198 93 2MB
French Pages 78 [68] Year 2004
RELATIONS DIPLOMATIQUES ET SOUVERAINETÉ
C9L'Harmattan, 2007 5-7, rue de l'Ecole polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] harmattan [email protected]
ISBN: 978-2-296-04493-7 EAN : 9782296044937
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
RELATIONS DIPLOMATIQUES ET SOUVERAINETÉ Préface de Basile L. GUISSOU
L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique; 75005 Paris FRANCE L'Hannattan
Hongrie
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BURKINA FASO
Du même auteur: L'éventuel et le possible, Presses Universitaires de Ouagadougou, 2002. Assistance humanitaire et droit international, Imprimerie du Journal Officiel, Ouagadougou, 2004.
cg Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA 2003. Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction réservés pour tous pays.
Remerciement Je tiens à remercier M. Luc Marius IBRIGA, maître-assistant à l'Université de Ouagadougou, qui a accepté de lire le texte et m'a fait bénéficier de ses observations.
Les nations européennes, en promenant leurs pavillons jusqu'aux extrémités du monde, se croient tout permis à l'égard des peuples qu'elles déclarent" arriérés". Triste rôle pour un État de faire considérer la grandeur d'un peuple dans la domination des autres... Henry DUNANT
Préface
C'est vrai que jusqu'à nos jours (2003) les effets destructeurs de mémoire historique de la Conférence internationale de Berlin (1885) continuent de peser dans les esprits de nombreux "intellectuels" ou "simples diplômés d'université" africains. La décision impérialiste de se partager l'Afrique et de l'intégrer comme" objet" et non pas comme" sujet" dans l'histoire nous vaut de nous auto-définir encore aujourd'hui comme" francophones ", " anglophones ", " lusophones" et que sais-je encore? À la création de l'O.N.U. (1945) hormis l'Éthiopie et le Liberia, tout le reste du Continent africain était divisé en "possession d'outre mer" des puissances coloniales européennes. De 1876 à 1908, l'actuelle République Démocratique du Congo (ex Zaïre) avec ses 2.345.000 km2 était tout simplement la propriété personnelle du Roi des Belges, Léopold II. En 1908, la Belgique va hériter enfin de ce pays qui devient Congo Belge. La Belgique (30.500 km2) va posséder le Congo jusqu'en 1960, tout à fait légalement selon le droit international. Le droit international ne concernait que les sujets de droit et non pas les objets comme les Africains colonisés. Les événements ont poussé à un léger élargissement de ce droit. L'Afrique n'a pas été créée par l'Occident même si ses explorateurs prétendent l'avoir découverte. Il est temps de lire
et même de relire nos propres savants1 Cheick Anta Diop, Kwamé N' Krumah, Théophile Obenga, Joseph Ki-Zerbo, Jean Marc Ela qui ont prouvé scientifiquement que l'Afrique avant 1885 avait ses États indigènes, ses langues, ses textes de droit écrits et non écrits et son histoire propre. Sans ce capital scientifique, culturel et juridique, nous irons les mains vides à la rencontre des autres. Nous ne pourrons que réciter leurs leçons d'histoire falsifiée sciemment pour nous retourner contre nous-mêmes. C'est avec seulement l'esprit, la culture et les yeux des autres que nous continuerons à nous penser, à nous analyser et à nous regarder. Il faut, selon le mot de l'économiste et savant égyptien Samir Amin2, une nécessaire" DÉCONNEXION" d'avec l'obsolète pacte colonial, afin de pouvoir penser par nousmêmes et pour nous-mêmes. Les relations diplomatiques telles que négociées entre " puissances" dans le cadre de l'O.N.U., sont conçues pour laisser le dernier mot au fameux" Conseil de Sécurité" où le droit de veto n'appartient qu'aux vainqueurs de la guerre 1939-1945. Peut-on rêver de les renégocier de fond en comble? Il serait bien naïf d'y croire. Mais au " coup par coup" selon les situations et le rapport des forces du moment, il est possible d'arracher des concessions. La République Populaire de 1
Cf. Diop, C.A. 1992. Nations nègres et culture (2 tomes) Paris: Pré-
sence Africaine. N'Krumah, K. 1994. L'Afrique doit s'unir. Paris: Présence Afticaine. Obenga, T. 1990. La philosophie africaine de la période pharaonique. Paris: L' Harmattan. Ki-Zerbo, J. 1999. Histoire Générale de l'Afrique (8 tomes) Paris: UNESCO. Ela, J.M. 1994. Afrique, l'irruption des pauvres. Paris: L'Harmattan. 2 Amin, S. 1985. La déconnexion, pour sortir du système mondial. Paris: La Découverte. 10
Chine a bien réussi son entrée et se donne les moyens d'imposer sa place au Conseil de Sécurité de l'O.N.V. Reste à l'Afrique de savoir se réveiller à son tour et jouer enfin sa propre partition dans le " concert des Nations ". L'ouvrage de Maître Kyélem, qui retrace avec un esprit critique, le long cheminement des relations diplomatiques et la souveraineté des États dans le monde, apporte sa contribution sur un chantier vaste et complexe. Dans ce contexte de "pauvreté intellectuelle" où végète l'élite burkinabè qui a une sacrée prédilection pour les tracts et les écrits anonymes injurieux, cet effort de se jeter à visage découvert dans le débat d'idées mérite d'être salué et encouragé. Les questions de droit, d'État de droit, de respect de la règle de droit, tout comme l'interprétation des articles de notre Loi Fondamentale (la Constitution) sont l'objet de toutes sortes de manipulations par de trop nombreux ignorants vantards, confortablement cachés dans l'anonymat. Maître Apollinaire Kyélem attaque son sujet en juriste, sur un terrain qu'il maîtrise parfaitement avec une bibliographie et des références appropriées. Mais il y manque l'équilibre. Si l'Iran révolutionnaire de l'Imam Khomeini a violé la Convention de Vienne en envahissant l'Ambassade américaine à Téhéran, les U.S.A. n'ont pas fait autre chose en allant avec leurs soldats à l'Ambassade du Vatican au Panama pour y extirper le Président Antonio Noriega en 1989. L'Iran n'a pas eu tort de prouver par l'exemple que si les "règles du jeu" sont bafouées, il ne peut pas y avoir de "jeu" propre et transparent au profit de tous. C'est la " loi de la jungle" qui continue malheureusement de prévaloir à l'O.N.V. Et c'est dommage que Maître Kyélem ne critique pas l'existence du Conseil de Sécurité dans sa forme et son contenu actuel. Sa composition et ses règles de fonctionnement ne peuvent pas servir la paix et la sécurité du Monde. Il
C'est la soupape de sécurité au service des intérêts exclusifs de ses" membres permanents" d'où l'Afrique et l'Amérique Latine par exemple sont exclues dans l'arbitraire le plus absolu. Ministre des Relations Extérieures et de la Coopération du Burkina Faso sous le régime révolutionnaire du Président Thomas Sankara pendant deux (2) ans, de 1984 à 1986, il m'a été donné de présider le Conseil de Sécurité de l'O.N.U. à New York. C'était difficile, pénible et révoltant de voir et d'assister impuissant à l'exercice de la dictature des" plus puissantes armées du Monde" sur les autres. Du haut de la suffisance juvénile de mes trente-cinq (35) ans de l'époque, l'audace m'est venue de refuser la parole à Madame Jane Kirkpatrick, ambassadrice des U.S.A. aux Nations Unies. Indignée, elle m'interpelle en ces termes:
- " Savez-vous
qui je suis, Monsieur le Ministre? Je suis l'ambassadeur des U.S.A. à l'O.N.U. et je veux la parole ". Tout aussi indigné, je lui répond du tac au tac:
- " Moi, je suis le Président du Conseil de Sécurité de l'O.N.U. et je vous refuse la parole! " Scandalisée, elle se rassoit" toute rouge" de dépit. À la fin de la session, elle me rejoint dans les coulisses et me pose la question suivante: " Quel âge avez-vous? " Je lui réponds: " Je suis né le 29 mars 1949 au Burkina Faso, donc j'ai 35 ans". Elle soupire: " Alors, je comprends". Voici ma modeste part de vérité vécue pour aider à la lecture des sincères et profondes réflexions critiques de Maître Apollinaire Kyélem. Ouagadougou, 2 septembre 2003 Pre Basile L. GUISSOU Maître de recherche
12
Introduction
1 - La jurisprudence internationale assimile souveraineté et indépendance. Dans l'affaire de la souveraineté sur l'lie de Palmas, l'arbitre Max Hubert déclarait que" La souveraineté, dans les relations entre États, signifie l'indépendance. L'indépendance, relativement à une partie du globe, est le droit d'y exercer à l'exclusion de tout autre État, les fonctions étatiques3." Selon Emmer de Vattel, "toute nation qui se gouverne elle-même sans dépendance d'un autre État étranger est un État souverain4. " Pour G. Tunkin, la souveraineté se définit comme" la suprématie de l'État à l'intérieur de ses frontières et de son indépendance dans les relations intemationales5. " La souveraineté apparaît comme la source des compétences que l'État tient du droit international. Elle reste l'attribut fondamental de l'État. À l'origine, le rôle de la souveraineté " était essentiellement de consolider l'existence des États qui s'affirmaient en Europe contre la double tutelle du Pape et du Saint-Empire romain germanique6. " 2 - Dans la société internationale, les États souverains ont besoin d'entretenir entre eux des rapports multiformes. Ces 3
Cf. Cour permanente d'arbitrage, 4 avril 1928, Recueil des sentences arbitrales, Vol. 2, p. 838. 4 Cf. Henri Legohérel, Histoire du droit international public, Paris, Presses Universitaires de France, coll. "Que sais-je ?", n° 3090, 1996, p. 72. 5 Cf. Pierre-Marie Martin, " Le nouvel ordre économique international", Revue générale de droit international public (R.G.D.I.P.), Paris, 1976, p. 518, note 68. 6
Cf. Nguyen Quoc Dinh, Patrick Daillier, Alain Pellet, Droit internatio-
nalpublic, Seédition, Paris, L.G.D.J., 1994, p. 409.
