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Reconstruire les villes modes, motifs et récits
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EMITICA ET CLASSICA
Supplementa 1
La collection Semitica & classica Supplementa accueille des monographies et des dossiers thématiques portant sur la Méditerranée et l’Orient ancien, depuis le second millénaire avant l’ère chrétienne jusqu’aux premiers siècles de l’Islam. Couvrant le champ interdisciplinaire de la philologie, de l’épigraphie, de l’archéologie, de la philosophie, de l’histoire et de la linguistique, Semitica & classica Supplementa privilégie les études transversales et les démarches scientifiques novatrices qui tentent de mettre en valeur les rapports et les influences réciproques entre les mondes classiques et orientaux.
Directrice de la collection Cécile Dogniez Comité de rédaction Katell Berthelot, Aix-en-Provence Matthieu Cassin, Paris José Costa, Paris Cécile Dogniez, Paris Maria gorea, Paris Renée KoCh-Piettre, Paris Francesco Massa, Fribourg Sébastien Morlet, Paris Alice Mouton, Paris Christian roBin, Paris Hedwige rouillarD-Bonraisin, Paris Jérémie sChietteCatte, Paris Guy strouMsa, Jérusalem Madalina Vârtejanu-jouBert, Paris
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EMITICA ET CLASSICA
Supplementa 1
Reconstruire les villes modes, motifs et récits
édité par Emmanuelle CaPet, Cécile Dogniez, Maria gorea, Renée KoCh Piettre, Francesco Massa, Hedwige rouillarD-Bonraisin
H
F
L’illustration de la vignette, sur la couverture, combine deux silhouettes – navigateurs, voyageurs ? – empruntées à une stèle romaine, actuellement au Landesmuseum de Trèves, et des vagues inspirées d’un relief d’époque romaine se trouvant à la Glyptothèque Ny Carlsberg de Copenhague (dessin de M. Gorea). Sous les eaux court la citation soluite uela citi de l’ Énéide de Virgile – récit non d’un naufrage, mais d’un audacieux périple. Les beaux vers qui précèdent éclairent le travail de tout chercheur : Præcipites uigilate, uiri, et considite transtris ; soluite uela citi : « Vite à vos bancs, amis, debout ! Mettez à la voile ! » (IV, 573-574).
Maquette et maquette de couverture Luigi FaBii & Emmanuelle CaPet Mise en pages Emmanuelle CaPet
© 2019 Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. ISBN 978-2-503-58631-1 E-ISBN 978-2-503-58632-8 DOI 10.1484/M.SUPSEC-EB.5.118438 Printed in the E.U. on acid-free paper D/2019/0095/215
R enée Koch PiettRe
Introduction
Te souvient-il de ces constructions que nous vîmes faire au Pirée ? […] De ces engins, de ces efforts, de ces flûtes qui les tempéraient de leur musique ; de ces opérations si exactes, de ces progrès à la fois si mystérieux et si clairs ? Quelle confusion, tout d’abord, qui sembla se fondre dans l’ordre ! Quelle solidité, quelle rigueur naquirent entre ces fils qui donnaient les aplombs, et le long de ces frêles cordeaux tendus pour être affleurés par la croissance des lits de briques ! […] Rien de beau n’est séparable de la vie, et la vie est ce qui meurt. Paul Valéry, Eupalinos
Un colloque international intitulé « Reconstruire les villes : temps et espaces réappropriés » s’est tenu à Paris les 18 et 19 octobre 2017, dans le cadre de la Fondation Simone et Cino del Duca, sous l’égide de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, de l’Association Semitica & classica et de l’UMR 8167 Orient et Méditerranée. Il célébrait le dixième numéro de la revue Semitica & classica, fondée en 2008. Le choix d’un tel intitulé est né sans doute de l’absurde dynamitage, naguère, des ruines de Palmyre, et « de la pathétique, scandaleuse, interminable destruction de la partie orientale de la ville d’Alep »1. La préparation du volume issu de cette rencontre s’achève au moment où – pour ne rien dire des villes que nous voyons de semaine en semaine ravagées par les cataclysmes ou par la guerre – l’incendie de NotreDame de Paris vient à peine de s’éteindre au milieu d’une vague d’émotion planétaire : et voici déjà que les passions se rallument autour des modalités de sa reconstruction. L’archéologie et les sciences connexes comme l’épigraphie fournissent une part non négligeable des contributions à Semitica & classica : sur la thématique choisie elles pouvaient naturellement être sollicitées en première ligne, mais aussi bien l’histoire et l’historiographie ou la littérature (ainsi le genre des « Lamentations » ou les éloges de souverains bâtisseurs) : la reconstruction stimule la mémoire, à moins qu’elle ne la nie ou ne veuille l’effacer ; elle se dit par exemple, en grec, ἀναλαμβάνειν dans un texte où Strabon décrit Corinthe tout juste relevée de ses ruines par les Romains, et ce même verbe, précisé ou non par « en mémoire », τῇ μνήμῃ, signifie « se souvenir »2. De la naissance des premières villes en Mésopotamie jusqu’à Tamerlan, et de Rome au Yémen, toute l’aire géographique et les multiples civilisations entrant dans le champ de la revue Semitica & classica offraient de riches exemples de reconstructions. Mais notre sujet avait aussi pour vocation de cerner les modalités d’une transition, qui requéraient des études de cas et la finesse des analyses, et qui avaient chance de susciter des croisements entre monde sémitique et monde classique. En choisissant l’intitulé3,
1.
Selon le mot d’introduction au colloque d’Hedwige Rouillard-Bonraisin.
2.
Strabon, VIII, 6, 21 : νεωστὶ ἀναληφθείσης ὑπὸ τῶν Ῥωμαίων.
3.
Non sans une riche discussion préalable. Voici quelques-unes des propositions de titres qui ont été progressivement écartés : « Les rebâtisseurs d’empires : rois, prêtres, historiens, peuples, artistes » ; « Villes reconstruites : entre fantasme et réalité » ; « Rebâtir les villes : entre mythe(s) et réalité(s) » ; « Reconstruire les villes : à la conquête du passé » ; « Reconstruire les villes : reconquêtes, renouveaux/renaissances, réinventions ».
Reconstruire les villes : modes, motifs et récits, éd. par Emmanuelle Capet, Cécile Dogniez, Maria gorea, Renée KoCh piettre, Francesco Massa, Hedwige rouillarD-Bonraisin (Semitica & classica. Supplementa 1), Turnhout, 2019, p. 5-8 DOI 10.1484/M.SUPSEC-EB.5.118510
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Renée Koch Piettre
nous relevions enfin le défi d’une approche positive des ruines, non limitée à la méditation du passé mais intégrée à une dynamique de projet. Nous n’avons pas été déçus. Rappelons ici notre texte programmatique : Des historiens, archéologues, épigraphistes et philologues aborderont les rapports entre destruction et reprise en main, la distinction entre fondation et reconstruction, et proposeront des analyses ponctuelles, des études de cas ou des réflexions plus globales. Selon que les reconstructeurs sont les habitants d’avant la destruction ou un conquérant, et selon que la destruction est un fait de guerre, une catastrophe naturelle ou une volonté délibérée de rénovation et d’élimination des parties délabrées, la ville sera traitée comme un corps malade ou blessé et à soigner, réparer, amputer, ou comme un mort à enterrer, avec respect ou rage ; elle pourra encore être appréhendée comme un patrimoine à préserver ou à recycler, ou enfin comme un ennemi à oublier et à effacer des mémoires. La ville est ressentie dans sa réalité physique, humaine ou symbolique, conçue dans son ensemble ou à travers ses mythes et ses bâtiments emblématiques.
Nous avons fait le choix, pour illustrer l’affiche du colloque, de la fresque datant du Trecento que nous reproduisons en couverture du volume. Cette œuvre due à Maso di Bianco orne l’église de Santa Croce à Florence. Rare exemple d’une architecture peinte en ruine au xive siècle, elle montre des bâtiments délabrés, toits et murs effondrés, de petites herbes poussant même dans les fissures. La scène est à situer sur le Forum Romanum, au milieu des ruines de la Rome païenne. Le pape Sylvestre4 est représenté engagé dans deux actions successives dont les acteurs sont par conséquent peints deux fois : (1) il exorcise un dragon dont l’haleine empestée – associée à la pestilence païenne et aux remugles des corps en décomposition – oblige un des deux moines derrière lui à se boucher le nez et a même provoqué l’évanouissement de deux hommes, qui (2) seront promptement ressuscités par le saint (on les voit par conséquent à la fois couchés inertes, et à genoux devant le saint qui les bénit). L’empereur Constantin, garant d’une continuité et de la résurrection de Rome, sur la droite admire le miracle au milieu de ses conseillers5. Plus que d’une destruction historique de Rome, il s’agit d’une représentation fantasmée de la ruine des temples des faux dieux, appelés à être remplacés par des basiliques chrétiennes. Mais si la Rome d’Italie renaîtra bien en Ville éternelle capitale d’un royaume spirituel, la Rome capitale d’Empire, elle, est appelée à se voir déplacée et refondée en Orient, pour prendre le nom de Constantinople. Clifford Ando6 a suggéré que, dans ce transfert, la vieille religion des Romains en vérité ne disparaissait pas mais restait fidèle à elle-même, à sa vocation première de protéger la ville : toute atteinte à l’intégrité de l’Vrbs était depuis les origines interprétée comme le signe que la pax deorum était rompue, que les rites étaient devenus inopérants et que de nouvelles religiones désormais s’imposaient : il fallait donc instaurare sacra, « refonder les cultes » ou introduire de nouveaux dieux, leur offrir dans la cité un lieu et les honneurs qui leur étaient dus (ainsi l’introduction du culte de Cybèle, la Magna Mater, au moment de la seconde guerre punique). Et c’est bien, à l’imitation de Romulus, sur le mode du tracé du pomœrium avec le soc d’une charrue que l’empereur consacra solennellement le périmètre de la nouvelle Rome sur le Bosphore, le 8 novembre 324, en confiant au dieu et au culte nouveau des chrétiens les destinées de la cité rediviva. Double reconstruction, donc, et double continuité. Mais la Légende dorée, sur la fresque de Santa Croce, ne retient que la mise hors d’état de nuire7 du serpent-dragon comme condition d’une nouvelle naissance pure de toute contamination par le passé païen.
4.
Outre la place de sa fête dans le calendrier romain au dernier jour de l’année, saint Sylvestre se signale par la coïncidence de son règne (314-335) avec celui de Constantin (310-337), qu’il est réputé avoir baptisé, et avec le Concile de Nicée (325) : il peut ainsi symboliser le basculement décisif dans l’officialisation du christianisme.
5.
Cf. http://journals.co-action.net/index.php/jac/article/view/30402/45731.
6.
C. anDo, The matter of the gods : religion and the Roman Empire, Berkeley, 2008.
7.
Selon la Légende dorée le serpent est bâillonné « avec une ficelle ».
Introduction
7
Inscrite dans le sous-titre de notre colloque, la notion de « réappropriation » du temps et de l’espace relevait de l’expérience des acteurs historiques et préjugeait de la leçon à tirer des faits. Le point de vue du chercheur, dans les communications proposées, a permis de distinguer entre l’interprétation des données et l’étude des témoignages. Ainsi nos deux journées de colloque ont été consacrées, l’une aux sources (« L’historien et l’archéologue face aux sources »), l’autre à l’historiographie (« Reconstructions : mémoires, mythes, idéologie, propagande »). Plus prosaïquement, le présent volume prend acte de la diversité de nos accès aux événements passés de reconstruction par un nouveau sous-titre, « Modes, motifs, récits ». Les contributions sont rangées par ordre chronologique, de la première Mari au début de l’âge du Bronze jusqu’à la reconstruction d’Alep après Tamerlan. Nous confions enfin à la profonde sagacité de Manar Hammad le soin de tirer d’indispensables fils de synthèse (les résumés étant classés, quant à eux, par ordre alphabétique des auteurs). L’ouvrage couvre environ trois millénaires et demi, et l’on va par ailleurs de l’Anatolie hittite au nord à l’Arabie méridionale, de Sélinonte à l’ouest à la Mésopotamie à l’est. Mais il va de soi que les premiers articles, ici au nombre de cinq, concernent les premières civilisations orientales. Les suivants (au nombre de cinq là aussi) tirent leurs exemples des mondes grec et romain du ve au ier siècle av. J.-C. jusqu’à Auguste (non sans croiser les Carthaginois dans leur impact sur le plan de la ville grecque de Sélinonte). Viennent ensuite cinq contributions situées aux premiers siècles de l’ère chrétienne – et de la christianisation – dans la partie orientale de l’Empire romain, et de manière plus centrale en Palestine pour les deux premiers textes de cette série. Enfin les cinq dernières études touchent à l’Orient chrétien (monde syriaque, monde byzantin) et aux premiers siècles de l’Islam, les deux dernières frôlant les limites de notre aire géographique et chronologique (Alep après Tamerlan, et retour en arrière dans le temps avec l’Arabie du Sud préislamique), voire avec les limites de notre sujet (Christian Robin : l’épigraphie en Arabie antique, pourtant fortement urbanisée, à quelques exceptions près ne mentionne pas de reconstruction de villes, même si de telles réalités sont bien attestées)8. Cette distribution en quatre groupes de cinq articles, deux avant et deux depuis l’ère chrétienne, suggère, par un effet dû au hasard plus qu’à un dessein prémédité, une symétrie aussi satisfaisante au premier abord que, il faut l’avouer, fallacieuse après examen : et cela non seulement parce que l’avant-dernière contribution n’entre plus dans l’ordre chronologique, ou parce que la première se veut essentiellement méthodologique, mais aussi parce que c’est la variété des situations et des approches qui, bien entendu, prévaut dans l’ensemble de l’ouvrage. Si d’autre part nous avions voulu conserver la distribution en deux journées, aux intitulés distincts, adoptée lors de notre colloque, il serait apparu que les faits humains, même révélés par l’archéologie, ne sont jamais purement des faits, mais se constituent d’emblée en discours mémoriels ou de propagande : ainsi Athènes et Milet, après les destructions perses, se rebâtissent – y compris en plan hippodamien pour Milet – non sans préserver volontairement des traces de l’état ancien. Il arrive aussi que l’archéologie ne soit requise que pour démentir le discours historique, comme dans le cas de Rome non détruite par les Gaulois en 390 av. J.-C, ou celui des sanctuaires païens d’Hermopolis non démantelés par les chrétiens, mais simplement laissés à l’abandon ou affectés à d’autres usages. Inversement, le déchiffrement de la littérature locale peut venir combler une lacune archéologique, comme pour la reconstruction d’Ougarit au xiiie siècle av. J.-C. Nous nous apercevons aujourd’hui que la mémoire collective de Notre-Dame de Paris doit autant à Viollet-le-Duc et… à Victor Hugo, qu’au Moyen Âge et aux siècles intermédiaires, cependant que les
8.
