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French Pages 451 Year 2019
L'empire Ottoman et l'Europe
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Publications of the Center for Ottoman Diplomatic History
A co-publication with The Isis Press, Istanbul, the series consists of collections of thematic essays focused on Ottoman diplomatic history from the late eighteenth century until the early twentieth century.
L'empire Ottoman et l'Europe
Documents diplomatiques ottomans sur l'unification italienne
Edited by Sin an Kuneralp
gorgias press 2010
Gorgias Press LLC, 954 River Road, Piscataway, NJ, 08854, USA www.gorgiaspress.com Copyright © 2010 by Gorgias Press LLC Originally published in 2009 All rights reserved under International and Pan-American Copyright Conventions. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system or transmitted in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, scanning or otherwise without the prior written permission of Gorgias Press LLC. 2010
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ISBN 978-1-61719-866-3 Reprinted from the 2009 Istanbul edition.
Printed in the United States of America
PRÉFACE
Le Centre d'Histoire Diplomatique Ottomane a étc créé à l'initiative et grâce au généreux soutien d'Ômer M. Koç. La vocation première de ce Centre sera la publication de recueils de documents émanant des archives du ministère ottoman des Affaires étrangères, contribuant ainsi à éclairer sous un angle qui fut jusqu'à présent négligé, l'histoire de la "Question d'Orient". Dans cet ordre d'idées, deux séries principales sont prévues : "Documents diplomatiques ottomans sur les origines de la Première Guerre mondiale" et "Documents diplomatiques ottomans sur la Question d'Orient au 19ème siècle". En outre, des recueils ponctuels couvrant des périodes ou des questions précises sont envisagés, tels que "L'Empire ottoman et l'unité italienne", ou "L'Empire ottoman et la guerre franco-prussienne". D'autre part, les papiers privés de diplomates ottomans feront également l'objet de publications ainsi que ceux de leurs collègues étrangers en poste dans l'Empire. Les responsables des publications du Centre d'Histoire Diplomatique Ottomane tiennent à exprimer leur reconnaissance à Ômer M. Koç sans le concours duquel ces divers projets ne sauraient être réalisés.
INTRODUCTION L'EMPIRE OTTOMAN ET L'UNIFICATION ITALIENNE
Le présent recueil de documents diplomatiques ottomans couvre la période s'étendant de 1857 à 1872 et correspond grosso modo au processus de l'accomplissement de l'unification italienne. Il débute par une dépêche, datée du 10 avril 1857, du représentant ottoman à Turin, capitale du royaume sarde annonçant l'envoi d'un mémoire sur l'incorporation au royaume en 1848 des deux communes monégasques de Menton et Roquebrune (Roccabruna). Le dernier document, 15 ans plus tard, émane de l'envoyé ottoman à Rome, devenue entre-temps la capitale du royaume unifié d'Italie. Celui-ci informe son ministre des Affaires étrangères que le Pape Pie IX semble avoir abandonné toute velléité de quitter la Ville Eternelle et d'y avoir accepté, avec des réserves néanmoins, le principe d'une co-habitation avec le Roi Victor Emmanuel. Cette collection de documents, agencée donc chronologiquement, ne vise pas à donner un récit exhaustif des péripéties qui aboutirent à réunir en un seul Etat, le concept géographique qu'était l'Italie jusqu'à la première moitié du 19 siècle. Son propos est tout autre. Pour la diplomatie ottomane de la seconde moitié du siècle tout remaniement de frontières, toute atteinte au sacro-saint statu quo politique ne pouvaient être qu'un signe avant-coureur d'un danger touchant l'intégrité territoriale de l'Empire. C'est donc sous cette optique que les diplomates ottomans, inquiets d'éventuelles répercussions dans leurs provinces européennes, suivent les événement de la Péninsule durant ces années. Bien que leur priorité soit de prévenir et, si possible, de déjouer toute menace visant l'équilibre mis en place par les décisions du Traité de Paris en 1856, ils n'en suivent pas moins jusque dans les moindres détails le déroulement des événements qui se succèdent souvent avec une rapidité qui les déconcertent et ils se font un devoir d'en informer leur gouvernement. L'état actuel du catalogage des archives du ministère ottoman des Affaires étrangères exclut pour le moment toute prétention à l'exhaustivité. Ainsi s'il nous est permis de suivre en détail les aléas de la politique italienne par les dépêches des diplomates en poste dans diverses villes de la Péninsule, nous ne disposons pour l'instant que d'une vision fragmentaire de celle des diverses autres Puissances impliquées, telle que la Grande Bretagne, la France et surtout l'Autriche. De même manquent certaines dépêches importantes, entre autre celles qui ont dû immanquablement être rédigées à l'occasion du décès du Comte de Cavour, le premier ministre sarde qui fut l'artisan principal de l'unification. Malgré ces lacunes cette collection offre au lecteur une vision
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nouvelle, celle de diplomates nouvellement apparus sur la scène européenne, mais qui n'en laisse rien à désirer, comparée à celle de leurs collègues occidentaux. Si les principaux États de la péninsule italienne étaient représentés dans la capitale ottomane dès le 18e siècle , il faudra attendre la guerre de Crimée et le Traité de Paris en 1856 pour que la Sublime Porte fasse acte de réciprocité. Des chargés d'affaires furent envoyés à Turin, capitale de la Sardaigne et à Naples, capitale du royaume des Deux-Siciles, tandis qu'un consulat général était inauguré à Livourne, principal port du grand-duché de Toscane. Certes, des consulats honoraires existaient dès les premières décennies du 19e siècle dans certaines grandes villes telles que Gènes, Milan, capitale de la Lombardie autrichienne, et Trieste, principal port autrichien sur l'Adriatique. Le premier chargé d'affaires à Turin est Yanko Musurus Bey, membre d ' u n e célèbre famille de Grecs ottomans qui donnèrent à l'Empire un certain nombre de diplomates. Il fut remplacé au printemps 1857 par Riistem Bey, levantin d'origine italienne qui demeure en poste pendant 13 ans jusqu'en automne 1870, témoin attentif et souvent critique de la marche vers l'unité. Sa propre carrière suit de près l'agrandissement du royaume où il est accrédité. En effet, à chaque accroissement territorial il est lui même promu. De simple chargé d'affaires — la Porte avait préféré ce titre pour des raisons d'économie financière, les frais de représentation des chargés d'affaires étant inférieurs à ceux des ministres — il devint successivement ministre résident et ministre plénipotentiaire. Il fut promu à St Pétersbourg en automne 1870 et ne put donc voir l'accomplissement du rêve italien avec le transfert de la capitale à Rome. A Naples, capitale du royaume des Deux-Siciles fut nommé en 1857, à nouveau en qualité de chargé d'affaires, Spitzer Efendi, ancien médecin traitant du Sultan Abdiilmecid passé à la diplomatie. Observateur lucide, il suivit la déchéance de la dynastie des Bourbons de Naples dont la disparition marqua la fin de sa propre carrière diplomatique avec l'incorporation des États napolitains dans le royaume d'Italie. Il décrivit l'agonie physique de Ferdinand II avec l'œil du médecin ; pour celle, politique cette fois, du dernier roi, le jeune François II il fait preuve de sympathie pour le monarque inexperimenté, enfermé dans son obstination conservatrice tout en soulignant sa rigidité. Ses dépêches nous permettent de suivre quasiment jour par jour l'inéluctable descente aux enfers du roi et sa retraite pour une lutte sans issue dans la forteresse de Gaeta. Avec l'annexion Naples devient, de capitale, simple ville provinciale et siège d'un consulat général dont le premier titulaire, Blacque Bey, suivra attentiment la
1 I x royaume des Deux-Siciles dès 1740, la Sardaigne à partir de 1824 et le grand-duché de Toscane de 1842 à 1851 lorsque l'Autriche prit en charge la défense des intérêts toscans dans l'Empire.
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marche difficile de l'intégration des provinces méridionales dans le nouveau royaume d'Italie. Le dernier représentant ottoman dans l'Italie pre-unitaire est le consul général dans le port toscan de Livourne. Le premier et unique titulaire du poste fut Smith Efendi, architecte anglais passé au service de la Porte. Celui-ci ne cache pas ses sympathies pour la dynastie grand-ducale des Habsbourg-Lorraine et après la déchéance de Ferdinand IV, et l'annexion de la Toscane il continuera, dans ses dépêches au ministère, à vanter les bienfaits du régime déchu . Comme indiqué auparavant, nous ne disposons pour l'instant que d'un petit nombre des dépêches envoyées par les représentants ottomans dans les capitales européennes qui eurent une politique italienne, à commencer par Paris et Vienne. La méfiance éprouvée par la diplomatie ottomane à l'égard de la « politique des nationalités » prônée par l'Empereur Napoléon III et ses tentatives répétées visant à remanier la carte de l'Europe ainsi que la communauté d'intérêts de l'Empire ottoman avec celui des Habsbourg n'apparaissent donc qu'indirectement au fil des dépêches tout comme la contradiction de la politique anglaise, libérale en Italie et conservatrice en Orient. Les rapports de Diran Bey, représentant l'Empire à Bruxelles, capitale d'un pays neutre et ceux d'Aristarchi Bey à Berlin, offrent une vision moins italo-centrique et plus globalement européenne et pallient, dans une certaine mesure à l'absence de la correspondance diplomatique des postes de Paris, Vienne et Londres. La « Question italienne » est, pour la diplomatie ottomane, un problème à la fois bilatéral, touchant les relations entre les deux États, et multilatéral, situé dans un contexte d'équilibre européen. Par un effet de coïncidences historiques les trois grandes étapes de l'unification italienne correspondent à trois crises majeures dans l'Empire : la guerre de 1859 à la double élection de I A . Cuza comme hospodar des principautés vassales de Moldavie et Valachie qui constitue un premier pas vers l'émancipation de la Roumanie de la tutelle ottomane ; l'expédition de Garibaldi en Sicile en 1860 et la disparition qui s'en suivit du royaume des Deux-Siciles aux événements de Syrie et l'expédition française au Levant et finalement la guerre de 1866 à l'élection de Charles de Hohenzollern comme prince de Moldo-Valachie. Bien que l'attention des dirigeants ottomans ait été concentrée sur des événements plus proches d ' e u x , cela ne les empêcha point de suivre attentivement les événements se déroulant dans la Péninsule. Il est utile de rappeler à ce stade que les documents sélectionnées pour ce recueil ne sont, en grande partie, que ceux qui touchent directement ou indirectement à l'unification de l'Italie et que par conséquence les problèmes de ' Ces dépêches ne figurent pas dans ce recueil et feront l'objet d'une publication séparée.
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politique intérieure n'y sont traités que par référence à cette question. Dans ce domaine, nous pouvons néanmoins constater quelques constantes : méfiance à l'égard de la gauche libérale, personnifiée pour la période qui nous intéresse, par U. Rattazi, successeur du comte de Cavour comme premier ministre et dont les tenants, qualifiés souvent de l'épithète d ' « exaltés » sont soupçonnés de favoriser les aspirations des nationalités et sympathie pour les politiciens conservateurs tel que le baron Ricasoli dont l'arrivée au pouvoir est saluée avec soulagement par Rustem Bey. Par un effet du hasard, deux anciens envoyés italiens dans la capitales ottomane, le général Durando et E. Visconti Venosta accèdent à peu d'intervalles à la fonction de ministre des Affaires étrangères, représentant chacun les deux tendances opposées. Le premier, auteur d'un pamphlet remettant en cause la « Question d'Orient » sous un angle peu apprécié par les hommes d ' É t a t ottomans,
avait laissé à
Constantinople le souvenir d'un diplomate très chatouilleux sur la position de grande puissance nouvellement acquise par la Sardaigne à la suite de la Guerre de Crimée. Sa prestation en tant que ministre ne fit que confirmer les appréhensions de la Sublime Porte. La politique suivie par Visconti Venosta, moins interventionniste fut davantage appréciée. Mais il est évident que c'est sur la personne de G. Garibaldi - et à un moindre degré sur celle de
G.
Mazzini — que se concentre la vigilance des diplomates ottomans qui vivent dans l'angoisse que celui-ci n'exporte sa révolutions dans les provinces de l'Empire. Ils iront même jusqu'à soupçonner les dirigeants italiens de vouloir encourager Garibaldi dans de pareilles entreprises afin de
détourner son
attention de la Péninsule. Les moindres faits et gestes du patriote italien sont donc suivis et commentés, ses déplacements surveillés. La diplomatie ottomane appréhende tout autant que l'unité de l'Italie ne se fasse aux dépens de l'Empire. En effet, dès 1860 circulent des rumeurs laissant entendre que les parties lésées par l'accomplissement de l'unification, en un premier temps la dynastie des Bourbons de Naples et l'Autriche seront compensées par des acquisitions de territoires ottomans, la première recevant Tunis et la seconde la Bosnie en contrepartie de la perte de la Vénétie. Outre ces dangers la Porte s'inquiète de ce que l'unification de la péninsule ne résulte dans la création d ' u n e nouvelle puissance en Méditerranée et en Adriatique qui, à terme, nourrira des visées territoriales sur ses propres possessions. C'est pour cela que les échecs subis aux premiers temps de l'administration unitaire du nouveau royaume d'Italie dans la pacification et la mise au pas des provinces annexées — Naples et la Sicile notamment — sont accueillis avec un plaisir non déguisé, Âli Pacha, grand vizir et ministre des Affaires étrangères déclarant que « l'unité italienne dégénère en désorganisation complète ».
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Les péripéties de l'unification consacrent aussi l'accession de l'Empire ottoman parmi les puissances européennes. L'annexion du grand-duché de Toscane est notifiée officiellement à la Porte par le représentant sarde dans la capitale ottomane alors que la même annexion est l'objet de notes de protestation transmises régulièrement à Constantinople de Vienne où il est réfugié par le chambellan du grand-duc. La Porte est assidûment sollicitée par le gouvernement italien pour que celle-ci reconnaisse au plus vite le nouveau royaume. De même, pour la première fois dans les annales de la diplomatie ottomane, une déclaration de neutralité est publiée à l'occasion de la déclaration de guerre en 1859 entre la France et la Sardaigne d'une part et l'Autriche de l'autre, déclaration en province et à l'étranger et la Porte veille attentivement à ce que cette neutralité soit respectée par les parties belligérantes, notamment sur les côtes ottomanes de l'Adriatique. En outre lorsque la question de la réunion d'un congrès pour délibérer de la position du Saint-Siège vis-à-vis du royaume d'Italie est mise sur le tapis, le nom de l'Empire est mentionné parmi les pays appelés à y participer, en tant que puissance directement intéressée en raison du nombre important de sujets catholiques du Sultan. Conscient que la solution de la « Question italienne » sera suivie par la « Question d'Orient » et sachant que, comme l'écrit joliment un diplomate ottoman « toute l'Europe a une partie de son cœur en Italie, chaque État veut y servir ou ses intérêts ou ses sympathies », la Sublime Porte ne pouvait demeurer indifférente aux événements de la Péninsule, tant pour y trouver des enseignements pour ses propres besoins qu'en raison des nouveaux débouchés commerciaux qu'offrait la nouvelle conjoncture. Dès 1859 une ligne télégraphique relie Otrante au port de Valona. L'extension du réseau ferroviaire et l'accroissement des liaisons navales sont suivis par l'augmentation des consulats ottomans en Italie et contribueront au développement des relations entre les deux pays ' . ADDENDUM Les notes, bulletins, traductions d'articles etc., figurant en annexes des documents inclus dans ce recueil n'ont pas été reproduits dans la présente publication.
' Les documents que comportent ce recueil proviennent des dossiers HR/SYS 768, 769, 770, 771 772 , 7 8 2 , 7 8 3 , 7 8 4 785 786(787], 7 8 8 , 7 8 9 793, 808 des Archives Ottomanes de la Présidence du Conseil (Bajbakanlik Osinanli Argivleri) d'Istanbul. Les noms propres sont repris tels qu'ils figurent dans le texte original sauf dans l'introduction où l'orthographe moderne a été appliquée.
LISTE DES AUTEURS DE DÉPÊCHES ET TÉLÉGRAMMES [les numéros entre parenthèses renvoient aux documents]
Aali Pacha, grand-vizir et ministre des Affaires étrangères, (No 7), (No 406), (No 412), (No 415), (No 441), (No 444), (No 462), (No 503), (No 511), (No 512), (No 525), (No 528), (No 555), (No 593), (No 604), (No 613), (No 617) - (No 619), (No 728). Agop Effendi, conseiller d'ambassade et chargé d'affaires à Paris, (No 64a), (No 120), (No 124), (No 136), (No 226), (No 231), (No 235), (No 248), (No 254), (No 260), (No 271), (No 276). Aristarchi Bey (Yanko), successivement ministre résident et ministre plénipotentiaire à Berlin, (No 17), (No 24), (No 27), (No 33), (No 37), (No 43), (No 60), (No 62), (No 66), (No 80), (No 83), (No 87), (No 92), (No 93), (No 97), (No 106), (No 113) - (No 115), (No 121), (No 125), (No 139), (No 140), (No 143), (No 146), (No 151), (No 156), (No 157), (No 163), (No 166), (No 168), (No 173) - (No 175), (No 179), (No 187), (No 194), (No 195), (No 201), (No 213), (No 217) - (No 219), (No 227), (No 228), (No 239), (No 242), (No 263), (No 274), (No 281), (No 285), (No 289), (No 293), (No 298), (No 306), (No 311), (No 312), (No 315), (No 319), (No 327), (No 342), (No 346), (No 356), (No 394), (No 402), (No 419), (No 464), (No 460), (No 513), (No 537), (No 549), (No 574), (No 580), (No 584), (No 588), (No 606), (No 668), (No 678), (No 681), (No 682), (No 685), (No 709), (No 714), (No 725). Artin Effendi, consul général à Gênes, (No 657), (No 660), (No 674). Blacque Bey, consul général à Naples, (No 425), (No 426), (No 434), (No 450), (No 463), (No 476), (No 480), (No 482), (No 484), (No 493), (No 495), (No 496), (No 504). Calliady Effendi, consul général à Palerme, (No 636 annexes), (No 640 annexes), (No 641 annexes), (No 647 annexes), (No 648 annexe). Callimachi Bey, ambassadeur à Vienne, (No 70), (No 71), (No 108), (No 112). Caradja Bey (Yanko), secrétaire de légation et chargé d'affaires à Turin, (No 481), (No 483), (No 485), (No 488), (No 489), (No 490). Carathéodory Effendi (Etienne), secrétaire de légation et chargé d'affaires à St-Pétersbourg, (No 689), (No 713). Cernii Bey/Pacha v. Djémil. Chukri Effendi, secrétaire et chargé d'affaires à Florence, (No 712), (No 713). Conéménos Bey, secrétaire de légation et chargé d'affaires à Athènes, (No 135).
- 14 Chryssidi Effendi, secrétaire de légation et chargé d'affaires à Rome, (No 734). Diran Bey, ministre résident à Bruxelles, (No 12), (No 26), (No 29), (No 32), (No 42), (No 44), (No 46), (No 48), (No 49), (No 63), (No 65), (No 73), (No 79), (No 91), (No 94), (No 95), (No 120), (No 133), (No 134), (No 150), (No 154), (No 165), (No 172), (No 176), (No 181), (No 185), (No 190), (No 193), (No 197), (No 198), (No 202), (No 208), (No 210), (No 214), (No 216), (No 220), (No 225), (No 229), (No 233), (No 237), (No 240), (No 244), (No 246), (No 247), (No 250), (No 252), (No 257), (No 261), (No 266), (No 269), (No 278), (No 282), (No 283), (No 290), (No 296), (No 305), (No 308), (No 323), (No 328), (No 338), (No 347), (No 355), (No 378), (No 385) - (No 387), (No 390). Djémil Bey/Pacha, ministre intérimaire des Affaires étrangères, ambassadeur à Paris, (No 515), (No 518), (No 541), (No 545), (No 548), (No 551), (No 659), (No 669), (No 676), (No 697), (No 699), (No 707). Duhany Effendi, v. Naoum Duhany Effendi. Fuad Paça, ministre des Affaiers étrangères, (No 21), (No 22), (No 25), (No 34), (No 35), (No 38), (No 39), (No 58), (No 74), (No 98) (No 103), (No 106), (No 128), (No 141), (No 152), (No 158), (No 159) - (No 162), (No 182), (No 183), (No 196), (No 205), (No 206), (No 222), (No 264), (No 265), (No 653), (No 677), (No 683). Haydar Effendi, ambassadeur à Vienne, (No 585), (No 586), (No 594), (No 598), (No 624), (No 628), (No 630). Manassé Effendi, consul à Milan, (No 643 annexes). Margossian Effendi, consul à Palerme, (No 538). Musurus Bey/Pacha (Kostaki), ambassadeur à Londres, (No 19), (No 395), (No 404), (No 466), (No 535), (No 540), (No 597), (No 602), (No 621), (No 652), (No 671), (No 687). Naoum Duhany Effendi, consul général à Naples, (No 532). Photiadès Bey (Yanko), ministre plénipotentiaire à Athènes, à Florence, (No 438), (No 440), (No 590), (No 690), (No 715) - (No 724), (No 726), (No 727), (No 729) - (No 733). Rustem Bey, successivement chargé d'affaires, ministre résident et ministre plénipotentiaire à Turin et par la suite à Florence, (No) - (No 6), (No 8) - (No 11), (No 13) - (No 16), (No 18), (No 20), (No 23), (No 28), (No 30), (No 31), (No 36), (No 40), (No 41), (No 45), (No 47), (No 59), (No 64), (No 67) - (No 69), (No 75), (No 76), (No 82), (No 86), (No 90), No 104), (No 105), (No 111), (No 118), (No 119), (No 123), (No 129) - (No 131), (No 142), (No 147) (No 149), (No 153), (No 155), (No 164), (No 171), (No 180), (No 186), (No 189), (No 192), (No 199), (No 203), (No 207), (No 211), (No 215), (No 224), (No 230), (No 234), (No 236), (No 241), (No 245), (No 249), (No 253), (No 258), (No 259),
- 15 (No 262), (No 267), (No 268), (No 270), (No 273), (No 275). (No 280), (No 287), (No 291), (No 294), (No 295), (No 299), (No 302) - (No 304), (No 307), (No 313), (No 317), (No 329), (No 330), (No 332), (No 336), (No 337), (No 343), (No 348), (No 352), (No 361), (No 364) - (No 366), (No 368), (No 373), (No 377), (No 381), (No 383), (No 384), (No 388), (No 389), (No 391) - (No 393), (No 396) - (No 401), (No 403), (No 405), (No 407) (No 411), (No 413), (No 414), (No 416) - (No 418), (No 420) - (No 424), (No 427) - (No 433), (No 435) - (No 437), (No 439), (No 442), (No 443), (No 445) - (No 449), (No 451) (No 461), (No 465), (No 467), (No 468), (No 470) - (No 475), (No 477) - (No 479), (No 491), (No 492). (No 494), (No 497), (No 498), (No 500), (No 505), (No 505a), (No 507), (No 509), (No 510), (No 514), (No 516), (No 519), (No 520), (No 522), (No 523), (No 526), (No 527), (No 529) - (No 531), (No 533), (No 534), (No 536), (No 539), (No 542) - (No 544), (No 546), (No 547), (No 550), (No 552) - (No 554), (No 556) - (No 573), (No 575) - (No 579), (No 581), (No 583), (No 587), (No 589), (No 591), (No 592), (No 595), (No 596), (No 599), (No 601), (No 603), (No 607), (No 609), (No 610) - (No 612), (No 614) (No 616), (No 620), (No 622), (No 623), (No 625) - (No 627), (No 629), (No 631) - (No 651), (No 654) - (No 656), (No 658), (No 661) - (No 667), (No 670), (No 672), (No 673), (No 675), (No 679), (No 680), (No 684), (No 688), (No 691) - (No 696), (No 698), (No 700) - (No 706), (No 708), (No 710). Savfet Bey/Pacha, ministre intérimaire des Affaires étrangères, ambassadeur à Paris, (No 582), (No 600), (No 605), (No 608). Spitzer Bey, chargé d'affaires à Naples, (No 50) - (No 57), (No 61), (No 72), (No 81), (No 89), (No 96), (No 109), (No 110), (No 116), (No 117), (No 122), (No 126), (No 127), (No 138), (No 144), (No 145), (No 170), (No 178), (No 187), (No 191), (No 200), (No 204), (No 209), (No 212), (No 221), (No 223), (No 232), (No 238), (No 243), (No 251), (No 255), (No 256), (No 272), (No 277), (No 279), (No 284), (No 286), (No 288), (No 292), (No 297), (No 300), (No 301), (No 309), (No 310), (No 314), (No 318), (No 320) - (No 322), (No 324) - (No 326), (No 331), (No 333) (No 335), (No 339) - (No 341), (No 344), (No 345), (No 349) (No 351), (No 353), (No 354), (No 357) - (No 360), (No 362). (No 363), (No 367), (No 369) - (No 372), (No 374) - (No 376), (No 379), (No 380), (No 382). §ukru Effendi v. Chukri. Vogoridès Bey (Alexandre), premier secrétaire et chargé d'affaires à Londres, (No 77), (No 78), (No 84), (No 169), (No 177). Vullitch Effendi, consul à Palerme, à Gênes, (No 494 annexe), (No 497 annexes), (No 499), (No 501), (No 502), (No 506), (No 508), (No 510 annexe), (No 517), (No 521), (No 524), (No 643 annexes).
DOCUMENTS [11 Rustem Bey à Edhem Pacha Turin, le 10 avril 1857 Dépêche N° 19 Par une ordonnance rendue en 1848 le Roi Charles-Albert incorporait au territoire sarde les deux communes de Menton et de Roccabruna qui étaient jusqu'alors considérées comme faisant partie de la principauté de Monaco. Cet acte a excité de vives réclamations de la part du Prince de Monaco ; réclamations qu'il chercha à faire valoir par tous les moyens en son pouvoir. La question a été jugée assez importante pour que le Congrès de Paris s'en soit occupé dans sa 22e séance. Elle n'a néanmoins encore reçu aucune solution. Le Gouvernement Sarde vient de faire publier un mémoire sur cette question, suivi de documents à l'appui, et le Ministère des Affaires Etrangères de S.M. le Roi de Sardaigne vient de m'en donner communication. J'ai jugé la question assez intéressante pour envoyer un exemplaire de ce mémoire à Votre Excellence. Elle le recevra sous bande, par le courrier de ce jour. J'en ai également envoyé un exemplaire à Son Excellence l'Ambassadeur de la Sublime Porte à Paris. Par ce mémoire, le Gouvernement Sarde me semble prouver d'une manière victorieuse ses droits sur les deux communes en litige, ainsi que la légalité de la mesure adoptée, à leur égard, par le Roi Charles-Albert.
[21 Rustem Bey à Edhem Pacha Turin, le 13 avril 1857 Dépêche N° 23 La rupture des relations diplomatiques entre l'Autriche et la Sardaigne ayant eu lieu avant que je ne prisse possession de mon poste je ne me suis pas trouve dans le cas d'adresser à. Votre Excellence un rapport sur cette question, ni de lui transmettre copie des notes qui ont amené cette rupture et dont la date est de beaucoup antérieures à mon arrivée ici. Aujourd'hui cependant je crois bien de faire connaître à Votre Excellence l'effet produit dans ce pays par ce grave incident. Le rappel du marquis Cantono, chargé d'affaires de Sardaigne à Vienne, a été considéré ici comme une démarche que réclamait impérieusement la dignité du pays après le rappel de M . le Comte de Paar, et M. le Comte de Cavour n'aurait pu, sans exciter le plus vif mécontentement, profiter de la déclaration de M. le Comte Buol, que ie Gouvernement Autrichien ne voyait aucun obstacle à ce que le chargé d'affaires de Sardaigne continuât à résider à Vienne.
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L'attitude du pays est calme ; le rappel des agents diplomatiques respectifs n'y a produit ni agitation ni inquiétude. Cet incident a eu plus de retentissement à Paris et à Londres qu'à Turin même. Le Cabinet de Vienne en s'attaquant personnellement, dans sa dépêche au Comte Paar, à M. le Comte de Cavour a rendu plus forte la position de ce Ministre auquel l'opposition même s'est empressée de se rallier pour le soutenir dans cette question, dans laquelle tous ici considèrent que l'honneur et la dignité du pays sont en jeu. Il n'y a donc aucune probabilité de voir la Sardaigne céder aux exigences de son puissant voisin et moins encore de lui voir sacrifier le Comte de Cavour. On répand des bruits de médiation de la France et de l'Angleterre pour arriver à effectuer une réconciliation entre les deux cabinets, mais jusqu'à présent ce sont des suppositions qu'aucun acte n'est venu confirmer. Quant à moi je confesse ne pas comprendre sur quoi pourrait porter la médiation car je ne puis voir aucun fait positif pour motiver la démarche du Cabinet de Vienne et sur lequel puisse porter une médiation. 131 Rustem Bey à Ali Ghalib Pacha Turin, le 1 e r juillet 1857 Dépêche N° 67 Dans la nuit du 30 juin un mouvement révolutionnaire fut tenté à Gênes où un certain nombre d'individus armés cherchèrent à s'emparer de deux forts détachés qui font partie de la ligne de fortifications extérieures de la ville. Une vingtaine de ces individus tentèrent de surprendre le fort de « l'Éperon » ; mais l'autorité militaire, qui, à ce qu'il paraît, était sur ses gardes, avait disposé dans ce fort une force militaire suffisante ; les assaillants furent repoussés et tous arrêtés les armes à la main. Une tentative du même genre eut lieu simultanément sur le fort « le Diamant ». Là, l'autorité militaire paraît n'avoir pas appréhendé une attaque ; le fort n'était gardé que par huit hommes et un sergent ; ils opposèrent une vive résistance, le sergent fut tué, mais néanmoins les hommes tinrent bon et l'attaque repoussée. Des renforts aussitôt envoyés des forts voisins ; en les voyant arriver les insurgés prirent la fuite et se dispersèrent. Pendant que ces faits avaient lieu la police de Gênes, qui, paraîtrait-il, était depuis plusieurs jours informée de ce qui devait arriver, s'empara du lieu que les insurgés avaient choisi pour leur quartier général et y arrêtait une quarantaine d'individus les armes à la main. La population est restée parfaitement calme et n'a pris aucune part à ces tentatives d'insurrection qui même n'a été généralement connue que le lendemain matin.
- 19 Quelques laits feraient croire que ce complot avait des ramifications assez étendues ; ainsi, les fils du télégraphe électrique avaient été coupés à quelque distance de Gênes afin d'empêcher que le Gouvernement de Turin ne put être prévenu de ce mouvement ; le bateau à vapeur faisant service de courrier entre Gênes, Cagliari et Tunis et qui a quitté Gênes la veille de ce mouvement a, assure-t-on, disparu. On dit que l'on avait embarqué à bord de ce bateau une quantité considérable de fusils, arrivés dernièrement de l'étranger pour compte du Pacha de Tunis ; on dit encore qu'au moment du départ une vingtaine d'individus inconnus, munis de passeports réguliers, se présentèrent à bord comme passagers. On ajoute que le télégraphe de Cagliari annonce que le bateau n'est pas arrivé à destination et que l'on craint que les susdits individus ne fussent une partie des conjurés qui, en pleine mer, se serait emparés du bâtiment pour se rendre maître des armes qu'il transportait. Les individus arrêtés sont pour la plupart des émigrés italiens de la plus basse classe et quelques Génois de la lie du peuple ; l'on ne cite aucun nom connu. 11 paraît avéré que la population est restée calme et indifférente et a seulement exprimé son étonnement d'une tentative aussi insensée. [41 Rustem Bey à Mehemmed Djémil Pacha Paris, le 9 juillet 1857 Dans la nuit du 30 juin un mouvement révolutionnaire fut tenté à Gênes. Un certain nombre d'individus armés cherchèrent à s'emparer de deux forts détachés qui font partie de la ligne de fortifications extérieures de la ville. Une vingtaine de ces individus tentèrent de surprendre le fort de l'Etoile, mais l'autorité militaire, qui, à ce qu'il paraît était sur ses gardes, avait disposé dans ce fort une force militaire suffisante ; les assaillants furent repoussés et tous arrêtes les armes à la main. Une autre tentative eut lieu simultanément sur le fort « le Diamant ». Là l'autorité militaire paraît n'avoir pas appréhendé une attaque ; le fort n'était gardé que par huit hommes et un sergent ; ils opposèrent une vive résistance ; le sergent fut tué, mais néanmoins les hommes tinrent bon et l'attaque fut repoussée. Des renforts furent aussitôt envoyés des forts voisins, en les voyant arriver les insurgés prirent la fuite et se dispersèrent. Pendant que ces faits avaient lieu la police de Gênes, qui, paraîtrait-il depuis plusieurs jours informée de ce qui devait arriver, s'emparait du lieu que les insurgés avaient choisi pour leur quartier général, et y a arrêté une quarantaine d'individus les armes à la main. La population est restée parfaitement tranquille et n'a pris aucune part à cette tentative d'insurrection qui m ê m e n'a étc généralement connue que le lendemain matin.
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Quelques faits feraient croire que cc complot avait des ramifications assez étendues ; ainsi les fils du télégraphe électrique avaient été coupés à quelque distance de Gênes afin d'empêcher que le Gouvernement de Turin ne put être prévenu du mouvement ; le bateau à vapeur faisant service de courrier entre Gênes et Cagliari la veille de ce mouvement aura, assure-t-on, disparu. On dit que l'on avait embarqué à bord de ce bateau une quantité considérable de fusils arrivés dernièrement de l'étranger pour compte du Pacha de Tunis ; on dit encore qu'au moment du départ une vingtaine d'individus inconnus, munis de passeports réguliers, se présentèrent à bord comme passagers. L'on ajoute que le télégraphe de Cagliari annonce que le bateau n'est pas arrivé à destination et que l'on craint que les susdits individus ne fussent une partie des conjurés qui, en pleine mer, se serait emparé du bâtiment pour se rendre maître des armes qu'il transportait. Les individus arrêtés sont pour la plupart des émigrés italiens de la plus basse classe et quelque Génois de la lie du peuple ; de la nuance la plus avancée, et que Mazzini n'y est pas étranger. Les conjurés auraient compté sur les sentiments d'irritation qui se sont, dans ces derniers temps, fait jour dans le peuple génois à propos de la translation de la marine militaire à la Spezia, et de la mesure que le Gouvernement: Sarde a prise de dissoudre le conseil municipal génois pour avoir refusé de voter les taxes municipales ; ils auraient espéré que la population prendrait fait et cause pour eux ; ils se sont grandement trompés ; la population est restée calme et indifférente et a seulement exprimé son étonnement d'une tentative aussi insensée. [5] Rustem Bey à Ali Ghalib Pacha. Turin, le 9 juillet 1857 Dépêche N° 71 En date du premier de ce mois j'ai rendu compte à Votre Altesse d'une tentative révolutionnaire qui venait d'avoir lieu à Gênes et qui heureusement avait été déjouée. D'après toutes les découvertes que la police a faites depuis, il est évident que la conspiration avait été organisée sur une vaste échelle et se rattachait à un plan de révolution générale par toute l'Italie et même à un complot d'assassinat dirigé contre la personne de l'Empereur Napoléon. Il paraît aussi que la découverte de ce complot par la police française a été la cause principale qui a fait avorter le mouvement à Gênes. La police de cette dernière ville continue presque journellement à découvrir et à saisir des dépôts considérables d'armes et de munitions de guerre. Jusqu'à présent l'on a déjà saisi plusieurs centaines de fusils, 800 revolvers, environ 5000 poignards, une quantité considérable de poudre, de balles, de grenades, de caisses de poudre préparées comme mines
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volantes. On croit être sur la trace de canons que les conspirateurs voulaient placer aux têtes de rues. L'on a trouvé un certain nombre de sacs remplis de terre destinés à faire des barricades. On a aussi découvert que les conspirateurs avaient réussi à s'introduire par les égouts et les conduits d'eau jusque sous le palais du Gouvernement, les deux casernes, les environs de l'arsenal et ils avaient disposé des mines pour faire sauter ces bâtiments. On a trouvé des notes qui prouvent que l'on voulait assassiner tous les officiers dans leur maison respective, faire sauter les endroits minés, mettre le feu en plusieurs endroits, ouvrir les prisons aux malfaiteurs, et profiter du désordre pour s'emparer tout d'abord des sommes considérables qui existent dans les caveaux des banques publiques et particulières. L'on frémit en pensant au désastre qu'aurait eu à subir la malheureuse ville de Gênes si la tentative avait réussi. Actuellement il n'y a plus rien à craindre d'autant plus que la tentative faite à Livourne a également échoué et que la bande, commandée par le colonel émigré napolitain Pisacane, qui s'était emparée du bateau à vapeur sarde le Cagliari, qui avait débarqué à l'île de Ponza, forcé les prisons où sont détenus les prisonniers dont elle s'était adjointe environ 300, et avait ensuite opéré un débarquement à Sapri dans le golfe de Policastro, a été battue et détruite par la force armée napolitaine. Il paraît certain que Mazzini a été à Gênes pour compléter l'organisation et qu'il en est prudemment parti le soir même quelques heures avant la tentative. Il est à espérer que les découvertes que l'on vient de faire mettront les autorités sur leurs gardes et qu'à l'avenir elles déploieront plus d'activités d'intelligence pour empêcher que de pareilles tentatives ne puissent se renouveler. [6] Rustem Bey à Aali Pacha Turin, le 4 novembre 1857 Dépêche N° 123 M. le Comte de Cavour m'a informé qu'il y avait à Cagliari deux individus, les frères Soulioti ou Souliotaki, nés en Sardaigne de parents sujets Ottomans, qui, dans un journal de la localité, écrivent les articles les plus violents contre le Gouvernement ; articles subversifs de tout ordre social et excitant à la révolte et au désordre. Il a ajouté que si la chose se passait à Turin il y aurait moins de danger parce que ces excitations incendiaires tomberaient sur un sol moins fertile, mais que dans un pays arriéré et ignorant comme la Sardaigne, avec le caractère fougueux et inflammable de ses habitants, elle pourrait devenir fort dangereuse et qu'il était du devoir du Gouvernement d'y mettre un terme ; que des ordres avaient été transmis aux autorités locales d'avoir à donner à ces deux individus un dernier avertissement et que s'ils persistaient dans leur ligne actuelle de conduite, lui, Monsieur de Cavour, aurait à m'adresser une note pour me communiquer la mesure à laquelle le Gouvernement Royal se verrait forcé d'avoir recours à leur égard en k s expulsant du pays.
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Je me suis empressé d'assurer M. le Ministre des Affaires Etrangères que le Gouvernement impérial ne tolérerait pas que ses sujets vinssent causer des embarras au Gouvernement Sarde ou commettre des désordres dans ce pays ; que je croyais que les étrangers n'avaient aucun droit de se mêler des discussions de politique intérieure des pays qu'ils habitent, et que si le Gouvernement Sarde portait de justes plaintes contre des sujets Ottomans j e pouvais l'assurer que le Gouvernement impérial s'empresserait d'y faire droit. Je me suis empressé d'écrire au consul général impérial à Gênes pour avoir des informations précises sur le compte de ces deux individus et aussi à Son Excellence l'Ambassadeur à Paris pour lui demander, dans l'éventualité d'une mesure d'expulsion à leur égard, de la part du Gouvernement Sarde, de vouloir bien me munir d'instructions catégoriques. Je crois que l'ambassade impériale devrait se faire remettre par tous les agents consulaires sous sa juridiction copie de tous les registres matricules des sujets Ottomans dans le royaume de Sardaigne, ainsi que des documents sur lesquels se fonde leur droit de nationalité et que ces documents devaient être scrupuleusement examinés ; car j'ai lieu de croire que des individus jouissent abusivement de la protection Ottomane. Si Votre Altesse approuve cette mesure je m'empresserai de la mettre en exécution. 17] Aali Pacha à Rustem Bey Constantinople, le 25 novembre 1857 Dépêche N° 1002 J'ai reçu votre rapport en date du 4 novembre 1 relatif à la communication que M. le Comte de Cavour vous a faite au sujet des deux frères Souliotaki. Dans le cas où les plaintes adressées contre ces deux individus sont de nature à menacer la tranquillité publique et que les avertissements ne suffisent pas à les arrêter dans la voie qu'ils suivent et s'ils sont réellement sujets Ottomans, vous êtes autorisé, M. le chargé d'affaires, à ne pas vous opposer aux mesures d'expulsion que le Gouvernement Sarde prendrait à leur égard. [8] Rustem Bey à Aali Pacha Turin, le 26 novembre 1857 Dépêche N° 135 Les élections sont à peu près terminées dans tout le royaume de Sardaigne. 1-e résultat général n'a pas été aussi favorable au Ministère que l'on le croyait généralement. 1
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- 23 Le parti clérical et rétrograde s'est donné beaucoup de mouvement et n'a rien négligé de ce qui pouvait assurer le succès de ses candidats. Lettre pastorale des évêques, exhortation du haut de la chaire, influence du confessionnal, sollicitations, promesses, menaces, rien a été omis. Toutes ces manœuvres ont réussi à donner la majorité aux candidats du clergé dans un certain nombre de collèges, surtout de la Ligurie. Dans d'autres collèges, comme ceux de Gênes et de certaines parties de la Savoie, l'on a aussi nommé les candidats cléricaux, non par sympathie, mais seulement pour faire acte d'opposition au Ministère, dont plusieurs des membres, au nombre desquels on peut citer M. Ratazzi, Ministre de l'Intérieur, ne sont nullement bien vus par la majorité du pays. Le parti clérical a su habilement profiter de ce mécontentement et exploiter à son plus grand avantage. Aussi a-t-il obtenu de nombreux succès. 60 environs de ses candidats ont triomphé. C'est un peu plus qu'un quart du nombre total des députés. Néanmoins ce parti est toujours en minorité, mais cette minorité est cependant plus forte et plus nombreuse qu'elle ne l'était dans la dernière chambre ; elle est compacte, disciplinée, obéit à une seule impulsion et agira avec ensemble. C'est donc une minorité redoutable d'autant plus que la majorité libérale appartient à diverses nuances plus ou moins avancées, et qu'il est probable que non seulement elle n'agira pas d'accord mais encore qu'elle se divisera sur beaucoup de questions et laissera au parti clérical des chances de succès. Les séances de la Chambre promettent donc d'être fort intéressantes et j'aurai soin de tenir Votre Altesse au courant de ce qui pourra y arriver d'important. [9] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 25 février 1858 Dépêche N° 227 Le parti révolutionnaire en Italie ne paraît pas avoir encore abandonné tout espoir ; dans ces derniers temps, il semble s'être encore donné beaucoup de mouvement et ces jours derniers il paraît que l'on a craint qu'il ne fit quelque nouvelle tentative à Gênes. Aussi le Gouvernement a-t-il pris des mesures de précaution fort considérables ; la garnison de Gênes a été augmentée, les troupes ont été consignées dans les casernes, tenues sous les armes et prêtes à agir, de l'artillerie et de la cavalerie des garnisons voisines étaient sous les armes et prête à marcher sur Gênes au premier signal du télégraphe ; les autorités civiles et militaires s'étaient constituées en permanence ; l'arsenal, où se trouve 900 forçats qui, croit-on, devaient prendre part au mouvement projeté, a été occupé militairement et toutes les autres précautions que prescrivait la prudence, prises. Beaucoup d'arrestations ont été faites parmi les immigrés italiens et les partisans de Mazzini.
- 24 L'on croit que ces mesures vigoureuses auront fait avorter le mouvement projeté et que les conspirateurs voyant que les autorités sont sur leurs gardes et décidés à agir énergiquement auront renoncé à leur coupable projet, pour le moment du moins. L'on ne peut cependant ne pas reconnaître qu'il existe à Gênes des germes de désordre qui n'attendent qu'un moment favorable pour tenter une nouvelle agression contre l'ordre public. [101 Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 4 mars 1858 Dépêche N° 244 Par mon rapport du 25 février, N° 227 1 , j'ai eu l'honneur d'informer Votre Excellence des mesures de précaution que le Gouvernement Sarde avait cru devoir prendre à Gênes dans la prévision d'une nouvelle tentative révolutionnaire. Ces mesures ont atteint le but proposé et aucune tentative de ce genre n'est venue troubler la tranquillité publique. Mais un fait assez étrange s'est produit qui n'a pas manqué de jeter dans la population de Gênes une panique presque générale. A peine à la tombée de la nuit et quelquefois même en plein jour, dans les rues les plus fréquentées de la ville, aussi bien que dans les environs, des citoyens inoffensifs, des officiers mêmes, ont été soudainement saisis par des bandes de malfaiteurs, dépouillés de l'argent et des objets de valeur qu'ils avaient sur eux, maltraités s'ils voulaient faire de la résistance et même assassinés. Ces faits se renouvelèrent pendant plusieurs jours avec une fréquence et une persistance telle, malgré les efforts infructueux de la police, que les habitants paisibles n'osaient plus sortir de chez eux après le coucher du soleil et les plus courageux ne sortaient que bien armés. Cet état de choses doit être attribué, je crois, à deux motifs : 1° à l'arrivée secrète soit des provinces, soit de l'étranger, d'une quantité de sectaires attirés par le projet du mouvement révolutionnaire, que les précautions de l'autorité militaire venaient de faire avorter ; ces gens se trouvant sans ressources cherchaient les moyens de vivre et de se procurer de l'argent, pour pouvoir partir, par le brigandage et le vol à main armée, 2° à une intention du parti révolutionnaire de maintenir les esprits dans un état d'excitation et d'alarme dans l'espoir de pouvoir faire naître quelques incidents dont ils pourraient profiter pour mettre à exécution ses coupables projets. L'autorité dut naturellement s'émouvoir d'un état de choses aussi alarmant et qui compromettrait d'une manière aussi cruelle la tranquillité publique. Des mesures exceptionnelles furent adoptées ; de fortes patrouilles eurent ordre de parcourir les rues nuit et jour, un appel fut fait à la garde nationale qui fut
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- 25 appelée sous les armes et aussi organisée en patrouille qui parcourt la ville nuit et jour. Une grande quantité d'arrestations de gens suspects eut lieu. Ces mesures ont obtenu le résultat désiré ; depuis deux ou trois jours les attaques ne se sont pas renouvelées, la population commence à reprendre confiance et à retourner à ses occupations et habitudes usuelles, et il est à espérer que l'énergie déployée par les autorités aura réussi à arrêter le mal et à l'empêcher de se produire de nouveau. 11 ne faudrait cependant pas se faire illusion ni se refuser à reconnaître qu'il existe à Gênes de nombreux germes de désordre et que l'autorité devra déployer autant de perspicacité que d'énergie pour parvenir à y conserver la tranquillité et le bon ordre tout en se maintenant dans le système actuel de Gouvernement. 111]
Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 6 janvier 1859 Dépêche N° 326 Depuis quelque temps déjà des rumeurs annonçant une guerre prochaine, circulaient dans le public et étaient le thème favori des journaux Piémontais ; mais je n'avais pas jugé jusqu'à présent que ces bruits eussent assez de consistance pour en entretenir Votre Excellence. Depuis quelque temps cependant les indices se font plus graves et je ne crois pas devoir plus longtemps garder le silence. En Piémont il y a une grande irritation contre l'Autriche ; dans tous les États du centre de l'Italie, en Lombardie, dans la Romagne, il règne une grande agitation qui n'attend qu'un moment favorable pour éclater. La politique du Piémont est d'entretenir cette agitation en faisant entrevoir aux populations de ces pays une guerre prochaine contre l'Autriche, dans laquelle la France, et peut-être la Russie, seraient alliés au Piémont et qui viendrait bientôt fournir à ces populations l'occasion de reconquérir leur indépendance nationale. Tous les efforts de la presse Piémontaise tendent à se but. La nouvelle tout récemment arrivée de Paris qu'à la réception du nouvel an l'Empereur aurait, en présence de tout le corps diplomatique, exprimé d'une manière assez sévère au représentant Autrichien, ses regrets de voir que les relations de l'Autriche avec la France n'étaient pas bonnes, est venue ajouter un nouvel aliment aux bruits de guerre, et la baisse produite, en conséquence, sur la bourse de Paris, et dont le contrecoup s'est aussitôt fait sentir sur celle de Turin, est venue encore accréditer l'opinion que la paix européenne pourrait se trouver sous peu violemment interrompue. Dans ces conjonctures l'ouverture du Parlement Sarde, annoncé pour le 10 de ce mois, est attendu avec impatience, car l'on espère pouvoir juger, à l'attitude du Ministère, du plus ou moins de gravité de la situation. L'on affirmait même que le discours d'ouverture du Roi serait belliqueux ; le journal semi-officiel
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s'empresse de démentir ce bruit dans un article assez curieux pour que je crois bien d'en donner un résumé à Votre Excellence. « L'on répand le bruit, dit cet article, que le discours du Roi, à l'ouverture des Chambres du Parlement, sera belliqueux ; comment a-t-on pu croire possible que dans les circonstances actuelles du pays et de l'Italie, le Roi puisse faire un discours belliqueux ? Si la guerre est probable qui peut croire que le Gouvernement la déclare. Le Gouvernement fait bien de s'y préparer mais l'on ne doit pas prétendre, qu'il avertisse officiellement les peuples d'événements probables, très probables même, mais qui ne dépendent pas de lui, ou dont même s'ils étaient certains, ils ne pourraient se déclarer ouvertement le partisan sans violer la prudence la plus commune. La probabilité d'une guerre prochaine résulte d'indices et de symptômes mineurs équivoques, de l'état de plusieurs provinces de l'Italie, des préparatifs que font les Puissances, de combinaisons politiques qui paraissent avoir été concertées. Mais le Gouvernement ne doit pas exprimer une opinion qui, étant officielle, aurait une importance trop majeure. D'ailleurs, les Gouvernements déclarentils jamais d'avance l'intention de faire la guerre ? Nous avons vu des protestations d'intentions pacifiques la veille de l'expédition de Crimée ; nous avons vu de grandes puissances exprimer le vœu de se mettre d'accord au moment même où elles ordonnaient aux troupes de marcher. Le discours de la Couronne ne sera donc qu'un exposé des réformes que le Ministère a l'intention de proposer, des lois principales qu'il soumettra à l'examen du Parlement et de la politique libérale et italienne qu'il est décidé de suivre. Mais nous croyons qu'il n'y aura pas un seul mot qui fera allusion soit à une guerre soit à de prochains changements en Italie. Les Gouvernements ont des devoirs internationaux et des égards officiels qu'ils ne négligent jamais. Le nôtre surtout est obligé d'être réservé en présence de l'agitation des esprits et de l'effervescence d'une partie de la Péninsule ». Votre Excellence reconnaîtra l'habileté avec laquelle cet article est rédigé, et le but auquel il tend est de prévenir par avance l'opinion publique et d'empêcher que le discours de la Couronne ne vienne décourager les populations de l'Italie et leur ôter l'espoir, que l'on tient à leur conserver, de prochains événements politiques qui pourraient donner satisfaction à leurs vœux. Les relations des rédacteurs du journal semi-officiel avec le Gouvernement donnent une certaine importance à cette tactique ainsi qu'aux opinions qu'il émet sur la probabilité d'une guerre. En présence de l'antagonisme qui règne en Piémont, surtout dans la presse contre l'Autriche, nous ne saurions-nous étonner du peu de sympathie qu'elle montre actuellement à la Turquie depuis que l'identité de ses intérêts dans des questions actuelles avec ceux de l'Autriche a fait croire à une entente cordiale entre les deux Gouvernements. Je me ferai un devoir d'informer Votre Excellence de tout ce qui pourra arriver ici de nature à éclaircir la question qui fait l'objet de la présente dépêche.
- 27 [12| Diran Bcy à Fuad Pacha Bruxelles, le 13 janvier 1859 Dépêche N° 773/8 Depuis quelques jours des bruits alarmants d'une guerre à laquelle on donne l'Italie pour foyer circulent dans le monde politique de la France ; ces inquiétudes vont en croissant et se propagent dans toute l'Europe surtout depuis le discours du Roi de Sardaigne prononcé le 10 janvier à l'occasion de l'ouverture des Chambres. Aussi les fonds publics ont baissé tout d'un coup d'un franc. Le mariage du Prince Napoléon avec la fille du Roi de Sardaigne produit une grande sensation, et donne lieu à beaucoup de commérages. On va même jusqu'à dire que le but de l'Empereur est de faire nommer un jour le Prince Napoléon Roi de Naples. On prétend aussi que la Russie sous prétexte d'escorter le Prince Constantin a fait entrer une flotte assez formidable dans la Méditerranée. Tous les journaux anglais sont aujourd'hui très hostiles à la France et les journaux français hostiles à l'Autriche ; aussi les alarmistes en rapprochant les différents faits, font voir l'horizon très obscur, et concluent qu'une guerre générale sera presque inévitable. [13] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 13 janvier 1859 Dépêche N° 392 L'ouverture des Chambres du Parlement Piémontais a eu lieu le 10 du courant. Sa Majesté le Roi Victor-Emmanuel a ouvert en personne la cession. Le discours que Sa Majesté a prononcé à cette occasion, discours dont j'ai l'honneur de remettre ci-joint à Votre Excellence la traduction, m'a paru assez important pour qu'au sortir de la séance Royale j'ai cru devoir expédier à Votre Excellence une dépêche télégraphique chiffrée qui lui en donnait le résumé. Quelques passages de ce discours ont été vivement applaudis et ont excité l'enthousiasme de l'auditoire. Le corps diplomatique, qui assistait, en gala, à la séance Royale, m'a paru en être assez vivement impressionné. Votre Excellence ayant pu, par mes précédents rapports, apprécier le terrain sur lequel se place le Gouvernement Sarde, reconnaîtra, je pense, l'habileté qui a présidé à la rédaction de ce discours. Il paraît qu'il a produit une vive impression dans toute l'Europe, car les nouvelles télégraphiques de Paris annoncent qu'une espèce de panique s'était, à sa réception, manifestée à la bourse et qu'une baisse considérable avait eu lieu sur toutes les valeurs.
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[14] Rustem Be_\ à Fuad Pacha Turin, le 13 janvier 1859 Dépêche N° 394 Dans la séance d'hier de la Chambre des représentants, le député Ratazzi a été élu Président au premier tour de scrutin. Le député Depretis a été nommé premier vice-président et le député Tecchio second vice-président. Les nominations ont eu une autre signification politique. Le député Ratazzi est le chef le plus influent du centre-gauche, soit du parti libéral avancé ; il a été longtemps collègue de M. de Cavour en qualité de Ministre de l'Intérieur, et s'est retiré dans le courant de l'année dernière pour céder ce Ministère à M. le Comte de Cavour qui cumule ainsi la présidence du conseil, le Ministère de l'Intérieur et celui des Affaires Etrangères. Le député Depretis est le chef de l'extrême gauche, soit du parti libéral, le plus outré, et le député Tecchio est un des chefs du même parti, et presque aussi avancé dans ses opinions que Depretis. Les forces respectives des partis dans la Chambre viennent de se dessiner nettement par ces trois nominations de ses principaux fonctionnaires. Le Ministère est certains de l'appui de la majorité, mais en revanche il devra faire des concessions à l'extrême gauche et pourra se trouver enchaîné plus loin qu'il ne le voudrait. J'aurai soin de tenir Votre Excellence au jour des faits intéressants qui pourraient se produirent dans le courant de la session législative. [15| Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 20 janvier 1859 Dépêche N° 404 Pour faire suite à mon rapport du 6 de ce mois, N° 386 1 , sur la situation politique de ce pays, je crois devoir informer Votre Excellence que depuis le discours prononcé à la séance d'ouverture par le Roi de Sardaigne, les apparences se font de plus en plus graves. L'Autriche a envoyé environ 30 000 hommes de troupe pour renforcer celles qu'elle avait déjà dans ses différentes provinces de l'Italie, de sorte que l'on assure que les troupes qu'elle y a réunies actuellement se composent d'environ 120 000 hommes. De son côté, le Gouvernement Sarde a rappelé les troupes qu'il avait dans l'île de Sardaigne et autres parties éloignées du royaume, et les a concentré plus près de ses frontières italiennes. W
il.
- 29 Le langage des journaux de l'un aussi bien que de l'autre côté est extrêmement violent et tend de jour en jour à envenimer la question. Néanmoins je crois qu'une attaque de la part de l'Autriche n'est nullement probable et que la Sardaigne seule ne peut songer à l'attaque. À moins donc que des événements imprévus, à moins de complications ultérieures, je ne pense pas que nous verrons pour à présent rompue la paix de l'Europe. La position actuelle, quoique tendue, n'est probablement qu'un des anneaux d'un plan arrêté et concerté que nous verrons se développer par degrés, sans que pour le moment il y ait encore à craindre de rupture violente, à moins, j e le répète, de complications imprévues qui pourraient surgir et tromper les calculs et les prévisions. L16J Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 20 janvier 1859 Dépêche particulière et confidentielle La situation politique se fait ici de plus en plus grave ; elle m'inspire quelques considérations que je crois de mon devoir de communiquer à Votre Excellence d'une manière toute confidentielle. Depuis la conférence de Paris le Piémont s'est déclaré le champion de l'indépendance italienne, le protecteur des nationalités opprimées de l'Italie. C'est un beau rôle qu'il avait déjà voulu jouer en 1848 mais avec peu de succès, et l'on ne saurait comprendre qu'il se jette une seconde fois seul dans une lutte chevaleresque mais inégale et qui probablement lui serait fatale. La position qu'il a prise l'a obligé de donner asile à tous les réfugiés politiques du reste de l'Italie parmi lesquels se trouve une masse de mauvais sujets, de démagogues, adeptes de Mazzini, qui plus d'une fois ont tenté de récompenser l'hospitalité qu'on leur accorde, par le désordre et l'anarchie ; mais il se trouve aussi parmi eux des hommes de biens et de talent, qui ont su gagner l'estime publique, ont acquis ici droit de cité et dont nous voyons plus d'un figurer parmi les membres de la Chambre des Députés. Ces personnes instruites, éloquentes, jouissent d'une certaine influence et ont beaucoup contribué à augmenter les sentiments de sympathie pour le reste de l'Italie opprimée et souffrante dont ils ne cessent de se rendre les éloquents avocats. L'Autriche et les autres Princes de l'Italie qui marchent avec elles ont de leur côté tout fait pour augmenter la pesanteur du joug qui opprime leurs populations italiennes, aussi en est-il résulté que l'opposition à l'Autriche qui n'existait auparavant que dans les classes élevées et les habitants des villes de la I.ombardic et autres provinces italiennes soumises à l'Autriche s'est aujourd'hui également étendue aux classes basses et aux populations des campagnes.
- 30 Comme partout les écrivains et les utopistes n'ont pas manqué de se mettre en campagne et de publier maints ouvrages sur l'indépendance de l'Italie ; ces livres répandus en grand nombre dans toutes les classes ont beaucoup contribué à animer les populations. Parmi ces écrivains il y a eu des hommes de grand talent, dont la mémoire est ici vénérée et qui ont posé des systèmes auxquels se sont ralliés beaucoup de partisans. Un de ces systèmes nous touche d'assez près pour que je crois devoir en parler ici d'autant plus que c'est encore un de ceux qui réunit ici-même actuellement le plus d'adeptes. Cesare Balbo écrivain distingué, auquel après sa mort on a ici élevé une statue, publia un ouvrage intitulé « Espérance de l'Italie », ouvrage remarquable sous quelque rapport, mais dans lequel après avoir démontré que l'Autriche défendrait à outrance la possession de ses provinces italiennes et que l'on ne parviendrait pas à les lui enlever, il proposa un nouveau système de compensation qui serait : de rejeter la Turquie en Asie Mineure ; de donner à l'Autriche la Turquie d'Europe en échange de ses provinces italiennes, ce qu'elle accepterait volontiers pour devenir une grande puissance maritime sur la mer Noire et l'Adriatique. Le consentement des autres puissances européennes devait être obtenu au moyen d'indemnisation, toujours aux dépens de la Turquie. Vincenzo Gioberti, écrivain distingué et populaire, non seulement adopta mais encore renchérit sur ce système qu'il développa dans son ouvrage intitulé « Suprématie civile et morale des Italiens ». Vint ensuite Giacomo Durando, celui précisément qui représente aujourd'hui la Sardaigne à Constantinople qui publia aussi un ouvrage intitulé « De la nationalité italienne ». Cet ouvrage qui manque complètement des mérites littéraires de ceux de Balbo et de Gioberti, les dépasse cependant en violence et en absurdité. Après avoir, pendant une cinquantaine de pages versées à pleines mains l'injure et la calomnie sur la Turquie et les Turcs, il prétend que l'expulsion de l'Europe des Turcs et leur concentration en Asie Mineure est le seul moyen de les régénérer ; que l'Autriche, maîtresse de la Turquie d'Europe, n'ayant plus de province italienne qui la préoccupe et absorbe ses meilleures troupes, serait le meilleur boulevard contre les empiétements de la Russie. J'ai cru devoir mettre Votre Excellence au fait de ces détails parce qu'ils pourront servir à lui faire comprendre quels sont les fils secrets qui font agir certains personnages. M. le Comte de Cavour est certainement un homme de grand talent et je lui crois trop d'esprit pour pouvoir supposer qu'il partage les utopies de Balbo, Gioberti, Durando. Je me demande cependant quelquefois si l'agitation continuelle qu'il s'efforce de maintenir en Italie, l'inquiétude perpétuelle dans laquelle il tient l'Autriche, n'aurait pas pour but de fatiguer cette puissance, de l'amener à entrer en arrangement peut-être même sur les bases du système Balbo ; j'ai d'autant plus de motifs de poser cette question lorsque je vois à Constantinople Durando, l'un des coryphées de ce beau système.
- 31 L'on doit enfin supposer à M. de Cavour un plan arrêté et mûri d'avance, eh bien, j'avoue ne pas le comprendre et je me trouve sous ce rapport dans la même position que tous mes collègues ici. Ce qui est incontestable c'est que lorsqu'il a lancé le Piémont dans la guerre de Crimée il le faisait entièrement dans un but italien, but qu'il a nettement posé dans la Conférence de Paris. Depuis il n'a cessé de travailler à ce but ; le discours du Roi à l'ouverture des Chambres, n'est pas, selon moi, un fait isolé, c'est pour ainsi dire un des chaînons de la trame qui se déroule ; le mariage du Prince Napoléon en est un autre. À propos de ce mariage je dois dire à Votre Excellence qu'il n'est pas en général vu d'un bon ceil ici, surtout parmi les hautes classes. La mère de la princesse Clotilde, quoique princesse de la maison d'Autriche s'était, par son exquise bonté, fait beaucoup aimée, parmi toutes les classes et plus particulièrement par les dames de la société qui l'approchaient davantage et pouvaient mieux apprécier ses nobles qualités. Aussi sa mort a été un deuil général pour tout le pays et sa mémoire est adorée et vénérée. La nation entière, toute la société a reporté sur la fille, charmante enfant de 16 ans à peine, l'amour que l'on portait à la mère et on la voit avec peine contracter un mariage qui, dit-on, lui répugne. L'on assure (je n'ai aucun moyen de contrôler avec quelle exactitude:) qu'après sa première entrevue avec le Prince la jeune princesse aurait dit aux dames de son entourage « si mon père ordonne formellement je devrais lui obéir, mais de ma propre volonté jamais je ne contracterai ce mariage ». Ces bruits viennent s'ajouter aux objections que l'on formulait déjà et qui étaient que la maison de Savoie, la plus ancienne dynastie de l'Europe ne devrait pas s'allier à une dynastie nouvelle, qu'un attentat, comme déjà il s'en est produit plusieurs, peut faire disparaître du jour au lendemain ; que le Prince Napoléon, homme de mérite du reste, n'avait rien de ce qu'il faut pour rendre heureuse une princesse jeune et sensible etc. etc. Un grand nombre de dames, surtout de la haute aristocratie, se sont abstenus de paraître au bal donné par le Comte de Cavour en l'honneur du Prince ; voulant ainsi faire une démonstration de leur sentiment au sujet de ce mariage — démonstration qui, assure-t-on aurait fort contrarié M. de Cavour, auquel ce mariage, qui voit se relier au plan politique de cet homme d'État, tient beaucoup à cœur. Les personnages politiques pensent que ce mariage est une nouvelle candidature qui se pose pour la Couronne d'Italie, et que l'Empereur des Français est tout disposé à l'appuyer par les armes. L'avenir seul nous éclairera sur le plan qui certainement est concerté, mais que l'on réussit à tenir secret ; j'ai trop d'opinion des talents de M. de Cavour pour admettre, ainsi que le prétend la presse française, qu'il se serait lancé dans cette voie dans l'espoir d'entraîner la France et sans être certain de son appui. Je ne saurais le croire, car ce serait jouer trop à la légère le sort de la Sardaigne qui pourrait, si elle se trouvait seule en présence de l'Autriche, payer fort cher ses velléités guerrières.
- 32 Chose assez singulière, en masse les Piémontais sont enthousiastes pour la guerre contre l'Autriche, mais en particulier ils ne la désirent pas et expriment même assez volontiers leur appréhension des résultats du mouvement actuel ; c'est j e pense, parce que le peuple se laisse facilement enflammer par un discours chaleureux, par un article de journal. D'où je conclus que sans être porté pour une guerre dont on ne saurait prévoir les conséquences, néanmoins les Piémontais de tous les partis, (le parti clérical arriéré, seul excepté) soutiendront la marche du Gouvernement ou au moins ne lui feront pas d'opposition. Je terminerai ces appréciations en rendant compte à Votre Excellence d'une conversation confidentielle que j'avais tout dernièrement avec Sir James Hudson, envoyé extraordinaire et Ministre plénipotentiaire d'Angleterre — qui, ainsi que j'ai déjà eu l'honneur de le dire à Votre Excellence, est très bien disposé pour nous. Après une longue conversation sur la situation générale actuelle il me dit « nous entrons dans une nouvelle phase ; peut-être aboutirat-elle à la guerre ; l'intérêt de l'Angleterre est de conserver sa neutralité, et de voir arriver les événements. Mais prenez garde-à-vous, il n'y a aucun doute que l'on ne suscite des troubles sérieux dans plusieurs de vos provinces chrétiennes et je sais de certains que depuis longtemps déjà l'on travaille avec acharnement à ce but. Surveillez donc avec attention vos provinces grecques et slaves ; ayez sur les lieux des hommes intelligents ; que le G o u v e r n e m e n t soit immédiatement informé des plus petits mouvements que l'on voudrait tenter et qu'il soit bien préparé à écraser immédiatement avec énergie toute tentative de désordre, sans lui permettre de prendre d'importance. Surtout pas de faiblesse, pas d'hésitation. C'est seulement ainsi que vous pourrez triompher des intrigues que l'on trame contre vous et éviter des ingérences et des complications dangereuses. » [171 Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 21 janvier 1859 Dépêche N° 53 Il serait parfaitement superflu de rapporter à Votre Excellence que les événements qui s'accomplissent au-delà des Alpes, absorbent depuis quelque temps, l'attention du monde politique. Qu'il me soit cependant permis de constater, que le Cabinet de Berlin n'a pas été exempt de préoccupations sérieuses. Il me revient en effet d'une source digne de foi, que la question était posée : quelle serait l'attitude que prendrait la Prusse, si la guerre éclatait en Italie ? La Prusse, dans ses tendances pacifiques, voudrait peut-être pouvoir garder la neutralité. Plusieurs indices feraient même présumer que telle serait son attitude, si l'Autriche avait à se démêler seul avec des États italiens. Mais si la France se décidait à y prendre part active, ne serait-il pas hardi d'avancer que la Prusse resterait spectatrice indifférente ?
- S S II est parfaitement établi que cette puissance ne considère nullement les possessions de l'Autriche en Italie, comme faisant partie de la confédération germanique. Aussi, la rumeur accréditée relativement à une garantie de ces possessions, paraît être au moins prématurée. Des tentatives analogues, faites à plusieurs reprises, sont restées, à ce que je crois savoir, infructueuses. Néanmoins, d'après le raisonnement de presque tous les hommes d'État Prussiens, si l'Italie secoue la domination a u t r i c h i e n n e , elle doit nécessairement tomber dans celle de la France. Or cette idée répugne à toute l'Allemagne, qui, dans le but de prévenir l'éventualité redoutée, serait peut-être disposée à embrasser la cause de l'Autriche. Les antipathies nationales, les souvenirs historiques, les appréhensions de l'avenir sont autant d'arguments en faveur de cette manière: de voir. En attendant, c'est un fait remarquable que depuis l'installation de la régence, la presse Prussienne manifeste des sympathies assez prononcées pour l'Autriche. Tous les journaux, à l'exception des ultras démocratiques, trouvent que, nonobstant la différence de religion et d'intérêts entre les deux pays, nonobstant que l'Empire apostolique soit un agglomérat de nationalités diverses, parmi lesquelles la race allemande est en minorité, l'entente entre l'Autriche et la Prusse est la condition sine qua non pour donner à l'Allemagne la valeur politique qui lui revient de sa position. Le ton de sympathie est devenu une espèce de mots d'ordre dans tous les rangs de la Prusse, aussitôt que les paroles adressées par l'Empereur Napoléon à Monsieur de Hiibner furent connues. Dès ce jour, la vieille animosité de la race germanique contre la race gauloise s'est réveillée. Depuis le « Journal pour rire » jusqu'aux feuilles qui vivent d'inspirations venant de sphères élevées, tous évoquent des souvenirs historiques pour préparer le peuple à la lutte. Si l'on ne va pas; jusqu'à dire que la Prusse doit prendre les armes pour voler au secours de l'Autriche, en cas qu'elle fut menacée, l'on fait assez comprendre que le peuple allemand n'attendrait pas, l'arme au bras, à se mêler des affaires jusqu'à ce que le drapeau français flotta sur la tour de Milan. Tel est en ce moment, l'état des esprits en Prusse, provoqué par les derniers événements de la Péninsule. Malgré son indifférence ostensible, le Cabinet de Berlin en est particulièrement impressionné. J'ai tout lieu de croire qu'il se trouve en lutte entre deux influences prépondérantes ; dont l'une pourrait avoir, dans le cours normal des choses, le dessus ; mais il serait fort probable que l'autre l'emporterait sur sa rivale en face de l'éventualité sus-indiquée. Je me hâte d'ajouter que ces conjectures perdent toutefois de leur valeur, en présence des indices qui font espérer la continuation de la paix générale. Cette paix, toutes les puissances, et certainement la Prusse pas moins que les autres, l'évoquent de tous leurs vœux. La Sublime Porte, en écartant le conflit que menaçait de provoquer l'accident autrichien, a certainement gagné un titre de plus à la reconnaissance de l'Europe.
- 34 118] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 27 janvier 1859 Dépêche N° 408 Faisant suite à ma dépêche du 20 de ce mois, N° 4 0 4 1 , sur la situation politique de ce pays, j'ai l'honneur d'informer Votre Excellence que les esprits commencent à se calmer, et que les plus exagérés même reconnaissent qu'une guerre immédiate n'est pas probable, que la diplomatie aura d'abord à s'occuper de la question italienne et à s'efforcer d'obtenir l'amélioration du sort des populations de l'Italie. Mais ils ajoutent que, comme l'Autriche n'est nullement disposée à concéder des institutions libérales à ses provinces italiennes, il ne peut y avoir aucun doute que la question de l'Italie ne pourra se résoudre que par la guerre à une époque plus ou moins rapprochée. Les préparatifs militaires continuent ici, et toutes les nouvelles de France signalent une grande activité dans tous les arsenaux militaires et maritimes, et des préparatifs militaires sur une vaste échelle. Espérons néanmoins que la sagesse des Gouvernements réussira à prévenir une guerre qui pourrait prendre de très grande proportion et dont il est impossible de calculer les conséquences. Un point, cependant, j e l'avoue, m'inspire de sérieuses inquiétudes. J'ai une grande opinion des talents de M. de Cavour comme homme d'Etat. Je ne puis donc admettre qu'il se soit avancé aussi loin sans agir d'après un plan concerté d'avance avec la France. S'il en était autrement il aurait compromis d'une manière impardonnable son pays et sa propre position. Je ne puis admettre cette hypothèse, et je m'attends toujours, dans un avenir plus ou moins éloigné, à voir se développer les plans que je dois supposer arrêtés et concertés. L19] Musurus Bey à Fuad Pacha Londres, le 27 janvier 1859 Dépêche N° 555 J'ai demandé à Lord Maimersbury si le bruit répandu par certains journaux sur un congrès européen dont le Cabinet britannique aurait proposé la réunion pour aviser au règlement de la question Austro-Italienne et éviter la chance d'une guerre avait quelque fondement. Sa Seigneurie a donné le démenti le plus formel à ce bruit, et m'a dit que non seulement le Cabinet britannique n'avait jamais songé à un tel projet mais qu'il en avait eu trop à regretter les appels des congrès précédent pour avoir envie d'en faire un nouvel essai. W
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Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 3 février 1859 Dépêche N° 419 Pour faire suite à mon rapport du 27 janvier dernier, N° 408 1 , sur la situation politique de ce pays j'ai l'honneur de faire savoir à Votre Excellence qu'elle est à peu près dans le même état que j'ai déjà eu l'honneur de le signaler. Les armements et préparatifs militaires continuent toujours sur une assez vaste échelle ; ils ne peuvent avoir lieu qu'en causant des dépenses considérables que le budget n'avait pas prévues ; aussi l'on assure que le Comte de Cavour se prépare à demander aux Chambres législatives l'autorisation de contracter un emprunt de 60 millions de francs. La discussion à laquelle ce projet de loi donnera lieu dans la Chambre des Députés ne peut manquer d'être très intéressante et nous mettra à même de juger exactement de la force et de l'influence du Ministère actuel. L'opinion publique ici, aussi bien qu'à Gênes, est décidément à la guerre, et les journaux considérés comme les organes semi-officiels du Gouvernement poussent énergiquement dans ce sens et sont même d'une violence extrême. D'autre part, l'on signale des symptômes assez graves en Lombardie et dans les autres petits États italiens, Modène, Parme etc... L'agitation s'y propage, assure-t-on, d'une manière sérieuse et de très nombreuses arrestations auraient eu lieu en Lombardie. On attend ici avec une vive impatience l'ouverture du corps législatif français dans l'espoir que le discours de l'Empereur contienne quelque allusion à l'état actuel de l'Italie. [21] Fuad Pacha à Rustem Bey Constantinople le 9 février 1859 Dépêche N° 2119 J'ai reçu votre rapport du 20 janvier sous N° 4 0 4 2 relatif aux indices inquiétants qui menacent le maintien de la paix en Europe. Le Gouvernement impérial en voyant la gravité de la situation fait des vœux pour que la paix ne soit pas troublée encore pour longtemps.
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Fuad Pacha à Aristarchi Bey Constantinople, le 9 février 1859 Dépêche N° 2120 J'ai reçu et lu avec intérêt votre rapport du 21 janvier sous N° 5 3 ' relatif aux dispositions des esprits en Prusse par suite des rumeurs de guerres qui ont un moment agité l'Europe. Heureusement le calme succède aujourd'hui à l'inquiétude, et tout contribue à nous faire espérer le maintien de la paix en Europe. [23| Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 10 février 1859 Dépêche N° 434 I .c Gouvernement Sarde pour pouvoir faire face aux préparatifs militaires a dû demander aux Chambres l'autorisation de conclure un emprunt de 5 0 millions de francs. Ci-joint A N° 1, j'ai l'honneur de remettre à Votre Excellence traduction de la proposition du Ministère ; Votre Excellence verra que le besoin de conclure un emprunt se base sur les préparatifs que fait l'Autriche et la nécessité pour le Piémont de se trouver prêt à résister à une attaque éventuelle. Ci-inclu A N° 2 Votre Excellence trouvera aussi un résumé du discours que M . le Président du Conseil, Ministre des Affaires Etrangères et de l'Intérieur, a prononce hier dans la Chambre des Députés lors de la discussion sur ce projet de loi. Votre Excellence y verra proclamer sans détour la politique italienne du Cabinet sarde. Le discours de M. de Cavour a produit un grand enthousiasme dans la Chambre, le projet de loi a été voté à une très imposante majorité, 116 voix en faveur et seulement 35 contraires. L'annonce de ce résultat a été reçue par la Chambre et le public par des acclamations réitérées.
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- 37 [24] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 16 février 1859 Dépêche N° 72, réservée J'ai eu l'honneur d'annoncer à Votre Excellence par le télégraphe que le Cabinet de Vienne adressa récemment à ses agents une note circulaire, dans le but de s'assurer l'assistance des Gouvernements allemands en cas de guerre en Italie. Cette dépêche a été communiquée le 11 de ce mois par le Baron Koller au Ministre des Affaires Etrangères de Prusse. Il me revient, et je m'empresse de le porter à la haute connaissance de Votre Excellence, que le Cabinet de Vienne y expose d'abord les titres que lui confèrent les traités sur ses possessions italiennes ; qu'il fait ensuite ressortir le danger dont serait menacée l'Allemagne par une agression étrangère. On assure que tant l'agresseur que les causes de l'agression sont soigneusement éludées. Le Comte Buol finit par faire appel au sentiment national, tout en invitant le Gouvernement Prussien à dessiner son attitude. Jusqu'à ce moment le Cabinet de Berlin ne s'est pas prononcé sur une question qui le préoccupe toutefois, depuis assez longtemps, sérieusement. Aussi n'oserais-je me hasarder à vouloir préjuger le résultat final des délibérations ministérielles. Cependant certains antécédents, qui n'ont pas encore transpiré dans le public, font présumer que la réponse de la Prusse sera évasive. Il n'est pas dit, que cette puissance resterait spectatrice indifférente, si la France menaçait sérieusement l'Autriche. Il semblerait plutôt que, dans ce cas, l'opinion publique l'emporterait sur la prudence et la modération du Gouvernement. Mais, dans la situation actuelle, déterminer d'avance l'attitude que la Prusse serait appelée à prendre en cas d'hostilités ouvertes, ce serait peut-être provoqué ces mêmes hostilités que l'on s'efforce à prévenir. D'ailleurs, il y aurait manque d'égards envers une Puissance limitrophe qui, dans ses rapports, ne cesse de témoigner de la bienveillance et de l'amitié. Ce sont ces considérations, ou je me trompe fort, qui ont décidé le Cabinet de Berlin à ne pas accéder à la proposition de la Bavière, tendant à prohiber l'exportation de chevaux. Votre Excellence rappellera sans doute que la France complète ses remontes par des achats qu'elle fait chaque année régulièrement dans le midi de l'Allemagne. Sur une motion des Chambres bavaroises, présentée par l'ancien Ministre Lerchenfeld, M. Van Der Pforten a voulu entraîner la Prusse dans une mesure, que les raisons alléguées ne semblaient pas assez justifiées. La Prusse déclina l'invitation et la motion fut rejetée. Des démarches analogues, accueillies par l'opinion publique éveillée, ont été tentées avec plus ou moins de succès de la part de la diplomatie autrichienne. Ainsi, ces derniers jours le Baron Koller et le Ministre de Württemberg ont été successivement chargés d'entretenir le Prince-Régent d'une alliance, en vue des
- 38 éventualités redoutées. Dans l'audience qui lui a été accordée, le représentant de l'Autriche y ayant insisté avec vivacité, Son Altesse Royale observa une extrême réserve et finit par déclarer qu'elle ne voyait pas les causes d'une guerre. l e Comte de Linden n'a pas été plus heureux. Il est, en effet, dans le caractère du Prince-Régent d'accueillir avec froideur toute démarche vive ; sa nature se répugne contre des arguments imposés. En attendant, le Cabinet actuel de Prusse, quoique enclin par ses sentiments patriotiques, vers une alliance autrichienne est trop prudent pour s'aventurer dans un système périlleux, dont les bases ne sont pas clairement établies. Toutefois, les armements considérables qui se font en France, la facilité d'envahir l'Allemagne du côté de l'Ouest, l'absence d'y opposer une résistance sérieuse, toutes ces circonstances inquiètent les Ministres. Mais en même temps, il ne se décide pas à penser que la France songe à une guerre d'invasion. La prudence personnelle de l'Empereur Napoléon et l'état des esprits en Europe en sont à leur yeux des obstacles sérieux. De plus, les déclarations publiques des deux plus puissants souverains seraient une garantie pour le maintien de la paix. Il croit, d'ailleurs, avoir remarqué que depuis la misérable tentative d'Orsini un changement dans l'attitude ostensible de l'Empereur vis -à-vis de l'Italie. Sa Majesté voudrait peut-être ménager les fanatiques, en se posant comme protecteur de la cause italienne. Certes, Votre Excellence jugera mieux que personne les vrais motifs qui imposent à la Prusse cette conduite, malgré les efforts assidus pour l'en détacher. Quoiqu'il en soit, le Cabinet de Berlin se ménage l'avenir qui, à son avis, pourrait lui procurer des avantages, qu'une précipitation changerait en tant de périls. La France victorieuse n'amènerait-elle pas les années désastreuses des combats d'Austerlitz et d'Iéna ? Et l'Autriche victorieuse ne menacerait-elle pas de prendre leur revanche sur l'ancienne rivale, qui s'est agrandie à ses dépens ? C'est dans le but d'écarter ces deux alternatives que la Prusse semble vouloir se réserver sa liberté d'action. En attendant, elle s'applique avec l'Angleterre à paralyser, dans les limites des traités, les causes d'une guerre dont l'éclat menacerait une conflagration générale. [25] Fuad Pacha à Rustem Bey Constantinople le 16 février 1859 Dépêche N° 2140 J'ai lu avec intérêt le rapport confidentiel que vous m'avez écrit en date du 20 janvier 1 au sujet des plans occultes de la Sardaigne dans la question italienne se rattachant à certaines combinaisons subversives qui auraient été adoptées contre nos États. 'No. 16.
- 39 La Sublime Porte qui ne perd jamais de vue ces combinaisons quoique illusoires en présence des traités qui relient la Turquie au reste de l'Europe, consacre dans ce moment tous ses efforts dans le cercle de ses droits, et dans l'établissement de l'entente unanime des puissances cosignataires au sujet de l'application intégrale des stipulations de Paris. Comme des renseignements aussi exacts que possible et faisant suite à ceux qui font l'objet de votre rapport précité seraient très utiles à nous éclaircir sur les circonstances qui nous entourent, j e vous prie de continuer à me les fournir, et d'agréer avec l'expression de ma satisfaction... [261 Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 22 février 1859 Dépêche confidentielle Appelé à Paris par quelques affaires privées pour trois à quatre jours ayant pu juger l'opinion publique en France sur la situation actuelle et recueillir certains bruits que l'on dit avoir un fondement positif, et que je me fais un devoir de transmettre à Votre Excellence quelque pénible que me soit cette tâche à cause de certains détails qui se rattachent à mon pays et qui ne lui sont guère favorables. Sur la question de la guerre l'opinion publique est aussi partagée en France que dans le reste de l'Europe, les partisans de la paix semblent pourtant l'emporter et le Ministre français ayant manifesté la même tendance pacifique dans un conseil présidé par l'Empereur, le Ministre de l'Intérieur, M. Delangle, fut chargé par l'Empereur de sonder l'opinion publique. Le rapport du Ministre, recueillit des renseignements de tous les préfets des départements, sous-préfets et maires, et même les chefs de la gendarmerie étant venus confirmer cette tendance pacifique générale, l'Empereur aurait dit que l'opinion des provinces n'était point de poids, que c'était Paris qui dicte la loi. Pour connaître l'esprit de la capitale l'ordre fut donné de laisser entièrement libre toute manifestation des sentiments qui animent le public à l'occasion de l'entrée du Prince Napoléon avec sa nouvelle épouse. L'entrée eut lieu sans que la moindre manifestation d'enthousiasme vînt confirmer la supposition d'une tendance plus belliqueuse que celle constatée dans les provinces, au point que, quelques étrangers en ayant fait la remarque à des agents de police, ceux-ci répondirent qu'ils n'avaient point d'ordre ni pour ni contre une manifestation quelconque. Le froid accueil aurait donné lieu à une altercation assez vive entre le Prince Napoléon et l'Empereur auquel le premier aurait reproché de manquer à la dignité du nom qu'il portait en reculant aujourd'hui, de l'avoir compromis en l'engageant avant le départ du Prince pour le Piémont à un langage belliqueux qui se trouvait en contradiction avec le discours prononcé par l'Empereur le 7. Ce discours qu'on dit avoir été tout belliqueux dans sa première conception,
-40aurait été remanié entièrement et considérablement modifié par suite de celui de la Reine d'Angleterre et ceux prononcés dans le Parlement anglais, qui déclarait le maintien des traités de 1815. L'Empereur ayant refusé au Prince de recevoir au haut de l'escalier la princesse Clotilde qui au bal des Tuileries, le soir de ce même jour, devait faire sa première entrée dans le monde, en déclarant qu'il ne pouvait déroger aux règles d'étiquettes (calqué aujourd'hui en France sur celle de la cour de Louis XIV) et qu'il n'assisterait point à ce bal, le Prince décida que ni lui ni la princesse Clotilde n'y paraîtraient non plus. En effet l'Impératrice seule fit les honneurs de ce bal où tout entrain était paralysé par l'absence presque totale de la famille impériale. On semble constater que l'Empereur se trouve débordé par son entourage, à la tête duquel le vieux Roi Jérôme et le Prince Napoléon ne laissent pas de lui susciter des embarras. On dit que ce sont eux qui depuis la guerre d'Orient dans des vues dynastiques avec la maison de Savoie - ont poussé le Piémont à une alliance dont il ne savait que faire. Un fait encore remarquable à constater et l'aversion générale de tous les Français pour le Prince Napoléon ; et l'accueil froid et la réserve dont il a été le sujet à un bal à l'hôtel de ville, les marques de pitié plutôt que de sympathie dont la princesse Clotilde y fut entourée, semblent une preuve non équivoque de la désaffection des Français envers le Prince. Quant aux Principautés, l'élection de Couza, due à l'instigation sourde de la Russie et de la France semble être un sujet de triomphe surtout pour cette dernière en ce qu'elle se flatte de voir son assertion ; que les Principautés désirent et demandent l'union, semble trouver dans le fait accompli de la nouvelle élection de Couza son entière justification. D'après tous les renseignements ce fait, considéré comme accompli, semble encourager la France plus que jamais dans ses vues unionistes. Je me suis abstenu de faire parvenir à Votre Excellence une carte de l'Europe pour l'année 1860, divisé par quelques utopistes qui y opèrent des remaniements étranges, ayant appris par Nazim Bey que lui-même en a expédié un exemplaire à Votre Excellence. Je passe sous silence toutes les attaques malveillantes auxquelles la Turquie est en but et je ne puis m'empêcher d'exprimer le plus vif regret de ce qu'un ambassadeur, qui puisse repousser les calomnies et relever la Turquie aux yeux de l'Europe, ne se trouve en ce moment à Paris. On a parlé de M. Musurus comme plénipotentiaire aux conférences projetées, mais la France dans l'appréhension d'une prépondérance de l'Angleterre qui pourrait naître du dévouement trop bien connu de ce représentant Ottoman, au sein des conférences, est loin de bien accueillir ce nom. Le vœu non seulement de la France, mais le vœu général appelle Votre Excellence à cette tâche difficile, mais glorieuse, qui, confiée surtout à de telles mains offrirait la meilleure garantie de réussite.
- 41 127| Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 2 mars 1859 Dépêche N° 82 Imitant l'exemple de collègues judicieux je pourrais, au risque de paraître inopportun, prétendre à dévoiler la mission de Lord Cowley et à en préjuger le résultat. Votre Excellence, informé parfaitement du but de cette mission auprès du Cabinet de Vienne, trouverait fort probablement mes conjectures oiseuses. Qu'il me soit seulement permis d'en relever une circonstance qui concerne l'action du Cabinet de Berlin. J'ai eu dans le temps l'honneur de rapporter à Votre Excellence que la Prusse mue par le désir du maintien de la paix avait joint à cet effet ses efforts à ceux de l'Angleterre. Aussi le langage et l'attitude de l'ambassadeur britannique auront-ils d'autant plus de poids, qu'il est autorisé, d'après ce que j'ai pu apprendre, à déclarer nettement cette parfaite entente. L'identité de vue de ces deux puissances inaugure une solution à l'amiable des embarras provoqués piar la question italienne. L'annonce de l'évacuation des troupes austro-françaises en sont d'heureux préliminaires. Il faut bien espérer que la concertation des mesures propres à répondre aux besoins de la Lombardo-Venctie ne sera pas infructueuse. En attendant, une nouvelle difficulté se soulève sourdement au sujet de l'évacuation des troupes. Votre Excellence se rappellera sans doute qu'il existe actuellement en Italie double occupation militaire ; l'une effectuée en commun, dans les Etats du Pape, par des troupes de France et d'Autriche, l'autre exercée par cette dernière puissance seule à la suite de traités conclus entre elle et des Etats italiens. Il n'y a pas de raison, assure-t-on, que l'Autriche ne consente à la cessation de l'occupation mixte de Rome ; mais l'on se demande : l'Empereur Napoléon serait-il disposé à quitter le sol du Saint-Siège, en cas de refus de retirer la garnison de Ferrare ? Le traité de 1817, renouvelé en 1831, conféra l'Autriche le droit d'y entretenir des garnisons ; et l'exercice en est considéré par la légation de France à Berlin comme une décision de la première concession. En même temps, les bourses qui sont d'ordinaire le baromètre de la politique du jour, subissent depuis quelque temps des fluctuations extraordinaires. Les papiers d'Autriche baissent aujourd'hui de 20 %.
-42|28] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 2 mars 1859 Dépêche confidentielle Par la dépêche que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'adresser en date du 16 février dernier, N° 2 1 4 0 1 , Elle a daigné m'exprimer son approbation sur le rapport confidentiel que j e lui avais adressé le 2 0 janvier et me prescrire de continuer à lui fournir les renseignements qui parviendraient à ma connaissance. J'aurai soin de me conformer aux ordres de Votre Excellence ; en attendant j'ai l'honneur de lui remettre ci-joint une carte qui, depuis quelques jours, est publiquement mise en vente chez les libraires de Turin et même affichée sur la devanture de leurs magasins. Cette carte, qui prétend représenter l'éclat dans lequel se trouvera l'Europe en 1860, confirme pleinement les renseignements que j'avais eu l'honneur de donner à Votre Excellence par mon susdit rapport particulier du 2 0 janvier concernant des plans de remaniement des possessions et des limites des divers pays de l'Europe, plans entièrement contraires aux intérêts de l'Empire Ottoman. De plus le journal « l'Opinion » , considéré comme l'organe officieux du Ministère Sarde et surtout de M. le Comte de Cavour, a commenté et expliqué cette carte dans un long article auquel j'aurais répondu si j'avais eu un organe de publicité à ma disposition. J'ai des motifs de croire que cette carte, qui a d'abord été éditée à Londres, n'est pas l'ouvrage d'Anglais mais bien de certains Italiens, et j e puis affirmer qu'elle a été vue ici avec plaisir. Depuis plusieurs jours les libraires l'exposent publiquement en dehors de leurs boutiques, et une foule de personnes s'arrête pour la voir et exprime toute leur approbation. L'autorisation ou la tolérance accordée ainsi par le Gouvernement Sarde à l'exposition publique et à la forme d'une publication dirigée entièrement contre les droits des puissances amies et alliées, m'ont tracé la sympathie que ce Gouvernement ressent pour les plans qu'elle dévoile ; et j'ai eu d'abord l'idée de réclamer auprès de M. le Ministre des Affaires Etrangères et de demander que la vente publique en soit interdite ; les droits et devoirs internationaux justifieraient pleinement cette demande ; mais après mûre réflexion j'ai renoncé à cette idée, pleinement convaincu que l'on ne ferait pas droit à ma réclamation, que l'on m'objecterait la liberté pleine et entière de la presse en Piémont et l'initiative prise par la France et l'Angleterre en autorisant la vente de cette publication. Ma démarche n'aurait donc abouti qu'à donner de l'importance à une publication que j e me suis au contraire attaché à tourner en ridicule en la qualifiant partout d'extravagante utopie. 'No. 25.
- 43 Tout en la considérant sous ce jour, je pense cependant que le Gouvernement impérial ne peut que la reconnaître que comme l'expression d'une idée qui a pris naissance en Sardaigne, qui a fait des progrès et bon nombre de prosélytes surtout en France, qu'il est bon de surveiller et de ne pas perdre de vue. |291 Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 3 mars 1859 Dépêche N° 789/24, particulière La situation politique en Europe devient de jour en jour plus grave et depuis peu, surtout, on croit dans le monde politique une guerre européenne inévitable, quoique le vœu général soit en faveur de la paix. Les correspondances particulières de Londres et même de Vienne disent que la mission de Lord Covvley n'a pas obtenu de succès et, malgré qu'il n'y a rien officiel encore dans ces bruits, ils dépeignent assez la ferme résolution de l'Autriche de ne faire aucune concession à la France, concernant l'Italie ; on assure d'ailleurs que l'Autriche serait prête à mettre 600 000 hommes sous les armes, dans un mois de temps et que l'Allemagne se joindrait à elle. Quant à l'Angleterre elle resterait neutre, pour commencer, et n'interviendrait, si jamais elle doit prendre une part active, que dans le but d'amener une coalition contre la France. Je viens même d'apprendre, de très bonnes sources, que les collègues de M. Disraeli et de M. Malmersbury ont reproché à ces deux membres du Parlement de s'être trop prononcé en faveur de la paix dans leurs discours. Quant à la Russie, quoiqu'elle ne soit pas en état de faire la guerre en ce moment, vu ses sérieuses occupations intérieures, on croit qu'elle déploiera une armée sur ses frontières d'Autriche pour paralyser une grande partie des forces de sa voisine et la payer ainsi de la même monnaie que cette dernière l'a fait envers elle dans la guerre d'Orient. Pour ce qui est de l'évacuation de Rome, on assure, d'une manière certaine, qu'elle se fera dans un très bref délai et on croit généralement que, si elle a lieu, ce sera le signal de la guerre.
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Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 10 mars 1859 Dépêche N° 457 Les dernières nouvelles reçues de France, nouvelles qui sont beaucoup plus pacifiques que celles de ces jours passés, l'article du Moniteur qui vient d'arriver et qui semble faire entrer la question de guerre dans une nouvelle phase pacifique, la démission du Prince Napoléon de ses fonctions de Ministre des Colonies et de l'Algérie, démission qui paraît être la conséquence d'un nouvel ordre d'idées dans lequel serait entré l'Empereur, ont produit une profonde et pénible impression en Piémont et surtout à Turin. La Chambre des Députés était en séance lorsque arrivèrent les dépêches télégraphiques qui portaient ces nouvelles ; elles causèrent aussitôt une émotion et une agitation si profonde que, cessant toute discussion, les députés abandonnèrent leur place et se réunirent en groupe disputant le sens et la portée des dépêches et de l'article. L'irritation et la contestation étaient au comble. L'impression n'a pas été moins profonde dans le public et il est encore difficile de préciser si c'est l'irritation ou l'inquiétude qui prédomine. I-c parti exagéré, l'extrême gauche fait courir les bruits les plus absurdes sur une attaque imminente de l'Autriche, sur un coup de main qu'elle tenterait contre Turin. Je crois que l'intention de ce parti en répandant de pareils bruit est de surexciter l'opinion publique et d'amener des manifestations, des troubles mêmes. Il espérait ainsi engager irrévocablement la partie et entraîner l'Empereur. En attendant les préparatifs de guerre continuent ici et un nombre fort considérable (plusieurs milliers assure-t-on) de jeunes gens de bonne famille de la Lombardie et des autres parties de l'Italie ne cessent d'arriver de tous côtés en Piémont pour s'enrôler dans l'armée sarde. L31J
Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 11 mars 1859 Dépêche N° 458 Le Gouvernement Sarde n'ayant pu réussir à conclure à Paris l'emprunt de 50 millions de francs, dernièrement voté par le Parlement Sarde, s'est décidé à faire appel au patriotisme de la nation et a ouvert la souscription publique dans les différentes villes du royaume pour la somme de 30 millions, réservant 20 millions pour des maisons de banque de Paris qui avaient offert de s'en charger. Le taux d'émission a été fixé à 79, rente 5 %.
- 45 Le public s'est empressé de répondre à l'appel du Gouvernement et non seulement les 30 millions ont été couverts presque immédiatement mais encore, le montant des souscriptions s'étant élevé à une somme beaucoup plus considérable, l'on assure que le Gouvernement se déciderait à livrer aussi à la souscription nationale les 20 millions qu'il avait réservés pour les capitalistes étrangers et dans ce cas il n'y a aucun doute que la somme totale ne soit aussitôt couverte. 132] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 14 mars 1859 Dépêche N° 797/32, confidentielle D'après les renseignements que j'ai pu cueillir, la situation politique à Paris s'aggrave tous les jours de plus en plus, malgré l'article du Moniteur on n'est plus à la guerre que jamais ; quoique l'opinion générale, même celle de l'entourage le plus proche de l'Empereur soit contre la guerre, on la croit inévitable. L'état actuel des choses n'est considéré que comme un temps d'arrêt, soutenu et prolongé à dessein pour forcer en quelque sorte l'Autriche à sortir de son attitude d'attente armée — attitude si onéreuse pour elle — et à la contraindre à se décider à l'offensive pour fournir à la France un prétexte plausible d'intervention. Lord Cowley n'avait aucune mission officielle — il a été chargé tout simplement d'examiner la situation de l'Autriche et de sonder le terrain dans le but de découvrir quelques points d'appui pour un arrangement quelconque. Cet ambassadeur a trouvé l'Empereur d'Autriche très bienveillant pour lui, et très conciliant pour l'Angleterre, mais très raide et très tendu à l'égard de la France. Aussi, lorsqu'on recevait des dépêches de Vienne qui disaient que Lord Cowley était content du résultat de sa mission, ce contentement ne s'étendait pas audelà de ce qui concerne sa personne et l'Angleterre exclusivement. Toute l'Allemagne est contre la France et l'on assure que l'Angleterre est avec l'Autriche et que dès à présent on s'est entendu sur une coalition. Ceci ne laisse pas d'indisposer fortement l'Empereur Napoléon qui paraîtrait mécontent de la ténacité de l'Autriche. On raconte que, il y a trois jours, il s'est enfermé dans son Cabinet, ne recevant personne excepté Monsieur de Morny, et faisant venir ce même jour par trois fois Monsieur de Lagueronnière — mais rien n'a transpiré sur l'entretien qui a eu lieu, si ce n'est que l'Empereur aurait dit : « plutôt la guerre qu'une paix honteuse ». Les armements en France continuent. Le général Lamoricière a sollicité un commandement et l'Empereur a accueilli cette offre en lui exprimant que du moment où ce général était rentré en France, lui, l'Empereur, ne s'attendait pas à moins qu'à ce dévouement patriotique de la part de l'illustre guerrier.
- 4 6 Aujourd'hui l'affaire des Principautés — n'occupant que l'arrière-scène de la situation politique — ne préoccupe plus autant les esprits en France et il est considéré comme une affaire secondaire. Un bruit quoique peu prononcé encore, mais qui dit-on, aurait quelques fondements, circule à Paris, c'est que, si l'Empereur ne parvient pas avec le Ministère actuel au but qu'il se propose, il se décidera à un coup décisif et changera le Ministère. On désigne le Prince Napoléon comme Président du Conseil, M. Pietri comme Ministre de l'Intérieur, et M. Billanl comme Ministre des Affaires Etrangères. Quoiqu'il en soit, il est fort difficile de conjecturer quelque chose s'approchant du positif — on ne sait à quoi se tenir avec un homme comme l'Empereur qui ne dit à personne ce qu'il pense ni ce qu'il veut faire, et qui agit toujours spontanément. Mais l'opinion générale dans le monde politique ici est, que l'état actuel des choses n'est qu'un moment de répit et que d'ici à un an, au plus tard, la guerre éclatera et elle sera générale — à moins d'un cas tout à fait imprévu et d'une importance supérieure. Je dois à M. Sefels la connaissance de M. Perrot, ancien propriétaire et rédacteur en chef de l'Indépendance, qui, vivant aujourd'hui de ses rentes, conserve toujours ses sympathies pour la Turquie. Je lui ai communiqué confidentiellement le but des circulaires émanées du bureau de publicité du Ministère des Affaires Etrangères à Constantinople et M. Perrot a bien voulu me communiquer ses réflexions à ce sujet dans une lettre que j'ai l'honneur de remettre, en original, ci-inclu à Votre Excellence 1 . [33] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 15 mars 1859 Dépêche N° 86 La nouvelle phase dans laquelle vient d'entrer la question qui tient en émoi l'Europe entière, est déjà sans doute parvenue à la connaissance du Gouvernement impérial. La proposition d'un congrès, émanée de la part de la Russie, pour l'aplanissement des difficultés de la Péninsule a été accueillie avec une satisfaction non dissimulée par le Cabinet de Berlin. Aussi, n'a-t-il pas hésité à y donner son adhésion. Cependant, désireux de maintenir sa position de médiateur, le Gouvernement Prussien n'a pas cru devoir prendre d'engagement pour ce qui concerne les bases de négociations. On assure que le Cabinet de St. James observe la même attitude. Quant à l'Autriche, que cette démarche russe paraît avoir surpris, elle n'a pas encore fait connaître ici son assentiment officiel. Elle s'occuperait à formuler d'abord ses réserves. ' Non publié.
- 47 Quoiqu'il en soit, l'orage qui invitait les relations tendues entre la France et l'Autriche est considéré comme ajourné. L'on se complaît à espérer que le congrès trouvera le moyen de simplifier des péripéties, que l'on serait dorénavant autorisé peut-être à qualifier de question italienne. Dans certains cercles politiques de cette capitale l'on prétend que l'initiative russe, loin d'être une conséquence de la mission de Lord Cowley, contrecarre plutôt celle-ci. Cette opinion fort hardie paraîtra peut-être aux yeux de Votre Excellence d'autant plus dénuée de fondement, que le Cabinet de SaintPétersbourg avait manifesté un vif désir de coopérer à l'œuvre médiatrice de l'Angleterre et de la Prusse. Il est toutefois remarquable que la Russie prenne vis-à-vis de l'Autriche le rôle, que cette dernière puissance avait pris en 1853 envers elle. Ce n'est pas un des phénomènes les moins curieux qu'offre l'histoire de la politique de ces dernières années. Quant aux bases qui devront servir d'arrangement à la question dont il s'agit, rien de positif n'est encore connu. Parmi les suppositions diverses, celle d'une garantie collective paraît avoir le plus de vraisemblance. Les adhérents de l'ordre établi en Europe se demandent, si ce sont les expériences faites dans les provinces danubiennes qui inspireraient l'amour de cette maxime ? |341 Fuad Pacha à Aristarchi Bey I x 16 mars 1859 Dépêche N° 2252 J'ai parcouru avec intérêt le rapport réservé que vous m'avez adressé en date du 16 du mois dernier N° 72 1 au sujet de la circulaire autrichienne ayant pour but de s'assurer l'assistance du Gouvernement allemand en cas de guerre en Italie, et de l'attitude expectante du Cabinet de Berlin dont les efforts paraissent tendre constamment à paralyser les causes d'un éclat dans les limites des traités existants. La Sublime Porte aussi espère fermement que la sagesse de deux grands souverains de l'Europe, et la médiation énergique et impartiale de deux grandes puissances réussiront à éclairer la situation des difficultés qui l'entourent.
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24.
- 48 [35| Fuad Pacha à Musurus Bey Constantinople le 16 mars 1859 J'ai reçu en son temps la dcpcche que vous avez bien voulue m'adresser le 27 janvier N° 5 5 5 1 , touchant l'interpellation que vous avez faite à Lord Malmersbury sur le bruit de la réunion d'un congrès ayant pour but exclusif la question Austro-Italienne. Le Gouvernement impérial a reçu avec une véritable satisfaction la réponse que vous a donnée le noble Lord, et j e ne puis m'empêcher aussi de vous remercier de l'interpellation que vous avez cru devoir adresser à Sa Seigneurie. |36J
Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 17 mars 1859 Dépêche N° 479 L a situation politique du Piémont se fait de plus en plus grave. L e Gouvernement Sarde s'engage tellement que j e ne puis voir pour lui aucun autre moyen de sortir de la position dans laquelle il s'est placé si ce n'est la guerre. Ainsi le Gouvernement vient d'appeler sous les armes toutes les classes de contingents. Ces classes sont ce que nous dénommons les Rédifs, c'est-à-dire les soldats libérés après avoir fini leur temps de service. L'armée sarde se compose de 45 000 hommes sur le pied de paix ; toutes les classes de contingent, y compris les classes spéciales qui avaient été créées lors de la guerre de Crimée, montent à environ le même nombre d'hommes, de sorte que l'armée sarde comptera sous peu environ 9 0 0 0 0 hommes sous les armes. L'on enrôle chaque jour un nombre considérable de jeunes gens qui émigrent de toutes les parties de l'Italie pour venir s'enrôler ici. L'enthousiasme pour la cause de l'indépendance est telle dans toute l'Italie qu'un nombre considérable de jeunes gens arrivent journellement de toutes parts de la Lombardie, de la T o s c a n e , des États Romains, de Modène, de Parme etc.. Beaucoup appartiennent aux premières familles du pays ; l'on en cite qui, possesseurs d'une fortune de 3 et 4 0 0 000 Francs de rente, ont tout abandonné pour venir en Piémont s'enrôler comme simple soldat. Le nombre enrôlé jusqu'à présent monte, paraît-il, à environ 3 ou 4 0 0 0 , mais il en arrive journellement et l'on assure que si les hostilités commençaient il y en aurait au moins 2 0 ou 25 0 0 0 prêts à venir s'enrôler sous les drapeaux Piémontais. W
19.
- 49 Si la guerre n'avait pas lieu la position du Piémont serait bien mauvaise, car, outre sa position politique qui serait fort compromise, la position financière lui créerait les plus sérieux d'embarras. Déjà obéré de charges fort lourdes le Piémont a, dans ces derniers temps, fait des dépenses beaucoup au-dessus de ses forces, et, j e le répète, il n'y a pour lui d'autre issue de la position dans laquelle il s'est placé que la guerre. Aussi est-ce à ce but que tendent tous les efforts du Gouvernement Sarde et considérant que les intentions de l'Empereur des Français semblent, malgré tous les articles du Moniteur, incliner tout à fait dans ce sens, la guerre me paraît plus que probable. D'ailleurs, je ne vois plus de solution pacifique possible à la question italienne ; l'Autriche s'obstine à soutenir qu'il n'y a pas de question italienne, mais pour ceux qui se trouvent sur les lieux et examinent avec impartialité les faits qui se passent sous leurs yeux, la réalité de la gravite de cette question ne sont que trop évidentes. À tort ou à raison les esprits sont tellement montés en Italie contre la domination autrichienne que rien de moins que l'abandon complet par l'Autriche de toutes ses possessions en Italie ne pourrait satisfaire. Or l'Autriche ne pourra jamais consentir à cet abandon et défendra naturellement ses droits de possession contre tous ceux qui voudraient les attaquer. Les réformes et des concessions ne parviendraient jamais à amener une tranquillité durable en Lombardie ; je ne sais même pas si elles ne seraient dangereuses pour l'Autriche et ne ferait qu'encourager les aspirations des populations pour l'indépendance absolue, ainsi que cela nous est arrive à nousmêmes en Moldo-Valachie. Je ne vois qu'un seul moyen d'empêcher actuellement la guerre, c'est si l'Angleterre, la Prusse et l'Allemagne entière se déclaraient en faveur de l'Autriche, et, même en ce cas, je crois que la question ne serait nullement tranchée, mais simplement remise à une autre époque, et que la paix de l'Europe serait toujours et continuellement menacée. En Angleterre même les aspirations de l'Italie vers un Etat libre et indépendant trouvent beaucoup de sympathie, et si ce n'était la méfiance qui inspire généralement la politique de l'Empereur Napoléon et son caractère, le Ministère anglais pourrait bien avoir la main forcée par l'opinion publique et se trouver obligé de seconder, ou tout au moins de ne pas s'opposer aux efforts de l'Italie pour conquérir son indépendance. Je répète donc, Monseigneur, la guerre peut éclater d'un moment à l'autre. Les populations italiennes conservent actuellement une attitude calme, seulement parce qu'elles attendent les événements, mais ce calme n'est que superficiel ; les autorités autrichiennes le savent si bien que le directeur de la police de Milan l'a qualifié de tranquillité factieuse. Malgré toutes les forces militaires de l'Autriche nous pourrions d'un moment à l'autre voir éclater des mouvement s qui probablement amèneraient la guerre que le Piémont désire ardemment et qui semble actuellement sa seule chance de sortir de la position dans laquelle il se trouve.
- 50 [37] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 18 mars 1859 Dépêche N° 83 Je dois avoir recours à la bienveillante indulgence de Votre Excellence pour excuser l'interruption de mes humbles rapports. Une indisposition assez sérieuse qui m'oblige de garder jusqu'à ce jour la maison, amena cette lacune que je regrette bien sincèrement. J'espère toutefois pouvoir y suppléer par le prochain courrier. D'ailleurs, sauf quelques incidents intéressants qui marquèrent la marche à l'intérieur du Gouvernement Prussien, j e n'aurais pas eu à signaler de nouveau fait quant à sa politique extérieure. La déclaration de M. le Ministre des Affaires Etrangères à la Diète dessine, avec autant de clarté que de réserve, la part d'action que le Cabinet de Berlin adoptât dans la poursuite de la grande question du jour. Cette allocution, accueillie avec des marques d'approbation par les deux Chambres, n'a pas eu le mérite de contenter également tous les alliés de la Prusse. Les uns se plaignent des restrictions qu'elle fait en sa qualité de grande puissance européenne ; ces restrictions, ajoutent-ils, nuisent à l'intérêt national allemand et enhardissent les adversaires. Les autres s'en félicitent, en vue de la réussite des efforts pour le maintien de la paix. Quoiqu'il en soit, le Cabinet de Berlin maintient sa neutralité active, qui lui fait espérer d'heureux résultats de la mission de U>rd Cowley. La mesure adoptée pour prohiber l'exportation de chevaux de tous les États du Zollverein est une conséquence, dérivant naturellement de cette politique de prudence. L'application n'en satisfait pas l'Autriche, qui est en est frappé dans ses possessions italiennes. Quant à la question qui touche de plus près le Gouvernement Impérial, je n'ai rien de nouveau à rapporter à Votre Excellence. De la part du Cabinet de Berlin, toujours la même manière d'envisager la question de la légalité avec des manifestations confidentielles d'une médiation bienveillante. De la part de la légation impériale, l'observation stricte de l'attitude prescrite par les instructions de Votre Excellence, sans repousser l'offre. À ce propos, je sollicite l'autorisation de porter respectueusement à la haute connaissance de Votre Excellence que des ouvertures analogues à celles que j'ai eu l'honneur de transmettre par mon rapport N° 74 1 m'ont été de nouveau faites de la part du Comte Pourtalès. Ce diplomate a bien voulu venir me voir dans ce but avant son départ pour Paris. Il m'a semblé, et des informations obtenues plus tard confirment cette croyance, que les instructions dont est muni le plénipotentiaire Prussien visent à amener une solution conciliatrice ^Non publié ici.
- 51 des difficultés Moldo-Valaques. J'ai prié le Comte Pourtalès de ne pas perdre de vue ses sympathies pour la Turquie ; sympathies provenant d'une juste appréciation des affaires d'Orient et concordant avec des vues d'une saine politique de la part de l'Occident. Il semble du reste que la Prusse, dans cette question aussi, unira son action à celle de l'Angleterre et l'on croit ici que la mission de Lord Cowley n'y était pas étrangère. Les délibérations des conférences qui vont s'ouvrir établiront l'exactitude ou la fausseté des intentions, qu'on attribue à la France dans la solution des embarras Moldo-Valaques ; solution, à laquelle la question italienne serait destinée à servir d'épou vantail. [38] Fuad Pacha à Aristarchi Bey Le 23 mars 1859 Dépêche N° 2289 J'ai lu avec plaisir la communication contenue dans votre rapport du 2 courant N° 82' et dont l'importance ne saurait être méconnue dans la situation actuelle de l'Europe ; aussi y a-t-il lieu d'espérer que la conduite loyale et ferme du Cabinet Prussien contribuera beaucoup à écarter la triste éventualité d'une guerre, si fatale à tous les intérêts de l'Europe. [39] Fuad Pacha à Rustem Bey Constantinople, le 23 mars 1859 Dépêche N° 2284 J'ai reçu votre rapport confidentiel du 2 mars 2 par lequel vous me communiquez la carte éditée pour la première fois à Londres et publiée en France et en Piémont, impliquant un remaniement des États de l'Europe. Cette extravagante utopie comme vous la qualifiez si justement, est bien loin de mériter d'être prise en considération et il est regrettable, inexplicable même, que non seulement elle ait trouvé des acheteurs mais encore des sympathies de la part de quelques journaux qui passent pour être sérieux. Je vous remercie de me l'avoir communiqué et j'approuve votre abstention de toute démarche à ce sujet en vous attachant simplement à la tourner en ridicule.
'NO.27. No. 28.
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- 52 1401 Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 24 mars 1859 Dépêche N° 487 Dans une entrevue que j'ai eu ce matin avec M. le Ministre des Affaires Etrangères de Sa Majesté le Roi de Sardaigne il m'a dit que la nouvelle, donnée hier par télégraphe du refus de l'Autriche de consentir à une conférence des cinq grandes puissances pour s'occuper la question italienne, n'étaient pas fondée ; que quoique l'on ne connaisse pas encore officiellement l'adhésion de l'Autriche l'on avait cependant de forts motif pour croire que cette adhésion ne se ferait pas longtemps attendre, car quoique cette puissance était fort contrariée de la proposition faite par la Russie et soutenue par la France de se réunir en conférence, cependant elle ne semblait pas disposée à oser la refuser ; que la ville neutre proposée comme point de réunion de la conférence était Genève. M. le Comte de Cavour me dit aussi que l'Empereur des Français ayant exprimé le désir de le voir et de causer avec lui il partait aujourd'hui même pour Paris ; que son absence ne serait pas longue puisqu'il comptait être de retour vers le 29 ou 30 du courant, et qu'à son retour il espérait être à même de me dire quelque chose de plus positif. J'ai pensé que le voyage à Paris dans les présentes circonstances du chef du Cabinet sarde était un fait assez important pour en informer Votre Excellence par télégraphe et c'est ce que je viens de faire. [411 Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 24 mars 1859 Dépêche confidentielle J'ai déjà eu l'honneur de signaler à Votre Excellence la position difficile dans laquelle la politique du Ministère sarde a placé ce pays. Il ne peut y avoir aucun doute que Monsieur de Cavour ne s'est avancé à ce point que sur des engagements positifs de l'Empereur des Français, mais tout désireux qu'il est de commencer la guerre contre l'Autriche, l'Empereur pourrat-il le faire ? Sa position est fort difficile. D'un côté il est bien connu ici qu'il a des engagements envers les sociétés secrètes, dont il a fait lui-même partie avant d'arriver au trône de France. La non-réalisation de ses engagements paraît avoir amené tous les attentats qui ont eu lieu contre sa vie, et certainement la crainte de voir ces attentats se renouveler et enfin aboutir a beaucoup contribué à le pousser à embrasser la cause italienne. La guerre et l'indépendance de l'Italie lui sont imposées par les sociétés secrètes et si les circonstances le forcent à reculer, si la guerre n'a pas lieu, il n'y a aucun doute que sa vie court
- 53 un grand danger du poignard des sectaires. Pour la conservation de ces jours il veut donc, il cherche partout les moyens, la guerre en Italie. A cette considération viennent naturellement se relier d'autres d'un ordre plus élevé, la haine des traités de 1815 faits contre sa famille, l'espoir que les événements le favorisant lui permettront de reprendre les frontières du Rhin. D'un autre côté, il se trouve en présence du peu de popularité que la guerre inspire en France, car il est avéré actuellement que le peuple français de toutes les classes de la société est entièrement opposé à la guerre, ne demande que la paix et la tranquillité et que la question italienne n'y excite que fort peu de sympathie. Il se trouve en outre en présence de la résistance déclarée de l'Allemagne, de celle plus que probable de l'Angleterre et de la Prusse, d'une coalition donc qui pourrait se former contre lui. Dans cette position difficile, il semble avoir été forcé d'ajourner ses projets et d'attendre une occasion plus favorable qu'il s'efforcera de faire naître. En attendant, il fait travailler sans relâche l'opinion publique en France pour se la rendre plus favorable et il fait proposer par son allié intime, la Russie, un congrès qui n'est, dans l'opinion de personnes à même de bien juger les événements, qu'un moyen de gagner du temps et d'arriver à trouver un prétexte plausible d'une guerre contre l'Autriche. Le temps d'arrêt que vient de subir la politique belliqueuse de l'Empereur est donc bien réellement un échec, et une preuve qu'il le sent bien lui-même sont les notes qu'il fait publier dans le Moniteur pour tâcher de donner le change à l'opinion. Battu momentanément sur la question italienne il n'y a pas de doute que l'Empereur ne cherche à prendre sa revanche sur quelque autre question, et nous devons nous attendre à ce qu'il profite dans ce but de la question des Principautés dans laquelle il se montrera prêt et entier dans l'espoir ou d'en faire sortir un motif de guerre avec l'Autriche ou de remporter un avantage qui lui permette de faire sonner bien haut l'influence de la France, la protection qu'il accorde aux nationalités chrétiennes, etc. etc. et qui lui fasse regagner dans l'opinion publique le terrain que peut lui avoir fait perdre la reculade que l'attitude hostile de l'Allemagne, et la position douteuse de l'Angleterre et de la Prusse, l'ont forcé de faire dans la question italienne. Un autre motif encore c'est que, désirant de s'unir de plus en plus avec la Russie dans la prévision d'une guerre générale, il se montre naturellement fort facile dans une question pour lui secondaire et suit assez aveuglement les aspirations de cette puissance sur les affaires Moldo-Valaques. Ce n'est qu'ainsi que je puis m'expliquer la raideur que, d'après ce que me dit M. le Ministre des Affaires Etrangères sarde et d'après les conversations que j'ai eues avec M. l'Envoyé de France ici, le Gouvernement français montre dans cette question en prétendant soutenir, non pas la légalité des élections de Moldavie et VaJachie, mais l'opportunité d'admettre le fait accompli, sans vouloir tenir
-54aucun compte des droits du Gouvernement impérial et des obligations que les puissances signataires de la Convention du 19 août ont contracté les unes envers les autres. Le Piémont, de son côté, continue les préparatifs militaires sur une aussi grande échelle que ses moyens peuvent le lui permettre ; je dirais même qu'il les outrepasse de beaucoup et si la guerre ne devait pas avoir lieu ce pays se trouverait placé dans les embarras financiers les plus grands et dans une position la plus désastreuse. Les contingents appelés sous les armes arrivent de tous les côtés sous les drapeaux ; les enrôlements de jeunes gens qui émigrent, en nombre considérable, des autres parties de l'Italie continuent toujours et dernièrement encore on a publié une proclamation pour demander des enrôlements volontaires parmi la garde nationale pour former des corps mobiles ; tout cela au moment où l'on annonce la réunion d'un congrès des cinq grandes puissances pour s'occuper de la question italienne. Votre Excellence verra donc que les espérances de voir se conserver la paix sont bien minimes car trop de passions ont été soulevées, trop d'intérêts réclament la guerre. [42] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 24 mars 1859 Dépêche particulière La situation politique en Europe est toujours bien tendue et ce n'est pas sans une certaine inquiétude qu'on se pose les mêmes questions dans les salons de Bruxelles : est-ce la paix, est-ce la guerre ? Les alarmistes continuent toujours à croire la guerre imminente, vu les armements incommensurables que l'on fait de toute part : canon rayé, fusée d'une nouvelle invention, d'équipements, fourneaux pour biscuits, revue de la garde impériale dimanche dernier et de celle de l'armée de Paris dimanche prochain etc. etc. L'Angleterre, l'Allemagne et l'Autriche en particulier, continuent leur armement au même degré que la France. Le Roi de Piémont pousse plus que jamais à la guerre et il a dit assure-t-on, que dans six mois il serait à Venise ou en A m é r i q u e . Ces mêmes alarmistes qui croient puiser leurs renseignements à des sources certaines, croit la guerre inévitable pour le mois de juin en concluant d'avance que le congrès en question dont la résidence n'est pas encore fixée et dont on parle de Bruxelles ou de Genève, comme pays neutre, se tiendra sur un baril de poudre. L'Empereur, pour occuper les esprits hors de la France, se disent-ils encore, ne rêve, depuis l'heureuse diversion, pour lui, de la guerre d'Orient qu'à donner à la France ses limites de 1808. Il a continuellement les yeux tournés vers le Rhin et ce rêve est sur le point de pouvoir se réaliser grâce aux forces qu'il a su accumuler à cet effet pendant
- 55 quatre ans : c'est-à-dire avec des cadres de 800 000 hommes, prêts à marcher au premier signal. Connaissant parfaitement le caractère français, l'Empereur doit choisir entre ces deux alternatives ; la révolution ou la guerre. La révolution, parce que la France, dépouillée par l'Empire de sa liberté de la presse et de sa constitution, en un mot, n'est pas disposée à se plier longtemps encore sous un sceptre aussi despotique. La guerre, parce qu'elle préoccuperait les esprits avides de gloire, et d'avancement, en cherchant à rendre à la France, ce qui lui appartenait avant 1815 ; il préviendrait l'explosion qui menace d'avoir lieu et éloignerait ainsi, pour quelque temps du moins, le poignard italien. Il est donc clair, disent ceux qui pensent la guerre inévitable, que l'Empereur choisirait plutôt cette dernière dans laquelle il a quelque chance de gagner, plutôt que la révolution qui serait sa perte immédiate. Voici par contre comment raisonnent ceux qui disent que la guerre est impossible : pourquoi la France ferait-elle la guerre ? Serait-ce pour faire des conquêtes ? Impossible ! Serait-ce pour réunir quelques-uns de ces Etats voisins sous un seul monarque et en faire une seule et même puissance ? Encore impossible ! Parce que le système de la France est de s'entourer autant que possible d'États morcelés et par cela même, en quelque sorte sous sa dépendance. Ils disent encore que vouloir faire la guerre ce serait vouloir réaliser le projet d'un alchimiste. Il faudrait que cette guerre soit une victoire continuelle, car, au premier revers l'Empereur serait perdu ; connaissant l'esprit de toute l'Europe qui est pour la paix, craignant d'autre part une coalition formidable qui l'exposerait à plus d'un revers, il y regardera deux fois avant de jeter le gant. Si la paix se fait, elle ne sera que provisoire et fournira, à ce qu'on pense généralement, le temps à l'Empereur d'isoler l'Autriche pour arriver dans son but ; et dans ce cas l'année prochaine une guerre générale pourrait éclater. Tels sont, Excellence, les quelques renseignements que j'ai pu recueillir sur la situation actuelle et en les lui soumettant succinctement ici, je la prie de daigner agréer... L43J Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 30 mars 1859 Dépêche N° 90 Il me revient et je m'empresse de rapporter à Votre Excellence que la convocation du congrès a été fixée pour le 30 avril. L'endroit où devront se rendre les Ministres des Affaires Etrangères des cinq grandes puissances pour délibérer sur les complications italiennes, n'est pas encore définitivement désigné. Baden-Baden et Spa paraissent avoir le plus de chance. Le choix de cette dernière localité est soutenu par l'Angleterre.
- 56 D'après les informations que j'ai pu cueillir, les États italiens intéressés seront exclus du congrès ; néanmoins sur la proposition de la France, des agents de la Péninsule formeront une réunion à côté du congrès, qui serait présidé par le plénipotentiaire du Piémont. C'est probablement une satisfaction donnée à Monsieur de Cavour. En attendant, les espérances pour le maintien de la paix qui ont sans contredit gagné du terrain depuis la nouvelle phase, ne sont pas généralement partagées par les hommes d'État de l'Allemagne. Ainsi, tel Ministre du Prince-Régent croit que le congrès ne servira qu'à donner à la France et à l'Autriche le temps nécessaire de se préparer ; tel autre considère la guerre ajournée mais immanquable. Ce qui est certain c'est que tous les Gouvernements allemands en sont sérieusement préoccupés et entraînés par le réveil du sentiment national. Afin de donner une certaine satisfaction à ce sentiment, il a été décidé de mettre en état de défense les forteresses fédérales. Dans ce but, 8 millions d'écus ont été votés. En même temps, des manifestations provocantes ne cessent pas de se produire. Ainsi, une députation d'industriels se rendit à Stuttgart pour demander au Roi, que des mesures de défense soient prises contre les Français. Le Roi reçut la députation avec bonté, la remercia de ce qu'elle s'adressa à lui mais pas aux Chambres et la congédia avec la recommandation de s'occuper des travaux paisibles de l'industrie, en laissant le soin de la politique au Gouvernement. Malheureusement ce sage exemple du Roi de Württemberg n'a pas beaucoup d'imitateurs, parmi les nombreux petits princes de l'Allemagne. Plusieurs s'oublient jusqu'à tenir, à chaque occasion publique, des propos qui se distinguent au moins par leur inopportunité. [44] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 31 mars 1859 Dépêche particulière J'ai profité du départ pour Constantinople d'un voyageur belge, Monsieur Lécluse, pour faire parvenir à Votre Excellence deux brochures qui ont paru sur la question d'Italie. L'une d'elles intitulée L'Italie politique et religieuse par l'abbé J. H. Michon, pousse à la guerre et l'autre, sous un point de vue tout à fait Autrichien, se nomme La question d'Italie. M. le Dr Henri Schiel qui met en évidence les études du Comte de Charles Catinelli, est un des directeurs du Ministère des Affaires Etrangères d'Autriche. Après avoir parlé de Mannheim pour la réunion du congrès, on affirmait hier, que la Prusse mettait en avant Spa ; chacune des grandes puissances cherchant de cette manière à se le rapprocher le plus possible.
- 57 Quant à la question des Principautés on est toujours dans la conviction que, pour plaire à la France, dans les circonstances actuelles, on chercherait à calmer la Turquie et, pour ne pas trop la froisser, on lui donnerait des assurances pour l'avenir, mais on accepterait tout bonnement la double élection de Couza comme un fait accompli. Les amis de la Turquie sont d'avis que le Gouvernement Ottoman se trouvant dans son droit, doit sans doute énergiquement protester. [451 Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 31 mars 1859 Dépêche N° 491 Ainsi que j'ai eu l'honneur d'en informer Votre Excellence par mon rapport du 24 de ce mois, N° 487 1 , M. le Comte de Cavour est parti le même jour pour Paris après en avoir reçu par télégraphe l'invitation de l'Empereur. Il est attendu de retour ici demain et ce ne sera qu'après son arrivée que nous pourrons savoir quelque chose de positif sur la réunion de la conférence pour les affaires d'Italie. En attendant les préparatifs militaires continuent toujours à avoir lieu ici et l'opinion générale semble être qu'il ne sera pas possible au congrès de s'entendre et que la guerre doit nécessairement en résulter comme le seul moyen d'arriver à une solution. [46] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 4 avril 1859 Dépêche particulière Quoique nous marchions dans une voie pacifique et quoique la confirmation de la réunion d'un congrès ait donné quelque confiance, de nouveaux symptômes d'alarme se manifestent, en France surtout, depuis hier, et au fond, il n'y a pas plus à s'alarmer aujourd'hui qu'il y a huit jours. On va, il est vrai, jusqu'à nier l'entente des puissances sur la réunion du congrès, mais, ne serait-ce pas des spéculations de bourse dans lesquelles le journal "l'Indépendance" joue, naturellement un grand rôle vu les noms de ses propriétaires ? Il est positif que le congrès aura lieu et que les bases en sont même arrêtées — voici comment : On parle d'abord du principe de ne pas toucher au traité de 1815 et on pose ces quatre préliminaires :
^No.40.
- 58 1° chercher à trouver un moyen d'amener la paix entre l'Autriche le Piémont ; 2° s'entendre sur la manière d'opérer l'évacuation des États Romains par les troupes étrangères tout en prévenant les éventualités de troubles intérieurs ; 3° annuler les traités particuliers existants entre l'Autriche et les petits États italiens, en les remplaçant par une confédération composée de ces mêmes États et qui les mettrait à même de maintenir la tranquillité intérieure et de repousser toute agression de l'extérieur ; 4° examiner les vices qui existent dans les administrations de certains États italiens et ; sans porter atteinte à leur indépendance, engager leur souverain respectif à y remédier, afin d'améliorer le sort des populations, dans l'intérêt général de l'Europe. Le Piémont, ainsi que les autres États italiens, y auront des commissaires avec voix consultative seulement. Voilà ce qu'on m'a donné comme positif, mais pourra-t-on s'entendre sur tous ces points ? C'est ce qu'on ignore. Et que l'on met plus ou moins en doute, attendu que la plupart d'entre eux empiètent sur les prétentions et sur certains droits de l'Autriche. Le jeune et fougueux Empereur de ce pays, qui est soldat avant tout et qui dispose de 600 000 hommes compte sur le dévouement de son armée bien disciplinée non moins que sur l'Allemagne tout entière il voudrait profiter de l'occasion pour donner une leçon à la France et surtout au Piémont. Ses amis pourtant l'engagent à ne pas trop se raidir pour ne point s'aliéner les sympathies de l'Europe qui lui sont assez bien acquises aujourd'hui et l'on espère que ces prudents conseils produiront sur lui un effet favorable. D'autre part, le Saint-Siège voudra-t-il envoyer un commissaire au congrès, en perspective de bouleversements complets qui devraient s'opérer dans l'administration ecclésiastique ? Et comment le régime non moins tenace que routinier des prêtres et des cardinaux cédera-t-il la place à un autre exclusivement laïque ? Comment encore le Roi de Naples qui, depuis longtemps déjà n'a plus de relations ni avec la France ni avec l'Angleterre, enverrait-t-il de son côté un commissaire au congrès ? Et consentirait-il à ce qu'on introduise le moindre changement dans des États qui lui appartiennent, et, qu'il a toujours prétendu régir comme bon lui semble ? En résumé, quoique la situation soit très tendue, on est généralement d'avis, dans le monde politique, que le congrès amènera une solution à l'amiable pour le moment ; car l'Empereur aurait été assez surpris de voir l'Autriche aussi bien préparée, il voudrait gagner du temps, l'Angleterre s'est empressée d'adhérer au congrès pour s'apprêter aussi pour le cas où l'on n'arriverait pas à un résultat pacifique et rassurant. La France, en attendant a augmenté son armée de 100 000 hommes et prépare un camp sur le Rhin ; on assure que, pour gagner du temps, c'est elle qui aurait engagé la Russie de proposer un congrès afin de gagner du temps ; car on dit qu'elle n'est pas encore prête. Tout le monde se demande avec assez de raisons comment feront l'Autriche et le Piémont dans cet état d'expectative armée, très ruineuse pour l'une comme pour l'autre.
- 59 147] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 7 avril 1859 Dépêche N° 496 Aussitôt après le retour de Paris de M. le Comte de Cavour j'ai eu avec lui une longue conversation dans laquelle il me dit qu'il était fort satisfait du résultat de son voyage ; que la réunion du congrès pour la question d'Italie était chose arrêtée et que toutes les puissances se montraient animées de sentiments de conciliation qui pourraient faire espérer que l'on parviendrait à résoudre cette brûlante question sans avoir recours la guerre. Malgré cependant cet espoir que Monsieur de Cavour a également exprimé à plusieurs autres personnes, les préparatifs militaires ne discontinuent pas de la part du Piémont ; des enrôlements de jeunes gens, qui arrivent journellement de toutes les parties de l'Italie, continuent toujours et l'on assure que le nombre d'enrôlements volontaires de cette catégorie monte jusqu'à ce jour à environ 9000. L'opinion générale ici paraît être que le congrès ne pourra arriver à aucune solution pacifique et ne fera que constater l'impossibilité de s'entendre et la nécessité de trancher la question par les armes. En réfléchissant aux prétentions si diamétralement opposées des deux parties, je serais assez disposé à partager cette opinion car je ne sais vraiment comment on pourrait parvenir à les concilier. Je crois donc que le Gouvernement impérial devrait être préparé à cette éventualité pour ne pas être pris au dépourvu s'il vient à se réaliser. |4*| Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 7 avril 1859 Dépêche particulières Je confirme ici ma dernière lettre particulière de lundi dernier datée du 4 avril1 ; depuis lors, comme Votre Excellence ne doit pas l'ignorer, le Parlement anglais a été dissous, et, le Ministère est maintenu pour le moment. Cette dissolution a donné une secousse à la politique de l'Europe, et ceux mêmes qui croyaient à la paix commencent à s'inquiéter de la situation. Il est vrai, qu'à cause même de cette situation, le Ministère s'est décidé à ne pas se retirer et voici pourquoi. Il cherche à traîner en longueur le plus possible pour gagner du temps, avant de faire de nouvelles élections, et profiter de ce loisir pour terminer les affaires courantes ; mais l'on craint que le nouveau Parlement, devant déposer à la Chambre le même Bill de réformes, il ne doit se retirer aussitôt après — 1
No. 46.
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d'après la loi imposée par lui-même — or, ceux qui seraient disposés à se porter candidat et qui, pour être élu, devraient dépenser 3 à 4000 livres sterling, réfléchiraient à deux fois, avant de faire un tel sacrifice pour si peu de temps, ils préféreraient s'abstenir. Quoique tout le monde, en Angleterre, désire généralement la paix, la masse choisirait des représentants dans l'industrie ; ce qui pourrait se faire sans dépenses ; mais comme on ne peut prévoir de quelle nuance serait ce nouveau Parlement, les inquiétudes sont fort grandes. Quoique Lord Palmerston prêche la paix, dans tous ses discours, on serait fort inquiet s'il arrivait au pouvoir ; car c'est dans son naturel de ne pouvoir rester inactif et la situation actuelle pourrait à l'improviste prendre un nouvel aspect, soit en s'approchant de la politique de la France, soit en amenant une guerre inévitable et plus proche, précisément par ses efforts de vouloir maintenir la paix. En un mot, la dissolution du Parlement a affaibli le Ministère et cause l'inquiétude qui règne aujourd'hui. On assure aussi que le Gouvernement de Naples ainsi que celui de Rome n'enverront pas de commissaire au congrès et protesteront contre toute modification que le congrès voudrait introduire dans l'administration intérieure de leur pays. |49] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 11 avril 1859 Dépêche particulière Le fils du Ministre des Affaires Etrangères ayant été en mission à Vienne, comme Porteur de Dépêches, m'a communiqué confidentiellement ce qui suit sur l'impression qu'a faite sur lui l'aspect de la situation des choses en Autriche, dont je m'empresse de faire part à Votre Excellence. Il croit aujourd'hui la guerre inévitable et, d'après lui, un revirement s'est opéré dans l'esprit de ceux même qui croyaient le plus fermement à la paix ; et voici ce qui d'après lui, a amené ce revirement. La France s'était fait forte, paraît-il, de faire désarmer le Piémont quand elle le jugerait, à propos ; elle aurait même pris cet engagement vis-à-vis de la Cour de Vienne. Le Cabinet des Tuileries croyant le moment venu de mettre à exécution cet engagement a trouvé à Turin une si grande résistance que, même avec l'aide de l'Angleterre elle n'est pas parvenue à ses fins. Le Comte de Cavour s'est alors rendu à Paris pour s'expliquer verbalement avec le Comte Walewski et, après une discussion fort vive, il est sorti de chez ce Ministre en le menaçant de mettre, à son arrivée à Turin, le feu aux poudres et, d'entraîner la France dans une guerre contre l'Autriche malgré le mauvais vouloir de son Ministre des Affaires Etrangères.
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La Diplomatie ne peut expliquer l'influence que peut exercer le Ministre sarde sur la détermination du Gouvernement Français ; elle ne peut, surtout, définir la baguette magique que Cavour tient entre ses mains. Une foule de suppositions naissent, comme Votre Excellence peut le penser, de cet état de choses ; mais bien que différentes — quant à la forme — elles se ressemblent beaucoup quant au fond. Il est évident pour tous que le Premier Ministre de Victor-Emmanuel possède un écrit compromettant pour son allié forcé et peu importe la forme de cet écrit. Une autre cause de ce revirement est la réserve que l'Autriche a mise en avant comme condition de son adhésion au Congrès — c'est-à-dire le désarmement du Piémont, sans se prononcer sur ce qu'elle ferait elle-même. Voilà ce qui explique les armements fébriles de la France, et aujourd'hui on se dit que les articles du Moniteur n'étaient, et ne sont, que des satisfactions données aux exigences du moment. L'Angleterre, si elle arme pour le moment, c'est dans un but purement défensif ; car elle veut sincèrement la paix. On m'assure aussi que la Prusse, fort bien intentionnée, et la Russie, sont très désireuses de voir un Congrès s'ouvrir le plus tôt possible ; car cette dernière Puissance craint d'être forcée à prendre les armes si la Confédération Germanique tout entière se trouve entraînée par les événements. D'une autre par, on m'assure que dans cette circonstance la Russie cache son jeu et désire le Congrès pour humilier l'Autriche par les propositions désavantageuses pour celle-ci. La Diplomatie travaille toujours à activer la réunion d'un Congrès — si Congrès il y a — et, le siège sera toujours, dit-on, Manheim. Il y a cependant beaucoup de monde qui persiste à croire que la guerre est impossible, que c'est aujourd'hui le rôle de l'Autriche et de la France de pousser à la guerre, pour provoquer l'intervention officieuse des autres Puissances — de laquelle intervention elles espèrent, l'une et l'autre, quelques concessions à son avantage. En définitive on ne croit pas que Napoléon III ait perdu la tête jusqu'à vouloir provoquer contre lui une coalition qui deviendrait inévitable du moment qu'il prendrait l'initiative de l'agression ; car on croit que, s'il fait la guerre, cela deviendrait une guerre de conquête. Voilà ce qu'on relate, et ce que je puis garantir comme authentique, d'une entrevue qui a eu lieu tout récemment à Paris entre l'Empereur et M. Vilain XIV, ancien Ministre des Affaires Etrangères de Belgique. Vilain XIV a son entrée aux Tuileries toutes les fois qu'il se trouve en cette ville. Lors de son dernier voyage à Paris, il a laissé sa carte aux Tuileries pour prendre congé. L'Empereur l'a mandé auprès de lui, à 9 heures du soir et une conversation très intéressante et très animée a eu lieu en présence de l'Impératrice ; au moment où la conversation entrait dans sa phase la plus chaude, l'Empereur et Vilain XIV se retirèrent dans un cabinet contigu pour causer tête-à-tête. L'Impératrice les y suivit et, sur la prière de l'Empereur, adressée à l'Impératrice, de se retirer un moment, elle se retira en effet, mais
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revint bientôt dans le même cabinet sous prétexte d'y chercher un objet oublié — cherchant de se tenir à leur proximité tant que durerait l'entretien. Cette persistance de ne point laisser l'Empereur seul débattre les questions du moment est attribuée à la crainte de l'Impératrice (qui, dit-on, désire ardemment la guerre) que l'Empereur ne se laisse détourner, par les conseils que les hommes d'États étrangers pourraient lui donner, de ses vues belliqueuses. L'Impératrice, fortement impressionnée de l'attentat du 14 janvier 1858, paraît constamment dominée par l'appréhension d'un poignard italien, si l'Empereur recule devant la guerre. L'impression que M. Vilain XIV a emportée de cet entretien se résume en ceci : que l'Empereur désire la guerre, mais que l'Impératrice en est la principale et la plus chaleureuse instigatrice. Ce qui mérite d'être remarqué c'est, que l'Empereur, par deux fois pendant le cours de cette conversation a déclaré, en termes positifs, qu'il ne se séparerait jamais de l'Angleterre. On cherche à interpréter ceci par l'espoir que nourrit l'Empereur d'amener l'Angleterre à ne point intervenir dans cette conjoncture dans le but de déjouer ses vues. On vient d'apprendre à l'instant qu'une Dépêche télégraphique, arrivée de Londres, annonce que la Banque Suisse — une des Concessionnaires de la Banque à établir à Constantinople — vient de suspendre ses paiements. Au moment où je termine ma lettre, j'apprends qu'on vient de recevoir au Palais du Roi la nouvelle que l'Autriche ne se borne plus à demander le désarmement du Piémont, mais que, avant la réunion d'un Congrès, tout le monde désarme, c'est-à-dire, que toutes les Puissances qui ont fait des préparatifs de guerre, désarment. Reste à savoir si la France et, le Piémont accéderont à cette proposition. Dans tous les cas c'est très adroit de la part du Cabinet de Vienne, car ainsi il rejette toute la responsabilité sur celui qui refusera. [50] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 6 décembre 1858 Dépêche N° 115, confidentielle De retour à Naples, j'ai tâché de me mettre au courant de ce qui s'est passé pendant mon absence, et je m'empresse de communiquer à son Excellence les renseignements qui me sont parvenus sur la situation politique du pays. Vers le milieu de septembre le Cabinet Derby fit de nouveau demandé au Roi la mise en liberté des prisonniers politiques, en marquant que toute tentative de réconciliation serait impossible tant que l'opinion publique n'aurait pas reçu des satisfactions sur ce point. Le Roi persista alors dans son refus, mais pour montrer qu'il tenait à sortir de cette situation anormale, et qu'il était prêt à prendre les devants, dans la voie des concessions, il offrit d'envoyer le premier ses Ministres à Paris et à Londres. Cette proposition fut rejetée par
- 63 l'Angleterre et la France. Cette dernière puissance insiste tout simplement sur l'envoi de la note dont le Comte Walewski avait déjà soumis le projet : Le Roi reconnaîtrait franchement que les conseils donnés par les deux puissances n'avaient eu pour but que le bien du pays et l'intérêt de la royauté, et déclarerait d'attendre le moment favorable pour reprendre avec la république argentine les négociations qu'il avait entamé il y a deux ans pour l'internement des prisonniers politiques sur le territoire de ces États. L'Angleterre se montre plus exigeante. Dans une nouvelle note du 25 octobre le Cabinet Anglais insiste très énergiquement sur les concessions qu'il réclame, et demande que les prisonniers puissent se rendre en Amérique et s'y établir librement sans y être soumis, de la part du gouvernement napolitain à aucune mesure de surveillance. Le Roi ayant formellement déclaré « qu'il n'abandonnerait jamais ces malheureux à leur instinct pervers dans un pays étranger, et que sa conscience l'obligeait à les corriger et à protéger au moins leur foi religieuse contre les dangers qu'elle courait au-dehors » personne dans le Conseil des Ministres n'osa à appuyer les prétentions de l'Angleterre. Quant à celles de la France, on recommanda unanimement au Roi de les accepter puisqu'elle ne lui demandait qu'une promesse vague. Mais le Roi s'y refusa également en déclarant qu'il n'aimait pas les phrases et qu'il ne consentirait jamais à faire une promesse que dans son âme et conscience, il ne pouvait et ne voulait pas tenir. On le dit même très irrité contre plusieurs de ses Ministres qui, dans cette circonstance ont osé exprimer une opinion indépendante et qui lui ont représenté tous les dangers qui pourraient résulter à la longue d'une situation aussi tendue. Le conseil du Roi et les représentants de Prusse, d'Autriche et de Russie sont convaincus qu'il n'y a dorénavant rien à espérer de leur intervention, qu'il faut craindre, au contraire, d'irriter par de nouvelles tentatives la susceptibilité du Roi, qui, abandonné à ses propres inspirations, fera peut-être de lui-même ce qu'il refuse maintenant à ses serviteurs les plus dévoués. Il est toutefois curieux de l'entendre répéter en cette circonstance ce qu'il disait lors de l'affaire Cagliari : que, convaincu de son bon droit, il ne céderait qu'à la force et que les puissances n'avaient qu'à envoyer 200 hommes pour obtenir ce qu'elles demandaient. Un attaché de la Légation anglaise à Florence, M. Fenton, est venu ces joursci à Naples par ordre de son gouvernement. Voici, Excellence, les motifs de son voyage : L'agent consulaire anglais de Brindisi avait délivré des passeports à plusieurs sujets napolitains, et commis d'autres illégalités. Le Roi s'en était plaint au Comte Berristorff et l'avait chargé de déclarer au gouvernement anglais que, si cet agent n'était pas révoqué, il serait forcé de lui retirer l'exequatur. M. Fenton a reçu par le télégraphe l'ordre de partir pour Naples et de s'y livrer à une enquête sévère. Il paraît que les preuves fournies par le gouvernement napolitain sont tellement concluantes que M. Fenton retourna à Florence sans même se rendre à Brindisi. On croit généralement que cette affaire sera étouffée et n'amènera pas de conséquences sérieuses.
-64La Cour et la ville sont tout occupées des préparatifs du prochain mariage du Prince héréditaire avec une princesse de Bavière, sœur de l'impératrice d'Autriche. La ratification du contrat de mariage a été expédiée de Naples le 23 novembre. Le mariage par procuration aura lieu à Munich le 2 janvier. La fiancée sera accompagnée par le représentant napolitain Comte Ludolf, jusqu'à Trieste ; là elle s'embarquera pour se rendre à Manfredonia, où le Roi et son épouse la recevront. Le mariage sera célébré à Foggia le 20 janvier tout à fait en famille, les Ministres et le corps diplomatique n'y figureront pas. La Cour fera son entrée solennelle à Naples le 1 e r février ; une grande réception et deux bals de Cour auront lieu à cette occasion. [51] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 17 janvier 1859 Dépêche N° 129 J'ai eu l'honneur d'adresser à Son Excellence un télégramme en date du 11 de ce mois pour lui annoncer que le Roi fait transporter en Amérique les prisonniers politiques détenus dans le royaume et compte sur cette mesure pour voir revenir à leur poste les représentants de l'Angleterre et de la France. Le décret ci-joint, qui contient les noms des personnes graciées est daté du 27 décembre et a été remis aux membres du corps diplomatique par M . de Carafa. Il classe les graciés en deux catégories, les condamnés aux travaux forcés à perpétuité ; les condamnés aux travaux forcés à temps ; pour les uns comme pour les autres, la peine qu'ils sont en train de subir, se trouve convertie en exil perpétuel. Cette décision n'a pas été portée dans les mêmes termes à la connaissance de la population de Naples ; le décret qui le publie se tait sur les noms des personnes appelées à profiter de cette commutation de peine, et se contente de dire que le Roi a daigné user de son droit de grâce en faveur de 91 condamnés politiques et commué en exil la peine de travaux forcés. M. de Carafa nous a en outre informé qu'un certain nombre d'individus actuellement poursuivis pour crimes politiques pourront également se soustraire à la continuation des poursuites en consentant à s'expatrier. Le 15 janvier, un autre décret, dont copie ci-jointe, également daté du 27 décembre était affiché sur les murs de Naples et publié dans le journal officiel ; au terme de cette nouvelle décision les autorités devront traduire devant des conseils de guerre spécialement convoquées ad hoc, tout individu qui se rendrait coupable de quelque acte ou de quelque parole tendant à attaquer ou à modifier les pouvoirs établis. Le premier de ces décrets a déjà été mis à exécution ; dès le 15, les condamnés ont été embarqués et dirigés sur Cadix pour être de là envoyé à New York. Pœrio qui se dit malade sera embarqué plus tard.
