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French Pages [308]
Segetis certa fides meae
Recherches sur les Rhétoriques Religieuses Volume 31 Collection dirigée par Gérard Freyburger & Laurent Pernot
Segetis certa fides meae Hommages offerts à Gérard Freyburger
Textes réunis et édités par Catherine Notter et Maud Pfaff-Reydellet
F
© 2021, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. D/2021/0095/71 ISBN 978-2-503-59014-1 eISBN 978-2-503-59780-5 DOI 10.1484/M.RRR-EB.5.126665 ISSN 0770-0210 eISSN 2566-0004 Printed in the EU on acid-free paper.
Sommaire
Préface
9
Avant-propos
11 Première partie Religion romaine et magie
Une manière d’agir isolément en religion : la magie John Scheid
21
Le religieux et le sacré dans l’œuvre de Caton l’Ancien Martine Chassignet
35
Jeux grivois sur le vocabulaire religieux dans les Satires Ménippées de Varron ? Lucienne Deschamps
53
Magie et politique dans le poème 2 du Catalecton / Catalepton : le pouvoir des mots Jeanne Dion
67
L’origine du culte de Saturne en Italie : plusieurs hypothèses (Macrobe, Saturnales, I, 7, 18-37) Charles Guittard
79
Deuxième partie Rhétorique et philosophie La chouette et les sophistes : notes critiques sur le Discours olympique de Dion de Pruse (Or. 12, § 1 et § 11) Laurent Pernot
95
La rhétorique de l’altérité dans le monde grec : les exemples de Thersite, Socrate, Ésope Jean-Luc Vix
105
Encyclopédisme et eudémonisme dans le Liber de philosophia de Varron 123 Aude et Yves Lehmann Troisième partie Poésie latine. Le modèle virgilien et sa postérité L’hiver éternel de Scythie : dimension métapoétique de l’évocation des confins Maud Pfaff-Reydellet
135
Anna Perenna in Ovid and Silius, via Vergil Patricia A. Johnston
153
Carmina Latina Epigraphica e il testo delle opere di Virgilio Paolo Cugusi
167
Quatrième partie Antiquité tardive. Relations entre auteurs païens et chrétiens Orat omnis creatura. Remarques sur Tertullien, De oratione, 29, et la prière des animaux Frédéric Chapot
181
Les méditations de Saint-Augustin : de la parole au silence François Heim†
195
Roma aeterna christiana dans le Contre Symmaque de Prudence : une synthèse de l’ancienne et de la nouvelle Rome ? Agnès Molinier Arbo
203
La rhétorique pastorale d’Eugène de Tolède : formes et enjeux Céline Urlacher-Becht
217
Cinquième partie Perspectives comparatistes et Antiquité rémanente Le plaustrum de Lucius Albinius et le char d’Arjuna : faut-il envisager un élément hérité derrière la Bhagavad Gita ? Dominique Briquel
239
L’étoile de Bethléem et la visite des mages : « véritable histoire » ou « belles histoires » ? Jacques Poucet
251
Die Ehrsucht (Jakob Balde, Lyr. 4, 41) Eckard Lefèvre
273
Présentation des travaux de M. le Professeur Gérard Freyburger Catherine Notter
281
Liste des travaux et publications de Gérard Freyburger
285
Index des auteurs et textes anciens
295
Index des noms propres
299
Index des notions
303
Préface
Depuis 2000, chacun des trente volumes composant la série des « Recherches sur les Rhétoriques Religieuses » (RRR) a été préfacé conjointement par les deux fondateurs et directeurs de la collection. C’est la première fois aujourd’hui que la préface a un seul signataire, Gérard Freyburger ayant préféré me laisser le soin d’introduire le recueil dont il est le récipiendaire. Je n’en suis que plus à mon aise pour dire combien ce volume d’hommage est mérité. Il s’adresse à un grand professeur de latin, qui a su prolonger l’héritage de Robert Schilling, auquel était consacré le tome 21 de notre collection (Religions de Rome. Dans le sillage des travaux de Robert Schilling. Textes recueillis et édités par Nicole Belayche et Yves Lehmann). À la tête de l’Institut de Latin de l’Université de Strasbourg, Gérard Freybuger a motivé des générations d’étudiants, suscité et guidé de nombreuses thèses et coordonné les actions de ses collègues. À la tête du CARRA, que nous avons longtemps dirigé ensemble, il a stimulé et structuré la recherche dans le domaine des sciences de l’Antiquité. Le cercle de conversation latine qu’il anime actuellement à la Faculté des Lettres est un rendez-vous très couru. Homme de fides, Gérard Freyburger s’engage avec profondeur et solidité. Il joue un rôle essentiel dans le rayonnement des études latines non seulement à Strasbourg, mais aussi au niveau national et international, ce grand voyageur ayant des contacts dans toute la France et au-delà, depuis Bâle jusqu’à Dakar, depuis Fribourg-en-Brisgau jusqu’à Tunis, et bien sûr à Rome. Les études réunies ici, dans leur diversité, correspondent aux multiples domaines de recherche du savant qui est à l’honneur et aux orientations de ses plus importantes réalisations : la religion romaine, les différents genres de la littérature latine, en prose et en poésie, les rapports entre paganisme et christianisme, et encore les humanistes de la Renaissance. Les deux instigatrices de cette entreprise, Maud Pfaff et Catherine Notter, brillantes latinistes, disciples et collègues de Gérard Freyburger, exposent, dans leur avant-propos et dans le texte de « présentation des travaux » qui clôt l’ouvrage, la pertinence et la nouveauté de cet ensemble de contributions philologiques et historiques. Elles ont su, pour parvenir à un tel résultat, réunir des experts de différents pays, qui ne se sont pas fait prier pour venir témoigner ici de leur reconnaissance et de leur amitié envers Gérard Freyburger. Elles méritent d’être remerciées pour avoir réalisé ce volume qui fait honneur à la collection RRR et qui offre une contribution remarquable à la connaissance du monde antique. Laurent Pernot
Avant-propos
La variété des contributions présentées dans ce recueil a l’ambition de refléter la diversité des centres d’intérêt de Gérard Freyburger1. Des spécialistes des différents domaines des sciences de l’Antiquité qu’ont abordés ses travaux ont tenu à lui rendre hommage. Historiens et philologues avec qui Gérard Freyburger a eu l’occasion de travailler, en France, mais aussi dans d’autres pays d’Europe et aux États-Unis, ont proposé des contributions regroupées en cinq thématiques. Il sera question dans ce volume de religion romaine et de magie, de rhétorique et de philosophie, du modèle virgilien et de sa postérité, des relations entre auteurs païens et chrétiens, de perspectives comparatistes et d’Antiquité rémanente, et le lecteur trouvera dans les pages de ce volume, Segetis certa fides meae2, maints échos aux travaux de celui dont les recherches ont tant apporté à ses élèves, ses collègues et ses amis. La première partie du recueil regroupe les études consacrées à la religion romaine et à la magie. John Scheid souligne que les rites magiques ne sont pas différents des rites religieux couramment pratiqués dans un contexte privé ou public, mais que, souvent, ils en inversent seulement les gestes. Après un examen de différents documents qui permettent de se faire une idée des rites et prières en vigueur dans le monde de la magie, l’étude se porte plus particulièrement sur les prières magiques. Celles-ci présentent une structure similaire aux prières qui sont en usage dans d’autres cultes. Dans les formules votives, les magiciens nouent avec les divinités le même type de relations que celles qui ont cours dans les rites célébrés au grand jour, en donnant à leurs malédictions une dimension contractuelle et juridique. Les praticiens de la magie possédaient une bonne connaissance des institutions et de la vie religieuses, comme on peut le voir non seulement à Rome et en Italie, mais aussi dans tout l’empire. Ce constat confirme l’impression que les rites magiques n’étaient, en fin de compte, qu’un domaine particulier au sein de l’ensemble constitué par les pratiques religieuses : en particulier, la présence de ces rites magiques est bien attestée au sein des cultes domestiques. Martine Chassignet se penche sur la question du religieux et du sacré dans l’ensemble de la production littéraire de Caton. En premier lieu, son traité De Agricultura offre un corpus de prières d’un intérêt exceptionnel, ainsi que des recettes magiques. Caton y met en scène « une ‘religion appliquée’, pragmatique, tout entière tournée vers la recherche de l’efficacité ». De même, les fragments conservés de ses discours confirment l’intérêt de Caton pour la religion domestique, son souci de la stricte observance des rites, et la grande importance qu’il accorde en outre aux 1 Nous renvoyons à la présentation et à la liste de ses travaux qui figurent à la fin du recueil. 2 Horace, Odes, III, 16, 30. Segetis certa fides meae : hommages offerts à Gérard Freyburger, éd. par Catherine Notter et Maud PfaffReydellet, Turnhout, 2021 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 31), p. 11-17 © FHG10.1484/M.RRR-EB.5.126668
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auspices. Enfin, les rites religieux sont également très présents dans les Origines : les passages conservés s’y rapportent surtout à la religion publique, et l’on y relève aussi la présence de récits mythiques relatifs aux origines de villes ou de peuples. L’attitude de Caton vis-à-vis de la religion diffère selon le thème de son ouvrage et surtout selon le public auquel il s’adresse. Lucienne Deschamps s’attache aux jeux de mots grivois qu’on peut déceler, dans les Satires Ménippées de Varron, à propos du vocabulaire religieux. Elle rappelle en préambule qu’une grande prudence s’impose, compte tenu de la transmission fragmentaire du texte et des difficultés que pose pour le lecteur moderne l’analyse de plaisanteries qu’il pense déceler dans un texte antique. Toutefois, le grand nombre d’exemples dans lesquels une interprétation licencieuse est possible – sont ici étudiés plus particulièrement les fragments 4 B (= 1 Cèbe), 432 B (= 432 Cèbe), 564 B (= 564 Cèbe), 87 B (= 87 Cèbe), 562 B (= 562 Cèbe), 527 B (= 523 Cèbe) – suggère que « Varron s’est amusé à laisser la porte ouverte à l’imagination de son lecteur ». L. Deschamps propose d’interpréter cette attitude comme relevant d’un divertissement d’érudit de la part du linguiste, philosophe et historien de la religion qu’était Varron. Ces passages équivoques ne relèvent nullement d’un manque de respect envers la religion, mais plutôt d’une volonté de tourner en dérision des comportements humains. Jeanne Dion analyse le pouvoir des mots et les allusions à la magie et à la politique dans le deuxième poème du Catalecton/Catalepton, recueil longtemps attribué à Virgile, qui a suscité des interprétations très variées. En apparence, les choliambes de ce court poème dressent le portrait d’un rhéteur ridicule à cause d’un défaut de prononciation ou de style, et la moquerie paraît légère et badine. Or Quintilien a révélé plus tard l’identité de celui-ci : il s’agit d’Annius Cimber, dont on sait, par un jeu de mots de Cicéron dans les Philippiques, qu’il a tué son frère germain. Derrière sa légèreté de façade, ce poème fustige donc le crime d’un homme politique. Dans la dernière pièce de son Technopaegnion, Ausone fait lui aussi référence au poème et aux syllabes étranges qu’il contient. Ces syllabes aux consonances grecques et gauloises peuvent être interprétées en lien avec une magie ayant un pouvoir meurtrier. L’épigramme se caractérise ainsi par l’alliance d’une badinerie apparente et d’énigmes savantes. Charles Guittard retrace l’origine du culte de Saturne en Italie au livre I des Saturnales de Macrobe, qui présente trois théories. Selon la première, le dieu chassé de l’Olympe se réfugie dans le Latium, où il est accueilli par Janus, et leur double royauté voit s’épanouir l’Âge d’or. La deuxième théorie met Saturne en relation avec les exploits d’Hercule et le passage de celui-ci dans le Latium au moment où il ramène les bœufs de Géryon. La troisième hypothèse associe le dieu à l’oracle de Dodone et aux migrations des Pélasges. L’étude de C. Guittard se concentre successivement sur ces trois théories et les sources qui s’y rapportent et montre que, si la topographie de Rome et les traditions italiques occupent une place importante, l’influence des traditions helléniques, elle aussi, s’avère considérable, comme en témoignent les références au culte d’Hercule et à l’oracle de Dodone, qui attestent de l’hellénisation du culte de Saturne. Macrobe est une source essentielle sur ce dieu et l’origine de son culte.
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La seconde partie des Mélanges rassemble les contributions consacrées à la rhétorique et à la philosophie. Ainsi, Laurent Pernot analyse les rapports entre rhétorique et philosophie dans le Discours olympique de Dion de Pruse à travers l’examen de questions d’établissement du texte dans deux passages de ce discours. À l’ouverture de ce dernier (§ 1), Dion compare sa situation au sort de la chouette. Les premiers mots du discours (Ἀλλ᾽ ἦ τὸ λεγόμενον) peuvent être rapprochés du début du Gorgias (447a) ; dans la suite du paragraphe, Dion reprend une observation d’Aristote dans l’Histoire des Animaux, rapprochement dont L. Pernot met en lumière l’importance. Selon Aristote, quand les petits oiseaux volent de façon hostile autour de la chouette, on dit qu’ils viennent « l’admirer » : θαυμάζειν est alors un terme technique, dont Dion exploite l’antiphrase sarcastique, pour renvoyer à sa propre situation. Plus loin (§ 11), il feint de diriger ses auditeurs vers d’autres orateurs, les sophistes. Le passage se clôt par une maxime où l’on reconnaît une citation des Travaux et les Jours, 313. L. Pernot y décèle, de plus, une allusion à l’Apologie de Socrate, 30b : Platon comme Dion renversent la déclaration d’Hésiode selon laquelle l’ἀρετή accompagne la richesse. L’étude montre que le passage de Dion, qui est à prendre au second degré, contient une variation intentionnelle par rapport à Hésiode et Platon et que, pour l’édition et l’interprétation du texte, il convient d’écarter les corrections inutiles. Jean-Luc Vix étudie la « rhétorique de l’altérité » à propos des figures de Thersite, Socrate et Ésope, qui sont perçus comme autres alors même qu’ils sont grecs. Il relève trois traits saillants dans ces représentations. Le premier est la dérision, ces figures étant systématiquement le sujet de railleries, visant leur physique disgracieux ou l’excentricité de leur comportement ; l’étude met en lumière les rapprochements entre les trois personnages et le monde comique. Ensuite, on remarque que Thersite, Socrate et Ésope sont stigmatisés à cause de leur parole, leur rapport au logos étant présenté comme non conforme à l’usage attendu. Enfin, chacun d’eux est accusé d’hubris, ce qui permet de justifier d’autant plus leur mise à l’écart, qui n’est pas sans analogie avec celle d’un bouc émissaire. Ces figures ont joué un rôle de théorisation et de rationalisation de l’exclusion. On observe toutefois un renversement, par lequel le sage revendique son altérité, le philosophe apparaissant ainsi comme « l’autre par excellence ». Aude et Yves Lehmann s’attachent au Liber de philosophia de Varron, qui nous est connu par le résumé qu’on trouve chez Augustin (Cité de Dieu, XIX, 1). Le tableau des doctrines philosophiques possibles que Varron y trace apparaît représentatif de sa conception de la philosophie comme un « art de vivre », conciliant les spéculations théoriques des Grecs et le pragmatisme romain. Par distinctions successives, Varron dénombre 288 doctrines concevables, puis il tente, par un procédé mathématique de réduction, d’éliminer du total certaines thèses, et aboutit à douze sectes, puis à trois doctrines fondamentales. Le choix de Varron se porte sur la doctrine de l’Ancienne Académie concernant le souverain bien et la vie heureuse ; il semble faire sien l’enseignement de son maître Antiochus d’Ascalon. Sa philosophie porte la marque de l’éclectisme de ses maîtres grecs, qui s’étaient montrés soucieux de concilier les thèses de divers systèmes philosophiques, ouvrant ainsi la voie à l’encyclopédisme de Varron. La troisième partie des Mélanges est consacrée au modèle virgilien et à sa postérité. Maud Pfaff-Reydellet s’intéresse à l’étrange digression du livre III des Géorgiques
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(v. 339-383) sur l’élevage pratiqué en milieu extrême, en Libye et en Scythie. Il ne s’agit pas seulement d’écrire un morceau de bravoure fondé sur le contraste entre la chaleur et le froid. L’évocation des Scythes s’inscrit dans un réseau d’oppositions et de rapprochements qui structure le poème : ces farouches barbares ne sont pas seulement l’envers des Romains, on peut déceler des points de comparaison entre eux. Il y a aussi dans l’évocation des confins une dimension métapoétique. Ovide ne s’y est pas trompé : sa réécriture de l’excursus virgilien dans les Tristes (III, 10) invite à lire l’évocation de l’hiver comme une expérience à la fois personnelle et littéraire. Après avoir côtoyé sa propre disparition, l’écriture trouve un nouvel élan, et la prétendue digression devient le lieu crucial où se forge et se donne à voir une poétique en cours d’élaboration. La contribution de Patricia A. Johnston est consacrée à la figure d’Anna Perenna. Prenant pour point de départ la fontaine dédiée à cette dernière à Rome, qui fut aussi le lieu de pratiques magiques, elle étudie la figure d’Anna telle qu’elle représentée par Ovide, Virgile et Silius Italicus. Prenant la suite de l’évocation d’Anna sœur de Didon dans l’Énéide, Ovide relate, au livre III des Fastes, le parcours du personnage après la mort de sa sœur et décrit notamment sa rencontre avec Énée, puis la manière dont elle devint une nymphe du fleuve Numicius. Plus tard, Silius Italicus s’inscrit à son tour dans la lignée de Virgile et d’Ovide quand, au livre VIII de ses Punica, il évoque l’histoire d’Anna jusqu’à l’époque de la deuxième guerre punique et fait d’elle une figure qui, bien que devenue une divinité romaine, est sollicitée par Junon dans sa colère contre les Romains et envoyée pour encourager Hannibal. La poésie augustéenne – plus particulièrement celle de Virgile – et sa postérité figurent aussi au centre de la contribution de Paolo Cugusi. Celui-ci s’y intéresse en effet aux rapports entre les Carmina Latina Epigraphica et les poèmes de Virgile. Il prend ainsi en compte plusieurs textes épigraphiques contenant des citations et échos de passages virgiliens (ou pseudo-virgiliens dans le cas l’épigramme in Ballistam), et en étudie notamment les enseignements que l’on peut en tirer concernant les éditions de Virgile dans l’Antiquité et l’établissement du texte du corpus virgilien. Puis, dans une seconde partie, P. Cugusi revient ensuite sur les interactions et les influences réciproques entre les Carmina Latina Epigraphica et l’œuvre de Virgile, telles qu’elles se manifestent notamment dans des passages de l’Énéide où se fait sentir une influence de la tradition épigraphique, notamment funéraire. Une quatrième partie du recueil est ensuite consacrée à l’Antiquité tardive et aux rapports entre auteurs païens et auteurs chrétiens. Frédéric Chapot consacre son étude au chapitre 29 du De oratione de Tertullien, où l’universalité de la prière est soulignée par l’affirmation que celle-ci est pratiquée même par les animaux. Ce texte, qui figure à la fin du traité, reprend des thèmes dont il a été question dans les chapitres précédents : la prière matinale, et les deux postures que sont l’agenouillement et les bras tendus en croix, que Tertullien évoque respectivement à propos des animaux terrestres et des oiseaux. Le passage est mis en rapport et comparé avec des textes de la tradition biblique évoquant la création en prière, comme le psaume 148 et son commentaire par Augustin. Il porte aussi la marque de la tradition encyclopédique et philosophique, comme le montre le rapprochement avec la littérature relative aux
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mirabilia concernant des animaux, en particulier avec l’œuvre d’Élien, ou encore avec Celse dans sa critique du christianisme. Une autre influence qui a pu s’exercer sur Tertullien est celle du symbolisme animal développé par les auteurs chrétiens. Les deux interprétations concurrentes attestées dans ces divers précédents – rapprochement entre l’homme et l’animal, ou simple valeur symbolique accordée à ce dernier – sont présentes dans le passage de Tertullien, qui vise surtout à produire un effet de style frappant en clôture de son ouvrage. L’article du regretté François Heim a pour sujet la conception augustinienne de la méditation. Dans plusieurs passages des Confessions ou du De Ordine, Augustin aborde la question de la méditation, qu’il désigne au moyen du terme cogito ; il en affirme la nécessité et la présente notamment comme gagnée sur les negotia qui l’occupent. La méditation est très souvent évoquée par Augustin comme une conversation, à plusieurs (dans la lettre III, à Nebridius) ou surtout avec lui-même. Ses sermons et cours, qui se présentent comme prononcés dans l’inspiration du moment, apparaissent comme une « méditation parlée » à laquelle Augustin fait participer ses auditeurs. Si la méditation apparaît ainsi souvent chez lui comme un dialogue, avec autrui, avec Dieu ou avec lui-même, Augustin tend cependant aussi à subordonner la parole au silence et à l’écoute du Maître intérieur. Quant à Agnès Molinier Arbo, elle s’attache à étudier l’image de la ville de Rome donnée par Prudence dans son Contre Symmaque. Si Prudence admire l’Vrbs et ses monuments, il réfute cependant la conception et la mystique traditionnelles de la Ville éternelle telles qu’elles s’étaient développées notamment à partir de l’époque augustéenne. Prudence s’inspire de la vision providentialiste donnée de l’histoire de Rome et de son empire par Eusèbe de Césarée, mais se distingue de ce dernier par la place centrale qu’il accorde à la ville de Rome elle-même, qu’il évoque en termes glorieux ; de plus, à côté d’une vision linéaire de l’histoire, il réintroduit une conception cyclique, alliant au motif de l’imperium sine fine promis à Rome une conception chrétienne de la régénérescence de la cité. Le propos de Prudence s’adresse notamment aux sénateurs : l’enjeu était de convaincre ceux d’entre eux qui ne s’étaient pas convertis au christianisme que ce dernier permettait une réalisation des idéaux traditionnels de Rome, tout en reflétant les aspirations et les possibles espoirs des sénateurs ralliés au christianisme. Dans sa contribution, Céline Urlacher-Becht s’attache à l’étude et au commentaire d’épigrammes morales d’Eugène de Tolède (carm. 2-4 et 6-7). Les poèmes 6 et 7 formulent respectivement une condamnation de l’ivresse et de la gourmandise. Ils se signalent par une forte marque rhétorique qui s’explique par leur appartenance à une tradition scolaire, non exclusive cependant de l’inscription dans une tradition chrétienne. La présence du thème de la doctrina à la fin du carm. 7 amène à formuler l’hypothèse que les deux poèmes se rattacheraient à un enseignement d’Eugène. Quant aux carm. 2 à 4, ils abordent des thèmes qui ne concernent pas seulement la morale, mais – non sans différences d’approche entre les trois textes – des réflexions sur la condition humaine évoquées dans une perspective chrétienne. Le carm. 2 est ainsi consacré à la condition mortelle de l’homme ; le poème 3 a pour sujet l’inconstance de l’esprit humain, tandis que le poème 4 est consacré à un éloge lyrique des bienfaits de la paix. Les poèmes examinés appartiennent à un même ensemble au sein du
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recueil d’Eugène (carm. 1 à 7), où apparaît bien l’orientation spirituelle et pastorale de celui-ci et qui semble représentatif de la spiritualité à l’époque wisigothique. Enfin, une dernière partie du recueil s’attache à explorer des perspectives comparatistes et l’Antiquité rémanente. La démarche comparative est représentée d’abord par la contribution de Dominique Briquel. S’appuyant sur les travaux de G. Dumézil, en particulier ceux portant sur le mythe indo-européen de la Grande Bataille opposant les représentants du bien à ceux du mal, il soumet à son étude la Bhagavad Gita (Mahabharata, VI, 25-42), qu’il compare aux récits relatifs à l’intervention de Lucius Albinius au cours de la prise de Rome par les Gaulois (Tite-Live, V, 40, 5 ; Valère Maxime, I, 1, 10 ; Plutarque, Vie de Camille, 20, 3 ; Florus, I, 7 (I, 13), 8. Ceux-ci montrent le plébéien Lucius Albinius – représentant de la troisième fonction dans la tripartition indo-européenne – accueillant sur son char et menant en lieu sûr les vestales et les sacra de Rome. On peut faire l’hypothèse que cet épisode est issu d’un élément originel du mythe indo-européen de la Grande Bataille où un personnage de cocher serait intervenu pour rendre service aux représentants du bien. Cette hypothèse peut trouver un appui dans la comparaison avec la Bhagavad Gita, où Krsna intervient en assumant le rôle d’un cocher conduisant le char d’Arjuna et rendant courage à ce dernier. Quant à Jacques Poucet, il consacre son étude à l’apparition de l’étoile de Bethléem et à la visite des mages au moment de la naissance de Jésus, évoqués dans l’évangile de Matthieu (II, 1-12). Une première partie s’attache à situer la question de l’historicité de l’étoile et des mages dans le contexte de travaux théologiques récents concernant la naissance et l’enfance de Jésus. Le motif de l’étoile est ensuite étudié à travers un passage en revue des commentaires et interprétations qu’il a suscités, chez les auteurs antiques et médiévaux – dont le traitement est marqué par la fantaisie – puis chez des modernes qui se sont longtemps efforcés de démontrer son historicité astronomique, avant que la recherche contemporaine ne tende à privilégier la valeur symbolique et imaginaire du motif. Puis l’étude se porte sur l’éventuelle influence de textes de l’Ancient Testament notamment sur la tradition relative aux mages. Enfin, une dernière partie souligne que la remise en cause de l’historicité de ces récits, largement répandue aujourd’hui, rencontre encore certaines résistances. Enfin, la contribution d’Eckard Lefèvre est consacrée au commentaire d’une ode de Jacob Balde (Lyrica, 4, 41) dédiée à la dénonciation de l’ambition. Ce poème composé en strophes alcaïques présente d’abord l’ambition en soulignant l’emprise qu’elle exerce sur les hommes les plus éminents (v. 1-8). Dans les v. 9-28, le thème est ensuite illustré par l’exemple de la guerre de Trente ans et de son protagoniste, le roi de Suède Gustave II Adolphe (il avait déjà trouvé la mort au moment de la composition de l’ode), qui illustre les conséquences funestes d’une ambition excessive. Enfin (v. 29-36), Balde oppose les biens extérieurs aux biens intérieurs, uera nostri Animi bona (v. 33), opposition qui n’est pas sans rappeler la conclusion du De prouidentia de Sénèque. Cette ode de Balde a été traduite et adaptée par J. G. Herder, dans un poème que l’article présente en conclusion.
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C’est un plaisir pour nous que de présenter ici ces hommages à celui qui a guidé nos premiers pas dans la recherche avec autant d’expertise que d’acribie, ainsi qu’une bienveillance chaleureuse et une disponibilité de tous les instants. Catherine Notter Maud Pfaff-Reydellet Université de Strasbourg
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Une manière d’agir isolément en religion : la magie
Il est d’usage dans l’histoire des religions d’opposer religion et magie1, ou comme James Frazer religion, magie et science, et d’exclure la magie des études religieuses. Or dans tout ce qu’on peut observer, rien ne permet de distinguer les deux types de pratiques, religieuse ou magique, du moins chez les Romains, et c’est d’ailleurs aussi la conclusion à laquelle arrivent les études anthropologiques comme celle de S. Tambiah2. Les recherches sur la magie sont entrées dans une phase nouvelle, depuis les années 1980 et 1990. Trois ouvrages ont relancé notre intérêt pour la magie. Il s’agit du recueil de textes magiques, publié par J. Gager, du colloque organisé par C. Faraone et D. Obbink, avec notamment un article de H. Versnel3 qui continue de susciter la discussion, et de la petite synthèse élaborée par F. Graf sur la magie (voir note 2). Ces travaux, ainsi que l’accroissement du nombre de textes magiques du fait de découvertes récentes, enregistrées dans leur contexte archéologique, d’une part à Rome, dans le nymphée de la déesse Anna Perenna4, d’autre part à Mayence, dans les temples jumelés de Cybèle et d’Isis, ont lancé une entreprise générale d’inventaire et de publication de ces sources5. La grande nouveauté de ces recherches, c’est que, pour la première fois, les fouilles livrent dans leur contexte, pour ainsi dire de première main, des textes magiques,
1 Voir par exemple H. Versnel, « Some Reflections on the Relationship Magic-Religion », Numen, 38, 1991, p. 177-197. 2 S. J. Tambiah, Culture, Thought, and Social Action. An Anthropological Perspective, Cambridge (Mass.) – Londres, 1985. Pour une brève histoire des approches de la magie, cf. F. Graf, La magie dans l’Antiquité gréco-romaine, Paris, 1994, p. 11-29. 3 H. D. Betz, The Greek Magical Papyri in Translation, Including the Demotic Spells. I. Texts, Chicago, 1986 ; J. Gager, Curse Tablets and Binding Spells from the Ancient World, New York – Oxford, 1992 ; C. Faraone, D. Obbink (éd.), Magika Hiera. Ancient Greek Magic and Religion, Oxford, 1991 ; H. Versnel, « Beyond Cursing : the Appeal to Justice in Judicial Prayers », dans Faraone, Obbink (éd.), Magika Hiera…, p. 60-106. 4 M. Piranomonte, F. Marco Simón (éd.), Contesti magici, Rome, 2012. 5 J. Blänsdorf, Die Defixionum Tabellae des Mainzer Isis- und Mater Magna-Heiligtums. Defixionum Tabellae Mogontiacenses (= DTM) (Mainzer Archäologische Schriften, 9), Mayence, 2012 ; un choix de ces lamelles a été publié en 2005 par J. Blänsdorf, « Cybèle et Attis dans les tablettes de defixio inédites de Mayence », CRAI, 149, 2005, p. 669-692 (AE 2005, 1122-1126).
