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French Pages 198 [200] Year 1972
TRAVAIL, SALAIRE, PRODUCTION
É C O L E P R A T I Q U E DES H A U T E S É T U D E S - S O R B O N N E SIXIÈME SECTION : SCIENCES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES
SOCIÉTÉ, MOUVEMENTS SOCIAUX ET IDÉOLOGIES PREMIÈRE
SÉRIE
: ÉTUDES
XIII
PARIS · MOUTON · LA HAYE
ALFRED WILLENER MARC MAURICE · JACQUES DOFNY
Travail, salaire, production TOME 2 : POUVOIR ET RÉMUNÉRATION
PARIS · MOUTON · LA HAYE
Ouvrage publié avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique
© 1972, Mouton & Co and École Pratique des Hautes Études Library of Congress Catalog Card Number : 73-186453 Printed in France
Avertissement
La recherche dont nous présentons dans ce volume les principaux résultats, a été réalisée au cours des années 1960-1961, pour le compte de la Haute Autorité de la C.E.C.A., à l'Institut des Sciences Sociales du travail, Université de Paris. Publiée un peu plus de dix ans après, nous estimons que, pour l'essentiel, cette étude garde tout son intérêt de recherche à la fois fondamentale et actuelle ; il suffit d'examiner certaines analyses faites récemment, en vue des accords entre le patronat et les syndicats, et traitant de tous les thèmes liés à la mensualisation, pour s'en convaincre. Certes, le lecteur devra, à certains égards, resituer ce travail dans son contexte. Lorsqu'il est fait état des positions de la C.F.T.C., il s'agit évidemment de l'organisation qui portait alors cette dénomination, avant la scission qui devait se produire en son sein, et qui devait donner naissance à l'actuelle C.F.D.T. Cette recherche est le résultat d'un travail d'équipe, auquel ont collaboré, outre les auteurs de cette publication, Jean Duplex, et, pour l'exploitation de l'enquête ouvrière, Jean-Pierre Worms, ainsi que Monic Gille.
INTRODUCTION
La conception de la recherche
Cette étude est partie de recherches antérieures, elle devait rendre compte de la presse et de publications sur le sujet, d'opinions d'experts, de dirigeants d'entreprises, de syndicalistes et d'ouvriers. Il est peut-être bon de dire explicitement, dès cette première page, qu'il est impossible au chercheur d'éviter de sélectionner et de fournir autre chose qu'un travail partiel ; son travail impliquant un processus de sélection quasi permanent, le problème n'est plus, dès lors, « le chercheur a-t-il fait un certain choix ? », mais bien « pourquoi tel choix plutôt qu'un autre ? ». Les recherches antérieures, celles que la Haute Autorité avait demandées précédemment, prennent l'importance d'un point de départ, bien davantage que la littérature spécialisée, par exemple dans le domaine des techniques de rémunération. Le dépouillement de presse que nous présentons n'est pas une analyse de contenu quantitative ; son but était, à travers une analyse qualitative, de nous aider à poser le problème ; ce paragraphe justifie, aujourd'hui, par ses références « industrielles >, les problèmes retenus. Les entretiens préliminaires se limitaient en outre à quelques personnes, enfin et surtout, les trois échantillons, « dirigeants >, « syndicalistes » et « ouvriers » résultant de critères de sélection liés à la définition du problème et également pour une bonne part à une sorte de sélection naturelle, du fait que toute étude en sociologie empirique est limitée par l'assentiment des sujets à interroger, la situation sociale imposant elle-même quelques contraintes au moment du travail sur le terrain.
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I. LES RECHERCHES ANTÉRIEURES
A. L'ÉTUDE FRANÇAISE SUR QUATRE TRAINS DE LAMINAGE
En 1957, l'Institut des sciences sociales du travail 1 fut chargé d'une première recherche par la Haute Autorité de la C.E.C. A. Cette première étude — première partie de la présente publication — reposait sur l'idée que les modes de rémunération et leur fonctionnement devaient s'expliquer assez largement par les transformations intervenues, ces dernières décennies, en matière de technologie. Ses résultats, parallèles à ceux obtenus dans les autres pays de la Communauté, montrent que la situation technique est loin d'être un principe d'explication complet. Il est apparu, notamment, que les modes de rémunération en vigueur étaient encore, à tous les stades techniques, des systèmes comportant une part importante de salaire « variable », même dans l'atelier techniquement le plus avancé. Il est vrai que la partie des salaires directement proportionnelle au rendement de l'atelier s'amenuise (du stade le plus ancien où elle était de 100 %, au stade le plus moderne) mais, dans l'ensemble, la logique du système de rémunération n'a pas été remplacée, elle est toujours dans la notion de « stimulant direct à la production >. Loin d'expliquer le maintien du stimulant, l'analyse des techniques de production et du travail font au contraire ressortir des retards d'adaptation, des décalages entre l'évolution technique et l'évolution des modes de rémunération, le stimulant direct à la production paraissant adapté dans les ateliers où le travail a un caractère d'initiative, mais non plus dans ceux où la prévention reste la seule préoccupation, l'initiative étant passée au niveau de l'ingénieur d'organisation et des cadres. Cela implique une seconde voie d'analyse. Dans les stades techniques où le stimulant paraissait adapté, il convenait d'étudier le fonctionnement du système de rémunération parallèlement au système de production. On s'attendait à ce que ce fonctionnement s'avère conforme à la logique du stimulant dans les stades anciens et intermédiaires et probablement inverse dans le stade le plus moderne. Si la confrontation de l'évolution technique et des modes de rémunération — également à travers les statistiques de la production — a donc fait 1. Institut des sciences sociales du travail, Université de Paris, Centre de Recherches (27, rue de Fleurus, Paris 6e).
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ressortir un retard d'adaptation conforme à l'image du cultural lag, nous sommes également en présence d'une sorte de crise du fonctionnement des systèmes de rémunération et de production. Ce dernier phénomène pouvait s'expliquer beaucoup moins encore par la situation technique. L'enquête d'opinion conduite alors indiquait, chez un grand nombre d'ouvriers de fabrication, le souhait d'un salaire fixe ; une minorité d'ouvriers se prononçait pour le salaire au rendement et ses avantages (gagner plus à certains moments, moins de surveillance). Cette première étude ayant accordé beaucoup de place à l'analyse de la situation technique des ateliers, il ne nous restait donc qu'à formuler l'hypothèse d'une seconde espèce de décalage, non plus entre rémunération et technique, cette fois-ci, mais entre l'évolution des modes de rémunération et l'évolution sociale. Mais une formulation de ces conclusions qui nous rapproche de notre problème a été facilitée par les résultats de l'étude de synthèse demandée par la Haute Autorité.
B. L'ÉTUDE EUROPÉENNE DE SYNTHÈSE
C'est en effet dans le rapport de synthèse que des tendances d'évolution ont pu être esquissées, dans la comparaison des recherches effectuées dans les divers pays de la Communauté, sur un choix assez large 2, sinon représentatif, d'ateliers de stades techniques différents. Pour comparer systématiquement les modes de rémunération pratiqués, en vue de dégager des tendances d'évolution, nous nous sommes attachés aux caractéristiques suivantes : — — — — —
rapport entre la partie fixe et la partie variable du salaire ; pente de courbes de prime ; secteur d'application de la prime ; période de calcul de la prime ; rôle des temps non productifs (temps d'arrêts : réparations, dérangements ou transformations) s.
La tendance générale est celle d'ime désensibilisation de la rémunération. La comparaison entre trains anciens et trains nouveaux a fait apparaître que cette tendance, dont la définition précise est « la diminution de 2. B. Lutz et A. Willener, « Niveau de mécanisation et mode de rémunération », rapport de synthèses, C.E.C.A., 1960, 149 pages ; comparaison portant sur vingt trains de laminage. 3. Voir tableaux 2 à 7 du rapport de synthèse.
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l'amplitude des variations de salaire consécutives à des variations de la production ou du degré d'exploitation du train », est particulièrement nette dans les anciens trains. L a comparaison entre pays (par exemple, les systèmes pratiqués en France et ailleurs) ne pouvait entrer dans le dessein du rapport de synthèse, du fait que les ateliers choisis dans chaque pays ne constituaient guère une sélection représentative. Mais si les trois ateliers français ne pouvaient donner une image représentative, le fait que la tendance à la désensibilisation de la rémunération se manifeste assez nettement sur une majorité des vingt trains étudiés en dehors des français, donnait à réfléchir. Ainsi, le salaire aux pièces proprement dit, où le salaire varie de façon à peu près proportionnelle au rendement, ne se rencontrait qu'aux deux trains anciens de l'enquête française ; la part de variable des salaires horaires était nettement plus forte au train français le plus moderne qu'aux trains modernes étrangers ; enfin, les règles de la rémunération des trains français, comparées dans l'ensemble des différents tableaux, tendaient à être plus sévères que la moyenne des trains étrangers. Cette comparaison nous amena, en même temps que les considérations déjà rapportées ci-dessus, à formuler le problème de notre actuelle étude en termes de résistance au changement. Elle souligne par ailleurs la nécessité de concevoir cette étude selon un plan extensif, afin de montrer jusqu'à quel point ce phénomène est répandu et peut être considéré comme caractéristique d'une branche industrielle. L'intérêt de ce problème est d'autant plus grand que s'y ajoute le phénomène que nous avons appelé crise de la rémunération au rendement. C'est dans la mesure où les systèmes de rémunération dits anciens — dans l'actuelle perspective de l'abandon de certains systèmes jugés « anciens » — fonctionnent mal que leur maintien devient un problème. Le retard d'adaptation, le blocage de l'évolution, dans un certain sens la « bureaucratisation » des modes de rémunération, doivent dès lors être interprétés sociologiquement pour mettre au clair les processus ayant amené cet état de choses. Qu'est-ce donc que cette crise ? Le terme de crise a été retenu dans la description du phénomène de non-correspondance entre principes et pratique des systèmes de rémunération. Le rapport de synthèse a fait état de données qui montrent assez nettement, même si c'est encore à titre d'hypothèse, que les buts que cet instrument de gestion prétend atteindre et les fonctions qu'il est censé remplir ne se retrouvent pas dans son fonctionnement réel. Il est vrai que cette tendance à la baisse de sensibilité pouvait également être interprétée comme remplacement progressif de la fonction de
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stimulation par une fonction dite de régulation (de maintien de la production à un certain niveau) et celle-ci être attribuée à l'introduction de la planification de plus en plus méthodique de la production. En réalité, il semble bien que l'importance croissante du planning de production et de l'organisation du travail n'explique qu'en partie le dépérissement de la fonction de stimulant. La tendance à la stabilisation des salaires et à la plus grande protection des ouvriers contre les fluctuations des salaires qui résulteraient de variations de la production sont bien des symptômes de crise. Les blocages « provisoires » des primes — un provisoire qui dure souvent fort longtemps —, les « réglementations spéciales > (en cas de modification des programmes de laminage, de rendements très forts ou très faibles, etc.), les retouches des primes, des temps de non-fabrication et enfin l'introduction de primes de record neutralisent la fonction de régulation tout autant que la fonction de stimulation du salaire. Toutes ces pratiques ont pour effet de dissocier le salaire de la production, de réduire ou même d'annuler les poussées et chutes de salaires. Enfin, certains indices font penser que le terme de crise pouvait être retenu également dans son sens courant : les systèmes de rémunération fonctionnent moins bien qu'autrefois, jusqu'à un certain point, la désensibilisation des salaires va de pair avec l'évolution sociale. En tout état de cause, la comparaison des données européennes provenant de nombreux trains techniquement différents n'amenait pas à une explication de la crise par l'évolution de l'influence de l'ouvrier sur la production. Que les ouvriers d'un train aient une influence faible, moyenne ou forte, le mécanisme du système de rémunération de la plupart des trains de chaque stade comportait ime sensibilité comparable de la prime. La rubrique des temps morts ne révéla pas non plus une évolution caractéristique du niveau d'influence de l'ouvrier. Loin d'expliquer la crise de la rémunération, cette confrontation ne révéla pas une corrélation nette entre l'évolution de l'influence et l'intensité du stimulant ; cette absence de lien était elle-même un symptôme de crise. De façon générale, les symptômes de crise ne se répartissent pas de manière significative sur l'ensemble des trains. Une nouvelle étude devait donc s'orienter vers la recherche des déterminants sociaux de la résistance au changement des formes de rémunération.
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II. DÉFINITION INITIALE DE L'ÉTUDE
A. LE PROBLÈME
Etudier l'évolution des modes de rémunération sociologiquement ; plus précisément, analyser le blocage de cette évolution, la résistance et aussi l'aspiration au changement, voilà donc quel était notre problème. Si les modes de rémunération évoluaient « naturellement », il n'y aurait guère de problème. Bien entendu, ce n'est pas parce que nous étudions la résistance au changement que le changement serait partout et nécessairement souhaitable. Il appartient aux hommes d'action, dirigeants patronaux et syndicaux, d'apprécier quels sont, pour eux, dans une situation donnée, les avantages et les inconvénients du changement (de tel système à tel autre système) et de l'évolution (du mouvement d'ensemble qui suit les modes d'organisation). Si le but principal et sociologique de cette étude est de faire apparaître les mécanismes sociaux, les intentions sociales de freinage et d'accélération de l'évolution des modes de rémunération, elle a accessoirement un but sociographique. Les praticiens de divers milieux industriels peuvent attendre simplement un apport d'information. C'est l'aspect « appliqué » de cette étude. Pour montrer comment le problème se pose, de ce point de vue, nous recourions (plus haut) à l'image du double retard d'adaptation : jusqu'à quel point le retard, par rapport à l'évolution technique d'une part et à l'évolution sociale de l'autre, est-il un phénomène répandu et que signifie-t-il ? Or, comment traiter ce problème, quelle « approche » ou perspective adopter ? Il s'agit d'arriver à un compromis tenant compte aussi bien du problème, des possibilités de réalisation sur le terrain (le champ étudié étant, rappelons-le, la sidérurgie et les mines de fer françaises) et d'un certain point de vue propre aux chercheurs.
B. LA PERSPECTIVE
La traditionnelle « théorie » de la rémunération, tout d'abord, n'était d'aucun secours. Nous ne pouvions avancer d'un pas en étudiant les différentes formes de rémunération dans leur fonctionnement de principe.
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Devions-nous chercher alors à étudier le fonctionnement réel et non plus théorique des modes de rémunération ? Depuis un certain temps, des études empiriques s'attachent en effet à étudier sociologiquement comment fonctionnent les systèmes de rémunération, à les situer dans la réalité de l'entreprise. Le sociologue apporte à l'ingénieur classique ses méthodes et une perspective englobant hommes et machines, qui renvoie dos à dos le technicien négligeant les « impondérables humains > et les relations humaines insoucieuses des « impératifs de la production ». Mais le problème de cette étude demande clairement une perspective différente, de sociologie de l'industrie plus que de sociologie de l'entreprise. Ce n'est que dans une perspective extensive que nous pouvions espérer le traiter, tant dans son aspect sociologique que sociographique. C'est ainsi que notre champ d'analyse devenait la situation industrielle en évolution, et non l'entreprise, son objet la stratégie patronale et syndicale. H ne pouvait s'agir d'approfondir les cas de trois ou quatre usines, de retracer leur historique, mais on devait se tourner vers l'étude de l'actualité industrielle, aussi large que possible, dans une approche synchronique. Le premier problème pratique, obstacle majeur, devenait du même coup la constitution d'un échantillon aussi étendu que possible de dirigeants ou de responsables d'usines. Cette exigence s'explique par le caractère autocratique des décisions de politique salariale dans l'industrie française. On ne comprendra la définition de la perspective et les moyens nécessairement assez rapides (enquête d'opinion très générale) de cette étude que par rapport à cette réalité : la résistance au changement des modes de rémunération dépendant d'un nombre très limité de personnes dans chaque usine, il faut pour l'étudier multiplier, et donc écourter les visites d'usines. Comme, par ailleurs, constituer un échantillon extensif d'une trentaine d'entreprises (donnant leur accord sur un même programme de recherche) demande plus d'un an de démarches et d'entrevues, la perspective de l'étude devait être telle que les caractéristiques de ces usines soient utilisées au maximum. Dans les conditions actuelles, un tel échantillon ne peut être qu'approximativement représentatif de l'ensemble des usines et il s'agissait de tirer profit de leur diversité. Aussi avons-nous accepté l'offre qui nous a été faite en début d'étude d'étendre l'échantillon de la sidérurgie aux mines de fer. Grâce à une comparaison entre les opinions des dirigeants et des délégués syndicalistes de la sidérurgie et des mines de fer, nous allions pouvoir étudier l'importance de la branche industrielle. Inclure les mines de fer revenait à orienter l'échantillon d'usines et de dirigeants dans la seule voie actuellement
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praticable : celle d'un échantillon analytique, destiné à permettre de dégager dans une certaine mesure l'influence de la situation industrielle, par branche, par région, par types de relations avec les syndicats. Une telle approche, centrée sur l'actualité et sur un choix limité mais portant sur des usines assez diverses, nous engageait à concevoir la perspective de l'étude de manière à profiter de la richesse qu'un tel échantillon offre à l'analyse. Nous avons donc cherché à définir une perspective assez large. Or, s'il est vrai qu'un problème comme celui « du rendement » d'un travailleur dans un atelier met en cause tous les facteurs techniques, psychologiques, physiologiques, sociaux, économiques, qui conditionnent son travail, agissant sur celui-ci en même temps qu'ils réagissent les uns sur les autres 4 , l'étude de l'évolution des modes de rémunération doit également être placée dans le cadre complexe et global : — de l'évolution technique ; — de l'évolution économique ; — de l'évolution psychosociologique (au sens de psychologie du personnel au travail) ; — de l'évolution sociologique (au sens de sociologie de la classe ouvrière). Cela dit, le problème du freinage et de l'accélération de l'évolution, posé dans ce cadre, pouvait donner lieu à des hypothèses multiples. Nous avons formulé les principales à partir des résultats antérieurs et aussi de notre revue préliminaire de l'opinion industrielle présentée dans le chapitre suivant. (C'est également sur la base de cette revue de l'opinion patronale et syndicale que nous avons formulé ensuite nos schémas d'interviews.)
C. LES HYPOTHÈSES
Trois sortes d'hypothèses — nous ne limiterons pas cette notion à son sens théorique restreint — étaient à l'origine de cette étude. 1. L'hypothèse de la résistance patronale et de l'aspiration syndicale au changement des modes de rémunération a) Bien que les recherches antérieures aient montré une tendance, chez les dirigeants patronaux, à s'opposer au changement des modes de 4. G. Friedmann, < Quelques problèmes de définition et de limites », revue Sociologie du travail, n° 1, octobre-novembre 1959.
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rémunération, alors qu'on constatait une tendance syndicale assez marquée à y aspirer, c'était une des tâches de cette étude de montrer si et jusqu'à quel point il en est effectivement ainsi dans les branches industrielles étudiées. b) Comme les dirigeants patronaux et syndicaux ne peuvent pas ne pas se référer aux ouvriers, ime interprétation opposée de l'aspiration au changement des modes de rémunération est concevable : ou bien ce sont les syndicats qui ont l'idée de ce changement, les ouvriers n'y pensant guère — ou bien le syndicat transmet le désir des ouvriers. L'hypothèse ci-dessus comporte donc un complément. c) Les ouvriers aspirent au changement des modes de rémunération. Simple hypothèse empirique générale, on conçoit que ce n'est là qu'un point de départ et que l'analyse devra montrer, entre autres choses, ce que signifie cette résistance et cette aspiration pour les uns et les autres. Afin de lui donner un sens, cette hypothèse doit être placée dans le contexte sociologique général de la réalité industrielle actuelle, ce qui exclut l'étude de la genèse de cette résistance et de cette aspiration. Comme il s'agit, toutefois, de l'étude d'un frein et d'une poussée face à l'évolution de cette réalité, nous sommes conduits à nous occuper de la représentation que dirigeants patronaux et délégués ouvriers ont de cet état actuel de la situation et de son évolution. De nature subjective, cette représentation des dirigeants et des délégués devient pour l'observateur sociologue une donnée objective, élément essentiel pour comprendre le phénomène étudié. Il nous a semblé en outre qu'un second type d'hypothèse devait partir de l'idée qu'au double retard d'adaptation des modes de rémunération dont nous avons parlé plus haut, correspond un retard perspectif : les dirigeants patronaux seraient plus prompts à accepter et donc à saisir l'évolution dans certains domaines que dans d'autres, ou encore, ce qui revient au même, ils auraient tendance à surestimer l'évolution de la réalité dans les domaines où ils l'acceptent et à la sous-estimer dans les domaines où ils ne le souhaitent guère ou moins. Pour une étude nécessairement extensive, puisqu'elle doit toucher un large choix de dirigeants, l'étude de décalage rémunération-situation passe donc forcement par celle de leur perception (ou représentation). Logiquement, nous traduisons donc ce décalage au niveau perspectif et la seconde hypothèse — ou série d'hypothèses — se trouve de ce fait située à un niveau à la fois descriptif et méthodologique. On doit ainsi la comprendre par rapport à ce décalage rémunération-situation et à l'instrument (notre schéma d'interview, seule technique opératoire utilisable dans une telle étude) qui est censé le traduire au niveau perceptif.
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2. L'hypothèse de la perception différenciée de l'évolution comprend plusieurs parties. Elle admet en effet que la réalité industrielle, selon différents < angles de prise de vue » (G. Friedmann), est perçue comme plus ou moins avancée. Si nous formulons donc des questions définissant schématiquement quelques aspects de l'état de choses « ancien » (A) et « nouveau » (B) et que ces questions touchent aux domaines de l'évolution I — Technique (processus technique de production) ; II — Economique (conditions du marché des produits et de la maind'œuvre) ; III — Psycho-sociologique (mentalité et comportements de l'individu dans l'entreprise) ; IV — Sociologique (mentalité et comportement du groupe ouvrier et des syndicats) ; il y a différentes manières de prévoir une différenciation des réponses ; les hypothèses qui s'imposaient nous ont paru être les suivantes : a) Retard progressif de perception Cette hypothèse a été faite pour les « résistants > au changement, les dirigeants patronaux. Elle admei que leur résistance comporte des degrés. Elle prévoit que la résistance à admettre et à percevoir l'évolution augmente lorsqu'on passe des domaines I jusqu'à IV 5 . Pour qu'elle soit vérifiée, il faudrait que les répondants patronaux se distribuent en % % % %
de de de de
cas, cas, cas, cas,
réponse réponse réponse réponse
B, B, B, B,
domaine I. domaines I, II. domaines I, II, III. domaines I, II, III, IV.
b) Différenciation par domaine C'est une variante moins exigeante de l'hypothèse précédente. Elle se contente de prévoir qu'on pourra séparer un certain nombre de profils de réponses : divers types de dirigeants patronaux et syndicaux. Il est évidemment sous-entendu que cette différenciation est directement significative en termes de résistance et d'aspiration au changement des modes de rémunération. Les alternatives A et B du schéma d'interview — 5. La structure de notre instrument central de recherche, le schéma d'interview, est partiellement inspirée d'un article méthodologique de L. Guttmann ; nous avons librement adapté la technique des « facettes » à nos besoins. Cf. L. Guttmann « A structural theory for intergroup beliefs », American Sociological Review, juin 1959.
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« ancien » et « nouveau » stade de l'évolution dans chacun de ces domaines — seront formulées de manière à ce que l'aspect de la réalité touché par la question ait un lien avec les modes de rémunération et leur changement. La revue préliminaire de l'opinion industrielle nous a fourni matière à questions. Si la différenciation des réponses par domaine a un sens pour une série de répondants semblables, elle doit également être utile à l'analyse entre catégories différentes de répondants. L'idée de la différenciation par domaines est donc présente également dans les hypothèses partielles suivantes : c) Différenciation par branche d) Différenciation par région Le praticien et le spécialiste pensent volontiers que les facteurs branche industrielle et « habitudes régionales > (culturelles) jouent un rôle déterminant dans les décisions patronales et le comportement des syndicats. C'est la raison pour laquelle nous avons construit le plan d'enquête de manière à pouvoir établir, dans les limites de cette étude, s'il est possible d'attribuer une importance déterminante à ces variables. Ή reste une autre différenciation dont il faut chercher à montrer l'importance, c'est la division de l'opinion syndicale : e) Différenciation par syndicat D faut ajouter enfin que nous pourrons différencier les opinions exprimées par les dirigeants patronaux et syndicalistes, de manière à voir jusqu'à quel point l'évolution de la réalité industrielle est perçue autrement selon le système de rémunération pratiqué et souhaité : f ) Différenciation par mode de rémunération pratiqué Cette dernière hypothèse prévoit en effet que la perception de l'évolution dans les quatre domaines sera significativement différente selon les modes de rémunération pratiqués, autrement dit expliquera ceux-ci, au moins dans une certaine mesure. La « signification » des différences résultera d'une interprétation des alternatives de notre schéma, comportant un sens par rapport à la rémunération et son évolution. Comme on le verra dans notre revue de l'opinion industrielle, une étude sociologique, même partie d'un sujet à première vue assez « technique > comme celui des modes de rémunération, passerait à côté de l'essentiel si elle n'abordait la stratégie patronale et syndicale au niveau des relations industrielles. Notre troisième hypothèse devrait aborder le problème de l'influence réciproque des partis industriels.
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3. L'hypothèse de la stratégie d'influence et de l'autorité. Si, dans un sens restreint, « une entreprise peut... être décrite comme un ensemble cohérent de moyens matériels permettant de passer d'ime intention économique à une réalisation technique » pourquoi un dirigeant patronal cherche-t-il à éviter le remplacement d'un des « moyens > (organisationnels), le mode de rémunération ? L'explication la plus simple serait qu'il en est satisfait, qu'il ne sent pas la nécessité du remplacement ; elle est cependant éliminée, comme les recherches antérieures l'avaient laissé prévoir et les entretiens avec les dirigeants l'ont ensuite confirmé. Pour comprendre ce qu'on peut dès lors appeler résistance patronale au changement, nous faisons l'hypothèse que le phénomène à expliquer dépend de la nature des rapports sociaux, qu'il ne suffit pas de considérer l'entreprise comme une administration ayant des problèmes techniques à résoudre. Un administrateur simple technicien adapterait, en effet, les moyens organisationnels à l'évolution des modes de production et ne s'opposerait guère au changement de ce qui ne serait que simple technique de rémunération ; mais le dirigeant industriel, s'il décide seul, n'est pas seul. La structure de l'entreprise française, il est vrai, est le plus souvent autocratique, le dirigeant peut agir comme si elle ne pouvait être autre, mais l'existence d'un partenaire syndical ouvrier doit être consideree. D'où la préoccupation plus ou moins consciente du dirigeant : ne pas perdre de terrain par rapport au partenaire et éviter que celui-ci n'améliore ses positions au point d'être en mesure de menacer celle du dirigeant en tant que tel. a) L'hypothèse de la stratégie d'influence suppose donc essentiellement que la résistance au changement des modes de rémunération est motivée par le souci patronal de ne pas perdre de l'influence sur la situation industrielle. L'étude précédente avait traité de l'influence de l'ouvrier sur la production, en vue de dégager une perte ou un gain éventuels de cette influence ou en tout cas l'évolution de sa nature. L'analyse avait montré jusqu'à quel point, dans la majorité des ateliers mécanisés actuels qui n'atteignent pas le stade de l'automation, l'apport ouvrier restait central. H est naturel de se demander maintenant si la résistance patronale au changement des modes de rémunération n'est pas une stratégie d'in6. Cf. A. Touraine, « Entreprise et bureaucratie », revue Sociologie du travail, n* 1, octobre-novembre 1959, pp. 58-71.
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fluence face à la stratégie syndicale qui, dans le changement des modes de rémunération, ne vise pas seulement l'amélioration matérielle de la condition de l'ouvrier comme travailleur et consommateur, mais également le gain général d'influence du groupe ouvrier dans ime situation par ailleurs autocratique. Pour réaliser « l'intention économique », le dirigeant ne peut pas éviter de se référer à l'action syndicale et à l'ouvrier. « Il prendra sa décision en fonction des pressions auxquelles il a été soumis >, même s'il la prend seul, et « il sera déterminé par le jugement qu'il porte sur les conséquences qu'elle aura > '. Dans une étude synchronique (plutôt que génétique) on ne peut étudier, mais seulement situer la décision, ou plus précisément la « tendance > patronale à la résistance au changement des modes de rémunération. Les dirigeants patronaux ne peuvent, aujourd'hui, retracer le bilan des raisons de leur adoption d'un certain mode de rémunération. Ils les situent, en fait, dans leur représentation actuelle de la situation et « justifient » une décision qui est le plus souvent fort lointaine. Leur argumentation ne restitue pas un processus de prise de décision, mais une esquisse de la signification stratégique du mode pratiqué. Notre hypothèse suppose qu'il vaut la peine de suivre cette analyse patronale de la situation et des modes de rémunération à travers les divers aspects de la réalité (domaine I-IV de notre schéma, voir plus loin). Nous formulons un schéma d'interview comportant douze thèmes dans lequel les alternatives A décrivent un stade d'évolution moins avancé que dans les alternatives B®. Ces alternatives sont choisies de telle manière que puisse être faite l'interprétation suivante, touchant la stratégie d'influence : plus un dirigeant donne de réponses A, plus il craint de perdre de l'influence sur la situation, et donc de changer le mode de rémunération ; plus un dirigeant donne de réponses B, plus il pense pouvoir changer les modes de rémunération sans perdre de l'influence sur la situation. La seconde partie de notre hypothèse (3.) se réfère au fait que les syndicats ne se contentent souvent pas de marchander ; ils entendent, dans la situation autocratique, augmenter leur influence et réformer ou renverser cette situation d'autorité unilatérale.
7. M. Crozier, c La participation des travailleurs à la gestion des entreprises », revue Preuves, octobre 1958. 8. Le choix des sujets a été guidé en grande partie par l'étude préliminaire de l'opinion patronale et syndicale (voir chap. II).
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b) L'hypothèse de l'autorité traite ce problème du point de vue patronal. Elle suppose que la résistance traduit la peur de l'évolution des modes de rémunération, comme étape dangereuse dans l'évolution des structures de l'autorité. Le dirigeant, face à l'évolution des modes de rémunération, se sait dans une situation d'autorité unilatérale et contestée. S'il cherche au minimum à perdre le moins possible de pouvoir sur la situation, c'est en vue de maintenir la production, mais aussi à travers elle, sa propre position. Selon la perception que le dirigeant aura de la situation — et selon la perception que ses partenaires syndicalistes en auront — il cédera ou résistera en matière de modes de rémunération. Cette seconde interprétation de la résistance paraîtra d'autant plus vraisemblable que le phénomène des différents degrés de résistance pourra être mis en parallèle avec la perception syndicaliste de la situation. Dans les opérations de recherche, comme nous l'avons signalé plus haut, nous plaçons le conflit de fait entre les partenaires industriels au niveau de la perception. Plus la perception patronale diverge de la perception syndicale, dans le sens d'un retard que le dirigeant prendrait dans sa vision de l'évolution, plus il résiste au changement des modes de rémunération, par refus d'accepter une mise en cause de son autorité qu'il craint et constate. La divergence de perception est alors interprétée comme un indice de tension sociale ; elle tend à rendre compte du fait que la résistance au changement des modes de rémunération n'est pas seulement stratégie d'influence, marchandage de la quantité d'influence sur la situation, mais encore stratégie du maintien de l'autorité en tant que telle. La résistance dépend de la définition de la situation que donne un dirigeant, où l'ordre actuel serait « donné > une fois pour toutes, mais cette situation contient, en plus, un partenaire actif et menaçant.
III. ORGANISATION ET EXÉCUTION DE LA RECHERCHE Il ne suffit pas de formuler un problème et même de concevoir une approche en fonction d'expériences sociologiques antérieures tout en tenant également compte le plus possible des tendances actuelles de l'opinion industrielle : il reste à franchir l'étape de l'organisation méthodologique et technique et celle de la réalisation sur le terrain. L'ampleur de ce projet rendait ces deux étapes spécialement délicates, aussi nous
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semble-t-il indispensable pour la compréhension de l'étude d'en présenter au moins les grandes lignes.
A. LE TRAVAIL SUR LE TERRAIN
a) Au départ, il fallait avant tout obtenir les autorisations nécessaires pour une étude de l'opinion patronale. Il s'était avéré, en effet, que deux sur les quelque dix premières entreprises consultées ne pouvaient accepter notre procédé habituel d'introduction (information du comité d'entreprise, le directeur et les délégués ouvriers prenant simultanément connaissance des buts de l'étude, celle-ci portant ensuite sur l'opinion patronale et syndicale au cours de la même visite sur place). L'étude des dirigeants — détenteurs des pouvoirs de décision — était évidemment la partie centrale, qu'il s'agissait d'assurer en premier lieu. Le travail sur le terrain a dû être dissocié en trois phases : la première, consistant à obtenir un échantillon comparatif d'usines aussi équilibré que possible (cf. ci-dessous) ; cela permettait de résoudre les difficultés d'accès, mais triplait à peu de choses près les voyages — généralement assez loin de Paris — et rendait incertain le passage à la seconde phase (enquête syndicaliste) et à la troisième (enquête ouvrière). Ne pouvant présenter l'étude aux comités d'entreprise, nous avons exposé ses buts aux organisations patronales d'une part, et aux syndicats ouvriers des trois tendances d'autre part 9 , qui donnèrent leur accord de principe. Une cinquantaine d'interviews de dirigeants patronaux furent ainsi recueillies au cours de cette première phase de plus d'une année. Au cours des visites dans les usines, le chef du personnel décrivait assez largement et en détail l'ensemble des problèmes de rémunération dont il assure le fonctionnement ; dans une autre interview, le directeur, responsable du choix et de la définition des modes de rémunération, résumait la situation telle qu'il la voyait, sa position lui permettant un exposé plus vigoureux et politique. b) Une fois terminée la série des entretiens avec les dirigeants, la seconde phase, les visites auprès des syndicalistes, se déroula d'autant plus facile9. C'est principalement grâce à l'U.I.M.M. que fut pris le contact avec les directions générales et locales des usines ; les responsables nationaux des syndicats ouvriers (C.G.T., C.F.T.C., et F.O.), ainsi que les responsables locaux facilitèrent la rencontre de leurs représentants sur place.
22
Pouvoir et rémunération
ment qu'une partie des entreprises sélectionnées (voir ci-dessous échantillon syndicaliste) étaient prêtes à nous accorder un local à l'intérieur de l'usine pour procéder aux interviews. Dans les autres entreprises, à l'exception de deux d'entre elles, la rencontre des délégués syndicalistes en dehors de l'usine fut acceptée et, par plusieurs directeurs, recommandée (< il faut que vous ayez l'autre son de cloche >). Après un contact préliminaire avec les responsables syndicaux, régionaux et locaux, on procéda aux interviews des délégués ouvriers. Cette phase de l'enquête n'ayant pas soulevé de difficultés (sauf dans un cas isolé) la dernière étape, l'enquête ouvrière, fut entreprise. c) Une fois obtenu l'accord de quatre entreprises, deux dans la sidérurgie et deux dans les mines, on établit un échantillon probabiliste d'ouvriers professionnels (voir ci-dessous l'échantillon ouvrier) que les enquêteurs visitaient à domicile. Mention étant faite, à chaque visite, de l'accord de principe de l'usine et des syndicats, l'accueil réservé aux enquêteurs fut très généralement favorable. Les enquêteurs ne rencontrèrent que les difficultés habituelles (personnes absentes, etc.) et ce n'est qu'au seul endroit, où une étude antérieure avait été réalisée pour le compte d'une entreprise, qu'une certaine réticence s'est manifestée.
B. LES MÉTHODES ET LES TECHNIQUES
Comparative, la méthode supposait avant tout une certaine répartition des objets de l'étude. L'échantillon de la phase I des dirigeants fut établi selon un plan très différencié. L'étude devait surtout comparer des dirigeants entre eux. Etant donné le nombre forcément restreint de dirigeants d'une seule branche industrielle, un échantillon, même très important (en pourcentage de l'ensemble des entreprises) n'atteint pas les « grands nombres > ; l'exploitation des données, dans cette comparaison, devait donc être faite « en bloc », dans une typologie des réponses (nous appellerons ces résumés des « profils »). Cette méthode s'imposait également pour d'autres raisons que celles de l'ordre de l'échantillon : ce qui était visé, c'était l'agencement des réponses, leur structure et non le détail, en d'autres termes, le cadre de référence général de la résistance au changement. Après la phase syndicaliste de l'enquête, la méthode prévoyait enfin la comparaison et la confrontation dirigeants-syndicalistes. H existe évidemment une différence fondamentale de perspective :
La conception de la recherche
23
les dirigeants détiennent l'autorité, ils décident de la politique du personnel, notamment des modes de rémunération, alors que les syndicalistes ne peuvent que réagir. Les uns ne pouvant ignorer les autres, ils se trouvent néanmoins dans la même situation, bien qu'à des positions différentes ; cela entraînait l'élaboration d'un schéma d'interview parallèle, abordant les mêmes thèmes, mais formulant les alternatives du schéma destiné aux syndicalistes dans leur perspective. Comparaison et confrontation d'opinions, cette méthode comporte en plus l'analyse de celles-ci par rapport à la situation de la personne interrogée, par branche industrielle et région, par syndicat et aussi par rapport au mode de rémunération pratiqué. Si les quelques thèmes, le cadre de référence qu'on peut proposer à la discussion dans une interview ne touchent qu'à des opinions, et cela très partiellement, ce qui importait était Γorientation, un complexe (Gestalt), c'est-à-dire autre chose qu'une série d'opinions isolées. Contrairement à ce qui se fait dans une étude d'opinion classique, notre schéma d'interview était donc un cadre de référence systématique, un modèle intégrant des hypothèses théoriques, mais constitué empiriquement, sur la base des études antérieures et de l'opinion industrielle. Cela dit, notre travail portait toujours sur des indices de la représentation qu'ont les responsables patronaux et syndicaux de la situation industrielle et de la signification que prend, pour eux, la résistance ou l'aspiration au changement des modes de rémunération. Les techniques d'interview, et donc aussi d'exploitation des données au moment du codage, devaient forcément être adaptées à la population touchée : — entretiens avec les dirigeants peu standardisés et très longs (les comptes rendus se montent en moyenne à une quinzaine de pages dactylographiées), ce qui permettait de coder le choix d'ime alternative, compte tenu de commentaires assez riches, voire très complets, d'où un codage moins aléatoire, sinon toujours facile ; — interviews avec les syndicalistes plus formels, avec questionnaire standardisé présentant des thèmes à deux alternatives (semi-ouvert) et demandant des commentaires d'une demi-page par thème, le codage à son tour devenant ici plus formel ; — dans les interviews ouvriers, enfin, commentaires réduits au minimum, un questionnaire du type fermé et une méthode d'exploitation quantitative étant ici praticables, adaptés au caractère de sondage complémentaire de cette dernière phase de l'étude.
24
Pouvoir et rémunération
C. LES ÉCHANTILLONS ET LES SCHÉMAS D'INTERVIEW
L'échantillon patronal présenté ci-dessous en codant toutes les rubriques, afin de respecter la règle de l'anonymat, a surtout été construit de manière à permettre des comparaisons inter- et intra-branches. Il va de soi qu'un institut de recherches ne peut choisir lui-même les usines sur l'ensemble de celles qui existent. Le caractère d'autosélection d'un échantillon patronal, résultant du fait que l'organisation du syndicat patronal proposait des noms d'usines et surtout de la réponse de ces dernières à la requête, n'est cependant pas un inconvénient pour la présente étude. La résistance au changement des modes de rémunération, en effet, se constate dans presque toutes les usines de cet échantillon, qui contient une gamme suffisamment étendue de positions patronales. Ce n'est guère que la description d'une tendance générale qui souffre du biais libéral que l'autosélection a vraisemblablement introduit. Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue que le taux de sondage est ici très élevé. Tableau 1. Echantillon patronal Branche industrielle **
Région industrielle a b c d
A
8 5
Β
3 4
C
5 25 entreprises
Dirigeants interrogés
Interviews retenus *
12
11
12 7 7
6 6 5
14
(0
52 entretiens
38 schémas complets
* Interviews utilisées dans les tris patronaux ; il s'agit d'entretiens ayant permis de remplir complètement le schéma d'interview. ** Nous distinguons à l'intérieur de la sidérurgie les entreprises fabriquant uniquement des produits sidérurgiques (tôles, profilés, fils, rails, etc.) de celles dont la gamme de production s'étend, par exemple, à la grosse mécanique ou à la chaudronnerie ; nous appellerons dans tout le rapport sidérurgie pure les premières et sidérurgie mixte les secondes. Les indications ci-dessus sont « codées » pour garantir l'anonymat.
Quant à l'échantillon syndicaliste, il ne pouvait porter sur l'ensemble des usines visitées. Cette seconde phase de l'étude a dû être dissociée de la première, car on ne pouvait envisager, pour des raisons matérielles, de rencontrer des délégués de vingt-cinq usines régionalement souvent
25
La conception de la recherche
très distantes. Les efforts furent donc concentrés principalement sur deux régions, ce qui représente dix-sept usines dont on lira la répartition ci-dessous. Afin d'assurer une comparaison entre délégués appartenant à chacune des trois organisations syndicales, la proportion des délégués des organisations numériquement moins fortes a été légèrement sur-représentée dans notre échantillon. La comparaison avec les pourcentages des dernières élections (tableau 2) montre qu'il s'agit de différences peu importantes, n'altérant pas la tendance générale par branche ou région. Sans préciser davantage les entreprises, notons que les désignations « Est > et « Centre » sont faites pour éviter l'identification et permettre la compréhension des tris régionaux, mais qu'elles ne doivent pas être interprétées dans le sens de la représentativité : le deuxième échantillon, pas plus que le premier, n'y prétend pas. H s'agit ici d'échantillons analytiques (assez étendus, il est vrai, proportionnellement à l'ensemble). Tableau 2. Echantillon syndicaliste. (délégués ouvriers de neuf usines et huit mines de fer) Situation régionale des usines retenues * Est Centre Autres Mines de fer *
Répartition aux dernières élections
%
%
%
C.G.T.
C.F.T.C.
F.O.
71 68,5 42,5
17,5 24 39
11.5 7,5 18,5 Total
Délégués interrogés
53 47 11 27
Répartition des délégués interrogés % % % C.G.T. C.F.T.C. F.O 58,5 55,5 36,5
26,5 23,5 36,5
15 21 27
138
* Proportion exacte inconnue ; la proportion de C.G.T. atteint ici plus de 90 %. Ν. B. Il était possible de redresser ces pourcentages avec précision par la suite, mais l'analyse a montré que l'homogénéité des réponses ne demandait pas cette correction.
Enfin, l'échantillon ouvrier a été construit de manière à représenter, non une région ou ime branche industrielle, mais les ouvriers qualifiés qui, sur l'ensemble des ouvriers et étant donné leur niveau de revenu supérieur, ont le plus de chances d'être impliqués dans une évolution sociale. S constitue de ce fait une couche dont on a discuté plus haut l'importance stratégique. L'étude des différences que l'appartenance à cette zone de gens dits
Pouvoir et rémunération
26
« évolués » peut amener sur l'aspiration au changement des modes de rémunération conduisait, dans le plan d'échantillonnage, à trois catégories qui s'imbriquent : — les O.P. 1 et les O.P. 2 et 3, les uns se trouvant moins avancés que les autres dans leur carrière et ayant peut-être moins « évolué > dans leurs réactions ; — les ouvriers de fabrication et ceux de l'entretien, ces derniers étant traditionnellement plus proches des mensuels par leur mode plus fixe de rémunération ; — le personnel d'une usine sidérurgique du Centre, d'une autre de l'Est et ceux de trois mines de fer : la progression des niveaux de salaires étant dans cet ordre, les mines de fer se trouvent donc bien davantage, par rapport au critère économique, dans la « nouvelle » situation. On constatera que la proportion d'ouvriers interrogés est forte, proportionnellement à l'univers délimité par ces catégories. La sélection a été faite, en toute indépendance, par les chercheurs qui ont procédé à un tirage probabiliste au moyen de tables de nombres prises au hasard dans les fichiers du personnel. La proportion des refus s'est maintenue dans les limites normales (entre 10 et 20 %), sauf dans le cas d'une des mines. Tableau 3. Echantillon ouvrier. Branche et région
Sidérurgie pure Est
Mines de fer Est
Entreprises
Secteur et qualification retenus
fabrication O.P. 2 et 2 fabrication O.P. 1 entretien O.P. 2 et 3 entretien O.P. 1
Univers (effectifs complets)
Plan d'échantillon
Echantillon interviews réalisées
108
25
26
77
25
25
92
25
24
44
25
22
totaux
321
100
97
abattage (fabrication) régie (entretien)
185
50
46
86
50
55
totaux
271
100
101
La conception de la recherche Branche et region
Sidérurgie mixte
Entreprises
1
Centre
Secteur et qualification retenus fabrication O.P. 2 et 3 fabrication O.P. 1 entretien O.P. 2 et 3 entretien O.P. 1 totaux
27 Univers (effectifs , . complets)
Plan .,, , .„ a échantillon
Echantillon interviews , ,. , reausees
199
25
23
175
25
24
46
25
26
24
25
18
444
100
91
Les schémas d'interview, dont plusieurs aspects essentiels ont déjà été présentés plus haut", s'articulaient de la façon suivante : Les schémas dirigeants et syndicalistes sont aussi parallèles que possible et il convient de les présenter ensemble, pour montrer la formulation de certaines questions qui tiennent compte de différences de perspective. 1. Evolution technique Les trois premiers thèmes définissant, au niveau des opérations d'enquête, la perception de l'évolution des dirigeants et des syndicalistes interrogés, sont tirés d'une réflexion antérieure. Les premières recherches dégageaient en effet les traits essentiels de l'évolution du travail dans la sidérurgie. Nous référant aux stades les plus éloignés, nous avons retenu ceux des aspects de l'évolution qui étaient en liaison avec le fonctionnement des modes de rémunération : 1 0 le passage du stade de l'influence directe sur la production à l'influence indirecte, le salaire au rendement lié à l'apport moteur de l'ouvrier ayant perdu son fondement spécifique (question 1) ; 2° le passage de la fatigue sensible à court terme, le stimulant ayant sa justification technique immédiate, à une fatigue différée (question 2) ; 3° enfin le passage d'une politique de rendement maximum, les secteurs de l'usine étant assez indépendants pour être poussés à une politique de coordination, à l'organisation de l'usine intégrée moderne demandant la régularisation plus que la maximisation, la fonction de stimulation du salaire étant reléguée, par là même, à l'arrière-plan (question 3). 10. Les trois schémas d'interview (dirigeants, syndicalistes, ouvriers) sont donnés en annexe.
