Sous la lumière, les hommes 9782759812059

Le 20e siècle a été, à plus d’un titre, celui de l’électron. Gageons que celui que nous vivons sera celui du photon. En

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French Pages 189 [176] Year 2014

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Sous la lumière, les hommes
 9782759812059

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Sous la lumière, les hommes 30 OPTICIENS QUI ONT FAIT L’HISTOIRE

Préface de Pierre Chavel

17, avenue du Hoggar – P.A. de Courtabœuf BP 112, 91944 Les Ulis Cedex A

Mise en pages : Patrick Leleux Imprimé en France ISBN : 978-2-7598-1079-6

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les «-copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinés à une utilisation collective-», et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal. © EDP Sciences, 2014

SOMMAIRE

Préface .........................................................................................

1

Avant-propos ................................................................................

3

Les génies bâtisseurs .................................................................... Christiaan Huygens ...................................................................... Augustin Fresnel .......................................................................... Isaac Newton .............................................................................. James Clerk Maxwell ..................................................................... Abu Ali Al-Hasan Ibn Al-Hasan Ibn Al-Haytham, dit Alhazen ............. Roger Bacon ...............................................................................

5 7 13 18 23 28 34

Les expériences fondatrices ........................................................... Thomas Young ............................................................................. Armand Hippolyte Louis Fizeau ...................................................... Heinrich Rudolf Hertz ................................................................... Albert Abraham Michelson ............................................................ Maurice Paul Auguste Charles Fabry ................................................ Jean-Baptiste Alfred Perot ............................................................ David Brewster ............................................................................

41 43 48 54 59 64 69 74

Les astronomes visionnaires .......................................................... Johannes Kepler .......................................................................... Jean Bernard Léon Foucault ..........................................................

79 81 89

III

SOMMAIRE

Joseph von Fraunhofer ................................................................. 95 George Biddell Airy ...................................................................... 100 John Frederick William Herschel ..................................................... 106 Bernard Ferdinand Lyot ................................................................ 111

IV

Les pionniers de la photographie ................................................... Joseph Nicéphore Niépce .............................................................. William Henry Fox Talbot .............................................................. Gabriel Jonas Lippmann ................................................................

117 119 123 129

Les révolutionnaires ...................................................................... Max Karl Ernst Ludwig Planck ........................................................ Louis Victor Pierre Raymond de Broglie ........................................... Pierre de Fermat .......................................................................... John William Strutt (Lord Rayleigh) ...............................................

135 137 143 149 155

La genèse du laser ........................................................................ Alfred Henri Frédéric Kastler .......................................................... Charles Hard Townes .................................................................... Theodore Harold Maiman .............................................................. Robert Noel Hall ..........................................................................

161 163 167 173 180

SOUS LA LUMIÈRE, LES HOMMES

PRÉFACE

Trente ans, trente opticiens. Riad Haidar nous propose de faire la connaissance de trente grands noms qui jalonnent l’évolution des idées scientifiques sur la lumière, sa propagation et son utilisation pour connaître l’univers et façonner notre vie quotidienne. Son choix éclectique illustrera dignement le trentième anniversaire de la Société française d’Optique, la SFO : il permet de mettre en valeur trois caractéristiques de l’optique qu’il convient de souligner en exergue. La première est la diversité de notre champ scientifique. Sous l’angle historique, d’abord : croisons au fil des pages ibn al Haytam aux prises avec l’antique théorie du feu visuel pour contempler ensuite les méandres des visions ondulatoire et corpusculaire de la lumière et aboutir aux lasers de Maiman et de Hall. Mais considérons aussi, alors que Niépce et Talbot rivalisent d’ingéniosité dans la pratique de la photochimie pour fixer sur un support une image qu’explique l’optique géométrique, la différence de motivation entre un Lippmann soucieux de la reproduction exacte de la couleur par les interférences et un Michelson prolongeant les travaux de Foucault et de Fizeau sur la vitesse de la lumière pour imaginer, avec Morley, un interféromètre capable de pousser bien loin la sensibilité des mesures à l’affût du mouvement de la terre par rapport à l’éther. Notre seconde caractéristique sera l’ancrage de l’optique dans tout le corpus des connaissances scientifiques. Les érudits comme Bacon – et jusqu’au siècle des Lumières – concevaient jadis les sciences exactes comme branche de la philosophie. L’optique sera rattachée par Maxwell et Hertz à l’ensemble 1

PRÉFACE

de l’électromagnétisme, alors que Planck et Louis de Broglie souligneront l’importance de son rôle à la base de la physique, qui aujourd’hui encore intrigue et inspire les chercheurs. Ses instruments de précision comme l’interféromètre de Fabry et Perot, développé notamment à des fins astrophysiques, reposent dans leur réalisation sur tous les métiers de l’ingénieur. Souvenons-nous que c’est la chimie des verres qu’a fait progresser Fraunhofer pour affiner les mesures d’optique et de spectroscopie, et qu’Huygens, ayant entrevu le caractère ondulatoire de la lumière, est également l’inventeur de l’horloge à pendule. Philosophie, mathématiques, physiologie se mêlent à l’optique dans les motivations des travaux de Fermat, d’Young et de Brewster. L’optique, enfin, joue son rôle dans le concert des activités humaines. Voyons les pionniers de l’optique en butte aux intrigues de palais, aux oukases des obscurantismes soucieux de pérenniser les pouvoirs en place en tentant de museler la force de pensée d’un Bacon ou même encore d’un Kepler. Voyons Fresnel, ingénieur civil, développer des lentilles de phare pour guider les navires dont la théorie, sinon la technologie, rejoint étonnamment celle des « zones » portant son nom et qui lui ont permis d’expliquer comment une onde plane est stable par diffraction. Plus près de nous, rencontrons Townes construisant le premier maser mû par sa curiosité scientifique de physicien et armé par ses compétences de radariste acquises notamment au service de la défense. Comme l’indique bien le titre, ce sont « sous la lumière, les hommes » qui ont fait l’optique, ou l’ont utilisé à des fins remarquables – ou du moins certains d’entre eux – que ce livre propose de présenter au lecteur. Ces hommes ne sont-ils pas les précurseurs des lecteurs, et en particulier des membres de la SFO, qui dans la diversité de leurs travaux d’optique, dans leur utilisation de l’optique en synergie avec tous les champs scientifiques, dans leurs luttes et leurs passions feront encore longtemps progresser notre science et ses utilisations au cours de ce siècle dont on nous promet qu’il sera celui de la photonique ? A nous, opticiens et « photoniciens », de transformer la promesse en réalité ! Pierre Chavel, directeur du laboratoire Charles Fabry (CNRS, Institut d’Optique – Graduate School), secrétaire du premier bureau de la SFO (1983-89) 2

SOUS LA LUMIÈRE, LES HOMMES

AVANT-PROPOS

Fresnel, Newton, Fraunhofer, Herschel… tous ces noms résonnent familièrement et nous évoquent tel phénomène, telle expérience ou telle formule. Nous avons fait leur connaissance plus ou moins tôt sur notre parcours d’étudiant ou de physicien mais, chacun à sa façon, ils nous ont permis de construire notre sens physique, et parfois révélé les mécanismes qui sous-tendent notre univers. Ce livre n’a donc pas vraiment l’ambition de nous les faire connaître – juste de les replacer dans leur environnement et dans leur temps, pour mieux apprécier leur apport et mieux appréhender leurs efforts ; pour, peut-être, à travers leurs trajectoires, tenter d’identifier les grandes tendances et deviner les secrets alchimiques de la genèse d’un génie. Qu’est-ce qui, dans leur enfance, leur éducation, leur formation, leurs rencontres, a pu faire germer ou éclore l’intuition et la découverte ? Comment est née leur passion ? D’où viennent leurs motivations ? Travail de sociologue plus que de physicien ou de biographe, sans doute, mais l’exercice est tentant. Voici donc quelques constats personnels. On pourrait croire à l’influence décisive de l’origine sociale ou à l’importance de l’éducation. Pourtant, pas vraiment. Fraunhofer, orphelin très jeune, est à peine allé à l’école ; Lippman, couvé par sa maman, est un pur produit de l’enseignement public ; Huygens, fils d’aristocrates, a été éduqué à la maison par un précepteur privé ; Rayleigh, garçon chétif 3

AVANT-PROPOS

à la santé précaire, toujours alité, s’est à peine intéressé à l’enseignement scolaire ; Maxwell était un adolescent rustique et solitaire. Il y a autant de lignes claires ou lisses que d’arabesques folles ou de parcours chaotiques ; comme le reste de l’humanité ; ni plus ni moins banalement commun. Il ne semble pas non plus y avoir de loi sur la formation ou sur le parcours. De Broglie a étudié l’histoire, Fermat était magistrat, Young médecin, Niépce prêtre. Mieux encore : William Herschel, hautboïste et compositeur, s’est découvert physicien et a inventé la science stellaire à l’âge respectable de 40 ans. Aucun chemin ne semble donc mener à la découverte scientifique. Alors, est-ce l’influence décisive des rencontres ou du terreau culturel ? Pas plus. Newton ou Fresnel ont connu une coupure dans leurs trajectoires, qu’ils ont l’un et l’autre mise à profit pour inventer une nouvelle approche du monde. Kepler a su isoler, par la seule force de sa pensée, au sein d’une Europe politiquement et religieusement instable, les équations qui mettent en lumière l’harmonie du monde. Niépce a bénéficié d’un environnement propice à l’invention, grâce à des échanges fructueux avec son frère, et plus tard avec Daguerre. Maiman, quant à lui, a joué l’outsider dans une course qui opposait les plus grands esprits de son temps. Aucune loi, donc ? Pas tout à fait. Il est possible d’en isoler une, certes petite, mais loi quand même : la passion pour un phénomène physique, pour une activité technique, pour une énigme scientifique. La passion, à un moment ou à un autre, plus forte que le climat politique, plus tenace que l’insécurité civile, plus ferme que la répression ou la persécution, plus farouche que les difficultés matérielles… La passion comme moteur d’innovation et de découverte, et qui l’emporte sur tout.

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SOUS LA LUMIÈRE, LES HOMMES

Christiaan Huygens DATES CLÉS 14 avril 1629 Naissance à la Haye, Pays-Bas 1652 Découverte des règles du choc 1654 Découvre Titan, la lune de Saturne 1659 Brevet de l’horloge à pendule 1663 Membre de la Royal Society 1666 Membre fondateur de l’Académie Royale des Sciences 1678 Traité de la Lumière (principe de Huygens) 8 juillet 1695 Mort à la Haye, Pays-Bas

Christiaan Huygens est un mathématicien, astronome et physicien néerlandais. Inventeur de la première horloge à pendule, il est également le père de la théorie ondulatoire de la lumière.

C

hristiaan Huygens naît dans une grande famille aristocratique néerlandaise, dévouée à la lignée des princes d’Orange. Il est le deuxième des quatre fils de Constantijn Huygens [1596-1687], diplomate habile, compositeur et poète reconnu, qui entretient une correspondance régulière avec l’Abbé Mersenne [1588-1648] et compte parmi les amis de Descartes [1596-1650]. Christiaan bénéficie d’une éducation de grande qualité et d’un climat familial exceptionnel. Il reçoit une éducation privée à son domicile, par son père et des tuteurs, jusqu’à ses 16 ans. Son esprit en éveil est alors probablement influencé par Descartes qui visite occasionnellement la maison Huygens et développe un grand intérêt pour les progrès en mathématiques du jeune homme. Promis comme son frère Lodewijk à une carrière de diplomate, il s’établit en 1645 à l’Université de Leiden où il suit des études de droit. Il y a aussi les cours de mathématiques de Van Schooten [1615-1660] : la passion pour cette gymnastique mentale est probablement née plus tôt mais c’est là qu’elle se confirme, se développe et s’impose à son jeune 7

LES GÉNIES BÂTISSEURS

esprit. En 1647, il entre au Collège d’Orange, à Breda, où il poursuit son cursus de droit – ainsi que sa formation en mathématiques. C’est également à cette époque que, par l’intermédiaire de son père, il entame une correspondance avec l’Abbé Mersenne, qui lui soumet un certain nombre de problèmes physiques et mathématiques… Il est désormais faible, ténu, l’appel de la Carrière : Christiaan ne sera pas diplomate. Il se consacre aux mathématiques et, plus particulièrement, à la mécanique théorique. Il rentre prématurément à La Haye, en 1649, pour poursuivre seul ses recherches et participer au laboratoire familial d’optique. Ce retour sera une période de grande effervescence intellectuelle. Pendant les 16 ans qu’il passera au domicile familial, Huygens jettera les bases de la plupart de ses découvertes futures.

PREMIERS TRAVAUX MATHÉMATIQUES Les premières publications de Huygens en 1651 et 1654 traitent de problèmes mathématiques. Dans Cyclometriae, il démontre l’erreur des méthodes proposées par Grégory de Saint-Vincent [1584-1667], qui pensait avoir réalisé la quadrature du cercle. Et il publie à son tour une étude sur ce thème dans De Circuli Magnitudine Inventa, un ouvrage majeur qui établit sa réputation de mathématicien. En 1652, il s’intéresse aux règles du choc : prenant appui sur le principe (exposé par Descartes dans les Principia philosophiae) de la conservation de la quantité de mouvement mv, il a l’idée de résoudre algébriquement le problème du choc en comparant les quantités mv2. Huygens découvre alors que ces quantités mathématiques introduites pour le seul bien du calcul, sans signification physique particulière, se conservent avant et après le choc. Il parvient ainsi à écrire, pour la première fois, les règles générales du choc. Il ne publie ces règles qu’en 1669, lors d’un concours lancé par la Royal Society, où Wallis [16161703] et Wren [1632-1723] donnent eux aussi des règles satisfaisantes, quoique moins générales. Leibniz [1646-1716], d’abord sceptique à la lecture des règles de Huygens, reconnaît très vite qu’elles traduisent un principe général de la Physique : la conservation des forces vives. 8

SOUS LA LUMIÈRE, LES HOMMES

CHRISTIAAN HUYGENS

En 1654, Huygens taille ses premières lentilles. Il met au point de nouvelles techniques de polissage qui lui permettent de construire ses propres lunettes astronomiques, qui s’avèrent d’une qualité inédite. Grâce à elles, il étudie, comme jamais auparavant, les anneaux de Saturne et comprend qu’ils sont constitués de roches. Dans la foulée, il découvre Titan, la première lune de la planète géante. Il observe aussi la nébuleuse d’Orion, qu’il parvient à séparer en différentes étoiles. La partie interne la plus lumineuse de la nébuleuse s’appelle actuellement la région de Huygens en son honneur. Il découvre également plusieurs nébuleuses et quelques étoiles doubles.

L’HORLOGE À PENDULE Signe de cohérence dans sa démarche, Huygens décroche son doctorat en droit en 1655. Puis, sous l’impulsion de son père, il entame une série de voyages, et se rend notamment à Paris. Il y rencontre les mathématiciens Gassendi [1592-1655] et Roberval [1602-1675] ; il informe l’astronome Boulliau [1605-1691] de ses travaux ; et surtout, il découvre les travaux de Pascal [1623-1662] et Fermat [1601-1665] relatifs aux jeux de hasard. Il s’y intéresse, y travaille à son tour, et publie dès son retour à la Haye en 1657 un Tractatus de Ratiociniis in Ludo Aleae, ouvrage modeste mais qui a le mérite d’être le premier sur l’étude des probabilités. En parallèle, en réponse à un problème que lui a soumis Pascal, Huygens s’intéresse aux cycloïdes. Il découvre la formule de l’isochronisme rigoureux : lorsqu’un pendule oscillant parcourt un arc de cycloïde, la période d’oscillation est constante quelle que soit l’amplitude. Or, pour ses observations astronomiques, Huygens a besoin de mesurer le temps de façon précise : il a alors l’idée de réguler les horloges en les couplant à un pendule. Il dépose le brevet de la première horloge à pendule en 1659, dont il propose notamment l’utilisation pour mesurer la longitude. Des horloges de sa conception subiront des tests en mer en 1662 et 1686, et il en donnera une description soignée dans l’Horologium oscillatorium sive de motu pendulorum en 1673. En 1660, il fait un second voyage qui le mène à Paris et à Londres. Nouvelles rencontres, nouveaux échanges scientifiques, notamment avec 9

LES GÉNIES BÂTISSEURS

les membres de la toute jeune Royal Society qui se réunit alors au Collège de Gresham. C’est un véritable coup de foudre intellectuel avec Wallis, Boyle [1627-1691], Hooke [1635-1703]… ; Huygens conservera toute sa vie des liens étroits avec la prestigieuse institution. Il en devient membre en 1663. De retour à La Haye, il poursuit ses travaux mathématiques, étudie les tons de la musique, reprend les expériences de Boyle sur les machines pneumatiques, et invente un oculaire particulier, le micromètre.

L’EXPÉRIENCE PARISIENNE Huygens retourne à Paris en 1666, cette fois-ci pour s’y installer : il a accepté l’invitation de Colbert [1619-1683] d’être membre fondateur de la nouvelle Académie Royale des Sciences. Huygens, riche de son expérience à la Royal Society, en assure la direction et l’organisation. Il s’installe à la Bibliothèque du Roi où il dispose également d’un laboratoire particulier. Son séjour ne sera entrecoupé que de deux courts séjours à La Haye pour maladie (en 1670 et 1676). Il participe aussi à la réalisation de l’Observatoire de Paris en 1672 et y mènera différentes observations astronomiques. Ses études de la force centrifuge l’incitent aussi à appuyer la théorie des tourbillons de Descartes, tentative erronée d’explication de la gravitation. Il étudie aussi les effets du vide à l’aide de machines pneumatiques qu’il invente avec Papin [1647-1712], valide la détermination de la vitesse de la lumière effectuée par l’astronome danois Roemer [1644-1710] et débute un traité sur le magnétisme… L’OPTIQUE Jusque-là, Huygens ne s’intéresse à l’optique que sous l’angle des calculs de dioptrique qui lui sont utiles pour concevoir ses lunettes astronomiques. Mais les publications, en 1672, de Newton [1643-1727] sur la nature de la lumière éveillent son intérêt. Il rejette d’emblée l’hypothèse selon laquelle la lumière est faite de petites particules de matière légère, possédant des « accès » de facile réfraction ou de facile réflexion. Comme Bartholin [1616-1680] et Grimaldi [1618-1663] avant lui, il s’intéresse aux propriétés des cristaux et de leur coupe géométrique, et étudie en particulier la double réfraction (l’une ordinaire et l’autre extraordinaire) 10

SOUS LA LUMIÈRE, LES HOMMES

CHRISTIAAN HUYGENS

que l’on peut observer dans le spath d’Islande. En 1677, il émet l’hypothèse que la lumière est une pression transmise en ondes sphériques et, dans le cas de la réfraction extraordinaire, sphéroïdales – et parvient ainsi à expliquer la double réfraction du spath d’Islande, tout en retrouvant la loi des sinus de Descartes. Selon Huygens, chaque point dans l’onde est le commencement d’une autre onde et périodiquement, les ondelettes concourent en une courbe tangente commune.

Décomposition en ondelettes par Ch. Huygens, in Traité de la Lumière paru en 1690.

Huygens détaille sa théorie (le fameux « principe de Huygens ») dans son Traité de la Lumière en 1678, véritable point de départ d’une des plus grandes controverses scientifiques de tous les temps qui ne se dénouera qu’avec de Broglie. La théorie ondulatoire, concurrente de la théorie corpusculaire de Newton, voit alors le jour sous la plume d’auteurs tels que le père Pardies [1636-1673]. Elle s’exprime toutefois dans une forme encore trop peu développée et restera longtemps éclipsée par les succès de sa rivale. Fresnel [1788-1827] et Young [1773-1829] en retrouveront le sens, beaucoup plus tard et en établiront toute la pertinence. Dans la foulée de sa critique de la théorie newtonienne de la lumière, Huygens publie en 1690 un Discours de la cause de la pesanteur où il attaque le principe newtonien de l’attraction universelle, qu’il juge non fondé et peu rationnel – sans pour autant remettre en cause la loi de la gravité, dont la justesse est manifeste et qui fait référence dans tous les milieux scientifiques. 11

LES GÉNIES BÂTISSEURS

RETOUR AUX PAYS-BAS Huygens retourne à La Haye en 1681 après une sérieuse maladie. Il espère cependant revenir en France une fois guéri – un espoir vite déçu. En effet, l’Édit de Nantes est abrogé en 1685, et Huygens, qui est calviniste, n’est plus le bienvenu en France. Lui qui, en 1672, avait réussi le tour de force de demeurer à Paris sans être inquiété ni marginalisé alors même que Louis XIV envahissait les Pays-Bas, doit cette fois se résoudre à oublier la France. Hormis un court séjour à Londres pour rencontrer Newton en 1689, il ne quittera plus les Pays-Bas. Cependant sa santé, qui n’a jamais été tout à fait bonne, se détériore encore. Huygens lutte toujours ; il rencontre, discute, rédige. Dans son dernier ouvrage, posthume, cet esprit infatigable, toujours curieux et ouvert, spécule sur la possibilité d’une vie dans d’autres mondes – la possibilité même d’une telle publication est la preuve de l’exceptionnel esprit de tolérance qui règne aux Pays-Bas car, rappelons-le, à peine 100 ans plus tôt, en Italie, Giordano Bruno a été brûlé vif pour avoir tenu un discours similaire. Christiaan Huygens s’éteint à La Haye, le 8 juillet 1695. Pour en savoir plus Expérience et raison. La science chez Huygens, Revue d’histoire des sciences (numéro spécial, 2003).

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SOUS LA LUMIÈRE, LES HOMMES

Augustin Fresnel DATES CLÉS 10 mai 1788 vers 1814

Naissance à Broglie, France Premières expériences scientifiques octobre 1815 Publication de son premier article scientifique 1819 Lauréat du grand prix de l’Académie des sciences 12 mai 1823 Élu à l’Académie des sciences 14 juillet 1827 Décès à Ville-d’Avray, France

Ingénieur français, inventeur des lentilles pour phares, Fresnel est surtout celui qui a fondé et mis au point une théorie ondulatoire de la lumière basée sur un formalisme mathématique révolutionnaire. Accueillie d’abord avec méfiance, sa vérification expérimentale entraîne l’adhésion enthousiaste de la communauté scientifique.

A

ugustin Fresnel naît le 10 mai 1788, dans le village de Chambrais (aujourd’hui, Broglie) dans l’Eure, sur les terres de la famille de Broglie – dont sera issu Louis Victor, prince puis duc de Broglie, fondateur plus d’un siècle plus tard de la théorie ondulatoire de la matière. Sa mère, Augustine, est la tante paternelle de Prosper Mérimée. Son père Jacques Fresnel, architecte réputé, travaillera à la construction du port de Cherbourg. En 1789, éclate la Révolution. En 1794, Augustin a six ans et la situation politico-économique de la France est telle que beaucoup de chantiers sont arrêtés, dont la construction du port de Cherbourg. La famille Fresnel s’installe à Mathieu, un village au nord de Caen. L’éducation du petit Augustin est assurée par ses parents jusqu’à ses douze ans. Il intègre alors l’École Centrale de Caen. Là, il montre un intérêt prononcé pour les sciences, et des facilités pour les mathématiques. À seize ans, il intègre l’École Polytechnique à Paris. Puis il est admis dans le corps des Ponts et Chaussées. En 1812, Fresnel est basé à Nyons et travaille à la construction d’une route qui relie 13

LES GÉNIES BÂTISSEURS

l’Espagne au Nord de l’Italie. Parallèlement à ses activités d’ingénieur civil, Augustin consacre son temps libre à des travaux scientifiques.

LES PREMIERS TRAVAUX VERS LA NATURE ONDULATOIRE DE LA LUMIÈRE Fasciné par les propriétés de la lumière, il commence ses expériences vers 1814 et se familiarise avec le phénomène de diffraction. Les événements vont précipiter les choses. Le 1er mars 1815, Napoléon, qui avait été exilé sur l’île d’Elbe, revient en France. Fermement royaliste, Fresnel décide de prendre les armes contre l’empereur déchu. Le 20 mars, Napoléon, victorieux, entre dans Paris – ce qui signifie que Fresnel s’est mis dans une situation difficile : il perd son travail d’ingénieur civil et est placé sous surveillance policière. Il décide de rentrer à Mathieu. Le voici donc libre de toutes contraintes, libre de se consacrer tout entier à ses expériences. Ses travaux le convainquent de la nature ondulatoire de la lumière à une époque où la théorie corpusculaire de Newton fait (presque) l’unanimité. Mais, nouveau coup du sort, Napoléon est battu à Waterloo, Fresnel est renommé à son poste d’ingénieur. Le temps qu’il peut dédier à ses travaux se réduit comme peau de chagrin. Il se consacre désormais à la théorie et applique une méthode mathématique à l’analyse de ses travaux ; il obtient ainsi quelques jolis premiers succès. Il travaille en marge de la communauté scientifique mondiale et il ne sait pas alors que d’autres que lui (notamment Young, dont il est isolé par le blocus continental qui enfermait la France de Napoléon) défendent aussi une théorie ondulatoire de la lumière. Fresnel publie son premier article en octobre 1815 et fait une tentative pour expliquer le phénomène de diffraction. Les formules qu’il développe lui permettent de prévoir correctement la position des franges claires (ou sombres), là où les ondes sont en phase (ou en opposition de phase). Il tente d’appliquer ces mêmes formules au phénomène d’interférences. Il vérifie systématiquement ses prédictions par l’expérience. À cette époque, ses résultats diffèrent peu de ceux obtenus quelques années plus tôt par Thomas Young à Cambridge. 14

SOUS LA LUMIÈRE, LES HOMMES

AUGUSTIN FRESNEL

UNE COMMUNAUTÉ SCIENTIFIQUE DIFFICILE À CONVAINCRE Mais Fresnel va plus loin : il développe une théorie basée sur un formalisme mathématique révolutionnaire qu’il invente de toutes pièces. Fresnel soutient l’idée que : […] on peut donner une explication satisfaisante et une théorie générale [de la diffraction], dans le système des ondulations, sans le secours d’aucune hypothèse secondaire, et en s’appuyant seulement sur le principe d’Huygens et sur celui des interférences […]. Fresnel publie les premières ébauches de théorie en juillet 1816, tout en précisant qu’il ne maîtrise pas encore toutes les conséquences de sa théorie. Il travaille un temps à la polarisation de la lumière, avant qu’une annonce de l’Académie des sciences de Paris ne change la donne : le Grand Prix de 1819 récompensera un travail sur la diffraction de la lumière. L’occasion est trop belle de publier ses travaux pour que Fresnel pense à hésiter. Et puis, il a confiance : sa théorie, bien que basée sur un seul postulat de départ, lui a permis de prédire plusieurs résultats non-intuitifs qu’il a pu vérifier expérimentalement. Le doute n’est plus de mise. Il complète son formalisme mathématique juste avant la date limite de soumission, ce qui lui permet de calculer l’intensité lumineuse diffractée en chaque point à l’aide de ce qu’on appellera plus tard les intégrales de Fresnel. C’est là que l’Histoire prend un tournant décisif. En 1819, le jury de l’Académie des sciences, composé de Poisson, Biot et Laplace, et présidé par Arago, délibère sur la soumission de Fresnel. Il est à noter que ce jury est tout acquis à la théorie corpusculaire, et réserve donc un accueil naturellement froid à la théorie de Fresnel. Pourtant, Poisson est fasciné par le formalisme mathématique révolutionnaire. Il décide de l’étudier, tente quelques applications pour se faire la main, et enfin prévoit des résultats qui avaient échappé à Fresnel. Dont celui-ci : Poisson remarqua que les intégrales [de Fresnel] pouvaient s’évaluer exactement pour le centre de l’ombre d’un petit écran circulaire opaque (…) Elles donnaient la même intensité que si l’écran circulaire n’existait pas. C’est un résultat formidable, mais anti-intuitif. Arago demande que la prédiction de Poisson soit vérifiée par l’expérience. Quitte ou double, donc… L’expérience est montée, fébrilement. C’est un moment historique. Et coup de théâtre ! La tache de lumière est observée au centre 15

LES GÉNIES BÂTISSEURS

du disque, le point lumineux se détache exactement sur l’axe, tel que la théorie de Fresnel le prévoit. La démonstration est éclatante. Le jury s’incline : M. Poisson a déduit des intégrales proposées par [Fresnel] le résultat singulier que […] Les conséquences ont été soumises au test de l’expérience directe, et l’observation a parfaitement confirmé le résultat des calculs.

Point brillant, dit de Poisson, au centre de l'ombre d'un disque (Doc. Institut d’Optique.)

UNE SUITE DE SUCCÈS INTERROMPUS PAR UNE FIN PRÉCOCE D’autres succès viendront s’ajouter à celui-ci, confortant l’édifice d’une théorie ondulatoire de la lumière. Fresnel, désormais soutenu par Arago, se consacre à l’étude de la polarisation – dernier bastion de la théorie corpusculaire. Il découvre l’existence de ce qu’on appellera la polarisation circulaire. Il publie en 1821 un article très controversé qui 16

SOUS LA LUMIÈRE, LES HOMMES

AUGUSTIN FRESNEL

soutient que la lumière est une onde transverse ; c’est pour beaucoup un pas de trop, même pour Arago. Mais Fresnel persiste et signe : il montre que l’hypothèse de l’onde transverse suffit à expliquer la double réfraction (ou biréfringence). Dans une série de mémoires entre le 19 novembre 1821 et le 31 mars 1822, Fresnel met ainsi au point la théorie de la double réfraction dans les cristaux uniaxes et biaxes, et introduit la notion de surface des indices. En 1823, Fresnel est élu membre de l’Académie des sciences, à l’unanimité. Mais sa santé décline rapidement. Après 1824, il interrompt ses recherches sur la lumière, ce qui ne l’empêchera pas d’inventer et de développer ses fameuses lentilles à l’usage des phares. Il est élu à la Royal Society of London, qui lui décerne sa prestigieuse Rumford Medal en 1827. Après avoir fondé et mis au point, à 30 ans, une théorie qui a indéniablement élargi l’horizon des sciences et dont les contrecoups nous secouent encore aujourd’hui, Fresnel meurt de la tuberculose le 14 juillet 1827 à Ville-d’Avray, à l’âge de 39 ans. Décidément, s’il ne fallait décrire que d’un mot la vie météorique de ce génie, pour le meilleur comme pour le pire, précocité serait tout indiqué. Pour en savoir plus Buchwald J.Z., The rise of the theory of light, the University of Chicago Press, 1984.

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Isaac Newton DATES CLÉS 4 janvier 1643 Naissance à Woolsthorpe, Angleterre 1661 Admission au Trinity College de Cambridge 1665-1667 Premières découvertes en mathématiques et physique 1669 Titulaire de la chaire de mathématiques du Trinity College 1672 Élection à la Royal Society 1687 Publication de Philosophiae naturalis principia mathematica 1704 Publication de Optiks 1705 La reine anoblit Issac Newton 31 mars 1727 Décès et inhumation dans la nef de l’abbaye de Westminster, Angleterre

« Le plus grand génie de tous les temps et de tous les pays », François Arago

Isaac Newton fait partie des grands mythes de la science. Inventeur du calcul différentiel à l’âge de vingt-trois ans, fondateur de la mécanique dite classique et de la théorie de la gravitation, Isaac Newton est considéré, depuis plus de trois siècles, comme le plus grand savant de l’humanité.

I

saac Newton naît, probablement grand-prématuré, dans le manoir de Woolsthorpe, près de Grantham dans le Lincolnshire (Angleterre) le 25 décembre 1642 – ce qui correspond au 4 janvier 1643 du calendrier Grégorien. Il est issu d’une famille de paysans, mais il ne connaîtra pas son père, également prénommé Isaac, propriétaire terrien et fermier prospère, décédé trois mois avant sa naissance. Sa mère, Hannah Ayscough, se remarie avec le Révérend Barnabus Smith lorsque le petit Isaac a deux ans. Le garçon est alors confié à sa grand-mère Margery Ayscough, qui

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ISAAC NEWTON

l’élèvera plus ou moins comme un orphelin. Il semble que l’enfance de Newton n’ait pas été très heureuse…

UNE SCOLARISATION DIFFICILE À la mort de son beau-père en 1653, Isaac rejoint sa mère et une famille agrandie d’un demi-frère et de deux demi-sœurs. Peu de temps après, il entre à l’école publique de Grantham, où il laisse l’image d’un élève dissipé et peu attentif aux cours. Vers 16 ans, sa mère souhaite qu’il s’occupe du domaine familial et le retire de l’école. Mais il semble que ce travail ne lui convienne guère : Isaac n’est pas doué (ou intéressé ?) par la gestion d’un domaine agricole. Sous l’insistance de son oncle William Ayscough, persuadé qu’Isaac doit entrer en Université, sa mère accepte de le renvoyer à l’école de Grantham en 1660, pour qu’il y achève son éducation primaire. C’est alors que Stokes, le directeur de l’école, décèle chez Newton un talent prometteur ; il l’aide à entrer au Trinity College de Cambridge en 1661. Il a 18 ans. Il étudie la philosophie de Descartes, Gassendi, Hobbes, et en particulier Boyle ; il découvre l’arithmétique, la trigonométrie, et la géométrie dans les Éléments d’Euclide. Il s’intéresse personnellement à l’astronomie, à l’alchimie et à la théologie. Il obtient sa maîtrise à 25 ans. Mais à l’été 1665, la peste s’abat sur l’Angleterre. Cambridge souffre également du fléau, et Newton doit retourner dans sa région natale. C’est pendant cette période de deux ans que l’on situe ses premières avancées spectaculaires en mathématiques, en physique, et plus particulièrement en optique. Il semble que toutes les grandes découvertes qu’il explicitera dans les années suivantes découlent de ces deux années.

DES TRAVAUX PUBLIÉS TARDIVEMENT Après son retour à Cambridge, Newton se consacre essentiellement à l’étude de ses centres d’intérêt, sans trop tenir compte des programmes universitaires. Travaillant entièrement seul, il expérimente les derniers développements en mathématiques et en physique, qui traitaient alors la nature comme une machine complexe. Entre-temps, il acquiert les autres 19

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grades universitaires, est élu Professeur Lucasien1 et obtient en 1669 la chaire de mathématiques, succédant ainsi à son maître Isaac Barrow. En effet, Newton a effectué de nombreuses recherches et accompli plusieurs percées majeures dans cette discipline. Dès 1666, à partir du tracé des tangentes, il a entamé l’étude des fonctions dérivables et de leurs dérivées, sur la base des travaux de Fermat. Il a généralisé les méthodes qui étaient utilisées pour dessiner une tangente à une courbe et pour calculer la surface décrite par les courbes, et il a su reconnaître (!) que les deux procédures sont des opérations contraires. L’année suivante, il a classifié les cubiques et en a donné les tracés corrects avec asymptotes, inflexions et points de rebroussement… En 1669, il regroupe ses découvertes et rédige un compte-rendu sur les fondements du calcul infinitésimal, qu’il appelle méthode des fluxions. Ce calcul est envisagé à travers la cinématique alors que, chez son co-inventeur Leibniz, il procède de la géométrie. La dérivation est encore envisagée de manière intuitive, mais les jalons de l’analyse moderne sont indéniablement posés : c’est un pas gigantesque, qui hisse les mathématiques modernes au-dessus du niveau de la géométrie grecque. Malheureusement, il ne publiera ce compte-rendu sur les fluxions qu’en 1711, et un doute subsistera longtemps sur qui, de Newton et de Leibniz, est le véritable père du calcul infinitésimal. En 1671, Isaac Newton conçoit un télescope dénué d’aberrations chromatiques en utilisant un miroir sphérique comme objectif. Fort de ce succès, il intègre la Royal Society dès l’année suivante. Mieux : fortement encouragé par l’intérêt que lui porte cette vénérable institution, le mathématicien-physicien décide enfin de publier ses travaux – ce à quoi il répugnait jusqu’alors, gardant pour lui ses découvertes. Dans une première communication, il expose les expériences qu’il a menées lors de ces deux années à Woolsthorpe à l’aide du prisme. En 1675, il complète ses travaux sur la lumière en exposant sa théorie corpusculaire – dont il devient le chantre et la figure emblématique pour les siècles à venir.

1. « Lucasien » fait référence à son donateur, le professeur Révérend Henri Lucas. Cette chaire a été fondée en 1663 et était, à l’époque de Newton, dirigée par le professeur Isaac Barrow.

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ISAAC NEWTON

Ayant achevé l’essentiel de ses recherches en optique, Newton semble se désintéresser des sciences. Mais la visite d’Edmund Halley en août 1684 va relancer ses travaux. L’astronome britannique le consulte à propos des lois de Kepler et des orbites elliptiques des planètes. Les réponses de Newton sont, à ce point, convaincantes que Halley le pousse à publier ses recherches. Et c’est en 1687 que paraît son œuvre maîtresse : Philosophiae naturalis principia mathematica. Cet ouvrage marque le sommet de la pensée newtonienne et les débuts de la mathématisation de la physique. Les Principia comportent tous les fondements de la mécanique classique : Newton y expose le principe d’inertie, la proportionnalité des forces et des accélérations, l’égalité de l’action et de la réaction, les lois du choc, étudie le mouvement des fluides, donne la théorie des marées, etc. Mais il y développe avant tout sa théorie de l’attraction universelle : les corps s’attirent avec une force proportionnelle au produit de leurs masses et inversement proportionnelle au carré de la distance qui les sépare. C’est à ce sujet qu’il aura de vives discussions avec le physicien et philosophe Robert Hooke qui l’accuse de plagiat.

UNE PERSONNALITÉ PLEINE DE CONTRASTES Newton est une personnalité complexe. Il consacre beaucoup de temps à l’alchimie et à la théologie. Ieova Sanctus Unus (anagramme de Isaacus Neuutonus) est l’un des membres les plus importants de la société clandestine des alchimistes anglais. Il cherche à comprendre les étapes chimiques qui transforment les corps et la matière. Il effectue de nombreuses expériences et sa curiosité le poussera à avaler toutes sortes de produits, notamment du mercure… Newton est également une personnalité tourmentée : en 1693, il souffre d’une grave crise de dépression nerveuse, qui lui fait abandonner toute recherche nouvelle, au profit d’une synthèse et des perfectionnements de ses résultats antérieurs. En 1704 paraît le monumental Optiks, référence absolue pour des générations d’opticiens, avant le triomphe de la théorie ondulatoire défendue notamment par Young et Fresnel. Il occupe également des fonctions administratives prestigieuses. Il est ainsi l’un des huit premiers associés étrangers de l’Académie des Sciences 21

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de Paris. Il est nommé Directeur puis Président de la Monnaie à Londres. En 1703, il est élu Président de la Royal Society – et il le restera jusqu’à sa mort. Il est anobli par la Reine en 1705 avec le titre de baronnet et devient Sir Isaac Newton. Il s’éteint le 31 mars 1727 à 84 ans, dans sa propriété campagnarde de Kensington. Il est inhumé, en grande pompe, dans la nef de l’abbaye de Westminster, aux côtés des rois d’Angleterre – témoignage de l’estime immense de toute une nation pour un personnage hors du commun, qui a réussi le tour de force de mettre en équations le système du monde. Pour en savoir plus Brewster D., Memoirs of the life, writings and discoveries of Sir Isaac Newton, 1855.

