Un siècle de vélo au pays des sourds 9782747521918, 2747521915

La pratique massive du vélo par les sourds depuis la fin du XIXe siècle a favorisé par la suite la mise en place de stru

136 38

French Pages 251 [252] Year 2002

Report DMCA / Copyright

DOWNLOAD PDF FILE

Table of contents :
Sommaire
PREMIERE PARTIE
PROBLEMATIQUE
DEUXIEME PARTIE
HISTORIQUE
Recommend Papers

Un siècle de vélo au pays des sourds
 9782747521918, 2747521915

  • 0 0 0
  • Like this paper and download? You can publish your own PDF file online for free in a few minutes! Sign Up
File loading please wait...
Citation preview

Un siècle de vélo au pays des Sourds

Collection Espaces et Temps du sport dirigée par Pierre Arnaud

Le phénomène sportif a envahi la planète. Il participe de tous les problèmes de société qu'ils soient politiques, éducatifs, économiques, sociaux,culturels, juridiques ou démographiques. Mais l'unité apparente du sport cache mal une diversité aussi réelle que troublante: si le sport s'est diffusé dans le temps et dans l'espace, s'il est devenu un instrument d'acculturation des peuples, il est aussi marqué par des singularités locales, régionales, nationales. Le sport n'est pas éternel ni d'une essence transhistorique, il porte la marque des temps et des lieux de sa pratique. C'est bien ce que suggèrent les nombreuses analyses dont il est l'objet dans cette collection qui ouvre un nouveau terrain d'aventures pour les sciences sociales.

Dernières parutions Marianne LASSUS, L'affaire Ladoumègue, le débat amateu-risme/profes sionnalisme dans les années trente, 2000. Claude PIARD, Où va la gym. L'éducation physique à l'heure des « staps », 2000. Jean-Philippe SAINT-MARTIN et Thierry TERRET (textes réunis par), Le Sport français dans l'entre-deux-guerres, 2000. Claude ROGGERO, Sport ... Et désir de guerre, 2001. Michel RAINIS, Histoire des clubs de plage au XXème siècle, 2001. Pascal CHANTE LA T (coord.), La professionnalisation des organisations sportives, 2001. Claude PIARD, Education physique et sport. Petit manuel d'histoire élémentaire, 2001. Alice TRAVERS, La montagne éducatrice, 1940-1944, 2001. Michel POUSSE, Rugby, les enjeux de la métamorphose, 2002. Michel HELUWAERT, Jeunesse & sport: espérances contrariées, marginalités récupérées, 2002. Jacques DUMONT, Sport et assimilation à la Guadeloupe, 2002. Collectif, Le sport et les français pendant L'Occupation, 2 tome, 2002.

Patrice GICQUEL

Un siècle de vélo au pays des Sourds

L'Harmattan 5-7, rue de l'École Polytechnique 75005 Paris FRANCE

L'Harmattan Hongrie Hargita u. 3 1026 Budapest HONGRIE

L'Harmattan ltalia Via Bava, 37 10214 Torino ITALIE

© L'Harmattan, 2002 ISBN: 2-7475-2191-5

Photo de couverture : Au portail à l'entrée de la chapelle" Notre-Dame-des-Cyclistes ", à La Bastide-d'Armagnac, prise par l'auteur, lors de la randonnée cyclotouriste Fougères-Lourdes en 1990. A gauche, Yves Piedevache, sourd; à droite, Pierre Divay, entendant.

Le vélo est une source de joies Ce n'est ni une mode ni un hasard: la petite reine est devenue un art de vivre, un véritable état d'esprit! Pédaler par passion" sportive ", c'est aussi une façon d'oublier la fatigue de la semaine au travail, les tracas de la vie, de voir et de respirer autre chose. Au cours d'innombrables randonnées, on apprend à apprécier les paysages, le calme, les odeurs enfin la nature tout entière que l'on ne découvre pas de la même façon quand on la traverse en voiture. Et la surdité n'est pas véritablement un problème. C'est avec les jambes et le corps qu'on roule à bicyclette, mais aussi avec la tête. C'est un vrai bonheur d'enfourcher une bécane. Après tout, on n'est qu'un simple pédaleur. Et que c'est beau le vélo !

Patrice GICQUEL

" La bicyclette est l'invention mécanique la plus merveilleuse du XIXe siècle. " André BILLY, de l'Académie française

. "Qu'importe la surdité, de l'oreille quand l'esprit entend; la seule surdité vraie, la surdité incurable, c'est celle de l'intelligence. " Victor HUGO

Sommaire PREFACE

13

PROLOGUE

17

PREMIERE PARTIE: PROBLEMATIQUE

25

Chapitre 1

La surdité... une incompatibilité avec la pratique de la bicyclette?

DEUXIEME PARTIE: HISTORIQUE Chapitre 1

Le vélo, premier sport pratiqué par les sourds entre eux

27 41 43

TROISIEME PARTIE: TEMOIGNAGES

123

Chapitre 1

Jacques Geus, dans la cour des Grands

125

Chapitre II

Yves Piedevache, le cyclotouriste chevronné

137

Chapitre III

Richard Viel, l'enfant prodige

151

Chapitre IV

Patrice Aurioux, l'homme de Paris-Brest-Paris

163

La passion tardive de Maurice Ollivier qui découvre le vélo à l'heure de sa pré-retraite

169

Chapitre V

Chapitre VI

Vanessa Le Meur, la princesse de la petite reine

175

Chapitre VII

L'auteur... dans l'autre Grande Boucle

185

Chapitre VIII

Jean-Paul Girard, le vététiste au pays de l'or noir

203

QUATRIEME PARTIE: PALMARES

211

BIBLIOGRAPHIE

243

REMERCIEMENTS

247

12

PREFACE

Si l'histoire française du sport sourd écrite par les sourds commence par un ouvrage monographique sur le cyclisme, ce n'est peutêtre pas un hasard. En effet, le cyclisme a joué un rôle fondateur dans la mise en place initiale de structures sportives propres aux sourds. Il est vrai que, à l'époque, la bicyclette était un élément essentiel de la vie sociale et ce fut une formidable façon de montrer comment la communauté sourde sait vivre en relation directe avec la communauté entendante. Mais en sachant organiser son propre espace d'expression et en réussissant à le préserver. Mais au-delà, c'est ici la valeur exemplaire du cyclisme qui est mise en lumière. Ainsi, en retraçant l 'histoire du cyclisme sourd, Patrice Gicquel nous transmet les valeurs fondamentales véhiculées par ce sport, et que l'on retrouve aussi bien dans sa version de loisir, de compétition que, aujourd'hui, dans la formule VTT. Ces qualités qui semblent si bien caractériser la vie liée à la surdité: ténacité, endurance, persévérance, force d'observation et capacité d'autonomie très large.

L'auteur nous conte également l'aspect universel et transgénérationnel de ce sport. Il met aussi en évidence la place que les femmes y ont tenu dès le début, bien avant que les entendants ne les admettent. Du reste, les divers portraits que contient ce texte important, confirment la force de caractère et la volonté que peut déployer un sourd pour accomplir ce qu'il a décidé. Ce volume en est une preuve en luimême. D'une part, on ne peut qu'admirer la minutie du travail de documentation et de sa mise en forme et la qualité rédactionnelle qui mettent en valeur l'apprentissage et la maîtrise que l'auteur a de la langue française. D'autre part, nous ne saurions sous-estimer la ténacité qu'il a fallu pour mener la tâche de publication à bien. C'est donc avec beaucoup d'émotion et de reconnaissance que nous remercions Patrice Gicquel pour cette belle avancée offerte à une meilleure approche de la communauté sourde en général et de son expression sportive en particulier, et nous l'encourageons sincèrement à poursuivre sa tâche vers cette histoire générale du sport qui nous manque aujourd'hui. Nous sommes convaincus que les lecteurs entendants et sourds se retrouveront pour apprécier cet ouvrage.

Isabelle Malaurie, Présidente de la Fédération Sportive des Sourds de France

16

PROLOGUE

Tout commença au mois de juillet 1979. Je venais de Ïeter mes 10 ans quand la passion du vélo entra dans ma vie. Pourtant, sept ans auparavant, je recevais avec émerveillement ma première bicyclette rouge pliable aux pneus blancs et munie de deux sacoches à l'arrière. C'était au matin de Noël 1972. Mais ce fut en 1979, pendailt l'été, que, planté devant la télé, je découvrais un héros cycliste: Bernard Hinault, Breton comme moi; il allait remporter son deuxième Tour de France. Fasciné par sa combativité, je rêvais de l'imiter et je m'imaginais coureur cycliste. En pédalant sur les chemins goudronnés et terreux avec mon premier vélo de demi-course (c'était un Peugeot gris auquel j'avais enlevé les garde-boue) autour de la maison de campagne de mes parents à Bourg-des-Comptes, je me voyais en Bernard Hinault. Le 23 juillet, mon parrain me proposa d'assister au premier critérium 1 cycliste intèrnational d'après-Tour à Bain-deBretagne. Les organisateurs réunissaient là un des plus beaux

1 Course effectuée en circuit, le plus souvent à entrée payante, où les spectateurs peuvent assister à de nombreux passages entrecoupés de sprints intermédiaires pour l'attribution de primes remises aux coureurs.

