et 7. Sur la participation aux groupes planistes, voir : Stéphane Clouet, De la rénovation à l’utopie socialistes. Révolution constructive, un groupe d’intellectuels socialistes des années 1930, Nancy 1991, chapitre 4. La programmation économique européenne et la programmation économique nationale dans les pays de la CEE, Actes du colloque de Rome, 30 novembre au 2 décembre 1962, Vallechi,
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cateurs comme Claude Gruson30, et surtout Pierre Uri qui monte un groupe de travail sur ce thème avec d’autres planificateurs européens31. La doctrine économique de tous ces acteurs, Marjolin, Massé, Uri et Gruson, n’est pas strictement identique mais ils défendent tous la méthode de la planification indicative comme moyen de maximiser la croissance économique et le bien-être social, dans l’équilibre budgétaire. Cette mobilisation des réseaux planificateurs français et européens autour de Robert Marjolin permet à ce dernier de défendre un projet ambitieux d’infléchissement de la CEE. B. Une volonté d’infléchir radicalement la CEE Le projet de « programmation » européenne s’inspire d’une logique scientiste qui postule la nécessité d’orienter le marché par des interventions publiques et parapubliques. La logique planificatrice s’oppose donc directement à la doctrine ordo-libérale. Cette dernière part du principe de la nécessité de faire jouer les lois du marché sans restrictions, l’intervention publique devant se limiter non pas à corriger le marché mais à lui permettre de s’exprimer pleinement. Cette opposition se perçoit dans les débats internes à l’administration communautaire. La DG IV, la division chargée de mettre en œuvre la politique de la concurrence, critique le projet de Marjolin et de sa direction générale, la DG II, car il menace son domaine d’intervention, les aides d’État32. Il paraît en effet contradictoire d’évaluer la pertinence d’une aide d’État au regard des seuls critères micro-économiques de la libre concurrence (DG IV) ou au contraire de ceux de priorités économiques et sociales globales (DG II). De même, lors du débat interne à la Commission sur le projet de communication de Marjolin sur la programmation européenne de 1963, la DG IV et le commissaire à la concurrence Hans von der Groeben critiquent un projet contraire à leur doctrine économique33. Marjolin parvient finalement à surmonter les oppositions internes à la Commission et à présenter une communication au Conseil, le 25 juillet 196334. Elle préconise de constituer deux institutions : un groupe d’experts indépendants effectuant des travaux de prévision et surtout un comité chargé d’élaborer un
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1963. Pierre Massé rend le rapport sur la France et intervient à de nombreuses reprises dans les débats. Claude Gruson et Pierre Uri y prennent part également. Claude Gruson est directeur de l’INSEE. Il a participé au groupe de travail dirigé par Uri et a effectué des études spécifiques notamment : AHUE, BAC 27/1985, volume 4, folio 225, Note de M. Gruson sur les décisions à longue portée qui doivent être éclairées par la prévision économique, doc 12.867-5/II/64, 1964. Gruson, voir Aude Terray, Des francs-tireurs aux experts. L’organisation de la prévision économique au ministère des Finances. 1948-1968, Paris 2002. Pierre Uri est un économiste, ancien collaborateur de Jean Monnet au commissariat général au Plan (1947-52) puis à la CECA (1952-59). Il fut l’un des rédacteurs du rapport Spaak. Marjolin le nomma président du groupe de travail pour les problèmes de structures et de développement à long terme. Ce groupe comprend notamment Albert Kervyn de Lettenhove, secrétaire général du Bureau de programmation économique de Belgique et Pieter de Wolff, directeur du bureau central du Plan néerlandais. Voir : AHUE, BAC 62/1980, volume 7, folio 215, Rapport sur les perspectives de développement économique dans la CEE de 1960 à 1970, doc II/10680/63, 1963. AHUE, BAC 62/1980, volume 7, folio 408, note d’Armand Saclé au directeur général de La DG IV, Pieter Verloren van Themaat du 16 juillet 1963. AHUE, BAC 62/1980, volume 7, folio 381, projet de communication de la Commission au Conseil, doc II/COM (63) 271 du 10 juillet 1963. AHUE, procès-verbal de la 237° réunion de la Commission, 24 et 25 juillet 1963.
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programme quinquennal de coordination des politiques économiques nationales et communautaires. Lors du Conseil du 15 avril 1964, le comité de politique économique à moyen terme est créé. Il est constitué de hauts-fonctionnaires nationaux mais son secrétariat est assuré par la DG II. Dans l’esprit de ses promoteurs, il s’agit de provoquer le rapprochement progressif des politiques économiques nationales entre elles et avec celles menées par les institutions communautaires par un dialogue et une confrontation permanente. Par ailleurs, le conseil du 15 avril 1964 crée un comité de politique budgétaire qui doit comparer les perspectives budgétaires pluri-annuelles des Six. Enfin, il adopte, également à l’initiative de Marjolin, une recommandation de la Commission européenne sur les politiques conjoncturelles des Six35. Ainsi la CEE se dote, à l’initiative de son vice-président Robert Marjolin, d’instruments de coordination des politiques économiques à court et moyen terme très complets. Une doctrine économique volontariste, voire interventionniste, s’impose dans la genèse de ces décisions. Leur application n’est cependant pas à la hauteur des ambitions de leurs promoteurs. C. Un projet mort-né Le projet planificateur de Robert Marjolin souffrait de deux lacunes principales. D’une part il était trop ambitieux par rapport aux institutions existantes. D’autre part, il n’était pas suffisamment soutenu sur le plan politique, ce qu’illustre parfaitement la crise de la Chaise vide. Le comité de politique économique à moyen terme souffre de plusieurs faiblesses structurelles. Tout d’abord, son domaine d’activité est très étendu. Il doit s’intéresser à des problèmes très vastes de nature transversale (rythme de croissance, niveau d’emploi, politique des revenus) ou sectorielle (politique des structures industrielles, PAC). Dès la première année de son activité, le comité de politique économique à moyen terme multiplie les sous-groupes. Les sous-groupes des politiques des structures sectorielles et de la politique des revenus sont créés en avril 196536. En mai et juin 1965, le comité étend son activité à des problèmes connexes comme ceux de l’emploi et de la formation professionnelle ou de la politique régionale37. Ensuite, le comité n’est pas une institution puissante au sein de l’écheveau institutionnel communautaire. C’est un organe strictement consultatif, de petite taille, qui ne dispose pas de moyens d’expertise propres en dehors du groupe d’experts indépendants et des moyens de la DG II. Par ailleurs, il doit coordonner son activité avec les différentes DG de la Commission et avec les nombreux comités prévus dans le traité de Rome (Comité monétaire), ou inventés depuis (comité de politique conjoncturelle, comité de politique budgétaire, etc.), ce qui pose le problème de son autorité.
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AHUE, BAC 62/1980, volume 7, folio 150, « Recommandation de la Commission au Conseil, au titre de l’article 103 du Traité, de prendre des dispositions en vue du rétablissement de l’équilibre économique interne et externe de la Communauté », doc T/206/64 final du 14 avril 1964. AHUE, BAC 27/1985, volume 6, communiqué de presse du 9 avril 1965 après la quatrième réunion du comité de politique économique à moyen terme des 2 et 9 avril 1965. AHUE, BAC 27/1985, volume 7, compte-rendu de la réunion des suppléants du 14 mai 1985 ; AHUE, BAC 27/1985, volume 9, compte-rendu de la réunion des suppléants du 18 juin 1965.
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Enfin, le comité n’est pas unifié par une doctrine économique et européenne cohérente. Des divergences profondes existent sur les méthodes à utiliser et les finalités économiques et politiques. Certes Robert Marjolin, qui a montré son attachement aux lois du marché et à la lutte contre l’inflation38, semble vouloir concilier l’ « Europe organisée » et l’ « Europe du libre-échange » dans son projet de programmation européenne. Dans son esprit, elle doit servir à rationaliser les diverses interventions étatiques et à insérer pleinement l’économie européenne dans la libre-concurrence internationale. Mais il s’appuie sur des personnalités nettement moins libérales ou moins européennes, Claude Gruson s’opposant sur ces deux caractéristiques au commissaire européen français par exemple39. Le camp même des promoteurs de ce projet économique est hétéroclite. Sur le plan politique, l’idée de programmation n’était pas soutenue par les Six au-delà d’un simple intérêt de principe. La RFA restait réticente. Le gouvernement français lui-même n’était pas particulièrement enthousiaste envers un projet certes d’inspiration française mais qui ne provenait pas de lui. S’il soutient la naissance du comité de politique économique à moyen terme40, il entend limiter son action à une simple concertation destinée à préparer les travaux du Conseil des ministres41. Les débats sont utiles pour justifier la nécessité d’une action économique des États-membres pour orienter le marché, mais ils ne doivent pas servir à légitimer de nouveaux transferts de pouvoirs à la Commission européenne. Les priorités du gouvernement français étaient ailleurs, dans la consolidation de la PAC et surtout dans la volonté de réviser le fonctionnement institutionnel de la CEE. Cette attitude est à la source de la crise de la Chaise vide, déclenchée le 1er juillet 1965 à peine plus d’un an après la mise en place du comité de politique économique à moyen terme. Cela obère de manière dramatique son activité et ses ambitions car les représentants français n’y siègent plus pendant sept mois. Le projet de planification européenne soutenu par Robert Marjolin est révélateur des débats économiques des Trente Glorieuses en France et en Europe. Il démontre aussi que le fonctionnement de la CEE se caractérise par une confrontation de modèles économiques concurrents qui cherchent à s’imposer institutionnellement. Le projet de Marjolin connaît un début de mise en œuvre rapide pour contrer l’Europe ordo-libérale de von der Groeben, car il profite d’un contexte européen favorable à ces idées. Il s’enlise ensuite rapidement dans ses contradictions et du fait d’un soutien officiel français trop faible. Le gouvernement français choisit une autre voie pour relancer l’Europe économique, celle de la politique industrielle à partir de 1965.
III. Un volontarisme tardif : les projets de politique industrielle (1965-69) À partir de 1965, le gouvernement français et son administration commencent à nourrir des ambitions plus importantes pour l’union économique des Six. Cette 38 39 40 41
À de multiples reprises : lorsqu’il était au cabinet de Léon Blum en 1936, au cabinet de Christian Pineau en 1956-57, à la Commission européenne. Aude Terray, Des francs-tireurs aux experts. L’organisation de la prévision économique au ministère des Finances. 1948-1968, Paris 2002, p. 504. AMINEFI, B 17.682, note SGCI du 18 avril 1963. ASGCI, 1979.0791, article 67, note SGCI du 10 octobre 1966.
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mutation est issue d’une série de ruptures qui se produisent autour de 1965. Elles aboutissent à une prolifération d’initiatives destinées à promouvoir la thématique de la politique industrielle entre 1965 et 1967. Leur échec s’explique par une incapacité à faire évoluer en profondeur la politique européenne de la France. A. La rupture de 1965 À partir de 1965, l’évolution du contexte économique et commercial international et les impasses de la politique européenne de la France se combinent pour mettre en avant la thématique de la politique industrielle européenne. La politique industrielle désigne l’ensemble des actions de soutien des institutions publiques aux entreprises industrielles, privées ou publiques. Elle s’oppose à la fois à la doctrine ordo-libérale de stricte neutralité de l’État et à une politique concentrée sur le soutien à l’agriculture. Sur le plan du contexte international tout d’abord, les craintes liées à la compétitivité européenne s’accroissent. Dans le cadre du GATT, le succès du Dillon Round et la perspective de la fin du Kennedy Round ont largement libéralisé le commerce international. La France commence à craindre pour la compétitivité de ses entreprises dans une concurrence qui n’est plus seulement européenne mais qui devient mondiale. Le problème des investissements directs américains en Europe est particulièrement prégnant, surtout après la prise de contrôle de Simca par Chrysler en 196342. Paris estime que les entreprises américaines ont un pouvoir économique considérable, dont il convient de contrôler les abus éventuels – en terme de prise de contrôle d’entreprises européennes stratégiques ou de concurrence déloyale – par une action européenne. Toute action nationale est en effet vouée à l’échec car elle peut être contournée par une localisation dans un pays voisin. Mais en 1963-64, la France est la seule à demander une action européenne43. A partir de 1965, l’accroissement de la concurrence internationale commence à être perceptible dans les autres pays d’Europe comme en témoigne le document du syndicat patronal européen, l’UNICE, sur la taille des entreprises44. La thématique de la compétitivité de l’industrie européenne, qu’il convient d’encourager par une politique industrielle adaptée, commence à devenir plus consensuelle parmi les Six. Cet intérêt européen pour le dossier industriel s’accentue au moment où la France commence à remettre en cause la concentration de sa politique européenne sur les dossiers institutionnels et agricoles. La naissance d’une politique de la concurrence ordo-libérale menaçante, tout comme le développement de projets de politique à moyen terme intéressants mais qu’elle ne contrôle pas, amènent les responsables français à prendre conscience de l’urgence de se positionner officiellement sur les questions industrielles. La crise de la Chaise vide (1er juillet 1965-29 janvier 1966) a constitué une étape majeure de cette prise de conscience. Les notes établies par certains hauts fonctionnaires à cette occasion témoignent de la nécessité désormais bien acceptée et ouvertement prônée d’une 42 43 44
Nombreux articles dans la presse de l’époque, notamment : « La prise de contrôle de Simca par Chrysler préoccupe les milieux officiels », Les Échos, 21 janvier 1963. Elle reçoit le soutien de la Commission européenne mais ne parvient pas à faire passer ses préoccupations auprès des Six : AMINEFI, B 62.124, compte-rendu de la réunion des ministres des Finances des Six, 10 et 11 juin 1963. ASGCI, 1979.0791, volume 101, « Tableau comparatif des entreprises industrielles de la CEE dans la confrontation internationale », UNICE, 26 février 1965.
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réorientation des priorités de la politique européenne de la France, de la PAC vers les dossiers de l’union économique et, en particulier, vers la politique industrielle45. La Chaise vide semble avoir été perçue comme un symptôme de l’échec d’une politique européenne qui ignore ce qui est au coeur de la CEE, mais aussi du développement de la France, à savoir la modernisation des structures industrielles. Au même moment d’ailleurs, la France commence à lancer des projets de politique industrielle nationale ambitieux comme le plan Calcul46. Ainsi, autour de l’année 1965, les craintes liées à la compétitivité de l’industrie européenne commencent à gagner les Six tandis que la France cherche justement à réorienter sa politique européenne vers des dossiers plus économiques et industriels. B. Des initiatives multiples entre 1965 et 1967 À la faveur de cette prise de conscience, de multiples initiatives se mettent en place en trois temps de 1965 à 1967. Dans un premier temps, c’est le gouvernement français lui-même qui lance une initiative en matière de politique industrielle au premier semestre 1965 à la faveur de sa présidence du Conseil de la CEE. Le 4 mars 1965 est publié un mémorandum français qui propose l’élaboration d’une politique européenne de la recherche scientifique et technique47. Il s’agit de combler le « fossé technologique » avec les entreprises américaines pour renforcer la « capacité concurrentielle » de l’industrie européenne. Pour cela, le gouvernement français propose une confrontation des politiques nationales devant déboucher sur leur coordination. Pas de politique commune supranationale donc, en dépit de l’appellation du mémorandum48, mais une volonté de lancer des initiatives concrètes pour améliorer les structures industrielles européennes. La méthode passe de l’intégration négative, par la suppression des obstacles, à l’intégration positive, grâce à des mesures plus volontaristes. Suite à ces démarches, un groupe de travail pour la politique de la recherche scientifique et technique (PRST) est créé. Présidé par un haut-fonctionnaire français, il doit appliquer le programme prévu par le mémorandum français. Il tient sa première réunion le 14 juin 196549, deux semaines avant la crise de la Chaise vide. La politique européenne de la France agricole et révisionniste (en matière institutionnelle) brise la politique européenne de la France industrielle et volontariste. Dans un second temps, les travaux en matière de politique industrielle sont relancés à la fin de 1966 par des réflexions italiennes et britanniques sur le « gap
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Voir les très nombreux documents qui témoignent de cette prise de conscience et notamment, au SGCI et au Commissariat au Plan : ASGCI, 1979.0791, volume 101, note SGCI du 28 juillet 1965 ; ANF, Daney de Marcillac, volume 7, note du commissariat au Plan du 28 octobre 1965. La décision gouvernementale de lancer le Plan Calcul a été prise à l’été 1966. AMAEF, RPUE 685, « Note du gouvernement français sur l’élaboration d’une politique commune de la recherche », 4 mars 1965. Et d’une formulation vague tout à la fin du mémorandum : « Il [le gouvernement français] souligne, dès à présent, que si les études qu’il suggère donnent des résultats positifs, elles pourront ultérieurement servir de fondement à la définition d’une véritable politique commune de la recherche » ; AMAEF, RPUE 685, « Note du gouvernement français sur l’élaboration d’une politique commune de la recherche », 4 mars 1965. AMAEF, RPUE 685, compte-rendu de la première réunion du groupe de travail sur la politique de la recherche scientifique et technique du 14 juin 1965.
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technologique »50. De leur côté, les chanceliers allemands Erhard et Kiesinger se montrent également sensibles à ces thématiques dans les entretiens francoallemands51. La prise de conscience générale qui avait débuté en 1965 s’approfondit. Elle est symbolisé par l’ouvrage de Jean-Jacques Servan-Schreiber intitulé « Le défi américain » qui est publié en 196752. C’est le moment que choisit la Commission européenne pour publier un mémorandum sur la politique industrielle de la Communauté le 4 juillet 196753. Ce mémorandum aborde un très grand nombre de problèmes, de l’harmonisation législative (société européenne, brevets) à l’harmonisation fiscale en passant par la coordination des politiques de la recherche scientifique et technique, et les politiques financière, énergétique et sociale. Il distingue deux types de secteurs prioritaires : les secteurs en crise comme les matières premières et les branches industrielles anciennes (textiles) d’une part, les secteurs de pointe (électronique) d’autre part. Mais une absence de hiérarchisation des priorités émerge de ce document. Dès lors, dans un troisième temps, le gouvernement français choisit d’opérer une relance plus ciblée. Il obtient du Conseil des ministres de la CEE du 31 octobre 1967 une résolution commune ambitieuse54. Constatant une fois de plus le retard technologique de l’Europe face aux États-Unis, la résolution appelle à une poursuite des travaux connexes déjà engagés (société européenne, harmonisation fiscale, etc.) et surtout à une relance des travaux du groupe de travail PRST. Il doit examiner les possibilités concrètes de coopération dans six secteurs très précis comme l’informatique et les télécommunications. Un rapport doit être adressé avant le 1er mars 1968 au Conseil ce qui constitue une relance très concrète des travaux. Ainsi à la fin de 1967, la politique industrielle européenne semble être devenue relativement consensuelle. Elle est relancée autour de deux ensembles de mesures : des réflexions sur l’environnement juridique et fiscal des entreprises d’une part, des projets plus sectoriels dans la politique de la recherche scientifique et technique et dans les secteurs en déclin d’autre part. Cette thématique a bénéficié, contrairement au projet de Marjolin de planification européenne, d’un soutien fort de trois réseaux qui convergent : un groupe actif de haut-fonctionnaires français en poste à Paris ou à Bruxelles, des membres non-français de la Commission européenne ou de son administration comme le commissaire aux affaires industrielles Guido Colonna di Paliano, et enfin le gouvernement français, qui reçoit le soutien d’une partie des autres gouvernements de la CEE. Cependant ce projet ne parvient pas à s’imposer comme une priorité au sommet du gouvernement français.
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AMINEFI, B 52.380, compte-rendu d’une réunion sur le « gap technologique » chez le ministre Peyrefitte, 18 novembre 1966. AMAEF, Papiers directeurs Jean-Pierre Brunet, volume 54, compte-rendu des entretiens entre Charles de Gaulle et Ludwig Erhard le 21 juillet 1966, compte-rendu des entretiens entre Georges Pompidou et Kurt-Georg Kiesinger du 13 janvier 1967. Jean-Jacques Servan-Schreiber, Le défi américain, Paris 1967. AHUE, BDT 118/83, volume 807, doc SEC (67) 1201 final, mémorandum sur la politique industrielle de la Communauté, 4 juillet 1967. AMAEF, RPUE 685, résolution du Conseil des ministres de la CEE tenu à Luxembourg le 31 octobre 1967, document du Conseil R/1548/67.
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C. La politique industrielle victime des priorités françaises En dépit d’une réorientation vers les thématiques industrielles, la politique européenne de la France reste concentrée sur les deux priorités antérieures, la PAC et des objectifs politiques qui induisent naturellement un rejet de la GrandeBretagne. Si la crise de la Chaise vide a brisé la première proposition française de politique industrielle, le second rejet de la Grande-Bretagne en novembre 1967 donne un coup d’arrêt brutal à la relance française du Conseil CEE du 31 octobre 1967. En effet, l’Italie et les Pays-Bas suspendent immédiatement leur participation aux travaux du groupe PRST pour protester contre la décision française55. Par ailleurs tous les travaux en matière de politique industrielle, sectorielle ou générale, sont obérés par le problème de l’extension des coopérations hors des Six, c’est-à-dire à la Grande-Bretagne. Ce clivage entre la France, qui veut réserver les progrès de l’intégration européenne aux Six, et d’autres pays membres, qui veulent les étendre à la Grande-Bretagne, ajoute une division supplémentaire à un dossier de la politique industrielle qui était déjà très complexe. Au début de 1968, la France tente de circonvenir le blocage prévisible à Six par une relance de la coopération franco-allemande, axée cette fois-ci sur les questions économiques et industrielles56. Mais la crise sociale de mai 1968 brise cet élan. De nouveaux entretiens bilatéraux au sommet sont prévus sur cette question à l’automne 196857 mais le manque de coopération entre Paris et Bonn lors de la crise du franc de novembre 1968 empêche toute relance des travaux. C’est finalement la Commission qui reprend les travaux dans un autre contexte, avec le mémorandum Colonna de 1970. Les épisodes du second rejet de la Grande-Bretagne et de la crise de 1968 démontrent l’échec d’une politique européenne centrée exclusivement sur la PAC et des objectifs politiques de puissance, au détriment de considérations économiques et industrielles. Ces dernières impliquent naturellement, dans la mesure où elles s’inscrivent dans la tradition de « l’Europe organisée », une pratique des institutions européennes très pragmatique et non doctrinale, qui a été pratiquée un temps avec le groupe PRST. Elles ne peuvent s’accommoder de méthodes brutales comme un veto. Ce dernier a contribué à fragiliser toutes les thématiques de la politique industrielle parce qu’elles étaient soutenues par la France. La crise de mai 1968 a affaibli un peu plus encore l’autorité de la France dans la CEE justement parce qu’elle intervient six mois après le second rejet de la GrandeBretagne. Conclusion Trois conclusions principales se dégagent de cette étude de la politique économique européenne de la France gaulliste, d’abord sur le plan du processus de décision, ensuite sur les doctrines défendues, enfin sur l’importance économique de la CEE pour la France sur le long terme. 55 56 57
AMAEF, RPUE 685, note PhL du 25 mars 1968. ASGCI, 1979.0791, volume 207, note SGCI du 7 février 1968 en vue des entretiens francoallemands. ASGCI, 1979.0791, volume 207, note SGCI du 17 septembre 1968 en vue des entretiens francoallemands.
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La grande diversité des acteurs engagés dans des processus de décision complexe doit être soulignée. Le sommet de l’Exécutif français n’est pas le seul promoteur d’une Europe économique proche des préoccupations françaises. C’est le patronat qui s’est mobilisé le premier contre l’Europe ordo-libérale. De même, c’est le commissaire européen Robert Marjolin qui lance la programmation européenne en liaison avec les milieux planificateurs français mais sans être guidé par le gouvernement français. Enfin, la politique industrielle est promue par un ensemble de haut-fonctionnaires français et européens répartis entre Paris et Bruxelles qui s’opposent à d’autres décideurs français arc-boutés sur la priorité ancienne donnée à la PAC. L’image d’Épinal d’une France où toutes les décisions en matière de politique étrangère sont prises par le général de Gaulle seul ne résiste pas à l’examen des dossiers en négociation, dont la complexité est impossible à embrasser par un homme seul, si brillant soit-il. De même, la Commission européenne ne peut absolument pas être considérée comme une unité. Face au projet ordo-libéral de la division de la concurrence du commissaire allemand von der Groeben émerge une ambition planificatrice largement antagoniste. Les divisions au sein du processus de décision sont dues en grande partie à des oppositions de doctrine. Les partisans de l’ « Europe du libre-échange » sont partagés entre les libéraux classiques –uniquement partisan d’une libéralisation commerciale, les ordo-libéraux et les libre-échangistes régulateurs, le gouvernement français appartenant à la dernière catégorie. De même, différents modèles d’ « Europe organisée » ont été proposés depuis la programmation à moyen terme aux ambitions globalisantes et macro-économiques jusqu’aux diverses versions de la politique industrielle, qui insistaient soit sur une logique indirecte (mesures d’harmonisation du cadre législatif) soit sur des logiques sectorielles. La France s’est efforcée de concilier ces deux Europe, libre-échangiste et organisée, sans parvenir à trouver une voie claire, à la fois consensuelle et opérante. L’Europe économique est pour la France un élément indispensable de son processus de modernisation depuis 1945. La CEE permet de supporter une libération des échanges qui est devenue incontournable. Elle permet également de gérer des problèmes anciens communs à tous comme les problèmes de l’agriculture, des secteurs industriels en crise ou les distorsions de concurrence dans les échanges. Elle autorise enfin la mise en oeuvre de politiques publiques nouvelles comme la politique de la concurrence et la politique de la recherche scientifique et technique, ou plus récemment la politique de l’environnement. Ces trois cadres se retrouvent encore aujourd’hui pour légitimer une politique européenne de la France ambitieuse dans le domaine économique, mais qui peine à trouver une doctrine cohérente.
Summary The study of the French EEC policy of the 1960s is often reduced to the prestigious figure of Charles de Gaulle, the French leader from 1958 to 1969. Therefore, the vision of the French EEC policy is often limited to its political and agricultural objectives, that is to say an intergovernemental Europe led by France and a Common Agricultural Policy. This article aims to show 1) that de Gaulle was not alone in defining and implementing French EEC policy and 2) that France had
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very important economic objectives (apart from agriculture) in European Integration. Three main projects are studied. Firstly, French decision-makers sought in European Integration a tool to regulate the opening of their internal market to international competition. They supported the pace of liberalization but they were opposed to the ordo-liberal orientation developed by German officials at the European Commssion. Secondly, within the European Commission, the French commissioner for Economic Affairs Robert Marjolin, launched in 1962 a bold project of European Planning. Its aim was to better coordinate the national economic policies of the Six EEC countries. He succeeded in gathering a large number of supporters in the planning groups of various European countries, and in particular France. Eventually, Marjolin’s project failed but this attempt shows that France’s EEC Policy was not solely led by the French President in Paris. On the contrary, Marjolin’s initiatives were completely independent to de Gaulle’s priorities. Thirdly, from 1965 onwards, the French governement began to defend the creation of an European Inustrial Policy. Several ambitious projects were defended (creating a common status of European company, shape a common Research and Technology Policy) by French civil-servant who were linked with French and Italian officials working at the European Commission (European civil-servants and Commissioners). However, this project was condemned by de Gaulle’s political choices, and the crisis they triggered (the Empty Chair Crisis in 1965 and the Second Rejection of Great-Britain in 1967). These three important objectives (regulated liberalism, macro-economic coordination and Industrial Policy) remain very important for today’s French EU Policy but it is still difficult for French decision-makers to articulate them in a coherent way.
Zusammenfassung Die Studien zur französischen EWG-Politik in den 1960er Jahren beschränken sich häufig auf den Staatschef Charles de Gaulle (1958-1969). Dies hat zur Folge, dass die französische Europapolitik auf zwei Aspekte reduziert wird: den politischen (Begünstigung eines zwischenstaatlichen Europas unter der Führung Frankreichs) und den landwirtschaftlichen (Durchsetzung einer gemeinsamen Landwirtschaftspolitik). Dieser Artikel soll zum einen zeigen, dass es neben de Gaulle weitere maßgebliche französische Europapolitiker gegeben hat und zum anderen, dass Frankreich neben den landwirtschaftlichen, auch wirtschaftspolitische Ziele im Rahmen der europäischen Integration verfolgte. Im Einzelnen geht es um drei Beispiele: Erstens haben die französischen Politiker versucht durch die europäische Integration die Öffnung des französischen Marktes für die internationale Konkurrenz zu regulieren. So haben sie zwar die Liberalisierung des Handels befürwortet, aber nicht das Projekt eines ordoliberalen Europas wie es von deutschen Vertretern bei der Europäischen Kommission entwickelt wurde. Zweitens hat Robert Marjolin, französischer Kommissar für Wirtschaftsfragen bei der Europäischen Kommission 1962 ein ambitioniertes Projekt zur Planung vorgelegt. Es gelang ihm zahlreiche bedeutende Unterstützer bei den Anhängern der Planwirtschaft der verschiedenen Staaten und insbesondere in Frankreich zu
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gewinnen. Die Initiative von Marjolin scheiterte zwar, gleichzeitig macht sie deutlich, dass die französische Europapolitik nicht ausschließlich durch den französischen Präsidenten definiert wurde, entsprach sie doch nicht den von de Gaulle definierten Prioritäten. Drittens begann seit 1965 die französische Regierung den Schwerpunkt ihrer EWG-Politik auf die Industrie zu verlagern. Aus diesem Anlass wurden verschiedene Projekte auf den Weg gebracht wie etwa die Schaffung einer für alle europäischen Unternehmen verbindlichen Verfassung oder eine gemeinschaftliche Politik in den Bereichen der wissenschaftlichen und technischen Forschung. Diese Initiativen wurden von hohen französischen Beamten verteidigt, die mit französischen und italienischen Mitarbeitern bei der Kommission zusammenarbeiteten. Das Projekt war aufgrund der Politik von Charles de Gaulle (Politik des leeren Stuhls und zweite Ablehnung des EWG-Beitritts Großbritanniens) jedoch zum Scheitern verurteilt. Die drei von Frankreich im Rahmen der europäischen Integration vertretenen wirtschaftspolitischen Ziele – regulierter Liberalismus, makro-ökonomische Koordination und Industriepolitik – stehen bis heute im Zentrum der französischen Europapolitik und bleiben jedoch auch weiterhin schwer zu vertreten und zu koordinieren.
L’AERONAUTIQUE MILITAIRE EN EUROPE, ENTRE DIMENSION NATIONALE, INTEGRATION EUROPEENNE ET COOPERATION ATLANTIQUE (1948–1990) DAVID BURIGANA, PASCAL DELOGE, ANDREA PIEROTTI, PIERRE-LUC PLASMAN « Deus amentat quos vult perdere », note Spinelli à la fin de 19751. Le « commissaire » aux Affaires industrielles, scientifiques et technologiques vient d’achever un tour d’horizon auprès d’hommes politiques et d’industriels. Il s’agissait d’une éventuelle « politique aéronautique communautaire ». Nommé en juillet 1970, il prend l’initiative en envoyant un Programme d’action pour l’aéronautique européenne au Conseil le 1er octobre 19752. Ce document s’insère dans le cadre de sa politique industrielle « globale » conçue en réponse aux idées du Club de Rome, conceptions résumées dans le rapport du team du Massachusetts Institute of Technology The Limits to Growth3. Dans la mesure où une technologie dual use caractérise le secteur, le Programme voit dans l’aéronautique une clé de voûte du futur développement technologique de l’Europe et un terrain de confrontation économicoindustrielle, politico-stratégique… avec les Etats-Unis. Au-delà de la différence entre les utilisateurs d’avions – forces aériennes/compagnies aériennes – il veut montrer l’interconnexion entre production militaire et civile. Le Programme remarque par exemple comment la demande de matériel militaire couvre 62% d’une production dont 55-60% est d’origine européenne. Face à la dispersion des ressources, à l’absence d’une programmation européenne, à la fragmentation des processus décisionnels, à la pénétration croissante des Américains dans le marché européen, à des « politiques centrifuges qui auraient amené la disparition d’une industrie aéronautique européenne autonome », le Programme prône pour un « espace aérien européen », un « marché commun de l’aéronautique » et une « agence européenne » d’achat4, voix commune face aux pays tiers. Le Conseil est appelé à se prononcer. Cinq mois auparavant, le 15 mai 1975, devant la presse, à Brême, Werner Knieper, Président de l’Association allemande des industries aéronautiques et d’Airbus Industrie, dénonce l’absence d’un « marché européen coordonné »5. Deux 1 2
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A. Spinelli, Diario europeo. Vol. II (1970-76), édité par E. Paolini, Bologne 1991, p. 871. Bulletin des Communautés européennes, supplément 11/75, pp. 1-33. Inspiré par Spinelli, en est l’auteur son chef de cabinet, le libéral britannique et contact-man, Christopher Layton, auteur aussi de European advanced technology: A programme for integration. London 1969. Résumé en Spinelli, La mia battaglia per una Europa diversa, Manduria 1979, pp. 67-78. Tout le dossier dans Archives Historiques de l’Union Européenne, Florence [dorénavant AHUE], AS 33. D. H. Meadows, D. L. Meadows, J. Randers et W. W. Behrens III, New York, Potomac Associates, 1972 ; Cfr. D. Pasquinucci, Europeismo e democrazia. Altiero Spinelli e la sinistra europea (1950-86), Bologne 2000, pp. 272-278. Spinelli en a écrit dans L’avventura europea, à la veille du summit de Paris, octobre 1972, Bologne 1972, p. 167. Archives du Ministère des Affaires Etrangères, Parsi [dorénavant AMAE], Europe 70-75, RFA 3027, Dépêche Louis Hirn, Consul général, Brême, le 15.
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jours auparavant, Spinelli a rencontré le ministre de la Défense français Yvon Bourges6. Le Commissaire vient de lire la déclaration du ministre en faveur d’une industrie aéronautique européenne. Il lui propose donc d’« insérer le transport aérien dans le cadre communautaire »7, et une sorte de « communautarisation de l’industrie aéronautique »8. Ce sera le « plan Schuman de l’aviation ». Spinelli le présente le 27 dans un colloque organisé par le Financial Times avec les dirigeants des principales firmes européennes et américaines. Première étape : réunir les entreprises européennes autour d’un projet d’avion pour la décennie suivante. Et de citer Airbus en tant que « noyaux dur » et la participation britannique comme « élément clé de n’importe quel programme équilibré »9. Sur ce plan, il s’inspire du Programme d’action. Spinelli multiplie les contacts avec les industriels, comme Ludwig Bölkow de Messerschmitt-Bölkow-Blohm et l’« européiste » Lord Allen Greenwood10, Président de l’European Association of Aerospace Industries et de British Aircraft Corporation. Mais les choses piétinent du coté des responsables politiques. Le ministre allemand de l’Economie Hans Friederichs veut miser seulement sur les deux projets « européens », Airbus et Tornado. Il abandonne aussi l’idée d’un financement communautaire11. Le ministre ne croit pas en la sincérité des Anglais et des Français étant donné que, tout comme les Italiens, ils négocient avec les Américains. Par ailleurs, Bonn en fait autant avec Boeing. Entretemps, à Paris, Bourges fait marche arrière. Le Secrétaire d’Etat aux transports Marcel Cavaillé est « décidemment sceptique »12 : il préfère lui aussi les Américains. Au fond, ce que Spinelli avait pensé de l’accord Aeritalia-Boeing pour la réalisation du B7x7 n’est-il pas en train de se reproduire ? « Se lancer dans une grande réalisation avec les Américains pour en sortir renforcé de sorte à pouvoir procéder seul »13. Face au Programme, le Conseil finira par voter la seule concertation sans politique commune comme il l’avait déjà fait en juin 1974. Le 25, le Conseil des ministres de l’industrie14 aborde l’aéronautique et se limite à une résolution portant sur l’information et la consultation. Au Secrétaire général Emile Noël de constater : « On est donc loin de la politique d’ensemble que la Commission avait proposée (intention de créer une industrie de dimensions européennes et politique active pour stimuler les projets communs ; discipline commune en matière d’aides, en favorisant les projets internationaux ; règlement crédits à l’exportation) ». Il s’agit, comme conclut Noël, « donc bien davantage d’amorcer la pompe et de faire confiance à l’avenir ». En somme, il s’agirait de « projets européens mais non pas communautaires », suivant une expression de Bernard Esambert, conseiller industriel du Président Pompidou15. Avec ce débat sur une aéronautique européenne au milieu des années 70, nous sommes en présence de l’un des insuccès du processus 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15
Dans le cabinet Chirac (janvier-octobre 1975). Spinelli, Diario europeo, Vol. II…, cit., 13 mai 1975, pp. 786-787. Ivi, 27 mai 1975, p. 794. AHUE, AS 33. Spinelli, Diario europeo, Vol. II…, cit., 27 février et 10 octobre 1975, pp. 760 e 839. Ivi, 24 novembre et 3 décembre 1975, pp. 866 e 871. Ivi, 19 décembre 1975, p. 881. Spinelli, Diario europeo, Vol. II…, cit., p. 510. AHUE, EN 474. Son témoignage en E. Chadeau (éd. par), Airbus, un succès industriel européen par l’Institut d’histoire de l’industrie, Ed. Rive Droite, 1995, pp. 67-74, et auteur de Pompidou, capitaine d’industries, Paris 1994. Les Archives Pompidou gardent les dossiers Esambert.
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d’intégration européenne en matière d’ « espace aérien européen ». S’est-on orienté depuis vers une deuxième trajectoire, non pas alternative mais parallèle dans la construction européenne, celle de la pratique intergouvernementale, de la « coopération » ? A partir d’une analyse dans la longue période, pourrait-on interpréter dans ce sens l’actuel développement de la coopération aéronautique européenne ? EADS, Agence Européenne de la Défense, Organisation Conjointe de Coopération des Armements (OCCAR)… Il ne s’agit donc pas ici de contribuer directement à l’histoire de l’aéronautique en racontant l’expérience d’Airbus ou quelques cas de coopérations fructueuses. Notre contribution cherche à approcher l’histoire de l’intégration européenne et à y mettre en évidence des forces centrifuges ou centripètes évoquées par Spinelli en ce qui concerne l’aéronautique et la défense16. Le rapprochement, apparemment surprenant, entre ces deux dimensions de la construction européenne est certes dû à l’usage de technologies duales. Mais il est sans doute lié aussi à leur rapport avec l’identité nationale et la recherche de souveraineté17. Nous partons, non des institutions et des philosophies qui les animent, mais d’un secteur capital par l’usage de hautes technologies et par ses multiples retombées économiques et stratégiques. Cherchant à étudier la naissance et la lente mise en œuvre de ces forces intégratrices ou « désintégratrices », nous abordons forcément la longue durée. Nous couvrons donc le sujet depuis les années ’40 où les premières coopérations aéronautiques européennes sont signalées jusqu’aux ‘90s, période au sein de laquelle la décennie ’70 semble bien avoir une place particulière pour des raisons précisées dans la première partie de ce papier. Mais on ne peut pas aborder cette vaste problématique globalement. Trois axes de recherche se croiseront dans ces pages. (1) Quels sont les traits marquants du développement d’une Europe aéronautique ? Quand, par exemple, naît un véritable acteur institutionnel en cette matière ? (2) Quel est le rôle et la motivation des industriels dans la recherche d’une coopération européenne en ces matières ? Nous donnerons ici les exemples des entreprises belges FN et SABCA dans leurs choix d’un partenaire américain ou européen. (3) Comment, enfin, les Etats et ceux qui les animent en ce qui concerne les programmes nationaux d’équipement de défense, c’est à dire les politiques et les militaires, intègrent-ils le désir d’Europe dans leur stratégie ? Sur ce point, on envisage le cas du Joint Strike Fighter face à l’Eurofighter. Traversant ainsi cinq décennies, ces trois axes se veulent séquents en un point : la rivalité entre Europe et Etats-Unis, entre intégration européenne et coopération atlantique dans le chef des acteurs de l’intégration aéronautique militaire et civile européenne. Des recherches antérieures, en effet, nous ont indiqué cette question comme l’une de celles autour de laquelle gravitent les forces que nous voulons identifier. 1. Les caractéristiques du processus d’intégration aéronautique européenne Sur base de recherches dans les archives militaires et diplomatiques européennes et américaines, trois caractéristiques ressortent de l’évolution aéronautique euro16 17
Déjà explorée ailleurs : E. Bussière, M. Dumoulin et S. Schirmann (édité par), Europe organisée, Europe du libre-échange ? Fin XIXe siècle - Années 1960, Bern, 2006. Dumoulin, M., Les transports, bastion des nationalismes, dans IDEM, Ed., La commission européenne, 1958-1972. Histoire et mémoire d’une institution, Luxembourg 2007, p. 457 et suivantes.
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péenne durant toute cette période. Elles se trouvent confirmées par les deux points suivants de cette contribution. La réalité duale du secteur étudié, la forte pénétration américaine jusqu’au tournant des années ’70 et ’80 et l’absence d’acteur européen, institutionnel ou industriel jusqu’à la fin du siècle malgré quelques initiatives. La première de celles-ci, ou du moins l’une des plus frappantes, c’est l’entrelacement entre produits civils et militaires. Elle est relevée par Spinelli. Elle s’établit au niveau des firmes productrices (voir point 2) puis de la technologie dont elles usent et enfin du financement qui leur est nécessaire18. Il est dès lors impossible de séparer nettement la question d’un espace aéronautique européen de celle de la défense aérienne des Etats membres, avec ses retombées sur les programmes nationaux de rééquipement évoqués en fin d’article (point 3). De même, les productions industrielles militaires et civiles sont de plus en plus interdépendantes avec le temps qui passe. Au niveau de la technologie, les solutions employées dans les avions de combat sont par la suite réinterprétées pour les appareils commerciaux. C’est, par exemple, le cas des commandes électriques – fly-by-wire – et non plus mécaniques. On les trouve pour la première fois sur l’Airbus A320 lancé en mars 1982 et en activité depuis juillet 198819. C’est aussi vrai pour la motorisation. Exemple : de la technologie de pointe développée en 1972-74 par General Electric pour le moteur du futur chasseur F 15 est demandée par la société française SNECMA dans le cadre de leur accord de coopération signé en février 1972. Etabli dans ses grandes lignes lors de la rencontre des Açores en décembre 197120, l’accord reçoit une interprétation « un tantinet élastique » par l’administration Nixon qui en congèle les effets. Le Président Pompidou intervient donc auprès de Nixon par une lettre officielle le 1er juillet 1972, sollicitée par son conseiller industriel Bernard Esambert21. Quant au financement, la relation entre civil et militaire repose sur des contrats militaires en « dents de scie » qui obligent les producteurs à se tourner vers l’aviation civile pour maintenir leur activité. Par ailleurs, le poids des commandes militaires reste grand dans la survie des entreprises aéronautiques jusqu’à récemment. Telle est bien la façon de voir au Department of Trade and Industry et au Ministère de la Défense britannique depuis la fin des années 60 et à la veille du premier élargissement de la Communauté européenne. En octobre 1973, avec l’Ambassadeur français Beaumarchais, le nouveau Secrétaire à la Défense Lord Carrington note « qu’il serait sage de fusionner les moyens existants en Europe si l’on voulait que les industries européennes deviennent compétitives vis-à-vis des Américains »22. On voit la même tendance dans les initiatives de Healey en
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Cfr. une étude commissionnée au Polytechnique de Turin par la DG Affaires Industrielles sur Les industries aéronautiques et spatiales de la Communauté, comparées à celles de la GrandeBretagne et des Etats-Unis (1971), Bruxelles 1972. P. Muller, Airbus. L’ambition européenne. Logique d’Etat, logique de marché, Paris 1989, pp. 176186. National Archives and Record Administration, College Park [dorénavant NARA], Nixon Project, NSC-CO 680. Esambert, témoignage en Chadeau, Airbus…, cit., p. 73. AMAE, Europe 71-76, Grande-Bretagne 319, Télégramme [dorénavant T.] Beaumarchais, 2 janvier 1973, et Public Record Office, Kew Gardens [d’ores en avant PRO], T 319 3891, Note [dorénavant N.] du Department of Trade and Industry.
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1968 en vue d’une « European Purchasing Agency »23 militaire et civile. Sans en être, pense-t-on au Quai d’Orsay, « nos chances de pouvoir réaliser dans l’avenir de nouvelles coproductions se trouveraient singulièrement réduites »24. Les Belges présentent leur plan de standardisation au printemps 1975. Ils prévoient une Agence européenne qui « ne devrait pas devenir un rouage de l’alliance mais être un organisme sui generis »25 sans distinguer entre « armements » et « avions »26 pour répondre « au double souci de tenir compte des intérêts militaires de l’Alliance atlantique et des besoins économiques et industriels de la CEE »27. De telles réflexions existent encore en novembre 1975 au sein de l’Independent European Programme Group (IEPG). Enfin, le rôle des commandes militaires reste également primordial à cette époque dans le lancement des entreprises et de leurs projets. Sur la base de l’expérience technologique et de l’argent acquis avec les bombardier B47 et B52, Boeing a pu faire voler avec PanAm (octobre 1958) le premier jet commercial américain le B707. Cela non grâce à des aides directes de l’Etat, comme sera le cas pour l’anglais Comet (mai 1952 vol commercial), le français Caravelle (mai 1958 premier vol), l’européen Airbus (lancé mai 1969), le nord-européen VFW-614 (lancé en 68) et le transnational Mercure (lancé en 65)… mais grâce à la commande par l’USAF d’un tanker aérien, le KC 135 lancé en mai 1952 et à sa transformation en version civile, le B707. Cela n’empêchera pas les Etats-Unis de s’attaquer au soutien fourni par les Etats européens à Airbus comme prétexte pour l’annulation en novembre 1972, par l’Eximbank américaine des crédits à l’exportation pour les moteurs de Mercure et Airbus28. Or pour voir les entreprises et les fonctionnaires économiques des Etats prendre conscience de cet entrelacement civil/militaire, il ne faut pas attendre le débat sur un espace aérien européen des années 70. En France, en Angleterre, en RFA, en Italie29 on parle du lien civil/militaire et de la nécessité conséquente de coopérer dès le milieu des années 6030. Certes cette prise de conscience est bruta23 24 25 26 27 28 29
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PRO, DEFE 24 326, N. du Ministère de la Défense et Foreign and Commonwealth Office, 9 février 1968. AMAE, Europe 71-76, Grande Bretagne 351, N. du Service des Pactes, 25 février 1975, Secret. AMAE, Europe 71-75, RFA 2963, T. NATO-Représentant permanent, Bruxelles, 4 juillet 1975, conversation avec Etienne Davignon. Ivi, T., Ambasssade de France, Londres, 25 avril 1975, conversation avec l’Ambassadeur belge Rothschild et présentation du plan de son ministre des Affaires Etrangères Renaat Van Elslande. Ivi, T., Ambassade de France, Bonn, 8 juillet 1975, conversation avec Davignon à propos des rencontres germano-belges sur la coopération des armements. AMAE, Europe 70-75, RFA 3027, T. circulaire, Direction des Affaires Economiques et Finacnières, C. D’Aumale, 15 novembre 1972 ; et proteste auprès du Secrétaire au Trésor Schultz ; Ivi, T. 702/09, La Gorge, Washington, 1er février 1973. D. Burigana, Partenaires plutôt qu’adversaires. Les militaires, un lobby vers l’interopérabilité de la technologie des armements au sein de l’intégration européenne ? Le Comité FINABEL et l’avion Tornado vus par le prisme italien, en M. Dumoulin (éd. par), Socio-Economic Governance and European Identity. Quadernos de la Fundación Academia Europea de Yuste, n. 1, Yuste, 2005, pp. 25-40 ; et Idem, L’Italia in volo! Il ruolo dei militari italiani nella cooperazione aeronautica fra politica di difesa e politica estera: il caso del Tornado (1964-70), en F. Romero et A Varsori (éd. par), Nazione, interdipendenza, integrazione. Le relazioni internazionali dell’Italia (1917-1989), Volume secondo, Rome, Carocci, 2007, pp. 167-186. Le Rapport Plowden (décembre 1965), commandé par le nouveau gouvernement travailliste, sur les orientations de la politique aéronautique, insiste sur la nécessité de la coopération européenne, tout comme à Bonn Roy Jenkins ministre de l’aviation auprès de Seebohm, ministre des Transports ; AMAE, Pactes 326, T. 7191/94, Seydoux, Bonn, 24 décembre 1965. Et Cfr. Reichardt, Conseiller ministériel, Directeur de la Division Technologie aérospatiale et de la propulsion au Ministère de l’Economie, responsable des aides aux projets civils, et représentant dans le Management Committee de Airbus ; NARA, RG 59 CF 64-66 653, T. A-818,
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lement accélérée par la crise de 1973. Le 12 mars, au nom de l’Aérospatiale française et après avoir consulté ses collègues européens, Henri Ziegler, l’administrateur général d’Airbus, écrit au Président de la Commission FrancoisXavier Ortoli. La concurrence américaine vient de se renforcer grâce aux deux dévaluations du dollar et la réévaluation du mark. Elle impose ainsi un handicap de 15% au marché civil, auquel s’ajoute la dérive de l’inflation sensiblement plus forte en Europe de 10% en deux ans31. Last but not least, l’interconnexion production militaire/production civile est là dès la fin des années 60 en tant que facteur important à la base des concentrations nationales concertées entre gouvernements –propriétaires en France et en partie en Italie– et establishment techno-industriel : BAC et Hawker Siddeley Aviation, SNIAS et Dassault avec Breguet, MBB contre VFW-Fokker, Aeritalia32. La philosophie est bien représentée par le rapport de Sir Robert Marshall sur la perspective d’une fusion BAC-HSA en vue de se préparer à l’intégration au niveau européen basée sur une politique commune de procurement engageant aussi les compagnies aériennes des Etats membres de la CEE33. Deuxième caractéristique de l’évolution aéronautique en Europe : la pénétration américaine. Ses retombées sur les capacités productives sont illustrées par l’actuelle confrontation entre le Joint Strike Fighter et l’Eurofighter, comme le confirme la troisième partie de ce papier. Mais nos recherches et le second point de cette contribution font remonter cette confrontation et cette pénétration aux origines de la coopération aéronautique européenne. Apparemment, c’est une pénétration qui vise à garder le leadership technologique. Mais ce n’est pas l’objectif principal. La technologie n’est que l’atout pour garder le leadership le plus important, celui du marché. C’est ce que montre la difficile cession à la SNECMA de la haute technologie du moteur GE. Pompidou intervient, on l’a vu, auprès de Nixon pour solliciter ce transfert, ainsi que Maurice Schuman et le général - député Paul Stehlin34. Selon les conseillers en matière de science et de technologie au sein du National Security Council, une telle cession permettrait à Boeing, Lockheed et McDonald-Douglas de s’accaparer une tranche importante du marché des avions grâce à une nouvelle motorisation : le CFM-56, le moteur le plus vendu au monde actuellement. Contre l’opposition du Pentagone, le point de vue de General Electric est simple : sans l’argent français, porté par la coopération avec SNECMA les Etats-Unis risquent de passer de 80% du marché mondial des moteurs à 50% dans les années 90. Le marché le plus large devrait être l’Europe avec 23% du total35. Un consortium européen serait prêt à se dresser face aux américains. Le NSC ne croit pas à cette « European Aero-
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Amembassy, John S. Meadows, Civil Air Attaché, Londres, 5 octobre 1965. Et aussi PRO, AVIA 65 2008, L. de Schöllhorn à Stonehouse, 19 octobre 1967. AHUE, BAC 28/1980 21. D. Burigana et P. Deloge, Standardisation et production coordonnée des armements en Europe : une voie à l’étude d’une défense européenne (1953-2005), en L. Warlouzet et K. Rücker (éd. par) Which Europe(s)? New approaches to the History of European Integration in the 20th century, Bruxelles 2006, pp. 344-348. PRO, T 225 3890, N. Department of Trade and Industry, John Davies, au Prime Minister/Chancellor of the Exchequer/Defence Socretary/Chancellor of the Duchy of Lancaster/Sir Burke Trend/Lord Rothschild, 20 juin 1972. NARA, Nixon, NSC-CO 680, Lettre de Schumann à Kissinger, 26 juin 1972, et réponse de Kissinger, 10 juillet ; ivi, Lettre sur le papier de l’Assemblée nationale de Stehlin à Kissinger, 4 septembre 1972, et réponse de Kissinger, 1er novembre et M. de Flaningan, 27 octobre. Ivi, N. de l’ad hoc group sur les relations avec l’Europe, 17 juillet 1972.
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engine Management Company »36 mais à l’argent français en tant que substitut à celui du gouvernement américain. Les financements de nouveaux projets militaires viennent d’être coupés. L’administration Nixon finira donc par soutenir le point de vue de GE et des autres firmes intéressées par l’argent européen. Ne vat-on pas exporter en Europe la concurrence intra-américaine, GE avec SNECMA et Pratt & Whitney avec Rolls-Royce?37 Boeing trouvera pour son 7x7, le futur B767, des partenaires au Japon38 et en Europe, après des tentatives infructueuses en Angleterre. L’idée était de s’emparer du projet du consortium britannique Europlane (BAC, HSA, MBB, SAAB) lancé en novembre 1972 en le coulant pour proposer ensuite son 7x739. Boeing signera avec Aeritalia un accord de coopération décidemment anti-Airbus40. Outre les négociations intergouvernementales, par quelle autre voie pénètrent les intérêts américains ? La voie de l’actionnariat. Le général Stehlin, ancien député centriste de Paris, paru sur les comptes de Northrop, meurt à l’hôpital Cochin le 22 juin 1975 des suites d’un étrange accident de la route41. Bien d’autres hommes politiques, chefs d’Etat, ministres, militaires, princes, sont entraînés en France, Italie, Pays-Bas, Belgique… dans l’affaire Lockheed. Le débat bat son plein sur le « marché du siècle », c'est-à-dire l’achat non pas de l’européen Tornado ou même du français Mirage mais du General Dynamics F-16. L’avion est coproduit pour la Belgique et le Danemark par Fairey et SABCA, pour les Pays Bas et la Norvège par Fokker/VFW, tandis que la société norvégienne Konigsberg s’occupera des composants de 400 moteurs Pratt & Whitney42. Toutefois, les pots à vin payés pour vendre des appareils et des licences ne sont pas la voie principale de cette pénétration. Il s’agit de manœuvrer pour une pénétration techno-financière dont le but est la défense du leadership du marché. La manœuvre a deux composantes, l’une technologique, que l’on vient de voir, l’autre, financière, marquée par l’achat d’actions : 8% de Lockheed dans MBB, 20% de Northrop dans Fokker, 26.4% de United Aircraft Corporation dans VFW. C’est un mouvement déclenché au printemps 1965 lorsque le gouvernement allemand refuse la vente d’actions de Messerschmitt à Lockheed tout en autorisant une cession croisée d’actions Bölkow à Nord Aviation et Boeing43 pour rassurer temporairement Paris. 36 37 38 39 40
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PRO, FCO 55 903, Compte-rendu des conversations anglo-italiennes sur la coopération technologique, 2-5 octobre 1972. Archivos de l’Esercjto de l’Ajre, Madrid [dorénavant AEA], 10270, Note d’information Assemblée de l’UEO, “La situation présente de l’industrie aéronautique en Europe”, 3 février 1976. CTDC, Fuji, Kawasaki, Mitsubishi signent en novembre 1972 : PRO, FCO 14 1006, Development of Airbus by Japan. Conversation de Boeing avec le Secrétaire d’Etat, William Pierce Rogers, 27 mars 1973 ; NARA, Central Foreign Policy Files en http://aad.archives.gov/aad, Department of State, Rogers, à Amembassy, Londres, 11 avril. Conversation de Luigi Azais, adjoint au Président de Aeritalia, et Raymond C. Ewing, First Secretary, 20 mars 1973 ; NARA, RG 59 SNF 70-73 Ec 643, T. A-177, Ambasssadeur John A. Volpe, Rome, le 28 ; et AMAE, Europe 71-75, RFA 3027, Dépêche, Ambassade, Rome, 26 septembre 1975. Toute l’épisode, d’ailleurs relatée par la presse : B. Marck, Dassautl, Boeing, Douglas et les autres… La guerre des monopoles, Paris, Picollec, 1979, pp. 98-103. Cfr. D. Burigana et P. Deloge, La cooperazione europea a una svolta? Armamenti e aeronautica fra Alleanza atlantica e Comunità europea (1967-77), en A. Varsori (éd. par), Alle origini del presente. L’Europa occidentale nella crisi degli anni Settanta, Milan 2007, pp. 193-219. AMAE, Europe 1961-70, Allemagne 1666, N. Ministère des Armées-Cabinet militaire, Paris, pour le Général [de Gaulle], 6 mai 1965, sur la rencontre entre le ministre Pierre Messmer et son collègue allemand Uwe von Hassel.
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Mais où est l’acteur institutionnel et industriel européen dans tout cela ? Il reste absent ou au second plan : c’est la troisième caractéristique de cette évolution que nous soulignerons44. Au milieu des années 70, des actions « communautaires » semblent se coaguler autour du débat sur une espace aérien européen vu comme un marché commun des avions, lieu de rencontre entre producteurs et acheteurs. Dans ce cadre s’insèrent tout d’abord les colloques organisés par la Commission scientifique, technique et aérospatiale de l’Assemblée de l’ UEO, le premier en septembre 1973 sur le thème « Pourquoi un marché uni européen pour l’aéronautique »45. En mars 1977, au colloque UEO sur la coopération dans le secteur des armements, Lord Greenwood demande comme première étape l’« intégration des sociétés aérospatiales européennes en un ou deux grands groupes »46, l’institutionnalisation des consortiums existants, Tornado, Jaguar, Alphajet et Airbus. En mars 1972, dans sa lettre à Ortoli, Ziegler suggère une politique commerciale commune à établir par une préférence communautaire, et « l’égalité des régimes douaniers, c’est à dire, faute de pouvoir supprimer les droits de douane imposés à l’entrée aux Etats-Unis, d’en établir à l’entrée dans la CEE ». Le 20 octobre 1973, Le Monde reproduit l’appel à la Commission de 11 producteurs de cellules47 en faveur d’un « Common Market » de l’aéronautique. Contre cette initiative, en février 1974, les motoristes requièrent de favoriser au contraire la coopération avec les Américains, les seuls à avoir des projets pour le futur. Les compagnies aériennes les soutiennent48. A la fin de 1973, le Conseil CEE renouvellera l’exemption pour les produits aéronautiques américains, et le fera encore en juin 1974. Quant au destin du Programme d’octobre 1975, nous l’avons évoqué dans l’introduction. Or l’hypothèse d’une « Europe aéronautique » a vu le jour dès les négociations en vue des Traités de Rome par le projet de Direction des Constructions aéronautiques, civiles certes mais avec une Section militaire, écartée juste avant la signature49. Trente ans après, au sein de l’Informal Tripartite Working Group lancé par Londres à son entrée dans la CEE50 avec Paris et Bonn afin de réagir aux initiatives de la Commission51, au Department of Trade and Industry on note52 : « One 44 45 46 47 48
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Il se développe durant les années ’90 et au début du 3ème millénaire avec la naissance d’EADS, par exemple. Voir le travail de master de Y. DROIT à l’université de Paris IV. Dossier du Lt.-Col. J. De la Cruz Martin-Albo Garcia, envoyé de l’Aéronautique espagnole aux colloques de l’UEO : AEA, 10270. A. H. C. Greenwood, La coopération industrielle internationale, Parigi, UEO, 1977, cit. en F. Battistelli, Armi: nuovo modello di sviluppo? L’industria militare in Italia, Einaudi, Turin, 1980, p. 156. BAC, HSA et Westland, Aeritalia, Fokker, Fokker-VFW, Dornier, MBB, SNIAS et DassaultBreguet. AHUE, BAC 28/1980 21, L. du Président de SABENA, Baron van Houtte, ministre d’Etat, à Ortoli, 12 janvier 1973, et copie du Mémoire du 15 novembre 1971 de cinq compagnies aériennes pour garder l’exemption à l’importation ; un Mémoire du 25 octobre 1972 signé par huit Transporteurs aériens. Cfr. AHUE, CM3/NEGO, 54-58. D. Burigana et P. Deloge, European co-operation in the fields of armaments standardisation and military aeronautics: with or without Great Britain? Second period: 1967-73, from the bilateral game to the European card?, dans J. Van Der Hast et A.G. Harryvan (éd. par), Actes du Colloque de l’European Union Liaison Committee of Historians Beyond the Customs Union: the European Community’s quest for completion, deepening and enlargement, 1969-75 (Groningen, 27-29 octobre 2005), Bruxelles, Bruylant, à apparaître. PRO, FCO 55 1267, N. du Department of Trade and Industry, S. W. Treadgold, pour le ministre de l’Aéronautique et des Transports, Micheal Heseltine, 27 juin 1973. PRO, T 225 3890, draft on Aircraft industry - European integration, Treadgold, 18 juillet 1972.