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James Clerk Maxwell DATES CLÉS 13 juin 1831 1860 1865 1871 1873 5 nov. 1879

Naissance à Edinburgh, Écosse Médaille Rumford de la Royal Society Première version des équations de Maxwell Maxwell fonde le Cavendish Laboratory de Cambridge Version synthétique (en quaternions) des Équations de Maxwell Mort à Cambridge, Angleterre

Principalement connu pour avoir unifié les formalismes de l’électricité, du magnétisme et de l’induction, Maxwell est aussi celui qui a interprété la lumière comme étant un phénomène électromagnétique. Il est également le premier à avoir réalisé une photographie en vraie couleur.

J

ames Clerk Maxwell naît le 13 juin 1831 en ville, dans la maison familiale d’Edinburgh, mais c’est à la campagne qu’il grandit, à Glenlair, dans le Kirkcudbrightshire où sa famille possède une vaste propriété. Là, tout l’interpelle : c’est un cadre idéal pour faire éclore son insatiable curiosité naturelle. Son père, John Clerk, est un avocat aisé apparenté à la baronnie de Clerk de Penicuik, qui adopte le surnom Maxwell après avoir hérité de la propriété de Glenlair par une connexion avec la famille Maxwell. Avec Frances Clay, ils forment un couple peu commun : ils se sont rencontrés tardivement, et Frances a près de 40 ans à la naissance de James, leur unique enfant.

UN DÉBUT LABORIEUX Comme c’est l’usage alors, sa mère prend en charge l’éducation primaire de James. L’idée est de l’encadrer ainsi jusqu’à ses 13 ans, âge 23

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où il pourrait intégrer l’université. Mais, atteinte d’un cancer abdominal, elle meurt alors que Maxwell n’a que 8 ans. L’éducation de James est confiée à un jeune tuteur mais cet arrangement tourne court. John Clerk décide alors d’envoyer son fils à la prestigieuse Edinburgh Academy, et la famille déménage chez tante Isabella Wedderburn, la sœur de John, en novembre 1841. Le jeune James a alors 10 ans. Éduqué dans l’isolement campagnard de la propriété familiale, il a des manières et un accent rustiques et n’a absolument aucune habitude de la foule, ce qui lui donne un air timide et plutôt benêt. Ses débuts à l’école sont laborieux et ses centres d’intérêt peu communs (la géométrie, la lecture des vieilles ballades) l’isolent encore plus. Il ne se fait des amis que tardivement, dont Peter Guthrie Tait [1831-1901] mais cette amitié durera toute leur vie.

DÉCLIC Son parcours scolaire est d’abord assez quelconque ; mais le génie et le talent sont là, qui couvent. À 13 ans, ses dons se manifestent brusquement et il termine l’année avec la médaille de mathématiques et plusieurs prix. L’année d’après, il publie son premier travail scientifique, qui propose une approche heuristique des courbes ovales. En 1845, Maxwell intègre l’Edinburgh University et y fait des étincelles. Ses cours lui laissent du temps libre et il improvise quelques jolies expériences de physique, comme par exemple celle de la biréfringence induite qu’il observe (à l’aide de polariseurs que lui a offerts William Nicol [1770-1851] !) dans un liquide visqueux soumis à une contrainte de cisaillement. Maxwell a 18 ans, et publie cette année-là deux papiers qui font date. L’année d’après, en 1850, Maxwell quitte l’Écosse pour Cambridge. Il s’inscrit au prestigieux Trinity College où il suit les cours de William Hopkins [1793-1866], un véritable révélateur de talent. Sous sa houlette le jeune James, qui est déjà un mathématicien accompli, s’épanouit. En 1854, il décroche un diplôme de Mathématiques et obtient, ex-æquo avec Edward John Routh [1831-1907], le prestigieux Prix Smith. Il décide de rester à Trinity et entame les démarches pour devenir fellow, un poste 24

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JAMES CLERK MAXWELL

qu’il obtient dès l’année suivante : il est chargé des cours d’optique et d’hydrostatique.

PREMIERS TRAVAUX S’intéressant à la perception des couleurs, il montre à l’aide des toupies colorées inventées par James Forbes [1809-1868] que la lumière blanche résulte d’un mélange de rouge, vert et bleu. Il lit son papier Experiments on Colour qui pose les principes de la combinaison des couleurs, devant la Royal Society of Edinburg en 1855. Et puis, surtout, il propose dans On Faraday’s lines of force une formulation mathématique des théories de Michael Faraday [1791-1867] et d’André-Marie Ampère [1775-1836] sur l’électricité et le magnétisme. Au début de 1856, son père, John Clerk Maxwell, tombe malade et James décide de retourner en Écosse. Il apprend qu’une chaire de philosophie naturelle est vacante au Marischal College à Aberdeen. Il décroche aisément le poste mais son père meurt le 2 avril. James, seul au monde à 25 ans, quitte Cambridge au mois de novembre. Il est nommé chef de département au Marischal College, il établit le programme d’enseignement et prépare les cours. Sa vie se partage désormais entre Aberdeen, où il passe les six mois de l’année universitaire, et la maison familiale de Glenlair. En 1857, le St John’s College choisit comme thème du Prix Adams l’étude de la stabilité des anneaux de Saturne, une énigme qui passionne les scientifiques depuis déjà deux cents ans. Maxwell se pique au jeu et y consacre ses deux premières années de recherche à Aberdeen : par un pur raisonnement mathématique, sans observation expérimentale, il conclut que la stabilité des anneaux ne peut s’expliquer que s’ils sont constitués de petites particules qui orbitent autour de la planète géante – une théorie confirmée par la sonde Voyager dans les années 1980. Maxwell remporte le prix pour ce qui reste « une des plus remarquables applications des mathématiques à la physique » selon Georges Airy [1801-1892]. Maxwell se lie avec Katherine Mary Dewar, la fille du Révérend Daniel Dewar, qui est le Principal du Marischal College. Ils se fiancent en février 1858 et se marient à Aberdeen en juin 1859. Pourtant, ni cette alliance 25

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ni sa stature scientifique désormais bien établie ne protégeront Maxwell lorsque le Marischal College fusionne avec le King’s College pour former l’Aberdeen University en 1860 : dans la nouvelle structure, il ne peut y avoir qu’un seul professeur de philosophie naturelle et Maxwell, le plus jeune des deux, doit céder la place et chercher un poste ailleurs.

LA SCIENCE À PAS DE GÉANT Cette même année, Forbes quitte son poste de philosophie naturelle à Edimbourg ; Maxwell pose sa candidature, mais la concurrence est rude : plusieurs de ses amis, parmi lesquels les fameux Tait et Routh, sont également sur les rangs. Arguant, probablement à raison, que Maxwell n’est pas le plus indiqué pour enseigner à des étudiants faiblement qualifiés, la commission de sélection lui préfère Tait. Maxwell parvient néanmoins à décrocher la chaire de philosophie naturelle au King’s College de Londres. Il y passe 6 ans, la tête continuellement sous l’eau : c’est que la charge d’enseignement y est autrement plus lourde qu’au Marischal College. Cependant, c’est également là qu’il réalise ses plus beaux travaux expérimentaux. Ses études sur la perception des couleurs lui valent la médaille Rumford de la Royal Society en 1860. Mieux encore, à l’aide de filtres colorés rouge, vert et bleu, il réalise la première photographie en couleurs. Par ailleurs, il développe ses idées sur la théorie cinétique des gaz. Mais surtout – surtout ! – cette période est celle des avancées de Maxwell en électromagnétisme : il cristallise alors en une poignée d’équations toutes les relations de l’électromagnétisme et en publie une première version en 1865. C’est un travail de synthèse véritablement prodigieux car toutes ces lois – dont il propose avec brio une unification voire une extension puisqu’il introduit une modification importante du théorème d’Ampère, qui assure la cohérence de l’édifice unifié – sont vieilles d’à peine un demi-siècle. Il va plus loin encore : ses équations indiquent que le champ électromagnétique se propage sous la forme d’une onde dont la vitesse est approximativement celle de la lumière et il en déduit que la lumière est probablement un phénomène électromagnétique. Cette relation entre électromagnétisme et lumière, confirmée par l’expérience 26

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JAMES CLERK MAXWELL

tonitruante de Heinrich Hertz [1857-1894] en 1887, est une des plus grandes découvertes de la physique.

DERNIER ROUND Maxwell quitte Londres et le King’s College en 1865, et retourne dans son fief de Glenlair, en Écosse. Pour autant, il ne coupe pas les ponts avec le monde scientifique : il se rend régulièrement à Cambridge et accepte même le premier poste de professeur de physique expérimentale en 1871. À ce titre, il dresse les plans du Cavendish Laboratory, qui est officiellement inauguré le 16 juin 1874. Exploitant la notation en quaternions de William Hamilton [18051865], Maxwell publie une version plus synthétique de ses équations différentielles en 1873 dans son livre A Treatise on Electricity and Magnetism. Ces relations, les fameuses équations de Maxwell, que nous connaissons aujourd’hui sous la forme vectorielle que leur ont donnée Oliver Heaviside [1850-1925] et Willard Gibbs [1839-1903], restent son œuvre maîtresse. En mai 1879, en milieu d’année scolaire, sa santé se dégrade brusquement. Mais Maxwell tient à finir le trimestre et poursuit ses cours jusqu’à leur terme. Puis il rentre à Glenlair pour l’été, avec sa femme Katherine qui est également souffrante. Les trois mois qui suivent sont un calvaire, qu’il supporte néanmoins avec flegme et sans tristesse. Quand il revient à Cambridge, en octobre, il peut à peine marcher. Il s’éteint le 5 novembre 1879, à 48 ans, après avoir légué au monde, à l’aube du XXe siècle et de la révolution relativiste, un cadre physico-mathématique cohérent et fertile. Pour en savoir plus Mahon B., The Man Who Changed Everything – the Life of James Clerk Maxwell (Wiley, Hoboken, 2003).

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Abu Ali Al-Hasan Ibn Al-Hasan Ibn Al-Haytham, dit Alhazen DATES CLÉS 965 1010 1015-1021 1021 Image extraite du billet de 10 dinars Iraquien.

Naissance à Bassorah, Irak Aventure du barrage sur le Nil Rédaction du Kitab fil Manazir Mort d’Al-Hakim et voyage en Espagne 1039 ou 1040 Mort au Caire, Égypte

Mathématicien et astronome arabe, personnage emblématique de la science de l’an 1000, Alhazen est considéré comme le premier physicien moderne et il est, avec le grec Claude Ptolémée, l’un des pères fondateurs de l’optique. Il a notamment fait avancer le débat millénaire sur la nature de la lumière, et on lui doit le mécanisme de la vision. Surnommé Le Physicien, Alhazen a exercé une influence considérable en Europe médiévale par ses commentaires éclairés des œuvres des auteurs antiques, tel qu’Aristote ou Euclide, et également par ses propres découvertes.

A

bu Ali Al-Hasan Ibn Al-Hasan Ibn Al-Haytham naît en 965 à Bassorah, ville portuaire située sur le Chatt-el-Arab, estuaire commun des fleuves Tigre et Euphrate, dans la province Irakienne de l’Empire Bouyides. Loin de la splendide et extravertie Bagdad, mégapole économique, intellectuelle et artistique, qui abrite alors un million d’habitants à 500 kilomètres au Nord, Bassorah est une ville sous domination Chiite, qui promeut le savoir et l’enseignement. C’est dans cette atmosphère sereine et éclairée que grandit Al-Haytham, que les générations à venir surnommeront parfois Al-Basri (en référence à sa ville natale) et plus souvent Alhazen (version latine de Al-Hasan).

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ABU ALI AL-HASAN IBN AL-HASAN IBN AL-HAYTHAM, DIT ALHAZEN

Alhazen semble n’avoir développé un intérêt marqué pour les sciences que tardivement, s’étant d’abord orienté vers l’étude des textes et de la pensée islamiques. Durant ses premières années, il se consacre à ce que l’on qualifierait aujourd’hui de service civil, sous la forme d’un ministère religieux dans la région de Bassorah. Plus tard, apparemment déçu par les divergences qu’il perçoit entre les différents courants de pensée, progressivement convaincu que seules les sciences peuvent satisfaire sa quête de la vérité et étancher sa soif de comprendre, il quitte son ministère et se plonge avidement dans l’œuvre des penseurs antiques. Il trouve apparemment dans la lecture d’Aristote un terreau fertile, et se bâtit très vite une solide réputation de maître du savoir et de mathématicien. Cette notoriété grandissante dépasse les frontières de l’empire Bouyides, et parvient aux portes de l’Égypte.

UN BARRAGE SUR LE NIL Il est utile de rappeler que, depuis 969, la dynastie des Fatimides s’est installée dans la vallée du Nil, et y a fondé la ville du Caire, à quelques kilomètres de l’antique Fostat. La jeune cité devient la capitale du Califat. En 996, le jeune Al-Hakim bi Amr-Allah, âgé d’à peine 11 ans, accède au trône. Il s’avère un despote excentrique et parfois cruel ; mais c’est également un mécène éclairé, qui s’entoure de savants et notamment d’astrologues réputés. Il fait construire un observatoire dans son palais, surplombant le Caire, de même qu’une bibliothèque en l’an 1005, la Maison du Savoir, qui rivalise avec la fameuse Maison de la Sagesse fondée à Bagdad 150 ans plus tôt. Alhazen, enthousiaste et particulièrement confiant dans la toute puissance de l’outil mathématique qu’il découvre et manipule de plus en plus habilement, soutient que l’on pourrait régulariser les crues du Nil en utilisant un système de barrages. C’est une information essentielle et une source d’espoir pour le jeune Calife Al-Hakim, car les inondations ravagent régulièrement les rives du Roi des fleuves. Il invite Alhazen à le rejoindre et lui confie une équipe d’ingénieurs et de bâtisseurs. Nous sommes alors en l’an 1010. Alhazen, âgé de 45 ans, et sa petite troupe remontent lentement le cours du Nil vers le Sud, jusqu’à la première 29

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cataracte, près d’Assouan. C’est un voyage long : d’abord, une marche forcée sur près d’un millier de kilomètres ; puis, une fois sur place, les repérages et les relevés géologiques. Petit à petit, l’impossibilité de la tâche s’impose à leur esprit, et la ferveur du départ cède le pas à la rude réalité du terrain : Assouan est, sans doute, le lieu propice au grand ouvrage qu’ils projettent, mais leur ingénierie est encore trop rudimentaire ; leur science et leur savoir-faire, pourtant considérables, sans doute alors les meilleurs au monde, ne suffiront pas à apprivoiser le Nil… Il reste à l’annoncer à Al-Hakim. La troupe prend le chemin du retour. Ce sont des hommes lucides, pleinement conscients du risque qu’ils encourent à reconnaître une défaite qui va décevoir le Calife. Pour échapper à des représailles despotiques et probablement meurtrières, Alhazen décide de feindre la folie. Fort heureusement, le stratagème fonctionne : Al-Hakim lui laisse la vie sauve mais, pas totalement dupe, il le fait placer en résidence surveillée. Alhazen y reste jusqu’à la mort du Calife en 1021.

OPTIQUE ET MÉTHODE SCIENTIFIQUE Durant sa captivité, Alhazen, jeune chercheur de 50 ans, démarre ses premiers travaux en optique. Fidèle à sa technique, il commence par étudier les grands maîtres : Euclide, Ptolémée, Galien [131-201], sur les travaux desquels il fonde son propre savoir mais dont il extrapole et élargit considérablement les idées et le cercle de connaissances. Mieux encore, il fonde la méthode scientifique : il base résolument ses recherches et ses nouveaux résultats sur la preuve expérimentale plutôt que sur le raisonnement abstrait, et étaye ses théories par une démarche mathématique. C’est une nouvelle façon de travailler, qui révolutionne la pratique des sciences. Il l’applique, avec clarté et pour la première fois, dans son grand œuvre, le Kitab fil Manazir, traité d’optique en 7 volumes qu’il rédige de 1015 à 1021. La méthode est convaincante, fertile. Elle inspirera Robert Grosseteste [1175-1253] et Roger Bacon [1214-1292], qui la diffuseront à leur tour au Moyen-âge en Europe. Les résultats qu’obtient Alhazen marquent un tournant pour la théorie de la lumière. Son Kitab fil Manazir, traduit en Opticae thesaurus Alhazeni 30

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ABU ALI AL-HASAN IBN AL-HASAN IBN AL-HAYTHAM, DIT ALHAZEN

en 1270, occupe dans l’histoire des sciences une place comparable à celle de l’Almageste de Claude Ptolémée et servira d’ouvrage de référence à la plupart des livres d’optique qui seront écrits pendant près de 5 siècles. Et de fait, les innovations sont nombreuses. Pour ses expériences il utilise, pour la première fois, une camera obscura ; il étudie l’effet de grossissement à travers des vases de verre remplis d’eau ; il s’intéresse également à la réfraction, proposant l’idée que la lumière est un mouvement qui admet plusieurs vitesses selon le milieu de propagation (moindre dans un milieu plus dense), mais il n’en détermine pas la loi qu’il faudra encore 6 siècles à établir (par Descartes et Snell)… Ses multiples percées en font, sans conteste, le père de l’optique moderne. Sans surprise, Alhazen se mesure aussi au mystère millénaire du mécanisme de la vision. Deux écoles coexistent depuis l’antiquité : pour Aristote

Un schéma extrait du Traité d’Optique (bibliothèque numérique de l’université de Strasbourg).

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et ses disciples, l’œil reçoit une forme complète en provenance de l’objet observé ; dans l’approche du philosophe Grec Empedocles, reprise par Ptolémée et Euclide, et qui fait alors référence, l’œil voit grâce à la lumière qu’il projette lui-même sur les objets alentour. Alhazen souffle un air de modernité et propose la première explication correcte du processus de la vision, démontrant par l’expérience que la lumière est réfléchie par l’objet vers l’œil qui en forme alors une image inversée. Ce travail mènera plus tard Kepler au mécanisme de la formation des images. Allant plus loin Alhazen montre, à l’aide d’arguments géométriques, comment la vision binoculaire permet d’appréhender les distances à l’objet vu, de même que les dimensions de cet objet. Dans son Mizan al-Hikmah, Alhazen disserte enfin sur la densité de l’air et émet l’hypothèse que l’atmosphère a une hauteur finie. Il en déduit la lumière crépusculaire, celle qu’on perçoit par réfraction lorsque le soleil, encore invisible, est à moins de 19 °C sous l’horizon.

TRAVAUX MATHÉMATIQUES En mathématicien averti, Alhazen s’intéresse à l’Analyse, utilisée par les anciens Grecs pour la résolution de problèmes géométriques, et qu’il extrapole au traitement d’équations algébriques. Il développe ainsi les concepts de géométrie analytique. Les liens avec l’optique restent omniprésents : dans le livre V du Kitab fil Manazir consacré à la catadioptrique, il pose une question (le fameux problème du billard d’Alhazen) que l’on peut énoncer ainsi : étant données deux billes A et B placées en deux points quelconques d’un billard circulaire, déterminer le point d’impact de la bille A sur le rebord pour qu’elle heurte la bille B après un seul rebond. Cette question, que l’on sait traiter aujourd’hui en résolvant une équation du quatrième degré et dont les connexions avec l’optique sont évidentes, semble avoir interpelé d’autres esprits depuis l’antiquité. Lui-même en propose une solution géométrique. De Vinci et Huygens, plus tard, s’attaqueront aussi au problème. Après la mort du Calife Al-Hakim en 1021, Alhazen cesse de feindre la folie et retrouve sa liberté de déplacement. À l’âge de 56 ans, il peut 32

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ABU ALI AL-HASAN IBN AL-HASAN IBN AL-HAYTHAM, DIT ALHAZEN

enfin quitter l’Égypte et en profite pour entreprendre quelques voyages, notamment en Espagne. Mais c’est un périple circulaire, qui le ramène définitivement au Caire. Par la suite, Alhazen ne quitte plus les alentours de la mosquée Al-Azhar et l’université attenante, la Maison du Savoir, riche de nombreux livres de chimie, d’astronomie et de philosophie, en plus des textes strictement religieux. Dans cet environnement propice, il rédige plusieurs traités de mathématiques, enseigne et poursuit ses recherches scientifiques. Alhazen décède au Caire, à la fin des années 30, au sommet de sa gloire.

HÉRITAGE Bien qu’arrivé tardivement dans le monde des sciences, Alhazen a produit près d’une centaine d’ouvrages, dont près de la moitié nous est parvenue, notamment grâce aux traductions latines. Son œuvre, même selon les critères modernes, est extraordinairement éclectique et prolifique. Il a étudié et proposé des percées remarquables dans des domaines aussi variés que l’optique, incluant la théorie de la lumière et celle de la vision, l’astronomie, la médecine, les mathématiques en allant de la géométrie à la théorie des nombres. Son influence sera largement reconnue au cours des siècles, et son apport tenu en haute estime. Il forme quelques disciples, dont certains le côtoient pendant plusieurs années, mais son héritage est surtout fertilisé par les générations suivantes. Ainsi son œuvre est discutée par le philosophe et médecin Andalou Ibn-Ruchd (Averroès) [1126-1198], reprise en détails et enrichie par le grand scientifique Perse Kamal al-Din al-Farisi [1267-1320] qui rédigera le Kitab Tanqih al-Manazir. Ses idées diffuseront ensuite en Europe grâce au De Perspectiva du moine Vitellion [1230-1280]. Roger Bacon participe à son tour au relais planétaire du savoir en fondant ses propres travaux d’optique sur le Kitab fil Manazir. Pour en savoir plus O’Connor J.J., Robertson E.F., Alhazen, MacTutor History of Mathematics, Université de St Andrews. Djebbar A., L’âge d’or des sciences arabes (Éditions Le Pommier, 2005).

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Roger Bacon DATES CLÉS 1214 1241 1256 1265 11 juin 1292

Naissance à Ilchester, Somerset, Angleterre Enseigne Aristote à l’Université de Paris Rejoint l’ordre des Franciscains Rédaction de l’Opus Maius Mort à Oxford, Angleterre

Philosophe anglais, docteur en théologie de l’Université de Paris, moine franciscain, Roger Bacon est un artisan fervent et efficace de la scolastique. Il est parmi les premiers à enseigner Aristote quand l’interdiction du maître est levée en Europe médiévale. Surnommé le Doctor mirabilis en raison de son savoir encyclopédique, il est reconnu comme l’un des pères de la méthode scientifique basée sur l’expérience, et l’un des fondateurs de l’optique.

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oger Bacon naît à Ilchester, en Angleterre, probablement en 1214, dans une famille aisée de propriétaires terriens qui portent un grand intérêt à l’enseignement scolaire. N’étant pas l’aîné des garçons, Roger ne peut hériter des titres de la famille et il est naturellement promis à la prêtrise. Il entre à l’Université d’Oxford à l’âge de treize ans où il reçoit (en latin) une éducation secondaire et supérieure en grammaire, logique, géométrie et arithmétique. On l’y initie également à la musique et à l’astronomie. L’éducation est à l’époque un privilège rare et coûteux, rendu possible uniquement grâce à la richesse familiale. Roger obtient un master of arts en 1236 de l’Université d’Oxford. Il y reste ensuite jusqu’en 1241, comme enseignant.

L’ENSEIGNEMENT D’ARISTOTE Sa première grande période de production court de 1237 à 1250. Il commente l’œuvre d’Aristote dans ses Quaestiones : c’est une nouveauté 34

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ROGER BACON

et une audace, puisque Aristote est régulièrement interdit en Europe. Il devient ainsi un expert de l’œuvre du maître antique, qu’il enseigne dans un cours très suivi à Oxford. Aussi, lorsqu’en 1241 la pensée d’Aristote est de nouveau autorisée en France, Roger Bacon rejoint l’Université de Paris. L’adaptation linguistique se fait sans heurt, l’enseignement y étant, comme partout, donné en Latin. Roger Bacon a alors 27 ans. Il fait la rencontre de Pierre de Maricourt, surnommé Pierre le Pèlerin, un savant solitaire qui a servi comme ingénieur dans l’Armée de Charles d’Anjou, et a laissé un traité remarquable sur les aimants. Dans sa démarche scientifique, Pierre de Maricourt privilégie la connaissance (y compris mystique) par l’expérience. Il a une influence majeure sur le jeune Bacon qui est jusque-là peu intéressé par les sciences et qu’il éveille aux mystères des mathématiques et de la philosophie naturelle. Après un court épisode Parisien, Roger Bacon retourne à Oxford en 1247. Il consacre alors un an à l’apprentissage des langues sémitiques (hébreu, arabe) et du grec, afin de comprendre et d’approfondir les auteurs anciens dans l’original, et se plonge dans l’étude de l’optique et de l’astronomie. Il engloutit ainsi pendant plusieurs années la fortune familiale dans l’acquisition de manuscrits coûteux, d’instruments de mesure et de précieuses tables mathématiques. Il se familiarise avec les textes antiques et arabes sur l’optique. S’inspirant des travaux d’Al Haytham [965-1039], qui font alors référence dans le milieu scientifique en Europe, il se convainc de l’importance des mathématiques pour résoudre des problèmes physiques concrets. Il découvre aussi les travaux de Robert Grosseteste [1168-1253], chancelier de l’Université d’Oxford dans les années 1220, dont les travaux initient et symbolisent la première Renaissance de l’Europe au Moyen-âge. Bien que contemporains, il est peu probable qu’ils se soient rencontrés, mais c’est sous son influence, conjuguée à celle de Pierre de Maricourt, que Bacon bâtit et assoit sa philosophie scientifique, basée sur la validation expérimentale de l’intuition théorique. Passionné par l’optique, Bacon propose et mène un certain nombre d’expériences avec des lentilles et des miroirs, qui illustrent une remarquable méthodologie scientifique. Ses interprétations, basées sur des considérations géométriques, s’avèrent également d’une grande modernité. Il synthétise ses idées en optique et mécanique dans les De mirabile 35

LES GÉNIES BÂTISSEURS

potestate artis et naturae, qu’il rédige vers 1250, dans lequel il propose notamment l’usage des verres grossissants pour aider la vue. En parallèle, il continue d’enseigner l’œuvre d’Aristote jusqu’en 1256, date à laquelle il rejoint les frères mineurs, de l’ordre des Franciscains.

L’ORDRE DES FRANCISCAINS Les raisons de son entrée dans la fratrie sont multiples. Il y a probablement l’influence de personnages aussi charismatiques que Grosseteste dont il est le disciple assumé, ou encore Adam Marsh [vers 1200-1259], célèbre théologien anglais qu’il a fréquenté à Oxford. Il se peut également que ses nombreux et coûteux achats de livres et de matériel scientifique aient asséché ses ressources financières, et qu’il ait vu dans son entrée dans les ordres le moyen de poursuivre ses travaux sans contrainte… Quoi qu’il en soit, sa décision est réfléchie, et son choix pour les Franciscains particulièrement judicieux : ils consacrent en effet une grande partie de leur temps à l’étude, et leur bibliothèque contient une excellente collection d’ouvrages qui séduit Bacon. On perd la trace de Roger Bacon au milieu des années 1250. On le dit à Oxford ; d’aucuns l’ont vu à Paris… L’histoire est aussi, peutêtre, plus complexe : en 1256, Richard of Cornwall devient le nouveau Magister regens (responsable des études scientifiques) des Franciscains en Angleterre. Or les deux hommes, qui se connaissent depuis quelques années, sont en froid et cette nomination place Bacon dans une situation inconfortable. Au couvent d’Oxford, l’air doit lui devenir irrespirable ; on le pousse probablement vers l’exil ; le voici peut-être sillonnant l’Europe à la recherche d’un point de chute… Bref, on le retrouve à Paris au début des années 1260, à Saint-Germain des Près, dans le grand couvent des Cordeliers qui accueille les moines Franciscains depuis trente ans. Pourtant, même là, il n’échappe pas totalement à l’influence de Richard of Cornwall. Les années qui suivent sont peu plaisantes : Bacon est interdit d’enseignement, confiné au couvent ; sa seule échappatoire est une correspondance assidue avec des penseurs partout en Europe. Ce ne sont, pour autant, pas des années totalement blanches. Il s’aperçoit de l’erreur du calendrier Julien : en effet ce calendrier, qui date de la 36

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ROGER BACON

réforme du calendrier romain introduite par Jules César en -46, induit une légère dérive (1 jour tous les 129 ans). À l’époque de Bacon, le solstice de Printemps est ainsi décalé d’une dizaine de jours par rapport à l’année solaire. Bacon adresse en 1264 au Vatican une lettre relevant cette dérive et proposant la correction adéquate. Le calendrier ne sera modifié que trois siècles plus tard, sous l’autorité du pape Grégoire XIII… Roger Bacon dévore un à un les ouvrages de la bibliothèque des Cordeliers et se bâtit ainsi un savoir véritablement encyclopédique. Ses lectures lui ouvrent définitivement l’esprit sur le formidable édifice que

Figure extraite des travaux optiques de Bacon. © British Library.

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LES GÉNIES BÂTISSEURS

forment les sciences antiques et arabes – un édifice auquel il apporte sa propre pierre. On lui doit notamment d’ingénieuses observations sur l’optique, telles qu’une étude de la réfraction de la lumière et la mesure précise de l’ouverture angulaire de l’arc-en-ciel. Ses travaux et ses écrits témoignent de la formidable évolution intellectuelle et méthodologique de Bacon au cours de cette période qui s’étend de 1260 à 1292.

L’OPUS MAIUS En 1264, Bacon, qui cherche désespérément un moyen de se libérer de l’emprise de Richard of Cornwall, s’adresse au Cardinal Gui Foulques [1190-1268] et lui propose d’entreprendre et de coordonner, sous l’égide de l’Église, la rédaction d’une série d’ouvrages encyclopédiques. Roger Bacon est à l’époque un lettré et un scientifique renommé, ainsi qu’un homme d’église reconnu. Son projet, parfaitement cohérent, consiste en une somme philosophique et scientifique fondée sur les textes antiques et arabes. Pour étayer son projet, Bacon défend la place des sciences et de la méthode logique dans le cursus universitaire, et leur importance pour l’Église qui se doit de cadrer les domaines de la connaissance. L’idée séduit et convainc le Cardinal Gui Foulques. Les événements se précipitent en 1265 : Foulques devient le Pape Clément IV. Voilà qui change considérablement la donne, car Bacon peut désormais se prévaloir du soutien du Pape – qui lui demande officiellement, dans une lettre datée du 22 juin 1266, de rédiger le livre-progamme de son grand projet. Bacon s’y attelle immédiatement, et produit en 1265 son Opus Maius, un ouvrage grandiose qui réunit en 840 pages une impressionnante collection d’idées et de concepts. Puis suivent l’Opus Minus et l’Opus Tertium, ainsi que des textes mineurs comme le De speculis comburentibus (une étude des miroirs ardents). En 1268, Bacon rentre en Angleterre et, conformément à son programme, entame la rédaction des Communia naturalium (Principes généraux de Philosophie Naturelle) et des Communia mathematica (Principes généraux de Mathématiques). En parallèle, il confie un exemplaire de son Opus Maius à l’un de ses disciples, avec pour mission de le porter au Pape Clément IV mais celuici meurt en novembre 1268 avant de l’avoir lu… 38

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ROGER BACON

Dans l’ambiance si peu stable de l’Europe médiévale, le vent est en train de tourner ; désormais Bacon et son œuvre sont suspects. En 1277, le ministre général des Franciscains, Jérôme d’Ascoli [1230-1292] (qui deviendra le Pape Nicolas IV en 1288) le condamne pour « nouveautés suspectes ». Cette sentence lui vaut une peine de prison, qu’il purge à Ancône en Italie. L’exil est lourdement éprouvant : de peur que son commerce n’influence les gardes chargés de sa surveillance, il est placé en isolement total et, torture morale particulièrement cruelle, il n’a pas droit à la confession. Les opinions des historiens divergent sur la durée de sa captivité : certains l’imaginent retournant à Oxford dès 1280 ; pour d’autres, en revanche, il ne sera relaxé qu’en 1292, à la mort du Pape Nicolas IV et avec l’accession de Raymond de Gaufredi à la tête de l’ordre des Franciscains. Malgré sa captivité, Roger Bacon conserve toute son indépendance intellectuelle, comme en témoigne en 1292 son Compendium studii theologiae (Abrégé des études théologiques) où il résume ses idées sur la philosophie et la théologie. Mais la persécution érode les meilleures volontés. Il meurt à Oxford le 11 juin 1292, épuisé et amer. Il aurait eu ces derniers mots : « Je regrette de m’être donné tant de peine pour combattre l’ignorance ».

QUEL EST L’HÉRITAGE DE BACON ? Chaque époque et chaque génération redécouvrent l’œuvre de Roger Bacon et sa contribution à l’éveil scientifique et intellectuel de l’Europe médiévale. En revisitant les textes des grands maîtres antiques et arabes, dont il s’est activement fait l’entremetteur auprès de ses contemporains Européens, il a participé au grand relais planétaire du savoir et de la connaissance à travers les âges. C’est l’œuvre d’un esprit puissant, capable d’embrasser efficacement un large spectre de notions et de les organiser de façon constructive ; son Opus Maius (et le projet sous-tendu) en est une illustration éclatante. Pour en savoir plus Clegg B., The first scientist: A life of Roger Bacon (London, 2003).

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Thomas Young DATES CLÉS 13 juin 1773 1794 1796 1800 1803 1804 1814 1827 10 mai 1829

Naissance de Thomas Young à Milverton, Angleterre Membre de la Royal Society Doctorat en médecine Fonde l’optique physiologique Théorie ondulatoire de la lumière Foreign secretary de la Royal Society Déchiffre quelques hiéroglyphes égyptiens Élu à l’Académie des sciences de Paris Mort de Young à Londres, Angleterre

Médecin, fondateur de l’optique physiologique et chantre ardent et éclairé de la théorie ondulatoire de la lumière, ce génie polymathe a également été le premier à déchiffrer certains hiéroglyphes égyptiens.

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homas Young naît le 13 juin 1773 dans une famille de Quakers de Milverton, dans le Somerset. Il est le premier des dix enfants de Sarah Davis et de Thomas Young senior, un marchand d’habits et un banquier prospère. Peu après sa naissance, le jeune Thomas rejoint son grand-père maternel Robert Davis, qui l’élèvera à Minehead, un petit village situé à 20 km de la maison familiale. De 4 à 6 ans, Thomas va à l’école du village ; il s’y ennuie. Il est alors confié à un prêtre ; même scénario. Il passe ensuite 18 mois en internat dans un établissement près de Bristol… Mais très vite, il trouve et suit son propre rythme : il apprend seul dans les livres, épuisant chaque ouvrage en moitié moins de temps que ses précepteurs. En 1782 il intègre enfin une école, à Crompton, qui semble plus adaptée à sa précocité d’esprit : les élèves y jouissent d’une liberté qui leur permet d’aller à leur propre pas. Pourtant même là, le jeune prodige est un véritable météore. 43

LES EXPÉRIENCES FONDATRICES

Il en sort en 1786, avec des bases solides en physique newtonienne et en optique. Il parle plus de 12 langues, européennes ou orientales, mortes ou vivantes. À 13 ans à peine, Thomas Young devient le tuteur de Hudson Gurney [1775–1864], son cadet d’un an, futur banquier et antiquaire célèbre. Ils passeront les 6 années suivantes entre le Hertfordshire et Londres. Thomas met à profit son temps libre pour se former aux mathématiques ; il s’initie aux Éléments d’Euclide et lit les œuvres de Newton.

LA MÉDECINE En 1792, il déménage à Londres, et entame des études de médecine au Hunterian School. Il est accepté en internat à l’hôpital Saint Barthélémy. C’est là, en disséquant un œil de bœuf, qu’il construit sa théorie sur l’accommodation de l’œil. Il la formalise dans Observations sur la Vision, qu’il soumet à la Royal Society de Londres le 30 mai 1793. Il en devient membre le 19 juin 1794. Les lois britanniques interdisent alors l’accès des prestigieuses universités d’Oxford ou Cambridge aux Quakers. Aussi Young, qui désire poursuivre sa formation de médecine, passe l’année 1794 à l’université d’Edimbourg (Écosse), puis se rend en Allemagne. Il obtient un doctorat de l’université de Göttingen le 30 avril 1796. Il visite ensuite l’Allemagne, passe par Jena et Berlin, avant de rentrer en Angleterre en février 1797. À son retour, les règles ont changé : désormais, tout carabin doit passer deux années consécutives dans la même université avant de pouvoir intégrer l’Ordre des médecins et pratiquer son art. Las ! Young, qui de toute façon ne se sent plus tellement en accord avec le mode de vie strict des Quakers, quitte leur communauté et intègre l’Église anglicane. Il peut ainsi, enfin, entrer à Cambridge et s’inscrire en médecine. Mais ce n’est qu’une façade : Young pense en savoir désormais assez sur le sujet, et ne suit pas les cours du cursus. Ses lectures de jeunesse et son passage sur le continent ont laissé des traces : il se plonge dans l’étude de la physique et des mathématiques. Il travaille seul et laisse l’image 44

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THOMAS YOUNG

d’un solitaire non impliqué, plus intéressé par un calcul difficile, un instrument ingénieux, ou une invention nouvelle que par véritablement participer aux débats qui secouent la communauté des enseignants et des chercheurs du collège.

PREMIERS TRAVAUX SCIENTIFIQUES En 1797 le grand-oncle, Richard Brocklesby [1722-1797], décède : il lègue à Young sa maison de Londres, et une rente suffisamment confortable pour lui assurer une indépendance financière. En 1799, Young, fraîchement (re-)diplômé, s’installe comme médecin à Londres. Il n’abandonne pas ses recherches pour autant, mais il publie anonymement ses premiers articles pour protéger sa crédibilité de médecin, peu compatible avec la réputation sulfureuse qu’ont encore les scientifiques. Il présente son essai Son et lumière devant la Royal Society en janvier 1800, puis Le mécanisme de l’œil en novembre, et Sur la théorie de la lumière et des couleurs en 1801. Les avancées sont gigantesques : il y

La diffraction par un bord fait, selon Young, intervenir 2 ondes : l’une directe, l’autre déviée par le bord (in Conférences sur la philosophie naturelle et les arts mécaniques paru en 1807).

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LES EXPÉRIENCES FONDATRICES

détaille sa théorie sur l’accommodation, mesure l’astigmatisme pour la première fois, et pose les bases de la vision tricolore – une étude qui sera reprise et complétée par la suite par Hermann von Helmholtz [18211894], et vérifiée expérimentalement en 1959. En 1801, Young vend la maison du grand-oncle et déménage à Welbeck Street. La toute jeune Royal Institution of Great Britain lui propose d’enseigner la philosophie naturelle. Il accepte et crée une cinquantaine de cours qu’il donne à partir de janvier 1802. Le programme est varié (mécanique, hydrodynamique, physique générale, mathématiques) et très ambitieux : Young est plutôt dans une logique de conférences ; il s’adresse plus à un public averti qu’à une assemblée d’étudiants. Son cours peine à convaincre. Il l’abandonne en 1803. En parallèle, sa carrière de médecin se poursuit sans heurt, mais aussi sans éclat. Il a du talent, mais il lui manque la rondeur des manières, le tact et l’attention au malade que les patients recherchent. Bref, le médecin Young a peu de succès.