Pouvoir et rémunération
28
La formulation des alternatives n'a pas posé ici de problèmes de perspective ; elle est pratiquement identique sur les deux schémas, dirigeants et syndicalistes. 2. Evolution
socio-économique
L'importance des aspects économiques est apparue dès les premiers contacts avec l'opinion industrielle. Ainsi, le coût de la main-d'œuvre, proportionnellement beaucoup plus faible qu'autrefois dans les usines actuellement fortement mécanisées, détermine ime attitude différente des directions à l'égard du coût salarial et des modes de rémunération, dont une des fonctions est d'en limiter la charge dans le prix de revient (question 4). Les prévisions sur la conjoncture, ensuite, sont traditionnellement une préoccupation majeure des responsables industriels. La masse salariale et le volume de main-d'œuvre peuvent rapidement devenir un poids trop lourd pour l'entreprise : — si une certaine élasticité salariale (question 5) ne peut être sauvegardée, la soupape automatique de sécurité étant notamment la partie variable des salaires et le statut d'horaire des ouvriers : — si ime trop grande rigidité de la main-d'œuvre ne peut être évitée (question 6), notamment par un statut d'engagement (horaire plutôt que mensuel) qui risquerait de lier l'entreprise à un personnel de production en surnombre. Traduits dans la perspective du délégué ouvrier, ces thèmes sont formulés ainsi : lorsque le coût salarial est relativement élevé, dans le prix de revient, c'est l'effort que l'usine tend à rémunérer ; aux stades modernes, lorsque cet effort est relativement faible, c'est la responsabilité qu'on tend à payer (question 4). C'est par cette formulation que nous avons essayé de toucher l'image que le délégué se fait d'un prix de revient dont ni la responsabilité ni la préoccupation ne sont traditionnellement de son ressort. L'élasticité salariale et la mobilité de la main-d'œuvre, si le délégué se place face aux variations de conjoncture, ont une signification inverse de celle qu'elles revêtent pour le dirigeant ; il peut voir un avantage dans un salaire qui varie, qui suivrait Yexpansion de la production (question 5), mais il peut aussi préférer un salaire qui n'attache pas l'ouvrier à l'entreprise (mensuel), lui permettant de profiter, en se réservant de travailler ailleurs, des différences de niveaux de salaire des entreprises concurrentes (question 6). Inversement, les alternatives touchant à la plus grande prévisibilité
La conception de la recherche
29
économique, aux variations moins grandes et moins rapides de la conjoncture dans un stade économique évolué, sont proposées par la formulation « garantie des salaires » (question 5) et attachement à l'entreprise (question 6). Dans les deux cas, un salaire non variable et même le statut non horaire paraissaient s'insérer dans la perspective syndicaliste. 3. Evolution psycho-sociologique Essayant de centrer les aspects généralement appelés « psychologiques > autour du problème du rendement et de sa liaison aux salaires, on a d'abord formulé un thème en termes d'autonomie du travailleur ou de conscience professionnelle : a-t-on besoin d'une pression salariale directe ou existe-t-il, chez l'ouvrier, un esprit de responsabilité ? En cas de « fixe », la production baisserait-elle ? (question 7). Les deux autres thèmes de ce domaine touchent par d'autres biais à ce problème de l'évolution « psychologique ». L'ouvrier comprend-il autre chose que la liaison tonnages-salaire ? Dans le cas d'un salaire relativement peu sensible aux variations de rendement, est-il à même de comprendre la marche de l'entreprise ? (question 8). Enfin, quel est le comportement du personnel ouvrier : l'ouvrier tend-il à devenir un « collaborateur > — dans un tel cas, la sanction salariale directe ne s'impose plus — ou est-ce que, dans l'atelier, la mentalité reste différente de celle des bureaux, où ce contrôle salarial n'a traditionnellement pas été jugé nécessaire? La transposition de la formulation des thèmes pour la population syndicale était ici la suivante : Les ouvriers acceptent d'être contrôlés au moyen d'un salaire proportionnel à leur production, de peur de voir ce contrôle remplacé par une maîtrise plus nombreuse (question 7) 11 : première formulation, permettant au délégué syndical de choisir l'alternative qui décrit un état de choses ancien. Seconde alternative : l'ouvrier est capable d'assurer par lui-même une production, en cas de « fixe » la production ne baisserait pas, la conscience professionnelle étant un contrôle suffisant. La formulation du thème suivant (question 8) est sensiblement la même, sans changement de perspective, alors que pour la question 9 on a placé le thème au niveau de la tactique syndicale. Si le salaire est lié à la production d'un petit secteur, la tactique ancienne et assez appréciée
11. Cette indication est issue de l'étude du train manuel de la première recherche.
30
Pouvoir et
rémunération
par bien des syndicalistes11 consiste à revendiquer secteur après secteur. L'homogénéisation du personnel à laquelle on a fait allusion dans le schéma dirigeants (« tous des collaborateurs >), qui serait sans doute renforcée par l'évolution vers des rémunérations plus fixes, voire mensuelles, représente le stade « nouveau > : à ce moment-là, le délégué pourrait « mobiliser > syndicalement l'ensemble du personnel de l'entreprise, alternative à la tactique par secteur. 4. Evolution
sociologique
Restaient à trouver des thèmes caractéristiques de l'évolution sociale dans un sens plus large, qui ne soient pas sans implication avec les problèmes du mode de rémunération, soit comme salaire, tel que l'ouvrier consommateur (question 10) le voit, soit comme instrument de rémunération souvent mis au centre de discussions entre patrons et syndicalistes (question 11), soit encore comme moyen de pression général sur les ouvriersproducteurs plus ou moins individualistes, plus ou moins groupés collectivement dans ime lutte sociale traversant entreprise et société. Le thème de la consommation a été lié à l'idée du budget ouvrier et au désir de gagner plus à certains moments, pour l'ancien stade, et au désir de stabilité, en pensant aux tendances récentes des achats de biens à longue durée, souvent à crédit, pour la seconde alternative (question 10). L'état des relations industrielles a été formulé en termes d'intérêts (intérêts-ouvriers/intérêts-entreprise), sous l'angle de la plus ou moins grande divergence d'intérêts, la liaison des tonnages et du salaire dans le mode directement variable de la rémunération étant plus logique dans la perspective de la divergence (question 11). Ces deux derniers thèmes ne diffèrent pas dans la formulation, les mêmes textes ayant pu être retenus pour les schémas dirigeants et syndicalistes (seuls les termes désignant les partenaires, directeurs ou délégués syndicalistes, correspondent naturellement à chacun des schémas). Enfin le dernier thème (question 12) essaie de saisir l'image de la société. Les dirigeants qui pensent que la « lutte des classes » est toujours actuelle sont distingués de ceux qui conçoivent les ouvriers comme des individus échelonnés sans clivages sociaux ; dans cette perspective, un certain climat de confiance peut favoriser l'adoption d'un salaire plus fixe,
12. La diffusion étendue des termes € échelle des perroquets », « tactique en accordéon », images propres au milieu ouvrier, symbolise leur attachement à cette tactique.
La conception de la recherche
31
voire mensuel. Les délégués syndicalistes, dans leur propre perspective, étaient confrontés ici avec deux formulations inverses : individualisme lié au salaire pratiqué, ou bien action syndicale collective, indice d'un stade évolué, les ouvriers « constituant une classe de plus en plus homogène >, à eux seuls ou ensemble avec les employés.
CHAPITRE I
L'état du problème dans l'opinion industrielle
I.
L'OPINION
PATRONALE
A . EXTRAITS DE PRESSE
« Le Français n'est pas joueur d'échecs, il est joueur de cartes ; il choisit les jeux où on se cache. j> [1] Les extraits retenus ici, esquissent quelques-unes des positions patronales : celles des patrons qui écrivent, qui ne cachent pas leur jeu. Π ne fait pas de doute que même une description systématique de la presse patronale n'aurait pu atteindre la représentativité. On constate que les articles ou déclarations sont plus nombreuses et plus riches dans le détail dans la presse patronale que dans la presse syndicale. Tout compte fait, la première s'intéresse davantage aux modes de rémunération et à leur évolution que la seconde. Ce sont souvent les patrons les plus résolus au changement, qui écrivent. On écrit peu pour plaider en faveur du simple maintien de l'état de choses actuel. Les publications consultées contenaient des critiques de modes actuels de rémunération. La résistance patronale au changement était rarement abordée. Nous illustrerons également les domaines « nouveaux » explorés par certains dirigeants. Il arrive que l'idée d'une lutte sociale fondamentale soit ouvertement liée à l'évolution des divers éléments qui constituent la situation industrielle. La dernière partie de ce paragraphe contiendra quelques réflexions sur ce qui doit « rester comme avant » : l'équilibre actuel des forces dans l'industrie. 1. La résistance patronale au changement Le salaire au rendement n'est plus tout à fait à la mode. Non que les dirigeants pensent transformer le but de l'entreprise. Ils ne contrediraient
L'état du problème darts l'opinion industrielle
33
pas non plus Danty-Lafrance : « Le problème de la rémunération est le plus important de tous ceux qui se posent au chef d'industrie... non seulement un élément du prix de revient, mais le stimulant essentiel de la productivité de la main-d'œuvre et, par conséquent, de la productivité des machines, du matériel, des installations » [2]. Déclarer qu'avec le salaire au rendement on a « réuni, dans le même et large sourire de satisfaction les visages du patron qui constate une augmentation de sa production et de l'ouvrier qui soupèse l'augmentation de sa paye > [3] paraîtrait cependant naïf, désormais. Dirigeants patronaux ou spécialistes patronaux laissent volontiers entendre qu'un problème d'évolution des modes de rémunération est posé. Une des associations patronales a entrepris un sondage dès 1948. Sa doctrine est orientée vers le changement. Le sondage devait donc faire apparaître jusqu'à quel point les 178 entreprises interrogées en étaient encore à des modes de rémunérations traditionnels. Les résultats ont montré un décalage certain entre la doctrine et la pratique [4] de cette organisation qui se veut d'avant-garde : 16,3 23 11,9 8,9 2,3 10,7 26,9
% % % % % % %
— — — — — — —
salaire au temps ; prime rendement individuel ; prime d'équipe; rémunération d'atelier ; participation aux résultats ; salaire proportionnel ; combinaison de plusieurs formules.
D'autres études tendent à montrer [5] que la pratique des systèmes traditionnels reste la dominante dans l'industrie française, bien que les critiques patronales elles-mêmes se fassent plus nombreuses. « Il est pourtant évident depuis quelques années que si les hommes désirent vraiment beaucoup d'argent et n'ont que cela pour but, il est bien plus simple et plus sûr, croient-ils, de l'obtenir par augmentation du salaire que par augmentation de la production. N'importe, on continue à étudier " scientifiquement " des systèmes de rémunération à primes mathématiques compliquées, qui ne convainquent ni ne trompent personne, et qui d'ailleurs ne satisfont jamais personne... L'institution de primes basées sur des temps sinon injustes du moins discutables et imprécis pour des travaux mal définis et non stabilisés. Un tel stimulant n'avait aucune chance de réussite. II avait toute chance, au contraire, de pourrir le terrain et de compromettre pour longtemps toute possibilité d'accord confiant entre l'entreprise et les salariés. » [6]
La discussion considère souvent ce qui a évolué, et d'abord l'évolution technologique qui enlèverait sa justification au salaire au rendement. Le problème de 1' « influence ouvrière sur la production > est alors au centre 2
34
Pouvoir
et
rémunération
des réflexions. On n'en serait plus à considérer que l'ouvrier « fait » la production. Son action serait « rigoureusement dirigée et canalisée par le choix des moyens, choix qui est du rôle des organes spéciaux de préparation et d'organisation du travail... L'homme n'est donc rien d'autre qu'un organe de production prévu dans le groupe pour l'exécution d'actes déterminés... ». [6] L'importance de « l'initiative des exécutants > serait en baisse. « Le bureau des temps est devenu bureau des méthodes. » [7] Cette évolution est attribuée au fonctionnement même de la rémunération au rendement dans une usine moderne. Et on arrive à la conclusion que « les économies réalisées en imposant une méthode étant beaucoup plus substantielles que celles résultant de l'initiative, la formule de prime, dont on espérait beaucoup au départ, ne constitue plus qu'un procédé accessoire permettant de maintenir le stimulant pour l'application des méthodes imposées. » [7] Certains aspects de l'évolution technique justifieraient le doute souvent exprimé à l'égard de la rémunération au rendement. On passerait de la subordination à la coordination1. L'organisation de la production prendrait un sens nouveau. On se demanderait notamment s'il est encore utile de maximiser la production des secteurs ou ateliers ou s'il faut simplement coordonner et donc régulariser, afin d'obtenir que « le flot de la production s'écoule sans à-coups, sans stockages intermédiaires et, autant que possible, sans retour en arrière ». [9] De là à souligner que « l'entreprise est une équipe » [10] il n'y a qu'un pas. C'est donc, en partie du moins, sur de tels arguments que les diverses formules d' « intéressement » du personnel sont basées. C'est l'aveu que le salaire au rendement, surtout individuel, mais même d'atelier, est dépassé par une collectivisation croissante du travail4. On parle de collectivisation de l'effort de production. A partir du moment où le problème « est d'obtenir des ouvriers un rendement régulier correspondant à celui du programme et qui dépend pour une large part des machines et de l'ensemble de l'usine... A une production intégrée doit correspondre l'intégration de l'ouvrier dans l'usine > [11], ce qui ne manquera pas de retentir sur toute la politique à l'égard du personnel.
1. Expressions de G. Lajoignie [8], 2. (Prime collective) « Je soulignerai dans le même sens (dévouement enthousiasme pour le progrès, etc.) et parce que j'en ai maintenant une déjà longue, et très favorable, les heureux effets de la participation de du personnel aux bénéfices, à l'instar de celle qui figure depuis déjà dans les statuts de notre société... » [10]
des chefs, expérience l'ensemble treize ans
L'état du problème dans l'opinion industrielle
35
Nous allons voir maintenant jusqu'où la réflexion à ces problèmes d'évolution peut conduire. 2. La perception de l'évolution industrielle Si la réponse à la collectivisation du travail et à l'abandon de la maximisation individuelle ou par secteurs conduit à la politique d'intégration du personnel, cela revient d'abord à souhaiter une collaboration à tous les étages de l'entreprise... « On doit s'attacher par l'organisation générale, par nos méthodes de gestion et de commandement à supprimer tous les antagonismes de personnes, de catégories de travailleurs, de services, de direction même. » [12] L'organisation, aussi bien que la gestion et même les méthodes de commandement sont en jeu. L'interdépendance de divers secteurs de la réalité industrielle est désormais soulignée. On attend fréquemment efficacité et apaisement de la job evaluation. « Son caractère paritaire est susceptible de développer un véritable esprit de collaboration dans l'entreprise : sa mise en application constitue un moyen de rapprochement entre le chef d'entreprise et son personnel et peut améliorer considérablement le climat du travail. > [13] Encore qu'on retrouve une même attente devant de nouveaux modes de rémunération au rendement. Ce qui est nouveau, ce sont les « précautions psychologiques » qu'il convient de prendre, au moment de l'introduction et de l'établissement des bases de ces systèmes. Il faut « que le personnel exécutant soit mêlé de très près et très directement à toutes les opérations préparatoires à l'établissement des prix ». [14] Si l'organisation technique de la production implique des prévisions à long terme et une planification, on commence également à se préoccuper de prévision en matière salariale. < Est-il plus extraordinaire de chercher à définir ce que seront les rémunérations dans deux ou cinq ans que de décider quel sera le modèle de 1960 et de prévoir sa cadence de sortie ? Pourquoi, si l'on a une politique technique, n'auraiton pas une politique du personnel ? » [15]
Enfin, la question du volume de la main-d'œuvre est posée. Le tonnage par tête d'ouvrier, dans les usines modernes, le coût de la main-d'œuvre dans le prix de revient, ne se maintiennent plus dans le cadre traditionnel. Un directeur d'une usine sidérurgique moderne considère que son « but est de n'avoir plus qu'un personnel aussi réduit que possible, soigneusement trié, orienté, adapté, instruit, sur lequel nous pourrions compter en toutes circonstances... ». [16] La politique d'intégration du personnel a donc manifestement un sens
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Pouvoir et rémunération
par rapport à la rémunération du rendement : attachement à l'entreprise, stabilisation des salaires et enfin style nouveau de relations industrielles. « On assurera au personnel, d'autant plus indispensable qu'il est moins nombreux... plus de stabilité dans les salaires et plus de sécurité d'emploi... On le traitera avec plus de considération, on l'intéressera pllus aisément à la marche de l'usine et à des méthodes de primes qui dépendent moins de son effort personnel que du succès commun... » [17] On rencontre même des avis fort avancés sur la distinction entre ouvriers et « collaborateurs ». La mentalité de l'ouvrier aurait changé ou devrait changer à cet égard. «... La distinction intempestive que la législation du travail fait entre ouvriers et collaborateurs, entre " horaires " et " mensuels " est d'un tel illogisme et d'une telle injustice qu'on comprend mal qu'elle puisse subsister. Elle est une cause de tension si évidente que je n'y insiste pas. L'ouvrier au mois, voire à l'année, travaillerait dans un esprit très différent de celui qui anime l'ouvrier à l'heure. L'embauche y gagnerait en sérieux. Engager un ouvrier deviendrait une opération presque aussi grave que d'acheter une machine. » [18] Certes, une politique d'attachement à l'entreprise et de stabilisation des salaires ne se réalise pas nécessairement à travers un changement des modes de salaires et par l'institution d'un fixe. La « distinction funeste » comme l'appelle un autre texte [19] entre ouvriers horaires et collaborateurs mensuels est encore, très généralement, à l'abri des critiques bien que certains industriels aillent jusqu'à la qualifier « d'archaïsme effroyable ». [20] Contrairement à une politique de stabilisation des salaires par le fixe, le salaire au rendement aurait l'avantage d'une plus grande élasticité. « Des moments difficiles succèdent souvent aux périodes prospères et il peut y avoir des inconvénients à consolider trop rapidement des avantages acquis. » [21] On cherche en fait des compromis : stabiliser en réduisant la proportion des primes. « Sans supprimer totalement les primes, il serait bon qu'elles ne dépassent pas un taux moyen d'environ 6 % ; le surplus devrait être intégré dans le salaire fixe. » [22] Masi alors, y a-t-il encore stimulation ? Peut-on « intéresser » les ouvriers à la production autrement que par de fortes primes, se demande un autre chef d'entreprise qui a constaté que « c'est seulement lorsque la prime atteint et dépasse 20 à 25 % du salaire que le personnel s'y intéresse ». [23] Après les problèmes d'organisation, de gestion — planification ou conjoncture — nous voici donc en plein dans les problèmes de relations humaines.
L'état du problème dans l'opinion industrielle
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Pour les uns il s'agit de surmonter la passivité. Il y aurait deux catégories de personnes, les « chefs d'entreprise et assistants » chez qui on trouve « l'attitude active par excellence, la compétition > et le personnel ouvrier, passif, par les conditions mêmes de la rémunération. [24] Selon d'autres il faudrait éviter la compétition à l'échelon individuel. « Les primes au rendement de type classique telles que le salaire aux pièces, basées sur un effort isolé, mettent souvent les travailleurs en concurrence les uns avec les autres, et contribuent à diminuer encore l'esprit d'équipe. » [25] Nous entrons là dans un domaine différent de la perception de la réalité industrielle. Celui de « l'humain », l'individu, la personne. On se demande si l'ouvrier ne s'intéresserait pas à la production « avec toute l'intelligence, nous dirons même avec tout le cœur que tout travailleur est capable d'apporter à sa tâche quotidienne » [26], à certaines conditions. Au lieu de partir de l'idée d'un ouvrier immuablement sans conscience professionnelle, « on cherche à comprendre le travailleur de la grande usine d'aujourd'hui, qui a vu les ateliers s'étendre et les bâtiments se multiplier sur des kilomètres, se trouve opprimé parce que perdu au sein d'une grande foule. La plupart du temps il ne sait faire qu'un travail sur une seule machine... effectuant jour après jour la même opération, il a perdu le sens de l'importance que présente son travail pour mille autres êtres humains. » [27] Dans la mesure où de tels raisonnements sont faits en rapport avec la politique du personnel d'une usine, ils éclairent les raisons du rejet du salaire au rendement comme moyen de pénalisation. Il y a des entreprises dans lesquelles on préfère le « contrôle pédagogique » réalisé par un salaire lié à la « comptabilité prévisionnelle » à la pénalisation, instrument de contrainte. [8] L' « humanisme » amène certains chefs d'entreprise à se poser des questions fondamentales : « ... quand les chefs d'industrie s'interrogent sur leurs responsabilités dans le mauvais climat actuel, ils ont souvent du mal à discerner ce qui peut bien justifier la réserve dont ils sont l'objet... ils n'ont pas l'impression de devoir la place qu'ils occupent au hasard ou à la brigue... En définitive, ce dont on leur fait grief (patrons en plein exercice ou cadres dirigeants, peu importe) c'est moins de tirer un parti injuste des moyens dont ils disposent... que d'être solidaires d'un système boiteux et d'un ordre réputé inhumain. » [28]
De telles réflexions sont l'indice d'une diminution de socio-centrisme, et montrent qu'une compréhension plus large du personnel ouvrier, notamment en ce qui concerne les nécessités de la consommation et du budget, n'est pas impossible.
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Pouvoir
et
rémunération
« Le personnel supporte mal une rémunération, même élevée, constituée par un taux de base moyen et une prime importante. On nous demande constamment un relèvement du taux de base... Il y a indiscutablement une recherche de sécurité qui ne parvient pas à donner même une prime habituellement élevée. > [29] « De tout temps, en effet, l'ouvrier, et ce n'est pas de sitôt qu'on pourra le changer, a dépensé au jour le jour la presque totalité de ce qu'il gagnait. Si on fait varier son salaire dans de grosses proportions, l'ouvrier, dans la période dans laquelle il pourra gagner un gros salaire, alignera automatiquement ses dépenses et son train de vie sur ce salaire. Par contre, en période de moindre production, il ne pourra avoir qu'un salaire moins important, il se considérera comme frustré et réagira parfois violemment. » [31]
Enfin, il est évident que « l'évolution sociale qui accompagne l'évolution technique et économique actuelle » tend à transformer non seulement la conception de la rémunération, mais encore à faire admettre de plus en plus que « le principe de la participation ne peut éluder celui de l'autorité •». [32] Une « évolution de la sensibilité » à l'égard de l'autorité est constatée. « L'autorité absolue, autrefois admise, qui facilitait le commandement à tous les échelons, n'est plus praticable aujourd'hui. > [33] Même si, pour certains, ce n'est là qu'une question de « dignité de l'homme » qu'on peut satisfaire au moyen d'une pseudo-participation, le champ de la discussion s'étend aux problèmes de l'autorité. « C'est uniquement de ma décision d'accepter une prime, comme de refuser un plaisir, que dépend pour moi la valeur bonne ou mauvaise de cette prime ou de ce plaisir. Mais, pour cela, cette décision d'acceptation doit être libre ou du moins garder toute l'apparence de la liberté par le consentement, la dignité de la personne étant ainsi ménagée. Or, pour cela il est indispensable de comprendre le pourquoi avant de connaître ou de subir le comment. » [34] (C'est nous qui soulignons.)
Il nous reste à montrer quelques avis touchant à l'autorité et au rapport des forces industrielles. 3. Autorité
et stratégie
d'influence
Les articles patronaux semblent aborder de plus en plus souvent le problème de l'autorité patronale. L'idée que la participation du personnel à la marche de l'entreprise ne veut pas dire codétermination est liée, une fois encore, à une réflexion sur l'évolution technique. L'industrie moderne aurait une tendance à la concentration et « ... la concentration oblige à un renforcement de la hiérarchie dans le cadre d'une organisation compliquée et ramifiée. Elle rend douteux et trompeur tout espoir d'une démocratie industrielle. » [35] La plupart des articles qui abordent les problèmes de l'autorité se placent cependant dans la perspective d'une évolution sociale. Une société
L'état du problème dans l'opinion industrielle
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et une entreprise saines seraient en harmonie et présenteraient un haut degré de coopération. Pour d'autres, évolution sociale signifie progrès social et celui-ci ne pourrait être atteint si « la personne et la famille » sont entraînées « dans l'abîme où tendrait à les jeter la socialisation de toutes choses ». Dans les deux cas, il ne peut ni ne doit y avoir partage de l'autorité. La raison profonde en est « la défense du droit de propriété que la cogestion détruirait ; ce droit dérive directement de la nature de la personne humaine ». [36] L'autorité du chef est un privilège qui implique une responsabilité. La discussion attaque indirectement la légitimité de Γ « autorité du chef d'entreprise qui prend sa source dans le Législateur suprême ». « Le remplacement de l'autorité personnelle par l'autorité collective est une façon de reconnaître la première illégitime et plus encore une façon d'éluder les responsabilités du commandement... » [37] La légitimité du pouvoir du dirigeant est parfois justifiée en des termes relativement nouveaux, notamment fonctionnels : par la jonction de direction. La base de l'autorité et aussi des conflits dans l'entreprise gardent cependant leur caractère de grave préoccupation. Certains dirigeants analysent la situation en termes de classes sociales : s'il n'était « l'hypertrophie » de l'idée de la lutte des classes, on arriverait à résoudre les problèmes de l'autorité par les relations humaines. La lutte des classes empêche de faire respecter Γ « interprétation traditionnelle du quatrième commandement, la déférence vis-à-vis des chefs ». C'est une tactique communiste qui « exploite contre un milieu restreint et en grande partie impuissant les ressources de la haine et de l'envie ». Les conflits dans l'entreprise sont encore expliqués par le fait que les classes, phénomène de ségrégation à l'extérieur de l'entreprise, sont obligées de se rencontrer dans l'entreprise. « L'entreprise est le lieu privilégié de tensions sociales d'origine économique. Parce que... c'est le lieu presque unique de rencontre des classes. » « Il n'en était pas ainsi autrefois, mais aujourd'hui la séparation des classes est un fait donné. Et le conférencier cite la vie dans les grandes villes où les quartiers bourgeois, les cinémas bourgeois, les écoles bourgeoises, les paroisses chics constituent autant de forteresses... les sports bourgeois et l'apostolat lui-même s'est, comme on dit, spécialisé. »
Enfin, il y a les syndicats, organisations toujours prêtes à s'aligner sur les traînards de la lutte des classes, sans lesquels les meilleurs éléments du patronat et du monde ouvrier trouveraient de nouvelles bases d'entente.
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Pouvoir et rémunération
Le lien entre ce débat et l'évolution des modes de rémunération apparaîtra au long des entretiens ultérieurs. Nous reproduirons d'ailleurs au paragraphe suivant, les avis de deux dirigeants rencontrés en début d'étude et qui sont très clairs à cet égard. Voici deux extraits de presse qui vont également dans ce sens : « Π est parfaitement possible d'envisager des méthodes de participation aux résultats qui respectent et même renforcent l'autorité du patron et des cadres... alors qu'une législation future a de grandes chances d'assortir cette participation de la cogestion des entreprises, laquelle soulève une légitime opposition, l'unité de commandement étant aussi nécessaire dans ce domaine que dans n'importe quel autre. » « Le débat, souvent stérile, sur les méthodes propres à intéresser les ouvriers à la productivité, masque un autre problème plus important. Beaucoup de patrons craignent que la politique de productivité ne soit utilisée pour imposer une participation excessive des ouvriers à la gestion de leurs entreprises... Ils sont disposés à récompenser les ouvriers qui ont accru la production en leur accordant des primes proportionnelles aux bénéfices. Mais ils répugnent à associer les ouvriers ou les syndicats aux opérations d'évaluation ou de répartition des primes. Ils sont encore moins disposés à discuter à l'avance leurs plans de développement avec les syndicats... »
B.
PREMIERS
ENTRETIENS
Avant d'élaborer notre schéma d'interview nous avons eu deux entretiens avec des dirigeants patronaux. Le premier nous a fait une véritable conférence, de plusieurs heures, l'autre une analyse de style quasi confidentiel. Le premier des deux entretiens, dans les mines de fer, tournait autour de la formule centrale suivante : « Le mineur de fer c'est un paysan, sans en avoir la culture, devenu prolétaire, et qui a une paye de bourgeois. »
L'ouvrier, en tant que consommateur, se trouverait dans une situation nouvelle et paradoxale. Il a de « hauts salaires et une faible éducation ». Trop peu intelligent et éduqué pour penser à l'avance à la retraite durant laquelle il ne touche pas plus qu'un quart de ses revenus antérieurs, il dépenserait tout. L'ouvrier tient à acheter « la télévision et les grosses voitures, puissantes et neuves, quitte à ne pas les utiliser ou à se jeter contre les arbres » et sa femme fait à son tour des dépenses inconsidérées « achetant des fraises pendant qu'elles sont au prix fort ». La « nouvelle classe ouvrière », « bourgeoise », se préoccuperait de prestige — « chacun veut être le coq de la cité » — garderait des attaches paysannes, le sens du goût pour les maisons avec étables, mais non celui
L'état du problème dans l'opinion industrielle
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de l'économie. Quant au style prolétaire et lutte des classes, il serait importé de l'extérieur. « La C.G.T. fait ce qu'elle peut pour apporter la lutte des classes. Il faut éviter que les ouvriers s'embourgeoisent trop. La C.G.T. leur apprend donc qu'ils sont toujours malheureux au cas où ils oublieraient de s'en apercevoir. »
Syndicalement parlant, les relations entre la direction et les délégués se dérouleraient néanmoins « dans un bon climat ». « En cas de grève, ils ne vont pas jusqu'à détruire le matériel qui les fait vivre, ils font quand même tourner la pompe à eau. » Les attitudes syndicales sont ici analysées comme des réactions à des attitudes patronales. « Si nous ne jouons pas le patron-cochon traditionnel, un climat de confiance s'installe. Il ne s'agit pas de rabioter chaque franc, n'importe comment. Si, par exemple, les ouvriers dépassent les normes prévues il ne faut pas rajuster les tarifs. » « Sociologiquement » nous dit notre second interlocuteur, « nos usines (sidérurgiques) se trouvent dans une région très arriérée, du point de vue de la mentalité ». Et il décrit, lui aussi, l'attitude des syndicats comme une « réaction » à une situation. « Il y a là-bas ce que j'appellerais vulgairement des indécrottables, aussi bien les patrons que les syndicalistes. Ce sont les conservateurs les plus bêtes et les syndicats, ce qui se comprend, les plus durs. »
Et l'analyse d'un autre dirigeant va un pas plus loin, dans ce sens : « Π ne faut pas s'étonner que dans cette région où certains propriétaires ont fait de grosses fortunes réellement sur le dos des populations, où il y a des femmes de directeurs qui promènent sur elles pour des millions de bijoux, il reste des ouvriers particulièrement agressifs. »
Enfin, face au problème du changement des modes de rémunération, ce dernier dirigeant résume ainsi la situation dans laquelle se place, à son avis, la résistance au changement des dirigeants industriels : « Il est vrai qu'il y a un gros problème, c'est celui de la sclérose. Si on enlève quelque chose dans les systèmes d'une usine, tout le reste va s'écrouler. Si on change quelque chose dans une des usines, les autres usines d'une même société peuvent être influencées. Si l'on change quelque chose dans une usine ou une société, les autres usines de la même région peuvent être influencées. Tout se tient. »
Dans l'un et l'autre des deux entretiens, les dirigeants ont donc abordé spontanément et dans des développements assez longs des dimensions sociologiques d'évolution industrielle.
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Pouvoir et rémunération
II. L'OPINION SYNDICALE
A . EXTRAITS DE PRESSE SYNDICALE
Alors que le thème des salaires est évidemment omniprésent dans la presse nationale des trois centrales syndicales, il est relativement difficile de trouver des jugements sur les modes de rémunération. L'opposition ou l'acceptation d'un certain système de rémunération n'est guère présentée sous forme de bilans complets. Les arguments que nous citerons ne sont jamais présentés tous à la fois, par aucune des centrales, même si l'addition de nombreux arguments leur paraissait probablement naturelle. Nous sommes amenés, dans un premier paragraphe, à traiter de l'aspiration au changement, puis nous citerons quelques passages qui ont paru significatifs de l'image syndicaliste de l'évolution industrielle ; enfin, le dernier paragraphe contiendra des apprécations générales de la stratégie d'influence des syndicats face à l'autorité et des arguments qui expliquent l'hésitation de certains syndicalistes, face au problème du changement. 1. L'aspiration syndicale au changement Le changement de perspective, entre presse patronale et syndicale, ne se manifeste pas seulement par un accent sur les raisons de l'aspiration au changement des modes db rémunération. On y trouve également des commentaires qui montrent que ce système de rémunération est loin d'être toujours mis en cause en tant que technique de rémunération. La perspective de la presse syndicale c'est d'abord l'accent mis sur l'individu plutôt que sur le fonctionnement et les résultats obtenus par le système ; les syndicats se sentent responsables de l'ouvrier plutôt que de la production. C'est ensuite l'interprétation de la situation — du régime économique et social — selon laquelle ce n'est pas le système de rémunération qui serait particulièrement condamnable, mais ce qu'il devient dans le régime social actuel. Deux thèmes reviennent très fréquemment dans la presse des trois organisations syndicales : le salaire au rendement produit une trop grande fatigue ; il amène à augmenter le taux des accidents. L'un et l'autre de ces thèmes touche à l'intensité de travail : sans prétendre que l'augmentation du rendement ne puisse provenir que d'une augmentation de l'intensité
L'état du problème dans l'opinion
industrielle
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du travail, de nombreuses remarques sont dirigées contre le principe de la liaison du salaire et du rendement parce qu'il amènerait à une fatigue excessive de l'ouvrier. [Syndicalisme, C.F.T.C., 6.4.1946, tribune des lecteurs, « Travail aux pièces ou à l'heure » ; Le Peuple, C.G.T., 21.2.1951, à propos de la Convention collective du textile. La C.G.T. a refusé de signer cette convention, la clause incriminée se rapporte au salaire au rendement : « Le rendement normal se définit par rapport au rythme optimum qu'un salarié normalement constitué, qualifié et entraîné pour l'emploi peut soutenir pendant la durée normale de travail en libérant toute son activité, cette activité pouvant être maintenue dans le temps, sans qu'il en résulte une altération des facultés physiques ou intellectuelles de l'intéressé... » Force ouvrière, 30.3.1950 (Hureau) : « Cette méthode (le salaire aux pièces) offre, évidemment, les plus grandes facilités pour l'exploitation individuelle des travailleurs qui, attirés par la nécessité et la possibilité d'augmenter leur gain, s'épuisent à la tâche... »]
L'accroissement de l'accidentalité est lié à l'idée centrale des « cadences infernales » : le salaire au rendement y pousserait, soit très généralement parce qu'il comprend le principe du stimulant, soit plus spécifiquement parce que le système de salaire comporte certaines imperfections (normes, tarifs, etc.). [Le Peuple, C.G.T., 1.3.1953, à propos d'une recommandation du B.I.T. sur les salaires au rendement : « Les recommandations du B.I.T. sur la sécurité sont non seulement inefficaces, mais font le jeu du patronat. La cause profonde des accidents, c'est le rythme exagéré du travail... les ouvriers ne pourront lutter efficacement contre les cadences infernales que dans la mesure où l'existence de salaires de base honteusement faibles ne les obligera pas à essayer de compenser cette insuffisance initiale par le jeu des primes... »]
Les autres points soulevés dans la discussion se rapportent à l'évolution industrielle telle qu'elle est, le plus souvent implicitement, souhaitée. Il s'agit moins de critiques du mode de rémunération en tant que tel, mais de critiques plus larges, principalement en termes de régime économique. 2. La perception de l'évolution
industrielle
Si la perspective syndicale ne considère guère le fonctionnement du système de rémunération dans ses rapports avec celui de l'entreprise, elle contient souvent des idées sur l'évolution socio-économique. Le salaire au rendement permettrait de faire quelque peu participer l'ouvrier à l'accroissement de la productivité et inciterait à un développement économique du pays, profitable à toutes les classes sociales. Le premier de ces points est communément appelé l'intéressement
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Pouvoir et rémunération
des travailleurs à la productivité ou encore aux profits de l'entreprise. Le second est assez rarement traité et il faut replacer la citation de 1947 (Le Peuple, déclaration commune C.N.P.F.-C.G.T.) dans son contexte historique particulier. * [Force ouvrière, 29.8.1946 (Chonion) : « Le salaire aux pièces est plus facilement admis par les ouvriers parce que plus honnête, car il récompense les ouvriers dans toutes les unités de leurs efforts... »] [Syndicalisme, C.F.T.C., 6.1952 (Levard) : en faveur d'un salaire proportionnel où les primes sont en relation avec le chiffre d'affaires.] [Le Peuple, 19.7.1947, déclaration commune C.N.P.F. — C.G.T. du 16.7.1947 : « ... amélioration de la situation des salariés au fur et à mesure qu'augmenteront la production et la productivité du travail. La C.G.T. et le C.N.P.F. rechercheront en commun les méthodes de travail permettant d'augmenter la production et le rendement sans mettre en péril la santé des travailleurs. Les travailleurs bénéficieront directement de primes chaque fois que, par leur effort, ils auront porté la production à un niveau plus élevé. »]
La théorie de la plus-value reste une des références de base. C'est d'abord une critique générale de certains types de rémunération au rendement « à caractère psychotechnique (Taylor, Rowan, Bedeaux et autres) qui... aboutissent à payer de moins en moins des efforts de plus en plus grands » (Le Peuple, C.G.T., 3.10.1949). C'est plus particulièrement la condamnation des salaires sous-proportionnels. [Force ouvrière, 29.8.1946 (Chonion), « Le salaire moderne incite l'ouvrier à un effort exténuant (tout comme le salaire aux pièces) : mais en plus, la prime est toujours inférieure à l'excédent de production. On peut affirmer que l'ouvrier est volé méthodiquement par un plan prévu à l'avance. »] [Le Peuple, C.G.T., 9.1.1952 (Blondeau), « En septembre 1947, le rendement moyen individuel pour le fond était de 1 300 kg en Lorraine. Le glissement pour les travailleurs à la tâche était à 1 587 ; le salaire moyen payé aux ouvriers à la tâche était de 58,7 % supérieur au salaire de base. Actuellement le rendement moyen individuel est passé de 2 000 kg et le glissement est de 1 404 : le salaire moyen à la tâche, par contre, n'est que de 40,4 % supérieur au salaire de base... La production a augmenté de 53 %, le salaire à la tâche a baissé de 18,3 % et nous ne parlons pas de l'augmentation des prix, de loin supérieure à l'augmentation des salaires de base. »]
Quant à l'intérêt que présenterait l'incitation à la production pour le développement du pays, il s'exprime conditionnellement, sous réserve que le salaire au rendement profite également à tous. [Le Peuple, C.G.T., position officielle au 15.3.1947 : « ... le développement de la production et l'amélioration du rendement sont les conditions essentielles du 3. Les références au « développement » se sont probablement multipliées depuis l'époque de cette étude (1960).
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redressement du pays. La classe ouvrière ne saurait cependant poursuivre son effort de production pour le seul profit des industriels et des spéculateurs. Les primes de production et au rendement... encouragent, en le rémunérant, l'effort individuel ou collectif de productivité de rendement ».]
Il ne semble pas qu'on doive parler d'un refus de tout système au rendement. Si le salaire sous-proportionnel est souvent critiqué, le salaire directement proportionnel est admis par certains syndicalistes. [Le Peuple, C.G.T., 8.6.1946 : « Le travail exécuté en sus des nonnes devra être payé intégralement et aux taux fixés pour le travail normal. Seront exclus du calcul des primes tous systèmes ayant pour résultat de frustrer l'ouvrier d'une partie du salaire de son travail supplémentaire (systèmes Taylor, Bedeaux, Rowan et autres »).] [Syndicalisme, C.F.T.C., 1.5.1946 : conclusion d'un article : « Si le salaire au rendement n'est pas en principe inéquitable, si le travailleur doit être intéressé à l'effort qu'il déploie, il reste certain, que des réserves expresses et des barrages formels doivent être apportés...]
Les garanties exigées expriment souvent très clairement la crainte des rajustements des normes et des tarifs ; il ne s'agit pas toujours d'un rejet du principe ou du fonctionnement des modes de rémunération au rendement. [Syndicalisme, C.F.T.C., 7.4.1945 : « Lorsque les travailleurs sont intéressés à la production par des primes au rendement, par un salaire à la tâche, on voit parfois augmenter le nombre de pièces sorties... certains travailleurs, guidés par le besoin, se claquent littéralement avec en contrepartie une diminution du tarif déterminé pour chaque pièce, ou du temps accordé par le service technique. »] [Force ouvrière, 17.4.1957 (Bothereau) : « Le salaire au rendement n'a été trop souvent qu'un moyen usité par l'employeur pour pousser à une production accélérée, parfois à une cadence dépassant toute limite raisonnable, par l'appât d'un gain supplémentaire. Puis venait à peu près infailliblement une révision des tarifs remettant en cause les salaires de base. Le travailleur, trop souvent échaudé, peut valablement faire à ce propos une comparaison avec le lévrier à la poursuite du lapin en peluche. »]
3. Stratégie d'influence et autorité Si les syndicats ne condamnent pas en bloc tout salaire au rendement, c'est aussi dans l'idée que les ouvriers ne seraient pas tous prêts à le refuser. [Le Peuple, C.G.T., 15.2.1958 : « Ces modes de rémunération — qui aggravent l'exploitation — se traduisent dans l'immédiat par une augmentation apparente de la rémunération. »]
Une fois introduits, les salaires au rendement sont dangereux dans ce sens que l'ouvrier serait dans l'impossibilité de comprendre ce qui se passe.
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Pouvoir
et
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Et la discussion entre délégués ouvriers et représentants patronaux serait rendue d'autant plus difficile. « Obscure », « complexe », par l'apparence scientifique ou mathématique, la rémunération au rendement diminuerait l'influence des syndicats, en décourageant la discussion et même la prise de conscience claire de la situation (Le Peuple, C.G.T. 16.5.1951, dans « Une fiche de paye »). [Résolution du Comité confédéral national C.G.T. — F.O., 5-6 novembre 1960 ; le Comité recommande : « la simplification des systèmes de rémunération avec intégration de certaines primes dans les taux de base ».]
La stratégie patronale consisterait à utiliser le salaire au rendement pour diviser la collectivité ouvrière — « diviser pour régner » — argument qui sous-tend de nombreux articles (dont on se contentera de citer trois références). [Syndicalisme, C.F.T.C., 1.5.1946 : dans « Le salaire au rendement appelle certaines réserves » ; Force ouvrière, 30.3.1950 : « ... exploitation individuelle des travailleurs... qui se désolidarisent de leurs camarades... » Le Peuple, 1.7.1959 ; « Inclusion dans les salaires et traitements des primes qui, en fait, constituent une partie importante du salaire à la discrétion du patron, qui s'en sert pour assujettir plus durement les travailleurs à sa loi, rétablissant dans les rapports entre salariés et patronat l'antique système des amendes. »]
La revendication gestionnaire, contre les décisions unilatérales, n'a rien d'étonnant dans ce contexte. Qu'il soit question de cadences, de tarifs, parfois de formules de rémunération, plus fréquemment de fatigue et de sécurité, ces critiques touchent moins au principe central du système au rendement qu'à la décision unilatérale. [Le Peuple, C.G.T., 1.6.1951 ; résolution du 28* Congrès qui les temps et les tarifs soient fixés et, le cas échéant, révisés, délégués du personnel et les représentants de l'organisation 20.6.1961 : « Dans l'immédiat, suppression de toutes mesures traires conditionnant l'attribution des primes. >]
demande... : .« que en accord avec les syndicale » ; ibid., restrictives et arbi-
B . PREMIERS ENTRETIENS
Nous avons complété la lecture de la presse syndicale par des interviews de responsables nationaux des syndicats, de spécialistes proches des milieux syndicaux. Nous avons également profité de journées d'information C.E.C. A. pour nous entretenir avec des permanents locaux. Les images de l'évolution industrielle recueillies complètent l'analyse de la presse ; ces entretiens ont davantage mis l'accent sur la lutte d'influence dans l'industrie que les articles de presse.