John Scheid • Institut de France
Segetis certa fides meae : hommages offerts à Gérard Freyburger, éd. par Catherine Notter et Maud PfaffReydellet, Turnhout, 2021 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 31), p. 21-33 © FHG10.1484/M.RRR-EB.5.126669
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ce qui permet de reconstruire le processus des rites magiques. Auparavant, on ne possédait que des collections de textes d’invocations, et il fallait s’adresser aux poètes antiques pour se faire une idée des contextes dans lesquels ces textes avaient pu être proférés. De ce fait, une autre approche de toutes ces sources voit peu à peu le jour. Il ne peut pas encore être question de faire une synthèse sur les données actuellement disponibles. Je voudrais pour ma part approcher ces sources, évidemment surtout les sources de l’époque romaine, pour examiner ce que les nouveaux textes peuvent nous apprendre sur l’individu isolé qui célèbre les rites magiques, afin de prouver que ces rites sont représentatifs d’activités religieuses individuelles. Je souhaite souligner que ces rites ne sont, en fait, pas différents de ceux qui sont en vigueur dans les pratiques religieuses courantes, privées et publiques, mais qu’ils se contentent souvent d’en inverser les gestes. Car il est évident que dans l’accomplissement de ces rites l’individu est seul, guidé ou non par un technicien de la discipline, et essaie de régler ses affaires personnelles. Ces rites offrent donc un point de vue révélateur des aspirations qui sont celles des individus quand ils s’adressent aux dieux. D’autre part, il s’agira pour nous d’observer les rites ainsi décrits et reconstitués pour les comparer aux « autres » rites religieux, pour ainsi dire. Les individus jouent des rôles variés en fonction du contexte dans lequel ils se livrent à leurs rites magiques. Il peut s’agir de spécialistes, de non-spécialistes appliquant des recettes obtenues d’une manière ou d’une autre, ou bien des bénéficiaires mêmes de ces rites avec ou non l’assistance d’un spécialiste. Si nous comparons les rites et les prières que pratique le magicien à ceux qui sont utilisés dans la religion quotidienne, nous constatons une certaine similitude, à cette nuance près que les prières ordinaires ne comprennent ni noms ni termes secrets. Ainsi, quand l’âne des Métamorphoses d’Apulée invoque la lune après s’être purifié dans la mer6, il s’adresse à la Reine du ciel, dont il dit ignorer le nom, et propose de l’appeler Cérès, Vénus, Diane ou Proserpine, et l’invoque quel que soit le nom, quel que soit le mode rituel, quel que soit l’aspect sous lesquels il est légitime de l’invoquer, en lui demandant de lui rendre sa forme précédente ou bien de le faire mourir. Cette manière d’en appeler à une divinité, cet aveu d’ignorance de ce que sont ses véritables nom et identité se retrouvent de la même manière dans des prières officielles. Par exemple, la formule de consécration de Carthage et de son armée commence ainsi : « Dispater, Veiovis, Mânes, ou bien s’il est prescrit de vous appeler d’un autre nom… » ; la formule de l’évocation commence plus simplement par : « Si c’est un dieu ou une déesse qui protège le peuple et la cité des Carthaginois7… ». Et ce même type de formule se retrouve dans les formules privées de dévotion, comme celle que contient la lamelle de plomb trouvée à Arezzo, près d’une source8 : (a) « Quintus
6 Apulée, Métamorphoses, XI, 2. 7 Macrobe, Saturnales, III, 9, 10 ; III, 9, 7. 8 CIL XI, 1823 (Arezzo) = A. Audollent, Defixionum tabellae quotquot innotuerunt tam in Graecis Orientis quam in totius Occidentis partibus praeter Atticas in Corpore inscriptionum Atticarum editas, Paris, 1905, p. 184, n° 129.
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Letinius Lupus, qui est également dit Caucadio, et qui est le fils de Salustia Veneria, ou Veneriosa, moi je l’envoie, le dédie, le sacrifie à votre (b) puissance, pour que vous, Eaux bouillantes ou bien vous les Nymphes, ou par quelque autre nom que vous voulez être appelées, vous le fassiez périr, vous le tuiez dans l’intervalle d’une année ». On reviendra sur les détails de ces formules. Pour l’instant, notons que l’on s’adresse de la même manière aux divinités concernées, même si dans le cas de Lucius l’intention est plus pacifique, et a été suivie par l’épiphanie en songe d’Isis qui lui indique le chemin à suivre. La qualification du magicien ne trouve aucun correspondant dans les rites quotidiens. Normalement les individus sont rituellement qualifiés par leur naissance et leur statut social. Les prêtres sont choisis par la communauté, ou éventuellement pris par le grand-pontife comme les Vestales et les flamines, et appelés à effectuer leur service. Dans de rares cas, les augures consultent Jupiter sur le choix qui a été fait, et plus généralement, pour l’élection des autres prêtres, les auspices comitiaux sont pris préalablement, car aucune assemblée ne peut avoir lieu sans la consultation des auspices. Sous l’Empire, même quand le Sénat effectue un choix qui est ensuite approuvé d’une manière ou d’une autre par l’assemblée, une prise d’auspices a lieu préalablement à la séance du Sénat. Nous ignorons malheureusement le détail du déroulement des élections sacerdotales dans les municipes et les colonies, et notamment s’il y avait aussi une consultation auspiciale. Quoi qu’il en soit, nous voyons que l’initiative revient toujours aux mortels, à la communauté des mortels, mais que d’une manière ou d’une autre, leurs dieux sont consultés sur ce choix. Dans le cas de la qualification du magicien, nous sommes à l’extérieur de ce cadre. C’est le magicien seul qui a l’initiative. Et l’opération consiste à demander l’union avec une divinité et l’octroi de pouvoirs. Il suffit de lire un passage du Grand papyrus magique du Louvre, qui date du ive siècle, pour s’en apercevoir9. Par rapport aux lamelles et tablettes de mauvais sort, ces papyrus ont l’avantage de donner des instructions et des prières, alors que les documents découverts dans des tombes, des lieux de culte ou des sources transmettent uniquement la formule magique, ou laissent éventuellement entrevoir une partie du processus magique, quand les fouilles ont été bien faites. Les documents tout à fait exceptionnels découverts à Chartres et publiés par D. Joly10 prouvent que ce genre de prière ou d’initiation n’est pas le propre de l’Égypte du ive siècle. La cave romaine de Chartres contenait un ou plusieurs meubles et des coffrets dans lesquels étaient rangés divers objets datables du ier siècle ap. J.-C. Parmi ces objets, trois brûle-encens, dont deux portaient une inscription identique. Cette inscription est répétée quatre fois vers les quatre points cardinaux appelés
9 Manuel de magie égyptienne, Le papyrus magique de Paris, Paris, 1995, p. 18 suiv. = PGM I, 66 suiv., lignes 170 suiv. ; lignes 193 suiv. et lignes 208 suiv. 10 D. Joly et alii, « L’attirail d’un magicien rangé dans une cave de Chartres/Autricum », Gallia, 67, 2010, p. 125-208 ; D. Joly, « La panoplie complète d’un magicien dans la cave d’une domus à Autricum (Chartres – France) : C. Verius Sedatus, Carnute, gardien des divinités », dans Piranomonte, Marco Simón (éd.), Contesti magici…, p. 211-223.
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Septentrion-Occident-Midi-Orient11. La première information apportée par ces brûle-encens est d’ordre chronologique. Généralement, les documents réunis dans les Papyrus Grecs Magiques que nous avons cités sont datés des iiie-ive siècles. En outre, nous sommes en Gaule, et seul un phylactère magique a été daté du ier siècle. Ce qui nous garantit que ces traditions circulaient depuis longtemps dans le monde antique, bien au-delà des frontières de l’Égypte. À côté des brûle-parfums ont été découverts des cratères décorés de serpents et surmontés de petits brûle-parfums, un couteau sans doute sacrificiel, des ossements animaux, des flacons et autres vases, ainsi que deux lampes et des fragments de verre. L’ensemble a été trouvé dans la même couche et doit être considéré comme l’attirail d’un magicien qui habitait la maison. De façon significative, le lieu de conservation de ces objets se trouve dans la cave, et non dans les pièces ouvertes de la maison, sans qu’il soit possible d’en conclure que le magicien officiait dans cette cave. En tout cas, on constate qu’il commandait aux dieux tout-puissants, dont il prétend être le gardien. Il invoque donc la même proximité et les mêmes services que le magicien du Grand papyrus magique. Nous ignorons tout du reste de ses pratiques, mais toujours est-il qu’il n’y a pas d’offrandes attestant un culte régulier. Le magicien opérait donc essentiellement pour entrer en relation avec une divinité ou un démon, et l’amener à l’aider. Comme pour tous les magiciens, cette relation était censée lui permettre d’acquérir du pouvoir, d’obtenir des avantages matériels et d’assouvir des désirs qui appartenaient à ce monde-ci. Il n’est jamais question de connaissances métaphysiques, même si Apulée paraît vouloir justifier sa curiosité, qui suscitait le soupçon, par le désir de connaissance qui était le sien. La magie est essentiellement orientée vers ce monde-ci et les avantages matériels de toute nature qu’on peut en tirer. Et même quand les hommes divins de l’Antiquité tardive pratiquent la théurgie, c’est à des fins divinatoires et pour agir sur les éléments. Tous les individus n’étaient évidemment pas des magiciens, mais un nombre important des habitants du monde antique, voire peut-être même tous, avaient l’occasion de recourir à la magie dans la vie quotidienne, de manière ponctuelle ou systématique. Beaucoup de gens prétendaient en tout cas être victimes d’envoûtements12. Certains récits, mais aussi des témoignages directs qui attestent ce genre de pratiques, le prouvent. Ce qui ne signifie pas que tous les individus étaient des magiciens, même si leurs ennemis le prétendaient pour attirer sur eux les foudres de la justice. On peut supposer que l’on recourait pour ces services aux compétences de techniciens ou techniciennes, qu’on trouvait soit dans son entourage, soit en versant une rémunération, comme on faisait pour la divination privée, pour laquelle on s’adressait depuis longtemps aux haruspices ou aux chaldéens. En tout cas, depuis les Lois des XII tables, au ve siècle av. J.-C., les autorités sévissaient contre la magie malveillante. Des pratiques qui étaient aussi répandues 11 Vos rogo omnipotentia numina, ut omnia bona conferatis C(aio) / Verio Sedato, quia ille est uester custos. / Echar Aha Bru Stna Bros Dru Chor Drax Cos / Halcemedme Halcobalar Halcemedme. – « Je vous demande, Omnipotentes Puissances divines, de donner tous les biens à Gaius Verius Sedatus, puisque celui-ci est votre gardien. / Echar Aha Bru Stna Bros Dru Chor Drax Cos Halcemedme Halcobalar Halcemedme ». 12 Voir pour cette constante J. Favret-Saada, Les mots, la mort, les sorts. La sorcellerie dans le Bocage, Paris, 1977.
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dans l’élite que dans le peuple. Le successeur présumé de Tibère, Germanicus, passait pour avoir été l’objet de sorts magiques jetés contre lui par le légat de Syrie Gaius Pison. Et pour ce qui est des mauvais sorts, ceux qui concernent le monde judiciaire révèlent que les orateurs ou les personnes qui avaient à affronter un tribunal les utilisaient couramment13. Même si elles laissent moins facilement entrevoir le niveau social des personnes impliquées, les simples malédictions lancées à l’occasion d’une rivalité quelconque sont très nombreuses. Ainsi, à Mayence, près du temple de Mater Magna, une lamelle de plomb écrite de droite à gauche, comme il arrive dans ce type de documents, affirme : « Avita, la belle-mère, je t’en fais cadeau, et Gratus, je t’en fais cadeau14 ». La malédiction s’adresse à la propriétaire du lieu de culte, Mater Magna, et lui voue la belle-mère et sans doute le fils qu’elle a apporté dans le remariage du père de la personne qui a rédigé ou fait rédiger ce document. Pareillement, sur la face externe d’une autre lamelle, lapidaire, on lit15 : « Cassius Fortunatus et ses biens, ainsi que Lutatia Restituta : tuez-les ». Parfois les textes sont plus longs et fleuris, si l’on ose dire. Voici encore un de ces textes, provenant de Mayence, qui en appelle à la vengeance de la Mater pour punir une femme qui a volé les fibules d’une autre16 : « Mater Magna, je te demande, par ton culte et ta puissance divine : Gemella, qui a volé mes fibules, (je te prie), qu’elle se coupe de sorte qu’elle ne devienne saine nulle part. Fais en sorte que, de la manière dont les galles se sont coupés et se tranchent les parties viriles, elle ne se coupe pas de sorte qu’elle puisse se plaindre. De la même manière dont ils ont déposé les objets sacrés (?) dans l’espace inviolable, tu ne dois pas non plus pouvoir racheter à la Mater ta vie, ta santé, Gemella, ni avec des victimes sacrificielles ni avec de l’or ni avec de l’argent. Que toutefois le peuple regarde ta mort. Verecunda et Paterna, je te livre cette femme, Grande Mère des dieux, leur fortune… je demande que soit effectué pour elles ce qu’elles ont fait par tromperie à mes biens et mes forces, et elles ne doivent pas pouvoir se racheter, ni avec des victimes porteuses de laine (face interne) ni se racheter avec des lamelles de plomb ou avec de l’or ou de l’argent de ton pouvoir divin ? Si ce n’est que les chiens, les vers et d’autres monstres les dévorent. Que le peuple contemple leur mort » (le reste est difficile à comprendre). Cette imprécation demande quelques mots d’explication. Il s’agit d’une de ces malédictions destinées à venger un vol. Normalement, la victime fait don de l’objet volé à une divinité, laquelle est ensuite censée punir celui qui détient un objet désormais devenu sa propriété. C’est notamment ce genre de documents que
13 Cf. Cicéron, Brutus, 217 ; Libanios, Discours, 1, 243-250, et C. Bonner, « Witchcraft in the Lecture Room of Libanius », Transactions and Proceedings of the American Philological Association, 63, 1932, p. 34-44. 14 Blänsdorf, DTM 111 suiv., n° 8 : Auita(m) nouerécùa(m) / dono tibi / et Gratum / [do]no tibi / […]e mesmant[…]. 15 Blänsdorf, DTM 128 suiv. n° 13 : Cassius Fortuna/tus e[t] bona illius et / Lutatia Restituta : / necetis e[os]. 16 Blänsdorf, DTM 1 = CRAI 2005, p. 678 suiv. Cf. aussi DTM 2 : […] Quomodo galli, bellonari, magal[i] sibi sanguin[em] feruentem fundunt […].
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H. Versnel17 range dans sa catégorie des appels destinés à obtenir justice dans les prières judiciaires. Il faut noter que l’auteur de la malédiction de Gemella se réfère au culte de Mater Magna, c’est-à-dire aux galles, ces fanatiques qui entouraient son culte, non pas au niveau qu’on leur attribuait traditionnellement, comme F. Van Haeperen l’a démontré, mais à un niveau relativement bas. Gemella ne doit pas pouvoir se lamenter auprès de la Mère, et lorsqu’elle constatera les effets de la malédiction, elle ne pourra pas expier sa faute en lui offrant des sacrifices ou en faisant des offrandes d’or ou d’argent. Il en va de même pour les deux autres femmes, et dans ce cas, les lamelles de défixion sont mentionnées, ce sont les plum{i}bi, avec une faute d’écriture. Comme la malédiction de Gemella le précise, elle doit être livrée au pouvoir de la déesse de la même manière que les choses consacrées sont déposées in sancto, littéralement « dans l’espace inviolable » du temple. Enfin, le châtiment des trois voleuses doit être vu par le peuple, c’est-à-dire se produire devant les yeux de tous, ce qui accroîtra leur humiliation et accentuera la renommée de la déesse. Cette clause de l’imprécation implique d’une certaine manière que les concitoyens soient en mesure de comprendre ce qui se passe, et par la volonté de qui. Par conséquent, en dépit de l’interdiction qui pèse sur la magie malveillante, l’acte magique se déroule sous les yeux de tous et possède une dimension communautaire. Il est vraisemblable que parmi les amis et la famille personne n’avait de doute sur l’origine des maux qui frappaient les personnes concernées. La question était plutôt que les gens le croyaient. Et des accusations comme celles que Curion avait prononcées devant le tribunal du juge, ainsi que d’innombrables autres accusations de ce type, le prouvent. À Pompéi aussi, l’imprécation contre un ami indélicat s’exprime ouvertement dans une inscription figurant sur une tombe, une inscription percée d’un clou de défixion18. Ces documents donnent une idée de ce qu’était le monde de la magie. Ce qui nous permet de revenir maintenant à notre enquête et de comparer les rites magiques avec les autres rites publics ou privés. Nous examinerons successivement les prières, le contexte votif et les rites, avant de comparer ces rites à ceux qu’utilise la religion quotidienne pour chercher à cerner la nature des aspirations religieuses qui sont attestées par les pratiques magiques. Mis à part les petites formules de défixion, la structure des prières magiques ne se distingue pas de celles qui sont utilisées dans les autres cultes. Elles commencent en général par une invocation de la ou des divinités concernées, parfois accompagnée
17 H. Versnel, « Beyond Cursing… » ; Gager, Curse Tablets…, p. 175 suiv. ; M. Dreher, « ‘Prayers for Justice’ and the Categorization of Curse Tablets », dans Piranomonte, Marco Simón (éd.), Contesti magici…, p. 29-32 ; H. Versnel, « Response to a Critique », dans Piranomonte, Marco Simón (éd.), Contesti magici…, p. 33-45. 18 AE 1964, 160 ; 1896, 166b ; 2006, 291, cf. M. Elefante, « Un caso di defixio nella necropoli pompeiana di Porta Nocera ? », Parola del Passato, 225, 1985, p. 431-443 ; S. Lepetz, W. Van Andringa, « Archéologie du rituel. Méthode appliquée à l’étude de la nécropole de Porta Nocera à Pompéi », dans J. Scheid (éd.), Pour une archéologie du rite. Nouvelles perspectives de l’archéologie funéraire, Rome, 2008, p. 105-126 ; S. Lepetz, W. Van Andringa, « Pour une archéologie de la mort à l’époque romaine : fouille de la nécropole de Porta Nocera à Pompéi », CRAI, 150, 2006, p. 1131-1161.
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d’une brève description de leur pouvoir, et se poursuit avec la présentation de ce que l’orant désire – généralement la paralysie, l’amnésie ou la disparition d’une victime. La demande est parfois répétée plusieurs fois. Enfin une formule finale demande à la divinité sollicitée d’agir au plus vite. C’est également la structure des prières qui accompagnent le sacrifice. Certaines de ces prières sont d’ailleurs des formules votives. La prière de la lamelle de défixion d’un certain Plotius19 contient une formule de type votif. Aux lignes 13-16, nous lisons d’abord un vœu au chien tricéphale (canis triceps) s’il a fait ce qu’on lui demande avant le mois de mars (hoc sei perfecerit ante mensem Martium). Ensuite, dans les lignes 17 et suivantes, nous lisons une formule qui renvoie elle aussi à un vœu : Haec, Proserpina Saluia, tibi dabo, cum compote(m) feceris, c’est-à-dire me compotem, « Je te donnerai ceci, Proserpine Salvia, quand tu auras réalisé mon vœu : je te donne la tête de Plotius, fils d’Avonia… ». Le texte énumère ensuite en détail tout ce que l’orant promet de donner à la déesse. On notera aussi, cela se voit par exemple dans la phrase précédente de la défixion, que l’orant fixe aussi une date, avant le mois de mars, au mois de février. Il est possible que le mois de février ait été choisi en raison de son nom, lié à la déesse Febris, une déesse qui a une réputation de tortionnaire, ou en sa qualité de mois des Feralia, de la fête des morts, et aussi de la purification. En tant que tel, ce mois était réputé, d’après ce sorcier, pour être particulièrement qualifié pour ce genre de communication avec Proserpine et Pluton. Toujours est-il que, pour ce qui nous intéresse, il s’agit de l’équivalent d’une formule votive, ce que n’a pas bien compris J. Gager20. Une lamelle en provenance de Mayence21 renvoie également au contexte votif. Le texte est difficile à déchiffrer dans son ensemble, manifestement écrit pour qu’on ne puisse pas bien le lire, et les yeux experts de J. Blänsdorf n’en ont compris qu’une partie qui, même si elle n’est pas tout à fait satisfaisante, est suffisante pour la recherche qui est la nôtre. Le texte est inscrit à l’envers, de droite à gauche, et de façon relativement maladroite. Nous lisons : « […] / tu dois me condamner / à mon vœu (uoto me condem[n]e[s]), … condamne le sain, l’animé (sa[.]num animosum [dam]nat), … s’il maudit les miens (si deuoue(t)) m[e]os)… » Il s’agit apparemment d’un contrat votif, similaire à celui de la défixion précédente. L’auteur demande à être condamné à son vœu, une formule courante qui signifie qu’il se trouve contraint d’acquitter son vœu parce que la divinité l’a satisfait. Et ce vœu, c’est la malédiction de son ennemi. La deuxième partie de la défixion est consacrée à l’exposé des contre-mesures qui seraient nécessaires au cas où son adversaire réaliserait lui-même une défixion contre l’orant. Il existe enfin un très beau texte à Mayence, qui a été presque entièrement déchiffré par J. Blänsdorf. Parcourons-le rapidement22. « Celui, quel qu’il soit, qui a commis cette tromperie maligne concernant cette somme d’argent, […] celui-là est le meilleur
19 W. S. Fox, « The Johns Hopkins Tabellae Defixionum », American Journal of Philology, 33, 1, 1912, p. 1-9, 11-68, notamment 35 = Gager, Curse Tablets…, p. 240 suiv., n° 134 : lignes 13 suiv. 20 Gager, Curse Tablets…, p. 241. 21 Blänsdorf, DTM 28. 22 Blänsdorf, DTM 2.
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[= a l’avantage] et nous sommes soumis […]. Mère des dieux, tu poursuis à travers toutes les terres, les mers, les lieux humides et secs, par ton bienheureux [= Attis] et [tous …] Celui qui fait usage, concernant cet argent, d’une tromperie maligne, celui-là tu dois le poursuivre… De la même manière que les galles se coupent et taillent leurs parties viriles, ainsi celui-là doit s’entailler la poitrine, … et qu’il n’a ni fait quelque chose ni qu’il… Et vous ne devez pas permettre que celui-là puisse être libéré, délivré de la malédiction, racheté avec des victimes ou avec … ou avec de l’or ou de l’argent. Ainsi que les galles, les prêtres de Bellone, et les magali se font couler du sang chaud, et qu’il tombe froid par terre, ainsi toute … sa capacité et sa pensée, son intelligence… De la même manière qu’il contemple le sang des galles, des magali et des prêtres de Bellone, celui qui a commis cette tromperie maligne, … ainsi doivent-ils contempler sa mort. Et comme le sel se dissout (dans l’eau), ses membres et sa moelle doivent se consumer. Demain il doit venir et dire qu’il a commis le méfait. Je te donne, conformément à l’obligation rituelle, la tâche de me condamner à mes vœux, et que j’y répondrai content et de bon cœur, si tu as tiré de lui une mauvaise mort ». Ce texte, qui est presque complet, contient des éléments qui relèvent clairement de formules votives. L’orant se réfère à la religio – je considère que la restitution de Blänsdorf est exacte – donc à l’obligation religieuse inhérente à l’échange votif, et de même que l’auteur du vœu est condamné à l’acquitter une fois que la divinité remplit sa demande, il essaie de la même manière, au moyen de sa formule, de contraindre la divinité à effectuer ce qui lui est demandé : d[e]mando tibi rel[igione], ut me uotis condamnes et ut laetus libens ea tibi referam, si de eo exitum malum feceris, « je te donne, conformément à l’obligation rituelle, le mandat de me condamner à mes vœux, et que j’y répondrai content et de bon cœur ». Religione signifie ici la même chose que rite sacris perfectis, « les rites ayant été accomplis conformément à la coutume, à la règle ». C’est un sens qui est illustré par un certain nombre de documents. Une inscription du Portugal23, ex religione iussu numinis, « en raison de l’obligation créée sur l’ordre de sa puissance divine ». À Musti24, en Africa, une dédicace votive à Janus est faite s(oluto) u(oto) religionis, « le vœu ayant été acquitté conformément à la règle cultuelle », et en Maurétanie, à Sertei25, un lieu de culte a été restauré par un certain Sextus Victor, monitus sacra religione, « averti par l’obligation religieuse sacrée ». Enfin, au xiie mille de la via Prenestina, une prêtresse de Spes et de Salus, qui avait magnifiquement honoré les promesses faites lors de sa candidature, avait bénéficié d’une statue, selon l’inscription, cum… religioni… satis fecerit, « du fait qu’elle avait satisfait à l’obligation rituelle », l’obligation désignant ici de façon plus générale la règle des promesses électorales26. Revenons à Mayence. L’auteur de notre défixion annonce ensuite qu’il s’acquittera avec plaisir et de plein gré de son vœu, comme dans la formule bien connue uotum
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CIL II, 129 = ILS 4513c (Vila Vicosa, Portugal). AE 1898, 45 (Musti, Africa). CIL VIII, 8826 = 20628 = ILS 4452 = AE 1946, 92 = AE 2011, 1518 (Sertei, Maurétanie). CIL XIV, 2804 = ILS 6218 (Castiglione/Gabies, I). Cf. aussi CIL X, 1717 (p. 971, Pouzzoles, I) : ut religioni satis fiat.
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soluit laetus libens merito. Il convient de noter que, sur le texte conservé, le sorcier ne promet en fait rien d’autre à la Mère en échange du contrat votif. Cependant, comme Blänsdorf le souligne, on peut penser que le texte, dont le début a disparu, commençait par une invocation et la promesse d’un sacrifice. Blänsdorf a bien compris qu’il s’agissait d’une nuncupatio, d’une formulation de vœu, comme la phrase conditionnelle finale le prouve, ce qui est beaucoup plus rare que les nombreuses quittances d’acquittement de vœu. Par ailleurs, la formule condemnare uoto est également bien attestée, comme le signale Blänsdorf. On la trouve déjà sur une inscription républicaine de Sora27 dans un petit poème en vers saturniens, ou encore sur une inscription de Bétique sur laquelle un L. Samnius Sulla offre quelque chose à Proserpine puisqu’il est condamné au vœu du fait de sa guérison28. Ces trois témoignages montrent que les sorciers utilisaient les mêmes ressorts que ceux qu’on trouve dans les rites qui sont célébrés au grand jour, en conférant à leurs malédictions le côté contractuel et juridique qui caractérise les vœux émis pour le salut, la santé ou le succès de quelqu’un. Il existe d’autres preuves. J’ai déjà signalé plus haut une autre caractéristique des prières, qui consiste à laisser ouverte la question du nom de la divinité. Le texte de la défixion de Photius en donne un autre exemple : « Bonne et belle Proserpine, épouse de Pluton, ou s’il convient que je dise Salvia29 ». Salvia n’étant pas attestée comme épiclèse de Proserpine, W. Fox suggère qu’il pourrait s’agir de la traduction latine de l’épiclèse Sôteira, qui est communément portée par Proserpine en pays grec. C’est vraisemblable. Mais on peut aussi tenir compte du fait qu’elle doit garantir la salus contre Photius, et que c’est pour cette raison que le sorcier lui attribue cette épiclèse. La même précaution est attestée à Arezzo, sur la lamelle déjà citée30, où nous lisons « moi je l’envoie, le dédie, le sacrifie à votre (b) puissance, pour que vous, Eaux bouillantes ou bien vous les Nymphes, ou par quelque autre nom que vous voulez être appelées31… ». Un recours similaire à la formulation juridique et le même souci de rigueur se retrouvent à travers les éléments suivants. Une défixion d’Aquitaine32 convoque les personnes concernées devant le tribunal de Pluton (« J’annonce aux personnes ci-dessous mentionnées, Lentinus et Tasgillus, qu’elles doivent comparaître devant Pluton ») ; dans l’affaire de Gemella, à Mayence33, la défixion demande que le châtiment soit appliqué en public, devant le peuple, comme le sont les punitions infligées par la cité. Les défixions veulent être aussi précises que le sont les documents
27 CIL X, 5708 (Sora, I ; ILS 3411). 28 CIL II, 1044 (Curiga, Bétique). 29 Fox, « The Johns Hopkins Tabellae Defixionum… », p. 35 = Gager, Curse Tablets…, p. 240 suiv., n° 134, lignes 1-2. 30 Voir note 8. 31 Hunc ego aput uostrum (b) numen demando deuoueo desacrifico, uti uos Aqu(a)e feruentes, siu[e u]os Nimfas [si]ue quo alio nomine uoltis adpe[l]lari… 32 CIL XIII, 11069-11070 = Audollent, Defixionum tabellae…, n° 111-112 (Chagnon, Aquitaine). 33 Voir note 16.