-65152] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples,le 17 janvier 1859 Dépêche N° 130, confidentielle Les mesures que le Roi de Naples vient de prendre à l'égard des condamnés politiques n'ont pas produit à l'intérieur l'effet favorable qu'on en devait attendre. En général, elles n'ont été accueillies qu'avec froideur ou mécontentement. On prétend que ceux des condamnés dont la peine avait expiré dans un délai plus ou moins rapproché, protestent contre un acte qui convertit en peine perpétuelle une condamnation temporaire. D'un autre côté, on s'est vivement alarmé de cette espèce d'état de siège permanent que le second décret vient d'établir, et on se demande avec inquiétude quelles causes secrètes ont donc pu motiver ce redoublement de rigueur. Cet état de l'opinion publique s'est nettement traduit dans les fluctuations de la bourse qui a subi cette semaine une baisse considérable. Les deux décisions inattendues ont d'ailleurs mis en mouvement toutes les mauvaises passions qui fermentent sourdement dans la péninsule. Loin de se réjouir de la grâce accordée à ceux qui depuis 10 ans gémissent dans les cachots, les fauteurs incorrigibles de désordre ont vu avec regret leur échapper un grief qu'ils faisaient valoir avec tant de violence, ils sont désolés d'avoir perdu, par cet acte spontané du Roi, la perspective de complications nouvelles et d'interminables différends avec les puissances occidentales. Aussi le second décret, en atténuant les effets du premier a-t-il un peu relevé leur courage ; ils espèrent que ce nouvel acte de rigueur neutralisera l'impulsion favorable produite par la première concession et maintiendra dans toute leur intégrité les réclamations des puissances. Il faut cependant avouer que le corps diplomatique lui-même a été étrangement surpris par l'apparition de ce second décret dont la sévérité lui semblait tout au moins intempestive. M. de Carafa a voulu immédiatement lui en expliquer les motifs : au moment d'étendre sa grâce sur tant de condamnés, le Roi n'a pas voulu rester désarmé pour l'avenir et c'est par cette raison qu'il entend soumettre à toute la rigueur des lois militaires quiconque se rendra coupable de quelque crime politique. Pour n'être plus désormais exposé aux réclamations que la commisération publique ne manque jamais de lever en faveur des accusés politiques il les défère dorénavant à l'autorité militaire qui en fera sans délai bonne et prompte justice. D'ailleurs le temps ne semble pas venu encore de s'endormir dans une entière sécurité. Le gouvernement est informé qu'une nouvelle tentative sur la Sicile s'organise actuellement à Malte et n'attend pour éclater que l'explosion du soulèvement qui menace le nord de l'Italie. Au reste, l'agitation de l'Italie entière, si habilement fomentée par les meneurs, ne fait qu'augmenter de jour en jour et vient de s'accroître encore par le récent discours du Roi de Piémont. Il n'y a pas de moyens qu'on n'emploie pour
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agiter les populations, et on se fait découvrir un des mots d'ordre qui échappe à la surveillance et à la répression des autorités. C'est ainsi que le nom du compositeur Verdi est devenu un cri de ralliement. Comme sa musique se joue presque exclusivement sur les divers théâtres italiens, on rappelle l'auteur avec des cris frénétiques à chaque représentation d'un de ses opéras. Rien de plus inoffensif en apparence, mais pour les initiés V.E.R.D.I. signifie VictorEmmanuel Roi D'Italie. On continue à s'occuper dans le monde officiel de la dépêche chiffrée qui est bien positivement arrivée d'Angleterre le 4 janvier. Malgré les dénégations formelles des Ministres et en dépit de la date antérieure que portent les deux nouveaux décrets, on persiste à croire que c'est cette dépêche qui a motivé la dernière décision du Roi ; et le secret absolu qu'on garde sur son contenu, est pour bien des gens une nouvelle raison de croire que le Roi a subi l'influence de l'Angleterre tout en voulant éviter l'apparence d'une pression étrangère. Quel effet produiront les décisions du Roi sur les deux Cabinets ? S'y déclareront-ils satisfaits ou bien la France surtout n'exigera-t-elle pas en outre que le Roi fasse amende honorable dans une note formelle ? C'est là une question que tout le monde se pose et qui rend encore problématique pour bien des personnes le retour des Ministres. Toujours est-il qu'en présence des bruits de guerre qui circulent de toute part cet incident aura l'avantage de dessiner nettement la situation. Si la France se déclare satisfaite, on pensera qu'elle veut opposer un démenti formel au projet d'intervention armée qu'on lui prête ; si au contraire elle persiste dans son attitude impassible, on sera tenté de croire qu'elle tend à perpétuer le mal pour en tirer profit en cas d'un prochain soulèvement en Italie. En attendant le gouvernement napolitain ne paraît pas rassuré sur l'avenir et l'on dit qu'en raison, soit de l'inquiétude produite par les nouvelles de la Lombardie, soit de l'agitation des esprits dans l'intérieur du pays, le Roi renonce à toutes les fêtes qui devaient avoir lieu à l'occasion du mariage du Duc de Calabrc. [53] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 31 janvier 1859 DépêcheN° 133 Le bruit de la mort du Roi de Naples répandu dans le royaume comme dans les autres pays de l'Europe n'a pas trouvé ici la moindre créance, car on sait trop bien de quel lieu partent ces nouvelles destinées à jeter l'alarme dans les esprits et à tenir les populations en émoi. On savait d'ailleurs positivement que le Roi n'avait été retenu à Lecce que par une légère indisposition qui lui avait bientôt permis de se remettre en route et de se diriger sur Bari en compagnie des deux Archiducs autrichiens Guillaume et Regnier, qui venaient de le
- 67 rejoindre. Néanmoins, malgré son rétablissement, les fêtes du mariage qui devait commencer le 26 janvier sont ajournées et la jeune princesse n'a même pas encore quitté Vienne pour s'embarquer à Tricstc. Aussi quoiqu'un bruit généralement répandu désigne le 8 février pour le retour du Roi à Caserte, personne ne s'aventure à fixer l'époque précise des fêtes. Pour expliquer ce retard qui ne saurait être attribué à l'état de santé du Roi, on prétend que Sa Majesté s'est rendu à Trieste pour y rencontrer l'Empereur d'Autriche. Mais les personnes bien renseignées n'acceptent pas cette version et attribuent cette remise aux inquiétudes du Roi, qui, en présence de l'agitation qui règne en Italie, attendrait le retour du calme pour faire son entrée à Naples. Aussi bien, on n'ignore pas qu'il enveloppe de mystère toute sa démarche, qu'il évite tous démonstration populaire dans les provinces qu'il parcourt, qu'il cache son itinéraire au commandant des troupes composant son escorte et leur donne à tout moment des contre-ordres sans motif apparent, et tient même à l'écart les deux Ministres qui l'accompagnent et qui en savent aussi peu que les autres sur ses projets. Cependant les autres invités pour les fêtes arrivent de tous côtés. Sans parler des deux Archiducs qui ont rejoint Sa Majesté dans les provinces Son Altesse impériale et royale le Grand-Duc de Toscane est ici depuis quelques jours avec toute sa famille. Il a reçu le corps diplomatique et a exprimé à cette occasion l'espérance de voir se résoudre pacifiquement les difficultés actuellement pendantes. Les Ministres de Bavière, de Portugal, de Belgique et de Hollande résidant à Rome et accrédités également près la Cour de Naples viennent aussi d'arriver pour assister aux fêtes. Ils assurent tous que le gouvernement pontifical envisage tranquillement les événements et que le langage pacifique de l'Ambassadeur de France à Rome, devrait faire disparaître toute crainte de guerre si des paroles suffisaient pour détruire une inquiétude que les événements des dernières semaines ne semblent que trop justifier. Au reste un de ces Ministres se rappelle fort bien avoir entendu tenir un langage analogue au Ministre de France à Saint-Pétersbourg à la veille même de la guerre d'Orient. D'après les nouvelles qui m'arrivent de la Lombardie, les mêmes dissensions qui ont fait avorter le mouvement de 1848 commencent à s'y dessiner et à révéler l'existence de trois partis principaux : le parti piémontais qui patronne l'annexion au Piémont, le parti Lombard, qui caresse l'idée d'un royaume lombard indépendant, enfin le parti fédéraliste, qui rêve d'une fédération des républiques italiennes. Naples est relativement le pays le moins agité de l'Italie. Les m e s u r e s préventives adoptées par le Roi retiennent momentanément le peuple qui, cependant pourrait bien sortir de son engourdissement au premier signal de révolte donné par le nord de la péninsule.
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154] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 21 février 1859 Dépêche N° 145, confidentielle La famille royale vient d'éprouver coup sur coup deux pertes successives : l'Archiduchesse Anne femme du Prince héréditaire de Toscane, est morte le 11 de ce mois à Naples, où elle était venue pour assister aux fêtes du mariage et quatre jours après la princesse Marie-Amélie, fille du Comte d'Aquila, l'un des frères du Roi, était également emportée par une fièvre typhoïde. D'un autre côté, le Roi est toujours retenu à Bari par une recrudescence de sa maladie. Voilà donc les fêtes du mariage indéfiniment ajournées. l a Cour a pris le deuil pour quatre semaines, et la famille impériale et royale de Toscane est repartie hier pour Florence sans même attendre le retour du Roi. Tous ces malheurs frappent vivement ce peuple impressionnable et crédule, qui, pour les expliquer, s'en prend à quelque influence secrète du mauvais œil, à la jettatura etc... et y voit les signes précurseurs d'autres catastrophes qui menaceraient le pays. L'horizon politique est, en effet, assez couvert pour justifier les funestes pressentiments qui tourmentent les esprits dans tout le royaume, et dans les cercles politiques on se préoccupe également des événements que l'avenir nous tient en réserve. Pour la question de la reprise des relations, les dernières nouvelles de Rome ont enlevé toute espérance, alors même qu'on ne se serait pas laissé désillusionner par le discours de I,ord Derby, qui, sans tenir compte du Roi de Naples, de ses récentes concessions, porte un jugement si sévère sur les actes de son gouvernement. Le Pape avait voulu tirer parti du langage pacifique que le Duc de Gramont avait tenu au nom de son maître ; il avait donc fait prier l'Empereur de faire cesser l'état d'inquiétude qu'entretient son différend avec Naples en consentant la reprise des relations. Ne recevant pas de réponse de Paris, il avait le 17 janvier envoyé au nonce une dépêche télégraphique pour le charger de réitérer sa demande ; mais il avait immédiatement appris par la même voie que l'Empereur, tout en faisant des vœux pour que cet incident aboutit à une prompte solution ne pourrait agir sans le concours de l'Angleterre envers qui il se trouvait lié, et que d'ailleurs l'initiative en cette circonstance appartenait au Roi de Naples qui aurait à poser préalablement les bases d'une réconciliation. Une autre nouvelle, grosse de conséquences, m'arrive de Rome par une voix digne de confiance. Le Pape aurait formellement demandé à la France et l'Autriche l'évacuation de ses États, en se fondant sur la tranquillité qui y règne et sur la suffisance de ses propres ressources pour réprimer en cas de besoin toute tentative de désordre. Comme les deux puissances n'ont pas répondu jusqu'ici à cette demande, le Cardinal Antonelli se prépare à adresser aux autres gouvernements une note identique où il doit leur exposer les motifs qui
- 69 permettent au Pape de dcsirer et de provoquer la retraite des troupes d'occupations. Un conseil réuni le 18 a dû se prononcer sur l'opportunité de l'envoi de cette pièce. I>e Saint-Siège consent donc à rester abandonné à ses propres ressources plutôt que de payer le secours de l'étranger au prix des réformes que lui demande la France. Et pourtant tous ceux qui connaissent l'état des esprits dans ce pays, s'accordent à dire que le mécontentement public ne manquera pas de se manifester le lendemain du jour où cessera l'occupation, et tous aussi regardent l'armée pontificale comme complètement impuissante à réprimer une révolte. Aussi croit-on devoir attribuer la détermination du Pape à de puissantes influences qui l'auraient assurée contre les éventualités de l'avenir. Peut-être, forte de sa position de Ferrara, qui lui permet de surveiller les événements et de venir d'un instant à l'autre au secours du Saint-Siège menacé, l'Autriche a-t-clle consenti à se retirer pour détourner l'orage qui s'amoncelle sur sa tctc ; mais, du moins, aura-t-elle sauvé les apparences en ayant l'air de céder au vœu du Pape plutôt qu'à la pression de la France ou aux remontrances des autres Cabinets ? Ou bien le Saint-Père ne serait-il pas plutôt encouragé par les promesses formelles du Roi de Naples ? Celui-ci ne leur a-t-il pas assuré, en cas de danger, un appui, qui venant d'un voisin et d'un Prince italien, ne pourrait provoquer aucune récrimination ? Sans vouloir assurer la responsabilité de ces explications, j e dois faire observer que des personnes bien informées assurent que c'est à l'action combinée de l'Autriche et du Roi de Naples qu'il faut attribuer cette détermination inattendue du SaintSiège. |55| Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 7 mars 1859 Dépêche N° 155, secrète et confidentielle La maladie du Roi continue, et personne n'est en état d'en préciser ni la nature ni la gravité. Ses frères qui habitent Naples, les Archiducs Autrichiens qui sont venus passer ici quelques jours à leur retour de Bari, toutes les personnes de la Cour enfin n'ont que des paroles rassurantes lorsqu'on les interroge sur la santé de Sa Majesté. A les en croire, les douleurs à la jambe auraient diminué, et la fièvre, passée ; mais ils ne sauraient préciser l'époque de son retour. Les adversaires de la Cour, et ils sont nombreux, tombent peut-être dans l'excès contraire en répétant depuis quatre semaines que le Roi est dans un état tel qu'il a dû recevoir le Saint-Sacrement, qu'il souffre d'une affection de cœur combinée à une hydropisie, qu'une ulcération profonde s'est déclarée à la jambe, et qu'il a même le délire. Entre toutes ces allégations contraires, il est bien difficile de reconnaître la vérité, car le mystère dans lequel le Roi s'enveloppe, ne permet guère à les contrôler ; mais ce qui est positif, c'est qu'il ne s'occupe plus d'affaires et que les derniers décrets, au lieu d'être signés de sa
- 7 0 main, sont simplement revêtus de sa griffe. Il n'y a donc pas à douter qu'il ne soit sérieusement malade, que son mal ne soit de nature chronique et que son rétablissement ne se fasse longtemps attendre. Malgré cela, je dois constater que dans ces derniers jours ce sont les bruits rassurants qui l'ont emporté, et qu'on finit à réduire le mal à un accès debout irrégulière. En présence des éventualités que la santé du Roi pourrait faire naître, il est curieux d'étudier l'attitude de la population, attitude fâcheuse, il faut bien en convenir, car elle révèle de la façon la plus évidente la profonde désaffection que le Roi s'est attiré, et elle permet d'envisager dès à présent les graves perturbations qu'entraîneraient inévitablement un changement de règne. Au lieu de s'attrister de sa maladie on ne songe qu'aux conséquences qui en devront résulter, on n'y voit le dénouement possible de toutes les difficultés, la solution de toutes les questions en litige, une occasion favorable pour changer la face du pays et le relever de l'état d'avilissement où il est actuellement plongé. Tous les partis, dynastique, Muratiste et radicaux, sont également persuadés de la nécessité de modifier par des réformes plus ou moins profondes le régime actuel. Les dynastiques croient deviner dans le Duc de Calabrc un Prince qui, éclairé par les fâcheuses conséquences de la politique de son père, s'entourera d'hommes capables et fera respecter la monarchie en accordant aux besoins du siècle les réformes qu'il réclame. Pour les Muratistes, le Duc de Calabre, imbu d'idées arriérées, est incapable d'inaugurer un nouvel état de choses ; ils ne voient de salut pour le pays que dans la restauration de la famille de Murât, à qui le royaume, disent-ils, doit en définitive les seules bonnes institutions qu'il possède. Ce parti, quelque peu nombreux qu'il soit, pourrait cependant se développer considérablement si l'Empereur des Français se décidait à jouer un rôle plus actif dans la péninsule ; il se recruterait de tous ceux qui, également contraires à la politique stationnaire des Bourbons et aux idées trop avancées des radicaux, cherchent à se tenir dans un juste milieu. Ceux-là se jetteraient tous dans les bras d'un prétendant sérieux qui soutenu par l'appui de la France, leur offrirait la perspective d'une réforme modérée. Quant au parti radical, sans vouloir rien préciser de ses intentions, on peut dire que ses sympathies sont acquises d'avance à tout changement, parce qu'il compte en tirer profit pour la réalisation de ses propres vues. La maladie du Roi, avec les conséquences qui en peuvent découler, a déjà notablement influé sur l'état de l'opinion publique relativement à la situation générale de l'Italie, et on commence à se familiariser avec certaines prévisions qui n'avaient d'abord été accueillies avec réserve. C'est ainsi qu'après avoir opposé une grande froideur et une extrême défiance aux récentes manifestations de la France en faveur de l'Italie, on est arrivé à désirer plutôt qu'à redouter une conflagration générale. Ce n'est pas que les idées unitaires soient en vogue ici, car, au contraire, toutes les classes de la population ont en profondeur horreur le Piémont et ses projets d'annexion. Mais on comprend à l'attitude de la France, de la Russie et de la Sardaigne, qu'un arrangement diplomatique ne saurait résoudre les difficultés que d'une manière incomplète et précaire ; on
- 71 préfère donc à une négociation qui n'offrirait qu'un palliatif insuffisant, tous les dangers d'une guerre, au sortir de laquelle on pourra trouver le calme et la sécurité. De tous côtés on se dit que l'Empereur s'est trop avancé pour pouvoir reculer ; on se dit que le Piémont, qui joue sa dernière carte, saura bien au besoin susciter quelques incidents pour forcer l'Empereur à sortir des voies pacifiques et à tirer l'épée pour tenir des engagements formels qui existent en dépit de toutes les dénégations ; on se dit enfin que la Russie appuiera les prétentions de la France et du Piémont, et qu'elle ne s'arrêtera pas tant qu'elle n'aura pas infligé à l'Autriche la punition qu'elle lui réserve, tant qu'elle n'aura pas vu détruire sa marine marchande, à laquelle elle fait depuis un an une si rude concurrence dans l'Adriatique et dans la Méditerranée. La conduite du Grand-Duc Constantin vis-à-vis du Roi de Naples semble bien confirmer l'accord de la Russie avec les deux autres puissances ; autrement, comment s'expliquer que ce Prince, qui se trouve depuis deux mois à Palerme, ait jusqu'ici évité de voir le Roi, à qui l'unissaient naguère et la conformité de politique et la vieille amitié des deux cours. On regarde donc la guerre comme inévitable ; des arrangements factices pourront encore en reculer le terme mais non l'empêcher. C'est au mois de juin qu'on s'attend de voir commencer les hostilités ; ce n'est, dit-on, qu'à cette époque que les armées seront en état d'entrer en campagne, et si d'ici là on négocie, ce ne sera que pour mieux se préparer à la lutte. En attendant, on observe avec avidité tous les symptômes qui se manifestent en Italie ; non qu'on veuille prendre part au mouvement qui pourrait éclater, mais pour s'en prévaloir dans l'intérêt exclusif du pays. On s'occupe notamment des concessions récentes du Pape, et on dit que le Cardinal Brunelli envoyé à Paris pour les soumettre à l'Empereur, reçut pour réponse qu'elles étaient insuffisantes. Relativement à l'évacuation prochaine des États Romains j'apprends de Bologne que l'archevêque vient de réunir dans son palais les principaux personnages de la ville pour leur communiquer cette mesure. Pour calmer les inquiétudes il déclare que c'était l'Empereur d'Autriche qui l'avait conseillé et que les Autrichiens seraient toujours en observation sur la frontière pour la passer au premier signe de révolte, tandis que d'un autre côté, les Suisses du Roi de Naples entreraient dans les Etats pontificaux pour occuper Rome et Civitavecchia. Son Excellence daignera observer que cette nouvelle vient à l'appui des idées que j e développais dans ma dépêche No 145, lorsque je cherchais à expliquer à mon point de vue cette détermination inattendue du Pape. J'ai l'honneur de communiquer à Son Excellence tous ces bruits que j'entends circuler autour de moi, sans vouloir en aucune façon en assumer la responsabilité. Quoiqu'il y ait loin de la parole à l'action, j'ai cru cependant bon de les recueillir, afin de faire connaître à Son Excellence l'état des esprits à Naples, au moment où tous les yeux sont fixés sur l'Italie, et en attendent avec anxiété les événements qui s'y préparent.
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|56] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 14 mars 1859 Dépêche N° 159, confidentielle Toutes les préoccupations du moment se concentrent sur la santé du Roi. ¡JC 9, se répandit tout à coup le bruit que Sa Majesté allait arriver, et quelques heures plus tard on vit paraître dans le golfe de Naples la frégate royale remorquée par un bateau à vapeur. Mais au lieu de mouiller auprès du palais on jeta l'ancre devant Portici. On sut bientôt que les médecins voyant s'aggraver de jour en jour l'état de l'auguste malade et incertain sur la véritable nature du mal avaient pensé qu'un changement d'air pourrait avoir sur lui une influence favorable. Les plus graves précautions avaient été prises pour transporter sans secousse le monarque affaibli par 90 jours de maladie. On avait dû percer le pont du navire d'une large ouverture, et c'est par cette porte improvisée qu'on introduisit le brancard sur lequel on avait transporté le Roi. La Reine suivait en pleurant ce triste cortège et on assure que le Roi lui dit, en badinant : « Qui aurait prédit, il y a deux mois, que j'assisterai vivant à mes funérailles. » On avait pris les dispositions les plus sévères pour dérober l'état du Roi aux yeux du public. Ainsi la population avait été soigneusement écartée du lieu de l'embarquement et les frères du Roi, comme les Ministres, avaient reçu la défense formelle de se trouver au débarcadère. A Portici, on avait placé le lit dans un wagon, et le soir du 9, le malade arrivait à Caserta. Là aussi il voulait se soustraire à tous les regards, et on avait expressément enjoint aux divers habitants du château de ne pas se placer aux fenêtres lorsque Sa Majesté viendrait à passer. Voilà les détails de ce triste voyage, qui, malgré un temps excellent, n'a pas exigé moins de 50 heures de navigation. I>e journal officiel persiste dans son mutisme, et se contente d'annoncer l'arrivée du Roi, sans donner le moindre renseignement sur sa santé. On voit cependant que le 10 les premiers médecins de Naples furent appelés en consultation à Caserta et qu'ils reconnaissent que les médecins de Bari n'avaient compris ni la nature ni la gravité du mal. Croyant avoir affaire à un rhumatisme combiné de fièvres intermittentes, ils avaient abusé de la quinine. Mais on constate que le mal était bien plus sérieux, que le Roi souffrait d'une inflammation très grave des muscles profonds de la cuisse (Psoïte) et qu'un dépôt s'était formé à l'aine droite. On se décida sur-le-champ à opérer le malade ; mais le foyer de la suppuration est si profond que le bistouri ne l'a pas atteint et qu'il faudra revenir à une seconde opération. Quoiqu'il en soit, et bien qu'une suppuration latente de 50 jours ait considérablement affaiblie le Roi et puisse faire redouter un épuisement, on a cependant l'espoir de conserver Sa Majesté ; mais dans tous les cas la convalescence demandera du temps.
- 73 Le lendemain de l'arrivée du Roi, je me suis empressé de me rendre à Caserta pour m'inscrire au Palais, mais je n'ai pu y recueillir aucun renseignement, et je n'y ai même pas trouvé un bulletin de la santé de Sa Majesté. |571 Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 4 avril 1859 Dépêche N° 171, secrète et confidentielle Je reviens de Caserta. où le corps diplomatique se rend régulièrement pour s'informer de la santé du Roi. Les espérances qu'avaient fait concevoir l'amélioration produite par la première opération, n'ont pas tardé à s'évanouir. La fièvre est revenue avec plus d'intensité, le malade est épuisé par les pertes considérables de matières qui s'échappent des trois abcès ouverts, et sa vie est sérieusement en danger. Quoique le journal officiel annonce de temps en temps que Sa Majesté a présidé le conseil des Ministres, les prières publiques ordonnées par l'archevêque comme aussi la baisse persistante des fonds, indiquent suffisamment la gravité de la situation. Le Roi qui depuis l'année 1849 exerce le pouvoir le plus absolu dont notre époque offre l'exemple, et qui, croyant suffire à lui seul à toutes les exigences du gouvernement, a éloigné de lui tous les hommes influents par leur intelligence, l'indépendance de leur caractère ou leur position sociale, le Roi, dis-je, continue durant sa maladie à expédier lui-même les affaires les plus importantes. S'il a abandonné à ses Ministres les questions d'administration intérieure, c'est lui-même qui, de son lit dirige la politique proprement dite. La Reine, la seule personne qui jouisse de sa confiance transmet ses ordres au chef du Cabinet privé, lequel les communique ensuite aux différents Ministres ; c'est elle qui dirige la correspondance secrète avec les diverses cours, elle qui reçoit et expédie les nombreuses dépêches télégraphiques, elle enfin qui supplée le monarque dans tous les actes que son état lui interdit. Le Prince héréditaire, dont la place naturelle serait auprès du lit de son père, est tenu à l'écart ; le Roi, jaloux de sa nature, ne lui a jamais accordé une grande confiance, et le jeune Prince, d'un caractère timide et réservé, accepte la position qui lui est faite sans vouloir anticiper sur les événements. Bien qu'en l'absence de son père il préside de droit le conseil des Ministres, sa présidence est purement nominale ; dépourvu de tout droit d'initiative, il ne peut prendre aucune décision sérieuse et doit consulter le Roi ou la Reine pour toute affaire de quelque importance. L'état grave du monarque n'est plus un secret pour personne, bien que chacun s'abstienne de le qualifier ; aussi est-il déjà permis de préjuger l'attitude que prendront les partis au moment plus ou moins proche d'un changement de règne. Il ne faut pas se le dissimuler. La majorité de la population, qui, aux premières nouvelles de la maladie du Roi avait accepté avec une véritable
- 7 4 satisfaction la perspective d'un pareil changement, revient sur ce premier mouvement au fur et à mesure que cette éventualité se rapproche davantage, et, conseillée par la frayeur, elle préférerait le maintien du statu quo au danger d'une réforme. L'habitude prise de l'état de choses actuelles, la crainte des révolutions, le désir du repos à tout prix pourront donc rallier autour du nouveau Roi cette classe nombreuse de la population dont les intérêts matériels exigent le calme et la sécurité, et lui assurer ainsi une nombreuse majorité. On aurait pu croire que, fatiguée de plier sous le joug, la nation serait heureuse de voir finir un règne sous lequel une volonté inflexible la menait à son gré, sans se préoccuper ni des besoins du siècle, ni des vœux du peuple. Il n'en est rien cependant ; à force de ruses et de corruption, en transigeant sans cesse avec les autorités chargées d'exécuter les ordres du souverain, les Napolitains ont su atténuer les fâcheux effets d'une situation qui semble intolérable, et au bout du compte ils préfèrent encore le calme plat de ce régime aux ruineuses agitations et aux dangereuses émotions d'une réforme. Retenus par leur indolence naturelle, énervés encore par une longue oppression, préoccupés surtout de leurs intérêts pécuniaires ils envisagent avec effroi la perspective d'un changement politique, car ils n'y voient que le signal d'une tempête qui emporterait le peu de bien-être matériel dont ils jouissent actuellement. En face de cette majorité craintive quelques esprits libéraux s'abandonnent à l'espérance et acceptent volontiers les chances d'une lutte pour relever le pays de l'état d'abaissement où il se trouve. Faibles par le nombre, ils ont pour eux la force d'une conviction ardente, et il ne serait pas impossible que, favorisée par les événements, leur infatigable activité parvint à avoir raison de l'apathie et de l'indifférence de la majorité, et à l'entraîner avec elle. On conçoit dans quelle position difficile le jeune Prince pourra se trouver par là au début de son règne. L'attitude de la majorité, qui semble une justification de la politique de son père, ne l'aveuglera-t-elle pas sur les véritables inconvénients de ce régime et ne l'encouragera-t-elle à y persister ? C'est là un danger d'autant plus sérieux, que placé en face d'une constitution que son père a simplement prorogée, et qui existe donc encore en droit, il devra dès l'abord se prononcer entre son maintien pur et simple et son abrogation formelle. Pour continuer la politique du Roi actuel, il lui faudrait une énergie et une expérience qui lui manque à coup sûr. Il aura donc besoin de s'entourer d'hommes capables de partager avec lui le fardeau du pouvoir, et l'opinion générale désigne déjà le général Filangieri Duc de Taormina, le seul personnage étranger à sa famille que le Roi ait admis près de lui dans ces derniers temps. Mais le général, qui se distingue par de rares qualités et qui, en 1849, dans la répression de la révolte de Sicile, a su s'attirer l'estime universelle, est déjà fort vieux, et ailleurs son attachement pour la dynastie, la modération de ses principes et son penchant pour l'Autriche le feront mal voir de beaucoup de personnes. Aussi, quoique pour le moment son avènement ne soit encore en question, on le discute déjà de toutes parts et il est certains que Muratistes et radicaux s'entendent également pour le repousser.
- 75 En attendant le Prince de Carini, envoyé napolitain à Londres avant la rupture, vient de partir pour Berlin en mission extraordinaire. On suppose que le gouvernement de Naples s'adresse à la Prusse pour obtenir son admission au congrès en cas que les prétentions du Piémont soient acceptées. [581 Fuad Pacha à Rustem Bey Le 13 avril 1859 Dépêche N° 2372 J'ai reçu votre rapport confidentiel du 24 mars 1 dans lequel vous énumérez et expliquez les causes qui impriment un caractère de détermination et d'hésitation à la fois, à la politique belliqueuse suivie par quelques puissances européennes sur le terrain de la question italienne. La lucidité de vos appréciations est telle que j e ne puis me refuser à en reconnaître la justesse. Tirées de la nature même des choses et basées sur une étude approfondie de la situation du moment et de tous les faits qui l'ont précédée, elles servent à éclaircir cette situation ambiguë. [59] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 14 avril 1859 Dépêche N° 498 Pour faire suite à mon rapport du 7 de ce mois N° 4 9 6 2 , j'ai l'honneur d'informer Votre Excellence que les nouvelles télégraphiques qui nous arrivent depuis deux jours de Vienne et de Paris semblent un peu plus pacifiques. Elles annoncent que l'Autriche consentirait à désarmer aussi et que les difficultés qui s'opposaient à la réunion du congrès seraient ainsi sur le point d'être levées. M. le Comte de Cavour vient de me confirmer cette nouvelle en me disant cependant qu'il faudra voir si l'Autriche est de bonne foi car il ne comprenait pas qu'elle consentit réellement à désarmer après avoir appelé jusqu'à son dernier soldat sous les armes et au moment où elle annonçait l'envoi d'un nouveau corps d'armée en Italie. Néanmoins la nouvelle est positive et nous verrons quelle conséquence elle aura. Ici l'arrivée des volontaires de toutes les parties de l'Italie continue toujours ; plus de 10 000 ont déjà été enrôlés.
' N e figure pas dans le dossier. ^Ne figure pas dans le dossier.
- 76 Les nouvelles télégraphiques reçues aujourd'hui de Naples sur la santé du Roi sont fort mauvaises ; elles annoncent qu'on lui a administré hier les derniers sacrements, qu'il a pris congé de sa famille et que d'un moment à l'autre on s'attend à apprendre sa mort.
|60| Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 15 avril 1859 Dépêche N° 103, réservé Profitant du départ d'un courrier anglais j e m'empresse de rapporter respectueusement certaines informations sur la question à l'ordre du jour. La source où j'ai puisé ces détails, en garantit l'exactitude. Et d'abord, qu'il me soit permis de faire observer que la visite de l'Archiduc Albert d'Autriche a été aussi inattendue qu'elle est embarrassante pour la Cour de Prusse. Le Ministre du Roi à Vienne n'en a été informé et ne put l'annoncer que peu avant le départ de S A.I. Aussitôt le Prince-Régent appela le Président du Ministère et les Ministres des Affaires Etrangères et de la Guerre pour se concerter avec eux sur l'attitude à observer. Dans cette audience, deux opinions représentant assez exactement les sentiments dominants du pays, se rencontrèrent en face. Le Régent, soutenu par deux de ses conseillers, proposa la mobilisation partielle de l'armée. Cette démonstration présenterait, dans l'opinion de S.A.R., entre autres avantages celui de la spontanéité, dont le mérite serait méconnu par l'Allemagne, si elle venait à la suite de la mission de l'Archiduc. Le Ministre de la Guerre combattit cette mesure pour des raisons stratégiques et politiques. A son avis, la mobilisation partielle et immédiate de l'armée, loin d'offrir des avantages réels, compromettrait plutôt l'action diplomatique de la Prusse ; et tout en occasionnant des dépenses inutiles, elle provoquerait peut-être l'hostilité de la France. Il semble que le Prince-Régent s'est laissé convaincre par les arguments susénoncés. En effet, l'ordre de mobilisation fut ajourné et il a été convenu que la Prusse n'entrerait pas dans l'alliance offensive et défensive, que l'Archiduc Albert a été chargé, à ce que l'on assure, de lui proposer. Je viens d'apprendre que S A . l . n'espérant pas réussir, compte quitter bientôt cette Capitale avec la suite qui l'accompagne et qui est composée de plusieurs officiers supérieurs de l'état-major. Le manque de succès de cette mission mécontentera et surprendra d'autant plus l'Autriche, qu'elle semble s'être arrêtée au plan d'attirer la guerre en Allemagne ; dans ce but le Cabinet de Vienne a habilement su mettre en jeu les ambitions des petits Princes du Midi dont le représentant le plus chaleureux est depuis quelque temps, le Duc régnant de Gotha.
— 11 — En attendant, malgré les efforts assidus de l'Angleterre et de la Prusse pour le maintien de la paix, l'Autriche continue ses préparatifs de guerre avec activité. Ainsi les régiments allemands tenant garnison dans les forteresses fédérales, vont être remplacés par des régiments italiens. Et des rapports officiels constatent que la France aura au 1 e r juin une armée de 600 000 hommes prête à entrer en campagne. Si malheureusement la Diplomatie ne réussit pas à aplanir les difficultés surgies pour la réunion du Congrès, ses armements de part et d'autre pourraient bien, on le craint fort, provoquer des faits imposés en partie par des nécessités intérieures. Je sollicite l'autorisation de citer un propos aussi piquant que caractéristique du Baron Bruck. « Que Dieu entretienne dorénavant l'armée Impériale ! » aurait dit cet habile Ministre des Finances à l'Empereur qui lui demandait de nouvelles sommes, « moi je ne le puis plus. » Il me reste à porter à la haute connaissance de Votre Excellence que la Russie commence à dessiner su politique. Le représentant de cette Puissance à Berlin a essayé, sans y réussir cependant, de persuader au Gouvernement Prussien de la nécessité de réunir le Congres en dehors de l'Autriche récalcitrante. Dans ce but le Baron Budberg avance, que son Gouvernement ne pourrait abandonner une proposition sérieuse, à laquelle les Grandes Puissances avaient donné leur adhésion. Si j e ne me trompe fort, cette tactique, combinée probablement par cette alliance dont il serait oiseux de nier dorénavant l'existence tend à rendre l'Autriche responsable de l'éclat de la guerre. En attendant, la Russie concentrerait d'une part un corps d'armée de 75 000 hommes sur ses frontières du midi ; et d'autre part, l'Empereur Alexandre se proposerait d'octroyer des constitutions libérales à ses provinces Polonaises. Au milieu de ces perplexités qui gagnent chaque jour plus de gravité, la Prusse redoute la France et ne voudrait pas laisser battre l'Autriche. Le souvenir des années 1805 et 1806 est présente à sa mémoire. Le Cabinet de Berlin désire cependant rester libre de tout engagement avec l'Autriche, dont la politique ne lui inspire pas de confiance. Se fiant sur l'armée de 500 000 hommes, dont la mobilisation pourrait s effectuer dans l'espace de trois semaines, il voudrait au fond prendre part à la guerre, après l'éclat, selon la direction et en vue d'un profit réel. Encore cette dernière disposition serait presque du domaine de l'actualité, s'il était exact que l'Autriche se propose d'attaquer bientôt le Piémont. Le désarmement de ce pays effectué ainsi, le Cabinet de Vienne se mettrait volontiers à la disposition du Congrès.
- 78 [61] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 18 avril 1859 Dépêche N° 174, confidentielle Les craintes que la santé du Roi inspiraient depuis quelque temps ne se sont que trop confirmées dans le courant de cette semaine et si, au moment où j e trace ces lignes, Sa Majesté vit encore, on n'en attend pas moins d'un instant pas l'autre la nouvelle de sa mort. Le 12, son état avait pris un caractère si alarmant qu'on croyait sa dernière heure arrivée. La famille royale avait été convoquée à la hâte, et en sa présence, le Roi avait reçu les derniers sacrements ; ensuite, avec une fermeté remarquable, il avait pris congé de toutes les personnes présentes, adressé ses derniers conseils aux différents membres de sa famille, et recommandé tout spécialement au Prince héréditaire les destinées de son peuple. Bien que cette crise violente ait été suivie d'un soulagement notable et que la maladie puisse durer encore quelque temps, les médecins ont déclaré que les poumons sont trop gravement atteints pour qu'il y ait encore le moindre espoir. On assure que le Roi, qui ne se fait pas d'illusion sur son état, a voulu avant de mourir, tracer à son successeur la marche qu'il devra adopter en montant sur le trône. Il a, dit-on, d'abord compris avec une rare sagacité que la politique suivie par lui ne pourrait lui survivre, qu'elle exige, pour réussir, une fermeté peu commune et une expérience impossible chez un jeune Prince de 23 ans. Il engagerait donc son fils, à tenir compte dans une certaine mesure, de l'opinion publique, et à lui faire quelques concessions. Sachant bien que le Ministère actuel, formé pour d'autres circonstances n'offrirait pas au jeune Roi un appui suffisant, il aurait désigné les hommes qui devraient entrer dans son conseil, et l'aider de leur lumière pour traverser cette phase difficile. On sait particulièrement que le général Filangieri et le Prince Ischitella ont été appelé à Caserte, et qu'ils ont eu de longs et nombreux entretiens avec le Roi et le Prince héréditaire. On dit que dans ces réunions, toutes les éventualités ont été discutées et qu'on a arrêté les mesures à prendre pour prévenir les dangers d'un changement de règne qui emprunte un caractère tout particulier de gravité à l'agitation actuelle de l'Italie. D'après des renseignements que j e tiens de la meilleure source, voici la marche qu'on se serait décidée à adopter. La constitution resterait ajournée ; mais, pour prévenir de fâcheuses réclamations, le gouvernement prendrait l'initiative de toutes les réformes réalisables et fera de son propre gré, avec une prudente libéralité, toutes les concessions possibles, avec les besoins et la situation du pays. On établirait notamment une sorte de représentation nationale, en admettant près du conseil d'État un délégué de chaque province, lequel serait élu pour un an avec la mission de se faire l'organe des griefs et des vœux de ses commettants. Mais le gouvernement ne consentirait pas à aller plus loin, bien décidé à repousser
- 79 toute tentative qui aurait pour but de le faire sortir du cercle qu'il s'est tracé. L'état de la Sicile aurait surtout été pris en sérieuse considération. Bien que récemment le général Tanza soit facilement parvenu à y étouffer des tendances à l'insubordination qui s'étaient manifestées dans les rangs de l'armée, on craint que la nouvelle de la mort du Roi ne donne lieu à des tentatives plus sérieuses. Pour satisfaire l'opinion publique dans l'île, on aurait égard aux vœux depuis si longtemps manifestés par les Siciliens, et on mettrait à leur tête un Prince du sang, qui tiendrait sa Cour à Palerme. Ce serait un des beaux-frères du Roi actuel, le Prince Sébastien, déjà vieux et sans héritier, qui devrait inaugurer ce nouveau régime, et, malgré son origine espagnole, se recommande par sa sagesse et sa loyauté. Pendant que de sa main défaillante, le Roi trace le plan du nouveau règne, les partis semblent donner quelques signes de vie, et on soutient qu'ils cherchent à s'assurer dans le sein même de la famille royale des interprètes de leurs vœux. Le parti constitutionnel tient d'assez fréquentes réunions et il a, dit-on, arrêté le projet de soumettre au jeune Roi une pétition en faveur du rétablissement de la constitution de 1848 ; mais le Comte de Syracuse, l'un des frères du Roi, auquel ils ont fait connaître leurs intentions, cherche à modérer leur ardeur en indiquant les dangers d'une semblable précipitation. Le Comte d'Aquila, un autre des frères du Roi, ferait au contraire appel au dévouement monarchique du peuple et provoquerait de la part des Lazzaroni une démonstration hostile à la constitution, qui ne représente à leurs yeux que la révolution et la guerre civile. Mais en réalité tous ces symptômes n'offrent pour le moment rien d'alarmant, pourvu que le nouveau Roi consente à adopter franchement le programme des réformes modérées et progressives que recommandent les amis les plus éclairés et les plus dévoués de la monarchie. En terminant, j'ai l'honneur d'informer son Excellence que Grand-Duc Constantin s'embarque demain pour se rendre avec son escadre à Athènes et de là à Jérusalem.
[62] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 20 avril 1859 Dépêche N° 104, réservé J'ai l'honneur de porter à la haute connaissance de Votre Excellence que les nouvelles arrivées hier ne furent pas de nature à diminuer les inquiétudes du Gouvernement Prussien. Les déclarations des Ministres Anglais, à côté du langage qu'ont tenu les chefs du parti libéral tant au sein du Parlement que dans les meetings, lui paraissent d'autant moins rassurantes, que les tentatives d'amener une entente entre la France et l'Autriche ont été jusqu'à présent infructueuses. L'on se complaît néanmoins à espérer encore la réunion du Congrès.
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En attendant, la Prusse désespérant de la paix et imitant l'exemple de son alliée l'Angleterre, s'apprête à une neutralité armée. Bientôt l'armée sera mobilisée en partie, il est à présumer qu'un emprunt de 50 millions d'écus suivra de près la mobilisation. Cette décision du Gouvernement Prussien devra ctre attribuée plutôt aux circonstances et à l'entraînement du sentiment national, qu'à l'influence de l'Autriche. En effet, si mes informations sont exactes et j'ai tout lieu de les croire telles, l'Archiduc Albert n'a pas réussi dans l'objet principal de sa mission. Après plusieurs tentatives inutiles de lier la Prusse à la cause de l'Autriche par une alliance offensive et défensive, l'Archiduc posa, en dernier lieu, les trois questions suivantes : I o l'Autriche attaquant le Piémont serait-elle soutenue par la Prusse ? 2° si elle rencontrait les Français en Italie, l'Autriche pourrait-elle compter sur des secours prussiens ? 3° la Prusse donnerait-elle des troupes auxiliaires, si la France attaquait l'Autriche en Allemagne ? Le Prince-Régent répondit négativement à la première demande, tout en fixant l'attention de l'Empereur sur les conséquences du mécontentement inévitable, dans ce cas, de l'Angleterre et de la Russie. S.A.R. fit observer que c'est la Diète Fédérale qui aurait, d'après l'article 27 de la constitution, à se prononcer sur le second point. Quant au dernier cas, le Prince-Régent déclara nettement que la Prusse emploierait toute son armée pour la défense de la patrie commune. L'Archiduc a essayé de faire transiger ; mais ses efforts ne purent, à ce que l'on m'a assuré, ébranler ses intentions. Aussi S A . I . après avoir télégraphié à Vienne quitte aujourd'hui cette Capitale, emportant probablement une impression favorable quant à l'attitude de la Prusse, en cas de dangers sérieux. Quoiqu'il en soit, le Cabinet de Berlin, ainsi que j'ai pris la liberté de le signaler dans mes humbles rapports, est très sérieusement préoccupé des suites d'une guerre. Les armements considérables de la France lui font perdre la confiance aux assurances pacifiques de ses organes. Ces armements lui paraissent d'une étendue, qui surpasserait le but ostensible et qui trahirait un plan prémédité. Cependant, désireux de ménager les susceptibilités de cette Puissance, le Cabinet de Berlin a jugé convenable de lui donner avis des mesures de précaution qu'il va prendre. Le Baron de Schleinitz les expliqua au Marquis de Moustier : comme un moyen de prévenir des manifestations inopportunes de la part de la Confédération. Je ne suis pas à même de faire part à Votre Excellence de l'impression que ces ouvertures auront produit sur l'esprit du Cabinet des Tuileries. L'on saura bientôt, si elles ont contribué à aplanir les premières difficultés, ou à en accélérer l'éclat.
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[63] Dirán Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 21 avril 1859 Dépêche particulière Depuis hier la situation politique a changé de face ; l'horizon commence à s'éclaircir et les nouvelles sont meilleures. Je ne doute pas que Votre Excellence ne soit déjà informée et que la présente ne doive paraître bien pâle à côté des dépêches télégraphiques qui sillonnent aujourd'hui l'Europe tout entière. Néanmoins je me fais un devoir de porter à la connaissance de Votre Excellence un aperçu de ce que j'ai pu recueillir auprès de personnes haut placées. Jusqu'à la date d'hier même les cordes étaient très tendues, au point qu'on croyait qu'il n'y aurait ni congrès ni entente possible et que, des coup de canon allaient se faire entendre. L'Europe tout entière paraît vouloir la paix ; quoique Lord Derby ait fait seulement entendre au public, qu'en cas de guerre générale l'Angleterre garderait la neutralité mais qu'elle armerait pour protéger ses intérêts et sauvegarder sa dignité, ceci ne l'a point empêché de tenir un langage sévère aux souverains belliqueux et particulièrement à la France. Ainsi hier au soir le Ministre des Affaires Etrangères ici a reçu de tous côtés des dépêches qui disent que tous les Gouvernements cherchent à parvenir à une solution pacifique et qu'on espère que la réunion du congrès amènera la paix. Votre Excellence sait que le Gouvernement français persistait sur l'admission du Piémont comme cinquième grande puissance au congrès à condition de son désarmement — voyant l'opposition de tous les Gouvernements il avait consenti d'admettre les autres États italiens au congrès ; on m'assure maintenant que le Piémont n'aura pas de voix délibérative et qu'il n'y aura, comme les autres États italiens, que voix consultative. La France en acceptant ceci fait une reculade tout au moins, si elle ne laisse appréhender que, pour le cas que le Piémont persiste, elle l'abandonnera à lui-même. On présume que les volontaires — au nombre de 15 000 — enrôlés dans l'armée Piémontaise, dont les 14 000 ne sont qu'un amas d'échappés de bagne, se soulèveront pour amener une révolution dans le pays. Mais ceci ne changera rien à la position politique. La Russie dit-on, dans ses affaires joue au plus fin. Elle voudrait d'une part se venger de l'Autriche par une humiliation quelconque et d'autre part prendre sa revanche sur la Turquie pour soulever pendant que l'Europe serait préoccupée de ses affaires, les populations chrétiennes de la Turquie d'Europe. On assure même qu'il y a beaucoup d'agents officieux étrangers dans la Turquie d'Europe qui montent les esprits afin de faire agir lorsque, à un moment donné, l'Europe ne sera pas en mesure d'intervenir efficacement. On se rassure pourtant en
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présumant que la Turquie, par des mesures énergiques, saura déjouer ses sourdes menées. P. S . : Au moment d'expédier ma lettre j e reçois la nouvelle que l'Autriche a refusé la nouvelle proposition, parce qu'elle ne veut à aucune condition admettre la Sardaigne au congrès. Ainsi, à moins que la France et la Sardaigne (ce qui n'est guère probable) ne se désistent de cette condition, la guerre est inévitable et sera déclarée immédiatement. J e n'envoie cette nouvelle à Votre Excellence que sous toute réserve. Les événements se succèdent avec une incroyable rapidité, j e n'ai pas le temps de vérifier l'authenticité de celle-ci. [64] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 21 avril 1859 Dépêche N° 503 La situation politique se fait de plus en plus grave. Il y a quatre ou cinq jours la nouvelle arriva tout à coup que les Autrichiens concentraient leurs forces près de la frontière sarde dans l'intention évidente de passer la frontière et de rentrer en Piémont. L'on prit aussitôt ici toutes les dispositions militaires ; les troupes furent mises sous les armes et l'on crut un moment que la guerre allait effectivement commencer. J e dois constater l'enthousiasme des sentiments de patriotisme dont les troupes et la population étaient animées. Mais bientôt l'on reconnut que ce n'était qu'une fausse alarme, et le bruit se répandit que les représentants d'Angleterre et de Prusse s'étaient rendus garants au nom de leurs Gouvernements que l'Autriche n'attaquerait pas sans déclaration de guerre préalable, les troupes furent renvoyées à leur quartier et tout rentra dans l'ordre normal. Aujourd'hui une dépêche télégraphique de Paris, en date de ce matin, nous apporte les dernières propositions formulées par l'Angleterre, propositions qui seraient : 1° le désarmement général préalable et simultané. 2° nomination d'une commission indépendante du congrès pour régler et diriger le désarmement ; commission composée de six délégués dont un Sarde. 3° réunion du congrès pour discuter des questions politiques, aussitôt après que cette commission aurait accompli son mandat. 4 e invitation aux États italiens de se faire représenter au congrès sur le même pied qu'au Congrès de Laybach en 1821. La France, la Russie et la Prusse se sont ralliées à cette proposition. L'on ne connaît pas encore la réponse de l'Autriche.
- 83 Le bruit se répand en ce moment que l'Autriche n'accepterait pas cette proposition ; je ne saurais cependant affirmer si cette nouvelle est fondée et je n'ai pas le temps, avant le départ du courrier, de pouvoir m'en assurer. [64a] Agob Effendi à Fuad Pacha Paris, le 22 avril 1859 La présence ici de Son Excellence Musurus Bey et les occupations constantes qu'elle me crée, m'ont seules empêché de continuer à entretenir Votre Excellence, comme je l'avais fait depuis son départ de Paris, des péripéties politiques et autres qui pouvaient se produire et qui, aujourd'hui, touchent au dénouement que Votre Excellence me rendra la justice d'avoir prévu. En effet Votre Excellence a dû voir par la dépêche télégraphique que nous lui avons expédié ce matin que la guerre est à la veille d'éclater et qu'à moins d'une circonstance providentielle, rien ne peut plus l'empêcher. On dit aujourd'hui à Paris que ce sont les corps francs Piémontais qui ont attaqué les avant-postes Autrichiens aussitôt qu'ils ont appris la possibilité d'un désarmement général, et qu'alors l'armée impériale a envahi le territoire Piémontais. Cette version est fort accréditée et on attend à chaque instant des nouvelles du théâtre des événements. Une autre version prétend que l'Autriche ne voulant pas adhérer à la proposition énoncée de l'Angleterre et concernant la nomination d'une commission de désarmement, aurait sommé le Cabinet de Turin de désarmer et qu'à la suite de la réponse négative de ce dernier, elle soit entrée en Piémont. La troisième version est que l'Autriche aurait fait un effort suprême et direct auprès du Cabinet de Turin et que ces propositions seraient de nature à ne pas être repoussées par celui-ci. Je crois, moi, qu'à l'heure qu'il est on se bat sur le Tessin et qu'il ne reste plus aucun espoir de conserver la paix. Quoiqu'il en soit, Paris offre un aspect étrange aujourd'hui Vendredi saint. Les rues sont encombrées de troupes depuis ce matin, et il partit il y à deux heures, 15 000 hommes par le chemin de Lyon par se rendre sur la frontière. Je redoute pour le Piémont l'impossibilité matérielle où se trouvera la France de le secourir à temps et je crois que les Autrichiens vont directement à Turin. C'est là, du moins, l'opinion assez généralement accréditée ici. La France n'est pas prête à faire la guerre contre une puissance qui a une ligne de 250 000 hommes en Italie et 400 000 en Autriche.
- 84 [65] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 26 avril 1859 Dépêche particulière La manière dont la question de la guerre ou de la paix a été tranchée le 21 avril est une énigme pour tout le monde. L'initiative prise par l'Autriche de déclarer ainsi la guerre en expédiant un ultimatum qui accorde trois jours au Piémont de désarmer a été désapprouvée par l'Europe entière. L'Angleterre, la France, la Russie et la Prusse ont fortement protesté contre la conduite de l'Autriche. La protestation de cette dernière, d'accord avec toute l'Allemagne, a ébranlé toute la diplomatie à Paris. Tout le monde blâme le Comte Buol et jette la faute sur lui, de ce qu'il a agi sans s'assurer au préalable de l'Allemagne. Une dépêche télégraphique d'hier au soir, de Turin, annonce qu'un corps, de 40 000 français venait de franchir les Alpes et qu'on les attendait dimanche prochain à Turin ; un autre corps d'armée doit débarquer demain soir à Gênes. Une autre dépêche télégraphique de Vienne prétend que le général Guilay a reçu l'ordre de surseoir la marche offensive sur le Piémont. La protestation de la Russie est la plus énergique ; on assure même comme positif qu'elle a mobilisé quatre corps d'armée sur la frontière sud-ouest de son territoire. L'Angleterre pour le moment est aussi contre l'Autriche ; on assure qu'elle est sur le point d'envoyer une flotte dans la mer Adriatique. L'ultimatum expirant ce soir, à cinq heures, le seul espoir qui reste pour le succès de la paix, c'est de voir l'Autriche reculer, en présence de la coalition qui tourne complètement contre elle ; mais cet espoir est bien faible. Si la guerre éclate, dans ces conditions, et si la coalition se maintient, ce serait peut-être, le seul moyen de la localiser. Mais cette conjoncture est aussi très douteuse. Du reste, je ne me livre pas à de plus longs commentaires puisque nous sommes à la veille de voir une solution à l'état actuel des choses. [66] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 28 avril 1859 L'attitude qu'observe le Gouvernement Prussien en face de la résolution de l'Autriche confirme, si je ne me trompe, l'exactitude des informations que j'ai eu l'honneur de transmettre à Votre Excellence par mes humbles rapports N° 103 et 104 1 , sur la mission de l'Archiduc Albert. 1
Nos. 60 et 62.
- 85 La sommation à l'adresse de la Sardaigne, quoique attendue par le Cabinet de Berlin, ne l'a pas moins inquiété. Toutefois, la Prusse ne s'est pas servie, pour manifester sa réprobation, des termes énergiques qui caractérisent les protestations de l'Angleterre et de la Russie. Sa position de membre de la Confédération s'y opposait. Mais elle a désapprouvé, par une note officielle, cette dernière démarche de sa confédérée tout en la rendant responsable des suites, ("'est dans ce sens que m'entretint récemment M. le Baron de Schleinitz, que j'ai trouvé plus que jamais alarmé de la situation. En effet, la position de la Prusse, Votre Excellence le sait parfaitement, est des plus délicates. Comme Grande Puissance, elle a été diplomatiquement contre l'Autriche ; comme puissance fédérative, elle ne saurait abandonner facilement une cause qui pourrait bientôt toucher de près aux intérêts allemands. L'on regrette profondément que le Cabinet de Vienne ait assumé le tort de l'agression, que des avantages militaires paraissent vouloir justifier. L'article 46 de l'acte final de Vienne s'oppose à l'intervention de la Confédération ; intervention prévue et promise par l'article 47, auquel le Prince-Régent se référait, en répondant à la seconde demande de l'Archiduc. Il serait superflu de rappeler à la mémoire de Votre Excellence que l'interprétation de ces dispositions a cependant de tout temps été fort élastique. Quoiqu'il en soit, la Prusse, malgré ses sentiments de prudence et de rivalité, pourrait-elle se tenir longtemps écartée de la lutte ? Le réveil du sentiment national qui se manifeste jusque dans des chansons patriotiques, le souci des provinces rhénanes, auxquelles la formation du corps d'armée ayant pour quartier général Nancy semble être destiné à servir d'épouvantail, les empiétements redoutés de la Russie, ce sont autant de préoccupations décisives. La Prusse, moins confiante que l'Autriche, ne voit pas d'un bon œil le projet de concentration de quatre corps d'armée en Volhynie. Elle aimerait pouvoir compter sur la modération et la loyauté de l'Empereur Alexandre ; mais le langage de son Ministre l'en retient. Le Prince G o r t s c h a k o f f , dans l'entraînement bien connu de son caractère, aurait tenu des propos peu rassurants. Il paraît que le souvenir des embarras que lui a suscité pendant la guerre d'Orient l'attitude de l'Autriche, n'y est pas étranger. L'on assure qu'une note du Cabinet de Saint-Pétersbourg à l'adresse de l'Allemagne va bientôt essayer de paralyser par la menace d'une intervention armée, toute action effective de sa part. En attendant, des rapports parvenus au Ministère de la Guerre avancent que la Russie ne pourrait présenter en tout qu'une armée de 250 000 hommes, dont 100 000 seraient destinés pour les frontières Austro-Turques et le reste pour celles de l'Allemagne. Encore faudrait-il beaucoup de temps pour la concentration, que l'état intérieur du pays et le manque de chemins de fer rendent difficile et dispendieuse.
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Au milieu de ces complications redoutables, l'Orient risque d'être perdu de vue. Les préoccupations des Cabinets ne sauraient cependant diminuer la vigilance des Légations Impériales. Pour mon humble part, je me suis imposé la tâche d'attirer, au fur et à mesure que l'opportunité se présente, l'attention sur des éventualités qui pourraient bien s'y présenter inopinément. J'ose penser que le Cabinet de Berlin est peut-être, par ses relations, plus que tout autre à même de surveiller les mouvements de ce côté-là. Aussi j'espère le voir moins insoucieux à cet endroit, dans le calme qui devra succéder à l'éclat du premier coup de canon. Actuellement, localiser d'une part la guerre et d'autre part diriger les mouvements de la Confédération, c'est la tâche qui absorbe tous ses efforts, combinés en partie, cette fois encore, avec ceux de la Grande-Bretagne. [671 Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 28 avril 1859 Dépêche N° 509 Par les trois dépêches télégraphiques j'ai eu l'honneur d'adresser à Votre Excellence en date du 24, 25 et 27 de ce mois, Votre Excellence aura vu que les événements ont pris une tournure de plus en plus sérieuse. L'Autriche a malgré les efforts de l'Angleterre et de la Prusse, adressé au Piémont un ultimatum menaçant dans lequel elle insistait pour le désarmement immédiat de ce pays et le renvoi des volontaires qui, au nombre d'au moins 15 000, sont venus de toutes les parties de l'Italie se ranger sous sa bannière ; l'ultimatum terminait en disant que, si, dans trois jours, le Gouvernement Sarde n'accédait pas aux exigences du Gouvernement autrichien, l'Empereur se verrait, à son grand regret, obligé d'avoir recours à la force des armées pour l'y contraindre. Le Gouvernement Sarde a considéré cette menace comme une déclaration de guerre et voyant que l'armée autrichienne en Lombardie opérait simultanément une concentration de troupes qui indiquait l'intention de passer la frontière et d'envahir le Piémont, il a aussitôt adressé au Gouvernement français une note dans laquelle il disait que le cas était venu d'appliquer le traité récemment conclu entre la France et la Sardaigne et il demandait à l'Empereur de venir au secours du Roi Victor-Emmanuel pour empêcher l'armée sarde d'être écrasé par les forces supérieures de l'Autriche. Faisant aussitôt droit à cette réclamation l'Empereur expédiait par télégraphe les ordres nécessaires et deux divisions de troupes françaises passaient aussitôt la frontière sur deux points à Culoz et à Briançon. Simultanément des vaisseaux de guerre français arrivaient à Gênes et commençaient le débarquement d'une autre division.
- 87 Le 26 expirait le terme de trois jours fixé par l'ultimatum autrichien ; le Gouvernement Sarde donnait aux envoyés qui l'avaient apporté et qui avaient été chargé d'attendre la réponse, une réponse négative aux demandes de l'Autriche. Le 27, une messe solennelle était chantée à la cathédrale en présence du Roi et de toutes les autorités constituées pour appeler la protection du Très Haut sur les armes de la Sardaigne et aussitôt après était publiée la proclamation du Roi à l'armée qui lui annonce la guerre contre l'Autriche. Ciannexé j'ai l'honneur d'en remettre la traduction à Votre Excellence. Les troupes françaises qui arrivent par terre se concentrent à Suze, au pied des Alpes, ne voulant probablement pas risquer de s'avancer avant d'être en force suffisante. Celles débarquées à Gcnes doivent de concert avec une division de l'armée sarde qui se trouve à Novi, défendre la ligne de Gênes à Alexandrie. 10 bateaux à vapeur de la marine de guerre et de commerce sardes sont partis pour Toulon pour aller chercher de nouvelles troupes françaises dont on attend d'un moment à l'autre l'arrivée. II paraît que les troupes françaises destinées à entrer d'abord en Piémont se composent de six divisions, environ 75 000 hommes. Plusieurs officiers généraux de l'armée française sont ici depuis plusieurs jours ; le maréchal Canrobert est attendu aujourd'hui. Le Roi Victor-Emmanuel est prêt à partir pour l'armée ; sa maison militaire a ordre d'être prêt à monter à cheval d'un moment à l'autre ; l'on croit cependant qu'à moins d'une attaque des Autrichiens il restera à Turin pour y recevoir le maréchal Canrobert et tenir un conseil de guerre avant d'entrer en campagne. L'armée sarde est en partie concentrée à Alexandrie ayant des détachements à Casale, Voghera et Chivasso, ainsi qu'à Novi pour défendre la position importante de Serravalle, et couvrir la route de Gênes. La partie supérieure du Piémont, toute la Lomelline, tout le pays plat entre Aiona, Vercelli, Novarre, a été inondée au moyen des écluses qui servent à donner l'eau aux rizières dont tout ce pays est couvert. Les routes ont été défoncées ; toute cette partie du Piémont est dégarnie de troupes ; il ne s'y trouve un seul régiment de cavalerie légère chargé de surveiller les mouvements de l'armée autrichienne et ayant ordre de reculer devant une invasion sans même tenter de défense. Les approches de Turin ont été couvertes de ce côté par des ouvrages de campagne sur les rives de la rivière Doire, à environ 10 milles de la capitale, ouvrages qu'une division de l'armée sarde est chargée de défendre. L'armée sarde, sans y compter les volontaires qui ne sont pas assez disciplinés pour entrer en lignée, (à l'exception d'un corps d'environ 3000 hommes sous Garibaldi) se compose de cinq divisions d'infanterie et une de cavalerie, comptant environ 65 000 combattants. Les troupes françaises attendues en compteront, assure-t-on, environ 75 000, total 140 000 hommes.
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L'armée autrichienne en Italie compte environ 200 000 hommes, sur lesquels au moins 60 000 doivent rester pour garnison des nombreuses places fortes, c'est-à-dire donc environ 140 000 combattants que l'Autriche peut mettre en ligne. Jusqu'à ce moment les troupes autrichiennes n'ont pas encore passé la frontière ; l'on parle de nouveaux efforts tentés par l'Angleterre et la Prusse, d'une note que le Comte de Buoi aurait adressée à la Russie pour offrir de reprendre les négociations de Lord Cowley, et à laquelle le Prince Gortschakoff aurait répondu qu'il était trop tard. (Je tiens cette circonstance du Ministre de Russie, M. le Comte de Stackelberg) quant à moi j'avoue ne pas comprendre comment, au point où en sont les choses, les négociations pourraient être reprises. Les termes dont le Roi Victor-Emmanuel s'est servi dans sa proclamation à l'armée me paraissent de nature à blesser trop profondément l'amour-propre de l'Autriche pour qu'elle puisse actuellement reculer. Les nouvelles de Toscane sont graves. La population s'est prononcée à Florence et à Livourne contre le grand-duc. L'armée fait cause commune avec le peuple et demande l'abdication du grand-duc et l'alliance avec le Piémont contre l'Autriche. Les troupes florentines veulent absolument venir se joindre aux troupes sardes. Une dépêche télégraphique assure même que le peuple a proclamé la déchéance du grand-duc et a nommé le Roi de Sardaigne en qualité de dictateur. On assure que le Roi aurait refusé la dictature et aurait engagé la population à former un Gouvernement provisoire. Par décret en date du 26 de ce mois, le Roi a nommé son cousin le Prince Eugène de Carignan lieutenant-général du royaume pendant son absence de la capitale. Je continuerai à tenir Votre Excellence exactement informée des événements intéressants qui pourraient se produire.
[68] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 28 avril 1859 Dépêche N° 508 Le 23 de ce mois le Gouvernement Sarde présentait à la Chambre des Députés un projet de loi pour investir le Gouvernement de pouvoirs illimités. Ci-annexé, j'ai l'honneur de remettre à Votre Excellence traduction du projet ainsi que du discours de M. le Comte de Cavour a prononcé en le présentant. Séance tenante le projet été approuvé à une majorité de 86 voix, le nombre de votes favorables ayant été de 110, celui des votes contraires de 24. Le 25 le projet a été présenté au Sénat où il a été voté, séance tenante, à l'unanimité.
- 89 Le Gouvernement Sarde se trouve donc, pendant la guerre, investi de tous les pouvoirs législatifs et exécutifs, c'est-à-dire de pouvoirs illimités, qui lui était nécessaire pour pourvoir efficacement au salut de la patrie. L69J Rustem Bey à Fuad Pacha Dépêche N° 510 Au moment d'expédier le courrier, je reçois communication de l'ultimatum adressé par l'Autriche à la Sardaigne, ainsi que de la réponse qui y a été faite. Je m'empresse de remettre ci-annexée à Votre Excellence copie de ces documents. [70] Callimaki Bey à Fuad Pacha Vienne, le 29 avril 1859 Dépêche télégraphique Le manifeste de guerre a été placardé ce matin sur les murs de Vienne, l'Empereur y expose les griefs de l'Autriche, regrette la nécessité de tirer l'épée pour la défense du trône et de l'Empire, et fait appel au dévouement de ses peuples, l'ordre de franchir le Tessin et de commencer les hostilités y est annoncé. Je vous enverrai ce document important par le courrier prochain. Hier nous avons reçu la nouvelle officielle d'une révolution à Florence. Le grandduc s'est vu forcé de quitter ses Etats et de se retirer à Bologne. Massa et Garrara ont institué un Gouvernement provisoire. 171] Callimaki Bey à Fuad Pacha Vienne, le 1 er mai 1859 Dépêche N° 310 Je confirme mon télégramme d'avant-hier en Vous transmettant, ci-joint, le Manifeste de l'Empereur François-Joseph en original avec traduction. Cet acte, comme Votre Excellence pourra l'apprécier, est empreint d'une grande modération et d'une véracité scrupuleuse. Le public l'a accueilli ici avec sympathie et il produira, sans aucun doute, en Europe une impression favorable à l'Autriche.
- 90 172J Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 2 mai 1859 Dépêche No 177, confidentielle A la suite de la crise qui avait failli l'emporter, le Roi a éprouvé un calme sensible ; mais la maladie n'en poursuit pas moins son cours funeste, et, en dépit des bulletins rassurants publiés par le journal officiel, la fièvre de consomption continue à miner la constitution de l'auguste malade. Sa Majesté ne voit plus guère que la Reine et son confesseur ; de temps en temps aussi le Prince héréditaire ; elle a complètement abandonné les affaires au conseil des Ministres présidé par le Duc de Calabre. Bien que le jeune Prince commence à sortir de l'attitude timide qu'il avait jusqu'ici adoptée et ait même déjà pris quelques dispositions sous sa propre responsabilité, on sent que cette situation provisoire ne saurait se prolonger en présence des graves événements qui se préparent ; pour faire face à ces éventualités, on éprouve le besoin d'une autorité reposant sur une base solide et durable et on appelle avec impatience le moment où le gouvernement, qui semble marcher à l'aventure recevra, par l'établissement d'une régence, une direction moins précaire et plus puissante. Le Roi, qui ne se fait pas la moindre illusion sur son état, aurait peut-être déjà adopté cette mesure mais la Reine s'y oppose de tous ses moyens, et son influence est d'autant plus puissante qu'elle a soin d'écarter du malade toutes les personnes dont les vues sont en désaccord avec les siennes. Cependant les chefs des diverses parties cherchent à approcher l'héritier présomptif et à lui faire adopter leurs opinions. L'un de ses oncles, le Comte de Syracuse, qui, par son caractère, ses mœurs, son attitude politique, rappelle singulièrement le Duc d'Orléans, Philippe Egalité, s'est franchement prononcé devant lui dans ces derniers temps. Il lui conseille de rétablir la constitution et de prendre parti pour le Piémont dans la lutte de l'indépendance italienne, et lui rappelle sans cesse que sa mère était une princesse de Sardaigne et le presse de se joindre au Piémont pour défendre la cause de la nationalité italienne. Les partisans du Comte ont ordre de répandre et de développer ses idées et comme un certain d'Agiout, un journaliste français qui joua ici un rôle en 1848, lui demandait dernièrement s'il pouvait risquer de le compromettre, le Prince lui répondit qu'il ne demandait pas mieux. La Reine, au contraire, et avec elle, la Camarilla repousse toute idée d'union avec le Piémont ; à l'intérieur, continuation de la politique actuelle, au-dehors, concert avec l'Autriche, voilà le programme de ce parti. Mais les efforts tentés dans ce sens et appuyés par le général Martini, Ministre d'Autriche à Naples, n'ont guère de chances de réussite. Le Prince, qui jusqu'ici a assez mal accueilli toutes les ouvertures de sa belle-mère et qui notamment semble peu disposé à servir ses projets ambitieux en faveur du Comte de Frani, l'aîné des fils de la Reine, ne sera sans doute pas plus porté à écouter sa voix dans cette
- 91 circonstance. Il prêtera plutôt l'oreille aux vœux modérés du parti national qui demande qu'on se borne à une neutralité armée et qu'on sollicite l'appui de l'Angleterre pour la faire respecter. Ce parti a à sa tête le Prince Filangieri, le seul homme d'État du pays qui soit capable de tenir le gouvernail dans la tourmente politique qui s'annonce. Si je puis ajouter foi aux renseignements positifs qui me parviennent, le baron de Canitz, Ministre de Prusse à Naples, se serait joint à ce parti et aurait décidé le gouvernement napolitain à faire des démarches auprès du Cabinet de St. James, pour réclamer son appui et sa protection. À côté de ceux qui, par des moyens légitimes, cherchent à assurer leur influence auprès du futur souverain, les partisans du désordre et des mesures extrêmes veulent par d'autres voies arriver au triomphe de leur projet. En attendant que la mort du Roi leur permette d'agir au grand jour, ils travaillent en secret dans les provinces à agiter les esprits et à les préparer à la révolte. Comme ils n'espéraient rien de la dynastie actuelle, ils ne songent qu'à mettre fin à son règne, et ils croient le moment venu de réaliser le rêve de l'unité italienne. Le débarquement des Français à Gênes et la révolution qui vient de s'accomplir en Toscane, sont bien fait pour confirmer leur projet et exalter leurs espérances. Cependant les événements marchent à grands pas et les nouvelles qui nous parviennent coup sur coup, font voir que le moment est venu où la question italienne va entrer dans une phase nouvelle. Le 29, on apprend à Naples que l'avant-garde française venait de débarquer à Gênes ; en même temps on entendait qu'à la suite d'un soulèvement populaire, le Grand-Duc de Toscane avait dû quitter ses États et se retirer à Bologne sous la protection de l'Autriche. Voyant qu'il ne pouvait plus maîtriser l'ardeur de la population et de l'armée qui demandaient à grands cris à marcher contre l'Autriche, il s'était décidé, sur les conseils des Ministres d'Angleterre et d'Autriche, à refuser l'abdication qu'on lui demandait en faveur de son second fils, et à se retirer à Bologne. De là, il est parti pour Vienne sur une invitation de la part de l'Empereur François-Joseph, qui lui fut adressée par le télégraphe. Pendant ce temps un gouvernement provisoire se formait à Florence, et s'établissait dans la résidence même du Ministre sarde Boncompagni, qui est le véritable chef de tout ce mouvement. Nous ignorons jusqu'ici les mesures prises par la nouvelle administration ; mais on sait qu'un corps toscan se dispose à se rendre dans le royaume de Naples pour exciter par son exemple la population et l'armée et les entraîner à sa suite. Cette expédition doit être dirigée par le général Ulloa, réfugié napolitain, qui revient de Paris où il a eu récemment des pourparlers avec l'Empereur Napoléon. Le Pape qui voudrait empêcher que son territoire ne devint le théâtre de la guerre, a déclaré que, ne pouvant prendre parti entre deux nations chrétiennes également soumises à son autorité paternelle, il restera étranger à cette lutte et s'abstiendrait de tout acte qui pourrait avantager l'une ou l'autre des parties. Il laissera donc passer librement par ses Étals le corps toscan. Du reste, une grande agitation se
-92manifeste dans la Romagne ; des proclamations ont été répandues pour exciter les populations à prendre part à cette croisade de l'indépendance italienne, des manifestations ont eu lieu à Rome en faveur de la France. Quelques arrestations avaient été opérées ; mais, sur les réclamations du Duc de Grammont, les individus emprisonnés ont dû être remis en liberté, malgré les protestations du Comte Colloredo, Ambassadeur d'Autriche, qui menaça de demander ses passeports. Cependant un ordre du jour du commandant de l'armée française, Comte de Goyon, tend à modérer l'ardeur intempestive des Romains en les engageant à s'abstenir de toute tentative révolutionnaire et en déclarant qu'il réprimera sévèrement tout acte qui troublerait l'ordre public. Le feu qui couve par toute l'Italie, étend aussi son action dans le royaume de Naples. De nouveaux troubles ont eu lieu en Sicile : à Messine et à Palerme, des groupes ont parcouru les rues en arborant la cocarde et le drapeau tricolore, à Messine, ils ont été aisément dispersés par les Suisses, mais à Palerme, ils ont oppose une résistance plus sérieuse et huit hommes ont été tués. A Naples, une souscription a été ouverte en faveur des défenseurs de l'indépendance italienne. Déjà depuis quelque temps on remarque sur les côtes des navires sous pavillon sarde, qui semblent n'attendre qu'un signal pour débarquer leurs équipages et qui sur divers points, ont poussé leur reconnaissance jusqu'à proximité des côtes. Le Gouvernement Sarde ne cache plus d'ailleurs ses projets, et tout Naples s'entretient d ' u n e dépêche télégraphique non chiffrée que Monsieur de Cavour vient d'adresser au Comte Grapello, chargé d'affaires piémontais à Naples, pour lui enjoindre d'obtenir du chargé d'affaires de Toscane la reconnaissance du gouvernement provisoire qui s'est établi à Florence ; on s'étonne singulièrement de cette démarche inusitée. Que fera le gouvernement napolitain en présence de toutes ces complications ? Le temps presse, on ne peut se le dissimuler, et des mesures promptes et énergiques peuvent seules conjurer le danger. Contenir l'agitation qui règne dans tout le royaume, arrêter la marche du corps toscan qui d'un moment à l'autre peut paraître sur la frontière, prévenir une attaque directe dont Naples pourrait bien être menacée, à en croire une dépêche télégraphique adressée au Roi par la duchesse de Berri, sa sœur, voilà la tâche multiple et ardue qui incombe en ce moment au gouvernement. Malheureusement dans ces sérieuses conjonctures, il ne peut guère compter sur l'armée nationale, et toute sa force repose dans les 15 000 Suisses qu'il a à son service. En attendant on arme les forteresses qui dominent la ville et le port, on s'occupe d'établir un camp dans les Abruzzes ; huit frégates sont prêles à prendre la mer au premier signal, et la réserve de l'armée de terre est appelée sous les armes. Quoiqu'il en soit le moment est des plus critiques ; de graves événements se préparent ; de tous côtés on se dispose à la lutte ; mais à vrai dire l'attitude du peuple napolitain dépendra de la tournure que prendra la guerre ; un succès de l'Autriche peut éteindre toute son ardeur, de même qu'une victoire de la France l'entraînerait sans doute à se joindre au mouvement général de l'Italie.
- 93 P.-S. : J'apprends à l'instant que le Baron de Canitz, sur la demande du gouvernement napolitain, vient d'envoyer au Comte de Bernstorff, un courrier porteur de dépêches très importantes, dans lesquelles il l'engage à solliciter de l'Angleterre l'envoi d'une flotte, le gouvernement napolitain promettant en échange de ce service, la formation d'un Ministère libéral. [73] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 3 mai 1859 Dépêche particulière N 3 820/55 L'ultimatum de trois jours adressé à la Sardaigne le 22, avait été rédigé par l'Autriche dès le 19, après le rejet de la proposition anglaise qui eut lieu le 21 ; il a été par conséquent remis à Turin le 23 à 5 heures et demie du soir ; le Piémont a attendu le troisième jour pour donner sa réponse négative, c'est-àdire le 26 à 5 heures et demie du soir. Dans cet intervalle, le 25, une nouvelle tentative a été faite par l'Angleterre pour reprendre la question là où Lord Cowley l'avait laissée ; mais les Français avaient déjà franchi le Mont-Cenis et débarquaient à Gênes, de sorte qu'il leur fallait des engagements sérieux de la part de l'Angleterre, pour le cas où cette seconde médiation viendrait à échouer : l'Angleterre proposait, en effet, de former un arbitrage avec la Russie et la Prusse pour décider la question en dehors des parties engagées dans la question, ce que l'Autriche s'empressa d'accepter aussitôt que Lord Loftus en eut fait la communication au Comte Buol, en prolongeant le terme de son Ultimatum de 48 heures : elle cherchait par là à rejeter sur la France la responsabilité qui pesait sur elle. À l'expiration de ce délai, aucune réponse satisfaisante n'étant intervenue à Vienne, l'Empereur d'Autriche publia son Manifeste le 29 et le 30 à 4 heures du soir son armée passait le Tessin sur plusieurs points à la fois. Une nouvelle alarme vint alors émouvoir l'Europe : ce fut la nouvelle d'une alliance offensive et défensive entre la France et la Russie, conclue le 22. Une baisse considérable dans les fonds publics de toute l'Europe accueillit cette nouvelle, et, 48 à 50 maisons de Londres ont fait faillite. En Belgique on évalue que depuis une quinzaine de jours, la perte est de 400 millions de francs, soit à cause des Métalliques qui ont baissé de 100 %, soit à cause d'autres spéculations de Bourse. 11 y a pour 700 Millions de Métalliques en Hollande que l'Autriche a réalisé, sous-main comme elle a pu et en Belgique il y en a 200 à 230 millions de francs. L'Autriche vient de faire un emprunt de 500 millions en émettant des billets de banque pour 200 millions de florins : elle a mis pour cela en gage toutes les pierreries et les objets précieux déposés dans les couvents et dans les églises. On dit que le clergé de Vienne est immensément riche et qu'il possède pour 400 millions de florins en bien fonds. Personne ne sait au juste à quoi s'en
-94tenir au sujet du Traité franco-russe, et quoique l'Angleterre démente cette nouvelle, personne ne doute qu'il y ait au moins une entente défensive concernant la question d'Italie. Un Traité d'alliance offensive et défensive fait appréhender une guerre générale et le remaniement de la carte d'Europe. Dans cette dernière hypothèse, on croit, dans le monde politique, que la France, la Russie, la Sardaigne et une grande partie de l'Italie formeraient un camp, et l'Autriche, la Prusse avec toute l'Allemagne, (voire même la Belgique) et l'Angleterre composeraient le second : c'est dire assez que l'horizon est des plus obscurs et que si la guerre commence dans de pareilles conditions, on ne pourrait jamais prévoir quand et comment elle finirait ? Voilà la Toscane qui s'est déjà soulevée et le Grand-Duc a quitté Florence : Modène et Parme ont suivi de près cet exemple et tous ces soulèvements donnent beaucoup d'inquiétudes à la politique française. Depuis le 30, jour du passage du Tessin par les Autrichiens, il n'y a pas encore eu de rencontre, les troupes piémontaises et françaises marchent vers Massa et Alexandrie ; il y a déjà plus de 50 000 Français en Piémont. Les Autrichiens s'avancent de leur côté en colonnes épaisses vers Verceil et Biela. On croit que d'ici à deux jours une rencontre sanglante doit avoir lieu. L'armée autrichienne forte de 600 000 hommes en compte 250 000 en Lombardie et en marche sur la frontière. La Belgique fait aussi, mais en silence, ses préparatifs, pour toute éventualité : son armée qui pourra compter 100 à 120 000 hommes va être mise sur le pied de guerre. On va faire des fortifications en terre pour former la grande enceinte d'Anvers et afin de pouvoir s'y réfugier en cas d'invasion, en abandonnant la Capitale ; le drapeau serait ainsi à l'abri jusqu'au moment, où les Puissances alliées pourraient venir à son secours. Dans tous les cas la Belgique ne prétend que sauvegarder par là son indépendance. L'armée des Alpes se nommerait dorénavant la grande armée d'Italie et, l'Empereur irait, dit-on, la rejoindre samedi prochain. Le Pape voudrait bien quitter Rome pour se rendre à Gaëte, mais la France s'y opposerait en lui donnant toutes les assurances pour sa sécurité personnelle. On assure que si cette nécessité se faisait sentir l'Empereur ferait tout son possible pour faire aller le Pape en France. Il est incompréhensible que l'Autriche mette toute la lenteur dans la marche de ses armées, et que depuis le 26, elle n'ait pu attaquer et repousser les Piémontais. Elle a au contraire, laisser le temps à la France d'envoyer 50 000 hommes en Italie et son empressement à envoyer son Ultimatum, au moment où l'Europe s'y attendait le moins devient une énigme pour tout le monde. Aussi l'Autriche a-t-elle perdu toutes les sympathies, en vue de la grande responsabilité qu'elle n'a pas hésité d'assumer dans tout ce qui peut arriver.
- 95 [74| Fuad Pacha aux représentants de la Sublime Porte à Paris, Turin et Vienne Constantinople, le 5 mai 1859 Les perplexités de la situation politique de l'Europe viennent d'avoir leur dénouement dans un conflit entre la France et le Piémont d'une part et l'Autriche de l'autre. Dès le début de la question italienne, le Gouvernement de S.M.I. le Sultan a appelé de tous ses vœux l'aplanisscment par voie diplomatique des difficultés qu'elle faisait naître. Il a été le premier à applaudir aux efforts suprêmes tentés dans le but de maintenir la paix. Aussi est-ce avec un profond sentiment de regret qu'il voit la rupture de cette paix'. Après s'être fait jusqu'ici un devoir impérieux de témoigner par tous les moyens en son pouvoir des sentiments les plus conciliants de son plus ardent désir de jouir avec toute l'Europe des bienfaits d'une paix générale, il ne saurait aujourd'hui hésiter un moment à maintenir pour lui l'état de paix et il se renferme dans la plus stricte neutralité. Le respect des Traités qui l'a toujours guidé, lui servira invariablement de règle de conduite dans les conjonctures actuelles. Il puisera dans l'observation des actes internationaux autant que dans les sentiments d'amitié dont les Puissances européennes sont également animées envers lui, la ferme persuasion que ces Puissances s'empresseront à reconnaître constamment le respect qui est dû à ses droits découlant de son attitude neutre. Cette même conviction impose à la Sublime Porte le devoir de consacrer ses efforts les plus assidus à imprimer à ses rapports avec chacune des Puissances belligérantes ses amies, cette même franchise et cette même loyauté qui l'ont toujours caractérisées et une impartialité égale et parfaite qui servira, il en a le ferme espoir à rendre ses relations de plus en plus intimes. Je viens donc M. vous inviter à faire au Cabinet auprès duquel vous avez l'honneur d'être accrédité, une déclaration dans le sens qui précède et je saisis M.... [75] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 5 mai 1859 Dépêche N° 521 Ci-annexé j'ai l'honneur d'envoyer à Votre Excellence traduction de la proclamation du Roi de Sardaigne au peuple italien. (Biffé : Amie et alliée à égal tilre des trois Puissances belligérantes, son attitude dans les circonstances pénibles du moment qui leur font prendre les armes, lui est tracée par sa situation même vis-à-vis de ces Puissances.)
- 96 Votre Excellence y verra que Victor-Emmanuel y proclame le principe de l'indépendance de l'Italie. Déjà la Toscane et plusieurs villes des Duchés ont dignement répondu à cet appel. En refusant la dictature qui lui était offerte et l'annexion de la Toscane au Piémont qui était demandée par les libéraux toscans, le Roi a donné une noble preuve de désintéressement et de patriotisme. Le Gouvernement Sarde proclame hautement qu'il ne veut nullement se servir des éléments révolutionnaires ; c'est un nouveau gage de sécurité qu'il donne à l'Europe. [76] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 5 mai 1859 Dépêche N° 523 En date du 29 et du 30 avril, j'ai eu l'honneur d'adresser à Votre Excellence deux dépêches télégraphiques pour lui annoncer l'entrée de l'Armée Autrichienne sur le territoire piémontais et l'arrivée ici de la première division de l'armée française. Depuis les troupes françaises ont continué d'arriver. Il est passé environ 20 000 hommes d'infanterie par Turin d'où ils repartaient presque aussitôt pour se rendre sur le théâtre des opérations. Aujourd'hui sont arrivés ici les premiers régiments de Cavalerie. À Gênes il est arrivé jusqu'à présent environ 50 000 hommes dont la majeure partie s'est aussi rendue sur la ligne. L'on peut donc compter qu'il y a aujourd'hui sur la ligne environ 60 000 hommes de troupes Françaises et 65 000 hommes de troupes sardes ; total 125 000 hommes. Les troupes sardes ont pris position à Alexandrie place fortifiée et centre de la Ligne Casale place fortifiée ; le Roi et le quartier général sont à San Salvadore, position entre ces deux places. Valence, Voghera, Chivasso sont aussi fortement occupées, c'est-à-dire que les Piémontais et une partie des troupes françaises défendent la rive droite du Pô ; les troupes françaises arrivées par Gênes occupent la vallée de la Scrivia de Novi à Gênes. Le gros des forces autrichiennes est vers Pavie, divers Corps se sont avancés tout le long de la rive gauche du Pô et quelques petits engagements ont eu lieu. Mais il n'est pas encore possible de comprendre où se manifestera leur attaque. Beaucoup de personnes croient même qu'ils ne pourront faire une attaque sérieuse ; ils ont laissé échapper le moment. S'ils avaient attaqué en force il y a une semaine avant que les troupes françaises ne fussent en ligne, ils auraient eu une belle chance de forcer les lignes sardes et même d'arriver à Turin ; actuellement il est trop tard et ils auront une difficile partie à jouer.
- 97 Je ne manquerai pas cle tenir Votre Excellence exactement informée de tout événement intéressant qui pourra se produire. [77] Vogoridès Bey à Fuad Pacha Londres, le 5 mai 1859 Dépêche N° 14 Lord Malmesbury, que j'ai vu il y a quatre jours, m'a engagé à écrire à Votre Excellence que la ligne de conduite que, selon l'opinion du Cabinet Britannique, le Gouvernement Impérial avait à suivre, dans les complications actuelles de l'Europe, était toute tracée ; que la Sublime Porte, par conséquent, n'avait rien de mieux à faire qu'à observer une neutralité absolue, impartiale, et que pour pouvoir maintenir, et faire respecter cette neutralité, il importait qu'Elle expédiât des forces suffisantes vers Cattaro qui pouvait être attaqué par les Français, et renvoyât, en même temps, des vaisseaux de guerre dans l'Adriatique où une flotte anglaise s'était déjà rendue dans le même but. Lord Malmesbury a ajouté qu'il avait adressé à Sir Henry Bulwer des instructions rédigées dans un sens identique. Aussi est-ce pour me conformer au vœu exprimé à cet effet par Sa Seigneurie, que je me suis empressé de transmettre à Votre Excellence le résumé de ce qui précède par ma dépêche télégraphique chiffrée du 2 de ce mois. J'ai appris d'une source dont l'autorité ne saurait être contestée, que le Gouvernement Britannique fait en ce moment, auprès du Cabinet des Tuileries des démarches décisives, tendant à établir la neutralité absolue de la mer Adriatique, démarches, dont le but ostensible est d'y prévenir toute chance de nature à troubler le commerce européen dont cette mer est le véhicule, mais au fond, et dans la pensée intime, et extrêmement louable, d'ailleurs, de ne pas exposer les côtes orientales de l'Adriatique aux hasards de la guerre et d'épargner, ainsi à la Sublime Porte les graves inconvénients qu'Elle aurait à éprouver si les côtes en question étaient attaquées par les Français, soit par mer, soit par terre. 178] Vogoridès Bey à Fuad Pacha I .ondres, le 5 mai 1859 Dépêche N° 16 Le Gouvernement Britannique tout contrarié qu'il est, comme de raison, d'avoir vu ses efforts conciliatoires et sincères échouer contre l'opiniâtreté de la France et de l'Autriche, persiste à vouloir observer une neutralité absolue, impartiale, se réservant lorsqu'il croira l'occasion propice à cet effet, d'interposer son autorité et sa médiation entre les trois Puissances belligérantes pour les réconcilier.
- 98 C'est en vue d'atteindre ce but ou de parer aux éventualités qu'un avenir aussi incertain qu'inquiet peut faire surgir, qu'il s'occupe actuellement avec la plus grande activité à augmenter ses troupes, et principalement le nombre de ses vaisseaux et de ses matelots, en offrant à ces derniers des primes considérables pour tout engagement volontaire dans la marine. Si la France, en rattachant habilement à ses déclarations au sujet de l'Italie, un intérêt sympathique qu'elle prétendait être le mobile de ses contestations avec l'Autriche, a su, jusqu'ici, s'attirer une certaine approbation de la part des libéraux, et de cette partie de la nation anglaise qui s'est de tout temps portée en faveur de la cause des nationalités soi-disant « opprimées », il n'en est pas moins vrai, que depuis la nouvelle d'un Traité d'alliance offensive et défensive, conclu entre la France et la Russie, Traité dénié et avoué tour à tour par les principaux organes de la presse des deux pays, et que le Gouvernement Anglais a réduit aux minces proportions d'un engagement écrit, pris par la Russie de placer un corps d'armée d'observation sur les frontières de la Galicie, dans le cas où l'Allemagne se déclarerait ouvertement en faveur de l'Autriche, il n'en est pas moins vrai, dis-je, que la nouvelle de la conclusion du Traité en question a opéré un revirement dans les esprits en Angleterre, et que, soit libéraux, soit conservateurs, soit toute autre fraction ou classe qui était considérée comme sympathisant avec les Italiens, et comme approuvant, conséquemment la politique du Cabinet des Tuileries chacun tire de ce fait les conséquences les plus graves pour l'équilibre européen et l'indépendance des États. Ce qui vient à l'appui de ce qui précède, c'est que Ixird Palmerston, auquel on attribuait jusqu'à présent une certaine inclinaison pour la politique de la France dans la question italienne, a dit, par rapport au Traité en question, dans un discours qu'il a prononcé tout récemment à Tiverton, que l'alliance qui avait été formée entre l'Angleterre et la France, à l'occasion de la guerre précédente, était le symbole de la paix, était une alliance ayant pour objet des intérêts communs, et le bien général, tandis que l'alliance entre la France et la Russie avait pour principe et pour conséquence l'atteinte aux droits et à l'indépendance des autres Puissances. Cette appréciation de Lord Palmerston, qui est réputé ici l'homme d'État le plus versé dans la politique extérieure, joint aux grandes méfiances qu'éprouve secrètement le Gouvernement, et que commence à manifester toute la nation, indique suffisamment que. pour peu que la guerre franchisse les limites tracées par les déclarations officielles du Gouvernement Français, l'Angleterre ne pourra pas rester simple et calme spectatrice des événements que cette guerre semble présager ainsi que j'ai eu l'honneur de le faire pressentir à Votre Excellence par mon respectueux rapport, en date du 25 du mois passé, N° 11 1 .
1 Ne figure pas dans le dossier.
-99¡79]
Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 5 mai 1859 Dépêche particulière Les renseignements que j'ai pu puiser à une source authentique paraissant mériter quelque attention et n'étant pas encore généralement connus ; j e me fais un devoir de les transmettre à Votre Excellence. Comme elle doit avoir sous les yeux la proclamation de l'Empereur des Français, publiée et affichée à Paris le 3, je m'abstiens d'y revenir et d'en faire l'analyse. En Angleterre, M. Disraeli fait tous ses efforts pour convaincre le monde que d'après les déclarations officielles de la Russie il n'existe aucun Traité, ni défensif ni offensif entre cette Puissance et la France. Quoiqu'il en soit — on assure et on affirme que le langage de l'Empereur est ambigu et que l'Angleterre a été jouée et est jouée, encore en ce moment, par la France. Que Votre Excellence daigne prendre note de ce que je vais avoir l'honneur de dire : D'après la déclaration formelle du Prince Gortschakoff le Traité conclu avec la France est positif ; mais l'intention qu'avait la Russie en faisant ce Traité se bornerait à garantir à la France son appui dans le cas que celle-ci essuierait des revers graves vis-à-vis de l'Autriche. Elle resterait spectatrice de la lutte aussi longtemps que les armes de Napoléon seraient victorieuses. Malgré les protestations de la Russie il est plus que certain que le Traité secret, défensif et offensif entre elle et la France existe dans toute sa vigueur ; et ce qui paraît non moins certain est que les engagements entre l'Empereur et M. le Comte Cavour existent aussi. Ce dernier, avec les pièces signées par l'Empereur en main, peut faire marcher la France comme il veut et quand il veut. Ceci aurait été dit par le Comte Cavour lui-même dans un moment d'emportement. La Russie et la France veulent se jouer de l'Europe entière ; dans leur Traité ils sont d'accord de restituer le trône de Naples au Prince Murât ; le Royaume de l'Étrurie (Toscane) échouerait au Prince Napoléon et la Lombardie à la Sardaigne. On ignore quelle sera la quote-part que la Russie se réserve. Voilà les acteurs — maintenant voici la scène sur laquelle la grande pièce sera jouée. Dans cette polémique l'Angleterre a été complètement jouée par la France et voici comment : Lord Covvley avait parfaitement réussi dans sa mission à Vienne, mais la France, (ou plutôt l'Empereur), très embarrassée de ce succès du noble Lord (qui menaçait de faire écrouler tout son échafaudage) a trouvé moyen de le déjouer en faisant immédiatement proposer par la Russie un Congrès avant que Lord Cowley f û t de retour, afin que l'Empereur, dans l'intervalle qu'absorberait, et les négociations concernant le Congrès et Ve Congrès même, ait le temps d'armer — vu qu'il est aveuglé par le désir de conquêtes.
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On vient de m'assurer à l'instant que l'Angleterre vient de s'apercevoir qu'elle est jouée. Elle est furieuse contre la France, d'autant plus que, au moment où les Autrichiens franchissaient le Tessin, elle a invité l'Angleterre à prendre les armes, après avoir déjà conclu son Traité avec la Russie. Elle n'est pas moins mécontente de voir que la France enrôle 20 000 matelots. Elle enverra incessamment une flotte formidable dans la Méditerranée dont un détachement doit entrer dans l'Adriatique, pour empêcher, assure-t-on la France de bombarder Trieste. La France s'émeut de l'attitude de la Belgique laquelle manifeste des penchants plutôt pour l'Allemagne et pour l'Autriche. Aussi, si la lutte prend de l'extension, il n'y a pas à douter que l'Angleterre occupera immédiatement Anvers. Malgré la proclamation de l'Empereur et l'annonce de son départ pour l'Italie, il ne quittera pas Paris avant que les troupes françaises n'aient remporté une victoire. En Angleterre des personnages haut placés croient encore à la possibilité d'une paix après quelques avantages réciproques obtenus par les deux partis belligérants. Je considère de mon devoir de réitérer sans cesse à Votre Excellence ce que j e lui ai déjà exprimé au sujet de la Turquie d'Europe. Votre Excellence n'ignore pas les dangers qui menacent de ce côté dans le moment d'un conflit qui, selon toutes les apparences doit s'étendre au-delà des limites qu'on lui supposait d'abord.
|80] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 6 mai 1859 Dépêche N° 108 J'ai l'honneur de porter à la haute connaissance de Votre Excellence que depuis mes derniers rapports, les préparatifs de la Prusse se sont étendus sur une plus large échelle. À côté du contingent, les six autres corps d'armée, qui forment l'effectif des troupes de cette Puissance, ont été mis en état de guerre et 60 000 chevaux viennent d'être achetés. En même temps, le Ministère demanda hier aux Chambres l'autorisation de contracter un emprunt de 40 millions d'écus, qu'il motiva par la situation générale de l'Europe. Il ne reste ainsi que la mobilisation définitive de l'armée. Mais le Gouvernement prussien, fidèle à son système de temporisation, ne croit pas le moment venu d'adopter cette mesure extrême qui implique un surcroît de dépenses annuelles de 110 millions d'écus. Déjà la mise de neuf corps d'armée en état de guerre occasionne des frais, montant à 18 millions d'écus par an. D'ailleurs, mobiliser, ce serait prendre part à la guerre et supprimer à la culture des champs 200 000 bras, qui forment la Landwehr.
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Néanmoins, toutes ces mesures de précaution, dictées par les éventualités de l'avenir, ne satisfont pas les États de la Confédération. Ils accusent la Prusse d'insouciance pour les i ntérêts allemands sérieusement menacés, à leur avis par la France et demandent à grands cris la mobilisation. Le Ministère redoutant les divers sacrifices qu'une attitude aussi prononcée devra nécessairement imposer au pays, hésite à y avoir recours. Des déclarations formelles de la France et de la Russie, des considérations sur l'insuffisance des moyens d'attaque de ces Puissances, et les conseils officiels de l'Angleterre contribuent à le maintenir dans des dispositions d'une neutralité armée. Toutefois, les tendances que manifeste dans sa proclamation l'Empereur Napoléon au sujet des Traités de 1815, pourrait bien ébranler ces dispositions. Dans ce but, des lettres particulières émanées de la Famille Royale de la Grande-Bretagne viennent, à ce que j'apprends, corroborer les menées habiles de la Diplomatie autrichienne. Malheureusement la conduite des États de l'Allemagne n'est pas de nature à inspirer du respect à la Prusse. Tandis que les divers Princes de la Confédération mettent tout à l'œuvre pour la décider à l'inaction, leurs agents ne cessent pas de témoigner à Paris la plus grande confiance à l'Empereur tout en avançant que c'est la Prusse qui les pousse à des manifestations méfiantes. Le Gouvernement Prussien, informé de cette manière d'agir, fit savoir en Autriche qu'elle devrait arrêter ce jeu dangereux, si elle désirait son amitié. Le cas se présenta en même temps où la Prusse déclara : qu'elle ne tolérerait jamais un corps d'armée d'observation autrichien sur les frontières méridionales de l'Allemagne, que les Puissances y établies étaient seules appelées à garder.
[81] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naplcs, le 9 mai 1859 Dépêche N° 183, confidentielle Le Roi souffre horriblement des plaies qui couvrent tout son corps, et par surcroît de malheur, une maladie pédiculaire s'est déclarée cette semaine. Cependant les douleurs physiques n'ont pas brisé en lui le moral : il avait pu se remettre un peu aux affaires. La révolution de Toscane et le début des hostilités l'ont cruellement impressionné ; il suit avec le plus vif intérêt la marche des événements, et il a impérieusement demandé que jusqu'à son dernier moment, on le tint au courant de tout ce qui se passerait. C'est surtout vers le Vatican que se dirigent ses pensées, il est en correspondance permanente avec le Pape, dont il reçoit quelquefois jusqu'à quatre dépêches par jour, et qu'il presse de venir se réfugier dans ses États, au moindre soulèvement populaire.
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Dans la guerre qui vient de commencer, le Gouvernement napolitain entend conserver la plus stricte neutralité. Comme j'ai eu l'honneur d'en informer Son Excellence dans ma dernière dépêche, des négociations ont été effectivement entamées par le Gouvernement napolitain pour obtenir à toute éventualité l'appui de l'Angleterre. On devait s'attendre à ce que cette Puissance profite avec empressement d'une occasion aussi favorable pour prendre position et venir contrebalancer l'influence française dans la Méditerranée. Le 5 au matin, un vaisseau anglais de 80 canons venait jeter l'ancre dans le port de Naples, et j'apprenais en même temps que deux autres bâtiments anglais allaient mouiller, l'un à Livourne, l'autre à Gênes. Ce ne sont du reste que les avantcoureurs d'une division navale qui a quitté Malle pour s'établir en croisière sur les côtes d'Italie et qui est composée de 10 bâtiments, savoir, cinq vaisseaux à hélices, une frégate à vapeur et quatre corvettes. Je tiens du capitaine même qui commande le vaisseau anglais, qu'une autre division navale vient de quitter la Manche pour se diriger vers l'Adriatique. On s'attend à voir apparaître incessamment l'escadre Russe du Grand-Duc Constantin. La concentration éventuelle de ses forces navales dans le golfe cause la plus vive satisfaction aux partisans de l'ordre et aux amis éclairés du Gouvernement : car si par là, la tranquillité publique se trouve garantie, on a tout lieu de penser que l'Angleterre n'accordera sa protection au Gouvernement napolitain qu'à la condition d'obtenir les concessions qu'elle avait inutilement demandées jusqu'ici. Que les fauteurs de troubles se trouvent peu satisfaits de voir l'Angleterre déjouer ainsi leurs projets, on le conçoit : mais la majorité de la population ne peut qu'y applaudir et salue dans l'arrivée d'une flotte anglaise la promesse d'un avenir meilleur pour le pays. A Rome la fermentation de la population n'est contenue que par la présence de l'armée française, et on ne doute pas que son départ, s'il a lieu, ne fasse éclater une révolution sanglante. La France, partagée entre le désir de sauvegarder l'autorité du Pape et celui de favoriser la révolution italienne, est placée dans une position très embarrassante, et de là provient l'hésitation qui signale depuis quelque temps sa politique à Rome. Ainsi l'ordre avait été donné au général de Goyon de renvoyer, au début des hostilités, tout le corps d'occupations, sauf un régiment qui resterait pour la protection de la personne du Saint-Père et irait s'enfermer avec lui dans le château Saint-Ange. Mais comme le Pape ne peut pas se prêter à cette combinaison, l'ordre a été retiré, et l'armée française de Rome conserve pour le moment son ancien effectif. Cependant si les premiers succès de l'expédition Franco-Sarde donnent lieu, comme tout le laisse prévoir, à une explosion dans les États romains, quel parti prendra la France, et pourra-t-elle combattre dans le centre de l'Italie une cause pour laquelle elle lutte dans le nord. Sa position est donc singulièrement embarrassée, et si jusqu'ici elle a pu s'en tirer, il faudra cependant que d'un moment à l'autre elle prenne dans ses relations avec Rome, une attitude franche et prononcée. Il se pourrait bien d'ailleurs que le Pape suivit le conseil que lui donne le Roi de Naples et se décida de nouveau à quitter ses États et à se retirer à Gaëte.
- 103 |82| Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 12 mai 1859 Dépêche N° 526 Ci-annexé j'ai l'honneur de remettre à Votre Excellence traduction des bulletins officiels de la guerre qui ont été publiées depuis mon dernier rapport du 5 de ce mois. Votre Excellence y verra qu'il n'y a pas encore eu d'engagement grave entre les armées belligérantes. Les Autrichiens débordant l'aile gauche de la ligne de défense de l'armée sarde s'étaient un moment avancés assez près de Turin (à une quinzaine de lieues) pour que l'on put concevoir des inquiétudes sérieuses pour la sûreté de la Capitale ; mais ils ont fait un mouvement de retraite précipitée, ont abandonné une grande partie des provinces qu'ils avaient occupées, et ont pris position près des frontières de la Lombardie. Ils semblent avoir renoncé à prendre l'offensive contre les armées alliées et vouloir se tenir sur la défensive. Les troupes françaises ont continué à arriver et actuellement il doit y avoir en ligne environ 100 000 Français, mais leur cavalerie n'est pas encore au complet et l'artillerie surtout est en retard et leur fait défaut. Il paraît néanmoins que depuis hier matin ils ont commencé un mouvement en avant, mouvement auquel on attribue en partie la retraite des Autrichiens. L'Empereur Napoléon est attendu aujourd'hui à Gênes où on lui prépare une magnifique réception ; il se rendra directement à Alexandrie et ne viendra pas à Turin. On assure qu'aussitôt après son arrivée au camp les armées alliées prendront vigoureusement l'offensive. Le Gouvernement Sarde a pris quelques mesures exceptionnelles ; il a autorisé la banque à suspendre le paiement de ses billets en métallique et à donner à ces billets cours forcé. Il a mis l'embargo sur tous les bâtiments autrichiens qui se trouvent dans les ports sardes, déclarant que cette mesure n'est prise qu'en forme de représailles pour les sévices auxquels les troupes autrichiennes se sont livrées dans toute la partie du Piémont où elles ont pu pénétrer. Du reste tout ici est fort tranquille, et, en voyant le calme qui règne, l'on se douterait à peine que l'on est si près du théâtre de la guerre et que d'un jour à l'autre des événements forts graves vont se passer. Je continuerai à tenir Votre Excellence exactement informée de tout ce qui arrivera d'intéressants.
- 104 — [83] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 12 mai 1859 Dépêche N° 113 Le Ministre des Affaires Etrangères du Roi m'assure, qu'à la suite de l'action unie de la Prusse et de l'Angleterre les dispositions maritimes du Traité de Paris seront appliquées pendant la guerre qui vient d'éclater. M. de Schleinitz a bien voulu me communiquer confidentiellement que, malgré une démarche faite dans un sens opposé, l'Empereur Napoléon déclara vouloir observer soigneusement les règles découlant du principe consacré par cet acte international. En m'empressant de rapporter à Votre Excellence cette heureuse résolution, je prends la liberté d'ajouter que le Marquis de Moustier m'en a confirmé l'exactitude. [84| Vogoridès Bey à Fuad Pacha Londres, le 12 mai 1859 Dépêche N° 18 Ayant eu l'occasion de voir, mardi passé, M. Seymour Fitzgerald, premier Secrétaire d'État au Ministère des Affaires Etrangères, celui-ci m ' a dit que le Cabinet des Tuileries n'a pas accédé à la proposition du Gouvernement Anglais, concernant la neutralité de la mer Adriatique, la France prétendant se réserver le droit inhérent à sa qualité de Puissance belligérante d'y exercer des hostilités, et de ne pas se priver d'un moyen de plus en son pouvoir pour réduire l'Autriche à l'impuissance, et abréger ainsi la durée de la guerre ; que en revanche, le Cabinet Britannique avait fait à Paris des représentations amicales, mais fermes, pour obtenir que le territoire ottoman, qui touche sur quelques points à celui de l'Autriche sur les rives orientales de l'Adriatique, fut respecté scrupuleusement, et qu'il n'eut pas à éprouver les effets de la proximité des hostilités ; que le Gouvernement Français avait déféré, sans hésitation, au vœu exprimé à cet égard par le Cabinet Britannique, et donné l'assurance formelle que, non seulement le territoire ottoman serait respecté par les troupes françaises, si celles-ci devaient effectuer une descente sur les rives en question, mais qu'encore des ordres seraient transmis à ses Agents Consulaires en Turquie, et principalement à celui du Monténégro, pour leur tracer la ligne de conduite qu'ils auraient à tenir dans les conjonctures actuelles, ordres leur prescrivant d'user de toute leur influence pour prévenir et réprouver d'avance tout mouvement insurrectionnel que les fauteurs de troubles, se prévalant de la proximité des hostilités, seraient tentés de faire éclater.
- 105 J'ai déjà eu l'honneur de transmettre à Votre Excellence le résumé de ce qui précède par ma dépêche télégraphique chiffrée du 9 de ce mois. Quant aux assurances du Cabinet des Tuileries, comme le Gouvernement Français semble concentrer ses préoccupations actuelles non moins sur la conduite de sa guerre en Italie, que sur l'attitude que pourrait prendre dans l'occasion l'Angleterre, la Prusse et toute l'Allemagne, et s'efforce de concilier la neutralité bienveillante de ces dernières Puissances, en les rassurant constamment sur ses vues et sur ses dispositions ultérieures, il faut espérer que la Sublime Porte ne pourra pas compter sur les assurances qu'il a données à notre égard seulement comme sur de simples paroles susceptibles de plus ou moins de portée et de valeur ; la preuve d'ailleurs, la moins équivoque de la sincérité de ces assurances sera, sans nul doute, la conduite du Monténégro, qu'on suppose n'avoir été protégé jusqu'ici avec tant de persévérance par la France qu'en vue des éventualités de la guerre projetée contre l'Autriche. Dans le cours de la conversation M. Fitzgerald m'a dit que le Gouvernement Britannique, dans l'impuissance où il était d'obtenir la neutralité de l'Adriatique, et voulant, d'un autre côté, ne pas voir interrompre ses communications par cette mer avec Alexandrie, avait résolu d'y établir, en vue de cet objet, une compagnie anglaise de bateaux à vapeur qui aurait pour station Durazzo, port choisi par le Gouvernement, comme présentant les conditions nécessaires à cet effet. [86'j Rustem Bey à Fuad Pacha. Turin, le 19 mai 1859. Dépêche N° 531. Ainsi que Votre Excellence pourra voir par les bulletins officiels de la guerre dont j'ai l'honneur de lui remettre, ci-annexés, traduction, aucune affaire sérieuse n'a encore eu lieu entre les armées belligérantes. Les troupes autrichiennes se sont retirées d'une partie des positions qu'elles avaient occupées et ont cessé de menacer la Capitale, mais elles occupent encore plusieurs provinces du Piémont et semble se disposer à en disputer la possession aux armées alliées. Les troupes françaises ont fait un mouvement en avant du côté de Cortona sur la droite de la ligne et les troupes sardes du côté de Saint-Germain sur l'extrême gauche, mais il n'y a eu encore que des affaires d'avant-postes. L'Empereur est arrivé le 12 à Gênes où la population lui a fait un accueil enthousiaste ; dès le lendemain il s'est rendu à son quartier général à Alexandrie ; les troupes françaises ont continué à arriver, il doit y avoir actuellement en ligne au moins 120 000 hommes, l'artillerie et la cavalerie continuent à arriver journellement ; on va réunir encore à Gênes un corps de 40 000 hommes dont une partie viendra d'Afrique.
'Suite à une erreur de numérotation le No 85 manque.
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L ' o n doit s'attendre d'un jour à l'autre à voir commencer les opérations offensives des armées alliées ; les pluies continuelles qui n'ont cessé de tomber depuis une quinzaine de jours ont rendu les routes fort difficiles et ont entravé jusqu'ici les opérations, mais aussitôt que le temps se remettra au beau, je ne pense pas qu'elles resteront plus longtemps dans l'inactivité. Je dois mettre Votre Excellence en garde contre les correspondances soi-disant du théâtre de la guerre publiées par les journaux français, belges, allemands ; elles sont tout aussi mauvaises les unes que les autres, remplies d'exagération, de mensonges, et pour la plupart évidemment rédigées par des gens qui non seulement ne sont pas sur les lieux mais qui ne connaissent même pas le pays.
[871 Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 20 mai 1859 Dépêche N° 114 Si pendant les négociations diplomatiques le télégraphe produisit une confusion inévitable, son mutisme depuis le commencement des hostilités contribue puissamment à entretenir les hésitations de l'Allemagne. Des incidents qui découlent de la situation, viennent toutefois provoquer certaines déclarations plus ou moins nettes ; mais en tout, il me semble que l'état des choses dans le centre de l'Europe reste ce qu'il était au début de la querelle franco autrichienne. Votre Excellence sait parfaitement, que l'Autriche travaille toujours à attirer la Prusse dans une guerre contre la France, et que la Prusse tâche de maintenir, aussi longtemps que pourra se faire, sa neutralité armée. Cependant, d'après toutes les apparences, le sentiment national, que surexcite la crainte d'arrière-plan napoléonien, l'emportera bientôt et le Cabinet de Vienne semble compter à cet effet sur le moment, où les Français mettront le pied dans le sol de Lombardie. M. de Schleinitz trahissait, à mon humble avis, cette tendance, en déclarant dernièrement devant les Chambres que le moment venu, la Prusse agirait audelà de ses devoirs fédéraux. Celte déclaration du Ministre des Affaires Etrangères fortifia la position de la Prusse en Allemagne. Mais elle n'a pas eu le mérite de tranquilliser la France. Le représentant de cette Puissance me disait tout récemment, que s'il appartenait à la classe des diplomates pointilleux, il en demanderait des explications. Le Marquis de Moustier juge probablement plus opportun de ne pas réfuter ce point dans le moment actuel. En attendant, le Cabinet de Berlin est moins entravé dans son action depuis la clôture des Chambres, qui toutefois, dans la discussion de la politique extérieure, ont observé une attitude digne et patriotique.
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Aussi le Prince-Régent, dans un discours empreint cette fois-ci de clarté, en a vivement remercié les organes du pays, tout en m a n i f e s t a n t son mécontentement pour l'opposition de la Chambre des Seigneurs. Il est à présumer que le Ministère Royal vouera tous ses efforts à la grande question du jour, si l'arrivée du Roi ne lui suscite de nouveaux embarras. L'on rapporte que Sa Majesté n ' a été informée du changement de Ministère qu'à son arrivée à Trieste ; il m'est assuré que même les noms de certains membres du Cabinet actuel, qui ne lui sont pas sympathiques, ont été soigneusement oubliés. [89 ] 1 Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 23 mai 1859 Dépêche No 188, secrète et confidentielle Au moment où Son Excellence recevra cette dépêche, le Roi aura cessé de vivre, voilà deux jours que son agonie a commencé, et malgré la force de sa constitution, il n'est pas probable qu'elle puisse se prolonger davantage. Cependant les derniers moments de l'auguste malade sont attristés par le douloureux spectacle de la guerre qui a commencé au-dehors et des intrigues qui s'agitent autour de lui dans l'intérieur même du Palais. Depuis quelque temps il était vaguement question d'une certaine agitation dans les provinces ; on parlait d'agents qui les parcouraient excitant les populations à se prononcer en faveur du Comte de Fani, fils aîné de la Reine, au détriment de l'héritier légitime du trône ; on signalait même des manifestations qui auraient eu lieu en ce sens à Bari, à Foggia, à Avelino. Ces bruits qui avaient d'abord été accueillis avec une certaine défiance, se sont confirmés cette semaine ; des arrestations nombreuses ont eu lieu, tant à Naples que dans les provinces, et on a notamment saisi un nommé Merenda, ancien secrétaire général de la préfecture de police, destitué à cause de l'exaltation de ses opinions politiques et qu'on désignait comme l'âme de ces menaces. C'est, dit-on, le Duc de Calabre lui-même qui, de sa propre autorité, l'aurait fait arrêter par son aide de camp, le général Nunziante et envoyer sur une île voisine de Palerme, après une instruction sommaire. Le jeune Prince, qui est parfaitement au courant de toutes ces intrigues, semble disposé à montrer la plus grande énergie dans leur répression. De nombreuses patrouilles parcourent les rues de Naples, et l'on prétend que, pour donner à la police une plus grande vigoureuse direction, le Duc de Calabre va confier ce Ministère au soin d'un général. Ce qui est incontestable, c'est que des manifestations sont à craindre, et que la nouvelle d'un avantage remporté le 20 par la division Forey à Montebello a produit une grande sensation, qu'une proclamation Muratiste a été trouvée affichée dans les
'Suite à une erreur de numérotation le No 88 manque.
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casernes et que la mort imminente du Roi n'a pas même pu désarmer la rage de quelques misérables décidés au régicide quand même ; on me rapporte que la nuit dernière on a arrêté une vingtaine de ces individus dont les coupables projets avaient été signalés par la police française. On assure que le Comte de Syracuse, forçant les ordres les plus formels était parvenu jusque dans la chambre du Roi et lui avait dévoilé tout ce qui se passait, en accusant la Reine. Cette révélation frappa tellement l'auguste malade qu'il tomba évanoui ; revenu à lui il fit appeler le Duc de Calabre, et lui déclara que le royaume était à lui et qu'il l'autorisait à prendre toutes les mesures qu'il jugerait nécessaires pour sauvegarder son droit. Le jeune Prince, bien loin de partager les soupçons de son oncle, l'observe depuis ce moment avec une prudente défiance. C'est qu'en effet, si la majorité crédule accuse la Reine et lui fait payer aussi son impopularité, les esprits circonspects, et notamment les autres frères du Roi n'admettent pas ces accusations et se fient trop à la sagesse et à l'honnêteté de leur belle-sœur pour la croire capable d'une manœuvre aussi déloyale et aussi insensée. Il y aurait là à leurs yeux plutôt quelque machination du parti libéral et notamment de son chef, le Comte de Syracuse, dont on n'a pas oublié les tendances ambitieuses, alors que, comme lieutenant du Roi en Sicile, il chercha à rendre l'île indépendante et à s'en faire proclamer souverain. On commence donc à se méfier du zèle que déploie le Comte et on le soupçonne de vouloir exploiter la haine du peuple contre l'Autriche en général et la Reine en particulier pour se rendre maître de l'esprit du nouveau Roi et le décider à s'allier avec le Piémont. Quoiqu'il en soit, la défiance règne partout, les soupçons les plus injurieux se répandent, les accusations les plus graves sont accueillies ; des personnes de l'entourage du Roi parlent à mi-voix de la possibilité d'un empoisonnement du Duc de Calabre, et on suppose le parti radical capable de tout pour assurer la réussite de ces projets. Sans vouloir garantir l'exactitude de tous ces bruits, j e crois cependant bon de les consigner ici, ne fusse que pour caractériser cet esprit de défiance qui envenime toutes les relations, non seulement entre le peuple et le gouvernement, mais encore entre les divers membres de la famille royale. Voici un autre fait bien significatif : le Roi, pour assurer après sa mort l'avenir de la Reine a remis entre les mains du général Martini, Ministre d'Autriche, un double de son testament. Ce détail, si cruel et si incroyable qu'il paraisse, s'explique cependant quand on songe que, lors de son avènement, le Roi supprima le testament de son père ; on ne doit donc pas trop s'étonner s'il prend ses précautions pour éviter un procédé analogue de la part de son fils. Pendant que ces événements se passent à l'intérieur, les puissances étrangères travaillent à assurer leur influence sous le nouveau règne. Celle de l'Autriche se trouve singulièrement compromise, si peu écoutée aujourd'hui sa voix ne pourra plus guère se faire entendre après la retraite de la Reine, qui seule l'appuie encore, mais avec bien peu de succès. La France et la Sardaigne, qui en ce moment semblent tout sacrifier aux besoins de l'indépendance italienne, ne demanderaient au nouveau Roi que le concours de ses armes, sans insister
- 109 — sur des réformes qu'elles redoutent plus qu'elles ne le désirent, parce qu'elles craignaient que le peuple ne se trouve satisfait par là désintéressé dans la lutte avec l'Autriche. Aussi, tout en reconnaissant la neutralité de Naples dans la guerre actuelle, la France a-t-elle évité de se compromettre ; elle espère, ditelle, que les circonstances lui permettront de la respecter, mais elle ne veut cependant pas, dans l'état actuel des relations diplomatiques, engager l'avenir. Le Piémont de son côté, ne renonce pas à entraîner le gouvernement napolitain dans la lutte italienne, et il n'attend que la mort du Roi pour envoyer en mission spéciale le Comte d'Azeglio. L'Angleterre, au contraire, intéressée à circonscrire la lutte, tient à préserver le midi de l'Italie des convulsions qui agitent le nord de la péninsule, et à employer l'influence de sa politique pour une réforme pacifique. Ce qu'elle demande, c'est l'adoption immédiate de mesures libérales, c'est dans ce sens qu'elle a répondu aux dernières ouvertures du gouvernement napolitain. Ne pouvant toutefois pas se séparer de la France dans une question où elle a toujours agi de concert avec elle, l'Angleterre demande que le gouvernement napolitain envoie à Paris, puis à Londres, un agent chargé d'explorer les vues du nouveau Prince et de donner par là une base aux négociations qu'il s'agirait d'ouvrir. Ce n'est qu'après une semblable démarche qu'elle pourrait officiellement renouer ses relations avec les Deux-Siciles et accepter ouvertement la protection de sa neutralité. Au besoin, elle consentirait cependant à envoyer à Naples à titre purement officieux un représentant provisoire, et on désigne même pour ce poste Sir James Hudson, le Ministre anglais à Turin. Mais on ne doute pas que l'une comme l'autre puissance ne soit disposée à se montrer peu exigeante et à se contenter de quelques assurances du jeune Prince pour renouer les relations. J'apprends que l'Angleterre et les autres puissances médiatrices se proposent de reprendre les négociations aussitôt que la Sardaigne aura été évacuée par les troupes autrichiennes. Et s'il est peu probable que leurs efforts aboutissent avant qu'un fait d'arme décisif soit venu donner l'avantage de la position à l'une ou à l'autre des parties belligérantes, elles n'en sont pas moins décidées à modérer par leurs conseils l'ardeur des combattants ; on verra donc se reproduire le spectacle que nous avons eu sous les yeux pendant la guerre de Crimée, l'œuvre de la diplomatie marchant sans cesse à côté de celle des armées pour circonscrire les effets de la guerre. Au moment de terminer cette dépêche j'apprends la mort du Roi et j e m'empresse d'en envoyer la nouvelle par télégraphe. Des ordres ont été immédiatement adressés aux autorités, afin de leur recommander de ne reculer devant aucun moyen pour assurer le maintien de la tranquillité publique.
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(901 Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 26 mai 1859 Dépêche N° 534 Ci-inclus j ' a i l'honneur de remettre à Votre Excellence en original et traduction la déclaration que le Gouvernement de Sa Majesté le Roi de Sardaigne vient de publier et dont communication officielle m ' a ctc faite par le Ministère des Affaires Etrangères. Votre Excellence y verra que le Gouvernement Sarde se propose dans la guerre actuelle de mettre en pratique les principes de modération et d'humanités qui font honneur à la civilisation moderne et qui ont été proclamé dans la déclaration du droit maritime du Congrès de Paris de 1856. 1911 Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 26 mai 1859 Dépêche particulière N° 830/65 La rencontre des Autrichiens avec les alliés dans l'affaire de Montebello qui a eu lieu le 21 de ce mois, n'était point une bataille en rase campagne comme on a pu croire un moment ; c'était une simple reconnaissance que les Autrichiens ont voulu faire ; et voici comment. Les Autrichiens ayant appris que les Piémontais et les Français se trouvaient avec un grand corps d'armée à Casteggio et à Monte Benno, l'ordre a été donné au général autrichien de faire une reconnaissance, laquelle a été faite avec un fort corps d'armée, la première rencontre a eu lieu avec les Piémontais, qui ont été chassés de Monte Benno ; mais les Français sont arrivés avec une grande force, après quatre heures d'un combat acharné, les Autrichiens ont été à leur tour repoussés ; cette victoire a coûté bien cher à la France, car elle a perdu plus de 1000 hommes et 28 o f f i c i e r s , parmi lesquels, on cite un général, trois colonels et deux commandants. Les Autrichiens ont aussi de leur côté perdu plus de 1200 soldats, on ne sait pas quel est le nombre des officiers qui se trouvent hors de combat, on parle seulement du général Benedetti qui a été tué sur le champ de bataille. C'est à tort que quelques personnes ont cru un moment que l'Angleterre était d'accord avec la France ; aujourd'hui c'est plus que certain que sa neutralité n'est pas sincère, elle cherchait à gagner du temps pour s'armer, car elle n'est pas encore prête ; elle fait des commandes d'armes extraordinaires, elle a mis en Belgique en adjudication une commande de 376 000 pièces d'armes de poing fusils, carabines rayées, pistolets et revolvers à 80 F pièces. On pourrait dire que ce sont des armes de luxe.
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La France de son côté veut faire une commande de 100 000 fusils à 50 F pièce. On ignore encore si les fabricants belges pourraient s'engager à livrer toutes ces commandes dans l'espace d'une année ce qui paraît presque impossible. On croit que le Ministère en Angleterre se maintiendra, il y aura même, assure-t-on, une coalition avec le parti Whig pour soutenir le Ministère, on n'a plus confiance à Lord Palmerston. Il serait bien difficile de dépeindre combien les esprits dans toute l'Allemagne sont montés contre la France ; il suffit d'une étincelle pour y mettre le feu ; aussi croit-on généralement qu'avant peu elle se déclarera ouvertement contre la France et la Prusse suivra ce mouvement et, c'est alors que l'Angleterre se trouvera forcée à se dévoiler. M. de Persigny fait la propagande à Londres à tout ce qui veut l'entendre, en disant que l'Angleterre peut compter sur l'amitié de l'Empereur, que celui-ci n'a jamais eu le désir de faire la guerre et s'il l'a fait c'est qu'il se trouve forcé à le faire, et qu'il ne veut point voir arriver une guerre générale ; son désir est de finir le plus tôt possible, mais il se trouvera de nouveau forcé à la prolonger si l'Allemagne prend les armes contre elle. M. de Persigny engage l'Angleterre à prêcher à la Prusse, à toute l'Allemagne de rester tranquille. Les représentants de la Prusse et des États d'Allemagne accrédités à Londres se mettent à rire chaque fois que Monsieur de Persigny parle dans ce sens. De même Lord Malmesbury ne croit plus rien à tout ce que Monsieur de Persigny lui dit. En Angleterre plus de confiance en tout ce qui vient de la France, aussi l'Angleterre souffle à l'oreille de la Prusse et des Etats allemands de se préparer afin d'être prêt pour les événements qui peuvent arriver. Je sais aussi que Lord Malmesbury a demandé à M. de Persigny une explication sur la proclamation de l'Empereur à son entrée en Italie. M. de Persigny a cherché à donner des explications à deux, trois reprises différentes, mais aucune de ces explications n'a pu satisfaire l'Angleterre. Quant à la Russie, je répète encore à Votre Excellence qu'elle est d'accord avec la France quoique la proclamation de l'Empereur en Italie l'ait un peu refroidie et en attendant ses agents officieux m'assure-t-on travaillent toujours dans la Turquie d'Europe pour soudoyer les populations chrétiennes. Dans les cercles politiques, on croit la guerre générale inévitable. La Belgique de son côté continue de monter son armée sur le pied de guerre. [92] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 27 mai 1859 Dépêche N° 119 Je me fais un devoir de rendre à votre Excellence compte de l'entretien que j'ai eu avec le Ministre des Affaires Etrangères, au sujet du Gouvernement provisoire de Toscane.
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Suivant les ordres que votre Excellence m'a fait l'honneur de me transmettre par le télégramme du 20 et qui ne me parvint que le 24 soir 1 , je me suis informé de la conduite suivie par le Cabinet de Berlin. Je n'ai pas manqué de faire part du désir de votre Excellence de conformer l'attitude du Gouvernement Impérial à celle des puissances neutres. Le Baron de Schleinitz me répondit : que la Prusse ne pourrait reconnaître un Gouvernement sorti d'une transaction scandaleuse. Il ajouta, que la mission du Roi à Florence avait déjà reçu l'ordre de ne pas entrer en rapport officiel avec les nouvelles autorités et de supprimer les signes extérieurs de l'hôtel de la légation. Néanmoins, elle continue à y résider afin de contribuer au rétablissement de l'autorité légale. A l'avis du Ministre, il y en aurait des indices favorables. J'ai cru devoir demander, si la légation de Sardaigne dans cette capitale avait fait des démarches identiques à celles dont la Sublime Porte a été saisies. Monsieur de Schleinitz me répondit : que le Comte de Launay lui avait annoncé qu'il était chargé de la protection des sujets toscans. Mais le Gouvernement de Prusse, tout en admettant l'action officielle de la mission sarde, ne lui reconnaît aucun caractère officiel en cette circonstance. |93] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 27 mai 1859 Dépêche N° 121, réservé Depuis le dernier rapport que j'ai eu l'honneur d'adresser à Votre Excellence sur la situation de l'Allemagne, une grande activité a signalé les mouvements des missions d'Autriche de France dans cette Capitale. Les déclarations publiques du Cabinet de Berlin, suivies de l'application des mesures que j ' a i eu l'honneur d'annoncer, encouragèrent, d ' u n e part, les aspirations autrichiennes qui redoublèrent, d'autre part, les tentatives françaises. La Cour de Vienne, secondée par l'Allemagne, insiste plus que jamais à ce que sa Puissance confédérée prenne ouvertement fait et cause pour elle. La Cour des Tuileries ne néglige rien pour obtenir de la Prusse une stricte neutralité. Dans ce dernier but, l'Empereur offrit confidentiellement l'engagement, de ne pas toucher au sol de la Confédération Germanique et demande la promesse d ' u n e stricte neutralité si elle maintient sa neutralité armée, tout en évitant soigneusement d'en prendre l'engagement formel, qui pourrait entraver son action à venir. D'ailleurs, l'attitude de la Russie ne lui permettrait pas de suivre, si elle désirait même, l'exemple de son allié d'outre-Manche.
' N o n publié.
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J'aurai mal réussi à rendre mes humbles impressions, si elles indiquaient que cc pays resterait indifférent aux désastres de l'Autriche. Il résulte de toutes mes informations, que le Prince-Régent attend le moment propice pour intervenir d'une manière efficace. Cc moment plus ou moins éloigné lui procure, en même temps, le loisir de se préparer. Si je ne craignais pas de m'aventurer trop, je me permettrai de présumer que cette intervention aura lieu dans un but du maintien des Traités de 1815. Les prescriptions territoriales qui en découlent constituent, si je ne me trompe, la base de la politique du Cabinet de Berlin. Cette action pourrait bien avoir pour point de départ la ligne du Mincio. Si les Français, malgré les difficultés et contre les conseils donnés, voulaient la forcer, ils s'attireraient probablement l'hostilité de la Prusse. Certains propos qui m'ont été tenus par le Baron de Budberg me font penser que, dans ce cas, la France ne pourrait trop compter sur l'alliance de la Russie. La politique moscovite ne semble pas vouloir pousser la complaisance jusqu'à l'agrandissement de son amie intime actuelle. |94| Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 30 mai 1859 Dépêche confidentielle Je viens d'apprendre d ' u n e source officielle que le général Willisen a complètement réussi dans sa mission à Vienne. L'alliance entre l'Autriche et toute l'Allemagne est conclue. La base fondamentale de cette alliance consiste en ce que dès le jour où les Français entreront à Milan l'Autriche se joindra à la Prusse et à toute l'Allemagne pour marcher directement sur Paris. Avant cette alliance il existait une mésintelligence entre l'Autriche et la Prusse, et voici comment : l'Autriche était mécontente de l'Allemagne de ce que, le jour même où l'Ultimatum a été lancé, celle-ci n'avait pas pris fait et cause pour elle car, si cela avait eu lieu, on aurait pu parvenir à la conclusion de paix. La Prusse de son côté reprochait à l'Autriche d'avoir lancé l'Ultimatum sans consulter ni la Prusse ni le reste l'Allemagne, en se déclarant prête toutefois, en cas que l'Autriche aurait des revers à essuyer, à venir à son secours (par principe de patriotisme allemand) à condition que l'Autriche mettrait à sa disposition un corps d'armée. Ceci avait à son tour froissé l'Autriche. Aujourd'hui tout est aplani : l'Allemagne n'attendra plus que l'Autriche soit battue pour prendre fait et cause pour elle et celle-ci donne à l'Allemagne un corps d'armée. Il y a eu un rapprochement entre Lord Palmerston et Lord John Russel, ils agiront de concert pour renverser le Ministère actuel. Ils se proposent de profiter des discussions de l'adresse à l'occasion de l'ouverture des Chambres pour arriver à leur but. Dans un cercle politique à Londres où Lord Palmerston se trouvait il y ait eu des personnes qui lui ont exprimé leurs regrets de ne pas
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le voir au pouvoir dans un moment si critique, car, disaient ces personnes, s'il était Ministre on serait parvenu, peut-être, à maintenir la paix. Lord Palmerston a répondu : « Oui, il y a un mois la paix était encore très possible ; mais aujourd'hui je dirais qu'elle est presque impossible. » [95] Diran Bey à Fuad Pacha. Bruxelles, le 30 mai 1859. Dépêche confidentielle. L ' A l l e m a g n e est à m ê m e de mettre 4 0 0 000 hommes en c a m p a g n e . Lorsqu'elle sera prête, un Ultimatum sera envoyé à Paris avec un délai de 24 heures pour sommer Napoléon de se retirer de la Lombardie. Si la réponse est négative les 400 000 hommes marcheront directement sur Paris, si cela devient nécessaire pour la défense de l'intégrité du territoire que les Traités rendent inviolables. Le camp du Maréchal Pélissier sur le Rhin sera de 200 000 hommes, mais l'effectif ne se monte pour le moment q u ' à 50 ou 60 000, le reste se trouve sur le papier. L'Angleterre a connaissance de ce coup inattendu et imminent et engage la Prusse avant tout à s'assurer toute l'Allemagne. C'est alors que l'Angleterre dira aussi son dernier mot, vu que ses intérêts personnels qui l'y obligeront. L'Angleterre prêtera alors avec d'autant plus de promptitude sa main à cette œuvre qu'elle croit réduire par une coalition la durée de la guerre à sa plus simple expression. Le délai de 24 heures accordé par l'Ultimatum ne sera tout juste suffisant pour qu'une réponse puisse être faite. Je n'entre pas dans les détails que Votre Excellence saisira sans doute toute la portée de ce coup. Votre Excellence comprendra facilement, sans que j'aie besoin d'y insister, que, cette dépêche étant de nature par trop confidentielle, il est de la plus grande importance qu'elle reste absolument confidentielle, et, pour ma tranquillité personnelle, je prie Votre Excellence de vouloir bien m'en accuser réception, aussitôt qu'elle l'aura reçue. P.S. 31 mai. La Prusse a renvoyé, il y a 15 jours, le général Willisen auprès de la Cour de Vienne ; il avait mission de s'entendre avec le Gouvernement Autrichien. Il était chargé en même temps de donner des conseils stratégiques. On m ' a assuré que c'est lui qui engage l'Autriche à repasser le Tessin. L'Autriche accédait à ce désir pour se mettre en bonne intelligence avec toute l'Allemagne ; car Votre Excellence doit se rappeler que la Prusse s'est montrée très mécontente de l'Autriche lorsqu'elle a appris le passage du Tessin.
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Il est vrai que la faute que l'Autriche aurait commise en passant le Tessin a été en quelque sorte contrebalancée par le passage de ce même fleuve par les Français, mais il n'y est pas moins vrai que l'initiative venait de l'Autriche. L96] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 30 mai 1859 Dépêche No 193, confidentielle Les funérailles du Roi Ferdinand auront lieu le 1 e r juin. Sa dépouille mortelle a été transférée ici de Caserta dans la nuit du 28, elle doit rester exposée au Palais pendant trois jours ; le 31 elle sera solennellement transportée à l'église Sainte-Claire, lieu de sépulture des princes napolitains, et le lendemain aura lieu le service funèbre, à la suite duquel le cercueil sera définitivement déposé dans le caveau royal. Au sortir de l'église, le corps diplomatique et les charges de cours se rendront au château pour être admis au baisemain de Leurs Majestés. C'est à Capo di Monte, une résidence d'été située à une demi-heure de Naples, que se trouve actuellement toute la Cour. Au moment de la mort de son père, le jeune Roi avait convoqué à Caserta tous les princes du sang, l'usage voulant que la famille royale passe ensemble la première neuvaine du deuil. Il avait l'intention, suivant le conseil de sa belle-mère, de se transporter à Gaëta, mais les princes, ses oncles, l'en détournèrent en lui faisant comprendre que ce serait blesser la susceptibilité de son peuple, qui le verrait à regret s'éloigner de sa capitale ; et sur leur avis, il se décida à s'en rapprocher en se rendant à Capo di Monte. Les dernières intrigues qui tendraient à semer la discorde entre le jeune Roi et sa belle-mère, ont produit, comme je le faisais pressentir dans ma dernière dépêche, un résultat tout opposé à celui qu'en attendaient leurs auteurs. Convaincu maintenant de la fausseté des manœuvres attribuées à la Reine mère, le nouveau souverain s'est, au contraire, rapprochée d'elle, et l'entente la plus complète existe actuellement entre eux. Son père en mourant avait recommandé la Reine à son amour filial, et quand il eut rendu le dernier soupir, elle lui déclara qu'après avoir été pour lui jusqu'à ce moment-là la plus tendre des mères, elle serait désormais la plus fidèle de ses sujettes. Le jeune Prince l'assura de son affection et de sa confiance, et l'on sait qu'il l'entoure des plus respectueux égards. Ses oncles, qui comptaient acquérir une grande influence sur son esprit, sont naturellement peu satisfaits de ce revirement inattendu, et on prévoit pour l'avenir de regrettables tiraillements. Depuis la mort du Roi, la tranquillité la plus absolue existe dans le pays, et jusqu'ici aucun fait important n'est venu inaugurer le nouveau règne. Le jeune souverain, tout entier aux pratiques religieuses de la neuvaine, ne s'occupe pas, officiellement du moins des affaires, n'a pris pour le moment aucune initiative ; la nation, de son côté, attend toujours plus disposée à désirer qu'à
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agir, et effrayée d'ailleurs par les mesures énergiques adoptées dans ces derniers temps. Ce n'est qu'à l'expiration de la neuvaine, c'est-à-dire, dans le courant de cette semaine, que le Roi François prendra activement en main les rênes du gouvernement, et qu'on pourra constater ses tendances. Le seul acte officiel émané jusqu'ici de Sa Majesté est un décret rendu le jour même du décès de son père, par lequel il notifie au peuple son avènement et maintient dans leurs fonctions toutes les autorités publiques. Le décret a été lu le lendemain à tous les corps de la garnison de Naples, qui ont prêté serment de fidélité, sans enthousiasme cependant. Depuis lors, tout est rentré dans le calme habituel. Cependant l'inaction du Roi n'est qu'apparente, car on a plusieurs fois vu au Palais le Prince Filangieri, qui y vient, assure-t-on, pour se concerter avec lui et élaborer le programme du nouveau règne, conformément aux donnés que j'ai eu l'honneur de communiquer à son Excellence dans ma dépêche No 174 du 18 avril 1 , et que j e tiens de la bouche même du Prince Filangieri. On s'attend donc à ce que le Ministère actuel cède bientôt la place à un Cabinet plus libéral ; ce serait là un heureux début qui contribuerait à maintenir la tranquillité et à répandre la confiance dans le pays. On croyait même d'abord que toutes ces mesures, publication d'un manifeste politique, changement de Ministère, première réforme, suivraient immédiatement l'avènement du Prince, mais on a aujourd'hui quelques raisons de croire que le gouvernement attendra pour les réaliser, le rétablissement de ses relations avec les puissances occidentales. Le Ministre de Prusse à Naples vient, en effet, de recevoir une dépêche de Berlin, dans laquelle on recommande au jeune souverain d'envoyer immédiatement des représentants à Paris et à Londres pour notifier son avènement à la France et l'Angleterre ; les deux puissances, assure la Prusse, se contenteraient de cet acte de courtoisie et y répondraient par le renvoi instantané de leur Ministre. On m'assure que le gouvernement napolitain n'hésitera pas à profiter de ce conseil, et enverra sans retard le marquis Antonini et le Prince de Carini ses représentants à Paris et à Londres avant la rupture. C'est pour cela sans doute que M. Winspeare, nommé depuis un an chargé d'affaires à Constantinople, vient de recevoir l'ordre de se rendre à son poste, pour relever Monsieur de Targioni, qui va remplacer à Berlin le Prince de Carini. Si donc, comme tout le fait espérer, les relations diplomatiques avec la France et l'Angleterre vont être reprise dans un bref délai, il serait fort possible que, pour mieux s'entendre avec les deux puissances et rétablir un concert si fâcheusement rompu, on sursit à tout changement important jusqu'au retour des Ministres. Quant aux rapports avec le Piémont, voici où ils en sont : je sais par Monsieur de Carafa que les tentatives de M. de Cavour pour entraîner Naples dans l'alliance piémontaise, continuent, mais toujours avec le même insuccès. Le Comte Grapello avait été chargé de dire à son Excellence que, si on reconnaissait à Turin la neutralité de Naples, on espérait du moins qu'on ne rencontrerait de sa part aucune entrave pour l'établissement de l'indépendance italienne. M . de Carafa se hâta de répliquer que ce grand principe avait précisément servi de base à la politique du dernier règne, que c'était pour
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- 117 sauvegarder cette indépendance que le Roi Ferdinand n'avait pas craint de se mettre en conflit avec la France et l'Angleterre et qu'enfin le vœu le plus ardent de son gouvernement était que les autres États italiens, et le Piémont surtout, évitassent dans leur politique tout ce qui pourrait compromettre ce grand principe. Sous ce rapport donc on pouvait compter sur le concours de Naples, mais que si on désirait sous prétexte de garantir l'indépendance italienne, que les divers États de la péninsule se laissassent absorbés par le Piémont et sacrifiassent à son influence leur propre indépendance, Naples ne donnerait jamais la main à une semblable politique et protesterait toujours contre de pareilles prétentions. Peu satisfait du résultat de ses démarches le Piémont a, dit-on, l'intention d'envoyer à Naples M. d'Azeglio. On prétend même que ce personnage se trouve déjà ici sous un faux nom pour sonder le terrain ; mais M. de Carafa m'a assuré que M. d'Azeglio n'avait pas plus de chance de réussir et qu'on lui ferait la même réponse. Il n'y a donc pas d'espoir que Naples se décide à prendre part à la guerre ; mais sa neutralité semble pour le moment suffire aux exigences de la France, qui sur les vives instances de la Russie, se serait engagée à laisser ce pays hors de cause. À cette occasion je me vois entraîné à entretenir son Excellence du traité franco-russe, qui depuis quelque temps préoccupe le monde politique. Bien que le gouvernement Impérial reçoive directement toutes les informations qui peuvent l'intéresser, j e crois cependant qu'il est du devoir de ses agents, dans un pareil moment, de lui faire part de toutes les nouvelles qui leurs parviennent, fussent-elles en dehors de leurs attributions. Un ancien membre du corps diplomatique français intimement lié avec le Comte Walewski, écrit à un de ses amis de Naples que ce traité, dont on a officiellement démenti l'existence, est aussi réel que celui de la France avec le Piémont, et que la Russie entrera en campagne aussitôt qu'une autre puissance se sera mêlée à la lutte. Le prix de la victoire aurait déjà été fixé, et chacune des deux parties se serait réservée d'avance sa part dans les dépouilles ; ce serait pour la France le protectorat d'une confédération italienne formée sous ses auspices et l'incorporation de la Belgique et de la rive gauche du Rhin ; ce serait pour la Russie l'annexion à la Pologne des anciennes provinces actuellement réparties entre la Prusse et l'Autriche, et le protectorat d'une confédération des États slaves jusqu'aux Balkans. Je n'aurais pas osé entretenir son Excellence d'un plan aussi extravagant, si l'origine d'où il me vient, ne méritait une certaine considération.
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197] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 31 mai 1859 Dépêche N° 125 Par les derniers courriers, je n'ai pas eu l'honneur de recevoir d'ordre de Votre Excellence. Cette circonstance m'est d'autant plus pénible, que la voie usuelle de la correspondance n ' o f f r e plus, depuis l'éclat de la guerre, les sécurités voulues. Privé d'instructions spéciales quant à l'attitude du Gouvernement Impérial en face des complications européennes, j'ose présumer que la ligne de conduite à observer m'était naturellement tracée par la position même de l'Empire ottoman. Intéressée au maintien de l'équilibre que garantissent les Traités et également animé des sentiments d'amitiée envers ses alliés belligérants, la Sublime Porte ne saurait, j ' e n suis convaincu, que déplorer les calamités surgics et en désirer sincèrement la fin. Si j e ne me trompe, une stricte neutralité découle de ces mêmes principes. Mais pour en obtenir des résultats satisfaisants, il me semble que l'action collective des Puissances neutres est une des conditions indispensables. Je n'ai pas manqué, au fur et à mesure que l'opportunité se présenta, d'entretenir dans ce sens tant le Ministre des Affaires Etrangères que les principaux membres du Cabinet du Prince-Régent. Certes, je n'ai pas la présomption de penser que ces démarches aient tant soit peu contribué à maintenir la Prusse dans la ligne qu'il s'est tracé au début de la question. Qu'il me soit permis de rapporter humblement à Votre Excellence, que l'accueil bienveillant qu'ont rencontré mes paroles me fait y persister. D'ailleurs, le désintéressement des intentions du Gouvernement Impérial dont j e m'inspire, méritait cette confiance. Si le réveil du sentiment national et les procédés de l'Allemagne ont malheureusement restreint l'action du Gouvernement Prussien dans le sens que j e viens d'avoir l'honneur d'indiquer, l'affaire montée des lots et plus particulièrement le coup hardi de Garibaldi ne paraissent être de nature à le faire dévier de la modération. Se renforçant du soutien de la Confédération qui manifeste le désir de se rapprocher, la Prusse attend le moment de prendre le rôle de médiateur actif ; aussi paraît-il que le Général de Willisen s'occupe à Vienne à en établir les bases. Le Baron Koller qui se décrie contre l'immoralité de la politique et le manque d'enthousiasme de la part des militaires prussiens, entretient l'espoir d'une entente entre les deux grandes cours allemandes. En même temps, Monsieur de Schleinitz me disait hier que la politique qu'il représente rencontre chaque jour de nouvelles approbations.
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En attendant, à peine les hostilités ont éclaté que déjà un grand malaise se l'ait sentir surtout le continent. Le manque de travail est un des effets immédiats et dangereux pour l'avenir. Dans la seule ville de Berlin, il y a déjà plus de 10 000 ouvriers qui se trouvent sans moyens d'existence. Et il ne se passe de jours où il n'y arrive quelques nouvelles faillites. Aussi, la stagnation du commerce, l'arrêt des fabriques et la dépréciation des fonds atteignent les intérêts de toutes les classes de la société, ébranlant sérieusement la confiance publique. 198] Fuad Pacha au Prince Calimaki Le 1 e r juin 1859 Dépêche N° 2558 J'ai reçu la dépêche que vous avez bien voulu m'adresser le 1 e r mai N° 310 1 pour me transmettre le manifeste que S.M. l'Empereur d'Autriche a adressé à ses peuples, pour exposer les motifs qui l'ont engagé à prendre les armes. Le Gouvernement Impérial regrette vivement que l'état de guerre ait succédé à la paix. Il ne peut dans cette occurrence qu'observer une entière neutralité, tout en mobilisant son armée pour maintenir ultérieurement la tranquillité intérieures de l'Empire. Il conservera envers les Puissances ses amies les mêmes sentiments dont il était animé jusqu'à présent. [991 Fuad Pacha à Aristarchi Bey Le 1 e r juin 1859 Dépêche N° 2560 J'ai reçu en son temps le rapport plein d'intérêt que vous m'avez écrit le 15 avril N° 103 2 au sujet de la mission de l'Archiduc Albert à Berlin. Les événements qui se sont accomplis depuis lors ont prouvé l'insuccès des efforts diplomatiques faits dans l'intérêt du maintien de la paix que la Sublime Porte regrette profondément de voir rompue par l'éclat de la guerre en Italie. Ces sentiments engagent donc le Gouvernement du Sultan à se renfermer dans la neutralité en continuant à cultiver ses bonnes relations avec toutes les Puissances, tout en prenant les mesures qui lui sont dictées par son désir de maintenir la tranquillité intérieure de l'Empire.