LA THÉORIE ONDULATOIRE Il continue ses travaux en physique, et soumet le fameux Expériences et calculs relatifs à l’optique physique à la Royal Society en novembre 1803 : il y décrit sa célèbre expérience des fentes qu’il explique par une théorie audacieuse, selon laquelle la lumière serait une onde, et qui lui permet de justifier les franges d’interférence observées. Ce traité n’a qu’une audience confidentielle à l’époque, mais il initie une véritable révolution dans l’Histoire des sciences. Il faut dire que Young se dresse contre un monument : Newton [1643-1727] et ses théories ont marqué le siècle, ils dominent incontestablement la science de l’époque. Or le maître a déjà traité (tranché !) cette question dans son Optics : la lumière est désormais pour tous, presque tous (car il y a Huygens [1629–1695] et son Traité de la lumière paru en 1678), un corps. Chapitre clos, donc... même si la théorie de Newton n’explique pas tout, et notamment pas les franges générées par les fentes d’Young. Le schisme se creusera d’ailleurs davantage lorsqu’en France, 10 ans plus tard, Fresnel [1788-1827] poursuivra des travaux qui formaliseront et confirmeront de façon éclatante les hypothèses de Huygens et d’Young. 46

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En 1804, Young est nommé foreign secretary de la Royal Society, un poste qu’il occupera pendant 25 ans. En 1807, il publie un volumineux Conférences sur la philosophie naturelle et les arts mécaniques, qui contient l’essentiel des cours qu’il a donnés à la Royal Institution. C’est aussi l’occasion d’étayer et défendre sa théorie ondulatoire par de nouvelles observations expérimentales. Dans ce même livre, Young introduit le module qui porte son nom et qui caractérise la déformation élastique d’un matériau en fonction de la contrainte qui lui est appliquée. Les charges officielles se multiplient. En 1811, il est nommé au St George’s Hospital. Il se donne à la tâche, pourtant encore une fois, le médecin Young est admiré mais peu recherché. En 1814, il participe à un comité pour l’étude des dangers liés à la généralisation de l’éclairage au gaz. En 1818, il est nommé secrétaire du Bureau des Longitudes. Il devient aussi superintendant du HM Nautical Almanac Office. En 1827, il est élu membre étranger de l’Académie des sciences de Paris.

LES HIÉROGLYPHES ÉGYPTIENS Young est un des premiers à déchiffrer certains hiéroglyphes égyptiens. L’aventure commence en juin 1814, quand un ami lui apporte un papyrus écrit en démotique. Très vite Young se prend au jeu et s’attaque à la Pierre de Rosette, dont le texte est répété en grec, démotique et hiéroglyphes, et qui est exposée au British Museum depuis 1802. Il propose une traduction conjecturale astucieuse, et la transcription de quelque 220 cartouches – dont une partie sera confirmée par le déchiffrement complet de Champollion [1790-1832] en 1822. Sa santé, si stable et solide jusque-là, se détériore brutalement en 1828, lors d’un voyage à Genève. Il est atteint de difficultés respiratoires en février 1829, et décède le 10 mai 1829 à Londres. Pour en savoir plus Robinson A., Thomas Young: The last man who knew everything (Plume, 2006). Une version commentant un texte de Young de 1802 est parue sur le site BibNum et dans l'ouvrage collectif « Regards sur les textes fondateurs de la science », Tome 2. Physique de la lumière, Radioactivité, éditions Cassini, 2012.

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Armand Hippolyte Louis Fizeau DATES CLÉS 23 sept. 1819 Naissance à Paris, France 1845 Photographie du Soleil 1849 Mesure de la vitesse de la lumière Chevalier de la Légion d’honneur 1850 Expérience sur la vitesse de la lumière dans l’air et l’eau 1856 Prix triennal de l’Institut impérial de France 1860 Élu à l’Académie des sciences 1878 Présidence de l’Académie des sciences 18 sept. 1896 Mort au Château de Venteuil, France

Fizeau, physicien et opticien digne successeur de Fresnel de Foucault. On lui doit de d’optique, dont la première vitesse de la lumière.

français, est à la fois le et le jumeau scientifique nombreuses expériences mesure terrestre de la

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rmand Hippolyte Louis Fizeau naît à Paris le 23 septembre 1819, dans une famille aisée. Son père est nommé professeur à la chaire de pathologie interne de la Faculté de médecine de Paris en 1823, lors de la réorganisation de cette Faculté qui s’est accompagnée de l’expulsion de quelques-uns de ses membres. Très lié avec Laënnec [1781-1826], il est l’un des premiers adeptes de l’auscultation.

LA PHOTOGRAPHIE ET FOUCAULT Le jeune Hippolyte veut suivre la carrière paternelle et entame des études de médecine, à l’instar d’un certain Léon Foucault [1819-1868], qu’il a connu enfant sur les bancs du lycée Stanislas. Comme Foucault, 48

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ARMAND HIPPOLYTE LOUIS FIZEAU

il les interrompt. Comme Foucault, qu’il retrouve sur les bancs d’une conférence de Daguerre [1787-1851], il a le coup de foudre pour la photographie, une technique jeune qui en est à ses balbutiements et qui se réduit en 1840 essentiellement au daguerréotype. C’est aussi à cette époque qu’il rencontre François Arago [1786-1853], savant célèbre et personnage ensorcelant dont l’habileté est grande à faire éclore les vocations scientifiques. Arago, alors directeur de l’Observatoire de Paris, est son professeur au Collège de France. Très vite, sous cette influence irrésistible, Fizeau, dont la fortune familiale autorise heureusement tous les choix de carrière, décide de se consacrer à la physique. Ses premiers travaux se rapportent tout naturellement à la photographie. Très intéressé par la technique, il y apporte de multiples améliorations : utilisation du brome pour réduire le temps de pose, recours au sel d’or pour rendre les images plus visibles et plus stables, illumination aux rayons rouges pour neutraliser les couches sensibles déjà impressionnées par la lumière blanche… Naît ainsi une collaboration fructueuse avec Foucault : unis par la même passion, ils associent pendant 10 ans leurs noms à quelques jolis travaux, d’abord dans la photographie, et surtout dans l’étude des interférences avec de grandes différences de marche. En effet, les interférences n’avaient été jusquelà observées que pour des différences de marche d’un petit nombre de longueurs d’onde. En 1846, Fizeau et Foucault imaginent et conçoivent un dispositif qui permet d’explorer des différences de marche de plus de 7 000 longueurs d’onde. C’est avec ce même appareil que Gustav Kirchhoff [1824-1887] fait quelques années plus tard ses découvertes sur l’analyse spectrale. La collaboration de Fizeau et Foucault atteint son paroxysme lorsque le 2 avril 1845, ils obtiennent une image audacieuse : sur l’instigation d’Arago, ils réalisent la première photographie du soleil sur daguerréotype, révélant ainsi l’existence de taches solaires.

LA VITESSE DE LA LUMIÈRE En 1848, Fizeau publie une courte Note sur la modification de la fréquence des ondes sonores ou lumineuses dans le cas où l’observateur 49

LES EXPÉRIENCES FONDATRICES

ou la source (sonore ou lumineuse) se meuvent. Il ignore alors qu’en 1842, Christian Doppler [1803-1853] s’était posé les mêmes questions et que ses conclusions avaient été les mêmes – du moins pour ce qui concerne le son. C’est à Fizeau que revient le mérite d’avoir évoqué, le premier, l’aspect capital du déplacement des raies optiques. L’astronome anglais Higgins applique en 1868 la méthode de Fizeau à la mesure de la vitesse radiale des astres : le déplacement vers le rouge de la raie F de l’hydrogène dans Sirius lui indique que cette étoile s’éloigne de la terre à la vitesse de 47 km/s. Cette technique, féconde et précise, a par la suite largement diffusé dans les Observatoires du monde entier. En 1849, Fizeau mesure la vitesse de la lumière par une méthode purement terrestre. Pour en saisir toute la portée, il est nécessaire de replacer cette expérience dans son contexte : jusque-là, la vitesse de la lumière n’avait été déduite que d’observations astronomiques, en supposant connue la distance de la Terre au Soleil. Reprenant une idée indiquée par Galilée [1564-1642] et Fermat [1601-1665], Fizeau propose une mesure entre deux stations terrestres. Reste à imaginer un système suffisamment sensible. Sa méthode est ingénieuse : il utilise une roue dentée tournant à vitesse constante et un miroir de retour placé à grande distance. Il lance un rayon de lumière à travers les dents de la roue, et détecte le rayon réfléchi. Selon la vitesse imprimée à la roue, et selon que le rayon réfléchi passe entre les dents ou non, il est possible de déduire la vitesse de la lumière. Il tente l’expérience entre le belvédère de la maison de son père à Suresnes, où il habite, et la fenêtre d’une maison à Montmartre, soit sur la distance extraordinairement courte de 8,633 km. Bien que la valeur trouvée soit peu précise (315 000 km/s), cette première tentative est une démonstration éclatante et fait sensation dans la communauté scientifique. D’autres tentatives suivront, menées par Alfred Cornu [18411902] sur des distances plus grandes. Dans la foulée, Fizeau propose de reprendre une expérience imaginée par Arago : il s’agit de comparer la vitesse de la lumière dans deux milieux de densités différentes (l’air et l’eau), ce qui doit permettre de décider, définitivement et selon les propres termes d’Arago, « si la lumière est un corps ou si elle est une ondulation ». Il se trouve que Foucault poursuit indépendamment le même objectif. La méthode d’Arago reprend 50

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ARMAND HIPPOLYTE LOUIS FIZEAU

la technique du miroir tournant de Sir Wheatstone [1802-1875], mais la vue du grand savant ne lui permet plus de la mener à bien. Dans cette course à la performance, Foucault aidé de Froment [1815-1865] est le premier à obtenir un résultat. Sept semaines plus tard, Fizeau aidé de Bréguet [1803-1883] confirme ce qui sonne le glas de la théorie corpusculaire : la lumière va moins vite dans l’eau ; la lumière a donc la propriété d’une onde. Fizeau est fait Chevalier de la Légion d’Honneur en 1849, puis Officier en 1875. Pour ses expériences fondamentales sur la lumière, il obtient en 1856, sur proposition de l’Académie des sciences, le premier et le seul prix triennal de l’Institut impérial de France.

EXPÉRIENCES INTERFÉROMÉTRIQUES Fizeau s’intéresse aussi à l’électricité. En 1850, avec Gounelle, il mesure la vitesse d’une perturbation électrique dans un fil. Ingénieur de talent, il a l’idée en 1853 d’ajouter un condensateur aux bobines utilisées pour générer des tensions électriques très élevées. À la suite de mesures interférométriques effectuées en 1864 avec une flamme au sodium, et fort des résultats obtenus par Fraunhofer [1787-1826] sur les mesures des raies, il a le premier l’idée d’utiliser les longueurs d’onde lumineuses comme étalon de longueur. Par ailleurs, commentant dans un rapport de l’Académie des sciences la nécessité de la cohérence spatiale de la source dans une expérience d’interférométrie, Fizeau suggère l’emploi de la méthode interférentielle pour la mesure du diamètre apparent des astres. Edouard Stephan [1837-1923], directeur de l’Observatoire de Marseille, utilise le premier l’idée de Fizeau en 1878, mais se heurte à la trop faible ouverture des télescopes : le calcul indique qu’un miroir de 12 m est nécessaire pour mesurer un diamètre apparent de 0,01’’ d’arc, or le plus grand miroir du monde mesure à peine 2,5 m. Il faut attendre Michelson [1852-1931] et une astuce du grand opticien américain pour atteindre la précision nécessaire : c’est ainsi que, grâce à la méthode interférométrique de Fizeau-Michelson (ou technique de la synthèse d’ouverture), les diamètres de Bételgeuse (0,047’’) et d’Arcturus (0,024’’) sont déterminés pour la première fois. 51

LES EXPÉRIENCES FONDATRICES

On peut citer, enfin, les travaux de Fizeau sur la dilatation des cristaux et la polarisation de la lumière, auxquels il consacrera le reste de sa carrière. Là encore, s’appuyant sur la sensibilité infinitésimale des mesures interférométriques, qui sont pour lui « particulièrement propres à déterminer des longueurs extrêmement petites qui échapperaient à tout autre moyen de mesure », il s’attache à mesurer avec une grande précision la variation de l’indice de réfraction et la dilatation de divers cristaux sous l’influence de la chaleur.

LES HONNEURS Fizeau est considéré comme l’un des scientifiques les plus brillants de son époque. Dans le panel de ses activités, l’enseignement n’est pas en reste : il remplit pendant quelques années les fonctions d’examinateur des élèves à l’École Polytechnique. Ses travaux sur la lumière lui valent d’être nommé à l’Académie des sciences le 2 janvier 1860 au fauteuil de Cagniard-Latour [1777-1859], à la section de physique générale. Il devient Vice-Président de la prestigieuse institution en 1877, puis Président en 1878. Il est également élu membre du Bureau des longitudes en 1878. Sa renommée dépasse très vite les frontières : il est lauréat de la médaille Rumford de la Royal Society de Londres en 1866, « for his optical researches, and especially for his investigations into the effect of heat on the refractive power of transparent bodies ». Il est fait Membre étranger de la Royal Society en 1875. Fizeau laisse l’image d’un homme distant et réservé, passionné par les seules discussions scientifiques, travailleur infatigable, respectueux de l’héritage scientifique de ceux qu’il nomme les anciens, au premier rang desquels Arago et Fresnel. Il avait épousé la fille du botaniste Adrien de Jussieu [1797-1853], mais son foyer fut vite attristé par la mort prématurée de sa compagne. Sur la fin de sa vie, Fizeau vit très retiré dans son château de Venteuil, près de la Ferté-sous-Jouarre, dont il ne s’éloigne que pour les séances hebdomadaires de l’Académie des sciences et du Bureau des longitudes. Il succombe en quelques semaines à une maladie fulgurante, et s’éteint le 18 septembre 1896. 52

SOUS LA LUMIÈRE, LES HOMMES

ARMAND HIPPOLYTE LOUIS FIZEAU

Pour en savoir plus Picard E., Les théories de l’Optique et l’œuvre d’Hippolyte Fizeau (1923).

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Heinrich Rudolf Hertz DATES CLÉS 22 février 1857 1880 13 novembre 1886

1887 1888

1890 1er janvier 1894

Naissance à Hambourg, Allemagne Doctorat à l’Institut de Physique de Berlin Première liaison sans fil à l’aide d’une onde électromagnétique Découverte de l’effet photoélectrique Confirme la théorie de Maxwell Montre que la lumière est une onde électromagnétique Lauréat de la médaille Rumford Décès à Bonn, Allemagne

Ingénieur et physicien allemand, Hertz est surtout connu pour avoir apporté la preuve expérimentale que la lumière est une onde électromagnétique qui obéit aux équations de Maxwell. En réalisant la première liaison sans fil entre un émetteur et un récepteur, il ouvre la voie à la télégraphie sans fil (inventée par Marconi) et à la radiophonie. Il découvre en 1886 l’effet photoélectrique qui jouera un rôle central dans la théorie des quantas de lumière.

H

einrich Rudolf Hertz naît dans une famille aisée et cultivée de Hambourg le 22 février 1857. Sa mère, Anna Elisabeth Pfefferkorn, fille d’un médecin de Frankfort, a grandi dans la tradition luthérienne. Son père, Gustav Ferdinand Hertz, est barrister (ou avocat plaidant) à Hambourg ; il est nommé conseiller à la cour d’appel, puis élu sénateur en 1887. Né juif, il se convertit au luthéranisme. Heinrich, comme ses quatre frères et sœur cadets, est donc éduqué dans la religion protestante.

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HEINRICH RUDOLF HERTZ

Le jeune Heinrich entre, à six ans, à l’école privée dirigée d’une main de fer par le docteur Richard Lange, où le niveau d’enseignement est exigeant. Sous l’attention vigilante de sa mère, il s’avère un élève vif et studieux, particulièrement habile pour les activités manuelles, et notamment le travail du bois.

ÉDUCATION En 1872, il intègre le prestigieux Johanneum, lycée fondé en 1529 par Johannes Bugenhagen, [1485-1558], célèbre réformateur allemand et proche collaborateur de Martin Luther. Heinrich a alors 15 ans, et son esprit en éveil développe une multitude de talents. Il montre ainsi un intérêt prononcé pour les langues, et s’initie avec enthousiasme à l’arabe et au sanskrit. Il étudie également le dessin technique sous la férule d’un professeur particulier. Il obtient, sans surprise, son Abitur avec mention en 1875. Doué pour à peu près tout, il doit trancher entre deux cursus plutôt opposés : celui, à forte dominante théorique, qui ouvre sur une carrière académique ou celui, nettement plus appliqué, qui mène à l’industrie. Après y avoir mûrement réfléchi, il opte pour un cycle d’ingénieur en BTP, et s’inscrit à Francfort. Il y suit une formation pratique, et se prépare aux concours d’état. Mais très vite, le rythme et l’environnement de travail du secteur privé lui pèsent. Il se sent à l’étroit, enfermé dans une aventure individuelle. Il se prend à penser qu’il a choisi le mauvais cursus. Pour autant, il hésite à l’interrompre et à perdre le temps déjà investi. Toujours indécis, il s’inscrit en 1876 à la Königlich-Sächsisches Polytechnikum de Dresde. Mais il n’y reste qu’une courte période, avant d’intégrer le régiment du rail pour un service militaire d’un an. Puis, reprise du cycle d’ingénieur… Il faut cependant que ce jeu de yoyo cesse. Hertz sait désormais qu’il veut, par-dessus tout, mener une existence de chercheur scientifique, symbole pour lui d’un idéal d’apprentissage et de savoir. Il lui reste à convaincre son père, qui finance ses études, de le soutenir dans son projet de réorientation. Retour à Hambourg et plaidoyer enflammé auprès du barrister qui, convaincu par sa ferveur et son enthousiasme, valide le choix de son fils. 55

LES EXPÉRIENCES FONDATRICES

Hertz s’inscrit à la München Universität en 1877 et se met à jour en mathématiques, complétant la formation plus sommaire qu’il a reçue dans son cursus d’ingénieur. Son professeur Von Jolly [1809-1884] lui conseille la lecture de Lagrange, Laplace et Poisson… La beauté extraordinairement efficace des mathématiques le séduit immédiatement, mais Hertz est déjà intimement, et restera tout au long de sa carrière, un physicien convaincu.

NOUVEAU DÉPART L’année suivante il s’inscrit à Berlin, où il suit les cours de Helmholtz [1821-1894] et Kirchhoff [1824-1887]. C’est une révélation, qui confirme ce qu’il sait déjà : il est désormais dans le bon cursus. Conscient d’avoir déjà trop perdu de temps, il veut s’impliquer sans attendre dans un projet de recherche, et décide de concourir au prix de la Faculté de Philosophie pour l’étude expérimentale de l’inertie électrique. Helmholtz perçoit l’enthousiasme, en même temps que l’énorme potentiel technique et scientifique du jeune homme, et accepte de l’introniser : il l’héberge dans une salle de l’Institut de Physique, et le guide dans ses recherches bibliographiques… Sous la férule attentive de ce maître de la physique, Hertz fait un travail remarquable et remporte la médaille d’or en 1879. Helmholtz lui propose, dans la foulée, de concourir au prix de l’Académie des sciences de Berlin : il s’agit de concevoir une expérience permettant de vérifier la théorie de Maxwell [1831-1879] selon laquelle la lumière serait une onde électromagnétique. Bien que tenté, Hertz n’est pas encore prêt à s’embarquer dans un projet de plusieurs années. Mais, on le verra, Helmholtz a réussi l’essentiel : il a planté la graine de l’idée et elle a commencé sa germination dans l’esprit fertile de Hertz. Dans l’immédiat, Hertz souhaite plutôt passer un doctorat : il rédige en quelques mois une étude théorique de l’induction, Über die Induction in rotirenden Kugeln, qu’il soutient publiquement en février 1880. Il devient ensuite l’assistant de Helmholtz ; c’est un poste qu’il occupe pendant trois années particulièrement productives. Il publie beaucoup, et propose quelques innovations comme de nouveaux ampère-mètre et hygromètre. En 1883, désireux de faire progresser sa carrière, mais 56

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HEINRICH RUDOLF HERTZ

intimidé par la rude concurrence locale, Hertz décide de quitter le havre protecteur de l’Institut de physique et la proximité stimulante de son mentor. Bien qu’expérimentateur dans l’âme, il se porte candidat à une position de privatdozent en physique théorique (une discipline alors en plein essor dans les universités allemandes) à la Christian-AlbrechtsUniversität de Kiel. Puissamment parrainé par Helmholtz, il obtient le poste sans difficulté.

L’ENSEIGNEMENT En quittant Berlin pour Kiel, Hertz perd l’accès aux formidables moyens techniques et technologiques de l’Institut de Physique. Le sevrage expérimental est rude. Mais Hertz a également plus de temps libre et il donne toute la mesure de son talent d’enseignant. En 1884, il fait sa première incursion dans la théorie de Maxwell et les ondes électromagnétiques : il publie un papier qui marque sa conversion aux concepts de la théorie des champs ; c’est un vrai changement de paradigme. Mais il ne reste que deux ans à Kiel. En 1885, il accepte un poste à la Technische Hochschule de Karlsruhe, comme assistant du futur prix Nobel Karl Ferdinand Braun [1850-1918] qui dirige un laboratoire parfaitement équipé, et adapté aux recherches expérimentales les plus poussées. Sa vie privée prend un tournant : il fréquente Elizabeth Doll, la fille d’un collègue, et l’épouse en juillet 1886. Ils auront deux enfants, Johanna et Mathilde. Après une période de réflexion, longue et parfois pénible, Hertz choisit de traiter (enfin !) le problème que lui a soufflé Helmholtz 7 ans plus tôt : vérifier par l’expérience la théorie de Maxwell, selon laquelle la lumière est une onde électromagnétique. Par bien des aspects, ce travail se place dans la continuité de son papier théorique de 1884. Chronique d’un formidable tour de force scientifique : le 13 novembre 1886, il réalise la première liaison sans fil à l’aide d’ondes électromagnétiques dans l’air ; il montre que la vitesse de ces ondes est celle de la lumière ; il établit qu’elles obéissent aux lois de la réflexion et de la réfraction ; il montre enfin, en 1888, que la lumière est elle-même une onde électromagnétique décrite par les équations de Maxwell. Et ce n’est pas tout : en 1887, Hertz 57

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découvre également l’effet photoélectrique, par lequel une plaque de métal éclairée émet des électrons – une découverte qui jouera un rôle central dans la théorie des quantas de lumière d’Einstein. Mais la portée de ses travaux lui échappe. S’il a révolutionné notre perception de la théorie de Maxwell, il n’a pas su prévoir les applications de ses découvertes ; c’est en effet au génie pratique de Marconi [18741937] et de Braun que l’on doit la télégraphie sans fil.

ULTIMA VERBA À 31 ans à peine, sa notoriété est telle que les offres de chaire affluent de toute l’Allemagne : Giessen, la grande ville universitaire du Land de Hesse ; Berlin, en remplacement de Kirchhoff ; et enfin Bonn, à la chaire de Clausius [1822-1888]. En décembre 1888, il cède au charme de Bonn, et d’une charge légère qui lui garantit une liberté d’agenda… Et de fait, le rythme est tranquille : il a le temps de réfléchir. Il approfondit la théorie de Maxwell dans deux papiers, et projette une clarté conceptuelle inédite et particulièrement féconde sur la propagation des ondes électromagnétiques. Ses travaux lui valent la prestigieuse médaille Rumford de la Royal Society de Londres en 1890. Depuis quelques années, Hertz souffre de sérieux problèmes de santé. Une douleur persistante aux dents et dans tout le système oto-rhinolaryngologique, présente dès 1888, atteint en 1892 un niveau tel qu’il doit interrompre toute activité. Un traitement particulièrement lourd lui apporte un soulagement passager en 1893. Il reprend alors courageusement ses cours et achève le manuscrit de son livre Die Prinzipien der Mechanik qu’il envoie à son éditeur le 3 décembre. Mais une récidive le foudroie peu après : il décède d’une septicémie le 1er janvier 1894 à Bonn, à l’âge de 37 ans, et est inhumé à Hambourg, sa ville natale. Pour en savoir plus Susskind C., Heinrich Hertz: a Short Life (San Francisco Press, 1995).

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Albert Abraham Michelson DATES CLÉS 19 déc. 1852 Naissance à Strelno, Prusse orientale 1878 Mesure de la vitesse de la lumière 1881 Interféromètre de Michelson 1887 Expérience de Michelson-Morley 1907 Prix Nobel de Physique 1921 Mesure du diamètre de Bételgeuse 1923 Gold Medal de la Royal Astronomical Society 9 mai 1931 Mort à Pasadena, Californie, États-Unis

Célèbre pour son interféromètre, ainsi que pour son expérience avec Morley sur l’existence de l’éther et sa mesure précise de la vitesse de la lumière, Albert A. Michelson est le premier Américain à recevoir le prix Nobel en Sciences.

A

lbert Abraham Michelson naît le 19 décembre 1852 à Strelno, un village de la Province de Posnanie en Prusse orientale, rebaptisé Strzelno et rattaché à la Pologne actuelle en 1945. Il a 2 ans lorsque ses parents, Samuel et Rozalia, née Przylubski, décident d’émigrer aux ÉtatsUnis d’Amérique. Après New-York, ils poursuivent leur route vers la ville minière de Murphy’s Camp en Californie, puis s’établissent à Virginia City dans le Nevada où ils installent un commerce prospère. Le jeune Albert va à l’école publique : au collège à Virginia City d’abord, puis au Lycée à San Francisco, où il est hébergé par sa tante Henriette Michelson Levy.

FORMATION En 1869, il passe le concours pour l’US Naval Academy d’Annapolis : arrivé second, il parvient néanmoins à intégrer l’Academy sur, semblet-il, nomination du Président Ulysses S. Grant. Il en sort en 1873, féru de climatologie et d’optique. Il a 21 ans. Deux ans plus tard, après un périple 59

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en mer des Caraïbes, il obtient le grade d’instructeur en sciences sous les ordres de l’Admiral Sampson [1840–1902]. On peut presque parler de vocation : sa démarche est rare car la science ne paie pas, et attire peu, dans l’Amérique flamboyante et matérialiste du Gilded Age (âge d’or de la fin du XIXe siècle). Albert Michelson épouse Margaret Heminway à la Nouvelle-Rochelle en 1877. En 1879, il est nommé au Nautical Almanac Office à Washington. Il n’y reste qu’un an, car il demande et obtient la permission de poursuivre ses études en Europe. Car entretemps, il a découvert ce qui deviendra le fil conducteur de ses travaux et reste son grand-œuvre : la mesure de la vitesse de la lumière. Cette entreprise combine deux talents, qu’il a en gestation et qui vont définitivement s’épanouir : l’instrumentation ingénieuse et l’expérimentation de précision.

VITESSE DE LA LUMIÈRE En effet, en 1877, alors qu’il est un jeune instructeur dans la Navy, Michelson doit, à la demande de son chef de département, démarrer l’année de cours par la mesure de la vitesse de la lumière en reprenant la célèbre expérience de Léon Foucault [1819-1868], basée sur l’utilisation d’un miroir tournant. Au cours des préparatifs Michelson réalise qu’en collimatant le faisceau utile, il peut allonger le parcours optique et donc améliorer la mesure de Foucault – l’améliorer largement. Mais il lui faut des optiques de très haute qualité ; donc de l’argent, qu’il obtient de son beau-père : celui-ci fait un don (princier !) de 2 000 dollars. Fort de cette manne, et d’un instinct inné d’opticien, Michelson fait une première tentative en 1878. C’est un succès. Ces travaux attirent l’attention du directeur du Nautical Almanac Office, l’astronome Simon Newcomb [1835-1909] qui songeait à une expérience similaire. La convergence d’intérêt est manifeste : dès 1879 Michelson rejoint Newcomb à Washington. Le maître canalise la fougue du jeune chercheur ; de leurs discussions naît un cadre scientifique ambitieux : déterminer la cinétique du mouvement de la Terre dans l’éther, et par ricochet démontrer l’existence de l’éther. Car c’est alors un fait unanimement admis et les modèles physiques l’exigent : tout, y 60

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ALBERT ABRAHAM MICHELSON

compris la lumière, se meut dans l’éther, cette substance mystérieuse et rigoureusement immobile, jamais observée et pourtant emplissant tout l’univers. Pour cela, Michelson imagine un interféromètre inédit, sensible par construction au mouvement de la Terre dans l’éther. L’idée est d’une grande élégance : en comparant, avec suffisamment de précision, la vitesse de la lumière selon deux axes orthogonaux, dont l’un est parallèle à la direction de rotation de la Terre, on doit pouvoir établir la preuve que l’éther existe. Certes c’est une preuve qui, pour beaucoup, ne serait que la simple confirmation de modèles déjà largement éprouvés et confirmés par l’expérience ; une preuve qui passerait presque pour une formalité liée à un progrès des techniques de mesure. Mais que l’on ne s’y trompe pas : cette preuve, la communauté scientifique tout entière l’attend – sans angoisse ni impatience, mais fermement. Cependant ce projet nécessite un savoir-faire et une expertise qu’il ne possède pas encore. Michelson doit compléter sa formation scientifique encore trop naïve, notamment en optique. Sur le conseil de Newcomb, il embarque en 1880 pour l’Europe. Il se rend d’abord à l’université de Berlin, puis au Collège de France et à l’École Polytechnique à Paris.

L’INTERFÉROMÈTRE DE MICHELSON C’est en 1881, dans le laboratoire de Hermann von Helmholtz [1821– 1894] à Berlin qu’il construit son premier interféromètre. Fébrilement il procède aux réglages, se place d’abord en teinte plate, positionne ensuite son interféromètre selon les axes de mouvement. Mais rien ; il n’observe aucune frange d’interférence… Comment conclure ? Impossible de soupçonner l’éther. Sans doute, oui sans doute son instrument n’est-il pas assez précis pour être sensible à la vitesse de la terre. Alors, le perfectionner et refaire la mesure. En 1882, Michelson rentre aux États-Unis et démissionne de la Navy. Il est nommé Professeur de physique en 1883 à la Case School of Applied Science, à Cleveland dans l’Ohio. Il y rencontre Edward W. Morley [18381923], chimiste réputé et expérimentateur talentueux. Leur collaboration est l’une des plus fertiles de l’histoire des sciences. Pendant 5 ans, 61

LES EXPÉRIENCES FONDATRICES

Michelson et Morley conçoivent et mettent au point des interféromètres, de plus en plus robustes, stables et d’une incroyable finesse, autrement plus précis que celui de Berlin. Las ! Aucune tentative n’aboutit, quelle que soit la configuration choisie, quelle que soit la position de l’appareil par rapport au mouvement de la Terre. En 1887 enfin c’est l’expérience ultime, dite de Michelson-Morley, avec un instrument de très haute précision et entre deux instants espacés de 6 mois. Mais encore une fois, c’est un non-résultat : aucune mesure ne permet de mettre en évidence le mouvement de la Terre dans l’éther. C’est néanmoins loin d’être un échec. D’abord, Michelson reçoit la Rumford Prize en 1888 pour ses travaux. Ensuite, force est de constater que peu de non-résultats furent aussi pertinents, et eurent un écho aussi retentissant dans la communauté scientifique internationale. Car enfin, voici ce que ces mesures signifient : la vitesse de la lumière ajoutée à une autre vitesse (celle de la Terre) reste égale à la vitesse de la lumière. Une conclusion totalement incompatible avec la toute-puissante physique newtonnienne – du moins si l’on tient à conserver le concept d’éther. Pourtant, aucun doute n’est permis sur les résultats : l’expérience de Michelson-Morley est irréprochable. Alors le doute change de camp, s’insinue dans les esprits… Vite, les théoriciens se raccrochent aux branches. George FitzGerald [1851-1901] et Hendrik Lorentz [1853– 1928] proposent leur fameuse loi de contraction des longueurs. Henri Poincaré [1854-1912] pose les équations des transformations de Lorentz et formalise mathématiquement le concept de relativité des distances. Mais tous conservent jalousement l’idée d’un éther omniprésent… Or il fallait plus, une refonte des sciences, rien moins que la théorie de la relativité émise en 1905 par Albert Einstein [1879–1955] pour réconcilier la physique avec les observations expérimentales – et sonner le glas du concept d’éther. Une révolution, donc ; dans laquelle Michelson a joué un rôle de premier plan. Son talent expérimental, sa persévérance, son perfectionnisme quasi-maniaque, voilà les différentes facettes de sa contribution. Il reçoit le prix Nobel de Physique en 1907. Mais sa quête de la précision ultime ne s’arrêtera pas, jamais. Ses tentatives et ses mesures, seul ou en collaboration, seront encore nombreuses. 62

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ALBERT ABRAHAM MICHELSON

LE MÈTRE ET L’ASTRONOMIE En 1890, Michelson quitte la Case School pour Clark University, et s’installe à Worcester dans le Massachusetts. Quelques années plus tôt, en 1887, il avait proposé d’utiliser un interféromètre optique pour mesurer les longueurs. L’idée est séduisante : à la demande du Comité international des poids et mesures, et en collaboration avec J.-R. Benoît, il exprime la valeur du mètre étalon en longueurs d’onde de la raie rouge du cadmium. Les mesures de 1906 par Charles Fabry [1867-1945] et Alfred Perot [1863-1925], confirment ses résultats. En 1892, il rejoint la toute jeune University of Chicago, où il est nommé Professeur et Chef du Département de physique. En 1899, il épouse Edna Stanton en secondes noces. En 1914 c’est la guerre ; Michelson réintègre la Navy ; il y reste 4 ans. En retournant à la vie civile en 1918, il s’investit dans l’astronomie. En 1921, en collaboration avec Francis G. Pease [1881– 1938], il s’inspire de la technique de synthèse d’ouverture imaginée par Hippolyte Fizeau [1819–1896] et utilise son interféromètre pour déterminer le diamètre apparent de l’étoile supergéante Bételgeuse. C’est une première, et quelle première : personne avant eux n’avait mesuré, avec précision, le diamètre d’une autre étoile que le soleil. Ces travaux leur valent la Gold Medal de la Royal Astronomical Society en 1923. LES HONNEURS Michelson est fait membre ou fellow de pratiquement toutes les sociétés savantes de physique, en Amérique comme en Europe, parmi lesquelles la Royal Society de Londres qui lui décerne la Copley Medal en1907 ; la Royal Astronomical Society ; l’Académie Française ; le Franklin Institute qui lui attribue la Elliot Cresson Medal en 1912 et la Franklin Medal en 1923… Il est élu président de l’American Physical Society en 1900, et de la National Academy of Sciences de 1923 à 1927. Michelson conserve jusqu’au bout le goût de l’instrumentation et la passion du travail expérimental. Il meurt en pleine campagne de mesures, à Pasadena en Californie, à 78 ans. Pour en savoir plus Livingston D.M., The Master of Light: A Biography of Albert A. Michelson (Chicago Press, 1973).

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Maurice Paul Auguste Charles Fabry DATES CLÉS 11 juin 1867 1904 1918

Naissance à Marseille, France Professeur de physique à Marseille Rumford medal de la Royal Society 1919-1945 Directeur général de l’Institut d’optique 1921-1937 Chaire de Physique générale à la Sorbonne 1926 Professeur à l’École Polytechnique 1927 Élu à l’Académie des sciences 11 déc. 1945 Mort à Paris, France

Inséparable d’Alfred Perot dans la culture de tous les opticiens, Charles Fabry fut un brillant théoricien et un pédagogue vénéré. Nommé premier directeur de l’Institut d’optique à sa création en 1919, il a également participé en 1937 à la fondation de la société REOSC.

C

harles Fabry naît le 11 juin 1867 à Marseille. Sa famille est originaire de Bourg Saint Andeol, en Ardèche, qu’elle quitte au XVIIIe siècle. Son grand-père Auguste est un ancien élève de l’École Polytechnique, où il est formé en physique par André-Marie Ampère. Mais en 1816, sous la Restauration, Auguste refuse de renier ses convictions républicaines et il est expulsé de l’école ; il reste désormais à l’écart des sciences et techniques. Son fils Charles épouse Marie Estrangin, une jeune fille issue d’une auguste famille Marseillaise, étroitement apparentée à celle du poète Edmond Rostand. Leurs enfants suivent des carrières prestigieuses. Auguste, l’aîné, est procureur à Caen, puis conseiller municipal et président de chambre à la Cour de Cassation. Les cadets, Eugène, Louis et Charles, comme leur grand-père, font leurs classes à l’École Polytechnique. Eugène, passionné de mathématiques, 64

SOUS LA LUMIÈRE, LES HOMMES

MAURICE PAUL AUGUSTE CHARLES FABRY

devient Professeur à l’université de Marseille, puis de Montpellier. Louis, l’astronome, est membre correspondant de l’Académie des sciences de Paris… Mais revenons à Charles. Très jeune, presque par tradition familiale, il montre un intérêt prononcé pour les sciences. En 1886, âgé de 18 ans, il intègre l’École Polytechnique. Deux ans plus tard, il retourne à Marseille pour passer son agrégation de physique, qu’il obtient en 1889. Il enseigne ensuite à Pau, Nevers, Bordeaux, Marseille, et enfin au Lycée Saint-Louis de Paris. En parallèle, il prépare une thèse sur la théorie de la visibilité et de l’orientation des franges d’interférences. C’est un sujet traité dès 1831 par George Biddell Airy [1801–1892], mais Fabry y apporte une profondeur et un degré de compréhension inédits. Ses travaux de thèse recèlent ainsi des pépites d’originalité et d’inventivité : il développe notamment le lien entre le facteur de réflexion des lames et le contraste des franges, une notion essentielle qui est au cœur de l’interféromètre qui portera son nom. Il obtient sa thèse en 1892, et est nommé en 1894 maître de conférences à la faculté des sciences de Marseille, où il rejoint l’équipe de Jules Macé de Lépinay. Il enseigne en 1re année de médecine. Brillant pédagogue, il rencontre un vif succès auprès des carabins. Il reste 30 ans à la faculté de Marseille, et y mène une grande part de ses travaux de recherche. En 1904, il est nommé à la chaire de physique industrielle et suscite un engouement rare auprès de ses auditeurs.

LA RENCONTRE D’ALFRED PEROT Mais c’est en optique, surtout, que Fabry excelle. Dès son arrivée à Marseille, il noue une collaboration étroite avec Alfred Perot : ensemble, ils mettent au point un interféromètre à ondes multiples basé sur un modèle théorique de Fabry. Voici comment Fabry décrit le début de l’histoire : Le sujet sur lequel nous commençâmes à travailler m’est venu, en partie par hasard, suite à une réflexion sur un problème électrique. Un jeune physicien qui travaillait avec moi, souhaitait étudier la décharge entre des surfaces métalliques séparées par de très courtes distances, de l’ordre du micron ou moins ; il me consulta sur la méthode 65

LES EXPÉRIENCES FONDATRICES

qu’il pourrait employer pour mesurer des longueurs aussi faibles. […] J’ai immédiatement pensé que les méthodes interférentielles seraient les seules capables de fournir la sensibilité requise. L’idée me vint qu’il serait aisé de résoudre le problème pour peu qu’il fût possible d’observer les interférences produites à travers le métal, et pour cela il suffisait d’utiliser des lames de verre très légèrement argentées. Un premier essai montra que c’était faisable ; je fus immédiatement saisi par l’apparence singulière des franges d’interférences, sous la forme de lignes très fines, et qui montraient, au niveau de la 500e frange, la raie double du sodium, que les méthodes usuelles ne parvenaient pas à résoudre. […] La haute réflectivité des surfaces argentées était évidemment la cause du phénomène. Avec Perot, nous avons tout de suite débuté l’étude des franges produites par des films d’argent, et beaucoup d’autres applications suivirent… Le développement de l’interféromètre s’étend sur la période de 1896 à 1898. Ils l’exploitent conjointement jusqu’en 1902 pour des applications de métrologie, de spectroscopie et d’astrophysique, qu’ils synthétisent en une quinzaine d’articles sur cette même période. Puis, Perot quitte Marseille pour Paris en 1901. Fabry poursuit alors ses travaux avec Henri Buisson : ensemble ils vérifient en 1912 l’élargissement Doppler des raies d’émission de He, Ne et K ; et surtout ils sont en 1913 les premiers à démontrer que l’ozone est responsable de l’absorption des ultraviolets par les couches supérieures de l’atmosphère terrestre – découverte qui les rendra célèbres, plus encore que l’invention de l’interféromètre. Fabry conserve longtemps son intérêt pour cette problématique, et il organise en 1929 le premier congrès international dédié à l’ozone atmosphérique.

