Chimie et expertise: Santé et environnement 9782759819966

La santé et l’environnement sont des préoccupations majeures des citoyens. Les progrès du XXe siècle ont changé la natur

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French Pages 230 Year 2016

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Chimie et expertise: Santé et environnement
 9782759819966

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Chimie et expertise Santé et environnement

Cet ouvrage est issu du colloque « Chimie et expertise. Santé et environnement », qui s’est déroulé le 11 février 2015 à la Maison de la Chimie.

« COLLECTION CHIMIE ET ... » Collection dirigée par Bernard Bigot Président de la Fondation internationale de La Maison de la Chimie

Chimie et expertise Santé et environnement

Daniel Bernard, Jean-Charles Boutonnet, Patrick Flammarion, Philippe Garrigues, Catherine Gourlay-Francé, Philippe Hubert, Pascal Juery, Jean-François Loret, Christophe Lusson, Marc Mortureux, Isabelle Rico-Lattes, Éric Thybaud et Jacques Varet Coordonné par Minh-Thu Dinh-Audouin, Danièle Olivier et Paul Rigny

Conception de la maquette intérieure et de la couverture : Pascal Ferrari et Minh-Thu Dinh-Audouin Images de la 1 er de couverture : Aldan, fatih_yalçın, カシス, Vasily Merkushev, ollaweila, Stauke, Ekaterina Shilova – Fotolia. com ; CNRS Photothèque - SCHMITT Sophie. Image de la 4 e de couverture : goodluz – Fotolia.com. Iconographie : Minh-Thu Dinh-Audouin Mise en pages et couverture : Patrick Leleux PAO

Imprimé en France

ISBN : 978-2-7598-1848-8

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, ­réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de ­l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, ­«  toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1 er de l’article 40). Cette ­représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.

© EDP Sciences 2015

EDP Sciences 17, avenue du Hoggar, P.A. de Courtabœuf, BP 112 91944 Les Ulis Cedex A, France

Ont contribué à la rédaction de cet ouvrage :

Daniel Bernard Conseiller scientifique de la Plateforme NanoSécurité CEA/DRT Président du Comité Nanotechnologies des IESF Président de la Commission de Normalisation AFNOR X457Nanotechnologies Jean-Charles Boutonnet Département ToxicologieEnvironnement Arkema Patrick Flammarion Directeur du département scientifique « Eaux » Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea)

Philippe Hubert Directeur des risques chroniques Institut National de l’Environnement Industriel et des Risques (INERIS) Pascal Juery Membre du comité exécutif du groupe Solvay Administrateur de l’Union des Industries Chimiques (UIC) Jean-François Loret Responsable du Département Environnement et Santé Centre International de Recherche Sur l’Eau et l’Environnement Suez Environnement

Philippe Garrigues Directeur Institut des Sciences Moléculaires Université de Bordeaux/CNRS

Christophe Lusson Sanofi Hygiène Sécurité Environnement Responsable REACH

Catherine Gourlay-Francé Direction de l’évaluation des Produits Réglementés Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses)

Marc Mortureux Directeur général Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses)

Isabelle Rico-Lattes Directrice de Recherche Honoraire CNRS Conseillère au Conseil Économique, Social et Environnemental (CESER) en Midi-Pyrénées Éric Thybaud Direction des Risques Chroniques Responsable du pôle Dangers et impact sur le vivant Institut National de l’Environnement Industriel et des Risques (INERIS) Jacques Varet Ancien directeur du Service Géologique National (BRGM) Président du Conseil Scientifique du Parc National des Cévennes Consultant (Géo2D : Ressources Géologiques pour le Développement Durable)

Équipe éditoriale : Minh-Thu Dinh-Audouin, Danièle Olivier et Paul Rigny

Sommaire Avant-propos : par Danièle Olivier et Paul Rigny.................................................. 9 Préface : par Bernard Bigot............................... 13

Partie 1 REACH : un règlement européen pour une industrie au service d’une chimie durable Chapitre 1 : Le paradoxe apparent de REACH : contrainte et source d’innovation pour la chimie par Isabelle Rico-Lattes................................ 15 Chapitre 2 : L’évaluation des substances chimiques dans le cadre de la mise en œuvre de REACH d’après la conférence de Catherine Gourlay Francé............................................................ 39 Chapitre 3 : Les enjeux de la recherche en toxicologie et écotoxicologie dans le cadre de la mise en œuvre de REACH par Éric Thybaud........................................... 49 Chapitre 4 : Apports de REACH dans l’amélioration de la connaissance des dangers des substances pour Arkema par Jean-Charles Boutonnet........................ 57 Chapitre 5 : Micropolluants chimiques dans l’environnement : traitement et prévention d’après la conférence de Jean-François Loret.... 71 Chapitre 6 : REACH : enjeux, leçons et perspectives pour Sanofi par Christophe Lusson.................................. 91

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Chimie et expertise, santé et environnement

Partie 2 Prévention et traitement des risques sanitaires et environnementaux Chapitre 7 : Techniques analytiques : criblages, modélisation, biomarqueurs et spéciation par Philippes Garrigues................................ 99 Chapitre 8 : Effets chroniques à faible dose des substances chimiques : enjeux et approches scientifiques d’après la conférence de Philippe Hubert.... 119 Chapitre 9 : Production et utilisation des nanoobjets : évaluation et gestion des risques par Daniel Bernard........................................ 133 Chapitre 10 : La chimie et la mise en œuvre de la Directive Cadre sur l’Eau. Enjeux liés à la présence de micropolluants dans les écosystèmes aquatiques par Patrick Flammarion................................ 155 Avec les contributions de : M. Coquery, C. Feray, J. Garric, O. Perceval et P. F. Staub. Chapitre 11 : Gaz de schistes : quels problèmes pour l’environnement et le développement durable ? par Jacques Varet.......................................... 169

Conclusions Les défis d’avenir posés aux chimistes pour la protection de la santé et de l’environnement Chapitre 12 : Le point de vue des industriels .par Pascal Juery, Le point de vue de l’Agence nationale de Sécurité Environnementale et Sanitaire, par Marc Mortureux................. 207

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L’une des principales missions de la Fondation de la Maison de la Chimie est de promouvoir la chimie et ses applications sous toutes leurs formes contribuant ainsi à son développement au ser vice de l’homme et de la société. Nous avons ainsi intensifié nos efforts pour faire prendre conscience à un public non spécialiste, sans oublier les plus jeunes, l’apport positif de la chimie dans tous les thèmes de notre vie quotidienne – qualité de vie, santé, bien-être –, dans ceux qui concernent l’économie de nos ressources et notre avenir énergétique, ainsi que l’utilisation intelligente et la préservation des richesses de la nature... Dans ce cadre, nous avons développé depuis 2007 une série de colloques « Chimie et … » dont le succès ne fait que s’amplifier, ouverts à un public varié qui va des lycéens et leurs enseignants aux collègues scientifiques de la recherche et de l’industrie, en passant par le public le plus large. Les ouvrages de la collection « Chimie et …. » sont issus de ces colloques et ont le même objectif d’être à la fois des outils d’information attractifs et accessibles pour le public le plus large, ainsi

que des ressources pédagogiques donnant accès aux plus récentes applications de la chimie. Cet ouvrage sur les apports de la chimie à l’expertise en matière de sécurité sanitaire et environnementale est le treizième de la collection et vient compléter celui paru en 2015 sur la Chimie et l’expertise sur la sécurité des biens et des personnes. Une information scientifiquement rigoureuse sur les thèmes liés à la sécurité est un besoin relativement récent et d’importance croissante pour nos citoyens. Ces deux ouvrages montrent que les progrès dans ce domaine malheureusement d’actualité reposent largement sur des innovations et des développements proposés par les laboratoires de recherche en chimie et mis en œuvre par les industriels. Les soucis sur la dégradation de l’environnement causée par le développement des activités humaines ont pris une tournure globale, on pourrait dire dramatique, dans les années 1960 – qui a vu paraître le livre de Rachel Carlson « Silent Spring ». Il est devenu cause mondiale de maîtriser ces évolutions et

Danièle Olivier et Paul Rigny, Fondation de la Maison de la Chimie

Avantpropos

Chimie et expertise, santé et environnement

à la suite des instances politiques de tous les pays, les scientifiques et les ingénieurs se sont mis à la tâche pour décrire et comprendre les modifications de l’environnement et ses conséquences sur la santé des personnes et des écosystèmes. Sans surprise, la chimie a vite été identifiée comme majeure dans ces études qui cherchent d’une part à comprendre et qualifier la nature des dégradations et d’autre part à imaginer des solutions. La mobilisation du monde scientifique s’est organisée en même temps que les institutions politiques et industrielles construisaient les objectifs, par exemple par l’opération d’origine canadienne « Responsible Care » en 1985, puis surtout par la réglementation européenne REACH adoptée en 2006 qui orchestre les études. Au fil des années, les résultats des laboratoires ont mis en évidence la dimension considérable des problèmes et leur complexité. Pour la chimie, des protocoles, des méthodes analytiques nouvelles, des techniques de modélisation ont été imaginés, mis au point puis améliorés. Les particularités du vivant (les individus et l’écologie) promettent que les programmes de recherche correspondants seront longs et exigeants mais qu’ils seront certainement marqués par de belles et nombreuses inventions de la chimie.

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Les colloques « Chimie et… » sont l’occasion pour les participants d’écouter les meilleurs spécialistes des sujets traités – représentants des laboratoires à la pointe des

applications concernées et représentants des industries engagées dans la fabrication et la promotion des objets ou l’élaboration des méthodes qui en permettent la mise en œuvre. Chaque présentateur fait l’effort de se mettre à la portée des non spécialistes, mais sans cacher sa passion personnelle pour le sujet. Les messages de ces colloques sont trop élaborés pour qu’on ne veuille pas les conserver pour s’y reporter. C’est pourquoi, la collection de livres « Chimie et… » a été ouverte par la Fondation de la Maison de la Chimie qui reprend les contenus et met les conférences sous forme de chapitres de livres, qui pourront être diffusés à toute une variété de lecteurs – citoyens intéressés au progrès technique, professeurs désireux de trouver des supports concrets pour leur enseignement, élèves ou étudiants débutants voulant saisir les tendances de la recherche et de l’innovation. La Fondation de la Maison de la Chimie vient de célébrer en 2014 son quatre-vingtième anniversaire. Cet âge pourrait paraître bien auguste déjà, mais notre collection montre qu’il faut le comprendre comme un âge toujours dynamique. La chimie est toujours cruciale à la civilisation et il est toujours nécessaire de se dépenser pour faire connaître et apprécier à leur juste valeur les services qu’elle rend. Le développement de la culture scientifique et technolo gique e s t un enjeu majeur dans le cadre de la concurrence mondiale sans

Il est donc impératif d’informer enseignants et familles et de créer dans ce but de nouveaux outils pédagogiques interactifs et ludiques faisant le lien entre les mondes de l’enseignement, de la recherche

et de l’entreprise. La richesse d’informations du type de celles fournie par les livres de la collection se retrouve maintenant accessible via le site Internet www.mediachimie. org, que la Fondation a créé en 2012 à destination tant de l’enseignement de la chimie qu’à celui du grand public curieux de connaître la réalité technique en profondeur.

Avant-propos

concession sur le marché de la recherche et de l’innovation. Nous devons préparer l’avenir en captant l’intérêt des jeunes pour les sciences et ainsi les aider à devenir des citoyens éclairés et responsables contributeurs au développement d’une industrie chimique innovante, respectueuse de l’environnement et porteuse d’emploi. Pourtant, bien que les filières scientifiques attirent un lycéen sur deux, à la sortie du lycée, ils désertent massivement les formations à débouchés scientifiques et technologiques malgré les besoins forts de ce secteur. C’est le cas pour tous les pays développés occidentaux avec des conséquences sur le développement industriel, l’économie et l’emploi.

Que nos lecteurs se rendent sur ce site et cherchent les réponses à leurs questions. Ils trouveront là, à côté de celles de nombreux articles d’origines variées (Collège de France, CNRS, centres de recherche, etc.), des chapitres appropriés des volumes de la collection « Chimie et… ». Danièle Olivier, Vice-présidente de la Fondation de la Maison de la Chimie Paul Rigny, Conseiller scientifique après du président de la Maison de la Chimie

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Ce treizième volume de la collection « Chimie et… » explique les contributions de la chimie aux travaux d’expertises sollicités par des autorités publiques, des entreprises ou des particuliers, et touchant des enjeux de santé humaine ou animale, ou des enjeux environnementaux. Ce sujet vient donc s’ajouter à la liste des thèmes précédents qui ont concerné la Chimie et l’art, l’habitat, l’énergie, la mer, la nature, le sport ou les transports, pour n’en citer que quelques-uns. Cet ouvrage sur les apports de la chimie à la sécurité sanitaire et environnementale complète aussi celui édité en 2015 sous le titre Chimie et expertise, sécurité des biens et des personnes, thème malheureusement d’une actualité brûlante depuis quelques années, et tout particulièrement en 2015. La chimie est une industrie qui intervient en amont de très nombreux secteurs d’activités. Pour conserver ce rôle, la chimie doit sans cesse innover en tenant compte de l’évolution des exigences de la société en matière de respect de l’environnement et de pro-

tection de la santé humaine et animale. Cette pratique de la chimie s’inscrit dans une démarche à la fois de conformité réglementaire et de volontarisme de la part des chimistes euxmêmes. La réglementation européenne connue sous le vocable RE ACH impose aux acteurs industriels et aux chercheurs fabriquant ou utilisant des substances chimiques un contrôle strict au niveau de leur fabrication, de leur mise sur le marché et de leur utilisation. Ce règlement nouveau est très contraignant et coûteux dans sa mise en œuvre. Il limite l’accès à certaines substances, et peut même conduire à l’abandon de certaines d’entre elles. Cependant, ces contraintes imposées par REACH dans l’intérêt des consommateurs et citoyens européens qui, nous l’espérons, devraient devenir normes internationales au bénéfice de tous les habitants de notre planète, sont aussi une opportunité pour développer l’innovation. L’accumulation des données ainsi rassemblées sur les caractéristiques physicochimiques, écotoxicologiques

Bernard Bigot, Président de la Fondation Internationale de la Maison de la Chimie

Préface

Chimie et expertise, santé et environnement

et toxicologiques de ces différents produits permet un accroissement global des connaissances en vue d’une orientation des choix industriels pour un meilleur respect de l’environnement et de la santé. La première partie de cet ouvrage aborde largement ces deux points et les illustre par des exemples industriels de référence en matière de chimie dans trois domaines : pétrochimie, santé et environnement. Elle fait le point des efforts de recherche, d’évolution des procédés et d’économie d’énergie par la profession. Des experts de l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire, de l’Alimentation, de l’Environnement et du travail y présentent l’impor tance des acteurs de la chimie dans l’évaluation de la mise en œuvre de REACH. La seconde partie est centrée sur des sujets qui en termes de prévention ou d’intervention des risques sont au centre des préoccupations de la population et au cœur de débats contradictoires et parfois polémiques qui ont lieu sur ces sujets, car la démonstration du zéro défaut et zéro risque de danger est parfois difficile à atteindre, d’autant plus qu’elle ne doit pas conduire à un immobilisme qui représenterait un risque bien supérieur.

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Des thèmes, de manière regrettable, aussi controversés que les nano-objets et les gaz et pétroles de roches mères, également dénommés, à tort, gaz et pétrole de schistes, seront présentés avec toute la rigueur de l’expertise scientifique, indépendante, pluraliste et contradictoire qui s’impose. Cette seconde partie montre que l’apport de la chimie est essentiel aussi bien dans la mise en œuvre des nouvelles techniques analytiques permettant de prévenir ou d’identifier des risques, que dans le traitement de ces dommages avérés notamment en ce qui concerne les micropolluants. La conclusion présente le point de vue de deux responsables de premier plan, l’un au titre de l’industrie chimique, et l’autre des pouvoirs publics, sur les pistes à suivre et les défis à relever pour faire évoluer les approches traditionnelles afin de mieux répondre aux questionnements qui émergent de l’évolution des connaissances. C’est le rôle de l’industrie comme des pouvoirs publics d’être à l’écoute de ces questionnements et de renforcer les efforts de recherche pour réduire les incertitudes. Je vous souhaite une excellente lecture Bernard Bigot, Président de la Fondation de la Maison de la Chimie

paradoxe apparent

REACH : contrainte et source d’innovation de

pour la

chimie

Isabelle Rico-Lattes est Directrice de Recherche honoraire au CNRS et conseillère au Conseil Économique Social et Environnemental (CESER) de la Région Midi-Pyrénées pour la Recherche, l’innovation et le Transfert. Durant toute sa carrière au CNRS, elle a développé des travaux de recherche allant de la recherche fondamentale à la recherche finalisée avec un intérêt tout particulier pour la Chimie au service du Développement Durable et les applications biomédicales.

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Chimie, danger et risque

Pour éviter confusions et contresens, il est bon de préciser d’abord le sens des termes d’usage – chimie, chimique, chimiste, dangers, risques, etc. On montrera ensuite comment l’industrie chimique a pris en compte les dangers et les risques liés à l’utilisation de produits chimiques, c’està-dire comment elle s’est adaptée à la prise en compte de la réglementation REACH1. 1. REACH : règlement de l’Union européenne sur l’enregistrement, l’évaluation, l’autorisation et les restrictions des substances chimiques, entré en vigueur le 1er juin 2007, qui rationalise et améliore l’ancien cadre réglementaire sur les produits chimiques. Voir les autres chapitres de cet ouvrage Chimie et expertise, santé et environnement, coordonné par M.-T. Dinh-Audouin, D. Olivier et P. Rigny, EDP Sciences, 2016.

Le chapitre illustrera ensuite la position de la chimie : elle aide cette réglementation REACH, puis en retour celle-ci l’amène à évoluer et lui fournit une source d’innovation. En conclusion, un exemple provenant de notre laboratoire sera présenté pour illustrer ce qu’est une chimie plus respectueuse de l’environnement, une chimie durable. 1.1. Quelques définitions autour de la chimie La Figure 1 présente un premier paradoxe : le mot « chimie » désigne à la fois une science et une industrie. Parallèlement, on a le mot « chimiste » : être chimiste, cela veut dire être un scientifique qui fait de la chimie mais cela veut aussi dire être chimiste dans une industrie. Un mot de cette liste est ­toujours le plus mal perçu,

Isabelle Rico-Lattes

Le

Chimie et expertise, santé et environnement

risque ? », après le naufrage de l’Erika (Figure 2). Le danger, c’est la propriété intrinsèque d’une substance, d’un agent ou d’une situation qui est capable de créer des effets néfastes sur un organisme vivant, sur l’environnement. La toxicologie, ou l’écotoxicologie 3 , mesurent ce danger.

Figure 1 La notion de chimie renvoie à de nombreuses définitions et représentations, avec différentes connotations pour le grand public.

c’est le mot « chimique » ; on entend « si c’est chimique ce n’est pas naturel », alors qu’en réalité la chimie intervient partout. Ces paradoxes sur le vocabulaire sont en fait les signes de la richesse de la chimie, qui offre un continuum entre la recherche qu’on appelle fondamentale 2 et la recherche finalisée, celle qui se fait pour l’industrie. 1.2. Les notions de danger et de risque Une notion clé quand on parle de la chimie est le danger, associé au risque. Très fréquemment on mélange les deux notions, comme illustré dans l’Encart « Danger ou

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2. Recherche fondamentale : travaux expérimentaux ou théoriques entrepris essentiellement en vue d’acquérir de nouvelles connaissances sur les fondements de phénomènes ou de faits observables, sans qu’aucune application ou utilisation pratiques ne soient directement prévues.