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1100] Fuad Pacha à Vogoridès Bey Le 1 e r juin 1859 Dépêche N° 2559 J'ai reçu et me suis empresse de placer sous les yeux de S.M. le Sultan le rapport que vous m'avez adressé en date du 5 mai N° 141 au sujet de la ligne de conduite que selon l'opinion du Cabinet Britannique, la Sublime Porte aurait à suivre dans les complications actuelles. La neutralité absolue et impartiale est le principe que le Gouvernement Impérial a adopté en ce moment dans la guerre qui vient d'éclater entre la France, la Sardaigne et l'Autriche. Il n ' a pas manqué de prendre aussi toutes les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la tranquillité dans les États du Sultan en ayant soin de faire croiser dans la mer Adriatique une flottille à vapeur dans le but de surveiller toutes les côtes ottomanes situées sur cette mer. [101]
Fuad Pacha à Vogoridès Bey Le 1 e r juin 1859 Dépêche N° 2571 Enregistré et soumis à l'appréciation de S.M. le Sultan J'ai lu le rapport que vous m'avez adressé en date du 5 mai N° 16 2 pour me rendre un compte exact des impressions du Gouvernement et de la nation Britannique au sujet de la guerre d'Italie et de l'alliance qui serait intervenue entre la France et la Russie. Dans la prévision des graves complications qui surgiront si la guerre franchit les limites tracées par les déclarations officielles du Gouvernement Français, la Sublime Porte joint ses vœux à ceux des autres Puissances afin que l'autorité et la médiation de l'Angleterre dans un cas donné puissent amener une réconciliation entre les trois Puissances belligérantes.
^No. 77. NO. 78.
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[102] Fuad Pacha à Vogoridès Bey Le 1 e r juin 1859 Dépêche N° 2572 J'ai reçu le rapport du 12 mai N° 181 que vous m'avez adressé pour me rendre compte des communications verbales du premier Sous-Secrétaire d'Etat au Ministère des Affaires Etrangères au sujet de la non-acceptation par la France de la neutralité pour la mer Adriatique et des assurances formelles que le Cabinet des Tuileries a donné, sur ses représentations, à celui de Londres que le territoire ottoman sur les rives orientales de l'Adriatique sera scrupuleusement respecté et que des ordres seront transmis aux agents Consulaires en France en Turquie et notamment au Consul français au Monténégro pour les inviter à user de leur influence pour empêcher tout mouvement insurrectionnel. Ayant eu l'honneur de soumettre à S.M. le Sultan le résumé de ces communications consignées dans votre télégramme du 9 mai, j'ai reçu, ainsi que vous en avez déjà été avertis par ma dépêche télégraphique du 16 mai l'ordre de notre Auguste Souverain de vous charger d'exprimer au Cabinet de St. James toute la satisfaction et la gratitude de la Sublime Porte des représentations pleines de bienveillance que le Gouvernement Britannique a fait au Gouvernement Français. |103] Fuad Pacha à Spitzer Effendi Le 1 e r juin 1859 Dépêche N° 2584 J'ai parcouru avec beaucoup d'intérêt le rapport que vous m'avez adressé en date du 9 mai N° 183 2 , pour me rendre compte de l'état du Roi défunt dans ses derniers moments, et de la marche qu'il imprimait alors à son Gouvernement suivant les principes de la plus stricte neutralité dans la guerre qui vient d'éclater au nord de l'Italie. Le Gouvernement du Sultan aussi partage entièrement ces principes en ce qui regarde cette guerre, en regrettant profondément qu'elle ait remplacé la paix, dont le maintien est si désiré par tout le monde. Il ne peut donc dans sa neutralité que prendre les mesures nécessaires pour maintenir la tranquillité dans ses propres États.
'No. 84. NO.81.
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[104] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 2 juin 1859 Dépêche N° 536 Le départ du bateau à vapeur pour Constantinople a été accéléré d'un jour et nous l'avons appris trop tard pour pouvoir, la semaine dernière, expédier le courrier. J'ai en conséquence l'honneur d'envoyer ci-joint à Votre Excellence les bulletins des deux dernières semaines. Votre Excellence y verra qu'il n'y a pas encore eu, de la part des Français, d'opérations militaires de quelque importance, à l'exception du combat de Monte Benno dans lequel environ 10 000 hommes d'infanterie française (division Forey) ont, pendant six heures, disputé à 15 000 Autrichiens la position de Monte Benno et ont fini par s'en rendre maîtres vaillamment soutenus par un millier d ' h o m m e s de la cavalerie piémontaise dont les brillantes charges ont puissamment contribué au succès de la journée. L'on s'est battu avec acharnement et les pertes des deux côtés ont été fort graves considérant le nombre des combattants. La cause qui a empêché jusqu'à ce jour l'armée française d'entreprendre des opérations plus sérieuses est qu'elle se trouvait encore privée de ses cavaleries, une grande partie de son artillerie, que les services des subsistances et surtout d'ambulances n'étaient pas encore convenablement organisés. Actuellement que la cavalerie arrive en grand nombre ainsi que l'artillerie et que les différents services sont à peu près organisés, l'on ne doute pas que l'armée française ne prenne bientôt vigoureusement l'offensive. Sur la gauche de la ligne Franco-sarde, les Autrichiens s'étaient déjà retirés en arrière de Nercelli et avaient pris la ligne de la Sezia, le Roi Victor-Emmanuel fit, ces jours derniers, un mouvement offensif, passa la Sezia, attaqua les Autrichiens à Palestro, où il s'était fortifié, et réussit après un brillant combat à s'en emparer, et repoussant le lendemain toutes les attaques de l'armée autrichienne pour reprendre cette position, finit par en rester définitivement le maître. Ci-inclus j'ai l'honneur de transmettre à Votre Excellence traduction des deux proclamations adressées par le Roi aux troupes à cette occasion. Le général Garibaldi, à la tête des volontaires, a pu porter les hostilités sur le territoire lombard, il s'est, avec une grande audace, jeté de l'autre côté du Tessin, et, après avoir battu les Autrichiens à Varèse, il est parvenu jusqu'à Como. Le but qu'il se proposait était surtout d'insurrectionner la Lombardie, il paraît qu'il a réussi et que tout le pays, où il s'est montré, est en armes contre les Autrichiens.
- 123 1 n décret du Prince lieutenant général du royaume vient de mobiliser la garde nationale dont une partie sera envoyée tenir garnison dans les forteresses de manière à pouvoir en retirer les troupes de lignes et les joindre au reste de l'armée. Un bataillon de la garde nationale de Turin est parti déjà hier pour Alexandrie. Un autre décret autorise tous les officiers démissionnaires, âgés de moins de 40 ans, à reprendre le service actif avec leurs anciens grades. Le Prince Napoléon, à la tête du cinquième corps de l'armée française, fort de 30 000 hommes, est parti pour la Toscane qu'il est chargé de défendre contre les attaques de l'Autriche. J'aurai probablement à signaler bientôt à Votre Excellence des événements plus graves. P.S. On annonce à l'instant que l'armée française a fait un mouvement agressif ; le général Miel s'est emparé de Novano où l'Empereur s'est aussitôt transporté. [105| Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 2 juin 1859 Dépêche confidentielle Voulant par moi-même me rendre compte de l'état réel de l'armée française j'ai fait, en touriste, ces jours derniers, quelques excursions le long des lignes et des positions qu'elles occupent, et je crois de mon devoir de rendre fidèlement compte à Votre Excellence du résultat de mes observations. L'armée française actuellement en Piémont se monte à environ 160 000 hommes de belles troupes, animées des plus belliqueux sentiments. La hâte avec laquelle ces troupes sont arrivées de France a été cause qu'une fois en ligne elles se sont trouvées manquer de cavalerie et d'artillerie aussi bien que de services d'intendance et les ambulances que l'on n'avait pas encore le temps d'organiser. Si alors l'armée autrichienne les avait attaqués, elles auraient eu fort à faire à maintenir leurs positions et les officiers généraux français étaient en effet fort inquiets. J'avoue que la conduite des généraux Autrichiens est pour moi une énigme incompréhensible, je n'ai jamais moins vu d'initiative et plus d'hésitation. Si immédiatement après l'Ultimatum les Autrichiens étaient entrés en Piémont avec 120 000 hommes, ce qui pourrait facilement se faire, puisque, d'après leurs rapports officiels, ils en avaient à cette époque plus de 250 000 en Italie, il est hors de doute que l'armée sarde, qui ne comptait que 65 000 hommes, ne pouvait tenir la campagne et devait s'enfermer dans les forteresses d'Alexandrie et de Casale. Laissant 80 000 hommes pour masquer ces deux places, les Autrichiens pourraient encore disposer de 40 000 hommes pour marcher sur Turin ville ouverte, qui n'avait pas de troupes autre que la
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garde nationale pour la défendre et dont ils se seraient emparés sans difficulté ; ils pouvaient alors se rendre maître des passages du Mont-Cenis, du MontGenève et du col de Sende et fermer ainsi le passage aux troupes françaises ; ils pouvaient également s'emparer des fortes positions de Serravalle qui commande la route de Gênes à Alexandrie, faire sauter les magnifiques galeries du chemin de fer qui relie ces deux villes et rendre ainsi impraticable la route aux Français arrivant par mer. Les armées françaises devaient alors d'un côté s'organiser en Savoie et forcer le passage des Alpes, de l'autre à Gênes forcer le passage des Apennins, ce qui certainement n'aurait pu se faire en moins de trois mois et en attendant les Autrichiens avaient le temps d'assiéger Alexandrie et Casale, probablement de s'en emparer et d'anéantir l'armée piémontaise. Jamais une pareille occasion d'écraser un ennemi ne s'est présentée ou ne se présentera et elle a été perdue de la manière la plus inconcevable. Encore après l'arrivée des troupes françaises, avant de leur donner le temps de s'organiser complètement les Autrichiens pouvaient forcer leurs lignes sur plusieurs points, et ils ne l'ont pas même sérieusement tenté. Un peu d'audace et d'initiative auraient suffi, mais les généraux Autrichiens ont prouvé qu'ils ont manqué complètement et au lieu d'attaquer franchement l'ennemi le général Giulay s'occupait à son quartier général à entendre des messes et aller à confesse. Un exemple du manque d'énergie des généraux Autrichiens : Garibaldi, à la tête de 5 0 0 0 volontaires, tente un coup d'une audace inouïe ; il passe le Tessin, tourne la droite de l'armée autrichienne, et se jette en Lombardie pour la révolutionner. Les Autrichiens ont des troupes à Varèse, à Laveno, à Como, à Novarre, à Milan, au lieu de concentrer immédiatement ces troupes, d'entourer Garibaldi de tous côtés avant qu'il n'ait pu exécuter son projet, ils résistent, lui permettent de les battre, séparément à Varèse et à Como et c'est seulement après qu'il a révolutionné tout le pays qu'ils tentent de l'attaquer sérieusement. Ils pourront réussir mais bien difficilement maintenant que, maître du lac de Como, des quatre bateaux à vapeur et des barques qui s'y trouvent, Garibaldi a toujours sa retraite assurée. Actuellement tous les services de l'armée française sont à peu près organisés et j e doute beaucoup que les généraux français fassent preuve du manque d'énergie et d'audace qu'ont montré les généraux Autrichiens. Dans les courses que j e viens de faire j'ai vu à Gênes s'opérer un mouvement considérable de débarquement d'artillerie, d'équipage du train, d'équipage de ponts, de munitions de guerre, d'approvisionnement de toutes sortes en quantités immenses ; j ' a i vu pour l'organisation des services d'intendance et d'ambulances un travail vraiment remarquable d'ensemble d'activité ; j ' a i vu toutes les routes couvertes de cavalerie qui arrivait de tous côtés, d'artillerie qui venait à marche forcée ainsi que de nombreux équipages de train et d'innombrables charrettes chargées de provisions de toute espèce, de biscuits, etc. etc.
- 125 Les chemins de fer travaillent nuit et jour à transporter les troupes et l'immense matériel de guerre, et ne pouvant suffire, une partie considérable est obligée d'arriver à sa destination par étapes par les routes ordinaires. A l'heure qu'il est on peut dire que l'armée française est à peu près complètement organisée et que la campagne va commencer tout de bon. Déjà dans les différents engagements qui ont eu lieu les armées alliées ont partout eu l'avantage ; aussi sont-elles animées du plus grand enthousiasme et des sentiments les plus belliqueux. Les troupes piémontaises viennent de se couvrir de gloire dans les combats de Palestra où, sous les ordres du Roi Victor-Emmanuel elles se sont admirablement battues et ont vaincu des troupes autrichiennes beaucoup plus nombreuses. De tout c e l a j e conclus qu'il ait une grande probabilité que l'Autriche aura le dessous dans la lutte qui s'engage et qu'elle payera cher les fautes dans lesquelles elle a débuté dans cette campagne. Une nouvelle carte plus complète que celle que j'ai eu l'honneur d'envoyer déjà Votre Excellence venant d'être publié j e m'empresse de la lui envoyer par l'entremise de Rifat Bey afin qu'Elle puisse plus exactement suivre les opérations des armées belligérantes. Je crois devoir informer Votre Excellence que M. Raffo, se disant Ministre des Affaires Etrangères du Bey de Tunis, est dernièrement arrivé à Gênes sur un bateau à vapeur de guerre tunisien. L'on assure qu'il s'est aussitôt rendu au quartier général du Roi pour lui offrir, au nom du Bey de Tunis, un certain nombre de régiments tunisiens pour l'aider dans la présente guerre ; que cette offre aurait été refusés:, mais que l'on aurait accepté celle qui leur est faite postérieurement d'envoyer un certain nombre de chevaux, 2 à 3000 assure-ton.
[106] Aristarchi Bey à Fuad f a c h a Berlin, le 4 juin 1859 Dépêche N° 103 Je ne doute pas que l'ambassade Impériale près la Cour apostolique n'ait transmis des renseignements détaillés, relativement aux négociations du Général de Willisen. Je me borne par conséquent à rapporter à Votre Excellence l'information que j'ai été à même de me procurer, sur le résultat de sa mission. D'après tous les indices, une entente a été établie entre les deux cours allemandes sur les bases suivantes. La Prusse aurait pris l'engagement de garantir l'Autriche de toute attaque française du côté de l'Allemagne ; elle aurait, en même temps, promis son assistance active pour le maintien des prescriptions territoriales, établiés par le Traité de Vienne. De son côté, l'Autriche aurait abandonné au Cabinet de Berlin la direction de la Confédération Germanique.
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L'on assure que cet arrangement a été sanctionné par l'Empereur FrançoisJoseph, au moment où Sa Majesté, appelée par les événements en Italie, quittait sa Capitale. Le général de Willisen porta en même temps le message, que l'Autriche se remettait entièrement aux sentiments loyaux du chevaleresque Prince de Prusse. Malgré l'élasticité de cette nouvelle combinaison dont l'application pourrait bien être subordonnée aux faits d'armes, l'Autriche en tire un premier avantage réel. Elle lui permet en effet de concentrer toutes ses forces sur le théâtre de la guerre. Il ne m'appartient certainement pas de juger si le moment d ' u n e action médiatrice est déjà venu. Je renonce également à formuler un avis sur l'opportunité de la mobilisation de l'armée prussienne, qui paraît être prochainement effectuée. Mais je dois avouer à Votre Excellence qu'il me serait difficile d'expliquer, dans les conjonctures actuelles, cette dernière mesure, à moins que la Prusse ne veuille se charger seule de l'occupation des frontières de l'Allemagne. Le désir d'empêcher des provocations hostiles de la part des petits États lui servirait alors de prétexte envers la France. Par ce moyen, la Prusse dégagerait toutefois ses mouvements de toute entrave intérieure. Mais ne provoquerait-elle pas aussi des manifestations de la part de la Russie, qui persiste toujours à déclarer que sa conduite dépend de celle de l'Allemagne ? Quoiqu'il en soit, il me semble que la politique du Cabinet de Berlin subit des oscillations fréquentes. Les succès de la France m'inquiètent plus que les revers de l'Autriche. [107] Fuad Pacha à Aristarchi Bey Le 5 juin 1859 Dépêche N° 2649 J'ai lu avec intérêt le rapport réservé que vous m'avez adressé en date du 27 mai N° 121 1 relativement à l'attitude actuelle de la Prusse dans le conflit d'Italie et la liberté d'action que le Cabinet de Berlin désire se réserver en maintenant sa neutralité armée. La Sublime Porte espère que cette attitude quelle qu'en soit les tendances contribuera par la haute sagesse qui doit y présider, à maintenir l'équilibre de la force militaire mise en mouvement aujourd'hui en Europe.
^No. 93.
- 127 [108] Callimaki Bey à Fuad Pacha Vienne, le 6 juin 1859 Télégramme s.n. Batailles sanglantes à Magenta le 4 entre le gros de l'armée Franco-Sarde et 2 corps d'infanterie autrichienne. Pertes de part et d'autre, issue douteuse, positions respectives conservées. Le 5 arrivée des renforts considérables aux Autrichiens et reprise du combat qui au départ des dernières nouvelles continuait depuis 5 heures avec acharnement et carnage. Succès inconnu. 1109] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 6 juin 1859 Dépêche No 202 Les funérailles du Roi Ferdinand ont eu lieu le 1 e r juin. Toutes les autorités constituées, et à leur tête le corps diplomatique avec les charges de cours, s'étaient rendues à l'église Sainte-Claire, où la dépouille mortelle avait été déposée, pour assister au service religieux, qui fut célébré avec grande pompe. Au sortir de l'église le corps diplomatique et les dignitaires de la Cour se transportèrent à la présidence de Capo di Monte, où devait avoir lieu le baisemain de Leurs Majestés. Le Roi et la Reine se firent présenter les personnes présentes et s'entretinrent avec chacune d'elles en particulier. Tout le monde se plaît à reconnaître la dignité et l'attitude du Roi, la grâce et l'amabilité de la Reine. Le Roi était visiblement affecté, et il exprima à tous les membres du corps diplomatique sa douleur de la perte cruelle que vient d'éprouver, disait-il non seulement la famille royale, mais encore le pays tout entier et l'Europe elle-même. J'assurais Sa Majesté que Sa Majesté impériale, mon Auguste Maître, à qui j'avais déjà communiqué la triste nouvelle, prendrait une vive part à son malheur, et qu'elle regretterait si sincèrement la perte d'un souverain dont l'amitié lui avait toujours été bien précieuse. Le Roi m'exprima sa satisfaction des sentiments dont je venais de me faire l'interprète auprès de lui, et son espoir que Sa Majesté Impériale le Sultan voudrait bien reporter sur lui les sentiments d'amitié qui l'unissait à son père ; il ajouta que, de son côté, il ferait tous ses efforts pour entretenir les bonnes relations qui avaient existé jusqu'à ce jour entre les deux gouvernements. La neuvaine du deuil était à peine expirée que le Roi voulu signaler son arrivée au pouvoir par la reconstitution partielle de son Minislère. Le Cabinel du dernier Roi ne contenait que trois Ministres titulaires ; la plupart des départements ministériels était confiée, à titre purement provisoire, soit par de
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simples chargés de portefeuille soit à des directeurs, dont quelques-uns cumulaient même plusieurs directions différentes. Des décret rendu par Sa Majesté le 3 de ce mois ont réformé, mais en partie seulement, cet état de choses. Tous les anciens membres du Cabinet restent en place ; le directeur du culte reçoit le titre de Ministre, le Ministère des Grâces et Justice est placé sous la direction de M. Galotti, la direction de la Police, confiée jusqu'ici au directeur de l'Intérieur, est remise à M. Casella ; la direction des travaux publics passe des mains du Ministre des Finances entre celle de M. Mandarini. Enfin les princes Filangieri, Serra Capriola et Cassaro, sont nommés Ministre sans portefeuille « pour fournir au gouvernement toutes les fois qu'il le jugera convenable, le secours de leurs lumières et de leur expérience. » M. le baron de Hiibner est arrivé ici le 31 mai, chargé d'une mission extraordinaire par l'Empereur d'Autriche. On attend sous peu l'arrivée des Ministres que l'Angleterre et la France doivent envoyer pour complimenter le Roi François à l'occasion de son avènement au trône ; l'avenir dira si ces missions seront purement temporaires ou si elles doivent signaler la reprise des relations diplomatiques entre Naples et les puissances occidentales. Le nom de l'envoyc de France n'est pas encore officiellement connu, on prétend cependant que ce sera Monsieur de Talleyrand ; l'envoyé anglais sera Monsieur Elliot, actuellement Ministre à Copenhague ; la Sardaigne se fera représenter ici par M. le Comte Salmour. P.-S. : Je rouvre cette dépêche pour annoncer à son Excellence l'arrivée de M. Elliot qui vient de débarquer. [110]
Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 6 juin 1859 Dépêche No 203 confidentielle Le remaniement partiel que vient de subir le Ministère a causé une vive surprise et provoqué la désapprobation générale. Dans l'état actuel des choses on espérait un changement plus radical, et le Roi n'a satisfait personne par les demi-mesures qu'il a cru devoir adopter. En conservant auprès de lui tous les anciens Ministres de son père, en laissant la plupart des départements ministériels sous les ordres de simples directeurs provisoires dépourvus de toute autorité sérieuse et de toute initiative, en appelant des hommes comme le général Filangieri et le Duc de Serra Capriola qu'à titre de conseiller sans leur réserver aucune action directe, le Roi a clairement prouvé qu'il entend suivre les errements du dernier règne et qu'il n'y a pas à attendre de lui un changement de politique.
- 129 Pour moi, je n'ai pas été trop surpris de ce qui vient d'arriver, j'y avais été en partie préparé par une conversation que j'avais eue dans le courant de la semaine avec Monsieur de Carafa. Son Excellence me dit que le Roi était décidé à suivre la ligne de conduite de son père et que, comme lui il repousserait toute ingérence des puissances étrangères dans les affaires intérieures de son royaume. Le système pratiqué sous le dernier règne, n'avait été, ajouta-t-il, adopté par le Roi Ferdinand qu'après de longs tâtonnements et alors que l'expérience lui avait bien démontré qu'il satisfaisait tous les besoins, toutes les aspirations de son peuple ; animé de la même conviction et sachant ce que coûte à d'autres États d'Italie ces semblants de liberté dont ils se glorifient, le nouveau Roi ne se laissera pas éblouir par de trompeuses apparences et maintiendra ferme et intacte un régime qui assure à son peuple la paix au-dehors et la prospérité au-dedans. Est-ce que la tranquillité publique été menacée ? ; est-ce qu'une plainte, une réclamation quelconque s'est élevée depuis le changement de règne ? Dès lors, à quoi bon quitter le chemin battu pour s'aventurer dans une voie nouvelle, dont l'issue n'offre que des périls, et sacrifier pour de chanceuses innovations des avantages assurés ? Nous entendons bien, continua le Ministre, que l'Angleterre se propose de nous demander une constitution, mais nous connaissons trop les dangers d'une semblable mesure pour jamais y consentir. La force seule pourrait nous faire dévier de cette ligne de conduite. Voilà le langage du Ministre ; on conçoit qu'il n'était guère fait pour me laisser croire que la direction des affaires allait être confiée au général Filangieri et que le Prince pourrait sous peu réaliser toutes les réformes dont il m'avait exposé le plan à la suite de ses dernières entrevues avec le feu Roi. On se demande cependant si sous de tels auspices la France et l'Angleterre consentiront à renouer leurs relations avec Naples ; en temps ordinaire la chose semblerait difficile, mais on sait que l'Angleterre jalouse du rôle que joue la France au nord de l'Italie, froissé surtout de l'occupation militaire de la Toscane, est prête à se séparer au besoin de son ancienne alliée et fera bon marché de ses premières prétentions, pour honorer à tout prix ses relations avec Naples et s'assurer ici une influence qu'elle n'a plus à Turin. La nomination de M. Elliot, qui quitte, pour venir ici, son poste de Copenhague, semble bien prouver qu'il s'agit d'une mission définitive. Je sais de bonne source que le Roi, en prenant ces demi-mesures, n'a fait que suivre les derniers conseils de son père, qui l'avait engagé à ne faire des concessions sérieuses que dans le cas où l'attitude menaçante de la nation les rendrait nécessaire. Rassuré par la tranquillité apparente qui règne dans le pays, il s'abstient de faire des réformes que personne n'ose lui demander et de renoncer à une politique qui ne provoque aucune protestation. S'il a appelé dans son conseil les princes Filangieri, Serra Capriola et Cassaro, c'est pour donner à l'Angleterre et à la France une satisfaction quelconque en s'entourant d'hommes connus par la droiture et la fermeté de leur caractère, c'est pour prévenir, par ses concessions apparentes, des réclamations plus importantes. Si cependant les puissances demandaient pour ses personnages autre chose
- 130 qu'un pouvoir purement nominal, alors, mais alors seulement, il pourrait se décider à leur confier véritablement la direction des affaires ; ce sont des forces qu'il tient en réserve pour en tirer parti au moment du danger, et en les appelant dès ce moment auprès de lui, il n'aura pas l'air plus tard de céder à la pression étrangère, il veut éviter ainsi de compromettre sa dignité personnelle. On le voit, les conseils intéressés du Comte de Syracuse ont compromis la cause qu'il prétendait servir. Les intrigues contre la Reine-mère lui ont fait perdre toute considération dans l'esprit de son royal neveu. Ses instances par trop pressantes pour engager le Roi à se joindre au Piémont, ont excité la défiance du jeune monarque, qui, pour couper court à ses insinuations, l'a congédié du Palais en lui ordonnant de s'abstenir désormais de lui offrir ses conseils. Ainsi délivré de la pression de son oncle, le Roi s'est jeté dans le parti contraire, et c'est, à ce qu'il paraît, l'influence de la Reine mère qui l'emporte pour le moment. Cependant, il ne faut pas se le dissimuler, le Roi est sur une pente fatale ; bien qu'aucune manifestation publique n'ait eu lieu, le mécontentement est général, et la dynastie court de sérieux dangers si le Roi ne se hâte de tenir compte des besoins de son peuple pour y porter un prompt remède ; dans l'état actuel des choses en Italie, il suffirait du moindre événement pour produire une explosion dans le royaume et faire éclater une redoutable catastrophe. On doit cependant espérer que les Ministres étrangers, en agissant avec mesure et prudence, parviendront à éclairer le Roi sur ses vrais intérêts, et épargneront à la nation comme à la dynastie d'incalculables dangers. 11111 Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 9 juin 1859 Dépêche N° 545 Ci-joint j'ai l'honneur de remettre à Votre Excellence traduction des bulletins de la guerre publiées par le Gouvernement Sarde depuis mon dernier rapport du 2 courant, N° 536 1 . Les faits viennent, plus tôt même que j e ne le croyais, de confirmer les appréciations que j e soumettais à Votre Excellence par mon rapport confidentiel de la même date. Le 4 de ce mois j'expédiai à mon collègue à Paris pour être transmis à Votre Excellence une dépêche télégraphique dans laquelle je lui annonçais que partout battues les troupes autrichiennes avaient précipitamment abandonné Mortara, évacué le Piémont et se retiraient derrière le Tessin.
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Les mêmes jours les armées alliées passaient ce fleuve et une partie de l'armée française (corps Mac-Mahon et partie de la Garde) livrait à Magenta une grande bataille dans laquelle les Autrichiens étaient complètement battus. 20 000 Autrichiens entre morts et blessés, 7000 prisonniers, deux drapeaux, quatre canons, 12 000 fusils, sont les résultats de cette victoire par laquelle les Français perdirent environ 5000 hommes parmi lesquels deux généraux, Leclerc et Espinasse. Nous apprîmes cette victoire par des dépêches de Paris, l'Empereur l'ayant aussitôt signale par télégraphe à l'Impératrice, je jugeai donc inutile de la télégraphier à mon collègue à Paris qui devait l'avoir connu bien avant moi. Depuis cette bataille les Autrichiens sont partout en retraite poursuivis de tous côtés par les armées alliées ; l'on assure qu'ils ont encore été battus dans plusieurs combats sur lesquels nous n'avons cependant aucun détail ; ce qui est positif, c'est que plusieurs corps Autrichiens se sont débandés et que de tous côtés l'on arrête et désarme des soldats Autrichiens égarés dans les campagnes ; que l'on s'empare continuellement d'une grande quantité d'attirail militaire appartenant aux Autrichiens en fuite. Ils ont évacué, sans coup férir, Milan en abandonnant une grande quantité de matériel de guerre et la précipitation de leur retraite a été telle qu'ils ont même laissé la caisse centrale contenant de fortes sommes d'argent. Ils ont évacué Pavie, mais ont réussi à faire entrer à Plaisance tout le matériel de guerre qu'ils y avaient. De tous côtés ils sont en pleine retraite suivis de près par les armées alliées qui manœuvrent pour leur couper, les empêcher de se retirer dans les forteresses et les forcer de se battre jusqu'à ce qu'ils les aient complètement détruits. Un avenir prochain nous démontrera si elles auront réussi ou bien si le général Giulay prouvera moins d'incapacité pour la retraite qu'il n'en a montré pour l'attaque. Hier le Roi Victor-Emmanuel et l'Empereur ont fait une entrée triomphale à Milan dont la municipalité a proclamé, au nom de la nation, l'annexion de la Lombardie au Piémont ; la population les a reçus avec le plus grand enthousiasme. Le Gouvernement Sarde vient de lever l'embargo qu'il avait mis sur les bâtiments Autrichiens qui se trouvaient dans les ports sardes au moment où la guerre fut déclarée. Ci-joint Votre Excellence trouvera traduction et texte de la déclaration du Gouvernement de Sa Majesté le Roi de Sardaigne à ce sujet. Le Comte de Cavour est parti pour Milan afin d'y rejoindre le Roi.
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Callimaki Bey à Fuad Pacha Vienne, le 9 juin 1859 La victoire de Magenta suivi de la retraite des Autrichiens à Bélgioso ouvre aux Français la route de Milan qui d'après le bulletin officiel a été évacué par mesure stratégique. Le bruit court même que les Français ont occupé cette ville. Mais il mérite confirmation ; l'occupation se confirme. 1113] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 11 juin 1859 Dépêche N° 135 Je m'empresse de porter à la haute connaissance de Votre Excellence que le Gouvernement Prussien, désirant s'éclairer sur l'état des esprits en France et en Angleterre, invita ses représentants ad hoc à se rendre à Berlin. Le Comte Pourtalès, qui retourna déjà à son poste, avança, si je suis bien i n f o r m é que l ' E m p e r e u r Napoléon ne projette pas une invasion de l'Allemagne. À l'opinion de ce diplomate, la guerre imposerait beaucoup trop de charges et de sacrifices pour s'aventurer dans une nouvelle entreprise. De son côté, le Comte de Bernstorff prétend, assure-t-on, que la Prusse ne pourrait trop compter sur un concours efficace du Cabinet actuel de St. James. Il émet en même temps l'avis, qu'en cas de retrait du Ministère Derby, une coopération de la part de l'Angleterre dans le sens absolu des Traités de 1815 serait presque impossible. Ces renseignements secondés par les conseils de M. d'Usedom, Ministre du Roi près la Confédération Germanique, me paraissent destinées à exercer de l'influence. Toutefois l'effet de ce qui se produit sur la Péninsule préoccupe sérieusement le Cabinet de Berlin. L'annexion de territoire, les mouvements des Téléky et des Klapka, provoqua des démarches de sa part. Mais il semble que les explications données par le Comte de Cavour ne l'ont pas satisfait. Qu'il me soit permis d'ajouter que le Prince Gortshakoff aurait énergiquement réprouvé en présence du Ministre prussien à Saint-Pétersbourg, ces procédés auprès du Duc de Montebello. En attendant, la Russie déclare d'une part, ne vouloir tolérer que le sol de la Confédération Germanique soit attaqué ; d'autre part, elle néglige rien afin de maintenir l'Allemagne dans la neutralité. Aussi la note de la Chancellerie moscovite, note que j'ai eu l'honneur d'annoncer à Votre Excellence il y a un mois, vient d'être communiqué à ces États, qui pendant la guerre d'Orient recevaient le mot d'ordre de la Capitale du tsar.
- 133 [114] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 11 juin 1859 Dépêche N° 136 Dans le temps j'ai eu l'honneur de signaler à Votre Excellence les opinions qui divisaient les Ministres prussiens, sur la politique à suivre en face des complications européennes. Je m'empresse de rapporter aujourd'hui, que cette divergence vient d'éclater dans un conseil des Ministres tenu le lendemain de la bataille de Magenta sous la présidence du Prince-Régent. D'après ce qui me revient, S A.R. aurait reproché en termes énergiques à ses conseillers, de n'avoir pas mobilisé à temps l'armée. Le président du Ministère y objecta l'opposition de quelques-uns de ses collègues et soutint la nécessité de la mise à exécution immédiate de cette mesure. Le Prince Hohenzollern, catholiques zélé, ne dissimulait pas ses vives sympathies pour l'Autriche. Une discussion chaude s'engagea, et les Ministres des Affaires Etrangères et de la Guerre soutinrent le système de temporisation. Cette scène transpira en partie dans le public, et provoqua des bruits d'une crise ministérielle. 11 y eut en effet un moment où l'existence du Cabinet fut sérieusement menacée. Cependant l'opinion des Ministres modérés a prévalu et il n'y a pas lieu de supposer pour le moment une modification quelconque. Un rapprochement intime entre le Baron de Schleinitz et le Général de Bonin en fut le résultat immédiat, circonstance qui pourrait bien contribuer à maintenir la Prusse sur la voie qu'elle a adoptée. Néanmoins, dans le but de donner quelque satisfaction au parti de la guerre et de mieux établir sa résolution, la Prusse continue ses préparatifs. Aussi ne serait-il pas étonnant que la mobilisation soit appliquée sur les trois corps d'armée qui forment le contingent général. Il semble toutefois que le résultat des débats ministériels à Londres soit appelé à influencer l'action du Cabinet de Berlin. En attendant, les troupes sous les drapeaux offrent chaque jour le spectacle d'exercice et de parades. Des allocutions belliqueuses, ainsi que les nombreuses nominations d'officiers supérieurs témoignent assez des dispositions du chef de l'État. Qu'il me soit permis d'ajouter que, depuis les derniers faits d'armes, la cause autrichienne n'a pas gagné dans l'opinion publique de ce pays. Il y a même des organes de la presse qui commence à établir l'inconvenance d'une action de la part de la Prusse en faveur de la domination autrichienne en Italie. Il serait superflu d'en indiquer à Votre Excellence la couleur de ses avocats.
- 134 — [115] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 13 juin 1859 Télégramme s.n. La mobilisation de l'armée entière décidée et tenue secrète. La Prusse a pris pour but la paix avec espoir d'y attirer les autres Puissances et risque la guerre (?)• [116] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 13 juin 1859 Dépêche N° 205 Les considérations que j'ai eu l'honneur de développer dans ma dernière dépêche viennent déjà de se vérifier cette semaine. Le Roi, après s'être contenté d'abord de compléter les vides du Ministère de son père, a compris l'insuffisance de cette mesure et vient de prendre le parti de renouveler presque complètement le Cabinet ; c'est le 9 de ce mois que ce changement important a eu lieu. Le Président du Conseil, M. Froja, le Ministre des Finances, M. Murena, celui des affaires de Sicile, M. Cassisi, celui de la Guerre, général Pirenna, le Ministre de l'Intérieur M. Bianchini et enfin M. Mandarini, nommé seulement depuis la semaine dernière à la direction des Travaux publics, sortent du Cabinet. C'est le général Filangieri qui est appelée à la Présidence du Conseil et reçoit en même temps le portefeuille de la Guerre. M. Lumbo, président de la Consulte, est nommé Ministre des affaires de Sicile, M. Ligori est appelé à la direction des Finances, M. Lyosso, intendant de Salerne, à celle des Travaux publics, et M. Rosica, conseiller à la Cour suprême, à celle de l'Intérieur. De tous les Ministres du dernier règne, deux seulement ont été maintenus, Monsieur de Carafa et M. Scorza. Le Roi s'est décidé à ce changement de Ministère pour calmer l'agitation, qui s'est révélé cette semaine d'une façon assez inquiétante. La ville, d'habitude si calme, a été le 7 de ce mois, le théâtre d'une manifestation politique, qui pour s'être paisiblement accomplie, n'en a pas moins sérieusement effrayé le gouvernement. On venait d'apprendre la victoire remportée par les alliés à Magenta, et, pour célébrer ce succès, le chargé d'affaires de Piémont et le consul de France avaient illuminé leurs maisons. Les libéraux napolitains voulurent profiter de cette circonstance pour manifester leur sympathie pour la cause de l'indépendance italienne. Ils se transportèrent donc devant la Légation de Sardaigne en nombre assez considérable, et là ils poussèrent les cris de « vive l'Italie, vive l'Empereur, vive Victor-Emmanuel, vive la constitution. » Grossi encore par la foule des curieux qui se trouvaient là, le rassemblement
- 135 comportait bien un chiffre de 5 à 6000 personnes, appartenant tous à la haute société ou à la bourgeoisie ; les quelques Lazzaroni présents n'étaient venus que pour protester et crier « vive le Roi ». La police, bien inférieure par le nombre, parvint cependant à dissiper la foule ; il n'y eut que quelques coups de bâton d'échangés ; une ou deux personnes furent blessées. Mais la plupart des tapageurs, après avoir exprimé leur sympathie d'une manière plus ou moins bruyante, se retirèrent paisiblement. Un petit détachement, en passant devant le consulat de France, renouvela la même scène ; mais la police en eut aisément raison et au bout de quelques minutes tout rentra dans le calme. On avait opéré 24 arrestations. Cependant, la police et les troupes passèrent toute la nuit sur pied, et le lendemain, le préfet de police fit afficher un arrêté par lequel les rassemblements sont prohibés sous peine d'une sévère répression. Pour prévenir le retour de troubles semblables Monsieur de Carafa a prié le chargé d'affaires de Sardaigne et le consul de France de s'abstenir désormais de célébrer par des illuminations les victoires des armées alliées, en leur assurant que la même recommandation avait été faite au Ministre d'Autriche. Le Ministre des affaires étrangères a en même temps adressé aux diverses Légations une circulaire par laquelle il les informe que le gouvernement est décidé à recourir à la force pour réprimer toute tentative de troubles, et prie en conséquence des chefs de mission d'en prévenir leurs nationaux pour que ceux-ci se tiennent sur leurs gardes. Jusqu'ici rien n'a nécessité l'emploi de ces mesures exceptionnelles, et la tranquillité la plus absolue a succédé à cette échauffourée d'un moment. Cependant le Roi a cru devoir en tenir compte, et dès le lendemain se répandait dans la ville la nouvelle de la formation du Ministère Filangieri, officiellement confirmée par le journal du 9. Les difficultés diplomatiques semblent vouloir s'aplanir. Le Ministre anglais M. Elliot, se trouve ici depuis le 5 ; dès le lendemain il était admis auprès du Roi, et il se montre fort satisfait de sa réception. Cependant la reprise des relations entre Naples et l'Angleterre n'est pas encore définitive ; M. Elliot, outre la mission de courtoisie qu'il est venu remplir auprès du nouveau Roi, est chargé de demander certaines concessions, comme préliminaires de la reprise définitive des relations. On ignore jusqu'ici le résultat de ses démarches. Le courrier, porteur de cette dépêche n'a quitté Naples que le 11, et, pour savoir quelque chose de définitif, il faudra attendre que le gouvernement Anglais y ait répondu. Ce qui, du moins, est assuré c'est que, dans le cas où l'Angleterre serait définitivement représentée ici, ce n'est pas à M. Elliot que serait confié cette mission, mais plutôt à M. Magenis actuellement Ministre à Stockholm. Le Comte Salmour, Ministre de Sardaigne est arrivé à Naples le 9 et M. de Brenier est attendu d'un moment à l'autre ; il se trouve déjà à Rome, il se rendra ici, dit-on, dès que ses lettres de créances lui seront parvenues. La flotte anglaise de Malte, composée de cinq vaisseaux de ligne et d'une frégate, est venu passée deux jours dans la rade. Sur l'un des bâtiments, le Malborough se trouvait le Prince Alfred, second fils de la Reine Victoria ; le
- 136 Comte d'Aquila, oncle du Roi s'est rendu à bord pour complimenter, au nom de Sa Majesté, le jeune Prince, qui fut reçu le lendemain à Capo di Monte. Son arrivée à Naples a été vu avec une grande satisfaction et on y attache d'autant plus d'importance que le Prince de Galles, en parcourant il y a quelques mois l'Italie, s'est abstenu de se rendre à Naples. |117| Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 13 juin 1859 Dépêche No 206, confidentielle Le début du nouveau règne, j'ai le regret de le dire, n'est pas heureux. Le Roi, au lieu de satisfaire spontanément et de bonne grâce aux exigences de la situation n'y a fait droit que sous la pression de la nécessité. Le changement de Ministère qui dans les premiers jours du règne, eut été salué comme un acte de bonne politique, n'est plus regardé que comme une preuve de faiblesse, aujourd'hui qu'il arrive après trois semaines de tâtonnements et après les scènes regrettables du 7. Le mécontentement produit par les mesures de la semaine dernière avait été tels que le général Filangieri voulut refuser le poste purement nominal qui lui avait été réservé dans le nouveau Cabinet ; mais le Roi le conjura de ne pas l'abandonner dans un semblable moment et, pour satisfaire sa susceptibilité, il lui conféra la double dignité d'aide de camp général et de commandeur en chef des troupes de terres et de mer. Son entrevue avec M. Elliot vint convaincre le Roi, si l'on avait pu en douter encore, que l'Angleterre entendait obtenir de lui de sérieuses réformes avant de reprendre définitivement les relations diplomatiques. Enfin la démonstration politique du 7 acheva de détruire ses illusions et lui prouva qu'il n'y avait pas un instant à perdre pour sortir de la fausse route où il s'était engagé. La nuit même, un conseil de famille fut tenu à Capo di Monte, et le lendemain matin le général Filangieri était appelé au château. Il n'accepta la présidence du conseil que sous la conviction de le composer à son gré et de lui imprimer la direction qui lui semblerait convenable. Cette nouvelle, depuis si longtemps attendue, n'a cependant pas rassurer les esprits. Bien que le général soit considéré comme l'homme de la situation, bien qu'on approuve la composition du nouveau Ministère, on ne se fait cependant pas d'illusions sur les difficultés de la position et le général, mieux que personne, pressent tous les obstacles qu'il rencontrera sur sa route. Obligé de satisfaire à la fois un jeune Roi ombrageux et jaloux de son pouvoir, une nation mécontente qui se plaint à voix basse, des puissances qui font valoir à haute voix les griefs de la nation, il sait tout ce qu'il lui faudra de patiente énergie et d'inébranlable persévérance pour arracher au Roi des innovations contre lesquels proteste la tournure de son esprit, les préjugés de son éducation et l'exemple de son père. Son programme pour faire face à une situation aussi compliquée, est simple et net. Aux yeux
- 137 du général la constitution serait une arme dangereuse entre les mains inexpérimentées de ce peuple ignorant. L'instruction et le bien-être, voilà ce qu'il lui faut plutôt que des franchises politiques dont il ne comprend pas l'usage. Assurer la liberté et la fortune des citoyens par des réformes municipales, par des garanties administratives, par la bonne distribution de la justice, tout en maintenant fermes et inviolables les prérogatives de la couronne ; améliorer l'éducation publique, développer la prospérité matérielle du pays en encourageant l'agriculture et le commerce, en sillonnant le royaume de voies nouvelles de communication, en multipliant les établissements d'industrie et de crédit, rendre enfin possible l'accomplissement de ces réformes par la conservation d'une stricte neutralité, voilà ce que se propose le général Filangieri. Parviendra-t-il à réaliser ces projets ? Il pouvait l'espérer et il y ait quelque temps, mais peut-être la démonstration de cette semaine et ses entrevues avec M . Elliot lui ont-ils prouvé que les événements ont bien marché, et ont-ils ébranlé sa première conviction. Quelqu'inoffensive qu'elle soit qu'en apparence, cette démonstration n'en a pas moins sa gravité quand on songe au mutisme absolu auquel Naples s'était résigné depuis plus de 10 ans, quand on réfléchit que les dispositions de la dernière ordonnance royale sur les attroupements n'ont pas été capables, malgré leur extrême rigueur, d'effrayer les perturbateurs. Elle a d'ailleurs montré toute l'impuissance de la police à comprimer l'élan de la population ; les gendarmes qui étaient venus disperser la foule et le préfet de police lui-même durent crier « vive l'Italie » pour se soustraire aux coups dont on les menaçait en cas de refus ; et si le peuple ne s'était pas retiré paisiblement, content d'avoir pu manifester ses sympathies pour le Piémont, la police aurait été certainement hors d'état de prévenir de plus sérieux désordres. Ce qui n'est pas moins significatif, le Comte de Syracuse se promenait en voiture ouverte au milieu du rassemblement ; saluant de tous côtés et semblant ainsi encourager le mouvement. Aussi le dénouement pacifique de ce premier essai est-il un encouragement pour les patriotes napolitains, et ils se proposent de le renouveler au moment où le Comte de Salmour se rendra pour la première fois à la Cour. Mais il est à craindre que toute tentative ultérieure ne donne lieu à de regrettables collisions, car les mesures prises par l'autorité et les termes mêmes de la circulaire de M. de Carafa montrent bien que le gouvernement ne reculera devant aucun moyen pour maintenir la tranquillité publique. Est-ce à dire qu'il restera maître de la situation ? Ce n'est pas l'énergie qui manque au chef du Ministère ; la compression des troubles de Sicile en 1848 en fait foi ; ce n'est pas davantage la bonne organisation de l'armée qui lui fait défaut. Mais l'effet moral produit par les succès des armes françaises pourrait bien paralyser toutes ses forces, et les faire tomber devant l'enthousiasme de la nation. Malgré tout son apathie habituelle, le peuple se souvient qu'il est italien, et il sait qu'en Lombardie, le canon gronde pour la cause de l'indépendance.
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En ce moment, le général se trouve en présence d'une autre difficulté, les réclamations de l'Angleterre. Le Cabinet Derby, bien que satisfait de son entrée aux affaires, qui lui offre le gage d'une politique éclairée et libérale, ne se contente pas de ces espérances ; il demande des faits et notamment une amnistie générale, qui sera vraisemblablement accordée, mais il exige aussi, dit-on, la mise en vigueur de la constitution de 1848, comme la seule mesure capable de satisfaire les exigences de la nation et d'assurer, en la désintéressant dans la guerre actuelle, le maintien de cette neutralité à laquelle l'Angleterre attache une si haute importance. Cependant on s'accorde généralement à croire ici qu'à ce dernier point de vue le Ministère anglais se fait de singulières illusions ; on est, au contraire, convaincu que le jour où le Roi remettrait la constitution en vigueur, c'en sera fait de la neutralité, et que la nation s'empresserait de profiter de sa liberté pour se déclarer pour la guerre. Le général Filangieri n'a pas manqué de soumettre ces observations à M. Elliot, et on prétend même qu'il est parvenu à faire partager son opinion au Ministre anglais. Le Comte de Salmour agira naturellement dans un sens différent ; toute question de réforme intérieure est pour le Piémont une complication inutile ; ce qu'il lui faut c'est la coopération de Naples à la guerre et c'est cette coopération qu'il poursuivra uniquement et exclusivement. On ne doute point que la France ne se joigne au Piémont dans cette circonstance. Au moment de clore cette dépêche, j'apprends que les informations télégraphiques envoyées par M. Elliot à son gouvernement ont suffi pour lever les difficultés qui s'opposaient encore à la reprise des relations, et que la France, d'accord avec l'Angleterre se fait définitivement représentée par M. de Brenier. H18J
Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 15 juin 1859 Dépêche s.n. Sa Majesté le Roi Victor-Emmanuel ayant proclamé la réunion de la Lombardie au royaume de Sardaigne, a nommé un gouverneur de la Lombardie et vient de promulguer un décret Royal qui institue un règlement organique pour le Gouvernement de cette province. Ce document est fort intéressant. C'est le premier acte formel de Royauté accompli par le Souverain dans ses nouveaux États. Je m'empresse donc d'envoyer ci-annexée une traduction à Votre Excellence.
- 139 |I19] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 16 juin 1859 Dépêche N° 551 J'ai l'honneur de remettre ci annexée à Votre Excellence, la traduction des bulletins de la guerre publiés par le Gouvernement Sarde depuis mon dernier rapport du 9 du courant N° 545 1 . Votre Excellence y verra qu'à l'exception du combat de Melignano, dans lequel le corps d'armée du maréchal Baraguay d'Hillier a de nouveau battu les Autrichiens et leur a fait un millier de prisonniers, il ne s'est produit aucun fait grave de guerre depuis la bataille de Magenta. Les Autrichiens ont continué leur retraite ; non seulement ils ne sont pas arrêtés derrière l'Adda, pour défendre cette ligne mais encore, se sont retirés de l'autre côté de l'Oglio. Il paraît qu'ils concentrent toute leur force dans les plaines de Montechiaro et Castiglione et qu'ils ont l'intention d'y courir les chances d ' u n e nouvelle bataille. Ils se trouvent certainement pour cela dans la position la plus favorable ; ils pourront mettre en ligne environ 250 000 hommes ; ils occupent une position magnifique ; ils connaissent parfaitement le terrain qui est le lieu habituel des exercices de leurs armées ; ils sont à la portée de leurs forteresses dont ils peuvent ainsi tirer sans aucun danger les garnisons pour augmenter les rangs de l'armée combattante ; en cas de revers ils peuvent aussitôt se retirer sous la protection de leurs places fortes ; ils ont donc de leur côté tous les avantages et semblent décidés à en profiter pour offrir aux armées alliées une grande bataille. De leur côté les alliés ne pourront mettre en ligne qu'environ 200 000 hommes au plus, 140 000 Français et 60 000 Sardes ; ils ont le désavantage des fortes positions occupées par les Autrichiens qu'il leur faut enlever ; mais il paraît que leurs chefs ont une grande confiance dans l'ardeur et l'élan des troupes et qu'ils sont tout disposés à accepter la bataille si les Autrichiens la leur offrent. Nous pouvons donc nous attendre d'ici quelques jours à une grande action décisive dans laquelle plus de 450 000 hommes seront en ligne des deux côtés avec plus de 800 pièces de canon de batteries ! Cela sera magnifique ! En attendant les Autrichiens ont évacué, en toute hâte, abandonnant une grande quantité d'artillerie, d'armes et une immense quantité de munitions et d'approvisionnement, beaucoup de places fortes où l'on croyait qu'ils opposeraient une vigoureuse résistance, et aux fortifications desquelles ils avaient dépensé des sommes immenses, telles que Plaisance, Pavie, Pizzighettone, etc. etc. Ils ont aussi évacué Bologne dans les Légations romaines et l'on assure même Ancône.
' N o . 111.
- 140 Le Roi et l'Empereur ont fait une entrée superbe à Milan ; l'on raconte que l'enthousiasme avec lequel la population les a accueillis était extraordinaires ; hommes, f e m m e s , enfants, se jetaient au coup des soldats alliés et, en pleurant, embrasser leurs libérateurs. J'envoie ci-joint à Votre Excellence, annexe N° 2, copie de la proclamation que l'Empereur a faite à cette occasion au peuple italien. Votre Excellence remarquera l'habileté qui a présidé à la rédaction de ce document. La phrase dans laquelle il dit « dans l'état éclairé de l'opinion publique on est plus grand aujourd'hui par l'influence morale qu'on exerce que par des conquêtes stériles ; et cette influence morale je la recherche en contribuant à rendre libre une des plus belles parties de l'Europe », outre qu'elle exprime une noble idée, est aussi d'une remarquable habileté, et a eu en Europe un grand effet moral. I>es recommandations qu'il adresse aux Italiens de profiter de l'occasion qui s'offre, de s'unir dans un seul but, l'affranchissement de leur pays, a produit un excellent effet. Aussi nous voyons se manifester partout un accord parfait. Toutes les villes, toutes les provinces, d'où les Autrichiens se retirent, font aussitôt acte d'adhésion à l'union avec le Piémont. Ainsi se sont prononcées par des actes réguliers toutes les communes de la Lombardie où il n'y a plus de troupes autrichiennes, les villes de Brescia, Como, Bergame, Lodi, Crémone, Pavie, Plaisance, le duché de Parme et m ê m e les Légations romaines, Bologne, Forli, Faenza, Imola et beaucoup d'autres endroits. Sub. Annexe 3, j'ai l'honneur d'inclure l'ordre du jour de l'Empereur à l'armée. Votre Excellence y remarquera que ne laissant échapper aucune occasion de rappeler son oncle, l'Empereur y fait une variante à la fameuse allocution de Napoléon I e r aux troupes en Egypte. « Du haut du ciel vos pairs vous contemplent avec orgueil. » dit Napoléon III. Cela ne manque pas d'habileté et d'à-propos. Sub. Annexe 4, Votre Excellence trouvera la proclamation du Roi Victor Emmanuel aux Italiens. Votre Excellence verra que la réunion de la Lombardie aux États Sardes y est proclamé. Sub. Annexe 5, Votre Excellence trouvera l'adresse de la ville de Milan à l'Empereur ; et Sub annexe 6, celle au Roi de Sardaigne ; dans cette dernière Votre Excellence verra de nouveau confirmé l'acte par lequel le peuple de Milan proclame l'annexion au Piémont. Enfin Sub. Annexe 7, j'inclus l'ordre du jour du Roi à l'armée sarde dans laquelle il loue la belle conduite des volontaires sous les ordres de Garibaldi. Le Consul général m'ccrit de Gênes que Kossuth y est incessamment attendu ; que l'on y concentre tous les Hongrois déserteurs ou prisonniers et qu'on les organise en corps spéciaux pour les employer dans la présente guerre. Je sais que l'on espère que la vue du drapeau hongrois décidera les régiments hongrois de l'armée autrichienne à passer en masse du côté des alliés. Ce serait certainement un grand résultat, mais je regrette que l'on ait recours à ce genre de mesures qui pourraient bien soulever les susceptibilités de l'Allemagne et amener une nouvelle complication.
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Agop Effendi à Fuad Pacha Paris, le 17 juin 1859 Votre Excellence n'ignore pas tout ce qui se passe dans ce moment sur le sol de l'Italie. Toutefois J e me permets de lui donner quelques renseignements que j'ai puisé à diverses sources et qui me paraissent mériter d'être porté à la connaissance de Votre Excellence. Par suite de la retraite simultanée que les Autrichiens optèrent actuellement, l'armée alliée, forte d'environ 250 000 hommes, non seulement suit leurs traces, mais encore, marche avec l'ardeur qu'on lui reconnaît, pour aller les retrouver derrière Mincia où ils veulent se retrancher, protégés par Mantoue, Peschiera, Vérone et Lignana, quatre places fortes de premier ordre. Il y a aussi 150 000 hommes à Lyon parfaitement armés et prêts à entrer en campagne, en cas de revers. Indépendamment de tout cela, 150 000 hommes se trouvent échelonnés près de Reims, ils doivent franchir les frontières, au moindre mouvement offensif des États confédérés. Ainsi donc, voilà 200 000 sur le sol d'Italie, 100 000 aux environs de Lyon, et 150 000 sur les frontières du côté de Reims, en tous 450 000 hommes que la France entretient pour la cause de l'Italie. Le but sera-t-il atteint ? On n'en sait rien ; on l'espère du moins. Il est vrai que la Prusse a ordonné la mobilisation de six corps d'armée. Mais on m'a assuré positivement que cette démarche n'a d'autre but que de calmer, autant que possible, l'esprit belliqueux de l'Allemagne, de ménager son amour-propre et sa susceptibilité, et surtout de se prémunir contre les éventualités, mais qu'elle n'a rien de menaçant pour le moment. Telle est l'assurance qu'on m'a donnée. Si les circonstances viennent donner un démenti solennel à ces prévisions alors l'Europe aura à subir les conséquences d'une guerre générale que tant de monde désire ardemment éviter. On espère que le nouveau Cabinet Anglais, formé sous la présidence de Lord Palmerston pèsera de toute sa puissante influence pour empêcher une conflagration qui, de l'aveu de tous les hommes d'Etat en Europe, enfantera d'incalculables calamités. On espère aussi que l'Autriche finira par céder aux exigences de la France, en prenant en considération les influences qui sont de nature à exercer la défaite de l'armée autrichienne, la chute du Ministère Derby, la circulaire du Prince Gortshakoff, la haine des Italiens, l'absence du crédit et du numéraire, et les reproches de l'Europe contre l'administration de l'Autriche en Italie etc. etc. Quelle que soit la fin du drame actuel, il est à désirer que la Turquie ne passe pas par aucune épreuve pénible. La haute sagesse du Gouvernement de Sa Majesté Impériale le Sultan notre Auguste maître, sa prévoyance et son expérience nous sont, aussi bien qu'à tous les amis de notre pays le meilleur garant de la sécurité que nous souhaitons sincèrement à notre patrie.
- 142 |121] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 18 juin 1859 Je me fais un devoir de soumettre à la haute considération de Votre Excellence des informations, que j'ai pu me procurer sur les bases d'interventions adoptées et mises en avant par la Prusse. J'ai hâte d'ajouter que ces informations me paraissent incomplètes. Aussi j e me flatte de l'espoir de pouvoir bientôt rapporter un résultat plus satisfaisant de mes investigations. D'après ce qui m'est actuellement connu, le Cabinet de Berlin, partant du principe de l'équilibre européen qu'établissent les traités de 1815, écarte tout changement dans les prescriptions territoriales qui en découlent. Il faudrait par conséquent soutenir la domination autrichienne en Italie, telle qu'elle existait avant la guerre. Cependant, les Ministres du Prince-Régent reconnaissent la nécessité de changer le système administratif qui y a été pratiqué jusqu'à présent. En se posant comme le champion des institutions libérales, ils répondent à l'opinion publique de leur pays. Le règlement de cette question, ainsi que de tous les points qui concernent les États secondaires de la Péninsule, feraient l'objet des délibérations d'un congrès. On hésite généralement à accorder aux propositions sus énoncées des chances de succès, en vue de la position des allies en Italie et de l'attitude de l'Angleterre et de la Russie. À en juger du langage des représentants de ces puissances, d'ailleurs fort mécontents de la mesure que vient d'adopter la Prusse, l'Autriche aurait sérieusement compromis ses droits sur la Lombardie. Quant au Ministre de France, il a donné des assurances générales sur les dispositions modérées de son maître ; mais ces déclarations n'ont pas satisfait le Gouvernement Prussien L'indépendance de l'Italie, réglée par un congrès européen et en dehors de toute prépondérance étrangère, c'est le thème favori du marquis de Moustier, qui prétend être initié à la pensée intime de l'Empereur. Je prends la liberté de citer certain propos intéressant, tenu confidentiellement par M. Bourée. Votre Excellence connaît sans doute que l'ancien Ministre de France près la cour du Shah a été chargée d'une mission dans le midi de l'Allemagne. A son passage tout récent de Berlin, M. Bourée prétendait savoir : que l'Empereur Napoléon était fermement résolu d'obtenir l'annexion de la Lombardie à la Sardaigne. Sa Majesté désirerait aussi créer un royaume vénitien indépendant, sous un archiduc autrichien. De plus, il ne s'agirait d'aucun changement dans les autres États italiens.
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Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 20 juin 1859 Dépêche N° 208 Sa Majesté le Roi, par décret du 16 mai, vient de prendre les mesures de clémence qu'on attendait à l'occasion de son avènement. Les condamnés politiques qui n'avaient pas été déportés au mois de janvier et au mois de mars, reçoivent leur grâce pleine et entière. Les personnes comprises dans la classe des suspects seront relevées des incapacités légales qui les frappaient. Enfin remise partielle ou totale de la peine est accordée aux condamnés pour crimes de droit commun qui ne se trouvent pas en l'état de récidive. Un décret du même jour ordonne que tous les gages d'une valeur de moins de deux ducats qui auront été déposés au mont-de-piété dans la journée du 15 juin, seront gratuitement restitués à leurs propriétaires. On a généralement remarqué que les nombreux condamnés politiques déportés dans le cours de l'hiver ne sont pas appelés au bénéfice de la grâce royale, et que celle-ci ne s'étend en définitive qu'à une vingtaine de condamnés politiques, les seuls qui se trouvaient encore dans les prisons du royaume. Mais le gouvernement, après mûre délibération, a craint qu'en ce moment le retour de tous les anciens prisonniers politiques ne fut un danger pour l'ordre public ; et voilà pourquoi, à la suite d'une longue discussion, on s'est décidé à les exclure de la présente amnistie. Le Comte de Salmour a été le 15 complimenter le Roi. L'autorité avait été prévenue que l'on se proposait de renouveler la démonstration de la semaine dernière sur le parcours de la route que l'envoyé piémontais devait suivre pour aller à Capo di Monte ; afin de la prévenir, le Roi et la Reine se rendirent au palais de Naples, et c'est là que Monsieur de Salmour fut reçu pendant que le peuple attendait sur la route de Capodimonte. M. le Comte Kisseleff, Ambassadeur de Russie à Rome, est également arrivé ici pour complimenter le nouveau souverain. Il a été reçu au palais le 17. M. le baron Brenier, envoyé de France, est arrivé ce matin avec le personnel de sa Légation. Le Comte Ludolf vient de partir pour Saint-Pétersbourg chargé de notifier officiellement l'avènement au trône de Sa Majesté le Roi François II ; le marquis de Gargallo va remplir la même mission à Vienne. M. de Hiibner prolonge encore son séjour à Naples, mais M. Elliot se dispose à partir demain le 27.
— 144 — [123| Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 23 juin 1859 Dépêche N° 553 Pour faire suite à mon rapport du 16 de ce mois N° 551 1 , j ' a i l'honneur de remettre ci-annexés à Votre Excellence la traduction des bulletins de la guerre de la semaine qui vient de s'écouler. Votre Excellence y verra qu'il n ' y a pas eu de combats importants. Contrairement aux prévisions générales les Autrichiens ont abandonné, sans les défendre, les magnifiques positions de Montechiaro et Castiglione. Les armées alliées en ont aussitôt pris possession. Actuellement c'est sur le Mincio que l'on peut s'attendre à voir bientôt de sérieux combats. Les Autrichiens en défendront avec acharnement le passage et l'on annonce qu'ils s'y sont fortifiés d'une manière formidable. Le mouvement national s'est propagé dans toutes les villes de la Romagne et des Légations, elles offrent toute la dictature au Roi Victor-Emmanuel. L'on hésite beaucoup ici à l'accepter dans la crainte d'amener de nouvelles complications. Un corps de troupes suisses au service du Pape, envoyés de Rome pour comprimer le mouvement a attaqué la ville de Peruggia, une de celles qui s'étaient prononcées, et après une vive résistance s'en est rendu maître. Il paraît que les troupes y ont commis beaucoup d'excès. Le parti national est exaspéré d'autant plus que l'on craint le même sort pour les autres villes qui se sont prononcées, et il agit énergiquement auprès du Gouvernement Sarde pour le pousser à prendre la défense du parti italien dans les États du Pape. Je tiendrai Votre Excellence au courant du résultat de ses démarches. [ 124] Agop Effendi à Fuad Pacha Paris, le 24 juin 1859 J'ai l'honneur de signaler à Votre Excellence la lettre que Lord Cowley a écrite au Comte de Malmesbury, le 12 mai, le lendemain de son retour de Vienne à Paris. Cette lettre est reproduite dans le recueil des pièces diplomatiques publié à Londres, à la demande du Parlement, et par l'ordre de la reine. En rendant compte à son Gouvernement des sentiments exprimés à S.M. l'Empereur au Comte Walewski, Lord Cowley dit que S.M. l'Empereur a « la ferme intention de localiser la guerre autant que possible, de respecter la neutralité de l'Allemagne, de ne soutenir aucune tentative de révolution, surtout dans l'Empire ottoman, dont les possessions dans l'Adriatique seront sauvegardées, W
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- 145 et de borner ses opérations militaires à repousser les Autrichiens du royaume lombard vénitien. » Un peu plus loin il ajoute : « La déclaration de l'Empereur au sujet de la Turquie, et j e dis, (au Comte Walewski) sera reçu avec enthousiasme par le Gouvernement de Sa Majesté Britannique, et j'espère que le Gouvernement Français usera de l'influence qu'il possède sur les Gouvernements de Russie et de Sardaigne pour les engager à s'abstenir de provoquer des complications en Orient... À propos de mes observations sur la Turquie, le Comte Walewski m ' a dit qu'il avait reçu du Gouvernement russe l'assurance la plus positive de son désir de voir la Turquie rester tranquille. Il est convaincu que les tentatives révolutionnaires qui se produiraient dans l'Empire ottoman ne recevront aucun appui du Gouvernement russe. Quant à la France, elle ne donnera aucun ombrage au Gouvernement de Sa Majesté Britannique au sujet de la Turquie. M. de Thouvenel a reçu l'ordre de se rendre à son poste plutôt qu'il ne devait le faire, expressément pour donner plus de poids aux intentions de l'Empereur à cet égard. Il recevra des instructions très positives pour agir de concert avec Sir Henri Bulwer, pour ne pas se séparer sous aucun prétexte de l'ambassadeur de S.M.B., et pour le consulter sur toutes les questions qui surgiront. Il doit empêcher de tous ses efforts les tentatives qui seraient faites contre l'autorité du Sultan ; et des instructions formelles dans le même sens seront envoyées à tous les agents français en Orient. M. de Thouvenel, en outre s'arrêtera à Athènes, en se rendant à Constantinople, dans le but de faire comprendre au Gouvernement grec la nécessité de s'abstenir de toute intrigue pour exciter la rébellion parmi les sujets grecs de la Porte. » Mon but, en reproduisant la lettre de Lord Cowley, est de montrer l'identité du langage que Son Excellence M. le Ministre des Affaires Etrangères a tenu à Lord Cowley le 12 mai, et à moi le 10 juin. En effet, Monsieur le Ministre et M. Benedetti m'ont dit, comme je l'ai écrit à Votre Excellence le 10 courant, que l'ordre a été envoyé aux agents français en Orient d'user de leurs influences pour empêcher les troubles et maintenir la tranquillité actuelle. Le Gouvernement Français a fait connaître sa politique à l'égard de l'Orient non seulement à ses agents en Turquie, mais aussi au Gouvernement Hellénique. C ' e s t à la suite de la recommandation bienveillante du Gouvernement Français, ainsi que de la Russie et de l'Angleterre, que le Cabinet d'Athènes a fait, en pleine Chambre, la déclaration suivante, par l'organe de M. Rangabé : « Le Ministre d'Angleterre m'a itérativement représenté que les intérêts de la Grèce réclament de sa part la plus stricte neutralité et la plus complète tranquillité. Les mêmes conseils nous ont été donnés par la Russie. Enfin la France, quoique engagée dans la guerre, nous a tenu le même langage ; elle était même plus explicite, car elle ne nous a pas caché, que si le moindre mouvement avait lieu en Orient, elle serait obligée, vu sa position actuelle, d'y intervenir avec l'Angleterre, afin de réprimer toute tentative. »
- 146 Ainsi, la bienveillance des Puissances alliées de la Turquie, et surtout les mesures que le Gouvernement de S.M. le Sultan a prises pour prévenir la manifestation et le développement des tendances hostiles extérieures et intérieures sont le plus sûr garant du maintien de l'ordre et de la tranquillité en Turquie. Il est à désirer maintenant que les questions des Principautés et du Monténégro aient une solution satisfaisante, et que les réformes entreprises par le Gouvernement de S.M. le Sultan viennent donner un démenti formel aux accusations mensongères des ennemis de notre pays. Le bruit court que le Cabinet se dispose de nouveau à tenter la voie des négociations. Je ne puis donner cette nouvelle comme certaine ; mais on m'assure que le voyage du Prince Esterhâzy à Londres et celui du Comte de Rechberg à Vérone, auprès de son souverain, ont quelque rapport avec les projets tendant à arrêter la marche des événements. En attendant l'accueil qui sera fait à des tentatives de cette nature, les deux armées belligérantes se rapprochent de plus en plus du fameux quadrilatère ; et on croit qu'une bataille terrible et peut-être décisive ne tardera pas à être livrée. [125] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 25 juin 1859 Dépêche N° 143 La nouvelle attitude de la Prusse continue à préoccuper sérieusement le monde politique. Je ne pourrais que confirmer aujourd'hui les informations, que j e me suis empressé de transmettre à Votre Excellence par mes différents rapports sur ce grave sujet. J'ai appris depuis, que la mobilisation a été différemment accueillie par les Cabinets de l'Europe. Ainsi, le Comte Walewski ne s'en montra pas surpris ; il la considéra habilement comme une mesure défensive, qui découlait de la situation de la Prusse. Cependant, le Ministre de France à Berlin n'en est pas moins alarmé. Si d'une part le Marquis de Moustier avance que l'Empereur n'a pas la moindre intention d'attaquer l'Allemagne, il fait de l'autre clairement entendre que des soldats ne manqueraient pas au sol français, s'il allait être attaqué. Ce langage est soutenu par la concentration de trois corps d'armée sur les frontières. En même temps, la Russie, tout en approuvant les procédés prussiens, tâche d'en arrêter le progrès. Dans ce but, elle ne néglige nullement le moyen des relations de parenté. Aussi, la grande-duchesse Hélène prolongeait au-delà de son intention son séjour dans cette Capitale, et l'Impératrice-Mère est annoncée pour le 12 du mois prochain. Il semble toutefois que cette action délicate rencontre un contrepoids pour l'influence de la reine de Prusse, intimement liée avec l'archiduchesse. Elle voudrait que la Prusse marchât immédiatement sur Paris.
- 147 En attendant, le Gouvernement du Prince-Régent utilise le loisir que lui procurent ses essais d'intervention, à organiser la Landwehr et à dresser des plans stratégiques. Une grande activité règne dans le Ministère de la Guerre et des délégués des principaux États de l'Allemagne se concertent ici sur les dispositions militaires à prendre. Dans l'état actuel des choses et des esprits, il me paraît fort difficile que l'on ne prenne bientôt un parti décisif. À moins que des conditions extérieures ne viennent à l'appui des efforts de modération, dont le Comte Pourtalès et M. d'Usedom sont les plus zélés champions, le parti de la guerre menace de gagner son élan. Il est à remarquer que ce parti est soutenu par les propriétaires nobles du pays. Depuis la paix de Paris, ses sympathies pour la Russie ont été acquises à l'Autriche. Il considère la maison de Habsbourg comme le seul représentant des principes du conservatisme en Europe. Peut-être espère-il aussi se débarrasser par la guerre de la constitution qui leur pèse. Quant à l'accueil qu'auront rencontré auprès des Cabinets de Londres et de Saint-Pétersbourg les démarches de la Prusse, rien n'est encore connu. Le nouveau Ministère anglais, occupé probablement de son installation, n'a donné jusqu'à présent aucun signe de vie. Lord Bloomfield me disait hier qu'il n'en avait pas même reçu la notification usuelle. Qu'il me soit permis d'ajouter, que le Cabinet de Berlin vient d'adresser à ses représentants à l'étranger une note explicative de la mesure qu'il vient d'adopter. Si mes informations sont exactes, le Baron de Schleinitz avance que la Prusse n'a pris aucun engagement vis-à-vis de l'Autriche, mais qu'il s'est entendu avec cette Puissance sur certaines éventualités. On m'assure que cette pièce est conçue dans des termes fort vagues et qu'elle prêche par trop de finesse. [126] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 27 juin 1859 Dépêche N° 218 Le Roi a complété les mesures de clémence par lesquels il a tenu à inaugurer son règne. Un décret royal rouvre les portes du pays à 139 individus émigrés à la suite des troubles de Sicile de 1848 et 1849 et annonce que Sa Majesté se réserve de statuer sur le sort de tous les autres émigrés, non compris dans ce décret, qui lui feront parvenir leurs suppliques et promettront de se soumettre aux lois du pays. Bien que cette nouvelle amnistie ne concerne pas les personnes déportées dans le courant de l'hiver, elles révèlent les bonnes intentions du gouvernement et permet d'espérer que la clémence royale s'étendra même sur cette dernière catégorie de condamnés, dès que les circonstances le permettront.
- 148 Malheureusement le moment n'est pas favorable, car l'agitation va croissante dans toute l'Italie et en Sicile. Depuis l'évacuation de Bologne et d'Ancône par les troupes autrichiennes, un grand nombre de villes de la Romagne et des Marches ont renié l'autorité pontificale et proclamé leur annexion au Piémont. Les conseils de la France et du Piémont n'ont pas su maintenir l'ordre partout, et le Pape a dû envoyer des troupes dans divers endroits pour faire respecter son autorité. A Rimini, à Macerata et à Pérouse, il y a eu des collisions sanglantes entre les Suisses et la population. Pour parer à toutes les éventualités et protéger ses frontières contre les révolutionnaires des Marches, le gouvernement napolitain vient d'envoyer un corps de 4000 hommes en observation dans les Abruzzes. En Sicile, l'agitation est au comble et inspire des craintes sérieuses. À Messine la population vient d'exprimer ses sympathies pour la cause de l'indépendance. La flotte française et l'escadre sarde qui se rendent à Venise, avaient relâché dans le port ; aussitôt la population se porta en foule sur les quais, et lorsque les marins sardes débarquèrent, les cris « vive l'Italie, vive Victor-Emmanuel » retentirent de toutes parts, les marins furent couverts de fleurs et reçurent une véritable ovation. Sur l'avis de la police, le commodore sarde dut se décider à rappeler ses hommes à bord pour empêcher l'emploi des mesures extrêmes auxquelles les autorités étaient décidées à recourir. Le gouvernement napolitain se plaint avec beaucoup d'aigreur de la conduite des marins sardes, à qui il reproche d'avoir provoqué cette démonstration et dit avoir même pris une part active. M. de Carafa a adressé en ce sens une note au chargé d'affaires de Sardaigne. On se loue au contraire, beaucoup de la flotte française, qui se serait fait remarquer, par son attitude réservée. À Naples aussi, les esprits s'enhardissent. Des proclamations séditieuses ont été répandues, et des cocardes tricolores ont été lancées par des passants dans les voitures des promeneurs. M. de Brenier a déjà eu deux entrevues avec le Roi. Le gouvernement napolitain est fort satisfait de ses rapports avec lui, et l'on prétend que le Ministre français s'abstient de lui demander aucune concession importante. Peut-être, préoccupée de ces graves intérêts au nord de l'Italie, la France tientelle à éviter tout embarras du côté de Naples et laisse-t-elle à l'Angleterre le soin de poursuivre les améliorations tant désirées. Par égard pour les autorités du pays, M. de Brenier n'a pas illuminé son hôtel à l'occasion de la victoire remportée le 24 par les armées alliées ; les patriotes napolitains, qui voulaient profiter de cette circonstance pour faire une nouvelle protestation, ont été fort déconcertés et reprochent vivement au Ministre de France d'avoir cédé aux désirs du gouvernement. M. Elliot, qui devait quitter Naples le 21, a reçu par télégraphe ordre de différer son départ.
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Spitzer Fiïendi à Fuad Pacha Naples, le 27 juin 1859 Dépêche N° 219, confidentielle Pour bien se rendre compte de la position actuelle du Ministère, il est utile de jeter un coup d'œil rétrospectif sur les relations qui ont existé entre l'ancien Roi et le chef du Cabinet actuel. Ferdinand II, dans sa perspicacité, avait bien apprécié les hautes qualités du Prince Filangieri ; mais, jaloux d'exercer luimême le pouvoir, il aimait à s'entourer d'hommes d'une capacité ordinaire et d'un caractère facile qui se prétassent aisément à sa direction et lui permissent de donner un plein et libre essor à ses projets. Il fuyait donc, plutôt qu'il ne le recherchait le concours d'un homme dont la fermeté de caractère l'eut embarrassé dans le développement de ses plans et dont l'ambition lui déplaisait. Si il eut recours à lui, ce ne f u t guère que dans les moments de crise, et, le danger à peine passé, il se hâtait de l'éloigner en le comblant ; pour ménager son amour-propre, de délicates attentions et de rémunérations pécuniaires. Avant de mourir il avait signalé à son fils le parti qu'il pourrait tirer de cet homme d'État, mais en lui recommandant bien de ne l'appeler auprès de lui qu'en cas de besoin, de l'observer avec défiance tant qu'il serait forcé de le garder et de le congédier avec toutes sortes d'égards, dès qu'il pourrait renoncer à ses services. Le Prince, qui connaissait fort bien les sentiments de l'ancien Roi à son égard et les préventions qu'il avait inspirées contre lui à son fils, ne se fit pas d'illusions lorsqu'il fut appelé au pouvoir, sur les motifs de son élévation. Mais, courtisan accompli, il eut soin de ménager la susceptibilité du Roi en évitant de rechercher pour lui-même une initiative trop prononcée. Il savait bien que les événements viendraient bientôt à son aide et ne tarderaient pas à faire sentir au jeune souverain le poids du pouvoir et le besoin de l'alléger en se déchargeant sur son Ministre de la responsabilité des mesures à prendre. Le temps n'est plus où le Roi Ferdinand pouvait s'enfermer à Gaëta et refuser obstinément toute audience aux Ministres des puissances étrangères ; il faut aujourd'hui que le Roi permette l'accès de Capodimonte aux envoyés de France et d'Angleterre et prête l'oreille à leurs conseils. Son père d'ailleurs possédait une merveilleuse habilité à lasser son interlocuteur par de banales formules de politesse et à le déconcerter par des questions compromettantes ; mais l'inexpérience du nouveau souverain ne lui permet pas de se tirer à l'aide de semblables moyens, des difficultés d'un entretien embarrassant. Aussi, et le Prince le prévoyait bien, a-t-il pris le parti de s'en tenir, dans ses rapports avec les Ministres étrangers, aux généralités et à de vagues promesses, sauf à les renvoyer au chef du Cabinet pour la discussion des affaires. C'est ainsi que Filangieri se trouve aujourd'hui, en apparence du moins, maître de la situation. Mais, si pour la politique générale, si pour les grandes questions de l'administration, le Roi s'en remet
- 150 actuellement au Prince, ¡1 s'est cependant bien gardé de lui abandonner la direction de la police, cette institution dans laquelle la dynastie a toujours cherché son principal point d'appui. Maître de la position, le général Filangieri s'occupe activement de préparer le grand ensemble de réformes dont il a arrêté le plan depuis longtemps, en insistant particulièrement, dans ses entrevues avec les Ministres étrangers sur les dangers d'une trop grande précipitation. Au reste, il connaît trop bien le caractère napolitain pour espérer satisfaire complètement le pays. Quoiqu'il fasse il y aura toujours des esprits rétrogrades qui lui reprocheront ses moindres réformes et des têtes exaltées que ses plus larges concessions ne parviendront pas à calmer. Mais, animé d'une foi puissante, convaincu qu'il poursuit un noble but, il n'en continue pas moins son œuvre, fermant l'oreille aussi bien aux aveugles récriminations des uns qu'aux ardentes excitations des autres. Il songe avant tout à régénérer l'armée, à y maintenir une discipline sévère, à détruire les abus qui s'y étaient glissés et à se l'attacher par de nombreuses promotions. Mais ce qui le préoccupe particulièrement, c'est l'agitation persistante de la Sicile ; il avait songé à la calmer en plaçant à la tête de l'île un des princes du sang ; c'eût été satisfaire un des vœux les plus vifs des Siciliens. Mais le Prince Sébastien, oncle du Roi, à qui il destinait ce poste, quitte Naples pour retourner dans sa patrie, en Espagne, et le Comte de Trapani, à qui il l'a ensuite offert refuse de l'accepter parce qu'il répugne à son orgueil de se placer sous les ordres du général. Filangieri cherche maintenant, parmi les personnages les plus considérables du pays, un homme qui soit à la hauteur de cette tâche ; mais les difficultés qu'elle présente, effraye tout le monde et jusqu'ici personne n'a voulu répondre à son appel. Pour surveiller l'agitation de la Romagne, Filangieri vient d'envoyer dans les Abruzzes un corps d'observation de 4000 hommes. Le général (ioyor avait été prévenu des motifs de cette mesure, et le gouvernement français, tout aussi intéressés que le gouvernement napolitain à calmer l'agitation de ce pays, n'y a fait aucune objection. C'est qu'en effet on ne saurait ménager aucun moyen pour prévenir dans les États Romains l'explosion d'une révolution qui y couve depuis longtemps ; les prudents conseils de l'Empereur Napoléon et les menaces du général Goyon sont également impuissants à modérer l'impatience des Romains, et n'ont pu prévenir les événements regrettables de Pérouse et de Rimini. D'ailleurs, la France se trouve vis-à-vis du gouvernement pontifical dans la plus fausse position. Elle a beau multiplier ses assurances, elle a beau protester de son dévouement et prêter l'appui de ses armes et de son influence au pouvoir ébranlé du Pape, elle ne parvient pas à calmer les craintes et à détruire la défiance du Saint-Siège. Son appui armé répugne à Pie IX, qui ne l'accepte que sous l'empire d'une regrettable nécessité et se plaint d'être tenu prisonnier dans ses propres États. Il déplore la guerre actuelle comme une lutte impie, et une scène intime qui vient de se passer, montre ses dispositions à cet égard. Le 17 de ce mois, en l'honneur de l'anniversaire de son avènement au
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trône de saint Pierre, il avait fait célébrer une messe dans la Chapelle Sixtine, en présence du sacré collège. A u m o m e n t où les assistants, après l'avoir complimenté, allaient se retirer, le Saint-Père, ravi dans une sorte d'extase, se précipita au milieu d'eux en s'écriant d'une voix formidable : « Vac autem homini illi per quem scandalum venit. Guai a celui che colpito dalle censure e dalla scomunica della chiesa, e causa di questi mali; in questi giorni, in questo momento piomba sul suo capo la maledizione di Dio. » « Malheur à l'homme qui, f r a p p é par la censure et l'excommunication de l'Église, cause tous ces maux ; en ces jours, à cette heure la malédiction de Dieu tombe sur sa tête. » En entendant sortir de la bouche du Pape cette terrible malédiction, les cardinaux se jetèrent sur lui pour le calmer, et ce ne fut qu'à grande peine qu'ils parvinrent à mettre fin à cette scène douloureuse. Je ne sais l'impression que le récit de cet événement aura produit sur l'esprit de l'Empereur, mais ce qui est certain, c'est qu'on ne parle plus du voyage qu'il devait faire à R o m e à l'occasion de la Saint-Pierre. Quoiqu'il en soit, telle est la position de la France qu'elle se voit obligée d'étouffer dans le centre de l'Italie le mouvement d'indépendance qu'elle favorise au nord. Cette attitude, si embarrassante pour elle, est, au contraire, fort avantageuse pour Naples, qu'elle préserve du contact de la révolution et à qui elle facilite singulièrement le maintien de sa neutralité. Tant que la révolution sera enchaînée dans la Romagne le général Filangieri peut avoir raison de la turbulence des Napolitains, et si aussi de temps en temps elle se manifeste par des démonstrations, des proclamations ou des cocardes tricolores, c o m m e cela a eu lieu cette semaine, l'énergie du Prince et les moyens qui sont à sa disposition, peuvent nous rassurer. Mais, combien de temps se maintiendra-til au pouvoir ? Que les armées alliées continuent leur marche victorieuse, et il sera bientôt impuissant à contenir l'élan de la nation qui lui demandera à grands cris et la guerre et la constitution. La retraite du général serait un malheur véritable pour le Roi et pour le pays, qui perdrait avec lui la seule digue qui s'oppose encore au débordement des passions révolutionnaires.
[128] Fuad Pacha à Aristarchi Bey Le 28 juin 1859 Dépêche N° 2696 J'ai reçu le rapport que vous m'avez adressé le 31 mai N° 125 1 , pour me faire connaître l'absence d'instruction où vous êtes, pour savoir à quoi vous en tenir sur l ' a t t i t u d e prise par le G o u v e r n e m e n t I m p é r i a l en p r é s e n c e des complications actuelles de l'Europe. Je présume que le rapport m'étais adressé
'NO.97.
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avant la réception de ma dépêche circulaire du 15 juin N° 2644 1 , qui; explique amplement la lignée que nous avons adoptée dans ces circonstances. Je n'ai q u ' à me référer à mes instructions auxquelles vous devez conformer votre conduite. |129| Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 30 juin 1859 Dépêche N° 556 A la réception de la dépêche que Votre Excellence m ' a fait l'honneur de m'adresser en date du 15 de ce mois, N° 2644 2 , pour me communiquer traduction des instructions que Son Altesse le Grand Vizir a adressées à tous les Gouverneurs des provinces de l'Empire pour leur tracer la ligne de conduite qu'ils auront à tenir en conséquence de la résolution du Gouvernement Impérial de se renfermer dans la plus stricte neutralité durant la guerre qui a éclaté en Italie entre la France et la Sardaigne d'un côté, et l'Autriche de l'autre, je me suis empressé, en conformité aux ordres de Votre Excellence de donner lecture à Son Excellence le Ministre des Affaires Etrangères de Sa Majesté le Roi de Sardaigne de la dépêche elle-même aussi bien que de l ' a n n e x e qui l'accompagnait. M. le Comte de Cavour m ' a répondu qu'il appréciait au plus haut point les assurances rassurantes de la Sublime Porte ; qu'il était heureux de constater que rien n'était arrivé qui pût porter atteinte aux bonnes relations des deux pays et qu'il espérait d'autant plus que rien de semblable n'arriverait que l'Autriche ne possède plus de marine de guerre qui puisse faire naître des appréhensions. M . le Comte me demanda ensuite s'il était vrai que le Gouvernement Impérial eût envoyé une flotte dans l'Adriatique ; j e lui répondis qu'en effet le Gouvernement Impérial avait envoyé, non pas une flotte, mais une escadre dans l'Adriatique ; que la Turquie étant une des plus considérables Puissances maritimes de cette mer, la mesure qu'elle avait adoptée était non seulement justifiée mais imposée par le besoin de surveiller la grande étendue de côte qu'elle possède et la nécessité d'être en mesure de réprimer toute tentative de désordre que l'on pourrait vouloir chercher à susciter pour quelqu'une de ses provinces. M. le Comte me parut parfaitement satisfait des explications que je venais de lui donner et termina l'entretien en me disant qu'il espérait que la tranquillité serait maintenue dans tout l'Empire et que c'était le sincère désir du Gouvernement Sarde aussi bien que du Gouvernement Français et qu'il voyait avec plaisir l'attitude pacifique de la Grèce conforme au conseil que l'on ^Ne figure pas dans le dossier. ^Ne figure pas dans le dossier.
- 153 n'avait cessé de lui donner dans ce sens. Je répondis que je partageais son espoir, mais qu'en tout cas le Gouvernement Impérial était parfaitement préparc à maintenir la tranquillité voire à la rétablir partout où elle pourrait être momentanément troublée. [130] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 30 juin 1859 Dépêche N° 557 Un Te Deum a été chanté hier dans l'église métropolitaine de Turin pour rendre grâce à Dieu de la nouvelle victoire de Carriana et Solferino. M. le Comte de Cavouir me dit hier qu'il avait été au quartier général du Roi et était revenu trop tard pour pouvoir adresser une invitation au Corps Diplomatique d'y assister ; qu'il le regrettait d'autant plus M. le Comte de Stackelberg, envoyé extraordinaire et Ministre plénipotentiaire de Russie venait de lui dire qu'il y aurait assisté et qu'il croyait que les autres représentants auraient reçu des instructions analogues ; qu'il espérait qu'une nouvelle victoire donnerait bientôt l'occasion d'inviter le Corps Diplomatique à une nouvelle cérémonie de cette nature. Je saisis cette occasion pour expliquer à Son Excellence qu'en l'absence d'instructions de mon Gouvernement j'avais dû m'abstenir lors de l'invitation qui fut adressée au Corps Diplomatique à l'occasion de la bataille de Magenta. Je lui dis aussi que je n'avais pas encore reçu les instructions que je m'étais empressé de solliciter. En rendant compte à Votre Excellence de ce qui précède je crois devoir informer que l'on assure ici que le Prince Callimaki a assisté à un Te Deum chanté à Vienne. Si cela est réellement le cas, je n'ai pas besoin de faire observer à Votre Excellence que notre abstention ici ne pourrait produire qu'un très mauvais effet. Je prie Votre Excellence me faire expédier sans retard, et même par dépêche télégraphique, des instructions catégoriques sur la conduite que je dois tenir dans le cas où l'hypothèse ci-dessus énoncée venait à se réaliser. 1131] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 30 juin 1859 Dépêche N° 558 J'ai l'honneur de transmettre à Votre Excellence, ci annexées, traduction des bulletins de la guerre publiés par le Gouvernement Sarde depuis mon dernier rapport du 23 de ce mois, N° 553 1 .
'No. 123.
- 154 — Votre Excellence y verra qu'une nouvelle et brillante victoire a été remportée par les armées franco sarde. Les Autrichiens, dans l'espoir de tromper les armées alliées avaient abandonné toute la rive droite du Mincio et s'étaient retirée sur la rive gauche où l'on savait qu'ils se fortifiaient pour en disputer vigoureusement le passage. Dans la nuit du 23 au 24 ils jetèrent une trentaine de ponts sur le fleuve, et firent, dans le plus grand silence et le plus grand ordre, passer toute leur force et prirent position sur la rive gauche sur une série de hauteurs s'étendant environ l'espace de cinq lieux entre Peschiera et Volta ; leurs principales forces étaient massées à San Martino, Pozzolengo, Solferino et Carriana ; il y avait là environ 200 000 hommes sous le commandement immédiat de l'Empereur d'Autriche lui-même et du maréchal Hess. Au point du jour, ne soupçonnant même pas la présence de l'ennemi sur la rive gauche, les troupes sardes marchant sur Peschiera et les Françaises marchant sur le Mincio, se trouvèrent tout à coup en présence des masses ennemies. La bataille commença aussitôt et dura de 5 heures du matin à 9 heures du soir. Au commencement surprises par des masses considérables et accablées par le nombre, les troupes Sardes et Françaises furent repoussées et eurent à subir de graves pertes, mais elle tinrent bon avec une admirable solidité et bientôt à mesure que des renforts leur arrivaient, elles reprirent vigoureusement l'offensive et à la fin enlevèrent toutes les positions de l'ennemi, le forcèrent à battre en retraite et à repasser en toute hâte le Mincio dont il fit aussitôt sauter tous les ponts. Cette bataille, par le nombre des troupes qui s'y trouvaient (l'armée autrichienne tout entière aussi bien que toute l'armée Franco-Sarde y ayant été engagées) par le temps de la durée (environ 13 heures), par la quantité d'artillerie qui était en batteries (plus de 500 pièces), par l'acharnement dont les troupes des deux côtés ont fait preuve, est une des batailles les plus considérables des temps modernes. Ses résultats ont été des plus importants puisque les Autrichiens, obligés de battre en retraite, n'ont même plus pu défendre le passage du Mincio qui a été franchi par les armées alliées sans coup férir. L'on reçoit même à l'instant la nouvelle que Peschiera est déjà investie par l'armée sarde qui va en commencer le siège. L'armée sarde a fait preuve, dans celte mémorable bataille, de la plus brillante valeur et de la plus remarquable solidité. Ci-annexée j'ai l'honneur de remettre à Votre Excellence traduction de l'ordre du jour du Roi, qui nous arrive aujourd'hui, et dans lequel S a Majesté rend hommage à la bravoure qu'elle a déployée. Mais cette brillante victoire n'a pu être remporté sans de graves pertes : 49 officiers tués, parmi lesquels trois colonels ; 167 officiers blessés ; 642 soldats tués ; 3405 soldats blessés ; 1258 soldats manquant à l'appel dont la plupart faits prisonniers par l'ennemi sont certainement des pertes regrettables.
- 155 L'on assure que l'armée française aurait aussi perdu environ 10 000 hommes entre tués et blessés, mais nous n'avons ici reçu aucun rapport officiel. Quant à l'armée autrichienne elle a perdu trois drapeaux, 30 canons, 6000 prisonniers, et environ une quinzaine de milles hommes entre morts et blessés. Cette lutte gigantesque a donc vu plus de 30 000 hommes mis hors de combat des deux côtés. Ces résultats semblent devoir être très importants car il paraît que les Autrichiens vont ctre forcés de se renfermer dans leurs forteresses et ne pourront plus tenir la campagne quoique leurs troupes soient de beaucoup plus nombreuses que celles des alliés. L'on vient de publier à l'instant le compte-rendu de la bataille soutenue par les sardes. Le courrier va partir, et je n'ai pas le temps d'en faire la traduction pour l'envoyer à Votre Altesse. Je crois cependant devoir le lui remettre en original. Votre Excellence pourra en faire faire la traduction à la Sublime Porte. [132] Vogoridès Bey à Fuad Pacha Londres, le 30 juin 1859 Dépêche N° 35 J'ai reçu la dépêche dont Votre Excellence a bien voulu m'honorer en date du 15 de ce mois, N° 2644, relativement à l'attitude neutre dans laquelle le Gouvernement de Sa Majesté Impériale le Sultan s'est enfermée en présence de la guerre qui a éclaté en Italie, ainsi que les instructions y annexées que Son Altesse le Grand Vizir adressait à tous les gouverneurs de province de l'Empire pour leur tracer leur ligne de conduite vis-à-vis les Puissances belligérantes ou neutres. Conformément aux ordres contenus dans la dépêche précitée de Votre Excellence, je me suis empressé de donner lecture de ces documents à Lord John Russell, et je lui en ai laissé les copies nécessaires. Dans le cours de l'entretien, Lord John m'a demandé si Votre Excellence m'avait écrit quelque chose sur des munitions de guerre que les Français auraient débarquée à Antivari, ou sur les démarches que la Sublime Porte avait faites, ou comptait faire, en vue de maintenir sa neutralité conformément aux déclarations officielles qu'elle avait faites à ce sujet au Ministère Britannique précédent, et qu'elle venait de renouveler aujourd'hui. J'ai répondu à Sa Seigneurie que Votre Excellence n'avait rien écrit là-dessus ; je savais bien que les journaux avaient parlé de ces débarquements, mais que, vu le silence de la Sublime Porte, j'étais porté à croire qu'il y avait eu de l'exagération dans ces rumeurs de journaux ; que s'il y avait quelque chose de fondé à cet égard, ce ne serait tout au plus que par rapport à des dépôts de
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charbon de terre destines à approvisionner la flotte française dans l'Adriatique ; que, cela étant, la Sublime Porte ne saurait refuser à la France un droit dont jouissait dans ses États toute compagnie étrangère de bateaux à vapeur, pourvu qu'elle accomplît certaines formalités préalables d'administration intérieure, droit que pourrait également exercer encore aujourd'hui l'Autriche, si le pavillon de cette Puissance pouvait flotter sur cette mer. Lord John m ' a répliqué que, s'il ne s'agissait que de charbon débarqué, tout était dit, d'autant plus que l'histoire des guerres européennes qui avaient marqué le commencement du siècle présent, offrait des précédents de dépôts de charbon effectué par les Puissances belligérantes sur les territoires de Gouvernements neutres, sans que la neutralité de ce dernier en fût affecté ; mais que la question avait trait à des munitions de guerre ; ce qui était bien différent puisque la Puissance qui effectuerait le dépôt de munitions de cette espèce, serait censée ne pas respecter la neutralité de la puissance sur le territoire de laquelle serait déposé des provisions nécessaires dans son armée, tandis qu'il y aurait forte présomption de partialité de la part de la Puissance neutre qui tolérerait un pareil état de choses, ou garderait le silence sans faire aucune démarche. Lord John a conclu en me disant qu'il avait l'intention de charger Lord Cowley de demander des explications au Gouvernement Français afin de savoir jusqu'à quel point étaient fondées les informations qu'il avait reçues sur ce point. En remerciant Lord John Russell de l'intérêt bienveillant qu'il témoignait pour la Sublime Porte, j e n'ai pas manqué de l'assurer formellement que le Gouvernement Impérial maintenait dans la guerre actuelle, qu'il déplorait sincèrement, une stricte et impartiale neutralité vis-à-vis de chacune des Puissances belligérantes ; que les déclarations officielles qu'il avait faites à ce sujet antérieurement, ainsi que les instructions qu'il avait adressées aux gouverneurs de province, et que j'avais reçu l'ordre formel de communiquer à Sa Seigneurie ; comme la flottille à vapeur qu'il avait expédié dans l'Adriatique, avec mission de croiser dans les eaux du littoral ottoman pour surveiller les cours de l ' E m p i r e , démontrait manifestement sa f e r m e résolution, et sa bonne foi à cet égard, et faisaient, par conséquent, bonne justice des exagérations de rumeurs intéressées ; que, d ' a i l l e u r s , le Gouvernement Français, ayant donné au Gouvernement de Sa Majesté la Reine les assurances les plus explicites sur ses dispositions amicales et sincères à l'égard de l'Empire ottoman, et sur les instructions conformes à ses sentiments, qu'il avait transmis à ses agents consulaires en Turquie, pour leur tracer leur ligne de conduite dans la guerre actuelle, ne pouvait pas être présumé vouloir violer la neutralité de la Sublime Porte ; qu'autrement, il faudrait considérer ces assurances comme contradictoires, sinon comme illusoires ; qu'en attendant des faits qui viendraient appuyer les informations dont il s'agit, ces assurances ne devaient s'interpréter que dans le vif désir de la France de faciliter, de son côté, à la Sublime Porte les moyens de traverser la crise actuelle sans qu'elle s'exposât à des tiraillements et se mit dans la
- 157 pénible nécessité de se déclarer en faveur d'une des Puissances belligérantes plutôt que de l'autre ; résultats auxquels la Sublime Porte ne saurait échapper qu'autant que la France et les autres Puissances belligérantes respecteraient également la neutralité du Gouvernement Impérial, et l'appuierait dans son droit de Puissance souveraine de repousser ouvertement toute tentative de nature à rompre une neutralité dans laquelle la Sublime Porte s'était renfermée spontanément et librement et en ne prenant conseil enfin, que de ses intérêts et de ses corvenances ; enfin que je priais Sa Seigneurie que les observations qu'il se proposait de faire à Paris, ne fussent pas considérées, comme de raison, comme l'effet de démarches de la Sublime Porte auprès du Gouvernement Britannique. Lord John Russell m'a dit qu'il ne demandait pas mieux que d'apprendre que ces renseignements manquaient de fondement ou étaient empreints d'exagération, et de voir la Sublime Porte fermement décidée à faire respecter sa neutralité, ce dont Sa Seigneurie ne pouvait que se féliciter ; et que du reste, je pouvais être assuré que ses démarches à Paris n'auraient en vue que d'obtenir des explications sur des informations parvenues au Gouvernement Britannique, sans que la Sublime Porte soit mise en cause directement ou indirectement. [1331] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 30 juin 1859 Dépêche N° 852/87, particulière Les nouvelles les plus saillantes du jour sont celles de la grande bataille de Cavriano livrée par les Autrichiens le 24 juin. Inutile d'entretenir longuement Votre Excellence à ce sujet, attendu qu'elle aura déjà reçu des détails in extenso par le télégraphe. Aujourd'hui, je me fais un plaisir de donner à Votre Excellence les nouvelles arrivées de Saint-Pétersbourg, de Turin et de Londres que j'ai pu recueillir et qui ne manquent pas d'intérêt. Quand l'Empereur Napoléon proteste de ses intentions désintéressées dans la guerre actuelle, quelques personnes haut placées, qui prétendent savoir ce que vaut la parole de l'Empereur Napoléon III, s'empressèrent de crier ouvertement que les États insurgés de l'Italie deviendraient probablement des annexes au territoire français et au Piémont. Que cette supposition soit fondée ou non, jusqu'à présent la France a conservé à cet égard un silence prudent et sage. Il n'en a pas été de même en Piémont ; et déjà au commencement des hostilités, un navire anglais qui n'avait pas voulu saluer avec le drapeau sarde un navire toscan, avait soulevé une difficulté entre le Gouvernement insurgé de Toscane
'Suite à une erreur de numérotation le N° 132 manque.
- 158 et la cour de St. James. L'envoyé de Sardaigne à Londres se rendit immédiatement chez Lord Malmesbury, qui lui avoua, qu'il n'entendait pas régler cette affaire avec lui, parce qu'elle ne le concernait pas. Aujourd'hui un nouvel envoyé du Piémont auprès du Csar a demandé des explications au Gouvernement Russe sur un fait d'une moindre portée, attendu qu'il ne s'agissait que d'une reconnaissance de nationalité d'un sujet toscan qui se trouvait en Russie. Petite question lorsque le réclamant est dans son droit, malheureusement, soit que la Russie ait voulu dissimuler, soit que réellement elle ait été étonnée de cette usurpation illégitime d'une autorité non reconnue par l'organe du Prince Gortschakoff, il fut répondu à l'envoyé du Piémont, qu'aux yeux du Gouvernement Russe, les États de Parme, de Toscane et de Modène n'avaient rien perdu de leur indépendance, et qu'il ne dépendait pas d'eux seuls d'être annexés aux États de Victor-Emmanuel. Votre Excellence peut juger par ce fait que, jusqu'à présent, les Gouvernements de France et de Russie cachent encore leurs intentions de changer la face du globe (si jamais ils ont eu cette intention). M. le Comte de Cavour est seul capable de former précipitamment de pareils vœux et d'avoir l'audace de les faire exprimer. Le nouveau Cabinet Anglais paraît suivre jusqu'à présent la même politique que l'ancien, même avec plus de fermeté. Neutralité complète pour tous les États qui jusqu'à présent n'ont pas pris part au conflit qui agite l'Europe, il a même été jusqu'à conseiller instamment à la Prusse, de se modérer et d'arrêter ses tendances médiatrices : « Si l'Europe peut encore être sauvée d'une guerre générale, c'est par l'inaction et l'indifférence des puissances signataires du traité de Vienne. Ce silence est plus fort qu'un défi jeté à une idée de conquête. L'Autriche est forte et peut très bien lutter encore ; une occasion d'intervenir ne peut manquer d'arriver plus tard, si l'Empereur continue à troubler la paix du monde. Si on a jusqu'à présent accepté le principe du différend, qui fait couler tant de sang en Lombardie, il n'y a pas eu depuis le commencement de la guerre un fait qu'on ait pu prévoir, une conséquence qu'on était obligé d'admettre du moment que l'on admettait le principe. » Votre Excellence ne lira pas sans intérêt dans « l'Indépendance » du 28 juin, la lettre que M. le Ministre des Affaires Etrangères de Saxe, de Beust, a adressé à M. de Kanneritz Ministre-résident du Roi à Saint-Pétersbourg, en réponse à la circulaire du Prince Gortschakoff. Le sens ironique de cette lettre n'échappera pas à Votre Excellence, elle pourra désormais être convaincue que cette défiance, à l'égard des paroles de l'Empereur Napoléon, se manifeste déjà dans les hautes régions politiques et transpire même dans les discours d'un homme qui, à cause de sa position, doit feindre d'ignorer les vues ambitieuses des monarques ses alliés ; c'est que ce langage est un écho fidèle des entretiens que M. de Beust a pu avoir avec les hommes d'État de la confédération germanique ; c'est encore là une dernière tentative qu'il fait pour éclairer les puissances qui s'endorment sur une aveugle confiance dans l'avenir.
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Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 30 juin 1859 Dépêche N°854/89 Au moment de fermer les dépêches on vient de me donner quelques nouvelles arrivées de Vienne et de Berlin, qui ne manquant pas d'intérêt, je m'empresse de les transmettre à Voire Excellence comme faisant suite à ma dépêche ciincluse N° 87/852 1 . M. de Rechberg, le Ministre des Affaires Etrangères à Vienne avait quitté l'Empereur la veille de la bataille de Solferino lorsque l'armée autrichienne, usant de toutes ses forces, se préparait à prendre une éclatante revanche, sur les bords de Mincio. Le Ministre avait reçu l'ordre de se rendre, à son arrivée à Vienne, auprès de l'Impératrice, afin de lui communiquer la conversation qu'il avait eue avec l'Empereur. Le lendemain de cette entrevue, la consternation fut grande à Vienne quand on y apprit la défaite de Solferino. Il est plus que probable que Monsieur de Rechberg aura fait un voyage inutile en Lombardie, car les intentions de l'Empereur doivent être considérablement modifiées, quant à ses projets, depuis que les espérances qu'il avait mises dans une tentative hardie, sinon téméraire, ont été déçues. L'Autriche ne peut plus espérer une paix avantageuse ; et quand on lui aura pris Crémone, Mantoue et Venise, elle sera encore moins avancée et dans une situation plus déplorable vis-à-vis de l'Europe, et vis-à-vis d'elle-même. Quelques diplomates en Prusse ont mis en avant l'idée de commencer des pourparlers entre les cours de Londres, de Pétersbourg et de Berlin. Cependant des craintes se manifestent dans cette dernière ville sur l'ambition qu'a déjà montrée l'Angleterre de servir de théâtre à ces préliminaires de négociations. La Prusse, en effet, mérite bien cette faveur en dédommagement de sa condescendance à l'égard des nations qui l'ont forcée à assister, les bras croisés, à la flagellation de l'Autriche. Les alliés ont passé le Mincio sans éprouver aucune résistance. [135] Conéménos Bey à Fuad Pacha Athènes, le 30 juin 1859 Dépêche particulière N" 1110 Le fameux Leonidas Boulgaris qui ne s'occupait en Grèce que d'enflammer les esprits et de conjurer contre la Turquie, s'occupe, depuis la guerre en Italie, de faire des enrôlements pour ce pays. 1
No. 133.
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Informé qu'à Missolonghi et ailleurs il avait ouvert des listes de conscription, et pensant que ces enrôlements pouvaient bien dégénérer en des tentatives absurdes contre les provinces limitrophes, j'ai dû y appeler l'attention sérieuse du Gouvernement Hellénique. M. Coundouriotis m ' a assuré hier, qu'en effet Boulgaris s'occupait à ces enrôlements, qu'il s'était même adressé à M. de Montherat pour lui demander le passage gratuit des bateaux français et faire transporter ces gens en Italie et que le Ministre de France refusa. Le Ministre grec m ' a ajouté que le Gouvernement Hellénique devant garder une stricte neutralité ne devait par conséquent pas permettre des enrôlements sous quelque prétexte que ce soit, a pris les mesures nécessaires pour faire cesser ce scandale et a placé Boulgaris sous la surveillance de la police. M. Coundouriotis m ' a prié, à cette occasion, de le rappeler au bon souvenir de Votre Excellence et de lui donner l'assurance qu'en cette circonstance comme à toute autre, le Gouvernement dont il fait partie marchera dans la voie que lui trace l'intérêt de la neutralité et des bonnes relations qui doivent exister entre les deux pays voisins. M. Coundouriotis m ' a , de plus, prié de recommander chaudement à Votre Excellence la proposition en faveur du général Kallergi, dont fait mention mon respectueux rapport officiel d'aujourd'hui N° 1108. Tout est tranquille en Grèce et je m'étonne comment a pu parvenir au Journal de Constantinople la fausse et inexacte dépêche télégraphique publiée dans son N° du 25 juin. Je regrette d'autant plus cela que le public en Grèce, sachant que le télégraphe n'est pas encore livré au public, attribue à la Légation Impériale l'absurdité de la dépêche en question. |136| Agop Effendi à Fuad Pacha Paris, le 1 e r juillet 1859 J'ai vu vendredi soir M. le Comte Walewski ; j e lui ai donné lecture de la dépêche de Votre Excellence du 15 courant, N° 2644, ainsi que de la copie de la dépêche circulaire de Son Altesse le grand vizir, qui y était jointe 1 . M. le Comte Walewski en a été très satisfait. J'ai remarqué pendant la lecture que les trois paragraphes numérotés de la dépêche circulaire ont fixé particulièrement son attention. Après la lecture, Son Excellence m'a exprimé le désir d'avoir les copies de ces deux pièces. J'ai cru devoir satisfaire avec empressement à sa demande, pensant que Votre Excellence trouvera bon que M. le Ministre soit bien renseigné sur le sens et la portée de la pièce émanée du grand vizir, ainsi que sur la politique dont le Gouvernement de Sa Majesté impériale le Sultan a résolu de ne pas se départir dans les circonstances actuelles. ' Ne figure pas dans le dossier.
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Je saisis cette occasion pour remercier M. le Comte Walewski de la fermeté avec laquelle il a bien voulu parler au Cabinet d'Athènes pour lui tracer la ligne de conduite que la Grèce aurait à suivre à l'égard de la Turquie. Son Excellence a été très sensible à cette manifestation de reconnaissance. Puis il m'a dit qu'il avait écrit non seulement au Gouvernement hellénique de rester en bons termes avec la Porte, mais encore à tous les agents français résidant en Turquie d'employer tous leurs efforts pour empêcher tout acte de nature à produire des troubles et des complications. Il a ajouté qu'il avait reçu de tous côtés les assurances les plus satisfaisantes ; que pour le moment il n'y a pas à craindre de tentative malveillante, mais qu'il est à désirer que le Gouvernement de Sa Majesté le Sultan prenne des mesures pour consolider la tranquillité et la rendre durable. « Il est nécessaire me disaitil, que l'affaire des Principautés s'arrange promptement et définitivement ; tant qu'elle restera en suspens, je ne pourrais pas vous garantir l'avenir. C'est du moins mon opinion personnelle. Je vous engage à écrire à votre Gouvernement pour le prier de hâter la solution de cette question pendante. » « Le Gouvernement de Sa Majesté le Sultan, ai-je répondu, a déjà manifesté ses intentions à cet égard. Tout ce qu'il a fait jusqu'ici prouve suffisamment ces dispositions favorables envers les Principautés. Il ne demande donc pas mieux que d'en finir avec cette question. Mais malheureusement des obstacles que je me dispense d'ériumérer ont empêché jusqu'à présent de la terminer. Que les puissances alliées viennent donc en aide au Gouvernement de Sa Majesté le Sultan, pour aplanir ces difficultés, et alors tout ira pour le mieux. Les puissances alliées ont montré leur bienveillance envers la Turquie, en sauvegardant ses intérêts et ses droits ; elles ne souffriront pas, sans doute, qu'on se permette de les méconnaître. J'ai tout lieu d'espérer que les difficultés dont j'ai l'honneur de parler disparaîtront comme ont déjà disparu tant d'autres, grâce à l'intervention puissante du Gouvernement de l'Empereur. » En Grèce, on a été mécontent du langage tenu en pleine Chambre par le Ministre des Affaires Etrangères ; on a trouvé ce langage trop fort, et peu compatible avec la dignité du Gouvernement hellénique. Cela prouve que si les puissances alliées de la Turquie n'avaient pas fait des démarches auprès de la Grèce, les provinces turques auraient vu se renouveler les désordres auxquels les troupes grecques les ont livrés au temps de la guerre de Crimée.
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|138 1 ] Spitzcr Effcndi à Fuad Pacha Naples, le 4 juillet 1859 Dépêche No 224 Un courrier du Cabinet Anglais arrivé cette semaine à Naples a apporté à M. Elliot des dépêches importantes, qui ont notamment modifié l'attitude de ce Ministre. Lui qui, sous le Ministère Derby, se montrait assez conciliant et acceptait volontier les idées du général Filangieri, devient de jour en jour plus pressant et insiste vivement sur la nécessité d'accorder une constitution. Les patriotes napolitains, de leur côté, s'enhardissent, en voyant dans le Cabinet Anglais M. Gladstone, dont on n'a pas oublié les lettres si amères pour le gouvernement napolitain. Ils avaient un instant songé à se rendre encore au Ministère et à y donner publiquement lecture au général d'une adresse dans laquelle ils auraient énuméré tous leurs griefs et formulé leurs demandes. Mais, craignant de se compromettre, ils s'en sont tenus à la lui envoyer sous pli. Sur la demande de M. de Brenier, le Roi vient de faire mettre en liberté les 23 individus qui avaient été arrêtés à propos de la démonstration du mois passé. Les Ministres qui ont été envoyés ici en mission extraordinaire à l'occasion de l'avènement du Roi viennent de recevoir le Grand cordon de l'ordre de SaintJanvier. En même temps, le Prince Ischitella se rend au quartier général pour remettre à l'Empereur Napoléon une lettre autographe de Sa Majesté, et le Prince Ottojano va à Londres remplir la même mission auprès de la Reine Victoria. On ajoute que le Prince Ischitella est chargé de féliciter verbalement l'Empereur de ses récentes victoires. Les mesures adoptées par le gouvernement suisse contre ceux de ses nationaux qui prennent du service à l'étranger, font naître à Naples d'assez graves difficultés. Les termes de la dernière capitulation étant échus le 15 du mois passé le consul suisse à Livourne vient de publier un avis par lequel, rappelant à ses nationaux les peines sévères prononcées contre les enrôlements à l'étranger, il les informe que les contrevenants seront immédiatement déchus de leur nationalité. Le gouvernement napolitain s'occupe sérieusement de trouver un moyen pour parer à ces difficultés. Les esprits sont ici fort préoccupés de l'excommunication que le Saint-Père, dans un consistoire tenu le 27 juin, a lancé contre tous ceux qui ont pris part au dernier trouble de la Romagne. Malgré toutes les dénégations, des officiers sardes se sont rendus à Bologne pour y organiser le corps franc en attendant Massimo d'Azeglio, qui doit venir prendre en main la direction des affaires.
' S u i t e à une erreur d e numérotation le N° 137 m a n q u e .
- 163 J'apprends au dernier moment que le général Filangieri vient d'offrir sa démission au Roi, qui ne l'a pas accepté jusqu'ici. Une crise est imminente. [139] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 5 juillet 1859 Dépêche N° 147, réservé Obéissant à l'ordre qui m'a été adressé le 15 juin 1 , j'ai donné à M. le Ministre des Affaires Etrangères lecture de la dépêche de Votre Excellence, ainsi que des instructions adressées par Son Altesse le Grand vizir aux gouverneurs des provinces de l'Empire, au sujet de la conduite identique à suivre dans les conjonctures actuelles vis-à-vis des puissances belligérantes ou non. Ces documents ont vivement impressionné M. le Baron de Schleinitz, qui a désiré les mettre sous les yeux du Prince-Régent. Son Excellence n'a pu s'empêcher de reconnaître la justesse et l'opportunité de l'attitude adoptée par la Sublime Porte. Je m'empresse d'ajouter que j'ai cru devoir acquiescer à la demande expresse qui m'en a été faite. Il serait presque superflu d'indiquer que le sujet amena naturellement la conversation sur la question du jour en général, et sur la politique de la Prusse en particulier. M'inspirant, comme toujours, des sentiments et des intérêts du Gouvernement du Sultan, je n'ai pu dissimuler le désir de voir restreindre les calamités de la guerre. L'abstention de l'Allemagne du conflit m'en a toujours paru un des moyens les plus sûrs. Le Baron de Schleinitz m'assura alors, que tel était aussi son opinion, que la position de la Prusse était des plus délicates et qu'il n'entendait pas se séparer de l'Angleterre et de la Russie. Je prends la liberté de faire observer à Votre Excellence, que cet aveu ne m'a pas surpris. Je connaissais en effet les efforts déployés dans ce but. D'ailleurs, l'attitude des cabinets de Londres et de Saint-Pétersbourg et les derniers revers des Autrichiens avaient sensiblement calmé les dispositions belliqueuses du Gouvernement Prussien. D'une part, ces cabinets tout en acceptant les ouvertures de paix, ne se montrent pas disposés à laisser à la Prusse seule le soin d'une médiation efficace. D'autre part, cette puissance commence à sentir tous les dangers qui la menaceraient, si elle se donnait la mission de regagner pour l'Autriche des provinces perdues. On m'assure que les propositions que le Comte de Bernstorff a été récemment chargé de présenter à l'adoption du Ministère anglais, sont conçues dans des termes généraux. La ligne du Mincio serait, en réserve, la base de la pacification ; mais encore ce point de départ perd chaque jour plus de terrain. Les Français continuent par des conquêtes l'application de leurs programmes, et les Autrichiens ne se montrent nullement disposés à des concessions de cette nature. 'Dépêche No 2644 qui ne figure pas dans le dossier.
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Sur ces entrefaites, la Russie s'occupe habilement à rétablir son influence dans les conseils de l'Europe. Elle semble vouloir unir son action diplomatique à celle de la Prusse, en resserrant ses rapports avec le Gouvernement du PrinceRégent. Une dépêche télégraphique annonça hier la visite du Prince Gortschakoff à Berlin, pour se concerter sur les bases des négociations. Les Ministres Prussiens accueillirent cette démarche avec satisfaction. Peut-être espèrent-ils exciter les jalousies de l'Angleterre et attirer ainsi son concours. Toutes ces circonstances indiquent, si je ne me trompe, que le Gouvernement Prussien ne se hâtera pas à prendre, ainsi qu'il l'avait d'abord décidé, un parti qui compromettrait ses efforts. Le Comte Pourtalès me confirme dans cette o p i n i o n . C e p e n d a n t , la situation n'est ni moins tendue ni moins embarrassante. Par la mobilisation, le Cabinet de Berlin s'est précipité dans une impasse, dont il lui sera difficile de sortir avec considération. Il faut espérer que les circonstances leur faciliteront la tâche. Je ne saurai terminer cet humble rapport, sans signaler un fait aussi curieux qu'instructif. Les désastres de l'Autriche apaisèrent comme par enchantement les sympathies de l'Allemagne ; et les diplomates de la Confédération, dans leurs jérémiades confidentielles, commencent déjà à renier tout intérêt pour les possessions autrichiennes en Italie. 1140] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 5 juillet 1859 Dépêche N° 148, réservé La présence du Prince Windischgraetz dans cette Capitale embarrasse le Gouvernement Prussien et préoccupe la Diplomatie. Des données précises sur le but de cette visite inattendue me font jusqu'à présent défaut. Cependant, il ne serait peut-être pas hardi de présumer que l'Autriche espère obtenir, par l'influence de ce personnage, l'alliance que vint demander l'Archiduc Albert. Il paraîtrait aussi que l'effervescence des esprits en Hongrie, en Bohême et dans le Tyrol n'est pas étranger à cette mission. Il n'est pas probable que dans le moment actuel l'Ambassadeur Autrichien puisse avoir des chances de succès. Mais ses efforts échoueraient complètement, s'il était exact que le Prince Windischgraetz tient un langage haut, en avançant qu'il venait chercher des alliés et non des médiateurs. En attendant, de puissantes influences, tant intérieures qu'extérieures, travaillent à maintenir la Prusse dans un état d'indécision. En première ligne, il faudrait compter l'Impératrice mère de Russie et la Princesse de Prusse. Les sentiments anti-Autrichiens de S.A.R., q u ' u n e ancienne rivalité contre la Reine renforce, ont fini par gagner presque tous les Ministres du Prince Régent. Je n'ose cependant pas croire que le danger d'une participation de la Prusse à la guerre soit complètement écarté. Il faudrait pour cela perdre de vue
- 165 et les penchants et le caractère du Prince Régent, et l'influence du parti de la Croix, et les nécessités imminentes de la mobilisation. [141] Fuad Pacha à Musurus Bey Le 6 juillet 1859 Dépêche N° 2742, confidentielle L'ambassade impériale de France vient d'informer la Sublime Porte que les bâtiments de guerre français qui se trouvent dans la mer Adriatique iront se ravitailler dans le port d'Antivari. Vous savez, Monsieur l'ambassadeur, que le Gouvernement du Sultan dans ses sentiments d'amitié et d'alliance pour celui de S.M. l'Empereur, est toujours disposé à lui offrir toutes les facilités qui seraient en son pouvoir. Vous n'ignorez pas aussi que d'un autre côté la Sublime Porte ayant résolument adopté des principes d'une stricte neutralité dans la guerre actuelle, ne saurait suivre ses propres sentiments à l'égard de la France que jusqu'au point où elle pourrait concilier ces sentiments avec les principes qu'elle a déjà proclamés. Elle est prête en conséquence à donner, comme elle l'a déjà fait, les ordres nécessaires à ses autorités du littoral afin qu'elles aient à prêter leur assistance en tout ce qu'elle pourrait faciliter le ravitaillement des escadres françaises, dans des mesures compatibles avec ce principe de neutralité. Mais il y a un point essentiel à considérer en ce qui regarde Antivari. Par sa position et sa contiguïté même au Monténégro, ce port se trouve dans une position toute exceptionnelle. L'apparition des bâtiments de guerre à Antivari ne manquerait pas sans doute de faire naître une excitation qui pourra créer des embarras que le Gouvernement de S.M. l'Empereur dans ses dispositions bienveillantes à l'égard de la Turquie a spontanément déclaré vouloir lui épargner. Aussi, la Sublime Porte veut faire une exception à l'égard de ce port et confiant dans les dispositions amicales du Gouvernement français, elle espère qu'il se rendra à son désir. Je vous prie donc d'expliquer confidentiellement à M. le Comte Walewski, la position de la Sublime Porte à l'égard d'Antivari, tout en lui réitérant nos assurances que nous serons toujours heureux de pouvoir être agréable au Gouvernement impérial de France sans manquer au principe de neutralité, que nous avons adopté.
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[142] Rustem Bey à Fuad Pacha Le 7 juillet 1859 Dépêche N° 565 Par la traduction ci-annexée des bulletins de la guerre publiés par le Gouvernement Sarde depuis mon dernier rapport du 30 juin, N° 558 1 , de Votre Excellence verra qu'aucune nouvelle action n'a eu lieu entre les armées belligérantes. Tous les détails qui nous parviennent chaque jour sur la grande bataille de Solferino nous font de mieux en mieux juger de son importance, de ses résultats et conséquences. Ainsi il paraît que la perte de l'armée autrichienne qui, ainsi que j'ai eu l'honneur de l'annoncer à Votre Excellence, était estimée à 15 000 hommes, en réalité était beaucoup plus considérable et qu'elle arrive à près le 30 000 tués, blessés ou prisonniers. Il est de plus évident que cette défaite suivant de si près celle de Magenta, Palestro etc. etc. a jeté l'armée autrichienne dans une telle désorganisation qu'elle n'a plus pu défendre le passage du Mincio et les magnifiques positions de la rive gauche de ce fleuve et qu'elle a dû se retirer jusque sous la protection des canons de Vérone. Aussi les armées alliées ont pu sans coup férir passer le Mincio, passage qui était considéré comme l'opération la plus difficile et la plus dangereuse de toute la campagne. L'armée sarde a investi Peschiera ; elle attend seulement l'arrivée du parquet de siège qui doit lui parvenir d'un moment à l'autre, et la mise à l'eau des canonnières françaises, arrivées déjà en pièces démontées sur les bords du lac de Garda, et que 800 calfats et matelots venus de Toulon travaillent activement à monter et armer, pour commencer le siège en règle. De son côté l'armée française renforcée du corps du Prince Napoléon arrivé de Toscane, laissant un corps d'armée en observation vers Mantoue marche droit sur Vérone qui est la clé du fameux quadrilatère sur lequel l'Autriche fondait de si grandes espérances et que depuis tant d'années elle travaillait à grands frais à fortifier. Dans peu de jours nous devons nous attendre à apprendre l'arrivée de l'armée française devant cette forteresse. Sous la protection de ses canons il est très probable que l'armée autrichienne, avant de s'y laisser enfermer, risquera encore le sort d'une grande bataille. Si la fortune de la guerre continue à se montrer favorable aux Français et que la victoire leur soit fidèle le résultat de la guerre sera assurée et la chute des forteresses, dernier boulevard de la puissance autrichienne en Italie, ne sera plus qu'une question de temps.
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- 167 11431 Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 9 juillet 1859 Dépêche N° 156, confidentielle La nouvelle de l'armistice convenu le 7 entre l'Empereur des Français et l'Empereur d'Autriche, fut hier officiellement communiquée au Cabinet de Berlin par le marquis de Moustier. Certes, des données plus précises auront expliqué cette subite et remarquable résolution, avant que cet humble rapport soit mis sous les yeux de Votre Excellence. Je crois en attendant de mon devoir de signaler certaines circonstances, concernant le Gouvernement prussien et qui me frappent par leur coïncidence. Et d'abord, je sollicite I autorisation de constater, que le Prince Windischgraetz arriva à Berlin le 5 de ce mois, avec la mission d'obtenir une réponse catégorique sur les intentions de la Prusse. L'Autriche, si je suis exactement informé, demandait en même temps la concentration immédiate de forces considérables sur le Rhin. Par ce moyen, le Cabinet de Vienne avait espéré sans doute empêcher l'envoi de nouveaux renforts français en Italie. Votre Excellence voudra bien se rappeler qu'à cette date, l'ordre de marcher a été signé pour deux corps d'armée. On serait peut-être autorisé à présumer, que cette résolution inefficace avait été dictée par le désir d'éviter la pression étrangère. À l'entrevue particulière que le Prince régent accorda le 6 à l'ambassadeur Autrichien, ce dernier déclare formellement : que l'Empereur, son maître, était résolu de poursuivre la guerre et de ne faire aucune concession. S. A. R., priée de manifester des intentions rassurantes, s'y refusa avec la promesse toutefois d'accorder bientôt au Prince Windischgraetz une audience, en présence du Ministre des Affaires Etrangères. Il est peu probable que ce personnage, généralement estimé pour ses sympathies prussiennes et possédant de nombreux amis dans ce pays, ne fût informé des dispositions prédominantes du Cabinet de Berlin. Il serait aussi hardi de prétendre que l'Empereur FrançoisJoseph n'en fut immédiatement prévenu par son ambassadeur. Tandis que cette nouvelle phase se développait sur la Péninsule, un Conseil des Ministres se tenait à Berlin, sous la présidence du Prince régent. Dans ce conseil, convoqué dans le but de discuter encore une fois l'attitude de la Prusse, presque tous les Ministres émirent l'opinion de s'abstenir de toute démarche isolée et énergique en faveur de l'Autriche. Je crois savoir que le Baron de Schleinitz s'avança jusqu'à soutenir l'opinion des Ministres Anglais, savoir que l'Autriche ne pourrait que gagner en force, en abandonnant ses possessions italiennes. Le Ministre de la Guerre, secondé par quelques généraux exceptionnellement appelés à prendre part aux délibérations, combattit l'opinion précitée et soutint l'intervention armée. On assure que le Prince
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régent et l'héritier présomptif manifestèrent des dispositions analogues. Il n'est cependant pas moins avéré que, depuis la bataille de Solferino, S.A.R. hésite à laisser libre cours à son élan. Il est à peine nécessaire d'ajouter que la nouvelle de la trêve mis fin à ces intéressantes délibérations. Aussitôt, le Prince Windischgraetz fut invité à en donner des explications. Son Excellence se montra fort surprise et peu disposée à croire à l'exactitude du fait. En attendant, le monde politique de cette capitale se perd en conjectures sur les motifs et l'étendue de l'arrêt des hostilités. On va même jusqu'à en conclure à une entente directe survenue entre les deux Empereurs au préjudice de certaines Puissances. Il est toutefois à remarquer que les bruits de paix précédèrent de quelques jours l'armistice. Dernièrement encore, un haut personnage revenant de Vienne, m'assurait qu'on y désirait généralement la paix et que l'on s'y attendait. Peutêtre l'Autriche, désespérant du soutien de l'Allemagne et considérant l'attitude prise par l'Angleterre et la Russie, adhérera à un arrangement de nature à lui faire éviter de plus grandes pertes. En cette circonstance, je prends la liberté de rappeler respectueusement l'entretien que j'ai eu dans le temps avec le Ministre de Russie. Il m'avait paru alors que le maintien par l'Autriche de la ligne du Mincio trouverait de l'appui auprès du Cabinet de Saint-Pétersbourg. Le récent rapprochement de ce Cabinet au Gouvernement du Prince régent aura peut-être donné plus de consistance à cette base. Aussi ne sera-t-il possible que l'Empereur des Français, fidèle à son programme de modération, fut influencé dans ce sens par son allié ? Il n'est pas moins curieux, qu'au moment de l'armistice, l'Autriche proposait à la Diète de Francfort de conférer au Prince régent le commandement supérieur de l'armée confédérée. Je viens d'apprendre que Son Altesse Royale en a été désagréablement affectée et qu'elle se propose de décliner l'offre ainsi faite. Probablement, le moment n'est pas éloigné où la Prusse, posant à ce curieux aréopage teutonique, des conditions inadmissibles, abandonnera la cause de l'Allemagne qu'elle a voulu diriger. Les chances de paix écarteront peut-être aussi les dangers, que la mobilisation et l'indécision avait attiré sur le Ministère et le pays.
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Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 11 juillet 1859 Dépêche No 228 La situation politique du pays continue à offrir les symptômes les plus alarmants ; tandis qu'en Sicile l'agitation ne fait que s'accroître, à Naples nous avons eu cette semaine une crise ministérielle et une révolte militaire. Au moment ou je terminai ma dernière dépêche, le bruit se répandait que le général Filangieri venait de remettre sa démission entre les mains du Roi. Fatigué de l'opposition qu'il rencontrait à la Cour, il renonçait à la direction des affaires. Sa position devenait effectivement des plus difficiles. Tandis qu'il en venait aux scènes les plus vives avec le Comte d'Itquila pour ne pas subir les créatures que celui-ci voulait lui imposer, le Roi lui refusait obstinément le renvoi du préfet de police, et, malgré les promesses formelles, différait le remplacement des intendants réactionnaires du dernier règne par des fonctionnaires plus libéraux. D'un autre côté, pendant qu'à grand-peine le général obtenait un décret qui abolissait les listes des suspects, le Ministre de l'Intérieur adressait aux intendants des provinces une circulaire secrète dans laquelle il leur ordonnait de maintenir ces listes et de continuer à traiter comme par le passé ceux qui y figuraient. Le Général n'eut connaissance de cette mesure que lorsque M. de Brenier lui mis sous les yeux une copie textuelle de la circulaire ministérielle. Il envoya sa démission au Roi et se retira à la campagne. On chercha à le ramener en lui prodiguant les promesses les plus formelles ; mais le général refusa et ne céda qu'en présence du danger auquel la révolte des Suisses exposait la dynastie. C'est ainsi qu'il rentra aux affaires à la grande satisfaction de la Cour qui se loue beaucoup de sa conduite en cette circonstance. La question des enrôlements de troupes suisses a pris tout à coup cette semaine une tournure à laquelle on était loin de s'attendre. Pour prévenir toute réclamation de la part de la confédération, le gouvernement napolitain s'était décidé à transformer les régiments suisses en corps francs portant la bannière napolitaine au lieu du drapeau suisse, qui leur était accordés par les capitulations. Cette décision blessa l'amour-propre national de ces troupes ; des murmures éclatèrent dans les casernes, et les soldats déclarèrent qu'ils voulaient être renvoyés dans leur pays si on ne maintenait pas les conditions de leur engagement. D'un autre côté, les esprits été vivement excités par les nouvelles de la guerre, et une véritable rivalité s'était établie entre les Suisses Allemands et les Suisses français ; des rixes se renouvelaient à chaque instant, et on put prévoir dès le 6 qu'une catastrophe était imminente. Le 7 juillet, à 9 heures du soir, 200 hommes du deuxième régiment, quittèrent en armes leur caserne, frappant et blessant les officiers qui tentaient de s'opposer à leur sortie, et se dirigèrent vers les casernes des autres régiments, pour les entraîner
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à leur suite. Devant celle du quatrième, ils rencontrèrent une certaine résistance, mais ils en vinrent à bout en tuant l'officier et le tambour du poste, en forcèrent la porte, et emportèrent tous les drapeaux sur lesquels ils purent mettre la main. En ce moment, leur nombre s'était à peu près doublé ; ils se dirigèrent sur Capodimonte, où était la Cour, et arrivèrent là tout avinés. Devant la porte du palais ils tirèrent des coups de fusil en l'air et poussèrent des cris séditieux, demandant notamment qu'on leur rendit leur drapeau. Le Roi envoya pour les apaiser des officiers du Palais qui les engagèrent à se retirer en leur promettant que leur drapeau leur serait rendu. Les Suisses répondirent qu'ils allaient se retirer au Champ-de-Mars attendre que justice leur fut faite. Effectivement ils se dirigèrent vers cet endroit, et commencèrent là toutes sortes d'excès ; un débit de vin fut forcé, plusieurs marchands furent dévalisés et tués, et ils passèrent toute la nuit à s'énivrer. Pendant ce temps, le général Filangieri avait envoyé à leur poursuite le bataillon de chasseurs suisses et le quatrième régiment, avec une section d'artillerie ; ses troupes furent reçues à coups de fusil par les rebelles, et après qu'on les eut vainement sommés de se rendre, l'artillerie dut tirer à mitraille. Deux décharges successives coûtèrent aux rebelles une centaine d'hommes tant tués que blessés ; on fit environ 200 prisonniers, et le reste parvint à s'cchapper. Par cette vigoureuse mesure la sédition f u t apaisée. On avait craint un moment que le deuxième et le troisième régiment, les seuls compromis dans cette affaire, ne voulussent se venger des chasseurs et du quatrième, qui avaient réprimé le mouvement, mais ces craintes ne se sont heureusement pas réalisées. Pendant ce temps la population resta calme et impassible. La révolte des Suisses, dont la fidélité à la monarchie était devenue proverbiale, a produit au palais une grande impression. Le Roi avec toute sa famille a quitté Capodimonte pour s'établir à Naples. Le général Filangieri réside en permanence au palais. Pour apaiser les autres régiments suisses, on s'est hâté de leur rendre leurs drapeaux anciens, et d'autoriser à quitter le service tous ceux qui le désireraient. Dès le premier jour 1900 d'entre eux ont profité de cette autorisation, et le gouvernement les a immédiatement fait transporter à Gênes sur des navires de l'État. On a tout lieu de croire que ce nombre s'accroîtra encore notablement. Quant aux auteurs de la sédition, ils seront déférés à un conseil de guerre. En Sicile, l'agitation continue. L'autorité a ordonné le désarmement général. Des symptômes d'insubordination se sont également manifestés dans les rangs du régiment suisse en garnison à Palerme.
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Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 11 juillet 1859 Dépêche No 229, confidentielle La révolte des troupes suisses, dont j'ai donné les détails dans ma dépêche officielle No 228 1 , est un événement trop grave pour que je n'essaie pas d'en indiquer les causes et les conséquences, telles qu'elles sont généralement appréciées à Naples. Le comité révolutionnaire piémontais, qui poursuit son œuvre avec une rare sagacité et une inébranlable persévérance avait compris que, tant que la royauté pouvait compter sur l'appui de ses troupes suisses, il fallait renoncer à obtenir du Roi des concessions ou de la nation une révolte ouverte ; mais que, cet appui venant à manquer, une révolution pacifique pourrait s'accomplir ici comme à Florence, sans que le peuple eut rien à redouter de l'armée napolitaine mécontente de la préférence que la royauté avait toujours montré aux troupes suisses. Il envoya donc ses émissaires à Naples, pour souffler la révolte dans ce corps, en y répandant des proclamations séditieuses, et en y semant l'argent à pleines mains. Le gouvernement napolitain n'ignorait pas ces manœuvres et lorsqu'il y a quelques jours il reçut la protestation de la Confédération contre les enrôlements à l'étranger, il comprit bien d'où partait le coup et sous l'empire de quelles influences cette mesure avait été prise. Mais sûr des officiers, il espérait qu'ils sauraient retenir leurs troupes dans le devoir, et comptait comme naguère sur leur fidélité tant de fois éprouvée. Les soldats suisses blessés dans l'émeute déclarent maintenant qu'ils ont été excités à la révolte par des agents étrangers et que la restitution de leurs drapeaux ne leur a servi que de prétexte. M. de Carafa, à qui je dois ces détails, est moralement convaincu que le personnel de la légation de Sardaigne a pris une large part à toutes ces manœuvres, et il espère que l'enquête qui est commencée, fournira des preuves assez fortes pour qu'il puisse déférer leur conduite à l'appréciation des Cabinets. M. de Brenier, m'assure-t-on, n'a pu s'empêcher de prononcer un blâme sévère sur les menés des employés de la Légation Sarde, qui, partout, dans les établissements publics, dans les cafés, en pleine rue critiquent hautement les actes du gouvernement et provoquent le désordre. Lors de la démonstration du mois passé le Comte Maffei, attaché de la Légation, a été pris dans un groupe au moment où il poussait des cris séditieux ; il a été naturellement relâché sur les réclamations du chargé d'affaires, mais la police n'en a pas moins constaté qu'il était un des principaux instigateurs du mouvement.
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172 Les fauteurs de la révolte des Suisses avaient espéré que le peuple profiterait de ce mouvement pour se soulever, et que le gouvernement pris entre ces deux mouvements simultanés, y succomberait nécessairement ; mais il avait compté sans l'apathie du peuple et sans l'énergie du général Filangieri, et cette fois-ci du moins leurs projets ont échoué. Le pouvoir du général est sorti de cette épreuve puissamment retremper, et l'on doit espérer que le Roi comprendra désormais la nécessité de lui laisser la haute direction des affaires. Tous ceux qui ont observé le Roi dans cette circonstance déclarent qu'il était tellement saisi qu'il ne pouvait prendre aucune décision. Il n'avait songé qu'à faire préparer les voitures pour s'enfuir avec la famille royale. Dès le lendemain il se hâta de quitter Capodimonte pour se rendre en ville, mais voulant éviter les quartiers les plus fréquentés de Naples, il fit un détour de plus d'une lieue, et on vit avec regret que, par surcroît de défiance, il s'était entouré de tout un régiment de hussards. La révolte des Suisses aura sans doute les conséquences les plus importantes sur les destinées de l'État. Il est probable que les soldats suisses qui restent encore, ne tarderont pas à suivre l'exemple de ceux qui se sont rapatriés. Quand on songe que ces troupes étaient la principale force de la dynastie, que c'était leur dévouement à toute épreuve qui permettait au Roi Ferdinand de repousser les vœux de la nation, il est permis de croire que la disparition de cette force produira une modification profonde dans le système actuel. [146] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 13 juillet 1859 Dépêche N° 158, confidentiel La promptitude avec laquelle la signature des conditions de paix suivit l'armistice, frappe toutes les imaginations. Le monde politique, il faut bien l'avouer, ne l'a pas été moins surpris ; et le mystère qui plane sur l'entente directe des deux Empereurs inspire au Cabinet de Berlin de sérieuses inquiétudes. Sous cette impression, les uns cherchent à dévoiler le secret des concessions autrichiennes dans la perspective d'un dédommagement en Orient ; les autres établissent l'existence de desseins sur l'Allemagne. Il serait certainement fort difficile de connaître les raisons, qui ont amené une résolution aussi inattendue. Le fait témoigne cependant de la modération et de la prudence de part et d'autre. Il est parfaitement connu de Votre Excellence, qu'au moment de l'armistice, les armées belligérantes se trouvaient dans un état fatigué que menaçait d'agraver l'influence du climat. Il serait également superflu de rappeler les efforts assidus de médiation, les procédés de l'Allemagne, les mouvements en Italie et l'agitation, grosse de danger, dans l'Empire d'Autriche et notamment en Hongrie. Cette concurrence de circonstances n'était-elle pas en effet de nature à influencer les résolutions de Sa Majesté apostolique ?
- 173 L'Empereur Napoléon, jugeant avec perspicacité la situation, proposa l'arrêt des hostilités qui fut acceptée avec empressement. La trêve signée, Sa Majesté effectua l'entrevue à Villafranca, où les conditions de paix furent arrêtées. Il est à présumer que l'influence personnelle de l'Empereur écarta les scrupules de son auguste interlocuteur. D'ailleurs, certaines actions dans le camp autrichien paraissent avoir facilité l'entente directe. Peut-être aussi le désir de paralyser toute médiation de la part de l'Angleterre et de la Russie, médiation qui répugnait à l'Empereur François-Joseph, n'y a pas peu contribué. Quoiqu'il en soit, le résultat de l'entrevue causa une stupéfaction générale. La tactique déployée en cette circonstance mérite particulièrement d'être signalée. Je crois pouvoir affirmer à Votre Excellence que le 6 de ce mois le Ministre de France exprima, au nom de l'Empereur, le désir que le Cabinet de Berlin proposa une trêve à l'Autriche. En même temps était averti l'Empereur François-Joseph, qu'une puissance neutre allait intervenir pour la cessation des hostilités. Le jour même de la signature de ce premier acte, le Comte Walewski l'expliquait par l'urgence des circonstances ainsi que par la position de l'armée française devant les forteresses et en Vénétie. Il est à remarquer que tous ces incidents se succédèrent peu après que la France, d'une part, adhérait à la médiation Prusso-russe, tandis que l'Autriche d'autre part, déclarait ne vouloir accepter l'intervention de l'Angleterre et de la Russie. Il n'y eut toutefois pas d'objection quant aux bons offices de la Prusse. C'est expliquer peut-être les pourparlers qui ont eu lieu, au sujet de la convocation d'un congrès à Berlin. Celte dernière mesure, quoique toujours officiellement soutenue par le Ministre de France à Berlin, semble vouloir perdre beaucoup de consistance. Cependant il est à présumer que la modification sérieuse que viennent de subir les traités de 1815, exigera une consécration quelconque. Je m'empresse d'ajouter que le Cabinet de St. James, après avoir refusé son concours à l'intervention, déclare ne vouloir s'interposer que dans le cas où les parties belligérantes le lui demanderaient. Je viens d'apprendre qu'il se montre peu disposé à sanctionner les conditions arrêtées. En attendant, le Prince régent et son Gouvernement sont péniblement affectés des procédés inexplicables de l'Autriche. Ils croient y voir une duplicité de conduite. Il m'est en efl'et confirmé que, pendant que le Prince Windischgraetz insistait hier encore auprès de S. A. R. pour la concentration des troupes prussiennes, il recevait de Vérone une dépêche de l'Empereur qui lui signifiait la conclusion de la paix et la fin de sa mission. L'ambassade autrichienne ne s'en montra pas moins surprise et irritée. Je crois ne pouvoir mieux rendre ce sentiment, qu'en citant un mot du Baron Koller. Un des fonctionnaires supérieurs de Prusse lui manifestait son étonnement sur la concession de l'Autriche : « C'est à vous que nous devons cette paix ». Ce ressentiment ne contiendrait-il pas le germe de nouveaux combats que l'antagonisme des deux Puissances engagerait bientôt sur le champ de l'Allemagne ?
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Au milieu de ces impressions plus ou moins rassurantes, l'événement du jour constate, si je ne me trompe, le caractère de l'homme qui sait s'arrêter à temps en obtenant le but préposé. En tout cas, la paix procurera à la Sublime Porte la satisfaction d'avoir adopté et strictement suivi une conduite loyale et prudente. Je m'estime fort heureux de voir les faits confirmer l'exactitude des informations, que j'ai cru de mon devoir de transmettre, dans le temps à Votre Excellence sur le règlement des affaires italiennes. Je dois toutefois avouer qu'il m'aurait été difficile de prévoir, que la Confédération Germanique servirait de modèle. On m'assure d'ailleurs que la présidence du Pape n'est que nominale. [147] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 13 juillet 1859 Dépêche N° 567 J'ai l'honneur d'envoyer ci annexé à Votre Excellence l'ordre du jour de l'Empereur Napoléon à l'armée par laquelle il lui annonce la suspension d'armes convenues entre lui et l'Empereur d'Autriche. Sa Majesté retourna à Paris et laisse le commandement de l'armée au maréchal Vaillant. P.S. : J'ai l'honneur de remettre également traduction à Votre Excellence de l'armistice signé entre les parties belligérantes le 8 juillet. |148] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 14 juillet 1859 Confidentielle La nouvelle de la signature des préliminaires de paix a produit ici un immense effet et, j e regrette de constater, un bien mauvais effet. L'on se plaint amèrement de ce qu'après tant de belles promesses l'on abandonne de nouveau la plus grande partie de l'Italie à son malheureux sort, l'on n'hésite pas à dire partout que la question italienne n'est nullement résolue par les arrangements qui viennent d'être pris et que ce sera à recommencer dans quelques années. L'Empereur des Français qui, il y a peu de jours, était si populaire ici que son portrait se voyait dans toutes les boutiques de Turin, et auquel on avait fait l'accueil le plus magnifique, est tellement déchu de la faveur populaire que tous ces portraits ont à l'instant même disparu de toutes les boutiques et l'on n'en voit plus un seul nulle part. Dans quelques magasins on a m ê m e remplacé le portrait de l'Empereur par celui d'Orsini et la police a même dû s'en mêler. Je crois que s'il venait actuellement à Turin il serait bien mal reçu, aussi, malgré les bruits qui courent, je doute beaucoup qu'il vienne ici.
- 175 Le Comte de Cavour eri se retirant de la direction du Ministère est conséquent avec les principes qu'il avait proclamés dès l'origine. Il sera fort difficile de le remplacer. J'ai jugé sa démission un fait assez important pour en informer Votre Excellence par télégraphe de ce jour. [1491 Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 14 juillet 1859 Dépêche N° 569 La signature d'un armistice entre les armées belligérantes a bientôt été suivi par la signature des préliminaires de paix. Nous avons appris ces deux nouvelles par des dépêches de Paris ; je n'ai donc pas cru devoir les télégraphier à Votre Excellence, car mon collègue à Paris les ayant connus beaucoup plus tôt que moi n'a pu manquer de le signaler à Votre Excellence. D'après la dépêche adressée par l'Empereur à l'Impératrice les bases de la paix seraient : une confédération italienne sous la présidence honoraire du Pape ; L'Empereur d'Autriche cède ses droits sur la Lombardie à l'Empereur des Français qui les ramenaient au Roi de Sardaigne ; L'Empereur d'Autriche conserve la Vénétie, mais elle forme partie intégrante de la confédération italienne ; Amnistie générale. D'après ce qui m'est assuré ici par des personnes haut placées, le Piémont s'augmenterait de toute la Lombardie, des Duchés de Parme et de Plaisance. La Toscane retournerait à son ancien Grand-Duc, et il en serait de même de Modène. On obligerait le Pape à faire des réformes libérales. La nouvelle de la paix sur ces bases n'a pas fait un bon effet ici ; on est mécontents de voir 1a. Vénétie et plusieurs autres parties de l'Italie ainsi abandonnée après les promesses formelles qui leur avaient été faites. M. le Comte de Cavour après avoir été au quartier général voir le Roi, lui a donné sa démission. L'on assure que Sa Majesté a fait tout son possible pour persuader à son Premier Ministre de garder ses portefeuilles, mais M. le Comte persiste à vouloir se retirer. Tous ses collègues suivent son exemple. L'on assure encore que Sa Majesté aurait appelé au quartier général M. le Comte Arese pour le charger de former un Ministère. M. le Comte de Cavour m'a fait dire qu'il regrettait beaucoup de n'avoir pu me donner une réponse à la note dont je lui ai donné communication concernant l'investiture de l'hospodar de Valachie et de Moldavie ; que le motif a été qu'il n'avait pas encore lui-même reçu de réponse aux dépêches qu'il avait écrites à Paris à ce sujet ; actuellement il quittait le Ministère et que c'était avec son successeur que je devrai s traiter cette affaire. Nous devons donc attendre qu'un nouveau Ministère ait pu être formé.