plateaux du monde cycliste: Jacques Anquetie, Raymond Poulidor3, Felice Gimondi 4 , Eddy Merckx5 accrochèrent cette course à leur palmarès. Fou de joie, je n'hésitais pas une seule seconde à accepter son invitation parce que je voulais apercevoir mon héros en chair et en os au lendemain de son arrivée triomphale sur les Champs-Elysées. Sur. place, entouré de quinze mille spectateurs qui suivaient attentivement le déroulement de la course sur un circuit long de deux kilomètres à parcourir cinquante fois, où concouraient les coureurs cyclistes aux jambes rasées et vêtus de maillots bariolés avec leurs drôles de machines, je me plaçais derrière les barrières et presque devant la ligne blanche d'arrivée. Je n'avais d'yeux que pour Bernard Hinault avec sa tunique d'or sur les épaules. Je me souviens aussi bien de l'odeur de la saucisse et de la galette de sarrasin, que de la petite tribune où étaient perchés speaker et commissaires, de la séance des autographes, de la caravane publicitaire et de la chaleur torride. Ce jour-là, il n'a pas gagné mais il m'a impressionné! Bientôt, ma grandmère paternelle accepta d'acheter le magazine Miroir du Tour, le premier de toutes mes vieilles collections, où figurait sur la couverture Bernard Hinault vêtu du maillot jaune. Son poster, je l'ai punaisé audessus de mon lit. 2 1934-19&7. Il fut le premier coureur cycliste à remporter cinq victoires dans le Tour de France dont quatre consécutivement et le premier Français à remporter le Tour d'Italie (1960 et 1964). Recordman du monde de l'Heure le 29 juin 1956 au Vigorelli à Milan: 46,159 kilomètres. 3 Né le 15 avril 1936. Il remporta le Tour d'Espagne 1964. Ses places d'honneur dans le Tour de France: 2 e en 1964, 1965 et 1974 ; 3e en 1962, 1966 et 1969. Ses victoires dans les classiques : Milan-San Remo et Flèche Wallonne. Ses championnats du Monde sur route: 3e en 1961, 1964 et 1966 ; 2e en 1974. Il a mis fin à sa carrière à l'âge de 41 ans ! 4 Né le 29 septembre 1942. Champion d'Italie sur route 196& et 1972. Champion du Monde sur route 1973. Triple vainqueur du Tour d'Italie 1967, 1969 et 1976~ Il remporta le Tour de France en 1965 et le Tour d'Espagne en 196&. Ses victoires dans les classiques: Milan-San Remo, Paris-Roubaix et Tour de Lombardie. 5 Né le 17 juin 1945. Belge. Surnommé "Le Cannibale". Triple champion du Monde sur route 1967, 1971 et 1974. Quintuple vainqueur du Tour de France (1969, 1970, 1971, 1972 et 1974) et du Tour d'Italie (196&, 1970, 1972, 1973 et 1974), il remporta de nombreuses classiques. Recordman du monde de l'Heure le 25 octobre 1972 à Mexico en portant la distance à 49,431 kilomètres.

20

A part la pratique de la bicyclette, je jouais souvent avec ma frangine, sourde comme moi et de cinq ans plus jeune, dans la cour, avec des figurines cyclistes (leurs maillots représentant les grandes équipes des années 80) que j'avais peintes à la main. A mes 15 ans, je pouvais m'offrir un vélo" Cycles Gitane" bleu marine. Le même que mon idole ! A chaque coup de pédale, je me rappelais chacun de ses magnifiques exploits. En compagnie d'un groupe de cyclistes imaginaires, je faisais la course et je sprintais dans les lignes droites. Je m'amusais aussi à lever les bras à la manière des vainqueurs d'étape dans le Tour de France. Comme la plupart des garçons de mon âge, je voulais faire carrière et devenir champion cycliste. Ce n'est que durant mes années scolaires que j'ai goûtés à d'autres sports comme le foot, le ping-pong et le basket-baIl en compétition. Je pratiquais aussi le ski alpin et le tennis pour le plaisir mais le vélo restera toujours ma grande passion. Les belles balades à vélo à travers la forêt de Fougères, le mercredi après-midi, avec mes copains d'école et un éducateur resteront gravées à jamais dans ma mémoire. Enfin, deux ans et demi après la fin de ma scolarité en pensionnat à Fougères, j'ai essayé la compétition cycliste en prenant une licence FFC à l' ASPTT de Rennes, un des grands clubs bretons ayant vu un certain nombre de ses licenciés tenter leur chance dans les rangs professionnels. Pour ma première sortie d'entraînement hivernal auprès des coureurs cyclistes amateurs, je découvrais avec plaisir la compétition. Une sortie de soixante bornes à 30 de moyenne. Dans le dernier kilomètre, je me plaçais en tête du groupe. A mon grand étonnement, personne ne réagit à mon accélération progressive. Sitôt retourné, je les vois distancés alors qu'ils devraient me suivre ou m'attaquer. Un des moments forts de ma vie de cycliste. Je me souviens aussi de mon émotion intense en suivant la roue arrière d'Hervé Garel (un des meilleurs bretons avec Stéphane Heulot), sacré champion de France contre la montre par équipes voilà tout juste six mois; 4e au championnat du Monde avec l'équipe de France du 100 kilomètres et futur vainqueur du Tour de l'Avenir6 en 1992, qui courra dans une équipe professionnelle aux côtés de Richard Virenque 6 Créé en 1961. Course à étapes réservée aux coureurs cyclistes professionnels et amateurs âgés de moins de 25 ans.

21

et de Greg Lemond7 • Las, je n'ai jamais trouvé assez rapidement ma place au sein de cette équipe et je ne m'y suis pas vite senti à l'aise. Faute d'une communication amicale mais difficile avec mes coéquipiers, faute de conseils (méthodes d'entraînement, temps de récupération, diététique ... ) ou d'encouragements et faute d'un moindre support familial, ma motivation et mes espoirs de réussite s'envolaient peu à peu. C'était comme si je n'existais pas! Esseulé, je me voyais dans l'obligation d'abandonner le milieu cycliste de compétition après quelques sorties d'entraînement faites d'accélérations en côte et de grands braquets sur plat. Pourtant, je n'étais pas prêt à tout laisser tomber car j'avais envie d'apprendre progressivement. Ayant rayé définitivement la pratique de la compétition cycliste, j'avais le coeur gros de ne pas disputer au moins une seule et première" vraie" course de compétition avec ce casque à boudins que je garde toujours dans mon placard. D'ailleurs, je regrette le manque de rivalité avec les cyclistes sourds français ou étrangers lors des courses cyclistes nationales et internationales réservées aux sourds. Il est vrai qu'à cette époque, je n'ai jamais rencontré, en dehors de la compétition, des anciens et jeunes cyclistes sourds de ma génération qui auraient pu me servir d'exemple ni connu un entraîneur sourd, comme Joseph Tranain, capable d'enseigner le cyclisme de haut niveau. En revanche, je participais à des épreuves cyclosportives (souvent longues et difficiles) ouvertes à tous où je côtoyais indifféremment des coureurs cyclistes professionnels et amateurs. Je me suis donc tourné vers le cyclotourisme où j'ai accompli mes plus belles aventures vélocipédiques sur les routes de notre Hexagone, qui offre une certaine variété de climats, de paysages avec la mer, la montagne et la campagne, tant en solitaire qu'en groupe avec mon club cyclotouriste de Saint-Jacques-de-la-Lande ou en compagnie de mes amis cyclistes connus et inconnus: le Tour de France Ge devais le faire deux fois de suite mais j'ai renoncé à prendre le départ en raison d'une douleur au genou après trois mois de préparation spécifique), le Tour de Corse, le Tour de Bretagne, le Tour du Morbihan en deux jours, les cols pyrénéens dont l'Aubisque (mon Né le 26 juin 1961. Il fut le premier Américain à gagner le Tour de France (1986, 1989 et 1990) et à devenir champion du Monde sur route en 1983 et 1989.

7

22

premier col à l'âge de 21 ans) et le Tourmalet (à deux reprises), l'escalade du Mont-Ventoux 8 (la première fois, avec le vélo de ma compagne, inadapté à ma morphologie, équipé d'un braquet de base de 42 x 23 et en «baskets» !), les grands cols alpestres dont le Galibier9 et l'Izoard 10 , la célèbre montée aux 21 virages de l' Alped'Huez, les brevets nationaux (50, 100, 150 et 200 kilomètres), les BCNll (40 départements à mon actif) et BPpI2 (celui de la Bretagne), les Brevets des Tremplins du Massif Armoricain et des Monts d'Armorique accomplis dans chaque département breton, le Brevet de Grimpeur Atlantique dans chacun des cinq départements (LoireAtlantique, Maine-et-Loire, Mayenne, Sarthe et Vendée), les nombreuses randonnées cyclotouristes de courtes et longues distances ainsi que les circuits VTT avec les sourds dont je co-organisais deux fois pour ceux-là. De même, j'ai été heureux d'effectuer mon premier voyage itinérant vers les Pyrénées en compagnie de cinq cyclotouristes (dont quatre étaient sourds)plus âgés que moi. Attiré par le journalisme sportif depuis mon enfance, j'apprenais l 'histoire du cyclisme international dans les journaux, revues et livres. Avec le temps, je connaissais sur le bout des doigts le sport cycliste. Petit à petit, je m'intéressais à l'histoire du cyclisme des sourds. En réalité, je considérais qu'il manquait au monde silencieux un ouvrage de référence à propos du cyclisme, quel que soit sa pratique: bi-cross, cyclotourisme, cyclisme de compétition et VTT. C'est pourquoi je 8 C'est sur les pentes mythiques du Géant de Provence que le cycliste britannique Tom Simpson, victime d'un collapsus cardiaque, trouva la mort dans le Tour de France le 13 juillet 1967. A moins de 2 kilomètres du sommet, une stèle commémore son souvenir. 9 Un monument à la gloire d'Hemi Desgrange, le " Père du Tour" se trouve en haut du col, à hauteur du tunnel (2645 mètres d'altitude). JO Un des hauts lieux du cyclisme sur route mondial. Au lieudit" La Casse Déserte ", on découvre deux stèles fixées sur un rocher: l'une à la mémoire de Fausto Coppi et l'autre celle de Louison Bobet (2360 mètres d'altitude). Il Brevet Cyclotouriste National: pour ceux qui veulent découvrir les plus beaux sites de France en recueillant dix cachets souvenirs, un seul étant demandé par département, sur un carnet de route. 12 Brevet des Provinces Françaises : pour ceux qui souhaitent approfondir et connaître les richesses touristiques et culturelles de notre pays à raison de six contrôles par département.