LES HONNEURS Fabry quitte à son tour Marseille pour Paris. En 1919, il est le premier Directeur général de l’Institut d’optique, et en 1921 il devient titulaire d’une chaire de Physique générale à la Sorbonne. En 1926, il est nommé Professeur à l’École Polytechnique, en remplacement de son vieil ami et collègue Alfred Perot, décédé l’année précédente. 66

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MAURICE PAUL AUGUSTE CHARLES FABRY

Charles Fabry est l’auteur de 14 ouvrages de physique, de près de 200 articles scientifiques et d’une centaine de notes et d’articles de vulgarisation. Brillant pédagogue et orateur, capable de s’adresser avec le même impact et la même clarté à un parterre d’étudiants en science, d’ingénieurs ou de techniciens, Fabry est un ardent et actif partisan de la diffusion des sciences. Il connaît d’innombrables anecdotes, et en use volontiers lors de ses interventions pour éclairer les passages les plus obscurs de ses cours. Il parvient ainsi à susciter l’intérêt constant et fidèle, voire l’engouement de ses élèves. Voici une anecdote que rapportent plusieurs témoins, et qui est particulièrement illustrative : Fabry donne un cours de physique une fois par semaine, le mercredi à 21 h. L’amphithéâtre est vaste, et pourtant chaque mercredi soir le scénario se répète à l’identique : dès 20 h 30, devant l’affluence déferlante, ses assistants doivent fermer les portes de l’amphithéâtre bondé et en interdire l’accès au flot d’auditeurs qui se pressent encore à l’entrée – un phénomène, quand on y pense, plus courant à l’Olympia que dans les facs. Charles Fabry laisse l’image d’un homme de bon jugement, très charismatique, avec un instinct infaillible pour la formule juste et un sens inné de l’humour. Ces qualités lui valent de faire partie de plusieurs comités scientifiques en France bien sûr, mais aussi partout dans le monde. Ses travaux lui apportent une reconnaissance internationale : il reçoit la Rumford Medal de la Royal Society de Londres en 1918 ; la Henry Draper Medal de la National Academy des États-Unis en 1919 ; la Benjamin Franklin Medal du Franklin Institute en 1921. Enfin, en 1927, la reconnaissance suprême : il est élu à l’Académie des sciences par une écrasante majorité. En 1937, il fonde avec Henri Chrétien, Georges Guadet et André Bayle la société REOSC. Il est nommé Président d’honneur de la Société française de photographie de 1935 à 1937, succédant à Georges Perrier. Puis c’est la guerre. En 1940, Fabry fuit la France occupée. Il quitte Paris et s’installe à St-Cyr-sur-Mer, près de Marseille. Il y poursuit ses travaux en optique, dans le cadre de l’effort de guerre. A la libération, il est de nouveau dans la capitale. Mais sa santé est défaillante. Il décède peu après, le 11 décembre 1945, au terme d’une vie, selon ses propres mots, « dévouée à la science et à l’enseignement ». 67

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OPTICIEN ET ASTROPHYSICIEN Six ans plus tard, dans Savants et découvertes, Louis de Broglie écrit à propos de Charles Fabry : Avant lui, une sorte de cloison étanche séparait les travaux des astronomes de ceux des physiciens ; il sut renverser cette barrière et ce physicien Marseillais sut établir une liaison durable entre deux grandes sciences qui ne peuvent s’ignorer. Unificateur dans l’âme, pédagogue de génie, orateur charismatique, opticien, physicien et astrophysicien, Charles Fabry apparaît comme un des piliers de l’optique française, au même titre qu’Augustin Fresnel ou Etienne Malus, et il fut l’un des premiers, des plus fervents et actifs traits d’union entre la physique céleste et la physique terrestre. Ou, dit autrement : entre le ciel et la terre. Pour en savoir plus Lecomte J., Arnulf A., Vassy E., Charles Fabry, Appl. Opt. 12 (6), 1117-1125 (1973).

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Jean-Baptiste Alfred Perot DATES CLÉS 3 nov. 1863 1901-08

Naissance à Metz, France Directeur du Laboratoire d’Essais du Conservatoire des arts et métiers (Paris) 1908 Astronome-Physicien à l’Observatoire de Meudon 1909 Professeur à l’École Polytechnique 1918 Rumfold Medal de la Royal Society de Londres (avec Charles Fabry) 28 nov. 1925 Mort à Paris, France

Physicien français, renommé pour ses travaux en optique et leur application en astronomie, il est surtout connu pour son invention, avec son collègue Charles Fabry, de l’interféromètre de Fabry-Perot.

A

lfred Perot est né à Metz, le 3 Novembre 1863, d’une famille aristocratique de militaires. Après une scolarité sereine près de Nancy, il intègre l’École Polytechnique en 1881. Il en sort en 1884, soit un an avant que son futur binôme Charles Fabry n’y entre à son tour. Perot retourne alors à Nancy, et rejoint l’équipe de René Prosper Blondot [1849-1930], célèbre pour la découverte des fameux rayons N (N comme Nancy), à l’origine d’une petite controverse au début du XXe siècle1. Perot y mène des travaux de thèse « sur la mesure des volumes spécifiques des vapeurs saturantes, et mesure de l’équivalent mécanique de la chaleur ». Il mesure ainsi toutes les constantes thermodynamiques,

1. J.J. Thomson écrivit à leur propos : « aucun physicien anglais, allemand ou américain n’est jamais parvenu à les reproduire, alors qu’en France elles semblent universellement connues ».

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et utilise l’équation de Clapeyron pour déterminer l’équivalent mécanique de la calorie. Les résultats de son modèle sont en parfait accord avec les plus belles expériences de Joule et Rowland. Pour cette confirmation élégante des lois fondamentales de la thermodynamique, il obtient le titre de Docteur ès sciences de l’université de Paris en 1888.

LA COLLABORATION AVEC CHARLES FABRY Il est ensuite nommé Maître de conférences à l’université de Marseille, et démarre des recherches sur l’électricité industrielle. Il publie quelques articles sur les ondes électromagnétiques découvertes par Heinrich Hertz. Très vite, il devient un expert pour l’industrie électrique bourgeonnante, et il est nommé Professeur d’Électricité industrielle en 1894. C’est à cette époque que démarre sa collaboration fructueuse avec Charles Fabry, jeune docteur fraîchement arrivé de Paris, qui « revoit encore Perot au début de sa carrière scientifique, avec son inlassable activité, son esprit

Modèle original de l’interféromètre de Fabry-Perot1.

1. Cette photo est un original de Ch. Fabry et A. Perot paru dans le volume 16 des Annales de Chimie et Physique (page 122, année 1899). Propriété de Masson Éditeur et Gauthier-Villars, Paris.

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JEAN-BAPTISTE ALFRED PEROT

ouvert, son exceptionnelle habileté de travailleur manuel, construisant de ses mains les appareils nécessaires à ses recherches, communiquant son feu sacré à ceux qui l’entouraient ». C’est là aussi, à la faculté des sciences située à l’angle des Allées de Meilhan, que naît l’interféromètre qui porte leurs noms et les rendra célèbres. Tant que durera leur tandem, de 1894 à 1902, les tâches sont bien séparées : Fabry tient le rôle du théoricien qui fait les calculs et construit les modèles, tandis que Perot est l’expérimentateur doué, qui réussit des prouesses techniques pour la conception et la construction des instruments de haute précision nécessaires à leurs recherches. Le succès expérimental de leur premier interféromètre doit beaucoup à l’habileté et au talent mécanique de Perot. Comme l’écrit J.M. Vaughan [3], « pour les instrumentalistes modernes, le plus surprenant doit être, concernant le premier interféromètre de Fabry-Perot, qu’il permettait d’explorer les franges jusque des ordres très élevés, qu’il autorisait aussi bien le déplacement grossier que le contrôle fin de la distance entre les miroirs, la possibilité de changer rapidement cette distance tout en maintenant un parallélisme correct, et enfin qu’il présentait une bonne résistance aux vibrations ». Fabry et Perot ont constamment amélioré leur interféromètre, et l’ont très rapidement utilisé pour des expériences d’astrophysique. Ils ont ainsi mis en évidence de petites erreurs systématiques dans les travaux de Kayser et Runge (1888) et dans ceux de Rowland (1901) sur le spectre solaire. L’interféromètre de Fabry-Perot, plus précis que les réseaux de Rowland utilisés auparavant, a montré que les mesures précédentes étaient trop grandes d’un facteur 1,000 030 à 1,000 037 sur l’ensemble du spectre. La conjonction des travaux de Rowland, Perot et Fabry fournit donc une connaissance extrêmement précise du spectre visible du soleil – une performance, saluée avec enthousiasme par l’ensemble de la communauté scientifique contemporaine. Le tandem ne s’arrêtera pas là : avec Henri Buisson [1873-1944], ils déterminent expérimentalement les valeurs précises des longueurs d’onde de plusieurs raies spectrales caractéristiques, qui mèneront plus tard au système international des longueurs d’onde standard. Avec ces mesures, il devient définitivement clair que le Fabry-Perot supplante en précision tous les autres interféromètres, aussi bien ceux basés sur des réseaux de diffraction que le 71

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Michelson lui-même. Il devient très vite l’instrument de prédilection pour toute expérience de haute précision sur les mesures de spectre, que ce soit pour les sources de laboratoire, les étoiles ou les galaxies.

DES ARTS ET MÉTIERS À L’OBSERVATOIRE DE MEUDON En 1901, Perot est chargé de créer le Laboratoire d’Essais du Conservatoire des arts et métiers de Paris, dont il devient le premier Directeur. Malgré l’énorme poids des responsabilités administratives inhérentes à cette fonction, il parvient à maintenir une activité scientifique de haut niveau (mesure de pressions, mesure de la résistance de matériaux, détermination du mètre en longueurs d’onde). Il démissionne en 1908 pour un poste d’astronome-physicien à l’Observatoire de Meudon. En 1909, il est nommé Professeur à l’École Polytechnique, où il succède à Henri Becquerel [1852–1908]. Il consacre désormais son activité de recherche à l’étude de la physique du soleil, et utilise notamment le Fabry-Perot pour la mesure des déplacements Doppler dans le spectre solaire. Pendant la Grande Guerre, il assure l’intérim de Deslandres à la tête de l’Observatoire de Meudon. Il s’intéresse alors, sous les ordres du général Ferrié, aux problèmes de communication. Dans le cadre de travaux sur le télégraphe, il acquiert une profonde connaissance de la triode dont il imagine une série d’applications scientifiques ingénieuses. Après la guerre, Perot reprend ses activités sur la spectroscopie solaire : il apporte notamment la première preuve expérimentale du décalage spectral des raies solaires prévu par la théorie de la relativité générale. En 1918, il reçoit, en partage avec Charles Fabry, la prestigieuse Rumford Medal de la Royal Society de Londres. Il subit une opération chirurgicale en 1923, qui affectera sa santé de manière irréversible, mais sans jamais entamer sa boulimie d’activité et d’expérimentation. Il décède le 28 novembre 1925, à l’âge de 62 ans, à son domicile parisien. Dans le duo peu ordinaire qu’il forme avec Fabry, Alfred Perot laisse l’image d’un alliage rare, à la fois esprit brillant et expérimentateur manuel surdoué. Si l’Histoire lui fait la part (légèrement) moins belle et moins familière que celle de son collègue et ami, c’est certainement dû, 72

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JEAN-BAPTISTE ALFRED PEROT

en partie au moins et de l’aveu même de Fabry [2], à sa répugnance à quitter sa famille et la France pour assister ou participer à des congrès et conférences à l’étranger. Mais si Perot rechignait à voyager, son interféromètre, lui, a fait le tour du monde.

POST-SCRIPTUM : PÉROT OU PEROT ? Alfred Perot signait Pérot, mais l’orthographe « officielle » – c’est-à-dire celle mentionnée sur l’acte de naissance – ne comportait pas d’accent. Nous retenons donc cette orthographe. Pour en savoir plus Fabry C., Alfred Perot, Astrophys. J. 64, 208-214 (1926). Mulligan J.F., Who were Fabry and Perot?, Am. J. Phys. 66 (9), 797-791 (1998).

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David Brewster DATES CLÉS 11 déc. 1781 Naissance à Jedburgh, Écosse 1807 Éditeur de l’Edinburgh Encyclopaedia 1815 Membre de la Royal Society of London Copley Medal pour l’Effet Brewster Invention du kaléidoscope 1818 Rumford Medal pour ses travaux sur la polarisation 1832 Chevalier de l’ordre royal de Guelph 1849 Membre associé de l’Institut de France 10 février 1868 Mort à Allerly, Écosse

Physicien, écrivain et inventeur Écossais, David Brewster est reconnu comme le premier biographe scientifique de Newton. L’invention du kaléidoscope et la découverte de l’Effet Brewster de polarisation de la lumière par réflexion lui valent une notoriété éternelle.

D

avid Brewster naît le 11 décembre 1781 à Jedburgh, une petite ville d’Écosse, de l’union de Margaret Key et James Brewster. Très tôt son père, professeur réputé et directeur de la Grammar School, identifie le potentiel du jeune David qui montre, comme ses frères mais avec plus de force encore, de grandes capacités et absorbe avec aisance l’enseignement qu’on lui dispense. La mort de sa mère en 1790 ne semble pas perturber son essor intellectuel. Esprit précoce, curieux de tout et prédisposé pour les sciences, le garçon profite largement du cadre familial, riche en livres et propice à l’apprentissage du savoir. Également habile de ses mains, il construit un télescope à l’âge de 10 ans. Très vite, son père l’oriente vers une carrière ecclésiastique, alors synonyme de prestige, et l’envoie en 1793 étudier la théologie à l’université d’Edimbourgh.

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DAVID BREWSTER

PREMIERS PAS Étudiant brillant, David Brewster attire l’attention de ses professeurs de mathématiques et de philosophie, qui l’admettent dans l’intimité de leur cercle. Son goût pour les sciences dites naturelles s’épanouit au contact de James Veitch [1771-1838], philosophe fameux, astronome et mathématicien autodidacte, qui s’est fait une spécialité de fabriquer des télescopes. Avec Henry Brougham [1778-1868], un camarade de promotion, Brewster étudie la diffraction de la lumière et publie ses premiers travaux dans les Philosophical Transactions of London. À 19 ans, il obtient un Master of Arts et tout à la fois sa licence de théologie qui l’autorise à prêcher. Toutefois, son premier passage en chaire devant un parterre de fidèles est un désastre : intimidé par les regards levés vers lui et par le timbre de sa voix qui lui revient en écho, il perd ses moyens et bafouille lamentablement… C’est plus qu’un trac de débutant ; le traumatisme est si fort que Brewster décide de ne plus y retourner. Désormais, il se consacre à l’optique et au développement d’instruments scientifiques. Pendant 12 ans, il mène une série d’expériences sur les cristaux biaxes et la diffraction de la lumière qu’il synthétise en 1813 dans A Treatise Upon New Philosophical Instruments. Mais de l’autre côté du Channel, il y a Malus [1775-1812], il y a Fresnel [1788-1827]… quel challenge ! C’est une concurrence féconde et audacieuse qui courtcircuite parfois l’originalité de ses découvertes. Il n’empêche, Brewster parvient à se distinguer et ses travaux sur les relations entre polarisation et réfraction éveillent immédiatement l’intérêt de la communauté scientifique. Par ailleurs il contribue depuis 1799 à l’Edinburgh Magazine, et avec un tel talent qu’il en devient éditeur à 20 ans.

JOURNALISME SCIENTIFIQUE Ses travaux et la qualité de ses recherches lui valent en 1807 le titre honorifique de Doctor of Laws de l’University of Aberdeen, la plus haute distinction universitaire à cette époque. C’est une reconnaissance véritablement exceptionnelle, habituellement réservée à des personnalités nettement plus âgées, et qui consacre définitivement la précocité scientifique et intellectuelle de Brewster. En 1808, il est nommé fellow de 75

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la Royal Society of Edinburgh. En 1810, il épouse Juliet McPherson ; le couple, uni jusqu’à la mort de Juliet en 1850, aura cinq enfants. En 1807, Brewster devient l’éditeur de l’Edinburgh Encyclopædia, une entreprise gigantesque qui démarre à peine. C’est une charge qu’il assume pendant un quart de siècle, avec rigueur et un constant souci de l’excellence. La vaste section scientifique y est de qualité et Brewster signe plusieurs articles, parmi les plus remarqués. Plus tard, il contribuera également à l’Encyclopædia Britannica (7e et 8e éditions). Cette activité d’édition et d’écriture s’avère souvent féconde. En rédigeant un papier sur les « instruments ardents », Brewster découvre la lentille à échelons de Buffon [1707-1788]. L’ingénieux, mais irréaliste, dispositif imaginé par Buffon lui inspire un concept de lentille, qu’il décrit dès 1812, formée d’anneaux prismatiques juxtaposés. Notons que c’est une idée similaire qui guide Fresnel dans la mise au point, quelques années plus tard, de son propre système dioptrique, la lentille de Fresnel, qui équipe aujourd’hui les phares partout dans le monde. En 1819, Brewster et Jameson [1774-1854] transforment l’Edinburgh Magazine en Edinburgh Philosophical Journal qu’ils co-éditent jusqu’en 1824, date à laquelle Brewster fonde l’Edinburgh Journal of Science… Brewster, dont la plume est recherchée et qui contribue régulièrement à tous les journaux qu’il édite, laisse ainsi une œuvre monumentale, et peu commune, de plus de 2000 articles scientifiques. Son grand œuvre est sa biographie de Newton, le fameux Memoirs of the Life, Writings and Discoveries of Sir Isaac Newton paru en 1835 et qui est le résultat d’une enquête minutieuse parmi les archives du grand homme.

LE KALÉIDOSCOPE Brewster brevette le kaléidoscope en 1815. Peu d’inventions entrèrent si vite en résonance avec le public. Une véritable mania s’empare de toutes les classes d’âge, dans tous les milieux, de part et d’autre de l’Atlantique, et chacun réclame sa machine à images. Toutefois, une erreur lors du dépôt de brevet prive Brewster de royalties sur les centaines de milliers de kaléidoscopes qui sont fabriqués et écoulés. Mais 1815 reste une année faste : il est élu membre de la Royal Society of London et reçoit la Copley 76

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DAVID BREWSTER

Medal pour la découverte de l’effet de polarisation par réflexion qui porte aujourd’hui son nom. En 1816, sa découverte est saluée par l’Institut de France qui lui attribue un prix de 1500 francs. Le nom de Brewster est également associé au stéréoscope. Pourtant il ne l’a pas inventé – seulement perfectionné. En effet le concept du stéréoscope est dû en 1838 à Wheatstone [1802-1875] qui en propose cependant une version peu pratique, utilisant un encombrant jeu de miroirs pour recombiner les images stéréoscopiques. Dix ans plus tard, Brewster a l’idée ingénieuse de remplacer les miroirs par des lentilles : l’instrument, considérablement simplifié et plus maniable, prend alors l’aspect que nous lui connaissons et se popularise.

LES HONNEURS Ses travaux sur la polarisation de la lumière lui valent la Rumford Medal en 1818 et la Royal Medal en 1830. En 1825, il est élu correspondant de l’Institut de France pour la section de physique générale. Il en devient membre associé en 1849, une position rare et prestigieuse. Les académies royales de Prusse, Russie, Suède et Danemark lui attribuent leurs plus hautes distinctions, et lui ouvrent ainsi des liens avec les autres grands esprits d’Europe. Éditeur scientifique renommé, Brewster est également un homme d’influence. La célèbre British Association for the Advancement of Science, qui vise à promouvoir l’ouverture à la science et la communication entre scientifiques, est fondée en 1831 à son initiative ; il en devient président en 1849. En 1832, il est fait chevalier de l’ordre royal de Guelph par William IV. Il atteint enfin une aisance financière en 1838, lorsqu’il devient Master de l’United College à l’University of St Andrews. En 1859, il est élu à l’unanimité Principal de l’University of Edinburgh, une charge qu’il assume jusqu’à sa mort. La mort de sa femme Juliet en 1850 le laisse désemparé. Quelques années plus tard, âgé de 75 ans, il épouse en secondes noces Jane Purnel, qui s’avère une compagne dévouée et lui donne une fille. Les années qui suivent restent très actives. En 1864, il est nommé Président de la Royal Society of Edinburgh. 77

LES EXPÉRIENCES FONDATRICES

Ses contemporains gardent l’image d’un homme intègre, au tempérament ardent. Inventeur et expérimentateur inspiré, Brewster est peu intéressé par la formalisation des phénomènes : les lois qu’il établit sont avant tout empiriques, ce qui le distingue de Fresnel ou Young [17731829]. Une attaque de pneumonie l’emporte le 10 février 1868 à Allerly. Il est inhumé à Melrose Abbey.

Pour en savoir plus Gordon M.M. (née Brewster), The Home Life of Sir David Brewster (Ed. D. Douglas, 1881).

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Johannes Kepler DATES CLÉS 27 déc. 1571 1601 1609 1611 1619 1627 15 nov. 1630

Naissance à Weil der Stadt, Allemagne Mathematicus impérial à Prague Deux premières lois de Kepler Publie les Dioptricae 3e loi dans l’Harmonie du Monde Publie les Tables Rodolphines Mort à Regensburg, Allemagne

Mathématicien et astronome germanique, Johannes Kepler est surtout connu pour avoir découvert les lois qui régissent le mouvement des planètes, et qui portent aujourd’hui son nom. Ses tables astronomiques, combinant les observations méticuleuses de Tycho Brahe et ses propres prévisions théoriques, comptent parmi les plus durablement précises jamais établies : elles ont servi de socle stable à la théorie copernicienne face au modèle, alors unanimement admis, d’un univers géocentrique. Atteint d’une vue déficiente qui l’empêche de mener un travail expérimental original, il s’impose néanmoins comme une grande figure de l’optique dont il revisite les concepts fondamentaux : il propose notamment une approche mathématique efficace qui étaye les premières observations à la lunette de Galilée.

J

ohannes Kepler naît dans une famille modeste de Weil der Stadt le 27 décembre 1571. Son père, Heinrich Kepler, est mercenaire dans l’armée du duc de Wurtemberg. Sa mère Catherine est fille d’aubergiste ; elle fabrique occasionnellement des potions médicinales qui lui font une réputation de guérisseuse. Johannes est un garçon de faible constitution, né prématuré. À 3 ans, il contracte une vérole qui manque l’emporter et lui laisse des séquelles sévères, dont une vue fortement affaiblie et des mains déformées. 81

LES ASTRONOMES VISIONNAIRES

Les Kepler, d’obédience protestante luthérienne, vivent en paix au sein du catholique Saint-Empire romain germanique, sous le règne du tolérant Maximilien II. Ils déménagent à Leonberg, près de Stuttgart, en 1576 et y ouvrent une auberge. À 9 ans, le jeune Johannes s’émerveille avec son père de l’éclipse du 31 janvier 1580 et de l’apparente diminution de la taille de la lune quand elle passe devant le soleil. C’est un épisode qui le marque ; il y reviendra plus tard. Il fréquente à cette époque l’école latine de Leonberg. À partir de 1583, il entre au séminaire protestant d’Adelberg, et enfin au séminaire supérieur de Maulbronn. En 1589, son père prend de nouveau les armes. Il ne reviendra plus. Cette même année, Johannes entre au célèbre séminaire évangélique Stift de l’université de Tübingen, fondé en 1536 à l’intention des étudiants du Bade-Wurtemberg qui se destinent au ministère pastoral ou à l’enseignement. La voie semble donc tracée vers l’ordination… Pourtant, Kepler n’est pas réellement en accord avec le courant de pensée luthérien tel qu’il fut rédigé en 1530 dans la confession d’Augsbourg et qui prévaut alors à Tübingen. Au Stift, il étudie la philosophie, la philologie, le grec (nécessaire à la compréhension des textes anciens), et surtout les mathématiques sous la férule de l’astronome Michael Maestlin [1550-1631]. Kepler est un étudiant brillant et un esprit ouvert ; Maestlin décide de l’initier à la théorie héliocentrique de Nicolas Copernic [1473-1543]. C’est littéralement un acte hors-la-loi, dans un monde dominé par l’église et le modèle géocentrique de Claude Ptolémée [vers 90-vers 168] qui place la Terre au centre du monde. Mais les arguments de son professeur sont probants, la démarche intellectuelle séduisante : Kepler devient un copernicien convaincu. Bien sûr, cette nouvelle position est peu compatible avec la charge de pasteur… Kepler abandonne alors ses études en théologie et accepte un poste de professeur de mathématiques à l’école protestante de Graz en 1594. Il également devient l’astrologue de l’archiduc Ferdinand de Habsbourg.

PREMIERS TRAVAUX MATHÉMATIQUES Kepler se marie le 27 avril 1597, avec Barbara Müller ; c’est un mariage d’amour, organisé par ses proches. Paysanne au caractère fort, elle lui 82

SOUS LA LUMIÈRE, LES HOMMES

JOHANNES KEPLER

donne trois enfants et s’occupe avec ferveur et efficacité de son foyer. Mais la mort de leur fils Friedrich, victime de la peste Hongroise à l’âge de 7 ans, l’anéantit. Elle se suicidera un an plus tard, en 1612. Sur le plan scientifique, Kepler ne tarde pas à affirmer ses positions. Il réunit ses premières réflexions sur le mouvement des planètes et l’organisation de l’univers dans le Mystère Cosmographique, un ouvrage paru en 1596 et qui le place d’emblée à l’avant-garde des astronomes de son temps. Brillant et passionné, parfois d’une naïveté émouvante, ce livre est rien de moins que le premier plaidoyer convaincant pour la théorie copernicienne. Il constitue également l’acte fondateur d’une nouvelle science : l’astrophysique, car à la différence notable de ses contemporains, Kepler s’intéresse à l’étude des causes qui régissent l’organisation des planètes. Kepler y propose notamment un modèle du système solaire basé sur des polyèdres réguliers. Il imagine une « âme » qui attire les corps inertes vers le Soleil et induit le mouvement des planètes. Il tente même de

Modèle du système solaire selon Kepler.

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LES ASTRONOMES VISIONNAIRES

la décrire par une loi mathématique liant la période de révolution des planètes à leur distance au soleil. Magnifique intuition, mais basée sur des concepts erronés d’optique et de dynamique… Non décidément, ce n’est pas assez mûr. Il lui faudra encore 20 ans d’effort et de réflexion pour comprendre et établir l’Harmonie du Monde.

MATHEMATICUS IMPÉRIAL La théorie des solides emboîtés permet à Kepler, alors obscur professeur de mathématiques à Graz, d’entrer en contact avec ses déjà illustres contemporains : Tycho Brahe [1546-1601], astronome danois qui a fait construire le fameux Uraniborg (littéralement Palais des Cieux), probablement le plus important observatoire d’Europe de l’époque ; et plus tard Galilée [1564-1642]. Tycho Brahe occupe depuis 1599 la charge de mathematicus impérial à la cour de Rodolphe II à Prague. Séduit par le Mystère Cosmographique, il invite Kepler à le rejoindre. C’est une proposition extraordinaire, et qui tombe à pic : en effet les tensions religieuses, vives depuis la mort de Maximilien II en 1576, se sont récemment accrues à Graz. Protestant peu toléré, savant poursuivi pour ses idées coperniciennes, Johannes Kepler doit s’exiler. Il se réfugie à Prague en 1600, et devient l’assistant mathématicien de Tycho Brahe. Celui-ci se débat depuis quelques années déjà avec l’inextricable mystère de l’orbite de mars. Il dispose, grâce à Uraniborg, d’observations astronomiques à la fois fiables, précises et complètes, mais ne parvient pas à les exploiter. Or Kepler, le bigleux incapable d’observations, est un extraordinaire manipulateur de chiffres. Il se prend immédiatement au jeu et poursuit l’effort même après la mort de Brahe en 1601, lorsqu’il lui succède comme mathematicus impérial. Notons en passant que c’est une position rare, qu’il occupe jusqu’en 1612 et qui offre des privilèges inespérés au fils de l’aubergiste et du mercenaire. Mais revenons à l’orbite de mars, car ce n’est pas une mince affaire. Qu’en est-il précisément ? Pour l’astronomie classique, celle en laquelle croit encore Kepler mais qu’il s’apprête à révolutionner, les orbites des planètes sont circulaires, et il suffit donc de quelques observations pour 84

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JOHANNES KEPLER

en déterminer tous les paramètres. Grâce aux données pléthoriques amassées par Tycho Brahe, il peut calculer plusieurs jeux de paramètres et les affiner à l’envi. Bref, pour Kepler, c’est a priori un travail simple et banal, quelques feuillets à noircir, l’histoire de quelques mois tout au plus. Pourtant mars lui résiste – elle résiste même bien, six longues années. De toute évidence, l’orbite de mars n’est pas circulaire. Kepler, coincé comme tous alors dans les modèles antiques, enraciné dans les certitudes astronomiques de son époque, doit déployer des trésors d’imagination et d’audace intellectuelle. Il laisse vagabonder son esprit, hésite, s’enhardit, doute – confirme enfin ce que son intuition lui souffle : mars la rouge suit une trajectoire elliptique, dont le soleil est un foyer. Mieux encore : le rayon qui relie mars au Soleil balaie des aires égales pendant des durées égales ; cette aire peut donc être utilisée comme une mesure du temps. En étudiant l’orbite des autres planètes du système solaire, il prouve l’universalité de ce que l’on appelle désormais les première et deuxième Lois de Kepler, qu’il publie dans l’Astronomie Nouvelle en 1609. Il est impossible de dire l’importance inouïe de cette découverte ; qu’on songe simplement qu’Isaac Newton a déduit, par le calcul, la loi de l’attraction gravitationnelle à partir des lois de Kepler. Kepler vient d’entrer, de plein pied, au Panthéon des génies de l’humanité.

L’OPTIQUE Pendant sa bataille avec mars, Kepler prend conscience de l’importance de maîtriser les concepts et phénomènes optiques pour ses travaux astronomiques. C’est une culture que n’avait pas son maître Maestlin, et qu’il se forge seul en étudiant notamment les œuvres de l’anglais Roger Bacon et de l’arabe Al Haytham. Il publie Astronomia pars Optica en 1604, dans lequel il propose la première étude mathématique de la camera obscura et de la réfraction dont il donne la loi i = n × r (limite aux petits angles de la loi de Descartes-Snell). Il s’intéresse aussi au mécanisme de la vision, et soutient l’hypothèse d’une formation des images sur la rétine… Ce premier livre sur l’optique est essentiellement une synthèse des connaissances de l’époque, présentées sous un angle étonnamment moderne, dans un objectif pratique : servir ses travaux d’astronomie. Son second 85

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ouvrage Dioptricae, paru en 1611, est plus original. Il y établit la théorie des lentilles et de leurs combinaisons, et explique notamment le fonctionnement de la lunette avec laquelle Galilée vient de découvrir les satellites de Jupiter, et dont il pressent le formidable potentiel pour l’astronomie. Kepler passe ainsi dix années paisibles et scientifiquement très productives à Prague, dans une position confortable et prestigieuse. Sa situation se dégrade brutalement en 1611 avec, successivement, la mort de son fils Friedrich ; le suicide de sa femme Barbara ; l’abdication de son protecteur, l’empereur Rodolphe II, pour son frère Matthias… De plus, ses prises de position scientifiques, par ailleurs si fertiles et solidement étayées, sont suspectes aux yeux de l’église et lui valent d’être excommunié en 1612. Pour mille raisons, l’air de Prague lui devient irrespirable. Kepler doit quitter la capitale de l’empire. Il s’installe à Linz, en Autriche. Veuf depuis peu, l’ex-mathematicus impérial est un bon parti et devient un homme courtisé. Il épouse en secondes noces Susanne Reuttinger, la fille de l’hôtelier de la ville voisine d’Eferding, avec qui il a sept enfants. C’est un mariage heureux. Détail amusant et signe de son insatiable curiosité d’esprit, Kepler remarque en achetant le vin pour son repas de noces que les volumes des tonneaux sont estimés selon une méthode archaïque et grossièrement trompeuse (déduction du volume à partir de la mesure de la diagonale). Il s’intéresse alors aux solides de révolution, dont il calcule le volume par la méthode des indivisibles (un précurseur du calcul infinitésimal), et publie ses résultats dans Nova Stereometria Doliorum vinarorum en 1615. Cette même année, sa mère Catherine, aubergiste à Leonberg et qui prépare occasionnellement des potions de guérisseuse pour les habitantes de son quartier, est accusée de sorcellerie. C’est une charge grave, qui peut lui valoir le bûcher. Johannes Kepler doit intervenir : le procès dure six longues années au cours desquelles Catherine, âgée de 70 ans, passe plusieurs mois en prison à Güglingen. Finalement reconnue innocente, elle est relaxée en 1621.

L’HARMONIE DU MONDE Malgré son exil à Linz, Kepler reste avant tout un astronome. Son œuvre contient en filigrane la conviction profonde que l’Univers est 86

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JOHANNES KEPLER

soumis à des lois harmoniques. Cette foi en une Harmonie du Monde (le titre du livre qu’il publie en 1619 et dans lequel il attribue aux planètes un thème musical) le conduit à la découverte – tellement improbable, tellement troublante, tellement fantastique – de sa troisième loi, selon laquelle le carré de la période de révolution de chaque planète autour du soleil est proportionnel au cube du demi-grand axe de sa trajectoire elliptique. Un moment d’intuition et de découverte si intense qu’il en fixe, avec une émotion vibrante, la mémoire dans l’énoncé de sa loi. Le calcul des tables astronomiques fait partie intégrante de la charge d’astronome, ou de mathematicus impérial. Kepler s’en est toujours acquitté ; pour autant, c’est une tache fastidieuse et laborieuse. Les logarithmes inventés par John Neper [1550-1617] en 1614 sont un soulagement pour toute la confrérie, mais ils restent mystérieux, donc d’une fiabilité douteuse. Convaincu pour sa part par ce nouvel outil, et en réponse au scepticisme railleur de son ancien maître Maestlin, Kepler s’emploie à expliquer leur fonctionnement et démontre leur pertinence mathématique dans Chilias logarithmorum. Il améliore la méthode de calcul de Neper, et établit une nouvelle table de logarithmes par une méthode géométrique. En 1627, Kepler publie à Ulm son œuvre maîtresse, les Tables Rodolphines, qui font magnifiquement la synthèse de son travail de mathématicien et d’astronome, et des observations de Tycho Brahe. Ces tables, fait rare et remarquable dans la connaissance mouvante des choses célestes, restent exactes pendant plusieurs décennies – confirmant avec éclat l’exactitude des lois de Kepler, et la pertinence du modèle copernicien.

ULTIMA VERBA Kepler meurt le 15 novembre 1630, à l’âge de 59 ans, d’une courte maladie. Il est enterré dans la ville de Regensburg (Bavière) mais en 1632, durant la guerre de Trente Ans, l’armée suédoise détruit sa tombe. Ses manuscrits, retrouvés en 1773 et récupérés par Catherine II de Russie, se trouvent aujourd’hui à l’observatoire de Pulkovo à Saint-Pétersbourg. 87

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On imagine mal aujourd’hui le parcours de ces savants, grands esprits audacieux, caractères courageux et trempés, fins politologues, qui ont fait la science que nous pratiquons et bâti le monde que nous connaissons. Kepler en est : il a révolutionné notre vision de l’univers, et initié un élan qui nous entraine encore aujourd’hui dans notre course folle autour du Soleil, parmi les étoiles, au cœur de la galaxie. Pour en savoir plus Luminet J.-P., L’œil de Galilée (Édition J.-C. Lattès, 2009).

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Jean Bernard Léon Foucault DATES CLÉS 18 sept. 1819 Naissance à Paris, France 1845 Premier daguerréotype du Soleil 1851 Expérience du pendule 1852 Invention du gyroscope 1855 Nomination comme physicien de l’Observatoire de Paris Exposition universelle (présentation du pendule entretenu) 1857 Télescope à miroir de verre argenté 1865 Élection à l’Académie des sciences 11 février 1868 Mort à Paris, France

Foucault est surtout connu pour l’expérience du pendule, qui démontra la rotation de la Terre autour de son axe. Mais il détermina aussi la vitesse de la lumière, inventa le gyroscope et la photomicrographie, et apporta une contribution majeure à la fabrication des miroirs de télescope.

L

éon Foucault naît à Paris le samedi 18 septembre 1819, dans une famille d’origine bretonne, dont l’histoire est liée à la ville de Nantes et à la lointaine colonie de Saint-Domingue. Son père, Jean Léon Fortuné Foucault, est libraire et s’est illustré en publiant une collection de recueils sur l’histoire de France. Sa mère, Aimée Nicole Lepetit, est d’une famille qui a également des liens avec Saint-Domingue. Clin d’œil de l’histoire, le petit Léon est baptisé à l’église paroissiale de Saint-Étienne du Mont, à quelques pas à peine du Panthéon, à quelques dizaines d’années de son rendez-vous avec l’Histoire. En 1830, l’industrie du livre est en crise, la santé du père est fragile : il prend une retraite anticipée, et toute la famille s’installe à Nantes. Mais sa santé ne s’améliore pas : il souffre d’une maladie mentale, ses crises 89

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passagères se transforment en pathologie sérieuse, on lui retire la tutelle de ses biens en 1834. Il décèdera cinq ans plus tard. Fort heureusement, Aimée Foucault est une femme de tête. C’est elle qui gère les affaires de la famille, elle qui maintient leur univers à flot. Léon est en pleine adolescence… Sa mère décide de revenir à Paris : elle installe sa famille dans une maison au croisement de la rue de Vaugirard et de la rue d’Assas. Cette maison existe toujours, le passant averti peut la reconnaître à une plaque commémorative. Comment le jeune Léon a-t-il bien pu vivre cet épisode ? L’interdiction de son père, sa folie, sa mort… Mal, probablement. Il lui en restera des séquelles, qui surgiront plus tard.

UNE NATURE LENTE… De constitution fragile dès l’enfance, le petit Léon a un caractère froid et renfermé. Inscrit au prestigieux Collège Stanislas, il ne laisse pas une bonne impression. Ses professeurs le trouvent paresseux, lent : de toute évidence, le rythme scolaire ne lui convient pas. Mais sa mère ne baisse pas les bras : puisqu’il a besoin d’aller à son rythme, son éducation se fera désormais majoritairement à la maison, sous la direction de précepteurs particuliers. C’est probablement à Stanislas que Léon noue une amitié précieuse avec Fizeau [1819-1896]. Ils garderont un contact continu, et entretiendront une collaboration scientifique fructueuse pendant leur vie adulte. Pourtant le jeune Léon, s’il ne brille pas au collège, montre d’autres talents : il a ainsi un don pour fabriquer des jouets et des engins, dont certains sont d’une réelle complexité. Adolescent, il fabrique une machine à vapeur et un télégraphe. Devant son habileté, sa dextérité même, sa mère rêve pour lui d’une carrière de chirurgien. En 1839, ayant obtenu un bac ès sciences physiques, Léon s’inscrit à la faculté de médecine de Paris. D’abord ses progrès sont bons, et il attire l’attention de son professeur Donné [1801-1878], spécialiste de la microscopie médicale. Mais la vue du sang lui retourne les sens ; la première fois, devant un patient à l’hôpital, le carabin s’évanouit. Toutes ses tentatives pour contrer cette défaillance échouent. Dans ces conditions, impossible de poursuivre : 90

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JEAN BERNARD LÉON FOUCAULT

Léon interrompt donc ses études de médecine. Mais il ne quitte pas pour autant le monde médical car Donné, qui a remarqué son don pour l’expérimentation, lui propose un poste. Pendant trois ans, Foucault l’assistera pour ses conférences sur l’anatomie microscopique.