- 176 — Le Roi est attendu ici demain, mais l'on doute beaucoup que l'Empereur vienne. [150] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 14 juillet 1859 Nous avons été surpris de la nouvelle inattendue qui nous est arrivée le 8 juillet, l'Empereur des Français annonçant à l'Impératrice qu'une suspension d'armes avait été convenue entre lui et l'Empereur François-Joseph et que les commissaires doivent être nommés pour en assurer les dernières clauses. Votre Excellence a sans doute appris par le télégraphe que le maréchal Vaillant et le général Hess ont été nommé commissaires, et l'armistice a été signé par eux le 8 à Villafranca, et le terme a été fixé au 15 août. Au premier abord on avait peine à concevoir comment l'Empereur des Français avait pu faire les premières démarches auprès de l'Empereur d'Autriche pour conclure un armistice ; lorsqu'une seconde dépêche nous a appris que c'était par une lettre autographe que Napoléon s'était adressé à François-Joseph. Qu'il me soit permis d'insister sur ce détail, car il expliquait mes yeux la bonne volonté, et la réponse conciliante de l'Empereur d'Autriche ; en effet, il ressort à l'évidence que les termes dans lesquels la lettre autographe était conçue ont pu seul déterminer le vaincu à accepter une proposition de la part du vainqueur ; mais pourquoi l'Empereur Napoléon fait-il une pareille démarche, lorsque, par une proclamation il semblait ne vouloir arrêter ses armées victorieuses qu'à l'Adriatique ? C'est que l'Empereur ne s'attendait pas à ce mouvement révolutionnaire qui se propage jusque dans les Etats du Pape. C'est parce qu'il craint que l'insurrection dont il avait lui-même autorisé quelques chefs tels que Klapka etc., à allumer les premiers brandons d'un incendie ne se propagent jusque dans l'Empire des tsars. L'Empereur Napoléon appréhende aussi, que s'il continue la guerre, et que devant le colossal quadrilatère, il n'éprouve une défaite, qu'à son retour en France, il perde aux yeux de son peuple, ainsi qu'à ceux de l'Europe le prestige de vainqueur perpétuel qu'il s'est acquis aujourd'hui ; et enfin c'est que l'Empereur Napoléon n'a aucun intérêt à avoir aux portes de la France des nationalités trop grandes se formaient ; dans le présent comme dans l'avenir la France a tout avantage à voir autour d'elle des petits États libres et indépendants dont elle pourra se faire facilement obéir. Mais dans tout ceci comme Votre Excellence a pu le remarquer, il n'a pas été question de l'allié de la France ; le Roi Victor-Emmanuel et son puissant conseiller le Comte de Cavour expriment déjà leur mécontentement de ce que le programme qu'on avait annoncé n'ait pas été suivi à la lettre. On sait que le but principal du Piémont était de soulever l'Italie entière et d'obtenir par ce soulèvement une confédération italienne dont il serait le pivot et la tête. Le
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Piémont s'inquiète peu du mauvais effet qu'a produit en Russie la rébellion des États de Parme et de Toscane, Victor-Emmanuel a peu de souci du mouvement inquiétant pour Sa Sainteté et, pour le clergé français, qui se manifeste dans les États de l'Église. L,'Empereur voit dans tout cela plus de danger que son Royal allié. Et l'Autriche quel intérêt a-t-elle d'entrer en arrangement ? Est-ce la crainte d'être battue encore ? Est-ce la peur de voir la démoralisation dans son armée, ou un mouvement dans cette capitale comme on l'a faussement répandue ? Non, l'Autriche est plus forte que jamais, les vides faits par les tués et les blessés sont comblés par de vieux soldats ; et si la consternation a été grande à Vienne, l'esprit national est encore trop vivace dans tous les cœurs pour ne pas étouffer tout autre sentiment s'il en existait un. Mais l'Autriche se voit abandonnée par tous les États sur lesquels elle croyait pouvoir compter ; mais pouvant s'attendre à une révolution en Hongrie, elle y avait envoyé tous ses régiments italiens, mauvais défenseurs pour une pareille cause. Ajoutez à cela que François-Joseph avant de décacheter la lettre autographe de l'Empereur Napoléon, venait d'apprendre que la mission du Prince de Windischgraetz avait échoué à Berlin et que par conséquent la diversion qu'il avait proposée de faire sur le Rhin ne pouvait avoir lieu. Ne sont-ce pas là des raisons suffisantes pour se montrer bienveillant ; si l'on considère, en dernier lieu et comme motifs bien puissants aussi que la guerre coûte cher à l'Autriche, et que dans un arrangement elle peut espérer voir à la tête d'une des nouvelles nationalités qu'on veut former, un Prince de sa maison. Dans les cercles politiques ici il y a des personnes qui pensent que les prétentions ambitieuses du Comte de Cavour, et le mouvement insurrectionnel qui se propage tous les jours davantage dans les États du Pape, ont décidé Napoléon à proposer un armistice et à conclure la paix. Il entrait dans les vues de l'Empereur des Français de ne mêler en rien les trois Grandes Puissances dans ce dénouement inattendu. Il fallait pour réussir qu'une démarche fut faite par le vainqueur sans le concours m ê m e de son allié, qui déjà au commencement des hostilités regardait Venise d'un œil plein de convoitises. Votre Excellence comprendra, j'en suis certain le dépit que le Piémont, et surtout, le Comte de Cavour, ce belliqueux conseiller de Victor-Emmanuel, doivent ressentir. L'Empereur d'Autriche doit avoir à cœur de se venger de l'indifférence que la Prusse lui a montrée, et, certainement François-Joseph devait se hâter d'accepter les propositions pacifiques de Napoléon s'il voulait éluder l'envoi de pareilles propositions de la part du Prince régent et conserver vis-à-vis du Gouvernement prussien le caractère d'ami délaissé qu'il a aujourd'hui. Telle position lui procure l'avantage de ne pas donner prise au sentiment de reconnaissance auquel on pourrait avoir besoin de faire appel dans l'avenir. Aussi c'est pour cela que d'un commun accord les deux Empereurs ont signé le 12 juillet une paix précipitée dont la nouvelle inattendue a étonné l'Europe entière.
- 178 Dans une conversation qui s'est tenue à Londres, le marquis d'Azeglio représentant de la cour de Sardaigne, a dit tout haut, que l'Empereur Napoléon suivrait son programme jusqu'au bout, que les Autrichiens seraient repoussés jusqu'à l'Adriatique, et que si à cette limite, ils ne voulaient pas encore transiger, on fera la conquête d'une province de l'ancien Empire d'Autriche. Votre Excellence jugera de l'étonnement qu'a dû éprouver ce personnage à la nouvelle de l'armistice, et de sa stupéfaction lorsqu'il aura appris que la paix venait de mettre un terme à cette ambition sans limites qui semble s'être emparée de tous les Piémontais. Monsieur de Persigny était aussi loin de se douter de ce qui se passait sur le théâtre de la guerre, car la veille du jour de l'arrivée de la première dépêche pacifique à Londres, il disait que l'Autriche ne perdrait pas grand-chose, en dépossédant ses provinces italiennes et que d'ailleurs si elle se montrait complaisante on pourrait la dédommager en lui donnant par exemple, les Principautés. Le Ministre anglais, lui-même ne pouvait s'attendre à la nouvelle d'une paix prochaine, la preuve de ce que j e dis, c'est le discours de Lord John Russell, qu'il a prononcé en plein Parlement, à la Chambre des Communes dans la séance du 11 de ce mois. Il s'efforçait encore de restreindre la portée de la suspension d'armes, qui d'après lui n'avait qu'un but militaire ; il se flattait encore que les conseils des Grandes Puissances neutres seraient écoutés ; mais voici que tout à coup les bases de la paix sont posées sans intervention d'aucune de ces Puissances. Pour donner à Votre Excellence, une idée du désenchantement et de la désillusion qui régnent en Lombardie ; je ne citerai à Votre Excellence qu'un fait qui a cependant un caractère scintillant et très significatif. Les dames de Milan, dans leur enthousiasme pour l'Empereur avaient fait une souscription dans le but d'offrir à l'Impératrice un album commémoratif des brillantes victoires remportées par les armées alliées. Le montant de cette souscription s'élevait à 60 000 F ; à la nouvelle de l'armistice déjà, ces dames décidèrent d'arrêter les travaux de cette œuvre. Votre Excellence ne pense-t-elle pas que cet enthousiasme si spontané et si irréfléchi ne se soit changé aujourd'hui en sentiments moins généreux et moins brûlants à l'égard du vainqueur de Solferino. Les héros de ces dames pourraient bien se nommer dans quelque temps d'ici Garibaldi, Kossuth ou Klapka !
- 179 [151] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 20 juillet 1859 Dépêche N° 162 J'ai l'honneur de placer sous les yeux de Votre Excellence, en traduction, l'article ci-joint, qui parut hier dans la feuille gouvernementale. Dans cette communication remarquable, publiée en même temps que l'ordre pour la démobilisation de l'armée, le Cabinet de Berlin tâche de justifier sa politique, publiquement accusée par l'Empereur François-Joseph. Le ton qui y règne, contraste avec l'aigreur du manifeste Autrichien lequel, d'ailleurs, a rendu nécessaire cet exposé. Le Gouvernement du Prince-Régent, surpris au milieu de son action hésitante, se trouve embarrassé en face des événements subitement survenus. Il ne saurait, en effet, que regretter d'avoir, d'abord par entraînement puis par indécision, dévié de la ligne de conduite qu'il avait si prudemment adoptée, au début des complications italiennes. Cette malheureuse tactique, loin de lui procurer des avantages, lui attira le mécontentement des parties belligérantes, sans amoindrir la haine de l'Allemagne. Cependant, il serait injuste de ne tenir aucun compte de l'influence qu'a exercé l'attitude de la Prusse sur les résolutions pacifiques. Sous ce point de vue, j'ose penser que le Cabinet de Berlin a acquis des titres aux égards de l'Europe, l a Légation impériale, Votre Excellence en est parfaitement informée, n'a pas cessé d'être l'organe fidèle des sentiments de bienveillante amitié, qui anime la Sublime Porte envers ce pays. Honoré de la gracieuse approbation de Votre Excellence, j'aurais manqué si, dans un moment plein d'embarras et d'inquiétude pour le Ministère Royal, je ne continuai pas à conformer ma conduite et mon langage à ces mêmes sentiments. Je puis assurer que le Ministre ne s'en montre pas insensible. S'il m'était permis d'exprimer une humble réflexion, j'ajouterais qu'une dépêche de Votre Excellence, conçue dans le sens sus-indiqué, produirait dans ces circonstances une excellente impression. En tout cas, elle ne nuirait pas, il me semble, au développement des rapports entre l'Empire et le Gouvernement du Prince-Régent.
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Fuad Pacha à Aristarchi Bey Constantinople le 21 juillet 1859 Dépêche N° 2809 J'ai reçu et lu avec intérêt votre rapport du 25 juin N° 143 1 relatif aux considérations diverses auxquels a donné lieu en Europe la mobilisation des troupes Prussiennes. Nous sommes aujourd'hui heureux de constater que quelle que soit l'échelle étendue sur laquelle les préparatifs de guerre ont été poursuivis jusqu'ici la sagesse de deux souverains a accélérée la conclusion de la paix dont le retour était si désiré par l'Europe et notamment par la Turquie. 1153] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 21 juillet 1859 Dépêche N° 576 Après une semaine d'attente et d'efforts, le nouveau Cabinet Sarde vient enfin de se constituer ainsi que j'ai eu l'honneur d'en informer Votre Excellence par ma dépêche télégraphique d'hier. Le Roi a nommé le Général Chevalier Della Marmora Président du Conseil et Ministre de la Guerre et de la Marine ; le Lieutenant Général Chevalier Dabormida, Ministre des Affaires Etrangères ; le Chevalier Ratazzi, Ministre de l'Intérieur ; le Commandeur Oytan, Ministre des Finances ; l'avocat Miglietti, Ministre de Grâce et de Justice ; le Marquis Monticelli Ministre des Travaux Publics ; le titulaire du Ministère de l'Instruction Publique n'est pas encore connu. Aujourd'hui même j'ai reçu du nouveau Ministre des Affaires Etrangères une note circulaire dans laquelle il m'informe officiellement qu'il a pris la direction du Ministère. Je me suis empressé de lui répondre et je lui ai, en même temps, demander une entrevue pour traiter avec lui l'affaire des Principautés de Valachie et de Moldavie que les circonstances récentes ne m'ont pas permis de pouvoir terminer avec M. le Comte de Cavour. J'aurai soin d'informer aussitôt Votre Excellence de ce que j'aurai réussi à faire.
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(154] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 21 juillet 1859 Dépêche N° 863/98, particulière Je m'empresse de vous transmettre les nouvelles que j'ai pu recueillir depuis ma dernière dépêche et en même temps les appréciations des hommes politiques sur la paix précipitée de Villafranca et voici ce qu'on dit : l'Empereur Napoléon a évidemment été poussé à faire la guerre par la crainte assez naturelle d'ailleurs, de recevoir un mauvais coup d'un de ces lâches fanatiques, qui passent les Alpes le stylet à la main pour gagner leur cause par la mort d'un homme. Enfants de l'Italie opprimée et mal gouvernée que le vertige prend et qui veulent faire, à eux seuls, ce qu'un peuple ne peut conquérir que par une grande sagesse et un courage héroïque. L'Empereur avait encore un autre mobile, une grande armée demandait l'avancement et la gloire, que l'on recueille sur les champs de bataille. Un peuple léger et inconstant avait soif d'émotion et surtout d'une diversion à cette existence monotone et ordinaire, dans lesquelles, il vivait depuis trois ans. L'Empereur Napoléon dirigea alors ses vaillants bataillons vers la lutte ; mais là bien que victorieux, un obstacle l'attendait, et un danger le menaçait, comme j'ai eu l'honneur de dire à Votre Excellence, par ma dernière dépêche. Le sentiment révolutionnaire auquel l'appui de la France avait donné une approbation tacite se propageait d'une façon effrayante. L'Empereur des Français y vit un écueil à la politique, il fit la paix de Villafranca ; mais l'Angleterre et la Prusse n'avaient pas été consultées et la première de ces Puissances en a pu concevoir un mouvement de dépit ; cependant toujours fidèle à son ancienne politique elle a trouvé le moyen de retirer mille fois plus d'avantages que la France, en ne dépensant ni un homme ni un penny. On ajoute aussi, que l'Angleterre se range aujourd'hui du côté de l'Italie abandonnée, et elle se fait ainsi un allié dangereux pour la France, parce qu'elle est assise sur ses frontières. L'Angleterre n'ignore pas que si un jour la France lui fait la guerre, elle ne le pourra avantageusement qu'en formant une coalition maritime ; mais confiante dans ses ressources elle arme avec force, et pénétrée de son côté faible elle entretien avec la Prusse des relations amicales et de famille. On ne veut pas dire par là, que nous soyons menacés dans un avenir prochain de nouveaux événements qui ensanglanteraient l'Europe. Ces personnes au contraire disent que l'Empereur des Français ne doit pas désirer la guerre pour le moment, car bien que la dernière lutte ait été d'une courte durée, elle a été cependant assez longue pour avoir fait éprouver à la France des pertes, qu'elle ne peut réparer en quelques semaines ni en quelques mois. Les résultats n'ont pas été atteints non plus, car il rentre en France en laissant des mécontents derrière lui, et sans avoir affaibli l'Autriche à laquelle d'ailleurs, il donne comme immense compensation son amitié.
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Il m'est revenu aussi d'une source digne de foi, que la Russie a joué un rôle assez important dans les événements actuels ; il entrait dans les vues du Prince Gortschakoff de voir infliger à l'Autriche une leçon que son indifférence pendant la guerre d'Orient rendait, à ses yeux, méritoire ; mais il n'entrait pas dans les désirs du Prince de voir la France, ou s'établir dans sa conquête, ou affaiblir l'Autriche à tel point qu'elle ne puisse plus être une puissance assez forte, pour peser dans la balance lorsque Napoléon songerait un jour à changer l'équilibre européen. Un point surtout lui semblait important, c'était la conservation par l'Autriche de son quadrilatère. En effet, le Piémont est un bien faible boulevard pour protéger les frontières autrichiennes, si toutefois le noble désir de ne pas laisser fouler son territoire, pour mieux défendre sa voisine, lui prenait un jour. Il faut donc à l'Autriche, soit comme base à de grandes opérations stratégiques au-delà de Mincio, soit comme retraite à une invasion, une barrière infranchissable. D'après les nouvelles de Vienne la position de l'Autriche s'est encore améliorée en Europe, en ce sens, qu'elle fait aujourd'hui partie de la confédération italienne et dans cette confédération, elle est le corps le plus imposant, le plus important. D'un autre côté, elle a dans ses mains le moyen de jouer la Prusse, comme membre de la Confédération Germanique. Votre Excellence aura sans doute remarqué, que la Prusse pendant les hostilités a toujours arrêté les tendances belliqueuses de la Bavière. Aujourd'hui l'Autriche en se montrant reconnaissante peut s'attacher les États de la Confédération qui avaient des sympathies pour elle, et ainsi isoler la Prusse qui pendant la dernière guerre s'était montrée jalouse de son autorité, et de son droit suprême d'intervention dans le mouvement belliqueux qui se manifestait en Allemagne. Mais pour cela il faut que l'Italie se contienne et que des désordres dans cette partie du monde n'exigent pas à nouveau un recours aux armes ; car de nouvelles luttes ne pourraient plus se localiser et nous verrions alors l'Angleterre moins complaisante et la Prusse moins apathique, moins nonchalante. Dès lors l'intérêt de la Confédération Germanique serait d'embrasser la cause de la confédération italienne et de former une ligue en opposition à une formidable coalition qui répandrait en Europe assez de son pour faire reculer le progrès d'un siècle. De Turin on écrit que Napoléon quitte l'Italie avec un allié de plus, mais il traverse des flots de mécontents ; le temps des guirlandes, des bouquets, des bravos et des vivats, est passé. La presse est arrogante en Piémont, les masses sont mornes et ternes. Victor-Emmanuel seul semble ébloui et entraîné. Lui aussi est fasciné par ce Prince à qui tout sourit, devant qui tous inclinent. Il congédie son Ministre favori, il choisit comme remplaçant un ami intime de son allié, il renonce à ses projets ambitieux sur Venise, il accepte la position secondaire que lui fait le traité de Villafranca ; en amont, il ne voit plus que par les yeux de l'Empereur, il n'en pense plus que par les reflets de cette intelligence qui gouverne la France et écrase ses ennemis.
- 183 1155] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 21 juillet 1859 Dépêche N° 577 La paix conclue à Villafranca entre l'Empereur des Français et celui d'Autriche est certainement un événement heureux et dont nous devons nous féliciter s'il est parvenu à empêcher une guerre européenne, mais l'on ne saurait ne pas reconnaître que les préliminaires, tels que nous les connaissons actuellement, ont laissé en suspens une quantité de questions forts graves, dont la solution semble être très difficile et qui pourrait fort bien amener de nouvelles et sérieuses complications . Ici tout le monde est fort mécontent, excepté peut-être le parti Mazzinien qui a toujours prétendu que l'intervention française n'amènerait rien de bon pour l'Italie et qu'il espérait profiter du mécontentement général pour faire prévaloir ses idées et ses projets. L'on se demande quel avantage l'Italie aura retiré des immenses sacrifices qu'elle vient de faire. La Lombardie, il est vrai, est cédée au Roi de Sardaigne, mais est-ce une force nouvelle acquise au Piémont ? Il est permis d'en douter puisque l'Autriche restant maîtresse des forteresses de Mantoue et de Peschiera, la Lombardie lui reste complètement ouverte toutes les fois qu'elle voudra s'en emparer et le Piémont se verra forcé de maintenir sur pied une armée permanente considérable, beaucoup au-dessus de ses forces et qui finira de ruiner ses finances déjà gravement obérées. Quant à l'idée d'une confédération italienne l'on objecte qu'une confédération n'est pas possible ; que le Piémont ne saurait consentir à faire partie d'une confédération dans laquelle il serait le seul pays libre et constitutionnel en présence de cinq ou six souverains absolus ; que sa position ne serait pas tenable. Puis, comment l'Autriche membre de la Confédération Germanique pourra-t-elle aussi être membre de la confédération italienne ? Quel rôle jouerat-elle en cas de discussion ou de guerre entre les deux confédérations ? Les Piémontais considèrent donc que la paix, tel que semble la constituer les préliminaires signés à Villafranca, rend la position de leur pays plus mauvaise et plus difficile qu'elle l'était avant la guerre et le mécontentement général du pays a été prouvé par l'accueil froid et réservé qu'il était fait à l'Empereur Napoléon, lors de son passage ici, par la population. D'autre part la question des Duchés de Toscane, Parme et Modène présentent de graves difficultés. Les populations déclarent ne vouloir à aucun prix souffrir la restauration de leurs anciens souverains. L'exemple déplorable donné en Valachie et Moldavie porte actuellement ses fruits, les populations italiennes prétendent qu'elles ont autant de droits à avoir leur avis consulté que pouvaient l'avoir les populations roumaines. Comment la France, avocat principal pour
- 184 la satisfaction des vœux des populations en Valachie et Moldavie, pourra-telle, sans inconséquence, s'en déclarer l'adversaire en Italie ? En attendant en Toscane les collèges électoraux sont convoqués pour la nomination d'une Assemblée Nationale investie des pouvoirs nécessaires pour manifester les vœux du pays, et l'on prend des mesures militaires pour pouvoir résister à toute pression qui serait contraire à ses vœux ; dans les autres Duchés l'on se prépare à suivre la même voie et il est facile à prévoir que la restauration des anciens Princes, proclamée par le traité de Villafranca, ne pourra avoir lieu sans de graves difficultés, et une occupation armée qui pourrait bien entraîner une effusion considérable de sang. En ce cas qui sera chargé de ce rôle ? La France qui, en entrant en Italie, avait proclamé l'indépendance des populations des Alpes à l'Adriatique, voudra-t-elle se charger de leur imposer par la force des armes une forme de Gouvernement dont elles ne veulent plus à aucun prix ; ou bien cette puissance consentira-telle à ce que l'Autriche se charge de remplir cette partie des stipulations de Villafranca ? L'Empereur Napoléon dans sa proclamation à l'armée aussi bien que dans ses réponses au discours du président du Sénat et du corps législatif, lors de son retour à Paris, a déclaré qu'il avait fait la paix parce que la Prusse et l'Allemagne étaient à la veille de lui déclarer la guerre et qu'il avait voulu éviter à la France les dangers d'une guerre sur le Rhin compliquée d'une guerre en Italie. Tout en admettant la validité de ces motifs l'on ne peut s'empêcher de remarquer que l'Empereur d'Autriche, dans sa proclamation à l'armée, a déclaré avoir été obligé de faire la paix parce qu'il avait été abandonné par ses alliés naturels, la Prusse et l'Allemagne. L'on est porté à se demander laquelle des déclarations de ces deux souverains est la vraie, si l'on cherche à mystifier. Beaucoup de personnes prétendent qu'il y a d'autres projets que nous ne savons pas et beaucoup pensent qu'en faisant la paix à Villafranca les deux Empereurs ont, en même temps, conclu une alliance contre la Prusse. Les journaux prussiens et allemands manifestent cette crainte et donnent ainsi de puissants arguments à ceux qui affirment que cette alliance existe réellement et qu'elle donnerait à la France les frontières du Rhin et assurerait à l'Autriche les moyens d'arracher à la Prusse la suprématie en Allemagne dont clic a cherché à s'emparer en profitant des embarras de l'Autriche, et donnerait aussi à ces dernières Puissances une large indemnité du côté de l'Orient. Sans aller aussi loin et sans prétendre percer le voile qui couvre les arrangements conclus entre les deux Empereurs, j e ne puis que faire part à Votre Excellence des opinions que j'entends énoncer autour de moi et lui signaler les nombreuses difficultés qui paraissent devoir s'opposer à ce que la question italienne puisse recevoir la solution qui semble lui avoir été donnée par les préliminaires de la paix.
- 185 Il est à espérer que les plénipotentiaires des parties belligérantes qui doivent bientôt se réunir à Zurich, pourront réussir à trouver à toutes ces questions des solutions équitables et de nature à éloigner la chance de complications ultérieures. Nous apprenons aujourd'hui par télégraphe que Monsieur de Bourqueney est nommé plénipotentiaire français et M. le Comte Colloredo, plénipotentiaire Autrichien. Quant au plénipotentiaire sarde il n'est pas encore nommé, et je sais de bonne source que le Roi de Sardaigne pense qu'un congrès des Grandes Puissances pourrait mieux réussir à décider d'une manière équitable la question italienne, qu'il le désire et qu'il a exprimé ce voeu aux représentants de l'Angleterre, de Prusse et de Russie. D'autre part l'on assure que la France ne serait nullement opposée, mais que l'Autriche ne voudrait y consentir à aucun prix. Telle est, la position actuelle de la question italienne qui est loin, je crains bien, de pouvoir être considérée comme entièrement terminée. [1561 Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 23 juillet 1859 Dépêche N° 166, réservé J'ai eu l'honneur de rapporter à Votre Excellence, que les résolutions sorties de l'entrevue à Villafranca n'ont malheureusement pas produit un effet rassurant sur l'opinion publique. Ce résultat, se dessinant chaque jour davantage cause un malaise vague, il est vrai, mais assez général pour être signalé. Et je ne me permettrai pas d'énumérer les appréciations que reflètent les organes dans cette capitale des différentes Puissances. Votre Excellence connaît parfaitement que l'Angleterre est mécontente d'une issue, qu'elle ne considère pas comme répondant au but de la guerre. À ses yeux, le sort de la Péninsule en est compromis ; mais ce qui paraît l'inquiéter sérieusement, c'est l'alliance de deux Grandes Puissances catholiques. Rome lui apparaît moins sécularisée que jamais. Le Cabinet de Berlin participe ce sentiment protestant, que le Gouvernement et le peuple anglais manifeste hautement par la continuation des armements. La crainte de la France et le désir de vengeance sur l'Autriche continuent à motiver la politique moscovite. D'une part, le Baron de Budberg loue vis-à-vis des Français et des Anglais la modération de l'Empereur Napoléon ; d'autre part, il manifeste vis-à-vis des autres des regrets sur les résultats de la guerre. Il ne trouve ni l'Italie assez affranchie ni l'Autriche assez humiliée. De son côté, la Sardaigne déçue dans ses riches espoirs, est abattue et embarrassée. Je crois ne pouvoir mieux rendre ce sentiment qu'en citant les propos qui m'ont été tenus par son représentant dans une conversation intime.
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« Nous sommes, me disait ce diplomate, certainement reconnaissants à l'Empereur des Français des secours qu'il nous a prodigués. Notre pays a été délivré et nous avons acquis une nouvelle et belle province. Mais les forteresses du Mincio, restant entre les mains de l'Autriche, sont l'épée de Damoclès suspendue sur notre tête. La paix telle que je la connais, rend notre position plus difficile qu'auparavant. Notre voisin en sort plus formidable ; il nous oblige à nous maintenir sur le qui-vive ! Je crains fort que nous ne soyons malheureusement obligés d'avoir toujours recours à la révolution. » Le Comte de Launay voulait particulièrement expliquer la paix par un effet de la politique traditionnelle de la France. « La France, disait-il, ne voudrait pas une Italie forte, comme elle ne peut désirer une Allemagne unie. Mais l'Empereur a-t-il servi ses intérêts dynastiques ? J'en doute fort ». L'opinion de ce diplomate n'était pas moins tranchante, pour ce qui concerne la confédération italienne. « L'organisation fédérative, observait-il, est une utopie absurde et c'est ainsi que je l'ai qualifiée vis-à-vis de mon Gouvernement. » D'ailleurs il ne croyait pas que les Gouvernements et les peuples d'Italie y consentiraient sans contrainte. « El dans ce cas, qui se chargerait, disait-il, de l'emploi des moyens cœrcitifs ? » Dans son langage sarcastique, il proposa de composer le congrès qui devra régler cette question de plénipotentiaires allemands. « Ceci pourrait au moins, ajouta-t-il, signaler d'avance les mille inconvénients d'un semblable organisme ». Le Comte de Launay fit en cette occasion un éloge pompeux du Comte de Cavour. Il m'assura que la popularité de cet homme d'État a considérablement augmenté depuis sa retraite. Il ne doutait pas que ce Ministre ne revienne au pouvoir à la convocation des Chambres. En disant, en même temps, beaucoup de bien du nouveau Ministre des Affaires Etrangères il exprimait le regret, que le Cabinet de Turin n'ait suivi la ligne formulée d'avance dans un traité spécial des conditions de l'alliance entre la France et la Sardaigne. [157| Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 23 juillet 1859 Dépêche N° 165 Les efforts manqués du Comte Arese de former un Ministère contribuèrent, à ce qu'il paraît, à modifier les dispositions primitives pour la réunion à Zurich. Suivant les informations récentes du Cabinet de Berlin, ce ne sont pas les Ministres des Affaires Etrangères des ci-devant Puissances belligérantes, qui constitueront la conférence destinée à formuler les stipulations du traité de paix.
- 187 La France et l'Autriche viennent de désigner comme plénipotentiaire, le Baron de Bourqueney et le Comte de Colloredo. Des doutes planent quant à la représentation de la Sardaigne. Cette circonstance pourrait peut-être s'expliquer en partie par les efforts de l'Empereur Napoléon, de convoquer un congrès européen, auquel tous les États d'Italie seraient appelés à prendre part. En effet, la question continue à en faire l'objet de négociations assidues entre les principaux Cabinets. La répugnance non dissimulée de l'Empereur François-Joseph y oppose toujours un obstacle sérieux. La Russie adhère complètement aux vœux de la France. Quant à la Prusse, elle imitera, j'ai tout lieu de croire, l'exemple de l'Angleterre qui déclare vouloir siéger dans ce nouvel aréopage, que dans le cas où les autres Puissances le feraient. En attendant, j'apprends que la réunion de Zurich, fixée pour le 26 du mois courant, vient de subir un premier ajournement. Sa Majesté apostolique demanda un délai afin de pouvoir faire présenter la part qui revient à la Lombardie de la dette publique d'Autriche. Le travail n'en est pas facile. Aussi pense-t-on qu'à côté des difficultés qui surgissent de toutes parts pour l'organisation de la confédération italienne, cela pourrait bien prolonger indéfiniment le règlement des affaires de la Péninsule. [1581 Fuad Pacha à Rustem Eiey Constantinople le 27 juillet 1859 Dépêche N° 2824 J'ai reçu votre rapport du 7 N° 505 1 , contenant de nouveaux détails sur la bataille de Solferino. Les bulletins N° 105 et 106 de la guerre qui étaient annexés à ces rapports étant les derniers, nous nous en félicitons sincèrement et nous voyons avec une entière satisfaction que la paix heureusement intervenue a arrêté l'effusion de sang que les moyens de destruction, aujourd'hui en pratique, rendent trop considérables, et de manière à ne pas être endurés trop longtemps par le sentiment humain. 1159] Fuad Pacha à Agop Effendi Constantinople, le 27 juillet 1859 Dépêche N° 2817 J'ai lu avec attention votre rapport du 1 e r juillet qui me rend un compte exact de votre entrevue avec M. le Comte Walewski à la suite de la communication
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que vous lui avez faite de ma dépêche N° 2644 1 , et de son annexe relative à la neutralité antérieurement proclamée par le Gouvernement du sultan. Le Gouvernement impérial est profondement sensible aux sentiments de bienveillance qu'accuse le langage tenu par M. le Ministre des Affaires Etrangères de Sa Majesté l'Empereur Napoléon III, langage qui confirme les assurances qui nous ont été données précédemment. La conclusion de la paix intervenue au milieu des graves préoccupations de l'Europe, est la plus éclatante preuve des sentiments donc S.M. l'Empereur est animé pour la conservation de l'ordre public en Europe. Le Gouvernement impérial ne peut que s'en féliciter, et il en félicite aussi le Gouvernement impérial de France dont la modération et l'esprit de conciliation lui ont valu en cette occasion, comme en toute autre, l'estime et l'admiration de tous les amis de la paix. J'approuve parfaitement la réponse que vous avez faite à M. le Comte Walewski relativement à la question des Principautés, qui ne tardera pas à être définitivement résolu, et personne au monde ne le désire autant que la Sublime Porte. |160] Fuad Pacha à Rustem Bey Constantinople le 27 juillet 1859 Dépêche N° 2822 J'ai reçu votre rapport du 30 juin N° 557 2 , relative au Te Deum chanté dans l'église métropolitaine de Turin à l'occasion de la victoire de Cavriana et Solferino. Votre abstention d'assister à ce Te Deum était conforme à mes instructions au même sujet du 22 juin N° 2674 et qui n'aurait pu varier autant que la Turquie maintiendrait sa neutralité.
|161] Fuad Pacha à Vogoridès Bey Constantinople, le 27 juillet 1859 Dépêche N° 2816 J'ai reçu le rapport que vous m'avez adressé le 30 juin dernier N° 35 3 et qui contient le compte-rendu de votre entretien avec Lord John Russell au sujet de Antivari, entretien qui a eu lieu à l'occasion de la communication que vous lui
!NO. 136. NO. 130. "3 Ne figure pas dans les dossier.
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avez faite de ma dépêche N° 2674 1 et des instructions y annexées relativement à la neutralité de la Turquie dans la guerre d'Italie aujourd'hui terminée. Cette circonstance heureuse dont nous nous félicitons avec tous les amis de la paix nous dispense, à l'heure qu'il est, d'émettre toutes les considérations que comporte le ravitaillement d'une escadre belligérante dans un port neutre, et que nous bornerons à la seule déclaration qui suit et qui concorde avec l'opinion exprimée par ie Ministre des Affaires Etrangères de S.M.B. La Sublime Porte tout en conservant les principes d'une stricte neutralité était toujours prête à accorder dans les ports Ottomans aux bâtiments de guerre des puissances belligérantes toutes les facilités compatibles avec ces principes ; mais l'établissement de dépôts de munitions de guerre et de charbon dans les ports d'un pays neutre ne pouvait être considérés que comme contraire à la neutralité. Quant au port d'Antivari le Gouvernement du Sultan a désiré alors comme toujours en faire l'objet d'une exception, vu sa proximité du Monténégro et sa contiguïté au district en rébellion qui l'avoisine. C'est dans ce sens que nous avons fait une communication au Cabinet des Tuileries, lorsque l'ambassade de France dans cette capitale nous a informés que des bâtiments de guerre français iraient s'approvisionner à Antivari. [162] Fuad Pacha à Conéménos Effendi. Constantinople le 27 juillet 1859 Dépêche N° 2830 J'ai reçu votre rapport du 30 juin N° 11102 relatif aux tentatives de Leonidas Boulgaris ayant pour objet un enrôlement en Grèce pour la guerre en Italie. Les démarches que vous avez faites à cet égard dans la prévision que ces enrôlements ne vinssent à dégénérer en une menée active contre les provinces limitrophes, et les assurances que vous avez reçues au même sujet de M. Coundouriotis ayant rencontré l'entière satisfaction de la Sublime Porte, je vous invite à en transmettre l'expression à ce Ministre et à lui réitérer à votre tour combien nous sommes heureux de constater ses bons sentiments pour les relations d'amitié des deux pays voisins.
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figure pas dans le dossier. NO. 135.
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Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 27 juillet 1859 Dépêche N° 174, réservé Le Gouvernement de Prusse vient de faire publier une série de dépêches, dans le but de repousser l'accusation qui lui a été publiquement adressée dans le manifeste impérial d'Autriche. Cette accusation menaçait en effet à s'accréditer, par suite de l'acte de médiation, attribué au Cabinet de Berlin et que le « Journal de Mayence » a le premier public. Je m'abstiens de mettre sous les yeux de Votre Excellence tous ces documents. Ils se trouvent in extenso dans les principales feuilles de l'Europe ; et d'ailleurs, ils ne présentent pas des faits intéressants que je n'ai dans le temps soumis à la haute appréciation de la Sublime Porte. Je sollicite néanmoins l'autorisation de transmettre respectueusement les informations exactes, que j'ai pu me procurer sur ce curieux imbroglio. En remplissant ces devoirs j e crois, en même temps, rendre justice au Gouvernement auprès duquel j'ai l'honneur d'être accrédité. Le projet de médiation dit Prussien, est d'origine française. Le Comte Persigny le communiqua confidentiellement à Lord John Russell qui, de son côté, en fit part au Comte Apponyi. Celui-ci le transmit à son souverain à Vérone. A cette même époque, Votre Excellence voudra bien se le rappeler, le Cabinet des Tuileries essayait de faire proposer par la Prusse un armistice. En même temps, S.M. Apostolique était avertie, qu'une puissance neutre allait s'interposer. L'Empereur François-Joseph s'entendit directement avec l'Empereur des Français et la paix de Villafranca en surgit. Le Comte de Rechberg, à son retour de Vérone, déclara aux représentants Prussiens que l'Empereur acceptait les propositions de son adversaire, vu que Sa Majesté les trouvait moins nuisibles que celles de la Prusse. Cette déclaration provoqua l'échange de communications entre les cabinets de Berlin, de Ixmdres et de Vienne. D'après une version que le Ministre du Prince-Régent s'incline à adopter, Lord John Russell, en faisant part de cet acte, ajoutait que la Prusse le soutenait. Mais Sa Seigneurie repousse toute supposition semblable ; et le Cabinet de Berlin se trouvant ainsi justifié, croit savoir que l'Empereur d'Autriche en a été dupé. Quoiqu'il en soit, il est certain que les propositions de la Prusse étaient conçues dans des termes vagues et plutôt favorables à l'Autriche. Je crois toutefois, ainsi que j'ai eu l'honneur de l'indiquer dans le temps, que la ligne du Mincio servait, dans la pensée intime du Cabinet de Berlin, de base aux négociations définitives. Mais il n'a pas eu le temps de donner suite à cette pensée. I x s événements le devancèrent.
- 191 Qu'il me soit permis, en terminant ce rapport, de citer les paroles que m'a tenu un des Ministres Prussiens avec lequel j'ai eu une conversation intime sur le sujet. Elles expliquent, à ce que j'ose penser, en partie, ce regrettable malentendu. « On pourrait, me dit-il, nous accuser d'indécision, de faiblesse même, si vous le voulez bien. Mais c'est ridicule de nous accuser de perfidie. » [164] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 28 juillet 1859 Dépêche N° 580 Le Gouvernement Sarde a nommé M. le Chevalier Desambrois, sénateur, ancien Ministre de l'Intérieur, en qualité de plénipotentiaire sarde aux conférences qui vont s'ouvrir à Zurich entre les représentants de la France, de l'Autriche et de la Sardaigne pour l'arrangement définitif des préliminaires de paix signée à Villafranca. Le Gouvernement Sarde avait d'abord hésité à se faire représenter à ces conférences dans la crainte de voir la question italienne décidée dans des conditions auxquelles la Sardaigne ne pouvait être partie contractante, mais en conséquence des assurances rassurantes que le Gouvernement français s'est empressé de lui donner le Cabinet Sarde s'est enfin décidé à nommer son représentant. Le chevalier Desambrois est déjà parti pour Paris où il va s'entendre avec le Cabinet des Tuileries ; il se rendra de là à Zurich où les conférences commenceront, à ce que l'on assure, le 1 er du mois prochain. |165| Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 28 juillet 1859 Dépêche N° 865/100 Je confirme ma dernière dépêche du 21 courant 1 et je m'empresse de vous transmettre par la présente d'autres nouvelles telles qu'elles me sont revenues d'une bonne source. Une réunion aura lieu à Zurich entre la France et l'Autriche, et le Piémont y serait représenté par un commissaire. L'envoyé du Piémont aurait comme mission d'informer son Gouvernement de ce qui se passe et de communiquer aux Puissances belligérantes les renseignements dont elles pourraient avoir besoin.
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- 192 La répugnance qu'avait l'Autriche, de traiter directement avec le Piémont, a engagé la France à proposer de conclure les bases de la paix sans le concours de la troisième puissance qui a souscrit à cet arrangement. La Lombardie remise à la France par l'Autriche passerait des mains de cette dernière dans celle de la Sardaigne par un traité particulier, et, que les États non intéressés approuveraient. Deux jours avant l'entrevue de Villafranca, le Comte de Persigny avait fait connaître à Londres les bases sur lesquelles son maître consentirait à fonder la paix. On en délibérait à St. James, pendant que l'affaire se traitait directement à Villafranca, et voyant l'apathie de l'Angleterre, Napoléon a fait la paix directement avec François-Joseph. Les membres du Corps Diplomatique qui étaient présent à la dernière réception de Saint-Cloud, et qui ont pu entendre le discours que l'Empereur a prononcé, prétendent que le mot en général n'a pas été dit par Sa Majesté. Tous unanimement déclarent que l'Empereur jamais ne leur avait paru aussi froid, aussi sérieux ; les traits de Sa Majesté étaient visiblement contractés. En passant devant le représentant de Victor-Emmanuel, l'Empereur lui a dit : « Je suis fâché de n'avoir pu faire davantage pour la Sardaigne. » La Saxe et la Bavière eurent aussi quelques paroles de S.M. l'Empereur Napoléon, avec une certaine aigreur dans la voix, il leur a dit : « J'espère que les inquiétudes qu'avaient vos Gouvernement sont complètement dissipées. » On envisage aussi ce discours comme très pacifique, et d'une naïveté, qui peut être nécessaire la politique de l'Empereur, mettant la vérité sous les yeux. Il est probable que l'on aura craint de s'aliéner encore davantage l'Europe, en faisant semblant de ne pas craindre ; et aussi l'on aura pensé que le meilleur moyen de regagner la confiance universelle, c'était de montrer combien on s'était mépris sur les intentions des intéressés qui avaient pu servir de mobiles dans cette guerre. Il m'est rapporté par une personne très bien renseignée et digne de lui porter foi que le Prince Napoléon sollicitait depuis quelque temps son cousin de terminer cette guerre. « Que peut-on faire » disait le Prince, « d ' u n e race pareille, à ces Italiens, que nous reviendra-t-il quand, nous aurons dépensé beaucoup d'argent et tué tant de braves soldats ? Nous serons payés un jour en ingratitude. » Il est à remarquer que, celui qui prononçait ces paroles à la fin de la guerre, était jadis un de ceux qui excitaient le plus l'Empereur à l'entreprendre. Cette conduite paraît calquée sur celle qu'il a tenu à son retour de Crimée en parlant du Gouvernement turc. Il m ' e s t encore revenu que ce qui avait surtout déterminé l ' E m p e r e u r d'Autriche à faire la paix, c'était la communication que lui fit Napoléon des correspondances qui lurent échangées entre la Prusse et l'Angleterre pendant les hostilités. François-Joseph ne pouvait plus compter après cela sur le concours de la Prusse, se montra beaucoup plus complaisant, mais aussi c'est que d'un autre côté l'Angleterre semble prendre goût à l'amputation de l'Autriche.
- 193 « Qu'on enlève des parcelles de cet État, pensait-elle ; et on devra constituer un Royaume plus libre et plus remuant, plus indépendant et plus tapageur ; mais aussi plus gênant pour la France. » Toutes les considérations que j'ai déjà fait sentir à Votre Excellence dans ma précédente dépêche réunies à celle-ci n'ont pu comme Votre Excellence pense bien, changer une inimitié en amitié et le bonheur de pouvoir, peut-être, se venger, ne doit-il pas avoir été pour quelque chose dans les déterminations de l'Empereur d'Autriche. Aujourd'hui ce que l'Angleterre n ' a pu voir achevé par la guerre, la révolution n'est pas éloigné de l'exécuter, l'Italie agitée, les États Pontificaux soulevés, les Duchés révoltés, tout cela aux portes de la France, en dépit du traité de Villafranca, malgré le Pape, et au grand déplaisir de l'Empereur des Français. On s'aperçoit facilement à Francfort que la diète n'est pas satisfaite de l'issue des événements. Elle a été inquiète, indécise avant la guerre, pendant les hostilités, elle l'est encore aujourd'hui à plus juste titre. Quelques membres de cette Assemblée s'aperçoivent que, la désunion qui s'est formée dans son sein a rendu la situation fort critique pour la confédération germanique vis-à-vis de la France et de l'Autriche. Cette désunion semblait être le commencement d'une désorganisation fort préjudiciable aux intérêts, et à l'avenir politique de l'Allemagne : en effet, quelques États ayant agi dans un but différent d'autres États, se sont acquis par là des sympathies fortes et puissantes dont leurs confédérés seront privés. Un fait que j e constaterai encore, c'est que la presse anglaise joue un rôle fâcheux, et met le Gouvernement dans une position difficile. Les premiers journaux de l'Angleterre semblent s'attacher à décrire les bonnes relations qui existent entre la France et la Grande-Bretagne. On dirait un écho bruyant et mal sonnant de ce qui se passe dans les Chambres anglaises. Le thème de cette polémique harmonieuse est presque toujours les armements de la France, ou la crainte de la participation de l'Angleterre à l'œuvre de la paix dont les bases ont été jetées à Villafranca. Aujourd'hui la presse napoléonienne, comme Votre Excellence sait, passe au filtre d ' u n e censure. Il faut donc que le Gouvernement lui-même ait pris à cœur de répondre aux articles publiés dans la presse anglaise ; et il est fort à craindre, que d'attaque en attaque, on pourrait en venir à une mésintelligence, un conflit. Je laisse, à Votre Excellence, de penser combien les conséquences dès lors seront inappréciables et sans limites !
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Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 29 juillet 1859 Dépêche N° 172 Dans une entrevue que je viens d ' a v o i r avec le Ministre des Affaires Etrangères, Son Excellence manifeste des inquiétudes sur la situation de l'Europe. « La même incertitude plane toujours, me dit-il, et l'on ne sait vraiment pas à quoi s'en tenir. » A la demande si un Congrès sera bientôt convoqué, le Baron de Schleinitz répondit : « Il en est toujours question ; mais avant que les autres Puissances puissent prendre part à un Congrès, il faudrait que les parties belligérantes établissent entre elle une base d'entente ; et il me semble qu'il n'en existe rien encore. Nous verrons si tel sera le résultat de la réunion à Zurich. » Le Baron de Schleinitz ne paraissait pas moins inquiet au sujet de l'organisation de l'Italie. 11 redoutait des complications, qui tiendraient pour longtemps l'Europe en émoi. En attendant, l'idée érigée en principe dans le Congrès de Paris, commence à poindre. Il semble que l'on serait disposé à consulter les vœux des populations de la Péninsule. Des expériences faites dans les Principautés Danubiennes n'inspirent que peu de confiance aux hommes d'État calmes et prévoyants. LI681] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 30 juillet 1859 Dépêche N° 173 Suivant les informations parvenues au Cabinet de Berlin les Ministres des Affaires Etrangères des Puissances belligérantes se réuniront prochainement à Zurich pour les stipulations définitives de la paix. Tous les indices font présumer que la répugnance de l'Empereur d'Autriche de soumettre la question à un congrès, ait prévalu. Aussi s'agirait-il de notifier officiellement aux parties signataires du traité de Vienne la sanction des modifications, que cet acte vient de subir par suite de l'accord intervenu entre la France et l'Autriche.
' Suite à une erreur de numérotation le N° 167 m a n q u e .
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Vogoridès Bcy à Fuad Pacha Londres, le 1 e r août 1859 Dépêche N° 44 J'ai l'honneur d'envoyer ci-joint à Votre Excellence une partie du compte-rendu des discussions qui ont eu lieu, le 28 juillet, à la Chambre des Communes, au sujet de la paix de Villafranca, et de l'état actuel de l'Italie. Ainsi que Votre Excellence le remarquera par le discours de Lord John Russell, Sa Seigneurie a dit que le traité de Villafranca consistait en deux parties ; que la première, qui concernait la cession de la Lombardie, ne touchait point l'Angleterre, puisque cette cession ne trouble pas l'équilibre européen, et que l'Angleterre n'avait pas pris part à la guerre ; tandis qu'il n'en était pas de même de la seconde partie qui avait trait à l'organisation et à la liberté de l'Italie ; que la condition de cette contrée, étant de nature à affecter la paix de l'Europe, avait de tout temps préoccupait l'Angleterre, et que c'était pour ce motif que Lord Clarendon avait porté cette question au Congrès de Paris en 1856 ; que, suivant une dépêche du Gouvernement français, annonçant au Cabinet britannique la réunion prochaine des plénipotentiaires de France et d'Autriche à Zurich, pour donner aux bases de paix, signées entre les deux Empereurs, la forme d'un traité de paix définitif, le Cabinet des Tuileries avait invité celui de St. James à y envoyer aussi un plénipotentiaire pour délibérer, d'accord avec les plénipotentiaires des autres Puissances, sur toutes les questions soulevées par l'état actuel de l'Italie ; que le Cabinet Anglais n'avait pas donné une réponse précise à la proposition française ; qu'il s'était borné à faire savoir au Cabinet des Tuileries que, s'il devait y avoir une conférence ou un congrès, il était d'abord nécessaire que le traité qui allait être négocié à Zurich, lui fut communiqué, puisque de la nature des clauses de ce traité rédigé et communiqué officiellement, dépendrait si le Cabinet britannique prendrait part ou non à une conférence générale des Puissances européennes ; que, puisque l'Empereur d'Autriche s'était lors de la signature des préliminaires de paix, prononcé contre toute conférence ou congrès quelconque qui serait appelé à conférer des affaires générales de l'Italie, le Cabinet Anglais ne saurait concourir à une pareille conférence sans la participation de l'Autriche et des autres Grandes Puissances européennes ; et qu'il importait aussi de connaître les points qui seraient discutés dans une conférence ou un congrès européen. Lord John Russell a continué son discours en disant que le traité de Villafranca n'avait rien décidé sur l'état de l'Italie, qu'il pourrait en être de même du traité de Zurich, et que, par conséquent, il était douteux qu'un avis émis en conférence par le plénipotentiaire britannique avançât la solution de la question italienne ; qu'en tout cas, il n'était pas prudent ni digne de prendre part à une pareille réunion uniquement pour s'en séparer à la première divergence d'opinion qui viendrait à éclater ; que le traité de Villafranca porte l'empreinte
- 196 de la précipitation et ne pourvoyait nullement à la solution des questions qui avaient fait l'objet de la proposition du Plénipotentiaire Britannique en 1856, et qui avaient amené la guerre sanglante qui venait de se terminer ; que la première question, que soulevaient les préliminaires de paix, avait trait à une confédération des Etats italiens mais qu'il n'y était pas dit qu'une confédération serait formée ; qu'il y était dit simplement que les deux Empereurs favoriseraient la création d'une confédération ; que si les différents États de l'Italie pouvaient former une confédération, cette union rendrait l'Italie assez forte pour pouvoir se défendre elle-même, et préviendrait l'intervention des Puissances étrangères ; mais que, tout en approuvant une pareille confédération, Sa Seigneurie doutait qu'une confédération ayant pour chef le Pape et pour membres l'Empereur d'Autriche et des ducs de Toscane et de Modène, atteignit le but proposé, puisqu'il était impossible de concevoir que cette confédération pût donner son assentiment à l'établissement de principes de tolérance religieuse et de liberté de conscience, ou à l'établissement de Gouvernement conforme aux vœux des populations. Par ce qui précède, Votre Excellence voit que la question de l'Italie, depuis la paix de Villafranca, loin de faire un pas en avant, qui soit de nature à faire prévoir dans un temps plus ou moins rapproché la solution de cette question, n'a fait que se compliquer davantage malgré la guerre qui avait pour but de la résoudre. La conférence de Zurich qui se réunira, le 15 de ce mois, pour régulariser entre les parties belligérantes la paix conclue à Villafranca, ne délibérera pas sur les diverses questions qui se rattachent à l'état général de l'Italie, questions qui resteront forcément pendantes, tant que toutes les Puissances n'en seront pas venues à une entente préalable commune sur le mode de leurs solutions ; ce qui ne saurait s'effectuer que s'il était apporté certaines modifications aux bases préliminaires de la paix conclue entre les deux Empereurs, l'Angleterre se refusant sans cela de se faire représenter à un congrès où son plénipotentiaire ne serait appelée qu'à enregistrer les commandements des souverains belligérants. |170] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 1 e r août 1859 Dépêche N° 239 Naples a célébré cette semaine l'avènement du Roi François par des solennités qui ont duré trois jours, le 24, le 25 et le 26 juillet. Le 24, le Roi avec la Reine et des membres de la famille royale s'est rendu en grande pompe à la cathédrale Saint-Janvier. C'était la première fois que la jeune Reine paraissait dans une cérémonie publique ; mais l'accueil de la population n'a pas été tel qu'on devait l'espérer ; sur tout le parcours du cortège des assistants ont gardé le plus profond silence. On avait redouté que des
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malveillants ne profitassent de l'occasion pour troubler la cérémonie et toute la garnison avait été appelée sous les armes, mais on a eu à réprimer aucun désordre. Le 25, Leurs Majestés ont tenu un baisemain auquel le corps diplomatique assistait. Le Roi s'est informé avec beaucoup d'intérêt de Sa Majesté impériale le sultan notre Auguste maître, et comme je lui annonçai que Sa Majesté impériale venait de quitter Constantinople pour faire une tournée dans ses États, le Roi m'a exprimé l'espoir que Sa Majesté impériale ferait un heureux voyage et ne tarderait pas à revenir en bonne santé dans sa capitale. J'ai pu en cette circonstance recueillir l'opinion du Roi sur la paix de Villafranca. Comme je le félicitais de ce que la guerre venait de cesser, il me répondit : « ne croyez pas que la tranquillité soit rétablie ; depuis que vous êtes ici, vous avez pu voir qu'en Italie chaque jour apporte quelque nouvelle difficulté. » Et au chargé d'affaires de Toscane, il dit avec la même franchise « que pensez-vous de cet imbroglio ? Malgré tout ce que l'on fait, on n'obtiendra cependant aucun changement sérieux. » Enfin le 26, il y a eu représentation de gala au théâtre Saint-Charles. Là Leurs Majestés ont reçu du public officiel qui remplissait la salle, un accueil sympathique. Des applaudissements prolongés ont éclaté au moment de l'arrivée et à l'instant du départ du Roi et de la Reine. Depuis que ces fêtes sont terminées, Naples a repris son calme habituel. La sédition des Suisses a été complètement apaisée, et on a l'air de compter plus que jamais sur la fidélité de ces troupes, un instant égarées. Du reste, la vigueur que l'autorité a déployée en cette circonstance effraie les plus hardis, et depuis ce moment les mécontents se sont bornés à quelques démonstrations insignifiantes ; ainsi des drapeaux tricolores et des cocardes ont été trouvées dans des lieux publics, au théâtre et à la promenade ; ainsi quelques pamphlets contre le Roi et le général Filangieri circulent dans la ville ; mais là s'arrêtent les manoeuvres des adversaires du gouvernement. Le général Filangieri vient de prendre quelques mesures qui, si elles sont loins de satisfaire tous les besoins du pays, indiquent cependant chez lui l'intention sérieuse de remédier aux abus les plus criants. Dans des lettres qu'il adresse aux Ministres ses collègues, le président du Cabinet leur trace une sorte de programme des mesures les plus urgentes que chacun d'eux devra prendre dans son département. Dans ces lettres il est question de tout, d'administration, de la justice et de la salubrité publique, d'entretien des prisons et des finances, de travaux publics et de police ; l'infatigable activité du général se porte indifféremment sur toutes les branches de l'administration pour introduire partout de sanitaires réformes. Parmi toutes les mesures proposées, la plus importante, sans contredit, est celle qui soumet les juges à un système d'inspection régulière. Le général appelle tout particulièrement l'attention du Ministre c o m p é t e n t sur les graves abus qui se sont glissés dans l'administration de la justice, sur la nécessité de surveiller sérieusement ceux à qui elle est confiée et de prévenir les prévarications en accordant aux juges des honoraires qui leur permettent de faire face à leurs besoins. Les travaux publics font l'objet de sérieuses recommandations de la part du Président du Conseil.
- 198 — Le Ministre de l'Intérieur est chargé d'étudier avec soin les vœux émis par les conseils provinciaux, afin que l'autorité fasse exécuter tous les travaux réputés utiles, dans la mesure des ressources financières dont elle dispose. Les côtes devront être abondamment pourvues de phares, les routes publiques convenablement entretenues, les prisons réorganisées etc. etc. Enfin toute une série de réformes et d'amélioration devra être exécutée dans un bref délai. Si par là tous les abus ne sont pas détruits, il n'en faut pas moins tenir compte au gouvernement de ce premier pas qu'il vient de faire dans une meilleure voie. Jusqu'ici, le Ministère des Affaires étrangères n'a reçu aucune communication officielle du projet de confédération italienne dont il est question dans les préliminaires de Villafranca. On suppose que la France et l'Autriche attendront pour faire cette communication l'issue des conférences de Zurich. Le général Ischitella, chargé d'aller complimenter l'Empereur Napoléon, est de retour de sa mission. La conclusion de la paix ne lui avait pas permis de se rendre au quartier général. C'est à Milan qu'il a rencontré l'Empereur. Napoléon III, qui, pressé de rentrer en France, ne put lui accorder qu'une audience fort courte, un instant avant son départ. Il chargea l'envoyé napolitain de dire à son souverain combien il était satisfait d'apprendre qu'à Naples on avait compris le besoin d'entrer dans la voie des réformes. Le mécontentement produit en Italie par la paix est encore loin de cesser ; de même qu'en Toscane, une manifestation vient d'avoir lieu à Messine devant la maison du consul de France. La flotte anglaise composée de six grands bâtiments arrivant de l'Adriatique, est depuis quelques jours devant Naples. [171] Rustcm Bey à Fuad Pacha Turin, le 4 août 1859 Dépêche N° 581 Nous manquons entièrement cette semaine de nouvelles saillantes ; l'on attend avec impatience les conférences de Zurich car l'on est anxieux de connaître les conditions réelles du traité de paix ; conditions qui doivent décider du sort de l'Italie ; l'on espère qu'elles seront meilleures que ne semblaient de prime abord les préliminaires de Villafranca. Dimanche 7 du courant le Roi de Sardaigne doit partir pour Milan pour y séjourner une quinzaine de jours et s'occuper de la réorganisation de la Lombardie et de son assimilation aux autres provinces du royaume. L'on assure que tout le Ministère suivra le Roi. Les troupes françaises continuent leur mouvement de rentrer en France. Ces jours-ci, nous avons eu ici le passage de toute la cavalerie de la garde. On assure cependant une cinquantaine de mille hommes resteront pour quelque temps encore en Italie.
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L'on se préparait ici à célébrer le 15 août avec beaucoup d'éclat la fête de l'Empereur et la signature du traité de paix. Si le traité est effectivement signé à cette époque et si les clauses en sont plus favorable à l'Italie que les préliminaires actuellement connus, la population se joindra avec entrain aux fctes officielles. On annonce une illumination ; naturellement l'ambassade Impériale y prendra pari: de même que des autres légations. 1172] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 4 août 1859 Dépêche N° 867/102 Une nouvelle information qui confirme celle que renfermait ma dernière dépêche datée du 28 juillet relativement à la proposition de Monsieur de Persigny, m'est parvenue de Londres, par une source certaine. Quelques détails seulement m'obligent à revenir sur un fait dont j'avais déjà entretenu Votre Excellence : le 8 une proposition ayant été faite par le Comte de Persigny aux Ministres de la Reine Lord Palmerston et Lord John Russell, ces Ministres ayant pris les ordres de leur souveraine, celle-ci leur répondit le 9, qu'il fallait assembler tout le conseil, qu'elle ne peut décider une si grave question en ayant seulement les avis de deux Ministres. Le 10 le conseil devait s'assembler, lorsque la nouvelle parvint à Londres, au grand désappointement général, que les bases d'un traité avaient été jetées à Villafranca entre les deux Empereurs. Je prends la liberté d'appeler l'attention de Votre Excellence sur le rapprochement de ces trois dates. Les arrangements conclus à Solferino paraissent devoir être légèrement modifiés ; car leur application complète paraît de plus en plus difficile : en voici la cause. Situation de l'Italie, conditions du Pape, révolte des Duchés. La Prusse pour regagner la confiance de l'Autriche lui a dévoilé ses négociations avec l'Angleterre, et s'est assuré des bonnes intentions de la Russie. La politique du Piémont commence à se ressentir de l'appui moral de l'Angleterre. Mauvais effet produit en Angleterre par des articles de la presse française. L'Angleterre se montre peu rassurée, malgré le désarmement annoncé par le Moniteur. L1731 Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 10 août 1859 Dépêche N° 178 Je regrette de ne pouvoir annoncer à Votre Excellence la cessation des récriminations, que s'adressent réciproquement la Prusse et l'Autriche, depuis la paix de Villafranca.
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Le Cabinet de Berlin, provoqué le premier, demanda des explications à celui de Vienne. Récemment l'Empereur François-Joseph adressa au Prince-Régent une lettre autographe conçue, d'après ce que l'on assure, dans les termes les plus prévenants. Cependant le Gouvernement de Prusse n'en est pas satisfait ; ayant demandé la révocation publique des accusations dont il a été publiquement l'objet. Il est peu probable que l'on réussisse à faire rétracter les paroles impériales. Cette malencontreuse querelle, destinée à grossir les dissentiments de l'Allemagne, paraît toutefois tourner en faveur de la Prusse. Les populations du Midi commencent à lui manifester des sympathies, que les tendances de leurs Gouvernements n'ont pu contrecarrer. En même temps, les États secondaires essaient de former une ligue en dehors de ces deux puissances. Ce sont les Ministres de Bavière et de Saxe qui engendrèrent cette curieuse idée. Messieurs Von der Pfordten et de Beust rappellent involontairement certains diplomates, qui ont le malheur d'être doués de beaucoup trop d'esprit pour leurs positions. 1174] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 10 août 1859 Dépêche N° 179 J'ai l'honneur de porter à la haute connaissance de Votre Excellence, que les plénipotentiaires désignés à former la conférence de Zurich ont tenu hier une première séance. D'après les l'informations parvenues à Berlin, cette réunion, qui a duré peu de temps, n'a eu pour effet que la production de pleins pouvoirs. En attendant, il semble que les Cabinets qui sont directement engagés ont réussi à établir préalablement une base d'entente. Cette circonstance, s'il en était ainsi, inaugurerait l'aplanissement des difficultés que l'on redoute généralement comme immanquable. Tel est au moins l'opinion du Baron de Schleinitz, à laquelle les propos analogues que m'a tenu le Ministre de France donnent de la consistance. « L'Autriche se montre coulante » me dit-il, « et il serait en effet difficile d'agir autrement si l'on n'est pas prêt à recommencer ». En rapprochant ces déclarations à certains autres indices, l'on serait peut-être autorisé à s'attendre à des surprises. L'autonomie de la Vénétie et sa défense par des troupes italiennes en serait probablement la plus importante. Par ce moyen, l'Empereur Napoléon sauverait, aux yeux du monde, les débris du naufrage qu'a subi le programme d'Italie.
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[175| Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 10 août 1859 Dépêche N° 180, réservé En continuation à mon rapport sous le N° 174, je m'empresse de transmettre à Votre Excellence certaines informations, concernant le projet de médiation dont la presse a gratifié les Puissances neutres. Tous ces détails, n'offrant qu'un intérêt rétrospectif, j'ose réclamer l'indulgence de Votre Excellence. Les démarches que le Cabinet de Berlin a cru devoir déployer à Londres, le 8 dévoilèrent les faits suivants : aussitôt que le Comte Persigny communiqua à Lord John Russell l'acte précité, Sa Seigneurie se rendit en toute hâte auprès de Lord Palmerston dans sa maison de campagne. Le principal secrétaire d'État pour les Affaires Etrangères écrivit à l'ambassadeur de France, que le projet rencontrait son approbation personnelle ainsi que celle de son collègue. Le Comte Persigny ne manqua pas de placer ces billets sous les yeux de l'Empereur. En attendant, la Reine n'ayant point participé l'opinion de ses conseillers, demanda que le projet soit soumis à la discussion du Cabinet. Des opinions divergentes s'y manifestèrent ; et Lord John Russell fut obligé de rétracter l'opinion précipitamment émise. On assure que cet incident intéressant mécontenta l'Empereur Napoléon. Aussi le fait aurait-il contribué à accélérer la réalisation des dispositions pacifiques, que soutenaient, à ce qu'il paraît, tous les hommes politiques en France. [1761 Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 11 août 1859 Dépêche N° 872/107, particulière Depuis que j'ai eu l'honneur d'entretenir Votre Excellence, sur les affaires d'Italie, peu de faits ont été connus, et ceux qui sont parvenus jusqu'à moi n'ont pas sensiblement altéré la phase des choses. D'après ce qu'on m'assure, il est plus vraisemblable aujourd'hui que le plénipotentiaire de Sardaigne n'occupera dans les conférences de Zurich qu'un rôle secondaire et que son intervention n'aura lieu que lorsque les plénipotentiaires de France et d'Autriche se seront entendus et que les signatures auront été apposées par ces derniers. La Sardaigne n'est-elle pas un peu obligée de souscrire à toutes les conditions qu'on lui impose. D'une autre part sa position d'arrière-plan qu'on lui a l'ail à Villafranca, la tient dans une réserve dont il serait même dangereux pour elle de sortir. Le Piémont, sensément, ne combattant pas avec des idées de
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conquête mais au contraire dans un but d'affranchissement, elle ne peut donc faire valoir sa modération, elle accepte des mains généreuses de la France, et il serait tout naturel que celle-ci lui fasse comprendre combien sont désintéressements a été grand en lui abandonnant après une guerre coûteuse toute sa part du gâteau. Il n'échappera pas à l'intelligence éclairée de Votre Excellence, que dès aujourd'hui on peut être convaincu que la participation du Piémont aux conférences de Zurich sera l'expression exacte du désir de la France. Et, que s'il n'agit pas de la sorte par sympathie, il le fera par politique. Je me hâte aussi de combattre l'opinion déjà trop souvent émise partout que les conférences n'aboutiraient à rien : mais à quoi donc doivent elles servir, si ce n'est à terminer ce que les deux Empereurs avaient commencé ? Or j e tiens d'une source très digne de foi, que, des deux côtés, le désir de s'entendre ne manque pas. D'où donc doit venir la mésintelligence ? De quel côté pénètre le désaccord ? Les conférences de Zurich aboutiront-elles ; elles confirmeront les préliminaires de la paix. Mais ce qui n'est pas près d'aboutir, c'est la proposition d'un congrès pour régler les affaires d'Italie. Les Puissances neutres ne paraissent pas disposées d'y souscrire ; elles prétendent avec raison, que leur inimitié se refuse à servir d'échos aux conventions conclues par les Empereurs de France et d'Autriche, et si leur rôle devient plus grand, il y aurait dans le sein d'un pareil congrès des sentiments si différents, des opinions si divergentes, que, malgré toute la modération des uns et la sagesse des autres, il se pourrait que l'œuvre ne soit pas, ou soit mal accomplie. Les hommes politiques et haut placées disent : le Pape (que Votre Excellence me pardonne cette idée peu catholique) se démène comme un diable dans un bénitier, et ne veut pas de sécularisation ; cette rénovation du système gouvernemental lui paraît, sans doute, un trop grand pas fait en dehors du giron de l'Eglise. En effet, ne serait-ce pas une sanction muette accordée à l'opinion publique et une confirmation donnée par lui à cette accusation d'impuissance et d'incapacité dont on a accablé depuis bien des années, (peutêtre avec trop de justice), ce malheureux clergé romain. C'est enfin, pour le Pape une détermination difficile à prendre, parce que c'est un pas fait dans la voie des réformes ; et l'histoire n'est-elle pas pleine des conséquences fâcheuses pour le clergé catholique, qui résultèrent pour l'Europe, de l'esprit de réforme et de l'empiétement du pouvoir civil sur le pouvoir religieux ? Je pense que Votre Excellence partagera ma manière de voir sur ce point et qu'elle conviendra que Sa Sainteté n'a pas tort de résister, tout en considérant que ce qui lui arrive aujourd'hui est un peu l'explication de beaucoup de fautes commises dans le passé, renouvelées dans le présent, et qui menacent l'avenir !
- 203 |177] Vogoridès Bey à Fuad Pacha Londres, le 15 août 1859 Dépêche N° 48 Le Parlement anglais ayant été prorogé par commission Royale, avant-hier, samedi, 13 de ce mois, je me fais un devoir de transmettre, ci-joint, à Votre Excellence un exemplaire du discours qui a été lu à cette occasion au nom de la Reine. Ainsi que Votre Excellence voudra bien le remarquer, le discours de la Reine consacre aux affaires extérieures un paragraphe important au point de vue de la question italienne, qui préoccupe si vivement aujourd'hui l'opinion publique et tous les cabinets ; paragraphe dont le sens et la portée sont déjà connus à Votre Excellence par le discours tenu par Lord John Russell, dans la séance du Parlement Anglais, du 28 du mois passé, et dont je me suis déjà fait un devoir de soumettre le résumé à la connaissance de Votre Excellence par mon rapport respectueux du 1 er de ce mois, N° 44 1 . Il résulte du paragraphe en question, ainsi que des déclarations précédentes que les Ministres de la Reine ont dû faire en réponse aux interpellations qui leur avaient été adressées, que, quoique les chances d'un congrès général qui aurait pour mission de régler, d'un commun accord, les affaires de l'Italie soit plus éloigné que jamais, le Gouvernement Anglais n'en serait pas moins disposé à prendre part à un congrès quelconque pour la solution de la question italienne, dès qu'il entreverrait dans les propositions qui lui seraient faites à cet égard l'espoir d'obtenir des conditions favorables à la cause de l'Italie, ou quelques garanties pour la paix permanente de l'Europe. Quant aux affaires intérieures, le passage significatif du discours en question, c'est celui qui a trait aux armements de l'Angleterre, et par lequel les commissaires, en exprimant la satisfaction de la Reine des mesures votées par le Parlement pour la formation d'une réserve de forces navales et militaires, donnent l'assurance foi-melle qu'un système complet et permanent de Défense Nationale sera en tous les temps l'objet d'une importance capitale pour le Gouvernement de Sa Majesté.
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Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 15 août 1859 Dépêche N° 244 La situation de Naples, assez calme en apparence, continue cependant à inspirer des inquiétudes au gouvernement. Les troupes suisses, qu'on croyait définitivement rentrées dans le devoir, avaient repris une attitude séditieuse. Chaque jour des rixes éclatait dans les casernes, et cette semaine encore un officier a été tué par ses soldats. Le gouvernement, sur les instances du colonel Latour, envoyé à Naples par le conseil fédéral pour faire une enquête sur les derniers événements , a pris la grave décision de licencier tout le corps des Suisses et de renoncer pour l'avenir à entretenir des troupes étrangères. Il était temps, car le mauvais esprit qui animait les Suisses se communiquait déjà aux troupes indigènes, et le 10 de ce mois il a fallu réprimer à Portici de graves désordres qui avaient éclaté dans un régiment napolitain. Le parti démagogique, de son côté, ne se tient pas tranquille et on parle d'un débarquement de réfugiés napolitains sur les côtes de la Calabre. Plusieurs arrestations ont eu lieu, et même le marquis Casanova, appartenant à une des premières familles du pays, avait reçu l'ordre de quitter Naples ; toutefois de puissantes influences sont parvenues à obtenir sa grâce de la clémence du Roi. L'Angleterre fait ici de vains efforts pour obtenir une constitution. M. Elliot a bien renouvelé à chaque instant sa demande, appuyée cependant par la présence d'une flotte imposante, on lui répond chaque fois que l'organisation future de l'Italie devant être réglé par la conférence de Zurich, il faut attendre l'issue de ses délibérations avant de modifier l'état actuel des choses. En attendant, le gouvernement a envoyé le Prince Serra-Capriola à Rome, pour s'entendre avec le Saint-Siège sur l'attitude à prendre en face des résolutions qui seront adoptées à Zurich. Malgré les préoccupations du moment, le Roi a quitté Naples avec toute la famille royale ; c'est à Castellamare à quelques lieues de la ville, que la Cour s'est fixée jusqu'à nouvel ordre. L'Autriche vient de désigner, pour la représenter ici, le Comte Karoly, en remplacement du général Martini, appelé à la retraite. Le choix de ce diplomate, l'un des plus distingués de l'Autriche, prouve assez l'importance que le Cabinet de Vienne attache à ses relations avec Naples.
- 205 [179| Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 17 août 1159 Dépêche N° 187, réservé Le désir de rapporter des détails exacts sur les délibérations qui se poursuivent actuellement à Zurich, me fait regretter de devoir constater que le secret en a été jusqu'à présent bien gardé. Cette circonstance a été attribuée en partie à l'engagement qu'en ont pris les plénipotentiaires, et en partie à l'absence de tout autre représentant étranger dans cette cité helvétique. En attendant, je me fais un devoir de transmettre à Votre Excellence les informations, qu'a bien voulu me procurer M. le Ministre des Affaires Etrangères de Prusse sur cet important objet. Ainsi qu'il était à prévoir, de grandes difficultés surgissent au sein des conférences pour les stipulations définitives du traité de paix. Mais ces difficultés, existant plutôt entre l'Autriche et la Sardaigne, semblent vouloir perdre beaucoup de leur gravité. Il est, en effet, assuré que la France est tombée d'accord sur les principaux points avec la première de ces Puissances, et qu'elle soutiendra en principe, sinon par les armes, la restauration des princes dépossédés. La manière dont le Moniteur a annoncé la réception par l'Empereur de l'envoyé Grand-Ducal, en serait peut-être un des indices les plus sûrs En attendant, l'Assemblée réunie à Florence aura probablement déclaré la déchéance des princes italiens, qui n'ont pas su imiter l'exemple de la Duchesse de Parme. Aussi est-il avéré que la présence des ducs de Toscane et de Modène dans le camp Autrichien, pendant la bataille de Solferino, a puissamment contribué à aliéner les sympathies de leurs sujets. Cependant la manifestation en étant, à ce que l'on assure, de beaucoup factice, la France réussira probablement à les faire accepter par voie diplomatique. Ces perspectives expliquent, si je ne me trompe, la déclaration que la France s'y emploie par la force et qu'elle ne permettra pas l'intervention armée de l'Autriche. [180]
Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 18 août 1859 Dépêche N° 584 Le Roi de Sardaigne est revenu hier soir d'un voyage qu'il vient de faire dans ses nouveaux États. À Milan où il s'est arrêté plusieurs jours les habitants lui ont fait une réception pleine d'enthousiasme et ont célébré sa présence par des fêtes splendides et de magnifiques illuminations. Dans toutes les autres villes de la Lombardie, à Brescia, à Bergame, la réception n'en n'a pas été moins splendide.
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La réception que lui a faite à son retour hier soir la population de Turin a été tout aussi cordiale. Par toutes les rues où il a passé les maisons se sont spontanément illuminées et les plus vives acclamations l'ont accueilli. Le 15 de ce mois la municipalité de Turin a célébré splendidement la fête de l'Empereur des Français. Un service divin a été célébré, et le Corps Diplomatique y a été invité. Mes collègues d'Angleterre, de Russie, de Prusse, s'étant abstenus d'y paraître j'ai cru de mon devoir de suivre leur exemple, et pour le même motif je me suis également abstenu de faire illuminer l'hôtel de l'Ambassade. M. le Ministre de France ayant donné au Corps Diplomatique et aux Ministres Sardes un grand dîner de gala, j'y ai assisté en compagnie de mes collègues. L'on attend ici avec une vive impatience le résultat des conférences de Zurich qui paraissent vouloir se prolonger plus qu'on ne le croyait d'abord. En attendant, la Toscane vient de procéder, dans le plus grand ordre et la plus parfaite régularité, aux élections d'une Assemblée représentative. Cette Assemblée, à peine constituée, a déclaré la déchéance de la Maison de Lorraine et discute en ce moment une proposition de réunion à la Sardaigne. Les Duchés de Modène et de Parme vont suivre l'exemple de la Toscane. Partout se manifeste l'unanimité la plus absolue et l'ordre public est partout respecté. |181] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 18 août 1859 Dépêche N° 874/109 Il ressort à l'évidence des communications qui me sont parvenues que la Russie n'est pas satisfaite de l'issue que l'arrangement de Villafranca a faite à la guerre de l'Italie. Il paraît évident aujourd'hui que cette Grande Puissance du Nord aurait désiré voir l'Autriche payer encore plus chèrement l'indifférence qu'elle a témoignée pendant la guerre de Crimée. À l'égard de la France aussi ses sentiments ont perdu leur intensité ; la Russie peu satisfaite de voir l'Autriche s'en tirer à si bon marché, doit aussi voir d'un mauvais œil cette dernière contracter une alliance à laquelle on semble attacher un grand prix à la cour des Tuileries. D'un autre côté, les succès prestigieux de l'Empereur Napoléon, la position qu'il a faite à la France, en Europe ont quelque peu affaibli le nom msse ; et le colosse du Nord se trouve amoindri dans le monde politique par le nom français.
- 207 I ai vu une dépêche qui dit : « Le jeu des diplomates russes a toujours consisté et consistera toujours dans le mensonge. Ils paraissent satisfaits et contents lorsqu'ils préparent une souricière à un État quelconque d'Europe. Aujourd'hui ils affectent d'être satisfaits, mais ce contentement est trompeur, c'est le calme que précède la tempête et que les marins redoutent lorsqu'ils sont livrés aux chances d'une traversée. » Que Votre Excellence soit bien persuadée que nous ne sommes pas loin du jour où une phase toute nouvelle se présentera dans la politique de l'Europe. Les hommes haut placés croient que l'alliance avec l'Autriche si elle se consolide, pourrait lui devenir encore funeste, si un jour la Prusse et l'Angleterre s'entendent avec la Russie. Cette dernière puissance pourrait peutêtre alors se venger complètement et finir ce que la France n'a pu achever au désir de vengeance de 1a. première. Je me borne à vous donner un échantillon de la politique russe, et cet échantillon, je le puise peut-être dans des imaginations exaltées ; cependant l'attention des hommes éclairés dans la politique se tourne déjà vers le Nord, où quelque chose se trame dans le silence et dans un mécontentement mal dissimulé. Quant aux conférences de Zurich rien de saillant ne s'est passé depuis ma dernière dépêche, les appréciations restent toujours comme celles que j'ai eu l'honneur d'indiquer à Votre Excellence dans ma dépêche du 11 courant, N° 1071. [182] Fuad Pacha à Aristarchi Bey Constantinople, le 20 aïoût 1859 Dépêche N° 2962 J'ai reçu votre rapport du 20 juillet N° 1622, par lequel vous me communiquez l'article de la gazette Prussienne tendant à décharger le Cabinet Royal des accusations qu'impliquait contre lui le manifeste de l'Empereur d'Autriche. Le Gouvernement impérial se félicite d'autant plus de voir s'effacer les dernières traces d'un malentendu aussi regrettable, qu'il a toujours désiré le rétablissement de la paix européenne, auquel l'attitude de la Prusse n'est pas restée étrangère. C'est avec plaisir que nous saisissons l'occasion de rendre cette justice à un Gouvernement avec lequel nous sommes heureux d'entretenir les meilleures relations.
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N O . 151.
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[183| Fuad Pacha à Aristarchi Bey Constantinople le 20 août 1859 Dépêche N° 2969 J'ai reçu et lu avec intérêt votre rapport réservé du 29 juillet N° 174 1 , par lequel vous me communiquez les informations que vous avez puisées à des sources certaines sur les causes du malentendu qui a eu lieu au sujet de la médiation du Cabinet Prussien avant la conclusion de la paix. Les faits étant aujourd'hui rétablis sous leur véritable jour, il y a tout lieu d'espérer que le Gouvernement Prussien se déchargera de l'accusation qui a un moment pesé sur lui. [185 2 | Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 25 août 1859 Dépêche N° 877/112, particulière Le réveil de la Russie dont j'ai déjà eu l'honneur d'entretenir Votre Excellence se confirme aujourd'hui dav antage. Cette puissance, comme je l'ai écrit, n'a pu dissimuler son mécontentement en apprenant que l'entrevue de Villafranca mettait fin à une guerre qui devait diminuer la puissance de l'Autriche. Dès ce moment, la Russie devait chercher à détacher ses intérêts de ceux de la France et épouser les intérêts d'une autre puissance dont la politique était hostile à l'Autriche. Les affaires d'Italie viennent d'offrir à la Russie une excellente occasion de servir sa nouvelle politique. Elle a embrassé les intérêts de l'Angleterre en Italie, mais comme il arrive presque toujours en pareil cas : en demandant à l'appui, un concours, elle devait promettre, sans doute, dans d'autres circonstances son appui, son concours. Or il est évident aujourd'hui que le représentant du tsar serre étroitement la main à son collègue d'Angleterre, et je suis assez bien informé pour affirmer aujourd'hui que ces deux diplomates travaillent activement à Naples afin que le projet, formulé à Villafranca, de former toute l'Italie en confédération, ne soit pas accueilli par le Royaume des Deux Siciles. Leur principal argument semblait être que ce royaume recevrait un contrecoup des différentes fautes commises autour de lui. Depuis quelque temps les diplomates de la Russie s'expriment dans un sens qui doit paraître fort équivoque à la France. Plusieurs conversations qui me sont parvenues témoignent à l'évidence du peu de confiance qu'ils ont dans la durée de la paix. ' N e figure pas dans le dossier. ^Suite à une erreur de numérotation le N ° 184 manque.
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Une Grande Duchesse de Russie a, dans un colloque avec un diplomate de cc pays, fait sentir d'une façon fort claire, « combien, en ce jour il est défendu à tout homme prudent, et à tout Gouvernement sage d'avoir confiance dans le lendemain. Croyez-vous à cette paix ? » disait cette grande princesse. Elle savait que ce mot serait répété. Comme j'ai eu déjà l'honneur de le dire à Votre Excellence la Russie se réveille. 1186] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 25 août 1859 Dépêche N° 586 Depuis mon dernier rapport du 18 de ce mois N° 584 1 , l'assemblée nationale Toscane a prononcé à l'unanimité la réunion de la Toscane au Piémont. Ciannexé j'ai l'honneur de transmettre à votre Excellence la traduction du texte même de cette résolution. Le rapport du représentant Giorgini sur cette question est un document remarquable et qui exprime les opinions et les vœux de la grande majorité du pays ; je l'ai jugé assez intéressant pour en transmettre ci-annexé traduction à votre Excellence. L'assemblée nationale du duché de Modène a également prononcé à l'unanimité la déchéance de la dynastie d'Esté et a également à l'unanimité prononcé le vœu d'annexion au Piémont. Les assemblées nationales du duché de Parme et Plaisance ont également prononcé à l'unanimité la déchéance de leurs anciens souverains et l'annexion au Piémont, et dans les Légations on se prépare à suivre l'exemple de la Toscane, de Modène et de Parme. La Toscane, Modène et les Légations ont conclu une ligue militaire de l'Italie centrale et le général Fanti, qui a donné sa démission de général piémontais, a été nommé commandant en chef des troupes de toute l'Italie centrale. L'on s'occupe activement à organiser ces troupes sur un pied respectable, de manière à pouvoir réprimer toute tentative de désordre à l'intérieur et même résister à une agression du dehors si elle venait à se produire. Le général Garibaldi a accepté le commandement des troupes Toscanes. Tout en exprimant de la manière la plus énergique leurs vœux et leurs résolutions les populations de l'Italie centrale maintiennent la tranquillité publique et l'ordre le plus parfait. Elles paraissent parfaitement comprendre les dangers que leur feraient courir les idées démocratiques de 1848 elles semblent bien décidées à ne pas leur permettre de lever la tête. Ainsi, à Ferrare, Miss White, Anglaise bien connue comme un des plus actifs agents de Mazzini et récemment mariée à un Mazzinien, vient d'être expulsée du pays avec son mari pour avoir cherché à faire de la propagande Mazzinienne. 'No. 180.
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Si les populations persévèrent dans cette voie, la restauration des anciens souverains devient fort problématique d'autant plus que la France ne paraît nullement disposée à l'imposer par la force des armes et qu'en aucun cas elle ne saurait permettre à l'Autriche de le faire. Le Comte Linati, qui avait été envoyé par les assemblées de Parme et de Plaisance pour présenter à l'Empereur Napoléon le vote de ces deux assemblées pour l'annexion du duché au Piémont, vient, à son retour de Paris, de publier une proclamation dans laquelle il annonce au peuple que la réponse que lui a faite l'Empereur Napoléon a été ainsi conçue : « Dites aux populations qui vous ont envoyé vers moi. que mes armes ne violeront jamais leurs vœux et que jamais je ne permettrai que cela soit fait par aucune autre force étrangère. » En présence de cette déclaration je ne voie d'autre solution possible à la question des duchés qu'un congrès européen, congrès auquel l'Autriche paraît toujours s'opposer aussi énergiquement que par le passé, et auquel on prétend que l'Angleterre met comme condition préalable l'acceptation du principe de non-intervention. La réalisation des vœux des populations donnerait au royaume de Sardaigne, déjà grandement augmentée par l'annexion de la Lombardie, une extension qui le mettrait bientôt au nombre des grandes puissances de l'Europe. [187] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, 29 août 1859 Dépêche N° 249 Le licenciement des régiments suisses a déjà commencé à s'effectuer, et le gouvernement napolitain s'occupe sérieusement de combler par des troupes nationales les vides que cette mesure laisse dans les rangs de son armée. Ce n'est qu'avec une extrême répugnance que le Roi s'est décidé à se séparer de ce corps d'élite. Mais les généraux, plein de confiance en leurs troupes se louent de cette décision, qui permettra à l'armée nationale de prouver son attachement à la dynastie. Cependant la police ne partage pas cette assurance, et elle montre une extrême défiance à l'égard des étrangers qui arrivent ici. Elle avait craint une démonstration politique à l'occasion de la fête de l'Empereur Napoléon, et on s'était préparé à l'étouffer par un déploiement de force extraordinaire, que l'attitude paisible de la population rendit tout à fait superflue. Les événements de l'Italie centrale sont de nature à inspirer au gouvernement napolitain de graves inquiétudes. Les nombreuses dépêches télégraphiques qui s'échangent entre Rome et Naples, prouvent que les deux gouvernements cherchent à s'entendre pour fixer les bases d'une action commune en présence des événements qui se préparent.
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Voici ce que Monsieur de Carafa a bien voulu me communiquer relativement aux difficultés pendantes entre Rome et la France, difficultés dont le contrecoup pourrait bien se faire ressentir à Naples et qu'on observe avec un intérêt bien légitime. Avant son départ pour Paris, M. de Grammont avait soumis au Pape un plan de réformes dont les points principaux étaient : séparation administrative des Légations et des Marches sous l'autorité d'un lieutenant civil, création d'une nouvelle organisation militaire basée sur la conscription, introduction du code Napoléon, création d'une consulte avec voix consultative délibérative, enfin sécularisation du pouvoir. Le Pape avait promis de prendre ce plan en sérieuse considération, sauf pour les deux premières propositions : exiger la séparation administrative des provinces c'était, disait-il, porter atteinte à l'intégrité de son pouvoir temporel, que l'Empereur lui avait formellement garanti, et introduire dans le pays une institution aussi antipathique aux populations que la conscription, ce serait fournir un nouvel aliment à leur mécontentement et créer une source de troubles continuels. D'ailleurs pour prix des concessions qu'il pourrait faire sur les autres objets du projet, le Pape demandait que les troupes françaises vinssent rétablir son autorité dans les provinces qui l'avaient méconnue. Une dépêche télégraphique reçue à Naples le 25 annonce au gouvernement que Monsieur de Grammont est de retour à Rome porteur d'un ultimatum. La France pose cette dernière condition au Pape, en le menaçant, s'il le repousse, de retirer ses troupes des États R o m a i n s . Quelles modifications l'Empereur a-t-il introduites dans son premier projet ? Monsieur de Carafa l'ignore encore, car le Saint-Père, retenu par une indisposition, n'a pu recevoir immédiatement l'Ambassadeur de France. M. de Carafa paraît très préoccupé et attend avec anxiété des nouvelles ultérieures. Le général Martini, dont j'avais annoncé la mise à la retraite, vient d'être, par une nouvelle décision du Cabinet de Vienne, maintenu dans son poste de Ministre d'Autriche à Naples. L188J
Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 31 août 1859 Dépêche N° 190 Je m'empresse d'accuser réception de la dépêche N° 2962 en date du 20 août 1 , que Votre Excellence a bien voulu m'adresser, relativement à l'action déployée par le Gouvernement Prussien pendant les dernières complications européennes.
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Le Baron de Schleinitz se trouvant de passage dans cette capitale pour se rendre à Ostende, j e saisis l'occasion de lui donner lecture de l'office précité. Je manquerais à mes devoirs, si j e ne me hâtais pas de rendre compte de l'excellent effet que cette communication a produit sur l'esprit de Son Excellence. L'appréciation qu'ont rencontrée auprès de la Sublime Porte les efforts pacifiques de la Prusse et qui a été si gracieusement manifestée par l'organe de Votre Excellence, a sérieusement flatté le Cabinet de Berlin. Aussi, Monsieur le Ministre des Affaires Etrangères m'a chargé de transmettre à Votre Excellence sa vive reconnaissance. Il me reste à rapporter que le Baron de Schleinitz, désirant placer la dépêche dont il s'agit sous les yeux de S.A.R., m'a prié de la lui confier. Je n'ai pas hésité à obtempérer à ce désir. [189| Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 1 e r septembre 1859 Dépêche N° 587 Depuis mon dernier rapport du 25 août N° 586 1 , aucun fait important ne s'est produit ici. M. Massimo d'Azeglio, ancien Ministre des Affaires Etrangères, envoyé pendant la guerre en qualité de commissaire royal dans les Légations romaines et rappelé lors de la paix de Villafranca vient de publier une déclaration dans laquelle il défend les populations de l'Italie centrale contre les accusations portées contre elles. Massimo d'Azeglio jouit ici d'une grande réputation d'intégrité et d'honneur, la publication qu'il fait actuellement en acquiert une importance majeure et j e l'ai jugé assez intéressante pour en faire une traduction que j'ai l'honneur de transmettre ci-annexé à votre Excellence. Le Gouvernement actuel de la Toscane a fait remettre aux grandes puissances de l'Europe un mémorandum, daté du 24 août, pour leur annoncer les résolutions prises par l'assemblée nationale au nom du peuple toscan. Ce document est fort intéressant et j'ai également cru de mon devoir d'en transmettre ci-annexé la traduction à votre Excellence. L'on attend avec la plus fiévreuse impatience le résultat des conférences de Zurich, mais quant à moi je ne vois de solution possible à la question italienne que par un congrès européen.
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- 213 M 90] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 1 er septembre 1859 Dépêche N° 880/115 l,a face des choses est peu changée depuis ma dernière dépêche. Les Puissances continuent la même politique et les difficultés sont loin d'être surmontées. Aujourd'hui encore on peut constater le rapprochement qui se fait entre les Cours de Londres et de Saint-Pétersbourg. Votre Excellence sait sans doute que les conférences de Zurich ne parviennent pas à aboutir à un résultat important. Les travaux des plénipotentiaires doivent être hérissés d'obstacles, car des communications très fréquentes ont lieu entre eux et leur Gouvernement respectif. De Turin on dirige les Gouvernements soulevés dans une voie de modération et de calme. À Vienne, au contraire, on compte sur la lassitude des esprits et sur la révolution des Duchés pour restaurer les Princes déchus. Il m'est revenu, à ce sujet, que le Piémont s'entendait avec la France et que l'Empereur, en promettant au Comte Arèse de ne pas employer la force des armes pour faciliter la restauration des Princes déchus, ne faisait que suivre un programme arrêté entre Victor-Emmanuel et lui. Cependant, je tiens d'une source certaine, que des pourparlers ont eu lieu entre la France et le Piémont au sujet de la députation Toscane qui devait se rendre à Turin pour y demander l'annexion de ce Duché au trône de Victor-Emmanuel : on avait même fait promettre à ce dernier de répondre évasivement à la demande des envoyés toscans ; probablement parce que l'on craignait en agissant autrement, que la situation devint encore plus difficile pour le Cabinet des Tuileries vis-à-vis des Puissances qui n'ont pas été appelées, jusqu'ici, à jouer un rôle officiel dans les affaires d'Italie. Monsieur de Schleinitz, Ministre des Affaires Etrangères de Prusse, se rend à Ostende où il aura probablement, l'occasion de se mettre en contact avec les personnages politiques qui s'y trouvent. Ce fait, quoique peu intéressant me procure l'occasion d'informer Votre Excellence, que l'absence de la Diplomatie, dans presque toutes les cours, amène avec elle comme conséquence l'absence de tout fait politique digne d'attirer l'attention. D'après les informations que j'ai prises, je suis convaincu que l'on ne pouvait attacher que fort peu d'importance au désarmement qu'a annoncé la France. Les soldats qui avaient sollicité un congé avant, pendant, ou après la guerre ont obtenu l'autorisation de se rendre dans leurs foyers, jusqu'à ce que le Gouvernement fasse un nouvel appel à leur dévouement. Ce désarmement ne pouvant être considéré comme complet, même dans les limites les plus restreintes, la confiance paraît diminuer et les regards se tournent avec appréhension vers l'avenir.
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Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 5 septembre 1859 Dépêche N° 254 Le Roi s'est rendu au commencement de cette semaine à Gaëta pour passer en revue les troupes qui gardent cette forteresse. Le bruit se répandit aussitôt en ville que le Pape y était aussi venu, et que, le voyage du Roi avait pour objet une entrevue avec le Saint-Père ; mais des lettres arrivées de Rome affirment que Pie IX, est retenu au Vatican par un érésipèle au pied, et le nonce m'assure que ces bruits n'ont aucune valeur. Cependant les affaires de Rome continuent à préoccuper le gouvernement napolitain. M. de Carafa me dit à ce propos que les modifications apportées par l'timpereur à son premier programme ne sont pas de nature à en rendre l'acceptation plus facile. La séparation complète des Légations est maintenue. Un lieutenant laïc nommé pour 10 ans par le Pape gouvernerait ces provinces, qui auraient leur chambre, leur armée, leur budget, elles seraient tout à fait indépendantes du Pape, sauf pour les affaires ecclésiastiques et la représentation diplomatique. En outre, des réformes administratives très étendues sont demandées pour les provinces qui continueront à rester sous la domination directe du Saint-Siège. Le Pape a nettement refusé de consentir à la séparation des Légations, et, s'il reconnaît en principe l'opportunité de certaines réformes, il ne se prononcera sur leur nature et leur étendue que lorsqu'il aura été réintégré dans les provinces révoltées. Telle est la réponse qui a été communiquée au Cabinet des Tuileries. M. de Grammont n'a pas hésité à la déclarer d'avance tout à fait insuffisante et il a même fait indirectement savoir au Cardinal Antonelli que, si le Pape ne revenait pas sur son refus, les troupes françaises évacueraient Rome dans 15 jours. Quoiqu'on envisage qu'avec une certaine incrédulité la réalisation de cette menace, le Saint-Siège a jugé à propos d'entamer avec Naples et l'Espagne des négociations pour obtenir un secours armé en cas de retraite de l'armée française. Mais à Naples ces essais n'ont pas abouti, et d'ailleurs la France prévenue à temps, a déclaré qu'elle s'opposera à toute intervention étrangère. Le Saint-Père sera donc réduit à ses propres forces, qui ne dépassent pas 5000 hommes.
- 215 |192] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 8 septembre 1859 Dépêche N° 588 L'événement important de cette semaine est l'arrivée ici d'une députation Toscane qui, au nom de la nation, est venu présenter au Roi Victor-Emmanuel le vote de l'annexion de la Toscane au Piémont et le prier de l'agréer favorablement. Ci-joint, Sub A l , je me fais un devoir de remettre à Votre Excellence traduction de l'adresse que la députation a présentée au Roi, et, Sub A2 de la réponse que Sa Majesté a faite à cette adresse. Votre Excellence verra que par cette réponse, le Roi Victor-Emmanuel a agréé l'offre de réunion au Piémont que lui fait la Toscane en en soumettant néanmoins la réalisation au consentement des puissances européennes auprès desquels il s'est engagé de soutenir la cause de la Toscane et de l'annexion. La nouvelle de l'acceptation du Roi a été reçue en Toscane par de grandes démonstrations de joie, et les armes de la maison de Savoie ont aussitôt été officiellement inaugurées sur tous les édifices publics. À Modène et à Palerme on a même été beaucoup plus loin ; le Gouvernement de ces deux Duchés a proclamé accomplie l'union avec le Piémont et, considérant que le statut constitutionnel sarde est loi fondamentale de tous les États sur lesquels règne la maison de Savoie, a décrété la publication et la mise en exécution de ce statut. Votre Excellence remarquera dans la réponse du Roi de Piémont à la députation Toscane une malheureuse allusion aux Principautés Moldo-Valaques que j'y ai vue avec peine ; je n'ai pas cru devoir faire une démarche expresse auprès du Gouvernement Sarde pour relever la comparaison faite entre l'Italie centrale et la Moldo-Valachie, comparaison qui n'est pas exacte et que des égards envers une puissance amie et alliée auraient dû faire éviter. Je me propose cependant la première fois que j'aurais occasion de voir M. le Ministre des Affaires Etrangères de lui dire franchement ma pensée à ce sujet. Sub A3 j'ai l'honneur de remettre à Votre Excellence traduction d'une proposition dont vient d'être saisie l'assemblée nationale des Romagnes, qui vient de se réunir à Bologne, proposition qui, sans aucun doute, sera votée à l'unanimité, et qui proclame que les Romagnes ne veulent plus rester sous le Gouvernement temporel du Pape. La question des Légations est, dans mon opinion, l'affaire la plus grave parmi les nombreuses et importantes questions de l'Italie et celle qu'il sera le plus difficile de pouvoir mener à un résultat équitable et satisfaisant.
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En présence de l'accroissement considérable que vient de voir le Piémont par l'annexion de la Lombardie le Roi Victor-Emmanuel vient de décréter l'augmentation de l'armée. L'on va créer, ainsi que Votre Excellence verra par la note ci-annexée, Sub A4, trois nouveaux régiments de cavalerie, une nouvelle brigade de grenadiers, cinq nouvelles brigades d'infanterie de ligne ; l'on va aussi augmenter dans la même proportion l'artillerie, le génie, le train, les chasseurs etc. C'est une augmentation d'environ 30 000 hommes que va recevoir l'armée sarde. Au milieu de l'agitation politique qui régnait dans toute l'Italie, de l'excitation des esprits, des menées des partis, l'on ne saurait passer sous silence et ne pas relever avec éloge, la parfaite tranquillité, l'absence de tout désordre et de toute violence dont nous sommes les témoins oculaires. [193] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 9 septembre 1859 Dépêche N° 882/117 Comme j'ai déjà eu l'honneur de le dire dans ma dépêche du 1 e r septembre N° 115 indice 880 1 , au sujet de la réponse évasive que le Roi Victor-Emmanuel devait donner à la commission Toscane, Votre Excellence trouvera ci-joint les paroles mêmes de S.M. Sarde, où il a l'air de dire, malgré son refus évasif, j'ai bien envie de vous accepter mais je n'ose? La politique anglaise a su gagner en Italie plus que celle de la France, sans que cela lui coûte un schilling ni une goutte de sang, comme c'est du reste son vieux système, par le fait seul qu'elle appuie le mouvement qui s'y fait ; ne demandant pas mieux que de voir au-delà des Alpes, un Etat puissant à opposer à la France, en cas de besoin, et ne désirant qu'une chose, c'est enlever le pouvoir temporel au Pape. Aussi ne voit-on pas grandes chances de succès dans les conférences de Zurich ni même dans la réunion d'un congrès. Et en effet, quoique la France soit aujourd'hui portée vers un congrès, les cinq Puissances qui s'y réuniraient compteraient parmi elles deux protestantes et une orthodoxe, la majorité serait donc acquise à l'opposition au Pape, d'autant plus que Victor-Emmanuel (s'il était aussi admis à ce congrès, comme cela est probable) mettrait de côté sa foi et ses sentiments vers la France pour donner une voix de plus à la majorité qui lui serait favorable. Mais dans cette hypothèse, d'après une conversation toute récente que j'ai eue avec Monsieur de Montessuy, Ministre de France à Bruxelles, la France veut maintenir les conclusions de Villafranca, et si Victor-Emmanuel n'écoutait pas ces sages conseils en se laissant aller à son ambition et en acceptant les Duchés, la paix qui n'est pas encore faite, puisque les bases seules ont été signées à W
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- 217 Villafranca, qu'il n'y a eu qu'un armistice jusqu'au 15 août, armistice qui a été prolongé indéfiniment ; nous ne pouvons par conséquent pas dire que nous ayons la paix, car elle ne devait dater d'une manière définitive que du jour où elle aurait été signée à Zurich ; cette paix, dis-jc, n'étant donc pas conclue, et la France ayant encore en Italie une armée de 60 à 70 000 hommes, la Lombardie qui n'est cédée qu'après la conclusion de la paix, serait conservé par la France, puisque l'acte de donation serait annulé. Victor-Emmanuel, a ajouté le Ministre de France, connaît tellement bien ce fait qu'il se serait empressé depuis longtemps d'accepter les Duchés, s'il n'était pas sûr d'être rogné de la Lombardie. D'un autre côté, la France conseillerait au Pape de donner une constitution à la Romagne avec un Gouvernement laïque, et de ne conserver que la suzeraineté dans les Légations ; mais jusqu'ici, et pour longtemps peut-être, l'opposition de Rome est assez énergique, mais il est possible que, si le congrès se réunit, le Pape accorde d'avance la constitution de 1848 à tous ses États pour ne plus laisser de prise, dans les discussions du congrès. Quant à l'apparition d'une escadre anglaise devant Alexandrie, elle a été motivée par la frayeur que la Grande-Bretagne a eue de la France à qui elle supposait le dessein d'envoyer un corps de débarquement en Egypte pour aller lui couper les communications des Indes, en même temps qu'elle s'attendait à une descente chez elle , cette frayeur qui a eu sa raison d'être à cause de la polémique acerbe qui s'était établie entre les journaux des deux pays, à la suite de la paix de Villafranca, et l'enthousiasme des deux nations vers une guerre entre les deux. D'autant plus que, ne sachant jamais quelles peuvent être les intentions de l'Empereur, il aurait pu, à ce coût hardi, empêcher l'arrivée de l'armée anglaise qui se trouve dans les Indes. Heureusement toutes ces prévisions se sont évanouies, mais cela n'empêche qu'on craint généralement encore la reprise de la guerre si le congrès ne parvient pas à conclure quelque chose de stable. Selon les appréciations que j'ai déjà eu l'honneur de transmettre à Votre Excellence, les principales causes de la paix de Villafranca ont été : la crainte de voir la révolution se propager comme la gangrène ; les difficultés à surmonter devant le quadrilatère Autrichien ; la crainte de revers après une suite de succès éclatants ; l'attitude menaçante de l'Angleterre qui favorisait le principe révolutionnaire et de la Prusse qui dirigeait une armée sur le Rhin ; l'ambition toujours croissante du Piémont ; les Romagnes qui, par leur soulèvement, commençait à inquiéter le Pape ; le clergé français qui, dans son zèle pour la papauté craignait de voir l'autorité de Pie IX amoindrie en Italie etc. etc. Une nouvelle assez importante aujourd'hui et qui vient de jeter un nouveau jour sur les affaires d'Italie, c'est la déclaration confidentielle qu'a faite la Russie de ne pas adhérer à l'établissement de nouvelles dynasties dans le Duché.
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Scion cette Cour, les principes qui ont élevé les Ducs au pouvoir sont sacrés et il n'appartient pas à leur peuple de les renverser sur leur bon plaisir. Malgré cela l'Angleterre persiste à croire qu'un traité secret existe entre la France et la Russie et, aussi longtemps qu'elle ne sera pas persuadée du contraire elle conservera une politique d'attente et elle maintiendra ses forces dans la Méditerranée afin de garantir l'Egypte de toute agression, car, elle est persuadée que par ce traité secret, s'il existe, la France laisserait la Russie suivre sa politique traditionnelle en Orient et que celle-ci à son tour laisserait la France arriver en Egypte. [1941 Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 14 septembre 1859 Dépêche N° 199 Je crois de mon devoir de signaler que l'article de 1'« Invalide russe » sur un Congrès européen, article que le bureau de publicité a stigmatisé, vient de subir dans la presse allemande différents commentaires. Je suis heureux de pouvoir constater que ces déclarations moscovites, dignes de figurer parmi les exploits chevaleresques du héros de Cervantès, n'ont pas été goûtées ici. L'on devait naturellement s'étonner dans un pays, qui entretient les meilleures relations officielles avec la Sublime Porte et dont la liberté de presse n'est pas une des attributions, que la première feuille venue osa discuter ex cathedra les plus grandes questions européennes. Toutefois, l ' I n v a l i d e n ' a pas été heureusement inspiré en s'occupant du prétendu malade. Je n'ai pas manqué d'entretenir en passant quelques-uns de mes collègues de cet inconvenant article. Je n'ai cependant pas cru devoir lui accorder l'honneur d'une importance. 11 me semble en effet que ces jérémiades hors de saison méritent plutôt être ridiculisées ; et c'est ce que les organes de l'Allemagne libérale ont fait avec succès. [195] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 14 septembre 1859 Dépêche N° 2()0 Au milieu de l'incertitude qui plane sur les complications italiennes, il ne me serait pas permis de passer sous silence l'impression produite par le dernier article du « Moniteur » y ayant trait dans les sphères politiques de cette Capitale.
- 219 — La Diplomatie s'en est saisie avec ardeur, et le monde financier lui fait subir des interprétations alarmantes. Malheureusement cette manifestation du Gouvernement Français, ainsi que tous les actes qui émanent depuis quelque temps de cette source Impériale, contribuent à entretenir la méfiance publique. Aussi les fonds ont-ils baissé de 5 % dans la bourse de Berlin, qui n'est que le reflet des bourses de Londres et de Paris. On aurait pu en attribuer le fait à la surprise, avec laquelle la finance ne s'est pas encore familiarisée ; mais la baisse persiste à se maintenir. Il faudrait toutefois tenir compte des différents qui se continuent des deux côtés du détroit Il serait inopportun d'énumérer les diverses appréciations dont l'article en question est l'objet. Qu'il me soit permis d'en tracer les principales. Les uns n'y voient qu'un dernier effort de l'Empereur Napoléon pour exécuter loyalement les engagements pris à Villafranca. Après les missions manquées du Comte Reizet et du Prince Poniatovvski, il ne lui restait, avance-t-on, qu'à faire entendre un langage net et fort. Suivant les autres, ce serait le signal d'un rapprochement intime des cours des Tuileries et de Vienne, dont le but premier consisterait à la restauration des archiducs dépossédés. La menace d'un non accomplissement de la promesse relative à la Vénétie vient particulièrement à l'appui de cette dernière argumentation. Les uns crient à la faiblesse, les autres à la trahison ; et tous avouent que la perspective de l'organisation de cette province à l'instar de Luxembourg compromet sérieusement la situation. Le Ministre de la Sardaigne dans cette Capitale, qui est très initié aux affaires de la Péninsule, me faisait remarquer que les Italiens avaient à opter entre deux maux le moindre. A son avis, il n'y aurait pas à hésiter en face des vœux de l'Italie Centrale et de la promesse autrichienne. La patrie commune, prétendaitil, gagnerait au premier cas ; et dans le cas où l'Autriche remplirait même ses promesses, nous n'aurions qu'à y perdre, car elle deviendrait ainsi la plus forte puissance italienne. Je n'ai pas la prétention d'analyser ces diverses opinions ; j e sollicite seulement l'autorisation d'ajouter humblement qu'il me paraît plus rationnel d'attribuer à la déclaration française une tendance pacifique. Ne semble-t-il pas en effet que l'Empereur Napoléon, tout en remplissant loyalement ses engagements envers son nouvel allié, veuille arrêter le torrent et sauver l'Italie des éventualités qui la menacent ? Votre Excellence voudra bien se rappeler que, peu avant la solution de l'affaire de Neufchâtel, le journal officiel de Paris publia un article fulminant contre la Suisse. Quoiqu'il en soit, l'espoir d'un accommodement quelconque des questions de l'Italie Centrale n'est pas perdu. Faute de prétendant, les populations des Duchés finiront peut-être par accepter leur Prince légitime. Mais il semble que c'est la situation des Légations qui est destinée à présenter des obstacles presque insurmontables. Le parti clérical en France est obstinément opposé à la sécularisation du pouvoir papal. L'Empereur voudra-t-il braver ce parti ?
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En terminant ce rapport, j'aurais désiré pouvoir transmettre à Votre Excellence des informations exactes quant à l'opinion du Gouvernement prussien sur ces questions importantes. Je dois cependant me borner à signaler que le langage des Ministres est très réservé. Toutefois, le Cabinet de Berlin soutient en principe la légitimité des archiducs dépossédés. Pour ce qui concerne la question des légations, ses sentiments, influencés par sa croyance, sont assez connus. Mais on ne se tromperait peut-être pas en subordonnant toute action de sa part dans cette circonstance à la conduite de l'Angleterre et de la Russie. [1961 Fuad Pacha à Rustem Be\ Le 14 septembre 1859 Dépêche N° 3055 J'ai lu le rapport que vous m'avez adressé le 25 août N° 586 1 , ainsi que le discours prononcé dans l'assemblée Toscane par le représentant Giorgini relativement à l'annexion des duchés du Piémont. Je conviens avec vous que la question des duchés, après des vœux si unanimement émis, va devenir très grave surtout si la réponse de l'Empereur des Français au Comte Licati est authentique. Il faut espérer cependant que les puissances intéressées à cette question parviendront à s'entendre, animées qu'elles sont du désir de ne point troubler la paix de l'Europe, si heureusement conclue depuis quelques mois. En vous remerciant des détails que vous nous avez donnés et de la transmission des pièces susmentionnées, je saisis... [197] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 15 septembre 1859 Dépêche N° 885/120 Les conférences de Zurich et la question italienne préoccupent encore vivement les esprits dans ce pays. Dans le monde diplomatique on s'accorde à penser que les difficultés qui embarrassent la marche des négociations seront loin d'être aplanies si l'on a recours à un Congrès. Votre Excellence pourra juger par l'article du Moniteur Français, que j ' a i l'honneur de joindre ma dépêche, combien le Gouvernement de Napoléon III reconnaît, tout le premier, la nécessité où se trouvent placées les Puissances
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belligérantes de recourir à ce nouveau moyen d'arrangement ; mais ici, comme en France, on doute du succès et je ne sais trop pourquoi on craint même qu'un Congrès n'entraîne avec lui de nouvelles difficultés. La bourse, ce thermomètre de l'opinion publique, si je puis m'exprimer ainsi, a témoigné par une légère baisse son inquiétude à l'apparition de l'article officiel du journal français. Je n'entrerai pas dans de longs détails sur les différent points qui ont paru louches, inquiétants ou vagues. Votre Excellence les appréciera mieux que moi, car elle pourra juger sans prévention et sans arrière-pensées. Il est important cependant de fixer l'attention sur la fausse situation dans laquelle se sont mis les Duchés. Et en effet, ces États, par leur demande d'annexion au Piémont, ont dû éloigner les sympathies du seul homme qui peut leur être de quelque utilité ; ce ne sera pas Lord John Russell qui viendra à leur secours : le Times peut encore moins les aider ; la France seule est en état de les secourir ; mais l'Empereur Napoléon ne tient pas à voir son ancien allié le Piémont s'agrandir encore davantage. Le Comte Cavour disait vrai en déclarant que son souverain faisait une faute en acceptant l'annexion de la Lombardie. Par cette annexion il écrasait la cause italienne, comme l'on dit aujourd'hui. Un Congrès donnera aussi tort à ces sentiments nouveaux, chaleureusement exprimés par les populations des Romagnes et des Duchés. Un Congrès ne peut justifier l'abdication obligée des Princes, et, la demande des Modenais de devenir Lombards ne peut exciter aucune pitié, d'après les uns et, d'après les autres, les Duchés auraient dû demander leur annexion à la France et non pas au Piémont. Celui-ci est trop faible pour lutter contre la volonté de l'Empereur même, en s'appuyant sur la force que peuvent lui donner les Duchés réclamant son patronage. Un passage peu flatteur pour Victor-Emmanuel et que Votre Excellence trouvera dans l'article du Moniteur est noir de présages pour ce souverain. On ne sait pas s'il se confirmera à l'avenir mais on croit pouvoir prédire que la politique du Comte de Cavour n'est plus aussi éloignée d'être suivie et la rentrée de ce diplomate au pouvoir serait peut-être un moyen de conjurer de grands malheurs. Un autre moyen, et le meilleur de tous, selon certains diplomates, serait d'attendre les décisions d'un Congrès en mettant un frein à une ambition qui ne peut se légitimer en vue du désir ardent que VictorEmmanuel manifeste dans l'intérêt de la liberté et de l'affranchissement de l'Italie. Voici les paroles que l ' E m p e r e u r Napoléon a prononcées dans une conversation qu'il a eu avec Monsieur de Bourqueney, en parlant de l'Empereur d'Autriche : « Je l'ai trouvé digne, loyal, intelligent, plein de sentiments d'honneur et j'avoue que j'ai été vivement impressionné. » Cela prouve combien Napoléon désire l'alliance des deux Empires.
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[198| Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 15 septembre 1859 Dépêche N° 886/121 Au moment de fermer ma dépêche j e reçois quelques nouvelles assez importantes que je crois devoir transmettre sans retard à Votre Excellence. Les plénipotentiaires de France et d'Autriche à Zurich forcent, de commun accord, l'envoyé de Victor-Emmanuel d'accepter tout ce qu'ils décrètent. L'Empereur des Français a assuré François-Joseph de compenser la perte qu'il a subie en Lombardie dans un prochain remaniement, si la question de l'Italie finit bien. La Russie n'accepte pas de Congrès sur des bases révolutionnaires ; cette puissance a en but, en mettant en avant le Congrès, d'arriver à soustraire la Vénétie à l'Autriche. Je profite de cette même occasion pour faire parvenir à Votre Excellence quelques articles assez curieux du Saticho, sur la situation, et un extrait de la Revue Politique et d'un des principaux journaux de Bruxelles. [199J Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 15 septembre 1859 Dépêche N° 589 La question des Duchés est toujours la question prédominante ici. La note insérée au Moniteur et dont Votre Excellence doit nécessairement avoir connaissance n'a pas produit l'effet que l'on semblait en attendre. Les Italiens n'y ont vu qu'une chose, c'est l'assurance positive que la restauration des souverains dépossédés n'aura pas lieu par les baïonnettes étrangères. Rassurées de ce côté les populations de l'Italie centrale sont plus que jamais pleines de l'espoir de réussir et décidées à redoubler d'efforts pour arriver à la réalisation de leurs vœux. Plusieurs des organes de la presse française et étrangère parlent d un projet d'ériger les Duchés et les Légations en un royaume d'Étrurie dont le Prince Napoléon sera le souverain. Je serais assez disposé à croire à l'existence d'un tel projet (sans pouvoir affirmer néanmoins s'il vient d'une source officielle) car je sais positivement que l'on cherche soit ici, soit dans les Duchés et les Légations à faire une propagande active dans ce sens ; mais je crois que ce projet n'a guère de chances de réussite ; les populations en général ne s'y montrent nullement favorables et il rencontrerait probablement une forte opposition de la part de l'Angleterre et de quelques autres puissances. L'on parle aussi beaucoup d'un projet de rachat de la Vénétie, et on parle de compensation que l'on donnerait à l'Autriche et au Grand-Duc de Toscane aux dépens de l'Empire ottoman.
- 223 Sans attacher à ces projets plus d'importance qu'il n'en mérite j e crois cependant de mon devoir d'en faire part à Votre Excellence et d'y appeler sa sérieuse attention. L'assemblée nationale réunie à Bologne pour exprimer les vœux des populations a voté à l'unanimité la réunion des Romagnes au royaume de Sardaigne. La députation des Duchés de Modène et de Parme et Plaisance, chargée de présenter au Roi Victor-Emmanuel le vote de réunion de ces Duchés au Piémont, vient d'arriver aujourd'hui à Turin. Reçue en grande pompe elle vient d'avoir une audience du Roi pour s'acquitter de sa mission, et j'apprends à l'instant que la réponse de Sa Majesté a été identique à celle qu'elle avait donnée à la députation Toscane. Si avant le départ du courrier j e réussis à me procurer le texte de la réponse royale j e m'empresserai de l'envoyer ci-annexé à Votre Excellence.
[200J Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples,le 19 septembre 1859 Dépêche N° 257, confidentielle Le calme le plus complet continue à régner dans le royaume, du moins en apparence. Cependant le mécontentement des populations ne fait qu'augmenter, et si l'ordre public n'a pas été troublé jusqu'ici, ce n'est que grâce à la surveillance incessante de la police, secondée par l'attachement du clergé au régime actuel. Les rapports qui arrivent des provinces, constatent tous ce fâcheux état de choses. Les populations des campagnes sont tellement surveillées qu'on ne leur permet de se rendre d'un village à l'autre que munies de passeports qui s'obtiennent très difficilement. Les nouvelles politiques ne leur parviennent que par le journal officiel, dont il est aisé de concevoir l'esprit et les tendances ; quant aux feuilles étrangères, elles sont impitoyablement proscrites. Le mécontentement que produisent ces mesures, est encore fomenté par la misère publique et la cherté sans cesse croissante des vivres. La récolte de cette année est tout à fait insuffisante ; le gouvernement fait bien les plus grands efforts pour remédier à ce mal, il a ouvert les ports du royaume à la libre introduction des céréales, et prohibé l'exportation comme la distillation des blés ; le mal n'en existe pas moins, et il faut que l'administration fasse pour son propre compte des achats considérables de grains en Russie et en Amérique. L'armée n'est guère plus satisfaite que les habitants de province. Le Roi a beau faire tous ses efforts pour se l'attacher, il a beau multiplier les revues, visiter fréquemment les casernes, augmenter la solde des troupes et réserver au mérite un avancement qui jusqu'ici n'était dû qu'à l'ancienneté, toutes ces tentatives échouent devant le mauvais esprit des soldats. On prétend même que Sa
- 224 Majesté a été assez mal reçue par un régiment caserné à Capoue, à qui elle venait reprocher certains actes d'insubordination ; et les officiers supérieurs lui auraient, à ce qu'il paraît, conseiller de ne pas punir trop sévèrement ces mutins, de peur de provoquer des plus graves désordres. Aussi, plus convaincu que jamais de l'insuffisance de l'armée nationale, a-t-il pris le parti de remplacer les régiments suisses par une légion étrangère, et malgré l'opposition formelle du Prince Filangieri, des ordres ont été immédiatement donnés pour l'organisation de ce nouveau corps, qui est déjà en voie de formation. À la suite de cet échec, Filangieri envoya sa démission, qui ne fut pas acceptée, et sur les instances du Roi qui craignait l'éclat, il se borna à demander un congé de deux mois pour cause de santé. Cependant on doute fort qu'à l'expiration de ce délai, Filangieri reprennent la direction active des affaires. Comme il désespère d'amener le Roi aux réformes qu'il croit indispensable, il ne voudra pas compromettre sa haute réputation en assumant la responsabilité d'une politique qu'il réprouve et ce n'est que par égard pour la dynastie qu'il a consenti à déguiser sa retraite sous la forme d'un congé. Au reste, le Roi lui-même, qui n'a jamais sympathisé avec son premier Ministre, et qui ne le subit que par nécessité, sera tout disposé à renoncer à ses services, si, comme il l'espère, les choses
prennent une meilleure
tournure.
Provisoirement Filangieri est remplacé pour la présidence du conseil par le général Carascosa, et par le général Garofolo au département de la Guerre. Depuis quelques jours, le gouvernement napolitain envisage avec plus de tranquillité la situation générale de l'Italie. L'assurance positive donnée par le Comte Walewski au marquis d'Antonini que la France ne permettra pas à l'armée de l'Italie centrale d'envahir les Marches et d'avancer vers les Abruzzes a été accueillie ici avec la plus vive satisfaction, et contrordre a été immédiatement donné aux 12 0 0 0 hommes qui devaient se concentrer de ce côté. La promesse du Comte Walewski est d'ailleurs pleinement confirmée par les assurances de M . de Brenier qui compte sur une prompte solution des difficultés pendantes. On en conclut, non sans raison, que l'Empereur ne s'empressera pas de retirer de Rome l'armée d'occupation, et on voit ici avec satisfaction que M. de Grammont, malgré le refus du Saint-Père d'accorder à la Romagne une administration séparée, continue à négocier avec le Cardinal Antonelli sur les reformes à introduire dans les provinces restées soumises. Au reste, tout se trouve naturellement suspendu par l'état de santé du Pape, qui inspire en ce moment quelques inquiétudes. On espère donc à Naples pouvoir se maintenir jusqu'à la fin en dehors du mouvement italien. Dès l'instant que la France s'oppose tout à la fois et à la révolution et à l'agrandissement indéfini du Piémont le gouvernement napolitain voit en elle son allié naturel, et cherchera à s'appuyer sur elle pour résister à l'Angleterre dont le représentant ne cesse de blâmer sa politique et de faire les plus grands efforts pour le pousser dans une voie plus libérale.
- 225 [201] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 21 septembre 1859 Dépêche N° 220, réservé Le rapprochement qui heureusement s'opère entre le Cabinet des Tuileries et celui de St. James fortifie l'espoir d'un aplanisscment des difficultés italiennes. Il paraît certain que l'inconsidération chinoise a eu le mérite d'y contribuer. Il serait oiseux de rappeler que l'alliance des Puissances occidentales dans la guerre de la Crimée a, par ses effets, tellement captivé la conscience publique, que la confiance ou l'inquiétude de l'Europe dépend des rapports plus ou moins intimes de ces deux grands États. Aussi, à peine ce phénomène de bon augure fut aperçu, que les esprits les plus incrédules commencèrent à s'agiter moins. Le Cabinet de Berlin, je suis heureux de pouvoir le rapporter à Votre Excellence, n'a pas échappé à cette influence. Et le message que le Comte Pourtalès porta tout récemment au Prince régent de la part de l'Empereur des Français le rassure davantage. D'après ce qu'il me revient, Sa Majesté chargea le représentant prussien à Paris de dire à Son Altesse Royale, « combien elle était heureuse que les circonstances avaient permis à la France et à la Prusse de rester d'aussi bons amis qu'auparavant. » En attendant, la perspective qui se présente aux affaires de la Péninsule menace de faire accréditer les rumeurs touchant l'établissement d'un Royaume d'Étruric. Et les commentaires qui accompagnent cette éventualité me paraissent nuisibles aux intérêts de la Sublime Porte. Toutefois, je prie Votre Excellence de vouloir bien croire que je ne me serais pas permis d'en faire mention, si je n'avais pas connaissance d'une circonstance destinée, à ce qu'il paraît, à influencer la pensée du Cabinet de Berlin. Il lui a été rapporté en effet, qu'un des diplomates les plus habiles de la Sublime Porte à l'étranger aurait exprimé l'opinion personnelle, que le Gouvernement Impérial ne s'opposerait pas au choix de Princes étrangers comme Hospodar, à la condition que la séparation de la Valachie et la Moldavie fût maintenue. Sondé à ce sujet j'ai cru devoir établir tout simplement le peu de vraisemblance d'une pareille disposition, J'ai tout lieu de croire que cette insinuation de ma part a été fort goûté par les intéressés.
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|202] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 22 septembre 1859 Votre Excellence aura sans doute déjà pris que le Prince de Mctternich a été reçu par l'Empereur à Saint-Sauveur. Après le retour de Vienne de cc diplomate on se demandait partout ce que pouvait amener le représentant de l'Autriche dans la nouvelle résidence de l'Empereur. J e n'ai pas tardé à connaître le sujet de cette entrevue. Le Cabinet de Vienne ne cesse de plaider la cause des Princes dépossédés et fait tous ses efforts pour contrebalancer l'influence anglaise en Italie. Or, voici les paroles qui s'échangèrent entre Napoléon III et Metternich à Saint-Sauveur : « Vous tenez donc bien à la restauration des Princes ? Mais Sire, répondit le diplomate autrichien, ils ont pour eux un principe qui n'est pas une chimère. C'est vrai, répliqua l'Empereur, ils ont pour eux un principe ; mais l'Italie a pour elle le fait accompli, enfin j e ne demande pas mieux ; que le Cabinet de Vienne déploie son habileté ordinaire, j e le seconderai de toute ma force. » Cela veut-il dire que l'Empereur Napoléon s'engage à employer la force des armes pour faire réussir les désirs de son ennemi d'hier ? Non certes, mais il semble promettre d'employer les armes de la Diplomatie, les moyens légaux ne lui répugnent donc pas ! J e me hâte de répéter qu'il ne peut souffrir de voir le Piémont s'agrandir aux portes de la France et l'influence anglaise triompher en Italie, et l'insurrection armée. Les sympathies de l'Empereur, comme j ' a i déjà eu l'honneur de l'écrire, à Votre Excellence, sont très prononcées pour l'Autriche en ce moment et on croit, en général, qu'il dépendra entièrement d'elle de regagner ce que les armes de la France lui ont fait perdre. [203] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 22 septembre 1859 Dépêche N° 592 La situation politique de l'Italie continue dans le même état. Le mouvement dans les Duchés et les Romagnes ne se ralentit pas et malgré toutes les difficultés qui surgissent, toute l'opposition que leur réunion au Piémont rencontre, même de la part du Gouvernement Français, ils n'en paraissent pas moins décidés à ne rien négliger pour arriver à l'accomplissement de leurs vœux. Ils continuent leurs préparatifs militaires ; la Ligue qu'ils ont formé pourra bientôt disposer d'une force de 2 0 à 25 0 0 0 hommes, et ils paraissent déterminés d'opposer une sérieuse résistance aux efforts que pourraient tenter les souverains dépossédés pour reprendre possession de leurs États.
- 227 Il est cependant fort à craindre que si cette situation venait à se prolonger trop longtemps de sérieux désordres ne surgissent. L'ordre admirable et la parfaite tranquillité qui n'ont cessé de régner dans ces provinces, privées, pour ainsi dire, de tout Gouvernement, proviennent du désir de prouver à l'Europe que tout ce que l'on disait de leur esprit de révolte et de désordre n'était pas exact, et surtout de l'influence qu'ont su exercer quelques hommes sages et modérés qui ont pris la direction des affaires. Mais dans de pareilles circonstances les hommes s'usent vite et il ne faut pas se cacher que le caractère des populations, celles de la Romagne surtout n'ait nullement changé. Il est donc à craindre que si la situation actuelle se prolongeait indéfiniment, si surtout l'espoir de voir leur voeu réalisé venait à se perdre, les désordres les plus graves pourraient se produire, dans les Romagnes principalement, qui ne veulent, à aucun prix, retourner sous le Gouvernement direct des prêtres. Ici le Ministère actuel perd chaque jour de sa considération ; il n ' a aucune influence réelle ; ce qui provient surtout de ce qu'il ne contient dans son sein aucun homme d'un talent transcendant. M. Ratazzi, Ministre de l'Intérieur, et qui dirige le Cabinet, ne jouit, à cause de ses antécédents, d ' a u c u n e considération personnelle ou d'influence. Le général Délia Marmora, Président du Conseil, et Ministre de la Guerre et Marine, a perdu toute sa popularité ; il existe contre lui le plus grand mécontentement aussi bien dans l'armée que dans la population. La chute de ce Ministère semble donc prochaine ; il pourra vivre, tout au plus, jusqu'à la réunion des Chambres. Cette réunion ne pourra pas beaucoup tarder une fois que les conférences de Zurich seront terminées, car les pleins pouvoirs dont le Roi a été investi finissent avec la guerre ; une fois donc que la paix sera définitivement signée il faudra bien, bon gré mal gré, réunir les Chambres dans un délai assez restreint. Il reste à voir qui sera appelé à recueillir sa succession. M . Massimo d'Azeglio, qui a déjà été Ministre des Affaires Etrangères dans le temps, et qui jouissait d'une certaine influence et d'une grande réputation d'intégrité et de talent, s'est complètement coulé dans les derniers événements dont l'Italie a été le théâtre, en se faisant envoyer en qualité de général dans les Romagnes d'où il a dû revenir presque aussitôt sans avoir absolument rien fait. Il s'est rendu ridicule et rien ne tue un homme d'État comme le ridicule. Le parti conservateur qui compte dans son sein quelques hommes de talent parmi lesquels M.M. Revel, Ménabréa, etc., n ' a que bien peu de chances d'arriver au pouvoir. C'est donc M. le Comte de Cavour qui semble réunir le plus de probabilités pour la constitution d'un nouveau Ministère. Le Roi est parti dimanche dernier, 18 du courant, pour aller faire une tournée en Lombardie. Les nouvelles de tous les pays où il a passé, Pavie, Lodi, Crémone, etc. annoncent qu'il y a été reçu avec le plus grand enthousiasme. Il est actuellement à Monza où samedi prochain, 24 courant, il doit recevoir la députation des Romagnes qui vient lui apporter le vœu des populations pour la réunion au Piémont. Il est attendu de retour ici dans les premiers jours de la semaine prochaine.
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[204] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 25 septembre 1859 Dépêche N° 258 Le g o u v e r n e m e n t napolitain vient de prendre plusieurs m e s u r e s importantes : 1° Mise en état de siège des provinces limitrophes des États Romains. 2° Envoi d'un corps de 12 000 hommes pour renforcer le camp d'observation établi depuis quelque temps dans les les Abruzzes. 3° Nomination du général Pianelli au commandement des troupes concentrées de ce côté. Ces mesures ont été provoquées par la nouvelle officiellement reçue que Garibaldi vient d'entrer dans les Marches se disposant à porter la révolte dans le royaume de Naples. Quoique la France ait promis à différentes reprises que jamais elle ne laissera l'armée de l'Italie centrale pénétrer dans les royaumes, quoique le Piémont, de son côté, ait offert les mêmes assurances, on est fort inquiet à Naples. On craint que Garibaldi, obligé de donner un aliment à l'activité de ses troupes sous peine de voir leur ardeur s'éteindre, ne passe outre en dépit de tous les engagements de la France et du Piémont. L'état des esprits dans le royaume augmente d'ailleurs les craintes du gouvernement ; il sait trop que l'arrivée de l'armée révolutionnaire y est impatiemment attendue, et qu'à son approche le pays se soulèvera pour se ranger sous la bannière tricolore. Le général Pianelli va donc avoir une double difficile mission à remplir : résister à l'armée révolutionnaire et maintenir dans le devoir les populations prêtes à s'insurger. Pour animer par sa présence l'ardeur de ses troupes, le Roi a voulu se transporter en personne au milieu d'elle. Il vient de partir brusquement et dans le plus grand secret pour les Abruzzes ; on croit que de là il se rendra par mer à Porto d'Anzio pour rejoindre le Pape, qui, rétabli de sa maladie, s'y rendrait de son côté pour s'entretenir avec lui. [205] Fuad Pacha à Diran Bey Constantinople le 28 septembre 1859 Dépêche N° 3118 J'ai reçu votre rapport du 9 septembre N° 882/117 1 . Je vous remercie des communications intéressantes que vous me faites sur tout ce qui fait l'objet des précautions du monde politique.
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- 229 La nouvelle que vous me donnez de la déclaration confidentielle qu'a faite la Russie de ne pas adhérer à l'établissement de nouvelles dynasties dans les Duchés est à divers titres de nature à dissiper les inquiétudes qui persistent à se maintenir. Comme c'est toujours avec un vif intérêt que nous accueillons tout cc qui peut nous édifier sur les dispositions des divers Cabinets dans les complications de la situation politique de l'Europe, je ne saurais trop vous engager à continuer à me tenir au courant de tout cc qui se dit, digne de foi, autour de vous à ce sujet. [206) Fuad Pacha à Rustern Bey Le 28 septembre 1859 Dépêche N° 3116 J'ai reçu et lu avec l'attention qu'il méritait votre rapport du 8 septembre N° 538 1 accompagné de diverses annexes, et dans lequel vous m'entretenez des manifestations de plus en plus significatives des Duchés en faveur de leur annexion au Piémont, ainsi que de l'attitude hostile des Légations contre le pouvoir temporel du Gouvernement pontifical. Je n'ai pas manqué de relever dans le discours de S.M. le Roi VictorEmmanuel en réponse à celui de la députation Toscane, l'allusion y faite à la Grèce et aux Principautés Moldo-Valaques, et j e trouve en effet que cette allusion dans les termes où en sont nos relations amicales avec la cours de Turin, est tout au moins déplacée et serait susceptible à produire sur le Gouvernement de S.M. Impériale une impression plus désagréable si nous pouvions mettre un seul moment en doute les sentiments de sincère amitié du Roi Victor-Emmanuel. [2071 Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 29 septembre 1859 Dépêche N° 594 Depuis mon dernier rapport du 22 de ce mois N° 592 2 le seul fait saillant qui se soit produit a été la réception par le Roi de Sardaigne, au château de Monza près de Milan, de la députation des Romagnes qui est venue lui apporter le vote d'annexion des Romagnes au Piémont. Ci-annexée Votre Excellence trouvera traduction du discours de la députation ainsi que de la réponse du Roi qui depuis est revenu à Turin. W 2
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N O . 203.
- 230 Rien ne transpire sur les conférences de Zurich et le Moniteur vient de démentir officiellement l'intention que l'on prêtait à l'Empereur de créer un royaume en Italie pour le Prince Napoléon. [208] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 29 septembre 1859 Dépêche N° 896/126 Depuis une dizaine de jours la politique chômant complètement, tous les ondit, qui circulent ne sont que purement et simplement des bavardages de journaux. L'entrevue du Roi des Belges avec Napoléon III est un mystère pour tous, et l'on se borne à espérer que les affaires d'Italie s'arrangeront à l'amiable à moins que l'entêtement du Piémont ne les complique de nouveau. Tout ce que nous savons de positif, c'est que le Roi Léopold, en quittant l'Empereur pour aller dans sa villa à Côme, était très satisfait du séjour qu'il a fait à Biarritz. D'où l'on conclut que le retour de l'archiduc Maximilien à Venise est une affaire entendue. [209] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 3 octobre 1859 Dépêche N° 269 Après trois jours d'absence le Roi est revenu du voyage qu'il avait entrepris du côté de la frontière romaine. Les dernières nouvelles reçues à Naples sur la marche de Garibaldi sont plus rassurantes, et on est moins préoccupé de l'idée de le voir apparaître d'un instant à l'autre. On sait qu'il vient de quitter la Cattolica, d'où il menaçait les frontières napolitaines, pour se retirer sur Bologne, et on croit que les sévères remontrances du général Goyon ne sont pas étrangères à cette retraite, tout au moins momentanée. Délivré de ce grand sujet d'inquiétude, le gouvernement napolitain a d'autres difficultés non moins redoutables à vaincre en Sicile, en Calabre et dans la capitale. L'agitation de la Sicile ne fait que croître ; un vaste réseau de sociétés secrètes enveloppe toute l'île ; des conspirations s'ourdissent dans les villes et les campagnes, et la police a besoin de toute son autorité pour les déjouer. Les rigueurs auxquelles recourt l'administration, les arrestations qu'elle opère journellement, sont impuissantes à détruire le mal.
- 231 En Calabre, de nombreuses bandes de brigands s'organisent, et portent l'effroi au milieu d'une population déjà si cruellement éprouvée par la disette. Les troupes ont été envoyées sur divers points, et dans une rencontre qui a eu lieu cette semaine elles ont eu le dessus. Mais les bandes à peine dispersées se réorganisent avec rapidité, et de nouveaux renforts ont été dirigés contre elle. Enfin à Naples aussi continue à régner une sourde agitation, que les mesures prises par le gouvernement ne font qu'augmenter. La ville entière vient d'être mise en émoi par la nouvelle d'arrestations importantes qui ont eu lieu ces jours-ci dans le camp des libéraux. 17 personnes appartenant toutes à la haute société ont été saisies à leur domicile dans la nuit du 28 au 29 septembre et transportées à la préfecture de police. L'ordre d'arrestation avait été envoyé dans la soirée du palais même au Ministre de la Police ; mais celui-ci refusa de l'exécuter et offrit sa démission, qui fut immédiatement acceptée. Dans la nuit même il fut remplacé par M. Ajossa, qui fit exécuter les ordres du Roi. Jusqu'ici les Ministres de France et d'Angleterre ont fait d'inutiles efforts pour obtenir leur mise en liberté. On croit généralement que ces mesures de rigueur se rattachent à la publication d'un petit journal, qui depuis quelques semaines circule clandestinement par la ville, sans qu'il ait été possible jusqu'ici d'en découvrir les rédacteurs. Mais il est douteux que ce soit là le véritable motif de ces arrestations, qui d'ailleurs auraient manqué complètement leurs effets, puisque la feuille continue à se publier et à se distribuer dans les maisons. Il semble plutôt qu'elles doivent être motivées par la crainte d'un mouvement, qui préoccupe vivement le gouvernement. Les bandes de Lazzaroni qui, sous le nom de sansfééristes, lui avaient prêté un concours si dévoué en 1848, se sont réorganisées et quoiqu'en général on applique ici avec grande rigueur la loi qui défend la détention d'armes à domicile, tous les membres de ces bandes sont pourvus d'armes au vu et au su de la police. Le général Roguet, aide de camp de l'Empereur Napoléon, est arrivé cette semaine à Naples et a eu une entrevue avec le Roi. Le motif apparent de sa mission était la remise d'une lettre autographe de l'Empereur, en réponse à celle que le général Ischitella était venu apporter à Milan de la part du Roi. Mais on croit que l'envoyé de l'Empereur a dû profiter de cette occasion pour réitérer les conseils que son maître avait déjà personnellement donnés au général Ischitella et pour s'entendre avec le Roi de Naples sur ce projet de confédération italienne dont la réalisation est hérissée de tant de difficultés. [210] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 6 octobre 1859 Dépêche N° 894/129 La politique, en Europe, se complique de plus en plus à cause de la question italienne qui n'est soutenue que par l'Angleterre. La Russie, comme je l'ai déjà écrit à Votre Excellence, se montre toujours très opposée à tout ce qui se
- 232 rapporte et se rapproche d'un mouvement révolutionnaire, elle se montre par conséquent, très disposée à faire cause commune avec la France et l'Autriche pour exiger, dans un Congrès, la rentrée des archiducs dans leurs États. Cette rentrée devra donc se tenter, les armes à la main, et le Congrès devra ratifier son exécution, selon le succès de l'un ou de l'autre parti, et cela, avec ou sans le concours de l'Angleterre. Les 50 000 Français qui sont en Italie resteront témoins de ce duel pour que les préliminaires de Villafranca, consacrés par la paix qui va se signer à Zurich, soient respectés, autant qu'il sera en leur pouvoir ; car la France en veut énormément au Piémont de ce que c'est par son instigation que les Romagnes se prononcent si catégoriquement pour l'annexion ; et déclare d'une manière non moins péremptoire, que l'annexion ne se fera pas parce qu'elle ne le veut pas. La lutte se prépare donc et devient de plus en plus imminente entre les armées des Duchés et celle que les souverains dépossédés recrutent dans les rangs de l'armée autrichienne, en ne changeant que l'habit, pour les faire passer pour des Toscans, des Modenais et des Parmesans. Quoiqu'il n'ait rien transpiré encore du voyage du Roi Léopold à Biarritz, je sais, de source certaine, qu'il en a été très satisfait et qu'il a manifesté l'espoir que ses conseils quoique officieux n'en seront pas moins fructueux, car la polémique assez aigre de la presse engagée entre la France et l'Angleterre, depuis quelque temps, menaçait de devenir sérieuse et compromettante pour l'intérêt de l'Europe qui se sentait à la veille d'une conflagration générale. L'opinion publique persiste à croire aussi que le Roi Léopold a obtenu pour son gendre l'archiduc Maximilien, le Gouvernement de la Vénétie qui semblait lui échapper. Votre Excellence comprend facilement, d'après tout ce qui précède, combien l'Empereur Napoléon doit se trouver embarrassé en présence de l'effervescence de tous les partis en France ; le clergé en effet commence à se prononcer assez ouvertement contre tout morcellement du pouvoir temporel du Pape. Le Piémont manifeste ainsi son mécontentement et les libéraux comme les conservateurs ne se montrent pas plus satisfaits que les autres. Il faudrait, pour sortir de l'impasse où il se trouve, que l'Empereur invente un moyen que son génie seul pourrait lui inspirer ; sans cela la guerre devient inévitable et si l'année passée on ne croyait pas à la guerre, c'est parce qu'on supposait l'Empereur trop prudent pour s'exposer à travers toutes ces complications qu'on prévoyait d'avance. Dans les cercles bien informés on trouve que l'étoile de l'Empereur pâlit, car s'il lui a été facile de mettre le feu en Italie, par des moyens révolutionnaires, on doute qu'il puisse maintenant l'éteindre.
- 233 [2111
Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 6 octobre 1859 Dépêche N° 600 Depuis mon dernier rapport du 29 du mois dernier N° 594 1 la situation de l'Italie reste la même. En Toscane, dans les Duchés de Modène et de Parme et en Romagnes les Gouvernements actuels marchent toujours vers la réalisation des vœux exprimes pour la réunion avec le Piémont, ainsi, ils ont fait arborer partout le drapeau sarde et les armes de la maison de Savoie ; ils font intituler tous les actes publics au nom du Roi Victor-Emmanuel ; ils prennent des mesures pour l'adoption des monnaies, poids et mesures employés en Piémont. Ils s'occupent aussi avec beaucoup d'activités de l'organisation de l'armée de la Ligue de manière à pouvoir tenir tête à toute attaque du dehors. On parle en effet de la réunion des troupes romaines destinées, dit-on, à attaquer les Romagnes et à les faire rentrer sous la domination du Pape ; on parle aussi de troupes que les souverains dépossédés des Duchés préparent sur le territoire autrichien pour tenter de rentrer par la force des armes en possession de leur pays. Sans pouvoir affirmer si ces bruits sont fondés, je puis cependant assurer Votre Excellence que si ces tentatives ont réellement lieu elles rencontreront une sérieuse résistance et ne semblent pas avoir de chances de réussite. Ce qui me paraît beaucoup plus grave c'est la disposition d'esprit des populations rurales de la Toscane qui, d'après ce que m'assurent des informations particulières, travaillées fortement par le clergé et une partie de la noblesse, commencent à se montrer très peu favorable à l'état actuel des choses, et à la réunion au Piémont ; des troubles sérieux sont donc à craindre de ce côté. On attend ici avec une vive impatience de connaître le résultat des conférences de Zurich ainsi que des décisions que l'on assure avoir été prises à Biarritz.
[212| Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 10 octobre 1859 Dépêche N° 276, confidentielle et secrète Malgré les assurances contraires de M. de Carafa, je sais que le bruit d'une coopération armée entre Naples et le Saint-Siège est parfaitement fondée. Cette coopération forme la base de toutes les combinaisons arrêtées pour la restauration des princes italiens ; elle est en ce moment l'objet d'activés négociations entre le Saint-Siège et Naples, et c'est à la réglementation de cette grave mesure que se rapporte la mission du Comte Roguet, qui se trouve en mission spéciale auprès du Roi des Deux-Siciles. 'No. 207.
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234-
Lorsqu'au commencement de l'année il fut question de faire cesser dans les États Romains la double occupation de la France et de l'Autriche, le Cabinet de Vienne engagea le Saint-Père à remplacer par des soldats napolitains les troupes qui allaient se retirer. C'est cette idée qui est reprise aujourd'hui et développée par l'Empereur Napoléon. Bien déterminé à assurer à tout prix l'exécution pleine et entière des préliminaires de Villafranca, sans cependant recourir à une intervention directe, l'Empereur veut, par l'intermédiaire du gouvernement napolitain, arriver au rétablissement de l'autorité du Pape dans les Légations et à la restauration des ducs dans leurs États. Un corps de troupes napolitaines serait donc destiné à passer la frontière et à donner la main aux troupes papales pour repousser l'armée de l'Italie centrale, tandis que le GrandDuc de Toscane se tiendrait prêt à profiter de la première occasion pour rentrer dans son pays. A l'approche de ces forces combinées on espère que les partisans nombreux des princes déchus que la crainte seule retient jusqu'ici, viendront grossir les rangs de cette armée, et que « les vœux populaires » ne manqueront pas non plus à l'entreprise. Quant au Piémont, les 50 000 hommes laissés par l'Empereur en Lombardie l'empêcheront de venir au secours des provinces révoltées. C'est là, Excellence, le projet auquel on s'est arrêté en dernier lieu. Le Comte Roguet, depuis longtemps lié avec le général Filangieri, a été envoyé par l'Empereur pour le discuter directement avec le Roi et le nonce apostolique. Le plus grand secret couvre ces négociations, et ce n'est qu'aux confidences d'un des négociateurs mêmes que je dois les détails qui précèdent. Au reste, rien n'est encore fixé ni sur l'époque de l'exécution ni sur le nombre des troupes qui coopéreront, ni sur les autres points de détails, et on ne conclura même rien avant la signature du traité de Zurich. Pour le moment cependant le nonce a obtenu que le corps d'observation des Abruzzes fût porté à 14 000 hommes. Les troupes dont il se compose, ont été choisies parmi les meilleurs du pays, et leur solde a été doublée. [213] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 12 octobre 1859 Dépêche N° 214 Le mystère qui enveloppe les négociations à Zurich contribue puissamment à faire propager des rumeurs, plus ou moins vraisemblable, sur le règlement définitif des affaires italiennes. La presse étale avec profusion des conjectures que lui suggère tantôt la visite du Roi des Belges, tantôt les mouvements du Prince Metternich ; et il n'y a pas d'incident qui ne soit pas exploité. De leur côté, les Cabinets sont sérieusement préoccupés des complications de la Péninsule.
- 235 En attendant, la signature du traité de paix, attendue depuis quelque temps, vient de subir un nouvel ajournement. D'après les informations que j'ai pu recueillir, ce retard est dû aux difficultés qu'oppose la Sardaigne à l'acceptation de la partie de la dette autrichienne, qui lui retombe par suite de la cession de la Lombardie. Quoiqu'il en soit, les réunions dans la cité helvétique auront bientôt un terme ; mais on ne s'attend qu'à la confirmation principiellc des stipulations de Villafranca. Encore n'est-il assuré que les plénipotentiaires sardes se redressent contre l'insertion dans le traité général de la clause concernant la restauration des archiducs. Aussi paraît-il que cette condition formera une des stipulations de l'acte assigné par la France et par l'Autriche. Les faits qui se succèdent dans les Duchés menacent toutefois de rendre au moins fort difficile l'exécution de la condition arrêté entre ces deux Puissances. L'armée s'organise sous la direction des Fanti et des Garibaldi ; la fusion s'y effectue insensiblement et l'annexion au Piémont tend à se consacrer par des mesures pratiques ; telles que l'abolition des douanes, l'application des règlements administratifs identiques, l'uniformité de la monnaie. L'on serait peut-être autorisé à demander si devant des faits accomplis de cette nature, la restauration des princes déchus serait réalisable sans une intervention armée. Mais la France a promis de s'en abstenir et l'Autriche y ayant recours, provoquerait indubitablement la guerre. L'état de ses finances n'est pas favorable à une semblable tentative, que réprouverait d'ailleurs l'Angleterre et fort probablement, si je ne me trompe, la Prusse aussi. Du reste, des personnes ordinairement bien inspirées avancent que la France vise moins à effectuer la restauration et empêcher l'annexion. La réussite de l'emprunt toscan, dont Messieurs Rothschild viennent de se charger, est un fait d'autant plus significatif, que les efforts de l'Autriche dans un même but auraient complètement échoué. Dans le cas où les événements justifieraient cette opinion, il y aurait encore de grandes difficultés à surmonter dans l'élection d'un Prince. I £ candidat généralement mis en avant ne possède pas de sympathie en Italie. Et quant au Comte de Flandre, l'on assure qu'il n'en a pas été encore question. Aussi désigne-t-on comme but du voyage du Roi Léopold à Biarritz le désir de justifier auprès de l'Empereur la fortification d'Anvers. Sa Majesté aurait profité de cette occasion pour parler en faveur de son beau-fils, l'archiduc Maximilien, et pour déclarer qu'il ne s'opposerait plus à la réunion d'un congrès à Bruxelles. C'est probablement cette dernière supposition qui a donné lieu aux assertions prématurées de la prochaine convocation d'un nouvel aréopage européen. A l'opinion de M. le Baron de Schleinitz, cette éventualité en est d'autant plus problématique qu'aucune base d'entente n'aurait été jusqu'à présent établie entre les Puissances appelées à y prendre part. Aussi, le Ministre des Affaires Etrangères dont je reflète en partie les préoccupations dans ce rapport, considère la solution de la question italienne comme étant bien loin de son terme.