23

tenais à prendre la plume pour écrire ce livre, fruit de quatre années de recherches minutieuses dont les ambitions sont : - de montrer la place des sourds dans le sport cycliste ; - d'attirer l'attention du lecteur sur le droit à la différence; - de porter un regard sur le quotidien des cyclistes sourds. Ceux-ci ont aussi marqué l'histoire du cyclisme tant dans le milieu des entendants que dans celui des sourds depuis un siècle! Pour les jeunes et moins jeunes sourds adeptes du vélo ou qui le deviendront, il témoignera de l'intégration des sourds dans le cyclisme. A dire vrai, l'effort, intellectuel et de longue haleine pour écrire ce livre fut, pour moi, presque comparable à l'effort physique fourni pendant mon Tour de France Cyclotouriste. En tout cas, j'espère qu'après cette lecture, l'envie de prendre le vélo vous conduira à rejoindre le monde des merveilleux "fous" pédalants.

Vélocipédiquement vôtre,

l'Auteur.

24

PREMIERE PARTIE PROBLEMATIQUE

Ch.apitre 1 La surdité... une incompatibilité avec la pratique de la bicyclette ?

L

e cyclisme est un sport universel et accessible à tous (du plus jeune au plus âgé) : près d'un Français sur deux possède une bicyclette. Vingt millions de Français âgés de plus de 15 ans font du vélo. Des milliers de personnes empruntent chaque semaine les pistes cyclables indispensables pour faire face à la pollution et pour résoudre en partie les problèmes de circulation des citadins dans les grandes villes ou sillonnent chaque week-end les routes de campagne, mais aussi, depuis l'apparition du VTT13 et du VTC 14, les chemins forestiers ou de montagne. Chacun d'entre vous, au cours d'une randonnée cyclotouriste, d'une épreuve cyclosportive ou bien d'une course cycliste ou autres, a vu un cycliste s'adonner à son sport favori alors qu'il présentait un handicap invisible. Quelles ont été les raisons profondes qui ont poussé ces cyclistes privés de l'ouie à se livrer aux joies de la bicyclette? Explications.

13

14

Vélo Tout Terrain. Vélo Tout Chemin.

Du côté de la statistique 15, on peut actuellement retenir les chiffres suivants: 7 % de la population française souffrent de déficience auditive, soit près de 4 millions de personnes sourdes dont 120 000 de surdités profondes, 360 000 de surdités sévères, 1 300 000 de surdités moyennes et 2 200 000 de surdités légères.

Type de surdité

Nombre de décibels 16

Nature des bruits

profonde

+de90

Marteau piqueur

sévère

de 70 à 90

Aspirateur

moyenne

de 40 à 70

Circulation urbaine

légère

de 20 à40

Bureau

En ce qui concerne l'environnement du cycliste, une personne atteinte de surdité légère ou moyenne peut reconnaître les bruits provenant de sa bicyclette : chaîne mal placée, un rayon qui casse... Dans le cas contraire, malgré sa sensibilité aux vibrations,. le sourd profond ne perçoit même pas sa propre voix et, bien sûr, ne peut discerner les bruits anormaux pouvant venir de son vélo. Pour communiquer avec un sourd, quand il est sur le vélo, le mieux est d'être bref ... un instant d'inattention pourrait entraîner une chute. Enfin, il y a des habitués qui côtoient très souvent les sourds et conversent avec eux tout en roulant, mais cela se fait rarement et très brièvement. Lorsque le cycliste sourd ac.cède à la pratique du cyclisme de haut niveau, il peut rencontrer des difficultés particulières : problèmes de communication avec les entraîneurs,

Source: Le Monde (Mars 2000). Dixième partie du bel, unité servant en acoustique à définir une échelle d'intensité sonore (la voix moyenne a pour intensité 55 décibels). 15

16

30

discipline de groupe mal soutenue, rythme trop rapide, entraînement en groupe ... En dehors de la pratique de la bicyclette, converser avec un sourd paraît, peut-être, chez certains, assez gênant. Là encore leurs proches (les habitués) savent s'y prendre. Les sourds ont appris à lire sur les lèvres ; certains sont doués (particulièrement les sourds de naissance), d'autres moins (les devenus sourds). En dernier recours, il yale geste ... comme si vous vous adressiez à un étranger qui ne connaît pas votre langue. Quand on est en relation avec un sourd, il est utile de connaître un peu la LSF (Langue des Signes Française), qui est une véritable langue, avec sa syntaxe, sa grammaire et son vocabulaire, pour faciliter la communication. Une personne ne connaissant pas la LSF peut communiquer avec une personne sourde signeuse avec l'aide d'un interprète comme pour une langue étrangère (indispensable lors des stages formations, écoles de cyclisme, réunions, conférences et assemblées générales). En effet, le sourd de naissance (spécialement les sourds profonds), n'ayant jamais entendu de son existence, a un peu plus de difficultés à s'exprimer que le devenu sourd.... Pour l'autre, la surdité survenue des suites des expositions à des intensités sonores élevées (baladeurs, discothèques, travaux ... ), d'une maladie (rubéole, otites ... ), d'un accident ou en vieillissant, il permet de conserver le parler qu'il avait dans son enfance. Bien souvent, quand les sourds parlent à des personnes inconnues, lesdites personnes croient avoir devant elles un étranger, ce qui entraîne des situations parfois cocasses. Par exemple, dans un bar, un client se présente et commande une boisson ; le patron de café ayant mal compris pense avoir affaire à un Anglais, il appelle son fils qui parle la langue de Shakespeare alors que son interlocuteur est simplement sourd comme un pot. D'un autre côté, il n'y a presque pas de "barrière de la langue" entre les sourds de différents pays. Se retrouver entre sourds des quatre coins du monde, communiquer à l'aide de son langage gestuel universel est la première condition d'une intégration. En résumé, un sourd pratique souvent un mélange d'audition partielle, de lecture labiale, d'écriture et de LSF. Le fait de communiquer est aussi difficile pour le sourd que pour l'entendant. Une bonne communication suppose que chacun doit faire un effort.

31

Voici ce que l'on peut lire dans un compte-rendu de l'Echo de Famille datant de 1982 : Précisons d'abord qu'en Belgique, à l'époque, toutes les bicyclettes devaient obligatoirement être munies d'un catadioptre 17 sur le garde-boue arrière, alors que cette mesure n'était pas encore imposée en France. Gérard, un jeune sourd français, passait quelques jours de vacances chez son oncle belge. Celui-ci lui proposa de lui prêter un vélo pour se promener : " Il manque le catadioptre, mais ça ne fait rien, si tu rencontres des gendarmes, dis-leur que tu es français et tu ne payeras pas d'amende. " Gérard se promit tout simplement de s'épargner ce genre de désagrément et d'éviter soigneusement la maréchaussée. Il suffirait de faire attention. Il partit sur son vélo non réglementaire. Au bout d'une demi-heure, tout au plaisir de la promenade, il avait complètement oublié sa résolution. Et ce qui devait arriver arriva : sur la piste cyclable, deux gendarmes belges à vélo allaient dans le même sens que Gérard, mais beaucoup moins vite. Cet étourdi survint derrière eux et les dépassa, leur présentant du même coup, comme une provocation, son garde-boue arrière dépourvu de catadioptre. Ce détail n'échappa point aux gendarmes qui donnèrent des coups de sifflet que, bien entendu, Gérard n'entendit pas. Les représentants de l'ordre se lancèrent donc à sa poursuite, pédalant ferme pour rattraper le fugitif et en se disant : "Défaut de catadioptre et délit de fuite: son compte est bon !". Au bout d'un moment, Gérard, toujours en tête, se dit tout d'un coup: " Mais, c'est vrai! j'ai dépassé des gendarmes alors que je m'étais promis de les éviter. Voyons derrière s'ils n'ont rien vu ... ". Il tourna la tête en pédalant et vit, à quelques mètres de lui, ses poursuivants, l'air pas content du tout. Freins serrés, la course s'arrêta. Les gendarmes, essoufflés et furieux, lui réclamèrent sèchement ses papiers. Gérard les leur présenta en disant qu'il était sourd et français. Vérification faite, les pandores, n'y trouvant rien à redire, firent un geste rageur: " Allezvous-en! ".