La rareté des mentions écrites de reconstructions est aussi constatée, pour de tout autres raisons, dans l’Empire hittite par Susanne Görke.
8
Renée Koch Piettre
règles de conservation du patrimoine imposent de restituer désormais à la cathédrale son aspect antérieur à l’incendie qui faillit l’anéantir : restera-t-elle pour autant la même ? Ou sera-t-elle une autre ? Alep a survécu même à Tamerlan, qui pourtant rasa tant de villes et passa au fil de l’épée un invraisemblable pourcentage de l’humanité de son temps. Si nous parlons de reconstruction, c’est que nous pensons l’identité des villes pardelà les changements les plus brutaux qui peuvent les affecter, et pourtant ces changements sont continus, quoique chaque fois d’ampleur très variable, comme dans la Constantinople byzantine examinée par Paul Magdalino. La conservation à l’identique se dénonce au fond comme la pérennisation la plus mensongère (rappelons le paradigme du navire de Thésée que les Athéniens envoyaient rituellement à Délos)9. Mais nous tenons aux paysages et aux parcours imprimés dans nos mémoires, que traumatisent les destructions. C’est le moment de réciter les vers poignants de Baudelaire confronté au chantier hausmannien : Le vieux Paris n’est plus (la forme d’une ville Change plus vite, hélas, que le cœur d’un mortel). 10
Les remerciements des éditrices scientifiques de ce volume vont d’abord à la confiance que leur témoignent les éditions Brepols, en la personne notamment de Paolo Sartori et de son successeur Tim Denecker, qui ont accepté de lancer l’aventure de la nouvelle collection Semitica & classica Supplementa inaugurée par le présent volume. Nous remercions également les fidèles membres de l’association Semitica & classica et les organismes qui ont contribué à l’organisation du colloque international dont nous publions ici les actes : notre gratitude va ainsi à l’Académie des inscriptions et belles-lettres, spécialement à son président, Christian Robin, également président de l’association homonyme de notre revue, qui a permis que le colloque se déroule dans le cadre prestigieux de la Fondation Simone et Cino del Duca à Paris ; enfin, aux institutions qui nous ont soutenus financièrement : le CNRS, plus précisément l’UMR « Orient & Méditerranée » (avec sa directrice Véronique Boudon-Millot), et son équipe « Mondes sémitiques » (dirigée alors par Françoise Briquel-Chatonnet), Sorbonne Université et à l’école doctorale 022 (avec l’aide de Carole Roche-Hawley), l’université Paris-8 et l’École pratique des hautes études, pour leur générosité. Elle s’adresse particulièrement à tous les collègues qui, ayant répondu à notre appel à présenter une communication dans le cadre du colloque, ont aussi permis qu’il puisse être publié dans le meilleur délai. Parmi les coéditrices, Emmanuelle Capet a apporté à l’ouvrage toute l’acribie et l’efficacité dont elle honore aussi la revue. Avec tant de bonnes fées penchées sur son berceau, nous pouvons être assurées que nos Supplementa ont le vent en poupe. Solvite vela citi ! [email protected] EPHE, PSL
9.
Plutarque, Thésée XXIII, 1 (trad. A.-M. Ozanam) : « Le vaisseau sur lequel Thésée s’était embarqué avec les autres jeunes gens, et qui le ramena sain et sauf avait trente rames : les Athéniens l’ont conservé jusqu’au temps de Démétrios de Phalère. Ils en enlevaient les planches quand elles étaient trop vieilles, et les remplaçaient par d’autres, plus solides, qu’ils fixaient à l’ensemble. Aussi, quand les philosophes débattent sur la notion de croissance, ils voient dans ce navire un exemple controversé : les uns soutiennent qu’il reste toujours le même, les autres disent qu’il n’est plus le même. » Sur ce navire, voir encore Platon, Phédon 58a-c ; Criton 43c-44a ; Xénophon, Mémorables IV, 8, 2.
10. Nous empruntons ces vers de Baudelaire (« Le Cygne »), à nouveau, à l’introduction du colloque par Hedwige Rouillard-Bonraisin, qui citait à ce propos Jean-Christophe Cavallin (« Baudelaire et “l’homme d’Ovide” », Cahier de l’Association internationale des études françaises 58, 2006, p. 341-357) : « À l’exemple d’Hélénus posant ex nihilo un simulacre de Troie, Napoléon III efface le “bric à brac” du vieux Paris et y substitue une idée de ville. »
Jean-Claude Margueron
Méthodologie archéologique pour une approche de la ville mésopotamienne
introDuCtion1 Un constat de départ qui me semble n’avoir jamais été énoncé et qui pourtant est potentiellement riche d’enseignements : l’archéologue « orientaliste » fouille des villes ! À l’époque historique il n’y a pratiquement pas de recherches conduites sur des villages. Pourquoi ? Parce que le village ne l’intéresse pas ? Ou bien parce que l’on ne fouille pas de villages ? La question mériterait pourtant que l’on s’y attarde. Un second constat, d’un tout autre ordre, qui vient d’une situation spécifique bien connue : l’archéologue met au jour des objets tronqués et des situations incomplètes qui ont une valeur de trace. Pour en faire des documents historiques, il faut retrouver ce qu’ils étaient réellement ; dans cet ordre d’idées il faut savoir que l’on ne connaît pas un édifice ou une ville par le plan seulement, mais par son volume complet. Il faut avoir en outre pleinement conscience que toute approche méthodologique concernant le domaine mésopotamien se doit d’être imprégnée d’un fait de base fondamental, à savoir que cette civilisation s’est édifiée avec une architecture de terre développée dans un milieu alluvial, ce qui entraîne des contraintes spécifiques qu’il faut définir. Il faut que l’archéologue domine la matière dont est fait l’ensemble de la construction urbaine (et pas seulement les bâtiments) et qu’il restitue la réalité originelle des restes matériels qui subsistent, même lorsqu’ils ne sont pas considérés comme des matériaux nobles. Deux questions se posent à l’archéologue qui cherche à comprendre les villes de son domaine. Tout d’abord au niveau théorique, savoir à quelle sphère scientifique rattacher la ville ; ensuite au niveau pratique : comment aborder l’étude de la ville ? Deux démarches vont permettre de progresser. En premier lieu cerner l’objet « ville » en soi, ensuite s’interroger sur la façon de le considérer dans son milieu de conservation. Mais cet archéologue va certainement rencontrer d’emblée des difficultés parce que, naturellement, il va chercher à définir, par une démarche archéologique liée à l’approche qu’il a de la fouille, l’étude de l’urbanisme ; et la première question qu’il doit poser : y a-t-il compatibilité entre les deux, à savoir entre la pratique de la fouille et l’étude de l’urbanisme ?
1.
À ma connaissance ce sujet n’a jamais fait l’objet d’une approche systématique ; je ne vais pas ici multiplier les références ; aussi bien on trouvera dans Margueron 2013 la bibliographie qui m’a servi pour écrire cette étude de la cité où l’on remarquera l’absence de traités théoriques pour notre discipline. J’ajouterai cependant un article intitulé « Aux origines du premier urbanisme », à paraître. On voudra bien se reporter à la bibliographie de l’article donné à l’occasion de ce colloque dans cette même livraison : J.-C. Margueron, « Les modalités de reconstruction de Mari, Ville II, et Mari, Ville III ».
Reconstruire les villes : modes, motifs et récits, éd. par Emmanuelle Capet, Cécile Dogniez, Maria gorea, Renée KoCh piettre, Francesco Massa, Hedwige rouillarD-Bonraisin (Semitica & classica. Supplementa 1), Turnhout, 2019, p. 9-22 DOI 10.1484/M.SUPSEC-EB.5.118511
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Jean-Claude Margueron
En fait quatre aspects fondamentaux des situations archéologiques rendent l’approche difficile. 1/ Il y a une contradiction importante entre la minutie nécessaire du travail archéologique qui ne peut s’exercer que sur de très petites surfaces et l’ampleur de la question de l’urbanisme qui ne peut s’appuyer que sur de vastes superficies : peut-on résoudre cette contradiction et, si oui, comment ? 2/ Une autre difficulté de l’archéologie vient de ce que ses démarches scientifiques sont pour une très grande part fondées sur la stratigraphie ; cependant les stratigraphies, outre qu’elles ne sont pas toujours bien analysées2, ne traduisent pas une évolution continue du site étudié mais bien au contraire des ruptures successives, plus ou moins longues, plus ou moins généralisées. Comment donc une stratigraphie discontinue pourrait-elle rendre compte d’une trame historique conçue habituellement sur un mode de développement linéaire ? 3/ À cette difficulté archéologique s’en greffe une autre, liée au temps, destructeur de toutes les constructions matérielles. L’archéologue orientaliste étudie des villes qui ont sombré dans l’oubli il y a 2, 3 ou 4 000 ans : ne pas s’interroger, ainsi que certains le font parfois, sur le jeu naturel des forces d’érosion qui se sont exercées une fois la cité détruite ou abandonnée et traiter le sujet comme si ce qu’on en connaît actuellement représentait son état d’alors, c’est s’exposer à des erreurs historiques graves. Il faut savoir par exemple que les cas de villes dont le plan de base est complet sont très rares et que l’on travaille sur des documents non seulement incomplètement explorés, mais aussi partiels à cause de l’érosion. N’avait-on pas imaginé que la forme du site de Mari trouvait son origine dans le fait que la ville était établie en bordure du fleuve et que son quai était encore visible dans l’aspect abrupt de sa limite nord3 ? 4/ Le dernier aspect est lié cette fois à l’action des hommes et non plus à celle de la nature : il faut être très conscient de ce que, si l’homme construit les villes, il est souvent aussi celui qui les détruit et que ces moments de destruction sont parfois clairement visibles, mais qu’ils sont souvent aussi difficiles à repérer. CERNER L’OBJET « VILLE »
oBjeCtif Aussi me paraît-il difficile de proposer ici une recette méthodologique ; mais en partant d’une démarche analytique qui doit se placer sous le double signe des rapports primordiaux de l’espace et du temps, je voudrais jeter les bases de huit directions d’enquête qui dominent la question de la ville, en posant les interrogations nécessaires et les orientations vers lesquelles il faut conduire les recherches si l’on veut comprendre la ville antique de Mésopotamie. Ce schéma cherche à mettre en évidence les rapports qui existent entre des traits qui
durant sa vie
la ville se situe dans l’espace
de la géographie
elle est alors du ressort
après sa mort
et dans le temps
et de l’histoire
la ville laisse des traces elle est alors (aussi) du ressort de
l’archéologie mais l’analyse doit ramener les traces vers
Figure 1 - Démarche méthodologique de l’approche des villes en archéologie.
2. À titre d’exemple, voir ci-dessous l’exemple de Khafadjé p. 20, figure 10. 3.
Il serait facile de multiplier ces exemples. Cependant, dans le cas de Mari, si telle a été l’opinion de certains membres de la mission, cette thèse n’a, à mon avis, jamais été exprimée par écrit.
Méthodologie archéologique pour une approche de la ville mésopotamienne
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s’avèrent spécifiquement de l’ordre de la ville ; parfois oubliés il faut les remettre en évidence, parce que l’objectif de la recherche archéologique est bien de cerner l’objet « ville » durant sa vie. Comme la ville se situe dans l’espace et dans le temps, elle est naturellement du ressort des disciplines géographique et historique. Après sa mort la ville laisse des traces, c’est alors qu’elle est aussi du ressort de l’archéologie, mais l’analyse qu’en font les archéologues doit nécessairement ramener l’explication de ces traces vers la géographie et l’histoire. Autrement dit on ne pourra pas expliquer les villes antiques sans mettre en œuvre les méthodes de ces deux disciplines. Ainsi, cerner l’objet en soi puis dans ses rapports avec le monde, tel est l’objet de cette démarche méthodologique évoquée au long des huit pistes qui suivent.
1/ une ConstruCtion Matérielle Pour définir les traits caractéristiques de chaque agglomération, il faut garder en mémoire que la ville n’est pas une idée, ni une abstraction, mais une création matérielle qui a pour objectif : la durée, non pas figée dans son caractère de départ, mais dans la persévérance de son être, ce qui n’exclut ni entretien, ni transformations, ni reconstructions… Il faut donc connaître avec précision la matière dont est faite la ville, c’est-à-dire les bases de la technologie constructive. A/ Nature de l’architecture de terre En Orient, on le sait, c’est l’architecture de terre qui constitue l’essence de la technologie constructive, avec ses capacités et ses contraintes ; il faut donc connaître : • les qualités et les défauts des terres ainsi que des mélanges que l’on peut réaliser pour obtenir des caractéristiques meilleures ; • les épaisseurs et hauteurs nécessaires des fondations, des terrasses, des murs et des enduits… ; • les modalités et les produits de la destruction ainsi que leurs effets sur le milieu ; • les possibilités d’existence de technologies propres à l’urbanisme. B/ la vie d’un édifice L’étude de maisons contemporaines aide à comprendre les processus de formation des tells et par conséquent des villes. Ainsi des maisons abandonnées à proximité du tell Hariri en 1980 ont permis de mettre en évidence l’action du sillon d’érosion qui, prenant naissance à la base du mur au contact avec le sol, sous l’effet des pluies, parfois des eaux stagnantes et surtout des remontées capillaires, provoque à terme l’effondrement du mur (figure 2). Sans une action contraignante pour limiter les effets destructeurs de l’humidité sur le matériau « terre », la durée de vie d’une maison ne dépasse guère une trentaine d’années. Dans un espace largement ouvert, une fois que le cisaillement à la base des murs entraîne leur effondrement, on constate que la terre à briques constitutive retourne à la terre simple ; en quelques années il ne reste rien de l’édifice, comme on le voit d’après les photos d’une maison prises en 1980, puis en 1987, toujours à côté de Mari (figure 3a-b). Ainsi une longévité faible implique un indispensable renouvellement rapide des constructions dans les vallées. La ville est-elle alors un milieu impossible où il faudrait sans cesse renouveler les édifices ? L’objectif de « durée » serait alors bien compromis et pourtant on sait que les villes orientales antiques ont eu des durées de vie qui se comptent en siècles et même en millénaires. C’est que l’organisation même de la ville rend l’évolution de l’architecture différente : ici, la terre d’une maison qui s’effondre ne peut disparaître comme
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Jean-Claude Margueron
elle le fait dans une vallée largement ouverte, les effets de l’humidité n’y sont pas identiques et les mesures prises (volontairement) pour aménager la ville lui confèrent une certaine permanence. La piste à suivre dès lors est d’observer avec précision les caractéristiques de l’architecture urbaine qui, n’étant pas les mêmes que celles d’un milieu villageois, vont mettre l’accent sur des aspects spécifiquement urbains.
2/ un Milieu physique Donné Toujours avec l’objectif de cerner l’objet en soi et afin de définir les traits caractéristiques de chaque agglomération, il faut garder en mémoire que la ville est un espace aménagé dans un milieu physique donné.
