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French Pages 276 [284] Year 1972
TRAVAIL, SALAIRE, PRODUCTION
É C O L E P R A T I Q U E DES H A U T E S É T U D E S - SORBONNE SIXIÈME SECTION : SCIENCES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES
SOCIÉTÉ, MOUVEMENTS SOCIAUX ET IDÉOLOGIES PREMIÈRE
SÉRIE
: ÉTUDES
XII
PARIS • MOUTON • LA HAYE
ALFRED WILLENER CLAUDE DURAND • CLAUDE
PRESTAT
Travail, salaire, production TOME 1 : LE CONTROLE DES CADENCES
PARIS • MOUTON • LA HAYE
Ouvrage publié avec le concours du Centre National de la Recherche
Scientifique
Dans cet ouvrage, quatre photographies provenant du livre Niveau de mécanisation et mode de rémunération, par Burkart Lutz et Alfred Willener, ont été reproduites avec l'autorisation de l'Office des Publications Officielles des Communautés Européennes, Luxembourg. © 1972, Mouton & Co and École Pratique des Hautes Études Library of Congress Catalog Card Number : 73-186453 Printed in France
Introduction
I. LE PROBLÈME Le rapport entre le mode de rémunération et le comportement de production des ouvriers est un problème permanent de la sociologie industrielle et de la gestion des entreprises. Simiand, au début du siècle, proposait dans un ouvrage d'économie du travail1 qu'on étudie les motivations psychologiques du freinage ouvrier. Quelques années plus tard, Elton Mayo et les chercheurs de Harvard2, partant également de l'observation des comportements ouvriers de restriction de la production, mettaient en évidence l'importance professionnelle du « moral » au travail et lançaient l'école américaine de psycho-sociologie industrielle. Prise en charge successivement par l'école des relations humaines et par celle des relations industrielles, l'interrogation sur les comportements ouvriers de production et l'efficacité des stimulants salariaux demeure. Lorsqu'il y a une dizaine d'années la Haute autorité de la Communauté européenne du charbon et de l'acier demandait à six équipes de chercheurs ' de « définir les conditions d'une liaison rationnelle entre la structure des salaires et le rendement, la productivité et la production », elle prévoyait la crise de la rémunération au rendement que devait révéler dans la sidérurgie la rapide évolution des techniques de production. Comme le montrent les débats actuels entre patronat, syndicats et instances gouvernementales sur la mensualisation des salaires * la crise des modes de
1. F. Simiand, Le Salaire des ouvriers des usines de charbon en France, Paris, 1907. 2. F. J. Rœthlisberger, W. J. Dickson, Management and the worker, Cambridge, Harvard University Press, 1939. 3. La recherche française fut conduite dans le cadre de l'Institut des Sciences sociales du travail de l'Université de Paris. 4. A la suite des recommandations du rapport des quatre sages portant sur la mensualisation des salaires, le gouvernement recommandait le 11 mars 1970 aux
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Le contrôle des cadences
rémunération décelée dans la sidérurgie s'est étendue à la plupart des branches industrielles. Nous croyons donc que les informations apportées par les recherches monographiques présentées dans cet ouvrage ont une portée générale et nous souhaitons que leur publication contribue à éclairer l'actuelle controverse entre partenaires sociaux sur la façon de rémunérer le travail ouvrier. L'analyse de la relation entre salaires et production que nous présentons ici est comparative. La nature de la relation observée dépend en effet étroitement de la nature du travail. Sous cet angle, la branche d'industrie où nous avons conduit l'étude — la sidérurgie — fournissait un terrain de choix. Nous avons pu observer la dynamique du processus de production à trois stades fort éloignés d'évolution du travail : au stade artisanal du laminage à main ; au stade mécanisé du travail à la chaîne ; enfin au stade automatisé des trains de laminage continu. Vu l'importance de l'évolution technologique dans le problème traité, nous présenterons une description détaillée de l'organisation des ateliers et de la nature du travail. Une typologie des postes de travail a été élaborée à partir de douze critères d'analyse des tâches. Cette grille d'analyse du travail nous permettra de classer non seulement les installations, mais la diversité des postes observés, et d'y rapporter l'analyse de l'influence sur la production. Cette appréciation quantitative et qualitative de l'influence ouvrière sur la production aux différents niveaux d'évolution technique constitue la seconde étape de la recherche. L'étape finale va consister à confronter, aux différents niveaux techniques, modes de rémunération et variabilité des chiffres de production. Le décalage entre l'influence possible et l'influence réelle des ouvriers sur la production va nous révéler l'illogisme des stimulants salariaux : nous constaterons en effet que dans les trains manuels où l'intervention ouvrière potentielle sur la production est grande et où la partie variable de salaire est importante, on n'enregistre qu'une faible variabilité de la production. Inversement, dans les installations techniquement très rationalisées (train continu) où l'intervention ouvrière potentielle est de plus en plus faible et où la partie mobile du salaire décroît, les ouvriers, par un comportement productiviste, parviennent à faire varier les taux de production. Le comportement ouvrier n'est donc en aucun cas un comportement partenaires sociaux d' « entrer en négociation entre eux pour la mise en œuvre de ce projet ». Un accord intervenu aux usines Renault prévoit la mensualitasion progressive des ouvriers horaires d'ici 1973.
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mécanique d'adaptation à un stimulant salarial. L'étude des motivations ouvrières montre que les ouvriers savent contrecarrer la logique du système lorsque celui-ci les défavorise. Les ouvriers réagissent positivement ou négativement au système de salaire en fonction des intentions qu'ils lui prêtent, se défendant par un freinage de la production lorsqu'ils y voient une menace, ou jouant le jeu de la prime lorsque celle-ci est perçue sans conséquences néfastes sur leur santé ou sur la solidarité du groupe de travail.
II. LES LAMINOIRS
ÉTUDIÉS
Les laminoirs observés représentent trois niveaux techniques bien distincts. Les laminoirs de tôle fine, à chaud, ont bénéficié depuis la dernière guerre de modernisations poussées. C'est ainsi qu'ont été installés des trains de laminage continu jortement automatisés qui permettent un net accroissement de production. D'autres usines ont dû se contenter d'équipements moins coûteux et n'ont pu que mécaniser leurs anciens trains. Enfin, les besoins nationaux en tôles fines dépassant l'essor de la production — à l'époque de notre étude — des tôleries fort anciennes continuaient à produire, si bien que nous avons pu inclure dans notre étude un train de laminage à main.
A. GÉNÉRALITÉS SUR LE
LAMINAGE
Les quelques notions qui vont suivre ont pour but de définir très grossièrement le processus de fabrication de façon à ce que soient plus facilement mises en évidence les caractéristiques de chaque installation. Au sortir de la fonderie, le métal se présente en lingots de plusieurs tonnes. L'ensemble de l'opération de laminage consiste à écraser ce lingot chauffé à 800° entre des cylindres, autant de fois qu'il est nécessaire. Obtenus à la suite de plusieurs opérations de laminage préalables à partir des lingots, les largets sont des « demi-produits », déjà aplatis, propres à être utilisés, après sciage à la dimension, par des trains à plus faible capacité, tels que, dans notre étude, les trains à main et les trains mécanisés. Les largets mesurent de 8 à 23 mm d'épaisseur, de 250 à 300 mm de
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Le contrôle des cadences
largeur, et sont cisaillés en « bidons > 5 de longueur identique à ce que sera la largeur de la tôle (1 mètre par exemple). Pour le train continu, le demi-produit s'appelle une brame, obtenue par laminage du lingot, sans refonte ; une brame pèse donc plusieurs tonnes et son épaisseur varie entre 10 et 20 cm. La modernisation a permis d'éviter le produit intermédiaire qu'est le larget. A partir des brames ou des largets, commence le laminage de tôles fines. C'est sur ces ateliers qu'a porté notre étude. De façon très schématique, le matériel utilisé se compose : — de fours pour chauffer les demi-produits à 800° après leur prise sur stock ; — des cylindres superposés entre lesquels on introduit les demi-produits pour les écraser ; — des « colonnes » de fonte qui maintiennent les cylindres aux deux extrémités ; — un équipement installé sur les colonnes permet de rapprocher les cylindres et de faire varier la « pression » sur les extrémités de chaque ensemble de cylindres. L'ensemble, colonnes, cylindres et moyens de pression s'appelle une cage.
Schéma 1. Cage à deux cylindres (duo) On ne peut à partir des demi-produits obtenir l'épaisseur de la tôle terminée en un seul passage entre les cylindres : les largets ne peuvent passer entre les cylindres trop serrés et ceux-ci ne peuvent subir un effort aussi important. On est donc amené à passer et à repasser le produit entre les cylindres en augmentant à chaque fois la pression. En langage de métier, on fait « plusieurs passes ». 5. Les largets sont cisaillés sur leur longueur en plusieurs bidons, à la longueur d'emploi. La longueur des bidons correspond à la largeur de la tôle à obtenir, l'écrasement du métal ne se faisant que sur une dimension, la longueur de la tôle. L'épaisseur et la largeur du bidon correspondent à la quantité de métal nécessaire pour obtenir une tôle de longueur et d'épaisseur voulue. Le poids des bidons est en moyenne de 30 kg mais peut aller jusqu'à 60 kg.
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Ces passes sont divisées en deux groupes : le dégrossissage et le finissage effectués sur des cages différentes. Ajoutons un dernier élément à ce schéma de principe du laminage : un moyen de transport entre les fours et les cages, d'une cage à l'autre, d'une passe à la suivante. B. LE TRAIN À MAIN
C'est la plus ancienne des installations que nous avons étudiées. Elle fait partie d'une usine située à proximité immédiate du bassin houiller du Nord ; quoique assez industrialisée, cette région est restée essentiellement agricole et l'activité des ouvriers de l'usine se partage entre les laminoirs et le travail des champs. Fin 1957, l'usine comptait 740 ouvriers dont 303 à la tôlerie avec un encadrement de 15 personnes. 95 ouvriers sont employés aux 2 trains à main. Les postes de travail sont les suivants : — le lamineur ; — un second lamineur qui relaie le précédent toutes les demi-heures ; — les premiers doubleurs (1 ou 2 selon la méthode de laminage) ; — les aides-doubleurs, deux, qui sont en même temps rattrapeurs ; — le serreur ; — le chargeur-pousseur ; — les premier et deuxième chauffeurs ; — éventuellement un supplémentaire et quelquefois un graisseur. Il y a trois équipes par train assurant un travail continu de 24 heures avec interruption le dimanche. Deux trains à main étaient en service à l'époque de notre étude. Chaque train comprend deux cages duo, une cage dégrossisseuse et une cage finisseuse. Deux fours à charbon permettent la mise à température des produits, l'un opérant à partir du stock, l'autre réchauffant les tôles entre le dégrossissage et le finissage. Les bidons froids sont placés sur la pousseuse du four à bidon par les chargeurspousseurs à l'arrière des fours. Elevés à 800°, les bidons poussés par charges successives arrivent à l'autre extrémité du four où par la porte, le deuxième chauffeur (ou chauffeur à bidons) les défourne. Il les transporte par un ou deux sur un chariot à la cage dégrossisseuse et les dépose sur la table d'embauche (chevalets inclinés qui permettent de pousser les bidons ou les tôles entre les cylindres) ; le lamineur saisit le bidon avec une pince (de 90 cm de longueur environ), le pousse sur la table d'embauche et l'engage entre les deux cylindres. Le rattrapeur, placé derrière ces cylindres, reçoit le bidon dans les mâchoires de sa pince, le soulève par dessus le cylindre supérieur où le lamineur le reprend à son tour. Le lamineur et le serreur déplacent alors le bidon sur une planche horizontale jusqu'à la cage finisseuse, le lamineur l'engage, après que le serreur, au moyen
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Le contrôle des
1. Cage finisseuse 2. Cage dégrossisseuse 3. Roue de serrage des vis
4. Table d'embauche 5. Cylindres 6. Four à paquets
cadences
7. Four à bidons 8. Pousseuse 9. Plieuse
Schéma 2. Train à main
d'une roue à bras, ait resserré les cylindres. Le bidon est renvoyé par le rattrapeur à chaque passe. Le lamineur effectue plusieurs passes entre lesquelles le serreur accentue la pression des cylindres. Les bidons ainsi allongés portent alors le nom de « platines ». Dans le cas de laminage à deux bidons l'un après l'autre le lamineur superpose les deux platines obtenues, c'est le « mariage ». Il fait encore un certain nombre de passes, puis laisse le « paquet » obtenu aux doubleurs qui, à trois, le tirent sur le sol, le plient et le remettent dans le four à paquets entretenu par le premier chauffeur. Le métal est en effet trop refroidi pour poursuivre le laminage. Toute la « charge » est ainsi ébauchée puis remise au four à paquets et l'on aborde le finissage. Le premier chauffeur sort les paquets du four un à un, les traîne sur le sol jusqu'au finisseur, où il aide le serreur et le lamineur à les soulever pour les poser sur la table d'embauche. Comme durant l'ébauchage, le lamineur engage le paquet entre les cylindres plusieurs fois et dans l'intervalle des engagements le serreur augmente la pression des vis sur les cylindres, à mesure que les platines s'amincissent. A l'arrière du finisseur, le rattrapeur empile les tôles finies en tas que le pont roulant conduit dans un parc où elles refroidissent avant d'être acheminées vers la ligne de cisailles. Sur de tels laminoirs, le « cédage » (jeu entre les pièces au passage des bidons entre les cylindres) ne permet pas de réduire l'épaisseur des tôles au-dessous de 15/10 de mm. Pour des cotes inférieures, il faut superposer par pliage plusieurs feuilles 2-3-4 ou 6 ; on peut laminer en même temps deux bidons, ce qui donnera après mariage un paquet de deux tôles. Ce paquet est ensuite plié en deux par les doubleurs ; en obtient ainsi 4 tôles. L'aire de travail, relativement restreinte, est le lieu d'une activité intense. Quatre à cinq mètres séparent le four des cages ; ces deux dernières occupent une douzaine de mètres environ. Dans cet espace réduit et enfermé, les 10 ou 12 hommes de l'équipe se déplacent, tirent les bidons ou les platines rouges du four aux cages, des cages au pliage. Les fumées ont noirci les vitres de l'atelier et les hommes en
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sueur, se protégeant de la chaleur par un foulard sur le bas du visage, éclairés par la lueur rouge des fours et de l'acier à 800°, dans le bruit sourd des engagements des bidons entre les cylindres semblent appartenir à un autre monde.
Le laminoir à main est une machine primitive qui marche de façon uniforme, mais qui a besoin d'une mise en état minutieuse, alors que le lamineur ne dispose d'aucun moyen d'action direct pour y parvenir. Cette mise en état de la machine, dont dépendent la qualité et le tonnage de la journée, est une des principales tâches du lamineur. Elle consiste en une action indirecte sur la répartition de la chaleur à la surface du cylindre, sur le bords ou au centre, la chaleur étant amenée par le passage des tôles rouges, et le refroidissement assuré par un jet de vapeur. Au début de la semaine, quand les cylindres ont été changés, il faut les bomber au centre ; on lamine alors dans ce but des formats étroits ; on lamine ensuite des tôles de plus en plus larges. Quand le centre du cylindre est trop bombé, ou que les extrémités sont trop chaudes, on refroidit avec le jet de vapeur. En fin de semaine, les cylindres sont usés au centre, et il faut de nouveau passer des formats plus étroits. pousseuse
1. Lamineur 2. Serreur 3. Chauffeur à paquets
4. Doubleurs 5. Rattrapeur 6. Empileur
7. Chauffeur à bidons 8. Chargeur-pousseur
Schéma 3. Train à main, schéma de circulation du produit et postes de travail
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Le contrôle des
cadences
Le serrage des vis varie lui aussi selon l'évolution de l'état des cylindres ; on répartit différemment la pression de chaque passe ; par exemple, si le cylindre est creux, on met toute la pression nécessaire à l'allongement dans les premières passes, puis on en fait une à vide, pour planer les platines. Tout ce travail de mise en état par des moyens indirects s'apprend au cours des années de travail par de patientes observations et par le conseil des anciens. Le laminage à ce niveau est considéré comme un « art >, un « tour de main » qu'on acquiert par l'expérience « sur le tas ». A côté de cet aspect artisanal, le travail consiste essentiellement en manutention du produit effectuée à la pince ou à bras, au prix d'une grande dépense de force : défournement, transport des fours aux cages, engagements, pliage, tout se fait « à la main » d'où le terme de « train manuel ». A ce niveau, l'ouvrier joue un rôle « moteur », et d'autre part il détient la technique et la connaissance des multiples aspects du travail auxquels il doit adapter la machine. C. LE TRAIN MÉCANISÉ
L'usine choisie pour l'étude du train mécanisé est située dans le département des Ardennes, dans la vallée de la Meuse, « le berceau de la tôle fine ». Les laminoirs ardennais ont eu, au début du laminage, une renommée méritée tant par la qualité des tôles que par la valeur professionnelle des lamineurs, véritable aristocratie ouvrière6. Au 31 décembre 1956, l'usine comptait 360 ouvriers et 40 mensuels. Au train mécanisé, travaillent une soixantaine d'ouvriers répartis sur 3 postes de 8 heures. Comme au train à main, le produit de départ est constitué par les largets et la conception de base du laminage est relativement identique Le laminoir à chaud est composé par un ensemble de 3 cages comprenant : — un trio ' dégrossisseur ; — deux duos finisseurs très semblables à ceux du train à main. Le laminage se fait en deux temps, comme au train à main, le dégros6. G. Verry, Les laminoirs ardennais, déclin d'une aristocratie professionnelle, Paris, P.U.F., 1955, 155 p. 7. La fabrication est spécialisée dans les tôles fines de 4 / 1 0 à 3 mm d'épaisseur. 8. Les duos sont des cages à 2 cylindres, le trio est une cage à 3 cylindres superposés.
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sissage et le finissage, mais les deux opérations ne sont plus effectuées sur des cages identiques.
1.
Dégrossissage
Les bidons, après cisaillage au format, sont placés par les chargeurs sur les doigts d'une chaîne qui pénètre à l'arrière du four. Entraînés par la chaîne que le lamineur commande à chaque défournement, les bidons sont portés à la température du laminage pendant le parcours des 30 mètres du tunnel du four. Une chaîne transporteuse les conduit pour le dégrossissage jusqu'au trio. Celui-ci allonge les bidons en 3, 5 ou 7 passes dans les deux sens, aller et retour à la cadence de 9 000 à 13 000 bidons par 24 heures.
Schéma
4. Schéma
du train
mécanisé
Le premier lamineur trio, assis, engage et serre les vis de pression au moyen de leviers et de pédales ; un aide-lamineur, placé derrière le trio, manœuvre la
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Le contrôle des cadences
commande assurant le renvoi des platines au premier lamineur, puis leur évacuation sur une chaîne convoyeuse jusqu'au stock intermédiaire qui alimente les deux duos finisseurs.
2. Finissage Les ébauches superposées en « paquets » sont reprises dans le stock et distribuées en fonction des besoins au chargeur des duos par le pontonnier aidé par l'accrocheur de poste. Ceux-ci placent les paquets sur les rouleaux d'entrée du four duo. Le lamineur duo déclenche le détournement en commandant la mise en marche des rouleaux. A chaque détournement, l'ensemble des paquets avance dans le four. Une première fois, les paquets sont allongés en plusieurs passes jusqu'à une longueur voisine de deux mètres. Le lamineur déclenche toutes les opérations d'engagement, de renvoi, par des commandes électromécaniques. Evacués par chaîne, les paquets sont ensuite dirigés par le « basculeur » sur des rouleaux menant à une machine qui les plie. Cette machine centre le paquet et le plie, opération commandée d'un pupitre par le premier plieur, après que l'aidedoubleur ait décollé les platines les unes des autres. Une chaîne reprend alors les tôles, les ramène au four pour réchauffage. Introduites par les chargeurs dans un des étages du four, elles sont réchauffées, puis de nouveau allongées à leur taille définitive au même duo et, enfin, évacuées sur chaîne, puis mises en piles par le basculeur. Elles partent ensuite aux cisailles.
L'effectif ouvrier d'un duo comprend donc : — les premier et deuxième lamineurs qui se remplacent alternativement ; — le premier chargeur et deux aides qui enfournent les paquets dans le four duo ; — le premier plieur et deux aides qui, respectivement, commandent la plieuse et assurent l'entraînement des tôles sur le convoyeur ; — le basculeur qui tire les tôles de la chaîne à la sortie duo sur les rouleaux d'amenée vers la chaîne plieuse. Au trio, les postes sont tenus par les ouvriers suivants : — un lamineur et deux aides-lamineurs ; — trois chargeurs à bidons ; — un empileur à la sortie du convoyeur qui décharge les platines dans le stock intermédiaire. Le four est conduit par un seul chauffeur ; les trois fours sont alimentés en gaz épuré ce qui demande moins de travail que les fours à charbon du train à main. L'atelier, très clair, donne une impression d'ordre et de propreté. Certains ouvriers ont un travail de force, comme au train à main, d'autres manipulent tranquillement les commandes des pupitres ; les lamineurs ont une activité rapide, actionnant manettes et boutons, mais sans pénibilité physique.
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Les platines et des bidons chauds circulent suivant un chemin bien défini sur les convoyeurs et ne passent plus au milieu des hommes ; ceux-ci ne se déplacent pratiquement pas. Tout cela ajoute à l'aspect ordonné de l'atelier où le visiteur circule facilement, sans devoir à chaque instant prendre garde où il marche. Du point de vue de l'évolution technique, quelles sont les modifications apportées par rapport au train à main ? On a amélioré et transformé l'installation précédente dans un but de rentabilité. Tout a été orienté vers une augmentation du tonnage, c'est-àdire, sur le plan du travail, une accélération de la cadence. Mais nous parc à platines
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évacuation des tôles terminées
1. Chargeurs à bidon 2. Premier lamineur trio 3. Aide-lamineur
4. Empileur 5. Chargeur duo 6. Lamineur duo
7. Basculeur 8. Aide-plieur 9. Plieur
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Le contrôle des cadences
avons vu au train à main que le laminage d'une tôle exigeait un effort physique considérable surtout en raison des transports ; pour accroître la vitesse de travail, il fallait donc diminuer l'effort physique unitaire. Dans ce but les machines, fours, cages, etc., ont été reliées par des convoyeurs à chaîne ou à rouleaux, si bien que la circulation du produit dans l'aire de travail ne demande plus d'effort physique de la part de l'ouvrier. Celui-ci n'a plus qu'à appuyer sur un bouton pour amener les platines, ce qui réduit au temps de laminage proprement dit, le temps nécessaire pour produire une tôle finie : le transport se fait pendant le laminage de la tôle précédente. L'amélioration des machines du stade précédent qui ne pouvaient absorber un tonnage suffisant se fait par l'augmentation du débit horaire grâce à l'alimentation du four en gaz pur, de la vitesse du cheminement intérieur par rouleaux et de la capacité globale. Au duo, l'usure des cylindres étant devenue plus rapide, on a trouvé des possibilités d'y pallier : le lamineur peut les réchauffer pour faire gonfler le centre qui tend ainsi à « bomber », mais l'aspect artisanal demeure dans la technique du laminage. L'ouvrier a seulement été déchargé du travail manuel de transport et de manutention du produit. Le trio réversible est la partie la plus moderne de la nouvelle installation ; il réduit le temps de l'ébauchage au minimum : les bidons sont allongés à l'aller et au retour à chaque passe, alors que sur un duo, ils ne sont écrasés que dans un sens ; le serrage des cylindres, préréglé, se déclenche par un coup de pédale et devient très rapide par comparaison au serrage du train à main ; enfin, les platines ébauchées au trio sont déjà passablement allongées, si bien que moins de passes seront nécessaires au duo. Le temps de laminage étant plus court, les paquets restent chauds et s'allongent mieux, ce qui favorise encore le gain de temps de travail. Au trio, les pré-réglages, les barèmes de serrage ont remplacé « l'art » du lamineur. Les cylindres sont changés toutes les huit heures et ils sont froids : plus de mise en état de la machine, plus de découverte individuelle des « trucs » et des tours de main. Plus de déplacements des hommes, la plupart des opérations s'effectuant à partir de quelques pupitres de commandes. Moins de risque de temps perdu, le lamineur ne travaillant pas en coordination avec un serreur et un rattrapeur, mais réalisant toutes ces opérations lui-même, de sa place. Cependant les trains mécanisés, deuxième niveau technique, sont davantage une version améliorée de la technique du train manuel que la création d'une technique nouvelle de laminage : les principes du travail n'ont pas changé : on part du « bidon », on en fait une tôle, les phases intermédiaires étant les mêmes. Mais les exigences du rendement ont nécessité
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un effort de rationalisation et de simplification des tâches qui s'est traduit sur le plan de l'installation par l'amélioration des machines et la mécanisation des transports, si bien que l'homme, dont l'effort physique a de beaucoup diminué, peut supporter des cadences de travail plus élevées. Il faut noter cependant que, en dehors du trio, de la plieuse et de quelques autres postes, une partie des tâches est souvent assimilable à celles du train à main. Dans le cas du duo, par exemple, « l'art » du lamineur subsiste même si les manutentions ont été éliminées. D. LE TRAIN CONTINU
Le troisième niveau de mécanisation, le train continu, a été étudié dans une importante usine du Nord, en pleine région minière et industrielle. L'usine, dont la production est très intégrée, employait 6 000 ouvriers dont 2 000 à l'entretien. Le train continu9 nécessitait 474 ouvriers de production, 43 collaborateurs et agents de maîtrise, 4 ingénieurs, 215 ouvriers d'entretien mécanique encadrés par 15 contremaîtres et 1 ingénieur, 100 ouvriers d'entretien électrique, 10 contremaîtres et 2 ingénieurs. C'est sous forme de lingots allant jusqu'à 18 tonnes que l'acier arrive à la tôlerie ; le « slabbing » les transforme en brames épaisses de 10 à 20 cm ; après réchauffage les brames passent au train continu. Au sortir du train, la tôle est obtenue sous forme de bobines de 2,5 à 6 tonnes, ou en feuilles planes dont l'épaisseur peut varier de 15/10 de mm à 5 mm 1 0 . Le train continu comporte 10 cages quartos 11 et 2 cages « briseuses d'oxyde » pour le décalaminage, reliées par des trains de rouleaux. Elles sont placées en alignement dans un hall de 450 mètres de long. Les brames sont prises sur le stock par le chef de charge en fonction du programme de laminage, envoyées près des fours sur des trains de rouleaux par un machiniste, et introduites dans le four par Yenfourneur sur le signal du défourneur. Celui-ci distribue les brames entre les 4 fours poussants et commande leur sortie ; il prévient par interphone l'ensemble des postes le long de la ligne de laminage de l'arrivée de chaque brame sur la ligne de dégrossissage.
1. Dégrossissage La brame passe d'abord au dégrossissage ; celui-ci est assuré par 4 cages, précédées d'une briseuse d'oxyde. Un ouvrier, le régleur de vitesse, dans une cabine 9. Y compris le « slabbing ». 10. Pour obtenir des tôles plus fines, les bobines sont envoyées dans une autre usine qui lamine à froid. 11. A quatre cylindres superposés.
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dominant le train, règle la vitesse des cylindres, assis devant un tableau complexe de cadrans et de commandes 12 ; un autre près de lui règle l'écartement des guides (barres de métal maintenant la bande de tôle sur les rouleaux) selon les dimensions annoncées par le défourneur. En bas, près des cages, prévenu lui aussi par interphone, le lamineur-dégrossisseur répartit la pression sur les 4 cages selon les dimensions de départ et celles à obtenir, d'après un barème. Pour ce faire, il tourne une manette et vérifie par lecture sur un cadran l'écartement obtenu. 2.
Finissage
Six cages, plus une briseuse d'oxydes, assurent le finissage. Un train de rouleaux de 50 m de long amène la brame ébauchée du dégrossissage au finissage. Avant l'engagement dans la première cage finisseuse, un ouvrier arrête la bande rouge obtenue au dégrossissage, actionne une cisaille qui en coupe la « tête » et le « pied ». Le premier lamineur et un aide règlent les cages finisseuses, comme celles du dégrossisseur. Deux autres ouvriers modifient l'écartement des guides selon la largeur du laminage. Dans une cabine surélevée, deux ouvriers règlent la vitesse de rotation des cylindres, contrôlant en même temps une multitude de voyants, de cadrans et d'ampèremètres. Près d'eux, un autre ouvrier surveille la tension de la bande entre les cylindres. C'est le machiniste looper. A l'arrière du train finisseur, surveillant et réglant la dernière cage, le lamineur-finisseur contrôle l'épaisseur et la longueur de la bande de tôle par micromètre à rayons X et par jauge infra-rouge, tout en suivant l'évacuation de la bande sur un écran de télévision. La bande sortant à grande vitesse de la dernière cage finisseuse s'engage sur un train de rouleaux et s'enroule autour des mandrins de deux « bobineuses » que commandent deux opérateurs, travaillant dans une cabine à quelque distance. Sous forme de bobines, la tôle s'engage alors sur un convoyeur ; elle est pesée, numérotée puis on la cercle d'un feuillard pour la maintenir. Elle est ensuite dirigée par le « classeur » dans les parcs et dans les magasins. Dans l'installation, on est frappé, venant des tôleries précédentes, par l'énormité des machines, la complexité et le nombre des tableaux de commandes. La tôle déferle sur les rouleaux avec un bruit impressionnant et la longue bande rouge défile à vive allure vers les bobineuses. Enormité du matériel, puissance de l'installation. Par contraste, le travail demandé aux ouvriers ne requiert plus de déploiement de force : maniement de commandes, surveillance à distance du matériau et de la machine dans des cabines climatisées, grands espaces libres, des hommes devisant entre eux pendant qu'ils contrôlent le passage de la bande : telles sont les conditions de travail qui frappent le visiteur qui conserve l'image des trains à main et des trains mécanisés.
12. La technique des cylindres selon chaque cage d'une puisque, l'épaisseur ainsi que, par voie
du train continu rend nécessaire de régler la vitesse de rotation l'épaisseur de la brame et d'affecter la suite des cylindres de vitesse de plus en plus grande selon des barèmes pré-établis diminuant à chaque cage, la longueur de la tôle augmente de conséquence, sa vitesse de défilement.
Le contrôle des cadences
22 Les postes de travail sont les suivants : au four : — — — —
dépileur, machinistes-pousseuses, chauffeurs, défourneur ;
au dégrossissage : — — — —
lamineur, aide-lamineur, régleur de vitesse dégrossisseur, aide-régleur de vitesse ;
au finissage : — — — — — — — — —
cisailleur-ébouteuse, premier lamineur, lamineur-finisseur, aides-lamineurs, régleur de guides, régleurs de vitesse finisseur, aide-régleur de vitesse, machiniste-looper, enregistreur ;
aux bobineuses : — — — — —
conducteur-bobineuses, marqueur, chalumiste, machiniste-convoyeur (machiniste-rouleau), peseur.
D'où viennent ces différences considérables de physionomie de l'installation et des postes de travail par rapport aux installations précédemment décrites ? au train continu, on a repensé le laminage. Il ne s'agit plus seulement d'améliorations, tout est nouveau et même conçu différemment. La différence entre les demi-produits de départ, le bidon et la brame, est à l'échelle de la transformation : l'un 50 kg, l'autre au minimum 2,5 tonnes. Les machines sont donc conçues en fonction de la quantité
Introduction
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de métal laminé : capacité des fours accrue, cages quarto", long train de rouleaux, standardisation du processus. Au point de vue technique, la différence essentielle avec les deux premiers niveaux est que le laminage n'est plus réversible comme au trio ou comme au duo. Au train continu, chaque passe est réalisée par une cage différente, et la brame passe dans les cages successives pour atteindre l'épaisseur finale demandée. La mise en chaîne des cages dégrossisseuses et des cages finisseuses permet de ne pas avoir à entreposer les dégrossis : pas de temps perdu en manutention, ni réchauffage intermédiaire. Toutes les opérations sont maintenant commandées de loin. E n'est plus concevable de voir un homme suppléer à la machine avec une pince comme au train mécanisé. Des cabines surélevées permettent aux hommes, assis devant des tables couvertes de cadrans, de voyants, de manettes et de boutons, de suivre le déroulement du travail. D'autres ouvriers, en bas, près des cages, n'interviennent que de temps à autre. Des postes et des machines nouvelles ont dû être mis en place pour assurer des opérations qui n'existaient pas dans les autres installations : par exemple, tension de la bande (looper), éboutage de la bande, bobineuse. Le dédoublement des cages et la rationalisation poussée du travail conduisent à une parcellisation des tâches. Le travail du lamineur a éclaté à la suite de la spécialisation des fonctions. Deux lamineurs et des aideslamineurs ont en charge des cages différentes et le lamineur-finisseur a surtout un travail de contrôle. Chacun d'eux s'occupe des réglages de la pression des cylindres de deux ou trois cages. Le serrage des guides, permettant le centrage de la tôle dans les cylindres, est une fonction assurée par trois hommes : un au dégrossissage, deux au finissage. Le détournement est devenu une fonction spécialisée ainsi que l'engagement de la bande. Toutes les opérations sont étroitement contrôlées et l'on tient compte des multiples facteurs qui interviennent dans le laminage, ce qui n'était pas réalisé dans les installations plus anciennes. Le principal travail est devenu le contrôle et la surveillance des opérations et de la machine. Partout où cela est possible, l'automatisation et la régularisation ont été introduites : température des fours, pression, vapeur, niveau de mazout, contrôle d'épaisseur, etc. Préparées par le Bureau des méthodes et de préparation du travail, des 13. Le cylindre du haut et celui du bas servent seulement à maintenir les deux cylindres de travail du centre, plus petits.
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Le contrôle des cadences
consignes sont transmises aux ouvriers, qui leur fixent avec précision la limite et les moments d'intervention. « L'art » n'existe plus. Les consignes élaborées dans des bureaux d'études ont remplacé la recette intuitive, des cours de technologie remplacent la connaissance implicite du matériau, mais sans apprendre pour autant aux ouvriers toute la complexité des techniques utilisées. Ce niveau supérieur de mécanisation a transformé la technique des niveaux précédents. Si l'on pensait vitesse au train mécanisé, on pense quantité au train continu. Les machines sont devenues beaucoup plus importantes alors qu'elles changeaient peu de volume du premier au deuxième niveau de mécanisation ; parallèlement, on y a ajouté d'innombrables instruments de mesure qui leur confèrent une précision sans comparaison avec les installations précédentes, où l'ouvrier n'avait à contrôler qu'un très petit nombre de facteurs, de manière empirique, à vue ou à l'ouïe. Dans le train continu, l'effort physique unitaire est complètement éliminé ; on peut laminer de grandes quantités à de grandes vitesses, l'ouvrier n'ayant que des réglages à effectuer et le déroulement du laminage à surveiller. Ce sont les ingénieurs qui détiennent la connaissance du travail ; l'ouvrier n'a plus l'initiative de ses décisions. A ce troisième niveau de mécanisation apparaissent les caractéristiques de l'automatisation des ateliers. Terminons cette présentation des ateliers par une comparaison des capacités de production des diverses installations. C'est là un bon indice des transformations que l'évolution technique a apportées. Une équipe de laminage produit, au train manuel, une moyenne de 1,3 tonne par heure ; au train mécanisé 4,4 tonnes, et au train continu 228 tonnes par heure. Autrement dit, le train mécanisé produit trois fois plus de tonnes à l'heure que le train manuel, le train continu produit 164 fois plus que le train manuel et 49 fois plus que le train mécanisé.
PREMIÈRE
PARTIE
Le travail
LA MÉTHODE D'ANALYSE DU TRAVAIL Cette recherche consistant à expliquer le comportement de production des ouvriers à partir de la nature de leur travail et de leurs réactions aux modes de rémunération, la description du travail aux trois stades d'évolution technique retenus devait prendre une place importante. C'est en effet la nature du travail qui permet de comprendre les modalités de l'influence ouvrière sur la production. La nature du travail, sa pénibilité et son degré de contrainte sur la personnalité éclairent également l'explication des réactions ouvrières aux modes de rémunération au rendement. Il ne s'agit pas ici de définir un déterminisme technologique : le travail sera décrit comme comportement ouvrier dans un « complexe hommes-machines >. L'objectif de cette description ordonnée de l'évolution technique est d'éclairer la signification professionnelle de la situation sociotechnique de l'ouvrier, indispensable à la compréhension de son comportement économique. Mais l'élaboration, à laquelle aboutissent ces deux chapitres, d'une grille d'analyse technologique du travail nous semble avoir une portée méthodologique et théorique qui dépasse le cadre de la problématique ici traitée : l'économétrie, par exemple, réclame actuellement la coopération d'une science technologique comme l'un des facteurs explicatifs de l'évolution économique \ Cela n'a rien d'étonnant dans la mesure où un comportement économique est en même temps un comportement social et un comportement professionnel. Par les aperçus que nous avons pu avoir de la nature du travail dans d'autres industries, nous estimons que ce type de grille d'analyse que nous proposons pourrait, sans grande modification, être généralisé : les postes de surveillance ici décrits ressemblent fort aux postes de surveillance 1. Claude Gruson, Origines et espoirs de la planification française, Paris, Dunod, p. 284-286.
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Le travail
entrevus dans des centrales thermiques automatisées ; les postes d'opérateurs ou de machinistes sont classiques dans l'industrie mécanique. Puisse notre contribution apporter quelques éléments à cette science technologique qui se cherche. Le travail se présente sous deux formes qui feront l'objet des deux chapitres qui suivent : il est, d'une part, un mode d'organisation de la production ; il se présente essentiellement pour l'entreprise comme un système d'organisation et de contrôle de la production. Pour l'ouvrier, le travail se présente sous la forme complémentaire d'ime série de tâches et d'exigences. A ces deux aspects du travail répondent deux modes d'analyse : l'analyse globale et l'analyse de postes. Les modèles d'analyse globale du travail sont plus fréquents chez les sociologues. Ainsi, A. Touraine 2, dans son étude des phases de l'évolution du travail, privilégie l'analyse du système de production sur l'étude de postes. De même, P. Naville3 dans son analyse des systèmes intégrés de production. Inversement, une approche plus psychologique des problèmes du travail (J. M. Faverge, J. Leplat) se situe au niveau de l'analyse individuelle des tâches. La problématique de cette recherche demandait qu'on situe les comportements ouvriers de production par rapport à l'évolution technique. La dimension technologique du problème pouvait inciter à choisir l'option globaliste ; au contraire l'analyse du comportement ouvrier incitait plutôt à préserver la possibilité de saisir la signification des réactions personnelles, donc à observer dans le détail les postes et les comportements au travail. Nous nous sommes donc efforcés de tenir compte des deux perspectives. Nous avons décrit l'organisation du travail au niveau des ateliers, c'est-à-dire comme système de production. Mais nous avons détaillé également l'analyse du travail au niveau des postes. Cette option a été commandée par plusieurs raisons. D'abord des raisons pratiques. La description globale de l'évolution technique, organisationnelle et sociale des ateliers est difficilement séparable de l'étude analytique des postes de travail. Bien que l'organisation et la préparation du travail aient leur origine dans un planning de la production au niveau de l'atelier, bien qu'elles s'expliquent à un niveau plus général que les postes, par l'évolution des techniques et les progrès de la rationalisation, 2. A. Touraine, L'Evolution du travail aux usines Renault, Paris, C.N.R.S., 1955. 3. P. Naville, L'Automation et le travail humain, Paris, C.N.R.S., 1961.