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juridiques. Les peines à infliger sont énumérées en détail, et même plusieurs fois. Le nom des personnes est formulé avec un soin tout particulier. Il faut notamment attirer l’attention sur la filiation matrilinéaire, régulièrement employée : plutôt que d’y voir je ne sais quel reliquat du matriarcat, il faut y voir le souci d’une précaution suprême. Dans la mesure où le père n’est jamais vraiment certain, on donne le nom de la mère34. Mais, ainsi que l’a noté Fr. Graf, ce type de filiation témoigne sans doute aussi de la volonté d’opérer « un renversement de la pratique institutionnelle courante », qui convient bien à la pratique magique, laquelle a tendance à tout inverser. Les défixions attestent également une solide connaissance des institutions religieuses. Nous avons évoqué la précision des formules votives. Les textes montrent aussi que les praticiens de la magie savaient faire la distinction – beaucoup mieux que ne le font certains traducteurs d’aujourd’hui – entre la divinité et son numen, sa « puissance divine », et entre sacrum, « consacré » et sanctum, « inviolable ». En bref, on a l’impression en lisant ces lamelles que les sorciers qui les ont rédigées ou inspirées connaissaient très bien la vie religieuse en général. Et cela dans toutes les provinces de l’empire, pas seulement à Rome et en Italie. Ce qui confirme notre impression que les rites magiques n’étaient en fait qu’un domaine particulier du vaste ensemble que constituaient les pratiques religieuses, et notamment les cultes privés. Au-delà de l’emploi correct des termes rituels, leurs rites ne sont pas si différents de ceux qu’emploient les autorités publiques. Prenons l’exemple du chiot qui est transpercé au moment de la malédiction35, comme doivent être transpercées les personnes que le mage veut rendre inoffensives ou qu’il veut tuer – une pratique qui est bien attestée à l’époque romaine. Il n’est pas difficile de trouver un parallèle dans les institutions religieuses publiques. Quand les féciaux concluent un traité, ce qui se dit en latin foedum ferire, « frapper un traité », ils frappent le porc ou l’agneau qui est offert en sacrifice à Jupiter d’un silex en prononçant la formule suivante : « ‘S’il arrivait que, par une délibération publique ou d’indignes subterfuges, il les enfreignît le premier, alors, grand Jupiter, frappe le peuple romain comme je vais frapper aujourd’hui ce porc ; et frappe-le avec d’autant plus de rigueur que ta puissance et ta force sont plus grandes’. Il finit là son imprécation, puis frappa le porc avec le silex36 ». Il s’agit certes d’une malédiction conditionnelle, qui ne se traduit pas par une défixion du même type que celles que nous avons vues, mais le principe rituel de malédiction reste le même. Le prêtre menace le peuple romain de connaître le même sort que la victime s’il manque à sa parole. Le culte public comporte en fait un certain nombre de défixions publiques qui sont énoncées de la manière la plus explicite. Le premier de ces rituels porte le nom de dévotion : il s’agit d’un vœu qui est destiné aux divinités d’en bas. Ce rite mythique qui était la spécialité de la famille des Decii consiste à se donner par vœu
34 Cf. par exemple Audollent, Defixionum tabellae…, n° 247 ; n° 250 ; n° 267 (Carthage). 35 Audollent, Defixionum tabellae…, n° 112. 36 Tite-Live, Histoire romaine, I, 24, 7-8 ; cf. XXI, 45, 8.
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aux divinités infernales – deuouere – s’ils détruisent en même temps les ennemis37. C’est un acte qui est exactement du même type que les malédictions que nous avons vues, comme G. Wissowa l’avait déjà relevé, en invoquant notamment l’exemple de la défixion d’Arezzo : « Moi j’envoie, dévoue, sacrifie à votre puissance », uostrum numen demando deuoueo desacrifico38. Nous pouvons aussi ajouter aux pratiques publiques le vœu fait par un esclave public à une divinité anonyme contre la défixion du sénat colonial de Tuder, et surtout le bel oracle du iie siècle. ap. J.-C. donné à une cité inconnue située près du lac Koloè par Apollon de Claros39. Enfin, n’oublions pas non plus les cultes familiaux. La bulla et autres crepundia étaient des amulettes destinées à protéger l’enfant contre les envoûtements ou les imprécations, car ce sont souvent des manipulations de ce type qui sont à l’origine de l’intervention des esprits mauvais qui viennent apporter aux vivants angoisse et tourments. Certains d’entre eux sont certes des morts qui ont été mal enterrés ou pas enterrés du tout, mais d’autres peuvent être des morts manipulés par des sorciers. Ce dont témoignent certains rites folkloriques comme ceux de Picumnus et Pilumnus qui viennent défendre l’accouchée et le nouveau-né, ou les rites célébrés lors des Compitalia, les fêtes des compita, sur une aire cultuelle située au point où se touchent plusieurs propriétés, et dans les villes aux croisements de rues. À cette occasion, nous racontent les auteurs, les familles attachaient à l’autel du compitum des poupées, appelées Maniae, et des pilae, des ballons de laine, qui passaient pour apaiser les Mânes. On suspendait autant de figurines qu’il y avait d’hommes libres dans la domus, la famille, et autant de balles qu’il y avait d’esclaves dans la familia, dans la domesticité40. Ovide décrit, à l’occasion de la fête des morts, qui prend place en février, un rite célébré par une vieille femme, un peu sorcière, qui consiste à faire une offrande de petits poissons, dont elle a cousu la gueule, aux divinités infernales. Pareillement, un rite nocturne du mois de mai qui incombait au père de famille consistait à chasser de sa maison les Lemures en se rachetant par l’offrande de fèves. Nous ignorons dans quelle mesure ces rites étaient pratiqués par toutes les familles, à Rome, en Italie et dans les municipes ou colonies romains, mais ce n’est pas le plus important pour notre recherche. Ce qu’il faut retenir, c’est la présence bien attestée de rites magiques au sein même des religions domestiques. Un autre aspect caractéristique des rites magiques est la répétition. Un élément qui n’est pas non plus absent de la religion régulière. Les arvales, par exemple, citent trois fois de suite les versets de l’hymne qu’ils déclament après le sacrifice à Dea Dia. Et au cours du banquet de la déesse, elle reçoit trois fois trois boulettes de foie sur la table dressée dans son temple. Dans l’imprécation de Pompéi portée contre un ami indélicat, qu’on souhaite exclure d’une concession funéraire, le propriétaire lui souhaite de n’être accueilli
37 Liv. VIII, 9, 4-11. 38 Voir note 8. 39 CIL XI, 4639 (Tuder, VI) ; F. Graf, « An Oracle against Pestilence from a Western Anatolian Town », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, 92, 1992, p. 267-279. 40 Festus, p. 273 éd. Lindsay.
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ni par les dieux Pénates ni par les dieux Mânes, comme si l’exclusion allait de pair. Aucune distinction ne paraît finalement exister entre ces deux registres cultuels, qu’il s’agisse de l’usage des règles du vœu, ou des références à la religio, l’obligation ou règle cultuelle, qui dépasse évidemment le domaine magique. Un autre aspect mérite d’être relevé, c’est l’usage que les magiciens experts font des démons, convoqués par l’intermédiaire d’une divinité, pour arriver à leurs fins. On retrouve là à l’œuvre un schéma théologique et religieux classique, qui a pour effet de décomposer l’action divine en segments complémentaires, eux-mêmes divinisés. La puissance d’une divinité, sa capacité d’action, pouvait être fractionnée entre les différentes divinités de son entourage, qui sont parfois invoquées en même temps qu’elle. Or tout laisse penser que ces démons, que les sorciers essaient de mettre à leur service, relèvent de la même logique. Ils font partie de ces divinités de service, cette plèbe divine dont se gausse Augustin, et que les magiciens tentent prudemment de mettre à leur service. Ils prient et tentent généralement de se concilier les grandes divinités, en leur demandant de mettre ces démons à leur disposition. On dit communément que la magie consiste à contraindre les divinités. C’est exact, mais dès qu’on dispose de documents plus précis, on se rend compte que les acteurs procèdent avec une certaine prudence. Prenons le cas du roi Numa qui désirait approcher Jupiter. Il n’a pas d’emblée entrepris le Tout-puissant. Sur les conseils d’une nymphe, le roi prêtre commence par s’emparer des petites divinités locales Picus et Faunus et leur demande les moyens de convoquer Jupiter. Numa procède donc comme un magicien désireux d’acquérir la connaissance des noms secrets et puissants des dieux, ainsi que des invocations qui permettent à un mortel d’entrer directement en contact avec eux, et de leur demander un service. À l’époque impériale, ces noms et ces mots secrets appartenaient souvent à des langues étrangères, réputées détenir un savoir magique exceptionnel. Et Numa, à l’instar des magiciens, ne plie pas devant le Tout-puissant, mais affiche la force d’âme nécessaire pour lui tenir tête. Il le fait, il est vrai, non pas en raison d’un enseignement reçu en secret – encore qu’il rejoignait de nuit la nymphe Égérie –, mais d’abord parce qu’il est le magistrat par excellence, sûr de son fait, certain d’avoir fait à l’égard de Jupiter tout ce qu’il devait faire. C’est au nom de cette fides, de ce crédit obtenu par sa bonne foi, bien connue de G. Freyburger, qu’il trouve le courage de soutenir le regard du dieu suprême. Ce qui montre que là encore, sur le plan de la démarche théologique, la magie se conforme à une pensée qui n’est pas différente de celles qu’on rencontre dans les autres cultes.
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Martine chassignet
Le religieux et le sacré dans l’œuvre de Caton l’Ancien
« Caton avait une personnalité multiforme1 ». Son œuvre ne l’est pas moins, tant par les sujets abordés que par les genres littéraires auxquels le Censeur s’est adonné : discours, traité d’agriculture, ouvrage historique, Libri ad Marcum filium, sans compter d’autres textes, dont l’existence même, le titre et le contenu sont parfois discutés. Nombreux par voie de conséquence sont les aspects de sa personnalité et de son œuvre à avoir été étudiés, à commencer par son attitude face aux Grecs et à l’hellénisme, mais aussi ses rapports avec l’aristocratie romaine, sa conception du uir bonus dicendi peritus et du uir bonus colendi peritus, sans compter tel ou tel autre aspect ponctuel de son œuvre2. Plus rares sont les travaux consacrés à l’aspect religieux de l’auteur et de son œuvre, en dehors du corpus de prières contenu dans le De Agricultura3. Il est vrai que les textes catoniens autres que le traité d’agriculture rédigé par le Censeur ne nous sont parvenus que sous forme de fragments transmis par des auteurs postérieurs qui les ont insérés dans leurs propres ouvrages. Ce mode de transmission ne permet pas d’appréhender l’ensemble de la production littéraire de Caton comme on le souhaiterait, d’autant plus que, si certains fragments se présentent sous forme de citations directes, d’autres se réduisent à des résumés-paraphrases. De fait, cette contribution aura pour objet d’examiner un aspect quelque peu méconnu 1 W. Suerbaum, « M. Porcius Cato (Censorius) », dans R. Herzog, P.-L. Schmidt (éd.), Nouvelle histoire de la littérature latine, vol. 1 : La littérature latine de l’époque archaïque. Des origines à la mort de Sylla. La période prélittéraire et l’époque de 240 à 78 av. J.-C., version française sous la direction de G. Freyburger et F. Heim, Turnhout, 2014, § 162, p. 405. 2 Pour son attitude face aux Grecs, voir par exemple A. E. Astin, Cato the Censor, Oxford, 1978, p. 157-181 ; pour ses rapports avec l’aristocratie, ibid., p. 66-73 ; pour sa conception du uir bonus, G. Calboli, Oratio pro Rhodiensibus. Catone, l’Oriente greco e gli imprenditori romani, 2e éd., Bologne, 2003, p. 15-22 ; pour un exemple de l’étude d’un aspect ponctuel de son œuvre, voir M. Chassignet, « Caton et l’impérialisme romain au iie siècle av. J.-C. d’après les Origines », Latomus, 46, 1987, p. 285-300. 3 Sur l’absence de travaux conséquents consacrés à l’aspect religieux de la personnalité de Caton et de l’ensemble de son œuvre, cf. W. Suerbaum, Cato Censorius in der Forschung des 20. Jahrhunderts, Hildesheim – Zurich – New York, 2004. Sur les questions religieuses dans le De Agricultura, voir entre autres R. Martin, « Agriculture et religion : le témoignage des agronomes latins », dans D. Porte, J.-P. Néraudau (éd.), Hommages à Henri Le Bonniec : Res sacrae (Collection Latomus, 201), Bruxelles, 1988, p. 295-305, et surtout C. Guittard, Carmen et prophéties à Rome (Collection Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 6), Turnhout, 2007, p. 167-183 : « La constitution du corpus catonien », et p. 185-220 : « Les prières du traité De Agricultura ». Martine Chassignet • Université de Strasbourg
Segetis certa fides meae : hommages offerts à Gérard Freyburger, éd. par Catherine Notter et Maud PfaffReydellet, Turnhout, 2021 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 31), p. 35-51 © FHG10.1484/M.RRR-EB.5.126670
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de l’œuvre catonienne, à savoir la question du religieux et du sacré dans l’ensemble de la production littéraire du Censeur, en dépit de son caractère essentiellement fragmentaire. La présence du religieux et du sacré dans le De Agricultura est un fait avéré et indiscutable. Que sait-on de ce traité4 ? Il s’agit du plus ancien ouvrage en prose latine qui a survécu au naufrage dans lequel a sombré une grande partie de la littérature latine, notamment archaïque ; c’est aussi le seul écrit de Caton qui est parvenu en entier jusqu’à nous. Il pourrait avoir été composé durant les dernières années de la vie de l’auteur, sans que la chose soit assurée5. Sa structure fait difficulté elle aussi en raison de son caractère décousu, voire même « chaotique » pour reprendre les termes de W. Suerbaum6. La critique moderne n’a pas manqué de relever les lacunes, interpolations et même doublons qui émaillent l’œuvre, essentiellement à partir du chapitre 54. Si la première partie, qui comporte les chapitres 1 à 53, est relativement bien ordonnée puisque l’auteur y aborde successivement les questions relatives à l’achat d’un domaine, sa mise en exploitation et son équipement (accessoires, bâtiments, appareils nécessaires)7, il n’en va pas de même de la suite. Des chapitres 54 à 170 se détachent cependant quelques ensembles, dont les chapitres 131 à 141 qui ont pour sujet les sacrifices et les prières du culte domestique rural, avec intrusion, il est vrai, d’éléments disparates dans les chapitres 133, 135, 136 et 1378. Le religieux et le sacré apparaissent aussi bien dans la première partie du traité que dans la seconde. De la lecture du De Agricultura ressort d’abord l’importance accordée aux devoirs religieux, que ce soit ceux qui incombent au maître – pater familias –, au fermier – uilicus9 – ou à la fermière – uilica. Lorsque le maître arrive à la ferme, son premier officium consiste à saluer le lare familial10 ; il se doit aussi de faire en sorte que le fermier veille à ce que seuls les travaux autorisés soient effectués les jours de
4 Sur le De Agricultura en général, cf. E. V. Marmorale, Cato Maior, 2e éd., Bari, 1949, p. 180-199 ; F. Della Corte, Catone Censore. La vita e la fortuna, 2e éd., Florence, 1969, p. 96-106 ; R. Goujard (éd.) Caton. De l’Agriculture, Paris, 1975 (2e tirage 2002), p. xxxii-xlv ; Astin, Cato the Censor…, p. 189-203 et p. 240-266. 5 Astin, Cato the Censor…, p. 191 ; Suerbaum, « M. Porcius Cato (Censorius) »…, p. 425 ; Guittard, Carmen et prophéties à Rome…, p. 174. 6 Suerbaum, « M. Porcius Cato (Censorius) »…, p. 424. H. Zehnacker, dans H. Zehnacker, J.-C. Fredouille, Littérature latine, Paris, 1993, p. 52, parle de « structure capricieuse ». Sur les explications apportées à ce problème de composition, bonne mise au point chez Astin, Cato the Censor…, p. 193-196 ; Suerbaum, « M. Porcius Cato (Censorius) »…, p. 424. 7 Goujard, Caton…, p. xxxiv. 8 Ibid., p. xxxv. 9 Terme retenu pour traduire uilicus, faute de mieux. Cf. Goujard, Caton…, p. 126, n. 3 (ad Agr. 2, 1) : « Le uilicus […] n’est ni un fermier, ni un intendant, ni un fondé de pouvoir, ni un garde-chiourme ; c’est un esclave […] ; en l’absence du maître, il commande aux autres esclaves, et même aux manœuvres libres ; il a des devoirs strictement définis et de lourdes responsabilités, mais il reste la chose du maître ». 10 Caton, De Agricultura, 2, 1 : Pater familias, ubi ad uillam uenit, ubi larem salutauit, fundum eo die, si potest, circumeat (« Que le maître, quand il arrive à la ferme, après avoir salué le lare familial, fasse le tour de la propriété le jour même s’il le peut » ; texte et traduction de R. Goujard, ut passim pour le De Agricultura, sauf mention contraire).
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fête11. Quant au fermier, il lui appartient « d’observer les fêtes12 », « de ne pas faire de sacrifice, sinon lors de la fête des carrefours, au carrefour ou au foyer, sans ordre du maître13 », et « de ne s’aviser de consulter ni haruspice, ni augure, ni devin, ni chaldéen14 ». Enfin, pour ce qui est de la fermière, parmi ses multiples officia figurent deux impératifs religieux : d’une part, « qu’elle ne fasse pas de sacrifice et ne charge personne d’en faire pour elle sans ordre du maître ou de la maîtresse ; qu’elle sache que c’est le maître qui fait les sacrifices pour tous les esclaves » ; d’autre part, « qu’elle tienne le foyer net en balayant autour chaque jour avant d’aller se coucher. Aux calendes, aux ides, aux nones, les jours de fête, qu’elle mette une couronne au foyer ; et ces mêmes jours, qu’elle fasse, selon ses moyens, une offrande au lare familial15 ». Le De Agricultura est cependant surtout connu pour offrir, avec l’Ab Vrbe condita de Tite-Live et le rituel de la deuotio, « le corpus de prières le plus complet et le plus homogène de la littérature latine16 ». Si l’on excepte deux passages, l’un qui est une courte allusion au sacrifice pour les semailles de printemps et le festin qui suit17, l’autre qui reproduit le uotum adressé à Mars et Silvanus « afin que se portent bien18 », la totalité des textes intéressant notre propos se situe dans l’ensemble consacré au culte privé signalé plus haut. Ces textes sont au nombre de quatre. 11 Cat., Agr. 2, 4 : Per ferias potuisse fossas ueteres tergeri, uiam publicam muniri, uepres recidi, hortum fodiri, pratum purgari, uirgas uinciri, spinas eruncari, expinsi far, munditias fieri (« Les jours de fête on pouvait curer les vieux fossés, entretenir le chemin public, débroussailler, bêcher le jardin, nettoyer les prés, fagoter le petit bois, extirper les épines, décortiquer le blé amidonnier, faire du nettoyage »). On a voulu voir dans ce passage une volonté catonienne d’éluder les interdits religieux : cf. H. Grummerus, Der römische Gutsbetrieb als wirtschaftlicher Organismus, Leipzig, 1906, p. 21, et G. Sicard, « Caton et les fonctions des esclaves », Revue Historique de Droit Français et Étranger, 35, 1957, p. 193. S’il est exact que Caton ne mentionne qu’un interdit les jours de fête, à savoir la fabrication du fromage, le lait étant employé dans les sacrifices (Cat., Agr. 150, 1), la comparaison avec Virgile, Géorgiques, I, 268-272, Columelle, De l’agriculture, II, 21, 1-5, Macrobe, Saturnales, I, 16, 12, Pline, Histoire naturelle, XVIII, 40 et Palladius, Traité d’agriculture, I, 6, 7, montre que cette accusation est infondée : cf. Goujard, Caton…, ad loc., p. 127, n. 11, repris par Guittard, Carmen et prophéties à Rome…, p. 174, n. 177. 12 Cat., Agr. 5, 1 : Feriae seruentur. 13 Cat., Agr. 5, 3 : Rem diuinam nisi Compitalibus in compito aut in foco ne faciat iniussu domini. 14 Cat., Agr. 5, 4 : Haruspicem, augurem, hariolum, chaldaeum nequem consuluisse uelit. 15 Cat., Agr. 143, 1 : Rem diuinam ni faciat neue mandet qui pro ea faciat iniussu domini aut dominae : scito dominum pro tota familia rem diuinam facere ; 143, 2 : Focum purum circumuersum cotidie, priusquam cubitum eat, habeat. Kal., Idibus, Nonis, festus dies cum erit, coronam in focum indat, per eosdemque dies lari familiari pro copia supplicet. 16 Guittard, Carmen et prophéties à Rome…, p. 185. Rien n’autorise à considérer ce corpus comme le résultat d’un remaniement ultérieur ou une adjonction tardive : cf. ibid., p. 183. 17 Cat., Agr. 50, 2 : Vbi daps profanata comestaque erit, uerno arare incipito (« Quand le sacrifice pour les semailles et le festin rituel auront eu lieu, commencez les labours de printemps »). Sur l’emploi ici de profanata à la place de pollucta, cf. Goujard, Caton…, ad loc., p. 227, n. 7. 18 Cat., Agr. 83 : Votum pro bubus, uti ualeant, sic facito. Marti, Siluano in silua interdius in capita singula boum uotum facito : farris l. iii et lardi p. iiii s et pulpae p. iiii s, uini s. iii ; id in unum uas liceto coicere et uinum item in unum uas liceto coicere. Eam rem diuinam uel seruus uel liber licebit faciat. Vbi res diuina facta erit, statim ibidem consumito. Mulier ad eam rem diuinam ne adsit neue uideat quo modo fiat. Hoc uotum in annos singulos, si uoles, licebit uouere (« Faites ainsi l’offrande pour les bœufs, afin qu’ils se portent bien : à Mars, à Silvanus, dans la forêt, de jour, pour chaque bœuf, faites une offrande : trois livres de blé amidonnier, quatre livres et demie de lard, quatre livres et demie de viande, trois setiers de vin ; qu’il soit permis de
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Le premier a pour sujet l’offrande à Jupiter Dapalis, la daps pro bubus, qui a lieu avant le début des labours de printemps, « quand fleurit le poirier19 ». Le chapitre 132 indique de quelle façon doit se faire le sacrifice privé offert par l’officiant : Dapem quo modo facias20. Le Censeur fournit des informations sur le rituel – offrande de la daps qui sera composée d’une coupe de vin et de mets ; ablution des mains de l’officiant pour se mettre en état de « pureté rituelle » ; oblation de vin inférial ; offrande complémentaire, facultative, à Vesta ; détails sur la composition de la daps et indications sur sa présentation à la divinité. La description du rituel est assortie de deux formules accompagnant le sacrifice : la première invoque le dieu et annonce l’offrande, la deuxième consacre l’offrande à la divinité. Le deuxième texte (chapitre 134) consiste en une description du processus à suivre pour accomplir le rituel qui accompagne le sacrifice de la truie précidanée, c’est-à-dire « immolée préalablement » à la moisson21. Ce rituel, qui se déroule en mettre ces ingrédients dans un seul récipient. Il sera permis que ce sacrifice soit fait par un esclave ou par un homme libre. Dès que l’offrande sera faite, consommez les mets sur place ; qu’aucune femme ne soit présente à ce sacrifice ni ne voie comment il est fait. Il sera permis, si vous voulez, de présenter cette offrande pour un an, à chaque fois »). Sur ce passage, cf. G. Dumézil, La Religion romaine archaïque, suivi d’un appendice sur la religion des Étrusques, Paris, 1966 (2e éd. 1987), p. 235-236. 19 Cat., Agr. 131 : Piro florente. 20 Cat., Agr. 132 = prière L15 Chapot, p. 248-250, dans F. Chapot, B. Laurot, Corpus de prières grecques et romaines (Collection Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 2), Turnhout, 2001 : Dapem hoc modo fieri oportet. Ioui dapali culignam uini quantam uis polluceto ; eo die feriae bubus et bubulcis et qui dapem facient. Cum pollucere oportebit, sic facies : « Iuppiter dapalis, quod tibi fieri oportet in domo, familia mea culignam uini dapi, eius rei ergo macte hac illace dape polluenda esto ». Manus interluito, postea uinum sumito : « Iuppiter dapalis, macte istace dape pollucenda esto, macte uino inferio esto ». Vestae, si uoles, dato. Daps Ioui : assaria pecunia, urna uini. Ioui caste sua contagione. Postea, dape facta, serito milium, panicum, alium, lentim (texte de R. Goujard, corrigé d’après K. Latte, Römische Religionsgeschichte, Munich, 1960, p. 377, n. 2, et R. Schilling, « Sacrum et Profanum. Essai d’interprétation », Latomus, 30, 1971, p. 953-969, repris dans Rites, cultes, dieux de Rome, Paris, 1979, p. 54-70) (« Un repas sacrificiel doit être fait de la façon suivante : à Jupiter hôte du sacrifice fais l’offrande d’une coupe de vin de la taille que tu veux ; ce jour-là ce seront les féries pour les bœufs, les bouviers et ceux qui feront le repas sacrificiel. Lorsqu’il faudra faire l’offrande, tu la feras ainsi : ‘Jupiter hôte du sacrifice, puisque doit être réservée pour toi, dans ma maison, en présence de mes gens, une coupe de vin comme repas sacrificiel, pour cette raison, sois honoré par l’offrande du repas sacrificiel que voici’. Dans l’intervalle, lave-toi les mains ; ensuite prends le vin : ‘Jupiter hôte du sacrifice, sois honoré par l’offrande du repas sacrificiel que voici, sois honoré par le vin présenté’. Donne à Vesta, si tu le veux. Le repas sacrificiel pour Jupiter : des provisions de la valeur d’un as, une urne de vin. Fais l’offrande à Jupiter selon la pureté rituelle : rends-en une partie profane, en la touchant toi-même. Ensuite, une fois le repas sacrificiel fait, sème le mil, le millet, l’ail et les lentilles » ; traduction de F. Chapot). Pour ce chapitre 132, voir entre autres Guittard, Carmen et prophéties à Rome…, p. 185-192. Voir également Schilling, « Sacrum et Profanum… ». 21 Cat., Agr. 134 = prière L16 Chapot, p. 250-251 : Priusquam messim facies, porcam praecidaneam hoc modo fieri oportet : Cereri porca praecidanea porco femina, priusquam hasce fruges condant : far, triticum, hordeum, fabam, semen rapicium. Thure uino Iano, Ioui, Iunoni praefato, priusquam porcum feminam immolabis ; Iano struem ommoueto sic : « Iane pater, te hac strue ommouenda bonas preces precor uti sies uolens propitius mihi liberisque meis domo familiaeque meae ». Fertum Ioui ommoueto et mactato sic : « Iuppiter, te hoc ferto obmouendo bonas preces precor uti sies uolens propitius mihi liberisque meis, domo familiaeque meae mactus hoc ferto ». Postea Iano uinum dato sic : « Iane pater, uti te strue ommouenda bonas preces bene precatus sum, eiusdem rei ergo macte uino inferio esto ». Postea Ioui sic : « Iupiter, macte isto ferto esto, macte uino inferio esto ». Postea porcam praecidaneam immolato. Vbi exta prosecta erunt, Iano struem ommoueto mactatoque
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trois temps, comprend des rites d’introduction – offrande préliminaire de vin et d’encens à Janus, Jupiter et Junon ; offrande d’une strues à Janus, d’un fertum à Jupiter, de vin à Janus et Jupiter –, l’immolation de la porca praecidanea, et enfin des rites de conclusion – offrande d’une strues à Janus et d’un fertum à Jupiter ; offrande de vin à Janus et à Jupiter ; offrande des exta et du vin à Cérès. Là encore, le texte catonien est assorti des formules que l’officiant doit prononcer lorsqu’il offre la strues à Janus, le fertum à Jupiter, le vin à Janus puis à Jupiter. Les chapitres 139 et 140, quant à eux, indiquent comment exécuter le rituel permettant d’ouvrir une clairière dans un bois sacré22 : le sacrifice d’un porc, offert en expiation, est accompagné d’une invocation prudente à la divinité protectrice du lieu, siue deus siue dea, suivie de la precatio proprement dite et de la formule sacrificielle. Cet ensemble se termine sur les consignes concernant la lustration des champs. Caton y décrit le rite avant tout apotropaïque mais aussi propitiatoire des suouitaurilia item uti prius obmoueris ; Ioui fertum obmoueto mactatoque item uti prius feceris ; item Iano uinum dato et Ioui uinum dato item uti prius datum ob struem obmouendam et fertum libandum. Postea Cereri exta et uinum dato (« Avant de faire la moisson, il faut que l’on fasse le sacrifice de la truie précidanée de cette façon : à Cérès le sacrifice de la truie précidanée se fait avec une femelle de porc, avant la récolte des produits que voici : blé amidonnier, triticum, orge, fèves, graine de chou-rave. Avec de l’encens et du vin, invoquez d’abord Janus, Jupiter, Junon, avant d’immoler la femelle de porc ; faites ainsi l’offrande d’une strues à Janus : ‘Janus père, en t’offrant cette strues, je te prie, par de bonnes prières, d’être bienveillant et favorable à moi et à mes enfants, à ma maison et à mes esclaves’. Faites l’offrande d’un fertum à Jupiter, et honorez-le ainsi : ‘Jupiter, en t’offrant ce fertum, je te prie, par de bonnes prières, d’être bienveillant et favorable à moi et à mes enfants, à ma maison et à mes esclaves, honoré que tu es par ce fertum’. Après cela, donnez ainsi le vin à Janus : ‘Janus père, comme, en t’offrant une strues, je t’ai bien prié par de bonnes prières, pour la même raison, sois honoré par le vin inférial’. Après cela, immolez la truie précidanée. Quand les viscères seront découpés, faites à Janus l’offrande d’une strues, et honorez-le comme vous avez fait la première offrande ; faites à Jupiter l’offrande d’un fertum ; et honorez-le comme vous l’avez fait la première fois ; donnez le vin à Janus et donnez le vin à Jupiter de la même façon qu’il a été donné précédemment pour l’oblation de la strues et la libation du fertum. Après cela, donnez à Cérès les viscères et le vin »). Pour ce chapitre 134, voir entre autres Guittard, Carmen et prophéties à Rome…, p. 192-202. Voir également H. Le Bonniec, Le culte de Cérès à Rome, Paris, 1958, p. 148-157. 22 Cat., Agr. 139 = prière L17 Chapot, p. 251-252 : Lucum conlucare Romano more sic oportet : porco piaculo facito, sic uerba concipito : « Si deus, si dea es quoium illud sacrum est, uti tibi ius est porco piaculo facere illiusce sacri coercendi ergo harumque rerum ergo, siue ego siue quis iussu meo fecerit, uti id recte factum siet, eius rei ergo te hoc porco piaculo immolando bonas preces precor uti sies uolens propitius mihi domo familiaeque meae liberisque meis : harumce rerum ergo macte hoc porco piaculo immolando esto » (« Il faut ouvrir ainsi une clairière dans un bois sacré selon le rite romain : sacrifiez un porc en expiation ; formulez ainsi l’invocation : ‘Qui que tu sois, dieu ou déesse, à qui ce bois est consacré, comme tu as droit que l’on te sacrifie un porc en expiation, en raison de l’amputation de ce bois sacré et en raison de ce travail, que ce soit moi ou quelqu’un d’autre sur mon ordre qui le fasse, que cela soit fait justement ; en raison de cela, en t’immolant ce porc en expiation, je te prie, par de bonnes prières, d’être bienveillant et favorable à moi-même, à la maison, à mes esclaves et à mes enfants ; en raison de cela, sois honoré par l’immolation de ce porc en expiation’ ») ; Agr. 140 : Si fodere uelis, altero piaculo eodem modo facito, hoc amplius dicito : « Operis faciundi causa » ; dum opus, cotidie per partes facito ; si intermiseris aut feriae publicae aut familiares intercesserint, altero piaculo facito (« Si vous voulez cultiver l’emplacement, faites un second sacrifice expiatoire de la même façon, ajoutez ceci : ‘Pour mettre en culture’ ; tant qu’il en est besoin, faites tous les jours une partie du travail ; si vous l’interrompez, ou si une fête publique ou domestique intervient, faites un nouveau sacrifice expiatoire »). Pour ces deux chapitres, voir entre autres Guittard, Carmen et prophéties à Rome…, p. 201-206.