17

Système optique renvoyant les rayons lumineux dans la même direction.

32

Un peu d'humour vélocipédique

33

Quelques mots en LSF sur le mmeu cycliste des sourds

COMPETITION

VELO

PROFESSIONNEL

1

'----_._---_

.•........

MONTEE

DEPART

PLAT

DESCENTE

ARRIVEE

SPRINT

34

LE PREMIER

LE DEUXIEME

LE TROISIEME

CONTRE LA MONTRE

CREVAISON

ENTRAINEMENT

SOURD

CHUTE

UN CHAMPION

35

BATTRE

DEPASSER

GAGNER

GONFLER

PEDALER

PERDRE

RATTRAPER

SUIVRE

ABANDONNER

36

On dit souvent que la surdité est le "monde du silence". En vérité, c'est le monde de la vue. Car c'est par la vue que l'on compense la surdité. A bicyclette, le sourd, conscient de son état, redouble de vigilance. Il faut savoir que, pour compenser cet handicap auditif, le sourd développe un champ visuel et une mémoire visuelle au-dessus de la moyenne. En effet, tout en regardant droit devant lui, il aperçoit ce qui bouge sur ses côtés mais son acuité visuelle peut perturber parfois sa concentration en course cycliste où rien ne sert de crier pour lui encourager. En dehors de la compétition cycliste, l'enfant sourd doit non seulement apprendre à faire du vélo, mais aussi à compenser son absence d'audition qui ne le prévient pas de l'arrivée d'une voiture. Il existe pourtant des accessoires de sécurité: rétroviseur et écarteur de danger, hélas, peu utilisés chez nous ! Avec ou sans le port du casque, entouré dans un peloton, le cycliste sourd ne se sent pas trop gêné, prêt à éviter l'accrochage ! La seule incompatibilité que l'on puisse lui trouver est bien la pratique du vélo de nuit. Cela s'adresse particulièrement à certains sourds de naissance ayant des problèmes de position stable du corps humain dû à l'absence ou aux troubles de l'audition et aux devenus sourds après une méningite cérébro-spinale ou autres. En effet, chez cette catégorie de sourds, dès la nuit tombée, le sujet perd l'équilibre dans le noir ; que ce soit à vélo ou à pied. Toutefois, ce risque n'existe qu'en rase campagne (la ville est assez bien éclairée la nuit, sans quoi il finirait au poste de police pour une prétendue ivresse sur la voie publique !). A la lecture d'un article de presse du mois d'avril 1902 paru dans le Journal des Sourds-Muets, on raconte l'accident d'un cycliste sourd à Paris : Ce dimanche, Gaston Vialatte l8 revenant du Bois de Vincennes, circule à vélo sur l'avenue Daumesnil. Un tramway et une voiture de laitier attelée de deux chevaux s'approchent de lui. Le laitier sans doute pressé veut dépasser le tramway sans prendre garde aux nombreux cyclistes arrivant en sens inverse. Vialatte est heurté de plein front par le timon de la voiture. Résultat : un oeil perdu et le nez contrefait. L'affaire passe devant le Tribunal. La faute incombe bien Il fut Président de la Fédération Sportive des Sourds-Muets de France de 1918 à 1928.

18

37

sûr au laitier imprudent et Vialatte réclame 10 000 francs de dommages-intérêts. Mais le laitier pour sa défense révèle aux juges que la victime est un sourd. Changement d'attitude des magistrats: " On ne fait pas de bicyclette quand on est sourd-muet, opinent-ils ; ou bien alors tant pis pour vous s'il vous arrive du dommage". Verdict: le brutal laitier n'est condamné qu'à 50 francs d'amende et Vialatte n'obtient que 1 000 francs de dommages-intérêts au lieu des 10 000 francs réclamés ! L'an 1898, à Francfort (Allemagne), la police a édicté une réglementation sévère à l'égard des sourds-muets amateurs de vélo: - le cycliste n'aura, outre sa surdité, aucun autre "défaut" pouvant lui rendre difficile la manoeuvre de sa bicyclette; - il devra être entièrement maître de son engin avant de s'en serVIr; - il devra aller lentement et prudemment sur les routes fréquentées ; - il lui sera absolument interdit de circuler avec sa machine dans les rues des grandes villes. En dépit des problèmes posés et rencontrés dans notre pratique de la bicyclette, bon nombre de cyclistes sourds ont su franchir tous les obstacles et, à force de persévérance, réussir leur rêve pour prouver qu'ils n'avaient rien à envier aux" entendants " ! Et que chacun, quel que soit son niveau et son âge, trouve davantage de plaisir à bicyclette car le cyclisme ne se résume pas à la seule compétition. Il y a les cyclosportifs, les cyclotouristes, les vététistes et une multitude croissante de pratiquants qui s'adonnent au cyclisme de loisir. Par ailleurs, la pratique du vélo est particulièrement bénéfique pour le coeur, les muscles, les articulations, la tension artérielle, ainsi que pour le sommeil. Il diminue l'anxiété et l'instabilité émotionnelle tout en améliorant l'humeur et augmente la résistance au stress. Il faut dire aussi que, par cette activité sportive, le sourd apprend à sortir de l'isolement dans lequel il a tendance à se complaire et ne se considère plus comme un handicapé, surtout physique.

38

Après tout, une personne sourde est une personne comme les autres qui peut pratiquer le cyclisme sachant que c'est un sport individuel, authentique, pratiqué librement, dans une atmosphère de rencontre, de solidarité, de convivialité et de respect d'autrui.

39

DEUXIEME PARTIE HISTORIQUE

Chapitre 1 Le vélo, premier sport pratiqué par les sourds entre eux

Q

ue de chemin parcouru ! En France, le sport de masse chez les sourds a commencé à la fin du XIXe siècle par la pratique du vélo; des pionniers sourds du vélocipède aux cyclistes sourds des temps modernes. En un siècle, les sourds ont acquis de sérieuses références en matière de vélo. Ils ont leur fédération et associations sportives ; leurs courses et randonnées cyclistes ; un public; des champions et cyclistes reconnus. Une seule histoire. Riche, passionnée et jalonnée d'exploits fantastiques.

La véritable histoire du cyclisme naît au milieu des années 1880 avec l'arrivée de la première bicyclette équipée de roues égales de dimension raisonnable et dotée d'une transmission à chaîne qui remplaça les draisiennes, engin sans pédale inventé en 1817 et autres vélocipèdes tel le grand bi, impressionnant par sa selle si haut placée. A cette époque, les sourds-muets français sont en retard dans le domaine du sport, contrairement à d'autres pays comme les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l'Allemagne où le sport silencieux se développe rapidement. Il y eut d'abord quelques sourds français qui se sont

inscrits dans des associations d'entendants pour pratiquer les sports individuels: boxe, gymnastique, lutte et tir. Les années 1890 voient le développement de la bicyclette comme moyen de transport populaire pour aller au travail et, le dimanche, pour se promener ou rencontrer des amis. Le monde vélocipédique fascinait les artistes et les gens de lettres, voire les philosophes. Côté chiffres, on recense ainsi en France 50 000 bicyclettes en 1890, 300 000 en 1895 alors que le cap du million est franchi peu après 1900 ! Bientôt, les sourds-muets, devenus assez nombreux à posséder un vélo, commencent à se grouper pour faire des sorties ensemble, parfois de véritables voyages de plusieurs jours. De là leur vint l'idée de faire des compétitions, amicales d'abord, sportives ensuite. En 1891, on lisait dans la Gazette des Sourds-Muets (15 octobre) : "On sait qu'aux Etats-Unis les exercices du sport sont très à l'honneur. Il en est de même chez les sourds-muets. Ainsi, à New York, plusieurs sourds-muets ont pris part aux luttes de l'Athletic Union. Quel dommage que le nombre de sourds-muets sportmen de France soit si médiocre ... " et plus loin: " Les sourds-muets sportmen surgissent enfin et c'est tant mieux. " " Tout dernièrement, pendant les vacances, cinq jeunes sourdsmuets, Messieurs Grandval, Alfred Lallemant, Lucien Dupas, Henri Mercier l9 et Georges Larose, ont fait sur un vélocipèdéo et en 6 heures le trajet d'Epernay (Marne) à Mézières-sur-Oise (Aisne), soit environ 100 kilomètres. Et le plus beau, c'est qu'à la course organisée par l'Union Vélocipédique d'Epernay, sur 60 concurrents, Henri Mercier est arrivé premier".

19 Né le 7 mars 1873 à Epernay. Passionné de voyages et de la pêche au saumon. Marié à Henriette et père de deux garçons, Jacques et Edouard, il a travaillé comme adjoint au chef de cave parce que son père, Eugène, était propriétaire des célèbres caves de vins de champagne Mercier à Epernay. Son frère Emile (1868-1922), sourd comme lui, était Président de l'Association des Sourds de Reims. Décédé le 9 août 1956, à Paris. 20 Appareil qui est à l'origine de la bicyclette.

46

Dans les années 1890, les cyclistes sourds disputaient leur course sur piste au vélodrome de Buffalo à Paris. On voit au fond le starter sourd Georges Larose.

C'est sur la piste de ce vélodrome qu'Henri Desgrange, "le père du Tour de France cycliste ", réalisa le premier record du monde de l 'heure le 11 mai 1893, couvrant la distance de 35,325 kilomètres.