Figure 2 - Destruction inéluctable, par un sillon d’érosion, d’une maison en briques crues dans la vallée de l’Euphrate au voisinage de Mari (photo Mission archéologique de Mari).
A/ Aspects divers du milieu physique Il faut définir ce milieu avec ses qualités, ses défauts et ce qui peut favoriser ou mettre en danger l’existence d’une importante communauté humaine. Les points forts qu’il faut minutieusement étudier sont : • le climat ; • l’hydrologie ; • l’assise géologique et la stabilité des sols ; • l’existence possible de tremblements de terre, voire du volcanisme. À partir de ces données, il faut reconnaître les facteurs d’érosion, leurs effets et les dangers qu’ils peuvent faire subir. Et il faut adapter l’organisation urbaine à ces contraintes.
a - La maison en 1980.
B/ Exemple d’adaptation morphologique Mari offre un exemple d’adaptation à ces données que je ne vais pas développer longuement ici mais qu’il a fallu préciser pour définir les traits majeurs de l’agglomération. Ainsi la forme en dôme du site (figure 4) n’est pas, comme il est dit souvent, le produit d’une simple accumulation de niveaux détruits et reconstruits au fur et à mesure des destructions de maisons, mais une forme programmée pour assurer l’écoulement
b - État du terrain en 1987. Figure 3 - Disparition d’une autre maison en terre dans la vallée de l’Euphrate au voisinage de Mari (photo Mission archéologique de Mari).
Méthodologie archéologique pour une approche de la ville mésopotamienne
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des eaux de pluie par la périphérie et vers le niveau de base et éviter l’érosion de la base des maisons et leur effondrement. L’adaptation est d’autant plus nécessaire que le niveau de base de la cité se trouve cette fois en son sein puisque le canal, qui se trouve impérativement au niveau du fleuve, traverse la cité.
Figure 4 - La morphologie en dôme du site de Mari, conséquence des modalités de fondation et non, prioritairement, de la destruction de l’habitat.
C/ « l’équilibre hydrologique » du système urbain en architecture de terre Ce système ne s’arrête pas seulement à la morphologie générale (en dôme) du site ; il faut impérativement, en toutes circonstances, assurer l’écoulement des eaux • en éliminant les décombres sitôt après l’effondrement d’une maison ; • en n’engageant aucune reconstruction sur les décombres ; • en assurant le maintien des rues en état de fonctionnement ; • en reconstruisant – la maison exactement au même niveau, ou – l’ensemble du niveau si les dégâts (destruction de guerre) sont trop importants. Ceci mérite une explication (figure 5) : si une maison s’effondre et reste en l’état, les décombres font barrage, l’eau est retenue en amont, envahit les maisons voisines et attaque la base des murs : tout le quartier en amont est condamné. Il faut donc très rapidement, après l’effondrement d’un édifice, éliminer les décombres et remettre en état de fonctionnement l’ensemble du système. D/ Comprendre les raisons de la morphologie actuelle du site Mari fournit un excellent exemple du type d’analyse que l’on peut être amené à développer pour comprendre les forces du milieu qui ont conduit à la morphologie actuelle souvent très différente du modelé primitif. Le tell actuel, quasiment semi-circulaire, n’a pas toujours été bien compris 4 : on n’y a pas reconnu une forme circulaire tronquée par l’érosion. Et pourtant une stricte analyse met en évidence qu’il y avait une contradiction entre le sens de l’érosion de la majeure partie de la surface du tell tout à fait contraire (et dans le sens opposé) à celui d’un écoulement normal des eaux vers le niveau de base qui se trouve du côté du fleuve. Une telle situation montrait que l’érosion avait profondément modifié la forme originelle de la cité et qu’il ne restait plus de la cité antique qu’un résidu (figure 6).
4.
Voir ci-dessus p. 10 ma remarque sur l’érosion à propos de Mari dont on ne tient généralement pas compte, ainsi que la note 4 de la p. 26 de l’article sur Mari dans ce même volume.
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Figure 5 - Nécessité, après l’effondrement d’une maison, de maintenir la voirie en état de fonctionnement si l’on veut éviter la destruction des constructions en amont (dessin E. Lockhart).
Une stricte étude des dénivelés de Mari Ville III aurait abouti à la même conclusion, car elle aurait mis en évidence le très court cheminement (3-400 m) pour absorber ce dénivelé entre les 17 m du point culminant du site et le niveau de base situé au passage du canal, nécessairement au même niveau que l’Euphrate et qui indique le niveau de base intra-muros, ce qui donne en outre les limites de la croissance en hauteur de la ville. E/ Comprendre les raisons du choix du site (infra, figure 9)
Figure 6 - Restitution de la ville de Mari dans son environnement (dessin N. Bresch).
Ce choix est le résultat d’un compromis entre des contraintes différentes, parfois contradictoires : il fallait mettre en équation le plateau steppique limité par des falaises (haut. 50 m), la terrasse holocène haute de 3 à 5 m environ au-dessus du fleuve – seul niveau qui pouvait accueillir la ville – avec la nécessité de rester en rive droite pour assurer le cheminement des caravanes sans avoir de fleuve à traverser. Ainsi Mari apparaît comme une ville du fleuve mais non une ville sur le fleuve, position qui nécessitait un canal de raccordement.
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3/ un Milieu De vie Toujours dans l’optique de « cerner l’objet en soi » et pour définir les traits caractéristiques de chaque agglomération, il faut garder en mémoire que la ville est un espace aménagé qui permet la vie en commun d’êtres humains travaillant dans un système économique qui lui assure une spécificité fonctionnelle. Il faut donc définir les composantes de ce milieu de vie, chercher ce qui en fait la spécificité, voire la particularité (figure 7) : • la vie économique en est une composante essentielle, mais on ne s’est pas toujours Figure 7 - Les pôles principaux de Mari. intéressé à cet aspect pourtant primordial de la fonction urbaine, car, rappelons-le, la ville est née des échanges, donc de l’importation ou de l’exportation de matières premières et de produits finis, résultant d’un artisanat plus ou moins développé selon les cas ; la Ville I de Mari a clairement mis en évidence l’importance des foyers de bronzier approvisionnés par les échanges avec les centres de production d’Anatolie ; • la vie administrative du territoire dominé contribue aussi à la vie du milieu urbain, mais il est souvent plus difficile de définir par l’archéologie cette fonction, encore que dans certains cas des casernements ou des arsenaux donnent des informations sur la fonction militaire ; • la vie religieuse peut aussi apparaître comme une donnée essentielle.
4/ l’organisation struCturale De la ville Après le milieu physique, les techniques constructives et les fonctions fondamentales, il est une autre piste à suivre, une autre approche archéologique qui exige de retrouver les liens unissant cette fois la trame urbaine. Il s’agit d’étudier et de mettre en relation tous les éléments constituant la ville intra-muros : • les polarités à partir de l’analyse des rues ; • la répartition spatiale des centres de pouvoir ; • les différents centres d’activité économique ; • les centres d’exercice des activités religieuses ; • le système défensif et les portes de la ville ; • la répartition de l’habitat. La combinaison de tous ces éléments dressera une image précise et individuelle de la ville. L’exploration archéologique de Mari est assez avancée pour que l’on puisse déceler certains traits de l’organisation de la cité. Il faut néanmoins rester prudent car de vastes secteurs de la cité n’ont pas encore été l’objet du moindre sondage. Il semble néanmoins que l’on puisse définir quelques traits spécifiques. La ville est divisée en deux parties inégales par le passage du canal dans sa partie septentrionale ; certains déséquilibres dans la répartition régionale en sont la conséquence, mais ils montrent que les planificateurs n’ont pas cherché à organiser l’espace urbain selon un principe géométrique simple : il est certain, même s’il n’a pu être retrouvé en raison de l’érosion, qu’un pont au moins joignait les deux parties de la ville (figure 7) ;
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• le réseau viaire, composé de grands axes descendant des parties hautes et reliés entre eux par des rues tangentielles, a été conçu à la fois pour éliminer les eaux de pluie grâce aux chaussées absorbantes et pour assurer les liaisons entre les grands monuments et les portes de la cité ; • le centre religieux n’est pas territorialement bien défini par un mur de téménos (donc pas de limite au domaine divin) ; il occupe cependant le sommet de la partie méridionale du site ; mais des temples peuvent prendre place dans le tissu urbain, comme celui d’Ishtar à proximité de la porte SO ; • le palais de la Ville III (à l’emplacement du Temple Manufacture de la Ville II), comme centre de gestion politique et administratif, se trouve à l’ouest du secteur des temples et son entrée domine la zone portuaire ; • le port, établi certainement sur les deux rives, représente le centre économique majeur de la cité dans ses relations économiques avec le reste du monde ; sa disparition du fait de l’érosion n’a pas permis de savoir si un artisanat s’était développé aux alentours ; • le système défensif était, depuis les origines, dédoublé pour répondre à deux dangers : par une enceinte enfermant la cité, à celui représenté par des ennemis potentiels ; par une digue (qui s’est rapidement développée en ligne fortifiée), au danger de l’eau, qui lors des inondations de printemps, pouvait arriver au pied de l’enceinte ; ainsi, la ville de plan circulaire était-elle incluse dans un second cercle concentrique.
5/ insertion De la ville Dans le MonDe Parce que la ville est une des composantes d’un univers de villes en réseau, il faut aussi étudier son rattachement à l’univers extérieur, en distinguant les liens régionaux des relations lointaines (voir la carte figure 3 p. 28 de l’article sur Mari dans ce volume) : • par la connaissance des routes qui la desservent ; • par les voies d’eau ; • par les ports de mer ou de rivières avec lesquels elle peut être en communication. Pour que cette piste de recherche exprime une situation historique ancienne bien réelle, il convient d’analyser avec précision non seulement les débouchés, mais aussi les conditions des relations. Mari, à nouveau, fournit un exemple intéressant par sa relative complexité. Engageons une approche par différentes voies en allant de la ville elle-même, c’est-à-dire du pays de Mari, à l’ensemble de la Mésopotamie : • Comme nous l’avons vu, Mari est une ville de rive droite, ce qui peut paraître étrange puisque le Khabur, affluent de rive gauche, est pour elle un lien essentiel avec la plaine du même nom et l’Anatolie ; de plus un grand canal de navigation longe en partie la rive gauche du Khabur avant de suivre la même rive de l’Euphrate. Nous avons déjà vu que la situation en rive droite doit être imputée au commerce par caravanes : depuis la Syrie du Nord il n’y avait pas de rivière à franchir, ce qui créait là une alliance naturelle du fleuve et de la piste – en effet, les ânes, seules bêtes de somme utilisées au cours de la première moitié du IIIe millénaire, ne pouvaient pas franchir facilement les fleuves5. • Mais cette facilité de rive droite se heurtait à une forte contradiction avec la nécessité de placer le canal de navigation, tout aussi indispensable, en rive gauche. Comment faire pour que les bateaux puissent aller de la rive gauche (en longeant la falaise du plateau) à la rive droite où s’étend la cité ?
5.
Par la suite, il y eut des chariots tirés sans doute par des bœufs à partir du début de la seconde moitié du IIIe millénaire.
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• Les aménageurs de la région, dès la fondation de Mari et le creusement du grand canal (figure 8), ont alors infléchi la direction du canal de rive gauche vers l’Euphrate en lui faisant tracer une large boucle qui amenait, avant de le laisser revenir le long de la falaise, le canal à la ville de tell Abu Hassan d’où, à la suite sans doute d’un transbordement, les bateaux passaient sur le fleuve avant de rejoindre le canal de dérivation de rive droite qui les amenait jusqu’au port de Mari. Celui-ci dépassé, ils pouvaient retourner sur l’Euphrate, voire peut-être rejoindre éventuellement le canal de rive gauche qui a pu se poursuivre plus au sud6. Comme on le voit, l’organisation des échanges régionaux était particulièrement bien Figure 8 - Le nœud des liens fluviaux autour de Mari avec pensée et cela montre toute l’importance que le transfert depuis le canal de rive gauche vers Mari, par l’on avait accordée, lors de la fondation de tell Abu Hassan et le canal de dérivation desservant le port. Mari, au rôle que la cité devait jouer dans les relations d’échanges entre la haute et la basse Mésopotamie en passant par la Babylonie : Mari, de par sa position et ses aménagements régionaux, joue de facto au IIIe millénaire le rôle de capitale de cette Mésopotamie du Nord que seul Ebla a été capable un temps de contrecarrer. Au-delà de la région même de Mari, l’univers de la Mésopotamie est, pour ses habitants, accessible par les voies fluviales, les canaux et les pistes jusqu’à la plaine du Khabur, la Syrie du Nord et l’Anatolie ; mais aussi jusqu’à la Babylonie, véritable carrefour ouvert aussi bien vers l’Assyrie (déjà accessible facilement par le Khabur) que vers le plateau iranien et le pays de Sumer. Le dernier cercle marque l’ouverture vers l’Occident et vers l’Orient à partir des mers : Méditerranée et golfe Arabo-persique.
6/ les raisons De l’éDifiCation De la ville On ne se pose pas souvent la raison de l’existence, à un endroit précis ou à une époque donnée, d’une ville non moins précise de la Mésopotamie antique, comme si rien ne justifiait sa présence, qu’elle aurait pu aussi bien se trouver là qu’ailleurs ou à une autre époque. Il ne suffit pas de dire, comme le poète, lorsque Caïn fuit afin de se cacher de Dieu : « … bâtissons une ville … »7 pour justifier une fondation urbaine. La réalité est très différente : l’existence d’une ville ne doit rien au hasard, ni à la simple tradition de la présence d’une occupation antérieure, sous la forme d’un village par exemple. La ville est un organisme complexe qui répond à une demande, ressentie comme absolument nécessaire, le plus souvent dans le domaine économique (compris dans un sens large), mais à l’occasion aussi dans celui du religieux, voire celui de l’administration. Autrement dit, la ville a une raison
6.
Mais cette recherche du canal de rive gauche n’a pas été conduite au-delà de Mari.
7.
V. hugo, « La Conscience », la légende des siècles, Paris, Classique garnier, 1964, p. 26-27.
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d’être et les hommes l’ont créée pour répondre à un besoin ; ils ne sont pas alors le jouet d’une force qui les dépasse, ils cherchent à mettre en œuvre un jeu d’actions et de forces qui doit leur permettre de vivre le plus efficacement possible et de rationaliser la circulation des matières premières et des produits fabriqués par et pour la communauté. Le choix des emplacements est alors déterminé par des raisons très précises. Quelques exemples montrent la diversité de ces fonctions et leur nécessité8. • Mari (figure 9) a été établie dans une section assez large de la vallée de l’Euphrate entre deux goulets qui permettent de contrôler le trafic, au nord celui de Hanouqa (appelé « l’Étrangleur » par les Anciens) et au sud celui qui précède la plaine de la Mésopotamie centrale (ou babylonienne) ; c’est là le cœur du royaume directement relié à la plaine du Khabur par cet affluent et de là en contact avec l’Anatolie d’où Mari tire ses ressources en métal et en bois. L’emplacement de la cité tient compte de cette donnée et on a vu le soin que les constructeurs ont pris pour aménager l’accès à la ville de rive droite à partir du canal de navigation en rive gauche à la hauteur de tell Abu Hassan. En outre, sa localisation qui assure la double fonction de poste de contrôle et de péage 9 a été choisie avant la section resserrée du fleuve (un véritable goulet) où une surveillance pouvait plus facilement s’exercer, ce qui a justifié certainement la construction de la petite ville de Haradum. Nul hasard donc dans le choix du site de Mari, même si,
Figure 9 - Le contexte géographique de la fondation de Mari. 8.