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Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 13 octobre 1859 Dépêche N° 899/134 Vous devez sans doute avoir appris que la clôture des conférences de Zurich n'a pu avoir lieu à cause d'une difficulté qui est venue se joindre à celles que les plénipotentiaires avaient aplanies, au sujet de la part de la dette que devra supporter la Lombardie ; j e puis cependant assurer qu'à Zurich on espérait pouvoir terminer vers la fin de la semaine prochaine les travaux relatifs à la consécration des préliminaires de Villafranca. L'Empereur Napoléon pourra dès ce jour-là se prononcer d'une façon plus impartiale sur les affaires italiennes. Comment pourra-t-on régler la question des Duchés ? Chaque Cabinet répondra par une solution différente, sans pouvoir s'approcher d'un accord complet, à moins qu'ils ne s'entendent d'abord sur la réunion d'un Congrès. Votre Excellence comprendra facilement les immenses difficultés qu'il y a à surmonter en présence d'un pareil état de choses. Toute l'Europe a une partie de son cœur en Italie, chaque État veut y servir ou ses intérêts ou ses sympathies et la solution vers laquelle les événements semblent tendre est la moins possible de toutes. Déjà, l'Empereur Napoléon, devant les discours si audacieux des évêques français, a déclaré qu'il ne permettrait pas que l'on toucha aux États du Pape et que l'on diminua sa puissance. En Toscane l'enthousiasme est plus calme, plus réfléchi ; Florence ne devait-elle pas sa renommée et sa richesse à l'influence des étrangers qu'y attirait un Prince aujourd'hui proscrit. La Grand Duchesse de Parme vient de solliciter la protection de la Russie qui comme j ' a i déjà eu l'honneur de l'écrire à Votre Excellence, a pris fait et cause pour la légitimité et a promis de défendre les intérêts de la Princesse. Mais quel peut être le but de la Russie, dira-t-on, à soutenir, à relever cette couronne déchue ? L'Empire y a un intérêt très grand, car il ne fait en cela que poursuivre le plus constant de sa politique. Si la Russie s'occupe aujourd'hui des affaires d'Italie, c'est qu'elle prévoit que la seule solution possible à ces affaires est un Congrès et la Russie désire un Congrès, parce qu'elle espère obtenir par ce moyen le rétablissement d'une flotte imposante dans la mer Noire. Déjà des conférences ont eu lieu dans ce sens entre le Cabinet de SaintPétersbourg, et celui des Tuileries. La Russie, paraît-il, se montrerait plus complaisante envers l'Autriche dans une question d'agrandissement territorial du côté du Danube et ne cesserait de vouer à la Prusse une sollicitude que celleci ne peut dédaigner. L'Orient intéresse la Russie à un plus haut point que l'Occident, attendu que l'assimilation est plus facile entre l'Orient et la Russie.
- 237 En préservant dans celte voie de réformes dans laquelle elle est si courageusement entrée, il doit lui paraître plus commode d'initier un peuple neuf à des institutions dont elle fait elle-même l'apprentissage que de s'assujettir un débris de la vieille Europe où les tendances démocratiques, comme un flot envahisseur pourrait se répandre sur le territoire de la mèrepatrie. C'est là une question grave et complexe pour nous et Votre Excellence avec sa haute expérience, comprendra que le devoir constant de la Diplomatie Ottomane est de lutter habilement contre les tendances si préjudiciables à nos intérêts. Ce n'est pas en un jour que l'on détruit un plan prémédité, il faut, pour atteindre ce but, une persévérance qui décourage les plus forts une audace qui confonde les plus entreprenants ; il faut surtout porter en soi le sentiment de son droit, et l'amour de son pays. Dans une entrevue que Lord Russell a accordée à M. Isturitz le Ministre anglais s'est plaint des proportions que l'Espagne semblait vouloir donner à l'expédition du Maroc. Il a même dit à ce sujet au diplomate, qu'il savait de très bonnes sources que la France encourage l'Espagne et lui avait promis de l'appuyer et de la défendre si la nécessité se présentait, c'est même dans ce but qu'elle a envoyé une flotte dans la Méditerranée a ajouté le noble Lord. J'ai su d'une manière positive, qu'après la guerre de Crimée le Gouvernement Français a fait une ouverture au Cabinet de St. James pour partager avec l'Angleterre les chances d'une expédition dans le Maroc. Il fallait, disait le Gouvernement Français, une diversion aux esprits qui s'occupaient trop des affaires intérieures de la France et gênaient par là l'action du Gouvernement. Le Cabinet de St. James s'est alors opposé de toute sa force à ces tendances belliqueuses qui pouvaient amener avec elle un agrandissement de territoire dangereux au point de vue des intérêts anglais. On assure aujourd'hui que l'Empereur du Maroc vient sagement de proposer des concessions au Gouvernement espagnol. J'aurai soin de tenir Votre Excellence au courant de la suite que pourrait avoir ces différents ou de sa solution pacifique. L'Empereur Napoléon vient de faire un discours à Bordeaux qui a une portée politique fort grande et qui fera certainement une sensation immense en Europe. Le souverain de la France annonce son intention de retirer ses armées de Rome. Il ne sait pas ce qui s'y passera. Il n'a donc pas l'intention d'intervenir - oui ? Il interviendra, par ses conseils. - Ses conseils seront-ils suivis, écoutés ? Le Pape consentirait-il selon les termes du discours à accorder la liberté que réclament ses États ? Voudra-t-il mettre son Royaume temporel à l'unisson des autres États libres de l'Europe, lorsqu'aujourd'hui encore il ne consent à faire des réformes que si la France assure la conservation des Légations déjà si détachées de ces États ?
- 238 Ce fâcheux exemple du droit de soulèvement et de la révolution sanctionnée a, comme Votre Excellence
le comprend facilement, trouvé
beaucoup
d'imitateurs. Il est vrai, et j e me hâte d'ajouter que tous les Gouvernements ne sont pas bien inspirés et par crainte des excès, tombent dans des fautes qui les amènent ainsi le Royaume des Deux-Siciles où la fermentation devient très inquiétante et où un jeune Roi devrait comprendre qu'avec l'anarchie à ses frontières son système de répression excessive doit nuire à son pouvoir. Malheureusement ce jeune souverain est fanatique des idées de son père, il se fait l'esclave d'un sentiment traditionnel de respect envers la mémoire d'un Prince qui est mort détesté de ses sujets. La Reine mère entretient ses idées chez son fils, afin de conserver son ascendant. Aujourd'hui Votre Excellence n'apprendra pas sans intérêt combien le trône de Naples est menacé de tomber en ruine : Garibaldi que l'on
assure
positivement, lié d'amitié avec l'Empereur Napoléon forme une armée qui, diton doit opérer une descente dans les États du Roi de Naples, aussitôt que le ferment révolutionnaire aura atteint son point d'ébullition. P.-S. Je viens de recevoir la visite du Ministre de France qui m'a communiqué (confidentiellement) la copie d'une note que le Gouvernement Français a adressée hier à celui de Sardaigne pour lui signifier que si la rentrée des Ducs n'avait pas lieu, la France considérerait cela comme un casus belli, parce que tout cela est instillé par le Piémont. Quant à l'annexion de ces Duchés, les préliminaires de Villafranca étant annulés, l'Autriche serait libre de tout engagement et pourrait intervenir par la force des armes, en laissant toute la responsabilité de ce qu'il adviendrait à la Sardaigne. Cette note est très sévère et très dure. [215] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 13 octobre 1859 Dépêche N° 607 Depuis mon dernier rapport en date du 6 de ce mois, N° 6 0 0 1 , le seul fait saillant qui se soit produit a été le meurtre infâme du colonel Anvitti, ancien colonel de la gendarmerie du Duc décédé de Parme, qui s'était, dans l'exercice de ses fonctions, attiré la haine du peuple, et que depuis la mort du Duc, le Gouvernement de Parme avait dû l'éloigner. Ayant commis l'imprudence de venir à Parme le 5 de ce mois, déguisé en paysan, il fut reconnu et ne tarda pas à tomber victime de la fureur d'une bande de forcenés.
'No. 211.
- 239 Cet horrible attentat a fait une profonde sensation et soulevé une indignation générale ; une enquête est commencée et l'on espère qu'une justice prompte et sévère viendra prouver que la population de l'Italie n'est pas complice du crime de quelques insensés. Les conférences de Zurich n'ont pas encore abouti et on semble croire que le résultat se fera encore attendre. I ,e Roi de retour de Milan, où il était allé assister aux courses d'automne, doit partir demain pour Gênes pour y recevoir l'impératrice mère de Russie qui arrive de Suisse, se rendant à Nice où elle passera l'hiver. [216] Dirán Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 17 octobre 1859 Dépêche N° 900/135 En confirmant ma dépêche chiffrée du 13 courant 1 , concernant la note énergique que la France a envoyée au Piémont, je m'empresse de faire part aujourd'hui à Votre Excellence, après l'avoir déjà fait par un télégramme de ce jour, que, cinq heures après la réception de cette note, la Sardaigne s'est décidée à la rentrée du Duc de Toscane afin de voir la paix se signer à Zurich, sur les bases de Villafranca, ainsi que l'exigeait la France. Le Ministre de France a reçu à l'instant même une nouvelle dépêche qui annonce que la paix se signe, si elle n'est pas déjà signé à l'heure qu'il est. Voici les bases de cette paix : 1 0 la Lombardie cédée par l'Autriche à la France qui la cède de son côté à la Sardaigne. 2° l'Autriche fait la paix avec la Sardaigne en reconnaissant au Piémont la souveraineté sur la Lombardie. 3° l'Empereur des Français, d'après les préliminaires de Villafranca, a posé la condition sine qua non de la rentrée du Duc de Toscane dans ses Etats. 4° les Grandes Puissances sont d'accord sur la réunion d'un congrès. Je crois devoir donner quelques détails à Votre Excellence sur ce qui a précédé la remise de cette note de la France : Le Ministre Sarde à Paris ayant eu connaissance de ce qui se préparait aux Tuileries en a averti son Ministre des Affaires Etrangères qui est immédiatement parti pour Paris ; mais le Ministre de France à Turin a fait part à qui de droit, de ce départ précipité et la note datée et expédiée de Paris le même jour, de sorte qu'elle s'est croisée en route avec le Ministre des Affaires Etrangères sarde. L'existence de cette note m'a été de nouveau confirmé le lendemain par le Ministre de France qui m'a répété ce qu'il m'avait dit la veille, et par le Ministre de Sardaigne lui-même qui m'a dit avoir vu cette note et qui a ajouté « que voulez-vous, il faut bien que nous nous contentons de cela ? » 'No. 214.
- 240Dans les sphères bien informées on prétend que la rentrée de tous les Ducs dépossédés sera décidée dans un congrès, parce que l'Angleterre quoiqu'elle dise, ne tirera jamais un coup de canon, et que toutes les autres Puissances seront portées, à cause même de leur propre politique, à demander leur restauration, peut-être avec quelques échanges. [217] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 19 octobre 1859 Dépêche N° 216 J'ai l'honneur de porter à la haute connaissance de Votre Excellence, que ces derniers jours une députation Toscane est venue présenter au Gouvernement de Prusse les deux actes de l'Assemblée Nationale, concernant la déchéance de la famille régnante et l'annexion au Piémont. M. le Ministre des Affaires Etrangères de Prusse recevant la députation officielle, a écouté les arguments déployés à décharge des actes précités. Je ne me permettrai pas de récapituler ce plaidoyer, qui se trouve ailleurs dans le mémoire toscan publié récemment par les journaux. Qu'il me soit seulement permis de faire observer, que M. le Baron de Schleinitz soutint vis-à-vis du Comte Moretti le principe de la légitimité des Princes Autrichiens. L a députation dont il s'agit se rendit de Berlin à Varsovie. Les principes professés en cette circonstance par le Cabinet de Saint-Pétersbourg, ainsi que les relations qui s'inaugurent entre la Russie et l'Autriche, font présumer que le Comte Moretti n'y rencontrera qu'un accueil analogue.
|218] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 19 octobre 1859 Dépêche N° 217 Le 16 de ce mois je me suis empressé d'annoncer à Votre Excellence, par voie électrique, la convocation prochaine d'un congrès européen et l'entrevue du Prince régent avec l'Empereur de Russie. M. le Ministre des Affaires Etrangères de Prusse, que j'ai eu l'honneur de voir hier, me confirma l'exactitude de ces informations qu'il a bien voulu compléter par les détails suivants. Le Baron de Schleinitz me fit part que l'instrument de paix de Zurich venait d'être signé et que les Puissances signataires de l'acte de Vienne allaient bientôt recevoir l'invitation de se réunir en congrès. Son Excellence ajouta que les bases n'en étaient pas encore établies et que le choix du lieu de réunion se trouvait sous discussion. Toutefois, certains indices feraient présumer que la ville de Bruxelles serait généralement proposée.
- 241 Quant à l'entrevue, j e fus informé qu'elle venait de subir un retard de deux jours, par suite des nombreuses députations se rendant à Varsovie. Il semblerait pourtant que des occupations plus sérieuses y retiennent l'Empereur Alexandre. La réunion des représentants russes près des Grandes Puissances en serait déjà un indice suffisant ; mais on croit savoir aussi que le Cabinet de Sa Majesté, voulant déployer dans la négociation des questions en litige une unité d'action, s'occupe avec eux à établir une base de conduite. [2191 Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 19 octobre 1859 Dépêche N° 220, réservé Ce serait manqué à mes devoirs, si je me permettais de cacher à Votre Excellence la pensée qui nous préoccupe exclusivement, depuis que la convocation du Congrès européen est un fait acquis. J'appréhende en effet que certains amis trop zélés de la Turquie n ' y fassent glisser des considérations concernant l'Orient. Je me hâte d'ajouter que j e ne possède pas de donnée ; mais la tactique systématique des agents russes, l'attitude qu'a malheureusement prise la presse française depuis l'attentat commis contre la tranquillité publique, la conduite en apparence complaisante de l'Autriche dans cette circonstance, ce sont, il me semble, autant de signes qui pourraient bien tenir lieu d'indice. D'ailleurs, ne serait-il probable que les Ministres moscovites voulussent profiter d ' u n e occasion favorable pour greffer dans l'esprit des autres leur hostilité mal déguisée ? C'est dans le but de paralyser un effet aussi fâcheux que j'ai cru opportun de faire part de ces appréhensions personnelles à M. le Baron de Schleinitz. Dans deux entretiens intimes et particuliers que j'ai successivement eu avec ce Ministre, j'ai essayé d'insinuer la nécessité d'une base de conduite à établir avant l'entrevue du Prince régent avec l'Empereur Alexandre. A cet effet, je n'ai pas négligé de relever les intérêts bien entendus de la Prusse, de faire appel à la loyauté de Son Altesse Royale et de ses conseillers et de fixer l'attention d'un Gouvernement aussi sincèrement intéressé à la consolidation de l'Empire Ottoman sur les funestes conséquences qui devraient naturellement résulter de l'ingérence irréfléchie des étrangers dans les affaires intérieures. Je m ' e s t i m e heureux de pouvoir constater que mes ouvertures ont été accueillies avec un intérêt bienveillant et raisonné. Aussi M. le Baron de Schleinitz est convaincu qu'il était du devoir de toutes les Puissances de circonscrire dans le plus restreint cercle les travaux du nouveau Congrès. Son Excellence croyait de plus que toute question étrangère aux affaires d'Italie ne devrait pas y avoir cours. J'ai tout lieu de penser que le Prince régent sera conseillé dans ce sens en temps opportun.
- 242 Je n'ose pas préjuger l'appréciation que rencontrera auprès de Votre Excellence cette démarche hardie de ma part. Je La prie toutefois de daigner considérer qu'elle provient d'un dévouement profond et du désir de faire éviter au Ministère Impérial des embarras onéreux. Ce qui se passe en Italie prouve, si je ne me trompe, que l'admission d'une tentative analogue à celle du Comte de Cavour dans le Congrès de Paris pourrait bien semer les germes des complications sérieuses dans un avenir plus ou moins proche. [220] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 20 octobre 1859 Dépêche N° 902/135 Je confirme, en tout point, le contenu de la dépêche du 17 courant N° 900/135 (par) voie de Trieste 1 . Enfin ?... la paix de Zurich est définitivement signée, d'après les bases que j'ai eu l'honneur de transmettre à Votre Excellence. Quoique les journaux anglais persistent à dire que l'Angleterre n'entrera jamais dans un congrès, à moins que l'unité et l'indépendance de l'Italie ne soient arrêtées d'avance, je puis garantir à Votre Excellence que l'Angleterre ne fera aucune objection pour sa participation au congrès et ne posera pas la question de l'annexion comme condition sine qua non, ainsi qu'on a l'air de le prétendre. On s'appuie, il est vrai, sur la déclaration de Lord John Russell, mais celle de Lord Palmerston est toute différente, ainsi que la politique de ce dernier Ministre, comme Votre Excellence la connaît fort bien, est identique à celle de l'Empereur Napoléon, tandis que celle de John Russell est plus libérale : ainsi laisse-t-on, cette dernière satisfaire l'opinion publique en Angleterre, momentanément, étant persuadé d'avance qu'il faudra bien finir par se rallier, car, je le répète encore, et je tiens cela de fort bonne source, l'Angleterre ne tirera pas un coup de canon ; elle fait beaucoup de bruit, mais tout cela n'est qu'en paroles. Du reste la politique traditionnelle de la perfide Albion ne pouvait manquer de se faire sentir, en pareille occurrence, et pour deux bonnes raisons. La première, c'est de supplanter la France dans les sympathies de l'Italie, et cela sans qui lui en ait une goutte de sang ni un shilling, en appuyant le mouvement, annexionnistes et en aidant à la formation d'un nouvel État puissant qui doit porter ombrage coûté la France et lui être, peutêtre même, nuisible un jour. La seconde raison de l'Angleterre c'est d'ébrécher le plus possible le pouvoir temporel du Pape, si elle ne parvenait pas même à le lui ravir entièrement. S'il réussissait à ne faire tomber qu'une pierre ou deux, mais fondamentales, de l'édifice, elle s'en contenterait. Il est donc naturel qu'elle fasse de grandes phrases et de nombreuses objections pour qu'au moins, elle puisse arracher, dans le sein d'un congrès, une administration laïque, considérant cette concession comme un grand pas de fait.
'No. 216.
- 243 Votre Excellence aura sans doute remarqué une grande divergence de politique entre le discours de l'Empereur à Bordeaux et sa manière d'agir envers les Duchés presque au même moment. Voici quelle est l'explication de l'énigme que l'on donne dans les cercles les mieux informés de la diplomatie : l'opposition du clergé français était devenue si grande qu'on a été jusqu'à dire à l'Empereur qu'il lui devait son trône et même sa conservation ; un homme aussi puissant ne pouvait rester plus longtemps sous un tel coup et, répondant par la menace à une mesure de ce genre il a voulu constater pour une dernière fois que les troupes françaises avaient rétabli le Pape sur son trône ; qu'il y avait maintenu pendant 10 ans et qu'il ne savait trop, lorsqu'elles se retiraient, à la satisfaction de toute l'Europe, si c'est la paix ou l'anarchie qui leur succéderait. Du reste l'Empereur s'attendait à ce que la paix de Zurich fût signée avant son arrivée à Bordeaux, pour pouvoir répéter dans son discours : « vous voyez bien que l'Empire c'est la paix ». Déçu dans son espoir il a été d'autant plus sévère dans son discours et une fois à Paris, il a mis le Piémont en demeure d'en finir immédiatement. [221J Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 21 octobre 1859 Dépêche N° 282, confidentielle Des symptômes d'agitation continuent à se manifester dans les diverses provinces du royaume. Hier c'était la Calabre, aujourd'hui c'est la Sicile qui oblige le gouvernement à prendre des mesures de rigueur. Dans le courant de cette semaine une échauffourée a eu lieu dans l'un des faubourgs de Palerme. 80 individus armés descendus des hauteurs de Bagaria se portèrent sur la ville aux cris de « à bas les Bourbons, vive la constitution » mais arrivés aux portes de la ville ils furent reçu à coups de fusil par un bataillon de la garde urbaine et mis en fuite, non sans avoir perdu quelques hommes. Le désarmement de la population de Palerme fut immédiatement ordonné et mis à exécution. Les dernières nouvelles annoncent que l'ordre est entièrement rétabli. Le Prince Eilangieri ne tardera pas à reprendre la présidence du conseil. On attribue particulièrement son retour aux vives instances du Comte Roguet, son ami, qui serait parvenu à le convaincre que sa présence dans le Cabinet contribuerait fortement à consolider les bonnes relations entre leurs deux gouvernements. Le Comte Roguet prolonge son séjour à Naples ; il juge avec une bienveillance fort remarquée les actes du gouvernement napolitain, approuve sa politique conservatrice et s'étonne que les qualités du jeune Roi ne soient pas mieux appréciées par la nation.
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La paix vient d'être signée à Zurich. M . de Carafa, en me communiquant cette nouvelle, ajouta qu'il avait toute raison de croire qu'un parfait accord s'était établi entre la France et l'Autriche sur tous les points en litige. Les deux Empereurs stipulent de nouveau le rétablissement du Grand-Duc de Toscane et de la duchesse de Parme. Le correspondant de M. de Carafa ne parle pas avec la même assurance du retour du Duc de Modène. Son Excellence en conclut que l'annexion de ce duché au Piémont pourrait bien s'effectuer. La question romaine donne surtout les plus vives inquiétudes aux deux puissances catholiques. La France après avoir inutilement essayé d'obtenir du Saint-Siège les concessions les plus urgentes, se sert maintenant de l'influence de l'Autriche pour fléchir la volonté du Pape. M . de B a i h , le nouvel Ambassadeur d'Autriche à Rome, a donc repris les négociations abandonnées pour le moment par le Duc de Grammont, et l'Empereur Napoléon attend le résultat de ces nouvelles démarches pour répondre aux dernières propositions de la Cour pontificale. M . de Carafa voit dans ce fait une preuve éclatante de l'excellent accord qui règne entre la France et l'Autriche et il se flatte que l'action sagement combinée de ces deux puissances parviendra à résoudre par des moyens pacifiques toutes les difficultés actuellement pendantes.
[222| Fuad Pacha à Aristarchi Bey Le 22 octobre 1859 Dépêche N° 3219 J'ai lu le rapport réservé que vous m'avez écrit en date du 21 septembre N° 3 2 0 1 , pour m'entretenir de l'influence du rapprochement des cabinets de Paris et de Londres, et des indices favorables à l'aplanissement des difficultés actuelles de l'Europe. J e relève particulièrement de son contenu ce qu'un de nos agents se serait hasardé à exprimer son opinion personelle tendant à admettre pour les Principautés l'accession de la part du Gouvernement Impérial à une combinaison opposée à nos principes et à notre politique telle que le choix de Princes étrangers aux Hospodarats de Moldo-Valachie. J e ne puis qu'approuver, ce que dans votre zèle pour la dignité les intérêts du Gouvernement de S . M . vous avez cru dire pour discréditer les propos inconsidérés qu'on a rapportés. Je ne saurais assez vous engager, si l'on venait d'en faire de nouveaux en votre présence, de vous hâter de les désavouer dans les termes les plus énergiques et à les traiter comme non avenues.
^No. 201.
- 245 [223] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 31 octobre 1859 Dépêche N° 286 J'ai eu l'honneur d'informer Son Excellence, dans ma dépêche No 275 du 10 octobre 1 , que le Pape, tout en adoptant dans leur principe les réformes proposées par la France, se refusait à les publier tant que les provinces révoltées ne seraient pas rentrées dans le devoir, et que Monsieur de Grammont n'avait accepté cette réponse, qu'il déclarait tout d'abord insuffisante, que pour en référer à son gouvernement. La décision de l'Empereur, qui était attendu avec la plus vive impatience, vient enfin d'être connu. M. de Grammont a été chargé d'exprimer au Saint-Père la satisfaction de son souverain, qui, content de le voir disposé à entrer dans la voie des réformes, s'en remet à la sagesse du gouvernement pontifical pour la publication en temps opportun de mesures adoptées. Bien que l'Empereur, dans sa réponse, évite de parler de la réintégration du Pape dans les Légations et de la retraite de l'armée d'occupation, on se flatte, me dit M. de Carafa, à Rome comme à Naples, que l'appui de la France est désormais acquis au maintien du statu quo, et on envisage avec plus de confiance la perspective du congrès. M. le Comte RogueL vient de demander son audience de congé et fait ses préparatifs de départ M. de Brenier a également obtenu un congé de 15 jours pour aller chercher en France sa famille. On attend ici l'arrivée du Prince Petrella, envoyé napolitain à Vienne, qui vient aussi pour affaire de famille. Mais il ne serait pas impossible que ces allées et venues fussent motivées par les préparatifs du congrès, et que les puissances intéressées voulussent, par des communications verbales, s'entendre préalablement sur les questions qui devront y être discutées. [2241 Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 3 novembre 1859 Dépêche N° 620 Dans l'attente des décisions de la conférence de Zurich l'état de l'Italie continue à peu près tel que mes précédents rapports l'ont signalé à Votre Excellence. La tranquillité matérielle continue à se maintenir dans toute l'Italie centrale, mais les esprits commencent cependant à fermenter et des germes de discorde se manifestent peu à peu. Ainsi en Toscane, il paraît que les partisans de la restauration du Grand-Duc ne considèrent pas sa cause comme définitivement perdue. L'on vient de découvrir un complot considérable qu'ils avaient organisé et le Gouvernement a fait opérer un grand nombre d'arrestations. ' Ne figure pas dans le dossier.
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L'armée de la ligue de l'Italie centrale est actuellement organisée sur un pied fort respectable, et voit journellement ses rangs s'augmenter d'un nombre considérable d'enrôlés volontaires ; elle se trouve divisée en plusieurs corps, sur les frontières, prête à repousser toute attaque de la part des troupes du Pape, des Grand-Ducs dépossédés ou du Roi de Naples qui a réuni un corps assez considérable, 20 à 25 000 hommes, qu'il destinait, assurait-on, à envahir simultanément avec les troupes de la cour de Rome, les Légations romaines. D'après cependant les dernières nouvelles, le Gouvernement napolitain aurait, sur les instances de la France, renoncé à ce projet et déclaré que ses troupes étaient uniquement destinées à protéger les frontières napolitaines contre les attaques présumées des Italiens. Une lettre adressée, assure-t-on, par l'Empereur Napoléon au Roi VictorEmmanuel sur la question italienne, lettre dont le contenu a été publié par les journaux, a fait ici une fort mauvais impression. Il est en effet entièrement contraire aux intérêts du Piémont de consentir à la confédération italienne proposée par l'Empereur et il s'y opposera de toutes ses forces. Au reste cette lettre, répétant de nouveau l'assurance qu'aucune intervention étrangère ne viendra appuyer la restauration des souverains dépossédés, entretient et augmente encore l'espoir des patriotes italiens de réussir, à force de persévérance, à obtenir la réalisation de leurs vœux. Le Piémont, ayant besoin d'argent, vient d'émettre un emprunt de 100 millions de francs par souscription 5 % autour de 80. Le taux est très bas et dénoterait le peu de confiance des capitalistes ; néanmoins la souscription ouverte hier a déjà donné de fort beaux résultats et l'on croit que tout l'emprunt sera couvert en peu de jours ici même. 11 y a généralement un grand mécontentement contre le ministère actuel que l'on accuse d'apathie, d'incapacité. Ce n'est du reste qu'un ministère de transition qui doit tomber aussitôt que les chambres se réuniront. L a nouvelle loi communale, qui vient d'être publiée, est applicable aux anciens et aux nouveaux états sardes ; elle me semble assez complète et pourrait servir comme document à consulter avec avantage dans l'élaboration d'une loi communale en Turquie, loi dont le besoin se fait si grandement sentir. Aussi je me propose de la traduire pour le transmettre à Votre Excellence. Il commence à y avoir quelque mécontentement à Milan contre la centralisation à Turin de toutes les branches de l'administration. Aussi pour donner quelque satisfaction aux Milanais, le Gouvernement vient de décider que la Cour de Cassation siégerait dorénavant à Milan. Cette décision, prise contrairement à l'opinion du Ministre de la Justice, M. Miglietti, l'a poussé à donner sa démission. Depuis deux jours nous sommes entièrement privés de nouvelles de France. Un ouragan épouvantable a causé de graves dommages aux environs du MontCenis. Le télégraphe a été si fortement endommagé que l'on n'a pas encore pu le réparer ; le chemin de fer aussi, assure-t-on, a été gravement détérioré par les
- 247 inondations, et on assure, en outre, que de graves et regrettables accidents se sont produits. [225] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 4 novembre 1859 Dépêche N° 910/145 Le Journal de Dresde annonce, ce matin, que le Congrès qui doit régler définitivement les affaires de l'Italie, s'assemblera à Paris. D'autre part on écrit de cette Capitale que l'Empereur Napoléon a exprimé le désir de voir cette haute Assemblée se réunir à Bruxelles. J'espère pouvoir donner à Votre Excellence, par le prochain courrier des nouvelles plus positives à cet égard. Jusqu'ici je tiens de bonne source, que l'Angleterre n'a reçu aucune invitation officielle ayant rapport à un Congrès, mais le jour où cette invitation lui sera faite, il est très probable qu'elle y donnera son adhésion, attendu que le Cabinet de St. James incline en ce moment vers ce moyen d'arrangement, si toutefois l'Espagne lui donne des gages suffisants de garantie dans la guerre contre le Maroc, et s'il devient évident pour elle que cette dernière puissance n'a pas l'intention de dominer la Méditerranée, prétentions que le Cabinet de Londres combattrait de toutes ses forces, parce qu'il entre dans sa politique, comme dans celle de tout bon Anglais, de conserver à Gibraltar son caractère et son influence. Plusieurs journaux ont cherché à dénaturer l'entrevue de Breslau et en faire une simple rencontre née d'une étroite amitié ; d'autres ont cru devoir démontrer qu'il n'avait pu être question, dans cette entrevue, de la restauration des dépossédés... Je crois pouvoir affirmer à Votre Excellence que, d'après les renseignements que je tiens de bonne source, les deux chefs de grands États, quoique leurs possessions fussent assez éloignées des Alpes, ont cru devoir se soucier de ce qui se passait au-delà. Le dénouement les intéresse plus qu'on ne le pense généralement et, j'ose même ajouter, que l'on doit au conseil de ces deux Cours le changement qui s'est emparé par le langage du Cabinet de Londres ; si le Congrès a lieu ce sera donc grâce à l'intervention de la Russie qui le désire beaucoup, et de la Prusse qui, en suivant la Russie, ne fait que complaire aux espérances de l'Autriche. L'Angleterre a trop d'intérêts en souffrance pour vouloir soulever des difficultés ; elle sent d'ailleurs que son principal devoir aujourd'hui est de conserver le plus longtemps possible, dans toute éventualité, une neutralité dont elle a besoin pour se mettre en état de faire respecter son territoire, si la nécessité s'en présentait. Plusieurs seigneurs, aussi élevés par leurs mérites que par leurs positions poussent en Angleterre, le Gouvernement dans cette voie.
- 248 Quoique la lettre de Napoléon III à Victor-Emmanuel, publiée par le Times, n'est pas été sanctionnée par le Moniteur, le Constitutionnel en confirme l'authenticité, et le silence de la feuille officielle est considéré comme un aveu de sorte que, on s'attend à de grandes difficultés, dans le sein du Congrès, de la part surtout de l'Autriche, mais c'est un leurre qui a été tendu à l'Angleterre et auquel elle semble avoir mordu, malgré les impressions diverses que cette lettre a produit dans tous les autres pays. En France môme le parti ultramontain s'est fort ému de la politique que le Gouvernement déclarait vouloir suivre à l'égard des Romagnes et même des autres États de l'Église. [226J Agop Effendi à Fuad Pacha Paris, le 4 novembre 1859 Le bruit courait depuis quelque temps qu'il y aurait une modification dans la composition ministérielle en France. Nous avons trouvé hier dans le Moniteur la confirmation de ce bruit. M. le Duc de Padoue, Ministre de l'Intérieur, ayant donné sa démission pour cause de santé, à ce qu'on dit, a été remplacé par M. Billault, qui avait déjà occupé ce poste important, et qui a donné des preuves de sa capacité dans les affaires pendant tout le temps de sa gestion. Aucun autre changement n'a eu lieu, et je ne crois pas qu'il puisse y en avoir dans ce moment. Tout le monde dans le Cabinet paraît profondément préoccupé de la grande question italienne, qui devient de jour en jour plus compliqué. On espère pourtant qu'un congrès la résoudra d'une manière satisfaisante. Mais l'entente est-elle possible, lorsqu'il y a désaccord entre tous les Cabinets sur la direction à donner aux affaires de l'Italie ? Les négociations continuent, et en attendant, toute l'Italie est dans un état de fermentation telle, que sans l'attitude ferme de l'Europe vis-à-vis d'elle il en serait résulté quelque chose de funestes à la tranquillité générale. [227] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 5 novembre 1859 Dépêche N° 228, réservé Il me revient que le Cabinet de Berlin a récemment reçu de sa mission à Paris un rapport, lui rendant compte du langage tenu par le comte Walewski sur la politique britannique. D'après ce qui m'est assuré, le Ministre des Affaires Etrangères de l'Empereur aurait exposé, dans des termes énergiques, les trois questions qui paraissent avoir produit des dissentiments sérieux entre le Cabinet des Tuileries et celui de St. James.
- 249 L'Angleterre, aurait-il dit au représentant de Prusse, reproduit dans l'affaire du Maroc d'anciennes velléités, que nous ne pouvons pas tolérer. Nous espérons que la raison l'emportera sur les caprices de ses hommes d'État, qui depuis quelque temps ne représentent malheureusement pas les vrais intérêts du pays. Quant à la question du Congrès, nous n'avons négligé aucun effort afin de persuader à l'Angleterre de prêter son concours dans l'aplanissement des complications italiennes. Si cependant le Cabinet de Londres persistait dans son opiniâtreté, le Congrès pourrait bien avoir lieu sans lui. Reste le canal de Suez, reprit le Ministre. Dès le début, nous avons proposé à Londres de garder en face de cette entreprise universelle une stricte égale neutralité. Les agents anglais en ont enfreint la règle ; et la France ne peut plus abandonner sans protection des intérêts français compromis. Le rapport confidentiel, dont je viens d'avoir l'honneur de tracer le contenu, ajoute que le Gouvernement Français avait l'intention d'adresser à la Sublime Porte une note demandant, que l'on ne mette plus d'obstacle à la construction des ouvrages préparatoires du canal. Ce langage dont la gravité est incontestable, ne paraît cependant pas menacer, comme on pourrait le croire, sérieusement les relations des deux Grandes Puissances. D'après les dernières nouvelles, le Cabinet de St. James se déclara satisfait des assurances données par la France au sujet du Maroc. Il y a des indices certains qu'un rapprochement s'opère aussi par rapport au Congrès. La question du canal est probablement celle qui offrira le plus de difficultés. Et malheureusement, c'est un point qui touche de près aux intérêts de l'Empire Ottoman. 1228J Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 9 novembre 1859 Dépêche N° 234, réservé Pour faire suite à mon rapport réservé N° 228 en date du 5 novembre 1 , j e m'empresse d'avoir l'honneur de transmettre à Votre Excellence les informations que je viens d'obtenir d'une source officielle, relativement à la question du Congrès. La signature du traité de Zurich devant définitivement s'effectuer d'un moment à l'autre, le Cabinet de Berlin attend l'invitation officielle pour la réunion. Les obstacles qui s'y opposaient viennent d'être surmontés, l'Angleterre ayant donné son adhésion avec des réserves pour les vœux des populations. Je crois aussi savoir que la Prusse et la Russie firent connaître à Paris leurs dispositions qui, comme Votre Excellence le sait parfaitement, excluent tout programme arrêté d'avance.
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No. 227.
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Ainsi, la convocation du Congrès à Paris au mois de décembre pourrait être considérée comme un fait acquis. Il m'est assuré que ce nouvel aréopage sera composé des cinq Grandes Puissances, et de l'Espagne, du Portugal et de la Suède. Rome, Naples et Turin seront aussi invités à y siéger et il est probable que les Archiducs n'y manqueront pas, aussitôt que leur restauration sera admise en principe. En attendant, les Gouvernements intéressés à la pacification de l'Italie ne sont pas sans inquiétude sur les dangers qui surgissent dans les États Pontificaux et dans le Royaume des Deux-Siciles. L'effervescence des esprits paraît y être grande et Garibaldi, malgré les recommandations récentes du Roi VictorEmmanuel, voudrait en profiter. Cette éventualité serait d'autant plus regrettable que le Gouvernement Français obtient, suivant des informations confidentielles, la promesse du Pape d'appliquer toutes les réformes demandées. Sa Sainteté s'y engagea formellement, à la condition toutefois que la Romagne soit soumise à son autorité. Il m'est affirmé que l'Empereur Napoléon ne s'opposa pas à cette condition. 12291 Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 10 novembre 1859 Dépêche particulière N° 914/149 Je tiens d'une source certaine que M. Balabine depuis son retour à Vienne, continue à développer la même transformation de langage, que j'ai signalée avant son départ pour Varsovie ; « Il dit : que la rancune entièrement disparue il va y avoir, ajoute-t-il, entre la Russie et l'Autriche, un échange de bons procédés et de concessions mutuelles ; la paix a été signée entre les deux Cours sur la joue du Baron de Verner ». Je puis affirmer en outre, à Votre Excellence, que la mission du Prince Albert a parfaitement réussi, sa franchise a beaucoup plu à l'Empereur. L'Autriche avait besoin de cette alliance pour augmenter sa force à l'intérieur ; il paraît que les Hongrois montrent tant de mauvais vouloir vis-à-vis du Gouvernement Autrichien, que ce dernier a été forcé d'arrêter ses projets de réformes dans cette partie de l'Empire, et même de renforcer ses garnisons. Les autres provinces jouiront donc d'un avantage qu'elles méritent par la bonne conduite qu'elles n'ont cessé de tenir pendant les derniers événements. Il est connu, aujourd'hui, que toutes les Puissances signataires du Congrès de Vienne prendront part au Congrès. M. de Ribera, Ministre d'Espagne, a déjà formulé ses prétentions à Berlin, dans un entretien que ce représentant a eu avec le Ministre des Affaires Etrangères de cette Cour. Il y a bien des difficultés à vaincre pour arriver à la solution de tous les différends, qui surgissent au sujet des préliminaires posés dans un Congrès, qui doit s'occuper avant tout, des affaires d'Italie ! Déjà le Baron de Bach, a fait des
- 251 ouvertures auprès du Saint-Siège, afin qu'il délègue un plénipotentiaire pour régler la question des Romagnes. Le rétablissement du pouvoir temporel du Pape étant regardé comme impossible, sans le concours d'une force étrangère, ou l'intervention des Puissances réunies au Congrès. Votre Excellence apprendra, peut-être, avec intérêt à ce sujet, que ni l'Empereur Napoléon ni le Comte Walewski n'ont prétendu recevoir la députation des Romagnes. On m'assure que, le désordre général qui règne dans cette partie des Etats de l'Eglise est tel, que l'on doit s'attendre à de prochaines complications. Quant au Congrès, on ne sait pas encore où il doit se réunir ; on hésite entre Paris et Bruxelles, mais on penche plutôt pour la première de ces deux Capitales, quoique l'Empereur ait chargé le Ministre belge à Paris de déclarer à son Gouvernement qu'il désirait beaucoup qu'ils se réunissent sous la haute direction du Roi Léopold, persuadé que son expérience et sa modération, aplaniraient bien des difficultés, s'il s'en produisait. [230| Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 10 novembre 1859 Dépêche N° 623 Depuis mon dernier rapport du 3 de ce mois N° 620 1 , la souscription pour l'emprunt de 100 millions ouvert par le Gouvernement Sarde a marché de la manière la plus favorable. Les souscriptions ont monté environ trois fois la somme demandée et ont donné ainsi lieu à une grande démonstration patriotique de la part du pays et de confiance dans l'avenir du Piémont de la part des capitalistes étrangers. Les assemblées de Toscane de Modène, de Parme et des Romagnes viennent, à l'unanimité, de proclamer le Prince Eugène de Savoie Carignan, cousin du Roi de Piémont, régent des États de l'Italie centrale pour les gouverner au nom du Roi jusqu'à ce que leur sort définitif puisse être fixé. Les assemblées de ces divers États sont composées de presque toute la noblesse du pays et des hommes les plus sages et les plus modérés. Il ne peut y avoir aucun doute que les motifs qui les ont guidés dans ce vote ont été les suivants : L'esprit patriotique de l'Italie centrale se trouve de plus en plus surexcité par l'opposition que la France fait aux vœux des populations ; elle n'hésite pas à attribuer cette opposition de la France à un mauvais vouloir personnel produit par la répugnance de l'Empereur de voir se former en Italie un État fort et puissant qui pourrait à l'avenir inspirer des inquiétudes et avec lequel il faudrait compter. Aussi le mécontentement fait de rapide progrès ; l'influence des hommes modérés placés à la tête des affaires et qui ont réussi jusqu'à présent à 1
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- 252 contenir les impatients du parti le plus avancé, s'est-elle presque entièrement usée dans cette lutte, et le danger de voir les principes démocratiques, qui animent une partie considérable de la population, rompre toute digue, prendre le dessus, et entraîner l'Italie centrale dans les mesures violentes et extrêmes, devient de jour en jour plus évident. L'idée que le Prince de Carignan pourra avoir plus d'influence que les divers dictateurs et Gouverneurs actuels, pourra ainsi maintenir l'Italie centrale dans la voie de la modération et de la sagesse et l'empêcher de se jeter à corps perdu dans les voies révolutionnaires, a poussé les assemblées à lui décerner la régence. Nous ignorons encore ici si le Gouvernement Piémontais accédera aux vœux exprimés par les assemblées et consentira à envoyer le Prince de Carignan. Le ministère prétend être entièrement étranger à ce vœu et même ne s'y être nullement attendu ni préparé. En me rappelant cependant qu'il y a environ un mois l'on s'attendait ici d'un moment à l'autre à voir le Prince de Carignan nommé régent de l'Italie centrale ; que l'on assurait positivement que les remontrances de la France auraient seul arrêtées cette nomination ; que l'on affirmait que le voyage à Paris de M. le Ministre des Affaires Etrangères avait surtout pour but de vaincre les objections de la France à ce projet, j e serais assez disposé à croire que n'ayant pu réussir directement le Ministère Sarde ait eu recours à cette voie détournée pour arriver à son but. Il est donc fort probable que le Gouvernement Sarde acceptera le vœu des assemblées et c'est peut-être, dans les circonstances actuelles, le parti le plus sage qu'il lui reste à prendre, car autrement j e ne vois pas comment il pourra maintenir l'ordre et prévenir l'explosion des passions contenues jusqu'ici uniquement par l'espoir d'arriver à la réalisation des vœux des populations. Une dépêche télégraphique de Zurich annonce que la signature du Traité, retardée par une difficulté financière sur le taux du florin, devait avoir lieu aujourd'hui même. Ici on a voulu voir dans ce nouveau retard un désir de l'Autriche de ne pas signer définitivement, avant de connaître le résultat de la convocation des assemblées de l'Italie centrale ; convocations qui étaient connues plusieurs jours à l'avance. Le Gouvernement Sarde vient de concéder à une compagnie anglaise l'établissement de nouveaux chemins de fer qui, partant de la frontière du Var où il se réunira aux chemins de fer de Marseille et de Toulon, actuellement en voie d'exécution, suivra le littoral en passant par Nice et Gênes et ira aboutir aux confins du Duché de Modène. Le décret royal qui sanctionne cette concession a paru aujourd'hui même dans la gazette officielle.
- 253 12311 Agop Effendi à Fuad Pacha Paris, le 11 novembre 1859 Le Moniteur nous donne ce matin l'importante nouvelle de la conclusion des travaux de la conférence de Zurich, et le résumé des actes signés hier par les plénipotentiaires de France, d'Autriche et de Sardaigne. Il nous donne aussi copie de la dépêche que S. M. le Ministre des Affaires Etrangères de France a adressé aux agents diplomatiques français à l'étranger. Je m'empresse de mettre sous les yeux de Votre Excellence une copie de ces publications attendues depuis si longtemps avec impatience. L'esprit public tourmenté à juste titre par les difficultés politiques va donc rentrer à peu près dans le calme, en attendant que le congrès qui aura lieu très prochainement prépare la garantie d'une paix durable et lui offre l'entière assurance de la reprise des relations amicales et sincères entre les Grandes Puissances de l'Europe. [232] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 14 novembre 1859 Dépêche N° 295 Le Gouvernement Napolitain vient d'être officieusement informé par son Ministre près la cour des Tuileries que le Congrès projeté se tiendra à Paris, et que Rome, Naples et le Piémont seront appelés à y siéger avec les huit Puissances signataires du traité de Vienne. Sans même attendre une notification officielle: qui doit sous peu de jours lui arriver, M. de Caraso s'est empressé de répondre que le Roi consent volontiers à se faire représenter au Congrès, mais à la condition toutefois qu'on respectera l'indépendance de sa couronne, et qu'on s'abstiendra de toute ingérence dans les affaires intérieures du Royaume ; qu'il renoncerait à s'y faire représenter plutôt que de permettre qu'on ne discuta les institutions actuelles du pays, qui seules ont pu le sauver, alors que le reste de l'Italie était envahie par la révolution. Nous savons bien, me dit M. de Caraso, à qui je dois cette communication, que, pour nous enlever cet argument victorieux, on voudrait faire éclater des troubles avant la réunion du Congrès, nous savons bien que Garibaldi, sommé par le Roi de Piémont de renoncer à tout mouvement offensif, a refusé de prendre aucun engagement et déclaré qu'il ne se laissera guider que par l'intérêt de la cause qu'il défend ; nous connaissons toutes les menées des agents révolutionnaires, qui cherchent à débaucher l'armée et le peuple ; mais nous les attendons de pied ferme, nos mesures sont prises et nous espérons sortir victorieux de cette épreuve comme de celles qui l'ont précédé. Bien que les dissensions et les
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défections se multiplient dans l'armée révolutionnaire et que le bon sens des populations commence à réagir contre les exactions inouïes de leurs prétendus libérateurs nous ne voulons compter que sur nos propres forces, et c'est dans ce but que le Roi vient d'ordonner une nouvelle levée de 18 000 hommes, la troisième de l'armée : l'effectif de notre armée se trouve par-là porté à 100 000 hommes. Les idées développées par le Ministre sont trop d'accord avec les anciennes traditions de la cour de Naples pour que les Puissances amies de ce Gouvernement, la Russie et la Prusse surtout, qui les connaissent de longue date, n'envisagent pas avec une défiance extrême le projet d'une confédération italienne. Aussi paraît-il qu'elles ont résolu de proposer plutôt au Congrès la création d'une fédération de l'Italie Centrale, ce qui permettrait de laisser en dehors de cette combinaison Naples et l'Autriche. [2331 Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 17 novembre 1859 Dépêche N° 915/150, particulière L'on commence à s'inquiéter à Turin des lenteurs qui forment pour ainsi dire un système de temporisation fort en usage, depuis quelque temps, dans la politique française. Le Comte de Cavour, que l'on consulte quelquefois, aurait dit que si les populations poussaient à bout se révoltaient, il ne faudrait pas s'en étonner et que toute la responsabilité des événements retomberait sur ceux qui, dans un but qu'il ne veut pas avouer, attendent que la situation se gâte pour soigner leurs intérêts. D'un autre côté, l'on m'assure que le Gouvernement Français ne désire voir le Congrès se réunir qu'à une époque plus éloignée de nous parce que, disent ces informations, il faut que le Congrès termine sa besogne contractante. Je pense que c'est là une appréciation bien prématurée, mais il est évident que l'on ne se bat pas assez et, je ne puis trop signaler à Votre Excellence les lenteurs que j e mentionne plus haut, elles sont manifestes bien qu'inexplicables pour moi. Le Constitutionnel, organe semi-officiel du Gouvernement Français, a répondu aux attaques dirigées par la presse anglaise contre la France en publiant plusieurs articles sur la situation de l'Irlande. Ces articles paraissent avoir fait sensation car la presse anglaise a cru devoir baisser de ton. Le thème principal de la gazette française était la dissemblance des mœurs, des coutumes, des principes et des idées de cette partie du Royaume-Uni avec les deux autres.
- 255 Des nouvelles arrivées à l'instanl même de Turin, confirment l'appréciation que je viens de donner plus haut à Votre Excellence et, qui ajoutent que les aspirations du Comte de Cavour ne sont pas suivies parce que le Cabinet de Turin est sous le coup d'une menace faite par le Cabinet de Paris. Le Gouvernement Piémontais a cependant répondu à l'ancien Ministre que toute patience avait une borne, mais que le moment d'agir n'était pas venu. Les nouvelles de Saint-Pétersbourg confirment aussi tout ce que j'ai eu l'honneur d'écrire à Votre Excellence ; que le Prince Gortschakoff a complètement changé son langage et, qu'aujourd'hui il se montre plus chaud partisan de l'alliance autrichienne. L'Angleterre est en train de traiter pour l'isthme de Suez avec la France, et cela ressemble à une concession de plus faite à l'Empereur par la Grande-Bretagne qui, malgré cette condescendance, continue ses armements et, organise tous les jours, en augmentant, son système de défense. M. Cobden un des membres du Parlement anglais et, fameux économiste (zélé propagateur de la doctrine du libre-échange) pousse de toutes ses forces le Gouvernement dans cette voie. L234J Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 17 novembre 1859 Dépêche N° 630 La paix est enfin signée à Zurich et doit incessamment être ratifiée. Les démarches pour la réunion du congrès ont commencé et l'on pense qu'il pourra se réunir d'ici un mois. C'est lui qui aura à se prononcer sur l'organisation définitive de l'Italie, sur les bases cependant de la nonintervention qui semble dès à présent admise par toutes les parties. La semaine qui vient de s'écouler a été ici très agitée ; la grande question du jour était si on devait ou non accepter la régence décernée au Prince Eugène de Savoie Carignan par les États de l'Italie centrale. L'on était ici tellement engagé qu'il était difficile, pour ne pas dire impossible, de reculer ; d'autre part le Gouvernement français s'opposait fortement à cette mesure et le Moniteur venait de publier une note dans laquelle il déclarait que la régence du Prince de Carignan serait regrettable en présence de la prochaine réunion d'un congrès européen appelé à délibérer sur les affaires d'Italie, parce qu'elle tendrait à préjuger les questions qui doivent y être traitées. L'opposition de la France à l'acceptation de la régence rendait la position du Ministère des plus difficiles ; il y eut force Conseils des Ministres, et le bruit courait de la dissolution complète du Ministère ; M. le Comte de Cavour et M. d'Azegl/o furent en toute hâte appelés de la campagne pour être consultés ; enfin on s'arrêta à un expédient heureux qui n'est ni une acceptation ni un refus et qui paraît devoir contenter tout le monde. Le Prince de Carignan reçut la
- 256 députation qui venait d'offrir la régence, lui fit un discours assez bien tourné pour être interprété dans tous les sens et nomma le chevalier Boncompagni pour aller exercer la régence à sa place. Les populations de l'Italie centrale ont vu dans ces faits l'acceptation de la régence et paraissent satisfaites ; d'autre part la presse française y a vu un refus et semble également satisfait. Cette mesure paraît donc pour le moment avoir tourné la difficulté, satisfait tout le monde et réussi à gagner du temps pour attendre les événements. L235] Agop Effendi à Fuad Pacha Paris, le 18 novembre 1859 Dépêche s.n. Nous aurons prochainement le Congrès à Paris, comme j'ai eu l'honneur de l'annoncer à Votre Excellence dans ma lettre de la semaine dernière. Personne ne peut encore préciser l'époque ; mais on croit en général que ce sera dans le courant du mois prochain. Deux questions principales se présentent dans ce moment : 1° quels sont les Puissances qui seront appelées à prendre part aux délibérations du Congrès ? 2° comment les affaires d'Italie seront-elles définitivement arrangées ? L'Angleterre prétend faire un acte de haute politique, en donnant le Gouvernement central de l'Italie au Piémont ; la France et la Russie veulent établir dans ce pays un nouveau Gouvernement sous un Prince étranger. L'Autriche ne veut pas en entendre parler, et ne demande que le rétablissement pur et simple de l'ancien régime. Voilà trois projets contradictoires, qui sont, dit-on, l'expression des sympathies des quatre Grandes Puissances de l'ordre. Au nombre de ces projets, on devra compter celui des réformes à introduire dans les États du Pape. A l'aspect de tant de difficultés, on est tenté de douter qu'il puisse jamais y avoir entente dans le Congrès. Quelques personnes croient, que le Congrès sera appelé à délibérer aussi sur certaines questions touchant la Turquie. Je ne sais comment admettre cette opinion, attendu que le règlement définitif de la question italienne présente des embarras assez graves pour que le Congrès ne songe pas à y ajouter d'autres difficultés. Si ceux qui tiennent à cette opinion veulent faire allusion à la question du canal de l'isthme de Suez, je ne pourrais pas les contredire. Il y a des questions qui, par leur importance, s'imposent à l'attention d'un grand nombre de personnes, et deviennent le principal objet de la préoccupation publique. Celle du canal de l'isthme de Suez est du nombre ; elle semble devoir se mettre bientôt à l'ordre du jour. Déjà l'Empereur commence à s'en occuper. On m'a assuré qu'il avait manifesté son mécontentement au sujet de la lettre Vizirielle de Son Altesse Aali Pacha à Son Altesse Saïd Pacha ; qu'il avait chargé M. de Lesseps de retourner en Turquie, muni des lettres de
- 257 recommandation à l'adresse de Son Excellence M. Thouvenel par Son Excellence M. le Ministre des Affaires Etrangères. Je crains fort que cette affaire ne cause de nouveaux embarras, surtout en ce moment, au Gouvernement Ottoman. Mais, d'un autre côté, j'espère que sa sagesse et celle de la France et de l'Angleterre, trouveront une solution pacifique à ses complications. [2361 Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 24 novembre 1859 Dépêche N° 635 Les prévisions du dernier rapport que j'ai eu l'honneur d'adresser à Votre Excellence en date du 17 de ce mois, N° 630 1 , ont été justifiées par les événements. L'expédient auquel s'était arrêté le Gouvernement Sarde de déléguer la Régence à M. Boncompagni, au lieu et place du Prince de Carignan, avait d'abord provoqué de l'opposition de la part du Gouvernement Français et une note insérée au Moniteur déclarait que l'Empereur approuvait complètement cette mesure. Cette opposition du Gouvernement Français avait causé ici et dans l'Italie Centrale, une vive et douloureuse impression. Heureusement que sur les explications que s'est empressé de donner le Gouvernement Sarde l'Empereur est revenu sur sa première décision et a cessé toute opposition à la mission de M. Boncompagni. Je dis heureusement parce que je crois que la mission de M. Boncompagni assure le maintien de l'ordre en Italie qui autrement aurait pu être fort gravement compromis. C'est ce qu'a parfaitement compris le Gouvernement Français et l'on ne peut que le féliciter de la loyauté avec laquelle il est revenu de sa première décision lorsque les conséquences funestes qui ne manqueraient pas de découler de son opposition lui ont été démontrées. La Régence de M. Boncompagni ne doit du reste avoir qu'un caractère purement conservateur et doit servir uniquement au maintien de l'union et de l'ordre dans l'Italie Centrale sans en rien préjuger les questions que doit être appelé à résoudre le Congrès. M. Boncompagni, d'ailleurs pour ne pas arriver à la Régence avec le caractère de fonctionnaire Piémontais a donné sa démission du grade d'envoyé extraordinaire et Ministre plénipotentiaire qu'il occupait dans le Corps Diplomatique Sarde, démission que le Roi a acceptée.
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- 258 Les États de Parme, Modène, et les Romagnes ont accepté avec plaisir le nouveau régent ; la Toscane seule a fait quelques difficultés, mais comme ce sont des difficultés purement de forme l'on espère les voir bientôt aplanies et on assure même que c'est déjà fait. M . Boncompagni est déjà parti depuis quatre jours pour sa nouvelle destination et doit, à l'heure qu'il est, se trouver à Bologne. Le G o u v e r n e m e n t Toscan vient de faire parvenir aux principaux Gouvernements Européens un mémorandum concernant le vœu émis par l'Assemblée Nationale Toscane dans sa séance du 9 de ce mois relativement à la Régence du Prince Carignan. Dans ce volumineux document le Gouvernement de la Toscane s'attache à démontrer que la décision d'offrir la Régence au Prince Carignan a été inspirée à l'Assemblée par un principe monarchique et un sincère désir de maintenir l'ordre et d'employer les moyens les plus efficaces pour prévenir et rendre impossible des agitations révolutionnaires non moins que par le sentiment intime de la persévérance la plus ferme des populations dans la réalisation de leurs vœux. Il affirme que la politique de vouloir amener la restauration des Princes déchus sera la plus dangereuse, car les peuples dont on violerait ainsi tous les droits et tous les voeux ne pourraient s'y soumettre tranquillement. Et si malheureusement les Grandes Puissances réunies en Congrès se prononçaient contre les vœux des populations, l'exécution de leur décision serait remplie de difficultés, car l'Italie se verrait obligée de repousser par la force les décisions du Congrès que l'on voudrait lui imposer par la force, et la lutte qui en résulterait ne pourrait créer qu'un avenir menaçant et plein de péril. L'échange des ratifications du traité de paix a eu lieu à Zurich. Ci -joint j e m'empresse de remettre à Votre Excellence un exemplaire du texte du traité entre la France, l'Autriche et le Piémont et de celui entre le Piémont et la France. Je n'ai pas réussi à me procurer celui entre la France et l'Autriche, mais sans nul doute Votre Excellence le recevra de Paris ou de Vienne. M. le Chevallier Desambrois plénipotentiaire de la Sardaigne aux conférences de Zurich est de retour à Turin. L'on donne comme positive sa nomination en qualité de représentant sarde à Paris en remplacement de M. le Marquis de Villamarina qui serait nommé gouverneur de Milan. Le général Garibaldi a donné sa démission de commandant en second de l'armée de l'Italie Centrale. Les motifs qui l'ont porté à se retirer sont fort honorables. Garibaldi est pour ainsi dire le représentant des idées les plus avancées ; c'est exclusivement un homme de guerre ; aussitôt que la question doit être décidée par la plume et non par le sabre, il agit loyalement en se retirant et en apportant, par sa présence, aucune entrave à la solution pacifique des difficultés pendantes. Sa retraite est donc un bon symptôme, parce qu'elle prouve que les idées de paix et de conciliation prévalent dans les esprits.
- 259 Les pleins pouvoirs accordés au Roi de Piémont au commencement de la guerre vont expirer ; il sera donc nécessaire de réunir les Chambres. L'on assure cependant que la Chambre actuelle des Députés sera dissoute, et que de nouvelles élections générales auront lieu en conformité à la nouvelle loi électorale dont on annonce la publication comme très prochaine. Les prescriptions de cette nouvelle loi établissent pour toutes les provinces le cens électoral sur le pied de parfaite égalité, fixe le nombre des Députés à raison de 1 pour chaque 30 000 habitants, de sorte que le nombre total des Députés serait de 260, soit 158 pour les anciennes provinces et 102 pour celle de la Lombardie. Le Gouvernement a, dans ces derniers temps, profité des pleins pouvoirs accordés au Roi par le Parlement pour promulguer une foule de décrets touchant la réorganisation presque complète de toute la législation du pays. Le principal motif mis en avant est la nécessité d'assimiler autant que possible la législation des anciennes et des nouvelles provinces. Beaucoup de personnes reprochent cependant au Ministère d'avoir abusé des pleins pouvoirs du Roi pour se soustraire à la discussion préalable des Chambres des réformes législatives qui auraient dû être la compétence exclusive du Parlement. La loi d'administration provinciale et communale dont j'ai déjà eu l'honneur d'envoyer la traduction à Votre Excellence supprime les anciens postes d'intendants généraux et les remplace par des gouverneurs. Ils sont au nombre de 17. Les nominations à ces 17 postes importants ne sont pas encore officiellement publiées mais l'on annonce cependant comme positives diverses nominations qui ont produit une fort mauvaise impression sur le public. L'on reproche avec raison au Ministère de nommer à la place importante de gouverneur des gens qui n'étaient nullement dans la carrière administrative, qui n'ont absolument d'autres mérites de celui d'être les amis politiques de M. Ratazzi, les membres les plus avancés de l'extrême gauche de la Chambre des Députés. Entre autres la nomination annoncée au poste de gouverneur de Como de M. Valerici, qui a toujours affecté de se donner des airs de tribun populaire, qui se croirait déshonoré s'il mettait des gants, se peignait ou s'habillait proprement, qui n'a jamais occupé aucune fonction administrative, a soulevé la réprobation de tous les hommes sages et modérés. Il est en effet évident que de tels hommes ne peuvent être nommés par le Ministère, en qualité de gouverneur que dans le seul et unique but d'être, non des administrateurs consciencieux et impartiaux, mais des agents des idées politiques de cette fraction de la Chambre et du Ministère à la tête de laquelle se trouve M. Ratazzi, et cela surtout en vue des prochaines élections. La répartition que le Ministère vient de faire des souscriptions à l'emprunt dont j'ai déjà eu l'honneur d'entretenir Votre Excellence vient aussi de soulever contre lui le mécontentement le plus unanime des souscripteurs. Le montant total des souscriptions pendant les huit jours qu'a été ouverte la souscription, est de 19 050 000 F de rente, c'est-à-dire environ trois fois plus que le
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Gouvernement n'avait demandées à emprunter. Cette immense souscription a été donc une grande manifestation nationale. Si la répartition avait été faite d'une manière juste et équitable chaque souscripteur aurait dû recevoir environ 30 % sur le montant qu'il avait souscrit. Mais dans la répartition que le Gouvernement vient de publier l'on accorde que de 21 % aux souscripteurs qui ont souscrit pendant les cinq premiers jours, et 10 % à ceux qui ont souscrit pendant les trois derniers jours. Cette diminution si considérable sur la répartition des 6 millions de rentes aux souscripteurs, provient de ce que le Ministère réserve d'abord 2 millions de rentes à certains souscripteurs privilégiés qui sont. Les 2 millions de rentes réservées et réparties entre ces Messieurs leur assure déjà le 4 4 % ; en outre on les fait figurer pour les 2 700 000 restants comme souscripteurs des cinq premiers jours ce qui leur assure encore 21 %, soit en tout 65 %. La préférence ainsi accordée à ces établissements de banque a produit le plus grand mécontentement. Le Ministère veut s'excuser en disant que pour assurer ces souscriptions importantes il avait traité à forfait, mais on lui répond avec justice que cette excuse est ridicule puisque le terme à forfait ne saurait en aucun cas s'appliquer à un emprunt fait sur les bases de celui-ci ; qu'une preuve même qu'il ne pouvait y avoir aucun engagement positif avec ces capitalistes de leur délivrer le montant total de leurs souscriptions était qu'elles avaient été réduites de 35 % et que de même que le Ministère avait le droit de faire cela, de même il aurait eu celui de les faire rentrer dans la même catégorie que tous les autres souscripteurs. L'on dit hautement que le Ministère n'accorde sa préférence à ces forts capitalistes que par des motifs personnels et au détriment du public. L'on cite l'exemple des emprunts par souscription fait par le Gouvernement Français dans lequel le principe rationnel et patriotique d'accorder toujours la préférence aux petites souscriptions avait produit les résultats les plus avantageux et l'on reproche amèrement au Ministère d'avoir suivi la marche opposée et d'avoir accordé la préférence aux fortes souscriptions au détriment des petits souscripteurs et du public, et de plus de leur avoir accordé un fort escompte (1 % sur les demandes dépassant un million) au grand détriment du trésor public. Le fait est que le Ministère a fait preuve dans toute cette négociation de la plus complète incapacité et qu'il a retiré de cette opération au moins 4 ou 5 millions de capital de moins qu'il n'aurait dû lui en faire produire s'il avait eu la moindre entente des affaires financières.
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|237] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 24 novembre 1859 Dépêche N° 921/156, confidentielle Un revirement s'est fait, cette semaine, dans la politique française ; la régence du Prince de Carigrian refusée par Victor-Emmanuel, à cause d'une note envoyée de Paris à Turin, et plus tard, l'opposition bien formelle de la France à la délégation de M. Boncompagni, ont été suivi du consentement de ces dernières puissances au départ, pour l'Italie centrale, du représentant Piémontais. L'Angleterre qui voulait attendre que le congrès décide du sort des États révoltés, avec la condition que l'on n'imposerait jamais à aucun État un Gouvernement qu'il repousse, s'est vu forcée d'accéder aux vœux du Piémont, lorsque cette puissance a dégagé son plénipotentiaire de tout caractère officiellement définitif. L'Autriche, qui se rapproche tous les jours de plus en plus de la France, compte sur cette dernière pour appuyer ses princes déchus et se montre disposée à attendre, très probablement parce que la France lui dit d'attendre. Ces deux Gouvernements sont trop bien d'accord aujourd'hui pour que des concessions, en vue de dédommagements futurs, ne soient pas acceptées. La Prusse seule tend à séparer l'Autriche de la confédération italienne et ne désire pas embrasser avec elle une politique qui pourrait devenir hostile à l'Angleterre. Celle-ci continue à multiplier ses moyens de défense et, à voir les travaux qui s'exécutent dans ce pays, on croirait être, sinon à la veille d'une nouvelle guerre, au moins à une guerre peu éloignée. L'on assure que les invitations à un congrès, qui aurait son siège à Paris, viennent d'être envoyées aux différentes puissances et le départ de Paris des envoyés d'Angleterre et des Deux-Siciles feraient supposer que cette nouvelle est vraie ; une grande partie de l'hiver se passerait donc, probablement à régler les diverses questions qu'il est appelé à résoudre. Je dois cependant ajouter que, bien des diplomates croient peu à la possibilité de la réunion d'un congrès ; parce que chaque jour apporte un nouveau compromis, une nouvelle interprétation diplomatique, ajoutant de graves complications à la situation déjà si embarrassée de la Péninsule. Nous avons d'ailleurs sous les yeux un spectacle de confusion produit par la contradiction des systèmes et le conflit d'intérêts opposés qui rendent une solution d'ordre et de liberté à peu près impossible à prévoir. Comme j e l'ai déjà écrit à Votre Excellence, l'alliance de l'Autriche avec la Russie se resserre de plus en plus et le langage de M. Balabine, Ministre Russe à Vienne, continue à fortifier cette alliance.
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Quoique Garibaldi soit retiré à Nice, il adresse toujours aux Italiens des harangues révolutionnaires qui doivent satisfaire fort peu la France. P.-S. : Au moment même d'expédier mon courrier j'apprends que la réunion du congrès est retardée à cause de nouvelles difficultés venues de l'Autriche qui ne veut pas accepter la nomination de M. Boncompagni comme dictateur. [238J Spitzer Bey à Fuad Pacha Naples, le 28 novembre 1859 Dépêche N° 303 J'ai eu l'honneur d'informer Son Excellence dans ma dépêche N° 295 du 14 novembre 1 , que le Gouvernement napolitain, en recevant l'avis officieux de son admission au Congrès, s'était empressé de répondre par une adhésion conditionnelle. Nous connaissons aujourd'hui l'accueil que cette communication a reçu des Grandes Puissances auxquelles elle avait été adressée. L'Autriche et la Prusse approuvèrent entièrement la détermination du Gouvernement napolitain, mais la Russie chargea M. de Kokoschkine, son représentant à Naples, de faire comprendre au Roi qu'il pouvait sans crainte accorder son adhésion pure et simple, tandis qu'une abstention, même conditionnelle, avait peut-être les plus grandes conséquences. Du moment que Naples était appelé au Congrès comme Puissance indépendante, toutes réserves préalables devenaient sans objet, car son représentant serait toujours libre de s'y refuser à toute discussion qui lui semblerait incompatible avec les droits et la dignité de son souverain. M. de Kokoschkine, qui jouit à juste titre de l'estime du Roi, sut faire accepter de lui les conseils de son Gouvernement et le Roi lui promit d'adhérer sans condition aussitôt que l'invitation officielle lui parviendrait. À la suite de cet entretien, le Marquis d'Antonini fut rappelé de Paris par le télégraphe pour recevoir les instructions de son maître ; car c'est lui qui est désigné pour représenter le Gouvernement napolitain au Congrès de Paris. Jusqu'ici aucune invitation officielle n'est parvenue au Gouvernement, et ce retard s'explique aisément par les difficultés que vient de soulever la question de la Régence. Le Piémont, fatigué de plier aux exigences de l'Empereur, était cette fois-ci tellement décidé à passer outre qu'il avait fait officiellement annoncer à M. de Carafa le départ de M. Boncompagni ; aussi n'est-ce pas sans étonnement que le lendemain on apprit ici par le télégraphe son retour à Turin : le Gouvernement Sarde n'avait pas osé persister en présence d'une dépêche des plus menaçantes qu'il avait reçu de Paris.
^No. 232.
- 263 On se montre ici très satisfait de la politique de l'Empereur, qui a seul le pouvoir de mettre un frein aux tendances envahissantes du Piémont. C'est à sa toute-puissante influence qu'on attribue la retraite du Garibaldi, qui pouvait à tout moment, par un coup de main, compromettre la tranquillité du Royaume, et l'on sait un gré infini à l'Empereur d'avoir su écarter ce danger imminent : aussi est-il probable que les conseils de la France seront désormais accueillis ici avec bienveillance. [239J Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 30 novembre 1859 Dépêche N° 255, réservé Contre l'attente générale, l'invitation officielle pour la convocation du Congrès n'a pas encore été adressée aux Puissances qui devront le former. Il semble cependant que les obstacles, provenant de l'Autriche à la suite de la désignation de M. Boncompagni, ont été aplanis. Sur ces entrefaites, le Cabinet de Saint-Pétersbourg a essayé d'insinuer la nécessité d'étendre les attributions de la réunion, appelée à se prononcer sur les affaires italiennes. Aussi, m'esl-il assuré que, quoiqu'en disent les organes de la presse russe, les agents de l'Empereur Alexandre agissent dans le but de faire paralyser, par un nouvel arrangement, les stipulations du traité de Paris, concernant la neutralité de la mer Noire. Heureusement, les intérêts de la Grande-Bretagne s'opposent à l'abandon d'une mesure de haute politique, obtenue et consacrée par tant de sacrifices. Et le Cabinet des Tuileries, par ses récentes relations avec l'Angleterre, témoigne, si j e ne me trompe, de dispositions analogues. Il serait superflu de rapporter à Votre Excellence le fait constaté du rapprochement sensible des deux côtés du détroit. Aussi croit-on dans les régions officielles, que la presse britannique, en suivant un cours contraire à cette situation, n'obéit qu'à une tactique du Gouvernement, désirant justifier devant le Parlement les armements qui se poursuivent.
1240] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 1 e r décembre 1859 Dépêche N° 923/158. confidentielle Les invitations au Congrès viennent d'être lancées. L'Autriche se chargera de les faire parvenir à Saint-Pétersbourg et à Stockholm. Votre Excellence comprendra toute la satisfaction que l'on a dû éprouver à Vienne en apprenant que toutes les difficultés sont enfin aplanies. Les prétentions de l'Italie vont
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donc se trouver en face d'un tribunal légal et impartial. Le Piémont verra son attitude ferme et courageuse équitablement récompensée ; la Russie et la Prusse auront aussi leurs apaisements sur la question d'Italie — le monde sera donc content et satisfait ? — non, je ne crois pas : l'Angleterre méfiante et plus isolée que les autres ne se méprends pas sur les intentions de l'Empereur quoiqu'il arrive, on semble persuadé en Angleterre que le jour de la vengeance n'est pas éloigné — vengeance née sur le rocher de Sainte-Hélène et que le temps n'a pu affaiblir. Cette méfiance se montre partout et se traduit en armements considérables. On m'assure, d'ailleurs, que ces préparatifs belliqueux se justifie par les travaux que l'on exécute sur les côtes de France et par la prodigieuse activité qui règne dans les arsenaux et les fabriques d'ustensiles maritimes. Votre Excellence se souviendra que depuis longtemps mes dépêches ont fait pressentir des événements qui, tout en étant peut-être fort éloignés de nous, ne présentent pas moins un caractère de possibilité que je serais coupable de ne pas communiquer à mon Gouvernement. Je puis me tromper, mais je préfère être dans l'erreur, aujourd'hui, que de me trouver, dans un avenir prochain, en face d'événements dont j'aurais dédaigné les symptômes avant-coureurs. La France est grande et puissante, aujourd'hui, elle dicte, pour ainsi dire, ses lois au monde. L'Empereur l'a faite ainsi ; mais il reste encore à dominer sur les flots, comme elle règne sur la terre ferme. Or, elle ne peut atteindre ce but, sans enlever à l'Angleterre, sa rivale, une partie de cette force maritime contre laquelle ces desseins viendront souvent échouer. La politique de l'Empereur a déjà amoindri la Russie et l'Autriche ; cette même politique visera maintenant à l'amoindrissement de la reine des mers. Votre Excellence me permettra d'insister de nouveau sur l'alliance austro-russe et sur la nécessité où nous nous trouvons de nous rapprocher sensiblement de l'Angleterre qui aura tout intérêt à mettre un frein aux prétentions mari times de la Russie et tout intérêt aussi à ne pas servir les vues ambitieuses de l'Autriche qui ne lui pardonnera pas facilement d'avoir poussé l'Italie à l'indépendance et au maintien de l'ordre subversif dans lequel elle est entrée. P.-S. Je transmets ci-inclu à Votre Excellence un article de fond du Constitutionnel, du 28 novembre, dans lequel on répond aux attaques des journaux russes contre la Turquie et, par conséquent, l'on prend indirectement notre défense.
[241| Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 1 e r décembre 1859 Dépêche N° 640 Ci-annexé, j'ai l'honneur de remettre à Votre Excellence copie de la dépêche adressée par le Ministre des affaires de Sa Majesté le Roi de Sardaigne aux représentants de Sa Majesté à l'étranger à propos de la régence offerte par les assemblées de l'Italie centrale à Son Altesse le Prince de Carignan.
- 265 Votre Excellence y verra que le Gouvernement Sarde affirme avoir été complètement étranger à cette résolution et y explique les motifs de la nomination de M. le Chevalier Boncompagni. La position de ce dernier dans l'Italie centrale ne s'est point encore nettement dessinée. Il paraît cependant qu'il sera en qualité de Gouverneur général et non de régent. Les difficultés néanmoins qui s'étaient élevées du côté de la Toscane à sa nomination n'ont encore pu être aplanies et l'on annonce pour ce soir l'arrivée ici de M . Ricasoli, chef du Gouvernement provisoire toscan, qui viendrait ici pour s'entendre avec le Gouvernement Sarde sur la solution de ces difficultés. Les lettres de convocation pour la réunion du congrès sont enfin envoyées ; il se réunirait le 5 janvier prochain. L'on s'occupe beaucoup ici de la nomination du plénipotentiaire sarde au congrès ; l'opinion publique désigne M. le Comte de Cavour et l'on assure d'une manière positive que lui-même désirerait beaucoup y aller. Quelque résistance se présente cependant, paraît-il, à cette nomination du côté de la France et de l'Autriche. Celle de la France pourra probablement être levée, mais pourra-ton également vaincre celle de l'Autriche ? La France voudra-t-elle en ce moment froisser l'Autriche ? Quelque soit, et à juste titre, la répugnance de l'Autriche, de se trouver au congrès en présence de M. de Cavour, il est néanmoins à souhaiter, dans l'intérêt de la paix qu'elle la surmonte, car il est hors de doute que le Comte de Cavour est le seul homme qui ait assez de prestige et d'influence sur l'opinion publique en ce pays, et surtout dans l'Italie centrale, pour faire accepter sans résistance sérieuse, les décisions du congrès, quelles qu'elles soient. Tout ce à quoi M. de Cavour aura consenti sera accepté par l'Italie, car les masses seront persuadées que s'il n'a pas réussi à faire plus ou mieux, c'est que cela était tout à fait impossible. Avec M. des Ambrois, homme conciliant, calme, modéré, en qualité de second plénipotentiaire Monsieur de Cavour est donc, sans contredit, le meilleur choix que l'on pourra faire soit dans l'intérêt de la paix générale, soit dans celui de l'Italie elle-même. |242] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 2 décembre 1859 Dépêche N° 258 Suivant les nouvelles que le Baron de Schleinitz a bien voulu me donner ce matin, les invitations pour le Congrès ne sont pas encore arrivées. On s'y attend néanmoins d'un moment à l'autre. Cette circonstance est d'autant plus curieuse, que l'acte français y ayant trait a été expédié de Paris, il y a trois jours. Certes, ce n'est pas le manque de communication qui aurait pu amener ce retard.
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À cette information, je m'empresse d'ajouter que les Ministres des Affaires Etrangères, représenteront dans le Congrès leur Gouvernement respectif. Il n'y a que Lord John Russell qui s'en abstiendrait ; et il paraît que le personnage, destiné à remplacer Sa Seigneurie, n'est pas encore définitivement désigné. Pendant l'absence du Baron de Schleinitz, c'est fort probablement le SousSecrétaire d'État, M. de Gruner, qui sera chargé de la direction du Département des Affaires Etrangères. |243] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 5 décembre 1859 Dépêche N° 306 Trois dépêches télégraphiques relatives à la réunion du Congrès sont parvenues cette semaine au Gouvernement napolitain. Le 28, il apprit que les invitations officielles venaient d'être adressées aux huit Puissances signataires du traité de Vienne, mais que l'envoi de celles destinées aux trois puissances Italiennes se trouvaient encore retardées par suite de quelques difficultés de forme. Le 29, il fut informé que l'Angleterre avait demandé à la Russie, à la Prusse à l'Autriche de déclarer formellement si elles appuieraient ou non le principe d'une intervention armée dans l'Italie Centrale, et que toutes trois avaient répondu négativement. Enfin le 30 avis fut donné au Gouvernement que les invitations pour les trois Puissances italiennes, avaient été expédiées le jour même et que le Congrès se réunirait dans les premiers jours de janvier. M. de Carafa, de qui je tiens ces renseignements, me dit que la mission de M. Boncompagni avait seul occasionné tous ces retards. Placée entre les réclamations opposées de l'Autriche et de l'Angleterre, la France avait fini par céder aux pressantes sollicitations de ces dernières Puissances, afin de ne pas compromettre la réunion du Congrès : c'est ainsi que s'explique le revirement de la politique de l'Empereur, d'abord si opposé à l'envoi de M. Boncompagni. On déplore à Naples une décision, qui donne un si puissant encouragement aux résistances du parti annexionniste. La cour Pontificale se propose de protester au premier acte d'autorité que le nouveau dictateur enverra dans les Légations. Je sais de bonne source que le Baron Brenier a de nouveau insisté auprès du Roi sur la nécessité de donner une constitution, mais que le Roi s'y est, comme toujours, refusé, en déclarant que de pareilles innovations ne pourraient qu'amener la révolution dans le pays et substituer le désordre à la tranquillité parfaite dont il jouit. Cependant ce n'est qu'à grande peine que le Gouvernement parvient à maintenir l'ordre en Sicile, et les nombreuses arrestations auxquelles on a dû se livrer, viennent de provoquer des faits des plus regrettables. Dimanche dernier, le directeur de la police de Palerme a été frappé en plein jour, au moment où il se
- 267 rendait à l'église, par un assassin, resté inconnu jusqu'ici, et hier on a appris par le télégraphe qu'un attentat semblable vient d'être commis sur la personne du directeur de la police de Messine. L a pose du câble sous-marin entre Otranto et Valona a été effectué le 3 décembre, et la nouvelle m'en a été communiquée le jour même par une dépêche télégraphique que S . E. Selim Bey Gouverneur de Valona, a bien voulu m'adresser pour m'informer de cet heureux événement. 12441 Diran Bcy à Fuad Pacha Bruxelles, le 6 décembre 1859 Dépêche N° 927/162, confidentiel Selon mes appréciations antérieures l'alliance de la Russie et de l'Autriche se confirme chaque jour d'avantage. Le Cabinet des Tuileries ne se montre pas hostile à ces tendances de rapprochement et d'union. En donnant à l'Autriche, pour mission, d'engager la Russie à prendre part au Congrès, il est évident que l'Empereur Napoléon voulait prêter les mains à l'alliance qui s'ébauche. Je sais aussi de très bonne source que les convoitises de l'Autriche sont dirigées toutes entières contre les Principautés. Le Prince régnant est un véritable obstacle que l'on ne désespérerait cependant pas d'écarter. Il ne faut pas toutefois, que l'on s'alarme dès à présent au sujet de dangers qui peuvent être fort éloignés de nous. La politique est encore trop embrouillée pour que l'on songe, dès aujourd'hui, à soulever une question pleine d'orage. Les véritables amis de la Turquie pensent que, pour le moment, notre rôle à nous doit se borner à nous rapprocher de l'Angleterre, qui fera toujours l'opposition au projet russe, et dont l'Autriche s'éloigne. Sans s'écarter de personne, on peut se faire un ami sur lequel on puisse compter, tant que son intérêt personnel n'est pas engagé. Les nouvelles de la Vénétie sont déplorables et la séparation de ces États sera, dit-on, remise en question quoique, je puis l'assurer à Votre Excellence, la question de l'Italie soit le seul thème qui ait été présenté dans l'invitation envoyée aux Puissances. En attendant, on espère pouvoir réunir le Congrès le 5 janvier. [2451 Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 8 décembre 1859 Dépêche N° 643 Ainsi que j'avais l'honneur de le faire pressentir à Votre Excellence dans mon dernier rapport du 1 e r de ce mois, N° 640 1 , M. Ricasoli, président du !NO. 241.
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Gouvernement provisoire de la Toscane, est venu à Turin pour tâcher de s'entendre avec le ministère sur la nomination de M. Boncompagni en qualité de régent. Après des négociations qui ont duré plusieurs jours on est arrivé à un compromis par lequel la Toscane accepte M. Boncompagni qui ne prendra pas le titre de régent mais celui de Gouverneur général des provinces liguées de l'Italie centrale ; la Toscane continuera à être régie par le Gouvernement provisoire actuel ; Parme, Modène et les Romagnes par le dictateur Farini qui prend le titre de Gouverneur ; le Gouverneur général n'aura aucune ingérence dans l'administration intérieure, il aura seulement les relations extérieures et la Sardaigne, ainsi que le département de la guerre avec la direction suprême des troupes des provinces liguées. Le décret de nomination de M. le Chevalier des Ambrois au poste d'envoyé extraordinaire et Ministre plénipotentiaire de Sardaigne près la cour des Tuileries vient de paraître, mais rien n'est encore décidé quant à la nomination du plénipotentiaire sarde au congrès. Ici l'opinion publique persiste à indiquer M . le Comte de Cavour comme le seul h o m m e capable de remplir convenablement ces fonctions. Le Prince de La Tour d'Auvergne envoyé de France est définitivement nommé à la légation de Berlin et est remplacé ici par M. le Baron de Talleyrand, cidevant membre pour la France de la commission européenne dans les provinces danubiennes. [246] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 18 décembre 1859 Dépêche N° 928/163, confidentielle D'après ce qui me revient d'Italie, il paraîtrait que l'Empereur a demandé au Saint-Siège de vouloir bien faire valoir, avant le Congrès, les réformes qu'il est dans l'intention de faire. Celui-ci aurait répondu qu'il ne ferait rien avant que l'ordre soit rentré dans ses États et que leur intégrité fut garantie. La cour de Rome craint, avec raison, que, si elle ne prend pas part au Congrès, ses intérêts y seront mal défendus. Elle a même cru devoir faire un appel aux sentiments catholiques de François II pour embrasser sa cause au Congrès et l'a déterminé, assure-t-on, à figurer dans cette Assemblée, bien que sa présence ne soit pas nécessaire dans un Congrès où l'on ne discutera que les affaires de l'Italie Centrale. Dans tous les cas, Rome est dès à présent bien décidée à en appeler à l'opinion publique, si sa cause se trouvait compromise. Les nouvelles de Vienne assurent que le Congrès s'occupera uniquement de l'Italie ; mais l'on craint, dans ce pays, que si l'on y ignore les principes révolutionnaires émis en Italie depuis quelque temps, qu'un bouleversement général n'ait lieu et que, tous les États qui éprouvent des aspirations à la liberté, cherchent à s'emparer de ce bienfait par la voie qu'a ouverte l'Italie.
- 269Les relations de la cour des Tuileries avec celle de Sardaigne ne sont plus sur un pied aussi amical ; on s'étonne généralement, dans le monde politique, de ne pas voir dans le traité Franco-Sarde que l'on fasse mention de l'occupation du territoire Piémonitais par les troupes françaises. D'autre part, on m'assure que le Comte Walewski tient un langage peu favorable à la Sardaigne et condamne hautement la politique suivie par Victor-Emmanuel. L'Angleterre a mis comme première condition à sa participation au Congrès que l'on ne s'y occuperait d'aucune question ne se rattachant pas à la situation de l'Italie. [2471 Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 15 décembre 1859 Dépêche N° 934/169. Confidentielle Le langage que tient à Vienne l'envoyé de Russie, M. Balabinc, semble puisé à la même source que les articles de l'Invalide. Cependant, je dois ajouter que ce diplomate a rencontré à Vienne de nombreux contradicteurs. L'Autriche paraît, du reste, peu disposée à tenter une entreprise pour le moment et ne croit pas le jour venu de s'écarter de la voie modérée et pacifique dans laquelle elle est entrée. La Russie ne s'intéresse au succès de l'annexion italienne que pour autant qu'elle espère pouvoir faire servir le même argument chez ses voisins, lorsque l'occasion s'en présentera. Elle compte sur le soulèvement possible des chrétiens contre les musulmans, sous la protection du chef politique de l'orthodoxie grecque. Il paraît évident aujourd'hui que l'on n'admettra pas au Congrès le principe de l'intervention armée, mais l'on fera en sorte que les intérêts de l'Italie puissent s'harmoniser avec l'équilibre général de l'Europe. L'Angleterre sera arrivée à ses fins : elle aura créé un Royaume puissant entre la France et l'Autriche — c'était là son dû. |248] Agop Effendi à Fuad Pacha Paris, le 16 décembre 1859 Dépêche s.n. Votre Excellence n'ignore pas que les Puissances qui doivent se faire représenter au Congrès ont fait connaître officiellement leur acceptation, et que les adhésions des Gouvernements des Deux-Siciles et des États Romains se sont seules fait attendre. Je m'empresse d'informer Votre Excellence que ces derniers sont arrivés aussi. On ne connaît pas encore les noms des plénipotentiaires de ces deux Gouvernements ; mais il est certain qu'ils
- 270 enverront chacun deux représentants, à l'exemple des Grandes Puissances. Ceux de l'Angleterre, de la Russie, de l'Autriche et la Prusse sont déjà connus. L'Ambassadeur d'Angleterre sera accompagné de Lord Woodhouse ; celui de Russie, du Prince Gortschakoff ; celui d'Autriche, de M. de Rechberg ; celui de Prusse de Monsieur de Schleinitz. Les questions de personnes étant presque définitivement réglées, on se demande quelles sont les questions que le Congrès sera appelé à examiner. Plusieurs personnes connues pour être au fait de la politique actuelle pensent que les délibérations de ce grand aréopage ne sortiront point de la question italienne ; mais elles n'osent pas émettre une opinion précise sur les résultats de ces délibérations ; quelques-unes même désespèrent de la possibilité d'une entente. En voici la raison. Deux projets contradictoires partagent déjà le Congrès en deux camps ennemis. L'Autriche, Rome et Naples veulent la restauration des princes italiens dépossédés, tels que ceux de Parme, de Modène et de Toscane, et la restitution des Romagnes au Pape. L'Angleterre, la Russie, la Prusse, et je puis dire la France, veulent créer un Gouvernement central, composé de ces trois Duchés, ainsi que des R o m a g n e s et de la Vénétie. Comment concilier deux politiques si essentiellement contraire ? Rome et Naples, avant de donner leur adhésion, ont posé pour conditions qu'on admettrait leurs vues, ce qu'on a refusé net ; on leur a fait savoir que c'était des questions à discuter dans le Congrès, et sur lesquels lui seul pouvait se prononcer. En présence de pareilles difficultés, il est permis de douter d'une solution satisfaisante. D'un autre côté, on pense que le Congrès ne se dissoudra pas avant d'avoir pris une décision quelconque, quand même il en coûterait quelque sacrifice à l'une et à l'autre opinion, Le jour de la réunion est fixé au 5 janvier, à moins que les plénipotentiaires ne se fassent attendre. P.-S. : S.A.R. le Prince Jérôme est très dangereusement malade. Le Prince Richard de Metternich a été reçu par S. M . l'Empereur en qualité d'Ambassadeur d'Autriche. [249] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 22 décembre 1859 Dépêche N° 654 C'est décidément M. le Comte de Cavour qui va au Congrès en qualité de plénipotentiaire sarde. Toutes les rivalités ont dû disparaître et céder devant l'opinion publique qui demandait d'une manière trop impérieuse ce choix pour qu'il f û t possible au Ministère de l'éviter, malgré toute la volonté qu'il en aurait eue. Monsieur l'Envoyé de Russie m'a dit avoir officiellement reçu de son Gouvernement la nouvelle que c'est M. le Prince Gortschakoff qui sera le représentant de la Russie au Congrès. Le Prince de La Tour d'Auvergne
- 271 nommé envoyé de France à Berlin doit partir la semaine prochaine pour Paris et l'on croit qu'il sera second plénipotentiaire français au Congrès. Son successeur ici, le Baron de Talleyrand est attendu après-demain. Le commandeur Canofavi, le représentant de Naples à Turin, vient d'être appelé à Naples et on pense qu'il ira à Paris en qualité de second plénipotentiaire napolitain. Il paraît que la réunion du Congrès est fixée au 20 janvier. Le Chevalier Boncompagni est depuis deux jours à Florence où on lui a fait une magnifique réception. Le Ministère ici est de toutes parts attaqué et ne doit la prolongation de son existence qu'à la longanimité de M. de Cavour qui veut bien encore le laisser vivre. [2501 Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 22 décembre 1859 Dépêche N° 935/170, particulière Les journaux étaient, en général, bien informés quand ils prétendaient que la réunion du Congrès venait de subir un nouvel ajournement. Les raisons en étaient que l'Angleterre prétextait l'ouverture du Parlement qui ne pouvait avoir lieu sans la présence de Lord Palmerston, son Président. La Russie, de son côté, prétendait que Gortschakoff s'abstiendrait d'y assister si Lord Palmerston n'en faisait pas partie, parce qu'en général, disait-elle, dans tous les Congrès, les Ministres des A f f a i r e s Etrangères ont toujours été les premiers plénipotentiaires. La Prusse suivait l'exemple de la Russie, en ne voulant pas envoyer Monsieur de Schleinitz au Congrès — heureusement toutes ces difficultés semblent sur le point d'être aplanies, et le Congrès se réunirait, vers la fin janvier, avec le concours des divers Ministres des Affaires Etrangères. Cet ajournement s'explique par l'ignorance dans laquelle on se trouve, quant au résultat d'un Congrès ; on se demande comment pourrait être résolue une question qui paraît une énigme pour tout le monde et l'on semble craindre que cet ajournement ne soit une fuite pour gagner du temps et décourager l'Autriche, d'une part, en lassant les populations italiennes de l'autre. En effet, l'Autriche pourrait voir, à la fin, l'impossibilité de continuer son système et devrait, à cause de toutes ces temporisations, se décider à faire de larges concessions. Elle se trouve dans une position pitoyable, politiquement et financièrement parlant, et bien découragée de l'imminence d'une révolution, non sanglante peut-être, mais radicale dans sa forme de Gouvernement et dans son administration aristocratique autant que routinière ; révolution, d'ailleurs, qui seule sauverait, peut-être, l'Empire.
- 272 Une preuve flagrante de l'état de démoralisation dans laquelle se trouve plongé l'Empire des Habsbourg, c'est l'absence prolongée et volontaire de l'archiduc Maximilien qui ne voyage pas du tout pour la santé de l'archiduchesse sa femme, attendu qu'elle se porte à merveille, mais uniquement pour s'éloigner de l'Empereur son frère, découragé qu'il est de cet état de choses. FrançoisJoseph est, d'ailleurs, mal avec toute sa famille ; le bruit en a même couru que la nation autrichienne demandait l'abdication de son souverain en faveur de son fils, sous la Régence de l'archiduc Maximilien et que ce dernier accusé par son frère de tramer contre lui, en poussant la populace dans cette voie, aurait eu une altercation très vive avec lui, à l'issue de laquelle il aurait déclaré, en protestant énergiquement, qu'il s'éloignait de l'Empire sans pouvoir dire quand il reviendrait. La princesse Charlotte, sa femme, à qui l'on conseillait de rester, aurait répondu qu'elle préférait vivre dans une chaumière et que, par conséquent elle suivrait son mari. Au surplus, le Congrès se trouverait en présence de difficultés suivantes : 1°. D'abord, les engagements de l'Empereur Napoléon, pris à Villafranca de maintenir tel et tel point en faveur de l'Autriche ; 2°. L'admission du principe de la non-intervention par la force des armes pour exécuter des décisions du Congrès ; 3°. La déclaration de l'Italie de ne se soumettre que si ces décisions lui sont favorables et conformes aux vœux librement exprimés des populations, et, si elles lui étaient contraires, de répondre par les armes, quoique certaine d'avance de succomber ; 4°. La politique anglaise qui ne tend qu'à une chose : l'agrandissement de l'Italie, pour séparer la France de l'Autriche par un Royaume fort et puissant qui aurait toutes ses sympathies parce qu'il lui devrait son indépendance. En un mot, on se demande, comment un Congrès pourrait-il se réunir sous de tels auspices et, si mêmes il se réunissait, ce qu'il produirait d'utile et de sérieux ! À moins que ce ne soit, par suite de la lassitude des parties intéressées, une conclusion issue d'une espèce de suffrage universel. Je dis une espèce, car certaines Puissances n'admettraient jamais le principe d'un suffrage universel dans toute l'acception du mot. D'après ce qu'on m'assure, il paraîtrait que l'Empereur Napoléon travaillerait par tous les moyens possibles à faire abandonner par les Italiens l'idée d'élections, préférant, comme moyen terme, la formation de l'Italie Centrale en un Royaume séparé à la tête duquel on mettrait le Duc de Gênes, neveu de Victor-Emmanuel. L'entente entre la Russie et l'Autriche n'est pas, quoiqu'on en ait dit, un fait accompli, et, malgré les politesses échangées entre celle-ci et la Prusse, une certaine froideur existe toujours entre elles ; il n'y est pas de même entre la Russie et la Prusse qui s'accordent parfaitement avec l'Angleterre, et cela, à cause, très probablement, de la grande entente qui règne entre la France et l'Autriche depuis la paix de Villafranca.
- 273 Depuis l'arrivée de M. de Lesseps à Conslantinople, j'ai entendu approuver hautement, dans quelques salons Diplomatiques, le système adopté par Votre Excellence de laisser à l'Europe le soin de s'entendre, au préalable, avant de prendre une décision quelconque, au sujet de l'isthme de Suez ; de cette manière le Gouvernement de S.M. Impériale s'est mis à couvert de toutes complications qui pourraient survenir. Ou le territoire appartient à la Sublime Porte, disent les amis de la Turquie, et alors qu'on lui laisse la latitude de faire ce qu'elle entend chez elle, ou les Puissances ne s'émeuvent de cette affaire que dans un intérêt Européen, dans ce cas, que l'Europe s'entende, avant tout, pour l'intérêt de l'équilibre européen et non en cherchant, d'une part, à séparer l'Egypte de la Turquie par un boulevard fortifié, tandis que, d'autre part, on en ferait une question politique de toute commerciale qu'elle devait être ! Que Votre Excellence, disent toujours les amis de la Turquie, développe cette thèse davantage en adressant un mémorandum à l'Europe et en citant l'exemple de l'Italie à laquelle on ne dit pas : que vos Ducs se débrouillent entre eux et l'Autriche, nous ne voulons pas et ne devons pas nous en mêler, mais au contraire, toute l'Europe intervient et cherche à s'entendre dans un but d'équilibre européen. Le Bosphore lui-même n'est-il pas un exemple à donner puisqu'il appartient à la Turquie et que, sans une entente préalable, l'Angleterre, par exemple, ne pourrait y pénétrer sans que cette même faveur ne soit accordée à toutes les autres Puissances ! Je ne doute pas que Votre Excellence appréciera à leur juste valeur ces conseils des vrais amis de la Turquie et qu'elle n'y verra de ma part, dans le rapport que je lui en fait, que le désir de lui être agréable en même temps qu'utile à mon pays. [25l| Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples,le 19 décembre 1859 Dépêche N° 318, confidentielle À la veille de la réunion du Congrès, il est, j e crois, de quelque intérêt de connaître les dispositions qu'y apportent quelques-unes des Puissances appelées part à prendre à ses délibérations. Naples et Rome ont dès l'abord manifesté une extrême répugnance à s'y faire représenter ; il a fallu pour les y décider de longs pourparlers, et aujourd'hui que les deux Gouvernements ont enfin cédé aux sollicitations des Puissances amies, leur inquiétude sur l'issue de cette réunion est bien loin d'être calmée. Je ne puis mieux faire pour le démontrer, que de rapporter fidèlement la conversation que j'ai eue à ce sujet avec Monsieur de Carafa et avec le Nonce apostolique.
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Après avoir annoncé que le Roi avait désigné le Marquis d'Antonini pour premier, et M. de Canofari, son Chargé d'Affaires à Turin, pour second plénipotentiaire, Monsieur de Carafa me parla des difficultés qui au dernier moment encore avait failli compromettre la réunion du Congrès. L'Angleterre, non contente de voir admettre par toutes les Grandes Puissances le principe de la non-intervention, avaient aussi voulu obtenir l'assurance que les vœux des populations seraient respectés et exigé à cet égard une promesse préalable formelle. Ce n'est que par de grands efforts que l'Empereur Napoléon parvint à la faire renoncer à ces prétentions, et obtenir qu'au lieu de faire de ce point une question préliminaire elle consentit à le renvoyer à la discussion, où ses plénipotentiaires auraient toute faculté de le défendre. Pour atteindre ce but, l'Empereur avait dû faire à son allié de larges concessions sur l'organisation future de l'Italie Centrale, et c'est Lord Cowley qui réussit à faire accepter cet arrangement. Les relations entre la France et l'Autriche se sont considérablement refroidies dans ces derniers temps : la lettre de Napoléon 111 au Roi Victor-Emmanuel, la pro Régence de M . Boncompagni reconnue en dépit des protestations du Cabinet de Vienne, et les dernières concessions faites à l'Angleterre ont froissé personnellement l'Empereur d'Autriche qui, après la paix de Zurich, se croyait au terme extrême de ses concessions. M. de Carafa craint bien que d'autres mécomptes ne lui soient encore réservés. Il croit que la formation d'un Royaume de l'Italie Centrale pourrait bien être arrêtée entre la France et l'Angleterre, et ne trouve qu'une faible résistance de la part de la Prusse et de la Russie. L'Autriche pourrait bien être amenée à des concessions importantes à l'égard de la Vénétie, qui d'ailleurs lui échappera tôt ou tard si des circonstances imprévues ne lui permettent de recouvrir de nouveau à la décision des armes. Il est donc à redouter qu'elle ne subisse autour du tapis vert une défaite non moins désastreuse que sur les champs de bataille. Sans doute, les Etats secondaires, à l'exception du Piémont, se montrent favorables à la restauration des Princes dépossédés, mais leur opposition n'a guère de chance de modifier sensiblement les disposition des Grandes Puissances. Bien que toutes ces questions touchent à nos plus chers intérêts, ajouta M. de Carafa, et que nous aussi nous soyons décidés à soutenir les droits de la légitimité, notre but est surtout de maintenir notre propre indépendance. Nos plénipotentiaires sont chargés de revendiquer pour Naples le principe de nonintervention qu'on invoque en faveur de l'Italie Centrale. Ils tiendront au Congrès le même langage que je fais journellement entendre aux Ministres de France et l'Angleterre : « Nous ne vous demandons, diront-ils, ni appui ni protection. Nous connaissons mieux que vous notre situation et nos intérêts. Seuls, nous avons su nous garantir au milieu du bouleversement général de l'Italie. Voyez vous-même si nous avons quelque chose à envier aux autres États voisins. Les améliorations que vous me demandez, nous les réaliserons quand nous pourrons le faire sans compromettre le maintien de l'ordre public ;
- 275 elles ne doivent en aucun cas paraître imposées par la volonté d'une puissance étrangère ». La situation de la cour de Rome est encore bien plus difficile que celle de Naples, et les hommes d'État les plus éminents du pays l'envisagent avec la plus vive inquiétude. Le Nonce me dit que la cour Pontificale vient d'adresser au Piémont une protestation contre les actes arbitraires exercés par M. Boncompagni dans les Légations. Après toutes les assurances qu'on nous a prodiguées, dit-il, nous voici menacés de voir sortir des délibérations du Congrès la création d'un Royaume de l'Italie Centrale. L'Empereur, s'il le veut, peut éviter cet échec au Saint-Siège, car il est encore maître de la situation, qu'il a d'ailleurs créé tout seul et dont il porte à nos yeux toute la responsabilité. Il nous reste une dernière espérance, c'est qu'au moment suprême, lui qui connaît sa situation et la nôtre, il cédera peut-être à une meilleure inspiration. Mais si malheureusement cette espérance venait à être déçue, on verrait naître une lutte terrible et sanglante ; le Saint-Siège, qui a patienté jusqu'au dernier moment, l'accepterait plutôt que de manquer à ses devoirs et de sacrifier les droits imprescriptibles de l'Église. [2521 Dirán Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 29 décembre 1859 Dépêche N° 936/171, particulière Le Comte de Cavour est redevenu l'homme de la situation en Sardaigne. C'est lui qui représentera le Gouvernement de Victor-Emmanuel au Congrès de Paris ; c'est lui que l'on consulte aujourd'hui en toutes circonstances ; c'est lui qui reprendra les rênes du Gouvernement, si ses principes et ses idées triomphent dans les débats qui vont s'ouvrir. Ses espérances ne sont pas, cependant, entièrement réalisées, car il paraîtrait que cette puissance morale qu'il voulait donner à son pays, afin de marcher à la tête ou d'une confédération ou d'une unité italienne, est devenue un rêve plus matériel un peu plus conforme à l'ambition et au projet d'agrandissement territorial de son souverain. Voilà comment, sous des apparences désintéressées et au nom de la liberté on fait de la conquête ! Mais le succès qu'attend le représentant Piémontais ne sera et ne peut être complet : les Romagnes qu'on veut détacher du Saint-Siège ne seront pas réunies à la Sardaigne ; elles pourront former, soit avec l'adjonction d'autres débris, soit séparément, l'apanage d'un Prince catholique mais jamais de Victor-Emmanuel. Le Saint-Siège, dans cette question, ne peut invoquer ses droits, car il est démontré depuis longtemps, que son influence dans cette province était impuissante. La nécessité où se trouve le Pape d'avoir toujours recours aux armées étrangères pour maintenir la paix dans ses États ont fait sentir la nécessité de restreindre le cercle de son autorité temporelle à l'avantage de son autorité spirituelle. L'opinion publique a été préparée à ce
- 276 dépouillement du Saint-Père et, déjà, une brochure intitulée « Le Pape et le Congrès » a été lancé en Europe comme avant-coureur d'une politique de conciliation et de paix. On l'attribue à la plume d'un publiciste distingué et dont le nom s'attache étroitement en France au nouveau règne. Cette brochure a produit une grande sensation en Allemagne et la presse de l'Europe tout entière l'analyse et la dissèque. S'il est vrai que ces quelques pages sont l'expression de la politique française, il ne resterait plus à Rome, pour plaider sa cause au Congrès, que l'Autriche et les États des Deux-Siciles et l'Espagne. Mais, peut-on croire que Pie IX se laisserait ainsi dépouiller sans mettre en mouvement tout le clergé catholique de la France, et le Gouvernement se croit-il assez fort pour ériger en fait des principes qui soulèveraient contre lui une armée immense, une puissance avec laquelle il doit compter, et que l'on nomme le clergé ! Voilà ce que je ne puis croire, et je sais de bonne source, qu'en Prusse on ne se fait pas non plus d'illusions sur les difficultés que cette idée entraîne à sa suite. En Piémont, la brochure a reçu, comme Votre Excellence comprendra aisément, l'accueil le plus sympathique. Par lettre datée de Saint-Pétersbourg, le Prince Gortschakoff a écrit au Comte de Rechberg pour l'engager à se faire le représentant de l'Autriche au Congrès ; c'était du reste l'intention de ce dernier, mais en outre, le Ministre russe à Vienne a exprimé l'espoir que tous les Ministres des Affaires Etrangères feraient partie du Congrès ; c'était selon lui, une question de dignité des uns vis-à-vis des autres. C'est à cet effet que des démarches ont été faites en Angleterre afin de persuader le Ministre des Affaires Etrangères de la Cour de St. James de se mêler aux autres. L'Angleterre arrivera au Congrès avec l'intention bien arrêtée de défendre le droit de non-intervention armée et l'intention, aussi, de ne rien changer à la forme des Etats de l'Europe qui ne sont pas intéressés dans la question italienne. Les tentatives que pourrait faire la Russie au sujet de sa position vis-à-vis de l'Orient, ne seront du reste pas déjouées par l'Angleterre seule, la France a déjà entamé à ce sujet une polémique dans les feuilles semi-officielles ; cependant les nouvelles qui me sont parvenues de France ne me font pas douter de la possibilité d'un nouveau Gouvernement dans les Principautés. Le Prince Couza, à ce qu'il paraît, n'aurait été placé et maintenu au gré de la France, que pour un temps ; on lui aurait suffisamment fait comprendre qu'un jour viendrait où on devrait disposer de ses États. Le Prince a cherché à gagner des sympathies, mais, malheureusement pour lui, la politique est au-dessus des beaux sentiments ; elle suit les intérêts des plus forts sans s'inquiéter des ravages, des malheurs, des deuils, du sang même dont elle couvre le chemin qu'il a parcouru.
- 277 1253] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 29 décembre 1859 Dépêche N° 656 L'événement le plus important de cette semaine est la publication de la brochure, « Le Pape et le Congrès ». Cet écrit que l'on croit généralement ici représenter les opinions personnelles de l'Empereur Napoléon a eu un grand retentissement en Italie et l'approbation presque unanime qui lui a été donnée par la presse anglaise et d'une grande partie de la presse française a beaucoup contribué à relever le courage et l'espérance des Italiens. L a question romaine est en effet la plus délicate, celle qui faisait pressentir les plus grandes difficultés, et dont la solution dans le sens indiqué par la brochure dont il est ici question faciliterait de beaucoup la tâche du Congrès et l'arrangement des affaires de l'Italie Centrale. Une coïncidence assez remarquable vient de se produire à propos de cette brochure, c'est la publication presque simultanée d'une autre brochure de M. Massimo d'Azeglio, ancien Ministre des Affaires Etrangères en Sardaigne, dans laquelle il arrive, à l'égard de la question romaine, à peu près à la même conclusion, c'est-à-dire à la limitation du pouvoir temporel du pape à la ville de Rome seulement, et à la constitution d'un revenu pour le Pape qui serait formé des contributions que lui paieraient les États catholiques. J'ai l'honneur d'envoyer sous bande à Votre Excellence par le courrier d'aujourd'hui un exemplaire de la brochure de M. d'Azeglio. Votre Excellence y verra que ce publiciste s'y montre fort injuste et peu bienveillant pour la Turquie, et que probablement pour faire preuve d'un esprit avancé de christianisme, il met fort mal à propos sur le tapis la question d'Orient. Ainsi que j'ai eu plus d'une fois occasion de le faire remarquer à Votre Excellence les hommes politiques de la Sardaigne sont généralement assez sujets à de pareilles aberrations à propos de la Turquie, ce qui, sans nous donner de bien sérieuses inquiétudes, doit cependant nous engager à tenir les yeux ouverts sur leurs utopies et surveiller leur projet. L'adresse de la diète suédoise au Roi pour le prier d'agir au Congrès en faveur du droit des Italiens de disposer d'eux-mêmes, adresse qui a amené la déclaration du Ministre des Affaires Etrangères que l'attitude de la Suède au Congrès sera conforme aux principes constitutionnels du Royaume, a également causé en Italie une vive impression et augmenté l'espoir d'une solution favorable aux vœux des populations. La Gazette Officielle a enfin publié la nomination de M. le Comte de Cavour en qualité de premier plénipotentiaire, et de M. le Chevalier Desambrois en celle de second plénipotentiaire au Congrès. M. de Cavour partira vers le 10 janvier et aura avec lui quatre ou cinq employés du Ministère des Affaires Etrangères en qualité de secrétaire et attaché.
- 278 L'audience Royale dans laquelle le Prince de La Tour d'Auvergne doit remettre au Roi ses lettres de rappel, et le Baron de Talleyrand, attendu ici demain, ses lettres de créance en qualité d'envoyé extraordinaire et Ministre plénipotentiaire de France, est fixée pour lundi prochain, de janvier. Le Prince de La Tour partira le surlendemain pour Paris. Nous venons de recevoir une communication du doyen du Corps Diplomatique qui nous annonce que Sa Majesté le Roi recevra séparément, samedi prochain 31 de ce mois, les chefs de missions étrangères en audience particulière à l'occasion du nouvel an. [254] Agop Bffendi à Fuad Pacha Paris, le 30 décembre 1859 Dépêche s.n. J'ai l'honneur d'envoyer à Votre Excellence cinq exemplaires de la brochure intitulée «Le Pape et le Congrès». Je me dispense d'entretenir Votre Excellence de l'immense sensation qu'a produit en France, en Angleterre, en Italie et en Allemagne, cette brochure envisagée comme un document politique et renfermant des vues larges et élevées dont la réalisation amènerait sans nul doute une révolution dans l'ordre moral et religieux. Je me bornerai à dire que cette sensation se prolonge encore, et qu'on est impatient de voir quel accueil le Congrès fera aux idées exprimées dans cet écrit, que l'on attribue généralement à l'auteur de celui qui a pour titre : «L'Empereur Napoléon III et l'Italie». L'impression produite dans les masses chez tous les peuples paraît satisfaisante. On considère les opinions qui y sont représentées comme étant celle de l'époque, et nées des besoins actuels et des tendances que les populations chrétiennes manifestent vers l'émancipation religieuse. Il va sans dire qu'à Rome et à Vienne on pense différemment, et déjà quelques journaux catholiques ont lancé de violentes diatribes contre cette brochure ; le parti fanatique du clergé cherche le moyen de manifester son ressentiment. En résumé, les esprits sont agités, et on attend avec impatience la réunion du Congrès pour leur rendre quelque calme. L'ouverture aura lieu le 5 janvier, à ce qu'on me dit, mais les délibérations ne commencent que le 15, et peut-être le 25.
- 279 [255| Spitzer Effendi à hiiad Pacha Naples, le 2 janvier 1860 Dépêche confidentielle N° 325 Dans la dernière quinzaine, le Roi a plusieurs fois réuni les membres du Cabinet pour arrêter définitivement les instructions de ses représentants au Congrès ; le Marquis d'Antonini, son Ministre à Paris, et le Prince Petrulla, son Ministre à Vienne, assistaient à ces réunions. Le Prince Petrulla avait été chargé par l'Empereur d'Autriche de conseiller au Roi une amnistie complète, et le Marquis d'Antonini l'engageait, d'après recommandation de l'Empereur Napoléon, à adhérer à la confédération italienne. Cette confédération offre, selon l'Empereur, le seul moyen de conserver aux Princes de la Péninsule les limites actuelles de leur territoire ; mais, pour le rendre possible, il faut nécessairement opérer certaines réformes dans l'administration intérieure des États ; se refuser plus longtemps à les accomplir, ce seraient nuire autant à la cause des souverains qu'à celle des populations, et amener fatalement un bouleversement général dont l'Europe repousse d'avance la responsabilité. Les conseils des deux diplomates, appuyés par quelques-uns des membres du Cabinet, finirent par prévaloir, et le Roi, après une longue hésitation, s'arrêta à un projet qui asseyait l'organisation municipale sur des bases plus libérales et appelait des délégués des provinces assiégées avec voix consultative dans le Conseil d'État. Quant à l'amnistie, le Roi déclara qu'en montant sur le trône il l'avait proclamé, et que les portes du Royaume se trouvent ouvertes pour tous les réfugiés qui s'engagent à se soumettre aux lois existantes. Ces mesures arrêtées, le Marquis d'Antonini retourna à Paris pour les porter à la connaissance de l'Empereur et lui déclarer que c'était par déférence pour ses conseils que le Roi s'y était décidé. Mais pendant qu'à Naples on s'occupait d'élaborer une loi sur l'organisation municipale, une dépêche télégraphique datée du 28 annonçait au Baron Brenier que la réunion du Congrès venait d'être différée. D'autres dépêches nous apprirent bientôt que c'était l'apparition de la brochure « Le Pape et le Congrès » qui causait ce nouveau retard, et que les cabinets de Vienne et de Rome avaient déclaré que leur entrée au Congrès devenait impossible si la France se proposait de soutenir les principes émis dans ses publication. En voyant surgir cet incident, le Roi a de nouveau réuni ses Ministres, et, quoique aucune résolution n'ait été adoptée, on craint cependant que Naples ne se décide à prendre le même parti, si la France ne parvient à vaincre les répugnances des deux Cours et à les faire revenir sur leur dernière résolution. Le caractère officiel de la brochure ne fait l'objet d'un doute pour personne. Je crois néanmoins devoir communiquer à Votre Excellence quelques détails que le Nonce apostolique me donne sur cette grave affaire. Le Nonce de Paris s'était rendu à Compiègne, il y a environ trois semaines, pour exposer à
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l'Empereur tous les dangers dont le Saint-Siège est menacé, et le prier une dernière fois de l'aider à sortir de cette fâcheuse situation. Mais loin de lui donner l'assurance qu'il venait chercher, l'Empereur développa devant lui, avec sa lucidité habituelle, les idées que la brochure vient de livrer à la publicité. Justement effrayé, le Nonce adressa son rapport à Rome, et bientôt après il était chargé de remettre à l'Empereur une lettre autographe du Saint-Père. Mais comme l'Empereur, après en avoir pris connaissance, revenait, en y insistant, sur ses premières idées, le Nonce ne craignait pas de lui dire que l'Église était prête à faire face aux dangers qui la menaçaient, et ne désespérait pas de sortir victorieuse de cette nouvelle épreuve. « L'histoire nous apprend, ajouta-t-il que l'Église a toujours grandi par la lutte, mais elle nous montre aussi le sort réservé à qui ose l'attaquer. » L'Empereur ne répondit rien, mais il paraissait vivement ému. Au sortir de l'audience, le Nonce se rendit auprès de M. Troplong, Président du Sénat, et du Comte Walewski. Les deux personnages cherchèrent à le rassurer sur les bonnes intentions de l'Empereur, et lui répétèrent qu'il était toujours décidé à défendre les droits du Saint-Siège. Mais le Nonce qui sait de longue date que le Comte Walewski est chargé par système d'atténuer le ton parfois trop tranchant des discours de son maître, se retira avec la conviction que les paroles de l'Empereur rendaient bien sa véritable pensée. Il comprit qu'un accord s'était établi entre la France, l'Angleterre et la Sardaigne, et que si ces Puissances renonçaient à leur projet d'annexion, ce n'était que pour y substituer la création d'un Royaume de l'Italie Centrale, élevée sur les débris de la puissance temporelle du Pape. Les hommes d'États Romains envisagent la situation sous les plus sombres couleurs : les relations toutes spéciales que le Gouvernement Pontifical entretient dans tous les pays, lui permettent d'être parfaitement renseigné, et c'est là ce qui donne une grande valeur aux opinions de ses agents, c'est ce qui m'engage à rapporter dans toute son étendue la conversation que j'ai eue avec le Nonce. L'Empereur n'est plus maître de la situation. A la journée mémorable de Villafranca, il avait reconnu le danger de sa position et tentait un violent effort pour se dégager des embarras que lui créait de compromettantes amitiés. Les intentions qu'il manifesta alors, étaient sincères, mais déjà la révolution était plus forte que lui, et elle a su déjouer toutes ses tentatives pour rompre les liens qui le rattachaient à elle. C'est le Comte Cavour qui imprime de nouveau sa direction à la marche des événements, et l'Empereur, entraîné par la force du courant ne suit que malgré lui une politique qui l'entraîne à une ruine certaine. Dans son maintien se révèlent assez les émotions qui l'agitent. Lui, d'ordinaire froid et réservé, semble maintenant inquiet, et montre parfois dans ses discours une grande irritation. C'est, ajouta le Nonce, que la révolution n'entend plus ni ses conseils ni ses menaces ; c'est que tous ses efforts pour la maîtriser sont devenus inutiles, et qu'elle ne s'arrêtera que lorsqu'elle aura dit son dernier mot, c'est-à-dire, proclamé la République. Quant aux souverains
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qu'elle porte aux nues aujourd'hui, ils partageront bientôt le sort de ceux qu'elle a déjà précipité de leurs trônes. Pour caractériser l'état des esprits à Rome, il suffira d'ajouter que dans le haut clergé commence à se former un parti qui voudrait que le Pape profita de l'agitation de l'Italie pour se mettre à la tête du mouvement et l'exploiter dans l'intérêt de l'Église. Si de semblables conseils n'ont guère de chance de triompher des dispositions pacifiques et conciliantes de Pie IX, ils n'en montrent pas moins à quelles extrémités l'exaspération pourrait entraîner des hommes décidés à sauver à tout prix le pouvoir temporel du Pape. Telles sont en substance les idées que le Nonce m ' a exposées. Tout en faisant dans ses paroles la part de la passion, je les ai trouvées trop significatives pour ne pas les rapporter aussi fidèlement que possible. M. de Kokoschkine, Ministre de Russie à Naples, me communique une lettre de Londres, où on lui fait entrevoir dans un proche avenir de sérieuses complications. On doute de la durée du Cabinet actuel, et l'on croit au retour prochain d'un Ministère Tory, dont Lord Derby et Lord Radcliffe feraient partie. L'alliance Anglo-française ne gagnerait certes pas à ce changement. En transmettant à Sori Excellence ces diverses nouvelles, je ne me flatte pas de suppléer aux renseignements directs que le Gouvernement Impérial reçoit de Paris et de Londres. Mais dans les graves conjectures du moment j e craindrais de manquer à mon devoir, si je négligeais aucune source d'information et si j e ne faisais connaître au Ministère Impérial tout ce qui peut, d'une manière ou d'une autre, jeter quelque lumière sur les obscurités de l'avenir. [2561 Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 5 janvier 1860 Dépêche N° 335, confidentielle Les oscillations de la politique actuelle sont si brusques et si imprévue qu'il faut une extrême réserve pour ne pas s'égarer du jour au lendemain ni donner une fausse interprétation aux faits les mieux constatés. C'est pour cette raison que j'ai pour règle de passer sous silence les mille bruits qui me parviennent et de n'entretenir son Excellence que des renseignements que je tiens de source officielle. Voici, Excellence, en peu de mots ce que Monsieur de Carafa m'a communiqué sur la situation présente : la lettre autographe du Pape remise dernièrement par Monseigneur Sacconi, et dont j'ai parlé dans ma dernière dépêche, était sévère dans son argumentation et presque menaçante ; le Saint-Père y arrivait à cette conclusion que, lié par son serment de conserver intact le patrimoine de l'Église, il se voyait tenu de repousser les concessions qu'on lui demandait. Dans sa réponse l'Empereur insista sur les témoignages d'affection qu'en tant d'occasion il avait donnée au Saint-Siège, et quoique jusqu'ici sa voix n'eut
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guère été écoutée, ¡1 voulait, en fils dévoué de l'Église, la faire entendre une fois encore et exposer franchement sa véritable pensée. Lorsqu'il y a quatre mois il demandait au Pape les réformes les plus urgentes et notamment la séparation administrative de la Romagne, il savait bien que c'était le seul moyen de conserver au Saint-Siège le reste de ses possessions et d'arriver parlà à une transaction avec celles des puissances qui voulaient des concessions encore plus absolues. Depuis cette époque la force des adversaires de l'Église s'est malheureusement accrue par le refus obstiné qu'on n'a sans cesse opposé à ses demandes, et désormais l'abandon complet des Légations lui paraît le seul moyen d'éviter la perte des provinces encore fidèles. La réponse du Pape qui n'est parti pour Paris que le 12, est bref mais péremptoire. Le Pape repousse nettement les dernières propositions de l'Empereur. Les domaines de l'Église ne sont, dit-il, entre ses mains qu'un simple fideicommis dont il n'a que la jouissance et dont ni lui ni personne ne peut disposer. Il maintiendra son droit jusqu'au bout, et ne cédera que devant la force. Cependant, ajouta Monsieur de Carafa, pendant que cette aigre correspondance s'échange entre les deux souverains, les choses ont pris en France un tournant fort grave. Le remplacement du Comte Walewski signale une phase toute nouvelle de la politique impériale. On abandonne la voie de la modération, et on est prêt à prendre les mesures les plus radicales. Deux projets sont maintenant en discussion. D'après l'un, on amènerait l'Autriche à céder la Vénétie à la Toscane, et on formerait ainsi, avec les Duchés et les Légations, un royaume de l'Italie centrale, dont le congrès désignerait le souverain, en tenant compte des vœux des populations. Dans le cas où l'Autriche ne se résignerait pas à se sacrifier, le second plan propose l'annexion complété des Légations et des Duchés au Piémont ; dans cette combinaison la France s'entendrait facilement avec l'Angleterre pour obtenir du Piémont la cession de la Savoie ; mais elle demande également Nice, et le gouvernement Anglais ne se décidera pas volontiers à lui laisser acquérir vis-à-vis de Gênes un port qui augmenterait notamment sa puissance dans la Méditerranée. Je tiens d'ailleurs d'une autre source que le Cabinet Anglais est disposé à profiter de cette circonstance pour réaliser ses anciens projets sur la Sicile. Les allées et venues de Lord Cowley et de Persigny aurait pour objet d'établir à cet égard l'accord entre les deux puissances. Nous sommes donc menacés, m'avoua Monsieur de Carafa, de voir, si l'un de ces projets l'emporte, un pouvoir révolutionnaire s'établir sur nos frontières et de voir tomber avec la puissance du Pape un de nos plus solides boulevards. Nous ne nous faisons pas d'illusions sur les dangers de cette situation ; mais convaincus que tout changement de politique serait sans effet vis-à-vis d'un parti qui se sent appuyé par la France l'Angleterre, nous attendons les événements. Regardez donc comme non avenus tous les bruits de constitution et d'amnistie qui circulent par la ville. Tout ce qu'il y a de vrai, c'est qu'une centaine d'émigrés ont dernièrement profité de la faculté qui leur appartenait depuis longtemps de rentrer dans le royaume en faisant acte de soumission.
- 283 Le jour viendra, nous l'espérons, où le parti de l'ordre et de la légitimité se lèvera pour combattre ces tendances subversives ; mais actuellement, rien ne nous fait prévoir de ce côté une action vigoureuse. La Russie et la Prusse élève sans doute la voie, mais bien faiblement, en faveur du principe ; mais il faudra que d'autres événements s'accomplissent encore pour les décider à appuyer leurs paroles par des actes. La Russie surtout, qui n'a aucun intérêt direct à défendre en Italie, semble vouloir profiter des complications actuelles pour se venger de l'Autriche, et elle consentirait peut-être à toutes les concessions que lui demande la France et l'Angleterre pour obtenir la révision des onéreuses conditions que lui a faites la paix de Paris. En communiquant à Son Excellence cette conversation, qu'il me soit permis d'y joindre mes propres impressions. Tout me fait craindre un triste dénouement, si le gouvernement, fidèle à sa politique de rompre plutôt que de plier, ne se décide pas, quand il en est temps encore, à faire d'indispensables concessions. L'explosion sera d'autant plus violente que la compression a été plus longue. Il ne faut pas s'y méprendre, les mouvements partiels qu'on signale tantôt dans une province, tantôt dans l'autre, et dont l'autorité a facilement raison, sont les précurseurs d'un grand mouvement général, qui n'attend que le mot d'ordre pour éclater. Cette semaine encore on a découvert à Palerme une conjuration, et de nombreuses arrestations ont eu lieu. Après une longue hésitation le gouvernement napolitain s'est décidé à ne pas se joindre à l'Autriche et au Pape pour protester contre la brochure. Il est donc toujours prêt à se faire représenter au congrès, mais comme rien ne fait présager sa prochaine réunion, M. de Canofari, qui était venu de Turin pour recevoir ses instructions, retourne provisoirement à son poste. Le Prince Alfred d'Angleterre a passé quelques jours à Palerme, et deux jours seulement à Naples. [257] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 5 janvier 1860 Dépêche particulière N° 940/175 M. le Comte de Rechberg a écrit à Paris pour demander des explications au Gouvernement Français au sujet de la brochure « Le Pape et le Congrès » qui vient de paraître et qui a été lu avec émotion par l'Europe entière. La réponse du Prince de Metternich n'était pas encore parvenue à Vienne, mais je sais de bonne source que le Gouvernement autrichien est très décidé à ne pas envoyer son plénipotentiaire au Congrès qui ne reconnaîtrait pas les droits du Pape et qui serait appelé à bouleverser la carte de l'Italie. Le Gouvernement est poussé dans cette conduite par l'opinion publique qui se réveille et s'agite ; de nombreuses listes couvertes de signature circulent dans les églises ; on lui parle des pouvoirs méconnus du Pape. Le clergé a une très grande influence
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dans les États de François-Joseph et le catholicisme y a planté de profondes racines. J'ai du reste fait pressentir dans mes dernières dépêches que cette brochure serait combattue par le clergé. Déjà en France on n'avait pas attendu que l'Empereur fit un discours pour s'émouvoir d'un pamphlet qui amoindrissait la puissance temporelle du Pape. Le discours Impérial était d'ailleurs dépourvu de portée politique : en effet, après l'avoir lu on se demande quelle est sa signification propre et ce que Napoléon a voulu faire entendre en parlant de son respect pour les droits reconnus. Quels sont ces droits ? Sont-ce des peuples, ou des souverains ? Ceux du Pape ou des Romagnols ? C'est là une manière habile de ne rien dire, mais l'Europe ne s'y est pas laissée prendre. La méfiance grandissant avec l'obscurité on n'en est arrivé à se séparer pour ne pas se heurter en se réunissant et, pour le moment, le Congrès est ajourné. Les nouvelles qui m'arrivent à l'instant me confirment dans la pensée que le Congrès est indéfiniment ajourné. On attend un courrier de Rome mais on savait d'avance à Paris qu'il apporterait un refus. La nomination de M. Thouvenel aux Affaires Etrangères semble accréditer le bruit que la France entre dans une politique nouvelle. Il paraît que le Gouvernement Français tient beaucoup au percement de l'isthme de Suez et n'a autorisé la publication de la brochure « Le Pape et le Congrès » que pour faire une concession à l'Angleterre. |258] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 5 janvier 1860 Dépêche N° 668 Ainsi qu'il est ici d'usage chaque année, Sa Majesté le Roi de Sardaigne a admis, le 31 décembre dernier, en audience particulière tous les chefs des légations étrangères pour recevoir leurs félicitations à l'occasion du nouvel an. Sa Majesté s'est informée de la santé de Sa Majesté Impériale notre Auguste souverain et m'a chargé de lui faire parvenir ses vœux et ses félicitations. Je me suis empressé de remercier Sa Majesté et de lui offrir les félicitations de Sa Majesté Impériale et de son Gouvernement ; d'exprimer le vœu que la nouvelle année qui allait commencer lui serait heureuse, amènerait la consolidation de la paix et consacrerait les résultats obtenus dans l'année qui allait expirer. En réponse, le Roi me dit que les apparences étaient loin d'être pacifiques, que le projet de Congrès éprouvait de graves difficultés, que sa réunion semblait remise indéfiniment et qu'il était même probable qu'elle ne pourrait avoir lieu ; que quant à Lui II était préparé à toutes les éventualités et même à recommencer la lutte. Après une assez longue conversation qui roula principalement sur la santé de Sa Majesté qui se plaignait que les travaux sédentaires que lui imposent les circonstances actuelles ne lui permettent pas de s'absenter de la ville et d'aller à la campagne et à la chasse autant qu'il le
- 285 désirait, ce qui réagit d'une manière fâcheuse sur l'état de sa santé. Je pris congé de Sa Majesté en lui renouvelant mes vœux pour la nouvelle année. J'ai cru cette conversation assez intéressante pour en donner immédiatement avis à Votre Excellence par dépêche télégraphique chiffrée en date du premier. Il paraît du reste que je ne suis pas le seul représentant étranger auquel le Roi est parlé ainsi et que à quelques-uns de mes collègues il aurait même tenu un langage encore plus belliqueux. Il paraît aussi qu'il a tenu des discours dans le même sens aux Corps constitués de l'État qui, le 1 er janvier, ont été lui offrir leurs félicitations. Les journaux les ont reproduits presque tous d'une manière différente. Quelques-uns ont même prétendu que Sa Majesté aurait dit que cette année commençait sous un horizon politique encore plus orageux et incertain que celui sur lequel avait commencé l'année qui vient de finir, mais qu'à l'aide de la confiance dont les peuples de l'Italie lui avaient donné tant de marques, et des qualités dont ses peuples avaient fait preuve II espérait de triompher de toutes les difficultés et de toutes les épreuves auxquelles il pourrait encore être soumis. La gazette officielle a taxé d'inexactitudes et d'exagération cette version des paroles du Roi, mais malgré cette assertion le public persiste à croire sinon à l'exactitude du texte, au moins à celle de l'esprit du sens des paroles prononcées à cette occasion par Sa Majesté. |259] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 5 janvier 1860 Dépêche N° 669 La semaine qui vient de s'écouler a augmenté les complications déjà si sérieuses de l'Europe occidentale. La réunion du Congrès est définitivement ajournée, et paraît soulever de graves difficultés rien encore ne fait prévoir la solution. La brochure « Le Pape et le Congrès », récemment publié à Paris, que l'on attribue à M . de la Guéronnière, mais dont on assure que l'Empereur aurait inspiré les idées et même revu les épreuves, paraît avoir été le motif ou tout au moins le prétexte de ces nouvelles difficultés ; l'on assure ici que l'Autriche, Rome et la Russie auraient demandé au Gouvernement Français des explications sur cette publication, et auraient exprimé la décision de n'envoyer des représentants au Congrès qu'après avoir obtenu des explications et des assurances satisfaisantes. La nomination de M. le Comte de Cavour comme représentant sarde au Congrès est de plus en plus appréciée en Italie. Sa rentrée aux affaires prouve, prétend-on, que les vues de l'Empereur se sont modifiées et sont devenues plus favorables à l'Italie et plus conformes à celles de M. de Cavour et du Cabinet Piémontais sur cette question. Le départ de M. de Cavour pour Paris été fixé, d'après ce que lui-même avait dit, pour le 10 ou le 12 de ce mois. J'ignore si les circonstances actuelles ne lui feront différer, mais je serais enclin à penser que non.
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Les élections générales doivent bientôt avoir lieu dans tout le Royaume et plusieurs clubs électoraux se sont formés à Turin dans le but de diriger les élections municipales et celles de la Chambre des Députés dans le sens de leurs propres idées et principes. Parmi ces clubs un surtout fondé sous le nom de "Nazione Armata" (nation armée) composé de tous les plus fougueux démocrates sous la présidence de Garibaldi, était le plus violent. À l'occasion d'un banquet que les membres du club lui ont donné le 1 e r janvier pour inaugurer la prise de possession de la présidence, Garibaldi, du haut d'un balcon, a fait un discours au peuple réuni dans la rue. Ce discours, ainsi que les articles publiés par le journal fondé par cette société sous la dénomination de l'Etendard, proclamaient les principes les plus subversifs et les plus démocrates. On assurait que certains membres du Cabinet actuel et surtout M. Ratazzi, Ministre de l'Intérieur, étaient en relation avec ce club dont ils partageaient les principes. Néanmoins et malgré l'appui que ces membres du Ministère passaient pour lui accorder, ce club vient d'être dissous par ordre du Gouvernement, provoqué, assure-t-on, par des représentations de la nature la plus énergique du Gouvernement Français. Le mécontentement que j'ai déjà eu l'occasion de signaler à Votre Excellence contre le Ministère actuel va toujours en augmentant ; il est surtout sensible dans les classes élevées et intelligentes de la société ; il se manifeste presque ouvertement en Lombardie où l'on assure qu'une opposition assez influente tend à se former contre ce Ministère et ses actes. Cette opposition se manifeste également dans quelques-unes des anciennes provinces du Royaume et notamment dans l'île de Sardaigne qui a toujours été renommée par son attachement et sa fidélité à la maison régnante de Savoie. Le Marquis de Villamarina, ex-Ministre de Sardaigne à Paris, qui avait été nommé gouverneur de Milan, et qui avait accepté, vient de refuser cette charge. Il est assez remarquable que les personnages les plus marquants du Piémont auquel ces hautes fonctions ont été offertes, les ont successivement refusés. Le Marquis Alfieri, le Chevalier Massimo d'Azeglio, le Marquis de Rora avaient déjà refusé et actuellement il faut leur adjoindre le Marquis de Villamarina. Le Gouvernement vient de nommer le comte Gallina, sénateur, qui paraît avoir accepté. [260] Agop Effendi à Fuad Pacha Paris, le 6 janvier 1860 Dépêche s.n. La réponse de l'Empereur au discours du Nonce du Pape, le premier jour de l'an, n'a été ni rassurante ni alarmante cette fois. On y avait attaché à l'avance une très grande importance, eu égard aux circonstances présentes ; la publication de la brochure dont j'ai envoyé à Votre Excellence quelques
- 287 exemplaires la semaine dernière, les graves questions qu'on y avait soulevées, avaient déjà excité à un haut degré l'intérêt du public. L'attente a été déçue. Toutefois, on a voulu démêler dans cette réponse la pensée intime de l'Empereur, et on a entrepris de la soumettre à une minutieuse analyse. Mais les recherches les plus profondes n'ont pu dissiper l'obscurité désespérante qui l'enveloppe. Les journaux n'ont pas été plus heureux que le public, sous ce rapport, et ils se bornent à publier cette réponse et à reproduire le compterendu du Moniteur. Deux choses encore préoccupent vivement l'opinion publique. Ce sont d'abord les dispositions du clergé catholique, qui témoignent assez son mécontentement de la position qu'on veut faire au Pape en Italie ; aussi cherche-t-il, quoique indirectement, à émouvoir le peuple. C'est ensuite l'ajournement du Congrès attendu si impatiemment. On en avait annoncé l'ouverture d'abord pour le 5 courant, puis pour le 15, et enfin pour le 20 ; et maintenant on la remet au mois de février. Il faut reconnaître cependant que rien n'est désespéré encore ; les négociations continuent entre les cabinets de l'Europe, et on espère que l'entente établie si heureusement entre la France et l'Angleterre sur la question d'Italie, et l'adhésion de la Russie au projet de cette entente rendront possible la réunion du Congrès et produiront d'heureux résultats. Voilà deux faits assez caractéristiques pour la question italienne. Les remaniements qu'on croit être imminents dans le Ministère français, et le remplacement de M. le Comte Walewski par M. Thouvenel, qu'on désignait pour l'Ambassade à Rome, comme j'ai eu l'honneur d'en entretenir Votre Excellence dans ma lettre du 2 décembre dernier, tout cela a sa source, ainsi que bien d'autres choses encore, dans cette grande question d'Italie. On dit que M. le Comte Walewski sera nommé Ministre d'État en remplacement de M. Fould, qui passera aux Finances. Mais ce changement est encore à l'état de projet, et ne prendra un caractère de réalité que lorsque M. Fould consentira à quitter sa position, à laquelle il tient. Tels sont les faits qui tiennent en ce moment Paris en suspens. Avant de terminer ma lettre, je crois devoir annoncer à Votre Excellence la prochaine publication d'une nouvelle brochure émanée, dit-on, de l'Empereur d'Autriche, en réponse à celle intitulée «Le Pape et le Congrès», attribuée unanimement à Napoléon III. La question qui sera montrée sous un nouveau jour, ce qui ne pourra que compliquer la situation, et en rendre la solution plus difficile.
|261| Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 10 janvier 1860 Dépêche confidentielle N° 946/1 La situation est si embrouillée, si complexe, si difficile que l'Empereur Napoléon a déclaré se trouver dans une impasse d'où une main amie seule pouvait le retirer. Il a fait depuis quelques jours tous ses efforts pour entraîner
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l'Angleterre dans une alliance offensive afin de brusquer les événements plutôt que de les attendre. La question romaine gène évidemment les projets du monarque français et, dut-il enfin employer la force pour sortir de ce mauvais pas, il s'en servira, croit-on. Du reste, d'après les nouvelles que je reçois d'Italie, on y était très décidé à ne tenir aucun compte des décisions du Congrès, si celles-ci prenaient un caractère peu en rapport avec les désirs des populations affranchies. Si l'on attend, le Pape criera au vol ; le clergé s'armera de mandements ; le calme cessera, la guerre civile éclatera ; l'Autriche mécontente de ce bouleversement général n'aura pas la force de maintenir ses populations catholiques et ses sujets dans une certaine partie de l'Empire où les aspirations à la liberté peuvent prendre une tournure dangereuse : à tout prendre, il vaut donc mieux, au point de vue de la tranquillité et de la paix, ainsi que de la morale publique, que l'on fasse une fin à cet état de choses. Des divisions dans le Cabinet Anglais empêchent le dénouement de se produire mais l'on peut s'attendre à une prompte solution soit par la menace soit par la voie des armes. Depuis le brusque revirement de la politique de Napoléon III tout Paris est très inquiet : on vit au jour le jour ; les événements se succèdent et ne se ressemblent pas : c'est ce qui explique la divergence d'impression qui se remarque partout et que je ne puis éviter dans mes rapports. Le discours que l'archevêque de Paris a adressé au clergé le 1 e r janvier a contribué à émouvoir tout le monde ; il y était dit : « prions le ciel pour que S.M. l'Empereur reste catholique ». Le Roi de Naples a chargé le Marquis Antonini, son représentant à Paris, de déclarer verbalement à Napoléon III qu'il lui était très dévoué et prêt à tout sacrifier pour lui : même sa vie. « Ho! Ho! aurait répondu l'Empereur, je ne demande pas autant ! » La position de l'Autriche devient de plus en plus critique ; les populations catholiques sont poussées par le clergé et font des manifestations en faveur du Pape et contre la brochure « Le Pape et le Congrès ». La Hongrie entière se remue et fait appel à ses anciens chefs ! 1262] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 12 janvier 1860 Dépêche N° 674 L'on vient de connaître ici, par télégraphe, une lettre adressée le 31 décembre dernier par l'Empereur Napoléon au Pape. Le contenu de cette lettre dans laquelle l'Empereur recommande au Pape de faire les sacrifices des provinces soulevées sous condition de la garantie des Puissances pour le reste de ses États et constate une fois de plus l'impossibilité de recourir à la force pour les soumettre, a fait assez grande sensation en Italie, et a ranimé le courage et les espérances des populations. Le remplacement au Ministère des Affaires
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Etrangères français du Comte Walewski, qui était reconnu comme le chef, dans le Cabinet de Paris, du parti favorable à la restauration des souverains dépossédés, par Monsieur de Thouvenel qui passe pour être dans des principes tout à fait opposes, entièrement contraire à l'Autriche, et très favorable aux vœux des populations italiennes, a énormément contribué à surexciter les esprits que la brochure « Le Pape et le Congrès » avait déjà considérablement animés. Aussi une bonne partie de la presse italienne travaille avec ardeur à pousser le Gouvernement à l'annexion immédiate au Piémont des États de l'Italie Centrale, et un fort parti de la population approuve et soutient ce projet en faveur duquel on fait valoir maintes considérations, parmi lesquels le danger, en présence de l'ajournement indéfini du Congrès, du maintien de l'état provisoire actuel et la nécessité de donner à l'Italie un Gouvernement fort et populaire qui puisse comprimer les mauvaises passions et empêcher tout désordre de se produire, viennent en première ligne. Le mécontentement continue à augmenter soit en Lombardie, soit en Piémont et même en Sardaigne contre le Ministère actuel auquel on reproche entre autres choses l'illégalité de faire durer beaucoup trop longtemps les pleins pouvoirs accordés au Roi pour la guerre seulement, la promulgation, en vertu des pleins pouvoirs, d'une foule de lois et de règlements organiques qui auraient dû, dit-on, être exclusivement du ressort du Parlement, la procrastination de la réunion des Chambres. Le mécontentement est tel qu'il a amené ces jours derniers une grave crise ministérielle, dans laquelle on assure que le Roi, pour des considérations tout à fait personnelles, a vivement soutenu le Ministre de l'Intérieur, M . Ratazzi, chef du parti gauche le plus avancé. Les Ministres du parti modéré, M . Dabormida, Ministre des Affaires Etrangères, Délia Marmora, Ministre de la Guerre et Marine, M. Oytana, Ministre des Finances, et M. Monticelli, Ministre des travaux publics, ont été, assure-t-on, sur le point de se retirer, et quoique la difficulté de former un autre Ministère en conservant M . Ratazzi et l'intervention d'amis communs aient réussi à amener une réconciliation apparente qui maintient le Ministère actuel tel quel, on ne saurait se dissimuler que son existence est des plus précaires et qu'aussitôt la réunion des Chambres, qui cependant n'aura guère lieu avant le mois de mars ou d'avril et dont on peut déjà prévoir que les débats seront des plus orageux, il devra succomber, à moins que la mesure qu'il a prise de nommer dans les diverses provinces des gouverneurs dans le but évident d'influencer les élections dans un sens à lui favorable, ne parvienne à lui donner une majorité assez forte pour le soutenir ; ce qui cependant, à en juger par la disposition de l'opinion publique, n'est guère probable. Il est à prévoir que pour attendre les événements qui pourraient ramener l'opinion en sa faveur et pour donner le temps aux gouverneurs de pouvoir exercer une influence et même une certaine pression sur les élections, le Ministère remettra autant qu'il pourra la convocation du Parlement. Le nouveau Ministre de France M . le Baron de Talleyrand est arrivé hier, mais n'ayant pas encore été reçu par le Roi il n'a pu faire ses visites officielles.
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Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 15 janvier 1860 Dépêche N° 268 Désirant pouvoir me procurer l'honneur de transmettre à Votre Excellence quelques informations précises sur le Congrès, je me suis permis de m'adresser à cet effet à M. le Ministre des Affaires Etrangères de Prusse. À l'opinion du Baron de Schleinitz, la convocation en est moins déterminée que jamais ; et les dernières lettres émanées du Cabinet de l'Empereur Napoléon, ne lui paraissent pas de nature à calmer les alarmes des États plus directement intéressés. Son Excellence croit aussi, que ni la France ni l'Autriche n'en sont pas animées d'un grand empressement. D'un autre côté, il me revient que l'Empereur persiste dans sa première décision. À l'appui de cet avis, on cite les termes précis que Sa Majesté emploie à ce sujet dans sa lettre au Pape. Quant au Cabinet de Vienne, il n'y opposerait pas de sérieux obstacles. On croit, en e f f e t , qu'il désire nécessairement le maintien de ses rapports d'entente avec le Gouvernement Français. |264| Fuad Pacha à Rustem Bey Constantinople, le 18 janvier 1860 Dépêche N° 3615 J'ai pris connaissance du rapport que vous m'avez adressé le 29 décembre 1 pour me faire connaître l'effet produit en Italie par la brochure « Le Pape et le Congrès » effet d'autant plus grand qu'on croit généralement comme vous le dites, que cette brochure exprime les opinions personnelles de l'Empereur Napoléon. Je vous sais bon gré, Monsieur, de la brochure publiée par M. Azeglio. J'ai vu comme vous, que l'auteur arrive aux mêmes conclusions que celui de la brochure française. Je regrette cependant que cet écrivain qui a occupé des positions éminentes dans son pays, et qui a eu l'occasion d'étudier dans tous ses détails la question d'Orient, puisse tomber dans des erreurs grossières sur la Turquie.
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- 291 1265| Fuad Pacha à Spitzer Effendi Constantinople, le 18 janvier 1860 Dépêche N° 3621 J'ai reçu et lu avec un vif intérêt votre rapport confidentiel du 2 janvier N° 325 1 , par lequel vous me rendez compte de tout ce qui est arrivé d'important à votre connaissance relativement aux affaires italiennes qui absorbent toute l'attention de l'Europe et dont la solution est réservée au Congrès. Je ne saurais, Monsieur, assez vous remercier des données intéressantes que contient ce rapport, et j'aime à espérer que la sagesse des souverains appelés à améliorer le sort de l'Italie, saura trouver un nouvel élément pour le maintien de la paix du monde, dans une solution satisfaisante et de nature à trancher le nœud gordien de la situation. En vous engageant très particulièrement de continuer à me tenir au courant des appréciations du jour aussi bien que vous l'avez fait jusqu'ici, je saisis etc. etc.
[266] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 19 janvier 1860 Dépêche N° 952/7 L'Europe s'ignore. Depuis huit jours elle ne sait ni ce qu'elle veut, ni ce qu'elle ne veut pas ; ni ce qu'elle espère, ni ce qu'elle craint. Elle vit dans le vague et dans un rêve prolongé dont elle ne sort que pour s'épouvanter ou pour se rassurer alternativement. C'est ainsi que l'Empereur Napoléon aurait déclaré au Pape : « Qu'il ne fallait pas donner d'importance ni d'autres interprétations à sa lettre, attendu que ses sentiments envers lui restent aussi immuables que sa politique, qu'il maintiendra toujours autant qu'il dépendra de lui, l'intégrité temporelle de sa Sainteté et qu'il ne cessera d'être le fils soumis et dévoué du Saint-Père». En même temps, une nouvelle brochure paraissait en France sous le titre de « Napoléon III et le clergé » en réponse à l'agitation religieuse provoquée par les évêques contre la brochure « Le Pape et le Congrès », et on l'attribue généralement à l'auteur de ce dernier opuscule, quoique signé Hippolyte Castille. Je m'abstiendrai de toute réflexion car Votre Excellence lira, sans doute, cette brochure qui se trouve entièrement insérée dans l'Indépendance du 15 janvier et verra l'incohérence qui existe entre ce fait et celui que je mentionnais plus haut. J'ajouterai, en passant, que le Pape est très décidé à souffrir la situation 1
No. 255.