La méthode d'analyse du travail
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leurs effets sur les ouvriers sont perceptibles (et parfois uniquement saisissables) par l'observation des postes de travail. Ainsi, le développement du rôle des bureaux de préparation du travail se répercute dans les consignes plus ou moins précises transmises aux ouvriers. On ne peut savoir que par des observations de postes si l'intégration croissante des processus d'organisation diminue ou accroît la parcellisation des tâches. De même, une transformation des exigences des tâches ne s'accompagne pas nécessairement d'une évolution des procédures de recrutement et de formation du personnel. Le recoupement des deux perspectives paraît donc pratiquement préférable. Aussi, certains des critères d'analyse du travail que nous avons retenus se réfèrent-ils à l'analyse globale de l'évolution du travail. La caractérisation des postes reflète dans ce cas la description des systèmes de production. Que les ouvriers travaillent en équipe, en chaîne ou en réseau s'explique par l'aspect collectif des relations de travail. Que des consignes soient explicitées par les informations précises de la feuille de laminage, de l'interphone ou des voyants lumineux s'explique par une préparation du travail qui a été pensée globalement par le service des méthodes et de planning. Le caractère plus ou moins stéréotypé et plus ou moins parcellaire du travail est une conséquence du stade d'évolution du système de production que représente l'installation. Ces notions traduisent la répercussion sur les postes de travail d'une analyse plus globale de l'évolution du travail. Mais cette analyse a été doublée d'une analyse des comportements, limitée au niveau des postes, décrivant les tâches comme rapport de l'individu à la machine. L'analyse globale est plus sociologique, remontant de la partie au tout, des conséquences aux causes : la rationalisation mécaniste du travail explique sa parcellisation dans le travail à la chaîne ; l'intégration des ateliers en réseaux de communication, plus facilement contrôlables et se corrigeant eux-mêmes, explique la tendance à une plus grande intégration des tâches caractéristique de l'automation. Mais l'analyse au niveau des postes peut être méthodologiquement plus exacte. On ne peut définir de stade pur d'évolution du travail et un atelier peut refléter la coexistence de plusieurs systèmes. Le degré d'interpénétration des différents stades d'évolution sera évalué par la proportion des postes représentant ces différents stades d'évolution du travail. L'analyse détaillée des postes permettait de situer avec plus de précision les différentes installations étudiées. Ainsi, l'analyse a révélé que deux trains relevant d'une même unité administrative (le duo et le trio du laminoir mécanisé) associaient sur le plan du travail deux stades techniques différents. Enfin, l'analyse au niveau du poste avait l'avantage de mieux saisir
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Le travail
les aspects humains de l'évolution du travail, la répercussion de l'évolution de l'organisation sur les attitudes des ouvriers, leur comportement au travail et les exigences de leurs tâches. Etant donné notre problème, l'analyse de postes devenait opératoire dans la mesure où elle permettait de rapporter le degré et les modalités de l'influence ouvrière sur la production à une typologie classant les postes de travail selon leur niveau d'évolution. L'inconvénient de ce mode d'analyse plus long et plus minutieux est que, dans les délais impartis à l'étude, nous avons dû limiter l'analyse du travail aux secteurs de production proprement dits, sans pouvoir considérer les secteurs de préparation, d'expédition et d'entretien. Le second problème méthodologique que posait cette analyse de l'évolution du travail était celui du choix entre une optique plus technologique ou plus behavioriste — mettant davantage l'accent sur l'évolution des techniques et des machines, ou sur l'évolution du comportement des hommes au travail. Bright4 par exemple, définit les niveaux d'automation sous un angle plus technique en énonçant ce que fait ou ce que ne fait pas la machine : la machine s'approvisionne elle-même, se règle elle-même, se contrôle, mémorise, etc. Nous avons préféré ici l'optique plus behavioriste de l'analyse, plus proche de la façon dont l'ouvrier vit son expérience du travail : cette perspective était utile pour comprendre les autres variables étudiées : le comportement de production et les attitudes au travail. Nos critères d'analyse ont cherché à tenir compte de ce complexe homme-machine qui caractérise la situation de travail. Mais notre analyse du travail a nettement privilégié l'aspect humain et professionnel de l'évolution du travail sur l'aspect technologique. Ainsi, les critères d'analyse retenus définissent la situation de l'ouvrier par rapport au matériau, à la machine et à son groupe de travail ; les critères plus globaux d'organisation ont été étudiés jusque dans leurs incidences sur les tâches, consignes et signaux de travail, aspect parcellaire ou global du travail, nature du contrôle ouvrier. Plusieurs des critères retenus se réfèrent directement aux caractéristiques du comportement (stéréotypie et régularité d'intervention) et aux exigences des tâches (exigences de précision et de temps de réaction, aptitude dominante, type de formation requise). De ces critères de description de la nature du travail, nous avons délibérément éliminé les critères touchant à l'influence des ouvriers sur la
4. James R. Bright, t How to evaluate automation », Harvard Business juillet-août 1955.
Review,
La méthode d'analyse du travail
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production. En effet, cette partie descriptive du travail consiste à constituer l'évolution du travail en variable indépendante, de façon à pouvoir lui confronter l'influence ouvrière traitée dans notre recherche, comme variable à expliquer. Cela nous permettra d'apprécier, dans les chapitres suivants, comment évolue qualitativement et quantitativement l'influence ouvrière en fonction de l'évolution du travail. H va de soi que ce découpage entre évolution du travail et évolution de l'influence n'est pas dans la nature des choses, mais seulement destiné à répondre au problème posé dans la recherche. Nous verrons que la méthode utilisée s'est trouvée validée par sa valeur opératoire dans la mesure où elle a permis de discerner l'évolution de l'influence ouvrière : aux différents types de postes définis par l'analyse se trouvent correspondre différents modes d'influence des ouvriers sur la production. Cependant, la typologie utilisée demande une justification intrinsèque : 1°) Pourquoi, peut-on se demander, choisir une démarche typologique ? 2°) Qu'est-ce qui nous a guidés dans le choix des critères retenus pour décrire l'évaluation du travail ? 1°) Pourquoi une typologie ? Lorsqu'on parcourt des ateliers en observant le travail ouvrier, une impression générale de similitude se dégage entre certains postes, conduisant à l'idée qu'existent des familles de postes, des types de postes. On reconnaît, d'une usine à l'autre, des comportements au travail identiques, que ce soient par exemple les machinistes, postes souvent décrits en sociologie industrielle sous leur aspect de travail parcellaire et répétitif, ou ces autres postes de commande plus complexes qui frappent par l'affairement de l'ouvrier au milieu de tout un appareillage de commandes et de signaux, ou encore ces postes où l'ouvrier semble passif dans sa cabine devant de spectaculaires tableaux de contrôle et qui contrastent par leur complication avec les élémentaires perceptions des « manuels » qui saisissent concrètement dans le matériau proche les informations utiles à leur travail. L'idée nous est venue de valider cette impression de familles de poste. Le désir d'allier une démarche analytique et une interprétation générale nous orientait également vers une méthode typologique. Nous voulions tenir compte du détail des cas, des situations concrètes, mais il fallait leur donner une consistance suffisante pour y appliquer un principe d'analyse. Dans l'état actuel de la sociologie, une méthode classificatoire est une première démarche permettant de sortir de l'impressionnisme littéraire.
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Le travail
2°) Dans la mesure où il s'agit d'une simple classification, pourquoi retenir tel critère plutôt que tel autre ? L'analyse du travail devant aboutir à une typologie des postes qui reflète l'évolution du travail, nous avons bien entendu retenu les critères qui étaient les plus susceptibles de rendre compte de cette évolution et de fournir une typologie. Il y a un certain empirisme dans une démarche descriptive du genre morphologique. Entre le type idéal qui se profile globalement et la complexité des postes réels rencontrés, on choisit les critères les plus rentables pour ordonner les faits observés. La diversité des critères utilisés montre que nous avons été guidés par le souci de rendre compte de tous les aspects du travail depuis les aspects de l'environnement du travail et les conséquences sur les postes du degré d'organisation du travail, jusqu'aux caractéristiques propres du comportement et aux exigences des tâches. H est difficile de définir les différents types de postes auxquels aboutit la classification issue de cette étude du travail. Pour prendre un point de vue suffisamment général, nous avons choisi des définitions mettant davantage en relief les rapports de l'homme et de la machine dans le processus de production. On appellera manuel-artisanal le type de postes le plus ancien dans lesquels l'essentiel du travail est physique, l'ouvrier étant lui-même moteur et artisan et conservant une large autonomie dans son travail. A l'autre pôle de l'évolution du travail, avec l'automatisation, la machine accomplit pour ainsi dire seule la transformation du produit. Les tâches de l'ouvrier se limitent à des réglages, à des régulations ou même à une simple surveillance. On nommera cette sorte d'intervention travail de surveillance. Entre les deux, se trouve le travail de type mécanique où machines et ouvriers sont étroitement solidaires dans le processus de fabrication. Cependant, dans une première phase du travail mécanisé, avec les machinistes, prédomine un travail de commande, parcellaire et répétitif, tandis que dans une seconde phase, avec le regroupement des commandes, l'ouvrier donne davantage l'impression d'une maîtrise de la machine : nous appellerons opérateurs ces postes de commande de machines complexes.
CHAPITRE I
Les processus de production
I. L'ORGANISATION DU TRAVAIL L'organisation du travail, c'est-à-dire le degré de préparation et de division du travail, dépend de la conception du système de production. Avant de se traduire pour l'ouvrier en consignes et en signaux de travail, et sous la forme du contrôle de sa production, elle a son origine dans une conception globale du système de production, plus ou moins empirique ou rationalisée.
A. EMPIRISME DE L'ORGANISATION ET AUTONOMIE DES OUVRIERS
L'organisation du train manuel est évidemment beaucoup moins rigoureuse que dans un train modernisé. Mais à beaucoup d'égards, l'organisation du train mécanisé est encore voisine de celle du train manuel. Ce qui caractérise les niveaux techniques inférieurs, c'est l'empirisme de l'organisation et l'imprécision des consignes et des contrôles. Le lamineur du train manuel apprend par le contremaître, ou en allant voir au tableau les notations à la craie des bidons enfournés, quelle dimension il doit laminer. Il sait à quel mode de laminage correspond cette dimension (doublage, réchauffage, nombre de passes). Il modifie son processus de travail en fonction des caractéristiques de la machine et du matériau. Au train mécanisé, le lamineur lit sur un tableau le programme de fabrication qui consiste en une notation des dimensions laminées sans précision des temps de laminage. Il sait aussi à quel mode de laminage correspondent ces produits ; et s'il a fallu que l'ingénieur précise que seul le chef de fabrication peut modifier le mode de laminage, c'est sans doute parce que les ouvriers sont tentés de le faire de leur propre initiative. Dans l'un et l'autre cas, les informations contenues dans les consignes
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Le travail
de travail sont très imprécises : le lamineur a communication des caractéristiques du produit à laminer ; en fonction de ces caractéristiques il décide lui-même, par expérience professionnelle, du nombre de passes, du serrage et de la cadence du travail. Comment se fait le contrôle du travail ? Au train manuel les ouvriers inscrivent eux-mêmes, au fur et à mesure du laminage, le nombre de bidons enfournés et les dimensions ; en fin de poste, le contremaître reporte ces chiffres sur le cahier de laminage qui sert de base au rapport de fabrication en même temps qu'à la feuille de paie. Au train mécanisé les relevés de production des trains sont également faits par les ouvriers de l'enfournement (mais ce ne sont pas ces chiffres qui servent de base au rapport de fabrication). En plus de ces relevés on pèse les tôles après le laminage, après le cisaillage et après le décollage en vue du contrôle de qualité. Ces pesées servent de base au calcul de la prime de mise au 1 000. Elles sont faites par les ouvriers du secteur de décollage1 et également notées à la craie sur un tableau qui est relevé par le contremaître du décollage. Donc, à ces deux stades techniques, il n'y a ni fiche suiveuse pour les produits, ni papiers pour l'ouvrier : « Toutes les écritures sont faites au bureau. Dans l'atelier, il n'y a que de la craie sur la tôle > (chef de fabrication). Le train mécanisé, cependant, a été poussé par les nécessités de la mécanisation à un contrôle de marche des machines plus rigoureux : des appareils enregistreurs de la marche des fours assurent un contrôle permanent de la marche des trains et permettent à l'ingénieur de déceler les incidents de marche non signalés par les ouvriers. Le cahier journalier porte de temps à autre des mentions de cet ordre : « Une forte pointe marquée sur le graphique à 17 h 45 suivie d'un arrêt de 10 minutes. Y a-t-il eu quelque chose? » Il y a donc au train mécanisé un pas important vers l'étude rationnelle des causes des incidents de marche. A la différence du train à main, le train mécanisé appelle un contrôle technique plus étroit de l'ingénieur. Ce contrôle prend la forme d'interventions techniques (modifications de l'installation) mais aussi de consignes de marche ; on peut relever dans le cahier d'atelier des consignes telles que « ouvrez en grand au duo pour effacer les bourrelets », ou « réduire la deuxième passe pour tenir compte du manque de pression à la première ». Mais le contrôle de la quantité et de la qualité produites continue à relever d'une organisation très empirique. 1. Ces pesées, effectuées par des ouvriers du secteur qui suit le train, introduisent un hétérocontrôle de la qualité, mais les ouvriers du train vont souvent vérifier si les lots qui leur sont attribués sont bien ceux qu'ils ont laminés.
Les processus de production
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Comme au train manuel, ce contrôle reste global. L'organisation administrative fonctionne avec un minimum de papiers : l'un des chefs de fabrication, montrant les deux registres qui lui suffisent à organiser le travail, commente : « Je suis ennemi des papiers. > Le contrôle n'est pas fait de façon rigoureuse à chaque stade de la fabrication. Il suffit de porter l'attention sur l'approvisionnement et sur les chiffres d'expéditions : si les ouvriers du train trichent sur le tonnage qu'ils déclarent avoir laminé, aux expéditions « le contrôle des sorties > permet un recoupement. Les secteurs de finissage assurent le contrôle de la qualité du laminage : un mauvais laminage entraîne des difficultés de travail pour les ouvriers du décollage ou du planage : ceux-ci, ne voulant pas être pénalisés dans leur salaire pour les malfaçons des autres, signalent ces malfaçons : « Aux planeuses on signale une mauvaise fabrication de X et Z (nom des lamineurs), notamment des tôles trop faibles. > Ce contrôle des ouvriers par eux-mêmes ou par des ouvriers d'autres secteurs de fabrication en explique l'imprécision. Pour le contrôle du nombre de bidons laminés par postes au train manuel « il est possible de marquer, consciemment ou non, une charge de trop ». Le contrôle des arrêts est aussi imprécis : les heures d'arrêt sont « évaluées » avec une marge assez confortable. Il y a des « arrangements à l'amiable » : si la production journalière atteint la norme, on reporte le temps d'arrêt sur un jour où la norme n'est pas atteinte. H existe parfois un contrôle « à chaud » de la production des différentes équipes. Mais on n'y attache pas une grosse importance : le poste de contrôle n'est pas maintenu lorsqu'on manque de main-d'œuvre. Le cahier de contrôle note cependant parfois : « Sur 800 feuilles marquées au cahier de laminage, trouvé 692 feuilles. » L'employé de contrôle assume aussi un contrôle de qualité. Cet à-peu-près, cette imprécision des contrôles se retrouvent à tous les niveaux de l'organisation du train manuel, témoin cette réponse concernant la transmission du tonnage d'une commande de tôles : « J'ai dit à monsieur X : 2 ou 3 tonnes, mais ce sera comme vous le désirez, moi j'ai donné ce chiffre à titre indicatif. Ça ira ? > On n'a pas eu recours à un chronométrage pour évaluer les temps des trains manuels : « Les temps ont été pris par le chef d'atelier avec sa montre. » Un bureau des méthodes serait un organisme anachronique à ce stade technique. Pour un train manuel, un système de contrôle perfectionné ne serait pas rentable et serait disproportionné à la simplicité des problèmes : « On fabrique un produit simple, courant. H n'est pas nécessaire d'ajouter au personnel de nouveaux employés et un système
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Le travail
de contrôle qui ne sont pas rentables : la création des employés coûterait plus cher que les indemnisations actuelles dues aux réclamations des clients. » L'autre caractéristique du contrôle à ce niveau est l'absence de spécialisation de la fonction de contrôle. Tout le monde s'occupe plus ou moins du contrôle du travail, depuis les ouvriers jusqu'aux responsables en passant par les contremaîtres et les employés, mais personne n'est spécialisé dans cette fonction : le contrôle est une partie du travail de chacun. Le contrôle se fait déjà au niveau des ouvriers : les lamineurs mettent eux-mêmes de côté certains rebuts : les tôles coupées par exemple. Ils comptent le tonnage laminé. Cet autocontrôle revêt un autre aspect : celui d'une défense contre les arbitraires du contrôle hiérarchique : l'imprécision et les flottements des contrôles mentionnés ci-dessus créent parfois chez les ouvriers un sentiment d'arbitraire dans les bases de calcul de leur salaire et ils refont eux-mêmes certains contrôles : « Moi je vais contrôler au décollage si les rebuts qu'on m'attribue sont bien les miens. » Aa train mécanisé, chaque lamineur a un carnet où il note les échantillons laminés et le nombre de tôles produites ; ce contrôle de production a peut-être aussi d'autres buts. Il maintient en tout cas chez l'ouvrier un sentiment d'autonomie et de propriété de son propre travail. L'aspect diffus du contrôle dans ces premiers stades techniques et l'imprécision de l'organisation du travail laissent aux ouvriers une assez grande part d'initiative dans leur travail : au train manuel, le contremaître a une certaine latitude pour modifier le programme de laminage en fonction des nécessités techniques, par exemple du pouvoir d'allongement des cylindres. L'analyse des postes de travail montrera la grande autonomie du lamineur. Cette autonomie concerne également d'autres ouvriers : les fóurs marchant mal, du fait de la mauvaise qualité du charbon reçu, un chauffeur « débrouillard » trouve du bon charbon quelque part dans l'usine et va en chercher avec une brouette, améliorant ainsi le rendement de son équipe. La non-spécialisation des fonctions de contrôle des premiers stades techniques a son parallèle dans l'absence de spécialisation des fonctions d'organisation. Au train manuel, les fonctions d'organisation du travail et de son contrôle sont peu différenciées : différents hommes assument les mêmes fonctions sans qu'il y ait une nette délimitation de leur participation. Par exemple, l'ingénieur, le chef d'atelier et l'employé technique assurent tous les trois l'établissement du programme, le lancement des fabrications, le contrôle de fabrication et le contrôle de livraison.
Les processus de production
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L'autre caractéristique du système d'organisation à ce niveau technique est la polyvalence des responsables. Le chef de fabrication cumule dans sa fonction une telle somme de responsabilités qu'il semble être à lui seul le cerveau de l'atelier : — Il assume avec l'ingénieur et le service commercial l'établissement du programme, spécialement sous l'angle de la coordination des programmes aux capacités techniques des trains. — Il a la responsabilité de l'ordonnancement : mise en route hebdomadaire en échelonnant les produits selon réchauffement progressif des cylindres. — Par l'intermédiaire des contremaîtres, il surveille le travail et contrôle la marche des trains. — Il coordonne le travail entre les différents secteurs de l'atelier. — Avec l'employé technique, il contrôle la réalisation du programme. — Il contrôle spécialement le matériel (état des cylindres) et prévoit son renouvellement. — Il contrôle la qualité de l'approvisionnement en largets. — Il assure la liaison entre atelier et cadres supérieurs. — Il a un rôle important dans la promotion et même le recrutement des ouvriers.
Le chef de fabrication du train mécanisé conserve la plupart de ces fonctions : d'ailleurs, dans cet atelier, le passage des trains manuels aux trains mécanisés n'a pas nécessité de réorganisation administrative. Le chef de fabrication assume le programme et l'ordonnancement à partir des commandes, des montages en cours, de l'état des cylindres et des casses et incidents. Cette fonction est liée au contrôle de marche et à la coordination du travail entre les différents secteurs de l'atelier : la progression des dimensions laminées tient compte de réchauffement des cylindres et de leur usure. Le programme du trio est adapté aux montages des duos. L'ordonnancement dépend également du contrôle de la qualité des produits : « N'importe quelles platines venant du trio ne passent pas n'importe quand aux duos finisseurs. Le chef de fabrication se base sur les « cornes » et la forme des paquets et sur la chaleur des cylindres pour décider quel jour ils passeront aux duos. Il s'agit donc d'une programmation très empirique. Le chef de fabrication précise en même temps le mode de laminage. Comme au train manuel, il est à la fois responsable de la surveillance du travail et de la réalisation du programme. Le programme de laminage est d'ailleurs établi pour une période courte : il est inscrit au tableau du trio seulement 24 heures ou 36 heures à l'avance : « En cas d'arrêts, d'incidents, il arrive qu'il soit nécessaire de modifier le programme. On peut être amené à laminer certaines dimensions avant d'autres. Le chef de fabrication vient voir le tableau et décide de la suite au fur et à mesure. »
Le travail
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Mais cette programmation improvisée ne tient pas seulement aux conditions techniques de marche du train mécanisé. Comme au train à main, le stock de largets est très faible : la situation économique de l'entreprise conditionne son niveau d'organisation.
B. ORGANISATION ET CONTRÔLE (TRAIN
CONTINU)
Au train continu, la cadence de production et l'importance du tonnage produit ont nécessité une organisation rigoureuse du travail. A la polyvalence des fonctions rencontrées aux deux premiers stades se substituent une division du travail et une spécialisation des fonctions. Il n'est plus concevable à ce stade qu'un seul homme centralise les tâches de mise en fabrication et de contrôle des réalisations du programme. Au train continu, les problèmes complexes de mise en fabrication « sont résolus par un travail en collaboration avec un grand nombre de personnes ayant des fonctions très différentes : bureau des commandes, mécanographie, service métallurgique et bureau de fabrication des laminoirs ». Résumons comment sont spécialisés dans leurs différentes fonctions les services d'organisation du travail : — La direction commerciale y contribue en fixant elle-même les délais de livraison à partir de son fichier des prévisions de production. — Le service métallurgique fixe le « code de fabrication », c'est-à-dire donne les consignes qui permettront d'obtenir la qualité voulue : températures de chauffage, de laminage, traitements thermiques après laminage. — La programmation et l'ordonnancement font l'objet de deux fonctions distinctes attribuées l'une au service des programmes, l'autre au bureau de fabrication. Le service des programmes établit un programme mensuel de tous les trains de laminoirs. Chaque train a son bureau de fabrication qui transforme ce programme mensuel en programme de laminage journalier : ce bureau de fabrication assume le rôle technique de graduer le programme du cycle de laminage. Le contrôle administratif de l'avancement des commandes est le fait du service des programmes. — Un autre service spécialisé, le bureau des méthodes, étudie la marche du train (gammes de laminage, cadences), analyse les causes des arrêts, coordonne l'utilisation des différentes installations en fonction de leur capacité.
Cette évolution de la fonction de contrôle a ses répercussions sur l'atelier. Au lieu d'être faits par la voie hiérarchique, les contrôles de marche sont assurés par un personnel spécialisé dans ces tâches : l'enregistreur établit pour le bureau des méthodes un cahier de marche du train ; les employés du service métallurgique relèvent les divers cadrans de contrôle. Des « fiches suiveuses > accompagnent les brames à toutes
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les étapes de la fabrication ; les brames sont pointées au passage ; incidents et défauts de fabrication sont notés. La minutie et la permanence des contrôles énumérés, la prévision détaillée de l'organisation du travail se traduisent pour les ouvriers par des consignes si précises et des contrôles si étroits qu'ils ne laissent guère de place à l'initiative personnelle. Le travail est préparé dans le détail. Régleurs et lamineurs reçoivent du bureau de fabrication une feuille de laminage où la notation des caractéristiques des produits laminés leur donnent leurs consignes de travail. La cadence du travail est rigoureusement minutée par le défourneur. Le cisailleur de l'ébouteuse est averti de la température à laquelle il doit laisser passer la bande au finisseur. Au groupement des tâches des ouvriers polyvalents des stades antérieurs, se substitue une grande division du travail : cette division du travail nécessite une coordination et une précision des opérations qui excluent toute possibilité de jouer avec les consignes. L'étroitesse de la latitude laissée aux ouvriers dans leur comportement est symbolisée par la multiplicité des appareils de contrôle qui les entourent : micromètre à rayons X pour l'épaisseur, jauge à rayons infra-rouges pour la largeur, multiples enregistreurs des températures aux différents stades du laminage, ampèremètres, voltmètres, voyants, avertisseurs.
C. LES CRITÈRES DE CLASSIFICATION DES POSTES
Des caractéristiques aussi globales que le degré de préparation et d'organisation du travail sont plus difficiles à individualiser que les caractéristiques spécifiques du comportement au travail. Nous traduirons la répercussion de l'organisation du travail sur les postes en isolant quatre caractéristiques des postes qui nous paraissent davantage liées au degré d'organisation du travail : 1°) la présence ou l'absence de consignes précises de travail caractérisant le degré de préparation du travail ; 2°) le degré de division du travail qui s'exprime tantôt par la polyvalence ou le regroupement des tâches, tantôt par leur caractère parcellaire et spécialisé ; 3°) le degré d'autonomie ou d'hétéronomie des ouvriers dans le contrôle de leur travail ; 4°) la nature des signaux qu'ils utilisent.
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Le travail
1. Degré de préparation du travail L'organisation plus ou moins rigoureuse se traduit au niveau des postes de travail par la présence ou l'absence de consignes de travail précises. A un stade où le travail est peu organisé, l'ouvrier garde une grande initiative dans la préparation et l'exécution de son travail. Là où le travail est minutieusement préparé, on ne demande à l'ouvrier que d'exécuter avec précision des consignes définies par les services spécialisés dans la préparation du travail. La description des tâches des lamineurs fournit les meilleurs exemples de ces différents degrés de préparation du travail. a) Empirisme des tâches. Le lamineur du train manuel fixe lui-même la cadence du travail, en fonction de l'état de la machine et du matériau (température des cylindres et des bidons, dureté de l'acier). Cela repose sur ses appréciations personnelles, fruit de son expérience professionnelle. Le lamineur organise lui-même son travail. Le cycle de travail est très variable. Le lamineur décide du nombre de passes pour un même produit ; l'ébauchage se fait en 5 ou 6 passes selon que les cylindres sont chauds ou froids ; le finissage peut varier de 2 à 4 passes, en fonction de la dureté de l'acier : le nombre de passes varie ainsi pour une même charge d'un paquet à l'autre. Le laminage, à ce stade, comporte une grande marge de liberté et il existe des « styles > de laminage. Le lamineur définit le serrage adéquat : il y a des lamineurs qui serrent fort, « les durs >, qui prennent des risques ; d'autres sont trop « prudents >. Il n'est pas possible à ce stade d'avoir un barème préétabli de serrage : « Les principes appliqués sont trop nombreux : la tâche est trop complexe >, explique l'un des responsables. Les normes de serrage doivent être adaptées à la situation et le lamineur doit tenir compte de nombreux facteurs, incessamment variables : la température du bidon, la température et le profil des cylindres, les dimensions des bidons et des tôles à obtenir, la qualité de l'acier et la déformation du métal. « On tâtonne, dit un lamineur, on essaie une façon puis l'autre et on finit par trouver. » Travail empirique, dont la préparation est improvisée par ceux-mêmes qui exécutent, tel est le degré d'organisation qu'on rencontre au premier stade. Le lamineur du duo mécanisé ne nous donne pas, sous cet angle de la préparation du travail, l'exemple d'un stade intermédiaire : il se rapproche, en effet beaucoup du lamineur du train manuel par l'empirisme de son travail. Son travail est aussi peu préparé qu'au train manuel : il garde l'initiative de la cadence de travail ; il pratique « l'art > de
Les processus de production
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régler son train ; il décide même en fonction de l'état de la machine du moment où il change de produit : lorsqu'il trouve le cylindre assez chaud, il fait signe à l'accrocheur d'enfourner le nouveau produit. Au lancement du train mécanisé, ont été indiqués aux lamineurs des barèmes de serrage, mais « ils se sont vite habitués > parce qu'ils bénéficiaient de « l'expérience > du laminage acquise au train manuel. Actuellement, non seulement on ne parle plus de barème de serrage au duo, mais même les cadrans de serrage ont été enlevés. b) Le poste le plus représentatif d'un degré avancé de préparation du travail au train mécanisé est le lamineur du trio. Du fait de la plus forte mécanisation du trio, les tâches du lamineur sont préparées de telle sorte que leur succession se réduit à un enchaînement rigoureux de manipulations de boutons et de manettes. Le travail de défournement des bidons et de leur transport au train n'est plus un travail manuel. Il suffit d'appuyer sur un bouton pour que les bidons soient acheminés du four jusqu'à la cage de laminage. Le laminage se fait également par un jeu de manettes et de boutons : le lamineur tire le levier de butée et c'est le « mariage » de l'ébauche. Ces gestes ne demandent ni choix ni initiative. Les manipulations de commandes, boutons et pédales, se répètent pour chaque cycle de laminage de manière identique. Même le réglage de vis est semi-automatique. Le lamineur du trio prépare son réglage de vis pour toute une série, à chaque nouvelle dimension qu'il lamine. Il place la roue dentée du tambour de pré-réglage sur la graduation voulue. Ce pré-réglage de vis n'est pas une véritable préparation du travail : il ne demande pas l'expérience et l'initiative que le serrage exige du lamineur du duo mécanisé ou du train manuel. Le lamineur du trio a seulement à appliquer un barème : à telle dimension correspond tel réglage ; lorsque la dimension change de tant de millimètres, le tambour est décalé de tant de graduations. Après les premières passes le lamineur vérifie cependant l'allongement obtenu et modifie éventuellement son pré-réglage.
Ce type de travail dont la préparation est très poussée se retrouve au train continu, particulièrement aux postes d'opérateurs de bobineuses. La rapidité du déroulement des opérations commandées par ces postes suppose une prévision minutieuse du déroulement des opérations, c'est-à-dire une préparation poussée du travail : l'opérateur n'a plus le loisir de réfléchir. Il doit obéir machinalement à un schéma de comportement qui a été prévu par d'autres et qu'il s'est contenté d'apprendre. Au point de vue de la préparation du travail, ces opérateurs ont le même type de travail que les régleurs et les lamineurs du train continu. Dans ces postes aussi, le travail est minutieusement préparé : l'existence de barèmes précis de serrage ou de réglage de vitesse, de même que la généralisation des feuilles de laminage où chacun trouve la consigne qui le concerne, en sont les preuves.
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Le travail
Le service des méthodes et le service métallurgique ont placé sur le train un certain nombre d'ouvriers et d'employés de contrôle. Leur travail est évidemment un modèle de préparation du travail : l'un note les température, l'autre les temps. Ces notations sont faites sur des feuilles préparées à cet effet dont il suffit de remplir les colonnes.
A cet égard, le poste le plus significatif de ce degré d'organisation du travail est le poste de défourneur du train continu. Le défourneur règle la cadence du détournement et par là même la cadence du train. C'est essentiellement un poste de transmission et d'émission de consignes. H est l'instrument de régulation de la marche du train et son travail est minutieusement préparé. Le défourneur minute le travail du train, en minutant lui-même son propre travail. Pour donner toutes les minutes ou toutes les 45 secondes l'ordre de défournement des brames, il tient compte du temps de défournement et de transport de chaque brame ; suivant le four dont il commande le défournement, il avance son signal de 10, 20, 30 ou 40 secondes, pour maintenir la régularité de la cadence indiquée par le bureau (tant de tonnes par heure). En conclusion, comment, d'après le degré de préparation du travail, classerons-nous les postes de travail aux différents niveaux de modernisation ? La classification est dichotomique, le travail est peu préparé (peu de consignes précises) ou préparé (consignes précises). Les consignes précises concernent les degrés moyens et avancés de modernisation, travail de type « mécanique > et de type « surveillance > ; au degré I, pour le type de travail « manuel artisanal », le travail est peu préparé et il n'y a pas de consignes précises. Tableau 1. Classification des postes selon leur degré de préparation du travail „, . , Train manuel Premier lamineur Deuxième lamineur Premier chauffeur Deuxième chauffeur Doubleur Aide-doubleur Rattrapeur Serreur Chargeur-pousseur
Peu de consignes , . précises X X X X X X X X X
Consignes précisés
Les processus de
production
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Au train à main, il n'y a pas plus de préparation du travail pour les autres postes que pour le lamineur ; c'est le premier lamineur qui donne aux autres postes des consignes au fur et à mesure des besoins. Il y a des styles de travail chez les doubleurs et même chez les serreurs, ce qui suppose une latitude dans l'organisation de leur travail : les doubleurs sont libres de doubler seuls ou à deux, sur le chevalet ou à terre. Tableau 2. Classification des postes selon leur degré de préparation du travail , . , _ _ . Train mécanisé. Duo
Peu de consignes , . précisés
Premier lamineur Deuxième lamineur Premier doubleur Aides-doubleurs Premier chargeur Aides-chargeurs Basculeur
X X X X
Consignes précises
X X X
Pour la classification des postes secondaires du train mécanisé, il est difficile de parler de « consignes précises >, vu le caractère élémentaire des travaux effectués. Les postes de premier doubleur, basculeur et premier chargeur du duo ont des consignes précises, dans la mesure où ils sont soumis à des manipulations de commandes. Tableau 3. Classification des postes selon leur degré de préparation du travail _ . Trio
, . , mécanisé
Lamineur Aide-lamineur Premier chargeur Aides-chargeurs Empileur Chauffeur Accrocheur
Peu de consignes precises
Consignes precises X X
X X X X X
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Le travail
Tableau 4. Classification des postes selon leur degré de préparatiin du travail „ . Tram continu
Chauffeur Aides-chauffeurs Machinistes-pousseurs Défoumeur Lamineur-dégrossisseur Aide-lamineur-dégrossisseur Régleur de vitesse-dégrossisseur Aide-régleur de vitesses Cisailleur-ébouteuse Premier lamineur Lamineur-finisseur Aide-lamineur du finisseur Régleur de guides Régleur de vitesse-finisseur Aide-régleur Machiniste-looper Enregistreur Conducteurs-bobineuses Aides-conducteurs Machiniste-rouleaux Chalumiste
Peu de consignes precises
Consignes precises X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X
X
Au train continu, seul le chalumiste échappe à une étroite préparation du travail et garde une certaine autonomie dans sa manière de travailler. Mais il n'intervient qu'en cas d'incident de marche. 2. Division du travail Dans les installations où l'organisation du travail reste empirique, les ouvriers qualifiés conservent une grande polyvalence de fonctions. Au contraire, l'organisation poussée du travail correspond à une division précise des tâches. à) Le premier lamineur du train manuel a une remarquable polyvalence de jonctions. Sa tâche principale est l'exécution du laminage : — Il engage les bidons dans les cylindres, les rattrape et les engage à nouveau
Les processus de production
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jusqu'à ce qu'ils aient l'allongement voulu, assurant aussi bien le dégrossissage que le finissage. —- Ce travail manuel se fait dans le cadre d'une mise en état du train (réglage de la chauffe et du refroidissement des cylindres, graissage du train). — Le lamineur surveille la transformation du matériau à toutes ses étapes : appréciation de la température des bidons à leur sortie du four, responsabilité du serrage de vis, surveillance du doublage, contrôle des dimensions de la tôle laminée. — Ce contrôle permanent du matériau se fait par une surveillance du travail de tous les ouvriers de l'équipe : le lamineur est chef d'équipe et donne des ordres, fait des remarques et montre le travail aux autres ouvriers : consignes de serrage au serreur de vis et même au deuxième lamineur, remarques au chauffeur sur la température des bidons, coup de main aux doubleurs en difficulté. — Son rôle de chef d'équipe lui donne le statut d'un leader. Il stimule le travail de l'équipe. — Son travail revêt aussi l'aspect d'une fonction de contrôle : le lamineur signale au contremaître les absences et lui fait un rapport sur la marche du train. — Enfin, les lamineurs participent avec les démonteurs au démontage du train : travail physique et empirique de manutention et de guidage du pont.
Du point de vue de la division du travail, les lamineurs du duo mécanisé restent très proches des lamineurs des trains manuels. Il n'y a pas de division nette du travail : le lamineur est en même temps artisan, chef d'équipe et responsable de la marche de son train. b) En revanche, la mécanisation commence à créer à ce stade des postes de commande élémentaire comme ceux de doubleurs ou de basculeurs dont le travail est très parcellisé : ces postes de machinistes tenus par des ouvriers spécialisés se réduisent à quelques commandes simples et répétitives : le basculeur du duo mécanisé, par exemple, appuie sur un bouton quand la tôle se présente à son niveau, et sur un autre bouton quand elle est arrivée au bout du convoyeur. Le trio mécanisé, installation plus représentative d'un stade intermédiaire de mécanisation que le duo de la même usine, voit les postes de type mécanique se séparer du point de vue de la division du travail en deux catégories bien distinctes : les postes élémentaires de machinistes O.S. au travail parcellaire décrit ci-dessus ; d'autre part les postes de lamineurs du trio, dont le travail mécanique s'accompagne d'un grand regroupement d'opérations. Sont concentrées dans un seul poste de commande les opérations suivantes : l'appel des bidons, le transport des bidons du four au train, les passes de dégrossissage, le mariage des platines, les commandes de laminage des platines. Mais ces opérations n'ont plus la diversité d'aspect du stade manuel où le travail manuel alternait avec les tâches de réglage ou de commandement. Il s'agit maintenant
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Le travail
uniquement d'un travail de manipulation de commandes : on a affaire à un groupement d'opérations similaires. Ce type de postes regroupant toute une série d'opérations mécaniques, se retrouve sur le train continu, notamment dans les postes d'opérateurs de bobineuses : la préparation de l'enroulement, l'enroulement de la tôle, le stripage de la bobine et son évacuation sont effectués par des opérateurs dont le travail regroupe une série de commandes complexes demandant un enchaînement de gestes précis et rapides. Pour les opérateurs du train continu comme pour les lamineurs du trio du train mécanisé, le regroupement des opérations crée une complexité des manipulations qui exige une véritable qualification psycho-motrice. L'aspect division du travail reste donc dans le travail de « type mécanique » assez ambigu, les postes de travail oscillant entre une forte division du travail pour les tâches parcellaires des machinistes et un assez grand regroupement d'opérations caractérisant un travail de commande plus qualifié. Cette différenciation du travail de commande, si elle se confirme, amènerait à le dissocier en deux catégories de postes : — les postes de machinistes correspondant à un premier degré de mécanisation et d'organisation. — les postes types « opérateurs » ' caractéristiques d'un niveau de mécanisation et d'organisation plus avancé. > c) A la différence des postes d'opérateurs, les postes de < surveillance > du train continu dénotent une plus grande spécialisation du travail. Non seulement le dégrossissage est un secteur séparé du finissage, mais chaque régleur, ou chaque lamineur du train continu, n'exécute qu'une partie des opérations de dégrossissage ou de finissage. Régleurs et lamineurs ne règlent que la moitié des cages de leur secteur. H y a division du travail entre réglage de vis, assuré par les lamineurs, et réglage de guides, ou entre réglage de vitesse et décalaminage, assurés par différents postes. La mise en chaîne du travail et la rapidité de la transformation du matériau crée donc un nouveau degré d'organisation du travail caractérisé simultanément par une préparation poussée du travail et une plus grande spécialisation des tâches. 2. Bien qu'il ne corresponde pas toujours aux dénominations employées dans les usines étudiées ici, nous avons choisi ce terme « d'opérateur » couramment employé pour désigner ce travail de commande d'une machine complexe. Pour éviter toute confusion, nous avons supprimé les dénominations locales c d'opérateurs » qui désignaient, dans la terminologie de l'entreprise, certains postes du train continu qui correspondent, pour notre analyse du travail, à des postes de surveillance. D'où les tenues un peu modifiés de < régleurs de vitesse » ou < aides-régleurs ».