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au mois de mai, à l’occasion de la fête agricole des Ambarualia. Il y reproduit la grande prière que l’orant, un certain Manius – le uilicus ou le partiaire du chapitre 140, ou encore un prêtre ou un haruspice23 ? – doit adresser à Mars, apte à protéger les terres cultivées des attaques de toutes sortes (chapitre 141)24. Les éléments tirés du De Agricultura relevés jusqu’ici témoignent tous de la révérence du propriétaire terrien aux grands dieux, Jupiter, Mars mais aussi Junon, Cérès, Janus et Silvanus. L’inventaire qui précède serait cependant incomplet si on ne faisait mention des recettes magiques qui figurent dans le traité et forment une part importante des rapports de l’homme avec le surnaturel25. C’est ainsi que telle
23 Pour les problèmes posés par l’identification de ce Manius, cf. Goujard, Caton…, ad loc., p. 287, n. 2. 24 Cat., Agr. 141 = prière L18 Chapot, p. 252-254 : Agrum lustrare sic oportet : impera suouitaurilia circumagi : « Cum diuis uolentibus quodque bene eueniat, mando tibi, Mani, uti illace suouitaurilia fundum, agrum terramque meam quota ex parte siue circumagi siue circumferenda censeas, uti cures lustrare », Ianum Iouemque uino praefamino, sic dicito : « Mars pater te precor quaesoque uti sies uolens propitius mihi domo familiaeque nostrae ; quoius rei ergo agrum, terram fundumque meum suouitaurilia circum agi iussi, uti tu morbos uisos inuisosque, uiduertatem uastitudinemque, calamitates intemperiasque prohibessis defendas auerruncesque, uti tu fruges, frumenta, uineta uirgultaque grandire beneque euenire siris, pastores pecuaque salua seruassis duisque bonam salutem ualetudinemque mihi, domo familiaeque nostrae ; harumce rerum ergo, fundi, terrae agrique mei lustrandi lustrique faciendi ergo, sicuti dixi, macte hisce suouitaurilibus lactentibus immolandis esto : Mars pater, eiusdem rei ergo macte hisce suouitaurilibus lactentibus immolandis esto » ; item. Cultro facito ; struem et fertum uti adsiet, inde obmoueto. Vbi porcum inmolabis, agnum uitulumque, sic oportet : « Eiusdem rei ergo macte hisce suouitaurilibus immolandis esto » ; nominare uetat Martem neque agnum uitulumque. Si minus in omnis litabit, sic uerba concipito : « Mars pater, si quid tibi in illisce suouitaurilibus lactentibus neque satisfactum est, te hisce suouitaurilibus piaculo » ; si uno duobusue dubitauit, sic uerba concipito : « Mars pater, quod tibi illoc porco neque satisfactum est, te hoc porco piaculo » (« Il faut ainsi faire la lustration des champs : fais mener, tout autour, des suouitaurilia : ‘Avec la bienveillance des dieux, et que bien en advienne, je te confie, Manius, le soin de faire la lustration en faisant faire à ces suouitaurilia le tour de mon fonds, de mes champs et de ma terre, pour la partie de laquelle tu jugeras bon qu’ils soient menés ou doivent être transportés’. Invoquez d’abord, avec du vin, Janus et Jupiter ; employez cette formule : ‘Mars père, je te prie et te demande d’être bienveillant et favorable à moi-même, à notre maison, à nos esclaves ; en raison de quoi j’ai fait mener autour de mes champs, de ma terre et de mon fonds, des suouitaurilia, pour que tu écartes, repousses et détournes les maladies visibles et invisibles, la stérilité, la dévastation, les calamités agricoles et les intempéries, et que tu permettes aux récoltes, aux céréales, aux vignes, aux jeunes pousses de grandir et d’arriver à bonne fin, que tu assures la sauvegarde des bergers et des troupeaux, que tu procures sauvegarde et santé à moi-même, à notre maison, nos esclaves ; en raison de ces demandes, en raison de la lustration de mon fonds, de ma terre et de mes champs et de l’accomplissement de la lustration, comme je l’ai dit, sois honoré par l’immolation de ces suouitaurilia lactentia-ci ; Mars père, pour la même raison, sois honoré par ces suouitaurilia lactentia-ci’ ; de même . Égorgez les victimes avec un couteau ; ayez à votre disposition une strues et un fertum, faites-en l’offrande. Quand vous immolerez le pourceau, l’agneau ou le veau, il faut dire : ’En raison de ceci, sois honoré par l’immolation des suouitaurilia’ ; on interdit de prononcer alors le nom de Mars ni celui d’agneau ou de veau. Si le sacrifice d’aucun de ces animaux n’est agréé, formulez ainsi l’invocation : ‘Mars père, si en quelque chose dans ces suouitaurilia lactentia-là, tu n’as pas été satisfait, je t’offre en expiation ces suouitaurilia-ci’. S’il y a doute à propos d’un ou de deux animaux, formulez ainsi l’invocation : ‘Mars père, du fait que ce pourceau-là ne t’a pas satisfait, je t’offre ce pourceau-ci en expiation’ »). Sur ce passage, voir Dumézil, La Religion romaine archaïque…, p. 232-236 ; Guittard, Carmen et prophéties à Rome…, p. 206-220. 25 Sur les pratiques magiques figurant dans le De Agricultura, cf. entre autres Dumézil, La Religion romaine archaïque…, p. 584 ; Guittard, Carmen et prophéties à Rome…, p. 181-183.
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tâche d’hiver ne doit être effectuée qu’à une phase donnée de la lune26. On notera également qu’à titre préventif, il faut administrer aux bœufs en bonne santé une mixture composée de douze ingrédients choisis pour leurs vertus médicinales mais aussi magiques, à raison de trois unités pour chaque ingrédient, et la faire avaler à chaque bœuf dans un vase de bois en trois fois, pendant trois jours, sans résidu ; il faut en outre être à jeun et « en l’air » – sublimiter – lorsqu’on cueille et broie les ingrédients ; enfin, celui qui donne le philtre magique et le bœuf doivent être l’un et l’autre « en l’air27 ». Si un bœuf tombe malade, il faut lui donner un œuf de poule cru à avaler en entier et le lendemain une tête d’ulpicum broyée ; là encore il faut être à jeun, ne pas être en contact avec la terre qui a des influences maléfiques – sublimiter – et utiliser un récipient en bois28. Si les pratiques magiques s’exercent à propos des animaux, les êtres humains ne sont pas en reste lorsqu’il s’agit par exemple de guérir une luxation29 : aux gestes qui ont une valeur symbolique30 – choisir un roseau vert de quatre ou cinq pieds de long, le fendre en son milieu et confier les deux morceaux à deux aides qui les tiennent contre leur hanche et se rapprochent jusqu’à ce que les deux moitiés se rejoignent, puis après que ces deux moitiés seront en contact, brandir un fer au-dessus, prendre le roseau en main, couper ses deux extrémités à droite et à gauche et le fixer par une ligature sur la luxation ou la fracture qu’on veut guérir –, on associe deux formules incantatoires, la première prononcée jusqu’à ce que les deux moitiés du roseau se rejoignent : moetas uaeta daries dardaries asiadarides una petes (variante : motas uaeta daries dardares astataries dissunapiter), la seconde chaque jour après la mise en place de l’attelle : huat hauat huat ista pista sista dannabo dannaustra (variante : huat haut haut istasis tarsis ardannabou dannaustra)31. Les rituels et plus encore les prières et les incantations, on le voit, tiennent une grande place dans le De Agricultura. Ce qui nous intéresse toutefois, ce n’est pas tant leur contenu, qui relève plutôt des sciences religieuses, que les éléments révélateurs des rapports du Censeur avec le religieux et le sacré. Au vu de ce qui précède, il nous semble qu’on peut dégager les points suivants. D’abord, si Caton manifeste incontestablement un intérêt certain pour la religion et la magie, il est avant tout porté sur ce que nous serions tentée d’appeler une « religion appliquée », pragmatique, tout entière tournée vers la recherche de l’efficacité du respect des rituels et des prières, que ce soit pour réussir la moisson, préserver la santé des bœufs, ouvrir une clairière dans un bois sacré, protéger les productions de la terre, les végétaux et les êtres humains. C’est sans doute là qu’il faut chercher la raison de l’apparent éclectisme de la religion catonienne qui ressort des passages examinés plus haut ; on peut s’étonner en effet qu’il mette sur le même plan la grande prière à Mars et les incantations pour guérir une luxation. Ce que Caton recherche dans les conseils qu’il donne au propriétaire de la uilla ou à 26 Cat., Agr. 37, 4. 27 Cat., Agr. 70. La valeur magique du chiffre 12 est attestée par exemple chez Hésiode, Les Travaux et les Jours, 750-752. Sur le sens de l’adverbe sublimiter, cf. Goujard, Caton…, ad loc., p. 245, n. 12. 28 Cat., Agr. 71. 29 Cat., Agr. 160. 30 Sur cette valeur symbolique, voir Goujard, Caton…, ad loc., p. 319-320, n. 2-9. 31 Sur ces formules, cf. Guittard, Carmen et prophéties à Rome…, p. 181-183.
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son uilicus, c’est l’efficacité, qui passe en sa croyance notamment à l’effet produit par certaines formules. Cette croyance l’incite à faire respecter à la lettre les scrupules religieux. Le deuxième point qui semble se dégager de cet ensemble est sans aucun doute le goût de Caton pour les formules et la littérature gnomique ; avec les prières et les formules magiques de la religion paysanne, le Censeur a trouvé une occasion sans pareille d’introduire dans un traité technique des éléments d’une prose élevée. Le religieux et le sacré sont également visibles dans d’autres ouvrages catoniens, même s’ils sont plus difficilement décelables en raison du mode de transmission du texte. À titre d’exemple de ces problèmes inhérents à la tradition, on relèvera que nous n’avons aucune trace des écrits que Caton aurait composés sur le droit augural, pontifical et civil et dont Cicéron signale l’existence dans le Cato Maior32. Nous savons par ailleurs que le Censeur avait prononcé un discours lors de l’affaire des Bacchanales ; or, de ce discours intitulé De coniuratione, ne subsiste malheureusement qu’un seul mot – pr[a]ecem –, cité par Festus en raison de son emploi au singulier33, difficilement exploitable. Du discours De auguribus ne reste qu’un passage résumé-paraphrase qui indique que Caton y avait a priori abordé la question du statut des Vestales, sans qu’on sache d’ailleurs comment ce développement était rattaché à l’argumentaire proprement dit34 ; quant à l’hypothèse selon laquelle le fameux passage du De Diuinatione de Cicéron concernant la négligence des auspices se réfère à ce même discours, elle est elle aussi sujette à caution35. Lorsque le fragment est une citation directe, il est souvent dû à un grammairien ou un lexicographe qui, pour illustrer une forme grammaticale peu usitée ou un vocable donné, s’appuie sur un court passage emprunté à un auteur et tiré de son contexte ; c’est ainsi que le fragment 84 Malc. = 58 Sblend. de l’Oratio de moribus Claudi Neronis n’est guère parlant en dehors de l’existence de l’association haruspex – fulgurator dans ce passage36. Lorsqu’on est, en revanche, en présence d’un résumé-paraphrase, la pensée catonienne peut être noyée dans celle du citateur : les fragments 54 et 60 Cugusi – Sblendorio-Cugusi des Dicta illustrent ce cas de figure : on ne peut pas en tirer grand-chose si ce n’est l’hostilité 32 Cicéron, Caton l’Ancien, 38 : ius augurium, pontificium, ciuile tracto ; cf. Tite-Live, Histoire romaine, XXXIX, 40, 5 ; Cornélius Népos, Caton, 3, 1 ; Cicéron, De l’Orateur, I, 171 ; II, 142 ; III, 135 ; Valère Maxime, Faits et dits mémorables, VIII, 7, 1 ; Quintilien, Institution oratoire, XII, 3, 9 ; XII, 11, 23. 33 Festus, De la signification des mots, p. 280 L : « Precem » singulariter idem (sc. Cato) in ea, quae est de coniuratione (frg. 68 Malcovati (abrégé Malc.) = 50 Sblendorio-Cugusi (abrégé Sblend. ou Sblendorio). 34 Caton, Discours, frg. 220 Malc. = 199 Sblend. Sur les problèmes posés par ce fragment, cf. Sblendorio, p. 462. 35 Cicéron, De la Divination, I, 28 : Multa auguria, multa auspicia, quod Cato ille sapiens queritur, neglegentia collegi amissa plane et deserta sunt (« Ainsi un grand nombre de signes, un grand nombre d’auspices ont été – le sage Caton le déplore – complètement perdus et délaissés par la négligence du collège des augures » ; traduction de G. Freyburger, J. Scheid, Cicéron. De la divination, Paris, 1992, ut passim pour les citations du De Diuinatione). Hypothèse formulée par G. Cortese, De M. Porcii Catonis vita, operibus et lingua, 3e éd., Savone, 1885, p. 69. Le passage est généralement relégué dans les Incertorum librorum fragmenta, à l’exemple de P. Cugusi, M. T. Sblendorio-Cugusi (abrégé Cugusi – Sblend.-Cugusi), Opere di Marco Porcio Catone Censore, vol. 2, Turin, 2001, p. 504, frg. 12. 36 Ap. Nonius Marcellus, Abrégé d’érudition, p. 88 L : Fulguratores […] fulgurum inspectores. Cato de moribus Claudi Neronis : Haruspicem, fulguratorem si quis adducat (« Si quelqu’un fait venir un haruspice, un interprète de la foudre » ; traduction personnelle ut passim pour les Discours, sauf mention contraire).
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du Censeur à l’égard des haruspices et une allusion à l’existence de sacrifices propter uiam37. Il en va de même de l’unique fragment du discours Aedilis plebis sacrosanctos esse, dont nous ne connaissons que le titre38. Certains passages sont cependant plus explicites et permettent d’entrevoir le rapport de Caton avec le religieux et le sacré dans ses écrits. C’est le cas d’abord dans l’un ou l’autre discours. Cicéron dit en avoir trouvé et lu plus de cent cinquante39. Nous en connaissons aujourd’hui environ quatre-vingts40, soit environ deux cent cinquante fragments, de longueur très inégale mais le plus souvent fort brefs, car généralement cités par un grammairien ou un lexicographe. L’affirmation de Servius et de Symmaque selon laquelle l’orateur commençait chacune de ses orationes par une invocation aux dieux ne peut malheureusement être vérifiée41. Les fragments parvenus jusqu’à nous permettent en revanche de voir que Caton ponctuait parfois son texte par des expressions du type mercules, forme contractée de mercules, medius fidius, per deos immortales, uita deum immortalium42. Même si medius fidius peut être une formule de prière – me dius fidius – correspondant au ita me Iuppiter qui apparaît chez Plaute43, faut-il en déduire, comme le fait C. Guittard, que « ces emplois sont autant d’indices décisifs sur l’influence de la langue religieuse dans la langue catonienne44 » ? Nous nous contenterons pour notre part d’opérer un rapprochement avec Plaute et Térence, dont le théâtre abonde de formules de ce genre, sans qu’il faille y voir à tout prix une influence de la langue religieuse. Le religieux et le sacré semblent davantage visibles dans les thèmes abordés dans deux discours, l’Oratio in L. Veturium de sacrificio commisso cum ei equum ademit, qui 37 Caton, Dicta, frg. 65 Jordan (abrégé J.) = 54 Cugusi – Sblend.-Cugusi ap. Cic., Diu. II, 51 : Vetus autem illud Cato, is admodum scitum est, qui mirari se aiebat, quod non rideret haruspex, haruspicem cum uideret (« Le vieux bon mot de Caton est fort spirituel : il s’étonnait, disait-il, qu’un haruspice pût regarder un autre haruspice sans rire ») ; Dicta, frg. 83 J. = 60 Cugusi – Sblend.-Cugusi ap. Macr., Sat. II, 2, 4 : Sacrificium apud ueteres fuit, quod uocabatur « propter uiam ». In eo mos erat ut, siquid ex epulis superfuisset, igne consumeretur. Hinc Catonis iocus est : namque Albidium quendam, qui bona sua comedisset et nouissime domum quae ei reliqua erat incendio perdidisset, propter uiam fecisse dicebat : quod comesse non potuerit, id combusisse (« Il existait chez les Anciens un sacrifice appelé ‘pour la route’. Dans ce rite, la coutume était de brûler par le feu tous les mets qui n’avaient pas été consommés au cours du repas. Cela inspira un bon mot à Caton. En effet, d’un certain Albidius, qui avait dévoré ses biens et venait finalement de perdre dans un incendie la maison qui lui était restée, il disait qu’il avait fait un sacrifice ‘pour la route’ : ce qu’il n’avait pu dévorer, il l’avait brûlé » ; traduction de C. Guittard, Macrobe. Les Saturnales, Livres I-III, Paris, 1997). 38 Cat., Orat. frg. 219 Malc. = 198 Sblend. 39 Cicéron, Brutus, 65. 40 Soixante-neuf dans l’édition Malcovati ; quatre-vingt-deux dans l’édition Sblendorio, reprise dans Cugusi – Sblendorio-Cugusi. 41 Servius, Commentaire à l’Énéide, VII, 259 ; Symmaque, Lettres, III, 44. 42 Mercules : frg. 113 Malc. = 86 Sblend. ; medius fidius : frg. 176 Malc. = 171 Sblend. ; per deos immortales : frg. 179 Malc. = 136 Sblend. ; uita deum immortalium : frg. 247 Malc. = 221 Sblend. Les expressions mercules et medius fidius sont typiques du langage parlé et du sermo epistolarum : bonne synthèse avec références bibliographiques sur le sujet dans Sblendorio, ad loc., p. 219 et 424-425. 43 Plaute, Poenulus 440. Sur le rapprochement entre les deux expressions, voir M. Leumann, Lateinische Grammatik. I : Laut- und Formenlehre, nouvelle édition, Munich, 1977, p. 357. 44 Guittard, Carmen et prophéties à Rome…, p. 172. Sur la langue de Caton en général, voir R. Till, Die Sprache Catos, Leipzig, 1935 (Philologus Supplementband, 28, Heft 2).
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fut prononcée durant la censure de Caton dans le cadre de ses fonctions, et l’Oratio contra Seru. Galbam pro direptis Lusitanis, qui date de 14945. Comme l’indique le titre, le premier de ces discours devait comporter deux parties, effectivement repérables dans les fragments qui sont en notre possession46. Si, dans la deuxième partie, Caton demandait qu’on lui retirât son cheval47, la première visait les manquements du chevalier dans l’organisation du culte de la gens Véturia48. Dans un des fragments, le Censeur l’accuse d’avoir laissé tomber en désuétude « les cérémonies, fixes, solennelles, sanctionnées par la peine capitale49 ». Sans doute avait-il aussi été question dans le discours du respect – ou plutôt du non-respect – par L. Véturius du silentium requis lors de la prise d’auspices domi, à l’image de ce qui était exigé de la part des magistrats et des prêtres, avec une précision de la part de Caton sur les dérogations : « Lorsque nous prenons les auspices à la maison […], si un esclave ou une esclave pète sous son vêtement et que je n’y prenne garde, cela n’infirme en rien mon acte. De même si, à un esclave ou à une esclave, pendant son sommeil, il arrive ce qui normalement empêche les Comices, cela n’infirme pas mon acte50 ». L’examen des fragments montre que parmi les griefs formulés par le Censeur figuraient aussi le détournement de l’aqua publica de l’Anio vers le sacrarium de Véturius et le recours au rite grec pour la célébration des Saturnales51. Si le Contra L. Veturium aborde des points qui relèvent de l’ordre du culte privé, le Contra Galbam touche à un autre registre. Dans ce discours, jugé suffisamment important par Caton pour le faire figurer dans son ouvrage historique, les Origines, au même titre que l’Oratio pro Rhodiensibus, l’orateur réfute l’argument selon lequel Galba aurait massacré les Lusitaniens pour devancer la perfidie des ennemis, dont la soumission n’aurait été, selon lui, qu’une feinte : « Cependant ils ont voulu, à ce qu’on dit, faire défection. Pour moi je veux à présent connaître parfaitement le droit pontifical ; est-ce pour cela que je serais à l’instant pris comme pontife ? Si je veux posséder parfaitement la science augurale, quelqu’un me prendrait-il comme augure pour autant52 ? ». Le fragment nous a été transmis par Aulu-Gelle à propos du sens que peut prendre le verbe capere53 : pour illustrer le fait 45 Même constat chez Guittard, Carmen et prophéties à Rome…, p. 172-173. 46 Sur ce discours, voir par exemple D. Kienast, Cato der Censor, seine Persönlichkeit und seine Zeit, Heidelberg, 1954 (réimpr. Darmstadt, 1979), p. 75 ; Astin, Cato the Censor…, p. 81-82 et 89. 47 Cat., Orat. frg. 78, 80 et 81 Malc. = 65-67 Sblend. 48 Cat., Orat. frg. 72-77 Malc. = 59-64 Sblend. 49 Cat., Orat. frg. 72 Malc. = 59 Sblend. ap. Fest., p. 466 L : Quod tu […] sacra stata, solemnia, capite sancta deseruisti. Pour l’expression sacra capite sancta, cf. Sblendorio, ad loc., p. 233. 50 Cat., Orat. frg. 73 Malc. = 60 Sblend. ap. Fest., p. 268 L : Domi cum auspicamus […] serui, ancillae, si quis eorum sub centone crepuit, quod ego non sensi, nullum mihi uitium facit. Si cui ibidem seruo aut ancillae dormienti euenit, quod comitia prohibere solet, ne is quidem uitium facit (traduction de Dumézil, La Religion romaine archaïque…, p. 589). 51 Cat., Orat. frg. 74 Malc. = 61 Sblend. ap. Priscien, Grammaire, II, p. 208 H : Aquam Anienem in sacrarium inferre oportebat. Non minus XV milia Anien abest (« Il fallait détourner l’eau de l’Anio vers le sacrarium. L’Anio en est distant de pas moins de quinze milles ») ; frg. 77 Malc. = 64 Sblend. ap. Prisc., Gramm. II, p. 377 H : Graeco ritu fiebantur Saturnalia (« On célébrait les Saturnales selon le rite grec »). 52 Cat., Orat. frg. 197 Malc. = 153 Sblend. (= Origines, VII, 4 dans M. Chassignet (éd.), Caton. Origines, Paris, 1986 (2e tirage 2002), abrégé Ch. = frg. 105 Cornell, abrégé FRH) ap. Aulu-Gelle, Nuits attiques, I, 12, 13. 53 Gell. I, 12, 15.
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que les Vestales n’étaient pas les seules à « être prises » – capi –, l’auteur des Nuits Attiques donne un premier exemple emprunté aux Mémoires de Sylla, indiquant que ce dernier « fut pris flamine de Jupiter » – flamen Dialis captus – et s’appuie ensuite sur ce passage du Contra Galbam. L’extrait catonien n’est pas sans faire difficulté cependant : si capere, terme technique de la langue religieuse, sert à évoquer le mode de désignation des Vestales et du flamen Dialis54, le Grand Pontife les « prenant » et excluant de ce fait à l’origine la nécessité d’un consentement quelconque de l’individu choisi, le corps des Pontifes, quant à lui, se recrutait par cooptation55. Il semble donc que capere ne soit pas pris ici dans son sens technique, mais utilisé au sens d’« obliger quelqu’un par la force à faire quelque chose », conformément au sens primitif du mot56. Il n’en est pas moins vrai que la formule ius pontificium optime scire appartient au sermo religiosus, tout comme l’expression augurium optime tenere57. Que peut-on retenir en définitive des discours ? La confirmation de plusieurs éléments déjà relevés plus haut, à savoir : un intérêt évident pour la religion domestique ; l’exigence de la stricte observance des rites religieux ; l’importance accordée aux auspices, également détectable dans le fragment 4 Cugusi – Sblend.-Cugusi du De re militari liber de Caton58 ; le recours au sermo religiosus59, moins marqué cependant que dans le De Agricultura dans la mesure où il n’y a pas de reproduction de prières. Il va sans dire que ce constat se limite aux fragments parvenus jusqu’à nous. Il est impossible de préjuger du contenu des passages perdus. Les aspects des rapports de Caton avec le religieux et le sacré sont autres dans les Origines. Cet ouvrage historique en sept livres, rédigé entre 170 au plus tôt et 149, date de la mort du Censeur, avait pour sujet l’histoire de Rome depuis sa pré-fondation jusqu’à l’époque contemporaine de l’auteur. Les trois premiers livres formaient un tout : le premier portait sur la fondation de la Ville et les premiers siècles de Rome, les livres II et III sur les origines des villes d’Italie. Si on excepte le passage du Contra Galbam inséré au livre VII, la quasi-totalité des références qui nous intéressent relève des livres I à III. Se pose à nouveau le problème de la transmission du texte. Si les Orationes nous sont majoritairement parvenues sous la forme de citations directes, qui permettent d’appréhender la langue de Caton mais sont souvent trop brèves et trop peu nombreuses pour permettre de restituer pleinement le contenu d’un discours donné et d’en saisir l’esprit, l’essentiel des cent trente-cinq fragments des Origines, transmis par une quarantaine d’auteurs, consiste en des résumés-paraphrases. C’est le cas notamment des fragments des trois premiers livres. Bien qu’il soit parfois
54 Serv., ad Verg. Aen., VII, 303 ; Gaius, Institutions, I, 130 = Ulpien, Livre singulier des règles, X, 5 ; Tacite, Annales, II, 86, 1 et passim ; Suétone, Vie d’Auguste, 31 ; Fronton, Correspondance, p. 142 van den Hout. 55 Liv. XXXIX, 46, 1 ; XL, 42, 11 ; Suétone, Vie de Néron, 2, 1 ; Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, II, 73, 3. 56 Cf. Sblendorio, ad loc., p. 384-385 ; Chassignet, Caton…, ad loc., p. 103, n. 3. 57 Pour l’emploi de tenere dans ce sens, cf. Cic., Diu. I, 25 et I, 105. 58 Cum magistratus nihil audent imperare, ne quid consul auspici peremat (« Lorsque les magistrats n’osent pas ordonner au consul de ne pas omettre quelque chose dans la prise des auspices »). 59 Sblendorio, p. 385.