- 292 sans se plaindre. Il est probable que le chef de l'Église, si celle nouvelle est parfaitement fondée, (ce que je ne peux garantir) compte trop sur les populations catholiques de l'Europe. L'alliance offensive que la France voulait former avec l'Angleterre, dans le but de terminer les affaires en Italie, n'a pu obtenir une solution devant le conseil de la Reine. L'Empereur avait pourtant fait des propositions qui devaient flatter la politique de la Grande-Bretagne, car il consentait à augmenter les États de Victor-Emmanuel des Romagnes, tout en servant, il est vrai, ses propres intérêts, c'est-à-dire, en demandant l'annexion de la Savoie à la France. Mais Lord John Russell, fidèle au principe politique qu'il avait mis en avant, lors du commencement de la crise d'Italie, a entraîné le conseil dans un refus. L'Angleterre, du reste, n'avait aucun intérêt à s'exposer au hasard d'une alliance, le temps et les événements devant faire mieux ce qu'elle désire. Ce refus nous a fait entrer dans une nouvelle situation qui me paraît plus en harmonie avec le vœu des autres Grandes Puissances : la Russie qui voyait d'un mauvais œil l'alliance projetée avait fait entendre des murmures et des plaintes à Vienne. Le représentant du tsar, dans cette Capitale, avait exprimé tout haut le mécontentement de son maître et avait ajouté que celui-ci ne pourrait jamais approuver une politique subversive et contraire à la légitimité, c'est-à-dire, opposé au principe fondamental de son Gouvernement. Le Ministre russe devait trouver de l'écho à Vienne, où le mécontentement est général, et où l'on éprouve tous les jours de plus en plus les effets d'une commotion que ressentent à la fois le principe d'autorité en Italie et les droits de la papauté. Un mécontentement général, aussi, a suivi en France, la lettre que l'Empereur a écrite à son Ministre, M. Fould, au sujet du commerce avec l'Angleterre. On s'étonne de voir ce revirement politique car, aujourd'hui, il ne mécontente pas seulement le clergé français, mais encore tout le commerce et principalement l'industrie. D'après tout cela Votre Excellence peut voir que la situation se tend davantage et plusieurs hommes politiques prétendent que Napoléon est fort embarrassé de démêler une trame dont tous les fils sont si embrouillés. Je viens d'apprendre à l'instant qu'on a remarqué à Paris une extrême froideur entre les Cours de Saint-Pétersbourg et de Paris et on attribue aux causes suivantes : 1 0 la politique de la Russie vis-à-vis de l'Orient déjouée par la France ; 2° la mauvaise volonté que met cette dernière puissance à rétablir l'ordre dans l'Italie révoltée ; 3° l'alliance avec l'Angleterre qui voudrait à son tour jouer la Russie en Orient.
- 293 [267] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 19 janvier 1860 Dépêche N° 677 Une communication du Préfet du Palais adressée au doyen du Corps Diplomatique, et transmise par celui-ci à tous ses collègues, nous a informés que dans peu de jours Sa Majesté le Roi se rendra, avec toute la Cour, à Milan et invite le Corps Diplomatique à s'y rendre aussi. Le départ de Sa Majesté, aura, croit-on, lieu du 25 au 30, mais le jour n'en est pas encore fixé, Sa Majesté étant actuellement un peu indisposée. Ainsi que tous mes collègues je suivrai le Roi à Milan et j'y resterai pendant tout le temps de son séjour qui sera probablement d'environ une semaine et pendant lequel on assure que de grandes fêtes auront lieu. [268] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 19 janvier 1860 Dépêche N° 678 Mes précédents rapports signalaient à Votre Excellence le mécontentement général qui existait contre le Ministère sarde et les crises fréquentes que subissait le Cabinet ; crise qui faisait prévoir que, malgré une haute protection, M. Ratazzi pouvait difficilement se maintenir au pouvoir. L'opinion publique se prononçait chaque jour d'une manière de plus en plus énergique surtout en Lombardie ; les organes de la presse de toutes les opinions étaient unanimes dans leur attaque contre le Ministère ; M. le Comte de Cavour jugea alors que le moment était venu d'amener sa chute. Le Ministère anglais ayant exprimé le désir que Monsieur de Cavour se rendit à Londres pour pouvoir concerter avec lui le règlement des affaires de l'Italie, cet homme d'État accepta cette mission mais il mit la condition expresse que les Chambres du Parlement seraient convoquées à une date très rapprochée. M. Ratazzi ne voulait point consentir à cette mesure qui était une condamnation flagrante du système qu'il avait suivi jusqu'à présent, mais la dissension s'étant à ce sujet mise entre lui et ses collègues qui ne voulaient pas accepter la lourde responsabilité que le refus d'obtempérer à la demande de M. de Cavour, demande qui exprimait les vœux de tout le pays, ne pouvait manquer de faire peser sur eux, la dissolution immédiate du Ministère en a été la conséquence immanquable. Le Cabinet, en masse a donc dû remettre sa démission au Roi qui l'a acceptée et a chargé M. le Comte de Cavour de former un nouveau Cabinet. À l'heure qu'il est le nouveau Ministère n'est pas encore complètement formé ; avant le départ du courrier j'espère cependant pouvoir en
- 294annoncer à Votre Excellence la constitution définitive. La nouvelle de la rentrée au pouvoir de M. le Comte de Cavour a produit la meilleure impression dans tout le pays et dans toute l'Italie centrale et le concours de tous les hommes les plus distingués lui est assuré. Je reçois à l'instant une communication de M. l'ex-Ministre des Affaires Etrangères qui m'annonce officiellement sa retraite du Ministère. Votre Excellence trouvera ci annexée copie de cette communication. Divers bruits circulaient en ville de difficultés que Monsieur de Cavour rencontrerait à former le nouveau Cabinet, j'ai donc cru, afin de ne pas induire Votre Excellence en erreur, prudent de ne pas encore lui donner avis par télégraphe du changement ministériel, je le ferai aussitôt que le nouveau Cabinet sera définitivement constitué. Plusieurs listes courent dans le public ; celle qui semble réunir le plus de probabilité est la suivante : le Comte de Cavour, Président du Conseil, Ministre des Affaires Etrangères, Ministre par intérim de l'Intérieur ; le Général Fanti, Ministre de la Guerre et de la Marine ; le chevalier Facini Ministre des Finances ; le chevalier Cassinis, Ministre de Grâce et Justice ; le Comte Mamiani ou le chevalier Boncompagni, au Ministère de l'Instruction publique ; le commandeur Elena au Monsieur l'ingénieur Grattoni au Ministère des Travaux publics. [269] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 26 janvier 1860 Dépêche N° 956/11, particulière On recommence à parler du congrès et l'on dit que les négociations suspendues depuis quelque temps vont être reprises. Sur quelles bases ? On l'ignore et l'on doute, en tout cas, qu'il se réunisse aussitôt, attendu que le Pape ne veut pas céder d'un iota de son pouvoir temporel et qu'il n'y adhérerait qu'avec la condition expresse que les bases sur lesquelles les discussions devront porter seraient arrêtées d'avance. I c Pape marche d'accord sur ce point, avec l'Autriche et vient de passer un concordat avec l'Espagne. Avec cela, les Italiens vont de l'avant et, un beau jour, l'Europe n'aura qu'à sanctionner un fait accompli. On peut dire que les Romagnes ont déjà échappé au Saint-Siège et, si ce dernier continue de la sorte, ses autres provinces suivront le même exemple, ne le laissant maître que du Vatican. Le Pape est très décidé, pourtant, d'après ce que l'on écrit de Rome, à protester jusqu'au dernier moment ; il tient des discours forts peu bienveillants pour l'Empereur Napoléon et se fait fort des sentiments que l'Autriche « cet enfant toujours fidèle de l'Église » éprouve et manifeste à son égard. Sur les listes que le Gouvernement pontifical a fait circuler, aucun nom de l'aristocratie ne s'y est inscrit en sa faveur.
- 295 Lord John Russell a dit que le congrès était désormais impossible et, qu'en tout cas, dans toutes les négociations qui pourraient avoir lieu pour le règlement de l'affaire d'Italie, l'Angleterre s'opposerait toujours et de tout son pouvoir, à l'intervention d'une force armée quelconque. « On parle d'une conquête que fera la France » aurait ajouté le noble Lord, « cela nous importe peu, pourvu que l'on ne méconnaisse pas les droits de chacun et que l'on ne porte pas atteinte à la liberté de tous... » Dans un entretien particulier, le Ministre d'Angleterre à Vienne aurait déclaré que son Gouvernement prenait surtout à cœur la question de la Vénétie et voulait, avant tout, que cette possession restât assurée à l'Autriche. Cela n'empêche qu'une grande effervescence règne dans cette partie déshéritée de l'Italie, depuis l'arrivée de M. de Cavour au pouvoir. On croit généralement que l'Empereur n'a soulevé la question de la convention commerciale avec l'Angleterre (convention qui été signé lundi dernier 23 janvier) que pour occuper les esprits, vu l'opposition systématique du clergé français ; on ne serait pas même éloigné de croire qu'il serait forcé de restituer les Légations au Pape, mais avec la certitude, cette fois, que des Gouvernements laïques y seraient introduits. Seulement pour arriver à un tel résultat, il devrait faire une nouvelle guerre à l'Autriche, peut-être à une époque très rapprochée de nous, et réaliser ainsi son programme primitif en rendant l'Italie libre des Alpes à l'Adriatique. J'apprends de bonne source que le Gouvernement français a fait des efforts pour remettre le congrès absolument en question mais il voulait que cette assemblée se prononça tout d'abord, entre le Pape et l'Empereur ; c'était là, peut être un excellent moyen de sortir d'embarras ; mais malheureusement l'Autriche, conseillée par la cour de Rome, a cru devoir refuser et, l'Angleterre qui ne demande pas mieux que de voir le pouvoir temporel du Pape perdre de son importance, ne pouvait que suivre, dans un but opposé, l'exemple de l'Autriche. A Rome, comme à Paris et à Vienne, on a remarqué un refroidissement entre la cour des Tuileries et de Saint-Pétersbourg, aussi à cause de l'attitude qu'a prise la France dans la question italienne, relativement aux Princes dépossédés. [270] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 26 janvier 1860 Dépêche N° 690 Au dernier moment de la formation du nouveau Ministère Sarde quelques modifications se sont produites qui m'obligent à rectifier la liste que j'avais eu l'honneur d'envoyer à Votre Excellence par mon dernier rapport du 19 de cc mois, N° 678 1 , et par ma dépêche télégraphique du 20. 1
No. 268.
- 296 Lc nouveau Cabinet est donc définitivement constitué de la manière suivante : Président du Conseil, Ministre des Affaires Etrangères, et par intérim de l'Intérieur, M. le Comte de Cavour ; Ministre de la Guerre et de la Marine, M. le Général Fanti, Ministre des Finances, M. Veggezza, Ministre des travaux publics, M. Facini, Ministre de Grâce et Justice, le chevalier Cassinis, Ministre de l'instruction publique, M. le Comte Mamiani. L'on assure dans les cercles généralement bien informés que la place de Ministre de l'Intérieur serait ultérieurement réservée à M. Farinelli actuellement dictateur des Duchés de Modène, de Parme et de la Romagne dont il a concentré l'administration sous le nom d'« Emilie » pris de l'histoire ancienne et qui viendrait gérer ce Ministère aussitôt après l'annexion au Piémont de ces provinces, annexion dont on ne semble ici nullement douter. Un pas de plus vient en effet d'être fait dans cette voie, le Général Fanti, nouveau Ministre de la Guerre conserve le commandement des troupes de la ligue des États de l'Italie centrale et de la Toscane et l'on peut presque dire que l'on a ainsi effectué l'annexion militaire de ces provinces. L'on avait fait venir à Turin le général Cialdini, commandant de la quatrième division de l'armée Piémontaise et le Ministère voulait qu'il alla prendre le commandement en second des troupes de la ligue des États de l'Emilie et de la Toscane ; le Général Fanti conservant le commandement supérieur, mais il a refusé catégoriquement un commandement en sous-ordre et est reparti pour Brescia où est cantonnée sa division. M. Facini est originaire de Rome et fut en 1848 chargé d'affaires du Pape auprès du Roi de Piémont Charles-Albert. Lors de la réaction à Rome qui suivit les désastres de 1849, il émigra en Piémont et fut élu membre de la Chambre des Députés. 11 a publié quelques ouvrages d'histoire nationale fort estimés dans le pays. Le Comte Mamiani est aussi Romain ; il a été Ministre à Rome lorsque à son avènement le Pape actuel donna une impulsion libérale au Gouvernement Romain. Ayant ensuite émigré en Piémont il y fut naturalisé, fut élu membre de la Chambre des Députés et nommé professeur de philosophie à l'université de Turin. C'est un des philosophes les plus estimés de l'Italie, célèbre surtout pour l'élégance et la pureté de son style oratoire. M. Veggezza est membre de la Chambre des Députés du parti libéral modéré, c'est un jurisconsulte distingué ; le chevalier Cassinis est également un jurisconsulte estimé et aussi membre de la Chambre des Députés et de la même nuance politique. M. Facini est un Lombard ; il a publié quelques ouvrages estimés d'économie politique et sur les finances. On lui avait offert le Ministère des Finances qu'il a refusé sous prétexte qu'il est trop jeune, 32 ans. L'on croit que le vrai motif est que lui, Lombard, éprouvait une certaine difficulté à se trouver au Ministère au moment où l'on voit étendre à la Lombardie les impôts et taxes perçues en Piémont tout en y maintenant les
_ 297 taxes établies par l'Autriche. Mais le Comte de Cavour tenant beaucoup à avoir un Lombard dans le Cabinet pour prouver à la nouvelle province que l'on voulait l'admettre de fait dans le Gouvernement de l'État, M. Facini a consenti à accepter le portefeuille des Travaux publics. Votre Excellence verra par ces explications que le nouveau Cabinet formé par M. le Comte de Cavour est calculé, par cet homme d'État, de manière à donner le plus possible satisfaction à l'opinion non seulement en Piémont mais aussi en Lombardie et dans les provinces de l'Italie centrale. Ainsi que l'on devait s'y attendre la première mesure du nouveau Ministère a été la publication du décret Royal de dissolution du Parlement et un autre décret prescrivant dans les délais les plus courts les formalités nécessaires pour les élections des membres de la nouvelle Chambre des Députés. Ces mesures ont été bien accueillies par l'opinion publique. Dans l'Italie centrale, l'Émilie, et en Toscane, les Gouvernements ont fait publier la nouvelle loi électorale sarde et on assure que des démarches ont été faites pour obtenir l'autorisation d'envoyer des Députes de ces provinces à la Chambre des Députés ici, ce qui serait l'annexion de fait. « La Patrie » a publié ces jours derniers un article de fond sur l'annexion de la Savoie et de Nice à la France. Une certaine agitation s'est manifestée dans ces deux pays en faveur de l'annexion et le Gouvernement a même dû défendre aux journaux de la localité de s'occuper de cette question. La presse Piémontaise met depuis quelque temps le Gouvernement en demeure de s'expliquer catégoriquement sur la réalité des projets d'annexion de ces deux provinces à la France, et le Gouvernement continue à garder le silence le plus absolu, circonstance qui ne ferait que confirmer certains autres indices faisant croire que le projet existe effectivement. Le Roi étant encore souffrant de douleurs articulaires au genou le voyage qu'il devait faire à Milan avec toute sa cour et le Corps Diplomatique se trouve retardé de quelques jours. |271| Agop Effendi à Fuad Pacha Paris, le 27 janvier 1860 Dépêche s.n. L'Italie, qui est depuis quelque temps l'objet de grandes préoccupations, et qui a fourni l'année dernière tant de sujets de méditation, va en donner bientôt de plus sérieux encore. Il est question en ce moment du remaniement de la carte de l'Italie. Les Romagnes, cette belle moitié des États Pontificaux, ainsi que la Toscane, Modène et Parme, seront annexées à la Sardaigne, et celle-ci cédera la Savoie et le comté de Nice à la France, dont la population s'augmentera ainsi d'un million d'habitants. La perte de ces deux provinces sera largement compensée
- 298 pour la Sardaigne par l'acquisition des quatre autres, dont la valeur est incomparablement supérieure sous tous les rapports. La France paraît n'avoir d'autre but, en réunissant la Savoie et le comté de Nice à son territoire, que d'arrondir simplement ses frontières. Le plan de cet arrangement existait déjà depuis assez longtemps. Mais la France cherchait à le mettre à exécution pacifiquement. Le Pape, mal conseillé, a brusqué l'affaire de telle manière que tout ménagement est devenu impossible. 1 £ discours qu'il a prononcé le jour de l'an a tout gâté. On dit qu'il s'est repenti d'avoir tenu un langage si violent et si indigne du chef d'une religion. Mais comment y croire, lorsqu'on voit qu'au lieu de céder aux exigences des temps et des circonstances, et de tenir compte des conseils salutaires qui lui ont été donnés à plusieurs reprises, il se refuse obstinément à toute réforme ? Dieu aveugle ceux qu'il veut punir. Le résultat sera fâcheux pour lui, mais utile à l'humanité. Le Pape protestera, dit-on. Mais qu'est-ce qu'une protestation, si elle n'est appuyée sur une force matérielle et sur la justice, ces deux piliers fondamentaux de tout édifice Gouvernemental ? Après la protestation, le Pape quittera Rome, dira-t-on. Mais d'abord, c'est difficile ; et ensuite, l'expédient n'est pas heureux. Cette démarche aggravera l'affaire ; car alors « les populations sujettes du Pape se soulèveraient successivement contre son autorité ; la France tout en maintenant la souveraineté nue du chef de l'Église, proclamerait une constitution pour les États de l'Église et y promulguerait le Code Napoléon ; et lorsque la réforme se serait accomplie, lorsque les progrès du siècle auraient pris un corps dans les institutions, l'Empereur engagerait le Pape à rentrer dans ses États pacifiés. » L'Autriche voit d'un mauvais œil ce qui se passe ; mais elle n'osera pas bouger, car elle aurait sur les bras la France, la Sardaigne et l'Angleterre. Déjà Lord Palmerston a exprimé, dans la Chambre des Communes, sa manière de voir. « La convention entre la France et l'Angleterre, a-t-il dit, repose sur le principe que les Italiens sont autorisés à régler par eux-mêmes leur destinée ». L'Angleterre n'est pas fâchée de l'arrangement dont je viens de parler : premièrement, parce que l'autorité du Pape sera amoindrie, et que l'Irlande cessera de s'agiter sous l'influence de Rome ; secondement, parce que le système protectionniste de la France sera remplacé par le traité basé sur le libre-échange ; et troisièmement parce que « l'établissement en France d'une politique commerciale semblable à celle de l'Angleterre fera plus, pour rendre la guerre entre les deux nations impossible, que toutes les autres inventions des hommes ; que cette politique donnera à tous les hommes un plus grand intérêt à la conservation de la paix avec les autres nations. » Dans cet ordre d'idées que j'expose sommairement à Votre Excellence, il y a de la vérité et de l'exagération, cela est incontestable ; mais j'ai voulu me faire l'interprète fidèle de toutes les opinions, afin de donner à Votre Excellence une idée nette de la position dans laquelle se trouve le Pape et les Italiens. La
- 299 cessation progressive de l'abus du pouvoir, et l'émancipation du peuple, voilà ce qui va s'opérer en 1860. Quelques personnes m'ont assuré que la question italienne sera suivie de celle de l'Orient ; est-ce vrai ou non, je ne saurais le dire. Cependant il y a une chose à observer, c'est qu'il se trouve aujourd'hui au Ministère des Affaires Etrangères trois hommes parfaitement au courant des affaires de la Turquie, et connaissant bien les personnes, les besoins du pays et ce qu'il y a de réalisable. Ce sont Messieurs Thouvenel, Bénédetti et Berthemey. Je suis assuré d'avance que leurs rapports ne contiendront que l'exacte vérité ; mais ne devons-nous pas craindre que cette vérité même ne soit un peu sévère ? Telle est du moins ma propre appréhension, que j'ose exprimer à Votre Excellence. [212]
Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples,le 30 janvier 1860 Dépêche N° 339, confidentielle L'accord de la France, de l'Angleterre et du Piémont pour régler en commun les affaires de l'Italie d'après les vœux des populations, paraît se confirmer de plus en plus, et l'on regarde généralement comme imminente l'annexion de l'Italie centrale à la Sardaigne. Cependant nous avons vu se produire dans la dernière quinzaine des symptômes qui pourraient faire croire une certaine hésitation de la part de l'Empereur, si nous ne savions qu'il aime, après avoir frappé l'opinion par un grand coup, à la calmer par des atténuations et des atermoiements qui trompent souvent les plus clairvoyants sur ses véritables intentions. Ainsi M. de Grammont avait été chargé de demander une fois encore à la Cour pontificale si elle consentirait à la séparation administrative des Légations, dont on formerait un vicariat placé sous les ordres du Grand-Duc de Toscane. Il reçut une réponse négative. Cette concession, répliqua-t-on, loin de satisfaire l'esprit révolutionnaire et d'affermir l'autorité du Saint-Siège dans les provinces restées fidèles, ne serviraient qu'à encourager les prétentions de ses ennemis et à porter un coup fatal à son pouvoir temporel. La majorité du sacré-collcgc, d'accord avec le Pape, veut à tout prix faire respecter le principe de l'inviolabilité de ce pouvoir, et préfère une lutte inégale, dût-elle être suivie d'une défaite complète, à l'abandon volontaire de la moindre prérogative de la couronne pontificale. En tout cas, me dit le nonce, à qui je dois ces renseignements, je vois par des lettres qui m'arrivent de Rome, que la plus grande feimeté prévaut dans les conseils du Vatican. Cette fermeté, j e l'attribue ou à l'espoir de modifier les idées de l'Empereur, ou à la conviction qu'une catastrophe serait bientôt suivie d'une réaction victorieuse. Dans l'un comme dans l'autre cas, j'en tire un bon augure pour le triomphe définitif de notre cause, car je sais bien qu'à Rome on ne se laisse jamais jouer
- 300 — par de vagues suppositions, et que nos moyens d'informations tout spéciaux nous permettent de trouver toujours et partout la queue du diable (trovare la cova del diavolo). L'Empereur a de nouveau repris l'idée du congrès, il vient d'inviter le Pape à y envoyer son représentant. Le Pape a répondu le 23 par une lettre autographe qu'il acceptera avec plaisir l'invitation de l'Empereur dès que les causes qui ont fait ajourner la réunion, auront disparu ; mais que dans les circonstances actuelles, il ne peut attendre voir sortir de ces délibérations une décision qui tienne compte de ses droits les plus sacrés. Bien que le nonce parle d'unanimité dans le sacré-collège, je sais pourtant que des voix, isolées sans doute, mais fort imposantes s'y sont élevées pour combattre les décisions de la majorité. Le Cardinal Bonsenti n'a pas craint dans le dernier consistoire de s'opposer à quelques mesures trop hardies, et de dire qu'il voulait bien croire, d'après le dogme, que la nacelle de Saint-Pierre ne courait aucun risque, mais qu'il n'était pas également rassuré sur le sort de l'équipage. Pendant que l'Empereur fait les plus grands efforts pour ramener le Pape à ses vues, il ne ménage aucun moyen de triompher des résistances de l'Autriche et des craintes du gouvernement napolitain. Le chargé d'affaires de Toscane à Naples me communique une lettre de son collègue de Paris, qui lui assure dans les termes les plus positifs que l'Empereur a tout récemment renouvelé au Prince de Metternich sa promesse de restaurer le Grand-Duc de Toscane en dépit de tous les obstacles qu'il pourra rencontrer. Sur les conseils de l'Empereur, le Piémont vient de remplacer son chargé d'affaires provisoires à Naples par un envoyé extraordinaire. Le marquis de Villamarina, ancien envoyé de Piémont à Paris, vient d'arriver pour occuper ce poste. Il s'exprime très favorablement pour le maintien des bonnes relations entre les deux cours. 11 désapprouve hautement la conduite de son prédécesseur, et affiche les intentions les plus conciliantes. Son but principal sera, dit-il, de travailler à une union douanière, le meilleur acheminement à une alliance politique entre les deux pays. D'un autre côté on fait entrevoir au Roi de Naples la perspective d'un agrandissement du côté des Marches au cas où l'annexion de l'Italie centrale s'accomplirait. Mais on sait ici à quoi s'en tenir sur ses démonstrations d'amitié, qui sont tous les jours démentis par les faits, et l'on a simplement décliné ses offres d'agrandissement. Il ne se passe pas de jour où l'on arrête dans les États Romains et dans le royaume des agents français en flagrant délit d'excitation au désordre. Quand on les interroge, me dit M. de Carafa, ils avouent être effectivement des agents qui auraient pour mission de préparer une réaction. Il est vrai, du reste, que le général Rousselot, chassé par le gouvernement provisoire de la Toscane pour avoir trempé dans une conspiration en faveur du Grand-Duc s'est mis à Rome à la disposition de M. de Grammont.
- 301 Nous comprenons fort bien, me dit à ce propos M. de Carafa, qu'on joue double jeu avec nous comme avec l'Autriche, et je ne serais nullement étonné si, malgré la paix de Zurich la France, forte maintenant de l'appui de l'Angleterre, recommence la guerre au printemps pour achever l'exécution de son programme de l'affranchissement de l'Italie jusqu'à l'Adriatique. On voit que le gouvernement napolitain ne se fait pas d'illusions sur les dangers de la situation. On craint que les troubles qui ont eu lieu à Rome le 23, ne se répètent à Naples, et l'autorité se tient sur ses gardes. Les symptômes d'insubordination continuent à se manifester dans l'armée, et 200 soldats de la nouvelle légion étrangère qui se forme à Avelino, viennent de se débander. Le général Filangieri a donné une fois de plus sa démission, et une fois de plus le Roi l'a refusée pour ne pas changer son Ministère dans la crise actuelle. Le congé du général a été indéfiniment prolongé "pour cause de santé". Le Roi connaît toutes les difficultés de sa position, et se prépare, m'assure-t-on, avec beaucoup de sang-froid et de résignation à toutes les éventualités. Mais il ne se départira pas de sa devise « Sauvons le principe, advienne ce qu'il pourra ». [273] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 2 février 1860 Dépêche N° 693 La situation semble s'aggraver de jour en jour et l'on commence assez généralement à croire qu'elle ne pourra se résoudre sans une nouvelle guerre. Afin de pouvoir se trouver prêt à faire face à toutes les éventualités le Gouvernement Sarde continue ses préparatifs militaires. Les travaux sont poussés avec tant d'ardeur dans les arsenaux d'artilleries que l'on ne peut réussir à trouver le nombre d'ouvriers supplémentaires dont on aurait besoin et le syndic de Turin a fait récemment afficher un avis adressé aux ouvriers serruriers et forgerons dans lequel il fait appel à leurs sentiments de patriotisme pour les engager à aller travailler à un haut salaire dans les ateliers du Gouvernement. Les bruits répandus par le télégraphe que le Roi de Naples allait intervenir en faveur du Pape pour l'aider à reconquérir les Romagnes avaient jeté une certaine inquiétude dans les régions gouvernementales ici et l'on s'est empressé de demander par télégraphe des explications au marquis de Villamarina envoyé sarde à Naples. Les réponses de ce diplomate semblent avoir démontré la fausseté de ces bruits et avoir tranquillisé le Ministère. On assure que le Gouvernement Sarde se préoccupe beaucoup des enrôlements nombreux qui se font en Autriche pour l'armée papale et qu'il aurait l'intention d'adresser une note au Gouvernement Romain pour déclarer que si ces enrôlements continuent la Sardaigne ne pourra les considérer que comme une
- 302 intervention de l'Autriche dans les affaires de l'Italie et se verra obligée d'intervenir de son côté. On assure aussi que le Gouvernement français ne serait pas contraire à ces démarches qui seraient appuyées par l'Angleterre. M. de Cavour vient d'adresser une note circulaire aux agents sardes à l'étranger ; l'on ne connaît pas encore le texte de ce document qui porterait la date du 27 janvier ; mais l'on donne comme exact le résumé suivant : le Comte de Cavour fait observer que les populations de l'Italie centrale avaient accepté avec confiance le congrès ; mais il a été ajourné et de graves événements ont suivi cet ajournement ; la brochure intitulée « Le Pape et le congrès », dont on ne saurait méconnaître l'importance, la lettre de l'Empereur Napoléon au Pape, le discours de la Reine d'Angleterre et les paroles de Lord Palmerston dans la Chambre des Communes sont des faits qui démontrent l'impossibilité des restaurations dans l'Italie centrale. On a la certitude que, pour le moment, le congrès ne se réunira pas. Les Gouvernements de l'Italie centrale avaient, en présence de ces conditions, un devoir impérieux à remplir dont satisfaire aux exigences légitimes des populations dont la conduite si digne a étonné l'Europe ; ils ont satisfait les voeux des provinces en proclamant le statut et la loi électorale politique sarde. En annonçant ces faits le Comte de Cavour termine par la déclaration qu'il ne manquera jamais à la responsabilité qui pèse sur lui dans l'intérêt de la tranquillité de l'Europe et de la pacification de l'Italie. Les élections pour les conseils communaux et provinciaux sont terminées et presque partout les candidats libéraux ont été élus. C'est un indice presque infaillible du résultat qu'auront les élections générales pour la Chambre des Députés. IJS Gouvernement pousse avec activité les préparatifs de ces élections afin de pouvoir réunir le Parlement le plus tôt possible, l'on assure dans le courant de mars. On assure aussi que l'on travaille à préparer l'admission au sein du Parlement des Députés de l'Italie centrale et des Romagnes, de manière à ramener ainsi l'annexion de fait. M. le Comte de Cavour rencontre dans cette ligne de conduite l'adhésion presque unanime des populations ; même la haute aristocratie, qui jusqu'à un certain point, s'était tenue sur la réserve et était considérée comme soutenant le parti clérical, paraît actuellement se rallier à lui et dans un grand bal qu'il a donné lundi dernier elle a presque unanimement fait acte de présence. Ce bal du reste étant la première fête donnée par le Comte de Cavour a servi d'occasion pour ainsi dire, à une grande manifestation politique des hautes classes qui, pour fournir une preuve d'adhésion au nouveau Ministère, s'y sont portées en masse. Les salons du Ministère étaient littéralement remplis d'une foule nombreuse et brillante ; jamais au bal du Ministère l'on avait vu la moitié autant de monde et cette fête formait un grand contraste avec le bal donné 15 jours auparavant par le précédent Ministre, occasion à laquelle les salons étaient, pour ainsi dire, vides. M. le Chevalier Massimo d'Azeglio vient d'être nommé gouverneur de Milan en remplacement du Comte Gallina. Cette nomination a produit un très bon effet en Lombardie.
- 303 La Toscane et les États de l'Italie centrale viennent de conclure deux emprunts sous la garantie de la Sardaigne. La Toscane emprunte un million et demi de rente 3 %, c'est-à-dire un capital de 26 millions. Cet emprunt a été souscrit par la maison Bastoggi de Livourne au taux de 52. Les États de l'Émilie font un emprunt de 10 millions de capital à 5 % ; il a été souscrit par les maisons de banque Berlinzaghi de Milan, Rizzoli de Bologne, Adami de Livourne au taux de 80. Les décrets royaux qui assurent à ces emprunts la garantie du Piémont viennent d'être publiés, les receveurs des finances en Piémont sont autorisés à recevoir les souscriptions et à payer les intérêts. Le Gouvernement provisoire toscan a publié un décret en date du 21 janvier pour ordonner la formation des listes électorales pour les élections des Députés conformément à la loi électorale sarde. Les Députés toscans seront au nombre de 57. Ceux de l'Italie centrale au nombre de 70. Si, comme on l'assure, ces Députés seront appelés à siéger au Parlement Sarde, le nombre des Députés pour le royaume sarde, y compris la Lombardie, étant de 260, le nombre total des représentants se trouvera porté à 387. Après la mort du Duc de Gênes, frère du Roi, arrivée il y a quelques années, sa veuve, fille du Roi de Saxe, s'était en secret mariée à un simple officier, ancien aide de camp du Prince. Le Roi l'avait exilé dans une possession au lac Majeur où elle résidait depuis près de quatre ans. On annonce actuellement que le Roi lui aurait pardonné et qu'elle reparaîtrait bientôt à la cour. Le Roi étant toujours assez souffrant d'une douleur au genou, son voyage à Milan a encore été différé. L'on assure qu'il n'aura lieu que vers le 15 de ce mois. [274] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 8 février 1860 Dépêche N° 280, réservé Certains détails qui me sont revenus depuis le départ du dernier courrier, sur les tendances Anglo-française à l'égard de l'Italie, me paraissent de nature à confirmer des informations que j'ai eu l'honneur de transmettre à Votre Excellence par mon humble rapport N° 278. À ce titre, je m'empresse d'en communiquer respectueusement les principaux. Il m'a été assuré que le langage du nouveau chef du Cabinet des Tuileries est empreint d'un ton catégorique vis-à-vis les représentants des Grandes Puissances. A en juger des rapports confidentiels constatant nettement les vues du Gouvernement français, M. Thouvenel n'hésite pas à se poser en défenseur des événements qui se succèdent avec une calme activité dans la Péninsule.
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« Nous ne discutons pas, » aurait fait observer le Ministre Impérial au Comte Pourtalès, « la validité des stipulations de Villafranca ; mais il faudra bien tenir compte des faits qui se sont accomplis depuis. Le Gouvernement de l'Empereur ne veut pas imposer aux autres la maxime du vote national ; cependant, il doit compter avec les voeux des populations. Il vous est libre de protester en faveur de la légitimité ; mais ne portez pas d'entraves inutiles à l'aplanissement possible des difficultés. » Et lorsque M. Thouvenel est interpellé sur le mode d'arrangement à adopter il répond « vous connaissez nos vues ; mais nous ne pouvons pas entrer dans des détails que dans le cas où vous en admettriez les bases ». En un mot, le Gouvernement français, parlant en son nom et en celui de la Grande-Bretagne, semble viser pour le moment à faire respecter par les autres Etats les faits accomplis et le principe de non-intervention. Il est probablement d'avis que l'annexion de l'Italie centrale s'effectuant d'elle-même, finirait par en amener la reconnaissance officielle ou tacite. Dans cet élat de choses, il serait difficile de préjuger quelle sera l'attitude des autres Grandes Puissances. Toutefois on croit assez généralement ici dans les cercles politiques, que l'Autriche se bornera à protester contre l'infraction des derniers traités. Aussi ne pense-t-on pas que la Russie voudra jeter dans la balance un poids peu sérieux. Quant à la Prusse dont la politique est essentiellement expectante, la fermeté du Gouvernement français l'aurait déjà impressionnée. La mission qui vient d'être confiée au général de Wildenbruck en serait, si j e ne me trompe, un indice assez sûr. En chargeant l'ancien représentant près la cour Impériale de se rendre sur les lieux afin de s'enquérir de la situation, le Cabinet de Berlin n'admet-il pas indirectement l'opportunité de la manifestation nationale ? Si l'on rapproche cette mission de la circonstance que le parti libéral en Prusse considère l'établissement d'un royaume sarde puissant comme devant répondre à ses propres intérêts il serait peut-être permis de ne trop compter sur une opposition sérieuse de sa part. D'ailleurs, la Prusse risquerait cette fois encore de se trouver isolée ; et c'est ce que le Ministère actuel cherche à éviter. Cependant il existe un parti désirant l'alliance avec l'Autriche, à la condition que celle-ci fasse des concessions en Allemagne équivalant à l'abdication de sa suprématie. Je prends la liberté de faire observer que les dispositions personnelles du Prince régent sont très favorables à cette alliance. Je ne saurais terminer cet humble rapport sans relever respectueusement un incident qui témoigne des égards de S A . R . envers la Sublime Porte. IJÎ Prince régent, connaissant l'intérêt que la Légation du Sultan porte au général de Wildenbruck, a bien voulu me parler, dans une des réceptions de la cour, de l'intention de lui confier une mission diplomatique.
- 305 Je crois de mon devoir de rapporter aussi, que les Ministres de Sardaigne et d'Angleterre me demandèrent confidentiellement des informations sur le caractère du général. Je n'ai pas manqué de leur faire part que la Sublime Porte a été satisfaite de la loyauté dans ce diplomate a fait preuve, dans ses missions en Orient. [275] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 9 février 1860 Dépêche N° 695 Ci-annexé j'ai l'honneur de transmettre à Votre Excellence le texte de la dépêche que M. le Comte de Cavour a adressée aux représentants sardes à l'étranger et dont mon dernier rapport ne contenait qu'un résumé. Par cette dépêche, dont mon résumé n'avait pu donner qu'une faible idée, Votre Excellence verra que la décision d'effectuer l'annexion de la Toscane et de l'Émilie semble être définitivement prise par le Gouvernement Sarde. En effet Monsieur Boncompagni, gouverneur général de la Toscane et de l'Italie centrale et M. Farinelli gouverneur de l'Émilie, ont été appelé par télégraphe à Turin où ils sont venus se concerter avec M. le Comte de Cavour sur les mesures à prendre pour atteindre ce but. Le général du génie Ménabréa, homme très distingué pour ses talents et sa capacité ; le général d'artillerie Cavalli, officier très distingué, premier inventeur des canons, rayés, le colonel de cavalerie, Griffini, ont été aussitôt envoyés en Toscane et en Émilie pour surveiller l'achèvement des fortifications de Bologne et d'autres lieux, pour activer l'organisation complète de l'artillerie, du génie, de la cavalerie de l'armée de la ligue. Ils ont emmené avec eux un certain nombre d'officiers capables pour les seconder dans leurs travaux. Les arsenaux d'artillerie du Piémont travaillent nuit et jour à compléter un train considérable d'artillerie destinée à cette armée. D'autre part les nouvelles de la Vénétie annoncent que l'Autriche renforce d'une manière considérable les corps d'armée qu'elle a dans cette province ainsi que les garnisons de Vérone, Mantoue et Peschiera, et augmente de beaucoup les fortifications de ces places fortes, surtout de la dernière. Il reste à voir quelles modifications pourront amener dans les projets hautement avoués d'annexion immédiate les négociations qui se poursuivent actuellement ici et à Vienne par la France et l'Angleterre sur les dernières propositions faites par cette dernière puissance et acceptées par la France. Les propositions sont en résumé ; 1° ni la France, ni l'Autriche n'interviendront en Italie centrale sans le consentement des Grandes Puissances ; 2° après l'arrangement des affaires d'Italie la France retirera ses troupes de Rome et du reste de l'Italie ; 3° la Vénétie mise en dehors de toute
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négociation et restant définitivement à l'Autriche ; 4° le Piémont n'enverra ses troupes en Italie centrale qu'après que les populations auront été appelées à prononcer de nouveau leurs vœux. Si ces vœux sont en faveur de l'annexion, le Piémont sera alors libre de l'effectuer. A l'exception de l'article concernant la Vénétie, qui soulève ici l'opposition presque unanime de la Presse, ces propositions semblent avoir été accueillies ici avec faveur, car il ne paraît pas y avoir de doute que l'Italie centrale appelée de nouveau à voter ne confirme ses votes précédents pour l'annexion. Si les autres Grandes Puissances, y compris l'Autriche, acceptent ces propositions, il est à présumer que la Sardaigne les acceptera aussi, ne mettra pas à exécution son projet d'annexion immédiate et attendra, pour l'effectuer définitivement, le vote des populations ; mais dans le cas où l'Autriche ou les autres Puissances n'admettraient par les propositions anglaises, on semble décidé ici à passer outre, à effectuer l'annexion, dans l'espoir de la faire accepter ensuite comme un fait accompli, même au risque d'une nouvelle guerre. [2761
Agop Effendi à Fuad Pacha Paris, le 10 février 1860 Dépêche s.n. Les grandes nouvelles du moment sont les quatre propositions que le Gouvernement Anglais a présentées à celui de France, par l'organe de Lord Covvley, et les ouvertures faites par ces deux Puissances à l'Autriche pour l'arrangement définitif des affaires d'Italie. Ces propositions, qui hier n'étaient encore que problématique, sont aujourd'hui authentiques, d'après le discours prononcé par Lord John Russell à la Chambre des Communes. Voici en quoi consiste : 1° la France et l'Autriche n'interviendront point en Italie sans le consentement des Grandes Puissances ; 2° la France retirera ses troupes de Rome et du reste de l'Italie, après l'arrangement de la question italienne ; 3° aucune intervention n'aura lieu en Vénétie, et aucune proposition relative au Gouvernement de la Vénétie ne sera faite par les Puissances européennes ; 4° le Piémont s'abstiendra d'envoyer des troupes dans l'Italie centrale jusqu'après le nouveau vote exprimant le vœu des populations. La France semble marcher suffisamment d'accord avec l'Angleterre dans cette question ; aussi a-t-elle fait connaître, dit-on, sa manière de voir. Mais l'Autriche hésite encore à se prononcer. J'ai appris même de bonne source que la France a offert 500 millions pour la Vénétie, et qu'elle a refusé net. Si l'entente entre la France et l'Angleterre fait espérer la pacification de l'Italie, il faut reconnaître aussi que cette pacification rencontre de grands obstacles dans les efforts que fait le clergé catholique en France, en Italie et en Allemagne, pour faire rentrer sous la domination du Pape les provinces insurgées contre lui. Ces deux influences se contrebalancent, de sorte qu'on se
- 307 fait difficilement une idée précise de l'issue des affaires de l'Italie. C'est ce qui fait que les entreprises commerciales sont en s o u f f r a n c e , et qu'un mécontentement général règne presque partout. [277] Spit/cr Effendi à Fuad Pacha Naples, le 13 février 1860 Dépêche N° 345, confidentielle La crise ministérielle née de la démission du général Filangieri continue, mais d'un moment à l'autre on attend la formation d'un nouveau Cabinet. Le Roi, qui ne s'était décidé que sous la pression des événements à recourir aux services du général, ne lui avait jamais accordé sa confiance ; mais, tout en éludant ses conseils, il avait su l'engager, tantôt par des appels à sa loyauté, tantôt par des faveurs toutes exceptionnelles, à ne pas quitter son poste. Il minait ainsi la popularité de son Ministre, sur qui devait nécessairement retomber les accusations d'impuissance et de perfidie qu'on lui prodigue aujourd'hui. Les choses en étant arrivées à ce point qu'un des Ministres ne craignit pas de se faire en plein conseil l'écho des bruits publics et de lui reprocher en présence du Roi cette duplicité. Cet incident obligea le général à sortir définitivement de cette fausse position ; il quitta donc Naples et se retira à Pouzzoles, d'où il envoya sa démission en déclarant qu'il ne reparaîtrait pas en ville tant qu'elle ne serait pas acceptée. Mais 15 jours se sont écoulés, et l'acceptation n'a pas encore été signée, et la retraite du général continue. C'est que le Roi rencontre de grandes difficultés dans la composition d'un nouveau Cabinet. Reprendre les derniers conseillers de son père, ce serait étrangement répondre aux pressantes sollicitations des Ministres de France et d'Angleterre ; et parmi les hommes distingués du pays il ne se trouve personne qui veuille compromettre son nom au service d'une politique si obstinément attachée aux errements du dernier règne. Le Roi a fait successivement appeler auprès de lui tous les personnages connus par leur capacité, mais tous ils ont décliné la position qui leur était offerte, comprenant bien qu'ils ne tarderaient pas s'ils acceptaient à tomber dans le piège que Filangieri, malgré toute son habileté n'avait pas su éviter. Le Roi sera donc obligé de s'entourer d'hommes subalternes qui ne résisteront point à l'appat d'une place et se feront volontiers les instruments aveugles de sa politique. Ce qui lui importe d'ailleurs plus que le choix de ses Ministres, c'est le développement de l'armée, dans laquelle il place toute sa confiance pour faire face aux épreuves qui semblent imminentes. Des sommes fabuleuses ont été dépensées dans ces derniers temps pour renouveler le matériel et compléter les cadres par des enrôlements à l'étranger. Le Roi et les princes sont décidés à se mettre à la tête des troupes, soit qu'il s'agisse de repousser les attaques du dehors, soit qu'il faille étouffer les troubles au-dedans. Le camp des Abruzzes
- 308 se renforce de jour en jour, non pas pour venir en aide au Pape et occuper les Marches, comme le disent les nouvellistes, mais pour maintenir dans l'obéissance les populations les plus rapprochées du foyer de la révolution. Le gouvernement napolitain, soyez-en sûr, Excellence, respectera le principe de non-intervention aussi longtemps que le Piémont ne le violera pas. Pour le décider à passer la frontière il ne faudrait rien moins que la retraite, plus que jamais improbable, du corps d'occupation français, ou, ce qui n'est guère plus vraisemblable, une intervention armée des puissances du Nord décidées à ne pas laisser la France et le Piémont régler à leur gré la question italienne. Jusque-là, le Roi, malgré toute sa sympathie pour le Saint-Siège, malgré son vif désir de défendre les droits de l'Église, écoutera les conseils de la prudence, et ne se décidera pas à une tentative qui, fatale à lui-même, n'aurait aucune chance de sauver la papauté. Le Roi, tout en se tenant prêt pour lutter contre la révolution, ne se dissimule cependant pas la possibilité d'un échec. Il me revient de bonne part qu'à l'insu de M. Elliot, Ministre britannique à Naples, M. Targioni a entamé à Londres des négociations secrètes pour intéresser le gouvernement anglais au sort de la famille royale. On voudrait qu'en cas d'une défaite qui obligerait le Roi à abandonner ses États de terre ferme, l'Angleterre se chargea de couvrir par sa flotte la Sicile, pour assurer, comme en 1799, une retraite à la royauté fugitive. Pendant que la situation intérieure du royaume se présente sous des couleurs si sombres, les relations extérieures n'offrent guère un aspect plus brillant. L'Empereur des Français n'a été nullement satisfait des dernières propositions que le marquis d'Antonini lui a rapportées de Naples (voir ma note confidentielle No 325 du 2 janvier) 1 . Les réformes promises par le Roi en réponse à ses pressantes sollicitations lui paraissent complètement insuffisantes, et dans son entourage on commence à parler de la possibilité d'un changement de dynastie à Naples. De son côté, M. Elliot dit à qui veut l'entendre que la dynastie coure à sa perte et que l'Angleterre ne remuera pas un doigt pour la sauver du sort qu'elle se prépare par son obstination. Le gouvernement napolitain est d'ailleurs fort mécontent de l'attitude passive de la Prusse et de la Russie qui se contentent d'élever faiblement la voix en faveur de la légitimité, alors qu'il faudrait des actes pour sauver les trônes menacés. La note dans laquelle l'Empereur Napoléon déclare aux Cours du Nord qu'il est contraint par les événements de renoncer à son programme de Villafranca, a produit ici une impression difficile à décrire. M. de Carafa me dit que, de son côté, il n'a été nullement étonné de cette rétractation qui suit de si près les assurances renouvelées, il y a trois semaines à peine, au Prince de Metternich et au Grand-Duc de Toscane ; à ses yeux, toutes les promesses, orales ou écrites, de l'Empereur n'auront désormais aucune valeur. Le Ministre m'annonce que, sous la date du 3 février, l'Angleterre a renouvelé à la France et 1
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- 309 à l'Autriche sa proposition de s'abstenir de toute intervention armée. L'Empereur y adhérait sous certaines restrictions, et, en communiquant son adhésion à M. de Metternich, il l'a chargé de transmettre à son gouvernement trois nouvelles propositions dont le contenu n'est pas encore connu ici. Le Prince n'hésite pas à déclarer d'avance qu'il doutait fort que l'Autriche accepta sans réserve le principe de non-intervention posé dans ces termes absolus. Je crois devoir rapporter à Son Excellence certains bruits qui circulent dans les rangs du parti libéral depuis la paix de Villafranca, mais que j'avais d'abord j u g é trop invraisemblable pour en faire le sujet d'une communication. Aujourd'hui que ces bruits ont pris une certaine consistance et que j e les entends répéter jusque dans les cercles diplomatiques, je me décide, malgré ma répugnance à traiter des questions aussi délicates, à en donner connaissance à Son Excellence, sous toute réserve et sans en assumer la responsabilité. Le chargé d'affaires de Toscane à Naples, qui entretient une correspondance intime avec son maître le Grand-Duc et avec son collègue de Paris, me fait voir une lettre dans laquelle on lui annonce que l'Empereur Napoléon a prié le marquis d'Antonini de pressentir si, pour indemniser le Pape de la perte des Légations, le Roi de Naples ne se déciderait pas à lui céder les Abruzzes. Ce serait la régence de Tunis qui servirait de compensation. L'Empereur aurait en même temps entamer des négociations avec l'Autriche pour l'amener à céder Venise au Piémont, contre une indemnité pécuniaire ; il se serait même engagé, à lui procurer en cas d'adhésion, l'île de Candie, l'Herzégovine et la Bosnie. L'Empereur d'Autriche et le Roi de Naples auraient tous deux repoussé formellement ces proposition. Pour savoir ce qu'il y a de vrai dans ces étranges communications, j'ai fait part à M. de Carafa des bruits qui me parvenaient. Le Ministre les démentit. Mais le nonce, auquel j'en fit part également, me dit qu'il venait d'apprendre par une lettre confidentielle de Rome que le Duc de Grammont, pour obtenir du Pape l'abandon des Légations, lui avait offert en échange, d'abord les Abruzzes, puis l'île de Sardaigne et le territoire de Sienne. Mais le Pape avait rejeté ces offres, ne voulant pas, disait-il, réparer ses pertes aux dépens d'autres princes. Sur ma prière, le nonce m'a promis d'aller aux informations et de me faire part des renseignements qu'il obtiendrait sur ces prétendus projets de démembrement de l'empire ottoman. Dans un moment où la politique marche à l'aventure, on est presque tenté de reprendre et d'étudier cette fameuse carte de l'Europe en 1860, qui, lors de son apparition, a été accueillie dans le monde officiel avec un sourire d'incrédulité. Le parti révolutionnaire, qui, dès le lendemain de Villafranca prédisait, avec une rare sagacité, les événements qui nous causent aujourd'hui tant de surprises, la prend au sérieux et persiste à croire que l'Europe trouvera du côté de l'Orient de quoi indemniser les souverains dépossédés de l'Italie. Ce danger, fût-il réel, ce dont pour ma part je doute fort, serait aisément écarté par la sagesse du gouvernement. L'activité intelligente que le Ministère déploie dans sa politique lui a valu l'approbation de tous les hommes éclairés. J'ai eu
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récemment la satisfaction de m'en convaincre en communiquant à plusieurs membres du corps diplomatique la note circulaire du 14 décembre dans laquelle Son Excellence trace un tableau si rassurant sur la situation de l'Empire. M. Elliot me dit à cette occasion que l'Angleterre dans son propre intérêt comme par sympathie pour le gouvernement Impérial, défendra partout et contre tous l'intégrité de l'Empire ottoman. [2781 Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 16 février 1860 Dépêche N° 974/29 particulière Les membres du Cabinet Anglais savent fort bien que Louis-Napoléon veut faire l'annexion de la Savoie et du comté de Nice à la France ; c'est là, disentils, un plan préconçu depuis fort longtemps, mais ils y voient de grandes difficultés pour le moment. Ils basent cette appréciation sur le défaut de confiance que l'on remarque partout et qui frapperait davantage encore l'Empereur s'il allait donner à l'Europe le triste spectacle d'une politique de convoitise et d'ambition. Les ministres de la Reine comptent, pour l'en détourner, sur l'indignation qu'exciterait en Angleterre une pareille conduite. Déjà la presse anglaise a cru devoir rendre l'Europe attentive et la prévenir contre ces tentatives ambitieuses. Lord Cowley a dû recevoir de nouvelles instructions dont le but est de dissuader le chef de la France. Il est vrai que l'on compte assez peu en Angleterre sur l'énergie de ce diplomate qui, dit-on, est trop enthousiaste de l'Empereur pour être à même de juger la situation sous son véritable aspect. L'Empereur possède au plus haut degré l'art de se faire des partisans. Cet art a aidé à le porter au pouvoir ; ce même art lui donnera les moyens d'arriver à ses fins lorsqu'il aura gagné quelques récalcitrants qui s'opposent encore aujourd'hui à entraîner l'Europe dans une voie contraire à ses traités et à ses antécédents diplomatiques : celle de la conquête pacifique. Depuis longtemps déjà l'Angleterre cherchait à entraîner la Prusse dans une même voie politique ; mais celle-ci avait un trop vif désir de renouer ses anciennes relations avec l'Autriche pour embrasser aussi chaudement que l'Angleterre la cause des populations italiennes. Ayant vu l'Autriche vaincue dans des défaites successives, et la puissante organisation de l'armée française triompher de son adversaire malgré l'infériorité numérique de ses troupes, la Prusse a jugé utile de réformer son système de recrutement ; c'est pourquoi elle présente aujourd'hui un projet nouveau d'organisation militaire. Par-là elle remplit les vœux et les espérances de l'Autriche, dont la méfiance est loin d'être éteinte, par-là aussi elle pourra garantir plus sûrement, un jour, son territoire s'il était menacé. L'on assure, cependant, que ce projet souffrira de
- 311 grandes difficultés devant la confédération, son adoption dépendant de quelques petits États du royaume de Prusse. On écrit de Berlin que la Savoie désirerait beaucoup plus appartenir à la Suisse qu'à la France ; mais qu'elle ne tient pas à rester au Piémont qui, depuis 1848, a donné tous les emplois civils et militaires à des citoyens des autres parties du royaume. Les journaux suisses s'expriment d'ailleurs fort librement à ce sujet. |279] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 20 février 1860 Dépêche N° 348, confidentielle La résistance de l'Autriche aux propositions du Cabinet Anglais est d'après ce que j'apprends beaucoup plus prononcée que ne semblent l'indiquer les détails du Parlement anglais. Le Pape, de son côté, ne se montre pas plus disposé à transiger sur ces bases et le Duc de Grammont a renoncé à tout espoir d'obtenir une concession quelconque. Il semble donc acquis que, pour empêcher le retour de la guerre, il faut chercher une solution ailleurs que dans les propositions anglaises. Le bruit de conférences destinées à poser les bases d'un accord préalable entre les puissances se confirme. Une dépêche télégraphique parvenue le 18 au gouvernement napolitain annonce que c'est en Allemagne et même à Vienne (?) qu'elles se tiendraient. On voudrait dans cette assemblée préparatoire amener l'Angleterre et le Piémont à ne pas poursuivre leur projet d'annexion pour ôter à la France tout motif de réclamer la cession de la Savoie et de Nice, qui rencontre la plus vive opposition de la part de la majorité des puissances. On tâcherait en même temps de donner une satisfaction à l'opinion publique en demandant à l'Autriche, au Saint-Siège et à Naples des institutions libérales calquées sur celles du Piémont. Il est certain que l'Autriche, vivement préoccupée de l'agitation réformiste qui se manifeste dans toutes les parties de l'empire, ferait volontiers quelques concessions pour fortifier sa position en Vénétie, empêcher l'annexion et assurer le rétablissement du Grand-Duc de Toscane. Elle a même fortement engagé le Roi de Naples à s'entendre avec les autres puissances amies et à promettre des institutions analogues à celles du reste de l'Italie au cas où les possessions du Saint-Siège seraient respectées et où les anciens princes rentreraient dans leurs États. Mais le Piémont fait tous ses efforts pour entraver ces essais de conciliation. M. de Carafa m'a donné connaissance d'une lettre adressée tout récemment au Saint-Père par VictorEmmanuel. Le Roi de Piémont commence à y déclarer que l'annexion des Légations à la Sardaiigne et la cession de la Savoie à la France sont des faits désormais arrêtés ; après quoi il engage le Pape, vu l'agitation qui règne dans les Marches et dans l'Ombrie à abandonner ces provinces et assurer le maintien de la paix par ce grand sacrifice. Il semble inutile à dire que le Pape n'a pas
- 312 — prctc l'oreille à de semblables propositions. Elles sont d'un caractère si étrange, que je me serais abstenu d'en faire mention si M. de Carafa, sur ma demande réitérée ne m'avait pas donné les assurances les plus formelles sur leur authenticité. L'incertitude qui plane sur la situation oblige le Roi de Naples à une grande réserve, il s'abstient de toute mesure qui pourrait être interprétée comme un engagement pour l'avenir. M. Elliot, qui continue à conseiller la constitution avec une infatigable persévérance, disait dernièrement à Monsieur de Carafa : « il faudra bien que vous donniez forcément après l'annexion ce que vous ne voulez pas accorder de bonne grâce aujourd'hui ». « C'est une raison de plus, répliqua le Ministre, pour nous faire redouter l'annexion ». Il n'est pas jusqu'au changement de Ministère, imminent la semaine dernière, qui ne se trouve maintenant indéfiniment ajourné. Le général Filangieri attend encore à Pouzzoles son remplacement, que le Roi lui refuse obstinément. On veut garder le général en réserve pour le cas où il faudrait changer de politique et recourir aux armes. Le général Carascosa continue à signer par intérim les actes du Ministère. Cependant le gouvernement s'occupe de l'amélioration matérielle du pays. Le contrecoup des réformes économiques qui s'accomplissent en France, a été ressenti à Naples. Le régime de la douane va subir un changement radical ; comme en France, les prohibitions vont être levées, et les droits d'entrée, abaissés. D'autres négociations se poursuivent pour l'exécution du réseau des chemins de fer napolitain ; plusieurs capitalistes étrangers se trouvent ici en ce moment pour traiter avec le gouvernement. Enfin une commission vient d'être instituée pour soumettre au Roi un plan d'agrandissement de la ville de Naples. [2801 Rustem Bey à Fuad Pacha Milan, le 22 février 1860 Dépêche N° 702 Ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire, dans mes précédents rapports, à Votre Excellence, Sa Majesté le Roi de Sardaigne, ayant résolu de transporter pour quelque temps sa cour à Milan, a fait inviter le Corps Diplomatique à l'y accompagner. En effet nous sommes ici depuis le 14 et nous y resterons probablement jusqu'au 27 ou 28 courant. Nous avons été invités à un grand dîner chez Sa Majesté et à plusieurs bals. Dans ces derniers jours de carnaval (il dure à Milan cinq jours de plus que partout ailleurs) l'on ne songe ici qu'à s'amuser et les affaires chôment ; aussi n'ai-je rien de bien intéressant à signaler à Votre Excellence.
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[2811 Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 22 février 1860 Dépêche N° 286, réservé Le Ministère Impérial connaît déjà sans doute l'accueil que les Grandes Puissances ont fait à une proposition du Cabinet de St. James pour la solution de la question italienne. Je ne saurais néanmoins manquer au devoir de transmettre à Votre Excellence des informations officielles qui me sont revenues à ce sujet. Et d'abord, qu'il me soit permis de rapporter que le Cabinet de Berlin ne voulut pas se prononcer, avant qu'une entente définitive n'eut lieu entre la France et l'Angleterre. Sans rejeter le principe du mode d'arrangement, dont le Gouvernement de Sa Majesté britannique a pris l'initiative, il a cru devoir faire des réserves et entrer en communication directe avec les autres Puissances. Il semble, toutefois, que des considérations d'un ordre différent n'ont pas été étrangères à l'adoption de cette ligne de conduite qui, ailleurs, découle naturellement de la politique expectante du Cabinet en question. J'ai appris, en effet, que la dépêche du principal Ministre de l'Empereur au Comte Persigny rappela à l'esprit du Gouvernement prussien des allures du Premier Empire. Encore, les citations des traités de Tolentino, de Lœben et de Lunéville, citations que contient l'ingénieuse circulaire de M. Thouvenel en réponse à l'encyclique du Pape, n'eurent-elles le mérite, ni d'en calmer le souvenir, ni de rassurer l'Allemagne. Il faudrait peut-être ajouter que les conseillers du Prince régent considèrent la question de Savoie plutôt comme ajournée que comme abandonnée. Les déclarations dans le Parlement anglais ne furent pas propres à effacer cette impression. L'Autriche de son côté, d'après ce que l'on assure, a décliné les propositions anglaises, en se tenant strictement aux stipulations de Villafranca et de Zurich. Quant à la Russie, le Prince Gortschakoff, revenant à son idée favorite, propose la réunion en conférence des cinq Grandes Puissances. Ce moyen d'entente trouverait, si je ne me trompe, de l'appui auprès du Gouvernement prussien, s'il ne courait pas le risque d'être peu goûté, au moins pour le moment, par la France et l'Angleterre. Il atteste peut-être aussi un revirement dans les sentiments du promoteur à l'égard de la France. Il est probable que la Russie ait abandonné l'espoir d'amener cette puissance à la seconder dans ses efforts pour la mer Noire, dont l'usage, sans les entraves du traité de Paris, lui serait d'une importance toute particulière après la soumission du Caucase. Aussi, hésite-t-on à croire que l'Autriche adhérerait de prime abord à la proposition russe, malgré le désir d'une prompte solution que doit lui inspirer la situation intérieure de ces provinces et notamment de la Hongrie.
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Je sollicite l'autorisation de recourir à une petite diversion pour faire observer humblement, que la communauté d'action des populations slaves avec les magyars aggrave l'état des choses. Cette circonstance oblige le Gouvernement autrichien de poursuivre d'un œil attentif les mouvements des provinces limitrophes de l'Empire Ottoman. Le Comte Karolyi a bien voulu m'en entretenir ces derniers jours et m'a demandé des informations. J'ai dû me borner à lui faire part des derniers procédés de l'administration serbe. Devant l'attitude des Grandes Puissances, la démarche britannique paraît destinée à servir de pendant historique aux propositions dont Lord Cowley fut dans le temps porteur à Vienne. Cette indécision, à laquelle contribue de son côté la position du Ministère Anglais, ne paraît pas nuire à la tendance des affaires dans la Péninsule. À l'avis de certains personnages, les négociations qui se succèdent et se croisent auraient pour but principal d'y laisser l'effet s'accomplir. En tout cas, la situation que j'ai pris la liberté de tracer a pour résultats immédiats, d'entretenir la méfiance des gouvernants, d'arrêter les transactions commerciales et de propager le malaise dont la conscience publique donne depuis longtemps de fâcheux symptômes. P. S. : A l'instant même j'apprends que le jeune Duc de Toscane arriva hier dans cette capitale sous le plus strict incognito. Par une coïncidence curieuse le nouveau Ministre de France, le Prince de La Tour d'Auvergne m'est annoncé en même temps. [2821 Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 23 février 1860 Dépêche N° 980/35 J'apprends de très bonnes sources, peu après avoir expédié mon courrier, qu'une dépêche de Rome annonce que l'Empereur Napoléon est très mécontent du Comte de Cavour dont la politique exclusivement anglaise dérange les intentions bienveillantes de Sa Majesté à l'égard du Pape. Je profite de cette occasion pour faire en même temps part à Votre Excellence d'un bruit qui circule en ville et dont on vient de me garantir l'exactitude. Il s'agit de la politique intérieure, ou du moins, de la lutte ce qui existe entre les deux partis politiques qui se disputent le pouvoir en Belgique en profitant des moindres occasions pour se nuire l'un à l'autre. Le parti catholique a fait circuler une liste de souscription dans toute la Belgique en faveur des enrôlements de l'armée papale, mais elle n'a eu qu'un médiocre succès, et cela dans les Flandres seules où le clergé a une certaine prédominance. Le parti libéral, à son tour, passa aussi une liste de souscription mais ce ne sera pas pour le Pape : elle sera destinée au million
- 315 de fusils demandés par Garibaldi ! Les armes seront fabriquées en Belgique, pour le montant de la somme qu'on leur a obtenue, et expédiées en Italie. Votre Excellence comprendra facilement que ce n'est pas par sympathie pour les Italiens que cette manifestation va se produire de la part du parti libéral, mais uniquement pour faire pièce au parti catholique. Tout cela ne fait qu'envenimer les passions déjà par trop surexcitées et il est à craindre qu'un jour le repos de la paisible Belgique n'en pâtisse. [283] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 23 février 1860 Dépêche s.n. Mes récentes dépêches font pressentir les fait, qui doivent se dérouler aux yeux de l'Europe attentive et inquiète. En les relisant, il est facile de se convaincre et de se former une idée exacte de l'avenir. Le système politique de division inaugurée par l'Empereur y est clairement indiqué. J'insiste sur ce fait parce que nous nous trouvons d'après tout ce que nous voyons à une période où les événements passés s'enchaînent étroitement aux événements présents, nous assisterons sous peu au dénouement d'une œuvre gigantesque et hardie. Nous avons vu pendant la guerre la destruction des États italiens et l'amputation de la Lombardie faite à l'Empire d'Autriche ; l'agrandissement du Piémont, des droits méconnus des aventuriers acclamés en héros, et tout cela, pourtant, s'est passé au gré de l'Empereur, sans révolution, sans que la France se soit fait un ennemi de plus. C'était la consécration la plus manifeste du système de division, c'était sa première application : ce ne sera pas sa dernière. La Confédération Germanique tend à se séparer de l'Autriche, depuis la dernière guerre ; la Prusse, à son tour aujourd'hui, suit m'assure-t-on, les conseils de la France et isole de plus en plus l'Angleterre. Soit crainte de l'avenir, soit espoir de regarnir un jour ce que le Premier Empire lui a fait perdre, peu importe, il est toujours évident qu'elle subit l'influence française. Cette conduite politique doit fatalement séparer la Prusse de beaucoup d'États allemands qui font partie de la Confédération Germanique et qui sont opposés à tout rapprochement vers la France qui détruirait leur alliance avec l'Angleterre, ce qui porterait atteinte à la sympathie que celle-ci leur voue. Dans cet état de choses et dans l'hypothèse où la France réussirait à entraîner la Prusse dans une communauté d'intérêts, nous avons le dernier effet et le triomphe du système de division. Plus rien, désormais, ne s'opposerait à la réalisation des espérances et des causes de la France. Si l'Angleterre menace encore aujourd'hui le Cabinet des Tuileries, lorsque celui-ci tolère la publication de ses prétentions sur le comté de Nice et de la Savoie, c'est que l'Angleterre ne se sent pas isolée, tout à fait, mais le jour d'un conflit avec sa
- 316 redoutable voisine, l'altière Albion sera moins arrogante ; ce jour-là aussi tous les États de l'Europe ayant été divisés, il sera plus facile à l'Empereur de donner à chacun de l'occasion de satisfaire son ambition et à lui, chef de la France et, pacificateur de l'Europe, comme on le dira alors, il sera plus facile de se payer de ses peines, et rendre à la France ce que 1815 lui a fait perdre. Ce sera là une grande œuvre qui ne sera peut-être pas menée à bonne fin ; à entendre les hommes politiques de l'Angleterre ce serait une entreprise de géant pour laquelle Empereur Napoléon est trop faible. Il aura peut-être la Savoie, disent-ils, parce que la Savoie ne vaut pas une guerre, mais de là à disposer de tout en Europe il y a loin. Le Ministère anglais paraît du reste, gagner de la confiance ; il puise sa force dans le bon sens du pays, et paraît disposé à prouver à la nation que le traité qu'il a fait avec la France a été un préservatif d'une guerre avec la France comme, il y a quelques années, le traité avec les États-Unis a sauvé l'Angleterre d'une guerre avec ce grand État du Nouveau Monde. Le Ministère anglais ne tombera pas comme on le veut généralement. Le commerce entier verrait dans le rejet du traité, outre la perte des avantages qu'il promettait, l'avènement de Lord Derby et d'une politique étrangère compromettant de nouveau toute la question italienne et portant la guerre de ce côté-là. L'Angleterre devrait cependant se méfier davantage du rôle qu'on veut lui faire jouer. Elle devrait se rappeler qu'elle a été le geôlier et la prison d'un illustre captif, mort abandonné et proscrit sur une île vassale. Enfin elle ferait bien de se souvenir que si l'Empereur sent un jour la nécessité de réveiller le sentiment national en France, une guerre avec l'Angleterre peut, en un instant, le faire le souverain le plus populaire et le plus aimé. Dans le système de division, dont je parlais à Votre Excellence, on cherche vainement la possibilité du maintien de la paix avec l'Angleterre orgueilleuse et jalouse. Puissions-nous cependant voir l'horizon politique s'éclaircir, puissions-nous cependant trouver l'avenir moins rempli de funeste présage. [284] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 27 février 1860 Dépêche N° 351, confidentielle Les réponses identiques de la Prusse et de la Russie aux propositions anglaises, communiquées au gouvernement napolitain par une dépêche télégraphique du 22, ont détruit ici les dernières espérances d'un revirement en faveur des princes dépossédés. Ce n'est pas cette faible protestation qui peut retarder l'annexion, et l'on sent que le moment est proche où le triomphe du
- 317 fait accompli, va offrir aux mécontents le plus puissant encouragement et porter au comble l'effervescence du pays. Les homme clairvoyants et sincères du parti gouvernemental ne se font pas d'illusions et comprennent parfaitement que le jour où le Piémont victorieux aura poussé ses conquêtes jusqu'aux frontières du royaume, c'en sera fait du système actuel et que toute résistance sera devenue inutile. M. de Carafa lui-même est obligé d'avouer qu'il faudra peut-être alors se résigner à doter la nation d'institutions libérales. Cet aveu me rappela les paroles de M. Elliot, et je tâchais de savoir si le gouvernement ne croyait pas effectivement plus sage d'aller au-devant des événements inévitables plutôt que de les attendre au risque d'être emporté par eux. M. de Carafa me répondit : « nos principes ne nous permettent pas d'agir ainsi ; mieux vaut pour nous plier devant la nécessité que de céder à la pression d'une puissance étrangère. Par là, du moins, nous sauvegardons nos droits et notre dignité, et nous conservons l'espoir qu'un revirement soudain pourrait encore nous épargner des concessions qui, à nos yeux, ouvrirait la porte à tous les excès de la révolution. » Cette politique à vue étroite ne donnera évidemment pas au gouvernement napolitain la force de résister aux entreprises hardies et aux « heureuses témérités » du Piémont. L'habile tactique du nouveau Ministre de Sardaigne à Naples montre bien quels sont les projets de cette puissance et quels moyens elle compte employer pour arriver, même contre le gré de la France, à réunir toute l'Italie sous son sceptre. Sentant bien qu'après l'annexion des duchés il n'aura plus rien à attendre de la France, le Cabinet de Turin cherche à s'assurer d'autres ressources pour l'exécution de ses projets. Reprendre l'œuvre de 1848, gagner Naples pour la guerre de l'indépendance, fomenter l'agitation de la Hongrie, qui oblige l'Autriche à diviser ses forces, et à se jeter en Vénitie avec les troupes combinées de toute l'Italie, voilà qu'elle semble être le plan du Ministère piémontais. Déjà après la paix de Villafranca, alors qu'on se croyait abandonné par la France, le Comte Salmour était venu à Naples pour inaugurer cette politique ; ses efforts restés infructueux alors sont repris aujourd'hui par M. de Villamarina, qui les poursuit avec une incontestable habileté. Il prodigue au nom de son gouvernement les assurances d'amitié, proteste de ses bonnes intentions, signale les projets du parti Muratiste et offre même le secours du Piémont au cas où la dynastie courrait quelque danger. 11 s'attache à démontrer que les deux gouvernements sont également intéressés à faire respecter l'indépendance de la péninsule et la soustraire à toute influence étrangère. Ses efforts sont restés infructueux jusqu'ici, mais il a foi dans l'avenir et il paraît espérer que ses conseils seront mieux écoutés lorsque par la force des circonstances le Roi sera obligé de compter avec les exigences d'un Parlement.
- 318 Les détails que j'ai eu l'honneur de donner à son Excellence dans ma dernière note sur la lettre de Victor-Emmanuel au Pape m'ont été pleinement confirmés par le chargé d'affaires du Brésil, qui revient de Rome. Il me dit que le représentant napolitain près du Saint-Siège a eu à propos de cet incident une audience de Pie IX, qui lui a mis cette lettre sous les yeux. P.-S. : Avant de clore ma dépêche j'ai l'honneur de faire communication à son Excellence d'un incident qui fait dans ce moment l'objet de toutes les conversations : Le Comte de Syracuse, oncle du Roi, dont j'ai déjà plusieurs fois signalé les tendances hostiles à l'égard du Roi (No 177,2 mai) a paru hier au Corso en voiture ouverte à quatre chevaux avec le marquis Villamarina et sa famille. Le fils de Villamarina suivait dans une autre voiture accompagné d'un aide de camp du Prince. Le Roi se promenait également au Corso conduisant la Reine dans une simple voiture à deux-chevaux. Les deux équipages se sont rencontrés plusieurs f o i s . On a pu remarquer l'expression d'un vif mécontentement sur les traits de Sa Majesté. De nombreux promeneurs ont assisté à cette scène, qui a produit sur la foule une vive impression sans qu'on se soit cependant laissé entraîner à des manifestations bruyantes. Cette démonstration du Comte, car tout le monde s'accorde à donner cette signification à la conduite du Prince n'a donc pas produit l'effet qu'on en attendait, mais elle n'en vient pas moins à l'appui de mes appréciations sur les intentions du Piémont. [285] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 29 février 1860 Dépêche N° 292, réservé En continuation à mon humble rapport N° 2 8 6 1 , j e m'empresse d'avoir l'honneur de transmettre à Votre Excellence des détails plus précis sur l'attitude que les Cabinets de Saint-Pétersbourg et de Berlin ont prise devant les propositions anglaises. Dans la note adressée à son agent à Londres, le Gouvernement Russe décline à adopter la base formulée par la Grande-Bretagne pour l'aplanissement des complications italiennes. Il est à observer qu'il ne se déclare cependant pas hostile aux faits accomplis. En effet, M. le Ministre des Affaires Etrangères de l'Empereur Alexandre n'y dissimule pas, que la Russie pourrait être appelée à reconnaître, comme elle l'a fait lors de la séparation de la Belgique, des événements consommés ; mais il établit qu'elle ne pourrait sanctionner des principes qui en provoqueraient l'éclat. Le Prince Gortschakoff suggère par conséquent, comme moyen propre d'entente, la réunion en conférence des cinq Grandes Puissances. 1
No. 281.
- 319 Cette suggestion, et Votre Excellence voudra bien me permettre de me servir de ce terme puisqu'il ne s'agit pas de contre-proposition, est appuyée par la Prusse qui adressa, de son côté, une dépêche presque identique au Comte de Bernstorff. Suivant les dernières informations du Cabinet de Berlin, la France et l'Autriche n'opposeraient plus d'objection sérieuse contre cette idée. Mais on doute fort que le Ministère anglais, consolidé dans sa position, veuille consentir. D'ailleurs, la réunion désirée, péchant par la base, aurait à ce qu'il paraît, peu de chances d'établir un programme d'entente. En attendant, certains indices qui ne sont pas encore ébruités feraient présumer, que les questions de l'annexion de l'Italie centrale au Piémont et de l'incorporation à la France de la Savoie et de Nice marchent vers une solution prochaine. A cet égard, je prends la liberté de rapporter à Votre Excellence les faits suivants, qui m'ont été confidentiellement communiqués. Au mois de février de l'année écoulée, il fut convenu que la Sardaigne céderait à la France la Savoie et le comté de Nice, si elle recevait la Lombardie et la Vénétie. La paix de Villafranca arrêta l'exécution de cet arrangement. Au mois de juillet, le Gouvernement britannique s'adressa au Cabinet des Tuileries pour des explications au sujet de la convention précitée. Le Comte Walevvski avoua alors qu'il en a été en effet question, mais que l'affaire était abandonnée. Les récentes interpellations dans le Parlement Anglais amenèrent à de nouveaux pourparlers. Et en dernier lieu, l'Empereur Napoléon demanda à Lord Cowley : si les manifestations de la Chambre des Lords étaient sérieuses. Monsieur l'ambassadeur de S.M. britannique répondit : que l'incorporation de la Savoie et de Nice produiraient un profond mécontentement dans le Royaume-Uni ; mais que l'Angleterre ne ferait pas pour cela la guerre. Ces paroles dont j e crois pouvoir garantir l'exactitude, dessinent, si je ne me trompe, l'état des choses. Cependant, la Sardaigne ne serait pas disposée à exécuter la partie de la convention favorable à son allié, sans la réalisation de la stipulation concernant la Vénétie. Mais l'annexion de l'Italie centrale en est une compensation attrayante. D'ailleurs, il semblerait que la France menacerait le Gouvernement Sarde, dans le cas d'un plus long refus de sa part de retirer ses troupes et d'abandonner l'Italie à son sort. Telle serait, Excellence, suivant mes humbles renseignements, la situation actuelle des affaires dont la solution est devenue une nécessité. Heureusement, le Cabinet de Vienne ne paraît pas disposé à y opposer de grands obstacles. Dans la dépêche responsive du Comte de Rechberg à celle de M. Thouvenel, l'Autriche rejette, il est vrai, en termes courtois et modérés, les conseils de la France ; mais elle déclare aussi, ne vouloir pas intervenir dans les affaires intérieures des Etats italiens et se bornera à sa propre défense.
- 320 |286] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 1 e r mars 1860 Dépêche N° 985/40 Le Prince Gortschakoff aurait dit à l'ambassadeur de France à SaintPétersbourg qu'il était temps que l'on arrêta le Comte de Cavour dans l'exécution de ses projets. Le Prince se montre ouvertement hostile à la nonintervention. La Russie sent-elle la nécessité d'occuper les armées françaises ? Ou bien la légitimité méconnue menace-t-elle le sentiment monarchique du Prince ? On ne saurait s'arrêter à l'une de ces deux hypothèses, car elles sont toutes deux applicables à la situation. L'Autriche s'exprime à peu près de la même façon que la Russie : elle ne peut admettre d'une manière absolue le principe de non-intervention. La France n'a pas adhéré au quatrième point, c'est-à-dire à l'appel dans les Duchés et dans les Romagnes au suffrage universel : le traité de Zurich la liant vis-à-vis de l'Autriche. Le temps n'est pas venu encore, bien qu'il soit très proche, assure-t-on, où l'on frappera un grand coup et où il sera prouvé, une fois de plus, que les grandes questions soulevées et débattues en Europe peuvent se terminer fort vite, selon l'attitude de la France, selon l'intérêt qu'elle peut avoir à les faire cesser. 1287] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 1 e r mars 1860 Dépêche N° 706 La situation au lieu de s'améliorer semble de jour en jour devenir plus menaçante. Un décret Royal vient de rappeler sous les drapeaux les contingents des quatre premières classes. Cette augmentation considérable de l'armée sarde est, assure-t-on, motivée par les préparatifs militaires considérables que l'Autriche ne cesse de faire dans la Vénétie. Dans l'Italie centrale, les armements sont également poussés avec beaucoup d'activités et l'on estime que l'armée sarde augmentée des contingents nouvellement rappelés sous les armes et y compris l'armée de la ligue montera à environ 150 ou 160 000 hommes. On parle aussi beaucoup de la prochaine organisation en Piémont, en Toscane et dans l'Émilie d'une garde nationale mobile. Le public se préoccupe beaucoup de la nouvelle attitude que semble prendre la France. Ainsi l'on assure que l'Empereur Napoléon a fait faire au Roi VictorEmmanuel de nouvelles propositions qui seraient : annexion des Duchés de Parme et de Modène au Piémont ; abandon du projet d'annexion de la Toscane
- 321 dont la population aurait à se prononcer sur le choix d'un souverain ; la France n'aurait aucune objection à ce que l'on choisit le jeune Duc de Gênes, neveu du Roi Victor-Emmanuel, et âgé de six ans ; réunion d'une conférence pour régler la question des Romagnes que la France voudrait placer vis-à-vis du Pape dans la même position que les Principautés Danubiennes vis-à-vis de Sa Majesté Impériale le Sultan ; elles formeraient un état annexé soit au Grand-Duché de Toscane soit au Piémont qui, de ce chef, relèverait comme vassal de la suzeraineté du Pape. L'Empereur ajouterait que si le Gouvernement sarde n'adhérait pas à cette proposition les troupes françaises évacueraient la Lombardie et l'Italie se trouverait livrée seule aux chances d'une nouvelle guerre avec l'Autriche. Quoiqu'une dépêche télégraphique arrivée aujourd'hui annonce que le « Globe », journal de Londres, dément l'authenticité de cette nouvelle, néanmoins elle a fait une vive impression sur l'esprit public en Italie. Si elle se vérifiait elle placerait le Gouvernement sarde dans une fort difficile position entre l'alternative de persister seul dans sa politique italienne et de courir toutes les éventualités d'une nouvelle guerre ou d'abandonner les populations de la Toscane et des Romagnes dont il s'était proclamé le champion. D'autre part la nouvelle donnée comme positive par un journal anglais, le « Morning Chronicle », d'une alliance entre la Russie et l'Autriche avait aussi beaucoup préoccupé le public. Il est vrai qu'aujourd'hui la plupart des journaux français et anglais démentent cette nouvelle qui, néanmoins, a laissé dans l'opinion publique une forte impression, car, si heureusement il est avéré que cette alliance n'est pas encore effectuée, on craint qu'elle ne vienne bientôt à se réaliser. La question de l'annexion de la Savoie et de Nice à la France occupe aussi beaucoup les cercles politiques ; par les nouvelles de Paris et de Londres Votre Excellence aura déjà pu juger de l'impression que cette question fait dans ces deux pays. Par des conversations que j'ai eues avec divers de mes collègues je crois pouvoir affirmer que cette annexion rentre bien réellement dans les vues de l'Empereur Napoléon et je ne crois pas qu'elle rencontre beaucoup d'opposition de la part du Gouvernement Sarde. « L'Opinione » J o u r n a l de Turin, qui passe pour recevoir les inspirations de M. de Cavour, publiait tout récemment un article dans lequel il justifiait les prétentions de la France à la possession de la Savoie, article dont le but paraît avoir été de prédisposer l'esprit public à la cession de cette province. La Suisse qui prétendrait avoir des droits sur deux districts de la Savoie, le Chablais et le Faucigny, dans le cas où la Savoie serait cédée à la France, se préoccupe beaucoup de cette question et a député ici à cette occasion un envoyé extraordinaire, M. Tourte de Genève qui est chargé de s'entendre avec le Gouvernement Piémontais et d'appuyer les prétentions de la confédération suisse en cas de changement de souveraineté de la Savoie.
- 322 L'ouverture du corps législatif français doit avoir eu lieu aujourd'hui même à Paris et l'on attend ici avec la plus vive impatience de recevoir par le télégraphe le discours que doit avoir prononcé l'Empereur à cette occasion. L'on espère que ce discours fera connaître l'état rccl des questions pendantes et permettra de voir plus clair dans l'horizon politique. L'on a lu ici avec beaucoup d'intérêt la dépêche circulaire de M. de Thouvenel aux agents politiques de la France à l'étranger, ainsi que celles qu'il a adressées au Ministre de France à Rome. Les deux documents publiés ces jours derniers par les journaux font honneur à la plume de l'homme d'État qui les a rédigés. La majorité considérable que le Cabinet Palmerston vient d'obtenir dans la Chambre des Communes et qui assure son maintien au pouvoir, donne un nouveau courage au Cabinet Sarde ; aussi comme les nouvelles de la Toscane et de l'Italie centrale font prévoir que le maintien de l'état provisoire actuel pourrait bien amener dans ces provinces de graves complications, on s'attend généralement à voir la Sardaigne avoir recours à des mesures énergiques et effectuer l'annexion sans plus de délai dans l'espoir de la faire ensuite accepter comme un fait accompli. On ne saurait ne pas reconnaître que l'opinion publique pousse le Gouvernement dans cette voie. La gazette officielle d'hier a publié un décret de convocation des collèges électoraux pour le 24 de ce mois pour l'élection des Députés au Parlement et fixe le 2 avril prochain pour la réunion des Chambres. On parle d'une circulaire de M. le Comte de Cavour aux agents sardes à l'étranger sur l'état de la Vénétie. Le Ministre des Affaires Etrangères Sarde, prenant prétexte de la circulaire du gouverneur de Venise adressée aux autorités de la province pour prescrire l'incorporation dans les régiments de discipline de tous les individus suspects, ou capables de l'être, constate que de pareilles mesures tendent à entretenir un état d'agitation permanente qui peut devenir très dangereux pour le maintien de la tranquillité de l'Italie. P. S. Je suis depuis quinze jour privé de nouvelles de Constantinople : un dérangement survenu à la machine du paquebot français ne lui a pas permis d'arriver à Messine à temps pour faire suivre les malles par le courrier d'Italie. J'espère donc demain recevoir deux courrier à la fois.
[288] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 5 mars 1860 Dépêche N° 354, confidentielle Le discours prononcé par l'Empereur Napoléon à l'ouverture des Chambres est le grand événement du jour. Quoique les paroles de l'Empereur ne soient plus regardées comme la dernière expression d'une volonté immuable, on n'y cherche cependant la clé de la situation actuelle et des éventualités prochain. Il n'est donc pas étonnant que les divers partis l'interprètent chacun d'une manière
- 323 différente, dans le sens le plus favorable à ses intérêts, et on ne peut nier que les paroles vagues et à double entente du discours impérial ne se prêtent à merveille aux explications les plus contradictoires. Ainsi M. de Carafa, dont l'esprit calme et sceptique ne se laisse pas aisément entraîner à des appréciations hasardées, y voit cependant une tendance de rapprochement avec les puissances du Nord. Il croit y découvrir les premiers effets produits sur l'esprit de l'Empereur par l'entente de la Prusse et de la Russie, et il espère que cette opposition, si elle est énergiquement poursuivie parviendra à détacher la France du Piémont, qui se trouvera alors réduite à ses propres forces pour l'exécution de ces plans d'agrandissement. Mais M . de Carafa craint bien que ces obstacles n'effraient pas la révolution et qu'elle ne se laisse pas plus arrêter par l'abandon de la France qu'elle ne s'est laissée influencer par ses conseils. Le marquis de Villamarina ne se montre nullement étonné du langage de l'Empereur ; ce n'est à ses yeux que la reproduction affaiblie de la lettre à Victor-Emmanuel. Son long séjour en France l'a familiarisé avec les manœuvres de la politique impériale, et il ne considère cette nouvelle manifestation de Napoléon III que comme un moyen de se dégager vis-à-vis de la France de toute responsabilité, de proclamer une fois de plus ses intentions pacifiques et de témoigner sa déférence au conseil des puissances du Nord. L'Empereur n'en exécutera pas moins, quand le moment lui en semblera venu, le plan arrêté dans son esprit. Croyez-moi, me dit le Ministre de Sardaigne, la question n'en est pas moins résolue pour lui ; j'en ai reçu des preuves irrécusables au moment de mon départ de Paris. Le Grand-Duc de Toscane attache plus d'importance aux promesses de l'Empereur, et ne renonce pas à l'espoir de les voir se réaliser. J'en trouve la preuve dans une dépêche chiffrée qu'il vient d'adresser à son chargé d'affaires de Naples et qui m'a été communiqué sous le sceau du secret. Dans cette dépêche il annonce qu'il vient de se rendre sur les bords du Rhin pour donner ses dernières instructions à son représentant près la Cour des Tuileries. Il constate le refroidissement entre l'Empereur et Victor-Emmanuel, s'appuie sur les assurances réitérées de Napoléon de maintenir l'autonomie de la Toscane, et annonce que, c'est sur les pressantes sollicitations de l'Empereur qu'il s'est décidé à accepter des preuves du suffrage universel. Le suffrage universel fonctionnera donc en Toscane le 11 mars, malgré l'opposition de l'Angleterre, de la Russie, de la Prusse et de l'Autriche. Si, malgré l'opposition de la France, la Sardaigne s'emparait de la Toscane le Grand-Duc se propose d'adresser une protestation énergique à toutes les puissances, bien résolu à ne jamais faire le sacrifice de ses droits. Dans cette lettre le Grand-Duc approuve la conduite sage et mesurée de l'Autriche et exprime l'espoir que les puissances du Nord finiront par se mettre d'accord pour rétablir l'ordre compromis par les derniers événements.
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Hn communiquant à son Excellence ces différentes appréciations, qui n'ont toutes qu'une valeur relative, j e crois avoir assez nettement indiqué que des négociations en sens divers sont entamées, mais que le résultat en est encore bien incertain. M. de Carafa me dit qu'il est toujours question de la réunion d'une conférence, et que c'est Paris qu'on désigne actuellement. Nous avons eu cette semaine une reproduction des scènes du mois de septembre, et la ville a de nouveau été mise en émoi par de nombreuses arrestations, dans lesquels figurent comme alors, plusieurs membres de la haute aristocratie. J e sais par M . de Carafa que la police avait intercepté des proclamations envoyées dans les provinces par le comité révolutionnaire napolitain, qui appelait la nation à proclamer la déchéance de la dynastie et l'annexion du royaume au Piémont ; le 1 e r mars y était indiqué pour un soulèvement général. Ce jour-là une certaine effervescence effectivement était signalée au marché, où des gens du peuple insultèrent des agents de la police municipale. Mais un faible déploiement de troupes dans les principales rues de la ville suffirent pour faire échouer l'entreprise. Néanmoins une trentaine de personnes furent saisis dans la journée et reçurent l'ordre de quitter le royaume dans les 2 4 heures. Les arrestations continuent, et on vient d'emprisonner l'avocat de la Légation de France inculpé d'avoir pris part à la publication du journal clandestin. Le Prince Petrulla avait été envoyé en Sicile pour s'assurer si la formation d'un Ministère sicilien composé de noms populaires et la promesse d'une amnistie générale pourrait calmer l'effervescence toujours croissante des esprits. Mais au moment où il avait déjà fait accepter ces propositions des personnages les plus influents de l'île, une dépêche télégraphique lui enjoignit de suspendre ses négociations et de revenir à Naples. Le Prince est parti pour reprendre son poste de Vienne ; mais il se rend d'abord en mission spéciale à Rome, à Paris et à 1 .ondres. [289] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 7 mars 1860 Dépêche N° 293, réservé Il n'étonnera certainement pas Votre Excellence que le discours de l'Empereur des Français, à l'ouverture de la session législative, absorbe toutes les préoccupations sérieuses du moment. Plus en Prusse que partout ailleurs, cette nouvelle allocution napoléonienne devait produire une sensation profonde. Il me semble qu'il ne serait pas difficile d'en saisir les véritables causes. J e me suis fait un devoir, dans le temps, de signaler les appréciations intimes du Cabinet de Berlin au sujet de l'extension des frontières françaises. Encore, ai-je eu l'honneur de rapporter à Votre Excellence, que les citations judicieuses de M . Thouvenel en faveur de l'Italie à constituer réveillèrent des souvenirs peu agréables en Allemagne.
- 325 I a revendication des versants français des Alpes dissipa, il est vrai, les doutes qui auraient pu exister à ce sujet ; mais elle ne tend pas moins à justifier ces appréhensions, sans diminuer l'analogie des tendances actuelles avec les allures du Premier Empire. Le danger du Rhin, dont la rive gauche paraît destinée à entretenir le désir du puissant voisin, reparaît, avec toutes ces péripéties, plus vive que jamais. Aussi la paraphrase que donne le « Times » des paroles précitées, eût-elle un écho multiple dans la capitale de la Prusse. Cette émotion qui, comme Votre Excellence le sait parfaitement, n'était pas inattendue, eut déjà pour premiers symptômes la provocation de délibérations ministérielles. Il en résulta, suivant les informations que j'ai lieu de considérer c o m m e exactes, que le Cabinet de Berlin, imitant la conduite du Gouvernement britannique, exprimera à Paris sa désapprobation relativement à l'incorporation de la Savoie et du comté de Nice. Dans le conseil des Ministres, tenu avant-hier sous la présidence du Prince régent, deux opinions se firent jour. Les uns voulaient attendre les ouvertures promises ; les autres désiraient que la Prusse en prenne l'initiative. II ne m'est pas encore connu au juste, laquelle des deux opinions sera définitivement adoptée. Cependant certains indices qui me reviennent sont plutôt favorables à la dernière. Mais je n'oserais pas essayer d'établir le poids que cette démarche de la Prusse, si elle avait lieu, jetterait dans la balance de la politique française. Il me semble, toutefois, que l'Empereur Napoléon a prouvé qu'il a des desseins et qu'il sait les accomplir. Les renseignements précis que son Gouvernement possède sur la situation des autres Etats encouragent Sa Majesté. Les représentants très énergiques de la Grande-Bretagne ne réussirent pas à prévenir la dernière manifestation publique. Et cependant, cette puissance ne saurait voir d'un o;il indifférent l'acquisition du comté de Nice qui, par sa position même dans la Méditerranée, offrirait à la France des avantages maritimes. La Prusse serait-elle plus heureuse dans ses efforts pour empêcher l'incorporation ? En présence de la désorganisation de son armée, il serait peutêtre permis de ne pas trop s'y fier. Au surplus, l'opposition que rencontre malheureusement dans les Chambres le Ministère pour l'adoption du projet de réorganisation, menace de paralyser son action à l'étranger. C'est une circonstance qui préoccupe sérieusement le chef de l'État. Je prie Votre Excellence de vouloir bien me permettre d'ajouter l'information que les Cabinets de Vienne et de Saint-Pétersbourg ont gardé jusqu'à présent un profond silence devant la manifestation Impériale. Déploieront-ils de grands efforts de résistance aux vues arrêtées de la France sur les territoires dont il s'agit? Quant à la solution générale, mis en avant en dernier lieu, des affaires d'Italie, j e prends ia liberté de faire observer à Votre Excellence qu'elle n'est considérée ni comme définitive ni comme devant s'effectuer par des voies normales. L'on présume toutefois que le Duc de Gênes serait appelé au trône de la Toscane,
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s'il était réservé à ce pays de conserver son autonomie. En tout cas, c'est le seul candidat avoué, quoique la France déclare, par l'organe de son Ministre des Affaires Etrangères, n'exclure aucune candidature, sauf celle du Prince Napoléon. [290] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 8 mars 1860 Dépêche N° 991/46, particulière Le discours de l'Empereur Napoléon a fait un très mauvais effet en Angleterre où l'on croyait les relations avec la France raffermies, depuis le traité de commerce qu'elle vient de conclure. La presse a été la première à montrer sa mauvaise humeur et son mécontentement. Le Gouvernement, lui aussi, a mal accueilli un discours dans lequel on semble s'être appliqué à reléguer l'Angleterre sur un second plan d'où elle doit rester indifférente à la politique européenne. L'opposition ne manquera pas d'accuser le Cabinet de ce semblant de refroidissement et déjà elle l'accuse de prêter les mains niaisement aux projets ambitieux de Napoléon. Plusieurs hommes politiques en Angleterre, pensent que le seul moyen de mettre un terme aux inquiétudes qui se manifestent partout, c'est de proposer aux Puissances d'émettre chacune leur avis sur l'annexion de la Savoie et du comté de Nice, avant que l'Empereur ait soumis la question aux Grandes Puissances. L'Angleterre ferait cette démarche. On m'assure qu'en Prusse une pareille proposition serait bien accueillie. On ferait en sorte que l'Empereur ne puisse se formaliser et on aurait l'air de se concerter ouvertement ; tout en faisant un dernier effort pour ramener de l'unité dans la politique européenne. Je ne puis garantir le résultat à Votre Excellence mais je sais de bonne source que la démarche sera faite dans ce sens. Du reste il n'y a presque plus de diplomatie possible, le plus clairvoyant ne voit pas plus loin que le plus borné, mais une seule chose est acquise : c'est que personne ne croit plus ni aux paroles ni aux actes de l'Empereur Napoléon. La preuve en est que son dernier discours, dont on ne peut tirer aucune conclusion, mais, dont toutes les allures sont pourtant pacifiques, loin de répandre la confiance et le crédit, a occasionné une baisse sensible dans les fonds. P.S. : Le Morning Chronicle a fait depuis longtemps mention dans ses colonnes d'une alliance offensive et défensive qui existait, d'après cette feuille, entre l'Autriche et la Russie et que le Prince de Hesse devait porter à SaintPétersbourg.
- 327 Il est vrai qu'un rapprochement a eu lieu entre les cours de Vienne et de SaintPétersbourg ; j'ai même indiqué dans une de mes précédentes dépêches où il avait pris naissance : ce rapprochement est tout naturel et indiqué par les circonstances. Le séjour à Vienne du frère de l'Impératrice de Russie a produit un excellent effet sur l'esprit de ceux qui voyaient dans l'éloignement complet de la Russie un nouveau danger pour l'Autriche ; mais de là à faire un traité d'alliance offensive et défensive il y a loin, et on croit que, dans ce moment, la France montre trop de sympathie à la Russie pour que l'Autriche osât un traité secrct avec cette dernière puissance. Mes informations démentent d'ailleurs complètement la nouvelle du Morning Chronicle. [291] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 8 mars 1860 Dépêche N° 710 Ainsi que j'ai déjà eu l'honneur de le dire à Votre Excellence dans mon dernier rapport du 1 e r de ce mois, N° 706 1 , la situation se complique de jour en jour et l'horizon politique se couvre de nuages. Votre Excellence verra par la copie ci-jointe A . l de la note que M. de Thouvenel adressait à M. le Baron de Talleyrand, en date du 24 février, que les nouvelles propositions que je signalais à Votre Excellence comme ayant été faite au Gouvernement Sarde étaient bien réelles. Le discours de l'Empereur à l'ouverture de la session parlementaire les a constatées mais la note de M. de Thouvenel les précises d'une manière encore plus formelle. Sous la même date Monsieur de Thouvenel adressait aussi à Monsieur l'ambassadeur de France à Londres une autre note dont j'ai l'honneur de remettre également ci-joint copie à Votre Excellence sub. A.2. Un passage surtout de cette note était d'une grande importance, c'est celui dans lequel M o n s i e u r de Thouvenel dit en examinant les propositions précédemment faites par l'Angleterre : « le Gouvernement de l'Empereur a mûrement examiné la situation qui lui serait faite dans cette éventualité, et il est demeuré convaincu qu'il ne réussirait à dégager sa responsabilité morale que si le principe du suffrage universel, qui constitue sa propre légitimité, devenait aussi le fondement du nouvel ordre de choses en Italie. » M. de Cavour a aussitôt, avec une grande habileté, saisi cette voie de résoudre la question et les peuples de la Toscane et de l'Émilic ont été appelée à exprimer, le 11 et le 12 de ce mois, par le suffrage universel, leur choix entre l'annexion à la Sardaigne ou un royaume séparée.
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No. 287.
- 328 — En même temps, et en date du 29 février, M. le Comte de Cavour répondait à la note de M. de Thouvenel par une dépêche adressée au chargé d'affaires sarde à Paris, dépêche dont Votre Excellence trouvera copie ci-jointe sub. A.3. On ne saurait se cacher que la réponse de M. de Cavour ainsi que la mesure énergique qu'il a prise de faire un nouvel appel aux populations ont grandement satisfait l'opinion publique ici aussi bien que dans l'Italie centrale. On espère ici que si les vœux des populations se prononcent de nouveau par voie du suffrage universel, l'annexion aura lieu immédiatement et que la France ne s'opposera plus au fait accompli en vertu du principe qui constitue sa propre légitimité. En attendant, d'après toutes les nouvelles de l'Italie centrale et de la Toscane, les populations se préparent avec enthousiasme à exprimer leurs vœux. Afin de prouver qu'il laisse aux populations pleine et entière liberté et ne prétend exercer aucune pression sur leurs actes le Gouvernement Sarde a fait donné par le chevalier Boncompagni sa démission de la charge de gouverneur général de l'Italie centrale. D'après les informations que j'ai pu me procurer j'ai lieu de croire que dans les Duchés de Parme et de Modène, ainsi que dans les Romagnes, l'annexion sera votée à la presque unanimité ; qu'en Toscane, elle sera aussi votée à une grande majorité presque partout, excepté à Florence même où l'esprit municipal ou d'autonomie conserve encore assez de partisans. C'est le 11 et le 12 de ce mois que doit avoir lieu la votation ; le 13 et le 14 seront employés au dépouillement des votes partiels dont on pourra déjà juger approximativement les résultats. Ce n'est cependant que vers le 16 ou le 18 que l'on pourra connaître d'une manière précise le résultat final. Si comme on le pense généralement les vœux des populations sont favorables à l'annexion nous nous trouverons en présence de deux alternatives également sérieuses : ou la France refusera de sanctionner les vœux populaires et de reconnaître et soutenir l'annexion, ou bien elle admettra le fait accompli en vertu du principe qui constitue sa propre légitimité. Dans la première hypothèse l'Empereur retirerait ses troupes de la Lombardie et laisserait l'Italie seule livrée aux chances d'une nouvelle guerre que l'Autriche ne tarderait peutêtre pas à lui déclarer. À l'appui de cette supposition je puis affirmer à Votre Excellence que le maréchal Vaillant a reçu ordre de se tenir prêt à partir et qu'il a fait appeler le directeur et l'ingénieur en chef du chemin de fer Lombard pour s'entendre avec eux sur les mesures à prendre en cas qu'il reçoive ordre de marche. D'autre part j e ne cacherai pas à Votre Excellence que des personnes ordinairement bien informées croient que toute la résistance de la France à l'annexion n'est qu'apparente et pour sauver les apparences en présence des engagements de Villafranca et de Zurich, et qu'en secret les Gouvernements Français et Sarde s'entendent parfaitement, et que la note de M. de Thouvenel à Monsieur de Persigny était convenue avec M. de Cavour pour lui donner lieu d'agir ainsi qu'il l'a fait.
- 329 Si cependant la France est sérieuse et que réellement elle abandonne le Piémont, la situation se fait alors vraiment menaçante, car, engagé comme il l'est, et poussé par l'esprit des populations, le Gouvernement Sarde ne pourra pas reculer et se trouvant seul en face d'une puissance comme l'Autriche il devra faire flèche de tout bois et aura recours aux principes révolutionnaires (que jusqu'à présent il a toujours repoussés) pour soulever les masses et créer des embarras à l'Autriche. Nous devons dans ce cas nous attendre à lui voir souffler partout le feu des révolutions et nos provinces limitrophes de l'Autriche seront, sans aucun doute, celles vers lesquels tendront tous les efforts révolutionnaires. M. de Cavour ne cache pas que s'il se trouve trop pressé il aura recours à ces moyens extrêmes et j e sais qu'il a dit à un de mes collègues que si on le pousse à bout, il mettra le feu aux quatre coins d'Europe. Dans la seconde hypothèse, il est à présumer que si la France accepte le fait accompli de l'annexion, l'Autriche sans vouloir reconnaître le nouvel ordre de choses, n'aura cependant pas recours à la guerre pour l'empêcher ; mais la question qui alors pourra faire naître des complications sera celle de l'annexion de la Savoie et de Nice à la France ; annexion qui paraît rencontrer de sérieux obstacles de la part de l'Angleterre et des autres Puissances. Quant à la Sardaigne elle n'y a fait aucune objection et la question semble tout à fait réglée en principe entre les deux Gouvernements. Une note adressée par M. de Cavour au Chargé d'Affaires Sarde à Paris sur cette question, après avoir constaté l'affection que le Roi Victor-Emmanuel porte aux deux provinces de Savoie et de Nice déclare que le Gouvernement Sarde ne saurait mentir aux principes qu'il soutient en Italie ; qu'en conséquence les populations de ces provinces doivent être consultées dans les formes que prescrira le Parlement et que si leurs vœux sont pour l'annexion à la France le Gouvernement Sarde ne croira pas devoir s'y opposer, en réservant cependant la question de frontières et celle des garanties à donner à la Suisse. En attendant, le Gouvernement Sarde continue avec une grande activité ses préparatifs militaires ; l'on annonce qu'en prévision de la retraite possible des troupes françaises l'armée sarde va aller occuper trois camps retranchés qui seraient établis l'un il Pizzigetone, le second à Valeggio et le troisième à un autre point situé près du Mincio. Ci-annexée, Sub. A.4 et A.5 Votre Excellence trouvera une note circulaire adressée par M. de Cavour aux représentants sardes à Paris, Londres, Berlin et Saint-Pétersbourg pour leur prescrire d'appeler l'attention des Gouvernements auprès desquels ils sont accrédités sur certaines mesures prises par les autorités autrichiennes dans la Vénerie et que le Gouvernement Sarde considère comme une violation de l'amnistie établie par les stipulations du traité de Zurich et comme établissant dans la Vénétie un état de choses dangereux pour le maintien de l'ordre et de la tranquillité en Italie.
- 330 — J'ai déjà eu l'honneur de dire à Votre Excellence que presque toute la presse dément l'existence du traité d'alliance que le Morning Chronicle avait annoncé comme étant sur le point d'être signé entre l'Autriche et la Russie. La manière dont un des organes du Gouvernement autrichien rédige ce démenti est assez remarquable pour mériter l'attention de Votre Excellence. Voici les termes dont il se sert : « les nouvelles du Morning Chronicle et des journaux allemands sur le traité Austro-Russe sont prises en l'air ; mais dans un air fécondé par les idées dont le monde est rempli et qui peu à peu prennent un corps . Ce qui signifie que le traité s'il n'est pas fait se prépare, et que l'Autriche, la Russie et la Prusse, qui ne sont pas unies par une alliance et qui ; intérieurement, sont divisés par maintes rancunes, par maints conflits, se meuvent néanmoins sur la même lignée dans des points déterminés et importants. C'est là un commencement dont les conséquences doivent graduellement conduire là où l'instinct du monde journaliste voit déjà, dans sa prévision active, des faits accomplis. » P. S. : Je viens de réussir à me procurer copie de la note de M. de Cavour sur la question de Savoie et de Nice dont il est fait mention plus haut, Votre Excellence la trouvera ci annexée Sub.A .6. [292] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 13 mars 1860 Dépêche N" 357 À la suite des dernières arrestations, les Ministres de France, d'Angleterre et d'Espagne ont cru bon de soumettre au Roi quelques observations. Sa Majesté leur accorda l'audience qu'ils lui avaient demandée, mais elle voulut les recevoir séparément. Les trois Ministres cherchèrent à lui démontrer la nécessité de ménager l'opinion publique et de ne pas exaspérer les esprits par des rigueurs arbitraires. Ils tentèrent d'obtenir la grâce des personnes arrêtées, et firent valoir cette considération que l'exil est une peine trop rigoureuse pour qu'il soit prudent de l'infliger sans jugement préalable. Mais le Roi ne parut guère touché de ces observations, et répondit qu'il faut avant tout se sauver quand on se sent monter l'eau jusqu'au cou ; au Ministre de France notamment il dit que son maître avait employé des moyens bien plus sévères dans des circonstances analogues. Cette démarche est donc restée sans effet, et cette semaine encore plusieurs des personnes arrêtées ont dû quitter le royaume. L'avocat de la Légation de France n'a pu obtenir qu'un court délai pour régler ses affaires, et il devra aller sous peu rejoindre à l'étranger ses compagnons d'infortune.
- 331 M. de Caral'a me communique quelques détails sur l'état actuel de la question italienne. Une dépêche de Rome, lui annonce, sous la date du 8, que le Piémont repousse les dernières propositions de l'Empereur. Victor-Emmanuel déclare qu'en retirant des Duchés et des Légations M. Boncompagni et les autres agents piémontais il a assez fait pour laisser les populations à leurs propres inspirations, et qu'après avoir engagé sa parole, il ne pourra pas refuser l'annexion dans le cas où le suffrage universel la proclamerait. D'un autre côté, l'Empereur a répondu qu'il est décidé à ne pas permettre l'incorporation des Légations à la monarchie sarde, alors même qu'elle serait demandée par les vœux unanimes des populations. Mais le Piémont tient ferme ; il promet toutefois s'il obtient des Légations, de se joindre aux autres puissances pour garantir au Pape le reste de ses possessions, et s'engage à ne pas favoriser dans ce cas l'agitation des Marches et de l'Ombrie. M. de Grammont a donné connaissance au Pape de l'état des négociations, mais le Saint-Père s'en est montré peu satisfait. M. de Carafa croit que l'Empereur ne pourra empêcher l'annexion des Légations qu'en les faisant occuper par son armée. [293] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 14 mars 1860 Dépêche N° 297, réservé Le télégraphe apprendra bientôt le résultat de la votation en Toscane. Aussi serait-il inutile de se livrer à des conjectures oiseuses. Qu'il me soit seulement permis de rapporter à Votre Excellence, que le Baron de Schleinitz ne doute nullement d'une issue favorable à l'annexion. Il fonde cette opinion, tant sur l'état des esprits en Toscane que sur le régime de terrorisme qu'y exerce la Sardaigne. M. le Ministre des Affaires Etrangères a bien voulu aussi me communiquer l'information qu'il reçut, des mesures prises spontanément par le Cabinet de Turin pour la provocation des voeux populaires en Savoie et dans le comté de Nice. À son avis, le résultat n'en serait pas favorable à la France. Le parti annexionniste y aurait été particulièrement recruté parmi les membres du clergé, mais ceux-ci n'auraient plus de sympathie pour la France depuis que l'Empereur Napoléon a rompu avec le Pape. En présence de l'activité efficace des agents français dans ces pays, il serait peut-être permis de ne pas adopter entièrement l'opinion précitée. D'ailleurs, le jeu hardi du Comte Cavour eût-il réussi que le Gouvernement de l'Empereur ne semble pas disposé d'en tenir compte. Le dernier article du « Constitutionnel » sur la question, trahît, si je ne me trompe, la conduite qu'il résolut de faire valoir.
- 332 En attendant, le Cabinet de Berlin suivit, en partie, l'impulsion que j e me suis fait un devoir d'indiquer dans mon humble rapport N° 293 1 . Il se contenta, en effet, d'une déclaration verbale, au moment où la Note Française contenant la consultation promise fut expédiée de Paris. On m'assure que c'est le Comte Pourtalès qui influença dans ce sens le Ministère du Prince-Régent. Devant la position intérieure et l'attitude des Grandes Puissances, la désastreuse doctrine des vœux populaires menace de s'ériger en principe. Le Gouvernement Prussien est loin d'en méconnaître la gravité ; mais il ne possède ni le pouvoir ni le courage de poser une digue à l'envahissement progressif de cette maxime, grosse de péril et de confusion. [2941 Rustem Bey à Fuad Pacha Turin le 15 mars 1860 Dépêche N° 719 Depuis le dernier rapport que j'ai eu l'honneur d'adresser à Votre Excellence le 8 de ce mois N° 710 2 , l'horizon politique semble un peu s'éclaircir. Les populations de l'Emilie et de la Toscane appelées à exprimer leurs vœux, par le suffrage universel, ont partout voté, avec beaucoup d'enthousiasme et à la presque unanimité, pour l'annexion. Ci-annexé Sub.Al Votre Excellence trouvera une note des résultats partiels que le télégraphe nous a jusqu'à présent fait connaître. Le résultat définitif n'est pas encore connu ; aussitôt que nous l'apprendrons j'en ferai, par télégraphe, part à Votre Excellence. En présence d'une pareille manifestation des vœux de l'Italie, l'on paraît espérer ici que la France ne fera aucune opposition sérieuse à l'annexion. Le langage de M. le Baron de Talleyrand paraît en effet s'être beaucoup modifié dans ces derniers jours et sans rien préjugé sur les décisions que prendra l'Empereur, il semble avoir plus d'espoir d'une solution pacifique. On parle d'une nouvelle proposition de la France, proposition qui serait de donner la souveraineté de la Toscane à un fils du Roi Victor-Emmanuel avec droit de réversibilité en faveur du Piémont en cas de mort, sans héritier, du nouveau souverain ; mais en présence de la manifestation unanime qui vient d'avoir lieu, cette proposition n'a aucune chance d'acceptation. Le Gouvernement Sarde semble bien décidé à passer outre et à effectuer immédiatement l'annexion aussitôt que les députations qui doivent apporter les vœux d'annexion les auront présentés au Roi. Ces députations seront présidées par les Gouverneurs eux-mêmes qui viendront ainsi déposer leur pouvoir dans les mains du Roi. La députation de l'Emilie, ayant à sa tête le dictateur, M. Farini, est attendue pour le 17 ou 18 ; celle de la Toscane, guidée par le 1 2
No. 289. No. 291.
- 333 Président du Gouvernement, M. Ricasoli, n'arrivera que vers le 22 ou le 23 ; M. Ricasoli ayant convoqué l'Assemblée Toscane pour le 20 afin de lui rendre compte du résultat du vote, le lui faire sanctionner et donner ainsi encore plus de poids à la manifestation en faveur de l'annexion. On prépare ici de brillantes réceptions à ces députations. De son côté le Gouvernement Sarde a déjà fait mettre en route les troupes d'infanteries, cavalerie, et artillerie Piémontaises destinées à aller prendre possession de la Toscane et de l'Émilie ; ses troupes calculeront leurs étapes de manière à se trouver sur la frontière au moment où l'annexion sera proclamée ici et entreront aussitôt sur un ordre télégraphique. Elles sont sous les ordres du Général Cialdini. Dans les cercles diplomatiques on craint que le Pape ne veuille faire une manifestation contre l'annexion des Romagnes en y faisant également entrer les troupes qu'il a concentrées vers la frontière et qui se composent d'une vingtaine de mille hommes pour la plupart suisses ou allemands, ce qui amènerait infailliblement une collision sanglante. Personne ne semble avoir aucun doute sur le résultat qui serait indubitablement la déroute des troupes pontificales, mais ce que l'on craint c'est que la conséquence immédiate ne soit le soulèvement du reste des États du Pape, ce qui pourrait produire de nouvelles complications et peut-être même l'intervention de Naples et de l'Autriche. En prévision de tous les événements qui pourraient surgir le Gouvernement Sarde a décidé la mise sur le pied de guerre de toutes les forces militaires du Piémont et des États annexés. Sur ce pied l'armée sarde, sans y comprendre la division de Savoie, se composerait de 240 000 hommes ; les troupes de la Toscane et de l'Émilie monterait à 60 000 hommes, ce qui ferait un total de 200 000 hommes que le nouveau royaume pourrait meure en campagne. La question de l'annexion de la Savoie et de Nicc à la France semble préoccuper beaucoup plus le Parlement britannique que le public de Turin où l'on considère l'annexion de la Savoie comme indubitable et l'on y paraît parfaitement résigné. Quant à Nice on semble croire que les populations, si elles sont appelées à voter, pourraient bien se prononcer en faveur du Piémont. Ci-annexé A2., Votre Excellence trouvera copie d'une proclamation publiée par les Gouverneurs de Chambéry et d'Annecy aux populations savoisiennes. Votre Excellence remarquera que cette proclamation est une conséquence logique de la note cle M. de Cavour sur cette question, note dont j'ai eu l'honneur de remettre copie à Votre Excellence par mon dernier rapport. Il arrive à propos de cette note une chose assez singulière ; Le Moniteur en la publiant a omis, à l'endroit où Monsieur de Cavour promet, si les populations désirent d'être réunies à la France, de tenir compte de cette manifestation, les mots : « prononcés d'une manière légale et conformément aux prescriptions du Parlement. »
- 334 Je puis certifier de la manière la plus positive à Votre Excellence que ces mots se trouvent bien réellement dans la dépêche originale, car je me suis procuré au Ministère même des Affaires Etrangères la copie d'après laquelle a été transcrite celle que j'ai envoyée à Votre Excellence. On se demande quel est le but que se propose le Gouvernement Français en retranchant cette phrase dans la publication qu'il a faite à la dépêche dans son organe officiel. A propos de la question de Savoie je puis assurer d'une manière positive à Votre Excellence que M. Tourte, envoyé extraordinaire Suisse, a lui hier à M. le Comte de Cavour une protestation formelle du conseil fédéral contre l'annexion de la Savoie à la France et qu'il lui a, en même temps, déclaré que la Suisse allait s'adresser aux Grandes Puissances pour réclamer le maintien de ses droits. Votre Excellence n'ignore pas que les prétentions de la Suisse se basent sur les traités de 1815 qui ont garanti la neutralité de deux districts de la Savoie, le Faucigny et le Chablais. La Suisse avait cru pouvoir profiter du projet d'annexion la France de la Savoie pour susciter dans ces deux districts une agitation dont le but était de faire demander par les populations leur annexion au canton de Genève, mais ayant complètement échoué dans ce dessein, la Suisse semble maintenant vouloir susciter des difficultés à l'annexion de la Savoie à la France. Je crois cependant qu'elle serait toute disposée à se contenter si la France voulait bien lui garantir la continuation de la situation faite au Chablais et au Faucigny par les traités de 1815, mais c'est ce que l'Empereur ne semble nullement disposé à faire. Le conseil municipal de Milan a voté une adresse au Roi pour lui exprimer l'adhésion de la ville de Milan à la politique nationale suivie dans ces derniers temps par son Gouvernement, et pour offrir, au nom de la ville de Milan, la somme de 3 millions de francs pour aider le Gouvernement à soutenir cette politique. Toutes les autres villes de la Lombardie se préparent à suivre cet exemple ; déjà la ville de Brescia a offert un million, celle de Crémone, 500 000 F, celle de Monza 200 000. Hier le Corps Diplomatique et les grands dignitaires de l'État ont assisté à un grand dîner officiel donné par M. le Comte de Cavour en l'honneur de l'anniversaire de la naissance du Roi. Le doyen du Corps Diplomatique a porté un toast à la santé du Roi et M. de Cavour un à la santé des souverains et chefs des Gouvernements amis et alliés de son auguste maître. [295] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin le 15 mars 1860 Dépêche N° 707 Je viens de recevoir du Gouvernement actuel de la Toscane un gros paquet contenant un certain nombre d'exemplaires, en français et en anglais, du mémorandum que le Gouvernement Toscan a adressé, en date du 14 novembre 1859, aux Gouvernements des Grandes Puissances de l'Europe.
- 335 Bien que la question n'ait actuellement qu'un intérêt tout rétrospectif néanmoins en présence de l'envoi officiel qui m'est fait en ce moment par le Gouvernement Toscan, je crois de mon devoir de transmettre ci-inclus à Votre Excellence quelques exemplaires de ce mémorandum, qui, du reste, pourra servir à éclairer davantage Votre Excellence sur les sentiments du peuple toscan. [296] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 15 mars 1860 Dépêche N° 995/51 On commence, à ce qu'il paraît, à s'inquiéter à Saint-Pétersbourg des suites que pourrait avoir la politique française, si l'annexion de la Savoie et du comté de Nice a lieu. M. de Balabine a dit à Vienne, de façon à être entendu de plusieurs personnes, que si le Times avait déclaré que le Ministre de la Reine qui demandait que l'on prit les armes pour empêcher l'annexion de la Savoie à la France, devrait être mis aux petites maisons, lui Monsieur de Balabine, affirmait que, dans une pareille occurrence, il trouverait fort sot le Ministre de Russie qui ne conseillerait pas à son souverain de profiter de la même occasion pour reprendre les possessions naturelles de la Russie jusqu'au Danube et rétablir dans la mer Noire une flotte si nécessaire pour sauvegarder ses intérêts. Je prie Votre Excellence de se servir de ces nouvelles, en général, avec une extrême réserve et de faire la part des circonstances dans lesquelles ces paroles ont pu être prononcées, tant dans l'intérêt de ceux de qui je les tiens que dans celui de notre politique. Au nombre des appréhensions qui ont été émises devant moi, qu'il me soit permis de citer celle-ci : L'on assure que le Gouvernement français ne doute pas du résultat que le Piémont obtiendra de ce suffrage universel qui doit se faire sous les yeux d'agents salariés et nantis d'instructions du Gouvernement piémontais ; mais l'on déclare aussi que l'Empereur est bien décidé à ne pas recourir aux mêmes moyens pour s'assurer la possession de la Savoie et du comté de Nice. Car à lui il ne serait pas permis de regarder, avant le suffrage, la Savoie et Nice comme pays conquis et d'y envoyer ses propres agents ; or, rien n'empêcherait le Gouvernement piémontais de se servir des mêmes instruments à Chambéry et à Nice, qu'à Florence et à Bologne. Comme conséquence on affirme que l'Empereur doit déclarer au Piémont, après la sanction que le peuple doit donner aux projets ambitieux de M. de Cavour, que la Lombardie a été cédée à la Sardaigne sans suffrage universel, que là devait selon les stipulations de Villafranca s'arrêter l'agrandissement des États de Victor-Emmanuel et que puisque, malgré les conseils et les injonctions de son allié, le Piémont a préféré écouter les conseils de ministres ambitieux,
- 336 — l'Empereur
Napoléon
se
réservait
comme
sauvegarde,
devant
un
agrandissement démesuré de territoire, la partie du pays voisin qui peut seule protéger ses frontières contre des agressions dont aucune force humaine ne pourrait garantir l'avenir, et que si le Piémont ne se montrait pas satisfait de cet arrangement le monarque français pourrait garder la Lombardie que l'Autriche lui avait cédée, et en outre, aurait recours à un congrès pour décider la question de la Savoie qui devenait indispensable à la France pour protéger sa nouvelle possession sur le Mincio. Deux membres du Cabinet Français ont déclaré à Lord Cowley que si le suffrage universel sanctionnait en Toscane l'annexion de ce pays au Piémont, le Gouvernement français était très décidé à ne pas donner son adhésion à un pareil effet. En outre on assure que l'Empereur est très porté pour le jeune duc de Toscane, qu'il serait fort aise de voir ce jeune Prince occuper le trône de ses ancêtres, et qu'il est très mécontent de la conduite de M. de Cavour dont la politique est de plus en plus anti-française. Le Cabinet Anglais a dû apprendre cette nouvelle cette semaine par une dépêche de Lord Cowley, et j e puis affirmer que cette déclaration a produit le plus détestable effet. Lord John Russel, par exemple, qui s'est engagé si loin dans les Chambres législatives, doit voir sa politique italienne un peu compromise. L'opposition s'en réjouira, car si le Cabinet ne triomphe pas de ce côté-là ses adversaires profiteront de la défaite pour proclamer leurs idées et déployer devant l'opinion une nouvelle bannière. La question de l'intervention des quatre puissances est abandonnée pour le moment, on croit en Angleterre que cette mesure, si elle n'avait pas un succès complet, indispose l'Empereur contre l'Angleterre qui aurait été l'instigatrice de cette espèce de complot. Les nouvelles de Prusse ne sont guère plus rassurantes. Le Cabinet se montre hostile à la réunion de la Savoie. En principe il ne peut admettre ce nouveau mode d'agrandissement territorial et, s'il ne s'agissait que de l'avis du Gouvernement prussien, le projet d'intervention des quatre puissances aurait des chances de réussite. Votre Excellence verra par ces dépêches que l'horizon politique est loin de s'éclaircir et que la diplomatie est encore impuissante à renouer des relations amicales entre les différentes puissances désunies par la politique française. P. S. : Au moment même d'expédier mon courrier, on m'assure de bonne part, que l'ordre a été donné hier aux troupes françaises de quitter l'Italie aussitôt que l'annexion de la Toscane au Piémont serait un fait accompli.
- 337 [297| Spitzer Effendi à Fuadl Pacha Naples, le 19 mars 1860 Dépêche N° 363, confidentielle Le Roi s'est enfin décidé à accepter définitivement la démission du général Filangieri et à le remplacer pour la présidence du conseil par le Prince de Cassaro et pour le département de la guerre par le général de Winspeare. Le Ministre des affaires de Sicile, Monsieur de Cumbo, est remplacé par le chevalier de Bracci ; le conseiller d'État Gamboa est nommé Ministre de Grâce et Justice par suite du décès de M. de Galotti. On regarde en général ce changement comme purement provisoire, les amis de la Cour avouent eux -mêmes que le Roi sera bientôt forcé de s'adresser aux hommes libéraux du pays pour former un Cabinet qui puisse triompher des difficultés de la situation. On se flatte encore dans les autres régions que la France, mécontente d'avoir vu repousser par le Piémont ses conseils, l'abandonnera à ses propres forces ; mais si cet espoir venait à s'évanouir, le Roi de Naples ne pourrait guère résister plus longtemps et devrait accorder la constitution. Un grand mécontentement continue à régner à Naples et dans les provinces. Pour produire un mouvement les chefs des mécontents exploitent la cherté des vivres et les récentes mesures de rigueur du gouvernement. Mais celui-ci a pris toutes ses dispositions pour étouffer le soulèvement qu'il redoute de voir éclater à tout moment. Les troupes sont constamment consignées dans leurs casernes ; de fortes patrouilles parcourent jour et nuit la ville. On pourrait se croire à la veille d'une collision si depuis longtemps on n'était habitué à voir se reproduire toutes ces rumeurs et tous ces développements de force. La situation n'en est pas moins des plus graves, et grandes sont les inquiétudes de la Cour. On y craint que le Comte de Syracuse, qui ne fait pas mystère de ses intimes relations avec; le Ministre de Sardaigne, n'excite un soulèvement pour se faire proclamer Roi. La Cour, parfaitement instruite de ces menées, fait surveiller le Prince, et l'on ne s'étonnerait pas qu'il reçut bientôt l'ordre de quitter le pays. On vient d'apprendre à Naples le résultat du vote de l'Italie centrale. Partout le Piémont a obtenu une grande majorité. Dans les Légations 202 659 voix se sont prononcés pour l'annexion, à Modène 115 621, à Parme 88 511, en Toscane 366 571. Des lettres de Rome m'apprennent que le Pape, tout en repoussant le choix de Victor-Emmanuel pour le vicariat des Romagnes, a accepté en principe l'idée de ce vicariat, mais sous condition que le Roi de Naples en devienne le titulaire. Cette proposition du gouvernement pontifical est actuellement soumise aux délibérations des puissances.
- 338 |298| Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 21 mars 1860 Dépêche N° 302, réservé Pour faire suite à mon humble rapport N° 297 1 , j'ai l'honneur de porter à la haute connaissance de Votre Excellence que le Prince de La Tour d'Auvergne communique ces derniers jours au Cabinet de Berlin la dépêche du Gouvernement français relativement à la question de Savoie et du comté de Nice. D'après les informations que j'ai pu me procurer, ce document, attendu avec une anxiété aussi légitime, n'est qu'un long et habile plaidoyer pour l'incorporation arrêtée des pays précités. M. Thouvenel, se conformant à la déclaration faite dans le discours Impérial du 1 e r mars, en expose les motifs qu'il fait subordonner à des convenances de haute politique. Toutefois, Son Excellence essaie de dissiper les appréhensions qui découlent, aux yeux des Etats limitrophes, de l'application du principe invoqué en faveur de l'annexion. Mais évitant de consulter, ainsi que M. le Ministre des Affaires Etrangères de l'Empereur l'avait verbalement promis à Lord Cowley, les grandes puissances, le Cabinet des Tuileries se borne à exprimer la conviction qu'elles apprécieront dans leur équité, sa conduite. Mais je n'oserais pas faire observer à Votre Excellence que cet exposé n'a pas satisfait le Cabinet de Berlin. Aussi maintient-il sa manière de voir, quoiqu'il ne puisse nourrir grand espoir de succès, malgré le parfait accord qui règne entre lui et le Gouvernement de Sa Majesté britannique. Qu'il me soit permis d'ajouter que l'Autriche, suivant l'opinion accréditée dans les régions politiques de cette capitale, ne se montre pas disposée à résister sérieusement au projet dont il s'agit. Quant à la Russie, il paraît certain qu'elle observe une attitude passive, dont on pourrait peut-être chercher l'explication dans certains sentiments du Prince Gortschakoff. Plusieurs indices feraient, en effet, présumer que Son Excellence n'a pas abandonné l'espoir de faire participer ses sentiments par la France. Il n'est cependant pas moins curieux que le Cabinet de Saint-Pétersbourg fit récemment déclarer à Paris, qu'il maintiendra toujours son alliance intime avec la Prusse. En présence de ces dispositions des grandes puissances, la déclaration complaisante du Cabinet de Turin tend à rendre plus douteux encore les chances d'une opposition efficace à l'incorporation des versants français.
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No. 293.
- 339 — [299] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin le 22 mars 1860 Dépêche N° 727 L'irrégularité du service des paquebots des Messageries Impériales est depuis quelque temps devenue telle que nous ne recevrons presque jamais le courrier à l'époque à laquelle il devrait arriver ; ainsi les dernières dépêches que j'ai reçues de Constantinople portent la date du 29 février et je manque encore de nouvelles postérieures. Depuis mon dernier rapport du 15 de ce mois, N° 719 1 , de graves événements se sont accomplis. Par ma dépêche télégraphique chiffrée du 16, j'annonçais à Votre Excellence que l'annexion avait partout été votée à la presque unanimité ; c'est en effet ce que Votre Excellence peut voir par le relevé officiel des votes que j'ai l'honneur de lui transmettre ci-inclus Sub.Al. Le 18, M. Farini, dictateur des États de Parme, Modène et des Romagnes, et réunis sous la dénomination d'Emilie, est arrivé à midi à Turin pour présenter au Roi les documents officiels du suffrage universel des populations de ces provinces. Il a été reçu au débarcadère par la municipalité venue à sa rencontre ; la station du chemin de fer ainsi que les rues, par lesquels devait passer le cortège, étaient ornées de draperies et de drapeaux ; la garde nationale formait la haie. M. Farini fut conduit en grande pompe à un des premiers hôtels de la ville et accueilli partout sur son passage par les acclamations de la population. A 4 heures, deux voitures de la cour en grande livrée contenant le maître des cérémonies allèrent le prendre et le conduisirent au palais. Il fut aussitôt introduit en présence du Roi. Sa Majesté était sur son trône, ayant près de lui le Prince Carignan et entouré de ses Ministres, des grands dignitaires de la Couronne, des présidents du conseil d'État, de la Cour des Comptes, des Cours de Cassation, d'Appel, de la haute magistrature, des secrétaires généraux et des directeurs généraux des Ministères, du Gouverneur de Turin, du syndic de la municipalité, des officiers généraux de l'armée et de la garde nationale, de sa maison militaire et civile. M. Farini en remettant à Sa Majesté les documents officiels du vote de l'Émilie pour l'annexion à la monarchie constitutionnelle de Piémont a prononcé le discours dont traduction ci-jointe Sub.A2. Le Roi a aussitôt répondu par le discours dont également ci-joint traduction Sub.A3. Sa Majesté a alors signé le décret en vertu duquel les provinces de l'Émilie sont déclarées partie intégrante de l'État. Ci-annexé, Sub A4, Votre Excellence trouvera traduction de ce décret qui a été également signé par tout le Ministère. 1
No. 294.
- 340 À ce moment un drapeau national, agité à l'une des fenêtres du palais, et une salve de 101 coups de canon ont annoncé à la population que l'annexion était accomplie. La foule rassemblée sur la place du palais a alors redoublé ses acclamations et par deux fois le Roi a dû se montrer aux balcons et remercier la foule. Par dépêche télégraphique chiffrée, du même jour, je m'empressais d'annoncer à Votre Excellence cet important événement. Aujourd'hui 22, M. Ricasoli, président du Gouvernement Toscan, est arrivé à une heure après-midi à Turin apportant les documents officiels qui constatent le vote de la Toscane pour l'annexion au Piémont. Il a été reçu précisément de la même manière qu'avait été reçu M. Farini et l'annexion de la Toscane s'est accomplie exactement avec le même cérémonial qui avait été observé pour l'annexion de l'Emilie. Ci-joint Sub.A5 Votre Excellence trouvera traduction du discours adressé au Roi par M . Ricasoli, Sub.A6, traduction de la réponse de Sa Majesté, Sub.A7, traduction du décret par lequel la Toscane est proclamée partie intégrante du royaume. Le Gouvernement Toscan vient de publier un manifeste sur le plébiscite du 11 et 12 mars. Ci-annexé Votre Excellence trouvera S u b A 8 traduction de ce document. Les collèges électoraux de toutes nouvelles provinces sont, par décret Royal, convoqués pour le jour 25 de ce mois pour élire leurs Députés au Parlement National qui doit s'assembler ici le 12 du mois prochain. Des décrets royaux ont aussi n o m m é Sénateurs du royaume 15 des personnages les plus notables des provinces de l'Emilie, et l'on annonce comme prochaine la nomination, en la même qualité, d'un certain nombre des personnages les plus marquants de la Toscane. Un décret antérieur avait déjà élevé au même rang de Sénateur du royaume un certain nombre de personnes les plus distingués de la Lombardie. Par dépêche télégraphique chiffrée de ce jour, je me suis empressé d'informer Votre Excellence des faits importants arrivés aujourd'hui. L'annexion de la Toscane, des Romagnes, des Duchés de Parme et de Modène est donc actuellement un fait accompli. La France n'y fait aucune objection ; seulement pour que les propositions de l'Empereur ne semblent pas toutes avoir été rejetées, elle a exigé que l'on conserverait à la Toscane un semblant d'autonomie administrative, et Votre Excellence verra en effet que la réponse du Roi à M. Ricasoli en fait mention quoique d'une manière très, vague. D'après ce que me disent mes collègues, il ne paraît pas qu'aucune des autres Grandes Puissances soit disposée à faire une opposition directe à l'annexion ni à sortir de la position d'expectative dans laquelle elles semblent vouloir se renfermer. Pour le moment donc on peut espérer de voir éviter les dangers d'une nouvelle guerre, à moins que la cour de Rome et celle de Naples n'aient la folie de vouloir se jeter dans les chances d'une lutte qui pourrait leur coûter fort cher. Mais il est à espérer que mieux conseillées elles renonceront aux velléités guerrières qu'on leur attribue actuellement.
- 341 Les troupes françaises qui occupent la Lombardie ont, en partie, commencé leur mouvement de retraite. Une partie se retire par la Savoie, l'autre par Nice. Ce mouvement du reste se fait très lentement, car il ne part qu'environ un bataillon par jour ; il faudra donc plus de deux mois pour que toutes les troupes qui se trouvent en Loin hardie puissent se retirer. Beaucoup de personnes pensent, et je serais assez de leur avis, que voulant occuper définitivement la Savoie et Nice avant que les Grandes Puissances puissent arriver à un accord et manifester leur opinion, le Gouvernement Français a jugé prudent d ' y faire arriver une partie des troupes qu'il a en Lombardie plutôt que d'y envoyer des troupes de France, ce qui n'aurait pas manqué de faire crier la presse étrangère. Cette question de la cession de la Savoie et de Nice semble être actuellement décidée entre les deux Gouvernements Français et Sarde. La France a insisté pour une cession directe par traités sans aucun appel aux vœux des populations, et il paraîtrait que le Gouvernement Sarde a dû céder. Là serait l'explication réelle de l'omission dans le Moniteur d'une phrase de la note de M. Cavour ; omission dont mon dernier rapport entretenait Votre Excellence. Comme le statut organique interdit à la Couronne le droit d'aliéner une parcelle de territoire sans le consentement du Parlement, il paraît que l'on tiendra secret l'arrangement que l'on assure être déjà conclu ou au moins sur le point de se conclure jusqu'à ce qu'on ait pu le faire sanctionner par le Parlement. M. Benedetti est arrivé ici aujourd'hui directement de Paris et l'on assure que son voyage aurait rapport à cette question. Les troupes sardes au nombre de 12 000 hommes, sous le commandement du Général Cialdini sont entrées à Bologne le 18, au moment m ê m e où l'on proclamait ici l'annexion. Un nombre égal de troupes sardes va entrer dans deux jours à Florence où le Prince de Carignan fera son entrée solennelle le 27 en qualité de lieutenantgénéral du Roi. L'on assure qu'après l'ouverture du Parlement le Roi irait lui-même faire une tournée dans les nouvelles provinces annexées. On assure aussi que M. Farini serait bientôt nommé Ministre de l'Intérieur et que l'on créerait un nouveau Ministère, celui du Commerce, pour M. Ricasoli, à moins cependant qu'il ne voulut accepter la présidence de la Chambre des Députés. En attendant, le Roi vient de le décorer du grand collier de l'ordre suprême de la Très Sainte Annonciation.
- 342 |300] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 26 mars 1860 Dépêche N° 367/32, confidentielle Le Roi s'est rendu cette semaine à Gaëta. Aussitôt le bruit s'est répandu que l'armée napolitaine allait entrer dans les États pontificaux et que le Roi est allé à la frontière pour assister à son départ. L'arrivée des journeaux semi-officiels de Paris qui tous annonçaient que le Pape venait de demander le remplacement de la garnison française par des troupes napolitaines ne pouvait que confirmer ce bruit, qui était d'ailleurs propagé par la Légation de France et par les partisans du Comte de Syracuse. Mais grand fut le désappointement quand on vit revenir le Roi au bout de deux jours. Son voyage n'avait eu pour objet que l'inspection de quelques travaux de fortifications. Ce qu'il y a de vrai au fond de toutes les rumeurs relatives au prochain départ de l'armée française c'est que la France, et non le Pape, a récemment entamé de nouvelles négociations pour la retraite du corps d'occupation. Le langage des journaux semi officiels avait pour objet que de donner le change sur le but réel de ces pourparlers. Voici, Excellence, ce que, Monsieur de Carafa, me dit à ce propos : Par une dépêche du 10 mars, M. Thouvenel avait chargé M. de Grammont de déclarer au Pape que le départ des troupes françaises étant devenu une nécessité inévitable, il fallait songer à pourvoir à la sûreté des États pontificaux. Il devait par conséquent engager le Saint-Père à retirer sa propre armée des Marches et de l'Ombrie pour lui confier la garde sa capitale, et à offrir le vicariat de ces prov inces au Roi de Naples, qui les ferait alors occuper par des troupes napolitaines. Mais le Pape répondit à l'Ambassadeur que, malgré les regrets que lui inspirait le départ de l'armée française, malgré la pleine confiance qu'il mettait dans la loyauté du Roi de Naples, il ne pouvait admettre pour les Marches une combinaison qu'il avait dû repousser pour les Légations et qu'il aimait mieux s'en remettre à ses propres forces, quelle qu'insuffisantes qu'elles fussent, que d'entraîner son fidèle allié à une aussi périlleuse démarche. M. de Grammont s'adressa alors au chargé d'affaires napolitain, Monsieur de Martino, et le décida à se rendre auprès de son Roi pour lui exposer personnellement les avantages que toutes les parties trouveraient dans sa coopération au rétablissement de l'ordre. En retour de ce service la France s'engagerait à garantir Naples contre toute attaque du Piémont. Pendant que ces négociations se poursuivaient à Rome Monsieur de Brenier agissait ici dans le même sens. Mais le nonce auquel il s'était d'abord adressé, avait été prévenu, et il ne lui donna qu'une réponse évasive. Quant à M. de Carafa, après avoir pris les ordres du Roi, il déclara que le gouvernement était bien décidé à ne pas s'écarter de la neutralité qui lui avait été demandé et qu'il avait solennellement promis au début des complications actuelles ; qu'il éviterait toute occasion qui pourrait amener des collisions avec le Piémont, et
- 343 qu'il n'entendait pas assumer la responsabilité d'une politique devant laquelle la France même semble reculer. Toutes les personnes en position de connaître la pensée royale, entre autres le nonce et le Comte Ludolf, m'assurent que Sa Majesté ne voit qu'un piège dans les dernières propositions de la France et qu'elle se gardera d'y donner. Son Excellence remarquera le lien qui attache ces propositions à celles que le général Roguet était venu apporter ici, dans de toutes autres circonstances, au mois de septembre dernier (voir ma note confidentielle et secrète No 276, du 10 octobre) mais la France qui les enveloppait alors du plus profond mystère, est appuyé aujourd'hui par l'Angleterre et la Sardaigne. Ces puissances, d'après ce que j'apprends, conseillent au Roi de Naples de se concilier d'abord par des réformes la confiance du parti libéral pour pouvoir, fort de cet appui, entrer dans la voie que lui indique la France et prendre ainsi une part directe à la pacification de l'Italie Je crois bon, Excellence, de réduire à sa juste valeur la nouvelle de l'apparition d'une flotte anglaise dans le golfe de Naples ; il n'y a actuellement ici qu'un seul vaisseau de guerre anglais. 13011 Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 26 mars 1860 Dépêche N° 368/33, secrète et confidentielle Je me fais un devoir de faire part à son Excellence d'une communication réservée et secrète qui vient de m'être confiée par le chargé d'affaires de Toscane à Naples. Comme ce personnage est en correspondance directe avec le GrandDuc et se trouve journellement en rapports intimes avec le Comte Trapani, oncle favori du Roi et mari d'une Archiduchesse de Toscane, il est parfaitement en position de connaître le secret des négociations dont dépend le sort de son maître. L'Empereur Napoléon mènerait donc actuellement de front deux négociations, l'une avec l'Autriche, l'autre avec la Prusse. À l'Autriche il aurait déclaré que, forcé par le sentiment national de son peuple de réclamer la rive gauche du Rhin, il ne reculerait devant aucun sacrifice pour s'assurer sa neutralité en cas de guerre avec la Prusse en échange de ce service qui lui garantirait la possession de la Vénétie et le rétablissement du GrandDuc de Toscane et du Pape ; il s'engagerait même à abandonner complètement le Piémont si l'Autriche l'exigeait. Mais, en cas de refus, il continuerait à soutenir Victor-Emmanuel et l'aiderait à conquérir la Vénétie. À la Prusse il aurait déclaré que, la France réclamant ses frontières naturelles, 11 devait songer à reprendre la rive gauche du Rhin, mais qu'il lui prêterait son appui pour toute compensation territoriale qu'elle pourrait désirer en Allemagne, même aux dépens de l'Autriche.
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Le gouvernement autrichien, peu disposé à entrer dans les vues de l'Empereur, mais redoutant surtout un soulèvement en Hongrie si la guerre éclatait de nouveau en Italie, se serait retourné vers la Russie pour solliciter son appui. Mais les conditions du Csar seraient si dures qu'aucune entente n'aurait pu s'établir jusqu'ici. La Russie demanderait que l'Autriche s'obligeât à agir de concert avec elle, soit dans un congrès, soit dans une guerre éventuelle, pour lui faire reconquérir tout ce qu'elle a perdu par le traité de Paris. Ce n'est que sous cette condition qu'elle consentirait à oublier ses griefs et à renouer l'ancienne alliance. Bien que la source de cette communication me semble importante, car j'ai tout lieu de croire qu'elle vient directement du Roi, j e n'ose cependant, vu son extrême gravité, la transmettre à son Excellence que sous toute réserve et sans vouloir en assumer la responsabilité. En tout cas j e sollicite la bienveillante indulgence de son Excellence. [302] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 29 mars 1860 Dépêche N° 731/42 L'annexion de la Toscane est un fait accompli ; quoiqu'elle conserve une certaine autonomie administrative, elle a perdu toute autonomie politique et elle fait partie des États sardes. Dans la Chambre des Communes d'Angleterre Lord John Russell a déclaré que la légation de Sa Majesté britannique à Florence est supprimée et que celle de Turin est élevée au rang de mission de premier ordre. Les légations des autres Puissances étrangères sont également supprimées et presque toutes ont déjà quitté la Toscane. Dans l'intérêt du service il est de mon devoir de demander à Votre Excellence que les consulats ottomans en Toscane soient mis sous la juridiction de cette ambassade Impériale et de la prier de vouloir bien faire adresser des instructions dans ce sens à Monsieur le consul général de Turquie à Livourne. [3031 Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 29 mars 1860 Dépêche N° 732/43 Les élections sont à peu près partout terminées dans les anciennes aussi bien que dans les nouvelles provinces. Les électeurs se sont partout présentés nombreux et empressés. Le résultat général est une éclatante victoire du parti libéral. Les candidats du parti clérical et réactionnaire ont presque partout échoué ; même leur chef le plus influent, le Comte Solar de la Margarita
- 345 ancien Ministre des Affaires Etrangères avant 1848 et qui, dans toute législature précédente, avait été, pour ainsi dire, l'âme du parti clérical, n'a pas réussi cette fois à se faire nommer. Ce qui est plus regrettable, c'est que M. le Comte de Revel, le chef reconnu du centre-droit, ou soit du parti conservateur modéré, a également échoué et que ce parti, qui pouvait exercer une action salutaire sur les décisions de la Chambre comme contrepoids au parti ultra démocratique, est tellement affaibli que son influence paraît devoir être presque nulle. Mais ce, par contre, dont on doit se féliciter c'est que les orateurs les plus fougueux du parti radical, ultra démocratique, ont également échoué ; ainsi, M. Brofferio uri des chefs et adeptes les plus exagérés de ce parti n'a pas pu non plus réussir à faire prévaloir sa candidature. Le parti libéral modéré ou parti ministériel a, au contraire, réussi presque partout. M . le Comte de Cavour a été élu dans huit collèges ; toutes les principales villes du royaume, Turin, Milan, Florence, Bologne, Gênes, ont voulu élire et donner ainsi une nouvelle éclatante preuve d'adhésion à la politique dont il est le représentant. M. de Cavour optera pour le collège de Turin qui le n o m m e depuis tant d'années. M . Farini, M. Ricasoli, M . Mamiani et plusieurs autres membres et partisans du Gouvernement ont aussi été nommés dans plusieurs collèges. Toutes ces doubles nominations vont nécessiter dans les collèges qui les ont faites de nouvelles élections ; ce n'est qu'après qu'elles auront eu lieu que l'on pourra juger d'une manière positive la composition de la Chambre. Beaucoup des hommes nommés par les nouvelles provinces sont des hommes nouveaux aux affaires et dont on ne peut connaître les opinions précises ; mais néanmoins, ainsi que je disais plus haut à Votre Excellence il ne peut, dès à présent, y avoir aucun doute que le parti libéral modéré y soit en très grande majorité. Un danger cependant me semble devoir résulter de la force même de ce parti et surtout de la très grande faiblesse de l'opposition soit ultra cléricale, soit ultra radicale, c'est que, en l'absence d'une forte opposition qui aurait servi à le maintenir compact et uni, le parti libéral modéré ne vienne à se scinder en diverses fractions et ne puisse conserver l'attitude imposante qu'il aura, sans doute, au commencement de la cession. L'ouverture officielle des Chambres du Parlement sera faite, en grande pompe, par le Roi, le 2 avril prochain. La séance d'ouverture sera probablement très intéressante. Cette journée sera célébrée par des fêtes publiques et une illumination générale. Le décret Royal qui nomme le Prince Eugène de Savoie Carignan, Lieutenant du Roi pour la Toscane est publié. Le décret délègue au Prince des pouvoirs très étendus ; il aura le commandement des forces de terre et de mer, exercera, au nom du Roi, le pouvoir de grâce, de commuer les peines, de nommer et de révoquer les employés de l'ordre administratif.