… MAIS UN EXPÉRIMENTATEUR DOUÉ C’est le grand tournant dans la vie de Foucault : désormais, ce sera la physique. Il suit les conférences de Daguerre [1787-1851] sur sa méthode photographique, et connaît son premier coup de foudre scientifique. Son ami Fizeau, ancien carabin comme lui, également reconverti à la physique, est là aussi, brûlant de la même fièvre. Désormais, ils y passent leurs week-ends, testent, expérimentent, photographient. Et échangent des astuces. Il faut dire que la technique est encore balbutiante… Foucault propose en 1843 une méthode pour nettoyer et polir les plaques qui servent de support aux daguerréotypes. Avec Donné, il applique la photographie à la microscopie et invente le microscopedaguerréotype, utilisant comme source de lumière le soleil renvoyé par un héliostat. Les 80 photomicrographies réalisées (malgré un été épouvantable où le soleil se fait rare) sont reproduites par gravure dans l’Atlas du Cours de Microscopie qu’ils publient en 1845. Avec Fizeau, il mène une série d’expériences photométriques, comparant la lumière de diverses lampes électriques (carbone dans la lampe à arc, chaux dans la flamme du chalumeau oxyhydrique) à celle du soleil. À force d’ingéniosité, ils mettent au point un microscope photoélectrique. Voilà qui permet d’oublier l’épisode pénible de l’été 1844 : désormais, ils peuvent prendre des photomicrographies même dans l’obscurité studieuse d’un amphithéâtre !

PREMIERS SUCCÈS La suite de la carrière de Foucault n’est qu’une succession ininterrompue de réussites scientifiques. Toujours avec Fizeau, il parvient à réduire considérablement (à 10 secondes, un exploit !) le temps de pose du daguerréotype en 91

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sensibilisant la plaque au brome. Leur travail attire l’attention d’Arago [1786-1853] qui propose une image audacieuse : le 2 avril 1845, ils réalisent la première photographie du Soleil sur daguerréotype, révélant ainsi l’existence de taches solaires. Cette même année, Donné, qui était jusque-là rédacteur en chef de la section scientifique du Journal des Débats, se retire et passe la main à Foucault. La manœuvre est pour le moins suicidaire : c’est alors un journal de grand tirage et qui fait référence ; Foucault a 25 ans à peine, et absolument aucune expérience de ce métier ; c’est un parfait inconnu, il n’a rien publié, rien découvert ; toute erreur de jugement serait fatale. En est-il conscient ?… Imperturbable, semble-t-il, il s’applique à faire ce travail avec sérieux et rigueur, il fait preuve de fermeté dans ses décisions. Son style plaît. Le succès est total. Après l’aventure de la photographie du soleil, Arago décide de confier à Foucault et Fizeau d’autres expériences pour l’Académie des sciences. Reprenant la méthode du miroir tournant de Sir Wheatstone [18021875], il leur propose de mesurer la vitesse de la lumière dans l’eau. L’enjeu est de taille : en effet, à cette époque, le vieux débat sur la nature (ondulatoire ou corpusculaire) de la lumière n’est pas encore tranché. Or si sa vitesse est inférieure dans un milieu plus dense (comme l’eau par rapport à l’air), c’est la théorie ondulatoire qui l’emporte. Foucault et Fizeau acceptent. Mais une dispute les sépare peu après, et chacun décide alors de poursuivre seul ses travaux, l’un à l’observatoire, l’autre à son domicile de la Rue d’Assas. Dans cette course à la performance Foucault, aidé de Froment [1815-1865], est le premier à obtenir un résultat. Le 27 avril 1850, la nouvelle tombe. C’est un coup de tonnerre : la lumière va moins vite dans l’eau ; la lumière est donc une onde. La même année, Foucault est fait Chevalier de la Légion d’Honneur.

LE PENDULE L’autre grande réalisation de Foucault pend encore du toit du musée des arts et métiers. En janvier 1851, avec Froment, il parvient à mettre au point une rotule parfaitement équilibrée. Il y suspend un pendule qui peut donc se balancer sans résistance dans toutes les directions. Il 92

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fait ainsi la première démonstration de la rotation de la Terre dans sa cave. Enthousiaste, Arago l’incite à la reproduire à une plus vaste échelle. D’abord à l’Observatoire de Paris, sur une invitation qu’il libelle ainsi : « Vous êtes invités à venir voir la Terre tourner, demain de 2 h à 3 h… ». Ensuite au Panthéon. Dès lors, la nouvelle se propage comme une trainée de poudre. Qu’on imagine, près de 40 pendules de Foucault sont installés aux États-Unis avant le mois de juillet de cette même année… Dans la foulée, Foucault établit, sans démonstration, sa loi en sinus : T = 24/ sinθ, qui donne le temps (en heures) que met le pendule à revenir à sa position originale, en fonction de la latitude θ du point d’expérimentation. L’engouement, l’effervescence autour du pendule sont tels que Binet propose une démonstration de cette loi moins de deux semaines plus tard. Pourtant, l’interprétation de l’expérience du pendule reste mystérieuse pour nombre d’observateurs de l’époque (et d’aujourd’hui aussi, probablement). Foucault a alors une autre idée, plus intuitive, pour démontrer la rotation de la Terre : en 1852, il invente le gyroscope, dont l’utilité ne prendra toute son ampleur qu’un siècle plus tard, avec l’essor des techniques aérospatiales.

FOUCAULT À L’OBSERVATOIRE Malgré ses succès scientifiques, Foucault n’a toujours pas la reconnaissance de ses pairs. Son seul poste officiel est celui qu’il occupe au Journal des Débats. Le coup d’État de 1851 change totalement la donne : Napoléon III apprécie son travail et décide de le soutenir (don de 10 000 Francs). Foucault obtient son doctorat ès sciences physiques en 1853. En 1855, Napoléon III lui crée le poste de Physicien attaché à l’Observatoire de Paris. La même année, son pendule est présenté à l’Exposition universelle, et déchaine l’engouement qu’on imagine. Napoléon III s’engage dès lors à financer toutes ses expériences futures. Les contributions de Foucault à l’astronomie et à l’optique sont fameuses. Avant lui, les miroirs de télescope étaient en bronze, réfléchissaient mal la lumière et se ternissaient rapidement. Ainsi, ils devaient 93

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régulièrement être entièrement repolis. Foucault imagine d’utiliser la technique du chimiste allemand von Liebig [1803-1873] pour mettre au point des miroirs de verre recouvert d’argent. Et fait un pas de géant vers les télescopes modernes, allant jusqu’à construire des miroirs de 80cm de diamètre… Pour contrôler les défauts optiques de ses miroirs, il invente quelques tests optiques (dont le « couteau » de Foucault) qui font désormais partie du savoir-faire de tout homme de l’art. Quant aux défauts impossibles à corriger, comme la flexion des grands miroirs sous leur propre poids, il a le coup de génie de l’optique adaptative : en plaçant ces miroirs sur des coussins que l’observateur peut gonfler à volonté, il invente une solution qui permet de corriger, en temps réel, les déformations mécaniques. C’est aussi à cette époque qu’il réalise une mesure de la vitesse de la lumière, dont la précision (moins de 0,5 %) et l’exactitude confortent définitivement son grand talent d’expérimentateur.

LA CONSÉCRATION Les honneurs pleuvent désormais, à torrents. En 1862, il est fait Officier de la Légion d’Honneur, et est élu au Bureau des longitudes. En 1864, il est nommé fellow de la Royal Society de Londres. Il devient membre de l’Académie des sciences naturelles Leopoldina. En 1865, enfin, il entre à l’Académie des sciences. En 1868, Léon Foucault, qui a manipulé le mercure toute sa vie, ressent des picotements aux mains : ses doigts si habiles s’engourdissent peu à peu, malgré tout le soin que leur apporte sa mère. La sclérose en plaques progresse inexorablement et l’emporte le 11 février 1868. Foucault est enterré au cimetière de Montmartre. L’œuvre qu’il laisse est, à plus d’un titre, originale et féconde. On pourrait également dire : éclectique, tant il a su toucher avec talent à divers domaines des sciences physiques. Original, fécond, éclectique : rarement, ces qualificatifs ont pu s’appliquer simultanément au travail d’un seul homme. Pour en savoir plus Tobin W., Léon Foucault (EDP Sciences, 2002).

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Joseph von Fraunhofer DATES CLÉS 6 mars 1787 1814 1819 1821 1823 7 juin 1826

Naissance à Straubing, Bavière, Allemagne Invention du spectromètre Premier objectif achromatique Premier réseau de diffraction, composé de 260 fentes parallèles Académie des Sciences Bavaroise (chaire de physique) Mort à Munich, Bavière, Allemagne

Fraunhofer était probablement le fabricant de lentilles le plus talentueux de son temps. Bien que d’une formation très modeste, il dédia sa vie à la réalisation d’instruments optiques d’une qualité alors inégalée ; il créa des télescopes et des prismes de très grande clarté ; il mit au point le premier spectroscope pour étudier les raies du spectre visible du soleil ; il inventa le premier réseau de diffraction…

UNE ENFANCE CHAOTIQUE Joseph Fraunhofer nait à Straubing, en Bavière, le 6 mars 1787, dernier d’une famille de onze enfants. Son père, Franz Xaver Fraunhofer, est un verrier aux revenus modestes, et ne peut assumer les frais d’une scolarité longue. Le jeune Joseph, bien que bon élève, ne fréquente l’école que jusqu’à ses 10 ans, âge auquel il rejoint la fabrique paternelle. Mais il y reste peu de temps, car son père meurt l’année d’après. Fraunhofer débute alors un apprentissage chez un tourneur sur bois, mais le travail est dur et Joseph pas assez robuste. Très vite, il quitte son premier maître pour un fabricant de miroirs, Philippe Anton Weichelsberger, installé à Munich. Le verrier est un maître sévère, dur à l’ouvrage et privilégiant le travail manuel. Inconscient du formidable potentiel du jeune apprenti, il lui interdit toute lecture, et le prive de l’étude à l’école du dimanche. Pourtant, Fraunhofer s’entête : avec ses 95

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premiers sous, il s’achète un livre de géométrie élémentaire qu’il étudie pendant son temps libre. En 1801, plus précisément le 21 juillet, tout bascule. Ce jour-là, la maison du fabricant de lentilles s’écroule, ensevelissant Fraunhofer sous les décombres. Bien qu’indemne, le jeune homme ne peut se libérer seul. Un attroupement se forme. Des secours s’organisent. Parmi eux, quelques personnalités influentes : le Prince, celui qui deviendra Maximilien Ier Joseph, Roi de Bavière ; et également Joseph von Utzschneider [17631840], un politicien qu’on retrouvera plus tard. Ce jour qui commence mal est finalement un jour de chance, car le Prince lui offre une bourse – autrement dit la liberté : le jeune homme achète un peu de temps libre et quelques livres d’optique. Surtout, il obtient de son maître le droit d’aller à l’école du Dimanche. Quatre ans passent ainsi. En octobre 1804, Fraunhofer profite du déménagement de l’atelier du maître Weichselberger pour s’émanciper et rompre son contrat d’apprenti. Suit une période creuse de deux ans : il rejoint Joseph Niggl, qui lui apprend à moudre des lentilles ; il gagne (mal) sa vie en imprimant des cartes de visite ; il peine à payer ses études… En 1806, à court d’argent, il retourne chez son ancien maître Weichselberger, cette fois comme journalier. C’est à cette époque qu’intervient le deuxième personnage, Joseph von Utzschneider : il a quitté la politique, et a investi récemment dans la Mathematisch-Mechanische Institut, une célèbre fabrique d’instruments scientifiques. Il demande à un moine bénédictin, Ulrich Schiegg [17521810], alors professeur de mathématiques et d’astronomie à l’Académie des sciences bavaroise, de tester le potentiel de Fraunhofer. Le moine interroge, examine… et confirme enfin le talent prometteur du jeune opticien. Le 19 mai 1806, Fraunhofer quitte, cette fois définitivement, l’atelier du maître Weichselberger. Il est embauché comme opticien à la Mathematisch-Mechanische Institut.

L’APPRENTISSAGE DU VERRE Un an plus tard, Fraunhofer et son équipe sont transférés à Benediktbeuern, où Utzschneider installe le nouvel Institut d’optique. 96

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JOSEPH VON FRAUNHOFER

C’est là, dans ce monastère bénédictin où l’on fabrique du verre depuis des siècles, que Fraunhofer révèle tout son talent de verrier, fabriquant des verres optiques (avec l’aide du talentueux Pierre Louis Guinand [1748-1824], qui maîtrise l’art du verre sans bulle), des lentilles et des prismes d’une qualité et d’une clarté jamais obtenue auparavant. Il met également au point des techniques performantes de contrôle des optiques. Très vite, sa réputation s’établit, son nom devient célèbre dans le petit monde des astronomes. En 1812, Fraunhofer s’absorbe tout entier dans la mise au point d’objectifs achromatiques pour les télescopes. Il fait alors sa première, et sa plus importante, découverte. Pour vérifier la qualité de ses instruments, il a coutume d’observer l’image d’une fente fine éclairée par une bougie. Un jour (pour quelle raison ? l’Histoire semble l’avoir oubliée…), utilisant le soleil comme source plutôt que la bougie, il remarque des raies sombres dans le spectre ; des raies qui ne sont pas dans le spectre de la bougie ; des raies que n’a pas vues Isaac Newton [1643-1727] car il observait la lumière du soleil à travers un trou circulaire ; des raies du même genre que celles observées par William Hyde Wollaston [17661828] quelques années auparavant, mais Wollaston n’en a relevé que 7… alors que Fraunhofer en dénombre plus de 500 ! Il mesure précisément la position de 324 raies, et identifie les raies les plus marquées avec des lettres selon une nomenclature encore en vigueur aujourd’hui. Il va jusqu’à noter et commenter la coïncidence de la raie D du soleil avec celle d’une flamme de son atelier, dont on sait aujourd’hui qu’elle est due au sodium. En 1814, Fraunhofer utilise un spectroscope pour examiner le spectre de diverses sources lumineuses. Il découvre qu’à chaque matériau, lorsqu’il est porté à incandescence, correspond une série de raies spécifiques dans le spectre visible. Travaillant d’arrache-pied, Fraunhofer parvient avec son spectroscope à classer et à identifier les longueurs d’onde des 574 raies du spectre solaire. Il présente ses découvertes à l’Académie des sciences de Bavière le 12 avril 1817, qui les publie la même année. D’autres publications suivront… En 1819, Fraunhofer met au point son premier objectif achromatique en combinant deux types de verre, selon une architecture qui, 97

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avec quelques modifications mineures, est encore utilisée aujourd’hui. Il fabrique également, à la demande du Tsar Alexandre, une lentille de 244 mm pour l’Observatoire russe de Dorpat, grâce à laquelle l’astronome Friedrich Georg Wilhelm von Struve [1793-1864] parviendra à discerner plus de 2 000 nouvelles étoiles doubles.

LE RÉSEAU DE DIFFRACTION Cependant, les découvertes s’enchainent. Jusque-là, Fraunhofer utilisait des prismes pour étudier le spectre de la lumière. Mais on savait également obtenir un spectre en diffractant la lumière à travers une unique fente fine. Il vient à l’idée de Fraunhofer d’exalter le phénomène en combinant un grand nombre de ces fentes, par exemple avec une grille métallique. En 1821, il conçoit le premier réseau de diffraction de l’histoire, composé de 260 fentes parallèles, à l’aide duquel il obtient des spectres d’une dispersion remarquable. Mieux : il constate qu’en rapprochant les fentes, il exalte le phénomène. Il pousse l’exercice plus loin et construit d’autres réseaux, qu’il utilise cette fois en réflexion… Comme à chaque fois, artisan de génie et expérimentateur inspiré, il poursuit par un travail scientifique rigoureux ce que son talent pratique de technicien lui permet de concevoir et de créer. L’invention du réseau donne à la spectroscopie ses lettres de noblesse : d’art qualitatif, elle devient une science quantitative qui permet de déterminer avec précision la longueur d’onde d’un rayonnement lumineux. Fraunhofer utilise ce nouvel outil pour étudier le spectre de quelques étoiles de forte magnitude : il observe ainsi qu’elles ont toutes des spectres différents – et il fonde dans la foulée la spectroscopie stellaire.

LES HONNEURS Le 18 octobre 1822, l’université d’Erlangen décerne à Fraunhofer le grade de docteur honoris causa. En 1823, Fraunhofer est élu à l’Académie des sciences Bavaroise, dont il occupe la chaire de physique. Il enseigne dès lors à l’université de Bavière, où l’un de ses étudiants, et futur disciple, s’appelle Friedrich August von Pauli [1802-1883]. En 98

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JOSEPH VON FRAUNHOFER

1824, le Roi Maximilien le décore de l’ordre civil du mérite. Il est anobli le 15 août et est nommé citoyen d’honneur de la ville de Munich. Mais sa renommée dépasse les frontières bavaroises. Il est élu membre de l’Académie impériale Léopoldine de Berlin, membre de la Société astronomique de Londres, membre de la Société des sciences naturelles et de médecine de Heidelberg. Enfin il est fait chevalier de l’ordre danois du Danebrog en 1826. À force de fabriquer et manipuler le verre, Fraunhofer s’empoisonne progressivement les poumons avec des vapeurs de métaux. Il meurt jeune, de la malédiction des verriers, le 7 juin 1826, emportant (on le croit) avec lui la plupart de ses secrets de fabrication. Il est enterré au cimetière Südfriedhof de Munich. Pour en savoir plus Jackson M.W., Spectrum of belvef, Joseph von Fraunhofer and the craft of precision optics, MIT Press (2000).

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George Biddell Airy DATES CLÉS 27 juillet 1801 Naissance à Alnwick, Angleterre 1823 Prix Smith du Trinity College 1824 Fellow du Trinity College 1826-1826 Lucasian Chair du Trinity College 1828 Plumian Professor d’astronomie du Trinity College 1835-1881 Astronome Royal à Greenwich 1831 Copley Medal de la Royal Society 1845 Royal Medal de la Royal Society 1871-1873 Président de la Royal Society 2 janvier 1892 Mort à Greenwich, Angleterre

Travailleur infatigable, ingénieur talentueux et formidablement organisé, scientifique pragmatique à la mémoire prodigieuse, Airy a marqué de son empreinte l’Observatoire de Greenwich qu’il a dirigé pendant un demi-siècle. Ses contributions recouvrent plusieurs domaines, allant de l’optique aux mathématiques appliquées.

G

eorge Biddell Airy naît le 27 juillet 1801, à Alnwick dans le Northumberland, tout au nord de l’Angleterre. Pourtant les Airy sont installés, selon une tradition qui remonte au XIVe siècle, dans le Lincolnshire, nettement plus au sud et à l’est de l’île. Sa mère Ann est la fille de George Biddell, un fermier de Suffolk. Son père William Airy est un ancien garçon de ferme au caractère trempé et travailleur qui, jeune, utilise les gains accumulés pendant la saison chaude pour s’instruire en Hiver. À force d’efforts, il atteint ainsi un niveau de connaissances suffisant pour décrocher une charge de collecteur de taxe.

VIE FAMILIALE NOMADE Dès lors, la famille déménage au gré des affectations de William. D’abord à Alnwick, où naît donc le jeune George, puis à Hereford 100

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GEORGE BIDDELL AIRY

de 1802 à 1810, ensuite à Colchester à partir de 1810. Là, George est envoyé dans un grand collège, sur Sir Isaac’s Walk, avant d’intégrer le cours de Byatt Walker. Esprit précoce et éveillé par les livres de la bibliothèque paternelle, il y brille en orthographe et arithmétique, apprend les bases de la comptabilité, et manipule désormais la règle à calcul aussi bien qu’il manie la sarbacane. Il en sort major en 1811 ; il a à peine 10 ans. En 1812, William est affecté à Essex. Nouveau déménagement donc, mais ce sera le dernier : il perd sa charge en 1813, ce qui plonge la famille dans l’indigence. Pour autant, William connaît trop l’importance d’une éducation complète ; celle des enfants demeure une priorité. George reste à Colchester où il termine son cursus chez Byatt Walker, puis poursuit ses études à l’Endowed Grammar School. Par ailleurs, à partir de 1812, il passe l’Été chez son oncle Arthur Biddell, un riche fermier près d’Ipswich, cultivé et influent. Une amitié et une complicité se nouent. L’oncle Arthur lui ouvre sa bibliothèque, lui présente ses amis férus de science, et décide de prendre en charge les futures études du neveu prodige – prodige, car en vérité sa mémoire est prodigieuse : lors d’un examen, George ne réussit-il pas le tour de force de réciter, d’une seule traite et sans erreur, 2394 vers d’un texte latin ?

SUCCÈS SCOLAIRE Il achève ses études secondaires en juin 1819 et, grâce au soutien financier de l’oncle Arthur, il peut envisager des études supérieures. D’ailleurs cela fait quelques mois déjà que son avenir se décide. Des tractations ont cours entre la Grammar School, le St Peter’s College à Oxford, et le Trinity College à Cambridge. Le jeune Airy, cornaqué par Thomas Clarkson [1760 - 1846], fameux abolitionniste et un ami de l’oncle Arthur, se rend à des entretiens, subit des tests et éblouit ses examinateurs. On l’attire à Cambridge, où il est admis en tant que sizar : étudiant pauvre, il acquitte des frais de scolarité réduits mais il doit, en contrepartie, des heures de service au College. Il en consacre quelques autres pour dispenser des cours particuliers et gagner un peu d’argent. Malgré ce temps perdu, il réussit brillamment, en Latin, en 101

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Grec ancien, en Mathématiques… En 1823, il défend sa thèse publiquement, décroche le titre de Senior Wrangler (loin en tête devant le reste de la promotion) et obtient le fameux prix Smith. Certes, il doit ce succès plus à son excellente mémoire et à sa formidable organisation qu’à un acte d’intelligence pure ; il n’empêche : la performance est belle. L’année suivante, Airy est nommé fellow de Cambridge et entame véritablement sa carrière académique.

PREMIERS TRAVAUX Airy enseigne la lumière et, entre autres, les défauts de vision tel que l’astigmatisme. Il en souffre lui-même, et propose un gabarit de verres qui parvient à le corriger. C’est un joli coup car ce problème, diagnostiqué depuis l’époque lointaine d’Isaac Barrow [1630-1677], n’avait jamais été résolu. En 1824, Airy rencontre Richarda Smith [1804-1875] au cours d’une randonnée. Ébloui, selon ses propres termes, il demande sa main deux jours après. Mais le père de la demoiselle, vicaire prudent d’une église près de Chatsworth, la lui refuse au motif que le jeune homme, 23 ans, est décidément trop pauvre pour entretenir une famille. L’argent, damned, toujours l’argent… Mais cette mésaventure, loin de l’abattre, aiguillonne Airy : il est déterminé à améliorer sa situation financière. Pourtant, que fait-il ? En 1826, à la nouvelle que Thomas Turton [1780-1864] quitte la Lucasian Chair, il se porte candidat. Certes le poste est prestigieux, mais sa rémunération plus que modeste : s’il est choisi, Airy perdra plus du tiers de sa paie actuelle – déjà (trop) faible. Quand dans un élan de lucidité le doute l’assaille, ses mentors, William Whewell [1794-1866] et surtout George Peacok [1791-1858], savent le convaincre que le statut mérite le sacrifice. Il obtient le poste, devant un certain Edward French du Jesus College et le fameux Charles Babbage [17911871], précurseur de l’informatique. Babbage, soupçonneux et déçu, menace d’entamer une enquête sur le résultat des élections. Le rancunier Airy lui en tiendra rigueur toute sa vie. Les occasions ne manqueront pas où cette rivalité malsaine les opposera et Airy, quoique parfois à tort, en sortira systématiquement vainqueur. 102

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GEORGE BIDDELL AIRY

L’ASTRONOMIE Bref, voilà donc Airy dans l’antichambre de la gloire, trois ans à peine après sa sortie de Cambridge, et en même temps plus indigent que jamais. Mais heureusement, notre homme est plein de ressources : il entre peu après au Bureau des longitudes, ce qui double ses revenus fraîchement amputés et rééquilibre ses comptes. Mais ce n’est pas encore assez, bien sûr. Il brigue le poste d’Astronome Royal d’Ireland en 1827 ; sans succès. La situation se dénoue en 1827 quand Peacock l’informe que la chaire de Plumian Professor d’astronomie occupée par Woodhouse [1773-1827], très malade, sera probablement bientôt vacante. Airy pose sa candidature et en profite pour publier un manifeste réclamant (petite révolution dans le monde de Cambridge) une substantielle réévaluation du salaire associé. Il décroche le poste en 1828, obtient l’augmentation souhaitée, peut enfin assumer sa demande en mariage, et épouse Richarda Smith le 24 mars 1830. Pour la petite histoire, c’est Babbage qui lui succède à la Lucasian Chair… En juin 1835, Airy succède à John Pond [1767-1836] au poste d’Astronome Royal, et déménage à Greenwich dans la foulée. Démarre alors une période faste pour l’Observatoire Royal. Airy entreprend en effet une réorganisation en profondeur de l’honorable institution, et ses formidables talents d’ingénieur assurent une excellente rénovation et le meilleur entretien des instruments. En revanche, son esprit autoritaire refuse toute pensée autonome, toute initiative créatrice dans son équipe : ainsi, il est notoire qu’aucun chercheur n’est formé à l’observatoire pendant les 46 années qu’Airy passe à sa direction. Airy prend à cœur sa charge d’Astronome Royal ; il y consacre la majeure partie de son temps. Travailleur acharné voire boulimique, et surtout formidablement organisé, il abat une besogne considérable. Sa bibliographie est inimaginable pour l’époque : en 60 ans de carrière, il publie près de 380 articles scientifiques, 140 rapports et 11 livres d’importance. Ses contributions sont nombreuses et variées, aussi bien en astronomie qu’en optique, mathématiques ou physique gravitationnelle. Une constante se dégage : Airy est un homme pratique, peu amateur de théorie pure et ses travaux sont résolument orientés vers l’applicatif. Il détermine la masse de Jupiter, calcule l’orbite de Vénus 103

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et de la Lune, mesure la densité de la Terre, propose une méthode pour corriger les erreurs de compas dans les navires à coque de fer. Seule ombre au tableau, Airy commet une erreur d’appréciation qui s’avère désastreuse : il hésite sur les conclusions des calculs que lui soumet John C. Adams [1819-1892], et met un temps de trop à ordonner la campagne d’observations qui auraient mené à la découverte de la planète Neptune.

LES HONNEURS À la tête de l’Observatoire Royal de Greenwich, Airy acquiert une renommée qui lui vaut une reconnaissance internationale. Il reçoit la Copley Medal de la Royal Society de Londres en 1831 pour ses travaux sur les optiques de télescopes. Sa rigueur méthodique et quasi-chirurgicale lui vaut le titre de Chairman de la Commission des poids et mesures en 1834. Il reçoit la médaille d’or de la Royal Astronomical Society en 1833, et le prix Lalande de l’Académie des sciences de Paris en 1834. En 1836, il est élu fellow de la Royal Society, qui lui décerne sa Royal Medal en 1845 pour une étude sur les marées. Il est nommé Président de la prestigieuse institution en 1871, et membre étranger de l’Institut de France en 1872, section d’Astronomie, au siège de John Herschel. En 1872, il est fait chevalier après avoir décliné l’offre trois fois de suite au motif qu’il ne pouvait pas subvenir aux frais associés.

L’HOMME George Biddell Airy, chercheur et enseignant de renom, conserve de ses premières lectures dans la bibliothèque paternelle des goûts éclectiques : poésie, histoire, géologie, théologie… Mais l’homme, s’il fascine, agace aussi : sa grande rigidité, et celle qu’il impose à ses subordonnés, le rendent peu populaire. Reste, comme le dit l’astronome Olin J. Eggen [1919-1998], qu’à défaut d’en faire un grand scientifique, sa considérable énergie lui a permis de faire de la grande science. Solide comme un chêne, il s’éteint à l’âge de 90 ans, à Greenwich, le 2 janvier 1892. 104

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GEORGE BIDDELL AIRY

Pour en savoir plus Airy G.B., Autobiography of Sir George Biddell Airy (BiblioBazaar, 2006).

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John Frederick William Herschel DATES CLÉS 7 mars 1792 1825 1830 1833 11 mai 1871

Naissance à Slough, Buckinghamshire, Angleterre Médaille Lalande de l’Académie des sciences de Paris Discourse on Natural Philosophy Royal Medal de la Royal Society Décès à Hawkhurst, Kent, Angleterre

Astronome illustre, mathématicien talentueux et chimiste doué, John Frederick William Herschel est connu pour ses contributions fondamentales à la photographie, et son apport séminal sur le concept de Philosophie Naturelle qui inspirera toute une génération de grands esprits britanniques, dont Darwin et Faraday.

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ohn Frederick William Herschel naît le 7 mars 1792 à Slough, dans le comté du Buckinghamshire, de l’union de Mary Baldwin, fille d’un marchand prospère, et du fameux William Herschel [1738-1822]. William est issu d’une famille de musiciens allemands ; il a immigré à 19 ans en Angleterre comme garde hanovrien. Hautboïste de formation, compositeur de métier, il est surtout passionné d’astronomie, qu’il pratique tardivement et d’abord en amateur, avant d’inventer la science stellaire : on lui doit notamment la découverte d’Uranus en 1781 et la première véritable carte de l’Univers. Mary, veuve Pitt, épouse William en secondes noces, et le couple est déjà âgé à la naissance de John. Il sera leur seul enfant. Le jeune garçon grandit dans la maison de l’Observatoire, un lieu magique près du château de Windsor, dans une ambiance rare qui mêle ferveur religieuse, inspiration musicale et effervescence scientifique. Enfant unique, John bénéficie de l’attention éclairée de tous,

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JOHN FREDERICK WILLIAM HERSCHEL

et notamment de sa tante Caroline Herschel, immigrée en 1772, qui seconde son père dans ses recherches et fréquente assidûment l’Observatoire. Elle s’avère une tutrice exceptionnelle, initiant son neveu aux mystères de la physique et de la chimie. Le moment venu, John ne parvient pas à se détacher de cet univers singulier et à s’adapter à l’école. À huit ans, il fréquente l’école du Dr Gretton à Hitcham, puis le collège d’Eton. Mais il est harcelé (semblet-il) par ses camarades et, au bout de quelques mois, sa mère décide de le retirer du circuit scolaire. Dès lors, il étudie à domicile sous la houlette de Mr Rogers, qui lui enseigne les mathématiques, et de sa tante Caroline. Il se forge ainsi une solide culture scientifique et est admis au Collège St John de l’université de Cambridge en 1809. Il se lie d’amitié avec ses camarades de promotion Peacock [17911858] et Babbage [1792-1871], avec lesquels il fonde en 1813 l’Analytical Society. Ils ont l’objectif d’introduire en Angleterre les outils d’analyse développés en Europe continentale, notamment la notation différentielle et le calcul intégral de d’Alembert, Leibniz et Lagrange. Cette même année John, étudiant très actif et particulièrement fécond, est élu fellow de la Royal Society de Londres, et achève son cursus à Eton en senior wrangler (major de promotion). La voie semble alors tracée vers les mathématiques ; éventuellement en soutane, comme le souhaite son père… Pourtant, Herschel décide de se former au droit. Il dissout l’Analytical Society, et s’inscrit à Londres. C’est une parenthèse surprenante, qui ne lui convient guère à l’usage et qu’il referme finalement au bout de 18 mois.

VERS L’ASTRONOMIE En 1815, il retourne à Cambridge, et aux mathématiques. Il obtient une bourse Smith, et est nommé fellow du Collège St John. Il publie quelques travaux mineurs, et surtout un livre sur les différences finies, récompensé par la Copley Medal de la Royal Society en 1821. Mais son esprit en ébullition l’attire bien vite loin de l’univers éthéré des maths pures.

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En 1816, il passe les mois d’été avec son père, alors âgé de 78 ans, à Slough. C’est une formation accélérée au métier délicat d’astronome : il polit un miroir de 18 pouces et assemble son propre télescope, puis se perfectionne à l’observation stellaire… Dès lors, plus ou moins consciemment, mais irrésistiblement, John se destine à l’astronomie. Quelques années plus tard, abandonnant ses autres activités, notamment des travaux en chimie qui s’avéreront 20 ans plus tard d’un intérêt fondamental pour les premiers procédés photographiques, il entreprend de poursuivre l’œuvre de son père. En effet celle-ci, bien que féconde et originale, menace de s’éteindre faute de successeur. Endossant l’illustre costume des Herschel, John s’implique lourdement dans la création de l’Astronomical Society, qui voit enfin le jour en 1820 et dont il est élu vice-président. Secondé de James South [1785-1867], il complète en 1824 le catalogue des étoiles doubles initié par William, décédé en 1822. Ce travail considérable est couronné par la Médaille Lalande de l’Académie des sciences de Paris en 1825, et par la Gold Medal de la Royal Astronomical Society en 1826. Mais l’ambition est ailleurs : il veut utiliser la parallaxe des étoiles pour en déduire la distance à la Terre. C’est une méthode prometteuse et Herschel fait des avancées considérables, récompensées par la Royal Medal en 1833. Elle s’imposera en 1838 avec les résultats spectaculaires obtenus par Bessel [1784-1846] sur la Binaire 61 de la Constellation du Cygne.

VOYAGE EN AFRIQUE DU SUD Dans les années 1820, Herschel voyage fréquemment en Europe continentale, où il fait la connaissance d’Arago [1786-1853], Fraunhofer [1787-1826] ou Laplace [1749-1827], autant de rencontres qui façonnent son appréhension de la science. Il s’investit également davantage dans la vie scientifique londonienne : il est nommé secrétaire de la Royal Society en 1824 et en manque de peu la présidence en 1831 ; il est élu président de l’Astronomical Society en 1827. En 1830, John Herschel publie son fameux traité, Discourse on Natural Philosophy, où il fonde la méthode de l’investigation scientifique, qui inspirera Faraday [1791-1867], Darwin 108

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JOHN FREDERICK WILLIAM HERSCHEL

[1809-1882], et toute une génération de grands esprits britanniques. Il rédige ou fait insérer plusieurs mémoires et articles dans des recueils et encyclopédies. Signalons en particulier son article On the Theory of Light publié en 1831, où il défend l’hypothèse d’une lumière ondulatoire. Il épouse Margaret Brodie Stewart [1810–1884] en 1829 à Edimbourg. En novembre 1833, le couple s’embarque avec leurs trois enfants (ils en auront douze) pour l’Afrique du Sud. John s’installe au Royal Observatory du Cap de Bonne-Espérance, fraichement inauguré en 1828. Il souhaite étudier les objets célestes qui ne sont pas observables depuis l’hémisphère Nord. Il met ainsi au point des techniques inédites de photométrie pour calibrer la clarté des étoiles, et permettre une comparaison objective avec celles du ciel boréal. La famille, qui se plaît dans sa résidence de Feldhausen, au pied de la Montagne de la Table, prolonge son séjour jusqu’en 1838. Herschel multiplie les observations, notamment celle de la comète de Halley lors de son passage en 1835. Il réunira l’ensemble de ses résultats en 1847 dans le volumineux Cape Observations, qui lui vaut sa seconde Copley Medal de la Royal Society.

PHOTOGRAPHIE À son retour en Angleterre John Herschel, qui avait été anobli en 1831, est fait Baronnet de Slough du Comté de Buckinghamshire lors du couronnement de la Reine Victoria en juin 1838. En janvier 1839, il découvre fortuitement les travaux de Daguerre [1787-1851] sur la photographie, un art et une science qui se sont développés pendant son absence d’Europe. S’inspirant de ses premiers travaux en chimie, il mène rapidement ses propres expériences et invente la technique de fixation (par le désormais classique hyposulfite de sodium) des images sur leur support. Les honneurs, de même que les charges, s’accumulent. Il est nommé recteur du Marischal College d’Aberdeen en 1842. Il est élu à l’Académie royale de Suède en 1836, et membre associé de l’Académie des sciences de Paris en 1855, au fauteuil de Gauss [1777-1855]. En 1850, Herschel accepte la prestigieuse, mais lourde fonction de Master of the Mint (littéralement, maître de la monnaie), qui exige des déplacements fréquents dans tout le royaume et des tractations financières et politiques qui 109

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l’épuisent. Il en démissionne en 1855 pour raison de santé et se retire à Collingwood, sa résidence près de Hawkhurst dans le Kent. Pour autant il reste très actif, et publie en 1864 un catalogue général des nébuleuses et des amas, qui est une compilation de ses propres observations et de celles de son père William. Il s’éteint le 11 mai 1871, à l’âge de 79 ans. Il est inhumé à l’Abbaye de Westminster, à proximité du caveau qui abrite les restes de Newton [1642-1727]. En raison de sa vaste activité intellectuelle et pédagogique, et de ses contributions originales et fécondes en astronomie, mathématiques et photographie, il est reconnu et toujours célébré en Angleterre comme l’une des grandes figures scientifiques de son temps, à l’instar de Laplace en France. Pour en savoir plus Buttman G., The Shadow of the Telescope: A Biography of John Herschel (Lutterworth Press).

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Bernard Ferdinand Lyot DATES CLÉS 27 fév. 1897 1930

1933 1939

1947 1951 2 avril 1952

Naissance à Paris, France Nommé astronome à l’Observatoire de Meudon Invention du Coronographe Invention du filtre de Lyot Membre de l’Académie des sciences Gold Medal de la Royal Astronomical Society Bruce Medal Draper Medal Mort au Caire, Égypte

Astronome français, ingénieur de talent doué d’un sens physique remarquable, Bernard Lyot est surtout connu pour avoir révolutionné l’instrumentation solaire avec l’invention du coronographe, ainsi que pour ses photographies spectroscopiques de la couronne solaire.

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ernard Ferdinand Lyot naît le 27 février 1897 à Paris, dans une famille aisée. Son père, chirurgien des hôpitaux, décède quelques années plus tard. Le jeune Bernard montre très vite de grandes qualités manuelles et un goût prononcé pour les sciences. À seize ans, il se passionne pour l’astronomie et installe un petit observatoire, avec un télescope de 100 mm, au-dessus de la maison familiale. Élève brillant et très actif, il fait ses classes au Lycée Janson de Sailly à Paris et intègre en 1914 l’École supérieure d’électricité. Il y fait la connaissance d’Alfred Perot [1863-1925], alors professeur à l’École Polytechnique et physicien attaché à l’Observatoire de Meudon. Perot, séduit par la vivacité d’esprit de l’étudiant, lui propose de devenir préparateur d’expériences pour ses cours de physique ; Lyot s’en acquitte avec talent, et secondera ainsi Perot pendant plusieurs années. 111

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Dans une France qui s’embourbe dans la Grande guerre, Bernard Lyot, fraichement diplômé de Supélec dont il est le major de promotion, rejoint en 1917 le laboratoire de télégraphie militaire dirigé par le Général Ferrié. Là, il confirme et développe un talent rare d’inventeur, capable d’innovation en s’écartant des méthodologies et des paradigmes habituels. On lui doit notamment les procédés originaux de radionavigation pour la marine, qui seront recyclés plus tard pour l’aviation. Intronisé par Perot, il fait la connaissance de Charles Fabry [18671945], et surtout de Henri Deslandres [1853-1948] qui lui ouvre l’accès aux laboratoires de l’Observatoire de Meudon. C’est la réalisation d’un rêve d’enfant. En 1920, il obtient un poste d’assistant qui lui permet de poursuivre ses travaux expérimentaux et de compléter sereinement sa formation universitaire.