rapports s'étendent aussi aux organisations internationales auprès desquelles les États peuvent entretenir des missions permanentes qui bénéficient de privilèges et d'immunités, de même que les membres de leurs délégations participant aux travaux des organes. Les organisations internationales peuvent également envoyer des représentants dans les États membres. Mais les relations diplomatiques s'inscrivent surtout dans le cadre de rapports entre États souverains. On peut ainsi dire que" le concept de souveraineté imprègne le droit diplomatique stricto sensu7". C'est à l'État souverain que sont reconnus le droit de légation active qui est celui d'envoyer des représentants diplomatiques auprès des États étrangers et le droit de légation passive qui est celui de recevoir les représentants diplomatiques des puissances étrangères8. 3 - Le droit international prescrit aux États d'entretenir entre eux des relations de coopération. L'article 1er de la Charte dispose ainsi que les buts des Nations Unies sont de développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité de droits des peuples et de réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d'ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire. Quant à la résolution 2625 (XXV) de l'Assemblée générale du 24 octobre 1970 relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies, elle prévoit que" les États ont le devoir de coopérer les uns avec les autres, quelles que soient les diffé7
N. Quoc Dinh et al., op.cit.,p. 723.
8 On peut toutefois mentionner les Conventions sur les privilèges et immunités des Nations Unies de 1946 et les institutions spécialisées de 1947, de même que la Convention de Vienne du 14 mars 1975 sur la représentation des États dans leurs relations avec les organisations internationales. 14
rences existant entre leurs systèmes politiques, économiques et sociaux, dans les divers domaines des relations internationales, afin de maintenir la paix et la sécurité internationales et de favoriser le progrès et la stabilité économique internationaux, ainsi que le bien-être général des nations et une coopération internationale qui soit exempte de discrimination fondée sur ces différences. " 4 - Dans la coopération interétatique, les relations diplomatiques sont pratiquement incontournables. Alfred Verdross estime que" si le droit diplomatique ne constitue qu'une des conditions de la coexistence pacifique des peuples organisés, il est d'une importance capitale car sans cette base, une bonne conduite des relations internationales deviendrait presque impossible9. " Depuis des époques reculées, l'institution diplomatique a toujours été une pièce maîtresse dans les relations de coopération. Selon G. Stuart, les agents diplomatiques peuvent faire remonter leurs ancêtres jusqu'aux anges, envoyés de Dieulo. Dès le Moyen Âge il était fréquent qu'un État accréditât auprès d'un autre un envoyé dans le but de régler des affaires déterminées. Au IXe siècle on envoyait déjà des ambassades de Venise au Saint-Siège. Vers 1322, le pape réclama le droit d'établir des ambassades du Saint-Siège dans les quatre parties du mondell. Aux XVè et XVlè siècles les gouvernements prirent l'habitude d'établir à l'étranger des missions permanentes. À compter de la paix de Westphalie
9
Cité par Claude-Albert Colliard, "La Convention de Vienne sur les
relations diplomatiques", Annuaire français de droit international (A.F.D.!.), 1961, p. 41. 10 Cf. Graham Stuart, " Le droit et la pratique diplomatiques et consulaires", Recueil des cours de l'Académie de droit international (R.C.A.D.!.), 1934, II, tome 48, p. 463. Il Cf. ibid., p. 468. 15
en 1648, cet usage devint général en Europe12. Dans son ordonnance du 15 décembre 1979 sur l'Affaire relative au personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran, la Cour internationale de justice reconnaît que" l'institution de la diplomatie, avec les privilèges et immunités qui s'y rattachent, a résisté à l'épreuve des siècles et s'est avérée un instrument essentiel de coopération efficace dans la communauté internationale, qui permet aux États, nonobstant les différences de leurs systèmes constitutionnels et sociaux, de parvenir à la compréhension mutuelle et de résoudre leurs divergences par des moyens pacifiques13. " 5 - Les fonctions d'une mission diplomatique sont définies par l'article 3 aL 1 de la Convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques et consistent notamment à : a) Représenter l'État accréditant auprès de l'État accréditaire; b) Protéger dans l'État accréditaire les intérêts de l'État accréditant et de ses ressortissants, dans les limites admises par le droit international; c)
Négocier avec le gouvernement de l'État accréditaire ;
d) S'informer par tous les moyens licites des conditions et de l'évolution des événements dans l'État accréditaire et faire rapport à ce sujet au gouvernement de l'État accréditant; e) Promouvoir des relations amicales et développer les relations économiques, culturelles et scientifiques entre l'État accréditant et l'État accréditaire. "
12 Cf. Louis Delbez, Les principes généraux du droit international public, 3e édition, Paris, L.G.D.J., 1964, p. 299. 13 C.LJ., Recueil, 1979, p. 19,9 39. 16
Comme représentants de l'État accréditant, l'article 20 prévoit que" la mission et son chef ont le droit de placer le drapeau et l'emblème de l'État accréditant sur les locaux de la mission, y compris la résidence du chef de la mission, et sur les moyens de transport de celui-ci ". L'État accréditaire est tenu d'accorder toutes facilités pour l'accomplissement des fonctions de la mission (article 25). Dans le cadre du principe de l'égalité des États, la Convention de Vienne de 1961, tout en accordant à la mission diplomatique les moyens juridiques nécessaires à l'accomplissement de ses fonctions, essaie dans le même temps d'assurer la protection de la souveraineté des États (chapitre I). Cependant, telle que prévue par la Convention, cette protection comporte des limites (chapitre II). Pour une meilleure protection, des réformes semblent nécessaires (chapitre III). # # #
17
CHAPITRE
I
La protection de la souveraineté dans le cadre du principe de l'égalité des États
-ILa convention de Vienne de 1961 sur les relations diplol1latiques et le principe de l'égalité des États Les privilèges et immunités prévus par la Convention (2) et la participation égalitaire des États à son élaboration (1) trouvent leur source dans le principe de l'égalité des États.
1 - La participation égalitaire des États à l'élaboration de la Convention 6 - L'État n'est souverain que s'il est soumis directement, immédiatement, au droit international. Parce qu'en vertu de l'immédiateté normative, les États ne sont subordonnés à aucune autre autorité nationale ou internationale, ils sont égaux juridiquement entre euxl4. Le paragraphe 2 du préambule de la Charte des Nations Unies reconnaît l'égalité de droits des nations, grandes et petites; et l'article 2 ~ 1 de la Charte dit que" l'Organisation est fondée sur le principe de l'égalité souveraine de tous ses membres." La résolution 2625 (XXV) relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies réaffirme dans son préambule l'importance fondamentale de l'égalité souveraine et souligne" que les buts des Nations Unies ne peuvent être réalisés que si les États jouissent d'une égalité souveraine et se conforment pleinement aux exigences de ce 14
Cf. N. Quoe Dinh et al., op.eit., p. 413.
principe dans leurs relations internationales. " Elle prend soin de souligner que" Tous les États jouissent de l'égalité souveraine. Ils ont des droits et des devoirs égaux et sont des membres égaux de la communauté internationale, nonobstant les différences d'ordre économique, social, politique ou d'une autre nature. " Le paragraphe 2 du préambule de la Convention de Vienne de 1961 rappelle le principe de l'égalité souveraine des États contenu dans la Charte des Nations Unies. 7 - R. Drago voit dans l'égalité juridique, qui ne nie évidemment pas une inégalité de fait, " un moyen qu'ont utilisé de petits États pour réagir contre la dictature internationale des grandes puissancesl5. " Dans son article sur la Convention de Vienne, C.-A. Colliard fait ressortir plus ou moins la participation des pays en voie de développement à son élaboration. Quatre-vingt-un États, y compris le Saint-Siège ont participé aux travaux de la Conférence diplomatique à l'issue de laquelle la Convention a été adoptée le 18 avril 196116.Le grand nombre des États participants a fait dire au Pro Verdross, président de la Conférence, que si le Congrès de Vienne de 1815 avait délibéré en face de l'Europe, la Conférence allait en 1961 délibérer en face de l'humanitéI7. Le juge Lachs a estimé que cette Convention est l'expression du droit, d'un droit qu'approuvent toutes les régions du globe et les peuples du Nord comme du Sud, de l'Est comme de l'Ouest et que ses règles sont le bien commun de la communauté internationale et ont été confirmées dans l'intérêt de touSl8.
15
Roland Drago, "La pondération les ", A.F.D./., 1956, p. 529.
dans les organisations
16
internationa-
Il s'agit de 29 États européens y compris le Saint-Siège, 19 États asiatiques, 18 États américains, 14 États africains, et l'Australie. 17Cf. C.- A. Colliard, " La Convention de Vienne... ", op.cit., p. 4. 18Cf. C.I.J., Recueil, 1980, p. 48. 22
8 - Les pays en voie de développement qui ont pour la plupart accédé à la souveraineté nationale et internationale après la seconde guerre mondiale, ont souvent été absents lors de l'élaboration des règles du droit international qu'ils sont pourtant tenus d'appliquer. Pour ce qui est de la Convention de Vienne de 1961, leur participation a été concrète19. Ils ont été à l'origine du préambule qui provient d'un texte émanant de la Birmanie, le Sri-Lanka, l'Indonésie et la République Arabe Unie2o. Le paragraphe 4, relatif au caractère étatique des privilèges, trouve sa première origine dans une proposition présentée par l'Argentine en Commission plénière. C.-A. Colliard estime donc que le préambule marque nettement l'aspect universel du monde contemporain et dégage l'aspect démocratique du monde international actuel21. 9 - Outre le préambule, la marque des pays en voie de développement se retrouve dans certaines dispositions. L'article 14 répartit les chefs de mission en trois classes. La première classe comprend les ambassadeurs ou nonces accrédités auprès des chefs d'État et des autres chefs de mission ayant un rang équivalent. Le membre de phrase et des autres chefs de mission ayant un rang équivalent provient d'un amendement présenté en Commission plénière par le Ghana afin de tenir compte notamment des Hauts Commissaires du Commonwealth et des Hauts Représentants de la Communauté française. L'article 27 prévoit que pour communiquer avec son 19
La Conférence avait constitué une Commission plénière qui a été présidée par le représentant de l'Inde, M. Arthur S. Lall, et un Comité de rédaction présidé par M. Gunewardene de Ceylan (Sri-Lanka). M. N. Ponce Miranda de l'Équateur présidait le Sous-Comité des missions spéciales créé par la Commission plénière. 20Ce texte présente des analogies avec le préambule du projet de convention relative aux immunités et privilèges diplomatiques adopté à la session de Colombo (20 janvier - 4 février 1960) par le Comité juridique consultatif afro-asiatique. 21 Cf. C.- A. Colliard, op.cit., p. 8.
23
gouvernement ainsi qu'avec les autres missions et consulats de l'État accréditant, la mission peut employer tous les moyens de communication approprié. " Toutefois, la mission ne peut installer et utiliser un poste émetteur de radio qu'avec l'assentiment de l'État accréditaire." Cette dernière partie émane d'une proposition conjointe de l'Argentine, l'Inde, l'Indonésie et la République Arabe Unie. Prenant ces éléments en considération, C.- A. Colliard trouve qu'il a été opéré une décolonisation du droit international et que, contrairement au droit international du XIXe siècle qui était un simple droit des États d'Europe projeté sur les autres continents, et qui comportait toute une série d'institutions de caractère inégalitaire destinées à tenir compte des diversités de civilisations, à protéger les intérêts européens ou à assurer la suprématie politique des États européens, c'est le principe d'un droit international de caractère général et égalitaire à la fois qui a été consacré à Vienne22. Les privilèges et immunités consacrés par la Convention sont une expression du principe de l'égalité des États.
2 - Les fondements
des privilèges et immunités
10 - Les privilèges et immunités ont été justifiés par le recours à la théorie de l'exterritorialité selon laquelle l'agent diplomatique est considéré comme n'ayant pas quitté le territoire de son propre État et comme se trouvant, en conséquence, en dehors du territoire de l'État accréditaire bien qu'il y exerce ses fonctions. Les locaux de la mission sont traités de la même façon. Cette théorie a été critiquée et abandonnée. On a pu les justifier aussi par le caractère représentatif de l'agent diplomatique et de la mission diplomatique. L'un et l'autre représentant l'État accréditant et son chef. 22
Cf. Ibid., p. 41. 24
C'est en cette qualité qu'ils bénéficient des privilèges et immunités car, en respectant leur dignité et leur indépendance, l'État accréditaire respecte en même temps, comme il en a le devoir, la dignité, l'indépendance et la souveraineté de l'État accréditant et de son chef. La conception fonctionnelle quant à elle est construite sur l'idée que les privilèges et immunités sont fondés sur les seules nécessités de l'exercice indépendant de la fonction diplomatique23. Le droit diplomatique combine l'une et l'autre de ces deux dernières théories. Ainsi, le paragraphe 4 du préambule de la Convention de 1961 dispose que" le but desdits privilèges et immunités est non pas d'avantager des individus mais d'assurer l'accomplissement efficace des fonctions des missions diplomatiques en tant que représentant des États. " Dans son ordonnance du 15 décembre 1979, la Cour internationale de justice a également retenu la théorie de la représentation et la conception fonctionnelle. Elle affirme en effet que les privilèges des diplomates sont inhérents à leur caractère représentatif et à leur fonction diplomatique24. Si l'on prend en considération le caractère représentatif, attraire l'agent diplomatique en justice, revient à attraire, sans le dire, l'État qu'il représente ou pour le compte duquel il agit. Ce qui revient à violer, éventuellement, l'immunité de juridiction de l'État lui-même. C'est ainsi que dans le cadre du principe de l'égalité des États, il a été prévu des mesures de protection de la souveraineté.