- 346 Par ce décret l'administration de la Toscane est provisoirement confiée, sous les ordres du Lieutenant du Roi, à un Gouverneur Général ; à la tête de chaque département qui constituait auparavant un ministère séparé, il y aura un directeur sous la dépendance immédiate du Gouverneur Général excepté pour les Ministères des Affaires Etrangères et de la Guerre et Marine qui sont totalement supprimés. Le Baron Ricasoli a été nommé Gouverneur Général ; il a depuis plusieurs jours pris possession de cette place. Le Prince de Carignan, accompagné d'une suite nombreuse, est parti hier soir pour Florence où il doit faire son entrée aujourd'hui même à la tête des troupes Piémontaises. Ci-inclu sub A l Votre Excellence trouvera traduction d'une proclamation du Roi aux populations des nouvelles provinces pour leur annoncer officiellement leur annexion à la monarchie constitutionnelle du Piémont. Ainsi que j e l'avais fait prévoir par mon précédent rapport M. Farini a effectivement été nommé Ministre de l'Intérieur et a pris possession du portefeuille. Un décret Royal vient d'arrêter que les Ministres institués pour le Gouvernement de l'Émilie sont abolis, et que les employés et fonctionnaires publics sont maintenus en fonction et relèveront désormais directement des Ministères respectifs à Turin. Par un autre décret toutes les troupes de l'Émilie et de la Toscane sont incorporées dans l'armée sarde avec laquelle dorénavant elles formeront une seule et même armée. Ces décrets complètent l'annexion ; l'union militaire et politique est complète et l'union administrative l'est également en conservant néanmoins à la Toscane, provisoirement, un semblant d'autonomie administrative. Mon dernier rapport du 22 de ce mois N° 727/38 signalait à Votre Excellence l'arrivée de M. Benedetti et l'attribuait à la question de Savoie. Je ne m'étais pas trompé ; il venait mettre la dernière main au traité de cession de la Savoie et de Nice. Le traité a été en effet signé, et en voici les principales clauses : le Roi de Sardaigne cède à l'Empereur des Français la Savoie et l'arrondissement de Nice, sous réserve de la sanction du Parlement. La réunion à la France sera effectuée sans contrainte de la volonté des populations et les deux Gouvernements se concerteront sur les meilleurs moyens d'apprécier et de constater les manifestations de cette volonté. Le transfert des parties neutralisées de la Savoie est fait par le Roi de Sardaigne aux conditions auxquelles il les possède lui-même et l'Empereur des Français s'entendra à ce sujet avec les Puissances représentées au Congrès de Vienne et avec la confédération helvétique. Les frontières des deux États seront fixées par des commissions mixtes, et les questions incidentes auxquelles donnera lieu la réunion seront résolus de la même manière. Les sujets sardes originaires de Savoie et de Nice pourront, pendant une année, jouir du droit de réclamer la nationalité sarde.
- 347 La Suisse continue toujours à protester contre l'annexion du Chablais et du Faucigny. On parle d'un congrès qui se réunirait à Londres pour garantir la neutralité de la Suisse . Les troupes françaises, qui occupent la Lombardie, continuent leur mouvement de retraite mais toujours avec la même lenteur que j'ai déjà signalée à Votre Excellence. On assure que l'intendance de l'armée française en Lombardie a dénoncé la continuation des contrats de fourniture, mais que tous les hôpitaux militaires seront conservés intacts dans l'état où ils se trouvent actuellement. Les préparatifs militaires continuent ici avec une grande activité pour mettre l'armée sur un pied respectable. On dit qu'elle sera divisée en quatre corps d'armée, composés chacun de trois ou quatre divisions d'infanterie, d'une division de cavalerie, de l'artillerie nécessaire etc. etc. Cette armée présentera un effectif d'environ 200 000 hommes outre un corps de réserve de la formation duquel on assure que l'on s'occupe en ce moment. Les nouvelles de Naples semblent plus pacifiques et l'on espère que le Roi aura renoncé à des velléités délictueuses qui pourraient gravement compromettre la sécurité de ses États. Le Pape aussi fait preuve de plus de modération que l'on osait espérer ; il paraît que dans le dernier consistoire il aurait prononcé une sévère admonition, mais que l'excommunication n'est et ne sera pas lancée. On assure que le Roi aurait, d'une manière toute particulière, envoyé à Rome une personne de sa confiance chargée de remettre au Pape une lettre autographe dans laquelle il lui donnerait des assurances de dévouement. Les apparences deviennent donc de jour en jour plus pacifiques et l'on peut espérer que la paix ne sera pas troublée. P. S. : Le traité de cession de la Savoie vient d'être publié et j e m'empresse d'en remettre ci-joint un exemplaire Votre Excellence Sub.A2. [304] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 29 mars 18(30 Dépêche particulière La cession de Nice et de la Savoie n'a pas eu lieu sans de graves discussions. Le Gouvernement français insistait sur la cession directe sans appel aux vœux des populations, car la clause insérée à ce sujet dans le traité, que nulle contrainte ne sera exercée sur les populations, est parfaitement illusoire. Les vœux des populations ne pouvaient être l'expression réelle de la volonté du peuple que dans le cas où il fut fait appel avant qu'aucun acte de cession ne fut intervenu, et c'est ce que l'Empereur ne voulait à aucun prix car, malgré tout le bruil que ne cessait de faire les journaux français et tout l'argent répandu par des agents plus ou moins secrets pour se faire des partisans, le Gouvernement français ne pouvait ignorer que dans la province de Nice la grande majorité des
- 348 habitants ne sont pas pour la réunion à la France et voudrait rester italien et il n'ignorait pas non plus qu'en Savoie même une grande réaction en faveur du Piémont s'était produite et que le résultat des vœux des populations serait fort incertain. Il a donc voulu l'emporter de haute main par une cession directe et immédiate, afin aussi de terminer définitivement l'incident par un fait accompli avant que les puissances n'aient pu parvenir à s'entendre sur une action commune ou sur quelques oppositions combinées qui auraient pu rendre la question fort épineuse et difficile. M. Benedetti venu exprès, en toute hâte, de Paris l'a emporté et la cession a eu lieu, malgré les efforts du Ministère Sarde, et malgré la répugnance personnelle du Roi à disposer ainsi des populations qui étaient depuis tant d'années attachées à sa famille, sans même les consulter, ainsi qu'il le leur avait encore dernièrement promis. Je sais de bonne source que lorsque le Roi a reçu ces jours derniers une députation de la noblesse de Savoie, qui venait le supplier de ne pas abandonner à la France une province qui était le berceau de sa famille, il n'a pu s'empêcher, tout le temps de l'audience, de verser d'abondantes larmes, et que pendant le discours de la députation il passait sa mauvaise humeur sur son chapeau de général qu'il tenait à la main et qu'il mit en pièces ; que le discours fini il s'approcha du président de la députation, lui prit les deux mains, lui dit quelques mots, entrecoupés de larmes, des pénibles nécessités politiques qui faisaient violence à ses sentiments et quitta brusquement la salle. Il ne faut pas oublier que la famille royale est originaire de Savoie, que jusqu'à son avènement au trône le Roi portait le titre de Prince de Savoie et que presque tous ses ancêtres y sont enterrés. Enfin bon gré mal gré, la cession eut lieu et c'est un fait accompli de plus à enregistrer, malgré toutes les jérémiades de la Suisse. Un plaisant s'est permis de dire que le Roi Victor-Emmanuel a tant crié "vive l'Italie" qu'il a perdu sa voix (Savoie) ; le mot n'est pas mauvais ! Si la perte de la Savoie a été personnellement plus sensible au Roi, celle de Nice me semble plus sérieuse sous le point de vue stratégique. La France va faire sans doute un grand port militaire de la magnifique rade de Villefranche, qui n'est qu'à deux pas de Gênes, de sorte que la défense de l'Italie de ce côté est parfaitement impossible. Quoiqu'il perde Savoie et Nice, le Piémont acquiert cependant, il faut le reconnaître, une grande extension et les plus belles et plus riches provinces de l'Italie. Sa population qui n'était que de 5 millions d'habitants se trouve portée à environ 11 millions. Le Piémont devient donc un État important. Aussi Lord John Russel vient de déclarer dans le Parlement britannique que la légation d'Angleterre à Florence est supprimée et que celle de Turin est élevée au rang de mission de premier ordre. Votre Excellence ne pense-t-elle pas que l'occasion est venue de faire aussi quelque chose pour moi à Turin ? J'en ai bien besoin et, en conséquence, je crois l'avoir bien mérité.
- 349 M . Benedetti m'a chargé de le rappeler au souvenir bienveillant de Votre Excellence. Il est encore ici, mais va bientôt, j e pense, retourner à Paris. [305J Diran B e y à Fuad Pacha Bruxelles, le 2 9 mars 1860 Dépêche particulière N° 1004/57 On ne peut que trop justifier aujourd'hui l'inquiétude qui se manifeste partout. Les éléments de désunion et de discorde sont répandus avec trop de succès pour que l'on puisse espérer voir s'élever contre celui qu'on accuse être le perturbateur du monde, une réprobation générale. En vain l'Angleterre a fait des efforts pour amener un concert de protestations contre l'annexion de la Savoie et de Nice ; elle n'a fait que réveiller d'anciennes haines. Il était d'ailleurs impossible de réussir sans être armé du concours de la Russie et de l'Autriche ; or, ces deux puissances sont, comme j'ai eu soin de le faire remarquer dans mes précédentes dépêches, trop intéressées à gagner pour l'avenir l'appui du Gouvernement F r a n ç a i s , afin que, si l'occasion s'en présentait, leurs prétentions puissent se faire jour sans rencontrer d'obstacles. L a Prusse seule a souscrit aux propositions anglaises et s'est prononcée de la sorte en faveur de la politique de I ,ord John Russel. L e Piémont s'est décidé, enfin, à céder le territoire ambitionné par la France et déjà le souverain de cet État a délié ses sujets de leur serment de fidélité. À Naplcs l'agitation est au comble et les mesures qu'a prises le Gouvernement paraissent peu faites pour calmer les esprits. Votre E x c e l l e n c e verra par c e qui précède que si, le principe de désunion préserve la France d'une coalition, il est loin de conjurer la guerre. Malheur à c e u x qui, aujourd'hui, e x c i t e la c o n v o i t i s e de puissants
voisins.
Le
démembrement de ceux-là sera le prix de l'inaction de ceux-ci. C'est ainsi que le veut la politique française, en dépit des conseils, des notes diplomatiques et des protestations verbales. D'après c e que j'ai appris à Paris, lors du dernier séjour que j e viens d'y faire, le Pape forme une armée pour punir ses sujets rebelles et, il s'est assuré du concours du Général français I,amoricière — ce fait vient de m'être confirmé ici — le Général m'assure-t-on, habitera momentanément Ancône, où il s'est rendu avec un des chefs du parti catholique de France, et n'ira pas à Rome pour ne pas trop surexciter les esprits. J e dois dire à Votre Excellence que j'ai remarqué à Paris comme un mot d'ordre donné pour dénigrer la Turquie, malgré qu'elle marche beaucoup mieux qu'elle ne l'a jamais fait ; d'après le langage de M . de Lavalctte lui-même, j'ai eu la conviction de mes appréhensions, car, dans une entrevue que j'ai eue avec lui, il me faisait remarquer sans comprendre trop pourquoi, disait-il, beaucoup de
- 350 — malveillance envers la Turquie et l'opinion publique, en général, qui lui est très hostile. Du reste dans les hautes régions politiques on semble convaincu de l'existence d'une alliance secrète entre la France et la Russie pour récompenser cette dernière de son entière abstention dans l'affaire d'Italie. Il paraîtrait même que Lord Cowley aurait demandé à M. Thouvenel s'il était vrai qu'un pareil traité existait et qu'il aurait reçu une réponse dont voici le sens : « si une entente secrète existait, vous n'auriez pas le droit d'exiger de moi une réponse, car, si je vous disais aujourd'hui qu'il n'existe rien, vous seriez dans le droit d'exiger de moi, s'il existe jamais quelque chose, de vous l'avouer. » Je prie Votre Excellence de porter toute son attention sur la gravité de la situation en présence du langage de plus en plus irritant du Parlement anglais, particulièrement celui de Lord John Russell ! Le Gouvernement Français n'est plus ménagé et la personne de l'Empereur est en butte aux attaques les plus directes et les plus insultantes. Il semblerait que l'Angleterre pousse à une guerre qui serait des plus populaires, et on ajoute même que le plus malheureux du royaume donnerait jusqu'à son dernier shilling, si jamais une guerre éclatait entre ces deux Grandes Puissances. Je me hâte de dire qu'en France cette guerre rencontrerait le même enthousiasme. On affirme aujourd'hui plus que jamais, que l'Angleterre ne se relâche pas dans ses armements et qu'à chaque vaisseau que la France met à flot, elle en oppose trois, parce qu'elle a l'idée fixe d'avoir ses forces maritimes trois fois plus puissantes que celle de la France. On sait aujourd'hui que la Prusse a adhéré aux propositions anglaises ; d'un commun accord avec l'Angleterre, elle est disposée à protester contre cette violation flagrante des traités. Avant cela, le Prince-Régent a fait informer à Saint-Pétersbourg dans le but de connaître la pensée de l'Empereur à ce sujet. Il a été répondu que Sa Majesté souffrait de ce qui se passait, mais que, dans le but d'éviter des complications plus graves encore et, dans son intérêt et dans celui de tous les autres États de l'Europe elle pensait qu'il valait mieux se taire. Cette réponse ferait croire à un accord secret entre la Russie et la France, cette supposition a du reste acquis quelques fondements depuis que l'on connaît la réponse que M. Thouvenel à Lord Cowley, réponse dont j'ai fait mention plus haut. [3061 Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 4 avril 1860 Dépêche N° 310, réservé Il serait inutile de rappeler à Votre Excellence que la neutralité de la Suisse tient à des intérêts tellement puissants et généraux, qu'aucune puissance de l'Europe sans en excepter la France, n'oserait en soulever gratuitement la
- 351 question épineuse. Aussi les démarches énergiques de la confédération helvétique, démarches bravant l'apathie des autres États, provoquèrent de nouvelles complications dont il serait permis peut-être d'attendre un résultat satisfaisant. Déjà, la possibilité d'aplanir le différend en litige des districts neutralisés du Francigny et du Chablais par un traité directement conclu entre la France et la Suisse ne paraît pas être très éloignée. Cette éventualité me paraît d'autant plus probable, que le Baron de Schleinitz me dit savoir, que l'idée de la convocation d'un congrès ou d'une conférence ne souriait pas à l'Empereur Napoléon. Je m'empresse d'ajouter que les informations que le Cabinet de Berlin possède sur la réunion des puissances, ne lui proviennent que de Londres. M. le Ministre des Affaires Etrangères, que je viens de voir, à bien voulu me faire part que ces données y avaient toutefois gagné une certaine consistance. J'apprends, en même temps, qu'il existe un traité secret entre la France et la Sardaigne, garantissant au Roi Victor-Emmanuel l'appui, même offensif, de l'Empereur Napoléon dans certaines éventualités prévues. Une lecture attentive du dernier acte solennel passé entre les deux États et la facilité avec laquelle le Cabinet de Turin céda, contrairement à ses déclarations, la Savoie et le Comté de Nice seraient peut-être des indices plaidant en faveur de cette information. Il ne me serait pas permis de passer sous silence que, néanmoins, le Comte de Cavour dans ses confidences, tient un langage empreint d'une grande méfiance envers la France. Mais cette conduite de l'homme d'État italien est plutôt considérée comme une tactique, depuis que la supposition d'un jeu combiné a acquis un degré de certitude dans l'esprit du Gouvernement prussien. Ces circonstances et, plus particulièrement, les appréhensions d'un avenir plus ou moins proche tendent à rapprocher Vienne et Berlin. Il serait cependant hardi d'avancer qu'une base quelconque d'entente est déjà été établie. Avant de terminer cet humble rapport, j e sollicite l'autorisation d'informer Votre Excellence que la nouvelle de l'abandon par la Russie du beau port de Villefranche dont elle avait pris possession dans la Méditerranée, est confirmée avec les détails suivants. Dans la prévision du transfert des possessions sardes à la France, la Russie avait dès le mois de juillet dernier commencé à en retirer ses vaisseaux et ses munitions considérables. Ce fait provoque de nouvelles conjectures d'une entente préalable entre la France et la Russie dans la question d'Italie.
- 352 [307| Rustem Bcy à Fuad Pacha Turin, le 5 avril 1860 Dépêche N° 739/49 Pour faire suite à mon rapport du 29 mars dernier N° 732/43 1 j'ai aujourd'hui l'honneur d'informer Votre Excellence que l'ouverture officielle des Chambres du Parlement a été faite par le Roi, en grande pompe, lundi dernier de ce mois. Ci-inclu Votre Excellence trouvera Sub.A I traduction du discours de Sa Majesté a prononcé à cette occasion. Ce discours est rédigé avec beaucoup d'habileté et de talent et a été lu par le Roi avec beaucoup de dignité de sentiments. Il a excité au plus haut point l'enthousiasme de tous les membres des deux Chambres du Parlement qui l'ont reçu avec les plus bruyantes marques d'approbation et de sympathie. Il a également eu un grand retentissement dans le pays. La Chambre des Députés s'occupe de la vérification des pouvoirs des Députés et de la validité des élections ; il paraît que peu d'élections seront contestées et l'on espère qu'elle aura fini ce travail avant 15 jours ; à cette époque toutes les nouvelles élections rendues nécessaires par les doubles nominations et qui se montent à environ 7 0 seront aussi terminées et la Chambre pourra définitivement se constituer. Ainsi que le Roi l'annonce dans son discours la session actuelle ne sera pas de longue durée ; les Chambres auront d'abord à s'occuper de l'approbation du traité de cession de Nice et de la Savoie à la France ; ensuite elles auront à sanctionner l'annexion des nouvelles provinces ; elles auront à approuver tout ce qu'a fait le Gouvernement en vertu des pleins pouvoirs et à sanctionner ses actes depuis la cessation de ses pouvoirs ; elles s'occuperont alors des mesures financières nécessaires pour faire marcher le service public. On calcule que ces travaux les occuperont environ deux mois et qu'elles seront ensuite prorogées jusqu'au commencement de l'automne, ("'est seulement dans cette seconde session qu'elles pourront se livrer à la discussion des lois organiques destinées à ramener l'assimilation complète de toutes les provinces du nouveau royaume. À la séance d'ouverture du Parlement le Corps Diplomatique n'était pas nombreux. Le Ministre de Russie, ayant passé l'hiver à Nice pour motifs de santé, et étant encore, disait-il, souffrant, n'était pas présent ; il est cependant arrivé hier soir, son secrétaire n'a pas non plus assisté à la séance n'ayant reçu aucun ordre de son chef.
1
No. 303.
- 353 Le Ministre de Prusse était parti deux ou trois jours avant pour Nice, appelé disait-il, par le Prince de Prusse qui était allé y faire une visite à l'Impératrice mère de Russie et qui désirait causer avec lui. En l'absence de leur chef, ses secrétaires n'ont pas assisté à la séance. La légation d'Espagne s'est abstenue, l'Espagne ayant protesté contre l'annexion de Parme, au nom de la Duchesse qui est une infante d'Espagne. I ,e Ministre de Naples s'est également abstenu. Quant à moi je n'avais aucun motif d'abstention ; j'ai donc réglé ma conduite sur ce que faisaient les représentants d'Angleterre et de France qui sont intervenus avec toutes leurs légations au grand complet. En conséquence j'ai assisté à la séance Royale, puis comme le soir du même jour il y avait une grande illumination générale de toute la ville, et que les hôtels des légations d'Angleterre et de France étaient illuminés, j'ai également fait illuminer aux couleurs ottomanes les balcons de l'hôtel de l'ambassade Impériale. Ci-inclu Sub.A2. Voire Excellence trouvera copie d'une proclamation que le Roi Victor-Emmanuel vient d'adresser aux populations de Nice et de Savoie pour leur annoncer la cession qu'il a faite à la France de ces deux provinces et pour leur expliquer les motifs qu'il y ont décidés. Ainsi qu'il est annoncé dans cette proclamation les principaux fonctionnaires sardes ont été rappelés et remplacés par des natifs des deux provinces. S u b A 3 . Votre Excellence trouvera aussi ci-joint traduction d'une proclamation que le Prince Eugène de Carignan a adressée aux populations de la Toscane en prenant possession de la lieutenance du Roi. Le Prince a partout été reçu en Toscane avec de grandes démonstrations d'enthousiasme et la ville de Florence lui a fait, ainsi qu'aux troupes sardes, une magnifique réception. Les espérances fondées sur la modération, dont on croyait que le Pape ferait preuve, n'ont pas été réalisées. Il a publié et fait affiché à Rome la bulle d'excommunication contre tous les auteurs, promoteurs, coadjuteur, conseillers et adhérents de l'annexion des Romagnes à la Sardaigne. Il est de mon devoir de constater que cette censure ecclésiastique n'a produit aucun des effets que ses auteurs et partisans semblaient en avoir espéré. Dans l'armée, comme dans le peuple, elle a rencontré partout une complète indifférence. Les temps auxquels ces sentences pontificales pouvaient remuer toute l'Europe sont depuis longtemps passés. Ainsi que le Roi l'a fort bien fait ressortir dans son discours, l'on ne croit plus à l'efficacité des armes spirituelles lorsqu'ils se mettent au service d'intérêts temporels. Le Roi trouvera en effet dans les traditions de sa famille des précédents pour résister aux armes spirituelles de la cour de Rome, car ce fut un de ses ancêtres qui fit arrêter un capucin que le Pape lui avait envoyé pour lui signifier l'excommunication et le fit, sans autre forme de procès, pendre avec la bulle d'excommunication sur la poitrine. Le clergé même ne se montre guère disposé à seconder la cour de Rome ; le elergé de beaucoup de villes des nouvelles aussi bien que des anciennes provinces a envoyé au Roi des adresses d'adhésion, et ce qui est encore plus significatif l'archevêque de Florence a réuni le collège théologique de son
- 354 diocèse pour lui soumettre la question si, lui, comme chrétien, devait reconnaître le monarque élu par le suffrage universel et en conseiller la reconnaissance au clergé toscan, malgré les ordres contraires de la cour de Rome. Le conseil théologique fit une réponse dans laquelle se fondant sur Saint-Thomas et autres pères de l'Église, il exprimait l'opinion qu'il est du devoir du clergé de se soumettre à la décision du peuple et que par conséquent l'archevêque est dans l'obligation d'inculquer ces principes à tous ses subordonnés. D'après cette décision l'archevêque écrivit au cardinal Corsi pour le prier de cesser toute opposition vaine et inutile au Gouvernement actuel de s'unir au clergé florentin en reconnaissant le Roi élu par le suffrage universel. Le cardinal Corsi se contenta d'accuser réception en disant que la réponse viendrait directement de la cour de Rome. Néanmoins l'archevêque, agissant selon la décision du conseil théologique, non seulement reconnut l'ordre actuel et en recommanda la reconnaissance au clergé, mais encore fut reçu en audience solennelle par le Prince de Carignan et fit ainsi ouvertement acte d'adhésion. Cette attitude du clergé italien, les nombreuses adresses qu'il ne cesse de faire parvenir au Roi devrait faire réfléchir la cour de Rome et lui faire comprendre que le clergé n'est pas disposé à la suivre aveuglement dans sa lutte contre l'Italie, ni dans sa prétention d'employer les armes spirituelles pour la défense d'intérêts mondains, et, d'autre part, cette attitude ne peut que soutenir le Roi dans la défense de ses prérogatives. Rien n'est ici changé dans les pratiques religieuses et les cérémonies du culte ; nous sommes dans la semaine de Pâques et comme toutes autres années à cette époque, les cérémonies religieuses ont régulièrement lieu. Rien ne saurait indiquer qu'une excommunication était lancée. Du reste des mesures sont prises afin qu'elle ne soit pas publiée dans le pays. Ces mêmes mesures ont été prises en France et le Moniteur rappelait dernièrement que d'après le concordat et les libertés de l'église gallicane aucune bulle, aucun bref, aucune décision quelconque de la cour de Rome ne pouvaient être exécutées en France sans l'exequatur du chef de l'État. Une circulaire du Ministre de l'Intérieur sarde avait déjà, il y a quelque temps, rappelé le même principe aux autorités administratives sardes en leur recommandant de veiller à ce qu'aucune publication illégale de ce genre ne puisse avoir lieu. Une dépêche télégraphique arrivée aujourd'hui même dit que l'effet de l ' e x c o m m u n i c a t i o n étant de r o m p r e i m m é d i a t e m e n t tous rapports diplomatiques entre le pontife et le Prince excommunié, le Cabinet des Tuileries se trouvant implicitement compris dans l'excommunication, toute relation diplomatique entre la cour de France et celle de Rome allait cesser. Sans même rechercher l'authenticité de la nouvelle donnée par cette dépêche il est néanmoins facile de juger par la note du Moniteur dont il a été question cidessus ainsi que par la nouvelle des perquisitions auxquelles étaient soumis M. Veuillot, à son retour de Rome, et de la saisie opérée chez lui de lettres,
- 355 dépêches et documents importants dont il était porteur de la part du Pape, que le Gouvernement Français n'est nullement disposé à soutenir la cour de R o m e dans la voie dans laquelle elle vient de s'engager. On espère toujours que le Roi de Naples s'abstiendra de faire naître de nouvelles complications en faisant entrer ses troupes en les États Romains. On espère aussi que la conférence que l'on assure devoir se rcunir pour traiter la question de la garantie de la neutralité suisse par rapport au Chablais et au Faucigny, réussira à aplanir les difficultés qui peuvent surgir de la cession de la Savoie, que les troupes françaises, de retour d'Italie, ont, du reste, déjà occupé aussi bien que Nicc. Ce qui est regrettable c'est que pour distraire l'attention de la question de l'Italie ainsi que de celle de Nice et de Savoie, l'on cherche à la ramener sur la Turquie en rementant de nouveau sur le tapis la question d'Orient. Ainsi le journal l'Opinion, qui passe pour recevoir les inspirations du Cabinet Sarde publie aujourd'hui un long article dans lequel il veut faire paraître la question d'Orient comme sur le point de créer de nouvelles complications et de donner à entendre que les cours d'Autriche et de Russie traitent avec celle de la France la question d'Orient dans un sens dans lequel leurs intérêts mutuels pourraient se concilier aux dépens du Gouvernement ottoman. Sans attacher d'autre importance à ces manœuvres de la presse, j'ai néanmoins cru de mon devoir d'en faire part à Votre Excellence. [308J Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 5 avril 1860 Dépêche N° 1010/62 Le Comte de Cavour avait compté sur les événements pour ne pas céder à la France la Savoie et le comté de Nice. Il comptait surtout sur l'Angleterre. Trompé de tous les côtés, il n'a pu cacher son mécontentement, surtout vis-àvis de l'Angleterre ; ce n'est pas sur son amitié qu'il comptait mais sur les conséquences de sa politique. Le Roi de Naples a refusé à l'Empereur Napoléon de remplacer par ses troupes les troupes françaises qui occupent R o m e . On m'assure que dans cette dernière ville le Pape s'est montré fort satisfait de ce refus. Des démarches doivent être faites de Paris afin de savoir si Pie IX a voulu impliquer l'Empereur et son Gouvernement dans l'excommunication générale. S'il en était ainsi, les troupes françaises quitteraient immédiatement le siège de la papauté et abandonneraient à l'anarchie les États de l'Église. Le général Lamoricière a reçu le meilleur accueil auprès du Saint-Père et l'on pense généralement que les troupes pontificales seront organisées de façon à pouvoir agir de concert avec les f o r c e s napolitaines, si le besoin s'en présentait.
- 356 — [309| Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 9 avril 1860 Dépêche N° 372/36 J'ai eu l'honneur d'informer Son Excellence par un télégramme du 6 qu'une révolte avait éclaté en Sicile et que les troupes napolitaines s'en étaient rendues maîtresses après une lutte sanglante. Je me fais un devoir aujourd'hui de compléter ces renseignements par les détails que j'ai pu me procurer sur cet événement. Depuis quelque temps déjà le Prince de Casteloicala, le Gouverneur de la Sicile, se montrait fort inquiet de l'agitation sans cesse croissante du pays, il n'avait pas caché au Roi qu'une révolte ouverte lui semblait imminente. Le Ministre des affaires de Sicile, M. Cumbo, originaire de Sicile, avait proposé au conseil des mesures de conciliation, et le Prince Petralla s'était rendu à Palerme pour étudier sur les lieux l'état des esprits et les moyens de les calmer par de sages concessions. Mais bientôt d'autres conseils avaient prévalu dans l'entourage du Roi ; le Prince Petralla fut subitement rappelé, et M. de Cumbo quitta le ministère. Ce revirement ne pouvait manquer d'exciter un vif ressentiment. Un nommé Benzo, Piémontais d'origine, et depuis peu arrivé à Palerme, groupa les mécontents autour de lui, et bientôt le mot d'ordre « annexion au Piémont » se répandit dans toute l'île. La noblesse sicilienne se faisait remarquer par son ardeur pour la cause du Piémont, et dix des principaux fauteurs, appartenant tous aux premières familles, entre autres le Duc de St. Elia, furent exilés sur un ordre envoyé de Naples. Le Prince de Casteloicala cru nécessaire de venir lui-même ici pour entretenir en personne le Roi de la gravité de la situation. C'était pendant cette absence du Gouverneur que la lutte devait éclater. La police de Palerme avait été avertie par un moine qu'une vaste conspiration était organisée et que le 6 avril on devait prendre les armes sur tous les points de l'île. L'auteur de cette révélation indiqua le couvent des franciscains, la Guanoia, comme le quartier général de l'insurrection. La police se mit immédiatement sur les traces des conspirateurs ; mais déjà ceux-ci avaient reçu l'éveil et s'étaient décidés à la prévenir. Le 4 avril, à l'aube du jour, plusieurs corps de garde furent surpris, et une centaine d'insurgés, après avoir tué huit soldats, se rendirent à la caserne de la Vicaria pour pousser les troupes à la révolte. Mais ils furent reçus à coups de canon, et quoique leur nombre se fut considérablement accru, ils durent se retirer. Ils se replièrent en masse sur le couvent, où ils se barricadèrent et soutinrent pendant huit heures une résistance désespérée ; à la fin, le général Salzano l'emporta d'assaut ; des deux parts on avait perdu beaucoup de monde. A la première nouvelle des événements de Palerme, des troupes de paysans étaient descendues en armes des montagnes des environs, mais avaient été aisément repoussées par le feu combiné des
- 357 régiments envoyés à leur rencontre et d'une frégate napolitaine qui stationnait devant la ville. Deux navires de guerre anglais mouillaient devant Palerme et assistaient en spectateur au combat, un cordon de troupes échelonnées le long de la marine avait empêché les rebelles d'y chercher un refuge. Le lendemain de nouvelles bandes parurent mais elles furent également repoussées. Le chef de l'insurrection, un nommé Rizzo, est au nombre des prisonniers. À Palerme la tranquillité est entièrement rétablie, mais des paysans armés parcouraient encore les campagnes des environs au départ du dernier courrier. Aucun désordre n'a été signalé sur les autres points de l'île. Le Gouvernement napolitain a pris les mesures les plus énergiques pour assurer partout son autorité : Plusieurs bâtiments chargés de troupes ont été expédiés sur les lieux. Le Roi a immédiatement convoqué un conseil de guerre, auquel le général Filangieri a pris part ; toutes les dispositions ont été prises pour couper les communications des rebelles et empêcher toute action d'ensemble. Le Marquis de Letizia a dû aller porter à Palerme les décisions arrêtées à cet égard. Palerme a été déclaré en état de siège. À Naples on a été menacé un instant d'une manifestation en faveur de la Sicile. Le vendredi 5 le Corso a été mis en émoi par les cris de « Vive la Sicile, vivent nos amis les Siciliens » et par les sifflets qui accueillirent le passage du Comte de Frapani, oncle du Roi. Mais tout rentra dans le silence dès qu'on vit paraître la force armée. Le 7 à l'occasion des fêtes de Pâques, il y a eu cercle à la cour. Le Roi, en recevant mes félicitations, m'a chargé de transmettre à Sa Majesté Impériale le Sultan, notre Auguste maître, l'expression sincère de son amitié. |310| Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 9 avril 1860 Dépêche N° 373/37, confidentielle Le 7 il y a eu cercle à la Cour : le Roi recevait les félicitations du corps diplomatique et des grands fonctionnaires à l'occasion des fêtes de Pâques. Les événements de la Sicile, la publication récente des dépêches du Ministre d'Angleterre, la présence du Ministre de Sardaigne, qui se trouvait pour la première fois à la Cour à côté du chargé d'affaires de Toscane, le bruit d'une nouvelle démonstration organisée pour ce jour, tous ces éléments réunis donnaient à la cérémonie un vif intérêt. Le Roi paraissait calme et plein de confiance. Il s'entretint plus longtemps que d'habitude avec chacun des membres du corps diplomatique et notamment avec les Ministres de France, d'Angleterre et de Sardaigne. On remarque toutefois une grande réserve et une froideur prononcée dans l'attitude du Ministre britannique. Au chargé d'affaires de Toscane qui se trouvait à mes côtés, le Roi dit : « j'espère que la saignée que je viens de faire pratiquer aux Siciliens, leur fera du bien et qu'elle
- 358 préviendra l'hémorragie ». Sa Majesté me parla aussi des événements de Palerme, comme d'une échauffourée qui n'aurait été organisée que par une faible minorité. Il était heureux me dit-il, de pouvoir constater que la masse de la population s'était tenue à l'écart, et il espérait que la défaite des rebelles ranimerait le courage de tous les hommes de bien et les rallierait plus étroitement autour du trône. « Je n'ignore pas, ajouta-t-il, que la lutte ne fait que commencer, et que la révolution poursuit avec audace et énergie ses projets de bouleversements, mais je saurais lui opposer la même fermeté et j'espère bien avoir raison d'elle. » La cérémonie se termina sans aucun incident notable. L'absence du Comte de Syracuse fut généralement remarquée. Je reviens aujourd'hui, Excellence, sur la question de l'intervention napolitaine dans les États pontificaux, pour constater une fois de plus le dissentiment réel ou fictif qui sépare de temps en temps la politique de la France de celle du Piémont. Quand, il y a quelques semaines, le voyage du Roi à Gaëta faisait croire à un mouvement de troupes du côté des Marches, le marquis de Villamarina avait déclaré au Roi qu'il serait forcé de demander ses passeports si le gouvernement sortait de la neutralité qu'il avait promise au début de la guerre. Le Roi le rassura pleinement sur ses intentions pacifiques et se prévalut même de cette déclaration du Ministre piémontais, pour repousser les instances du Ministre de France. Une explication assez vive eu lieu entre les deux diplomates, et M. de Brenier cru pouvoir assurer que son collègue se trompait sur le véritable sens de ses instructions, attendu que M. Thouvenel lui annonçait que la France s'était entendue avec le Piémont pour admettre l'intervention napolitaine. M. de Villamarina s'empressa de télégraphier à Turin pour obtenir des éclaircissements, et il appris, qu'en effet la France avait informé la Sardaigne des démarches qu'elle allait faire pour remplacer à Rome son armée par des troupes napolitaines ; mais que la Sardaigne lui avait répondu que, comme puissance italienne, elle ne pouvait voir qu'avec une extrême défiance une pareille combinaison, et que, loin de s'y prêter, elle se verrait forcée d'occuper Ancône le jour où une armée napolitaine passerait les frontières romaines. Il est donc plus douteux que jamais que la France veuille ou puisse retirer ses troupes des États pontificaux. M. de Carafa n'a jamais voulu croire à cette retraite. Il se montre, du reste, très satisfait de la nomination du général Lamoricière au commandement des troupes du Pape (Le général a mis pour condition à son acceptation le droit de se démettre de ses fonctions si les circonstances devaient le placer en face d'une armée française. Il reçoit un traitement annuel de 500 000 F). En somme, Monsieur de Carafa envisage avec plus de confiance l'avenir. Quoique à l'intérieur la situation soit des plus difficiles, il se rassure et voit dans les dissentiments entre la France et l'Angleterre, dans le refus de la Russie parvenu à Turin de reconnaître l'annexion de l'Italie centrale, dans les protestations que soulève l'annexion de la Savoie et dans le rapprochement de l'Angleterre vers les puissances
- 359 continentales le germe d'une nouvelle coalition contre la France. Tout dépend suivant lui, de la conduite du Piémont. Si cette puissance se borne à consolider ses récentes conquêtes, l'état actuel des choses, si précaire qu'il soit, pourra se maintenir pendant quelque temps. Si, au contraire, comme tout semble l'indiquer, elle veut pousser encore plus loin ses envahissement, alors une guerre générale ne se fera pas attendre. Le Roi de Piémont, ajouta Monsieur de Carafa, rappelle bien son père ; partagé entre l'ambition la plus effrénée et les crainl.es d'une superstition religieuse, l'excommunication a produit sur lui une profonde impression, et il ne serait pas étonnant de le voir en même temps envahir les Marches et se rendre à Rome pour solliciter au pied du Pape le pardon de ses péchés. 1311] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 11 avril 1860 Dépêche N° 311, réservé Les symptômes qui se manifestèrent en dernier lieu tendent à justifier l'appréciation que j e me suis permis de soumettre à Votre Excellence, relativement à une solution pacifique des difficultés soulevées par la question des districts neutralisés de la Savoie. L'attitude des grandes puissances e u r o p é e n n e s semble y concourir p u i s s a m m e n t . En e f f e t , sauf les représentations énergiques du Gouvernement britannique et le langage net, mais plutôt anticipant, du Cabinet de Berlin, l'Autriche et la Russie se montrent disposées à admettre les faits accomplis. La première, quoique soutenant le principe de la neutralité helvétique, déclare que la question de la. Savoie perd, à ses yeux, beaucoup de son importance devant les événements de l'Italie centrale. Quant à la seconde, elle affecte de considérer les procédés de la France comme naturels et pratiques. Aussi le Cabinet de Saint-Pétersbourg émet-il l'opinion : que l'Europe n'a pas à objecter sur les cessions faites régulièrement de souverain à souverain. L'origine de cette maxime est attribuée au Prince Gortschakoff qui, Votre Excellence le sait parfaitement, est très enclin à une alliance intime avec la France. Les sentiments de loyauté et de légitimité que le Gouvernement de Prusse attribuait à l'Empereur Alexandre, autoriserait peut-être à présumer que le caractère de Sa Majesté n'est pas fait pour dicter à son Ministre la conduite qui devrait en découler. En attendant, l'Allemagne frappée du danger qui, suivant elle, la menace de près, s'alarme contri; l'Empire Français. Cette agitation, inopportunément avouée, se borne pour le moment à des manifestations verbales. Mais, si elle continue, ne serait elle pas de nature à provoquer des récrimitvaüons inquiétantes ?
- 360 Il serait superflu de rappeler à Votre Excellence que la confédération germanique est, par son organisation même, essentiellement défensive. Cette base qui constitue sa principale, pour ne pas dire son unique force, a été depuis une série d'années sérieusement compromise ; la Prusse vient de lui porter une dernière atteinte, en rejetant à Francfort le principe de décision par majorité. Dans cette situation il lui serait, si je ne me trompe, encore moins facile de décréter des mouvements offensifs. Quoiqu'il en soit, les procédés de la France, réveillant une méfiance générale et les antipathies nationales, enhardissent l'Allemagne jusqu'à puiser dans ses sentiments la sûreté de succès, avant d'obtenir l'unité d'action des confédérés. Les patriotes réfléchis ne doutent pas que, dans une guerre prolongée avec la France, l'Allemagne ne finisse par châtier l'agression ; mais la vitesse qui caractérise les guerres de notre époque, permettra-t-elle à la persévérance allemande de se faire prévaloir ? Je ne saurais terminer cet humble rapport sans avoir l'honneur de signaler à Votre Excellence la modération et la prudence que la Prusse témoigne dans ces circonstances critiques. Des considérations sérieuses et l'état précaire de l'armée dictent au Cabinet de Berlin cette conduite. Il est curieux que la Russie s'efforce de l'y maintenir par des moyens qu'elle sait si bien pratiquer. Ainsi, Monsieur de Kisselef, d'après les renseignements qui me sont revenus, a réussi à influencer le Comte Pourtalès, en le persuadant qu'il y avait entente pleine et entière entre Berlin et Saint-Pétersbourg. Le représentant russe fait entrevoir à son collègue prussien l'obligation, immanquable selon lui de se rétracter, s'il s'avançait trop. [3121 Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 11 avril 1860 Dépêche N° 312, très réservé Le dernier « Blue-Book » présenté au Parlement britannique contient un rapport de Lord Bloomfield, rendant compte d'un entretien du Baron de Schleinitz avec le Ministre de France sur l'incorporation de la Savoie et de Nice. La publication de ce document, adressée dans le même esprit de confidences qu'impliquait la communication qui le motiva, ne pouvait manquer de susciter des embarras au Cabinet du Prince régent. En effet, recourant à la presse, d'une part, ses adversaires l'accusèrent de faiblesse et de duplicité ; d'autre part la France se plaignit de cette apparence. En face de ces griefs, le Baron de Schleinitz fut obligé d'adresser aux représentants de Prusse à Londres une dépêche destinée probablement à la publicité. Dans cette pièce que Lord Bloomfield a bien voulue me communiquer confidentiellement, M. le Ministre des Affaires Etrangères établit avec beaucoup de ménagement pour Sa Seigneurie les faits dans leur exactitude, selon lui. Son Excellence s'applique plus particulièrement à se
- 361 justifier de l'accusation et à stigmatiser le grave inconvénient de l'usage parlementaire en Angleterre. Votre Excellence voudra bien se présenter la situation du rapporteur compromis. Après m'avoir communiqué les rapports qu'il avait adressés au Foreign Office, Lord Bloomfield m'a fait l'honneur de me consulter et de demander mon concours amical pour écarter cet embarrassant incident. Je lui ai promis avec empressement mes bons offices dans la conviction que, en agissant ainsi, je m'inspirais des dispositions qui animent la Sublime Porte envers le Gouvernement de S.M. britannique, tout en répondant à la confiance d'un honorable collègue. J'ai tout lieu d'espérer que l'affaire aura une solution satisfaisante pour les deux partis, quoiqu'il soit à présumer que la presse étrangère provoquée par un méchant article de la « Gazette de la Croix », fera des commentaires inopportuns. Qu'il me soit permis d'ajouter que Lord John Russel n'a pas hésité à exprimer des regrets pour la publication qu'il attribue à un manque d'attention de son département. [313] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 12 avril 1860 Dépêche N° 741/51 La population de Nice sera appelée à voter sur sa réunion avec la France le 15 de ce mois, et celle de la Savoie le 22. Le résultat de cette votation n'est nullement douteux ; toutes les mesures sont naturellement prises pour qu'elle soit favorable. M. Pietri, ancien Ministre de la Police à Paris, est depuis assez longtemps à Nice dans ce but. Une proclamation du Gouverneur provisoire de Nice et une du syndic dans lesquelles ils exhortent la population à se prononcer pour l'annexion à la France ont été forts blâmés par la presse Piémontaise. La Chambre des Députés a terminé la vérification des pouvoirs de ses membres. Elle a alors procédé à la nomination de son président. M. Lanza, ancien Ministre des Finances sous le précédent Ministère de M. de Cavour, candidat ministériel, l'a emporté par une forte majorité sur M. Ratazzi, candidat du parti démocratique (extrême gauche). Il a donc été élu président. La Chambre a ensuite procédé à l'élection de quatre vice-présidents, six secrétaires et deux questeurs. I.a majeure partie des Députés élus à ces charges appartient aussi au parti ministériel (centre-droit). Hier la Chambre s'est définitivement constituée et aujourd'hui elle a de fait commencér ses travaux. Les Députés de Nice, Garibaldi, et Robandi ont attaque le Ministère à propos de la cession de Nice et ont voulu provoquer Va discussion sur le traité, mais le Ministère s'est refusé à accepter la discussion et la Chambre a passé à l'ordre du jour.
- 362 La discussion ne viendra donc que lorsque le Ministère proposera à la Chambre l'approbation du traité. Ceci du reste n'aura pas lieu avant une quinzaine une vingtaine de jours, car le Roi va partir pour aller faire une tournée dans les nouvelles provinces annexées ; il sera absent au moins une quinzaine et comme le Ministère l'accompagnera et qu'il a fait inviter les Députés de la Toscane et de l'Émilie à le suivre, les séances du Parlement seront prorogées jusqu'après son retour. Le Corps Diplomatique n'a pas été invité à accompagner Sa Majesté. On croit qu'en présence des abstentions qui ont eu lieu à la séance d'ouverture du Parlement le Gouvernement a préféré ne pas inviter le Corps Diplomatique plutôt que de le scinder et de n'arriver qu'avec une partie seulement des représentants étrangers. Une insurrection a eu lieu en Sicile ; il paraît qu'elle a été comprimée mais non sans une grande effusion de sang. La presse ici prétend que non seulement elle n'est pas comprimée mais qu'elle gagne du terrain et elle cite comme preuve le nombre de troupes que de Naples l'on expédie journellement en Sicile. Les nouvelles reçues, voie de France, ainsi que celle du représentant de Naples ici affirme au contraire que la tranquillité est rétablie. 1314] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 16 avril 1860 Dépêche N° 375/38 confidentielle Les bruits les plus contradictoires ont circulé cette semaine sur la situation de la Sicile, et comme le Gouvernement dispose exclusivement du télégraphe, que tous les bateaux de commerce ont été mis en réquisition pour le transport des troupes et du matériel, nous en sommes réduits aux nouvelles que nous apporte une fois par semaine le paquebot français de Messine. Un rapport de M. Rizzotti, notre consul, m'apprend qu'à la date du 9 l'ordre n'avait pas même encore été sérieusement troublé dans cette ville, mais que l'agitation y était extrême et qu'il avait fallu une grande prudence de la part des autorités pour prévenir un conflit entre la population et la troupe. Le lendemain se répandit ici le bruit que Messine venait d'être bombardée, que Catane se soulevait et que la révolte triomphait sur divers points de l'île. Mais rien n'a confirmé ces bruits, et le journal officiel annonce même que la tranquillité est entièrement rétablie à Palerme, et que l'ordre n'a été troublé nulle part ailleurs. Malgré ces assertions, Monsieur de Carafa reconnaît cependant que des bandes armées parcourent encore les environs de Palerme et que les communications entre cette ville et Termine sont interrompues. Il est d'ailleurs notoire que toute la Sicile est dans la plus grande fermentation, que les montagnes sont occupées par des bandes d'insurgés abondamment pourvus d'armes et même de canons que toutes les classes de la population, jusqu'aux
- 363 moines et aux religieuses, s'associent activement à la résistance. Le Gouvernement recommande à ses fonctionnaires d'agir avec une inflexible rigueur, et l'intendant de Messine a été appelé à Naples pour rendre compte des mesures de conciliation qu'il avait cru devoir prendre ; pendant son absence la police a fait une descente à son domicile, et visité ses papiers. Une véritable panique règne dans l'île, et chaque jour amène à Naples des familles fugitives qui viennent ici pour se soustraire au double danger de la guerre civile et de la famine. La disette est telle que le Gouvernement en est réduit à expédier de la capitale du blé et de la farine et qu'il doit détourner pour ce service une partie de ses bâtiments dont le nombre est déjà insuffisant pour le transport des troupes et des munitions. Dans tout le royaume on signale une grande agitation, et aux environs mêmes de Naples, à Aversa, il a fallu l'intervention de la force armée pour étouffer des démonstrations hostiles au Gouvernement. À Naples une petite bombe éclatait dans le voisinage du Palais, sans produire aucun dégât sérieux, mais toute la garnison a passé la nuit sous les armes et beaucoup d'arrestations ont été opérées. Le Gouvernement prend les mesures les plus actives pour faire face aux dangers de la situation. Chaque jour de nouvelles troupes partent pour la Sicile. Une colonne mobile de 6000 hommes doit se détacher du corps d'observation des Abruzzes pour se déployer entre Naples et la frontière romaine ; une autre se mettra en marche dans la direction de la Calabre. Quatre frégates croisent devant l'île pour empêcher un débarquement de Garibaldi qu'on continue à annoncer avec persistance. Toutes ces mesures sont dues à l'initiative du général Filangieri, qui, sorti de sa retraite, se trouve en permanence au Palais et organise de là toutes les opérations militaires. Les discussions des journaux sur les fauteurs du mouvement semblent ici bien futiles. On sait de façon positive que c'est le comité révolutionnaire de Florence qui en a la direction. C'est lui qui expédie les proclamations, l'argent, les armes, les chefs ; ses agents sont répandus sur tous les points du territoire, semant partout la sédition, et préparant les populations à un soulèvement général. On m'assure que tout ce qui se passe en ce moment, n'est qu'un prélude et que le vrai moment de l'action n'est pas encore arrivé. Par ces soulèvements partiels on veut obliger le Gouvernement à disséminer ses forces pour l'attaquer plus sûrement au moment donné et frapper un coup décisif sur son armée ainsi affaiblie. J'apprends de Rome que le général de Goyon vient d'arrêter qu'à l'avenir les marchés pour l'approvisionnement de l'armée d'occupation se renouvelleront de huit en huit jours ; celte mesure semble confirmer le bruit de sa prochaine retraite. À la nouvelle de la nomination du général Lamoricière le Duc de Grammont avait déclaré au Pape qu'il demanderait ses passeports si le général prenait le commandement des troupes pontificales sans avoir obtenu l'autorisation de l'Fmpereur. Comme le général refusait de la solliciter, ce fut le Pape lui-même
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qui pria l'ambassadeur de la solliciter en son nom, c'est ainsi qu'il lui f u t accordé et qu'on prévint une rupture éclatante. M. de Carafa a appris de Paris que l'Empereur a récemment appelé l'attention du Cabinet Anglais sur la situation présente de la Serbie et de la Bulgarie, en lui proposant de réunir une conférence à Paris pour s'entendre sur les moyens propres à remédier à ces dangereuses complications. Le Gouvernement Russe informé de cette démarche n'aurait pas hésité à le désapprouver. [315] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 18 avril 1860 Dépêche N° 315, réservé Il semble que la demande adressée par la Suisse aux puissances signataires du traité de Vienne pour la convocation d'un arbitrage européen, a gagné ces derniers jours une certaine vraisemblance de réussite. D'après les informations du Gouvernement Prussien, la France, peu disposée d'abord à une concertation collective, ne s'y opposerait plus sérieusement, depuis qu'elle a acquis la certitude de l'issue favorable des votes populaires dans la Savoie et à Nice. Quoique ne pouvant pas en douter, elle voulait, à ce qu'il paraît, être munie de ce nouveau fait accompli. Aussi les difficultés existantes tiennent-elles plutôt à la question de savoir : quel serait l'endroit de réunion. Londres et Paris ont été simultanément mis en avant. Mais l'Empereur Napoléon objectant contre la capitale de l'autre côté du détroit, le Cabinet de St. James n'y insiste plus et propose Bruxelles. A l'avis qui m'a été exprimé par Lord Bloomfield, cette ville offrirait, par sa neutralité m ê m e , les conditions requises, que pourrait compromettre la présence du Parlement. Il met toutefois pour condition que la réunion des Puissances garantes aurait le caractère d'une conférence spéciale, ne devant s'occuper que de la neutralité helvétique. Il serait inutile de faire observer que, contraire en principe à tout congrès, l'Angleterre a particulièrement en vue d'écarter toute autre discussion, sans en excepter celle du droit maritime. Votre Excellence connaît parfaitement que le Gouvernement du Prince-Régent marche d'accord avec cette puissance. Il se sent d'autant plus attiré vers elle que la Russie, depuis le regrettable refroidissement de l'alliance Anglo-Française, cherche à renouer des rapports intimes avec la France. Pour atteindre ce but, le Cabinet de Saint-Pétersbourg ne néglige aucun moyen. Ainsi, le Prince Gortschakoff vient de déclarer officiellement que tout ce qui aurait l'air d'une coalition contre la France serait odieux à la Russie. En même temps, ses agents à l'étranger entretiennent des relations assidues avec les organes de l'Empire Français ; l'intimité du Baron Budberg avec le Prince de l a Tour d'Auvergne en donne la mesure dans cette capitale.
- 365 Qu'il me soit permis d'ajouter humblement, que le Cabinet précité, après avoir vainement essayé de faire convoquer un congrès dans l'espoir de soulever la question qui lui pèse, adhère à la proposition d'une conférence. Néanmoins, il insiste à ce que cette réunion ait lieu, sans une entente préalable. [316] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 18 avril 1860 Dépêche N° 316 J'ai eu l'honneur de rapporter à Votre Excellence que le Cabinet des Tuileries cherchait à calmer les inquiétudes qu'a généralement produit la revendication proclamée des frontières naturelles à propos des Alpes. Dans ce but, la diplomatie française continue à déployer une grande activité en Allemagne et notamment à Francfort. Ses efforts, que secondent involontairement la rivalité de l'Autriche et de la Prusse, eurent déjà des succès ostensibles. En effet, plusieurs gouvernements se sont empressés de se déclarer satisfait des explications que M. Thouvenel leur a spontanément procurées sur le sujet. Mais l'habile Ministre de l'Empereur Napoléon ne s'y arrête pas ; il étend son action au-delà des limites de la confédération germanique. Par des actes de déférence qui flattent, le Gouvernement français obtient l'approbation de sa politique de la part des puissances de second ordre, signataires de l'acte de Vienne. La dépêche responsive que le Baron de Manderstrœm a adressée à Paris me paraît en offrir un exemple curieux. À ce titre, je me fais un devoir de transmettre ci-joint à Votre Excellence copie du document suédois. [317] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 19 avril 1860 Dépêche N° 749/53 Depuis mon dernier rapport du 12 de ce mois N° 741/51 1 , le Roi est parti pour Florence le 15 au soir, accompagné de presque tous les Ministres et d'une centaine des membres du Parlement. Sa Majesté a été accueillie à Livourne et à Florence avec un immense enthousiasme. Le 14 le Parlement s'est prorogé jusqu'au 1 er mars ; le 13 il avait voté presque à l'unanimité la ratification des décrets royaux d'annexion de la Toscane et de l'Émilie, qui sont ainsi devenus Lois du royaume.
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- 366 Le général Lamoricière a pris le commandement des troupes du Pape. Ci-inclu A l Votre Excellence trouvera copie de sa proclamation. Cette publication a produit le plus mauvais effet. Si le Général s'était borné à dire que les sentiments religieux l'emportant en lui sur tous les autres ; il croyait devoir mettre son épée au service du chef de sa religion, toute conviction sincère étant respectable, l'on n'aurait peut-être pas blâmé sa conduite, mais sa proclamation est le démenti le plus formel de tous les actes de sa vie passée. L'Empereur Napoléon peut, à juste titre, se féliciter de voir un de ses plus obstinés adversaires commettre ainsi un suicide moral. L'allusion à l'islamisme est aussi déplacée qu'inconvenante. La correspondance échangée entre le Roi Victor-Emmanuel et le Pape vient d'être publié ; je l'ai cru assez intéressante pour en faire une traduction que j e transmets ci-inclue à Votre Excellence Sub.A2. Les dépêches télégraphiques de Nice, où la votation, par le suffrage universel a eu lieu le 15, annoncent que la majorité pour l'annexion à la France est très considérable. Mais il faut dire que le parti italien s'est abstenu en masse. Le vote de la Savoie doit avoir lieu le 22 et il n'y a aucun doute que le résultat sera identique. Quoique les nouvelles de la Sicile soient contradictoires, il paraît cependant que le mouvement insurrectionnel a été comprimé dans les villes, mais qu'il se maintient dans les campagnes. L318J Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 23 avril 1860 Dépêche N° 383/41, confidentielle Le journal officiel du 20 annonce que l'ordre a été entièrement rétabli en Sicile. Déjà mes informations particulières m'avaient mis à même de constater que l'insurrection avait échoué. I ,es bandes armées qui s'étaient retirées sur Aliamo et Carini, ont été battues par les troupes royales, et une bien faible partie des insurgés a seule pu gagner le village de Castrogiorami, au cœur de l'île. Ils se sont fortifiés dans cette redoutable position ; mais il est douteux qu'ils y puissent opposer une longue résistance aux troupes qui viennent les cerner. Quant aux mouvements qui s'organisaient à Messine et à Catane, ils ont entièrement avorté. M. Rizzotti m'informe par son rapport ci-joint du 16 avril qu'à Messine l'ordre a été maintenu, sans effusion de sang. Pendant quelques jours des Calabrais qui, suivant lui, étaient payés par le Gouvernement, avaient parcouru la ville et les environs, tirant des coups de fusil et poussant des cris séditieux. Le 10 au matin, se servant, selon M. Rizzotti, de ce prétexte, le commandant de la place publia un ordre du jour où il annonçait que, si ces attaques continuaient, il bombarderait la ville. Cependant, sur les représentations du corps consulaire, qui était venu protester contre cette mesure extrême nullement justifiée par la
- 367 nécessité, l'ordre du jour fut reporté et les habitants, qui s'étaient enfuis, rentrèrent dans Messine, où l'ordre n'a plus été troublé. À Catane, à la première tentative séditieuse les troupes se sont répandues dans la ville, et cela a suffi pour disperser la foule et rétablir la tranquillité. Le Gouvernement tient entre ses mains tous les fils du vaste complot que la Sicile tramait contre lui. Les chefs de l'insurrection, les membres du comité central ont été arrêtés à Palerme dans la salle même où ils étaient réunis pour délibérer. Parmi eux se trouvent les membres des premières familles de Palerme, notamment le Prince Giardinelli et le Marquis Rizzo. Les listes de tous les conjurés sont au pouvoir de l'autorité, qui a pu se saisir des principaux d'entre eux et prévenir ainsi l'explosion sur les autres points menacés. Mais, par un acte de sage politique, le Roi a fait grâce de la vie aux membres du comité et proclamé une amnistie générale pour toutes les personnes compromises qui feraient leur soumission. Il n'y a eu que 15 insurgés qui, pris, après une forte résistance, les armes à la main, aient été traduites devant un conseil de guerre et fusillés. L'armée a parfaitement fait son devoir et, soutenu l'honneur du drapeau royal avec une inébranlable fidélité. Malheureusement de regrettables excès ont été commis après la victoire, et ce sont surtout les recrues siciliennes qui se sont signalées par leur bravoure pendant le combat, mais aussi par leur violence et leurs rapines. Encouragé par ce succès, le Roi est tout occupé à développer encore la force de son armée. Une nouvelle levée va être ordonnée, qui portera le chiffre total à 120 000 hommes. Il y a en ce moment 36 000 hommes en Sicile, 40 000 dans la capitale et les provinces, enfin 16 000 hommes au camp des Abruzzes. Il ne se passe pas de jour que le Roi n'inspecte ses troupes, soit dans leurs casernes, soit dans de grandes revues. Cette semaine il a réuni à Caserta à sa table tous les colonels et les officiers supérieurs de la garnison, et dans une allocution qu'il leur a adressée à cette occasion, il a hautement loué la belle conduite de l'armée en Sicile, et exprimé l'espoir qu'elle saura faire respecter son autorité partout où la révolution l'attaquera. « Ma confiance en vous, a-t-il dit en terminant, est illimitée, et j e préférerais être tué que trahi par mes soldats. » Les préoccupations du Gouvernement napolitain sont motivées par les menés du comité révolutionnaire de Turin. On sait ici que ce comité composé en grande partie de réfugiés napolitains se dispose à tout tenter pour jeter Naples dans les bras du Piémont ; le Gouvernement Sarde, voulut-il même s'arrêter pour consolider d'abord ses récentes conquêtes, qu'il serait bientôt forcé par le parti démocratique à reprendre sa politique envahissante. D'un autre côté, la population du royaume, activement travaillée par les agents révolutionnaires, commence à se familiariser avec l'idée de l'annexion et les récents événements de Sicile lui ont prouvé que tout soulèvement partiel doit échouer devant k s forces imposantes du Gouvernement. Le parti libéral, scindé d'abord en deux
- 368 camps, s'est donc fondu en un seul et comprend maintenant que, sans le concours du Piémont, il ne parviendra jamais à faire triompher ses projets. Le Comte de Syracuse vient d'adresser au Roi une lettre où il lui expose tous les dangers que court le trône et lui recommande de s'associer à la politique du Piémont pour prévenir une lutte autrement inévitable. Il termine en promettant au Roi des communications détaillées qu'il est prêt à lui fournir de vive voix. Mais comme il n'a pas reçu de réponse et que le Roi ne l'a pas appelé auprès de lui, il a voulu se venger en communiquant cette lettre aux journaux ; prochainement elle paraîtra dans le Times. Néanmoins le Roi cherche à ménager les susceptibilités du Piémont et à maintenir avec lui de bonnes relations. M. de Villamarina, en lui notifiant l'annexion des Duchés, a déclaré que les événements de l'Italie centrale ayant oblige son maître à tenir compte des vœux des populations, il espère que l'Europe appréciera la difficulté de sa position et consolidera la paix en reconnaissant le fait accompli. M. de Carafa a simplement pris acte de cette notification, mais prévoyant après ses déclarations que le séjour prolongé du chargé d'affaires de Sardaigne pourrait motiver de fâcheuses réclamations, il fit confidentiellement entendre à M. de Frescobaldi qu'il y aurait opportunité pour lui à retirer ses armes. M. de Frescobaldi en a référé à son maître. La gravité des circonstances a fait différer jusqu'au mois d'octobre le mariage du Comte de Frani, frère du Roi avec la sœur de la reine. Le Comte de Buol, après avoir passé l'hiver à Rome, se trouve actuellement à Naples. Annexe M. Rizzotti à Spitzer Effendi Messine, le 16 avril 1860 Annexe à la dépêche N° 383/41 Depuis mon dernier rapport, les affaires sont allées ici de mal en pis, grâce aux menées de M. le Maréchal, qui, pour se donner l'air de rendre service au Gouvernement, troublait chaque nuit les citoyens paisibles, sous prétexte d'attaques et d'agressions du peuple qu'il feignait ou rêvait, il ne cessait de faire durer toute la nuit les fusillades et les canonnades et d'intimider ainsi le peu de citoyens qui restaient encore. Ce coupable procédé commençait à donner quelques fondements aux bruits de sac et de feu que les soldats faisaient courir, et l'on était épouvanté en voyant arriver des provinces voisines de la Calabre les habitants chargés de besaces pour emporter le butin, et en entendant les soldats dire aux hôteliers et aux marchands de cigares, qui seuls avaient gardé leurs boutiques ouvertes, que dans deux ou trois jours ils les paieraient généreusement, vu qu'ils attendaient d'un moment à l'autre l'ordre de commencer le sac et le feu. Au milieu de l'état d'agitation où vivaient les quelques centaines de personnes restées encore en ville, on vit tout à coup
- 369 partir et s'enfuir les familles des consuls de France et d'Angleterre, effrayées eux aussi pour avoir reçu à 10 heures du matin le manifeste dont ci-jointe la copie. Figurez-vous le trouble, figurez-vous l'épouvante, et chacun de s'enfuir ; il ne resta que tous les consuls, qui, après avoir mis leurs familles en sûreté en les envoyant à Malte par le bateau français qui se trouvait juste dans le port prêt à partir, prirent courage. Tout le corps consulaire, moi compris, se réunit et se présenta au maréchal en lui déclarant qu'il protestait de toute sa force, et que ce bombardement ne pouvait et ne devait pas avoir lieu. Après de sérieuses menaces et de longs débats, on fit comprendre au Maréchal, comme c'était en effet le cas, qu'il n'y avait rien de vrai dans toutes les assertions de son manifeste et qu'il était évident que les troupes ne voulaient que le sac et le feu. Enfin, à force d'énergie, on obtint du Maréchal la promesse écrite que la citadelle ne tirerait pas sur la ville, et le même jour à quatre heures de l'aprèsmidi parut un autre manifeste, dont copie ci-jointe. Nous pouvons maintenant dire en toute sincérité que Messine a été sauvée par le corps consulaire. Actuellement tous les consuls ont pour leur garantie placé leurs drapeaux aux fenêtres de leurs maisons, à l'exception du consul de Sardaigne, à qui le Maréchal a, dit-on, défendu d'arborer le sien, comme odieux aux yeux du Gouvernement napolitain. Tout le monde, la population comme le corps consulaire, a été vivement impressionné de la lâcheté et de la faiblesse de ce consul qui a obéi à l'ordre verbal du Maréchal. Cependant on voit venir de Naples de nouvelles troupes, de la cavalerie, etc., sans qu'on puisse savoir ce qu'elles viennent faire. La ville est tranquille aujourd'hui, les personnes commencent à retourner, et tout fait présager que nous reviendrons bientôt à nos anciennes habitudes. Voilà tout ce que pour le moment je peux vous exposer. [319] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 25 avril 1860 Dépêche N° 321, réservé Depuis le dernier courrier, il y eut, selon mes humbles renseignements, un temps d'arrêt dans le cours des négociations concernant les districts qui sont impliqués dans la neutralité helvétique. Aussi semble-t-il que la réunion des Puissances, si conférence aura lieu, ne s'effectuera qu'après le vote du Parlement Sarde. À l'opinion du Gouvernement Français, cette formalité requise, tout en rendant exécutoire le traité du 26 mars, autoriserait la concertation sur le mode de concorder la stipulation contenue dans l'article 2 de ce traité avec l'article 82 de l'acte final de Vienne. Il est sans doute connu de Votre Excellence que, avant d'arriver à cette résolution qui paraît être généralement admise, plusieurs ouvertures ont été faites de la part du Cabinet de St. James. Après avoir proposé une réunion à
- 370 quatre, Lord John Russcll formula l'opinion de demander à la France, ou de céder à la Suisse tous les districts en litige, ou la partie qui en indiquerait une ligne stratégique. La Prusse y donna son adhésion ; mais, outre les difficultés que présenta la Russie contre cette suggestion, le Cabinet de Vienne la déclina n'ayant pu savoir, quelle serait l'attitude de l'Angleterre en cas d'un refus péremptoire de la part de la France. Le ( omit' de Rechberg, s'est cru autorisé à suivre cette ligne de conduite, muni qu'il était de la déclaration catégorique du Cabinet des Tuileries de ne vouloir rien céder. En attendant, la Suisse, se fiant trop peut-être à son prétendu droit, dépêche des missions extraordinaires auprès des Grandes Puissances. Un délégué arriva ces derniers jours à Berlin, pour connaître les dispositions définitives du Gouvernement du Prince-Régent en personne. Je ne manquerai pas de transmettre à Votre Excellence le résultat de ces délibérations assidues, aussitôt que j'en posséderai des données positives. 1320] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, 16 avril 1860 Dépêche No 375/38, confidentielle Les bruits les plus contradictoires ont circulé cette semaine sur la situation de la Sicile, et comme le gouvernement dispose exclusivement du télégraphe, que tous les bateaux de commerce sont été mis en réquisition pour le transport des troupes et du matériel, nous en sommes réduits aux nouvelles que nous apporte une fois par semaine le paquebot français de Messine. Un rapport de M. Rizzotti. notre consul, m'apprend qu'à la date du 9 l'ordre n'avait pas encore été sérieusement troublé dans cette ville, mais que l'agitation y était extrême et qu'il avait fallu une grande prudence de la part des autorités pour prévenir un conflit entre la population et la troupe. Le lendemain se répandit ici le bruit que Messine venait d'être bombardée, que Catane se soulevait et que la révolte triomphait sur divers points de l'île. Mais rien n'a confirmé ces bruits, et le journal officiel annonce même que la tranquillité est entièrement rétablie à Palerme, et que l'ordre n'en a été troublé nulle part ailleurs. Malgré ces assertions, Monsieur de Carafa reconnaît cependant que des bandes armées parcourent encore les environs de Palerme et que les communications entre cette ville et Termine sont interrompues. Il est d'ailleurs notoire que toute la Sicile est dans la plus grande fermentation, que les montagnes sont occupées par des bandes d'insurgés abondamment pourvus d'armes et même de canons, que toutes les classes de la population, jusqu'aux moines et aux religieuses, s'associent activement à leur résistance. Le gouvernement recommande à ses fonctionnaires d'agir avec une inflexible rigueur, et l'intendant de Messine a été appelé à Naples pour rendre compte des
- 371 mesures de conciliation qu'il avait cru devoir prendre ; pendant son absence la police a fait une descente à son domicile et visité ses papiers. Une véritable panique règne dans l'île, et chaque jour amène à Naples des familles fugitives qui viennent ici pour se soustraire au double danger de la guerre civile et de la famine. La disette est telle que le gouvernement en est réduit à expédier de la capitale du blé et de la farine et qu'il doit détourner pour ce service une partie de ses bâtiments, dont le nombre est déjà insuffisant pour le transport des troupes et des munitions. Dans tout le royaume on signale une grande agitation, et aux environs mêmes de Naples, à Aversa, il a fallu l'intervention de la force armée pour étouffer des démonstrations hostiles au gouvernement. À Naples une petite bombe a éclaté dans le voisinage du Palais, sans produire aucun dégât sérieux, mais toute la garnison a passé la nuit sous les armes et beaucoup d'arrestations ont été opérées. Le gouvernement prend les mesures les plus actives pour faire face aux dangers de la situation. Chaque jour de nouvelles troupes partent pour la Sicile. Une colonne mobile de 6000 hommes doit se détacher du corps d'observation des Abruzzes pour se déployer entre Naples et la frontière romaine ; une autre se mettra en marche dans la direction de la Calabre. Quatre frégates croisent devant l'île pour empêcher un débarquement de Garibaldi qu'on continue à annoncer avec persistance. Toutes ces mesures sont dues à l'initiative du général Filangieri, qui, sorti de sa retraite, se trouve en permanence au Palais et organise de là toutes les opérations militaires. Les discussions des journaux sur les fauteurs du mouvement semblent ici bien futiles. On sait de façon positive que c'est le comité révolutionnaire de Florence qui en a la direction. C'est lui qui expédie les proclamations, l'argent, les armes, les chefs ; ses agents sont répandus sur tous les points du territoire, semant partout la sédition, et préparant les populations à un soulèvement général. On m'assure que tout ce qui se passe en ce moment, n'est qu'un prélude et que le vrai moment de l'action n'est pas encore arrivé. Par ces soulèvements partiels on veut obliger le gouvernement à disséminer ses forces pour l'attaquer plus sûrement au moment donné et frapper un coup décisif sur son armée ainsi affaiblie. J'apprends de Rome que le général de Goyon vient d'arrêter qu'à l'avenir les marchés pour l'approvisionnement de l'armée d'occupations se renouvelleront de huit en huit jours ; cette mesure semble confirmer le bruit de sa prochaine retraite. À la nouvelle de la nomination du général de Lamoricière le Duc de Grammont avait déclaré au Pape qu'il demanderait ses passeports si le général prenait le commandement des troupes pontificales sans avoir obtenu l'autorisation de l'Empereur. Comme le général refusait de la solliciter, ce fut le Pape lui-même qui pria l'Ambassadeur de la solliciter en son nom ; c'est ainsi qu'elle lui fut accordée et qu'on prévint une rupture éclatante.
- 372 (321J Fuad Pacha à Spitzer Effendi Le 25 avril 1860 Dépêche N° 4035/18 J'ai reçu en son temps et pris connaissance du rapport que vous m'avez adressé le 13 février sub. No 343 1 sur les affaires générales de l'Italie et particulièrement sur les bruits qui circulaient dans certains cercles de Naples que diverses provinces ottomanes et notamment la régence de Tunis servirait à compenser quelques Princes italiens de la perte de leurs États dans le nouveau remaniement de l'Italie. Je suis à même, Monsieur, de déclarer que ces bruits sont complètement dénués de fondement. [3221 Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 30 avril 1860 Dépêche N° 386/43, confidentielle Les communications sont rétablies entre Naples et la Sicile, et nous recevons des détails sur les événements s'y sont passés : Chassés de Palerme, les insurgés s'étaient retranchés à quelques heures de là, à Carini. Dans la journée du 16 ils furent attaqués dans cette position par les troupes royales, et, après une lutte désespérée, ils durent quitter la ville, qui fut mis à feu par les vainqueurs. Rien ne fut épargné ; même les villas du Prince de Cafaro, le Président du Conseil, et du Prince de Farini, Ministre napolitain à Berlin, subirent le sort commun. Près de 500 personnes périrent dans cette sanglante affaire. Bien que depuis ce moment il n'y a plus eu aucune rencontre, les nouvelles rassurantes que nous avions reçu la semaine dernière, ne semblent pas devoir se vérifier de sitôt. L'insurrection, un instant découragée par ces revers, relève la tête depuis l'arrivée devant Palerme de deux bâtiments de guerre Piérnontais. La venue de ces bâtiments a provoqué dans la ville une démonstration. Malgré les rigoureuses prescriptions de l'état de siège, plus de 4000 personnes descendirent dans les rues et les parcoururent silencieuses et chapeau bas. La police jugea à propos de ne pas intervenir ; et tout se termina paisiblement. L'autorité a également dû, faute de forces suffisantes, renoncer à opérer le désarmement de la ville. La plupart des habitants n'ont pas voulu déposer spontanément leurs armes, et jusqu'ici on s'est abstenu par prudence de les leur enlever de force. 1
No. 277.
- 373 Dans les campagnes les bandes dispersées par les troupes se rallient sous différents chefs. Le Baron de Santa Anna s'est fortifié à Misilmeri entre Palerme et Frapani. Mangano organise un autre corps aux environs de Cesahi, et Cataldo se montre: du côté de Catane. Les insurgés ont reçu de nouvelles armes et de l'argent avec l'assurance que bientôt un débarquement va venir à leur aide. Le Gouvernement napolitain a effectivement été prévenu que les Italiens de Malte se disposent à opérer une descente en Sicile, et il a prié M. Elliot d'en informer les autorités maltaises ; M. de Carafa me dit que l'envoyé britannique a parfaitement accueilli cette demande. À défaut d'un nombre suffisant de canonnières pour surveiller les côtes de l'île, on vient de mobiliser toutes les grandes barques qui se trouvaient dans le port de Naples ; ces bâtiments légers ont été armés à la hâte et envoyés en croisière. On sent ici qu'il faudra encore frapper un grand coup pour avoir raison de l'insurrection. La publication de la lettre du Comte de Syracuse cause de grands embarras au Gouvernement. M. de Carafa avoue que les menées du Prince sont depuis longtemps connues du Roi ; on n'ignore pas qu'il a dans son palais une imprimerie, que c'était sous ces auspices que se publiait le journal clandestin, et que des millions d'exemplaires de sa lettre, ont été répandus par ses agents dans les provinces. Le conseil des Ministres est d'avis qu'il faut éloigner le Prince du royaume et enlever ainsi aux mécontents un chef qui peut impunément agir à l'ombre du trône. Mais jusqu'ici le Roi, par égards pour son oncle, a repoussé cet avis ; il croit d'ailleurs que le Comte est moins à craindre à Naples qu'à l'étranger où il lui serait trop facile d'exploiter les nombreuses sympathies qui se groupent toujours autour d'un Prince présent. La situation intérieure du royaume continue à être fort inquiétante. Les populations des provinces continentales suivent avec anxiété la marche des événements de Sicile, et il semble qu'elles n'attendent qu'un revers des armes royales pour suivre l'exemple des Siciliens. P. S. : Au dernier moment, on nous communique une dépêche que le Gouvernement vient de recevoir, d'après laquelle deux bâtiments de commerces sardes sont partis hier de Gênes, chargés d'hommes, d'armes et de munitions destinés à la Sicile. C'est Garibaldi qui dirige cette expédition. Un autre bâtiment a quitté Livciurne pour la même destination. [323] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 3 mai 1860 Dépêche s.n. Le Gouvernement Piémontais a donné des instructions à ses agents à l'étranger dans le but d'annoncer aux puissances le fait des annexions.
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À Saint-Pétersbourg le Prince Gortschakoff a reçu très froidement l'envoyé Piémontais et lui a répondu qu'il ne pourrait jamais recevoir, à une pareille déclaration, qu'une réponse verbale, attendu que son Gouvernement n'avait pas été consulté sur le fait avant sa consécration. La Prusse qui avait consulté la Russie a fait la même réponse. On pense généralement que le Cabinet de Saint-Pétersbourg, voulant prévoir toute éventualité, voudrait profiter de la circonstance actuelle pour pousser le Piémont à adhérer à sa politique. La Prusse aurait d'ailleurs le même intérêt s'il est vrai qu'il entre dans la pensée de l'Empereur des Français de payer l'amitié de la Prusse par un agrandissement territorial ; mais j e sais que cette dernière puissance ne s'est conformée à la politique russe que pour se ranger aux côtés du plus fort, et ne pas protester ou adhérer seule. M. de Beust, Ministre de Saxe, cherche à détacher la Prusse de la confédération germanique et à gagner des partisans à la politique française, lesquels du reste ne sont déjà que trop nombreux. Il est facile de voir combien la France est prépondérante à l'étranger ; sa politique n'est pourtant pas plus brillante que celle des autres puissances, mais ses armées sont victorieuses lorsqu'elles sont lancées à la frontière. Or la France a toujours été forte diplomatiquement jusqu'à ce qu'une défaite ou une ruine viennent mettre fin au prestige dont elle jouit. La France est sous tous les rapports, le plus puissant État de l'Europe en ce moment. L'Angleterre sera plus forte sur mer, la Russie plus en sûreté dans son immense Empire, mieux placée sur le globe, mais dans l'ensemble des forces d'une nation, la France a une supériorité marquée sur tous les autres peuples. La Russie a compris cette situation ; elle seule comprend aujourd'hui tous les avantages qu'elle pourra retirer dans l'avenir, de l'alliance qu'elle a contractée, dit-on, avec la France par un traité secret. D'après ce qui précède et après avoir bien établi la force de la diplomatie française à l'étranger, on serait tenté de croire que la réponse que la Russie vient de faire aux représentants du Piémont à Saint-Pétersbourg pourrait fort bien avoir été inspirée par le Cabinet des Tuileries où l'on a positivement été mécontent de la rapacité politique de M. de Cavour et où l'on a vu d'un mauvais œil les intrigues ourdies à Turin dans le but d'exciter encore davantage l'Angleterre qui paraissait décidée, dans le principe, à s'opposer avec force aux projets d'annexion de la Savoie et de Nice. Votre Excellence se souviendra que dans une de mes précédentes dépêches j'ai fait mention du mécontentement de M. de Cavour lorsqu'il a dû signer l'acte de cession. Cette politique à deux faces de la France manque certainement de dignité et de grandeur, mais nous savons de vieille date que les moyens les plus prompts et qui mènent le plus vite aux buts que se propose l'Empereur sont ceux dont il se sert le plus volontiers et qu'il n'hésite même jamais à les employer lorsque son intérêt est en jeu.
- 375 On parle vaguement d'un remaniement général de la carte de l'Europe qui assurerait à tous les pays un repos basé sur un nouvel équilibre. Si ce projet est exagéré, si ce bruit n'est pas fondé, il n'en est pas moins vrai que l'Empereur Napoléon, pour ne pas tomber dans les fautes de son oncle et, dans le but d'étendre l'industrie et le commerce de la France, songe sérieusement à diminuer, à une époque plus ou moins rapprochée, les armements considérables de ce pays ; mais pour atteindre cc but, il doit élargir le cercle des frontières vers le Rhin où il trouvera encore une barrière naturelle facile à défendre. Il ne ferait la guerre pour en arriver là que si la Prusse ne consent pas à se laisser amputer et pour que la Russie consente à la combinaison, elle recevrait un membre de l'Empire Ottoman. Quant à l'Autriche, on peut compter sur son inaction, car elle traverse en ce moment une crise qui la conduira à une immense débâcle si le jeune souverain qui gouverne cet État persévère, comme le Roi de Naples, à ne pas donner à ses peuples de promptes et radicales réformes. Tous les regards sont tournés aujourd'hui vers les Deux Siciles ; les événements qui s'y passent prouvent assez que ce Gouvernement continue à marcher dans une voie fatale. Les bons conseils du Général Filangieri ne sont pas écoutés et le jeune souverain se laisse aveugler par un entourage inexpérimenté, et malhabile. Le Roi de Naples est bien décidé à maintenir l'état de choses actuel. Tous ces bruits pourraient bien expliquer les manœuvres de la politique européenne mais ce ne sont que des bruits qu'on ne peut guère confirmer mais dont on ne tardera pas à en connaître la valeur. Le rôle du Général Lamoricière, à Rome, se bornera pour le moment, à organiser une force suffisante pour attendre en toute sécurité les événements. Il a fait, le 9 du mois passé, sa visite au Général de Goyon ; l'entrevue a été des plus amicales. L'Empereur Napoléon en accordant au Général Lamoricière l'autorisation d'entrer au service du Saint-Père a qualifié sa conduite de chevaleresque et d'éminemment française. On est enchanté à Rome des dispositions que prend le Général Lamoricière et l'on trouve déjà que l'occupation française est fort inutile. C'est un peu tôt ! Mais les hommes sont ainsi faits ; le nouveau leur plaît, ils en exagèrent la valeur et la portée. Que Votre Excellence me permette de citer un mot de M. de Cavour qui semblerait vouloir en finir de suite avec un état de choses impossible dans les Deux Siciles : « C'est une catastrophe qui doit arriver tôt ou tard » a dit le Ministre de Victor-Emmanuel.
- 376 [324] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 7 mai 1860 Dépêche N° 388/45 J'ai l'honneur d'accuser réception à son Excellence de sa note No 4035/18, du 25 avril 1 , par laquelle Elle m'informe que le bruit relatif à certains projets de remaniements territoriaux que j'avais mentionnés dans ma dépêche No 343 du 13 février 2 , sont complètement dénués de fondement. Je ne manquerai pas, Excellence, de profiter de cette déclaration pour démentir ces bruits, si jamais ils se reproduisent autour de moi. [3251 Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 7 mai 1860 Dépêche N° 389/46 J'ai l'honneur d'adresser ci-joint à Son Excellence deux documents émanés des autorités siciliennes. L'un (annexe 1) est un ordre du jour du général Salzano, qui prononce la levée de l'état de siège de Palerme, à partir du 3 courant ; l'autre (annexe 2) est une proclamation adressée aux Siciliens par le Prince de Casteloicala, Gouverneur général de l'île. Dans cette proclamation, le Gouverneur constate que la révolte du 4 avril a été étouffée grâce à l'énergie des troupes et à la louable conduite de la majorité des citoyens. Le Roi, dit-il, a voulu après la victoire, céder aux aspirations de sa clémence et un généreux pardon a été promis à tous ceux qui déposeront volontairement les armes ; mesure qui a excité l'enthousiasme et la reconnaissance des populations. « Cependant, dit-il, si la tranquillité est rétablie en tout lieu, il reste encore à faire cesser les ravages des plus misérables débris des bandes dispersées, qui n'ont pas voulu rentrer dans leurs foyers, et qui, privées de l'espoir du butin, attentent à la vie et aux biens d'autrui, ou commettent d'autres horreurs semblables. » Cette proclamation a été publiée dans toutes les villes de la Sicile, et l'on devrait croire que l'ordre y est complètement rétabli. Malheureusement diverses circonstances empêchent d'avoir une foi aveugle dans ces documents officiels ; les rapports des consuls et les récits des voyageurs dépeignent la situation sous un tout autre aspect, et il est permis de douter que les choses soient rentrées dans leur état normal quand on voit journellement arriver à Naples des masses de personnes fugitives, quand le Prince de Casteloicala lui-même, et le 1 2
No. 321. No. 277.
- 377 directeur de la police, M. Manescalchi, croient nécessaire de renvoyer leurs familles pour les mettre en sûreté, et que les expéditions de troupes, un moment ralenti, reprennent avec une nouvelle activité. Il est vrai que depuis la défaite de Carini les insurgés n'ont plus nulle part essayé de tenir tête aux troupes royales ; ils se contentent de les harceler, se dispersant à leur approche, mais ils ne tardent pas à se rallier à la voix de leur chef. Les avant-postes placés au faubourg de Palerme ont eu à souffrir, dans la journée du 4 et celle du 5 des attaques de ces guérillas qui continuent à infester les environs de la ville, comme le constate la proclamation même du Gouverneur général. Ainsi la levée de l'état de siège n'a servi qu'à augmenter leur audace. Il est vrai que l'attitude des troupes ne répond pas toujours aux intentions de l'autorité et atténué souvent par de déplorables excès les effets de ces mesures conciliantes. Dans cet état de choses la confiance ne saurait renaître de sitôt. La stagnation des affaires est complète, car, par crainte du pillage, toutes les boutiques restent fermées. Les ouvriers des mines chôment depuis un mois et ne sont que trop disposés à se joindre à l'insurrection. En dépit de louables efforts du Gouvernement, une ¡sourde agitation se manifeste partout, et il semble qu'on n'attend qu'un mot d'ordre pour tenter un nouveau soulèvement. Garibaldi est dans toutes les bouches et dans tous les cœurs, et l'aversion contre le Gouvernement ne fait que croître. Tout en publiant ces proclamations rassurantes, le Gouvernement comprend la gravité de la situation et avise. L'armée de la Sicile a encore reçu un renfort de 2000 hommes, ce qui porte son effectif à 38 000. Les frégates de la marine royale et des canonnières nombreuses surveillent activement les côtes, et des avisos échelonnés dans la direction de l'île de Sardaigne, de Malte et de Tunis sont chargés de signaler tous les bâtiments qui approchent. La police redouble sa surveillance sur les étrangers. Enfin on ne néglige aucun moyen de prévenir ou de faire échouer une expédition de Garibaldi. Tous ceux qui connaissent les puissants moyens de défense dont dispose le Gouvernement doutent qu'une poignée d'hommes, fût-elle conduite par ce fameux partisan, à qui sa popularité donne une force réelle, puissent parvenir à changer le sort de l'île, tant que l'armée restera fidèle. Depuis le début de la révolte on a eu à signaler qu'un seul cas de défection, et si je le mentionne, c'est pour ne rien omettre de tout ce qui peut caractériser la situation. Lorsque l'approche des frégates sardes s'est signalée à Trapani et qu'on y attendait un débarquement de troupes Piémontaises, le commandant militaire de la ville déclara à l'intendant civil que, se trouvant hors d'état de repousser un débarquement, il se voyait dans la nécessité de se retirer avec ses troupes dans la citadelle. Il évacua donc la ville, qui s'empressa de proclamer son indépendance et d'organiser un Gouvernement provisoire. Mais quand les frégates Piémontaises eurent passées sans commettre aucun acte d'hostilité, les officiers de la garnison forcèrent le commandant à rentrer dans la ville où
- 378 l'ordre fut bientôt rétabli. Le commandant fut destitué, il aura à rendre compte de sa conduite devant le conseil de guerre. 1326] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 7 mai 1860 Dépêche N° 390/47, confidentielle Le 29 avril, comme j'ai eu l'honneur de l'annoncer à Son Excellence dans ma dépêche N° 386/43, du 30 avril 1 , le Gouvernement napolitain fut averti par son Ministre à Turin que Garibaldi venait de partir pour se mettre à la tête d'une expédition dirigée contre la Sicile. Quelques heures plus tard, Monsieur de Villamarina venait lui-même en informer M. de Carafa, en vertu d'ordres de son Gouvernement. M. de Carafa tout en le remerciant de ce bon procédé saisit cette occasion pour lui exprimer tout son étonnement de ce qu'un Gouvernement ami tolérait des associations publiques dont le but avoué était d'organiser une attaque armée contre une puissance voisine. Les mêmes observations furent présentées à Turin par M. de Canofari, et M. Farini, qui remplaçait M. de Cavour absent, s'empressa d'envoyer aux autorités de Gênes l'ordre formel de s'opposer à tout embarquement d'armes et de munitions. Deux bâtiments prêts à mettre à la voile furent en conséquence retenus dans le port. Mais on ne tarda pas, me dit M. de Carafa, à se convaincre que c'étaient là des mesures illusoires, car cinq autres navires chargés d'hommes et de munitions quittèrent sans obstacles différents points du littoral Piémontais et se dirigèrent sur Cagliari, où ils attendent encore les ordres de Garibaldi. On ignore complètement où celui-ci se trouve actuellement, on le dit tantôt à Tunis, tantôt à Malte, tantôt en Sicile. La police est sur les traces de son aide de camp, un nommé Ploto, sicilien d'origine, qui est parvenu à pénétrer dans l'île. M. de Carafa a dernièrement interpellé M. de Villamarina sur les instructions données aux commandants des deux frégates Piémontaises qui mouillent actuellement dans la rade de Palerme. Quoique la conduite des équipages ait été jusqu'ici irréprochable, il n'en est pas moins vrai que la simple apparition de ces bâtiments a suffi pour produire dans l'île des manifestations hostiles au pouvoir. Maintenant qu'une expédition armée se prépare et que le Gouvernement napolitain va peut-être se trouver bientôt dans la fâcheuse nécessité d'agir contre des navires portant pavillon sarde, le Ministre désirait savoir quelle sera dans ce cas l'attitude de la marine Piémontaise. Les frégates resteront-elles simples témoins ou prendront-elle fait et cause pour leurs nationaux ? Monsieur de Villamarina, tout en comprenant l'opportunité de cette demande, déclara ne pouvoir y répondre sans en avoir référé à Turin. 1
No. 322.
- 379 On avait appris à Naples que des bâtiments anglais (de commerce) ont été frétés pour servir au transport d'armes et de munitions destinées à la Sicile ; sur les observations de M. de Carafa, M. Elliot promit que l'Angleterre prendrait des mesures pour empêcher sa marine marchande de se compromettre dans une pareille entreprise. Le Gouvernement français me dit M. de Carafa, n'a même pas attendu nos observations pour ordonner à ses consuls de la Méditerranée d'empêcher la marine marchande de coopérer d'une façon quelconque à ces criminelles tentatives. L'opposition du Comité de Syracuse se dessine plus clairement de jour en jour. Il vient de communiquer au Prince de Carignan, son beau-frère, sa lettre au Roi de Naples, en le priant de déposer au pied de Victor-Emmanuel son épée, qu'il veut mettre au service de la cause de l'Italie. La publication du journal clandestin continuant toujours, la police a saisi cette semaine une presse chez le secrétaire intime du Comte de Syracuse, Monsieur Fiorelli ; celui-ci se réfugia dans le palais du Prince, qui, pour le sauver, l'accompagna en personne à bord d'un bateau en partance pour Livourne. Lui-même s'attend à recevoir d'un moment à l'autre ses passeports, mais le Roi persiste à fermer les yeux sur ses menées et à lui refuser l'ordre d'exil qu'il semble ambitionner. Le Prince, si populaire jusqu'ici pour l'affabilité de ses manières et l'éclat de ses réceptions est aujourd'hui délaissé ; on le fuit pour ne pas se compromettre. Pour avoir la mesure de sa popularité il voulait organiser une soirée musicale, mais comme toute la société napolitaine l'avait prévenu qu'elle n'osait y paraître, il dut renoncer à son projet. Le corps diplomatique, à l'exception de M. de Villamarina, s'abstient également de se montrer dans les salons du Comte, que naguère, il aimait à fréquenter ; mais la rupture ouverte du Prince avec le Roi lui fait un devoir de cette abstention. Le Comte d'Aquila, second oncle du Roi, et commandant de la marine royale, est depuis une huitaine de jours en froideur avec le Roi, et l'on croit qu'il penche à suivre la politique de son frère, le Comte de Syracuse. A Rome, la France continue à se heurter contre les résistances qui depuis si longtemps paralysent son action. M. de Gramont vient de proposer au Pape une nouvelle combinaison, qui a été repoussé comme toutes les autres. D'après ce projet, tous les Étals catholiques se réuniraient pour garantir au Pape l'intégrité de ses possessions actuelles ; on créerait un fonds commun qui servirait à l'indemniser des ressources qu'il retirait des provinces perdues. L'Espagne, la Belgique, la Bavière et le Portugal auraient à fournir un contingent de troupes pour renforcer l'armée papale ; la France, l'Autriche et Naples auraient à fournir, au lieu d'hommes, l'argent nécessaire pour l'entretien de cette troupe. Mais le Pape n'a pas hésité à repousser cette combinaison en déclarant accepter une garantie pour les provinces qu'il possède actuellement, ce serait implicitement reconnaître et ratifier la perte de la Romagne. Malgré le refus du Pape, Monsieur de Brenier a fait part au Gouvernement napolitain de la nouvelle démarche tentée par la France, afin de manifester une fois de plus la constante sollicitude de l'Empereur pour le pouvoir temporel du Pape.
- 380 — M. de Brenier, en me confirmant ces faits, ajouta qu'il était bien difficile sinon impossible de contenter un pouvoir qui en est encore à exprimer annuellement ses regrets pour la perte d'Avignon et son espoir de le recouvrer. J'ai eu l'occasion de voir M. de Carolus Ministre de la Belgique à Rome, qui m'a pleinement confirmé tout ce que monsieur de Carafa me dit sur l'état actuel des États pontificaux. Les partisans de la papauté ont relevé la tête et un certain découragement se fait jour chez les libéraux depuis l'arrivée de Lamoricière. Des milliers de soldats aguerris accourent de Belgique, de France, de Suisse et d'Allemagne pour se ranger sous les drapeaux du célèbre général. L'affluence est telle qu'il a déclaré n'avoir plus besoin de soldats. Son plan est de se tenir sur la défensive et d'opposer une résistance énergique aux envahissements ultérieurs du Piémont. Il s'occupe activement d'organiser son armée, qui s'élève à 20 000 hommes. On apprécie à Naples à sa juste valeur l'importance du général ; on sent qu'en comprimant la révolution dans les Marches, il garantit du même coup le nord du royaume et permet au Gouvernement de concentrer ses forces en Sicile. Le parti révolutionnaire, de son côté, voit en lui son plus redoutable adversaire, et pourra se porter envers lui aux derniers excès. Des avis officiels parvenus au général l'informent que des émissaires parties de Londres se rendent à Rome pour attenter à ses jours. |327] Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 9 mai 1860 Dépêche N° 327 Le général de Wildenbruck, revenu de sa mission en Italie, a résumé dans un rapport présenté à son Gouvernement les informations qu'il a pu y cueillir. Il résulte de cet exposé qu'il a bien voulu me communiquer à titre confidentielle : 1° que l'agitation, loin d'y être apaisée par les succès qu'elle a obtenus, continue à grossir et à compromettre le principe monarchique ; 2° qu'un schisme imminent plane sur l'Église catholique dans la Péninsule même, et ; 3° que l'influence française a remplacé celle de l'Autriche, sans grand avantage pour les Italiens. La première considération est basée sur les menées du parti Mazziniste, autrement dit progressiste, qui puise sa force dans les sociétés secrètes et dans le soutien de l'Angleterre. Son programme, c'est l'Italie une, ayant Rome pour capitale. À l'opinion du rapporteur, la Sardaigne sera entraînée par l'ambition du Comte Cavour, qui aura bientôt à opter entre le pouvoir et la retraite. Il faut avouer que l'expédition de Garibaldi commence à donner raison à cette première prévision. L'accueil que le clergé supérieur a accordé, malgré l'excommunication, au Roi Victor-Emmanuel, lors de son dernier voyage dans les pays annexés, témoignerait peut-être des progrès faits dans le sens de la division de l'Eglise
- 381 romaine. D'ailleurs, les cchecs que le Saint-Siège a dû subir ne sont pas propres à cimenter la croyance de son infaillibilité. Du reste, la ferveur religieuse fait place aux sentiments plus réels, qui marchent de pas avec la civilisation occidentale. Pour ce qui concerne l'influence française, elle dérive de la nature même des choses. Mais ici surgit la question de savoir : si le Cabinet des Tuileries pourra arrêter le torrent italien. L'on assure que l'Empereur Napoléon en est effrayé, et que le Général de Lamoricière a été poussé par Sa Majesté à accepter le commandement des troupes pontificales. À ces intéressants détails j e sollicite de Votre Excellence l'autorisation d'ajouter une information non moins curieuse, que le Général de Wildenbruck tient de ses amis de Berne. Il croit, en effet, que l'Empereur Napoléon est sûr d'obtenir sans combat la rive gauche du Rhin. Il serait toutefois difficile d'expliquer ces prétentions, à moins que Sa Majesté n'espère gagner la Prusse, au détriment des petits États de l'Allemagne. 1328] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 10 mai 1860 Dépêche particulière Comme suite à mes précédentes dépêches j'ai l'honneur d'informer Votre Excellence que la déclaration du Piémont, relativement à l'annexion des Duchés, a reçu un mauvais accueil partout. En Prusse, le Baron de Schleinitz Ministre des Affaires Etrangères, a prié le plénipotentiaire sarde de ne pas lui montrer cette déclaration et l'on attribue généralement l'attitude des Puissances, en cette occasion, à l'initiative prise par la Russie, initiative dont j'ai eu l'honneur d'entretenir Votre Excellence dans ma précédente dépêche. Si la conférence au sujet de la neutralité suisse, doit se faire, elle ne pourra jamais se réunir qu'après que l'acte de cession de la Savoie, par le Piémont, aura été ratifié à Turin. L'on sait déjà que la France garantit, à la Suisse, la neutralité des environs de la ville et du lac de Genève. Une flottille ne pourra être lancée sur le lac et des garnisons françaises ne pourront occuper ses rives. Les nouvelles qui sont arrivées de Saint-Pétersbourg parlent des reproches que l'Empereur aurait faits au Prince-Régent de Prusse, qui lui aurait exprimé la peine qu'il avait ressentie en voyant que le Cabinet de Pétersbourg suivait une politique contraire aux véritables intérêts de la Prusse. La Russie voudrait-elle faire comprendre aux voisins de la France qu'une alliance étroite peut rapporter dignement des avantages pour qui la contracte ? Mes précédentes appréciations répondent d'une façon trop péremptoire à cette question, pour qu'il soit nécessaire que j'y revienne.
- 382 — Il ne faudrait cependant pas tomber, je crois, dans l'exagération de l'Angleterre qui voit l'avenir sous des couleurs tellement sombres que plusieurs hommes politiques prétendent que le Cabinet de St. James a découvert un grand complot qui se tramait à Paris entre la Russie et la France et, dans lequel nous étions victimes ainsi que la Prusse qui tient décidément, écrit-on, à l'alliance anglaise. Cette dernière nouvelle paraît généralement plus vraisemblable pour le moment. Dans tous les cas, Votre Excellence n'oubliera pas que si la Prusse, mal organisée et abandonnée comme elle l'est de la confédération germanique, se sépare de la politique franco-russe, elle risque fort de se voir dépouillée de ses provinces rhénanes, sans que son alliance avec Angleterre puisse lui servir à quelque chose. Espérons toutefois, que ces projets sont prématurés et que les conséquences d'une politique aussi subversive en Europe n'atteindront pas les intérêts de notre pays. M. de La Tour d'Auvergne, Ministre de France à Berlin, suit avec un intérêt marqué tout ce qui se fait en Prusse. Son Gouvernement tient sans doute à être mis au courant de ce qui se passe afin de se détacher, à un moment donné, d'une puissance chez laquelle la politique anglaise rencontre tant de sympathie. Je tiendrai Votre Excellence au courant des nouvelles qui pourraient me parvenir en confirmation de celle que j'ai l'honneur de lui adresser aujourd'hui. [329] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 10 mai 1860 Dépêche N° 767/64 Après une absence de 23 jours S.M. le Roi Victor-Emmanuel est rentré à Turin le 8 de ce mois, aux acclamations de la population accourue sur son passage. Tout le voyage du Roi a été partout qu'une longue ovation des populations des provinces annexées à leur nouveau souverain et une série ininterrompue de fêles brillantes pour célébrer sa présence. Par cause des doubles nominations des Députés au Parlement national, environ 80 élections étaient à refaire. Elles ont eu lieu le 6 de ce mois, mais il n'est pas encore possible d'en apprécier le résultat définitif car le parti démocratique ayant fait de grands efforts pour opposer des candidats à ceux du Ministère, il doit y avoir ballottage dans beaucoup de collèges où la victoire est ardemment disputée. Ainsi que le précédent rapport l'avait signalé à Votre Excellence, les principaux chefs du parti démocratique radical (extrême gauche de la Chambre) ayant échoué aux élections générales, ce parti se trouvait n'avoir dans le Parlement aucun chef influent. L'intérêt de son parti a décidé M. Déprétis, qui avait été nommé Gouverneur d'une province, place incompatible avec la qualité de Député, à donner sa démission et apporter sa candidature devant
- 383 plusieurs collèges électoraux. Il vient d'être élu dans cinq différents collèges et n'aura que l'embarras du choix. C'est un homme éloquent, énergique et qui, malgré ses opinions politiques très avancées, jouit de la réputation d'homme probe et intègre. 11 a beaucoup d'influence sur son parti dont il deviendra probablement un des chefs les plus considérés. C'est un succès pour le parti radical, mais heureusement il n'a pas été partout aussi heureux et par exemple à Turin le Général Garibaldi, qui s'était mis sur les rangs, a complètement cchouc. Jusqu'à ce que toutes les nouvelles élections soient connues l'on ne peut guère juger quelle sera la force respective des divers partis dans la Chambre des Députés, néanmoins l'on peut déjà prévoir que lorsque le Ministère aura la majorité, ce ne sera cependant pas cette majorité puissante qu'espéraient ses partisans et que le parti démocratique formera une minorité assez forte avec laquelle il faudra compter et contre laquelle M. de Cavour doit se préparer à soutenir de violents assauts. Ce ne sera probablement guère que vers le 20 de ce mois que les Chambres seront appelées à se prononcer sur le traité de cession de Nice et de la Savoie à la France. C'est sur cette question que l'opposition se prépare à attaquer vigoureusement M. de Cavour et il aura, sans nul doute, des luttes orageuses à soutenir. On espère néanmoins que la victoire restera au Ministère et que le traité sera approuvé par les Chambres. Un fait nouveau vient de se produire qui pourrait amener de sérieuses complications et qui donne une nouvelle impulsion aux craintes d'une guerre prochaine. Dans la nuit du 5 au 6 de ce mois le Général Garibaldi s'étant emparé, sans résistance, dans le port de Gênes de deux bateaux à vapeur de commerce s'est embarqué à la tête d'un corps d'environ 1500 volontaires bien armés et approvisionnés et s'est dirigé vers la Sicile ou les côtes de Naplcs. Les journaux officieux sardes qui tous unanimement avaient gardé le silence sur cette expédition l'annoncent aujourd'hui en assurant que le Gouvernement a fait tout son possible pour l'empêcher et qu'elle a été faite à son insu et contrairement à ses intentions. On en parlait du reste dans le public plusieurs jours à l'avance. On attend ici avec impatience des nouvelles du résultat de cette expédition mais il n'est pas probable que l'on en reçoive de sitôt car, l'on assure que pour empêcher que la nouvelle de l'expédition ne puisse arriver par télégraphe à Naples, les fils télégraphiques avaient été coupés sur plusieurs points de la ligne sur le territoire romain. On assure que Garibaldi a emporté avec lui un certain nombre de canons et que, de différents points du littoral sarde, sont partis d'autres corps de volontaires qui doivent avoir rejoint en mer. La fête actuelle de la célébration du statut constitutionnel sera célébrée avec une grande pompe dimanche prochain 13 de ce mois. I £ Corps Diplomatique a aujourd'hui reçu de M. le Comte de Cavour l'invitation officielle d'y assister.
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384|330]
Rustem Bcy à Fuad Pacha Turin, le 10 mai 1860, Dépêche confidentielle Mon rapport officiel de ce jour 1 informe Votre Excellence du départ d'une expédition composée d'environ 1500 hommes sous les ordres du général Garibaldi. Les circonstances qui ont accompagné son embarquement sont telles qu'elles ne peuvent être communiquées à Votre Excellence que d'une manière toute confidentielle, car elles sont de nature à faire soupçonner la complicité ou tout au moins la connivence du Gouvernement Sarde. Ainsi depuis bien des jours déjà on parlait ouvertement à Gênes du départ de cette expédition ; des bureaux de recrutement étaient publiquement ouvert dans plusieurs villes de Lombardie et à Gênes même, sur la place du théâtre, endroit le plus fréquenté de la ville. L'envoyé de Naples ici et le consul de la même nation à Gênes, avaient fait des démarches auprès du Gouvernement Sarde et des autorités locales pour que des mesures soient prises pour l'empêcher. Le Gouvernement avait en effet fait mettre le séquestre sur le vapeur VictorEmmanuel de l'ex-compagnie transatlantique, ce qui n'a pas empêché deux vapeurs de la compagnie Rubattino de sortir du port vers minuit dans la nuit du 5 au 6 mai et d'aller près de Gênes embarquer Garibaldi et son monde. La compagnie Rubattino a protesté affirmant que des hommes armés s'étaient emparés de nuit des deux navires, avaient bâillonné et lié les équipages, allumé les feux, levé l'ancre et avait enlevé les navires ; mais l'on se demande comment, au milieu d'un port rempli de bâtiments en vue et à portée de voix de l'arsenal maritime sarde, deux équipages entiers peuvent être pris de force, liés et bâillonnés sans qu'un seul cri, un bruit quelconque, viennent donner l'alarme aux nombreux bâtiments qui les entourent, aux sentinelles qui veillent à la sûreté de l'arsenal et du port. L'embarquement a eu lieu sur deux point au levant de Gênes, l'un à 500 pas environ de la ville, l'autre à un quart d'heure ; les murs de la ville de ce côté étaient couverts de monde qui assistait à l'embarquement, et, chose étrange, non seulement les autorités n'étaient pas instruites de ce fait, mais même elles avaient envoyé un fort détachement de gendarmes du côté opposé au couchant de la ville où elle croyait que l'embarquement pourrait avoir lieu. Naturellement les gendarmes n'ont rien trouvé. Bien plus, l'embarquement a commencé vers minuit mais le départ des deux vapeurs n'a eu lieu que vers les 4 heures du matin. Toute la ville les a vu partir et cependant les autorités dormaient si bien qu'elles n'en ont rien su. Près de 2000 hommes sont sortis des portes de la ville par groupes séparés, tous armés jusqu'aux dents et les autorités n'ont pas même été prévenues ! 1
No. 329.
- 385 L'expédition a donc eu lieu ; elle se compose d'environ 1500 jeunes gens décidés, une partie desquels a déjà servi comme volontaire sous Garibaldi dans la dernière guerre ; il y a parmi eux des jeunes gens riches et de très bonne famille. Ils sont parfaitement armés ; une partie porte de magnifiques carabines revolvers à huit coups récemment envoyés d'Angleterre. Ils sont habillés de blouses rouges, capotes militaires, casquettes de garde nationale. Ils ont drapeau Piémontais. L'argent ne leur manque pas ; peu de jour avant son départ Garibaldi a changé à la banque de Gênes un million de francs de papier contre de l'or. On assure que l'on lui a envoyé beaucoup d'argent d'Angleterre et aussi de Lombardie. Toutes les fournitures qu'il a fait faire à Gênes ont été payées comptant. On y a confectionné un nombre considérable de bombes incendiaires. Il a remporté un très grand nombre d'armes pour distribuer aux populations et une grande quantité de munitions. On ne sait pas où aura lieu le débarquement ; certaines personnes se disant bien informées, prétendent que ce sera sur le littoral du royaume de Naples, d'autres affirment que ce sera sur les côtes de la Sicile. Parviendra-t-il à tromper la surveillance des croiseurs napolitains et à effectuer son débarquement ? Voilà la question que tout le monde s'adresse et que l'on attend ici avec une fiévreuse anxiété de voir résolue. Jusqu'à présent aucune nouvelle n'est arrivée qui puisse jeter le moindre jour sur cette question. Au moment du départ de l'expédition les fils du télégraphe ont été coupés en plusieurs endroits sur le territoire romain et même, dit-on, sur le napolitain afin d'empêcher qu'avis télégraphique de l'expédition ne puisse être envoyé à Naples. Les bureaux de recrutement à Gênes et en Lombardie continuent à faire de nombreux enrôlements à bureaux ouverts et l'on dit publiquement qu'une nouvelle expédition aura bientôt lieu. Il est à craindre que les faits que j e viens de signaler à Votre Excellence, ne nous amènent de nouvelles complications. P. S. : La garnison de Gênes était composée de deux régiments de troupes toscanes. On les a fait partir de nuit pour l'intérieur du Piémont, et l'on a fait venir de Lombardie, par chemin de fer, deux régiments sardes pour les remplacer. On assure que l'on craignait que les deux régiments toscans, travaillés par les agents de Garibaldi, n'eussent formé le projet de se joindre en masse à son expédition, et que là était le motif de leur rentrée subite dans l'intérieur.
- 386 1331] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples,le 14 mai 1860 Dépêche N° 393/49 Par ma dépêche télégraphique du 12 de ce mois j'ai eu l'honneur d'informer Son Excellence qu'un débarquement d'insurgés venait d'avoir lieu à Marsala, en Sicile. Aujourd'hui je lui envoie ci-joint la traduction de la protestation et du mémoire que le Gouvernement napolitain adressait à cette occasion aux membres du corps diplomatique résidant à Naples. À la première nouvelle de ce grave événement, le Gouvernement a encore envoyé 5000 hommes de renfort en Sicile ; mais ce sera sans doute le dernier envoi, car on ne saurait sans danger affaiblir davantage l'armée du royaume. On craint d'ailleurs un autre débarquement en Calabre, et, pour le prévenir, il faut concentrer de ce côté un corps considérable. On ignore encore si Garibaldi se trouvait sur un des bâtiments arrivés à Marsala. On avait signalé sa présence sur le paquebot français « Quirinal » qui relâchait à Naples lundi dernier à destination de Malte. Le Ministre de la Police se rendit en personne à bord pour s'en assurer, mais il apprit que l'individu qui lui avait été désigné, était descendu à Livourne. La gravité du dernier événement qui vient de se passer en Sicile, enlève tout intérêt aux autres incidents de la révolte. Je crois cependant bon de faire mention d'une nouvelle démonstration qui a eu lieu à Palerme dans la journée du 9, et où une dizaine de personnes ont perdu la vie. P. S. : I.e Gouvernement vient de faire paraître un numéro supplémentaire du journal officiel du 13 pour annoncer le débarquement des insurgés à Marsala. Il constate que des deux bâtiments l'un a été coulé et l'autre capturé par la marine royale ; un grand nombre d'insurgés ont péri ; les troupes se disposent à cerner les rebelles. [332] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, 17 mai 1860 Dépêche N° 776/67 J'ai voulu profiter de mon voyage à Bologne pour voir par moi-même l'état du centre de l'Italie. J'ai parcouru une grande partie des nouvelles provinces annexées au Piémont et j'ai pu constater dans les Romagnes l'unanimité la plus complète en faveur de l'annexion. Le mouvement y a été spontané et unanime. Toutes les classes, la noblesse, la bourgeoisie, le peuple, aussi bien que les populations des campagnes, y ont pris également part ; une partie du clergé même s'y est rallié. Après un Gouvernement aussi déplorable que le
- 387 Gouvernement pontifical les populations apprécient hautement l'état de liberté et de tranquillité dont les a doté le régime constitutionnel sarde ; elles sont unanimement favorables à l'annexion ; les idées démocratiques et radicales, qui, sous le précédent Gouvernement, y avaient fait de nombreux prosélytes, n'ont seulement pas fait de progrès mais y ont perdu une partie de leurs adhérents. Il n'en est pas de même en Toscane. Là le mouvement était plutôt artificiel que réel ; une minorité active a su exploiter la sympathie qu'y excitait la lutte entre le Piémont et l'Autrichc et à amener d'abord la chute du Grand-Duc, plus tard le vœu d'annexion. Mais une partie de la population est restée étrangère à ces manifestations. Plusieurs partis divisent le pays. D'abord celui des anciens souverains composé d'une partie de la noblesse, des nombreux employés, les bourgeois, artisans que la Cour faisait vivre. Ensuite le parti fédératif qui aurait voulu conserver l'autonomie de la Toscane et créer une fédération italienne et qui souffre dans son amour-propre de voir Florence la plus cultivée, la plus avancée en civilisation des villes de l'Italie cesser d'être capitale ; puis le parti républicain. Ce dernier exploite habilement les deux autres et fait dans les populations rurales une active propagande qui pourra créer des embarras sérieux. Le Gouvernement doit donc s'attendre d'avoir à combattre en Toscane une forte opposition. En Lombardie aussi les idées radicales et démocratiques ont fait de rapide progrès et déjà à propos de l'assimilation des impôts et des lois sardes l'on commence à faire entendre de nombreuses plaintes. Le Piémont doit donc, en premier lieu, chercher à organiser les nouvelles provinces, à opérer une fusion et une assimilation complète dans toutes les branches du service public. L'organisation de l'armée est, à juste titre, la principale préoccupation du Gouvernement. Elle se compose actuellement d'éléments divers auxquels il faut tâcher de donner une impulsion et une organisation unique et régulière. L'armée sarde des anciennes provinces est bonne et instruite, mais elle va perdre la brigade de Savoie qui était sans contredit une des meilleures, et un grand nombre de savoisiens qui sont dans les corps d'élite, un nombre considérable surtout de sous-officiers d'artillerie qu'elle pourra difficilement remplacer car pour former de bons sous-officiers d'artillerie il faut de nombreuses années. I x s troupes Toscanes ont une assez belle apparence, mais elles manquent complètement d'instruction, d'esprit militaire et de solidité. Les troupes de l'Émilie, composées en grande partie de volontaires, sont animées d'ardeur et de courage, mais elles manquent de discipline et d'instruction. Toutes ces troupes pourront se former et devenir de bonnes troupes, mais il faudra les fondre dans les régiments Piémontais ; il faudra du temps et beaucoup de travail. Le Piémont a, pour cela, besoin de tranquillité et de paix. Sur ies frontières des Romagnes, l'armée sarde se composait, lorsque j'y étais, il y a une quinzaine de jours, du corps d'armée commandé par le Général Cialdini, comptant environ 30 000 hommes. Deux des divisions, celle qui
- 388 était à Rimini et celle qui était à Bologne, sont vraiment superbes. Ce sont les deux divisions qui, dans la dernière guerre, sous les ordres du même général, ont toujours été en première ligne et se sont toujours distinguées ; ce sont des troupes sur lesquelles on peut compter. Le général Cialdini est jeune encore ; c'est un homme actif, intelligent, entreprenant et d'une bravoure éprouvée. Dans ces derniers jours, divers régiments entre autres le 2ème Grenadier de Sardaigne, qui tenait garnison à Gênes, et plusieurs batteries d'artillerie ont été dirigées sur ces mêmes frontières pour renforcer encore les troupes qui s'y trouvent. Je crois que la force effective de l'armée sarde se monte à 140 0 0 0 hommes. L'appel, en temps de guerre, de tous les contingents pourra produire encore environ 4 0 0 0 0 hommes. D'après toutes les informations que j'ai pu me procurer, l'armée romaine se compose actuellement d'environ 20 000 hommes de troupes de toutes armes et de toute nation. Le général Lamoricière travaille activement à les organiser et à les augmenter. On fait dans ce même but des enrôlements en Suisse, en France, en Irlande, en Autriche. Mais j e crois que tous les efforts possibles ne pourront jamais les faire monter au-delà de 30 000. Quant à la force réelle de l'armée napolitaine j e n'ai pu me procurer aucun renseignement officiel digne de foi. Mon collègue de Naples doit du reste pouvoir renseigner exactement Votre Excellence ce sujet. [333] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 17 mai 1860 Dépêche N° 778/69 Les élections qui restaient à faire des Députés au Parlement national sont actuellement terminées et elles ont donné un résultat favorable au Gouvernement qui paraît devoir disposer dans la Chambre d'une majorité assez puissante. La force respective des divers partis ne pourra cependant être exactement appréciée que quand aura lieu la discussion de quelques mesures importantes ; la première discussion de ce genre qui semble devoir se présenter sera probablement celle du traité de cession de la Savoie et de Nice à la France. M . de Cavour a déjà depuis plusieurs jours présenté ce traité ; les bureaux l'ont examiné il y a donné lieu à de vives discussions ; bientôt la commission pourra présenter son rapport et l'on croit que la discussion publique aura lieu dans quatre ou cinq jours. Elle présentera beaucoup d'intérêt et j'aurai soin de la suivre assidûment afin de pouvoir exactement renseigner Votre Excellence. Dans l'exposé des motifs qui précède le projet de loi d'approbation du traité du 2 4 mars soumis aux Chambres, M. de Cavour dit que la commission mixte chargée de la délimitation des frontières n'a pas encore terminé ses travaux, mais qu'il est déjà convenu que la Sardaigne restera en possession du cour
- 389 supérieure de la Rsia, de la Tinéa et de la Vesuvia comme aussi des plateaux du Grand et du Petit Mont-Cenis. Les affaires de Sicile continuent à préoccuper vivement le public. L'on attend avec impatience des nouvelles de l'expédition Garibaldi. Les dernières nouvelles positives reçues ici annonçaient son débarquement à Marsala. On prétend que des nouvelles postérieures annoncent que l'arrivcc dans l'île de cette expédition a donné une grande impulsion à l'insurrection, que les populations rurales se sont levées en masse, que les troupes Royales partout repoussées n'ont pu tenir la campagne et ont dû se retirer dans les forteresses. On assure aussi que des insurrections auraient eu lieu dans la Calabre et dans les Abruzzes et qu'elle serait combinée avec celle de la Sicile. Les nouvelles ont néanmoins besoin de confirmation et rien encore n'en prouve l'authenticité. L'expédition du fameux chef des volontaires a, à juste titre, ému presque tous les cabinets. C'est un acte contraire aux droits des gens et aux véritables intérêts de l'Italie, c'est une violation flagrante de tous les devoirs internationaux. Aussi le Gouvernement Sarde cherche-t-il à en repousser la responsabilité et les organes officieux du Cabinet ne cessent d'affirmer que le Ministère a fait tout ce qui dépendait de lui pour l'empêcher. Il paraît positif que le Cabinet français a adressé à celui de Turin des remontrances énergiques et lui a demandé des explications catégoriques. On assure que dans sa réponse M. le Comte de Cavour n'hésite nullement à désapprouver cet attentat et à le blâmer énergiquement et regrette que le Gouvernement Royal n'ait pas été en état de l'empêcher. Tout en regrettant que le Gouvernement Royal n'ait pas eu l'énergie de s'y opposer d'une manière plus décisive, on ne saurait ne pas reconnaître la position difficile dans laquelle il était et les difficultés en présence desquelles il se trouvait placé. 11 est incontestable que Garibaldi a acquis en Italie une grande popularité ; qu'il est pour ainsi dire, le héros populaire de ce pays. Il était bien difficile au Gouvernement Piémontais de s'opposer par la force au départ de cet homme ; il est plus que probable qu'il aurait résisté et que le sang aurait coulé. Il se serait dès lors manifesté une réaction qui aurait immensément affaibli le prestige de M. de Cavour et qui aurait pu avoir des conséquences funestes pour la tranquillité du Piémont et celle surtout des nouvelles provinces annexées. On m'assure que Monsieur de Cavour a personnellement fait auprès de Garibaldi tout son possible pour le dissuader d'une entreprise aussi hasardeuse et lui en démontrer l'inopportunité et les dangers. On assure également que Garibaldi lui aurait répondu qu'il ne se cachait nullement les dangers, la folie même du coup de main qu'il allait tenter ; que son opinion personnelle n'était nullement favorable à cette entreprise, mais que le comité supérieur ayant décidé qu'elle aurait lieu ayant fait appel à ses sentiments de patriotisme, il ne croyait pas pouvoir se dispenser d'en prendre le commandement.
- 390 Une grande partie du public en Italie, en Lombardie surtout, ne cache pas l'intérêt sympathique qui l'anime en faveur de Garibaldi et de nombreuses souscriptions destinées à venir en aide aux insurgés siciliens ne cessent d'affluer aux comités institués dans ce but ; mais l'on commence à se montrer plus prudent, les bureaux d'enrôlements qui existaient à Gênes et en Lombardie ont été supprimés ou au moins ne fonctionnent plus ouvertement ; l'on cherche à faire croire qu'il est faux que d'autres expéditions se préparent pour la Sicile et l'on a renvoyé dans l'intérieur les nombreux volontaires qui se trouvaient à Gênes. Le Gouvernement Sarde semble craindre que les événements de Sicile n'amènent de nouvelles complications, dans ces derniers jours plusieurs régiments d'infanterie sardes qui tenaient garnison à Florence, Gênes et autres de lieu, ainsi que beaucoup d'artillerie, ont été dirigés vers les frontières. Au moment de clore le présent rapport j'apprends que le bruit court en ville que des nouvelles récentes de Naples annoncent qu'une révolution y était imminente et que la Cour faisait ses préparatifs pour quitter cette ville. Je ne donne cette nouvelle à Votre Excellence que sous toute réserve et comme une rumeur publique. [334] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 21 mai 1860 Dépêche N° 397/50 Son Excellence connaît déjà par mes dépêches télégraphiques du 12 et du 18, ainsi que par ma note N° 393/49, du 14 1 , les graves événements qui ont eu lieu en Sicile, je crois cependant devoir revenir sur ces premières informations pour les compléter par de nouveaux détails. C'est le 11 que Garibaldi opéra son débarquement à Marsala. La croisière napolitaine de Trapani, composée de la frégate à vapeur le Stromboli, capitaine Acton, de la frégate à voile la Parthénope, et du remorqueur Capri, n'avaient aperçu l'expédition qu'au moment où elle doublait la pointe de Marsala. La Parthénope eut encore le temps de lui lâcher une bordée qui coûta beaucoup de monde au Lombardo, l'un des deux bâtiments ennemis ; néanmoins tous deux entrèrent sans autre obstacle dans le port, où ils purent s'embosser derrière deux navires de guerres anglais. La Parthénope, contrariée par le vent, avait dû renoncer à les poursuivre ; plus heureux le Stromboli ne tarda pas à les rejoindre mais à peine était-il dans le port que le commandant d'un des navires anglais, Vlntrépide, fit prier le capitaine Acton de suspendre son feu jusqu'à ce qu'il eut le temps d'embarquer plusieurs officiers qui se trouvaient à terre et de reprendre le large. La frégate napolitaine dut donc attendre le départ de 1
No. 331.
- 391 l'Intrépide el ce ne fut qu'au bout de deux heures qu'elle put reprendre l'attaque ; mais déjà le débarquement était effectué, et elle ne se trouvait plus qu'en présence de deux navires abandonnés. Le Piémonte, qui s'était engravé, fut coulé, le Lombardo, pris est ramené à Naples. De l'aveu même du journal officiel, le nombre de débarqués s'élevait à environ 800 hommes, et ce chiffre s'accrut encore considérablement les jours suivants. Ce premier débarquement était bientôt suivi de plusieurs autres ; les bandes armées répandues dans les campagnes ne tardèrent pas à rallier Garibaldi, et toute la jeunesse du pays venait se ranger sous ses drapeaux . Cependant le brigadier Landi sortit de Palerme pour se porter à la rencontre des insurgés, il parvint à les refouler dans les montagnes en leur faisant beaucoup de morts et de blessés. Mais pendant qu'il les poursuivait, les villes d'Alcamo et de Partenico se soulevaient derrière lui ; il dut donc revenir sur ses pas pour déloger les rebelles qui occupaient ces deux villes. Il réussit dans cette nouvelle tentative ; à Partenico notamment les gens de Garibaldi attaqués à la baïonnette par une portion du huitième chasseur et des carabiniers à pied essuyèrent des pertes considérables. Un officier supérieur, qui, au dire d'un des prisonniers, serait ou le colonel Bixio ou le fils même de Garibaldi, tomba au moment où, le drapeau à la main, il excitait ses soldats. Après deux jours de combats, la colonne Landi rentrait à Palerme ramenant une soixantaine de blessés, parmi lesquels une dizaine d'officiers. Dès le 15, le Prince Casteloicala, dont le Roi n'approuvait pas le plan de campagne, avait été remplacé par le général Lanza, un des officiers les plus distingués de l'armée, qui a fait autrefois ses preuves en Calabre. Ix; général est parti le 16 avec le titre de commissaire extraordinaire et tous les pouvoirs de l'ai ter ego du Roi. Il emporte avec lui un décret d'amnistie pour tous les Siciliens qui feront leur soumission, et la promesse que dès que l'ordre serait rétabli, le Roi enverra comme lieutenant général en Sicile un des princes de la famille royale. Le Comte d'Aquila, désigné pour ce poste, ne veut l'accepter qu'à condition d'avoir carte blanche ; mais jusqu'ici le Roi refuse de souscrire à cette demande. Le Ministre de France vient de solliciter, pour la protection de ses nationaux, l'envoi dans les principaux ports du royaume, de bâtiments de la marine impériale. L'amiral Jéhenne va arriver à Naples avec deux vaisseaux et une frégate. T3351 Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 21 mai 1860 Dépêche N° 398/51, confidentielle Le Gouvernement napolitain apprit le débarquement de Garibaldi par une dépêche du Prince de Casteloicala, qui accusait le commandant du navire
- 392 anglais l'Intrépide d'avoir menacé le commandant du Stromboli de couler sa frégate s'il ne suspendait son feu jusqu'au départ des bâtiments anglais . M . de Carafa, en me faisant lire cette dépêche, ajouta : « Une telle conduite se juge d'elle-même et n'a pas besoin de commentaires. » Il me fit voir en même temps un télégramme qu'il venait de recevoir du Ministre napolitain à Londres, ainsi conçu : « N'espérez rien de l'Angleterre, ne vous fiez qu'à vos propres forces. » Cet avis coïncidant avec la présence tout au moins singulière des bâtiments anglais au moment et à l'endroit du débarquement expliquait jusqu'à un certain point l'irritation qui pèse dans la note adressée le 12 aux membres du corps diplomatique. Cependant cette irritation paraît s'être apaisée à la suite des déclarations plus récentes du Cabinet Anglais, qui a formellement désavoué la conduite du commandant de l'Intrépide et prescrit une enquête sévère. Dans l'interrogatoire qu'il a subi à Malte, le capitaine nie avoir prononcé une menace quelconque contre le commandant du Stromboli, et le Gouvernement napolitain veut bien accepter cette explication, quoiqu'elle soit en opposition avec le rapport de ses officiers. Le Roi, qui, au premier moment, était stupéfié de ce débarquement qu'il avait cru impossible, et qui accusait sa propre marine de trahison et plusieurs Gouvernements de complicité, paraît être revenu de cette première impression, et juger plus froidement les événements, l a rupture avec le Piémont que la protestation de M. de Carafa rendait imminente la semaine dernière, n'aura pas lieu, et M. de Canofari restera à Turin. M. de Villamarina s'est contenté de repousser l'accusation dirigée contre son Gouvernement, et a promis de fournir bientôt des explications de nature à dégager complètement la responsabilité du Piémont. J'apprends d'ailleurs, que le Comte de Stackelberg Ministre de Russie à Turin, a été chargé de déclarer à Victor-Emmanuel que l'Empereur serait obligé de le rappeler si le Piémont continuait à favoriser la révolution dans les États voisins. Une déclaration analogue, plus catégorique encore, aurait été faite par le Ministre de Prusse. Malgré les assurances officielles du Gouvernement français et le langage de la presse officieuse qui désapprouve les menées de Garibaldi et de ceux qui le soutiennent, les allures des agents français dans le royaume révèlent de toute autre tendance et ne sont pas de nature à rassurer le Gouvernement napolitain sur les véritables intentions de la France. La nouvelle de l'arrivée de Garibaldi a produit en Sicile et à Naples une indicible émotion. Tout le littoral du nord de l'île s'est prononcé en sa faveur, le drapeau tricolore flotte dans tous les villages où il paraît, toute la population valide des villes et des campagnes émigré pour rejoindre son armée. Pour faire croire à sa présence en plusieurs points de l'ile, il a eu la singulière idée de choisir cinq de ses compagnons qui portent son uniforme et répondent au nom de Garibaldi. C'est ainsi que, pendant que les dépêches du Gouvernement signalent sa présence et sa fuite dans l'affaire de Misilmeri, le consul anglais le dit à Montreale, à deux lieues de Palerme. Telle est la terreur des fonctionnaires du Gouvernement que chaque bateau apporte ici des
- 393 centaines d'employés fugitifs ; le directeur de police Maniscalchi est de ce nombre. Jusqu'au 17 on regardait la victoire de Garibaldi comme assurée ; on parlait de désertion des troupes ; on ne doutait plus de la chute de la dynastie ni de la prochaine annexion au Piémont ; on préparait une démonstration pour le 18. Mais la nouvelle de la rencontre de Misilmeri vint abattre cette confiance excessive et animer le courage de royalistes. L'opposition, affligée de cette défaite, se console cependant à l'idée que ces 700 hommes ne formaient que l'avant-garde de Garibaldi, qui ne manquera pas de reparaître avant peu avec le gros des insurgés. Les royalistes, en exagérant tant soit peu l'importance de cette affaire, se félicitent de la fidélité des troupes, qui, au lieu de se débander à l'approche de Garibaldi, comme on l'avait tant de fois prédit, l'ont bravement combattu. Au milieu de ces appréciations passionnées, l'observateur impartial ne peut malheureusement pas se faire illusion sur les sérieux dangers que courent le pays et la dynastie. C'est en Sicile que va se décider leur sort. Les ennemis du Roi profitent des embarras du Gouvernement en Sicile pour lui créer d'autres difficultés dans les États de terre ferme. Le Comte de Syracuse poursuit sa manœuvre, et trouve dans les couvents de nombreux partisans. Les moines de Monte Cassino et de Monte Vergine sont gravement compromis dans un complot qui vient d'être découvert. Ce n'est pas un des signes les moins caractéristiques de la situation que dans un pays où il jouit de privilèges si étendus, le bas clergé se prononce contre le Gouvernement aussi bien à Naples qu'en Sicile. Cette défection d'une partie du clergé est d'autant plus grave qu'elle entraîne les populations des campagnes à grossir le nombre des mécontents. Quoique jusqu'ici l'ordre n'ait été troublé en aucun point de la terre ferme, le Gouvernement observe avec anxiété les progrès des sociétés secrètes, qui sont parvenues à enlacer le royaume d'un réseau de conspiration. Par mesure de précaution on renvoie de Naples dans leur ville natale des centaines d'individus, notamment des prêtres. La désaffection de la nation ne fait que croître de jour en jour. Des personnes clairvoyantes et en état de bien juger les choses, m'assurent, qu'un immense changement s'est opéré dans les esprits pendant les derniers mois. Ceux mêmes qui jusqu'ici considéraient l'annexion comme une dangereuse chimère, s'y rallient comme à l'unique moyen d'amener la chute de la dynastie. La question de la Savoie et de Nice a porté un coup fatal à l'influence française en Italie, et les rares partisans de Murât sont obligés de se ranger dans le grand parti national. Mais de l'avis de ces mêmes personnes, à peine la dynastie tombée, l'esprit de municipalité ne manquerait pas de reparaître et de rompre les liens que les besoins du moment avaient seuls fait accepter. Le jour est encore loin où l'Italie trouvera son organisation définitive, et l'avenir rcseive encore bien des épreuves à ce malheureux pays.
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M. de Canitz, Ministre de Prusse à Rome, annonce que le Gouvernement pontifical a été prévenu qu'une descente, analogue à celle qui vient d'avoir lieu en Sicile, va être tentée à Corneto ; des troupes de l'artillerie ont en conséquence été dirigées en ce point. Une lettre parvenue à la légation d'Autriche à Naples signale dans les sphères officielles de Rome un grand mécontentement contre les allures trop vives et les actes arbitraires du général Lamoricière. Tout en rendant justice à son talent d'organisateur, on se plaint que dans ses fréquents voyages il usurpe des pouvoirs que le Pape n'a jamais songé à lui accorder et affecte les airs d'un dictateur. Une violente opposition se forme contre lui, il lui faudra bien de la fermeté pour résister à toutes les calomnies que tant d'intérêts froissés vont susciter aux plus vaillants défenseurs de la papauté. Le Duc de Grammont vient encore une fois d'annoncer officiellement au Pape la prochaine retraite de l'armée d'occupation. L'évacuation doit être terminée au mois d'août. [336] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 24 mai 1860 Dépêche N° 782 Lors de l'agrandissement considérable du royaume de Sardaigne par l'annexion de la Lombardie, de la Toscane, des Romagnes, des Duchés de Parme et de Modène, le Gouvernement ayant vu la nécessité d'augmenter son armée dans des proportions très considérables et ayant reconnu que la fonderie et l'arsenal d'artilleries qu'il possède à Turin, et qui ont été agrandis dans ces dernières années autant que faire se pouvait, n'étaient cependant pas encore suffisant pour fabriquer tout le nouveau matériel d'artillerie que rendait nécessaire l'augmentation considérable de l'armée, se décida à installer une nouvelle fonderie de canons et un arsenal d'artillerie à Parme. Le général Cavalli, qui le premier a inventé les canons rayés et dont j'ai déjà eu l'honneur d'entretenir Votre Altesse, fut chargé de cette mission et telle fut l'activité qu'il déploya que la nouvelle fabrique, qu'il commença au mois de février dernier à installer dans un ancien couvent de Parme, est actuellement non seulement presque terminée, mais qu'elle a déjà donné des produits fort satisfaisants. Le Roi Victor-Emmanuel s'est dernièrement rendu sur les lieux pour inspecter ce nouvel arsenal et voir des canons de campagne rayés et montés sur des affûts à deux roues d'un nouveau modèle inventé par le Général Cavalli, inventions dont on dit beaucoup de bien.
- 395 Je prends la liberté de remettre ci-annexée à Votre Altesse une traduction d'un compte-rendu officiel de cette visite de Sa Majesté Sarde et j'espère d'être bientôt en mesure de remettre à Votre Altesse une description de ces nouveaux affûts qui sont destinés, je crois, à introduire une grande amélioration dans l'artillerie de campagne. Bientôt je serai aussi en mesure de remettre à Votre Altesse la traduction de notes fort intéressantes que le Général Cavalli a bien voulu, à ma demande, compiler pour être soumises à l'appréciation de Votre Altesse. [337J Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 24 mai 1860 Dépêche N° 785/72 Ci-inclu j'ai l'honneur de transmettre à Votre Excellence, Sub A l , traduction de l'exposé des motifs du projet de loi tendant à autoriser le Gouvernement du Roi à mettre à exécution le traité de cession à la France de la Savoie et de Nice. Ce projet ayant été étudié et discuté dans les bureaux, la commission parlementaire a présenté depuis trois jours son rapport à la Chambre. Votre Excellence trouvera ci-joint Sub A2, traduction de ce document par lequel elle pourra voir que la commission propose à l'unanimité l'acceptation pure et simple du projet de loi. La discussion publique est fixée pour demain et promet d'être fort intéressante. Le seul sujet important qu'ait offert les délibérations du Parlement pendant la dernière semaine a été la discussion sur le traité de Zurich qui a été approuvé et voté à une immense majorité. L'insurrection de Sicile continue toujours à occuper l'attention publique. Les nouvelles télégraphiques que l'on reçoit sont fort contradictoires et il est bien difficile de démêler la vérité. Il paraît cependant avéré que jusqu'à présent du moins, l'avantage reste aux insurgés et que Garibaldi fait réellement des progrès. Les nouvelles cependant que l'on avait répandues d'insurrections qui auraient cclatc dans la Calabre et les Abruzzes sont controuvées, et il est actuellement certain que la tranquillité n'y a pas été troublée. L'insurrection de Sicile et l'expédition de Garibaldi ont provoqué dans toute l'Italie, et surtout dans les provinces nouvellement annexées au Piémont, une effervescence qui tend chaque jour à créer des difficultés et des embarras nouveaux au Cabinet Sarde, et qui peut rendre difficile à Monsieur de Cavour la tâche qu'il s'était proposé, de marcher dans une voie progressivement conservatrice pour arriver à la consolidation des résultats obtenus, l'unification et l'organisation intérieure et politique de toutes les provinces formant actuellement le nouveau royaume du Roi Victor-Emmanuel.
- 396 Ainsi une partie des nombreux volontaires accourus de toutes parts pour se réunir à l'expédition de Garibaldi, n'ayant pu partir pour la Sicile faute de moyens de transport, s'est formée en bandes indisciplinées dont une composée d'environ 350 hommes a récemment pénétrée sur le territoire romain par la frontière Toscane. Rencontrée par un détachement de 60 gendarmes pontificaux elle a été mise en déroute, après avoir laissé sur le terrain une certaine quantité de morts, parmi lesquels le frère d'Orsini qui la commandait et qui, paraît-il, avait, pendant la dernière guerre d'Orient, servi dans l'armée Impériale. La bande dispersée est rentrée en Toscane et le Gouvernement Sarde a aussitôt fait incarcérer tous les individus qui en faisaient partie et que l'on a pu parvenir à arrêter ; ils seront déférés aux tribunaux qui auront à les punir d'une violation aussi flagrante de tous les droits internationaux. L'agitation produite par l'expédition de Garibaldi a provoqué de nombreuses désertions dans les régiments de l'armée régulière composée des habitants des provinces nouvellement annexées et surtout dans celles composées de volontaires. L'autorité militaire a aussitôt pris des mesures sévères pour réprimer le mal qui menaçait de prendre des proportions dangereuses. Tous les régiments des provinces annexées ont été internés dans les anciennes provinces et les régiments des anciennes provinces ont été dirigés vers les frontières. Il paraît cependant que cette mesure ne sera pas suffisante et qu'il faudra avoir recours à des mesures de rigueur et à des exemples sévères pour assurer le maintien de la discipline. Le Gouvernement enfin a dû agir avec énergie pour réprimer l'attitude ouvertement hostile du haut clergé dans les provinces annexées. Le cardinal Corsi archevêque de Pise, les évêques de Faenza, d'Imola, le vicaire général de Bologne, ayant refusé de laisser le clergé chanter un Te D e u m pour l'anniversaire des fêtes du statut, le Gouvernement a dû faire diriger contre eux une instruction judiciaire. Le cardinal Corsi, ayant été mandé à Turin et ayant refusé d'obtempérer, a cté amené ici sous l'escorte d'un capitaine de gendarmerie. Il a dû comparaître devant le Ministre de la Justice et des Cultes et comme il persiste à ne pas vouloir donner des motifs de sa conduite il paraît que l'on ne lui permettra pas de retourner dans son diocèse. Le couvent des missionnaires à Turin lui a été assigné pour résidence. L'attitude énergique que le Gouvernement se décide à prendre envers le haut clergé donne satisfaction à l'opinion publique indigné de la conduite qu'il n'a cessé de tenir.
- 397 [338J
Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 24 mai 1860 Dépêche N° 1041/87, particulière L'alliance franco-russe s'est fortifiée aujourd'hui de l'alliance du Piémont. J'ai acquis la certitude que tous les événements qui se passent en ce moment dans la basse Italie, sont approuvés par le Cabinet des Tuileries. Mes informations viennent d'ailleurs conformer cette appréciation. Louis-Napoléon a choisi comme alliés les deux peuples les plus ambitieux du continent européen. Il vient les rendre forts afin qu'ils puissent l'aider à établir l'équilibre de l'Europe sur des bases plus avantageuses à la France. Pour parvenir à ce but il fallait un certain signe de ralliement. L'arrivée de M. de Lavalette à Constantinople a servi à la Russie, comme a dû l'écrire à Votre Excellence, le Prince Callimaki de Vienne, car il n'y avait aucune opportunité à faire une déclaration pareille à celle que le Prince Gortschakoff vient d'adresser aux représentants des cinq puissances. Je le répète, il fallait satisfaire l'impatience de la Russie qui ne voulait pas attendre même une occasion qui put lui servir de prétexte. Le mouvement du Piémont, peut-être trop précipité par les événements, obligera la France à commencer ses intrigues en Allemagne afin de se préparer l'annexion du territoire qu'elle réclamera, en compensation, sur les rives du Rhin. En Belgique on se montre trop confiant dans l'avenir et l'on se fie trop au secours éventuel de l'Angleterre. Je sais que l'on commencera par employer la persuasion, on fera appel aux intérêts, aux passions, aux convoitises. L a presse deviendra un instrument, on dit même, (mais je n'ai aucune preuve) que des journaux subventionnés sont répandus en Allemagne où ils servent à gagner des partisans à la France. À Paris on parle de l'annexion du Rhin et même de la Belgique, comme d'une difficulté bien facile à surmonter et l'on y rit de l'intervention anglaise. J'ai pourtant entendu dire que le Cabinet de St. James était disposé à dépenser le dernier shilling de l'Angleterre à empêcher soit une invasion soit une revendication du territoire belge. Ce serait là une annexion trop préjudiciable aux intérêts les plus intimes de l'Angleterre, pour que ce dernier pays ne fasse pas tous ses efforts pour l'empêcher. L a situation est toujours fort mauvaise en Autriche. Les affaires intérieures donnent au Gouvernement des embarras dont il hâte de sortir pour se mêler de nouveau à la politique extérieure, politique qui menace encore ses propres intérêts dans ses côtés faibles, c'est-àdire, en Vénétie et en Hongrie. D'après ce que j'entends dire ici dans les cercles politiques que j e fréquente, je ne saurais trop engager Votre Excellence de se méfier des moyens d'enquête proposés aux puissances pour remédier la soi-disant oppression des chrétiens dans les provinces de Bulgarie, de Bosnie et de l'Herzégovine.
- 398 L'intervention des Consuls sera une plus grande plaie encore pour nous que celles des ambassadeurs, et, pour les Puissances de l'Europe, en supposant qu'elles soient bien intentionnées, un remède pire que le mal, si mal il y a. 11 est évident aujourd'hui, que les projets de la Russie sont ambitieux et ses espérances se cachent mal sous des apparences de protection et d'intérêt pour les chrétiens. Notre Gouvernement ne saurait se montrer trop absolu dans ses droits, c'est l'opinion de tous ceux qui connaissent la situation et, qui se mettent à notre point de vue pour l'envisager avec une parfaite impartialité. P. S. : J'écrivais hier au soir cette dépêche lorsque ce matin la presse est venue nous apprendre que notre Gouvernement avait devancé par son opposition les conseils que l'on m'offrait si gratuitement de l'engager à se retrancher derrière l'article 9 du traité de Paris. Les mêmes personnes n'ont pas manque d'applaudir à l'attitude ferme et résolue que vient de prendre notre Auguste Maître. Je crois même pouvoir ajouter qu'en persévérant courageusement à maintenir et à défendre des droits reconnus par les traités, les sympathies de l'Europe ne nous feront pas défaut. On dit, qu'il y va de la dignité de S.M. le Sultan et du salut de l'Empire. On dit que les nations qui secouent un joug illégitime se relèvent dans l'opinion publique avec une nouvelle force ; car elles prouvent que le temps ne les a pas fait dégénérer. Un peuple qui a le sentiment de son honneur doit préférer succomber sous son dernier drapeau, que de se voir petit à petit désarmé et dépouillé honteusement, à la face du monde attentif. [339] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 28 mai 1860 Dépêche N° 402/54 M. Rizzotti vient de m'informer que, malgré le calme qui continue à régner à Messine, la possibilité d'un prochain bombardement a mis les consuls de cette ville dans la nécessité de s'assurer des moyens de fuite pour eux et leurs nationaux. Comme aucun navire de guerre ottoman ne croise dans ces parages, M. Rizzotti voudrait noliser un bâtiment de commerce, sur lequel il arborerait le pavillon impérial. Pensant qu'il serait plus avantageux pour lui, et surtout moins dispendieux pour le Trésor, qu'il put trouver un refuge sur un navire de guerre de la marine française, j'ai eu recours à l'obligeance de M. de Brennier, qui a bien voulu accueillir ma demande. Des ordres ont été immédiatement transmis au consulat de France de Messine pour qu'en cas de besoin M. Rizzotti puisse se réfugier avec sa famille et les quelques sujets ottomans établis dans la ville sur un des bâtiments de la station française.
- 399 Pour parer à toute éventualité et assurer aux moyens de preuves aux réclamations qui pourraient s'élever ultérieurement, M. Rizzotti m'a aussi fait parvenir un état estimatif de ses biens et de ceux des autres sujets ottomans de Messine. Sachant que les diverses légations ont refusé des pièces analogues que leur avaient transmis leurs consuls respectifs par le motif qu'elles n'étaient appuyées d'aucun acte d'expertise légale, j'ai cru devoir suivre leur exemple. J'ai donc renvoyé à M. Rizzotti le papier qu'il m'avait remis, pour qu'il ait à faire procéder aux formalités voulues. |340] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 28 mai 1860 Dépêche N° 403/55 Le 18 mai j'ai eu l'honneur d'adresser à Son Excellence une dépêche télégraphique chiffrée ainsi conçue : « Hier 700 insurgés ont été défaits à Misilmeri. Garibaldi blessé en fuite. » À la suite de cet échec, Garibaldi se retira dans les montagnes, mais le général Landi, qui ne disposait que d'un millier d'hommes, ne se crut pas en force pour les poursuivre, et se décida à rentrer dans Palerme. Les insurgés purent ainsi réparer leurs pertes, rallier les fugitifs et attendre l'arrivée de nouvelles bandes. Obligé de surveiller Palerme où l'on craignait un soulèvement, l'armée royale était tenue dans l'inaiction, et dut laisser les insurgés s'avancer jusqu'à San Martino, forte position à quelque distance de Monreale. Dès son arrivée, le général Lanza prit le parti de se retirer dans la citadelle pour rendre disponible une portion de la garnison. Il put ainsi lancer contre les insurgés une colonne de 4000 hommes, qui parvint après leur avoir fait subir des pertes considérables, à les chasser de San Martino et à les repousser jusqu'à Sarsenico. Une seconde victoire des troupes royales les a même obligés à se retirer vers Alcino. Une autre colonne de 4000 hommes est sortie de Palerme le 23 pour renforcer la première, et l'on attend d'un moment à l'autre de nouvelles importantes. Malgré les dénégations de quelques journaux, la présence de Garibaldi à la tête des insurgés ne saurait être révoquée en doute. M. de Carafa, qui annonce le fait, m'assure même qu'il vient de se proclamer dictateur de la Sicile au nom de Victor-Emmanuel, ce qui a fourni au Gouvernement napolitain l'occasion de demander au Piémont un désaveu formel de cet acte inqualifiable. On a été informé ici qu'une nouvelle expédition s'organise à Livourne et qu'un bâtiment chargé d'armes est prêt à quitter ce port avec 800 hommes. Le Gouvernement vient de signaler le fait au Cabinet de Turin en le sommant de s'opposer à cette nouvelle agression. En même temps on a prié M. Elliot de solliciter l'intervention de l'Angleterre pour empêcher la sortie du navire. M. Elliot s'est prêté à cette demande et a même informé M. de Carafa que les autorités de Malte viennent de s'opposer au départ d'une expédition qui était sur le point de quitter l'île.