Mais le danger, en tant que tel, n’a pas beaucoup d’importance s’il n’y a pas de risque qui l’accompagne. Ce qui compte in fine c’est bien le risque, c’est-à-dire la probabilité que ces effets néfastes puissent être engendrés par une substance, un agent, etc., dans les circonstances considérées ; plus précisément, le risque est la probabilité d’occurrence de l’effet néfaste multipliée par le danger. Interviennent donc des notions comme le temps d’exposition, la vulnérabilité en tant que telle du système, etc. (Encart : « Définitions du danger et du risque »). Pour l ’étude d’une substance chimique, le risque peut être évalué par des études d’épidémiologie. Il ne faut donc pas confondre les deux : le danger c’est une chose, le risque c’en est une autre. Dans un exemple « guerrier », si on prend celui des armes nucléaires, le risque a été important pendant la guerre froide ; aujourd’hui, c’est un risque faible car la probabilité de son utilisation est très faible. Si on prend maintenant la problématique du terrorisme et des armes qui sont 3. L’écotoxicologie est l’étude des conséquences écologiques de la pollution de l’environnement par les substances toxiques.

Après le naufrage de l’Erika, la presse française, en décembre 1999, estimait différemment les conséquences des évènements : « Un réel danger mais avec peu de risque » (Le Figaro). « Risque réel mais sans danger ! » (La Croix).

A

B

Figure 2 Le 12 décembre 1999, l’Erika (pétrolier affrété par la société Total) a fait naufrage au large de la Bretagne, provoquant une impressionnante pollution des côtes par des nappes de mazout. Sources : bateau Erika : www.dreuz.info.fr ; marée noire : http://ecolonews.blog.fr

utilisées, le danger relativement est moindre – utiliser une kalachnikov est moins dangereux qu’une arme nucléaire –, mais le risque qu’il puisse y avoir un attentat est plus fort. Il faut vraiment bien distinguer les deux notions : un produit chimique peut être dangereux mais quels sont les risques ? La chimie est une activité humaine comme une autre et elle s’intègre dans un ensemble, et c’est l’ensemble qu’il faut prendre en compte lorsqu’on considère le risque de la chimie à partir du danger intrinsèque. 1.3. Risques chimiques : quelques accidents majeurs Historiquement, le risque chimique a souvent été lié

Le paradoxe apparent de REACH : contrainte et source d’innovation pour la chimie

DANGER OU RISQUE ?

à des explosions d’usines 4 . Examinons deux exemples : –  Seveso, en Italie : en 1976 s’est produite une explosion suivie d’émission de dioxine, un produit dangereux. Cet accident n’a pas causé de morts, mais 193 cas de chloracné5 ; par ailleurs, il a été décidé d’abattre un certain nombre de bêtes qui pouvaient poser problème. L’émotion causée par cet accident a été très forte car l’usine était très proche des lieux d’habitation. En ré4. Voir Chimie et expertise, sécurité des biens et des personnes, coordonné par M.-T. Dinh-­ Audouin, D. Olivier et P. Rigny, EDP Sciences, 2015. 5. Chloracné (ou acné chlorique) : trouble dermatologique rare causé par l’intoxication par des agents chlorés (dioxines) ou benzéniques.

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Chimie et expertise, santé et environnement

DÉFINITIONS DU DANGER ET DU RISQUE Danger (Hazard) : propriété intrinsèque d’une substance ou un agent (ou d’une situation) capable de créer des effets néfastes sur un organisme vivant, sur l’environnement. Ex : La toxicologie mesure le danger d’une substance. Risque (Risk) : la probabilité que des effets néfastes puissent être engendrés dans des circonstances particulières par une substance, un agent, sur un organisme, une population, un système écologique. Ex : Le risque peut être évalué par les études d’épidémiologie. RISQUE = probabilité × DANGER

Danger (intensité, probabilité)

Risque probabilité de dommages sociaux, économiques et écologiques

Vulnérabilité (valeurs sociales, économiques, écologiques, susceptiblité)

EXPOSITION

Figure 3 Le risque est l’intersection de nombreux facteurs formant un système complexe.

action, les pouvoirs publics ont promulgué la Directive Seveso6, une étape importante dans l’organisation de la protection des populations. – À Bhopal, en Inde : en 1984 s’est produite une explosion

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6. Directive Seveso (ou directive 96/82/CE) : directive européenne qui impose aux membres de l’Union européenne d’identifier les sites industriels présentant des risques d’accidents majeurs. La directive, officialisée le 1er juin 1982, est nommée ainsi d’après la catastrophe de Seveso qui a incité les États européens à se doter d’une politique commune en matière de prévention des risques industriels majeurs.

très forte dans une usine chimique. Une importante émission d’isocyanate de méthyle, un produit extrêmement toxique, a eu lieu et a été cause d’un grand nombre de morts (3 500 le premier jour et de 20 000 à 25 000 au total) et de très nombreux blessés. Le responsable de l’usine était la multinationale américaine Union Carbide qui s’est vue reprocher de ne pas avoir suffisamment formé son personnel. Le produit lui-même est dangereux, mais le risque a été augmenté du fait d’erreurs au niveau de l’entreprise. On peut aussi citer, naturellement, les accidents liés à l’industrie du nitrate d’ammonium, un produit qui entre dans la fabrication des engrais. À Oppau, en Allemagne, le nitrate d’ammonium était manipulé très fréquemment ; des milliers de fois, des tas de nitrates colmatés ont été soumis à l’action de la dynamite (détonateur) pour être dispersés et rendus propres à l’emploi. Et puis un jour, le 21 septembre 1921, alors qu’apparemment le mode opératoire était le même, tout a sauté – résultat : 561 morts, 2 000 blessés, une ville entièrement dévastée (Figure 4). Le même accident s’est produit à l’usine AZF7 à Toulouse le 21 septembre 2001. C’est encore du nitrate d’ammonium qui a explosé. Résultat : 31 morts et 2 500 blessés. 7. AZF : usine chimique (AZote Fertilisants) située à Toulouse, dont l’activité principale était la synthèse d’ammoniac, d’urée et de nitrates à partir de gaz naturel, produits destinés à l’agriculture (engrais azotés) et à l’industrie (explosifs de mines notamment).

1.4. La chimie peut être source de risques… mais aussi de leur solution À côté des risques d’accidents, on a aussi affaire aux risques diffus et/ou chroniques dus par exemple à la pollution de l’atmosphère. Un exemple en est donné par le « trou d’ozone » (Figure 5), une pollution due à l’utilisation de fluorocarbones dans les aérosols. La chimie a fourni un remède à cette pollution : on a su substituer d’autres molécules aux fluorocarbones et le trou d’ozone est en train de se résorber. Là, la chimie a été source d’un problème mais en même temps en a permis de trouver une solution. Il en a été de même pour les « pluies acides » (Figure 6), qui étaient dues à la présence de soufre dans le pétrole ou dans le charbon utilisés comme sources d’énergie. Le soufre donnait du dioxyde de soufre8 SO2 et, sous l’effet de la pluie, de l’acide sulfurique. Il a suffi de purifier correctement le charbon et le pétrole pour régler le problème des pluies acides. Là encore, la chimie a pu trouver une solution. 8. Le dioxyde de soufre est un gaz incolore, dense et toxique, dont l’inhalation est fortement irritante, libéré dans l’atmosphère terrestre par les volcans et par de nombreux procédés industriels, ainsi que par la combustion de certains charbons, pétroles et gaz naturels non désulfurés.

Figure 4 A) Le cratère sur le site de synthèse d’ammoniac exploité par BASF à Oppau, en Allemagne, après l’explosion de 1921, causant 531 morts, 2 000 blessés et la dévastation de la ville.

Figure 5 Les fluorocarbures des aérosols ont crée un trou dans la couche d’ozone centré sur le pôle sud.

Le paradoxe apparent de REACH : contrainte et source d’innovation pour la chimie

On ne sait toujours pas, aujourd’hui, pourquoi ce tas de nitrate a explosé. Cet accident laisse une blessure qui reste encore ouverte dans la ville de Toulouse.

Figure 6 Les pluies acides peuvent avoir un effet dévastateur sur les forêts.

On peut aussi citer un exemple de pollution naturelle : l’éruption du volcan Pinatubo, volcan actif situé dans l’ouest de l’île de Luçon aux Philippines (Figure 7). L’éruption a duré trois à quatre mois pendant l’été 1991. Le volcan a perdu 250 mètres de hauteur, a éjecté 10 km 3 de particules, certaines jusqu’à 34 km d’altitude, et a refroidi l’atmosphère terrestre de 0,6 °C et

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Chimie et expertise, santé et environnement

causé une destruction importante de l’ozone de l’atmosphère ; par ailleurs, il y a eu 1 000 morts par suite de cette éruption. 1.5. Le rôle de la composante humaine dans les accidents chimiques Figure 7 La puissante éruption du volcan Pinatubo de 1991 a montré que la destruction de l’ozone pouvait provenir de sources non chimiques. Volume éjecté : 10 km3, particules éjectées jusqu’à 34 km d’altitude, causant 1 000 morts et un refroidissement de l’atmosphère de 0,6 °C.

Figure 8 La pollution au mercure de Minamata (1932-1968) a provoqué des atteintes motrices et des déformations physiques importantes chez les enfants.

Figure 9

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L’incendie de l’usine Sandoz de Bâle (1986) a été le point de départ d’une pollution du Rhin.

Il n’est pas rare que des accidents de pollution, même importants, soient le résultat d’actions humaines délibérées ou de négligences. Ce qu’on a appelé « le scandale de Minamata », au Japon, en donne un exemple. Il s’agit d’une pollution de la mer au mercure, causée entre 1932 et 1968 par une usine pétrochimique. Les poissons, nourriture principale des habitants de la région, ont été contaminés, et la population (en particulier les femmes enceintes) a été victime d’atteintes importantes, neurologiques, sensorielles ou motrices ; résultat : 13 000 victimes, 900 morts. La photo de la Figure 8 où l’on voit une femme qui baigne son fils avec beaucoup d’amour a fait le tour du monde. Ce qui est terrible c’est que les médecins du travail qui travaillaient dans l’entreprise savaient et n’ont rien dit pour que le directeur ne perde pas son honneur… Le deuxième cas que nous citerons est celui de Sandoz, qui a connu un incendie en 1986 à Bâle, en Suisse (Figure 9). L’eau des pompiers a entraîné des polluants dans le Rhin ; toutes les anguilles sont mortes. À cette occasion, de nombreuses entreprises riveraines se sont débarrassé de leurs polluants personnels

dans la rivière, pensant que ces rejets seraient masqués par l’accident principal… 1.6. Les substances chimiques dangereuses Des listes de nombreuses substances chimiques dangereuses ont été établies. En voici une (très) courte sélection (Encart : « Des substances chimiques connues pour leur danger »). Le Distilbène ®, utilisé au dépar t pour le traitement péri-ménopause, a ensuite été utilisé pour des troubles gynécologiques. Son usage a entraîné des conséquences ex trêmement gr ave s en termes de cancers, non seulement chez les femmes, mais même pour leur descendance éventuelle. Cette molécule a posé d’énormes problèmes et n’est plus utilisée aujourd’hui. Le Médiator®, que malheureusement tout le monde connaît aujourd’hui, a été utilisé pendant longtemps pour le traitement du diabète, utilisation pour laquelle il donnait parfaitement satisfaction. Il a ensuite été dévoyé comme coupe-faim, nouvel usage dans lequel on a vu apparaître des cas d’hypertension pulmonaire extrêmement graves. Là encore, c’est le caractère humain qui est à incriminer : on a voulu utiliser ce produit là où on ne devait pas l’utiliser… Le bisphénol A9, qui est encore en discussion, est consi9. Le bisphénol A entre dans la composition de polymères utilisés dans de nombreux plastiques alimentaires.

– Distilbène® (traitement de la ménopause) : cancérigène – Médiator ® (traitement du diabète, utilisé comme coupefaim !) : provoque de l’hypertension pulmonaire – Bisphénol A (utilisé pour fabriquer des plastiques et résines) : perturbateur endocrinien – Parabènes (utilisés longtemps comme conservateurs en cosmétique et dans l’industrie pharmaceutique) : certains peuvent être des perturbateurs endocriniens – Phtalates (utilisés comme additifs pour rendre les plastiques plus souples) : perturbateurs endocriniens pour les plus hydrophobes

déré comme un perturbateur endocrinien10. Les parabènes, qui ont longtemps été utilisés comme conservateurs dans les cosmétiques et dans l’industrie pharmaceutique, sont soupçonnés d’être des perturbateurs endocriniens. On voit maintenant apparaî tre la mention « sans parabènes » sur certains produits. Les phtalates11 sont avérés comme étant des perturbateurs endocriniens. Les perturbateurs endocriniens sont une classe de molécules fort importante, étudiée en France depuis 2005 dans le cadre du Programme national de 10. Perturbateur endocrinien : molécule qui mime, bloque ou modifie l’action d’une hormone et perturbe le fonctionnement normal d’un organisme. 11. Phtalates : composés chimiques dérivées de l’acide phtalique, couramment utilisés comme plastifiants des matières plastiques, notamment du polychlorure de vinyle (PVC), et incorporés comme fixateurs dans de nombreux produits cosmétiques : vernis à ongles, laques pour cheveux, parfums…

recherche sur les perturbateurs endocriniens (PNRPE) sous la tutelle du ministère de l’Écologie. Incidemment, cela illustre le temps qui est nécessaire aux programmes de recherches.

2

Chimie et règlementations : contrainte… et innovation

Le paradoxe apparent de REACH : contrainte et source d’innovation pour la chimie

DES SUBSTANCES CHIMIQUES CONNUES POUR LEUR DANGER

2.1. La Charte « Responsible care » (1985) L’industrie chimique s’est développée, avec de nombreuses nouvelles productions, essentiellement au XXe siècle et pendant une partie du XIXe ; la responsabilité des industriels dans les éventuels dommages de ces substances est importante. Leur activité était, depuis 1985, encadrée par la charte « Responsible Care  » mise en place initialement par la Fédération C anadienne ( Encart : « Responsible Care ») ; le logo aux deux mains protectrices est éloquent (Figure 10). En 1990, la France est associée à cette politique d’enga-

21

Chimie et expertise, santé et environnement

RESPONSIBLE CARE (1985) En 1985, la Fédération Canadienne de l’Industrie Chimique a lancé l’opération « Responsible Care » (R.C.) demandant aux industries chimiques : –  d’améliorer leurs performances dans les domaines de la santé, de la sécurité et de l’environnement ; –  de respecter une transparence totale sur leurs activités et résultats dans ces domaines ; –  de coopérer avec toutes les parties prenantes, gouvernements, pouvoirs locaux, associations. En 1990, la France s’est associée à cette demande, en français : Engagement de Progrès, retenue par 52 pays dans le monde. Le 5 février 2006 à Dubaï : charte mondiale du R.C., adoptée par l’Union des industries chimiques (UIC) en France le 16 novembre 2006 : promesse de s’engager à avancer dans la voie du développement durable, poursuivre l’amélioration des performances dans les domaines de l’environnement, de la santé et de la sécurité, soutenir et faciliter l’extension du R.C le long de la chaîne de valeur, répondre aux attentes et interrogations des parties prenantes.

Figure 10 Responsible Care : une prise de conscience et de responsabilité des industriels concernant les risques de l’industrie chimique.

gement de progrès retenue par 52 pays dans le monde, avec une charte en 2006. Remplacée à partir de 2007 par REACH dans les pays européens, « Responsible Care » est toujours en vigueur dans de nombreux pays. 2.2. Mise en place de REACH et objectifs

22

Le règlement REACH est entré en vigueur en 2007 en Europe (Encart : « Le règlement REACH »). Que signifie REACH ?

R, pour Registration, c’est l’enregistrement obligatoire des substances ; E, c’est l’Évaluation des dossiers par l’agence européenne, l’Agence Européenne d’Helsinki (ECHA), en Finlande. A, c’est l’obtention de l’Autorisation pour l’utilisation des substances CHimiques, et l’incitation à le faire en restreignant les volumes utilisés – puisque cela diminue les risques potentiels. Au départ, 30 000 substances devaient être examinées dont

R : Enregistrement obligatoire par les fabricants et les importateurs de substances à plus d’une tonne par an, avec transmission d’un dossier à l’ECHA. Fabricants et importateurs sont responsables de la fourniture des données et de l’évaluation des risques ; E : Évaluation des dossiers par l’Agence Européenne ; ACH : Autorisation pour l’utilisation des substances chimiques dites extrêmement préoccupantes ; 30 000 substances potentiellement dangereuses doivent ainsi être examinées (100 000 substances sont utilisées en Europe). Les substances les plus dangereuses, cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques (dites CMR, réparties en catégories 1, 2) doivent désormais être soumises à autorisation.

les plus dangereuses citées et répertoriées, qu’on appelle les CMR12 (cancérogène, mutagène ou reprotoxique). Une mise en place des procédures doit s’échelonner entre 2007 et 2018. Il y a lieu de souligner les quatre objectifs les plus importants de cette réglementation (Encart : « Objectifs de REACH ») : 1) la maîtrise des risques chimiques, 2) mieux protéger la santé humaine et l’environnement, 3) favoriser la libre circulation des substances au sein du marché 12. Composés cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques (CMR) : « mutagènes » désigne les composés capables de provoquer une mutation au sein d’un individu ; « cancérogènes » désigne les composés pouvant entraîner la survenue d’un cancer suite à un mode d’action génotoxique ou non ; « reprotoxiques » sont ceux qui affectent les capacités reproductrices, en réduisant la fertilité ou en entraînant des anomalies du développement prénatal.

européen, tous les membres étant assujettis à la même règle et 4) renforcer la compétitivité et l’innovation européenne : REACH ce n’est pas seulement une contrainte, c’est aussi une source d’innovation. 2.3. REACH et les substances dangereuses Le règlement REACH comporte une annexe (l’annexe XIV) très importante qui liste les substances soumises à autorisation. Il s’agit des substances les plus préoccupantes, pour lesquelles il est souhaité que l’on définisse des produits de substitution ou, lorsque ce n’est pas possible, que l’on impose des restrictions à leur emploi. En février 2012, il devait y avoir 14 molécules sur cette liste – probablement davantage maintenant (Encart : « Les substances soumises à autorisation »).

pré-enregistrement jusqu’au 30 septembre 2006

Figure 11 Le pré-enregistrement REACH des substances chimiques a eu lieu avant le 30 novembre 2008.

OBJECTIFS DE REACH (2007-2018) 1 - Maîtrise des risques chimiques

Le paradoxe apparent de REACH : contrainte et source d’innovation pour la chimie

LE RÈGLEMENT REACH (2007) (Figure 11) REGISTRATION, EVALUATION AND AUTHORIZATION (AND RESTRICTION) OF CHEMICALS

2 - Mieux protéger la santé humaine et l’environnement 3 - Favoriser la libre circulation des substances au sein du marché européen 4 - Renforcer la compétitivité et l’innovation européenne

Figure 12 REACH, un vaste chantier !

23

Chimie et expertise, santé et environnement

SUBSTANCES SOUMISES À AUTORISATION (Annexe XIV de REACH) REACH prévoit que les risques résultant de substances extrêmement préoccupantes soient valablement maîtrisés et que ces substances soient progressivement remplacées par d’autres ou par des technologies appropriées. En conséquence, l’ensemble des fabricants, importateurs et utilisateurs aval qui demandent une autorisation, doivent analyser la disponibilité de solutions de remplacement et examiner les risques qu’elles comportent, ainsi que leur faisabilité technique et économique. Ces substances, au nombre de 14 au 18 février 2012, composent l’Annexe XIV (http://echa.europa.eu/fr/addressing-chemicals-ofconcern/authorisation/recommendation-for-inclusionin-the-authorisation-list/authorisation-list)

SUBSTANCES SVHC (SUBSTANCE VERY HIGHLY CONCERNED) Les substances officiellement identifiées comme préoccupantes du fait de leur impact sur l’environnement et/ou sur la santé humaine en raison de leurs propriétés intrinsèques sont qualifiées de « SVHC » dans REACH, et regroupées dans une liste qui en compte 138 au 19 décembre 2012*. Figurer dans cette liste entraîne des obligations réglementaires tant pour les importateurs et les producteurs d’articles que pour les distributeurs de substances et préparations : notification auprès de l’ECHA lorsqu’elles sont présentes dans les articles et transmission d’informations le long de la chaîne d’approvisionnement pour les substances et préparations.