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Au train manuel les mêmes ouvriers assuraient la préparation, l'exécution et le contrôle de leur propre travail. Au train continu la division entre le travail de préparation et le travail d'exécution se double d'une division entre l'exécution et le contrôle. Pour résumer ces différentes étapes de la division du travail, nous nommerons « polyvalent > le travail encore très faiblement divisé ; ainsi les postes de travail du type « manuel artisanal > sont pour la plupart multi-fonctionnels. Les postes de commande mécanique sont tantôt un travail « percellaire » (postes de machinistes), tantôt des opérations « regroupées » (opérateurs). Au degré le plus élevé de modernisation, nous emploierons la notion de « spécialisation des tâches », plutôt que de parcellisation, pour éviter l'image d'une division du travail qui atomiserait les tâches alors que dominent, dans ce système très intégré de production, les exigences de coordination et de communication. Tableau 5. Classification des postes selon leur degré de division du travail Train manuel Premier lamineur Deuxième lamineur Premier chauffeur Deuxième chauffeur Doubleur Aide-doubleur Rattrapeur Serreur Chargeur-pousseur
Travail polyvalent
Travail parcellaire
X X X X X X X
Dans les trains manuels, les postes sont peu spécialisés : doubleurs, rattrapeuis et empileurs alternent leur travail \ Dans l'intervalle des charges, le rattrapeur assure le graissage, l'arrosage d'un tourillon qui chauffe ou l'accrochage des paquets au pont. Le supplémentaire remplace tout le monde à tour de rôle, sauf les lamineurs et le chauffeur. Quant au chauffeur, son travail est peu divisé. Il assure lui-même l'approvisionnement du four en charbon, le détournement des paquets chauds et leur manu3. Cette alternance du travail qui enlève aux postes secondaires leur caractère parcellaire en créant une polyvalence des fonctions peut être considérée comme une caractéristique de la situation de travail du train manuel. Cela est confirmé par la régularité des remplacements entre les ouvriers de ces postes : ils € tournent » à chaque charge.
Le travail
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tention, le vidage, le décrassage et l'allumage du four. Seuls les postes déjà mécanisés de serreur et chargeur-pousseur bénéficient d'une division du travail qui les font rentrer dans la catégorie de travail parcellaire. Leur classification, selon les critères de division du travail, montre que les postes du train mécanisé restent partagés. Les ouvriers du duo mécanisé se remplacent spontanément, ce qui atténue la division du travail. Le basculeur non seulement manipule les boutons de commande des chaînes et de la basculeuse, mais il guide à la pince les tôles mal placées et rectifie la position des tôles sur le tas : autrement dit, il exécute une suite d'opérations parcellaires tantôt manuelles, tantôt mécaniques. Le travail des doubleurs est plus parcellaire ; de même celui des chargeurs : le premier chargeur charge et guide l'enfournement, les aides-chargeurs faisant le chargement et le contrôle d'enfournement. Tableau 6. Classification des postes selon leur degré de division du travail Train mécanisé. Duo
Travail polyvalent
Premier lamineur Second lamineur Premier doubleur Aides-doubleurs Premier chargeur Aides-chargeurs Basculeur
Travail
parcellaire
X X X X X X X
Tableau 7. Classification des postes selon leur degré de division du travail Trio
mécanisé
Lamineur Aide-lamineur Premier chargeur Aides-chargeurs Empileur Chauffeur Accrocheur
Travail polyvalent
Opérations regroupées
Travail parcellaire
X X X X X X X
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Au trio, les lamineurs deviennent le modèle de postes aux tâches regroupées. Le chauffeur reste au stade de la polyvalence. Les chargeurs ont un travail parcellaire. Tableau 8. Classification des postes selon leur degré de division du travedi Train continu
Chauffeur Aides-chauffeurs Machinistes-pousseur Défoumeur Lamineur-dégrossisseur Aide-lamineur-dégrossisseur Régleur de vitesse-dégrossisseur Aide-régleur-vitesse Cisailleur-ébouteuse Premier lamineur Lamineur-finisseur Aide-lamineur-finisseur Régleurs de guides Régleur de vitesse-finisseur Aide-régleur Machiniste-looper Enregistreur Conducteur-bobineuse Aide-conducteurs Machinistes-rouleaux Chalumiste
Travail polyvalent
Travail parcellaire
Opérations regroupées
Travail spécialisé
X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X
Au train continu plusieurs postes ne peuvent être classés en travail spécialisé. Plusieurs postes en sont restés au stade d'opérations mécaniques ; à la différence des régleurs du train qui n'assument qu'une ou deux opérations bien précises, le poste de cisailleur regroupe un certain nombre d'opérations de commandes : ralentissement de la bande, cisaillage de la tête de la bande, cisaillage du pied, décalaminage, arrosage des rouleaux. Il en est de même pour les conducteurs des bobineuses. Le premier lamineur n'a pas un travail spécialisé puisqu'il est responsable des opérations de réglage de l'ensemble des cages : c'est une sorte
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Le travail
de chef d'équipe et il faut lui reconnaître à ce titre une certaine polyvalence. Les postes de régleurs de guides sont polyfonctionnels dans la mesure où ils remplacent le cisailleur et à l'occasion font office d'aides-lamineurs. Mais le travail de réglage des guides lui-même est très parcellaire. 3. Le degré d'autonomie ouvrière dans le contrôle du travail Comme nous l'avons vu dans la description des systèmes de production, l'autonomie des ouvriers dans le contrôle des résultats de leur travail est un critère d'évolution du travail qui se définit largement à l'échelon de l'atelier. Si l'on divise cette dimension du contrôle ouvrier en autocontrôle, en hétérocontrôle global et en contrôle spécialisé, c'est-à-dire assumé par des spécialistes qui n'appartiennent pas aux services de production mais dépendent directement des méthodes ou des bureaux d'études de la qualité, les postes se classent largement à l'échelon de l'ensemble de l'atelier. L'empirisme et l'imprécision du contrôle au train manuel ne laissent aucun doute sur l'autonomie du contrôle ouvrier de la production : cet autocontrôle est personnalisé par la responsabilité du lamineur qui note pour le contremaître la quantité de tôles laminées, la durée et la nature des arrêts ainsi que ses remarques sur les produits et les résultats. Les trains mécanisés manifestent un début d'hétérocontrôle, mais celuici reste global et est laissé à la charge d'ouvriers de production. Il commence à devenir plus précis pour le contrôle de marche des machines qui a été instauré pour le trio ; il est alors pris en charge par l'ingénieur de fabrication, ce qui nous a fait classer les lamineurs du trio dans la catégorie « contrôle spécialisé ». Tableau 9. Classification des postes selon le type de contrôle du travail Train manuel Premier lamineur Second lamineur Premier chauffeur Deuxième chauffeur Doubleur Aide-doubleur Rattrapeur Serreur Chargeur-pousseur
Autocontrôlé X X X X X X X X X
Hétérocontrôle
Les processus
de
production
Tableau 10. Classification selon le type de contrôle _ . . , Train mécanisé
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des postes du travail
A, Autocontrôlé
Heterocontrole , . , global
Contrôle , ... , spécialisé
Duo Premier lamineur Deuxième lamineur Premier doubleur Aides-doubleurs Premier chargeur Aides-chargeurs Basculeur
X X X X X X X
Trio Premier lamineur Aide-lamineur Premier chargeur Aides-chargeurs Empileur Chauffeur Accrocheur
Tableau 11. Classification selon le type de contrôle „ . Train continu Chauffeur Aides-chauffeurs Défourneur Lamineur-dégrossisseur Aide-lamineur-dégrossisseur Régleur de vitesse-dégrossisseur Aide-régleur de vitesse Cisailleur-ébouteuse Premier lamineur Lamineur-finisseur Aide-lamineur-finisseur Régleurs de guides Régleur de vitesse-finisseur
X X X X X X X
des postes du travail , „, Autocontrôlé
Heterocontrole . . . global
Contrôle , . ,. , specialise X X X X X X X X X X X
X X
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• continu ..., T Tram
Aide-régleur Machiniste-looper Enregistreur Conducteurs-bobineuse Aides-conducteurs Machiniste-rouleaux Chalumiste Machinistes-pousseurs
Le travail
. . A, Autocontrôlé
Hétérocontrôle g/oèû/
Contrôle
X X X X X X X X
Dans le train continu, le contrôle par des spécialistes de services fonctionnels (méthode, entretien, service qualité) s'étend considérablement. Les postes les plus importants : lamineurs, chauffeurs, s'y trouvent constamment soumis. Apparaît à ce stade toute une série de postes de contrôleurs et d'administratifs d'ateliers. Des employés de contrôle du service métallurgique enregistrent pour chaque brame les températures à différentes étapes du laminage et pour certaines fabrications règlent la température de laminage par une consigne d'attente à l'opérateur de la cisaille éboufeuse et contrôlent si les consignes de température sont bien observées. L'enregistreur du train continu chronomètre les incidents, note les causes d'arrêts ou de diminution de cadence. La plupart des postes du train continu ont donc été classés dans la catégorie « contrôle spécialisé ». Seul le poste anachronique du chalumiste, qui n'intervient qu'en cas de panne, échappe délibérément à la rationalisation du contrôle de production caractéristique du train continu. Si on a hésité à classer les machinistes (régleurs de guides — machinistespousseurs — machinistes-rouleaux) dans la catégorie du contrôle spécialisé, c'est moins par le fait qu'ils échappent à l'ensemble du système de contrôle que parce que le caractère élémentaire de leurs tâches supprime pratiquement le besoin, pour les machinistes, d'un contrôle extérieur. Cependant la forte intégration de leurs tâches dans l'ensemble du cycle de travail les soumet à un étroit contrôle des postes voisins des leurs, qui se rapproche davantage de l'hétérocontrôle global du niveau intermédiaire. Mais l'un d'entre eux, le cisailleur de l'ébouteuse, relève directement du contrôle des températures, c'est-à-dire d'un service spécialisé.
Les processus de production
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4. La nature des signaux Un dernier critère reflétant le degré d'organisation du travail sur les postes de travail est celui de la nature des signaux utilisés. Chaque ouvrier reçoit les informations qu'il utilise dans son travail sous forme d'un certain nombre de signaux. La couleur de la tôle est, par exemple, pour le lamineur du train manuel, le signal qui lui indique sa température et le guide dans le degré de serrage et le nombre de passes qu'il a à faire. A un bas degré d'organisation du travail, l'ouvrier trouve les informations utiles à son travail dans la situation globale de travail où il sélectionne des signaux implicites et concrets. La température de la tôle n'est pas spécialement précisée : c'est en interprétant sa couleur que le lamineur ou le chauffeur la connaissent ; ils doivent se référer au matériau pour connaître les caractéristiques utiles à leur travail. A un stade plus organisé, un thermomètre indiquera, avec précision, la température de la tôle : l'information est « explicitée » et au signal « concret » du matériau se substitue le signal « abstrait » qu'est le cadran de température. Trois degrés d'organisation du travail pourront être définis d'après la nature des signaux : degré I : signaux implicites et concrets ; degré II : apparition de signaux explicites et abstraits ; degré III : prédominance de signaux explicites et abstraits. a) Au train manuel, le lamineur n'a pas de signaux explicités pour le guider dans son travail. Il doit engager les bidons et les paquets perpendiculairement aux cylindres ; pour cela il se réfère à des signaux concrets : position de la table et des cylindres. On a vu comment pour le serrage il se guide sur la température des paquets. Il doit également apprécier la température des cylindres. Lamineur et serreur se guident également sur le bruit de l'engagement pour déterminer le serrage de la passe suivante, si bien que le cadran de serrage, signal explicite et abstrait, est remplacé par tous ces signaux implicites et concrets. Le lamineur regarde rarement le cadran de serrage. Seul le serreur se guide généralement sur le cadran. On classera le serreur au degré d'organisation II (apparition de signaux explicites et abstraits) en notant que le signal explicite qu'est le cadran ne représente que l'un des signaux qu'il utilise. Parmi les signaux implicites et concrets du serreur, citons les gestes du lamineur et la sensation kinesthésique d'effort : il arrive, pour de
Le travail
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faibles serrages, qu'il ne regarde pas le cadran, se guidant essentiellement sur l'effort de traction du volant de serrage. A ce stade d'évolution du travail où les ouvriers utilisent des signaux concrets et implicites, il n'est pas facile à l'observateur de déceler, dans la diversité des signaux possibles (visuels, auditifs, proprioceptifs) le signal utile. Ainsi, dans le rattrapage des bidons à la pince, le rattrapeur se guide visuellement sur les gestes du lamineur et la position des bidons. Or un rattrapeur occupé, pendant le temps de refroidissement, à regarder ce qui se passait ailleurs, ramène son regard sur les cylindres dès qu'il entend le bruit de l'engagement. Son signal utile dans ce cas n'est plus visuel mais auditif. La plupart des signaux de travail du train manuel sont concrets et implicites. Pour le chauffeur, par exemple, le signal de défournement est l'avancement du travail de laminage : il ouvre la porte du four aux dernières passes du laminage. Les signaux utilisés pour le défournement sont ses instruments de travail (pince, chariot), le matériau (bidons) et la machine (four, porte-levier, chevalet). Seuls le serreur de vis et l'enfourneur utilisent quelques signaux explicites : le serreur son cadran, l'enfourneur le coup de « cloche > qui lui donne l'ordre d'enfourner et la dimension des bidons qu'il note sur le tableau, signaux qui s'accompagnent de signaux concrets et implicites : porte du four, bidons, pousseuse.
Tableau 12. Classification des postes selon la nature des informations utilisées dans le travail
Train manuel
Premier lamineur Deuxième lamineur Premier chauffeur Deuxième chauffeur Rattrapeur Doubleur Aide-doubleur Serreur Chargeur-pousseur Graisseur Supplémentaire
Signaux implicites et concrets
Apparition de signaux explicites et abstraits
X X X X X X X X X X X
Prédominance de signaux explicites et abstraits
Les processus de production
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Tableau 13. Classification des postes selon la nature des informations utilisées dans le travail
Train mécanisé
Signaux implicites et concrets
Apparition de signaux explicites et abstraits
Prédominance de signaux explicites et abstraits
Duo Premier lamineur Deuxième lamineur Premier doubleur Aide-doubleur Premier chargeur Aides-chargeurs Basculeur
X X X X X X X
Trio Lamineur Aide-lamineur Premier chargeur Aide-chargeur Empileur Chauffeur
X X X X X X
b) Au train mécanisé subsistent un grand nombre de postes dont le travail est dominé par les signaux implicites et concrets. Le lamineur du duo se guide dans son travail uniquement sur les informations concrètes que lui fournissent le matériau et la machine : la chaleur « se voit > à la couleur des paquets et aux taches noires qui apparaissent lorsqu'ils refroidissent : « C'est que le paquet n'est pas percé, que la chaleur n'a pas pénétré partout. » La configuration du matériau (« cornes », « tétines >) et le bruit des cylindres sont également des signaux concrets de travail. Il faut connaître à tout moment comment le fer « passe », s'il « fronce >, ou s'il « colle >. Pour le serrage, il y avait, au moment de la modernisation du train, des signaux explicites sous forme de cadrans de serrage ; on les a supprimés parce qu'ils étaient inutiles, le serrage « on sent ça dans les bras ». Il n'y a pas de contrôle automatique de longueur : le lamineur juge « à vue d'oeil > la longueur de la tôle ; il la fait mesurer seulement de temps à autre. Il y a un enregistreur de la température des cylindres, mais on ne se sert pas des repères. Pour le changement de produit le lamineur « voit » quand son cylindre est chaud.
56
Le travail
Schéma chronologique du cycle de travail (Train manuel)
DEUXIEME CHAUFFEUR
RATTRAPEUI
ouverture du four i |
réglage de vis
dépôt des bidons sur le chariot I I I transport des bidons •
serrages de paquet.
I I
réglage de vis retour au dégrossisseur
pause
passes de
1 rattrapage
J
paquet
dépôt de la platine sur la table d'embauche retour au dégrossisseur
ï
engagement de dégrossissage reprise
(travail épisodique agencement des bidons dans le - four)
" ! rattrapage
r I
j
dépôt sur chevalet retour du chariot
mariage
transport des bidons au finisseur
~" "
rattrapage .
|
J
déplacement au finisseur
engagement de 1 " passe 1 " serrage
rattrapage"' reprise
|
I engagement de 2 ' passe 2" serrage
rattrapagej reprise
j
I engagement de 3 e passe serrage de blocage
rattrapage I reprise
j
engagement de 4" pase
réglage de vis
I 1 mariage | I 1 " engagement du paquet
serrage (blocage)
reprise
rattrapage "I
reprise
ouvre le four dépose les bidons sur le chariot etc.
rattrapage r i
2 e engagement serrage
reprise
rattrapage _
3' engagement réglage de vis etc.
reprise et dépôt" sur la table d'embauche retour au dégrossisseur etc.
rattrapage \
57
Les processus de production
DOUBLEUR ET AIDE DOUBLEUR
PREMIER CHAUFFEUR
1 • I 1 dépôt de la platine à terre
surveillance et
1 j transport sur grille tisonnage du four décollage 1 1 1 1 |
pliage
1 transport mise sous presse 1 1 1 1 1 transport | 1 enfournement 1
pause
dépôt de la platine à terre n etc. j
l—
1
|1
1 i Agencement des paquets dans le four 1 1 1 1 1
Cheminement du produit entre les ouvriers Limite des cycles H'interventinn de chaque .ouvrier
58
Le travail
Au trio du train mécanisé, d'un niveau de mécanisation plus avancé que le duo, se multiplient les signaux explicites et abstraits. Bien qu'il y ait préréglage du serrage de vis, le lamineur se réfère au cadran de serrage. Pour la coordination des manipulations de ses commandes avec celles du lamineur arrière, il dispose de voyants lumineux qui indiquent le numéro d'ordre et la nature de l'engagement suivant. Par exemple, pour un mode de laminage qui comprend deux passes de dégrossissage, le mariage des platines et une passe de paquet, la succession des signaux lumineux sera la suivante : 1 D, 2 D, M. Il s'agit de signaux explicites : ils précisent la nature des opérations à accomplir, la succession et le moment de leur réalisation. De plus, ils sont abstraits : 1 D, 2 D, M, représentent un codage élémentaire par l'initiale de l'opération : 1 D = première passe de dégrossissage ; M = mariage... Cependant, on est encore loin d'une explicitation totale et d'un contrôle permanent des gestes : le nombre de voyants est relativement restreint. En cas d'incident les lamineurs recourent aux signaux improvisés du premier stade : sifflets, cris et ils se déplacent d'un poste de travail à un autre. Qui plus est, ils utilisent fréquemment les informations implicites et concrètes à la place des signaux explicites. Ils se réfèrent, par exemple, au cheminement du produit au lieu de consulter le signal : « Les signaux lumineux sont utiles, mais on pourrait s'en passer. On a tellement l'habitude que tout marche automatiquement. » Et un autre lamineur précise : « Si on regardait l'allumage, on perdrait du temps : on ne peut pas regarder la lumière et le bidon, ça ferait un temps d'arrêt. > Ainsi le lamineur manœuvre ses commandes avant l'émission du signal lumineux automatique. Pour gagner du temps il se réfère aux signaux implicites : rythme sonore des passes, position du matériau, perception proprioceptive des commandes. Même lorsqu'existent des signaux explicites, l'utilisation des signaux préparés régresse lorsque l'ouvrier est familiarisé avec la machine : on a déjà noté au duo la suppression des cadrans de serrage de vis. Lors de leur lancement, les fours avaient des thermomètres enregistreurs de température. E n'y en a plus, le chauffeur étant revenu pour juger la chaleur au signal concret de la couleur : au duo, il faut qu'à l'étage supérieur du four les paquets soient « cerise > ; en bas, les platines doivent être plus claires. Ainsi, la plupart des postes du train mécanisé utilisent les signaux implicites et concrets que leur fournissent le matériau, la machine et le spectacle du travail des autres. Le basculeur, par exemple, appuie sur un bouton lorsque les platines sont arrivées en bas des rouleaux et sur l'autre bouton quand l'aide-doubleur les évacue de la basculeuse. Au duo, le
Les processus de production
59
chargeur est le seul poste qui ait à utiliser le signal explicite d'un voyant lumineux pour connaître le moment d'enfournement des paquets et platines (moment où le lamineur met en marche les rouleaux du four). Selon qu'il s'allume en haut ou en bas, le voyant indique en même temps de quel étage du four il s'agit. La régression du nombre des signaux explicites et abstraits constatée au train mécanisé au fur et à mesure que les ouvriers s'habituent à l'installation peut s'expliquer par la concentration des tâches sur les postes importants : dans la mesure où le lamineur assure à lui seul l'essentiel du travail, il réorganise lui-même son travail et substitue aux signaux préparés (cadrans, voyants) des signaux de travail plus concrets (matériau, perception des machines). c) Au train continu, le travail, beaucoup plus divisé, implique la nécessité de liaisons claires entre les ouvriers. De plus, les différents postes du train s'échelonnent sur une longue distance : les ouvriers sont trop loin les uns des autres pour guider leur travail sur leurs gestes mutuels. Un enchaînement rapide des opérations d'un poste à l'autre exige une minutieuse préparation de leur déroulement et pour chaque ouvrier une connaissance rapide et exacte des informations nécessaires au travail. D'où la prolifération des signaux explicites. Les informations doivent être rapidement transmises : la tôle va vite (35 km à l'heure à la sortie de la dernière cage) et on n'a pas le loisir de faire des phrases : dans l'interphone l'identification des brames se fait par les numéros correspondant à leurs dimensions. Voyants lumineux et cadrans sont encore des codes qui abrègent les informations de travail et en permettent une transmission rapide. Avec des postes de travail éloignés de plusieurs dizaines de mètres, lorsque se produit un incident, il ne suffit plus d'un cri ou d'un coup de sifflet pour arrêter les machines. Aussi a-t-on créé des signaux de marche : voyants rouges, verts, oranges, analogues à ceux de la circulation routière, signaux que chaque poste sur la chaîne peut émettre pour éviter l'accumulation des tôles sur le lieu de l'incident. Aux signaux de coordination du travail s'ajoutent les informations d'identification du matériau ; les caractéristiques de chaque brame défournée sont annoncées à l'interphone. Chacun n'a plus qu'à se référer à sa feuille de laminage pour appliquer la consigne qui le concerne : une largeur de 1 180, indiquée dans l'interphone et vérifiée sur la feuille de laminage, signifie, pour l'aide-régleur du dégrossissage, qu'avec les majorations convenues, il règle ses guides à 1 165 pour RSB, 1 180 pour
60
Le travail
R 1, 1 200 pour R 2 et 1 190 pour R 3 et R 4 \ L'épaisseur annoncée dans l'interphone est, pour l'opérateur-vitesse, le signal d'application de son réglage de vitesse et pour le lamineur le signal de changement de son serrage de vis. L'explicitation du travail en signaux prend également la forme d'une prolifération de cadrans de toutes sortes : cadrans de réglage (réglage de vis, de largeur des guides), cadrans de contrôle : contrôle des moteurs (vitesse, ampèremètres), contrôle du matériau (température, dimensions). Dans la cabine du lamineur-finisseur, le micromètre à rayons X fournit un contrôle immédiat d'épaisseur et permet les interventions rapides de réglage de vis. Aux appréciations à vue, aux informations concrètes, les appareils de mesure substituent des informations abstraites : numéros, chiffres, repères d'aiguilles. Au dégrossissage, un trop fort serrage de vis n'est plus signalé par le bruit anormal de l'engagement, mais par le trop fort ampérage des moteurs de vis lu sur l'ampèremètre. Il subsiste bien quelques informations concrètes : le signal essentiel de l'opérateur de vitesse du finissage reste la vue du déroulement de la bande entre les cages. Le lamineur-dégrossisseur se guide sur le déroulement de la bande pour équilibrer son serrage. Le lamineur-finisseur regarde où en sont les autres avant de faire son réglage de changement de dimension. Mais les signaux explicites et abstraits dominent dans la plupart des postes du train continu : certains pupitres de commandes impressionnent par l'ampleur de leur appareillage : on peut dénombrer 46 voyants de contrôle et 12 cadrans d'ampérage sur le pupitre du régleur de vitesse du dégrossisseur. La prédominance de ce type de signaux va de soi pour les postes de contrôle et de surveillance. On ne dénombre pas moins de 5 catégories de signaux explicites et abstraits couramment utilisés par le lamineur-finisseur : annonces d'interphone, feuilles de laminage, cadrans de réglage, micromètres, ampèremètres, voyants. Au train continu les postes de type mécanique sont également entourés de signaux explicites et abstraits, mais les informations les plus couramment utilisées sont souvent fournies par des signaux concrets. Le conducteur de bobineuse, par exemple, reçoit des informations explicites de l'interphone et de sa feuille de laminage et des signaux des lampes témoins de marche du train, de cadrans de compte-tours, d'ampèremètres, de cadrans des cylindres d'enroulement, des voyants de dilatation du mandrin, des cadrans de vitesse et d'ampérage du mandrin. Cependant, ses signaux utiles sont concrets : c'est l'arrivée de la tôle sur 4. R.S.B.,
R 1, R 2, etc. dénomment les différentes cages de laminage.
Les processus de production
61
les rouleaux, la vision et le bruit de la bande qui s'embobine. Et c'est la vision directe de la fin d'une opération qui est le signal de la commande de l'opération suivante. D'où la classification de ces postes dans la catégorie intermédiaire. Des postes mécaniques plus simples tels que le cisailleur de l'ébouteuse allient également à un certain nombre de signaux concrets (disposition de la bande sur les rouleaux, déroulement et configuration de la bande) les informations explicitées et abstraites de la feuille de laminage, des annonces d'interphone et des cadrans de température. De même, le machiniste-enfourneur utilise les signaux implicites et concrets de la situation de travail : niveaux d'enfournement des fours, position et déplacement des pousseuses et des brames. Mais les signaux explicites (lampes témoins de marche du train, lampe témoin du détournement, numéro du four à détourner annoncé par interphone) lui sont essentiels. Tableau 14. Classification des postes selon la nature des informations utilisées dans le travail
Train continu
Chauffeur Aides-chauffeurs Machinistes-pousseurs Défourneur Lamineur-dégrossisseur Aide-lamineur-dégrossisseur Régleur-vitesse-dégrossisseui Aide-régleur-vitesse Cisailleur-ébouteuse Premier lamineur Lamineur-finisseur Aide-lamineur-finisseur Régleurs de guides Régleur vitesse du finisseur Aide-régleur Machiniste-looper Enregistreur Conducteur de bobineuse Aide conducteur Machiniste-rouleaux
Signaux implicites et concrets
Apparition de signaux explicites et abstraits
Prédominance de signaux explicites et abstraits X
X
X
X X X X X X X X X X X X
X X X X X
62
Le travail
II. LES RELATIONS DE TRAVAIL Nous limiterons cette description des relations de travail à ses aspects les plus généraux : structure des communications et forme d'interdépendance. L'évolution des relations hiérarchiques sera traitée en détail dans le chapitre concernant l'influence collective. En effet, dans la sidérurgie où les aspects collectifs du travail sont si importants, la description de l'évolution des fonctions de commandement et des rôles de leadership est déjà elle-même une appréciation de la part et de la forme de l'intervention de l'ouvrier dans le processus de production.
A. LE TRAVAIL EN ÉQUIPE DU TRAIN À MAIN
Au train manuel, la concentration des ouvriers dans un petit espace, autour des machines groupées, telle qu'elle est symbolisée dans le schéma 8 (p. 64) suffit à montrer quelle est la structure des relations de travail. Une dizaine d'hommes groupés entre les cages et les fours travaillant sous le commandement, ou plutôt sous la conduite du lamineur, qui est en même temps premier « ouvrier » et chef d'équipe ; telle est la définition de travail du train à main. Pour décrire les communications de travail et l'interdépendance caractéristique du travail en équipe, référons-nous au schéma chronologique du cycle de travail (cf. schéma chronologique du cycle de travail). Le deuxième chauffeur ouvre le four et détourne les bidons au moment où le lamineur fait le mariage5 au cycle précédent. Au cours du laminage, serreur et lamineur se guident en permanence sur leurs comportements réciproques, le serreur faisant serrage et réglage de vis seulement entre les passes, le lamineur n'engageant que lorsque le serrage est terminé. Lamineur et rattrapeur se guident l'un sur l'autre pour attraper, renvoyer et reprendre les bidons. Quand le lamineur dépose la platine sur la table d'embauche et revient à la cage dégrossisseuse pour commencer un nouveau cycle, commence le cycle de travail des doubleurs. La coopération de travail des doubleurs est encore plus poussée puisqu'il y a entre eux une simultanéité des gestes dans les transports comme dans le pliage de l'ébauche. Par conséquent dans le laminage manuel le signal de travail courant est le comportement de l'ouvrier voisin. Ces signaux gestuels non explicites se doublent fréquemment de signaux interpersonnels explicites : gestes indicatifs, appels, coups de sifflet lorsqu'un coéquipier 5. Le mariage est la superposition de deux platines qui sont par la suite laminées conjointement.
Les processus de production
63
n'est pas en place, ou pour demander une intervention ou une aide. Les gestes et les paroles de signalisation se doublent d'ordres et de consignes de même forme : un geste de la main du lamineur au serreur signifie qu'il doit serrer davantage. Un geste de désignation des ébauches aux doubleurs équivaut à l'ordre d'inverser leur empilement.
Si l'on schématise ces relations de travail les rapports hiérarchiques se distribuent en étoile avec le lamineur comme centre émetteur (cf. schéma ci-dessous).
O
chargeur pousseur
chauffeurs doubleurs
O
rattrapeur
Schéma 7. Rapports hiérarchiques (—»sens du rapport de commandement)
Dans le schéma des simples signaux interpersonnels de travail on retrouve la même position centrale du lamineur, mais il est alors aussi bien récepteur qu'émetteur (cf. le sens des flèches schéma n° 8). Outre cette synchronisation des opérations et des gestes, une autre caractéristique contribue à renforcer le caractère collectif du travail du train manuel : le roulement et la remplaçabilité entre postes de travail. Les deux lamineurs alternent à chaque charge. Il y a une rotation entre les postes des doubleurs et des rattrapeurs et cette rotation se fait d'après une coutume locale « non classique >. L'ordre des remplacements du supplémentaire dans l'équipe se pratique de façon encore plus originale puisque chaque équipe a ici ses habitudes propres. En résumé une étroite interdépendance fortement hiérarchisée, un groupement des ouvriers autour de la machine, une coopération permanente, tel est le travail d'équipe du train à main.
64
Le
travail
doubleurs
.O chauffeurs
O
V
\
\ \
/
,
O
/
O
/
lamineur
it empileur
o-«
O
rattrapeur
Schéma 8. Signaux de travail
B. LE TRAVAIL EN CHAÎNE DU TRAIN MÉCANISÉ
A u train mécanisé, la mécanisation des opérations s'accompagne d'une mise en chaîne qui crée une distance entre les postes de travail. L'équipe de chargement derrière le four est éloignée des autres postes. Le lamineur est pour ainsi dire seul devant le train, la mécanisation des manutentions le dispense de l'aide des ouvriers qui étaient dans le train manuel ses plus proches coéquipiers : le serreur et le rattrapeur ; le tablier releveur supprime le rattrapage manuel et du même coup le poste de rattrapeur, si bien que le lamineur, déchargé des transports par les chaînes de manutention, peut assurer lui-même le serrage de vis. Les postes de doubleurs qu'il peut encore contrôler à distance sont en avant et de l'autre côté du train et le premier doubleur dispose maintenant de sa machine à lui. A u trio mécanisé également, les chargeurs sont éloignés des lamineurs. Ces distances qui s'établissent entre les postes diminuent la dépendance hiérarchique des ouvriers entre eux. D'autre part, elles commencent à dépersonnaliser les relations de travail. On observe bien encore des cris et des signes à distance entre le lamineur et les ouvriers de son équipe. L a coopération également subsiste entre les membres des « petites équipes » au chargement et au doublage. Mais le signal d'enfournement du chargement est un voyant lumineux et le signal d'évacuation ou de transfert est pour le basculeur l'arrivée de la tôle sur la chaîne. De même les doubleurs prennent en charge le matériau lorsqu'il arrive vers eux : ils ne se réfèrent plus au comportement du lamineur. A u trio c'est l'avancement de la chaîne, commandée à distance par le lamineur, qui donne le signal de chargement des bidons. L'empileur intervient quand la tôle arrive vers lui. Quant aux relations de travail entre le lamineur et l'aide-lamineur du trio, elles sont en même temps étroitement synchronisées et assurées, malgré la proximité des postes, par l'intermédiaire du matériau plus que par le système de signalisation. C'est la vue et le bruit des bidons entre les cylindres qui guident les lamineurs dans la coordination de leurs gestes.
Les processus de production
65
La schématisation des relations de travail courantes indique une nette diminution des relations interpersonnelles. On appellera travail en chaîne cette structure des relations de travail où le matériau devient la principale liaison de travail.
Duo
=
Trio
cheminement du matériau contact permanent
Schéma 9. Schéma des communications de travail courantes (au train mécanisé)
C. LE TRAVAIL EN RÉSEAU DU TRAIN
CONTINU
La dépersonnalisation des relations de travail s'accentue avec le train continu. Vingt-sept ouvriers sont échelonnés sur les 450 mètres de la chaîne : il leur faut des moyens de communication adaptés à ces distances ; on a créé un système de voyants lumineux et un interphone. Les relations de travail personnelles sont remplacées par des voyants lumineux et les communications interphoniques elles-mêmes sont organisées de telle sorte qu'elles ont normalement le ton impersonnel d'annonces de chiffres correspondant à des dimensions. Cette rationalisation des relations de travail n'exclut pas la permanence des communications personnelles : à part quelques isolés (machinistes pousseurs, machinistes convoyeurs) les ouvriers se répartissent le long de 3
66
Le travail
la chaîne en petits groupes de travail. Il y a donc des liaisons personnelles locales entre régleurs ou entre conducteurs de bobineuses dans une même cabine, ou dans les groupes situés auprès des cages : lamineurs du dégrossissage, lamineurs, régleurs de guides en enregistreurs du finissage. Des moyens de communication empiriques s'établissent même entre ouvriers des cabines et ceux d'en-bas : gestes des lamineurs aux régleurs de vitesse, papiers descendus par un fil en bas de la cabine de dégrossissage. A ces équipes locales se superpose une structure plus large de relations de travail : la communauté des ouvriers branchés sur le réseau d'interphone. Cette structure qui déborde les équipes a la dimension de tout un secteur d'atelier : les fours, l'ensemble du train. Lorsque le défourneur annonce à l'interphone la largeur et l'épaisseur de la brame défournée, ses informations concernent tous les postes du train. De même lorsqu'un poste sur la chaîne met le signal de marche au rouge tous les postes doivent stopper le produit à leur niveau. Cette nouvelle structure des communications de travail est différente de la chaîne décrite au train mécanisé à deux points de vue : à la différence des signalisations à sens unique du train mécanisé le système de communication du train continu est réversible : chacun est branché sur l'interphone comme émetteur et récepteur et il y a des communications dans les deux sens. D'autre part il y a communauté de branchement sur l'interphone : tous les postes entendent tout ce qui se dit. C'est cette double particularité que définira la notion de « travail en réseau > par laquelle se caractérisent les relations de travail à ce stade. On a vu précédemment comment la réception directe des consignes des bureaux sous la forme de feuilles de laminage tend à démocratiser les relations de travail. Cette structure des communications confirme cette évolution des relations de travail. Voyants et interphones substituent aux anciens rapports hiérarchiques des rapports de travail fonctionnels : les consignes de travail (dimensions laminées) sont transmises à chaque ouvrier, quelle que soit sa qualification, par un simple O.S. 2, le défourneur, qui rythme en même temps leur cadence de travail. Il tient compte, dans le rythme de défournement, des avis du premier lamineur et du chauffeur, mais cette coordination entre fours et train est elle-même plus fonctionnelle que hiérarchique et les chauffeurs appartiennent à un service différent.
67
Les processus de production
\r
Machinistes polisseuses
\
I
\
TRAIN
/ FOUR
ik
défoumeur
BOBINEUSES
DÉGROSSISSEUR
•
TJ9
lamineurs
cisailleur
ob
999 régleurs
• •
— • machiniste rouleaux
lamineurs
de euides
v bobine'use
régleurs
peseur régleurs de vitesse
— é machiniste convoyeur
• Branchement fours . Branchement train
Schéma 10. Schéma du réseau d'interphone Cette tendance est renforcée par la spécialisation des contrôles : le contrôle du travail dans les trains plus anciens est assuré par les postes de commandement. Les deux fonctions sont maintenant dissociées et les contrôles de marche sont faits et enregistrés par des postes secondaires, appartenant même à des services différents du service de fabrication : service des méthodes et service qualité. Evolution d'une structure très hiérarchisée à un mode de relations plus fonctionnel, passage d'une présence permanente à des relations plus distantes, transformation de communications empiriques et gestuelles en des rapports plus impersonnels médiatisés d'abord par le matériau, puis par des voyants et des chiffres, telles sont les grandes lignes de l'évolution des relations de travail de l'équipe du train manuel, à la chaîne du mécanisé et au réseau du train continu.
D.
CLASSIFICATION
DES
DES
DE
RELATIONS
POSTES
SELON
LES
CRITÈRES
D'ÉVOLUTION
TRAVAIL
Nous définirons l'évolution du travail dans les trois ateliers comme le passage du travail en équipe, au travail en chaîne puis au travail en réseau.
Le travail
68
Pour mieux séparer les stades de l'évolution, en cas d'hésitations pour classer les postes, nous retiendrons les caractéristiques indiquant leur plus haut degré d'avancement dans l'évolution du travail. En effet il est bien évident qu'au train mécanisé, malgré la mise en chaîne de l'installation, et au train continu, malgré la création de l'interphone, subsistent de petits équipes locales. Cette structure d'équipe domine même chez les ouvriers la perception de leurs relations de travail : ils se sentent plus proches des coéquipiers, voisins de cabine, que du défourneur lointain dont ils reçoivent les communications interphoniques. Pour ne pas sous-estimer l'innovation qu'introduit dans les relations de travail la mise en chaîne ou la création d'un réseau de communications, on se basera donc moins sur le type de relations le plus fréquent que sur ce qu'on trouvera dans chaque poste de plus original du point de vue de l'évolution des relations de travail. Si, pour caractériser les postes, on privilégie la structure nouvelle des relations en négligeant ce qui subsiste de la structure ancienne, on saisira mieux l'aspect évolutif de la situation de travail. Tableau 15. Train mécanisé Relations de travail
Equipe
Chaîne
Réseau
Duo : Premier lamineur Deuxième lamineur Premier doubleur Aides-doubleurs Premier chargeur Aides-chargeurs Basculeur
X X X X X
X X
Trio : Lamineur Aide-lamineur Premier chargeur Aide-chargeur Empileur Chauffeur Accrocheur
X X X X X X X
Au train manuel, tous les postes du train sont caractérisés par la structure du travail en équipe. Au train mécanisé, aussi bien au duo qu'au trio, les postes sont intégrés à une chaîne dont le lamineur commande la cadence. Seuls l'accro-
Les processus de production
69
cheur et le chauffeur sont en dehors de la chaîne et leurs liaisons de travail avec les autres ouvriers (lamineur, chargeur et empileur) permettent de considérer leur travail comme « en équipe >. A u train continu, tous les postes, sauf le chalumiste, sont branchés sur l'interphone et ont donc des relations de travail en réseau.