LYOT, L’ASTRONOME Il s’intéresse à la signature polarimétrique de la lumière réfléchie par la surface des planètes. C’est un sujet plein de promesses car cette propriété permet d’identifier à distance la composition des sols. Mais les mesures restent extrêmement difficiles, en raison surtout de la précision insuffisante des instruments disponibles… Voici un défi à la hauteur de l’inventivité de Lyot : en 1922, s’inspirant du polariscope de Savart, il conçoit et met au point un polarimètre visuel à franges, un outil dix fois plus sensible que les meilleurs instruments de l’époque. C’est un véritable tour de force, qu’il réussit avec ce que certains qualifient d’une économie artistique de moyens ; cela lui confère surtout un avantage expérimental qui lui permet de détecter et mesurer, pour la première fois, le taux de polarisation très faible des planètes. Il en étudie la variation avec l’angle de phase, et démontre qu’il existe une grande similitude entre les courbes de polarisation de Mercure, de la Lune et de mars, et celle des poussières volcaniques ; ou entre celle de Vénus et celle des nuages. Il en fera le sujet de sa thèse, soutenue le 18 juin 1929 sous le titre de Recherche sur la polarisation de la lumière des planètes et de quelques substances terrestres. Son doctorat en poche, il décroche un poste d’astronome en 1930. 112

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BERNARD FERDINAND LYOT

Sur une suggestion de Fabry, Lyot décide d’utiliser son polarimètre pour étudier la couronne solaire en-dehors d’une éclipse. En effet, la lumière de la couronne est polarisée par diffusion, une propriété remarquable, connue depuis le XIXe siècle et qui pourrait servir de signature distinctive pour isoler le flux coronal – mais que nul encore n’est parvenu à exploiter efficacement. Pourtant les tentatives furent nombreuses : Huggins [1824-1910], Deslandres ou encore Hale [1868-1938]… Lyot comprend que le principal problème vient de la lumière instrumentale parasite, qui noie littéralement le flux utile dans l’énorme flux photosphérique diffusé. Il parvient à la réduire grâce à une série d’astuces instrumentales et au choix soigné d’optiques taillées et polies dans des matériaux d’une pureté irréprochable.

Schéma du coronographe, in Lyot B., Z. Astrophys. 5, 73-95 (1932).

LE CORONOGRAPHE En 1930, son coronographe au point, il se rend au Pic du Midi. Son instrument, d’une précision alors inégalée, tient tout entier dans un sac à dos et peut être transporté à dos d’homme. Et cela, précisément, est spectaculaire : sans avoir inventé ni découvert de nouveau principe physique, disposant d’éléments largement connus et de concepts maîtrisés par tous, sans recourir aux télescopes monumentaux qui passent pour être l’arme absolue universelle, il parvient à repousser les limites de sensibilité en bricolant lui-même, avec des moyens modestes, un objet qui révolutionne l’instrumentation solaire. Il réussit là où d’autres, brillants et également obstinés, ont pourtant échoué. Car l’expérience du Pic du Midi est un plein succès : pour la première fois la couronne solaire, si riche d’enseignements, peut être observée et photographiée en absence d’éclipse. Ses résultats suscitent l’intérêt immédiat de la communauté 113

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scientifique, et lui valent le prix Louis Ancel de la Société française de physique (1931) et le prix Janssen de la Société astronomique de France (1932). Lyot ne cesse plus, dès lors, de perfectionner son instrument. À l’aide d’un spectroscope placé au foyer du coronographe, il met en évidence certaines signatures spectrales particulières. Pour réduire les temps de pose, il conçoit un filtre monochromatique d’un type nouveau, basé sur l’interférence de l’onde ordinaire et de l’onde extraordinaire à la sortie d’un cristal biréfringent uniaxe – désormais connu comme le filtre de Lyot. Il peut ainsi étudier la raie verte, et montre que la couronne intérieure tourne avec la photosphère. Il invente ensuite le coronomètre photoélectrique qui permet une observation sur plaine, sous des cieux ordinaires et moins purs qu’en haute altitude. En 1948, cet expérimentateur infatigable travaille sur le contraste de phase avec Maurice Françon [1913-1996].

LA GLOIRE Universellement connu pour avoir révolutionné l’instrumentation solaire, Bernard Lyot reçoit pratiquement tous les honneurs. Il est élu membre de l’Académie des sciences en 1939, et reçoit la même année la Gold Medal de la Royal Astronomical Society de Londres. En 1941, le Franklin Institute lui décerne la Haward N. Potts Medal. Il est nommé astronome en chef de l’Observatoire de Meudon en 1943, et reçoit la Légion d’Honneur en 1946. En 1947, l’Astronomical Society of the Pacific lui remet la Catherine Wolf Bruce Medal pour couronner l’ensemble de ses travaux. En 1951, il reçoit la prestigieuse Draper Medal de la National Academy of Sciences des États-Unis. En 1951, en prévision de l’éclipse du 25 février 1952, il se rend au Caire, avec un spectrographe à fente circulaire de son invention, pour étudier le spectre d’émission de la basse couronne. Cette campagne de mesures se révèle effroyablement pénible. Lyot a du mal à mobiliser ses troupes : il épuise ses forces à mettre au point, seul ou pratiquement, tout l’échafaudage expérimental. Le 2 avril, sur la route qui mène à l’Observatoire de Hélouan, il succombe à une crise cardiaque. 114

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BERNARD FERDINAND LYOT

Lyot a alors 52 ans. Il laisse le souvenir d’un homme modeste et simple, bricoleur élégant et habile expérimentateur, irrésistiblement attiré par l’étude des phénomènes réputés impossibles à détecter. En astronomie solaire, ce furent autant de défis que son ingéniosité, à la fois conceptuelle et manuelle, parvint à relever.

Pour en savoir plus Danjon A., Bernard Lyot, Ann. Astrophys. 2 (1952).

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Joseph Nicéphore Niépce DATES CLÉS 7 mars 1765

Naissance à Chalon-sur-Saône, France 1807 Invention du pyréolophore 1816 Premières expériences photographiques 1826 Première héliographie 1832 Invention du physautotype avec Daguerre 5 juillet 1833 Mort à Saint-Loup-de-Varennes, France

Physicien français d’une grande ingéniosité, pionnier du moteur à explosion, inventeur original et fécond, Joseph Nicéphore Niépce est universellement connu aujourd’hui pour l’invention de la photographie.

J

oseph Niépce naît le 7 mars 1765 à Chalon-sur-Saône. Il est le cadet d’une famille aisée de la bourgeoisie bourguignonne. Son père Claude, avocat de formation, gère les vastes propriétés de la famille et est conseiller du Roi ; sa mère Claudine, née Barault, est la fille d’un célèbre avocat. Joseph reçoit une éducation classique, qu’il complète en sciences et en méthodologie expérimentale au Collège des Oratoriens de Chalon-surSaône à partir de 1780, et plus tard à Angers. Il se destine à la prêtrise et adopte en 1787 le prénom de Nicéphore (le « porteur de victoire »), en hommage à Nicéphore Ier, patriarche de Constantinople au IXe siècle. Ses excellents résultats scolaires lui permettent d’intégrer le corps professoral de son collège à Angers, puis à Troyes. Mais, à la veille de la Révolution, il renonce à la prêtrise. Il vient d’avoir 24 ans, et milite activement pour l’abolition de l’ordre ancien. Il rejoint la Garde nationale en 1792, et participe à des campagnes dans le sud de la France et en Sardaigne. Mais dès 1794, des soucis de santé coupent court à sa carrière militaire. Il 119

LES PIONNIERS DE LA PHOTOGRAPHIE

s’établit alors à Nice et épouse la fille de sa logeuse, Agnès Roméro. Ils auront un fils, Isidore, né en 1795. À Nice, où le rejoint son frère aîné Claude, Niépce occupe le poste d’administrateur de district (l’équivalent d’un arrondissement sous la Révolution). Mais, peut-être à cause d’une certaine impopularité auprès de la population locale, il démissionne de sa charge en 1795. Il décide en 1798, avec son frère Claude, de se consacrer à une carrière d’inventeur. Ingénieux, férus de physique et de chimie, les deux frères débordent en effet de créativité scientifique et de talent pragmatique.

PREMIERS TRAVAUX En 1801, tous regagnent la propriété des Niépce à Saint-Loup-deVarennes, à quelques kilomètres de Chalon-sur-Saône. À trente-six ans, Niépce retrouve donc sa terre natale et toute sa famille. Les années suivantes sont consacrées à la gestion du patrimoine familial, dont la mère s’occupait depuis le décès du père en 1785 – et, surtout, à ses inventions scientifiques. Avec Claude, ils mettent au point le pyréolophore. Ce moteur, le premier à combustion interne de l’Histoire, parvient à propulser une maquette de bateau longue de 2 mètres sur la Saône. En 1807, les frères obtiennent un brevet valable dix ans mais, malgré l’appui de Lazare Carnot, ils ne parviennent pas à exploiter leur invention en France. Leur ingéniosité trouve d’autres exutoires, comme par exemple en 1809, la mise au point d’une pompe hydraulique pour remplacer la machine de Marly, devenue obsolète, qui assure l’alimentation en eau des châteaux de Marly et de Versailles ; mais ils se manifestent trop tard auprès des autorités et leur dispositif n’est pas retenu… Au final, aucun de leur projet n’a de succès commercial. Or l’état de guerre permanent et leurs coûteux travaux de recherche grèvent lourdement les finances de la famille. Les Niépce contractent en 1814 le premier d’une longue série d’emprunts. En 1816, à l’approche de l’expiration du brevet sur le pyréolophore, Claude décide de gagner l’Angleterre et d’y poursuivre, seul, l’aventure sur le « mouvement perpétuel ». 120

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JOSEPH NICÉPHORE NIÉPCE

L’INVENTION DE LA PHOTOGRAPHIE Depuis plusieurs années, Nicéphore se passionne pour la lithographie, mise au point en 1796 par l’acteur et dramaturge autrichien Aloys Senefelder [1771-1834]. Il s’en inspire pour tenter de fixer les images projetées au fond des chambres obscures (les fameuses camera obscura utilisées par les peintres). C’est un vieux rêve que d’autres ont partagé, tel notamment Jacques Charles [1746-1823] qui est parvenu, 30 ans plus tôt, à fixer, mais de façon éphémère, une silhouette sur du papier enduit de chlorure d’argent. Plus récemment, Thomas Wedgwood [1771-1805] a proposé en 1802 une méthode à base de nitrate d’argent, qui donne des images tout aussi fugitives. En 1816, après le départ de son frère, Nicéphore fait ses premières tentatives. Comme ses prédécesseurs, il utilise le chlorure d’argent, mais sans plus de succès. C’est frustrant : d’abord le miracle semble s’opérer, les images se détachent nettement sur le papier, puis elles s’estompent très vite à la lumière… Il persévère et multiplie les essais pendant les années qui suivent. En 1822, enfin, il obtient des résultats plus pérennes avec le bitume de Judée, une substance noire qui blanchit et, surtout, durcit à la lumière : il réussit ses premières images en relief, qui confirment la pertinence de son procédé. Les succès s’enchaînent. En 1824, il réalise ses points de vue à la chambre obscure sur des pierres lithographiques, avec un temps de pose de 5 jours. En 1826, il grave des images sur du cuivre par la méthode des eaux-fortes (c’est de l’acide nitrique). Nicéphore peut enfin écrire à son frère : « la réussite est complète ». Il obtient, par cette technique qu’il appelle héliographie, après une dizaine

À gauche, la photographie prise par Niépce de la vue de droite.

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d’heures d’exposition, ce qui constitue la toute première photographie : une vue prise d’une fenêtre de sa maison de Saint-Loup-de-Varennes. L’année 1827 est une année charnière. La situation financière des Niépce est désormais exsangue et la famille songe à vendre des propriétés pour rembourser des créanciers devenus impatients. Par ailleurs Claude, toujours en Angleterre, épuisé par ses recherches et l’échec de ses démarches pour négocier le pyréolophore, tombe gravement malade et sombre dans la démence. Nicéphore doit se rendre à son chevet. Pourtant, malgré la tourmente, Niépce est conscient de la maturité de son invention. Il croit en son avenir commercial, et c’est pour lui un avenir à court terme. Pour perfectionner sa chambre obscure (qui est déjà dotée de quelques raffinements, tels que le diaphragme à iris ou la bobine pour l’enroulement du papier sensible), il s’adresse à des ingénieurs-opticiens établis à Paris, Vincent et Charles Chevalier, qui le conseillent et lui fournissent les optiques nécessaires. Surtout, Vincent Chevalier [1770-1841] le met en relation avec Louis Jacques Mandé Daguerre [1787-1851], un peintre décorateur, habile en affaires, qui utilise la chambre noire pour faire les croquis de ses dioramas. L’inventeur chalonnais et le peintre Parisien s’associent en octobre 1829, et entament une collaboration étroite. Ils travaillent sur toutes sortes de résines sans obtenir de résultats probants. En 1832, enfin, ils obtiennent des images avec un temps de pose de moins de 8 heures en utilisant comme produit photosensible le résidu de la distillation de l’essence de lavande. Ils appellent ce procédé prometteur physautotype. De toute évidence, ils sont sur la bonne voie… Mais le soir du 5 juillet 1833, Nicéphore Niépce meurt subitement, probablement d’une hémorragie cérébrale, dans son domaine de SaintLoup-de-Varennes – sans avoir pu mener l’aventure photographique à son terme. C’est à Daguerre qu’il revient d’apporter les perfectionnements nécessaires (notamment, la réduction du temps de pose et l’obtention d’une image définitive) pour rendre l’invention apte à une utilisation commerciale. Le daguerréotype, mis au point en 1838, lui apportera une grande célébrité et manquera même d’occulter l’apport séminal de Niépce. Pour en savoir plus Marignier J.-L., Niépce, l’invention de la photographie (Belin, Paris, 1999).

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William Henry Fox Talbot DATES CLÉS 11 février 1800 Naissance à Melbury Abbas, Angleterre 1822 Fellow de la Royal Astronomical Society 1831 Fellow de la Royal Society 1833 Invention du calotype ou talbotype 1838 Royal Medal de la Royal Society 1842 Rumford Medal de la Royal Society 1858 Brevet du photoglyphic engraving 17 sept. 1877 Mort à Lacock Abbey, Angleterre

Mathématicien et physicien, polyglotte doué, William Henry Fox Talbot est un des pionniers de la photographie : il est l’inventeur du calotype (ou talbotype), et son procédé du négatif-positif est à la base de la photographie argentique moderne.

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illiam Henry Fox Talbot naît avec le XIXe siècle à Melbury, dans le Dorset. Il est le fils unique de William Davenport Talbot [17641800] et de Lady Elisabeth Theresa Fox-Strangways [1773-1846], fille aînée du Comte d’Ilchester. Le jeune Henry arrive, semble-t-il, dans un milieu plutôt aisé : depuis plus de 200 ans, les Talbot possèdent le beau domaine de Lacock Abbey dans le Wiltshire, une ancienne abbaye de chanoinesses de l’ordre de St Augustin dissoute en 1539 ; en outre, les relations politiques des Ilchester sont nombreuses et influentes. Pourtant, en 1800, le domaine est lourdement endetté et la famille au bord de la ruine. Surtout, le père meurt alors que Henry est âgé d’à peine 5 mois, laissant femme et enfant dans une situation complexe. Mais, fort heureusement, Lady Elisabeth est une femme remarquablement intelligente et instruite. À force de volonté, elle parviendra à 123

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rétablir l’équilibre du domaine et à lui rendre son faste, de sorte qu’à sa majorité Henry jouira d’un appréciable confort financier… Mais cela, c’est pour plus tard. Pour l’heure, l’orphelin et la veuve sont hébergés par la famille d’Elisabeth qui, comme on l’imagine, possède un grand nombre de propriétés. Pendant 4 ans, les déménagements se succèdent. Henry est choyé, entouré : Elisabeth et les siens lui transmettent l’art des langues et l’initient à la botanique. En 1804, Elisabeth épouse le Captain (et futur Rear Admiral) Charles Feilding [1780-1837]. Feilding est un beau-père attentionné et Henry ne manquera plus jamais d’amour paternel. Bientôt la famille s’agrandit : Caroline Augusta naît en 1808 et Henrietta Horatia Maria en 1810.

UNE FORMATION DE QUALITÉ Talbot est un garçon à l’esprit curieux de tout et un élève brillant. Sa mère est son premier tuteur, elle lui transmet son goût pour les langues. En 1808, il entre au Rottingdean boarding school. Là, pour la première fois, sa nature solitaire se manifeste. Puis en 1810 il est admis à la fameuse Harrow School, où il se passionne pour les mathématiques, l’optique et l’astronomie. Il se distingue par quelques expériences de chimie qui tournent mal et lui attirent les foudres de ses professeurs. Il en sort en 1815, et prépare avec des tuteurs privés son entrée à l’Université. Il intègre le Trinity College de Cambridge en 1817. Sa scolarité est riche : il obtient le 1er prix de Grec en 1820 et termine 12e Wrangler en Mathématiques en 1821. Talbot décroche son Bachelor of Arts en 1821, et son Master en 1825. À cette époque, Lady Elisabteh a définitivement rétabli les finances familiales. Talbot perçoit désormais un revenu considérable. Par ailleurs, les relations de sa famille lui ouvrent les portes des meilleurs cercles scientifiques et politiques.

PREMIERS TRAVAUX Il est élu fellow de la toute jeune Royal Astronomical Society en 1822. Ses premières recherches sont mathématiques : il s’inspire des travaux 124

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WILLIAM HENRY FOX TALBOT

d’Euler et Abel sur les intégrales elliptiques. C’est une période où il voyage beaucoup, notamment sur le continent. En 1824, à Münich, il rencontre John Herschel [1792-1871], mathématicien comme lui, et également fellow de la Royal Astronomical Society. Ils nouent une amitié solide et durable et, surtout, cette rencontre, alors que Talbot a à peine entamé son activité scientifique, a un impact décisif sur l’orientation de ses futurs travaux vers la lumière et les phénomènes optiques. Cela se confirme en 1826, lorsque Herschel lui présente David Brewster [1781-1868], scientifique et encyclopédiste écossais. Leur interaction est fusionnelle : leurs travaux et conclusions en optique se recoupent souvent, et Brewster publie les articles de Talbot. Talbot devient fellow de la Royal Society en 1831 pour ses travaux mathématiques. En 1832, il est élu au Parlement comme député Whig de Chippenham, dans le Comté de Wiltshire, une charge qu’il assume jusqu’en 1835. La même année, il rencontre Constance Mundy [18111880], originaire de Markeaton dans le Derbyshire, qui devient sa femme. Suit alors une période particulièrement fertile et créative. Talbot découvre le phénomène d’auto-imagerie qui porte son nom (effet Talbot). En observant l’image projetée en lumière blanche par un réseau de diffraction (dit de Fraunhofer [1787-1826]), composée d’une feuille d’or percée de fentes fines, il note, à une distance qui se répète périodiquement, la formation du motif du réseau à différentes couleurs. Par ailleurs, et c’est là son œuvre-maîtresse mais probablement aussi sa malédiction, Talbot invente un procédé de photographie basé sur le fameux principe du négatif-positif qui s’est imposé à la photographie argentique. L’histoire de cette invention, qu’il baptise calotype ou talbotype, est suffisamment chaotique et riche en péripéties pour que l’on s’y attarde.

LA PHOTOGRAPHIE L’idée du procédé lui vient lors d’un séjour au Lac de Côme en Italie, en octobre 1833, au cours d’un voyage en Europe qu’il fait avec sa femme. Incapable de rendre par le dessin la beauté de ce qu’il observe, il rêve d’une méthode qui permette aux images, préalablement produites par 125

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une camera obscura (boîte noire percée d’un trou où se loge une lentille), de s’imprimer durablement sur le papier. Ses connaissances (ses talents !) de chimiste et d’opticien lui servent alors : il utilise un papier photosensible, qu’il place au foyer de la lentille de la camera obscura, pour produire cette image inversée que Herschel, l’ami omniprésent, baptise le négatif – image qu’il pérennise ensuite en traitant le papier selon un procédé chimique à qui Herschel, toujours lui, donne le nom que nous connaissons tous : fixer. Certes la technique est balbutiante ; certes il faut des temps de pose d’une heure ou plus ; certes il faut des conditions exceptionnelles de luminosité ; mais le résultat est là, époustouflant : Talbot obtient des images sur le papier. Il trouve ensuite le moyen de traduire ce négatif en une image « positive » de l’objet talbotypé. Mieux encore, avec sa technique du négatif-positif, il peut répéter l’opération à l’envie. Ces tâtonnements s’étalent sur près de 5 ans. En parallèle, Talbot poursuit activement ses travaux en optique (l’effet Talbot, l’optique dans les cristaux) et en mathématiques, ainsi que ses activités de député Whig au Parlement. Il reçoit en 1838 la prestigieuse Royal Medal de la Royal Society de Londres pour ses recherches sur le calcul des intégrales… De toute évidence, Talbot prend son temps, un temps qu’il croit avoir et qu’il consacre à parfaire son procédé. Mais cette lenteur sera fatale car, ailleurs, les événements se précipitent… À l’automne 1838, enfin, fort d’une technique à peu près au point, il envisage de soumettre à la Royal Society un papier décrivant sa méthode de photographie. Mais il ignore qu’en France, depuis quelques années, Daguerre [1787-1851] perfectionne son propre système de prise d’images, le daguerreotype, également à partir d’une camera obscura. En janvier 1839, la nouvelle fait l’effet d’une bombe : Daguerre, soutenu par Arago [1786-1853] qui représente l’État français, publie sa découverte et un procédé parfaitement au point. Pour Talbot, c’est la douche froide. Panique, indignation, révolte. Il se précipite, rédige un courrier à Arago et Daguerre revendiquant la primeur de la découverte, soumet dans la foulée un papier à la Royal Society qu’il lit le 31 janvier 1839, publie quelques photographies obtenues selon sa technique, brevette son talbotype… En vain. Car, à n’en 126

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WILLIAM HENRY FOX TALBOT

pas douter, les recherches de Daguerre sont antérieures aux siennes, avec des tentatives initiées par Nièpce et qui remontent à plus de 14 ans – et surtout les deux techniques sont fondamentalement différentes. Suit un imbroglio affreux pour Talbot. Bien sûr, la Science retiendra que Talbot fait une avancée fondamentale pour l’Histoire de la photographie : la possibilité de reproduire une image à partir d’un négatif. Pourtant le talbotype ne s’imposera jamais car la technique du daguerréotype est à cette époque réellement efficace, parfaitement au point et surtout gratuite – alors même que Talbot soumet son procédé, quoique moins performant, à des droits d’utilisation élevés, une procédure alors peu populaire et mal acceptée. En outre, une sorte de paranoïa aigrie (Daguerre reçoit tous les honneurs, lui aucun ; Daguerre est fortement soutenu, lui absolument pas) semble s’emparer de Talbot et le presse à revendiquer, à tort, la paternité des nouveaux procédés de prise d’image… Ces épisodes ternissent durablement sa notoriété de scientifique et de gentilhomme.

LA PHOTOGRAVURE Pourtant, même si le succès commercial n’est pas là, même si sa technique reste supplantée par celle de Daguerre, force est de lui reconnaître une certaine paternité de la photographie. La Royal Society lui attribue (enfin !) sa Rumford Medal en 1842. La décennie qui suit est moins flamboyante. Conséquence probable de cette course perdue d’avance, Talbot, malade, découragé, connaît une période creuse, sans aucune activité inventive. Mais notre homme ne manque pas de ressort : après quelques années sombres, sa santé s’améliore enfin. Il s’installe en Écosse et reprend ses travaux sur la photographie. Persuadé que l’impression argentique n’est pas la bonne solution, il s’oriente dans les années 50 vers l’impression par encre. Il dépose plusieurs brevets, dont un célèbre en 1858 sur la photoglyphic engraving, un procédé de photogravure repris et perfectionné par le peintre Tchèque Karel Václav Klícˇ (ou Klietsch) [1841-1926], et encore à l’usage aujourd’hui. Ce travail lui vaut une médaille à l’exposition universelle de Londres en 1862. 127

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Son goût pour les langues pousse Talbot à s’intéresser à l’écriture cunéiforme assyrienne, et naturellement à l’archéologie. Il est l’un des premiers à traduire les textes cunéiformes du site de Nineveh. Sur les dernières années, il souffre d’un mal au cœur. La maladie l’emporte le 17 septembre 1877. Il est enterré à Lacock Abbey. Pour en savoir plus MacTutor History of Mathematics, www-history.mcs.st-andrews.ac.uk

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Gabriel Jonas Lippmann DATES CLÉS 16 août 1845 Naissance à Hollerich, Luxembourg 20 mars 1883 Chaire de physique mathématique de la Sorbonne 1886 Chaire de physique générale de la Sorbonne Direction du Laboratoire des recherches physiques Élu à l’Académie des sciences 1891 Démonstration de la photographie interférentielle 1893 Premiers portraits en couleur 1908 Prix Nobel de Physique 1912 Président de l’Académie des sciences 13 juillet 1921 Mort en mer

Prix Nobel de Physique, président de l’Académie des sciences, fondateur de l’Institut d’optique, l’inventeur de la photographie directe des couleurs est aussi le concepteur inspiré de divers instruments électriques hautement sensibles, ainsi que du très utile cœlostat.

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abriel Jonas Lippmann naît à Hollerich (Luxembourg) le 16 août 1845 d’un père Lorrain et d’une mère Alsacienne. Peu après la naissance de son fils, le père de Lippmann, tanneur de profession, décide de s’établir à Paris et y installe sa famille. Le jeune Gabriel est d’abord éduqué et instruit par sa mère, une maîtresse-femme qui aura sur lui une immense influence. L’histoire veut que, passant avec lui sur le Pont des Arts alors qu’il a à peine 4 ans, elle lui montre l’Institut en lui disant : « mon enfant, un jour tu seras là. » En 1858, Lippmann entre au Lycée Henri IV (alors Lycée Napoléon). Indéniablement doué, notamment pour les langues, mais tout à la fois distrait et rêveur, il ne travaille que les matières qui le séduisent et n’est pas vraiment un élève brillant. Il faudra l’influence de Charles d’Almeïda 129

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[1822-1880], fondateur du Journal de physique en 1872 et professeur vénéré par toute une génération de scientifiques, pour faire éclore la vocation. Lippmann, reçu premier à l’admissibilité, intègre l’École normale supérieure en 1868. Pour autant il ne change pas ses habitudes : peu assidu en cours, insoucieux des examens, il échoue au concours de l’agrégation, mais développe son tempérament de chercheur. De 1872 à 1875, il est chargé de la mission très officielle d’étudier les techniques d’enseignement des sciences outre-Rhin. Il se rend plusieurs fois en Allemagne, dans les laboratoires de Kühne [1837-1900] et Kirchhoff [1824–1887] à Heidelberg, et de Helmholtz [1821-1894] à Berlin, où il reçoit un accueil bienveillant. Il entame des recherches sur les phénomènes électro-capillaires, et établit la propriété fondamentale que la tension superficielle au contact entre deux liquides varie avec la différence de potentiel électrique. Il exploite ses résultats pour la construction d’un électromètre capillaire, qui trouve plus tard des applications dans le domaine biomédical. En 1874, ce féru de littérature française et germanique obtient un doctorat en philosophie en Allemagne. Ensuite il rentre à Paris et poursuit, d’abord chez lui, puis à la Sorbonne, avec des instruments prêtés par les laboratoires de l’École Normale, ses recherches sur l’électrocapillarité. Il achève ainsi sa thèse de physique, qu’il soutient le 24 juillet 1875. Ses résultats font sensation ; ce début est un coup de maître. Il rejoint le Laboratoire des recherches physiques de Jamin [1818-1886] et y reste jusqu’à la fin 1878, époque où furent créées les maîtrises de conférence dans les Facultés des sciences : Lippmann obtient l’un des premiers postes créés. À partir de 1880, il tente d’établir une théorie sur la réversibilité des phénomènes électriques, qui lui paraît être pour l’électricité ce que la thermodynamique est pour la chaleur. Partant de la conservation de l’électricité, Lippmann déduit diverses conséquences intéressantes : réversibilité de la piezzo-électricité, celle de la pyro-électricité, ou encore celle, observée par Bolzmann [1844-1906], du pouvoir diélectrique des gaz… Il reste maître de conférences jusqu’en 1883. À cette époque, encouragé par plusieurs mathématiciens de la faculté séduits par l’élégance et 130

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GABRIEL JONAS LIPPMANN

la finesse de ses travaux, Lippmann pose sa candidature pour la chaire de Physique mathématique laissée vacante par la mort de Briot [1817-1882]. Il est nommé le 20 mars 1883. Il n’y reste que 3 ans, dispensant un cours intitulé « Unités électriques absolues » : il y propose le principe d’une méthode microscopique pour la détermination de l’Ohm, ou encore un électrodynamomètre pour la mesure absolue de l’intensité électrique… En 1886, Jamin décède à son tour. Naturellement, Lippmann lui succède comme professeur de Physique générale et directeur du Laboratoire des recherches physiques. C’est à lui qu’incombe l’organisation du transfert du laboratoire dans les nouveaux locaux de la Sorbonne. La même année, il est élu à l’Académie des sciences en remplacement de Desains [1817-1885)]. Sa notoriété ne cesse de croître auprès de ses pairs. En 1893, son laboratoire compte 25 chercheurs, français et étrangers, parmi lesquels Leduc [1853-1939] ou Marie Curie [1867-1934]. Mais ce qui le consacre définitivement aux yeux du grand public et dans le monde entier, c’est sa découverte, faite entre 1886 et 1891, de la photographie des couleurs selon le procédé qui porte aujourd’hui son nom. On attribue en général l’invention de la photographie à Niépce [17651833] vers 1823-1824. Quelques-années plus tard, le procédé primitif fut repris et amélioré par Daguerre [1787-1851]. En 1840, Fizeau [18191896], par l’emploi d’un sel d’or, réussit à rendre le système plus rapide, et les images des daguerréotypes plus belles et plus visibles… Toutefois, dès l’apparition des premiers daguerréotypes, on avait cherché à leur faire produire des couleurs. Deux pistes furent suivies : l’une vise la photographie en couleurs (principe des photographies trichromatiques actuelles) ; l’autre vise la photographie des couleurs. Le procédé de Lippmann, basé sur un principe interférentiel, appartient à la seconde catégorie. Il en développe la théorie en 1886, mais il faut attendre près de 5 ans pour qu’un procédé fiable et une émulsion convenable soient mis au point. Les frères Auguste [1862-1954] et Louis [1864-1948] Lumière, impressionnés par sa méthode, persuadés qu’il a trouvé la clef de la photographie colorée, décident d’abandonner leurs propres recherches sur la synthèse trichromatique et de joindre leurs efforts à ceux de Lippmann. Pour accélérer la diffusion et les progrès de sa technique, Lippmann 131

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rend son invention publique et ne dépose aucun brevet. Les recherches peuvent ainsi se poursuivre en toute liberté. Il reste tant à faire, et d’abord à réduire le temps de pose qui est alors d’une heure. En 1892, Lippmann fait sensation à l’Exposition internationale de photographie, qui se tient à Paris, en présentant trois photographies colorées de nature morte. En 1893, enfin, les frères Lumière réussissent le tour de force de photographier des sujets vivants : les couleurs des portraits réalisés démontrent un orthochromatisme excellent. Lippmann publie sa théorie complète en 1894. Lippmann devient membre de la Société française de photographie en 1892, avant d’en assumer la présidence de 1897 à 1899. Il est fait membre d’honneur de la Royal photographic society en 1897. Sa renommée devient mondiale lors de l’Exposition universelle de Paris en 1900, où il présente une exposition dans le pavillon français. La photographie restera longtemps un sujet de réflexion. En 1908, il émet une Note des Comptes rendus de l’Académie des sciences, où il décrit une méthode extrêmement originale de « photographie intégrale », fortement inspirée de la vision des insectes et basée sur un système de prise d’images multiples sur une rétine morcelée. S’intéressant à l’astronomie, toujours curieux du perfectionnement des instruments, Lippmann propose, entre autres, le concept d’un pendule à entretien électromagnétique ; ou plus ingénieux encore, d’un cœlostat permettant d’immobiliser l’image du ciel tout entier et d’en prendre ainsi une photographie en statique. Bien connu des astronomes, cet appareil a rendu des services exceptionnels lors d’éclipses solaires ou lunaires. En 1908, Lippmann reçoit le prix Nobel de Physique pour sa méthode de photographie des couleurs basée sur les phénomènes d’interférence. C’est également à cette époque que l’avenir industriel du procédé Lippmann se décide : le temps de pose est réduit à une minute, mais c’est encore long ; la technique se démocratise, mais elle reste complexe et coûteuse ; et surtout, il est impossible de faire des copies. Or au même moment, les frères Lumière mettent au point leur fameuse plaque autochrome, basée sur la synthèse trichromatique, qui n’a aucun des défauts de la technique Lippmann, et dont le succès commercial est immédiat. C’est le coup de grâce : alors même qu’il lui permet de recevoir 132

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la plus haute distinction scientifique, son procédé photographique est condamné. Mais cet échec n’entame en rien sa gloire scientifique. En 1912, il est élu président de l’Académie des sciences. Il est également fait membre de la Royal Society de Londres, et du prestigieux Bureau des longitudes. Plus tard, il participe à la création de l’Institut d’optique théorique et appliquée. Lippmann laisse l’image d’un homme à la fois distingué et réservé, parfois timide. Sa distraction est passée dans la légende : on raconte qu’au début d’un cours, ayant fait une expérience particulièrement réussie, il reçoit des applaudissements nourris. Les applaudissements indiquant habituellement la fin du cours, Lippmann se retire immédiatement… La distraction est, dit-on, la caractéristique des artistes et des savants. Gabriel Lippmann tient indéniablement des deux : il est en effet très difficile de distinguer le regard du coloriste de celui du scientifique dans la mise au point de la technique de photographie directe des couleurs. Il meurt en mer le 13 juillet 1921, au retour d’un voyage au Canada. Pour en savoir plus Picard E., La vie et l’œuvre de Gabriel Lippmann, lecture faite dans la séance publique annuelle de l’Académie des sciences, le 14 décembre 1931.

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Max Karl Ernst Ludwig Planck DATES CLÉS 23 avril 1858 Naissance à Kiel (Allemagne) 1879 Doctorat sur le second principe de la thermodynamique 1900 Introduction de la notion de quanta d’énergie 1918 Prix Nobel de Physique 1929 Max-Planck medal 4 octobre 1947 Mort à Göttingen (Allemagne)

Physicien théorique, professeur à la prestigieuse université Friedrich-Wilhelms de Berlin, musicien doué, Max Planck est surtout connu pour avoir révolutionné la perception des lois de la physique et introduit la notion de quanta d’énergie. On lui doit notamment d’avoir établi la loi de répartition spectrale du rayonnement thermique du corps noir. La constante universelle ħ porte son nom, et ses travaux ont servi de socle à l’explication de l’effet photoélectrique par Albert Einstein et à la description de l’atome par Niels Bohr.

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ax Planck, de son nom de baptême Marx, naît le 23 avril 1858 à Kiel, la capitale du Länder Allemand Slesvig-Holsace, à la frontière avec le Danemark, dans une famille d’universitaires. Son grand-père et son arrière-grand-père paternels enseignaient la théologie à Göttingen, et son père Johann Julius Wilhelm Planck est professeur de droit constitutionnel à l’université de Kiel. Sa mère, Emma Patzig, issue d’une famille de pasteurs, est la seconde femme de Johann. À la naissance de Max, la famille compte cinq enfants (dont deux de la première union du père avec Mathilde Voigt) et ses parents sont déjà relativement âgés. Il est élevé dans le respect des valeurs traditionnelles, et l’éducation scolaire revêt une importance particulière. 137

LES RÉVOLUTIONNAIRES

Max fréquente l’école élémentaire à Kiel jusqu’en 1867, l’année du déménagement des Planck pour Münich où son père est muté. C’est un changement d’univers : Kiel est une petite ville portuaire et provinciale ; Münich est une capitale économique et culturelle, au centre d’une région lacustre et à proximité immédiate de massifs montagneux célèbres pour leurs circuits de randonnée. Le jeune Max s’y épanouit. Passionné notamment par la musique, il montre un vrai talent au piano et à l’orgue. Il entre au Maximilian Gymnasium, où il se révèle un élève studieux et régulier, à l’esprit clair et logique. Son goût pour les sciences se manifeste un peu plus tard, et se développe sous la férule de son professeur Hermann Müller.

LES ÉTUDES En 1874 il obtient son Abitur avec mention et, après une période d’indécision où il hésite pour une carrière musical, il opte pour les sciences et intègre l’université de Münich en octobre. Les premiers mois, Max Planck se cherche encore. Il suit assidûment les cours de mathématiques, puis de physique. Séduit, il interroge son professeur Philipp von Jolly sur les perspectives d’une carrière de chercheur ; celui-ci lui décrit une science achevée, maîtrisée, au périmètre parfaitement délimité. Il est fidèle en cela à la perception générale des physiciens de la fin du XIXe siècle… Néanmoins, malgré ce tableau noir d’un horizon bouché, Planck persiste et poursuit son cursus. Une maladie le cloue chez lui tout l’été 1875, il doit même interrompre ses études pendant plusieurs mois. Une fois rétabli, il décide de rejoindre l’université de Berlin, où il suit les cours de Weierstrass [1815-1897], von Helmholtz [1821-1894] (un professeur brouillon, avec qui il se lie d’amitié) et Kirchhoff [1824-1887] (plus soigneux, mais monotone). Il entreprend d’étudier seul les travaux de Clausius sur la thermodynamique, et s’enthousiasme pour la beauté conceptuelle du second principe sur l’évolution de l’entropie. Il boucle son cursus universitaire en 1878, et rentre à Münich pour préparer un doctorat. Il soutient sa thèse sur le second principe de théorie mécanique de la chaleur en juillet 1879, un sujet peu conventionnel mais qui convainc le jury et lui vaut la mention 138

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MAX KARL ERNST LUDWIG PLANCK

summa cum laude. Un an plus tard, Planck passe son habilitation sur les états d’équilibre des corps isotropes à différentes températures. Il devient ainsi privat-docent à l’université de Münich. C’est un poste d’enseignant précaire et non rémunéré, qui l’oblige à vivre chez ses parents et retarde ses projets matrimoniaux. C’est cependant un passage obligé pour obtenir une chaire, et Planck y consacre cinq années. En 1885, il décroche un poste de professeur adjoint en physique théorique à l’université de Kiel. Enfin autonome et dans une position stable, il concentre ses efforts sur l’étude de la thermodynamique et ses liens avec l’électricité et la chimie, et publie quelques articles qui font date. Il épouse en mars 1887 Marie Merck [1861-1909], une jeune fille qu’il fréquente depuis plusieurs années, et s’installe à Grunewald, dans la banlieue de Berlin. Ils auront quatre enfants : Karl, qui disparaît à Verdun en 1916 ; Erwin, qui sera son conseiller pendant l’entre-deux-guerres ; et deux filles jumelles Margaret et Emma. Le couple reste uni jusqu’au décès de Marie, probablement de la tuberculose, en 1909. Deux ans plus tard, Planck épouse Marga von Hößlin [1882-1948], la nièce de Marie, qui lui donnera un fils, Hermann.