Figure 13 Les substances extrêmement préoccupantes doivent désormais figurer sur une listes officielle.

24

*Voir http://echa.europa.eu/fr/candidate-list-table

Sur le Tableau, on retrouve des familles de perturbateurs endocriniens, les phtalates, des chromates, l’arsenic, qui peuvent être cancérigènes. Ensuite, on pourrait discuter parce que les chromates sont effectivement interdits en Europe mais on en trouve sur des chromages réalisés en Chine et réimportés… Une autre catégorie est constituée par les substances qu’on appelle « Very Highly Concerned  » (VHC), ou substances extrêmement préoccupantes (Encart : « Substances SVHC »). Ce sont des substances potentiellement dangereuses, préoccupantes. En décembre 2012, on en répertorie 138, mais le chiffre a pu évoluer. Les listes de ces substances sont relativement restreintes volontairement, de façon à ce qu’on puisse vraiment identifier les produits qui sont les plus critiques pour lesquels il faut vraiment trouver des solutions et les substituer quand c’est possible. 2.4. REACH : le bilan actuel La mise en œuvre de REACH se révèle plus complexe qu’initialement envisagé : l’hypothèse initiale était qu’il concernerait 27 000 sociétés, 180 000 préinscriptions et déciderait sur 30 000 produits. Le bilan actuel, ce sont 65 000 sociétés, 2 700 000 préinscriptions et 143 000 produits ! Conséquence : les coûts liés à ce programme pour la prochaine décennie, prévus initialement entre 1,6 et 2 milliards d’euros, seraient en fait de 9 milliards. Cette contrainte financière obliger a à se

Les substances figurant sur l’annexe XIV de REACH en février 2012. Elles ont des caractéristiques et des utilisations variées mais sont toutes soumises à autorisation.

Nom du produit

Numéro EC

Numéro CAS

Date d’échéance

Dernière date d’utilisation

Catégories ­d’utilisations exemptées

Hexabromocyclo­ dodécane (HBCDD), alpha-hexabromo­ cyclododécane, bêta-hexabromo­ cyclododécane, gamma-hexabromo­ cyclododécane

221-695-9, 3194-55-6, 247-148-4 25637-99-4, 134237-50-6, 134237-51-7, 134237-52-8

21/08/2015 21/02/2014

2,4-Dinitrotoluène (2,4-DNT)

204-450-0

121-14-2

21/08/2015 21/02/2014

Tris(2-chloroéthyl) phosphate (TCEP)

204-118-5

115-96-8

21/08/2015 21/02/2014

Diarsenic pentaoxyde

215-116-9

1303-28-2

21/05/2015 21/02/2014

Diarsenic trioxyde

215-481-4

1327-53-3

21/05/2015 21/11/2013

Sulfochromate de plomb jaune (C.I. Pigment Yellow 34)

215-693-7

1344-37-2

21/05/2015 21/11/2013

Chromate de plomb

231-846-0 7758-97-6

21/05/2015 21/11/2013

Rouge de chromate, de molybdate et de sulfate de plomb (C.I. Pigment Red 104)

235-759-9

12656-85-8

21/05/2015 21/11/2013

Benzyl butyl phthalate

201-622-7

85-68-7

Bis(2-éthylhexyl) phthalate (DEHP)

204-211-0

117-81-7

Dibutyl phthalate (DBP)

201-557-4

84-74-2

21/02/2015 21/08/2013 Utilisations dans le conditionne21/02/2015 21/08/2013 ment primaire des médica21/02/2015 21/08/2013 ments couverts en vertu du ­règlement (EC)

Le paradoxe apparent de REACH : contrainte et source d’innovation pour la chimie

Tableau

N° 726/2004, Directive 2001/82/EC, et/ou Directive 2001/83/EC Disobutyl phthalate (DIBP)

201-553-2

84-69-5

21/02/2015 21/08/2013

5-tert-butyl-2,4,6-­ trinitro-m-xylène (Musk xylène)

201-329-4

81-15-2

21/08/2015 21/02/2013

4,4’-Diaminodiphénylméthane (MDA)

202-974-4

101-77-9

21/08/2015 21/02/2013 25

Chimie et expertise, santé et environnement

contenter d’une expérimentation minimale et par exemple de limiter le recours aux expérimentations animales. 2.5. De la contrainte à l’innovation : la chimie au service de REACH…

Figure 14 La chimie : une science aux multiples facettes, dont l’innovation est continue.

Figure 15 REACH : un tremplin inattendu pour l’innovation en chimie.

Expériences 3

1

Composés virtuels

QSAR

2

Figure 16

26

Les démarches QSPR et QSAR permettent de trouver de nouvelles molécules par simulation sur ordinateur.

La réglementation REACH récl ame de nombreuses expériences et caractérisations qui font appel à la chimie ; une conséquence en est d’ailleurs que la chimie sera largement sollicitée pour des objectifs innovants (substances de substitution, nouvelles méthodes de caractérisation,…) (Figure 14 et 15). Elle est évidemment sollicitée dans REACH pour tout ce qui concerne les analyses ; la chimie analytique est à la base de la constitution des dossiers, en renseignant les propriétés des différents sousproduits, etc. L’accroissement de ses performances (sensibilité des dosages, nouvelles méthodes…) est vivement recherché. La chimie est également sollicitée dans la démarche de substitution de nouvelles substances à celles qui ont été déclarées dangereuses. Plus précisément, l’accent des recherches en chimie est mis sur les propriétés des substances interdites ou limitées par REACH : on veut davantage restaurer la fonction remplie par la substance interdite que retrouver une molécule directement équivalente. Si l’on interdit les phtalates, par exemple, qui déterminent les qualités des plastiques, on recherchera d’autres conditions pour assurer ces mêmes propriétés.

La chimie est encore sollicitée dans de nombreuses autres études, comme la toxicologie ou l’écotoxicologie – domaines éminemment interdisciplinaires. À titre d’exemple, on peut citer les applications de la chimie théorique aux études que l’on désigne sous le nom de « quantitative structure-property or activity relationships » (QSPR ou QSAR13), dont le but est de corréler de manière quantitative les structures des produits avec leurs propriétés ou leur activité (pour les applications pharmaceutiques). À partir de ces études de corrélation, on peut établir des banques de produits virtuels (Figure 16) et définir des produits à tester concrètement. Cette application de la chimie théorique est susceptible de diminuer le recours à l’expérimentation animale comme il est souvent demandé de le faire. La démarche REACH a potentiellement un profond effet sur la conception des produits chimiques ; elle renforce les objectifs de l’écoconception où l’on développe l’analyse du cycle de vie, pour anticiper comment un nouveau produit se comportera dans l’environnement et comment il pourra éventuellement être recyclé. Cette démarche est puissamment porteuse d’innovations. Elle est par exemple associée aux synthèses et procédés qualifiés de « verts » (Figure 17).

13. Voir Chimie et expertise, sécurité des biens et des personnes, chapitre de P. Toulhoat, coordonné par M.-T. Dinh-Audouin, D. Olivier et P. ­Rigny, EDP Sciences, 2015.

Mais d’un autre côté, en stimulant la recherche de nouveaux produits pour pallier ces interdictions, RE ACH stimule l’innovation. Cette démarche, comme on l’a vu, a donné naissance à de nouveaux concepts, comme celui de la chimie verte. La chimie verte fait largement appel à l’approche systémique : on envisage globalement le choix des matières premières, l’écoconception des produits, la durabilité de leurs propriétés, etc. (Figure 18) Il s’agit là d’évolutions riches et passionnantes de la chimie qui sont très prometteuses d’innovations (Figure 19).

Figure 17

GREEN CHEMISTRY

Les molécules de substitution potentiellement vertes et possédant des propriétés équivalentes participent à l’émergence d’une « chimie verte » (« green chemistry »).

Figure 18

Le paradoxe apparent de REACH : contrainte et source d’innovation pour la chimie

Il est intéressant d’insister sur la double face de REACH, que l’on voit à travers les questions qui se posent à la chimie (Encart : « La chimie pour REACH »). D’un côté se trouve la contrainte – puisque les expertises vont avoir pour résultat d’interdire ou de limiter l’emploi de certaines substances.

REACH contraint les entreprises à modifier leurs procédés industriels. Source : CNRS Photothèque – Médard Laurence

LA CHIMIE POUR REACH On doit distinguer : 1) Ce qui pose des problèmes à l’industrie à court terme (jusqu’en 2018) et donc appelle des réponses rapides : –  la substitution des substances à risques pour la santé et l’environnement ; –  l’impact sur l’industrie des matériaux organiques, sur l’industrie des formulations, sur les industries des secteurs avals. 2) Ce qui entre dans la mise en place de nouveaux concepts : Approche systémique : réflexions sur les choix de matières premières ; écoconception ; modélisation des propriétés ; choix des réactions et des procédés avec, à toutes les étapes, analyses de risques et analyses toxicologiques et écotoxicologiques…

REACH Figure 19 L’application de la réglementation REACH renouvelle l’innovation en chimie par un changement de paradigme pour aller vers l’écoinnovation dans une démarche de Développement Durable simultanément issue aussi des constats sur : le réchauffement climatique et l’état des ressources fossiles.

27

Chimie et expertise, santé et environnement

3

Chimie, REACH et développement durable 3.1. Définition et réflexions sur le développement durable Figure 20 Le développement durable vise à la préservation et au respect de l’environnement.

Le développement durable (Figure 20) (définition de 1987) est « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Il s’agit en quelque sorte d’une démocratie participative avec des gens qui n’existent pas encore ; on parle finalement au nom des générations futures, un exercice un peu particulier (Encart : « Définition du Développement Durable »). Le concept de « développement durable » remonte aux débuts de l’écologie (Figure 21), que l’on peut situer aux années 1960. Le livre de

Rachel Carson Le printemps silencieux, paru en 1962, était provocateur à l’époque, car il disait que continuer à utiliser le DTT (dithiothréitol) revenait à faire disparaître les oiseaux : c’est évidemment exagéré mais cela a conduit les gens à prendre conscience qu’effectivement notre milieu, notre environnement, était un bien précieux qui appartenait à tous et qu’il fallait vraiment le maintenir en place. La Figure 22 montre la première page de ce livre historique. Le concept a évolué et aujourd’hui, « développement durable » n’est pas uniquement le respect de l’environnement ; c’est cela mais avec le développement économique et avec l’acceptation sociale. Ce mariage des trois composantes était alors tout à fait nouveau ; il est aujourd’hui tout à fait naturel, sinon parfaitement pris en compte.

Figure 21 Une prise de conscience des problèmes d’environnement est nécessaire à la préservation de la planète.

DÉFINITION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE « Un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs »

28

1987 – Mme Gro Harlem Bruntland, Premier Ministre Norvégien Commission mondiale pour l’environnement et le développement Rapport « Notre avenir à tous »

Figure 22 Silent Spring de Rachel Carson : un livre provocateur, invitant ses lecteurs à prendre conscience de la nécessité de préserver notre environnement.

B

Figure 23 A) Affiche de François Mitterrand pour les élections de 1965 : une autre époque et une vision radicalement différente du développement économique ; B) affiche électorale de François Mitterrand en 1981, qui reflète l’évolution de l’opinion publique sur la question du développement.

La Figure 23A reproduit l’affiche électorale de François Mitterrand en 1965. Qui pourrait imaginer aujourd’hui qu’on puisse mettre une affiche électorale de ce type, avec un pylône haute tension et des cheminées qui fument ? C’était l’époque du développement à tous crins. La Figure 23B, qui date de 1981 et lui a permis de gagner, n’avait plus le même caractère : on retrouvait la petite église, c’était très sympathique. La société avait déjà bien évolué dans le sens du développement durable. 3.2. Qu’est-ce que la « chimie verte » ? La prise en compte des impératifs du développement durable a conduit à une sélection des produits et des procédés qu’on a appelé la « Chimie pour le développement durable », aujourd’hui plus volontiers désignée par la « chimie verte ». Cette expression désigne donc une chimie respectueuse de l’environnement (en anglais on parle de « green chemistry »).

Un avertissement n’est pas ici hors de propos car l’expression « chimie verte » a gardé chez cer tains son ancien sens de « chimie des agroressources » ; il faut éviter de faire la confusion entre les deux sens. Le concept de chimie verte a été développé par Paul Anastas en 1991 (Encart : « Green Chemistry ») aux États-Unis. Un nouvel avertissement est ici nécessaire. Ne pas confondre la chimie verte avec la « chimie pour l’environnement », qui, elle, s’occupe de questions comme l’évolution et les effets des substances polluantes dans l’environnement.

Le paradoxe apparent de REACH : contrainte et source d’innovation pour la chimie

A

GREEN CHEMISTRY - SUSTAINABLE CHEMISTRY CHIMIE VERTE - CHIMIE POUR LE DEVELOPPEMENT DURABLE Paul T. Anastas (1991) Concept qui soutient la conception des produits et des procédés qui réduisent ou éliminent l’usage et la formation de substances dangereuses. Ses objectifs sont : –  Réduire et prévenir la pollution à sa source –  Minimiser les risques et optimiser l’efficacité des choix chimiques

29

Chimie et expertise, santé et environnement

Demande des consommateurs

Innovations scientifiques

la chimie verte Efficacité économique

Contraintes environnementales

Figure 24 La chimie verte est au centre de quatre grandes problématiques.

La chimie verte est au centre de quatre grandes problématiques (Figure 24) : les contraintes environnementales, l’efficacité économique, les innovations scientifiques et la demande des consommateurs. L’Encart « Les douze principes de la chimie verte » résume le guide proposé aux actions scientifiques et industrielles concernées. Ils datent de 1998 et portent toujours la marque d’Anastas. Ils visent à assurer la prévention (n’utiliser une substance que si elle est utile) et l’économie d’atomes, utiliser des synthèses moins dangereuses, utiliser des produits ou ressources renouvelables, etc., faire appel à la catalyse, qui est efficace dans ce contexte. Ces principes sont importants mais contraignants. Au lieu de « chimie verte », on voit parfois la « chimie

LES DOUZE PRINCIPES DE LA CHIMIE VERTE (P. Anastas, 1998) 1. Prévention 2. Économie d’atomes 3. Conception de synthèses moins dangereuses 4. Conception de produits chimiques moins toxiques 5. Alternatives aux solvants polluants et aux auxiliaires de synthèse 6. Limitation des dépenses énergétiques 7. Utilisation de ressources renouvelables 8. Réduction du nombre de dérivés 9. Utilisation des procédés catalytiques 10. Conception des produits en vue de leur dégradation finale 11. Méthodologies d’analyses en temps réel pour prévenir la pollution

30

12. Chimie fondamentalement plus sûre pour prévenir les accidents.

repeinte en vert » l’où se contente de remplacer un produit dangereux par un autre peut-être moins dangereux. En fait, la chimie verte doit être entendue au niveau global quand on met en place de nouvelles méthodes de synthèse, de nouveaux produits, etc., un vrai changement de paradigme. 3.3. Des initiatives pour le développement durable Quelques initiati ves ont marqué ce positionnement « chimie et développement durable » en France : le rapport prospectif 2003 du ministère de la Recherche met en place une réflexion stratégique au niveau gouvernemental, avec le programme pluriannuel de la FFC (Fédération Française des sciences pour la Chimie) en 2005, et la création du prix Potier (Figure 25). Un programme interdisciplinaire du CNRS est établi de 2006 à 2012, donnant lieu à un appel d’offres mis en place parallèlement par l’ANR (Agence Nationale de la Recherche). Quelques apports techniques de la chimie verte : – plusieurs synthèses ont maintenant été revues dans l’industrie, elles ont été rénovées et sont « devenues vertes » ; beaucoup de travaux sont développés dans l’industrie pour remplacer les solvants et conditions réactionnelles par des produits solubles dans l’eau, le CO2 supercritique, etc. (Figure 26) ; –  une utilisation de plus en plus importante de la biomasse : ressources et biotechnologies. Cela a été un effort de

Figure 25 La création du prix Pierre Potier est un signe de l’évolution de la société française sur la question du développement durable.

–  par ailleurs, la recherche académique s’est emparée de toutes ces questions et a entrepris de développer des choses nouvelles.

Figure 26 Une idée pour remplacer les solvants potentiellement dangereux est d’aller vers des produits solubles dans l’eau.

4

La chimie pour le développement durable 4.1. SMODD, un laboratoire pour le développement durable À titre d’illustration voici le récit d’une aventure conduite par notre équipe « Systèmes moléculaires organisés et développement durable » (Figure 27). 4.2. Des molécules tensioactives Les systèmes moléculaires organisés utilisent des molé-

A

cules dites « tensioactives » ; ces molécules comportent une partie hydrophobe (chaîne hydrocarbonée) et une tête polaire hydrophile (soluble dans l’eau) (Figure 28).

Le paradoxe apparent de REACH : contrainte et source d’innovation pour la chimie

pluridisciplinarité. On ne peut avoir les biotechnologies d’un côté et la chimie de l’autre : ce qui fait avancer tout cela, c’est le mélange des disciplines ;

Avec les tensioactifs, on peut fabriquer une quantité d’objets divers et variés (Figure 29), par exemple dans le domaine des matériaux (actuellement

B

C

Figure 27 A) L’équipe « Systèmes Moléculaires Organisés Et Développement Durable » (SMODD) a travaillé sur les possibilités ouvertes par les molécules tensioactives ; B) le laboratoire de SMODD est situé à l’Université de Toulouse (C : le logo du SMODD permet de lier l’idée de développement durable (avec la fleur) à une représentation schématique des molécules tensioactives qui y contribuent (les pétales)).

31

Chimie et expertise, santé et environnement

Partie hydrophile

Partie hydrophobe

tête polaire (variée) soluble dans solvant polaires → eau insoluble dans solvants organiques (non polaires)

Queue hydrocarbonée soluble dans solvants non polaires insoluble dans eau

Figure 28 Les molécules tensioactives peuvent être représentées schématiquement par une tête hydrophile et une chaîne hydrophobe.

avec l’aéronautique pour faire des matériaux verts) et dans le domaine du médicament et de la formulation dermo-cosmétique (voir plus loin). 4.3. Un nouveau concept : les formulations bioactives L a Figure 30 résume le concept de « formulation bioactive ». Dans un médicament ou un cosmétique, on a d’un côté le principe actif – la molécule qui produit l’effet recherché – et de l’autre son conditionnement. Ce dernier est important pour adapter le principe actif à l’utilisation du produit (crème à appliquer, gouttes à instiller, comprimé à avaler…) ; sa définition et sa mise en forme constituent une opération de formulation. Dès le départ, dans les travaux décrits ici, on a imaginé de créer des molécules qui soient elles-mêmes des agents de formulation, des tensioactifs, et portent donc à la fois le principe actif et l’excipient de formulation, afin qu’elles puissent s’auto-formuler. 4.4. Un exemple : TriXera +®

Figure 29 Les molécules tensioactives ouvrent un large champ de possibilités. Les tensioactifs peuvent par exemple permettre la mise au point d’émulsions à application dermo-cosmétique.

Figure 30

32

La formulation d’un produit cosmétique ou d’un médicament dépend du mode d’administration désiré : comprimés, gélules, crèmes, etc.