Des justifications développées pour chacun de ces exemples se trouvent dans Margueron 2014, p. 265-290.
9.
Les archives trouvées dans le palais du début du IIe millénaire prouvent la réalité de ce péage : Documents épistolaires du palais de Mari, p. 25-38.
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pour le rendre opérationnel, il a fallu construire une digue de protection contre les inondations du fait que la terrasse holocène sur laquelle il est installé n’est qu’à 3-5 m du niveau du fleuve. • Emar : établie lors de sa fondation dans la vallée comme toutes les villes liées aux deux fleuves du Tigre et de l’Euphrate, elle avait comme fonction majeure d’être un port de rupture de charge : les marchandises, qui venaient des pays de la côte par des caravanes utilisant la voie terrestre (ânes, chariot, puis chameaux au Ier millénaire), étaient chargées à Emar sur des barques pour se diriger vers le sud. Inversement celles venant de Mésopotamie étaient débarquées pour prendre la route caravanière. Le déplacement d’un méandre ayant condamné la ville des origines, une nouvelle Emar a été installée, toujours en rive droite, grâce à l’aménagement de la bordure du plateau qui descend dans la vallée. La fonction fondamentale de la cité était ainsi préservée. • Tuttul : cette ville établie à la confluence du Balikh avec l’Euphrate avait clairement pour fonction de contrôler cette jonction et sans doute celle d’assurer le transbordement sur de grandes barges de marchandises qui, sur un Balikh très peu puissant, ne pouvaient circuler que sur de petites barques peu adaptées au transport lointain. • Babylone : c’est à une fonction beaucoup plus générale de plaque tournante au cœur de la Mésopotamie que répond la fondation de Babylone, installée sur l’Euphrate à l’emplacement du rapprochement maximum des deux fleuves ; en position de contrôler le pont qui permettait de joindre la rive droite à la rive gauche, puis en utilisant le canal qui longe la face méridionale du palais de rejoindre le Tigre et par là soit de remonter vers l’Assyrie, soit de circuler dans les réseaux de la partie orientale du pays sumérien. On le voit, Babylone est un carrefour au centre du bassin des deux fleuves ; et c’est cette position qui lui permettra à deux reprises de construire un empire proprement mésopotamien, il est vrai de courte durée chaque fois. Ces villes ne sont que des exemples qui montrent qu’une fonction propre, qui n’a rien à voir avec un héritage agricole, les domine et justifie leur existence ; ces fonctions ne sont pas identiques, même si elles relèvent le plus souvent de l’ordre économique. Il faut les rechercher.
7/ la nature Du ContaCt aveC la ville préCéDente L’approche archéologique d’une ville exige de retrouver les liens qui unissent ses composantes verticales ; on sait que l’on a depuis longtemps établi qu’une occupation se perpétuait par la montée, sur les décombres, des nouvelles habitations à l’emplacement d’un site. On pensait aussi que ce mouvement ascendant se faisait dans l’anarchie au fur et à mesure de la destruction de ces habitats. En bonne méthode d’approche archéologique des villes, on doit se demander : en cas de reconstruction, sur quoi repose celle-ci ? On doit établir par la fouille s’il y a un rapport constant entre le niveau altimétrique d’arasement des murs de la ville détruite avec le niveau de reprise ou si aucune règle de succession n’apparaît ; le niveau de départ de la base des fondations de la reconstruction est-il régulier ou anarchique ? Les murs anciens ont-ils été repris comme fondations ? Y a-t-il continuité entre les murs de superstructure du niveau détruit et les nouveaux murs ? Le niveau de destruction, si une action militaire est la cause de l’abandon, estil clairement présent partout ou seulement de façon sporadique ? Y a-t-il eu un remblaiement partiel ou systématique ? Toutes ces questions doivent conduire à établir si, après une destruction brutale, il y a eu une seule phase de travaux généralisés pour la reconstruction ou si celle-ci s’est faite par petits bouts et sans plan d’ensemble. Dans le premier cas, le mode de reconstruction après une catastrophe (soit guerrière, soit tellurique ou autre), se fait selon la technique de « l’infrastructure compartimentée » comme on le voit
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sur cette coupe réinterprétée du site de Khafadjé où 10 ou 11 « niveaux » se réduisent en réalité à trois phases urbaines sans niveau intermédiaire (figure 10a-b) ; dans le second cas, il est beaucoup plus difficile de préciser les conditions de reconstruction mais il convient, pour le comprendre, de définir le système hydrologique. L’une ou l’autre situation exprime ainsi une situation historique totalement différente.
a
b Figure 10 - Nouvelle analyse du site de Khafadjé (Margueron 2013, p. 335 fig. 320). a - La stratigraphie passant par le quartier d’habitation, en quelque 11 niveaux, telle qu’elle a été vue par les fouilleurs (Delougaz et al. 1967, pl. 15). b - La réinterprétation en utilisant les concepts de couche architecturale et d’infrastructure urbaine compartimentée montre qu’il n’y a eu que 3 phases urbaines. Couche orange (plein et hachuré) : comblement des infrastructures urbaines compartimentées ; Trait rouge : surface d’usage (sol) des maisons des deux niveaux urbains ; Couche rouge supérieure : surface non nivelée du tell à un moment de son histoire ; Épais trait noir : surface de nivellement des ruines de la ville antérieure.
8/ les CaraCtéristiques De la ville préCéDente Une autre enquête doit être engagée alors. Il s’agit de savoir si la ville détruite, qui a fait l’objet d’une reconstruction recouvrant d’une façon ou d’une autre la totalité du champ de ruines en masquant la réalité disparue, est néanmoins suffisamment conservée pour que l’on puisse définir ses édifices, son organisation, sa structure.
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Si la ville est accessible par la fouille et ses caractéristiques discernables, les traits fondamentaux pourront être définis et les permanences éventuelles d’une ville à l’autre ou les transformations mises en évidence. On ne fait alors que reprendre l’étude d’une ville.
ConClusion Un simple rappel doit suffire : en matière d’urbanisme, comme dans toutes les branches de la recherche archéologique qui se fait à partir des restes et des traces…, l’archéologue doit, en se posant des questions : • définir chaque objet ; • passer de l’objet tronqué à son original ; • puis passer de l’objet à son insertion dans le milieu, donc à son environnement, en interrogeant tous les paramètres ; • comparer et définir la norme par des séries typologiques. Donc aller du particulier au général par la voie de l’analyse puis de la synthèse. Telle est la démarche générale de l’archéologue, qui permet de définir les axes de la recherche en matière d’urbanisme en étudiant aussi finement que possible ses particularités. Mais, tout au long de la démarche, il ne faut pas oublier de poser des questions sur des points très précis parce que les réponses peuvent éclairer certains aspects souvent insuffisamment analysés de l’urbanisme oriental : 1/ le site est-il complet ? Problème réel : Mari a été considéré comme complète pendant une cinquantaine d’années alors que seul un bon tiers avait été préservé ; 2/ poser la question, à partir des observations archéologiques, des transformations lentes ou des mutations brutales du tissu urbain , 3/ s’intéresser aux conditions de naissance de la ville en cours de fouille et définir à partir des réalités archéologiques s’il y a eu formation artificielle et soudaine (donc le fruit d’une décision « politique ») ou s’il s’est agi d’une lente progression ; 4/ préciser la nature de l’érosion et sa relation à l’hydrologie : • pendant la vie de la ville • entre les phases urbaines • après l’abandon ou la destruction, 5/ toujours établir exactement le niveau de base ; 6/ il faut détecter : • les lacunes stratigraphiques • les surfaces d’érosion. Bien entendu, si des informations tirées des textes sont susceptibles d’apporter un éclairage, notre connaissance de la ville n’en sera que meilleure. Mais on ne peut suivre Leo Oppenheim 10 lorsqu’il écrit : « Ce serait une tâche exaltante que de pouvoir établir une corrélation entre les traits spécifiques des modèles urbains communs à une civilisation donnée, et les attitudes importantes – sociales, économiques et religieuses – de leurs fondateurs… En Mésopotamie l’absence de documents écrits concernant notre propos nous gêne beaucoup. On ne peut y étudier l’urbanisme avec des résultats satisfaisants que là où coïncident les rapports archéologiques et les textes… », car les sources géographiques et archéologiques
10. oppenheiM 1970, p. 138.
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sont d’une belle richesse ; même si elles ne rendent pas compte de la totalité de la réalité urbaine, elles comportent une grande part de la vérité recherchée, pourvu qu’on sache les analyser. Mais il faut savoir poser les questions et se demander, par exemple comme je l’ai indiqué en tête de cette approche, pourquoi on ne fouille pas de village quand les villes se répandent en Mésopotamie ou encore quelle politique on doit mettre en œuvre sur un site pour trouver des réponses précises aux questions que pose l’urbanisme. La réponse à la première question se trouve dans le constat que l’architecture vernaculaire ne peut subsister dans la vallée sans une « infrastructure compartimentée » et une surélévation des sites habités. Quant à la seconde question, on peut trouver des réponses par un choix judicieux de sondages bien situés en fonction d’une réelle problématique d’urbanisme. Un mot encore pour conclure. A-t-on mesuré à leur juste valeur les étonnantes aptitudes de la civilisation née en Mésopotamie qui, après avoir inventé la sédentarisation, le village, l’agriculture, l’élevage, la céramique, l’architecture et les débuts de la maîtrise de l’eau, dès le IVe millénaire • « invente » l’urbanisme et les « villes neuves » ; • domine les questions d’hydrologie et de réseaux de canaux ; • engage des travaux de très grande ampleur ; • diversifie les modes d’action ; • imagine des solutions pour la longévité des cités ; • multiplie la puissance des moyens de mise en œuvre ; • planifie de gigantesques travaux sur des années : 10 ou 15 ans au moins, parfois plus… Tout cela montre une exceptionnelle maîtrise sur le monde, sans doute pour la première fois dans l’histoire de l’humanité. [email protected] EPHE IV
BiBliographie Delougaz p., hill h., lloyD s. 1967 Private houses and graves in the Diyala region, Chicago. Documents épistolaires du palais de Mari. 3, présentés et trad. par J.-M. DuranD (Littératures anciennes du ProcheOrient 18), Paris, Le Cerf, 2000. Margueron j.-C. 2013 Cités invisibles : la naissance de l’urbanisme au Proche-Orient ancien, Paris, geuthner. 2014 « Mari Ville II : palais ou temple manufacture », dans Mari, ni Est, ni Ouest (Syria. Supplément 2), Beyrouth, p. 265-290. à paraître « Aux origines du premier urbanisme : approche méthodique des conditions de sa naissance (Notes d’archéologie et d’architecture orientales. 18) ». oppenheiM l. 1970 la Mésopotamie, portrait d’une civilisation, Paris.
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Les modalités de reconstruction de Mari, Ville II, et Mari, Ville III
L’exploration archéologique du site de Mari ne s’est pas intéressée seulement aux grands monuments, palais ou temples, si riches en textes et en œuvres d’art, qui ont assuré, dès 1934, son exceptionnelle réputation. La nature de la cité, son urbanisme, son implantation géographique, les aménagements régionaux qui ont permis sa prospérité et sa domination ont été très tôt intégrés dans le programme de recherche. Ce sont les résultats obtenus au fil d’une quarantaine de campagnes qui ont permis de découvrir les processus de la fondation de la ville et de sa transformation1.
MoDalités De l’enquête et points De fixation Les recherches concernant l’urbanisme de Mari n’ont pas été concentrées au cours d’une ou deux campagnes précises mais ont été réalisées tout au long de l’action sur le terrain, de façon concomitante avec l’exploration des monuments. En dehors de l’exploration du système défensif, elles ont particulièrement porté sur des points précis : • l’étude du sous-sol des édifices avec une attention précise portée sur les fondations et sur l’existence éventuelle de murs de terrassement, des restes possibles de niveaux antérieurs ; • l’analyse des continuités et des discontinuités des réseaux de fondations ; • la reconnaissance de surfaces d’érosion, au sens géographique du terme, qui permettent de définir des phases d’abandon ; • le repérage des surfaces de nivellement volontaire qui marquent une volonté humaine de réaménagement ; • le tracé des rues et leur mode de raccordement ; • l’étude de la structure du sous-sol des rues, des limites construites de leur tracé en fondations et de la constitution granulométriques des terres de remplissage ; • l’organisation du système hydrologique de Mari avec la fixation du niveau de base local ; • une réflexion approfondie sur les rapports entre la terre de remplissage, tout particulièrement entre les murs de fondations, et les processus d’érosion de l’architecture de terre ; • il faut aussi mentionner une entreprise sans égale réalisée dans le cadre des activités de la Mission : il s’agit de l’établissement d’une coupe stratigraphique à partir de toutes les fouilles conduites sur l’ensemble du site. Ont été ainsi réalisées une coupe ouest-est de 700 m de long allant du temple d’Ishtar au Petit Palais Oriental, deux coupes nord-sud passant par l’ouest et par l’est du Grand Palais Royal et une troisième,
1.
Margueron 2004 donne une synthèse des résultats obtenus à la date de parution ; certains aspects plus spécifiques de la question traitée dans cette présentation se trouvent dans Margueron 2013, 2014a, 2014b et 2017.