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L'aspiration au changement des modes actuels est, bien sûr, présentée comme une aspiration syndicale. Les syndicalistes n'abordent pas volontiers les désirs ouvriers spontanés4. Us entendent discuter des nécessités de la protection de l'ouvrier contre le salaire au rendement. L'un de nos interlocuteurs n'hésitait pas à soupçonner ouvertement les ouvriers de tenir au salaire au rendement, contre leur intérêt bien compris. « Le salaire au rendement ? Les syndicats ont toujours été contre, les ouvriers ont toujours été pour. Les ouvriers avaient des petits trucs qui rendaient le système supportable et désirable. s>
Un autre cita les jeunes qui auraient le goût — et des motivations économiques pressantes, outre l'énergie nécessaire — de la « débrouillardise individuelle » des efforts payants grâce au salaire au rendement individuel. Ce furent néanmoins là des remarques isolées et le doute sur l'étendue d'une revendication ouvrière anti-salaire au rendement devait s'avérer, au moment de notre sondage, comme peu fondé, du moins dans les branches considérées. C'est le niveau du salaire qui intéresse ; les trois responsables nationaux consultés l'ont souligné. On ne discuterait guère les modes de calcul, mais bien le « volume de la prime ». Si l'ouvrier ignorait le plus souvent le fonctionnement des modes de rémunération, les syndicalistes ne le comprendraient que partiellement à leur tour. Plusieurs de nos interlocuteurs ont insisté sur le fait que « les systèmes de salaires, c'est une chasse gardée, on ne montre pas les éléments ». Les syndicats ne peuvent se procurer les informations précises sur les salaires presque uniquement par « les moyens du bord » La perception du changement des modes de rémunération, chez le syndicaliste, serait donc souvent une interprétation de la situation : comment patron et ouvriers se comportent-ils face à la rémunération au rendement ? La question du fonctionnement du système en tant que tel semble très académique. Nos interlocuteurs ne font que rarement allusion à l'évolution technique, alors que les raisonnements sur l'évolution économique ne manquent pas. Ensuite et surtout la tactique revendicative de l'adaptation du syn4. « Les ouvriers s'intéressent surtout aux montants. Cela se comprend. Comparez les fiches de paie de 1938, 48 et 49. Les salaires ont augmenté de 23 fois alors que le prix des tôles a augmenté de 60 fois ; les prix de revient français sont les plus faibles de l'Occident. » 5. Et certains dirigeants syndicalistes seraient condamnés à < vivre tur leur expérience d'usine qui date d'il y a vingt-cinq ans ».
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dicat au salaire variable pour en utiliser les ressources a paru intéressante et les commentaires, exprimés presque dans les mêmes termes par plusieurs interlocuteurs. Enfin, l'évolution sociale conçue dans le sens d'une transformation collective est un sujet de préoccupation ; les syndicalistes, davantage sensibilisés encore que les auteurs d'articles de presse patronale, à ces problèmes, pratiquent une certaine sociologie, exprimée surtout en termes de classes sociales. Pour eux la réflexion sur les modes de rémunération est inséparable d'une interprétation des stratégies. La stratégie d'influence et l'autorité sont au premier plan dès que la notion de stimulation est discutée. Aux anciens trains, le stimulant pouvait jouer. Les syndicalistes indiquaient aux ouvriers qu'augmenter la production pouvait entraîner le rajustement des tarifs. Pour briser la résistance, des primes-record furent installées et eurent le même effet qu'autrefois les tonneaux de bière (« les gars, si vous me faites tout, le tonneau est à vous »). Dans une usine sidérurgique moderne, dit un permanent régional, le système est techniquement plein d'absurdités. On ne peut plus accélérer la production, on casserait tout, et dans l'entretien c'est « quand il y a de la casse que nous travaillons le plus et c'est là que nous gagnons le moins », donc on évite les incidents de toute manière. Le stimulant, dans une usine moderne, « n'a plus de sens : ni dans les hauts fourneaux, ni dans le blooming, les ouvriers n'ont d'influence sur la cadence ». Dans quelques secteurs, les primes « ont marché, mais les gens ont été roulés : le patron a réajusté les tarifs ».
III. L'OPINION SUR L'ÉVOLUTION OUVRIÈRE Notre propos n'est pas d'étudier les transformations de la condition ouvrière. La discussion sur la « nouvelle classe ouvrière » n'était toutefois pas sans incidence sur notre conception du problème". L'un des buts de cette partie de l'étude devait être la description de l'attitude ouvrière face au mode de rémunération. L'existence d'une aspiration au salaire fixe, si elle se précise, demandait à être expliquée. Elle ne manquerait pas d'être interprétée chez les acteurs sociaux euxmêmes, par référence à une évolution de la classe ouvrière traditionnelle. Un minimum d'étude sur les attitudes que la catégorie des ouvriers « les plus évolués » devait donc compléter cette recherche d'autant plus que
6. Nous citerons plus loin quelques articles caractéristiques.
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les stratégies patronales et syndicales se fondent sur une certaine représentation de l'évolution ouvrière. On s'accorde généralement à penser que les ouvriers les plus qualifiés des secteurs modernisés de l'industrie surtout, et qui ont aussi dans une large mesure les plus hauts salaires, constituent une catégorie particulièrement exposée à un changement d'orientation à l'égard de l'entreprise et de la société globale. C'est donc par rapport à cette catégorie d'ouvriers qui est aussi celle où on devrait trouver le plus nettement exprimée l'aspiration au salaire fixe que nous pouvions aborder les problèmes soulevés par les transformations du travail, de la situation économique et de la société. Nous pouvons, en particulier, toucher au problème de la mobilité individuelle ou collective, et à celui de l'intégration sociale par la participation. La situation de travail a changé, l'ouvrier se trouve face à des installations mécanisées. Il garde peut-être certains traits de l'artisan dans les anciens laminoirs, mais s'en éloigne dans l'atelier sidérurgique moderne et dans les mines de fer, assez fortement mécanisées et organisées. C'est d'ailleurs bien l'organisation du travail qui a changé la situation de travail en enlevant à l'ouvrier une bonne part de son autonomie. L'ouvrier qualifié se rapproche du technicien. Dans deux usines visitées, une dizaine d'ouvriers professionnels ont tant de responsabilité que la direction tient à manifester qu'ils passent dans ime catégorie de « blouses blanches », les oblige à porter la cravate, et les a mensualisés (« appointés >). La tendance est à la collectivisation du travail, à l'insertion dans un système fonctionnel d'organisation, à la qualification technique et à la responsabilité. Quant à la situation économique, elle a certainement changé pour, pratiquement, tous les ouvriers du fait de la production de masse. Les ouvriers les plus qualifiés atteignent un niveau de revenu qui leur permet d'accéder largement à la consommation de masse. L'équipement ménager des ouvriers les mieux situés égale celui des classes moyennes ; T.V., véhicule, dans certains cas une voiture, vacances. Ces biens sont une forme nouvelle de participation à la vie sociale. Il se peut dès lors que Yorientation sociale de l'ouvrier ait également changé. Peut-être conçoit-il moins souvent la situation ouvrière comme une condition à part. La vision d'une société divisée peut avoir fait place à l'image d'une société intégrée, en forme d'échelle continue. L'ouvrier se trouverait placé aux premiers échelons d'une hiérarchie, mais accroché néanmoins, plutôt que mis de côté ou se voulant à part. Une telle évolution sera probablement le fait d'une minorité. L'aspiration au changement des modes de rémunération serait-elle également
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le fait d'une minorité ? Est-elle, au contraire, une revendication d'une zone entière de la population ouvrière, par exemple des O.P. de toute une branche de stade technique avancé ? Si la discussion autour de l'évolution de la classe ouvrière a pris la tournure d'un débat, ce n'est pas tant au niveau sociographique des transformations du travail ou de la consommation, mais surtout autour des changements d'orientation sociale des ouvriers. L'ouvrier professionnel constate peut-être, dans son actuelle situation de travail, une augmentation de sa responsabilité ; sa contribution à la production se situe peut-être davantage du côté des « compétences » que de « l'effort » ; les problèmes du rendement peuvent apparaître à cet ouvrier en termes techniques et organisationnels et non plus d'influence sur la production ; enfin, il compare peut-être la sécurité de son salaire à l'égard des baisses des primes et d'horaire ou encore son prestige social dans l'usine à celui des mensuels. Peut-on pour autant conclure que son aspiration au salaire fixe soit ime volonté de devenir « collaborateur » dans tout le sens de ce terme ? Si les ouvriers économiquement les mieux situés participent à la consommation de produits matériels et culturels de masse, type classe moyenne, cette participation socio-économique entraîne-t-elle pour autant le désir de s'intégrer à l'entreprise sous sa forme actuelle ? Telles sont les questions qu'on peut encore formuler, plus généralement comme une interrogation sur l'évolution. Est-ce que les transformations de la situation de travail et du statut socio-économique amènent à une plus grande participation, vont-elles de pair avec une aspiration à l'intégration et jusqu'où s'étend une éventuelle tendance à l'intégration ? H se peut que ces ouvriers « évolués » qui revendiquent un salaire fixe et peut-être mensuel aient tendance : — à se représenter des distances sociales moins grandes entre euxmêmes, avec les contremaîtres, les employés, les ingénieurs et les directeurs ; — à placer tout le monde, les différents statuts et les différentes couches sociales, sur une même échelle hiérarchique ; — à accorder moins d'importance à la dichotomie de la propriété des instruments de production et du pouvoir. Nous avons donc pensé qu'une enquête auprès d'une population d'ouvriers situés dans cette zone stratégique des éléments avancés pouvait apporter des données éclairantes.
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RÉFÉRENCES
Presse 1. H. W. Ehrmann, La Politique du patronat français (1936-1955), trad, abrégée de l'anglais, Paris, Colin, 1959. 2. Danty-Lafranee, revue de la C.E.G.O.S., 1944. 3. Maurice Cliquet, Politique de rémunération et d'intéressement, Ed. de l'Entreprise moderne, Paris, 1959. 4. C.E.C.A., Informations sur les systèmes de liaison des salaires à la production et à la productivité, t. I : Sidérurgie, et t. II : Mines de fer, 1959. 5. Centre Jeunes Patrons, avril 1948, p. 30 et sq. 6. Georges Ville, dans Usine Nouvelle, « L'homme et l'entreprise », décembre 1958, p. 1-9 et décembre 1959, p. 5. 7. De Bayser, S.N.C.A.S.O. 8. Guy Lajoinie, cours donné à l'I.S.S.T., chap. 3, « Les services du personnel ». 9. Michel Gochtouh, ancien chef des travaux chez Citroëen, < Uniformisation de la production ». 10. M. Grandpierre, vice-président, Société des Fonderies de Pont-àMousson, Usine nouvelle, janvier 1960. 11. S. Leornardi, Rapport à l'Institut Gramsci, prép. 8e Congrès du P.L.I. 12. Lefaucheux, circulaire aux cadres, 1954. 13. Centre Jeunes Patrons, mai 1953, p. 41 et sq. 14. M. Villey, directeur du groupe des industries métallurgiques, mécaniques etc., de la région parisienne. 15. D. Dugue MacCarty, (S.N.E.C.M.A.), Centre Jeunes Patrons, février 1956, p. 17 et sq., « Les accords d'Entreprise ». 16. G. Langlois, directeur Lorraine-Escaut, Thionville, décembre 1954. 17. A. de Vathaise, Machinisme et condition ouvrière, mars 1952, p. 104. 18. De Longevialle, délégué général, Acadi, décembre 1953. Même opinion sur la € funeste distinction » entre mensuels collaborateurs et ouvriers : L. de Mijolla, « 25 ans d'évolution sociale », Acadi, octobre 1959.
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20. Henri Migeon, directeur général Télémécanique, discussion de la commission < Unité dans l'entreprise », C.J.P., septembreoctobre 1954, p. 44. 21. Ch. Lucien, Ibid. (15). 22. J. Kohler, Ibid. (15). 23. Revue Droit Social, mars 1952, p. 165. 24. H. Dubreuil, C.J.P., juillet-août 1952, p. 45 et sq. 25. F. Pinoncelly, C.J.P., juillet-août 1952, p. 45 et sq. 26. J. Dufour, « Productivité et climat social », Acadi, p. 180. 27. J. Stilvael, président Warner et Swasey Ltd., C.J.P., février 1954, p. 54. 28. « Rapport sur Y Acadi », C.J.P., mars 1954, p. 84-86. 29. Un cadre d'une entreprise moyenne, Union sociale des ingénieurs catholiques. 31. M. Ladreyt, directeur-administrateur Kodak-Pathé. 32. Mme S. Perrin, revue Technique de la direction et de l'organisation des entreprises, avril 1959, p. 37. 33. Travaux et méthodes, octobre 1952, « le Climat social dans l'entreprise ». 34. G. Ville, Usine nouvelle, printemps 1959, « Pouvoir économique et définition des élites ». 35. M. Demonque, C.J.P., septembre 1953, « Réflexions sur la civilisation moderne ». 36. R. P. Boyer, journal Professions du C.F.P.C., novembre 1957. 37. Editorial non signé, journal Professions, 7 juillet 1956. Articles sociologiques P. Chombart de Lauwe, « Y -t-il encore une classe ouvrière ? », Action populaire, février 1960. J. Lecaillon, « Critères économiques de stratification », Action populaire, janvier 1959. S. Mallet, « La compagnie des machines Bull », Les Temps modernes, février-mars et avril 1959. S. Moscovici — F. Columelli, « Aspirations économiques des travailleurs », Bulletin C.E.R.P., octobre-décembre 1957.
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P. Naville, « Quelques aspects des changements dans la structure de la classe ouvrière », Perspectives socialistes, février 1959. A. Touraine, « Evolution du travail et conscience collective >, Action populaire, janvier 1959. Cercle culture et politique, numéro spécial de la revue Arguments : « La classe ouvrière, mythes et réalités » ; A. Touraine et autres articles. Articles syndicalistes et politiques A. Barjonet, « Rapports de production et classe ouvrière », Cahiers internationaux, juillet-août, 1959. C. Guichard, « La transformation de la conscience de classe », Perspectives socialistes, juillet 1959. M. Grégoire, « Sucres d'orge pour bons ouvriers : le néo-capitalisme en Moselle », Perspectives socialistes, avril 1957. G. Letourneur, « L'ouvrier dans l'entreprise moderne », Voies nouvelles, avril 1959. R. Roelens, « Le capitalisme et l'aliénation de l'homme », Cahiers internationaux, février 1960. F. Vigne, « La " Télémécanique " est-elle le prototype du néo-capitalisme ? », Perspectives socialistes, janvier 1958.
CHAPITRE II
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I. LA STRUCTURE DES RÉPONSES Une collection de citations illustrera jusqu'à quel point les dirigeants patronaux (directeurs locaux, directeurs administratifs, chefs du personnel) ont répondu d'une façon à la fois semblable et différente aux thèmes qui leur avaient été présentés. S'il est impossible de demander aux cadres dirigeants de s'astreindre à la discipline fastidieuse d'un questionnaire standardisé, il est même souvent difficile de présenter ne serait-ce qu'un simple schéma de thèmes. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner que les réponses obtenues, soit effectivement sur présentation écrite de ce schéma, soit au cours d'un entretien souvent assez vaste, n'aient rien de nettement standardisé. On s'étonnera, bien au contraire, de la similitude de ton et d'expression qui a été effectivement rencontrée. Un classement des réponses, s'il n'était pas toujours aisé et comportait certainement une marge d'erreurs, comme d'ailleurs les codages des questionnaires standardisés, était cependant possible. Π ne faut pas oublier que des comptes rendus d'entretiens de quinze à vingt-cinq pages dactylographiées permettent de saisir le sens général de l'entretien et d'en faire bénéficier l'analyse des réponses détaillées. Les citations proviennent de l'ensemble des cinquante-deux dirigeants interrogés \ Les chiffres entre parenthèses sont des numéros d'ordre de nos dossiers, nous les indiquons pour rappeler que les citations sont extraites d'entretiens différents. H aurait certes été utile de noter la position hiérarchique des répondants (directeur, chef du personnel, etc.), mais nous y avons cependant renoncé pour respecter notre engagement d'anonymat.
1. On verra ultérieurement que les analyses (par région et branche industrielle, etc.) ont été faites sur la base des interviews les plus complètes, c'est-à-dire sur 38 cas, quelques dirigeants n'ont pas commenté tous les thèmes et ont été écartés de l'analyse.
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A. ÉVOLUTION TECHNIQUE
1. Influence ouvrière sur la production * Ce premier thème a suscité des commentaires particulièrement riches. C'est dans le sens de la permanence de l'influence ouvrière sur la production que la plupart des dirigeants se sont exprimés. L'ouvrier peut encore augmenter ou diminuer la production, en accélérant ou en ralentissant la cadence, en supprimant ou multipliant des temps morts tolérés par l'organisation du travail. Il est rare qu'un dirigeant considère que l'évolution de la situation technique ait amené à l'influence de « surveillance », les ouvriers n'ayant plus pour fonction que de maintenir la production au niveau prévu — par l'ingénieur et le bureau des temps et méthodes — et que l'essentiel de son apport consiste à éviter une baisse de la production (voire une hausse) en observant strictement les consignes de travail. A. La permanence de l'influence directe, « initiative >, de l'ouvrier a été exprimée dans des formules assez diverses. — « A l'échelle de notre entreprise, l'influence de l'ouvrier sur les variations de production reste très forte... » (22). — « L'ouvrier a une forte influence directe... > (6).
L'expérience de nos entretiens avec les dirigeants a montré combien rares sont ceux qui parlent en termes purement techniques. Des commentaires se réfèrent à l'influence directe en indiquant que la prime reste stimulante. La mise en place d'une prime au rendement aurait (37) provoqué, pour une augmentation de salaire de 30 %, une augmentation de production de 375 %. Dans une autre usine, l'introduction d'une prime de record (« le paquet de tabac >) aurait permis à la direction d'apprécier la capacité de production d'une installation (10). L'affirmation de l'influence sur la production est donc faite à travers un raisonnement sur le fonctionnement du mode de rémunération. Quelques commentaires se réfèrent également à la prime, mais dans un tout autre sens : elle fait office de contremaître ; elle oblige les ouvriers à utiliser leur marge d'influence. 2. Nous rappelons au début de chaque paragraphe les alternatives qui guidaient l'entretien ; les deux premières du schéma étaient ainsi formulées ; A. influence plutôt directe : l'ouvrier a une assez forte influence sur la production, il a un rôle moteur; B. influence plutôt indirecte : « surveillance » (prévention d'incidents).
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Cela dit, l'affirmation de l'influence initiative peut se faire plus directement : il suffirait d'observer les variations de la production (intra- ou inter-installations, ou encore entre individus, entre groupes, voire entre régions). — « I l existe une compétition certaine entre les trois équipes. Lorsqu'une équipe s'aperçoit que les autres se donnent moins de peine, elle réagit contre elles... (prime collective) » (3). — < A conditions techniques, travail et barèmes identiques, ceux d'ici ont atteint une production de 30 % inférieure. » Plusieurs régions se réfèrent à des références régionales.
Observer les résultats de la production, c'est aussi constater que les ouvriers exercent une influence lorsqu'ils limitent les variations ou arrêtent l'augmentation de la production. Plusieurs commentaires indiquent clairement quelles sont les possibilités de freinage surtout lors de la mise en place d'un nouveau système de primes. — « Les ouvriers règlent eux-mêmes leur travail... Il s'établit toujours une sorte d'équilibre entre une paye donnée et le travail correspondant... A cela il n'y a rien à faire, l'ouvrier réglera toujours sa vitesse » (15). — « L'ouvrier règle sa cadence lui-même » (34). — « Les gens se fixent une norme, en général de 30 %, 20 minutes sur l'heure et ils tâchent de s'y tenir ; les temps alloués, en fait, ce sont les hommes qui les font » (37). — « Freinage pendant l'établissement des temps et puis après, salairesrecord... » (17).
On ne s'étonnera pas que les réponses citées jusqu'ici ne fassent pas allusion à l'évolution technique. Elles expriment la permanence du statu quo. Il peut paraître plus surprenant de voir surgir l'argument inverse : un certain progrès de la mécanisation peut augmenter l'initiative des ouvriers. — « L'influence de l'ouvrier a augmenté, avec la précision et la vitesse des outils » (37). — « Dans les laminoirs manuels, les lamineurs n'étaient pas maîtres de leur production... le maximum était limité par la capacité de certains fours... L'évolution technique a permis au contraire, une plus grande souplesse j> (15).
AB — Nous avons été amenés à classer certaines réponses dans une catégorie intermédiaire : celles qui font simplement allusion à une tendance de l'évolution (réponses classées AB). Les réponses qui se réfèrent ainsi à l'évolution soulignent l'importance de l'influence ouvrière. Celle-ci continue à exister mais elle serait en train de diminuer. D'autres « facteurs » seraient désormais au premier plan dans certains secteurs.
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Une évidence trop rarement mise en vedette dans les analyses de l'évolution industrielle : beaucoup d'usines sont hétérogènes du point de vue de leur « stade > technique. — « L'ouvrier a une assez forte influence, mais dans quelle proportion, ça dépend des secteurs » (32). — « A part l'usinage, il reste une influence importante au parachèvement, aux laminoirs, un peu moins dans les forges » (13). L'hétérogénéité se constate même à l'intérieur d'un même secteur ou d'un atelier, ce qui explique pourquoi certains systèmes de rémunération sont différenciés selon des « classes d'influence », ce qui témoigne de l'intérêt porté à ce problème (trois cas). Pensant aux secteurs, sous-secteurs, ou catégories de postes « en pointe >, certains répondants décrivent ces nouveaux stades, en soulignant la dépendance à l'égard du processus technique. — < Un laminoir à fil : tout passe à la même vitesse dans ce train... » (10). — « Nous avons établi ici un dispositif automatique de détournement qui marche d'après un chronomètre et défourne, par exemple, toutes les 47 secondes » (un ingénieur d'atelier, 29). — « C'est l'outil qui commande » (25). — < Aux hauts fourneaux, le programme est fixé à l'avance ; il faut, par exemple, faire 1 200 tonnes par jour. C'est obligé, on ne peut faire ni plus, ni moins. » Certains répondants semblent même considérer que cette évolution est déjà assez avancée. « Bien sûr, la technique enlève à l'ouvrier de son influence personnelle. Il n'y a plus que de rares secteurs — et qui disparaîtront — qui fassent encore exception... (c'est-à-dire) où les ouvriers soient maîtres de leur vitesse... » (38). Mais voici dans les grandes lignes pourquoi l'influence directe de l'ouvrier semble nettement perdre de l'importance. 1. Les améliorations rôle important.
techniques,
de plus en plus fréquentes, jouent un
— « Ce sont surtout les modifications techniques qui font varier la production... Le rendement c'est le produit d'une installation technique bien au point » (30). — « Si nous arrivons à faire davantage de coulées... c'est moins aux hommes que nous le demandons qu'aux techniciens » (15). — « On a fait une étude technique de ce travail, 1 500 heures furent initialement prévues... le temps a pu être abaissé de 800 heures » (19). 2. Les améliorations de l'organisation du travail gagnent en importance. — « L a seule chose importante c'est que les ouvriers exécutent certaines consignes, un point c'est tout. La productivité c'est par l'organisation du travail que nous la faisons » (38).
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— « L a cadence, c'est pour beaucoup une question d'organisation et non pas de bonne volonté de la part des ouvriers... Je voudrais arriver à faire des réunions communes entre ingénieurs, contremaîtres et ouvriers * (un chef de service technique du personnel).
3. Le contremditre joue de plus en plus un rôle d'organisateur et détient donc l'influence autrefois exercée par l'ouvrier. 4. Enfin, certaines réponses expriment ce changement de nature de l'apport ouvrier à la production en termes salariaux : les primes seraient désormais des primes d'intéressement, et non plus des stimulants. B. A quelques exceptions près, les dirigeants interrogés expriment l'idée d'un début d'évolution... Leurs réponses ne peuvent guère être classées comme des affirmations d'un changement radical. Β est rare qu'un dirigeant considère que la dominante soit actuellement l'influence indirecte des ouvriers sur la production. Parmi ceux qui accordent un grand poids aux nouveaux types de postes et d'atelier, on trouve avant tout des dirigeants frappés par l'élément responsabilité. L'ouvrier doit suivre les consignes, la machine et l'organisation « font > la production. L'intérêt pour la cadence passe à l'arrière-plan. Tout au plus, l'ouvrier porte-t-il désormais le poids d'une plus lourde responsabilité. 2. Effort ouvrier et production * La plupart des patrons ont indiqué un changement dans le domaine de l'effort auquel l'ouvrier se trouve actuellement soumis. — (1). — « Prime d'usine ? Oui et non ; il y aurait alors beaucoup de gens qui toucheraient cette prime sans l'avoir méritée. Ce qu'il faut, c'est récompenser les gens qui font un effort, que ce soit une source d'émulation pour les autres » (28). — « Quand la production du train à feuillards augmente, les services en amont doivent travailler également davantage. Pour tenir la cadence du feuillard, on peut s'approvisionner ailleurs » (29). B. H existe tout d'abord une politique de maximisation qui s'inscrit dans le cadre d'une planification et d'une coordination. — c Ce que nous cherchons, c'est le maximum dans la régularité » (29). — « Nous visons le tonnage optimum (dans chaque secteur) ; le record ne nous intéresse pas > (30). Par ailleurs, un certain nombre de dirigeants font allusion à des limites de la politique de maximisation par secteur, ils indiquent, par exemple, l'existence d'un goulot d'étranglement, ou encore de disparités de salaires entre secteurs. — « L'allure des usines dépend des hauts fourneaux. Ce que nous recherchons c'est le maximum dans la régularité » (38). — « A partir du moment où nous avons une très grande diversité de fabrication, impossible d'imposer un mode de rémunération au rendement sans avoir constamment des disparités entre les services, ce qui crée des ennuis considérables » (11).
4. Alternative A (maximisation de chaque secteur). L'essentiel est d'obtenir un tonnage maximum de l'ouvrier (ou d'un petit groupe d'ouvriers.) Alternative Β (régularisation). L'essentiel est d'obtenir des ouvriers une production stable, c'est-à-dire les tonnages prévus.
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L'évolution technique n'augmente pas toujours l'intégration de la production, provoquant une nouvelle politique productive. La politique de production est influencée par ce qu'on pourrait appeler une tendance à l'homogénéisation du personnel. Le mode de rémunération lui-même conduirait à la prise de conscience de l'interdépendance entre services. « La distribution de la prime de productivité a contribué à faire connaître l'interdépendance de tous les services. Il faut en arriver à une association d'usine et non pas de services où chacun essaie de tirer la couverture à soi » (25).
Certains dirigeants préconisent nettement une production coordonnée. — « Il y aurait encore des entreprises où on en est à vouloir pousser le plus possible au rendement ? Ces gens-là datent de vingt-cinq ans. Nous admettons très bien que les hommes prennent leur temps, se reposant entre deux opérations, pourvu que tout fonctionne comme prévu » (38). — « La diminution des frais fixes, c'est par une stabilisation ou une amélioration d'ensemble des cadences de production que nous la poursuivons » (15).
Les exigences nouvelles en matière de travail expliquent également l'importance attribuée à la régularité. — « Nous essayons d'éviter les coups de collier. Nous devons satisfaire les clients dans les meilleures conditions. Et nous devons éviter cela » (13). — « Les rebuts peuvent facilement prendre de grandes proportions. Et si on veut que l'ouvrier repère les défauts avant d'engager le produit... pour l'opération suivante... il est nécessaire qu'il ne se sente pas poussé par des temps alloués » (22).
Plusieurs commentaires vont jusqu'à s'indigner. « ... sa machine vaut 150 millions et il y a déjà pour des millions de travail sur sa pièce... eh bien, vous vous rendez compte qu'à ce gars-là... on lui donne des temps alloués » (un chef du personnel, 37).
B. ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE 1. Coût salarial et prix de
revient5
Dans l'ensemble, on constate peu de différences dans la façon dont les dirigeants apprécient le poids des salaires dans le prix de revient. Cette proportion relativement homogène prend toutefois une signification assez différente selon les répondants. 5. Alternative A (proportion plutôt élevée dans le prix de revient, la part des salaires joue un rôle appréciable dans le prix de revient). Alternative Β (proportion plutôt faible dans le prix de revient, la part des salaires dans le prix de revient est moins importante, ce qui coûte cher, c'est l'installation).
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A. Dans cette branche d'industrie, la main-d'œuvre continuerait à jouer un rôle important dans le prix de revient, malgré la mécanisation. — L'introduction des machines n'a pas fait diminuer la part totale des charges de salaires dans le prix de revient global » (dans une mine, 43). — « La proportion des salaires dans le prix de revient diminue légèrement mais pas dans des proportions comparables à bien d'autres industries. La main-d'œuvre reste dans les mines, même avec un début de mécanisation, l'élément essentiel » (47). La tendance à une diminution des frais de salaires serait freinée par le développement de l'entretien ou par l'évolution de types de fabrication : — « On constate une diminution des frais de salaires, mais pas tellement : l'entretien a beaucoup augmenté, et d'une façon générale les salaires ont monté » (52). — « La part des salaires est plus importante qu'avant : ici les fabrications ont évolué vers plus de main-d'œuvre incorporée » (10). B. Les dirigeants qui ont choisi cette alternative ont mis l'accent sur l'évolution de la mécanisation, soit sur l'amélioration de l'organisation du travail : — « Effectivement, ce qui coûte cher aujourd'hui, c'est l'installation » (13). — « Evidemment, ça diminue avec le progrès technique : c'est même le but recherché ; par exemple, notre train continu à fil, c'est un train qui fait très peu de salaires » (38). 2. Elasticité salariale et conjoncture ' Presque tous les dirigeants ont refusé l'argumentation proposée. La variabilité des salaires horaires ne semble pas être d'une grande utilité en cas de baisse de la conjoncture. En récession la solution qui s'impose est celle de la diminution des horaires, jointe à la fermeture de l'embauche. — « E n cas de variation de la conjoncture, on jouerait sur le nombre d'heures ; on répartirait la diminution des heures sur l'ensemble du personnnel » (1). — « Dans ce cas, on joue sur les horaires » (9), (11), (12), (41), (49). Jouer sur les horaires est cependant une forme d'adaptation des salaires à la conjoncture, qui permet de garder un contrôle sur la main-d'œuvre. « Si tous les ouvriers étaient mensuels on n'aurait plus rien pour les ficeler. Il faudrait garder alors au minimum la possibilité de diminuer les horaires, sinon il ne resterait plus que le licenciement : or, le licenciement c'est dangereux, non seulement socialement, mais allez trouver ensuite les hommes que vous aurez licenciés » (17). 6. Alternative A (adaptation des salaires à la conjoncture). Les variations de la conjoncture sont à craindre et il faut pouvoir y adapter les salaires. Alternative Β (planification des salaires à long terme). La conjoncture est prévisible pour quelques années et les salaires font partie d'un plan d'ensemble.
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Alternative A. — Si la liaison entre la variabilité des salaires horaires et la récession économique est trop schématique, de rares répondants seulement étaient sensibles à l'alternative Β affirmant que l'évolution des salaires est prévisible. 3. Rigidité de la main-d'œuvre et conjoncture7 La plupart des dirigeants estiment que la stabilité de la main-d'œuvre s'impose. Ils ne font souvent pas la liaison entre mobilité du personnel et mode de rémunération, mais soulignent qu'ils n'ont pas intérêt à licencier, ou sont obligés de tenir compte des conditions locales, l'entreprise faisant vivre le pays. « Cette usine ne peut licencier personne, ce serait une catastrophe pour la région » (10).
Certains commentaires font remarquer que le problème de mobilité de main-d'œuvre se pose en des termes différents. — « Il n'y a pas de problème de main-d'œuvre ici. Nos salaires sont tellement supérieurs aux autres branches (il s'agit des salaires des mineurs de fer) que tout le monde veut venir chez nous » (52). — « Nous ne sommes plus à l'époque où l'on s'arrachait les mineurs ; nous nous sommes engagés avant la mécanisation à ne licencier personne » (47).
Dans l'ensemble, les dirigeants sont polarisés sur l'idée de l'attachement des ouvriers à l'entreprise. Souvent, la stabilité de la main-d'œuvre est une donnée de fait qui s'impose.
C. ÉVOLUTION
SOCIO-PSYCHOLOGIQUE
1. Conscience professionnelle et rendement8 A. Un certain nombre de commentaires expriment la nécessité absolue d'un stimulant salarial pour assurer le rendement. Ils laissent souvent 7. Alternative A (rigidité plutôt faible : adaptation aux conditions économiques). La proportion des ouvriers sur l'ensemble du personnel est importante et il y a intérêt à garder une certaine mobilité de l'emploi. Alternative Β (rigidité plutôt forte : attachement à l'entreprise). La proportion des ouvriers sur l'ensemble du personnel a diminué et il y a intérêt à les attacher à l'entreprise. 8. Alternative A (plutôt faible : nécessité d'un contrôle salarial). L'ouvrier ne marche, en réalité, que grâce à la pression d'un stimulant salarial direct. Alternative Β (plutôt grande : faible nécessité d'un contrôle salarial). L'ouvrier travaille de plus en plus dans un esprit de responsabilité envers l'entreprise.
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entendre qu'une évolution vers un salaire fixe signifierait une baisse de la production. — et « les autres >. Notons qu'afin de souligner le caractère artificiel de ces phénomènes collectifs plusieurs dirigeants ont employé, au cours d'entretiens dans des usines différentes, l'expression « les gens sont téléguidés > et « l'ouvrier, pris individuellement, est un brave type ». — « Si vous prenez les ouvriers séparément, ils sont raisonnables, dès qu'ils sont deux, c'est fini » (45). — « Oui, elle existe encore, évidemment si on prend les ouvriers isolément, ils sont raisonnables, on peut leur faire comprendre ; par contre, collectivement, ce ne sont plus les mêmes, on leur apprend « la lutte des classes >. Us sont commandés de l'extérieur » (28). — « En général, ici les gens sont corrects, c'est quand ils sont en grève qu'ils sont intenables » ; « C'est une question de psychologie des foules que nous ne connaissons pas suffisamment » (36). — « Peut-être qu'individuellement, ils n'y croiraient pas, mais ils sont organisés dans l'autre sens » ; « Ils sont tous C.G.T. » (47).
De nombreux dirigeants mettent directement en cause l'action des syndicats. « La lutte des classes, c'est le leitmotiv du syndicat » ; < L'ouvrier n'y comprend rien, il n'est pas capable de comprendre mais si vous ne lui expliquez pas, il ne
L'image patronale de l'évolution
71
lui reste que le syndicat qui viendra lui glisser traîtreusement ses mots d'ordre dans l'oreille. Ah ! s'il n'y avait pas de syndicat, tout irait bien : voyez, le niveau de vie augmente chez les ouvriers, auto, télévision, etc. s'il y avait un changement de régime qu'est-ce qu'il y aurait de mieux ? Il aurait sa maison comme maintenant et il travaillerait comme maintenant » (51).
Dans le sens d'une distinction entre « certains >, souvent les militants et < les autres >, l'attachement à la terre ou à la famille est évoqué, et parfois les différences d'âge. — « C'est suivant l'origine, l'âge, l'ancienneté » (39). — « Les militants C.G.T. sont attachés à la lutte des classes, et encore, pas tous. Pour l'ensemble, cette notion n'entre pas dans leur conscience. Ils sont attachés à la famille, à la propriété terrienne » (14).
B. Le style de consommation et parfois le nivellement de la consommation seraient des indices d'une transformation sociale fondamentale. — < Je ne crois pas qu'ils soient tellement attachés à la lutte des classes, ce sont de braves gens, ils ne sont pas révolutionnaires ; ce qu'ils veulent c'est la voiture, la télé. Actuellement on trouve chez eux des tapisseries avec des fioritures, alors qu'avant on se contentait de parois peintes à la chaux. La façon de vivre a nettement évolué. Ils sont surtout jaloux du voisin, jaloux entre eux » (43). — c II y a un embourgeoisement ; importance grandissante des congés, des voitures et autres éléments de consommation > (S).
II. LES PROFILS DES RÉPONSES A. PROFIL GLOBAL
Après la présentation détaillée des divers types de réponses, il importe de caractériser la population des dirigeants patronaux. L'analyse sociologique de la résistance au changement n'exige pas la représentativité de l'échantillon, mais seulement un éventail d'orientations différentes de dirigeants. Voici donc la tendance dominante qui se dégage des réponses de la population étudiée. Nous retenons comme caractéristique l'alternative du schéma qui a obtenu la majorité absolue (c'est le cas pour la plupart des thèmes), ou la majorité relative des réponses. Les dominantes que ce tableau fait apparaître peuvent maintenant s'interpréter, en tenant compte du sens donné à notre schéma d'interview.
72
Pouvoir et
Tableau 1. Profil global des dirigeants
rémunération
patronaux Degré d'évolution * perçu
I. Evolution technique 1. L'influence ouvrière et la production : l'ouvrier a une assez forte influence directe, mais la situation se transforme
—
A/B
—
2. L'effort de l'ouvrier a évolué, il est soumis à un effort nerveux, d'attention et d'observation de règles
—
—
Β
3. L'organisation de la production est plutôt forte, l'essentiel est d'obtenir une production stable, régulière
—
—
Β
—
—
—
—
—
Β
II. Evolution socio-économique 4. Le coût salarial dans le prix de revient atteint une proportion plutôt élevée A 5. L'élasticité des salaires et la conjoncture : il est nécessaire de pouvoir adapter les salaires ; cela se fait par un ajustement de l'horaire au volume de travail A 6. La rigidité de la main-d'œuvre est grande, il y a un attachement de fait à l'entreprise — ΠΙ. Evolution socio-psychologique 7. La conscience professionnelle de l'ouvrier est plutôt faible, le contrôle du rendement par le salaire est nécessaire 8. La compréhension de l'entreprise et le salaire : l'ouvrier a une conscience économique plutôt étroite, elle est limitée au secteur
A
—
—
A
—
—
9. Le comportement du personnel est assez différent entre ouvriers et < collaborateurs »
A
—
—
—
—
Β
A
—
—
—
A/B
—
IV. Evolution sociologique 10. Le budget de l'ouvrier est de plus en plus stable ou en tout cas il souhaite qu'il le devienne 11. Les intérêts de l'ouvrier et de l'entreprise : les délégués ouvriers ne pensent pas à l'intérêt de l'entreprise 12. La conscience de classe de l'entreprise : les ouvriers sont attachés à la « lutte des classes » ; mais certains s'en éloignent
* Degré d'évolution, plutôt faible (A), plutôt fort (B), intermédiaire (A/B). On note ici les réponses qui prédominent.
73
L'image patronale de l'évolution
Π apparaît, tout d'abord, que les dirigeants ont tendance à considérer que la réalité technique, telle qu'elle est définie par nos questions, est en évolution. Par contre, pour les trois autres domaines (questions 4-12), là où la réalité a un aspect nettement social, les réponses se situent au niveau peu évolué. Ainsi un résultat partiel se dégage de ce tableau : la tendance générale dans la population des dirigeants est la représentation d'une évolution technique plutôt forte et d'une évolution sociale plutôt faible. Ce qui pourrait signifier en termes de modes de rémunération que les arguments implicitement formulés dans les alternatives (A) de notre schéma, celles donc qui peuvent motiver le maintien des modes de rémunération au rendement classique se situent dans les trois domaines comportant des aspects sociaux. Autrement dit, les seuls arguments techniques ne sembleraient pas suffisants pour expliquer la résistance au changement. On peut schématiser la tendance générale des dirigeants à dominante « technicienne » dans le tableau suivant (tableau 2). Nous aurons l'occasion de reprendre le tableau 1 au moment de la confrontation de ce profil global avec celui des délégués ouvriers. Mais il est nécessaire de différencier davantage la présentation des résultats obtenus dans les interviews de dirigeants : différents types de profils seront présentés maintenant sur lesquels une interprétation des politiques de rémunération sera tentée ultérieurement. Tableau 2 Aspects de la situation I. Techniques Π. Socio-économiques ΙΠ. Psycho-sociologiques IV. Sociologiques
Degré d'évolution perçu — A A A
Β — — —
B. TYPES DE PROFILS
Nous avons procédé, tout d'abord, à l'analyse hiérarchique du type échelle de Guttmann14, afin de voir si notre hypothèse du retard progressif de perception — du domaine I vers le domaine IV du schéma — se vérifiait. Π s'est avéré que les données n'étaient pas scalables, ce qui amène à la 14. Op. cit. dans l'Introduction.
74
Pouvoir et
rémunération
double conclusion suivante : 1) il n'y a pas de retard progressif de perception (d'ailleurs ni dans la disposition I, II, ΠΙ, IV, ni dans une autre disposition) ; 2) la variété de réponses est moins grande que celle proposée par ce modèle ; une sorte d'accumulation de cas se produit pour les profils 1 (AAAA) et 5 (BBBB). Voici une répartition des données que nous avons ensuite été amenés à exploiter typologiquement a : Tableu 3 Aspects * Profils 1 2 3 4 Non classées
I T.
Il S.E.
¡II P.S.
IV S.
A Β A Β
A A Β Β
A A Β Β
A A Β Β
—
—
—
—
Ν — 38 % 24 26 16 26 8
* Aspects techniques, socio-économiques, psycho-sociologiques, sociologiques de la situation perçue comme évoluée (B) ou non évoluée (A).
Il existe donc des dirigeants chez qui la représentation de l'évolution sociale est plus avancée que celle de la technique. Ce qui frappe, par ailleurs, c'est la constance des réponses dans les domaines II, III et IV, dans le sens d'une faible évolution pour les deux premiers profils et dans le sens d'une forte évolution pour les deux derniers profils. Cette monotonie contredit notre hypothèse du retard progressif de perception. Elle fait ressortir une sorte de coupure entre la répartition des réponses dans le domaine I (technique) et les domaines II-IV à laquelle nous reviendrons dans des analyses et commentaires ultérieurs. Pour des raisons de commodité, il sera utile d'appeler les profils ainsi dégagés par un nom. Il nous a paru que le profil donnait de la situation industrielle ime image qu'on pouvait qualifier de « statique >, puisqu'elle implique une absence d'évolution dans les divers domaines abordés ; cela se justifie parallèlement par l'emploi du terme de « dynamique » pour qualifier les réponses correspondant au profil 4. Dans la mesure où les profils sont le résumé d'opinions, en quelque sorte d'estimations que fait le dirigeant d'une situation, on peut supposer légitimement que les uns tendent à sous-estimer et les autres à surestimer le degré d'évolution. 15. Lazarsfeld et Barton, « Qualitative measurement in the social sciences : classification, typologies, indices >, dans Lerner, The policy sciences, Stanford, 1951.
L'image patronale de l'évolution
75
Le terme de dynamique correspond ainsi à une certaine volonté de présenter la réalité comme évoluée. Dans les deux autres profils, le nom choisi caractérise la répartition hétérogène des réponses. Nous appellerons « technique > le profil 2 et « social » le profil 3, en nous référant aux domaines dans lesquels l'évolution est perçue comme plus avancée. Si l'on se réfère au tableau 4, on constatera que de toute évidence les profils présentent une assez grande ressemblance deux à deux. Dans les chapitres qui suivent, nous utilisons aussi bien des analyses de réponses par question, par domaine que par profil. Cette dernière manière sera plus commode et tiendra compte de la structure des réponses dans l'interview. On pourra ainsi mettre en rapport l'orientation des dirigeants et la situation industrielle et éviter l'écueil de l'analyse par question qui est si souvent trop partielle. Tableau 4 Aspects * Profil Statique Technique Social Dynamique
T.
S.E.
P.S.
S.
A Β A Β
A A Β Β
A A Β Β
A A Β Β
* Aspects techniques, socio-économiques, psycho-sociologiques, sociologiques de la situation perçue comme évoluée (B) ou non évoluée (A).
ΙΠ. L'ORIENTATION DES DIRIGEANTS ET LA SITUATION A. ANALYSE PAR BRANCHE D'INDUSTRIE
Nous commençons l'analyse des opinions des dirigeants par l'étude du facteur branche qui, dans l'industrie, est souvent considéré comme déterminant majeur des modes de rémunération. Le tableau 5 montre que la relation entre les réponses et les branches industrielles n'est ni étroite ni constante. Pour quatre questions (questions 3, 5, 6, 10), ce qui ressort clairement est la concentration des réponses de branches différentes au même point d'évolution. C'est dire que l'alternative est choisie pour d'autres raisons,
76
Pouvoir et rémunération
que la branche industrielle ne semble pas, à ce stade de l'analyse et pour ces questions, jouer un rôle. Quant aux réponses aux autres questions, elles devraient, si la branche était déterminante, se situer à chaque fois au même niveau d'évolution à l'intérieur d'une branche ou encore être disposées selon une certaine régularité. Or, on constate qu'outre une tendance pour les réponses de la sidérurgie mixte à se placer plus fréquemment à un faible degré d'évolution, les résultats ne sont pas homogènes par branche (questions 2, 7, 8 et 9). C'est au sujet de trois questions seulement que les réponses se départagent par branches : à propos de l'influence de l'ouvrier sur la production (question 1) et (question 4) des relations industrielles (question 11). Dans le premier de ces cas, la sidérurgie mixte accentue davantage l'état de faible évolution de la situation industrielle et dans l'autre la sidérurgie pure accorde davantage d'importance à l'évolution dans le domaine des relations entre dirigeants patronaux et délégués ouvriers. Tableau 5. Analyse du schéma complet par branche d'industrie Degré d'évolution perçu
Faible
Moyen
1 2 3
SM SM
SP, M SP
4 5 6
SM SP, SM, M
7 8 9
SP, SM, M SP, SM, M SP, SM, M
10 11 12
SM, M SM
Fort
question Evolution
Evolution que Evolution gique Evolution
technique
socio-écofiomi-
psycho-sociolo-
sociologique
—
—
—
—
—
SM, M SP, SM M
—
SP
— —
— — — — —
SM, M
—
SP, SM, M SP SP SP, SM SP, SM, M SP SP
SP = Sidérurgie pure ; SM = Sidérurgie mixte ; M = Mines de fer.