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difficile de distinguer la pensée catonienne de ce qui relève du citateur, ce mode de transmission n’empêche cependant en rien de dégager quelques éléments. Premier constat : l’historiographie est un genre narratif, qui a ses lois propres, fort éloignées de « ce qui figure sur le tableau du Grand Pontife60 ». Les Origines ne contiennent pas davantage de consigne religieuse, qui serait caractéristique d’un manuel comme le De Agricultura ; elles ne comprennent pas non plus de chef d’accusation concernant le comportement religieux d’un individu comme on a pu le voir à propos du Contra L. Veturium. Tout au plus pourra-t-on relever que Caton avait rapporté au livre I que « Mézence avait donné l’ordre aux Rutules de lui offrir les prémices au lieu de les offrir aux dieux » et que son impiété empreinte d’arrogance lui valut d’être défait puisque « tous les Latins, par crainte d’un ordre semblable, firent le vœu suivant : ‘Jupiter, si tu tiens à ce que nous t’offrions ces dons plutôt qu’à Mézence, donne-nous la victoire61’ ». De fait, les éléments qui touchent à la religion et au sacré s’intègrent au récit. Il est clair par ailleurs que les rites sont bien présents dans les Origines, tout comme ils l’avaient déjà été dans le De Agricultura et les Orationes, avec toutefois une différence : les passages concernés touchent avant tout à la religion publique. En dehors du fragment I, 23 Ch. qui donne l’étiologie des Parentalia, combinant de fait culte privé et culte public62, tous les autres rites sont publics, du moins dans les fragments parvenus jusqu’à nous, avec une part importante accordée aux rites de fondation, comme on pouvait s’y attendre dans des livres consacrés aux ktiseis des villes d’Italie : fondation de Rome bien sûr selon le rite étrusque, soigneusement décrit par le Censeur63 ; fondation du bois de Capène par des jeunes gens de Véies64. 60 Caton, Origines, IV, 1 Ch. = frg. 80 FRH ap. Gell., II, 28, 4 : Non lubet scribere quod in tabula apud pontificem maximum est, quotiens annona cara, quotiens lunae aut solis lumine caligo aut quid obstiterit (« Il ne me plaît pas de rapporter ce qui figure sur le tableau du Grand Pontife, combien de fois le cours des denrées a monté, combien de fois un nuage ou quelque autre phénomène a fait écran à la lumière de la lune ou du soleil » ; traduction de M. Chassignet, ut passim pour les Origines). 61 Cat., Orig., I, 12 Ch. = frg. 9 FRH ap. Macr., Sat. III, 5, 10 : Ait enim (sc. Cato) Mezentium Rutulis imperasse ut sibi offerrent quas dis primitias offerebant, et Latinos omnes similis imperii metu ita uouisse : « Iuppiter, si tibi magis cordi est nos ea tibi dare potius quam Mezentio, uti nos uictores facias ». 62 = frg. 16 FHR ap. Macr., Sat., I, 10, 6 : Cato ait Larentiam […] post excessum suum populo Romano agros Turacem, Semurium, Lintirium et Solinium reliquisse ; et ideo sepulcri magnificentia et annuae parentationis honore dignatam (« Caton dit que Larentia […] laissa au peuple romain, après sa mort, les terrains de Turax, Semurium, Lintirium et Solinium et qu’à cause de cela elle fut honorée d’un tombeau magnifique et d’un culte parental célébré tous les ans »). Sur les Parentalia, cf. Dumézil, La Religion romaine archaïque…, p. 359-360. 63 Cat., Orig., I, 18 a Ch. ap. Serv., ad Verg. Aen., V, 755 : « Vrbem designat aratro » quem Cato in Originibus dicit more fuisse. Conditores enim ciuitatis taurum in dexteram, uaccam intrinsecus iungebant, et incincti ritu Gabino, id est togae parte caput uelati, parte succincti, tenebant stiuam incuruam, ut glebae omnes intrinsecus caderent, et ita sulco ducto loca murorum designabant, aratrum suspendentes circa loca portarum (« ‘Il trace avec la charrue l’enceinte de la ville’, coutume dont Caton affirme l’existence dans les Origines. En effet les fondateurs d’une cité attelaient un taureau à droite et une vache du côté intérieur. Ceints à la manière des Gabiniens, c’est-à-dire la tête recouverte d’un pan de leur toge retroussée, ils tenaient le manche de la charrue courbé de façon à faire retomber les mottes à l’intérieur. Et en traçant ainsi le sillon, ils marquaient l’emplacement des murs, soulevant la charrue à l’endroit des portes »). Cf. frg. I, 18 b Ch. ap. Isidore, Étymologies, XV, 2, 3. 64 Cat., Orig., II, 19 Ch. = frg. 69 FRH ap. Serv. auct., ad Verg. Aen., VII, 697 : « Lucosque Capenos ». Hos dicit Cato Veientum condidisse auxilio regis Propertii, qui eos Capenam cum adoleuissent, miserat (« ‘Le bois sacré de Capène’. Ce bois, dit Caton, a été fondé par des jeunes gens de Véies avec l’aide du
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Les consécrations ne sont pas en reste, à l’image de celle du lucus Dianius65. Dans le même ordre d’idées, on relèvera encore un passage relatif à l’exauguration des divinités installées sur la colline Tarpéienne lorsque Tarquin décida d’y bâtir le temple de Jupiter Optimus Maximus66 et une indication fortuite sur le moment où un bœuf de sacrifice est immolé67. Plus originaux encore par rapport aux autres ouvrages de Caton sont les récits mythiques sur l’origine de certaines villes ou peuples, à commencer par celui de la fondation d’Albe-la-Longue. L’auteur des Origines rattache la fondation de la ville d’Albe au prodige de la truie aux trente porcelets, le chiffre trente indiquant, selon les Pénates apparus en songe à Énée à Lavinium, le nombre d’années le séparant de la fondation d’une ville nouvelle68. Tout aussi remarquable est le fragment II, 21 Ch., selon lequel le peuple sabin tirerait « son nom de Sabinus, une divinité indigène, fils du dieu Sancus, lui-même appelé par certains Dius Fidius69 », assimilation
roi Properce qui les avait envoyés à Capène, quand ils eurent atteint l’âge d’homme »). Sur cet épisode, voir J. Heurgon, Trois études sur le « Ver sacrum », Bruxelles, 1957, p. 11-19. 65 Cat., Orig., II, 28 Ch. = frg. 36 FRH ap. Prisc., Gramm., IV, p. 129 H et VII, p. 337 H (citation directe) : Lucum Dianium in nemore Aricino Egerius Baebius Tusculanus dedicauit dictator Latinus. Hi populi communiter : Tusculanus, Aricinus, Lanuuinus, Laurens, Coranus, Tiburtis, Pometinus, Ardeatis Rutulus (« Le lucus de Diane fut consacré dans le bois d’Aricie par Egerius Baebius de Tusculum, dictateur des Latins. Ces peuples réunis : de Tusculum, d’Aricie, de Lanuvium, de Laurentum, de Cora, de Tibur, de Pométia, les Rutules d’Ardée »). Sur ce passage, cf. entre autres V. Ciccala, « A proposito di una dedica a Diana Nemorense (Cato, ap. Prisc., IV, p. 129 = H.R.R. I, p. 72 », Rivista di storia antica, 6-7, 1976-1977, p. 301-305 ; C. Ampolo, « Ricerche sulla lega latina. II. La dedica di Egerius Baebius (Cato fr. 58 Peter) », La Parola del passato, 38, 1983, p. 321-326. 66 Cat., Orig., I, 25 Ch. = frg. 18 FRH ap. Fest., p. 160 L (citation directe) : Fana in eo loco conpluria fuere : ea exaugurauit, praeterquam quod Termino fanum fuit ; id nequitum exaugurari (« À cet endroit se dressaient plusieurs temples. Il procéda à leur exauguration sauf pour celui qui était dédié à Terminus : son exauguration fut impossible »). 67 Cat., Orig., II, 25 Ch. = 125 FRH ap. Serv. auct., ad Verg. Aen., X, 541 : Sane immolari proprie dicuntur hostiae, non cum caeduntur, sed cum accipiunt molam salsam : Cato in Originibus ita ait Lauini boues immolatos, prius quam caederentur, profugisse in siluam (« On dit que des victimes sont vraiment immolées au sens propre, non quand elles sont tuées mais quand elles reçoivent la farine sacrée : ainsi Caton dans les Origines raconte que des bœufs de Lavinium, immolés, s’étaient enfuis dans la forêt avant d’être tués »). 68 Cat., Orig., I, 14 b Ch. = frg. 10 FRH ap. Ps-Aurélius Victor, Origine du peuple romain, XII, 5 : At Cato in Origine generis Romani ita docet : suem triginta porculos peperisse in eo loco, ubi nunc est Lauinium, cumque Aeneas ibi urbem condere constituisset propterque agri sterilitatem maereret, per quietem ei uisa deorum penatium simulacra adhortantium, ut perseueraret in condenda urbe, quam coeperat ; nam post annos totidem, quot fetus illius suis essent, Troianos in loca fertilia atque uberiorem agrum transmigraturos et urbem clarissimi nominis in Italia condituros (« La truie avait mis bas trente porcelets à l’endroit où se trouve maintenant Lavinium. Comme Énée, qui avait décidé d’y fonder une ville, se plaignait de la pauvreté de cette terre, il vit en songe les images des dieux Pénates qui l’exhortaient à en poursuivre la construction déjà commencée. Car après un nombre d’années égal à celui des petits de cette truie, les Troyens gagneraient des lieux fertiles et une terre plus riche ; ils y fonderaient une ville dont le nom serait célèbre entre tous en Italie ». Sur ce passage, notamment l’interprétation chronologique privilégiée par rapport à l’interprétation ethnographique et le lieu de la mise bas de la truie, à savoir Lavinium, cf. Chassignet, Caton…, ad loc. et ad frg. 14 a, p. 61. 69 = frg. 50 FRH ap. Dion. Hal., AR II, 49, 2 : Κάτων δὲ Πόρκιος τὸ μὲν ὄνομα τῷ Σαβίνων ἔθνει τεθῆναί φησιν ἐπὶ Σaβίvου τοῦ Σάγκου δαίμονος ἐπιχωρίου, τοῦτον δὲ τὸν Σάγκον ὑπό τινων πίστιον καλεῖσθαι Δία.
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également attestée par Varron, Festus, Ovide et Denys d’Halicarnasse70. La référence à la généalogie, assortie de l’étiologie du nom du héros fondateur, apparaît aussi à propos de Caeculus, fils de Vulcain et fondateur de Préneste, « que des jeunes filles, en cherchant de l’eau, avaient trouvé sur un foyer » et à qui « ses petits yeux valurent d’être appelé Caeculus71 » ; le passage n’est pas sans intérêt car il montre la préférence de Caton pour la tradition latine par rapport à la version grecque, qui attribuait la fondation de la ville à Préneste, fils de Latinus et petit-fils d’Ulysse et de Circé, ou encore à Télégonos72. De fait donc, pour autant que les fragments en notre possession permettent de l’affirmer, on ne constate guère de langage sacré, en dehors du Contra Galbam qui est en fait un discours inséré par Caton dans ses Origines à des fins d’apologie personnelle. L’ouvrage ne contient aucune prière. Le fait religieux n’est jamais traité pour lui-même. Les références à la religion ou au sacré illustrent parfois le goût de Caton pour les admiranda, relevé par Cornélius Népos à propos des Origines73 : c’est le cas sans doute de l’anecdote concernant les bœufs immolés qui s’étaient enfuis avant d’être tués. D’autres, plus nombreuses, sont destinées à donner une étymologie ou une étiologie : étymologie du nom de Caeculus ou de celui des Sabins, étiologie du bois sacré de Capène ou des trente ans qui ont séparé la construction de Lavinium de la fondation d’Albe. Quant à la mention de la consécration du lucus Dianius, elle vaut surtout car elle illustre le choix de ce lieu vers la fin du ve siècle comme centre religieux et politique de la confédération latine, dont Caton cite les peuples. Du De Agricultura et des fragments des autres œuvres parvenus jusqu’à nous, il ressort que l’attitude de Caton face au religieux et au sacré diffère selon l’objet de l’ouvrage mais plus encore, semble-t-il, du public auquel il s’adresse. Le De Agricultura est destiné à un propriétaire terrien qui cherche à exploiter au mieux son domaine. Le traité ne consiste pas en une recherche théorique sur l’agronomie et les techniques agricoles ; c’est un guide pratique, destiné à fournir des conseils et des instructions à ceux qui cultivent la terre de leurs mains, comme le Censeur l’avait fait durant sa jeunesse, mais plus encore aux propriétaires d’exploitations agricoles. Qui dit guide, dit « recettes » à mettre en œuvre ; parmi elles figurent des recettes religieuses et magiques, destinées notamment à favoriser les semailles ou les moissons et à protéger le bétail. Quoi de mieux pour s’assurer de leur efficacité que de donner une description la plus exacte possible des gestes rituels à effectuer et des formules à prononcer ? De là la transcription des prières, dont on reconnaît généralement l’authenticité74. Les discours, eux, ont été prononcés devant des auditoires fort différents du public visé dans le De Agricultura, puisque les Orationes parvenues jusqu’à nous consistent 70 Varron, De la langue latine, V, 66 ; Fest., p. 276 L ; Ovide, Fastes, VI, 213-218 ; Dion. Hal., AR IV, 58, 4. 71 Cat., Orig., II, 29 Ch. = frg. 67 FRH ap. Scholiasta Veronensis ad Verg. Aen., VII, 681 : Cato in Originibus ait Caeculum uirgines aquam petentes in foco inuenisse ideoque istimasse et, quod oculos exiguos haberet, Caeculum appellatum. Hic collecticiis pastoribus ste fundauit. 72 Cf. Chassignet, Caton…, ad loc, p. 80, n. 1. 73 Nep., Cato, 3, 4. 74 Exemple : Guittard, Carmen et prophéties à Rome…, p. 183.
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aussi bien en des harangues adressées par Caton à ses soldats qu’en des propos tenus lors de missions diplomatiques, des interventions au cours de sa censure ou des plaidoiries prononcées devant le Sénat ou les assemblées du peuple. Dans le cas du In L. Veturium, prononcé durant la censure de Caton, il s’agit de justifier par des exemples concrets le bien-fondé d’un de ses chefs d’accusation dirigé contre un chevalier jugé indigne de l’ordre auquel il appartient, afin d’obtenir l’adhésion de son auditoire ; le recours au vocabulaire religieux, avec ses figures de style caractéristiques – tricolon, allitérations, climax – lui donne plus de poids. Quant au Contra Galbam, il offre un exemple des procédés rhétoriques de Caton, qui consiste à procéder par comparaison et n’est pas sans rappeler un des arguments du Pro Rhodiensibus, emprunté pour sa part au domaine des lois agraires75. Le public des Origines est encore autre. On connaît mal le but de Caton dans cet ouvrage. On a voulu y voir une œuvre morale, destinée à souligner l’importance des vertus à Rome. Le Censeur peut tout aussi bien avoir voulu montrer que la conquête romaine est la geste collective du peuple romain. On a également attribué à Caton l’intention de glorifier Rome face à la Grèce sur le plan culturel. D’autres encore, au vu de l’importance accordée aux fondations des villes italiennes, ont avancé l’idée qu’il aurait voulu faire une apologie de l’Italie76. Quel que soit le but réel de Caton, les fragments recensés plus haut s’intègrent dans l’un ou l’autre projet par leur ancrage dans la terre italienne et par la préférence accordée aux légendes romaines. Si l’existence même d’éléments, fort divers, concernant le religieux et le sacré dans l’œuvre catonienne est indiscutable, peut-on déduire pour autant le degré de religiosité de l’auteur ? On peut affirmer sans se tromper que Caton était attaché au respect des rites, garant du bon fonctionnement de la vie domestique et publique ; cet aspect corrobore l’image du vieux Romain pragmatique, opposé au laxisme de la Grèce de son époque, que le Censeur a voulu donner. Sa romanité est tout aussi évidente. Caton s’était-il impliqué à titre personnel dans la vie religieuse de Rome, notamment en occupant des fonctions religieuses ? La question reste entière. La tradition est silencieuse sur son intervention lors des grandes affaires religieuses qui ont secoué Rome au début du iie siècle av. J.-C.77. Quant à savoir si Caton a appartenu au collège des augures, si l’intérêt porté aux augures par l’auteur est manifeste dans ses écrits, aucun indice irréfutable ne vient confirmer cette hypothèse.
75 Cat., Orat., frg. 167 Malc. = 122 Sblend. (= Orig. frg. V, 3 e Ch. = 91 FRH) ap. Gell. VI, 3, 37 : Quid nunc ? ecqua tandem lex est tam acerba, quae dicat « si quis illud facere uoluerit, mille minus dimidium familiae multa esto ; si quis plus quingenta iugera habere uoluerit, tanta poena esto ; si quis maiorem pecuum numerum habere uoluerit, tantum damnas esto ? » (« Eh quoi ? Y a-t-il enfin une loi assez impitoyable pour dire : ‘Si quelqu’un a désiré faire telle chose, que l’amende soit de mille as de moins que la moitié de sa fortune ; si quelqu’un a désiré posséder plus de cinq cents jugères, que la peine soit de tant ; si quelqu’un a désiré posséder un nombre plus important de têtes de bétail, qu’il soit condamné à tant ?’ ». 76 Pour l’exposé de ces théories, voir Chassignet, Caton…, p. xvii-xviii. 77 Silence à propos de l’affaire des Bacchanales ; même silence pour l’affaire des livres de Numa : cf. Guittard, Carmen et prophéties à Rome…, p. 169.
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Lucienne Deschamps
Jeux grivois sur le vocabulaire religieux dans les Satires Ménippées de Varron ?
Les chercheurs ont remarqué depuis longtemps que Varron ne manquait pas d’humour1. Cela se manifeste dans nombre de ses œuvres et tout particulièrement dans ses Satires Ménippées où c’est précisément un moyen choisi par lui pour attirer les lecteurs, ainsi que le note Cicéron2. Ces jeux sur les mots sont parfois scabreux. Des investigations pour découvrir toutes ces grivoiseries dans ce qui nous a été transmis des Satires Ménippées ont été déjà faites par divers érudits3. Si l’on y réfléchit bien, cette attitude de la part de Varron ne surprend qu’à moitié. Plus étonnant est le fait que lorsqu’on lit ces œuvrettes on a l’impression que parfois l’auteur est un peu leste lorsqu’il traite de sujets qui touchent la religion. Dans cette contribution offerte au Prof. G. Freyburger, spécialiste reconnu de la religion romaine, nous allons examiner les soupçons de sous-entendus graveleux que l’auteur des Satires Ménippées a cachés dans certains termes du vocabulaire religieux qu’il a utilisés. La plus grande prudence s’impose dans ce type de recherches, d’abord parce que les Satires Ménippées de Varron ne nous sont pas parvenues en entier ; seuls en ont été sauvegardés des fragments, parfois très courts et mal découpés, cités par des auteurs postérieurs à des fins diverses (témoignages sur les mœurs, exemples grammaticaux ou lexicaux, etc.). On ne sait donc pas où commençaient et finissaient les phrases que 1 Voir par exemple, entre autres, L. Deschamps, « Quelques clins d’œil de Varron dans les Satires Ménippées », dans J. Collart et al., Varron. Grammaire antique et stylistique latine, Paris, 1978, p. 91-100 ; S. Agache, « Construction dramatique et humour dans le Traité d’Agriculture de Varron », dans M. Trédé, P. Hoffmann (éd.), Le rire des Anciens, Paris, 1998, p. 201-230 et, d’une façon générale, tous les commentaires sur les Ménippées. 2 En Académiques, I, 2, 8, il dit que Varron a parsemé ses Ménippées « quadam hilaritate » pour que les gens soient iucunditate quadam ad legendum inuitati, « invités à lire par un certain agrément » (sauf mention contraire, toutes les traductions dans cette contribution sont personnelles). 3 On trouvera les ambiguïtés grivoises relevées jusqu’ici dans certains passages dans le riche commentaire (pratiquement exhaustif) accompagnant chaque fragment contenu dans J.-P. Cèbe, Varron. Satires Ménippées, 1-13, Rome, 1972-1999. On verra par ex. les commentaires aux fr. 192 B (= 192 Cèbe), 245 B (= 245 Cèbe), 309 B (= 308 Cèbe), 368 B (= 366 Cèbe). Dans cette contribution j’utiliserai la numérotation des fragments de F. Bücheler, Petronii saturae, adiectae sunt Varronis et Senecae saturae similesque reliquiae, 6e éd. revue par W. Heraeus, Berlin, 1922, conjointement à celle de J.-P. Cèbe, parce que ce sont les éditions les plus courantes de nos jours. R. Astbury, M. Terentii Varronis Saturarum Menippearum fragmenta, 1ère éd., Leipzig, 1985 (2e éd., Munich – Leipzig, 2002) reprend la numérotation de F. Bücheler, ainsi que W. A. Krenkel, Marcus Terentius Varro, Saturae Menippeae, St Katharinen, 2002.
Lucienne Deschamps • Université Bordeaux – Montaigne, UMR 5607 Ausonius
Segetis certa fides meae : hommages offerts à Gérard Freyburger, éd. par Catherine Notter et Maud PfaffReydellet, Turnhout, 2021 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 31), p. 53-65 © FHG10.1484/M.RRR-EB.5.126671
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nous avons, ni même si elles sont entières ; en l’absence de contexte, on ignore qui les prononçait et sur quel ton, sérieux ou ironique. En outre, s’agissant de plaisanteries, il est difficile au lecteur d’aujourd’hui, lorsqu’il a l’impression d’en saisir une, de déterminer si elle est intentionnelle de la part de l’auteur, ou inconsciente (ce qui nous entraîne – peut-être dangereusement s’agissant d’anciens – vers la psychanalyse !), si l’écrivain et le public antiques y étaient sensibles ou si c’est lui, lecteur moderne, qui la ressent. On court toujours le risque de faire dire au texte plus qu’il ne contient effectivement. Commençons par les jeux sur des mots appartenant au vocabulaire religieux. Le premier exemple que je prendrai est le moins sûr, étant donné la taille du fragment et l’absence de contexte. Aussi est-ce avec beaucoup de circonspection que j’avancerai l’hypothèse d’une ambiguïté scabreuse en rapport avec la religion pour le fr. 4 B (= 1 Cèbe) car cette bribe de la satire Aborigines est si brève et si isolée que son sens n’apparaît pas clairement. Nonius qui l’a conservée ne nous aide pas beaucoup car il note simplement (156, 17) : pupae et pupi, indiquant par là qu’on employait ce mot au féminin et au masculin ; il donne le passage que nous examinons comme exemple de pupa et le fr. 546 B (= 546 Cèbe) de la satire Tithonus, περὶ γήρως, « Tithon, sur la vieillesse », comme exemple de pupus, sans autre explication4. Voici le passage qui nous intéresse : Itaque breui tempore magna pars in desiderium puparum et sigillorum ueniebat Et ainsi, en peu de temps, une grande partie en venait à désirer poupées et statuettes Le titre de cette satire doit désigner ceux que Varron (avec d’autres5) considérait comme les habitants primitifs du Latium, des autochtones originaires selon lui précisément de sa région natale, la Sabine6. On peut supposer que cette œuvre traitait de ces êtres des premiers temps et de l’évolution que leur nature et celle de leurs descendants avaient subie au cours des siècles, ainsi que le suggère le sous-titre περὶ ἀνθρώπων φύσεως, « sur la nature des hommes ». J.-P. Cèbe a très justement montré que pour notre écrivain le temps qui passait n’apportait pas des améliorations, mais au contraire une dégradation7. C’est pourquoi, avec ce critique, on s’accordera à penser que le fragment examiné évoque un déclin. Le tout est de savoir en quel domaine. Le terme sigillum peut conduire à penser au domaine religieux8. Les sigilla étaient à Rome des statuettes fabriquées en matériaux divers (or, argent, marbre, ivoire, pierre, terre cuite, cire, etc.). Elles pouvaient représenter des divinités, des humains 4 Fr. 546 B (= 546 Cèbe) : ac mammam lactis sugentem pascere [et] pupum, « et nourrir le bébé qui tète la mamelle de lait ». 5 Salluste, La conjuration de Catilina, 6, 1 ; Justin, Abrégé des Histoires Philippiques de Trogue Pompée, XLIII, 1, 3 ; Paulus – Festus, 19. 6 L. Deschamps, « Sabini dicti…ἀπὸ τοῦ σέϐεσθαι », Vichiana, 12, 1983, p. 161 ; L. Deschamps, « Pourquoi Varron situe-t-il au lac de Cutilia l’ombilic de l’Italie ? », Euphrosyne, 20, 1992, p. 305. 7 Cèbe, Varron. Satires Ménippées, 1…, p. 4-10. 8 Je ne parlerai pas ici des sigillaria, cadeaux (souvent des statuettes) qu’on offrait à ses amis lors de la fête des Sigillaria, au moment des Saturnales, puisque Varron n’utilise pas ce mot ici.
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ou des animaux. Selon A. Blanchet et E. Pottier, les endroits où on a retrouvé de nos jours ces objets indiquent clairement leur destination : pour la plupart, ils servaient d’offrandes aux dieux et on en a découvert en très grand nombre dans les restes de sanctuaires9. Les fouilles archéologiques ont permis de constater que ces statuettes étaient nombreuses aussi dans les laraires des maisons. D’après Servius auctus, Commentaire à l’Énéide, I, 378 et III, 148, dans les Antiquités humaines (Antiquitates rerum humanarum, II, 8 Mirsch10), Varron lui-même appelait sigilla les statuettes des Pénates (en bois ou en marbre dans la première citation, en bois ou en pierre dans la seconde) qu’Énée apporta en Italie, preuve sans doute qu’il liait cette dénomination à des objets religieux. Comme l’écrivent ces deux savants (p. 1307) : « Il ne faudrait pas s’imaginer que le souci d’art et le désir d’embellir la demeure suffisent seuls à expliquer la présence de sigilla dans les demeures antiques. Sans doute il faut tenir compte de la manie qui s’empara des riches Romains à la fin de la République et sous l’Empire pour collectionner des œuvres d’art : les folies criminelles de Verrès en Sicile sont bien connues et Horace ou Martial ne manquent pas de décocher leurs railleries à l’adresse des ‘amateurs’ de leur temps. Mais ce sont là des modes et des goûts de luxe, permis seulement à un petit nombre, qui ne rendraient pas compte du sentiment général d’où sont issus les sigilla ». Il semble donc que le regret de Varron dans cette phrase concerne un des apports de la « civilisation », l’engouement pour ces statuettes, marque d’une dépravation apportée par le goût du luxe et la cupidité, en même temps qu’un affaiblissement du sentiment religieux, puisque selon le spécialiste de la religion romaine qu’il était, le culte primitif était aniconique (et à ce moment-là, la religion était pure, disait-il dans les Antiquités divines11), de même que les premiers objets utilisés pour le culte étaient simples12. Dans ce fr. 4 B (= 1 Cèbe), il place sur le même plan le désir de pupae et celui de sigilla. Les pupae sont des figurines de forme humaine qui servaient de jouets aux enfants. A. Ernout et A. Meillet l’interprètent comme un mot du langage enfantin désignant originellement une petite fille ou une poupée. Le terme n’appartient pas
9 A. Blanchet, E. Pottier, Sigillum, dans C. Daremberg, E. Saglio, E. Pottier (éd.), Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines, Paris, 1877-1919, IV, 2, p. 1303. 10 P. Mirsch, Antiquitatum rerum humanarum librorum XXV fragmenta et uestigia quae exstant, dans Leipziger Studien, V, Leipzig, 1882, p. 82-144. 11 Fr. 18 Cardauns : antiquos Romanos plus annos centum et septuaginta deos sine simulacro coluisse. Quod si adhuc… mansisset, castius dii obseruarentur… qui primi simulacra deorum populis posuerunt, eos ciuitatibus et metum dempsisse et errorem addidisse (Augustin, La cité de Dieu, IV, 31), « les anciens Romains, pendant plus de cent soixante-dix ans, ont honoré les dieux sans statue. Si cet usage avait perduré, le culte des dieux serait plus pur. Les premiers qui ont placé des statues de divinités en public ont ôté aux villes la crainte des dieux et les ont conduites à l’erreur », dans B. Cardauns, M. Terentius Varro. Antiquitates Rerum Diuinarum, Wiesbaden, 1976. 12 Fr. 38 Cardauns : (sc. regnante Numa) nondum tamen aut simulacris aut templis res diuina apud Romanos constabat. Frugi religio et pauperes ritus et nulla Capitolia… sed temporaria de caespite altaria et uasa adhuc Samia… (Tertullien, Apologétique, 25, 12), « (sous le règne de Numa) cependant le culte des dieux chez les Romains ne comportait ni de statues ni de temples. La religion était sobre et les rites pauvres et il n’y avait nul Capitole, mais des autels de circonstance faits de mottes de gazon et des vases encore en terre de Samos ».
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vraiment au vocabulaire de la religion, même si des pupae étaient parfois offertes à des divinités13. En effet, des textes attestent que, lors d’un changement d’état, la personne offrait des objets caractéristiques de son ancienne situation aux dieux protecteurs de celle-ci : par exemple, un soldat qui quittait le service offrait ses armes à Mars, et ainsi de suite14. Dans ce cadre, des jeunes filles qui se mariaient offraient leurs jouets (parmi lesquels des poupées) à Vénus (Perse, Satires, II, 70) ou à d’autres divinités. D’emblée, il est permis de déceler de l’ironie chez Varron dans la succession des deux génitifs puparum et sigillorum. À première vue, leur ordre suit la chronologie de l’existence d’un être qui, d’abord, enfant, réclame des poupées, puis, adulte, des statuettes plus ou moins liées à la religion que l’auteur présente en quelque sorte comme des « hochets » pour grandes personnes. Mais, dans un second temps, on peut découvrir une équivoque scabreuse, car pupa appartient également en latin à la langue érotique (de même que « poupée » en français), ainsi que l’atteste le Thesaurus linguae Latinae qui cite le témoignage de nombreuses inscriptions15. Ces hommes qu’évoque Varron, perdant leur nature première, en venaient à désirer luxure et luxe, au lieu des solides épouses et du culte simple (voire aniconique) d’autrefois16. Une équivoque graveleuse peut se cacher dans libare. D’après A. Ernout et A. Meillet, le sens ancien est « faire une libation, offrir une libation, et par extension ‘prendre une part de quelque chose (solide ou liquide) pour l’offrir aux dieux’ ; de là dans la langue profane ‘prendre une part de, entamer, goûter, effleurer, extraire’, souvent opposé à haurire »17. On le lit dans le fr. 432 B = 432 Cèbe de la satire intitulée Prometheus (ou Prometheus liber selon les éditeurs18). Il a été conservé par Nonius, 27, 22 pour illustrer putus (avec la glose : putus a putando19) : Chrysosandalos locat sibi amiculam de lacte et cera Tarentina quam apes Milesiae coegerint ex omnibus floribus libantes, sine osse et neruis, sine pelle, sine pilis, puram putam, proceram, candidam, teneram, formosam Chrysosandalos se commande une petite amie de lait et de cire tarentine qu’auraient pu élaborer les abeilles milésiennes en prenant de toutes les fleurs, sans os ni nerfs, sans peau, sans poils, pure et propre, élancée, blanche, tendre, belle S’appuyant sur le commentaire qu’I. Steinbach20 a consacré à cette Ménippée, J.-P. Cèbe fait remarquer que le nom de Chrysosandalos, « Sandale d’or », évoque « l’opulence,
13 Voir G. Lafaye, pupa, dans Daremberg, Saglio, Pottier (éd.), Dictionnaire…, IV, 1, p. 768-769. 14 Pour les citations témoignant de ces offrandes, voir Krenkel, Marcus Terentius Varro…, p. 7. 15 Spoth, pupa, dans Thesaurus linguae Latinae, vol. X, 2, fasc. XVII, col. 2673-2674. 16 Après avoir évoqué l’interprétation de pupa par « poupée » et de sigillum par « statue », Krenkel, Marcus Terentius Varro…, p. 8-10, suggère une autre possibilité d’interprétation selon laquelle, d’après lui, pupa = immatura sponsa et sigillum = sceau imprimé dans de la cire grâce à une bague = bague à sceller = famille sénatoriale ou équestre ayant de gros moyens, et cela ferait allusion à ceux qui se glissent dans les grandes familles. 17 A. Ernout, A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, 4e éd., Paris, 1959, p. 356. 18 Je n’aborderai pas ici la discussion sur le titre de cette satire, car cela ne concerne pas mon sujet. 19 « Putus vient de putare » (putare est à prendre ici au sens de « nettoyer »). 20 I. Steinbach, Varros Menippea « Prometheus liber », Diss., Cologne, 1979.