Reconstruire les villes : modes, motifs et récits, éd. par Emmanuelle Capet, Cécile Dogniez, Maria gorea, Renée KoCh piettre, Francesco Massa, Hedwige rouillarD-Bonraisin (Semitica & classica. Supplementa 1), Turnhout, 2019, p. 23-43 DOI 10.1484/M.SUPSEC-EB.5.118512
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toujours nord-sud, allant du chantier B au Petit Palais Oriental. Le projet, que j’ai engagé dans les années 1990 et dont j’ai confié la réalisation graphique à Nicolas Bresch, n’a malheureusement pas été publié à ce jour, car certains points restent encore à préciser. Les enseignements tirés de ces réalisations ont été d’une importance de tout premier plan pour la compréhension de la structure interne du site et donc de son histoire. Toutes ces recherches n’ont pas été effectuées dès le début de la fouille du site et, avant que le système urbanistique eût été bien compris, certaines observations ont pu conduire à des interprétations non satisfaisantes ; c’est le jeu d’une réflexion continue que de conduire à une évolution de la compréhension des phénomènes archéologiques que nous observons de façon ponctuelle vers une compréhension globale ; ainsi tout l’intérêt présenté par l’exploration de Mari réside dans le fait que ces recherches se sont réalisées dans un temps long, parallèlement au dégagement des monuments et à l’étude des textes. Dans cet exposé, j’irai directement à la synthèse sans passer par l’analyse systématique des données, étape préalable pourtant indispensable à la vue d’ensemble ; comme celle-ci a été réalisée au fur et à mesure, on pourra s’y reporter dans mes écrits antérieurs. Ici je ne marquerai que les grands traits des phases d’aménagement de la cité de Mari. Après une définition rapide des principes de base de la technologie urbaine, seront exposés les travaux qui avaient accompagné la fondation de la Ville I et ce qui subsistait de cette dernière, lors de la refondation de la cité qui vit émerger une ville neuve définie comme Mari, Ville II. La destruction de la cité par le roi agadéen Naram-Sin conduisit à une reconstruction générale, Mari, Ville III qui, tout en s’appuyant sur ce qui pouvait être conservé, a su innover par l’adjonction de grands bâtiments qui caractérisent l’époque des dynasties amorites.
prinCipes De Base De la teChnologie urBaine appliquée à Mari La technologie urbaine, inventée par la civilisation mésopotamienne au IVe millénaire, avait pour but d’assurer la longévité de la cité dès sa fondation en dépit de la très grande sensibilité (pour ne pas parler d’une dangereuse fragilité) de l’architecture de terre à l’humidité. Malgré l’apparence, l’humidité est forte dans le milieu alluvial du bassin mésopotamien ; ses effets sont multiples et souvent dramatiques, qu’il s’agisse de la pluie, souvent d’une grande violence, des inondations et des remontées de la nappe phréatique. Un second objectif était d’assurer la stabilité des édifices – sur une base naturellement instable du fait d’une assez grande variabilité des capacités de résistance aux pressions d’un sous-sol constitué par des couches d’effondrement, de terres rapportées peu homogènes ou de restes de murs. Pour tout cela il était impératif : • de se protéger de la pluie qu’il fallait, une fois tombée, empêcher de stagner au pied des maisons, en en facilitant l’évacuation de façon raisonnable et graduelle, • de s’isoler des zones possibles d’inondation à la suite d’une crue et donc d’établir un bon rapport avec le niveau de base ; or, à Mari, le niveau de base est dans la cité elle-même, traversée par le canal de dérivation qui assure aux bateaux l’accessibilité au port et à la ville son approvisionnement en eau ; • de s’éloigner de la nappe phréatique qui pouvait, par des remontées capillaires, atteindre la base des murs et leur enlever toute cohésion ; pourtant, comme cette nappe jouait pour la cité un rôle indispensable dans l’évacuation des eaux usées, il ne fallait pas trop l’abaisser ou la détourner. On le voit, les habitants de Mari, à l’instar de ceux de toutes les villes de Mésopotamie, devaient parfaitement dominer l’hydrologie du lieu, en assurant un écoulement des eaux claires du sommet de la ville jusqu’au niveau de base, ainsi que l’éloignement des eaux usées loin des zones de vie de la population.
Les modalités de reconstruction de Mari, Ville II, et Mari, Ville III
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Pour assurer cette protection générale, les habitants de Mari ne se sont pas satisfaits d’un simple canal : par l’édification d’une infrastructure compartimentée (figure 1) ils ont stabilisé la base (artificielle) du site en lui donnant une forme qui permettait d’assurer l’écoulement des eaux de surface : cette technique, qui ne peut être mise en œuvre qu’à l’intérieur d’une enceinte urbaine et se trouve utilisée dans toutes les villes de Mésopotamie (Mari, Ugarit, Emar…)2, consiste en un réseau continu de murs de fondations qui délimitent des rues à chaussée absorbante.
Figure 1 - Principe de l’infrastructure compartimentée ; exemple d’Ugarit (Margueron 2013, fig. 89).
Constitution Du tell hariri Le bloc des Villes de Mari Tel qu’il se présentait au moment où la fouille s’engageait, le tell Hariri était formé de trois villes de Mari superposées et totalement indépendantes les unes des autres (figure 2) : • Ville I : cote 171-174 m env. dans la partie centrale ; fondation vers 3000 et rupture stratigraphique après 2800. • Ville II : cote 174-177,50 m env. dans la partie centrale ; refondation vers 2600 : destruction par NaramSin vers 2150. • Ville III : à partir de 177,50 m, rénovation du niveau de la Ville II vers 2100 ; destruction par Hammurabi en 1759 et rapide abandon.
2.
Cf. Margueron 2013.
26
Jean-Claude Margueron
L’espace occupé pour chacune des trois Villes est toujours le même ; seule l’érosion sur la périphérie est responsable des dénivellations dans la superficie résiduelle. Ce bloc constitue l’essentiel du contenu du tell. Restes d’occupations postérieures À partir de la destruction par Hammurabi, le site a subi une érosion générale pendant un millénaire et demi, brièvement interrompue par la construction d’une forteresse médioassyrienne, ou dunu, en bordure méridionale de la cité et par l’installation d’un cimetière dans les ruines du palais au sommet du tell 3. Après ce bref entracte, sur la nouvelle surface d’érosion se sont installés des paysans (?) à l’époque hellénistique sans doute, sous le contrôle de Doura-Europos. De rares vestiges de cette installation ont été retrouvés en quelques points du site ; ils ont pu être confondus avec des niveaux de la Ville III, en particulier en bordure de la limite SE du tell, sans la moindre raison4.
Figure 2 - Plan topographique de Mari, avec l’extension de chacune des trois Villes superposées : les restes de la Ville I à la base selon le contour extérieur (jaune) ; ceux de la Ville II en position médiane (bistre) ; la Ville III, à la superficie restreinte à cause de l’érosion, en position sommitale (bleu) (Margueron 2014a, fig. 25).
3.
Nous n’avons pas repéré sur le tell de réel niveau d’occupation de l’époque médio-assyrienne qui justifierait le cimetière établi dans les ruines du palais ; il serait étrange qu’une installation assez conséquente de cette époque ait pu exister sans que quelque monument ait laissé des traces au moins par des fondations ; aussi faut-il sans doute estimer que l’occupation s’est concentrée sur le tell Hariri Zrir accroché au rempart sur son flanc méridional et dont la morphologie suggère une forteresse.
4.
Fouilles 2006-2010 : aBu-azizeh & rey 2014. Il s’agit d’un secteur qui a subi une érosion particulièrement intense au cours de laquelle le tracé de l’écoulement des eaux s’est modifié pour contourner la porte SE (considérée à tort comme une tour avec plate-forme de défense ; celle-ci est restée comme une butte témoin de l’ancien niveau de la Ville III en bordure de la cité (altitude 177 m voire plus) ; le petit quartier de maisons que la fouille a dégagé ne peut pas appartenir à la Ville III : les niveaux d’altitude des sols des pièces (env. 175,5 m et 176 m) par rapport à l’altitude générale du niveau de la Ville III et de celui de la porte sud de la Ville (altitude 177 m voire plus) qui a été dégagée en 1999 le prouvent absolument. Ni les cotes d’altitude, ni l’hydrologie, ni la topographie d’ensemble, ni les caractéristiques architecturales ne permettent une datation en Ville III. On ne soulignera jamais assez combien l’absence d’analyse topographique et hydrologique provoque de confusions et d’erreurs dans la connaissance des sites de Mésopotamie.
Les modalités de reconstruction de Mari, Ville II, et Mari, Ville III
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la fonDation De Mari La fondation de Mari consiste en la création d’une ville neuve, selon un processus très fréquent, voire habituel, en Mésopotamie. Aucun village n’a précédé cette fondation au lieu précis où elle a été réalisée5. fondation vers 3000 Ce n’est pas réellement le sujet de cet exposé ; mais pour comprendre les nouveautés introduites par l’aménagement de la Ville II, il faut préciser ce qui avait été mis en place pour la fondation de la Ville I, car sans ces aménagements la ville n’aurait jamais pu poursuivre une existence de quelque douze siècles. Pour répondre à ce qu’on attendait et aux besoins de la cité nouvelle, il a fallu engager de gigantesques travaux. Ce qu’on attendait, c’était la gestion d’une région clé dans les relations avec les montagnes septentrionales et, à un moindre degré à ce moment (même si c’est devenu rapidement aussi important), avec la mer Méditerranée pour des échanges commerciaux avec l’ouest. Du Nord venaient en effet non seulement le cuivre, les bois d’œuvre dont l’architecture des villes avait grand besoin, mais aussi tout ce qu’exigeait la construction des bateaux et, sous la forme du charbon, le bois qui servait en particulier au fonctionnement des foyers de bronzier : c’était une ressource de première nécessité qui circulait sur les fleuves en descendant des montagnes pour rejoindre les villes de la vallée ou de la plaine deltaïque. Gestion signifie maintien d’une relative sécurité pour que les liaisons puissent s’établir sans être entravées par des groupes nomades et pour que la mise en culture des terres puisse assurer la subsistance de la ville dominante aussi bien que celle des centres satellites. Les besoins de Mari, d’après ce que les fouilles ont permis d’établir, c’est son approvisionnement en produits agricoles pour la population ; une bonne partie se faisait par les villages et les exploitations dépendant des pouvoirs politiques et religieux – selon ce que l’on connaît quand les textes viennent à la rescousse. Mais il faut surtout penser à l’approvisionnement des ateliers particulièrement nombreux dans la première Ville de Mari : sur la faible superficie dégagée de la ville de fondation (quelques centaines de m2) ont été mis au jour (chantier Pec et L en particulier) quelque 17 ateliers de bronziers qu’il fallait approvisionner en charbon de bois et en métal, parfois en minerais6. Les besoins de la ville étaient grands. Les travaux d’aménagement de la Ville I Trois séries de grands travaux ont été nécessaires sur le plan régional pour recevoir le site de Mari, vers 3000-2900. 1/ Construction d’un réseau complexe de canaux (figure 3) • le grand canal de navigation de rive gauche, long de 120 km ; il suivait la falaise, mais passait parfois sur le plateau où on le creusait jusqu’au bon niveau pour assurer un écoulement régulier ; • le canal de dérivation de rive droite : branché sur l’Euphrate en amont de Mari, il assurait la relation du fleuve avec la ville pour conduire les bateaux au port et assurer l’approvisionnement en eau de la cité ; il retournait au fleuve en aval de Mari ;
5.
Aucun artefact antérieur au début du IIIe millénaire n’a été recueilli depuis le début des recherches, comme il s’en trouve sur certains sites urbains, par exemple Larsa, ceci pour répondre à l’affirmation, fréquente et de principe sans la moindre justification, de l’existence d’un village qui précéderait systématiquement un site urbain ; cf. Margueron 2014 et à paraître.
6.
Voir dans Montero fenollos 2007 la bibliographie afférente à cette question.
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Jean-Claude Margueron
• un réseau de canaux assurait en rive droite l’irrigation de la vallée pour la production agricole ; il pouvait servir aussi à des transports sur de petites distances. 2/ Construction d’une digue dessinant un cercle d’un diamètre de 1 900 m (figure 4) à l’intérieur duquel a été installée la ville sur plan circulaire (diam. 1 300 m). Le but de cette digue était de mettre la cité à l’abri des grandes inondations, toujours possibles au printemps (pluies s’ajoutant à la fonte des neiges). Cette digue était rendue nécessaire par l’installation de Mari sur la terrasse historique, très proche du niveau du fleuve, afin d’assurer la liaison par le canal de dérivation qui ne soit pas trop profondément enfoncé pour rester au niveau du fleuve. 3/ Construction d’un socle sur lequel la ville sera édifiée (figure 5) ; le choix du plan circulaire est motivé par la nécessité de faciliter l’évacuation des eaux de pluie par la périphérie et la forme donnée est celle d’un dôme très aplati, de façon à favoriser depuis le sommet cette évacuation par une pente régulière sans zone de rétention.
Figure 3 - La base territoriale du royaume de Mari dans la vallée de l’Euphrate avec les principaux canaux (Margueron 2014a, fig. 18).
Les modalités de reconstruction de Mari, Ville II, et Mari, Ville III
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Figure 4 - Vue cavalière de la cité de Mari dans la vallée de l’Euphrate (dessin N. Bresch).
La vie énigmatique de la Ville I Les fondements structuraux de la cité sont mieux connus que son histoire. Les fouilles ont permis de reconnaître deux quartiers où l’artisanat du bronze jouait un rôle important, mais nous ignorons tout des monuments – palais, temples… – qui permettraient de caractériser la cité. En outre, si les deux premières strates de la Ville I sont aisément définissables, une lacune stratigraphique crée ensuite une rupture à partir du xviiie siècle : s’agit-il d’une phase d’abandon après un tremblement de terre, qui semble bien attesté ? Ou bien les travaux postérieurs de remise en état du site pour la Ville II ont-ils fait disparaître la suite de la séquence stratigraphique ? Toujours est-il que, pendant près de deux siècles, la Ville I n’est, archéologiquement parlant, plus présente dans les fouilles réalisées et que l’on ignore jusqu’à maintenant les raisons de sa disparition au premier tiers du IIIe millénaire.
Mari ville ii :
la refonDation D’une ville neuve
Redémarrage à partir d’un nivellement généralisé À l’origine de la Ville II on observe un arasement/nivellement à une cote voisine de 175 m (soit 4 m env. au-dessus du niveau de départ la Ville I) en vue d’une reconstruction globale (figure 6). Il s’agit d’une véritable refondation sous la forme d’une ville nouvelle (Mari Ville II), installée sur un site urbain plus ancien et qui se moule dans la morphologie d’ensemble du moment de la première fondation • en maintenant en activité le schéma d’organisation hydrologique avec le niveau de base donné par le fleuve et le canal à l’intérieur de la cité ; • en reprenant l’ancien tracé de la ville circulaire et de sa digue de protection ; • en remettant en œuvre une infrastructure urbaine compartimentée ; • en continuant à aménager la voirie avec des chaussées absorbantes ; • en reprenant la morphologie en dôme pour l’écoulement de l’eau ; • en reconstruisant l’enceinte à l’emplacement qu’occupait celle de la Ville I.
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Jean-Claude Margueron
TRAVAUX PRÉPARATOIRES À LA CONSTRUCTION DE LA VILLE I DIGUE
REMPART INTÉRIEUR
SURÉLÉVATION DU SOL DU TELL DE 50 cm à 1 m
CANAL CREUSÉ AU NIVEAU DE L’EUPHRATE
REMPART INTÉRIEUR
DIGUE
EUPHRATE
1300 m 1900 m
ordre des opérations:
- nivellement général? - tracé du cercle de la digue extérieure - creusement du canal de raccordement - apport des pierres depuis le creusement du grand canal (Darnaj) et construction - apport de terres argileuses pour la digue - apport de terres argileuses d’exhaussement du sol de la ville
sans doute en même temps
Figure 5 - Coupe au travers de la cité mettant en valeur les travaux réalisés pour la fondation de la Ville I (Margueron 2013, fig. 36).