Nous pouvons trier les mêmes données d'une autre façon en mettant en rapport l'ensemble des réponses obtenues dans chaque branche par rap-
77
L'image patronale de l'évolution
port à notre schéma et en résumant l'orientation du répondant pour chacun des quatre domaines de la situation industrielle. Tableau 6. Analyse du schéma résumé par branches d'industrie (Nombre
d'interviews)
Degré d'évolution perçu dans le domaine
Sidérurgie pure Sidérurgie mixte Mines de fer
Nombre d'usines
12 8 5
T.
S.E.
S.
P.S.
(A)
(B)
(A)
(B)
(A)
(B)
(A)
(B)
7
10 2 10
7
10 1 3
9
8 2 3
5
12 2 3
8 1
9 8
8 8
8 8
* Technique, socio-économique, psycho-sociologique, sociologique.
Ce tableau fait apparaître une assez grande cohérence dans le cas d'une des trois branches. Presque tous les dirigeants interrogés dans la sidérurgie mixte ont répondu dans le même sens. Par contre, dans la sidérurgie pure, représentant ici un ensemble plus important de cas, les réponses ne sont pas orientées dans le même sens ; il ne se dégage pas de tendance massive. Il conviendra de faire apparaître au moyen d'autres tris comment les différents types de profils se répartissent à l'intérieur de la sidérurgie pure. Quant aux mines, une tendance assez nette semble se dégager dans le sens du profil « technique », mais l'analyse ultérieure montrera ici encore l'existence de deux sortes de dirigeants à l'intérieur de cette branche. La conclusion est donc que l'aspect branche de la situation industrielle ne semble pas déterminer d'une façon générale ou simplement importante les orientations des dirigeants.
B. ANALYSE PAR RÉGION
INDUSTRIELLE
Ή n'est nullement banal d'attribuer à la région industrielle un effet sur l'orientation des dirigeants d'entreprise. C'est même là un stéréotype de beaucoup de praticiens, tant patronaux que syndicalistes ouvriers. On attribue des traits « culturels » aux régions. La seconde démarche de cette analyse des orientations patronales sera donc le tri par région. Le tableau 7 porte sur les trois régions que nous avons distinguées (la dernière est simplement résiduelle, regroupant des usines trop éloignées des deux autres régions pour pouvoir y être rattachées) et nous distin-
Pouvoir et rémunération
78
guerons en même temps entre branches industrielles à l'intérieur de chaque région. Si nous tenons à l'analyse logique et non quantitative — la méthode quantitative étant discutable ici — le résultat est bien : dans les deux régions les orientations patronales saisies dans nos interviews ne se concentrent pas sur un ou deux, mais se répartissent sur plusieurs types de réponses. Dans l'Est, nous rencontrons trois et dans le Centre et dans la dernière région appelée « autre > l'ensemble des quatre variétés de profils distingués. La seconde interrogation ira un peu plus loin. Qu'en est-il si nous limitons et précisons la comparaison à deux situations industrielles semblables quant à la branche et différentes par la région ? Le tableau 7 montre qu'une telle comparaison est heureusement à notre portée, même s'il est évidemment impossible dans un échantillon d'entreprises de l'étendre à l'ensemble des cas. Tableau 7. Analyse par profils et par région industrielle Région industrielle
Est
Centre
Autre
Nombre usines
13
Nombre interviews
17
16
Types de profils rencontrés (nombre de cas)
Branche industrielle
statiques » (2) Sidérurgie techniques » (2) pure dynamiques » (2) statique » U) Mines de techniques » (7) fer dynamiques » (3) statique » (1) Sidérurgie social » (1) pure dynamiques » (4) statiques » technique » dynamique
(8) Sidérurgie (1) mixte (1)
technique » (1) Sidérurgie sociaux » (3) pure dynamique » (1)
La comparaison des interviews provenant de la sidérurgie pure de l'Est et d'entreprises de la même branche du Centre amène également à la conclusion que d'autres facteurs doivent être cherchés pour expliquer
L'imase patronale de l'évolution
79
l'orientation des dirigeants interrogés que la région industrielle. L'éventail des profils rencontrés comporte trois types d'orientation dans les deux cas. Enfin une troisième interrogation amène à une conclusion qui vient appuyer les deux précédentes : y a-t-il une ressemblance plus grande dans le choix de profils rencontrés à l'intérieur d'une région qu'à l'intérieur d'ime branche ? La réponse est négative. Dans les trois régions distinguées, nous trouvons une variété d'au moins trois types de profils rencontrés à l'intérieur d'une région qu'à l'intérieur d'une branche ? La réponse est négative. Dans les trois régions distinguées, nous trouvons une variété d'au moins trois types de profils différents, dans les trois branches également. Tout au plus, même s'il faut renoncer à une exploitation quantitative, une remarque reste à faire sur un cas spécial. Les réponses statiques (8) sont notablement plus nombreuses dans la sidérurgie mixte et on peut penser que l'importance de la branche est ici vraisemblablement plus grande que celle de la région (la comparaison SP-Est et SP-Centre n'avait pas montré d'influence de la région). C'est là un cas spécial, les autres résultats n'ayant pas révélé un poids important de la branche. Ή est frappant, en effet, qu'à région égale la sidérurgie de l'Est présente un éventail d'orientations semblable à celui des mines de fer, objectivement très différentes par leur système de production.
C. ANALYSE PAR « GROUPE » INDUSTRIEL
Si l'orientation des réponses recueillies auprès des dirigeants ne semble pas être liée étroitement à la situation régionale et technologique, on pouvait se demander ce qu'il en était de la situation administrative. Plusieurs dirigeants d'entreprises différentes appartiennent, ce qui est heureux pour une comparaison nuancée, à un même « groupe * industriel Pour éviter que dans cette analyse l'influence de la branche et de la région n'obscurcisse le lien éventuel entre les opinions exprimées par les dirigeants et résumées en « profils » et leur appartenance à la même organisation industrielle, nous disposons (voir tableau 8) les données dans une table à trois dimensions. Nous nous limiterons, par ailleurs, aux sociétés qui avaient accepté que nous visitions plusieurs de leurs usines, car c'est évidemment seulement pour elles qu'un tel tri est praticable. (Afin d'éviter l'identification des cas, l'ensemble des variables sera codé.) Nous constatons que la répartition des types de profils est telle qu'au16. On entend ici par groupe industriel, l'appartenance à une même société.
80
Pouvoir et rémunération
cun lien se manifeste de façon assez constante entre les opinions et l'appartenance à une « société » industrielle. Tableau 8. Analyse par « groupe » industriel (•types de profils rencontrés) Région et branche industrielle Région
« Groupe Groupe χ
industriel
Groupe y
Groupe ζ
a)
— Branche I
— Branche II
Usine I Usine 7 Usine 6 profil social ( 1 ) * profil statique (1) profil statique profil dynamique ( 2 ) * profl dynamique (2) profil technique
(1) (1)
Usine 2 profil statique
Usine 8 profil statique
(3)
Usine 9 profil statique
(2)
(1)
Usine 3 profil statique (2) profil dynamique (1) Région
»
b)
Usine 4 profil social
(3)
Usine 5 profil social
(1)
Nombres de cas (de dirigeants) de ce type.
CONCLUSION Avant d'analyser l'orientation patronale en rapport avec les pratiques et les politiques de rémunération (partie IV), nous rappellerons les traits marquants de notre description pour en donner une première interprétation.
A. DESCRIPTION EMPIRIQUE GÉNÉRALE
On trouve environ un tiers de dirigeants qui considèrent que l'influence de l'ouvrier sur la production reste plutôt directe. Presque tous les autres, par contre, sont frappés, à des degrés divers, par le double fait de la permanence de l'influence ouvrière directe et de la transformation de la situation de travail. L'ambiguïté de cette seconde position s'explique en partie par l'hétérogénéité de l'évolution technique
L'image patronale de l'évolution
81
dans les divers secteurs d'une usine. On constate que cette vision généralement assez progressiste est assez fréquemment exprimée par référence aux améliorations du processus technique et aux progrès de l'organisation du travail auxquels le dirigeant s'identifie, y ayant contribué personnellement. La majorité des dirigeants rencontrés indique qu'une évolution de la nature de l'effort ouvrier est en train de se faire. Et une grande majorité d'entre eux souligne l'intérêt de la régularisation de la production en se référant souvent au problème de la coordination de la production des divers secteurs de l'usine et parfois aux exigences de qualité. H se dégage donc l'impression d'ensemble que sur le plan du processus de production les dirigeants patronaux sont sensibilisés aux aspects nouveaux de la réalité industrielle. Il en va tout autrement pour les aspects non techniques. Si nous considérons l'ensemble des dirigeants patronaux, la tendance dominante est inverse : ils sont frappés davantage par les anciens que par les nouveaux aspects de la réalité industrielle. Pour une proportion notable de dirigeants, le coût salarial dans le prix de revient reste plutôt élevé. Et cela n'est pas attribuable uniquement au degré de modernisation, variable surtout d'une branche à l'autre. L'analyse a montré qu'à cet égard, à branche égale, les appréciations n'étaient pas semblables. On peut donc relever ici une certaine réticence à admettre l'évolution. Par ailleurs, l'évolution socio-économique n'a guère provoqué qu'une faible part de commentaires allant dans le sens d'une évolution : les dirigeants estiment qu'actuellement il est préférable d'attacher les ouvriers à l'entreprise, mais, par contre, il ne leur semble pas qu'on ait atteint le stade de la planification économique de leur industrie. Les récessions sont à craindre et comme on ne peut prévoir suffisamment à l'avance, il faudra pouvoir compter sur une certaine élasticité salariale. L e plus souvent, on jouera sur les horaires, sur l'embauche, parfois sur les primes. L'important est donc au moins d'en rester, pour ce qui concerne les salaires, au statut horaire et peut-être au salaire à prime. Dans le domaine des relations sociales à l'intérieur de l'entreprise, les opinions des dirigeants sont également assez peu centrées sur l'évolution. Environ les deux tiers des répondants ne pensent pas que l'ouvrier, face au rendement, pourrait faire preuve d'une conscience professionnelle se substituant à la pression patronale (salariale) sur la production. Une proportion moins forte, mais représentant encore une légère majorité, indique que le champ de compréhension ouvrière lui paraît fort limité : la « masse », « l'ouvrier moyen », ne seraient guère capables de compren-
82
Pouvoir et rémunération
dre autre chose que la liaison entre les tonnages et le salaire. Enfin, il faut pouvoir sanctionner l'ouvrier par le salaire, en tout cas il n'est pas encore possible de le considérer comme un « collaborateur >, au même titre que les employés, même si une partie des dirigeants esquissent quelques traits d'une évolution qui va dans ce sens. Pour comprendre cette appréciation plutôt pessimiste de l'évolution du comportement de l'ouvrier, il convient de se reporter encore à la présentation détaillée des commentaires. Il nous paraît significatif que les opinions qui, au contraire, révèlent une évolution du personnel, attribuent volontiers celle-ci à l'action patronale. On peut transformer une mentalité en transformant les modes de rémunération, indique l'une des interviews (30). L'information augmente la compréhension (22, 25). L'ouvrier devient collaborateur surtout lorsque, professionnel, il s'attend à pouvoir passer mensuel (1). Ces remarques fournissent un élément utile à une explication générale ; nous y reviendrons plus bas, dans notre interprétation. Quant à l'évolution sociale dans un sens plus large, on constate que les dirigeants ont tendance à accorder un peu plus d'importance aux nouveaux aspects de la réalité, surtout de la consommation. L'achat d'appareils de télévision, de voitures, d'appareils ménagers changerait les habitudes budgétaires de l'ouvrier et augmenterait encore le désir de stabilité des salaires que la majorité des dirigeants relèvent. Par contre, on ne se trouverait guère à un stade évolué dans le domaine des relations dirigeant-délégués syndicaux. Les intérêts ouvriers seraient la préoccupation exclusive des délégués. Il y aurait, aux yeux des délégués, divergence entre les intérêts ouvriers et ceux de l'entreprise. Et on peut noter, ici encore, que ceux des dirigeants, une minorité, qui esquissent un début d'évolution tendent à attribuer le climat de confiance (45) à leur propre attitude patronale (nous sommes « fair-play >, 5) ; les dirigeants considèrent « qu'il y a une mentalité à créer » (50). Enfin, au niveau d'une appréciation de l'évolution de la classe ouvrière, nous rencontrons une majorité de dirigeants qui n'exprime pas une vision évolutive de la réalité. Une faible proportion de dirigeants (environ un cinquième d'entre eux seulement) se contente d'affirmer simplement que les ouvriers restent attachés à l'idée de la « lutte des classes >. Plus de la moitié des dirigeants, sans contester que certains (les syndicalistes, les militants) soient attachés à la « lutte des classes », rejettent clairement toute conception collective du comportement ouvrier. Les dirigeants décrivent une sorte de contradiction qui existerait entre une volonté de l'organisation syndicale imposant le comportement de
L'image patronale de l'évolution
83
lutte collective et l'attitude des individus : « Pris isolément, ils sont raisonnables > (28). Π arrive que cette contradiction soit expliquée par une certaine évolution, notamment par le développement de la consommation (51).
B. ANALYSE ET INTERPRÉTATION
Il convient de présenter la logique que l'analyse du sens des orientations patronales semble dégager. Comme le profil global résumé ci-dessus, les quatre profils typologiques présentent une double caractéristique. Il suffit de les confronter dans un tableau pour la voir apparaître clairement (voir tableau 4) ; il existe une coupure dans la perception entre le domaine technique et les autres domaines, appelés socio-économiques, socio-psychologiques et sociologiques, dans lesquels la constance des choix est frappante, les alternatives choisies étant systématiquement A (—) ou Β sur tous les trois domaines. L'interprétation que nous pensons devoir donner sur la base des descriptions et analyses et en vertu d'un effort général de compréhension des mécanismes en jeu est à la fois psychologique et sociologique. Nous partons de l'idée que beaucoup de dirigeants sont et restent des ingénieurs, puis nous analysons leur perception de la réalité étant donné le rapport social, conflictuel, entre dirigeant et collectivité ouvrière. Comme on a pu s'en rendre compte, les termes choisis par les dirigeants pour décrire l'état actuel — évolué — des conditions techniques de l'organisation de la production, ce sont ceux de la fierté professionnelle de l'ingénieur. Peu de dirigeants résistent à l'envie de surestimer l'état d'évolution de leur entreprise à cet égard. Tendance compréhensible par l'intérêt que les aspects techniques et organisationnels suscitent chez l'ingénieur, qu'il soit directeur, chef du personnel ou chef des services administratifs. S'il est ancien, le dirigeant conçoit plus difficilement l'évolution dans les domaines présentant un certain caractère social. Il préfère parler « atelier », en termes techniques et organisationnels ; le personnel est un « impondérable » dont un esprit scientifique s'accommode à contrecœur, par obligation, comme d'ailleurs des limites qu'imposent les conditions du marché. Ή faudrait rendre le processus de production entièrement déterminé ; l'idéal est représenté par l'automation : elle élimine l'insécurité d'origine sociale. L'explication psychologique ne saurait cependant suffire pour rendre
84
Pouvoir et rémunération
compte de la constance de l'opinion patronale. Π nous faut revenir aux commentaires sur l'évolution technique pour les comparer aux commentaires relevés sur l'évolution sociale. Ce n'est pas seulement par goût de son métier que l'ingénieur parle volontiers de l'évolution technique. Après tout, un directeur ou un autre responsable d'un poste important est aussi un administrateur, un « manager », et cela tout aussi professionnellement. La différence entre l'exercice du métier d'ingénieur à proprement parler et celui de manager vient accentuer l'intérêt du dirigeant pour le premier pour des raisons provenant de la situation. Le dirigeant se trouve dans des relations conflictuelles avec une collectivité ouvrière indifférente ou opposée à son action. Son intention est forcément de déterminer, de contrôler cette situation. C'est dans le domaine technique que la réalité, objet, est la plus manipulable. Dans les domaines socio-économique, psychosociologique et sociologique, par contre, on peut connaître ou ignorer les possibilités de manipulation et de contrôle. D'où la coupure... et la constance de l'opinion ; ce sont les mêmes répondants qui les voient ou les ignorent. On peut penser d'après les quelques formules rappelées ci-dessus (1) que le dirigeant conçoit d'autant plus volontiers un certain aspect de la réalité comme « évolué » qu'il a l'impression de maîtriser cette évolution, Voyant lui-même introduite, en partie du moins. Les « sociaux > et les « dynamiques » conçoivent l'évolution dans les domaines autres que techniques, ne considérant pas le social comme un donné définitif, parce qu'ils agissent et réduisent par leur intervention une part de leur insécurité face au partenaire. Economiquement il y a les ententes, la planification à long terme, psychosociologiquement il y a les « techniques » modernes de direction du personnel et sociologiquement les syndicats eux-mêmes impressionnés en partie par l'évolution sociale, peuvent devenir des partenaires sur lesquels on a une part de contrôle ; dans la négociation même, on peut les « amener » à comprendre. Pour les « statiques », les choses sont ce qu'elles sont, peu évoluées ; pour les « techniciens », l'intervention se conçoit sur le plan technique, mais les deux types voient la réalité comme un donné : ce ne sont pas eux qui font la conjoncture, les conditions du marché, ils en dépendent, d'autant plus dangereusement qu'ils sont face à un partenaire passif ou hostile ; ils ne manipulent pas, ils soumettent le personnel dont les réactions leur échapperaient s'ils n'adaptaient des mesures de contrôle autoritaire à l'état actuel de son niveau de formation ; ils ne pensent pas pouvoir changer la nature conflictuelle de leurs relations avec des délégués qui veulent systématiquement se soustraire à l'autorité de la direction, et
L'image patronale de l'évolution
85
qu'ils ne reconnaîtraient comme partenaire que s'ils acceptaient ce contrôle. L'analyse par branche, région et « groupe » industriel n'a pas permis de rendre compte de la distribution des opinions (des orientations) résumées en types. Nous nous contentons donc ici de les expliquer dans le cadre de la situation dirigeant-collectivité ouvrière. Cette analyse a cependant suggéré une détermination partielle des orientations par la branche : on trouve davantage de « statiques » dans celle des branches qui a été la moins bouleversée par des transformations techniques. On peut penser que ces dirigeants qui n'ont pas connu certains bouleversements techniques se trouvent encore moins à même d'imaginer des formes nouvelles d'intervention et de contrôle dans les domaines à caractère social et sont donc ceux qui présentent naturellement la vision la plus statique de l'univers social.
CHAPITRE III
L'image syndicale de l'évolution
I. LA STRUCTURE DES RÉPONSES A. ÉVOLUTION TECHNIQUE
1. Influence ouvrière et production1 A. A ce premier thème les syndicalistes (pour la plupart des délégués ouvriers, et quelques permanents) ont généralement fourni des réponses très nettes, allant dans le sens de l'alternative A. Souvent les réponses ont pris l'allure de réflexes, elles n'impliquaient alors ni hésitations ni nuances. — — — —
« C'est encore nos bras qui font le boulot » (34). « L e travail ne se fait pas tout seul » (40). « On n'est pas soumis à la machine, on s'en sert » (13). « Tout dépend de la main de l'homme » (10).
La complexité des entreprises et, d'autre part, l'habitude des répondants de partir de leur propre travail ou atelier expliquent que les réponses aient souvent formulé des nuances, encore que les tentatives d'appréciation générales ne manquent pas. — « L'évolution se fait vers l'influence indirecte, mais ce n'est qu'un début ; l'ouvrier rentre pour une bonne part dans la production » (18). — « L'ouvrier a une influence directe le plus souvent. Mais dans dix ans, les trois quarts des services se placeront pour l'essentiel dans le deuxième cas » (29). — < Dans l'ensemble, l'influence directe prédomine, mais elle est plutôt indirecte... au train continu (80). — « Il y a cent ans, c'était 100 % A ; aujourd'hui, disons 80 % » (15).
Différentes formes d'intervention apparaissent aux délégués comme des 1. Alternative A (plutôt directe). Dans certaines entreprises on peut dire que l'ouvrier est encore le moteur de la production, il peut faire varier la production, il a une influence sur la cadence. Alternative Β (plutôt indirecte). Dans d'autres entreprises, on peut dire que l'ouvrier a surtout une influence indirecte, du genre « réglages >, surveillance.
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indices d'influence directe. L'importance du « métier » est encore volontiers soulignée. — « L'ouvrier qui a du doigté peut retourner la barre d'un seul coup ; sur 150 lingots par jour, il peut gagner beaucoup de temps » (44). — « La production du train peut varier pour beaucoup de choses : mauvais réglage des guides, plus ou moins bonne pression des cylindres... » (32).
A. Certaines réponses, sans se référer à une transformation de la du travail, affirment que l'organisation du travail, notamment en des règles contraignantes (cadences ou temps alloués), exclut les tions de rendement. Par ailleurs, « la coordination entre secteurs également la marge d'influences ».
nature fixant varialimite
— « Beaucoup de travail à bras. Le compagnon reste bien la cause directe de la production. Mais il peut de moins en moins faire varier les cadences, car les temps sont de plus en plus serrés (73). — « On est poussé par derrière... on ne peut pas faire varier, je ne crois pas » (28).
B. On retrouve ici quelques « réflexes > stéréotypés qui vont dans le sens de l'alternative B. — « L'ouvrier est esclave de la machine ; il est obligé de suivre » (65). — « Les machines imposent un train d'enfer : il faut se tenir au travail » (87).
Nous n'avons retenu ici que les formulations contenant une appréciation explicite du stade d'évolution par des indications spécifiques notamment : « plutôt », « plus que », etc. L'évolution, certes, est toujours présentée comme partielle. — « Sauf au feuillard, où il peut ralentir, l'ouvrier ne peut rien faire, sauf suivre la marche » (69). — « Il y a trois ou quatre ans, c'était carrément (A) ; maintenant, l'ouvrier suit plutôt la machine » (102). — « L'influence est très atténuée : c'est même de cela que les histoires de décalage entre entretien et fabrication sont venues : on a laissé à la fabrication le bénéfice de l'influence qu'ils avaient autrefois et l'entretien a réclamé » (26). — « Avec le progrès, l'ouvrier suit une cadence mécanisée, mais au train 900, l'ouvrier peut faire tomber la cadence » (46).
Certains délégués sont visiblement frappés par la rapidité de l'évolution. — « De plus en plus, c'est le travail qui commande » (64). — « De moins en moins, l'ensemble de l'équipe commande la cadence » (91). — « Π y a de moins en moins d'influence directe » (116).
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2. Effort ouvrier et production * Les transformations de l'effort ouvrier sont apparues comme plus importantes aux délégués que les changements en matière d'influence sur la production. A. U n tiers seulement des répondants placent leur usine o u atelier dans l'ancien stade et leur constatation est souvent accompagnée d'une critique. — « Le travail reste très pénible, malgré que le directeur nous dit qu'il est beaucoup simplifié » (17). — « Pour l'ensemble de l'usine, c'est plutôt musculaire : la boîte n'est pas assez moderne » (36). Même les commentaires qui vont dans le sens de l'alternative A contiennent volontiers des allusions à l'évolution, ou prévoient des transformations. — « L'un dans l'autre, l'effort musculaire, physique (ce ne sont quand même pas des travaux d'Hercule) est prédominant. Reste que le travail devient de plus en plus précis et que la nouvelle préparation du travail rend l'effort d'attention, de réflexion, accru » (111). — « C'est toujours un boulot pénible... en fait notre matériel n'a pratiquement pas changé depuis dix ans... Mais quand le four sera modernisé, ça demandera de l'attention, il faudra se casser la tête » (77). B. La plupart des réponses vont donc dans le sens de l'alternative Β et renferment parfois des jugements catégoriques. — « L e changement est considérable. Les dépressions nerveuses sont fréquentes. Les trois semaines de congé sont une obligation... La lutte contre les heures supplémentaires devient facile : les gens ont mis longtemps à comprendre ; maintenant, ils se rendent compte d'eux-mêmes qu'ils sont à bout de nerfs » (42). Plus nuancées, de nombreuses réponses font la part de l'évolution en cours et du maintien d'anciennes conditions de travail. — « On a beaucoup moins de mal qu'autrefois... beaucoup moins d'efforts physiques qu'à la Libération, par exemple. L'ambiance reste pénible : chaleur, poussières » (46). 2. Alternative A (plutôt sensible à court terme). Dans certains travaux, l'ouvrier doit fournir un effort musculaire qui se répète tout le temps et qui est pénible tout de suite. Alternative Β (plutôt sensible à long terme). Dans d'autres travaux, il fournit un effort nerveux et d'attention qui n'est pas pénible sur le moment, qu'on ne sent qu'à la longue (mois, années).
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Notons enfin que le mode de rémunération est parfois cité pour avoir une influence sur la fatigue nerveuse. — « Il y a permanence de l'effort musculaire. La peine nerveuse augmente et vient s'ajouter à la peine « physique ». Et la dépense nerveuse est encore augmentée de l'effort de comptabilité exigé par le salaire au rendement » (48).
3. Organisation et production ' La plupart des réponses expriment l'idée de maximisation de la production. La politique de rendement est le plus souvent considérée comme une vérité première. — « Π faut rendre tout ce qu'on peut donner » (71). — « Plus on en fait et mieux ça vaut » (47). — « On ne demande pas du bon travail, mais du travail vite fait » (58).
Les syndicalistes critiquent souvent la rationalité d'une telle politique. — « Plus on en fait, mieux ça va, même si ça passe au rebut... » (19). — « On fait travailler à toute vitesse sur une pièce, et puis après on s'aperçoit qu'elle reste là pendant quinze jours. Ça va en dépit du bon sens » (73).
La direction se préoccupe de coordination, bien des délégués reconnaissent ce fait, mais non sans ajouter que l'ouvrier ne se sent malgré tout guère intégré dans un système régularisé, délimité, et concluent souvent à l'échec de l'organisation de la production. — « O n cherche toujours à faire produire le plus possible. Et quand on produit trop, on met les ouvriers à un autre travail. Il y a des arrêts de vingt-quatre ou quarante-huit heures » (56). — « Si ça va trop vite dans un coin, on déplace des ouvriers dans un autre service » (126). — « Tout pousse au maximum, le salaire comme la maîtrise ; il y a bien un planning, mais il semble que ça tâtonne encore » (41). — « S'il y a des grèves tournantes, ça fait des décalages, des congestionnements, ça ne marche plus... Cela montre bien que les ateliers dépendent les uns des autres ; il faudrait une bonne organisation ; en fait, ici c'est la pagaille, il y a des retards continuels. Résultat : on est toujours en train de nous pousser au maximum » (93).
3. Alternative A (plutôt faible, maximisation de chaque secteur). Dans certaines entreprises, ce qui est demandé à l'ouvrier ou à un groupe d'ouvriers, c'est toujours le plus fort tonnage possible, le tonnage maximum. Alternative Β (plutôt forte, régularisation). Dans d'autres entreprises, ce qui est demandé c'est d'obtenir les tonnages prévus, il faut éviter qu'à un endroit on produise plus vite que prévu.
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B. Les réponses qui vont dans le sens de l'alternative Β sont évidemment plus techniques et organisationnelles. — « Rien ne sert d'augmenter dans un secteur si le reste ne suit pas. Les problèmes de coordination sont importants : il y a un minimum de fourniture de fonte à respecter pour faire tourner normalement l'usine » (70). — « L'ensemble de l'usine a un tonnage régulier. Ils ont leur carnet d e commandes. Les tonnages sont prévus à l'avance. Les à-coups, ça ne leur va pas » (109).
En outre la politique de rendement, de maximisation, n'exclut pas la coordination. — « L e patron cherche le maximum de rendement et prend ce rendement maxim u m c o m m e base de prévision » (14).
B. ÉVOLUTION SOCIO-ÉCONOMIQUE
1. Coût salarial et prix de
revient*
A. Les commentaires mentionnent souvent la mécanisation ; le mot « effort > a retenu l'attention, spécialement dans les mines. —· « Ce qui coûte cher, c'est la main-d'œuvre » (114). — « Ici, c'est l'effort ; il y a beaucoup de retard pour moderniser » (134). — « D a n s la mine l'effort ouvrier est très important » (Mines 124).
L'amortissement des installations est considéré, par un certain nombre de délégués, comme une source de frais temporaires. Devant le dynamisme de la production d'installations modernes, ils pensent que les investissements sont rapidement amortis. — « C'est l'effort, les machines sont vite amorties » (Mines 132).
Notre question comportait la formule « ce qui est payé > (c'est l'effort, c'est la responsabilité), afin d'associer le thème du prix de revient à des transformations plus tangibles. Cette formulation a eu pour effet d'inciter des répondants à parler du niveau des salaires. — « C'est l'effort ouvrier qui est payé, mais très m a l payé » (116).
Enfin, quelques délégués refusaient de se placer entièrement dans la perspective des deux alternatives, notamment pour traiter du problème des bénéfices. 4. Alternative A (accent sur l'effort, main-d'œuvre). D a n s le prix de revient, ce qui coûte cher c'est la main-d'œuvre et ce qui est payé c'est Yeffort ouvrier. Alternative B (accent sur responsablités, installation). Ce qui coûte cher, c'est l'installation et le matériau, ce qui est payé c'est la responsabilité.
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< La part des salaires dans leur prix de revient, elle est minime ; pour moi, ce qui coûte cher ce n'est ni l'effort ouvrier ni le matériel, mais le bénéfice » (26).
B. L'avis le plus répandu, sur l'ensemble des délégués interrogés, est que le coût de la main-d'œuvre est relativement faible. Pour les uns, l'évolution va vers l'augmentation du coût des installations, pour d'autres les frais de main-d'œuvre seraient d'ores et déjà faibles. — « La part des salaires est en diminution » (62). — « La part de l'effort va en diminuant et le prix des machines et du matériau grossit » (63). — « Ce qui coûte cher, c'est les réalisations techniques nouvelles ; la part de l'effort ouvrier est très faible » (27). — « Dans le prix de revient, la part du salaire est faible. On paie la responsabilité » (61).
Ici, encore, des références au niveau des salaires affleurent : — « L'outillage coûte de plus en plus cher ; c'est la responsabilité qui est payée, mais mal payée » (53).
Certains délégués, impressionnés par le rapport coût de la main-d'œuvre-coût de l'installation, s'étonnent que la direction ne « tienne pas compte » de cette évolution. — « C'est la responsabilité ; l'installation coûte de plus en plus cher, mais la direction refuse de tenir compte de cette évolution » (54).
2. Elasticité salariale et conjoncture5 A. A notre surprise, nombre de délégués n'ont pas saisi l'idée « tactique > exprimée dans l'alternative A et ont répondu simplement : « La production n'est pas planifiée. » Beaucoup d'autres réponses contiennent, cependant, l'affirmation de revendications basées sur les augmentations de la production : — « L a production n'est pas planifiée et on entend défendre nos salaires en fonction du tonnage » (41). — « Nous, au syndicat, on se bat pour que les salaires suivent la production. Elle peut varier. » — « En principe, la majorité des ouvriers sont pour un salaire fixe ; mais ça peut avoir des inconvénients » (39).
5. Alternative A (adaptation des salaires à la conjoncture). La production n'est pas planifiée, elle peut varier et il est possible d'accrocher les salaires au plus haut niveau atteint. Alternative Β (planification des salaires à long terme). La production est planifiée, les salaires sont prévus longtemps à l'avance et il est possible de les garantir.
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— < La production n'est pas planifiée ; les salaires sont accrochés au plus haut niveau, le syndicat a toujours ce but en tête » (130).
Parmi les réponses qui n'entrent pas dans la catégorie A ou B, on en trouve du type suivant (classées en A' et B'). — « La production n'est pas planifiée, mais les salaires ne suivent pas en cas d'augmentation de la productivité » (73).
B. Les réponses dans le sens de B sont plus nombreuses, décompte fait des réponses incomplètes. Bien entendu, la notion de « planification » recouvre des représentations diverses. Le délégué exprime l'impression qu'un plan de production existe et que celui-ci est lié à un plan portant sur les salaires. — « La production ne varie pas énormément, le patron nous dit toujours que les commandes ne sont plus que pour un mois, mais en réalité il y en a pour beaucoup plus longtemps ; au train rail les commandes sont renouvelées tous les six mois ; il est possible de garantir les salaires » (23).
Les commentaires font bien des réserves. Il y aurait une amorce d'évolution, mais on est sceptique sur la possibilité de planifier en économie capitaliste. Certains commentaires sont riches en analyse stratégique, prêtant diverses intentions au vis-à-vis patronal. — < Elle est planifiée, mais pas totalement ; les salaires ne seront vraiment garantis que dans une économie rénovée » (79). — € La masse des salaires est bien sûr prévue à l'avance, même si la direction feint de se laisser arracher les augmentations, il y a de grosses chances qu'on les ait plus ou moins prévues » (81).
Il arrive que des délégués décrivent la situation de « planification » en citant l'influence des ententes du syndicat patronal. — « Un patron est tenu par la discipline du syndicat patronal ; il est fixé d'avance sur ce qu'il peut donner. La production est planifiée par la direction générale » (129).
Les accords d'entreprise sont suffisamment rares pour qu'il vaille de présenter un commentaire sur l'engagement contenu dans ce contrat. Il va de soi que la tactique syndicale a dû en être modifiée. — « Un accord entre le personnel et l'entreprise prévoit des augmentations de 2 % tous les six mois, cet accord est valable pour deux ans » (105).
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3. Rigidité de la main-d'œuvre et conjoncture5 A. H est particulièrement rare de trouver ici des réponses en A. Un sixième des personnes interrogées indiquent des différences salariales entre entreprises d'une même région et disent qu'ils auraient intérêt à « aller travailler chez ceux qui paient le mieux ». La comparaison interentreprises se pratique encore moins qu'on pouvait le prévoir, étant donné la faible mobilité, bien connue en France. Nous avons classé dans une rubrique A' les réponses qui mentionnent des différences de salaires tout en spécifiant l'intérêt qu'ils ont à rester là où ils sont : « On est les mieux payés de la région » (121, 36). B. La plupart des délégués interrogés ont répondu dans le sens de l'alternative B. Les trois quarts d'entre eux expriment l'idée d'un attachement à l'entreprise qui exclut même de poser le problème de la mobilité de la maind'œuvre. Un quart sur l'ensemble des délégués répondent directement en termes d'égalisation des conditions économiques. Voici d'abord quelques commentaires contenant l'idée d'attachement à l'entreprise justifiée ou en tout cas expliquée par le logement, par l'ancienneté, les avantages sociaux et, dans les mines, par la qualification qu'il est impossible de transporter d'une entreprise à l'autre. — « Il y a une concurrence poussée et une différence de salaire qui peut atteindre cinquante centimes/heure, mais on est attaché à l'usine par l'ancienneté, le logement, etc. » (33). — « Il y a de grosses différences de salaire ; les bourgeois des pétroles, les prolos de la navale ; mais les gars sont rivés à l'entreprise par l'ancienneté » (109). — « Π y a des différences de salaire, mais dans l'ensemble, baisse de la mobilité à cause des avantages sociaux » (SS). — « Ici on n'a pas le choix. Un mineur, s'il sort d'ici, c'est un simple manœuvre » (Mines 118).
Une autre forme d'attachement de fixation à l'entreprise est parfois citée ; les délégués pensent qu'il existe une sorte de barrage à l'embauche, comme tactique patronale. Indirectement la situation économique d'une branche (mines de fer) amène au même effet. Le marché de la main6. Alternative A (adaptation aux conditions économiques). La concurrence est forte entre les entreprises, il y a intérêt à aller travailler chez ceux qui paient le mieux. Alternative B (attachement à l'entreprise). L'économie est de plus en plus organisée, il y a de moins en moins de différence entre les salaires de diverses entreprises.
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d'oeuvre serait trop défavorable, dit-on, dans les mines ; il n'y aurait plus de demande de personnel. Et il existe des écarts de salaire entre entreprises ; c'est dû « à la plus grande activité revendicatrice des syndicats : mais les patrons s'entendent pour ne pas embaucher les ouvriers venant de chez le voisin » (26). D'autre part, si on quitte la mine, on ne vous embauche pas dans une autre > (Mines 116).
C. ÉVOLUTION PSYCHO-SOCIOLOGIQUE
1. Conscience professionnelle et rendement7 A. Dans l'ensemble, peu de délégués ont choisi l'alternative A. — « Oui, l'ouvrier préfère un salaire proportionnel plutôt que d'avoir des surveillants dans le dos. L'idéal souhaitable, c'est probablement l'autre point de vue, mais ce n'est encore qu'un idéal » (77).
Les répondants ne voient pas toujours le dilemme formulé ici : surveillant ou salaire proportionnel. L'ouvrier serait souvent contrôlé à la fois par le mode de rémunération et par le contremaître. — « La politique des temps courts est systématique ; d'où l'obligation de mettre en plus des surveillants. »
Si la rapidité des cadences doit être maintenue, les « bons » (temps alloués) ou d'autres stimulants seraient nécessaires, actuellement du moins. — < Dans les grosses entreprises, les ouvriers travaillent parce qu'il y a une prime au rendement » (22). — < Dans la situation actuelle, ce serait dur d'envisager l'autre alternative (B), parce que les gens en ont marre et ne gagnent pas suffisamment leur vie » (58). — « On n'en est pas encore là (alternative B). Il faudra d'abord tout un travail de formation » (109).
Quelques délégués vont jusqu'à employer des expressions voisines dé celles qu'on peut recueillir auprès des chefs du personnel, mais on constate qu'ils entendent alors se référer à certains ouvriers. — « Le compagnon doit être intéressé à la production. Il faut prendre les hom7. Alternative A (plutôt faible ; contrôle salarial). Les ouvriers préfèrent être contrôlés au moyen d'un salaire proportionnel à leur production plutôt que d'avoir des surveillants sur le dos. Alternative B (plutôt forte ; pas de contrôle salarial). Le groupe ouvrier est de plus en plus capable d'assurer par lui-même une production normale sans qu'il soit nécessaire de le contrôler.
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mes comme ils sont. Il y aura toujours des compagnons qui ont tendance à se laisser aller » (66). — « Un contrôle, il en faut toujours ; il faut aussi des chefs pour la bonne tenue d'un chantier. Il y a toujours des gars qui se foutent de tout » (39). B. L a majorité des syndicalistes disent les ouvriers capables d'assurer euxmêmes une production normale. L'accent est mis le plus souvent sur la conscience professionnelle. — € L'ouvrier n'aime pas être embêté et il aime être responsable. Il ne travaille pas pour être surveillé : la conscience professionnelle existe et ne va pas en s'atténuant. C'est d'ailleurs un fondement solide sur lequel joue la direction » (91). — « L e groupe ouvrier sait bien ce qu'il a à faire ; qu'il y ait des primes ou qu'il n'y en ait pas, cela n'a pas grosse conséquence sur la production » (53). Souvent, les syndicalistes se placent dans la situation d'une rémunération quasiment fixe. — « Nous pensons que nous sommes à même d'assurer par nous-mêmes notre production. Les primes ne sont pas nécessaires pour assurer la productivité. S'il y avait un salaire uniquement fixe, les surveillants ne seraient pas nécessaires » (74). Plusieurs répondants vont jusqu'à penser que la production, sans baisser quantitativement, gagnerait en qualité, dans l'éventualité de la rémunération au salaire fixe. — « L'alternative A est vraie dans l'optique patronale, mais en fait, c'est faux ; un salaire fixe sans surveillance accrue n'entraînerait pas une diminution de la production. Un essai a été fait et la production n'a pas baissé » (80). — « J e dirais plus : avec un salaire fixe le travail serait mieux fait » (79). On fait parfois remarquer que l'ouvrier contrôle de toute manière sa production, lui-même, en fonction de son salaire : — « Bien des ouvriers sont tellement écœurés qu'ils travaillent sans se préoccuper des temps établis de façon absolument ridicule. Us travaillent donc en fait, comme s'ils étaient au fixe, normalement » (95). — « Multiplier les surveillants n'est pas nécessaire. Au train finisseur, il a une prime fixe de 37 %. En fait, il s'établit peu à peu un rythme de production qui demeure à peu près stable » (64). Enfin, il arrive que les conditions techniques de la production rendent inutile toute surveillance. — « La cadence des hauts fourneaux n'est pas modifiable ; je ne vois pas l'intérêt qu'il y aurait à mettre des surveillants » (45).
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2. Compréhension de l'entreprise et salaires ' A. L'alternative A a été choisie par la majorité des délégués, bien que l'idée de « compréhension par l'ouvrier » de la liaison tonnages-salaires ne se reflète pas toujours dans les commentaires. (Nous avons codé à part les commentaires qui ont été faits en fonction de la première partie seulement, de cette alternative, « le salaire est calculé sur les tonnages pour chaque secteur ».) Les commentaires qui vont dans le sens de l'alternative A expriment nettement la fermeture de l'horizon auquel les chefs du personnel font volontiers allusion, pour justifier le système des primes. — « L'ouvrier, c'est malheureux à dire, s'intéresse à ce qu'il sort, à son secteur, à son travail » (65, A'). — « La liaison (44).
3. Comportement du personnel et salaires ' A. Pour la plupart des délégués la tactique de revendication définie dans l'alternative A est actuellement la meilleure. Les ouvriers sont sensibles, et jusqu'à un certain point cela est dû aux systèmes de salaires existants, aux revendications par secteurs. La tactique de « l'accordéon > n'exclut d'ailleurs pas toujours les revendications d'ensemble, comme l'indiquent quelques-uns des commentaires. C'est cependant la tactique par secteurs qui retient l'attention. — « L'ouvrier est très terre à terre, il est très concret : toute revendication est une revendication de chantier, revendication limitée à un secteur au départ, même à une équipe. Les petites revendications sont celles qui les mobilisent et qui peuvent être menées à bien rapidement » (27). — « Le système d'augmentation par service est plus psychologique et plus efficace. Quand un secteur a obtenu quelque chose, les autres n'ont qu'à prendre patience, c'est une question de temps » (84). — « Dans bien des cas, c'est la boule de neige qui se produit » (88).
B. On trouve cependant quelques opinions dans le sens indiqué dans l'alternative B, spécialement dans une des usines. Si l'aspect tactique n'est pas toujours clairement exprimé, les délégués insistent le plus souvent sur l'idée de la liaison du salaire à la production de l'ensemble de l'entreprise. — « C'est plutôt l'ensemble. Pour les revendications on a de plus en plus tendance à agir tous ensemble » (98). — « Les salaires sont à peu près égaux, quand un service rouspète, tout le monde rouspète. Quand il y a une augmentation de la prime, elle se fait dans tous les services » (37). 9. Alternative A (revendication par secteur). Le salaire est lié à la production d'un petit secteur, quand il monte dans l'un, on arrive à faire suivre les autres. Alternative B (revendication par usine). Le salaire est lié à la production de l'ensemble de l'entreprise ; il y a des chances de mobiliser tout le personnel de l'usine en même temps.
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Il est intéressant de noter comment les délégués se représentent à l'avance les avantages d'un nouveau mode de rémunération, du salaire fixe. — < Avec le fixe ce serait plus simple pour la formulation des revendications et cela permettrait d'arriver à des revendications générales » (100).
D. ÉVOLUTION SOCIOLOGIQUE
1. Budget ouvrier et consommation
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A. Aucune des réponses ne correspondait entièrement à l'alternative A, exprimant simultanément que l'ouvrier vit au jour le jour et qu'il tient à gagner plus à certains moments (à travers un salaire au rendement). Quelques réponses ont cependant été classées en A, lorsqu'elles se référaient au budget : — « La grande masse, ça les dépasse » (56). — « L e prolétaire vit au jour le jour, c'est constitutionnel » (61).
Dès que le répondant a tenu compte de la seconde idée « gagner plus à certains moments », il ajoutait le plus souvent qu'il était possible de faire des heures supplémentaires (133). B. La grande majorité des réponses allait dans le sens de l'alternative Β ; les commentaires exprimaient le plus souvent le souhait d'un comportement budgétaire stable, et d'abord le désir de pouvoir calculer, prévoir les salaires. — « Je veux savoir ce que je gagne, ce que je peux dépenser » (113). — < Les gars veulent prévoir, ils demandent toujours combien on touchera » (45). — « Ici, on ne donne pas à l'ouvrier la possibilité de faire des prévisions » (24).
Ce dernier commentaire introduit à l'idée fréquemment exprimée que l'ouvrier ne peut faire de budget tant que le système de rémunération appliqué l'en empêche. — « On est payé au jour le jour, donc on vit au jour le jour. En tout cas, bien sûr, on tient à un salaire stable » (53). — « I l aimerait avoir le salaire stable, mais en fait il vit encore au jour le jour » (16).
10. Alternative A (plutôt instable). L'ouvrier vit au jour le jour, sans budget et tient à la possibilité de gagner plus à certains moments. Alternative Β (plutôt stable). L'ouvrier tend à faire des prévisions, un budget, et il tient avant tout à un salaire stable.
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— < L'ouvrier vit au jour le jour parce qu'il y est obligé : les variations de salaire d'un mois à l'autre sont importantes ; le salaire stable est une des premières revendications » (4).
Une variante de ce genre de réponses que nous avons également classée en Β explique le manque de prévision et de budget chez l'ouvrier par le bas niveau des salaires. Des salaires insuffisants ne permettent pas d'organiser un budget. — « Il vit au jour le jour, il y est bien obligé par les salaires insuffisants, mais il préfère un salaire stable » (32).
Lorsqu'un commentaire mentionne explicitement le système de salaire, celui-ci est présenté comme un obstacle à l'établissement d'un budget que les ménages ne pourraient établir qu'à partir d'un salaire « plus fixe ». — « On tient à un salaire stable, sinon on ne peut pas faire de budget ; l'ouvrier s'arrange, avec le système de rémunération actuel, c'est pourquoi les tonnages ne varient guère » (36). — « Il faut que la ménagère sache sur quoi compter. Il faut que l'ouvrier ait un salaire mensuel garanti et que tout le reste (les primes) ne soit qu'un supplément > (1).
La notion de budget rappelle parfois celle d'épargne : — < L'ouvrier préfère le salaire stable, il fait alors ses petites économies > (27).