23
Cf. N. Quac Dinh et al., Droit internationalpublic, op.cit., pp. 717-718.
24Cf. C.I.J., Recueil, 1979, p. 19, 9 38. 25
- II Les m.esures de protection
de la souveraineté
La Convention a prévu des mesures de protection de la souveraineté aussi bien de l'État accréditaire (1) que de l'État accréditant (2).
1 - Les mesures de protection
de l'État accréditaire
Il - Un certain nombre de dispositions de la Convention visent à protéger l'État accréditaire. Ce dernier peut refuser de donner son agrément à la nomination du chef de la mission sans être tenu de donner à l'État accréditant les raisons du refus (article 4). Il peut exiger que les noms des attachés militaires, navals ou de l'air, lui soient soumis à l'avance aux fins d'approbation (article 7), leurs activités pouvant toucher à sa propre sécurité. Les membres du personnel diplomatique de la mission ne peuvent être choisis parmi les ressortissants de l'État accréditaire qu'avec son consentement qui peut être retiré en tout temps. Il en va de même en ce qui concerne les ressortissants d'un État tiers qui ne sont pas ressortissants de l'État accréditant (article 8). Les mouvements des personnes qui sont rattachées à la mission doivent être signalés à l'autorité compétente de l'État accréditaire : nomination des membres de la mission, arrivée et départ définitif ou cessation des fonctions dans la mission, arrivée et départ définitif d'une personne appartenant à la famille d'un membre de la mission, arrivée et départ définitif de domestiques privés au service des membres de la mission, l'engagement et le congédiement de personnes résidant dans l'État accréditaire, en tant que membres de la mission ou en tant que domesti26
ques privés ayant droit aux privilèges et immunités (article 10). L'État accréditaire a un pouvoir de contrôle sur l'effectif de la mission. Il peut refuser d'admettre des fonctionnaires d'une certaine catégorie (article Il). Le consentement de l'État accréditaire est nécessaire pour l'établissement de bureaux faisant partie de la mission dans d'autres localités que celles où la mission elle-même est établie (article 12). On peut rappeler la disposition de l'article 27 qui soumet l'installation et l'utilisation d'un poste émetteur de radio à l'assentiment de l'État accréditaire. 12 - Toutes les personnes qui bénéficient des privilèges et immunités ont le devoir de respecter les lois et règlements de l'État accréditaire et de ne pas s'immiscer dans ses affaires intérieures. Les locaux de la mission ne doivent pas être utilisés d'une manière incompatible avec les fonctions de la mission telles qu'elles sont définies par la Convention (article 4). La résolution 2625 (XXV) relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies dit aussi dans son préambule que le respect rigoureux, par les États, de l'obligation de s'abstenir d'intervenir dans les affaires de tout autre État est une condition essentielle à remplir pour que les nations vivent en paix les unes avec les autres. Elle prévoit qu' " aucun État ni groupe d'États n'a le droit d'intervenir, directement ou indirectement, pour quelque raison que ce soit, dans les affaires intérieures ou extérieures d'un autre État". De même, "les États doivent conduire leurs relations internationales dans les domaines économique, social, culturel, technique et commercial conformément aux principes de l'égalité souveraine et de la non-intervention" . 13 - Aux termes de l'article 9 de la Convention, "l'État accréditaire peut, à tout moment et sans avoir à motiver sa décision, informer l'État accréditant que le chef ou tout autre 27
membre du personnel diplomatique de la mission est persona non grata ou que tout autre membre du personnel de la mission n'est pas acceptable. " La Commission du droit international avait estimé en 1958 que déclarer l'agent diplomatique persona non grata, et la rupture des relations diplomatiques sont d'une efficacité totale qui justifie le caractère absolu de l'inviolabilité des agents et des locaux25. La Cour internationale de justice s'est exprimée sur ce point en déclarant que "les règles du droit diplomatique constituent un régime se suffisant à lui-même qui, d'une part, énonce les obligations de l'État accréditaire en matière de facilités, de privilèges et d'immunités à accorder aux missions diplomatiques et, d'autre part, envisage le mauvais usage que pourraient en faire des membres de la mission et précise les moyens dont dispose l'État accréditaire pour parer à de tels abus. Ces moyens sont par nature d'une efficacité totale car, si l'État accréditant ne rappelle pas sur-le-champ le membre de la mission visé, la perspective de la perte presque immédiate de ses privilèges et immunités, du fait que l'État accréditaire ne le reconnaîtra plus comme membre de la mission, aura en pratique pour résultat de l'obliger, dans son propre intérêt, à partir sans tarder26. " V. Coussirat-Coustère trouve ainsi que les obligations nées des relations diplomatiques réalisent un équilibre approprié entre les privilèges de l'État d'envoi et les droits de l'État de séjour27.
25
Cf. Annuaire de la Commission du droit international (A.C.D.I.), 1958, Vol. 2, p. 107-108. 26 C.I.l., Affaire relative au personnel diplomatique et consulaire des " États-Unis à Téhéran ", Arrêt, Recueil, 1980, p. 40, ~ 86. 27
Cf. Vincent Coussirat-Coustère," L'arrêt de la Cour sur le personnel
diplomatique et consulaire américain à Téhéran ", A.F.D.I., 1980, p. 222. 28
-
2 Les mesures de protection de l'État accréditant C'est à travers ses agents diplomatiques que se fonde la protection de l'État accréditant. La Convention leur assure des garanties aussi bien fonctionnelles (a) que personnelles (b).
a) Les garanties
fonctionnelles
14 - Pour permettre à la mission de mener à bien ses fonctions, le droit diplomatique a prévu des mesures destinées à garantir le bon déroulement de ses activités. C'est ainsi que l'État accréditaire, sous réserve de ses lois et règlements relatifs aux zones dont l'accès est interdit ou réglementé pour des raisons de sécurité nationale, est tenu d'assurer à tous les membres de la mission la liberté de déplacement et de circulation sur son territoire (article 26). De même, il doit permettre et protéger la libre communication de la mission pour toutes fins officielles. Pour communiquer avec le gouvernement ainsi qu'avec les autres missions et consulats de l'État accréditant, où qu'ils se trouvent, la mission peut employer tous les moyens de communication appropriés (article 27 al. 1). La mission qui exerce des fonctions de négociation et de représentation, doit évidemment pouvoir recevoir des instructions et envoyer des informations en toute liberté. Les objets destinés à l'usage officiel de la mission sont exemptés à l'entrée, de droits de douane, taxes et autres redevances connexes autres que les frais d'entreposage, de transport et les frais afférents à des services analogues (article 36 al. 1). Il existe cependant des garanties plus spécifiques qui sont l'inviolabilité (a-I) et l'immunité de juridiction (a-2).
29
a-i) L'inviolabilité 15 - Dans son ordonnance du 15 décembre 1979, la Cour internationale de justice s'est prononcée sur cet aspect en déclarant que" dans la conduite des relations entre États, il n'est pas d'exigence plus fondamentale que celle de l'inviolabilité des diplomates et des ambassades (u.) c'est ainsi que, au long de l'histoire, des nations de toutes croyances et toutes cultures ont observé des obligations réciproques à cet effet; et (...) les obligations ainsi assumées pour garantir en particulier la sécurité personnelle des diplomates et leur exemption de toute poursuite sont essentielles, ne comportent aucune restriction et sont inhérentes à leur caractère représentatif et à leur fonction diplomatique28 " 16 - La Convention de Vienne a consacré la règle de l'inviolabilité dans un certain nombre de dispositions. Ainsi selon l'article 22, " 1. Les locaux de la mission sont inviolables. Il n'est pas permis aux agents de l'État accréditaire d'y pénétrer, sauf avec le consentement du chef de la mission. 2. L'État accréditaire a l'obligation spéciale de prendre toutes mesures appropriées afin d'empêcher que les locaux de la mission ne soient envahis ou endommagés, la paix de la mission troublée ou sa dignité amoindrie. 3. Les locaux de la mission, leur ameublement et les autres objets qui s'y trouvent, ainsi que les moyens de transport de la mission, ne peuvent faire l'objet d'aucune perquisition, réquisition, saisie ou mesure d'exécution. "
28
C.I.J., Recueil, 1979, p. 19, ~ 38. 30
Aux termes de l'article 24, " Les archives et documents de la mission sont inviolables à tout moment et en quelque lieu qu'ils se trouvent ". L'article 27 dit: " 2. La correspondance officielle de la mission est inviolable. L'expression correspondance officielle s'entend de toute la correspondance relative à la mission et à ses fonctions. 3. nue.