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thing on which the French and German Governments are agreed is that collaboration on aerospace is essentially a matter for Governments and the role of the European Commission should be limited ». 2. Champions nationaux et projets européens ou atlantique ; les cas de la Fabrique National et de la Société Belge de Constructions Aéronautique de 1948 aux années ’80 Jusqu’à ce jour, la coopération internationale dans le domaine de l’aéronautique a surtout été abordée sur base d’archives officielles. Nous voudrions partir ici des archives de deux entreprises belges : la Fabrique Nationale (Liège) et la Société Anonyme Belge de Construction Aéronautique (Bruxelles). L’une et l’autre sont des champions nationaux dans un petit pays, la Belgique. A l’instar de cette position du pays au plan européen et mondial, elles sont de dimension modeste par rapport à leurs concurrentes/partenaires. Comment opèrent-elles leurs choix de partenariat et s’insèrent-t-elles dans le contexte marqué à la fois par le développement d’initiatives de productions coordonnées d’armement et la concurrence entre processus d’intégrations militaire atlantique d’une part et économique européenne de l’autre ? La FN est créée en 1889 par un ensemble d’armuriers liégeois pour honorer ensemble une commande par l’Etat belge dans ce qui sera sa spécialité jusqu’à ce jour : les munitions et les armes légères53. La Sabca naît en 1920 dans le but de renforcer l’indépendance économique et politique de la Belgique. Son domaine est d’ores et déjà l’aéronautique54. En 1940, les deux usines passent sous le contrôle ennemi, subissant d’importants dommages. Le conflit terminé, la Sabca développe ses activités de maintenance grâce aux appareils américains de la Force aérienne belge. Ce qui lui permet de moderniser son outillage et de maîtriser la technologie des avions à réaction. Quant à la FN, elle trouve dans le réarmement européen qui commence sitôt le pacte de Bruxelles signé (mars 1948), l’opportunité de développer la fabrication de moteurs d’avions sous licence Rolls Royce55. La présence du management de la FN à Londres, au sein même du gouvernement belge en exil de 1941 à 1944 (Gustave Joassart) et au War Office 53
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Voir les histoires de l’entreprise publiée par elle-même : LALOUX (R.), FRANCOTTE (A.), « FN, 1889-1964 », FN, Liège, 1965 et FRANCOTTE (A.) et GAIER (C.), FN 100 ans. Histoire d’une grande entreprise liégeoise, 1889 – 1989, Bruxelles, 1989. La première est l’œuvre de deux administrateurs de la FN et n’a pas connu un fort tirage. En 1989, elle est complétée pour les années 1965 – 1989 par Claude Gaier, docteur en histoire et chargé des relations publiques de la FN. Il s’agit d’un ouvrage destiné à un large public, avec une présentation soignée, de nombreuses photos… Le but est de mettre en valeur le passé de l’entreprise plutôt que de l’analyser ou la critiquer. Néanmoins, ces ouvrages établissent tous deux une chronologie fiable de l’histoire de l’entreprise. Voir l’histoire de l’entreprise publiée par elle-même : Rêves et obstination de l’industrie aéronautique belge. SABCA 1920-1990, SABCA, Bruxelles, 1992. A compléter par deux mémoires de licence : PLASMAN (P.-L.), La Sabca (1920-1932) : industrie nationale et monopole de fait, UCL, Louvain-la-Neuve, 2004 ; TINEL (X.), Histoire de l’industrie aéronautique en Belgique après 1945. De la logique d’arsenal à la coopération européenne, ULB, Bruxelles 1999. Voir au Centre d’Histoire des Sciences et Techniques (Université de Liège ; désormais CHST, FN), la collection presque complète de la revue d’entreprise « FN », conservée depuis le 1er n° paru en juillet 1953 jusqu’au n° 259 de mai 1979. Cette source permet de confirmer la chronologie reprise des histoires publiée et de l’étoffer. Elle permet aussi de voir ce que l’entreprise met en avant à propos de ses productions en coopération avec d’autres firmes soit son rôle, bien entendu, mais aussi les enjeux de chaque projet.
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(Dieudonné Saive, etc.) puis les contacts avec l’aviateur M. Donnet, devenu responsable du rééquipement de la force aérienne belge après la guerre, ont sans doute facilité cette évolution56. Avec le soutien de l’Etat et de leur actionnaire principal, la Société Générale de Banque, les deux champions nationaux se répartissent le gâteau aéronautique, l’un comme celluliste (Sabca), l’autre comme motoriste (FN). En matière d’équipement militaire, les partenaires américains prennent le dessus vis-à-vis de puissances européennes, totalement surclassées par la puissance militaire, industrielle et politique des Etats-Unis57. Dans le cas belge et dans beaucoup d’autres, il y a plusieurs raisons à cela. - L’absence relative de concurrence immédiatement après la guerre : les pays européens ont été ravagés par la guerre et leurs industries ne sont pas en situation d’offrir les mêmes conditions de prix ou dé délais que les entreprises américaines qui ont fonctionné à plein durant tout le conflit ; - Les urgences de la guerre froide : les plans anglo-américains de défense du continent européen des années ’48 et ’49 sont marqués par le pessimisme et prévoient une nouvelle occupation des territoires continentaux de l’Europe. Le déclenchement de la guerre de Corée en juin ’50 provoque la panique de gouvernements qui se savent peu prêts à un conflit avec l’Union Soviétique ; - Le Traité de l’Atlantique Nord (avril 1949) et l’accord bilatéral du Mutual Defence Assistance Programme qui s’en suit en janvier 1950 (pour la Belgique) – quantité d’armements sont alors livrés gratuitement ou presque– et les commandes de l’Etat en vue de la reconstruction des forces armées belges, une situation très favorable est faite aux productions américaines de défense en Belgique. Les archives de ces deux entreprises étudiées pour cette contribution permettent de mettre l’accent sur trois autres facteurs jouant un rôle majeur dans leur choix de partenaire. - Le facteur technologique, évidemment. La Sabca, dans un souci de compétitivité, se spécialise dans la fabrication des servocommandes via l’achat de licence lors des programmes militaires à des sociétés nord-américaines (Dowty Equipment, Bertea). Peu à peu, elle développe aussi un laboratoire d’électronique. En 1960, cette activité sera remarquée par la firme américaine Hughes Aircraft qui constituera en partenariat la Sabca la Cobelda. Cette nouvelle société aura la vocation d’être le centre européen de Hughes58. La FN, elle aussi, procède par acquisition de licences dans les programmes Meteor59 et Hunter, puis F104 G60 ou le F1661 (années ’60 et ’70) choisis au niveau de l’Etat et à celui de l’entreprise pour leur modernité, leurs performances, leur avance technologique. Il s’agit de se forger une niche « technologique » dans la56 57 58 59 60 61
Interview du Lieutenant - Général DONNET (+), le jeudi 22 août 2202. DELOGE (P.), Une coopération difficile : Belgique et Grande-Bretagne en quête de sécurité à l’aube de la guerre froide, (Travaux du Centre d’Histoire Militaire, n°34), Bruxelles, 2000, p. 343–53 sur le processus d’américanisation de l’armée belge à partir des années ’50. ARCHIVES SABCA, P.V. du Conseil d’administration, 22 mars et 22 avril 1960. Sur ce projet, voir Ibidem, p. 247-250 et MEGENS (I.), Problems of military production coordination, dans HEUSER (B.) et O’ NEILL (R.), Ed., Securing peace in Europe, 1945-1962 ; thoughts for the post-cold war era, Londres 1992, p. 279-292. CHST, FN, Revue « FN », N°88, septembre 1961, p. de couverture : « le lockheed F104 Super Starfighter propulsé par le turboréacteur général Electric J79 –II A ». CHST, FN, Revue « FN », N°220, juillet – août 1975, p. 2-4 : « F16, ce jeune requin… qui se joue de la gravité ».
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quelle l’entreprise dominerait le marché à l’échelle occidentale. Ce saut technologique passe par des investissements (infrastructures, machines et formation des ouvriers) qu’on rentabilise ensuite tant que la technique reste actuelle. Aussi le choix de la technologie à acquérir fait-il l’objet de réflexions intenses et parfois spéculatives quant à son avenir et quant au nombre d’entreprises qui la maîtrisent déjà aux Etats-Unis et en Europe62. Les efforts fournis par la Sabca lui permettent de prendre place comme celluliste. Le succès est d’autant plus spectaculaire dans sa branche de spécialisation. En effet, lors du contrat du Starfighter, elle possède le monopole dans la fabrication du sous-ensemble hydraulique63. Malgré les investissements successifs dans l’amélioration constante de l’outillage, la Sabca ne travaille que sous licence d’où une perte sensible de la compétitivité. Elle n’aura donc de cesse d’améliorer la vitesse d’exécution et d’améliorer une cohérence structurelle dans ses offres comme la constructions des voilures en lien avec les servocommandes64. - Le facteur économique. A certains moments, la chasse au contrat devient vitale pour des industriels liés à un marché étroit et cyclique. Au début des années ’80, par exemple, le contrat F16 se termine mais il prévoit la possibilité d’acquérir des appareils supplémentaires. Pour la FN, si la Belgique n’achète pas ces avions, la Division Moteur fermera ou, du moins, connaîtra de très importants licenciements. Tel est l’argument porté à la connaissance des décideurs politique en une période de second choc pétrolier et de crise économique où ces derniers sont sous la pression d’une opinion publique alarmée par la hausse du chômage. Et ce alors que la Wallonie subit une crise structurelle depuis les années ’70 (fermeture des charbonnages, difficultés des producteurs de métal... Dès lors, le nombre d’heures de travail fournies devient l’argument essentiel dans le choix du partenaire65. Ainsi, Dassault fait une proposition mais celle-ci est jugée moins intéressante que celle de General Dynamics quant aux « compensations » obtenues par les industries wallonnes. L’argument pourtant, n’est pas seulement conjoncturel. La question des compensations est essentielle dès les années ’6066 : « des commandes à l’industrie étrangère lorsqu’il est impossible d’agir autrement, mais moyennant des commandes compensatoires en vue de maintenir un équilibre des échanges dans ce domaine particulier ». Dans ce contexte, les marchés ouverts par le choix d’un matériel américain sont en outre infiniment plus vastes que ceux offerts par d’éventuels partenaires européens. D’une part, il ouvre parfois les portes de la maintenance des appareils américains stationnés en Europe, soit la flotte la plus importante et de loin devant celles des partenaires européens de l’OTAN. Dans le cas du contrat du siècle, par exemple, l’enjeu pour la FN c’est non seulement 350 avions à coproduire pour les 62 63 64 65 66
AELg, FN, 8 septembre 1975, J. de Fonvent, directeur de la Division Moteurs de la FN, à Mr Clarkson, F-16/402 Engine Program Director, United Technologies Corporation, PWA division. ARCHIVES SABCA, Conseil d’entreprise – Ondermingsraad, 27 août 1973. ARCHIVES SABCA, Conseil d’entreprise–Ondermingsraad, 26 février et 26 mars 1974. AELg, FN, 6 juillet 1982, R. Boulanger, directeur de la FN, à Avaert, responsable des compensations économiques au Bureau de Centralisation des Commandes de Défense du Ministère des Affaires Economiques. Archives Générales du Royaume, archives de la Commission Economique Interministérielle, N°4032, (non daté) Groupe de travail « commandes de l’Etat », Groupe de travail « commandes de l’Etat », Principes du Min Aff Eco en matière de défense, Document n°1. La commission travaille durant les années ’68 et ’69.
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partenaires européens mais aussi 650 avions américains à maintenir sur le vieux continent67. Le choix atlantique débouche d’autre part sur des possibilités de travail au profit des forces aériennes alliées d’Europe qui font le même choix, notamment dans les pays voisins. Il arrive même que des pays du tiers-monde, ayant choisi les mêmes appareils, fassent appel à la FN ou à la SABCA pour des réparations ou la fabrication de pièces de rechange68. La diversification est encore recherchée pour éviter les creux dans l’activité industrielle autant que pour être compétitif sur le marché. Une entreprise produisant des technologies qui trouvent leur usage tant dans le civil que dans le militaire, c’est la destination d’un produit qui le qualifie comme relevant de l’un ou l’autre. Ici encore, tant qu’Airbus n’existe pas, le poids des entreprises américaines se trouve ainsi renforcé en Belgique. La FN, par exemple, produira des turbines CFM56 pour Boeing69 : « dans le domaine de la Recherche et Développement, l’objectif de la Division est orientée vers la maîtrise de technologies nouvelles de production de contrôle et d’essais afin de s’assurer une part croissante comme partenaire dans des programmes futurs notamment dans le domaine du moteur civil. A cet égard, les espoirs mis dans le projet CFM 56 devraient se matérialiser dans un proche avenir ». Cela ira jusqu’à créer une société aux Etats-Unis pour gérer ce partenariat sur place. Cette stratégie de diversification vers les productions civiles débute dans les années ’60, se développe dans la décennie suivante et débouche dans les années ’80 sur la production du moteur Pratt & Whitney 4000. La Sabca n’a d’autre choix que le partenariat car elle ne peut soutenir seule les frais d’étude et de développement. Mais la coopération prend ici la forme de participation majoritaire au capital. L’entrée en 1965 de Fokker lui ouvre le programme F-27 Friendschip. Cette entrée n’est pas considérée comme une accaparation par une société étrangère mais plutôt comme « un phénomène de concentration des potentiels »70. De même l’entreprise belge soutient le programme Mercure de Dassault lorsque le groupe français prend le contrôle de l’usine bruxelloise71. Pour la Sabca, la création d’un espace économique en Europe est l’occasion privilégiée d’intégrer les industries aéronautiques européennes72. Il est à noter que la participation au programme civil liée à l’actionnariat met pour un temps la Sabca hors du programme Airbus73. Pour optimiser son potentiel à moindre coût, Fokker s’attachera au Belge Sabca et à l’Allemand VFW. - Le poids de l’histoire. Des réseaux d’entreprises se constituent d’abord à l’échelon national de manière informelle ou via des associations (exemple : la GEBECOMA74) puis au niveau européen. Mais ils existent aussi au niveau mon67 68 69 70 71 72 73 74
AELg, FN, F100/YF16, Coproduction plan ; Pratt & Whitney Aircraft Proposal, 20th September 1974. Archives de l’Etat à Liège, Fonds FN (désormais AELg, FN), Voir la série des Tableaux récapitulatifs des commandes gouvernementales établis annuellement par les services comptables et financiers/comptabilité commerciale de la FN pour les année ’45-69 (série continue). CHST, Revue « FN », N°251 Mai 1979, p. 4 : « Au conseil d’entreprise : regards sur l’avenir ». Et maintenant ? le devenir de notre industrie aéronautique. M. P. G. Willekens reçoit la Conquête de l’air, in La Conquête de l’air, avril 1968, p. 15. ARCHIVES SABCA, P.V. du Conseil d’administration, 12 décembre 1968, 16 janvier 1969. ARCHIVES SABCA, P.V. des Assemblées générales des actionnaires, 1958. La société considéra pendant un moment que le projet Airbus ne pouvait réussir. ARCHIVES SABCA, Conseil d’entreprise – Ondermingsraad, 3 décembre 1968. AELg, FN, Farde de présentation de la GEBECOMA (Groupe Belge des Constructeurs de Matériels Aérospatial).
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dial et se constituent au fil des expériences communes. Ainsi, dans les années ’70, la FN et la Sabca font partie des entreprises que l’on contacte automatiquement quand on vient chercher des partenaires en Belgique en vue de produire et vendre un nouvel appareil75. Cela vient d’une histoire antérieure à la seconde guerre mondiale et de la position de « champion national » dans leur domaine (moteur/cellule) qu’elles ont acquis au fil du temps. Mais en tournant les pages d’archives, on s’aperçoit aussi que des liens se créent entre les entreprises au fur et à mesure des coopérations. Des liens personnels, par exemple, se créent au cours des coopérations entre les responsables des entreprises. Mais, surtout, les partenaires sont évalués en termes de retombées technologiques, industrielles…76 et de capacité à respecter ses engagements dans des délais les plus courts possibles. C’est l’une des raisons pour lesquelles Dassault n’aura pas la faveur de la FN à l’occasion du contrat du siècle, face au concurrent américain. Par la force des événements, la Sabca sera amenée à collaborer avec d’autres sociétés aéronautiques. Lors de la construction du Hawker Hunter, la Belgique et les Pays-Bas, pour des raisons économiques, décident de construire ensemble leurs appareils77. Cette coopération est le premier pas d’une intégration des potentiels entre le néerlandais Fokker et la Sabca. La rencontre entre les entreprises n’est pas le seul fruit d’une décision étatique mais également d’une volonté entrepreneuriale. En 1954, la société belge participe à la création de l’AICMA78 qui suscite la rencontre entre les patrons et facilite les collaborations. On peut mieux comprendre la participation de la Sabca à des programmes tels le Vautour et la Caravelle de Sud-Aviation ou bien le Breguet 1150. La prise de contrôle de Dassault doit aussi être interprétée à la lumière de cette réalité. Prendre le contrôle de la Sabca, c’est entrer de plein pied dans la sphère atlantiste et élever une structure contre le monopole de fait américain79. Dans l’état actuel de nos recherches, il apparaît donc que pour des raisons de contexte international mais aussi technologiques, économiques et historiques, le choix de ces deux entreprises s’est souvent portée vers des partenaires américains. Elles furent aussi en situation d’être connues des « chasseurs de partenaires » américains. Il faut pourtant attirer l’attention sur le fait que, tant dans le cas de la SABCA que de la FN, le partenariat du voisin FOKKER fut souvent recherché. Le rôle de la Société Générale de Belgique dans leur actionnariat et le contexte géopolitique permettent peut-être de l’expliquer. La SABCA connut aussi une prise de participation de Dassault. On y note, dans les archives, un vif désir de collaborer avec des entreprises européennes et ce pour constituer un vaste marché et intégrer les potentiels. Les collaborations avec les industries américaines sont un état de fait soutenu par la suprématie technologique et le contrôle des marchés militaires et civils. Ainsi, la SABCA avait été très loin dans la 75 76 77 78
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AELg, 23 janvier 1974, de Robert L. Kendig, directeur Europe pour United Aircraft International Incorporated, à Maurice Lagouge, AVIAF, Bruxelles. AELg, FN, (mars 1982), FOLLOW - ON BUY F16 (Plan d’exposé manuscrit, non signé). ARCHIVES SABCA, P. V. des Assemblées générales des actionnaires, 1952. Créée en 1954, l’Association Internationale des Constructeurs de Matériel aéronautique réunit principalement des entreprises européennes. L’association a pour but d’étudier en commun les questions générales pour le développement de l’industrie aéronautique, de suggérer des orientations et de représenter les sociétés pour toute action commune. Devenue par la suite AECMA, il s’agit actuellement de l’ASD. ARCHIVES SABCA, Conseil d’entreprise – Ondermingsraad, 24 septembre 1974.
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candidature du Dassault FM-53 en concurrence avec le F-16. Elle s'est presque résignée à collaborer avec General Dynamic. De même, la FN coopéra sporadiquement avec Dassault et plus souvent avec la SNECMA, notamment dans le cadre de programmes civils. Les Européens, cela va de soi, ne sont nullement rejetés mais ils ne sont pas préférés non plus. Les arguments sont d’abord techniques, commerciaux, industriels. Ils portent sur les marchés ouverts par le choix, l’activité qu’il engendrera et la technologie qu’il apportera dans l’escarcelle de l’entreprise. Dans ces choix, les expériences antérieures et l’évaluation qui en est faite joue un rôle essentiel. 3. La participation européenne au programme Joint Strike Fighter Au départ d’une comparaison entre le marché du siècle (F16/Mirage…) et la rivalité entre le Joint Strike Fighter et l’Eurofighter, on cherchera ici à étudier les raisons de l’attractivité des propositions américaines pour les Européens à une époque plus récente que dans les points précédents ainsi que les risques encourus de ce fait par la politique européenne de défense. Le biais choisis dans ce but réside dans les politiques nationales d’équipement qui est mis en avant, à travers la relation état/industries. Il débouche sur des problématiques tout à fait contemporaines comme l’évaluation des coûts/bénéfices des coopérations européennes. La manière dont les gouvernements se meuvent habituellement sur le marché des armes peut être attribuée à leur évaluation stratégique et militaire des menaces et des capacités, des considérations de politique étrangère et des objectifs politiques en matières de haute technologie (préserver un leadership, rattraper son retard, sauver l’industrie nationale, spin off…). Le marché des équipement de défense expérimente maints échecs (les incitations manquent pour obtenir une allocation efficace des ressources) dus à des pratiques comme l’externalité, des « cavalier seul », l’information asymétrique, l’existence d’oligopole et l’érection de barrières douanières (politique d’achat préférentiel) qui rendent le marché des armements très singuliers. La coopération aéronautique, en particulier, est un terrain complexe sur lequel les états pratiquent alternativement la coopération transatlantique, la volonté de qualifier le processus d’intégration européenne et l’appel nationaliste. Je vais analyser cette situation à travers la lentille des programmes JSF et Eurofighter. Durant l’été 1983, les ministres britannique, français, allemand et italien de la défense commencèrent de sérieuses négociations en vue d’un avion de combat européen. La même année, les états-majors de l’Air se mirent d’accord sur ses spécifications tactiques. Le rôle premier de ce nouvel appareil serait la défense aérienne avec une capacité additionnelle pour l’attaque au sol. Par la suite, l’industrie de l’aviation fut incitée à étudier la faisabilité du projet. L’avionneur français Dassault et un groupe de quatre sociétés (British Aerospace, MBB, Aeritalia et CASA) présentèrent deux dessins différents. Les Français voyaient leurs intérêts de sécurité mieux servis par un avion léger dessiné d’abord pour des attaques au sol. Les Britanniques étaient plus soucieux de la perspective d’un déploiement outre-mer.
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Malgré la multiplication des solutions de compromis, les parties ne purent trouver de solution commune. En 1985, la France rompit les négociations et continua son chemin en solitaire avec le développement d’une alternative : le Rafale. Le gouvernement espagnol s’abstint d’agir de même après avoir reçu des garanties sur ses intérêts économiques. Au lieu d’exploiter une voie européenne, Paris inaugura une voie nationale de coopération en matière d’avions militaires. Le premier Mémorandum of Understanding fut signé par le Royaume – Uni, l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne en octobre 86. Il stipulait que les sociétés allemandes et britanniques recevraient 33% chacune du contrat de développement, les Italiens 21 et les Espagnols 13. Une agence OTAN fut établie pour superviser le projet et le consortium Eurofighter GmbH (comprenant BAe pour 33%, DASA pour 33%, CASA pour 13% et Alenia pour 21) fut créé comme premier contractant80. Les gouvernements signèrent un engagement à fournir 760 appareils sans se lier : 250 en Grande-Bretagne et en Allemagne, 160 en Italie et 100 en Espagne. Les problèmes commencèrent avec quelques problèmes techniques peu après la disparition du pacte de Varsovie. En outre, le gouvernement espagnol annonça qu’il n’achèterait que 87 unités. Les Allemands indiquèrent aussi qu’ils préféraient s’en tenir à 140 exemplaires. Dans un contexte de débat intérieur permanent, le ministre allemand de la défense provoqua une crise sérieuse en 1992 en proposant l’abandon du projet et le développement d’un nouvel avion, significativement moins cher. Londres réagit très négativement, arguant des coûts de R&D déjà engagés et perdus en cas d’abandon. Une étude fut cependant entreprise sur la façon de réduire les coûts attendus. Les économies devaient venir d’un abaissement du niveau d’équipement et d’une structure logistique plus rationalisée. Réalisant qu’elle ne pouvait quitter le projet qu’à grand frais, l’Allemagne décida d’y rester impliquée au moins jusqu’à la fin de la phase de développement. En décembre 1993, les quatre pays furent d’accord pour continuer et renommèrent le projet Eurofighter 2000. Finalement, le MOU couvre une production de 620 appareils81. L’incapacité de contrôler les coûts, cependant, pourrait induire, aujourd’hui encore, des changements substantiels dans le plan de livraison. Officiellement, tous les pays partenaires maintinrent que le projet était important pour garder une capacité minimale de participer à la construction d’un avion de combat dans le futur. La raison d’être du programme JSF réside dans le développement interarmes d’un avion polyvalent à produire dans des variantes destinées à des besoins opé-
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Sur Eurofighter, voir : Teal Group Corporation, World Military & Civil Aircraft Briefing, april 2004, in http://www.tealgroup.com ; W. Voß e M. Brzoska, Eurofighter 2000: Consequences and Alternatives, Bonn, BICC, Brief 5, february 1996 ; MoD, National Audit Office (NAO), Major Projects Reports 2004. Project summary sheets, London, HC 1159-II Session 2003-2004, november 2004 ; on the web http://www.eurofighter.com e http://www.defence-data.com. L’Allemagne recevra 180 Eurofighter, la Grande-Bretagne 232, l’Italie 121 et l’Espagne 87. L’activité de développement principale continuera jusqu’à la fin de 2007, alors que la production progressera aisément avec une livraison au consommateur devenue routinière. L’Autriche fut le premier consommateur à l’exportation qui signa le contra d’acquisition pour la livraison de 18 appareils en 2003. Et en décembre, l’Arabie Saoudite annonça que le Typhon remplacerait le Tornado comme principal avion de combat des forces aériennes saoudiennes. Avec un carnet de commandes confirmées de 638 avions, Eurofighter est en tête de la compétition. Des possibilités d’exportation existent aussi vers la Grèce, la Turquie et la Norvège.
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rationnels différents et à moindre coût. Les trois variantes82 doivent avoir un minimum de points communs du point de vue de la cellule, du moteur et de l’avionique pour réduire la production et les coûts opérationnels d’au moins 15 billions $, déclara l’ancien secrétaire d’Etat à la défense William Cohen. Le programme JSF a émergé à la fin 1995 du programme Joint Advanced Strike Technology (JAST)83 qui débuta en 1993 en résultat d’une Bottom/Up Review (BUR) de la politique US de défense. Cette évaluation considéra le JAST comme substitut à deux programmes destinés à remplacer le F16 et l’avion d’attaque A6 de la Navy. En 1995, en réponse à une directive du Congrès qui critiquait le programme JAST, un projet dirigé par DARPA fut élaboré pour intégrer le développement d’un avion à décollage court ou vertical dans le JAST, ouvrant la porte à une participation du corps des Marine et de la British Navy (tandis que la RAF devait acheter le Eurofighter)84. Durant la phase de développement, (1994-6), trois dessins d’avion différents furent proposés par Boeing, Lockheed Martin et McDonnel Douglas (ce dernier en équipe avec Northrop Grumman et British Aerospace). En octobre 2001, le département US de la Défense sélectionna une équipe de contractants dirigée par Lockheed Martin. Le JSF est actuellement en phase de développement et la phase de production à plein rendement devrait commencer en 2008. En 1996, le programme prévoyait 3000 avions mais la revue quadrimestrielle de la Défense recommanda de réduire le projet de fourniture à 2800 avions environ.
JSF partner financial contributions and estimated aircraft purchases Development phase Production phase Partner Country Financial con- Percentage Projected quantities Percentributions* of total cost tage of total quantities United Kingdon $ 2.056,00 5.1 150 ** 4.7 131 Italy $ 1.028,00 2.5 4.1 82 83 84
CTOL (Conventional Take-Off Landing : décollage conventionnel) ; STOVL (Short Take-Off and Vertical Landing: décollage court et vertical) ; CV (Carrier-capable: capable de transporter). U.S. DOD, Office of the Deputy to the Under Secretary of Defense for Acquisition & Technology, Report of the Defense Science Board, Joint Advanced Strike Technology (JAST) Program, 1994. Sur le JSF, voir : Government Accounting Office (GAO), House of Representatives, Report to the Chairman, Subcommittee on National Security, Emerging Threats, and International Relations, Joint Strike Fighter Acquisition. Cooperative Program needs greater oversight to ensure goals are met, 2003 ; GAO, House of Representatives, Testimony before the Subcommittee on Tactical Air and Land Forces, Tactical Aircraft. Status of the F/A-22 and JSF Acquisition Programs and Implications for Tactical Aircraft Modernization, 2005 ; GAO, Report to Congressional Committees, Tactical Aircraft. Opportunity to reduce risks in the Joint Strike Fighter program with different acquisition strategy, 2005 ; The Library of Congress, Congressional Research Service (CRS), Joint Strike Fighter (JSF) Program: Background, Status, and Issues, Updated June 2006 ; The Library of Congress, CRS, Tactical Aircraft Modernization: Issues for Congress, Washington D.C., Updated January 2005 ; The Congress of the United States, Congressional Budget Office (CBO), U.S. Senate, Modernizing Tactical Aircraft, 1999.
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Netherlands Turkey Australia Norway Denmark Canada Total partner Total Europe United States
$ 800,00 $175,00 $144,00 $122,00 $110,00 $100,00 $ 4.535,00 $ 4.291,00 $ 35.965,00
2.0 0.4 0.4 0.3 0.3 0.2 11.2 10.6 88.8
85 100 100 48 48 60 722 562 2443
2.7 3.2 3.2 1.5 1.5 1.9 22.8 17.7 77.2
Source: GAO-04-554; * million dollars ** Official announcement
La participation alliée au développement du JSF a été activement recherchée comme moyen de partager les coûts et de baliser la route pour les exportations. Huit pays se sont engagés pour environ 4,5 billions $ dans la phase de développement du JSF. C’est le premier programme d’aviation US qui intègre une participation étrangère importante dans le développement d’un nouvel appareil. La fin de la guerre froide eut pour conséquence le déclin considérable des dépenses militaires par les états européens. De 1992 à 98, les budgets de la défense des 15 chutèrent de 20% et plus. Dans le même temps, la tendance technologique conduisit à l’augmentation des coûts de recherche, développement et production des équipements de défense. En outre, la compétition avec l’industrie américaine augmenta. L’exportation d’avions européens connut des difficultés pour des raisons économiques et politiques à cause de cela et parce que les états européens avaient investi de façon importante dans le programme JSF. L’acquisition éventuelle du JSF par un grand nombre d’états membres de l’Union, en outre, a conduit à une réduction correspondante de leur autonomie politique et financière. D’un autre côté, les compagnies d’aéronautique militaire sont encouragées à participer au JSF par la perspective d’une pénétration du marché US et d’obtenir de la haute technologie américaine et du know-how. Elles demandent, alternativement, aux institutions européennes une protection contre la concurrence américaine et de préserver la coopération avec des sociétés américaines à cause du manque de perspective dans les programmes européens85. Selon une étude du département US de la défense86, les motifs premiers de la participation européenne au JSF sont les besoins opérationnels et les profits de l’industrie. En plus du faible niveau des achats nationaux européens, il y a trop de projets rivaux si l’on compare avec les Etats-Unis le résultat de l’aide gouvernementale aux industries nationales. La conséquence en est la duplication de coûteux programmes R&D, industriels et d’installations de production qui cause l’échec dans la recherche d’économie d’échelle et de formation. La quantité, en fait, est un déterminant majeur des coûts unitaires et donc de la compétitivité. De longues séries de production permettent de fixer un plus 85 86
AA.VV., Prospects on the European Defence Industry, Athens, Defence Analysis Institute, en collaboration avec la Fondation pour la Recherche Strategique and the German Institute for International and Security Affairs, study commissioned by EU Presidency, 2003. U.S. DOD, Office of the Deputy Under Secretary of Defense, International Industrial Participation: a study of Country approaches and financial impacts on foreign suppliers, Washington D.C., June 2003.
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grand volume (et de partager entre un nombre plus grand de partenaires si le volume est le résultat d’un programme de collaboration) et de générer de plus grandes économie sur la formation lors de la production. Des résultats empiriques montrent que les coûts unitaires de production diminuent de 2‰ environ à chaque fois que le rendement cumulé double pour un avion donné87. Loin de ce modèle idéal, la coopération européenne produit des coûts R&D plus élevés et des coûts unitaires de production inchangés lorsque le volume s’accroît. Military combat aircrafts in Europe*
Military combat aircrafts in the US Aircraft Quantity Company Aircraft Quantity Company Eurofighter 620 BAE System, EADS JSF 3000** Lockheed Finmeccanica Martin Tornado 974 BAE System, EADS F-15 1437 Boeing Finmeccanica Harrier 96 BAE System F-16 3970 Lockheed Martin Hawk 782 BAE System F-18 2000** Boeing, Northrop Grumman Gripen 204 Saab, BAE System F-22 339** Lockheed Martin, Boeing Mirage 609 Dassault Aviation Harrier 396 Boeing Rafale
316**
Dassault Aviation
F-16
581
Sabca, Sonaca, Fokker, Kongsberg, Terma …
Alpha Jet
503
Germany, France
AMX
192
Italy, Brasil
TOTAL = 5.000 / 10 = 500 (average output)
TOTAL = 11.100 / 6 = 1850 (average output)
* Main Countries ** Projected quantities
Ce papier n’en donne que quelques preuves mais nous pouvons imaginer les économies auxquelles conduisent de plus longues séries de production aux EtatsUnis. En moyenne, chaque programme aéronautique européen produit 500 unités quand les américains en ont trois fois plus (voir tabl. 2). Ceci implique à peu près 60% d’économie sur les coûts unitaires de production aux Etats-Unis. Un tel 87
K Hartley, Industrial Policies in the Defense Sector. In K. Hartley e T. Sandler (eds.), Handbook of Defense Economics. Volume I, Oxford, Elsevier, 1995.
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exemple illustre à merveille les économies de coûts réalisées grâce à la standardisation de l’équipement (effet d’échelle). L’organisation de l’Eurofighter souffre encore d’un problème particulier : les accords politiques très spécifiques sur la division du travail sont d’abord orientés vers le maintien du statu quo industriel établi durant la guerre froide. Le type de contrat Eurofighter est basé sur des prix fixés, des voies d’acheminement non compétitives, des éléments sous-traités compétitifs dont la valeur s’élève à 30% de la valeur d’ensemble du premier contrat. Le JSF prévoit une réforme du modèle d’acquisition qui insiste sur l’association de commanditaires, le caractère supportable et la meilleure valeur de l’acquisition. Des critères du programme JSF, en fait, ne permirent pas des accords de partage du travail ou les traditionnels arrangements de compensation lié au critère de juste retour qui met l’accent sur le partage équitable du travail sur la base des commandes de chaque nation, base donc sur l’équité et les négociations politiques plutôt que sur les avantages comparatifs, l’efficacité, une rupture drastique avec les programmes internationaux d’armement (effet de compétition). Des analystes aéronautiques disent que l’histoire de l’Eurofighter peut être vue selon deux perspectives très différentes : le pire cas de négligence managériale en Europe (l’avion est aussi appelé « Bureaufighter ») ou la volonté européenne de grouper les ressources et le know-how. D’un côté, on peut voir des prix élevés et une efficacité combattante limitée à cause de besoins de défense différents et des stratégies industrielles diverses ; de l’autre, il y a une flexibilité accrue et une tentative de se réformer dans une entité de type Airbus. La crédibilité de la politique européenne de défense dépend lourdement de la compétitivité de l’industrie de défense européenne et d’une coopération plus efficace dans le domaine des armements88. Le manque d’une vision stratégique commune dans le secteur des armements est clair. Les divergences principales se trouvent entre grands et petits états européens ; les premiers donnent la priorité à leur intérêt national, les derniers sont plus préoccupés d’obtenir des systèmes d’armes à bas prix. En novembre 2001, les ministres de la défense des six pays LoI ont décidé de commencer immédiatement un « European Technology and acquisition Programme » (ETAP) destiné à développer conjointement le futur système de combat aérien. Mais comment se programme peut-il réalistement réussir alors que l’Italie et le Royaume-Uni participent au JSF ? Et alors que la France est sortie de l’Eurofighter ? Et, enfin, alors que l’Italie et le Portugal se sont retirés du programme d’avion de transport Airbus A400M au profit de l’américain US C130J ? Le succès en Europe du JSF illustre l’urgence de transformer la capacité de dialogue en actions plus concrètes et « locales ». Cependant, le gouvernement italien nouvellement élu appelle à abandonner l’effort JSF et d’acheter l’ Eurofighter. Sur ce point, un responsable du programme JSF dit : « if the governments go Europeancentric… once they start bal-
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Etant donné l’échec d’une stratégie institutionnelle de l’UE, en 1998, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Belgique on décidé la création de corps ad hoc en vue de rationaliser le secteur des armements : l’OCCAR pour le mangement et la coordination des programmes de coopération, essayant de pratiquer la mise systématique en compétition et des processus de décision plus efficace ; Letter of Intent (LoI) to facilitate the finctionning of International enterprises and industrial restructuring.
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ancing the cost of the Eurofighter… they are going to have interesting dilemma in their hands ». Comment échapper à ces dilemmes? Une voie pourrait être trouvée dans les délais et les dépassements de coût du JSF. Le programme rencontre, en fait, d’importants problèmes financiers et techniques résultant d’une plus longue fenêtre d’exportation pour l’Eurofighter (et des coûts unitaires de production inférieurs). Les officiels des gouvernements européens, en outre, ont exprimé quelques frustrations sur le fait que les entreprises européennes n’ont pas obtenu une part équitable du travail dans le JSF et craignent que le souci américain de maintenir le contrôle sur la fuite de technologie américaine ne limite l’accès aux travaux pour le JSF. Peut-être en réponse au mécontentement international croissant à propos des arrangements pour le partage du travail sur le JSF, en 2003, le département de la défense réalisa un rapport évaluant l’excellent retour sur investissement trouvé par les participants internationaux89. L’Union Européenne Occidentale est l’un des paradoxes les plus criants de la coopération atlantique. Le contenu de ses rapports met en lumière comment « the European defence industrial base must be used only for one-way transatlantic cooperation, sacrificing Europe strategic autonomy to euro-american interoperability », risquant de devenir un pool de soustraitants90. Cependant, la recherche d’amélioration de l’efficacité dans la politique d’approvisionnement conduira les nations de l’UE à revoir leur appui traditionnel à leur industrie nationale de défense. La tendance à long terme est à un plus petit nombre de plus grandes firmes de défense. L’indépendance nationale est, en fait, coûteuse. Si certains pensaient encore que rien ne s’est passé ou si peu dans le domaine de la défense européenne après l’échec de la CED, cet article démontre le contraire. On peut certes estimer ces coopérations insuffisantes en tant qu’européiste convaincu et partisan d’une identité européenne plus marquée dans le domaine de la sécurité. Mais force est de reconnaître que les initiatives ont existé et qu’elles ont été suivies de concrétisation. Cette évolution a sans doute connu des moments-clés. Il semble que la fin des années ’60 en soient un. Le largage américain des accords conclus avec l’Allemagne et la Grande-Bretagne en atteste ainsi les efforts de coopérations entre européens se multipliant à partir de cette époque. Il en est probablement d’autres que nos recherches n’ont pas encore permis d’identifier. Le traité de Maastricht, son deuxième pilier et les années ’90 ? Le cas du Joint Strike Fighter ne le laisse guère penser et les anciens réflexes nationaux et atlantiques semblent persister jusqu’à nos jours. Mais notre étude reste à poursuivre et d’autres facteurs sont à prendre en compte comme les tentatives de faire naître des acteurs institutionnels (OCCAR…) et industriels (EADS…) non évoqués ici. Dans un monde ou l’économie, de la défense y compris, change d’échelle et dans un contexte de guerre froide, les acteurs de ces coopérations se sont souvent montrés pragmatiques quant à une orientation pratique de leurs actes vers une 89 90
Selon cette étude, le montant de retour a varié de 5 à 40 dollars de revenu pour chaque dollar investi dans le programme. Voyez U.S. DOD, Office of the Deputy Under Secretary of Defense, International Industrial Participation, op. cit. Dans l’Union Européenne Occidentale, voir : Interparliamentary European Security and Defence Assembly, The future of the European defence aeronautics industry – reply to the annual report of the Council, Paris, Report, 4 June 2003.
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coopération entre Européens. D’une part parce qu’ils n’ont pas forcément les moyens politiques, militaires, industriels et technologiques de suivre leur voie propre. D’autre part parce que cela ne fait pas forcément partie des préoccupations de tous. Les gouvernements, s’ils appellent une coopération de leurs vœux dans le domaine de la défense, n’en continuent pas moins à protéger leur industrie nationale et les cavaliers seuls ne sont pas rares dans l’histoire de l’aéronautique militaire en Europe. Le coût des appareils, enfin, s’avère d’un poids non négligeable dans maints choix de matériel militaire. Les industriels étudiés ici, quant à eux, son guidés par la recherche de la rentabilité ou, du moins, le maintien de leur activité. Or, les propositions américaines sont souvent attractives, tant pour les premiers que pour les seconds, en raison de l’avance scientifique et technique qu’ils partagent plus ou moins volontiers, des marchés qu’ils sont capables d’offrir, de l’allongement significatif des séries à produire quand les Etats-Unis participent au programme, du poids de l’histoire entre leurs entreprises et celles d’Europe…
Summary It is not true that nothing practical happened in matters of European defence after the EDC failure in 1954. The 60s’, for instance, were a decisive moment in the process of a European aeronautical cooperation. Then, European governments and plants especially started coproducing military aircrafts but also took decisive decisions in view of a European civil cooperation in matters of aircrafts. That is partly because the American authorities decided to break their cooperation agreements with some of those European governments, a few years after the Treaty of Rome signature. The British government especially reacted by attempting to create narrower links with France and Germany, as to aircrafts coproduction and also space cooperation. In the contexts of cold war, European construction and economic globalization, what would the European governments do? Does it mean that they would clearly opt for a European cooperation from then on, in the line of the treaty of Rome? They actually adopted a pragmatic attitude because of their lack of political but also industrial and scientific means. At the same time, Europe remained an association of nation-states who decided to protect their own industrial interests (for instance, the US offered much better perspectives in matters of sales for the European aeronautical plants since the US Air Force was the biggest one in the western world) and not to let their military budgets grow again. In such conditions, it remained often more attractive for them to buy and coproduce American military aircrafts. But not always and, during the 60s’, some European governments and plants became more aware of a common European interest in the aeronautical sector. They prepared the road to the 70s’, to the Airbus aircrafts and to the European Space Agency.
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Zusammenfassung Zusammenfassend kann festgestellt werden, dass es nicht zutrifft, dass nach dem Fehlschlagen des EDC 1954 hinsichtlich einer europäischen Verteidigung praktisch nichts mehr passiert sei. Die 1960er Jahre waren beispielsweise entscheidend für die europäische Luftfahrtskooperation. Dann begannen die europäischen Regierungen und Betriebe militärische Flugzeuge gemeinsam zu produzieren und fällten auch grundlegende Entscheidungen hinsichtlich der zivilen europäischen Kooperation von Flugzeugen. Zum Teil ist dies darauf zurückzuführen, dass die amerikanische Obrigkeit entschied ihre Kooperationsvereinbarungen mit einigen der europäischen Regierungen, einige Jahre nach dem Inkrafttreten des Vertrag von Rom, nicht mehr einzuhalten. Insbesondere die britische Regierung reagierte darauf mit dem Versuch in der Flugzeugproduktion und Weltraumtechnik näher mit Frankreich und Deutschland zusammenzuarbeiten. Es stellt sich die Frage, wie die europäischen Regierungen vor dem Hintergrund des Kalten Krieges, des Ausbaus von Europa und wirtschaftlicher Globalisierung handelten. Führte dies im Sinne des Vertrags von Rom zu einer klaren Entscheidung für eine europäische Kooperation? Tatsächlich nahmen sie auf Grund eines Mangels an politischen, industriellen und wissenschaftlichen Ressourcen eine pragmatische Haltung an. Gleichzeitig blieb Europa ein Zusammenschluss von Nationalstaaten, die entschieden ihre eigenen nationalen Interessen zu schützen (zum Beispiel boten die USA sehr viel bessere Aussichten hinsichtlich des Verkaufs für die europäischen Luftfahrtbetrieben, da die US Air Force die Nummer eins in der europäischen Welt war) und ihre militärischen Ausgaben nicht erneut anwachsen zu lassen. Unter diesen Bedingungen blieb es oft attraktiver amerikanische Militärflugzuge zu kaufen oder zu koproduzieren. Allerdings nicht immer und im Laufe der 1960er Jahre begannen einige europäische Regierungen und Industrien im Sektor Lugt- und Raumfahrt ein gemeinsames europäisches Interesse zu sehen. Sie ebneten den Weg für die 1970er Jahre, zum Airbus und zur Europäischen Raumfahrtbehörde.
L’EUROPE À TOUT PRIX ? LES ENTREPRENEURS LOMBARDS FACE AUX PREMIÈRES ÉTAPES DU PROCESSUS D’INTÉGRATION : DU PLAN SCHUMAN À LA NAISSANCE DE LA
PAC
PAOLO TEDESCHI L’objet de cette brève contribution est de montrer l’attitude des entrepreneurs lombards à l’égard du processus d’intégration européenne au cours de la période comprise entre la proposition du ministre Schuman d’intégrer les marchés du charbon et de l’acier (mai 1950) et la naissance de la PAC (début 1962). Dans le même temps, seront présentés les demandes qu’ils posèrent aux pouvoirs publics et les systèmes qu’ils mirent en place pour faire face à la nouvelle Europe naissante. Au cours de cette période, la Lombardie était en effet non seulement la région la plus peuplée et industrialisée d’Italie, mais elle se caractérisait également par la présence d’entreprises de toutes dimensions, appartenant à divers secteurs productifs et pour lesquelles le capital public se révélait minoritaire. De plus, les productions agricoles et zootechniques jouaient un rôle important dans l’économie régionale et étaient étroitement liées à l’industrie alimentaire. Les entrepreneurs lombards étaient donc très intéressés par les problèmes des « politiques agricoles communes » et craignaient les effets négatifs qu’un marché alimentaire non équilibré pourraient avoir sur les prix et par conséquent sur les revenus des travailleurs1. Etudier le cas lombard permet donc de relever les opinions d’un milieu économique très composite sur l’intégration économique européenne ainsi que d’exposer ses différences et ses spécificités par rapport aux milieux économiques d’autres régions italiennes et aux dirigeants des industries publiques. En particulier, les entrepreneurs lombards n’étaient pas opposés à l’entrée de l’Italie dans la « nouvelle Europe », mais ils demandaient que le processus d’intégration soit graduel, sans « dirigisme » et accompagné d’aides fiscales aux entreprises (et aux fermes) afin de leur donner le temps de s’adapter à un marché beaucoup plus concurrentiel. Ils se révélaient favorables à une Europe au sein de laquelle les avantages pour les entrepreneurs plus dynamiques s’avéraient supérieurs aux dommages causés par les crises rencontrées par les entreprises plus faibles (et donc incapables de survivre à la hausse de la concur1
Dans les années 1950, la Lombardie était le siège de près de 40% des plus grandes entreprises italiennes au sein de chacun des principaux secteurs industriels (sidérurgie, mécanique, chimie, alimentation, fabricants de meubles, bâtiment, câbles et produits en caoutchouc, etc.) ; à cela s’ajoutaient les entreprises de petites et moyennes dimensions, celles de la mécaniques fine, des instruments électrotechniques et électroniques et des appareils électroménagers, du mobilier, des textiles (chaussettes et bas) et des chaussures. En 1958, la population de la Lombardie dépassait 7.000.000 habitants et, en 1959, le nombre de travailleurs était de 3.082.000 (dont 928.000 femmes) : ils produisaient plus d’un cinquième des revenus italiens, plus d’un neuvième de ceux de l’agriculture, plus d’un quart de ceux de l’industrie, du commerce, du crédit, des assurances et des transports. Sur le rôle de la Lombardie dans l’économie italienne aux années 1950 cf. A. De Vita, L’evoluzione economica della Lombardia dalla prima guerra mondiale ad oggi, Milan, Stucchi, 1959, pp. 13-23.
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rence). Ils refusaient une « Europe à tout prix » et souhaitaient une intégration ayant des coûts sociaux et économiques supportables par les entreprises et les familles2. 1. Face à la perspective d’une intégration européenne qui, si elle développait les marchés, favorisait aussi la concurrence étrangère, les entrepreneurs lombards ne présentaient pas d’attitude bien définie. En effet, dans un contexte non hostile à l'intégration des marchés, les différentes stratégies de vente et les divers degrés de compétitivité engendraient des préoccupations et des attentes se modulant selon le secteurne sont partagées que les grandes craintes envers une Europe où l’espace pour la “libre activité” des entrepreneurs serait limité par un excès de « dirigisme » venant des nouvelles institutions communautaires. Ainsi la tendance à l’« européisme » se rencontrait-il surtout dans les entreprises plus compétitives (par exemple celles de la mécanique fine et du secteur de l’électroménager), tandis que les craintes envers l’ouverture des frontières étaient plus fortes dans les milieux industriels de la sidérurgie (face aux premières propositions concernant la réalisation du Plan Schuman), de la chimie, des voitures et des véhicules industriels (devant la formation du Marché Commun). Tout au long des années 1950, les entrepreneurs lombards rappelèrent l’importance d’une intégration progressive, non limitée à quelques secteurs productifs et basée sur l’harmonisation fiscale entre les pays. Ils considéraient en effet comme fondamental la création d’une « Europe unie » garantissant une meilleure distribution des facteurs productifs et améliorant les conditions de vie des familles, mais en soulignaient également les coûts économiques et sociaux (très élevés au début du processus d’intégration) et donc la nécessité de les rendre compatibles avec les revenus des citoyens et des entreprises. La formation de la CECA et des autres « pools » ainsi que celle du Marché Commun devaient donc prévoir une ouverture graduelle des marchés (à savoir une réduction des tarifs de douane réalisée en plusieurs années) et la création de systèmes fiscaux permettant d’annuler les avantages en faveur des pays plus développés et, prévoyant en outre, des fonds européens pour aider les entreprises et surtout les travailleurs victimes de la perte des protections et de la hausse de la concurrence étrangère3. Comme le séna2
3
Cette contribution est basée sur les documents des Archives de l’Assolombarda (la plus importante des associations d’industriels lombards), liasses 1652, 1654, 1656, 1660, 1661, 1662, 1663, ainsi que sur les articles publiés lors de la période analysée dans les majeursjours naux économiques et financiers (24 Ore, Il Sole et L’Industria Lombarda). Les sources archivistiques ne seront plus citées et seule une partie des articles publiés dans les journaux ci-dessus sera signalée. Pour développer certains aspects qui ne seront ici que résumés (par exemple l’analyse détaillée des attitudes et des craintes de chaque secteur productif), consulter P. Tedeschi, « Aux origines de l’intégration européenne : les AFL Falck, les industriels italiens de l’acier et la création de la CECA », in M. Dumoulin (ed.), Les réseaux économiques dans le processus de construction européenne, Bruxelles, P. Lang, 2004, pp. 189-214 ; Id., « Les industriels lombards et les nouvelles règles du Marché Commun dans les années ‘50 : risques et opportunités », in E. Bussière, M. Dumoulin, S. Schirmann (eds.), Europe des marchés libres ou Europe du libre échange ? Fin XIXe siècle – Années 1960, Bruxelles, P. Lang, 2006, pp. 107147 ; Id., « Le AFL Falck, gli ambienti industriali milanesi e il “problema europeo” », in F. Zucca (ed.), Europeismo e federalismo in Lombardia. Dal Risorgimento all’Unione europea, Bologne, Il Mulino, 2007, pp. 57-99 ; ainsi que les bibliographies qui y sont indiquées. Parmi les nombreux articles concernant les opinions des milieux économiques lombards par rapport à la CECA cf. I. Minunni, « Il progetto Schuman per il carbone e l’acciaio : una concreta iniziativa industriale polarizza l’attenzione in campo internazionale », in L’industria lombarda, 13 mai 1950 ; « Il piano Schuman è una grande idea che non deve naufragare in un assurdo dirigismo », in ibid., 2 décembre 1950 ; « Inutile un Piano Schuman ispirato a esigenze politiche », in ibid., 14 juillet 1951 ; I. Minunni, « Aspetti economici e politici della ratifica del Piano Schuman », in ibid., 12 janvier 1952 ; « Entrerà in vigore martedì 10 febbraio il pool car-
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teur Enrico Falck l’avait indiqué lors des discussions relatives à la création de la CECA, les entrepreneurs lombards refusaient « une Europe à tout prix », c’est-àdire une intégration ayant un impact trop négatif sur l’économie italienne (reconnue comme étant la plus faible des six pays adhérents) et par conséquent des coûts pouvant conduire à la mise en discussion de la permanence de l’Italie au sein de l’Europe communautaire. En effet, la nouvelle Europe des marchés intégrés ne constituait pas une idéologie et elle ne pouvait exister que si, en peu de temps, elle démontrait que les avantages apportés dépassaient les sacrifices exigés et que des aides étaient effectivement prévues pour l’ensemble des travailleurs des entreprises mises en difficulté par une concurrence plus forte sur le marché italien4. Face à un gouvernement voulant absolument entrer dans la nouvelle Europe (considérée comme l’occasion de développer l’économie du pays et, en même temps, de rendre définitif son « choix occidental »), les entrepreneurs lombards soulignaient donc les « problèmes » soulevés par le processus d’intégration des marchés. Ceux qui furent labellisés comme « dangereux » dépendaient en réalité de « questions de politique intérieure » ou étaient liés à la volonté d’obtenir les meilleures conditions possibles pour l’entrée au sein des nouveaux marchés intégrés. Les entrepreneurs craignaient le « dirigisme » des futures institutions économiques européennes, mais la polémique trouvait son origine dans les discussions sur le rôle des entrepreneurs privés face aux milieux politiques italiens semblant favoriser les entreprises publiques. Par rapport au plan Schuman, les discussions sur les pouvoirs excessifs de la Haute Autorité se croisaient avec celles concernant les avantages octroyés au groupe sidérurgique public Finsider ; par rapport au Marché Commun les discussions relatives à l’importance sociale de l’activité des entreprises privées se mélangeait aux questions concernant la première réduction des tarifs appliquée aux douanes prévue à partir de 1958 (les entrepreneurs soulignèrent toujours que le gouvernement devait obtenir une
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bone acciaio », in ibid., 7 février 1953 ; E. Taccani, « Si profilano altri pools oltre a quello carbone-acciaio », in ibid., 14 mars 1953 ; « Vari gli aspetti della Comunità del carbone e dell’acciaio », in ibid., 17 octobre 1953 ; M. Scerni, « Faticosa ma indispensabile la ricostruzione dell’Europa Unita », in ibid., 1 mai 1954 ; M. Rocca, « La cooperazione economica europea », in ibid., 18 décembre 1954 ; « Le obiezioni dell’industria siderurgica al progetto per il “pool” carbone-acciaio. Ragioni tecniche e non di principio sono alla base dell’atteggiamento dei settori produttivi », in Il sole, 12 janvier 1952 ; « Giovano le integrazioni economiche alla causa dell’integrazione europea ? Pool agricolo e Piano Schuman nelle considerazioni degli ambienti politici e industriali », in ibid., 26 janvier 1952 ; G. Macera, « Il Pool Carbone Acciaio avviamento alla comunità europea », in ibid., 28 janvier 1953. Pour ce qui concerne les opinions relatives au Marché Commun cf. G.A. Longo, « I presupposti per l’attuazione del Mercato Comune Europeo », in L’industria lombarda, 13 avril 1957 ; « Inizio del MEC », in ibid, 3 janvier 1959 ; « La posizione degli industriali nei confronti del Mercato Comune », in Il Sole, 20 janvier 1957 ; « Una affrettata attuazione del MEC potrebbe sollevare non lievi pericoli », in ibid., 5 novembre 1959, ainsi que les articles indiqués dans les notes 5, 10, 12 et 13. En 1946, Enrico Falck avait quitté la direction d’une des plus importantes entreprises sidérurgiques italiennes (les AFL Falck) pour se dédier à la politique, mais tout naturellement, portait encore un grand intérêt non seulement à tous les problèmes concernant le secteur productif où sa famille travaillait, mais aussi à toutes les questions posées par la réalisation de l’intégration économique et politique de l’Europe occidentale. Il mourut avant la création du Marché Commun, mais en expliquant ses critiques concernant les règles de la CECA il avait souligné que l’Italie devait y adhérer tout étant attentive aux coûts sociaux et économiques que l’entrée dans le « pool du charbon et de l’acier » pouvait engendrer : des coûts trop élevés pourraient en effet donner naissance à une hostilité des citoyens envers l’Europe communautaire (P. Tedeschi, « Une nouvelle Europe à construire : la section italienne de la LECE du 1948 à la création du Marché Commun », in Journal of European Integration History, 2006, n° 1, pp. 87-104).