On note encore la constatation d'un changement dans les habitudes de consommation (« Il y a le logement, le confort, ce sont des besoins dus au progrès ; le budget est organisé différemment et les gens sont de plus en plus contre les variations de salaire > (97), et certains délégués se plaignent de l'effet de ce changement, surtout des achats à crédit, sur l'action syndicale qu'il paralyserait. 2. Intérêts ouvriers et entreprise 11 A. Une assez forte majorité des réponses vont dans le sens de l'alternative A. Nous présenterons les commentaires par ordre décroissant d'intensité. Des expériences de la vie quotidienne à l'usine, hypothétiques ou 11. Alternative A (plutôt intérêts divergents). Dans l'ensemble, les patrons pensent surtout à l'intérêt de l'entreprise, sans se préoccuper de celui des ouvriers. Alternative Β (plutôt intérêts convergents). Dans l'ensemble, les cadres dirigeants pensent que l'intérêt de l'entreprise et des ouvriers est lié.
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et
rémunération
réelles, sont données pour appuyer des jugements assez durs, souvent en termes d e mépris. — « Ils pensent à eux, ils se foutent de l'ouvrier » (30). — « C'est un marchand de tapis » (15). — « Ils sauveraient plutôt une machine qu'un ouvrier » (32). — « La direction a essayé de faire prendre les congés annuels au moment où il y a eu un pépin, ils se foutaient complètement de l'intérêt de l'ouvrier » (58). — « Ils imposent des cadences qui abrègent la vie du mineur ; ils ne veulent pas reconnaître la silicose, de plus en plus fréquente » (118). D'autres réponses sont axées sur la notion de l'opposition e n termes d'intérêts économiques. — « Les bénéfices ne sont pas partagés, donc le patron ne pense qu'à lui » (38). — « Le patron pense surtout aux bénéfices et pas beaucoup aux mineurs > (Mines 122). U n e certaine évolution aurait eu lieu. Les délégués préfèrent alors les patrons actuels à ceux d'autrefois : — « C e sont des gens très différents des raclures d'avant-guerre, mais... » (55). Evolution plus apparente que réelle, rectifient certains. Il y a c e que le patron dit et il y a c e qu'il fait. Les cadres surtout auraient changé. — « Les patrons veulent faire croire que l'intérêt de l'ouvrier et de l'entreprise est lié ; c'est du paternalisme ; de l'avis de tous les ouvriers, ce n'est pas vrai » (26). — « Ils nous disent que l'intérêt de l'entreprise et de l'ouvrier est lié, mais naturellement ils agissent autrement. Par exemple, ils augmentent les investissements au moment même où les salaires devrait être rajustés au coût de la vie » (51). — « Plus on monte dans la hiérarchie, plus c'est A, mais il faut différencier l'actionnaire imbécile qui fait travailler l'ingénieur en lui imposant des règles idiotes » (54). — « L'actuel directeur est intraitable. On peut parfois s'arranger avec les chefs » (99). — « C'est net. Mais l'un des leitmotive de la direction c'est qu'elle assure du travail. Au fond, c'est un argument de façade, il n'y a pas de soucis d'un climat social comme élément de bonne marche de l'entreprise, sauf occasionnellement. Il y a des nuances dans les cadres. Le patron local a plus le souci de son entreprise que la direction générale » (91). L a nécessité de l'action syndicale est elle-même décrite c o m m e u n indice de l'opposition d'intérêts. Si le patron tient compte d e l'intérêt des ouvriers, c'est à la suite d'une action syndicale. — « On a devant nous une opposition presque systématique ; la simple discussion n'est pas convaincante pour le patron, il faut une pression » (27).
L'image syndicale de l'évolution
101
B. Moins d'un tiers des réponses se situent en B. Les réponses tendent à prendre ici un tour plus personnel. On pense à l'attitude personnelle du directeur et de certains cadres. — « On s'occupe des ouvriers : le directeur est un fils d'ouvrier ; il y a du paternalisme » (128). — € Le patron nous reçoit ; il comprend les problèmes, en fait on peut s'arranger » (Mines 127). — < Les relations avec les cadres et dirigeants sont très bonnes ; on cherche toujours un moyen d'entente avant d'agir sur le plan syndical et cela fréquemment avec succès » (105). — « C'est B, voyez par exemple l'attitude du directeur lorsqu'il a constaté que les gens ne gagnaient pas assez, il a inventé cette prime de productivité pour les aider — la chambre syndicale ne voulait pas d'augmentation de salaires, c'était le seul moyen ; il y a longtemps qu'on l'aurait fichu à la porte (le directeur), mais on n'a pu pour une question de relations personnelles » (2).
Il faut néanmoins noter que les délégués s'expriment rarement sans réticence pour l'alternative B. — « On n'a pas satisfaction complète, mais cela se situe plutôt en B. Les garanties de licenciement on les a eues, l'élévation du niveau de vie également » (10). —> « On tend de plus en plus à un rapprochement ; c'est pour ça d'ailleurs qu'on en a fait un accord d'entreprise » (107).
3. Conscience de classe et entreprise11 A. Le commentaire qui revient le plus fréquemment est que l'ouvrier fait des heures supplémentaires, travail du dimanche, et doubles postes (dans les mines). — « C'est la grande bagarre pour savoir qui ferait le dimanche » (22). — « Π y en a qui couchent à l'usine » (10). — « L'ouvrier essaie d'augmenter son niveau de vie par lui-même, par des doubles postes ; c'est interdit par les services de Mines, mais le patron en est très heureux car il y trouve son avantage » (Mines 124).
Il est fait allusion à la mobilité individuelle dans l'usine ou à l'extérieur. — « Les ouvriers se disent : on ne peut pas tous monter, alors... chacun pour soi » (47). — (130). B. L'analyse forcément grossière que les délégués pouvaient exprimer relève des divergences dans les intérêts immédiats entre les employés et les ouvriers ; la volonté patronale de diviser le personnel en deux et la solidarité à caractère ouvrier, thèmes classiques. — < On fait des réunions ensemble, mais leurs revendications (celles des employés) ne sont pas les mêmes de toute façon > (30). — < Les employés sont détournés des ouvriers par le patron » (129). , 45), soutiennent que l'union ne se fait sans réserve que temporairement. Les entreprises qui connaissent des accords constituent un cas particulier. — « On a des contacts très satisfaisants avec les employés ; ceux-ci ont beaucoup évolué depuis un an et demi : on est allé tous ensemble à Paris pour l'accord d'entreprise » (106).
L'image syndicale de
l'évolution
103
Dans le cas d'une usine où une prime de productivité est distribuée à tous les salariés, les commentaires parlent d'une solidarité qui s'étend aux employés et même aux cadres. — < Il y a eu un rapprochement spectaculaire entre manœuvres et ingénieurs > (cite un exemple de grève commune, 109). — c Avant, ils (les employés) aimaient travailler à part; maintenant, on est même soutenus par les cadres et la maîtrise » (115). Les références à des baisses de conjoncture étaient rares, au moment de cette étude ; elles n'en sont pas moins significatives, surtout en ce qui concerne ce thème de la solidarité. — < D'ici peu, avec la mécanisation, il va y avoir du chômage et, à ce moment là, ça va rouspéter et l'union se fera » (133). On arrive toujours à cette même question. Est-ce que les gens comprennent les formules du système de salaire qui leur est appliqué ? Non, disent plusieurs de nos interlocuteurs, qui parlent aussi de l'avantage stratégique que représente ce fait pour le patron. — « Comprendre ? C'est une vraie catastrophe ; seul l'ingénieur qui fait les primes, monsieur règle-à-calcul, y comprend quelque chose. Et comme il est chinois, il fait des chinoiseries. Bien sûr, un ouvrier peut toujours demander des explications sur sa fiche de paie : les renseignements qu'il obtiendra n'iront jamais bien loin. Nous nous efforçons de faire normaliser les primes. Mais cette unification permettrait de mobiliser plus facilement les gars et les patrons profitent de la complication actuelle. » Les responsables nationaux des syndicats sont particulièrement sensibles à la marge de manœuvre que les salaires variables laissent aux dirigeants patronaux. Pour l'un d'entre eux — « L e patron est un capitaliste qui peut chercher, un jour ou l'autre, à modifier les salaires. S'il y avait un fixe, cela n'irait pas. » Un autre développait des raisonnements plus poussés : le salaire variable est « un moyen pour régner dans l'usine, on donne de temps en temps quelques francs de plus, on accepte d'intégrer une part de la prime, cela permet de négocier et c'est là l'essentiel ». Et il n'y aurait pas là un simple marchandage d'influence, mais une échappatoire qui évite au patron d'en venir à partager son autorité. < Il existe une planification générale, un programme national de production sidérurgique. On cherche à produire χ millions dans les investissements et χ millions pour les salaires. On pourrait donc garantir, c'est-à-dire planifier les salaires. Mais
104
Pouvoir et rémunération
ils (les patrons) refusent de planifier les salaires, car ils seraient obligés de le faire avec les syndicats dans un accord qui ne serait pas unilatéral. Il leur faut une marge pour régner. »
Dans le même ordre d'idées un autre syndicaliste indique qu'il lui paraît plus facile de faire profiter les ouvriers d'ime usine en pleine expansion économique de l'augmentation de la production avec les salaires variables. L'élasticité des salaires aurait également cet avantage Si plusieurs dirigeants patronaux se plaignent que les primes tendent à rompre l'équilibre inter-secteurs, les syndicalistes font état de l'avantage tactique que renferme, pour eux, cette instabilité. La tactique dite de « l'accordéon » ou de « l'échelle des perroquets > leur permet de tirer profit du salaire variable dans leur processus de revendication. Apprenant qu'un dirigeant patronal songéait à introduire le statut mensuel parmi les ouvriers, un syndicaliste se demande donc : « Quelle est l'astuce ? > « Dans une usine que je connais bien, la direction a créé des postes de mensuels. Ce sont les postes-clés et tous ceux des postes qui ont un peu plus d'importance. Les mensuels se groupent dans la cantine, dans les quartiers — des habitations un peu meilleures sont prévues pour eux — et ils sont même transportés par des cars spéciaux qui viennent les chercher à l'intérieur de l'usine. s·
L'interprétation syndicale conclut ici à la politique de division. Les nouveaux mensuels seront une minorité privilégiée. « Le patron les tient ; parmi les critères de promotion il y a la jeunesse, les aptitudes dites humaines (l'intelligence, les réflexes, être un élément sûr, la cote d'amour) et non l'ancienneté ; et ces mensuels ont une peur énorme de rétrograder. »
On rappellera pour mémoire que les avantages économiques et sociaux accordés aux employés (logements, sécurité) sont vus sous l'angle de la politique d'intégration et de contrôle.
II. LES PROFILS DES RÉPONSES Nous cherchons maintenant à atteindre une vue synthétique. Il s'agit de satisfaire à l'exigence de description de l'étude et de faciliter la lecture des tendances dominantes de l'opinion syndicaliste ; il s'agit ensuite et 13. La peur de la récession, en milieu ouvrier, freinerait l'utilisation, par le syndicat, d'une telle stratégie en période de prospérité. Au risque de pouvoir moins profiter de l'expansion, l'ouvrier donnerait sa préférence au salaire fixe.
L'image syndicale de l'évolution
105
surtout de dégager la structure des réponses, en vue de l'analyser de diverses manières. Les données sur lesquelles nous basons cette partie est en principe parallèle pour les dirigeants patronaux et les délégués ouvriers, le plus grand parallélisme possible ayant été maintenu entre les deux schémas d'interview. Cependant, pour certains des thèmes de notre schéma, la formulation diffère ; le souci de respecter la position des délégués ouvriers dans la situation industrielle nous ayant conduits à adapter cette formulation à leur perspective. Par ailleurs, le principe de notre échantillon est différent ici. Les délégués interrogés proviennent d'une sélection plus restreinte d'usines, couvrant cependant les trois branches, les deux régions et naturellement les trois organisations syndicales. Par usine, un nombre plus important d'interviews a été réalisé du côté syndical que du côté patronal. Il convient de ne pas perdre de vue la portée de l'échantillon dans le cas où on tenterait de généraliser les résultats à l'ensemble de la sidérurgie et des mines de fer. Quant à nous, tel n'est d'ailleurs pas notre but, ce qui nous intéresse c'est l'analyse des réponses. Mais, comme on le verra par la suite, la grande homogénéité des réponses permet de penser que le schéma d'interviews a suscité des réactions générales, s'expliquant par les grands traits de la situation industrielle. Nous commencerons par dégager la tendance dominante pour l'ensemble des questions dans le tableau 1, puis en résumé dans le tableau 2. Ce qui frappe d'emblée, c'est la forte agglomération de choix sur les mêmes alternatives. Sauf dans le cas de deux thèmes, la répartition des réponses fait apparaître des tendances majoritaires très nettes. (Nous symbolisons par le signe (A) ou (B) le fait qu'une majorité des répondants perçoit un aspect de la situation comme évoluée (B) ou non (A). Tableau 1. Profil global des délégués ouvriers Degré d'évolution perçu I. Evolution technique 1. L'influence ouvrière et la production : l'ouvrier peut faire varier la production, il a une influence plutôt directe 2. L'effort ouvrier et la production : l'effort est plutôt
A
106
Pouvoirs
et
rémunération
Degré d'évolution perçu dé type nerveux que musculaire et cela de plus en plus
—
—
Β
3. L'organisation et la production : l'organisation de la production est plutôt faible, le patron pousse au maximum dans chaque secteur
A
—
—
4. Le coût salarial et le prix de revient : ce qui coûte cher, ce sont les installations (malgré cela, ce qui est payé, selon certains délégués, c'est l'effort plutôt que la responsabilité)
—
—
Β
5. L'élasticité des salaires et la conjoncture : (réponses réparties moitié-moitié) — la production varie et il est possible d'accrocher les salaires au plus haut niveau atteint — la production est planifiée et il serait possible de garantir les salaires à l'avance
—
A/B
—
6. La rigidité de la main-d'œuvre et la conjoncture : la main-d'ceuvre est attachée à l'entreprise (malgré les différences de salaire qui subsistent entre entreprises)
—
•—
Β
—
—
Β
A
—
—
A
—
—
—
—
Β
A
—
—
—
—
Β
II. Evolution socio-économique
ΠΙ. Evolution psycho-sociologique 7. La conscience professionnelle et le rendement : l'ouvrier est de plus en plus capable d'assurer par luimême une production normale 8. Là compréhension de l'entreprise et le salaire : l'ouvrier comprend surtout la liaison entre les tonnages et les salaires 9. Le comportement du personnel : la revendication salariale s'organise plutôt secteur après secteur IV. Evolution
sociologique
10. Le budget ouvrier et la consommation : l'ouvrier tient avant tout à un salaire stable (selon certains délégués, l'ouvrier vit encore au jour le jour) 11. L'intérêt de l'ouvrier et l'entreprise : le patron pense surtout à l'intérêt de l'entreprise 12 .La conscience de classe et l'entreprise : (légère majorité seulement) — Les ouvriers s'engagent dans des actions collectives, en y associant, selon certains délégués, les employés
L'image syndicale de l'évolution
107
Le principal contraste avec les réponses des dirigeants, et toutes les ana· lyses de ce chapitre le montreront en détail et sous des angles divers, ce sont : la ressemblance entre répondants et la différence entre questions. En effet, à l'inverse de ce qui est apparu dans l'enquête patronale, nous trouvons (dirigeants)
(délégués)
au lieu de la constance dans les réponses
la ressemblance entre répondants
(ex. : les « statiques > choisissant toutes les alternatives (A), les < dynamiques » toutes les alternatives (B) ou, sur l'ensemble, les domaines « sociaux > étant de même signe)
(ex. : de fortes majorités de répondants choisissent les mêmes alternatives;
puis au lieu des différences entre répondants (voir les quatre types de dirigeants)
des différences dans les réponses, selon les divers thèmes (voir tableau 1) et les divers domaines (voir tableau 2)
Nous commencerons donc par analyser ces différences de répartition des réponses. Et c'est d'abord l'importance accordée à l'évolution dans les domaines socio-économiques et sociologiques qui ressort de ce profil global, puis l'accent mis par les délégués sur une situation peu évoluée dans les domaines techniques et psycho-sociologiques (tableau 2). Tableau 2. Profil global des délégués ouvriers Aspects de la situation I. Techniques II. Socio-économiques ΠΙ. Psycho-sociologiques IV. Sociologiques
Degré d'évolution A — A —
— Β — Β
Critère de résumé des trois questions de chaque section - 1 - IV - : deux alternatives de même signe donnent la tendance dominante.
A. ASPECTS TECHNIQUES
Dans le domaine de l'évolution technique, les syndicalistes restent sensibilisés à l'idée que l'ouvrier a une influence directe sur la production, qu'il en est en quelque sorte le moteur (question 1). Ils sont moins frappés, par ailleurs, par l'organisation moderne de la production et sa
108
Pouvoir et rémunération
régularisation que par le fait d'être poussés à produire le plus haut tonnage possible dans chacun des secteurs (question 3).
B. ASPECTS SOCIO-ÉCONOMIQUES
Les syndicalistes paraissent impressionnés par le coût important et croissant des installations techniques actuelles et considèrent que le coût de la main-d'œuvre dans le prix de revient est donc relativement peu élevé (question 4). Ils sont unanimes à souligner, également dans le domaine économique, un attachement de fait de l'ouvrier à l'entreprise qui s'explique moins, il est vrai, par des avantages salariaux que par des avantages acquis, de logement ou d'ancienneté, ou encore de qualification (question 5). Une partie des délégués estime, enfin, que la production et la conjoncture sont suffisamment prévisibles pour qu'il soit possible de garantir les salaires à l'avance (question 6).
C. ASPECTS PSYCHO-SOCIOLOGIQUES
Enfin, dans le cadre de l'évolution psycho-sociologique, les syndicalistes considèrent qu'ils en sont encore à un stade peu évolué où l'ouvrier comprend plutôt les liens entre les tonnages et les salaires que la marche générale de l'entreprise (question 8). Ils pensent que la revendication salariale s'organise plutôt au niveau du secteur qu'à l'échelle de toute l'entreprise (question 9).
D. ASPECTS SOCIOLOGIQUES
Parmi les aspects sociologiques de la situation, c'est surtout l'alternative de la stabilité salariale liée au développement de la consommation qui réunit une grande majorité de réponses (question 10). Les opinions sont plus partagées lorsqu'il s'agit du thème se rapportant à la conscience de classe. Une légère majorité de délégués seulement se dégage pour indiquer que les ouvriers ont recours à l'action collective (question 12). L'interprétation de cette répartition des réponses est suggérée par la nature des données abordées dans notre schéma. Les aspects socio-économiques et sociologiques retenus sont liés à une évolution générale, dépassant le cadre de l'entreprise, tandis que les aspects techniques et psycho-sociologiques de l'évolution se rapportent davantage à l'entreprise et à la situation de travail,
L'image syndicale de l'évolution
109
On pourrait donc résumer les tendances de l'enquête syndicaliste en disant que les délégués semblent concevoir la réalité industrielle comme en évolution lorsque les questions posées se réfèrent à l'extérieur plutôt qu'à l'intérieur de l'entreprise. Et cette interprétation prend plus de poids une fois que nous lui avons en quelque sorte fait passer une contre-épreuve. Ne suppose-t-elle pas que la nécessité, pour le syndicaliste, de s'accommoder de la réalité de l'entreprise lui fait choisir l'alternative A, « faible » évolution, et cela dans les domaines où des habitudes de tactique syndicale ont été prises ? Dans ce cas les réponses des délégués à ceux des thèmes du schéma qui abordaient assez directement leur mode d'action devraient aller dans le sens de cette interprétation. Comme les questions 5 et 9, et dans une certaine mesure les questions 8 et 12, touchaient à la tactique des revendications syndicales dans la situation de l'actuelle entreprise, on se demandera quelles sont donc là les tendances manifestées. La plupart des délégués envisagent un mode d'action revendicative adapté à la situation actuelle : la tactique dite « par secteurs » plutôt que l'action globale de l'entreprise. Ce n'est qu'à propos du thème le plus général (question 12) que certains délégués pensent à l'action collective. Le degré d'évolution perçu par les délégués paraît être lié à une sorte de centratura sur l'entreprise, dans sa structure actuelle ; plus les questions semblent éloignées de l'entreprise, plus les délégués ont tendance à se représenter la réalité comme « évoluée >. Nous ramasserons dans un profil, comme nous l'avons fait pour les interviews des dirigeants, un ensemble de citations sélectionnées de façon à illustrer brièvement la tendance dominante. L'homogénéité des réponses était telle, jusqu'ici, que nous n'avons pas dégagé de « types » de syndicalistes différents. L'analyse par organisations syndicales (voir paragraphe suivant), montrera jusqu'à quel point l'origine des syndicalistes différencie leurs réponses.
III. L'ORIENTATION DES DÉLÉGUÉS ET LA SITUATION Contrairement à ce qui était le cas pour l'étude des dirigeants patronaux où malgré un faible nombre d'interviews la variété des réponses nous a incités à dégager divers « types > assez contrastés, nous avons constaté jusqu'ici que l'échantillon des délégués ouvriers, trois fois plus important numériquement, était de caractère beaucoup plus homogène.
Pouvoir et rémunération
110
Qu'en est-il, maintenant, lorsqu'on analyse les réponses par organisations syndicales ou par branches ? Notre hypothèse de départ prévoyait, à cet égard, une différenciation des choix selon l'origine des délégués. On verra dans les paragraphes suivants que les résultats contredisent cette attente. A de faibles nuances près le profil dominant des réponses est le même, pour chaque syndicat et pour chaque branche. L'analyse portera donc sur les nuances. On se demandera jusqu'à quel point les délégués de chaque syndicat répondent conformément à la moyenne de l'ensemble des délégués. On se demandera si les délégués d'une certaine branche industrielle ont tendance à donner des réponses plus proches de la moyenne que ceux d'une autre branche. L'analyse, en d'autres termes, portera sur les différences relatives.
A. ANALYSE PAR APPARTENANCE
SYNDICALE
On verra d'abord, tableau 3, la répartition des réponses dominantes en pourcentage du total des réponses de chaque organisation. Il apparaît clairement que les profils correspondant à chaque syndicat gardent la même allure, à une nuance près, que le profil global présenté au chapitre précédent. Comme le montre la disposition des tendances dominantes sur le tableau 3, les mêmes alternatives ont été choisies dans les trois syndicats dans la presque totalité des cas. On relèvera une exception : les réponses C.G.T. et C.F.T.C. se placent sur l'alternative positive alors que celles des délégués F.O. se placent sur l'alternative négative pour une question de notre schéma (question 12) ; les deux premiers insistent davantage que ce dernier sur l'action collective ; pour les uns les ouvriers attachent une importance plus grande à l'action collective, pour les autres à l'effort individuel. Dans l'ensemble, l'hypothèse de la différenciation des choix par syndicat n'est donc pas confirmée. C'est un résultat intéressant qui devra être interprété ultérieurement ; nous n'arrêterons toutefois pas l'analyse à cette constatation qui se fonde sur un schéma d'interview dont nous pouvons tester la validité, dans une certaine mesure tout au moins, en dégageant le degré d'homogénéité des réponses. Nous pouvons aller au-delà de l'analyse des choix d'alternatives. On constatera, en effet, que les pourcentages du tableau 3 indiquent que la tendance dominante n'est pas de même intensité pour les différents thèmes du schéma d'interview. Elle est très intense dans les matières
L'image syndicale de l'évolution
111
suivantes : l'influence ouvrière sur la production (question 1), l'organisation de la production (question 3), la rigidité de la main-d'œuvre Tableau 3. Orientation des délégués par organisation syndicale Question
Degré
d'évolution perçu
1 2 3
Influence ouvrière Effort ouvrier Organisation de la production
4 5 6
Coût salarial Elasticité salariale Rigidité main-d'œuvre
7 8 9
Conscience professionnelle Compréhension entreprise Comportement du personnel
10 11 12
Budget ouvrier Intérêts ouvriers Conscience collective
C.G.T. (A) (B) 85
C.F.T.C. (A) (B) 82
—
60
85
—
(A)
F.O. (B)
64
—
67
—
41*
73
—
55
—
—
72 63 82 59
—
—
63 45* 85
—
69 45* 81
—
68
—
58
—
54
—
81
—
68
—
—
— —
—
—
49
—
48
—
55
—
70
—
85
—
76
—
51
—
—
48*
—
55
45* 55
55 —
—
Ne figurent dans ce tableau que les pourcentages indiquant la position dominante de chaque organisation, dans certains cas (*) il s'agit d'une majorité relative compte tenu des non-réponses inclassables.
(question 6) et le budget ouvrier (question 10). Autrement dit, les délégués des trois syndicats n'hésitent guère pour affirmer que l'ouvrier peut faire varier la production ; que l'entreprise cherche le maximum plutôt que la coordination de la production ; que la mobilité de la main-d'œuvre est faible, malgré l'existence de différences de salaire entre entreprises ; que l'ouvrier, s'il ne fait souvent pas de budget actuellement, souhaite pouvoir en faire et tient à un salaire stable. En revanche, la tendance dominante sur l'ensemble des trois syndicats est spécialement faible dans les matières suivantes : l'élasticité salariale (question 5) ; le comportement du personnel (question 9) ; la conscience de classe (question 12). Les délégués des trois syndicats sont donc généralement plus hésitants lorsqu'il s'agit de se prononcer sur la possibilité de profiter des variations de conjoncture, de production, pour accrocher les salaires au plus haut niveau atteint, lorsqu'il s'agit de se prononcer sur la tactique de revendication, les avantages de l'action par secteur, ou encore sur l'action collective opposée à l'effort individuel. Il paraît assez naturel que des questions touchant des problèmes de
Pouvoir et rémunération
112
tactique syndicale provoquent davantage d'hésitation que des questions suscitant une sorte de réflexe ouvrier, attribuable vraisemblablement à la similitude de situation de la classe ouvrière dans les différentes entreprises. La démarche de cette analyse consiste maintenant à mettre en lumière les différences d'homogénéité. Nous considérons donc l'ensemble des réponses, à toutes les questions du schéma, et confronterons ce qu'on pourrait appeler d'un terme imagé commode « la massivité > des choix de chaque syndicat. On verra à partir de quels thèmes un rapprochement se dessine dans les positions de chaque syndicat, une proportion au-dessus ou au-dessous de la moyenne des pourcentages ayant répondu dans un certain sens. Le tableau 4 indique le degré d'homogénéité des réponses, par question et par syndicat. Nous appelons, arbitrairement, faible homogénéité une proportion en dessous de la moyenne de l'ensemble et forte homogénéité une proportion au-dessus de cette moyenne. Il reste entendu que les différences dans les effectifs interrogés sont sans effet sur cette présentation. Le tableau 4 nous permet donc d'abord de caractériser les réactions des délégués de deux manières ; nous pouvons montrer de quelle origine sont les réponses les plus massives (homogènes), et d'où viennent les choix massifs d'alternatives symbolisant l'avancement de l'évolution industrielle. Origine des réponses massives. Si nous additionnons simplement les réponses à forte homogénéité, sans égard particulier à la signification des alternatives choisies dans chaque cas, il s'avère que la répartition est la suivante : Homogénéité des réponses Forte Faible
C.G.T.
C.F.T.C.
F.O.
7 questions 4 questions
7 questions 7 questions
4 questions 4 questions
Mais nous pouvons analyser ces résultats plus en détail en tenant compte, cette fois-ci, de la signification (A) ou (B) des alternatives. Origine des choix massifs indiquant l'évolution. Dans l'ensemble (tableau 4) on trouve un peu plus de « forte homogénéité » sur les alternatives qui symbolisent un stade avancé de l'évolution industrielle.
L'image syndicale de
l'évolution
113
Tableau 4. Degré d'homogénéité des réponses des délégués selon l'appartenance syndicale Sens de ¡'évolution Degré d'homogénéité des réponses *
A F
Β /
f
F
F.O.
C.F.T.C. C.G.T.
C.G.T.
F.O. C.F.T.C.
Evolution technique 1. Influence ouvrière 2. Effort ouvrier 3. Organisation de la production
Q
Q
y
F.O.
Ο·!4.1 .e. OG Τ ' ' * C.r.l .C.
F.O.
Evolution socio-économique 4. Coût salarial 5. Elasticité salariale
ρ o
6. Rigidité de la main-d'œuvre Evolution psycho-sociologique 7. Conscience professionnelle 8. Compréhension de l'entreprise 9. Comportement du personnel
C F Τ C. ' ' F.O.
C.G.T.
F.O.
C.G.T. C.F.T.C.
F
C.F.T.C.
-°· C.G.T.
F.O . C.F.T.C.
C.G.T.
F.O.
C.G.T. C.F.T.C.
F.O.
C.F.T.C. C.G.T.
Evolution sociologique 10. Budget ouvrier 11. Intérêts ouvriers et entreprise 12. Conscience de classe
C.G.T.
C.F.T.C. F.O.
* Au-dessus la moyenne des pourcentages des réponses des trois syndicats < F » et au-dessous f. Sur les trois syndicats les réponses se répartissent ainsi : choix d'alternatives (B), Forte homogénéité de réponses : C.G.T. 4 questions C.F.T.C. 4 questions F.O. 2 questions
114
Pouvoir et rémunération
Les rapprochements entre C.G.T. et C.F.T.C. sont plus fréquents, si on se réfère à l'homogénéité des réponses, bien que la fréquence des réponses C.F.T.C. s'apparente également, sur certains thèmes, à celle des délégués F.O. Forte homogénéité des réponses. rapprochement : C.G.T./C.F.T.C. 6 questions C.F.T.C./F.O. 4 questions C.G.T./F.O. o question Plus grande cohésion des opinions donc, panni les délégués C.G.T. et C.F.T.C. que parmi ceux de F.O. et « unité d'action » plus fréquente entre les deux premières organisations, dans la métallurgie en particulier. La même tendance apparaît dans un tri par domaines qui complète utilement les analyses précédentes en localisant les choix massifs dans les « domaines > du schéma : C.G.T.
C.F.T.C.
F.O.
Forte homogénéité des réponses dans les domaines — — — —
Technique Socio-économique Psycho-sociologique Sociologique
3 1 1 2
3 1 1
0 2 2
2 0 (en nombre de questions)
Les réponses à forte homogénéité apparaissent surtout dans les domaines technique et sociologique pour les délégués C.G.T. et C.F.T.C. et dans les domaines socio-économique et psycho-sociologique pour les délégués F.O. B. ANALYSE PAR BRANCHE INDUSTRIELLE
Quelle est maintenant la répartition des choix dominants par branche, l'hypothèse de la différenciation peut-elle ici se soutenir plus facilement ? L'essentiel du résultat est ici encore une répartition des choix, dans chacune des branches, correspondant largement au profil global dégagé sur l'ensemble des délégués. Nous ne constatons ime nette différenciation que sur deux questions. Dans l'ensemble, les choix d'alternative en « sidérurgie pure * corres-
L'image syndicale de l'évolution
115
pondent le plus exactement au profil global ; en « sidérurgie mixte », on note un choix atypique à la question 5 (t accrocher les salaires au plus haut niveau atteint » au lieu de « garantir les salaires >) ; enfin dans les mines de fer on trouve une autre réponse atypique (question 9, « tactique de revendication par entreprise > au lieu de < par secteur >). Tableau 5. Orientation des délégués par branche industrielle (réponse dominante en % du total des réponses de chaque branche) Branche industrielle Question 1 2 3
d'évolution Influence ouvrière Effort ouvrier Organisation de la production
4 5 6
Coût salarial * Elasticité salariale * Rigidité main-d'œuvre*
7 8 9
Conscience professionnelle Compréhension entreprise Comportement du personnel
10 11 12
Budget ouvrier Intérêts ouvriers Conscience de classe **
S.M.
M.
(B)
(A)
(B)
(A)
(B)
89
_
100
—
—
45
—
58
—
77
—
89
—
—
74 51 79
(A) 66
—
69
—
61
55
—
—
56
—
—
73 —
62 43 100
—
57
—
72
—
77
61
—
94
—
46
—
50
—
83
—
—
50
81
—
65
58
—
86
—
65
—
—
42
—
47
—
50
69
S.P. = sidérurgie pure ; S.M. = sidérugie mixte ; M. = mines de fer. * Catégorie de réponses B* et B. " Catégories A et B, B* et B.
Tableau 6. Degré d'homogénéité de réponse des délégués par branche industrielle Degré d'homogénéité des réponses * Evolution technique 1. Influence ouvrière
S.M.
S.P.
2. Effort ouvrier * Au-dessus la moyenne des pourcentages de réponses, F, et au-dessous, f.
M.
116
Pouvoir et rémunération
Degré d'homogénéité
des
réponses
3. Organisation de la production Evolution
A F S.M.
Β f
socio-économique M. S.M. S.M. M.
S. Elasticité salariale 6. Rigidité de la main-d'œuvre
M. S.P.
S.M.
M. S.P.
S.P.
M. S.M.
S.P. M.
S.M.
S.P. S.M.
M.
psycho-sociologique
7. Conscience professionnelle 8. Compréhension de l'entreprise
S.M.
9. Comportement du personnel
S.M.
Evolution
F
S.P. M.
4. Coût salarial
Evolution
/
S.P. M. S.P. M.
sociologique
10. Budget ouvrier 11. Intérêts ouvriers et entreprise 12. Conscience de classe
S.M.
M. S.P.
S.P. = sidérurgie pure ; S.M. = sidérurgie mixte ; M. = mines de fer.
Quoi qu'il en soit, ces résultats détournent de « l'explication > des attitudes syndicales par branche. En procédant de la même manière que dans l'analyse par syndicat nous pouvons toutefois préparer quelques conclusions sur les différentes nuances qui sont présentées dans le tableau 6. Origine des réponses. Les réponses provenant de délégués de la sidérurgie mixte sont plus homogènes et l'intérêt de cette tendance réside évidemment dans le fait qu'une tendance analogue a été constatée dans l'analyse des réponses patronales. La population des délégués de sidérurgie pure et des mines hésite davantage : Ce serait une erreur, toutefois, d'attribuer cette tendance à la branche, sans rappeler que si les délégués des mines répondent un peu plus massivement que ceux de sidérurgie pure, ceci est également lié à la proportion de 81 % de délégués C.G.T. interrogés dans cette branche, autrement dit à
L'image syndicale de l'évolution
Homogénéité des réponses Forte Faible
117
Sidérurgie mixte
Mines de fer
7 5
Sidérurgie pure
5 7 (nombre de questions)
3 9
la forte homogénéité constatée chez les délégués de cette organisation syndicale. Origine des choix massifs par domaine. Ce dernier tri permet de mieux apprécier ce qui différencie les branches, malgré la ressemblance dans les choix des alternatives : Forte homogénéité des réponses dans les domaines : — — — —
Technique Socio-économique Psycho-sociologique Sociologique
Sidérurgie mixte
Mines de fer
Sidérurgie pure
2 0 3 2
2
0 3 0 0
1 1 1 (en nombre de questions)
CONCLUSION L'analyse de l'opinion syndicaliste devait faire ressortir des différences d'orientation selon l'origine des délégués ouvriers interrogés. Nous allonss traiter de l'orientation des délégués en fonction de leur organisation syndicale et de la branche d'industrie des répondants. C'était, en vue de respecter des différences propres au monde syndical français, négliger la similitude de position des délégués ouvriers en tant que tels. En fait, les données dont nous venons de présenter l'agencement, contredisant notre attente, se caractérisaient par une grande homogénéité. A la différence de ce qui s'est constaté chez les dirigeants patronaux nous étions en présence d'une grande ressemblance entre répondants qui constitue finalement le principal résultat de cette analyse. Comme les traits principaux du profil global de l'opinion syndicaliste, seul important, ont déjà été présentés et résumés (section I), il n'y a pas lieu d'y revenir ici. Cette conclusion sera donc brève, d'autant plus que les nuances apportées par les analyses (section II) ne changent rien à la tendance générale.
118
Pouvoir et rémunération
Dans l'ensemble, ces résultats invitent à un changement dans l'interprétation. Les tendances et les nuances de l'opinion devront être placées, davantage que nous avions prévu de le faire, dans la lumière du rapport social dirigeants-délégués.
LA PERCEPTION DE L'ÉVOLUTION
D'une façon générale, nous avons constaté que les délégués ouvriers mettent l'accent sur une situation peu évoluée dans les domaines technique et psycho-sociologique, mais accordent, par contre, de l'importance à Vévolution dans les domaines socio-économique et sociologique. Π semblerait qu'il existe, chez eux, une tendance à être pessimistes à l'égard de l'évolution à l'intérieur et optimistes face à Vévolution extérieure à l'entreprise ; ils tendraient à sous-estimer l'une, à surestimer l'autre. L'hésitation semble donc plus prononcée chez les délégués de sidérurgie pure, les transformations intervenues dans cette branche ayant rendu la situation moins claire. Il en va de même pour les mines. A l'exception du domaine socio-économique pour la sidérurgie pure, et du domaine technique pour les mines, les deux catégories de délégués hésitent plus spécialement dans les domaines psycho-sociologique et sociologique. Cette répartition, ici encore, ne peut manquer de rappeler les résultats patronaux, présentant une plus grande variété de « types » de réponses que la sidérurgie mixte.
CHAPITRE IV
Résistances patronales et aspirations syndicales Variable ou fixe
I. DÉLÉGUÉS OUVRIERS ET RÉMUNÉRATION Afin de connaître la tendance dominante de l'opinion des délégués ouvriers en matière de modes de rémunération nous avons posé, en début d'entretien, une question ouverte à laquelle ils ont généralement répondu à la fois par un choix tranché (préférence du « variable » ou du « fixe >), et des commentaires souvent assez riches. Nous présenterons ici les différents arguments avancés dont la plus grande partie concerne des avantages qu'aurait, aux yeux du délégué ouvrier, un salaire fixe ou « plus fixe ». Si la tendance fortement majoritaire de 80 % (sur l'ensemble des réponses) en faveur du salaire fixe n'est guère surprenante, car elle confirme la dominante de la presse syndicale et des entretiens préliminaires, il est important de la faire apparaître clairement en vue de l'interprétation ; nous essayerons de dégager le sens des réponses des délégués ouvriers au schéma d'interview. Seulement 20 % des réponses expriment donc une préférence en faveur du maintien d'une partie variable dans les salaires, le plus souvent en faisant état d'avantages tactiques.
A . ARGUMENTS EN FAVEUR DU « VARIABLE >
Les deux premiers arguments indiquent que le salaire variable permettrait d'adapter la revendication et la négociation à la conjoncture ; ils reprennent partiellement ce que notre schéma d'interview exprime dans les alternatives socio-économiques. 1. Les salaires peuvent suivre les progressions de la production « En principe, la majorité des ouvriers est pour le fixe. Mais ça peut avoir des inconvénients... La production sidérurgique est en pleine expan-
120
Pouvoir et rémunération
sion. La direction pousse au fixe et le syndiqué se méfie ; si dans deux ans les hauts fourneaux donnent deux fois plus, alors... L'évolution industrielle accorde encore les plus grands avantages au salaire variable. » L'analyse des nuances qui cherchait à faire apparaître sur quels thèmes, dans quels domaines la population des délégués interrogés montrait beaucoup d'assurance ou témoignait de quelques hésitations, selon qu'on s'éloignait plus ou moins d'une majorité « massive », a dégagé les caractéristiques suivantes : — la C.G.T. et la C.F.T.C. — par ailleurs les deux syndicats qui apportent le plus souvent des réponses massives et se rapprochent — ont tendance à se prononcer avec un maximum d'assurance sur les questions touchant au domaine technique et sociologique ; — F.O., dont la tendance est de se rapprocher sur certains points de la C.F.T.C., tend à répondre massivement dans le domaine socio-économique et psycho-sociologique ; — les hésitations sont plus sensibles — des majorités moins importantes de délégués de tous les syndicats se prononçant pour une même alternative — lorque les questions abordent directement un aspect de tactique syndicale ; — à un nombre important de questions les délégués de la branche que nous avons appelée « sidérurgie mixte » répondent plus massivement que les mineurs et surtout que les délégués de la « sidérurgie pure ». 2. Interprétation Se trouvant tous dans une situation de dépendance face à l'autorité des dirigeants et face à l'usine, soumis à ime pression sociale plus ou moins forte selon les endroits, mais néanmoins sensible partout, la ressemblance entre délégués s'explique le plus facilement par rapport à leur position de délégués ouvriers. Les contenus des réponses (Chap. I) témoignent par une abondance d'exemples combien la dualité « ils » et « nous » reste importante, qu'elle soit plus ou moins explicite. La perception de la réalité industrielle passe presque inévitablement à travers cette dualité, bien davantage qu'à travers une doctrine syndicale particulière. L'organisation de la production, par exemple, est certes un phénomène impressionnant, mais le délégué appelé à se prononcer sur l'importance comparée de la coordination inter-secteurs et la politique de maximisation de la production n'hésitera guère : le « patron » pousse au maximum. Du point de vue économique et sociologique la réalité a évolué, pensera
Résistances patronales et aspirations syndicales
121
le délégué, mais « ils » ne veulent pas en tenir compte. Le délégué pense, par contre : « nous » ont introduit le salaire variable ; « l'ouvrier ne comprend que la liaison tonnages-salaires, puisqu' " ils " ne nous donnent pas d'autres éléments pour comprendre l'entreprise >. Cela dit, d'une part les répondants se trouvent à certains endroits dans des situations en voie de transformation, la pression sociale exercée ne se pratiquant pas avec les mêmes méthodes partout et sont obligés, d'autre part, de s'accommoder — en tant que délégués syndicalistes — de la situation présente quelle qu'elle soit. Il est intéressant de relever le parallélisme, même s'il s'agit ici d'une faible tendance, entre l'homogénéité des réponses des dirigeants et aussi des délégués dans la branche industrielle qui a subi les transformations techniques les moins grandes et a probablement maintenu ime politique du personnel traditionnelle. Chez les délégués de cette branche les réponses sont plus massives, plus assurées, que chez les délégués des deux autres branches où la diversité technique, due à des transformations importantes et relativement récentes, et les différences d'orientation des dirigeants patronaux constituent effectivement un fonds moins homogène. L'opinion des syndicalistes, comme réaction à ces situations, est donc également plus ou moins homogène. Nous reviendrons sur l'aspect actif de la conduite du délégué, l'ambiguïté de sa position de délégué ouvrier qui cherche à transformer la situation dans laquelle il se trouve tout en s'accommodant à certains de ses éléments pour en tirer un avantage tactique dans ses relations stratégiques. 3. En cas de crise, l'élasticité des salaires aide à éviter les licenciements « Le salaire fixe peut apparaître comme une garantie en cas de diminution des commandes, mais en fait il faut garder la prime de production : c'est une réserve sur laquelle on peut jouer quand il s'agit d'éviter des licenciements. » Les arguments de ce type, les plus fréquents, sous-entendent aussi bien une prime usine que des salaires de secteurs ; ce sont surtout les délégués d'une des usines qui avancent ce type d'arguments ce qui s'explique par les particularités d'une situation économique nettement en expansion. On trouve, ensuite, deux autres arguments : « les ouvriers s'intéressent aux augmentations individuelles du salaire >, dans ce cas le délégué réserve généralement son opinion de syndicaliste, et « avec le fixe la
122
Pouvoir et
rémunération
production baisserait », opinion de dirigeant patronal qui se retrouve, assez rarement il est vrai, chez des délégués ouvriers.