CHAPITRE II
L'analyse des tâches
Dans le chapitre précédent, nous avons décrit l'évolution du travail dans les trois installations étudiées du point de vue global de son organisation, organisation technique, c'est-à-dire rationalisation et contrôle de la production, et organisation humaine qui se traduit en système de relations de travail. Cette organisation du travail qui est l'œuvre des bureaux de planning et de préparation du travail et fait l'objet, dans les stades techniques avancés, du contrôle de services spécialisés, se répercute évidemment au niveau des postes de travail. C'est pourquoi, à la suite de la description globale des degrés d'empirisme ou d'organisation des ateliers, nous avons noté leur répercussion sur les postes de travail : différents critères décrivent les conséquences de l'organisation au niveau des postes : consignes reçues, caractère parcellaire, groupé ou polyvalent du travail, degré d'autonomie du contrôle ouvrier, nature des signaux utilisés, type de relations avec les autres ouvriers. Les ouvriers se classent dans ces critères selon différentes possibilités qui vont caractériser les stades d'évolution du travail. Dans le chapitre qui suit, nous nous attacherons à une description davantage centrée sur le poste de travail et sur les modalités d'intervention de l'ouvrier : rapport de l'ouvrier au matériau, à la machine, régularité, stéréotypie, précision et rapidité de ces interventions. L'ensemble de ces critères, ainsi que celui plus global de l'expérience professionnelle, vont s'ajouter aux critères précédents tirés de l'organisation du travail pour définir des stades d'évolution du travail. A la fin de ce chapitre, nous serons donc en mesure d'établir pour chaque poste de travail un profil d'évolution qui permettra de classer les postes dans les différents stades d'évolution retenus. I. TYPES D'INTERVENTION Selon la modernisation, les interventions des ouvriers prennent des formes différentes. En effet, le passage d'un demi-produit à une tôle fine nécessite
L'analyse des tâches
71
que soient remplies un certain nombre de fonctions (transports, réglages, écartements des cylindres, contrôles, etc.) et accomplies un certain nombre d'opérations de travail. Selon les niveaux techniques, ces fonctions et ces opérations sont réparties de façons différentes entre les hommes et les machines, la modernisation tendant en général à ne conserver à l'homme que les fonctions mal assumées par la machine, c'est-à-dire, les décisions, les choix, l'appréciation des situations que l'on n'a pu techniquement totalement maîtriser \ L'utilisation d'un ordinateur pourrait encore réduire la part de l'homme, mais il s'agirait là d'un niveau ultérieur de mécanisation. Dans bon nombre de cas, on ne sait pas encore construire d'appareils de mesure capables de capter les indications rendant compfe de l'état du matériau en cours de transformation. Le travail d'appréciation de la situation reste alors confié à l'homme qui interprète de nombreux indices dont il a appris la signification approximative au cours des années. L'étude du comportement des ouvriers dans les différents postes de travail nous a permis d'isoler un certain nombre de points qui semblent différencier entre eux les stades d'évolution technique. Les critères que nous allons maintenant passer en revue sont les suivants : 1°) les actions des ouvriers sur le matériau, liées à la proximité ou l'éloignement entre celui-ci et l'ouvrier ; 2") la nature de l'action des ouvriers sur la machine ; 3°) la régularité ou l'irrégularité des interventions des ouvriers dans les cycles de travail ; 4°) le caractère stéréotypé ou au contraire variable des interventions des ouvriers ; 5°) la précision de ces interventions ; 6°) la rapidité des interventions ; 7°) l'expérience professionnelle. Nous allons définir plus avant chacun des critères que nous avons retenus et caractériser grâce à eux les postes des différentes installations. A. TYPE D'ACTION SUR LE MATÉRIAU
L'évolution technique dans les laminoirs s'accompagne pour l'ouvrier d'un éloignement progressif du matériau en raison de la transformation de 1. J. M. Faverge et al., L'Ergonomie des processus industriels, cbap. I, Université de Bruxelles, éditions de l'Institut de sociologie, 1966.
72
Le travail
son action sur lui. L'ouvrier manipule lui-même les bidons, les platines, les tôles, directement, à la main même, lorsque le produit est froid. Il en est donc très proche et chaque tôle se travaille de façon particulière. Chacune est unique et différente des autres comme pour un artisan chaque produit de son art. L'action sur la matière est directe. Avec le perfectionnement des machines, et la mécanisation des transports en particulier, il n'y a plus de manipulations directes du produit. L'ouvrier n'agit plus sur lui que par l'intermédiaire de la machine. La tôle devient impersonnelle, car on applique sur chacune le même barème, les mêmes gestes de travail. On ne retrouve plus ce contact de l'homme et de son produit, rendu d'ailleurs difficile par un éloignement du matériau de l'ouvrier qui le travaille. L'ouvrier n'agit plus sur la tôle que par l'intermédiaire d'une machine. La distance entre l'ouvrier et le produit s'accroît encore plus dans les installations les plus modernes. Il s'agit d'une action à distance, sans la moindre manipulation, le moindre contact avec le matériau. L'ouvrier ne vit plus physiquement la transformation du produit, ne le ressent plus dans son environnement. Dans les cabines insonorisées et climatisées la chaleur des tôles, le bruit des cylindres, l'odeur, sont presque supprimés. Le produit s'est « éloigné » de l'ouvrier dans tous les sens du terme, aussi bien géographiquement que par la signification du produit pour l'ouvrier ; la tôle ne le concerne que par certains aspects parcellaires de sa transformation au lieu d'être un objet concret et complexe qu'il faut façonner dans tous ses aspects. Le critère présente donc trois types de situation différents, correspondant à des interventions de nature différentes de la part de l'ouvrier : intervention directe sur le matériau, action par l'intermédiaire de la machine ou action à distance. 1. Interventions directes La presque totalité des interventions des ouvriers du train à main sont des manipulations du produit, au moyen de pinces à long bras. Le lamineur engage la tôle entre les cylindres, la reçoit du rattrapeur, la déplace, l'engage à nouveau. Les plieurs déposent la platine à terre, la courbent en rabattant une extrémité sur l'autre, la poussent sous la plieuse qui écrase la courbure ; puis, ils poussent le paquet plié dans le four. Pour les ouvriers du train à main, le travail consiste à manipuler, à transporter la tôle, à la travailler au bout de la pince, en tenant compte de ses réactions, couleur, allongement et forme. Le travail est presque une lutte individuelle contre la chaleur de la tôle, sa résistance au pliage,
L'analyse
des
tâches
73
son poids pendant le transport, sa facilité à s'écraser ou sa tendance à se déformer. Le travail du rattrapeur et celui du chauffeur s'apparentent à ce type d'intervention. On trouve au train mécanisé des tâches où prédominent des manipulations directes du matériau. Par exemple, les aides-chargeurs du duo qui transportent à la main les platines ébauchées sur la table pour les engager dans le four. L'aidedoubleur de même, qui tire à la pince les paquets du convoyeur sur les rouleaux conduisant à la plieuse ; il les met en place, les guide ou les retient légèrement et décolle les deux platines qui composent le paquet. Même au train continu, un poste se classe dans cette première catégorie par ses interventions directes sur le produit ; c'est le chalumiste qui intervient en cas de panne pour découper les tôles mises au rebut et faciliter leur évacuation. 2. Interventions
par l'intermédiaire
de la
machine
A u duo du train mécanisé, le lamineur ne manipule plus le matériau : celui-ci circule sur chaînes transporteuses et est plus éloigné de lui ; c'est en agissant sur la machine qu'il déplace les tôles, les engage entre les cylindres et les évacue. Cependant, son travail suit de très près la transformation du produit à laquelle il s'adapte en permanence, comme le lamineur du train à main. Sur le plan de ce critère, le lamineur duo serait intermédiaire entre le train à main et le lamineur trio qui, lui, n'a plus ce contact < artisanal » avec les produits en ne s'inquiétant plus de leurs caractéristiques individuelles : il débite de la tôle. Assez proche du lamineur duo, le serreur du train à main se distingue des autres postes de cette installation ; il n'agit pas directement manuellement sur le produit, mais par l'intermédiaire de la roue de serrage. Au train continu, quelques postes semblent être alignés sur cette conception du travail : ce sont le défourneur, dont on a vu plus haut le travail, le machiniste pousseuse, le machiniste looper, les conducteurs de bobineuses, le machiniste-rouleaux, le cisailleur-ébouteuse. 3. Action
à
distance
L'éloignement topographique de la plupart des ouvriers du train continu est important. Nous avons mentionné dans les pages précédentes les cabines de contrôle, souvent insonorisées et climatisées, où sont installés les ouvriers, à bonne distance des cages. Chacun a une fonction particulière à remplir, vitesse, guides, etc. et ne peut plus embrasser l'ensemble des opérations ; la tôle qui se déroule à distance devient impersonnelle, et l'on n'a plus à tenir compte des particularités un peu mystérieuses du produit, ni même à les apprécier.
74
Le
Tableau 1. Classification des selon leur intervention sur le
Train manuel
par l'intermédiaire de la machine
X X
postes matériau
Interventions directes
par „. „erveni . I intervention de la machine
Duo Premier lamineur Deuxième lamineur Premier doubleur Aide-doubleur Premier chargeur Aide-chargeur Basculeur
X X X X X X X
Trio Premier lamineur Aide-lamineur Premier chargeur Aide-chargeur Empileur Chauffeur Accrocheur
à distance
X X X X X X
Tableau 2. Classification des selon leur intervention sur le
rr. • •Tram mécanisé
postes matériau
Interventions directes
Premier lamineur Deuxième lamineur Premier chauffeur Deuxième chauffeur Rattrapeur-doubleur Aide-doubleur Serreur Chargeur-pousseur
travail
X X X
x x
X
X
„ „ a distance
L'analyse
des
Train
mécanisé
Train
continu
75
tâches
Interventions directes
Premier lamineur Défourneur Machiniste-pousseuse Lamineur-dégrossisseur Régleur-vitesse dégrossisseur Aide-régleur dégrossisseur Aide-lamineur Lamineur-finisseur Régleur-vitesse finisseur Machiniste-looper Enregistreur Conducteurs-bobineuses Cisailleur-ébouteuse Machiniste-rouleaux Premier chauffeur Aide-chauffeur Chalumiste
par l'intermédiaire de la machine
à distance
X X X X X X X X
* X X X X
B. TYPE D'ACTION SUR LA MACHINE
Le type d'action sur la machine varie avec la mécanisation des installations. Ce critère est, par certains côtés, complémentaire du premier ; en effet, au train à main, l'ouvrier agit sur le matériau et non directement sur la machine ; au train mécanisé l'ouvrier n'agit plus directement sur le matériau, car les fonctions de manipulation et de transport du produit lui ont été retirées pour être confiées à la machine ; c'est donc en faisant agir la machine que l'ouvrier accomplit son travail ; il doit donc la commander en permanence pour qu'elle reproduise les actions variées effectuées auparavant à la main. Au train continu, les fonctions de déclenchement des opérations sont dévolues à des postes secondaires. Du fait de la mise en évidence des différentes variables qui conditionnent le travail de la tôle et de l'introduction de nouveaux moyens de mesure, les postes principaux accomplissent de nouvelles fonctions, mal définies dans les autres trains. Le rôle des ouvriers est d'agir sur ces variables lorsqu'elles se dérèglent ou lors d'un changement de réglage. Le travail à ce niveau de mécanisation
76
Le travail
consiste dans des interventions intermittentes de réglage, d'ajustement de la machine au produit. Parallèlement et comme nous l'avons vu dans le critère précédent, la signification du travail change pour l'ouvrier ou du moins le sens de ses interventions. Au train à main, la nature de l'action de l'ouvrier est très proche du résultat de cette action. Le geste porte en soi sa « signification > et il ne peut en avoir qu'une seule. Au train à main, le lamineur pousse avec sa pince la tôle entre les cylindres. Au train à bande, un ouvrier appuie sur un bouton et la bande s'engage dans les cages. La « signification * du geste est éloignée de son résultat ; il y a en quelque sorte une « distance » entre le geste et sa « signification >. En outre, le fait d'appuyer sur un bouton peut déclencher une tout autre action et il doit y avoir, de la part de l'ouvrier, un apprentissage de la liaison action-résultat, de la signification de chaque commande. Les différents types d'action de l'ouvrier sur la machine peuvent se résumer ainsi : action indirecte au stade artisanal où n'existe pas de moyen de réglage ; action directe visant au déclenchement de chaque opération de travail au train mécanisé ; action intermittente de réglage de la machine au train continu. 1. Action indirecte sur la machine Au train à main, le lamineur a une action sur la machine, mais cette action ne peut être qu'indirecte puisqu'il n'a pas à sa disposition de moyen de modifier la marche de la machine. Son rôle à l'égard de la machine consiste à la mettre et à la maintenir en état, en obtenant et en conservant le profil de travail des cylindres. On a vu qu'il y parvenait essentiellement en modulant la largeur des tôles qu'il lamine pour que la chaleur du métal se communique au centre des cylindres et les rende bombés. L'action qu'il a sur la machine est tout à fait indirecte, par l'intermédiaire du produit, et cette action est permanente. Les chauffeurs du train à main ont le même comportement par rapport à leurs fours ; la capacité de chauffe de leurs fours ne se règle que par la quantité de charbon qu'ils introduisent et par la répartition du combustible sur les foyers. Aux autres postes de travail du train manuel, sauf pour le serreur que l'on décrira plus loin, il n'y a pas d'action sur la machine. Il en est de même au train mécanisé, pour les aides-chargeurs, l'empileur du trio et l'accrocheur ; quelques postes sont dans ce cas au train continu : défourneur, enregistreur, chalumiste.
L'analyse des tâches
77
2. Actions de déclenchement de la machine Le lamineur du trio mécanisé actionne en permanence leviers, boutons et pédales. Les commandes agissent sur les chaînes convoyeuses : un bouton poussoir fait sortir le bidon du four ; un levier les arrête à l'entrée de la cage lorsque cela est nécessaire, avant l'engagement ; deux manettes commandent l'arrêt ou l'inversion des tabliers releveurs et de leurs chaînes et le retour du bidon ; un bouton commande l'engagement. Toutes ces actions, ainsi que le mariage sont, au train mécanisé, effectuées par la machine. L'homme ne commande que leur déclenchement. L'aide-lamineur trio : même type de travail, actionnant les butées, arrêtant les bidons, inversant le tablier releveur et les chaînes, serrant les guides et les desserrant. Le basculeur, ouvrier qui commande l'évacuation des tôles, a, lui aussi, un pupitre de commandes élémentaires pour l'arrêt et la mise en marche des chaînes dans le convoyage de la tôle. Le premier doubleur : commande l'arrivée, la mise en place des tôles sur la plieuse et la mise en marche de sa machine. Le lamineur duo a aussi un travail de déclenchement des opérations de travail par la machine, transport, guidage, engagement, inversion des tabliers, détournement", etc. Il fait donc bien partie de ce deuxième niveau, mais avec la subsistance d'une partie de travail artisanal, la mise en état de la machine, en chauffant ou refroidissant les cylindres. Le poste de lamineur au duo présente, sous cet aspect, un chevauchement des deux premiers stades qui s'explique techniquement ; la cage proprement dite n'a pas beaucoup changé du train manuel au train mécanisé sauf sur deux points qui permettent au lamineur d'agir sur sa machine : le possibilité de chauffer les cylindres par un tuyau de gaz, et la commande du serrage par le lamineur ; le grand changement a été la mécanisation des mouvements de la tôle, convoyeur et tablier releveur, par commandes de moteurs électriques.
Le travail
78
Tableau 3. Classification des postes selon le type d'intervention sur la machine _ . . Tram a main
Premier lamineur Deuxième lamineur Premier chauffeur Deuxième chauffeur Rattrapeur-doubleur Aide-doubleur Serreur Chargeur-pousseur
Peu d action , sur la machine mise en état
. . , Action de ,, , , déclenchement
.
_, . Reglage . . intermittent
X X X X X X
Le premier chargeur commande l'enfournement par bouton ; il travaille un peu à la pince ainsi que le basculeur. Deux postes du train à main s'apparentent à ce second stade : le chargeur-pousseur qui déclenche la mise en marche de la pousseuse à partir d'un tableau de commande simplifié, et le serreur. Celui-ci déclenche le serrage des colonnes par l'intermédiaire d'un volant fixé sur la colonne gauche de la cage ; il assure l'allongement de la tôle en augmentant le serrage à chaque passe. Le travail de serreur correspondant au premier niveau de mécanisation est celui qui existait, il y a une cinquantaine d'années, lorsque le serrage était assuré par des coins que l'on enfonçait au maillet. Tableau 4. Classification des postes selon le type d'intervention sur la machine _ . Train mécanisé
Pas d'action .. , sur la machine mise en état
, . , Action de ... , déclenchement
Duo Premier lamineur Deuxième lamineur Premier doubleur Aide-doubleur
X X X y
.
_, , Reglage . intermittent
L'analyse des tâches
79
Train mécanisé
Pas d'action sur la machine mise en état
Premier chargeur Aide-chargeur Basculeur
X
Action de déclenchement
Réglage intermittent
X X
Trio Premier lamineur Aide-lamineur Premier chargeur Aide-chargeur Empileur Chauffeur Accrocheur
X X X X X X X
Au train continu, il subsiste un certain nombre de postes dont le travail est également de déclencher les opérations de laminage. Ce sont en général des postes secondaires, tel le machiniste-pousseuse et le cisailleur-ébouteuse, qui déclenchent la coupe du pied et de la tête de la brame et l'engagement de la brame en mettant en route les trains de rouleaux. Avec eux se classent les conducteurs-bobineuses et le machiniste-rouleaux. La bobineuse est un travail de type « mécanique » par l'aspect direct de chacune des opérations : mise en marche, arrêt du mandrin, rapprochement et écartemenf des cylindres d'enroulement, stripage *, etc. et aussi par la multiplicité et le type des commandes à l'arrivée de chaque bobine. Ce sont en quelque sorte des actions de commande par « tout ou rien >, sans réglages intermédiaires entre les positions marche-arrêt. 3. Interventions de réglage intermittentes Au train continu apparaît un nouveau type de travail. La machine, minutieusement mise au point, est en état de marche, le matériau est engagé sans intervention directe, son déplacement est commandé par des postes secondaires. Le travail de l'ouvrier consiste à régler la machine quand se lamine une nouvelle dimension. A l'annonce faite par le défourneur de la dimension de la tôle, largeur et épaisseur, le lamineur règle 2. Dégagement par glissement de la bobine sur le mandrin d'enroulement.
Le travail
80
l'écartement des cylindres, l'opérateur-vitesse donne la vitesse voulue aux cylindres ; un autre ouvrier règle l'écartement des guides et il n'y a plus d'intervention jusqu'à un nouveau changement de dimensions ; le chauffeur, à la lecture des cadrans indiquant la température des fours, procède à des réglages combinant l'arrivée du gaz de hauts fourneaux, du mazout et de l'air. Le travail de ces ouvriers est une régulation intermittente de la machine. La nature des commandes différencie aussi le travail de « surveillance » du travail « mécanique ». Elles sont moins directement liées à l'action qu'elles produisent. Le serrage au duo mécanisé se fait par action directe sur la vis par une barre de fer, « la queue de vache », au sommet de la colonne. Au train continu c'est une poignée que l'on tourne à gauche ou à droite, suivant que l'on serre ou desserre, tandis que l'intervalle de serrage s'inscrit en chiffres dans le voyant d'un compteur. Il n'y a plus cette multiplicité des commandes mécaniques que l'on rencontrait au trio, leviers, boutons, pédales, hétérogénéité due à l'emploi simultané par le lamineur des deux mains, des deux pieds et même du coude pour déclencher l'enchaînement des opérations mécaniques. Au train continu, à de rares exceptions près, les commandes se font par des manettes à plusieurs positions, assurant une action graduée ou progressive sur la machine alors qu'au train mécanisé ce sont généralement des commandes par « tout ou rien » d'arrêt ou de mise en marche (si l'on excepte du moins le serrage au duo mécanisé et au train à main). Un seul poste du train mécanisé, celui de chauffeur, se classe parmi les interventions de réglage intermittent du combustible et de l'air, pour s'ajuster à la température de consigne. Tableau 5. Classification des postes selon le type d'interventions sur la machine
Train continu
Premier chauffeur Aide-chauffeur Machinistes-pousseuses Défourneur Lamineur-dégrossisseur Aide-lamineur-dégrossisseur Régleur de vitesse-dégrossisseur
Peu d'action sur la machine mise en état
Action de déclenchement
Réglage intermittent X X
X X X X
L'analyse des tâches
Train continu
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Peu d'action sur la machine mise en état
Aide-régleur-dégrossisseur Cisailleur-ébouteuse Premier lamineur Lamineur-finisseur Aides-lamineurs Régleurs de guides Régleur-vitesse-finisseur Aide-régleur-finisseur Machiniste-looper Enregistreur Conducteurs-bobineuse Machiniste-rouleaux Chalumiste
Action de déclenchement
Réglage intermittent X
X X X X X X X X
X
X X
X
C. RÉGULARITÉ DES INTERVENTIONS
La régularité des interventions des ouvriers paraît être l'un des critères permettant de distinguer les différents niveaux de l'évolution technique. Le laminage des tôles (platines ou brames) nécessite un certain nombre d'opérations formant un « cycle de travail » : chauffe, défournement, dégrossissage, éventuellement doublage et réchauffage, finissage, etc. Dans les trains les plus anciens, chacun des ouvriers intervient à chaque cycle de travail, alors que dans l'installation la plus récente, les interventions sont irrégulières et parfois exceptionnelles. 1. Interventions à chaque cycle Au train à main, c'est l'ouvrier qui est le support de toutes les opérations ; il réalise physiquement chaque cycle de travail. Chaque opération nécessite son intervention, que ce soit pour défourner, dégrossir, laminer, plier, etc. L'ensemble des postes du train à main agit à chaque étape du laminage : le chauffeur défourne chaque bidon au début de chaque cycle, le lamineur l'engage, le rattrapeur le renvoie, le serreur rapproche les cylindres, etc. Le chargeur-pousseur, lui, n'intervient pas à chaque cycle de laminage, mais selon un cycle personnel, celui de l'enfournement par la chargeuse,
82
Le travail
pour faire pénétrer dans le four tous les bidons qui constituent la charge. Ces interventions sont réglées par la charge du four qui est son cycle de travail autonome. Tableau 6. Classification des postes selon la régularité des interventions _ . . Tram a main Premier lamineur Deuxième lamineur Premier chauffeur Deuxième chauffeur Rattrapeur-doubleu r Aide-doubleur Serreur Chargeur-pousseur
Interventions . , , a chaque cycle
Interventions . . . occasionnelles
X X X X X X X X
Au train mécanisé, l'ouvrier doit commander toutes les opérations pour que le laminage se réalise. Il intervient donc également de façon régulière à chaque cycle de travail. Le lamineur duo et le lamineur trio interviennent à tout moment tout au long du cycle de laminage, de même que les doubleurs. Les chargeurs interviennent à chaque cycle pour le chargement des platines ou des bidons. Tous les autres ouvriers de l'équipe participent de façon régulière à chaque cycle de travail. Tableau 7. Classification des postes selon la régularité des interventions _ . , . , Tram mécanisé
Interventions à , , chaque cycle
Duo Premier lamineur Deuxième lamineur Premier doubleur Aide-doubleur Premier chargeur Aides-chargeurs Basculeur
X X X X X X X
Interventions . . . occasionnelles
L'analyse
des tâches
„ . . , Train mécanisé
83
Interventions à , , chaque cycle
Interventions ,, occasionnelles
Trio Premier lamineur Aides-lamineurs Premier chargeur Aides-chargeurs Empileur Chauffeur Accrocheur
X X X X X X X
Au train continu, une minorité de postes conserve des interventions régulières à chaque cycle de travail ; ainsi pour chaque brame, le défourneur annonce ses dimensions et donne au machiniste-pousseur l'ordre de la défourner. Le cisailleur arrête chaque brame sur le train de rouleaux. Le conducteur-bobineuse et le machiniste-rouleaux interviennent, eux aussi, à chaque cycle. L'enregistreur inscrit chaque brame laminée et consigne pour chacune les remarques, les incidents et les temps d'arrêt. Pour tous les autres postes, où domine le travail de surveillance et de réglage, l'action de l'ouvrier est irrégulière et occasionnelle. 2. Interventions occasionnelles Au train continu, l'intervention des ouvriers se limite à des réglages occasionnels lors d'un changement de dimension ou en cas d'incidents. Par exemple, le lamineur ne change pas l'écartement des cylindres à chaque brame, mais lorsque intervient le laminage d'un nouveau format ; de même le régleur de guides qui doit modifier l'écartement des guides au passage d'une bande de largeur différente de la précédente. C'est de la même façon, lors des changements d'épaisseur que le régleur de vitesse augmente ou diminue la vitesse de rotation des cylindres. Le machiniste-looper n'intervient que lorsque la bande se soulève et ondule entre deux cages pour rattraper la tension de la bande ; il ne s'agit que d'interventions en cas d'incidents. Le chauffeur du train continu n'a à agir que lorsque change la nature de l'acier pour modifier ses réglages ou lorsque la régulation fonctionne mal et que le four se dérègle. Le travail du chauffeur de train mécanisé s'apparente à celui du chauf-
84
Le travail
feur du train continu ; il n'a que des interventions irrégulières, augmentant la chauffe sur la demande du lamineur lorsque celui-ci travaille plus vite, ou la tempérant lors d'un arrêt, pour que les platines ou les bidons ne soient pas trop chauds à la reprise du travail. Tableau 8. Classification des postes selon la régularité des interventions Train continu
Premier chauffeur Aides-chauffeurs Machinistes-pousseuses Défourneur Lamineur-dégrossisseu r Aide-lamineur Régleur de vitesse-dégrossisseur Aide-régleur-dégrossisseur Cisailleur-ébouteuse Premier lamineur Lamineur-finisseur Aides-lamineurs Régleurs de guides Régleur de vitesse-finisseur Machiniste-looper Enregistreur Conducteurs-bobineuses Machiniste-rouleaux Chalumiste
Interventions à chaque cycle
Interventions occasionnelles X X
X X X X X X X X X X X X X X X X X
L'apparition des transports automatisés, et surtout des appareils de mesure et de régulation, explique la transformation de ce critère avec l'évolution du travail ouvrier. Au train à main, l'ouvrier doit intervenir constamment ; c'est lui qui transforme personnellement le matériau et décide de chacune des opérations. Au trio du train mécanisé, le cycle de laminage est en quelque sorte « inscrit » ou « affiché > dans la machine, mais l'ouvrier doit encore intervenir constamment pour déclencher les opérations de ce cycle, si bien que la régularité de l'intervention se maintient. Au train continu où le déroulement du cycle est prévu dans la structure de la machine, l'ouvrier se contente de contrôler et de régler la machine, si bien qu'il n'intervient que de façon occasionnelle.
L'analyse des tâches
85
D. STÉRÉOTYPIE DES INTERVENTIONS
Une autre caractéristique des différences engendrées par la modernisation se situe dans le caractère répétitif et stéréotypé des interventions. Nous avons appelé stéréotypie des interventions le caractère répétitif, l'enchaînement de gestes identiques. Tableau 9. Classification des postes selon la stéréotypie des interventions Train à main Premier lamineur Deuxième lamineur Premier chauffeur Deuxième chauffeur Rattrapeur Doubleur Aide-doubleur Serreur Chargeur-pousseur
Variabilité
Stéréotypie
X X X X X X X X X
Ce critère peut être dichotomisé : les interventions sont non stéréotypées lorsqu'elles présentent une certaine variabilité d'un cycle de travail à l'autre, les interventions stéréotypées reproduisent à chaque cycle un même schéma de comportement. 1. Variabilité des interventions Au train manuel, la latitude laissée au lamineur dans l'organisation de son travail a évidemment pour conséquence une grande liberté dans le déroulement de son comportement. On a déjà signalé l'existence de styles de travail, les uns serrant plus fort et laminant en moins de passes, d'autres serrant moins fort et faisant davantage de passes. C'est en fonction des variations de l'écrasement du métal que le lamineur adapte ses interventions. Elles ne se répètent pas de façon identique d'un cycle à l'autre. Il tient compte à chaque passe d'un grand nombre d'informations, forme du métal, couleur, fronces, etc. Les informations sont variables pour chaque tôle et varient en outre dans le temps avec les déformations des cylindres. L'état des cylindres, du niveau de température des fours n'étant pas prévisible, il est impossible d'encadrer le lamineur dans un réseau de consignes, et il faut faire confiance à son habileté et à sa connaissance professionnelle pour s'adapter à la variabilité du travail.
Le travail
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Le serreur, qui se guide sur les mêmes signaux que le lamineur pour ajuster son serrage de vis, a, lui aussi, une variabilité d'intervention. Mais en outre, il peut y avoir d'un matériau à l'autre des différences d'interventions, de « styles > comme pour le lamineur. L'observation de deux serreurs qui alternaient pour le laminage d'un même produit, le montre : — l'un faisait son premier serrage en deux reprises de volant d'amplitude décroissante, son deuxième serrage en trois reprises et le serrage de blocage en cinq petits coups, pesant sur la roue de tout son poids ; — le serreur suppléant (qui était habituellement aide-doubleur) avait une manière plus économique, du moins dans le déploiement des gestes : il faisait son premier serrage en un coup, lançant le volant et l'arrêtant au bon endroit ; deuxième serrage en deux reprises ; pour le blocage, seulement trois petites pesées sur le volant. A plus forte raison la variabilité des gestes se retrouve dans le travail des doubleurs. Il y a plusieurs méthodes pour doubler les platines : la méthode classique est un doublage individuel (en mettant le pied sur la tôle) ; certains ouvriers font le doublage à deux en se courbant pour plier la tôle en l'immobilisant contre une butée ; d'autres, enfin, la plient sur le chevalet. Au duo du train mécanisé, l'observation montre qu'une partie du travail dénote une stéréotypie de certaines interventions, celles qui concernent le transport de la tôle (rappelons qu'au duo, il n'y a que les transports qui ont été mécanisés). Une partie du laminage répète de façon identique l'enchaînemenf des mêmes opérations de travail : 1°) 2°) 3°) 4°) 5°)
desserrer la vis ; appuyer sur manette < automatique » (marche des chaînes) ; serrer la vis ; appuyer sur bouton < appel du four » ; serrer la vis.
Mais il subsiste une certaine variabilité dans l'ordre des autres opérations : manipulation du levier de butée, appui sur le bouton de commande de chaîne, manipulation de la manette « automatique ». De même l'utilisation des guides se fait selon les besoins et il est difficile de lui donner une place précise dans le cycle de laminage. De plus, on retrouve au duo mécanisé la variabilité du nombre de passes constatée au train manuel : un jour on fera tel allongement en deux passes, le lendemain il faudra trois passes ; cela dépend de l'état des cylindres et de la chaleur des platines. Il y a donc une adaptation du comportement à une situation de travail mouvante. Cela se reflète particulièrement dans l'importance des dosages du serrage de vis. Ce n'est pas
L'analyse des tâches
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là un travail automatique. « Il faut répartir la pression entre les diverses passes. Si on serre trop à la première passe, la feuille plisse ; il y a donc trop d'allongement. Il n'y a plus de serrage à la fin et ça « colle >. Si la feuille passe de travers, il faut au contraire mettre toute la pression dans les premières passes et faire la dernière à vide. > Comme au train à main, la variabilité du comportement ne dépend pas seulement d'une variabilité des circonstances qui demandent l'intervention d'appréciations professionnelles ; elle dépend aussi des habitudes du lamineur ; il peut travailler vite et prendre des risques quant à la qualité, ou travailler plus lentement et soigner spécialement la qualité ; le lamineur peut faire une passe de plus, une vérification supplémentaire ; incertain du résultat, il peut même aller rechercher la tôle sur la table d'évacuation pour la repasser. Les aides-doubleurs, aides-chargeurs, le basculeur et l'accrocheur travaillent de façon non stéréotypée, manipulant les tôles ou les bidons, à la demande et à leur façon, sans programme préétabli. Même chose au trio pour les postes secondaires tels que le chargeur, ses aides et l'empileur. Travail de surveillance non stéréotypé pour le chauffeur qui ajuste ses interventions aux déréglages de ses fours. Au train continu, les postes qui ont un travail de surveillance ont principalement des activités de réglage, c'est-à-dire d'adaptation de la machine aux conditions particulières de travail ou aux incidents. Ainsi le lamineur-finisseur intervient lorsqu'il décèle que la bande « voile » sur le train d'évacuation. De même, le machiniste-looper ne réagit que lorsque la bande se soulève sur le train de rouleaux entre les cages. Le régleur de vitesse surveille lui aussi la configuration de la bande : il doit réagir à ces « bouclages > en ajustant les vitesses des cylindres pour rétablir la tension. Mais même les interventions régulières et prévues ne sont pas aussi stéréotypées que celles du trio du train mécanisé ; les réglages varient avec les produits et la nature de l'acier, l'épaisseur, etc. Les ouvriers appliquent des barèmes de réglage, mais, d'une brame à l'autre, il faut adapter le matériel (vitesse, serrage, etc.) aux valeurs de consigne. 2. Stéréotypie du comportement La nature des interventions du lamineur trio est différente de celle du duo mécanisé ; elles sont tout à fait stéréotypées d'un cycle de travail à l'autre, c'est-à-dire invariables. Il n'y a pas une organisation administrative du travail très poussée ; mais l'enchaînement des interventions est défini par la machine elle-même : leviers, manettes, boutons, etc. Les commandes n'ont pas une action < continue » comme aux postes du
Le travail
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train à bande décrits ci-dessus * ; ce sont des commandes par « tout ou rien », et il n'y a donc pas d'ajustement possible de l'action de l'ouvrier, comme dans les réglages de vitesse du train continu. La manœuvre de chaque commande ne peut avoir aucune variabilité. Il n'y a pas non plus de variabilité des signaux de travail puisque, les cylindres étant froids, il n'y a pas à tenir compte de leur déformation au cours du travail et qu'il ne s'agit par ailleurs que d'un dégrossissage, la finition étant réalisée au duo. Mais la stéréotypie du travail se marque surtout dans l'enchaînement rigoureux des interventions à chaque cycle ; le lamineur trio suit machinalement un schéma de comportement rigoureusement défini ; on s'en rendra compte dans le tableau suivant qui décrit les gestes du lamineur trio. Tableau 10. Interventions du lamineur trio pour un cycle de laminage de 2 bidons en 3 passes avec mariage Opérations
main droite
coude droit
pied droit
Arrivée des bidons
main gauche
pied gauche
manœuvre du levier de guides tenue « arrêt »
Engagement bidons bouton d'appel Deuxième engagement
Mariage
pédale de serrage vis
élèvement de la butée aller-retour manette butée abaissement butée
pédale de desserrage
levier de guides
pédale chaîne automatique
levier de guides
Passe du paquet pédale de desserrage bouton d'appel Arrivée des bidons
... commencement du nouveau cycle
3. La manœuvre de la commande permettait de faire varier l'action progressivement du minimum au maximum par opposition aux commandes du trio mécanisé qui ne produisent que deux états : marche — arrêt.
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L'analyse des tâches
Pour chaque bidon, le lamineur reproduit invariablement le même cycle d'interventions, dans le même ordre, invariable. Cette stéréotypie permet le maintien d'une cadence de travail rapide. Le serrage de vis lui-même, si variable au duo et au train à main, se déclenche par un coup de pédale après un préréglage. L'aide-lamineur trio a un cycle de comportement complémentaire de celui du lamineur, car son travail consiste à renvoyer les bidons en avant de la cage ; ce cycle est tout aussi stéréotypé. Au duo, certains postes, le premier doubleur et le premier chargeur, se situent par le travail dans ce type de tâches, commandant une machine, la doubleuse et la chargeuse, selon une succession de gestes identiques. Tableau 11. Classification des postes selon la stéréotypie des comportements Train mécanisé
Variabilité
Stéréotypie
Duo Premier lamineur Deuxième lamineur Premier doubleur Aide-doubleur Premier chargeur Aide-chargeur Basculeur
X X X X X X X
Trio Lamineur Aide-lamineur Premier chargeur Aide-chargeur Empileur Chauffeur Accrocheur
X X X X X X X
Au train mécanisé, un certain nombre de postes présentent une régularité d'enchaînement des interventions qui les rapproche des postes du trio mécanisé. Ainsi, par exemple, le poste de machiniste-rouleaux, le conducteur de bobineuse et de cisailleur-ébouteuse. Le cycle de travail du machiniste-rouleaux se schématise de la façon suivante :
90
Le travail
Tableau 12. signaux
première commande
Allumage lampe signal, arrivée de la bande
X
deuxième commande
troisième commande
quatrième commande
X X
attente correspondant à l'enroulement de la bande Extinction lampe signal X
Ce cycle alterne avec un cycle analogue ne comportant que la manipulation des trois premières commandes. A un signal peu variable ici (deux états possibles : la lampe est allumée ou éteinte), correspond un comportement stéréotypé. La même information déclenche une même réponse. Le cycle de travail du machiniste de la cisaille ébouteuse est aussi stéréotypé : Tableau 13. Opérations
Signaux
Manettes 1"
Arrivée de la bande au repère sur le train de cisailles — Ralentissement des rouleaux — Mise en place de la brame sous la cisaille — Allées et venues des rouleaux pour mise en place précise — coupe Signal de l'ouvrier du service métallurgique
Y
?
X
(x X
X
' X
X
L'analyse
des
91
tâches
Opération
Signaux
Manettes Jre
Passage de la bande
Mise des rouleaux en position avant Commande de « décalaminage » Attente
2'
3'
x X
Passage de la fin de la bande au repère Commande de coupe de la fin de la bande Arrêt de décalaminage
X X
Tableau 14. Classification des postes selon la stéréotypie du comportement Train continu
Premier chauffeur Aide-chauffeur Machinistes-pousseuses Défourneur Lamineur-dégrossisseur Aide-lamineur-dégrossisseur Régleur-vitesse-dégrossisseur Aide-régleur-dégrossisseur Cisailleur-ébouteuse Premier lamineur Lamineur-finisseur Aides-lamineurs Régleurs de guides Régleur-vitesse-finisseur Aide-régleur Machiniste-looper Enregistreur * Conducteurs-bobineuses Machiniste-rouleaux Chalumiste
Variabilité
Stéréotypie
X X X X X
X X X X
X X X X X X X X X X X
* L'enregistreur a un travail non stéréotypé dans la mesure où la partie essentielle de son travail est de noter les incidents de laminage.
Le travail
92
E. PRÉCISION
DES INTERVENTIONS
Le perfectionnement du matériel découle, nous l'avons vu, de la mise en évidence des facteurs qui conditionnent le résultat du laminage. Dans le travail artisanal, ces variables sont, en raison du mode de travail et du matériel, étroitement liées, si bien qu'on ne peut jamais faire varier un facteur isolément sans dérégler l'ensemble ; par exemple, chaleur des tôles, forme des cylindres, serrage, dépendent les uns des autres. Le lamineur ne peut agir sur chaque variable et sa connaissance professionnelle lui permet de trouver un point d'équilibre, une optimation intuitive entre les divers facteurs. On conçoit que ce point d'équilibre n'est pas trop étroit, sans quoi le nombre de déchets serait très élevé ; il s'agit d'une zone assez large, où l'un des facteurs peut compenser un autre : ainsi, le lamineur fait une passe de plus pour compenser un manque d'écrasement du premier engagement, dû soit à l'insuffisante chaleur de la tôle, soit à une forme des cylindres qui ne lui permet pas de serrer assez. L'action qui en découle ne peut qu'être approximative. C'est ainsi que le résultat des Interventions de l'ouvrier se situe dans des limites de tolérance assez larges. Nous pourrions caractériser ce niveau en le définissant comme n'étant capable que d'approximations. A un second niveau de mécanisation, on a essayé, bien entendu, de sortir de l'approximation et donc de donner à l'ouvrier des repères plus précis pour que ses interventions soient mieux guidées, ainsi que des moyens d'action moins imparfaits. On a pu isoler quelques variables ou en éliminer : ainsi au trio du train mécanisé on a refroidi les cylindres, ce qui évite d'avoir à tenir compte de la forme des cylindres et de son évolution dans le temps. La précision cependant n'est pas poussée, car les moyens mécaniques mis en œuvre sont encore relativement grossiers et il reste des « cédages » dans la cage. Au moins, la précision du résultat ne varie pas dans le temps et reste dans les limites de tolérances plus réduites qu'au train à main. Dès que les différentes variables du procédé de transformation du produit ont été maîtrisées et que l'on a pu en capter les manifestations, même indirectement, la précision des informations fournies sur le travail aux ouvriers s'est accrue considérablement. La précision du résultat est également liée à la fidélité de la mesure faite par les appareils et par la précision du matériel mis en œuvre pour agir sur chacune des variables. On sait qu'au train continu, les facteurs de laminage ont été pratiquement cernés, que les appareils de mesure sont nombreux et que les
L'analyse des tâches
93
moyens d'action des ouvriers sont souvent des réglages fins. Les conditions sont réunies pour travailler avec des tolérances réduites. Ce critère, bien que lié à d'autres aspects du travail déjà étudiés, apporte un élément de description supplémentaire des niveaux de modernisation des équipements et de l'évolution du travail des ouvriers. Il permet de bien distinguer trois niveaux dans l'évolution technique : — un niveau où règne l'approximation, où l'on travaille par tâtonnement, essais et erreurs ; — un niveau intermédiaire où, sans disposer de moyens de mesure très développés, on s'est appliqué à diminuer le nombre de variables pour obtenir une précision moyenne ; — un niveau enfin où les moyens d'action des ouvriers sont suffisamment élaborés pour que le résultat soit inscrit dans des tolérances réduites. 1.