La rupture stratigraphique déjà signalée – dont la durée est inconnue – peut correspondre à une véritable lacune dans l’occupation du site (abandon ? destruction ? crise ?) mais il est également possible qu’un rabattement volontaire du niveau d’usage jusqu’au nivellement à une cote voisine de 175 m ait eu pour objectif prioritaire un abaissement général du niveau du site urbain pour éviter une accentuation des dénivelés. Cette opération s’est accompagnée de l’enlèvement et de la mise en réserve de la terre des décombres pour une éventuelle réutilisation dans l’infrastructure urbaine compartimentée qui devait suivre cette première phase. Il faut bien voir que le système de l’infrastructure implique de considérables déplacements de terres pour remplir les cases formées par le chaînage des murs de fondations. Ce mode d’organisation technologique des murs de l’infrastructure implique une stricte organisation du chantier et une gestion très rationnelle des matières premières.
Figure 6 - Socle obtenu après nivellement à la cote 175/176 sur lequel va être édifiée Mari Ville II (Margueron 2013, fig. 37).
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TRAVAUX D’AMÉNAGEMENT DE LA VILLE II À PARTIR DES RESTES ARASÉS DE LA VILLE I
SUPERSTRUCTURE ENCEINTE VILLE II MUR
SOL INFRASTRUCTURE COMPARTIMENTÉE ARASEMENT/NIVELLEMENT DE LA VILLE II INFRASTRUCTURE RESTANTE DE LA VILLE I APRÈS ARASEMENT À LA COTE 175 NIVEAU DE PRÉPARATION
ENCEINTE VILLE I DIGUE CANAL
ordre des opérations:
EUPHRATE
- arasement de la Ville II à la cote 175 - nivellement général - construction dans fondations (infrastructure compartimentée) avec établissement du réseau viaire - comblement des espaces de l’infrastructure compartimentée avec matériaux absorbants pour les rues - à partir du sol, construction des superstructures
Figure 7 - Schéma des travaux réalisés pour aménager le Ville II sur le socle arasé de la Ville I (Margueron 2013, fig. 42).
Installation d’une nouvelle infrastructure compartimentée (figure 7) Une fois le nivellement réalisé et les décombres mises de côté, a pu être engagée la construction de l’infrastructure de la Ville II. Lorsque la pente nécessaire pour l’écoulement des eaux a été assurée, sont construits les murs de l’infrastructure qui servent aussi de fondations aux maisons. À ce stade en effet, la division parcellaire reproduit la superficie des maisons qui seront édifiées ensuite, une fois le sol d’usage défini. Ainsi les murs montés lors de cette phase d’établissement de l’infrastructure vont avoir une double fonction (figure 8) : 1/ assurer la stabilité de l’ensemble du bâti par la répartition équilibrée des descentes de charges ainsi que l’égalisation et l’homogénéisation de la surface de réception de ces pressions, 2/ servir de fondations individuelles pour les murs de superstructure des maisons. Le remplissage des cases de l’infrastructure avec de la terre, récupérée lors du nivellement ou nouvelle si nécessaire, se fait au fur et à mesure de l’édification des murs de l’infrastructure en une, deux ou trois étapes selon la hauteur des murs à tel ou tel endroit, de façon à permettre aux manœuvres de travailler à hauteur de main. Le réseau de l’infrastructure est normalement continu ; il ne s’interrompt que lorsqu’une rue vient prendre place dans le plan ; c’est alors la rue qui présente la continuité nécessaire avec ses longs murs assurant la largeur de la voie et entre lesquels sont accumulés les matériaux constitutifs de la chaussée absorbante : terres sèches, cendres, graviers et tessons concassés menu, composition qui peut varier mais dont le rôle essentiel est d’assurer par son pouvoir absorbant le drainage de la rue. Cette technologie a été mise en œuvre sur l’essentiel du territoire urbain où se développaient les maisons d’habitation. Secteur des temples et des bâtiments officiels Mais la technologie doit être modulée lorsque des monuments spécifiques prennent place dans le tissu. Sont particulièrement concernés les temples, qui peuvent prendre des formes diverses et occuper des espaces de taille variable, ce qui entraîne des aménagements importants.
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Figure 8 - Axonométrie schématique du secteur de la rue du Souk montrant la rue à chaussée absorbante insérée dans le système de l’infrastructure compartimentée ; le plan de nivellement définit le point de départ de la construction de la Ville II à partir du socle de la Ville I (Margueron 2013, fig. 38).
Le principe est alors d’adapter le réseau des fondations du monument à celles de l’infrastructure, en sorte que le bâti sur lequel la ville est édifiée soit uniforme et que les pressions soient régulièrement réparties. On le voit bien avec le temple d’Ishtar, dont le dégagement a permis des observations très intéressantes7, tout particulièrement sur le rapport entre l’arasement du sommet de la Ville I et l’installation de l’infrastructure de la Ville II (figure 9). Avec ce sanctuaire, le plan des murs de l’infrastructure épouse exactement celui des fondations8. Les observations n’ont pas été très nombreuses dans le secteur des temples au sud et sud-ouest du Massif rouge. Néanmoins les temples de Ninni-zaza/Ishtarat, de Ninhursag et de Shamash ont donné des indications tout à fait intéressantes sur cette adaptation du plan des temples et de l’infrastructure compartimentée. Mais c’est le Temple Manufacture qui, sur ce chapitre et compte tenu de ses dimensions, est l’édifice le plus significatif. L’infrastructure compartimentée en effet n’y a plus d’existence autonome et ce sont les fondations de l’édifice, dans son unicité et sa globalité, qui assurent sa stabilité au sommet du tell. Les constructeurs n’ont donc pas hésité à rompre avec les principes de la technologie urbaine qui avait cours dans l’ensemble de la Mésopotamie.
7.
Margueron 2017.
8.
Tout au moins pour celles qui ont été bien vues au moment de la fouille des années 1934-1936.
Les modalités de reconstruction de Mari, Ville II, et Mari, Ville III
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Figure 9 - Mise en valeur (par surlignage) du nivellement de la Ville I, surmontée de l’infrastructure urbaine compartimentée de la Ville II, à l’emplacement du temple d’Ishtar (Margueron 2017, fig. 38-e).
Discontinuité entre Mari Ville I et Mari Ville II La reprise en Ville II d’une partie de la technologie urbaine de la Ville I aurait pu conduire à envisager l’existence de correspondances étroites entre chacune des deux grandes phases urbaines. Or, même si la superficie connue de la Ville I est très restreinte par rapport à celle de la Ville II et que, de ce fait, les similitudes ne peuvent pas être strictement identiques, ce n’est pas du tout l’image qui s’impose. Deux faits nous le montrent clairement. Tout d’abord les centres d’activités artisanales repérées en Ville I n’ont pas donné naissance à des quartiers identiques et au même endroit à l’époque de la Ville II. Peut-être peut-on imaginer, dans le quartier du « Souk » (chantier L), une possible continuité si on veut y placer des ateliers d’artisans, mais à dire vrai ce n’est qu’une possibilité qui manque d’indices pour la conforter. Quant aux foyers de bronziers qui se trouvent sous l’Enceinte sacrée, ils n’ont évidemment pas eu de successeurs dans ce sanctuaire. La même discontinuité se remarque à l’emplacement des sanctuaires qui caractérisent la Ville II : • quand on connaît la nature de l’occupation de la Ville I, on est obligé de constater que sous le temple d’Ishtar9, aucun temple, aucun Lieu saint, aucun Lieu très saint n’a existé ; • sous l’Enceinte sacrée, la fouille conduite jusqu’au sol d’origine en 1994 a permis de remettre au jour des ateliers de bronziers qui montrent une discontinuité totale avec la somptueuse installation de l’Enceinte
9.
Malgré l’affirmation de parrot 1956, p. 8-9.
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Jean-Claude Margueron
sacrée, même si l’ensemble du Temple Manufacture atteste une activité artisanale, mais d’une tout autre nature puisqu’il s’agit de produire des objets d’art comme les célèbres panneaux de mosaïque. Une quasi-certitude peut aussi être avancée pour les sanctuaires de Ninhursag et de Shamash puisqu’on y a retrouvé les « sondages de sacralisation » qui étaient pratiqués lorsqu’on fondait le sanctuaire. En revanche aucune information n’a été recueillie pour les temples de Ninni-zaza/Ishtarat ou pour celui du Massif rouge. Notons, en outre, qu’un important facteur de différenciation a agi sur l’organisation de la Ville II, puisque les ateliers de bronziers ne semblent plus se trouver dans la cité elle-même, mais pourraient avoir été rassemblés en un quartier situé hors ville, dans une zone précise du sud-ouest, entre l’enceinte de la ville et la digue périphérique. On a sans doute voulu faire sortir les ateliers de la cité pour des raisons de confort ou, peut-être, de pollution ; de ce fait, l’espace disponible s’est agrandi au bénéfice de nombreux sanctuaires nouveaux, sans que l’on puisse dire que tel était l’objectif. Il n’en reste pas moins que les Villes I et II de Mari n’entrent pas dans le même schéma et qu’une mutation brutale, dont l’apparent essor des sanctuaires semble faire partie, marque le début du second tiers du IIIe millénaire en matière de composition urbaine. La fin de Mari Ville II L’époque d’Agadé n’a pas été faste pour Mari. L’assujettissement vraisemblable de la cité par Sargon d’Agadé contre un tribut, suivi de son anéantissement et de sa destruction par Naram-Sin10 dans un incendie général qui, vers 2200, semble n’avoir épargné aucun édifice, marque une période sombre pour la cité dont elle ne se sortira que par une reconstruction générale.
la reConstruCtion De Mari ville iii La période d’existence de la Ville III (env. 2200 à 1760 av. J.-C.) a connu, outre quelques moments obscurs, deux phases majeures : la première dominée par la dynastie des Shakkanakku, de 2200 à 1900 av. J.-C. sans doute, et la seconde qui voit le royaume entre les mains d’une dynastie amorite de 1830 à 1760 environ. Les politiques urbaines n’ont pas été identiques durant ces quelque quatre siècles. Les circonstances et les conditions de la reconstruction La ville détruite n’est pas abandonnée, ni sans doute totalement vidée de ses habitants : Naram-Sin y installe ses filles comme prêtresses et engage apparemment très rapidement des travaux de remise en activité. Mais les destructions ont été telles que toute la cité ne saurait retrouver en même temps son activité : elles ont provoqué des zones de rétention d’eau qui ont entraîné des effondrements de maisons ; toute la circulation de l’eau en est déréglée. Il faut donc tout remettre en ordre et tout réorganiser. Il est clair, même sans documentation écrite pour le confirmer car les lois physiques sont les plus fortes, qu’un programme de cette envergure ne peut être réalisé dans le désordre et l’anarchie. C’est à nouveau l’eau qui va imposer ses règles. Il est en effet impossible de remettre en ordre l’organisation de la cité sans commencer par le sommet pour organiser, au fur et à mesure des restaurations, l’écoulement des eaux jusqu’au niveau de base qui, ici, se situe dans le canal. Les reconstructions et réaménagements aussi bien de l’infrastructure compartimentée que de la voirie avec ses chaussées absorbantes et donc des édifices ne peuvent se faire que dans une logique descendante.
10. Cette chronologie des faits n’est pas encore acceptée par tous : elle correspond cependant à tous les indices recueillis sur le site.
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Ainsi la reconstruction de la Ville III vers 2100 est en fait plutôt une rénovation du niveau de la Ville II. À la différence de ce qui a été réalisé pour celle-ci il n’y a pas eu de refondation mais une remise en état. Réaménagement et rénovation du socle urbain de la Ville III Les principes adoptés lors de la première fondation et maintenus au moment de la refondation sont donc conservés, à savoir : • maintien de la forme circulaire de la cité dans les mêmes dimensions ; • choix de conserver l’ensemble du mécanisme hydrologique de la Ville II ; • donc maintien en activité du canal et du port ; • pas de reconstruction mais réparation de l’infrastructure là où le besoin s’en faisait sentir ; • maintien du réseau de la voirie ; • la digue continue de jouer son rôle originel même si elle se transforme depuis la Ville II en ligne de défense avancée. Cependant on observe • un exhaussement du niveau d’usage de près de 2 m au sommet de la cité (à l’emplacement du palais et des grands monuments religieux) et d’un mètre au moins à la périphérie du site (temple d’Ishtar) ; • une adaptation de certains réseaux de canalisations de la Ville II au niveau d’usage de la Ville III ; • un renouvellement du plan des grands édifices et de certains sanctuaires ; • des constructions neuves indépendantes et ponctuelles qui ne sont pas toujours en harmonie avec l’infrastructure, par exemple le Grand Palais Royal, le secteur sacré, le Petit Palais Oriental et les grandes résidences. Ces aspects vont être un peu développés, mais il était nécessaire de montrer qu’avec un support identique dans sa structure on observait une importante modification des principes d’aménagement de l’espace. Quelques traits particuliers doivent être soulignés : • Il y a eu de grands travaux dont la chronologie est difficile à établir ; certains ont été réalisés au début de la Ville III lors de la remise en état du site, comme le premier palais shakkanakku (dit « Palais Fantôme ») dont il n’est resté que des traces évanescentes témoignant seulement de son existence, ne permettant pas de retrouver le plan : il a été éliminé par le Grand Palais Royal dans le courant de l’époque shakkanakku. • La difficulté de saisir le mécanisme du renouvellement des édifices vient de ce que le niveau des sols d’usage est resté le même pendant les quelque quatre siècles de la vie de la Ville III, c’est-à-dire pendant la durée de fonctionnement de l’équilibre hydrologique à cause du réseau d’évacuation des eaux de pluie que l’on ne peut transformer facilement une fois qu’il a été mis en place. • Certains aménagements de la Ville II ont pu être repris et remis en activité en Ville III : ainsi un réseau d’évacuation de la Ville III a-t-il été branché sur une conduite plus ancienne qui fonctionnait en Ville II et est restée en activité en Ville III, au prix d’une adaptation et d’un raccordement au nouveau réseau de surface conforme au niveau d’usage. Un exemple provient du temple d’Ishtar (figure 10a-b) : après avoir modifié en direction de l’est le trajet d’origine (vers le sud) de la canalisation d’évacuation des eaux pluviales qui descend du toit dans la salle 15 lors de la reconstruction du temple d’Ishtar Récent (Ville III), les eaux ont été envoyées, avec une dénivellation d’environ 1,30 m, dans la canalisation datée de la Ville II, installée sous la rue nordsud qui longe le temple.