B . ARGUMENTS EN FAVEUR DU « FIXE »
Les arguments exprimés dans ce cas, souvent simultanément, par la majorité des délégués en faveur du « fixe », ne sont ici distingués que pour des raisons de commodité ; ils sont en fait en interrelation assez étroite. 1. Le salaire variable menace la sécurité du revenu
C'est de loin l'argument le plus avancé. Il se comprend moins par rapport à une crainte de variations du niveau des salaires effectifs, dont on souligne, au contraire, la stabilité de fait, mais comme opposition contre « l'arbitraire patronal », pour employer le terme en usage, contre le principe des salaires variables. Il y a une crainte générale, diffuse, de « ne pas faire le mois » qui semble liée au fait que les salaires dépendent d'éléments et de décisions dont les intéressés n'ont pas le contrôle. — « La stabilité, la continuité du revenu, ça passe avant tout le reste... > — « Les primes, ça reste aléatoire : on n'est jamais tranquille... > — « Il n'y a pas de raison que toute la famille trinque parce que la direction est incapable d'assurer une production normale... » — « Ce que nous voulons, c'est un salaire qui ne soit pas lié aux temps, serrés ou non, à la qualité de l'outillage, du matériel, à l'état de santé du compagnon, aux erreurs possibles des Chiffreurs et des contremaîtres... » —· « On pourrait compter sur son salaire : plus besoin de toujours penser à son budget... » — « ... On est obligé de vivre au jour le jour : si j'ai des sous, j'en mange, on verra demain... »
La majorité des délégués attirait l'attention sur ce point alors qu'il n'était pas suggéré pour la question posée. Les commentaires touchant à la sécurité du revenu se réfèrent fréquemment à l'idée que les ouvriers ne seraient par maîtres de leur cadence, ou des conditions du marché, mais ils traduisent également la méfiance à l'égard de la direction, instance de contrôle des résultats du travail et autorité de l'usine (< ils peuvent faire ce qu'ils veulent »). 2. Le salaire variable est source
d'injustices
La prime, d'abord, reporterait le poids des difficultés de production, de l'insuffisance de l'organisation, etc., sur l'ouvrier, alors que la respon-
Résistances
patronales
et aspirations
syndicales
123
sabilité en incomberait à la direction. De plus la prime ne serait liée qu'en apparence à la production ; en fait les variations du pouvoir d'achat ou la politique de révision des prix de tâche n'aboutiraient qu'à des efforts supplémentaires non rémunérés. — « Le salaire au rendement, c'est un vice. Voyez : les types sont arrêtés parce que les fours ne sont pas chauds. Résultat : il faudra après qu'ils bourrent comme des brutes pour faire leur prime... » — « Je vais vous parler franchement... un salaire au rendement juste nous intéresserait ; mais ce qu'on constate, c'est qu'au contraire nous y perdons régulièrement... » — « ... Je suis pour le fixe parce que la classe ouvrière ne peut souvent pas s'opposer à certains abus de la direction, à la révision des taux de calcul qui font que l'ouvrier est régulièrement roulé... » — < Les patrons veulent faire rendre le maximum... et il y en a qui se laissent prendre, mais ils se font toujours avoir : le tonnage maximum atteint devient le tonnage normal... » — « . . . La politique du patronat consiste à donner l'impression que le salaire est lié à la productivité. » 3. L'obscurité
du calcul des primes permet la
manipulation
Le syndicaliste interprète volontiers le sens que prend la complexité ou en tout cas l'obscurité dans laquelle se présente à lui le calcul des primes : il y a là, pense-t-il, une marge de manipulation. — « Tout le système de prime est si compliqué que le patron peut toujours s'arranger pour retirer d'une main ce qu'il donne de l'autre... » — « On ne peut ni calculer ni contrôler le coefficient, mais une fois on a réclamé, et on l'a fait remonter : s'il dépendait vraiment de la production, il serait resté comme il était. » 4. Le salaire variable est contraire à la dignité de
l'ouvrier
Plus de la moitié des délégués voient le salaire à primes comme un système dégradant. Une façon d'exprimer ce jugement se trouve parfois dans des commentaires sur la façon dont sont traitées les différentes catégories de salariés : — « L a prime amène le compagnon à se sentir inférieur, loin des < bureaux », en dessous des mensuels... » — « On a droit à un salaire garanti : les ouvriers contribuent tout autant que les autres à la marche de l'entreprise... » Mais la plupart du temps le répondant n'a pas recours à cette comparaison pour répéter le principe du salaire variable, contraire à la dignité
124
Pouvoir et
rémunération
du travailleur. Ainsi profitant de la situation économique de l'ouvrier on lui imposerait son gain comme seule préoccupation, même si cela pousse certains — ceux qui « se laissent prendre » — à « l'abrutissement >. — « L a prime, c'est un os qu'on jette à l'ouvrier en lui faisant croire que c'est un cadeau, une récompense : et il l'accepte, parce que de toute façon sa paie est trop faible. » — « E t combien il y en a qui se laissent prendre, poussés par leur femme souvent, à ce système inhumain, à vouloir absolument gagner plus que les copains... » — « Le rendement, c'est tuer le bonhomme pour quelques sous de plus... » — « ... C'est un système d'abrutissement : j'aimerais mieux voir monter le garanti et que le total ne bouge pas... » — « ... Avec le fixe, le travail serait plus humain : les mineurs travaillent trop souvent comme des bêtes et font leur malheur. » On peut s'étonner, à ce sujet, de trouver ici l'emploi aussi fréquent du mot « inhumain » : le salaire au rendement le serait, puisqu'il ne mesure, comme dans une machine, que la force, la vitesse, l'habileté, sans égard aux hommes, à leur réaction, leur initiative ou leur responsabilité. — « La raison essentielle contre la prime c'est une raison humaine ; un homme n'a pas à être poussé au travail comme si on appuyait sur l'accélérateur d'une machine ; il sait ce qu'il a à faire et il le fait. Je sais bien que cet idéal est impensable dans un système qui utilise les bras, la force de l'ouvrier contre son esprit : n'empêche que nous tenons dès aujourd'hui à ce qu'on respecte notre sens des responsabilités. » — « Les primes, c'est pour nous tenir... » — « . . . A la base de tous ces systèmes, il y a la méfiance des patrons... » — « Es ne croient pas à la conscience professionnelle des ouvriers. » 5. Le salaire variable est source de difficultés dans
l'entreprise
La méfiance des dirigeants à l'égard des ouvriers, un certain nombre de délégués la considèrent non plus seulement comme injustifiée, mais comme dysfonctionnelle. Se plaçant dans la perspective de l'intérêt de l'entreprise, ils pensent qu'avec le fixe la production ne baisserait pas, « les ouvriers ne viennent pas à l'usine pour s'amuser ». Puis, la qualité, sans le salaire au rendement, serait d'autant plus respectée que l'ouvrier se sentirait davantage responsable. — « Si on était au fixe, il y aurait moins de rebut, l'ouvrier ferait son travail plus correctement. » — « Je travaillerais normalement, avec la conscience voulue, j'aurais la tension nerveuse en moins et mon travail serait mieux fait... Avec le travail à la prime, l'ouvrier pense à sa paie et non à son boulot... un fixe augmenterait le sérieux de l'ouvrier : si on cessait de l'embêter, le travail serait plus propre... la nouvelle façon qu'on aurait d'attraper le travail serait au total bénéfique pour la production.
Résistances
patronales
et aspirations
125
syndicales
Plusieurs délégués se font alors psycho-sociologues et calculent que l'amélioration du « climat » dans l'entreprise, par suppression du stimulant, serait un bénéfice pour l'entreprise. Ils s'accordent pour voir dans les systèmes au rendement une importante cause de tension aussi désavantageuse pour l'entreprise que pour les ouvriers. — « Une stabilisation des salaires accroîtrait la solidarité, le concours commun de chacun à la marche de l'usine : le système actuel amène rivalités et jalousies... » — « Le fixe simplifierait les relations entre chefs, contremaîtres, ouvriers ; l'ouvrier se sentirait plus libre dans son travail... > — « Objectivement, la prime offre au patron une marge de manœuvre importante ; l'ouvrier en retire un complexe vis-à-vis du patron ; il a l'impression qu'on est toujours en train de le pousser à produire plus et plus vite... » — « Le matin, théoriquement, on ne sait pas ce qu'on va gagner — 1/3 n'est pas garanti ; mais bien sûr, si la paie baissait de 1/3, il y aurait de la casse... Alors : d'un côté la résistance de l'ouvrier et finalement tout s'annule, sauf qu'on est tous embêtés : c'est absurde... L'intérêt de l'entreprise ? On n'a rien à en f... mais on ne voit pas pourquoi on garderait ces causes de tension inutiles... > Quelques commentaires enfin vont jusqu'à analyser le mauvais fonctionnement de ces systèmes au rendement en termes de bureaucratisation. — « Tous les temps, tous les coefficients sont contestables. Dans des secteurs entiers les gens sont censés travailler au rendement : ce n'est pas vrai. Arrangements, tensions, pressions, discussions et personne ne sait plus où on en est. Reste cette tension perpétuelle d'avoir toujours à discuter : si on calculait le temps perdu ainsi, les erreurs qui s'ensuivent, n'importe qui dirait que ces systèmes sont absurdes... » — « L a direction, d'ailleurs est d'accord : c'est dépassé ; mais ils disent qu'ils les gardent comme justification comptable... la vraie raison, c'est qu'ils ne sauraient plus quoi faire des gens des bureaux des temps et méthodes... » 6. Le salaire variable
javorise
l'individu
contre
les
syndicats
Enfin, l'une des critiques du salaire variable qui revient au fil des c o m mentaires, parfois plus explicitement que dans les arguments précédents, est celle relative à la politique de division. L e salaire au rendement serait, aux mains de la direction, un instrument de « lutte des classes », plus spécialement une arme antisyndicale. L a prime serait la part d'arbitraire, soustraite à la discussion collective avec une organisation ouvrière habituée à conclure des contrats. — — « Les primes, c'est des os que nous jette le patron pour rompre la combativité. »
En revanche un salaire fixe favoriserait l'organisation syndicale, estiment certains délégués. — < Après la garantie du revenu, l'argument le plus en faveur du salaire fixe, c'est qu'il entraînerait une plus grande homogénéité des travailleurs. > — « ... Faciliterait beaucoup la liaison syndicale entre ouvriers et employés... » — < Si nous comparons avec d'autres boîtes, il est bien plus facile de mobiliser les gens avec le fixe : ils bougent mieux, et ensemble... >
Etant donné l'importance de la sécurité du travail, plus spécialement dans les mines, nous avons posé une question précise à ce sujet ; on trouvera dans le paragraphe suivant les principaux commentaires des délégués.
C . ARGUMENTS DE SÉCURITÉ DU TRAVAIL
Une forte majorité des délégués, ici encore — 80 % des réponses — exprime un jugement défavorable à l'égard du salaire au rendement auquel ils attribuent une influence néfaste en matière de sécurité du travail. Les autres ne pensent pas que le mode de rémunération puisse avoir une influence sur la sécurité, ou hésitent à se prononcer nettement. 1. Les modes de rémunération ont une influence sur la sécurité du travail (80 % des réponses) On trouve tout d'abord les réponses catégoriques et affirmatives qui n'appellent même pas de commentaires : « Ici je suis formel » ; « Le fixe est la condition majeure pour la sécurité » ; « Le salaire variable est une menace continue, il entraîne des accidents nombreux, il est impensable dans les mines. » Dans les réponses plus explicites, on peut distinguer trois principaux types d'arguments : a) La hantise de la baisse éventuelle du salaire pousse les ouvriers :
Résistances patronales et aspirations syndicales
127
— soit à prendre trop de risques : — < Au dépilage, si les ouvriers étaient au fixe, ils ne s'aventureraient pas sous certains placages. » — « L'ouvrier est hanté par ces heures qui ne rendent pas... Voyez, un purgeur... après une demi-heure d'efforts il n'arrive pas à faire tomber le bloc qui lui paraît dangereux ; il sera tenté, s'il est au variable, d'avancer dans la galerie et de risquer ainsi un accident mortel. > — « En ce moment, faire sa sécurité, ça ne paie pas, et on a tendance à moins en faire... surtout les jeunes. »
— soit à ne pas respecter les consignes : « La consigne est d'attendre une heure après le tir avant de rentrer dans la galerie... en fait, les porions se font facilement obéir quand ils poussent à ce qu'on rentre 1/4 d'heure après... Les vingt minutes de casse-croûte, pour un chargeur en retard, par exemple, vont facilement disparaître. »
b) Le salaire au rendement est l'obstacle essentiel que le délégué à la sécurité rencontre dans son action auprès des mineurs : — « Le fixe, c'est du tonnerre pour la sécurité... le délégué pourrait discuter avec les gens, obtenir qu'ils nettoient leur chantier convenablement, ils ne seraient plus toujours en train de regarder les tonnages... > — « C'est là-dessus (problème de sécurité) qu'était basée notre revendication du salaire avec un minimum de variable. Bien que le système de salaire actuel (presque fixe) n'existe que depuis trois ans, il y a une nette amélioration, due aussi, il est vrai, aux moyens techniques nouveaux. >
c) Le salaire au rendement est un des éléments d'une situation qui va à l'encontre de la sécurité : — « Le patron tend vers le bénéfice, et nous vers la sécurité... » — c Par la force des choses, l'ouvrier est amené à négliger la sécurité. Le patron, quel qu'il soit, pour quelques raisons ou par quelques méthodes que ce soit, arrive à faire négliger les règles de sécurité. Le rendement passe au premier lieu : un jour ça craque, alors tout le monde dit qu'on aurait dû, qu'il faut faire attention... » — < Les règlements sont faits pour défendre le patron : si on ne les applique pas on risque d'être foutu à la porte. Si on les applique le patron pensera qu'on fait baisser les tonnages, et faire baisser les tonnages, ça veut dire que le gars peut être déplacé... La coupe de sécurité, de la fumisterie... on veut démontrer à coups de statistiques que la mécanisation augmente la production avec moins d'accidents... on fait du chantage auprès des accidentés... on en voit qui viennent quand même travailler... ils y gagnent et le patron aussi... Avec un salaire garanti, il serait quand même moins facile au patron de pousser... la sécurité y gagnerait... » — « ... On fait de la propagande, mais tant que les conditions de travail restent les mêmes, c'est des mots en l'air. »
128
Pouvoir et rémunération
2. Les modes de rémunération n'ont pas d'influence sur la sécurité (10 % des réponses) Les quelques réponses qui récusent l'argument de l'influence du mode de rémunération sur la sécurité mettent en avant : — soit le danger permanent du métier de mineur : — « E n fait, les accidents sont imprévisibles par l'ouvrier ». — « D e toute façon, le sous-sol est très mauvais ici ».
— soit la négligence habituelle de l'ouvrier : « Non, ça ne joue pas. En fait, nous avons plus d'accidents ou au moins autant depuis qu'on a un salaire fixe : les gens ne font pas attention. »
3. Autres réponses (10 %) Enfin, quelques réponses soulignent que le salaire au rendement n'est qu'un obstacle parmi d'autres à la sécurité et qu'en définitive il est difficile de savoir quelle est son importance : — « En ce moment, c'est diffìcile de faire respecter la sécurité parce que pour les hommes, la production passe en premier... il faudrait faire l'expérience avec un salaire forfaitaire et je crois qu'on y arriverait. » — « Le salaire au forfait n'améliorerait pas la sécurité. La faute en est aux individus. Chacun se dit : « Moi, un accident, ça ne m'arrivera jamais »... Jeunes ou vieux, c'est pareil... Il y a là un gros effort à faire... et le mode de salaire, c'est vrai, prend ici son importance. »
Pour conclure cette rapide analyse nous ferons ressortir les différences de niveaux dans l'argumentation des délégués. Il est intéressant de souligner les diverses significations que peut prendre, dans la pensée des délégués, le mode de rémunération comme instrument de gestion de l'entreprise. Lorsque le délégué parle de la « menace de la sécurité du revenu », il pense à l'ouvrier en tant que consommateur (II a). Défense traditionnelle des intérêts matériels. L'argument suivant est de même nature. Le délégué ne défend plus simplement la sécurité, mais également le niveau des salaires (II b) : le salaire variable serait injuste, puisqu'il frustrerait les ouvriers d'une partie des avantages pécuniaires ; les aléas de l'organisation et de la technique feraient parfois baisser une production en principe liée à l'effort ouvrier. D'autres délégués pensent aux intérêts moraux de l'ouvrier, revendiquant une reconnaissance de sa dignité (II d).
Résistances patronales et aspirations syndicales
129
De par sa fonction, mais également par les nécessités d'une situation conflictuelle le délégué ouvrier réfléchit en termes stratégiques et tactiques. C'est ainsi que quelques-uns voient des avantages stratégiques à long terme, dans le salaire variable qui permet plus facilement de suivre la conjoncture lorsqu'elle est bonne (I a) ou de l'éviter lorsqu'elle est mauvaise (I b). Mais il y a des avantages de cette sorte du côté du « fixe » : il enlèverait aux dirigeants patronaux des possibilités de manipulation et l'arme antisyndicale de l'individualisme (II c et II f). Cela dit, il arrive également que les délégués se placent dans une perspective gestionnaire (I d, II e) ; ainsi, les commentaires visant la rationalisation de l'entreprise dans l'intérêt de celle-ci. Cependant le point de vue qui domine dans l'argumentation reste celui du rapport des forces entre patronat et salariat. Nous reviendrons donc à cette dernière perspective, dans la suite de notre analyse. Nous revenons donc à la structure globale des réponses afin de mettre en évidence leurs significations en termes d'aspiration au salaire fixe, puisque c'est là l'une des tendances majeures de l'analyse précédente.
D.
LA SIGNIFICATION DE L'ASPIRATION
Il s'agit maintenant de rapprocher les principaux éléments de cette étude. La conclusion d'une partie de notre étude a fait ressortir l'importance du rapport social dirigeants patronaux-délégués ouvriers. C'est dans cette même perspective que se fera l'interprétation de l'aspiration au salaire fixe qu'une impressionnante majorité de délégués a exprimée. D'autant que cette aspiration est celle de leaders ou de responsables influents d'une organisation syndicale qui se trouvent confrontés à une autorité patronale dont ils cherchent activement à contrebalancer et même à contester l'exclusivité du pouvoir de décision en matière de politique salariale. Notre interprétation cherchera à tenir compte, dans ce paragraphe, du fait que les décisions patronales, objectivement unilatérales, ne peuvent pas ne pas être prises dans le rapport dialectique dirigeantsdirigés. Nous sommes donc amenés à tenir compte des différentes perspectives dans lesquelles l'aspiration syndicale à l'abandon du salaire variable et à l'adoption du fixe se conçoit. 1. Aspiration au fixe et orientation des délégués Nous procéderons ici par question plutôt que par domaine en nous basant sur le profil global des réponses. 5
130
Pouvoir et rémunération
Quel est, à propos de chacune des alternatives choisies par une majorité de délégués ouvriers, le gain d'influence qu'ils réaliseraient dans le cas hypothétique où le dirigeant — toutes choses restant égales par ailleurs — changerait aujourd'hui le salaire variable en salaire fixe (ou quasi fixe) ? a) L'influence ouvrier et la production (question 1) Les délégués affirment que l'ouvrier peut faire varier la production et qu'il a une influence plutôt directe (alternative A) ; cela revient à dire : — que la marge d'influence dont dispose l'ouvrier risque, tant que le salaire est lié directement à la production, de lui faire croire que son salaire est « juste », puisqu'il tient compte dans une certaine mesure de l'effort supplémentaire fourni. Dans ces conditions le passage au salaire fixe signifie pour le délégué un gain d'influence à la fois auprès de la collectivité ouvrière de formes de salaire individualisées et auprès des dirigeants, les négociations collectives étant facilitées par l'appui qu'un groupe ouvrier devenu plus homogène fournirait au délégué (voir aussi argument — II f — du § précédent) ; — que l'ouvrier, disposant d'une marge d'influence sur la production est tenté en cas de « variable », d'augmenter la production et donc son salaire au détriment de la sécurité du travail. Les arguments cités, notamment par les délégués mineurs, sont largement partagés. Le salaire fixe apparaît alors comme une augmentation de l'influence du délégué ouvrier, encore une fois aussi bien auprès du groupe ouvrier qui ne le suit pas toujours, intéressé qu'il est par le salaire « individualisé », qu'auprès de la direction (argument — II f — ) ; — que le délégué, pour une double raison, souhaite que la constatation d'une marge d'influence ouvrière sur la production conduise à l'abolition et non au maintien du stimulant (ou même simplement du « régulateur ») salarial ; il estime qu'en cas de « fixe » la production ne baisserait pas, la conscience professionnelle étant suffisante pour la maintenir. L'ouvrier gagnerait en dignité et cela — autre argument — pas seulement à titre individuel. Il y a sans doute chez beaucoup de syndicalistes, à un niveau plus ou moins conscient, le calcul stratégique suivant : sans pression salariale directe la collectivité ouvrière produirait suffisamment dans des conditions « normales », puis en cas de conflit l'action à travers la production obligerait le dirigeant à la négociation avec les délégués ouvriers, plus difficiles à tenir à l'écart (argument — Π e).
Résistances patronales et aspirations
syndicales
131
b) L'effort ouvrier et la production (question 2) Le délégué estime que l'effort est de plus en plus de type nerveux plutôt que musculaire (alternative B). Le salaire au rendement serait alors une sorte de multiplicateur de la fatigue nerveuse. Plus le type de travail agit sur le système nerveux, plus le salaire au rendement, en poussant à augmenter les cadences, a des conséquences novices (argument III). c) L'organisation et la production (question 3) L'organisation de la production est plutôt faible, le patron < pousse » toujours au maximum dans chaque secteur (alternative A, choisie par la plupart des délégués qui ont l'impression que l'ouvrier est soumis à une pression). Le délégué voit alors dans le salaire fixe, par l'aspect stabilisateur de celui-ci, un gain par la suppression de cette contrainte, mais aussi une rationalisation (argument II e), par élimination des effets dysfonctionnels. Il y a donc là l'amorce d'un argument qui porte sur des avantages communs à l'ouvrier et à l'entreprise. d) Le coût salarial et le prix de revient (question 4) Ce qui coûte cher, ce sont les installations, mais malgré cela ce qui est payé c'est l'effort plus que la responsabilité (alternative B). Le délégué entend souligner que l'ouvrier a plus de peine à admettre le principe du salaire au rendement dès lors qu'une évolution s'effectue dans le sens d'une plus grande responsabilité (argument II b) ; le passage au fixe marquerait ainsi un gain en faveur de la reconnaissance de l'apport ouvrier. e) L'élasticité salariale et la conjoncture (question 5) Comme nous l'avons indiqué, les délégués ont des opinions partagées sur l'intérêt stratégique de l'une ou de l'autre des alternatives ; ou bien le délégué pense aux fluctuations en baisse de la conjoncture et à la garantie que constituerait le salaire fixe contre les baisses de salaires, voire même les licenciements, ou bien il pense à la hausse de la conjoncture et à une éventuelle participation à l'expansion qu'il obtiendrait plus facilement dans le cas d'un salaire variable (argument II a). f ) La rigidité de la main-d'œuvre et la conjoncture (question 6) Malgré les différences de salaire qui subsisteraient (alternative A) entre entreprises, les délégués ne pensent pas, comme on pouvait le prévoir, qu'un salaire fixe aurait pour inconvénient de fixer l'ouvrier à l'entreprise.
132
Pouvoir et rémunération
La main-d'œuvre est déjà liée à l'entreprise (par le logement notamment), elle ne le serait donc pas davantage avec le salaire fixe. Le délégué ne voit que des avantages à consolider le statut des ouvriers dans l'entreprise par un salaire qui réduit la distance entre eux et les employés. g) La conscience professionnelle et le rendement (question 7) L'ouvrier n'a pas besoin d'un stimulant salarial pour assurer par luimême une production normale (alternative B). Les délégués, comme les commentaires l'ont montré (argument II e) s'expriment ainsi pour affirmer la conscience professionnelle du travailleur (réaction de dignité), tout en reconnaissant que l'entreprise elle-même trouverait son avantage dans la suppression du salaire au rendement. L'argument de la qualité du travail est alors le plus fréquemment avancé. h) Le budget ouvrier et la consommation (question 10) Le délégué voit dans le salaire fixe un moyen pour garantir la stabilité des revenus ouvriers, menacés par des variations de production dont ceux-ci ne sont pas responsables (alternative B). i) L'intérêt des ouvriers et l'entreprise (question 11). Le patron pense surtout à l'intérêt de l'entreprise (alternative A). Les délégués vont jusqu'à penser que le salaire au rendement est un instrument de gestion dont l'ouvrier ne retire aucun avantage réel (certains récusent même le principe de l'intéressement par des primes d'usine). Ils considèrent alors que le salaire variable est une méthode propre à obtenir de l'ouvrier une production supplémentaire qui n'est pas rémunérée proportionnellement, tout en lui faisant supporter une part des risques de l'entreprise (conjoncture, défauts d'organisation, etc.). Le salaire fixe supprimerait de tels risques (argument II a). j) La situation actuelle et la revendication (questions 8, 9 et 12). La compréhension de l'entreprise et le salaire : l'ouvrier comprend surtout la liaison entre les tonnages et les salaires (alternative B de la question 8) ; la revendication s'organise plutôt secteur après secteur (alternative B de la question 9) ; les ouvriers s'organisent collectivement et associent parfois les employés à leur action (alternative B de la question 12). (Il convenait de regrouper ces trois questions dont le sens est apparemment en contradiction avec les réponses aux questions précédentes qui argumentent en faveur du salaire fixe.) Se situant sur le terrain de l'action quotidienne, à l'intérieur de l'entre-
Résistances patronales et aspirations syndicales
133
prise, les délégués se réfèrent à l'utilisation tactique des caractéristiques de la situation actuelle. Ils savent (question 8), d'une part, qu'il est plus facile d'intéresser les ouvriers aux problèmes qui les touchent par une répercussion immédiate sur les salaires. Dans la situation présente la politique patronale de différenciation des salaires par secteur a particularisé les intérêts ouvriers de ces secteurs (question 9). Les délégués utilisent tactiquement cette situation et se prononcent donc, de ce point de vue, dans le sens à la fois d'une faible évolution de la situation et pour le maintien du salaire variable. Les revendications organisées sur la base des secteurs facilitent actuellement la mobilisation des ouvriers en même temps que la négociation avec les dirigeants. D'autre part, une partie importante des délégués exprimant à propos de la question 12 une attitude « solidariste », insistent sur 1' « action collective » et mettent en avant les avantages que représente le salaire fixe pour des revendications d'ensemble (argument 11 f). Il y a là une tendance à surestimer les stades de l'évolution industrielle en se référant à une conscience de classe de « salariés >. Il n'est pas contradictoire pour le délégué de s'accommoder de la situation actuelle en soulignant ses avantages tactiques et de souhaiter le salaire fixe, en espérant qu'il favorisera des revendications globales sur le plan de l'entreprise et une augmentation de l'influence syndicale (argument II f). 2. La stratégie d'influence et la position du délégué Si les réponses des délégués ouvriers sont plus diverses, ne présentant pas la même constance de choix que les réponses patronales — ce qui n'exclut pas d'ailleurs une grande ressemblance des choix entre syndicalistes — cela est dû, semble-t-il, à l'ambiguïté entre la poursuite de buts immédiats et de buts à long terme. Le syndicaliste, bien sûr, réfléchit aux divers avantages des modes de rémunération face à l'autorité patronale. Mais le fait que l'initiative d'un changement, même provoqué par une pression syndicale, soit prise par le dirigeant, dans des circonstances qu'il peut encore aménager à sa convenance, complique singulièrement le choix du syndicaliste. Entre les avantages tactiques de la rémunération au rendement, résultat d'une longue pratique de rapports avec les dirigeants patronaux, et les avantages considérables d'une situation nouvelle (celle du salaire fixe garanti), mais envisagée sous un jour peut-être trop favorable, il y a place pour une certaine hésitation.
134
Pouvoir et rémunération
Le syndicaliste se trouve dans plusieurs rôles ambigus, ce qui complique sa stratégie d'influence : — Il est à la fois défenseur des intérêts immédiats (niveau des salaires, sécurité, etc.) de l'ouvrier et défenseur des intérêts < moraux » de celui-ci (reconnaissance de la dignité de l'ouvrier, de la responsabilité de son travail) ; — organisateur d'un groupe d'opposition qui tire sa force des réactions de ses mandants, la défense des intérêts matériels immédiats pouvant être plus efficace pour « mobiliser » celle-ci que l'amélioration de la situation stratégique à long terme (par exemple à travers un changement des modes de rémunération) ; — il est négociateur et cherchera à défendre des intérêts particuliers, généralement ceux du groupe des travailleurs manuels, ou de certains d'entre eux tout en mettant en lumière la convergence des intérêts ; les délégués se placent souvent aussi, nous l'avons relevé à diverses reprises, dans une perspective « entreprise » ; enfin c'est un — opposant, à la recherche d'avantages relatifs, par marchandage d'influence, un « contre-pouvoir », mais aussi une force qui cherche à renverser la situation de l'autorité en principe unilatérale, c'est-à-dire également un « anti-pouvoir > \ dans la plupart des cas du moins. Le principe unificateur de la position du délégué, au-delà de cette complexité et de ces ambiguïtés, est le rapport social dirigeant-délégué, aspect des rapports de production, au sens marxiste du terme. La signification de l'aspiration syndicale au changement des modes de rémunération est certes la poursuite de l'amélioration des conditions matérielles et psychologiques du travail ouvrier, mais celle-ci implique notamment un calcul stratégique de gain d'influence sur la situation, face à l'autorité patronale et également, quoique d'une manière plus confuse, la mise en cause de la structure actuelle de l'autorité industrielle dans les situations considérées. Cette aspiration s'insère dans des situations d'une structure largement semblable ; nous pourrons néanmoins en conclusion caractériser des clivages constatés entre des entreprises se trouvant dans des situations techniques et économiques différentes.
1. Cf. A. Touraine, Le Syndicalisme de contrôle, Cahiers Internationaux de sociologie, Paris, 1960.
Résistances patronales et aspirations syndicales
II.
DIRIGEANTS
PATRONAUX
ET
135
RÉMUNÉRATION
A . LES MODES DE RÉMUNÉRATION SOUHAITÉS
Les dirigeants patronaux ont souvent débordé le cadre de notre schéma au cours d'entretiens souvent approfondis ; voici comment ime partie d'entre eux a spontanément exprimé les traits des modes de rémunération qu'ils souhaitent. Il est vrai que tous les dirigeants ne souscriraient pas à l'ensemble des arguments cités. La plupart d'entre eux en ont cependant fourni plusieurs et il est significatif qu'on insiste rarement sur la légitimation de la rémunération au rendement. Un très petit nombre seulement de dirigeants trouve encore à surmonter cette espèce de malaise qui entoure désormais ce sujet. Il n'est pas exagéré de dire, pensons-nous, que les dirigeants réellement satisfaits des modes de rémunération actuellement pratiqués sont extrêmement rares. S'ils sont maintenus, ce n'est certainement pas parce qu'on est satisfait de leur fonctionnement, mais parce que les dirigeants craignent leur remplacement. Après quelques arguments qui soulignent des avantages du salaire variable 2 nous décrirons les modes de rémunération souhaités par les dirigeants, procédé paradoxal mais seul praticable, en présentant les divers inconvénients soulignés par eux à partir des modes de rémunération actuellement pratiqués dans leur entreprise. 1. La possibilité de l'effort individuel Cet argument a été très rarement avancé : le salaire au rendement, surtout lorsqu'il est très individualisé, rencontrerait un désir répandu chez les ouvriers de se sentir maîtres de leur salaire et de voir récompenser leur effort personnel. 2. Le maintien d'un certain niveau de production La liaison du salaire à la production est certes devenue, selon l'aveu de beaucoup de dirigeants, ime sorte de fiction. Les salaires ne varient pas 2. D'autres sont évidemment exprimés à travers notre schéma d'interview auquel nous reviendrons.
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Pouvoir et rémunération
réellement. Si on maintient néanmoins le salaire au rendement, c'est parce que celui-ci arrive à faire croire à une sanction automatique en cas de baisse (volontaire) d'activité ; il arrive à encourager le maintien d'un niveau « optimum » de production (que la technique et l'organisation différencient de plus en plus du « maximum »), par réduction des arrêts. — « Dans ce train une minute de trop en cas de panne peut causer une importante perte » [12]. — « Le salaire fixe suppose que vous n'ayez plus à sanctionner les gens » [6].
3. Une marge de négociation Les systèmes à primes ont l'avantage de laisser un certain jeu à la négociation entre le personnel et le dirigeant. Lorsqu'un secteur a trouvé un argument le plus souvent technique, le dirigeant peut apaiser les revendications en « lâchant du lest » (accorder une légère augmentation de salaire par une prime spéciale). Il n'est pas obligé de répercuter cette augmentation sur tout le personnel, même si par la « tactique du perroquet » le syndicat essaye d'en obtenir l'extension. Un système de salaire fixe obligerait, pensent certains dirigeants, à céder sur des augmentations, sous forme de primes, dans une situation beaucoup moins favorable ; à ce moment-là les nouvelles primes se répercuteraient presque inévitablement sur l'ensemble. De toute façon, plusieurs dirigeants indiquent qu'à l'époque du salaire à primes et des revendications de fixe succéderait une époque de salaire fixe et des revendications de primes. « Les syndicats voudraient qu'il n'y ait qu'un taux d'affûtage par catégorie. Puis le jour où on l'aurait accordé, ils reviendraient vous trouver : Monsieur, un tel devrait être payé davantage » [29],
4. Les dangers pour la sécurité et la santé Le système à la tâche, indiquent certains dirigeants « a pour inconvénient de pousser les ouvriers au surmenage, au détriment de leur santé et de la sécurité ». [20] Cet argument, il est vrai, est plus souvent cité par des syndicalistes que par des dirigeants. 5. La menace pour la qualité de l'outillage Plus fréquemment les dirigeants indiquent une contradiction entre les primes au rendement et le souci de qualité dans la production ou le souci de maintenir l'outillage en bon état.
Résistances patronales et aspirations syndicales
137
— « Si on veut que l'ouvrier fasse attention, repère les défauts, il est nécessaire qu'il ne se sente pas poussé par les temps alloués. » [22] — « Depuis que nous avons le fixe, il est hors de doute que les ouvriers sont plus soigneux, le respect de l'outillage est plus grand. » [50], — « Ainsi les temps alloués jouent au détriment de la vie de la machine et cela est très grave. > [19].
6. Les difficultés de calcul de l'apport ouvrier Le principe des primes est évidemment d'augmenter la production. Mais comme il est pratiquement impossible, dans une usine moderne, d'arriver à faire le partage entre l'effort ouvrier, l'effort d'organisation et les améliorations techniques, plusieurs dirigeants considèrent que le principe même de la liaison tonnages-salaires est une intarissable source de difficultés. « Lorsque la prime est liée au rendement individuel ou de chantier, le personnel pense que plus le rendement augmente, plus le salaire doit monter, or ce sont souvent les modifications techniques qui font varier la production ».
7. Les « échappées » de salaires Lors de l'introduction d'une nouvelle installation ou d'un nouveau chantier il est très difficile de prévoir quels seront les rendements normaux. Plusieurs dirigeants considèrent que le salaire au rendement les expose à de dangereuses « échappées > de salaires, les salaires pouvant monter ou descendre exagérément. Comme au surplus les variations de production augmentent en valeur absolue, il faut dans une usine moderne, diminuer fortement la sensibilité de la prime. « Nous avons introduit une prime fixe ; la première raison c'est qu'à l'époque nous ne savions pas à quel rythme nous devrions et pourrions faire fonctionner la nouvelle installation ; nous risquions des échappées et des chutes de salaires et c'est la chose à éviter >.
8. La mise en cause de l'équilibre intersecteurs Ces échappées et l'irrégularité de l'évolution de la productivité, plus ou moins favorable suivant les secteurs, amènent à perturber l'équilibre inter-secteurs du salaire de l'usine. Or, l'uniformité d'évolution des salaires est un principe important pour la politique salariale de la direction d'une entreprise. Cela est plus particulièrement vrai dans les usines modernes ayant un service du personnel centralisé et où l'organisation de la pro-
138
Pouvoir et
rémunération
duction réduit toujours davantage l'autonomie des chantiers, ateliers et secteurs. — « Un des problèmes les plus importants de la politique des salaires est leur harmonisation ». — « Les possibilités de productivité se sont avérées très différentes d'un secteur à l'autre, ce qui amène très vite à de nombreuses réclamations. Dans le temps on se souciait moins des disparités entre services ; les gens restaient dans leur service, même les ingénieurs ne se communiquaient pas de renseignements ; actuellement on communique même d'usine à usine et sur le plan international ». — « Le petit pourcentage de primes services qui nous reste, nous amène suffisamment d'emmerdements par les distorsions qu'il crée entre les services ; on n'est pas arrivé à empêcher que des services partent en flèche alors que d'autres traînent la patte ». 9. La mise en cause de la hiérarchie des salaires de base Un autre inconvénient du salaire au rendement serait sa tendance à perturber la hiérarchie des salaires de base et d'être ainsi une source supplémentaire de réclamations, tout en décourageant, par ailleurs, la politique de promotion professionnelle. — « Les primes ont tendance à inverser la hiérarchie des salaires de base ; un PI peut avoir 60 % de primes et un O.S. 90 % ». — « Les hommes viennent nous dire : alors, n'importe quel malabar peut toucher des primes considérables, arriver à des salaires {dus forts que nous, qui sommes qualifiés ». 10. La nécessité des
nivellements
Ces diverses contradictions amènent certains dirigeants à corriger, à < rafistoler > au moment du calcul des primes et ces corrections sont ellesmêmes sources de difficultés. Elles constituent en tout cas un aveu de mauvais fonctionnement du principe du salaire variable. « Nous sommes amenés à donner des coups de pouce, il y a donc très peu de variations dans les primes ; cela parce que certaines causes de variations échappent au personnel et que de toute façon il est préférable d'éviter les conflits ; cela également pour éviter des écarts qui seraient trop sensibles ». 11. La mise en cause de l'équilibre
inter-entreprises
Tout système de prime, enfin, lie plus ou moins les divers salaires à un certain niveau de productivité, variable d'une entreprise à l'autre. Il va ainsi à contre-courant de l'uniformisation des niveaux de salaires. « La prime permet de faire bénéficier le personnel de la productivité ; mais on
Résistances patronales et aspirations syndicales
139
est en pointe ; il faut se méfier, car les autres entreprises peuvent n'être pas d'accord ».
12. Les baisses de salaire Une diminution même faible des salaires est toujours à l'origine de tensions dans le personnel, mettant en cause le salaire variable en général, même l'intéressement, car les baisses de salaire ne sont pas ou très difficilement tolérées par le personnel. « Les dents de scie dans les salaires, c'est une cause de difficultés continuelles... Pour un salaire de 2 francs nous pouvons admettre un maximum de variation de 10 centimes.
13. Les difficultés de comparaison inter-entreprises Les ouvriers ont l'habitude, lorsqu'ils comparent les salaires d'une usine à l'autre, de s'en tenir au fixe. Une faible proportion de variable donne donc l'impression de salaires plus élevés. « Nous avons avantage à augmenter la partie fixe. L'ouvrier, quand il compare son salaire avec celui d'un autre, parle toujours du fixe ; seule sa femme vit avec le chiffre du bulletin de paie. Même les directeurs, quand ils discutent entre eux, comparent les salaires de base ».
B . LES TYPES DE RÉMUNÉRATION PRATIQUÉS
Nos visites d'usine ont généralement débuté par plusieurs heures d'exposé du responsable du service des salaires. C'est donc normalement le chef du personnel qui nous a introduits dans les systèmes de rémunération pratiqués. Portant sur un grand nombre d'usines, l'analyse des systèmes en vigueur est forcément rapide. Elle est centrée avant tout sur les principes plutôt que sur les détails d'application3. Les responsables n'ont pas manqué d'attirer notre attention sur la grande complexité des systèmes de rémunération appliqués. Notre essai de classement des usines en quelques types représente plus un schéma d'analyse qu'une image de la réalité. Cela dit, la complexité de fait sem-
3. Rappelons que les différents modes de rémunération pratiqués dans la sidérurgie et les mines de fer ont été étudiés antérieurement dans une étude C.E.C.A., op. cit., c f . introduction.
140
Pouvoir et rémunération
blait bien être le plus souvent de l'ordre du détail et non de la nature des systèmes. 1°) Nous avons d'abord retenu le principe du salaire variable opposé au salaire horaire fixe. A l'intérieur des différents systèmes de salaire variable nous ne nous sommes pas attachés à distinguer entre formules du genre Bedaux, Rowan, salaire au temps, au tonnage, etc. Il eût été trop difficile d'arriver à une standardisation satisfaisante des résultats par usine. Dans une des usines on rencontre jusqu'à cinquante-huit primes différentes, calculées d'après diverses formules : Dans les mines de fer ce principe de la variabilité du salaire recouvre pour le moins trois situations : salaire à la tâche (ou fixe plus prime) et salaire fixe à la journée pour les gens de l'abattage, et enfin fixe horaire additionné de l'obligatoire P.P.V. (prime de production variable). Il nous importait de connaître le pourcentage de variable sur le salaire global, compte tenu des primes semestrielles ou annuelles, à l'exclusion des primes à caractère de remboursement de frais (primes de panier, etc.). C'est là, bien sûr, un critère formel. On sait que la variabilité et aussi la sensibilité aux variations de production ne sont pas nécessairement proportionnelles à ce pourcentage. Mais dans une perspective générale, face au problème de la résistance patronale à réduire ce pourcentage, ce critère s'est avéré discriminant comme OE le verra par la suite. 2°) Pour comprendre les systèmes de rémunération pratiqués, le principe de Yextension de la prime, son champ d'application, devait être considéré. Il est évident que dans la plupart des usines, on trouve encore certaines primes individuelles. Nous avons pu constater cependant que l'évolution tend vers une extension de plus en plus grande, qui peut aller jusqu'à la prime d'usine appliquée à l'exclusion de toute autre prime à l'ensemble du personnel salarié. Au moment de résumer les données recueillies dans les usines visitées, ce critère est apparu comme particulièrement important. Ce qui caractérise le degré de résistance au changement des dirigeants d'usine, c'est alors le degré d'extension maximum qu'ils acceptent d'instituer. Nous distinguerons différents degrés d'extension de la prime : — primes individuelles ou de petite équipe, s'appliquant notamment dans les ateliers de parachèvement, d'usinage, de grosse mécanique, ou les mines de fer ; — primes d'atelier, courantes dans les laminoirs ; — primes de secteur, plus caractéristiques de l'organisation moderne dans la sidérurgie moderne ;
Résistances patronales et aspirations syndicales
141
— primes d'usine, extension maximum qui n'exclut pas qu'un tel mode reste une rémunération conçue comme stimulant de la production. Puis nous combinerons le principe du pourcentage de variable et de l'extension de la prime. Comme on le verra (tableau 2) le principe du pourcentage à lui seul n'est pas discriminant. En effet, les différences de pourcentage ne sont pas très grandes entre usines, lorsqu'on compare la proportion globale de « variable » dans les salaires ouvriers en général. Cela provient de la diversité des primes à l'intérieur d'une même usine. Pour distinguer entre usines mettant davantage l'accent sur les primes à faible ou à forte extension, nous ferons donc apparaître pour chaque série d'usines (tableau 2) quelle est la fraction du « variable » : — soit : primes individuelles, ou d'équipe, ou d'atelier ; — soit : primes de secteur et d'usine. 3°) Depuis que les salaires ne sont plus des salaires à la pièce à proprement parler, le traitement des temps morts dans le calcul des salaires est un autre principe important dans l'appréciation du système de salaire en vigueur. La prime est d'autant plus sensible aux variations de la production que les temps d'arrêt sont ou ne sont pas décomptés dans le calcul salarial. Il est apparu à cet égard que de grandes différences de sévérité existent entre usines. Si les temps morts sont décomptés, la question de leur répercussion sur la rémunération se pose encore. Les heures d'arrêt sont-elles payées simplement au « mini-garanti » (minimum contractuel légèrement au-dessus des taux d'affûtages), sont-elles au tarif des « ressources garanties > (minimum contractuel en usage de certaines usines sidérurgiques, d'un niveau supérieur au mini-garanti habituel) ? Des aménagements sont-ils apportés au calcul des rendements (tonnages fictifs, corrections des tonnages atteints, etc.). Enfin, les heures d'arrêt sont-elles payées à la « moyenne », c'est-à-dire au niveau moyen de la rémunération normale atteint durant la période en cours ? Les différents paliers de l'évolution des modes de rémunération, selon nos deux derniers critères, sont agencés (voir grille de classement, tableau 1), de manière à nous permettre de mesurer le degré de contrôle direct exercé par le salaire.
142
Pouvoir et rémunération
Tableau 1. Principes de rémunération (Classement en quatre degrés) Extension maximum
de la prime
Répercussion
des temps
morts
(4) Restreinte : primes individuelles ou de petite équipe
(4) Forte : arrêts non décomptés, paiement au rendement
(3) Moyenne : primes d'atelier
(3) Moyenne : arrêts décomptés, paiement au minigaranti
(2) Elargie : primes de secteur
(2) Faible : arrêts décomptés, aménagements, paiement aux ressources garanties
(1) Maximum : primes de productivité usine
(1) Nulle : arrêts décomptés paiement normal
La présentation détaillée par usines, outre le fait qu'elle permettrait d'identifier celles-ci, n'est guère utile ici ; la prochaine étape de l'exploration (voir tableau 2) montre la liaison entre l'orientation des dirigeants et leur pratique de la rémunération. La progression obtenue dans la répartition des pourcentages s'est révélée particulièrement frappante. Elle exprime la moyenne arithmétique des chiffres de chaque usine ; la répartition que nous donnons sous forme de fraction (pour éviter la confusion avec la ligne 1) laisse à penser que le phénomène de la « collectivisation » des primes est une tendance très marquée. L'estimation globale, sur la base de données fragmentaires, est une tentative d'appréciation du contrôle salarial direct exercé par l'autorité patronale sur le comportement de production des ouvriers. La correspondance entre les quatre types de profils d'orientation patronale et ces quatre situations de rémunération fait apparaître : I o ) que même les dirigeants « dynamiques » maintiennent une prime qui, malgré son caractère principalement collectif, constitue une part importante du salaire horaire global de l'ouvrier ; autrement dit, la conduite de résistance s'étend sur l'ensemble des dirigeants rencontrés4 ; elle est 4. A une exception près dont nous n'avons pas fait mention : il s'agit d'une entreprise ayant introduit le fixe intégral et qui se situe dans les profils « dynamiques ».
Résistances patronales et aspirations syndicales
143
donc chez les dirigeants à opinions « avancées » une pratique de la rémunération se trouvant en retard sur l'opinion exprimée ; 2°) que la résistance au changement des modes de rémunération définit — le maintien d'importants pourcentages de « variable » dans salaires horaires le montre — comme opposition contre l'abolition salaire variable ou, ce qui revient au même, contre l'introduction salaire « fixe » ;
se les du du
3°) que cette résistance se différencie, la collectivisation de la prime apparaissant comme une solution intermédiaire avant l'éventuel passage au « fixe > voire à la mensualisation ; il semble que l'on puisse conclure que le degré de pression du contrôle salarial direct va en diminuant des dirigeants à profil « statique » aux dirigeants « dynamiques >. Le sens de la correspondance entre l'orientation patronale et la politique actuelle des modes en vigueur dans leurs entreprises ainsi précisé, il reste à interpréter celui-ci. Tableau 2. Orientation patronale et rémunération pratiquée Orientation patronale, profila : Rémunération pratiquée
« statique » « technique » (7 usines) (7 usines)
€ social » (3 usines)
< dynamique » (7 usines)
(1) Pourcentage moyen de « variable » (2) Extension de la prime
39 %
24 %
27 %
35 %
restreinte
moyenne
élargie
maximum
9/10
2/3
1/2
1/3
1/10
1/3
1/2
2/3
forte
moyenne
faible
nolle
4
3
Répartition de (1) d'après (2) : — proportion de prime à faible extension — proportion de prime à forte extension (3) R é p e r c u s s i o n temps morts
des
Degré de contrôle salarial direct (estimation globale)
144
C.