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diminution réelle limitée). Elles s’ajoutaient aux protestations concernant la concurrence « déloyale » des entreprises publiques dont les pertes étaient, selon les affirmations des industriels lombards, compensées par les charges sociales et les taxes plus élevées payées par les entreprises privées les plus efficaces considérées comme les seules capables de garantir le développement économique et social et qui, devant affronter des coût plus élevés, devenaient moins compétitives. Et lorsque la polémique avec les groupes industriels publics s’atténuait, reprenait avec force le discours mettant en garde sur les risques de crises productives et de chômage engendrés par une intégration trop rapide et donc sur une réduction des taxes plus que nécessaire5. L’objectif était donc bien d’obtenir une entrée graduelle et, au moins, de moindres charges fiscales sur les activités agricoles et industrielles ainsi que des financements bancaires moins onéreux. Selon les représentants des associations des entrepreneurs lombards, ce n’était qu’à ces conditions que les entreprises et les fermes pouvaient être vraiment compétitives face à la concurrence étrangère avantagées par des matières premières moins chères et disposant de technologies plus efficaces. Cependant, il ne s’agissait que de la tentative des entrepreneurs d’entrer en Europe avec meilleures conditions possibles, car en réalité les coûts plus élevés liés aux matières premières étaient compensés par des salaires plus bas et une grande partie du fossé technologique existant à la fin de la guerre avait été compensé par les aides perçues dans le cadre du Plan Marshall. En effet, on note une plus grande ouverture à la « nouvelle Europe des marchés » par rapport à l’attitude générale des entrepreneurs italiens, surtout si l’on considère les cibles des critiques faites au gouvernement italien qui, au cours des discussions concernant la signature du Plan Schuman et des Traités de Rome, fut accusé de poser des choix empêchant le développement économique et social italien6. Une partie importante de l’industriel lombarde était représentée par des entreprises de petites et moyennes dimensions déjà habituées à un marché très concurrentiel. En général, elles présentaient plus de flexibilité pour améliorer leur niveau technologique et s’adapter aux nouvelles règles du Marché Commun, présentaient moins de coûts d’amortissement et utilisaient une main d’œuvre moins coûteuse. 5
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Les nouvelles implantations sidérurgiques de Cornigliano, bâties dans les premières années ’50, furent par exemple soustraites aux règlements de la CECA qui pouvait débattre de la fonction (et donc des dimensions) dans le « nouveau marché carbo-sidérurgique » : le gouvernement italien menaça de se retirer de la CECA si leur ouverture était mise en discussion (R. Ranieri, « Il Piano Marshall e la ricostruzione della siderurgia a ciclo integrale », in Studi storici, 1996, n° 1, p. 183). Pour ce qui concerne la première réduction des tarifs communautaires et la demande d’une réduction des niveaux des taxes et des charges sociales payées par les entreprises, les articles suivants sont très instructifs : « Lavorare in condizioni di parità », in 24 Ore, 11 avril 1952 ; « I difetti che noi temiamo », in L’industria lombarda, 23 mars 1957 ; « Urgente l’adeguamento del nostro sistema fiscale alle esigenze del Mercato Comune europeo », in ibid., 25 janvier 1958 ; G. Sacerdote, « Occorre diminuire gli oneri fiscali e previdenziali per partecipare al MEC », in ibid., 22 mars 1958. Enfin sur la volonté des industriels lombards d’affirmer l’importance des entreprises privées pour le développement économique italien dans le Marché Commun cf., entre autres, « I compiti fondamentali della libera impresa nella realizzazione del Mercato comune europeo », in ibid., 4 mai 1957 ; « Lavoro e capitale resterebbero inerti senza gli imprenditori », in ibid., 29 mars 1958 ; « L’insostituibile funzione della libera intrapresa sarà riaffermata nella “Giornata dell’imprenditore” », in Il Sole, 21 avril 1957. Sur les opinions des milieux économiques italiens par rapport aux premières étapes du processus d’intégration européenne cf. F. Fauri, « Free but Protected ? Italy and the Liberalization of Foreign Trade in the 1950s », in Explorations in OEEC History, 1997, pp. 139-148 ; Id., « Italy and the Free Trade Area Negotiations 1956-1958 », in Journal of European Integration History, 1998, n° 2, pp. 47-66 ; F. Petrini, « Les milieux industriels italiens et la création du Marché Commun », in ibid., 2003, n° 1, pp. 9-36.
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Elles pouvaient donc compter sur des coûts comparatifs les rendant très compétitives et craignaient donc moins l’ouverture des marchés. De plus, au sein de l’industrie lombarde, l’un des secteurs le plus frileux quant à l’entrée de l’Italie dans le Marché Commun, c’est-à-dire celui de la production automobile, n’avait qu’un faible poids. En outre, l’extraction de la majorité des matières première (tels le zinc, le plomb, le soufre et d’autres minerais sans fer) était localisée dans les régions du sud. Les craintes des dirigeants de la FIAT ou des mines siciliennes face à la hausse prévue de la concurrence n’exprimaient évidemment pas les positions de la majorité des entrepreneurs lombards dont les produits avaient beaucoup plus de possibilités d’être compétitifs, surtout si l’Etat les écoutait et baissait leur coût du travail7. 2. A ce propos, on doit noter que les demandes des entrepreneurs lombards se conjuguaient non seulement aux opinions des milieux économiques qui, tout en n’étant pas opposés à l’Europe, éprouvaient néanmoins une peur telle qu’ils préféraient un processus d’intégration étalé, mais aussi à celles des mouvements politiques et syndicaux socialistes et surtout communistes qui s’opposaient à toute forme d’intégration économique liée à un système économique de type capitaliste semblable à celui qui serait mis en place dans le cadre de la CECA et du Marché Commun. La volonté d’une adhésion italienne à l’Europe mais « pas à n’importe quel prix » se mélangea aux idées des entrepreneurs (comme ceux du groupe FIAT) voulant renvoyer l’intégration lorsque l’Italie disposerait d’un secteur industriel compétitif ainsi que des partisans du système économique proposé par l’Union Soviétique. Les « doutes stratégiques » de ceux voulant des conditions d’entrée plus favorables s’ajoutèrent donc à l’opposition de groupes très puissants et possédant des journaux et à celle du mouvement politique et syndical plus apte à mobiliser les masses ouvrières. Cela explique pourquoi l’opposition des industriels à la nouvelle Europe fut surestimée en oubliant les vrais buts de certaines affirmations, à savoir l’octroi par l’Etat de meilleures conditions d’entrée dans le nouveau marché européen8. La majorité des entrepreneurs lombards était en effet favorable à la nouvelle Europe, ce qui est confirmé par l’intérêt montré pour les projets de nouvelles institutions communautaires d’un côté, les jugements positifs parus dans leurs journaux sur le plan Pleven prévoyant la création de la CED (vue comme une de meilleures solutions pour limiter l’expansion communiste en Europe) ou à propos de la réalisation du plan Beyen renforçant le processus d’intégration aux niveaux politique et économique9 ; de l’autre, ils signalaient que dans une Europe 7
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On doit noter que la plus importante entreprise italienne, la Fiat, n’a pas son siège en Lombardie, tandis que le plus grand producteur lombard de voiture, l’Alfa Romeo, appartenait à l’industrie publique ; l’extraction du soufre, du plomb et du zinc donnait du travail à plus de 21.000 personnes en Sicile et en Calabre : les craintes de ces milieux industriels étaient évidemment plus fortes que celles de la majorité des entrepreneurs lombards. L’adhésion italienne à l’Europe Communautaire était conçue par la majorité de la gauche italienne comme la conséquence naturelle de la participation italienne à l’OTAN et donc à un système politique et économique empêchant toute possibilité de se lier au modèle économique et social proposé par l’URSS. Cela explique la grande opposition des mouvements socialistes et communistes italiens qui, jusqu’aux années 1960, s’engagèrent pour démontrer les dommages causés à l’économie italienne par l’intégration dans l’Europe communautaire. A ce propos cf. S. Galante, Il Partito Comunista italiano e l’integrazione europea. Il decennio del rifiuto : 1947-1957, Padoue, Liviana, 1988 ; M. Maggiorani, L’Europa degli altri. Comunisti italiani e integrazione europea (1957-1969), Rome, Carocci, 1998. Sur les opinions des entrepreneurs lombards face à la CED et au Plan Beyen ainsi qu’à leur faillite cf. I. Minunni, « Le nuove responsabilità e i nuovi compiti affidati alla CED », in
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unie, au moins au niveau économique, les marchés se fortifieraient et les régions les moins développées pourraient rattraper leur retard10. Enfin, de nombreux industriels étaient actifs au sein d’organisations soutenant la formation d’une Europe occidentale économiquement et politiquement unie nombre des plus importants entrepreneurs lombards adhéraient en effet à la Ligue Européenne de Coopération Economique et au Comité Européen pour le Progrès Economique et Social, deux associations ayant pour objectif d’étudier les moyens favorisant l’intégration économique européenne en limitant les problèmes liés à la hausse de la concurrence ; de plus de nombreux d’entre eux appartenaient à l’Union des entrepreneurs et des dirigeants chrétiens affiliée à l’UNIAPAC, organisation internationale ayant exactement comme but la construction d’une nouvelle Europe communautaire pour les entreprises et les travailleurs11. Il est donc difficile d’imaginer que ces personnes étaient absolument opposées à l’intégration économique européenne et, au contraire, cela renforce l’idée d’une « stratégie » élaborée pour obtenir des avantages fiscaux dans un contexte qui, selon les entrepreneurs, ferait payer aux entreprises italiennes beaucoup plus de taxes que la concurrence étrangère12. En tout état de cause, au sein des associations des entrepreneurs lombards, les « doutes » quant à l’intégration européenne disparurent progressivement au cours des premières années de l’intégration. En effet, le succès obtenu par les entreprises lombardes sur les marchés européens s’ajouta à la disparition des craintes concernant le « dirigisme » et le pouvoir excessif des organisations communautaires (surtout celles se référant à la Haute Autorités et aux clauses des Traités de Rome limitant les ententes commerciales des entreprises). Les premières années d’application des règles de la CECA rendirent les entreprises les plus efficaces au sein des divers secteurs productifs (donc non seulement les meilleures usines sidérurgiques) plus attentives aux opportunités offertes par le processus d’intégration économique européenne qu’aux risques que cette dernière engendrait. Les bons résultats des premières années du Marché Commun eurent le même effet par rapport aux craintes des entrepreneurs plus pessimistes face à la première réelle réduction des droit de douane prévue pour le début de l’année 1962. En effet, au début des années 1960, en signalant le succès remporté, les représentants des entrepreneurs lombards soulignèrent qu’il était lié à la baisse des
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L’Industria Lombarda, 25 octobre 1952 ; Id., « Il Paese deve difendersi dall’offensiva comunista », in ibid., 10 avril 1954 ; Id., « Profondi i riflessi sulla politica italiana per la mancata realizzazione della CED », in ibid., 4 septembre 1954 ; G. Lanzillo, « S’impone anche all’Italia la ratifica della CED », in ibid., 3 avril 1954 ; Id., « Dopo Bruxelles », in ibid., 28 août 1954 ; P. Fantini, « L’avvenire del continente », in ibid., 11 septembre 1954 ; « Economia oltreché politica a portata del trattato CED », in Il Sole, 3 mars 1953. Cf. aussi D. Preda, Storia di una speranza. La battaglia per la CED e la Federazione Europea, Milan, Jaca Book, 1990 ; Id., Sulla soglia dell’Unione. La vicenda della Comunità Politica Europea (1952-1954), Milan, Jaca Book, 1993. I. Minunni, « Abbattute le barriere risorgeranno le aree depresse », in L’Industria Lombarda, 1 mai 1954 ; E. Taccani, « Vasto e forte mercato in un’Europa almeno unita economicamente », in ibid., 20 novembre 1954. P. Tedeschi, « Une nouvelle Europe », op. cit. ; Id., « Nuove imprese e nuovi imprenditori per essere competitivi nella “nuova Europa” : il gruppo lombardo UCID e l’integrazione europea negli anni ‘50 », in Bollettino dell’Archivio per la storia del movimento sociale cattolico in Italia 2007, n.2, pp. 227-250. A. Titta, « L’Italia diviene sempre più il paese a maggiore tassazione d’Europa », in L’Industria Lombarda, 13 octobre 1962 ; Id., « Vari fattori neutralizzano in Italia i vantaggi integrativi derivati dalla CEE », in ibid., 10 novembre 1962.
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tarifs sur les autres marchés ainsi qu’au « sursaut psychologique » augmentant les investissements et améliorant la qualité de la main d’œuvre provoqué par l’institution du Marché Commun. On prévoyait une hausse ultérieure des ventes en Europe et donc la réduction des tarifs fut considérée comme une occasion de renforcer les positions obtenues sur les marchés européens et non comme le début de la conquête du marché italien par les produits des autres pays communautaires13. Cela représentait une variation très importante des attitudes face à la « nouvelle Europe » : les attentes et les craintes des entrepreneurs lombards avaient donc évolué par rapport au début du processus d’intégration des marchés, mais dans le même temps, ne changeaient ni le « respect » pour les principes énoncés par Enrico Falck, ni les stratégies utilisées envers le gouvernement. En 1957, les entrepreneurs savaient qu’au cours de la première phase d’application des Traités de Rome, l’Italie avait presque maintenu les droits de douane existant au début des années 1950 et que dès lors pour quatre ans de nombreuses entreprises italiennes avaient eu la possibilité de faire face à une faible croissance de la concurrence étrangère jusqu’au début de l’année 1962. Par contre, la nouvelle étape engendrerait une diminution plus soutenue des droits réels de douane, mais la confiance dans la compétitivité des productions lombardes s’était renforcée grâce à la croissance des exportations enregistrée dans les années précédentes et à la conscience de disposer d’entreprises rénovées. De plus, en Italie, on vivait le « boom economico », à savoir une période caractérisée par une conjoncture très positive, mais tous les index économiques des pays adhérents à la Communauté étaient eux aussi très positifs : les perspectives d’une ultérieure expansion des marchés et donc des possibilités de « faire des affaires » pour les entrepreneurs les plus habiles augmentaient le nombre des « optimistes » et des « favorables » à l’intégration. Tout naturellement, pour augmenter leur force dans le Marché Commun, les entrepreneurs continuaient à demander une baisse des charges fiscales et une intégration graduelle (se déclarant donc opposés à une accélération du processus d’intégration) et ce surtout pour les entreprises de petites et moyennes dimensions. Toutefois, ils admettaient que cette revendication ne représentait qu’une des clés du succès parmi d’autres, car devenait toujours plus importante l’efficacité des structures productives et des systèmes de distribution ainsi que la spécialisation des produits au haut rapport qualité-prix14.
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« Favorevoli giudizi a Milano sul primo anno del Mercato comune », in Il Sole, 6 janvier 1960 ; « Gli operatori preparati molto attendono dal Mec », in L’Industria Lombarda, 27 août 1960. Sur la faible baisse réelle des droits de douane dans la première phase du Marché Commun cf. F. Fauri, L’integrazione economica europea : 1947-2006, Bologne, Il Mulino, 2006, pp. 121122. A propos des attitudes et des demandes posée à l’Etat par les milieux économiques lombards sur la deuxième réduction des tarifs cf. « I fattori di remora », in L’Industria Lombarda, 2 février 1959 ; « Con i vari problemi di fondo in sospeso non si sa come potremo operare nel MEC », in ibid., 11 avril 1959 ; Gav., « “Specializzazione” chiave per il successo nel MEC », in ibid., 17 février 1962 ; « Pericolosa per le piccole aziende l’anticipazione dei tempi del MEC », in Il Sole, 12 décembre 1959 ; « L’industria italiana è favorevole al MEC, ma contraria ad alterare le sue scadenze » in ibid., 14 mai 1960 ; « La posizione dell’industria italiana di fronte all’acceleramento del MEC », in ibid., 9 juillet 1960 ; P. Andreoli, « L’armonizzazione tributaria nel MEC primo obiettivo della politica finanziaria », in ibid., 20 septembre 1960. Sur la positive conjoncture économique enregistrée au début de la deuxième phase de réduction des tarifs cf. « Ordinata evoluzione dell'economia italiana nel quadro del mercato comune europeo », in L’Industria Lombarda, 24 février 1962, G. Livi, « Favorevole in tutta la comunità la congiuntura economca del 1961 », in ibid.
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3. En ce qui concerne le « maintien » de l’idée « de la nouvelle Europe des marchés » indiquée par Enrico Falck, il faut indiquer que, même lorsque la plupart des entrepreneurs fut favorable à l’intégration de l’économie italienne dans la « nouvelle Europe » créée par les Traités de Rome, les entrepreneurs lombards rappelèrent toujours l’importance d’éviter une adhésion à l’Europe « à n’importe quel prix » et soulignèrent l’importance d’un processus graduel pour protéger les secteurs moins compétitifs nécessitant une importante rénovation de leurs structures productives. Ils demandaient aussi la création de nouvelles institutions communautaires et la promulgation de lois nationales soutenant le développement économique et social, à savoir la Banque Européenne d’Investissement (BEI), le Fond Social Européen (FSE) ainsi que les nouvelles lois de 1959 favorisant les crédits aux entreprises de petites et moyennes dimensions et l’émission d’obligations pour les plus grandes. Pour ces dernières, les pressions faites par les organisations des entrepreneurs furent décisives, puisque l’insistance de la délégation italienne pour insérer dans les Traités la réalisation de la BEI et du FSE fut en effet liée aux propositions des entrepreneurs (non seulement lombards) demandant des aides pour les entreprises et les travailleurs victimes de la création du Marché Commun. La BEI financerait les infrastructures routières et ferroviaires permettant des approvisionnements en matières premières plus faciles et rapides (et donc moins coûteux) ainsi qu’une meilleure distribution des produits finis, ce qui avantagerait les entreprises lombardes : en effet même si la plupart des projets financés ne se trouvaient pas sur leur territoire, ils concernaient leurs marchés (et en outre créaient des occasions pour des investissements rentables dans le Mezzogiorno)15. Aussi pour ce qui concerne la nécessité d’une entrée graduelle, les entrepreneurs lombards furent entendus par le gouvernement qui, au sein des délégations chargées de préparer les accords communautaires offrit toujours des sièges aux représentants des entreprises lombardes. Ils obtinrent, au sein de la CECA, la protection des produits sidérurgiques pour une période transitoire (une diminution progressive des droits de douane pour 5 ans) et dans le Marché Commun, reçurent la garantie de la protection des secteurs plus faibles sur la longue période pour des raisons stratégiques et d’équilibre des salaires réels (comme dans le cas des produits agricoles) ou encore pour leur permettre de devenir plus compétitifs (par exemple tous les secteurs repris dans la « liste G »). 15
Sur le rôle joué dans le développement économique italien par les projets ayant obtenus un financement de la BEI cf. G. Carcano, « Ha notevoli riflessi sullo sviluppo italiano l'attività della Banca Europea degli Investimenti », in L’Industria Lombarda, 23 juin 1962 ; P. Tedeschi, « La BEI et le développement économique et social de l’Italie : de 1958 au début des années 1970», in E. Bussière, M. Dumoulin (eds.)La Banque de l’Union Europeéne. La BEI 1958-2008, Luxembourg Imprimenie centrale 2008, pp. 75-92. Pour une analyse plus générale du sujet cf., outre au sus-indiqué volume édité par M. Dumoulin et E. Bussière : La Banque Européenne d’Investissement, Lausanne, 1977 ; P. Tabary, La Banque Européenne d’Investissemment : des prêts pour construire l’Europe, Paris, 1989 ; E. Willaert, « La Banque Européenne d’Investissement : des réseaux au service de l’intégration économique à travers le cas de la France », in M. Dumoulin (ed.), Socio-Economic Gouvernance and European Identity, Yuste, Académia Europea de Yuste, 2005, pp. 77-92 ; R. Leboutte, Histoire économique et sociale de la construction européenne, Bruxelles, P. Lang, 2007, chap. 22 ; ainsi que les bibliographies qui y sont reprises. Sur le FSE et son importance pour le développement de la « Europe sociale » cf. R. Leboutte (ed.), 50 ans du Fonds sociale européen, Luxembourg 2007. Sur les lois du 1959 et leurs effets positifs pour les entreprises qui furent reconnus par les mêmes industriels italiens cf. P. Tedeschi, « “L’Europa alle porte” : speranze e timori degli industriali lombardi davanti alla nascita del MEC », in Imprese e storia, 2005, n° 31, pp. 66-67.
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Il s’agissait en effet de « thèmes » débattus au sein des journaux présentant les opinons des entrepreneurs lombards. En ce qui regarde tout particulièrement les productions agricoles, il faut rappeler que les entrepreneurs lombards insistaient sur la nécessité d’éviter que les logiques économiques d’un “marché libre” éliminent certaines productions moins compétitives (en faisant dépendre le pays des fournitures étrangères) et soulignaient surtout l’importance de maintenir la stabilité maximale du prix des denrées alimentaires. Il fallait garantir des revenus suffisants aux agriculteurs et éleveurs tout en n’augmentant pas les dépenses nécessaires aux autres travailleurs pour nourrir leurs familles. Dans le cas contraire, la hausse de l’exode rural affaiblirait le secteur agricole et les prix plus élevés engendreraient une réduction des salaires ouvriers réels avec des conséquences très négatives sur les relations entre la main d’œuvre et les dirigeants des entreprises et enfin sur les coûts du travail. Cela signifiait ne partager absolument pas l’idée de la création d’une institution contrôlant le nouveau marché agricole européen. Dès lors, comme au début des années 1950 au sujet du « pool vert », les entrepreneurs réaffirmaient leur opposition à la Haute Autorité (semblable à celle réglant la CECA) prévue dans les propositions du ministre hollandais Mansholt et aux accords limités à quelques produits (comme le ministre français Pflimlin le suggérait)16. Quelques années plus tard, face à la naissance de la PAC, ils considéreront dangereuse toute forme de « dirigisme » et demanderont des règles favorisant la croissance des productions agricoles dans la communauté et la stabilité des prix ainsi que des revenus pour les agriculteurs comparables à ceux des travailleurs de l’industrie. Il s’agissait d’une exception dans un contexte où une partie importante des milieux agricoles italiens montrait un intérêt envers l’intégration limitée au problème de la protection des productions italiennes sans rechercher de réformes structurelles17. Après les Traités de Rome, face à la perspective toujours plus réelle d’une intégration des marchés agricoles, le crédit agraire fut amélioré, les fermes furent réorganisées et munies de machines agricoles modernes, enfin, l’instruction agronomique des travailleurs ruraux fut réadaptée. Ce n’est qu’à ces conditions que l’agriculture lombarde pouvait espérer devenir compétitive et capable de s’adapter aux « lois du marché » tout en renonçant à toute subvention (comme requis par les associations des industriels). En réalité, il était clair que, à l’instar de la situation vécue par les secteurs industriels, existaient d’importantes différences liées aux diverses productions. Ainsi, pas de problèmes pour les fruits 16
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Sur les opinions des milieux économiques lombards face au « pool vert » cf. « Giovano le integrazioni economiche », op. cit. ; « I termini dell’impostazione del pool verde », in Il Sole, 14 juin 1952 ; V. Croa, « Ricognizioni necessarie. Il pool verde nei riflessi delle organizzazioni economiche italiane », in 24 Ore, 18 octobre 1952 ; A. Calzecchi-Onesti, « L’agricoltura e il pool verde », in ibid., 8 novembre 1952 ; « Progetti più realistici per l’integrazione europea », in L’Industria Lombarda, 28 février 1952 ; G. Lanzillo, « Il pallido verde di un pool », in ibid., 21 mars 1953 ; E. Falck, Saggi politici e sociali, Milan, Ambrosianeum, 1955, pp. 257-265, 367370 ; A. Fanfani, « Italy and the “Green Pool” », in Review of the Economic Condition in Italy, 1953, n° 1, pp. 3-6. Sur la faillite du projet du « pool vert » et les discussions concernant les propositions de Mansholt et Pflimlin cf. U. Papi, « Storia del Green Pool », in Economia e Storia, 1955, pp. 36-59 ; G. Noël, « Les tentatives de Communauté agricole européenne, 19471955 », in Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, 1979, n° 4, pp. 579-609 ; Id., Le Conseil de l’Europe et l’agriculture : idéalisme politique européen et réalisme économique national (1949-1957), Berne, P. Lang, 1999 ; G. Laschi, L’agricoltura italiana e l’integrazione europea, Berne, P. Lang, 1999, pp. 203-256 ; ainsi que les bibliographies qui y sont reprises. « Forzature politiche e dirigismo possono aggravare la crisi », in Il Sole, 2 mars 1962 ; G. Martirano, « La programmazione minaccia l’evoluzione dell’agricoltura », in ibid., 24 août 1962.
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et légumes qui, grâce aux meilleures conditions climatiques de l’Italie, étaient très compétitifs pour les prix et la qualité par rapport aux productions « en serre » plus chères des autres pays de la communauté ; les petites dimensions des fermes, le manque de machines et surtout de structures adaptées à la zootechnie moderne rendaient, au contraire, indispensables une protection ou des aides fiscales pour les producteurs de lait et de ses dérivés, ainsi que de viande et de céréales18. Au début de l’année 1962, la naissance de la PAC avec ses règles particulières qui, en « oubliant » toute hausse de la concurrence (pourtant à la base des autres secteur productifs de la Communauté) garantissait des revenus aux agriculteurs sans les obliger à augmenter leur productivité fut donc partiellement appréciée. Fut soulignée l’importance d’une réforme de l’organisation du travail agricole et d’une hausse des dimensions des fermes pour en réduire les coûts de production. De plus, fut proposée la création de coopératives de vente pour réduire les frais de distribution et, exactement comme cela s’était passé pour les financements concernant les entreprises industrielles de petites et moyennes dimensions, furent demandées de nouvelles lois favorisant le crédit agricole (c’està-dire des prêts à des taux d’intérêts moins élevés que ceux existant sur le marché financier italien) et soutenant donc les investissement nécessaires pour moderniser les fermes et les optimaliser19. En se référant à la possibilité d’insérer dans la « liste G » les secteurs productifs les plus menacés par la concurrence étrangère en leur permettant de se rénover sur le long terme (dans certains cas plus de 15 ans) au sein d’un « régime protégé », les entrepreneurs lombards soulignèrent l’importance d’y ajouter celui de la soie dont les producteurs moins efficaces (c’est-à-dire moins aptes à obtenir un très haut niveau de qualité) étaient les plus menacés par la concurrence extracommunautaire, à savoir celle des pays de l’Asie produisant des tissus de qualité inférieure, mais ayant un rapport prix-qualité très compétitif grâce à un coût du travail « intenable » pour l’Europe. Les entrepreneurs étaient en réalité optimistes sur les perspectives de vente de leurs produits, mais comme toujours, ne perdaient pas l’occasion d’obtenir de nouveaux avantages compétitifs20. Il faut aussi rappeler que les associations des entrepreneurs ne limitèrent pas leur action à la demande de financements bancaires et d’aides publics pour réduire le coût du travail. Pour faire face à la hausse prévue de la concurrence, ils 18 19
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« Favorevole giudizio degli operatori sulle norme Cee per gli ortofrutticoli », in Il sole, 17 février 1962 ; « L’integrazione nel Mec dei mercati ortofrutticoli », in ibid., 3 mars 1962. Sur les opinions concernant la formation de la PAC et les transformations des structures productives agricoles cf. « L’attuazione del MEC e gli agricoltori italiani », in Il Sole, 28 février 1959 ; G. Pistolese, « Adozione di prezzi indicativi e di contingenti per salvaguardare i redditi agricoli », in ibid., 24 septembre 1960 ; « Sarà protetta l’agricoltura europea ? », in ibid., 28 septembre 1960 ; D. Ferrari, « L’interesse economico della Val Padana sulle decisioni per l’agricoltura », in ibid., 17 janvier 1962 ; G. Martirano, « Il secondo tempo della meccanizzazione », in ibid., 15 mai 1962 ; Id., « Gli enti di sviluppo ed il piano verde », in ibid., 21 juillet 1962 ; V. Crea, « La posizione italiana nel Mec agricolo », in 24 ore, 5 janvier 1962 ; Id., « L’agricoltura italiana razionalizzandosi potrà sostenere il ritmo del MEC », in ibid., 23 janvier 1962 ; « Le esigenze dell’agricoltura e gli impegni del governo », in ibid., 14 février 1962. Sur la création de la PAC et son fonctionnement cf. P. Baudin, L’Europe face a ses marchés agricoles. De la naissance de la politique agricole commune à sa reforme, Paris, Economica, 1993 ; G. Laschi, L’agricoltura italiana, op. cit., pp. 257-310 ; F. Fauri, L’integrazione, op. cit., pp. 225-227. Sur les opinions des industriels lombards travaillant la soie cf. P. Tedeschi, « Les industriels lombards », op. cit., p. 132. Sur le produits italiens insérés dans la liste G cf. F. Fauri, L’integrazione, op. cit., pp. 122-123.
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cherchaient en effet à rénover leurs implantations pour rendre plus efficaces leurs entreprises. Ils utilisèrent les aides liées au plan Marshall qui, grâce à la structure particulière des fonds de contrepartie, continuèrent de facto pour plusieurs années après la fin officielle de l’ERP et organisèrent des cours de qualification pour les ouvriers, les employés, les cadres et les dirigeants afin de les préparer à produire et à vendre au sein du nouveau marché européen. Ils étaient conscients qu’ils devaient non seulement améliorer leurs produits, mais aussi leur « marketing » en rendant ces derniers plus « visibles » : ils intensifièrent leur présence aux foires internationales et développèrent celle de Milan qui devint une des plus importantes en Europe. De plus, ils devaient mieux connaître les nouveaux marchés, ses opportunités et ses risques : leurs revues spécialisées commencèrent à publier des informations sur la situation des marchés étrangers et, puisque les entreprises avaient besoin d’une main d’œuvre plus qualifiée et à la productivité optimale, ils organisèrent des cours réservés au « personnel encadré » et aux « apprentis à l’essai » allant de l’administration et organisation des bureaux à la planification et contrôle de la production, de la technique de vente aux études du commerce international sans oublier l’étude des principales langues étrangères (anglais, français et allemand)21. La seule demande non accueillie fut celle relative à libre circulation des travailleurs au sein des six pays de la nouvelle Europe. Le gouvernement italien ne fut pas en mesure d’obtenir un statut particulier pour les Italiens sur le nouveau marché du travail communautaire. Pour les entrepreneurs lombards, la libre émigration permettait de limiter les fortes pressions existant sur le marché du travail italien et, en particulier, le haut taux de chômage existant dans le sud que même la croissance prévue des places disponibles dans les entreprises du nord ne pourrait pas absorber complètement. Dans les autres pays de la communauté, une présence excessive de travailleurs italiens était vue comme dangereuse pour l’équilibre des salaires et dès lors l’immigration de main d’œuvre dans le Marché Commun continua à être réglée selon les exigences des entreprises de chaque pays22. En tout cas, il était évident que la hausse des ventes des entreprises favoriserait une baisse du chômage et qu’une autre aide importante pouvait dériver de la création de la BEI et des financements qu’elle octroierait aux projets de 21
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Sur les aides octroyées aux entreprises lombardes par le Plan Marshall G. Lombardo, L’Istituto Mobiliare Italiano, vol. II, Centralità per la ricostruzione : 1944-1954, Bologne, Il Mulino, 2000. Sur l’ERP considéré comme un moyen de rénover le système productif lombard cf. P. Tedeschi, « Gli industriali lombardi e il piano Marshall : verso un “nuovo sistema d’impresa” », in A. Cova (ed.), Il dilemma dell’integrazione. L’inserimento dell’economia italiana nel sistema occidentale (1945-1957), Milan, Angeli, 2007, pp. 403-449. Sur la nécessité d’améliorer le « marketing » et le niveau professionnel du personnel des entreprises et des fermes lombardes et sur les cours organisés cf., outre aux rapports présentés aux assemblées générales par les présidents de l’Assolombarda durant les années ’50, S. Buscemi, « Prepariamoci in tempo », in 24 Ore, 19 février 1957 ; G. Lanzillo, « La strada della speranza : il Mercato Comune Europeo », in L’industria lombarda, 30 mars 1957 ; « Importanza del problema dell’istruzione professionale », in ibid., 29 mars 1958. « Questioni doganali e di mano d’opera nella CECA », in 24 Ore, 28 juillet 1954 ; « La liberalizzazione nel MEC dei movimenti di mano d’opera », in Il Sole, 6 juin 1959 ; « L’industria italiana favorevole a liberare i capitali nella CEE », in ibid., 4 février 1960 ; S. Rinauro, « Politica e geografia dell’emigrazione italiana negli anni della Ricostruzione », in L. Ganapini (ed.), L’Italia alla metà del XX secolo : conflitto sociale, Resistenza, costruzione di una democrazia, Milan, Guerrini, 2005, pp. 247-284. Cf. aussi F. Romero, « L’integrazione dell’Italia in Europa negli anni ’50 : la questione dell’emigrazione », in Passato e presente, 1989, n° 20-21, pp. 75105 ; M. Dumoulin (ed.), Mouvements et politiques migratoires en Europe depuis 1945 : le cas italien, Bruxelles, Ciaco, 1989.
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développement dans le Mezzogiorno auxquels participèrent de nombreuses entreprises lombardes. En effet, on ne se trouvait plus dans le contexte des conditions économiques difficiles de l’immédiat après-guerre lorsque certains milieux politiques pensaient trouver une atténuation partielle et temporaire du problème du chômage par un ralentissement voulu de la rentrée au pays des prisonniers de guerre. La seconde phase de réduction des tarifs commençait, la PAC naissait et aux yeux de la plupart des milieux économique lombards le Marché Commun était désormais « un organisme en expansion continue » offrant plus d’avantages que de problèmes23. Enfin, la Lombardie n’était effectivement pas entrée dans la « nouvelle Europe » à tout prix exactement comme l’avait souhaité ses milieux économiques.
Zusammenfassung Der Aufsatz untersucht die Einstellung der Unternehmer der Lombardei gegenüber der ersten Periode der Europäischen Integration, d.h. ab dem Schuman Plan bis zur Entstehung der landwirtschaftlichen Gemeinschaftspolitik. Die Unternehmer stellten sich nicht gegen den Zutritt zum neuen Europa, aber sie suchten einen graduellen Prozess, ohne die Planung der Europäischen Institutionen. Von der Entstehung der Europaeischen Gemeinschaft für Kohle und Stahl an, wurde eine fünfjährige Übergangsphase verlangt und auf diese Weise wurde die Italienische Produktion teilweise geschützt. Gleichzeitig wurde von der italienische Regierung verlangt, die Steuern und die Kosten der sozialen Sicherheit für Kohlund Stahlfabriken zu senken, sodass die Unternehmer mehr Zeit hatten sich in den neuen Markt zu fügen, der eine große Konkurrenzfähigkeit verlangte. Dieselbe Einstellung wurde auch gegenüber der Europäischen Wirtschaftsgemeinschaf gezeigt: um eine traumatische Wirkung auf die italienische Wirtschaft zu vermeiden, verlangten die Unternehmer der Lombardei eine Graduierung des Kostenabbau, sowie eine Harmonisierung der Steuern und der Kreditkosten. Aber im vorliegenden Fall entstanden verschiedene Meinungen über die Gelegenheit der Integration und diese Verschiedenheit war von der Konkurrenzfähigkeit der Unternehmen beeinflusst. Trotzdem hatten die meisten Unternehmen gute Erweiterungsperspektiven auf dem Europäischen Markt. Ihr Ziel war es zu positiven wirtschaftlichen Ergebnissen zu kommen, auch mit den weniger leistungsfähigen Gesellschaften, die nicht in der Lage waren die größeren Konkurrenz produktionsfähig zu bleiben. Die Unternehmer verlangten gleiche Bedingungen für jeden Konkurrent und einen freien Kapital- Waren- und Arbeiterverkehr. Sie betrachteten diese Aspekte als grundsätzlich, um eine wirtschaftliche und soziale Entwicklung der Europäischen Integration zu garantieren. Ihre These:“ Ja zu Europa, aber nicht um jeden Preis“, bedeutete, dass sie eine Europäische Integration wollten, aber nicht um einen zu grossen wirtschaflichen und sozialen Preis für die italienischen Unternehmer und Familien. Sie erörterten 23
Sur les projets financés par la BEI dans le Mezzogiorno cf. P. Tedeschi, « La BEI », op. cit. ; sur la proppsition de retarder le retour des prisonniers de guerre en les transformant en émigrés dans les pays où ils étaient détenus cf. S. Rinauro, « La disoccupazione di massa e il contrastato rimpatrio dei prigionieri di guerra », in Storia in Lombardia, 1998, n° 2-3, pp. 549-595. Sur la prévision du succès de la deuxième phase du Marché Commun cf. A. Diamanti, « Il MEC è un organismo in continua espansione », in L’Industria Lombarda, 6 janvier 1962.
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auch das Problem der Integration, um die Wichtigkeit der privaten Unternehmungen in Italien zu betonen, denn genau hier erweiterten die staatlichen Gesellschaften ihren Markt. Außerdem förderten die Unternehmer die Erneuerung der Anlagen, organisierten Trainingskurse für Arbeiter und Managers, die in dem internationalen Markt wirkten. Sie förderten zudem die Entstehung des Europäischen sozialen Fonds (um Menschen zu helfen, die ihre Arbeit wegen der Integration verloren hatten) und die die Gründung der Europäische Investmentbank (um die Entwicklung der ärmsten Regionen Europas, wie Süditalien, zu finanzieren). Schließlich wurde eine gemeine Landwirtschaftspolitik unterstützt, um die Einnahmen der Landwirte zu garantieren und damit auch die Stabilität der Preise, was beständige Arbeitslöhne erlaubte. Außerdem wurde die Erneuerung der Landwirtschaft der Lombardei gefördert.
Summary The essay examines the attitude of the Lombard entrepreneurs when faced with the first period of the European integration, that is from the announcement of the Schuman Plan to the birth of the Common Agricultural Policy. They were not oppose the entry of Italy into the “new Europe”, but they aimed to a gradual process of integration, without any form of “European institutions planning”. So, faced with the birth of the European Coal and Steel Community, they requested a transition period of five years in which Italian productions remained partially protected. In the same time they asked Italian government to reduce taxes and the cost of social security for their iron and steel factories: so they had more time and money to adapt themselves to a new very competitive European market. The same attitude was shown face to the birth of the European Economic Community: to avoid a “traumatic impact” on the Italian economy, Lombard entrepreneurs asked gradualness in reducing fees, effective harmonisation of tax charges and of the cost of credit. In this case there were some different opinions concerning the opportunity of the integration and were normally related to the less o more competitiveness of the firms: however most of them had a positive prospects of the enlargement of the European market. Their objective was to obtain a positive economic outcome, amongst the gains reserved to best companies and problems caused to less competitive firms which were not able to overcome the increasing of the competition. They also asked some equal conditions for every competitor and the free circulation of goods, capitals and workers. The Lombard entrepreneurs considered these aspects fundamental to guarantee the economic and social development of the European integration. Their statement “Yes to Europe, but not an any cost” meant that they did not want an European integration having too much high social and economic costs for Italian companies and families. They also used discussions concerning the integration to reaffirmed the importance of private companies in Italy where companies belonging to the State were enlarging their market. Moreover they promoted the renewing of their plants and they organized some vocational training courses for workers and managers having to operate in the new European market. Furthermore the supported the creation of the European Social Fund (to help people having lost their work because the integration) and the European Investment Bank (to finance the development of the poorest European regions, particularly the Mezzogiorno).
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Finally, they supported the Common Agricultural Policy granting a special protection to farmers’ incomes and the steadiness of agricultural prices (which allowed to maintain stable workers wages) and they also promoted the renewing of Lombard farms.
LA BEI ET L’INTEGRATION ECONOMIQUE EUROPEENNE : DES MISSIONS EN EVOLUTION, DE SA CREATION AUX ANNEES 1980 EMILIE WILLAERT Durant la Deuxième guerre mondiale, Jean Monnet écrivait : « Les pays d’Europe sont trop étroits pour assurer à leurs peuples la prospérité. […] Il leur faut des marchés plus larges. […] Cette prospérité et les développements sociaux indispensables supposent que les Etats d’Europe se forment en une fédération ou une entité européenne qui en fasse une unité économique commune. »1 C’est alors que le 25 mars 1957, le traité de Rome donne naissance à la Communauté Economique Européenne (CEE) mais également à une Banque Européenne d’Investissement (BEI) qui représente depuis lors une illustration de certains moyens mis en œuvre par les Six pour avancer dans la voie de l’intégration économique. En effet, la BEI a pour mission de mobiliser des fonds à long terme sur les marchés des capitaux, à l’intérieur comme à l’extérieur de la Communauté, et de les reprêter, sans but lucratif, pour financer des investissements qui aident au développement équilibré de la CEE. Son but est de participer à la création, entre les Etats membres, d’une Communauté économique en stimulant : - d’une part, la réalisation de projets destinés à réduire les disparités internes au sein de la CEE, - d’autre part, la réalisation de projets industriels communs à différents Etats ; - et enfin, le développement des infrastructures nécessaires à la circulation des hommes, des capitaux et des marchandises. Ainsi, pour reprendre une expression de Philippe Tabary, ancien membre de la division « Information » de la banque, la BEI accorde « des prêts pour construire l’Europe. »2 Poser la question de l’évolution des missions de la BEI, depuis 1957 jusqu’aux années 1980, dans la perspective d’une étude centrée sur l’intégration économique européenne, doit nous amener, certes, à définir les missions de la BEI, mais surtout à nous interroger sur la façon dont ces missions répondent au processus d’intégration économique européenne. Etant donné l’ampleur du sujet, il nous faut exclure toutes les activités menées par la banque dans le cadre de la politique européenne d’aide au développement, ainsi que son rôle sur les marchés des capitaux ou encore dans la mise en œuvre d’une politique monétaire commune. Il s’agit ici de se concentrer uniquement sur l’activité de prêts accordés aux Etats membres, qui illustre particulièrement bien le rôle de la BEI dans l’accompagnement des politiques visant à mettre en œuvre une véritable intégration des économies européennes. 1 2
Propos cités par Y. Le Portz, ancien président de la BEI, dans la préface de l’ouvrage du Centre de recherches européennes de Lausanne, La BEI, Lausanne, 1977, p.1. P. Tabary, La BEI, des prêts pour construire l’Europe, Paris, La Documentation française, « Notes et études documentaires » n°4 880, 1989, 140 p.
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Par ailleurs, trois moments bien distincts peuvent être identifiés dans cet accompagnement : - une première période correspond à celle de la création de la BEI, lorsque ses missions sont progressivement définies pour répondre aux besoins et aux conséquences de la mise en œuvre d’un Marché commun européen ; - une seconde période s’étend du traité de Rome jusqu’au début des années 1970, quand les missions de la BEI répondent, de manière assez large, aux objectifs du traité de Rome ; - enfin, une dernière période couvre le milieu des années 70 et les années 1980 alors que les missions de la banque tendent à se préciser parallèlement à l’élaboration de certaines politiques communautaires. La création de la BEI : des missions destinées à répondre à la formation d’un Marché commun européen La naissance de la BEI a été précédée de multiples projets et propositions, surtout depuis la fin des années 1940 et le début des années 19503. Ils sont nés, pour les plus connus, sous l’égide de l’Organisation Européenne de Coopération Economique (OECE), à propos des réflexions consacrées à la libéralisation des investissements internationaux et à la coordination des investissements destinés à développer l’économie de l’Europe dans le cadre de l’aide Marshall et en prévision de la fin de cette aide. Il n’est toutefois pas inutile de s’attarder de nouveau sur le projet de création de ce que l’on appelait alors un Fonds européen d’investissement, projet débattu lors de la Conférence de Messine, et sur les débats qui ont donné naissance à la BEI lors de la signature du traité de Rome. En effet, cela nous permet d’une part de noter certaines inflexions dans la définition des missions de la banque avant même sa création, et surtout de relier celle-ci à la volonté des Six d’aller vers une intégration croissante de leurs économies, sous des formes qu’il convient de préciser. C’est lors de la Conférence de Messine de juin 1955 que les Gouvernements des Six ont décidé des grandes options qui furent à la base de la création de la CEE et qu’ils ont officiellement reconnu la nécessité de mener une étude sur la création d’un Fonds européen d’investissement. L’objet de ce Fonds, encore assez flou, devait alors être « le développement en commun des virtualités économiques européennes et, en particulier, le développement des régions moins favorisées des Etats participants. »4 3
4
Cette question a déjà fait l’objet de quelques études, notamment : M. Kipping, « La BEI, de l’idée à la réalité (1949-1968 )», dans Le rôle des ministères des Finances et de l’Economie dans la construction européenne (1957-1978), Actes du colloque tenu à Bercy les 26, 27 et 28 mai 1999, Paris, Comité pour l’Histoire Economique et Financière de la France (CHEFF), 2002, pp. 525-542 et La France et les origines de l’Union européenne, Paris, CHEFF, 2002, 411 p. ; G. Bossuat, La France, l’aide américaine et la construction européenne (1944-1954), Paris, CHEFF, 1997, 1 042 p. ; E. Willaert, « La création de la BEI (1949-1958) » dans Comprendre les années 1950, Actes des Journées doctorales tenues à la Sorbonne, les 9 et 10 juin 2006, à paraître en 2008 aux presses universitaires de la Sorbonne. Résolution adoptée par les ministres des Affaires étrangères des Etats membres de la CECA lors de la réunion de Messine des 1er et 2 juin 1955, archives du ministère des Affaires étrangères (MAE), dossier 594.
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Le Rapport Spaak remis en avril 1956 aux ministres des Affaires étrangères, contient alors des propositions plus précises à propos du Fonds d’investissement et lui assigne trois missions : - accompagner les travaux de caractère et d’intérêt européen : il s’agit notamment de projets dans les domaines des communications, de la production et du transport d’énergie ainsi que dans le domaine atomique ; - aider les régions sous-développées : des régions à développement économique inégal vont être réunies ce qui suppose la création d’infrastructures économiques et sociales destinées à harmoniser leurs productions ; il s’agit avant tout de rapprocher le niveau de vie des populations européennes, et particulièrement celles du monde agricole car l’agriculture est mentionnée comme devant être un des secteurs bénéficiaires prioritaires du Fonds ; - permettre la reconversion : le Fonds doit contribuer à abaisser les charges liées aux reconversions qui constituent une partie essentielle de la politique du Marché commun, tout en laissant aux Etats les initiatives pour effectuer cette tâche ; il doit servir à mettre à la disposition des Etats membres des sommes que ceux-ci pourraient utiliser en fonction de leurs impératifs nationaux et avec leurs méthodes propres.5 Le Fonds est bien conçu comme un organe communautaire destiné d’une part à combattre les effets « négatifs » que la création d’un Marché commun pourrait avoir sur le développement des régions les moins favorisées et sur l’évolution de certains secteurs économiques dont il faudrait envisager soit la disparition, soit la reconversion ou la modernisation à un rythme accéléré. Il est destiné, d’autre part, à trouver la meilleure manière de coordonner les investissements liés au développement de l’intégration économique européenne. Ce chapitre du Rapport Spaak illustre les débats qui animent les promoteurs de l’intégration économique européenne. On y décèle en effet explicitement l’approche sectorielle de l’intégration économique, par l’énumération de secteurs qui doivent faire l’objet d’une attention particulière pour le développement économique de l’Europe, ainsi que par la nécessité de mettre en œuvre des moyens d’intervention pour organiser l’économie à travers un organisme à caractère public, le Fonds. Les raisons économiques ne sont pas les seules à prévaloir pour créer ce Fonds d’investissement. Il y a aussi des raisons politiques, liées à la recherche de compromis entre les Six. Il faut notamment satisfaire les Italiens qui souhaitent obtenir l’aide de leurs voisins afin de résoudre les problèmes de développement du Mezzogiorno6. Ce sont dès lors les trois missions décrites ci-dessus qui servent de base à la rédaction des articles consacrés à la BEI dans le traité de Rome. Mais une première question se pose : pourquoi parle-t-on d’une Banque européenne d’investissement et non plus d’un Fonds européen dans le traité de Rome ? Le caractère bancaire de l’institution a été accentué pour répondre à la demande insistante des Allemands et des Néerlandais qui ne souhaitaient pas d’un 5
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Rapport des Chefs de délégation du Comité intergouvernemental créé par la Conférence de Messine, aux ministres des Affaires étrangères, le 21 avril 1956, chapitre I, du titre III de la première partie consacré au « Fonds d’investissement », p. 76 et suivantes, archives du MAE, dossier 594. Voir M. Becker, La BEI, Paris, La documentation Française, « Notes et études documentaires » n° 4 022-4 023, le 17 septembre 1973, p. 11.
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organisme fonctionnant uniquement avec des dotations budgétaires. La BEI doit certes avoir un capital issu des contributions des Etats membres, mais elle doit pouvoir également se financer sur les marchés des capitaux, à l’instar de la Banque mondiale. L’idée est qu’il ne faut pas alourdir les budgets nationaux et qu’il convient surtout de créer une institution qui apporte « une réponse plus adaptée que les subventions à l’efficacité des entreprises et au jeu de la libre concurrence » 7. La BEI doit être un organisme qui agit avec rigueur, pour le financement de projets d’investissements sains et donc sélectionnés sur la base de critères économiques, financiers et techniques. Cette évolution illustre la victoire de l’approche libérale dans le processus d’intégration économique européenne sur la démarche sectorielle, car elle met en avant le respect de la libre concurrence dans l’économie européenne. Une banque doit prêter aux conditions du marché et n’octroie pas de subventions. Cette philosophie se retrouve dans l’activité quotidienne de la banque qui pratique les mêmes taux d’intérêts pour tous les secteurs économiques, pour tous les pays et qui met tout en œuvre pour que des appels à concurrence soient lancés lorsqu’une entreprise a besoin de fournitures par exemple pour mener à bien son projet. Deux autres différences apparaissent entre les propositions du Rapport Spaak et le traité de Rome : - la portée de la mission liée aux reconversions est amoindrie car on ne parle plus alors que de « modernisation ou conversion d’entreprises, de création d’activités nouvelles »8 liées à la mise en œuvre du Marché commun. Si l’on peut y voir, sur le moment, la disparition du volet « social » de la BEI, inspiré par Pierre Uri dans la rédaction du Rapport Spaak9, ce même volet social prend toute son ampleur dans l’aide que la banque apporte progressivement aux régions défavorisées de la CEE, en tendant au maintien des populations et au relèvement de leur niveau de vie ; - l’ordre dans lequel les missions de la BEI sont détaillées est différent. En effet, les projets doivent : 1. mettre en valeur les régions les moins prospères de la CEE ; 2. tendre à la modernisation ou à la conversion d’entreprises, à la création d’activités nouvelles appelées par l’établissement progressif du Marché commun ; 3. présenter un intérêt commun à plusieurs Etats membres ou à la Communauté dans son ensemble. Par ailleurs, la BEI ne peut intervenir dans le financement des projets des deux dernières catégories citées ci-dessus que s’ils ne peuvent être entièrement couverts par les divers moyens de financement existant dans chacun des Etats membres. Marc Becker rappelle qu’en adoptant cette condition, « les fondateurs de la BEI visent : - d’une part à éviter que la banque puisse exercer une concurrence trop forte sur les organismes bancaires nationaux ; - et d’autre part, à se prémunir d’un éventuel dirigisme économique »10.
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P. Tabary, op. cit., p. 7, voir aussi M. Becker, op. cit., p. 11. Article 130 c) du traité de Rome. M. Kipping, « La BE de l’idée à la réalité (1949-1968) », op. cit., p. 539. M. Becker, op. cit., p. 18.
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Si la création de la BEI illustre le débat entre approche sectorielle et approche libérale de l’intégration économique, sa vocation à accompagner cette intégration économique fait l’unanimité entre les Six, conscients de la nécessité de mettre en place divers mécanismes pour que la création du Marché commun se déroule dans les meilleures conditions. On peut présenter la BEI comme étant une banque régionale de développement puisqu’elle doit contribuer à transférer des ressources au profit des régions défavorisées de la Communauté. Mais il ne faut pas oublier qu’elle se doit également de stimuler par un afflux de capitaux, des secteurs industriels à moderniser ou à reconvertir et qu’elle est destinée à améliorer l’environnement économique des entreprises, en facilitant notamment les échanges par des financements d’infrastructure. Durant les années 1960 : des missions en conformité avec le traité de Rome Du 1er janvier 1958, qui marque le début du fonctionnement de la banque, au début des années 1970, la question se pose de savoir comment la BEI répond concrètement aux missions que lui assigne le traité de Rome et comment elle œuvre en faveur de l’intégration économique dans la Communauté. Après l’inévitable période des nominations et la mise en place de ses services, la BEI, très vite, se dote d’une directive générale relative à sa politique de crédit, datée du 4 décembre 1958. Les Gouverneurs, ministres des Finances des Six, s’accordent pour classer les missions décrites dans le traité de Rome, selon un ordre qui leur paraît prioritaire. Ainsi, viennent en premier lieu et conformément au traité de Rome, les projets de nature à contribuer au relèvement des régions les moins développées. Les Gouverneurs souhaitent que la banque « consacre une partie importante de ses ressources à la réalisation de cet objectif majeur au sein de la CEE »11 et avalisent ainsi l’idée que l’intégration économique européenne ne doit pas accentuer les déséquilibres entre les régions les plus industrialisées et les régions les plus défavorisées de la Communauté. Puis l’ordre des missions s’inverse puisque la directive mentionne ensuite les projets d’intérêt commun pour plusieurs pays membres, et plus particulièrement « les projets de nature à contribuer au rapprochement des marchés et à l’intégration des économies des pays membres »12. Et enfin, elle termine par les projets visant à la modernisation ou la conversion d’entreprises ou la création d’activités nouvelles appelées par l’établissement progressif du Marché commun. Les Gouverneurs expliquent cette troisième position par le fait que « les répercussions du développement du Marché commun sur la situation des entreprises en cause ne peuvent pas encore en 1958-1959, être prévues avec une précision suffisante ».13 Loin d’être un témoignage d’autonomie par rapport aux missions choisies par les auteurs du traité de Rome, ce classement traduit plutôt un souci d’efficacité pour répondre aux impératifs de la mise en œuvre du Marché commun, et la volonté, pour la nouvelle institution, 11 12 13
BEI, Conseil des Gouverneurs n°2 du 4 décembre 1958, « Note introductive au projet de directives générales à la politique de crédit de la banque », point 3 a) de l’ordre du jour du Conseil des Gouverneurs, p. 3, Archives du ministère de l’Economie et des Finances (MEF), B 50 419. Idem. Idem. De plus, la croissance des Trente glorieuses et le plein-emploi leur donnent raison puisqu’ils rendent moins difficile le reclassement de la main-d’œuvre issue des entreprises en déclin.
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d’asseoir son crédit et sa notoriété sur des projets sains et rentables puisque ses ressources initiales ne sont pas très importantes et que donc ses premiers prêts ne pourront pas être très nombreux. Aussi, de 1958 à 1972, étudiant la répartition des prêts de la banque en fonction des trois objectifs de l’article 130 du traité de Rome, il ressort que le classement précisé dans la directive du 4 décembre 1958 est bien respecté : - plus de 80% des sommes engagées dans la CEE par la banque durant cette période sont consacrés au développement régional et peuvent transiter par des institutions financières régionales comme la Cassa per il Mezzogiorno ; - Moins d’un cinquième des opérations concernent des projets d’intérêt commun à plusieurs Etats membres, principalement pour améliorer les infrastructures européennes (17%), mais aussi pour des projets de coopération industrielle ; - enfin, les projets visant à la modernisation ou la conversion ne représentent qu’une faible part de l’activité de la banque (environ 2,5%). Ces chiffres méritent toutefois d’être nuancés, comme le rappelle Marc Becker, car ils sont établis sur la base d’objectifs dominants et « masquent le fait que de nombreux projets concourent à la réalisation de plusieurs objectifs de politique économique et que, notamment, le développement régional va souvent de pair avec la modernisation ou la conversion d’entreprises, voire même la coopération industrielle »14. Néanmoins, cette hiérarchie des missions de la BEI, établie par la directive du 4 décembre 1958 et illustrée par les chiffres mentionnés ci-dessus, est confirmée par une lecture géographique de la répartition des prêts de la banque, puisqu’au sein des pays membres et tout au long de ces années 1960, l’Italie est le principal bénéficiaire avec plus de 60% des financements accordés aux pays membres, suivi par la France (environ 20%), l’Allemagne (environ 10%) et le Benelux (environ 5%). Si la BEI a hiérarchisé ses interventions, la question se pose de savoir comment elle a concrètement interprété les trois missions de l’article 130 du traité de Rome, afin de déterminer le rôle qu’elle a pu jouer dans l’intégration des économies européennes. Commençons par les projets intéressants les régions moins développées. La BEI a circonscrit ces régions qui connaissent des problèmes de développement (le Mezzogiorno évidemment, mais aussi certaines régions françaises comme la Bretagne et le Massif central ou encore belges comme le Borinage), en tenant compte notamment des encouragements au développement régional accordés par certains pays (en France, par exemple, il existe des zones I et II de développement régional durant les années 1960). Elle va alors financer des infrastructures destinées au désenclavement de ces régions (comme l’autoroute qui longe la côte Adriatique en Italie ou encore l’installation du téléphone en Bretagne) et des projets destinés à créer de nouveaux emplois (par exemple une filature en Sardaigne en 1963 ou l’agrandissement dans les Abruzzes d’une usine pour la fabrication de chemises d’homme en 1964) afin de fixer les populations dans ces régions plus pauvres. En ce qui concerne les prêts destinés à la modernisation, à la reconversion d’entreprises ou à la création d’activités nouvelles, la BEI s’intéresse plus particu14
M. Becker, op. cit., p. 37.
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lièrement aux entreprises et secteurs inadaptés sur le plan technique. Ainsi, elle finance la modernisation de sucreries dans le Basilicate et en Sardaigne, mais aussi de nombreuses entreprises du secteur sidérurgique (en Lombardie et en Sarre notamment) et textile. La banque aide également les projets qui peuvent absorber la main-d’œuvre libérée par des fermetures d’entreprises, comme ce fut le cas pour le prêt qu’elle a accordé à la Société de mécanique de précision de l’Atlantique (SMPA) qui a pu réemployer une grande partie de la main-d’œuvre licenciée des chantiers navals de Saint Nazaire. Elle apporte des financements dans des secteurs qui connaissent des difficultés structurelles et dans des régions affectées par la vétusté et le déclin de certaines industries. Enfin, ce sont pour les projets d’intérêt commun à plusieurs Etats membres que les interprétations peuvent être les plus nombreuses. Aussi, durant les années 1960, la banque a davantage orienté son activité dans ce domaine, vers des projets d’infrastructure qui intéressent au moins deux Etats membres, facilitant les communications ou les transports de personnes, de marchandises ou d’énergie. Il convient entre autre de citer les exemples de l’autoroute ParisBruxelles, du tunnel routier de Fréjus ou encore de la liaison ferroviaire Chambéry-Modane. Elle joue également un grand rôle dans le financement de projets qui résultent d’une coopération technique et économique poussée entre entreprises d’au moins deux Etats membres, comme le montre l’exemple d’un financement conjoint, en 1967, pour des sociétés françaises et allemandes de fabrication d’engrais15. Tous ces projets de coopération industrielle et de création de grands axes communautaires doivent favoriser l’intégration des économies et des marchés. On ne peut manquer de souligner à l’issue de cette description de l’activité de prêt de la banque, le fait qu’elle accorde durant toutes ces années près de 60% du montant de ses prêts, tous objectifs confondus, pour des travaux d’infrastructure. Institut de financement à long terme, elle répond mieux que des banques classiques à ces projets dont les coûts sont élevés et la rentabilité non immédiate16. Néanmoins, ce chiffre ne doit pas masquer l’importance des concours accordés à tous les secteurs de l’industrie (près de 800 millions d’u.c. de 1958 à 1971 sur un total de 1 900 millions), ni faire oublier la diversité de ses financements qui prouve sa souplesse et sa capacité à s’adapter aux différents besoins des Etats membres, notamment dans le cadre de la réduction des disparités régionales. La BEI est l’institution communautaire la plus active dans ce domaine durant ces années 1960 et ses demandes insistantes auprès de la Commission pour définir un programme d’actions concrètes et coordonnées, laissent présager la mise en œuvre d’une politique régionale européenne dans les années 1970. Ainsi, les années 1960 et le début des années 1970 se définissent comme étant une période où la BEI met en œuvre le plus largement possible les missions qui lui sont assignées par le traité de Rome, après s’être fixée des objectifs généraux relatifs à sa politique de crédit, qui ne sont en aucun cas des quotas par pays ou par secteur. Les prêts de la BEI visent tous à l’intégration des économies europé15
16
« Il s’agit du projet PEC-Rhin (ammoniac, engrais) qui concerne un ensemble industriel créé en commun par deux grandes entreprise françaises en allemandes et qui sera géré par une filiale commune au sein de laquelle des échanges aussi bien techniques que commerciaux pourront se développer entre les deux grandes firmes créatrices », Rapport Annuel de la BEI pour l’année 1967, p. 28-29. Voir P. Tabary, op. cit., p. 11.