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salle 15
Figure 10a - L’aménagement des canalisations du temple d’Ishtar de la Ville II à la Ville III (Margueron 2017, fig. 28 et 46) : a - plan des canalisations des Villes II et III : lors de la Ville III la branche Id est abandonnée et remplacée par Ia qui va rejoindre la canalisation de la rue en fonctionnement depuis le début de la Ville II ;
Diversité des modalités d’adaptation d’une construction nouvelle au socle ancien Le choix fait, lors de la reconstruction, de ne pas réinstaller en une fois sur l’ensemble du site une infrastructure compartimentée mais de l’adapter en fonction des programmes projetés a donné une relative diversité de types de soubassement. Nature diversifiée des soubassements des édifices (figure 11)
Un plan schématique permet de rendre compte des trois formes majeures offertes par cette diversité : • le choix est fait de repartir de l’infrastructure compartimentée du niveau de la Ville II en la surélevant éventuellement pour mettre partout le sol d’usage de niveau en confondant cette surélévation avec les fondations de l’édifice ; c’est ce qui a été fait en particulier pour le temple d’Ishtar et peut-être partiellement pour le Souk ; • à la suite d’une destruction, aggravée sans doute par une forte érosion, le rattrapage du niveau d’usage ne peut se faire que par l’installation d’une nouvelle infrastructure compartimentée établie de façon ponctuelle : il semble bien que l’aménagement de la caserne du chantier E ait connu cette solution ; on la retrouve en tout cas mise en œuvre à l’emplacement de la maison du scribe située à proximité du flanc oriental du Grand Palais Royal ;
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Figure 10b - L’aménagement des canalisations du temple d’Ishtar de la Ville II à la Ville III (Margueron 2017, fig. 28 et 46) : b - le raccordement de la canalisation Ia à la canalisation Ib sous la rue : à droite mise en valeur graphique de la différence de niveau.
• cependant des fondations autonomes réalisées par un creusement dans la masse du tell ont été réalisées sans que l’on ait, semble-t-il, tenu compte de la technologie urbaine de l’infrastructure compartimentée : c’est ce que l’on observe dans une partie du secteur des temples ou pour le Petit Palais Oriental. Reconstruction ponctuelle d’une infrastructure urbaine compartimentée
Les murs de la maison du Scribe ont été édifiés en s’appuyant sur ceux d’une nouvelle infrastructure/ fondation haute de plus de 1,50 m et qui repose sur le niveau arasé de la Ville II ; la fonction de fondation se confond alors avec celle de l’infrastructure, mais la forme donnée correspond mieux à celle d’une infrastructure. Fondation autonome : le Petit Palais Oriental11 (figure 12a-b)
Cette fois les architectes ont mis en œuvre une autre technique, déjà connue par le Temple Ovale de Khafadjé12 : on creuse une grande fosse à la dimension du bâtiment à venir, profonde de 4 à 5 m selon
11. Margueron 2004, p. 350-366. 12. Delougaz 1940.
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Figure 11 - Nature du soubassement des édifices de la Ville III.
le secteur du palais et en fonction de la présence des deux tombeaux ; cette fosse est, au fur et à mesure de la construction des tombeaux, remplie d’une terre sableuse extrêmement homogène qui n’est ni une fondation, ni une infrastructure mais qui offre une solide assise parfaitement équilibrée et stable pour asseoir l’ensemble du bâtiment ; c’est une sorte de bloc de fondation dans le niveau de la Ville. Ce que les architectes antiques ont gagné dans cette opération par rapport aux difficultés présentées par le tell, a été perdu pour les archéologues qui ne peuvent plus connaître la nature de la stratigraphie enlevée pour réaliser l’énorme fosse de quelque 15 000 m3 ! Des fondations autonomes pour le Grand Palais Royal qui s’appuie en partie sur le Temple Manufacture de la Ville II (figure 13)
Les ruines du Temple Manufacture ont été arasées et nivelées, mais en tenant compte d’une surélévation de l’Enceinte sacrée, aussi l’horizontalité affecte-t-elle les trois quarts du palais, sauf la partie sacrée qui émerge de près de 2 m de l’ensemble ; des murs de fondation ont été parfois profondément enfoncés dans le niveau de la Ville II, comme on le voit pour les murs de la salle du trône ; des couches de galets, destinées à stopper les remontées humides et salées de la nappe phréatique, ont été répandues sur le niveau arasé de la Ville II et destinées à fixer dans ce secteur la base de la Ville III (figure 14).
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Figure 12 - Les travaux du Petit Palais Oriental (Margueron 2004, fig. 330 et 346) : a - plan du Petit Palais Oriental, b - les travaux d’aménagement et de construction du site : du creusement de la fosse à l’édification du palais en passant par la construction des deux tombeaux du palais.
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Ainsi le plus grand monument de la Ville III, avec une emprise au sol d’environ 2,5 ha, a-t-il été construit dès le départ sur des fondations propres (autonomes), parfois sur des murs plus anciens, mais sans une infrastructure urbaine compartimentée. La couche de galets signalée marque l’interface. Il est arrivé qu’un quartier du palais ait fait l’objet d’une élimination totale pour être remplacé par une nouvelle unité présentant certainement des carac téris tiques nouvelles : c’est le cas du bâtiment qui abritait les appartements du roi à l’époque de la domination de SamsiAddu. L’exemple est particulièrement intéressant parce qu’il a été édifié sur d’imposantes fondations posées directement sur les murs nivelés du Temple Manufacture. La réorganisation du secteur religieux sur environ 4 ha (figure 15)
Figure 13 - Fondations des appartements privés du roi
Il s’agit là aussi d’un aménagement dans le Grand Palais Royal (photo Mission archéologique de Mari AP). autonome : une nouvelle haute Terrasse, destinée à pratiquer les sacrifices, est étroitement associée au Temple aux lions, lui-même supporté par un terrassement dont la base, en fondation, repose sur un niveau arasé de la Ville II ; sur la face nord de la terrasse une rampe d’accès repose sur un niveau d’épandage de galets destiné à séparer le niveau arasé de la Ville II de la base de la Ville III et à stopper les remontées humides. La reconstruction des temples voisins de Ninhursag et de Shamash semble avoir été faite par des moyens indépendants et sans lien avec le secteur de la haute Terrasse et de son temple. Ainsi l’analyse montre que les reconstructeurs de Mari Ville III ont fait appel à une grande diversité de solutions qui n’ont pas été mises en œuvre en même temps ; certaines ont été adoptées lors de la période de restauration et de remise en route générale, d’autres à l’occasion de la réfection d’un édifice particulier. Cette diversité montre que la palette des technologies urbaines pouvait être large à condition de respecter l’impératif hydrologique avec lequel on ne peut biaiser ; il faudrait cependant être en possession d’autres exemples pour comprendre toutes les raisons des choix opérés.
Les modalités de reconstruction de Mari, Ville II, et Mari, Ville III
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Figure 14 - Couche de galets (cf. la flèche) séparant le socle nivelé du montant occidental de la porte du Temple Manufacture de la Ville II de la base de la porte du Grand Palais Royal (Ville III) (photo Mission archéologique de Mari JCM).
Figure 15 - Couche de galets couvrant le sommet arasé du secteur religieux de la Ville II précédant la construction de la rampe d’accès à la haute terrasse sacrificielle de la Ville III (photo Mission archéologique de Mari AP).
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ConClusion Ainsi Mari II et Mari III ont connu deux traitements différents. Parce que les aménageurs mésopotamiens ont tenu compte de la rencontre d’une architecture de terre très sensible à l’eau et de la nature alluviale du bassin, ils ont inventé un urbanisme « hydrologique » fondé sur une technologie qui a fait intervenir une infrastructure urbaine compartimentée pour assurer la stabilité du bâti et l’invention de la chaussée absorbante pour faciliter l’évacuation des eaux de pluie. Mais ils savaient aussi combiner cette technologie avec d’autres pratiques quand c’était nécessaire. La Ville II, malgré la présence des ruines de la Ville I, a été une ville neuve strictement édifiée selon les principes de la technologie urbaine inventée à l’aube de l’apparition des villes. La Ville III, après une violente destruction militaire et un grand incendie, est une reconstruction qui s’est appuyée sur la base de la Ville II avec maintien des limites primitives, maintien de l’ensemble du système hydrologique, maintien de l’infrastructure compartimentée et des chaussées absorbantes existantes, en y apportant toutes les réparations nécessaires pour assurer l’équilibre et le bon fonctionnement du système ; il a fallu aux architectes une grande science et une grande habileté parce qu’ils ont dû introduire dans un milieu urbain traditionnel de nouveaux bâtiments, fruits d’une transformation des besoins et de fonctions différentes selon des modes de fondation adaptés. Peut-on s’interroger sur les raisons de cette différence de traitement ? L’objectif était prioritairement de maintenir l’équilibre hydrologique entre toute la ville et son niveau de base [canal/fleuve] par la pente des rues (et leur capacité d’absorption) chargée d’assurer l’évacuation des eaux de pluie. Au moment de la construction de la Ville II, l’état du site urbain antérieur était sans doute beaucoup trop dégradé, soit à la suite de destructions, soit peut-être après un long abandon, mais peut-être aussi parce que la hauteur atteinte par la ville à la suite de divers réaménagements provoquait des dégâts sérieux lors de fortes pluies. On ne pouvait donc se contenter d’une simple adaptation et les refondateurs ont été conduits à refaire une « ville neuve ». Il se pourrait aussi qu’une modification de la vie religieuse ait poussé à une multiplication des centres religieux à l’intérieur des cités, si l’on retient le grand nombre de sanctuaires qui semblent naître alors à Mari ; mais nous ne connaissons pas assez la Ville I pour établir une comparaison entre les deux cités sur cette question. Après la destruction de la Ville II par Naram-Sin, la reconstruction de la Ville III a été immédiate ; l’équilibre hydrologique n’a pas eu le temps d’être totalement détruit même s’il a souffert, comme on peut en déceler des traces : il n’y avait donc pas lieu de reconstruire toute la base de la cité, mais d’apporter les réparations nécessaires. La reconstruction a commencé par le sommet du site et s’est poursuivie vers la base pour assurer en permanence l’écoulement des eaux ; cependant le temps mis à cette reconstruction a entraîné des destructions vers la base du site où d’importantes réparations ont été nécessaires (temple d’Ishtar). Le socle de Mari II a servi de base avec le même réseau viaire ; la reconstruction des palais s’est faite de façon indépendante ; celle des temples, en dépit de nouveautés importantes, s’est faite le plus souvent en tenant compte des précédents emplacements. Dans tout cela que doit-on admirer le plus ? L’exceptionnelle capacité des architectes et des ingénieurs à créer un monde urbain qui s’inscrit dans la durée en dépit d’une matière première fragile, ou l’aptitude de ces mêmes créateurs à s’adapter à toutes les difficultés en trouvant les parades au moment nécessaire ? [email protected] EPHE IV
Les modalités de reconstruction de Mari, Ville II, et Mari, Ville III
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BiBliographie aBu-azizeh W., rey s. 2014 « Fortifications et topographie urbaine à Mari : recherches archéologiques dans la Ville Est (chantiers N3, N4, N5 et V1) : résultats préliminaires », dans Mari, ni Est, ni Ouest (Syria. Supplément 2), Beyrouth, p. 125-160. Delougaz p. 1940 The Temple Oval at Khafājah (Oriental Institute publications 53), Chicago, The Oriental Institute. Montero fenollos j. l. 2007 « Le travail du cuivre et du bronze à Mari : un projet archéo-métallurgique », dans Akh Purattim. 1, Lyon, p. 215-219. Margueron j.-C. 2004 Mari, métropole de l’Euphrate, au III e et au début du II e millénaire av. J.-C., Paris, Picard – ERC. 2013 Cités invisibles : la naissance de l’urbanisme au Proche-Orient ancien, Paris, Geuthner. 2014a Mari, capital of Northern Mesopotamia in the third millennium bc : the archaeology of Tell Hariri on the Euphrates, Oxford – Philadelphia, Oxbow. 2014b « Mari Ville II : palais ou temple manufacture », dans Mari, ni Est, ni Ouest (Syria. Supplément 2), Beyrouth, p. 265-290. 2017 Mari, le temple d’Ishtar revisité : nouvelles conclusions, avec une contrib. de J. L. Montero fenollos, Madrid. à paraître « Aux origines du premier urbanisme : approche méthodique des conditions de sa naissance (Notes d’archéologie et d’architecture orientales. 18) ». parrot a. 1956 Mission archéologique de Mari. 1, Le temple d’Ishtar (Bibliothèque archéologique et historique 65), Paris, Geuthner.
SuSanne Görke
Reconstruire des villes et des bâtiments : perspectives de l’Anatolie hittite
L’Anatolie hittite du deuxième millénaire av. J.-C. était, comme les autres régions de cette époque (entre autres la Babylonie, l’Assyrie ou l’Égypte), marquée de conflits, de guerres et de catastrophes naturelles qui ont souvent détruit habitations et villes. Il est assez clair que beaucoup de ces villes détruites ont été rebâties pour permettre la survie de la population et donc de l’Empire. Cet article veut récapituler les mentions de la reconstruction de villes et bâtiments consignées sur des tablettes d’argile hittites, trouvées dans les archives hittites en Anatolie centrale, datant de la seconde moitié du deuxième millénaire av. J.-C. Commençons par un passage des annales du roi Muršili II, troisième roi de l’Empire hittite, qui vécut vers 1300 av. J.-C. Le passage appartient au récit de la septième année de son règne1. Or l’année suivante, j’allai au pays de Tipiya. Pendant que mon père était au pays de Mittani, Piḫḫuniya, l’homme de Tipiya, faisait route, il harcelait le Pays-Haut et il s’avançait jusqu’à Zazziša. Il enleva le Pays-Haut et c’est alors qu’il en déporta (la population) au fond du pays Kaška ; quant au pays d’Ištitina, il s’(en) empara tout entier et il en fit son terrain de pacage. Ensuite Piḫḫuniya ne gouverna pas selon la manière des Kaškas : soudain, alors que chez les Kaškas le gouvernement n’était pas (l’affaire) d’un seul, ce Piḫḫuniya gouverna à la manière de la royauté. Mon Soleil, j’allai vers lui, je lui envoyai un messager et je lui écrivis : « Mes sujets dont tu t’es emparé et que tu as déportés chez les Kaškas, renvoie-les moi ! » Mais Piḫḫuniya me fit répondre ainsi : « Je ne te rendrai rien ! Et si tu viens me livrer bataille, (ce) n’(est) en aucun cas sur mon territoire (que) je t’offrirai le combat. (C’est) dans ton pays (que) je viendrai t’affronter et (c’est) au cœur de ton pays (que) je t’offrirai le combat ! » Dès lors que Piḫḫuniya m’eut répondu ainsi et (qu’)il ne me rendait pas mes sujets, j’allai le combattre et j’attaquai son pays. La déesse Soleil d’Arinna, ma Dame, le dieu de l’Orage Muwatalli, mon Seigneur, Mezzulla et les dieux tous ensemble marchèrent devant moi : je vainquis le pays de Tipiya tout entier et je l’incendiai.