- 400 J'ai eu l'honneur d'informer Son Excellence que les partisans de Garibaldi se disposaient à opérer une diversion dans les Etats pontificaux et qu'une descente devait avoir lieu à Cornerto. 300 hommes sont effectivement arrivés dans cette ville pour soulever l'Ombrie et porter la révolution par les Abruzzes clans les États continentaux du royaume de Naples. Mais le général Lamoricière, prévenu à temps, envoya contre eux le colonel de Pimandan, qui parvint à les rejeter sur le territoire toscan. Le Gouvernement Piémontais, de son côté, avait, à la première nouvelle de cette attaque, envoyé à Orbitello des troupes, qui arrêtèrent les fuyards et les désarmèrent. M. de Carafa tient cette nouvelle de M. de Brennier, qui lui a déclaré que ce hardi coup de main a décidé l'Empereur à retarder de nouveau l'évacuation des Etats Romains par l'armée française. M. de Carafa se montre très satisfait de cette décision, car on comprend ici que la présence des Français à Rome empêchera la révolution de se porter vers le nord du royaume. M. de Carafa me dit qu'au lieu de se borner, comme toutes les autres puissances, à protester auprès du Piémont contre l'expédition de Garibaldi, l'Autriche a déclaré qu'elle se verrait forcée d'intervenir par les armes si le Piémont attaquait le Gouvernement napolitain. Une escadre autrichienne composée de trois frégates vient de quitter Pola pour aller surveiller les événements de Sicile. L'amiral Jéhenne se trouve depuis quelques jours à Naples avec trois bâtiments. Le Comte de Széchényi, nouveau Ministre d'Autriche à Naples, et le nouveau Ministre de Russie, Prince Kolkonsky, viennent d'arriver. M. Roquero, ancien chargé d'affaires de Grèce à Paris, vient également d'arriver pour négocier un traité de commerce. On attribue à la Grèce l'intention de créer une légation permanente à Naples. [341] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 28 mai 1860 Dépêche N° 404/56, confidentielle Pour offrir un tableau fidèle de la situation, je crois nécessaire de compléter les renseignements contenus dans ma note officielle par un exposé des appréciations bien différentes qui me parviennent, soit des membres de l'opposition, soit des légations de France et d'Angleterre. D'après mes appréciations, dont je n'entends du reste aucunement garantir l'exactitude, les 700 insurgés qui ont pris part à l'action de Misilmeri, ne formaient que l'avant-garde de l'armée révolutionnaire. Bixio, le chef de cette troupe, aurait été tué par un soldat napolitain au moment où, le drapeau parlementaire en main, il se présentait aux troupes royales pour les engager à s'unir aux partisans de Garibaldi. En voyant tomber leur chef, les insurgés se
- 401 seraient précipités avec fureur sur les colonnes du général Landi, qu'ils auraient forcé à se replier sur Palerme. Garibaldi lui-même n'aurait pas été présent à cette affaire. Loin d'ailleurs de se décourager, il n'en aurait poussé que plus activement l'organisation de son armée, qui atteindrait déjà le chiffre de 14 000 hommes. Il marcherait sur Palerme, où il se serait fait annoncer pour le 26. Une rencontre sérieuse serait imminente, et on attend avec anxiété le résultat. Pendant que les représentants de la France et de l'Angleterre s'accordent à faire sur l'avenir de la dynastie les plus sombres pronostics, le silence que tous deux gardent sur l'organisation future du royaume, autorise à croire que sur ce point leurs Gouvernements sont loin de s'entendre. Malgré la gravité de la situation le Roi n'a pas voulu recourir à l'intervention des puissances occidentales. La nouvelle contraire publiée par la télégraphie privée, est démenti aussi bien par les assurances de M. de Brenier et de l'amiral Jehenne, que par les dénégations formelles de M. de Carafa. Le Ministre de France donne à entendre que le Roi pourrait encore se sauver par une démarche sérieuse, et l'amiral Jehenne a déclaré à un de mes amis qu'il déplore l'aveuglement du Roi, qui n'aurait qu'à faire un pas pour amener l'Empereur à en faire deux. Pour savoir à quoi m'en tenir, j e me suis adressé à Monsieur de Carafa, qui, avec la franchise dont il use habituellement envers moi, m'a fait la réponse suivante : « Il n'y a rien de vrai dans les bruits auxquels vous faites allusion. Les deux Gouvernements occidentaux nous ont déclaré que, puisque nous avons refusé leur conseil, ils s'abstiendront d'intervenir en notre faveur ; spectateurs impassibles de la lutte, ils ne se prononceront pour aucun des deux partis, ils se borneront à empêcher les autres Gouvernements de se mêler à la lutte. Nous acceptons cette position telle quelle, continua Monsieur de Carafa, n'espérant aucun appui matériel ni de l'une ni de l'autre puissance, mais nous avons le droit d'attendre d'elles un appui moral qui empêche le Piémont de favoriser la révolution. Le principe de non-intervention est tellement légitime dans cette circonstance que les deux puissances n'ont pas hésité à nous promettre qu'elles obligeront le Cabinet de Turin à le respecter. Je ne nie pas que l'idée d'obtenir par des concessions le secours des puissances occidentales n'ait été émis, mais notre situation n'est pas assez désespérée pour exiger le sacrifice de notre indépendance. D'ailleurs en nous jetant dans les bras de l'une d'elles, nous risquerions de nous faire une ennemie déclarée de l'autre. Il faudrait que le danger s'aggravât singulièrement pour nous faire recourir à cet expédient. On nous dit bien que ce serait trop tard alors, mais nous avons de bonnes raisons de croire que l'appui de l'Angleterre sera toujours assuré au Roi, dès qu'il consentira à donner une constitution et à ouvrir des débouchés au commerce britannique. En ce cas l'Angleterre se verrait soutenue contre la France par toutes les autres puissances, qui ne peuvent pas consentir à voir se multiplier ainsi les chutes des anciennes dynasties. »
- 402 II est à remarquer que, malgré les plaintes que le Gouvernement napolitain se croit en droit de porter contre l'Angleterre, il lui accorde cependant bien plus de confiance qu'à la France, qui dans les derniers temps surtout a évité tout ce qui aurait pu lui donner de l'ombrage. Quoique Monsieur de Carafa se montre plein de confiance dans la bravoure et la fidélité des troupes, il ne se dissimule pas que la défense de la Sicile pourrait être gravement compromise si l'intervention des puissances n'arrêtait pas les débarquements qui s'y succèdent depuis plusieurs semaines. L'armée de 40 000 hommes qui occupe actuellement la Sicile, ne saurait plus être renforcée qu'au dépens de la sécurité des possessions continentales du Roi. Pour compléter ces renseignements je dois ajouter que des officiers distingués avec lesquels je me suis entretenu, tout en déclarant que l'armée saura faire son devoir, craignent que la fidélité du soldat ne puisse pas tenir indéfiniment contre les suggestions subversives du parti révolutionnaire, ils pensent que pour sauver la situation il faudrait se hâter de frapper un grand coup, et en cas de succès donner spontanément à la nation les améliorations qu'elle sollicite depuis si longtemps. M. de Carafa a reçu de la légation napolitaine de Paris la nouvelle officielle que le Prince Napoléon, avant de se rendre en Orient, passera quelque temps en Sicile. [342J Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 28 mai 1860 Dépêche N° 305,réservé Le fil électrique aura déjà porté à la connaissance de Votre Excellence les dernières phases de la question italienne. Aussi ne saurai-je me flatter de rapporter des nouvelles, en énumérant les faits de l'annexion de l'Italie centrale, de l'incorporation synallagmatique de Savoie et du comté de Nice, de la protestation hardie de la Suisse, de l'attitude tiède des Grandes Puissances et de la discussion orageuse du Parlement britannique. Ce sont autant d'événements fort remarquables, il est vrai, mais qui malheureusement semblent contribuer à propager la méfiance générale en alarmant l'opinion publique. 11 est à peine nécessaire de constater la stagnation complète du commerce. Les spéculateurs les plus entreprenants n'osent pas braver les 24 heures, et les capitaux s'accumulent, partout, sans bénéfice. Pour ne parler que de la Prusse, déjà la panique s'est emparée des imaginations et le peuple voit les Français installés sur le Rhin. Quant au Gouvernement lui-même, il est profondément affecté des tendances du puissant Empire. Ne pouvant espérer en arrêter l'ascendant, il s'efforce de se prémunir contre le danger de l'application, à son préjudice, de la doctrine des frontières naturelles.
- 403 Ce qui précède indique, si j e ne me trompe, l'esprit qui prédomine dans la réponse du Cabinet de Berlin à la dépêche de M. Thouvenel établissant l'urgence de l'incorporation. Dans ce document, expédié hier, conçu suivant mes humbles renseignements, en termes généraux, la Prusse se réfère à ses déclarations antérieures qui impliquent, toutefois, une désapprobation assez nette de sa part. En même temps la protestation helvétique a produit ici, en haut lieu, une très bonne impression et le Gouvernement se concerte assidûment avec le Cabinet de St. James sur l'accueil public à faire, d'un commun accord, à cette démarche. En attendant, l'agitation grossit en Suisse et il ne serait pas impossible que la confédération occupât militairement les districts neutralisés du Francigny et du Chablais. Mais le résultat de cette éventualité extrême serait-il douteux ? D'ailleurs, la Suisse, quoique légitimement alarmée à cause de sa neutralité compromise par la cession des pays précités, pourrait difficilement, il me semble, en justifier l'occupation par les traités. En face de ces péripéties que les procédés des Gouvernements Napolitain et Romain aggravent sensiblement, il y aurait sans doute de la présomption à vouloir présenter l'issue des négociations diplomatiques, que compromettent les événements de chaque jour. Cependant, une coalition serait-elle possible dans l'état actuel des choses en Europe ? Et la dynastie napoléonienne, dont le règne semble impliquer la condition de satisfaire continuellement l'amour propre national, ne voudra-telle apaiser les esprits avant de recourir à quelque nouveau stratagème ? Ces considérations, aussi faibles qu'elles soient, me paraissent propres à donner l'espoir que l'Europe pourra enfin jouir, pour quelque temps au moins, de la paix qu'invoquent les intérêts matériels de tous les pays. L343] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 31 mai 1860 Dépêche N° 791/76 Après cinq jours de discussions très animées et très intéressantes la Chambre des Députés a voté à l'immense majorité de 196 voix le traité de cession de la Savoie et de Nice à la France. J'ai pensée que cet événement était assez intéressant pour en donner immédiatement avis par télégraphe à Votre Excellence. L'opposition, à la tête de laquelle se trouvait M. Ratazzi, a fait tous les efforts possibles pour renverser sur cette question le Ministère actuel, ou du moins pour l'affaiblir, mais elle n'a nullement réussi. Au contraire le résultat de cet intéressant débat a donné à M. de Cavour une nouvelle force et une nouvelle influence en prouvant que la grande majorité des représentants du pays et surtout presque tous ceux des provinces nouvellement annexées
-404partagent les convictions et les opinions politiques que le Président du Conseil a fort éloquemment exposées dans une chaleureuse improvisation. Le résultat du vote publié par appel nominal a été : membres présents... 285 ; Pour... 229 ; Contre... 33 ; Abstention... 23 ; Majorité en faveur du Ministère 196. Le résultat a eu un grand retentissement dans le pays. Le traité sera incessamment soumis aux discussions du Sénat et je crois qu'il n'y a aucun doute qu'il passera à une grande majorité. Les nouvelles de Sicile continuent à être fort contradictoires, tandis que les télégrammes publiés par le Gouvernement napolitain affirment que les troupes royales sont victorieuses et poursuivent les insurgés après les avoir mis en déroute, les nouvelles reçues à Gênes et publiées par les journaux ici assurent que Garibaldi fait de grands progrès ; elles affirment même qu'il est parvenu à s'emparer de Palerme après un sanglant combat. Si cette nouvelle est vraie, on ne saurait assez stigmatiser l'incapacité des commandants napolitains qui, disposant de 25 000 hommes de troupes régulières, d'une nombreuse artillerie, d'une flotte maîtresse de la mer, se laissent enlever la capitale de l'île par une poignée d'insurgés. [344| Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 3 juin 1860 Dépêche N° 411/61, confidentielle Les graves nouvelles de la Sicile ont répandu l'alarme à la Cour ; on comprend dans les hautes régions que, ce n'est pas seulement la possession de l'île, mais même le maintien de la dynastie qui se trouvent menacés, et que, si Garibaldi tente, comme on le craint, une descente en Calabre, il n'éprouvera qu'une résistance bien faible chez les troupes découragées par leurs précédentes défaites. Le Roi réunit immédiatement le conseil des Ministres, et y appela les princes du sang, sauf le Comte de Syracuse. Il fut admis que, vu la gravité de la situation, il fallait se résigner à des concessions importantes. Pendant qu'on délibérait encore, le Roi fut prévenu que Monsieur de Brenier lui demandait une audience, et quitta immédiatement le conseil pour le recevoir. Le Ministre de France lui fit observer que l'Europe ne pourrait assister indéfiniment à une effusion de sang inutile, et que le moment était proche où elle devrait intervenir pour l'arrêter. Dans cet état de choses ne fallait-il pas enfin se décider à des concessions, qui pourraient ramener encore les populations révoltées et conjurer de plus grands malheurs ? Connaissant les sentiments personnels de l'Empereur à l'égard du Roi, Monsieur de Brenier croyait pouvoir assurer que la France ne souffrirait pas le renversement de la dynastie si Sa Majesté accordait à ses peuples une constitution. Le Roi promit au Ministre qu'il prendrait sa démarche en considération, et rentra au conseil pour faire part de cette
- 405 importante ouverture. Le Comte d'Aquila l'engagea à en profiter et à recourir à la France, mais le Roi voulut, avant de faire cette démarche décisive, essayer encore s'il ne pouvait obtenir des grandes puissances une garantie collective pour l'intégrité de son royaume. C'est pour hâter leur disposition que Monsieur de Carafa réunit les représentants des grandes puissances et leurs fit la communication dont j'ai fait mention dans ma dépêche officielle. Mais les réponses évasives qu'il reçut, lui donnèrent la conviction qu'il n'y avait à attendre aucun appui matériel immédiat. Le conseil réuni le lendemain décida donc à une majorité de 11 voix contre 4, et parmi ces demieres celle du Comte de Frapani, que le Roi répondrait à la proposition de M. de Brenier, en se déclarant prêt à octroyer une constitution calquée sur celle de la France, en demandant son appui. Le Prince Ischitella partti le même jour pour Paris. Malgré le mystère dont cette négociation a été entourée, le secret a transpiré et a produit une grande émotion dans le corps diplomatique. On s'accorde à regretter que le Roi se décida à une démarche qui va le mettre à la discrétion de la France, sans cependant lui ramener les populations dont les prétentions enhardies par la victoire, ne seront pas satisfaites à ce prix. On y voit une concession inutile et dangereuse, que ne faisait guère prévoir il y a huit jours encore le langage de M. de Carafa (voir ma dépêche confidentielle No 404/56). Voici cependant comment s'explique ce brusque revirement en faveur de la France : l'imminence du danger exigeait l'application d'un remède immédiat, ne fut-il que provisoire et dut-il même être dangereux. À ce titre, l'appui de l'Empereur, dont les décisions ne sont soumises à aucun contrôle, pouvait s'obtenir plus rapidement que celui du Cabinet Anglais, forcé de compter avec le Parlement et l'opinion publique. Ensuite, des rapports qu'il venait de recevoir sur l'attitude de l'escadre anglaise stationnant devant Palerme, avaient vivement irrité le Roi contre l'Angleterre, qu'il accuse de soutenir l'insurrection, à tort ou à raison, ses rapports (l'opinion publique se prononce contre ces accusations on croit plutôt qu'elles servent aux généraux napolitains à masquer leurs propres fautes) prétendent que la flotte anglaise fournit aux rebelles des armes et des munitions, et que des marins et des soldats anglais descendus à terre ont pris part à la construction des barricades. M. Elliot tâche bien de détruire ces préventions en niant la vérité de ces rapports, en assurant que l'Angleterre désire le maintien de la dynastie et en montrant à ses collègues ses dernières dépêches, où il déclare que le Roi peut encore sauver la Sicile en rétablissant la constitution de 1812 ou en y créant une secondogéniture. Ce qui est bien certain, c'est que les dernières résolutions du gouvernement montrent de quel côté penche la balance. Une autre considération, qui a exercé son influence sur l'esprit du Roi, c'est que la France intéressée à empêcher les empiétements du Piémont voudra maintenir l'autonomie des Deux-Siciles pour réaliser son projet de confédération italienne. Enfin les conseils de la Russie ne seraient pas étrangers, d'après ce qu'on m'assure, à cette décision. Sincèrement dévouée à la dynastie, mais trop occupée ailleurs pour l'appuyer activement,
elle tâche de l'attirer vers la France, en excitant ses soupçons contre l'Angleterre. Si l'on se rappelle que, comme je l'avais indiqué dans ma dernière dcpcche, la France attendait avec impatience une démarche du Roi, il est permis de croire que l'Empereur fera un accueil favorable à la proposition du gouvernement napolitain ; il deviendrait ainsi l'arbitre de toute l'Italie et déjouerait les vues de l'Angleterre, qui, pour l'éloigner du Rhin et de l'Orient cherche à l'occuper dans la péninsule ; il pourrait encore une fois se poser comme conservateur de l'ordre et des dynasties et calmerait cette panique qui influe d'une façon si désastreuse sur le commerce et l'industrie. Ajoutons enfin que l'appui qu'il accorderait à la dynastie de Naples lui assurerait dans le pays une influence exclusive qu'il lui serait facile un jour d'exploiter pour ses plans ultérieurs. P.-S. : J'apprends à l'instant que Monsieur de Brenier vient de recevoir une dépêche télégraphique du 2 par laquelle M. de Thouvenel lui annonce que l'Empereur est à Toulon et qu'il faut attendre son retour fixé au 3 pour prendre une décision à l'égard de la demande du Roi de Naples. [345] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 4 juin 1860 Dépêche N° 410/160 Son Excellence connaît déjà par mes dépêches télégraphiques du 30 mai, du 1 e r et du 2 juin (annexe N° 1) les graves événements qui se sont passés en Sicile et à Naples dans le courant de la semaine. À ces premières informations je dois ajouter d'autres renseignements, qui seront, j e le crains, devancé par les communications de la presse, car par suite de la rupture du télégraphe entre Naples et Palerme, nous ne recevons ici les nouvelles de la Sicile que longtemps après que la ligne de Malte, en rapport direct avec Marsala, les a portés en France et en Piémont. Après le départ du dernier courrier, je reçus le bulletin officiel ci-joint (annexe N° 2) ; d'après ce document, les insurgés, battus par les troupes royales le 24 et le 25, avaient été repoussés jusqu'à Piana dei Greci et Corleone ; activement poursuivis par l'armée ils avaient fini par se débander complètement, et les Siciliens qui s'étaient laissés entraîner dans le mouvement, rentraient découragés dans leurs foyers. Mais le 30 une des frégates autrichiennes en station devant Palerme apporta ici des nouvelles bien différentes, la face des affaires avait entièrement changé, et l'insurrection était maîtresse de la capitale de l'île. Voici comment les choses s'étaient passées. Garibaldi avait divisé ses forces en deux corps d'armée. Le premier avait été chargé de la défense de San Martino et devait, en cas d'échec, se replier sur Piana dei Greci et Corleone ; c'est de lui qu'il était question dans le bulletin
- 407 officiel du 27. Mais pendant que les troupes napolitaines étaient occupées hors de Palerme à la poursuite des vaincus, Garibaldi, à la tête de son second corps composé de 1000 Piémontais et 5000 Siciliens, débouchait, dans la nuit du 26, dans la plaine qui environne la ville, et après une halte de quelques heures, se présentait devant les portes à 4 heures du matin. L'attaque commença près du Ponte deU'Ammiraglio, et, malgré le mal que lui fit une batterie placée au Ponte délia Guadagoa, Garibaldi forçait à 5 heure la Porta di Termini. Les troupes royales se replièrent vers le quartier de la Porta San Antonio, mais, malgré une vigoureuse résistance de six heures, elles durent aussi l'abandonner, ils se retirèrent vers 11 heures sur le palais du vice-Roi ; une attaque fut tentée sur ce point vers 2 heure ; mais les troupes la repoussèrent. Bientôt cependant la plus grande partie de la ville fut aux mains des insurgés ; l'armée royale ne restait en possession que de la citadelle de Castellammare, de deux casernes, du palais du vice-Roi, du quartier San Giacomo et du Molo. La prison de la Vicaria était tombée au pouvoir des agresseurs, qui avaient mis tous les détenus en liberté. I,a banque, confiée à un détachement de 200 hommes, avait été prise sans coup férir. Néanmoins, aux rapports des consuls, aucun excès n'avait été commis par les insurges. Pour se faire une idée exacte de l'action, il faut savoir que Palerme est coupée en croix par deux grandes rues, l'une parallèle, l'autre perpendiculaire à la mer. La rue perpendiculaire, Toledo, part du Castellammare et du port pour aboutir au palais du vice-Roi, ces deux pointes extrêmes se trouvent entre les mains des troupes, la rue toute entière est dominée par leurs feux croisés. Au contraire, la rue parallèle et les quartiers adjacents sont occupés par les soldats de Garibaldi. On le voit donc, la position de l'armée royale est encore très forte, malgré les pertes qu'elle a éprouvées. C'est là ce qui a permis à l'une des deux colonnes lancées à la poursuite des rebelles fugitifs, de rentrer le 28 dans la citadelle ; on ignore encore le sort de la seconde, compose de 5000 hommes, qui, après avoir forcé la position de San Martino s'était avancé jusqu'à Corleone. Déduction faite de ce corps, le nombre des hommes qui forme la garnison de Palerme, s'élève à 15 000 hommes ; mais les renforts survenus de tous côtés à Garibaldi ont porté son armée au chiffre de 20 000. Le 28, le général Lariza ouvrit le feu en même temps du château et du palais du vice-Roi ; les bâtiments présents dans les ports joignirent leur feu à celui de la ville. On n'avait pas tenu compte des menaces de Garibaldi, qui déclarait qu'il ferait fusiller ses 200 prisonniers napolitains si le bombardement n'était immédiatement arrêté. 3000 bombes furent lancées ce jour-là sur la ville ; 60 maisons, l'église de Santa Catherina et plusieurs monuments furent détruits, entraînant sur leurs décombres une foule de victimes. Le 29, le général Lanza suspendit le bombardement et fit prier le commandant de l'escadre anglaise d'engager Garibaldi à venir s'aboucher avec lui à bord du vaisseau-amiral. Mais on ne pût pas s'entendre : Lanza désirait qu'un officier anglais vînt le prendre au château et le conduisit au port sous la protection du drapeau britannique, tandis que le commandant déclarait qu'il ne pouvait pas
- 408 exposer son drapeau en l'envoyant à terre et qu'il devait se borner à expédier un canot qui le porterait à bord. Lanza ne crut pas pouvoir accepter cette offre, il préfera demander directement un armistice à Garibaldi en lui proposant une entrevue sur le navire anglais avec le général Letizia son aide de camp. Cette proposition fut acceptée, et le 30 eut lieu la conférence. Letizia était porteur de trois propositions : 1° il demandait à pouvoir évacuer et embarquer les blessés ; 2° à pouvoir ravitailler tous les points occupés par l'armée royale ; 3° les hostilités cesseraient dès que la municipalité aurait adressé au Roi une pétition respectueuse dans laquelle elle lui exposerait ses griefs. Comme Garibaldi avait lui-même besoin d'un armistice pour organiser ses moyens d'attaque, il accepta le premier et le second point ; mais, sur le troisième, il répondit qu'ayant pris possession de l'île au nom de VictorEmmanuel, il ne pouvait admettre qu'une demande quelconque fut adressée par les Siciliens au Roi de Naples. La conférence fut donc rompue ; mais pour pouvoir en référer à son souverain, Letizia obtint que l'armistice, qui devait expirer le 31 à midi, fut prolongée jusqu'au 3 juin. À la réception de cette désastreuse nouvelle, le Roi convoqua le conseil des Ministres, et le soir du même jour Monsieur de Carafa réunissait chez lui les représentants des grandes puissances pour leur soumettre les propositions suivantes. Il demanda d'abord que les consuls fussent chargés d'intervenir auprès de Garibaldi et d'obtenir qu'il laissât le général Lanza s'embarquer avec armes et bagages et enseignes déployées. Mais les Ministres lui objectèrent qu'on ne trouverait chez les consuls ni l'autorité ni la connaissance militaire voulue pour porter convenablement les bases d'une capitulation ; que c'est là une question à débattre entre les chefs des deux parties belligérantes. M. de Carafa fit alors une autre ouverture et pria les Ministres de solliciter de leurs Gouvernements respectifs l'autorisation de garantir au Roi le maintien de sa dynastie et l'intégrité de ses États. Sur leur demande, Monsieur de Carafa formula même par écrit sa proposition ; j'ai l'honneur d'envoyer ci-joint à Son Excellence une traduction de sa note (annexe N° 3). Les réponses des Gouvernements ne sont pas encore connues. Le 31 au soir, la frégate napolitaine Ettore Fierasmosca est arrivée à Naples ayant à bord 500 blessés et, d'après ce qu'on assure, l'argent de la banque de Palerme, que le Gouvernement avait eu soin de mettre en lieu sûr. Le lendemain venait le général Letizia, qui s'était embarqué au sortir de sa conférence avec Garibaldi. Après s'être longuement entretenu avec le Roi, le général est reparti le 2 août pour la Sicile. Les nouvelles de l'île ont produit une vive impression sur la population de Naples tous les soirs les troupes ont à disperser des rassemblements où l'on pousse des cris de « vivent les Siciliens, vive Victor-Emmanuel. » L'amiral Jehenne se dispose à partir pour Palerme ; il n'attend pour s'y rendre que l'arrivée de nouvelles instructions qui lui sont annoncées.
- 409 13461 Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 6 juin 1860 Dépêche N° 350 Il se confirme que le Roi de Naples s'adresse aux grandes puissances pour demander la garantie de ses possessions siciliennes. Sa Majesté s'engage, en même temps, à accorder des institutions libérales. La note du commandeur Caraffa, qui formule ces propositions, a été communiqué, en dernier lieu, au Cabinet de Berlin. Jusqu'à présent le représentant du Roi François n'a pas été heureux dans ses efforts. Aussi, attend-il avec impatience le retour du Baron de Schleinitz. Il serait inutile de rappeler à Votre Excellence que le Gouvernement du Prince régent est animé du désir d'écarter les désastres, que des complications imminentes dans l'Italie du Sud menacent d'appeler sur le continent. Dans ce but, la Prusse serait, ce me semble, disposée à coopérer avec les autres puissances pour le maintien du royaume des Deux-Siciles. Dans le temps, elle a blâmé l'expédition de Garibaldi ; et le Cabinet de Turin a su que l'on regrettait à Berlin le manque de succès dans les mesures prises pour l'empêcher. Malheureusement, la résolution qu'ont provoquée les succès aussi alarmants qu'incontestables de ce général dévoilent d'une manière peu favorable la situation précaire et les préoccupations sérieuses de la cour de Naples. Il arrive, de plus, que les Ministres du souverain menacé n'inspire pas la confiance nécessaire, et qu'ils sont accusés de duplicité dans cette démarche tardive. Pour le préjudice de la cause ; les diplomates napolitains communiquèrent des bulletins officiels sur de prétendues victoires des troupes royales. Ces procédés, qui peuvent être justifiés dans le pays même, jetèrent du ridicule sur les propagateurs, à l'étranger. Et c'est à ces mêmes agents qu'est dévolue la tâche de gagner l'Europe, malgré le principe de non-intervention invoqué par la Sardaigne. Î347J Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 7 juin 1860 Dépêche N° 1091/96, particulière Lorsque le Roi Victor-Emmanuel fit son voyage à Pise, l'évêque défendit au clergé de se trouver à la cathédrale où devait se rendre le monarque ; celui-ci remarquant l'absence du clergé dit aux personnes qui l'accompagnaient •. « le Pape en veut à Cavour, il sait fort bien que moi je suis un fort bon chrétien ». Cavour avait quitté Pise la veille ; il ne pouvait donc être question de lui.
- 410 L'archevêque a été puni de cette rébellion ainsi que son clergé. Le discours que le Prince régent a prononcé devant les Chambres a produit une grande sensation : Louis-Napoléon a cru devoir faire une déclaration pacifique dans l'organe officiel, déclaration dont le Times s'est moqué dans des termes pleins d'une sanglante ironie. J'ai eu l'honneur d'écrire, à Votre Excellence, que lors du départ de Garibaldi, le Ministre de Russie à Turin protesta énergiquement contre ce mouvement. Les choses en étaient au point d'amener une rupture, lorsque le Moniteur Sarde contint une déclaration du Gouvernement qui était faite pour calmer les appréhensions de la Russie. L'organe officiel désavouait toute participation à l'action de Garibaldi ; mais le même jour Garibaldi triomphait en Sicile et se faisait chef au nom du souverain de la Sardaigne. De l'Autriche on écrit que le consul d'Autriche qui est en Sicile, est le premier qui ayant envoyé à sa légation à Naples, par un vapeur de son pays, la nouvelle de la défaite des napolitains, demanda en même temps s'il devait quitter son poste. Après information prise à Vienne il lui fut répondu qu'il devait rester sur le sol de la Sicile aussi longtemps qu'il apercevrait quelque part un dernier vestige de l'autorité royale ; mais que dès le jour où ce vestige aurait disparu il devait s'embarquer. Il est inutile de mentionner ici l'explication que différents représentants de la cour de Naples, ont cru devoir donner pour expliquer les fausses nouvelles qu'ils avaient envoyés aux organes de la presse et aux départements des Affaires Etrangères, dans les pays où ils sont accrédités. (Comme l'a fait par exemple M . Guidi à Constantinople et M. Targioni à Bruxelles). Mais voici l'explication envoyée par M. Caraffa à tous les agents diplomatiques des DeuxSiciles : « le général Lanza, commandant en chef des troupes royales, ayant rencontré les bandes de Garibaldi à Catalaglini, vit ces derniers battre en retraite après un court combat ; à l'instant Lanza croyant avoir triomphé adressa à Naples la dépêche que, Votre Excellence connaît. » Il paraît que c'était une feinte et que les troupes irrégulières dispersées, avec intention, ne tardèrent pas à se rejoindre et tombèrent sur les détachements que Lanza avait envoyés à leur poursuite. D'autres bandes, détachées de l'expédition de Garibaldi, ont été arrêtées par les troupes sardes sur les frontières des États du Pape, elles étaient commandées par un certain Zianbianchi qui avait été laissé sur le littoral de la Toscane avec l'intention d'envahir les marches et l'Ombrie. On m'assure que l'enquête en Turquie mettra au jour bien des faits peu louables, non pas du côté des populations de la Turquie, mais du côté des populations chrétiennes par la pression du Gouvernement russe. C'est pour cela que Gortschakoff accepte de mauvaise grâce, l'initiative prise par le Gouvernement ottoman. En Angleterre, en Prusse on ne doute plus aujourd'hui du traité franco-russe, ainsi que de l'alliance entre la France, la Russie et le Piémont.
- 411 Le voyage du Roi des Belges pourrait fort bien se rattacher à cela, ou à la politique générale ; mais on ne sait rien de positif à cet égard. [348] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 7 juin 1860 Dépêche N° 793/78 Demain le Sénat aurai à se prononcer sur le traite de cession de la Savoie et de Nice à la France. On ne doute nullement que le traité ne soit voté à une forte majorité. Aussitôt après il sera mis en exécution. Pendant cette semaine la Chambre des Députés a voté la loi sur la nouvelle liste civile. Cette loi, adoptée à l'unanimité moins 4 voix, confère au Roi une dotation de 10 500 000 F par an. Le rapport de la concession de la Chambre sur cette loi, rapport qui expose les motifs pour lesquels le Parlement national a cru devoir augmenter dans une proportion aussi considérable les revenus de la Couronne, m'a semblé assez intéressant pour me décider à en faire une traduction abrégée que j'ai l'honneur de remettre ci-annexée. Votre Excellence observera que les principaux motifs sont l'agrandissement considérable du royaume, la convenance de mettre le souverain en état de représenter dignement, et de pouvoir faire front aux dépenses considérables qu'entraîneront les fréquents voyages qu'il sera obligé de faire dans les différentes capitales de ses Etats. L'on doit conclure de là que la couronne ne séjournera plus qu'une partie de l'année à Turin et qu'elle fera des séjours fréquents à Milan, à Florence, Bologne etc. En effet dans toutes ces villes les palais royaux seront conservés et entretenus pour être toujours prêts à recevoir la Cour. La Chambre des Députés a aussi voté la loi qui étend à toutes les provinces nouvellement annexées la loi sarde sur la garde nationale. Elle a également voté la loi qui autorise le Gouvernement à faire dès à présent le recrutement sur les classes composées des jeunes gens nés dans les années 1839 et 1840. Votre Excellence voit par là que le Gouvernement Sarde ne se relâche pas des efforts qu'il n'a cessés de faire pour mettre l'armée du royaume sur un pied respectable. On travaille activement dans les arsenaux militaires à fabriquer un matériel de guerre considérable et en proportion aux déplacements donnés à l'armée ; et dans les divers corps ainsi que dans les dépôts on s'occupe avec activités de l'instruction des hommes. Les travaux de fortifications de nouvelles places de guerre dont j'ai déjà entretenu Votre Excellence, Bologne, Pizzighetone, Plaisance, Lodi, sont aussi poussés avec énergie. Une nouvelle fonderie de canons, fondée en peu de mois dans un ancien couvent à Parme par les soins du général Cavalli fonctionne déjà d'une manière remarquable. Dernièrement le Roi s'y est rendu et a été très satisfait des batteries de canons rayés, nouveau système, qui y ont été fabriqué.
- 412 I':ii déjà eu occasion de signaler à Votre Excellence l'attitude hostile d'une partie du haut clergé surtout dans les provinces nouvellement annexées et des mesures que le Gouvernement avait cru devoir adopter pour la réprimer. La surveillance de l'autorité a, dans ces derniers temps, dû s'exercer d'une manière toute spéciale sur des menées sourdes et des intrigues qui étaient signalées de la part du clergé, même dans les anciennes provinces, et dernièrement la police a réussi à opérer quelques arrestations que l'on assure importantes. L'on affirme que les personnes arrêtées sont des agents secrets de machinations cléricales contre la sûreté de l'État, pour la plupart affiliés à la société des jésuites et l'on assure qu'on a pu saisir des papiers importants qui ne laissent aucun doute sur les coupables projets dont il est question. On croit que les tribunaux seront bientôt appelés à juger les individus arrêtés et nous saurons alors à quoi nous en tenir sur ce projet. Les affaires de la Sicile continuent à occuper d'une manière toute spéciale l'attention publique. Les dernières nouvelles annoncent que Garibaldi s'est rendu maître de Palerme, que les troupes royales renfermées dans les forts devront probablement capituler et qu'une suspension des hostilités a été signée pour pouvoir s'entendre sur les conditions de la capitulation. On ne doute nullement ici du succès de Garibaldi et un fort parti dans la presse et le public voudrait pousser le Gouvernement à prendre une part active à l'émancipation de l'Italie. Mais le Gouvernement a le bon sens de résister à ces tentations imprudentes et se renferme dans la stricte observation des devoirs internationaux. Il n'ose cependant pas s'opposer aux souscriptions qui se font partout en faveur des insurgés siciliens, car, en présence de l'enthousiasme d'une partie des populations pour Garibaldi il craindrait de risquer sa popularité s'il voulait ouvertement prendre parti contre lui. Des bruits qui avaient couru dans le public de modifications dans le Ministère paraissent entièrement controuvés. [349] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, 11 juin 1860 Dépêche N° 416/63 J'ai l'honneur d'accuser réception à Son Excellence de la dépêche télégraphique chiffrée qu'elle m'a fait l'honneur de m'adresser le 2 juin pour me demander des renseignements sur l'attitude des membres du corps diplomatique à Naples. Le 4 juin j e me suis empressé de répondre à Son Excellence par un télégramme chiffré ainsi conçu : « Armistice à Palerme. J'ai reçu votre dépêche. Accord entre représentants français et russes. Mais l'Angleterre, l'Autriche, la Prusse, quoique désirant l'intégrité du Gouvernement, désapprouve la négociation secrète avec la France, où on attend le retour de l'Empereur de Toulon pour décider. »
- 413 Le 6, j'ai eu l'honneur d'informer Son Excellence de la reddition de Palerme par une dépêche télégraphique conçue en ces termes : « L'armée capitule ; la France accepte la médiation. » [3501 Spitzer Effcndi à Fuad Pacha Naples, le 11 juin 1860 Dépêche N° 420/67, secrète et confidentielle Je me fais un devoir de compléter aujourd'hui les renseignements que j'ai eu l'honneur de faire parvenir à Son Excellence par mes télégrammes du 4 et du 6 juin. Le 4 juin dans la soirée, M. de Brcnier reçut de Paris la réponse de son Gouvernement aux propositions qu'il avait été chargé de faire de la part du Roi de Naples. Il se rendit immédiatement au Palais et il y resta jusqu'à minuit en tête-à-tête avec Sa Majesté. Bien que le plus grand secret plane encore sur cet entretien, j'ai cependant pu me procurer quelques détails sur ce qui s'y est passé, grâce à l'obligeance du chargé d'affaires du Brésil qui reçoit des communications directes du Comte d'Aquila, beau-frère de son souverain. M . de Brenier put donc annoncer au Roi que l'Empereur serait prêt à lui accorder son appui et à lui garantir ses possessions actuelles, si, de son côté, il consentait à promulguer une constitution et à conclure une alliance offensive et défensive avec le Piémont. Le Roi repondit qu'il était tout disposé à accéder à la première de ces conditions, qu'il avait même déjà chargé ses Ministres d'étudier la constitution française pour l'adapter aux besoins du pays ; quant à la seconde, il n'y était nullement contraire en principe ; mais que s'il devenait souverain constitutionnel, il devait, avant de se lier par un traité, fournir à l'opinion publique du royaume l'occasion de se prononcer. Il désirait d'ailleurs, avant de prendre aucun engagement, que l'Empereur lui garantit l'intégrité de son royaume, y compris la Sicile. M. de Brenier répliqua qu'on pourrait peutêtre encore sauver la Sicile en érigeant en secundogéniture avec une administration séparée, et pria le Roi de lui remettre par écrit ses bases d'une entente pour qu'il pût les envoyer à l'Empereur. Le Roi y consentit, et M. de Brenier crut pouvoir lui assurer en partant que ces préliminaires seraient favorablement accueillis. Le lendemain, M. de Martino, chargé d'affaires près le Saint-Siège, partit pour Paris afin d'y négocier au nom du Roi de Naples un traité d'alliance sur les bases indiquées. J'ai déjà esquissé en quelques traits dans mon télégramme du 4 l'attitude des représentants des grandes puissances ; je suis, Excellence, en mesure de compléter aujourd'hui mes précédentes informations. L'indifférence qui avait accueilli Ja première ouverture collective de M. de Carafa, a fait place à une grande irritation. Les Ministres d'Angleterre, de Prusse et l'Autriche, surtout, sont d'accord pour reprocher au Gouvernement la démarche isolée qu'il a cru
- 414 — devoir faire auprès de la France sans même attendre les réponses de leurs Gouvernements aux demandes qu'il leur avait adressées. M. Elliot, irrité d'abord plus que personne de se voir éclipsé par Monsieur de Brenier, se montre plus calme depuis hier que Lord John Russel lui a fait savoir que l'Angleterre ne peut pas, dans les circonstances présentes, garantir au Roi l'intégrité de ses possessions. Cette déclaration, jointe au dernier rapport du Comte Ludolf, Ministre napolitain à Londres, ne pouvait que contribuer à éloigner encore davantage le Gouvernement de Naples du Cabinet Anglais. Le Comte Ludolf se plaint amèrement qu'à sa dernière visite Lord Palmerston ne daigne même pas se lever pour le recevoir et lui adressa ses paroles ironiques : « Eh bien, M. le Comte, votre petit Roi vient donc de perdre la Sicile. » Le Comte Széchenyi, tout en regrettant une démarche qui doit fatalement entraîner le Roi dans une alliance avec son plus formidable ennemi, est cependant assez juste pour reconnaître dans l'intimité qu'en présence de l'attitude réservée ou hostile des autres puissances, le Roi est excusable d'avoir, plutôt que de se perdre, accepté la planche fragile que lui tendait la France. La réponse du Comte Rechberg à la demande de M. de Carafa vient d'arriver ; le Comte y exprime toute la sympathie de son Gouvernement pour la dynastie et la personne du Roi, mais il fait savoir que l'Autriche, avant de se prononcer, doit attendre les réponses de la Prusse et de la Russie, qui ont été consulté en même temps qu'elle et dont elle connaît les dispositions favorables pour Sa Majesté. Le Prince Wolkonski se tient ostensiblement à l'écart, et évite d'entrer en conversation avec ses collègues sur la question brûlante du moment. On sait cependant qu'il approuve secrètement la démarche du Roi et la croit parfaitement justifiée par les procédés de l'Angleterre. Pendant que toutes les puissances maritimes déploient leur pavillon dans les eaux du royaume, la Russie seule s'abstient de montrer le sien, et elle a même répondu par un refus à son Ministre qui demandait un bâtiment de guerre pour la protection de ses nationaux. Le chargé d'affaires de Prusse n'a pas encore reçu de réponse de Berlin, mais il est persuadé d'avance qu'on n'y jugera défavorablement l'alliance du Roi avec la France. Les communications qui lui sont parvenues par le dernier courrier, lui semblaient de nature à pouvoir détourner le Roi de la politique où il était sur le point de s'engager ; il demanda une audience qui lui fut accordée le 4 ; mais on put juger d'après l'entrevue que le Roi eut, quelques heures plus tard, avec le Ministre de France, que sa tentative n'eut pas d'effet. M. de Goundlach a bien voulu me communiquer sous toute réserve et avec prière de ne pas le nommer, les dépêches sur lesquels il fondait son espoir, et si en les mentionnant, je ne fais probablement que répéter les renseignements que Son Excellence aura reçu directement de Berlin, j'ose cependant espérer que leur importance me servira d'excuse. Monsieur de Schleinitz l'informe qu'il sait, par des avis qui lui viennent à la fois de Londres et de Vienne, que l'Empereur Napoléon a entamé avec le Piémont de nouvelles négociations et qu'il se
- 415 réserve la possession de Gênes et de l'île de Sardaigne, pour prix des acquisitions que Victor-Emmanuel pourrait encore faire ultérieurement dans la Péninsule. À Londres on craint même qu'il ne porte ses vues sur Malte et Corfou ; sous l'emprise de ses craintes, l'Angleterre s'est adressée à l'Autriche pour l'engager à une alliance offensive et défensive avec elle et la Prusse. L'Autriche ne consent à y entrer que si on lui garantit l'intégrité de ses possessions ; mais jusqu'ici l'Angleterre n'a voulu s'engager que pour la Vénétie, et si on n'a pas encore pu se mettre d'accord, les pourparlers continuent cependant, et le ministère anglais ne renonce pas à l'espoir de mener cette négociation à bonne fin. Quelle que soit l'issue de la question napolitaine, la prépondérance de la France en Italie se trouve assurée par les derniers événements ; l'Empereur, soit qu'il soutienne la dynastie actuelle, soit qu'il assiste à sa perte et permette au Piémont de s'agrandir par de nouvelles élections, reste maître absolu de la situation et pourra à tout moment lancer l'Italie entière sur l'Autriche lorsqu'il voudra se porter lui-même sur le Rhin. M. de Brenier le comprend bien et il disait à un de ses intimes le lendemain de son entrevue avec le Roi : « maintenant j e puis me croiser les bras et faire la loi au Roi de Naples. » P. S. : Monsieur de Brenier, que je viens de voir, a reconnu l'exactitude des renseignements qui précèdent, et a bien voulu me fournir quelques nouveaux détails sur l'état des négociations ; quoique, dans son entrevue du 4 il eut accédé aux conditions posées par la France, le Roi, influencé par son entourage, voulut essayer une démarche directe auprès de l'Empereur pour le déterminer à différer encore son alliance avec le Piémont, qu'il acceptait cependant en principe. C'est dans ce but qu'il confia à Monsieur de Martino une lettre autographe. M. de Brenier, persuadé que cette démarche ne pouvait que retarder les négociations n'avait pas hésité à le déconseiller. Et, en effet, le 6 il reçut une dépêche qui l'informait que l'Empereur ne pouvait offrir sa médiation que si le Roi acceptait franchement et sans délai les bases déjà posées. M. de Brenier regarde ses lenteurs comme dangereuses, car, dit-il, on perd un temps précieux en délibérations inutiles, et l'on ne songe pas aux difficultés que nous aurons à vaincre pour contenir Garibaldi, et qu'il pourrait bien être trop tard si la révolution, encouragée par les hésitations du Roi se décidait à faire encore un pas en avant. L351J
Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, 11 juin 1860 Dépêche N° 421/68 J'ai l'honneur d'accuser réception à Son Excellence de la dépêche télégraphique du 2 de ce mois, par laquelle elle veut bien me promettre des instructions sur la conduite que j'aurais à tenir dans les conjonctures présentes. Je remercie
- 416 vivement Son Excellence de sa sollicitude à me diriger de ses conseils au milieu des difficultés que les événements peuvent faire naître à Naples d'un moment à l'autre, et j'attends avec la plus vive impatience ces instructions, auquel je ne manquerai pas de me conformer scrupuleusement. [352] Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 14 juin 1860 Dépêche N° 802/83 Le Sénat a approuvé le traité de cession de la Savoie et de Nice à la France à 82 voix de majorité ; 92 voix pour, 10 contre. La France en a déjà, à l'heure qu'il est, pris possession en laissant cependant toutes les positions stratégiques dans les mains du Piémont jusqu'à ce que la ligne exacte des nouvelles frontières ait pu être fixée d'accord. Une commission militaire mixte, réunie à Paris, s'occupe de fixer ces limites. Une autre commission mixte s'occupe du règlement des points financiers, tels que la quote-part de la Savoie et de Nice dans la dette publique du Piémont ; quote-part dont la France doit naturellement se charger et qui montera, pense-ton, de 100 à 150 millions. Hier, à la Chambre des Députés, le Gouvernement a déposé un projet de loi pour un nouvel emprunt de 150 millions. Le dernier soldat français a évacué la Lombardie. Hier le maréchal Vaillant est arrivé à Turin d'où, après avoir été reçu par le Roi, il doit continuer son voyage pour Paris. Une nouvelle expédition très considérable de volontaires a quitté Gênes pour aller renforcer les troupes de Garibaldi en Sicile. Le comité insurrectionnel a fait acheter plusieurs bateaux à vapeur à Marseille, entre autres l'Amsterdam, VHelvétie, le Belzunce ; ces bâtiments ont, à Gênes, changer régulièrement leur pavillon contre le pavillon américain et leur nom contre ceux de Washington, Franklin, Oregon. Le vapeur « Utile », qui a déjà fait plusieurs voyages aux côtes de Sicile pour y transporter des volontaires, des armes, des munitions, et quelques bâtiments à voile sous pavillon américain s'est joint à eux ; ils ont embarqué, près de Gênes, à Cornegliano, environ 4 à 5000 volontaires, une grande quantité d'armes, de munitions et sont partis pour la Sicile. Parmi ces volontaires, il y en avait beaucoup qui ont déjà, fait la campagne de 1859 avec Garibaldi dans le corps des chasseurs des Alpes. Un assez grand nombre d'officiers de l'armée sarde et entre autres le capitaine de frégate Lumalio, ont donné leur démission et sont partis avec cette expédition. Le Gouvernement Sarde affirme qu'il est entièrement étranger à ces expéditions et il paraît en effet qu'il n'y a pris ouvertement aucune part, mais d'un autre côté on ne saurait ne pas reconnaître qu'il ne fait non plus rien pour les empêcher.
- 417 Il y a presque dans toutes les villes de la Sardaigne el les nouvelles provinces, à Gênes et à Turin même, des bureaux d'enrôlements où tous les jeunes gens aptes à porter les armes qui se présentent sont enrôlés, reçoivent des frais de routes et sont dirigés sur les dépôts, d'où ils sont ensuite envoyés aux lieux d'embarquement. Ces bureaux sont connus de tout le public, le Gouvernement ne peut les ignorer, mais il ne fait rien pour entraver leur action. On fait partout des souscriptions et même des quêtes à domicile en faveur de Garibaldi et la police a l'air de l'ignorer. À une demi-heure de distance de Gênes, à Cornegliano, dans le vaste jardin du Marquis Ala-Ponzoni, était établi le quartier général. Les volontaires y arrivaient de tous côtés par train expres express du chemin de fer, ils établissaient leur bivouac ; une partie de la population de Gênes, les parents, les amis de volontaires s'y étaient réunis pour leur faire leur adieu et assister à leur embarquement et le Gouvernement n'a rien su, n'a rien fait pour s'y opposer. D'autre part il faut avouer aussi que la position du Gouvernement est difficile et qu'en prenant des mesures contre ces expéditions en faveur d'une cause qui est très populaire, il risquerait de compromettre sa propre popularité. Néanmoins, il serait à désirer qu'il sauvât un peu mieux les apparences. Les dernières nouvelles de Sicile annoncent que les troupes napolitaines ont complètement évacué Palerme dont Garibaldi est maître. Il paraît avéré que le Gouvernement napolitain est disposé, malheureusement trop tard, à faire de larges concessions, et qu'il a demandé l'intervention des puissances. On assure que la France serait la seule qui ferait voir des dispositions à faire quelque chose en sa faveur et l'on parle d'une démarche qu'elle aurait faite dans ce sens auprès du Cabinet de Turin. Mais je sais aussi, de source certaine, que le Gouvernement russe a fait faire auprès de ce Cabinet des remontrances fort énergiques. |353| Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 18 juin 1860 Dépêche No 430/79 La rade de Naples offre depuis quelque temps un air d'animation tout à fait inusité : pour garantir la sécurité de leurs nationaux la plupart des puissances ont jugé nécessaire d'y envoyer des forces maritimes. J'ai déjà eu l'honneur d'annoncer à son Excellence l'arrivée de l'escadre française sous les ordres de l'amiral Lebarbier de Tinan ; une frégate et une corvette sont encore venus cette semaine rallier les quatre vaisseaux de ligne précédemment arrivés. Le contre-amiral Jéhenne se trouve à Palerme avec un vaisseau, une frégate et deux avisos à vapeur ; une autre frégate stationne devant Messine. Le Ministre britannique s'est hâté de demander du renfort à Malte pour porter les forces anglaises au niveau de la flotte française ; plusieurs bâtiments sont déjà
- 418 arrivés, et dans quelques jours l'Angleterre aura ici le même nombre de navires que la France. L'Autriche qui était déjà représentée par trois frégates à Palerme, vient d'en envoyer deux autres devant Naples. L'Espagne a une frégate en Sicile, une à Naples ; les États-Unis d'Amérique, une corvette en Sicile, une à Naples. Sur les instances réitérées de son Ministre, la Russie s'est décidée cette semaine à envoyer ici le Hangud, qui vient d'amener l'impératrice mère de Nice à Marseille. On attend enfin l'arrivée d'une frégate brésilienne, qui recevrait, en cas de besoin, la comtesse d'Aquila, sœur de l'Empereur du Brésil. Le gouvernement napolitain, informé par la France que trois bâtiments partis de Gênes se disposaient à effectuer un débarquement, avait envoyé la frégate « Fulminante » à la recherche de cette expédition. Le 11, le commandant Roberti aperçut dans les eaux de la Sardaigne un bateau à vapeur sous pavillon américain, qui remorquait deux bâtiments à voile chargé d'hommes. Il se dirigea immédiatement sur le convoi ; mais dès qu'on l'aperçut, le câble de remorque fut coupé et le vapeur s'échappa à toute vitesse, laissant les deux bâtiments entre les mains des Napolitains, qui les amenèrent le 12 à Gaëta. La visite à laquelle ils furent soumis dans le port, ne produisit aucune découverte compromettante ; il n'y avait à bord ni armes ni munitions, et les passagers étaient tous pourvus de passeports piémontais en règle à destination de Malte. Les autorités napolitaines assurent cependant que plusieurs des prisonniers ont avoué qu'ils devaient débarquer à Pouzzoler, à deux lieues de Naples, pour soutenir la révolte prête à éclater, et que toutes leurs armes et leurs munitions se trouvaient, avec l'argent de l'expédition, à bord du remorqueur. Quoiqu'il en soit de ces assertions, les Ministres d'Amérique et de Sardaigne ne tardèrent pas à réclamer contre cette prise opérée hors des eaux du royaume, sur des voyageurs munis de papiers en règle et qui n'avaient commis aucun acte d'hostilité ; le gouvernement semble disposé à faire droit à ces réclamations en relâchant bâtiments et passagers. Depuis plusieurs semaines le bruit s'était répandu que le 13 aurait lieu un débarquement et que Naples n'attendait que ce signal pour se soulever. Ne pouvant empêcher l'introduction clandestine d'armes dans la capitale, la police avait elle-même armé les Lazzaroni et préparé pour le même jour une contre démonstration, afin d'intimider les libéraux. L'agitation des deux côtés était extrême quand l'arrivée des flottes et la nouvelle de la capture des bâtiments de Garibaldi vinrent décourager les fauteurs de troubles et rendre un peu de confiance à cette partie de la population qui se tient en dehors des affaires politiques et craint avant tout le retour des scènes de massacres et de pillages qui viennent d'avoir lieu à Palerme. Les troubles auxquels on s'attendait, n'éclatèrent donc pas, et la journée du 13 se passa tranquillement. Le 14, le bruit se répandit qu'un débarquement venait de s'effectuer dans les Abruzzes ; le gouvernement fit immédiatement partir un renfort de 3000 hommes ; mais cette nouvelle ne s'est pas confirmée jusqu'ici.
- 419 Des rapports consulaires signalent des démonstrations à Lecce et à Brindisi. Dans ces deux villes la population parcourait les rues au cri de « vive Garibaldi. » hn Sicile la situation n'a guère changé depuis huit jours. L'évacuation de Palerme par les troupes continue ; les seules villes qu'occupe encore l'armée royale, sont Messine, Agosta et Syracuse, à Catane, malgré ses précédents succès, elle a cru devoir se retirer. Garibaldi semble vouloir suspendre ses opérations stratégiques pour s'occuper de l'organisation du nouveau gouvernement. Il vient de former son nouveau Ministère, qui se compose du baron Pisano pour les affaires étrangères, de Messieurs Crispi pour l'intérieur et Orsini pour la guerre, de l'abbé Coligny, pour les cultes. Le colonel Tiirr, son chef d'état-major est appelé aux fonctions d'inspecteur général de l'armée. Les forces de l'insurrection s'accroissent sans cesse, tandis que la défection des troupes royales prend des proportions effrayantes. Garibaldi offre une prime considérable à tout militaire transfuge ; à Messine le commandant de la place en est réduit à consigner ses troupes dans les casernes, et il a fallu renoncer à établir des avant-postes, dans l'impossibilité où l'on se trouvait d'empêcher les soldats de passer à l'ennemi. Cet ensemble de faits ne peut qu'exalter les espérances du parti révolutionnaire, et, malgré la présence des flottes, on redoute tellement à Naples l'approche d'une catastrophe que tous ceux qui ne peuvent quitter la ville, ont mis en sûreté leurs objets les plus précieux et cherchent à se ménager un refuge sur les bâtiments qui stationnent dans la rade. Le Ministère a subi cette semaine une modification. M. Ajossa, Ministre de la Police, a été remplacé par le Duc de San Ovito. [3541
Spitzer Fffendi à Fuad Pacha Naples, le 18 juin 1860 Dépêche N° 431/76, confidentielle M. de Carafa vient enfin de rompre le silence dans lequel il s'était enfermé jusqu'à présent sur les négociations entamées avec la France, et voici, Excellence, comment il expose les diverses phases que la question a parcourues. Sur l'initiative prise le 30 mai par M. de Brenier, le Roi lui déclara le lendemain que, si l'Empereur consentait à intervenir et à lui garantir ses États, il se déciderait, de son côté, à accorder : 1° la constitution française pour Naples et la Sicile ; 2° une administration séparée pour la Sicile avec un vice-Roi pris dans la famille royale ; 3° liberté de la presse ; 4° armistice. Le ¡"juin, Monsieur de Brenier remit à Monsieur de Carafa une note, où il déclarait qu'il croyait pouvoir promettre la médiation de la France si le Roi acceptait les conditions suivantes : 1° amnistie générale ; 2 e constitutions
- 420 différentes pour Naples et pour la Sicile ; 3° loi sur la presse ; 4° alliance avec le Piémont. Sans se prononcer définitivement sur ces propositions, le Roi reconnut qu'elles étaient discutables. Le 2 juin, Monsieur de Brenier se présenta de nouveau chez M. de Carafa avec une note, dans laquelle il disait qu'il venait de recevoir de l'Empereur communication des conditions suivantes : 1° donner la Sicile à un Prince de la famille royale ; 2° Naples et la Sicile recevront des statuts différents ; 3° ligue entre la Sicile, Naples et le Piémont. L'Empereur croit que sur ces bases il serait possible de s'entendre pour une médiation avec les autres puissances. En remettant cette note, Monsieur de Brenier reconnut la dureté de ces conditions, mais n'insista pas moins sur son acceptation. Deux jours après, le Roi fit appeler Monsieur de Brenier pour discuter avec lui les bases posées par l'Empereur. Il commença par lui faire observer que, s'il fallait constituer la Sicile en État séparé, on devait du moins la placer vis-à-vis de Naples dans la position qu'occupait naguère la Toscane en face de l'Autriche. Quant à ce qui concernait la ligue avec la Sardaigne, il ne la repoussait pas en principe, mais, avant que de conclure une alliance même purement défensive, il fallait attendre que l'Europe eut reconnu les nouvelles annexions du Piémont. Enfin il lui fit comprendre qu'une médiation ne suffirait pas pour résoudre les difficultés et exprimant l'espoir que l'Empereur reconnaîtrait l'importance des sacrifices auxquels il était prêt à se résigner, il lui accorderait son intervention puissante. Mais voyant que le Ministre de France n'avait pas de pouvoir pour modifier ces conditions, le Roi se décida le 5 à traiter la question de souverain à souverain, et envoya à Paris Monsieur de Martino, porteur d'une lettre autographe et muni de pleins pouvoirs. Ce diplomate partit le 6, mais en passant par Rome et s'embarqua le 8 à Civitavecchia. Le Ministre de France, à qui on avait fait un mystère de cette mission, ne l'apprit qu'après le départ de M. de Martino. Il ne cacha pas son dépit à Monsieur de Carafa, et se plaignit amèrement de ce qu'on voulait l'exclure d'une négociation qu'il avait entamée sous sa propre responsabilité, il prédit en outre l'inutilité de ces démarches. Cette prédiction ne tarda pas à se vérifier, car dès le 12 Monsieur de Martino annonçait qu'il n'avait pu voir l'Empereur qui se trouvait à Fontainebleau ; le lendemain on apprit par un autre télégramme que le marquis d'Antonini avait été mandaté à cette résidence pour remettre la lettre autographe de son souverain. Ces mauvaises nouvelles n'ont pas tardé à se répandre, et le chargé d'affaires de Prusse me dit que M. Elliot pourrait bien profiter de l'étape peu satisfaisante de ces négociations pour tenter un nouvel effort, et engager le Roi à chercher son salut dans ses propres ressources plutôt que d'emprunter l'appui d'une puissance étrangère. C'est, du reste, le conseil que les représentants d'Autriche et de Prusse lui ont déjà plusieurs fois donné, sans cependant que les moyens qu'ils proposent, soient les mêmes. La Prusse croit qu'il faut des concessions les plus larges pour ramener au Roi l'affection de ses sujets ; le Ministre d'Autriche va moins
-421 loin, et pense que la réunion d'un conseil chargé d'examiner les abus existants, offrirait à la nation une satisfaction suffisante. Bien que jusqu'ici aucune mesure définitive n'ait été arrêtée, on pense au moyen de conjurer l'orage, surtout depuis que l'espoir d'un appui matériel de la France commence à faiblir. On retouche la constitution de 1848, pour la donner en commun à Naples et à la Sicile, on réorganise l'armée, et on lui donne pour chefs de jeunes officiers que recommandent leurs services antérieurs. Le Comte de Frani, destiné à devenir vice-Roi, se rendrait à Messine pour se placer à la tête des troupes et apporter la nouvelle constitution. Si toutes ces concessions devaient rester sans fruits, le Roi se déciderait à prendre en personne le commandement de l'armée pour défendre son royaume contre les attaques de ses ennemis ; on prétend même qu'il a déjà fait préparer à Rome les appartements de la Farnesina pour y établir provisoirement sa famille. Malheureusement les renseignements qui nous parviennent de tous côtés sur la honteuse conduite de l'armée en Sicile, ne permettent guère de croire à l'efficacité d'une semblable détermination. Tous mes collègues, sans exception, regardent la situation comme gravement compromise si une diversion subite ne vient changer la face des choses. Serait-ce d'une coalition que viendrait cette diversion ? Le représentant de Prusse ne le croit pas impossible ; le Ministre d'Autriche ou moins bien ou peut-être mieux renseigné sur ce point que son collègue de Prusse, n'hésite pas à déclarer qu'une entente entre le Cabinet de Vienne et celui de Londres ne saurait s'établir sur aucune question, tant qu'il y aura divergence dans les bases fondamentales de la politique des deux pays. P.-S. : Monsieur de Brenier, que je viens de voir, me dit que l'Empereur s'est enfin décidé à recevoir le 14 Monsieur de Martino, et lui a déclaré que les propositions de son souverain sont insuffisantes et qu'il ne peut accepter la médiation que si les conditions posées en son nom par M. de Brenier sont acceptées. [355] Diran Bey à Fuad Pacha Bruxelles, le 22 juin 1860 Dépêche particulière N° 1056/101 Les événements de la Sicile et l'entrevue de Bade voilà je pense les deux points vers lesquels tous les yeux ont été tournés cette semaine. Garibaldi triomphant partout cherche aujourd'hui à établir les formes d'un gouvernement constitué dans l'île dont il s'est rendu maître ; il organise, décrète, ordonne, en un mot il achève sérieusement à la face de l'Europe une œuvre commencée avec toutes les apparences d'une folle et aventureuse témérité ; comme j'ai déjà eu l'honneur de l'écrire à votre excellence, le gouvernement n'a cessé de prêter les
- 422 mains aux manoeuvres du général sarde et, aujourd'hui même, comme preuve à ce que j'avance, il réclame les vaisseaux et les huit cents prisonniers capturés par le roi des Deux-Siciles comme voyageurs en destination de Malte. On ne sait pas encore si cette déclaration peut faire présager une lutte prochaine entre les deux gouvernements de Naples et de Turin. Mais on peut cependant dès aujourd'hui affirmer que le mot que prononça Garibaldi en entrant dans les murs de Palerme : « maintenant à Naples ! » n'a été que l'écho de sentiments plus officiels. En outre je sais de fort bonne source que le comte de Cavour a dit que la Sicile reviendrait au Piémont, parce que la France craindrait qu'entre les mains d'un gouvernement plus faible, elle ne devint la proie des Anglais. Enfin, M. Balabine a dit qu'il était déjà trop tard selon lui pour empêcher la ruine du trône actuel dans les Deux Siciles. Si Votre Excellence voulait me croire elle considérerait l'entrevue de Bade comme un moyen de gagner du temps, de calmer les esprits trop inquiets et trop détournés des affaires. La France n'est pas encore disposée à entamer une grande lutte qui devra lui coûter d'immenses sacrifices. Napoléon est un grand temporisateur, habitué par tous les revers qu'il a essuyé dans sa vie à attendre avec patience une circonstance opportune, il ne voudra pas aujourd'hui brusquer les événements qui pourraient lui être contraires s'ils étaient trop précipités. J'ai dit dans d'autres dépêches que l'on agirait avec ensemble, qu'un traité secret liait la Russie et la France ; la première de ces puissances, soit par sa propre initiative, soit par une invitation faite par le cabinet des Tuileries, s'est trop hâtée d'atteindre le but qu'elle se propose depuis si longtemps c'est-àdire de rétablir sa domination sur la mer Noire. Il a fallu reculer et ce mouvement rétrograde est facilement constaté dans l'explication que le prince de Gortchakoff vient de donner à propos de la fameuse note qui a été remise par lui aux représentants des puissances garantes. On dit ici que c'est M. de Lavalette qui a donné à Sa Majesté Impériale le Sultan le conseil d'ouvrir une enquête de sa propre initiative et d'envoyer son grand vizir présider à des travaux d'un ordre aussi élevé. [3561 Aristarchi Bey à Fuad Pacha Berlin, le 20 juin 1860 Dépêche N° 366, très réservé. Il est sans doute l'envoyé spécial informations du souverain précité est attribuée au l'Angleterre.
parvenu à la haute connaissance de Votre Excellence, que du Roi de Naples a échoué dans sa mission. Suivant les Cabinet de Berlin, l'Empereur Napoléon aurait donné au le conseil de s'entendre avec le Comte Cavour. Cette attitude rapprochement opéré en dernier lieu entre la France et
- 423 En attendant, les succès rapides du général Garibaldi et la défaite des troupes qu'il combat augmentent les préoccupations des cabinets de l'Europe. Sans excepter la France, les grandes puissances appréhendent des catastrophes prochaines, de nature à compromettre sérieusement l'équilibre existant. « A Paris même, il y a un parti qui commence à regretter la non-exccution du traité de Villafranca. Les dangers qui menacent la Péninsule jusqu'aux portes du Vatican seront difficilement apaisés. Le parti unitaire, enhardi par le succès, ne s'arrêtera pas et le Piémont en sera entraîné. » Ce sont les paroles du Ministre de France que je prends la liberté de citer, et qui ont une valeur spéciale à cause de sa connaissance des lieux et des personnes. Effrayé des événements qui se succèdent, le Prince de La Tour d'Auvergne en déplore intimement la tendance ; il l'attribue à l'influence de l'Angleterre et redoute certaines éventualités. « Supposez me dit-il qu'un malheur nous arrive en France dans la personne de l'Empereur. I.c Piémont serait immédiatement et gravement menacé ; et la plus grande confusion gagnerait tous les pays. 11 me semble que le moment n'est pas éloigné où l'on donnera raison au Comte Walewski ». Lui ayant demande si la paix de Villafranca était exécutable le Prince me répondit : « Oui, certainement ; car le Piémont était alors en notre pouvoir et le Pape aurait consenti sans difficulté. Mais l'Angleterre n'a pas voulu. » Sans prétendre apprécier ces intéressantes révélations, je ne puis m'abstenir de les faire coïncider avec l'attitude de l'Autriche et de la Russie. La première, qui se garde bien d'intervenir dans les affaires de l'Italie, a concentré néanmoins dans la Vénétie une armée de 120 000 hommes sur pied de guerre. Quant à la Russie, elle blâme sévèrement les événements et en accuse la Sardaigne. Si malheureusement les appréhensions sus énoncées se réalisaient, ne voudraitelle s'en prévaloir pour rompre le traité qui lui pèse ? Ce n'est certes pas par respect pour cet acte, que le Prince Gortschakoff en a convoqué la plupart des signataires. [3571 Spitzer Effendi à Fuad Pacha N a p l e s , l e 2 5 juin 1860 Dépêche N° 437/81 Le gouvernement napolitain n'a pas encore statué sur le sort définitif des deux bâtiments capturés la semaine dernière. Les Ministres d'Amérique et de Sardaigne continuent à défendre la cause de leur pavillon, mais avec cette différence que le Ministre américain ne conteste pas au gouvernement napolitain le droit de retenir les prisonniers et demande uniquement la remise du bâtiment avec une indemnité pour le capitaine, tandis que M . de Villamarina, se fondant sur l'illégalité de la prise, demande que navire et passagers soient également relâchés.
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Pour prévenir un débarquement dans le voisinage de la capitale, le gouvernement a fait établir des batteries sur différents points du golfe de Naples et du golfe de Salerne, et former un camp à deux lieues de la ville, entre Pouzzoler et Baïa. Des colonnes mobiles parcourent jour et nuit la côte. Le château de l'Oeuf et le fort Saint-Elme ont été abondamment pourvu de munitions. En même temps, on organise, sous le nom d'armée du centre, un corps de 36 000 hommes qui sera échelonné entre Aquila, Auletta et Reggio. Il aura pour mission de protéger le pays à la fois contre le soulèvement intérieur et contre les attaques du dehors. Au besoin, il enverrait des secours à Messine, si cette ville venait à être attaquée par Garibaldi. C'est le général Nunziante qui doit prendre le commandement de cette armée. Les généraux et officiers supérieurs de la garnison de Palerme ont été, dès leur arrivée à Naples, envoyés à Ischia, où ils auront à rendre compte de leurs actes devant un conseil de guerre. Garibaldi, toujours occupé à Palerme de l'organisation de ses moyens d'attaque, est parvenu à former une flottille de cinq corvettes, ses croiseurs viennent même, dit-on, de capturer le Capri, un des paquebots nolisés et armés en guerre par le gouvernement napolitain. Le Roi a été retenu au lit cinq jours par une légère indisposition. Il s'est levé le 21 pour présider le conseil des Ministres, auquel assistait M. de Martino, revenu la veille de Paris. Garibaldi vient de nommer le Prince Belmonte chargé d'affaires de Sicile à Londres, et M. Amarie à Turin. Au moment de clore cette dépêche, j'apprends que le Roi s'est définitivement décidé à remettre en vigueur la constitution de 1848, sauf quelques modifications, et à adopter le drapeau tricolore italien surmonté de la couronne de Naples. Le Prince Spinelli, ancien Ministre en 1848, vient d'être chargé de la formation d'un Ministère ; mais ce seront les difficultés qu'il rencontre dans la composition de son Cabinet, qui retardent encore la promulgation de la constitution. [358J Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 25 juin 1860 Dépêche N° 438/82, confidentielle M. de Martino, revenu le 20 de Paris, est immédiatement allé rendre compte de sa mission au Roi ; une personne initiée à tout ce qui se passe au château, à bien voulu me communiquer la réponse qu'il apportait. Ne pouvant faire accepter au Roi les conditions auxquelles il subordonnait sa médiation, l'Empereur se bornait à lui envoyer des conseils. Si le Roi croyait pouvoir, avec l'appui de l'armée conserver encore la Sicile, il fallait faire de Messine la capitale de l'île et le centre de toutes les opérations ; il fallait surtout se hâter
- 425 d'apaiser les esprits en donnant aux Siciliens une constitution qui tint compte des droits anciens de la population. L'Empereur avait d'ailleurs assuré M. de Martino qu'il prenait un vif intérêt au maintien de la dynastie et qu'il espérait que le Roi parviendrait par une amnistie générale et par de sages concessions à maintenir la terre ferme du royaume dans l'obéissance. Il lui promit même que, si le Roi entrait franchement dans cette voie, il ferait, de son côté, tout son possible pour prévenir à l'avenir tout débarquement. Quant à la condition de la ligue avec le Piémont, Monsieur de Martino fit valoir cette idée que tant que l'Europe, la France comprise, n'aurait pas sanctionné l'annexion des provinces de l'Italie centrale, Naples ne saurait voir dans cette alliance qu'une cause de nouvelles difficultés. L'Empereur répliqua que le dernier mot n'était pas encore dit sur le sort de la Toscane et des Légations, que lui-même il avait récemment refusé de comprendre ces deux pays dans une convention postale qu'il s'agissait de conclure avec la Sardaigne, mais il n'y voyait aucune raison pour repousser l'alliance proposée. On conclut ici de cette dernier réponse de l'Empereur qu'il n'a pas encore renoncé à son projet de confédération italienne, et que, loin de favoriser la réunion de toute l'Italie sous le sceptre de Victor-Emmanuel, il songe encore à pouvoir rétablir le Grand-Duc à Florence et le Pape dans les Légations, si le Piémont parvient à acquérir la Vénétie. Dans le conseil qui fut tenu le lendemain du retour de M. de Martino, on discuta les mesures définitives auxquelles il fallait s'arrêter, et on finit par décider, à ce qu'on m'assure, qu'on suivrait les conseils de l'Empereur. Messine serait donc déclarée capitale de la Sicile, un Prince de la famille royale s'y rendrait avec une constitution différente de celle que recevrait en même temps Naples. Enfin une amnistie générale serait accordée. M. de Carafa, plus réservé dans ses communications que la personne à qui je dois ces renseignements, déclare que l'Empereur, renonçant à sa première idée de constituer la Sicile en État séparé, ne demande plus pour l'île qu'une vice royauté avec une administration distincte, mais ne pouvant imposer son opinion au Piémont, il engage le gouvernement napolitain à s'entendre directement avec cette puissance. [359] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 2 juillet 1860 Dépêche N° 443/85 Pour offrir à votre Excellence un résumé exact des graves événements de la semaine, dont mes dépêches télégraphiques ont déjà porté une partie à votre connaissance, j e crois ne pouvoir mieux faire que de les relater jour par p u t , dans l'ordre même où elles se sont passées.
- 426 Qu'il me soit d'abord permis de revenir, pour les compléter, sur les détails dans lesquels je suis entré à propos du conseil réuni le 21 au moment du retour de M. de Martino. L'Empereur avait jugé la constitution française insuffisante pour calmer le parti libéral et fait engager le Roi à remettre en vigueur celle de 1848. Il avait surtout recommandé au Roi de donner beaucoup, vile et de bonne foi, promettant en échange ses bons offices auprès du Piémont. Les conseils de l'Empereur rallièrent l'opinion de la majorité ; il n'y eut que trois Ministres qui firent opposition, Messieurs Troja, Carascosa et Scorza. Trop souffrant pour assister à toute la délibération, le Roi avait dû se retirer, laissant la présidence à son oncle, le Comte d'Aquila. Quand la majorité se fut prononcée pour la constitution, le Prince fit observer que, pour faciliter l'application des nouvelles mesures, le Ministère devait faire place à des hommes nouveaux. Les Ministres furent d'avis que ce n'était pas à eux d'envoyer leur démission au Roi, mais bien au Roi, s'il le jugeait utile, de les démettre de leurs fonctions. Le Comte d'Aquila alla immédiatement trouver Sa Majesté, et rapporta un instant après un décret qui prononçait la dissolution de l'ancien Cabinet et chargeait le commandeur Spinelli de la formation d'un nouveau Ministère. Ce ne fut qu'après une longue résistance que M. Spinelli accepta cette mission le 22, à la condition que le Roi annonçât à la nation, par un acte souverain, les bases fondamentales du nouveau régime, institution représentative et nationale, constitutions distinctes pour la Sicile, amnistie générale, drapeau tricolore italien surmonté des armes de la dynastie, alliance avec le Piémont. Muni de cet acte, il se mit en relation avec Messieurs Manna, Baldachini, Torella, Afflitto et de Martino. Le Comte d'Aquila, de son côté, se rendait en personne chez Messieurs Ferrigni et Vintimiglia, deux libéraux à qu'il avait sauvé la vie en 1848 en sollicitant leur grâce du Roi Ferdinand. Pour les décider à entrer dans le Ministère, il dut faire valoir les titres qu'il avait à leur reconnaissance, et ce ne fut qu'après bien des efforts qu'il obtint leur consentement. Le 23, tous ces personnages se réunirent chez Spinelli pour se mettre d'accord sur leur programme politique ; on parvint à s'entendre, et on pouvait considérer tous les obstacles comme surmontés. Mais le 24, le Cardinal archevêque de Naples se rendit au Palais pour détourner le Roi de l'alliance avec le Piémont ; il le conjura de ne pas encourir le blâme du Pape en s'unissant avec un souverain qui venait d'être excommunié, et de s'exposer plutôt aux dangers les plus graves que de compromettre le salut de son âme. En même temps, la Reine veuve et son fils aîné, le Comte de Trani, l'engageaient à opposer au mouvement libéral un Ministère de résistance où entreraient Messieurs Troja, Carascosa et Mazza. Cédant à ses funestes conseils, le Roi prend le parti d'envoyer M. de Martino en mission à Rome. Cependant M . Spinelli se présente à la Cour pour soumettre au Roi le programme élaboré dans la séance la veille ; mais on lui répond que le Roi, dont l'état s'est aggravé, ne peut le recevoir et n'a aucun ordre à lui
- 427 communiquer. Le Comte d'Aquila reçoit une lettre du commandeur Severino premier secrétaire du Roi, qui lui annonce, au nom de son maître, qu'il doit attendre un ordre exprès pour reparaître à Portici. Le Comte s'empresse de communiquer cette nouvelle par le télégraphe à M. de Brenier, qui se trouvait à sa campagne de Castellamarc. J'étais avec quelques-uns de mes collègues dans son salon au moment où la dépêche lui parvint : « Tout est remis en question par de nouvelles intrigues » nous dit-il brièvement, et le soir même, à 10 heures, il partit pour Portici. Lorsqu'il arriva à minuit au palais, M. Severino lui dit que le Roi malade et couché n'était pas en état de le recevoir. Il insista néanmoins pour le voir, et dit qu'il ne reparaîtrait pas avant d'avoir appris de la bouche même du Roi les motifs qui l'avait décidé à éloigner le Comte d'Aquila de sa personne. Severino avoua en tremblant que l'ordre ne venait pas du Roi, et que c'était la Reine veuve qui l'avait obligé d'écrire au Prince au nom de Sa Majesté. Enfin Monsieur de Brenier pu pénétrer auprès du Roi, et jusqu'à deux heures du matin il resta à son chevet. Dans la m ê m e soirée des hommes armés de revolvers avait fait une démonstration sur la place du Mercatello ; il fallut l'intervention de la troupe pour rétablir l'ordre. Dans un autre endroit de la ville, à Santa Luccia, la flotte française avait été mise en alerte par un événement insignifiant en lui-même. Les Lazzaroni sont dans l'usage d'allumer des flambeaux sur le passage du Saint-Sacrement, quand on voit le porter la nuit à un moribond. Une de ces cérémonies avait précisément lieu dans le quartier vis-à-vis duquel mouille l'escadre. Croyant à une démonstration, l'amiral envoya au rivage plusieurs embarcations, qui se retirèrent immédiatement, sans déposer un seul homme à terre, dès qu'on connut la cause innocente de ces feux. Mais la populace n'en f u t pas moins très vivement impressionnée par l'apparition des bateaux français ; elle crut devoir en conclure qu'au moindre désordre les flottes interviendraient. Le Comte d'Aquila commençait déjà à dresser ses batteries pour se venger de la Cour qui le repoussait. Dispersés dans la ville, ses partisans répandaient partout le bruit que l'état de santé du Roi ne lui permettant de diriger les affaires, il fallait nommer un vicaire général du royaume. Le Comte de Syracuse, de son côté, se rendait chez MM. de Villamarina et de Brenier, et offrait son service pour la vice-royauté de Sicile. Toutes ces nouvelles étaient déjà parvenues au Roi avant l'arrivée de M. de Brenier dont la tâche se trouvait ainsi bien facilitée. Il sut convaincre le Roi qu'il n'y avait pas un instant à perdre si l'on voulait conjurer le danger et sortir de cette position intenable. Il lui donna d'ailleurs à entendre qu'il n'était plus possible de revenir sur les décisions arrêtées le 21, vu qu'il les avait déjà communiqués à l'Empereur. Le Roi lui promis de maintenir sa précédente résolution.
- 428 Le 25, le Comte d'Aquila se rendit au Palais avec M. Spinelli. Le Roi leur fit à tout deux le meilleur accueil, et les pressa de former au plus tôt le Ministère. On se réunit donc de nouveau chez Spinelli, mais les hésitations du Roi avaient ébranlé la confiance de plusieurs des membres de la réunion. Ventimiglia mettait pour condition à son acceptation l'éloignemerit de la Reine veuve et de la camarilla, l'épuration de la magistrature et l'envoi en Piémont de 20 000 soldats napolitains qui seraient remplacés par des troupes piémontaises. Ferrigni et Afflitto déclaraient qu'ils n'entreraient pas dans le Ministère tant que l'entente avec le Piémont ne serait pas établie. On télégraphia immédiatement à Turin, et on reçut séance tenante la réponse que le Piémont ne pouvait accepter l'alliance proposée avant qu'un Ministère libéral ne fut formé. Il était impossible de sortir de ce cercle vicieux ; et, après 15 heures de délibérations, il fallut se séparer sans être parvenu à s'entendre. Quoiqu'il n'y eût pas encore de Cabinet formé, l'acte souverain fut publié le lendemain, 26 (annexe No 2). Spinelli se rendit au Palais pour informer le Roi de l'état des choses, et resta en permanence jusqu'au soir sans pouvoir arriver à une solution. Toutes les personnes à qui il s'adressait, déclinaient ses offres, et l'on commençait déjà à craindre que le Roi ne dut rappeler ses anciens Ministres. Cependant la publication de l'acte souverain ne produisait pas l'effet favorable que le gouvernement en devait attendre. On le lisait avec indifférence sur les murs où il était affiché, on achetait les exemplaires que pour les déchirer ou en faire des cigarettes ; on insultait les personnes qui portaient des cocardes tricolores ; on faisait des chansons injurieuses sur Spinelli. Un journal libéral, Viride, se vendait à des milliers d'exemplaires, et le comité révolutionnaire faisait distribuer un mot d'ordre pour recommander à la nation une attitude froide, mais calme, en attendant le moment d'agir. Dans les cercles diplomatiques on raconte le même jour que l'Empereur aurait vivement engagé le Piémont à s'entendre avec Naples et à retenir Garibaldi ; que le Piémont aurait promis d'agir dans ce sens, mais sans pouvoir cependant répondre du succès de ses démarches. M. de Carafa, que je vois dans la journée, trouve très regrettable que l'acte souverain ait été publié avant la formation du nouveau Ministère ; il craint que cet état d'interrègne ne donne lieu à de graves complications. Des lettres anonymes menaçantes arrivent aux personnes de l'entourage du Roi. Dans la journée, 8000 Lazzaroni, recrutés par le parti libéral, parcourt la ville en poussant les cris de « vive Garibaldi, vive l'Italie, vive Victor-Emmanuel » pas une voix ne s'élève pour crier « vive le Roi ». On menace les personnes qui veulent illuminer. Le Comte de Syracuse arbore devant son palais le drapeau tricolore italien, mais sans la couronne de Naples. Quelques Lazzaroni font une ovation au Comte d'Aquila, au milieu de l'indifférence des personnes présentes ; ils détellent ses chevaux et le ramènent triomphalement au palais.
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Effrayés de l'impression produite par son manifeste, le Roi accorde le soir même au Comte d'Aquila les pleins pouvoirs pour la formation d'un Ministère. Une réunion a lieu chez le Prince, et on s'arrête à un programme dont voici les bases principales : constitution de 1848, garde nationale, élections directes, épuration de l'administration et de la magistrature, éloignement de la Reine veuve et de la camarilla. Le 27 au matin, le nouveau drapeau est hissé sur les forts et les navires et est salué par les flottes étrangères. Le journal officiel paraît sous le titre de journal constitutionnel. Mais bientôt on apprend que le Roi repousse quelques-unes des conditions acceptées par le Comte d'Aquila, notamment celle de l'éloignement de la Reine veuve et de la formation d'une garde nationale, et que Ventimiglia ne fera décidément pas partie du nouveau Ministère. Enfin le soir la nouvelle se répand que le Cabinet est formé et composé de la manière suivante : Messieurs Spinelli, président ; de Martino, affaires étrangères ; Morelli, justice ; Prince de Torella, affaires ecclésiastiques ; Manna, finance ; del Re, intérieur et police ; le maréchal de camp Ritucci, guerre ; le vicc-amiral Garofalo, Marine ; le marquis la Greca, travaux publics. À l'heure de la promenade, la ville se porta en foule vers la rue de Toledo pour juger de l'impression que ces nouvelles produisaient sur les esprits. Le Roi se montra aussi en voiture ; mais il reçut un accueil glacial ; pas la moindre acclamation ne se fit entendre. Des milliers de Lazzaroni étaient réunis dans les rues. Vers neuf heures des cris en lieux divers sont poussés par ces masses. Les Lazzaroni payés par les libéraux crient « vive Garibaldi, vive Victor-Emmanuel" ; ceux recrutés par les royalistes répondent « vive la constitution, vive le Roi ». Bientôt des rixes s'engagent ; quelques personnes reçoivent des coups de poignard ; on entend des détonations de fusil, l'alarme se répand, et chacun de s'enfuir. Quelques forcenés arrêtent l'équipage du Ministre d'Espagne qu'ils obligent à crier « vive Garibaldi » ; le Ministre ne leur échappe qu'en sautant de sa voiture. D'autres se précipitent sur le Ministre de France le frappent à la tête avec de gros bâtons ; sans l'habileté de son cocher qui lança ses chevaux au galop, M. de Brenier risquait de rester entre les mains de ces misérables. Il revient évanoui à la Légation ; le sang coule abondamment d'une large blessure au front, qui heureusement n'offre pas de gravité. Revenu bientôt à lui, M. de Brenier peut encore recevoir dans la soirée les visites du Comte d'Aquila, du Comte de Syracuse et de ses collègues du corps diplomatique. Vers le matin, un des aide de camp du Roi, le Prince de Pangro, vient s'informer de son état et se faire l'interprète des regrets de son maître. Vers minuit, une bande armée s'était portée à l'hôtel de la Légation pour saluer M. de Brenier et crier « vive la France, vive l'Empereur » .
- 430 L'amiral de Tinan semble disposé à faire débarquer des matelots pour la protection de la Légation, où une foule de Français ne cesse d'accourir. Sur la prière de M. de Martino, qu'on avait consulté, on décida qu'on se bornerait à faire stationner un bâtiment près du quai que longe l'hôtel de M. Brenier ; l'équipage descendrait au premier signal qui lui serait donné par la Légation. Le 28 au matin, des bandes armées se jettent sur quatre bureaux de police, brisant les meubles, brûlant les papiers et tuant les quatre inspecteurs, dont les cadavres sont ensuite traînés dans la rue. Sur les portes on cloue des planches tricolores avec l'inscription « fermée pour cause de décès ». D'autres bandes parcourent la ville en poussant des cris séditieux. L'une d'elles, où l'on remarque un prêtre en armes, s'arrête à la Légation de France et crie « vive Garibaldi, à bas la police. » Le premier secrétaire, M. Aymé d'Aquin, se montre au balcon, reproche aux factieux leurs excès et les engage à ne pas troubler l'ordre. La foule répond en criant « vive l'ordre » et se retire. Plusieurs bandes libérales veulent envahir la maison de Manetta, le chef des I .az/aroni royalistes ; mais un escadron de lanciers parvient à les repousser. Le comité révolutionnaire engage la population à prendre les armes. On apprend que les Lazzaroni ont organisé d'avance le pillage, et que les quartiers où chacun d'eux devra l'exercer, leur ont été régulièrement indiqués ; ils ont loué des magasins pour mettre en commun le butin, dont chacun recevra sa part. Les boutiques se ferment, et la population paisible se trouve dans une cruelle situation, placé entre la crainte des Lazzaroni et celle des soldats, dont les excès ne sont pas moins redoutés ici. Chaque citoyen s'arme pour vendre chèrement sa vie et ses biens. Beaucoup de personnes qui se sont signalées dans ces derniers temps par leur zèle pour la royauté, s'enfuient pour se soustraire à la vengeance. M. Ajossa, l'ancien Ministre de la Police, a demandé un asile à M. de Brenier, qui vient de le faire embarquer sur un bâtiments français. Dans cette grave situation il fallait se hâter de recourir aux grands moyens. Le Ministère le comprit, et décida le jour même, en présence du Roi, la mise en état de siège de la capitale et la formation immédiate de la garde nationale. J'était chez M. de Brenier au moment où M . de Martino lui annonçait ces sages mesures. Le Roi et le Prince se présentent aux troupes qui leur font un chaleureux accueil. De forts détachements vont occuper les principaux points de la ville ; des canons sont braqués devant le Palais et au coin de plusieurs rues. Kn face de ce déploiement de force les bandes se dissipent, et la nuit du 28 se passe tranquillement. Toute la ville est illuminée ; mais, attendu l'état de siège, peu de personnes se montrent dans les rues. Il devait aussi y avoir grand gala au théâtre Saint-Charles, en présence du Roi et de la Cour ; mais comment on avait appris que le mot d'ordre du comité révolutionnaire conseillait à la population, de ne pas s'y rendre ; la représentation fut décommandée.
- 431 M. de Brenier s'était fait transporter à bord d'un bâtiment de guerre français pour aller rejoindre sa famille à Castellamare. Je l'accompagnai. Au moment de notre arrivée dans ce village, nous remarquâmes une grande agitation. La nuit venue, le commissariat de police f u t envahi ; comme à Naples, on détruisit les meubles et brûla les archives ; un agent fut même tué, on a voulu forcer le bagne pour mettre les galériens en liberté ; heureusement les troupes réussirent à repousser ces coupables tentatives. Peu s'en fallut que les armes royales ne fussent arrachées, déjà on se disposait à les enlever quand, sur les observations d'un officier, on y renonça. Nous craignions une descente des montagnes des environs, et déjà la famille de M. de Brenier se disposait à s'embarquer sur le vaisseau français qui stationne à Castellamare ; mais l'attitude résolue de la partie honnête de la population, qui s'était immédiatement armée, détourna ces misérables de leurs dangereux projets. Aujourd'hui le calme est rétabli, et à Castellamare, comme à Naples, les autorités, qui n'avaient d'abord oppose aucune résistance aux excès de la populace, ont pris des mesures qui assurent pour le moment le maintien de l'ordre public. Le 29, sur les instances de ses Ministres, le Roi quitte sa campagne de Portici pour venir habiter Naples. La confiance renaît ; les magasins se rouvrent, et les troupes regagnent leurs casernes avec leurs canons. Une députation des 12 quartiers de la capitale va à la légation de France pour remettre une adresse à Monsieur de Brenier et lui exprimer les vifs regrets que l'événement du 27 a cause à toute la population ; cette démarche avait été autorisée par le gouvernement. Le Comte d'Aquila décide son frère, le Comte de Syracuse, à se réconcilier avec le Roi. Le Comte de Syracuse n'accepte cependant pas le commandement de la garde nationale ; mais il demande à être envoyé en mission à Turin pour négocier le traite d'alliance. Le Ministère craint que le Prince ne travaille plus dans son propre intérêt que dans celui du Roi, repousse sa demande et propose l'envoi du Prince de Fondi. Les prisonniers politiques sont élargis et se rendent en masse à la Légation de France pour remercier M. de Brenier et lui faire le récit de leurs souffrances. On dit que la Reine veuve part pour Gaëta avec 50 personnes de la camarilla. Le 30, l'agitation commence à renaître. On s'inquiète de ce que la constitution n'est pas encore publiée ; on apprend que le Ministre des Finances Manna s'abstient de prendre part aux délibérations du Cabinet. Le comité révolutionnaire envoie aux jésuites l'injonction de quitter le pays. Il prévient le chargé d'affaires de Toscane qu'il a à retirer ses armes, et le menace de les arracher de force, en cas de refus. M. de Brenier l'engage à céder ; pour mettre sa responsabilité à couvert, Monsieur de Frescobaldi demande un ordre écrit à M. de Martino, qui hésite à le lui donner. Les meneurs fomentent l'agitation en répandant le bruit d'un prochain débarquement de Garibaldi à Naples.
- 432Aux dernières nouvelles, Garibaldi se disposait à attaquer Messine avec huit bateaux et 18 000 hommes ; le 2 8 , on disait même qu'il marchait déjà contre cette ville. Les nombreux renforts de volontaires qu'il a reçus dans ces derniers temps, le dispense d'employer les bandes irrégulières ; il vient de prononcer leur dissolution et de les renvoyer dans leurs foyers. Le 2 0 , les derniers détachements de l'armée royale ont quitté le fort de Castellamare, qui a été remis aux mains du vainqueur. Les sept personnes incarcérées dans la forteresse au début de l'insurrection furent immédiatement mises en liberté et reconduites triomphalement en ville. En tête du cortège, le drapeau en main, marchait Alexandre Dumas, qui est venu à Palerme pour voir de ses propres yeux le théâtre des exploits de son ami Garibaldi, dont il écrit la biographie. Les insurgés croient pouvoir compter sur l'inaction de la flotte royale, dont les officiers sympathisent pour leur cause. La défection continue dans l'armée ; on dit que deux régiments viennent encore de passer à l'ennemi. Je crois néanmoins devoir faire mention du mécontentement produit par les dernières mesures du dictateur. Le partage des biens communaux entre les volontaires italiens et l'établissement de la conscription dont la Sicile était dispensée, lui ont aliéné beaucoup de monde. Les menées de Mazzini lui créent également bien des embarras. Les émissaires de ce parti exploitent habilement les idées d'indépendance absolue des Siciliens pour les détourner de l'annexion, et parviennent ainsi à grouper autour d'eux aussi bien les royalistes que les républicains. P.-S. : Deux rapports qui arrivent aujourd'hui de la Sicile signalent des symptômes d'anarchie dans l'intérieur de l'île ; les vengeances privées et les actes de pillage se multiplient. À Palerme même Garibaldi ne parvient plus à maintenir l'ordre qu'à force de vigueur et d'énergie ; il a dû faire fusiller plusieurs individus qui avaient assassiné des sbires. Les vœux de la majorité des Siciliens se prononcent pour l'annexion immédiate, et le conseil municipal de Palerme s'est rendu encore auprès de Garibaldi pour la lui demander. Mais le dictateur a nettement déclaré « qu'il est venu, non pas pour soutenir la cause de la Sicile, mais pour celle de l'Italie entière. » « Renouer, a-t-il dit, tous les débris dispersés et subjugués de l'Italie, les mettre en état de former une Italie unie et libre, voilà l'objet de mon entreprise. Quand nous serons à même de dire à qui que ce soit : l'Italie doit être une et si cela ne vous convient pas, vous aurez affaire à nous, alors il sera temps d'en venir à l'annexion. Si aujourd'hui la Sicile seule venait à être annexée, c'est d'autre part que devraient venir les ordres ; j e devrais renoncer à l'œuvre et me retirer. » Le lendemain de son discours, le Ministère a donné sa démission ; Garibaldi l'a immédiatement remplacé par des hommes entièrement inconnus.
- 433 1360] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 2 juillet 1860 Dépêche N° 444/86, confidentielle Bien que le Roi, pressé par la nécessité, se soit enfin décidé à suivre les conseils de l'hmpcrcur, son courage est abattu il semble avoir perdu tout espoir de sauver la situation. Il répondait au Comte d'Aquila, qui l'engageait à se montrer à Toledo au milieu de la population : « j'irai, mais je sais bien qu'on ne veut pas de moi ; si l'on me tue, tant mieux je n'aurai plus à souffrir ». Sa santé, toujours délicate, a cté gravement compromise par les secousses des derniers événements. Il crache du sang, et faute de confiance dans les médecins du pays, il avait chargé M. de Martino d'engager un médecin belge, M. Vonvysenhop qui vient d'arriver. On avait déjà mis en avant le projet d'une abdication, projet que la Reine veuve appuyait pour faire parvenir au trône son fils aîné, le Comte de Frani. Mais la Cour d'Autriche, consultée par le télégraphe, déconseilla cet expédient, non moins dangereux pour l'avenir de la dynastie que la mort même du Roi, si elle survenait dans les circonstances actuelles. Car personne de sa famille n'aurait de chance pour lui succéder. Ses frères, fils d'une Archiduchesse d'Autriche, sont tous enveloppés dans l'immense impopularité qui entoure leur mère ; ses oncles n'ont pas l'influence, ni la considération voulue pour sauver la couronne prête à échapper à leur maison. Le Comte de Syracuse, malgré l'opposition qu'il n'a cessée de faire au gouvernement actuel, n'a pas su se former un parti sérieux ; le Comte d'Aquila, qui aspire au rôle de lieutenant général du royaume, est déconsidéré par ses vices et sa cupidité et si cette semaine quelques Lazzaroni ont dételé les chevaux pour traîner eux-mêmes sa voiture, chacun sait que cette ovation était payée d'avance. C'est donc à l'étranger qu'irait chercher son prétendant cette fraction, encore considérable, du parti libéral qui, tout en repoussant la dynastie, ne veut pas de l'annexion. Les chefs de ce parti désignent plusieurs candidats : un Bonaparte, un Leuchtenberg, un Saxe-Cobourg, et le second fils de Victor-Emmanuel. Les souvenirs de la réaction de 1849 et du triste sort des Ministres de cette époque sont encore trop récents pour ne pas paralyser le zèle des hommes intelligents qui seraient aptes à diriger les affaires. La plupart se tiennent à l'écart et cherchent à se soustraire aux dangers du pouvoir. Dans leur méfiance, ils ne croient pas à la sincérité des dernières décisions, et prévoient, à peine le danger passé, un revirement dont ils seraient les premières victimes. M. Ferigni, qui a joué un rôle en 1848 et qui à cette époque eut à subir les rigueurs du pouvoir, s'est réfugié cette semaine à bord d'un bâtiment anglais afin d'échapper au poste qui lui était offert dans le sein du nouveau Cabinet.
- 434 Cette abstention est d'autant plus regrettable qu'elle prive le Roi de l'appui des hommes les plus capables de contenir l'effervescence populaire. Sans cet interrègne de 24 heures qui s'écoula entre la dissolution de l'ancien Cabinet et la composition laborieuse du nouveau, peut-être n'aurait-on pas eu à regretter les déplorables excès qui ont été commis à Naples et dont les différentes parties rejeltenl la responsabilité les uns sur les autres. Ainsi à la première nouvelle des violences qui avaient été commises sur Monsieur de Brenier, les chefs des différents partis se rendirent auprès de lui et accusèrent leurs antagonistes politiques d'avoir provoqué cet odieux attentat. Le Roi aussi s'était empressé de lui envoyer le Prince de Sangro. Quand le Prince lui eut exprimé les regrets du Roi et promis que toutes les satisfactions voulues lui seraient données, Monsieur de Brenier, encore sous l'impression de cet événement, répondit brusquement qu'il regrettait bien de s'être mêlé de ces sales affaires. Puis montrant du doigt la flotte française qui était mouillée visà-vis de son hôtel « voyez, dit-il, voici 300 canons qui sont prêts à venger la moindre injure qui sera faite dorénavant au dernier des Français présents à Naples. » L'Angleterre, dont l'influence s'était effacée ici dans les dernières semaines derrière celle de la France, a voulu, de son côté, faire comprendre qu'elle n'assistera pas en spectatrice impassible aux événements qui se déroulent devant nous. M. de Carafa, que j'ai encore vu le 25, me disait que le Ministre anglais de Turin a fait tout récemment au Cabinet Sarde des ouvertures fort importantes, et déclaré que la continuation des bonnes relations entre les deux cours était soumise à deux conditions : 1° que le Piémont ne consentit plus à aucune cession ultérieure de territoire italien à la France ; 2° qu'il est s'abstint d'attaquer la Vénétie et Naples. M. de Carafa croyait que l'Angleterre, jalouse de l'influence que la France exerce en Italie, mécontente des conférences qui viennent d'avoir lieu à Bade entre l'Empereur et les souverains allemands, veut entraver les projets de Napoléon III et gagner la confiance de l'Autriche pour lui opposer leur action combinée. Le langage que M. Elliot tient ici depuis quelque temps vient à l'appui de cette appréciation. Il déclarait l'autre jour à un de mes collègues, que malgré tout ce qu'on dit, le Cabinet Anglais réprouve par de bonnes raisons la conduite du Piémont et de Garibaldi. La Russie, ne pourrait-elle pas demain, sous le même prétexte, d'envoyer 10 000 hommes déguisés en flibustiers pour exciter un soulèvement dans la Roumélie ? M. Elliot croit que Garibaldi serait disposé à traiter avec Naples sur les bases de la constitution de 1812 pourvu qu'il obtint la garantie de l'Angleterre. S'il est vrai, comme on le dit, qu'il marche sur Messine, ce mouvement démontrerait tout autre chose que l'intention de négocier. À la Légation de France on est disposé à croire qu'il ne serait pas impossible et peut-être utile que Garibaldi vînt à Naples pour s'entendre directement avec le Roi ; on sait en effet qu'un bateau à vapeur de la marine française ne fait qu'aller et venir de Palerme à Marseille, et qu'une correspondance très active
- 435 s'échange entre Garibaldi et l'Empereur, au grand mécontentement du Cabinet de Turin qui craint les résultats de ces négociations. Le langage de M. de Villamarina ne permet guère d'espérer que le Piémont se prête de lui-même à une alliance sincère avec Naples. Je sais qu'il vient de dire à un de mes collègues : cette alliance que nous sollicitions il y a six mois est bien difficile aujourd'hui. Le Roi s'est trop ensanglanté. À moins d'une très forte pression des grandes puissances et surtout de la France, le Piémont paraît vouloir poursuivre ses projets d'annexion, que le succès a favorisé jusqu'ici. Le comité révolutionnaire de Naples, qui prêche ouvertement l'annexion, agit sous la direction du comité central de Gênes. À peine l'état de siège déclaré, un de ses agents est parti pour cette ville afin d'y chercher de nouvelles instructions. 13611 Rustem Bey à Fuad Pacha Turin, le 5 juillet 1860 Dépêche N° 816/93 Mon collègue de Naples aura, sans aucun doute, informé Votre Excellence des événements dernièrement arrivés dans cette capitale. Le Roi François II s'est décidé à changer son régime gouvernemental, à promettre une constitution, une amnistie générale, de larges concessions à la Sicile, le drapeau national tricolore italien avec les armes de Naples et une alliance avec le Piémont dans l'intérêt des deux couronnes italiennes. Un nouveau Ministère libéral est en effet arrivé au pouvoir sous la présidence de M. Spinelli et composé de Messieurs de Martino aux Affaires Etrangères ; del Re, à l'intérieur ; Manna, aux finances ; Prince Corclla, aux affaires ecclésiastiques ; Morelli, grâce et justice ; La Greca, aux travaux publics ; Maréchal Lestucci à la guerre, ; l'amiral Garofalo, à la marine. Le drapeau tricolore a été arboré et salué par des salves d'artillerie des forces et des bâtiments de guerre napolitains et étrangers. Ces concessions ne semblent pas avoir satisfait l'opinion publique. Le parti libéral paraît n'y pas avoir de confiance et se montre indifférent à des concessions qu'il aurait, il y a quelques mois, accueillis avec enthousiasme. D'autre part le parti rétrograde et anti-réformiste en a été excessivement irrité et comme il dispose de la plèbe la plus infime, des Lazzaroni, il y a eu de graves désordres. Ix; Baron Brennier, Ministre de France, a été attaqué dans sa voiture et grièvement blessé à la tête. Les dernières nouvelles annoncent cependant qu'il était en voie de guérison. Les bureaux de police des différents quartiers ont été attaqués, pillés ; tous les papiers et documents ont été brûlés et pour rétablir J'ordre le nouveau Ministère a dû commencer par mettre en Naples en état de siège.
- 436 Par ordre de son Gouvernement M. Canofari Ministre de Naples à Turin a fait au Gouvernement Sarde des ouvertures d'entente et d'alliance qui paraissent avoir été reçues avec assez de froideur et de défiance. Aussi l'on annonce l'arrivée d'un envoyé spécial qui viendrait assister M. Canofari dans ccs négociations. La position que ces propositions fait au Gouvernement Sarde est des plus délicates et difficiles. Il est placé entre l'opinion publique qui, aussi bien dans les plus anciennes que dans les nouvelles provinces du royaume, est décidément contraire à une alliance avec la cour de Naples et l'appui que plusieurs puissances européennes semblent vouloir prêter au Gouvernement napolitain. Il paraît donc vouloir se tenir actuellement sur la plus stricte réserve et attendre que la situation se soit plus nettement dessinée avant de se prononcer sur les résolutions qu'il croira devoir prendre. Ce qui cependant paraît certain c'est qu'en aucun cas et quelle que soit l'issue des négociations actuelles en cours il ne pourra jamais s'engager à garantir au Roi de Naples la possession de la Sicile. Bien des personnes pensent même que la renonciation formelle de la part du Roi François II à la possession de cette île serait une condition sine qua non que le Gouvernement piémontais poserait à toute entente ou alliance entre les deux pays. On assure aussi qu'il aurait déjà formulé des contre-propositions dont les principales seraient : reconnaissance formelle de l'annexion des duchés et des Romagnes ; consentement à ce que la Sicile se prononce librement sur son sort futur et engagement à ne pas s'opposer aux vœux du peuple sicilien librement exprime ; mais j e n'ai pu parvenir à m'assurer que ces propositions aient été réellement formulées. Sur les réclamations énergiques du Ministre de Sardaigne et de celui des ÉtatsUnis d'Amérique le Gouvernement napolitain s'est enfin décidé à rendre le bateau à vapeur sarde « Utile » et le navire à voile sous pavillon américain qui avaient été capturés par les croiseurs napolitains et à mettre en liberté les équipages et les passagers ; ces deux navires ayant été capturés en pleine mer et non dans les eaux du royaume de Naples. [362] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 9 juillet 1860 Dépêche N° 449/89 Par ma dépêche télégraphique du 3 juillet, j'ai eu l'honneur d'annoncer à votre Excellence la levée de l'état de siège à Naples et le rétablissement de la constitution de 1848. Un décret royal du 1 e r juillet remet en vigueur cette constitution, qui se trouvait suspendue depuis 10 ans sans avoir cependant jamais cessé de former la loi fondamentale du pays.
- 437 Les collèges électoraux sont envoyés pour le 19 août, et le Parlement se réunira le 10 septembre. Des commissions ont été immédiatement instituées auprès de divers Ministères pour la préparation des lois les plus urgentes, loi électorale, loi sur la presse, sur la garde nationale, sur l'organisation administrative, sur le conseil d'État, sur la responsabilité ministérielle. L'amnistie prononcée pour les crimes politiques a reçu une large application ; un décret publié par le journal du 3 en étend les bénéfices à des cas exclus par les lois existantes. Les crimes et délits de droit-commun sont aussi appelés à jouir dans une certaine mesure, des récentes dispositions de la clémence royale. Les peines de toute espèce subiront une réduction proportionnée à leur gravité ; des poursuites déjà entamées devront dans un grand nombre de cas être suspendues. Pour donner au Piémont une preuve de ses bonnes dispositions, le gouvernement napolitain vient de rendre la liberté aux deux bâtiments capturés il y a trois semaines, ainsi qu'aux équipages, à condition qu'ils retournent directement à Gênes. M. de Villamarina a engagé sa parole d'honneur que cette condition sera scrupuleusement observée. Le 2 juillet, en passant par Toledo, le Ministre de Sardaigne fut l'objet d'une grande ovation. Des milliers d'hommes escortèrent sa voiture jusqu'à son hôtel en criant qu'ils s'engageraient à veiller sur lui en toutes circonstances. Ils s'offrirent même à lui fournir chaque jour une garde de 200 hommes. M. de Villamarina ne parvint qu'à grand-peine à tempérer cet excès de zèle et à faire comprendre à la foule qu'un diplomate ne peut, sans compromettre son caractère, tolérer de pareilles manifestations. Au moment où ceci se passait à la Légation de Sardaigne, le Ministre d'Autriche, qui se trouvait en visite à bord d'une des frégates autrichiennes, reçut l'avis que des agitateurs se disposaient à arracher les armes de son hôtel. Il s'y rendit en toute hâte, et trouva en effet une patrouille occupée à disperser des rassemblements qui s'étaient formés devant la Légation. Grâce à ces précautions l'ordre n'a pas été troublé. Pour prévenir des scènes semblables, le chargé d'affaires de Toscane avait retiré ses armes dans la nuit de la veille. L'attitude des troupes a plusieurs fois inquiété le gouvernement dans le courant de la semaine. A PorLici, les régiments étrangers, dont la nouvelle constitution condamne l'existence, ont menacé de se mutiner et de marcher sur Naples ; on est cependant parvenu à les contenir. A Castellamare, une conspiration avait été ourdie par les soldats contre leurs officiers. Sans la fermeté du colonel du régiment, ces coupables projets allaient être mis à exécution. À Torre Annunziata, la troupe a elle-même donné l'exemple du pillage ; mais là encore l'ordre n'a pas tardé à se rétablir. À Naples, un conflit a éclaté dans une caserne de la garde royale entre des soldats libéraux et des soldats royalistes trois hommes ont été blessés.
- 438 Le corps diplomatique napolitain va être complètement remanié. M . Winspeare, appelé à Turin, est remplacé à Constantinople par M. Fortunis. M. de Canofavi passe de Turin à Londres, et M. le Comte Ludolf de Londres à Vienne. De Sicile on apprend que Garibaldi, cédant aux injonctions qui lui sont venues de Turin, a convoqué pour le 18 les collèges électoraux appelés à se prononcer sur la question de l'annexion. Il a quitté Palerme depuis plusieurs jours ; mais on ignore le but de ce mouvement. On a été informé que Casenza se trouve à Cagliari avec 3000 hommes ; on croit qu'il se dispose à tenter un débarquement dans le royaume. [363] Spitzer Effendi à Fuad Pacha Naples, le 9 juillet 1860 Dépêche N° 450/9, confidentiel M. de Martino, qui vient de remplacer M. de Carafa aux affaires étrangères, est l'âme du nouveau Cabinet. À la mort de son père, qui était consul à Tanger, le jeune de Martino, âgé de 10 ans seulement, fut nommé par le Roi Ferdinand titulaire de cette place et entra dans la carrière diplomatique à l'âge de 18 ans. Le Roi, qui l'aimait personnellement, lui pardonnait les idées libérales que le jeune diplomate se permit plus d'une fois d'exprimer devant lui ; mais quand, durant la guerre de Crimée, de Martino engaga le gouvernement à suivre l'exemple du Piémont en s'alliant avec les puissances occidentales, le Roi le réprimanda sévèrement et le menaça de l'envoyer au Brésil. Cette menace ne fut cependant pas exécutée, et bientôt de Martino fut nommé chargé d'affaires à Rome. Dans ce poste il sut se distinguer et mériter la pleine confiance du gouvernement pontifical. Lié avec le Duc de Grammonl, il ne négligea aucune occasion de recommander au Roi actuel l'alliance de la France, et quand, au mois de mars, l'Empereur, pour pouvoir retirer ses troupes de Rome, fit engager le Roi de Naples à occuper les Marches et l'Ombrie, Monsieur de Grammonl pria de Martino de se rendre personnellement à Naples pour y appuyer cette combinaison. Quoique alors ses conseils n'eussent pas été suivis, le Roi se souvint, après la capitulation de Palerme, des bonnes relations que de Martino avait su entretenir avec les autorités françaises de R o m e , et crut avoir trouvé en lui l'homme propre à faire agréer ses propositions de l'Empereur et à obtenir pour Naples l'appui de la France. Si cette nouvelle mission n'aboutit pas aux résultats qu'on attendait, la capacité de de Martino, ses opinions libérales et essentiellement italiennes, son inaltérable dévouement au Roi le désignait cependant pour entrer dans le nouveau Ministère, et son nom fut un des premiers que Spinelli proposa à l'acceptation du Roi.
- 439J'ai eu cette semaine un entretien avec M. de Martino, qui s'est exprimé avec la plus grande franchise sur la politique que réclament, suivant lui, les circonstances. Il m'a fait comprendre qu'au sein même du conseil se trouvent des personnes qui s'imaginent avoir affaire à une de ces difficultés contre lesquels suffisent des moyens ordinaires. Tel n'est pas son avis. Le danger, à ses yeux, est extrême, et pour le conjurer il faut recourir à des moyens extrêmes aussi. Ce qu'il faut avant tout combattre, c'est ce sentiment de méfiance avec lequel le peuple accueille tous les actes du Roi ; pour vaincre cette fâcheuse disposition, me dit le Ministre, il faut rompre avec le passé, renoncer à toutes les traditions de famille, renoncer aux scrupules religieux ; il faut que le Roi sorte de l'enceinte du palais pour se mêler à son peuple ; il faut enfin adopter une politique libérale et italienne et suivre, sinon dépasser le Piémont. C'est le seul moyen de le gagner ou du moins, de le compromettre. L'Europe entière se prononcerait en notre faveur, si, malgré nos sincères efforts, le Piémont continuait à poursuivre ses projets d'annexion. Le Roi reconnaîtra-t-il la nécessité de recourir à de pareils expédients ? Le Piémont scra-t-il désarmé en face d'une politique franchement libérale et nationale ? Voilà, ajouta M. de Martino, des questions que je me pose sans oser les résoudre dans un sens favorable. Si le Roi croyait pouvoir s'en tirer à meilleur marché, j e n'aurai plus de conseil à lui donner, et il ne lui resterait qu'à se placer à la tête de ses troupes pour vaincre ou succomber. Mais encore faudraitil qu'il eut le temps de réorganiser l'armée, et qu'il chercha à gagner six mois au moins par des négociations, pour pouvoir engager la lutte. Le Cabinet de Turin, poursuit-il, a assez bien accueilli notre demande d'alliance ; mais il désire, avant de se prononcer définitivement l'envoi en mission spéciale d'un personnage avec qui l'on puisse discuter les besoins de la situation et les bases d'un traité. La plus grande difficulté sera toujours la Sicile. Le Piémont se décidera-t-il à lâcher cette proie, qui lui semble assurée ? Je suis, me dit le Ministre, à la recherche d'un homme qui soit à la hauteur de cette mission, et jusqu'ici j e ne l'ai pas trouvé. À l'appui de cette communication je crois devoir citer plusieurs faits parvenus à ma connaissance. Le Roi ne s'est décidé qu'après une vive résistance d'accorder la constitution de 1848. Au dernier moment encore il se vit encourager, dans son opposition, par une dépêche du marquis Antonini, qui lui conseillait, au nom de l'Empereur, de ne pas aller trop loin dans ses concessions et de s'appuyer à la rigueur sur son armée. Le Ministère appela Monsieur de Brenier à son secours. Le Roi céda lorsque celui-ci croyait pouvoir lui assurer que M. Antonini s'était mépris sur la portée des paroles de l'Empereur. L'intervention du Ministre de France fut encore nécessaire pour engager le Roi à accorder à la Sicile la constitution de 1812. Le conseil était d'avis, que pour satisfaire la nation, il fallait lui rendre les institutions qu'on lui avait enlevées. Ce f u t aussi l'avis de M . de Brenier ; mais cette fois-ci il ne fut pas écouté. On s'est adressé au Ministre
- 440d'Espagne, qui jouit d'un grand crédit à la Cour ; j'ignore encore le résultat de ces démarches. Il a fallu toute l'insistance de M. de Martino pour faire lever l'état de siège ; mieux valait, suivant lui, s'exposer par l'excès de confiance que de donner raison aux inculpations des meneurs qui criaient tout haut qu'on inaugurait le régime constitutionnel par les baïonnettes. Le Roi céda enfin à ces raisons, mais il voulait qu'on procéda préalablement au désarmement de la capitale ; mais on parvint à le faire renoncer à cette mesure en lui en signalant les inconvénients. Quoique la Reine veuve se soit enfin retirée à Gaëta dans l'intérêt de sa sûreté, et qu'elle était suivie du confesseur du Roi, monseigneur Gallo, toute la camarilla est restée en place, et le Ministère devra bien lutter pour déterminer le Roi à changer de fond en comble cet entourage odieux à la nation. On signale quelques actes du Roi, qui ne s'accordent guère avec les principes constitutionnels. Ainsi, sans consulter ni le président du Cabinet ni le Ministre de la Guerre, le Roi continue à envoyer des ordres directs aux commandants de place, et confie à des troupes étrangères la garde du fort SaintElme, qui domine toute la ville. Bien que la constitution défende la création de corps étrangers, le Roi n'en vient pas moins d'ordonner la formation d'un quatrième bataillon suisse. De même, c'est sans consulter ses Ministres qu'il vient de faire partir pour la Sicile 17 émissaires, abondamment pourvus d'argent, dans le but de gagner les nombreuses bandes que Garibaldi vient de renvoyer dans leurs foyers. Les agitateurs savent habilement répandre le bruit de ces tiraillements et maintenir ainsi dans le public cette profonde méfiance qui a caractérisé jusqu'ici son attitude et d'où le rétablissement de la constitution de 1848 n'est pas parvenue à le faire sortir. Il est cependant des hommes, peu nombreux il est vrai, qui ne désespèrent pas de voir le régime constitutionnel s'établir sur des bases solides ; ils aiment à croire que les premières résistances du Roi ne proviennent que de la brusque transition par laquelle il a dû passer et qu'il apprendra bientôt à subordonner les prérogatives royales, dont il a pleinement joui jusqu'ici, aux exigences de sa nouvelle position. Mais la grande majorité n'a aucune confiance dans la bonne foi du Roi, et craint qu'à peine le danger passé il ne retire ces concessions qu'il n'a faites que sous la pression de la nécessité. Elles ne voient de salut que dans l'avènement d'une nouvelle dynastie, qui, tout en adoptant une politique italienne, saurait cependant sauver l'autonomie du royaume. Si ce grand parti, qui renferme tout ce qu'il y a d'intelligence et d'honnêteté dans le pays, s'unit en ce moment aux annexionnistes, c'est à cause des puissants moyens d'action et de l'infatigable activité que ceux-ci apportent au service de leur cause ; la dynastie actuelle ne serait pas plutôt tombée qu'il s'en séparerait pour poursuivre la marche qu'il s'est tracé d'avance.
- 441 Le calme relatif dont nous jouissons ici depuis quelques jours, est dû uniquement aux instructions du comité révolutionnaire de Gênes qui a recommandé pour le moment la plus complète abstention. Il annonce aussi la prochaine arrivée de Salicetti et de Conforti qui prendront en main la direction du mouvement. Salicetti était Ministre de la Justice à Naples. Chassé par le mouvement réactionnaire de 1848, il prit part à la révolution de Rome et alla ensuite s'établir à Paris, où il resta jusqu'en 1859 comme précepteur des enfants du Prince Mural. Conforti, ancien Ministre de l'intérieur à Naples, partagea en 1849 le sort de Salicetti ; il se retira à Turin, où il vécut pendant 10 ans. Tous deux appartiennent à l'opinion la plus avancée, et ne manqueront pas de donner une forte impulsion au parti révolutionnaire. Le Ministre d'Angleterre a eu cette semaine une entrevue avec le Roi, et en a profité pour lui exposer les idées de son gouvernement et sur l'avenir de la Sicile. C'était le jour anniversaire de l'affranchissement des États-Unis d'Amérique, et le navire américain qui mouille devant Naples, s'était pavoisé pour célébrer cette fête. M. Elliot, le montrant au Roi, fit allusion à cet événement, et demanda si l'Angleterre avait à regretter aujourd'hui cette séparation. Suivant lui, la séparation de la Sicile, loin d'affaiblir le royaume, ne serviraient qu'à relever la prospérité de l'un et de l'autre pays. Le Roi écouta silencieusement cette observation. Le comte Segecheny a également eu une audience ; il ; assure qu'il aurait déclaré au Roi que, si l'Autriche ne voit pas d'obstacle à ce que Naples entre dans une union commerciale avec le Piémont, elle se verrait cependant obligée de rompre les relations si une alliance offensive et défensive venait à être conclue entre les deux puissances ; c'est un bruit que je reproduis sous toute réserve. Le Prince Wolkonski continue à se tenir à l'écart, et on n'a pas vu sans étonnement que, dans un pareil moment, le Ministre de Russie allait passer la belle saison à Ischia, une île située à une quinzaine de lieux de Naples. Le chargé d'affaires de Prusse me communique la circulaire que Monsieur de Schleinitz vient d'adresser aux représentants de la Prusse. Je n'extrais de cette dépêche que le passage qui a trait aux affaires de Naples. « Le Prince régent a cru devoir diriger l'attention de l'Empereur sur la situation de Naples et l'engager à user de son influence en faveur de la dynastie si fortement menacée par la marche des événements. L'Empereur de son côté n'a pas hésité à déclarer qu'il continuerait à agir sur le Piémont dans le sens d'une politique de modération et à lui conseiller de respecter les principes du droit des gens envers le gouvernement de Naples. »
Supplément. J'apprends au dernier moment que le Roi s'est enfin décidé à rendre à la Sicile la constitution de 1812 avec un Prince de la famille royale pour vice-Roi, une administration séparée, une marine et une armée propre ; les troupes napolitaines évacueraient toutes les positions qu'elles occupent encore. Ces
- 442 conditions ont été communiquées au Cabinet Anglais, qui en appuiera l'acceptation aussi bien en Sicile qu'à Turin. M. de Villamarina vient de communiquer au gouvernement la réponse du Piémont aux ouvertures qui lui ont été faites pour la conclusion d'une alliance. Le Piémont consent sous les conditions suivantes : 1 0 Naples adoptera une politique italienne ; 2° il engagera Rome à suivre son exemple ; 3° il s'abstiendra de tout acte d'hostilité en Sicile et abandonnera au vote des Siciliens le choix de leurs destinés. [364] Rustem Bey à Safvet Effendi Turin, le 12 juillet 1860 Dépêche N° 826/99 Un décret royal, portant la date du 17 juin, vient d'être publié le 7 juillet par lequel Sa Majesté le Roi de Sardaigne met tous les consuls, vice-consul des agents consulaires étrangers, en Lombardie, en Toscane et en Emilie, sous la juridiction qui régit déjà ses fonctionnaires dans les anciennes provinces du royaume. Ci-annexé j'ai l'honneur de transmettre à Votre Excellence traduction de ce décret royal. Déjà par mon rapport du 2 9 mars N° 731/42, j'avais pris la liberté de proposer à Son Excellence Fuad Pacha de soustraire les consulats ottomans en Toscane de la juridiction de l'ambassade Impériale à Vienne et de les mettre sous celle de cette ambassade ; et par mon rapport du 14 juin N° 7 9 8 / 8 0 1 , j'avais demandé l'autorisation de proposer au Gouvernement Impérial la nomination de consuls dans les principales villes de la Lombardie et de l'Emilie. La promulgation du décret royal dont j'envoie aujourd'hui la traduction à Votre Excellence, convaincra, j e l'espère, le Ministère Impérial, de la nécessité de ces mesures. [365] Rustem Bey à Safvet Effendi Turin, le 12 juillet 1860 Dépêche N° 829/102 Par mon rapport du 2 4 mai N° 7 8 5 / 7 2 2 j'ai eu l'honneur d'informer le Ministère Impérial que le Ministère Sarde s'était décidé d'agir avec énergie pour réprimer l'attitude hostile du haut clergé dans les provinces annexées.
1 Non publiés. 2
No. 337.
- 443 Plusieurs éveques ayant ordonné au clergé de s'abstenir de célébrer par une cérémonie religieuse l'anniversaire de la fête du statut, leur conduite a été déférée aux tribunaux sous prévention de violation des lois du royaume. Plusieurs des tribunaux ont déjà prononcé leur sentence. L'évêque de Plaisance a été condamné à 14 mois de prison et à 1300 F d'amende ; son vicaire général à une année de prison et 1000 F d'amende ; plusieurs chanoines à six mois de prison et 500 F d'amende. A Bologne, le vicaire général de l'archevêque a été condamné à deux ans de prison et 2000 F d'amende ; à Forli, le dominicain père Barbiani a été condamné à une année de prison et 2000 F d'amende ; le procès contre l'archevêque d'Imola et celui contre l'évêque de Ferrara se poursuivent toujours et il n'y a presque aucun doute qu'ils seront aussi condamnés. Ces diverses condamnations ont donné satisfaction à l'opinion publique et prouvé au clergé que le Gouvernement était décidé à ne pas souffrir l'opposition factieuse et qu'il était assez fort pour la réprimer. Plût au ciel que le Gouvernement Impérial se décida aussi enfin à réprimer l'opposition systématique que le clergé grec fait à la mise en exécution des réformes les plus utiles et à prouver ainsi à ce clergé, aussi bien qu'au clergé musulman, qu'il est fermement décidé à vaincre toute opposition, de quelque part qu'elle se produise, à la complète exécution des réformes que la marche des idées et les progrès de la civilisation, rendent indispensable. L'opinion publique en Europe le soutiendrait puissamment dans cette voie et y verrait de nouvelles preuves de sa sincérité ainsi que de son énergie et de sa puissance. [366] Rustem Bey à Safvet Effendi Turin, le 12 juillet 1860 Dépêche N° 828/120 Dans la séance du 6 de ce mois, le Sénat du royaume discutait le projet de loi par lequel le Ministère est autorisé à contracter, à l'époque où il le croira nécessaire, un emprunt de 150 millions de francs, projet de loi adopté à la presque unanimité par la Chambre des Députés, ainsi que j'ai eu l'honneur d'en faire part au Ministère Impérial par mon rapport du 5 de ce mois N° 815/92. Le Sénat l'a aussi approuvé par une majorité de 64 voix favorables contre trois voies contraires. Pendant cette discussion un incident s'est produit qui ne saurait être passé sous silence. M. le Comte de Cavour, Président du Conseil, Ministre des Affaires Etrangères et de la Marine, a, dans un discours fait pour répondre aux objections de ses adversaires, déclaré que « dans ce moment nous n'avons pas la certitude mais nous avons certainement la probabilité d'une grande guerre. »
-444Cette déclaration du chef du Cabinet Sarde a causé une grande impression sur le public et a même été relevée par la presse étrangère. Elle nous initie aux préoccupations du Gouvernement Sarde et aux motifs qui le poussent aux armements considérables qu'il ne cesse de faire. Elle mérite l'attention sérieuse du Gouvernement Impérial afin que les événements que M. le Comte de Cavour paraît prévoir ne le prennent pas au dépourvu. [367] Spitzer Effendi à Savfet Effendi Naples, le 16 juillet 1860 Dépêche N° 458/93 L'ensemble de la situation devient de jour en jour plus inquiétant ; la défiance générale qui règne dans les esprits, l'agitation du peuple, l'insubordination de la troupe, enfin ce malaise qui s'est emparé du pays, tout présage que nous approchons d'une catastrophe. Le Ministère est franchement rentré dans les voies constitutionnelles ; mais tous ses efforts viennent se briser contre la glaciale indifférence, contre l'insurmontable défiance de la nation. Un des principaux griefs contre l'ancien régime reposait sur les abus de la police ; un décret de cette semaine la réorganise de fond en comble et restreint son action dans de justes limites. Depuis des années on réclamait la prompte exécution des chemins de fer du royaume ; une commission vient d'être instituée pour activer les travaux et accorder de nouvelles concessions. Le personnel administratif et judiciaire demandait à être sérieusement épuré ; de nombreuses destitutions sont venues donner satisfaction à ce besoin. La formation de la garde nationale est poussée avec activité, et le commandement en chef en a été confié au général le plus estimé de l'armée, le Prince Ischitella. Mais, malgré toutes ces sages mesures, la nation reste impassible. Sous l'influence chaque jour croissante du comité révolutionnaire, elle refuse toute confiance au gouvernement, et ne cherche que l'occasion de le trouver en défaut et de lui susciter des embarras. Le Ministère est découragé de l'inutilité de ses efforts, et le bruit de sa prochaine retraite circule depuis plusieurs jours. On assure que la présidence du conseil a été offerte à un émigré qui revient cette semaine à Naples, M. Dragonetti, ancien Ministre des Affaires Etrangères. M. Dragonetti a, dit-on, accepté cette offre. Le Roi, de son côté, ne se montre même plus en public, enfermé dans son palais, il attend les événements, et on croit qu'il se dispose à partir pour Gaëta. Dans l'armée et dans la marine les défections continuent. L a f r é g a t e « Veloce » avait été chargée de porter des troupes à Messine ; sa mission remplie au lieu de retourner à Naples, elle se dirigea sur Palerme, et, hissant le drapeau sarde, elle passa à Garibaldi avec les deux bâtiments qu'elle avait à la remorque, « le Sorrento » et « le Duca de Calabria ». La « Fulminante » avait été chargée de la même mission, mais, averti que l'équipage se proposait de le
- 445 jeter à la mer, le commandant Lettiere refusa de partir si on ne lui donnait d'autres hommes. Plus de 20 officiers de marine ont mieux aimé donner leur démission que de se rendre à Messine ; ils avaient voulu pour se mettre en sûreté, chercher un refuge à bord d'un navire anglais, mais ils n'y furent pas admis. Dans la garde royale, les officiers ne parviennent plus à se faire obéir, et leur vie n'est même plus en sûreté dans les casernes. Le 11, un régiment en garnison à Capoue s'est révolté contre son colonel, cette sédition a cependant été étouffée. Les proclamations de Garibaldi circulent dans toute l'armée, et à Naples on ne fait même pas mystère de les distribuer en pleine rue aux patrouilles chargées du maintien de l'ordre. Dans la capitale et dans les provinces on répand des sortes de listes de suspects, où figurent les noms de tous ceux qui ont pris une part plus ou moins directe aux excès de la police. Le 14, deux inspecteurs ont été poignardés à Naples au milieu de la journée. Le chef des Lazzaroni du parti royaliste, Manetta, a été arrêté comme soupçonné d'avoir pris part à l'attentat dirigé contre M. de Brenier ; les Lazzaroni libéraux ont voulu l'arraché de sa prison pour le tuer ; mais on est parvenu à le dérober à leur fureur. Ne pouvant se saisir de sa personne, ils ont essayé de brûler sa maison et un établissement de bains qui lui appartient ; mais l'une et l'autre de ces tentatives a avorté. Le 14, une patrouille a été attaquée par le peuple dans le quartier Pignafecca ; plusieurs personnes ont été blessées dans cette attaque. Déjà une cinquantaine d'émigrés ont profité de l'amnistie pour revenir à Naples, et on attend aujourd'hui l'arrivée d'un bateau qui ramène 300 des plus exaltés ; le retour de cette importante fraction du parti révolutionnaire pourrait bien précipiter la marche des événements. Les négociations avec le Piémont se poursuivent. Le 9, le marquis de Montereno a rapporté de Turin les conditions auxquelles la Sardaigne subordonne son acceptation ; ce sont celles que j'ai déjà mentionnées dans ma note confidentielle No 450/90 : suivre une politique italienne ; agir sur la Cour pontificale pour lui faire adopter une ligne de conduite analogue ; s'abstenir de tout acte d'hostilité en Sicile et remettre au vote des Siciliens le choix de leur destinée. Le conseil des Ministres se réunit immédiatement pour examiner ces propositions ; on fut d'avis de demander une modification du dernier point. Le Roi rendrait à la Sicile la constitution de 1812 : un Parlement serait immédiatement convoqué, et ce serait lui qui se prononcerait sur le sort du pays. On résolut en même temps d'envoyer deux des membres du Cabinet à Paris, Londres et Turin. M. de la Greca, Ministre des Travaux publics, partit donc le 11 pour Paris et Londres, afin d'obtenir l'appui des deux gouvernements en faveur de ces dernières propositions. Le Ministre des Finances, M. Manna, partit le même jour pour Turin avec Monsieur de Winspeare, en vue d'arriver à une entente avec le Piémont.
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L'état de la Sicile n'est rien moins que satisfaisant, à en croire les récits des officiers français qui reviennent de là. Un grand mécontentement y règne, provoqué surtout par l'établissement de nouveaux impôts, les dissidences qui ont de tout temps existé entre les divers peuples de l'Italie, commencent déjà à se manifester ; et on redoute de graves désordres si une prompte solution ne vient arracher l'île à l'état provisoire où elle se trouve depuis plusieurs mois. Cependant Garibaldi reprend l'offensive ; il cerne actuellement Messine du côté de la terre. Le gouvernement ne cesse d'expédier de nouveaux renforts pour combler les vides que les désertions de chaque jour font dans les rangs de l'armée. Le général Pianelli, commandant du corps d'observation des Abruzzes, vient d'être chargé de se rendre à Messine avec quatre bataillons. On pousse activement l'armement de deux nouvelles frégates, qui doivent aller renforcer l'escadre dans ces parages. Deux vaisseaux français, le Donawerth et le Redoutable viennent de quitter, l'un Palerme, l'autre Naples, pour se rendre dans les eaux de la Syrie. |368J Rustem Bey à Savfet Hffendi Turin, le 19 juillet 1860 Dépêche N° 835/105 La mission extraordinaire envoyée auprès du gouvernement sarde par le Roi de Naples est composée de M. Manna, Ministre des Finances et de M . Winspeare, Ministre à Constantinople, est arrivé depuis trois jours. Ces Messieurs ont déjà eu plusieurs conférences avec M. le Comte de Cavour, mais d'après, au moins ce que j'ai pu savoir, sans arriver encore à aucun résultat. La position du Ministère Sarde est très difficile, d'une part les propositions de la Cour de Naples sont énergiquement soutenues par le représentant de la France et par celui de Russie. On annonce même comme très prochain l'arrivée d'un fonctionnaire russe envoyé ici expressément par son gouvernement pour appuyer les négociations des envoyés napolitains. D'autre part l'opinion publique en Piémont, et surtout dans les provinces nouvellement annexées, est entièrement opposée à toute entente avec Naples et la moindre apparence de la part du Ministère de dispositions à accepter les propositions napolitaines serait aussitôt saisie par les adversaires du Ministère pour le battre en brèche. Déjà depuis quelques jours l'opposition l'attaque avec violence lui reproche publiquement de ne pas se prononcer en faveur de la Sicile et ses hésitations à accomplir l'union de l'Italie. Le but de l'opposition est évident ; elle cherche par tous les moyens à détruire la popularité du Ministère Cavour et à lui créer des embarras dans l'espoir de le renverser et de prendre sa place. Or, comme si le Ministère actuel était forcé de se retirer, il ne pourrait en aucun cas être remplace par un Ministère plus modéré, mais que c'est au contraire le parti le plus avancé qui pourrait seul recueillir sa
- 447 succession, et que son arrivée au pouvoir pourrait amener de nouvelles et graves complications, tous les amis de l'ordre doivent désirer le maintien au pouvoir du Ministère actuel. Sa position est d'autant plus difficile que les puissances lui reprochent avec raison la tolérance dont il fait preuve en faveur de la révolution de Sicile et l'appui qu'il lui prête sous-main. En effet malgré toutes les protestations du Ministère, les expéditions continuelles de volontaires qui partent de Gênes pour la Sicile, et qui monte déjà à environ 15 000 hommes, les embarquements continuels d'artillerie, d'armes, de munitions, dont on affirme partout qu'une grande partie provient des arsenaux du gouvernement, ne prouvent que trop l'appui secret qu'il prête à Garibaldi. Je viens d'apprendre de source certaine que Monsieur de Cavour objecte à tout conseil des puissances, qui appuie les propositions de la Cour de Naples, qu'il n'est pas possible qu'une alliance puisse être traitée ou conclue tant que la guerre civile existe dans les États napolitains ; on lui a répondu en le sollicitant de faire agréer par Garibaldi la proposition d'un armistice entre les parties belligérantes, proposition faite par la France ; à cela il objecte que le gouvernement sarde n'a aucune influence sur Garibaldi et ne saurait risquer un conseil qu'il sait d'avance qu'il ne sera pas accepté. La France propose actuellement de régler tous les points de l'alliance entre les deux pays, à la condition expresse que cette alliance ne commencerait à avoir effet que du jour où la guerre civile aurait entièrement cessé dans les Etats napolitains. M. de Cavour voudrait avant tout poser la question de la Sicile et en faire une question préliminaire à toute négociation, c'est ce que les envoyés napolitains et les représentants des puissances qui leur accorde leur concours cherchent à éviter à tout prix. Votre Excellence voit donc que l'on est encore bien loin de s'entendre et que les négociations pourront traîner fort longtemps. [369] Spitzer Effendi à Safvet Effendi Naples, le 23 juillet 1860 Dépêche N° 461/95 Par ma dépêche télégraphique du 16, j'ai eu l'honneur d'informer votre Excellence que de graves désordres venaient d'avoir lieu à Naples. Par un zèle mal entendu, une partie de la garnison avait tenté d'organiser une réaction contre le nouvel état de choses. Dans la journée de dimanche, 15, environ 800 hommes de la garde royale et de l'infanterie de marine vinrent surprendre la foule qui se promenait dans les différents quartiers de la ville, en poussant les cris de « vive le Roi, vivent les Bourbons ». Ces cris furent mal reçus du peuple qui y répondit par des sifflets. Irrité de cet accueil, les soldats frappent à coups de sabre tous ceux qui refusent de crier « vive le Roi ». Dans leur aveugle fureur, ils se jettent sur tous les
- 448 passants, arrêtent les voitures et ne respectent même pas les étrangers. Le consul d'Angleterre et le Ministre de Prusse qui se trouvent dans la mêlée, ne se dérobent qu'à grand-peine aux poursuites des soldats. Averti de ce qui se passe, le Ministre de la guerre, le commandant de la place et plusieurs officiers généraux accourent en toute hâte et parviennent à ramener les troupes dans leur quartier. Mais déjà une cinquantaine de personnes avaient été plus ou moins grièvement blessées. Cette brutale agression répandit la consternation dans Naples. Le lendemain tous les magasins, toutes les maisons restaient fermées ; les rues étaient désertées. On n'y voyait de temps en temps que des détachements de matelots anglais sans armes, qui venaient rallier et les ramener à bord les hommes descendus à terre. À la vue de ces patrouilles d'étrangers, on avait cru, mais bien à tort, à un débarquement des flottes. Cependant le Ministère s'était réuni d'urgence pour aviser aux premières mesures. La voie publique attribuait les scènes de la veille aux excitations d'un des oncles du Roi, le Comte de Trapani, commandant en chef de la garde. On proposa l'éloignement de Naples des trois régiments qui avaient pris part à ces excès ; l'armement immédiat de la garde nationale, qui ferait le service de la place conjointement avec la troupe ; enfin la réorganisation de l'armée sur des bases nouvelles. Mais comme le Roi, qui ne voulait pas se séparer de sa garde, repoussait la première de ces conditions, le Ministère donna sa démission. Déjà deux jours auparavant, les Ministres de l'Intérieur et de la Guerre s'étaient retirés et avaient été remplacés, l'un par le préfet de police Liborio Romano, l'autre par le général Pianelli, commandant de l'armée des Abruzzes. Pendant que le conseil délibérait, le Roi s'était transporté dans la principale caserne de la ville et avait sévèrement reproché aux troupes leur coupable conduite « ce n'est pas seulement à ma personne, leur dit-il, c'est aussi à la constitution que vous devez fidélité, et qui l'attaque, manque à ses devoirs de militaire, à ses devoirs de citoyen... ». Ceux des régiments qui n'avaient pas encore prête le serment constitutionnel, durent le prêter sous les yeux mêmes du Roi, qui se retira au milieu des acclamations des soldats. Justement alarmés de ce qui venait de se passer les Ministres d'Angleterre et de France avaient momentanément rédigé des notes assez vives pour protester contre ces troubles dont la ville avait été le théâtre et réclamer une prompte et énergique repression. La note du Ministre d'Angleterre, qui avait demander raison de la violence faite à son consul, était particulièrement conçue en termes très vigoureux. Il demandait la dissolution ou au moins l'éloignement des trois régiments compromis et l'organisation immédiate de la garde nationale. Ces réclamations de la diplomatie furent plus puissantes sur l'esprit du Roi que les remontrances du Ministère. Il consentit enfin aux renvois des corps inculpés, comme aussi à l'armement instantané de la garde nationale. Satisfait de ces concessions, le Ministère retira sa démission, quoiqu'une proclamation du Ministre de l'intérieur l'eut déjà porté à la connaissance du public.
- 449 Pour ramener la confiance dans les esprits, on affiche dans les rues deux proclamations du Roi, l'une au peuple, l'autre à l'armée. Dans la première le souverain félicite ses sujets de l'attitude qu'ils ont prise depuis le rétablissement du régime constitutionnel : « Vous ne vous êtes pas montrés inférieurs, y est-il dit, aux autres Italiens, puisque, loin de vous abandonner dans ces graves moments aux erreurs qui trop souvent sont fatales à la liberté et souillent l'histoire des nations, vous attendez dans un calme admirable, de nous et du gouvernement, la réalisation de l'œuvre qui vous est promise. Votre attente n'a pas été déçue, et nous nous trouvons préparés à l'exécution du grand dessein d'où doit découler l'entière félicité, la grandeur et la gloire des peuples que la providence a confiés à nos soins. Ce qui augmente encore notre joie, c'est la pensée qu'appelé si jeune par les insondables décrets de la providence à régner sur les Deux-Siciles, nous nous trouvons de si bonne heure initiés à ce système représentatif, qui forme aujourd'hui le droit public de tout État civilisé. La tâche que nous entreprenons, nous sera aplanie et facilitée, grâce aux lumières d'une presse sage et vraiment libérale, et au concours de tous les hommes distingués qui siègent dans les Chambres législatives. » A l'armée le Roi dit : « Vous entrerez loyalement dans cette noble et glorieuse voie, et vous vous rallierez au pacte constitutionnel qui nous unit tous en une seule famille ; vous serez les champions de la justice, de l'humanité, de la discipline, de l'amour de la patrie. L'espoir de vos concitoyens, vous serez aussi le plus ferme soutien du trône et des nouvelles institutions, l'instrument de la grandeur et de la prospérité du pays. » Le jour m ê m e , une note f u t adressée aux divers membres du corps diplomatique pour leur annoncer que justice serait faite et que les coupables allaient être immédiatement déférés à l'autorité compétente. Dès le lendemain, cette promesse recevait son exécution : les régiments qui avaient pris part aux troubles du 15, quittaient Naples, la garde nationale recevait des armes et allait occuper les principaux postes de la ville. Cette sage mesure ranima un peu la confiance du peuple, qui acclama chaleureusement la nouvelle milice. Mais le calme est loin d'être revenu, et tous ceux à qui leur fortune et leur occupation le permettent, continuent à s'enfuir à l'étranger. Les familles les plus considérables quittent en masse le pays. Les parties s'agitent toujours encore avec la même ardeur ; l'exaspération contre les agents de la police n'est pas encore calmée, et l'attitude de la marine ne cesse d'inspirer au gouvernement les plus sérieuses inquiétudes. Le parti de l'annexion déploie une infatigable activité, et se livre aux plus violentes sorties contre le Roi et la dynastie. Il fait circuler une lettre signée de Stembrini, l'un des Ministres de 1848, qui résume son programme en termes aussi clairs qu'énergiques : « N'acceptez rien du Roi, dit-il aux napolitains, persévérez dans votre abstention. Si l'on vous appelle aux comices, refusez de vous y rendre, si l'on vous donne des armes, ne les prenez que pour les tournei contre les Bourbons. Entre eux et l'Italie tout pacte est impossible ; tout acte d'adhésion aux Bourbons est un acte de trahison envers l'Italie. Patientez un
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instant. Sous peu viendra Garibaldi, qui a juré de retourner par terre à Turin et de ramener à Victor-Emmanuel une armée d'Italiens de toutes les provinces. Une fois les Bourbons expulsés, nommez un dictateur, et choisissez pour ce poste l'homme qui a su organiser l'an dernier la Romagne, Parme et Modène, Farini. C'est lui qui nous préparera à recevoir dans vos murs le Roi galant homme. » Une foule de journaux éclos aux premiers rayons du nouveau régime soufflent les mêmes doctrines avec une vivacité dont cette pièce peut donner une idée. Les immigrés, dont le retour avait été annoncé, sont arrivés le 16 ; mais, au lieu de 300, ils n'étaient que 43. Le peuple, encore tout préoccupé des événements de la veille, ne s'est pas porté à leur rencontre, et la manifestation à laquelle on s'attendait, n'a pas eu lieu. La Légation d'Autriche ne cesse d'être menacée. Le comité révolutionnaire avait décidé que, dans la soirée du 15, on arracherait les armes impériales, mais les graves événements de cette journée ne permirent pas de mettre ce projet à exécution. Les membres de la Légation, prévenus depuis longtemps, ont déjà pris toutes leurs dispositions. Une frégate autrichienne mouillant en face de l'hôtel de la Légation ; les archives et les caisses du Ministre sont embarquées depuis plusieurs jours. Les efforts de l'autorité sont impuissants à soustraire les agents de l'ancienne police à la fureur de la populace. Tous ceux qu'on découvre, sont immédiatement mis à mort, et il ne se passe guère de journée sans quelqu'une de ces vengeances populaires. Le gouvernement se préoccupe vivement de l'attitude de plus en plus menaçante de la marine royale. Chose remarquable, c'est dans les corps d'élite, dans la marine et les armes spéciales, que l'opposition au gouvernement est le plus prononcé. Les défections se multiplient à l'infini, et à tout instant on apprend les noms d'officiers qui donnent leur démission pour passer dans le camp ennemi. Le 16, le Comte d'Aquila, commandant en chef de l'armée de mer, a reçu le serment des troupes placées sous ses ordres. La formule est ainsi conçue : « je promets et jure devant Dieu fidélité et obéissance au Roi, et exacte obéissance à ses ordres. » Mais un grand nombre d'officiers déclarent qu'ils ne pouvaient pas prêter ce serment, attendu que si le Roi commettait un acte anticonstitutionnel, ils ne se croiraient pas tenus de l'appuyer. Le Prince leur répondit qu'il se portait garant de la sincérité du Roi, mais que, si jamais on demandait l'appui de la marine pour un acte contraire à la constitution, il serait lui le premier à briser son épée et à refuser son concours. Cette réponse fit taire tous les scrupules, et les officiers présents consentirent à jurer fidélité entre les mains du Prince. Mais cette scène n'en avait pas moins produit une pénible impression sur l'esprit des assistants. Une déplorable méfiance règne entre les états-majors et les équipages, et les commandants ne peuvent pas répondre de leurs troupes. Quatre bâtiments destinés à la Sicile ont dû rester à Naples.
- 451 Nous avons reçu les détails sur la défection de la frégate « Veloce », dont j'ai fait mention dans ma dépêche No 458/93. En quittant Messine, le commandant avait mis le cap sur Palerme, où il devait, disait-il, se rendre comme parlementaire. A peine ful-il arrivé dans cette ville qu'une barque Génoise amena un officier, avec lequel il se rendit à bord du vaisseau-amiral sarde. À son retour, il fit faire les saluts d'usage. Bientôt une foule considérable envahit le bâtiment, le drapeau napolitain fut amené, et, un instant après Garibaldi se présentait en personne et harangua l'équipage pour le décider à se ranger sous ses ordres. 11 n'y eut que 41 hommes (mais dans ce nombre se trouvait tout l'état-major), qui acceptèrent les propositions de Garibaldi ; les 138 autres déclarèrent qu'ils entendaient rester fidèles au drapeau. Le lendemain la Veloce prit le large et captura 2 navires marchands l'Elba et le Duca di Calabria., qui portaient en Sicile plusieurs officiers ; mais ceux-ci exprimaient aussi l'intention de retourner à Naples. Garibaldi mit un vapeur à la disposition de ceux qui avaient refusé de passer dans son camp, et le 15 ils rentraient à Naples, où, sur la proposition du Comte d'Aquila, leur fidélité vient d'être largement récompensée. Le plus grand mystère continue à envelopper les opérations de Garibaldi. Deux corps d'armées ont été envoyés par lui contre Messine ; on prétend que 1500 Siciliens qui en faisaient partie, ont déserte pendant la marche en jetant armes et bagages. Malgré ces défections, les garibaldiens sont parvenus à se rendre maître de deux places des environs, San Salvatore et Torre del Faro ; les aqueducs ont été coupés, et la garnison est menacée de manquer d'eau. Le colonel Medici a remporté le 18 à Melazzo une victoire sur les troupes royales de Bosco. Le même jour, Garibaldi s'est embarqué avec 3000 hommes pour Barcelona, afin d'activer le siège de Messine. Pendant son absence, l'intérim de la dictature est confié au général Sirtori. Avant son départ, il avait organisé une armée de 20 000 hommes, qu'on croit destinée à Naples. Mais l'organisation administrative de l'île suscite à Garibaldi de bien autres difficultés que la formation de son armée. L'anarchie s'y maintient, malgré tous ses efforts, et de continuelles émeutes y entravent son action. Pour se débarrasser de l'opposition de M. de Lafarina, il n'a pas hésité à le faire saisir de force à le renvoyer en Piémont. Le Ministère vient de donner sa démission, il a fallu pour la troisième fois former un Cabinet ; lequel se compose de Messieurs Interdonato, La Loggia, Amari, Etrante, Di Giovanni, San Giorgio, Piola et Crispi. À la nouvelle de la défaite de Melazzo, le Ministère napolitain s'est réuni pour examiner s'il ne fallait pas renoncer à la défense de Messine et rappeler les troupes pour la protection de la terre ferme. Au dernier moment j'apprends que cet avis a prévalu dans le conseil, quatre bâtiments de guerre napolitains et trois navires de commerce français partent pour ramener la garnison. — Fin de la première partie —