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le gaspillage et l’effémination » et il rappelle qu’« avoir des clous d’or aux semelles de ses souliers passait pour un signe de richesse et de prodigalité »21. Il note aussi (ibid.) que « seuls les femmes et ceux des hommes qui les imitaient portaient des sandales » (sandalium désigne, par exemple, la chaussure de la courtisane Thaïs au v. 1028 de l’Eunuque de Térence). L’octroi d’un nom à consonance grecque (dont c’est la seule attestation en latin22) serait une façon de mettre en lumière la vie de mollesse dépravée, à la grecque, de ce personnage (ce que Plaute avait appelé pergraecari en Mostellaria, 22 et Truculentus, 87). Notre collègue aixois relève à juste titre que la personne évoquée n’est pas une femme solide, destinée à devenir une bonne épouse, une bonne mère et une bonne maîtresse de maison, mais une créature de rêve. Il y a sans conteste de l’ironie dans la profusion d’ornements rhétoriques que contient cette description (métaphores, accumulations, et, surtout dans la seconde partie, anaphores, mélange subtil de coordinations et d’asyndètes, allitérations, homéotéleutes, succession de termes dissyllabiques d’abord, puis de termes trissyllabiques et, si l’on considère que le fragment forme une phrase entière, clausule constituée de deux spondées). Ce que recherche Chrysosandalos est une « petite amie », une « maîtresse », et je me demande si ce n’est pas avec une certaine ironie que Varron utilise le verbe locare. En effet, si locat sibi a sans doute ici, comme le traduit J.-P. Cèbe, le sens de « commande pour lui-même », il ne faut pas oublier que, dans la comédie latine en particulier, locare23 suivi d’un datif désigne l’action d’un père qui marie sa fille (uirginem) à quelqu’un24. Ici le satiriste reprend le même verbe, mais le sujet est Chrysosandalos, le datif renvoie à Chrysosandalos et le complément d’objet direct est amiculam dont le suffixe souligne la connotation érotique. J.-P. Cèbe a tout à fait raison de subodorer, à la suite de I. Steinbach, un jeu de mots dans la mention de la cire tarentine et des abeilles milésiennes25. Certes, au premier niveau, Varron décrit une créature parfaite, semblable à une statue ou une poupée obéissant à tous les canons de la beauté, avec un teint pâle (comme du lait ou de la cire), une chair douce et souple (comme de la cire), sans aucune dureté, sans aucune raideur, sans aucune pilosité26, telle une courtisane27. Dans le Thesaurus linguae Latinae, Goetz28 voit dans la cire tarentine une variété de cire et Bannier29 dans les abeilles milésiennes une variété d’abeilles. Mais il est sans doute juste de penser qu’on peut lire ces expressions (qui n’apparaissent nulle part ailleurs en latin) à un second niveau et voir dans l’adjectif Tarentina une allusion « à la cité de toutes 21 Cèbe, Varron. Satires Ménippées, 11…, p. 1785 (avec les références). 22 En grec, l’adjectif χρυσοσάνδαλος, -ον n’est attesté que beaucoup plus tard (voir H. G. Liddell, R. Scott, A Greek-English Lexicon, Oxford, 1968, s.u.). 23 Kemper, loco, dans Thesaurus…, vol. VII, 2, fasc. X, col. 1560. 24 Cf. Nonius, 340, 26 : locare marito dare, « locare, c’est donner à un mari ». 25 Cèbe, Varron. Satires Ménippées, 11…, p. 1786. 26 Sur les rapports entre épilation et érotisme dans l’Antiquité, voir les citations rassemblées par Krenkel, Marcus Terentius Varro…, p. 795. 27 Sur les caractéristiques du corps des courtisanes, voir G. Puccini-Delbey, La vie sexuelle à Rome, Paris, 2007, p. 187. 28 Goetz, cera, dans Thesaurus…, vol. III, fasc. IV, col. 853. 29 Bannier, apis, dans Thesaurus…, vol. II, fasc. I, col. 237.
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les turpitudes » en le comprenant au sens de « débauché ». Le nom de Tarente est associé à celui de Milet, à côté de ceux de Sybaris et Rhodes, par Juvénal (Satires, VI, 296-297), comme symboles de lieux de tous les vices. Aux attestations de ces connotations pour Tarente que fournit J.-P. Cèbe, j’ajouterai le titre de Tarentilla, « La petite Tarentine » (mot où apparaît ce même suffixe « affectif » *-l-), donné par Naevius à une de ses comédies dans laquelle les rares fragments qui subsistent mettent en scène une meretrix virtuose de la coquetterie avec les hommes. En ce qui concerne le groupe apes Milesiae, à bon droit l’universitaire rappelle que « l’assimilation des hommes de lettres aux abeilles […] est bien attestée »30 et pense que la qualification de Milesiae « a sûrement un rapport avec les Nouvelles Milésiennes, érotiques, voire obscènes »31. Filant la métaphore, Varron, en parlant d’une figure faite, comme matériau, en une cire tarentine élaborée par des abeilles milésiennes, suggérerait que cette amicula désirée par Chrysosandalos doit être semblable aux héroïnes de roman qui apparaissent dans ces œuvres. Se hasardera-t-on à aller plus loin et à prêter un double sens scabreux à libantes ? En latin tardif, on trouve le verbe libare avec une signification érotique32 (qu’il avait peut-être déjà plus tôt dans le parler vulgaire). Ainsi, dans le Glossarium Patauinum anonymum33 (2376-2380), on lit : De corruptione : Corrumpo ; Libo.aui.tum ; Violo.ui.tum ; Defloro.ui.tum. Libare dans ce contexte a très souvent comme complément d’objet direct oscula, l’idée qu’il véhicule étant alors celle d’« arracher », de « cueillir » (carpere, decerpere). Dans le fragment qui nous occupe, libantes n’a pas de complément d’objet direct et c’est peut-être là que se love l’équivoque grivoise « prenant quelque chose à chaque fleur », les fleurs désignant métaphoriquement les belles jeunes femmes dans la fleur de l’âge. Varron avec un clin d’œil laisserait-il entendre que les écrivains de Nouvelles Milésiennes ne se sont pas seulement inspirés spirituellement de toutes les belles, mais les ont « essayées » ? Une des satires a été intitulée Vinalia, περὶ ἀφροδισίων. Les Vinalia étaient des fêtes célébrées le 19 août sous le nom de Vinalia rustica et le 23 avril sous celui de Vinalia priora. Ces deux jours formaient un ensemble. En août on priait Jupiter pour qu’il protège la récolte de raisins et on lui consacrait le produit de la vigne de l’année ; en avril on lui offrait une libation de vin nouveau qui était ainsi désacralisé et pouvait être utilisé par les hommes. Dans le De lingua Latina, VI, 16, parmi les fêtes du mois d’avril, Varron, parlant autant en historien de la religion romaine qu’en linguiste, écrivait : Vinalia a uino : hic dies Iouis non Veneris, « le mot Vinalia vient de uinum (vin) ; ce jour appartient à Jupiter, non à Vénus ». Un peu plus loin, pour le mois d’août, il
30 Si Bannier, dans l’article du Thesaurus…, ne donne des exemples que pour des poètes (col. 238), H. Estienne, Thesaurus Graecae linguae, Graz, 1954 (vol. VI, col. 744) indique que Léonidas de Tarente emploie μέλισσα pour des orateurs dans l’Anthologie Palatine, VII, 13, 1. 31 Il convient de signaler que, bien avant I. Steinbach et J.-P. Cèbe, cette possible allusion aux Milésiennes était déjà suggérée par Aly, Milesia, dans Real-Encyclopädie, XV, 2, 1932, col. 1580 : « Bei den Römern scheint nach der Übersetzung des Sisenna Varro Menipp. 432 der erste Zeuge zu sein : amicula de lacte et cera Tarentina, quam apes Milesiae coegerint. Da milesische Bienen sonst nicht bekannt sind, kann er nur die erotischen Reize jener Novellensammlung meinen ». 32 Meijer, libo, dans Thesaurus…, vol. VII, 2, fasc. IX, col. 1338 et 1341. 33 D. Frioli (éd.), Lexicographica I. Glossarium Patauinum anonymum, Gênes, 1986, p. 83.
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indique (Ling., VI, 20) : Vinalia rustica dicuntur ante diem XII Kalendas Septembres, quod tum Veneri dedicata aedes et orti ei deae dicantur ac tum sunt feriati olitores34, « le douzième jour avant les calendes de septembre, les Vinalia rustiques portent ce nom parce que ce jour-là un temple a été dédié à Vénus, que les jardins sont consacrés à cette déesse et que cette date est une fête pour les jardiniers », indication confirmée par le même auteur dans les Res rusticae, I, 1, 6 : item adueneror Mineruam et Venerem quarum unius procuratio oliueti, alterius hortorum ; quo nomine rustica Vinalia instituta, « je vénère aussi Minerve et Vénus ; l’une s’occupe de l’oliveraie, l’autre des jardins et en son honneur ont été institués les Vinalia rustiques ». R. Schilling a montré que les Vinalia étaient une fête de Jupiter à qui, en tant que dieu de la première fonction à laquelle est rapportée la souveraineté magique, se rattachait le vin, cette boisson aux pouvoirs mystérieux. Il a expliqué aussi que Vénus y intervenait, selon sa qualité primitive de déesse du charme et de la uenia, pour intercéder en faveur de ses chers Romains35. Cette intervention de Vénus lors des Vinalia explique que ces dates aient été choisies pour certains des temples de cette déesse. Le 23 avril 215 était la date de la dédicace du temple de Vénus Érycine sur le Capitole et le 23 avril 181 celle de la dédicace du temple de Vénus Érycine près de la porte Colline (fréquenté par les prostituées). Le 19 août on fêtait le temple de Vénus près du Circus Maximus. C’est peut-être cette présence de la déesse aux Vinalia qui a inspiré à l’écrivain le sous-titre de la satire dont nous nous occupons : περὶ ἀφροδισίων, « sur les choses d’Aphrodite » (« Aphrodite » étant ici considéré purement et simplement comme le nom de Vénus en grec sans tenir compte des différences entre la Vénus latine et l’Aphrodite grecque), ce qui lui permet de jouer sur l’ambiguïté du terme ἀφροδίσια, « choses qui concernent la déesse » (culte, légende, histoire, etc.) ou « plaisirs sexuels », ou même « pudenda » (Lucien, Nigrinus, 16), voire « maison close » (Tebtunis Papyri, 6, 29 du iie s. av. J.-C.). On verra une équivoque si on attribue à Varron la paternité des sous-titres qui figurent dans certaines de ses Satires Ménippées, paternité contestée par certains critiques, mais que M. Salanitro paraît avoir démontrée avec des arguments persuasifs36. Le jeu sur la signification de περὶ ἀφροδισίων éclaire le double sens scabreux du seul débris sauvegardé de cette satire : Etenim sic uide : utrum mercedem accipit is qui meas uenit segetes ut sariat an ego ab illo ? Sic ego, cum tuus sim sartor, si tu plus laboras quam ego, do (fr. 564 B = 564 Cèbe) En effet, vois un peu ; qui reçoit un salaire ? Celui qui vient pour biner mon champ, ou moi de lui ? Ainsi moi, alors que je suis ton bineur, si tu prends plus de peine que moi, je paie37 34 P. Flobert, Varron. La langue latine. Livre VI, Paris, 1985. 35 Sur le rôle de Vénus aux côtés de Jupiter aux Vinalia, voir le chapitre « La signification du culte des Vinalia » dans R. Schilling, La religion romaine de Vénus, 2e éd., Paris, 1982, p. 91-155. 36 M. Salanitro, Le menippee di Varrone. Contributi esegetici e linguistici, Rome, 1990, p. 109-114. 37 À mon avis, la personne qui prononce cette phrase s’interroge sur qui reçoit un salaire ; la réponse est « celui qui prend le plus de peine » : aussi, si lors de relations sexuelles une femme prend de la peine pour que l’homme ait plus de plaisir, c’est elle qui doit recevoir un salaire.
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La signification érotique en a été reconnue depuis longtemps par plusieurs commentateurs. J.-P. Cèbe38 indique que A. Popma y voyait déjà une uenusta sententia et que J. Mercier y reconnaissait une allusion à l’hortulus muliebris. Il rappelle aussi que F. Della Corte signalait ces lignes comme obscènes39. Quant à lui, à la suite de E. Woytek, il met en évidence cette obscénité en rappelant qu’une métaphore assimilant le sexe féminin à un champ existait dans la littérature grecque comme dans la littérature romaine et que le verbe arare, « labourer », est utilisé dans des expressions imagées de ce genre40. Même si on n’a pas ailleurs d’attestation de sa(r)rire, « sarcler, biner », au sens érotique, il appartient au même champ sémantique qu’arare et Varron a pu extrapoler41 ou bien les exemples de cette signification n’ont pas été conservés42. Ira-t-on jusqu’à supposer que Varron a choisi de passer du sens propre segetes sarire à une métaphore liée au jardinage parce que d’après lui la Vénus des Vinalia rustica avait en charge les jardins ? Restons avec la déesse Vénus. Assurément le fr. 87 B = 87 Cèbe fait partie des vers légers de Varron, pour sa forme (la plupart des commentateurs y reconnaissent des sotadéens43), comme pour son fond : Properate uiuere, puerae, qua sinit aetatula 44 ludere, esse, amare et Veneris tenere bigas Hâtez-vous de vivre, fillettes, tant que l’âge tendre exempt de tout souci permet de folâtrer, faire bombance, aimer et ne pas quitter le bige de Vénus
Cèbe, Varron. Satires Ménippées, 13…, p. 2080-2082 avec les références. C’est dans ce sens également que les commente Krenkel, Marcus Terentius Varro…, p. 1147-1148. Voir J. N. Adams, The Latin Sexual Vocabulary, Londres, 1982, p. 82-83. Je me demande si le choix d’utiliser sarire ne vient pas du même processus que celui qu’on trouve dans Plaute, Les Captifs, 661-663 (et précisément Nonius cite Plaute, Capt., 661 à côté de ce fragment des Ménippées pour illustrer le terme sartor). Dans ce passage de Plaute, à Tyndare qui demande quel crime il a commis, Hégion répond : Rogas,/ sator sartorque scelerum et messor maxume ?, « tu le demandes, toi le plus grand semeur et bineur et moissonneur de forfaits ? », ce à quoi Tyndare réplique : Non occatorem dicere audebas prius ?/ Nam semper occant priusquam sariunt rustici, « tu n’as pas osé dire herseur d’abord ? Car les paysans hersent toujours avant de biner ». On peut voir clairement dans ces quelques vers une parodie des Indigitamenta avec la liste des petites divinités qui selon Servius auctus, Commentaire aux Géorgiques, I, 21 s’appuyant sur Fabius Pictor étaient invoquées par le flamine opérant le sacrum Cereale pour Cérès et Tellus : Veruactor, Redarator, Imporcitor, Insitor, Obarator, Occator, Sarritor, Subruncinator, Messor, Conuector, Conditor, Promitor. 42 J.-P. Cèbe, qui traduit quant à lui (Varron. Satires Ménippées, 13…, p. 2078) « et de fait vois ceci : lequel reçoit un salaire, celui qui vient biner mes champs, ou moi de lui ? Ainsi moi, puisque je suis ton bineur, si tu besognes plus que moi, je donne », pense que l’histoire est la suivante (p. 2081) : « [cet énoncé] d’après nous, provient du discours d’un client à une prostituée. Sarire qui équivaut donc à l’arare des vers de Plaute cités à la note 23 [sc. du livre de J.-P. Cèbe] y désigne l’acte d’amour et on peut le gloser comme suit : ‘c’est le propriétaire dont on sarcle le champ, non le sarcleur, qui perçoit en fait un salaire. De même, il est normal que la femme sarclée soit rétribuée par l’homme qui la sarcle si en la circonstance elle peine plus que lui’. Varron, cela va sans dire, ne reproduit cette justification spécieuse et entortillée que pour s’en moquer ». 43 R. Astbury, cependant, considère que ce sont des tétramètres ioniques majeurs en supprimant amare qu’il voit comme une glose. 44 Pour ce texte, voir L. Deschamps, « M. Terentius Varro vu par Pline le Jeune », dans O. Devillers (éd.), Autour de Pline le Jeune, Bordeaux, 2015, p. 202. 38 39 40 41
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Encore une fois la façon dont ont été conservés les débris des Ménippées ne permet pas de savoir qui donnait un tel conseil ni si Varron l’approuvait ou non45. Cette série de préconisations hédonistes comporte trois infinitifs seuls en asyndète, suivis d’un quatrième infinitif inséré dans une expression plus longue coordonnée par et. L’emploi de et uniquement devant le dernier membre de l’énumération et la longueur de celui-ci attirent sur lui l’attention : ne serait-ce pas parce qu’il contient un jeu de mots ? À première vue, il consiste en une expression poétique. Les poètes et les artistes ont popularisé l’image de divinités sur des chars, en particulier celle de Vénus sur un char traîné par un attelage de deux animaux (bigae), souvent des cygnes46. L’auteur évoque donc un gracieux cortège dans lequel les belles jeunes femmes qu’il admoneste suivent le char de Vénus en une sorte de fête perpétuelle. Mais on peut aussi l’entendre d’une façon beaucoup plus crue, si l’on admet que bigae du latin est l’équivalent de συζυγία du grec, terme qui désigne parfois l’accouplement (dans l’Anthologie Palatine par exemple, V, 220 chez Paul Silentiaire et X, 68 chez Agathias Scolasticus), le sens de Veneris tenere bigas étant alors : « ne pas cesser de s’accoupler »47. Passons à une autre divinité. Une satire est intitulée Triphallus avec pour sous-titre περὶ ἀρρενότητος. M. Salanitro48 a vu un clin d’œil de Varron dans le choix de ce sous-titre ; en effet, l’expression περὶ ἀρρενότητος, « sur la virilité », accompagnant Triphallus (qui est un des surnoms de Priape49 et peut soit désigner le dieu lui-même soit, par antonomase, évoquer un homme à la grande activité sexuelle) ne présente dans ce contexte aucune ambiguïté50, mais l’universitaire italienne rappelle que, chez les Stoïciens, l’ἀρρενότης est le comportement grâce auquel celui qui s’avance vers l’ἀρετή parvient à surmonter les épreuves qui en jalonnent le chemin51. Selon elle, le philosophe latin se serait amusé à reprendre ici ce mot en l’utilisant dans son sens physique52. J’ajouterai que cette allusion au stoïcisme dans le sous-titre d’une œuvre
45 Pour les diverses hypothèses qui ont été formulées, voir Cèbe, Varron. Satires Ménippées, 3…, p. 389-395. 46 Stace, Silves, III, 4, 46 où le char de Vénus est désigné par l’expression olerina biga. 47 F. Bücheler, « Über Varros Satiren », Rheinisches Museum, 20, 1865, p. 409 (p. 543 dans la reprise de cet article dans F. Bücheler, Kleine Schriften, I, Leipzig – Berlin, 1915) rapproche l’expression Veneris bigas du mot latin coniunx ou de la formule grecque ἀλλήλους ἐφίλησαν ἰσῷ ζυγῷ, « ils s’aimèrent mutuellement en un attelage bien apparié », mais sans parler de sens obscène. Krenkel, Marcus Terentius Varro…, p. 149, quant à lui, pose l’équation « Veneris bigae = Zweigespann der Venus (Liebe) = Liebe », écrit « Dem Bild ist vergleichbar das von Pferd und Reiter » et en rapproche Ovide, Art d’aimer, III, 777-778 sur la position amoureuse d’Andromaque. 48 M. Salanitro, « Grecismi e greco nelle Menippee di Varrone », Helikon, 22-27, 1982-1987, p. 340 (on le trouve à la p. 113 dans la reprise de cet article dans Salanitro, Le menippee di Varrone. Contributi esegetici…). 49 Priapées, 83, 9. 50 Dans le fragment retrouvé en 1899 et attribué à la satire VI de Juvénal, le danseur qui devient amant est ainsi décrit (VI, 365, 25-26) : « Thaïs a dansé, elle jette son masque, et voici qu’apparaît le docile Triphallus » (trad. tirée de P. de Labriolle, F. Villeneuve, Juvénal. Satires, Paris, 1971). 51 Stoicorum Veterum Fragmenta, éd. Arnim, III, 66, 28. 52 Comme je l’ai déjà dit, M. Salanitro est d’avis que c’est Varron qui est l’auteur des sous-titres. J.-P. Cèbe pense, avec d’autres, que les sous-titres sont dus à un grammairien postérieur (voir J.-P. Cèbe, Varron. Satires Ménippées, 12, Rome, 1998, p. 2020-2021).
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dont le titre fait allusion à l’excès sexuel serait d’autant plus malicieuse que la uirtus pour cette école était la maîtrise de soi et la pondération53. Dans cette même satire, ne serait-il pas possible de déceler un jeu scabreux sur le vocable longurio du fr. 562 B (= 562 Cèbe) ? Ego nihil, Varro, uideo ; ita hic obscurat qui ante me est nescio qui longurio Moi, je ne vois rien, Varron ; tant m’ôte la vue je ne sais quelle longue perche qui est devant moi Longurio est un hapax qui fait l’objet de la glose (id est longus, « c’est-à-dire long ») de Nonius, 131, 27 où ce fragment l’illustre. On notera que pour Nonius ce nom ne désigne pas un individu. Apparemment Varron a bâti ce terme sur longurius, -i qui indique lui aussi une perche au sens propre, un long piquet. On comprend en général que ce mot s’applique ici à un homme excessivement grand qui empêche le compagnon avec lequel se trouve Varron dans le scénario imaginé par ce dernier de voir un spectacle54. Mais dans cette satire dont le titre évoque Priape représenté traditionnellement avec un membre viril démesuré et en érection, ne peut-on suspecter un jeu de mots dans lequel longurio désignerait un tel membre ? On pense au palus, le pieu55, d’Horace dans la satire, I, 8, 5, qui figure le sexe de la statue de Priape ithyphallique. À première vue, il n’y a aucune équivoque dans le fr. 527 B (= 523 Cèbe) de la satire intitulée Ταφὴ Μενίππου, « Le tombeau de Ménippe » : Nec pistorem ullum nossent nisi eum qui in pistrino pinseret farinam Et ils ne connaîtraient aucun « pistor » sauf celui qui au moulin (pistrino) moulait (pinseret) la farine Dans cette œuvre qui, d’après les débris conservés, opposait, de l’avis des commentateurs, les mœurs austères des Romains d’autrefois aux goûts de luxe des contemporains de l’auteur, ce passage fait référence au fait qu’aux temps jadis les riches ne recherchaient pas à grands frais d’excellents esclaves spécialisés pour élaborer des mets recherchés. À l’époque du Réatin en effet, le pistor était un seruus « boulanger » et son prix pouvait atteindre des sommes élevées56. En utilisant plusieurs mots sur le radical *pi(n)s- afin de mieux montrer leur parenté et prouver, partant, ce qu’il dit, l’étymologiste qu’est
53 Musonius Rufus, par exemple, au ier s. de notre ère, réprouvera les rapports sexuels en dehors du mariage, lequel a pour but la procréation d’enfants et non le plaisir (Musonius, 7). 54 Voir Cèbe, Varron. Satires Ménippées, 13…, p. 2076. 55 Obscenoque ruber porrectus ab inguine palus, « et le pieu rouge dressé depuis une aine indécente » (palus étant pris à la fois au sens propre et au sens métaphorique). 56 Voir, dans les Satires Ménippées, le fr. 404 B (= 404 Cèbe) de Περὶ ἐδεσμάτων : si quantum operae sumpsisti ut tuus pistor bonum faceret panem eius duodecimam philosophiae dedisses, ipse bonus iam pridem esses factus. Nunc illum qui norunt uolunt emere milibus centum, te qui nouit nemo centussis, « si tu avais consacré à la philosophie le douzième de la peine que tu as prise pour que ton boulanger fît du bon pain, tu serais toi-même devenu bon depuis déjà longtemps. Mais maintenant ceux qui le connaissent veulent l’acheter cent mille, mais personne, quand on te connaît, ne veut de toi pour cent as ».
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Varron indique ce à quoi servait un pistor à l’origine : c’était simplement un meunier chargé de moudre le grain pour faire de la farine57 (d’après Pline, Histoire naturelle, XVIII, 107, jusqu’à la guerre contre Persée, c’étaient les femmes qui fabriquaient le pain à la maison). Cependant, il faut se souvenir que Pistor est une épiclèse de Jupiter à Rome. Ovide (Fastes, VI, 349-394) raconte la raison pour laquelle un autel lui a été érigé sous ce vocable au Capitole : au moment de la prise de l’Vrbs par les Gaulois en 390 avant notre ère, il ordonna aux dieux de favoriser la production de pains et enjoignit en songe aux chefs de les jeter au milieu des ennemis, lesquels perdirent ainsi l’espoir de vaincre par la famine58. S’il a eu en tête cette utilisation de Pistor, notre satiriste a pu vouloir insinuer qu’aux origines la religion était plus pure (on ne connaissait pas alors de « Jupiter Pistor »), et qu’avec le temps (puisque l’anecdote est située lors de l’invasion gauloise par un poète augustéen59) s’est développée à Rome la theologia mythica qu’il condamne dans les Antiquités divines60. Et il est encore possible d’aller plus loin : en effet, même si dans ce qui nous reste de la littérature latine on ne trouve pas de sens érotique pour pistor ou pinsere, il ne faut pas oublier que d’autres mots de la famille ont parfois une signification graveleuse comme pistillum, « le pilon », qui est quelquefois employé pour désigner le membrum uirile61. Quant à pinsere, Nonius, 152, 12 rapporte ce fragment de Ταφὴ Μενίππου précisément à cause de ce verbe et le définit : pinsere, tundere uel molere, « pilonner, écraser ou moudre ». Or molere peut avoir une signification obscène62, celle qu’utilise par exemple, comme le laissent supposer les autres fragments, Varron lui-même dans la Satire Ménippée intitulée Mysteria fr. 331 B (= 331 Cèbe) : sed tibi fortasse alius molit et depsit, « mais peut-être un autre te la pilonne-t-il et te la pétrit-il ». Un sens graveleux pour tundere également se déduit de l’existence dans les Indigitamenta d’une déesse Pertunda qui préside à la défloration de la jeune mariée63. Dans ce cas-là, le fragment peut laisser entendre que si on avait conservé la simplicité austère des premiers temps, il n’y aurait de pistor que pour la farine ; mais cela peut être aussi une attaque contre la theologia mythica que le Réatin condamne parce qu’elle prêtait aux divinités des actes qui seraient honteux pour des humains ; or nul n’ignore les multiples aventures amoureuses que la mythologie grecque adoptée par les Romains attribuait à ZeusJupiter (toutefois c’est peut-être aller trop loin, car rien ne prouve que Varron faisait allusion à tout cela). 57 On retrouve la même affirmation dans le fragment du De Vita Populi Romani 1, 32a Rip. que rapporte Nonius dans le même lemme : nec pistoris nomen erat, nisi eius qui ruri far pinsebat, nominati ita eo quod pinsunt, « et le nom de pistor n’existait pas, sinon pour celui qui, à la campagne, moulait l’épeautre ; on les appelle ainsi du fait qu’ils moulent (pinsunt) », toujours dans une description des premiers temps de Rome (voir B. Riposati, M. Terenti Varronis De Vita Populi Romani, Milan, 1989, p. 288). 58 Voir aussi Lactance, Institutions divines, I, 20, 33 et Épitomé des institutions divines, 15, 5. 59 On lit l’épithète μυλεύς attribuée à Zeus dans Lycophron, 435 (on fait naître Lycophron vers 320 av. J.-C.). 60 Antiquités divines, fr. 7 Cardauns (= Augustin, Cité de Dieu, VI, 5, 252). 61 Ottink, pistillus, dans Thesaurus…, vol. X, 1, fasc. XIV, col. 2216, l. 40-51. 62 Ernout, Meillet, Dictionnaire étymologique…, art. molo, p. 411. 63 Varron, Antiquités divines, fr. 154 Cardauns avec les témoignages d’Augustin, Cité de Dieu, VI, 9 ; Tertullien, Aux nations, II, 11, 12 et Arnobe, Contre les Gentils, IV, 7.