LA
Pouvoir et rémunération
SIGNIFICATION DE LA
RÉSISTANCE
Qu'en est-il des différents degrés de résistance au changement des modes de rémunération manifestés dans les modes pratiqués si nous les situons face à l'opinion que les dirigeants ont exprimée à travers les commentaires à nos alternatives ? Ainsi que nous le disions dans l'introduction, il n'est pas possible, dans une étude du genre de celles que nous pouvions réaliser dans l'actualité, de faire l'inventaire, en les sériant par ordre d'importance, des motifs qui déterminent les dirigeants à adopter ou à maintenir certains modes de rémunération. Plutôt que le processus de décision, c'était la situation sociologique actuelle qui devait retenir notre attention. L a résistance au changement des modes de rémunération, à condition qu'il soit possible d'établir une certaine correspondance entre les modes pratiqués et l'opinion patronale, pouvait s'interpréter stratégiquement. Tandis que le premier objectif de notre schéma d'interview était de présenter un thème dont l'alternative A décrivait un stade d'évolution moins avancé que l'alternative Β et que toute l'analyse des parties II et III concernait, à partir des réponses obtenues dans les entretiens avec les dirigeants et les délégués ouvriers, la perception de l'évolution, nous développerons maintenant le deuxième objectif. Rappelons qu'en tête des schémas patronaux, la mention « Est-ce que, chez vous, l'exercice de la fonction de direction du personnel demande le système de salaire au rendement pour une des raisons ci-dessous ». Cette formulation était généralement bien comprise par les dirigeants, comme la pratique de l'interview l'a montré. Son principe était le suivant : elle introduisait le sens stratégique des alternatives du schéma ; les alternatives A et Β esquissaient des situations où, pour contrôler la situation, un salaire largement variable était nécessaire (A) ou, au contraire ne l'était plus (B). Dans l'ensemble, la formulation de nos alternatives s'est révélée suffisamment adaptée à cette seconde intention, conforme à la dernière série d'hypothèses (voir introduction). Le tri des alternatives : A. Nécessité d'un salaire largement variable et B. possibilité de tempérer ou d'abandonner le salaire variable donne maintenant une mesure de la nécessité du salaire au rendement et permet de préciser quelle est la situation dans laquelle se place la résistance patronale au changement. Ce procédé de mesure s'est avéré pertinent pour saisir la résultante
Résistances patronales et aspirations syndicales
145
stratégique globale de la situation. Des exemples permettront de l'apprécier. Exemple du domaine I technique (question 1, alternative [ + ]), un dirigeant qui considère que l'ouvrier n'a plus — ou beaucoup moins — d'influence motrice sur la production peut accepter de tempérer, ou supprimer, le stimulant salarial direct, sans rien perdre de son contrôle de la situation. Dans le cas inverse (alternative [—]) il ne le peut pas. Exemple du domaine II économique (question 4, alternative [ + ]). Un dirigeant qui considère que le coût salarial est désormais une proportion négligeable du prix de revient peut tempérer ou supprimer le stimulant salarial direct, sans perdre de son contrôle de la situation. A l'inverse, celui qui considère que le coût salarial est considérable (alternative [—]) ne le peut pas ; il doit comprimer cette dépense au maximum. Exemple du domaine III psycho-sociologique (question 7, alternative [ + ]). Si le dirigeant considère que son personnel a de plus en plus de conscience professionnelle il ne craindra pas, en tempérant ou supprimant le stimulant salarial direct, de ne plus avoir la situation en main. Exemple du domaine IV sociologique (question 11, alternative [ + ]). Le dirigeant qui pense que les délégués syndicaux prennent de plus en plus en considération les intérêts de l'entreprise aura une attitude différente face aux modes de rémunération que celui qui estime (alternative —), que les délégués ne s'en préoccupent pas ; il craindra d'autant moins de perdre de l'influence sur la situation. Un simple tri montre alors que plus nous trouvons d'alternatives A [—], plus la résistance est forte et inversement. Nous constatons que les degrés de résistance correspondent à la sévérité des modes pratiqués (voir tableau 17) ; la première conclusion est donc que les dirigeants résistent en fonction de leur perception de la réalité industrielle : plus ils conçoivent d'aspects évolués, moins ils résistent, n'ayant plus autant de raisons de craindre une perte d'influence sur la situation au moment du passage à un contrôle salarial moins direct. En plus de ce tri général nous pouvons situer et interpréter la résistance d'une façon plus complète en réfléchissant sur la signification des domaines et des alternatives.
146
Pouvoir et rémunération
Tableau 3. Orientations patronales et types de rémunération Degré de résistance au changement (voir tableau 16)
1
11
111
IV
T.
S.E.
P.S.
S.
(1) « statique »
A
A
A
A
4
(2) « technique >
Β
A
A
A
3
(3) « social >
A
Β
Β
Β
2
(4) « dynamique »
Β
Β
Β
Β
1
Evolution
profils
* I évolution technique, II socio-économique, ΙΠ psycho-sociologique, IV sociologique ; alternative A (—), Β (+).
Il apparaît alors (tableau 3) : à travers le regroupement deux à deux, qu'aux deux premiers profils correspondent une résistance plutôt forte (degrés 4 et S) et aux deux derniers profils une résistance plutôt faible (degrés 2 et 1). Cet agencement des données doit être mis en rapport avec la constance dans le choix des dirigeants ; les réponses dans les domaines non techniques (II, III et IV) vont de pair avec une forte ou une faible résistance, selon l'orientation adoptée. Si, par contre, on cherche à rendre compte du degré différent de résistance entre les profils (1) et (2) et les profils (3) et (4), on procède par différenciation, et les alternatives décrivant le stade d'évolution technique doivent alors être considérées ; le profil « technique » correspond à une résistance un peu moindre que le profil « statique » ; la répartition des choix d'alternatives est pourtant la même dans tous les domaines « sociaux >, seule la réponse du domaine I (technique) diffère ; la même constatation s'applique au profil « social », moins avancé dans le domaine technique que le profil « dynamique » et présentant un degré de résistance un peu supérieur. Notre seconde conclusion permet donc de localiser la résistance ; les plus résistants parmi les dirigeants (degrés 4 et 3) sont aussi ceux qui jugent l'évolution sociale de la réalité industrielle relativement peu avancée, le jugement sur l'évolution technique n'intervenant qu'à titre secondaire, et inversement pour les moins résistants.
Résistances patronales et aspirations syndicales
III.
CONFRONTATION
DIRIGEANTS
147
:
PATRONAUX
ET
DÉLÉGUÉS
OUVRIERS
A . CONFLIT ET STRATÉGIES D'INFLUENCE
Les analyses qui précèdent considéraient avant tout l'aspect relationnel du rapport social entre dirigeants patronaux et délégués ouvriers. Le fait est que les deux orientations et leurs deux conduites face à l'évolution des modes de rémunération, la résistance et l'aspiration, s'interprètent surtout dans la perspective de ce qu'on appelle habituellement les relations industrielles. Dans ce sens le dirigeant et le délégué se trouvent dans la même situation, bien que dans des positions différentes et c'est le rapport de forces, leur influence relative qui était au centre de nos analyses. Cela dit, la stratégie d'influence considérée dans ce rapport social ne rend pas compte des différences de perspectives qui existent néanmoins et que le concept de relations industrielles ne suggère pas. S'il est vrai qu le dirigeant et les délégués se trouvent dans la même situation, celle de leurs relations, les uns détiennent une position de domination institutionnalisée à laquelle les autres réagissent5. Afin de montrer l'opposition qui résulte des différences de point de vue, nous confronterons maintenant les résultats globaux pour toute la population des dirigeants et des délégués, sur ceux de nos thèmes qui sont les plus frappants à cet égard et dont la formulation rigoureusement parallèle se prête le plus facilement à une confrontation (voir tableau 4). Dans le domaine technique, les dirigeants considèrent, en majorité (question 3), que l'essentiel pour eux est désormais la coordination entre services, que l'organisation de la production est fort avancée, alors que pour les délégués la politique patronale consiste toujours à pousser tous les secteurs isolément au maximum, sans égard à la coordination. Dans le domaine socio-économique, l'opposition la plus marquante s'exprime au sujet de la conscience professionnelle ; les dirigeants estiment indispensable la pression salariale sur le rendement, alors que les délégués la considèrent comme superflue, voire contre-indiquée, même dans l'intérêt de l'entreprise (question 7). 5. Le terme d'autorité à strictement parler « pouvoir légitime » est souvent employé comme synonyme de direction et de position de domination ; dans cette étude nous nous contentons de dire « autorité » au sens où ce terme est utilisé dans l'industrie.
Pouvoir et rémunération
148
Dans le domaine sociologique, la majorité des dirigeants indique que « les délégués ne pensent qu'à l'intérêt des ouvriers sans se préoccuper de celui de l'entreprise » alors que les syndicalistes, dans l'ensemble, considèrent que « les patrons pensent surtout à l'intérêt de l'entreprise, sans se préoccuper de celui des ouvriers ». Les tendances opposées, de force analogue, sur les quatre thèmes du tableau expriment les différences de perspective, et semblent témoigner d'un conflit lié à l'attitude de résistance ou d'aspiration au changement des modes de rémunération. Ce renversement des perspectives suggère qu'il s'agit là d'une tension inhérente à un certain arrangement et non simplement de tensions occasionnelles. La grande homogénéité des choix syndicalistes présentée cidessus va dans le même sens. Tableau 4. Confrontation dirigeants-délégués Alternative
Evolution Domaine technique : Q. 3 Organisation et production Domaine socio-économique
Q. 7 Conscience ment Domaine sociologique
Β
Délégués
Dirigeants
79
65
67
69
69
65
71
53
:
Q. 4 Coût salarial et prix de revient Domaine psycho-sociologique
A
:
professionnelle et rende:
Q. 11 Intérêts ouvriers et entreprises
Les chiffres indiquent le pourcentage de réponses pour chaque question sur l'ensemble des réponses délégués, ou dirigeants respectivement.
Certains dirigeants, cependant, envisagent plus facilement que d'autres de tempérer le contrôle salarial de la production ; il reste donc à expliquer les différences observées. Peut-on faire l'hypothèse non seulement que leur représentaion de la situation comporte moins « d'arguments » stratégiques de résistance, mais encore que dans leurs entreprises la tension est atténuée ? C'est ce que nous pouvons tenter d'analyser en confrontant les orientations et en interprétant les divergences.
Résistances patronales et aspirations syndicales
B . DEGRÉS DE DIVERGENCE
149
DIRIGEANTS-DÉLÉGUÉS
Pour interpréter les décalages ou au contraire les rapprochements entre orientations patronales et syndicales, nous distinguerons plusieurs types de rencontres d'opinions. Appelons « point de divergence » la rencontre d'un choix opposé sur des alternatives d'un même thème et « point de convergence > la rencontre de choix portant sur la même alternative et distinguons entre divergences positives et négatives, l'opinion du dirigeant constituant le cadre de référence (l'autorité) ; puis entre convergences positives et négatives, selon le même principe : On obtient donc, par définition, quatre degrés de divergence :
Divergence négative Convergence négative Divergence positive Convergence positive
Choix du dirigeant (alternative)
Choix du délégué (alternative)
A A Β Β
Β A A Β
Le rapprochement des profils présente l'intérêt d'exprimer par confrontation immédiate le type de rapport social entre dirigeants et délégués ; le tri des réponses syndicalistes par entreprise fait apparaître des nuances que nous analyserons plus en détail au paragraphe suivant (questions 11 et 12).
Le degré de divergence constaté est d'autant plus fort qu'on passe des dirigeants à profil « dynamique » vers les dirigeants à profil « statique >. En terme de relations industrielles, plus la direction résiste au changement, plus il y aura de tension — et l'augmentation de celle-ci renforcera celle-là. Il existerait donc une dialectique circulaire entre la divergence des orientations et la résistance.
150
Tableau 5. Confrontation
Pouvoir et
des profils patronaux et Profil « dynamique » syndical patronal
Evolution technique 1. Influence ouvrière 2. Effort ouvrier 3. Organisation
A
Β Β Β Β
A
rémunération
syndicaux Profil patronal
* social s syndical
Β Β Α Α Α
Β Β
Evolution socio-économique 4. Coût salarial 5. Elasticité salariale 6. Rigidité de la main-d'œuvre.
Β Β Β Β
β Β Β Β
Β Β
Β Β
Evolution psycho-sociologique 7. Conscience professionnelle 8. Compréhension de l'entreprise 9. Comportement du personnel
Β Β
Β Β
Β
Β
Β Β
Β Β
Β Β
Β Β
Β
Β Β
Β Β
Β Β
Evolution sociologique 10. Budget ouvrier 11. Intérêt ouvriers et entreprise 12. C o n s c i e n c e de classe Analyse du degré de divergence : Points de divergence (Patr. Synd. + ) Points de convergence (A/A) Points de divergence (Patr. B. Synd. A) Points de convergence (B/B)
Nombre de cas
Nombre de cas
0
2
0
1
4
1
8
9
Résistances patronales et aspirations syndicales
151
Tableau 6. Confrontation des profils patronaux et syndicaux Profil
« technique
Profil
« statique »
patronal
patronal
syndical
Β Β Β Β
A A A A A
Β
A A A
Β
A A A
Β
A
Β
A
Β
A
Β
A
syndical Evolution
technique
1. Influence ouvrière 2. Effort ouvrier 3. Organisation Evolution nomique
psycho-socio-
7. Conscience professionnelle 8. Compréhension de l'entreprise 9. Comportement du personnel Evolution
A A A
socio-éco-
4. Coût salarial 5. Elasticité salariale 6. R i g i d i t é de la main-d'œuvre Evolution logique
»
Β
A A
A A
A A
A A
sociologique
10. Budget ouvrier 11. Intérêt ouvriers et entreprise 12. C o n s c i e n c e de classe Analyse du degré de divergence Points de divergence (Patr. A/Synd. B) Points de convergence (A/A) Points de divergence (Patr. B/Synd. A) Points de convergence (B/B)
A
Β
A A
Β
A A A
A A
Β
Nombre
de
cas
Β
A A Nombre
S*
6*
4*
6*
2
0
1
0
* Voir paragraphe suivant une analyse plus détaillée.
de
cas
152
Pouvoir et rémunération
Tableau 7. Degré de divergence dirigeants-délégués (résumé ; nombre de cas) Type de profils patronaux D i v e r g e n c e négative (Α/Β) Convergence négative (A/A) D i v e r g e n c e positive (B/A) C o n v e r g e n c e positive
(B/B)
_
.
Dynamique
„ .,
Social
„, , .
Technique
Ο ι >0 0 ^
2j >3 1)
5 ) / 9 4 )
4 ι
1 ) ζ 9
2 ) >3
8 )
12
8]
1)
„ .
Statique
6 £ 12 6 ) 0
0
Les dirigeants « dynamiques » seraient donc ceux qui auraient en quelque sorte brisé ce cercle, calculant les avantages du changement en termes d'influence sur la situation. Comme nous l'avons relevé plus haut : suivant la représentation qu'a le dirigeant de l'évolution de la réalité industrielle, il pense perdre de l'influence en tempérant le contrôle salarial ou prévoit au contraire qu'il n'en perdra pas, ce qui l'amène à mettre en pratique des réformes salariales. Le dirigeant à profil dynamique est celui qui s'avance le plus loin dans cette voie ; cela dit, ses opinions et surtout celles du dirigeant à profil social devancent malgré tout sa pratique actuelle des modes de rémunération en vigueur. L'analyse de divers types de rapports sociaux que nous présentons pour terminer jette un peu plus de lumière sur le problème de décalage entre l'opinion patronale et sa pratique de la rémunération ; elle rappelle que l'orientation du dirigeant, même s'il détient l'autorité, n'est pas le seul élément de la situation.
C. LES DIVERS TYPES DE SITUATIONS
Pour terminer nous esquisserons les grandes lignes de la situation industrielle que cette étude, centrée sur un problème limité n'a pu qu'aborder. Lorsque nous avons confronté, au paragraphe précédent (tableaux 5 et 6) les profils des quatre types de dirigeants patronaux et ceux des délégués ouvriers, en les remettant en quelque sorte « en situation » dans un tri qui les dispose les uns par rapport aux autres (à chaque type de dirigeant, ses délégués), nous avons constaté pour la première fois que les majorités dans les choix syndicalistes, sur deux questions (questions 11 et 12)
Résistances patronales et aspirations syndicales
153
changeaient de sens (alternative Β au lieu de A) et s'amenuisaient considérablement (profils « technique > et « statique >). A en juger sur ces indices, de signification limitée, une évolution est en train de se produire. Nous reproduisons ci-dessous la partie inférieure des tableaux 7 et 8 qui permet d'esquisser trois types de situations, la confrontation des profils « techniques » et « statiques > avec les orientations syndicalistes se réduisant à un seul modèle. Tableau
8. Profils
Alternatives Q. 11 Q. 12
patronaux « Dynamique A Β S
Ρ SP
« Social » A
« Technique » « Statique »
Β
A
Β
A
Β
SP SP
PS Ρ
S*
PS Ρ
s*
S : réponses majoritaires syndicalistes Ρ : réponses majoritaires dirigeants patronaux * Faible majorité, situation en évolution. 1. La situation
nouvelle
Dans le cadre du profil « dynamique » les dirigeants ont exprimé (question 11) que leurs relations avec les délégués se plaçaient au niveau d'une certaine compréhension réciproque et que l'évolution sociale (question 12) était en voie d'éloigner les ouvriers de la « lutte des classes ». La confrontation montre ici une divergence des réponses sur la question 12. L'opinion des dirigeants sur un point important serait donc plutôt en avance sur celle des délégués. Il s'agit dans ce cas de dirigeants qui acceptent dans leur entreprise le fait syndical et s'orientent vers la reconnaissance aux syndicats d'une fonction officielle et vers une politique de négociation dans l'entreprise. Ils ont, par ailleurs, tendance à conclure d'une certaine évolution sociale, de la consommation en particulier, à une transformation de la société, comportant des couches sociales diverses mais non plus des classes antagonistes. Les délégués dans cette situation, tout en soulignant l'opposition des intérêts (question 11) à l'intérieur de l'entreprise, recherchent la négociation, en particulier pour une garantie des salaires (question 5), s'appuyant sur une action revendicative de plus en plus organisée à l'échelle de l'usine ou de la région (pour les mines) (questions 9 et 12). Pour eux
154
Pouvoir et rémunération
la représentation de la situation les amène à conclure non à une diminution de la lutte des classes, mais à une progression de l'action collective, notamment dans certains groupes de mensuels. 2. La situation coopérative Dans ce cas il y a convergence positive entre dirigeants et délégués sur les questions 11 et 12. Par rapport à la situation industrielle précédente, il s'agirait d'un type nettement différent de relations collectives de travail où le syndicat tendrait à être intégré à l'entreprise ; la revendication passerait avant tout par la négociation d'accords avec la direction. Une certaine communauté d'intérêts serait envisagée aussi bien par la direction que par les délégués (ou une majorité d'entre eux), et les relations de travail seraient plutôt de type coopératif. 3. La situation traditionnelle Il y a convergence négative à la question 11 et divergence à la question 12, ce qui signifierait, d'une part, que les dirigeants n'acceptent pas les syndicats comme interlocuteurs valables tout en rejetant sur eux la responsabilité de la lutte de classes, dont ils constatent la permanence parmi les ouvriers, et, d'autre part, que les délégués se trouvent dans une situation d'opposition avec les dirigeants, s'appuyant sur l'action revendicative excluant habituellement la négociation basée sur des accords paritaires. Tableau 9. Réponses comparées Dirigeants
Délégués (Alternatives) A Β 79 (31) (35) 71
(21) 69 65 (29)
(Alternatives) A Β (35) 67 69 53
65 (33) (31) (47)
Ainsi l'analyse précédente montre à la fois la décroissance progressive de la divergence entre les orientations patronales et syndicales (tension qui signifie vraisemblablement conflit) et les différences de structure de
Résistances patronales et aspirations syndicales
155
l'opinion qui vont de pair avec différents degrés de résistance patronale au changement des modes de rémunération. L'hypothèse de l'autorité que complétait notre hypothèse centrale de la stratégie d'influence ne nous paraît que plus justifiée par ces résultats : ceux des dirigeants qui résistent le plus au changement craignent non seulement davantage que leurs collègues directeurs de perdre une part d'influence sur la situation ; ils ont l'impression qu'un changement même partiel dans le système actuel d'autorité mettra le principe de la décision unilatérale en jeu.
CHAPITRE V
Opinions ouvrières
I. DU SALAIRE AU RENDEMENT AU STATUT MENSUEL
A. L'APPRÉCIATION DU SALAIRE
VARIABLE
Pour décrire le sens de l'aspiration ouvrière au changement des modes de rémunération et d'abord pour apprécier son ampleur, on a posé, en début de questionnaire, une série de questions sur le salaire variable. L'enquête auprès des dirigeants a montré que ceux-ci critiquent euxmêmes divers aspects du salaire au rendement, mais répugnent à le remplacer par autre chose, lui accordant un reste de confiance. L'enquête auprès des syndicalistes constate chez eux une aspiration quasi-unanime au changement. On peut, dès lors, se demander si les ouvriers et plus particulièrement cette zone d'ouvriers professionnels bien situés, comparativement à d'autres catégories ouvrières, manifestent de l'attachement à un mode de rémunération qui met en valeur l'influence ouvrière sur la production et éventuellement sur les salaires. Qu'en est-il d'après ce sondage d'opinion ? Question 1 : « Dans le travail que vous faites, vous-mêmes, qu'est-ce qui est le plus important, l'effort ou les compétences professionnelles ? » L'effort 32 %
Les compétences 58 %
Les deux 10 %
Non-réponse —
Effectif interrogé (N) : 289 Question 2 : « Lorsque la production varie d'une quinzaine ou d'un mois à l'autre là où vous travaillez, est-ce que cela tient plutôt : 1) aux
157
Opinions ouvrières
conditions de travail ? 2) aux ouvriers ? 3) aux machines ? 4) au contremaître ? (à autre chose ?) » Ouvriers 8 %
Autres facteurs (2 — 4) 85 %
Les deux (1 — 4) 11 %
Non-réponse
Ν
3 %
289
Question 4 : « Est-ce que votre salaire varie d'un mois à l'autre, ou est-ce qu'il est toujours à peu près le même (si on ne compte pas les heures supplémentaires ?) » Varie 38 %
Ne varie pas 62 %
Ν 289
Question 5 : « Avez-vous l'impression qu'autrefois la prime variait davantage ou moins qu'aujourd'hui, d'un mois à l'autre ? » Davantage 24 %
Moins, pareil 73 %
Non-réponse
Ν
3 %
289
Question 6 : < Dans les entreprises (ou mines) où il y a une partie " variable " (de " prime ") dans le salaire, les ouvriers nous disent : 1) " Ça ne change pas grand-chose, les jeux sont faits à l'avance ", ou bien : 2) " Ceux qui en mettent un coup peuvent nettement faire grimper leur salaire. " > * Qu'est-ce qui vous semble le plus juste ? » Ça ne change pas 20 %
On peut faire grimper 77 %
Non-réponse 3 %
Ν 289
Question 7 : « Comment est-ce que vous êtes payé ? > Salaire aux pièces (à la tâche) au fixe plus prime
Au fixe horaire (à la journée) au salaire mensuel
Non-réponse
Ν
70 %
29 %
1 %
289
Le simple comptage des résultats dont on peut résumer l'essentiel en les rapportant à l'idée centrale de la liaison tonnages-salaires-effort donne une image fort négative de la situation :
158
Pouvoir et rémunération
Tableau 1. Appréciation du salaire au rendement (en % sur l'effectif de 289) Le
Question 1 : Question 2 : variations Question 4 : Question 5 : Question 6 :
fonctionnement
l'importance de l'effort responsabilité ouvrière des — aujourd'hui — autrefois — influence sur le salaire
Avis favorables
Avis défavorables
%
%
32
58
8 38 24 20
85 62 73 77
Un tiers seulement des répondants pensent que l'effort est plus important que les compétences. Déjà ici les réponses ne montrent que peu d'ouvriers motivés à souligner l'aspect « effort » de leur contribution à la production qui est ensuite très peu présentée sous la forme d'une influence sur les variations de la production dont l'origine (question 2) est vue ailleurs. D'ailleurs la production, ou plutôt les salaires, varient-ils ? Un peu plus d'un tiers des répondants seulement répondent qu'ils varient. Cette proportion est particulièrement faible si on se réfère à la sensibilité habituelle très vive à toute variation des salaires. On est tenté d'interpréter ces tendances générales comme une conséquence du fonctionnement en quelque sorte ralenti du mécanisme efforttonnages-salaires. Impossible de « faire grimper les salaires >, dit la majorité (77 %, question 6). L'aspiration au changement des modes de rémunération actuels — au rendement — aurait donc d'abord ce sens : l'ouvrier ne profite guère de son application, « l'effort » (question 1) le plus souvent n'est plus l'essentiel, lorsque la production varie cela ne lui est pas dû (question 2) ; d'ailleurs les salaires sont toujours à peu près les mêmes (question 4), il est difficile de les augmenter (question 6). Et l'indication « autrefois les primes variaient davantage » (24 %, question 5) est une réponse pessimiste de plus qui incline à interpréter l'ensemble des autres appréciations, en partie du moins, comme des jugements d'un personnel déçu par un système dont ils ne perçoivent pas les avantages. Ces premières réponses dégagent néanmoins une minorité d'ouvriers moins négatifs. Nous analyserons par la suite l'origine des différentes réponses. Qu'en est-il en fait de l'ensemble des répondants, professionnels de fabrication et d'entretien ; sont-ils, ou plus exactement, considèrent-ils être payés au rendement ?
Opinions ouvrières
159
Au « fixe plus prime »
Au « fixe horaire »
Non-réponse
M
70 %
29 %
1 %
289
Deux ouvriers rencontrés recevaient un salaire mensuel, ils ont été classés dans la rubrique « fixe horaire ». Mais comment se fait-il que cette dernière n'a reçu que 29 % des réponses, alors que nous savons, sinon la proportion précise, du moins avec certitude, qu'une partie des ouvriers interrogés prétendent à tort être payés autrement qu'au « fixe horaire » ? Serait-ce que certains répondants aient confondu prime (au sens de prime de logement, de danger, de saleté, de déplacement, etc.) et prime au rendement ? Tel n'est pas le cas ; les enquêteurs ont fait préciser les réponses à ce sujet et les éventuelles « primes fixes » étaient elles-mêmes classées dans la rubrique « fixe horaire >. Notre hypothèse est donc que les ouvriers font assez difficilement la différence entre une prime qui varie et une prime fixe dont le caractère de prime fait craindre la suppression, même si elle est en principe soustraite à l'influence des fluctuations de la production.
Β. L'ASPIRATION AU SALAIRE
FIXE
Lorsqu'on passe de la notion de salaire au rendement à celle de salaire variable (plus précisément qui « peut > varier), la variation n'est plus simplement fonction des tonnages, l'aspect sécurité du salaire est en jeu. La question 7 devait permettre de circonscrire les craintes : < Dans une période où l'entreprise a peu de commandes, qu'est-ce qui arrive à votre avis? 1) les salaires baissent, parce que la prime baisse ; 2) les salaires baissent, parce qu'on a diminué l'horaire de travail. » La prime 30 %
Les horaires 58 %
Non-réponse 12 %
Ν 289
Il apparaît donc que la crainte est double. Une proportion un peu plus forte de répondants que précédemment « ne sait pas », un tiers environ pense à la prime et plus de la moitié se rappelle ici leur statut d'horaires. La question suivante abordait ce même aspect sécurité du salaire par une comparaison. Question 8 : * Si vous comparez un professionnel qui travaille à la pro-
160
Pouvoir et rémunération
duction et un professionnel d'entretien, lequel peut compter plus sûrement sur son salaire ? » O.P. production
O.P. entretien
Pareil
Non-réponse
Ν
48 %
31 %
20 %
1 %
289
Contrairement à ce que nous avions prévu, des deux situations d'ouvriers payés à l'heure, ce n'est pas celle qui a le plus souvent une prime fixe qui obtint le plus de préférences. Les avis sont assez partagés. Un tableau montrera ultérieurement que le niveau des salaires des O.P. de production a poussé une partie des répondants à juger favorablement la sécurité de leur salaire. De toute manière la différence de sécurité n'est pas très grande entre un O.P. de fabrication et un O.P. d'entretien ; la variabilité de fait, actuellement, est faible et les inconvénients, en période de basse conjoncture, sont de même nature (baisse de salaire par restriction des horaires, question 7). La différence de sécurité apparaît donc surtout dans les réponses à la question suivante : Question 9 : « Et si vous comparez un professionnel d'entretien au fixe horaire et un mensuel (disons un comptable) qui ramènent tous les deux par exemple 700 F par mois à la maison, y en a-t-il un qui a une meilleure situation que l'autre ? » O.P. entretien ou , ., « c est pareil »
_ Comptable . mensuel
Non-reponse
.. Ν
9 %
91 %
—
289
La quasi-unanimité des réponses se porte sur le comptable et donc sur le statut de mensuel. Il ne s'agit ici ni d'un choix motivé par une référence au niveau des salaires 1 ni d'une question de variation mensuelle des salaires. Les réponses qui précèdent étaient explicites à ce sujet ; ce n'est pas la variation actuelle, à court terme, qui suscite de la crainte ; cette variation est considérée comme minime. Ce n'est pas le salaire fixe qui intéresse l'ouvrier, bien qu'il considère que celui-ci est en progrès sur le salaire au rendement. Il ressort clairement de l'analyse de contenu des commentaires à la question 9 que l'aspiration au changement des modes actuels de rémuné1. La pratique de l'interview a montré qu'après explication, la question était généralement bien comprise : < A salaire égal, que préférez-vous ? »
161
Opinions ouvrières
ration prend un autre sens. On a demandé aux ouvriers interrogés de préciser les raisons de leur préférence du « comptable mensuel >. Les réponses se répartissent comme suit : Tableau 2. Préférence du statut de mensuel Sidérurgie l 138
Nombre total d'arguments
Sidérurgie II 153
Mines 169
Types d'arguments : — Conditions de travail
26 %
25 %
46 %
— Avantages en cas de maladie
29 %
32 %
31 %
— Avantages économiques sociaux
32 %
27 %
15 %
et
— Garantie contre les variations de salaire
13 %
16 %
8 %
100 %
100 %
100 %
Ν. B. Le nombre total d'arguments est supérieur au nombre d'interviews, certains répondants ayant donné plusieurs arguments.
Les conditions de travail, il est vrai, gardent une certaine importance : les activités du comptable, plus généralement de l'employé, sont « moins pénibles », non dangereuses et propres (on ne souffre pas de la saleté). Ce type d'argumentation se trouve surtout dans les mines. On note une forte similitude entre la répartition des réponses dans les deux entreprises sidérurgiques, bien qu'il s'agisse d'entreprises assez différentes. Dans les deux entreprises sidérurgiques, ce sont les « avantages > d'ordre économique des mensuels qui priment. En cas de maladie, l'employé (le mensuel) ne subit pas de contrecoup salarial ; argument contre le statut horaire des ouvriers mentionné par un tiers de tous les répondants. Des avantages économiques et sociaux sont régulièrement attribués aux mensuels (logements, congés, assurance décès, retraite, etc.). Π apparaît donc que l'aspiration au salaire mensuel, si elle comporte pour certains répondants la perspective d'une garantie contre les variations de salaire (pour 16 % au maximum), n'a guère le sens d'une recherche d'un salaire « qui ne varie pas ». Les arguments économiques constituent néanmoins la plus grande part des explications fournies. Il ne s'agit pas d'un simple rejet du salaire variable et de la recherche d'un mode de salaire exempt des caractéristiques de principe de l'ancien mode (de sa variabilité, de la liaison effort-tonnage). L'aspiration au changement 6
162
Pouvoir et rémunération
semble bien être dominée par le désir d'un statut de rémunération différent, tel qu'il est appliqué aux mensuels qui jouissent d'avantages auxquels l'ouvrier se réfère. Jusqu'ici les réponses des ouvriers nous montrent une aspiration principalement économique au statut du mensuel \ On verra maintenant que nous avons cherché à approfondir davantage ce sujet.
c . L'ASPIRATION AU STATUT DE MENSUEL
De façon générale, quelles sont les raisons qui justifient, d'après les ouvriers, la différenciation entre « mensuels > et « horaires » (question 10)? Voici la répartition des réponses : Tableau 3. Dichotomie en personnel horaire et personnel mensuel (question 10) Acceptent (ou se résignent à) la dichotomie Rejettent la dichotomie N'ont pas d'opinion
122
89
Effectif (N)
289
78
La proportion de plus d'un quart de réponses embarrassées ou « sans opinion » est dû à des difficultés de verbalisation. L'ouvrier n'a évidemment pas l'habitude de s'exprimer sur de tels sujets, ce qui ne veut nullement dire qu'il n'ait pas de préférences en matière de statut dans l'entreprise. La question suivante évitait les difficultés de verbalisation : Question 11 : « Vous, est-ce qu'il vous semble que vous devriez être payés au mois ? » Oui
Non
Non-réponse
Ν
75 %
22 %
1 %
289
H y a bien là un vote massif dans le sens d'une aspiration collective au changement des modes de rémunération actuels et une première forme de réponse à notre interrogation sur l'étendue de cette aspiration ; jusqu'ici 2. Un seul répondant s'est référé au prestige social du comptable mensuel comme à un avantage de la position de celui-ci.
163
Opinions ouvrières
ce compte rendu fournissait des réponses indirectes qui aliment dans ce sens. La répartition des opinions à la question 12 est sensiblement la même et confirme le caractère collectif de l'aspiration. Question 12 : < Il existe maintenant dans quelques usines des ouvriers mensuels. Est-ce que vous pensez que dans l'entreprise, ici, cela devrait être appliqué à certains ouvriers ou que cela devrait être appliqué à tous les ouvriers ? » Certains
Tous
Non-réponse
Ν
25 %
65 %
10 %
289
Le rapport entre les deux proportions de réponses est toutefois moins nettement en faveur de la mensualisation et nous pourrons chercher à poursuivre l'analyse d'où proviennent les choix « certains > et « tous ». Afin de voir jusqu'à quel point des transformations de la situation de travail ont pu motiver cette aspiration et aussi une certaine évolution dans le prestige de l'ouvrier professionnel, nous avons posé deux autres questions (en les réservant aux deux cas les plus comparables, de ce point de vue, c'est-à-dire à la sidérurgie) : Question 13 : « Est-ce que vous pensez que le travail que fait actuellement un O.P. est plus proche du travail des mensuels ou du travail des O.S. ? > Travail des O.S.
Travail des mensuels
Non-réponse
Ν
34 %
5 %
188
61 %
Question 14 : « A votre avis, dans cette entreprise, quelle est la considération qu'on accorde à l'ouvrier professionnel ? Est-ce qu'elle est plus haute, pareille, ou moins haute que celle qu'on accorde aux « collaborateurs » ? » w · > Moins haute
™ . Plus haute
60 %
9 %
Autant et , non-reponse 31 %
Ν 188
Ces résultats semblent être des indices d'une certaine évolution. Bien sûr, une majorité d'environ deux tiers répond dans le sens traditionnel, mais l'autre tiers indique, soit l'idée d'un rapprochement du travail professionnel et du travail « mensuel », soit une importante hésitation à répondre.
164
Pouvoir et rémunération
II. LA VISION DE L'ENTREPRISE ET DE LA SOCIÉTÉ
A. LES DISTANCES SOCIALES
On a choisi comme premier indice de sa vision sociale l'estimation qu'un ouvrier professionnel peut faire des différents paliers des salaires d'une entreprise. Question 15 : « Peut-être vous est-il déjà arrivé d'estimer la paie des autres, combien pensez-vous que gagne en moyenne et par mois : — un directeur d'usine (de mine) — un ingénieur — un contremaître (un porion) — un ouvrier qualifié entre 23 et 35 ans ? » Voici la moyenne, par paliers, de toutes les estimations obtenues qu'on pourra confronter plus bas avec des chiffres officiels pour diverses catégories de salariés français. Tableau 4. Estimation moyenne de la hiérarchie des salaires
Ouvrier qualifié (25-35 ans) Contremaître (porion) Ingénieur Directeur d'usine (de mine)
En t .
En % du premier échelon
691 1061 2124 6 615
100 154 310 960
Il apparaît dès cette présentation globale que même cette hiérarchie moyenne qui comprend (provenant des mines) des estimations assez élevées pour les échelons inférieurs et relativement basses pour les échelons supérieurs (un directeur de mine gagne visiblement moins qu'un dirigeant sidérurgique) indique une grande distance entre les paliers extrêmes et une coupure entre l'ingénieur et le directeur. Cette tendance ne sera pas démentie par les analyses ultérieures.
165
Opinions ouvrières Tableau 5. Niveau des salaires des secteurs privés* (Statistique des contributions directes 1956) Salaire annuel moyen ctes salariés hommes Catégorie Ouvriers Employés Cadres moyens Cadres supérieurs
En milliers de francs
En % du premier échelon
4,532 5,415 9,467 19,593
100 119 208 432
* Cf. J. Marchai et J. Lecaillon, La répartition du revenu national, t. I., Paris, 1958.
La comparaison entre les estimations et ces chiffres n'est pas indispensable, méthodologiquement, et n'a qu'une valeur approximative, pour des raisons qu'il n'est guère nécessaire de discuter ici. Sur cette base, on constate que l'éventail est environ deux fois plus ouvert dans les estimations que dans ce tableau : il y aurait surestimation ? Si on voulait mesurer la surestimation, il serait souhaitable, bien que toujours insuffisant, de recourir à la hiérarchie officielle des salaires de chaque entreprise. L'estimation des salaires d'autrui et, à travers la hiérarchie sociale, la perception des distances sociales a une valeur en soi, indépendamment du degré de précision par rapport aux chiffres objectifs. On a donc procédé à une exploitation relative des estimations. L'histogramme des chiffres, par entreprise et par palier, a montré que la distribution habituelle était la courbe en cloche (beaucoup d'estimations tournant autour de la moyenne, peu d'estimations très faibles et peu de très fortes). Nous avons alors regroupé les données dans un histogramme simplifié sur la base du rapport entre l'estimation du salaire < ouvrier > et l'estimation des salaires « non ouvriers >. La répartition se présentait ici encore en distribution dite « normale >, mais la médiane de la courbe en cloche se situait à un autre endroit, pour chacune des entreprises. On a alors coupé la courbe en deux, pour séparer les estimations « plutôt fortes > des estimations « plutôt faibles >. Nous reviendrons ultérieurement à l'analyse des estimations « plutôt fortes » ou « plutôt faibles ». Méthodologiquement ces deux indices nous permettront de voir si certaines catégories d'ouvriers interrogés, les plus « évolués >, économiquement ou professionnellement notamment, ont une vision différente des distances sociales, ayant, par exemple, une représentation d'une hiérarchie continue, en surestimant moins les salaires supérieurs.
166
Pouvoir et rémunération
Pour illustrer les différences générales d'estimation d'une entreprise à l'autre, nous reproduirons en terminant ce paragraphe un tableau des moyennes globales. Les estimations « plutôt fortes > dont on vient de parler se situent donc le plus souvent au-dessus, les estimations « plutôt faibles > au-dessous de ces moyennes. Tableau 6. Estimations moyennes des salaires d'autrui (moyenne globale de F pour l'effectif total : 289) Gain mensuel
Sidérurgie I
Sidérurgie II
directeur ingénieur contremaître ouvrier qualifié (25-35 ans)
5 546 1979 1 122 697
Proportion de répondants n'ayant pas exprimé d'estimation sur l'ensemble des catégories
22 %
F Un Un Un Un
Mines abattage
régie
9 328 2 359 895 606
5 243 2 605 1338 1097
4 809 2 186 1270 656
24 %
13 %
36 %
Notre second indice de la vision sociale était l'appréciation que donnent les ouvriers professionnels de la participation sociale entre individus de différents niveaux hiérarchiques. A cet effet, nous avons formulé trois questions concernant les fréquentations (question 21), l'appartenance syndicale (question 22) *, et le mariage (question 23). Question 21 : a) « Est-ce qu'il arrive aux O.P. de fréquenter des O.S. en dehors de l'usine ? Cela arrive : 1) très souvent ; 2) souvent ; 3) parfois ; 4) jamais. » b) < Est-ce qu'il arrive aux O.P. de fréquenter des contremaîtres (porion) en dehors de l'usine ? » c) « Est-ce qu'il arrive aux O.P. de fréquenter des employés de bureau en dehors de l'usine ? * d) « Est-ce qu'il arrive aux O.P. de fréquenter des ingénieurs en dehors de l'usine ? » Question 23 : (a-d) « Est-ce qu'il arrive que des O.P. se marient avec des enfants d'O.S., de contremtâtres, d'employés, d'ingénieurs ? Cela arrive : 1) très souvent ; 2) souvent ; 3) parfois ; 4) jamais. » 3. La question 22 touchait à l'appartenance syndicale des O.S., des contremaîtres, des employés, des ingénieurs ; cette question a provoqué trop de résistances et a dû être éliminée.
167
Opinions ouvrières Voici les résultats globaux des réponses, après résumé 4. Tableau 7. Distance sociale perçue (Questions 21 et 23)
Entre ouvriers professionnels et : O.S. Contremaîtres Employés de bureau Ingénieurs
Faible % 83 34 29 —
Moyenne % 14 34 36 3
Forte
Non-réponses
%
%
1 28 31 91
2 4 4 6
Total
100 100 100 100
Effectif : 389
Ces résultats ne manquent pas de netteté pour les échelons extrêmes : très grande entre O.P. et ingénieurs et très faible vis-à-vis des O.S., la distance sociale perçue indique clairement l'absence de fréquentations en dehors de l'usine et la barrière infranchissable au mariage dans le premier cas, le comportement « in-group » dans l'autre cas. Par contre, les réponses sont partagées, pour les échelons intermédiaires. L'analyse montrera qu'il s'agit ici d'une répartition qui s'accentue dans le sens de la faible distance chez certaines catégories d'ouvriers « évolués ». Si on se rappelle que les ouvriers interrogés se trouvent tous être « professionnels >, l'un des résultats importants que ces questions font apparaître est que peu d'entre eux expriment une « distance » à l'égard des O.S.
B. LA HIÉRARCHIE SOCIALE
Quelle est maintenant la vision d'ensemble de l'ouvrier interrogé en ce qui concerne l'entreprise, la communauté et la société au sens large ? A-t-il tendance à se les représenter comme une hiérarchie continue, ime sorte de liste de catégories superposées, sans coupure ? Conçoit-il l'usine et la société comme des ensembles intégrés, comme une hiérarchie qui englobe toutes les catégories, y compris celle des ouvriers ? Sa vision tend4. On a codé les réponses < très souvent » ou « souvent » en ( + ) et « parfois » ou « jamais » en (—) ; puis on a résumé les résultats pour un niveau hiérarchique à la fois, mais pour les questions 21 et 23 simultanément : ( + + ) était alors l'indice d'un faible, (H ou 1- ) d'une moyenne et d'une forte distance sociale.
Pouvoir et rémunération
168
elle au contraire vers l'image d'une hiérarchie discontinue, l'ouvrier concevant des catégories peu nombreuses tout en les formulant dans des termes qui suggèrent des rapports conflictuels, la division, le plus souvent la division en deux camps, la dichotomie ? Ces questions (16, 24 et 25) étaient destinées à fournir des indices permettant de toucher à l'orientation sociale ainsi définie des répondants. Question 12 : « Quand vous pensez à l'usine (ou à la mine) laquelle de ces deux manières de classer est la plus naturelle pour vous-même ? * (alternatives, voir plus loin tableau 8) s . Question 24 : « Quand vous pensez à une ville comme Metz ou Paris, combien de catégories faites-vous ? Est-ce que vous pensez plutôt > (alternatives) Question 25 : « Quand vous pensez à tout le pays, comment classez-vous les gens ? Est-ce que vous diriez plutôt » (alternatives) Tableau 8. Vision de l'entreprise et de la société (% sur l'effectif complet) Usine (Question 16) Tendance à l'image * d'une hiérarchie continue (plus intégrée) Tendance à l'image discontinue ou dichotomique (plus conflictuelle)
Grande ville (Question 20)
Pays (Question 25)
36 %
36 %
29 %
58 %
58 %
67 %
Non-réponse
6 %
Total effectif
100 %
4 %
6 % (289)
100 %
(289)
100 %
(289)
• Alternatives : Question 16. Le directeur ; les ingénieurs ; les employés ; les ouvriers professionnels ; les ouvriers spécialisés ; les manœuvres ou le patron et les collaborateurs ; les ouvriers. Question 24. Les médecins et avocats ; les banquiers ; les artistes ; les cadres ; les 5. Dans une autre question (question 17) nous avions demandé également deux classements concernant l'entreprise en les formulant partiellement en termes de rémunération ; cette question a du être éliminée, la proportion des non-réponses étant trop forte.
Opinions ouvrières
169
employés ; les ouvriers ; ou les professions à leur compte ; les métiers payés au mois ; les ouvriers, c'est-à-dire les métiers payés à l'heure. Question 25. Les professions libérales ; les commerçants ; les techniciens ; les employés du bureau ; les fonctionnaires ; les ouvriers agricoles ; ou la classe dirigeante ; la classe moyenne ; la classe ouvrière.