Le premier exemple choisi est la mise au point d’une formulation bioactive verte, qu’on appelle TriXera +, issue d’une collaboration entre le CNRS et les laboratoires Pierre Fabre Dermo-cosmétique. Le produit développé qui entre dans cette formulation s’appelle le selectiose® ; c’est un tensioactif issu du rhamnose (Figure 31). Il a conduit à une formulation bioactive, commercialisée sous le nom de TriXera +® dans la gamme

Le rhamnose, utilisé comme tête polaire du tensioactif, est un sucre issu de ressources renouvelables, notamment des graines provenant d’un arbre du Brésil : le Feveira Tree ; il présente des propriétés intrinsèques anti-inflammatoires, notamment au niveau des kératinocytes14 . L’idée a été de faire des mo14. Kératinocyte : cellule constitutive de la couche superficielle de la peau (épiderme) et des ongles, cheveux, poils. Ils se renouvellement constamment et synthétisent la kératine, protéine fibreuse et insoluble dans l’eau, qui assure à la peau son imperméabilité.

Figure 31 Les récepteurs spécifiques du rhamnose sont nombreux sur les cellules humaines.

lécules tensioactives constituées d’une tête rhamnose qui va porter l’activité antiinflammatoire, et d’une chaîne qui va permettre de réaliser la formulation. Selon cette stratégie scientifique, toute une gamme de produits a été synthétisée (Figure 32). Le produit qui a donné le meilleur résultat est le « pentyl rhamnoside ». Cette chimie se fait sans solvant, grâce à l’utilisation de microémulsions (Figure 33). On utilise la propriété de ces produits de s’auto-formu-

Le paradoxe apparent de REACH : contrainte et source d’innovation pour la chimie

Avène pour traiter les peaux atopiques (peaux allergiques). Les recherches ont commencé en 1997, et le produit a été commercialisé en 2007. Pour une formulation de ce type, cette durée peut être considérée comme courte.

H

H

HO

HO

OH

H

OH O

O

HO HO

H

OH O

OH O

H

H

H

H

HO

H

H

H

n

L-Rhamnose

Mélange d’oligorhamnosides

H

H

O H

H

H

Pentyl rhamnoside

OH O HO HO H

O

H

H

H

Dodécyl rhamnoside

H

OH O HO HO

H H

O H

Cétyl rhamnoside

H

Figure 32 De nombreuses molécules ont pu être synthétisées à partir du rhamnose, dont le pentyl rhamnoside, qui a donné le meilleur résultat.

33

Chimie et expertise, santé et environnement

OH O

PTSA 70 °C

HO HO

OH

+ 2 ROH

HO HO

OR

3-4 h L-Rhamnose Milieu initial

Hétérogène

R=C5H11 C12H25 C16H33

ler (Figure 34) : ils constituent eux-mêmes le système de microémulsions. Le produit est maintenant synthétisé par Pierre Fabre Dermocosmétique.

OH O

Alkyl Rhamnosides Milieu final

Glucose (18 % mol/mol) Butanol (9 % mol/mol) Dodécylalcool (solvant) Eau PTSA (catalyseur acide) Butyl glucoside (cotensioactif ) Dodécyl glucoside (tensioactif )

En fin de fabrication, il y a bien sûr eu lieu de vérifier que les propriétés anti-inflammatoires étaient toujours présentes. Le pentyl rhamnose bloque l’inflammation à deux niveaux : celui de la production de lymphocytes T et celui de l’afflux de ces lymphocytes T au niveau de la peau (Figure 35) (c’est ce qui donne la rougeur).

Homogène

Principe actif qualifié, le sélectiose ® a été conditionné pour donner naissance au produit final. Ainsi, le sélectiose ® est commercialisé

Figure 33 Le pentyl rhamnoside, ainsi que les autres dérivés du rhamnose, ont été produits via une réaction d’alkylation du L-rhamnose. Les synthèses ont été faites en microémulsion.

Molécules d’adhésion cellulaire (ICAM-1)

Stimulus inflammatoire

Kératinocyte activé Lymphocyte T

Molécules de communication intercellulaire

(Chimiokines : RANTES…) H

Afflux de lymphocytes T

OH O HO HO

H H

O H H

Pentyl rhamnoside Propriétés anti-inflammatoires

LE SELECTIOSE® Figure 34 Les tensioactifs forment des micelles dans le contexte d’émulsions ou de microémulsions. 34

Figure 35 Les kératinocytes peuvent être activés par un stimulus inflammatoire et provoquer un afflux de lymphocytes T ; cette action peut être entravée par l’action de substances comme le pentyl rhamnoside. Celui-ci, plus simplement appelé sélectiose®, est recommandé pour ses propriétés anti-inflammatoires.

autre dérivé du rhamnose a fourni un autre principe actif, ­l ’efectiose, et un nouveau cosmétique TriAcnéal® (Encart : « TriAcnéal® »), distribué également par Pierre Fabre Dermo-cosmétique.

TRIXERA +® Les laboratoires Pierre Fabre commercialisaient une formulation appelée TriXera®, cosmétique aux effets anti-inflammatoires (Figure 36). Pour corriger certains défauts secondaires (irritation cutanée dans certains cas, notamment chez l’enfant), il a été décidé de la modifier par l’ajout de sélectiose®, d’efficacité appropriée. Une partie de l’excipient a été substituée par le sélectiose®, et le produit obtenu a été commercialisé sous le nom de TriXera + (sélectiose)® avec un très large succès commercial. Le produit est prescrit par les dermatologues ; en fait, ce cosmétique a pratiquement une activité de médicament. Il est ainsi utilisé pour les cas d’eczéma (en particulier chez les enfants) et également pour traiter les radiodermites secondaires aux traitements par rayons dans les centres anticancéreux.

Le paradoxe apparent de REACH : contrainte et source d’innovation pour la chimie

depuis 2007 en pharmacie sous le nom TriXera + ® (Encart : « TriXera +® »). Il est issu de deux brevets et a été distingué par le prix Pierre Potier en 2011. Selon l a même démarche, un

Faveira Dimorphandra mollis Benth

Gousse et graines OH

CH3

O

OH

L-Rhamnose OH

OH

pentyl rhamnosides ou SELECTIOSE

Figure 36 TriXera +® a comme principe actif le selectiose®, ou pentyl rhamnoside, produit à partir du rhamnose, lui-même issu de l’arbre faveira (ainsi que la gousse et les graines). TriXera +® a reçu le prix Pierre Potier en 2011. *Les radiodermites sont des lésions cutanées induites par les radiations ionisantes.

35

Chimie et expertise, santé et environnement

TRIACNÉAL® TriAcnéal® (Figure 37), mis en vente en 2010, est un produit actif contre l’acné avec une bonne efficacité. Il a pris la suite du DiAcnéal®, qui, après ajout d’un dérivé du rhamnose, est devenu TriAcnéal®. Son principe actif dérivé du rhamnose est l’efectiose, et la démarche scientifique de sa découverte repose, comme pour TriXera +®, sur le concept de formulation bioactive.

Faveira Dimorphandra mollis Benth Gousse et graines OH

O

CH3

OH

OH

OH

L-Rhamnose

Undécyl rhamnoside ou EFECTIOSE

Figure 37 TriAcnéal® a été mis en vente sous la gamme Avène. Il a comme principe actif l’efectiose ou undécyl rhamnoside, produit à partir du rhamnose, lui-même issu de l’arbre faveira (ainsi que la gousse et les graines).

Chimie d’aujourd’hui, chimie pour l’avenir

36

Le XXe siècle a réorienté la chimie, et le XXIe s’inscrit profondément dans cette prescription. Il l’a placée devant un objectif qu’elle n’avait pas initialement : veiller à la préservation de l’avenir des hommes tout en améliorant leur vie aujourd’hui. Chimie Verte, Chimie Pour le Développement Durable sont des concepts qui sont aujourd’hui les moteurs de cette nouvelle chimie. À ce titre elle entre dans un cycle important de respect de notre planète. Comme le disait Saint-Exupéry : « Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants » : l’écrivain pressentait

Le paradoxe apparent de REACH : contrainte et source d’innovation pour la chimie

déjà les impératifs qui ont donné naissance au concept (en comparaison un peu technocratique) du développement durable. Pour mettre également en relief la délicate mission du chercheur, on peut aussi citer Pierre-Gilles de Gennes, dans Les objets fragiles, qui décrivait le métier de chercheur comme se rapprochant de celui d’une danseuse de cordes le long d’un fil : « d’un côté comme dans l’autre il faut prévenir la chute, ne tomber ni dans l’extrême appliqué, ni dans un fondamental excessif ».  Il faut avancer pas à pas, un peu vers la gauche, un peu vers la droite, jamais brusquement. Le respect de l’éthique est aussi ce qui fait la beauté de la chimie, cet équilibre et cette richesse que l’on peut exploiter suivant son goût, du fondamental à l’appliqué. Les impératifs de REACH sont enfin un stimulant concret dans cette direction de la chimie du futur, et déjà du présent. Et pour terminer, arrêtons-nous sur ces deux aquarelles (Figure 38) pour rappeler qu’il nous faut préserver une nature avec des saisons, un climat, qui soient doux, la mer, le ciel… tout ce qui fait la beauté de notre Terre.

Figure 38 La chimie pour le développement durable, encouragée et stimulée par REACH, doit nous permettre de transmettre aux générations futures un cycle des saisons préservé. Aquarelles d’Isabelle Rico-Lattes.

37

des

substances chimiques dans le cadre de la mise en œuvre de

REACH

Catherine Gourlay-Francé est ingénieure de l’école Polytechnique et docteur en écotoxicologie. Ingénieure en chef des Ponts, Eaux et Forêts, elle travaille à l’Agence Nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses1), où elle suit les dossiers qui concernent en particulier les biocides et la Réglementation Européenne sur les substances chimiques REACH. Elle nous donne ici le côté administratif et gestionnaire de la mise en œuvre et du suivi de ce programme.

1

Présentation des grands principes de REACH Si le règlement RE ACH 2 (Encart : « Les grands principes de REACH ») se traduit 1. Anses : ses missions couvrent l’évaluation des risques et contribuent à assurer la sécurité sanitaire humaine dans les domaines de l’alimentation, l’environnement et le travail, en vue d’éclairer les pouvoirs publics dans leur politique sanitaire. Site : www.anses.fr 2. REACH (Registration, Evaluation and Authorization (and Restriction) of Chemicals) : règlement de l’Union européenne sur l’enregistrement, l’évaluation, l’autorisation et les restrictions des substances chimiques, entré en vigueur le 1er juin 2007, qui rationalise et améliore l’ancien cadre réglementaire sur les produits chimiques. Voir le Chapitre d’I. Rico-Lattes dans cet ouvrage Chimie et expertise, santé et environnement, coordonné par M.-T. Dinh-Audouin, D. Olivier et P. Rigny, EDP Sciences, 2016.

par un important travail chez les industriels producteurs, impor tateurs et distributeurs de produits chimiques, ainsi qu’il est décrit dans les Chapitres de J.-C. Boutonnet et C. Lusson dans cet ouvrage Chimie et expertise, santé et environnement (EDP Sciences, 2016), il fait également intervenir les pouvoirs publics et les agences d’États qui sont chargés de veiller à son application, à la qualité de son déroulement, à réaliser les évaluations des dossiers et des substances, et à proposer les dossiers aboutissant aux autorisations ou aux limitations. RE ACH signifie enRegistrement (registr ation), Évaluation, Autorisation – en fait « Interdiction sauf autorisation » des substances CHimiques. La notion de Restriction, qui n’apparaît pas

D’après la conférence de Catherine Gourlay-Francé

évaluation

L’

Chimie et expertise, santé et environnement

LES GRANDS PRINCIPES DE REACH – « Registration » : enregistrement de toutes les substances produites ou importées à plus d’une tonne par an en Europe ; – « Evaluation » : évaluation des propositions d’essais, des dossiers et des substances par les États-membres ou l’Agence Européenne des Produits Chimiques (ECHA) ; – « Authorization » : autorisation, pour les substances extrêmement préoccupantes ; restriction, pour gérer les risques liés à certaines substances ; –  « of CHemicals » : des produits chimiques. L’une des premières pages du règlement REACH stipule :  « Le présent règlement, REACH, est fondé sur le principe qu’il incombe aux fabricants, aux importateurs et aux utilisateurs de veiller à fabriquer, mettre sur le marché ou utiliser des substances qui n’ont pas d’effets nocifs pour la santé ou l’environnement. » De surcroît, le règlement rappelle le principe de précaution. Il y a donc dans REACH un renversement de la charge de la preuve : c’est maintenant à l’industriel de montrer qu’il met sur le marché des substances qui ne sont pas nocives pour l’homme et l’environnement. Les grands principes de REACH demandent de : –  améliorer la connaissance sur les substances chimiques pour assurer un niveau de protection élevé ; –  favoriser la compétitivité ; –  limiter les essais sur les animaux ; –  renverser la charge de la preuve de l’innocuité des substances, et du risque maîtrisé de ces substances vers les industriels.

dans l’acronyme, est également un élément très important de ce règlement.

2.1. Présentation et calendrier de mise en œuvre (Figure 1)

informations sur les risques toxicologiques et écotoxicologiques 3 des substances qu’ils produisent ou mettent sur le marché en Europe. Ces informations sont utilisées pour assurer la gestion des risques qu’elles peuvent engendrer. Une substance ne peut pas être produite ou mise sur le marché en Europe si elle n’a pas fait l’objet d’un enregistrement, ce qu’on résume par le slogan « pas de données, pas de dossiers d’enregistrement, pas de marché en Europe ». Sont concernées toutes les substances qui seront produites à plus d’une

En application du règlement REACH, les producteurs ou importateurs de substances chimiques doivent fournir les

3. L’écotoxicologie est l’étude des conséquences écologiques de la pollution de l’environnement par les substances toxiques.

Le présent chapitre a pour but d’expliquer ce qu’est le « E » de REACH. Les dossiers d’enregistrement étant la base de tout processus d’évaluation, il convient de commencer par rappeler ce qu’est le « R » c’est-à-dire l’enRegistrement.

2

40

L’enregistrement des substances

Les enregistrements ont commencé en 2010 et vont se dérouler par bande de tonnage jusqu’à 2018 : la première phase en 2010 a concerné les substances produites ou importées à plus de mille tonnes, ainsi que les substances les plus dangereuses, c’est-à-dire cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques5, ou les substances les plus toxiques pour le milieu aquatique. Aujourd’hui, toutes les substances à plus de cent tonnes sont enregistrées. In fine, il est estimé qu’environ 25 000 substances seront enregistrées. 4. Agence Européenne des Produits Chimiques (ECHA) : agence qui joue un rôle central au sein des autorités de réglementation pour la mise en œuvre de la nouvelle législation européenne sur les produits chimiques et entend promouvoir la protection de la santé humaine et de l’environnement ainsi que l’innovation et la compétitivité. 5. Composés cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques (CMR) : « mutagènes » désigne les composés capables de provoquer une mutation au sein d’un individu ; « cancérogènes » désigne les composés pouvant entraîner la survenue d’un cancer suite à un mode d’action génotoxique ou non ; « reprotoxiques » sont ceux qui affectent les capacités reproductrices, en réduisant la fertilité ou en entraînant des anomalies du développement prénatal.

Figure 1 Le calendrier de mise en œuvre du programme REACH. *CMR : Cancérogène, Mutagène ou Reprotoxique. **Toxicité aiguë/ chronique pour le milieu aquatique.

2.2. Les exigences quant aux propriétés intrinsèques Le niveau d’exigence en termes d’informations sur les propriétés intrinsèques des substances dépend des quantités produites. Plus la substance a un fort tonnage sur le marché, plus des informations précises et détaillées sur son profil toxicologique et sur son profil écotoxicologique sont requises. Les exigences sont détaillées dans différentes annexes du règlement REACH. Les listes de données exigées sont flexibles et il existe des possibilités de déroger ou modifier ces requis réglementaires en fonction de la caractéristique de la substance. Le Tableau 1 donne un exemple d’informations demandées, en particulier sur la toxicité chronique de la substance, selon le tonnage de cette substance. Dans ce tableau, les tests indiqués pour un tonnage donné sont également exigés pour un tonnage plus fort. Ainsi, la

L’évaluation des substances chimiques dans le cadre de la mise en œuvre de REACH

tonne par an in fine en 2018 – ce qui représente entre 25 et 30 000 substances. Le règlement a instauré la création d’une Agence Européenne des Produits Chimiques, l’ECHA 4, basée à Helsinki en Finlande, qui est l’agence dépositaire de tous les dossiers d’enregistrement.

41

Chimie et expertise, santé et environnement

Tableau 1 Exemple d’informations toxicologiques requises (propriétés intrinsèques) en fonction du tonnage de la substance. Attention, dans ce tableau les tests indiqués pour un tonnage donné sont également exigés pour un tonnage plus fort.

1-10 t/an annexe VII

10-100 t/an Annexe VIII

Toxicité aiguë orale Irritation cutanée (in vitro) Sensibilisation cutanée Mutagénicité (in vitro) : Test Ames

Toxicité aiguë inhalation Toxicité aiguë cutanée Toxicité répétée 28 jours Toxicité de la reproduction Toxicocinétique (info.) Irritation cutanée (in vitro)

100-1 000 t/an Annexe IX Toxicité répétée 28 jours Toxicité subchronique (90 jours) Toxicité sur le développement prénatal Toxicité pour la reproduction (2 générations)

substance produite à plus de mille tonnes par an doit fournir l’ensemble de ces informations.. 2.3. Les exigences quant à la maîtrise du risque

Figure 2 Étapes de la maîtrise du risque.

42

Le dossier d’enregistrement contient aussi le rappor t d’évaluation sur la sécurité chimique. Ce rapport décrit les conditions dans lesquelles les risques sont maîtrisés, c’est-à-dire l’ensemble des conditions d’utilisation de la substance dans lesquelles les niveaux d’exposition ne dépassent pas les seuils prédits « sans effet », quitte à ce que des mesures de gestion et de prévention soient mises en place et décrites dans le dossier (Figure 2).

> 1 000 t/an Annexe X Toxicité à long terme Étude de cancéro­genèse

Le risque est la combinaison d’un danger et d’une exposition à ce danger6. D’une part, les propriétés toxiques d’une substance déterminent différentes doses estimées « sans effet » pour l’homme, pour le travailleur, pour le consommateur, pour les enfants, et enfin, pour l’ensemble des populations possiblement exposées. D’autre part, l’ensemble des conditions opérationnelles de l’utilisation de cette substance permet d’estimer des doses d’exposition. Le risque est caractérisé par la comparaison : « Les doses d’exposition auxquelles les personnes ou l’environnement sont exposés sont-elles supérieures aux doses sans effet ? ». Si elles sont supérieures, c’est qu’il y a un risque potentiel et qu’il faut mettre en place des mesures de gestion des risques ; l’industriel doit alors faire des recommandations aux utilisa6. Au sujet des notions de danger et de risque, voir le Chapitre d’I. Rico-Lattes dans Chimie et expertise, santé et environnement, EDP Sciences, 2016.

3

L’évaluation

3.1. Objectif et nature des évaluations dans REACH L’ « évaluation » telle que décrite dans le Règlement RE ACH a trois principaux objectifs : vérifier que les industriels respectent leurs obligations vis-à-vis du règlement, garantir la sécurité chimique en assurant la prise en compte des préoccupations particulières à chaque substance, et minimiser les tests sur les animaux. Il y a deux types d’évaluations dans REACH : l’évaluation des dossiers et l’évaluation des substances (Figure 3).

3.2. L’évaluation des dossiers dans REACH L’évaluation des dossiers est réalisée par l’Agence Européenne des Produits Chimiques (ECHA). Il y a deux types d’évaluations : la conformité des dossiers (« Le dossier est-il conforme aux requis réglementaires ? ») et les propositions d’essai. –  Si un dossier n’est pas complet, s’il manque des tests, l’industriel n’a pas le droit de les faire sans demander l’autorisation auprès de l’ECHA (par exemple pour limiter les tests sur animaux). Ces propositions d’essais des industriels sont validées, discutées au sein de l’ECHA, et même soumises à consultation publique pour que d’autres personnes, si elles ont des informations disponibles sur cette substance qui pourraient éviter de faire l’essai, puissent les communiquer.