La valise diplomatique ne doit être ni ouverte ni rete-
5. Le courrier diplomatique, qui doit être porteur d'un document officiel attestant sa qualité et précisant le nombre de colis constituant la valise diplomatique, est, dans l'exercice de ses fonctions, protégé par l'État accréditaire. Il jouit de l'inviolabilité de sa personne et ne peut être soumis à aucune forme d'arrestation ou de détention. " 17 - La règle de l'inviolabilité subsiste même en cas de rupture des relations diplomatiques entre deux États ou en cas de rappel définitif ou temporaire de la mission. Ainsi, même en cas de conflit armé, l'État accréditaire est tenu de respecter et de protéger les locaux de la mission, ainsi que ses biens et ses archives (article 45). Selon Philippe Cahier, cette règle qui s'explique aisément pour les archives, se justifie moins pour les locaux de la mission puisque celle-ci ne s'y trouve plus. Elle n'a donc plus besoin de cette protection spéciale et de cette inviolabilité qui lui étaient auparavant nécessaires pour agir à l'abris de toute contrainte. Cette inviolabilité pourrait encore moins se justifier au cas où la cause de la rupture des relations diplomatiques provenait justement d'un
31
abus de cette inviolabilité; lorsque par exemple la mission aurait accordé asile de manière injustifiée29. a-2) L'immunité 18 - En vertu de l'article 31 et sous certaines réserves, l'agent diplomatique jouit de l'immunité des juridictions pénale, civile et administrative de l'État accréditaire. Il n'est pas obligé de donner son témoignage et aucune mesure d'exécution ne peut être prise à son égard. L'immunité dont peuvent bénéficier les fonctionnaires et agents des organisations internationales est souvent plus restreinte que celle de l'agent diplomatique. Aux termes de l'article 12-a du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes, annexé au traité du 8 avril 1965 instituant un Conseil unique et une Commission unique des Communautés européennes, les fonctionnaires et autres agents des Communautés jouissent de l'immunité de juridiction pour les actes accomplis par eux, y compris leurs paroles et écrits, en leur qualité officielle. Ainsi, la conduite d'un véhicule automoteur ne peut être constitutive de l'activité officielle que pour un chauffeur. Pour la Cour de justice des Communautés européennes, l'immunité de juridiction" s'applique exclusivement aux actes qui, par leur nature, représentent une participation de celui qui invoque l'immunité à l'exercice des tâches de l'institution dont il relève3o. " Selon la Commission, "pour qu'il puisse y avoir matière à immunité de juridiction, il faudrait que l'on se trouve devant un acte, un écrit, une prise de 29
Cf. Lucien Sfez, " La rupture des relations diplomatiques ", R.G.D.I.P., 1966, p. 415-416. 30 Cf. Cour de justice des Communautés européennes, Arrêt Sayag, Il juillet 1968, Recueil, p. 587. 32
position orale qui soit le fait de la Communauté elle-même. Les fonctionnaires et autres agents ne seraient protégés que dans la mesure où la Communauté s'est exprimée à travers eux, où ils ont accompli des actes relevant directement des pouvoirs et moyens d'action de la Communauté3!. " La Cour de justice des Communautés européennes a donc déclaré " que l'immunité de juridiction conférée aux fonctionnaires et autres agents de la Communauté ne couvre (...) que les actes qui, par leur nature, représentent une participation du bénéficiaire de l'immunité à l'exercice des tâches de l'institution dont il relève; qu'il importe peu, par contre, qu'il s'agisse de l'exercice effectif de fonctions habituelles ou statutaires ou seulement d'un acte accompli à l'occasion de l'exercice des fonctions, si tant est que l'acte en cause entre directement dans le cadre de l'accomplissement d'une mission communautaire, au sens défini ci-dessus32. " 19 - Les membres du personnel diplomatique de la mission peuvent, avec l'accord de l'État accréditaire, être choisis parmi les ressortissants de cet État (article 8 al. 2). L'agent diplomatique qui a la nationalité de l'État accréditaire ou qui y a sa résidence permanente ne bénéficie de l'immunité de juridiction et de l'inviolabilité que pour les actes officiels accomplis dans l'exercice de ses fonctions, à moins que des privilèges et immunités supplémentaires n'aient été accordés par l'État accréditaire (article 38 al. 1). La notion d'acte officiel est plus restreinte que celle d'acte accompli dans l'exercice des fonctions. Pour être considéré comme un acte officiel, l'acte devrait ressortir à la sphère des fonctions dont le fonctionnaire est investi33. Ainsi une infraction au code de la route en cours de service ou la location d'un appartement 31
Cf. Ibid., p. 582.
32
Cf. Ibid., p. 585.
33
Cf. Ibid., p. 580. 33
aux fins des fonctions pourraient être considérées comme des actes accomplis dans l'exercice des fonctions. Mais ce ne sont pas des actes officiels34. L'article 39 al. 2 détermine la durée des privilèges et immunités. Ainsi" Lorsque les fonctions d'une personne bénéficiant des privilèges et immunités prennent fin, ces privilèges et immunités cessent normalement au moment où cette personne quitte le pays, où à l'expiration d'un délai raisonnable qui lui aura été accordé à cette fin, mais ils subsistent jusqu'à ce moment, même en cas de conflit armé. Toutefois, l'immunité subsiste en ce qui concerne les actes accomplis par cette personne dans l'exercice de ses fonctions comme membre de la mission. " b) Les garanties personnelles 20 - Le droit diplomatique prévoit aussi des garanties personnelles au profit des membres du personnel de la mission et des membres de leurs familles. C'est ainsi que les objets destinés à l'usage personnel de l'agent diplomatique ou des membres de sa famille qui font partie de son ménage, y compris les effets destinés à son installation, sont exemptés à l'entrée, de droits de douane, taxes et autres redevances connexes autres que les frais d'entreposage, de transport et les frais afférents à des services analogues. De même, de façon générale, l'agent diplomatique est exempté de l'inspection de son bagage personnel (article 36). A titre personnel il est prévu aussi des mesures d'inviolabilité et d'immunité.
34
Cf. Jean Salmon, " Immunités et actes de la fonction", A.F.D.I., 1992, p. 321. 34
b-l) L'inviolabilité 21 - Aux termes de l'article 29 de la Convention, " La personne de l'agent diplomatique est inviolable. Il ne peut être soumis à aucune forme d'arrestation ou de détention. L'État accréditaire le traite avec le respect qui lui est dû, et prend toutes mesures raisonnables pour empêcher toute atteinte à sa personne, sa liberté et sa dignité. " C.- A. Colliard a ainsi pu estimer que" Ces principes obligent l'État accréditaire à prendre toutes les mesures de précaution qui s'imposeraient, y compris, éventuellement, l'octroi d'une garde35. " 22 - L'inviolabilité de la personne de l'agent diplomatique a des origines lointaines. Depuis l'époque antique, il était établi que les ambassadeurs devaient être bien traités et leur personne était inviolable. Toute atteinte à ce principe constituait un acte illicite pouvant justifier le recours à la guerre. Cicéron qui exprimait l'attitude des Romains envers l'inviolabilité diplomatique écrivait: "L'inviolabilité des ambassadeurs est protégée à la fois par le droit humain et divin; leur personne est sacrée et respectée de telle sorte qu'ils sont inviolables non seulement dans un pays allié, mais encore toutes les fois qu'ils se trouvent aux mains des ennemis36." Ahmed Rechid, dans un discours qu'il fit à l'Académie de droit international de La Haye en 1937 sur L'Islam et le droit des gens, déclarait: " En Arabie, la personne de l'ambassadeur fut de tout temps considérée comme sacrée. Mahomet a consacré cette inviolabilité. Jamais les ambassadeurs envoyés auprès de Mahomet ou de ses successeurs n'ont été molestés. Un jour, l'envoyé d'une nation étrangère s'était permis, au cours de l'audience que lui avait 35 36
Cf. C.- A. Colliard, " La Convention de Vienne... ", op.cit., p. 28.
Cf. G. Stuart, "Le droit et la pratique diplomatiqueset consulaires",
op.cit., p. 466. 35
accordée le Prophète, de proférer des paroles outrageantes. Mahomet lui dit: "Si tu n'étais un envoyé, je t'aurais fait mettre à mort". L'auteur du Siyer qui rapporte ce fait en conclut à l'obligation de respecter l'ambassadeur37. " Emmer de Vattel écrivait: "Quiconque fait violence à un ambassadeur ou à tout autre ministre public ne fait pas seulement injure au souverain que ce ministre représente; il blesse la ,,38 sûreté commune et le salut des nations... 23 - La demeure privée de l'agent diplomatique jouit de la même inviolabilité et de la même protection que les locaux de la mission. Ses documents, sa correspondance et, sous certaines réserves, ses biens, jouissent également de l'inviolabilité (article 30). Les membres de la famille de l'agent diplomatique qui font partie de son ménage et qui ne sont pas ressortissants de l'État accréditaire, les membres du personnel administratif et technique de la mission, et, dans les mêmes conditions que pour l'agent diplomatique, les membres de leurs familles, bénéficient des mêmes privilèges pour ce qui concerne l'inviolabilité (article 37). b-2) L'immunité 24 - On peut rappeler ici les mesures prévues par l'article 31. C.- A. Colliard trouve alors que l'immunité couvre l'agent diplomatique d'une manière globale, c'est-à-dire non étroitement limitée et cantonnée à son activité professionnelle officielle. Elle le couvre dans la réalité et la totalité de sa vie, en tant qu'homme. Cette règle, selon lui, peut être
37
Cité par le juge Tarazi dans son opinion dissidente dans l'arrêt de la C.LI. sur le personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran, Recueil, 1980, p. 59. 38Cf. G. Stuart, op.cit., p. 511. 36
définie sous le nom de principe de globalité39. Déjà dans l'antiquité, un ambassadeur n'était pas soumis à la juridiction locale du pays étranger même quand il y avait commis une offense. C'est ainsi que" Thèbes déclara la guerre à la Thessalie parce que ses ambassadeurs avaient été arrêtés et emprisonnés, et qu'ainsi la loi des Nations avait été violée, bien qu'il fut prouvé que les envoyés de Thèbes avaient été accusés à juste titre de complot contre le Gouvernement thessalien 40 ." 25 - Cependant, en cas de faute grave, la levée de l'immunité peut être demandée par l'État accréditaire ou décidée d'office par l'État accréditant. Le samedi 23 novembre 1996 l'ambassadeur du Zaïre {actuelle République Démocratique du Congo (R.D.C.)}en France M. Baya Ramazani, au volant de sa voiture et roulant à 120 km/h sur une chaussée où la vitesse est pourtant clairement limitée à 30 km/h, renversait sur un passage protégé deux enfants, Raphaël Lenoir 13 ans et Ronald Lemartel 12 ans. Le premier décédait peu après l'arrivée des sapeurs-pompiers et le deuxième quelques jours plus tard à l'hôpital. A la suite de diverses démarches d'une part des familles des victimes et d'autre part des autorités françaises sous la pression des familles et de l'opinion publique, l'ambassadeur fut rappelé dans son pays puis, après la levée de son immunité, il fut contraint de repartir en France pour y être jugé par un tribunal français. 26 - L'Accord du 19 mars 1993 entre le Conseil fédéral suisse et le Comité international de la Croix-Rouge en vue de déterminer le statut juridique du Comité en Suisse prévoit dans son article 5 des cas où l'immunité n'est pas accordée au C.I.C.R. L'article 15 dit expressément que" Le Président du C.I.C.R. doit lever l'immunité d'un collaborateur ou d'un 39
40
Cf. C.- A. Colliard, op.cit., p. 32-33. G. Stuart, op.cit., p. 465. 37
expert dans tous les cas où il estime que cette immunité entraverait l'action de la justice et où elle pourrait être levée sans porter préjudice aux intérêts du C.I.C.R. L'Assemblée du Comité a qualité pour prononcer la levée de l'immunité du Président ou celle des membres. " L'article 18 prévoit que le C.I.C.R. et les autorités suisses coopéreront en tout temps en vue d'empêcher tout abus des privilèges et immunités. 27 - Il semble évident cependant que si l'agent diplomatique entame lui-même une action devant la juridiction locale, il doit en subir les conséquences et même être condamné aux dépens si l'action échoue. Dans cette hypothèse, la levée préalable de l'immunité par l'État accréditant est nécessaire41. 28 - Les membres de la famille de l'agent diplomatique qui font partie de son ménage et qui ne sont pas ressortissants de l'État accréditaire, bénéficient de la même immunité. Il en est de même pour les membres du personnel administratif et technique de la mission, et, dans les mêmes conditions que pour l'agent diplomatique, des membres de leurs familles, sauf que l'immunité de la juridiction civile et administrative de l'État accréditaire ne s'applique pas aux actes accomplis en dehors de l'exercice de leurs fonctions. Les membres du personnel de service de la mission - ceux qui sont employés au service domestique de la mission - qui ne sont pas ressortissants de l'État accréditaire ou n'y ont pas leur résidence permanente, bénéficient également de l'immunité pour les actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions (article 37). L'article 39 al. 3 prévoit qu' "En cas de décès d'un membre de la mission, les membres de sa famille continuent de jouir des privilèges et immunités dont ils bénéficient, jusqu'à l'expiration d'un délai raisonnable leur permettant de quitter le territoire de l'État accréditaire. " La protection de la 41
Cf. Jean Salmon, Manuel de droit diplomatique, Bruxelles, Bruylant,
1994, p. 306.