Approximation
Au train à main comme au duo du train mécanisé, l'ouvrier doit tenir compte de nombreuses conditions techniques : chaleur des bidons, chaleur et forme des cylindres, forme des platines (cornes ou bouts ronds). Aucun appareil ne le renseigne sur ces facteurs, il ne se rend compte de leur action que par la façon dont s'allonge la tôle. Si le cylindre est bombé, il doit passer des platines avec des bouts ronds dont l'épaisseur est plus faible au milieu. Il compense ainsi l'un des facteurs par un autre. Mais ces moyens d'action soni approximatifs : « On essaye d'une façon, puis d'une autre, puis on trouve comment il faut procéder. » Sans moyen d'action sur les variables de son travail, le lamineur cherche par tâtonnement à réaliser un équilibre entre elles, si bien que le résultat de son travail se situe dans une marge de variation importante ; il contrôle l'allongement obtenu en posant sur la tôle une tige de fer sur laquelle une zone marquée à la craie indique les limites de longeur entre lesquelles la tôle doit rester. Ces tolérances sont de l'ordre de 10 % . Le lamineur vérifie au début et au milieu de chaque charge, bien souvent beaucoup moins ; en revanche, lors d'une dimension nouvelle, ou lorsqu'il n'est pas sûr du résultat, il contrôle plus fréquemment. En général « on voit à l'œil si ça va >, avec toute l'approximation que cela comporte. Le serrage des vis est très caractéristique de l'augmentation de la précision des gestes de travail. Au train à main, le serreur a à sa disposition une roue, couronnée de poignées en étoiles ; s'accrochant à une poignée, il lance la roue d'un effort de tout le corps, puis la laisse tourner un moment. Il a, comme moyen de contrôle, une aiguille se
Le travail
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déplaçant sur une plaque de tôle ronde formant cadran (dont on ne voit plus les graduations). Mais, ce qui le guide plutôt, c'est l'effort et l'ampleur du mouvement qu'il a fourni pour lancer la roue ; il dose ensuite l'accroissement de l'effort à donner qui augmente avec le degré de pression, bien que le déplacement de la roue diminue d'un serrage à l'autre. L'accroissement du serrage progresse à chaque passe, dans un ordre de grandeur de 3 puis 2, puis 1/2 et enfin une passe à fond, les vis bloquées. La répartition de ces serrages se fait grâce à des signaux de type « proprioceptifs » 4 et, comme tels, fort imprécis. Nous verrons plus loin la transformation du travail de serrage aux stades suivants. Les autres postes du train à main travaillent eux aussi sans beaucoup de précision, soit que leur travail ne l'exige pas comme pour le rattrapeur, le chargeur-pousseur, soit qu'ils n'aient pas les moyens de faire mieux : ainsi les chauffeurs qui jugent la chaleur du four à la couleur du métal, et surtout ne peuvent intervenir sur la chauffe que par l'alimentation en charbon et l'arrivée d'air, ou les doubleurs qui plient les platines « environ > au milieu. Tableau 15. Classification des postes selon la précision des interventions Train à main Premier lamineur Deuxième lamineur Premier chauffeur Deuxième chauffeur Rattrapeur Doubleur Aide-doubleur Serreur Chargeur-pousseur
Approximation X X X X X X X X X
Mêmes remarques pour le duo du train mécanisé ; nous avons déjà parlé du lamineur, mais les doubleurs, les chargeurs et l'accrocheur se classent comme lui dans l'approximation des interventions. 4. Les signaux « proprioceptifs » sont des informations « corporelles » provenant des muscles et des tendons, renseignant sur la position du corps, l'effort musculaire fourni, etc. Ils sont imprécis et s'opposent aux signaux dits < extéroceptifs » provenant des organes des sens : oeil, oreille, etc., l'oeil étant le capteur le plus précis.
L'analyse des tâches
95
Tableau 16. Classification des postes selon la précision des interventions Train mécanisé :
Approximation
Duo : Premier lamineur Deuxième lamineur Premier doubleur Aide-doubleur Premier chargeur Aide-chargeur Basculeur
X X X X X X X
Au train continu, quelques postes travaillent encore de façon approximative. Ce sont les chalumistes, bien entendu, auxquels on ne demande aucune précision dans le découpage au chalumeau des bobines de tôles dont l'enroulement ne s'est pas effectué normalement, et le machinistelooper. Celui-ci, en effet, travaille sans moyen de mesure, tentant de rattraper les bouclages de la bande en soulevant un rouleau mobile pour maintenir la tension de la bande ; il voit à l'œil le mouvement de la bande qu'il tente de rattraper en tâtonnant. 2. Précision moyenne Le trio du train mécanisé semble être significatif d'une étape de l'évolution technique, sur le plan de la précision des interventions. Nous pouvons reprendre le serrage des vis comme exemple de la précision des interventions. Si, au train à main, le serrage pouvait utiliser toutes les positions des vis de serrage, ce n'est pas le cas au trio où l'on prérègle les vis en positionnant des roues dentées, sans possibilité de variations intermédiaires, en se référant à la numérotation de positionnement. Remarquons que théoriquement, la possibilité d'utiliser l'ensemble de la plage des réglages pourrait donner plus de précision dans le réglage, mais rappelons que ni le serreur ni le lamineur n'ont de moyen de connaître le serrage effectué, sauf en examinant la tôle, que le cédage entre les éléments de la cage est important et que cette précision serait par conséquent illusoire. Au trio, donc, on a donné au lamineur un certain nombre de repères précis et un moyen d'atteindre ces repères, ce qui supprime le recours
96
Le travail
aux signaux proprioceptifs dont nous avons vu les limites. Cependant, avec les moyens mis en œuvre, on ne peut faire varier l'écartement des cylindres que millimètre par millimètre : après écrasement, une variation d'un millimètre donne une variation de longueur encore relativement importante, si bien que le matériel ne peut servir qu'au dégrossissage des bidons et non au finissage qui reste assuré par les moyens traditionnels. En fait, au trio, ce n'est pas la précision qui a été visée, mais beaucoup plus le rendement. Le résultat du travail est encore inscrit dans des limites de tolérance assez larges, bien que plus réduites qu'au train à main. La variation d'allongement entre les platines a, elle aussi, diminué. Tableau 17. Classification des postes en fonction de la précision des interventions Train mécanisé
Approximation
Précision
moyenne
Trio Premier lamineur Aide-lamineur Premier chargeur Aide-chargeur Empileur Chauffeur Accrocheur
X X X X X X X
Les postes manuels du trio mécanisé continuent, comme ceux du duo, à être caractérisés par un travail d'une précision « approximative >. Au train continu le travail de plusieurs machinistes dénote une précision moyenne : le machiniste-pousseuse, à qui on ne demande pas de placer les brames au millimètre dans les fours, se classe dans le niveau d'intervention à précision moyenne ; il doit positionner les brames devant l'entrée des fours en les déplaçant sur les rouleaux de transport. Même chose pour le cisailleur-ébouteuse qui place la brame sous la cisaille avec une certaine marge de variation et pour le machiniste-rouleaux. 3. Limites de tolérance étroites Mais dans la plupart des postes la multiplication des appareils de contrôle et leur perfectionnement visent à une grande précision du travail de l'ouvrier et de son résultat. L'unité de graduation des cadrans, indiquant le serrage effectué, est le 1/10 e de millimètre. Le lamineur réalise des
L'analyse des tâches
97
réglages de 15/100" de millimètre d'épaisseur par le déplacement d'une manette. La lamineur-finisseur dispose, pour contrôler l'épaisseur de la bande, d'un micromètre à rayons X, et la largeur est mesurée par rayons infra-rouges, appareils d'une sensibilité extrême : quand l'aiguille du micromètre indique une variation de 2/10® de millimètre en épaisseur, la lamineur corrige le réglage pour rétablir la norme. Au dégrossissage, la précision est de l'ordre de 2 à 3/10 e de millimètre. Le défourneur travaille au chronomètre avec des marges de 15 à 20 secondes, les chauffeurs travaillent au degré près. Tous les ouvriers qui ont à régler des vitesses de cylindres, régleurs de vitesse, aidesrégleurs-bobineuses, travaillent avec beaucoup de précision. La vitesse des cylindres ou des rouleaux ne tolère que de faibles écarts de vitesse (liés aux ampèremètres) sous risque d'entraîner des incidents de tension ou de bouclage de la tôle entre les cages ou à l'enroulement sur les mandrins des bobineuses.
Tableau 18. Classification des postes en fonction de la précision des interventions Train continu
Premier chauffeur Aides-chauffeurs Machinistes-pousseuse Défourneur Lamineur-dégrossisseur Aide-lamineur-dégrossisseur Aide-régleur-vitesse-dégrossisseur Cisailleur-ébouteuse Premier lamineur Lamineur-finisseur Aide-Iamineur-finisseur Régleurs de guides Régleurs-vitesse-finisseur Aides-régleurs M achiniste-looper Enregistreur Conducteur-bobineuses Machiniste-rouleaux Chalumiste 4
A pproximation
Précision moyenne
Tolérances étroites X X
X X X X X X X X X X X X X X X X X
Le travail
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F. RAPIDITÉ DES INTERVENTIONS
L'exigence du rendement amène les ouvriers de laminoirs à travailler à une cadence plus ou moins rapide. Au train à main, nous avons qualifié le travail de « manuel artisanal > parce qu'il se rapprochait des attitudes et de la technologie de l'artisan. Mais le lamineur est un « artisan > en milieu industriel avec une exigence de production, d'autant plus que payé aux pièces, sa paie dépend en grande partie de la rapidité de ses interventions. A la différence du travail de « l'artisan », au sens courant du terme, qui implique une certaine lenteur liée à la minutie d'un fignolage inutile, le lamineur doit travailler vite. Au premier niveau de modernisation, c'est l'ouvrier qui assume le transport, l'acheminement des tôles et leur laminage. L'équipe de travail doit, pour « faire sa journée >, pour atteindre la norme de rendement, travailler à un rythme rapide. Au train mécanisé, dont la modernisation, sans changer les principes de laminage, vise à augmenter le rendement, ce rythme des interventions de l'ouvrier est encore plus rapide ; cela est rendu possible par la diminution du travail de force ; le travail de déclenchement de commandes va se faire à cadence accélérée. Au train continu, c'est la machine qui effectue les transports et le laminage ; l'ouvrier n'est plus astreint à un rythme de travail, mais la rapidité de ses interventions a changé de nature. C'est une rapidité de réaction à des signaux aléatoires qui lui est demandée ; avoir des réflexes rapides en quelque sorte pour réagir très vite et opportunément aux incidents ou aléas qui se produisent au cours de ses tâches de surveillance. Aux deux premiers niveaux, la rapidité des interventions recouvre une cadence de travail ; au train continu, il s'agit plus d'une rapidité de réaction. Les deux premiers niveaux de modernisation se distinguent l'un de l'autre par la différence de rapidité des interventions des ouvriers ; au troisième niveau, un type d'intervention rapide prend une place importante dans le travail : c'est la réaction aux incidents. On trouve donc trois niveaux : — cadence de travail rapide ; — cadence de travail très rapide ; — exigence de « temps de réaction > très court. 1. Cadence de travail rapide Dans le format 1 m X 2 m X 73/100 e il débite 1 000 tôles en 8 heures, Le lamineur du train à main travaille à un rythme de travail soutenu,
L'analyse des tâches
99
ce qui fait 250 paquets de 4 (ôles à passer, soit encore un bidon toutes les deux minutes environ. Rappelons qu'il faut 6 à 8 passes par paquet... On voit donc, si l'on inclut les transports et le temps de rattrapage, que le lamineur doit forcer sa cadence pour parvenir à ses 1 000 tôles ; le serreur et le rattrapeur sont liés à son rythme ; les autres postes participent à la même cadence de production, soit pour défourner, soit pour plier. Tableau 19. Train à main : Premier lamineur Deuxième lamineur Premier chauffeur Deuxième chauffeur Rattrapeur Doubleur Aide-doubleur Serreur Chargeur-pousseur
Cadence
rapide
X X X X X X X X X
2. Cadence très rapide Au train mécanisé, la rapidité des manipulations sur les pupitres de commande est très élevée. Au trio, la cadence de travail est voisine d'un geste par seconde ; nous avons chronométré certains cycles de travail dans lesquels le lamineur effectue 13 gestes en 11 secondes : gestes simples, élémentaires, sans déploiement de force, sur des commandes judicieusement disposées. Au duo, le rythme est légèrement moins tendu : un geste toutes les trois secondes environ. Les autres postes suivent le rythme des chaînes, imposé par les lamineurs, sauf l'empileur et bien entendu le chauffeur.
100
Le travail
Tableau 20. Classification des postes selon la rapidité des interventions Train mécanisé
rythme rapide
rythme très rapide
Duo Premier lamineur Deuxième lamineur Premier doubleur Aide-doubleur Premier chargeur Aides-chargeurs Basculeur Accrocheur
X X X X X X X X
Trio Lamineur Aides-lamineurs» Premier chargeur Aides-chargeurs Empileur Chauffeur
X X X X X X
Au train continu, certains postes, qui ont pour tâche essentielle de déclencher le passage de la bande, mais ne participent pas à des tâches de surveillance à réactions rapides, se classent à ce niveau : les machinistespousseuses, le défourneur, le cisailleur-ébouteuse, le machiniste-rouleaux. 3. Réactions rapides Il s'agit dans ces postes d'ajuster instantanément le réglage de la machine avant le passage de la brame et de surveiller le passage de la bande en réagissant immédiatement à d'éventuels incidents. Les cadences observées aux trains à main et mécanisés n'entraînaient pas cette obligation de réactions instantanées. Par ailleurs, le rythme de travail est donné par l'ouvrier lui-même et il reste maître de ses interventions et de ses pauses : si le lamineur ou le rattrapeur s'arrêtent au milieu du cycle de laminage entre deux passes et « soufflent » quelques secondes, cet arrêt ne peut entraîner de catastrophes. D'autre part, ils ont la possibilité de prolonger les temps morts et de ralentir la cadence. Us ne sont pas tenus par la machine. Au contraire, il est impensable
101
L'analyse des tâches
que le conducteur de bobineuse du train continu, au cours de son cycle de travail, stoppe pendant une seconde ses manipulations de commandes : ce serait à coup sûr le serpentin, la panne de la machine et l'arrêt du travail sur toute la chaîne. Les ouvriers du train manuel sont libres d'intervenir avec quelques secondes de retard. Un retard d'intervention d'une fraction de seconde du régleur de vitesse du train à bandes provoque un bouclage et risque de briser la machine. Il y a une différence de latitude dans leurs temps de réaction. Pour le lamineur-finisseur, « une seconde d'inattention » et c'est trois rouleaux à la ferraille. « On se demande en fin de journée pourquoi on est fatigué, mais c'est d'être toujours tendu, nerveux » — ainsi parlent les machinistes-looper, les régleurs-finisseurs, les régleurs de guides ainsi que les postes qui s'assimilent au travail de surveillance.
Tableau 21. Classification des postes en fonction de la rapidité des interventions ~ . Tram continu Premier chauffeur Aides-chauffeurs Machinistes-pousseuses Défourneur Lamineur-dégrossisseur Aide-lamineur Régleur de vitesse dégrossisseur Aide-régleur-dégrossisseur Cisailleur-ébouteuse Premier lamineur Lamineur-finisseur Aide-lamineur-finisseur Régleurs de guides Régleurs de vitesse-finisseur Aides-régleurs Machiniste-looper Enregistreur Conducteurs de bobines Machiniste-rouleaux Chalumiste
, rythme
.. rapide
rythme très ., rapide
reactions rapides
x y X X X X X X X X X X X X X X X X X
Le travail
102
G. NATURE DE L'EXPÉRIENCE
PROFESSIONNELLE
La nature et le contenu de l'expérience professionnelle varient beaucoup selon le niveau technique des installations. On sait bien qu'avec la modernisation, on a moins besoin de manœuvres que de techniciens et qu'il est nécessaire de posséder une somme de connaissances techniques pour savoir faire le travail aux niveaux les plus évolués. Est-ce à dire qu'aux niveaux de mécanisation les plus faibles les connaissances sont peu importantes ? Quelle est la nature de l'expérience professionnelle à chacun des niveaux de modernisation ? Lorsqu'on étudie le train à main, on se rend compte rapidement de l'importance de l'expérience, des connaissances du lamineur, de ce qu'on appelle « l'art > du lamineur. Nous avons d'ailleurs déjà vu dans nombre de critères précédents l'importance de ses décisions, la latitude qu'il a dans l'organisation de son travail, la souplesse d'adaptation qu'il lui faut pour mener son travail à bien. A ce niveau, la formation d'un lamineur est extrêmement longue car elle,est empirique, on ne peut s'instruire par des consignes ; il faut expérimenter soi-même, on observe les anciens, on demande leurs conseils, on essaie de découvrir « les trucs > du premier lamineur. L'apprentissage se fait sur plusieurs années par compagnonnage et l'on n'est pas très loin de l'artisan qui ne transmettait ses secrets qu'à son fils. C'est du moins l'impression que cela peut donner. Avant de devenir lamineur, il faut auparavant être passé par tous les postes de travail : cela permet par ailleurs de diriger l'équipe de travail en se faisant reconnaître par sa compétence. La nature de l'expérience professionnelle à son niveau artisanal, c'est le « tête-à-tête » quotidien avec les machines, et même un lamineur chevronné reconnaît qu'il en apprend encore. On ne sait pas trop d'ailleurs, les connaissances que recouvre cette notion « d'art ». Elle s'entoure de mystère pour les non-initiés, de secret à l'égard des autres, car les lamineurs qui ont mis des années à acquérir un tour de main, à faire une observation technologique efficace pensent qu'ils sont les seuls à l'avoir trouvée et ils ne veulent pas la transmettre car elle est la base de leur prestige et de leur valeur professionnelle aux yeux des autres. C'est ainsi que s'explique la compétition entre les équipes, entre les lamineurs, que l'on rencontre encore ; on cherche à prouver qu'on est un meilleur « artisan ». L'art est une somme de recettes empiriques découvertes par les anciens, avec quelques observations personnelles mineures. Ce qui contribue à ajouter à l'aspect mysté-
L'analyse des tâches
103
rieux du travail, c'est que ces recettes sont difficilement transmissibles, car mal explicitées. D'après un responsable, « les lamineurs font ce qu'il faut faire sans pouvoir l'expliquer >. C'est pourquoi, d'ailleurs, ce sont les ouvriers qui savent faire marcher les machines et non les ingénieurs. Ces recettes sont difficilement transmissibles en raison du caractère « implicite > des signaux de travail ; on ne peut les expliquer, les préciser (pensons, par exemple, à la couleur de la tôle) et il faut que chacun en fasse l'expérience personnelle pour savoir leur état critique, leur signification. Ajoutons que cette expérience doit se faire au cours d'un travail qui nécessite une énorme dépense de force physique, ce qui ne facilite pas une attitude d'analyse des phénomènes. Ce travail de force explique d'ailleurs que les lamineurs du train à main doivent quitter le poste pour aller vers des postes secondaires vers 40 ans environ ou même changer de travail complètement ; on voit que cet « art > si difficile à acquérir se trouve trop rapidement inemployé : il y a hémorragie de la qualification professionnelle. « C'était le bagne > disent de ces anciens trains les ouvriers des ateliers plus modernes qui y ont travaillé. Pour tenter d'améliorer rendement et régularité du travail il fallait chercher à se dégager de ce niveau de recettes empiriques dans lequel les techniciens étaient incapables de pénétrer, d'analyser et d'agir. Au niveau de mécanisation suivant on a visé à diminuer la complexité du procédé en supprimant la variable « chaleur des cylindres » et on a amélioré la régularité de la chauffe des fours pour neutraliser le plus possible ce facteur. H n'y a donc plus pour le lamineur une longue expérience à acquérir pour savoir laminer. Mais pour obtenir du rendement, le lamineur doit travailler vite, à un rythme imposé. Son apprentissage devient celui de la cadence des gestes, l'acquisition de l'automatisme quasi complet du comportement de travail. L'apprentissage des signaux est aisé, puisqu'il n'y a presque plus d'information à prélever sur la machine et sur le produit, mais simplement à acquérir la « signification » des diverses commandes, à relier chaque commande à son résultat. L'apprentissage de la cadence se fait par l'acquisition, l'intériorisation du rythme du travail. A ce niveau il y a très peu de connaissances professionnelles et la qualification est faible. Au niveau de modernisation suivant, l'ensemble des facteurs qui jouaient au train à main se retrouvent, mais ils sont analysés et contrôlés. Cela ne va pas sans une augmentation de la complexité technique du procédé ; il est bien évident que s'il était simple, il aurait été maîtrisé dès le premier stade. On retrouve donc une somme de connaissances à acquérir, du moins
104
Le travail
dans les postes les plus importants. Mais les connaissances ont été explicitées, on peut les écrire, on peut les enseigner verbalement, les transformer en consignes ; les ouvriers suivent alors des cours dans des centres d'apprentissage et de perfectionnement. A la connaissance empirique s'est substituée une technique faisant l'objet d'études rationnelles et d'un enseignement méthodique. A ce stade, l'expérience professionnelle consiste essentiellement dans l'apprentissage des consignes et des barèmes, éclairé par des connaissances technologiques générales. Cependant, on le sait bien, tout ne se réduit pas en formule ; l'observation quotidienne compte encore. On croit encore découvrir des « trucs » et il est arrivé que les ouvriers adaptent eux-mêmes une nouvelle consigne imparfaite. Mais ce qui semble bien caractériser ce niveau de mécanisation, c'est l'explicitation de la formation. Le critère de la formation professionnelle classe donc les niveaux de mécanisation en trois degrés qualitativement différents : — l'apprentissage d'un « art », de recettes intuitives ; — l'apprentissage de l'automatisation des manipulations rapides, de séquences de gestes ; — la formation à des connaissances explicites et rationnellement construites. 1. Apprentissage d'un art Au train à main, l'apprentissage est tout à fait empirique, sur le tas, et les connaissances techniques confuses. La nature de l'expérience professionnelle est de même essence pour les autres postes que pour les lamineurs, à un degré un peu moindre, puisque la complexité des tâches est plus faible. De même, la conduite des fours reste « mystérieuse » et fait appel à un long apprentissage des signaux de travail et de réactions appropriées, mal précisées. Le serreur se trouve dans les mêmes conditions que le lamineur pour savoir la répartition du serrage entre les passes et savoir apprécier le comportement de la tôle entre les cylindres. Le travail des doubleurs est essentiellement un « tour de main » une fois surmontées les difficultés physiques de la tâche.
L'analyse des tâches
105
Tableau 22. Classification des postes selon l'expérience professionnelle
Train à main
Premier lamineur Deuxième lamineur Premier chauffeur Deuxième chauffeur Rattrapeur-doubleur Aide-doubleur Serreur Chargeur-pousseur
Apprentissage sur le tas d'un < art » ou d'un « tour de main » X X X X X X X X
Au duo du train mécanisé, la partie la plus importante de l'expérience du lamineur est la connaissance de l'art de laminer. De ce point de vue, le duo du train mécanisé n'est pas différent du train à main et demande la même expérience, un peu moins complexe peut-être, en raison de l'amélioration de la régularité de la chauffe, de celle du dégrossisseur et du moyen d'action qu'est le chauffage des cylindres par jet de gaz. Mais l'expérience professionnelle n'a pas changé de nature par rapport à celle du train à main. S'y ajoute aussi l'apprentissage de la manipulation des commandes de la chaîne transporteuse, peu nombreuses et à un rythme relativement peu tendu. Les ouvriers sont cependant un peu guidés par les directives de l'ingénieur dont ils reconnaissent le bien-fondé, mais seulement après les avoir appliquées : la méfiance subsiste à l'égard de ceux qui ne font pas partie de « l'élite » professionnelle, seule respectée. Le travail des chauffeurs relève également de l'expérience professionnelle, de l'art de reconnaître les bons signaux de travail et de l'expérience des divers moyens de remédier aux variations de chauffe. Au train continu, le chalumiste se rapproche des postes du train à main avec une complexité de travail réduite. 2. Automatisation
des manipulations
C'est principalement le cas des lamineurs du trio du train mécanisé où la cadence est rapide, le nombre de gestes très nombreux et leur enchaî-
Le travail
106
nement rigoureux. Nous ne reviendrons pas sur ce poste dont le travail a déjà été suffisamment décrit dans les critères précédents. S'apparente à ce type d'apprentissage professionnel, le premier doubleur à son pupitre de commande et le premier chargeur qui enfourne mécaniquement les paquets, bien qu'ici la complexité de la tâche soit beaucoup réduite. Au train continu pour un certain nombre de postes, la base de l'expérience professionnelle reste l'apprentissage des manipulations rapides de commandes et l'acquisition d'une automatisation des réactions : ceux de machiniste-pousseuse, de cisailleur-ébouteuse, de conducteurs-bobineuses et de machiniste-rouleaux. Tableau 23. Classification des postes selon l'expérience professionnelle
Train mécanisé
Apprentissage sur le tas d'un < art » ou Automatisation des d'un < tour de manipulations main »
Duo Premier lamineur Deuxième lamineur Premier doubleur Aide-doubleur Premier chargeur Aides-chargeurs Basculeurs Trio Premier lamineur Aides-lamineur Premier chargeur Aides-chargeurs Empileur Chauffeur Accrocheur
X X X X X X X X X X X X X X
3. Formation à des connaissances explicites Au train continu, les lamineurs suivent un stage de formation technique dans un centre d'apprentissage ou de perfectionnement où leur sont enseignées des connaissances de base sur la métallurgie et le laminage. Les techniques spécifiques font l'objet de conférences et de cours spéciaux. La science du laminage n'est plus l'apanage de l'ouvrier mais celui des ingénieurs, des services de préparation et de contrôle du travail qui dif-
L'analyse des tâches
107
fusent des consignes explicites et rigoureuses à l'usage des divers postes entre lesquels se répartit le travail. Ce qui caractérise ce niveau, c'est l'abandon des recettes empiriques et implicites. La connaissance du travail est transmissible et les méthodes générales d'appréhension du monde physique s'y appliquent : l'emploi de la mesure numérique conduit les lamineurs à utiliser le calcul mental et non plus des intuitions qualitatives. Tableau 24. Classification des postes selon l'expérience professionnelle _ . . Train continu
Premier chauffeur Aide-chauffeur Machinistes-pousseurs Défourneur Lamineur-dégrossisseu r Aide-lamineur Régleur vitesse-dégrossisseur Aide-régleur vitesse Cisailleur-ébouteuse Lamineur-finisseur Aide-lamineur Régleurs-guides Régleur-vitesse-finisseur Aide-régleur-vitesse-finisseur Machiniste-looper Enregistreur Conducteur-bobineuse Machiniste-rouleaux Chalumiste
Apprentissage , , , ,, Automatisation sur le tas a un , ,, des « art » ou a un . , . , . manipulations « tour de main »
„ , „ Formation a des connaissances ... explicites X X
X X X X X X X X X X X X X X X X X
Le travail utilise donc deux genres de connaissances de type « scolaire >. Les unes sont acquises par des cours de technologie, les autres par des enseignements généraux (calcul, arithmétique). Le calcul utilise des connaissances valables pour toute technologie, alors que « l'art > du lamineur était spécifique, que ses connaissances n'étaient pas transférables à d'autres disciplines. L'introduction d'une métrique dans le procédé de transformation du métal permet aux ouvriers de calculer la valeur des points de consigne
108
Le travail
à tenir. Cela est tout à fait caractéristique de ce dernier niveau de modernisation : dans les installations plus anciennes il n'était pas nécessaire de savoir lire et, à la limite, compter, sauf pour vérifier sa production. Le lamineur du train continu doit effectuer le serrage des cylindres sur les six cages quarto du finisseur. Un barème préétabli lui fournit l'écartement des cylindres de la première cage, puis il doit calculer, selon un pourcentage dégressif de serrage, l'écartement des cylindres des cages suivantes. Ce pourcentage s'applique à partir des réglages effectués pour l'épaisseur de la bande précédente. Lors des changements de dimensions, le lamineur calcule la différence de serrage sur la première cage entre la dimension précédente et celle qui va être engagée. Cette différence sera reportée sur les autres cages selon un pourcentage dégressif. L'application de ce pourcentage entraîne des calculs que le lamineur effectue mentalement, compliqués du fait que la décroissance des serrages n'est pas linéaire ni de la première à la dernière cage, ni des fortes épaisseurs aux plus faibles. Mais il dispose des barèmes de pourcentages. Ce sont des opérations de calcul relativement simples (soustraction, addition, division), la règle dégressive de serrage étant connue. Le lamineur du dégrossisseur a un travail de même type quoique moins complexe, de même que les aides-lamineurs. Les régleurs de vitesse des finisseurs et dégrossisseurs effectuent des calculs analogues à ceux des lamineurs mais pour régler les vitesses des cylindres qui varient de cage à cage et suivant les épaisseurs. De même le régleur de guides fait quelques calculs simples, car la bande s'élargit d'une cage à l'autre, puis diminue de largeur aux dernières, et il doit ajouter quelques centimètres, puis les soustraire à la largeur de la brame, en tenant compte d'une marge fixe. Le défourneur doit détourner une brame par minute à peu près. Mais quatre fours fournissent alternativement les brames ; les fours sont en ligne, si bien qu'il faut prévoir un temps de transport plus ou moins long suivant la place du four. Il doit donc retrancher du laps de temps qui s'écoule entre deux ordres de détournement, le temps de ce transport. En outre, pour la mise en route, ou après les arrêts, les détournements sont plus espacés pour les cinq ou six premières brames, ce qui lui demande d'autres calculs. Suivant le nombre de brames à passer pour faire, dans le temps disponible, la norme de tonnage prévue, le défourneur détermine la cadence du défournement. Il doit refaire ses calculs après les arrêts, et contrôler de temps en temps qu'à la cadence actuelle, il aura fini ou non à la fin de la journée. Tout ce minutage le conduit à effectuer des calculs de temps et des règles de trois, tandis qu'il suit des yeux l'aiguille de son chronomètre.
L'analyse des tâches
109
Au troisième niveau de mécanisation, il s'avère nécessaire de posséder des connaissances technologiques, mais aussi de posséder un niveau minimum de connaissances générales.
II. L'EVOLUTION DES POSTES DE TRAVAIL Nous avons été conduits à cette analyse du travail au niveau des postes dans le cadre des différents critères passés en revue par l'hypothèse de l'existence de « familles », de « types de postes ». Cette hypothèse, née de la perception globale d'analogie entre postes à l'intérieur des ateliers et même entre usines différentes, doit maintenant être justifiée. Après cette analyse minutieuse des critères, leur regroupement par types de postes va nous permettre de tester la consistance de notre typologie. Une fois dressés les profils des types idéaux, leur valeur méthodologique sera mise à l'épreuve d'une part par leur coïncidence avec les profils des postes réels, c'est-à-dire par leur capacité descriptive ; elle sera vérifiée d'autre part par sa rentabilité dans l'analyse de l'influence. Le schéma ci-contre résume l'analyse de l'évolution des postes de travail avec la modernisation. Les deux types de travail extrêmes, le « manuel-artisanal > et le type « surveillance > dénotent une grande consistance interne : sur douze critères, ils n'ont que deux ou trois caractéristiques communes avec les types de postes mécaniques voisins. Mais si les deux types « mécaniques » se distinguent bien des types extrêmes, ils ont, en revanche, neuf critères communs sur douze. Cela justifie notre regroupement de ces postes de « machinistes » e t « d'opérateurs » sous une rubrique commune : postes de type « mécanique », tout en maintenant deux sous-catégories II et II'. Dans aucun des trains étudiés les catégories des postes mécaniques ne sont vraiment dominantes et l'évolution des « machinistes » aux « opérateurs » n'est bien marquée que dans des secteurs limités de fabrication (trio du train mécanisé, secteur des bobineuses du train continu). Mais cette évolution apparaît nettement dans d'autres installations de laminoirs. Une précédente étude du changement technique dans une tôlerie forte 5 a révélé, entre deux stades de modernisation successifs, une coupure très nette entre l'ère des machinistes et celle des « opérateurs ». Dans notre classement, les postes de
5. Jacques Dofny, Claude Durand, Jean-Daniel Reynaud, Alain Touraine, Les ouvriers et le progrès technique. Paris, librairie A. Colin, collection « Sciences sociales du travail », 1966, 274 p.
Le travail
110
Tableau 25. Définition des profils de
MANUEL-
Types II. MACHI-
ARTISANAL
NISTES
I. TYPE
Organisation vail
du
1. Préparation travail 2. Division vail
tra-
peu de consignes précises travail lent
polyva-
3. Contrôle du travail
autocontrôlé
4. Nature gnaux
signaux implicites et concrets
Relations
des
de
si-
TEURS
III.
TYPE
SURVEILLANCE
consignes
précises
consignes précises
travail parcellaire
opérations regroupées
travail spécialisé
hétérocontrôle
contrôle spécialisé
contrôle spécialisé
apparition de signaux explicites et abstraits
prédominance de signaux explicites et abstraits
travail
S. Nature des relations
Types
mécaniques II*. OPÉRA-
tradu
du
modernisation
équipe
chaîne
réseau
directes
par l'intermédiaire de la machine
d'intervention
6. Interventions le matériau
sur
déclenchement
7. Types d'action sur la machine
indirecte
8. Régularité des interventions
& chaque cycle
9. Stéréotypie des interventions
variabilité
à chaque cycle stéréotypie
10. Précisions des interventions
approximation
11. Rapidité des terventions
cadence
in-
direct
rapide
précision cadence
moyenne
rapide cadence très rapide
à
distance
réglages mittents
inter-
occasionnelles variabilité tolérances étroites « réactions » rapides
Nature de l'expérience 12. Professionnelle
apprentissage d'un « art » d'un tour de main
automatisation des manipulations
explicites connaissances
111
L'analyse des tâches
machiniste et d'opérateurs se différencient par les critères de division et de contrôle du travail, et de rapidité du rythme du travail. Les profils types de l'évolution des postes de travail une fois définis, voyons, comment les différents postes se situent par rapport à ces profils types. Pour cela il suffit de reproduire graphiquement leurs caractéristiques définies dans le cadre des douze critères analysés dans les chapitres précédents. La représentation graphique de la situation des postes montrera leur degré de coïncidence avec les profils types, degré qu'on évaluera par un indice de coïncidence ; le numérateur de l'indice indiquera le nombre de points de coïncidence, le dénominateur (12) étant le nombre total des critères. Les profils sont généralement suffisamment proches du profil type pour enregistrer un fort indice de coïncidence. Profils trains manuels 1" et 2e chauffeurs
1'
i n ir
ni
1" et 2* lamineurs
i ir il- in
Doubleur, aide-doubleur, rattrapeur I II II- III
2
3 A
5 6 7 8 9
i
10
11
12
manuel-artisanal Serreur I II II' III
manuel-artisanal *
manuel-artisanal
manuel-artisanal
Chargeur, pousseur I II II- III
manuel-artisanal
* Bien que plusieurs caractéristiques le rapprochent du travail de machiniste.
112
Le Profils
Lamineur duo
i il 1 2 3 A 5 e 7 S e 10 ii 12
1 " doubleur
m
il-
m
i 2
»
i
1 2 3 4 5 6 7 a 9 10 11 12
3 4 5
1»
6
s»
'
^12
(s
7
8
»
^12
9
10 11 12
ï machiniste
1 er chargeur
¡-
III
I II II'
I
II
v
>
n-
•
>
-Í2
> i *
»
-
Accrocheur
I H II'
1 ir n '
I il II'
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
III
¡
opérateur
machiniste
train mécanisé
^ 2
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
>
I II II' III
III
Une autre limite du salaire au rendement est dans le risque de casse du matériel. Si le salaire est directement proportionnel à la production, les ouvriers prennent des risques et peuvent briser le matériel. C'est pour cette raison qu'une partie fixe a été introduite dans les salaires du trio, installation rendue plus fragile par la mécanisation. Des perfectionnements techniques améliorent les capacités de production et par là remettent en cause le barême : « Actuellement, du fait
142
Les salaires
des perfectionnements techniques, les limites de la mise au mille sont facilement dépassées et pourtant on ne peut revenir en arrière. » Le même processus joue pour les temps alloués au démontage : « A l'origine, les démontages étaient plus longs. Les perfectionnements techniques les ont raccourcis. Comme on ne peut revenir sur le temps alloué, cela crée une sorte de prime à ,1a rapidité. > Les limites du système pratiqué, jointes à sa complication, conduisent les responsables à souhaiter l'adoption d'un salaire horaire : « Ce serait moins compliqué et ça ne changerait rien à la production. » C'est là une importante réserve sur le principe du salaire stimulant. Sont parfois aussi préconisées des modifications de détail, par exemple, le calcul par équipe de la prime de mise au mille. La tension entre l'exigence quantitative et le souci de la qualité et de l'économie résume la situation dans ces trains de stade intermédiaire.
C. TRAIN CONTINU
A ce dernier stade de développement, les cadres techniques et administratifs ne défendent plus guère le système salarial établi. Les cadres supérieurs pensent que la préparation poussée du travail a minimisé l'influence ouvrière sur la production, ce qui rendrait la prime de fabrication désuète. « C'est le service du programme qui fait la cadence » et à ce stade, où le travail est essentiellement un travail de surveillance, « une cadence plus forte n'entraîne pas nécessairement pour les ouvriers une fatigue plus grande >. Il n'est pas nécessaire, par conséquent, qu'une prime de production stimule l'effort de production : « Si les ouvriers avaient un salaire fixe, on aurait les mêmes résultats. » Et l'on indique que l'esprit de compétition entre équipes, « l'aspect sportif », joue, plus que la prime de fabrication, un rôle de stimulant : « Chaque fois qu'une équipe a obtenu un record, quelques jours après l'autre équipe l'atteignait. > Enfin, l'aspect stimulant de la prime de fabrication n'est plus évoqué qu'au niveau de cadres subalternes ou des contremaîtres. Nous retrouvons, au train continu, des réflexions sur l'imprévisibilité de la progression de la production et ses conséquences sur le plan revendicatif : lorsque la production dépasse les prévisions, la prime de fabrication du train monte, la moyenne de salaire de cet atelier dépasse celle de l'usine, fournissant aux autres ateliers une plate-forme de revendications. Plus que la partie fixe du salaire, les primes sont en permanence objet Je revendications : « Tel secteur atteint le plafond, tel autre ne l'a pas
L'appréciation des systèmes en vigueur
143
atteint ; la prime de ce dernier augmentant d'année en année, le premier secteur réclame souvent l'augmentation qu'il constate dans le second. » Quel serait donc le système de salaire idéal ? On préconise un salaire fixe basé sur une job-evaluation avec une prime de productivité d'usine. Cette dernière prime existe déjà : « la prime de bonne marche ». Elle est considérée comme un stimulant valable suscitant « la collaboration entre les services » et a permis une importante augmentation de la productivité. Mais, elle aussi, pose des problèmes de plafond. Pourquoi ne passe-t-on pas du système considéré comme « périmé > au système de salaire préconisé ? Cadres et direction expliquent l'inertie du système de salaire par la psychologie du personnel : « On est lié au passé. Quand on démarre une installation, on est obligé de tenir compte de la situation existante... Les ouvriers n'auraient pas compris qu'on ne leur donne pas de prime de fabrication. » Le système de salaire serait ce qu'il y a de moins malléable dans une entreprise : on parvient à changer entièrement de type d'organisation du travail au moment de la création d'une nouvelle installation technique ; en revanche, on n'ose pas toucher au système de salaire et sa pratique reste « empiriste >. Il n'est nullement lié à l'évolution technique et l'on estime généralement que les ouvriers n'admettraient pas qu'on le modifie : « Allez faire admettre un nouveau système à huit mille types ! > D'une attitude ambivalente à l'égard des systèmes stimulants on en vient donc, à ce stade fortement technicisé de la production, à l'idée de leur « obsolescence ». Quelles sont les lignes d'évolution des politiques de salaires des entreprises ? Des organisations plus anciennes aux plus modernes, le sentiment de la nécessité du salaire stimulant décroît au fur et à mesure que se développent l'organisation et la technicisation de la production. Dans les trois ateliers, un système de salaire au rendement est encore maintenu ; il est justifié par des raisons moins techniques que psychologiques et sociales (pratiques régionales, crainte des réactions ouvrières au changement). Dans les trois cas on n'ignore pas les limites et inconvénients du système (risques de dépassement des « plafonds » de production rationnels ou des normes de rémunération, ce qui crée la dégradation du matériel et les surenchères revendicatives ; limitation des effets du stimulant par des ajustements, primes de qualité compensant l'effet de stimulation, stabilité de fait des primes. Lorsque les responsables d'usines seraient prêts à modifier le système en vigueur, ils craignent que des innovations ne se heurtent à une résistance ouvrière. L'étude des opinions ouvrières va révéler l'inanité de cette
Les salaires
144
supposition. Cette révélation de l'enquête explique que dans le secteur du train continu, le système « stimulant » de salaire a été, après cette étude, remplacé par un salaire fixe.