L’évaluation des substances chimiques dans le cadre de la mise en œuvre de REACH

teurs de la substance pour que les risques soient maîtrisés, afin de garantir des usages sans risque des substances. Cela concerne toutes les étapes du cycle du produit, de la fabrication jusqu’au relargage final éventuel dans l’environnement de cette substance.

–  Dans le cas de la vérification de la conformité d’un dossier, l’ECHA peut être amené

Figure 3 Synoptiques des évaluations demandées par REACH.

43

Chimie et expertise, santé et environnement 44

à demander des informations complémentaires, soit de façon informelle, soit de façon formelle, sous la forme d’une décision de l’ECHA. L’objectif est d’améliorer les dossiers. 3.3. L’évaluation des substances dans REACH L’ é v a l u a t i o n d e s s u b s t ance s s e f ait p ar le s États membres de l’Union Européenne. Il s’agit d’un examen approfondi de l’ensemble des données disponibles sur la substance. Les substances qui sont soumises à cette évaluation sont sélectionnées en cas de doutes sur la maîtrise des risques, qui justifient une analyse poussée. L’évaluation peut conduire soit à conclure – si les suspicions sont levées suite à l’examen approfondi –, soit à demander des informations supplémentaires, soit à identifier des situations qui nécessitent des mesures de gestion, comme par exemple limiter les conditions d’utilisation de la substance (restrictions), proposer un dossier de classification de la substance, etc. La sélection des substances à évaluer passe par un travail préliminaire d’identification (réalisé soit par les pays, soit par l’ECHA), basé sur les informations disponibles sur les dangers, sur les expositions et sur les tonnages. Sur proposition des États membres, l’ECHA établit un plan d’action continu sur trois ans (« Community Rolling Action Plan », CoRAP), sur lequel sont indiquées de façon publique l’ensemble des substances qui seront soumises à évaluation dans les

trois ans à venir. Cela a commencé en 2012, ce qui est donc relativement récent. Le Tableau 2 est un extrait disponible sur le site de l’ECHA. Y sont indiqués les noms des substances, l’année d’évaluation, le pays évaluateur, et, de façon assez générale, les préoccupations, les doutes qu’il y avait, qui font que cette substance a été inscrite sur ce plan d’action roulant. En général, ce sont des forts tonnages, des facteurs de risque a priori assez importants, une exposition dispersive, un risque lié à des propriétés de danger. Par exemple, le tétrachlorure de carbone est suspecté CMR, ce qui ne veut pas dire qu’il le soit, mais seulement qu’il y a un besoin d’aller plus loin dans l’évaluation. L’octocrilène7, quant à lui, était suspecté d’être PBT (Persistant, Bioaccumulable8 et Toxique pour l’environnement). La première année en 2012, 90 substances ont été inscrites sur le « plan d’action roulant » ; on en est à 120 pour la prochaine phase 20142016. Jusqu’à 2016, il y aura près de 200 substances qui seront évaluées, soumises à cette procédure, et le nombre en sera actualisé tous les ans. Ce plan d’action roulant est public, et les industriels sont attentifs aux substances qui y sont inscrites tous les ans. Ce travail est réalisé au nom de l’ECHA, mais par les 7. L’octocrilène est utilisé comme ingrédient dans des crèmes solaires et des cosmétiques. 8. Bioaccumulation : processus par lequel une substance du milieu est absorbée et stockée dans un organe d’un être vivant.

Présentation d’un programme pluriannuel pour la clarification d’une suspicion de risque pour l’environnement (CoRAP 2012-2014).

Numéro EC

Santé humaine/ CMR ; exposition/haute exposition pour les travailleurs,  haut degré d’agrégation 

ANSES Département des produits réglementés (DPR) REACH-CLP

2012

France

200-262-8

56-23-5

Tétra­ chlorure de carbone

2012

France

203-002-1

102-06-7

1,3-diphényl­ Santé humaine/ guanidine CMR ; exposition/haut tonnage ; Rapport de caractérisation de risque > 1 (santé humaine)

ANSES Département des produits réglementés (DPR) REACH-CLP

2012

France

228-250-8

6197-30-4

octocrilène

ANSES Département des produits réglementés (DPR) REACH-CLP

Ces substances vont être soumises à une analyse approfondie pour laquelle le travail s’effectue sur douze mois. À partir d’une collection de

Nom de la substance

Détails sur les contacts de l’État membre

Année

Instituts techniques publics européens ; en France, c’est le ministère en charge de l’Écologie qui est l’autorité compétente pour RE ACH. C’est l’Anses qui réalise les évaluations des substances, ainsi que l’ensemble des autres dossiers techniques relatifs à REACH : restriction, proposition de classification, identification des substances extrêmement préoccupantes, etc.

Numéro CAS

Premiers motifs de préoccupation

État membre

Environnement /suspicion de PBT ; exposition dispersive,  haut degré d’agrégation

données aussi complète que possible, on se dirige vers des conclusions ou des demandes complémentaires. Ce processus est indiqué dans l’Encart : « L’évaluation des substances dans REACH ». Quand cette première phase du processus a été effectuée, si l’État membre évaluateur considère qu’il faut faire des demandes complémentaires, il rédige un projet de décision, qui sera ensuite commenté par l’ensemble des autres pays et l’industriel qui a déposé le dossier, avant d’être endossé par l’ECHA. Ce sont des requêtes très précises et qui ne

L’évaluation des substances chimiques dans le cadre de la mise en œuvre de REACH

Tableau 2

45

Chimie et expertise, santé et environnement

L’ÉVALUATION DES SUBSTANCES DANS REACH OBJECTIF : CLARIFICATION D’UNE SUSPICION DE RISQUE POUR LA SANTÉ OU L’ENVIRONNEMENT Phase 1 : collecte et examen des données disponibles –  Principale source : le/les dossier(s) d’enregistrement de la substance ; –  Précédentes évaluations ; –  N’importe quelle autre source (en particulier la bibliographie). Peut conduire à : –  Clarifier les doutes, caractériser les dangers, vérifier que les risques sont maîtrisés ; –  Identifier un risque ou un danger préoccupant, proposer des actions réglementaires ; –  Demander des informations supplémentaires. Projet de « décision » qui sera commenté par le(s) déclarant(s) et amendé par les autres pays → ECHA. Requêtes très précises, non soumises aux requis réglementaires. Processus itératif. Phase 2 –  Si des informations complémentaires sont jugées nécessaires, le pays évaluateur prépare un projet de décision. Décision : requête formelle et argumentée venant de l’ECHA ; –  Le projet de décision est discuté entre les pays pour être endossé par l’ECHA. Commentaires de l’industriel Mise à jour du dossier Projet de décision v1

Commentaires de l’industriel Projet de décision v2

Amendements des autres pays

Projet de DÉCISION décision DE L’ECHA v3 Discussion et validation par consensus par le Comité des États membres de l’ECHA

Figure 4 Étapes de l’évaluation des substances dans REACH.

sont pas nécessairement des requis réglementaires. En effet, la demande est ciblée sur un besoin précis lié aux caractéristiques de la substance.

46

La décision est une requête formelle, argumentée, venant de l’ECHA ; l’industriel

sera donc tenu d’y répondre. Dans le cas d’une décision de l’ECHA faite à partir d’une évaluation d’un État membre, il est d’abord établi une première version, commentée par l’industriel, puis suit une deuxième version commentée par les autres États. En retour, une nouvelle discussion est menée avec l’industriel, l’objectif de l’ECHA étant d’aboutir à un document validé par consensus par le comité des États membres, où l’ensemble des pays européens sont représentés. Ce processus itératif entre les industriels et les États est résumé dans la Figure 4. La position finale n’est pas simplement celle de l’ECHA ni celle du pays qui a fait l’évaluation, mais une décision qui a fait l’objet d’un consensus au niveau de l’ensemble des pays de l’Europe ; elle intègre l’ensemble des sensibilités de ces différents pays, que ce soit en termes de protection de l’environnement, d’importance économique, d’importance de protection des animaux, etc. La Figure 5 donne l’exemple d’une décision de l’ECHA faite en 2012, qui demande des tests complémentaires ; les décisions sont publiques et disponibles sur le site de l’ECHA. Quand c’est possible, la décision se réfère à une ligne directrice, par exemple un texte construit sur les lignes directrices de l’OCDE, mais, si les exigences et les propriétés de la substance le justifient, on peut déroger et préciser le protocole parce qu’on sait qu’on aura une information meilleure, plus robuste, en adaptant le protocole à cette substance. Cela a été

Extrait de la décision publique de l’ECHA sur l’évaluation des dangers et risques pour l’environnement. Source : http://echa.europa.eu/ documents/10162/3c54f5c32d02-4adf-a5eb-564ce6bea321

le cas par exemple pour des tests assez précis permettant d’évaluer le potentiel endocrinien sur l’environnement. Le processus est itératif : le dossier mis à jour avec les nouvelles informations est réévalué, et, si besoin, de nouvelles informations complémentaires peuvent être

demandées. L’objectif n’est cependant pas de toujours demander des informations complémentaires, mais bien de clarifier les doutes qu’il peut y avoir sur une substance pour pouvoir conclure, in fine, qu’il n’y a pas de risque, ou qu’une mesure de gestion est nécessaire (Figure 6).

L’évaluation des substances chimiques dans le cadre de la mise en œuvre de REACH

Figure 5

Besoin infos complémentaires

Décision de l’ECHA (requêtes)

Mise à jour 12 mois du dossier

Oui CORAP

évaluation

12 mois

Besoin infos complémentaires ?

Inquiétude(s) clarifiée(s)

Non Conclusions Pas de risque Pas de danger préoccupant Pas d’action

Proposition de mesure de gestion du risque

– classification – restriction – substance SVHC – autre…

Figure 6 Synoptique des différents types de conclusions émises par l’ECHA. Des études aux conclusions de l’ECHA : le cheminement de l’évaluation.

47

Chimie et expertise, santé et environnement 48

REACH : un programme encore récent, pour de grandes perspectives Le processus d’évaluation est en place depuis 2012, les premières décisions ont été envoyées fin 2013 – ce qui est finalement très récent –, et les premiers retours de demandes d’industriels sont attendus en 2015. L’ensemble des pays et l’ECHA sont donc dans la phase de mise en place de cet outil, qui devrait permettre de clarifier de nombreux doutes sur certaines substances par la réalisation de tests vraiment adaptés. Parce que les tests demandés ne sont pas nécessairement ceux exigés dans les requis réglementaires, cela laisse une grande place pour les études innovantes permettant de répondre à des préoccupations précises.

en

recherche

toxicologie

et

écotoxicologie dans le cadre de la mise en œuvre de

REACH

Éric Thybaud est responsable du pôle danger et impact sur l’environnement à l’INERIS1

1

Présentation du contexte

Le règlement REACH2 a pour objectif en particulier d’améliorer les connaissances sur 1. INERIS (Institut National de l’Environnement Industriel et des Risques) : l’INERIS a pour mission d’évaluer et de prévenir les risques accidentels ou chroniques pour l’homme et l’environnement, liés aux installations industrielles, aux substances chimiques et aux exploitations souterraines. Site : www.ineris.fr. 2. REACH (Registration, Evaluation and Authorization (and Restriction) of Chemicals) : règlement de l’Union européenne sur l’enregistrement, l’évaluation, l’autorisation et les restrictions des substances chimiques, entré en vigueur le 1er juin 2007, qui rationalise et améliore l’ancien cadre réglementaire sur les produits chimiques. Voir le Chapitre d’I. Rico-Lattes dans cet ouvrage Chimie et expertise, santé et environnement, coordonné par M.-T. Dinh-Audouin, D. Olivier et P. Rigny, EDP Sciences, 2016.

les substances, pour assurer un niveau élevé de protection pour la santé et l’environnement tout en limitant le recours à l’expérimentation animale, autant que faire se peut, ce qui représente un changement de pratiques important en toxicologie. Bien que les dossiers demandés par le règlement REACH aux producteurs et importateurs de substances chimiques (voir les Chapitres de J.-C Boutonnet et C. Lusson dans Chimie et expertise, santé et environnement, EDP Sciences, 2016) soient exigeants et complets, ils ne permettent pas de prendre en compte la complexité des situations réelles. Plus précisément, des recherches approfondies sont nécessaires sur les trois types de facteurs suivants, déterminant la toxicité ou l’écotoxicité : – d’abord l’effet « multistress » (parfois appelé « effet

Éric Thybaud

Les enjeux de la

Chimie et expertise, santé et environnement

cocktail »), qui désigne le fait que la toxicité d’un mélange de molécules n’est pas simplement l’addition de celles des molécules présentes : une synergie peut intervenir et éventuellement être à l’origine d’effets beaucoup plus importants que l’addition de ceux des molécules séparées ; –  ensuite, il faut prendre en compte les conditions environnementales réelles, qui ne sont pas neutres sur la toxicité des substances : en fonction des conditions de milieu, la toxicité peut s’exprimer de façon différente. Mais ces conditions sont variables et multiparamètres ; il faut des méthodes spécialisées pour en tenir compte ; – enfin, l’effet de molécules toxiques sur les organismes ne se limite pas à la première génération de sujets affectés, mais peut créer des perturbations qui se manifestent dans les générations suivantes. Ces effets transgénérationnels ne sont pas évalués à travers les essais habituellement pratiqués. D’un autre côté, la demande de REACH de limiter le recours aux expérimentations

animales conduit à étudier des méthodes alternatives de détermination des toxicités, par exemple en développant des méthodes de chimie théorique et en établissant des corrélations propriétés-structures moléculaires.

2

Les enjeux de la recherche

La mise en œuvre du règlement REACH fait changer de dimension le travail des toxicologues (Figure 1). Un nombre considérable de substances devront être caractérisés, et ces nouveaux besoins quantitatifs réclament une simplification et une systématisation des essais pour qu’ils puissent être effectivement mis en œuvre. En conséquence, les essais de base et leur mise en œuvre doivent être optimisés, qu’il s’agisse d’essais in vivo, in vitro ou in silico (in silico : au moyen de modèles informatiques). Parallèlement, les stratégies des essais doivent être redéfinies et sélectionnées pour donner un maximum d’informations. Également, l’interprétation des résultats doit être affinée, intégrant les données des différents outils pour étayer les conclusions de la meilleure façon possible. 2.1. Optimisation des outils de base

Figure 1

50

La mise en œuvre du règlement REACH fait changer de dimension le travail des toxicologues, avec de nouveaux besoins quantitatifs.

La Figure 2 esquisse les types d’études qu’il faut conduire pour l’évaluation complète de la toxicité d’une substance jusqu’au niveau écologique. À chaque étape, des outils spécifiques sont employés. Le changement du nombre

Tests in vitro

Bioessais

Microcosmes

Effets directs Devenir

des études appelé par le règlement REACH impose une optimisation de ces outils de mesure et de diagnostic pour rationnaliser les efforts. 2.1.1. Les recherches méthodologiques pour limiter l’expérimentation animale in vivo Pour limiter le recours aux expériences sur les animaux, la démarche est d’optimiser les protocoles d’essais. On peut par exemple optimiser le nombre de doses utilisées pour évaluer la toxicité d’une substance, ou son écotoxicité en cherchant à diminuer le nombre d’animaux soumis à l’expérimentation. Plus généralement, on doit chercher à optimiser les protocoles, c’est-à-dire les choix de doses et la façon de les administrer, pour obtenir le plus de résultats significatifs possibles. On peut définir les conditions pour, dans une même série d’expériences, travailler sur plusieurs cibles (plusieurs organes) ou employer plusieurs critères pour caractériser la toxicité ou l’écotoxicité – par exemple ne pas se contenter du critère LC50 3 pour évaluer les risques. En bref, la 3. LC50 (Concentration Létale 50 %) : concentration qui tue 50 % des individus en un temps donné.

Les différentes étapes d’une étude d’écotoxicologie.

Mésocosmes

Canaux

Mare/étang

Enclos

Écosystèmes naturels

Effets sur les relations inter-spécifiques Effets indirects

démarche consiste à obtenir un maximum de données utiles, non pas en multipliant le nombre des essais mais en les rendant plus « intelligents », plus productifs. Aujourd’hui un grand nombre de tests et d’informations concerne la toxicité aiguë, mais ce n’est plus la plus pertinente pour préserver la santé et l’environnement car les conditions d’utilisation des substances ne conduisent que très rarement à ce type d’effet. En revanche, on doit ses préoccuper de la toxicité à faible dose ou aux effets à long terme (voir aussi le Chapitre de P. Hubert, dans Chimie et expertise, santé et environnement) : la recherche se tourne ainsi vers les effets subchroniques ou sublétaux4, amenant par exemple à considérer la possibilité d’effets transgénérationnels.

Les enjeux de la recherche en toxicologie et écotoxicologie dans le cadre de la mise en œuvre de REACH

Outils de laboratoire

In silico

Figure 2

Complexité du système expérimental Représentativité

Reproductibilité Répétabilité

Dans un autre ordre de préoccupations, il faut s’imposer que les recherches se fassent sur des milieux représentatifs des conditions réelles (ou aussi représentatifs que 4. Effet subchronique : effet situé entre un effet aigu (qui évolue rapidement) et un effet chronique (qui évolue lentement et se prolonge). Sublétal : caractérise la dose d’une substance toxique, la plus proche de celle qui provoque la mort.

51

Chimie et expertise, santé et environnement

possible) pour que des évaluations tirées des mesures soient les plus pertinentes. Les milieux employés dans les études ne remplissent pas toujours cette condition : le classique test des poissons (voir le Chapitre de J.-C. Boutonnet dans Chimie et expertise, santé et environnement) utilise une eau reconstituée adoptée par tous les laboratoires, mais elle est proche de l’eau des aquariums. C’est une eau qui n’existe nulle part ailleurs.

prédiction de la toxicité à partir de tels outils nécessite le plus souvent le recours à des batteries d’essais. La sélection des tests peut être basée sur l’étude des mécanismes d’action des molécules sur le vivant. Cela permet de sélectionner des tests prédictifs à partir d’effets précoces de manière à permettre les diagnostics les plus efficaces ; ces recherches se font dans le cadre conceptuel des AOP (« Adverse Outcome Pathways »5, Figure 3).

La demande du règlement REACH de tenir compte du bien-être des animaux induit également des questions de recherche. Dans ce contexte, l’imagerie du petit animal, qui permet d’établir des diagnostics sans imposer de souffrance, est tout à fait prometteuse.

L’exemple de la sensibilisation cutanée illustre cette démarche. Le chemin de l’effet toxique, depuis l’absorption cutanée jusqu’à la prolifération des lymphocytes et l’apparition des rougeurs, est connu. On peut développer des essais représentatifs de chacune des étapes, comme par exemple la liaison substance-protéine, qui mesure un potentiel de sensibilisation local. L’étude complète permet d’évaluer le potentiel de sensibilisation ou le potentiel toxique de la substance étudiée.

2.1.2. Les besoins de recherche pour l’utilisation des modèles animaux in vitro La toxicité d’une substance peut également être évaluée au moyen de méthodes in-vitro, approche dans laquelle on isole un organe, une partie d’organe ou une culture cellulaire que l’on soumet aux stress chimiques. Ces expériences sont souvent suffisamment validées pour apparaître dans des dossiers règlementaires.

52

La conduite des tests in vitro doit être déterminée par l’objectif final des études qui reste, en dernier ressort, de prévoir les atteintes à la santé humaine ou à l’environnement. Les tests doivent chercher à être prédictifs, permettant d’évaluer les impacts en conditions réelles. La

2.1.3. Les besoins de recherche pour l’utilisation des modèles in silico Les méthodes théoriques bénéficient des gros progrès de la chimie théorique, de la modélisation, ainsi que des progrès dans les technologies informatiques (d’où leur dénomination  in silico). Elles sont encore en développement mais ont déjà un degré 5. AOP : cadre conceptuel qui représente le lien entre un événement biologique et un effet négatif à un niveau pertinent pour l’évaluation du risque.