LES TRAVAUX DE RECHERCHE En octobre 1887, la disparition de Kirchhoff laisse vacante la chaire de physique théorique de l’université Friedrich-Wilhelms de Berlin. Boltzmann [1844-1906] et Hertz [1857-1894] sont pressentis pour lui succéder, mais ils se désistent. Sur la recommandation chaleureuse de Helmholtz, Planck décroche le poste en 1888. C’est une position prestigieuse, et une proposition extraordinaire pour un jeune professeur. Après une sorte de période d’essai où il n’est que professeur extraordinaire, il est finalement confirmé au poste en 1892 ; il le conservera jusqu’à sa retraite en 1927, avant de passer la main à Schrödinger [1887-1961]. Planck atteint sa pleine maturité scientifique dans les années 1890. Les cours qu’ils donnent lui bâtissent une solide réputation de professeur qui traverse les frontières. Sous son impulsion, les sociétés physiques d’Allemagne se réunissent et forment la Deutsche Physikalische Gesellschaft en 1898. Sur le plan scientifique, il reste hanté par le second principe de la 139

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thermodynamique, et s’intéresse à la loi de rayonnement thermique du corps noir – une des deux grandes énigmes de la physique du XIXe siècle, selon Lord Kelvin [1824-1907]. En effet, les calculs de l’énergie totale émise par un corps noir mènent au résultat forcément erroné qu’il émet une quantité infinie d’énergie. Cette divergence numérique apparaît lors de l’intégration du spectre aux courtes longueurs d’ondes, d’où son nom de catastrophe ultraviolette. Max Planck en conclut que le modèle classique du rayonnement thermique, basé sur l’hypothèse d’un spectre continu, est faux… C’est pour lui, ainsi qu’il l’écrira, un acte désespéré qui ébranle sa croyance profonde en l’universalité du principe d’entropie, mais il s’y résout car il le mène à une interprétation théorique valide. Nous sommes alors en octobre 1900. Planck introduit la notion de quanta d’énergie : il fait l’hypothèse que l’énergie n’est pas émise de manière continue, mais par paquets dont la valeur dépend de la longueur d’onde. C’est une remise en cause fondamentale du dogme de continuité des lois de la physique. En combinant les formules de Wien [1864-1928] et de Rayleigh [1842-1919], il parvient alors à établir la loi, qui porte aujourd’hui son nom, de répartition spectrale du rayonnement thermique du corps noir. Deux mois plus tard, poursuivant sur sa lancée, il définit quatre grandeurs physiques fondamentales (ou échelles de Planck) basées sur les constantes universelles, dont celle qu’il vient de découvrir, ħ. Sans vraiment maîtriser le sens physique de la notion de quanta, dont il sent pourtant qu’elle doit jouer un rôle fondamental en physique, il présente ses résultats le 14 décembre 1900 devant la toute jeune Deutsche Physikalische Gesellschaft à Berlin. C’est la naissance de la théorie des quanta. Mais Planck, alors âgé de 42 ans, ne parvient pas à assumer sa propre hypothèse rendant la physique discontinue et s’efface de la scène. La théorie quantique s’épanouira sans lui, avec d’autres : Einstein et les quanta de lumière, Poincaré et la nécessité mathématique des quanta induite par la loi du rayonnement de Planck, Bohr et la théorie de l’atome… Les quanta de Planck s’avèrent extraordinairement efficaces pour interpréter les observations expérimentales, et marquent un tournant dans l’histoire de la physique. Sa notoriété est immense et son travail séminal universellement reconnu. Avec Nernst [1864-1941], il organise 140

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MAX KARL ERNST LUDWIG PLANCK

en novembre 1911 le premier congrès Solvay à Bruxelles. Après avoir été nommé deux fois en 1907 et en 1908, il reçoit le prix Nobel de Physique de 1918 « en reconnaissance des services rendus à l’avancement de la physique par sa découverte des quanta d’énergie ». Notons également qu’il a été le directeur de thèse de deux prix Nobel, von Laue [1879-1960] et Bothe [1891-1957].

UNE VIE AU SERVICE DE LA SCIENCE Planck s’investit fortement pour l’essor des sociétés savantes en Allemagne. En 1894, il est élu membre de l’Académie royale des sciences et des lettres de Berlin, dont il est nommé secrétaire perpétuel du comité de physique en 1912. En 1913, il est nommé recteur de l’université de Berlin. En 1930, à la mort de von Harnack, Planck est nommé président de la société Kaiser Wilhelm Gesellschaft. Puis l’Europe s’enflamme. Comme un capitaine fidèle au poste, tentant de son mieux de préserver les acquis scientifiques, Planck ne fuit pas l’Allemagne nazie. Mais la fin de la guerre l’éprouve durement : sa maison de Berlin est détruite par un raid aérien en février 1944, emportant des archives scientifiques inestimables. Cette même année, son fils Erwin est arrêté, accusé de tentative d’assassinat sur Hitler dans le cadre du complot du 20 juillet 1944. Il est torturé par la Gestapo et meurt en février 1945. Après la tempête, Planck, âgé de 87 ans, est ramené à Göttingen par les alliés. Il se met sans hésiter à la tâche et aide à la reconstruction des organismes scientifiques de l’Allemagne. Il accepte à nouveau la charge de Président de la Kaiser Wilhelm Gesellschaft. Sous sa houlette, la vénérable institution, qui a survécu péniblement aux remous politiques du second conflit mondial, parvient à renaître. En reconnaissance, elle devient en 1948 la Max Planck Gesellschaft, l’une des grandes institutions de la recherche fondamentale en Allemagne.

LES HONNEURS En 1921, Planck est lauréat de la médaille Liebig décernée par la Société des chimistes allemands, puis en 1927 de la médaille Franklin 141

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pour sa découverte des quanta d’énergie. Il est élu membre étranger de la Royal Society de Londres en 1926, dont il reçoit la prestigieuse médaille Copley en 1928. Il reçoit en 1927 la Médaille Lorentz, prix décerné par l’Académie royale des arts et des sciences néerlandaise. Honneur considérable, la médaille Max Planck de physique est créée en 1929, et il en est avec Einstein [1879-1955] le premier récipiendaire. Depuis son jeune âge, Planck montre un goût marqué pour la musique. Il maîtrise le piano, et donne parfois des concerts chez lui sur un harmonium qu’il s’est fait construire. Il compose également quelques pièces musicales. Ce n’est probablement pas un hasard si ce scientifique amoureux des sons a su, si élégamment, lever un coin du voile sur l’harmonie secrète de la nature. Révéré par ses collègues, auréolé d’une immense gloire, Max Planck s’éteint le 4 octobre 1947 à Göttingen. Pour en savoir plus Heilbron J.L., Planck, la révolution quantique, Les génies de la science 27, 32-120 (2006).

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Louis Victor Pierre Raymond de Broglie DATES CLÉS 15 août 1892 10 déc. 1929 23 mai 1933 1932-1933

Naissance à Dieppe, France Prix Nobel de Physique Entrée à l’Académie des sciences Chaire de Physique théorique à l’Institut Poincaré 12 octobre 1944 Élu à l’Académie française 1955 Médaille d’Or du CNRS 19 mars 1987 Mort à Louveciennes, France

Mathématicien et physicien français, prix Nobel de Physique, Louis Victor de Broglie, prince, puis duc de Broglie, est connu pour avoir fondé la théorie ondulatoire de la matière.

L

ouis Victor Pierre Raymond naît le 15 août 1892 à Dieppe dans une famille illustre. D’origine piémontaise, émigrée en France sous Mazarin, la famille de Broglie fait partie, depuis le XVIIe siècle, de l’Histoire de France : un aïeul de Louis fut Maréchal de France ; l’arrière-grand-père et le grand père furent Présidents du Conseil ; plusieurs de ses ancêtres furent des historiens réputés et membres de l’Académie française.

UNE DESTINÉE APPAREMMENT TOUTE TRACÉE Son père Victor, Duc de Broglie, et sa mère, Pauline d’Armaillé, l’inscrivent au Lycée Janson de Sailly à Paris. Les archives gardent la trace d’un élève moyen en mathématique et en chimie, mais brillant en histoire, en français, en philosophie et en physique. Il en sort en 1909. À cette époque, le jeune homme se destine à une carrière diplomatique, et s’inscrit en histoire à la Sorbonne. À 18 ans, il obtient une licence d’histoire. Puis il passe une année en droit et prépare une étude sur la politique française au 143

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début du XVIIIe siècle. La voie semble tracée… Pourtant c’est là, à 20 ans, qu’il commence à s’intéresser aux sciences physiques, probablement sous l’influence de son frère Maurice de Broglie [1875-1960], physicien et spécialiste des rayons X. C’est certainement plus qu’un intérêt, puisqu’il songe à changer d’orientation universitaire. La décision n’est pas facile. Il hésite, longuement semble-t-il, puis il choisit : il étudiera pendant deux ans la physique théorique. Il décroche une Licence ès Sciences en 1913. Puis, c’est la Grande Guerre. Louis de Broglie, mobilisé, est affecté à la section de radiotélégraphie de la Tour Eiffel. Il s’y familiarise avec la physique des ondes radioélectriques. En parallèle, il est initié par son frère, Maurice de Broglie, à la physique des rayons X. Or pour ces rayons, le concept de dualité onde-corpuscule est particulièrement riche… C’est dans cette réflexion que, de son propre aveu, il faut chercher son inspiration et les prémices de sa grande découverte. Mais n’anticipons pas. La fin de la guerre permet à Louis de Broglie de reprendre ses études de mathématiques. Il se lance également dans des travaux de recherche sur la théorie des quantas. Pour mieux appréhender ce qui va suivre, disons un mot du contexte scientifique de ces années 1920.

LA GRANDE DÉCOUVERTE Depuis une dizaine d’années, les sciences physiques se trouvent dans une impasse : c’est le constat que font les plus grands scientifiques réunis en 1911, lors du premier congrès Solvay de Bruxelles. Qu’on en juge. Deux systèmes théoriques coexistent, et surtout ils semblent inconciliables. D’un côté, la physique de la matière, doyenne prestigieuse, largement et solidement établie, est basée sur des processus continus, et utilise des concepts de particules qui obéissent aux lois newtoniennes du mouvement. Et de l’autre côté, la physique du rayonnement, challenger récente, moins mûre mais riche de succès éclatants, est basée sur l’hypothèse des quanta, et manipule des notions de propagation d’ondes. Cependant les scientifiques se doutent que ces deux systèmes ne sont inconciliables qu’en apparence, et qu’une unification est, doit être, possible ! Pourtant, toute tentative de les associer échoue. L’une des plus célèbres est celle de 144

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LOUIS VICTOR PIERRE RAYMOND DE BROGLIE

Poincaré [1854-1912] qui montre que la physique de la matière, contrairement à sa rivale, ne permet pas d’établir la loi de Planck d’émission du corps noir… C’est dans ce contexte que Louis de Broglie entame ses recherches. Les discussions avec son frère, ses réflexions sur les rayons X, son audace de littéraire commencent à porter leur fruit. Non, décidément, les deux théories ne sont pas incompatibles. En 1922, dans un éclair de génie, il fonde la mécanique ondulatoire, une synthèse fertile qui embrasse la physique de la matière et celle de la lumière. Il en précise le concept et les contours deux ans plus tard dans sa thèse de doctorat Recherches sur la théorie des quanta. Il suppose qu’à chaque particule est associée une onde dont la longueur dépend de la masse et de la vitesse de cette particule. Cette longueur d’onde permet alors de prévoir le mouvement de la particule. Surtout, si tout ceci est exact, un flux de particules peut être diffracté à l’instar d’un faisceau de lumière… Cette vision est proprement révolutionnaire, c’est la naissance d’une nouvelle physique. La théorie de Louis de Broglie étend à la matière tout entière la double nature, à la fois ondulatoire et corpusculaire, qu’Einstein [1879-1955] a déjà attribuée à la lumière. Les scientifiques doutent, s’intéressent, n’y croient pas. Et puis, le coup de tonnerre : en 1927, deux équipes indépendantes, l’une aux États-Unis (Davisson [1881-1958] et Germer [1896-1971]), l’autre à Aberdeen en Écosse (Thomson [1892-1975]), observent la diffraction d’électrons par un cristal de nickel, et montrent que les maxima correspondent exactement à l’onde calculée par Louis de Broglie. Le doute n’est plus permis : Louis de Broglie obtient le prix Nobel de Physique en 1929. La nouvelle théorie se répand comme un feu de paille : Schrödinger [1887-1961], Dirac [1902-1984] et d’autres, innombrables, donneront à la mécanique ondulatoire ses lettres de noblesse. De Broglie en rédigera lui-même quelques-unes, parmi les plus belles.

RECHERCHE ET ENSEIGNEMENT Entretemps, depuis la fin de sa thèse, de Broglie enseigne à la Sorbonne. Il est nommé professeur de Physique théorique à la faculté des sciences de l’université de Paris (l’Institut Henri Poincaré) en 1928. Il en obtient la 145

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chaire en 1932, succédant ainsi à Léon Brillouin. Il la conservera jusqu’à sa retraite en 1962. Son activité scientifique est boulimique. Entre 1930 et 1950, il travaille aux diverses extensions de la mécanique ondulatoire : il étudie la théorie de Dirac de l’électron, il contribue à la nouvelle théorie de la lumière, il s’intéresse à la théorie générale des particules de spin, il explore les applications de la mécanique ondulatoire à la physique nucléaire… Des étudiants viennent de partout suivre ses cours, ou mener une thèse de doctorat dans l’équipe qu’il anime (on en dénombre plus de 200 !). À partir de 1951, Louis de Broglie s’entoure de jeunes collaborateurs et reprend une idée forte de ses débuts : il s’agit d’une tentative d’interprétation causale de la mécanique ondulatoire en termes classiques de temps et d’espace. Une théorie qu’il avait entamée en 1927, puis abandonnée face à l’adhésion quasi-unanime des physiciens à la théorie probabiliste de Born [1882-1970], Bohr [1885-1962] et Heisenberg [1901-1976]. Y revenant 25 ans plus tard, il obtient quelques résultats prometteurs, qu’il publie sous le titre de Théorie de la double solution en 1956, dans un livre ainsi que dans divers comptes rendus de l’Académie des sciences. Il rédige par ailleurs plus de 200 mémoires et publie quelque 25 livres de science, dont Ondes et mouvements (1926), La mécanique ondulatoire (1928), Introduction à la nouvelle théorie des particules de M. Jean-Pierre Vigier et de ses collaborateurs (1961). En 1944, il devient membre du prestigieux Bureau des longitudes. En 1945, il est nommé conseiller au Commissariat à l’énergie atomique. En marge de ses activités purement scientifiques, Louis de Broglie participe également au débat d’idées sur les découvertes et les retombées de la science moderne. On lui doit ainsi plusieurs ouvrages philosophiques dont : Matière et Lumière (1939), Sur les sentiers de la science (1960), Certitudes et incertitudes de la science (1966). Une question le taraude ; il y revient tout au long de sa vie : l’aspect probabiliste de la physique atomique est-il le reflet de notre incapacité à en formaliser la théorie ou, au contraire, ces statistiques sont-elles véritablement tout ce qu’on peut en connaître ? Malgré une vie passée au sommet de la connaissance scientifique, il n’est pas certain qu’il y ait apporté une réponse tranchée… 146

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LOUIS VICTOR PIERRE RAYMOND DE BROGLIE

LES HONNEURS En 1929, l’Académie des sciences lui décerne la médaille Henri Poincaré, et le Prix Albert Ier de Monaco en 1932. Louis de Broglie est en 1933 le plus jeune membre de l’Académie des sciences, dont il devient le secrétaire perpétuel en 1942. Puis c’est la consécration : il est élu à l’Académie française le 12 octobre 1944, au fauteuil 1, où il succède à Émile Picard [1856-1941], mort trois ans plus tôt mais auquel les académiciens ne donnèrent pas de successeur tant que dura l’occupation de la France par les allemands. L’élection de Louis de Broglie est particulière, voire exceptionnelle, à plus d’un titre. D’abord, elle marque la reprise des votes à l’Académie après plusieurs années d’hibernation. Ensuite, le minimum de 20 votants exigé par le règlement ne peut être atteint compte tenu des décès, emprisonnements et autres absences liées à la guerre : il n’y a donc que 17 académiciens (sur les 40 nominaux) pour élire ce jour-là, à l’unanimité, Louis de Broglie. Enfin, sa réception officielle a lieu le 31 mai 1945, donnant l’occasion d’une scène inédite depuis trois siècles : l’accueil d’un académicien par son propre frère – en l’occurrence, le duc Maurice de Broglie. D’autres honneurs suivront, du monde entier. Il reçoit le premier Prix Kalinga de l’Unesco pour la vulgarisation de la physique moderne (1952), la Médaille d’or du CNRS (1955), il est élevé à la dignité de Grand-Croix de la Légion d’Honneur (1961)… Il est nommé docteur honoris causa des universités de Varsovie, Bucarest, Athènes, Lausanne, Québec et Bruxelles. Il est élu membre honoraire de 18 académies et sociétés savantes en Europe, en Inde et aux États-Unis.

LE LITTÉRAIRE ET LE SCIENTIFIQUE Louis de Broglie s’éteint à Louveciennes le 19 mars 1987, à l’âge de 94 ans, laissant l’image d’un homme discret, esprit solitaire et plus enclin à la réflexion personnelle qu’à l’effervescence des congrès. Éclectique de la connaissance, enthousiaste et curieux de tous les progrès de la science, il s’adonnait, on l’a évoqué, à l’histoire et à la philosophie des sciences ; mais également à la biologie, à l’histoire de l’art, à la littérature… Sa formation littéraire lui a conféré une largeur d’esprit et, 147

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certainement, une audace peu communes. Il n’en fallait probablement pas moins pour sortir les sciences physiques du dilemme des années 1910, et réconcilier les ondes et la matière. Pour en savoir plus Abragam A., Louis de Broglie : la grandeur et la solitude, La Recherche 245 (1992). Michel L., Louis de Broglie : le savant, La Recherche 245 (1992).

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Pierre de Fermat DATES CLÉS 17 août 1601 Naissance à Beaumontde-Lomagne, France 1637 Découvre l’Arithmetica de Diophante. Date présumée du Grand Théorème de Fermat. 1648 Membre de la Chambre de l’Édit de Castres. Devient Pierre de Fermat 1654 Blaise Pascal prend contact avec Fermat. Théorie des probabilités 1657 Principe de Fermat 12 janv. 1665 Mort à Castres, France

C’est en parfait dilettante que Pierre de Fermat, mathématicien de génie, a marqué l’histoire des sciences. Magistrat de formation et de métier, il n’a participé à la vie scientifique du XVIIe siècle que par une correspondance privée avec d’autres savants. Il n’a à son actif aucun article publié, aucun livre diffusé, aucune présentation publique, pourtant il a apporté une contribution décisive à divers domaines des mathématiques (théorie des nombres, géométrie analytique, calcul infinitésimal, théorie des probabilités). Surtout, il énonça le fameux Principe d’optique qui porte son nom…

FERMAT MAGISTRAT DU ROI Pierre Fermat est né le 17 août 1601, de l’union de Dominique Fermat, marchand de cuir aisé, second consul de Beaumont-de-Lomagne (Tarn et Garonne), et de Claire Delong, professeur de mathématiques. Bien qu’il ne reste aucune trace de ses débuts scolaires, il est probable qu’il ait fréquenté le monastère Franciscain de Grandselve. Dans les années 1620, il entame des études à l’université de Toulouse, puis à celle de Bordeaux où il se lie avec Beaugrand. C’est de cette époque que datent 149

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ses premiers faits d’armes : il produit un travail remarquable sur les maxima et minima, et rétablit avec une admirable sagacité le Plane Loci d’Apollonius (1629). Après Bordeaux, Fermat se rend à Orléans où il étudie le droit civil. En 1631, il achète une charge de conseiller du Roi à la Chambre des Requêtes du Parlement de Toulouse. Il ne quittera plus la ville rose, même s’il partage ses activités avec Beaumont-de-Lomagne et Castres. Sa notoriété de magistrat croît rapidement. Une première promotion récompense ses efforts : en 1638, il est nommé à la Chambre Criminelle et la Grand’ Chambre. Puis une autre en 1648, date à laquelle il entre à la Chambre de l’Édit de Castres, qui est chargée de régler les différends entre catholiques et protestants. Ce dernier poste ajoute une particule de noblesse à son nom : Pierre se nomme dorénavant de Fermat.

FERMAT MATHÉMATICIEN En parallèle, Fermat entre en contact épistolaire avec le cercle mathématicien animé par Mersenne à Paris. Le premier échange en 1636 porte sur la théorie de la chute libre, l’occasion pour Fermat d’aborder ses travaux sur l’étude géométrique des spirales. Il ajoute à sa lettre deux problèmes sur les maxima, qu’il demande à Mersenne de diffuser auprès des mathématiciens Parisiens. C’est l’archétype des futurs courriers de Fermat : il met les autres au défi de démontrer des résultats qu’il a déjà obtenus. Roberval et Mersenne trouvent les problèmes de Fermat particulièrement ardus, et impossibles à résoudre selon les techniques habituelles. À leur demande, Fermat leur envoie sa Méthode pour la détermination des Maxima et Minima et des Tangentes aux lignes courbes, ainsi que son manuscrit Ad locos planos et solidos isagoge où il décrit une méthode générale pour la résolution de problèmes géométriques en leur associant une équation algébrique. Fermat acquiert très vite la réputation d’un des plus grands esprits mathématiques du moment. Mais aucune tentative de publication de ses travaux n’aboutit, principalement parce que Fermat ne se décide pas à les mettre en forme. Pourtant, quelques résultats échappent à cette règle, presque par fraude : ainsi, Hérigone publie la méthode des maxima et 150

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PIERRE DE FERMAT

minima de Fermat dans une annexe de son œuvre maîtresse, les Cursus mathematicus. Une controverse l’oppose un moment à Descartes qui met en doute la méthode des maxima et minima, dont le champ d’applications recoupe celui de sa Géométrie. Descartes demande à Desargues d’arbitrer la querelle scientifique. Roberval et Etienne Pascal sont entraînés dans le tourbillon. Mais la méthode de Fermat est correcte : il le prouve en déterminant précisément la tangente à une cycloïde. Descartes doit s’incliner.

LE GRAND THÉORÈME DE FERMAT En 1637, Fermat découvre et se passionne pour les travaux de Diophante, mathématicien grec du IIIe siècle, originaire d’Alexandrie et auteur de l’Arithmetica. Il annote abondamment la marge de son exemplaire dans l’édition de Bachet : il y annonce, et y prouve quelquefois, de nombreux théorèmes. En 1840, tous étaient démontrés ou invalidés. Tous sauf un, la fameuse conjecture qui deviendra le Grand Théorème de Fermat. Voici l’histoire, ou plus exactement ce qui est devenu une légende : dans l’Arithmetica, Fermat s’intéresse plus particulièrement au chapitre concernant les triplets de Pythagore, c’est-à-dire aux ensembles de trois nombres a, b et c, pour lesquels l’égalité a2 + b2 = c2 est vérifiée. Dans la marge de son exemplaire de l’Arithmetica, qui sera publié en 1670 par son fils Samuel, il affirme que l’équation an + bn = cn n’a pas de solution entière pour les valeurs de n strictement supérieures à 2. Il écrit qu’il en a découvert une preuve « merveilleuse », mais que la marge est trop étroite pour la contenir. Ces quelques lignes, écrites vraisemblablement autour de 1637, déchaînent des passions parmi les mathématiciens. Les plus puissants esprits tenteront, pendant les 350 années suivantes, de venir à bout de cette équation. Leonhard Euler lui-même, génie universel, s’y mesurera et s’avouera vaincu. Peter Dirichlet, Adrien Legendre, Ernst Kümmer, et d’autres encore, innombrables, devront admettre leur défaite. L’audacieuse Sophie Germain prendra l’identité d’un homme pour se lancer dans des études jusque-là interdites aux femmes ; mais 151

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elle aussi, comme les autres, échouera. Yutaka Taniyama se suicidera par dépit alors que Paul Wolfskehl trouvera dans cette énigme une raison de vivre… Il est aujourd’hui communément admis que la démonstration de Fermat était fausse, quoiqu’il soit évidemment impossible d’en être parfaitement sûr. Mais on doit à cette légende, et surtout à ce défi original lancé à travers les âges, d’avoir suscité l’engouement de générations de mathématiciens, et d’avoir ainsi permis de forger quelquesuns des outils les plus performants de l’arithmétique moderne. Ainsi, Evariste Galois, la veille de sa mort, jettera sur quelques feuilles une théorie qui révolutionnera la science. Fermat lui-même, en fournissant la preuve du cas n = 4, met au point une méthode astucieuse, dite de la « descente infinie ». Ce n’est qu’en 1994 qu’un jeune anglais, Andrew Wiles, professeur à Princeton, pourra enfin apporter, après sept années de recherche solitaire et plusieurs mois de doutes, la preuve de la célèbre conjecture.

LES PROBABILITÉS ET L’OPTIQUE La période de 1643 à 1654 marque une pause dans ses échanges épistolaires avec ses collègues parisiens. Il y a plusieurs raisons à cela. D’abord, Fermat montre en grade et son travail de magistrat s’intensifie : le temps qu’il peut consacrer à ses travaux mathématiques se réduit donc considérablement. Ensuite, la France est paralysée par la Fronde, et Toulouse n’est pas épargnée. Enfin, il y a la grande peste de 1651 et ses ravages : en 1653, Fermat, gravement atteint, frôle la mort. Mais cette pause n’est qu’épistolaire car, en solo et en sourdine, il poursuit ses travaux sur la théorie des nombres. En 1654, Blaise Pascal prend contact avec Fermat : il connaît, par son père Etienne, le formidable potentiel mathématique de Fermat. Il lui soumet ses idées sur le calcul des chances, en particulier la répartition équitable des gains entre les joueurs lorsqu’une partie est interrompue avant que le nombre des points convenus pour gagner soit atteint. Ensemble, ils jettent les bases de la théorie des probabilités, en définissant les notions d’espérance et de probabilité conditionnelle. 152

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PIERRE DE FERMAT

En 1656, Fermat débute une correspondance avec Christiaan Huygens. Désireux d’amener le célèbre scientifique Hollandais sur le terrain de la théorie des nombres, Fermat fait, pour la première fois, un réel effort de communication : il envoie à Huygens un résumé de ses travaux, où il décrit par le détail plusieurs de ses méthodes arithmétiques. Mais Huygens est surtout intéressé par la théorie des probabilités et le dialogue arithmétique tant espéré n’aura pas lieu. Dans les années 1660, un des étudiants de Descartes écrit à Fermat : il souhaite publier la correspondance que Fermat et Descartes ont échangée près de vingt ans plus tôt. Fermat replonge alors dans ses anciennes notes et exhume ses objections à la Dioptrique de Descartes. Toujours aussi dubitatif quant à la description cartésienne de la réfraction, il ramène quant à lui la réfraction à une question géométrique d’extremum. En effet, il a émis en 1657 le principe suivant : « la nature agit toujours par les voies les plus courtes et les plus simples ». C’est le fameux Principe de Fermat, un concept fondamental de l’optique, dont l’énoncé moderne est : Le trajet parcouru par la lumière entre deux points est toujours celui qui minimise (ou maximise) le temps de parcours. Comme à son habitude, il résout ce problème géométrique par voie algébrique. Et il retrouve, à sa grande surprise, la loi cartésienne des sinus !

FERMAT AUJOURD’HUI Pierre de Fermat laisse l’image d’un être secret et taciturne, distrait car absorbé en permanence par sa passion des chiffres, original et inspiré quand il s’agit de cette passion, authentiquement enthousiaste quand on lui parle arithmétique. La portée de son travail en géométrie analytique échappa à ses contemporains, en partie parce qu’il utilisa le formalisme mathématique de François Viète, formalisme rendu rapidement et largement obsolète par la Géométrie de Descartes. Il en alla autrement en théorie des nombres, son domaine de prédilection. Mais dans ce domaine-là, pour le meilleur 153

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et pour le pire, il était sans égal. Le pire fut précisément qu’il n’eut aucun adversaire à sa mesure, aucun correspondant avec lequel partager ses découvertes. Fermat était comme une main seule et isolée, en quelque sorte prisonnière de son espace-temps (le XVIIe siècle en France), une main frénétiquement en mouvement, éperdument à la recherche d’une autre main pour battre avec elle, et pouvoir applaudir. Le clap tant espéré ne viendra que beaucoup plus tard – mais son écho résonne certainement pour l’éternité. Pour en savoir plus Singh S., Le Dernier Théorème de Fermat (Hachette Littérature).

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John William Strutt (Lord Rayleigh) DATES CLÉS 12 nov. 1842 Naissance à Langford Grove, Essex, Angleterre 1872 Rédaction du Traité du Son 1879 Chaire de Physique expérimentale de Cambridge Directeur du Cavendish Laboratory de Cambridge 1902 Décoré de l’Ordre du Mérite 1904 Prix Nobel de Physique 1905 Président de la Royal Society 30 juin 1919 Mort à Witham, Essex, Angleterre

Prix Nobel de Physique, président de la Royal Society, chercheur éclectique et fécond, le troisième Baron Rayleigh est l’un des rares nobles de très haute naissance à avoir atteint une renommée mondiale en tant que scientifique.

J

ohn William Strutt naît le 12 novembre 1842 à Langford Grove, de l’union de John James Strutt, second Baron Rayleigh de Terling Place, et de Clara Elizabeth La Touche, fille aînée du Capitaine Richard Vicars, membre du fameux corps des ingénieurs royaux de l’armée britannique. C’est une famille de propriétaires terriens, vivant dans un monde très peu relié à celui de la science. John William, enfant, est d’une santé extrêmement précaire. À cette époque, nul ne pourrait prédire qu’il vivra près de 77 ans… Cette fragilité affecte largement sa scolarité. Après un court séjour à Eton, puis dans un cours privé de Wimbledon avant un passage éclair à Harrow, il passe enfin 4 années auprès du Révérend Warner, à Torquay, qui le prépare pour l’université. Qui s’en étonnera ? le John William de ces années-là, toujours alité, toujours en soin, est un élève moyen. 155

LES RÉVOLUTIONNAIRES

Mais il en va autrement pour l’étudiant de 18 ans, enfin sain et disponible, qui intègre le prestigieux Trinity College, à Cambridge. Strutt s’inscrit en Mathématiques, sous la direction du fameux Edward Routh [1831-1907] – probablement le professeur de mathématiques de Cambridge le plus célèbre de tous les temps – qui lui inculquera l’art inestimable d’appliquer la méthode mathématique adéquate pour résoudre chaque problème. Sous son influence, et celle d’autres précepteurs de talent comme Stokes [1819-1903] qui combine, comme jamais auparavant, enseignement théorique et démonstrations expérimentales pendant ses cours de physique, Strutt déploie alors tout son potentiel. Major de sa promotion en 1865, il est également lauréat du Prix Smith.

LES PREMIERS PAS Son premier papier est inspiré des travaux de James Clerk Maxwell [1831-1879] sur la théorie électromagnétique. D’autres études l’inspirent, telles celles de Helmholtz sur le résonateur acoustique. En 1866, Strutt est élu fellow du Trinity College, une charge honorifique qu’il occupe jusqu’en 1871. Cette année-là il perce le secret de la couleur bleue du ciel, qu’il explique par la diffusion de la lumière sur les molécules de l’air. Il épouse Evelyn Balfour, la sœur d’Arthur James Balfour [1848-1930], camarade de promotion et futur Premier Ministre britannique. En 1872, Strutt essuie une crise de rhumatisme articulaire aigu qui manque l’emporter. Sur le conseil de ses médecins, il entreprend un voyage en Égypte et en Grèce : avec sa femme, ils descendent le Nil, et retournent en Angleterre au printemps 1873. Le voyage lui est salutaire : Strutt revient complètement guéri. Il a également mis à profit son absence pour jeter les bases d’une œuvre maîtresse, le Traité du Son, qu’il enrichira continûment pendant les années suivantes et qui servira de référence pour des générations de scientifiques. Peu après le retour d’Égypte, son père meurt et John William, à 30 ans, lui succède au titre de Baron Rayleigh – un nom qu’il rendra célèbre. Il s’installe dans le fief familial de Terling Place, et doit désormais réserver une large partie de son temps à la gestion de ses terres (près de 3 000 hectares). Mais cela ne dure pas : en 1876, il passe la main à 156

SOUS LA LUMIÈRE, LES HOMMES

JOHN WILLIAM STRUTT (LORD RAYLEIGH)

son jeune frère et se consacre de nouveau totalement à la science. En 1879, il succède à Maxwell à la chaire de Physique expérimentale et à la tête du Cavendish Laboratory de Cambridge. Il s’y investit fortement et apporte des améliorations considérables à l’enseignement de la physique à Cambridge. Mais la charge universitaire est fastidieuse et gourmande en temps ; il ne lui en reste guère pour ses recherches ; Lord Rayleigh démissionne donc en 1884, malgré l’insistance de nombreux collègues qui l’encouragent à rester, et retourne sur ses terres. Mais il ne perd pas pour autant le contact avec le milieu scientifique : de 1887 à 1905, il est Professeur de Philosophie naturelle à la Royal Institution of Great Britain, à la suite de Tyndall [1820-1893].

LES TRAVAUX DE RECHERCHE C’est en se documentant largement dans la littérature scientifique de l’époque que Lord Rayleigh tente d’identifier les thèmes de recherche auxquels se consacrer. Sa production scientifique montre d’ailleurs un étonnant éclectisme puisque ses travaux, d’abord concentrés sur l’optique et les systèmes vibrants, regroupent plus de 400 thématiques, allant de la chimie des gaz à l’électromagnétisme. Il établit avec le mathématicien et astronome James Jeans [1877-1946] une loi théorique qui exprime la répartition de l’énergie rayonnée par le corps noir en fonction de la longueur d’onde, valable uniquement aux grandes longueurs d’onde. Certaines de ses théories ont pris toute leur ampleur près d’un siècle plus tard, comme celle des whispering galleries en 1910 inspirée d’une visite de la cathédrale Saint-Paul de Londres ; ou encore celle des travelling waves observées en 1834 par l’écossais John Scott Russell [1808-1882] et qui sont le précurseur des solitons optiques. Lord Rayleigh est également un instructeur de talent. Sous sa direction active, un module inédit et performant d’enseignement expérimental de la physique voit le jour à Cambridge, faisant passer les effectifs de 6 à plus de 70 étudiants. Ses articles scientifiques, ainsi que ses livres ou ses nombreuses contributions à l’Encyclopaedia Britannica sont un modèle de clarté pédagogique. 157

LES RÉVOLUTIONNAIRES

En 1892, Lord Rayleigh s’intéresse à l’étude de la densité des gaz. S’inspirant d’un rapport d’expérience du Cavendish Laboratory daté de 1795, il découvre avec le chimiste William Ramsay [1852-1916] un nouveau constituant de l’air qu’ils baptisent argon (du mot grec pour inactif) car il refuse toute réaction chimique. Pour cette découverte (entre autres) Ramsay reçoit le prix Nobel de Chimie en 1904, et Rayleigh celui de Physique.

LES HONNEURS Lord Rayleigh reçoit pratiquement tous les honneurs et toutes les distinctions. Nommé fellow de la Royal Society en 1873, il en devient le secrétaire en 1885. Il reçoit la Royal Medal en 1882, la Copley Medal en 1899, la Rumford Medal en 1914 et 1920 ; il est élu président de la prestigieuse institution de 1905 à 1908. En 1902, au couronnement du Roi Edward VII, il est décoré de l’Ordre du Mérite. D’autres récompenses, en Grande-Bretagne et ailleurs, en physique, chimie et mathématiques, couronnent ses travaux. Il est nommé Conseiller Scientifique de Trinity House, la célèbre association de marins anglais. Il devient Chancellor de la Cambridge University en 1908. Très vite, sa reconnaissance scientifique dépasse les frontières : il est élu membre honoraire de plusieurs sociétés savantes à travers le monde.

L’HOMME RAYLEIGH À plus d’un titre, Lord Rayleigh est un personnage charismatique. C’est un noble de haute naissance, un riche propriétaire terrien, une célébrité dans son pays, un chercheur unanimement reconnu pour son génie scientifique. Ses contemporains parlent d’un homme simple et modeste, dont la générosité est réelle : en 1904, il fait don de la prime du Nobel à l’université de Cambridge pour l’agrandissement du Cavendish Laboratory. En 1884, Lord Rayleigh, parlant de la science, dit : The work may be hard, and the discipline severe; but the interest never fails, and great is the privilege of achievement. Cette passion pour le savoir et la recherche du 158

SOUS LA LUMIÈRE, LES HOMMES

JOHN WILLIAM STRUTT (LORD RAYLEIGH)

savoir le porte tout au long de sa vie. Il meurt, en pleine gloire, le 30 juin 1919 à Witham. Pour en savoir plus Schuster A., Proc. Roy. Soc. Lond. 98, i (1920-1921).

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Alfred Henri Frédéric Kastler DATES CLÉS 3 mai 1902

© The Nobel foundation

Naissance à Guebwiller, Alsace allemande 1951 Il fonde le Laboratoire de spectroscopie hertzienne 1964 Médaille d’or du CNRS 1966 Prix Nobel de Physique 7 janvier 1984 Mort à Bandol (Var)

Prix Nobel de Physique, Médaille d’or du CNRS, fondateur du fameux laboratoire de spectroscopie hertzienne qui deviendra le LKB de l’École normale supérieure, l’inventeur du « pompage optique » (le procédé à l’origine des masers et des lasers) fut également un humaniste et écologiste éclairé.

A

lfred Kastler naît le 3 mai 1902 à Guebwiller, en Alsace allemande, de l’union de Frédéric Kastler et d’Anna Frey. La famille, protestante, loge dans une maison contigüe au presbytère situé rue des Chanoines. Là, le jeune Alfred, doué et inventif, aîné d’une fratrie de trois garçons, mène une enfance simple. Puis c’est la Grande Guerre : Guebwiller, trop proche du front, essuie des salves d’obus. Les Kastler choisissent alors de déménager et s’installent chez une sœur d’Anna, Louise Frey, qui est institutrice à Horbourg, près de Colmar. Ils ne reviendront plus à Guebwiller. La vie reprend, presque normale. Kastler est inscrit à l’Oberrealschule de Colmar, où les cours sont en allemand. Puis, l’Alsace réintègre la France et au printemps 1919, à la reprise des classes, la Schule devient le lycée Bartholdi et les professeurs doivent enseigner en français à des élèves abasourdis… Kastler s’accroche. Mieux, sous la férule de maîtres dévoués, Fröhlich et Greiner, il s’éveille au mystère des sciences. L’année suivante, le proviseur Abry a l’idée audacieuse de créer une classe de Mathématiques spéciales. L’expérience ne dure qu’un an, mais Kastler 163

LA GENÈSE DU LASER

fait partie de la minuscule promotion de 5 élèves portée à bout de bras par les professeurs Mahuet et Brunold. Et en 1921 l’essai est transformé, et de quelle manière ! Kastler est reçu à l’École Polytechnique et à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm à Paris.