38
souveraineté connaît cependant des limites surtout pour ce qui concerne l'État accréditaire. ###
39
CHAPITRE
II
Les li111ites des ntesures de protection de la souveraineté
Les dispositions de la Convention portant sur la protection de l'État accréditaire comportent des limites objectives (II) dont le fondement se situe sans doute dans l'adoption sans aménagement du principe de l'égalité des États (I).
-ILes conséquences du principe de l'égalité des États 29 - Vattel écrivait que "la nature a établi une parfaite égalité de droits entre les nations indépendantes, aucune, par conséquent, ne peut naturellement prétendre à des prérogatives42 ". Cependant, parce qu'il consacre le principe d'égalité, le droit international est réducteur et négateur des différences réelles entre États. Il ne permet pas, la plupart du temps, de prévenir ou de corriger les inégalités de dimension, de richesse, de puissance 43. Or l'inégalité de richesse et de puissance des États est une réalité. À la seconde conférence de la Haye, Louis Renault affirmait que" L'égalité juridique des États, entendue littéralement, conduit à des résultats absurdes. Peut-on admettre que, dans une question de droit maritime, la voix du Luxembourg ou du Monténégro ait le même poids que celle de la Grande-Bretagne44 ? " 30 - Ce problème d'inégalité n'a jamais été totalement occulté dans les relations diplomatiques. Au début du XVe siècle, Martin de Lodi avait établit le principe que l'envoyé du plus grand prince devait précéder l'envoyé du plus petit, mais il n'était pas toujours facile de dire quel prince était le plus 42 43
44
Cf. ibid., p. 476. Cf. N. Quae Dinh et al., Droit international public, ap.eit., p. 413-414.
Cité par Roland Drago, " La pondération tionales ", op.eit., p. 530.
dans les organisations
interna-
grand45. "Pour régler cette hiérarchie entre les nations, plusieurs bases ont été proposées: la forme du gouvernement, le titre du chef du gouvernement, l'ancienneté de la famille régnante, le chiffre de la population, l'ancienneté de l'indépendance, la supériorité de la culture; mais les États européens ne pouvaient s'entendre sur aucune base de primauté46. " 31 - Selon M. Flory, " Dire que deux États sont également souverains dans la société internationale, signifie que, quelle que soit leur taille ou leur puissance, ils ont les mêmes droits et qu'ils bénéficieront du même traitement47. " Tout autre est la réalité, de sorte que l'égalité souveraine peut conduire à négliger et à perpétuer des inégalités concrètes entre États. Entre États inégalement développés, écrit M. Flory, la règle de l'égalité devient une imposture. C.- A. Colliard trouve quant à lui, que s'il y a une formule hypocrite, c'est bien celle de l'égalité des États qui est le type même du faux concept48. R. Preiswerk résume tout cela quand il écrit que" toutes les fois où un traité, bien que comportant la réciprocité formelle, se borne à offrir à chaque partie contractante des avantages de nature identique, sans se préoccuper de la capacité réelle des pays en présence d'exploiter effectivement ces avantages, il n'est pas en mesure de constituer une base satisfaisante des relations interétatiques49. "
45
46
Cf. G. Stuart, op.cit., p. 476.
G. Stuart, Ibid.
47 Maurice Flory, " Inégalité économique et évolution du droit international ", Colloque de la Société Française pour le Droit International d'Aixen-Provence sur le thème: Pays en voie de développement et transformation du droit international, Paris, Pedone, 1974, p. 22. 48 Cf. Ibid. 49 Roy Preiswerk, " La réciprocité dans les négociations entre pays à systèmes sociaux ou à niveaux économiques différents", Journal du droit international, 1967, p. 17. 44
32 - Certes, les pays en voie de développement ont été associés à l'élaboration des textes de la Convention de Vienne de 1961. Il convient cependant de souligner que d'une manière générale, les délégués de ces pays, du fait de leur formation souvent inférieure, de leur manque d'expérience dans les négociations internationales, des moyens réduits dont ils disposent, du faible poids de leur pays sur la scène internationale et des pressions dont ils peuvent faire l'objet, n'ont pas toujours la possibilité et le prestige nécessaire pour peser efficacement sur les décisions à arrêter50.
50
A ce sujet M. Benchikh écrit: "La participation au processus
d'élaboration des décisions demande en effet une connaissance des problèmes qui font l'objet de la négociation. Mais cette connaissance doit être appréhendée dans deux directions. Une délégation doit disposer d'un personnel compétent sur le plan technique, professionnel et politique. Or, par suite de leur sous-développement, de nombreux États ne peuvent pas disposer de ce personnel pour toutes les négociations internationales qui se déroulent autour de tel ou tel aspect du nouvel ordre international. Mais, à supposer qu'un grand nombre d'entre eux en disposent, la compétence de leurs délégués n'a toutes les chances de se traduire par une influence des pays considérés dans le processus de négociation que si les États qu'ils représentent ont chacun atteint un niveau de coordination interministérielle et de communication intersectorielle suffisant. Or, dans la plupart des pays sous-développés, ces problèmes, liés à la nature même de l'Etat et à la permanence de la dépendance extérieure, restent encore mal résolus. Il en résulte que souvent la constitution des dossiers nécessaires aux négociations multilatérales comporte de nombreuses lacunes par suite de l'absence ou de la mauvaise contribution d'un secteur de l'Etat. (...) Par suite de ces obstacles liés directement au sous développement et au niveau de construction de l'Etat, l'étude des dossiers relatifs aux négociations internationales est épisodique et sans suivi. L'instabilité politique si souvent dénoncée ne peut pas être sans effet sur la constitution d'un personnel compétent et stable capable d'étudier et de négocier les dossiers ". Cf. Madjid Benchikh, Droit international du sous-développement - Nouvel ordre dans la dépendance, Paris, Berger-Levrault, 1983, p. 283284. 45
33 - L'inégalité des États se remarque pour ce qui concerne l'application de la Convention. Des années après son entrée en vigueur le 24 avril 1964, il apparaît que seuls les États développés en ont la totale capacité de jouissance. Eux seuls ont les moyens de rendre opérationnelles en leur faveur les garanties de protection prévues par l'article 22 sur l'inviolabilité des locaux de la mission, l'article 24 sur l'inviolabilité des archives et documents de la mission et l'article 27 sur la liberté de communication de la mission. À Vienne les pays en voie de développement n'avaient pas manqué de souligner que les dispositions de l'article 27 mettent en cause l'égalité réelle. Comme il a été souligné, "le principe de respect des engagements remplit une fonction de garantie pour l'État puissant qui est juridiquement assuré du respect par l'État faible de l'accord qui le lie, alors que pour ce dernier il a le caractère d'un piège, dont, juridiquement, il est plus difficile que jamais de sortir51." 34 - Les pays en voie de développement qui souvent éprouvent même des difficultés financières pour seulement entretenir quelques missions diplomatiques très réduites à travers le monde, n'ont pas la possibilité de les équiper de documents, d'archives et de moyens de communication aussi efficaces que le permettrait la Convention. Il arrive par exemple qu'aux Nations Unies, des missions diplomatiques de pays en voie de développement soient privées d'eau, de téléphone à cause de factures impayées. Les Américains ont déjà eu à organiser une collecte pour les Tchadiens52. Un rapport du Secrétaire général publié en mars 1995 révèle que trente et une missions d'Afrique et d'ailleurs étaient débitrices et cinq d'entre elles responsables de 83% de la dette. De 51
H.Thierry et J. Combacau, cités par P.-M. Martin, "Le nouvel ordre
économique international", op.cit., p. 518. 52 Cf. Pierre-Edouard Deldique, L'ONU - Combien de divisions, Paris, Éditions Dagorno, 1994, p. 91.
46
nombreux diplomates africains vivent dans le plus grand dénuement et selon un haut fonctionnaire de l'Organisation, de nombreuses voitures de fonction sont immobilisées dans le garage des Nations Unies parce que certaines missions africaines n'ont pas les moyens de payer l'assurance. Pendant la durée de l'Assemblée générale, il n'est pas rare que des diplomates africains logent à six ou sept dans une chambre d'hôtel, avec pour toute nourriture une pizza par jour53. A la fin de 1996, la presse française révélait que depuis des mois, l'ambassade du Zaïre (actuel R.D.C.) à Paris ne payait plus le loyer, encore moins les charges. En mars 2001, la presse révélait également que l'ambassade du Togo à Paris était citée à comparaître devant la justice française pour non paiement des factures de téléphone pour une période de cinq ans. Le montant des arriérés était estimé à dix millions de francs français.
35 - À l'exception des zones dont l'accès est interdit ou réglementé pour des raisons de sécurité nationale, l'article 26 fait obligation à l'Etat accréditaire d'assurer à tous les membres de la mission, la liberté de déplacement et de circulation sur son territoire. Si la mission américaine au Népal peut facilement faire sillonner le pays par ses agents, il n'en est certainement pas de même pour la mission diplomatique népalaise aux États-Unis. L'inégalité de fait des États est ici évidente. C'est peut-être une satisfaction d'amour propre pour un État petit ou en voie de développement de se voir élever par le droit international au même rang que n'importe quel autre État; mais la réalité est que le Népal, le Swaziland ou le Lesotho ne peuvent pas user pleinement d'un même droit comme la France ou les États-Unis. A cet égard M. Flory écrit que" ce qui représente une garantie et une règle du jeu 53
Cf. Celhia de Lavarène, " L'offensive anti-africainedes républicains",
Jeune Afrique, n° 1807,24 août 1995, p. 61. 47
efficace entre gens de même condition, cesse de l'être au-delà du cercle de famille54 " Comme il a déjà été mentionné, la Convention de 1961 a prévu des mesures de protection de la souveraineté des États. Mais du fait même que ces mesures ont été édictées dans l'esprit du principe de l'égalité des États, elles comportent des limites objectives.
- II Les lill1ites des ll1esures de protection prévues par la Convention 36 - En matière de diplomatie il n'y a pas de règles absolues, " sinon de ne pas être impliqué dans les procédés inavouables de la violence, de la corruption et de l'espionnage, ou dans les manoeuvres contraires à I'hospitalité comme l'interception de documents ou de messages55. " L'éthique de la diplomatie doit être" sincère, effective, persuasive, pacifiante ". Elle doit aussi être celle des finalités: le respect de la dignité de chaque peuple, l'acceptation de sa responsabilité par chaque gouvernement, une aspiration commune vers un idéal international d'ordre et de justice56. " Ces recommandations de A. Plantey ne sont pas toujours suivies dans la pratique. 37 - Bien avant la Convention de 1961, sous le règne du droit coutumier et du Règlement de Vienne du 19 mars 1815 sur les agents diplomatiques, on pouvait déjà relever des infractions aux règles du droit diplomatique. En 1918, 54