47

Comme nous l'avons remarqué dans le cas d'Henri Mercier, les cyclistes sourds-muets s'engagent dans des compétitions d'entendants. Le 21 octobre 1894, le véloceman21 sourd Danner participe à une course de 50 kilomètres sur le trajet Choisy-le-Roi-Versailles et retour, la victoire lui échappe de peu. En France, la première course entre sourds, pour le plaisir, a lieu sans doute en 1894. Le 23 décembre, une délégation de sourds-muets parisiens devait se rendre à Versailles pour la cérémonie d'hommage devant la statue de l'abbé de l'Epée 22 . A cette occasion, d'autres sourds-muets, Messieurs Perrard, Femand Hamar23 , Georges Larose et Maurice Zevort, sont partis à vélo, entamant une lutte avec un autre sourd-muet, Monsieur Henri Cauchois et son patron qui conduisent un phaéton à deux chevaux. En cours de route ils s'arrêtent à Robinson pour déjeuner, ce qui les fera arriver à destination une demi-heure après la fin de la cérémonie. C'est le véloceman Perrard qui est entré le premier à Versailles suivi de près par le phaéton de Cauchois ; Hamar venait derrière puis Zevort et Larose, embarrassés par leur tandem24 On l'appelait jadis comme cycliste. Né à Versailles le 24 novembre 1712. Ayant vu deux jeunes filles sourdes et muettes, il fut touché de leur sort et il tenta d'entrer dans leur esprit par les yeux, au moyen de signes, ce qui ne pouvait entrer par les oreilles. Pour communiquer avec ses élèves, il a imaginé les signes méthodiques. En 1760, ayant réussi au-delà de ses espérances, il fonda seul et sans appui la première école des sourds-muets, rue des Moulins, à Paris. Il refusa toujours de partir en Autriche et en Russie ; il préféra rester à Paris et recevoir les sourds pauvres. L'oeuvre magnifique de ce premier instituteur des sourds-muets s'est développée, a continué et continuera dans le monde entier. Il mourut à Paris le 23 décembre 1789. Le 21 juillet 1791, l' Assemb lée Nationale l'a reconnu, par décret, comme bienfaiteur de 1'humanité. 23 1869-1943. Elève de l'Institut National des Sourds-Muets de Paris, de l'Ecole Nationale des Arts Décoratifs et de l'Ecole des Beaux-Arts de Paris. Artiste sculpteur, il réalisa de nombreuses oeuvres dont la statue de Rochambeau, le valeureux compagnon d'armes de Georges Washington pendant la guerre d'Indépendance américaine. Inauguré le 24 mai 1902 en présence de Roosevelt, Président des Etats-Unis à Washington. Elle se trouve érigée dans Lafayette Park en face de la Maison-Blanche. Il reçut la décoration des Palmes Académiques. 24 Bicyclette conçue pour être actionnée par deux personnes placées l'une derrière l'autre. Elle est très utilisée pour la promenade, par les couples amateurs de cyclotourisme. Cette discipline permet aux aveugles et aux personnes sourdes atteintes du syndrôme d'Usher (maladie de la rétine) de pratiquer le cyclisme. 21

22

48

qui s'empêtrait dans la boue, fermaient la course. (Journal des SourdsMuets, janvier 1895). En ce temps-là, les routes n'étaient pas aussi belles qu'actuellement, ni les vélos aussi perfectionnés. Pour être amicale, la course Paris-Versailles n'en représentait pas moins une petite performance. Et les sourds-muets, piqués au jeu, allaient continuer à faire du sport en vélocipède. Le Journal des Sourds-Muets du 5 février 1895 a fait part de son avis aux pédaleurs: "Nous recommandons la plus grande prudence aux sourds-muets vélocemen, surtout quand ils voyagent la nuit sur les routes de France et de Navarre, car les vers luisants ne suffisent pas toujours à éclairer la route et les voituriers oublient souvent ce petit détail. C'est ainsi que notre ami Paul De La Roche a failli, l'autre jour, être victime d'un accident. Il s'est violemment jeté contre une voiture non éclairée, heureusement qu'il a eu plus de peur que de mal et sa machine faussée. C'est égal... Faites attention, cyclistes, vous pourriez être moins veinards une autre fois. " Ce n'est pas seulement en France que le cyclisme se développe. A l'étranger déjà, des sourds-muets se lancent à vélo sur les routes ... d'Europe. L'année 1895, un sourd-muet tchèque, Jaroslar Barta, est passé à Paris, venant d'Allemagne et de Belgique, avant de prendre la direction de l'Espagne, de l'Italie et de l'Autriche. Plus fort encore, un sourd-muet hollandais a fait avec deux entendants le pari de partir de chez lui sans le sou et de faire le grand Tour d'Europe à bicyclette, en cherchant en cours de route le moyen de gagner sa vie. Il s'appelle Suntherland Royaards. Parti d' Amsterdam (Hollande), il est arrivé en Allemagne, passant à Hanovre, Hambourg et Berlin ; de là, il doit atteindre Varsovie (Pologne), Saint-Petersbourg (Russie), puis la Turquie, la Roumanie, la Bulgarie, l'Italie, l'Espagne, et sans doute la France au retour. Après avoir quitté Bruxelles (Belgique), où il fut très bien accueilli à la Maison des sourds-muets, et, passant par Dinant, Givet, Rethel, Reims, le cycliste hollandais s'est arrêté le lundi 23 août 1897 à Epernay où Messieurs Emile et Henri Mercier ont signé sa feuille de route. Naturellement, le champagne Mercier fut bu au succès de son

49

fabuleux périple. Reparti dans la nuit, il arrive à Paris le lendemain à 15 heures, sous une pluie diluvienne. Le temps de choisir un hôtel, de prendre un fiacre, et il est reçu par Henri Gaillard25 . Suntherland, en costume de cycliste avec des insignes en vieil argent, fait sensation dans Paris. Il s'exprime très clairement par signes, sait parler, et chose remarquable, connaît parfaitement le français, très bien l'allemand et l'anglais. Il possède une petite fortune, donc pas de problème pour ses moyens d'existence. De plus, la maison du Pneumatique Dunlop de Londres sponsorise sa pérégrination vélocipédique. Le globe-trotter sourd-muet voit loin puisqu'il ne rêve pas moins maintenant de faire le tour du Monde. Il a l'intention de passer par Orléans, Angoulême, Bordeaux, Madrid (Espagne), le détroit de Gibraltar, pour atteindre Alger (Algérie), Tunis (Tunisie), Tripoli (Libye), Le Caire et Suez (Egypte), de là l'Ethiopie où il compte rendre visite au roi Ménélik, puis le Transvaal en Afrique du Sud! Henri Gaillard, Directeur du Journal des Sourds-Muets présente l'endurant cycliste à la rédaction du journal. Le 28 août 1897, un article paraît dont en voici la fin: " ... Quand on songe aux périls d'un tel voyage et que ces périls sont courus par un sourd-muet, on reste un peu ébahi devant l'audace de celui qui l'entreprend". Chapeau, Suntherland Royaards! Voilà qui fait rêver les sourds-muets français. Eux aussi vont se lancer hardiment sur de longues distances et franchir allègrement les frontières. Dans le Journal des Sourds-Muets du 20 février 1895, on lit cette annonce : "Bicyclette gladiator routière, pneumatique Dunlop, Né à Paris en 1866. Il perdit l'ouïe à l'âge de douze ans. Il fut placé d'abord dans une classe spéciale annexée à une école d'entendants dirigée par les Frères des Ecoles Chrétiennes, puis à l'Institut National des sourds-muets de Paris où son intelligence et son savoir étendu le firent admettre d'emblée au Cours Hard. Il apprit le jardinage et la typographie. A sa sortie d'école, il se mêla à la vie des sourds. Après 1889, il devint secrétaire général de la plupart des sociétés de sourds-muets de Paris, participa à de nombreux congrès, organisa ceux de Paris en 1900 et 1912, se rendit trois fois en délégation aux Etats-Unis, créa à Paris une Imprimerie d'ouvriers sourds-muets, fonda et dirigea plusieurs journaux et revues, écrivit de nombreuses brochures. De 1931 à 1939, la maladie mit fin à son intense activité. Il était membre de la Société des Gens de Lettres et chevalier de la Légion d'honneur. Il mourut en 1939, à l'âge de 73 ans. 25