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ennes car la banque ne saurait avoir des objectifs différents de ceux des instances de la Communauté, et c’est pourquoi ils accompagnent les politiques communautaires balbutiantes des années 1960. En effet, les projets de politique industrielle européenne émanant de la Commission au milieu des années 1960, ou appuyés par Georges Pompidou lors du Sommet de La Haye en 1969, trouvent quelques illustrations dans les prêts accordés par la BEI17. L’importance du financement d’infrastructures, évoqué un peu plus haut, n’est pas sans lien avec les réflexions menées sur l’aménagement des réseaux européens de transport dès la fin des années 1950 puisque la BEI finance un certain nombre de routes et voies ferroviaires considérées comme essentielles, à l’instar de la liaison autoroutière Metz-Sarrebruck ou encore du tunnel du Mont Blanc pour ne prendre que quelques exemples18. La coopération entre la Commission ou certains de ses comités, et la BEI, sous des formes diverses, assure une concordance entre les grandes orientation de la Commission et l’activité de la banque. Celle-ci réclame d’ailleurs la définition de politiques communautaires de plus en plus précise, pour affiner notamment ses critères de sélection dans le choix des projets à financer. Elle souligne que cela aurait pour effet de polariser « des demandes de financement autour des priorités clairement délimitées, ce qui aurait pour conséquence de faciliter et même d’amplifier les actions de la banque »19. Le tournant des années 1970 qui voient ces politiques communautaires se préciser, permet alors un accroissement et un redéploiement des activités de la banque, non seulement sectoriel mais aussi géographique à la suite des élargissements. Le tournant des années 1970-1980 Si les années 1960 sont celles de la croissance des Trente Glorieuses, les années 1970 et 1980 sont quant à elles caractérisées par de grands bouleversements au niveau européen et international qui, liés les uns aux autres, modifient la donne de l’intégration économique européenne. Cette évolution influe non pas sur les missions de la BEI proprement dites – elles restent celles qui lui ont été assignées par le traité de Rome jusqu’à Maastricht –, mais sur leur interprétation par la banque. Ces missions se font plus précises pour répondre aux évolutions pressenties par la banque et être en harmonie avec les politiques économiques communes qui se mettent en place. On s’éloigne alors de l’interprétation plus large des articles du traité de Rome. Les bouleversements monétaires internationaux, les chocs pétroliers et la dépendance énergétique de l’Europe, l’installation de la récession, poussent les pays membres de la CEE, conscients de leur faiblesse dans le jeu économique mondial, à chercher les moyens d’un renforcement de leur unité. L’approfondissement préconisé par Georges Pompidou qui prend l’initiative de 17
18 19
La banque a accordé des financements pour les projets Airbus et Ariane et ses interventions dans le secteur industriel visent à accroître la compétitivité des entreprises sur la scène internationale. On a cité précédemment le complexe pétro chimique franco-allemand de PECRHIN. Voir les cartes et documents sur ce sujet dans les archives du MAE, carton 594. BEI, Note d’information au CA/80/78 du 1er juillet 1978 sur « Les interventions de la BEI et l’orientation des actions structurelles dans la CEE », p. 9, archives du MEF, B 50 382.
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la relance européenne en convoquant la Conférence de La Haye, ainsi que les déclarations faites lors du Sommet de Paris de 1972, sont autant d’initiatives qui concourent au renforcement de l’intégration des économies européennes, à la définition de politiques économiques communes. En effet, les Etats membres, en décembre 1972, proposent de mettre en œuvre une politique régionale européenne avec la création d’un Fonds européen de développement régional (le FEDER), et confirment leur volonté d’étendre l’action économique communautaire à de nouveaux domaines : industrie, énergie, nouvelles technologies, environnement. Toutefois, la plupart des dispositions déjà présentes dans le mémorandum Colonna de mars 1970 et reprises dans le Programme d’action de la Commission en matière de politique industrielle, scientifique et technique de mars 1973, restent lettre morte en raison de la crise économique qui incite les Etats membres à se replier sur leurs économies nationales. Néanmoins, l’évolution du Marché commun n’est pas figée, loin s’en faut ; l’activité de la BEI au sein de la CEE, en est à la fois une illustration et un des ressorts car, réfléchissant à l’élargissement de ses activités, elle veut jouer un rôle plus important, et notamment dans les domaines qui sont de l’intérêt commun des pays membres, « sans attendre la définition de politiques communes dans leurs détails »20 mais « sans mener une politique autonome »21. Tout d’abord, il nous faut signaler l’extraordinaire progression de cette activité de prêt. En effet, si le montant total des financements accordés aux Etats membres, de 1958 à 1972, atteint les 2 500 millions d’u.c., il est porté, pour la période 1973-1977 à presque 5 000 millions d’u.c.. L’élargissement de la CEE et donc l’augmentation du capital de la BEI et l’extension de son champ d’action, n’expliquent pas seuls, ce phénomène. Régulièrement, les Etats membres, lors de sessions du Conseil ou bien la Commission, demandent à la BEI d’étendre ses activités pour faire face aux problèmes économiques de la Communauté22. Puis, nous observons, par rapport aux années 1960, un rééquilibrage des prêts en faveur des projets d’intérêt commun aux Etats membres, qui englobent désormais les projets de modernisation et de conversion d’entreprises, aux dépends des financements relevant du développement régional. Ce sont alors un peu moins de 70% des prêts qui concernent le développement régional et plus de 40% qui relèvent des projets d’intérêt commun23. Mais ces chiffres ne doivent pas masquer non plus l’augmentation des montants consacrés aux prêts accordés au titre du développement régional (2 102,5 millions d’u.c. entre 1968 et 1972 et 3 420 millions d’u.c. uniquement entre 1973 et 197724). En fait, le développement progressif des politiques régionales et industrielles communautaires, l’élargissement de la CEE, ouvrent de nouvelles perspectives au développement de l’activité de la banque qui se voit confier de nouvelles responsabilités.
20 21 22 23
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Note d’Y. Le Portz du 24 septembre 1969, « L’élargissement du champs d’activité de la BEI », MEF B 62 140. Note d’Y. Le Portz du 30 avril 1970, « La BEI et les nouvelles politiques communautaires », MEF, B 62 140. BEI, Rapport annuel de l’année 1978, p. 10. On remarquera que la somme de ces deux pourcentages n’est pas de 100%. En effet, les chiffres présentés dans les Rapports annuels de la BEI – et ici dans celui de l’année 1978 –, tiennent comptes des doubles emplois dans le cas de financements justifiés simultanément par référence aux deux objectifs. BEI, Rapport annuel de l’année 1978, p. 12.
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Pour ce qui concerne l’objectif de développement régional, la BEI ne relâche pas son effort et obéit toujours aux principes fondamentaux qu’elle s’était fixée dès sa création : elle respecte les priorités de développement régional établies par les Etats membres sur leur territoire national et préfère les investissements qui s’insèrent dans les programmes régionaux de développement ; elle concentre son action dans les régions où les problèmes se posent avec plus d’ampleur. Ainsi, plus de 80% des prêts relevant de l’objectif de développement régional, sont accordés à l’Italie, au Royaume-Uni et à l’Irlande, puis à la Grèce qui passe du stade de pays associé à celui d’Etat membre en 1981. Selon Yves le Portz, président de la banque durant cette période, cette situation ne s’explique pas par « une volonté délibérée de concentration », mais par l’existence, dans ces pays, « de structures financières d’accueil qui, par le jeu des garanties de bonne fin, de garantie de change, de bonification d’intérêt, etc., ont facilité l’entrée de capitaux extérieurs pour le développement de leurs régions »25. La diversité des projets financés reste un élément essentiel de cette mission de développement régional qui concerne des infrastructures portuaires, des réseaux de télécommunication, des actions de reboisement et de drainage, l’installation de conduites d’adduction d’eau ou encore l’aménagement d’usines préconstruites. La nouveauté que constitue la création du FEDER en 1975, illustrant la volonté des Etats membres de renforcer la politique régionale communautaire par de nouveaux instruments et qui préfigure l’inscription de cette politique au premier rang des objectifs de l’Acte Unique, ne modifie pas fondamentalement l’activité de prêt de la banque dans ce domaine. Le FEDER finance principalement des infrastructures alors que la banque aide aussi l’industrie – et en particulier les petites et moyennes entreprises par le biais de prêts globaux – et apporte des ressources bien plus conséquentes. Jusqu’à la réforme des fonds structurels de 1988, la BEI intervient dans les mêmes régions que le FEDER, aussi, des cas de cofinancement existent, notamment pour la construction de routes (Grèce, Irlande, Portugal et même Lorraine), le développement d’équipements de télécommunications ou encore l’aménagement de sites industriels. Les cofinancements nécessitent une coordination des actions de la BEI avec celles de la Commission, « dans un souci d’efficacité maximale »26, et se traduit par la désignation, par la Commission, de son Directeur général « Coordination des instruments structurels » pour siéger au Conseil d’administration de la banque, afin de « renforcer la complémentarité et l’efficacité des deux sources d’intervention »27. Le développement régional reste bien une mission prioritaire de la BEI, destinée à faire progresser la cohésion économique et sociale de la Communauté. Si cette activité peut apparaître modeste compte tenu des besoins immenses des régions concernées, on estime qu’elle a contribué en 20 ans à la création de plus de 150 000 emplois et au maintien de 64 000 autres28 et qu’elle a servi à la fois de base de travail puis de support à la politique régionale européenne qui se renforce, seule ou en partenariat avec le FEDER. L’autre volet de l’activité de la BEI concerne les projets d’intérêt commun. La banque a interprété cette mission en matière de financement d’investissements 25 26 27 28
Y. Le Portz, « La BEI dans l’Europe des années 80 », Conférence prononcée le 6 avril 1981 sous la présidence de Pierre Ledoux, président de l’Association Française des Banques et publiée sous forme de fascicule par l’Institut d’études bancaires et financières. P. Tabary, op. cit., p. 17. Ibid. BEI, Rapport annuel de l’année 1978, p. 15.
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« d’intérêt commun pour plusieurs Etats membres » de deux manières, nous l’avons vu : d’une part, le développement d’infrastructures économiques, et plus particulièrement de transport afin de faciliter les échanges dans le Marché commun en construction et qui reste un important bénéficiaire recevant près de 50% des financements relevant de l’intérêt commun ; et d’autre part, l’épanouissement de coopérations entre entreprises de plusieurs pays membres. Mais certaines nécessités, issues ou non de la crise économique et énergétique qui affecte la Communauté dès le début des années 1970, sont ressenties comme devant être également des objectifs d’intérêt commun et ont conduit à l’adoption par les instances communautaires d’orientations de plus en plus précises. La BEI, grâce à sa compétence et à la place qu’elle a su acquérir sur les marchés des capitaux pour mobiliser des ressources, est un des outils de financement de la mise en œuvre de ces orientations qui se muent parfois en politiques européennes. Si des financements sont accordés aux projets énergétiques depuis les origines de la banque (la centrale hydro-électrique de l’Our fut un des premiers prêts de la BEI), ils entraient souvent dans le cadre du développement régional et bien que les questions énergétiques soient cruciales pour l’économie européenne, il n’existe pas de politique commune en ce domaine. Toutefois, les chocs pétroliers et la dépendance énergétique de l’Europe « suscitent une approche communautaire visant à freiner la croissance de la consommation grâce à une utilisation plus rationnelle de l’énergie, à développer les ressources internes, à encourager le recours à de nouvelles techniques, plus économes, et enfin à diversifier les sources et la nature des importations, afin d’en améliorer la sécurité »29. La BEI participe activement à cet effort car les financements dans ce domaine, de 1973 à 1988, atteignent un total de 20 milliards d’écus ; ils représentent plus de 20% des prêts d’intérêt commun et sont répartis en une grande variété de projets qui peuvent relever : - du développement de l’énergie nucléaire avec le réacteur surgénérateur de Creys-Malville et l’installation d’une usine d’enrichissement de l’uranium de Tricastin par exemple ; - de la rationalisation de la consommation de l’énergie dans les entreprises ou par les installations de chauffage urbain ; - de la mise en valeur des ressources nationales, avec la construction de centrales hydro-électriques, de gazoducs, l’exploitation de gisements de pétrole et de gaz dans la mer Adriatique et dans la mer du Nord ; - de l’utilisation d’énergies nouvelles comme l’énergie solaire, la géothermie, le lignite dans le sud de la France, la tourbe en Irlande. La BEI a donc participé activement à la réalisation de ces objectifs communautaires qui représentent un progrès dans la voie de l’autonomie et de la diversification des ressources énergétiques, répondant ainsi aux orientations esquissées dès 1974 pour l’ensemble des Etats membres. Dans le domaine de la politique industrielle, l’accent mis sur l’approfondissement de la Communauté par la Conférence de La Haye a été l’occasion d’un réexamen des missions de la banque dans ce domaine Les mémorandums publiés sur la politique industrielle par la Commission, proposent des actions qui correspondent à la vocation de la BEI qui est alors présentée par le Groupe « Politique industrielle », comme un des outils pour financer deux fa29
P. Tabary, op. cit., p. 77.
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cettes de cette politique : les regroupements industriels transnationaux d’une part, et les progrès technologiques d’autre part. La BEI a déjà eu de modestes occasions de participer à des projets de coopération entre entreprises des Etats membres, et elle accentue ses financements dans ce domaine. En effet, ces projets ne résultent plus seulement de stratégies et ambitions de quelques entreprises isolées, ils émanent de la volonté même des Etats membres. C’est ainsi que la Communauté se lance dans la production d’uranium enrichi en dehors du cadre d’Euratom, grâce à la constitution de deux groupes, Urenco (avec participation de l’Allemagne, des Pays-Bas et du Royaume-Uni) et Eurodif (regroupant la France, l’Italie, la Belgique) qui reçoivent des prêts de la banque. Le groupe aéronautique Airbus-industrie associant des firmes françaises, allemandes, espagnoles et britannique bénéficie également des financements de la banque pour son avion. Les projets de coopération industrielle entrent pour environ 20% dans le total des prêts accordés pour des opérations d’intérêt commun. Pour ce qui concerne le développement de technologies avancées, la BEI a déjà eu l’opportunité de participer à quelques financements nationaux, mais ce n’est qu’à partir de 1978 que cette activité se développe réellement, dans le but de renforcer la compétitivité de l’industrie européenne. Le Conseil des Gouverneurs de la banque réaffirme clairement cette priorité en juin 1984, lors de sa séance annuelle et entend favoriser aussi bien les innovations sur des produits que sur des procédés. Entrent dans cette catégorie de projets, la fusée Ariane, le satellite Eutelsat, les câbles transocéaniques à fibres optiques ou encore le réacteur surgénérateur de la société NERSA. Ces financements qui représentaient 30 millions d’Ecus en 1980, en représentent 235 millions d’Ecus en 1985. Nous pouvons citer une dernière catégorie relevant des projets d’intérêt commun et qui se développe progressivement au début des années 1980, il s’agit de la protection de l’environnement. Si quelques initiatives communautaires en ce domaine ont ponctué les années 1970, c’est véritablement l’Acte Unique qui introduit la protection de l’environnement comme objectif à part entière de la Communauté. La BEI assure très tôt avoir procédé à « un examen attentif de l’incidence éventuelle sur l’environnement de tous les projets qui lui ont été soumis »30 mais ses instances dirigeantes décident dès la fin des années 1970, d’aller plus loin en finançant des investissements « écologiques » tels que l’évacuation des eaux usées et industrielles, l’assainissement du Golfe de Naples, la régularisation de cours d’eau ou le reboisement pour éviter l’érosion. Ces prêts qui ne représentaient encore qu’1% de l’activité totale de la banque en 1980, en constituent près de 10% en 1986. L’évolution des activités de la BEI montre combien elle a œuvré concrètement à la construction économique européenne depuis sa mise en place, elle en est un des acteurs économiques. Elle remplit les missions qui lui ont été confiées par le traité de Rome tout en faisant preuve d’une forte capacité d’adaptation pour répondre à l’apparition de situations nouvelles et accepter des missions qui n’avaient pas été prévues par le traité de Rome. Elle apporte un concours actif dans le relèvement du niveau de vie des régions sous-développées d’Europe, illustre et accompagne le processus d’intégration économique européenne en soutenant les politiques et orientations communautaires, participant parfois 30
BEI, Rapport annuel de l’année 1978, p. 43.
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même à leur élaboration. Néanmoins, cette approche qui vise à étudier le rôle de la BEI dans l’intégration économique européenne à travers l’évolution de ses missions, masque une autre réalité, qui est également le rôle qu’elle peut jouer dans la réalisation d’objectifs économiques purement nationaux.
Summary The regional inequalities that Europe faced during its creation in March 1957 are perceived as a source of difficulties on the path to the economic integration. Facing this problem supposed important investments. The European Investment Bank (EIB) was then created with the treaty instating the EEC on March 25th, 1957 and was given as a mission statement to contribute to a balanced development of the Community. As such, the EIB shall facilitate raising capitals on the financial markets and arrange their transfer to areas and regions in facing difficulties. The creation of the EIB is intricate with the decision to instate the EEC. The bank's field of action goes from regional development projects, modernization and conversion of companies, to realization of common interest projects. But the economical situation of Europe quickly evolves. After the 60's, when growth was sustained, come oil and monetary crisis. Nevertheless, progresses in the European economic construction, although slow, are actual. Projects for common economic policies are confirmed, in the sectors of the industry, the energy, the new technologies or the protection of the environment. Therefore, wondering about the evolution of the EIB missions from 1957 to the 80's shall lead to analyse the Bank's lending activities within the general economic context, but also taking in consideration the progress in the European economic construction. Do the Bank's missions, as defined in the Rome treaty, fulfil the European economic integration process, as expected by the Six ? How have those missions been interpreted by the people in charge of this original institution ? Do those missions evolve as a consequence of the external events' pressure, or are they redefined by the Bank's managing authorities themselves ? Studying the activity of the EIB from 1957 to the 80's shows how the Bank directly participated European economic construction. Since its creation, the EIB is one of the economical players. If it fulfils the missions that were given to it, the Bank also shows it can adapt to new situations and accept facing new challenges. Its active participation to increase the well being of under developed regions of Europe illustrates and accompanies the European economic integration process. The Bank's loans support the Community policies and orientations, but shall not hide another side of the role of the EIB, being the realization of purely national economic objectives.
Zusammenfassung Die regionalen Ungleichgewichte, die Europa seit seiner Gründung im Jahre 1957 kennzeichnet, werden als Ursachen der Schwierigkeiten auf dem Weg zu seiner wirtschaftlichen Einheit betrachtet. Bedeutende Investitionen konnten diesem Problem vermutlich begegnen. Deshalb wurde die europäische Investitionsbank
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gleichzeitig mit dem Gründungsvertrag der Europäischen Gemeinschaft ins Leben gerufen, mit der klaren Aufgabenstellung, zu einer gleichgewichtigen Entwicklung der Gemeinschaft beizutragen. Sie soll die Bereitstellung von Kapital auf den Finanzmärkten erleichtern und dessen Transfer in Regionen und Industriezweige organisieren, die sich in Schwierigkeiten befinden. Die Schaffung der EIB ist inhärenter Bestandteil der europäischen Gemeinschaft selbst. Ihr Geschäftsfeld erstreckt sich auf regionale Entwicklungsprojekte, gleichermaßen aber auch auf die Modernisierung und Veränderungen von Unternehmen sowie auf die Realisierung von gemeinsamen wirtschaftspolitischen Projekten. Die wirtschaftliche Situation Europas entwickelt sich rasant. Auf die durch Wachstum getragenen 60er Jahre folgten der Ölschock und die monetäre Krise. Im Gegensatz dazu sind die Fortschritte beim Aufbau der der europäischen Wirtschaftsgemeinschaft nicht minder sichtbar, auch wenn sie nur langsam vorankommen. Man macht sich stark für eine Befürwortung wirtschaftspolitischer Projekte in Industriezweigen wie Energie, zukunftsweisende Technologien und Umweltschutz. Die Frage der Aufgabenentwicklung und – Erfüllung der EIB in den Jahre 1957 bis 1980 führt auch dazu, deren Darlehensgeschäft im Zusammenhang mit der allgemeinen wirtschaftlichen Lage und dem Fortschritt der europäischen Wirtschaftsintegration zu betrachten. Können die Aufgaben der Bank, sowie sie im Vertrag von Rom 1957 ursprünglich definiert wurden, noch dem wirtschaftlichen Integrationsprozess gerecht werden, wie die 6 sich diesen vorgestellt haben? Wie sind diese Aufgaben von den Verantwortlichen bei der Gründung interpretiert worden? Haben sie sich unter dem Druck äußerer Ereignisse weiterentwickelt oder sind sie von der Führung der Bank selbst neu definiert worden? Die Betrachtung der Aktivitäten der EIB in den Jahren 1957 bis 1980 zeigt, welche Leistung sie konkret beim Aufbau der europäischen Wirtschaft erbracht hat. Seit seiner Gründung ist sie einer der Wirtschaftsakteure. Wenn sie die Aufgaben erfüllt, die man ihr anvertraut hat, dann beweist sie auch, dass sie in der Lage ist, sich neu stellenden Anforderungen anzupassen und neue Aufgaben zu übernehmen. Die aktive Rolle, die sie bei der Anhebung des Lebensstandards unterentwickelter Länder Europas einnimmt, veranschaulicht und begleitet zugleich den wirtschaftlichen Einigungsprozess Europas. Ihre Darlehen unterstützen ausschließlich die Politik und die Ausrichtung der Gemeinschaft, sie müssen aber auch der Tatsache gerecht werden, dass die Bank auch reine nationale wirtschaftliche Vorhaben umsetzen kann.
LES ACTEURS ECONOMIQUES ET LA COOPERATION ECONOMIQUE TRANSFRONTALIERE DANS L’ESPACE DU RHIN SUPERIEUR (1960-1960) BIRTE WASSENBERG « Ce n’est que la paix économique qui peut assurer la paix ! »1. Tel est le message principal des européistes, lorsqu’ils lancent, le 12 mars 1925 un appel à la Société des Nations en faveur de l’intégration européenne. Si cet appel s’applique au débat sur la construction de l’Europe des années 20, il est aussi valable dans le cadre de la coopération franco-germano-suisse, qui se développe en Europe après la deuxième guerre mondiale et dont l’objectif principal est de guérir les « cicatrices de l’histoire, en réduisant les déséquilibres économiques »2. En effet, la coopération dans cet espace rhénan, qui implique, dès les années 60, les Länder3 de Bade-Wurtemberg et de Rhénanie-Palatinat en Allemagne, la région Alsace en France et les cantons de la Suisse du Nord-Ouest4, n’échappe pas à la logique économique. Le premier grand projet de coopération relève du domaine de l’économie : il s’agit de l’élargissement de l’aéroport commun de Bâle-Mulhouse5. Mais la coopération transfrontalière n’est pas un domaine « classique » de relations économiques entre des acteurs économiques, tels qu’on le trouve dans le cadre international entre les différents Etats ou entre les entreprises nationales et multinationales. S’agissant d’une coopération au niveau régional et situé à proximité de la frontière, le cadre transfrontalier est particulier et impose ses propres règles à la coopération économique : une coopération qui implique les pouvoirs publics régionaux et dont le but est de surmonter les frontières politiques nationales pour améliorer la situation économique de la région transfrontalière dans son ensemble. Pour évaluer cette coopération transfrontalière économique, il s’agit dès lors de s’interroger sur sa nature et sur le rôle des acteurs économiques impliqués. S’agit-il d’une coopération facilitée par la situation frontalière ou, au contraire, la frontière est-elle une entrave à la dynamique économique ? Qui sont les acteurs économiques dominants ? Sont-ils issus du domaine public ou privé et s’engagent-ils dans une coopération informelle ou plutôt institutionnelle ? Afin de répondre à ces questions, il convient d’évaluer d’abord les conditions économiques de la coopération transfrontalière rhénane et de retracer ensuite, comment cette coopération s’est développée depuis les années 60 jusqu’ au début
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Schirmann, Sylvain, Quel ordre européen ? De Versailles à la chute du IIIè Reich, Paris, 2006, p. 83. Malchus, Viktor, Partnerschaft an europäischen Grenzen, Bonn 1975, p. 13. Les Etats fédérés allemands, qui sont considérés, dans le cadre transfrontalier comme le niveau régional de coopération. Bâle-Ville, Bâle- Campagne, Soleure, Argovie, Jura. Cf. www.euroairport.com, histoire, consulté le 13 octobre 2006.
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des années 90, lorsque la mise en place de l’initiative communautaire INTERREG vient changer fondamentalement les enjeux économiques de la coopération6 1) Des conditions économiques favorables à la coopération dans l’espace rhénan ? Au début des années 90, l’économiste badois, Rolf Gaebe, affirme que les conditions économiques de l’espace rhénan ne se prêtent pas toujours à une coopération en matière économique : « la région du Rhin supérieur est un espace qui n’est pas économiquement cohérent»7. Elle reste confrontée à trois systèmes socio-économiques différents avec trois systèmes fiscaux et trois systèmes d’assurance sociale8. a) Un déséquilibre économique Cette affirmation s’applique sans aucun doute pour la situation de départ de la coopération dans les années 60. Le poids de l’histoire, marqué par les guerres franco-allemandes et une attitude chauvine des Etats, a entrainé une déchirure de l’espace. Les conséquences de ce développement ont été une stagnation économique depuis 1871 jusqu’après la deuxième guerre mondiale, notamment côté alsacien, et un déséquilibre économique d’un côté par rapport à l’autre du Rhin9. Les frontières nationales, et aussi la frontière communautaire qui sépare la Suisse des deux partenaires membres de la CEE renforcent ce déséquilibre économique, en empêchant la libre circulation des biens, des capitaux, des personnes et des services10. Par conséquent, les données économiques de l’espace du Rhin supérieur des années 60, dont, par exemple, le pouvoir d’achat ou le taux d’emploi varient selon l’espace national concerné (la Suisse bénéficiant, dans les années 60 des taux les plus élevés et l’Alsace ayant les taux le plus bas)11. Cette situation asymétrique ne change pas fondamentalement jusqu’au début des années 9012. Par ailleurs, en 1960, la spécialisation économique et le niveau de développement ne sont pas homogènes dans la région transfrontalière13. Le côté allemand est marqué par la présence de l’agriculture et une émergence progressive de l’industrie. Cette situation dénote un certain retard de développement14. En Alsace, l’industrie est dominante, mais au cours des années 60, une crise économique apparaît, surtout dans la partie Sud de l’Alsace. En témoignent, notam6 7 8 9 10 11 12 13
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INTERREG est l’initiative communautaire pour la coopération transfrontalière introduite depuis 1991 dans le cadre des fonds structurels. Gaebe, Wolf, « Wirtschaft am Oberrhein », dans Becker-Marx, Kurt/Jentsch, Christoph, dans Es ist Zeit für den Oberrhein, Universität Mannheim, 1996, p. 57. Speiser, Béatrice, « Europa am Oberrhein, Der grenzüberschreitende Regionalismus am Beispiel der oberrheinischen Kooperation », Schriften der Regio 13, 1993, p. 26. Archives de la Regio Basiliensis (ARB), « Fiktion oder Realität », Regio Report 1975, Nachtrag 2, p. 8, Bucher, Rolf/Maurer, Werner, « Bevölkerung und Wirtschaft der Regio », Schriften der Regio 1, 1965, p. 2. Speiser, Béatrice, op. cit., pp. 26, 27. Gaebe, Wolf, « Wirtschaft am Oberrhein », op. cit., pp. 59-68. Ibid. Les données sur la spécialisation régionale n’ont pas fondamentalement changé jusqu’aux années 90, comme le confirme l’étude Wirtschaft und Gesellschaft am Oberrhein. Die Nordwestschweiz, das Elsass, die Südpfalz und Baden : eine Region auf dem Weg nach Europa, Statistisches Landesamt Rheinland-Pfalz, Baden-Württemberg, Statistisches Amt Basel-Landschaft, 1992, p. 25. Baumert, Roger, La Regio, Thèse de doctorat, Université de Strasbourg, 1968, p. 82.
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ment, l’augmentation du nombre des frontaliers, l’apparition du chômage et son développement, la dégradation générale de l’emploi, les retards en matière d’infrastructures, les insuffisances en matière de formation, le développement du rôle des capitaux étrangers et la place croissante occupée par les industries nonfrançaises15. Dans la Suisse du Nord-Ouest, la conjoncture est bonne dans les années 60 et rayonne autour du centre économique de Bâle. Ce sont les services qui occupent la première place de l’activité économique16. A côté de la puissance financière décentralisée, la grande force économique de la ville de Bâle se traduit par un considérable investissement régional dans une industrie diversifiée et très concentrée17. Enfin, l’appartenance de la région à trois Etats différents donne lieu à une concurrence économique18. Cette concurrence s’exprime toujours à travers les aides à l’industrialisation qui permettent aux Etats d’influencer, dans une certaine mesure, la structure économique des régions frontalières19. Peut-on alors conclure que la coopération économique dans l’espace rhénan n’est confrontée qu’à des obstacles, qui empêchent l’activité commune des acteurs économiques, d’un côté et de l’autre du Rhin ? b) Le potentiel dynamique de la région transfrontalière Le développement de la théorie économique transfrontalière à la fin des années 80 ne va pas en ce sens. Au contraire, des économistes, comme Remigio Ratti, prétendent que les régions transfrontalières bénéficient d’un potentiel dynamique qui pourrait les amener à devenir des modèles d’intégration économique européenne. Le point de départ pour l’optimisme économique par rapport aux régions transfrontalières est le constat, que, malgré les frontières, l’intégration économique de l’espace transfrontalier se développe. Ainsi, de nombreuses interconnexions font de la région transfrontalière un espace économiquement dynamique, diversifié et créateur de richesses20. La théorie économique d’intégration transfrontalière de Remigio Ratti est basée sur l’effet positif d’intégration économique qui existe dans les régions transfrontalières et qui constitue un modèle pour la construction européenne. Cette intégration économique se réalise par la transformation de la frontière qui divise la zone transfrontalière. A l’origine, la frontière serait une « barrière », un facteur de séparation entre les systèmes politico-institutionnels21. La frontière-barrière aurait des effets discriminatoires aux plans économiques et politiques. Les régions frontalières souffriraient donc, au départ, d’un retard de développement causé par leur situation périphérique22. Mais selon Remigio Ratti, la frontière deviendrait ensuite une « frontière-filtre » qui permet une relation communicante entre les régions frontalières. La frontière 15 16 17 18 19 20 21 22
Ibid., p. 114. Wirtschaft und Gesellschaft am Oberrhein., op. Cit., p. 25. Baumert, Roger, op. cit., p. 78. Uhrich, René, « Les régions franco-allemandes d’Alsace et la partie méridionale du HautRhin », dans Les régions frontalières à l’heure du marché commun, colloque européen, 27/28.11.1969, Bruxelles, 1970, p. 118. Ibid. Gaebe, Wolf, « Wirtschaft am Oberrhein », op. cit., p. 74. Ratti, Remigio, Théorie du développement des régions-frontières, Fribourg, 1991, Chapitre 2. §1. Ratti, Remigio/Reichman Shalom, Theory and practice of transborder cooperation, Basel, 1993, p. 26, Ratti cite l’article de Hansen, Niels « International cooperation in border regions », International Regional Science Review, N°8, 1983, pp. 255-270.
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agirait en tant que « médiateur » entre les différents systèmes politicoinstitutionnels et économiques23. Au stade supérieur, elle deviendrait enfin une frontière « ouverte », dont la fonction de contact est prédominante24. Elle serait un lieu de rencontre et non plus une barrière et créerait un bénéfice économique. « La frontière ouverte implique le passage du concept d’économie de zones de frontières à celui d’une économie transfrontalière »25. L’espace transfrontalier deviendrait alors un espace économiquement intégré et créateur de richesse. Dans cette optique, la coopération transfrontalière apparaît comme une chance pour pallier les incohérences structurelles et développer les relations économiques26. Dans l’espace du Rhin supérieur, elle favorise le développement économique de la région qui se trouve en plein centre de l’Europe occidentale, dans l’axe de développement appelé la « banane bleue »27. 2) Le point de départ économique de la coopération : le développement d’un réseau informel dès 1963 En effet, en retraçant l’histoire de la coopération transfrontalière, force est de constater, que la part des relations économiques est bien présente dès le départ de la coopération en 1963 : « depuis toujours, il y a eu des relations économiques intenses dans la région du Rhin supérieur »28. a) L’évolution des liens économiques transfrontaliers depuis 1960 Ces liens économiques apparaissent d’abord dans le secteur industriel. Le nombre d’implantations industrielles augmente au cours des années 60 et 70, notamment du côté allemand. Du côté français, le canal du Rhin présente des conditions favorables à la création de zones industrielles qui rendent les anciens espaces ruraux plus attractifs et dynamiques29. Les entreprises suisses Roche et Migros s’établissent à Huningue et une filiale Bell France est créée en Alsace30. Dans le domaine de l’énergie, sur le Rhin supérieur, l’Allemagne et la Suisse ont réalisé plusieurs centrales transfrontalières au fil de l’eau, dont l’usine se trouve au milieu du fleuve, à cheval sur la frontière31. Pour l’implantation industrielle, les frontières nationales ne sont donc pas une limite déterminante : le marché ne s’arrête pas à la frontière. Les relations économiques se traduisent également à travers le nombre de travailleurs frontaliers, qui augmente constamment depuis les années 6032. L’état des
23 24 25 26 27 28 29 30 31 32
Ratti Remigio/Reichman Shalom, op. cit.,p. 28. Ibid., cf. Courlet, C. « La frontière : couture ou coupure ? », Economie et humanisme, N° 301, 1988, pp. 5-12. Ratti, Remigio, Théorie du développement des régions-frontières, op. cit., chapitre 3. ARB, « Echo », Regio Report, Nachtrag 2, op. cit., p. 47. Kistenmacher, Hans/Clev, Hans-Günther, « Europäische Regionen als Staatsgrenzen überschreitende Kooperationsräume : Das Beispiel des Oberrheins », dans Becker-Marx, Kurt/Jentsch, Christoph, op. cit., pp. 133. Speiser, Béatrice, op. cit., p. 26. Bucher, Rolf/Maurer, Werner, op. cit., p. 5. ARB, Regio Report 1973, p. 73. Archives de la Regio du Haut-Rhin (ARH), Trois pays, une région, Centre régional de documentation pédagogique, Dossier Maître n°12, 1984, p. M 2405c. Ibid., p. 26.
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lieux de ces mouvements entre les années 60 et 90, est le suivant 33 : en 1967, il y a 13684 travailleurs allemands frontaliers originaires du Bade-Wurtemberg contre 20800 en 1990, dont 97% employés en Suisse et 2,6% en France. Le nombre de frontaliers français entre 1960 et 1990 s’est multiplié davantage. En 1967, il y en a 7310, dont 5700 travaillent en Suisse et 1610 en Allemagne. En 1990, ce sont 60000, dont 45000 sont employés en Suisse et 15000 en Allemagne. Le phénomène des travailleurs frontaliers est une caractéristique économique clé de la région transfrontalière. Enfin, le réseau économique se développe, à partir des années 60, grâce à l’existence du Marché commun des Six, qui favorise les échanges dans la région transfrontalière : d’un côté, la part de l’agriculture dans l’activité économique décroît en faveur de l’industrie et des services34. De l’autre côté, le taux d’emploi dans la Regio augmente dans la partie allemande, française et suisse35. Ceci amorce un processus d’homogénéisation des structures économiques de l’espace rhénan, qui va dans le sens préconisé par la théorie d’intégration de Remigio Ratti. b) La création du réseau des Regios (1963-1991) A part l’activité économique spontanée, les premières initiatives des acteurs politiques en faveur de la coopération transfrontalière ont pour origine des motifs économiques. Elles résultent de « la situation frontalière »36 de la ville de Bâle et de son agglomération. Le développement économique de la ville de Bâle se trouve, au début des années 60, limité par l’existence des frontières nationales qui séparent le territoire suisse des pays limitrophes français et allemand, à savoir le Département du Haut Rhin et le pays de Bade. Pour les cantons de Bâle-Ville et de BâleCampagne, des relations transfrontalières sont indispensables au niveau économique pour résoudre les problèmes de l’agglomération de Bâle37. L’initiative de la coopération émane ainsi du côté suisse : un réseau informel de coopération, la Regio Basiliensis est mis en place en 1963 par des pionniers issus de la vie économique et culturelle bâloise38. Parmi les objectifs figure notamment « la promotion du développement économique de la Regio, qui comprend la ville de Bâle et son espace environnant en pays de Bade, en Alsace et en Suisse »39. Pour pouvoir tirer parti de la position centrale de la zone transfrontalière rhénane en Europe, les initiateurs souhaitent développer une coopération économique avec les régions voisines ainsi qu’un concept de planification pour l’ensemble de la zone. Afin d’assurer le caractère transfrontalier de la Regio, des acteurs économiques en Suisse, France et Allemagne sont admis en tant que membres, comme, par exemple, des représentants de la Basler Handelskammer (Chambre de commerce), des firmes Sandoz et Roche, de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Mulhouse, de l’Association pour le développement 33 34 35 36 37 38 39
Baumert, Roger, op. cit., pp. 134,135. ARB, Regio Report 1973, p. 71. Gaebe, Wolf, « Wirtschaft am Oberrhein », op. cit., pp. 61, 62. ARB, Briner, Hans, « Die Ausgangslage », Regio Report 1973, p. 15. Ibid. Zoller Schepers, Regula, Grenzüberschreitende Zusammenarbeit am Oberrhein, Dissertation, Bamberg 1998, p. 32, ARB, « La Regio Un modèle pour l’Europe », Regio Report 1988, p. 4. ARB, Regio Report 1973, p. 16.
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et l’industrialisation de la Région Alsace (ADIRA), ou des Planungsgemeinschaften (organismes de planification) de Brisgau et du Hochrhein (Rhin supérieur)40. Or, dans un premier temps, l’initiation d’une coopération économique transfrontalière suscite des craintes dans les deux pays voisins. En particulier les Alsaciens dénoncent un « colonialisme bâlois » : les Suisses chercheraient avant tout à utiliser la coopération transfrontalière pour assurer l’expansion de la ville de Bâle41. Ce n’est que lorsqu’une structure homologue à la Regio Basiliensis voit le jour à Mulhouse que ces craintes commencent à se dissiper. Sous l’impulsion de Philippe Brandt, seul membre français du groupe d’appui de la Regio Basiliensis et président de la Société Industrielle de Mulhouse (SIM), « la Regio du Haut Rhin » est ainsi mis en place en 196542. Son organisation est semblable à celle de la Regio Basiliensis, mais le groupement fonctionne comme un des comités spécialisés de la SIM, ce qui lui confère une orientation plus économique que celle de son homologue suisse43. Pour la Regio Basiliensis, le nouveau partenaire alsacien se révèle bénéfique pour le développement de la coopération transfrontalière, comme elle constate en 1973 : « depuis que la Regio du Haut-Rhin existe, le climat psychologique entre l’Alsace et Bâle s’est amélioré. Dès lors, il devrait être possible de chasser les veilles craintes que la Regio Basiliensis n’instaure un colonialisme bâlois en Alsace »44. Les relations économiques transfrontalières s’approfondissent après la création des deux Regios. La Regio Basiliensis crée, dès 1963, deux groupes d’experts pour traiter du thème de l’économie. L’un cherche à améliorer la coordination économique entre l’Alsace, le pays de Bade et la Suisse du Nord-Ouest45, l’autre gère un projet relatif à la construction d’un « Marché Gare »46 qui porte sur le marché des fruits et légumes de la Regio et dont l’objectif est de faciliter la distribution des produits. En 1965, la Regio Basiliensis publie une étude économique et démographique de base, qui donne, pour la première fois, des informations sur la Regio selon les données économiques, l’analyse du développement démographique et économique de l’époque, les relations entre les trois régions de la Regio et son importance économique et politique en Europe47. Un troisième groupe d’experts est chargé des problèmes de nature douanière et fiscale. Au début des années 70, l’économiste Jean-François Boursot, réalise, dans le cadre de ce groupe de travail, une étude consacrée aux charges fiscales pesant sur les entreprises en France, en Suisse et en Allemagne. L’étude, qui est publiée par la Regio du HautRhin, expose les problèmes fiscaux qui peuvent se poser à un industriel dans le cadre d’un projet d’implantation dans l’un des trois pays. Son mérite est d’attirer l’attention des industriels sur des problèmes liés au passage de la frontière48. Un nouveau pas vers la création d’un réseau de coopération économique est franchi lorsque le maire de la ville de Freiburg, Rolf Böhme, prend l’initiative de créer un homologue allemand à la Regio Basiliensis et à la Regio du Haut-Rhin. 40 41 42 43 44 45 46 47 48
Art. 3 de la Regio Basiliensis. Baumert, Roger, op. cit., p. 201. Speiser, Béatrice, op. cit., pp. 31, 32. Baumert, Roger, op. cit., p. 229. ARB, Regio Report 1973, op. cit., p. 32. Ibid., p. 71. Ce groupe est créé en collaboration avec la Regio du Haut-Rhin. Ibid., p. 72. Après avoir réalisé une étude préalable, le groupe d’experts conclut qu’un « Marché Gare » n’est pas nécessaire dans la Regio et abandonne le projet. Ibid., Regio Report 1973, p. 71. l’étude s’intitule Bevölkerung und Wirtschaft der Regio. ARH, l’étude s’intitule : Mémento Fiscal International.
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La Regio Freiburg est mise en place le 5 juillet 198449. Parmi ses objectifs premiers, il s’agit de « promouvoir le développement économique avec les territoires voisins, en Suisse et en Alsace »50. L’association allemande est ouverte à toute personne morale et juridique, mais ce sont en grande majorité des entreprises et des villes, qui deviennent membres de la Regio Freiburg51. Un réseau à trois commence alors à s’établir52. Les trois Regios commencent d’abord à publier un journal commun, dénommé Nachbarn (voisins), qui informe sur les principales activités transfrontalières en cours. Dans le premier numéro du journal, Rolf Böhme présente les domaines d’intervention prioritaires de la Regio Freiburg, parmi lesquels il cite, notamment, le domaine de l’économie53. Dès lors, les milieux économiques espèrent un appui de la part du réseau des Regios. Ils proposent, par exemple, la mise en place d’une information transfrontalière sur les conditions économiques dans la région, un échange d’expérience en matière scientifique et technologique ou l’organisation de bourses de coopération pour l’industrie et pour le commerce54. Afin de pouvoir répondre aux demandes des acteurs économiques, les trois Regios se rendent compte, à la fin des années 80, quelles ont besoin d’une structure permanente d’organisation et elles décident alors de doter leur réseau d’une base institutionnelle55. Lors d’une réunion commune organisée le 28 septembre 1990, elles mettent en place un Comité de coordination des trois associations Regios56. Les Regios souhaitent ainsi créer une nouvelle « plate-forme pour la réalisation optimale de leurs objectifs économiques dans le domaine de la coopération transfrontalière »57. La mise en place du Comité de coordination symbolise la volonté de synergie entre les trois Regios, mais le réseau maintient son caractère informel, dont le but est d’associer à la fois des acteurs économiques et politiques à la coopération transfrontalière. Alors que le réseau des Regios se propose comme plate-forme pour une coopération transfrontalière informelle, qui inclut les acteurs économiques parapublics (Chambres de commerces, sociétés industrielles, etc.) et privés (entreprises), les pouvoirs publics ont une autre approche à la coopération transfrontalière économique. En institutionnalisant la coopération de l’espace rhénan, ils souhaitent insérer le domaine économique dans un cadre de coopération figé, au regret des acteurs régionaux des Regios. Mais compte tenu de la nature même des activités économiques, basées sur une démarche volontaire des acteurs économiques, vont-ils réussir dans cette démarche ?
49 50 51 52 53 54 55 56 57
Zoller Schepers, Regula, op. cit., p. 51. Art. 2 des statuts de la Regio Freiburg. « Trinationale Basisarbeit durch Einzelmitgliedschaften fördern », Dreiland-Zeitung du 8.12.1995. Assemblée générale de la Regio Freiburg du 5.7.1985 à Freiburg, citée dans Nachbarn du 5.7.1985, p. 2. Böhme, Rolf, « Die Freiburger Regio-Gessellschaft, Partner im Dreiländereck zur Schweiz und zum Elsass », Nachbarn du 5.7.1985. « Erwartungen der Wirtschaft an die Regio », Nachbarn du 5.7.1985. ARB, réunion de la Conférence du Rhin supérieur du 14.5.1993, rapport de la Regio Freiburg. Zoller Schepers, Regula, op. cit., p. 62. Speiser, Béatrice, op. cit., p. 46.
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3. L’impossible institutionnalisation transfrontalière en matière économique après 1975 La convention franco-germano-suisse de 1975, connue sous la dénomination de l’accord de Bonn, institutionnalise la coopération transfrontalière dans l’espace du Rhin supérieur. D’une part, elle établit un cadre géographique, qui élargit le périmètre de la coopération de l’espace au Sud (entre le Bade-Wurtemberg, les cantons de Bâle-Ville et Bâle-Campagne et le département du Haut-Rhin) en incluant le département du Bas-Rhin en Alsace et la partie Nord du Land Rhénanie-Palatinat en Allemagne. D’autre part, elle crée des instances officielles de coopération : une commission intergouvernementale est mise en place et, au niveau régional, un comité tripartite pour la coopération franco-germano-suisse au Sud et un comité bipartite pour la coopération franco-allemand au Nord de l’espace. Dans ces instances, les pouvoirs publics nationaux (des représentants des Ministères des Affaires Etrangères) et régionaux (des représentants des Länder, des cantons et de la préfecture de Région) sont représentés58. a) Les résultats mitigés du groupe de travail institutionnel « économie régionale » jusqu’en 1983 Pour prendre en charge le domaine de l’économie, lors de sa réunion constitutive du 3 novembre 1975, la Commission intergouvernementale décide d’instaurer un groupe de travail sur la politique économique régionale59. Ce dernier est placé sous la responsabilité des deux Comités régionaux60 et se constitue en septembre 1977 avec des membres des Ministères de l’Economie et des Transports du BadeWurtemberg et de la Rhénanie-Palatinat, des membres de la Regio Basiliensis et de la CCI de Bâle et des représentants de la préfecture de la Région Alsace61. La composition du groupe de travail témoigne d’une approche divergente entre les partenaires suisses, allemands et français. Alors que les délégations allemande et française sont composées exclusivement de représentants institutionnels des ministères, les Suisses associent un acteur économique para-public, la CCI. Le cahier de charges du groupe de travail est ambitieux. Ainsi, son mandat comprend l’étude de projets à mettre en œuvre dans le domaine de la politique économique régionale « pour la promotion d’implantations industrielles, le tourisme et les infrastructures dans le Rhin supérieur »62. Le catalogue des missions mentionne, entre autres, la comparaison des mesures de promotion possibles pour l’amélioration des structures économiques, l’échange d’informations conjoncturelles et l’étude de la compétitivité et des faiblesses structurelles de l’économie63. Les premiers travaux semblent prometteurs. Lors de sa première réunion du 14 septembre 1977 à Strasbourg, le groupe de travail se penche d’emblée sur une 58 59 60 61 62 63
Accord de Bonn sur la coopération transfrontalière franco-germano-suisse, Journal Officiel de la République Française, 6.1.1977. Witmer, Jürg, Grenznachbarliche Zusammenarbeit, das Beispiel der Grenzregionen von Basel und Genf, Dissertation, Universität Zürich, 1979, p. 159. Roth, Ueli, Grenzprobleme zwischen Genf und Basel, St. Saphorin, 1981, p. 50. ARB, 2.3.1. D-F-CH Regierungskommission 1973-1982, 2e séance de la Commission tripartite du 18.2.1977 à Strasbourg. Ibid. Arnold-Palussiere, Martine, Die grenzüberschreitende regionale Zusammenarbeit auf dem Gebiet der Raumordnung. Fallstudie für das Rheintal : Elsass, Pfalz, Baden, Nordwestschweiz, Beiträge der Akademie für Raumforschung und Landesplanung, Bd. 71, Hannover, 1983, p. 203.
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étude concernant les frontaliers. Jusqu’en mars 1982, il établit un guide des frontaliers ainsi que plusieurs séries de statistiques. Puis, plusieurs échanges d’informations concernant la situation économique des trois pays ont lieu à partir de 1980. En 1981, une étude est envisagée sur la distorsion en matière de concurrence64. En effet, au départ, en termes politiques, le groupe de travail n’est pas confronté à de grandes difficultés. La thématique des frontaliers et la comparaison de la politique économique régionale dans les régions du Rhin supérieur ne posent, a priori, aucun problème majeur pour les gouvernements nationaux. Mais très vite, les premières divergences entre les délégations se font ressentir. Le côté français reste réservé à l’égard d’une analyse plus approfondie du développement économique régional et du système d’aide à ce développement. Il s’intéresse plus à la comparaison des procédures et des formalités qu’au fond du problème de la politique économique régionale. La question d’une éventuelle concertation, voire une harmonisation des aides économiques régionales ne peut donc pas être abordée65. En 1983, après une première phase de fonctionnement, le groupe de travail se trouve donc bloqué : les partenaires transfrontaliers ne souhaitent pas aller audelà du stade d’échange d’information et de la réalisation d’études communes. Toutefois, si le groupe de travail n’aboutit pas à la proposition de mesures et de projets transfrontaliers révolutionnaires, il réussit, au moins, à établir un rythme de travail régulier et de se pencher sur des questions techniquement importantes pour les relations économiques transfrontalières. b) Un manque d’intérêt croissant de la Commission intergouvernementale pour l’économie (1983-1989) Entre 1983 et 1989, la situation se détériore davantage. La Commission intergouvernementale commence à négliger le domaine de la coopération transfrontalière économique. Lors des réunions, l’économie régionale n’est pratiquement pas abordée et la Commission se contente de prendre acte des travaux engagés par le groupe de travail « politique économique régionale ». Elle n’amorce aucune discussion, et à plus forte raison, ne prend pas d’initiatives en la matière. En 1983, par exemple, elle se « félicite du projet de mise au point d’une étude économique consacrée à l’Alsace », sans demander au groupe de travail de faire le nécessaire pour que les données soient également examinées des côtés allemand et suisse, pour pouvoir effectuer une étude comparative dans l’espace transfrontalier66. L’année suivante, la Commission se contente à nouveau d’une position de statu quo, même lorsque le groupe de travail présente son analyse relative aux travailleurs frontaliers. Elle l’encourage simplement à continuer ses travaux, alors que ce sujet sensible aurait pu être débattu, notamment au vu du déséquilibre des flux de frontaliers, qui se dirigent principalement de l’Alsace vers la Suisse et vers l’Allemagne. De surcroît, les problèmes administratifs et réglementaires que connaissent les travailleurs frontaliers, comme leur affiliation aux caisses de sécurité sociale, de retraite 64 65 66
Gallino, Laurence, Vingt ans de coopération transfrontalière institutionnelle dans l’espace du Rhin supérieur, mémoire, Institut d’Etudes Politiques, Strasbourg, 1995, p. 41. ARB, 2.3.1. D-F-CH Regierungskommission 1973-1982, compte-rendu de l’activité du groupe de travail politique économique régionale du 19.3.1982. Ibid., compte-rendu de la réunion du 15.6.1983 à Landau, p. 6.
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ou la question du droit applicable pour leur imposition, ne sont pas évoqués67. De même, entre 1985 et en 1987, les sujets sensibles du chômage et de la formation professionnelle des jeunes, ou encore le domaine important du transfert de technologies, qui figurent dans le rapport du groupe de travail, ne suscitent aucune discussion parmi les membres de la Commission68. Ce silence de la Commission est la preuve que l’institutionnalisation des relations économiques dans la coopération transfrontalière est, en effet, impossible. Les raisons sont multiples. La première est d’ordre structurel : en Allemagne et en Suisse, la politique économique régionale est gérée au niveau des Länder et des cantons69. La Commission intergouvernementale se garde donc d’intervenir dans un domaine qui ne relève pas de la compétence de deux de ses Etats-membres. De plus, côté français, la décentralisation vient de conférer la compétence du développement économique local aux collectivités territoriales, qui, elles, ne sont pas représentées au sein de la Commission intergouvernementale70. Ensuite, pour la création d’une dynamique d’activité économique transfrontalière, les données économiques dépendent, dans une large mesure des initiatives d’acteurs économiques tels que les Petites et Moyennes Entreprises (PME), qui ne siègent pas au sein des instances institutionnels et dont le comportement économique ne dépend pas des décisions d’une instance intergouvernementale, loin du terrain71. Enfin, le seul acteur économique para-public présent au sein de la Commission, à savoir la CCI suisse, s’y trouve en absence de ses homologues allemands et suisses. Dans une telle situation d’asymétrie, comment développer des initiatives économiques communes ? Par contre, la Commission intergouvernementale, à l’instar de la Commission européenne au niveau européen, aurait pu définir un cadre commun, dans lequel s’effectue l’activité transfrontalière économique. La mise en place des fonds structurels en 1988 lui fournit l’occasion. En effet, en 1989, la Commission tripartite prend conscience de l’implication croissante de la Communauté économique européenne (CEE) dans le domaine de la politique économique régionale : des projets économiques pourraient, à l’avenir, être financés par le Fond européen de développement régional (FEDER) et dans ce cas, ce seraient les Etats qui seraient amenés à négocier la répartition des aides économiques communautaires auprès de la Commission européenne72. La Commission intergouvernementale aurait donc pu avoir sa place dans le développement d’un cadre pour les projets économiques transfrontaliers. Or, après 1989, elle souffre de nombreux dysfonctionnements structurels et ne siège plus jusqu’à la mise en place d’une réforme de la
67 68 69 70 71 72
Ibid., compte-rendu de la réunion du 20.6.1984 à Bâle, p. 6. Ibid., compte-rendu de la réunion du 14.6.1985 à Strasbourg, p. 3, 1985, communiqué de presse de la réunion du 20.6.1986 à Bad Krotzingen, p. 2. Schweizer, Peter, Kritische Betrachtungen zum Thema Regierungskommission für Nachbarfragen, note établie dans le cadre du groupe de travail « bilan et perspectives », pp. 5 et 7. Schweicker, Stephanie, Das Oberrheingebiet: Fortschreitende Integration einer Grenzregion, Universität Tübingen, 1998, p. 75. Jenny, Kurt, Grenzüberschreitende Zusammenarbeit am praktischen Beispiel der RegionBasel/Oberrhein, séminaire de Lugano, 1992, p. 26. ARB, 2.3.1. D-F-CH Regierungskommission 1973-1982, communiqué de presse de la réunion du 30.1.1989 à Strasbourg.
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coopération institutionnelle en 1991 qui place la responsabilité pour la gestion des affaires transfrontalières dans les mains des pouvoirs publics régionaux73. Compte tenu de l’échec de l’institutionnalisation des relations économiques transfrontalières, il n’est donc pas surprenant que les sujets économiques soient principalement traités ailleurs que dans la Commission intergouvernementale. Mais à part les pouvoirs publics étatiques et les Regios, il y a une troisième catégorie d’acteurs de la coopération transfrontalière qui s’intéresse au domaine de l’économie : il s’agit des dirigeants politiques régionaux des cantons, des Länder et des collectivités territoriales, qui se rendent compte, au cours des années 80, que la coopération transfrontalière économique peut leur servir à valoriser la région qu’ils représentent et leur permettre ainsi de consolider leur électorat. 4. L’économie à des fins politiques : des symposia transfrontaliers aux Congrès tripartites (1985-1992) En 1985, c’est le Ministerpräsident74 du Land Bade-Wurtemberg, Lothar Späth, qui se rend compte qu’une coopération transfrontalière économique avec ses voisins alsaciens et suisses peut être un atout politique pour le Land de BadeWurtemberg. a) Les symposia comme plate-forme de rencontre entre acteurs politiques et économiques entre 1985 et 1987 A l’arrière-plan des réflexions se trouve un enjeu économique : il s’agit pour le Land deBade-Wurtemberg de développer un réseau de parcs technologiques dont trois sont situés à proximité de l’Alsace : à Heidelberg, à Karlsruhe et à Freiburg. Dans cette perspective, Lothar Späth entend donner un nouvel atout économique à l’espace du Bade-Moyen, situé en face de l’agglomération strasbourgeoise, par l’implantation d’un parc technologique à Offenbourg. Comme la ville d’Offenbourg ne répond pas aux objectifs habituels de ce type d’investissement (proximité d’une université et de centres de recherche, environnement industriel...), le Land entend faire de ce parc un modèle de la coopération transfrontalière entre l’Alsace et le Land de Bade-Wurtemberg75. Ainsi, Lothar Späth lance l’idée d’un « symposium transfrontalier sur le thème université et régions »76. L’objectif est simple et unique : déboucher sur des actions transfrontalières opérationnelles. Concrètement, il doit s’agir d’une plateforme de rencontre entre hommes politiques, économiques et scientifiques dont le but est la mise en place de projets de recherche-développement communs aux régions du Rhin supérieur afin de passer d’une dimension régionale à une dimension transfrontalière77. Pour réaliser son projet, le Land cherche des parte73 74 75 76 77
Anlagenband zur Kabinettsvorlage über die Politik der grenzüberschreitenden Zusammenarbeit des Landes Baden-Württemberg, -Entwicklung, Bilanz und Ausblick-, Stabsstelle für grenzüberschreitende Zusammenarbeit, Regierungspräsidium Freiburg, octobre 1999, p. 64. Présidént du gouvernement du Land Bade-Wurtemberg. Archives du département du Bas-Rhin (ADBR) 1378W7, note interne de la Région Alsace du 12.5.1985 sur le « Technologie Park d’Offenbourg ». Frei, Veronika, « 3. Oberrhein-Symposium, Universitäten und Region, Ein Tagungsbericht », Schriften der Regio 11, Basel, 1988, p. 22. Ibid.