M. Flory, op.cit., p. 22.
55
Alain Plantey, De la politique
entre les États
Paris, Pedone, 1987, p. 252, n° 1030. 56Ibid., p. 406, n° 1644. 48
- Principes
de diplomatie,
l'ambassade de Grande Bretagne à Pétrograd fut violée par des troupes agissant sous les ordres du gouvernement des soviétique: I'hôtel fut saccagé, les archives et papiers détruits. En 1923, avec l'aide d'un seaurier, la police italienne força l'entrée du siège de la mission russe à Gênes et procéda à des perquisitions57. En 1936, à partir de son ambassade à Montevideo, l'URSS tentait d'organiser des troubles en Amérique latine et en particulier en Uruguay et au Brésil. Selon le gouvernement uruguayen, des chèques à porteur indéterminé en provenance de l'ambassade soviétique à Montevideo avaient été trouvés, et des trafics d'armes avaient été découverts58. L'entrée en vigueur en 1964 de la Convention de 1961 n'a pas fait cesser les infractions au droit diplomatique. 38 - L'exemple le plus connu de violation de la Convention est celui qui a concerné l'ambassade des États-Unis à Téhéran au début de la Révolution iranienne. Tour à tour, l'État accréditant et l'État accréditaire ont procédé à des violations flagrantes de la Convention. C'est ainsi que le 4 novembre 1979 vers 10h 30 du matin, au cours d'une manifestation, un groupe armé de plusieurs centaines de personnes fait iauption dans l'enceinte de l'ambassade des États-Unis à Téhéran, l'investit et prend le personnel en otage. Les envahisseurs se qualifièrent d'étudiants musulmans partisans de la politique de l'imam. Malgré les appels à l'aide répétés, les autorités iraniennes laissèrent faire. Les archives et documents de l'ambassade des États-Unis qui n'ont pas été détruits ont été pillés et des documents divulgués par les militants et les médias sous contrôle du gouvernement. De mauvais traitements ont été infligés aux otages. Ainsi, " au début de l'occupation de l'ambassade, des otages ont été promenés, 57
Cf. G. Stuart, op.cit., p. 515. 58 Cf. Lucien Sfez, La rupture des relations diplomatiques ", op.cit., p. " 394-395. 49
mains liées et yeux bandés, devant des foules hostiles et scandant des slogans; pendant la période initiale de leur captivité au moins, des otages ont été attachés et on leur a souvent bandé les yeux, ils ont été privés de courrier et de toute communication avec leur gouvernement ou entre eux, soumis à des interrogatoires, menacés avec des armes59. " 39 - Entre autres, les Iraniens ont accusé les États-Unis d'avoir les premiers violé le droit diplomatique. Il est vrai que dans la capitale iranienne, l'ambassade des États-Unis avaient toujours servi de base à la CIA 60dans ses activités, pour dans un premier temps maintenir le Chah au pouvoir, et dans un deuxième temps, restaurer le pouvoir du Chah après sa fuite en 1979, et abattre le régime de l'ayatollah Khomeini qui lui avait succédé. Déjà en 1953, après la première fuite du Chah lors de l'avènement au pouvoir du docteur Mossadegh, c'était à partir de l'ambassade des États-Unis que la CIA 59
C.I.J., " Affaire relative au personnel diplomatique... ", Arrêt, op.cit., p. 14. 60 C'est généralement à partir des missions diplomatiques américaines que la CIA mène ses activités d'ingérence et d'espionnage. L'ambassade des États-Unis à Saigon a joué un rôle important pour les Américains pendant la guerre du Vietnam. Pour ce qui concerne les activités des États-Unis au Ghana, voir David Rooney, Nkrumah - L 'homme qui croyait à l'Afrique, Paris, Jeune Aftique Livres, ColI. "Destins", 1990, p. 188. Pour la République Démocratique du Congo, voir Sennen Andriamirado, "Mobutu prend le pouvoir", in Dossiers secrets de l'Afrique contemporaine, Paris, Jeune Aftique Livres, ColI. "Actuel", 1991, tome 3, p. 112 et svtes. Pour l'Amérique latine, voir René Dumont, Marie-France Mottin, Le mal-développement en Amérique latine, Paris, Seuil, 1981, p. 38-39. Pour déstabiliser le régime communiste polonais, c'est à partir de l'ambassade des États-Unis à Varsovie que la CIA aurait mené ses opérations. Cf. Carl Bernstein, " Pologne 1982 : l'histoire secrète d'une Sainte Alliance contre l'empire du Mal ", Courrier International, n° 69, 27 février 1992, p. 6. 50
avait fourni les dollars, les armes et les moyens nécessaires pour préparer son retour au pouvoir61. Sous le règne du Chah, l'immixtion des États-Unis dans les affaires intérieures de l'Iran était telle que beaucoup désignaient l'ambassade de ce pays comme le véritable siège du gouvernement iranien. Ce n'est donc pas sans raison que Callières avait pu dire qu' "On appelle ambassadeur un honorable espion". Sir Henry Wotton estimait qu' "Un ambassadeur est un honnête ,,62 homme envoyé à l'étranger pour mentir pour son pays. 40 - Les ingérences américaines, et l'accueil du Chah aux États-Unis pour des raisons médicales, ont servi de prétextes aux Iraniens pour envahir leur ambassade. Pour le gouvernement iranien en effet, comme l'exprimait son ministre des Affaires étrangères dans la lettre du 9 décembre 1979 adressée à la Cour, la question des otages" ne représente qu'un élément marginal et secondaire d'un problème d'ensemble dont elle ne saurait être étudiée séparément et qui englobe entre autres plus de vingt-cinq ans d'ingérences continuelles par les États-Unis dans les affaires intérieures de l'Iran, l'exploitation éhontée de notre pays et de multiples crimes 61 Selon F. Hoveyda, face à la politique nationaliste de Mossadegh, " l'idée d'un coup d'État émergea au sein de la CIA. Kermit Roosevelt se rendit en 1953 à Téhéran, pour en étudier la possibilité et trouver un exécutant valable. Son choix se porta sur le général Zahedi. Les conjurés mirent en scène le départ du Shah après lui avoir fait signer un décret nommant Zahedi premier ministre. Celui-ci, grâce aux fonds versés par la CIA, recourut aux services de Chaban-bi-mokh (littéralement: Chaban l'Écervelé), maître d'un célèbre Zourkhané (centre de gymnastique tradi-
tionnelle) afm de recruter un commandode civils pour agir aux côtés de l'armée. L'opération déclenchée en août 1953 ne demanda pas plus d'une journée. Et le Shah rentra triomphalement. Et ceux-là mêmes qui suivaient Mossadegh jusqu'aux dernières minutes accoururent à l'aérodrome, se jetèrent à terre devant le souverain pour lui baiser les bottes! " Cf. Fereydoun Hoveyda, La chute du Shah, cité par le juge Tarazi dans son opinion dissidente, op.cit., p. 60-61. 62Cf. G. Stuart, op.cit., p. 524. 51
perpétrés contre le peuple iranien, envers et contre toutes les normes internationales et humanitaires63. " Dans un message du 7 novembre 1979, l'ayatollah Khomeini déclarait que "l'ambassade des États-Unis en Iran est le centre d'espionnage de nos ennemis contre notre mouvement islamique sacré64. " Le 17 novembre 1979 il affirmait que" les gens qui ont fomenté des complots contre notre mouvement islamique en cet endroit n'ont pas droit au respect diplomati-
que international65." 41 - Cette affaire révèle qu'au-delà du droit diplomatique, les deux États ont chacun violé des règles du droit international général. Par exemple la règle pacta sunt servanda prévue dans l'article 26 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités dit que" tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi. " En outre, par les mauvais traitements infligés au personnel diplomatique et consulaire, l'Iran a violé des principes élémentaires d'humanité. Les États-Unis ont violé le principe de non intervention qui" met en jeu le droit de tout État souverain de 63
Cf. C.l.J., " Affaire relative au personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran ", Ordonnance, 15 décembre 1979, Recueil, p. 11. Le ministre soutenait que" la Cour ne peut examiner la requête américaine en dehors de son vrai contexte à savoir l'ensemble du dossier politique des relations entre l'Iran et les États-Unis au cours de ces vingt-cinq dernières années. Ce dossier comprend entre autres tous les crimes perpétrés en Iran par le Gouvernement américain, en particulier le coup d'État de 1953 fomenté et exécuté par la CIA, l'éviction du gouvernement national légitime du docteur Mossadegh, la remise en place du Chah et de son régime asservi aux intérêts américains et toutes les conséquences sociales, économiques, culturelles et politiques des interventions directes dans nos affaires intérieures, ainsi que des violations graves, flagrantes et perpétuelles de toutes les normes internationales perpétrées par les ÉtatsUnis en Iran". 64 Cf. C.l.J., "Affaire relative au personnel diplomatique... ", Arrêt, op.cit., p. 15, 65
9 26.
Cf. Ibid., p. 34, 9 73. 52
conduire ses affaires sans ingérence extérieure66." Selon
l'article 1er de la Charte des Nations Unies, les buts de l'Organisation sont entre autres, le maintien de la paix et de la sécurité internationales, le développement entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes. Les États-Unis devrait d'autant plus respecter ce principe qu'il tire son origine de la déclaration d'indépendance américaine de 1776. 42 - L'activité des Américains dans leur ambassade à Téhéran, peut être rapprochée de celle des Soviétiques dans leur ambassade de Montevideo67. Il ne fait pas de doute que les anciennes puissances coloniales s'ingèrent parfois dans les affaires intérieures des anciennes colonies à partir de leurs ambassades. Dans le souci de limiter autant que possible les atteintes à la souveraineté des États, des réformes pourraient être envisagées pour doter le droit diplomatique de dispositions et de moyens aptes à faire face aux besoins actuels de sécurité et de confiance surtout de la part des petits États. ###
66
C.l.J, " Affaire des activités militaires et paramilitairesau Nicaragua et
contre celui-ci", Arrêt du 27 juin 1986, Recueil, p. 106, ~202. 67 Les étudiants ont trouvé dans l'ambassade américaine, de la fausse monnaie iranienne, de faux tampons re-produisant les cachets officiels du gouvernement et du Conseil de la Révolution, un organigramme détaillé du service de protection des principaux dirigeants iraniens, à commencer par l'imam Khomeini, de faux passeports portant les noms de criminels iraniens, de membres de l'armée ou de la SAVAK (la police politique du Chah) essentiellement, et qui devaient leur permettre de sortir du pays, et aussi des gilets pare-balles, des émetteurs, de petites bombes lacrymogènes. Cf. Jeune Afrique, n° 987, 5 décembre 1979, p. 18. Afrique-Asie, n° 201, 26 novembre 1979, p. 13. 53
CHAPITRE
III
Les possibilités de réforlTIes pour une lTIeilleure protection de la souveraineté
43 - À la suite des événements de Téhéran, la Cour internationale de justice a déclaré qu'elle" croit de son devoir d'attirer l'attention de la communauté internationale tout entière, y compris l'Iran, qui en est membre depuis des temps immémoriaux, sur le danger peut-être irréparable d'événements comme ceux qui ont été soumis à la Cour. Ces événements ne peuvent que saper à la base un édifice juridique patiemment construit par l'humanité au cours des siècles et dont la sauvegarde est essentielle pour la sécurité et le bien-être d'une communauté internationale aussi complexe que celle d'aujourd'hui, qui a plus que jamais besoin du respect constant et scrupuleux des règles présidant au développement ordonné des relations entre ses membres68." Ces événements sont la manifestation de violations flagrantes de la Convention de 1961. Il apparaît donc nécessaire de réfléchir sur les possibilités de son enrichissement. On pourrait suggérer le recours éventuel à certaines techniques juridiques (I) et des mesures tendant à l'amendement de la Convention (II).