II. LES OPINIONS
OUVRIÈRES
A. ATTITUDES GÉNÉRALES
La satisfaction générale à l'égard du salaire est testée par la question suivante : « A propos du salaire, est-ce que vous êtes satisfaits ou est-ce qu'il y a quelque chose qui ne va pas ? » Un petit nombre d'ouvriers seulement se sont dits satisfaits et diverses causes de mécontentement ont été citées : Tableau 1. Train manuel % Se déclarent satisfaits Se déclarent insatisfaits du niveau des salaires (référence au coût de la vie)
Train mécanisé %
Train continu
%
12,5
13,5
19
10
49
20,5
—
—
Insuffisant en regard : — de la production — du système de salaire — de l'éventail des salaires — du travail — insuffisant sans précision N'ont pas répondu
5 —
60 10 2,5 100
9,5 11 4 7 6 100
4 —
15,5 3 34 4 100
Parmi les ouvriers mécontents du salaire, seulement une minorité met en cause le système de salaire lui-même : « Ça ne fait rien (le système), pourvu qu'on gagne convenablement. > C'est surtout du niveau des salaires qu'on est mécontent, notamment au train mécanisé et au continu.
L'appréciation des systèmes en vigueur
145
Cependant, si les ouvriers des trains plus modernes se réfèrent principalement au niveau du salaire et non à sa forme, c'est surtout au caractère pénible du travail que se réfèrent les ouvriers du train manuel : « On ne gagne pas assez pour le mal qu'on a. » On peut se demander si les ouvriers des trains manuels se trouvent d'une manière ou d'une autre à l'abri de la pression du coût de la vie et une de nos questions permet de préciser si tel est le cas : Tableau 2. < Est-ce que vous vous en tirez avec votre paie ? »
Bien Tout juste Pas bien Pas bien du tout Non-réponse
Train manuel %
Train mécanisé
12,5 67,5 15 2,5 2,5
8,7 75 15
100
%
Train continu %
—
1,3 100
3,1 62,7 18,7 9,3 6,2 100
On constate que les ouvriers du train manuel se plaignent autant que les autres de l'insuffisance du salaire. S'ils ont des raisons de se plaindre du niveau des salaires, mais qu'à la question ouverte l'emporte la référence à l'effort fourni, c'est que cette référence les concerne au plus haut point. Cette attitude semble caractéristique du travail manuel physiquement très pénible.
B. ATTITUDES À L'ÉGARD DES SYSTÈMES DE SALAIRE
Nous avons essayé de faire préciser aux ouvriers leur attitude à l'égard des systèmes de salaire par diverses questions plus spécifiques : « Quel est le genre de salaire que vous préférez ? » — salaire entièrement aux pièces ; — salaire avec une partie fixe et une prime de production ; — salaire entièrement fixe.
Les salaires
146
Tableau 3. Train manuel % Aux pièces Fixe plus prime Fixe Non-réponse
40 22,5 32,5 5 100
Train mécanisé % 42 15,5 38,5 4 100
Train continu %
28 59 13 100
Au train à main, 55 % d'ouvriers préfèrent un salaire plus stable — que ce soit sous la forme d'un salaire fixe ou d'un fixe couplé avec une prime — que le salaire aux pièces qu'ils ont actuellement. Ils motivent par la fatigue leurs critiques à l'égard du salaire aux pièces : « On est esquinté, aux pièces » ; « Il faut toujours courir. » A côté de cette critique générale du système, un autre type de critiques exprime le désir d'une plus grande sécurité économique. Les ouvriers voient dans un salaire fixe ou dans un fixe couplé avec une prime la possibilité d'assurer la régularité et la sécurité du salaire : « On aurait toujours la même chose à la quinzaine » ; « La paie serait assurée » ; « Il y a des jours où on ne peut pas faire sa journée à cause du matériel » ; « Avec un fixe, si ça ne marche pas, on aurait quand même sa journée » ; « Aux pièces, tout dépend de la chance, des pannes, du mauvais acier, du charbon, des cylindres. > Les critiques adressées à l'irrégularité des conditions de marche ont certainement contribué à susciter la pratique du « rafistolage » décrit plus haut. Le système de salaire aux pièces ne serait juste que s'il tenait compte des facteurs de ralentissement de la production, qui sont indépendants de la volonté des ouvriers. Mais les ajustements sont difficiles et « toujours soumis à erreur », si bien que les ouvriers se retournent contre eux au nom du système. Us compensent bien en effet, disent-ils, les rendements les plus faibles, mais découragent ceux qui ont pu travailler normalement et, surtout, ceux qui ont fait un effort spécial pour atteindre un gain un peu supérieur : « Moi, je pousse jusqu'à la dernière minute, et l'autre qui ne travaille pas, gagnera autant à la quinzaine ou seulement deux ou trois centimes de moins à l'heure ! > Le rafistolage apparaît donc comme un traitement de faveur. D'autre part, la pratique de la direction, qui consiste, au moment du rafistolage, à prendre quelque liberté avec les
L'appréciation des systèmes en vigueur
147
chiffres, incite probablement les ouvriers à des pratiques analogues. C'est ainsi que ces derniers majorent, par exemple, les temps de pannes, afin de justifier des rendements faibles. On constate cependant que 40 % des ouvriers des trains anciens restent favorables au salaire aux pièces, en partie pour n'en avoir jamais connu d'autre : « Ça a toujours été comme ça. » En dehors de cette justification par la tradition, l'argument des possibilités de contrôle est aussi avancé. Ce système de rémunération donne la possibilité de savoir ce qu'on gagne : « Avec le barème, on sait ce qu'on a gagné. Une prime, on ne peut jamais savoir. > Un autre argument est que le salaire aux pièces paraît plus « avantageux ». Certains ouvriers pensent que ce type de salaire est bien adapté à la nature de leur travail : « Je crois que, pour ce travail, c'est obligé d'avoir un salaire aux pièces, car, plus on pousse vite sur le train, mieux ça marche. On s'arrêterait plus longtemps et il y aurait plus de casses de cylindres » (par refroidissement). On recueille enfin des avis favorables au salaire aux pièces motivés par le fait qu'il laisse à l'ouvrier la liberté d'organiser lui-même son travail : « Avec un salaire fixe, tout le monde dirait « faut pas s'en faire » et le patron serait forcé de nous surveiller ; mais comme ça, pas de contrainte » ; « Je peux m'asseoir si je veux ; si le contremaître passe, ou l'ingénieur, ils n'ont rien à me dire » ; « Si ça a bien marché, on peut ralentir en fin de journée. » Au train mécanisé, on retrouve les mêmes positions qu'au train manuel : 54 % des ouvriers préfèrent un salaire plus stable que le salaire actuellement pratiqué. Les ouvriers du trio, qui ont un salaire fixe plus une prime de production, préfèrent généralement un salaire entièrement fixe. Les raisons avancées pour expliquer cette préférence sont, ici encore, la stabilité et la régularité du salaire, et la fatigue : « On ne se ferait pas crever. » Comme au train à main, un pourcentage important (42 %) des ouvriers préfèrent le salaire aux pièces ; ils invoquent les mêmes raisons pour justifier leur préférence : l'absence de surveillance dans le travail et surtout le niveau plus élevé des salaires. Les salaires aux pièces rapportent plus ; une bonne partie des explications de ceux qui préfèrent le salaire aux pièces invoquent cette raison, au train mécanisé, alors qu'au train manuel — où il est plus pénible de « pousser > la production — cet argument a été donné moins souvent. Au train continu, la majorité des ouvriers (59 %) préfère un salaire entièrement fixe. Là aussi, l'argument principal est le souci de sécurité économique : « Le salaire serait toujours assuré » ; « Si on a un
148
Les salaires
arrêt d'une journée (panne), ça influe trop sur la prime dans le salaire actuel (fixe, plus prime de production). » Toutefois, 28 % préfèrent le salaire avec prime de production, car « elle peut monter ». Personne ne souhaite avoir un salaire entièrement aux pièces, qui semble anachronique. Les formes de salaire au rendement sont également critiquées : « Dans un train comme ça, on n'en voit pas l'utilité, on ne peut pas rattraper du temps ; tout au plus ça peut inviter à faire plus attention au travail. > Comme les ouvriers ne peuvent pas faire augmenter la production de leur propre chef, c'est la régularité d'un salaire fixe que la majorité d'entre eux souhaitent.
C. LES ALÉAS DE LA PRODUCTION ET LES SYSTÈMES DE SALAIRE
Si on observe déjà au train à main et au train mécanisé qu'un peu plus de la moitié des ouvriers souhaitent le salaire fixe, la préférence de beaucoup d'autres va tout naturellement au fixe plus prime : il s'agit pour eux de « garantir les mauvaises journées », sans exclure qu'on puisse faire « monter la prime ». Cette réponse, en dehors du désir évident de garantir un certain niveau de salaire, s'explique par la préoccupation des aléas du travail au laminoir à main et au train mécanisé : il serait « injuste » que les jours « où ça ne va pas » et où les ouvriers ne peuvent produire normalement, en raison de la qualité de l'acier ou de l'état des machines, les salaires soient inférieurs. Un des reproches majeurs contre le salaire aux pièces est que la diversité des circonstances de production exclut certains jours un gain « normal ». La diversité des dimensions fabriquées accroît elle aussi le caractère aléatoire de la production journalière. Les barèmes devraient tenir mieux compte des difficultés de fabrication de chaque produit. Les ouvriers contestent leur équité ; la paie de certaines dimensions n'est pas en rapport avec le travail qu'elles demandent, si bien que, lorsqu'on a une dimension favorable, « on fait sa journée » et que, d'autres fois, « on se crève pour rien ». La quasi-totalité des ouvriers au train à main et au train mécanisé s'accordent à reconnaître qu'il y a des produits qui paient mieux que d'autres \
1. La question n'a pas été posée au train continu, o ù la diversité des dimensions n'a pas de répercussion sur le salaire.
L'appréciation des systèmes en vigueur
149
Tableau 4. < Est-ce qu'il y a des produits qui paient mieux que d'autres ? » Train manuel % Oui Non Non-réponse
Train
90 2,5 7,5
mécanisé % 95 —
5
100
100
Une autre incertitude du mode de salaire réside dans les rebuts. Ceux-ci ne sont pas payés et les ouvriers pensent que, bien souvent, ils ne leur sont pas imputables. Tableau 5. « Est-ce normal qu'on décompte les rebuts ? >
Oui Non Seulement s'il y a faute
Train manuel %
Train mécanisé %
15 74 11
30 46 24
100
100
La majorité des ouvriers pense qu'il est injuste de décompter les rebuts autrement qu'en cas de fautes imputables réellement au personnel. L'incertitude à propos du salaire s'en trouve augmentée : — < Si on travaille par une feuille, il n'y a pas de rebuts ; si on travaille par deux ou trois feuilles, au paquet, là, il y en a. » — « Des jours, il y a du mauvais fer, ça colle et on n'y peut rien ; on n'est pas payé quand même. » — « Quand l'acier est pourri, les tôles ne décollent pas. Normalement, elles devraient nous être décomptées ; mais les décolleurs ne font pas toujours la différence entre celles qu'on peut nous imputer et celles où il n'y a pas de notre faute. »
Il est souvent difficile de distinguer entre les défauts de fabrication d'ordre technique et d'ordre humain, l'ouvrier ne l'ignore pas. S'il critique le système de salaire à ce propos, c'est qu'il considère que les défauts de fabrication dus aux circonstances matérielles lui sont trop souvent attribués.
Les salaires
150
Les facteurs de variation de la production — arrêts, pannes, diversité des produits, rebuts — rendent le salaire des trains manuels et mécanisés très incertain. Les ouvriers préfèrent un salaire plus stable, la production n'étant pas toujours en rapport avec l'effort fourni en vue d'un gain accru. Au train continu, malgré l'existence de la partie fixe, les ouvriers expriment également un sentiment d'insécurité à l'égard de la prime, alors qu'ils reconnaissent par ailleurs que cette prime est assez stable : « On ne pourrait pas beaucoup la faire monter. > Ils visent le salaire mensuel, qui permettrait d'être « payé, même lorsqu'on est malade >. En ce qui concerne la régularité de la prime, il faut noter, en effet, qu'en dehors du cas de pannes graves, consécutives à des erreurs du personnel, la production ne subit guère de variations dues à la diversité des produits. D'autre part, les rebuts n'ont pas de répercussions aussi importantes sur le salaire que dans les trains manuels ou mécanisés. Décompter les rebuts paraît donc ici plus juste. Tableau 6. « Est-il normal qu'on décompte les rebuts ? » Train continu % Oui Non Seulement s'il y a faute Les rebuts ne sont pas décomptés
18
34 3 45 100
On notera le fort pourcentage d'ouvriers qui ne savent pas si les rebuts sont payés ou non. La même ignorance des modalités secondaires du salaire se retrouve à propos des arrêts, alors que, dans les ateliers plus anciens, les ouvriers connaissent mieux les modalités de détermination des salaires. On peut penser que le décompte des rebuts et la paie des arrêts constituent des aspects plus secondaires au train continu qu'aux autres laminoirs et que les ouvriers sont moins sensibilisés à ces questions particulières à cause de la plus grande stabilité de leur salaire, assurée par l'existence d'une importante partie fixe.
151
L'appréciation des systèmes en vigueur
D . CONFIANCE ET POSSIBILITÉS DE CONTRÔLE
L'atmosphère de défiance, qui pourrait naître de cette opposition des intérêts patronaux et ouvriers dans le système de salaire, s'étend-elle à l'application de ce système, au calcul même de la paie ? Est-ce que les ouvriers peuvent « vérifier leur paie », malgré les difficultés de calcul des diverses primes destinées à stimuler les différents aspects du travail ? Tableau 12. « Peut-on contrôler ce qu'on gagne ? » Train
Oui Non Non-réponse
manuel
Train
mécanisé
Train
continu
%
%
%
65
34,5
35 0
65,5
53 43,5 3,5
100
0 100
100
La majorité des ouvriers, au train manuel et au train continu, répondent qu'ils peuvent contrôler leur paie à la fin de la quinzaine ; ceux du train mécanisé, en revanche, disent qu'ils ne le peuvent pas. Les commentaires recueillis permettent d'éclairer cette différence d'opinion. Au train manuel, ceux qui pensent qu'on ne peut pas contrôler la paie expliquent que « C'est très difficile à calculer »,
que des éléments de calcul manquent. < Il faudrait les cahiers du contremaître »,
où sont marqués les tonnages et les heures de travail. La plupart de ceux qui ne peuvent contrôler leur salaire ne peuvent pas comprendre leur feuille de paie : « Une vache n'y retrouverait pas son veau. »
Ceux qui, au contraire, pensent qu'on peut vérifier et « s'y retrouver > (65 %) n'y parviennent souvent pas eux-mêmes, mais se basent sur l'avis des lamineurs. « — Les lamineurs calculent souvent.
152
Les
salaires
— D'après la feuille de paie, le premier (lamineur), peut aller au bureau voir ce qu'il a gagné. » Quant aux lamineurs : < On sait combien on en a fait chaque jour ; il y en a qui le notent sur un carnet tous les jours ; on a un barème et on peut alors calculer. » Certes, de tels calculs restent approximatifs. « Pour les rebuts, on ne sait pas ; » ceux-ci sont éliminés après la ligne de laminage et il est arrivé que les lamineurs montent au bureau des salaires pour vérifier, lorsque « leur compte ne correspondait pas ». Aux trains manuels un certain contrôle reste toutefois possible ; le tarif en est l'instrument : « Il y en a qui ont toujours le barème dans la poche », même si les difficultés de calcul en limitent évidemment l'usage. Au train mécanisé, où les deux tiers des ouvriers reprochent au salaire d'être incontrôlable, les critiques ne portent généralement pas sur le calcul de la partie de leur salaire payée aux pièces. Le tarif par tonnage, pour chaque dimension, est accessible, sous réserve des mêmes difficultés de calcul qu'au train manuel. C'est davantage la prime de mise au mille, destinée à favoriser la qualité du travail, qui est visée par les critiques : — La prime de mise au mille est incontrôlable. Bien que le principe de son calcul soit connu de tout le monde, l'ouvrier se plaint « qu'on n'en voit jamais les éléments. Ce mois-ci, on nous dit qu'elle est de tant, mais on n'y peut rien voir ». — Elle accroît l'insécurité du salaire, pouvant être supprimée dans des circonstances dont les ouvriers ne sont pas responsables : « L'an dernier, la casse du trio a entraîné des frais ; on n'a pas eu de prime de mise au mille pendant six mois... » < Ils nous donnent ce qu'ils veulent... » « La prime, c'est de la flibusterie. » — Elle n'avantage les ouvriers que dans certaines limites ; les résultats médiocres sont pénalisés, alors qu'au-dessus d'une certaine limite les résultats excellents ne profitent qu'à l'entreprise. « On nous fait une retenue lorsqu'on tombe au-dessus de 1 280 pour la mise au mille. Pourquoi ne fait-on pas d'ajustement de la prime lorsqu'on dépasse la limite supérieure prévue, ou au moins un report au mois suivant ? » De même : « Une tôle nous est décomptée si elle est fendue ou trop courte et même s'il ne manque qu'un coin. Pourtant, le chef de fabrication récupère ces rebuts pour les mettre en une autre dimension. » — On reproche l'absence de clarté de la feuille de paie : « Vous avez fait tant de rebuts ; allez vérifier ! Et on nous met tout dans ' primes diverses '. » — La prime de qualité prétend récompenser la qualité du travail, alors qu'en
L'appréciation des systèmes en vigueur
153
réalité les équipes qui ont le mieux travaillé ne sont pas récompensées, puisque la prime est calculée globalement, pour l'ensemble de l'atelier, sans distinction des résultats par équipe. Si cette prime était calculée par équipe, « elle obligerait chacun à mieux soigner son travail ». « Il y en a qui soignent, qui sont réguliers, prudents ; d'autres ne regardent pas et poussent. Ce n'est pas juste que la mise au mille ne tienne pas compte de cela. Il faudrait séparer la prime pour chaque équipe et chacun aurait la prime qu'il mérite. »
Au train continu, l'opposition entre ceux qui pensent pouvoir exercer un contrôle (53 %) et ceux qui disent ne pas pouvoir le faire (43,5 %) est plus tranchée. Avec le système du fixe horaire auquel s'ajoute une prime de tonnage, « on peut contrôler son nombre d'heures ». « On fait son prix de l'heure, même si c'est affiché >, mais la prime, « on ne sait pas d'où ça vient ». « On ne comprend jamais rien aux primes. Parfois, il y a des quinzaines avec de gros tonnages et il y a moins de prime. » Seule une petite majorité d'ouvriers pense pouvoir contrôler. « Les tonnages sont inscrits tous les jours ; je fais mon compte en marquant sur le calendrier. » Ces divergences d'opinion s'expliquent sans doute par le système de salaire du train continu. On contrôle facilement le fixe horaire, alors que la prime est d'un calcul plus difficile (la proportionnalité au tonnage est corrigée par une formule complexe). Un autre facteur : l'ouvrier ne peut plus ici se baser sur l'avis d'un premier lamineur. Celui-ci n'est plus le porte-parole informé auquel on peut se référer en toutes circonstances, comme dans les anciennes équipes. On a cependant constaté dans les trois ateliers, que ce sont les ouvriers des catégories professionnelles supérieures qui pensent plus souvent que les autres pouvoir contrôler leur paie : Tableau 8. « Peut-on contrôler ce qu'on gagne ? »
Lamineurs Autres O.P. O.S.
Oui %
Non %
Total
60 55 36
40 45 64
100 100 100 N =
124
Les reproches les plus fréquemment formulés dans les trois ateliers, concernant le contrôle du salaire, sont la difficulté d'avoir les éléments du cal6
154
Les salaires
cul des primes et la complication du calcul. On peut se demander à cet égard si cette situation est génératrice de méfiance ouvrière à l'égard de la direction de l'entreprise et motive les accusations « d'arbitraire > dans la distribution des primes ? Tableau 9. « Il y a des ouvriers qui disent : ' On peut leur faire confiance ' et d'autres : ' Ils donnent ce qu'ils veulent '— Qu'est-ce qui est vrai, à votre avis ? »
Confiance Arbitraire
Train manuel %
Train mécanisé %
Train continu %
60 40
62,5 37,5
60 40
100
100
100
Dans les trois usines, il existe donc une large part de confiance. La majorité des ouvriers pense que la direction respecte les règles du système de calcul du salaire. Il est intéressant de rapprocher ce résultat des réponses à la question précédente. On constate alors une corrélation entre la confiance et la possibilité de contrôle. Tableau 10. Peut-on contrôler ce qu'on gagne ?
Confiance Arbitraire
Oui
Non
46 7
18 36
Ceux qui ont confiance sont surtout ceux qui disent pouvoir vérifier leur salaire8. On peut donc conclure que, dans les trois usines, les ouvriers sont peu satisfaits de leurs salaires qui leur permettent « tout juste > de vivre et sont donc plus sensibles à l'insuffisance du niveau de salaire qu'au problème du mode de rémunération. Lorsque, par diverses ques2. yf = 29,60, significatif au seuil de P = 0,01.
L'appréciation des systèmes en vigueur
155
tions, on atteint leurs attitudes à l'égard du mode de rémunération, il s'avère que la majorité des ouvriers préférerait un salaire plus stable, sous la forme d'un salaire entièrement fixe ou d'un fixe plus prime, cette dernière formule permettant de concilier la sécurité de la paie avec la possibilité d'augmenter celle-ci. Dans les trois ateliers, les ouvriers insistent sur l'insécurité du salaire au rendement et jugent anormal qu'on lie le niveau du salaire aux aléas des conditions techniques de la production. Désir de sécurité économique et espoir d'un gain plus élevé, comment ces attitudes opposées se traduisent-elles dans les comportements ouvriers de production ? L'analyse de ces comportements dans les chapitres suivants nous permettra de saisir l'effet du mode de rémunération sur le travail, de voir s'il entraîne effectivement la stimulation du rendement qu'on peut attendre d'un salaire aux pièces ou d'une prime de production ou si, au contraire, il provoque une réaction des ouvriers pour pallier les variations aléatoires de la production et satisfaire leur besoin de sécurité. Mais ces possibilités d'influence ouvrière sur la production varient également avec les conditions matérielles du travail, c'est-à-dire avec ses transformations techniques. C'est pourquoi l'analyse finale devra mettre en relation les trois variables : travail, salaires, production.
TROISIÈME PARTIE
La production
INTRODUCTION Ayant présenté dans la première partie l'analyse de l'évolution du travail ouvrier aux trois niveaux techniques étudiés, dans la deuxième partie les modes de rémunération pratiqués dans les trois ateliers, nous sommes en mesure d'aborder ce qui devait être la variable dépendante : la production ouvrière. Dans un premier chapitre (chapitre v), nous nous efforcerons d'apprécier cette influence quantitativement et qualitativement dans les différentes situations observées. Quantitativement, nous pouvons évaluer l'influence ouvrière sur la production en étudiant les résultats globaux de la production, c'est-à-dire la variabilité de la production des équipes des différents trains. La variabilité de la production escomptée, étant donné le type de travail et le mode de rémunération, comparée à la variabilité effective de cette production, pose la question de l'efficacité des stimulants salariaux utilisés. La description qualitative de la nature de l'influence ouvrière sur la production et la perception même par les ouvriers de cette influence permet déjà de cerner la complexité des objectifs d'un système de salaire stimulant. Mais le chapitre vi fait un nouveau pas : le freinage ouvrier devant le salaire aux pièces remet en cause le principe même du stimulant salarial. La dynamique des politiques salariales est brisée par l'intervention de la concertation ouvrière et l'élaboration d'un système de défense. Faut-il en dénier toute efficacité au stimulant salarial ? Réintervient ici la situation de travail. Les résultats de la dynamique salaire-production divergent selon que le travail représente pour l'ouvrier une cadence physiquement pénible et menaçante ou l'insertion d'interventions plus intellectuelles dans un réseau de communication moins contraignant.
CHAPITRE V
L'influence ouvrière sur la production
L'influence ouvrière sur la production est d'un intérêt central dans cette recherche. Pour tout le monde, dans les perspectives patronales, syndicales, comme dans celles d'une analyse sociologique, le thème général du lien entre évolution technique ( ou du travail) et évolution des modes de rémunération au rendement passait par l'appréciation de l'influence ouvrière. Malheureusement l'étude empirique de l'influence se heurte à des difficultés d'opérationnalisation et ce n'est évidemment pas par hasard si cet aspect central de la vie industrielle n'est pour ainsi dire jamais abordé dans la littérature théorique ou dans les recherches empiriques. Mesurer l'influence suppose d'abord que soit faite la part du potentiel de production et de la réalisation effective d'un certain niveau quantitatif de production. Même si l'on peut, dans certaines branches industrielles, faire abstraction de la qualité des produits — en gardant celle-ci constante, pour les besoins de l'analyse — il reste très difficile, voire impossible, de passer clairement de l'un à l'autre. On peut observer les résultats quantitatifs atteints, comparer ceux d'une équipe du matin et ceux d'une équipe de l'après-midi, encore qu'il faille éliminer des variations liées à des différences dans le détail des programmes. Ce qu'on atteint est alors la variabilité de fait, la manifestation de l'influence. Et les marges de variation devront être expliquées en termes de multiples conditions de production et de motivations. Il y a là, au mieux, une mesure indirecte du potentiel d'influence. Si on veut saisir plus directement le potentiel d'influence, on doit ensuite observer, en action, ce que G. Friedmann a appelé le « complexe hommes-machines >. Cela revient, pour l'essentiel, à faire l'analyse de divers types d'influence. Ce qu'on atteint est avant tout une connaissance de la nature de l'influence. Cette influence se définira : 1") par les possibilités d'influence de chaque poste, pour chaque installation et 2°) par les possibilités d'influence de l'individu et du groupe de travail. Techniquement et d'un point de vue psycho-sociologique, on peut étudier l'influence au niveau
L'influence
ouvrière sur la production
161
de l'individu (poste, individu) et au niveau collectif (installation, groupe de travail). Quant au degré d'influence, il ne pourra guère être qu'évalué, sinon précisé rigoureusement. Considérant la nature de l'influence ouvrière, on la distinguera enfin par son résultat sur la quantité, sur la qualité de la production, puis sur l'outillage, à travers un jugement d'observateur. Nous commencerons par essayer de dégager l'aspect collectif de l'influence, en distinguant les situations où l'influence du lamineur est dominante de celles où c'est l'influence de l'ensemble du groupe de travail qui l'emporte, et en précisant, d'autre part, le degré d'autonomie du groupe à l'égard de l'organisation. C'est ensuite seulement que l'influence individuelle de chaque poste pourra être appréciée. Notons que nous avons pu contrôler nos jugements d'observateurs en comparant, à l'intérieur de l'équipe de trois chercheurs, des « évaluations » individuelles (il s'agit de la méthode « d'accord des juges >). Il va de soi que nous avons tenu compte des avis exprimés, dans les ateliers, par les meilleurs connaisseurs de leur fonctionnement ; des anecdotes révélatrices sur les « incidents » divers, qui se produisent trop rarement pour être observables pendant l'étude, ont complété notre analyse. Enfin, nous avons interrogé les ouvriers eux-mêmes, sur les possibilités d'influence comme sur l'influence manifestée, ce qui permettait de recouper, encore une fois, des jugements individuels les uns par rapport aux autres. En cernant ainsi, de toutes parts, le phénomène imprécis de 1' « influence » ouvrière, nous nous sommes donné un maximum de chances de comprendre, sinon de mesurer strictement, cet élément central de la dynamique industrielle où les moyens, les forces et les rapports de production interfèrent.
I.
LA
VARIABILITÉ
DE
LA
PRODUCTION
Lorsque l'on examine les chiffres de production par quinzaine pour une installation, on enregistre des différences de production dans le temps et entre équipes. Peut-on à travers l'étude de la variabilité de la production dégager l'importance de l'influence ouvrière, sa nature, et comparer cette influence entre les divers types d'installation étudiés ? Les variations de la production dans le temps ou entre équipes peuvent
La production
162
provenir de l'effort des hommes, mais aussi des conditions techniques de fabrication en face desquelles l'ouvrier est impuissant. L'importance de l'influence ouvrière pourrait être appréciée par la constatation d'écarts éventuels entre la variabilité que l'on pourrait attendre de la nature des installations et la variabilité réelle constatée par l'analyse statistique des chiffres de production. Il s'agit donc, dans un premier temps, de rechercher la variabilité qui pourrait être attendue de chaque installation ; d'étudier ensuite, à travers les relevés de production, quelles sont les variations réelles ; de rechercher enfin des hypothèses sur les causes des différences que Pon pourra constater, en les étayant sur les opinions recueillies.
A. LES FACTEURS TECHNIQUES DES VARIATIONS DE PRODUCTION
1. La comparaison des installations Il est difficile de séparer rigoureusement les causes techniques des causes humaines des variations, quantitatives ou qualitatives, de production. On peut cependant relever quelles sont les principales sources de variation d'ordre technique. Cette description des circonstances matérielles de fabrication aura l'avantage d'amener à des conclusions qu'on pourrait qualifier de « technologiques », indiquant à quelles variations on devrait approximativement s'attendre, en regard des installations. Les données statistiques que nous présenterons dans les paragraphes qui vont suivre montreront alors jusqu'à quel point les variations observées de la production du complexe hommes-machine correspondent à cette attente. Dans cette approche du problème, il semble nécessaire de passer en revue les différentes variables liées au matériel. Pour chaque installation, nous les avons classées sous quatre rubriques : — — — —
état des cylindres ; marche des fours ; nature des produits ; incidents de marche.
a) Trains manuels Etat des cylindres. Pièces maîtresses d'un train de laminage, les cylindres sont toujours en cause. Nous ne pouvons évidemment prétendre à la connaissance exhaustive de ces problèmes de cylindres, d'autant moins que
L'influence ouvrière sur la production
163
les hommes qui travaillent autour de ces cylindres dont on parle presque comme d'êtres vivants, mêlent ime dose de légende à la connaissance objective \ Mise en route : en début de semaine, les cylindres froids doivent être chauffés par un laminage d'un type particulier (dimensions étroites, puis de plus en plus larges), à une cadence plus lente que d'ordinaire. Cette mise en route du train dure plus de 8 heures ; elle n'est vraiment terminée qu'après environ 12 à 16 heures. En plus de cette mise en route périodique et normale — elle se fait généralement le lundi matin — une casse de cylindre obligera, après le montage des nouveaux cylindres, à une mise en route en cours de semaine. H ne fait pas de doute que la mise en route diminue le rendement (du point de vue de la quantité et, dans une certaine mesure, de la qualité des produits), et en tout état de cause, introduit une source de variabilité de la production dans le temps. Température : il arrive que les cylindres soient trop chauds. Un lamineur qui « pousse », qui lamine à une cadence très rapide en fin de journée (cas rare) peut les surchauffer. Le lamineur suivant qui rencontre de tels cylindres se trouve donc en face de conditions techniques l'obligeant à ralentir sa production. Inversement, un lamineur peut se trouver devant des cylindres refroidis. Des arrêts un peu longs laissent les cylindres à une température inférieure à la normale. Le produit se refroidit alors trop rapidement et oblige à un nombre supérieur de passes, ce qui ralentit la production pendant un certain temps. Usure : les cylindres vieillissent. Aux trains à main, on les garde jusqu'à x tonnes de laminage. Autrement dit, bien qu'ils soient mis au parc à cylindres à chaque fin de semaine, ils lamineront une autre semaine et continueront à vieillir sans être rajeunis par une retaille. Certains jours, les cylindres produisent moins tout en demandant un plus grand effort aux lamineurs. Les lamineurs se plaignent alors que les cylindres « n'ont plus d'allongement ». A la production relativement lente des trains à main correspond une usure relativement lente des cylindres. On verra que le vieillissement des cylindres, aux trains plus modernes, se fait beaucoup plus rapidement, le tonnage laminé étant bien plus grand et ils sont changés tous les jours. Mais l'usure des cylindres aux trains à main peut provoquer des variations de production d'un jour à l'autre de la semaine. 1. Nos indications se basent principalement sur les explications claires et rationnelles d'un chef d'atelier, ancien lamineur qui a beaucoup réfléchi à tous les problèmes techniques du laminage.
164
La
production
La marche des jours. On dit que « la capacité des fours limite la capacité de production > ; cela signifie que le train pourrait aller parfois un peu plus vite que les fours. Or, le produit doit atteindre une température critique, il doit stationner assez longtemps dans les fours. Dès que le four est en retard, il s'en suivra un ralentissement de la production. Comment le four peut-il être en retard ? A la mise en route il peut arriver que le four « ne chauffe pas » (assez), sa mise en route étant lente, malgré les efforts des chauffeurs qui sont à leur poste 8 heures avant l'équipe, en début de semaine. Cas de « bourrage » : lorsqu'une équipe pousse la production, elle défourne très rapidement du four les bidons chauds. L'équipe suivante devra laisser aux bidons récemment enfournés le temps de se réchauffer : ceci crée un temps d'attente pour le laminage. « Four pas chaud » : cette mention se retrouve assez fréquemment dans les rapports journaliers de production. Que ce soit par faute du chauffeur de l'équipe précédente de laminage, que ce soit parce que la qualité du charbon est inférieure à la normale, le four freine le train. Pour une équipe donnée, le « four pas chaud > constitue une circonstance défavorable de production, dont elle n'est pas responsable. Les « produits ». Les ouvriers distinguent dans les « produits » ceux qui sont rentables et ceux qui ne le sont pas. Ce jugement englobe ime appréciation des conditions techniques et des tarifs. Un produit peut être difficile à fabriquer, mais relativement bien coté dans le tarif de rémunération et il sera « rentable ». Il ne faut pas perdre de vue que la notion de « produit », source de variation dans les résultats journaliers (en tonnes et en francs), a cette double signification. Quant aux raisons purement techniques qui confèrent au « produit » de l'influence sur le tonnage journalier, elles sont diverses : les dimensions et le poids du produit initial varient énormément ; ils rendent plus ou moins difficile le détournement, l'engagement sous les cylindres, le rattrapage, le transport du dégrossisseur au finisseur. On ne peut généraliser selon un principe simple du genre « plus la surface est grande, plus le travail est long et difficile » ou « plus c'est lourd, plus le travail est long et difficile ». Il existe des produits lourds de petite et grande surface, etc. A partir d'une certaine réduction de surface, le travail devient plus difficile. Les dimensions du produit final sont encore plus variables, puisqu'avec un bidon (produit initial) de même poids et de même dimension, on peut produire des feuilles (produit final) différentes en épaisseur et dimensions. Intervient ici le mode de laminage. Il est clair que plus le nombre de passes est important, plus le tonnage fabriqué sera faible. Un réchauf-
L'influence ouvrière sur la production
165
fage intermédiaire ralentit considérablement la production, de même qu'un doublage. Ce sont là des règles techniques de production, ne laissant aucune latitude à l'ouvrier, sauf dans certains cas plutôt rares, dans la détermination du nombre de passes à effectuer. Ce sont des conditions techniques, indépendantes de l'intervention ouvrière, qui influent considérablement sur le niveau de production. L a qualité de métal du produit n'est pas, « comme autrefois », la même pour tout l'acier à laminer. Il arrive qu'une plus grande dureté du métal ralentisse le laminage de façon sensible. Il est difficile, toutefois, de préciser à quel moment une baisse de la production est due à « l'acier dur » et plus encore combien, dans cette baisse, est imputable à cette circonstance. Les incidents techniques. Des incidents mécaniques de moindre importance sont assez fréquemment cités dans les rapports de fabrication. La réparation exige le plus souvent une demi-heure à trois quarts d'heure environ d'arrêt. Les arrêts plus longs (casses de cylindres, etc.) sont rares. Les incidents mécaniques sont naturellement un facteur technique de variation de la production. Mais il convient de relever qu'à propos des arrêts techniques la distinction entre les causes techniques et les causes humaines de variation est particulièrement difficile à opérer. Il est impossible, au niveau des documents de l'atelier du train à main, de préciser la responsabilité humaine dans les incidents mécaniques. La plupart d'entre eux sont dus à une fatigue du matériel de production, mais ils ne le sont pas tous et pas entièrement. En outre, la variation de production enregistrée dépend de l'effort fourni après l'incident (ou pendant l'incident, l'équipe de fabrication contribuant à la réparation). b) Trains mécanisés Dans l'atelier des trains mécanisés, les conditions techniques de variation de la production — particulièrement du duo — sont encore assez semblables à celles des trains manuels. Mais la mécanisation entraîne un souci particulier d'organisation technique de la production. Dans la mesure où les techniciens s'intéressent bien davantage qu'autrefois précisément aux conditions techniques de variation de la production, celles-ci ont tendance à perdre de l'importance (par exemple, les problèmes de cylindres). Cela n'exclut pas que d'autres circonstances, issues de la mécanisation même, soient sources de variations importantes (notamment les incidents mécaniques). Etat des cylindres Mise en route : le programme de laminage tient compte des exigences
166
La production
de la mise en route. Des produits les moins larges, on passe progressivement aux plus larges. Du fait de la mécanisation des transports, la cadence de laminage, et en même temps la mise en route, sont plus rapides qu'autrefois. Au trio, le cylindre médian est remplacé toutes les 8 heures ; au duo, les cylindres tiennent environ une semaine. A considérer les tonnages du duo, on peut dire que les jours de mise en route la production est plus faible que les jours qui suivent. Usure : étant donné la plus forte cadence de laminage, l'usure des cylindres est rapide. Les effets de l'usure sur la production ne semblent notables qu'au duo. Le programme de laminage tient compte du vieillissement des cylindres : la mise en route avec un nouveau cylindre se fait, comme nous l'avons vu, par progression des dimensions étroites aux dimensions plus larges ; quand le cylindre est usé, on lamine à nouveau des dimensions plus étroites. Indépendamment de l'adaptation du programme, le fait de passer des dimensions étroites entraîne une baisse du tonnage. L'usure même du cylindre rend le travail plus difficile et plus long 2 . Température : le réglage de la température est perfectionné aux trains mécanisés par des procédés de réchauffage au gaz ou de refroidissement à air et à eau qui agissent de manière à régulariser la production. La marche des jours : divers perfectionnements techniques de réglage (cadrans, procédés rapides de refroidissement et de réchauffage) assurent une marche normale des fours. Il ne semble pas que les fours soient, au train mécanisé, un facteur de variation de la production ; ce n'est que très rarement qu'on signale des incidents de fours. Les « produits ». Ce qui a été dit à ce propos pour le train manuel reste valable pour le duo mécanisé, et pour le trio, mais à un degré moindre. Les incidents techniques : la surveillance de l'installation des trains mécanisés par l'ingénieur est très étroite. Un effort constant vers la suppression des incidents a entraîné un abaissement progressif du pourcentage des arrêts depuis la mise en place de l'installation et une certaine stabilisation. On s'attend chaque mois à un pourcentage relativement fixe de temps d'arrêts. Les casses de cylindres sont rares, du fait d'un effort d'aménagement technique, d'un effort d'organisation du programme de laminage et de 2. Le lamineur peut lutter pour éviter que le tonnage descende au-dessous d'une certaine limite. Lutte parfois très dure ou vaine d'où les plaintes des lamineurs contre le remplacement < tardif » des cylindres.