PREMIERS PAS EN SCIENCE Il choisit l’ENS et plonge dans un univers d’intense stimulation intellectuelle. Henri Abraham [1868-1943] et Eugène Bloch [1878-1944] l’initient à la théorie quantique, à une époque où elle n’est quasiment pas enseignée. Sous leur influence, il lit Sommerfeld [186-1951] et découvre qu’on peut appliquer le principe de la conservation du moment aux échanges entre radiation et atomes – un principe fondateur qui guidera toutes ses recherches à venir. Mais l’effort fourni ces dernières années est trop grand, sans doute – et n’oublions pas la vie sous les bombes, le déménagement forcé, le changement de langue, le choc de culture qui ont précédé – il lui faut du repos : en 1923, il prend une année sabbatique pour surmenage… Cette pause est salutaire. Il revient plein d’une nouvelle énergie, et avec des projets. En décembre 1924, il épouse Elise Cosset, normalienne comme lui et professeur d’histoire dans le secondaire. Puis, extraordinaire année 1926, c’est la naissance de Daniel, l’aîné du couple, et Kastler est reçu premier à l’agrégation de Physique. La famille s’installe dans l’Est, à Mulhouse d’abord, puis à Colmar. En 1931, Kastler devient l’assistant de Pierre Daure [1892-1966] à l’université de Bordeaux. Sa charge d’enseignement s’allège, il entreprend ses premiers travaux de recherche, en spectroscopie expérimentale, et soutient une thèse de Physique en 1936 sur la fluorescence de la vapeur de mercure. Il devient la même année maître de conférences à l’université de Clermont-Ferrand. Deux ans plus tard, en 1938, il obtient la chaire de Physique générale à Bordeaux en remplacement de Daure, nommé recteur de l’Académie de Caen.

NAISSANCE DU LKB Puis, c’est à nouveau la guerre et l’Occupation, une période particulièrement trouble et instable, pendant laquelle la France est amputée 164

SOUS LA LUMIÈRE, LES HOMMES

ALFRED HENRI FRÉDÉRIC KASTLER

d’une partie de ses savants, tandis que ceux qui restent sont virtuellement coupés du reste du monde. En 1941, sur l’invitation de Georges Bruhat [1887-1945], Kastler quitte Bordeaux et rejoint le Laboratoire de physique de l’ENS à Paris. C’est un retour aux sources, et à l’univers d’exaltation intellectuelle qui lui a tant plu. Pourtant, sa nouvelle situation est précaire : il est professeur sans chaire et le poste ne sera confirmé par la Faculté des sciences de Paris qu’en 1952. En 1945, les frontières s’ouvrent à nouveau. Les étudiants vont se former aux États-Unis, où la guerre a permis des avancées scientifiques spectaculaires. Parmi eux Jean Brossel [1918-2003], disciple de Kastler, rejoint l’équipe de Francis Bitter [1902-1967] au MIT. Bitter est un expert de la spectroscopie hertzienne, et Brossel se forme à l’étude des propriétés des atomes par résonance magnétique. Entre temps, Kastler a mis au point sa technique du pompage optique. De leurs réflexions croisées naît l’idée de la méthode de double résonance, qui sera l’objet de la thèse de physique que Brossel soutient en 1951 à Paris, à son retour du MIT. Voici donc posée la première pierre de l’édifice que le duo Kastlker-Brossel s’apprête à bâtir. Mais il faudra encore plusieurs années, et les efforts conjugués de générations d’étudiants brillants et dévoués, pour parfaire la technique et établir le formidable potentiel de la méthode. Cette recherche, et les développements délicats qu’elle nécessite, se déroulent dans le jeune Laboratoire de spectroscopie hertzienne que Kastler fonde en 1951 – lieu de légende où bat encore le cœur de la recherche quantique française.

LES HONNEURS Scientifique inspiré, il initie des projets de recherche audacieux et pertinents et, très vite, sa renommée passe les frontières. En 1953, il est Professeur Francqui à l’université de Louvain. En 1954, les Sociétés française et britannique de physique lui attribuent le Prix Fernand Holweck. La même année, il est élu à l’Académie royale flamande de Belgique. En 1958, il devient directeur du laboratoire de l’horloge atomique. Il est nommé président du conseil d’administration de l’Institut d’optique théorique et appliquée en 1962, succédant au charismatique fondateur Armand de Gramont [1879-1962]. En 1964, il est élu à l’Académie 165

LA GENÈSE DU LASER

des sciences et reçoit la médaille d’or du CNRS. Enfin en 1966, c’est la consécration : il reçoit le prix Nobel de Physique pour la découverte et le développement de méthodes optiques permettant d’étudier la résonance hertzienne dans les atomes. Il est fait docteur honoris causa de diverses universités d’Europe, et membre d’honneur des sociétés de Physique française et polonaise, et de la Société américaine d’optique. En 1968, il devient directeur de recherches au CNRS. Il prend sa retraite en 1972.

L’HOMME Esprit vertigineux et néanmoins modeste, Kastler laisse l’image d’un humaniste engagé, d’un écologiste éclairé et d’un artisan actif de la paix. Il est notamment célèbre pour ses prises de position sur des sujets de société et des questions politiques. Et, peut-être en lointain écho de son enfance bousculée, il publie en 1971 un recueil de poèmes en allemand, mais sous un titre français : Europe ma patrie - Deutsche Lieder eines französischen Europäers. Kastler s’éteint doucement à l’aube du 7 janvier 1984, à Bandol, dans la maison de son fils Daniel. Pour en savoir plus www.fnak.fr : Fondation Kastler.

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SOUS LA LUMIÈRE, LES HOMMES

Charles Hard Townes DATES CLÉS

© The Nobel foundation

28 juillet 1915 Naissance à Greenville (Caroline du Sud, États-Unis) 1953 Invention du Maser à ammoniac 1958 Papier avec Schawlow sur le maser optique, ou laser 1964 Prix Nobel de Physique, avec Basov et Prokhorov 1966 Institute Professor au M.I.T. 1994 Membre étranger de l’Académie des sciences de Russie 2000 Lomonosov Medal de l’Académie des sciences de Russie 2005 Templeton Prize

Physicien américain, prix Nobel de Physique en 1964 pour la théorie et l’invention du maser, prix Templeton en 2005 pour son approche convergente de la religion et de la science, Charles Hard Townes est particulièrement connu pour ses travaux sur l’électronique quantique. Esprit inventif et toujours en éveil, il est aujourd’hui un nonagénaire fringant très impliqué dans les activités de l’Interféromètre Spatial Infrarouge en Californie.

C

harles Hard Townes naît le 28 juillet 1915 dans une famille modeste de Greenville, en Caroline du Sud. Par sa mère, Ellen Sumter Hard, ses racines remontent jusqu’aux lointains colons du Mayflower. C’est une femme cultivée, qui attache une grande importance à l’instruction. Le père, Henry Keith Townes, naturaliste amateur, avocat de profession, est l’héritier d’une lignée de fermiers établis dans la région depuis plusieurs générations. La famille habite une ferme au pied des Blue Ridge mountains, où les six enfants grandissent au contact de la nature. Le jeune Charles y construit ses premiers souvenirs de sport et d’activités champêtres, mais aussi de science appliquée quand il faut résoudre un problème pratique. 167

LA GENÈSE DU LASER

Les parents de Charles l’éduquent dans le respect de l’école. C’est un élève doué et studieux ; il saute une classe et termine le cycle scolaire à seize ans. Il s’inscrit alors à la Furman University de Greenville. Tenté d’abord par la biologie, à laquelle il finit par renoncer, Charles se passionne un temps pour les mathématiques. Puis, en deuxième année, il découvre la physique, et c’est l’évidence : « précise, logique, quantitative », elle le fascine. Son intérêt est tel qu’il s’y consacre avec ardeur et obtient, en 1935, un Bachelor of Science avec les honneurs, avant un Master of Arts à la Duke University de Durham en 1936. Charles, adolescent, cumule les activités : assistant-conservateur au Museum of Natural History de Greenville, membre des équipes de natation et de football, rédacteur pour le journal de la fac, il travaille l’été pour le camp de biologie… Ses talents de jeune physicien et son assiduité font mouche : il intègre le prestigieux California Institute of Technology où il soutient, en 1939, une thèse sur la séparation isotopique. La même année, il décroche un poste à la Bell Telephone Company. En 1941, il épouse Frances H. Brown, originaire de Berlin dans le New Hampshire, avec qui il a quatre filles. C’est aux Bell Labs que, pendant la seconde guerre mondiale et jusqu’en 1947, il mène une recherche technologique pointue et travaille sur des systèmes radar pour l’armée. C’est là qu’il expérimente de nouvelles fréquences et entrevoit le potentiel des techniques micro-ondes utilisées dans ces mêmes radars pour l’étude spectroscopique de la structure des atomes. C’est là aussi, sans doute, qu’il songe à appliquer ces techniques pour contrôler les ondes électromagnétiques. Là, donc, se joue la genèse du futur maser !

LE MASER En 1948, il rejoint la Columbia University de New-York : il est nommé en 1950 professeur de physique et directeur exécutif du Columbia Radiation Laboratory, avant d’assumer la charge de chairman du Département de physique de 1952 à 1955. Une partie de ses recherches est encore financée par la Navy, qui veut des radars plus compacts et fonctionnant à des longueurs d’onde toujours plus petites : Townes ne quitte pas le domaine des micro-ondes. 168

SOUS LA LUMIÈRE, LES HOMMES

CHARLES HARD TOWNES

C’est, à l’échelle du monde, une période faste pour la science. En 1951, alors qu’ailleurs A. Kastler [1902-1984] invente le concept du pompage optique qui utilise une lumière polarisée pour transférer des atomes d’un sous-niveau Zeeman à un autre, Charles Townes imagine une technique d’inversion de population qui permet l’amplification de micro-ondes par émission stimulée. L’idée lui vient pendant un congrès à Washington : assis sur un banc dans un parc, au petit matin, soudainement inspiré, il note au dos d’une enveloppe quelques lignes de calcul pour « réaliser un jet moléculaire, sélectionner les molécules du niveau d’énergie supérieure et les envoyer dans une cavité contenant le rayonnement électromagnétique pour obtenir l’émission stimulée, puis rétroagir sur le rayonnement et obtenir une oscillation continue ». Autrement dit, il traite en ingénieur un problème de physicien. C’est une intuition géniale et, surtout, confortée par des résultats expérimentaux récents, obtenus par ses confrères W. Lamb [1913-2008] et R. Retherford [1912–1981] sur l’amplification de l’émission micro-onde de molécules d’hydrogène. Notons qu’ailleurs, d’autres sont également sur la voie : en 1952, J. Weber [1919-2000] de la University of Maryland propose, indépendamment, un dispositif similaire à celui de Townes. Townes, obstiné et convaincant, convertit son étudiant J.P. Gordon à son idée et recrute H.L. Zeiger comme assistant ; ensemble, ils démarrent les travaux en laboratoire. Comme milieu amplificateur, ils choisissent l’ammoniac qui émet un rayonnement vers 1,25 cm, une longueur d’onde qu’ils maîtrisent et pour laquelle ils ont tout le matériel (cavité, guides d’onde, détecteurs…). Néanmoins, la mise au point expérimentale est délicate. Si, en 1952, N.G. Basov [1922-2001] et A.M. Prokhorov [19162002] de l’Institut de Physique Lebedev de Moscou décrivent le principe d’un dispositif quantique auto-entretenu de radiations cohérentes lors d’un congrès de l’Académie des sciences soviétique, Townes converge indépendamment vers son propre système et actionne en 1953 le premier maser de l’Histoire en inventant aussi cet acronyme « Maser » pour microwave amplification by stimulated emission of radiation. L’émission qu’il obtient est très peu intense – quelques dizaines de nanoWatts à peine – mais elle est pure, extraordinairement fine spectralement et accordée sur une raie située à 23,9 GHz : c’est la première émission 169

LA GENÈSE DU LASER

cohérente de tous les temps ! L’engouement de la communauté scientifique est immédiat et unanime : d’autres équipes dupliquent son maser à ammoniac ou mettent au point leur propre maser.

VERS LE LASER Déjà, Townes pense à aller vers des longueurs d’onde plus petites, vers le spectre infrarouge et l’optique. Son collègue et beau-frère A.L. Schawlow [1921-1999], avec qui il signe en 1955 le livre Microwave Spectroscopy, imagine même le système adéquat : une cavité à miroirs pour provoquer des va-et-vient de la lumière sur elle-même et éviter ainsi toute amplification inutile dans les autres directions. L’idée est belle ! Mais les deux hommes ont un emploi du temps chargé, l’un aux Bell Labs et l’autre à la Columbia (astronomie radio et infrarouge, optique non linéaire), et ils ne travaillent qu’en dilettantes sur ce qui est encore une toquade de scientifiques. Mais tout est là, sur le papier : le milieu à gain, la cavité de Fabry-Perot, l’essentiel des concepts… Pendant leurs heures de loisirs, Schawlow planche au laboratoire, Townes peaufine la théorie. Et en 1958, après huit mois d’efforts en pointillés, ils convergent enfin, publient leur idée dans un papier purement théorique de la Physical Review et déposent simultanément une demande de brevet pour le maser optique, c’est-à-dire le laser ! Le but est à portée de main ; si peu reste à faire… Pourtant, rien ne semble presser. Townes va même tout arrêter : en 1959, il quitte la Columbia University pour le poste de vice-président de l’Institute for Defense Analysis à Washington D.C., une organisation au service du gouvernement. Mais bien sûr, l’Histoire a déjà trop attendu, elle est en marche et d’autres font la course : en 1960, Th. Maiman [1927-2007] achève son système à rubis et obtient la première émission laser. Mais c’est une autre histoire…

LE NOBEL En 1961, Townes est nommé professeur de Physique et, surtout, Provost du prestigieux Massachusetts Institute of Technology. Il a donc 170

SOUS LA LUMIÈRE, LES HOMMES

CHARLES HARD TOWNES

la charge, avec le président du M.I.T., d’organiser les programmes de recherche et d’enseignement. C’est à ce poste qu’il reçoit le prix Nobel de Physique, en 1964, avec les physiciens soviétiques Basov et Prokhorov qui avaient proposé, quasi-simultanément, leur propre dispositif maser. Si le concept d’émission stimulée date des travaux d’A. Einstein [1879-1955] en 1917, le Nobel de 1964 couronne la mise en œuvre de l’inversion de population nécessaire aux oscillateurs et amplificateurs de rayonnement micro-onde et optique. En 1966, Townes devient Institute Professor, la plus haute distinction au M.I.T, et quitte ses fonctions de Provost et se consacre de nouveau à la recherche en électronique quantique et en astronomie. L’année d’après, il accepte un poste de professeur de la University of California de Berkeley. Là, il s’investit dans la construction du célèbre interféromètre spatial infrarouge installé au sommet du Mont Wilson en Californie du Sud.

LES HONNEURS Townes est membre de pratiquement toutes les sociétés savantes, aux États-Unis et ailleurs. En 1955, il obtient une bourse Guggenheim et se rend à Paris, où il passe plusieurs mois au Laboratoire de physique de l’École normale supérieure. L’année d’après, la bourse Fulbright lui permet un détachement à l’université de Tokyo. Il participe à plusieurs universités d’été, en Europe, en Asie et en Amérique. En 1956, il est élu Full member de la National academy of sciences. Il possède aujourd’hui une trentaine de titres honorifiques d’universités renommées, son travail scientifique lui vaut une notoriété universelle et il a reçu un nombre impressionnant de distinctions et de prix, parmi lesquels la Rumford medal de l’American academy of arts and sciences en 1961, le prestigieux Thomas Young Prize de l’Institute of Physics en 1963, et la Lomonosov Medal de l’Académie des sciences de Russie en 2000. En 1966, Townes rédige un article sur la convergence de la science et de la religion qui, pour lui, s’intéressent toutes deux au « pourquoi » et au « comment ». C’est une idée qui ne le quitte pas et qui lui vaut en 2005 le fameux Templeton prize for progress in religion, doté d’une prime supérieure au Nobel. 171

LA GENÈSE DU LASER

Charles Hard Townes, âgé aujourd’hui de 95 ans, est professeur de physique honoraire à l’University of California de Berkeley. Il est toujours impliqué dans les travaux de recherche menés à l’interféromètre spatial infrarouge, notamment sur les variations de taille de l’étoile supergéante rouge Bételgeuse. Pour en savoir plus Townes C.H. (mémoires), How the Laser Happened: Adventures of a Scientist (Oxford University Press Inc., 1999).

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Theodore Harold Maiman DATES CLÉS

© HRL Laboratories, LLC.

11 juillet 1927 Naissance à Los Angeles, Californie, États-Unis 1955 Doctorat de physique à Stanford 1959 Mise au point d’un maser compact à rubis 16 mai 1960 Invention du laser aux Hughes Labs 1983 Wolf Prize of Physics 1984 Intronisation au National Inventors Hall of Fame 1987 Japan Prize 5 mai 2007 Décès à Vancouver, Colombie Britannique, Canada

Depuis plus de 50 ans, la communauté scientifique peine à trancher cette question : qui a inventé le laser ? Certes la justice s’est prononcée : le premier brevet a été déposé par Gordon Gould. On a retrouvé la première mention de l’idée dans la thèse de doctorat du soviétique V.A. Fabrikant en 1940. On a aussi identifié le premier article scientifique, celui de Charles Townes et Arthur Schawlow en 1958. Plus loin encore, la théorie fondatrice est celle d’Einstein… Mais s’il faut compter les points, les concepts et choix d’architecture ont été multiples et sont nés de l’imagination éclairée de plusieurs grands esprits. Ils ont, chacun, apporté une contribution à ce pot commun technique qui a mené à la genèse du laser. Difficile de s’y retrouver donc, mais une information reste sûre et avérée : Theodore Harold Maiman a construit le premier laser. Pourtant sa principale contribution est probablement ailleurs, dans son génie expérimental et son approche pragmatique d’une problématique complexe, en montrant qu’un laser peut être un système simple.

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heodore Harold Maiman naît le 11 juillet 1927. Son père Abraham est un ingénieur en électronique et un inventeur prolifique, qui l’ini173

LA GENÈSE DU LASER

tie très jeune au monde de la technologie. Ce Géo Trouvetou, qui travaille pour de grandes entreprises de télécoms comme AT&T ou encore les Bell Telephone Laboratories, entretient soigneusement un petit laboratoire d’électronique dans sa cave, où le jeune Theodore découvre la science expérimentale. Pour autant, rien ne semble le prédisposer à la grande carrière d’inventeur qui l’attend. C’est un enfant turbulent, probablement hyperactif, à l’intelligence moyenne. Ses professeurs l’identifient comme un fauteur de troubles. Mais quelques qualités apparaissent dès le début : Theodore est d’un naturel fonceur et persévérant ; et, peut-être en réaction au peu d’enthousiasme que reçoivent quelques-unes des inventions (trop) originales de son père, il développe une sorte de cynisme intellectuel et cultive le doute scientifique. Il comprend que même les esprits les plus brillants et les autorités les mieux établies ne sont pas à l’abri d’une erreur de jugement. Très vite, pour qu’il admette une hypothèse novatrice, il faut la lui prouver – et souvent par l’expérience. Peu après la naissance de son fils, Abraham obtient un poste à Denver, dans le Colorado. La famille s’installe alors chez les grands-parents maternels, qui y possèdent un triplex. Là, Theodore grandit dans le sillage de son père, tandis que sa sœur Estelle est très proche de sa mère. Maiman décroche son premier job à 12 ans, dans un atelier de réparations électroniques de Denver où il se rend après les cours. D’abord sceptique sur l’aptitude du jeune garçon à dépanner des appareils, le propriétaire le charge du ménage de l’atelier. Mais peu de temps après, devant l’aisance manifeste de Theodore face aux problèmes d’électronique, il se décide à lui confier quelques dossiers. Cet atelier devient très vite sa seconde maison : Maiman y travaille plusieurs soirs par semaine, plusieurs années de suite. Mais sa boulimie d’activités ne s’accommode pas de ce léger surcroît de travail. Il s’inscrit aux cours du soir et étudie la théorie des ondes radio à la University of Colorado. Les autres jours, il apprend à jouer de la clarinette et rejoint le groupe de l’école.

LES ÉTUDES À 17 ans, Maiman propose sa candidature à la US Navy. Il est admis dans le programme de formation aux radars et communications, qui 174

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THEODORE HAROLD MAIMAN

lui permet notamment de parfaire ses connaissances en électronique. Il travaille ensuite pour National Union Radio, une compagnie spécialisée dans la fabrication de tubes à vide pour la radio. Là, au cours d’un test de routine, il se heurte à un phénomène physique assez banal (la luminescence des tubes sous tension) qu’il est pourtant incapable d’expliquer ; frustré, il décide d’étudier la physique. Il s’inscrit à la University of Colorado et décroche un Bachelor en physique de l’ingénieur. Mais plus important encore que la physique, on lui enseigne une démarche pour traiter efficacement les problèmes scientifiques : méthode, ténacité et exploration exhaustive de toutes les issues envisageables. C’est une leçon qu’il retiendra. Après son Bachelor, il envoie sa candidature à la Stanford University de Californie. Elle est rejetée deux fois, mais il ne renonce pas. Il poursuit ses études à la Columbia University de New York dans la filière « Electrical Engineering » ; il pressent que cette voie secondaire devrait lui faciliter l’accès à Stanford. Et en effet, à sa troisième tentative, il est accepté : son Master of Science en poche, il intègre le département de physique de la prestigieuse université. Il fait sa thèse de doctorat sous la direction de Willis E. Lamb [1913-2008], brillant théoricien et futur Prix Nobel. Le projet vise la démonstration du décalage de Lamb, le très faible déplacement d’un niveau atomique élevé de l’hélium. La mise au point de l’expérience nécessite un soin minutieux, les manipulations et les acquisitions sont extrêmement pointues, mais Maiman est à la hauteur du challenge et confirme son formidable talent de technicien et d’expérimentateur. Il obtient son doctorat de physique en 1955.

PREMIERS TRAVAUX SCIENTIFIQUES Peu intéressé par une carrière académique, Maiman s’octroie un long voyage en août 1955 pour prendre le temps de réfléchir. L’industrie le tente : à son retour, il rejoint Lockheed Aerospace, qui recrute largement en prévision d’un gros contrat du gouvernement. Mais contre toute attente, le contrat est décroché par un concurrent, Martin Marietta, et Maiman se retrouve désœuvré. Par l’entremise de son ami Irwin L. Hahn [né en 1921], professeur à Berkeley, il entre aux Hughes Research Laboratories à Culvert City, en 175

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Californie. Ce centre de recherches est un creuset d’innovation scientifique et technologique particulièrement fécond. Le fameux Richard Feynman [1918-1988] de Caltech y donne, à la demande du propriétaire, le milliardaire excentrique Howard Hughes, des séminaires réguliers pour entretenir une effervescence scientifique et nourrir la fièvre créatrice. Maiman est affecté au département de physique atomique. À cette époque, le développement des masers inventés par Charles Townes [né en 1915] fait l’objet d’une rude compétition, et on confie à Maiman la mise au point d’un maser compact et embarquable. Il récidive son exploit d’avec Lamb, et transforme les gigantesques masers (des mastodontes de laboratoire qui pèsent plus de deux tonnes) en de petits bijoux à base de rubis artificiel.

LE LASER ! Après ce succès, il s’intéresse au laser dont le concept, basé sur les travaux théoriques d’Einstein et formalisé par Charles Townes et Arthur Schawlow [1921-1999], est vieux d’à peine un an. Aucune application n’est encore envisagée mais le projet est largement subventionné aux États-Unis, notamment par le département américain de la Défense. Depuis peu, les recherches, menées dans les prestigieux centres des Bell Labs, RCA Labs, Lincoln Labs, IBM, Westinghouse ou Siemens, se sont cristallisées autour du choix d’un matériau capable de stocker l’énergie lumineuse et de la rendre sous stimulation. Suite à une erreur de mesures, le rubis a été classé comme hors compétition ; voilà probablement le coup de chance de Maiman. Car lui connaît ce matériau, qu’il utilise pour son maser miniature, et ses propres tests lui indiquent qu’un laser à rubis est viable – pourvu qu’on l’éclaire avec une lampe suffisamment puissante. Son assistant Charles Asawa a l’idée d’utiliser l’éclair bref, et intense, d’un flash de photographe : l’équipe tente ainsi d’emblée l’approche si efficace d’une excitation pulsée… Un mot avant d’aller plus loin : sur ce projet, Maiman et son équipe travaillent pratiquement en dilettantes. Les Hughes Labs ne participent pas vraiment à la course au laser qui émeut le pays, et Maiman ne reçoit 176

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qu’un soutien très chiche de sa hiérarchie. Bref, Maiman est, dans tous les sens du terme, hors du jeu – et personne, personne, absolument personne ne s’attend à le voir y entrer. Le voilà pourtant qui dessine et conçoit sa structure, comme toujours simple et pragmatique : un barreau de rubis recyclé de ses travaux sur le maser, long de 4 cm, entouré d’un tube flash et inséré dans un cylindre en aluminium. Pour former la cavité optique, Maiman choisit de déposer deux couches d’argent sur les faces du barreau de rubis, en prenant soin de percer un petit trou dans l’un de ces miroirs pour ménager un passage au futur faisceau de lumière cohérente. Enfin, le 16 mai 1960, après avoir vérifié et re-vérifié que tout est en ordre, il branche le courant et observe, en augmentant la puissance du flash excitateur, l’émission du barreau de rubis atteindre progressivement le seuil d’oscillation. Après neuf mois d’effort, neuf mois seulement, presque sans moyens mais grâce à son sens original et fertile de la simplification expérimentale, il obtient ainsi (et du premier coup !) la première émission laser.

CONTRECOUPS Immédiatement après ce tour de force, les problèmes commencent. On ne crée pas impunément la surprise. Maiman soumet ses résultats aux prestigieuses Physical Review Letters : le rapporteur rejette l’article et commente sa décision d’un laconique « encore un papier sur le maser ». Peut-être a-t-il jugé l’auteur trop extérieur au cercle des initiés… Maiman tente alors sa chance auprès de la non moins fameuse revue britannique Nature, qui le publie le 6 août 1960. C’est un papier historique ! Mais il doit faire profil bas, et accepter un titre pour le moins modeste : on ne parle pas de laser, mais d’un rayonnement optique stimulé dans le rubis. Toutefois, entre la découverte et la publication, le risque est non nul de se faire voler la vedette, d’autant que les grands noms de la physique américaine se montrent particulièrement lents à reconnaître l’importance de son travail. Alors Howard Hughes, en fin politique et grand homme d’affaires, convoque une conférence de presse le 7 juillet à New York et revendique pour Maiman la paternité du premier laser. C’est un succès retentissant, mais qui laisse un goût amer car, si la plupart 177

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des journalistes relayent correctement l’évènement, certains dramatisent l’information et parlent de « rayon de la mort ». Très vite, le laser à rubis est dupliqué. Et d’autres sont inventés : à gaz, à électrons libres, pour le visible, l’infrarouge, continu ou pulsé… Les fonds ne manquent pas et, surtout, Maiman a montré qu’un laser peut être un système simple. Désormais décomplexés, les scientifiques font preuve d’une imagination sans limites. Maiman, quant à lui, croit en l’avenir industriel du laser et quitte Hughes pour fonder successivement la Korad Corporation (1961), la société de conseil Maiman Associates (1968) et la Laser Video Corporation (1972). En 1976, il est nommé vice-président chargé du développement technologique de la firme TRW (devenue depuis lors la Northrop Grumman Corporation).

L’AMERTUME ET LA GLOIRE À n’en pas douter, Maiman se sent hors du cadre. L’intelligentsia scientifique américaine le perçoit comme un outsider chanceux, trop original, pas légitime – et lui réserve pour longtemps un accueil froid. Amer, il le dénonce dans The Laser Odyssey, un livre autobiographique qu’il publie en 2000. Comme pour confirmer ce sentiment, Maiman ne partage pas le Prix Nobel de 1964 qui récompense la genèse du laser. Et malgré trois nominations, il ne l’obtient jamais – ce que d’aucuns considèrent comme une réelle injustice. Cet épisode ne doit toutefois pas faire oublier que Maiman reste le père du laser ; certes plus père porteur que père biologique, mais peu importe. C’est à ce titre que les institutions du monde entier lui décernent leurs récompenses les plus prestigieuses : récipiendaire de la Ballantine Medal du Franklin Institute en 1962, du Fanny and John Hertz Foundation Award qui lui est remis par le président des ÉtatsUnis Lyndon B. Johnson en 1966, du Wood Prize de l’Optical Society of America en 1976, du Wolf Physics Prize en 1983, du Japan Prize en 1987, Maiman est également membre des National Academies of Science and Engineers, fellow des sociétés américaines de Physique et d’Optique, membre honoraire du prestigieux Royal College of 178

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Surgeons of England… En 1984, honneur considérable, il est intronisé au National Inventors Hall of Fame. En 1983, il s’installe définitivement à Vancouver, au Canada, et mène sur les dernières années une activité de consultant indépendant. Il décède le 5 mai 2007 des suites d’une maladie génétique. Pour en savoir plus Hecht J., Beam: the race to make the laser (Oxford University Press, 2005). Maiman Th.H., The laser odyssey (Laser Press, 2000).

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Robert Noel Hall DATES CLÉS 25 déc. 1919 Naissance à New Haven (Connecticut, Etats-Unis) 1948 Doctorat de physique à CalTech 16 sep. 1962 Invention du laser à semiconducteur à la General Electric 1977 Élection à la National Academy of Engineering 1978 Élection à la National Academy of Sciences 1989 Marconi International Fellowship 1994 Intronisation au National Inventors Hall of Fame

Ingénieur et physicien américain, monument de la physique du solide (au même titre que Bardeen ou Schockley) et néanmoins esprit discret et modeste, Robert Noel Hall a développé, pratiquement seul, le procédé de purification du germanium, découvert le concept de jonction PIN et mis au point le tout premier laser à semiconducteur en 1962. Après une carrière menée tout entière à la General Electric (45 ans !), cet inventeur prolifique et fécond maintient aujourd’hui encore, à plus de 90 ans, une activité soutenue de consultant en Physique.

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obert Noel Hall naît le 25 décembre 1919 dans une famille modeste de New Haven, une ville du Connecticut, dans le nordest des États-Unis. C’est son oncle, un inventeur professionnel, qui l’initie à la science. Alors qu’il est encore un enfant, ils se rendent à une foire technologique. Là, tout interpelle le jeune Robert : le stroboscope, les moteurs à vapeur… Et surtout il veut comprendre, savoir comment « ça fonctionne ». Son oncle répond patiemment, guide la réflexion, oriente la découverte. Par la suite, il indique les bons livres à la bibliothèque.

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Plus tard l’intérêt, si habilement suscité par l’oncle, devient passion assumée : l’adolescent qui entre au collège obtient de sa mère le droit de convertir un coin de sa chambre en laboratoire d’appoint. Robert tente d’y reproduire quelques-unes des expériences qui l’ont tant marqué à la foire et se familiarise avec le monde de la technique. Vers 15 ans, touché par le virus de l’astronomie, il polit lui-même le miroir de son télescope, qu’il pointe sur les anneaux de Saturne. Vif et curieux de tout, Robert est bon élève. Lorsque le recruteur du California Institute of Technology (CalTech) se présente en 1936, Robert est convoqué pour un entretien individuel : il passe quelques tests et décroche une bourse pour le prestigieux institut. Il y passe trois ans sous la férule de brillants professeurs, puis tombe à court d’argent. Il interrompt alors ses études, travaille un an chez Lockheed Aircraft pour se renflouer puis retourne sur les bancs et boucle son cursus. En 1942, son bachelor of science de CalTech en poche, et alors que les États-Unis sont résolument engagés dans le second conflit mondial, il entre comme ingénieur de test chez General Electric, au centre de recherche et développement de Schenectady (que ses habitants surnomment l’Electric City) dans l’État de New-York. Il y contribue au développement des magnétrons à onde continue, conçus pour contrer les radars ennemis et dont certains serviront à la conception des premiers fours à micro-ondes. En janvier 1946, sur le conseil de son chef d’équipe Albert Hull [1880-1966], il retourne à CalTech avec une bourse du Research Council et passe un doctorat de physique nucléaire, sur la production de faisceaux de protons de haute intensité. Après sa thèse, qui a confirmé son goût pour la recherche, il retourne à General Electric. Nous sommes alors à l’été 1948 et John Bardeen [19081991] vient d’annoncer la naissance du transistor dans les Physical Review Letters. Hull, le papier de Bardeen à la main, passe voir Hall qui vient d’arriver dans l’équipe et, avec la décontraction que tous lui connaissent, lui propose d’y jeter un œil… L’amorce est belle ; Hall s’enthousiasme. Il se joint au groupe travaillant sur les diodes à germanium. Là, sa tâche se précise : il faut rendre la technologie fiable et reproductible, et donc purifier le matériau de base. 181

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LE TRANSISTOR À GERMANIUM C’est un objectif particulièrement audacieux, qu’il atteint pratiquement seul. Soyons plus précis : Hall développe une technique performante de purification du germanium et obtient un matériau d’un niveau de pureté jamais atteint auparavant. Il rend ainsi expérimentalement accessible la notion de semi-conducteur « intrinsèque ». Premiers pas dans l’Histoire. Premiers transistors à germanium de General Electric, aussi : dans la foulée, Hall invente la méthode du rate-growing qui permet de les produire en masse. Mais l’électronique en est encore à ses débuts. Tout reste à découvrir. Indéniablement, Hall fait partie de ces esprits préparés, au bon endroit au bon moment. Et le destin s’en mêle : en étudiant les propriétés du germanium intrinsèque, il découvre par hasard le dopage par alliage. Il obtient du germanium dopé N en ajoutant de l’arsenic ; et du germanium dopé P avec une mystérieuse impureté qu’il finit par identifier comme étant du bore. Cette technique lui permet d’obtenir des jonctions PN par alliage, puis des transistors en coopération avec John Saby du centre General Electric de Syracuse. En dopant des substrats épais, Hall invente la diode PIN (composée de trois zones respectivement dopée P, non dopée ou intrinsèque I, et dopée N) qui est un élément incontournable de l’électronique moderne – et dont la technologie ouvre la voie aux futurs thyristors PNPN. D’un point de vue plus fondamental, ces structures à zone I se prêtent idéalement à l’étude fine des phénomènes de génération et recombinaison de porteurs de charge dans les semi-conducteurs. Hall constate que le modèle de William Shockley [1910-1989], qui fait alors foi parmi les spécialistes, n’arrive pas à rendre compte de ses résultats expérimentaux : il manque un facteur 2 dans une exponentielle… Lors d’un séminaire, Hall propose une variante du schéma de recombinaison : une transition en deux étapes, avec un niveau intermédiaire situé au milieu de la bande interdite, permettrait de recaler avec les mesures. L’idée est lumineuse ; mieux encore, elle permet de retrouver les durées de vie des porteurs minoritaires observées un peu partout. Shockley et W.T. Read Jr. des Bell Labs, reprennent l’idée et la mènent à terme. Ils aboutissent au mécanisme qui porte aujourd’hui leurs noms – la recombinaison non radiative Shockley-Read-Hall. 182

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LA DIODE LASER En 1962, les Lincoln Labs obtiennent une émission optique intense dans une jonction en arséniure de gallium (GaAs). Pour beaucoup, la preuve est faite : la diode à semi-conducteur est un excellent (peut-être le meilleur !) convertisseur d’énergie électrique en rayonnement optique. Voilà qui conforte les idées et les efforts de plusieurs équipes qui, partout sur le globe, au CNET en France, au Ioffe Institute en URSS, à IBM aux États-Unis… tentent de réaliser un laser à semi-conducteur. L’idée date déjà un peu : John von Neumann [1903-1957] en a jeté les bases en 1953 et, l’année précédente, Maurice Bernard et Guillaume Duraffourg ont analysé les conditions d’un régime laser dans des systèmes à semiconducteurs. Mais tout cela reste très théorique. L’annonce des Lincoln Labs lance véritablement la course. Hall, fort de son expérience technologique et expérimentale sur les diodes, réunit une équipe autour du projet. Leur structure fait 300 microns d’épaisseur, avec des faces polies de sorte à former la cavité Fabry-Perot résonante directement sur la diode. Les électrons sont injectés au niveau de la jonction à l’aide d’un courant électrique, et non pas générés par une excitation optique. Très vite, l’équipe de Hall trouve le point de fonctionnement : le dimanche 16 septembre 1962, la diode en GaAs, refroidie à 77 Kelvin (la température de l’azote liquide) et sous une excitation électrique impulsionnelle, émet le premier rayonnement laser par injection. Contre toute attente, le plus difficile n’est pas vraiment d’obtenir un signal intense – mais plutôt de se convaincre qu’il s’agit effectivement d’un signal laser. Ils y parviennent en analysant les figures d’interférences en champs proche et lointain. La nouvelle fait rapidement le tour des laboratoires et, en moins d’un mois, trois autres équipes américaines font fonctionner leur propre laser à injection.

LES CELLULES SOLAIRES Dans les années 1970, la crise énergétique incite Hall à s’intéresser aux cellules solaires et autres générateurs photovoltaïques, cette fois sur du silicium. Il développe en 1976 une technique de croissance du silicium 183

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en feuillets et invente la célèbre cellule solaire de type Polka-Dot (littéralement, « à pois ») qui révèle une belle créativité d’opticien. Dans les années 1980, toujours à la General Electric où il est devenu une légende vivante, Hall achève son cycle sur le germanium (étude des défauts de croissance, notamment) et s’intéresse aux précipités polluants qui se forment lors du process des circuits intégrés en silicium. Hall prend sa retraite en 1987, après une carrière entière passée à la General Electric, des centaines d’articles scientifiques et 43 brevets à son actif. Les travaux de Hall ont un impact direct sur les fonctions et performances accessibles par les appareils électroniques, et donc sur notre vie technologique. Ses inventions (et leurs avatars) ont modelé notre univers quotidien : on les retrouve pratiquement partout, dans les fours à microondes, les appareils utilisant une diode laser, les transmissions par fibre optique, les cellules solaires…

LES HONNEURS Tout au long de sa carrière, et même après, Hall reçoit des honneurs et des marques de reconnaissance. En 1963, il obtient le prix David Sarnoff en électronique ; en 1976, le prix Jack A. Morton de la société IEEE ; en 1977, le prix de l’Electrochemical Society en Physique et Technologie de l’état solide. Il est élu à la National Academy of Engineering en 1977 et à la National Academy of Sciences en 1978. En 1989, il reçoit la prestigieuse Marconi International Fellowship pour la réalisation du premier laser à semi-conducteur. En 1994, honneur considérable, il est intronisé au National Inventors Hall of Fame. Depuis la retraite, Hall maintient une activité de consultant en technologie des semi-conducteurs. Il est engagé dans des programmes d’éducation et de vulgarisation de la physique, auprès d’étudiants de Schenectady (où il vit toujours) ou de communautés défavorisées. Aujourd’hui encore, à près de 90 ans, cet homme discret reste une grande figure scientifique, et une mémoire active de l’âge d’or de l’électronique. Pour en savoir plus Hall R.N., An oral history conducted in 2004 by Hyungsub Choi, IEEE History Center, New Brunswick, NJ, USA.

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