-ILe recours à des techniques juridiques 44 - On peut penser à des mesures qui tiennent davantage compte de l'inégalité de fait des États et proposer des règles inégalitaires pour limiter les effets des phénomènes de puissance, comme ce fut le cas dans l'affaire iranienne, et rétablir ainsi un certain équilibre. R. Preiswerk fait remarquer que "seule l'inégalité de traitement peut donner une égalité de chances à des sujets égaux en droit, mais inégaux en fait. On serait tenté de dire que plus un ordre juridique est évolué, 68
C.LI., " Affaire relative au personnel diplomatique... ", Arrêt, op.cit.,
p. 43, 9 92.
plus il affirme l'égalité juridique de ses sujets tout en apportant des nuances au droit ou à l'application du droit pour tenir compte des inégalités de fait. Il ne viendrait à l'idée de personne de critiquer les systèmes fiscaux fondés sur l'imposition progressive comme étant incompatibles avec l'égalité constitutionnelle des individus69. " En réalité, estiment N. Quoc Dinh, P. Daillier et A. Pellet, " la théorie de l'inégalité compensatrice peut être considérée comme une application plus réaliste et plus exacte de l'égalité entre sujets de droit dans des situations différentes 70." Certaines juridictions limitent ainsi la portée de l'argument d'égalité aux seules situations exactement comparables. La non-réciprocité est donc compatible avec le principe d'égalité souveraine dans la mesure où elle traduit des différences objectives entre États. En raison de l'impossibilité de réaliser l'égalité des chances dans des secteurs isolés des relations économiques entre contractants inégalement développés, la pratique des États, au lieu de la réciprocité par identité, s'est orientée vers la réciprocité globale portant sur des prestations de nature différente, mais jugées de valeur équivalente?!. 45 - Des techniques du droit des contrats internationaux peuvent être d'une certaine utilité pour atteindre l'objectif cidessus défini. Il y a ce qu'on pourrait qualifier de clauses de réadaptation qui permettent aux cocontractants, en cours d'exécution du contrat, d'y apporter les modifications nécessaires 72. La notion d'équité pourrait également intervenir. Significatif à cet égard est l'article 4 du code civil suisse qui autorise le juge à appliquer les règles de l'équité, lorsque la 69
R. Preiswerk, " La réciprocité dans les négociations... ", op.cit., p. 38.
70 N. Quoe Dinh et al., op.eit., p. 415. 71 Cf. R. Preiswerk, op.cit., p. 24-25. 72 Cf. Bruno Oppetit, "L'adaptation des contrats internationaux aux changements de circonstances: la clause de hardship ", Journal du droit international, 1974, p. 795-796.
58
loi réserve son pouvoir d'appréciation ou qu'elle le charge de prononcer en tenant compte soit des circonstances, soit de justes motifs. Georg Schwarzenberger a invoqué le concept de l'équité pour justifier, au niveau de l'application des traités, l'inégalité de traitement d'États qui se trouvent à des degrés d'avancement technologique différents 73. Toutefois, l'utilisation de l'équité dans les relations interétatiques ne dispose pas d'une force juridique contraignante comparable à celle de l'État au stade national, ni même de la force morale rendant plus acceptables les inégalités fonctionnelles dans une collectivité nationale. L'acceptation d'un pluralisme des normes fondé sur l'équité et favorable aux pays en voie de développement témoignerait ainsi d'une prise de conscience plus élaborée de l'interdépendance des nations et du passage progressif d'une société de confrontation à une société de coopération. 46 - Les solutions sont peut-être à inventer. Mais, l'histoire fourmille d'initiatives destinées à corriger des situations de déséquilibre. C'est ainsi que, dès leur indépendance, les États d'Amérique ont voulu apporter au droit international les modifications nécessaires pour qu'il soit en harmonie avec les intérêts et les aspirations de leur continent74. La doctrine Calvo en est un exemple. Elle a pour objet d'interdire à l'investisseur étranger de faire appel à la protection diplomatique de l'État dont il relève ou de prévoir, à l'avance, l'irrecevabilité de toute réclamation internationale 75. Elle est 73 Cf. R. Preiswerk, op.cit., p. 38-39. 74 Cf. Opinion dissidente du juge Alvarez dans l'arrêt de la C.I.J. sur l'Affaire du droit d'asile, Recueil, 1950, p. 293. 75Selon J.P. Sortais qui, entre autres, se fonde sur l'arrêt de la C.l.J. du 24 juillet 1964 dans l'Affaire de la Barcelona Traction, cette clause est aujourd'hui condamnée par le droit international positif dans toute la mesure où elle prétendrait interdire l'exercice de la protection diplomatique à l'État dont relève l'investisseur. Cf. Jean Pierre Sortais, " Investissement 59
une réaction à l'encontre d'un traitement discriminatoire. Calvo, ministre argentin des Affaires étrangères de la fin du XIXè siècle, par la clause qui porte son nom, clause Calvo, préconisait que les États étant libres, indépendants et souverains, ne doivent souffrir aucune ingérence de la part des États tiers. Pour lui, tout exercice de la protection diplomatique constitue une modalité d'interférence dans les affaires intérieures d'un État par un pays tiers, car les étrangers ne sauraient bénéficier sur le territoire du pays où ils résident que des droits et privilèges qui sont accordés aux nationaux76. Les pays latino-américains qui avaient souffert des abus de la protection diplomatique voyaient en elle une institution coloniale, impérialiste, utilisée pour justifier des interventions dans leurs affaires intérieures qui pouvaient, à la limite, dégénérer en opérations militaires comme ce fut le cas du blocus des côtes vénézuéliennes en 190277. Dans son opinion étranger et souveraineté internationale économique", in Mario Bettati et al., La souveraineté au XXè siècle, Pris, Armand Colin, 1971, p. 194-195. 76 Calvo formulait ainsi sa doctrine: " La règle que, dans plus d'une circonstance, on a tenté d'imposer aux États américains, c'est que les étrangers méritent plus de considération, des égards et des privilèges plus marqués et plus étendus que ceux accordés aux nationaux mêmes du pays où ils résident... Ce principe est intrinsèquement contraire à la loi d'égalité des nations.. . Admettre dans l'espèce la responsabilité des gouvernements, c' est-àdire le principe d'une indemnité, ce serait créer un privilège exorbitant et funeste, essentiellement favorable aux États puissants et nuisible aux nations plus faibles, établir une inégalité injustifiable entre les nationaux et les étrangers. ... La responsabilité des gouvernements envers les étrangers ne peut être plus grande que celle que ces gouvernements ont à l'égard de leurs propres citoyens... " Cf. L.C. Green, " De l'influence des nouveaux États sur le droit international", R.G.D.J.P., 1970, p. 86. 77
En 1902 le Venezuela refuse l'indemnisation des dommages que des
fmanciers anglais, allemands et italiens entre autres ont subis à la suite du non-paiement des titres de dettes dont ils étaient porteurs. Pour soutenir 60
individuelle sur l'Affaire de la Barcelona Traction, le juge Padilla Nervo écrit que" L'histoire de la responsabilité des États, en matière de traitement des étrangers, est une suite d'abus, d'ingérences illégales dans l'ordre interne des États faibles, de réclamations injustifiées, de menaces et même d'agressions militaires sous le couvert de l'exercice des droits de protection, et de sanctions imposées en vue d'obliger un gouvernement à faire les réparations demandées 78." Tant que la réalité de l'inégalité de puissance n'est pas prise en compte, s'établissent des relations qui dans les faits créent et renforcent l'inégalité. A cet égard, M. B. Boutros-Ghali observe que" le principe égalitaire devra de plus en plus se charger d'un sens concret pour devenir une égalité de conditions aux lieu et place d'une égalité de droits79. " 47 - La notion de justice distributive peut également contribuer à régir les relations interétatiques. L'exigence d'égalité apparaît alors sous une forme différente. Elle peut consister à attribuer à une personne un salaire, un honneur ou un rang proportionnel à la valeur de cette personne. L'égalité n'est pas l'uniformité. La justice distributive implique une égalité relative ou proportionnelle, "chacun étant appelé à participer à la distribution d'après certaines règles générales valables pour tous, mais tirées de la condition des personnes, de telle sorte qu'à des situations diverses ou inégales correspondent des traitements proportionnels divers ou inégaux 80."
les réclamations de leurs nationaux, l'Angleterre, l'Allemagne et l'Italie procèdent à une démonstration année contre le Venezuela. 78 Cf. C.I.I., Affaire de la Barcelona Traction Light and Power Compa" ny Limited", Arrêt, 5 février 1970, Recueil, p. 246. 79 Cité par Alain Piquemal, L'influence des inégalités de développement sur le statut juridique des États, Thèse de Doctorat d'État, Nice, 1976, p. 75. 80Jean Dabin, cité par A. Piquemal, op.cit., p. 78. 61
48 - Selon Raoul Padirac, "alors que l'égalité absolue s'oppose à la classification des sujets de droit en divers groupes de statuts juridiques différents, l'égalité proportionnelle postule l'existence de statuts distincts, différentiels ou même préférentiels. Elle ne fait pas obstacle à ce que les droits soient accordés et des obligations imposées en fonction de certains critères ou conditions identiques pour tous, de sorte qu'il y ait égalité des conséquences juridiques seulement en cas d'égalité des conditions remplies. La loi n'est plus universelle, elle n'en reste pas moins généraleS!. " La justice distributive n'entretient plus l'égalité artificielle, mais suppose un système inégalitaire favorable lié à la valeur réelle de chaque personne. 49 - Sur la base de la justice distributive, des pays en voie de développement ont essayé de concilier le principe de l'égalité souveraine des États et la réalité de l'inégalité de puissance. Ainsi l'article 6 de la Charte de Bogota du 30 avril 1948 repris dans l'article 9 de la Charte de Buenos Aires du 27 février 1967 dit que" Les États sont juridiquement égaux, ils jouissent de droits égaux et d'une capacité égale pour les exercer et ils ont les mêmes devoirs. Les droits de chaque État ne dépendent pas de la puissance dont il dispose pour en assurer l'exercice, mais du simple fait de son existence en tant que personne de droit international. " 50 - Dans les banques sous-régionales de développement, la compensation des inégalités peut s'effectuer par l'attribution aux États membres d'un pourcentage donné du volume total des crédits attribués par les banques; la répartition des crédits étant pondérée en fonction des besoins de
81
Cité par A. Piquemal, op.cit., p. 82 62
chaque État membre82. Certaines banques sous-régionales facilitent l'accès des membres défavorisés aux crédits par l'allégement des conditions d'éligibilité aux prêts et des termes financiers des contrats. Les pays défavorisés peuvent bénéficier d'un accès prioritaire à certaines opérations des banques. Le montant minimum des prêts peut aussi être abaissé de façon à permettre le financement de projets de petite taille adaptés aux membres les moins développés83. Outre ces techniques juridiques dont l'apport peut contribuer à l'amélioration de la protection de la souveraineté des États, il peut aussi être envisagé l'enrichissement de certaines dispositions de la Convention de 1961.