50

démontable, chaîne à rouleaux, frein et garde-boue démontable. Sacoche contenant 1 clef, 1 burette et 1 longue pompe. Assez bon état, mais bon roulement. - A vendre 200 francs - S'adresser à M. Georges Larose, 56, boulevard Saint-Michel. " puis ceci datant du mois d'avril 1895 : "Notre ami Maurice Zevort, qui vient d'être admis avec Larose au Touring Club de France (entendant) et ses 20000 sociétaires, a acquis une bicyclette Dunlop munie de pneumatiques Michelin avec laquelle il se propose d'aller en Belgique, puis en Allemagne, accompagné de nos amis Georges Larose et Henri Mercier. Cette machine pèse dix kilos. Elle est à grande multiplication de 7 mètres 50 ". Signalons qu'un vélo d'occasion et de marque Rochet, ayant servi six mois et en bon état, est revendu au prix de 250 francs. C'est bien cher à l'époque. A titre de comparaison, toujours dans le Journal des Sourds-Muets, on peut lire cette offre d'emploi: " Sourde-muette sachant coudre à la machine pour le corsage est demandée de suite. Gagnera de deux à trois francs par jour. " Que de longues privations et d'économies imposées aux candidats cyclistes pour acquérir l'objet de leur rêve! Il convient d'ajouter qu'il existait un impôt sur les vélos créé en 1893 mais il sera finalement supprimé le 1er janvier 1959. Par contre, dans le Pas-de-Calais, le nombre de sourds-muets chevaliers de la pédale s'accroît. "Il est heureux de constater que comme aux entendants-parlants, on accorde aux sourds-muets non aisés la confiance du crédit pour pouvoir se procurer une machine neuve. " disait encore le Journal des Sourds-Muets. D'une manière opposée, le Journal des Sourds-Muets du 20 juin 1895 annonce un fait divers avec une petite pointe d'humour : "Il n'est pas défendu aux sourds-muets d'aller à bicyclette, mais au moins ne devraient-ils pas chiper les machines des loueurs. Ces jours derniers, Mme Larchevèque, qui a un dépôt de bicyclettes à Rennes, recevait la visite d'un jeune homme bien mis, paraissant âgé d'une vingtaine d'années. Par signes, il fit comprendre qu'il voulait une machine pour une promenade d'une heure. On lui remit une machine, il l'enfourcha et depuis, ni vu ni connu, pas de nouvelles de l'intéressant infirme. Une plainte a été déposée à qui de droit. "

51

ASSOC!ATION AMICAlE DES SOURDS-MUETS

Fête d'Été

A

y~~ur(Station de Ghe[JesÎ AR /v 0 UT Hls ,

J

Re"tc1l1r~lnf

PRIX'

CHAMPIONNAT DE VITESSE (ENTRE

SOURDS-MUETS

vEI,OGEMEN)

De l'aris fi Gournay Nombreux MÉD.-\U. . LE

or

prix

C1L\)lpjl"-w i:t

la 'J'ONte du d:aw,pionnat $13-

ront proch,aJneHi(Snt jJ,gblt"rf...,.

PROMENAOES EN CANOTS SUR LA MARNE E.x(~ursion il l\,;oisi(~l ViSITE DE LA F.4JIEUSE OIOCOLA TElUE .llEvlElI

D'autres attractions seront indiquées ulté rieurement Enf-OjjfJ' lé,) adhésin'ns à JI. lIenri .lJtsJJl-al'c:_~r tP'é:ûde1i. t dtJ fOlnüë !i'orr/ünisation, n:}. a'venue,

)lh},ft~al.(.

Pa.ris

(J.{-(j.ri-t

b~ "13

j-iP,'1i,

Programme de la journée du 30 juin 1895 et du premier championnat de vitesse entre sourds cyclistes. Par la suite, l'arrivée a été déplacée à Chennevières.

52

Le 30 juin 1895, un premier championnat officieux de bicyclette sera organisé par les sourds-muets sous la houlette de Henri Desmarest, Président du Comité d'Organisation. Il s'agit d'une simple course amicale qui se déroule sur une distance de 50 kilomètres entre Paris (Porte Dorée) et La Varenne-Chennevières. Il est certain que la lutte sera chaude. La plupart des sourds-muets engagés pour la course s'entraînent avec ardeur. Fernand Hamar et Henri Cauchois n'ont pas reculé pour se donner de l'endurance devant le parcours de Paris à Fontainebleau, dimanche 9 juin. Le même jour, à Epernay, lors d'une course de 100 kilomètres sur route organisée par les Cyclodistes. Henri Mercier, un des plus redoutables de ce prochain championnat de sourds-muets, est arrivé 4e, couvrant l'énorme distance en 3 heures 40 minutes. Zevort qui vient d'acheter une nouvelle machine à grande multiplication se lance chaque jour aux environs de Fontainebleau. Danner s'exerce chaque soir au vélodrome26 du Champ de Mars, faisant 500 mètres en 42 secondes. Il n'y a que Larose, en ce moment, alité pour une maladie sans gravité, qui n'ait pas le temps de s'entraîner. Quant aux concurrents qui doivent venir de province, nous ne savons ce qu'ils font, mais il est possible que le vainqueur sorte de leurs rangs. On fait observer que Paul de la Roche peut faire 35 kilomètres à l'heure et que sur une piste à Nevers, il triompha de coureurs fameux. Beaucoup l'indiquent comme triomphateur. Pourtant, Larose se fait fort de le battre. Et puis, il y a Henri Mercier qui par deux fois arriva 3e en deux épreuves de 100 kilomètres. D'un autre côté, Danner pourrait ménager une surprise, à moins qu'il ne commit par sa vivacité des fautes imprudentes. Mais il faut compter aussi sur de vieux routiers tels que Eugène Née, Charles Bastien, Alexandre Pétin qui pourraient bien profiter des faiblesses, épuisement ou maladresses des autres et arriver en outsiders dans l'emballement. Et puis, il faut se défier de Darnet qui est un coureur de vitesse fort à craindre. On voit que cette course présentera un intérêt palpitant et qu'elle sera la grande attraction de cette manifestation.

26 Ensemble de la construction entourant une piste aménagée pour les courses cyclistes. A cette époque, les vélodromes furent nombreux en France.

53

Ce jour-là, à 8 heures 45, M. Desmarest, assisté de H. Genis, Président de l'Association amicale des Sourds-Muets, donnait le signal du départ aux concurrents du championnat de vitesse silencieuse. D'abord, M. Desmarest photographie douze concurrents: Hamar, H. Mercier, Darnet, Cauchois, Larose, Danner, Zevort, de La Roche, Bastien, Pétin, Marcel Charton, Gaston Guiraudon avec leurs drôles de machines. Il faut se rappeler qu'à l'époque la signalisation routière était presque inexistante, en tout cas bien loin de ce qu'elle est aujourd'hui. Pas de motards ni de voitures suiveuses. En principe, il suffit aux cyclistes de rouler tout droit; aux bifurcations se trouvent des commissaires, sourds également, pour indiquer les changements de direction. Dès le départ le peloton se disperse. Charton crève son pneumatique et reste en panne. H. Mercier prend rapidement une grande avance. Larose, Zevort, Danner et Guiraudon se détachent très facilement des autres. A Joinville, la voie du chemin de fer arrête tout le lot, à l'exception de H. Mercier qui est déjà très loin. La chaîne du vélo de Cauchois casse et il doit abandonner sa machine à la consigne. Le train parti, l'allure reprend; Larose crève son pneumatique à Malnoue, mais il est impossible à Danner et Zevort de retrouver Henri Mercier, et comme ils ne connaissent guère la route et que René Desperriers, contrôleur du premier virage n'est pas à son poste, ils s'engagent vers Meaux. Cela leur fera perdre la journée. La même mésaventure arrivera à Guiraudon. Cette absence de contrôleur au premier virage est des plus regrettables. Bastien est forcé de descendre de machine pour consulter les poteaux indicateurs et éviter de s'égarer. Au virage de Tournan, l'infatigable René Hirsch est sur le qui-vive. Il est venu de Bourg-IaReine jusque là à vélo et a fait ainsi 45 kilomètres, ce qui est très beau pour un amateur. D'un train splendide, Hirsch voit passer H. Mercier comme une flèche. Une heure après, Hamar, Bastien et Darnet passent en groupe, de La Roche suit à quelques minutes. Hirsch attend une heure et demie encore, ne voyant rien venir, pensant que les autres ont abandonné, il remonte à vélo et se dirige vers Chennevières. Il aura donc fait ainsi près de 60 kilomètres. C'est au poteau n042 de la route nationale de Champigny-sur-Marne, à peu de distance du fort de Chennevières, que M. Née a eu l'idée de placer le lieu d'arrivée. Un groupe peu nombreux de sourds-muets l'entoure. Un sourd-muet

54

véloceman, M. Gendre fait le service d'éclaireur. La distance est exactement de 50 kilomètres. A 10 heures 23, Henri Mercier, droit sur sa selle, les mains aux hanches, arrive dans une lancée superbe et vertigineuse qui fait sensation. Il descend au milieu d'une ovation, boit un cordial, remonte sur sa machine et repart pour entraîner ceux qui viennent après lui. Vers 10 heures 35, Hamar s'engage dans un chemin qui avait été choisi pour montrer l'arrivée aux participants de la fête. Il n'y rencontre que Messieurs Gaillard, Desmarest, Montillié et Bonnard. Il file très vite, mais bientôt reconnaissant son erreur, il vire et revient reprendre la route nationale et à 10 heures 49 arrive second au poteau. Bientôt Darnet et Bastien sont en vue. Darnet, qui a perdu une pédale à Croissy, apercevant Henri Mercier qui lui présente un verre de limonade, croit qu'il est arrivé et veut mettre pied à terre mais la force d'impulsion de sa machine le jette à bas et il se fait quelques contusions. Cela ne l'empêche pas de remonter sur sa bicyclette et en son élan vigoureux, il atteint le poteau à 10 heures 51. A 10 heures 51 minutes 15 secondes, Bastien voit le drapeau du juge abaissé devant lui. A 10 heures 55, Paul de la Roche se classe 5e . Comme il est beaucoup plus coureur de piste que de route, il a eu énormément à lutter. On attend longtemps les derniers coureurs. De guerre lasse, l'approche de midi, juges et vainqueurs s'en vont vers le restaurant L'Ecu de France, tout en bas de Chennevières. Voici les temps des coureurs: Henri Mercier, 1 h 38' ; Fernand Hamar, 2 h 04' ; Darnet, 2 h 06' ; Charles Bastien, 2 h 06'15" ; Paul de La Roche, 2 h 10'. Dès le commencement du repas, H. Genis se lève et proclame les lauréats du concours vélocipédique. C'est dans un grand bruit de bravos et de trépignements de pied que Henri Mercier et Fernand Hamar vont recevoir leurs récompenses. Henri Mercier reçoit en plus de la croix du championnat et du cadeau du Président de l'Association, un magnifique portefeuille avec le portrait de Genis et la médaille d'argent grand modèle avec effigie de l'abbé de l'Epée offerte par M. Théophile Denis, fondateur du Musée Universel des Sourds-Muets. Cette oeuvre de l'excellent orfèvre Eymard est très remarquée. La même médaille en bronze est offerte par l'Association à Fernand