L'influence ouvrière sur la production
167
l'attention des lamineurs. Tout à fait exceptionnellement une casse « technique » peut être occasionnée par un défaut de fabrication du cylindre. Les rares casses enregistrées sont « en principe > attribuées à des fautes du personnel. Les pannes électriques et les pannes mécaniques ont naturellement une répercussion directe sur le niveau de production*. La répercussion des pannes sur la production varie selon la rapidité de l'intervention de l'équipe d'entretien. Des mécaniciens spécialistes de l'entretien sont affectés à chaque équipe de laminage. c) Train continu Plusieurs bureaux techniques (méthodes, contrôle de qualité, services techniques de fabrication) ont étudié — et continuent à étudier — les aspects techniques de la production au train continu. Tout est mis en œuvre pour éviter les entraves à une production régulière. Nous ne ferons pas ime analyse détaillée des conditions techniques de production dans cette installation complexe. Nous nous contenterons de situer les quelques facteurs examinés pour les autres trains. Etat des cylindres. Mise en route : au train continu, les cylindres sont changés plusieurs fois par jour. La mise en route est donc avant tout un premier et délicat réglage. Elle se fait toujours à une même épaisseur de bande. On suit la règle générale classique : choix des bandes, progressivement des moins larges aux plus larges. La mise en route produit naturellement un certain ralentissement de la production, mais celui-ci paraît relativement faible (comparé à celui qui est causé par le remplacement des cylindres ou par un incident). L'ime des équipes de laminage doit faire deux remplacements de cylindres, l'autre un seul. Le niveau de production sera plus bas pour la première équipe. Mais les équipes tournent. Usure : les cylindres sont remplacés avant que l'usure puisse ralentir la production. Le problème de l'usure est moins, à ce stade, une question de cadence que de programme de laminage. A chaque nouveau jeu de cylindres, la progression des largeurs doit être reprise. Comme le remplacement des cylindres est fait régulièrement, l'effet de l'usure — à travers
3. Par contre, elles n'en ont pratiquement aucune sur les salaires, les ouvriers de fabrication étant pendant les pannes payés « à la moyenne » (salaire horaire moyen au rendement de la quinzaine précédente).
168
La production
les programmes de laminage qu'elle conditionne — n'est pas un facteur de variation des niveaux de production. Température : on ne signale pas de problèmes de température des cylindres. La marche des fours. Les fours sont plus que jamais le « goulot d'étranglement » du train, la capacité du four détermine largement la cadence du train. Les cadences très fortes exigent une grande précision de chauffe. Aussi, l'installation des fours est très perfectionnée pour éviter précisément qu'ils puissent être la source de variations de la production. Ils le restent néanmoins dans une certaine mesure : ralentissement temporaire du défournement par insuffisance de chauffe. Les « produits ». L'influence des dimensions du produit et de la qualité reste une caractéristique essentielle du laminage, même à ce stade. Les tonnages horaires sortis du train sont différents selon le poids des brames. Jouent l'importance de la réduction d'épaisseur (à une réduction faible correspond une vitesse un peu plus forte de laminage), la largeur et surtout le type d'acier laminé : les alliages sont laminés beaucoup plus lentement. Puis les exigences de qualité de surface, de précision dimensionnelle et de caractéristiques métallurgiques (emboutissage), plus sévères à certains moments, sont autant de sources de variations dans les tonnages. Enfin le laminage d'une longue série de mêmes produits à des taux semblables de réduction augmente les tonnages par diminution des temps de réglage. Bref, le « programme > de laminage a une influence sur les niveaux de production. Comme, toutefois, la répartition des divers types de produits se fait de façon très semblable d'une semaine à l'autre, une statistique des niveaux de production reflète peu de variations provenant du « programme ». Les incidents techniques. A ce stade de mécanisation, les incidents constituent la source principale et redoutée de variation de la production. Il reste difficile, malgré la multiplicité des contrôles, de faire la part des causes techniques et des fautes du personnel. Une bande qui se cogne contre un cylindre (« serpentin ») peut casser une pièce de la cage et provoquer un arrêt de production de quelques heures si cette pièce est délicate à remplacer. La responsabilité des lamineurs peut être engagée (réglage imprécis), mais les « facteurs techniques s> imprévisibles restent prépondérants dans les causes d'arrêts. L'opinion générale est que la majeure partie des incidents n'est pas imputable au personnel, mais d'origine purement technique. S'il est vrai que les incidents peuvent /aire baisser considérablement le niveau de production, il faut rappeler que tout est mis en œuvre pour empêcher que cela se produise. Des rapports d'ingénieurs, on peut con-
169
L'influence ouvrière sur la production
dure que de constants progrès dans la prévention des incidents sont réalisés d'une année à l'autre. Qui plus est — et cela nous intéresse particulièrement — les pourcentages d'arrêts par quinzaine se sont stabilisés. 2. L'opinion des ouvriers sur les causes de variation de la production La perception qu'ont les ouvriers des limites humaines ou techniques de la production concorde avec notre analyse précédente. Par exemple, la question relative aux déterminants de la cadence marque nettement une évolution selon laquelle, dans l'esprit des ouvriers, les conditions techniques de production se substituent, avec la modernisation, au rôle des hommes. Tableau 1. « De quoi dépend le plus la vitesse à laquelle on travaille ? des machines (fours, cages, cylindres) ou de l'effort des ouvriers ? » (% de réponses) %
des
réponses
« Des machines » « Des ouvriers » « Des deux » Non posée, non-réponses
Train
manuel
Train
mécanisé
Train
continu
32
48
72
65
33 15 4
6 6 16
0 3
Avec la modernisation, la perception de l'influence de l'ouvrier est nettement en décroissance et la prépondérance de la machine s'affirme progressivement. Au train manuel, la prévalence des machines sur l'effort ouvrier ne représente qu'un tiers des réponses : « De la machine. S'il n'y a pas de tirage, il n'y a rien à faire et les fours sont très vieux. »
D'autres réponses mettent en relief l'importance de la qualité de l'acier : — « Quelquefois on peut tomber sur du bon fer, ça va plus vite, le ' Belge ' et le ' Denain ' il est fameux. » — « Il y a du fer qui se travaille bien et du fer qui ne se travaille pas. »
Mais les deux tiers des réponses font prévaloir l'effort : la vitesse dépend « de l'effort des ouvriers : la machine tourne toujours la même chose ».
Les ouvriers * ne peuvent pas toujours tourner comme les machines ».
170
La production
On allègue les limites physiques de l'effort : — « Là, ce sont des bonnes machines, ça ne dérange pas, ça dépendrait plutôt de la fatigue. »
La machine est perçue comme une constante : « Elle tourne toujours > et on y oppose la variabilité des capacités humaines : < Des lamineurs vont plus vite les uns que les autres. »
Au train mécanisé, malgré le progrès de la mécanisation, un tiers des ouvriers mettent encore l'effort en avant : la vitesse dépend — « de l'effort de l'ouvrier : la machine tourne toujours à la même vitesse ». — Deux lamineurs ne travaillent pas forcément à la même vitesse. »
Ça dépend < plutôt des ouvriers : les machines, ça marche toujours la même chose. Si on chauffe plus fort on peut travailler plus vite ».
Mais ici les capacités humaines soulignées ne sont pas toujours physiques ; on parle de l'expérience et de la « vivacité » : — « Ç a dépend aussi de la main-d'œuvre ; si on a un lamineur accidenté, et qu'il est remplacé par un ouvrier non habitué, on fera moins, car c'est le lamineur qui monte son train. » — « La vivacité y fait quand même ; X faisait quatre mille six cents en tel produit. Tous les lamineurs ne le font pas. »
Mais la moitié des ouvriers du train mécanisé pensent que les conditions techniques ont plus d'importance que l'effort pour la vitesse du laminage : — « Ça dépend de la résistance de l'homme, mais surtout du train : d'après l'état des cylindres on voit si on peut faire un peu plus. » — « Dans le temps, aux trains à main, c'était l'effort ; maintenant c'est la machine. »
Là aussi, on mentionne la qualité de l'acier : « Ça dépend surtout de la qualité du fer, quand ça colle, par exemple. Après c'est plutôt la cadence du lamineur. > Les lamineurs du trio renforcent ces opinions : la cadence... — « ça vient des machines : c'est les chaînes qui commandent ; le four ne suit pas non plus. » — « Ça dépend beaucoup du four : quand le four ne chauffe pas on est obligé de ralentir. »
C'est ce type de réponses qu'on obtient au train continu où la plupart des ouvriers pensent que l'importance de la machine est primordiale : la cadence < ça vient des fours : si les fours sont chauds on tire à une cadence accélérée ».
L'influence ouvrière sur la production
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Cette variabilité de la cadence en fonction de la température s'insère dans le cadre d'un minutage précis : « Toutes les minutes ça passe. Si c'est trop chaud, ou pas assez, on nous critique. »
Cette différence de perception du problème de la cadence rend impossible la comparaison des pourcentages de réponses à la question : « Est-ce qu'on pourrait dépasser les tonnages habituels ? »
Si cette question a été comprise différemment aux trois stades, la diversité même de cette compréhension est significative de l'évolution de la perception qu'ont les ouvriers de ce problème des cadences, perception qu'il faut situer non seulement dans le cadre de l'évolution technique, mais aussi dans celui de la transformation des politiques de production. La production est perçue au train manuel comme le résultat de l'effort de l'ouvrier. Au train mécanisé on précise nettement les limites techniques de l'effort ouvrier. Au train continu on parle de l'extension des capacités de production de l'installation. Si bien qu'on envisage avec plus de sérénité un accroissement de production là où il ne coûte aucun effort, tandis qu'au train à main, où le dépassement des tonnages habituels serait physiquement pénible, les réponses prennent le sens d'une autodéfense, ce qui conduit à une majorité de réponses négatives. Mais voyons le détail de ces explications : « Pourquoi ne peut-on dépasser les tonnages habituels ? » Les pourcentages de réponses techniques évoluent de 36 % au train manuel à 54 % au train mécanisé, à 58 % au train continu. 40 % des ouvriers du train manuel expliquent l'impossibilité de dépasser les tonnages habituels par les limites physiques du travail : — — — — —
« « « « «
On est déjà fatigué pour faire mille feuilles. » On est à bout. » C'est trop dur. » C'est une question de fatigue, il y a des jours où on est à bout. » C'est dur. Il faudrait un effort surhumain. »
Le même type de réponses apparaît au train mécanisé : — « Il y a beaucoup de choses qu'on pourrait faire, mais il faut voir à quel prix, à quel sacrifice. » — « Si on se fait crever la première année on n'arrivera jamais à prendre la retraite à 65 ans. »
Et un lamineur pensant aux chargeurs qui enfournent manuellement les platines :
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La production
« Il faut penser à ceux qui, derrière, travaillent avec les bras. »
Ceux-ci, en effet, confirment : (comme nous le verrons dans le chapitre VI « Salaire aux pièces et freinage >). — Au duo du train mécanisé, on trouve effectivement une variabilité importante ; elle ne serait donc pas réduite par une stabilisation de la production. Cela correspond à une situation observable de compétition limitée entre équipes, et à la possibilité de produire sans être limité par une dépense de forces trop importante. — Au trio mécanisé, la variabilité relativement faible correspond à la variabilité techniquement attendue, conformément à notre hypothèse, à savoir que l'effort ouvrier à ce niveau technique est déjà fortement dominé par la machine et le rythme quasi automatisé du travail. —- Au train continu, l'intervention ouvrière semblerait conduire à une variabilité supérieure à celle techniquement attendue ; retrouverait-on ici l'influence des incidents imputables au personnel ? La réponse sera difficile à préciser.
C. VARIATIONS DE PRODUCTION ET VARIATIONS DE SALAIRE
D'après le principe des systèmes de salaire précédemment décrits, dans un atelier où le système est « entièrement aux pièces >, les salaires doivent se ressentir aussi bien des variations de production d'origine technique que des variations dues à l'intervention des ouvriers ; dans un atelier où le système de salaire comporte une importante partie fixe, les variations d'origine technique et d'origine ouvrière se répercutent moins facilement sur les salaires. Si cette logique des systèmes de salaire joue, nous devrions en retrouver la trace dans la variabilité différente des salaires réels. L'analyse des documents salariaux permet d'apporter ici un complément utile aux données statistiques. On analysera la variabilité des salaires dans le temps avant de la comparer à la variabilité de la production. On
La production
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pourra en déduire dans quelle mesure la logique des modes de rémunération pratiqués se retrouve dans la réalité. Mode de calcul Les documents déjà utilisés dans la section précédente contiennent les données unitaires dont on a besoin ici, c'est-à-dire les salaires moyens horaires par quinzaines, par atelier. En procédant aux mêmes calculs de la moyenne horaire annuelle et des écarts types, on obtient un indice de la variabilité que nous traduisons également en % de la moyenne (pour éliminer l'influence du niveau du salaire horaire en chiffres absolus). Résultats Pour apprécier les résultats, nous pouvons ici encore les confronter à la variabilité de la production techniquement attendue. Tableau 4. Variabilité du salaire Variabilité de la production techniquement attendue
Variabilité du salaire obtenu
très forte forte assez faible faible
2,0 6,8 3,6 0,8
% I II ir III
train manuel duo mécanisé trio mécanisé train continu
Une anomalie saute aux yeux : dans l'atelier des trains manuels où l'on devait techniquement s'attendre à une très forte variabilité de la production, traduite le plus directement possible par le système de salaire aux pièces, la variabilité des salaires est très faible. Les autres résultats paraissent relativement proches des prévisions que pour le moins ils ne contredisent pas de manière flagrante. Mais on peut faire un pas de plus dans cette analyse globale en référant la variabilité des salaires à la variabilité de la production.
L'influence ouvrière sur la production
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Tableau 5. Variabilité salaire/production Variabilité du salaire observée (1) % I II II' III
trains manuels * duo mécanisé * trio mécanisé ** train continu **
2,0
6,8 3,6 0,8
Variabilité de la production observée (2) % 9,15 14,21 6,90 7,73
Rapport (2)
(1) % 4.6 2,0 1,9 9.7
* Système de salaire : intégralement aux pièces. ** Système de salaire : partiellement au rendement (partie fixe et partie variable).
Le premier groupe d'observations à faire concerne, pour chaque installation, le rapport de la variabilité de la production à la variabilité de salaire. Dans toutes les installations et contrairement au principe du salaire au rendement, le système de salaire tend à faire diminuer la répercussion de la variabilité de la production sur les salaires, et cela même dans les systèmes totalement aux pièces où l'on devrait au contraire s'attendre à un parallélisme presque parfait. Pour les systèmes de salaire au rendement où le rapport variabilité de la production-variabilité des salaires devrait être voisin de 1, le rapport est en fait de plus de 4 au train à main, et de 2 au duo du train mécanisé. Dans un système en principe entièrement aux pièces, la production varie 4 fois plus que les salaires. Curieusement d'ailleurs, le système de salaire avec une partie fixe du trio donne le même rapport de variabilité qu'au duo, dont le salaire reste calculé proportionnellement au tonnage produit. Au train continu, en revanche, le système de salaire à partie fixe semble produire l'effet recherché d'une diminution de la variabilité du salaire. Pour apprécier la signification d'ensemble de ces résultats, on constate, si l'on hiérarchise les deux échelles de variabilité, que le degré de concordance est faible. Au duo du train mécanisé, la variabilité est la plus forte, à la fois pour le salaire et pour la production. Au train continu, la variabilité de la production est l'une des plus faibles et celle du salaire très réduite. Au trio du train mécanisé, pour une variabilité de production faible, on enregistre une variabilité de salaire moyenne. Mais c'est
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La production
au train manuel que la variabilité de salaire s'écarte le plus de la variabilité de la production. Le calcul de la corrélation (par le r de Bravais-Pearson) entre les résultats par quinzaine de production et de salaire, montre lui aussi, comme l'on pouvait s'y attendre après les remarques précédentes, une liaison pratiquement nulle au train manuel (0,035) ainsi qu'au duo mécanisé, alors qu'elle devrait être élevée, une liaison presque nulle au train continu, ce qui apparaît normal en raison de la partie fixe importante du salaire, mais, en revanche, une liaison forte (0,70) au trio du train mécanisé 4 . Plusieurs de ces résultats sont contraires aux hypothèses que l'on peut faire à partir de la seule logique des bases techniques de production et des systèmes de salaire. La conclusion qui s'impose est que la dynamique du système de production, son fonctionnement, ne correspondent pas toujours aux principes qui semblent le régir. On peut alors formuler des hypothèses ressortissant de deux types d'explication : ce qui fausse le libre jeu du rapport entre système technique de production et mode de rémunération, ce sont, d'une part, les aménagements apportés aux systèmes de salaires sur intervention syndicale et, d'autre part, les décisions ouvrières informelles d'autorégulation de la production. Ce deuxième mode d'intervention ouvrière sera décrit dans le chapitre VI. Rappelons les aménagements apportés aux systèmes de salaire. L'adaptation du système de salaire à diverses circonstances de production (voir chapitre m , « Modes de rémunération ») explique en partie les résultats observés. H est normal de trouver, pour toutes les installations, une variabilité de salaire plus faible que la variabilité de production : les « tarifs > sont différentiels. Dans toutes les usines, particulièrement dans les ateliers anciens, il était indispensable d'ajuster les tarifs non pas simplement aux quantités produites, mais à l'importance de l'effort demandé. Ainsi, par exemple, au duo mécanisé, certains produits permettent d'atteindre un tonnage journalier relativement fort au moyen d'un effort relativement faible et inversement. Pour une installation comme le trio, un aménagement moins important vient simplement modifier le tarif général pour certaines dimensions par des majorations (de l'ordre de 10 % ou 20 %) afin de rémunérer un effort supplémentaire. Au train continu, la variabilité du salaire est abaissée par le fait qu'il
4. Une liaison parfaite serait égale à 1.
L'influence ouvrière sur la production
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n'est pas tenu rigueur, à l'équipe, de la majorité des incidents, même de ceux où une responsabilité partielle du personnel est engagée. Toutes ces mesures diminuent la proportionnalité du salaire à la production. Au train manuel, un aménagement d'un type particulier a également pour effet d'abaisser la variabilité du salaire : ce sont les corrections des gains journaliers et du nombre d'heures travaillées (voir dans le chapitre i, Modes de rémunération : Nivellement des salaires). Au train continu, la prime n'est pas directement proportionnelle à la production, mais au rapport de la production à une norme, ce qui conduit à minimiser les écarts bruts de la production. L'étude des comparaisons entre la variabilité de la production et la variabilité des salaires vérifie les anomalies du fonctionnement des systèmes de salaire par rapport à la logique de la rémunération du rendement. Elle pose d'autre part la question de l'influence ouvrière sur la production qui, dans les installations les plus anciennes se manifeste par un contrôle ouvrier de l'effort de production. Le contrôle de l'effort de production est-il perceptible dans les statistiques de variabilité ? Si l'on constate des différences entre équipes, ces différences peuvent être l'indice de la possibilité pour les ouvriers d'avoir une action sur leur production. D. COMPARAISON DES NIVEAUX DE PRODUCTION DES ÉQUIPES D'UNE MÊME INSTALLATION
On peut admettre, d'une façon générale, que les équipes d'une même installation travaillent dans des conditions suffisamment semblables pour qu'il soit légitime de comparer la production par équipes. Toutefois, on doit s'attendre à ce que les différences de variabilité de production entre les équipes, techniquement parlant et en dehors de l'intervention ouvrière, soient plus fortes aux anciens trains qu'aux modernes. Avant de comparer les niveaux de production que diverses équipes peuvent atteindre dans des conditions de travail semblables, sur les mêmes installations, il est utile de procéder à une analyse préalable de la variabilité de la production entre équipes. 1. Comparaison de la variabilité de la production entre équipes Mode de calcul Nos relevés de production par quinzaine déjà utilisés dans les paragraphes précédents étant ventilés par équipe, nous avons calculé la variabilité de
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la production pour chacune des équipes, dans chacune des installations. La variabilité a été estimée par l'écart type, et la comparaison entre équipes et entre installations réalisée par le calcul du F de Snédécor. Résultats Il n'y a pas de différences notables entre les variabilités de production des équipes entre elles. Il semble donc qu'au niveau de la variabilité de production toutes les équipes sont semblables et qu'on peut donc cerner des différences d'influence entre les différentes installations. Cependant, l'inexistence de différences au niveau de la variabilité n'exclut pas la possibilité de différences entre les niveaux de production de chacune des équipes, ce qui serait l'indice que les contraintes techniques ne sont pas rigides. La constatation de différences plus grandes au train manuel qu'au train continu permettrait de confirmer nos hypothèses sur l'influence ouvrière. 2. Comparaison des niveaux de production entre équipes H est difficile d'imaginer que les ouvriers appartenant pes d'une même installation ne soient pas de capacité professionnelles assez variables. On s'attendrait donc à assez différencié dans cette comparaison, pour le moins
aux diverses équiet de compétences trouver un résultat aux anciens trains.
Mode de calcul Les données de base sont les moyennes annuelles de production par quinzaines de chaque équipe. Les différences ont été soumises au test du « t » de Student5. Résultats Les calculs effectués montrent qu'il n'existe pratiquement aucune différence statistiquement significative entre les niveaux de production de chaque équipe. Cela est valable pour toutes les installations 5. La normalité de distribution n'étant pas vérifiée, l'emploi de ce test peut prêter à critique. Comme il s'est avéré (voir la note ci-dessous) que les valeurs obtenues étaient loin du seuil de signification, l'emploi de méthodes non paramétriques, pour une vérification supplémentaire, ne nous a pas semblé s'imposer. 6. Les valeurs « t » obtenues sont de 1,4 et 0,98 au train manuel ; 1,5 et 1,6 au duo mécanisé ; 0,56 au train continu. Au seuil de P = 0,5 et pour 46 degrés de liberté, la différence des moyennes n'est significative que pour des valeurs de « t » supérieures à 2,02. Aucune des différences constatées n'est donc statistiquement significative.
L'influence ouvrière sur la
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Les résultats ne sont paradoxaux que pour les anciens trains. Bien qu'il y ait quelques différences d'une quinzaine à l'autre au trio mécanisé entre les niveaux de production atteints par les diverses équipes, on admet facilement l'homogénéité des résultats sur une longue période. Au train continu l'absence de différences paraît également normale. Dans les deux cas, l'influence ouvrière pourrait être avant tout de type préventif, c'està-dire porter sur la prévention des pannes. Dans ces installations, le niveau de production reflète avant tout la capacité de l'installation. Aux anciens trains, l'absence de possibilités de différence entre équipes paraît techniquement surprenante : les conditions de production sont suffisamment chaotiques pour déterminer une Variabilité ; d'autre part, les responsables témoignent de l'influence discriminante de la qualité des équipes et des premiers ouvriers sur leur travail et leur rendement. D'où vient alors l'absence de variabilité vérifiée dans les chiffres de production ? La comparaison entre équipes amène donc à faire l'hypothèse d'une autorégulation de la production par les ouvriers du train à main. L'effort des équipes tendrait à stabiliser les gains journaliers ainsi que l'effort physique nécessaire à la production. Or cette adaptation au système de production et de salaire n'est possible que si les ouvriers se réservent une certaine marge de liberté, s'ils gardent dans une certaine mesure le contrôle de leur effort. Il ne peut y avoir de réserves de force sans ce contrôle qui se traduit par une entente sur des « normes ». L'existence de ces normes pourra être démontrée (voir chapitre vi) par l'étude des niveaux de production pour des produits de même type. Il nous a semblé utile de procéder d'abord à une analyse des modalités de cette influence pour mieux la comprendre, au niveau collectif du groupe de travail et au niveau individuel du poste. C'est cette étude de la nature de l'influence ouvrière selon les niveaux de mécanisation qui fait l'objet des pages qui suivent.
E. L'INFLUENCE QUANTITATIVE SUR LA PRODUCTION : CONCLUSION
L'analyse technique de la variabilité de la production et les opinions ouvrières se recoupent pour conclure qu'avec la modernisation diminue la part de l'effort ouvrier dans la cadence de travail au bénéfice d'une détermination technique de la vitesse du travail. La variabilité comparée des chiffres réels de production ne répond pas aux attentes techniques : la production du duo mécanisé varie davantage que celle du trio comme on pouvait techniquement le prévoir. Mais la production du train manuel reste en fait relativement stable et le train
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La production
continu maintient une certaine variabilité de production entre équipes. La comparaison de la variabilité des salaires à celle des chiffres de production ajoute à l'illogisme des résultats de la production par rapport à ses déterminants techniques, l'illogisme des résultats de la rémunération par rapport aux systèmes de rémunération. S'il est normal qu'au train continu l'importance de la partie fixe du salaire diminue sa variabilité par rapport à la production, en revanche, au train manuel, où le salaire est entièrement aux pièces, sa variabilité est très faible et sans rapport réel avec la variabilité déjà anormalement faible de la production. C'est au train mécanisé que les variabilités des salaires et de la production se trouvent le mieux concorder avec les attentes, mais elles restent du même ordre au duo et au trio, alors que l'intention des modes de rémunération était de les distinguer. Cette étude statistique des chiffres de production montre bien les limites pratiques du stimulant salarial. La diminution de la variabilité des salaires par rapport à la variabilité de la production tient aux aménagements apportés par la direction au système de rémunération au rendement pour corriger la rigueur de ses effets ; elle tient également, dans les installations anciennes, au contrôle par les ouvriers de leur effort de production, comme le révèle l'absence de variabilité entre équipes.
II. L'INFLUENCE COLLECTIVE
A. TRAIN MANUEL
1. Poste clef et chef d'équipe Dire que le lamineur du train manuel est le poste clef signifie en particulier qu'il peut décider la cadence du laminage, ce qui est une prérogative liée à la connaissance de la technique du travail. Le premier lamineur donne le signal de détournement. Il engage les bidons dans le dégrossisseur. Il imprime son rythme à chaque phase du travail : transport des bidons dégrossis jusqu'au finisseur ; engagements au finisseur ; cadence du serreur qui est alignée sur la sienne. Les trois opérations — doublage, enfournement et évacuation des platines — sont donc surveillées par le lamineur. Techniquement, le travail du lamineur est évidemment central, le processus des relations inter-postes en rend compte : schématiquement, il y a
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L'influence ouvrière sur la production
liaison par paires de postes pour la plupart des opérations essentielles, le lamineur étant chaque fois l'un des deux postes en interaction : chauffeur lamineur rattrapeur lamineur serreur lamineur
lamineur rattrapeur lamineur serreur lamineur doubleurs
Dire que le lamineur est le poste clef signifie également que c'est lui qui a une action décisive sur la qualité de la production ; à compétence égale, deux lamineurs peuvent soigner différemment la production, celui qui la « pousse » tendant, par exemple, à négliger la précision de ses engagements, de ses serrages et les impératifs de température. Occupant le poste techniquement central, le lamineur est autre chose qu'un ouvrier d'élite : c'est aussi un chef d'équipe. Il surveille et dirige les autres postes. Chef d'équipe, au sens habituel de ce terme, il est le premier ouvrier, O.P.3, responsable d'un groupe de 10 à 12 hommes. Si son comportement professionnel est déterminant dans la cadence et la qualité de la production, son travail individuel n'est pas seul en cause. Son statut de chef d'équipe comporte le droit et le devoir de contrôler le travail de ses coéquipiers. Il leur fait des observations s'ils ne suivent pas spontanément ses intentions. Il intervient pour demander que le détournement, le transport, le rattrapage, le serrage, l'évacuation se fassent exactement à son rythme. Il fait respecter les règles de qualité, par des remarques au chauffeur, en dirigeant les serreurs, en contrôlant la précision des doubleurs. Chef d'équipe responsable, le lamineur est aussi l'homme compétent à qui ont recours ses supérieurs (contremaître, chef d'atelier, ingénieur). Même s'il a beaucoup perdu de son pouvoir traditionnel, il n'a pas tout perdu de son prestige. Dans une discussion technique ou sur un problème concernant le travail d'un ouvrier ou de l'équipe, le chef d'atelier vient prendre l'avis du lamineur, dont le jugement est souvent déterminant. On touche là un type d'influence que l'évolution technique fera disparaître, avec l'importance grandissante de la préparation méthodique du travail. Si le lamineur juge, par exemple, que telle variété d'acier ne permet pas de produire plus d'une quantité donnée, il ne sera pas facile de mettre en doute ce jugement. Enfin, le lamineur est un meneur d'hommes. Les douze ouvriers du train restent en principe toujours ensemble. Un esprit d'équipe se déve-
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La production
loppe au cours du travail et des contacts personnels au moment des pauses. H est rare qu'à l'importance du rôle professionnel du lamineur et à son statut hiérarchique ne corresponde pas un statut informel, de prestige. Beaucoup d'ouvriers du train ont de l'admiration pour le lamineur, même s'il n'est plus tout à fait le héros traditionnel du groupe de travail et de la communauté villageoise. De nombreux indices témoignent de ce statut de meneur dans le groupe. Les lamineurs ne réussissent pas tous également bien, ni de la même manière, à « mener » l'équipe. Tel obtient spontanément une collaboration attentive ; tel autre doit intervenir autoritairement pour rappeler à l'ordre ; tel autre enfin parvient à peine à faire respecter les consignes et le travail s'en ressent. De telles différences expliquent qu'au moment de la sélection des lamineurs on exige des « qualités de chef >. 2. L'installation et le groupe La position prépondérante du lamineur implique évidemment une influence relativement faible des autres postes. Le processus de fabrication dessine un schéma d'interaction en étoile autour du lamineur comme centre : chauffeur I doubleurs
chauffeur II lamineur rattrapeur
empileurs serreur
Le poste central a donc un maximum de contrôle sur les coéquipiers, qui sont en fait des aides, d'autant plus que son statut formel de chef d'équipe aussi bien que son statut informel de prestige renforcent ce pouvoir inscrit dans la conception technique du travail. II existe néanmoins une influence proprement collective : 1°) l'excès même de la centralisation de ses fonctions enlève au poste clef une part de son pouvoir, 2°) les normes et le moral du groupe agissent sur le lamineur, 3°) il y a une solidarité ouvrière devant le « patron >. 1°) L'installation du train manuel est techniquement rudimentaire. L'homme qui occupe le poste clef est le moteur du processus de fabrication : son action de commandement et d'organisation du travail va de pair avec une forte charge de travail, la plus lourde de l'équipe, ce qui atténue une partie de son pouvoir de contrôle sur les autres postes.
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2°) Au train manuel, les ouvriers travaillent dans un espace étroit. Cette proximité, si elle favorise l'influence du chef sur le groupe, oblige également l'ensemble du groupe à un comportement commun. Si le chef décide d'accroître la production, sa décision doit encore être admise par l'ensemble du groupe. Elle doit tenir compte des habitudes du groupe en matière de discipline, de rythme de travail (casse-croûte, etc.), de coopération (petits incidents) et, bien sûr, des normes collectives de cadence. Le lamineur n'arrivera pas toujours à s'imposer, ou à s'imposer entièrement ; il évitera parfois d'aller à l'encontre des normes du groupe. La permanence des contacts facilite son action sur le moral de l'équipe. A ce stade de mécanisation, ce ne sont pas tant des « postes » (fonctions de commande de la machine) que des hommes qui sont en interaction. L'équipe n'est pas coordonnée par une action technique, impérative, comme ce sera le cas aux stades plus mécanisés. L'interdépendance des opérations existe, mais elle n'a pas un caractère mécanique : elle laisse place au moral. 3°) Si le lamineur ménage son équipe, c'est aussi par solidarité ouvrière. Le lamineur, malgré son statut de premier ouvrier, reste « du côté ouvrier ». Entre le lamineur et le groupe de travail, le système de salaire crée une solidarité évidente. C'est ainsi que le lamineur qui réduit la production fait automatiquement baisser le gain de ses coéquipiers ; celui qui veut produire plus ne peut le faire sans que ceux-ci consentent un effort supplémentaire. La différence entre son salaire et celui des autres n'est pas telle qu'il puisse se considérer comme appartenant à une catégorie différente d'ouvriers et ignorer l'avis de ses coéquipiers. Le lamineur se sent trop proche d'eux pour ne pas tenir compte de leurs réactions, solidarité qui s'exprime généralement dans son activité de « délégué » auprès des responsables de l'usine Il est de tradition que les lamineurs des trains manuels aillent discuter des problèmes de travail et de salaire avec le « patron ». De plus, il y a solidarité entre les lamineurs des diverses équipes et entre les équipes. L'analyse de la production montrera qu'il existe des « normes » ouvrières de production. La latitude que donne l'installation aux ouvriers de fabrication et la marge d'influence du lamineur rendent possible cette autolimitation collective de la production.
7. Actuellement, cette fonction échoit au délégué syndical (lui-même deuxième lamineur). Mais il arrive encore que les premiers lamineurs aillent voir les cadres ou même le directeur local. 7
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La production
B. DUO MÉCANISÉ
1. Poste clef et chef d'équipe Le lamineur duo occupe le poste clef d'où il est possible de décider de la cadence. Les transports mécanisés donnent l'impression, il est vrai, que c'est désormais la chaîne qui impose la cadence, mais il n'en est rien en fait. C'est le lamineur qui commande la sortie du four, les rouleaux d'amenée, le tablier « rattrapeur » et l'évacuation. Instrument au service du lamineur, la mécanisation des transports le libère, dans la mesure où elle allège son travail et le dispense de l'aide d'ouvriers de manutention. Les autres postes sont disposés en deux sous-groupes : les chargeurs et les doubleurs, qui se tiennent derrière et devant l'installation et « suivent > la cadence, étant matériellement tirés ou poussés par l'enchaînement des opérations. La prédominance du lamineur dans la cadence est donc bien établie. La mécanisation a accru son indépendance en supprimant des postes dont il devait tenir compte au train manuel, et l'a placé dans une installation où l'interaction n'est plus tant entre hommes qu'entre postes. L'interdépendance s'exprime désormais matériellement par la mise en chaîne des opérations. Le lamineur du duo influe aussi sur la qualité de la production, et il n'a pratiquement plus besoin pour cela d'inciter ses coéquipiers à observer ses consignes. Comme le système de salaire sanctionne aussi bien la quantité que la qualité produite, le lamineur peut choisir entre deux comportements : « pousser » la production ou « soigner » le travail. Sa décision peut être prise et mise à exécution sans qu'il ait à compter, techniquement, sur le concours des autres ouvriers. Les principales opérations influant sur la qualité des tôles sont en effet exécutées par le lamineur lui-même : il est responsable du serrage, de la température, de la précision de l'engagement et de la dimension obtenue, qu'il contrôle au moyen d'un repère ou d'une jauge. H indique à l'accrocheur le choix des tôles à préparer pour l'enfournement, ce qui implique un jugement professionnel complexe, d'une influence certaine sur la qualité. Au duo mécanisé, le lamineur a beaucoup plus rarement l'occasion d'intervenir en tant que chef d'équipe que dans le train manuel précédemment décrit. Il est certes surveillant et premier ouvrier ; il conserve la responsabilité du travail des autres ; mais à ce stade l'évolution qui conduira à une décentralisation des responsabilités se fait déjà sentir : il est responsable du travail du deuxième lamineur, des doubleurs, de l'ac-
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crocheur, beaucoup moins des chargeurs et du chauffeur. Son équipe est réduite et elle se guide principalement sur les indications fournies par le déroulement mécanique des opérations. Le lamineur duo procède lui-même aux opérations les plus délicates. Le lamineur n'est plus vraiment un chef d'équipe, car il n'y a plus vraiment d'équipe. Est-ce que le lamineur duo est toujours un meneur d'hommes ? On parle par exemple de « l'équipe J. » (nom du lamineur) et les ouvriers de ce groupe accordent un prestige certain au lamineur : « C'est le caïd. » Comparativement à celui du train manuel, le lamineur duo n'a cependant plus vraiment besoin de ce statut de meneur. Le lamineur domine le processus de production à tel point qu'il peut, à la limite, travailler sans la bonne volonté des autres, car il exécute lui-même la plupart des opérations centrales. Même lorsqu'il a du prestige, ce n'est plus nécessairement un leader de groupe au sens où l'était le lamineur du train manuel. Il ne mène pas le groupe d'hommes de son train grâce à son prestige personnel, mais par l'enchaînement des opérations matérielles dont il conduit le rythme, autrement dit en tant que poste clef sur une chaîne. 2. L'installation et le groupe Cette prédominance du poste clef dans l'installation du duo mécanisé et la dispersion des postes en un groupe de chargeurs et un groupe d'ouvriers placé « devant » la cage, ne laissent que peu de place à l'influence collective. Tout au plus, lorsque le lamineur décide de « soigner > plutôt que de « bourrer », peut-il être influencé par des collègues lamineurs des autres équipes ou par les normes collectives de l'atelier, éventuellement par le moral de son équipe. Son salaire est solidaire de la stratégie de production arrêtée par l'ensemble des lamineurs. La prime de qualité est répartie sans distinguer les équipes. Pour avoir un effet sensible sur le salaire, la préférence accordée à la qualité au détriment de la quantité doit résulter d'une décision collective de l'ensemble des lamineurs. Le salaire des autres ouvriers est proportionnel à celui du lamineur. Le salaire au rendement et, dans une moindre mesure, la prime de qualité (calculée sur l'ensemble de l'atelier) dépendent en effet des lamineurs.