- II De la réforl11ede la Convention de Vienne de 1961 51 - La réforme du droit diplomatique fait partie des préoccupations actuelles, aussi bien de l'Institut du droit illternational que de la Commission du droit international. À cet effet, et pour davantage concilier la pratique des relations diplomatiques et la souveraineté des États, grands et petits, les faits et la démarche ci-dessus exposés pourraient servir d'éclairage. Des propositions concrètes peuvent également être esquissées. Des amendements pourraient ainsi être apportés au principe de la libre communication de la mission. Le matériel de communication et les moyens utilisés devraient être proportionnels à ceux qui sont utilisés dans l'État 82 L'article 13 des anciens statuts de la Banque est-africaine de développement prévoyait que la banque consacrerait 38,75% du total de ses opérations à la Tanzanie, 38,75% à l'Ouganda et 22,5% au Kenya. 83Cf. Philippe Saunier, Les banques régionales de développement, Thèse de Doctorat, Nice, 1989, p. 212 et svtes. 63
accréditaire pour des besoins similaires. De même, les installations de la mission devraient être fonction de la réalité de l'État accréditaire et pouvoir s'aligner sur les installations administratives de cet État. Dans les pays en voie de développement, il n'est pas rare de voir des missions diplomatiques de pays développés braver par leur arrogance la souveraineté même de l'État accréditaire. Des amendements pourraient également être apportés au principe de l'inviolabilité des locaux, des archives et documents de la mission. Il est déjà admis que ce principe pourrait comporter des exceptions. Le projet du rapporteur de la Commission du droit international permettait de se passer du consentement du chef de la mission en cas d'extrême urgence, afin d'éliminer les risques graves et imminents pour la vie humaine, les biens ou la santé de la population, ou pour sauvegarder la sécurité de l'État. Toutefois, comme l'ont fait remarquer les partisans de l'inviolabilité absolue, non seulement des notions telles que risques graves et imminents pour la vie humaine ou la sauvegarde de la sécurité de l'État sont assez vagues, mais le cas d'urgence peut être provoqué. C'est ainsi qu'au cours d'une manifestation contre une mission diplomatique de l'exYougoslavie, une bombe incendiaire fut jetée à l'intérieur de ses locaux pour créer un prétexte à l'intervention des autorités locales8 . Néanmoins, des exceptions à l'inviolabilité devraient se justifier dans certains cas, lorsqu'un incendie se déclare dans un immeuble, ou si la mission est un centre de complot et de subversion contre le gouvernement local. 52 - L'article 27 al. 3 prévoit que la valise diplomatique ne doit être ni ouverte ni retenue. Cette disposition a permis des abus. C'est ainsi que le 17 novembre 1964 les douaniers ita84
Cf. Philippe Cahier, " Le statut diplomatique", Colloque de Tours de la
Société Française pour le Droit International sur le thème: Aspects récents du droit des relations diplomatiques, Paris, Pedone, 1989, p. 216. 64
liens ont libéré un ressortissant israélien que des diplomates de l'ambassade de la République Arabe Unie à Rome ont tenté d'expédier. De même, Omaru Dikko, ancien ministre des Transports du Nigeria et opposant au régime après le coup d'État de 1983, fut retrouvé à l'aéroport de Londres le 5 juillet 1984 dans une caisse portant la mention Bagage diplomatique après avoir été enlevé de son domicile de Londres et drogué. Devant la Commission du droit international, Sir Francis Vallat a rappelé qu'en Grande Bretagne la valise diplomatique avait été utilisée au détriment de l'économie de son pays pour transporter des diamants artificiels, des stupéfiants ou des armes pour les terroristes. Une étude faite par le gouvernement britannique a révélé que dans l'espace de dix ans, 546 infractions graves auraient été commises à Londres par des personnes jouissant de privilèges et immunités diplomatiques85. Le 4 mars 2000, la valise diplomatique britannique a été bloquée au Zimbabwe. Après son ouvertures le 9 mars, les autorités du Zimbabwe ont déclaré qu'elle contenait du matériel de communication très sensible. Au Kenya, des valises diplomatiques contenant de l'ivoire ont déjà été saisies. La Commission du droit international, lorsqu'elle a rédigé les articles de la Convention entre 1954 et 1958, et la Conférence des Nations Unies sur les relations et immunités diplomatiques, lorsqu'elle les a adoptés en 1961 sans y apporter de changement important, ont reconnu que le régime de la valise diplomatique laissait de côté de nombreux points de détail86. 53 - Pour remédier à cet état des choses, la Commission du droit international dans son projet d'articles sur le statut du courrier diplomatique et de la valise diplomatique non ac85
Cf. Philippe Chapal, " Le courrier diplomatique et la valise diplomatique", Colloque de Tours, op.cit., p. 249. 86 Cf. Annuaire de la Commission du Droit International (A.C.D.I.), 1989, Vol. 2, 1ère partie, p. 83. 65
compagnée par un courrier diplomatique déclare qu'elle continue d'envisager une disposition qui permettrait à l'État de réception de demander que la valise soit ouverte ou de lui refuser l'entrée de son territoire. Dans son article 28 sur la protection de la valise diplomatique, elle propose ceci au paragraphe 2 : "Toutefois, si les autorités compétentes de l'État de réception ou de l'État de transit ont de sérieux motifs de croire que la valise consulaire contient d'autres objets que la correspondance, les documents ou les objets visés au paragraphe 1 de l'article 25 (correspondance officielle, documents ou objets destinés exclusivement à un usage officiel), elles peuvent demander que la valise soit ouverte en leur présence par un représentant autorisé de l'État d'envoi. Si les autorités de l'État d'envoi opposent un refus à cette demande, la valise est renvoyée à son lieu d'origine. " La Commission a envisagé la possibilité d'étendre ce régime de la valise consulaire à toutes les valises diplomatiques87. 54 - Toutefois, certains États s'opposent à toute modification du régime actuel de la valise diplomatique. C'est le cas des États-Unis qui estiment que le régime fondamental, prévu à l'article 27 de la Convention de Vienne de 1961 et tel qu'il a été complété par le droit international coutumier et par la pratique, établit un régime juridique approprié qui permet, dans la conduite des relations diplomatiques, de préserver l'équilibre nécessaire et souhaitable entre les droits et les obligations respectifs des États d'envoi et de réception. De l'avis des États-Unis et d'autres gouvernements, les dispositions de la Convention établissent un équilibre acceptable entre le respect du secret de la valise et la prévention des abus éventuels, et aucune modification n'est nécessaire ni même souhaitable. Ils estiment que les valises diplomatiques ne devraient être soumises à aucun examen. 87
Cf. A.C.D.I., 1989, Vol. 2, 2e partie, p. 47. 66
55 - Comme il a été précisé au sein de la Commission, sous réserve des dispositions relatives à la non-discrimination et à la réciprocité, rien n'empêche les États d'instaurer d'un commun accord d'autres pratiques concernant la valise diplomatique dans leurs relations mutuelles. En particulier, les États pourraient s'entendre pour soumettre la valise consulaire au régime de la valise diplomatique ou inversement. Dans le cadre du projet de la Commission, deux États pourraient également décider d'autoriser l'examen de leurs valises respectives à l'aide de moyens électroniques ou mécaniques. 56 - Pour ce qui concerne le logement temporaire du courrier diplomatique porteur d'une valise diplomatique, la Commission affirme son inviolabilité. Toutefois, elle préconise des mesures qui, mutatis mutandis, pourraient être étendues au logement de l'agent diplomatique et éventuellement à la mission diplomatique. Ainsi dans l'article 17 g 1-b du projet il est dit: " il peut être procédé à une inspection ou à une perquisition lorsqu'il existe des motifs sérieux de croire que des objets, dont la possession, l'importation ou l'exportation est interdite par la législation ou soumise aux règlements de quarantaine de l'État de réception ou de l'État de transit, se trouvent dans le logement temporaire88. " L'article 20 g 2 du projet prévoit également des exceptions à l'exemption de l'inspection du bagage personnel du courrier diplomatique. 57 - Des innovations pourraient aussi être apportées dans le règlement des éventuels différends. La Convention de 1961 est accompagnée d'un protocole de signature facultative relatif au règlement obligatoire des différends. Son article I dit: " Les différends relatifs à l'interprétation ou à l'application de la Convention relèvent de la compétence obligatoire de la Cour internationale de justice, qui, à ce titre, pourra être saisie par une requête de toute partie au différend 88
Cf. Ibid., p. 31. 67
qui sera elle-même Partie au présent Protocole". Les articles II et III du protocole prévoient que les parties peuvent convenir d'adopter dans certaines conditions, au lieu du recours à la Cour internationale de justice, une procédure devant un tribunal arbitral ou une procédure de conciliation. Une procédure spéciale pourrait aussi être proposée, qui consisterait pour l'État accréditaire et l'État accréditant, à s'entendre sur la désignation d'une commission ayant la possibilité de s'introduire, à tout moment, sans préavis, dans les locaux des missions diplomatiques de chacun des deux États pour vérifier les locaux, les installations, les archives et documents. La commission devrait garder comme secret professionnel le résultat de ses investigations, avec pour obligation de communiquer aux deux parties, ce qui de la part de l'une et/ou de l'autre, transgresserait les règles du droit diplomatique et de contribuer à la recherche d'une solution. Cette mission pourrait aussi être confiée à une commission permanente de l'ONU chargée d'assurer le respect du droit diplomatique et dotée d'un droit d'initiative. La possibilité de la saisir devrait être reconnue à chacune des parties. ###
68
Conclusion
58 - Dans l'Affaire relative au personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran, la Cour estime que le droit diplomatique fournit les moyens de défense nécessaires ainsi que des sanctions contre les activités illicites de membres de missions diplomatiques ou consulaires. Pour la Cour, les moyens prévus à cet effet par les Conventions de Vienne sur les relations diplomatiques (1961) et sur les relations consulaires (1963), sont par nature d'une efficacité totale. Cependant, même si, pour se protéger l'État accréditaire dispose de l'arme de la rupture des relations diplomatiques et de la possibilité offerte par l'article 9 de déclarer un agent diplomatique persona non grata, il n'en demeure pas moins que ce sont des mesures à posteriori qui n'empêchent pas la réalisation des faits répréhensibles. Or, en la matière, des mesures de prévention sont nécessaires. Devant la 6e commission de l'Assemblée générale des Nations Unies, à la 3Se session, le délégué iranien a affirmé que les Conventions de Vienne ont omis de stipuler des mesures adéquates pour la protection des droits et de la sécurité de l'État accréditaire et que le rappel de l'agent ou la rupture des relations diplomatiques constituent des secours illusoires quand l'existence même de l'État est menacée89. Le droit international contemporain prend souvent en compte la nécessité de protéger la partie faible9o. Il serait donc intéressant de veiller à la cons89
Cf. V. Coussirat-Coustère, " L'arrêt de la Cour... ", op.cit., p. 222. 90 En ce sens cf. Fausto Pocar, La protection de la partie faible en droit international privé, R.C.A.D.l., 1984, V, tome 188, p. 339 - 417.
truction d'un système dont la souplesse permettrait de tenir compte de la réalité des partenaires en présence pour assurer à chacun le même avantage ou un avantage équivalent. # # # # # #
70
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Table des matières
Préface.
In
tro
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .9
du
cti
0 n . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 13
CHAPITREI La protection de la souveraineté dans le cadre du principe de l'égalité des États .19 - I - La convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques et le principe de l'égalité des États
21
1 - La participation égalitaire des États à l'élaboration de la Convention .21 2 - Les fondements des privilèges et immunités 24
- II - Les mesures
de protection de la souveraineté
1 - Les mesures de protection de l'État accréditaire 2 - Les mesures de protection de l'État accréditant a) Les garanties fonctionnelles a-I) L'inviolabilité a -2) L' imm uni té
L ' immunité.
26 29 .29 30
. ... .. . .. . .. .. .. .. . .. . . .. ... . .. . .. .. .3 2
b) Les garanties persolll1elles b-I) L' inviolabilité b- 2)
26
.
..34 .35
. . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .36
CHAPITRE II
Les limites des mesures de protection de la souveraineté
41
- I - Les conséquences
43
du principe de l'égalité des États
- II - Les limites des mesures de protection prévues par la Con
venti
on
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .48
CHAPITRE III
Les possibilités de réformes pour une meilleure protection de la souveraineté 55
- I - Le recours
à des techniques juridiques
57
- II - De la réforme de la Convention de Vienne de 1961
63
Con
ci us
ion.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .69
Bibliographie
71
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