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naires et des acteurs économiques au niveau des collectivités territoriales alsaciennes78. En juillet 1985, le Ministère de l’Intérieur du Bade-Wurtemberg s’adresse au président du Conseil régional d’Alsace, Marcel Rudloff79. La volonté de la Région Alsace de répondre positivement à la demande de Lothar Späth est surtout de nature politique. Marcel Rudloff est convaincu que le symposium est un moyen de s’affirmer comme leader régional en matière de coopération, face aux partenaires suisses et allemands. Les symposia font ainsi apparaître la Région Alsace « comme un partenaire de poids dans le développement de l’espace rhénan »80. Pour les partenaires suisses, comme pour les Allemands, le symposium sert des objectifs économiques. Il est un moyen de favoriser le développement économique des cantons de Bâle-Ville et Bâle-Campagne. Avec la poursuite de la construction européenne des années 80, se pose de plus en plus la question de l’avenir de Bâle. « Doit-elle rester derrière ses frontières et se concentrer sur le territoire suisse ou au contraire s’ouvrir et coopérer avec les pays voisins ? Quelles est ses possibilités sur le plan économique et géographique dans l’espace du Rhin supérieur et comment peut-elle en profiter ? »81. La création d’une coopération technologique et universitaire telle qu’elle est envisagée par le symposium pourrait, selon la Regio Basiliensis, apporter une réponse à ces interrogations : elle renforcerait l’existence d’une région économique transfrontalière en dépit de la frontière qui se creuse entre la CEE et la Confédération Helvétique82. Ainsi, les symposia transfrontaliers représentent l’occasion pour les responsables politiques de l’espace rhénan de réaliser leurs objectifs de politique économique régionale dans un cadre transfrontalier. Or, afin d’assurer la mise en œuvre de cette idée, ils sont obligés d’y associer les acteurs économiques du terrain. Le premier symposium, qui se tient à l’Université Albert-Ludwig de Freiburg, les 12 et 13 décembre 1985, rassemble en effet de nombreux acteurs de la vie politique, économique et universitaire d’Alsace, du pays de Bade et de la région de Bâle83. Après l’inauguration commune, par Marcel Rudloff et Lothar Späth, la tribune est laissée aux différents acteurs économiques qui s’accordent pour affirmer l’importance du domaine économique transfrontalier. André Klein, directeur du Comité d’actions économiques du Haut-Rhin (CAHR), insiste, par exemple, sur l’effort à porter sur la formation et la recherche en tant que composante de la coopération transfrontalière économique : « si, à l’heure actuelle, il existe plusieurs exemples de coopération économique et universitaire au-delà des frontières, chacun s’est accordé à reconnaître que ces collaborations sont insuffisantes »84. Les partenaires allemands du symposium sont d’accord sur ce point. A l’heure où l’expansion technologique place les PME devant de nouveaux obstacles, Martin Herzog, ministre de l’Economie du Bade-Wurtemberg, souligne que « le monde de la recherche doit se montrer offensif en direction des entreprises »85. Les débats portent donc sur l’engagement en faveur d’une meilleure coopération économique et les industriels, les chercheurs, les représentants des 78 79 80 81 82 83 84 85
Ibid. ADBR 1378W7, note du 12.5.1985, op. cit. Ibid. ADBR 1661W22, « 1er Symposium 1985 », Basler Nachrichten du 14.12.1985. Ibid. « Un nouveau souffle pour la recherche », DNA du 14.12.1985, cahier régional. ADBR 1661W22, discours d’André Klein. Ibid., discours de Martin Herzog.
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CCI et les élus présents « sont animés d’un réel enthousiasme et d’une énergie nouvelle » qui, ils l’espèrent, leur permettra de tirer le meilleur parti du « triangle d’or » européen que représentent les trois régions, selon l’expression de René Uhrich, secrétaire général de la CCI de Strasbourg86. Après le premier symposium « université et régions », la Région Alsace commence à comprendre l’intérêt à participer activement à ce type d’échange économique avec son voisin. Le symposium aide en effet à créer un climat de confiance entre les acteurs économiques de la région transfrontalière et à relativiser la peur alsacienne face au géant économique de l’autre côté de la frontière87. De plus, il apparaît comme un moyen d’insérer l’Alsace non seulement dans la coopération de l’espace du Rhin supérieur, mais également dans les réseaux qui se mettent en place entre les grandes régions de la CEE. Le partenaire puissant du BadeWurtemberg offre donc une possibilité à l’Alsace de s’affirmer comme une grande région européenne. Ainsi, la Région Alsace propose d’organiser un deuxième symposium transfrontalier à Strasbourg, les 20 et 21 novembre 1986. Cette-fois ci, la Région Alsace se fixe ses propres objectifs économiques, dont l’implantation d’entreprises nouvelles performantes dans des secteurs clés ou la mise sur pied d’une dynamique de transfert de technologie, qui pourrait se concrétiser dans le cadre de la politique des technopoles. Ces objectifs nécessitent la définition d’un certain nombre de projets économiques pour concrétiser la coopération avec les voisins88. Le deuxième symposium s’insère donc dans une logique de projets. De manière symbolique, en ouverture du colloque, les partenaires transfrontaliers signent les documents juridiques pour la mise en œuvre d’un des projets communs, la création de l’Institut franco-allemand pour les applications de la recherche89. Mais ce deuxième symposium est également un lieu de débat sur le potentiel du développement économique transfrontalier, ses obstacles et ses atouts. Marcel Rudloff souligne l’insuffisance de « l’interdépendance rhénane »90 dans le domaine économique. « Il est question de faire disparaître les frontières en 1992, alors que de nouvelles barrières s’élèvent tous les jours : les migrants frontaliers sont soumis à la limite de vingt kilomètres, les brevets et les normes freinent les échanges, les technologies nouvelles ne sont pas compatibles »91. De même, les universités rhénanes s’interrogent sur leur situation face aux enjeux de l’ouverture des frontières européennes. Elles commencent à mesurer leur dimension relative par rapport à leurs voisins immédiats et l’effort à fournir pour atteindre un niveau supérieur. Par contre, en même temps, le symposium permet aux industriels de connaître les moyens de modernisation et de prendre connaissance de certaines formes de coopération qui fonctionnent parfaitement à quelques dizaines de kilomètres de chez eux. L’échange transfrontalier du deuxième symposium est donc fructueux pour la coopération économique92. Pour clôturer le cycle des symposia, les partenaires suisses de la coopération et, notamment, la Regio Basiliensis, acceptent d’organiser un troisième sympo86 87 88 89 90 91 92
« Un nouveau souffle pour la recherche », DNA du 14.12.1985, cahier régional. Ibid. Ibid. ADBR 1661W22, compte-rendu du 2è symposium « université et régions ». Ibid. discours du président Marcel Rudloff en préface du livret deuxième symposium. Ibid. Ibid., clôture du 2è symposium.
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sium, à Bâle, les 10 et 11 décembre 1987. Ce dernier diffère considérablement des deux précédents, car il constitue surtout l'occasion de tirer un bilan des projets issus des symposia et d’envisager l’avenir pour ces rencontres transfrontalières entre le monde politique et les acteurs économiques93. Le bilan des projets de coopération économiques est globalement positif. Lors du troisième symposium il est constaté d’emblée que « les trois projets de transferts de technologie ont bien avancé »94. Il s’agit, premièrement, de la bourse de technologie du Rhin supérieur, qui doit servir à diffuser, de part et d’autre du Rhin, les offres et les demandes de technologie qui émanent des entreprises ou des centres de recherche. Un document expérimental couvrant les CCI « Mittlerer Oberrhein », « Südlicher Oberrhein »95, de Strasbourg, Colmar, Mulhouse et de Bâle, est présenté au symposium. Ensuite, pour renforcer la collaboration entre les régions en matière de recherche et de transfert de technologies, un répertoire bilingue, destiné aux PME est présentée au symposium. Enfin, les CCI du Rhin supérieur, qui encouragent les échanges de personnels entre les universités et le secteur économique pour supprimer la réserve manifestée par un grand nombre d’entreprises à l’égard des centres de recherche, présentent, lors du symposium de Bâle, les échanges d’expérience déjà effectués dans le domaine des techniques du laser, des nouveaux matériaux, de la micro-électronique et de la programmation assistée par ordinateurs96. L’idée de créer un institut international de management franco-germano-suisse, qui avait été introduite par le CAHR lors du premier symposium « université et régions » en 1985, fait également son chemin. André Klein annonce à Bâle que « l’institut international de management fonctionnera par-delà les frontières, à la fois en Alsace, dans le pays de Bade et dans la région de Bâle et que ses activités démarreront à Colmar, au cours du premier semestre 1988 »97. La structure préconisée est un institut de droit privé, conçu en collaboration avec les universités, les associations professionnelles, les chambres consulaires et l’ensemble des partenaires économiques, dont notamment les entreprises98. Mais à Bâle, les acteurs transfrontaliers soulignent également les difficultés et les obstacles de la coopération. En effet, depuis le premier symposium en 1985, les blocages à caractères administratif et matériel se font de plus en plus pesants, notamment dans la concrétisation des projets99. En termes économiques, ce sont surtout des problèmes d’ordre structurel qui subsistent en matière de coordination entre les programmes d’échanges et le transfert de matériel. Sur le plan européen, les grandes nations industrielles lancent individuellement des programmes de recherche-développement, qui les placent en situation de concurrence les unes par rapport aux autres. Cet essaimage des moyens financiers et le cloisonnement des marchés font que, dans l’espace du Rhin supérieur, les efforts en matière de recherche ne sont pas optimisés et qu’aucun des trois pays, après la 93 94 95 96 97 98 99
Frei, Veronika, op. cit., pp. 1-10. « Symposium université-régions, transferts de technologies, suivez le guide », Magazine Région Alsace, novembre 87. De la région au Sud et au Centre du Rhin supérieur. Ibid. « L’Institut de management : à Colmar début 88 », DNA du 8.12.1987, cahier régional. ADBR 1661W23, compte-rendu du 3è symposium, « Coopération transfrontalière dans les domaines de l’enseignement supérieur et de la recherche dans l’espace rhénan, Alsace, BadeWurtemberg, Rhénanie Palatinat, Bâle », décembre 87. Ibid., p. 26.
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phase de recherche-développement, ne possède la garantie de s’assurer le marché européen, condition pourtant vitale pour faire jouer les rendements d’échelle et donc fabriquer des produits compétitifs à l’échelle mondiale100. Pour encourager la coopération transfrontalière au moment où de nombreux projets de coopération technologique sont en cours et où les équipements des chercheurs sont amenés à transiter de part et d’autre du Rhin, il faudrait donc envisager de garantir la libre circulation du matériel destiné à la recherche en lui attribuant un label spécifique sans forcément attendre l’ouverture des frontières le 1er janvier 1993101. Les nombreux projets achevés ou en cours de réalisation montrent que les symposia donnent effectivement une impulsion à la coopération transfrontalière en matière d’économie. Ils prouvent que les acteurs économiques de la coopération réussissent à faire de la région rhénane un véritable pôle économique102. Dans ce cadre, le thème de l’université sert d’intermédiaire entre le domaine politique et économique transfrontalier. b) La transition vers les Congrès tripartites à partir de 1988 : en faveur d’une logique économique pour les projets transfrontaliers Lors du symposium de Bâle, le principe de réunir une plate-forme annuelle transfrontalière a été retenu par les exécutifs de la Région Alsace, du Land de Bade-Wurtemberg et des cantons de Bâle103. Mais Lothar Späth propose un nouveau mode de fonctionnement pour l’avenir : « je crois qu’il serait plus efficace de privilégier désormais des colloques spécialisés, centrés sur un thème précis»104. Cette proposition fait l’unanimité. Lothar Späth annonce alors la tenue d’un premier congrès transfrontalier à Kehl, en 1988, sur le thème des transports105. Marcel Rudloff, quant à lui, reprend l'idée des colloques thématiques pour annoncer l'intention de la Région Alsace d’organiser, en 1989, un forum consacré aux questions culturelles de la coopération transfrontalière106. L’éventualité d’un troisième congrès en Suisse, en 1990, sur thème de l’environnement est également évoquée107. La succession des congrès tripartites est donc déjà prévue à Bâle. La méthode des symposia est maintenue dans le sens, où il s’agit de rencontres transfrontalières rassemblant deux types d’acteurs régionaux : les responsables politiques et les acteurs économiques. De plus, les Congrès tripartites, comme les symposia, prévoient la réalisation de projets transfrontaliers pour concrétiser les rencontres. Or, l’approche thématique fait que le domaine économique, privilégié lors des symposia transfrontaliers, passe à l’arrière-plan des premiers congrès tripartites108. Il faudra attendre la clôture du troisième congrès sur l’environnement en 1991, pour que l’économie revienne au centre des préoccupations des responsables de la coopération transfrontalière : le Land de Bade-Wurtemberg prévoit
100 101 102 103 104 105 106 107 108
Ibid. Ibid., p. 77. Frei, Veronika, op. cit., p. 1. ADBR 1662W1, note interne de la Région Alsace, août 1989. Frei, Veronika, op. cit., discours de Lothar Späth, p. 15. Ibid. Ibid., introduction par Marcel Rudloff, p. 24. « Bâle ou l’anti-Copenhague », DNA du 11.12.1987, cahier régional. Cf. ARA WR35, rapports finaux des Congrès tripartite sur les transports en 1988, sur la culture en 1989, sur l’environnement en 1991.
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alors d’organiser le 4è congrès tripartite sur l’économie, les 3 et 4 décembre 1992, à Karlsruhe. L’idée des organisateurs de ce congrès sur l’économie est d’être « le point de départ d’un foisonnement d’initiatives propres de la part des entreprises et de tous les acteurs du développement du Rhin supérieur »109. En effet, ces initiatives propres sont une condition essentielle pour un développement économique de la région, mais elles sont impensables sans une implication forte des acteurs concernés. L’ambition des initiateurs du 4è congrès est donc de toucher, non seulement des acteurs qui ne sont pas encore impliqués dans la coopération transfrontalière, mais plus largement le secteur privé. Pour soutenir l’esprit d’entreprise dans l’espace rhénan, sans aboutir à des attitudes concurrentielles, le congrès a donc pour objectif de « contribuer au renforcement de l’idée régionale dans l’espace économique du Rhin supérieur »110. Ainsi, les partenaires suisses souhaitent surtout une orientation pragmatique, proche du terrain. A ce but, ils proposent que la déclaration finale comporte une liste de projets réalisables à court terme, des précisions sur les montants financiers et un calendrier prévisionnel111. En effet, une liste de 70 projets est annexée à la déclaration finale, dont la réalisation est suivie par les instances officielles de la coopération transfrontalière. Cette tendance va de pair avec le développement de l’initiative communautaire INTERREG dans l’espace rhénan, qui elle aussi est dirigée vers la réalisation de projets transfrontaliers, car elle permet un cofinancement européen à hauteur de 50% pour la réalisation de projets communs112. La montée en puissance des programmes INTERREG après 1991 facilite le montage de projets et leur financement et permet à un plus grand nombre d’acteurs économiques du Rhin supérieur de participer à cette transposition. En effet, un grand nombre de projets du 4è congrès tripartite peuvent être réalisés grâce au programme INTERREG. Conclusion Malgré les affirmations des théories d’intégration transfrontalière qui prônent le bénéfice économique de l’effet frontière, force est de constater que l’espace du Rhin supérieur est marqué, dans les années 60 à 90, par des conditions peu favorables au développement d’une économie transfrontalière. L’espace reste divisé par des frontières politiques et administratives qui résultent en des différences structurelles considérables. L’intégration transfrontalière, réalisée par des acteurs économiques régionaux, est-elle alors impossible ? Au contraire, au début des années 60, ce sont les acteurs politiques et économiques bâlois, qui construisent un réseau associatif de trois Regios à Bâle, Mulhouse et à Freiburg, permettant le développement d’activités économiques com109 110 111 112
Ibid., déclaration finale du 4è Congrès, p. 985, cf. ARA 1916WR3, « Région économique du Rhin supérieur – un modèle pour l’Europe », déclaration commune, document du Land BadeWurtemberg, décembre 1992. ARA 1916 WR1, « Wirtschaftliche Zukunft des Oberrheins », position élaborée par les Regierungspräsidien de Karlsruhe et de Freiburg pour le 4è Congrès du 30.4.1991, p. 3. ARA 1916 WR2, concept suisse pour le 4è Congrès tripartite du 24.9.1992. Communication C(90) 1562/3 aux Etats-membres fixant les orientations pour des programmes opérationnels que les Etats-membres sont invités à établir dans le cadre d’une initiative communautaire concernant les zones frontalières (INTERREG) JOCE n°C215/4 du 30.8.1990.
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munes. La structure souple des Regios et la présence des acteurs économiques privés assurent la réalisation de cette coopération dans une logique de rationalité économique. Ceci change à partir de 1975, avec la création de la Commission intergouvernementale franco-germano-suisse, lorsque les représentants des trois Etats essayent d’insérer la coopération économique dans un cadre institutionnel. Ces acteurs économiques institutionnels échouent dans leur tentative de contractualisation des relations économiques, notamment parce qu’ils ne disposent pas de compétences législatives pour établir un cadre juridique commun et parce qu’ils se trouvent trop loin du terrain pour initier eux-mêmes des projets économiques. Enfin, au milieu des années 80, ce sont les responsables politiques des exécutifs régionaux -Lothar Späth et Marcel Rudloff- qui réalisent que la coopération économique transfrontalière représente une chance pour réaliser leur politique économique régionale. Ils utilisent les symposia universitaires et ensuite les congrès tripartites pour créer une plate-forme de rencontre entre acteurs politiques et économiques dans l’objectif d’initier des coopérations économiques sectorielles et des projets communs. Au fur et à mesure, la palette des acteurs économiques transfrontaliers de l’espace rhénan s’est donc élargie : des acteurs privés et para-publics aux acteurs institutionnels et aux acteurs politiques. En même temps, les relations économiques évoluent d’un échange d’information et d’une coopération informelle vers une approche de politique économique et de projets communs. Cette logique de projets sera renforcée, dans les années 90, par le lancement de l’initiative communautaire INTERREG. Mais l’implication de la Commission européenne sur le terrain de la coopération transfrontalière annonce une nouvelle ère de relations économiques, dans laquelle les règles communautaires deviennent le mobile des projets communs et priment parfois sur la volonté commune de coopération ou même sur la logique rationnelle économique.
Summary Although many theoretical approaches to transborder cooperation stress the benefits of a progressive economic integration of border regions, in the beginning of the 60s, the conditions for economic actors in the Upper Rhine region were not quite optimal and rather contradictory: on the one hand, there was definitely a potential for economic development, but on the other hand, important structural disparities existed between the German, Swiss en French sub-regions. However, in 1963, it was due to the initiative of political and economic actors in Basel, that the Regio Basiliensis, a Swiss transborder association was created, the objective of which was mainly to allow for the economic expansion of the agglomeration Basel towards the German and French neighbours. During the 60s and 70s, the network of Regios that were founded around the area of Basel, in Feiburg and in Mulhouse proved very dynamic in initiating a considerable number of economic transborder projects. The prerequisite for their success was an active participation of economic actors coming from the private sector, who acted according to the principle of economic rationality. This changed in 1975 when the transborder cooperation of the Upper Rhine region was institutionalized and a Franco-German-Swiss intergovernmental
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Commission was created on the international level, which tried to insert economic cooperation into an institutional framework. However, these public actors did not succeed in regulating economic relations in the Upper Rhine region. On the one hand, they did not dispose of the legal means to introduce common regulations and on the other hand, the international level of cooperation was not close enough to the reality of transborder life in order to propose their own economic projects. It was only in the mid-80s that the executive leaders of the regional authorities and the German Länder managed to find a way to bring public and private economic actors to work together. Indeed, the Minister-president of the Land Baden-Württemberg, Lothar Späth, and the president of the Region Alsace, Marcel Rudloff, decided to introduce a series of symposia on the topic “universities and region”; and from 1988 onward, they organized the so-called trinational congresses in order to reunite political and economic actors to enable them to strengthen economic cooperation in specific sectors and to develop joint projects. In the space of time, the range of economic actors in the Upper Rhine region has thus been gradually enlarged from private firms and economic associations as to include public administration and political actors. At the same time, the economic relations have been deepened beginning with the exchange of information and consultative groups and then leading towards the (limited) coordination of economic policy and the realization of joint projects. However, when the European Community introduced the INTERREG- programme for transborder regions at the beginning of the 90s, a new framework for the realization of economic projects was created for public actors, which then emphasized European rules and regulations sometimes to the detriment of rational economic thinking or the common will of cooperation.
Zusammenfassung Obwohl viele Theoretiker der grenzüberschreitenden Zusammenarbeit den wirtschaftlichen Vorteil einer fortschreitenden Integration an Grenzregionen betonen, gab es am Anfang der 60ger Jahre am Oberrhein widersprüchliche Vorraussetzungen für wirtschaftliche Akteure der grenzüberschreitenden Zusammenarbeit: einerseits war ein wirtschaftliches Entwicklungspotential vorhanden, anderseits gab es große strukturelle Disparitäten zwischen den deutschen, schweizerischen und französischen Teilregionen. Dennoch waren es 1963 die politischen und wirtschaftlichen Akteure in Basel, die den Schritt zu einem grenzüberschreitenden Zusammenschluss in Form der Regio Basiliensis unternahmen, deren Aufgabe es vor allem war, die wirtschaftliche Entwicklung der Agglomeration Basel in Richtung Deutschland und Frankreich zu ermöglichen. Im Laufe der 60ger und 70ger Jahre entwickelte sich eine Eigendynamik der Regios, die um Basel herum im Raum Freiburg und Mulhouse gegründet wurden und die es ermöglichten, eine ganze Reihe von grenzüberschreitenden Wirtschaftprojekten in die Wege zu leiten. Vorraussetzung dafür war die aktive Teilnahme von Wirtschaftsakteuren aus dem privaten Sektor, die nach den Regeln der ökonomischen Rationalität handelten. Dies änderte sich 1975 mit der Institutionalisierung der grenzüberschreitenden Zusammenarbeit am Oberrhein durch die Gründung der deutschfranzösisch-schweizerischen Regierungskommission auf internationaler Ebene,
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die es sich zur Aufgabe machte, die Wirtschafskooperation in einen institutionellen Rahmen einzugliedern. Diesen öffentlichen Akteuren gelang es jedoch nicht, die wirtschaftlichen Beziehungen am Oberrhein zu reglementieren. Zum einen fehlten ihnen dafür die rechtlichen Mittel zur Einführung gemeinsamer Regelbedingungen, zum anderen agierte diese internationale Ebene der Zusammenarbeit von der Praxis zu weit entfernt, sodass sie keine eigenen wirtschaftlichen Projekte initiieren konnte. Erst Mitte der 80ger Jahre fanden die Verantwortlichen der Exekutive in den regionalen Gebietskörperschaften und deutschen Ländern einen Weg, öffentliche und private Wirtschaftakteure zum gemeinsamen Handeln zu bewegen. So gründeten der Ministerpräsident des Landes BadenWürttemberg, Lothar Späth, und der Präsident der Région Alsace, Marcel Rudloff zusammen eine Reihe von Symposien zum Thema Universität und Region und, ab 1988, die sogenannten Dreiländerkongresse, deren Ziel es war, politische und wirtschaftliche Akteure zusammenzubringen, um die Wirtschaftskooperation in speziellen Sektoren zu verstärken und gemeinsame Projekte zu entwickeln. Im Laufe der Zeit wurde somit die Palette der grenzüberschreitenden Wirtschaftsakteure am Oberrhein erweitert: von privaten Unternehmern und Wirtschaftsverbänden hin zu öffentlichen Verwaltungen und politischen Akteuren. Gleichzeitig wurden die wirtschaftlichen Beziehungen vom Informationsaustausch und informellen Gremien ausgehend immer weiter vertieft bis hin zur (bedingten) Koordinierung der Wirtschaftspolitik und zur Realisierung von gemeinsamen Projekten. Mit der Einführung des INTERREG- Förderprogramms der Europäischen Gemeinschaft Anfang der 90ger Jahre schuf dann jedoch die Europäische Kommission einen neuen Rahmen für grenzüberschreitende Wirtschaftsprojekte im öffentlichen Bereich, innerhalb dessen die europäischen Regelungen ausschlaggebend sind und daher rein rationale wirtschaftliche Überlegungen oder der gemeinsame Wille zur Verwirklichung von Projekten manchmal in den Hintergrund treten können
LA PLACE DE L’ACTEUR SYNDICAL DANS LE DIALOGUE SOCIAL EUROPEEN, DE LA CECA AUX ANNEES 1980 PIERRE TILLY Réduire l’espace social européen à la seule initiative politique et institutionnelle qu’elle émane de la Commission, du Parlement ou du Conseil serait une incontestable erreur. Comme le fait de considérer le moment Delors et Val Duchesse comme l’acte fondateur par excellence du dialogue social européen1. Jusqu’à ce jour, la construction hypothétique d’un système de relations industrielles européen et la dynamique du dialogue social européen et des acteurs ont retenu davantage l’attention des politologues, des sociologues et des spécialistes des relations industrielles que des historiens. Pour prendre l’ exemple de l’Allemagne, on recense, selon Thomas Fetzer, peu de recherches sur les syndicats allemands dans le contexte de la construction européenne. Il est vrai que le poids des systèmes nationaux de relations professionnelles qui se sont constitués à partir de la fin du 19ème siècle reste prédominant et fait de l’Europe un contexte un peu insaisissable en la matière. JT Dunlop est l’un des premiers théoriciens à aborder la construction européenne quant à ses effets éventuels sur les relations professionnelles. En 1958, c’est sous l’angle de l’ouverture des frontières aux espaces marchands qu’il l’envisage. Il formule l’hypothèse selon laquelle l’élargissement du champ d’application des systèmes de relations professionnelles (SRP) peut être attendu du développement du Marché commun européen, avec le changement de conditions de concurrence produit par la réduction, voire l’élimination des tarifs douaniers. Pour Dunlop, l’intégration économique risque d’engendrer un système de règles plus uniforme, mais contient aussi la possibilité (contradictoire) de division au sein des SRP existants, avec le développement de règles plus adaptées au niveau local. L’Europe comme l’Organisation Internationale du Travail (OIT) ne sont alors considérés que comme un cadre pour le développement de nouveaux SRP, et non comme un SRP en tant que tel. Il n’existe pas d’acteur syndical et patronal européen préalablement à la construction des institutions communautaires. Dans l’entre-deux-guerres, Emile Durkheim et Marcel Mauss, deux figures majeures de la sociologie de l’ère industrielle, se penchant sur le mouvement d’internationalisation propre à leur époque, soulignent la prépondérance de l’espace national. L’Europe apparaît à Durkheim comme étant une forme de société en voie de constitution. Elle en est alors, selon lui, à la découverte d’une forme de « solidarité négative » entre les sociétés qui se partagent le continent. Pour Durkheim comme pour Mauss, l’Europe n’apparaît que comme un contexte de second degré : elle représente le 1
Didry, C. et Mias, A., Le moment Delors. Les syndicats au cœur de l’Europe sociale, Bruxelles 2005. De même la Commission européenne a commémoré en 2005 les 20 ans du dialogue social, faisant commencer le dialogue bipartite à cette date. Voir le site web à l’adresse suivante : http://ec.europa.eu/employment_ social /social_dialogue/dates_fr.htm.
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milieu dans lequel évoluent les sociétés nationales, qui constituent elles-mêmes le milieu dans lequel se cristallisent les faits sociaux. Chaque période de l’histoire de la construction européenne repose sur une vision dominante quant aux thématiques qui doivent être traitées au niveau européen et sur la manière de les aborder. Toutefois, les logiques qui ont été au cœur des périodes précédentes ne disparaissent pas complètement et demeurent actives dans un nombre limité de secteurs des politiques sociales. Il y aurait donc un effet cumulatif. La genèse des années 50 Une première période, celle de la Communauté européenne du Charbon et de l’acier (CECA) où le social occupe une place incontestable, a déjà fait l’objet de nombreux travaux d’historiens2. Une période riche de promesses mais qui révèle d’emblée les limites de la constitution d’un syndicalisme européen face à des problématiques comme la sécurité et la santé au travail, mises en lumière par des événements comme la catastrophe de Marcinelle d’août 19563. A ce sujet, un constat très dur sur la création d’un syndicalisme international est posé par Jean Méric en 1954. Il correspond à une réalité palpable lors de la mise sur pied de la CECA. « En face des ententes internationales de producteurs, les organisations syndicales se présentent en ordre dispersé, un état de fait qui existe déjà à l'intérieur même des Etats membres. Ainsi, il n'existe pas d'accord pour mettre sur pied une organisation unique pour les six pays membres. La réalité, c'est une poussière de syndicats, divisés à la fois sur le plan national et sur le plan doctrinal »4. « On a dit que c’était un mythe » assène le syndicaliste belge André Renard, en juillet 54. « Eh bien, nous en ferons une réalité »5. Mais devant ses collègues, Renard est forcé de reconnaître la nécessité d’une impulsion externe qui contraindrait les organisations à s’unir sur un plan supranational. « Pour que nous puissions dépasser nos préoccupations nationales, il faudrait que nous soyons forcés de le faire dans certaines institutions. Je crois que spontanément nous n’irions pas au-delà : nous resterons toujours très accrochés aux avantages particuliers que nous trouvons dans nos pays et nous essaierons de les défendre contre le voisin »6. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Dès 1952, la centrale des métallurgiques belges, d’obédience socialiste, propose, sans résultat d’ailleurs, d’unir les efforts des métallurgistes des six pays en créant une fédération syndicale européenne du métal. Malgré cette prise de conscience très 2
3 4 5 6
Voir notamment Spierenburg, D. et Poidevin, R., Histoire de la Haute Autorité de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier. Une expérience supranationale, Bruxelles, Bruylant 1993 ; Mechi, L., « Una vocazione sociale ? Le azioni dell’Alta Autorita della Ceca a favore di lavoratori sotto le presidenze di Jean Monnet e di Rene Mayer », in Storia delle relazioni internazionali, n°2, 1994-1995, pp. 147-184 ; Bussière, E. et Dumoulin, M., Milieux économiques et intégration européenne en Europe occidentale au XXe siècle, Artois Presse Universitaire, Arras, 1998. Sur le rôle d’André Renard qui fut le premier syndicaliste à présider le comité consultatif de la CECA, voir Tilly, P., André Renard. Pour la révolution constructive (1911-1962), Le Cri, Bruxelles, 2005. Dumoulin, M., « Revisiter 1956 », in Rodomonti, I. et Tilly, P. (Textes rassemblés par), De Rome à Marcinelle. Santé- sécurité : hier, aujourd’hui et plus encore, demain !, Bruxelles, Le Cri, 2006, pp. 9-20. Meric, J., « Les aspects sociaux de la Communauté européenne du charbon et de l'acier », in Droit social, octobre 1954, p. 554. Syndicats, 10 juillet 1954, p. 1. Ibidem.
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nette au sommet de l’appareil syndical, le syndicalisme des patries a encore de beaux jours devant lui. L’hebdomadaire démocrate chrétien, La Relève, se risque à une tentative d’explication, le 20 mai 1959. « On serait facilement tenté d’accuser la bureaucratisation croissante de l’appareil syndical d’être à l’origine de cette sclérose. Et pourtant, nous devons rendre aux cadres syndicaux, aux services d’études des syndicats cet hommage qu’ils ont, mieux peut-être que les membres, conscience du péril qui guette le mouvement. Le réflexe national est au contraire beaucoup plus net, plus accusé dans la masse des travailleurs et parmi les militants de base. L’imagerie marxiste ne paraît pas avoir mordu la conscience ouvrière. L’attitude des travailleurs est logique. C’est en luttant au plan national qu’ils ont obtenu leurs principales conquêtes »7. Le problème des organisations syndicales, internationales par nature, c’est de n’être pas encore supranationales. Et qui plus est, elles ne partagent pas une même vision quant à ces nouveaux espaces d’action qui s’ouvrent8. Deux tendances se dégagent au sein du syndicalisme européen au début des années 50. D’une part, les tenants d’une configuration syndicale adaptée à un lieu de pouvoir économique, la Communauté ; les partisans d’une dépendance étroite de la nouvelle structure syndicale de l’organisation régionale européenne de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL), d’autre part. Cette seconde tendance va imposer ses vues. Sur un plan global, la déception syndicale est palpable quant aux avancées qui sont acquises en matière sociale. Dans une résolution du 5 novembre 1959 à Luxembourg, la CISL, examinant le fonctionnement des institutions européennes, aboutit aux conclusions suivantes. « La Commission use trop peu actuellement de son droit d’initiative et de proposition. Dès lors, elle ne présente que, rarement des propositions originales au Conseil de Ministres et elle s’engage par contre dans des prénégociations longues et laborieuses entre représentants des six administrations nationales. La vie de la Communauté se déroule principalement au niveau des fonctionnaires, sans contact suffisant avec les responsables politiques de la Communauté et avec les organisations économiques et sociales des Six »9. Sans s’arrêter au seul stade de la critique, la CISL propose des remèdes qui reviennent régulièrement par la suite. « Il faut instaurer l’élection au suffrage universel du Parlement européen ainsi que l’élargissement des pouvoirs exécutifs des trois communautés. Il faut un siège unique et une consultation plus directe avec les syndicats ». Grâce à la CECA, un style nouveau de participation et de relation entre les institutions et les partenaires sociaux est institué. Certains analystes de l’époque comme Ernst Haas considèrent, selon la logique fonctionnaliste, alors dominante, que les groupes d’intérêts comme les syndicats doivent être intégrés dans la nouvelle arène politique européenne10. Et de devenir ainsi, tout en modifiant au pas7 8
9 10
L’Europe ouvrière, in La Relève, 20 mai 1959, p. 1. Sur les syndicats et la construction européenne, voir notamment Maiello, S., Sindacati in Europa. Storie, modelli e culture a confronto, Soveria Mannelli, Rubbettino, 2002. Sur les divisions idéolgiques, voir Antonioli, M., Bergamaschi, M., Ciampani, A. et Romero, F. (a cura di), Le scissioni sindacali in Italia e in Europa, Pisa, Bsf, 1999 et plus particulièrement sur le dialogue social européen, Guasconi, M. E., “Paving the way for a European Social Dialogue”, in Journal of European Integration History,n°1, 2003, pp. 90-91. AMSAB Gand, Fonds ABVV-FGTB, Résolution de la CISL, 5 novembre 1959, reprise dans le p-v de la réunion du Bureau national de la FGTB du 12 novembre 1959. Haas, E. B., The uniting of Europe : political, social and economical forces 1950–1957, London, Stevens, 1958.
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sage leur approche nationale pour l’orienter résolument vers le niveau européen, les instruments d’une dynamique de « spill-over » qui aurait des effets en matière de législation notamment dans le champ de la politique sociale. Malgré certaines tentatives rapidement avortées, comme celle visant à réaliser une convention collective européenne sur la durée du travail, les stratégies restent essentiellement nationales. Les organisations syndicales demeurent centrées sur leur terrain traditionnel et agissent essentiellement en fonction de problèmes nationaux qui ont leur priorité. Une fois les positions prises et le terrain délimité, le plus difficile reste à venir avec l’action commune entreprise pour obtenir le maximum d’avantages pour les travailleurs. Economie et humanisme prend le cas de l’étude sur la durée du travail et les congés. « L’action syndicale européenne véritablement coordonnée à ce niveau a été, en ces cinq années, très réduite. La chose n’est pas simple car, dans plusieurs pays de la Communauté, le syndicalisme était, il y a peu de temps encore, organisé sur une base largement décentralisée, les unions départementales et locales ayant une grande autonomie dans l’action »11. Le clé est donc là, dans cette contradiction entre la conservation et l’amélioration des avantages immédiats conquis par des conventions et des réglementations nationales, impliquant donc le maximum d’autonomie de décision des centrales nationales et le transfert des pouvoirs de décision contractuels ou réglementaires à un niveau plus élevé, par exemple communautaire. La préhistoire du dialogue social paritaire Une deuxième période allant du Traité de Rome à la fin des années 60 se caractérise par ce que l’on pourrait appeler la « préhistoire » du dialogue social paritaire. Cette nouvelle étape est marquée par une faible activité législative communautaire en matière sociale, qui contraste avec le développement de la fonction consultative, le Comité économique et social étant régulièrement consulté sur les grandes questions européennes du moment. On n’est pas dans le cadre à proprement parler d’un véritable dialogue social européen débouchant sur des accords européens qui seraient transposés sur le plan national. Ceci étant, le premier comité sectoriel conjoint est établi en 1952 dans l’industrie des mines. Le dialogue social européen tire donc son origine de cette époque pionnière de la construction européenne. Des structures sont mises en place dès les premiers pas de la CECA. Et les voies de l’influence syndicale et patronale s’en trouvent élargies. Pour Jean Degimbe, ancien haut fonctionnaire européen, les milieux professionnels disposaient d’une réelle influence sur les décisions prises dans le cadre d’un dialogue permanent « On peut dire que de 1953 à 1967, il y a eu une consultation sinon une concertation permanente de la Haute Autorité de la CECA avec l’ensemble des responsables professionnels concernés des industries du charbon et de l’acier ».12 Les partenaires sociaux vont acquérir progressivement un droit de cité dans la Communauté. Mais pour exercer une influence réelle, une action de tous les jours auprès des services de la Commission se révèle tout aussi utile. Une note bien faite, une observation pertinente remise à un fonctionnaire, donnent souvent plus 11 12
« Les syndicats ouvriers à la recherche d’une stratégie européenne », in Economie et Humanisme, n°4, avril 1959, p. 38. Degimbe, J., La politique sociale européenne. Du traité de Rome au traité d’Amsterdam, European Trade Union Institute, Bruxelles 1999, p. 192.
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de résultats pratiques que des discours lors de séances officielles. En la matière, les organisations syndicales manquent cruellement de temps et d’un équipement sérieux au contraire de leur vis-à-vis patronal. Un rapport sur les contacts entre les directions générales de la Commission et les organisations syndicales datant de 1969 montrent le parcours qui reste à accomplir pour établir un véritable dialogue. Basé essentiellement sur un échange d’information, il existe avec certaines directions générales comme celle des Affaires sociales et celle de l’Agriculture par exemple et avec un bon degré de satisfaction. En revanche, il est réduit à sa plus simple expression avec d’autres directions générales comme celle de la Concurrence et la Recherche Générale et Technologie, ce qui implique une volonté politique non équivoque13. Il faut à la fois créer une tradition dans les secteurs où elle est absente et consacrer du personnel et des crédits à la formation des cadres syndicaux sur les problèmes européens de demain comme la technologie et la reconversion, par la recherche d’un langage commun. Le contenu du dialogue est tout aussi fondamental que la forme. A tout le moins, la Commission n’a guère de possibilité d’action directe en matière sociale, souligne le commissaire italien démocrate chrétien, Guiseppe Petrilli fin 1959, si l’on excepte des instruments comme le Fond social européen ou la Banque Européenne d’Investissement par exemple14. La Commission européenne se montre en outre d’une grande prudence et repousse comme la Haute Autorité l’avait fait quelques années plus tôt, l’idée de rapports directs et organiques avec les représentants des groupes d’intérêt, ce qui constituerait l’embryon d’un véritable dialogue social européen15. Ceci étant, en 1961, le nouveau commissaire européen italien aux affaires sociales, Lionello Levi Sandri, un social démocrate, organise un petit groupe paritaire central interprofessionnel. La mission de ce groupe est d’aider la Commission à promouvoir la collaboration entre les Etats membres pour le rapprochement des législations sociales (article 118). Ce même article prévoit la consultation ou l’audition des partenaires sociaux par la Commission sur des problèmes relevant de la collaboration entre Etats membres. La logique des discussions repose sur la finalité de l’harmonisation sociale. Mais la démarche présente de sérieuses limites dans la mesure où l’objectif reste celui de la coordination des revendications ou d’autres activités contractuelles encore fortement ancrées dans les espaces nationaux sans arriver à identifier une dimension spécifiquement européenne. Les Etats membres veulent à tout prix éviter des incidences sur le plan national au départ de problèmes délicats de caractère politique ou financier sur le plan interne fasse l’objet d’un examen par le truchement de la Communauté. La question de la pertinence du cadre européen est au cœur du débat et l’idée qui finit par émerger est de fixer les sujets et la procédure au cas par cas. D’autres groupes délibératifs voient le jour dans les années 60, la plupart du temps à l’initiative de la Commission sous la forme de comités interprofessionnels tripartites. Tout en produisant des avis sur la politique communautaire 13 14 15
Archives de l’ULB, Fonds Jean Rey, secrétariat général de la Commission européenne, 1969. Le rapport est signé B. Aubenas et daté du 11 juillet 1969. Archives de la Commission européenne, 209/1980, G. Petrilli, « La politique sociale-traits généraux et programme », 20.11.1959 ( COM (59)143). Archives de la Commission européenne, 1959, Pv 59, 1, XXI, 16-17, « Consultation d’experts et de représentants des diverses branches d’intérêt », note de G. Petrilli du 5 mai 1959 (COM (59) 50).
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menée dans les domaines sociaux, sur la base du Traité de Rome, ils constituent, à tout le moins, un point de contact entre les représentants des différentes organisations syndicales et patronales des Etats de la CEE. Le pragmatisme est d’ailleurs jugé par de nombreux acteurs dont les partenaires sociaux comme la seule méthode d’action praticable. Les balises d’un dialogue social sectoriel institutionnalisé sont lancées au point d’aboutir à la création de comités paritaires dans les secteurs où existent des politiques communautaires intégrées (charbon, acier dans le cadre de la CECA, agriculture en 1963, transport routier en 1965, navigation fluviale en 1967). En la matière, les organisations syndicales avouent, sans peine, avoir une guerre de retard par rapport aux structures patronales européennes bien mieux organisées au plan sectoriel. Ces comités vont envisager sans succès la négociation de conventions collectives sectorielles posant les premières bases d’une législation communautaire du travail. Jusqu’en 1967, le dialogue social communautaire prend principalement forme autour d’une consultation par la voie des comités consultatifs et des commissions conjointes. Les premiers sont de nature tripartite et réunissent les représentants des employeurs et des syndicats des six Etats membres ainsi que les représentants des administrations nationales de ces mêmes pays. Ces comités ont pour mission d’assister la Commission sur les questions relatives au marché du travail ou portant sur des politiques spécifiques. Pour la Commission, le but est avant tout de rester constamment informée pour faciliter une meilleure mise en œuvre de ses travaux, des priorités sociales affirmées au plan national tant par les gouvernements que par les partenaires sociaux. Cette information régulière sur l’évolution de la politique sociale dans les Etats membres est stimulée non seulement par des études des programmes gouvernementaux nationaux, par des budgets sociaux nationaux et des prises de position syndicales et patronales mais aussi par l’organisation de confrontations périodiques au niveau communautaire aussi bien avec les représentants des gouvernements qu’avec les représentants des organisations européennes d’employeurs et de travailleurs. Le choix de ces derniers ne va pas toujours sans mal comme dans la seconde partie des années 60 lorsqu’il est question d’une conférence unique intergouvernementale de caractère informel. Lors de la session du 5 juin 1967, les ministres Bosco (Italie) et Krier (Luxembourg) proposent au Conseil l’organisation d’une conférence à laquelle participeraient les Ministres du Travail, la Commission et les organisations des partenaires sociaux. Cette conférence unique qui aurait un caractère informel et ne saurait être institutionnalisée sous quelque forme que ce soit, ni organisée à intervalle fixe, serait consacrée à l’examen de la situation conjoncturelle et des problèmes de l’emploi dans la Communauté. Elle devrait donner lieu à une discussion générale sans aboutir à des conclusions formelles. Lors de l’examen de cette proposition au Coreper, cinq délégations ainsi que la Commission se prononcent en faveur de l’organisation de cette conférence. Seule la délégation française s’y oppose16. Elle exprime l’avis que le Traité de Rome ne prévoit ni une politique sociale commune, ni une politique commune de l’emploi. Dès lors, les gouvernements restent responsables de ces politiques dans leurs pays respectifs et les contacts avec les partenaires sociaux doivent se faire sur le plan national. 16
AGR, CEI, dossier 3109, compte-rendu succinct des travaux du conseil social du 29 juillet 1968, note de Van der Meulen à Harmel, 31 juillet 1968, p. 4.
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Un accord n’ayant pu être réalisé au Coreper, le Conseil est saisi du problème. Maurice Schumann, alors Ministre d’Etat chargé des Affaires sociales, défend une position radicale au nom de la France, à savoir qu’il appartient à chaque gouvernement de fournir la liste des organisations nationales de partenaires sociaux qui devraient être invitées à participer à la conférence17. A ses yeux, le droit du gouvernement français à inviter la CGT (tendance communiste) et la Confédération des cadres par exemple ne saurait être limité. Ce n’est pas l’avis du ministre belge Louis Major, un ancien syndicaliste pour qui il revient aux organisations syndicales de désigner elles-mêmes leurs représentants. Pour éviter toute contradiction, il faut suivre une procédure communautaire puisque s’il appartient au président du Conseil de convoquer la conférence, c’est au Conseil et non aux gouvernements qu’il revient de désigner les organisations qui doivent y participer. Finalement, la délégation française revient sur sa décision tout en maintenant certaines conditions dont une conférence intergouvernementale convoquée par le Président du Conseil et les gouvernements désigneraient eux-mêmes les organisations syndicales à inviter. Cette proposition française est loin de rencontrer l’adhésion des autres délégations car elle soulève un problème politique important, celui de la participation d’organisations communistes aux travaux de la Communauté. Les autres délégations maintiennent qu’il serait préférable de prévoir la participation des secrétariats syndicaux européens. Il faudra attendre 1970 pour qu’un compromis soit finalement trouvé. Ces confrontations entre les institutions européennes et les partenaires sociaux, partant de l’extension progressive et des transformations du droit social au cours des années dans chacun de six pays, doivent permettre de dégager les grandes tendances d’évolution à moyen terme. Mais comment fixer de véritables orientations pour la politique sociale européenne sans droit d’initiative pour les partenaires sociaux, voire une autonomie d’action, lesquels ne sont pas reconnus au CES, rôles que les contacts de la Commission avec les organisations des partenaires sociaux ne peuvent non plus jouer ? Un monde syndical divisé Une ligne de démarcation va souvent séparer les organisations syndicales suivant des traditions nationales différentes davantage sans doute qu’en vertu des diverses tendances et positions à caractère idéologique du Mouvement syndical, notamment la Confédération européenne des syndicats libres (C.E.S.L) et l’Organisation européenne de la Confédération mondiale du Travail (O.E/C.M.T)18. C’est du moins l’analyse du monde chrétien qui stigmatise la faiblesse relative de l’ensemble du mouvement au niveau européen face aux structures patronales considérées comme de plus en plus développées et efficaces19. 17 18 19
Archives du Conseil, dossier n°1291, (PV. CONS 21), pv de la séance du 22 janvier 1968, p. 114. La grande majorité des forces syndicales dans les six pays fondateurs de la CECA et de la CEE se rattachait à trois courants principaux : les syndicats libres, les syndicats communistes et les syndicats d’inspiration chrétienne. Confédération des syndicats chrétiens de Belgique, Perspectives d’unité syndicale européenne, Bruxelles, 1973, p. 11.
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Ceci a également une autre conséquence, celle de voir le mouvement syndical se présenter parfois en ordre dispersé dans ses contacts directs avec les Institutions européennes. Loin d’être un bloc compact, il ne constituerait donc pas une force cohérente, capable d’exercer une influence à tous les niveaux. Ceci étant, malgré les divergences passées ou encore en cours entre les organisations syndicales de tendances diverses tant au niveau européen que dans différents pays d’Europe, les impératifs de l’intégration européenne jouent un rôle de stimulant incontestable dans la coopération intersyndicale. Une conscience de plus en plus forte s’est forgée dans le camp syndical sur l’interdépendance de plus en plus poussée entre les pays d’Europe et sur un manque de maîtrise de l’évolution sociale qui se dessine alors au niveau européen, sous la poussée notamment des entreprises multinationales et du projet d’union économique et monétaire. Dans le cadre de la construction européenne, deux réalités se posent avec de plus en plus d’évidence aux syndicats, ce sont la Commission et l’entreprise multinationale. Les syndicats se montrent donc favorables, dès le début des années 60, à l’idée de reprendre en force les dossiers « droit des sociétés et création d’un marché des capitaux unique »20. Au cours de cette même période, le dialogue social repose essentiellement sur l’action des organisations nationales qui, en entretenant des relations avec leurs gouvernements, tentent d’influer directement sur les évolutions de la Communauté où l’on est davantage dans une logique de consultation formelle ou informelle. Certaines de ces structures informelles, sans lien institutionnel direct avec la Commission ou le Conseil et même les organisations sociales nationales comme le Comité d’action pour les Etats-Unis d’Europe de Jean Monnet, permettent aux dirigeants politiques et syndicaux de se retrouver pour parler de l’Europe21. Lors de leur troisième conférence européenne à Strasbourg du 15 au 17 avril 1964, les syndicats chrétiens demandent l’institution, au niveau européen, de commissions paritaires par branches d’industrie mais leur vœu n’est pas rencontré. En 1967, les syndicats demandent un renforcement du rôle de la Commission comme moteur de l’intégration dans le secteur social. Dans un mémorandum commun présenté à l’occasion du 10ème anniversaire de la signature des Traités de Rome, la CISC et la CISL avancent deux idées forces pour construire une véritable démocratie européenne : le renforcement des structures démocratiques et l’extension géographique de la Communauté. Et les syndicats peuvent compter sur certains alliés. Au sein du Conseil, l’Italie se montre particulièrement favorable à l’idée d’établir des contacts périodiques avec les organisations syndicales au niveau de la communauté. Pourquoi ne pas utiliser sur le plan communautaire la méthode de la consultation des partenaires sociaux qui est appliquée avec tant de succès à l’intérieur des Etats membres ?, s’interroge le Ministre du Travail démocrate chrétien, Giacinto Bosco, qui veut que les partenaires sociaux
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Archives de la Commission européenne, Fonds Emile Noël, n°1084, Conférence de Manfred Lahnstein, chef de cabinet adjoint du commissaire européen, Wilhelm Haferkamp, au Centre européen d’études et d’information, 14 novembre 1960. Winand, P., « 20 ans d’action du comité Jean Monnet (1955-1975) », in Problématiques européennes, n°8, mai 2001, pp. 1-121. Voir également Bossuat, G et Wilkens, A. (eds), Jean Monnet, l’Europe et les chemins de la paix, Actes du colloque de Paris, 29-31 mai 1997, Publications de la Sorbonne, Paris 1999.
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se voient reconnaître l’importance qu’ils jouent sur le plan national, au plan communautaire22. Les syndicats demandent également que le rôle et les attributions du Comité économique et social soient élargis pour doter celui-ci d’un droit d’initiative, de moyens de contrôle, de système de recours et de réclamations23. Le CES ne ménage ses efforts pour être reconnu comme organisme indépendant, capable d’influencer les décisions de la Commission et du Conseil. Ceci étant, il est le théâtre d’une certaine cacophonie dans le chef du groupe des travailleurs qui se signale tant par ses activités et fréquents appels en faveur d’une politique sociale européenne que par les divergences de conception qui règnent en son sein et « qui sont apparues face à des problèmes concrets qui opposaient, par exemple, les représentants syndicaux hollandais à leurs collègues allemands, ou les représentants syndicaux français à leurs collègues italiens »24. Des différences qui se marquent dans la façon de se comporter vis-à-vis de l’acteur patronal et des autorités publiques. L’alternative classique, mais très superficielle, contestation ou participation, est largement dépassée par des attitudes beaucoup plus nuancées et plus composées25. Ce manque de cohésion dans les prises de position syndicales dans l’action et les structures se manifeste tout autant dans des comités plus techniques, comme les comités consultatifs pour la libre circulation des travailleurs, celui du Fonds Social Européen, de la formation professionnelle et au sein du comité permanent pour l’emploi dans les années 70. L’une des difficultés majeures qui se pose consiste à favoriser une pénétration de la problématique européenne dans les réalités syndicales nationales. Le cas du syndicalisme allemand est particulièrement exemplatif à cet égard. En mai 1973, le DGB exprime sa position officielle face aux propositions de la Commission pour un programme d’action sociale. En matière de politique de l’emploi, le DGB critique la limitation de celle-ci aux seules questions de la mobilité à l’intérieur de la communauté en dépit du fait que les problèmes du marché du travail vont en s’accroissant dans certaines régions et secteurs. En matière de protection sociale et de conditions de travail, le syndicat allemand réitère ses anciennes demandes relatives à une égalisation au niveau des pays les plus avancés sans pour autant empêcher une harmonisation par le haut. Enfin, dans le cadre de la démocratie économique, le DGB insiste pour que la Commission développe un cadre légal pour la négociation collective européenne et pour l’extension des droits de cogestion pour les travailleurs dans les entreprises multinationales. En apparence, donc, un véritable plaidoyer en faveur d’une européisation. Mais au vu des documents et débats internes, l’image d’un DGB comme promoteur d’une politique sociale européenne est nettement plus floue26. Sur le politique régionale 22 23 24 25 26
Archives du Conseil, dossier 036/1967, doc 879 f/67 (MC/PV 16), projet de procès-verbal de la 220ème session du Conseil de la Communauté Economique Européenne, Bruxelles, 5 juin 1967, p. 45. Sur le CES, voir Varsori, A ( a cura di)., Il comitato economico e sociale nella costruzione european, Venezia, Marsilio, 2000. En particulier, l’article de M. E. Guasconi, « Il CES e le origini della politica sociale europea, 1959-1965 », pp. 155-167. Confédération des syndicats chrétiens de Belgique, Perspectives d’unité syndicale européenne, Bruxelles, 1973, p. 8. Kulakowski, J., « La place et le rôle des Syndicats au sein du Marché commun », in Reflet et perspectives, 1968, 7, 1-6, p. 267. Jean Kulakowski est alors secrétaire général de l’Organisation européenne de la confédération internationale des syndicats chrétiens (C.I.S.C) Fetzer, Th., « Trade Unions as Promoters of a European Social Citizenship ? The case of the German DGB”, in Lars Magnusson & Bo Strath (eds), A European Social Citizenship? Pre-
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notamment, le département économique du DGB ne cache pas ses réticences à l’égard d’ un développement européen des régions plus équilibré qui se ferait au détriment des régions les plus développées. Dans une lettre au Chancelier Brandt ,le 11 décembre 1973, le président du DGB Heinz Oskar Vetter indique que le DGB est favorable à l’établissement de fonds régionaux au niveau européen mais est en revanche opposé à des programmes de subsidiation « that could get out of hand and consequently diminish the financial scope to launch labour market programs in Germany ». Le DGB ne veut pas d’une agence européenne de l’emploi ou d’un comité permanent en charge des problèmes de l’emploi. Le syndicat allemand prêche pour le principe de subsidiarité dans le domaine de la politique économique et sociale. Ce qui, au demeurant, ne facilite pas la tâche visant à créer une unité de vue syndicale au niveau européen. La proposition de la FGTB d’octobre 1973 invitant à augmenter le budget de la politique sociale, notamment pour harmoniser les systèmes de sécurité sociale, n’est pas soutenue par le DGB. Ceci étant, ces divergences d’approche n’empêchent pas une initiative syndicale européenne. Elle est centrée sur le temps de travail et relevant d’une optique de coordination des activités représentatives pour promouvoir une harmonisation « quasi-spontanée » de la durée légale du travail dans les six pays de la Communauté, après une première tentative au milieu des années 50 dans le cadre de la CECA. A tout le moins, l’idée est solidement établie, depuis les années 60, selon laquelle la politique sociale de la CEE doit être basée sur l’ensemble du Traité de Rome et pas seulement sur quelques articles spécifiquement sociaux et qu’elle ne peut être envisagée isolément de la politique économique, notamment du programme de politique économique à moyen terme. Mais il n’y a pas de réelle discussion avec le patronat au niveau européen, si ce n’est sur le plus petit dénominateur commun. Et pourtant, le dialogue horizontal avec l’UNICE qui possède des structures à peu près équivalentes est moins difficile que sur le plan sectoriel. A l’analyse des faits, cela n’apparaît pas vraiment comme étant une préoccupation majeure de la plupart des organisations syndicales qui mettent davantage le doigt sur le nécessaire contrôle démocratique de la puissance industrielle dans l’espace communautaire. Le contexte ne se prête guère à un optimisme béat. L’absence de résultats tangibles et la crise de la chaise vide vont cantonner pour un moment la politique sociale dans le cadre des articles du Traité sur la libre circulation de la maind’œuvre (titre 3, chapitre1) avec notamment un accent placé sur la transférabilité des droits sociaux d’un pays membre à l’autre et sur le principe de l’égalité des rémunérations hommes/femmes (article 119). Conséquence quelque peu inattendue, l’affrontement diplomatique du milieu des années 1960 semble conduire les partenaires sociaux européens à investir davantage les structures consultatives établies au début de la décennie, selon Carlo Savoini, ancien directeur de la DG Emploi27. Une journée d’étude sur le droit et les pratiques des conventions collectives dans les pays de la Communauté est organisée à Milan, les 9, 10 et 11 décembre 1969, à l’initiative de la Commission. Un centaine de personnes désignées par les
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conditions for Future Policies from a Historical Perspective,Saltsa, P.I.E-Peter Lang, Work and Society n°47, Brussels, 2004, pp. 295-311. Savoini, C., Der soziale Dialog in der Gemeinschaft. Soziales Europa, 1984, p. 7.