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La production
C. TRIO MÉCANISÉ
1. Poste clef et chef d'équipe L'importance du poste de lamineur au trio n'est pas comparable à celle des lamineurs duo. Le lamineur trio agit sur la cadence et la qualité, mais sa marge de décision est réduite. H agit sur la cadence puisqu'il commande le défournement (chaîne de sortie du four), l'engagement (chaîne d'amenée), le mariage (superposition de deux platines avant les dernières passes, à une certaine vitesse). Son action reste déterminante puisqu'il entraîne la cadence que les chargeurs et les aides-lamineurs de son train doivent suivre. Dans ce sens, il est encore le poste clef ; mais la notion de décision s'est appauvrie. Il donne le départ de l'opération de laminage, mais une fois le cycle déclenché, il doit s'insérer lui-même dans l'enchaînement d'opérations semi-automatiques. Il a encore la faculté d'arrêter les opérations en cas d'incident, mais son travail est intégré quasi mécaniquement dans la cadence de la machine : il ne peut plus qu'espérer des actions de léger ralentissement ou d'accélération, sans pouvoir faire varier le déroulement des opérations. Le lamineur trio influe quelque peu sur la qualité par la précision de ses engagements et de son serrage, ainsi que par le réglage de l'eau de refroidissement des cylindres. En réalité, le dégrossissage réalisé au trio n'est qu'une étape préparatoire du laminage et le lamineur-finisseur du duo interviendra par la suite de façon déterminante. On constate donc que l'évolution de la mécanisation, tout en conservant un grand rôle au lamineur trio, a diminué considérablement et le pouvoir de décision de ce poste sur le travail et son rôle de contrôle du groupe de travail. Est-ce que le lamineur trio est encore chef d'équipe et meneur d'hommes ? Il semble qu'il ait conservé les attributions habituelles d'un chef d'équipe, mais perdu celles de meneur de groupe. Il donne son nom à l'équipe, prend contact avec le contremaître, est chargé, au moins en partie, de surveiller le travail des coéquipiers. Même ces attributions ont cependant perdu de leur importance. Le lamineur trio a moins de poids auprès du contremaître que ses collègues des trains manuels ou du duo mécanisé ; c'est le lamineur trio qui prendra l'avis du contremaître et non l'inverse. D'autre part, l'équipe est ici très réduite. En dehors des lamineurs, l'empileur fait un travail très simple et les chargeurs sont si éloignés du
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lamineur qu'ils échappent à sa surveillance. Le premier chargeur, quant à lui, est directement responsable de son travail. Le lamineur jouit d'un prestige plus faible que les lamineurs d'installations moins mécanisées. Il n'est plus un meneur. Il occupe un poste peu recherché, « ingrat » (contraignant et moins payé que celui de lamineur duo). On admire tout au plus qu'il ne « s'embrouille pas dans toutes ces pédales >. Il ne reste rien de l'expérience artisanale, de « l'art >, ou des performances physiques du laminage manuel : les serrages sont prédéterminés et les manutentions mécanisées. Le lamineur trio est un poste plus proche des opérateurs des trains modernes, où les postes clefs sont multiples et où la machine domine le processus de travail. 2. L'installation et le groupe Y a-t-il maintien d'une influence « collective > ? Le premier lamineur partage l'essentiel de son influence sur la production avec le second lamineur, qui le remplace à peu près pour la moitié du temps ; le premier chargeur est pratiquement responsable de l'enfournement ; le contremaître, et même le chef d'atelier, partagent la responsabilité du préréglage de serrage de vis dans les cas délicats. Ces indices d'une certaine décentralisation des responsabilités doivent-ils être pris pour preuve d'une influence collective ? Nous ne le pensons pas ; la dispersion de l'influence n'est pas synonyme d'influence collective. Plus encore que le duo, le trio fonctionne comme une chaîne de production. Les divers postes sont étroitement interdépendants : on peut dire très grossièrement que chaque poste « dépend » du précédent et du suivant (dans l'ordre des opérations) et qu'une défection de l'un d'entre eux entraîne le blocage de tout le processus. Sous cette forme chaque poste peut influer sur tout le processus de fabrication. Répartie (très inégalement) sur l'ensemble des postes, l'influence prend ici l'aspect d'une interdépendance plutôt que d'une coopération à une même tâche. Ce n'est que pour être liés dans un réseau d'interdépendance que les hommes du train constituent un groupe et exercent par là une influence collective. Parallèlement à cette interdépendance, on trouve au trio, encore plus nettement qu'au duo, un déterminisme mécanique qui transforme l'influence ouvrière en une influence liée à la prévention des incidents.
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D. TRAIN
CONTINU
1. Postes de responsabilité Y a-t-il ici un poste clef ? Il suffit de poser la question « qui décide de la cadence et de la qualité ? > pour s'apercevoir du bouleversement intervenu. Aucun poste, aucun ouvrier ne dispose d'une telle capacité. Au train continu, les ingénieurs et services d'organisation ont élaboré des consignes précises et impératives de cadence et de qualité, de température, de tolérance dimensionnelle. Même si divers ouvriers conservent une part d'influence sur la quantité et quelques-uns sur la qualité de la production, on ne trouve plus le poste clef dominant tout le processus. Dès lors, le problème ne sera plus de déterminer quelle influence laisse encore au groupe la prédominance d'un poste clef. Influence individuelle et influence collective seront plus difficiles encore à saisir, d'autant que les responsabilités décentralisées sont de nature différente de celles des autres trains. On peut parler ici de plusieurs postes clefs, à condition de transformer quelque peu la notion. Dans les anciens trains, le poste clef dominait tous les autres. Ici, les postes clefs se trouvent le plus souvent dans un rapport de communication bilatérale ou unilatérale, avec d'autres postes, cette communication jouant un rôle déterminant dans la prévention des incidents. Dans ce sens, le défourneur, le lamineur-dégrossisseur, le premier lamineur au finissage, l'opérateur de vitesse-dégrossisseur, l'opérateur de vitesse I au finissage, le lamineur-finisseur et le premier bobineur, seront des postes clefs. Y a-t-il un chef d'équipe ? Aucun ouvrier ne centralise la responsabilité de l'ensemble des postes du train. La fonction de surveillance et de responsabilité générale incombe au contremaître, chef du train. On dit « l'équipe de X », du nom du contremaître. Aucun des ouvriers n'a un travail suffisamment déterminant pour donner son nom à l'ensemble. On trouve des responsables au niveau des sous-groupes. Le premier lamineur est, en principe, responsable du finissage ; il y a un responsable du dégrossissage, un responsable des fours, un responsable du secteur d'évacuation (bobineuses). Les ouvriers du train sont avant tout sous la surveillance générale du contremaître et travaillent en petits groupes, de trois ou quatre hommes. La décentralisation, voire la dé-hiérarchisation, vont si loin que la plupart des postes sont individuellement responsables. Tout au plus l'ou-
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vrier le plus qualifié de chacune de ces « petites équipes » assume-t-il une responsabilité plus grande en son sein. Y a-t-il un meneur de groupe ? Grâce à l'interphone, plusieurs ouvriers sont omniprésents à l'ensemble du train tout au long de la journée malgré les distances. On pourrait concevoir qu'un homme ou un noyau d'hommes jouissent d'un prestige particulier et deviennent leaders du groupe. En l'absence d'une analyse plus poussée, on se contentera ici de noter que le contremaître est le meneur de fait ; il jouit à la fois d'un statut formel et d'un prestige qui lui est librement reconnu par les ouvriers. 2. L'installation et les groupes Au train continu, l'évolution technique a créé une situation de prédominance de la machine, de l'installation technique. Ce n'est plus entre l'influence du lamineur et celle du groupe, mais bien entre la prépondérance de l'installation, de l'organisation et l'influence du groupe ouvrier que le partage se fait. Une trentaine d'ouvriers de fabrication travaillent simultanément sur les postes de l'immense train continu. Le processus de fabrication ne peut évidemment qu'être qualifié travail « collectif ». Mais y a-t-il pour autant influence collective, apport de groupe, plutôt qu'une série d'apports individuels ? Les ouvriers s'insèrent dans un système technique contraignant. Leur influence est de l'ordre de la prévention des incidents : chacun s'applique à respecter les consignes techniques, à éviter de créer des incidents, une irrégularité dans le travail pouvant entraîner des conséquences générales. L'interdépendance des opérations, donc des postes, fournit le cadre dans lequel une influence collective peut être délimitée. La plupart des ouvriers occupent des postes dans lesquels le risque de provoquer un incident est réel. Les incidents peuvent se produire sur beaucoup de postes de la ligne de laminage. En d'autres termes, l'influence individuelle se répercute sur l'ensemble de l'installation et il ne nous semble pas qu'il faille pour autant parler d'influence collective. Difficile à cerner, l'influence collective semble se trouver : 1) au niveau du contrôle social qu'exerce le groupe sur les individus et 2) au niveau des communications. 1°) Au moment où l'ouvrier, par une erreur, provoque un incident se répercutant sur l'ensemble du train, il prend conscience de sa responsabilité. Même si les autres s'abstiennent de tout commentaire sur cette responsabilité, ils en ont connaissance. L'ensemble des ouvriers du
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train, et plus particulièrement les membres de chaque sous-groupe de travail, exercent une pression sociale certaine qui renforce la pression formelle des règles et des supérieurs, même s'il est difficile d'en évaluer l'importance. Dire que chacun aura tendance à éviter de « perdre la face » revient à énoncer une forme particulière d'influence collective. 2°) Les postes sont en liaison étroite pour communiquer toute information utile, ainsi que des recommandations qui témoignent d'une constante surveillance des uns par les autres. Par exemple, l'opérateur de vitesse au finisseur rappellera au lamineur qu'il a oublié d'opérer une correction de serrage. On dit que les équipes sont « rodées », qu'on « connaît les autres comme sa poche » : en effet, au cours d'une longue pratique de communication par interphone et d'observation mutuelle, une camaraderie est née. Dans la mesure où cette « habitude qu'on a les uns des autres » est le garant d'une communication sûre et sans erreurs et aussi du contrôle mutuel du travail, l'apport simplement individuel est dépassé ; on touche à la responsabilité collective, autre aspect de l'influence collective. L'évolution de l'influence collective sur la production, des trains manuels au train mécanisé et au train continu, est quantitativement difficile à apprécier dans la mesure où elle se transforme qualitativement. Décentralisée dans les installations anciennes, la responsabilité tend à devenir diffuse avec la modernisation et à se répartir sur un plus grand nombre de postes. D'une responsabilité des décisions (initiative), on passe à des exigences de rigueur dans l'application des consignes et à une influence préventive à l'égard des incidents techniques. D'une situation de cumul extrême, dans la période du train manuel — où le premier lamineur est à la fois chef formel et informel, artisan d'élite en même temps qu'exécutant « forçat » — on passe à un système en « réseau », où la notion de postes clés individuels, comme celle d'équipe au sens d'une unité ouvrière nettement circonscrite, n'est plus applicable (importance de l'installation technique, des bureaux d'organisation et de méthode, des surveillants, des ingénieurs de divers services — tous éléments d'un système). Après cette description globale de l'évolution de l'influence ouvrière sur la production, nous chercherons maintenant à donner un bilan plus analytique en passant à une appréciation de cotes d'influence des différents postes, selon différents critères d'influence (quantité, qualité, outillage). Nous toucherons davantage, par là, au potentiel d'influence ouvrière, le bilan global étant, quant à lui, plus révélateur de l'influence probable, manifestée.
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Il nous restera enfin à faire le bilan de ces cotations d'influence selon le niveau de modernisation en utilisant la typologie des postes de travail élaborée dans la Première partie, ce qui revient à souligner et à illustrer la tendance générale de l'évolution de l'influence ouvrière.
III. L'INFLUENCE INDIVIDUELLE : LA NATURE DE L'INFLUENCE A. TRAIN MANUEL
1. Influence sur la quantité Qui peut agir sur la cadence ? La plupart des hommes du train peuvent « traîner » ou « pousser » quelque peu. Les doubleurs, le chargeurpousseur derrière le four, le graisseur sont les seuls postes qui ne puissent freiner ou accélérer la cadence. Les deux derniers sont placés en dehors du cycle de laminage et les doubleurs ont le temps, à l'intérieur du cycle de laminage complet d'un bidon, de procéder au pliage et à l'enfournement. On peut décrire comme suit la marge d'influence des autres postes : — le rattrapeur peut être plus ou moins rapide à renvoyer la tôle qui lui arrive ; — le serreur peut tourner la roue avec plus ou moins d'élan, d'efficacité, atteindre ou non du premier coup les serrages voulus ; se trouver prêt ou non au transport du bidon avec sa pince, au moment précis où le lamineur a fini son dégrossissage ; surveiller avec une attention plus ou moins soutenue le laminage et les directives du lamineur au moment des serrages, c'est-à-dire intervenir avec plus ou moins d'énergie, de détermination, de précision ; — les chauffeurs peuvent freiner quelque peu au détournement, le deuxième chauffeur tirant ses bidons et le premier chauffeur sortant ses paquets avec ou sans retard ; ils peuvent à la rigueur pousser un peu au rythme de laminage, en détournant légèrement en avance (action limitée par les températures à observer).
Qui peut causer les arrêts ? Pendant notre séjour dans les ateliers, les arrêts furent assez fréquents, mais généralement de courte durée et dus pour une bonne part au vieillissement du matériel. Les arrêts provoqués par le personnel ne sont, à ce stade technique, qu'un sujet de préoccupation mineur. Ce sont surtout les deux lamineurs qui peuvent causer des arrêts, soit en cassant des cylindres ou des pièces secondaires de la cage, soit en bloquant les premiers par une faute de laminage.
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La production
Les chauffeurs doivent surveiller de très près la température et peuvent, par inattention ou erreur de jugement, provoquer un arrêt pour insuffisance de chauffe. Il se crée alors un temps d'attente, le produit étant trop froid pour pouvoir être laminé. Au montent de la mise en train du four, en début de semaine, le chauffeur porte la responsabilité d'une mise en route. Il peut être à l'origine de retards mais, souvent, des circonstances matérielles plutôt que le chauffeur, sont la cause d'une insuffisance de four. Le serreur enfin, peut être à l'origine d'une casse de cylindres pour fausse manœuvre.
2. Influence sur la qualité En dehors de facteurs matériels qui peuvent toujours faire varier la qualité des tôles produites, c'est principalement le lamineur qui peut avoir au train manuel une influence et « produire » des tôles d'une certaine qualité. Le chauffeur garde aussi une possibilité d'influer sur la qualité par le réglage du four, la température des tôles fournies au lamineur agissant directement sur la qualité. Ainsi, s'il surchauffe les tôles, elles se lamineront facilement, mais auront tendance à coller et les décolleurs risquent de les déchirer ; le doublage sera fait alors avec plus ou moins de précision. 3. Influence sur l'outillage Le lamineur a la responsabilité de la mise en état du matériel. Mais, à ce stade, on peut à peine parler de « machine ». Ce sont en fait le lamineur et ses hommes qui « produisent ». La cage, composée essentiellement des cylindres et d'un appareil de serrage, et les fours sont plutôt des outils que des machines. Les lamineurs suivent les pratiques traditionnelles pour mettre l'outil en état : réchauffage progressif des cylindres, refroidissement en cours de route, correction de la position des cylindres. Les chauffeurs mettent le four en état d'approvisionner régulièrement le train. Un autre type d'influence sur le matériel est la responsabilité du matériel confié aux lamineurs. Ils peuvent soigner le matériel ou causer des pertes sensibles à l'usine, par des casses de cylindres. B. DUO DU TRAIN MÉCANISÉ
1. Influence sur la quantité Qui peut agir sur la cadence ? Les postes en aval du lamineur, les chargeurs, peuvent la ralentir, en espaçant l'enfournement des produits ; mais le lamineur commande le détournement et ils ne peuvent donc l'accé-
L'influence
ouvrière sur la production
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lérer. Quant aux doubleurs, postes en amont, ils peuvent entraver la cadence en laissant s'accumuler des tôles laminées entre le lamineur et eux, ce qui arrive presque uniquement en cas de décollage difficile, circonstance dans laquelle leur responsabilité n'est généralement pas engagée, mais celle du lamineur. Qui peut causer des arrêts ? Les lamineurs, par des casses de cylindres. Bien qu'il soit difficile de démontrer leur responsabilité dans les casses, il ne fait pas de doute que les lamineurs (particulièrement les premiers lamineurs, qui surveillent en permanence l'état des cylindres) peuvent causer ainsi des arrêts importants. 2. Influence sur la qualité La situation est restée sensiblement la même qu'au train manuel : prédominance du lamineur — encore accentuée ici — et influence du chauffeur sur la température, qu'il règle en accord avec le lamineur. Du fait de la cadence très rapide, les fours doivent néanmoins être surveillés plus étroitement : « Le chauffeur veille à ce que la tôle soit toujours cerise. > L'influence des doubleurs est moindre. 3. Influence sur l'outillage Seul le lamineur a une influence sur l'outil. Au duo mécanisé, les cylindres sont soumis à un travail intense : du fait de la cadence plus forte, réchauffement et les transformations de leur surface sont bien plus importants en effet qu'au train manuel. Le lamineur duo doit veiller, en début de journée ou après changement de cylindre, à « mettre les cylindres en état » (serrage approprié, chauffage au gaz, introduction progressive de tôles plus larges). En cours de fabrication, il soignera ses cylindres (sélection des dimensions à laminer, refroidissement, graissage), dont la durée d'usage dépend de ses soins.
C. TRIO DU TRAIN MÉCANISÉ
1. Influence sur la quantité Qui peut agir sur la cadence ? En dehors du lamineur, la plupart des postes n'ont pratiquement aucune influence sur la cadence. Tout au plus l'équivalent moderne du rattrapeur d'autrefois, le lamineur situé « derrière » la cage, peut-il renvoyer les tôles avec quelque retard. Enfin,
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le chauffeur garde une certaine influence, car les fours peuvent entraver la cadence de laminage. Dans une installation mécanisée, le débit du four est si rapide que les écarts de température se font sentir très vite. De légères négligences de la part du chauffeur, si elles n'ont rien de grave et ne créent guère d'incidents, font inévitablement baisser la production. Qui peut causer des arrêts ? C'est encore le lamineur, comme dans les installations plus anciennes, mais à ce stade de mécanisation les arrêts prennent un caractère préoccupant : des causes banales (engagement simultané, par inattention, de deux bidons) ont des conséquences graves. Les arrêts peuvent aller jusqu'à handicaper la production de l'usine entière pendant plusieurs mois, comme un incident l'a illustré dans cette usine. 2. Influence sur la qualité Elle est plus faible qu'au duo mécanisé du fait du préréglage du serrage de vis et du stade de la fabrication : le trio n'assure que le « dégrossissage ». 3. Influence sur l'outillage A ce stade de mécanisation, l'influence du lamineur sur l'outillage devient en revanche plus importante ; une casse, sans compter la perte de production, atteint des coûts considérables de réparation. L'introduction de sanctions sévères pour fausses manœuvres (engagement simultané de deux bidons) témoigne de la gravité des incidents mécaniques à ce stade. Dès ce stade, l'influence de l'ouvrier doit être considérée autant dans ce qu'il « fait » (production) que dans ce qu'il ne « fait pas » (fausses manœuvres, incidents).
D. TRAIN CONTINU
1. Influence sur la quantité Certains ouvriers continuent à avoir une petite influence sur la cadence adoptée. Malgré la cadence imposée par les techniciens, plusieurs postes ont encore la possibilité d'agir sur la quantité produite. Il ne peut s'agir, cependant que de ralentissements minimes et non d'accélérations. On ne peut guère s'écarter de l'optimum techniquement défini par les bureaux de préparation du travail.
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Les lamineurs et les opérateurs interviennent à chaque changement de dimension. Le premier lamineur donne le départ du cycle suivant de laminage lorsqu'il a constaté que tous les réglages sont prêts, en faisant signe à l'opérateur qui transmet le signal au défourneur. Devant les risques encourus par suite de fautes de réglage, ceux-ci doivent désormais échapper à la pression du rendement. Mais la latitude des temps de réglage ne peut dépasser quelques secondes. Gagner sur la journée quelques minutes, au risque de perdre plusieurs heures de travail par un accident technique serait en effet absurde. Il reste donc encore possible d'exécuter le réglage plus ou moins vite et les ouvriers chargés de ce réglage, en particulier le premier lamineur, peuvent donc agir sur la quantité journalière produite. Mais la faible pénibilité des interventions supprime les raisons d'un ralentissement volontaire. Parmi ceux qui agissent sur la cadence, une fois l'installation mise en train, on doit compter : — le défourneur, qui émet le signal du défournement avec une exactitude assez grande ; — le machiniste-pousseur, qui défourne avec précision ou légèrement en retard sur le signal ; — le chauffeur qui, par sa surveillance et sa régulation des températures conditionne un défournement optimum ou non ; — le cisailleur dont les opérations sont exécutées avec ou sans retard.
Les pertes de temps mentionnées ne peuvent être que minimes : additionnées et, vu la capacité de production en jeu, elles peuvent prendre de l'importance sur toute une journée. Un autre aspect de l'influence et, à vrai dire, de premier plan dans une telle installation, consiste en ce qu'un grand nombre de postes agissent indirectement sur la quantité produite en prévenant ou provoquant des arrêts. Qui peut causer des arrêts ? Un arrêt de l'installation peut être provoqué à n'importe quel poste du train continu, la gravité et la fréquence d'apparition de ces incidents restant évidemment variables : — le machiniste-pousseur peut se tromper de four, en détournant une brame d'une dimension autre que celle prévue il causera un incident grave ; de telles erreurs sont évidemment rares ; — le défourneur peut faire à son tour une erreur semblable de défournement ; il doit suivre la feuille de laminage ligne par ligne et il suffit d'une erreur de lecture pour qu'il provoque un incident grave par l'envoi d'une autre brame que celle qui est attendue. Le défourneur, d'autre part, peut transmettre trop tôt ou trop tard une consigne de réglage ; il peut détourner à une cadence exagérée ; de telles erreurs ont cependant des chances d'être repérées à temps par d'autres postes.
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La
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Au dégrossisseur, les réglages de vis et de vitesse sont beaucoup moins délicats qu'au finisseur ; les petites erreurs d'appréciation n'ont guère de conséquence. Le lamineur ou l'opérateur de vitesse du dégrossisseur peuvent, très exceptionnellement, commettre une erreur grossière créant un arrêt généralisé. Au finisseur, les principaux réglages sont très difficiles ; en dehors des simples erreurs d'inattention, des erreurs de raisonnement et de calcul se produisent. Aux postes de premier lamineur et de premier opérateur, il est particulièrement difficile d'éviter les incidents qui vont du serpentin (la perte de temlps pour le dégager s'ajoute à la perte des tôles manquées), jusqu'à des casses importantes. Ces postes sont, avec le bobineur, les principaux postes à incidents. Les aides-lamineurs et l'aide-opérateur peuvent commettre des erreurs de même genre, mais ils sont davantage surveillés. Les régleurs de guides interviennent plus rarement comme cause d'incident, les programmes de laminage de ces ateliers ne prévoyant que peu de changements de dimension et leur travail ne demandant pas d'intervention complexe : restent possibles seulement des erreurs d'inattention, des oublis. Quant au cisailleur, s'il ne redresse pas la position d'une bande qui arrive de travers sur les rouleaux transporteurs, la bande peut être prise dans les cages et causer un serpentin ; s'il cisaille maladroitement la partie coupée, il peut empêcher le passage normal de la bande et causer un arrêt ; s'il ne laisse pas suffisamment d'intervalle entre les bandes, il peut causer un incident grave (passage à double épaisseur, casse) ; tous incidents rares, cependant. Au secteur évacuation, ce sont les opérateurs de la bobineuse qui ont le plus de chances de causer des arrêts-incidents. Ils ont en effet les tableaux de commandes les plus complexes du train et doivent assurer des interventions très rapides dans des conditions qui varient d'une bande à l'autre. Bien qu'il y ait deux bobineuses, même un petit incident peut provoquer un arrêt de l'installation et faire perdre deux ou trois bandes engagées sur les rouleaux. Les incidents aux bobineuses sont fréquents". Le machiniste-convoyeur, en revanche, a peu de chances de causer un arrêt, mais il arrive qu'il fasse tomber une bobine dans la fosse et provoque un embouteillage à la sortie des bobineuses, c'est-à-dire un arrêt de tout le train. 2. Influence sur la qualité Au train continu, tout est techniquement mis en œuvre pour qu'une qualité précise soit atteinte. L'influence ouvrière peut s'exercer par la négligence dans l'application des consignes. 8. Si le bobineur cause facilement des arrêts, il n'est que juste de noter qu'il en empêche fréquemment par des interventions intelligentes ; il peut réduire de beaucoup la gravité de certains incidents par des initiatives rapides ; il détient un genre nouveau d'influence active.
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ouvrière sur la
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Si le chauffeur ne respecte qu'insuffisamment les températures prescrites, il déterminera une perte de qualité. Mais sa défaillance sera connue grâce à l'enregistrement des conditions de marche des fours. Lorsque le cisailleur envoie les bandes en « brûlant les consignes », leur qualité s'en ressent ; il peut envoyer des bandes trop chaudes, pour faire l'économie de l'attente destinée à faire descendre la température, mais aussi faire partir les bandes froides, s'il ne se hâte pas suffisamment. En fait, sa marge d'influence est faible, vu la surveillance exercée par le contremaître, par le lamineur et, dans le cas de certaines qualités particulières, par des contrôleurs du service métallurgique. Le premier lamineur est le principal responsable de la précision des serrages de vis. Quand au lamineur-finisseur, il surveille en permanence les cadrans de contrôle de l'épaisseur et de la largeur et procède au contrôle de la surface sur des échantillons de bandes prélevés périodiquement, afin de signaler les défauts causés par le dernier cylindre. Le régleur de vitesse au finisseur doit éviter l'effet de striction : s'il fait trop travailler les moteurs, s'il « tire » la bande trop fort, celle-ci perdra de sa largeur. Le machiniste rouleaux, enfin, doit arroser la bande lorsqu'elle sort des cylindres au finissage ; il suit les informations de la feuille de laminage ; comme on n'arrose pas toujours, il peut se tromper : dans certains cas de relatif refroidissement de la bande, il doit décider de l'opportunité de l'arrosage. 3. Influence
sur
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Il est très important que les ouvriers du train continu prennent soin d'appliquer rigoureusement les consignes de marche de l'installation. A un stade aussi avancé de mécanisation, l'intervention de l'ouvrier ne peut plus être considérée seulement par rapport au rendement. L'installation complexe est un système technique vulnérable dont l'ouvrier est « responsable », car il peut lui causer par inattention des incidents très coûteux. C'est là un mode d'influence d'un type nouveau, remarquable en ce qu'elle devient de plus en plus difficile à sanctionner. Il est rare en effet qu'on puisse préciser, pour un incident donné, la part de « faute » imputable à un poste. Lorsque cela est possible, le poste concerné ne peut pratiquement pas être pénalisé du fait de la difficulté des tâches, des imprévus, de la main-d'œuvre difficile à remplacer, du moral de l'équipe à considérer. C'est au finisseur que l'influence sur l'outillage est la plus importante, ce secteur de l'installation étant particulièrement sensible à toute erreur d'intervention. Un faux réglage use rapidement l'outillage et peut provoquer de coûteux bris de machine. Tous les « régleurs » et surtout le premier lamineur et l'opérateur de vitesse ont une grande responsabilité à cet égard. Au dégrossisseur, les réglages sont moins délicats et la question de la responsabilité de l'outillage se pose moins. Les postes de régleurs de
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vis et de vitesse ont cependant la possibilité d'agir sur l'état du matériel, moins en fait par son usure (les cylindres du dégrossisseur sont généralement d'anciens cylindres de finissage) qu'en provoquant une erreur qui le casse. Du fait de la nature même de l'installation, c'est aux bobineuses que les incidents sont les plus fréquents ; l'influence du bobineur sur son matériel, quoique difficile à préciser, paraît incontestable ; l'intervention (ou la non-intervention) humaine peuvent conduire à des accidents matériels spectaculaires. IV. L'INFLUENCE INDIVIDUELLE : LE DEGRÉ D'INFLUENCE Nous avons spécifié dans une première approximation, la nature de l'influence des divers postes. Les critères, ou plutôt les attributs (un poste a ou n'a pas un certain type d'influence), ne définissent pas quantitativement le degré d'influence. Or l'influence des postes de travail devrait non seulement être spécifiée qualitativement mais également quantifiée : le poids de l'influence ouvrière est différent selon les postes (exemples 1 et 2) et selon les ateliers (exemple 3). Exemple 1 : train manuel : le deuxième lamineur, le chauffeur et le rattrapeur ont une action sur la cadence, mais le rattrapeur en a relativement peu par rapport aux deux premiers. Exemple 2 : train mécanisé : le lamineur a sur la qualité une influence beaucoup plus importante que le doubleur. Exemple 3 : train continu : vu la complexité de l'installation il est plus difficile au premier lamineur du finissage d'éviter un incident qu'au lamineur du trio du train mécanisé.
Le plan général de cette étude implique la comparaison de trois stades techniques. L'influence individuelle peut être précisée en comparant les postes entre eux. Il s'agit donc d'attribuer un poids approximatif à chaque poste, pour chaque type d'influence, l'ensemble des postes constituant le groupe de référence. On se demandera donc quels sont, parmi les postes, ceux qui ont le plus de poids et ceux qui en ont le moins à propos de chacun des types d'influence. Il s'agira d'une estimation et non d'une mesure précise, le seul critère étant l'accord des « juges » sur l'influence attribuée à chacun des postes observés. On pourra définir enfin une cote globale d'influence, par addition des cotes de chaque type*. 9. Nos cotes ont pour but de présenter de façon commode et résumée le résultat des observations précédemment décrites (cf. tableau n° 6).
L'influence
ouvrière sur la production
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L'un des objectifs de cette étude était de répondre à la question : « Y a-t-il plus d'influence ouvrière dans un atelier moderne que dans un atelier ancien, ou moins ? » Il s'avère en fait, qu'aucune réponse simple ne peut être apportée. En calculant un quotient d'influence moyenne, c'est-à-dire en divisant le total des cotes d'influence par le nombre de postes, on pourrait, certes, répondre que l'influence va en diminuant, la « quantité » d'influence moyenne par poste étant plus faible aux trains mécanisés qu'au train manuel et plus faible au train continu qu'aux trains mécanisés. Une comparaison globale des ateliers se heurte toutefois au changement de nature du travail et de l'influence et il semble qu'on ne puisse répondre à cette question qu'en plusieurs temps. On peut en effet clairement répondre à la question : « Comment se répartit l'influence dans les ateliers ? > 1° Nette prédominance du lamineur au train manuel, décroissance progressive de l'influence pour les divers postes depuis certains coéquipiers importants jusqu'aux postes de peu d'influence ; 2° Nette prédominance du lamineur au duo mécanisé, décroissance rapide de l'influence depuis les lamineurs jusqu'aux postes assez nombreux de faible influence ; 3° Prédominance moins marquée au trio mécanisé, où le lamineur partage avec deux aides-lamineurs l'essentiel de l'influence ouvrière — dans cette installation le chauffeur est le seul poste d'influence moyenne ; 4° Au train contrinu, répartition plus équilibrée de l'influence ouvrière entre un grand nombre de postes. L a modernisation crée donc une dé-hiérarchisation. On passe d'installations dominées par un seul poste clef à des installations comprenant une série de postes clefs de responsabilité équivalente. L'influence est donc de moins en moins centralisée entre les mains d'un seul. On passe en outre de groupes de travail très différenciés, où chaque poste se classait dans une échelle d'influence par rapport à tous les autres, à des équipes d'ouvriers beaucoup plus égaux en responsabilité (cf. graphique n° 1).
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La production
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L'influence ouvrière sur la production
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204
La production
Graphique n" 1. Degré d'influence des différents postes par installation 23 20
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train manuel
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duo mécanisé
10
8
eo est cependant périodiquement remis en cause, non dans son principe, mais dans la mesure où il laisse place à une certaine stratégie
270
Le contrôle des
cadences
des deux partenaires. Ainsi les ouvriers revendiquent-ils des compensations lorsque l'équilibre leur paraît détruit, par exemple lorsque des incidents mécaniques ou la mauvaise qualité de l'approvisionnement ont entravé la production, mais aussi pour les dimensions qui « ne paient pas ». Un bargaining s'établit autour de la « norme » et de la « journée » mettant en jeu les aléas du travail, parfois contrôlables, mais souvent incontrôlables, dans la mesure où l'ouvrier reste, à ce stade primitif d'organisation du travail, le principal responsable du contrôle de son travail. Du contrôle au rendement le débat se déplace vers une discussion sur les tarifs, le freinage devenant l'atout de la négociation salariale. 2. Une politique de qualité L'analyse de la situation du train mécanisé représente également un certain consensus entre la politique de la direction et la décision ouvrière. Ce consensus ne s'est pas établi d'emblée : la direction a créé la « prime de mise au mille » pour freiner l'effort de productivité des ouvriers qui se faisait au détriment de la qualité du travail. La récente décision ouvrière d'opter pour la politique de qualité plutôt que pour le rendement repose sur un calcul économique qui tient compte d'une conjoncture de difficulté d'approvisionnement en métal et va donc dans le sens des intérêts de la direction. Mais rien ne préjuge du comportement ouvrier lorsque cette crise d'approvisionnement sera passée. Rien ne prouve que la découverte par les ouvriers de cette possibilité économique de jouer sur les deux tableaux : qualité ou quantité, n'aille pas un jour ou l'autre de nouveau à l'encontre des désirs de la direction de retrouver un plus grand rendement. Ce qui nous paraît important dans cette situation médiane c'est encore la grande latitude des décisions ouvrières concernant la politique de production. Cette action concertée sur la production n'est évidemment possible que du fait du caractère encore très empirique de l'organisation du travail à ce stade technique : la technique de production de l'ensemble de l'installation reste dominée par le type de travail des secteurs de finissage, c'est-à-dire des duos, qui ne sont en réalité que des trains manuels modernisés, plutôt que par la nouvelle technique, caractéristique du trio, où la capacité d'influer sur la qualité est faible et dont la cadence de production, plus automatique, devient techniquement beaucoup moins variable. La possibilité d'une « politique ouvrière » de production qui s'exprime par la décision concertée des lamineurs de diminuer la quantité produite pour soigner la qualité n'est concevable que dans un stade technique où l'autonomie ouvrière domine encore l'organisation du travail et
Conclusion
111
l'on imagine mal la possibilité de pareilles décisions dans le système de production rationalisé du train continu. 3. La responsabilité des incidents Ce type de responsabilité ne prenait qu'une importance secondaire dans les installations techniques anciennes. Elle commence à préoccuper la direction du train mécanisé pour la partie la plus mécanisée de l'installation (le trio) : en bonne politique de stimulation, l'entreprise traduit cette préoccupation en pondérant le stimulant au rendement par un salaire à partie fixe et par des pénalisations d'ordre salarial et disciplinaire en cas d'incident de marche imputable aux ouvriers. Au train continu où les services techniques spécialisés ont maîtrisé les conditions de la production, transférant des ouvriers aux techniciens les responsabilités de la cadence de production et de la qualité du travail, les incidents techniques et les arrêts deviennent la principale préoccupation des responsables de la production. Et c'est dans cette nouvelle zone d'incertitude que l'influence ouvrière prend, sous une nouvelle forme, un certain poids. Mais l'approche patronale du problème se modernise : c'est par une pédagogie professionnelle et non par des stimulants financiers ou des contraintes disciplinaires que la direction du train continu éveille les ouvriers à la prévention des incidents techniques. Elle parvient à créer dans l'atelier un climat favorable à la productivité qui tranche avec l'atmosphère de méfiance des anciens trains. La faible pénibilité du travail et l'amélioration des conditions physiques de travail dans ces installations automatisées facilitent l'établissement d'un tel climat. Il faut relever la différence d'optique dans la façon d'aborder les problèmes. Les problèmes de production subsistent, même si la préoccupation de la quantité ou de la qualité des produits fait place à celle des pannes de l'installation. Mais leur approche se technicise et, exception faite de la prime de productivité, qui s'applique à l'ensemble de l'usine et concerne, nous dit-on, davantage les ingénieurs que les ouvriers, on ne cherche plus guère à relier le mode de rémunération à l'effort ou aux exigences professionnels. Gestion du personnel et politique de fabrication n'interfèrent plus autant et, là où elles interfèrent, par exemple dans l'évaluation des nouveaux postes de travail, elles tendent à se techniciser et à échapper ainsi au domaine du bargaining : les qualifications des nouveaux postes de travail, empruntées à une job evaluation d'origine américaine, n'ont pas fait l'objet de négociations syndicales. Doit-on imputer cela à l'inadaptation de la contestation ouvrière aux situations de travail créées par les nouvelles techniques de production, ou
272
Le contrôle des
cadences
doit-on comprendre, qu'à mesure que les problèmes du travail se technicisent, la revendication ouvrière devient plus globale, s'exprime en termes de participation aux bénéfices du progrès technique et d'amélioration des conditions de vie plutôt que d'intervention dans les particularités de la rémunération du travail ?
Table des matières
INTRODUCTION
7
I. Le problème II. Les laminoirs étudiés A. B. C. D.
Généralités sur le laminage Le train à main Le train mécanisé Le train continu
7 9 9 11 14 19
PARTIE I. — LE TRAVAIL CHAPITRE I : LES PROCESSUS DE PRODUCTION
I. L'organisation du travail A. Empirisme de l'organisation et autonomie des ouvriers B. Organisation et contrôle C. Les critères de classification des postes 1. Degré de préparation du travail 2. Division du travail 3. Le degré d'autonomie ouvrière dans le contrôle du travail 4. La nature des signaux II. Les relations de travail A. B. C. D.
Le travail en équipe du train à main Le travail en chaîne du train mécanisé Le travail en réseau du train continu Classification des postes selon les critères d'évolution des relations de travail
33
33 33 38 39 40 44 50 53 62 62 64 65 67
Le contrôle des cadences
274 CHAPITRE II : L'ANALYSE DES TÂCHES
70
I. Types d'intervention A. B. C. D. E. F. G.
70
Type d'action sur le matériau Type d'action sur la machine Régularité des interventions Stéréotypie des interventions Précision des interventions Rapidité des interventions Nature de l'expérience professionnelle
II. L'évolution des postes de travail
PARTIE II. —
71 75 81 85 92 96 102 109
LES
SALAIRES
Introduction
121
CHAPITRE III : LES MODES DE RÉMUNÉRATION PRATIQUÉS
123
I. Le train manuel A. B. C. D. E.
Le salaire aux pièces L'adaptation aux conditions techniques de la production Le « rafistolage » Primes d'équipe et primes individuelles Evolution du système de salaire
II. Le train mécanisé A. B. C. D. E.
Duo mécanisé : salaire à la tonne Trio : fixe plus prime aux pièces Prime d'économie de métal Autres primes Adoption et évolution du système de salaire
III. Le train continu A. Salaire fixe plus primes de production et de productivité B. Niveaux de salaire comparés des trois ateliers CHAPITRE IV : L'APPRÉCIATION DES SYSTÈMES EN VIGUEUR
I. Les opinions des dirigeants et des cadres A. Train manuel
123 123 123 125 125 126 128 128 129 130 132 132 134 134 136 1 39
139 139
Table des matières
275
B. Train mécanisé C. Train continu
141 142
II. Les opinions ouvrières
144
A. B. C. D.
Attitudes générales Attitudes à l'égard des systèmes de salaire Les aléas de la production et les systèmes de salaire Confiance et possibilités de contrôle
144 145 148 151
PARTIE III. — LA PRODUCTION Introduction
159
CHAPITRE V : L'INFLUENCE OUVRIÈRE SUR LA PRODUCTION
160
I. La variabilité de la production
161
A. Les facteurs techniques des variations de production 1. La comparaison des installations 2. L'opinion des ouvriers
162 162 169
B. Les variations de production dans le temps 1. La variabilité de la production techniquement attendue 2. L'analyse des documents de production
173 173 174
C. Variations de production et variations de salaire D. Comparaison des niveaux de production des équipes d'une même installation E. L'influence quantitative sur la production : conclusion
175
II. L'influence collective A. B. C. D.
Train manuel Duo mécanisé Trio mécanisé Train continu
III. L'influence individuelle : la nature de l'influence A. B. C. D.
Train manuel Duo du train mécanisé Trio du train mécanisé Train continu
IV. L'influence individuelle : le degré d'influence
179 181 182 182 186 188 190 193 193 194 195 196 200
Le contrôle des cadences
276 V. Opinions ouvrières sur l'influence
A. La perception de l'influence du lamineur chez les ouvriers B. La perception de l'influence collective C. La perception de leur propre influence chez les ouvriers
207 207 209 211
CHAPITRE VI : POLITIQUES SALARIALES ET POLITIQUES OUVRIÈRES DE PRODUCTION
219
I. Production et motivations salariales
220
A. Salaire aux pièces et freinage
220
1. 2. 3. 4.
Plafonnement de la production au train manuel Observation d'atelier et témoignages Les raisons du freinage L'inertie du système
220 223 226 227
B. Quantité ou qualité 1. L'analyse des rebuts au train manuel 2. La politique de qualité du train mécanisé 3. Désapprobation de la qualité : le train continu
231 231 232 237
C. La responsabilité des arrêts
239
1. 2. 3. 4.
Train manuel et train mécanisé Les arrêts au train continu L'évolution des comportements L'évolution des politiques de production
II. Politiques salariales et attitudes ouvrières A. Attitudes à l'égard du stimulant salarial, l'esprit de compétition B. L'efficacité du stimulant C. Attentes de la direction et système de défense ouvrier D. Les références salariales
239 240 241 244 244 244 250 252 257
III. Politiques et contre-politiques
263
CONCLUSION
267
A. L'évolution technique B. Les relations industrielles TABLE DES MATIÈRES
267 269 273
ACHEVE D'IMPRIMER SUR LES PRESSES DE L'IMPRIMERIE AUBIN 8 6 LIGUGÉ / VIENNE LE 2 0 JUIN 1972
D.
L.. 2 ' trim. 1972. — Impr., Imprimé en France
6642.