55

Hamar en plus du panier de splendide champagne offert par M. Emile Mercier. M. Darnet reçoit l'épingle d'or du Journal des Sourds-Muets, oeuvre d'Henri Furet. Charles Bastien recevra son portrait agrandi par Henri Desmarest et Paul de La Roche, le volume offert par M. Desperriers. Le repas se passe joyeusement. Vers 15 heures, Pétin, qui a subi un accident de machine à Ozoir-la-Ferrière, arrive accompagné de notre obligeant confrère H. Vignon du Vélo, premièr quotidien français de sport lancé en 1891, lequel a consacré de chaleureux articles à la course des sourds-muets. On est toujours sans nouvelles des trois égarés Danner, Zevort et Guiraudon. La pluie tombe vers 18 heures. C'est à ce moment qu'ils rejoignent L'Ecu de France, sur les bords de la Marne. Ils reviennent de Meaux et ont fait pour retrouver leur route près de 100 kilomètres ! En résumé, fête superbe, joyeuse, sans incident, dont l'organisation fait grand honneur à MM. Desmarest, Hamar, Larose, et au Journal. (Journal des Sourds-Muets 1895). En août 1895, le Journal des Sourds-Muets publie cette annonce sensationnelle: "Une sourde-muette, Madame Née, fait du vélo! " et ajoute: " C'est peut-être la seule cyclowoman en France. " Nous avons vu que l'exemple des sourds-muets étrangers, lancés à vélo sur les routes d'Europe, donnait envie aux sourds-muets français d'en faire autant. A l'instar de Paul de Vivie (entendant), dit Vélocio, figure emblématique du cyclisme stéphanois, qui, à la fin des années 1880, lança l'idée des randonnées cyclotouristes à travers la France, Henri Fortin et Ernest Dorigny, au cours de l'été 1895, tentent une " pédalée" de quinze jours dans le Nord-Est de la France et le Sud de la Belgique. Partis de Guise (Aisne), leur première étape est Fourmies où ils cherchent à rencontrer d'autres sourds. Ils apprennent ainsi qu'il y a un sourd-muet bedeau à l'église de Fourmies et que presque tous les patrons qui emploient des sourds-muets sont très aimables pour eux et connaissent l'alphabet manuel. Ils franchissent la frontière belge, traversent Chimay, ville triste, emplie de contrebandiers, et se présentent au monastère trappiste de Chimay. Au père hôtelier, Henri Fortin demande par écrit l'hospitalité pour un jour

56

En cette année 1895, un groupe de cyclistes sourds dont Mme Née (en 2e position). Elle fut l'une des rares femmes à faire du vélo ! On peut remarquer aussi la présence d'Henri Mercier (en 4e position à partir de la gauche).

57

ou deux. En les voyant sourds-muets, au lieu de s'exprimer par la parole, le moine leur répond par signes. Sa main droite posée sur la poitrine signifie: content de vous recevoir. Il les conduit à deux belles chambres très simples, puis les invite à déjeuner. Repas végétarien; pas de viande. Le père hôtelier s'occupe de leur faire voir toute la Trappe et ses grands travaux d'agriculture et de brasserie. Les trappistes portent une aube. Comme ils ne doivent jamais parler, ils communiquent par signes. Le langage muet les intéresse beaucoup et ils se montrent émerveillés par le chef d'œuvre mimique de l'abbé de l'Epée. Leurs signes ne ressemblent pas aux nôtres. Le cuisinier de la Trappe, un vieux à barbe blanche, s'amuse à expliquer les signes usités dans l'abbaye, signes souvent naturels, quelques-uns conventionnels. En voici des exemples : quand ils désignent leur manche brune, ils veulent dire de la bière ; quand ils mettent leur doigt sur le bout du nez, ils signifient du vin. La dactylologie27 aussi les intéresse ; ils l'ignoraient. Quand ces cyclistes, après un jour et demi de repos, sont partis, le père hôtelier n'a pas voulu accepter le paiement de l'hospitalité. Jamais, paraît-il, avant Messieurs Fortin et Dorigny, aucun sourd-muet n'avait franchi les portes de l'abbaye. Les deux cyclistes continuent leur périple : Courin, Marienbourg, Philippeville, Dinant et toute la vallée de la Meuse, passent à Namur où ils s'arrêtent à l'asile des sourdes-muettes, séjournent à Givet dans lequel travaille un sourd-muet charcutier, et par Haybes, Vireux, Revin, Charleville, Hirson, rentrent à Guise, enchantés de leur équipée à vélo (Journal des Sourds-Muets du 8 octobre 1895). Le Journal des Sourds-Muets du 25 avril 1896 écrit: " Avec le retour du printemps recommencent les excursions vélocipédiques des sourds-muets ". Et elles démarrent bien! Témoin ce Paul Georges, de Saint-Dizier, qui, en deux jours, avale 386 kilomètres, de Saint-Dizier à Vitry-le-François, par Chaumont, Langres, Dijon, Châtillon-surSeine, Bar-sur-Aube, Brienne-le-Château. 27 C'est l'alphabet manuel des sourds-muets. Chaque lettre de l'alphabet est formée par une configuration de la main. On peut ainsi former un mot, lettre par lettre, ce qui permet d'expliquer des mots nouveaux, difficiles, peu compréhensibles. Pour la petite histoire, sa première apparition dans le petit dictionnaire Larousse date de 1889.

58

En cette profitable année 1895, durant laquelle le cyclisme sur piste prit son véritable élan, le Journal des Sourds-Muets du 25 novembre 1895 notait : " Notre ami Zevort va acheter prochainement un nouveau tandem de piste qu'il montera avec Larose ". L'été passe, arrive l'automne. Un collaborateur du Journal des Sourds-Muets, René Hirsch, de Bourg-la-Reine, s'est mis en tête de concourir pour le brevet de 100 kilomètres, organisé par l'UVF28 , sur un parcours chronométré entre Montgeron29 et Ozoir-la-Ferrière. Ce 20 septembre 1896, ce n'est que pluie, grêle et violentes bourrasques. Qu'importe ! René Hirsch est sur la ligne de départ. Malgré les averses aveuglantes, le vent qui l'oblige à descendre un moment de sa machine, il arrive 86 e sur 201 concurrents. Ayant fait le trajet en 5 heures 35 minutes, il voit son brevet homologué. Cette homologation n'est accordée qu'à ceux qui ont fait les 100 kilomètres en moins de six heures. Ajoutons que pour participer à cette épreuve, le courageux sourd-muet se rend de Bourg-la-Reine à Montgeron et revient ensuite à Bourg-la-Reine toujours à vélo, faisant en tout 130 kilomètres. La presse silencieuse, en cette année 1896, signale des cyclistes sourds-muets dans toute l'Europe. Ainsi, en Grande-Bretagne, A.J. Wilson, " le plus fort de tous" qui, après avoir été président du " Road Records Association", a fondé "Irish Road Club". Cette même presse révèle aussi la participation de bon nombre de sourdes-muettes à cette activité, comme Mistress Wilson. La Suisse, la Norvège, etc., en ont également fait échos. A la veille du XXe siècle, 1899 a été une année mémorable pour le monde des sportifs sourds. Suite à une réunion en ce début d'année, les cyclistes silencieux de Paris approuvèrent les statuts de la première Union Vélocipédique de France, l'ancêtre de la FFC. Créée le 6 février 1881, deux ans après la naissance de la bicyclette qui a succédé, grâce à la transmission du mouvement au moyen d'une chaîne, au grand bi. 29 C'est sur le territoire de cette commune que fut donné le départ du premier Tour de France cycliste organisé par Henri Desgrange le 1er juillet 1903 devant le café " Le Réveil Matin ". 28