Toxique Propriétés chimiques

Interactions macromoléculaires

Réponses cellulaires

Réponses des organes

Réponses de l’organisme

Interaction récepteur/ligand Liaison ADN Oxydation protéique

Activation de gène Production de protéine Signalisation altérée Déplétion protéique

Physiologie altérée Homéostasie perturbée Perturbation du développement des fonctions tissulaires

Létalité Développement affaibli Reproduction affaiblie Cancer

Chemin de l’effet toxique

Réponses des populations Structure Recrutement Extinction

Communautés Écosystèmes

Anchor 2 (issue défavorable à l’organisme – ou niveau de population)

Anchor 1 (Événement initiateur)

Chemin du mode d’action

de maturité qui leur permet d’apporter des éléments signifiants aux dossiers. Leur facilité de mise en œuvre, bien entendu, est la principale motivation des efforts de perfectionnement et de mise au point en cours dans de nombreux laboratoires. Dans ce domaine, le recours au QSAR (« quantitative structure-activity relationships ») 6 est relativement courant. Ainsi ces méthodes sont classiques pour évaluer la bioaccumulation7 de substances chimiques par exemple. Des recherches sont en cours pour en élargir les domaines d’application, 6. QSAR (relation quantitative structure-activité) : procédé par lequel une structure chimique est en relation avec un effet bien déterminé (par exemple, l’activité biologique peut être exprimée de manière quantitative, comme pour la concentration de substance nécessaire pour obtenir une certaine réponse biologique). Voir le Chapitre de P. Toulhoat dans Chimie et expertise, sécurité des biens et des personnes, coordonné par M.‑T. Dinh-Audouin, D. Olivier et P. Rigny, EDP Sciences, 2015. 7. Bioaccumulation : processus par lequel une substance du milieu est absorbée et stockée dans un organe d’un être vivant.

diversifier les critères d’évaluation et préciser les limites de leur utilisation. L’utilisation de telles méthodes nécessite de respecter leur domaine d’utilisation faute de quoi les conclusions ont un fort risque d’être erronées. Au-del à de ces aspec t s méthodologiques, les recherches en chimie théorique concernent le traitement des molécules ou éléments inorganiques encore peu renseignés et le développement de stratégies de modèles qui vont impliquer à la fois des descripteurs moléculaires et des résultats biologiques.

Figure 3 Le cadre conceptuel des AOP (« Adverse Outcome Pathways »). Source : d’après Ankley et coll. (2010), Environmental Toxicology and Chemistry, 29 : 730-741.

Les enjeux de la recherche en toxicologie et écotoxicologie dans le cadre de la mise en œuvre de REACH

Adverse Outcome Pathway

2.2. Optimisation de la mise en œuvre des outils de base Les progrès dans l’efficacité des caractérisations toxicologiques viennent, dans une large mesure, de l’adaptation des stratégies de mise en œuvre (les protocoles d’essais), simultanée ou successive, des outils de base. On remplace progressivement la stratégie systématique construite sur des listes prédéfinies par des démarches plus « raisonnées » (Tableau).

53

Chimie et expertise, santé et environnement

Tableau Comparaison des démarches d’essais dans les stratégies « sur liste prédéfinie » ou « raisonnées »

Liste prédéfinie –  Inhibition de la croissance des algues vertes unicellulaires –  Inhibition de la mobilité de Daphnia magna –  Test de toxicité aiguë poisson (mortalité)

Stratégie raisonnée –  Inhibition de la croissance des algues vertes unicellulaires –  Inhibition de la mobilité de Daphnia magna Détermination de LC 50 % Détermination seuil de toxicité (= plus faible EC50) Réalisation d’un test de toxicité aiguë poisson au seuil de toxicité ou à 100 mg/l

Détermination de CI ou CL 50 %

Examinons l’exemple de l’évaluation de la toxicité vis-à-vis des organismes aquatiques : la méthode classique par liste prédéfinie consiste à faire un test algues 8 , suivi d’un test Daphnie9, puis d’un test poisson10, et de retenir le résultat le plus faible des trois essais pour définir le seuil de toxicité. Dans le souci d’éviter des tests superflus et de diminuer le recours aux animaux, l’Organisation de Coopération et de

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8. Test algues : ce test vise à évaluer la toxicité chronique du produit testé pour la flore aquatique. 9. Test Daphnie (ou Daphnia magnia) : ce test a pour objectif d’évaluer la toxicité aiguë du produit testé pour la faune aquatique (micro-crustacés). Les tests utilisant des daphnies sont les plus utilisés en écotoxicologie, du fait notamment, de leur facilité d’utilisation. 10. Test poisson : ce test vise à évaluer la toxicité aiguë de produits sur une espèce de poisson d’eau douce.

Réalisation du test de toxicité aiguë poisson complet uniquement si observation de mortalité dans le test limite Développement Économiques (OCDE11) a défini une stratégie raisonnée qui consiste à ne réaliser les tests poisson qu’en fonction des résultats des essais algues et sur Daphnie. 2.3. Optimisation de l’interprétation des résultats Les essais sont réalisés dans des conditions environnementales de laboratoire alors que les conclusions qui doivent être tirées correspondent aux environnements naturels réels et doivent avoir un caractère de prévisibilité pour tenir compte de l’évolution du milieu au cours du temps. 11. OCDE : organisation internationale constituée de 34 pays membres à travers le monde, sa mission est de promouvoir les politiques qui amélioreront le bienêtre économique et social partout dans le monde.

ÉCOSYSTÈME

CONCENTRATION INDUISANT UN EFFET TOXIQUE CHEZ LES INDIVIDUS

CONCENTRATION PRÉVISIBLE SANS EFFET SUR LES ÉCOSYSTÈMES

Concentration létale 50 % Concentration inhibitrice 50 % Concentration sans effet observé etc.

Le passage de l’un à l’autre, avec les extrapolations que cela implique, nécessitent des techniques d’interprétation qui doivent être validées par de nombreuses études portant sur des variétés de situations. La mise au point des techniques d’interprétation est un axe de recherche ac tuel lem ent tr è s ac tif (Figure 4).

Des mesures individuelles à la caractérisation de l’écosystème.

Concentration prévisible sans effet (PNEC) ou Concentration écologiquement acceptable (EAC)

d’organisation biologique à un autre (Encart : « La modélisation pour le changement d’échelle »).

LA MODÉLISATION POUR LE CHANGEMENT D’ÉCHELLE La modélisation permet d’établir un lien entre différentes échelles : –  l’échelle de mesure (individu) ;

La toxicité ou l’écotoxicité est estimée par des grandeurs caractérisant des effets sur des populations ou des individus : CL50, DL5012 par exemple. Pour les écosystèmes, ce qui est pertinent c’est de définir une concentration seuil en deçà de laquelle des effets sur la structure et le fonctionnement du système ne sont pas à craindre. Passer d’une CL50, d’un test sur un poisson, à une concentration sans effet sur un écosystème nécessite une extrapolation entre niveaux d’organisation, qui ne peut être faite de façon fiable qu’à partir de modèles suffisamment validés et présentant un caractère prédictif. Ce sont les objectifs des programmes de recherche actuels autour de la modélisation pour le changement d’échelle qui permet de passer d’un niveau

–  l’échelle de pertinence protectrice (population) ;

12. DL50 (Dose Létale 50 %) : correspond à la quantité de substance qui produit la mort de la moitié de la population.

Modélisation pour traiter le changement d’échelle. Source : Adams S.M., Biological indicator of aquatic ecosystem stress. American Fisheries Society, Bethesda, Maryland.

–  l’échelle de pertinence toxicologique ; –  l’échelle des effets biologiques. Apports de la modélisation par rapport aux méthodes descriptives et/ou strictement statistiques : –  tester différents scénarios et hypothèses ; –  prédire les conséquences des effets dans différents états écologiques ; –  identifier les variables biologiques les plus pertinentes. Interactions

Stress biotiques • compétition • prédation • nourriture • habitat • exotiques

Populations Mécanismes de régulation

Individus

Les enjeux de la recherche en toxicologie et écotoxicologie dans le cadre de la mise en œuvre de REACH

Figure 4

INDIVIDUS

Stress abiotiques • température • physico-chimique • xénobiotiques • hydrologique • exploitation • perte d’habitat

Interactions

Figure 5

55

Chimie et expertise, santé et environnement 56

Toxicologie et écotoxicologie : au-delà de la question scientifique… Il y a lieu de rappeler le statut des recherches en toxicologie et en écotoxicologie abordées ici du point de vue de l’éthique. L’amélioration des outils de prévision ne doit pas être séparée de la réflexion sur les enjeux de la protection. Quand on parle d’environnement, qu’est-ce qu’on veut protéger ? S’agit-il des individus, de populations, de la structure ou du fonctionnement d’un écosystème ? Le règlement REACH stipule qu’« il faut protéger l’environnement », mais ne définit pas réellement ce que l’on veut réellement protéger. Chacun peut y mettre un peu ce qu’il veut car le concept d’environnement est complexe, ne désigne pas une réalité figée mais évoluant avec le temps. Les enjeux semblent donc porter sur quelque chose qui n’est pas stable. À côté des recherches techniques, une réflexion éthique est indispensable.

REACH

amélioration de

dans l’

la connaissance des dangers des substances pour

Arkema

Jean-Charles Boutonnet est chef du département ToxicologieEnvironnement du groupe Arkema1.

Pour bien saisir REACH dans ses implications pratiques, ce chapitre aborde sa mise en œuvre au sein de l’entreprise Arkema, le plus gros industriel français de la chimie (Encart : « Arkema et la chimie »).

1

Des réglementations à l’échelle européenne pour la maîtrise des risques chimiques 1.1. Les textes européens concernant les dangers des produits chimiques Les textes européens au niveau des produits chimiques sont résumés dans l’Encart : « Les textes européens pour réglementer l’usage des produits chimiques ». L’Europe s’est pourvue dès 1967 d’une réglementation sur l’utilisa1. www.arkema.fr

tion des produits chimiques, sous forme de directives. Au fil des modifications, cellesci étaient devenues inadaptées au besoin et à l’efficacité que l’on pouvait espérer, et, en 2006, un nouveau règlement a été publié. Ce règlement, REACH (Registration, Evaluation, Authorization of Chemicals), a réformé la réglementation des produits chimiques industriels en profondeur. C’est ce texte et son application qui sont abordés dans le présent chapitre, mais il faut mentionner également un autre règlement très important pour les chimistes : le CLP, pour Classification Labelling and Packaging of Chemicals, qui organise la classification, l’étiquetage et l’emballage des produits chimiques : substances et mélanges de substances. Le règlement CLP est la version européenne du Système Général Harmonisé (SGH)

Jean-Charles Boutonnet

Apports de

Chimie et expertise, santé et environnement

ARKEMA ET LA CHIMIE Les principaux clients d’Arkema sont des entreprises qui utilisent ses produits et les transforment en leurs propres produits ou articles proposés aux consommateurs. Arkema est une société française, mais qui a des sites partout dans le monde : elle compte près de 19 000 salariés dans 50 pays. La société est très souvent positionnée parmi les meilleures sur ses activités. Tableau Les différentes productions d’une industrie chimique comme Arkema.

Matériaux Haute Performance Des solutions innovantes et à haute valeur ajoutée • Polymères techniques (polyamides de spécialités et polymères fluorés) • Adsorption/filtration (CECA) •  Peroxydes organiques • Adhésifs de spécialités (Bostik)

Spécialités industrielles

Coating Solutions

Un présence mondiale sur des niches industrielles intégrées

Des solutions pour les peintures décoratives, les revêtements industriels et applications acryliques en forte croissance

• Thiochimie • Fluorés • PMMA (Altuglas International) • Oxygénés

• Acryliques •  Résines de revêtements • Résines photoréticulables (Sartomer) • Additifs de rhéologie (Coatex)

Les activités d’Arkema sont réparties en trois pôles (Tableau) : –  Les Matériaux Haute Performance sont des produits utilisés dans des applications de haute technicité, qui demandent des propriétés très spécifiques ; –  Les Spécialités Industrielles, comme l’Altuglas® ou Plexiglas®, des produits de la chimie du soufre, du fluor, ou encore l’oxygène actif ; –  Des produits ou formulations utilisés dans les revêtements tels que les peintures et les vernis. Toutes ces spécialités se retrouvent dans des marchés très diversifiés (Figure 1). Figure 1 Des marchés très diversifiés pour la chimie d’Arkema.

Peroxydes organiques

6%

12 % Acryliques

Filtration et adsorption 8% (CECA) Polymères techniques (Polyamides 10 % de spécialités et PVDF)

Résines photo-

4 % réticulables

CHIFFRE D’AFFAIRES 2014 7,5 Md€

(Sartomer)

3 % Addififs de rhéologie (Coatex)

PMMA

9 % (Altuglas International)

45 %

8% 3%

Oxygénés

58

29 %

10 % Résines de revêtements

Adhésifs de spécialités 21 % (Bostik)

Matériaux Haute Performance

Coating solutions

6%

Gaz fluorés

Thiochimie

Spécialités industrielles

26 %

Produits chimiques industriels REACH (Registration, Evaluation, Authorization of Chemicals) règlement 1907/2006/CE Système Général Harmonisé SGH (ONU, purple book) Règlement européen « CLP » (Classification, Labelling, Packaging of chemicals) 1272/2008 et des réglementations par types d’usages ou d’environnement : Produits phytopharmaceutiques Règlement 1107/2009 remplaçant la directive 91/414 Produits biocides Règlement 528/2012 remplaçant la directive 98/8 Transport de marchandises dangereuses (ONU, orange book) Maritime (IMDG), terrestre routier (ADR) ferroviaire (RID) fluvial (ADN) Directive cadre eau 2000/60 et directives filles établissant des Normes de Qualité Environnementale OSPAR convention d’Oslo et Paris 1992 Protection du milieu marin dans l’Atlantique Nord-Est Et… matériaux en contact avec l’eau potable, matériaux en contact avec les denrées alimentaires, détergents, médicaments, médicaments vétérinaires, cosmétiques, dispositifs médicaux, fertilisants, additifs alimentaires, aliments pour animaux…

conçu au niveau des Nations Unies et dont l ’objec tif, comme son nom l’indique, est d’harmoniser les différents systèmes existant jusque-là sur la planète pour faciliter la circulation des produits et éviter d’avoir à ré-étiqueter les emballages à chaque fois que l’on passe une frontière. Il existe aussi en Europe des réglementations relatives au transport des matières dangereuses et des réglementations s’appliquant spécifiquement à des familles de produits en fonction de leurs usages comme les produits phytopharmaceutiques ou pesti-

cides, les cosmétiques, les matériaux au contact de l’eau potable ou des denrées alimentaires, les médicaments, etc. Il existe aussi des textes visant à protéger des compartiments de l’environnement. On pourra citer la Directive Cadre Eau (voir le Chapitre de P. Flammarion, dans cet ouvrage Chimie et expertise, santé et environnement, EDP Sciences, 2016), qui vise particulièrement à préserver la qualité des cours d’eau sur le continent, et un accord international, la Convention Oslo-Paris pour l’Atlantique Nord-Est (OSPAR).

Apports de REACH dans l’amélioration de la connaissance des dangers des substances pour Arkema

LES TEXTES EUROPÉENS POUR RÉGLEMENTER L’USAGE DES PRODUITS CHIMIQUES

59

Chimie et expertise, santé et environnement

1.2. Le règlement REACH : étape d’enregistrement des produits chimiques REACH2 est entré en vigueur en 2007 et a conduit à la création de l’ECHA 3 (Agence européenne des produits chimiques, située à Helsinki). La première étape de la mise en œuvre du règlement a consisté à enregistrer toutes les substances chimiques produites ou importées sur le territoire européen (voir le Chapitre de C. Gourlay-Francé dans Chimie et expertise, santé et environnement). Pour optimiser les efforts d’enregistrement, le principe a été retenu d’avoir un seul dossier technique d’enregistrement par substance, et donc d’amener toutes les entreprises à se regrouper, à partager les mêmes données relatives aux propriétés intrinsèques, même si les usages et marchés peuvent

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2. REACH (Registration, Evaluation and Authorization (and Restriction) of Chemicals) : règlement de l’Union européenne sur l’enregistrement, l’évaluation, l’autorisation et les restrictions des substances chimiques, entré en vigueur le 1er juin 2007, qui rationalise et améliore l’ancien cadre réglementaire sur les produits chimiques. Voir le Chapitre d’I. Rico-Lattes dans cet ouvrage Chimie et expertise, santé et environnement, coordonné par M.-T. Dinh-Audouin, D. Olivier et P. Rigny, EDP Sciences, 2016. 3. Agence Européenne des Produits Chimiques (ECHA) : agence qui joue un rôle central au sein des autorités de réglementation pour la mise en œuvre de la nouvelle législation européenne sur les produits chimiques et entend promouvoir la protection de la santé humaine et de l’environnement ainsi que l’innovation et la compétitivité.

être différents (Encart : « Les données demandées sur les dangers des substances »). Une société, parmi celles produisant ou important la substance sur le territoire de l’Union Européenne, se charge de conduire le travail de préparation du dossier. C’est le déclarant principal ou « lead registrant ». En raison de la quantité importante de données à produire, le calendrier des enregistrements a été divisé en trois phases : –  une première phase s’est achevée en novembre 2010. Elle a concerné les substances très préoccupantes comme les CMR 4 (Cancérogène, Mutagène, Reprotoxique), dès qu’elles atteignent une quantité d’une tonne par an, et les substances très dangereuses pour l’environnement (ce que signifie la mention de danger CLP : H410, équivalent de l’ancienne phrase de risques R50/53) ; –  u n e d e u x i è m e é t a p e concerne les substances produites en quantités situées entre 100 et 1 000 tonnes par an. Elle s’est achevée en mai 2013 ; –  la troisième phase est en cours, elle va se prolonger 4. Composés cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques (CMR) : « mutagènes » désigne les composés capables de provoquer une mutation au sein d’un individu ; « cancérogènes » désigne les composés pouvant entraîner la survenue d’un cancer suite à un mode d’action génotoxique ou non ; « reprotoxiques » sont ceux qui affectent les capacités reproductrices, en réduisant la fertilité ou en entraînant des anomalies du développement prénatal.

−− Dangers physico-chimiques : explosivité, inflammabilité, pouvoir comburant. −− Dangers pour la santé humaine : toxicité aiguë, irritation, sensibilisation, effets cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques (CMR), toxicité spécifique sur organes cibles par exposition unique ou répétée. Dangers pour l’environnement (aquatique) : toxicité, biodégradation, bioaccumulation. Nécessité d’examiner les propriétés intrinsèques selon des méthodes standardisées : –  assurer la comparaison selon des critères homogènes, pouvoir classer les substances sur des échelles et communiquer sur leurs dangers (étiquetage, FDS) ; –  lignes Directrices de l’OCDE :     Acceptation Mutuelle des Données par les gouvernements des 34 pays membres    Méthodes standardisées –  stricte application des BPL (Bonnes Pratiques de Laboratoire) par des laboratoires agréés. Établissement de la relation entre la dose (ou la concentration) d’exposition et l’effet observé

jusqu’en 2018 et s’applique à tous les tonnages inférieurs. Au 1er janvier 2015, l’Agence recensait plus de 8 000 substances enregistrées. 1.3. Le règlement CLP : classification, étiquetage et emballage des produits en fonction des données de danger En parallèle de REACH, le règlement CLP (« Classification, Labelling, Packaging ») est aussi rentré en vigueur. Pour certaines substances, il a été possible de tirer parti des données obtenues dans le cadre de REACH pour réévaluer la classification et l’étiquetage. CLP comprend également des dates butoir : octobre 2010 pour la mise à jour des substances et juin 2015 pour les mélanges de substances. Les informations de danger y sont indiquées par différents pictogrammes (Figure 2) qui

peuvent figurer sur les emballages et représentent visuellement les classes de danger associées. On y associe des phrases types traduites dans les langues des utilisateurs, donnant des indications sur les dangers et les précautions à prendre. Plus d’informations encore sont transmises aux entreprises utilisant les produits à travers la fiche de Données de Sécurité qui doit être adressée au destinataire, l’utilisateur du produit, dans sa langue. Cela représente plus de vingt traductions dans l ’Union Européenne auxquelles s’ajoutent les besoins du grand export.