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L’accumulation de ces cas de possibles interprétations licencieuses suggère que Varron a pu s’amuser à laisser la porte ouverte à l’imagination de son lecteur. Libre à ce dernier de repérer ou non une équivoque éventuelle et d’en sourire, car l’écrivain ne souligne rien. Comment interpréter cette attitude du Réatin ? J’y verrais volontiers un divertissement d’érudit ; le linguiste qu’il était, aussi savant en latin qu’en grec, connaissait parfaitement toutes les significations que pouvait revêtir un terme et, partant, était susceptible de se divertir en jonglant avec elles avec maestria. G. Freyburger a très bien mis en lumière une virtuosité similaire dans sa belle étude sur « Caricature et parodie dans les hymnes du théâtre de Plaute »64. Le philosophe65 qui avait étudié les doctrines des diverses écoles pouvait jouer de la double signification de certains mots, comme ἀρρενότης. Pourquoi l’historien de la religion qu’il était n’aurait-il pas ri de la double valeur que pouvaient avoir certaines expressions, certaines images, certaines pratiques ? En aucun cas les passages que nous avons relevés ne manifestent un quelconque manque de respect envers la divinité ou envers la religion. C’est plutôt le comportement humain vis-à-vis des dieux ou vis-à-vis du culte qui dans certaines occurrences est tourné en dérision. La postérité n’a voulu retenir que l’image d’un Varron savant et austère, mais on comprend que Pline le Jeune l’ait placé dans une liste de consulaires qui parfois se détendaient en composant des vers légers66.
Bibliographie Adams ( J. N.), The Latin Sexual Vocabulary, Londres, 1982. Agache (S.), « Construction dramatique et humour dans le Traité d’Agriculture de Varron », dans M. Trédé, P. Hoffmann (éd.), Le rire des Anciens, Paris, 1998, p. 201230. Astbury (R.), M. Terentii Varronis Saturarum Menippearum fragmenta, 1ère éd., Leipzig, 1985 (2e éd., Munich – Leipzig, 2002). Bücheler (F.), « Über Varros Satiren », Rheinisches Museum, 20, 1865, p. 401-443. Bücheler (F.), Kleine Schriften, I, Leipzig – Berlin, 1915. Bücheler (F.), Petronii saturae, adiectae sunt Varronis et Senecae saturae similesque reliquiae, 6e éd. revue par W. Heraeus, Berlin, 1922. Cardauns (B.), M. Terentius Varro. Antiquitates Rerum Diuinarum, Wiesbaden, 1976. Cèbe ( J.-P.), Varron. Satires Ménippées, 1-13, Rome, 1972-1999 (particulièrement Varron, Satires Ménippées, 1, Rome, 1972 ; Varron. Satires Ménippées, 3, Rome, 1975 ; Varron. Satires Ménippées, 11, Rome, 1996 ; Varron. Satires Ménippées, 12, Rome, 1998 ; Varron, Satires Ménippées, 13, Rome, 1999). Collart ( J.) et al., Varron. Grammaire antique et stylistique latine, Paris, 1978.
64 Dans Y. Lehmann (éd.), L’hymne antique et son public (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 7), Turnhout, 2007, p. 451-463. 65 Voir Y. Lehmann, Varron, théologien et philosophe romain (Collection Latomus, 237), Bruxelles, 1997. 66 Pline le Jeune, Lettres, V, 3, 5.
Jeux grivois sur le vocabulaire religieux dans les Satires Ménippées de Varron ?
Daremberg (C.), Saglio (E.), Pottier (E.) (éd.), Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines, Paris, 1877-1919. Deschamps (L.), « Quelques clins d’œil de Varron dans les Satires Ménippées », dans J. Collart et al., Varron. Grammaire antique et stylistique latine, Paris, 1978, p. 91-100. Deschamps (L.), « Sabini dicti…ἀπὸ τοῦ σέϐεσθαι », Vichiana, 12, 1983, p. 157-187. Deschamps (L.), « Pourquoi Varron situe-t-il au lac de Cutilia l’ombilic de l’Italie ? », Euphrosyne, 20, 1992, p. 299-310. Deschamps (L.), « M. Terentius Varro vu par Pline le Jeune », dans O. Devillers (éd.), Autour de Pline le Jeune, Bordeaux, 2015, p. 197-206. Ernout (A.), Meillet (A.), Dictionnaire étymologique de la langue latine, 4e éd., Paris, 1959. Estienne H., Thesaurus Graecae linguae, Graz, 1954. Flobert (P.), Varron. La langue latine. Livre VI, texte établi, traduit et commenté par P. F., Paris, 1985. Freyburger (G.), « Caricature et parodie dans les hymnes du théâtre de Plaute », dans Y. Lehmann (éd.), L’hymne antique et son public (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 7), Turnhout, 2007, p. 451-463. Frioli (D.) (éd.), Lexicographica I. Glossarium Patavinum anonymum, Gênes, 1986. Krenkel (W. A.), Marcus Terentius Varro, Saturae Menippeae, herausgegeben, übersetzt und kommentiert von W. A. K., St Katharinen, 2002. Labriolle (P. de), Villeneuve (F.), Juvénal. Satires, texte établi et traduit par Pierre de Labriolle et François Villeneuve, Paris, 1971. Lehmann (Y.), Varron, théologien et philosophe romain (Collection Latomus, 237), Bruxelles, 1997. Liddell (H. G.), Scott (R.), A Greek-English Lexicon, Oxford, 1968. Mirsch (P.), Antiquitatum rerum humanarum librorum XXV fragmenta et uestigia quae exstant, dans Leipziger Studien, V, Leipzig, 1882. Pauly (A. F. von), Wissowa (G.), Kroll (W.), Real-Encyclopädie der klassischen Altertumswissenschaft, Stuttgart, 1894-1980. Puccini-Delbey (G.), La vie sexuelle à Rome, Paris, 2007. Riposati (B.), M. Terenti Varronis De Vita Populi Romani, Milan, 1989. Salanitro (M.), « Grecismi e greco nelle Menippee di Varrone », Helikon, 22-27, 19821987, p. 297-349. Salanitro (M.), Le menippee di Varrone. Contributi esegetici e linguistici, Rome, 1990. Schilling (R.), La religion romaine de Vénus, 1ère éd., Paris, 1954 (2è éd., Paris, 1982). Steinbach (I.), Varros Menippea « Prometheus liber », Diss., Cologne, 1979.
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Magie et politique dans le poème 2 du Catalecton / Catalepton Le pouvoir des mots
Il est sans doute téméraire d’aborder magie et politique devant le grand spécialiste de la Fides1 et des Sectes religieuses2 qu’est G. Freyburger. Qu’il trouve cependant ici cette tablette en guise d’hommage, avec l’espoir qu’il lui fasse grâce3. Parler du Catalecton / Catalepton est difficile car le titre lui-même varie, évoquant tantôt un « Recueil » rassemblant diverses pièces (Catalecton4), tantôt des faits « racontés par le menu »5, voire des « Pièces légères »6 dans la tradition qui vient peut-être de Junius Philargyrius7 au ve siècle (Catalepton) ; dans les deux cas l’œuvre peut évoquer le goût alexandrin : couronne et légèreté8. Et si l’œuvre est attribuée à Virgile par ses grands biographes9 du ive siècle comme Aelius Donatus et Maurus
1 Voir G. Freyburger, Fides. Étude sémantique et religieuse depuis les origines jusqu’à l’époque augustéenne, Paris, 1986. 2 G. Freyburger, M.-L. Freyburger, J.-C. Tautil, Sectes religieuses en Grèce et à Rome dans l’Antiquité païenne, nouvelle édition, Paris, 2006. 3 G. Freyburger, « Supplication grecque et supplication romaine », Latomus, 47, 1988, p. 501-525. 4 Catalecton apparaît ainsi chez Donat (voir J. Brummer, Vitae Vergilianae, Leipzig, 1933, p. 4), chez Servius dans sa préface à l’Énéide (Brummer, Vitae…, p. 69 où catalecton est donné par les manuscrits des ixe-xiie siècles Bernensis 363, Lipsiensis bibl. sen. rep. I n. 36b, Monacensis lat. 6394, Monacensis lat. 18059, Hamburgensis bibl. publ. Scrin. 52, et latinisé en catalectum par le Bernensis 167). On retrouve ce titre dans des éditions imprimées de Virgile : celle de Bartholomaeus Cremonensis à Venise en 1472 (à la Bibliothèque Vaticane Stamp. Barb. AAA II 7, folio 222), celle de Baptista de Tortis en 1482 (à la Bibliothèque Vaticane Inc. II 565, folio 304). S’y ajoutent la graphie Cathalecton dans un manuscrit du xve siècle (Vaticanus Urbinas 353, folio 41), et le pluriel Catalecta à Lyon dans l’édition imprimée par J. Crespin en 1529 (folio XCIII des Opuscula) puis de Scaliger pour son édition de l’Appendix en 1572. 5 Voir par exemple la lettre de Cicéron à Atticus, II, 18 (Rome, juin 59 av. J.-C.) : κατὰ λεπτόν. 6 C’est le titre proposé par P. Grimal, La littérature latine, Paris, 1994, p. 268. 7 À condition de suivre son meilleur codex : Parisinus 11308 (autrefois suppl. lat. 1011) du ixe siècle ; mais on lit aussi catalecto en N2 (réviseur du codex Parisinus lat. 7960 du xe siècle) corrigé de catelecto : voir Brummer, Vitae…, Philargyrius I, p. 42. La forme est reprise dans quatre manuscrits du xve siècle : H Helmstadiensis 332, M Monacensis 18895, A Arundelianus 133, R Rehdigeranus 125. 8 Voir par exemple la Guirlande de Méléagre et la « Muse légère » de Callimaque (Μοῦσαν…λεπταλέην : vers 24 de la Réponse aux Telchines). 9 Sans doute à la base de la Vie de Virgile par Donat y a-t-il celle de Suétone. Pour les éditions des vies de Virgile, voir aussi l’édition ancienne de J. Brummer, Vitae Vergilianae, Leipzig, 1912 ; voir C. Hardie, Vitae Vergilianae Antiquae, Oxford, 1966 ; J.-J. Van Dooren, Vie de Virgile par Donat-Suétone, Bruxelles, 1961 ; G. Brugnoli, F. Stok, Vitae Vergilianae Antiquae, Rome, 1997, ainsi que J. M. Ziolkowski, M. C. J. Jeanne Dion • Université de Lorraine
Segetis certa fides meae : hommages offerts à Gérard Freyburger, éd. par Catherine Notter et Maud PfaffReydellet, Turnhout, 2021 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 31), p. 67-77 © FHG10.1484/M.RRR-EB.5.126672
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Servius Honoratus, cette attribution est parfois aussi mise en doute10, et elle suscite bien des publications différentes chez les imprimeurs de la Renaissance11 avant que ne paraisse la célèbre édition de l’Appendix due à Scaliger12. Les débats chez les modernes ne sont pas moins nombreux13. Qu’on nous permette cependant ici d’en venir directement à l’étude d’un des textes les plus courts et les plus complexes du recueil : le poème 2. Il a la particularité d’avoir été utilisé par Quintilien et Ausone
Putnam, The Virgilian Tradition. The First Fifteen Hundred Years, New Haven – Londres, 2008. 10 Voir par exemple au ive siècle le « dit-on » ajouté par le grammairien Aphthonius à son commentaire d’un vers des poèmes 12 et 13 du recueil : « Ce n’est pas autrement qu’a fait, dit-on, notre Virgile avec son épigramme iambique : ‘pour Thalassius, pour Thalassius, pour Thalassius’ » (haud alias quam ut aiunt fecisse Vergilium nostrum iambico epigrammate, thalassio, thalassio, thalassio : H. Keil (éd.), Grammatici Latini, vol. VI, p. 137 qui attribue alors ce passage à Marius Victorinus ; cette attribution est rectifiée pour celle d’Aphthonius par les études récentes des grammairiens : voir en ligne Corpus Grammaticorum Latinorum). Un fragment « Sur l’épode octosyllabe » (Fragmenta Sangallensia : H. Keil (éd.), Grammatici Latini, vol. VI, p. 640) attribue sans hésiter ce même passage à Virgile (ut facit Vergilius). 11 Voir ainsi l’édition princeps de Virgile imprimée à Rome en 1469 chez K. Sweynheym et A. Pannartz, en collaboration avec J. A. de Buxis, évêque d’Aléria. Il en reste très peu d’exemplaires, peut-être six, mais deux sont aisément consultables, l’un dans les incunables de la Bibliothèque Ste Geneviève (OEXV 68 RES), l’autre à la Bibliothèque Vaticane (Stamp. Ross 771), chacun ayant quelques rares manques. Voici leur contenu, après l’épître dédicatoire au pape Paul II, dans cet ordre : Culex, Dirae, Copa, Est et non, Vir bonus, De Rosis, Moretum, Versiculi Vergilii « Nocte », Versus in Balistam latronem, Versus Ovidii, Summa Vergilianae narrationis in tribus operibus, Bucolica, Georgica, Aeneis, Versus Sulpitii Carthaginiensis : « Iusserat », Carmina Caesaris Augusti : « Ergo ne », Epitaphia illustrium virorum, Versus de Musarum inventis, Elegia in Maecenatis obitu, quae dicitur Vergilii, cum non sit, tout en précisant bien à la fin à propos de l’Élégie sur la mort de Mécène : « qui est dite de Virgile alors qu’elle ne l’est pas ». D’autres éditeurs se voudront puristes, comme le grand Alde Manuce à Venise : s’il répugne en 1501 à publier les opuscules virgiliens comme étant « indignes de son petit volume » (non censuimus digna enchiridio, c’était en effet pour la première fois un in-octavo), dès 1505 il publie une édition augmentée des œuvres mineures, reprise par ses successeurs en 1517. Sans doute la concurrence des 200 ateliers vénitiens (avec les imprimeries claustrales) incitait-elle au réalisme à la fin du xve siècle. 12 Publii Virgilii Maronis Appendix, Cum supplemento multorum antehac nunquam excusorum Poematum veterum Poetarum. Iosephi Scaligeri in eandem Appendicem Commentarii et castigationes, Lugduni, apud Guliel. Rovillium, 1572-1573. Le poème 2 s’y trouve p. 92 et son commentaire p. 484-488. 13 Parmi ceux qui penchent pour attribuer à Virgile certaines œuvres mineures (en particulier celles que reconnaissent Donat et Servius), on peut citer F. Vollmer (voir son édition dans les Poetae Latini minores, I, Leipzig, 1910), M. Lenchantin de Gubernatis (« L’autenticità dell’Appendix Vergiliana », Rivista di filologia e di istruzione classica, n. s. 38, 1910, p. 201-220), M. Rat (Virgile. La fille d’auberge suivi des autres poèmes attribués à Virgile, Paris, 1935), A. Rostagni (Virgilio minore, Turin, 1933, rééd. Rome, 1961), A. Salvatore (voir en particulier son édition de l’Appendix : tome 1, Ciris, Culex, et tome 2, Dirae, Copa, Moretum, Catalepton, Turin, 1957-1960 ; nombreuses autres éditions, puis en collaboration avec A. De Vivo, L. Nicastri, I. Polara, Appendix Vergiliana, Rome, 1997). On peut rattacher à l’édition d’A. Salvatore celle de M. G. Iodice, Appendix Vergiliana, Milan, 2002, car elle reprend A. Salvatore mais ne se prononce pas nettement sur l’auteur du Catalepton qu’elle considère cependant comme la section « la plus intéressante » des œuvres mineures (« la sezione la più interessante », p. 310). Parmi les sceptiques ou partisans des seules grandes œuvres figurent par exemple K. Büchner (« P. Vergilius Maro », dans Realencyclopädie, VIII, A 1, 1955, p. 1062-1180), E. Paratore (Virgilio, Florence, 1961), F. Della Corte (« Dirae », dans Enciclopedia Virgiliana, II, 1985, p. 91-94). R. E. H. Westendorp-Boerma (P. Vergilii Maronis libellus qui inscribitur Catalepton, 2 vol., Assen, 19491963) est très partagé car, s’il doute de la Ciris et du Culex (p. XXXII), il juge presque tous les poèmes du Catalepton (1 à 8 et 10 à 12) « dignes de Virgile » (Vergilio digna : p. xlvii-xlviii).
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qui tous deux l’attribuent à Virgile. Voici donc d’abord ce poème et sa traduction, accompagnés des textes de Quintilien et d’Ausone, puis une interprétation de la magie de ses mots qui a certes suscité de très nombreuses études auxquelles nous sommes redevable, mais auxquelles nous pouvons cependant ajouter quelques précisions.
Textes et traductions Citons d’abord le poème 2 du Catalecton / Catalepton : Corinthiorum amator iste uerborum, iste, iste rhetor (namque quatenus totus Thucydides tyrannus Atticae febris), tau Gallicum, min et psin et male illisit ! Ita omnia ista uerba miscuit fratri ! Des mots corinthiens ce mauvais amateur, ce mauvais, mauvais rhéteur (puisqu’effectivement, tout entier Thucydide, il était le tyran de la fièvre attique), a frappé le tau gaulois, min et psin, et même méchamment ! Ainsi a-t-il mélangé tous ces mauvais mots pour son frère !14 Ce texte en choliambes est assez énigmatique en première lecture. Il n’est pas non plus très facile à établir. Qu’on nous permette ici quelques très brèves remarques à ce sujet : – Le vers 1 fait plutôt l’objet de variantes orthographiques comme Chorinthiorum dans le principal manuscrit15, le Bruxellensis 10675-10676 du xiie siècle dit B, ou Corinthearum dans un manuscrit du xve siècle : Helmstadiensis 332 dit H par exemple. – Le vers 2 n’existe pas dans les manuscrits de Quintilien. Il est ainsi omis dans l’édition d’O. Ribbeck16 de 1868.
14 Voir pour l’ensemble des textes latins du Catalepton et pour mes traductions : J. Dion, P. Heuzé, A. Michel (éd.), Virgile. Œuvres complètes (Bibliothèque de la Pléiade), Paris, 2015, p. 1011-1028 ; voir aussi J. Dion, « Relire aujourd’hui le Catalecton/Catalepton : l’étonnante composition d’une œuvre attribuée à Virgile », dans J. Dion, G. Vottéro (éd.), (Re)lire les poètes grecs et latins, Nancy – Paris, 2018, p. 173-191. 15 On a cependant connaissance par un catalogue de l’abbaye de Murbach d’un codex perdu d’âge carolingien : cf. W. Milde, Der Bibliothekskatalog des Klosters Murbach aus dem 9. Jahrhundert, Heidelberg, 1968. Quant au fragmentum Graeciense 1814, il date bien du ixe siècle mais ne contient pas ce texte du Catalepton. Voir ainsi L. Holtz, « Les manuscrits carolingiens de Virgile (xe et xie siècles) », dans La fortuna di Virgilio. Atti del convegno di Napoli 1983, Naples, 1986, p. 125-150, ainsi que « La redécouverte de Virgile aux viiie et ixe siècles d’après les manuscrits conservés », dans Lectures médiévales de Virgile. Actes du Colloque organisé par l’École Française de Rome (25-28 octobre 1982) (Collection de l’École Française de Rome, 80), Rome, 1985, p. 9-30. 16 O. Ribbeck, P. Vergilii Maronis Opera vol. IV : Appendix Vergiliana, Leipzig, 1868. Voir pour ce poème les pages 150-151.
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– La principale variante du vers 3 porte sur tyrannus/um (ou tirannus/um) attesté en BH ainsi que dans deux autres manuscrits du xve siècle : Arundelianus 133 dit A et Rehdigeranus 125 dit R ; mais on trouve britanus dans certains manuscrits de Quintilien17. – Le vers 4 est le plus complexe. Il offre certes à nouveau des variantes orthographiques (tau AR et thau BHM – M étant le Monacensis 18895). Mais la forme sphin, souvent utilisée dans les éditions modernes, ne semble pas exister dans les manuscrits qui proposent en revanche psin (HM et peut-être B si on lit psin et), et bien d’autres solutions pour neutraliser le jeu délicat des syllabes min et psin : minet prominet (R)… Notre proposition est donc de revenir au psin des manuscrits H et probablement B, puis de suivre illisit (BHMA) plutôt que illi sit séparé par R. – Nous préférons enfin comme premier mot du dernier vers ita attesté en BHM, et non ista donné par AR. De quoi s’agit-il alors ? En apparence d’un « amateur de mots corinthiens » trop zélé, qui mélange les mots quand il s’agit de son frère. En apparence, voilà le portrait d’un rhéteur ridicule par défaut de langue : le problème est certes fâcheux pour quelqu’un qui doit parler en public, mais il ne paraît pas si grave… De fait Quintilien évoque ce poème du Catalecton / Catalepton dans un passage de l’Institution oratoire (VIII, 3, 26-28) qui traite de l’ornement (de ornatu). Il constate ainsi combien la langue change et donne pour magnifique exemple de critique de l’« affectation » le poème qu’il attribue sans hésiter à Virgile : Totus prope mutatus est sermo. Quaedam tamen adhuc uetera uetustate ipsa gratius nitent, quaedam et necessario interim sumuntur, ut « nuncupare » et « fari » : multa alia etiam audentius inseri possunt, sed ita demum si non appareat adfectatio, in quam mirifice Vergilius : « Corinthiorum amator iste uerborum, Thucydides Britannus, Atticae febres, tau Gallicum, min et sphin † et male illisit † : ita omnia ista uerba miscuit fratri »18. Enfin presque toute la langue a changé ; cependant il y a certains mots auxquels leur antiquité donne quelque grâce ; d’autres sont même quelquefois nécessaires comme nuncupare et fari ; il y en a enfin un grand nombre que l’on peut hasarder çà et là, mais pourvu qu’il n’y paraisse pas d’affectation : défaut que Virgile a si admirablement blâmé dans l’épigramme suivante19 : 17 Voir par exemple à la Bibliothèque Vaticane le Reg. Lat. 1881, folio 108 v. 18 Ce texte latin est celui de l’édition de M. Winterbottom, M. Fabi Quintiliani Institutionis oratoriae libri duodecim (Oxford Classical Texts), Oxford, 1970, 2 vol. Nous ne revenons pas ici sur les variantes des manuscrits mais indiquons les passages désespérés de l’éditeur. 19 D. Nisard (éd.), Quintilien et Pline le Jeune. Œuvres complètes, Paris, 1865. Il est à remarquer que l’ouvrage laisse en latin l’épigramme (p. 289), j’en ai ajouté la traduction.
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« Des mots corinthiens ce mauvais amateur, un Thucydide breton, fièvres de l’Attique, a frappé le tau gaulois, min et sphin, même méchamment ! Ainsi a-t-il mêlé tous ces mauvais mots pour son frère ! » Nous croirions toujours qu’il ne s’agit que d’un problème de prononciation ou de style, si Quintilien n’avait alors révélé l’identité de ce rhéteur : Cimber, dont on sait par un terrible jeu de mots de Cicéron qu’il a tué son frère, né du même père et de la même mère que lui20 : « Germanum Cimber occidit ». « C’est son germain qu’un Cimber a tué / c’est un Germain qu’un Cimbre a tué ». Avant même de préciser ces faits, nous pouvons déjà constater qu’orthophonie et stylistique sont loin désormais : les choliambes du Catalecton / Catalepton fustigent avec une férocité d’autant plus grande qu’elle semble souriante le crime d’un politique connu et rivalisent de talent avec Cicéron. Reste encore le problème des syllabes étranges et de leur pouvoir meurtrier. Ausone va-t-il l’éclairer au ive siècle quand il reprend à son tour le poème ? Il le fait alors dans le cadre de jeux poétiques puisqu’il s’agit de la dernière pièce du Technopaegnion (14, 5-8) intitulée avec esprit Grammaticomastix (« le fouetteur des grammairiens ») : Dic quid significent Catalecta Maronis : in his al Celtarum posuit, sequitur non lucidius tau ! Estne peregrini uox nominis an Latii sil ? Et quod germano mixtum male letiferum min ? Dis-moi ce que signifient les Catalepta de Virgile où l’« al » des Gaulois il plaça, suivi du non moins obscur « tau » ! Est-il son de mot barbare ou de mot latin le « sil » ? Et qu’est-ce, pour un frère une mixture méchamment mortelle : « min »21 ? Hélas ! Ausone pose justement les questions auxquelles nous aurions aimé trouver réponse, en réintroduisant dans ses propres vers les syllabes tau et min du Catalecton / Catalepton et en leur en adjoignant ou attribuant d’autres. Comment comprendre ces mixtures magiques et politiquement criminelles ?
20 Institution oratoire, VIII, 3, 29 : Cimber hic fuit a quo fratrem necatum hoc Ciceronis dicto notatum est : « Germanum Cimber occidit » (« Il s’agit ici de ce Cimber dont Cicéron a flétri le parricide par ce mot : Germanum Cimber occidit » ; traduction Nisard). 21 Voir le monumental travail fait sur Ausone par B. Combeaud, D. M. Ausonii Burdigalensis opuscula omnia, Bordeaux, 2010. Il s’agit ici de la dernière pièce du Technopaegnion (p. 240), intitulée Grammaticomastix. On relève au vers 5 du latin Catalecta et en français Catalepta car catalecta est la leçon de Zay tandis que catalepta est donné par V : Leidensis Vossianus F 111 du ixe siècle transcrivant un modèle du viiie siècle.
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La magie des mots Verborum (vers 1) … uerba (vers 5) : d’un amateur de mots à un mélangeur de mots, telle est la trame du poème. Commençons donc par cet amoureux des mots… corinthiens. Le choix de la ville étonne puisque Corinthe était en zone dorienne avant l’implantation de la koinè mais il explique pourtant la quadruple répétition dans ce court poème de iste (vers 1 et vers 2 deux fois) / ista (vers 5) que de nombreux critiques considèrent trop vite comme une mauvaise22 scholie et qui motive peut-être aussi la suppression du vers 2 par Quintilien ; car la valeur péjorative du démonstratif s’accompagne de sonorités qui font entendre un des particularismes de la langue dorienne : l’usage du -στ à la place de -σθ (ainsi γενέσται pour γενέσθαι « devenir »). Certes le démonstratif latin n’est pas isthe, mais notre rhéteur raffole probablement des -st corinthiens et il faudrait oser traduire les allitérations qui les évoquent par « c’te mauvais amateur / c’te mauvais, c’te mauvais rhéteur »… L’ironie est cinglante quand pareil amateur joue les puristes en se prenant pour « Thucydide » et en tyrannisant « la fièvre attique » ! Son goût pour Corinthe souligne de plus son étrangeté à la koinè avec une volonté d’affectation archaïque que relève Quintilien, puisqu’il analyse ce texte dans le cadre de la uetustas. Mais elle ne porte peut-être pas seulement sur les mots. Car les amateurs de Corinthe l’étaient surtout d’objets précieux. Si la prise de la ville en 146 av. J.-C. avait donné lieu à d’immenses destructions et pillages d’œuvres d’art, César voulut relever la cité de son abandon vers 44 av. J.-C. et une nouvelle colonie d’affranchis se mit à rechercher jusque dans les tombeaux des sculptures et des bronzes nommés pour cela nekrokorinthia23. Ils en inondèrent Rome. Notre « amateur » anonyme ne serait-il pas tenté lui aussi par des nekrokorinthia ? Son goût pour Corinthe mêle en tout cas déjà savamment plusieurs insinuations : il aime une langue archaïque étrangère à l’attique et, sans même aller jusqu’aux nekrokorinthia, il aime la ville où Médée prépara les poisons dont elle imprégna la robe et les bijoux de sa rivale Créüse, et où s’installe une colonie d’affranchis en 44 av. J.-C. L’identification de l’« amateur » prend forme prudemment. Mais que signifient les syllabes ? Deux pronoms d’allure grecque apparaissent dans des formes rares. Psin n’a pas besoin d’être changé ; il est bien attesté en plus de sphin comme datif signifiant « pour eux », mais c’est une forme syracusaine qu’il faut garder, puisque Syracuse fut fondée par une colonie de Corinthe au viiie siècle avant J.-C. : le jeu de langues et d’archaïsmes s’y poursuit ! Quant à la forme min, elle existe comme accusatif singulier ou pluriel : « lui / eux ». Traduisons donc en
22 Je ne pense donc pas du tout, comme L. Herrmann, que ce vers soit « vraiment indigne de Virgile, gauche, cacophonique », comme il l’écrit à la page 152 de son article par ailleurs très intéressant : « La tradition, le texte et le sens de la deuxième épigramme de l’Appendix Vergiliana », Revue des Études Anciennes, 29, 2, 1927, p. 151-156. 23 Voir Strabon, Géographie, VIII, 6, 23.