59

société sportive sourde appelée Club Cycliste des Sourds-Muets, et sous le contrôle direct de l'Association amicale de la Seine et Limitrophes, qui est avant tout une société d'entraide et de secours pour les sourds-muets de la région parisienne. Durant les premières années, le siège social se trouvait au Café de la Jeune France, boulevard Saint-Michel dont le Président en était René Desperriers. Ce dimanche 12 mars 1899, première sortie du Club Cycliste, de Paris, porte Dorée, à Conflans-Sainte-Honorine où, coureurs et supporters se retrouvent au restaurant. Déjà un programme de promenades, courses et excursions est prévu tous les dimanches jusqu'au mois de juillet. 21 avril : approbation préfectorale du Club Cycliste des Sourds-Muets et affiliation à l'VVF. Les dames sont admises dans la nouvelle société ; ce qui n'est pas le cas de toutes les associations de l'époque. L'association sportive, en tant que lieu de rencontre et d'échange, a notamment permis et permet encore aujourd'hui aux sourds les plus anciens de transmettre aux plus jeunes la langue des signes et, plus généralement, l'ensemble de leur culture. La presse silencieuse salue l'événement : "C'est la consécration officielle de l'entrée des sourds-muets dans le mouvement du monde des sports. " Le dimanche 13 août 1899, les sourds-muets du Centre organisent une grande réunion à Cusset-Vichy, à laquelle prennent part de nombreux sourds parisiens. A cette occasion, une course cycliste est prévue de Moulins à Vichy. Henri Mercier vient en motocycle depuis Epernay ; c'est lui qui va entraîner le premier cycliste qui se fixera à sa machine. Les Parisiens, après avoir assisté au départ de la course à Moulins, prennent le train de Vichy où ils comptent bien arriver avant les coureurs. Par malchance, tout est gâché : arrivé à Saint-Germain-des-Fossés, le train a une heure de retard et il faut renoncer à contrôler l'arrivée des concurrents. Les commissaires envoient donc une dépêche à Henri Gaillard, qui se trouve à Vichy, pour le prier de contrôler les coureurs. Enfin le train s'ébranle. Après quelques kilomètres, ils peuvent voir, de la portière du wagon, le motocycle Mercier entraînant Darnet. Puis, c'est Segondat, Pilon, Hirsch. A une petite gare, un des coureurs, Imbert, pris de crampes,

60

abandonne et les rejoint dans le train. A Vichy, Hemi Gaillard, au reçu de la dépêche, est seul à organiser l'arrivée. Darnet, derrière la moto de Hemi Mercier, arrive premier, après avoir parcouru les 53 kilomètres en 1 heure 43 minutes. Il est conduit immédiatement à l'établissement thermal" Sainte-Marie" pour prendre une bonne douche et se faire masser. Develay se trouvait en seconde position, mais ne voyant pas de contrôleur dans le virage de Varenne-sur-Allier, il descend de sa machine et attend les coureurs jusqu'au dernier pour leur indiquer la bonne route. Il remonte ensuite en selle et arrive avant-dernier à Cusset-Vichy. Le troisième, Pilon, sans entraîneur, arrive en trombe et va presque s'aplatir contre un mur sans se faire trop de mal heureusement! Mais sa bicyclette est endommagée. Cette fête sportive se termine par les inéluctables agapes au restaurant, accompagnées des non moins inévitables discours. Première sortie de l'année 1900 pour le Club Cycliste des Sourds-Muets de Paris. A midi, le peloton affamé se retrouve à l'hôtel du Nord à Ecouen. Repas bien arrosé, le patron offrant gratis café et liqueur à discrétion. Au retour, quelques cyclistes un peu éméchés par l'excellent vin du pays trébuchent, pédalent en zigzagant, tombent sans se faire trop de mal ... " Les autres sont inquiets" sur l'état d'esprit de ces disciples de Rabelais et" regrettent" la rareté des lampadaires de voie publique où ils auraient pu trouver de temps en temps un appui providentiel. Heureusement qu'aucun accident sérieux ne se soit produit au seuil de la Belle Epoque. Au mois d'août 1900, à l'occasion du Congrès International des sourds-muets à Paris, des courses cyclistes internationales sont organisées au vélodrome du Parc des Princes sous les auspices du Club Cycliste des Sourds-Muets de Paris. Mais les étrangers, faute d'avoir apporté leur machine en France ou pour d'autres raisons, n'y participent pas. Huit coureurs français s'alignent pour les trois épreuves : course par séries de 5 kilomètres ; course de 50 kilomètres et course de consolation de 10 kilomètres. Le compte-rendu relate que cette deuxième épreuve a été remportée en 1 heure· 37 minutes et 51 secondes, suivant le chronométreur officiel de l'UVF. Au déjeuner qui suivit, échanges d'insignes entre le Club Parisien et celui de Berlin

61

dont le délégué a invité les Français à participer aux courses de 1901 en Allemagne. Le sourd-muet Pagnier, vainqueur de la course de 50 kilomètres, rentre de façon triomphale à Roubaix où il habite. L'Union Silencieuse de Roubaix l'attend à la gare, lui offre un beau bouquet et le raccompagne, bannière déployée, à travers les rues jusqu'à sa demeure. Au cours du premier semestre de 1902, le Club Cycliste des Sourds-Muets organise, sur le trajet Saint-Germain (Seine-et-Marne) à Vernon (Loiret), une course à laquelle participent des clubs d'entendants. En raison du mauvais temps, on ne compte que sept partants sur dix-huit engagés. Les trois premiers, des entendants, ont fait le parcours en moins de cinq heures sur une route boueuse et dure. Le journal L'Auto-Vélo souhaite au CC SM meilleur temps et plus d'engagements pour leur prochaine épreuve interclubs. En cette année 1911, une première association sportive silencieuse autonome s'est formée. Le Club Sportif des Sourds-Muets de Paris, premier club omnisports, est ainsi fondé le 18 octobre par des anciens élèves de l'école départementale des sourds-muets d'Asnières et de l'Institution nationale des sourds-muets de Paris. Fervent adepte du vélo, pendant ses loisirs, un sourd français, Eugène RubensAlcais3o, participait avec ses camarades sourds à des randonnées cyclistes. A la lecture d'un article de presse du 1er août 1914 paru dans la Revue des Sourds-Muets, on fait le récit de l'accident du dévoué 30 Né le 7 mars 1884 à Saint-Jean-du-Gard. Issu d'une famille protestante et devenu sourd dès son plus jeune âge, il fit de solides études à l'Institution de SaintHippolyte-du-Fort où il en fut un brillant élève. Après quelques années dans son Midi natal, il monta à Paris où il trouva une place chez les automobiles Laplace. Il a été un des principaux artisans de l'émergence puis de la reconnaissance du sport silencieux national et international. Il voulut que le sourd sorte de sa prison de silence et retrouve sa place dans le monde des" entendants ". Le sport lui parut être l'arme de ce combat et il s'y consacra. En 1914, il fonda le premier journal sportif sourd" Le Sportsman silencieux ", journal qui voit tout, sait tout, dit tout ce qui concerne les sports chez les sourds-muets, ce que les autres journaux ne peuvent dire. Il était : Commandeur du Mérite Sportif, Officier des Palmes Académiques, Chevalier du Mérite Social et Médaille d'or de l'Education Physique. Il mourut le 8 mars 1963, dans sa 79" année.

62

Sous le maillot du premier club cycliste des sourds créé en 1899, ce cycliste sourd n'est autre qu'Eugène Rubens-Alcais. Dès l'âge de 15 ans, il fut l'un des instigateurs de la création de cette première association sportive pour les sourds.

63

président du Club Sportif des Sourds-Muets qui l'a échappé belle: " Comme il pédalait sur la route, il fut frappé et renversé par une auto trop rapide. On crut que la lourde voiture allait lui passer sur le corps. Mais on le releva à peu près indemne, avec un poignet foulé. Par miracle, il était tombé entre les roues du véhicule qui l'épargnèrent. C'est égal, l'audace ne doit pas empêcher la prudence. " Hélas, le monde du XXe siècle tombait dans l'horreur où des millions d'hommes laisseront leur vie dans le massacre de 14-18 ; parmi eux, un certain sourd-muet Lucien Blanvillain s'est porté engagé volontaire pour aller combattre sur le front et a été tué le 30 octobre 1915 lors de l'assaut du plateau de Vimy! En 1917, après la querelle entre les anciens élèves d'Asnières et ceux de SaintJacques (Paris) dans le Club Sportif des Sourds-Muets de Paris, les derniers voulurent fonder l'Etoile Sportive des Sourds-Muets de Paris, pendant que les soldats français se battirent contre les allemands, à plus ou moins de 100 kilomètres de Paris. La paix étant revenue, la vie reprendra ses droits et avec elle la vie sportive. Cette année 1918 marquera l'affirmation complète du cyclisme des sourds français parce que c'est au vélodrome de la Tête d'Or, à Lyon, que se sont disputées les premières épreuves sur piste du championnat de France de cyclisme. En ce beau 14 juillet, le régional Louis Janin remporta l'épreuve de vitesse31 tandis que le Parisien René Savina fut déclaré vainqueur pour celle de l'lndividuelle32 . Le lendemain, les huit meilleurs routiers sourds se retrouvaient à Lyon pour disputer leur premier titre national sur route. Après 4 heures et 3 minutes de course sur une distance de 100 kilomètres, un Parisien Jules Gottra s'est imposé devant deux régionaux Quemin et Janin. Par la suite, les championnats de France sur route eurent lieu de manière

31 Course sur piste la plus tactique et la plus ... lente qui soit. Elle se déroule avec un petit nombre de coureurs sur un kilomètre environ mais seuls comptent les 200 derniers mètres et la victoire. 32 Epreuve sur piste qui se dispute en plusieurs manches, le classement général s'effectue par addition de points attribués ou de places obtenues dans chacune des manches. En cas d'égalité, les coureurs seront départagés par leur nombre de places de 1er, puis de 2e, puis de 3e, etc.

64

o

f-