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organisations d’employeurs et de travailleurs, les organisations de travailleurs non manuels, les milieux scientifiques, les gouvernements et les organes des Communautés Européennes. Il est notamment question de la convention collective européenne et de l’opportunité, les possibilités et les problèmes juridiques qu’elle pose. Dans son discours de clôture, le commissaire Levi Sandri insiste sur l’importance et la nécessité de la négociation collective au niveau européen et l’importance des conventions collectives pour le progrès, pour la paix sociale et pour le développement économique28. Cette vision optimiste n’est pas nécessairement partagée par les syndicats qui stigmatisent au contraire la politique de plusieurs gouvernements visant à écarter de plus en plus les partenaires sociaux du dialogue communautaire, en s’efforçant même d’empêcher la Commission de poursuivre ce dialogue. Le nœud du problème du pouvoir syndical au sein de la Communauté est beaucoup plus profond pour Jean Kulakowski qui l’analyse dans un contexte de frivolité politique à l’échelon européen : « une décision syndicale prise à Bruxelles ; dans le cadre des structures européennes, n’a de valeur que pour la Commission, ellemême dépourvue pratiquement de pouvoir de décision. Pour le Conseil, elle n’a de valeur que si elle est reprise et avalisée, dans les capitales nationales, par les centrales nationales et présentée à chaque gouvernement avec des arguments de type national, dans le cadre de relations établies, dans chaque pays, entre le gouvernement et les syndicats. Les arguments qui seront alors éventuellement opposés à la centrale nationale entreront souvent dans un marchandage de caractère national, l’obligeront à des choix souvent difficiles et favoriseront des ruptures de la solidarité réalisée au niveau européen »29. Le Parlement ne trouve pas davantage grâce à ses yeux : « Malheureusement, le « Parlement » est dépourvu de pouvoirs et le caractère très communautaire de ses prises de position impressionne fort peu le Conseil, surtout dans la mesure où il ne se retrouve guère, avec la même force, dans les débats des Parlements nationaux ». Ce même Parlement européen à qui il est reproché un manque de consultation auprès des organisations syndicales par l’intermédiaire de sa commission sociale. Et quand de telles consultations ont lieu, elles n’auraient pour but que d’obtenir la caution syndicale moyennant quelques formulations pour tel ou tel rapport de politique sociale. Sans compter que ces consultations sont jugées comme étant souvent sommaires, mal préparées, trop fragmentaires, ce qui réduit de facto leur influence réelle sur l’application des Traités. Le tournant de La Haye Vers la fin des années 60, on assiste à un tournant dans les ambitions affichées par l’Europe en matière sociale. Il faut y voir la conséquence d’événements comme le mouvement étudiant issu de mai 1968, le renouveau de l’action syndicale au niveau national comme international, la crise économique à partir de 1973 et l’élargissement de la CEE à de nouveaux membres, parmi lesquels la GrandeBretagne et l’Irlande, deux pays confrontés alors à de graves problèmes de sous28 29
Archives Générales du Royaume de Belgique(AGR), Fonds Comité économique Interministériel (CEI), dossier n°3841, Note d’information sur les travaux des groupes d’experts de la Commission des Communautés européennes, 5 février 1970, p. 1. Confidentiel. Kulakowski, J., op. cit., p. 270.
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développement économique et social régionaux30. Un tournant qui va prendre notamment la forme d’une renaissance de la concertation avec un dialogue plus engagé entre les partenaires sociaux et les institutions européennes. Dans les discours, tout le moins, le‘’social’’ n’est plus seulement considéré comme un simple résultat en aval de l’économique. L’approche des problèmes sociaux se modifie après les événements de mai 1968. L’expression de nouveaux besoins et l’exigence de nouveaux droits sous l’impulsion d’un nouvel eurosyndicalisme européen et de la gauche en Allemagne, par exemple, e font sentir. La relance de la construction européenne au Sommet de la Haye en 1969 s’accompagne d’un renouveau immédiat de la participation des représentants des organisations des travailleurs à la vie communautaire, avec en1970 l’organisation d’une conférence tripartite sur les problèmes de l’emploi présidée par le belge Louis Major, la création du comité permanent de l’emploi et depuis 1968-69, les rencontres organisées à Val Duchesse par le vice-président de la Commission, Raymond Barre31. Jean Degimbe évoque dans ses souvenirs les dîners de l’ancien commissaire français. La délégation allemande est traditionnellement favorable, comme celle du Luxembourg et des autres pays fondateurs d’ailleurs, à l’idée d’une conférence associant les partenaires sociaux, non pas comme experts au sens étroit du terme, mais en les associant à un échange d’idées politiques comme c’est le cas au plan national. Le comité permanent de l’emploi dont permettre en théorie aux organisations syndicales d’influencer le processus de décision en discutant directement avec les ministres du Travail. Ceci étant, le Conseil garde la main sur le développement éventuel d’une politique sociale et empêche de facto qu’elle puisse avoir un caractère contraignant pour les Etats membres. Bosco, alors Ministre italien du Travail et de la prévoyance sociale, ne cache pas sa satisfaction de voir une session du conseil, celle du 5 juin 1967, consacrée à l’examen des questions sociales, ce qui est rarement arrivé dans le passé32. Tant et si bien que les organisations syndicales se signaleront par l’absence de leurs leaders aux travaux de ce comité qui lui préférent les conférences tripartites abordant les problèmes d’un point de vue plus large. Le rapport Werner, du nom du premier Ministre du Luxembourg, souligne, le 8 octobre 1970, que l’union économique et monétaire suppose le concours des divers milieux économiques et sociaux avec une consultation préalable des partenaires sociaux il fait qu’à travers l’effort combiné des forces du marché et des politiques conçues et consciemment mises en œuvre par les autorités responsables soient atteints, à la fois, une croissance satisfaisante et un haut degré d’emploi et de stabilité. La Commission s’inscrit dans ce volontarisme nouveau en travaillant à un programme d’action sociale européen. Commentant le volet social de la déclaration finale de la conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement des 19 et 20 octobre 1972, le président en exercice du Conseil des Ministres des Affaires sociales et du Travail, le néerlandais Jan Boersma parle d’un moment 30 31 32
Varsori, A., « La formazione professionale e l’educazione nella costruzione europea e il Cedefop », in Antonio Varsori (a cura di), Sfide del Mercato e identita europea. Le politiche di educazione e formazione professionale nell’Europa comunitaria, p. 181. Guasconi, M. E., “Paving the way for a European Social Dialogue”, in Journal of European Integration History, n°1, 2003, pp. 87-110. Archives du Conseil, dossier 1291, Pv de la 220ème session du Conseil, pv, cons 20, 5 juin 1967, p. 12.
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historique. « le programme d’action que les Institutions sont invitées à arrêter avant le 1er janvier 1974, après consultation des partenaires sociaux (particularité qui mérite d’être soulignée), peut contribuer dans une mesure importante à désamorcer la critique qui a déjà été exprimée maintes fois et selon laquelle la C.E.E ne serait qu’une communauté d’intérêts »33. Et comme le souligne Edgard Faure, Ministre français du Travail, les thèmes sociaux sont justement les plus concrets, ceux qui parlent plus que toutes autres à l’esprit des gens. Les syndicats se montrent alors plus proactifs et organisés au niveau européen comme l’illustre la création de la CES en 1973 et ses 16 millions de membres34. Cette organisation devient l’interlocuteur unique de syndicats jusque là divisés face aux institutions européennes. Cela ne remet toutefois pas en cause deux méthodes d’influence utilisées par les groupements et organisations économiques et sociaux qui on fait leur preuve, à savoir le contact direct avec l’administration européenne et les moyens d’influence au niveau national. Ainsi, dans le cadre de l’application des clauses de sauvegarde (art 226), cette procédure a souvent joué. Durant la période de 1973 à 1981, on observe l’adoption de plusieurs directives européennes dans un contexte de crise économique et de mobilisation militante dans l’espace national et plus rarement européen. Pour en analyser la portée, il faut les inscrire dans le cadre d’une action plus globale. En 1974, le premier programme social européen est adopté, 15 ans après le Traité de Rome, sous la pression des mouvements sociaux et en vertu d’une impulsion politique. Pour Jean Degimbe, la politique sociale européenne a vraiment commencé en 1972. « Pour le sommet de Paris, il y a eu un communiqué qui était en partie écrit, je le sais, par Pompidou […], qui disait en substance que le social était aussi important que l'économique. Et c'est là que tout est parti. Alors là, en 1973, quand je suis arrivé avec M. Ortoli, là, on a tout de suite commencé dans le social. Et ça, c’est M. Pompidou qui l'a initié. Donc moi je suis convaincu, moi je connais très bien le directeur général du cabinet de Pompidou (…) et qui m'avait dit : « Là, il y a vraiment quelque chose d'important qui s’est passé. » À partir de Pompidou. Pompidou, a priori, n'est pas particulièrement social, vous connaissez sa carrière, jusqu'alors, il n'avait pas manifesté un amour délirant »35. Au cours de la seconde moitié des années 70, la focalisation des questions de politique sociale autour du temps de travail envisagé comme instrument de lutte contre le chômage traduit un retour des représentants syndicaux à une activité de pression sur les gouvernements nationaux. Le syndicalisme à l’échelon communautaire redevient un lieu de coordination des revendications conçues comme éléments de politiques menées à l’échelon national. Il se heurte au niveau des forums communautaires au rejet de toute revendication sur la réduction du temps de travail par une organisation patronale fortement influencée par le politique de l’offre mise en avant quelques années plus tard par la révolution thatchérienne.
33 34 35
Archives du Conseil, dossier 24950, Doc 2013 f/72 (PV/CONS 31, Extr. n°2 du projet de p-v de la 214ème session du Conseil tenue à Bruxelles, le 9 novembre 1972, p. 2. Voir à ce sujet, Gobin, C., L’Europe syndicale, Bruxelles, Labor, 1997. Interview de Jean Degimbe (réalisée par M. Dumoulin et Ghjiseppu Lavezzi). ConsHist.Com, Histoire interne de la Commission européenne 1958-1973, 15 décembre 2003.
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132 Une première sans lendemain
Des divergences profondes que la Commission essaie tant bien que mal de modérer continuent d’exister entre les partenaires sociaux quant à l’interprétation à donner sur l’évolution de la situation économique et sociale au sein de la Communauté. Dans les rangs syndicaux, on veut que les gouvernements reconnaissent la restauration du plein emploi et la stabilité des prix comme des axes prioritaires de leur action politique36. Du côté du patronat européen, le raisonnement est sensiblement différent avec, en tête de liste des préoccupations, la maîtrise des coûts salariaux et la limitation de l’intervention gouvernementale dans les affaires économiques37. La conférence européenne du 24 juin 1976 à Luxembourg convient d’objectifs quantifiés à atteindre en matière de croissance économique et de création d’emploi ainsi que de la nécessité d’obtenir une plus grande stabilité des prix dans la Communauté. Une déclaration commune stipule en ce sens que le taux d’inflation doit être progressivement réduit pour atteindre les 4 ou 5% en 1980 ; quant au plein emploi, il en faut en retrouver le chemin en atteignant des taux de croissance d’environ 5% sur la période s’étalant de 1976 à 1980. Cette déclaration constitue un moment au lieu de première dans l’histoire de la communauté. Pour la première fois, les organisations syndicales et celles des employeurs conviennent d’un programme économique commun avec la Commission, certes non contraignant mais d’un poids politique incontestable. Ceci étant, c’est un peu une première sans lendemain. Dès la fin de l’année 1976, il devient déjà évident que la situation économique à l’intérieur de la Communauté ne permettra pas d’atteindre les objectifs fixés, au grand désappointement des syndicats38. Les organisations syndicales ont également d’autres raisons d’être préoccupées, notamment par le développement des multinationales qui sont de plus en plus contestées ; celui-ci provoque un changement d’optique important dans l’action syndicale39. En 1970, la Commission élabore un mémorandum sur la politique industrielle qui définit entre autres objectifs l’établissement de structures industrielles européennes de grande échelle appelées à contribuer à la croissance économique et à renforcer la compétitivité de l’Europe sur le marché mondial40. Un pas important dans cette direction serait accompli par une adaptation du droit des sociétés, adaptation jugée vitale par la Commission en vue de permettre l’établissement d’entreprises européennes avec un statut largement indépendant de celui des législations nationales41. En parallèle avec des efforts déployés dans ce sens, la Commission avance, en novembre 1973, des propositions relatives aux 36 37 38 39 40 41
CES, Déclaration à la Conférence économique et sociale, Luxembourg, 24 juin 1976. Cité dans Barnouin, B., The European Labour Movement and European Integration, London 1985, p. 92. UNICE, Déclaration à la Conférence économique et sociale, Luxembourg, 21 juin 1976. Archives de la CES, IISH Amsterdam, Déclaration du comité exécutif de la CES sur la situation économique en cours, décembre 1976. Cité dans Barnouin, B., op. cit., p. 93. Bulletin des Communautés européennes, 15/73, novembre 1973. Pour une approche générale, voir Rehfeldt, U., « Les syndicats européens face a la transnationalisation des entreprises », in Le Mouvement social, n°. 162, jan.-mar. 1993, pp. 69-93. Dumoulin, M (sous la dir.), La Commission européenne (1958-1972). Histoire et mémoires d’une institution, Luxembourg, 2007, pp. 518 et svt. Voir à ce sujet la étude de Mertens de Wilmars, F., La société européenne : les raisons d’un blocage, in Marine Moguen-Toursel (ed), Stratégies d’entreprise et action publique dans l’Europe intégrée (1950-1980). Affrontement et apprentissage des acteurs, Euroclio, P.I.E Peter Lang, 2007, pp. 105-124.
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multinationales et à leur pouvoir jugé largement incontrôlé par les syndicats mais aussi par le grand public, en particulier comme consommateur, dans le processus d’intégration économique et social. Les droits des travailleurs dans les compagnies multinationales sont au cœur du débat. Pour les organisations syndicales, les multinationales, de par leur structure, sont largement capables d’éluder un contrôle démocratique et leur responsabilité sociale. Plus fondamentalement, c’est un changement majeur pour l’action syndicale. La négociation d’accords collectifs qui représente la base même de la participation des travailleurs et l’une des activités fondamentales de l’organisation syndicale est remise en cause par le déplacement des centres de décision en dehors du pays au sein duquel la négociation prend place. Et dans le même ordre d’idée, cet éloignement du centre de décision rend moins accessible et disponible le flux d’information à destination des travailleurs sur les données financières de l’entreprise et sur sa stratégie d’investissement. Un cadre de référence non contraignant est fixé en la matière par des organisations internationales. En 1974, une commission des entreprises multinationales est créée dans le cadre du Conseil économique et social des Nations Unies avec pour mission d’élaborer un code international de conduite. L’OCDE promeut de son côté, en 1976, des « Principes directeurs à l’intention des entreprises multinationales », ce qui constitue en la circonstance un code de conduite librement accepté, sans dispositions impératives. Un an plus tard, le BIT adopte une déclaration de principe tripartite relative aux entreprises multinationales et à la politique sociale. D’un point de vue plus général, le contexte est marqué par un renouvellement des conceptions communautaires face aux distorsions de concurrence sur le marché du travail issues de la diversité des législations nationales en matière de licenciement et qui pourraient influencer les décisions des entreprises nationales ou multinationales. Dans le camp syndical, la CES qui vient d’être portée sur les fonts baptismaux ne cache pas sa préoccupation devant les conséquences sociales des restructurations en cours. S’inscrivant dans la lignée des années 1950, la CES dénonce une politique de concentration des industries européennes qui réduit la libre concurrence à la portion congrue et qui comporte des conséquences négatives sur les droits des travailleurs. Rejoignant en partie les attentes syndicales, la Commission va proposer un triptyque sous la forme de trois directives lancées entre 1975 et 1979. La première concerne le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux licenciements collectifs42. Envisagée comme un cadre pour pousser les partenaires sociaux à la négociation, le dispositif apparaît novateur tant dans son énoncé que dans sa démarche, tout en débouchant sur nombre de difficultés quand il s’agira de le transposer dans certaines législations nationales43. La directive présente une double finalité, à la fois économique et sociale : assurer une protection comparable des travailleurs dans les différents Etats membres et rapprocher les charges qu’entraînent ces règles de protection pour les entreprises de la Communauté. Une directive de 1977 porte sur le maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d’entreprises, d’établissements ou de parties d’établissements44 La troisième, qui remonte à la fin des années 1970, aborde la protection des travailleurs en cas de faillite45. 42 43 44
Journal officiel des Communautés européennes, L48/29, 22 février 1975. Com 75/129. Didry, Cl et Mias, A., op. cit., p. 78. Journal officiel des Communautés européennes, L61/26,5 mars 1977. Elle sera revue en 1998 et consolidée dans la Directive 2001/123/CE. (COM 77/187).
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Ceci étant, si le Conseil de Ministres est saisi plusieurs fois du problème en cause, la proposition cadre proposée par la Commission en novembre 1973 sur les multinationales reste longtemps, sept ans plus exactement, dans les dossiers du Conseil avant d’être finalement retirée. Une nouvelle proposition de directive relative aux procédures d’information et de consultation des travailleurs d’entreprises aux structures complexes, en particulier transnationales, élaborée par le commissaire néerlandais, Henk Vredeling, est alors présentée en octobre 198046. Intégrant la logique des législations les plus avancées en la matière en République fédérale d’Allemagne, aux Pays-Bas et en Belgique, elle vise à établir une plus grande transparence dans les activités des entreprises multinationales, surtout lorsque les décisions peuvent avoir de graves implications pour les travailleurs qu’elles emploient. Dans un contexte marqué par quelques restructurations retentissantes comme le fermeture de l’usine Ford à Amsterdam, celle de l’usine British Leyland en Belgique ou encore de la filiale Talbot du groupe Peugeot au Royaume-Uni, cette « initiative Vredeling » fait l’objet d’un tir de barrage de l’UNICE comme de la Chambre de Commerce Internationale et de l’Organisation Internationale des Employeurs. Ainsi l’UNICE la considère comme une « imposition réglementaire d’un système rigide d’information et de consultation qui ne tient pas compte des développements historiques, économiques et sociaux dans les Etats membres et qui ignore des aspects importants des relations industrielles et de la gestion des entreprises47 ». Pour faire bref, les employeurs ne cachent pas que cette directive est « inacceptable (…), ni nécessaire, ni utile ». Parmi les arguments qu’ils avancent pour motiver leur refus figurent l’effet dissuasif sur les investissements qu’entraînerait cette mesure, les conflits inévitables avec les lois et règlements nationaux ou encore les atteintes portées au principe de la territorialité. Sur ce dernier point, un certain nombre d’entreprises multinationales américaines comme IBM, ITT et General Motors ne manquent pas protester énergiquement auprès des autorités européennes. La CES se montre, au contraire, plutôt favorable, comme l’indique la campagne européenne lancée en vue de l’adoption de la directive Vredeling. Ceci étant, la CES émet également quelques critiques. Elle demande notamment que les droits à l’information et à la consultation soient mentionnés plus explicitement et que les sanctions soient uniformisées et suffisamment fortes pour assurer le respect de la directive. Un « organe représentatif des intérêts de tous les travailleurs de la société –mère et de ses filiales dans les pays de la Communauté » devrait, à ses yeux, être instauré par les multinationales. L’UNICE refuse donc de négocier sur ce chapitre, ce qui conduit le dialogue entre les partenaires sociaux sur le sujet à une impasse totale tandis que la France et la Grande-Bretagne se montrent opposées à la proposition de la Commission, du moins sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing dans le cas français. Le travail des lobbies tourne à plein régime comme le souligne le Commissaire européen Richard, un ancien du parti travailliste, qui succède à Henk Vredeling : « The carpet to my door has been worn thin by the shoes of spokemen ; the multinational companies trooping in there one after another to make precisely the 45 46 47
Journal officiel des Communautés européennes, L295/36,20 octobre 1978 et L378/47 du 31 décembre 1982. Bulletin des Communautés européennes,Supplément 3/80. UNICE, Prise de position, le 19 février 1981, p. 1.
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same points, occasionally in precisely the same language, and indeed to obtain from me precisely the same response48. » Au bout du compte, le projet Vredeling n’aboutit pas et il faut attendre 1994 et la directive européenne sur les comités d’entreprises européens qui est adoptée, sous présidence allemande, le 22 septembre49. Le projet de société européenne en panne Le projet de statut de la Société Européenne est provisoirement enterré en 1982 lorsque la proposition de la Commission est suspendue au sein du Conseil du fait qu’un accord ne puisse être réalisé. Le statut basé sur l’article 1001 du Traité exige l’unanimité au sein du Conseil à cause des dispositions fiscales et des régimes de participation des travailleurs. Les discussions sont relancées à la fin des années 80 par la Commission et son vice-président, Martin Bangeman, avec une proposition de nouveau statut qui remplace la proposition modifiée de la Commission présentée au Conseil le 13 mai 1975 et qui est donc de ce fait retirée50. Ce statut de la Société Européenne est alors présenté comme un élément essentiel de l’achèvement du marché intérieur dans les délais prévus dans l’article 8A de l’Acte unique. La volonté est donc de le rendre applicable à partir du 1er janvier 1992. Si le système allemand est présenté encore comme le modèle de référence, ce projet ne comporte plus une forme de participation des travailleurs au conseil de surveillance, laquelle est jugée inacceptable par l’Unice et les industriels, formule que la Commission considère toujours alors comme la forme la plus achevée et la plus ambitieuse de participation. Pour l’UNICE, il ne peut être question d’harmonisation des législations nationales. Plusieurs délégations au sein de l’UNICE provenant d’Etats membres qui n’ont pas de régime obligatoire de participation des travailleurs sont en faveur du renvoi au régime du pays d’établissement. Plus fondamentalement, le patronat européen met résolument la compétitivité des entreprises en tête de l’agenda dans un contexte qui s’est de plus en plus internationalisé. « Il n’est pas opportun de ranimer le projet d’un Statut de la Société Européenne que si la situation a changé par rapport à 1982 et s’il y a de bonnes chances que le Conseil adopte un statut de la Société Européenne susceptible d’améliorer la compétitivité des entreprises qui optent pour ce statut51. » Dans les rangs du patronat européen, on n’est pas convaincu que ce statut est indispensable à l’achèvement du marché intérieur. Les restructurations d’entreprises peuvent, en principe, également être réalisées par l’utilisation des législations nationales. A propos de celles-ci, la Commission reste sur ses positions. Elle refuse la solution consistant à limiter le statut de la Société européenne 48 49
50 51
Parlement européen, Débats de 1982, 3ème session, Rapport des auditions des 13-17 septembre 1982, n°1-288/64. Cité in Barnouin, B., op. cit., p. 117. JO, L 254, 30 septembre 1994, pp. 64-72. Directive 94/45/CE du 22 septembre 1994 concernant l’institution d’un comité d’entreprise européen ou d’une procédure dans les entreprises de dimension communautaire et les groupes d’entreprises de dimension communautaire en vue d’informer et de consulter les travailleurs. ACUE, Lettre de Martin Bangeman à Roland Dumas, président du Conseil, 25 août 1989 (extrait). UNICE, Statut de la Société européenne. Mémorandum du 15 juillet 1988 de la Commission européenne, prise de position, 7 novembre 1988, p. 1.
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aux dispositions du droit des sociétés, au sens étroit du terme (law of incorporation) et à renvoyer au régime du pays d’établissement pour ce qui est de la participation des travailleurs. En fait, des divergences existent également à l’UNICE sur le sujet. Du fait de l’existence de délégations provenant d’Etats membres qui possèdent des législations de participation, on n’exclue donc pas l’approche proposée par la Commission tout en considérant les options proposées par la Commission comme étant incomplètes. On rappelle par ailleurs que certaines restructurations seraient plus facilement réalisées si la 10ème Directive concernant les fusions transfrontalières était adoptée malgré les craintes exprimées par certains gouvernements. Ils craignent que ces fusions ne soient utilisées afin que des sociétés soumises à la participation des travailleurs au plan national n’éludent ce régime. La démocratisation des institutions européennes Dans le courant des années 80, les organisations syndicales insistent à plusieurs reprises sur la nécessité de développer des politiques européennes communes et de renforcer les pouvoirs des institutions européennes face aux gouvernements nationaux. La démocratisation des institutions européennes devient pour nombre d’acteurs syndicaux la voie à suivre pour favoriser la participation du mouvement des travailleurs au processus de décision européen et pour renforcer le contenu social des politiques communautaires52. Comme le souligne Corinne Gobin, « la CES, qui a son origine s’inscrivait plutôt dans une dynamique de lutte « pour une société politique » développant des éléments d’autonomie de dépassement du capitalisme, s’oriente depuis 1989, et la chute des régimes communistes autoritaires des pays d’Europe orientale, vers une conception de société « économique » dont les normes de base restent celles du capitalisme »53. C’est incontestablement une nouvelle étape de la construction européenne qui s’ouvre pour les syndicats avec le grand marché. « C’est parce que la CES avait pu prendre la mesure de l’écart grandissant entre ses positions et celles des gouvernements qui peu à peu se convertissaient au néo-libéralisme, que désespérée, elle vit l’accession de la France sous gouvernement socialiste à la présidence du Conseil au premier semestre de 1984 comme une issue de secours. Pierre Bérégovoy lui permit de se réinsérer dans des rencontres tripartites qu’il organisa, mettant ainsi fin à un isolement peu fructueux », analyse encore Corinne Gobin. Cette étape nouvelle s’ouvre pour les syndicats grâce à une modification institutionnelle rendue nécessaire par l’objectif du marché unique. « En 1986, pour faciliter l’adoption des directives établissant le Grand Marché, l’Acte unique europé52
53
Rapport sur les Institutions européennes, présenté par le Comité des trois au Conseil européen d’octobre 1979.Le rapport de ce « comité des sages » composé de Barend Biesheuvel, Edmund Dell et Robert Marjolin sera l’occasion pour la CES d’insister sur cet objectif de démocratisation. Communication présentée au colloque international Cent ans après la “Charte d'Amiens” : la notion d'indépendance syndicale face à la transformation des pouvoirs organisé par le Curapp en collaboration avec l'UMR Triangle et l'Institut de Sociologie de l'ULB les 11, 12 et 13 octobre 2006 à Amiens. Texte provisoire ( en cours de publication). Pour une analyse détaillée de la question de l’eurosyndicalisme, voir sa thèse de doctorat. Consultation et concertation sociales à l'échelle de la Communauté économique européenne. Étude des positions et stratégies de la Confédération européenne des syndicats (1958-1991), Bruxelles, ULB, (1996), 1027 p.
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en instaure le vote à la majorité qualifiée pour certains sujets, y compris dans le domaine social », raconte Jean Lapeyre, secrétaire général adjoint de la CES de 1991 à 200354. Jusqu’alors, il fallait l’unanimité des États pour adopter une directive . Dès lors, les organisations patronales « ne peuvent plus se cacher dans les jupes de Thatcher », poursuit Jean Lapeyre qui estime que la Commission se sert alors de cette épée de Damoclès pour inciter les organisations patronales à négocier. A tout le moins, la période est marquée par un changement d’approche fondamental pour la CES qui se résout à une politique de modération salariale dans l’espoir d’un retour de la croissance. Au même moment, elle se mobilise, à la fin des années 1980, pour obtenir un socle législatif dans le domaine social55. Sur le plan du dialogue social, il s’est vite avéré que les objectifs initiaux visés par les comités paritaires – à savoir contribuer à l’édification d’un système européen de relations professionnelles et favoriser les négociations collectives – sont par trop ambitieux et que les conditions ne sont pas encore réunies pour l’émergence d’une politique contractuelle au niveau communautaire. C’est dans ce contexte qu’est (ré) apparue une forme de dialogue social plus pragmatique et plus souple, et aussi plus « informel ». Avec l’appui de la Commission, des groupes de travail informels (GTI) dans un certain nombre de secteurs se mettent en place comme dans l’horeca (hôtels, restaurants, catering) en 1983, le commerce en 1985, les assurances en 1987 et les banques en 1990. Ces comités ont pour objectif de créer des liens de compréhension réciproque et de confiance entre les acteurs sociaux. Tout comme pour l’UNICE à cette époque, les représentants des employeurs sectoriels ne sont guère enclins à vouloir dépasser ce stade de dialogue. C’est alors qu’intervient une relance du dialogue social européen en 1985 sous la présidence de Jacques Delors à la Commission européenne. Le but est d’établir un dialogue bipartite entre les deux partenaires industriels européens, en particulier au niveau interprofessionnel, avec la Commission qui joue le rôle de médiateur. Le rôle de la Commission est à tout le moins central durant cette période puisque c’est par son biais que se développe le dialogue social et ce, jusqu’en 1993. Elle préside les réunions et élabore des projets d’avis communs discutés par les partenaires sociaux. L’Acte unique fournit une base légale a ce dialogue au travers de l’article 118b. Au départ, le dialogue de Val Duchesse, comme on l’a appelé, ne devait pas déboucher sur des accords contraignants mais simplement sur des prises de position communes. Les années 90 marqueront une véritable évolution en la matière avec le Traité de Maastricht. Le développement d’un espace de discussions autonomes, à partir de 1993 avec l’adoption du Traité de Maastricht, constituera une grande nouveauté marquée par le lancement des premières négociations aboutissant à des conventions collectives européennes étendues erga omnes par une directive. Dans l’intervalle, la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux est adoptée au Conseil européen de Strasbourg, en décembre 1989, par onze États 54
55
Citation extraite du site de la Confédération française du travail (CFDT). Consulter la page suivante http://www.cfdt.fr/actualite/international/dossier/europe/50_ans_traite_Rome/article_03. htm Programme social européen. Réalisation de l’espace social européen dans le Marché intérieur, adopté par le Comité exécutif de la CES lors de la réunion des 11-12 février 1988. Cité dans Gobin, C., Communication au colloque d’Amiens, op. cit.
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sur douze. Le Royaume-Uni, seul pays réfractaire, ne la signera qu’en 1998, après l’élection de Tony Blair. La charte ne constitue dans un premier temps qu’un corpus d’obligations morales. Divisée en douze rubriques, elle couvre l’ensemble de la politique sociale, de la libre circulation des travailleurs à la protection des personnes âgées ou handicapées en passant par la liberté d’association et l’information des travailleurs. Conclusion Les contours et la qualité du dialogue social interprofessionnel européen se sont dessinés au travers de l’histoire de la construction européenne à partir d’une série de facteurs56. On soulignera entre autres le contexte politique général, la volonté des acteurs, la stratégie des partenaires sociaux, leurs voies d’influence et leur poids politique auprès des Institutions. Le cheminement fut, à tout le moins, relativement lent en comparaison à d’autres dynamiques et fut marqué par des avancées comme par des reculs. Au niveau du contexte politique, le Marché commun a permis de développer la liberté de circulation des travailleurs et de leurs familles, dont les règles ont été fixées avant 1971, de créer le Fonds social européen, qui avait à l’origine pour vocation de soutenir la reconversion des travailleurs dans les secteurs qui sont affectés par la suppression des barrières douanières, et de fixer des règles en matière d’égalité de rémunération entre hommes et femmes. Le premier « élargissement » important de la CEE – au Royaume-Uni, au Danemark et à l’Irlande – a entraîné un nouvel approfondissement de cette « dimension sociale ». En 1972, à la réunion de La Haye, les chefs d’État ou de gouvernement ont souligné qu’une « action vigoureuse dans le domaine social revêt pour eux la même importance que la réalisation de l’union économique et monétaire ». Les années 70 ont ainsi permis de renforcer la dimension sociale dans deux grands domaines : l’égalité entre hommes et femmes, les relations du travail (droits des travailleurs en cas de transferts d’entreprise, garantie de salaire en cas d’insolvabilité, licenciements collectifs,…). Le marché unique a été une étape décisive pour l’Europe sociale : pour la première fois, le Traité a comporté une base juridique « sociale », qui concernait la sécurité et la santé au travail ; l’Europe a développé une politique ambitieuse de cohésion économique et sociale afin de favoriser le développement des régions les moins avancées et de soutenir l’investissement dans le « capital humain » ; les droits fondamentaux ont été promus, afin d’offrir un cadre lisible aux acteurs économiques en matière sociale et d’assurer la légitimité de l’Europe aux yeux des citoyens. Le dialogue social européen a été reconnu par l’accord sur la politique sociale conclu en 1992 et l’Union a défini les modalités d’une participation des salariés à la vie de leur entreprise. Le Traité d’Amsterdam a permis d’engager une coordination des politiques de l’emploi, qui relèvent de la compétence nationale, et de développer un cadre législatif permettant de faire reculer toutes les formes de discrimination. 56
Degryse, Ch., « Historical and institutional background to the cross-industry social dialogue », in Anne Dufresne, Christophe Degryse and Philippe Pochet (eds), The European Sectoral Social Dialogue. Actors, Developments and Challenges, P.I.E, Work & Society, n°55, Bruxelles, Wien, 2006, p. 45.
LA PLACE DE L’ACTEUR SYNDICAL DANS LE DIALOGUE
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Quant à la méthode, l’Europe communautaire n’étant pas, à proprement parler, un espace de confrontation sociale, le dialogue social européen imite les procédés en usage à la Commission : primat donné à la méthode, suivant une logique d’accession procédurale à la décision. Enfin, l’analyse historique du rôle et de la stratégie développées par les partenaires sociaux font apparaître des visions diamétralement opposées. Les employeurs, représentés par l’UNICE, ont tendance à considérer dans leur grande majorité, avec des nuances selon les pays, le dialogue social simplement comme un moyen stratégique d’éviter l’imposition de dispositifs législatifs aux employeurs. Les syndicats ont développés une approche sensiblement différente misant au contraire, non sans réticence, sur l’abandon de souveraineté nationale que cela impliquait et sur la construction d’un système flexible de négociation collective au niveau européen susceptible de réguler les aspects tant sociaux mais aussi plus globaux de la construction européenne. Ils sont revendiqué non seulement une politique sociale européenne mais aussi une Europe intégrant la dimension sociale dans l’ensemble de ses politiques.
Zusammenfassung In diesem Artikel werden die Konturen des europäischen sozialen Dialogs durch die Geschichte der europäischen Integration an Hand einer Vielzahl von Faktoren analysiert: der allgemeine politische Kontext, die Strategie der Sozialpartner sowie deren politische Einflussmöglichkeiten und ihr politisches Gewicht angesichts der verschiedenen Institutionen. Die Entwicklung war im Vergleich zu anderen Ebenen eher langwierig, z.B. war der Dialog mit der Zivilgesellschaft in den letzten Jahren von Fortschritten wie Rückschlägen gekennzeichnet. In der Tat lassen in den historischen Analysen der von den Sozialpartnern entwickelten Strategien diametrale und unterschiedliche Visionen erkennen. Die Mehrheit der Arbeitgeber, die durch die UNICE vertreten werden, neigt dazu, den Sozialdialog nur als strategisches Mittel zu betrachten um zwingende gesetzliche Maßnahmen zu vermeiden. Ihrerseits sind die Gewerkschaften anders vorgegangen, indem sie dem resultierenden Verzicht auf die Staatshoheit – zwar widerwillig – zugestimmt haben. Sie haben den Aufbau eines flexiblen Tarifverhandlungssystems auf europäischer Ebene gefordert und zudem für sich beansprucht, dass Europa die soziale Dimension in alle politische Bereiche integriert.
Summary This article provide on overview of European cross-industry social dialogue. For nearly fifty years since the signature of the Treaty of Rome, social partners have been involved, to varying degrees, in the process of European integration . The specific relationships between trade unions and employers on one side, and between each EU-level organisation and its national members on the other, make it particularly delicate to find common ground for social dialogue. If institutionally, there is space for larger scope for action, in practice the issues that can be put on the agenda are very limited, not because of formal restrictions, except on the
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question of wages that remains a matter of national competency, but because of the game itself. The development of European institutions and rules, in connection with the increased diversity and complexity of European industrial relations, raises issues on the articulations between the European and the national levels. In order to reduce the complexity and also to better understand the European-level processes as such, one needs more systematic data on the relationships between European and national structures. One dimension of this issue concerns the relationships between the national members of European trade unions and employers’ associations and the European developments, viewed from a ‘bottom-up’ perspective. What is the degree of awareness amongst national players of the European social dialogue, what is their degree of interest in European affairs, what are their positions and strategies on these subjects, what resources do they have or not have for European issues, what are their relationships with the European social partners?
THE SOCIAL SECURITY COST IN THE EUROPEAN INTEGRATION ANDREA M. LOCATELLI 1. An outlook about actions for welfare-work by the ECSC The European Coal and Steel Community is an example of integration path of national markets into a weaving factory, through the cut of duties and the abolition of national assistance. The integration of output systems in the ECSC, with its process of competition and resettlement, takes on organisational changes with a horizontal and vertical mobility among firms and workers, too. The path of integration is detrimental to the weakest companies and, in some events, the management has to reduce the workfare. The new European institution was going to add its social operations to the corporations welfare system and this cosharing way would have to determine a harmonization course about social providence and vocational training in the Communitarian countries. In the ECSC, the involvement of trade unions to define the rules of the new institution and, then, the propositions of some national delegations prompt to foresee a spread of rules to improve workers’ conditions. The improvement of workfare and European financial resources for innovation technology pushes a communitarian action for social security: the ECSC supports plans of investment by loans to firms and, at the same time, warrants credit lines to the companies. This complex mechanism portrays the European social cost, before of the ECSC and then at the start of EEC. The ECSC founding Treaty (art.3) established the enlargement of social protection and the improvement of economic conditions of workers and this was connected to the economic protection of firms’ resettlement (for the next five years)1. This goal had to be gained with a particular “resettlement fund” and the High Authority could give helps to the firms by these resources for the mobility of work factor. Specifically, the High Authority could sustain 50% of the cost for unemployment insurance or provide finance to vocational training schemes. Moreover, in the article 56 of the Treaty, the range of social insurance tasks was enlarged with subsidies to unemployment by the technological innovation patterns and for the crisis of steel and coal market. Several scholars noticed that
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R. Poidevin, D. Spierenburg, Histoire de la Haute Autorité de la CECA, Bruxelles 1993; E.Vogel-Polsky, Clés institutionnelles et juridiques pour une politique sociale européenne, in AA.VV., Le contrat social en Europe. De Jean Jacques Rousseau à la dimension sociale de Maastricht, Louvain-la-Neuve, 1997, pp. 35-45. In respect the Italy’s partecipation to european market, see: A.Cova, L’integrazione europea (1947-1957). Le vie all’unificazione del mercato e i piani economici, in Id., Economia, lavoro e istituzioni nell’Italia del Novecento, Vita e Pensiero, Milano 2002, pp. 579-602; P.Tedeschi, Aux origines de l’intégration européenne. Les Afl Falck, les industriels italiens de l’acier et la création de la CECA, in Réseaux économiques et construction européenne, M.Dumoulin ed., Pie-Peter Lang, Bruxelles 2004,pp.208-214.
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115.000 workers benefited of European social subsidies since 1953 to 1960 and in the middle of the sixties the share was of 500.000 workers2. Besides the important activities for work and welfare, the social policy of the European Coal and Steel Community regarded vocational training with financial grants to firms. The vocational training was considered an asset to manage the job market (about the relationship between supply and demand of work), and for the improvement of social conditions of workers. At the same time, training was considered the best solution to modernize the equipment of plants and to increase the productivity of work3. Therefore, the different plans for worker-houses were the social action with the best performance and with a real and substantial part in the improvement of worker conditions. This feature of the ECSC welfare was established through an extensive interpretation of the Treaty-art.3. 4 The recent historiography points out that all these initiatives represent an example of enlargement of the “social rights” in the Western European countries, but at the same time, it’s a powerful tool to manage market labour in a perspective of free market and economic growth. The economic history outlook permits to analyse whether the investment for social security gets some features of an active workfare and, in particular: a) In this stage of European setting up the growth of GNP was considered an efficient control element of wage and employment dynamics. b) This model of welfare action begins and develops within a relationship between regional and supranational perspective, where national bu reaucracy plays a role of chooser as administrator. c) The social action of the ECSC follows an economic pattern of comparative advantages for a good allocation of workfare. d) The labour market of the ECSC has the dimension of plan among econo mic operators with the help of advisory institutions. In this context, the inspection of financial expenditure proposes to discuss the effectiviness of ECSC “workfare” linked with the evolution of labour market and the social security national system and especially the opposition between the observance of the principle of competition and the decrease of the market troubles (unemployment, no vocational training and low worker position).
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J. Gillingham, Coal, steel, and the rebirth of Europe, 1945-1955, Cambridge 1991; L. Mechi, La costruzione dei diritti sociali nell’Europa a sei (1950-1972), in “Memoria e ricerca”, 14(2003), pp.71-76. P. Mioche, Les cinquante années de l’Europe du charbon et de l’acier (1952-2002), Bruxelles, Communautés européennes, 2004, pp. 79-83; L. Mechi, Una vocazione sociale? L’azione dell’Alta Autorità della CECA a favore dei lavoratori sotto le presidenze di Jean Monnet e di René Mayer, in “Storia delle relazioni internazionali”, 10-11, 2, 1994/1995, pp. 147-153; Sécurité sociale: rapports entre la Haute autorité de la CECA et le Comité consultatif: questions de la Haute Autorité de la CECA posées au Comité consultatif concernant certains aspects de la politique sociale: définitions, domaines, financement et prestations de la sécurité sociale, 1954, in Archives Historiques des Communautés Européennes (AHCE), BAC 1/1970 856. AHCE, ECSC, 4th General report of the High Authority on the Activities of the Community (1955-1956), pp. 238-239; L.Mechi, L’action de la Haute Autorité de la CECA dans la construction de maison ouvrières, in “Journal of European Integration History », 2000(6), 1, pp. 63-85.
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2. The fund for “shake out” The High Authority and the Council of Ministers defined a system of financing for these social operations, after a complex process that essentially set against two patterns: benefits and special term credits. The High Authority could attribute the amount of free grants for welfare work to the item of working expenditures. Furthermore, it allocated financial resources to firms for reorganization plans, involving job insurance schemes and by agreements with national banks as guarantee for long-term loans to firms; and opening line-credits to firms with resources withdrawn from loans charged directly by the ECSC5. At least, Communitarian institution could offer loans with cheap a interest rate (4-5%). For example, during 1956, the national bank credit to companies were 43,8 millions $ unit of account (uc) and the amount of ECSC credits for resettlement was 136, 9 m. uc, whose 13,5% was attributed to housing workers. The “working expenditures” and so the ECSC plans for job – mobility was financed by taxation. The High Authority charged duties on the value of output, with a rate fixed in agreement with the Council of Ministers. Between 1953-57, the yield (in the first five years the average rate of taxation was 0,9%) was 173 m. uc, whose 47,2% given by German companies. The total expenditure was equivalent to 37,3 m. uc, whose 6,8% was assigned to the “resettlement fund”. The final balance (the difference between total revenues and working expenditures) was assigned for 74% to a trust fund and for 14% to the free grant aids destined to unemployment insurance and training schemes. The “direct” share of welfare expenditures was small in the General Budget, while the ECSC preferred the indirect way: European Community included redevelopment expenditures in “trust funds” and opening credits. Only in the middle of the Sixties, ECSC drew from a “special reserve” for welfare actions and, from 1957 to 1965, the High Authority saved directly sums for “resettlement plans” with the final destination on irrevocable credits. In the budget of 1957, the amount of resettlement credit granted by ECSC was equivalent to 10,5 m. uc, but the actual expense was of 2,4 m. uc. In the 1958, the High Authority allocated financial resources for resettlement plans equivalent to 14,2 m. $ uc, while the actual expense was of 5,36. The reason of this circumstance was that companies postponed their requests for repayment and generally sent them later to the High Authority of when it accounted the assignments. But, above all, amount of insurance expenditures was lower than expectations of insurance problems: the coal and steel market absorbed quickly unemployed, almost till 1967-8.
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AHCE, ECSC, 1st General report of the High Authority on the Activities of the Community (1952-1953), pp. 101-105; AHCE, ECSC, 3th General report of the High Authority on the Activities of the Community (1955-1956), pp. 155-165; Sécurité sociale: échanges de points de vue entre le Conseil et la Haute Autorité de la CECA concernant l’harmonisation des régimes de sécurité sociale, 1955, in AHCE, BAC 1/1970 872. AHCE, ECSC, 6th General report of the High Authority on the Activities of the Community (1958-1959), pp. 175-178; Consultation du Comité consultative de la CECA par la Haute Autorité de la CECA: politique sociale de la HA de la CECA, formation professionnelle, rémunérations, sécurité sociale, sécurité du travail emploi, progrès techniques, conditions de travail, in AHCE, CEAB 2 885.
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3. At the beginning of the Sixties: a new path to finance resettlement plans At the beginning of the Sixties the foreseen shut down of some coal factories in the Borinage and in the Centre (Belgium) was the event that leaded to a new path to finance resettlement plans. According to a statement of the Council of Ministers and with a positive judgement of the Advisory Committee, the High Authority tried to affirm a new definition of welfare policy connected with the plans of reorganization in the 8° General Report. The Coal and Steel Community had to draw resettlement plans for regional area affected by structural crisis7. In these years, a question of supra-output required a change in companies’ business plans and especially entrepreneurs and managers had to innovate with the aims of increasing quality output, cutting down the costs and searching a specialization. The resettlement plans for coal system were necessary but, at the same time, the survival of iron and steel industry with important effect on labour market required a new and elaborate solution. Moreover, the beginning of the European Economic Community, and the perspective of the entry of England, suggested a relationship with the ECSC and, above all, a new path for financial operations8. This evolution in the market and in the integration process pointed out a change for financial system of the ECSC welfare schemes, too. So a new class of loans for resettlement plan, involving welfare actions, was added to the traditional resources for job mobility and economic condition of workers. In the budget 1961-62, the financial item for resettlement plans was of 800.000 $ uc, in front of a whole “working expensive” of 9,6 m. $ uc, while 43,8 m. went to resettlement plans and 21 to research and development expenses. Since 1952, by a new computation, free grant aids for the resettlement arrived to the amount of 55,6 m. $ uc, and the ECSC payments were of 27,8 m.$ uc. Three countries gained the biggest share in the distribution of “credits”: Germany and Belgium with a share of 34%, while Italy had a share of 21%. Since 1952, Belgium was the first country for actual assignments with 11,1 m.$ uc and then Italy with 8,7. Again actual expenditures were less than the foreseen obligations: the good economic trend offered a fast absorption of workers from other industrial sectors9. During the following years new technologies supported the demand of vocational training (mechanic-electrician, white collar), while the coal miner employment was resolutely decreasing. The High Authority decided to define a plan of financial subsidies to open schools in collaboration with the British Iron and Steel Foundation, after long talks with the industrial associations and trade unions. After these operations, the idea of a new period in the ECSC social policy became clear in the European institutions and in economic and social forces, too10. On this perspective, the powers of the High Authority and the instruments established in the 1957 agreement about the coordination of national industrial policy were not enough. Instead, the Coal and Steel Community had to get «plans» with 7 8 9 10
AHCE, ECSC, 8th General report of the High Authority on the Activities of the Community (1960-1961), pp. 221-223. AHCE, ECSC, 10th General report of the High Authority on the Activities of the Community (1962-1963), pp. 235-238; D.P. Stirk, The origins and development of the European community, Leicester London 1992. AHCE, ECSC, Commission des affaires sociales 1953-1961 (CEAB 1131). AHCE, ECSC, 9th General report of the High Authority on the Activities of the Community (1961-1962).
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a relationship among the three Communities and with the sharing of national governments. At this stage of domestic economic development and of the ECSC welfare, the resettlement fund and free grants had a relationship with the internal welfare systems. The European funds had an “integrative function” and, in some events, a substitutive identity for national systems: as, for example, about the actions for vocational training or housing workers. Welfare policy of the ECSC added or substituted national welfare, which were very different among them. Job insurance for iron - workers (illness, old age, accident), in the countries of French language, was based on repayment of accident, while the rule of free assistance was in Germany and the Netherlands. Italy had a co-sharing pattern with a complex connection between public financing and private insurance in charge of employers. During the Sixties, in all countries of the ECSC, the workfare system was ever more financed by public spending and also by contribution of employer with a high cut for voluntary worker one. In front of this pattern, the process of financing for the ECSC welfare projects showed essentially two models11. The High Authority spent communitarian resources for vocational training, while the same institution made up for the lack of industries about insurance and welfare worker by a double ways: own resources and withdrawal from capital market. The Coal and Steel institution replaced private action according a principle of subsidiarity. Since 1960 to 1965, the High Authority welfare grants amounted to 17 m. $ uc whose 81% for coal workers, 12% for miners and 7% for steel. Since 1960, the number of resettlement actions grew with a one-year rate of 7% for the payments. The beneficiary countries were Germany with a share of 57% and then France whose share was increasing with a yearly rate of 3%. Belgium and Italy had a share of 9% and 4%. Between 1960-’65, an auditing of the General Budget underlines a good performance to collect financial resources for “resettlement items”: the High Authority leaded financial flows with an efficient pattern and, in the same time, the share of actual free grant aids was lower than foreseen one12 but, above all, the redemption of loan has an high rate. Moreover, the High Authority started to finance welfare programmes (unemployment insurance and vocational training) after inquiries of social and economic conditions of territory in partnership with local institutions and this one with a link to ECC policies. For example, the Department of social security arranged “regional development reports” in order to finance reorganization plan in Italy: Brescia and Udine in the northern of Italy and Piombino (Tuscany) and also at Terni (Umbria). In the same time, the ECSC signed a general agreement with Italian and Dutch governments and not more only with the single companies13. This 11
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Étude sur la physionomie de la sécurité sociale dans les Etats membres de la CEE à l’ouverture du Marché commun: financement de la sécurité sociale, 1960 in AHCE, BAC 1/1962 68; Conférence sur la sécurité sociale, Bruxelles 10-15 décembre 1962, in AHCE, BAC 3/1965 99.
A save allocated to trust fund. Germany and Belgium had the greater share of miners whilst France and, overall, Italy had the greatest share regarding of steel sector. 1960-1966, credit for worker: coal miners, 81.000- 18,4 m $ uc. (50% for German companies); iron miners: 12.000 – 3,5 m. (Germany and France); steel workers: 10.159 – 4,3 m. (50% for Italian industries). 1957-1966: resettlement credit was of 662 m.
Évolution de la sécurité sociale en Italie dans l’industrie sidérurgique, l’industrie charbonnière et les mines de fer, 1967, in AHCE, BAC 10/1969 38.
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protocol included a financial co-sharing for unemployment insurance, work education system and job mobility benefits. The agreement foresaw an unemployment insurance scheme for 15 months and the benefit was connected with wage level. Besides, there was a benefit for training and one for re-employment with lower wage. Finally, a benefit for the removal from the old workplace with the worker family was foreseen14. Since 1965, the share of resettlement credits grew with a average rate of 3%. The evolution of capital market made more expensive opening loans by ECSC with a cut of financial facilities for industries. The High Authority solved this problem with an enlargement of the conditions for the applications for credits. On September 1965, the Council of Ministers enacted a new instruction about resettlement credits: the ECSC took part in company business plan with payments till a share of 30%; the time required for amortization of loans was of 10-13 years; the ECSC fixed an interest rate of 4,5% for the first five years and then of 6,5%. In this circumstance, Germany answered a periodical auditing about amortization plan and obtained a higher strictness in the selection process, too. In the Council of Ministers, Italian and French deputations applied an interest rate noticeably lower than banks rate. In return German deputation obtained a greater rigidity in the criteria of the choice plan and also the increase of disposable credit assets (up till 44 million $ uc by 1966). Moreover, the High Authority established that European community has to prefer projects of job replacement in other coal and steel firms or in factories with a big use of metallurgy manufactured products15. Since 1954 to 1965, the share of workers involved in the “resettlement measures” was of 56% in Germany, 23% in Belgium, 11% in France and 10% in Italy. The total size of “helped workers” was 188.000 of which 825 belonged to coal mine sector and 135 to steel sector. Germany and Belgium had the greatest share of miners while France, and especially Italy, had the biggest share for steel sector16. Since 1960 to 1966, the processes of resettlement of coal miners involved nearly 81.000 units and financial flows for assurance was of 18,4 millions $ uc, of which 50% was appointed to German factories. About iron miners the figures were almost of 12.000 workers and the financial aid of the Community was nearly of 3,5 millions $ uc, appointed essentially to German factories (1223), and French ones (1358) and line credits for Italian firms were the rest. During the first years of Sixties the free grants and unemployment allowances in the steel sector
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AHCE, ECSC, 12th General report of the High Authority on the Activities of the Community (1964-1965); AHCE, CEAB, Rapport d’activité de la Haute Autorité de la CECA: projet de rapport concernant les activités de la Division des problèmes du travail. On request of Germany was established an amount for credit till to 44 m. $ uc, and Belgium answered and obtained that 60% of reorganization credits was allocated for the replacement of workers in iron and coal industries. See: AHCE, ECSC, 15th General report of the High Authority on the Activities of the Community (1966-1967), pp. 178-183; Sécurité sociale: régimes complémentaires de sécurité sociale dans les industries de la CECA: mise à jour de l’étude de 1958, in AHCE, BAC 1/1970 875. Since 1954 to 1965, ECSC gave money for “resettlment plans” in the italian steel sector for a global sum of 7,3 million $ uc and italian workers with unemployment and training subsidies were equal to 13.000 of which 70% belonged to the state owned corporations. Consult: Les régimes complémentaires de sécurité sociale dans les Etats membres de la CEE: études et rapports, in AHCE, BAC 6/1977 634.
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involved 10.000 workers with a financial cost of 4,3 million $ uc, of which the half was for Italian state owned firms as ILVA and ITALSIDER. In the last years of Sixties, the ECSC credit line for reconversion plans increased with a rate of 10-15% for year. The half of workers was occupied in German firms and almost the 75% were unemployed coal miners. The relevant growth in payments and also the evolution in the distribution among countries and jobs showed the structural change in the coal and steel system, above all in the coal industries17. The allocation of financial subsidies and credits for reorganization in the different areas shows as a German worker gained an aid per capita less than a French or Italian one, though the level of aid in the budget was connected with the industrial output, while grants were linked to labour cost. This pattern was determined at least by three elements: the adoption of special agreements; the rule of appropriation of fund connected with the labour cost; the structural decrease of German coal industry. 4. At the end of Sixties: reforming the principles of welfare benefits At the end of Sixties, the delay of revision of ECSC-Treaty got on uncertain political situation but, above all, the High Authority had to analyse and modify the principles of welfare action and the share of budget especially regarding of free grant, too. In fact, coal and mine plants faced on a long-term depression but also steel industries confronted in a stage of slowness by the effects of innovation technology and by abroad competition18. Especially old factories didn’t shut so fast to compensate the enlargement of output capacity with a lack of balance between supply and demand19. In the Advisory Committee and in High Authority, some members (Italy and Belgium) affirmed that means of Paris Treaty was inadequate for an effective social actions. The evolution of communitarian welfare policy underlined that principle of “limited tasks” - with the object of integration or adjustment regard of the “failures” of industrial system - wasn’t more able to solve quickly the new problems, which resulted long-term ones. In other words the firm’s action for welfare, eventually integrated by ECSC aid, was less appreciated than the ECC model of fund with structural tasks. The ECSC welfare action must be replaced with a change from a “guarantee-identity” for financial market to an “active action” focus on vocational training. On this way, yet in the 1966 an experimental agreement was signed with Luxembourg: the greater share of financial resources had to allocate for vocational training to get a cut in long term unemployment (the market needed of skilled workers) and not only for insurance schemes or for enlargement of social conditions of workers. Another important item of expenditure had to be health and safety system. An increase of operations occurred in the last stage of self-governing working of ECSC welfare policy in front of ECC. The greater share of aid, taken from the “trust fund” related with credits and loans, regarded of coal miners in Germany, 17 18 19
Since 1960-1970, loans for new businesses: 17 m. $ uc, resettlement credits: 103 m.; ECSC revenues: 10 m. The average rate of growth of credit was 30%. Distribution for countries: growth of Italian share. D. Urwin, The community of Europe: a history of European integration since 1945, LondonNew York, 1995. P. Mioche, Les cinquante années …, cit., pp. 38-45.
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Belgium and also German and French steel workers. Every action was inserted in a agreement with national governments and had a regional outlook. In this last stage, Italian industries were less involved and so for internal bureaucracy problems. The free grant aid and credit for Italy regarded essentially state-owned steel industries. 5. Work harmonization and European Social Fund Some scholars find a link between welfare work system of the ECSC and the first stage of European Social Fund20. The European Social Fund had a mission to improve employment opportunities for workers and to contribute to their standard living.21 Fund is concerned with measures to assist training for employment such as resettlement provisions. It was noticed that the purpose of a closer union must be served by the ESF promoting employment opportunities, but it wasn’t clear, regard to the identity of integration, if was to be a tool or a goal. The member states continued to use their ends and the new European institution didn’t succeed in effective training schemes such as a coherent policy of economic management. At the beginning, EEC, and especially the “Spaak report”, didn’t pay attention to identify a system of work and welfare policies. There was only the statement for the harmonization of work conditions connected with the liberalization of trade. The idea was that governments should try to achieve progressive harmonisation in equal pay, hours of work and lenght of paid holidays. The private system and the national institutions would bring into harmony European work conditions adopting an economic outlook of full employment and increase of productivity (the active promotion of well-being). A vital consequence of the common market would be economic change: the changes of the skills and the geographical location of the labour force were seen as a necessary ingredient of the total project, where protection of workers was through a new job. European institutions will have to correct the market shortages in continuity with ECSC policy22. Important aspects are found in relation to the “connection of troubles”, such as the financing of social security systems and in relation to the “reapprochment of legislation”, such as that concerning hours and conditions of work. The experience of the ECSC regarded of a policy for the compensation of unemployment, while the first steps of ECC concerned a complex protection for the industrial development. The assistance for the economic growth should be carried by two agencies: the European Investment Bank (financial assistance to reconversion of countries and regions) and the European Social Fund with an identity connected to the creation of a more effective labour force. Spaak’s report was clear: the function of the Fund hadn’t to supplement state schemes of unemployment benefit. 20 21
22
Brine J., The European social fund and the EU: flexibility, growth, stability, Sheffield 2002. Art.3, Treaty of Rome, 1957; AHCE, CEE, Communauté Européenne de l’énergie Atomique, Exposé de M.Petrilli, commissaire Européen sur certains problèmes concernant le Fonds Social Européen lors de la huitième session du Comité Economique et Social (28-30 octobre 1959). M. Dumoulin, Les travaux du Comité Spaak (juillet 1955-avril 1956), in E.Serra (a cura di), Il Rilancio dell’Europa e i Trattati di Roma. Atti del Convegno di Roma 25-28 marzo 1987, Milano 1989.
THE SOCIAL SECURITY COST IN THE EUROPEAN INTEGRATION
149
All state members have their social security services while the position of European Community is rather different from national ones. The EC should have to work through national services and these organizations were outside its control and moreover it couldn’t establish actively its supremacy. The new point was that the Commission in accordance with the Council of Ministers had to accomplish a complex system of welfare to make employment an essential and active element of economic development of Community. On this level, EEC set up the Social Fund with two purposes: the financial support to the resettlement plans and a policy for unemployment insurance and training23. The ESF had to give money for training plans and in regional areas and for “weak” workers: long-term unemployed, female workers, disabled. Every plan was approved and managed by national powers and also connected with industrial development schemes24. The Council of Ministers decided general aims of education policy while a relationship between the Commission and national governments arranged the financial administration one and so national bureaucracy had a big power till 1971 (and also for the resources flows). It may be noted that art,128 of the Treaty asked the Council of Ministers to establish common principles of vocational training policy: aid from the Fund was associated with the evolution of the labour market. By Deborah Collins it’s significant that very little development has occurred as a result of this direction when considering the experience of the Fund as a tool of community integration. An examination of legislative documents and also of the rules shows how deeply the Community had to become involved in the practical aspects of re-employment issues in order to determine eligibility for grant-aid and for example: the minum age was fixed at sixteen; the self-employed had to be looking for work under contract25. National and then regional powers managed every plan with a driver function and the ESF had only a financial task: the allocation of payments after plan implementation. The ESF was essentially an administrative means to repay national institutions26.
23 24 25 26
D. Collins, The operation of the ESF, London-Canberra, 1983, pp. 1-12. Regole di funzionamento del FSE, in AHCE, BAC 23/1967, n. 31/3; Regolamento del Fondo Sociale Europeo, in AHCE, BAC 2/1968, n. 29/2-3; Projet de règlement du Fonds social européen, communication de M.Petrilli, in AHCE, BAC 2/1968, n.30/5. AHCE, CEE, Commissione, Nota sulle attività del Fondo Sociale Europeo, 1961. Lionello Levi Sandri, membre de la Commission de la CEE, Premièr bilan du Fonds social européen, in Bulletin de la Communautè economique européenne, n.3, 1963; Politique de sécurité sociale pour les travailleurs dans les industries de la Communauté, in AHCE, BAC 1/1970 850.