Comme le fait apparaître le tableau 10, un tiers environ des répondants, choisis exclusivement parmi les ouvriers professionnels, inclinent dans le sens d'une image hiérarchique de type intégré. Bien qu'il s'agisse d'une différence peu marquée, il semble que l'image de la société au sens le plus large — définie dans notre question par la formule < quand vous pensez à tout le pays > — soit un peu moins intégrée encore que ne l'est celle de l'entreprise et de la ville choisie en exemple. Ce résultat s'inscrit dans la ligne des tendances relevées précédemment : une majorité de répondants manifeste une orientation qu'on peut, pour simplifier, qualifier de traditionnelle, c'est-à-dire allant dans le sens d'une société divisée ; une minorité qui atteint ici un peu plus d'un tiers des répondants semble aller, par contre, dans le sens d'une conception sociale plus intégrée. On verra plus loin si cette « minorité » correspond à une catégorie d'ouvriers « évolués > qui pensent à leurs revenus ou à leur qualification.
C.
INTÉGRATION ET CONFLIT DANS L'ENTREPRISE
Afin de ne pas en rester à des questions qui demandent un choix en alternatives et aussi pour approfondir davantage le problème de la vision conflictuelle et de la vision intégrée, on a posé deux autres questions dont l'une mettait en avant l'aspect intégré et l'autre l'aspect conflictuel de l'entreprise. Question 18 : « Nous aimerions vous demander ce que vous pensez de la comparaison suivante : on dit quelquefois que l'usine (la mine) et son directeur, c'est comme urte équipe de football et son capitaine ; ils s'intéressent ensemble à marquer le plus de buts possibles; est-ce qu'il vous semble que : c'est tout à fait cela, etc. Question 19 : « Ce que veulent les patrons et ce que veulent les travailleurs, pensez-vous que cela s'oppose ou pas ? » (alternatives, voir tableau). 7
170
Pouvoir et rémunération
Tableau 9. Perception de l'aspect intégré de l'entreprise (résultat global en % de l'effectif) (question 18) Image de l'équipe de football Pourcentage de répondants qui pensent que chez eux : 1) C'est tout à fait cela
12
2) Il y a beaucoup de vrai là-dedans
16
3) Il y a un peu de vrai là-dedans
28
4) Ce n'est pas du tout cela
41
Non-réponse Total effectif
1
28
1/
·
3 100
(289)
Tableau 10. Perception de l'aspect conflictuel de l'entreprise (résultat global en % de l'effectif) (question 19) Image de l'opposition Pourcentage de répondants qui pensent que chez eux « ce que veulent les patrons et travailleurs » : 1) Cela ne s'oppose pas du tout
5
2) Cela ne s'oppose qu'en partie seulement
32
3) Cela s'oppose en grande partie
25
4) Cela s'oppose tout à fait
36
Non-réponse Total (effectif)
)
j
37
i
61
2 100
(289)
La dominante des réponses reste (tableaux 11 et 12) celle du rejet de l'idée d'équipe et de l'acceptation de celle d'opposition des intérêts dans l'usine ; moins d'un tiers environ (28 %) des ouvriers professionnels admettent l'image de l'équipe de football ou pensent qu'elle contient « un peu de vrai > alors que plus d'un tiers (37 %) indiquent, à égalité d'intensité, que patrons et travailleurs « cela ne s'oppose qu'en partie seulement >. Le détail des deux tableaux montre que l'acceptation de l'aspect intégré de l'entreprise est plus hésitante que le rejet de l'aspect conflictuel, exprimé plus massivement.
Opinions ouvrières
171
Pour compléter cette description de l'orientation sociale des ouvriers interrogés au moyen de quelques indices évidemment partiels, on a cherché à déterminer l'attitude du répondant à l'égard de l'activité des syndicats dans l'entreprise. Question 20 : « Est-ce que vous vous intéressez à ce que font les syndicats dans votre entreprise ? » Réponses : 1) Je m'y intéresse beaucoup 2) Je m'y intéresse assez 3) Je ne m'y intéresse pas beaucoup 4) Je ne m'y intéresse pas du tout Non-réponse Total effectif
28 % j ! 47 % 19 % j> 33 % i ! 52 % 19 % ; 1 % 100 %
(289)
Si l'intégration au syndicat apparaît plus forte chez les répondants que l'intégration à l'entreprise, il n'en reste pas moins que la moitié d'entre eux ne se décrivent pas comme nettement impliqués dans l'action syndicale. Avant de passer à l'analyse de quelques nuances, par des tris de catégories de répondants plus ou moins « évolués >, il est important de souligner la principale réponse que les résultats globaux ont apportée à notre interrogation sur l'étendue et le sens de l'aspiration ouvrière, d'une part au changement des modes de rémunération et d'autre part à l'intégration. I o L'aspiration au changement des modes de rémunération, autrement dit l'appréciation négative des salaires variables et le désir de passer au statut de mensuel, est très étendue, allant sur certaines questions jusqu'à la quasi-unanimité des répondants. 2° La tendance que divers indices, de distance, de hiérarchie et de conflit social ont montrée et qui peut être interprétée, pour le moins partiellement, dans le sens d'une sorte d'aspiration à l'intégration, ne se rencontre généralement que chez un tiers environ des répondants, c'est-à-dire chez une minorité. La première conclusion de ce sondage est donc qu'il n'y a pas lieu de chercher dans une tendance « nouvelle » de l'orientation sociale d'une minorité de répondants, l'explication de l'aspiration au changement des modes de rémunération. Celle-ci est bien le fait, non d'une « avant-garde » mais de la majorité des ouvriers professionnels interrogés.
Pouvoir et rémunération
172
Malgré ce résultat, il convient néanmoins de préciser par d'autres analyses quelle est l'influence de la position économique, professionnelle et technique, sur l'opinion des ouvriers les plus < évolués ».
III. LES OPINIONS DES OUVRIERS LES PLUS « ÉVOLUÉS > Est-ce que les ouvriers les mieux payés, les plus qualifiés, aspirent davantage au changement des modes de rémunération, et d'abord comment jugent-ils le système actuel des salaires dits variables ? Aspirent-ils davantage que les autres à s'intégrer dans l'entreprise et la société ? Les ouvriers travaillant à la fabrication comparés à ceux de l'entretien, les ouvriers d'une entreprise techniquement plus avancée comparés à ceux des autres entreprises, ont-ils des attitudes qui se distinguent ? Le critère économique est le moins difficile à manier de tous ceux employés. On verra dans le tableau 11 que la répartition des répondants par catégories de revenus fait apparaître des différences assez prononcées entre les mines et l'usine sidérurgique II, alors que l'usine I constitue un cas intermédiaire. Nous avons isolé le tiers environ des répondants qui se classent dans les salaires les plus élevés (cases soulignées dans le tableau 11). Cette distinction nous donne une première et une seconde catégorie de salaires, les ouvriers les plus « évolués > économiquement et les autres. Tableau 11. Première et seconde catégories de salaires (% par secteur) 600 à 690
700 à 890
+ de 900 F
15
2 36
20 40
74 9
8
21
31
38
Fabrication Entretien
12 19
47 63
39 26
—
Total
11
55
33
— de 600 F
Nonréponse
Effectif
(289)
Mines Abattage Régie Total
—
4
100 100
2
100 (101)
—
(46) (55)
Sidérurgie 1 2 1
—
100 100
(51) (46)
—
100
(97)
—
Opinions ouvrières
173
— de 600 F
Sidérurgie
600 F à 690
700 à 890
+ de 900 F
Nonréponse
Effectif (289)
II
Fabrication Entretien
66 66
30 32
4 2
—
—
—
—
100 100
(47) (44)
Total
66
31
3
—
—
100
(91)
Gains mensuels moyens que les répondants déclarent gagner.
Quant au critère professionnel, on sait que dès la constitution de l'échantillon — elle prévoyait 50 % d'O.P. 1 et 50 % d'O.P. catégories 2 et 3 — le système spécial des qualifications dans les mines constituait une difficulté. On aura recours à des tris par usine et secteur (fabrication/entretien, abattage/régie) lorsqu'il s'agira de la situation de travail de tous les répondants ; en ce qui concerne les catégories professionnelles, on devra s'en tenir à la sidérurgie. Le tableau 14 montre, par ailleurs, que les critères économiques et professionnels sont évidemment fortement liés : les O.P. 2 et 3 tombent beaucoup plus souvent dans la catégorie des mieux payés, les O.P. 1 dans les salaires plus faibles. Tableau 12. Salaires et qualifications (en chiffre % par catégorie) — de 600 F
Sidérurgie
Effectif (188)
17 6
68
42
15 52
100 (47) 100 (50)
3 2
100 (42) 100 (49)
II
O.P. 1 O.P. 2 et 3
A.
690
+ de 700 F
I
O.P.1 O.P. 2 et 3 Sidérurgie
600
83
14
51
47
L'APPRÉCIATION DU SALAIRE VARIABLE
Les ouvriers qui se disent payés « au fixe plus prime » touchent des salaires plus forts.
174
Pouvoir et rémunération
Cette tendance est sensiblement la même dans les trois usines (tableau 13) : Tableau 13. Niveaux et modes de rémunération Pourcentage de salaires « première catégorie » (cf. tableau 11)
Mines
Sidérurgie l
Sidérurgie H
parmi les ouvriers qui se disent payés « au rendement »
43
36
42
parmi les ouvriers qui se disent payés « au fixe horaire »
23
29
19
Si on se demande maintenant jusqu'à quel point les ouvriers qui touchent des salaires relativement « hauts » se distinguent des autres dans leur appréciation du salaire variable, cela revient donc, pour une bonne part, à séparer également l'opinion des gens « au fixe plus prime », c'est-à-dire soumis au salaire variable des autres. Il est d'autant plus frappant de constater que dans l'ensemble, sur les différentes questions d'appréciation du salaire variable, les réponses sont peu différenciées entre les répondants des « forts » et des « faibles » salaires. Il en va ainsi dans l'appréciation de l'effort (Q. 1 χ2 = non significatif), des variations des salaires (Q. 4 χ2 = non significatif)6, mais également en ce qui concerne la crainte d'une baisse des primes (Q. 7 χ2 = non significatif) et encore dans le jugement de la sécurité du salaire de l'ouvrier professionnel de production au « fixe plus prime » (Q. 8 χζ = non significatif). S'il est vrai que les ouvriers rémunérés au salaire variable touchent plus souvent des salaires relativement élevés, ils sont néanmoins aussi négatifs dans leur appréciation du salaire au rendement que leurs collègues au « fixe horaire » qui tendent à recevoir, dans l'ensemble, des salaires plus bas. Le critère économique n'est pas discriminant ici. Tout au plus (question 6), les répondants de la première catégorie de salaires sont légèrement moins négatifs, pensant à leurs salaires plus hauts, sur la possibilité qu'aurait l'ouvrier payé au rendement « de faire grimper les salaires >. 6. L'appréciation du salaire variable qui est fort négative dans les questions 2 et S ayant provoqué une trop forte proportion de réponses dans le même sens, elles ne seront pas comprises dans ces tris.
Opinions ouvrières
175
On ne trouve pas de différence notable non plus entre l'opinion des O.P. 1 comparée à celle des O.P. 2 et 3, sur cette première série de questions, malgré le fait que ces derniers ont généralement de plus nombreuses et plus importantes possibilités d'influence sur la production. L'appréciation du salaire variable qui est fort négative dans l'ensemble ne l'est ni moins ni plus parmi les ouvriers économiquement et professionnellement les plus « évolués ». Au cours de l'analyse par usine et secteur de l'entreprise, quelques nuances, mais encore peu prononcées, apparaissent. La conclusion qui s'impose ici est que l'appréciation du salaire variable est pratiquement la même quelle que soit la situation particulière du répondant. Il existe une sorte de consensus négatif à l'égard du salaire variable. Il n'en va plus tout à fait de même lorsqu'on parle d'aspects plus éloignés du fonctionnement actuel de la rémunération que l'ouvrier connaît de plus ou moins près. Les questions de sécurité et de statut sont des sujets moins exclusivement liés à l'expérience et l'opinion varie davantage selon la situation de l'ouvrier.
B . L'ASPIRATION AU SALAIRE FIXE ET AU STATUT DE MENSUEL
Les questions suivantes touchent à trois problèmes : la sécurité du salaire ; la mensualisation ; le statut social du professionnel dans l'entreprise. On a vu qu'une écrasante majorité des ouvriers professionnels interrogés considère qu'à salaire égal un comptable a ime meilleure situation qu'un ouvrier professionnel (résultat global, question 9). S'il y a rejet du salaire variable, au rendement, ce n'est donc pas l'aspiration au salaire fixe, mais bien l'aspiration à la mensualisation, par rejet du statut d'horaire, qui constitue la prochaine étape de l'évolution souhaitée par les ouvriers interrogés. C'est ce que les réponses à la question 7 touchant à la sécurité du salaire avaient également indiqué : dans l'ensemble les ouvriers craignent davantage l'éventualité de baisses de l'horaire que les baisses de primes. La sécurité du salaire est liée non à l'idée d'un salaire exempt de variations, mais à celle de l'insécurité du statut d ' « horaire >. Les analyses suivantes indiquent maintenant que cette crainte est sensiblement de même intensité chez les ouvriers de nos deux catégories économiques et professionnelles (question 7, par catégorie de revenu, par qualification ; χ2 = non significatif dans les deux cas). Il n'y a donc, là encore, aucune indication dans ce sens que les catégories d'ouvriers les plus
176
Pouvoir et rémunération
évoluées seraient plus spécialement motivées à aspirer au statut de mensuel, pour des raisons qui leur seraient propres. Il apparaît en revanche que la situation globale des répondants dans les diverses usines détermine des réactions notablement différentes. A tel point que la tendance générale à craindre des restrictions d'horaires n'est pas confirmée dans l'un des cas. En effet, dans l'usine sidérurgique I — techniquement plus collective — il existe encore une forte sensibilisation à la prime, alors que celle-ci est particulièrement faible dans l'autre usine sidérurgique. Les ouvriers de l'usine sidérurgique II — où nous trouvons encore beaucoup de travail individuel — craignent les diminutions horaires (question 7 par usine, χζ : Ρ = 0,05). Dans les mines, il en va de même. Une hypothèse d'explication serait donc que dans le premier de ces cas l'adaptation à la conjoncture à travers l'horaire se ferait difficilement et dans les deux autres cas plus facilement, étant donné le caractère plus collectif ou plus individuel de la production. On a posé deux autres questions sur la sécurité du salaire. Qui a plus de sécurité de salaire, le professionnel de fabrication ou le professionnel de l'entretien, l'un étant payé au salaire variable et l'autre au fixe horaire ? Ici encore les ouvriers de différentes catégories de salaires et de qualification tendant à répondre dans le même sens (Q. 8 par catégorie de revenu par qualification ; χ 2 = non significatif dans les deux cas). La tendance générale s'y retrouve : le professionnel de production est plus souvent cité comme pouvant « compter sur son salaire ». Quant à l'analyse des réponses à cette question par secteur d'usine, elle confirme l'importance des fluctuations, non de la production, mais des horaires de travail. La crainte des baisses d'horaire est même plus forte que la crainte des variations du salaire pour certains répondants, particulièrement de l'entretien (tableau 14) qui jugent que la sécurité des ouvriers au fixe horaire est inférieure à celle des ouvriers au fixe plus prime : Tableau 14. Sécurité du salaire et secteur de travail Qui peut < compter plus sûrement sur son salaire »... LO.P. de production (au fixe + prime) L'O.P. de l'entretien (au fixe horaire) C'est pareil Non-réponse Total (effectifs)
Fabrication 39 % 33 % 22 % 1 % 100 % (144)
Entretien 56 % 24 % 19 %
1 % 100 % (145)
Opinions ouvrières
177
Ces deux derniers tris et des analyses précédentes permettent de situer l'importance de l'aspiration au changement des modes de rémunération dans le sens du désir d'un fixe horaire. Il faut compléter ce constat par l'examen du désir d'accéder au statut de mensuel. Quelle est, dans l'aspiration ainsi précisée, la part d'attrait d'un prestige social plus élevé des postes mensuels dans l'usine, autrement formulé, jusqu'à quel point est-elle ime réaction de fierté des catégories économiques et professionnelles les plus élevées, celles-ci considérant que leur actuel statut « d'horaires » ne tient pas compte de leur importance réelle ? — Les réponses aux questions 14 et 13 montrent que cette interrogation était nécessaire. Lorsqu'on demande aux ouvriers si la « considération qu'on a pour l'ouvrier professionnel dans l'entreprise est moins haute que celle qu'on, accorde aux collaborateurs » (question 14), 60 % répondent affirmativement dans ce sens, et environ un tiers s'abstiennent ou disent qu'il n'y a pas de différence. Les tris ne font apparaître aucune différence d'appréciation entre les diverses catégories de répondants (critères économiques, professionnels ou d'usine), seuls ceux de l'entretien paraissent un peu plus sensibles au prestige relativement faible des ouvriers professionnels. Il s'agit là, en fait, d'une sorte d'accord dans les esprits sur un fait courant dans les entreprises, plutôt que d'opinions influencées par la situation des répondants. H n'en est pas de même lorsque les ouvriers interrogés sont appelés à se prononcer sur la nature de leur travail. Est-ce que le travail d'un ouvrier professionnel est plus proche du travail d'un O.S. ou du travail d'un mensuel ? (question 13). La question 13 avait été posée dans la sidérurgie seulement. Ces réponses montrent des tendances notablement différentes selon la « position > des répondants. Une majorité d'ouvriers pense que le travail d'un ouvrier professionnel est plus proche du travail d'un O.S. ; la tendance contraire, celle qui conçoit le rapprochement O.P. et mensuels, est plus prononcée chez les ouvriers « les plus évolués ». Cela ressort d'abord d'une analyse par catégories économiques : les ouvriers des premières catégories de salaire soulignent nettement plus souvent ce rapprochement (χ 2 : Ρ = 0,10). Cette tendance est encore plus marquée dans l'analyse par catégories professionnelles :
178
Pouvoir et rémunération
Tableau 15. Appréciation du travail : O.P. comparé aux mensuels (question 13) Le travail d'un O.P. — Est plus proche du travail d'un O.S. — Est plus proche du travail des mensuels Non-réponse Total (effectifs)
OJ>. 3
OP. 1
51 %
73 %
46 % 3 %
19 % 8 %
100 % (99)
100 % (89)
La grande différence de réaction (χζ : Ρ = 0,01, hautement significatif) des ouvriers des positions les plus élevées ainsi constatée laisse prévoir une tendance plus appuyée chez ces mêmes ouvriers, dans l'aspiration au statut de mensuel. Qu'en est-il ? Est-ce que les ouvriers les plus « évolués > économiquement et professionnellement pensent plus souvent qu'ils devraient eux-mêmes passer au statut de mensuel (question 11), tout en accordant moins d'importance à ce que tous les ouvriers bénéficient de ce statut (question 12) ? Les tris indiquent effectivement une tendance à l'individualisme, dans ce sens, mais elle est très faible. L'aspiration pour soi-même et pour les autres est la même dans le secteur fabrication et à l'entretien. H n'existe que peu de différences, ensuite, entre l'aspiration des ouvriers qui touchent les salaires les plus hauts et les autres : tout au plus les premiers sont-ils un peu plus individualistes. Π en va de même lorsqu'on regarde séparément l'aspiration des ouvriers les plus qualifiés et des autres, les O.P. 2 et 3 sont légèrement plus souvent individualistes (χ2 non significatifs pour ces différents tris). Cela confirme le résultat global déjà énoncé : le sens de l'aspiration au statut de mensuel n'est que partiellement celui de la mobilité individuelle, un petit nombre seulement parmi les ouvriers les plus « évolués > ont le désir de passer individuellement à un statut social plus haut ; dans l'ensemble l'aspiration est un désir de mobilité collective. Comme, par ailleurs, l'aspiration à la mensualisation est plus prononcée dans celle des entreprises où on a relevé précédemment une forte crainte d'une baisse des horaires, l'aspiration au statut de mensuel semble devoir être interprétée pour une part importante, comme une recherche de sécurité du salaire que le seul « fixe horaire > ne fournirait pas (cf. tableaux 16 et 17). 7. Les tris par usine et par secteur ne dégagent pas de différences sur les questions 13 et 14.
Opinions ouvrières
179
Tableau 16. Aspiration personnelle et mensualisation (question 11) Pourcentage de répondants qui disent que « tous les ouvriers » devraient être payés au mois
Mines
Sidérurgie 1
Sidérurgie II
73 47
65 31
84 39
Parmi ceux qui y aspirent personnellement Parmi ceux qui n'y aspirent pas
Tableau 17. Mensualisation individuelle ou collective (en % des effectifs de chaque entreprise) question 12 Dans l'entreprise, ici, on devrait payer au mois — Tous les ouvriers — Certains ouvriers — Aucun ouvrier, et nonréponse Total (effectifs)
Mines
Sidérurgie I
65 21
56 36
14
8
100 (101)
100 (97)
Sidérurgie II 76 19
100 (91)
C'est en effet dans l'entreprise sidérurgique II que l'aspiration personnelle est la plus forte, ce qui n'est toutefois pas attribuable à un désir individualiste, puisque c'est également dans cette usine qu'on trouve le plus de réponses « tous les ouvriers » (devraient être payés au mois). C'est également dans cette usine que la division actuelle du personnel en « horaires » et « mensuels » (question 10) est rejetée par une proportion plus vigoureuse (52 % contre 39 % dans la sidérurgie 1 et 37 % dans les mines). Les analyses de ce paragraphe montrent donc qu'il n'existe que rarement des différences entre les catégories les plus « évoluées » et le reste des ouvriers de l'échantillon. Les différences relevées se rapportent le plus souvent à l'une ou l'autre des situations globales, soit d'usine, soit de secteur d'usine. Reste à analyser l'orientation sociale des répondants. Si l'aspiration au changement des modes de rémunération — plus précisément : du statut de rémunération — est finalement assez peu l'affaire des ouvriers « les plus évolués », retrouve-t-on, par contre, chez ces derniers une aspiration plus nette à l'intégration ?
180
Pouvoir et rémunération
C . L'ASPIRATION À L'INTÉGRATION
On pense volontiers que les ouvriers économiquement les mieux situés, par une participation relativement forte à la consommation de masse, ont plus de chances de transformer leur orientation sociale. Différentes questions devaient fournir des indices de l'aspiration à l'intégration. Même si de tels indices restent évidemment discutables quant à leur signification précise, ils ont été obtenus par une seule et même méthode auprès de tous les répondants. Les analyses devraient donc normalement faire apparaître des différences entre les réponses des « évolués » et celles des autres. On constate que les ouvriers de la plus haute catégorie de salaire ont un peu plus souvent tendance à concevoir un éventail salarial fermé (estimations des salaires à différents paliers de la hiérarchie, question 15), ils ont une image légèrement plus « intégrée » (question 16) de l'usine et insistent moins sur l'opposition patrons-ouvriers, mais seules des différences faibles (statistiquement non significatives) séparent leur opinion de celle des répondants à salaires moins élevés. L'intérêt pour les activités syndicales est pratiquement de même intensité pour les ouvriers à hauts et à bas salaires. Bien que la position économique des ouvriers ne soit pas sans lien avec l'aspiration à l'intégration dans l'entreprise, celle-ci ne s'est manifestée qu'assez timidement. Elle est un peu plus forte dans l'analyse des réponses par qualification. Mais dans ces analyses on reste dans une large mesure sur les mêmes cas, les ouvriers les mieux payés étant aussi ceux des catégories O.P. 2 et 3 La vision de la hiérarchie des salaires (question 15) des ouvriers les plus hautement qualifiés ne diffère pas sensiblement de celle des ouvriers professionnellement moins avancés (χ2 : non significatif). Par contre, ils tendent nettement à changer d'attitude vis-à-vis de l'usine (χ2 : Ρ = 0,05), tout en gardant essentiellement les mêmes réactions face à la société globale (χ2 : non significatif) :
8. Les tris par qualification concernent la sidérurgie seulement.
Opinions ouvrières
181
Tableau 18. Position professionnelle et vision de l'entreprise et de la société (questions 16-25) Catégories professionnelle* du répondant : OJ>. 2 OJ>. 3 Tendance à l'image d'une hiérarchie continue (plus intégrée) —• Réponses pour l'entreprise — Réponses pour la société (le pays) Tendance à l'image discontinue ou dichotomique (plus conflictuelle) — Réponses pour l'entreprise — Réponses pour la société (le pays) Non-réponse
45 %
O.P.1
29 % 31 %
54 %
28 %
65 % 66 %
67 %
3% Total (effectifs)
100 %
(99)
5 100 %
(89)
Une légère tendance dans le même sens se retrouve chez les O.P. 2 et 3 par ailleurs : ils acceptent un peu plus souvent l'idée que l'usine < c'est comme une équipe de football > et insistent un peu moins sur l'opposition patrons-ouvriers, mais il s'agit là de faibles différences (χ2 : non significatif). De même, l'appréciation des distances sociales par les O.P. 2 et 3 est légèrement différente, comme il ressort du tableau 22 : Tableau 19. Distance sociale perçue, par qualification (questions 21 et 23 ; résultats sidérurgie) O.P. 1
O.P. 2 et 3
Distance entre ouvriers professionnels et — contremaîtres faible moyenne — forte Non-réponse Totaux (effectifs)
24 % 34 % 37 %
20 % 43 % 34 %
5 %
3 %
100 % (89)
100 % (99)
Pouvoir et rémunération
182
O.P. 1 — employés
de
O.P.
2 et
3
bureau
faible moyenne forte
%
% % 30 %
7 %
6 %
27
%
26 38
34 % 32
Non-réponse Totaux (effectifs)
100 % (89)
100 % (99)
Dans l'ensemble la répartition des réponses est la même, tout au plus les O.P. 2 et 3 tendent un peu plus à exprimer une opinion « moyenne > et les O.P. 1 à concevoir la distance d'une manière plus tranchée, exprimant une légère préférence pour les réponses extrêmes. Ces différences sont très faibles, mais vont dans le sens des résultats précédents qui indiquaient une amorce d'évolution de l'opinion ouvrière : on peut penser que les ouvriers professionnellement les mieux situés témoignent d'un début d'hésitation à répondre. Si toutefois les différents indices qu'on vient de présenter n'indiquent pas une évolution bien marquée des ouvriers économiquement et professionnellement en pointe, on s'aperçoit, en revanche, que l'analyse par usine dégage des différences plus importantes. La vision ouvrière de la hiérarchie, d'après notre indice, révèle que la distance sociale entre ouvriers et directeur est beaucoup plus forte dans l'une des usines sidérurgiques : Tableau 20. Estimation du salaire d'autrui par usine (question 15 ; en % du gain ouvrier) Gain
Sdiérurgie
mensuel
Un directeur Un ingénieur Un contremaître Un ouvrier de 35 ans
I
Sidérurgie
Π
Mines
%
%
Régie
A batage
795 283 161
1 537 388 153
732 332 193
477 237 121
100
100
100
100
25,
L'estimation est de même allure dans l'usine sidérurgique I et dans les mines, alors que le résultat concernant l'usine sidérurgique II ss distingue très nettement. Par contre, l'analyse de nos autres indices de la vision sociale de l'ou-
Opinions
ouvrières
183
vrier interrogé dégage une tendance en sens inverse chez les répondants de l'usine sidérurgique I : Tableau 21. La vision de l'entreprise et de la société (questions 16, 20 et 25 ; en % sur l'ensemble des réponses de usine) Tendance à l'image dune hiérarchie continue (plutôt intégrée)
Sidérurgie l
Sidérurgie U %
Mines
44
31
36
40 31
29 18
28 31
%
— Question 16 : l'usine — Question 20 : une grande ville — Question 25 : le pays
chaque
%
Ce sont les ouvriers de l'usine I qui ont la vue hiérarchique continue, plutôt intégrée ; leur aspiration à l'intégration serait donc plus prononcée que chez les ouvriers des autres entreprises. Dans l'ensemble, les répondants des trois usines ont une propension d'autant moins forte à choisir l'image d'une hiérarchie continue, qu'on se rapproche davantage de l'idée de la société globale (ville, puis pays) ; comparativement à l'autre usine sidérurgique, l'usine I est toutefois, même au niveau du « pays », celle qui tend davantage à l'image « intégrée >. Peut-on faire l'hypothèse que dans l'usine I la tension conflictuelle est moins forte que dans l'usine II et que cela corresponde aux résultats qu'on vient de présenter ? Le tableau 22 résume les réponses à deux autres de nos questions qui touchaient directement à l'aspect intégré et à l'aspect conflictuel dans chacune de ces usines : Tableau 22. Perception (questions 18 et 19) Pourcentage sur l'ensemble des répondants de chaque entreprise — Qui tendent à accepter l'image intégrée (équipe de football) — Qui tendent à rejeter l'image conflictuelle (opposition d'intérêts)
de
l'entreprise
Sidérurgie I %
Sidérurgie II %
Mines %
36
18
31
44
33
35
184
Pouvoir et rémunération
Il semble, en effet, qu'une tendance assez claire se manifeste : les ouvriers de l'usine II ont une vision moins intégrée que ceux de l'usine I. On peut donc penser que dans la première la tension conflictuelle est plus forte que dans la seconde. Ce résultat présente l'intérêt de corroborer l'analyse des parties patronales et syndicales de ce rapport : c'était dans l'usine sidérurgique I que l'on avait rencontré un profil patronal d'opinion dit « dynamique >, un degré particulièrement faible de divergence entre les opinions des dirigeants et des délégués ouvriers ; inversement, à l'usine sidérurgique II correspondait le profil patronal d'opinion « statique » et un important degré de divergence entre l'opinion des dirigeants et des délégués ouvriers. Notons également que la question « intérêt pour les activités du syndicat » (question 20) a apporté davantage de réponses affirmatives dans l'usine II (62 % contre 45 % sidérurgie I et 49 % mines). D'autre part, les tendances dégagées vont de pair avec une appréciation différente des barrières sociales entre ouvriers professionnels, contremaîtres et ingénieurs (question 21-23) : c'est dans l'usine I que les distances sociales se réduisent de façon la plus sensible ; le cas de l'usine II se situe dans une position moyenne. La situation globale des différentes usines, comme cette série de tris l'a montré, a donc cristallisé plus de différences et cela de manière cohérente, que les tris par les catégories des ouvriers « les plus évolués ». En d'autres termes, l'aspiration à l'intégration, si elle n'est pas entièrement indépendante de la position économique et professionnelle individuelle, serait surtout le fait d'une situation collective.
CONCLUSION Les différentes tendances qui répondaient aux deux principales interrogations de ce sondage auprès de la population ouvrière ont été résumées à plusieurs reprises. Nous ne les reprendrons pas ici en détail. L'aspiration au changement des modes de rémunération est très répandue dans la population d'ouvriers professionnels de la sidérurgie et des mines de fer ; elle a notamment le sens d'une aspiration, non au fixe horaire, mais au statut de mensuel et cela principalement en vue d'une plus grande sécurité. Il existe une sorte d'aspiration à l'intégration, mais cette tendance est le fait d'une minorité, sans que l'hypothèse des ouvriers « les plus évolués > soit cependant vérifiée : ce n'est pas la position individuelle de l'ouvrier, qui, dans l'ensemble, serait parallèle à un certain changement d'orientation sociale, mais la situation collective.
Opinions ouvrières
185
Pour finir les analyses de ce sondage, un tri met en valeur une certaine correspondance entre l'aspiration au statut de mensuel et l'orientation sociale. Tableau 23. Aspiration au statut de mensuel et hiérarchie des salaires (estimation) questions 12 et 13 Pourcentage d'ouvriers qui aspirent au statut de mensuel — Parmi ceux qui ont une vision discontinue de la hiérarchie des salaires (fortes estimations) — Parmi ceux qui ont une vision continue de la hiérarchie des salaires (faibles estimations)
Sidérurgie 1
Sidérurgie II
81
94
62
73
Tableau 24. Aspiration au statut de mensuel et conflit dans l'entreprise (questions 12 et 19) Pourcentage d'ouvriers qui aspirent au statut de mensuel — Parmi ceux qui rejettent l'image conflictuelle — Parmi ceux qui voient une opposition partielle — Parmi ceux ), soit l'évolution sociale (les « sociaux ») et en faisant intervenir le fait que la plupart des dirigeants patronaux sont ingénieurs de formation, on peut interpréter la logique de cette correspondance entre les modes pratiqués et la vision de l'évolution industrielle Les « sociaux > et les « dynamiques » conçoivent l'évolution dans les domaines autres que techniques, ne considérant pas le social comme un donné définitif, parce qu'ils agissent sur lui et réduisent par leur intervention une part de leur insécurité face au partenaire. Economiquement, il y a les ententes, la planification à long terme, psycho-sociologiquement des « techniques » modernes de direction du personnel et sociologiquement les syndicats, eux-mêmes impressionnés en partie par l'évolution sociale, peuvent devenir des partenaires sur lesquels on a une part de contrôle dans la négociation même, où l'on peut les « amener » à comprendre. Pour les « statiques >, les choses sont ce qu'elles sont, c'est-à-dire peu évoluées. Pour les « techniciens >, l'intervention se conçoit sur le plan technique, mais les deux types voient la réalité non technique comme un donné : ce ne sont pas eux qui font la conjoncture, les conditions du marché ; ils en dépendent, d'autant plus dangereusement qu'ils sont face à un 2. Voir conclusion deuxième parti».
190
Pouvoir et rémunération
partenaire passif ou hostile. Ils ne manipulent pas, ils soumettent le personnel, dont les réactions leur échapperaient s'ils n'adoptaient des mesures de contrôle autoritaire à l'état actuel de son niveau de formation ; ils ne pensent pas pouvoir changer la nature conflictuelle de leurs relations avec des délégués qui veulent systématiquement se soustraire à l'autorité de la direction, et qu'ils ne reconnaîtraient comme partenaires que s'ils acceptaient ce contrôle. Les délégués ouvriers ont répondu au schéma d'interview (reformulé) qui avait été présenté aux dirigeants patronaux. Ils n'ont aucune responsabilité formelle dans les décisions qui concernent les modes de rémunération dans les entreprises étudiées. La grande homogénéité constatée dans l'opinion syndicale prend donc avant tout le sens d'une réaction à une situation fondamentalement semblable — celle de la dépendance. Cette interprétation est d'autant plus vraisemblable que les analyses par organisation syndicale, par branche ou encore par région industrielle, n'ont pas dégagé de différences dans les positions3. Interrogés sur la forme de salaire souhaitée, les délégués ouvriers expriment leur aspiration à un salaire fixe — horaire ou mensuel —, ainsi que fréquemment le désir de maintien d'une certaine mais assez faible part de prime, tout en refusant dans la très grande majorité des cas le principe du salaire au rendement. Ils ne sont certainement pas directement impliqués dans le blocage de l'évolution des modes de rémunération, malgré une certaine ambiguïté dans leurs positions, tout au plus le sont-ils indirectement, dans la dialectique des rapports conflictuels entre les dirigeants et eux. L'ambiguïté d'une partie de l'opinion syndicale vient du fait que, si l'opinion du délégué est avant tout réaction à une autorité patronale en principe unilatérale, son comportement est aussi action : il essaie de tirer profit des points faibles du système actuel de rémunération. Le salaire variable offre notamment quelques prises importantes à l'action revendicative et des avantages en période d'expansion économique. D'où un certain nombre de réponses apportant des résultats moins massifs. Le sens principal des résultats apportés par l'analyse de l'opinion ouvrière elle-même va également dans le sens d'une très grande similitude des réactions de toute s les catégories d'ouvriers interrogés. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, l'aspiration ouvrière au 3. Seuls les problèmes de l'évolution de la société (de la classe ouvrière) et rte. l'action collective ont provoqué des différences — de l'ordre de nuances — entre organisations syndicales.
Conclusion
191
salaire fixe — et elle est avant tout désir d'accéder à la sécurité et aux avantages du statut de mensuel — n'est pas l'apanage des seuls professionnels les plus qualifiés ou de ceux qui sont économiquement les mieux situés. Si l'on trouve dans la frange des ouvriers « en pointe de l'évolution > ime certaine recherche d'un statut comportant un plus grand prestige, ce n'est, dans l'ensemble, qu'un phénomène secondaire. L'aspiration ouvrière au « fixe » est essentiellement une réaction à une situation collective et ne semble pas avoir le sens d'une tendance à une plus forte intégration à l'entreprise. Elle constitue la réaction de la majorité des ouvriers interrogés de toutes les catégories analysées ; seule, une différence dans la situation globale de deux usines sidérurgiques pratiquant l'une une politique du personnel très « traditionnelle » et l'autre très « moderne », a provoqué des réactions quelque peu différentes. Ici encore, ce qui frappe c'est l'homogénéité, et non la diversité des opinions. Par ailleurs, l'analyse des opinions ouvrières de même que l'étude des attitudes syndicales ne laisse aucun doute quant à l'importance de la vision dichotomique de l'entreprise et de la société : la tendance prédominante de l'opinion ouvrière et syndicale est la division en deux camps. On est donc conduit à interpréter la grande homogénéité de l'opinion des délégués ouvriers interrogés non pas, évidemment, par des traits du système de pensée propre à telle ou telle organisation syndicale, mais par rapport à une caractéristique structurelle de la situation, qui rend au moins partiellement compte de cette division en deux : la structure de l'autorité industrielle. Il en va de même pour l'opinion ouvrière — et le fait que des différences soient apparues dans les attitudes ouvrières de deux usines qui pratiquent une politique du personnel différente ne contredit pas la tendance dominante (ime majorité d'ouvriers de toutes les catégories étudiées restent attachés à l'idée de cette division en deux parties), tout en invitant à poursuivre l'analyse, tout d'abord, comme nous avons pu le faire, par la confrontation des opinions des deux partenaires. La nécessité de poser le problème du blocage de l'évolution des modes de rémunération en termes de structure de la situation et de relations industrielles s'impose effectivement après les diverses analyses (par branche et région industrielle notamment, pour les dirigeants, par syndicat pour les délégués ouvriers et par catégories professionnelles et économiques pour les ouvriers). Il est apparu, dans une confrontation des opinions patronales et syndicales, que le degré de tension dans les relations entre les représentants de l'autorité et les représentants du personnel — tel qu'on peut le saisir dans les divergences au niveau de l'opinion sur l'évolution industrielle — est
192
Pouvoir et rémunération
parallèle à la résistance au changement des modes de rémunération. Les dirigeants les plus résistants sont aussi ceux dont la vision de l'évolution industrielle est la plus éloignée de celle des délégués ouvriers. Il y a donc vraisemblablement là un processus circulaire : plus il y a de résistance au changement, plus il y a de tension, et inversement. Or, dans la perspective conflictuelle, les relations industrielles sont le terrain d'un continuel marchandage d'influence — au sens analytique qu'on peut donner au collective bargaining — auquel s'ajoute, d'une part, la crainte et. de l'autre, l'espoir du remplacement de l'actuelle structure de l'autorité. Le mode de rémunération apparaît finalement comme un élément relativement important du système social dans l'industrie considérée et Yinterprétation stratégique de la résistance et de l'aspiration dans le domaine de son évolution remplace avantageusement les conceptions qui en faisaient une simple « technique > de rémunération. Ceux des dirigeants qui conçoivent l'évolution de la réalité industrielle, aussi bien dans le domaine social que dans le domaine technique, sont aussi les moins réticents à admettre l'idée du changement des modes de rémunération et à introduire leur réforme effective, parce qu'ils voient moins de raisons de perdre une part de contrôle d'une situation qu'ils conçoivent précisément comme « évoluée ».
III. PORTÉE ET LIMITES DE CES RÉSULTATS L'apport sociographique de cette étude a une portée pratique, en tout cas en France, dans et en dehors des industries considérées. C existe une crise de la rémunération au rendement et les deux tendances contraires, la résistance et l'aspiration au changement, sont et resteront pour quelques années vraisemblablement au centre du débat entre les milieux intéressés. Même si les trois échantillons de cette étude ne prétendent pas représenter toute la sidérurgie et toutes les mines de fer, encore moins toute l'industrie, la force de ces deux tendances n'est guère le fait que des seules personnes rencontrées et peut intéresser la réflexion du praticien ; la base empirique en est aussi large que possible, étant donné l'effort particulier d'échantillonnage extensif qui a été entrepris. L'analyse de la résistance et de l'aspiration au changement se ressent évidemment des inconvénients de l'approche extensive. Etendre le nombre de cas veut évidemment dire limiter la précision, renoncer à des descriptions matérielles (à des analyses du fonctionnement effectif des systèmes de rémunération dans chaque usine, par exemple) et standardiser les
Conclusion
193
moyens d'investigation. Ce moyen, en revanche, est aussi le seul qui permette d'étudier un problème tel que le nôtre dans une perspective d'évolution et de sociologie de l'industrie ; on sait combien il est plus aisé d'étudier les problèmes de simple changement et de psycho-sociologie de l'entreprise. Enfin, ces analyses portent sur l'actualité, plus exactement sur la signification actuelle des modes de rémunération pratiqués, connus ou souhaités par les dirigeants, les syndicalistes et les ouvriers. Il ne s'agit pas d'irne étude psychologique des motivations qui structurent une certaine constellation d'arguments des répondants face à la rémunération, ni d'une analyse psycho-sociologique faisant intervenir des problèmes propres à un certain arrangement des statuts et des rôles des membres d'une entreprise, ni enfin d'une analyse des conditions techniques permettant un fonctionnement adéquat d'un système donné de rémunération — perspectives dont personne ne nie l'intérêt. Le but de cette étude n'était pas le traitement exhaustif, mais sociologique du problème. Au moyen d'une méthode d'analyse globale, utilisant un schéma synthétique d'interview et des procédés semi-quantitatifs d'exploitation, nous avons essayé de réaliser une analyse à la fois significative et basée sur les faits. Qu'une telle tentative se heurte évidemment à de grandes difficultés ne fait guère de doute. Il est tentant de situer l'interprétation significative en dehors de données empiriques, ou de se contenter d'une exploitation purement opératoire qui n'est plus intelligible en termes significatifs.
Table des matières
Avertissement Introduction :
5 LA
CONCEPTION DE LA RECHERCHE
I. Les recherches antérieures
7 8
A. L'étude française sur quatre trains de laminage
8
B. L'étude européenne de synthèse
9
II. Définition initiale de l'étude
12
A. Le problème
12
B. La perspective
12
C. Les hypothèses
14
III. Organisation et exécution de la recherche
20
A. Le travail sur le terrain
21
B. Les méthodes et les techniques
22
C. Les échantillons et les schémas d'interview
24
Chapitre I :
L ' É T A T DU PROBLÈME DANS L'OPINION INDUSTRIELLE
I. L'opinion patronale A. Extraits de presse B. Premiers entretiens II. L'opinion syndicale
32 32 32 40 42
A. Extraits de presse syndicale
42
B. Premiers entretiens
46
III. L'opinion sur l'évolution ouvrière
48
196
Pouvoir et rémunération
Chapitre II :
L'IMAGE PATRONALE DE L'ÉVOLUTION
I. La structure des réponses
54 54
A. Evolution technique
55
B. Evolution économique
60
C. Evolution socio-psychologique
62
D. Evolution sociologique
66
II. Les profils des réponses
71
A. Profil global
71
B. Types de profils
73
III. L'orientation des dirigeants et la situation
75
A. Analyse par branche d'industrie
75
B. Analyse par région industrielle
77
C. Analyse par « groupe » industriel
79
Conclusion
80
A. Description empirique générale
80
B. Analyse et interprétation
83
Chapitre
III
: L'IMAGE SYNDICALE DE L'ÉVOLUTION
86
I. La structure des réponses
86
A. Evolution technique
86
B. Evolution socio-économique
90
C. Evolution psycho-sociologique
94
D. Evolution sociologique
98
II. Les profils des réponses
104
A. Aspects techniques
107
B. Aspects socio-économiques
108
C. Aspects psycho-sociologiques
108
D. Aspects sociologiques
108
Table des matières
197
III. L'orientation des délégués et la situation
109
A. Analyse par appartenance syndicale B. Analyse par branche industrielle
110 114
Conclusion Chapitre IV :
117
RÉSISTANCES PATRONALES ET ASPIRATIONS SYNDI-
CALES. VARIABLE OU FIXE
I. Délégués ouvriers et rémunération A. Arguments en faveur du « variable »
119
119 119
B. Arguments en faveur du « fixe »
122
C. Arguments de sécurité du travail
126
D. La signification de l'aspiration
129
II. Dirigeants patronaux et rémunération
135
A. Les modes de rémunération souhaités
135
B. Les types de rémunération pratiqués
139
C. La signification de la résistance
144
III. Confrontation : dirigeants patronaux et délégués ouvriers . . . .
147
A. Conflit et stratégies d'influence
147
B. Degrés de divergence dirigeants-délégués
149
C. Les divers types de situations
152
Chapitre V :
OPINIONS OUVRIÈRES
156
I. Du salaire au rendement au statut mensuel
156
A. L'appréciation du salaire variable
156
B. L'aspiration au salaire fixe
159
C. L'aspiration au statut de mensuel
162
II. La vision de l'entreprise et de la société
164
A. Les distances sociales
164
B. La hiérarchie sociale
167
C. Intégration et conflit dans l'entreprise
169
198
Pouvoir
et
III. Les opinions des ouvriers les plus « évolués »
rémunération
172
A. L'appréciation du salaire variable
173
B. L'aspiration au salaire fixe et au statut de mensuel
175
C. L'aspiration à l'intégration
180
Conclusion
184
Conclusion générale
187
I. Les deux grandes tendances de l'opinion industrielle
187
II. Les traits généraux de l'analyse et de l'interprétation
188
III. Portée et limites de ces résultats
192
Table des matières
195
ACHEVÉ D'IMPRIMER L'IMPRIMERIE AUBIN LE 2 5
SUR LES PRESSES DE 8 6 LIGUGÉ / VIENNE 1972
D . L., 2« trim. 1972. — Impr., 6638. Imprimí en France.