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quelque sorte ces pronoms : ce rhéteur n’a pas que de l’affectation archaïsante en frappant les formes rares min et psin que déjà déconseillait Hérodicos de Babylone24 ; en réalité il l’a frappé « lui » et même méchamment « pour eux », c’est-à-dire qu’il a frappé son frère et même méchamment pour eux, puisqu’il l’a tué ! L’interprétation grecque des mots en donne le sens meurtrier. A quoi sert alors le « tau gaulois » ? Il s’agit, pour P. Y. Lambert25, d’une consonne affriquée ts qui deviendra ths. On la trouve dans des inscriptions gauloises26 marquée θ ou D barré (Ð), et elle rend le latin -sd- ou -st-. Elle donne évidemment à ce texte une coloration celte et justifie à nouveau l’abondance des iste allitératifs ! Et cette caractéristique celte est amplifiée chez Quintilien où le rhéteur est un « Thucydide breton », et chez Ausone qui évoque « les Celtes ». Cette remarque a conduit Pierre Lévêque27 à une interprétation gauloise des syllabes mystérieuses. Même si les mots magiques « ne sont pas nécessairement celtiques »28 et sans exclure une lecture acrophonique, il propose ainsi avec F. Granucci d’autres interprétations du texte d’Ausone. Il peut s’agir de mots écourtés, comme l’avait déjà suggéré Scaliger29, en particulier pour la syllabe min comme abréviation de minium, l’oxyde de plomb qui est toxique, ou pour la syllabe al abrégeant la plante nommée non pas allium comme le disait Scaliger mais alum Gallicum si l’on suit les traités de médecine30.
24 Dans une épigramme rapportée par Athénée (Deipnosophistes, V, 222 a) ou par l’Anthologie grecque (Appendice, 35), Hérodicos de Babylone attaquait ainsi les disciples d’Aristarque : Φεύγετ´, Ἀριστάρχειοι, ἐπ´ εὐρέα νῶτα θαλάττης Ἑλλάδα, τῆς ξουθῆς δειλότεροι κεμάδος, γωνιοβόμβυκες, μονοσύλλαβοι, οἷσι μέμηλε τὸ σφὶν καὶ σφῶιν καὶ τὸ μὶν ἠδὲ τὸ νίν. Τοῦθ´ ὑμῖν εἴη δυσπέμφελον· Ἡροδίκῳ δὲ Ἑλλὰς ἀεὶ μίμνοι καὶ θεόπαις Βαβυλών. « Fuyez hors de la Grèce, doctes Aristarques, sur la vaste surface de la mer, plus timides qu’un faon ; vous qui rongez sans cesse dans des coins comme le bombyx, qui ne parlez que par monosyllabes, et qui n’avez qu’à discourir sur les pronoms sphin, sphooïn, min, nin. Que ce soient là vos sottes occupations ; mais qu’Hérodique ait en partage la Grèce, et Babylone cette fille des dieux ! » (traduction de M. Lefebvre de Villebrune, Paris, 1789). 25 Voir à cet égard P. Y. Lambert, La langue gauloise. Description linguistique, commentaire d’inscriptions choisies, Paris, 2003. 26 Voir N. O’Sullivan, « Two Notes on Catalepton 2 », Classical Quarterly, 36, 2, 1986, p. 496-501. 27 Voir son article intitulé « Al Tau Sil Min : des mots qui tuent », Dialogues d’Histoire Ancienne, 16, 1990, p. 402-405, où il loue le travail de F. Granucci, « Appunti di lessicologia gallica : Ausonio e il Grammaticomastix », Romanobarbarica, 9, 1986-1987, p. 115-152. 28 Lévêque, « Al Tau Sil Min… », p. 405. 29 Voir son commentaire, p. 485 : al, tau, min pro allio, tauro, minio. 30 J’en donne pour preuve supplémentaire le travail de F. Gaide, « ‘Manger’ et ‘mâcher’ dans le De medicamentis de Marcellus », dans C. Brunet (éd.), Des formes et des mots chez les Anciens. Mélanges offerts à Danièle Conso, Besançon, 2008, p. 91-100 ; en particulier p. 93 où elle compare deux prescriptions médicales à base de racine de symphyton, « que certains appellent inula rustica, d’autres al Gallicum » (Marcellus, 17, 21 : quam quidam inulam rusticam, quidam al Gallicum uocant), tandis qu’on lit chez Scribonius Largus (83) la forme développée : quam quidam inulam rusticam uocant, quidam autem alum Gallicum dicunt. Il s’agit de la grande consoude, toxique pour le foie en usage interne.
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P. Lévêque y ajoute qu’al pourrait être le « nom de la lettre A, le dieu Alus31 assimilé à Saturne » ; tau ne serait pas l’abréviation de taurus, comme chez Scaliger, mais une « invocation magique » comme dans Pétrone matauitatau, « à partir de la lettre t dans sa prononciation spécifiquement gauloise » ; quant à sil, c’est tout simplement le nom latin de l’ocre (« terre contenant des oxydes de fer, utilisée en médecine comme astringent »), ou bien une « plante ombellifère32 ». Mais revenons à la mixture du vers 5 du Catalecton / Catalepton. Dans ce vers le verbe « mélanger » évoque la potion fatale, composée de syllabes grecques et gauloise. En voici l’ingénieuse interprétation de L. Herrmann33 : le mélange de psin, min et tau gaulois aboutirait à la suggestion du mot grec psimythos34 c’est-à-dire du blanc de céruse35, un toxique couramment utilisé. Les syllabes dans le poème y seraient énoncées dans l’ordre inverse du mot, comme souvent dans les tablettes magiques de défixion. Et l’interprétation gauloise du tau et du min aboutirait, selon P. Lévêque, à la malédiction et au minium, à nouveau sources de magie noire et d’empoisonnement. Ausone développera alors en chacune de ses syllabes finales les ingrédients de la recette mortelle, qu’avait commencée le poète du Catalepton. Sa virtuosité avait déjà su conjuguer grec et gaulois, pour aboutir à un poison à base de plomb. Mais pourquoi cette surenchère de langues et de jeux de mots ? On sait par Suétone36 que cet Annius Cimber est effectivement d’abord un rhéteur de style archaïsant. Mais son rôle politique apparaît chez Cicéron et c’est aussi ce que fustige l’épigramme à sa manière. Car Cicéron ironise violemment sur cette « illustration et gloire de la grande armée d’Antoine37 » dans sa onzième Philippique de la fin février 43 avant J.-C. ! Ce T. Annius Cimber est un fils d’esclave ou d’affranchi grec : Lysidici filiu(s), au surnom de Cimbre : beau mélange culturel ! Et Cicéron y ajoute un jeu avec le nom grec du père : Lysi-dicus, « destructeur du droit », pour en faire la caractéristique du fils, meurtrier de son frère : « lui-même un Lysidicus puisqu’il 31 Voir CIL V, 4198 (Brescia). 32 Lévêque, « Al Tau Sil Min… », p. 404-405. 33 Herrmann, « La tradition, le texte et le sens… », p. 155-156. 34 Chez Pline l’Ancien le mot peut être écrit psimithium avec i (Histoire naturelle, XXXIV, 175) et le naturaliste précise qu’en boisson il est mortel (est autem letalis potu). Le datif psimytho est donné par l’Anthologie grecque, XI, 374 et 408 (il s’agit ici de céruse utilisée par des femmes pour paraître plus jeunes, en vain). 35 On peut citer Scribonius Largus en plus de Pline : Scribonii Largi Compositiones, 184, 1 : cerussam quam Graeci psimithion uocant (édition en ligne de S. Sconocchia sur le site PHI Latin Texts). 36 Voir Suétone, Vie d’Auguste, 86, 5 (Auguste y fait reproche à Antoine d’hésiter entre plusieurs styles) : Tuque dubitas, Cimberne Annius an Veranius Flaccus imitandi sint tibi, ita ut uerbis, quae Crispus Sallustius excerpsit ex Originibus Catonis, utaris ? an potius Asiaticorum oratorum inanis sententiis uerborum uolubilitas in nostrum sermonem transferenda ? (« Ainsi donc, tu te demandes si tu dois imiter Annius Cimber et Veranius Flaccus, en utilisant les mots que Crispus Salluste a dénichés dans les Origines de Caton, ou si tu dois plutôt introduire dans notre langue l’exubérance remplie de sentences creuses des orateurs asiatiques ? » ; traduction G. Flamerie de Lachapelle (éd.), Suétone. Vies des douze Césars, Paris, 2016). On sait en effet le mépris d’Auguste à l’égard des cacozelos et antiquarios (« les écrivains musqués et les archaïsants » : Vie d’Auguste, 86, 3). 37 Cicéron, Philippiques, XI, 6, 14 : lumen et decus illius exercitus.
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a détruit tout droit »38 ! Sa raillerie se poursuit encore par antiphrase ; en semblant s’interroger sur un litige d’ordre politique et militaire – « à moins qu’à bon droit peut-être un Cimbre ait tué un Germain ! » –, il semble justifier un meurtre fraternel : « à moins qu’à bon droit peut-être Cimber ait tué son germain ! », nisi forte iure Germanum Cimber occidit ! Et sa férocité va jusqu’à le nommer « philadelphe » dans la treizième Philippique du 20 mars 43 av. J.-C. (Philadelphus Annius : XIII 12, 26) ! Le crime de Cimber illustre alors ceux d’Antoine et de ses partisans ; le 7 décembre 43 av. J.-C. Cicéron paiera de sa vie ses choix. Tout se passe donc comme si l’épigramme du Catalepton rivalisait avec les Philippiques en jeux de mots savants. Et elle le fait en choliambes car ces iambes boiteux dégénèrent en longue à l’avant-dernière syllabe, comme le mauvais rhéteur en partisan d’Antoine, glissant du dorien (et pas seulement du grec !) au gaulois, de l’amour des mots archaïques de Corinthe et Syracuse à ses propres nekrokorinthia qui ne sont plus objets précieux tirés de tombes mais frère qu’il y met par la magie de syllabes empoisonnées. Un « tyran » qui se voulait « tout Thucydide » était assez célèbre alors pour n’être point nommé et chacun savait que son poison ne frappait pas que les oreilles ! Mais après qu’en 43 av. J.-C. Antoine et Octave se furent provisoirement réconciliés et qu’Octave eut abandonné à la mort Cicéron, la prudence était bien nécessaire. Un poète de talent se devait à son tour de cacher le pire sous un rire : était-ce Virgile comme l’affirment Quintilien et Ausone, ou l’un de ses amis à Naples près de Siron ? Toujours est-il que cette épigramme allie une apparente légèreté à de savantes énigmes, et se révèle ainsi bien digne de l’alexandrinisme qu’aimaient les poetae noui. Et elle suscitera bien d’autres interprétations encore que celles de Quintilien et d’Ausone. En voici pour exemple l’étonnante infidèle de Michel de Marolles39 en plein xviie siècle : Ce Rhétoricien que l’élégance touche, des termes que Corinthe avait mis en sa bouche, s’efforçant d’établir, au langage des Grecs, que Thucydide est roi digne de nos respects, tout échauffé qu’il est du dialecte attique, qui lui donne la fièvre et le rend presqu’étique, il abrège les mots comme font les Gaulois, et pour dire Taureau, il dit Tau plusieurs fois, faisant ainsi des mots un malheureux mélange dans les écrits qu’il fait pour son frère en échange.
38 Philippiques, XI, 6, 14 : Lysidicum ipsum uerbo Graeco, quoniam omnia iura dissoluit. 39 Cette traduction de M. de Marolles et son commentaire se trouvent au livre II, p. 106-107 et 124-125, des Catalectes ou Pièces choisies des anciens poètes latins, traduites en vers, Paris, J. Langlois, 1675. L’ouvrage se dit composé sur l’édition de Scaliger publiée à Lyon chez G. Roüille en 1573 ; mais « depuis il a été revu et corrigé avec une augmentation considérable », la traduction citée le montre face aux cinq vers de Scaliger ! Il est vrai qu’elle inclut aussi ce que disait Scaliger dans son commentaire, en particulier sur l’abrègement des mots, tout en enlevant ce qui fait difficulté !
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L’origine du culte de Saturne en Italie Plusieurs hypothèses (Macrobe, Saturnales, I, 7, 18-37)
Saturne est considéré comme l’une des plus anciennes divinités reconnues à Rome ; son culte est remis à l’honneur lors de la réforme des Saturnales qui intervient en 218 av. J.-C. au début de la deuxième guerre punique1. Sa fête ne cessera de prendre de l’importance, en particulier au début de l’Empire, et surtout en Afrique, et elle restera très vivante jusqu’à la fin du paganisme antique. Le lien entre Saturne et l’Âge d’or2 sera l’une des raisons de la popularité du dieu, due en grande partie à la quatrième églogue de Virgile3. On doit à Macrobe un exposé sur le dieu et sa fête, dans le ier livre des Saturnales4 ; malgré une date tardive, puisque cette compilation fut écrite au début du ve siècle de 1 G. Sippel, De cultu Saturni, Marbourg, 1848 ; J. Albrecht, Saturnus, seine Gestalt in Sage und Kult, Halle, 1943 ; M. Le Glay, Saturne africain : histoire (BEFAR, 205), Paris, 1966, p. 449-478 ; C. Guittard, « Recherches sur la nature de Saturne, des origines à la réforme de 217 av. J.-C », dans R. Bloch (éd.), Recherches sur les religions de l’Italie antique, Genève, 1976, p. 43-71 ; Id., « Saturnia terra, mythe et réalité », dans R. Chevallier (éd.), Colloque Histoire et historiographie Clio (Caesarodunum, 15 bis), Paris, 1980, p. 177-186. 2 J. Carcopino, Virgile et le mystère de la ive églogue, Paris, 1930 ; L. Herrmann, Les masques et les visages dans les Bucoliques de Virgile, Bruxelles, 1930, p. 58-106 ; A. Alföldi, « Der neue Weltherrscher der vierten Ekloge Vergils », Hermes, 65, 1930, p. 369-384 ; W. W. Tarn, « Alexander Helios and the Golden Age », Journal of Roman Studies, 22, 1932, p. 135-160 ; G. Jachmann, « Die vierte Ekloge Vergils », Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa, Classe di Lettere e Filosofia, 21, 1952, p. 13-62 ; G. Radke, « Vergils Cumaeum carmen », Gymnasium, 66, 1959, p. 217-246 ; Id., « Die Deutung der 4. Ekloge Vergils durch Kaiser Konstantin », dans R. Chevallier (éd.), Présence de Virgile (Coll. Paris-Tours, 9-12 décembre 1976) (Caesarodunum, 13 bis), Paris, 1978, p. 147-159 ; J.-P. Brisson, Rome et l’âge d’or : de Catulle à Ovide, vie et mort d’un mythe, Paris, 1992, p. 75-107. Cf. M. Bollack, « Le retour de Saturne (une étude de la ive Églogue) », Revue des Études Latines, 45, 1967, p. 304-324 ; J. Beaujeu, « L’enfant sans nom de la ive Bucolique », Revue des Études Latines, 60, 1982, p. 186-215, pour qui le poème, écrit en 41, chanterait la naissance prochaine d’une nouvelle génération, personnifiée dans un enfant anonyme de l’aristocratie romaine ; cf. M. Manson, « L’enfant et l’Âge d’Or. La ive églogue de Virgile », dans Chevallier (éd.), Présence de Virgile…, p. 49-62. 3 Cf. K. Kubusch, Aurea Saecula : Mythos und Geschichte. Untersuchung eines Motivs in der antiken Literatur bis Ovid, Francfort, 1986 ; Brisson, Rome et l’âge d’or, de Catulle à Ovide… ; Id., « Rome et l’âge d’or : fable ou idéologie ? », dans Poikilia, études offertes à Jean-Pierre Vernant, Paris, 1987, p. 123-143 ; Id., « Rome et l’âge d’or : Dionysos ou Saturne ? », Mélanges de l’École Française de Rome. Antiquité, 100, 2, 1988, p. 917-982 ; Id., « Jupiter, Dionysos et l’âge d’or aux derniers temps de la République romaine, un débat de société », dans J. Poirier (éd.), L’âge d’or, Dijon, 1996, p. 63-73 ; cf. aussi M. Pavan, art. Aurea (aetas ; gens ; saecula), dans Enciclopedia Virgiliana, I, Rome, 1984, p. 412-416. 4 Macrobe, Saturnales, I, 7, 18-37. Charles Guittard • Université Paris Nanterre
Segetis certa fides meae : hommages offerts à Gérard Freyburger, éd. par Catherine Notter et Maud PfaffReydellet, Turnhout, 2021 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 31), p. 79-92 © FHG10.1484/M.RRR-EB.5.126673
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notre ère, cet exposé est une source importante sur l’origine du culte de Saturne en Italie. L’auteur retient trois théories sur l’introduction du culte de Saturne en Italie. La première associe le dieu à Janus et aux royautés primitives sur le Latium ; après avoir été chassé du ciel par les Olympiens, le dieu se serait réfugié et caché dans le Latium, où il aurait été accueilli par Janus, et cette double royauté aurait vu s’épanouir l’Âge d’or. La deuxième théorie est liée au passage d’Hercule dans le Latium au retour de son expédition aux confins de l’Occident, alors que le héros ramène les bœufs de Géryon au terme de son exploit. La troisième hypothèse avancée par le compilateur met le dieu en relation avec un oracle de Dodone et les migrations des Pélasges. Ainsi, le dieu apparaît comme un exilé dans la mythologie ; Hercule est un héros grec et les Pélasges sont des immigrants en Italie. L’influence de l’hellénisme est un des traits de ces explications et explique l’assimilation du dieu à Cronos ainsi que son identification avec le dieu carthaginois Ba’al à la fin du iiie siècle. Le développement est placé sous l’autorité de Vettius Agorius Prétextatus5, qui va révéler une partie des secrets concernant la divinité. La première théorie repose sur le témoignage d’Hygin, qui fut l’ami d’Ovide et le bibliothécaire d’Auguste, auteur d’un traité De origine et situ urbium Italicarum6, où il s’inspire d’un auteur sur lequel nous ne savons pratiquement rien, Protrarchus de Tralles. Hygin fut l’auteur de traités d’agriculture, de commentaires sur Virgile, d’ouvrages historiques et géographiques. Selon, cette tradition, le dieu, chassé de son royaume par Jupiter et les Olympiens, est accueilli par Janus. Comme Évandre et les Arcadiens, comme Énée et les Troyens, Saturne est exilé et arrive par mer, classe peruectus7. Ces détails sont propres à la tradition retenue par Macrobe. On les trouve associés à la première frappe de monnaie : lorsque Janus régna seul et lorsque l’Âge d’or prit fin, Janus fit graver sur une face l’effigie de Saturne et sur l’autre un navire ; ce qui amène Macrobe à mentionner un autre détail, le jeu de hasard au cours duquel les enfants crient « Tête » ou « Barque » en lançant en l’air une pièce de monnaie8. Ce détail a également retenu l’attention d’Athénée dans son Banquet des sages, où il évoque la parenté de Janus avec Camèse9. Ce développement s’inscrit dans un contexte virgilien ; Virgile est précisément cité par Macrobe qui évoque le passage où Évandre montre à Énée le site de la future Rome, avec les deux hauteurs du Capitole et du Janicule10. En fait, Virgile se contente d’une indication plus mythologique qu’historique, ab aetherio11, évoquant
5 A. H. M. Jones, Prosopography of the Later Roman Empire (a.d. 260-395), I, Cambridge, 1961, p. 722-724. Sur les Saturnales en général, cf. B. Goldlust, Rhétorique et poétique de Macrobe (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 14), Turnhout, 2010. 6 Frag. 6 Peter. 7 Macr. Sat. I, 7, 21 : hic igitur Ianus, cum Saturnum classe peruectum excepisset hospitio… (« Ce Janus donc, ayant accordé l’hospitalité à Saturne qui avait atteint l’Italie par mer… »). 8 Macr. Sat. I, 7, 22. 9 Athénée, Deipnosophistes, XV, 13, cf. infra. 10 Virgile, Énéide, VIII, 358. 11 Verg. Aen. VIII, 319-320.
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la déchéance du dieu chassé par Jupiter et les Olympiens des régions célestes. Cette théorie est en grande partie liée à l’étiologie du nom du Latium : Latium / latere. Les thèmes concernant Saturne et l’Âge d’or12 et l’existence de l’Âge d’or saturnien13 sont présents dans la deuxième partie de l’Énéide. On trouve, au chant VII, la tradition relative aux royautés primitives du Latium dont Saturne fut le fondateur, le premier représentant14. Dans le même chant, lorsque Latinus reçoit les envoyés troyens dans le pronaos du temple de Picus, le poète énumère les statues en cèdre des ancêtres de Latinus et des anciens rois, Italus, Sabinus, Saturne et Janus15. Conjointement avec le dieu Saturne, la personnalité de Latinus est elle-même importante dans la conception virgilienne de l’Âge d’or. Latinus est lié au passé de l’Âge d’or16. Le lien qui s’esquisse au chant VII entre deux autres royautés, celles de Janus et de Saturne, va se préciser au chant VIII, lors de la promenade d’Énée et d’Évandre sur le site de la future Rome au cours de laquelle Évandre montre à Énée les deux collines qui sont dénommées en fonction des deux dieux, Janus et Saturne17, et dans lesquelles, selon une ingénieuse hypothèse, P. Grimal avait voulu reconnaître les deux hauteurs constituant le Capitole primitif (Arx au Nord, Capitolium au Sud, et Asylum au milieu)18. Évandre évoque devant Énée le règne du dieu civilisateur et législateur sur le Latium où Saturne aurait trouvé refuge et se serait caché, après avoir été détrôné par Jupiter. C’est alors que Virgile fait état de cette curieuse étymologie du nom du Latium, ainsi dénommé parce qu’il aurait offert une cachette au dieu19. Avant Virgile, les sources grecques demeurent silencieuses sur un éventuel règne de Saturne sur le Latium : certes, Diodore évoque bien un règne de Saturne in terris au livre V de sa Bibliothèque historique20, mais ce règne s’étend sur toute l’Hespérie et se déroule avant l’accession au pouvoir de Jupiter. Les sources latines sur ce sujet se réduisent à deux auteurs : Ennius et Varron. Dans les Res rusticae, les paysans sont présentés comme les descendants du roi 12 P. A. Johnston, « Vergil’s Conception of Saturnus », California Studies in Classical Antiquity, 10, 1977, p. 57-70. 13 Les Saturnia arua sont mentionnés en I, 569 (en liaison avec l’Hespérie dans les propos de bon accueil de Didon à Énée) et en XI, 252 (en apposition à O fortunatae gentes et en liaison avec les antiques Ausones). 14 Verg. Aen. VII, 45-49. Cf. A. Brelich, Tre variazioni sul tema delle origini, Rome, 1955, p. 48-94 ; Id., « I primi re latini : divinità ed eroi culturali », dans Atti dell’VIII Congresso Internazionale di Storia delle Religioni (Roma 17-23 aprile 1955), p. 330-332. 15 Verg. Aen. VII, 180-181. 16 I. Scott Ryberg, « Vergil’s Golden Age », Transactions and Proceedings of the American Philological Association, 89, 1958, p. 112-131 et p. 128. 17 Verg. Aen. VIII, 355-358. 18 P. Grimal, Le dieu Janus et les origines de Rome, Paris, 1999 (réimpression de l’article paru dans Lettres d’humanité, 4, 1945, p. 15-121). 19 Verg. Aen. VIII, 319-325. Cf. Servius, ad Aen. VIII, 322 : Et Vergilius Latium uult dici quod illic Saturnus latuit (fugiens Iouem)… Varro autem Latium dici putat quod latet inter praecipitia Alpium et Apennini (« Et Virgile veut que le Latium ait été ainsi dénommé parce que Saturne s’y est réfugié (fuyant Jupiter)… Quant à Varron, il pense que le Latium tire son nom parce qu’il s’étend (latet) entre les précipices des Alpes et de l’Apennin »). 20 Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, V, 66.
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cha r l e s gui t tar d
Saturne21. La notice varronienne du De lingua Latina sur la toponymie capitoline est plus proche des conceptions virgiliennes et Varron cite Ennius à propos de la Saturnia terra. Selon Varron, le Capitole aurait été dénommé successivement mons Saturnius, mons Tarpeius et enfin seulement mons Capitolinus22 ; le Capitole aurait porté le nom du dieu de même que l’Italie aurait été dénommée terre de Saturne23. Le seul témoignage formel, dans les textes antérieurs à Virgile, qui évoque la fuite de Saturne dans le Latium et la volonté d’y trouver une cachette, ce qui implique un lien étymologique entre le toponyme et le verbe latere, serait une citation d’Ennius figurant chez Lactance, qui nous livre, au livre I de ses Institutions divines, d’après l’Histoire sacrée d’Ennius, une version de la rivalité entre Saturne et Jupiter qui tend à disculper ce dernier. Ce passage évoque la mise aux fers d’Ops et de Saturne par Titan et leur libération par Jupiter ; à la suite d’un oracle l’informant de sa destitution prochaine et du triomphe de Jupiter, Saturne voulut éliminer Jupiter mais celui-ci déjoua le piège qui lui était tendu, détrôna Saturne qui dut prendre la fuite24. La dernière phrase est capitale : « Saturne, ayant erré à travers les terres, poursuivi par des gens armés que Jupiter avait envoyés pour l’arrêter ou le tuer, trouva avec peine en Italie un lieu où se cacher ». Or, ce passage de l’Histoire sacrée ne nous est parvenu que par Lactance et aucune autre source ne vient le corroborer. Et l’on peut légitimement, avec M. WifstrandSchiebe25, mettre en doute le rattachement de cette donnée au texte d’Ennius. On
21 Varron, Res rusticae, III, 1, 5. 22 Varron, De lingua Latina, V, 42. Cf. J. Collart (éd.), Varron. De lingua Latina. Livre V, Paris, 1954, p. 26-27 et 169-170 ; J. Poucet, Recherches sur la légende sabine des origines de Rome, Louvain, 1967, p. 76-96 ; C. Guittard, « Saturni fanum in faucibus (Varro, L. L. 5, 42) : à propos de Saturne et de l’Asylum », dans Mélanges de littérature et d’épigraphie latines, d’histoire ancienne et d’archéologie. Hommage à la mémoire de Pierre Wuilleumier (Collection d’Études latines, Série scientifique, 35), Paris, 1980, p. 159-166 ; Id., « La topographie du temple de Saturne d’après la notice varronienne du De lingua Latina (V, 42) », dans R. Chevallier (éd.), Présence de l’architecture et de l’urbanisme romains. Hommage à Paul Dufournet (Caesarodunum, 18 bis), Paris, 1983, p. 31-39. 23 Sur cette tradition, cf. aussi Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, I, 34, 4 et VI, 1, 4 ; Tertullien, Apologétique, X, 8 et Aux nations, II, 12 ; Festus, 430 L ; Justin, Abrégé des Histoires philippiques, XLIII, 1, 5 ; Solin, Recueil de faits remarquables, I, 12 ; Vibius Sequester, Geogr. p. 157 Riese ; Macr. Sat. I, 7, 27. 24 Lactance, Institutions divines, I, 14, 10-12 : Reliqua Historia sic contextitur : Iouem adultum, cum audisset patrem atque matrem custodiis circumsaeptos atque in uincula coniectos, uenisse cum magna Cretensium mutitudine Titanumque ac filios eius pugna uicisse, parentes uinculis exemisse, patri regnum reddidisse atque ita in Cretam remeasse. Post haec deinde Saturno sortem datam ut caueret ne filius eum regno expelleret ; illum eleuandae sortis atque effugiendi periculi gratia insidiatum Ioui, ut eum necaret ; Iouem cognitis insidiis regnum sibi denuo uindicasse ac fugasse Saturnum. Qui cum iactatus esset per omnes terras persequentibus armatis, quos ad eum comprehendendum uel necandum Iuppiter miserat, uix in Italia locum in quo lateret inuenit (« Voici le reste de l’Histoire : Jupiter, adulte, ayant appris que son père et sa mère étaient retenus prisonniers et jetés dans les fers, leva une armée considérable dans l’île de Crète, vainquit au combat Titan et ses fils ; il délivra son père et sa mère, rendit le pouvoir à son père et revint en Crète. Mais ensuite Saturne fut mis en garde par un oracle l’avertissant que son fils avait dessein de le renverser du trône ; pour déjouer l’oracle et écarter le péril, il tendit un piège pour tuer Jupiter ; Jupiter, ayant eu connaissance du piège, s’empara de nouveau du pouvoir, et en chassa Saturne. Saturne, ayant erré à travers les terres, poursuivi par des gens armés que Jupiter avait envoyés pour l’arrêter ou le tuer, trouva avec peine en Italie un lieu où se cacher »). 25 M. Wifstrand-Schiebe, « The Saturn of the Aeneid, Tradition or Innovation ? », Vergilius, 32, 1986, p. 43-60.
l’o r i g i n e d u cu lt e d e sat u rne e n i tali e
remarque en effet que, si le début du passage, introduit par reliqua Historia sic contextitur, est au style indirect, la dernière phrase est au style direct et semble marquer une rupture de construction, confirmée par le recours au relatif de liaison, qui est plutôt rare dans la langue d’Ennius et le latin archaïque et que Lactance utilise volontiers. Virgile a joué un rôle important dans la diffusion du thème ; dans sa glose au vers 329 du livre VIII de l’Énéide, Servius mentionne bien Varron, mais à propos d’une autre étymologie. Que l’on trouve chez Virgile un écho des théories varroniennes ne saurait être mis en doute. Mais rien ne prouve que Varron ait connu et appuyé le thème du règne de Saturne sur le Latium. On ne trouve même pas ici mention de la fausse étymologie mettant le nom du Latium en rapport avec la cachette (latere) que le dieu y aurait trouvée au moment de sa disgrâce et de sa chute26. Bien plus, Varron met le nom du Latium en relation étroite avec le nom du roi Latinus dont il n’hésite pas à le faire dériver27. Quant à Servius, il renvoie bien à Varron à propos de cette étymologie mais sans reprendre le thème de l’exil de Saturne et en avançant une explication pour le moins curieuse : quod latet Italia inter praecipitia Alpium et Appennini. On trouve donc deux dérivations, Latium