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150 Tables and charts:
Tax return of the High Authority (1953 - 1957) Netherlands 4 %
Luxemburg 3 %
Italy 6 % Sarre 6%
Belgium 11 %
Germany 47%
France 23 %
Expensives of the High Authority (1953 - 1958) Financial expenses 6%
Research Retirements expenses 5% expenses 0%
Resettlement expenses 8%
Working expenses other institutions 21%
Working expenses 60%
THE SOCIAL SECURITY COST IN THE EUROPEAN INTEGRATION
151
Allocation difference in the budget 1958 No destination 4% Research Interest rate 0% assignments 4%
Resettlement assignments 15% Special reserve 4%
Trust fund 77%
ECSC: Loans opening to firms with credit banks Housing works 13%
Resettlement cast‐iron output 9%
Innivation technology 14%
Reorganization plants 28%
Reorganization Power station 36%
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152 Assignments for resettlement (1954-1965) Countries assignements % W. Germany 46 Belgium 24 France 12 Italy 17 99 Total
cost per head 0,24 0,3 0,34 0,5 0,3
Resettlement actions co-sharing by the High Authority (1960-1966). countries n. workers assignments (m.uc) cost per head W. Germany 66.630 11.817 117,3 Belgium 20135 4.930 244:08:00 France 9335 4.942 529,4 Italy 4641 3.818 822,6 Netherlands 2700 690 255,5 Resettlement actions co-sharing by the High Authority (1960-1966)
countries
workers %
assignements %
W. Germany Belgium France Netherlands Italy
64 19 9 2,6 4
45 18 14 2,6 14
ESF-Retraining country W. Germany Belgium France Italy Luxembourg Netherlands ESF-Resettlement country W. Germany Belgium France Italy Luxembourg Netherlands
n.workers 172.826 15.069 50.481 744.780 97 16.066
n. workers 259.912 20 98.846 355.523 0 390
grants (m.uc) 134,6 10,9 44,2 113,2 0,016 13,4
grants (m.uc) 3,4 0,003 2,3 4,3 0 0:57
cost per head 779 723 876 152 165 834
cost per head 13,1 150 23,3 12,1 0 10,3
THE SOCIAL SECURITY COST IN THE EUROPEAN INTEGRATION
153
Zusammenfassung Marktintegration entwickelt Wettbewerb unter den industriellen Systemen, während gleichzeitig die Förderung der sozialen Sicherheit für die Arbeitnehmer damit einhergeht. Diese Studie beschreibt die Wirtschafts-und Finanzpolitik der Arbeitnehmer zur Sozialversicherung, verbunden mit dem Prozess der Innovation und die industrielle Umstrukturierung in den Ländern der EGKS und dann EWG Nationen. Mit Bezug auf frühere Studien (Dehave, Le Morvan, Mechi) und durch eine makroökonomische Perspektive analysiert der Aufsatz die Rolle des "großen Markt” für Kohle und Stahl, sowie die ersten politischen Erfahrungen des Arbeitsschutzes in Europa. Soziale Sicherheit wurde durch eine Sammlung von neuen Initiativen realisiert, inspiriert von ökonomischen Theorien, die das Wirtschaftswachstum in der Steigerung der Produktivität stehen. Mit einer weiten Auslegung des Allgemeinen Vertrag, entwickelt die EGKS Politik zum Schutz der Beschäftigung und Berufsbildung (fonds de réadaptation) und verbessert die sozialen Bedingungen der Arbeiter (Wohnungswirtschaft, Beschäftigung und Berufsbildung). Darüber hinaus erhalten diese Programme nationale Größe und Management. Nach der EGKS-Erfahrung hat die EWG den Europäischen Sozialfonds mit dem gleichen Ziel der direkten Präsenz in der Integration der Arbeitsmärkte. Diese Studie rekonstruiert die wichtigsten Interventionsbereiche und die Entwicklung der finanziellen Posten, mit dem Ziel der Festlegung der Regeln des Managements. Insbesondere analysiert der Aufsatz die Verteilung der Mittel im Vergleich zu dem Schutz der Beschäftigung sowie die ungleiche Verteilung der Ressourcen zwischen den Ländern, die die reichsten Ländern bevorzugt.
Résumé L'intégration du marché augmente la compétition entre les systèmes industriels en promouvant en même temps le développement d'un système de sécurité sociale. Cette étude concerne la politique économique et financière en faveur de la sécurité sociale des travailleurs et sa mise en relation avec le processus d'innovation et de restructuration industrielle des les pays participant à la CECA, puis à la CEE. En se référant aux études précédentes (Dehave, Morvan, Mechi) et en utilisant une perspective macro-économique, l’article analyse le rôle «du grand marché du charbon et de l’acier» comme première expérience politique de protection du travail en Europe. La sécurité sociale est réalisée par de nouvelles initiatives inspirées aux théories reliant la croissance économique à la hausse de la productivité.Ainsi, par une interprétation large du Traité Général, la CECA a développé une politique de protection pour l'emploi et la formation professionnelle (grâce au fonds de réadaptation) et a amélioré les conditions sociales des travailleurs (les services de logement, l'emploi et la formation professionnelle). Ces programmes ont maintenu une taille et une gestion nationale; la CEE, à son tour, a créé le Fonds Social Européen avec le même objectif d’une action directe dans l'intégration des marchés du travail.
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Cet article montre les principaux secteurs d'intervention et l'évolution des questions financières ainsi que les règles de gestion. Tout particulièrement, il apparaît que la distribution des fonds privilégie la formation des travailleurs plutôt que la protection de l'emploi; de plus l’assignation des ressources favorise les pays les plus riches.
L’ESPAGNE ET L’INTEGRATION ECONOMIQUE EUROPEENNE MATTHIEU TROUVE Avec l’entrée de l’Espagne dans les Communautés européennes, « c’est toute la nation espagnole qui récupère la plénitude de son histoire », affirme le président du gouvernement espagnol, Felipe González, en juin 1985, mettant ainsi l’accent sur la dimension historique de l’événement avant même sa portée économique1. Le lien entre l’Espagne et l’intégration économique européenne se présente de manière ambiguë et complexe. Le but de la présente communication est de tenter en quelques points de restituer la logique de cette relation. L’expérience européenne de l’Espagne peut s’articuler autour de trois thèmes : ainsi, pour aborder la longue marche européenne de l’Espagne, on évoquera, dans un premier temps, la triple nature du rapport entre l’Espagne et l’intégration européenne, avant d’étudier ensuite le rôle des différents acteurs de l’insertion de l’Espagne dans le circuit économique de l’Union européenne et de distinguer, dans un dernier point, les grandes étapes de ce processus.
I. La triple nature du rapport entre l’Espagne et l’intégration européenne Rapprochement économique Les facteurs économiques ont joué un rôle de premier plan dans le rapprochement entre l’Espagne et l’Europe communautaire. De 1959 aux chocs pétroliers des années 1970, l’économie espagnole sort de l’autarcie et entre dans une phase de libéralisation tendant à aligner son système économique, fiscal et commercial sur celui des pays d’Europe occidentale, résultat en grande partie du plan de stabilisation. Présenté par les autorités espagnoles au FMI le 30 juin 1959, ce plan comporte deux volets, l’un intérieur, l’autre extérieur : il s’agit d’abord de restaurer la stabilité financière du pays par l’attrait de capitaux et par des mesures fiscales et monétaires visant à restreindre la demande et limiter l’inflation, et ensuite d’encourager l’investissement étranger en Espagne. Le gouvernement de Madrid mise sur l’appel aux techniques et capitaux étrangers et mène une politique d’assouplissement des règles en matière de création, de modernisation et d’agrandissement des entreprises2. Le plan de stabilisation marque le début d’une phase de croissance économique continue qualifiée de « desarrollismo ». Le capitalisme espagnol connaît ainsi un saut qualitatif et quantitatif3. 1 2
3
Fundación Pablo Iglesias (FPI), España ante el reto de Europa, FPI, PSOE, Madrid, 1985, p. 65. « Mémorandum du Gouvernement espagnol au FMI et à l’OECE, 30 juin 1959 », publié par l’OCYPE, Documentación Económica, n°6, Madrid, 1960 ; Archives générales de l’administration (AGA), Présidence du Gouvernement, boîtes 51/4857 et 4858, « comisaría del Plan de desarrollo » (1963). Cf. Harrison, Joseph, The Spanish Economy in the Twentieth Century, Londres, Croom Helm, 1985, pp. 144 et suivantes ; Montes Fernandez, Pedro, « La integración en la Comunidad económica europea en el proceso de la internacionalización del capitalismo español », in Etxe-
MATTHIEU TROUVE
156
L’Europe apparaît dans ce cadre comme une nécessité économique et commerciale. La politique européenne de l’Espagne des années 1960 répond à la politique du desarrollismo : il s’agit de rattraper un retard de développement par rapport aux autres pays industrialisés et de réinsérer l’Espagne dans le circuit économique occidental. L’Europe doit fournir les moyens nécessaires à l’industrialisation du pays4. D’autre part, les Espagnols sont guidés par la volonté de trouver des débouchés commerciaux en Europe pour leurs produits agricoles. Or, la création de vastes marchés et zones de libre-échange concernant treize gros clients de l’Espagne (les Six de la CEE et les Sept de l’AELE) provoque les inquiétudes du gouvernement de Madrid, soucieux de pas perdre des marchés importants. Les premiers contacts et l’insertion de l’Espagne dans l’Europe sont donc d’abord la conséquence d’une conception libérale de l’économie espagnole. Enfin, si l’Europe apparaît comme une nécessité économique pour l’Espagne, celle-ci offre elle-même des perspectives économiques intéressantes pour les Européens. Les investissements étrangers sont devenus presque entièrement libres à partir des années 1960 et les entreprises européennes qui s’installent progressivement en Espagne profitent d’un certain nombre d’avantages propres au pays : main-d’œuvre locale abondante et bon marché, absence de syndicats libres et répression des grèves garantissant une stabilité sociale pour l’entreprise, salaires bas en raison d’un important exode rural et de l’entrée des femmes sur le marché du travail, sans oublier tous les avantages fiscaux offerts. L’entrée dans la Communauté européenne est également perçue comme un objectif économique fondamental de la démocratie espagnole après 1975. Pour les gouvernements démocrates-chrétiens et socialistes, la CEE constitue un enjeu de politique intérieure : il s’agit d’achever l’ancrage de l’Espagne dans l’ensemble économique de l’Europe occidentale, d’ouvrir définitivement le marché espagnol et de s’ouvrir à l’Europe. Le maître-mot est la modernisation de l’Espagne. En entrant dans le Marché commun, le gouvernement cherche à améliorer la compétitivité de l’économie espagnole et à rattraper un retard par rapport à l’Europe occidentale. Il s’agit toujours de trouver des débouchés commerciaux et de consolider les positions acquises sur le marché des Dix. Pour les Espagnols, l’avenir économique et commercial du pays se situe en Europe et la logique des échanges espagnols pousse à l’entrée dans le Marché commun.
Sortie de l’isolement diplomatique et insertion internationale La politique de rapprochement vers l’Europe participe ensuite d’un objectif d’ordre diplomatique lié à la fois à la politique de réinsertion dans les organisations internationales et à la crainte de se retrouver isolé. La signature d’un Concordat avec le Saint-Siège en août 1953, les conventions d’aide économique et de défense signées avec les Etats-Unis en septembre de la même année, l’admission de l’Espagne à l’ONU en décembre 1955, ont peu à peu sorti le régime de Franco
4
zarreta, Miren, coord., La reestructuración del capitalismo en España, 1970-1990, Barcelone, Economia crítica, Icaria, 1991, pp. 243-244. C’est le sens du message du gouvernement espagnol adressé aux Européens dès l’époque franquiste. Archives Historiques de l’Union Européenne (AHUE), MAEF 704, lettre de l’ambassadeur de France à Bonn du 13 novembre 1959, et note d’information n°16 du conseiller commercial de l’ambassade de France à Madrid du 20 novembre 1959, et note du 14 décembre 1960 ; Archives du ministère des Affaires étrangères français (AMAE-F), EU-Europe, Espagne, vol. 351, note de la direction d’Europe méridionale, 14 janvier 1964.
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de la quarantaine où il était maintenu après la Seconde Guerre mondiale. Cependant, l’Espagne franquiste demeure absente des grandes organisations européennes et atlantistes formées après 1945. L’autre dictature de la péninsule ibérique, le Portugal, membre de l’OTAN depuis 1949, est intégrée à l’AELE dès sa création et l’Espagne ne veut pas être en reste par rapport à son voisin5. D’autre part, deux autres pays méditerranéens, la Grèce et la Turquie, obtiennent un accord d’association avec la CEE respectivement en 1961 et 1963. Le risque est réel, et le général Franco prêche pour la sortie d’un isolement qui porte préjudice aux intérêts matériels, moraux et politiques du pays. Se rapprocher de la CEE ou de l’AELE fait donc partie de la vocation naturelle de l’Espagne et s’inscrit dans la continuité de la politique étrangère qui a permis de sortir de l’ostracisme international. A Madrid, on considère qu’une éventuelle adhésion ou association à la CEE constituerait un formidable succès diplomatique pour l’Espagne, et pourrait avoir des retombées politiques en renforçant le régime de Franco. Solution aux problèmes économiques, l’entrée de l’Espagne dans la CEE apparaît donc aussi comme une solution de politique étrangère. La question de l’entrée dans la Communauté européenne pose, en effet, la question de la place de l’Espagne sur la scène internationale. Cette considération ne varie guère avec le retour de la démocratie. Démocrates-chrétiens et socialistes se rejoignent pour affirmer que la politique étrangère du pays aura plus de poids si l’Espagne appartient à la Communauté européenne. A l’intérieur du Marché commun, l’Espagne pourra pleinement participer à l’élaboration des normes communautaires. En octobre 1982, Felipe González affirme vouloir « promouvoir la présence espagnole dans le monde »6. Animé par le souci de sortir définitivement l’Espagne de son isolement et de la replacer au cœur des préoccupations économiques européennes, le gouvernement socialiste fait de l’entrée dans la CEE une priorité de politique extérieure7.
Retour et consolidation de la démocratie Approche originale de la construction européenne, reflet de l’intégration des pays du sud de l’Europe, l’entrée dans la Communauté représente un enjeu politique fondamental de consolidation démocratique pour le gouvernement espagnol à partir des années 1975-19778. Une des raisons les plus souvent avancées est de dire que l’Europe, dans la mesure où elle est un élément de la culture politique de la démocratie, va de pair avec le processus de démocratisation du régime espagnol. Il existe ainsi un parallélisme entre transition démocratique et demande d’entrée dans la CEE. Il apparaît tout à fait normal aux Espagnols que leur nouveau régime désire intégrer une des institutions qui, tout comme le Con-
5 6 7
8
Fondation nationale Francisco Franco (FNFF) 1220, lettre de l’ambassadeur d’Espagne à Lisbonne à Franco du 24 juillet 1962, et FNFF 18983, documentation sur la décision du Portugal d’entrer dans l’OTAN, télégrammes et notes de l’OID de 1949. Déclaration de Felipe González dans Acuña, Ramón-Luis, « Une politique étrangère. Entretien avec Felipe González », Politique Etrangère, n°3, octobre 1982, pp 561-562. Cf. entretiens de l’auteur avec Juan Durán-Lóriga (décembre 2000), Carlos Westendorp (septembre 2001), Raimundo Bassols (octobre 2001), Javier Elorza Cavengt (septembre 2002), Fernando Morán, Pablo Benavides, Gabriel Ferrán, Antonio Fournier et Manuel Marín (octobre 2002), et Carlos Maria Bru (juin 2003). Cf. Mesa, Roberto, Democracia y política exterior en España, Madrid, EUDESA, 1988, p. 131.
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seil de l’Europe, représente une caution démocratique incontestable : la Communauté européenne contribue à renforcer et légitimer la démocratie9. L’alternance d’octobre 1982 a marqué symboliquement la fin de la transition démocratique en Espagne : il s’agit dès lors de consolider la démocratie. Après le coup d’Etat manqué du lieutenant-colonel Tejero de février 1981 qui a fait peser une sérieuse menace sur la monarchie, Felipe González entend enraciner la démocratie espagnole en la faisant entrer dans l’Europe communautaire. Le nouveau président du gouvernement fait notamment valoir auprès de ses homologues européens l’importance que représenterait pour la jeune démocratie espagnole le fait d’entrer dans la CEE. Il estime, en substance, que le coup d’Etat de février 1981 aurait pu ne pas avoir lieu si l’Espagne était déjà entrée dans la Communauté européenne. Il fait valoir également que tout retard à l’entrée dans la CEE peut être une menace pour la démocratie espagnole, ou du moins un signe d’encouragement pour d’autres éventuelles tentatives de coup d’Etat. Avec les socialistes, la question européenne acquiert pleinement une dimension mythique, dont la teneur rappelle la fameuse phrase d’Ortega y Gasset : « España como problema y Europa como solución »10. En réalité, le discours sur l’Europe se situe surtout dans la lignée de l’européisme espagnol forgé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et à la suite du congrès du Mouvement européen de Munich de juin 1962, notamment au sein des élites politiques, sociales et intellectuelles qui préparent l’après-franquisme et qui ont érigé l’Europe comme un objectif idéal, comme la solution historique aux problèmes du pays – ce qui ne va pas sans exagération parfois –, et comme une garantie démocratique11. Pour le ministre socialiste des Affaires étrangères, Fernando Morán, la participation à l’Europe communautaire est un gage de consolidation démocratique qui renforce l’identité de la démocratie espagnole. Projet démocratique et projet européen sont indissolublement liés12.
II. Les acteurs espagnols du processus d’intégration Les acteurs gouvernementaux Dans le cas de l’Espagne, les acteurs gouvernementaux ont joué un grand rôle dans le processus de rapprochement vers l’Europe au moins jusqu’en 1986. Tout d’abord, le gouvernement formé en février 1957 consacre l’arrivée des technocrates, membres de l’Opus Dei, experts et partisans du libéralisme économique en même temps que d’un rapprochement vers l’Europe, un mois avant la signature du traité de Rome. Les personnalités les plus impliquées dans la politique européenne de l’Espagne des années 1960 sont Alberto Ullastres, ministre du 9 10 11 12
Pereira, Juan Carlos, « Europeización de España/Españolización de Europa : el dilema histórico resuelto », Documentación Social, n°111, 1998, pp. 47-49. « L’Espagne comme problème, l’Europe comme solution ». Cf. Barbé, Esther, La política europea de España, Barcelone, Ariel, 1999, p. 20. Cf. Álvarez-Miranda, Berta, El Sur de Europa y la adhesión a la Comunidad. Los debates políticos, Madrid, CIS, 1996, p. 285, Pereira, Juan Carlos, « Europeización de España/Españolización de Europa : el dilema histórico resuelto », Documentación Social, n°111, 1998, pp. 39-58. Cf. Morán, Fernando, « Europa, modelo para España. Historia de un equívoco », Movimiento europeo, n°3, 1982, pp. 18-20 ; Morán, Fernando, Palimpsesto, A modo de memorias, Madrid, Espasa-Calpe, 2002, p. 56, et Morán, Fernando, « Principios de la política exterior española », Leviatán, n°16, 1984, p. 13.
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Commerce, et Mariano Navarro Rubio aux Finances. Le gouvernement espagnol est cependant divisé sur la question européenne entre deux courants : d’un côté, les catholiques technocrates partisans de l’européanisme, de l’autre, les phalangistes hostiles à toute manifestation de l’union européenne13. Maître de la politique étrangère, le général Franco ne se montre en revanche guère intéressé par la construction européenne et laisse une assez grande marge de manœuvre à ses ministres « libéraux » afin d’opérer le rapprochement vers l’Europe communautaire. Pour lui, l’essentiel est que la politique étrangère ne remette pas en cause le régime : l’Espagne peut réaliser des accords douaniers, s’associer au Marché commun, mais il n’est pas question de modifier les fondements du régime pour s’intégrer à une organisation supranationale et de renoncer à l’indépendance. S’il se laisse convaincre de se rapprocher du Marché commun, c’est par opportunisme et pour des raisons essentiellement économiques14. Devenu chef d’Etat en 1975 à la mort de Franco, le roi Juan Carlos a joué un rôle non négligeable dans le rapprochement de son pays vers l’Europe communautaire. Par ses liens avec les dirigeants européens, ses discours portés vers les questions européennes et sa volonté de placer l’Espagne au cœur de l’Europe communautaire, il a largement contribué au rapprochement entre son pays et les autorités communautaires. N’intervenant pas directement dans les discussions hispano-communautaires, il n’en a pas moins plaidé la cause de son pays auprès des dirigeants européens afin d’accélérer l’entrée de l’Espagne dans le Marché commun. On note, également, la forte implication des présidents du gouvernement à partir de 1975. Adolfo Suárez, décidé à faire entrer son pays dans l’Europe communautaire, effectue une grande tournée diplomatique entre août et novembre 1977 afin de placer la candidature de Madrid sous de bons auspices. Mais la priorité de Suárez reste avant tout de transformer l’Espagne en une monarchie démocratique. Pour son successeur, Leopoldo Calvo-Sotelo, ancien ministre des Relations avec les Communautés européennes, plus impliqué dans les affaires étrangères, l’entrée de l’Espagne dans l’Europe des Dix est une priorité absolue. Malgré sa détermination, Calvo-Sotelo ne parvient pas à franchir les derniers obstacles à l’entrée dans la CEE mais fait entrer son pays dans l’OTAN en 1981. Avec l’arrivée des socialistes au pouvoir, on peut parler d’une forte politisation et d’une présidentialisation de la question européenne : l’entrée dans la CEE tient une place fondamentale dans le discours de Felipe González. Grâce à ses contacts personnels avec Margaret Thatcher, Helmut Kohl et surtout François Mitterrand, il réussit à lever les dernières réticences et incertitudes économiques et obtient un appui politique décisif des chefs d’Etat et de gouvernement européens à l’entrée dans la CEE. Parmi les autres acteurs gouvernementaux, il faut mentionner le rôle essentiel de certains ministres des Affaires étrangères comme Fernando Castiella, responsable de la diplomatie espagnole de 1957 à 1969, à l’origine d’une ouverture vers 13 14
AHUE, Fonds MAEF 704, télégramme de l’ambassadeur Guy de La Tournelle du 22 février 1957. Cf. Francisco Aldecoa Luzárraga, « La política exterior en perspectiva histórica, 1945-1984. De la autocracia al Estado de Derecho », Sistema, 63 (1984) 119 ; Jean-François Daguzan, « La politique extérieure du franquisme (1944-1976). Une pratique à usage interne », Mélanges de la Casa de Velázquez, XXIV (1988) 55-276 ; message de fin d’année du 30 décembre 1962, Francisco Franco, Pensamiento político, 797 et entretien avec José Luis Cerón (octobre 2002).
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les organisations européennes15, ou encore Marcelino Oreja, ministre des Affaires étrangères de 1977 à 1980, qui s’est considérablement investi dans la redéfinition de la politique européenne de la monarchie démocratique. Après avoir déposé la demande d’adhésion de l’Espagne auprès des autorités communautaires à Bruxelles en juillet 1977, Oreja œuvre en faveur de l’entrée de son pays dans le Conseil de l’Europe. Fernando Morán, ministre socialiste des Affaires étrangères de 1982 à 1985, est parvenu à débloquer les dernières négociations, notamment lors de rencontres avec son homologue français, Roland Dumas16. Lors des négociations d’adhésion, les responsables du Palais de Santa Cruz sont secondés par un ministre puis secrétaire d’Etat chargé des Relations avec les Communautés européennes, véritable cheville ouvrière des discussions hispanocommunautaires : ce fut le cas de Eduardo Punset, Raimundo Bassols et de Manuel Marín. A un niveau plus technique, on ne saurait oublier de mentionner les diplomates et experts spécialisés dans les questions techniques qui constituent un réseau actif de négociateurs œuvrant en faveur de l’entrée de l’Espagne dans l’Europe communautaire.
Les milieux économiques En règle générale, les milieux économiques espagnols se sont préparés assez tardivement à l’entrée dans le Marché commun. Les élites franquistes et les milieux industriels européens expriment ouvertement dès les années 1960 leur souhait de voir l’Espagne entrer dans le Marché commun. Mais si certains secteurs compétitifs de l’économie espagnole, habitués à travailler en Europe sur un marché ouvert à la concurrence, ont plaidé en faveur de l’entrée de leur pays dans le Marché commun – producteurs de fruits et légumes, d’agrumes, d’huile d’olive, de vins de table – d’autres, en revanche, par crainte d’une ouverture trop forte à la concurrence, se sont montrés réticents et peu pressés d’intégrer l’Europe des Six. C’est le cas des producteurs de conserves des régions d’Alicante, Murcie et Valence. Différents acteurs bancaires perçoivent très tôt la nécessité et l’inéluctabilité d’un rapprochement vers le Marché commun, comme le Banco Exterior de España, le Conseil économique national et l’Institut espagnol de Monnaie étrangère. Il faut souligner à cet effet le rôle de la Banque d’Espagne qui a œuvré à partir de 1986 comme un promoteur de l’intégration économique du pays dans l’Europe. Plusieurs études menées par cet organisme ont, à de nombreuses reprises, souligné la nécessité pour l’Espagne de participer dès le début à l’Union économique et monétaire17. Les dirigeants bancaires espagnols estiment que l’Espagne se doit de peser sur les grandes décisions européennes et considèrent qu’il y a plus d’inconvénients que d’avantages à rester en dehors de l’UEM. Dans plusieurs secteurs économiques clés, des entreprises espagnoles ont engagé des projets de coopération voire des alliances avec de grandes firmes européennes, ce qui a eu pour effet de faciliter leur intégration dans l’environnement économique du Marché commun. Néanmoins, ces actions qui ont favorisé le rap15 16 17
Il est à l’origine en février 1962 de la demande d’association de l’Espagne franquiste à la CEE qui aboutit en octobre 1970 à la signature d’un accord commercial préférentiel largement profitable à l’Espagne. Entretien de l’auteur avec Fernando Morán (octobre 2002) et Roland Dumas (mai 2003). Voir notamment Banco de España, La Unión Monetaria Europea. Cuestiones fundamentales, Banco de España, Madrid, 1997, p. 58-60.
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prochement entre l’Espagne et l’Europe communautaire n’obéissent pas vraiment à des stratégies d’ensemble mais répondent plutôt à des logiques ponctuelles et sectorielles. Ainsi, dans le domaine des hydrocarbures, une coopération s’instaure entre Français et Espagnols dès les années 1960 suite à une collaboration entre l’Institut français du Pétrole et l’Institut national de l’Industrie espagnole (INI)18. Dans le domaine automobile, la firme Volkswagen a pris une part active dans le rachat de l’entreprise espagnole SEAT au début des années 1980. Il faut souligner en outre l’action positive des Chambres de commerce espagnoles qui ont multiplié les démarches visant à ouvrir le marché espagnol et à promouvoir les produits espagnols sur le marché européen. On peut citer en exemple les initiatives des Chambres de commerce de Barcelone et de Madrid qui organisent dès les années 1960 des conférences sur le thème de « l’Espagne face au Marché commun » au cours de laquelle diverses personnalités européennes prononcent pour l’établissement de liens entre l’Espagne et la CEE19. Enfin, à partir de 1977, le patronat espagnol, unifié sous l’égide de la Confederación Española de Organizaciones Empresariales (CEOE) présidée par Carlos Ferrer Salat, a joué un rôle de lobbying de tout premier plan auprès des institutions européennes à Bruxelles. L’engagement pro-européen de la CEOE ne s’est jamais démenti de 1977 à 1984. On retrouve le patronat espagnol à l’origine de plusieurs initiatives en faveur d’un rapprochement entre l’Espagne et le Marché commun sur le plan économique. En décembre 1979, sous l’impulsion de Ferrer Salat, un bureau de la CEOE est ouvert à Bruxelles afin de suivre les négociations d’adhésion de l’Espagne aux Communautés européennes, tandis que le patronat espagnol collabore directement avec la direction des relations économiques internationales du ministère des Affaires étrangères20. La CEOE a même joué un rôle de relais dans le dialogue entre Madrid et Bruxelles, sans perdre de vue ses propres intérêts et ceux des entreprises espagnoles.
Les milieux associatifs et les syndicats Plusieurs associations européistes espagnoles ont joué un rôle actif en faveur de l’entrée de l’Espagne dans la CEE et de soutien aux initiatives gouvernementales allant dans ce sens. Dès les années 1950-1960, des associations et cercles de réflexion appellent de leurs vœux à une intégration de leur pays dans la CEE qu’ils reconnaissent impossible du vivant de Franco mais à laquelle ils songent déjà. C’est le cas du Centro Europeo de Documentación e Información (CEDI), de l’Asociación Española de Cooperación Europea (AECE), du Conseil fédéral espagnol du Mouvement européen, de la section espagnole de la Ligue européenne de coopération économique (LECE), ou encore du groupe Tácito21. En particulier, l’AECE et le Conseil fédéral espagnol du Mouvement européen ont joué un rôle clef en étant à l’origine d’un actif réseau rassemblant des hommes politiques es18 19 20 21
AGA, Industrie, boîte 5255, dossier sur les hydrocarbures (1960). España ante el Mercado Común, Chambre officielle de commerce de Madrid, février 1963. AMAE-E, R 16570, Exp. 4, lettre de José Vicente Torrente, directeur des relations économiques internationales du ministère des Affaires étrangères, à Carlos Ferrer Salat, président de la CEOE, 19 décembre 1979. Cf. AHUE, fonds du Mouvement européen, ME 1539, et fonds de l’Union européenne des Fédéralistes, UEF, volumes 300 et 523 ; AMAE-E, R 5331, Exp. 18 ; et Powell, Charles, « The Tácito group and the transition to democracy, 1973-1977 », in Preston, Paul, Lannon, Frances, Elites and power in twentieth-century Spain. Essays in honour of Sir Raymond Carr, Oxford, Oxford University Press, 1991.
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pagnols de tous bords désireux d’œuvrer en faveur de l’entrée dans l’Europe communautaire. Par ailleurs, phénomène particulièrement marquant du consensus espagnol sur la question européenne, les syndicats espagnols se sont tous prononcés en faveur de l’entrée de leur pays au Marché commun.
L’opinion publique et le consensus espagnol en faveur de l’Europe communautaire Acteurs indirects mais décisifs, les Espagnols se sont exprimés de manière quasi unanime en faveur de l’entrée dans la CEE. Le consensus espagnol sur l’Europe revêt trois dimensions : un consensus social, dans la mesure où l’opinion publique dit « oui » à l’entrée dans l’Europe ; un consensus politique, dans la mesure où l’ensemble de la classe politique dit « oui » aux Communautés européennes ; enfin, un consensus économique, dans la mesure où les acteurs et élites économiques disent « oui » au Marché commun. Le consensus se manifeste par une série de sondages qui révèlent que l’opinion publique espagnole est largement favorable à l’entrée dans l’Europe qu’elle estime être une bonne chose pour le pays. D’après les enquêtes du Centro de Investigaciones Sociológicas, en moyenne, de 1976 à 1983, un peu plus des deux tiers des Espagnols – 68,25% – approuvent l’entrée dans le Marché commun, et 55,66% des Espagnols se déclarent soit très soit assez favorables à l’adhésion à la CEE, l’apogée étant atteint en septembre 1984 avec 61%. Deuxième observation : le nombre très faible des adversaires résolus de l’intégration dans l’Europe communautaire. Ils ne sont, en moyenne, que 6,5% entre 1976 et 1983 à se déclarer opposés, et 6,3% à n’être « pas du tout favorable » à l’entrée dans la CEE entre mars 1980 et mars 1985. En 1982, l’Eurobaromètre révèle également, que les Espagnols sont 48% à considérer l’entrée dans la Communauté comme « positive » contre 7% seulement qui la jugent « négative »22. Les Espagnols plébiscitent largement l’entrée dans le Marché commun quelle que soit leur sensibilité politique. Dans une sorte d’« union sacrée », les partis politiques s’expriment également en faveur de l’entrée dans la CEE comme en témoignent les résolutions adoptées par le Congrès des députés espagnols23. La même unanimité est présente au sein de la société civile. Le patronat espagnol, l’ensemble des syndicats, les associations européistes se déclarent tous favorables à l’entrée de l’Espagne dans le Marché commun. Mais ce « consensus à l’espagnole » a aussi des limites. Par son caractère global et unificateur, il acquiert une dimension quasi mythique et empêche pratiquement tout débat au sein de la société. Le thème européen s’en trouve en quelque sorte banalisé. Spontané, le consensus est aussi opportuniste dans la mesure où chaque groupe réagit en fonction de ses propres intérêts.
22 23
Crespo Maclennan, Julio, Spain and the process of european integration, 1957-1985. Political change and europeanism, New York, Palgrave, 2000, p. 170. Résolutions du Congrès des députés du 27 juin 1979, du 26 octobre 1983, ou du 13 juin 1984. Cf. Diario de Sesiones del Congreso de los Diputados, Plenos, n°21, session du 27 juin 1979, pp. 1044-1045, n°65 du 25 octobre 1983, et n°135, 13 juin 1984.
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III. Les grandes étapes de l’intégration de l’Espagne dans l’Europe économique communautaire Rapprochement économique et dialogue entre l’Espagne de Franco et la CEE (1957-1970) De 1957 à 1970, tous les indicateurs montrent que l’économie espagnole ne cesse de renforcer ses liens avec les Six. Le commerce entre l’Espagne et les Six connaît un essor spectaculaire à partir de 1960, même s’il reste relativement stable en pourcentage24. Globalement, le commerce entre l’Espagne et la CEE représente un tiers du commerce espagnol total mais connaît une forte augmentation en volume25. Le tourisme, principale source de devises, attire trois millions de personnes en 1959, plus de 14 millions en 1964, et plus de 20 millions en 1969. Enfin, les investissements étrangers autorisés en Espagne enregistrent une forte progression : dès 1969, on dénombre 881 entreprises espagnoles dont la majorité du capital est détenue par des étrangers. Entre 1961 et 1969, pour ce qui est de l’émigration, le chiffre des départs tourne en moyenne autour de 100 000 par an, l’apogée étant atteint en 1965 avec 200 000 départs. On assiste également à l’accroissement très net des relations financières et au développement des échanges de services entre l’Espagne et les autres pays d’Europe occidentale. Dans ce cadre, un dialogue hispano-communautaire parvient à s’instaurer par le biais de conversations exploratoires, de 1964 à 1966, puis de négociations substantielles entre 1967 et 1970. La question posée dès le début est, d’une part, celle des exportations espagnoles de fruits et légumes et de vins vers la CEE, et, d’autre part, celle des exportations industrielles des Six en Espagne. Ce dialogue aboutit à la signature d’un accord préférentiel entre l’Espagne et la CEE le 29 juin 1970. Cet accord fixe un calendrier de désarmement industriel espagnol en faveur de la CEE et accorde des préférences aux exportations agricoles espagnoles26. Il est présenté comme un succès politique par les autorités espagnoles tandis que la Communauté met l’accent sur son caractère strictement commercial.
Première étape de l’accord commercial Espagne-CEE (1970-1976) L’accord préférentiel entre l’Espagne et la CEE a d’abord une vocation commerciale. Trois conséquences peuvent être dégagées : la création d’un commerce important entre les deux parties ; l’augmentation de la part de marché de l’Espagne dans le commerce de la CEE ; l’augmentation du degré de couverture de l’Espagne dans son commerce avec la CEE27. Il est certain que le niveau de commerce entre Madrid et les Six ne cesse de progresser après 1970 en volume même 24 25
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Chastagnaret, Gérard, « Une histoire ambiguë : les relations commerciales entre l’Espagne et les onze de 1949 à 1982 », in España, Francia y la Comunidad Europea, Madrid, Casa de Velázquez/CSIC, 1989, pp. 200 et suivantes. Chiffres de la direction générale des douanes, d’après José Humberto López Martínez, « La economía española y Europa », in Torre Gómez, Hipólito de la, coord., Portugal, España y Europa. Cien años de desafio (1890-1990), Madrid, UNED, 1991, pp. 101-114 ; González, ManuelJesús, La economía política del franquismo (1940-1970). Dirigismo, mercado y planificación, Madrid, Tecnos, 1979, pp. 286 et 302. Conseil des Communautés européennes, Secrétariat général, Communiqué de presse conjoint publié à l’occasion de la signature à Luxembourg le 29 juin 1970 d’un accord entre la CEE et l’Espagne, document 1224f/70 (AG 204) mgs, Luxembourg, 29 juin 1970. Espadas Burgos, Manuel, Las Relaciones exteriores, in Historia General de España y América, tome XIX-2, Madrid, Rialp, 1987, pp. 332-333.
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s’il reste relativement stable en pourcentage, et la position commerciale de l’Espagne vis-à-vis de la Communauté ne cesse de s’améliorer28. La plupart des économistes reconnaissent que l’accord de 1970 a donné un coup de fouet aux échanges entre l’Espagne et la CEE. Les exportations espagnoles vers la CEE sont multipliées par 4,4 entre 1970 et 1976, tandis que les importations en provenance des Six sont multipliées par 3,5. Il est difficile de dire si l’accord de 1970 est à l’origine à lui seul d’une telle évolution. Des facteurs économiques indépendants et conjoncturels ont pu expliquer la progression des exportations espagnoles. L’accord consolide une évolution observée depuis 1959. De plus, il a obligé les entreprises espagnoles dans un contexte de crise de la demande intérieure à trouver des solutions à l’extérieur et à s’habituer progressivement à l’élimination des barrières douanières. Il a donc contribué à améliorer la capacité compétitive et exportatrice de l’Espagne, également stimulée par les faibles coûts du travail et par un système fiscal avantageux29. Il faut aussi replacer les conséquences de l’accord commercial CEE-Espagne dans un contexte économique plus général. Les années 1970-1975 sont les dernières de la période de développement économique, la crise énergétique de 1973 marquant progressivement un coup d’arrêt. La croissance du PIB espagnol est en moyenne de l’ordre de 5,03% de 1970 à 1975. L’accord préférentiel de 1970 a largement bénéficié à ses débuts d’un contexte globalement favorable à son application et qu’il a contribué à ancrer davantage l’économie espagnole dans celle de la Communauté. L’Espagne se place un peu plus dans l’orbite économique de la CEE, mais sans l’intégrer vraiment.
L’insertion inachevée dans le circuit économique de l’Europe des Neuf (1976-1986) Entre 1976 et 1986, l’Espagne fait figure de pays bien intégré dans le circuit économique capitaliste de l’Europe de l’Ouest, mais il s’agit d’une insertion inachevée dans la mesure où le pays n’est pas encore membre de la Communauté européenne. Avec une croissance de 2,3% en 1985, l’Espagne se situe dans la moyenne européenne mais connaît depuis 1974 un ralentissement de la croissance sur un rythme équivalent aux autres pays européens. L’industrie a perdu 1,33 million d’emplois entre 1973 et 1984, contre 1,36 million en France, et 2,2 en Allemagne. Le choc pétrolier a aggravé la fragilité du secteur industriel. Comme l’affirme très justement Albert Broder, « l’extrême sensibilité à la conjoncture extérieure traduit le degré désormais élevé d’intégration à l’économie marchande mondiale, ce qui montre le chemin parcouru depuis les années 1930 qui virent une propagation très atténuée de la crise mondiale. »30 L’Espagne est d’autant mieux intégrée dans le circuit économique européen qu’elle réalise l’essentiel de ses échanges commerciaux avec ses partenaires du Marché commun. Depuis le retour de la démocratie, le niveau des échanges avec 28 29 30
Chastagnaret, Gérard, « Une histoire ambiguë : les relations commerciales entre l’Espagne et les onze de 1949 à 1982 », in España, Francia y la Comunidad Europea, Madrid, Casa de Velázquez/CSIC, 1989, pp. 210-214. Busturia, Daniel de, coord., Del reencuentro a la convergencia. Historia de las relaciones bilaterales hispano-francesas, Madrid, Ciencias de la dirección, 1994, p. 217. Broder, Albert, Histoire économique de l’Espagne contemporaine, Paris, Economica, collection « Economies et sociétés contemporaines », 1998, p. 244.
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la Communauté a fait apparaître une nette amélioration de la position espagnole : le taux de couverture des échanges ne cesse de progresser au profit de l’Espagne passant de 77,8% à 95,3% entre 1977 et 1982. Le solde de la balance commerciale hispano-communautaire devient même excédentaire en faveur de l’Espagne à partir de 1983. L’Espagne a été durement touchée par l’inflation, avec un taux de 24% en 1977. La lutte contre la hausse des prix a été une priorité des gouvernements démocrates-chrétiens et socialistes. Une politique de contrôle de la masse monétaire – modération salariale, hausse des taux d’intérêts – a été suivie. Avec les socialistes au pouvoir à partir de 1982, l’Espagne se lance dans un programme d’austérité sous la conduite du ministre de l’Economie et des Finances, Miguel Boyer, dont le pendant en politique étrangère est l’entrée dans la CEE. D’où des mesures d’ajustement économique de 1982 à 1985 destinées à lutter contre l’inflation31. Les résultats ont été spectaculaires. Le taux d’inflation tombe à 8,3% en 1985. La balance des comptes courants redevient positive depuis 1984. Le solde est positif en 1985 de l’ordre de 1,4% du PIB et de 1,6 en 1986. A l’échelle européenne, l’Espagne se situe ici dans une position comparable à celle de l’Allemagne. Le gouvernement a entrepris une réforme fiscale prévue dans les accords de la Moncloa d’octobre 1977. Un impôt progressif sur le revenu a été instauré et la pression fiscale est passée de 20 à 34,8% du PIB de 1975 à 1990 (moyenne européenne : 40,5%). Mais l’accroissement des recettes ne permet pas à l’Etat de combler son déficit budgétaire. Celui-ci atteint 7% du PIB en 1985. Grâce à l’adoption d’un « Statut des Travailleurs » en 1980 et à plusieurs lois sur l’emploi, le marché du travail a acquis une plus grande flexibilité. Un système d’allocations-chômage a été mis en place. Le système de protection sociale représente en 1985 17,71% du PIB. Après une grave crise qui a entraîné la faillite de nombreuses banques entre 1980 et mai 1986, l’Espagne a procédé à un assainissement et à une modernisation de son système bancaire. En 1986, on dénombre 50 banques étrangères implantées en Espagne, dont une majorité de banques américaines et européennes. Elles contrôlent environ 15% du marché du crédit espagnol. Le pays est donc parfaitement inséré dans le système financier capitaliste.
Les premiers pas de l’Espagne dans l’Europe communautaire : une normalisation (1986-1992) Le traité d’adhésion de l’Espagne aux Communautés européennes, signé le 12 juin 1985, marque une nouvelle étape. Il règle la question de la participation de l’Espagne aux institutions européennes : l’Espagne obtient 8 voix au Conseil des ministres de la Communauté contre 10 aux quatre « grands », 60 sièges au Parlement européen contre 81 aux « grands », deux fauteuils de commissaires au même titre que la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et l’Italie. Le traité d’adhésion permet d’inclure l’économie espagnole dans l’union douanière communautaire. Il prévoit la libre circulation des marchandises et des personnes, la suppression mutuelle totale des obstacles tarifaires, douaniers et contingentaires. 31
Cf. Larribau, Jean-François, « La politique économique, contraintes et perspectives de l’intégration européenne », et Casas Bahamonde, Maria Emilia, « La politique des rapports sociaux », in Bon, Pierre, Moderne, Franck, dir., L’Espagne aujourd’hui. Dix années de gouvernement socialiste (1982-1992), Paris, La Documentation française, 1993, pp. 117-137 et 139-154.
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Enfin, le traité prévoit des dispositions transitoires de sept à dix ans afin d’intégrer progressivement l’économie espagnole dans le Marché commun. L’adhésion de l’Espagne n’est donc définitive qu’au 1er janvier 199632. L’Espagne accepte dans le même temps l’ensemble de l’acquis communautaire et les principes des traités de Rome. Elle se voit notamment obligée d’introduire la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) dès janvier 198633. L’Espagne se situe ainsi en cinquième position par son poids dans les institutions européennes, c’est-à-dire dans une position intermédiaire juste derrière les « quatre grands » (Allemagne, France, Italie, Grande-Bretagne) et devant les « petits » Etats (Pays-Bas, Belgique, Irlande, Portugal). C’est le plus petit des « grands » et le plus grand des « petits »34. Tout au long des années 1986-1989, la politique européenne de l’Espagne est presque entièrement consacrée à la transposition de quelques 800 directives européennes dans le droit espagnol et à l’adaptation des changements consécutifs au traité d’adhésion et à l’Acte unique européen. Avec l’entrée dans la Communauté, l’Espagne retrouve sa place en Europe et ses relations internationales se normalisent. En 1986, les Espagnols se prononcent par référendum pour le maintien dans l’OTAN – approuvé par 52,53% des suffrages – et, en 1989, l’Espagne devient membre de l’Union de l’Europe occidentale (UEO). L’entrée dans la CEE a permis un « saut qualitatif »35 de l’économie espagnole. Durant les dix premières années de l’adhésion, la croissance espagnole s’est établie à 3% par an en moyenne et le revenu par habitant a augmenté en moyenne de 41%, entraînant une progression du pouvoir d’achat des Espagnols. Les investissements étrangers en Espagne sont passés de 330,4 à 2 354,9 millions de pesetas entre 1985 et 1994. Les forts taux d’intérêt pratiqués par Madrid ont permis l’entrée de devises, si bien qu’en 1992, l’Espagne est devenu le troisième pays au monde en réserves de devises, derrière le Japon et Taiwan. L’intégration de l’Espagne dans la CEE a également entraîné une profonde transformation de son appareil productif. Le gouvernement espagnol a su tirer parti des fonds de cohésion communautaires. Ces derniers ont amené une amélioration des infrastructures et le solde financier de l’Espagne avec l’Union européenne s’est avéré positif à hauteur de plus de 3 milliards de pesetas36. Mais l’adaptation de l’Espagne aux conditions de l’acquis communautaire a eu un coût. L’agriculture espagnole a payé un prix fort en intégrant la politique agricole commune, notamment le secteur de l’élevage et des produits laitiers. Les éleveurs du nord du pays ont dû réduire leur production face à la concurrence européenne et à la situation de saturation des marchés, tandis que les agriculteurs du sud ont subi la concurrence de leurs voisins méditerranéens, français, italiens et grecs. Le secteur de la pêche a aussi déchanté. Certes, en participant à la politique communautaire, l’Espagne a eu accès aux zones de pêche communautaires, mais elle a dû réduire sa participation au total annuel des captures 32 33 34 35 36
C’est la raison pour laquelle certains auteurs parlent d’une « intégration effective différée ». L’Espagne et le Portugal dans la CEE. Interrogations et enjeux, Paris, Notes et études documentaires n°4819, La Documentation française, 1986, p. 31. Loi 30/1985 du 2 août créant l’IVA publiée dans le Boletín Oficial del Estado n°190 du 9 août 1985. Crespo Maclennan, Julio, España en Europa, 1945-2000. Del ostracismo a la modernidad, Marcial Pons Ediciones de Historia, Madrid, 2004, p. 248. Felipe González, « Diez años en Europa », in El País, 11 juin 1995. Voir Pedro Montes, La integración de España : del Plan de Estabilización a Maastricht, Trotta, Madrid, 1993, p. 104.
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(TAC) à hauteur de 30% et restructurer sa flotte afin de se conformer aux normes communautaires. A la suite de la libéralisation du commerce extérieur espagnol, le déficit commercial espagnol a été multiplié par quatre entre 1985 et 1987 et la balance commerciale espagnole vis-à-vis de la CEE est devenue déficitaire, situation qui s’est lentement dégradée jusqu’en 1992. Dès 1986, le gouvernement s’est attaché à l’intégration de la peseta dans le Système monétaire européen (SME), nouvelle étape importante dans la politique européenne de l’Espagne. La participation au SME suppose une discipline imposée par le mécanisme de changes aux pays membres et favorise le contrôle de l’inflation, priorité économique du gouvernement espagnol. En même temps, le système pivote autour de la monnaie la plus forte, le mark, et oblige les autres pays à s’aligner sur la politique économique allemande privilégiant la stabilité à la croissance, ce dont l’Espagne pouvait difficilement se permettre. Mais le président du gouvernement espagnol en profite pour demander une plus grande aide économique en faveur des pays les plus pauvres de la Communauté au nom de la solidarité communautaire. Finalement, la politique de stabilité de la peseta s’est trouvée renforcée par son entrée dans le SME le 19 juin 1989. De façon générale, l’Espagne a rapidement acquis l’image d’un pays sérieux, stable et efficace, réussissant à inspirer la confiance des investisseurs potentiels malgré le contexte de morosité économique. Ce succès est amplement dû à la conjugaison de l’action du gouvernement et des efforts des acteurs économiques. L’Espagne a assumé avec brio pour la première fois la présidence de la Communauté européenne au premier semestre 1989. Le gouvernement espagnol y fait la preuve de ses capacités institutionnelles et de sa volonté d’avancer vers le « Grand marché ». A l’issue du Conseil européen de Madrid des 26-27 juin, une série de décisions sont prises ou annoncées, notamment sur l’Union économique et monétaire, sur la nécessité de respecter l’équilibre entre les aspects sociaux et les aspects économiques de la construction du Marché unique, et sur la suppression totale et définitive des droits de douane aux exportations espagnoles et portugaises. Intégration pleine et entière dans le « Grand Marché » et participation active à l’intégration économique européenne (depuis 1993) Depuis 1993, le gouvernement espagnol poursuit plusieurs objectifs au sein de l’Union européenne37. La défense d’une Europe de la cohésion économique et sociale constitue l’objectif prioritaire au début des années 1990 : Felipe González en a fait une condition de l’accord de l’Espagne à l’Union économique et monétaire, considérant le principe de solidarité entre les Etats européens comme essentiel. A l’issue des discussions sur ce thème à partir de décembre 1991, le président du gouvernement espagnol obtient satisfaction : un fonds de cohésion est créé et consacré au financement des grandes infrastructures européennes et aux investissements pour la protection de l’environnement. En contrepartie, pour bénéficier de ce fonds, les candidats doivent présenter un programme de convergence économique démontrant leur intention de rattraper leur retard de développement économique et de respecter les critères de convergence prévus pour l’UEM. Au Conseil européen d’Edimbourg de décembre 1992, l’ensemble des crédits 37
Nous suivons sur ce point Moreno Juste, Antonio, « España en el proceso de integración europea », in Martín de la Guardia, Richard M., Pérez Sánchez, Guillermo A., coord., Historia de la integración europea, Barcelone, Ariel, 2001, p. 207.
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alloués à la cohésion – politiques structurelles et fonds de cohésion proprement dit – est fixé autour d’une moyenne annuelle de 25 milliards d’euros38. Ce résultat, qui est loin d’être négligeable pour l’Espagne, a démontré que le gouvernement espagnol était un acteur habile et de premier plan au sein de l’Union. Sur un plan plus politique, l’Espagne entend également promouvoir l’idée d’une Europe des citoyens. Pour Felipe González, la citoyenneté européenne est un objectif tout aussi important que l’UEM et le concept de citoyenneté européenne apparaît comme le pendant politique d’une Europe trop centrée sur les problèmes économiques, et le prolongement nécessaire du rapport Spinelli39. L’Espagne soutient par ailleurs la mise en place d’une politique extérieure et de sécurité commune (PESC), ce qui reflète la volonté espagnole de jouer un rôle majeur sur un plan international. Au total, la contribution de l’Espagne à la PESC a été limitée mais pragmatique. Au sein de l’Union, Madrid a tenté de promouvoir les relations entre l’Europe communautaire et l’Amérique latine40, et d’impulser une politique méditerranéenne. Ces initiatives rejoignent d’ailleurs les préoccupations plus traditionnelles de la politique étrangère espagnole. Certains infléchissements de la politique européenne espagnole peuvent être observés avec l’arrivée au pouvoir de José María Aznar en 1996. Atlantiste, partisan du libre-échangisme, opposé à toute idée d’intégration supranationale, Aznar conçoit l’Union européenne avant tout comme un espace de progrès économique et de développement commercial. Il se montre ainsi opposé à toute tentative d’unification politique et reste farouchement attaché à la défense des intérêts nationaux, notamment lors de la négociation du traité de Nice en 2002 où l’Espagne parvient à être traitée sur le même plan que les quatre « grands » d’Europe. Lors des discussions sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe, Aznar défend le système de pondération des voix du traité de Nice – qui fait bénéficier à l’Espagne d’un nombre de voix comparables à celles des quatre « grands » – et se montre très attaché à une référence aux racines chrétiennes de l’Europe, en même temps que les dirigeants polonais. Un tournant a lieu en 2004 avec le retour au pouvoir des socialistes. Le nouveau président du gouvernement, José Luis Rodríguez Zapatero, fait de la relance de l’Europe une de ses priorités de politique étrangère. L’Espagne joue un rôle actif dans l’élaboration de la Constitution européenne et les Espagnols approuvent par référendum par 76,7% des voix contre 6,3% le traité établissant une constitution pour l’Europe en février 2005. Malgré le « non » français à ce même traité lors du référendum de mai 2005, le gouvernement espagnol refuse de croire à la mort du texte et Zapatero prend même la tête d’un groupe de pays qui veulent faire accepter le traité. L’initiative, à la fois modeste et ambitieuse, ne parvient pas à faire débloquer la crise institutionnelle dans laquelle se trouve l’Union, mais elle prouve que, désormais, l’Espagne tient toute sa place dans l’intégration européenne.
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Pour le seul fonds de cohésion économique et sociale, ce sont 15,15 milliards d’écus qui sont dégagés en faveur de l’Espagne, de l’Irlande, de la Grèce et du Portugal. Mesa, Roberto, « La politique extérieure », in Bon, Pierre, Moderne, Franck, dir., op. cit., p. 109. Voir Celestino del Arenal, « La adhesión de España a la Comunidad europea y su impacto en las relaciones entre América latina y la Comunidad europea », Revista de Instituciones Europeas, vol. 17, n°2, mai-août 1990, p. 329-367 et, du même auteur, 1976-1992, una nueva etapa en las relaciones de España con Iberamerica, Casa de America, Madrid, 1994.
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Summary Studying the relations between Spain and the European construction leads to an evaluation of the Spanish identity. After several years of international isolation – especially in Europe –, Spain becomes the twelfth member of the European Communities on the 1 January 1986. « It is the entire Spanish nation that regains the full meaning of its history », declares Felipe González at the signing of the June 12, 1985 treaty. The history of the Spanish integration can be seen as a threefold gain: the accomplishment of the democratic consolidation process started in 1975, the search for a renewed and accelerated economic development, and finally the return of Spain to the European and international scene. This return to Europe is structured in three phases. The first is characterized by the approach of Franco’s regime to the EEC, leading to a preferential commercial agreement in June 1970, and placing the Spanish government in the economic circuit of the Common Market. The second phase, from 1975 to 1982, reveals the relationship between the new Spain and the Community institutions: Spain moves towards a democratic monarchy, indispensable condition for entry into the European Community, and officially requests its acceptance. Finally, from 1982 to 1986, presents the ruptures and continuities in the negotiations, together with the socialist arrival to power, and the positive conclusion of the discussions. This work highlights the issues of integration, the strategies followed, the role of the participants of the diplomatic activities, the weight of public opinion, and the influence of the «profound forces».
Zusammenfassung Die Untersuchung des Verhältnisses von Spanien und Europa gibt einen Einblick in die spanische Identität. Nach Jahren der internationalen Isolation – besonders in Europa – wurde Spanien am 1. Januar 1986 das zwölfte Mitglied des Europäischen Rates. „Die gesamte spanische Nation erhält die volle Bedeutung ihrer Geschichte zurück“ verkündete Felipe González bei der Unterschrift am 12. Juni 1985. Die Geschichte der spanischen Integration kann unter drei Gesichtspunkten betrachtet werden – die Vollendung der Demokratisierung die 1975 begann, der Aufbau einer erneuerten und beschleunigten Wirtschaft und die Rückkehr Spaniens auf die europäische und internationale Bühne. Diese Rückkehr nach Europa ist in drei Phasen unterteilt. Die erste Phase ist charakterisiert durch die Annäherung des Franco Regimes an die EEC, die zu einem begünstigten Handelsabkommen im Juni 1970 führte und die spanische Regierung im wieder wirtschaftlich relevant werden ließ. Die zweite Phase, von 1975 bis 1982, zeigt die Beziehung zwischen Spanien und den Gemeinschaftsinstitutionen. Spanien wurde eine demokratische Monarchie, unabdingbare Bedingung für einen Eintritt in die Europäische Gemeinschaft, und nahm deren Werte an. Die letzte Phase, von 1982 bis 1986, war die Ablösung und die Fortführung in den Verhandlungen, zusammen mit dem Aufstieg der Sozialisten zur Macht, und der positive Abschluss dieser Diskussion. Diese Arbeit gipfelte in Aspekte der Integration, die Rolle der Teilnehmer an den diplomatischen Aktivi-
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täten, das Gewicht der öffentlichen Meinung und der Einfluss der „tiefergreifenden Kräfte“
PROCESS OF INTEGRATION OF THE CZECH ECONOMY INTO THE EU AND SELECTED PROBLEMS OF THE CZECH ECONOMIC TRANSFORMATION
PETR PAVILK Foreword After the fall of communism, one of the favourite political slogans with respect to Czechoslovakia and few years later, with respect to the Czech Republic, was “Return to Europe!“ by which it was meant that the country which was in the long period 1948-1989 dominated by the Euro-Asian undemocratic and totalitarian superpower Soviet Union, should return to Western Europe where it had always belonged - with the exception of the above mentioned period and perhaps also with the exception of the Nazi occupation of 1939-1945 (if we consider the German Nazi régime as something un-European or even something in contradiction with the Western civilization) - not only from the geographic1 but also from the political, economic, social and cultural points of view. Indeed, history of the Czech Lands (Bohemia and Moravia) has been narrowly tied to history and culture of Western Europe and Western civilization for more than one thousand years. Relatively little known is the fact that it was the King of Bohemia Přemysl Otakar II. who in 1255 founded the East Prussian city of Königsberg2 whose most famous inhabitant was several centuries later the famous German philosopher Immanuel Kant. The King of Bohemia Charles IV from the Luxembourg dynasty was one of the most powerful European monarchs in the 14th century, because he was also the Emperor of the Holy Roman Empire. In 1348, he founded the oldest university in Central Europe – the Charles University. The King of Bohemia George of Poděbrady can be considered as one of the spiritual fathers of European integration. Already in the 15th century he proposed a concept of a peaceful union of European states which would have such institutions as a permanent Congress with legislative power and a common Court of Justice. According to him, such a union would have not only contributed to a peace in Europe, but it would have made Europe less vulnerable against the Turkish threat. Unfortunately, his plan was rejected by other European monarchs. From 1526 until 1918, the Czech Lands were governed by the Habsburg dynasty, and since 1867 until 1918, were part of the multinational
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By the way, Prague is geographically located west of e.g. Vienna or Helsinki. This city is now called Kaliningrad and is located by the Baltic Sea in a Russian enclave between two present EU member countries – Poland and Lithuania.