Apports de REACH dans l’amélioration de la connaissance des dangers des substances pour Arkema

LES DONNÉES DEMANDÉES SUR LES DANGERS DES SUBSTANCES

Figure 2 Pictogrammes marquant le danger chimique.

61

Chimie et expertise, santé et environnement

2

La classification des dangers associés aux produits chimiques

autant que les résultats des études aient été obtenus par des laboratoires reconnus pour appliquer les « Bonnes Pratiques de Laboratoire » 2.1. Trois types de dangers à (BPL). Ces essais visent génédéterminer ralement à établir la relation Les données de danger que entre la dose, ou la concenl’on cherche à déterminer  tration d’exposition, et l’effet sont de trois types : recherché, observé (Figure 3). –  les dangers physiques ; Souvent, cette relation se tra–  les dangers pour la santé humaine : effets locaux comme l’irritation et la sensibilisation, effets toxiques systémiques aigus ou chroniques sur certains organes, propriétés mutagènes, cancérogènes ou toxicité pour la reproduction ; – les dangers pour l’environnement : toxicité pour les organismes aquatiques, biodégradabilité ou persistance, risque de bioaccumulation le long de la chaîne alimentaire. À ce jour, seul le milieu aquatique dispose de critères de classement. 2.2. Évaluation des dangers et recensement des expositions Pour s’assurer que ces dangers sont évalués partout selon les mêmes critères et pouvoir utiliser les résultats pour classer chaque substance sur une échelle de danger, des méthodes standardisées ont été établies. Ce sont les Lignes Directrices de l’OCDE, dont les résultats sont acceptés par les 34 états membres de l’OCDE 5 , pour

62

5. OCDE : constitué de 34 pays membres à travers le monde, sa mission est de promouvoir les politiques qui amélioreront le bienêtre économique et social partout dans le monde.

duira par un chiffre représentant la dose ou concentration produisant 50 % de l’effet que l’on cherche à mettre en évidence ; ce chiffre peut correspondre à 50 % de mortalité dans les populations de poissons ou être la plus forte concentration observée sans effet (NOEC, « No Observed Effect Concentration »), ou un seuil statistique d’apparition des effets (souvent : CE10, «  Concentration Effective 10 % »). À partir des résultats, on peut extrapoler une « concentration prédictive sans effets » sur l’ensemble des espèces du compartiment de l’environnement (PNEC, « Predicted No Effect Concentration »). Pour l’homme, on parle de niveaux dérivés sans effets (DNEL, «  Derived No Effect Level »), valeur pouvant être différente suivant que l’on s’intéresse à la population générale ou aux travailleurs, et en distinguant la voie d’exposition orale, cutanée ou par inhalation, selon l’état physique de la substance (Figure 4). En parallèle, on doit recenser et quantifier les expositions possibles dans les différentes situations où la substance peut être émise. C’est ce que l’on appelle maintenant l’expologie.

100

Effet (%)

90 80

CE10

70

LOEC (Effet significatif)

60 50 40 30

CE50

NOEC (Pas d’effet significatif)

20 10 0 –10

5

10

15

20

25

Concentration (mg/L)

Figure 3 Caractérisation de la relation entre la concentration et l’effet.

Identification et évaluation des dangers

Recensement des émissions (production, usages, élimination) : expositions

Concentration prédictives sans effets PNEC eaux, sols, sédiments…

Concentration prédictives dans l’environnement PEC Expositions professionnelles, consommateur, via l’environnement

Niveaux dérivés sans effets pour l’homme DNEL travailleur, population générale aigu, chronique Voies : orale, dermale, inhalation

Évaluation du risque Rapport sur la sécurité chimique

Finalement, le risque 6 , qui est la conjonction des seuils de danger et des expositions prédites ou mesurées, est évalué. Les résultats de ces évaluations sont rassemblés dans le Rapport sur la sécurité chimique qui est au cœur du dossier d’enregistrement REACH. Le déclarant doit y faire la démonstration de la maîtrise du risque dans chaque étape de la vie du produit et préconiser les mesures de réduction du risque dans les situations où la maîtrise du risque n’est pas démontrée. 6. La notion de risque est également développée dans le Chapitre d’I. Rico-Lattes dans cet ouvrage Chimie et expertise, santé et environnement, EDP Sciences, 2016.

3

Constitution d’un dossier REACH

3.1. Les données à fournir

Figure 4 Le risque intègre le danger et l’exposition.

Apports de REACH dans l’amélioration de la connaissance des dangers des substances pour Arkema

110

Les propriétés de danger à déterminer pour constituer un dossier sont listées dans les annexes du règlement REACH (Figure 5). Pour la santé humaine, il s’agit généralement de toxicité sur mammifères (en principe des rongeurs), qui sont utilisés pour évaluer ces propriétés. Il y a une progressivité au fil des annexes sur la complexité des données requises selon le type de dossier d’enregistrement à fournir. Pour l’environnement, les annexes listent les proprié-

63

Chimie et expertise, santé et environnement

Propriétés toxicologiques Annexe VII Irritation/corrosion cutanée Irritation oculaire

Annexe VIII Génotoxicité : micronoyaux in vitro cellules de mammifères

Sensibilisation cutanée

Génotoxicité : mutation in vitro cellules de mammifères

Mutation bactéries in vitro

Toxicité aiguë 2e voie

Toxicité aiguë voie orale

Toxicité sur la reproduction Toxicinétique (ADME)

Annexe IX Toxicité répétée 90 jours

Annexe X

Tératogénicité

Mutagénicité in vivo

Reprotoxicité 2 générations

Toxicité long terme (>12 mois) – ­cancérogénicité

Propriétés environnementales Annexe VII Toxicité à court terme pour invertébrés ­aquatiques (daphnies) Inhibition de croissance sur algues Biodégradabilité « facile » Propriétés physico-chimiques, dont : hydrosolubilité, coefficient de partage octanol/eau

Annexe VII Toxicité à court terme sur les poissons Inhibition de respiration de boues activées Hydrolyse à différents pH

tions. Cependant, il y a des exceptions : le dossier peut être allégé, notamment dans le cas où la substance est un intermédiaire de synthèse, qui est donc utilisé avec peu de risques d’émissions, et plus encore s’il est transformé sur le site même où il est produit, et donc pas transporté. Pour limiter le recours à l’expérimentation animale, REACH prévoit de pouvoir utiliser des méthodes alternatives à l’expérimentation animale selon des modalités définies dans l’Annexe XI du règlement. En réalité, l’expérience montre que l’Agence est très sourcilleuse sur ces possibilités d’exemption et préfère la plupart du temps s’en tenir aux essais sur animaux.

Potentiel d’adsorption Annexe IX Toxicité à court terme pour invertébrés Toxicité à court terme sur les poissons Bioaccumulation dans le poisson Essais de simulation de biodégradation : eaux de surface, sols, sédiments

Annexe X Toxicité à long terme sur organismes du sol et du sédiment Toxicité à long terme /reproduction sur oiseaux

Toxicité à court terme sur organismes du sol (invertébrés, plantes, micro-organismes)

Figure 5 Les données à fournir à l’ECHA

64

tés à déterminer concernant le devenir de l’environnement, les effets sur les organismes du milieu aquatique, des sédiments et du sol. Il y a également une progressivité de l’aigu vers le chronique, c’est-à-dire vers le danger résultant d’expositions sur le long terme. La quantité de données à fournir dans le dossier d’enregistrement est généralement fixée par le tonnage. Plus la substance sera produite à un fort tonnage, plus il faudra fournir d’informa-

3.2. Coordination pour la préparation d’un dossier Le règlement REACH mobilise beaucoup de personnes dans les entreprises comme Arkema (Encart : « Les toxicologues chez les chimistes. L’exemple d’Arkema ») : des experts toxicologues et écotoxicologues7, des expologues qui évaluent les expositions et préparent également les dossiers d’enregistrement et le suivi des relations avec l’Agence, sans oublier les personnes en charge de la santé et l’environnement dans les entités commerciales et sur les sites de production. De plus, comme il y a obligation de partage des données de danger, les relations entre déclarants sont organisées 7. L’écotoxicologie est l’étude des conséquences écologiques de la pollution de l’environnement par les substances toxiques

Définition des stratégies de tests –  Détermination des données requises ; –  Données existantes (revue bibliographique, recherche dans des bases de données, évaluation de la qualité de rapports d’études existants) (Figure 6) ; –  Éléments de preuve (weight of evidence) ; –  Relations qualitatives ou quantitatives structure-activité (QSAR) ; –  Regroupement de substances et méthode des références croisées (read-across) ; …et enfin, réalisation des études nécessaires pour constituer le dossier. Figure 6 Capitalisation des données dans une base interne.

Monitoring d’études –  Selon des méthodes standardisées OCDE ; –  En suivant les principes de Bonnes Pratiques de Laboratoire (BPL) ; –  Adaptées aux propriétés des substances, souvent complexes (forte adsorption, volatiles, hydrophobes…).

Apports de REACH dans l’amélioration de la connaissance des dangers des substances pour Arkema

LES TOXICOLOGUES CHEZ LES CHIMISTES MISSIONS D’UN (ÉCO)TOXICOLOGUE CHEZ ARKEMA

Coordination pour la préparation d’un dossier REACH –  Implication d’acteurs aux compétences variées au sein d’Arkema :  Experts toxicologues et écotoxicologues : responsables des données sur les dangers vis-à-vis de l’homme et de l’environnement.  Responsables dossiers : collecte des usages et des données d’exposition, évaluation des risques, soumission et suivi des dossiers auprès des autorités, coordination entre les différents acteurs (experts, B.U. et usines).  Business Units (responsables HSE-produits) : communication sur les substances à enregistrer, gestion des forums d’échanges d’informations sur les substances (SIEF).  Responsables HSE Usines : assurer la conformité réglementaire des usines. …et interactions externes  Préparation des enregistrements au sein des consortiums.  Échanges avec les autorités par l’intermédiaire de courriers, de conférences téléphoniques informelles puis discussions lors de la réunion du Comité des États membres.

65

Chimie et expertise, santé et environnement

au sein de consortiums juridiquement formalisés. Pour la caractérisation des dangers, le toxicologue et l’écotoxicologue doivent définir leur stratégie de tests compte tenu des données requises selon le niveau de tonnage : annexes VII à X. Les données existantes, et à défaut les méthodes alternatives, sont examinées pour vérifier si elles ont la qualité adéquate pour une utilisation réglementaire. Souvent, des données expérimentales doivent être générées pour compléter les données manquantes. Elles le sont dans des laboratoires agréés. La conduite de ces études est étroitement supervisée par le toxicologue ou l’écotoxicologue. 3.3. Acquisition et capitalisation des données de danger

66

REACH a conduit, à partir de 2007, à multiplier les études expérimentales pour répondre aux besoins. Il a donc fallu adapter les équipes d’experts – avec des difficultés de recrutement d’ailleurs – dans toutes les entreprises ainsi que chez les consultants spécialisés. Cela a par ailleurs accru les besoins en expérimentation par les laboratoires prestataires ; ceux-ci n’ont pas pour autant augmenté leur capacité car ils ressentent le besoin de l’industrie chimique comme temporaire lié au calendrier de REACH, et qu’ils ont par ailleurs des incertitudes sur leurs autres marchés comme le médicament ou les pesticides. L’offre de service européenne pour la réalisation d’études BPL est donc assez restreinte,

ce qui occasionne des files d’attente importantes pour certains types d’études ainsi qu’une tension sur les prix. Chez Arkema, les données acquises sont capitalisées dans une base documentaire qui rassemble plus de 8 000 rapports d’études et 30 000 articles scientifiques et documents publics qui sont disponibles pour les experts à tout moment. 3.4. Une fois les données obtenues… Une fois les données obtenues, ce ne sont pas les rapports d’études eux-mêmes qui sont transférés à l’Agence mais des résumés que les experts préparent dans un système informatique commun à l’industrie et aux administrations appelé IUCLID (Figure 7). Une partie de ces informations est disponible publiquement sur le site Internet de l’Agence. Dans la base, sont incluses toutes les informations qui peuvent être utiles pour le Rapport sur la sécurité chimique (PNEC, DNEL, résultats d’évaluation des critères sur les substances de forte préoccupation) (Encart : « Exploitation des données techniques de REACH »). 3.5. Retour de l’Agence sur des propositions d’essais et contrôles de conformité Le dossier REACH est un dossier vivant car les données continuent à évoluer après le dépôt initial. Pour éviter la duplication d’essais sur animaux, toute étude sur vertébrés listée dans les Annexes IX et X doit faire l’objet de propositions de la part des déclarants et obte-

Constitution des dossiers d’enregistrement : IUCLID.

EXPLOITATION DES DONNÉES TECHNIQUES DE REACH  Préparation de résumés « consistants » dans le dossier d’enregistrement –  Système informatique IUCLID 5 (International Uniform Chemical Information Database) Détermination des seuils à ne pas dépasser pour assurer la maîtrise des risques –  PNEC (Predicted No Effect Concentration) pour chaque compartiment (eau, sol, sédiment) –  DNEL (Derived No Effect Level) pour les travailleurs, les consommateurs Utilisation des données de toxicité et application de facteurs de sécurité selon des règles définies

Apports de REACH dans l’amélioration de la connaissance des dangers des substances pour Arkema

Figure 7

Évaluation selon les critères des substances de forte préoccupation –  CMR, PBT/vPvB, perturbateurs endocriniens… Mise à jour de la classification selon le règlement CLP et de la FDS nir l’aval de l’Agence avant de pouvoir être réalisée. L’Agence effectue aussi des contrôles de conformité des dossiers car, même si la responsabilité du dépôt du dossier repose sur l’industriel, l’Agence (ECHA) a un rôle de contrôle et peut faire des demandes de compléments d’informations et de corrections après examen du dossier. Enfin,

certaines substances considérées comme prioritaires par les États membres de l’Union Européenne font l’objet d’une évaluation approfondie dont les résultats peuvent déboucher sur des demandes d’études complémentaires et des mesures d’autorisation ou de restrictions d’usages (Encart : « Le dossier REACH : un dossier vivant »).

67

Chimie et expertise, santé et environnement

LE DOSSIER REACH : UN DOSSIER VIVANT L’ECHA (Agence des Produits Chimiques) reçoit les données toxicologiques, les contrôle et demande des compléments. Retour de l’ECHA sur des propositions d’essais (testing proposals) Objectifs : vérifier que les tests sont justifiés et éviter les tests sur animaux vertébrés Toutes les propositions examinées concernent uniquement les Annexes IX et X Options possibles : –  acceptation de la proposition d’essai –  acceptation de la proposition d’essai avec modifications des conditions d’essai –  acceptation ou rejet de la proposition d’essai mais avec obligation d’un ou de plusieurs essais complémentaires –  rejet de la proposition d’essai Contrôle de conformité par l’ECHA (compliance checks) –  Au minimum 5 % des dossiers évalués par bande de tonnage, aléatoirement –  Possibilité de demande d’informations complémentaires de la part de l’ECHA –  Projet de décision envoyé par l’ECHA nécessitant une réponse du déclarant dans le délai fixé puis processus impliquant les États membres et éventuellement la Commission avant la décision finale Évaluation des substances par les autorités compétentes des États membres (examen approfondi) dans le cadre du CoRAP (Community rolling action plan) –  Substances jugées prioritaires selon une approche fondée sur les risques –  Demandes d’informations pouvant aller au-delà des exigences imposées par REACH Dans tous les cas, les décisions de l’Agence sont assorties d’échéances de mise à jour des dossiers devant être strictement respectées par les déclarants. À défaut, les États membres sont chargés de mettre en œuvre les pénalités prévues dans les lois nationales.

REACH, quel bilan ?

68

Après huit années de pratique de REACH, on peut faire quelques observations sur son déroulement. Tout d’abord, l’objectif principal d’accroître la connaissance des dangers et des risques sur les substances chimiques industrielles est largement atteint et permet une meilleure maîtrise des risques associés. Certes, la mise en place des moyens tant techniques que juridiques, ainsi que les guides d’application, a été difficile. Si des ajustements

Apports de REACH dans l’amélioration de la connaissance des dangers des substances pour Arkema

de processus restent nécessaires aujourd’hui, tous les acteurs, aussi bien du côté de l’industrie que du côté des pouvoirs publics, ont « appris en marchant », et les opérations se déroulent de façon plutôt satisfaisante. Il est à signaler cependant que la réduction d’essais sur animaux reste très marginale, l’utilisation de méthodes alternatives ou les exemptions basées sur le poids de l’évidence rencontrant souvent une grande réticence de la part de l’ECHA. Les dates limites accordées par l’Agence ECHA pour la réalisation d’études complémentaires ne tiennent malheureusement pas compte des capacités disponibles dans les laboratoires ou des difficultés pouvant être rencontrées dans les expérimentations. Cela peut entraîner des difficultés importantes dans les relations avec les administrations nationales ou locales qui sont chargées de mettre en application les décisions. Enfin, on ne doit pas passer sous silence le fait que le coût des études parfois très élevé (plusieurs dizaines à centaines de milliers d’euros chacune) pose des difficultés financières importantes aux entreprises d’un secteur situé dans un environnement économique en crise. C’est en particulier le cas pour l’enregistrement de substances qui pourraient être des candidates pour substituer des substances dangereuses dans l’avenir, mais qui n’ont pas encore de marché développé et donc ne peuvent financer les budgets d’études (éco)toxicologiques.

69

environnement :

l’

traitement et prévention

Jean-François Loret est responsable du Département Environnement et Santé du Centre International de Recherche sur L’Eau et l’Environnement, principal centre de recherche et d’expertise du groupe Suez environnement1.

Le groupe Suez Environnement intervient dans deux principaux domaines : les déchets et le cycle de l’eau. C’est ce domaine du cycle de l’eau qui suscite généralement le plus de questions relativement aux micropolluants2. Nous allons voir pourquoi, et résumer l’état de nos connaissances sur la présence de ces micropolluants dans le cycle de l’eau. Puis nous verrons quelles sont les solutions proposées aujourd’hui pour répondre à ces questions, solutions qui résultent de nos programmes de recherche 1. www.suez-environnement.fr 2. Micropolluants : substances polluantes minérales ou organiques, d’origine naturelle ou de synthèse, pouvant avoir un effet néfaste sur l’homme ou l’environnement à très faible concentration. On trouve parmi elles des pesticides, des résidus médicamenteux, ou encore des hydrocarbures.

menés au cours des dix dernières années.