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Austro-Hungarian Empire. It is interesting to note that the Czech Lands had on its territory roughly two thirds of the industrial potential of the monarchy. A brief outline of the history of Czechoslovakia in the period 1918-1989 After the end of the World War I in 1918, the independence of Czechoslovakia was declared. Its first President became Tomáš Garrigue Masaryk who was highly respected not only in Czechoslovakia but in all the democratic countries of the world. It should be noted that major part of Europe was formed by totalitarian or authoritarian régimes in the interwar period. During the First Republic (1918-1938), Czechoslovakia was one of the fifteen most developed countries in the world, together with the United States, Argentina, United Kingdom, France, Netherlands, Belgium, Switzerland and some other countries. In this period, the Czechoslovak foreign policy was strongly oriented towards France. Maybe this was partly influenced also by the fact that the Foreign Minister and later President of the Republic Edvard Beneš had studied at the Lycée Carnot in Dijon when he was young. In 1938, there took place the shameful Munich Agreement as a consequence of which Czechoslovakia lost its territories with German (Sudetenland), Hungarian and Polish majorities. In March 1939, Germany occupied the rest of the Czechoslovak territory and shortly after that, the World War II started. In May 1945, most of the country was liberated by the Soviet army and the western part of Bohemia by the US troops, as was decided at the Yalta conference. In February 1948, a Communist coup d´Etat took place, and the whole Czechoslovakia became a Soviet satellite, similarly as other countries of Central and Eastern Europe. The leading role of the Communist Party was imposed upon the country and at the same time, central planning of the economy was introduced. Soviet type of communism with its ideology and command economy seemed as unnatural in Central European conditions even to many Czechoslovak Communist Party members. In 1968, reformist Czechoslovak Communists wanted to introduce some mild reforms of the economy (“market socialism“)3 and mild democratization of the political system (“socialism with human face“). However, this short period known as the “Prague Spring“ was interrupted by the invasion of the Soviet army and troops from other Warsaw Pact member countries4 in August 1968. After 1970, when Gustav Husák became the General Secretary of the Czechoslovak Communist Party, the period of so-called “consolidation“ and “normalization“ started, and it lasted until November 1989. These were probably the two saddest and most boring decades of contemporary Czech history. The only event which aroused some interest abroad was the Charter 77 movement and the persecution of dissidents which followed after publication of the Charter in foreign media. While in the USSR, there started “perestroika“ and “glasnost“ 3 4
The leading personality of moderate economic reforms was Ota Šik who emigrated to Switzerland after the Soviet invasion. He worked as professor of economics there. These countries were East Germany, Poland, Hungary and Bulgaria. Romania refused to participate in this aggression against Czechoslovakia. The invasion was also condemned by the Yugoslav Communist leader Tito. However, unlike Romania, Yugoslavia was not a member country of the Warsaw Pact.
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after Mikhal Gorbachev came to power in 1985, in Czechoslovakia there remained in power the same old Communist hardliners who had come to power shortly after the Soviet invasion in 1968, and they were observing the changes in Soviet Union with great suspicion - and they had a good reason for it. A brief outline of the political development in the Czech Republic since 1989 until present In November 1989, after a series of large demonstrations, fell the communist régime in Czechoslovakia. By the end of 1989, there took place some fundamental political changes: the appointment of the so-called “Government of National Understanding“, reconstruction of the Parliament and election of the President of the Republic. The first post-communist Prime Minister of the Czechoslovak federation was appointed Marián Čalfa, former member of the Central Committee of the Communist Party of Czechoslovakia. As the first President of the post-communist Czechoslovakia was elected Václav Havel, a generally respected dissident and playwright. In 1990, there have been created elementary conditions for democratic functioning of the political system. In June 1990, there took place the first free parliamentary elections after 1946 whose clear winner in the Czech Republic became the Civic Forum. It was not a standard political party, but rather a grouping of various streams and political groups which were supporting the democratic changes of the society. The prime minister of the federal government became again Marián Čalfa, of the Czech government Petr Pithart and of the Slovak government Ján Čarnogurský. Both Pithart and Čarnogurský were former dissidents. The Federal Assembly accepted a new constitution and changed the name of the country from Czechoslovak Socialist Republic to Czech and Slovak Federal Republic. Newly passed laws guaranteed fundamental political rights and civic freedoms. In 1992 took place the second free elections. After the break-up of the Civic Forum there participated in them already more or less standard political parties from which in the CR won the centre-right oriented Civic Democratic Party (ODS) headed by Václav Klaus, and in Slovakia won the centre-left oriented Movement for Democratic Slovakia (HZDS) headed by Vladimír Mečiar. At that time were culminating the disputes about competences between the CR and Slovakia, and it was already evident that the break-up of the federation was approaching. In that situation, the forming of the federal government headed by Jan Stráský did not have much significance. In the CR there was created a coalition government whose Premier became Václav Klaus who remained in this function practically until the end of 1997. On 1st January 1993 came into existence the independent Czech Republic. As its first president was elected again the former president of Czechoslovakia Václav Havel. In 1996, the third free elections in the country´s postcommunist history lead to a stalemate situation in the Chamber of Deputies. The coalition government headed by Václav Klaus became thus a minority government. In 1997, there increased contentions inside the government coalition but also inside
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the ODS5, and a government crisis erupted. In November of that year, the government of Václav Klaus resigned. In January 1998 there was appointed an interim government headed by Josef Tošovský, the former governor of the central bank. However, this government had only a short time space for more substantial changes. Nevertheless, it realized a number of steps directed at the improvement of the legal framework and started preparations of programme documents of medium-term character, e.g. the Economic Strategy of the EU Accession. In June 1998 took place extraordinary elections. The winner of the elections was the Czech Social Democratic Party (ČSSD), but it did not acquire a parliamentary majority. Nevertheless, an opposition agreement between the ODS and the ČSSD enabled the ČSSD to form a minority government headed by Miloš Zeman. The government programme was aimed at the economic recovery, improvement of the legal environment and acceleration of preparations for the entry into the EU. In the June 2002 parliamentary elections, the Social Democrats won and formed a government coalition with Christian Democrats and the US-DEU, a centre-right liberal party. In February 2003, former Prime Minister Václav was elected President of the Czech Republic. It is very likely that he will run for a second term in February 2008. The last parliamentary elections took place in June 2006. The result of these elections was a complete stalemate. It took eight months of difficult negotiations before a government that acquired a vote of confidence in the Chamber of Deputies was formed at the end of January 2007. It is a coalition of ODS, KDUČSL (Christian Democrats) and the Green Party headed by Premier Mirek Topolánek from the ODS. It remains unsure whether it will be able to last until the regular term of the next elections in 2010. The entry of the Czech Republic into the main international and Euroatlantic organizations Former Czechoslovakia was under the Soviet sphere of influence from the communist coup d´Etat in February 1948 until November 1989. Even more so after the Soviet invasion of 1968, Czechoslovakia was one of the most loyal members of the Warsaw Pact and of Comecon6 After the so-called “Velvet Revolution“ of 1989, the democratic regime was restored. After the fall of communism, Czechoslovakia had to redefine its foreign policy orientation - it switched practically overnight from the East to the West. Immediately after November 1989, the new government made efforts to establish contacts with all significant international organizations and institutions. An important goal of foreign policy after 1989 was the integration of Czechoslovakia into all the relevant Euroatlantic structures. Democratic Czechoslovakia and later the independent Czech Republic has gradually acquired membership in all the relevant international organizations and intergovernmental institutions. An 5
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One of the reasons for the conflict inside the ODS were allegations about suspicious financing of the Party through secret accounts in Switzerland. The main source of the deposits were allegedly financial frauds connected with the privatization process and insider-trading on the capital market. More exactly Council for Mutual Economic Assistance (CMEA)
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important prerequisite of successful progress of ongoing economic reforms in the post-communist countries is their participation in the activities of international financial institutions. In September 1990, Czechoslovakia was admitted both to the IMF and the World Bank. Twenty years later, the CR was hosting the 2000 Annual Meeting of the IMF and the World Bank Group in Prague. It was for the first time in history that such a meeting has taken place in a post-communist country. In February 1991, Czechoslovakia was officially admitted to the Council of Europe as its 25th member. In 1993, both the Czech Republic and Slovakia became members of the Council of Europe more or less automatically. Membership in the Council of Europe can be considered as a first major step of the CR towards being internationally recognized as a democratic country which respects human rights and the principle of the rule of law. A great success of the CR on the international scene has been its relatively early entry into the OECD and NATO. The Czech Republic became a member of OECD in December 1995 as the 26th member country and the first postcommunist country to join the organization. By belonging to this club of the world´s most developed countries, the prestige of the CR on the international scene has increased considerably. At the time when Soviet military forces were still stationned in the country7, in July 1990, Czechoslovakia established diplomatic relations with NATO. Since the break-up of the federation, the Czech Republic has continued to even more actively seek entry into the NATO and in 1994 joined the “Partnership for Peace“ programme. In March 1999, the Czech Republic, together with Hungary and Poland, acquired full NATO membership. The process of integration of the Czech Republic into the European Union Before 1989, the relations between the Czechoslovak Socialist Republic and the European Communities did not exist in the sense of international law. Communist Czechoslovakia nevertheless had bilateral diplomatic relations with all the member states of the European Communities, and trade relations with individual EC countries were also bilaterally based. However, before the fall of the Berlin Wall, the turnover of mutual trade was relatively small and political relations were very much influenced by the omnipresent communist ideology. Diplomatic relations between the EC and the CSSR (Czechoslovak Socialist Republic) were first established in 1988 and with the CR in January 1993. The first document regulating the mutual economic relations was the Trade and Cooperation Agreement concluded with the CSFR (Czech and Slovak Federal Republic) in 1990 (succeeded by the Interim Agreement). In a further step, the EU temporarily incorporated Czechoslovakia into the General System of Preferences in January 1991. Since the beginning of 1993 until accession, the contractual relationship between the Czech Republic and the European Union was regulated by the Europe Agreement (EA). It was first signed with CSFR in December 1991. In the meantime, the trade related part of this agreement, which aimed at creating a free trade area, entered into force in March 1992 in the form of an Interim Agreement. The validity of the Interim Agreement was terminated by the activation of the EA. According to the association agreements, a free trade area 7
The withdrawal of Soviet troops from Czechoslovakia was completed in June 1991.
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among the EU and the Central and East European countries for non-agricultural products was expected to be created by 2002. After the division of Czechoslovakia on 1st January 1993, the EA had to be renegotiated. The new agreement between the EU and the CR was signed in October 1993 and came into effect in February 1995. The European Council meeting in Copenhagen in 1993 took a decision towards the current enlargement, agreeing that “the associated countries in Central and Eastern Europe that so desire shall become members of the European Union“ and it defined the criteria that all applicant countries have to fulfill before becoming regular members of the EU. The European Council meeting in Essen in 1994 defined a so-called pre-accession strategy, which was expected to prepare the candidate countries for EU membership. This strategy was based on the application of the Europe Agreements, financial aid based on the Phare programme and the so-called “structured dialogue“ which provided a multilateral framework of regular joint meetings at ministerial level between the EU and the associated countries. Two important events that added a new quality to the CR-EU relationship happened in 1996. In January, the Czech government presented its application for EU membership, accompanied by a Memorandum. At the end of July, the Czech government presented detailed answers to the European Commission questionnaire. These answers served as one of the important sources of information for preparing the “avis” - the opinion on the CR as an applicant for membership. The European Council meeting in Luxembourg in December 1997 took a decision that negotiations about accession should start first with a group of six best prepared countries - Hungary, Poland, Slovenia, Czech Republic, Estonia and Cyprus. Thus the CR has become part of the so-called Luxembourg group of countries. In March 1998 started the negotiation process by means of bilateral intergovernmental conferences of the EU with the six countries of the Luxembourg group. The Luxembourg European Council introduced a new instrument of the enhanced pre-accession strategy called the Accession Partnership. The purpose of this instrument was to set out in a single framework the priority areas for further work in the course of the CR´s path towards the EU accession, the financial means available to help the CR implement these priorities and the conditions which would apply to that assistance. The Accession Partnership provided the basis for a number of policy instruments which were supposed to be used to help the Czech Republic as well as other candidate countries in their preparation for membership. These included, inter alia, the revised National Programme for the adoption of the acquis, the Joint Assessment of medium-term economic priorities, the Pact against organised crime as well as the National Development Plans and other sectoral plans necessary for the participation in Structural Funds after membership and for the implementation of ISPA (Instrument for Structural Policies for Pre-Accession) and SAPARD (Special Accession Programme for Agriculture and Rural Development) before accession. From the point of view of foreign trade and foreign investment, Czechoslovakia and later the Czech Republic had been gradually more and more connected with the EU economy, even without being a full member. Full membership has meant a further increase of trade relations with EU countries, as
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well as more direct and portfolio capital inflows from the EU to the CR, but also Czech capital outflows to the EU. Moreover, integration effects can be observed in all the other areas of economy. Before 1990, most of the Czechoslovak foreign trade was oriented towards the Comecon countries, especially the Soviet Union. Since the beginning of the transformation, Czechoslovakia, and later the Czech Republic, has lost a big part of these markets. However, Czechoslovakia had managed to reorient its foreign trade towards developed market economies relatively quickly and a trend in this direction has continued since the disintegration of the federation in both the CR and Slovakia. The table below shows how quick and radical this change was. Table:
Territorial structure of Czech exports (in %)
Year
1989 1997
Former USSR and other communist countries 50.0 29.5
Developed market economies 37.2 65.2
Developing countries 7.5 4.9
Source: Ekonom In 1999, 69.2% of CR´s exports and 64% of CR´s imports were with the EU member countries. At the same time, more than 76% of foreign direct investment was from EU member countries in 1999. Thus, in this respect, the CR was already with one foot in the EU. In 2005, 84.2% of CR´s exports and 70.8% of CR´s imports were with the EU member countries. At present, the Czech banking sector is dominated by three large banks which are owned by three banking groups from the old EU-15: the KBC of Belgium, the Société Générale of France, and the Erste Group of Austria. The process of integration of the Czech Republic and other Central and East European countries into the European Union has two main stages. In the first stage, a candidate country was expected to meet the so-called Copenhagen criteria before it could become a full member; in the second stage it is supposed to fulfill the Maastricht convergence criteria before entering the Eurozone and thus accepting the single European currency - the euro. The CR entered the EU on the 1st May 2004 together with nine other countries. Since the accession, the CR has started to participate in the European Economic and Monetary Union. Before joining the Eurozone, the CR will have to be part of the ERM-2 for at least two years. The official plan of the Czech Ministry of Finance and the Czech National Bank was to introduce the euro in 2010. However, this plan has been already abandonned as unrealistic because of relatively high deficits of public budgets expected in the coming years. At present, most analysts believe that introduction of the euro wil be more likely sometime within the period 2012-2014. An important issue in this respect is the problem of real and nominal convergence of the Czech economy. There is e.g. danger that sticking fully to the Maastricht inflation convergence criterion could
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unnecessarily slow down the economic growth and the catching-up process with the EU-15 economies. The complex process of the Czech economic transformation Former Czechoslovak Socialist Republic had a Soviet-model centrally planned economy with a practically non-existent private sector. Practically all the prices were administratively set, a currency which was not convertible was accompanied by a multiple exchange-rates system, and there was a clear priority of political decisions over economic considerations. Only after 1985 during the years of the so-called “perestroika”, private sector started to emerge very slowly. Nevertheless, only 1.2% of the labour force, 2% of all registered assets and a negligible fraction of the country’s GDP was created in the private sector in 1989. Unlike Hungary and Poland which have started to do partial market reforms already before 1989, the Czechoslovak Communist Party leaders were unwilling to allow any substantial changes to take place. At the same time, however, Czechoslovakia was one of the most industrial communist countries and its national income per capita was also one of the highest in the Eastern block. Thus at the start of the transformation process, Czechoslovakia had inherited from the past both great disadvantages and great advantages over other countries in the block. The economic transformation in Czechoslovakia and later in the Czech Republic had meant to change the economic system completely. At the beginning of the transformation process, there were discussions among Czech and Slovak politicians and economists about whether Czechoslovakia should follow the path of a gradual transformation or do some kind of a “shock therapy“. A more radical approach won, but it is questionable whether the expression “shock therapy“ is the right one. It can rather be said that some changes had to be made almost overnight, as e.g. liberalization of most prices, other types of changes required a much longer period and some of them are not over yet, as e.g. the privatization process. The basic transformation steps were based on the so-called “Washington consensus“ which meant above all opening of the economy, privatization, deregulation, devaluation of currency, independence of central bank, decrease of tax quota etc. The basic scenario of the transformation process based on the “Washington consensus“ was prepared mainly by experts from the IMF and the World Bank but leading economists and politicians from transition countries had to adapt this scenario to conditions of each particular country. And in the Czech case, they had been very creative in this respect. In theory and rhetorics, the leaders of the Czech economic transformation of whom the most prominent ones were Václav Klaus, Vladimír Dlouhý, Dušan Tříska, Tomáš Ježek and Karel Dyba, were very much influenced by classical liberalism (especially by its “invisible hand of the market“), neoliberalism with free market theories of the “Chicago School“ as interpreted e.g. by Milton Friedman, ideas of the “Austrian School“ as presented e.g. by Friedrich A. von Hayek, and ideas of the “Public Choice School“ as represented e.g. by James Buchanan. Among Western politicians who were the strongest inspiration for these Czech economists and politicians were in foreground the former British Premier Margaret Thatcher and the former US President Ronald Reagan with his
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“reaganomics“. However, in practice the market reforms of the 1990s in the CR were a strange mixture of the above mentioned sources of inspiration, pure pragmatism, social-democratic approaches, clientelism, rent-seeking, insidertrading, economic nationalism and sometimes even relics of the old communist ways of thinking. It must be admitted though that some kind of “crony capitalism“ has accompanied all the transition countries, especially in the initial stages of their transformation. It is interesting that after the Czech Social Democrats came to power in 1998 and stayed there for eight years, they were often forced to do a rightist economic policy – the type of policy they were strongly rejecting in their rhetorics in the past. E.g. they privatized most of the banking sector, they have successfully attracted a huge inflow of foreign direct investment, and have even made a plan for gradual deregulation of regulated rents for the period 1997-2010 – something that the preceding centre-right governments have not dared to do. In theory and rhetorics, the Czech Social Democrats, of whom the most prominent ones were Miloš Zeman, Stanislav Gross and Vladimír Špidla8, were to a large extent influenced by Keynesianism as presented by John Maynard Keynes himself, and saw an example to follow in the so-called „Swedish model“ and the German „Sozialmarktwirtschaft“. The last ČSSD Prime Minister Jiri Paroubek was often referring to Tony Blair and his „New Labour“ in his speeches“ but at the same time, cooperation with the Communists was acceptable for him – this was not the case of Vladimír Špidla. In practice, the ČSSD was also rather pragmatic. The economic transformation under the ČSSD governments was also accompanied by corruption and clientelism. While many people around ODS had made a big fortune by taking advantage of the lack of transparency of the large privatization, the capital market and the capital concentration process, influential supporters of ČSSD have more often become rich by taking advantage of the lack of transparency of public procurement in the CR. Brief overview of the economic development in the Czech Republic in the period from 1990 until present In September 1990, the Federal Assembly accepted the “Scenario of Economic Reform“. A series of three devaluations of the Czechoslovak crown prepared the way for introducing the internal convertibility of the currency. Partial price adaptations were made of which the most important was the abolition of the negative turnover tax in the case of retail prices of foodstuffs, which lead to approximately a 25% increase of their prices. Newly passed laws in the economic sphere guaranteed free enterprise (e.g. laws on private enterprise, joint-stock companies, state enterprise etc.). In 1991 started radical economic reforms which have to a great extent influenced the future development many years ahead. The Czechoslovak economy was affected by a severe recession which was a consequence of the deformed structure of the economy, the change of external conditions (the breakup of the Comecon, reorientation of the foreign trade on the western markets) 8
Vladimir Špidla is now Member of the European Commission in charge of employment, social affairs and equal opportunities.
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and the restrictive macroeconomic policy. The economic transformation started on 1st January 1991 with liberalization of prices and foreign trade. The price liberalization enabled to create a market-based coordination mechanism which replaced the command system. Liberalization of foreign trade connected with the introduction of the internal convertibility of the Czechoslovak crown substantially improved the situation on the market and at the same time was creating a healthy competition to domestic producers. In the first months after price liberalization followed a jump of prices upwards – the inflation rate in 1991 reached almost 60%9. The macroeconomic stabilization policies (both monetary and fiscal one) at that time were strictly restrictive and aimed at suppressing the inflation pressures. At the end of 1991, the Federal Assembly passed a law on the State Bank of Czechoslovakia (the central bank) which acquired the status and competences of a standard issuing bank. There was further passed a law on banks which set the basic rules for the activities of commercial banks. In the course of 1991 started the first auctions of the small-scale privatization and in November, the registration of voucher books for the so-called voucher method of large-scale privatization. In 1992, the preparations for the division of Czechoslovakia slowed down the pace of economic reforms. Nevertheless, there continued the small-scale privatization and in restitutions there was being returned large part of the property nationalized after the communist coup d´Etat in February 1948. There took place also the first wave of voucher privatization. In contrast to the expected creation of a customs and monetary union, already at the beginning of February 1993 was done the division of the Czechoslovak currency into two separate currencies. The Act on the Czech National Bank (the central bank) set as its main goal the securing of stability of the Czech currency (in 2000 this goal was narrowed to price stability). On 1st January 1993 started the tax reform which brought closer the Czech tax system to the practice of the European Union (the introduction of value added tax and the tax from income of physical and legal persons). In spring 1993 started its activities the Prague Stock Exchange and the over-the-counter stock market called RM-system. Important changes were done in the area of social security and health insurance. 1994 was the year of the beginning of economic recovery accompanied by a low inflation level and a very low unemployment rate. However, there appeared first signs of the slow-down of the transformation. For this period is typical a certain self-satisfaction of the governing élites with the hitherto transformation achievements and realization of a number of necessary reforms slowed down or was being postponed. The large-scale privatization continued with a second wave. There appeared the first indications of a coming banking crisis. This was the beginning of a series of crashes of a number of small private banks which were established shortly after the fall of the communist regime. Most or maybe even all of these crashes were connected with financial frauds. In 1995, the economic growth accelerated but it was accompanied by an increasing economic disequilibrium. This was a period of transformation successes and favourable macroeconomic figures, and the CR was considered by 9
This figure seems high but it was the highest inflation rate which has ever been recorded in the Czech Republic. In some other transition countries, inflation rates in some years reached hundreds or even thousands of per cent.
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international organizations, major rating agencies and various private consulting firms to be one of the best performing transition countries. It is worth to mention the start of activities of the Czech Export Bank, based on the law on insurance and financing of exports with state aid. Also the Hypoteční banka (a first mortgage bank in the country) started to operate. A new foreign exchange law passed in autumn introduced practically a full (i.e. also an external one) convertibility of the Czech crown. Thus there was eliminated most of restrictions for the free movement of capital. 1996 was a year in which the transformation process seemed to continue relatively smoothly but signs of macroeconomic instability were no longer hidden under the surface but started to be more and more visible. In 1997, many problems of the economy became evident, and after an analysis of the situation the government adopted two so-called packages of measures: the Correction of Economic Policy and Further Transformation Measures (from April) and the Stabilization and Recovery Programme (from May). The packages included a decrease of budget expenditures which was supposed to support the renewal of economic equilibrium, and a proposal of systemic measures aiming at a solution of some institutional and legal problems. In 1997 started the second recession of the Czech economy which was caused by the hardness of monetary policy, restrictive measures of the fiscal policy, insufficient microeconomic restructuring but also by financial frauds of large scale. The growing unemployment in some regions have become a serious problem. The interim government headed by Josef Tošovský, the former governor of the central bank which was appointed in January 1998 had only a short time space for more substantial changes. Nevertheless, it realized a number of steps directed at the improvement of the legal framework. The government programme was aimed at the economic recovery, improvement of the legal environment and acceleration of preparations for the entry into the EU. In the second half of 1998, the CNB decreased the interest rates and obligatory minimal reserves and made more strict the regulation of the banking sector. In 1999, The CNB published the Long-term Monetary Strategy. Together with the European Union, the government prepared the Common Evaluation of the Priorities of Economic Policy of the Czech Republic which was supposed to accelerate the economic transformation and the entry into the EU. With the aim of reviving the economy, the government adopted a controversial Programme of Revitalization of the Industry. In 1999, there was concluded the privatization of the Československá obchodní banka (ČSOB) by the Belgian company Bankassurance Holding (KBC) and the government announced the intention to privatize Česká spořitelna (Czech Savings Bank) and Komeční banka. In 2000 started the revival of the Czech economy after a recession of several years. To this revival contributed considerably the decrease of interest rates of the central bank which was done several times, the loosening of the fiscal policy, the progress in restructuring of firms, and adoption of incentives for the support of foreign direct investment. In June the CNB imposed forced administration on the Investiční a poštovní banka (IPB) which was consequently taken over by the ČSOB. The Česká spořitelna was privatized to the hands of the Austrian Erste Bank. The Regular Report of the European Commission on the CR for 2000 noticed progress in the creation of legal framework of the market economy, but
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criticized the lack of progress in the state administration reform and in justice, and also insufficient fight against corruption and economic criminality. The economic growth continued also in 2001. The improvement of economic performance is however accompanied by a sharp increase of the deficit of public finance. There started the privatization of Komerční banka which was bought by the French bank Société Générale, and that of the Transgas which was bought by the German firm RWE. There were introduced higher territorial units (regions) and the public administration reform was under preparation. The Regular Report of the European Commission for 2001 was relatively favourable, it confirmed the fulfillment of the Copenhagen political criteria and existence of a functioning market economy. 2002 was a year of stable development for the CR while the dynamics of the economy was slowing down and disequilibrium of the public finance was increasing. Although the relatively high growth of rate from the previous year slowed down, it did not drop down to zero values of the EU. In the course of 2003, the Czech economic growth accelerated. At the same time, the public indebtedness was increasing. The main economic issue was the reform of public finance which continues to be a major issue also in 2004. Another key problem of the Czech economy continued to be the excessively high level of the unemployment rate10. Some important reform issues have been opened for public debate, such as e.g. the question of deregulation of rents. 2003 was also a year of intensive preparations for the EU accession. In 2004 the first IPO11 (primary issue) took place on the Prague Stock Exchange which is considered as a historic event. It is worth mentioning that until this date the Czech capital market was not playing one of its basic roles, i.e. being an alternative to bank loans for firms that needed to raise capital Another two IPOs were introduced on the PSE in 2006 and around five are expected in 2007. In 2005 the economic growth in the Czech Republic has significantly accelerated and reached 6%. At the same time, there could be observed very good results in foreign trade. The CR continued to be attractive for foreign direct investors. In 2005, the net inflow of FDI to the CR was 11 billion USD. Unemployment remained high and reform of public finance was one of the main issues of the electoral campaign before the 2006 parliamentary elections. At present, the Czech economy is growing relatively quickly (in 2005 the GDP growth was 6%) but some important reforms are still needed. However, we can already speak in this respect of post-transformation reforms. These are reforms which are also needed in many highly developed Western European countries such as e.g. pension reform, reform of the health system, reform of the system of social benefits, reform of the labour market etc. Selected problems of the Czech economic transformation 10 11
It is, however, worth mentioning that although the maximum unemployment rate in the Czech Republic exceeded 10%, it has never reached 11%. In some other transition countries there have been observed unemployment rates of more than one third of the labour force. PO – Initial Public Offering
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The 1990s were an interesting period from the poit of view of radical economic (and also political) changes. From a certain viewpoint this period was a great success, from another perspective it was a great failure. In this period most of the prices were liberalized - with the exception of prices of utilities (electricity, gas, water, heat), telecommunications, postal services, rents, public transport and pharmaceutical products. Most enterprises - both small and large - were privatized until almost 80% of GDP was created in the private sector at the end of the decade, the tax system became fully compatible with that of the EU (e.g. the VAT was introduced), the Czech currency became fully convertible, and in 1995 the Czech Republic was the first country from the whole postcommunist block to join the the OECD. On the other hand, this period was also called „the wild 1990s“, because it was accompanied by many financial frauds of large scale, asset-stripping (in Czech there was invented a new word „tunnelling“ which was later adapted also by other languages) and corruption. One of the characteristic features of this period was inadequacy of the legal and institutional framework of the economic transformation. One of the main problems was the situation at the Czech financial markets and the banking sector where for a very long time the rules of the game did not correspond to those of developed countries in Western Europe and North America. The Czech capital market was known for insider-trading, insufficient protection of minority shareholders and insufficient disclosure of information. One of the dilemmas the governments in post-communist countries had to deal with was the question whether to restructure the firms first and then privatize them or to privatize first, and leave the restructuring up to the new owners. The way how to cope with this dilemma was the main difference between two groups of economists which emerged in 1990 before the start of the economic transformation. One group formed itself around the Deputy Prime Minister of the Czech Republic (at that time, part of the Czech and Slovak Federal Republic) F.Vlasák, the second group were colleagues of the then Federal Minister of Finance V.Klaus who later became the Czech Prime Minister. Both groups of economists agreed on the key role of the market, price liberalization and macro-economic stabilization but disagreed on the speed and qualitative aspects of the privatization process. The team of Vlasák was in favour of a gradual commercialization of enterprises which would be followed by their restructuring, and only after that some of the enterprises would be cautiously privatized. The Klaus government has chosen the second option, i.e. an immediate and fast privatization. This option can be justified by many good arguments. However, a necessary condition for this option to work, is the quality of the privatization process. While the Hungarian government was trying to attract as many foreign strategic investors as possible, the Czech government preferred to experiment with various “Czech ways” to privatize the economy. An artificially created atmosphere of fear that foreigners could get hold of the socalled “family silver” for a very cheap price helped to push politically the “Czech ways” of privatization through. Unfortunately they seldom showed up to be successful12. 12
Besides the special technique of voucher privatization, another widely used method of largescale privatization were sales of large firms to domestic entrepreneurs who had to obtain a
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An interesting role during the Czech economic transformation has played the capital market. The origin of the capital market in Czechoslovakia was very specific and unique. Its elements had not been introduced spontaneously according to the needs of the participants of the market based on their activities but were created in advance as projects linked to the voucher privatization. The set-up of the Czechoslovak capital market was not taken over from developed economies but was conceived as sort of a “creative experiment“. The process of voucher privatization was relatively fair at the beginning, because initially, the same rules applied to everybody. The idea was not to give everybody an equal share, but rather the whole process can be compared to a lottery. At the end, some were more lucky and some were less lucky. That would be quite fair unless a group of insiders with privileged information and personal contacts had started to play their own game at the expense of minority shareholders. As a consequence, much of the money acquired in their private game ended up in the Bahamas, Cayman Islands, Cyprus, Liechtenstein and other off-shore locations. There are allegations that even some powerful Russian mafia groups may have participated in this process. In this way, financial resources in the rank of hundreds of millions or perhaps even billions of US dollars have left the country under suspicious circumstances. At the same time, most Czech enterprises privatized by means of vouchers remained seriously undercapitalized for a long period of time. In general, their performance was poor and they were able to contribute sufficiently neither to economic growth nor to the state budget in the form of taxes. Another problem was the system when banks were giving new and new loans even to such loss-making enterprises where it was almost evident that they would never be repaid. This was called “banking socialism” by many Czechs. This expression was inspired by the soft budget constraints from the era of the so-called real socialism which had led to a situation when profitable enterprises were indirectly, via the state budget, subsidizing loss-making ones. The consequence of the period of “banking socialism”, which already ended, was a huge percentage of bad loans in the loan portfolio of most banks and their actual reluctance to provide loans even for good projects. Another consequence of „banking socialism“ plus some financial frauds of large-scale have been heavy costs of the rescue of the loss-making banks. The state had spent about 270 billion CZK (cca 9.6 billion EUR) for the stabilization of the banking sector by the end of 1999. It is expected that the total costs of cleaning up the Czech banking sector have exceeded 400 billion CZK (cca 14.2 billion EUR). After 1998, the Social Democratic governments were trying to attract as much foreign capital as possible, mainly by means of investment incentives, and to sell the remaining state and semi-state enterprises to strategic foreign investors. It must be mentioned though that in the first half of the 1990s, the ČSSD was strongly opposed to the idea of selling large Czech enterprises to foreigners. One of the most successful examples of foreign investment has been the purchase of the Škoda Car company by the German Volkswagen. Another huge investment of an old EU-15 country was the recent purchase of Český Telecom by Telefónica huge loan, usually from a semi-state bank, in order to buy a huge enterprise. The best known cases are ČKD Praha, Škoda Plzeň, Poldi Kladno and Chemapol. In all of these cases, the owners were not able to repay the loans.
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of Spain. In general, foreign-owned firms have contributed significantly to the accelaration of the CR´s GDP growth after the year 2000. The main problem of the ČSSD governments from the point of view of economic development has been a significant increase of public debt. The country at the present stage of development simply cannot afford such a generous system of social benefits which the Social Democrats have created during the eight years they remained in power. For this reason, a radical reform of the expenditure side of the state budget is urgently needed. Various analyses indicate that after the CR has survived the “wild 1990s“, its prospects for the future are relatively good. In 2005, the GDP per capita in the CR was 12 113 USD in exchange rate and 17 309 USD in purchasing power standard (PPS). This was the second highest figure after Slovenia from all the postcommunist countries. In the same year, the CR´s GDP per capita in PPS was 73% of the EU-25 average. In 2004, Prague was according to Eurostat among the 12 richest regions of the EU-27 from the point of view of GDP per capita in PPS – it was 157.1% of the average (e.g. the figure for Vienna was 179.7%, 101.2% for Berlin, 107.8% for Alsace, 141.0% for Stuttgart, 248.3% for Region of Brussels, for Ile de France it was 174.5%, the highest figure was for Inner London – 302.9%). With the relatively high level of economic and social development of the CR, there is however in sharp contrast the level of transparency of the economy, the high level of corruption, the poor quality of the judiciary and the insufficient enforceability of law. Indicators for the CR which reflect these areas rather correspond to much less advanced countries of Latin America, Balkans or the exSoviet Union. While with respect to the Human Development Index13, the Czech Republic ranked 31th in 2003 from 177 countries of the world (ahead of e.g. Malta, United Arab Emirates, Chile or Bahamas), with respect to the Corruption Perception Index14, the CR ranked 47th from the total of 158 countries and ended up behind of e.g. Botswana, Jordan, Tunisia or South Africa. There is no doubt that such problems as corruption or economic criminality negatively influence the overall economic performance, standard of living and quality of life in the country. Conclusion There are three macro-processes which have been simultaneously taking place in most countries of Central and Eastern Europe and the Czech Republic is no exception in this respect. The first one is a multi-level and multi-dimensional transformation process and the second one is the process of integration into the European Union. Both processes have been taking place in the context of the process of world globalization. All the above mentioned processes are strongly interrelated and it is indeed sometimes difficult or even impossible to distinguish and separate clearly the transformation, integration and global impacts on the economies and societies of the transition countries. With respect to economic transformation, three kinds of changes can be distinguished: 1) systemic changes, 2) structural changes, and 3) institutional 13 14
indicator published each year by the United Nations Development Programme (UNDP) indicator of the Transparency International
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changes15. While the character of systemic changes is revolutionary and they should be made as quickly as possible in order to minimize the costs, the structural changes are of a much more evolutionary character and they represent a rather long-term process. The same can be said of institutional changes, which in some ways, are a never-ending process. Although major systemic transformation changes have already been made, the transition process in the Czech Republic has still a long way to go. Bibliography: Czesaný, S. Česká ekonomika na prahu 21. století, Profess Consulting s.r.o., Praha 1998. Černoch, P. Cesta do EU. Východní rozšíření Evropské unie a česká republika v období 1990-2004, Linde nakladatelství s.r.o., Praha 2003. Černoch, P. / Had, M. /Stach, S. / Urban, L.: Česká republika v Evropské unii. Přínosy a náklady. Asociace pro studium mezinárodních vztahů, Praha 2004. Holman, R. Transformace české ekonomiky, Centrum pro ekonomiku a politiku , Praha 2000. Holub, A. et al. Česká ekonomika na cestě do Evropské unie, Professional Publishing, Praha 2003. Hřích, J. Obchodní politika Evropské unie a obchodní vztahy České republiky s Unií, Working Paper 2/2001, Ústav mezinárodních vztahů, Praha, May 2001. Jonáš, J. Bankovní krize a ekonomická transformace, Management Press, Praha 1998. Jonáš, J. Ekonomická transformace v České republice. Makroekonomický vývoj a hospodářská politika, Management Press, Praha 1997. Jonáš, J. Světová ekonomika na přelomu tisíciletí, Management Press, Praha 2000. Jonáš, J. / Bulíř, A. eds. Ekonomie reformy, Management Press, Praha 1995. Klaus, V. Země, kde se již dva roky nevládne, Centrum pro ekonomiku a politiku, Praha 1999. Klaus, V. et alii. Patnáct let od obnovení kapitalismu v naší zemi, Centrum pro ekonomiku a politiku, Praha 2006. Klvačová, E. Vstup České republiky do Evropské unie: oslabení nebo posílení role státu?, Professional Publishing, Praha 2003. Kučera, R. Omyly české transformace, Institut pro středoevropskou kulturu a politiku, Praha 1998. Loužek, M. Zapomenutá transformace, Centrum pro ekonomiku a politiku, Praha 1999. Mlčoch, L. Úvahy o české ekonomické transformaci, Vyšehrad, Praha 2000. Němcová, I. / Žák, M. Hospodářská politika, Grada Publishing, Praha 1997. Pavlík, P. “Economic Transformation in the Czech Republic. What Went Wrong?“, in: Nuti, D.M. / Uvalic, M. eds. Post-Communist Transition to a Market Economy. Lessons and Challenges, Longo Editore Ravenna, Ravenna 2003. Pavlík, P. „Adaptation of the Czech Economy: is the Transition over?“, in: Liuhto, K. ed.: Ten Years of Economic Transformation, Volume I - “The Economies in
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Résumé L´ancienne République socialiste tchécoslovaque était pendant la période entre 1948-1989 un des plus durs régimes communistes en Europe, elle avait l´économie dirigée par planification centrale de type soviètique et il n´y existait pratiquement aucun secteur privé. La période de „perestroïka“ et de „glasnost“ commencée en l´URSS en 1985 après la prise de pouvoir de par Mikhaïl Gorbatchev, ne s´est pas beaucoup manifestée sur la situation de la Tchécoslovaquie. Les changements radicaux n´ont commencé dans l´ancienne Tchécoslovaquie et plus tard la République tchèque (RT) qu´après ladite „Révolution de velours“ en novembre 1989 et la chute du régime communiste a
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la fin de la même année. Le rôle dirigeant du parti communiste a été aboli en 1990 et les premières elections libres après le coup d´Etat de 1948 ont eu lieu et le pays est devenu graduellement une démocratie parlementaire standard de type occidental. Considérablement plus compliqués et plus complexes que les changements politiques relativement rapides étaient les changements dans le domaine économique. Particulièrement intéressants étaient dans cet égard les années 90. D´un côté on peut considérer la transformation économique de ce temps-là comme relativement rapide et réussie, de l´autre côté cette transformation était toutefois accompagnée par un nombre de phénomènes négatifs, lesquels étaient liés surtout au cadre juridique et institutionnel inadéquat et une revendication de loi insuffisante. Dans la période des années 90 s´est réalisée une libéralisation de la plupart des prix, introduction de la convertibilité interne et externe de la couronne tchèque, une réforme fiscale générale et une privatisation des petites et grandes entreprises dont le résultat était que la part du secteur privé sur le PIB a atteint 80% a la fin des années 90 – c´est un pourcentage comparable avec les économies développées de l´Europe occidentale. Les années 90 étaient cependant aussi accompagnées par des fraudes financières de proportions énormes, lesquelles ont affecté le secteur bancaire d´une manière accentuée et pour longtemps ont gâté la réputation du marché des capitaux tchèques. En même temps toutes les années 90 et aussi la période après l´année 2000 étaient accompagnées par un haut degré de corruption. Parallèment avec le processus de la transformation politique et économique se déroulait en RT dans la période passée un processus d´intégration dans les structures européennes et euroatlantiques. Ce processus a été achevé par l´adhésion de la RT a l´UE le 1er mai 2004. Au cours de ce processus l´économie tchèque est arrivée à une grande interpénétration avec l´économie de l´UE. En 2005 les exportations tchèques envers les pays membres de l´UE ont atteint presque 85%, les importations ont excédé 70%, et environ 80% des investissements étrangers directes ont tiré leur origine des pays membres de l´UE. La partie prépondérante du secteur bancaire tchèque est actuellement possédée par les groupes bancaires des pays de l´UE. Aussi pour cettes raisons un problème de plus en plus actuel est devenu l´introduction de l´euro lequel la RT s´est obligé assurément à adopter déjà par la signature du traité de l´adhésion. Actuellement il s´agit tout d´abord de réglage opportune de cette démarche autant qu´elle se réalise jusque dans le moment quand ses avantages repesent sur ses coûts. Alors que les changements de système les plus essentiels de la transformation économique ont déjà été réalisé dans la RT, cela ne signifie pas qu´il n´est plus nécessaire de réaliser aucunes réformes ultérieures. La RT a déjà une économie de marché plus ou moins standard laquelle est capable de résister aux pressions concurrentiels à l´intérieur de l´UE et aussi dans le cadre de l´économie mondiale. En même temps elle bataille avec une file de problèmes lesquelles doivent être résolus aussi par les autres pays développés. Une grande partie de ces problèmes est liée avec le processus de vieillissement de la population. De ce point de vue il est notamment important de réaliser une réforme du système de santé et une réforme du système des retraites. Ces réformes partielles de posttransformation sont en plus étroitement liées a la réforme intégrale des finances
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publiques laquelle est une condition de succès des préparations pour l´introduction de l´euro.
Zusammenfassung Die ehemalige Tschechoslowakische Sozialistische Republik war im Zeitabschnitt 1948 – 1989 eines der härtesten kommunistischen Regime in Europa. Sie hatte eine zentrale Planwirtschaft des sowjetischen Typs und fast keinen privaten Sektor. Die Periode der „Perestroika“ und „Glasnost“ (die Offenheit), die in der UdSSR im Jahre 1985 – nach dem Machtantritt von Michail Gorbatschow – begann, spiegelte sich auf den tschechoslowakischen Umständen nur wenig wieder. Radikale Veränderungen begannen in der ehemaligen Tschechoslowakei – und später in der Tschechischen Republik – erst nach der sogenannten „Samtrevolution“ im November 1989 und dem nachfolgenden Sturz des kommunistischen Regimes am Ende des angeführten Jahres. Die in der Verfassung verankerte führende Rolle der kommunistischen Partei wurde abgeschafft, im Juni 1990 verliefen die ersten freien Wahlen seit dem Umsturz vom Februar 1948 und das Land wurde auf diese Weise eine normale und funktionsfähige parlamentarischen Demokratie der westlichen Art. Wesentlich komplizierter sowie komplexer als die relativ schnellen politischen Veränderungen war die prinzipielle Umwandlung der Volkswirtschaft. Besonders interessant waren in dieser Hinsicht die 90er Jahre. Auf der eine Seite war die damalige ökonomische Transformation als relativ schnell und erfolgreich, auf anderern Seite wurden diese Transformation mit einer ganzen Reihe der negativen Erscheinungen begleitet, die in erster Linie mit einem unadäquaten rechtlichen und institutionellen Rahmen sowie mit einer unzureichenden Möglichkeit das Recht zu erzwingen zusammenhängen. Im Laufe der 90er Jahre kam es zur Liberalisierung der meisten Preise, Einführung der inneren sowie äuβeren Konvertibilität der tschechischen Währung, der gesamten Steuerreform, sowie der kleinen und groβen Privatisierung, die zur Folge hatte, daβ die Anteil des privaten Sektors am BIP am Ende dieser Dekade fast 80 % erreichten, was einen Wert darstellte, der mit entwickelten westeuropäischen Wirtschaften vergleichbaren war. Die 90er Jahre wurden jedoch auch durch mehrfachen finaziellen Betrug von riesigem Ausmaβes begleitet, die auf bedeutende Weise den Banksektor trafen und auf eine lange Zeit die Reputation des tschechischen Kapitalmarktes verdarben. Gleichzeitig wurden sowohl die ganzen 90er Jahre als auch die Jahre des neuen Jahrzehntes durch ein groβes Maβ der Korruption begleitet. Parallel mit der politischen und ökonomischen Transformation verlief in der Tschechischen Republik in der vergangenen Periode auch der Prozeβ der Integration in die europäischen und euroatlantischen Strukturen. Dieser Prozeβ wurde am 1 Mai 2004 durch den EU-Beitritt zu Ende geführt. Während dieses Prozesses kam zu einer sehr intensiven Verknüpfung der tschechischen Wirtschaft mit der Wirtschaft der EU-Mitgliedsländer. Im Jahre 2005 erreichte der Anteil der EU am tschechischen Export fast 85 % und ihr Anteil am tschechischen Import überschritt 70 %. Im gleichen Jahr stammten ungefähr 80 % der direkten ausländischen Investitionen aus den Ländern der EU. Eine überwiegende Mehrheit des tschechischen Bankensektors ist zur Zeit in Besitz
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der finanziellen Gruppen aus den EU-Ländern. Es stellt einen der Gründe dar, für die die Einführung von Euro immer mehr aktuell wird. Die Tschechische Republik verpflichtete sich aber zur Annahme der gemeinsamen europäischen Währung schon durch die Unterzeichnung des Vertrags über den EU-Beitritt. Zur Zeit geht es vor allem darum diesen Schritt für einen geeigneten Zeitpunkt zu planen, damit die Beiträge die Kosten überwiegen. Während die grundsätzlichen Schritte der ökonomischen Transformation in der Tschechischen Republik schon durchgeführt worden sind, warten einige weitere Reformen noch auf ihre Verwirklichung. Die Tschechische Republik hat schon mehr oder wenig eine übliche Marktwirtschaft, die imstande ist der Konkurrenz sowohl innerhalb der EU als auch im Rahmen der Weltwirtschaft standzuhalten. Trotzt der ganzen Reihe der Probleme, die aber auch ähnlich entwickelte Länder der Welt lösen müssen. Ein groβer Teil dieser Probleme hängt mit dem Prozeβ der Alterung der Bevölkerung zusammen. Aus diesem Gesichtspunkt ist von groβen Bedeutung eine Reform des Gesundheitswesens sowie des Pensionssystems durchzuführen. Diese obenangeführten Teilreformen hängen dazu sehr eng mit einer komplexen Reform der öffentlichen Finanzen zusammen, die eine Voraussetzung der erfolgreichen Vollendung der Vorbereitungen auf Einführung des Euro darstellt.
Index des auteurs /Autorenverzeichnis /Index of authors
Éric Bussiére, Professeur titulaire de la chaire Jean Monnet d’Histoire de la construction européenne à l’Université de Paris-Sorbonne (Paris IV), Directeur de l’UMRIRICE (Paris I, Paris IV, CNRS), Directeur du Labex EHNE (Ecrire une histoire nouvelle de l’Europe). David Burigana, Research Fellow, Department of International Relations, University of Padua. Pascal Deloge, lecturer in history of European integration, Marie Haps Institute, University of Louvain-la-Neuve, Belgium. Michel Dumoulin, Professeur ordinaire émérite (Bruxelles) et professeur invité à l’Université catholique de Louvain. Andrea Locatelli, Assistant Professor of Economic History, Catholic University at Milan, Italy. Petr Pavlik, Assistant Professor at the Department of the World Economy, University of Economics in Prague and member of the Executive Committee of EADI. Andrea Pierotti, PhD at the Machiavelli Center for Cold War Studies (CIMA), University of Urbino. Pierre-Luc Plasman, collaborateur scientifique, Université Catholique de Louvain. Sylvain Schirmann, Directeur de l'IEP á Université de Strasbourg, Secrétaire généraladjoint de l'Association internationale des historiens contemporéanistes de l'Europe et Président du Comité scientifique de la Maison Robert Schuman. Nadjib Souamaa, professeur certifié et doctorant à l’université de Paris IV. Paolo Tedeschi, Assistant Professor in Economic History, University of Milan-Bicocca and Assistant Associate Professor, University of Luxembourg. Pierre Tilly, chargé de cours à l' Université Catholique de Louvain. Matthieu Trouvé, Maître de conférences en Histoire Contemporaine, l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po). Birte Wassenberg, Professeure d'Université en Histoire contemporaine, IEP Strasbourg, titulaire d'une Chaire Jean Monnet.
192 Laurent Warlouzet, Marie Curie Fellow at the London School of Economics (2012-4) and Associate Professor at the University of Artois. Emilie Willaert, PhD, Luxembourg.
ZUR REIHE „STUDIEN ZUR GESCHICHTE DER EUROPÄISCHEN INTEGRATION“ Mit zunehmendem Abstand zum Beginn des europäischen Integrationsprozesses nimmt die Bedeutung der Geschichtswissenschaften im Spektrum der wissenschaftlichen Erforschung des Europäischen Integrationsprozesses zu. Auch wenn die übliche dreißigjährige Sperrfrist für Archivmaterial weiterhin ein Hindernis für die Erforschung der jüngeren Integrationsgeschichte darstellt, werden die Zeiträume, die für die Wissenschaft zugänglich sind, kontinuierlich größer. Heute können die Archive zur Gründung der Europäischen Gemeinschaft für Kohle und Stahl bis hin zur ersten Erweiterung eingesehen werden; in einem Jahrzehnt wird ein aktengestütztes Studium der Rahmenbedingungen der Mittelmeererweiterung und der Entstehung der Einheitlichen Europäischen Akte möglich sein. Darüber hinaus ist der Beitrag der Geschichtswissenschaften auch heute schon Rahmen der Erforschung der jüngsten Integrationsgeschichte nicht mehr zu übersehen. Ihre Methodenvielfalt hilft dabei, die durch Sperrfristen der Archive entstandenen Probleme auszugleichen. Allerdings findet der einschlägige geschichtswissenschaftliche Diskurs in der Regel immer noch im nationalstaatlichen Kontext statt und stellt damit, so gesehen, gerade in Bezug auf die europäische Geschichte einen Anachronismus dar. Vor diesem Hintergrund haben sich Forscherinnen und Forscher aus ganz Europa und darüber hinaus dazu entschlossen, eine Schriftenreihe ins Leben zu rufen, die die Geschichte der Europäischen Integration nicht nur aus einer europäischen Perspektive beleuchtet, sondern auch einem europäischen Publikum vorlegen möchte. Gemeinsam mit dem Verlag Franz Steiner wurde deshalb die Schriftenreihe Studien zur Geschichte der Europäischen Integration (SGEI) gegründet. Ein herausragendes Merkmal dieser Reihe ist ihre Dreisprachigkeit – Deutsch, Englisch und Französisch. Zu jedem Beitrag gibt es mehrsprachige ausführliche und aussagekräftige Zusammenfassungen des jeweiligen Inhalts. Damit bieten die Studien zur Geschichte der Europäischen Integration interessierten Leserinnen und Lesern erstmals einen wirklich europäischen Zugang zu neuesten geschichtswissenschaftlichen Erkenntnissen auf dem Gebiet der Geschichte der Europäischen Integration.
ABOUT THE SERIES “STUDIES ON THE HISTORY OF EUROPEAN INTEGRATION” With increasing distance to the process of European integration, there is a growing significance of the historical sciences within the range of the scientific research on the European integration process. Even if the usual blocking period for archive sources is still an obstacle for researching the more recent history of integration, the periods which are accessible for the sciences are continuously becoming more extended. Today, the archives on the foundation of the European Coal and Steel Community are accessible as far as to the first extension; in one decade it will be possible to gain access to the appropriate files for studying the history of the prerequisites of the Mediterranean extension and the development of the Single European Act. Furthermore, already today the contribution of historic sciences in the context of researching the most recent history of integration cannot be overlooked. Their variety of methods helps with balancing problems resulting from the blocking periods for archives. However, usually the relevant historic discourse still happens in the context of national states and is thus, if we like to see things this way, rather an anachronism in respect of European history. Against this background, researchers from all over Europe and beyond have decided to found a series of publications which intends not only to shed light on the history of European integration from a European point of view but also to present this to a European audience. For this reason, together with the Franz Steiner Publishing House the series of publications Studies on the History of European Integration (SHEI) was founded. One outstanding feature of this series will be its trilingualism – German, English and French. For every contribution there will be extensive and telling summaries of the respective contents in several languages. Thus, by Studies on the History of European Integration interested readers will for the first time be offered a really European approach at most resent historic insights in the field of the history of European integration.
CONCERNANT LA SÉRIE „ETUDES SUR L’HISTOIRE DE L’INTÉGRATION EUROPÉENNE“ L’importance des recherches historiques ne cesse d’augmenter au sein de l’éventail qu’offrent les recherches scientifiques sur le processus d’intégration européenne, et ce à mesure que le recul par rapport au début du processus d’intégration européenne se fait de plus en plus grand. Même si le délai d’attente habituel de trente ans pour la consultation des archives constitue encore un obstacle pour les recherches sur l’histoire récente de l’intégration, les périodes accessibles à la recherche se révèlent de plus en plus étendues. A l’heure actuelle, les archives datant de la fondation de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier jusqu’au premier élargissement peuvent être consultées ; d’ici dix ans, une étude documentée des conditions générales de l’élargissement méditerranéen et de la conception de l’Acte unique européen sera possible. La contribution des recherches historiques dans le cadre de la recherche sur l’histoire toute proche de l’intégration est dès à présent remarquable. La diversité de méthodes utilisées permet en effet de régler des problèmes engendrés par le délai de blocage des archives. Toutefois, le débat historique s’y rapportant s’inscrit encore généralement dans le contexte de l’Etat-nation et représente, de ce point de vue, un anachronisme par rapport à l’histoire européenne. C’est dans ce contexte que des chercheuses et chercheurs de toute l’Europe et au-delà ont décidé de lancer une série d’ouvrages qui mettent en lumière l’histoire de l’intégration européenne non seulement dans une perspective européenne, mais qui se veut également accessible à un large public européen. Cette série d’ouvrages, intitulée Etudes sur l’Histoire de l’Intégration Européenne (EHIE), a été créée en collaboration avec la maison d’édition Franz Steiner. Le caractère trilingue de cette série – allemand, anglais et français – constitue une particularité exceptionnelle. Chaque contribution est accompagnée de résumés plurilingues, détaillés et éloquents sur le contenu s’y rapportant. Les Etudes sur l’Histoire de l’Intégration Européenne offrent pour la première fois aux lectrices et lecteurs intéressés un accès réellement européen aux avancées historiques les plus récentes dans le domaine de l’histoire de l’intégration européenne.
studien zur geschichte der europäischen integration studies on the history of european integration études sur l ’ histoire de l ’ integration européenne
Herausgegeben von / Edited by / Dirigé par Jürgen Elvert.
Franz Steiner Verlag
ISSN 1868–6214
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Birte Wassenberg / Joachim Beck (Hg.) Living and Researching Cross-Border Cooperation. Vol. 3: The European Dimension Contributions from the research programme on cross-border cooperation of the University Strasbourg and the Euro-Institute 2011. 343 S. mit 5 Tab. und 11 Abb., kt. ISBN 978-3-515-09863-2 14. Birte Wassenberg / Joachim Beck (Hg.) Vivre et penser la coopération transfrontalière. Vol. 4: Les régions frontalières sensibles Contributions du cycle de recherche sur la coopération transfrontalière de l’Université de Strasbourg et de l’Euro-Institut de Kehl 2011. 323 S. mit 21 Abb., kt. ISBN 978-3-515-09896-0 15. Philip Bajon Europapolitik „am Abgrund“ Die Krise des „leeren Stuhls“ 1965–66 2011. 415 S., kt. ISBN 978-3-515-10071-7 16. Oliver Reinert An Awkward Issue Das Thema Europa in den Wahlkämpfen und wahlpolitischen Planungen der britischen Parteien, 1959–1974 2012. 430 S. mit 3 Abb., kt. ISBN 978-3-515-10112-7 17. Christian Henrich-Franke Gescheiterte Integration im Vergleich Der Verkehr – ein Problemsektor gemeinsamer Rechtsetzung im Deutschen Reich (1871–1879) und der Europäischen Wirtschaftsgemeinschaft (1958–1972) 2012. 434 S. mit 3 Abb. und 12 Tab., kt. ISBN 978-3-515-10176-9 18. Sven Leif Ragnar de Roode Seeing Europe through the Nation The Role of National Self-Images in the Perception of European Integration in the English, German, and Dutch Press in the 1950s and 1990s
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2012. 272 S., kt. ISBN 978-3-515-10202-5 Alexander Reinfeldt Unter Ausschluss der Öffentlichkeit? Akteure und Strategien supranationaler Informationspolitik in der Gründungsphase der europäischen Integration, 1952–1972 2014. 332 S., kt. ISBN 978-3-515-10203-2 Jürgen Nielsen-Sikora Das Ende der Barbarei Essay über Europa 2012. 148 S., kt. ISBN 978-3-515-10261-2 Maria Gainar / Martial Libera (Hg.) Contre l’Europe? Anti-européisme, euroscepticisme et altereuropéisme dans la construction européenne, de 1945 à nos jours. Vol. 2: Acteurs institutionnels, milieux politiques et société civile 2013. 363 S., kt. ISBN 978-3-515-10365-7 Joachim Beck / Birte Wassenberg (Hg.) Grenzüberschreitende Zusammenarbeit leben und erforschen. Bd. 5: Integration und (trans-)regionale Identitäten Beiträge aus dem Kolloquium „Grenzen überbrücken: auf dem Weg zur territorialen Kohäsion in Europa“, 18. und 19. Oktober 2010, Straßburg 2013. 353 S. mit 23 Abb. und 7 Ktn., kt. ISBN 978-3-515-10595-8 Kristin Reichel Dimensionen der (Un-)Gleichheit Geschlechtsspezifische Ungleichheiten in den sozial- und beschäftigungspolitischen Debatten der EWG in den 1960er Jahren 2014. 273 S., kt. ISBN 978-3-515-10776-1 Kristian Steinnes The British Labour Party, Transnational Influences and European Community Membership, 1960–1973 2014. 217 S., kt. ISBN 978-3-515-10775-4
L’intégration européenne est et était une chance et un risque en même temps. Les communications de ce volume étudient les problèmes qui résultent de la dynamique du processus de l’intégration européenne pour ses États membres. Bien qu’ils éprouvassent chaque élargissement aussi comme une sorte de menace, les impulsions de modernisation qui en résultèrent se révélaient avantageuses, dans l’ensemble, pour les économies nationales. L’analyse dévoile le « sauvetage européen de l’État national » en exposant l’aspiration de l’État dans le contexte de la communauté économique européenne.
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ISBN 978-3-515-10795-2
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7835 1 5 1 07952