1

Les micropolluants dans le cycle de l’eau3

1.1. De plus en plus de rejets dans l’environnement sont liés aux activités humaines Notre vie moderne fait appel à beaucoup de produits chimiques : 110 000 substances chimiques existent actuellement sur le marché européen dont 30 000 importées ou manufacturées en quantités supérieures à une tonne. 3. Voir aussi le Chapitre de P. Flammarion (La chimie et la mise en œuvre de la Directive Cadre sur l’Eau. Enjeux liés à la présence de micropolluants dans les écosystèmes aquatiques), dans cet ouvrage Chimie et expertise, santé et environnement, coordonné par M.-T. Dinh-Audouin, D. Olivier et P. Rigny, EDP Sciences, 2016

D’après la conférence de Jean-François Loret

Micropolluants chimiques dans

Chimie et expertise, santé et environnement

Le résultat de cette utilisation massive de produits chimiques est une présence diffuse de traces de ces produits dans tous les compartiments de l’environnement, qu’il s’agisse de l’air, du sol, de nos aliments, et finalement de l’eau qui joue un peu le rôle d’exutoire et de réceptacle final de toute cette pollution environnementale. On peut finalement constater que tout produit utilisé dans notre vie quotidienne, ou pour des usages agricoles ou industriels, termine tôt ou tard, au moins partiellement, sa vie dans le cycle de l’eau. 1.2. Des progrès analytiques spectaculaires Cette présence des polluants dans l’environnement et dans l’eau est rendue de plus en plus évidente grâce au progrès spectaculaires des techniques d’analyse. La Figure 1 présente l’évolution des limites de détection analytiques sur des matrices environnementales.

10–4 10–6

mg/L µg/L

–8

10

10–10

ng/L

10–12 pg/L ?

10–14 10–16 10–18

1 molécule/L ??

10–20 10–22

1960

1980

2000

2020

2040

2060

2080

2100

Figure 1

72

Évolution des limites de détection analytiques dans les matrices environnementales. Source : d’après R.R. Trussel, 2012.

On constate que ces limites sont abaissées d’un facteur 1 000 environ tous les vingt ans. Dans les années 1980, il était courant de détecter des milligrammes, et, quand on travaillait bien, des microgrammes par litre dans des matrices environnementales. Aujourd’hui, l’unité courante est le nanogramme par litre, et les laboratoires commencent déjà à détecter des picogrammes par litre. Il est évident, avec de telles performances analytiques, que la liste des contaminants détectables dans les matrices environnementales ne peut que s’allonger indéfiniment (Figure 1). 1.3. Les niveaux de contamination des eaux On comprend mieux les préoccupations actuelles lorsqu’on met en regard de ces limites de détection les niveaux de concentration des micropolluants d’actualité dans les différentes eaux que l’on a à gérer dans ce cycle de l’eau (Figure 2). Ces concentrations sont de l’ordre de la dizaine ou la centaine de microgrammes par litre dans les eaux usées telles qu’on peut les recevoir, dans les effluents industriels ou urbains. Elles diminuent progressivement environ d’un facteur dix lorsqu’on passe de l’eau usée brute à l’eau usée traitée en sortie de station d’épuration. Ensuite, il se produit un effet de dilution dans l’environnement lorsque ces eaux traitées sont déversées dans les eaux de surface, puis une élimination partielle des micropolluants lorsque ces eaux

10–6

Eaux usées brutes Eaux usées traitées

mg/L

Eaux de surface

µg/L

10–8 10–10

ng/L

Eaux souterraines Eaux du robinet

10–12 pg/L ?

10–14 10–16 10–18

1 molécule/L ??

10–20 10–22

1960

1980

2000

2020

2040

2060

2080

2100

Figure 2 Les différentes étapes du cycle de l’eau, avec les niveaux de contamination associés.

s’infiltrent à travers le sol pour devenir des eaux souterraines. Lorsqu’on arrive à l’eau du robinet, malgré l’abattement4 assez efficace apporté par les traitements de potabilisation, il est encore possible de détecter des petites traces (des nanogrammes, ou des dixièmes, voire des centièmes de nanogrammes par litre) de tout un ensemble de micropolluants d’actualité, ce qui suscite, évidemment, beaucoup de questions sur la sécurité de l’eau potable et les conséquences possibles sur notre santé. 1.4. Les effets avérés des micropolluants sur la faune aquatique… et sur l’homme ? Si la prise de conscience de cette pollution environnementale est ancienne, l’inquiétude est devenue plus forte à partir des années 1990, lorsqu’il est 4. L’abattement est la réduction de la concentration des polluants sous l’effet du traitement.

devenu évident que certains rejets dans l’environnement pouvaient avoir des effets perturbateurs endocriniens sur la faune aquatique vivant à proximité des rejets urbains ou industriels, engendrant des problèmes de reproduction chez des mollusques, des poissons, des amphibiens ou des reptiles, avec notamment des phénomènes de féminisation, ou à l’inverse des problèmes de masculinisation de ces populations, selon le type de rejets. Ce constat sur la faune aquatique peut être mis en parallèle avec celui fait à l’échelle de l’espèce humaine, chez qui une augmentation des troubles de la reproduction est observée depuis une cinquantaine d’années, notamment une baisse de la fertilité masculine. Des articles récents mentionnent aussi des problèmes de déficit de naissances de garçons par rapport aux filles, qui peuvent atteindre 25 % dans certaines popul ations nord-amér icaines, canadiennes et japo-

Micropolluants chimiques dans l’environnement : traitement et prévention

10–4

73

Chimie et expertise, santé et environnement

Déficience intellectuelle

1997

1997

Déficit de l’attention/trouble de l’hyperactivité Augmentation chaque année de 3 %, âges : 6-17 ans

Augmentation de 78 %, âge : 8 ans

Cancers infantiles

Diabètes

Augmentation de 53 %, âges : 0-19 ans

Obésité

Augmentation de 171 %, âges : 6-11 ans

Les statistiques révèlent une augmentation de plusieurs troubles et maladies chez les enfants nord-américains au cours des quarante dernières années. Source : Pesticide Action Network North America.

2011

naises. On constate également l’augmentation constante de ce qu’on appelle les maladies chroniques non infectieuses non transmissibles, qui représentent aujourd’hui la principale cause de mortalité précoce ou de morbidité5 en Europe (cancers, diabète, obésité, maladies cardio-vasculaires et neurodégénératives). Ces observations soulèvent évidemment des questions sur le lien entre la qualité de notre environnement et notre santé, et par conséquent soulèvent aussi la question du rôle de l’eau dans cette exposition aux micropolluants de l’environnement. Pour illustrer ce point, quelques statistiques proposées par une association nord-américaine sont présentées sur la Figure 3. Ces statistiques concernent un ensemble de pathologies observées chez les enfants

74

2011

2004

1975

Figure 3

2008

2004

Augmentation de l’incidence : 25 %, âges : 0-19 ans

1990

1980

2006

Autisme

2002

1975

2008

Augmentation globale de 17 %, âges : 3-17 ans

5. Morbidité : rapport du nombre des malades au nombre des personnes saines dans une population donnée et pendant un temps déterminé.

nord-américains, avec des chiffres qui peuvent être impressionnants dans certains cas, notamment pour l’augmentation du diabète et de l’obésité. Ces maladies, évidemment, ne sont pas liées uniquement à un facteur environnemental, elles sont connues pour être multifactorielles. Des facteurs génétiques et sociologiques interviennent aussi, mais on estime que des facteurs environnementaux peuvent jouer un rôle dans ces maladies. D’autres statistiques prop o s é e s p a r l ’A g e n c e Internationale de Recherche sur le Cancer montrent l’évolution des taux de mortalité par cancer dans différents pays industrialisés (Figure 4). On voit que, sur les soixante dernières années, le taux de mortalité par cancer a été multiplié par deux ou trois selon les pays. L’OMS estime aujourd’hui qu’environ 20 % des cancers dans le monde sont attribuables à une cause environnementale, et qu’un peu plus de 20 % des décès

400

350

300 Autralie Canada Danemark France Allemagne Italie Japon Espagne Suède Pays-Bas Royaume Unis États-Unis

Taux par 100 000

250

200

150

100

50

0 1950

1960

1970

1980

1990

2000

2010

Micropolluants chimiques dans l’environnement : traitement et prévention

Mortalité de tous les cancers Taux brut, hommes de tous les âges

Figure 4 Taux brut de mortalité par cancer chez les hommes dans plusieurs pays au cours des soixante dernières années. Source : International Agency for Research on Cancer (IARC), 2012.

prématurés sont aussi attribuables à une cause environnementale. On est donc aujourd’hui dans un contexte de lien de plus en plus évident entre l’environnement et la santé humaine.

2

L’étude des micropolluants dans le cycle de l’eau La Figure 5 représente les deux domaines d’intervention de Suez Environnement dans le cycle de l’eau : la collecte et le traitement des eaux usées, ainsi que leur rejet dans l’environnement une fois qu’elles sont traitées ; viennent ensuite le captage des eaux dans l’en-

vironnement, la production et la distribution d’eau potable. Rappelons que, contrairement à ce que pensent beaucoup de Français, ces deux activités sont totalement séparées. Il est interdit de produire de l’eau potable à partir d’eaux usées. Par contre, il y a tout de même un point de connexion possible entre ces deux activités : on rejette des eaux usées traitées dans l’environnement et l’on reprend cette eau environnementale pour produire de l’eau potable. Il y a donc une possibilité de diffusion de certains de ces micropolluants et de reprise dans un captage pour la production d’eau potable.

75

Chimie et expertise, santé et environnement

Figure 5 Le cycle domestique de l’eau.

2.1. Le projet AMPERES : étude des flux d’entrée et de sortie de stations d’épuration urbaines La Figure 6 représente les résultats d’un programme de recherche appelé AMPERES mené en collaboration avec l’Irstea6 de Lyon (Institut national de recherche en sciences 6. www.irstea.fr

Cuivre 2,1 % Titane 2,3 %

Baryum 1,9 % Rubidium 0,7 % Autres 1,30 %

Zinc 5,5 %

Aspirine 5,62 %

DEHP Théophylline 1,87 % 0,66 %

Kétoprofène 0,17 %

Caféine 0,17 %

Bore 9,0 %

Substances inorganiques

Acébutolol 0,10 % Aténolol 0,09 % 4-NP2EO 0,09 %

Aluminium 40,9 % Fer 18,0 %

4-NP1EO 0,16 %

Paracétamol 8,14 %

4-Nonylphénol 0,30 %

Ibuprofène 0,48 %

Substances organiques

Figure 6

76

Principaux flux de micropolluants, organiques ou minéraux, en entrée de stations d’épuration urbaines. 128 substances, 21 stations d’épuration. Source : Projet AMPERES (2006-2009).

pour l’environnement et l’agriculture). Dans le cadre de ce programme, des bilans entrée-sortie sur une centaine de micropolluants organiques et minéraux ont été réalisés dans une vingtaine de stations d’épuration urbaines. Le flux de micropolluants entrant avait été estimé à 400 mg par jour et par habitant en moyenne. On voit que ce flux est essentiellement constitué de substances minérales avec beaucoup d’aluminium, du fer, du bore et du zinc. Dans la fraction organique, qui est minoritaire, on retrouve beaucoup de médicaments (avec en tête de liste le paracétamol et l’aspirine) ; puis viennent un certain nombre de substances qui font partie des substances prioritaires européennes à surveiller, évoquées dans d’autres chapitres de l’ouvrage Chimie et expertise, santé et environnement (EDP Sciences, 2016), notamment des phtalates7, des alkylphénols 8 et d’autres médicaments. 7. Phtalates : sels ou esters dérivés de l’acide phtalique, utilisés comme plastifiants (on en trouve dans la quasi-totalité des produits en PVC), mais aussi dans les industries cosmétique et pharmaceutique. 8. Alkylphénols : famille de composés dérivés du phénol utilisés notamment dans les détergents, les carburants et les lubrifiants. Les alkylphénols font partie de la liste des 87 substances à rechercher obligatoirement dans le cadre de l’opération « recherche et réduction des rejets des substances dangereuses dans l’eau » RSDE de l’INERIS (Institut National de l’environnement industriel et des risques) lancée dans chaque région en 2002, dans le cadre de l’opération nationale découlant de la circulaire du 4 février 2002 du ministère chargé de l’Environnement.

Fer 32,0 %

Bore 43 %

Ac alkylphénol-polyéthoxyphénoxyacétiques 0,19 % Carbamazépine 0,16 % Sotalol 0,13 %

Aluminium 5 % Rubidium 3 % Baryum 2 % Lithium 1 % Cuivre 1 % Titane 1 % Nickel 1 % DEHP 1 % Autres 3 %

Si on regarde en sortie de station d’épuration (Figure 7), ce flux de micropolluants passe de 400 à 90 mg par jour et par habitant en moyenne, toujours essentiellement constitué d’éléments minéraux (> 90 %). L’aluminium est correctement éliminé ; en revanche, on retrouve toujours beaucoup de bore (qui provient essentiellement des lessives), qui n’est quasiment pas éliminé. On retrouve aussi du fer, du zinc et d’autres métaux. La composition organique a été un peu modifiée. On retrouve toujours des molécules issues des médicaments, mais pas les mêmes. Certains médicaments sont assez persistants comme la carbamazépine (antiépileptique), que l’on retrouve tout au long du cycle de l’eau, et qui est un composé très difficile à éliminer. On trouve toujours des alkylphénols et des pesticides ou des sous-produits de pesticides. Les stations de traitement des eaux usées sont donc peu adaptées à l’élimination des micropolluants. C’est le bilan que l’on peut tirer l’étude de cette première

Arsenic 0,25 %

Chrome 0,12 % Aténolol 0,12 %

AMPA 0,27 %

Molybdène 0,39 %

Plomb 0,12 %

Vanadium 0,40 %

partie du cycle de l’eau. Nos stations d’épuration, telles qu’elles sont conçues aujourd’hui, ont été faites pour éliminer ce que l’on appelle des macropolluants (essentiellement du carbone, de l’azote et du phosphore). Malgré tout, et c’est une bonne nouvelle, on constate qu’elles présentent une certaine efficacité, et que les procédés physico-chimiques et biologiques (Figure 8) mis en œuvre aujourd’hui éliminent une bonne partie de ces micropolluants (environ 80 %).

Figure 7 Principaux flux de micropolluants, minéraux ou organiques, en sortie de stations d’épuration urbaines. 128 substances, 21 stations d’épuration. Source : Projet AMPERES (2006-2009).

Micropolluants chimiques dans l’environnement : traitement et prévention

Zinc 7 %

La moins bonne nouvelle est que ces performances sont très variables selon les composés, et que surtout, il ne s’agit pas vraiment d’une élimination. Sur les 80 %, 20 % sont réellement éliminés, soit par stripping9 lors de l’aération, pour les composés les plus volatils qui passent dans l’air, soit par biodégradation. Mais pour les 60 % restants, il s’agit simplement d’un déplacement, c’est-à-dire un 9. Stripping : processus de séparation physique lors duquel un ou plusieurs composés sont éliminés d’un liquide par un courant de vapeur. Il y a donc un transfert de masse de la phase liquide vers la phase gazeuse qui, dans le cas du traitement des eaux usées, se retrouve chargée en polluants.

77

Chimie et expertise, santé et environnement

FILIÈRE EAU PRÉTRAITEMENT

DÉCANTATION PRIMAIRE

TRAITEMENT BIOLOGIQUE

CLARIFICATION

FILIÈRE BOUES Valorisation des boues

FLOTTATION

Compostage Séchage ÉPAISSISSEMENT

Figure 8 Les procédés physico-chimiques et biologiques de traitement des eaux usées dans une station d’épuration.

DIGESTION ANAÉROBIE

DÉSHYDRATATION

transfert des micropolluants vers les boues des stations d’épuration, ce qui ne fait que déplacer le problème. Cela justifie donc tous les travaux qui sont menés aujourd’hui pour estimer l’impact de ces boues lorsqu’elles sont utilisées comme amendement organique10 en agriculture. On constate que certaines substances, comme le bore et un certain nombre de médicaments, sont peu éliminées. On va donc évidemment les retrouver en sortie, et elles vont diffuser dans les milieux aquatiques. Certaines autres substances sont très bien éliminées, mais elles sont

78

10. Amendement organique : produit utilisé en agriculture pour améliorer les propriétés physiques du sol, notamment en enrichissant le sol en oligoéléments dont les plantes ont besoin pour se développer. L’amendement organique est issu du compostage des déchets organiques (déchets alimentaires, boues issues de l’épuration des eaux).

TRAITEMENTS COMPLÉMENTAIRES

présentes à de telles concentrations en entrée de station d’épuration qu’elles sont encore détectables en sortie. 2.2. La pollution par les eaux pluviales Beaucoup de ces micropolluants, soit parce qu’ils sont volatils, soit parce qu’ils sont transformés en aérosols liquides ou solides, ou adsorbés sur les poussières atmosphériques, sont retrouvés dans les retombées sèches11 ou dans les eaux pluviales. Ces dernières contribuent donc de façon significative, avec des concentrations et des flux variables, à la diffusion des micropolluants dans l’environnement, via les réseaux, déversoirs d’orages et stations d’épuration (Figure 9). 11. Retombées sèches : matières particulaires présentes dans l’atmosphère, entraînées au sol par la force gravitationnelle.

Sources atmosphériques

Productions d’aires d’alimentation de captage

Sources et origines des polluants prioritaires des eaux pluviales

Micropolluants chimiques dans l’environnement : traitement et prévention

Aérosols

Figure 9 Sources et origines des principaux polluants des eaux pluviales.

2.3. La pollution des ressources utilisées pour la production de l’eau potable Les rejets des stations d’épuration ainsi que les sources diffuses de pollution présentes dans les aires d’alimentation de captages ont une influence sur la qualité des ressources utilisées pour la production d’eau potable (Figure 10). Un constat qui peut être fait aujourd’hui est que globalement, sur les ressources superficielles, le nombre et les concentrations de molécules issues des médicaments sont aujourd’hui très supérieurs à ceux des pesticides, pour lesquels on constate depuis vingt ans une très nette amélioration

Figure 10 L’analyse des captages d’eaux superficielles pour la production d’eau potable montre aujourd’hui une présence de médicaments très supérieure à celle des pesticides.

79

Chimie et expertise, santé et environnement

de la situation. Même si les statistiques d’occurrence dans les masses aquatiques restent stables, on observe en revanche une très nette diminution du nombre de molécules et des concentrations de pesticides détectées dans l’environnement. Si on compare aujourd’hui les pesticides aux médicaments, les molécules qui sont issues de ces derniers constituent finalement aujourd’hui une préoccupation plus importante. Le Tableau 1 montre un exemple de résultat d’analyse des pesticides dans un captage, en aval de la ville de Paris, à Aubergenville, où Suez environnement pos-

sède une importante usine de production d’eau potable située après les rejets des grandes stations d’épuration urbaines de la région parisienne. Alors qu’on analyse en routine quelques centaines de molécules de pesticides, on ne détecte en réalité dans ce captage d’eau de Seine que quelques molécules, à des concentrations au maximum de quelques dizaines de nanogrammes par litre. Si on compare ce résultat à l’analyse des molécules de médicaments trouvées dans le même captage, la liste est beaucoup plus longue, et les concentrations beaucoup plus importantes (Tableau 2).

Tableau 1 Pesticides présents dans la Seine en aval de Paris.

Paramètres

80

unité

SEINE Aubergenville 09/09/08

16/09/08

23/09/08

13/10/08

20/10/08

Lindane

ng/l

< 10

< 10

< 10

< 10

< 10

Chlorpyrifos méthyle

ng/l

< 10

< 10

< 10

< 10

< 10

Alalchor

ng/l

< 10

< 10

< 10

< 10

< 10

Chlorpyrifos éthyle

ng/l

< 10

< 10

< 10

< 10

< 10

Aldrine

ng/l

< 10

< 10

< 10

< 10

< 10

Isodrine

ng/l

< 10

< 10

< 10

< 10

< 10

Chlorfenvinphos

ng/l

< 10

< 10

< 10

< 10

< 10

Endosulfan

ng/l

< 10

< 10

< 10

< 10

< 10

Dieldrine

ng/l

< 10

< 10

< 10

< 10

< 10

Endrine

ng/l

< 10

< 10

< 10

< 10

< 10

4,4’-DDT

ng/l

< 10

< 10

< 10

< 10

< 10

Atrazine

ng/l

23

17

23

17

19

Diuron

ng/l

43

37

39

40

32

Isoproturon

ng/l

1