Les Hittites vécurent en Anatolie où ils créèrent entre 1600 et 1200 av. J.-C. un empire équivalent aux grands royaumes du Proche-Orient : l’Égypte, la Babylonie et l’Assyrie. Grâce aux fouilles, surtout à Boğazköy, dès le début du xxe siècle, ont été trouvées, entre autres, des milliers de tablettes d’argile. Plus récemment, de nouvelles archives ont été découvertes dans d’autres tepe ou höyük (« colline »), toutes autour de Ḫattuša, parmi lesquelles Kuşaklı-Šarišša, Ortaköy-Šapinuwa, Maşat Höyük-Tapikka, OymaağacNerik, et Kayalıpınar-Šamuḫa. En majorité il s’agit de fragments de tablettes ; une des tâches principales de l’hittitologie d’aujourd’hui est d’essayer de diminuer le nombre de fragments en les joignant pour en faire des tablettes entières. Même si l’on est forcé de s’appuyer souvent sur des textes incomplets, ils donnent une image de la civilisation hittite : les annales et textes historiques, les traités et la correspondance royale
1.
KBo 3.4+ iii 70-91 ; trad. j.-p. grélois, « Les annales décennales de Mursili II (CTH 61, 1) », Hethitica 9, 1988, p. 17-146, ici p. 85.
Reconstruire les villes : modes, motifs et récits, éd. par Emmanuelle Capet, Cécile Dogniez, Maria gorea, Renée KoCh piettre, Francesco Massa, Hedwige rouillarD-Bonraisin (Semitica & classica. Supplementa 1), Turnhout, 2019, p. 45-52 DOI 10.1484/M.SUPSEC-EB.5.118513
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témoignent de l’histoire des Hittites ; les lois, les instructions et donations royales (« Landschenkungsurkunden ») donnent un aperçu de l’économie et de l’administration hittites ; et de nombreux textes religieux permettent de reconstituer le monde des représentations hittites. Ces derniers contiennent des descriptions de fêtes officielles et offrent des détails sur la façon dont le roi et la famille royale vénéraient les dieux ; ils contiennent aussi des descriptions des cultes locaux et des rituels magiques pour guérir des maladies ou des impuretés ou protéger contre la diffamation. En général, on divise l’histoire hittite en trois périodes : l’Ancien Royaume hittite entre environ 1600 et 1500 av. J.-C., avec Ḫattušili Ier et Muršili Ier comme rois les plus importants, le Moyen Royaume ou l’époque pré-impériale avec notamment un roi Arnuwanda Ier, puis l’Empire hittite qui commence avec Šuppiluliuma Ier en 1350 environ et qui s’achève après Šuppiluliuma II vers 1180 av. J.-C. Les rois Muršili II, Muwatalli II, Ḫattušili III et Tutḫaliya IV mentionnés par la suite appartiennent à cette époque2. La citation tirées des annales de Muršili II montre que la destruction des villes vaincues faisait partie de la stratégie de conquête d’un pays ennemi. Il est cependant rare que l’on trouve l’indication que les villes détruites eussent été reconstruites. Voici la suite du passage des annales de Muršili3 : Je capturai aussi Piḫḫuniya et je l’emmenai à Ḫattuša. Ensuite je revins du pays de Tipiya et, comme Piḫḫuniya s’était emparé du pays d’Ištitina, je le rebâtis et j’en fis à nouveau un pays (dépendant) du pays hittite.
Le motif de la reconstruction est donc claire : l’élargissement du territoire hittite ou, du moins, l’incorporation d’une ville vaincue au sein de l’Empire4. La question de la reconstruction d’une ville se retrouve aussi dans la correspondance des rois hittites. Une lettre akkadienne de la « Maison d’Urtēnu » dans la ville d’Ugarit dit5 : De la part du roi [de Karkemiš] dis à Niqmaddu, roi d’Ugarit : que cela aille bien pour toi ! (Pour) Alalaḫ, le Soleil n’aurait-il pas écrit que la restauration était entre tes mains ? Pourquoi tes contingents n’accomplissent-ils pas les travaux d’Alalaḫ, et, quand tu envoies tes contingents, (n’y) demeurent-ils (que) cinq ou six jours avant de s’agiter et de tous disparaître ? À présent voici : je t’envoie Madī-Dagan, le scribe ; remets-lui un contingent de deux cents hommes. Si tu ne (le) fais pas, sache que j’en référerai au Soleil et que (sa) vindicte t’atteindra. En effet les travaux d’Alalaḫ restent à l’abandon de ton fait.
Il devient clair que le roi hittite, désigné ici comme « le Soleil », a mandaté le roi d’Ugarit de s’occuper de travaux de restauration à Alalaḫ. L’expéditeur de cette lettre, le roi de Karkemiš (un vassal du roi hittite), rappelle énergiquement le roi d’Ugarit à son devoir, lui demandant deux cents ouvriers pour achever les travaux à Alalaḫ. Le roi hittite prenait donc soin des travaux de reconstruction dans son Empire. L’exemple par excellence de l’intérêt des Hittites pour tenir une ville sous leur souveraineté pendant une période assez longue est le cas de la ville de Nérik au nord de l’Empire. La cité de Nérik est associée à une fête importante des Hittites : la fête purulli-. Cette fête, dont le nom peut être expliqué par le mot hatti pur, signifiant « terre, monde », se déroulait au printemps pour la prospérité du roi, de la famille royale et du pays. En raison de son importance pour la cour royale, elle a été célébrée pendant toute l’histoire
2.
Sur les activités édilitaires des rois hittites Muršili II, Ḫattušili III et Tutḫaliya IV, voir r. leBrun, « À propos de quelques rois hittites bâtisseurs », dans Archéologie et religions de l’Anatolie ancienne : mélanges en l’honneur du professeur Paul Naster, éd. par r. DonCeel et r. leBrun (Homo religiosus 10), Louvain-la-Neuve, 1983, p. 157-166.
3.
KBo 3.4+ iii 92-95 ; j.-p. grélois, « Les annales décennales de Mursili II » (supra, n. 1), p. 85 et suiv.
4.
Voir aussi r. leBrun, « À propos de quelques rois hittites bâtisseurs » (supra, n. 2), p. 157.
5.
RS 94.2079+2367 ; s. laCKenBaCher, f. MalBran-laBat, Lettres en akkadien de la « Maison d’Urtēnu ». Fouilles de 1994 (Ras Shamra-Ougarit 23), Leuven – Paris – Bristol 2016, p. 67-68.
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hittite, mais dans des circonstances changeantes. Au cours de la période médio-hittite, la région autour de Nérik fut prise par les Kaškas ; l’accès au centre religieux hittite était donc refusé aux Hittites. Le roi Ḫattušili III décrivit la situation plus tard – pendant l’Empire hittite – de la manière suivante dans une prière à la déesse du Soleil d’Arinna6 : Le pays de Nér[ik jadis (?)] sous les anciens rois avait soudain été anéanti : sur les voies [il y avait] des broussailles. Nérik était comme une pierre dans l’[eau]. En bas, dans l’eau profonde, [était Nérik].
Le culte de Nérik a été transféré dans la ville de Ḫakmiš, ce qui est relaté dans une prière du couple royal Ašmunikkal et Arnuwanda Ier7 : Puisque nous (sommes) res[pectu]eux des dieux, nous nous sommes justement pliés aux fêtes des dieux. Et puisque les Kaškas ont pris possession du pay[s] de [N]érik, nous enverrons constamment des offrandes au dieu de l’Orage de Nérik et aux dieux de Nérik de Ḫattuša à Ḫakmiš : des pains de sacrifice, des libations, des bovins (et) des ovins.
Plus tard le culte du dieu de l’Orage dut être déplacé à Utruna, de localisation inconnue. C’est le roi Ḫattušili III qui vainquit les Kaškas pour rétablir la paix dans les régions au nord de Ḫattuša, environ 150 années après Arnuwanda Ier. Vraisemblablement c’est aussi lui qui ramena le culte à Nérik, comme l’atteste ce passage : « [Si] maintenant on emmène le dieu, mon Seigneur, de la ville d’Utruna à Nérik, […] »8. L’importance de Nérik pour Ḫattušili se manifeste dans la suite de la prière à la déesse du Soleil d’Arinna mentionnée plus haut : J’ai peuplé le pays de Nérik, j’ai rebâti Né[rik en tant que ville] et je me suis donné corps et âme au pays de Né[rik.] De ceux qui, jadis, furent rois et aux[quels] le dieu de l’Orage avait donné une arme, les ennemis ont toujours triomphé si bien que personne ne ré[cupéra] le pays de Nérik et que personne ne le [reconstruisit.]9 […] Pourquoi donnerais-je [N]érik à un autre ? [Eh bien !] que je meure justement [à] cause de [Nér]ik !10
La reconstruction de Nérik est aussi mentionnée dans certains comptes rendus d’oracles11 : Aussitôt qu’il (Sa Majesté) arrive à la ville de Ḫatenzuwa, il entre dans la ville de Nérik et réédifie la ville. Je vais consulter l’oracle au sujet de la ville de Nérik, (pour savoir) si je dois d’abord battre les ennemis ou si je dois d’abord célébrer la fête de purulli.
6.
KUB 21.19+ vo iii 11′-15′ (CTH 383.1) ; trad. d’après r. leBrun, Hymnes et prières hittites (Homo religiosus 4), Louvain-la-Neuve, 1980, p. 320 avec des changements ; cf. E. rieKen et al. (ed.), hethiter.net/: CTH 383.1 (http:// www.hethport.uni-wuerzburg.de/txhet_gebet/intro.php?xst=CTH 383.1&prgr=&lg=DE&ed=E. Rieken et al.), § 9″ – 20.3.2018.
7.
KUB 17.21+ vo iv 5-10 (CTH 371.1) ; trad. d’après r. leBrun, Hymnes (supra, n. 6), p. 147.
8.
KUB 48.119 ro ? 9″-10″ ; j. De roos, Hittite votive texts (PIHANS 109), Leiden, 2007, p. 209, 211. De Roos date ce texte du règne de Ḫattušili III (ibid., p. 37 avec note 180).
9.
KUB 21.19+ vo iii 19″-25″ (CTH 383.1) ; trad. d’après r. leBrun, Hymnes (supra, n. 6), p. 320 et suiv.
10. KUB 21.19+ vo iii 34″ et suiv. ; r. leBrun, Hymnes (supra, n. 6), p. 321. 11. KUB 22.25+ ro 18-21 ; e. von sChuler, Die Kaškäer, Berlin, 1965, p. 176-177. Selon p. CaMatta, « Die Stadt Ḫanḫana und ein Identifizierungsvorschlag », Altorientalische Forschungen 33, 2006, p. 263-270, en part. p. 266, Sa Majesté est Ḫattušili III. Il y a une relation étroite entre les oracles KUB 22.25+ et KUB 5.1+ (ibid., p. 266 ; j. orlaMünDe, « Zur Datierung und historischen Interpretation des hethitischen Orakelprotokolls KUB 5.1+ », dans Akten des IV. Internationalen Kongresses für Hethitologie, Würzburg, 4.-8. Oktober 1999, hrsg. von g. WilhelM [Studien zu den Boğazköy-Texten 45], Wiesbaden, 2001, p. 511-523, en part. p. 512 avec n. 6 ; v. haas, Hethitische Orakel : Vorzeichen und Abwehrstrategien, Berlin – New York, 2008, p. 109), KUB 5.1+ étant daté du roi Tutḫaliya IV par j. orlaMünDe (ibid.), il se pourrait que la « Majesté » de KUB 22.25+ soit Tutḫaliya IV. La question de savoir si la mention du « père de Sa Majesté » (par exemple KUB 22.25+ ro 29) indique que Tutḫaliya IV n’était pas encore intronisé reste ouverte.
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Dans un autre oracle on lit12 : Vais-je contenter l’âme irritée du dieu de l’Orage de la ville de Nérik en détruisant un jour la ville de Tanizila ? Vais-je calmer son âme par cela ?
La justification invoquée pour la destruction d’une ville pourrait donc être l’apaisement d’une colère divine. Le cas de Nérik montre clairement – même si les textes sont assez avares en détails – que certains rois hittites ont le souci d’une ville, mais cela s’explique par l’importance de Nérik pour les cultes aux dieux de la famille royale. D’autres allusions à la reconstruction des villes ou bâtiments sont rares. Le roi Tutḫaliya IV est connu pour ses « Kultreformen » (« réformes du culte ») ; c’est-à-dire qu’il veillait à ce que les cultes dans les différentes villes fûssent exécutés selon les règles et que les objets et matériaux nécessaires fûssent disponibles. Il a donc rétabli les vieux cultes, comme l’indique ce texte13 : (Concernant la ville de) Ḫal[i]nzuwa : Sous les anciens rois la ville est tombée en ruine et les représentations divines sont tombées en ruine. Sa Majesté Tutḫaliya a rebâti la ville. On a refait les représentations [divines] comme il suit : on a appliqué un carnier (et) un disque sol[aire] d’or, de dix shekels, au dieu Zitḫariya. [On a construit un nouveau] temp[le pour lui.]
Les textes religieux montrent que les objets du culte étaient prioritaires par rapport à la reconstruction de la ville ou du temple. Cela se voit aussi dans les prières, telle celle d’Arnuwanda Ier et Ašmunikkal, de l’âge pré-impérial, où le couple royal rappelle qu’autrefois personne n’avait pris soin des temples des dieux et enchaîne avec une description des biens, des statues, des rites, des fêtes qu’eux deux ont renouvelés – mais il ne dit mot de la rénovation des temples14. Toutefois, en ce qui concerne la reconstruction des bâtiments, on trouve quelques renseignements dans différents genres des textes. Dans un exemple vieux-hittite tiré d’un paragraphe des lois hittites, on peut lire15 : Si un homme libre met le feu à une maison, il doit rebâtir la maison. Ce qui disparaît dans la maison – personnes, bovins, ovins – c’est un dommage et il doit en donner compensation.
Malheureusement, on n’apprend rien de plus. Concernant les temples, ce sont les instructions royales qui donnent des informations, plus précisément les instructions aux BĒL MADGALTI, les seigneurs de la garde frontière. Leur tâche était de protéger et administrer les postes militaires à la frontière, surtout contre les Kaškas au nord de l’Empire. Ces instructions forment une collection de textes, dans lesquelles le roi Arnuwanda Ier, au moyen-âge hittite, donne ses ordres16 : Dans la ville dans laquelle le BĒL MADGALTI, le seigneur de la garde frontière, retourne, il doit compter les spécialistes des rituels, les prêtres, les « oints » et les « prêtresses de la divinité maternelle » et il doit leur dire : « Dans cette ville, chaque temple du dieu de l’Orage ou des autres dieux est négligé et délabré. Prêtres, prêtresses
12. KUB 5.1+ ro 92-93 ; v. haas, Hethitische Orakel (supra, n. 11), p. 114. 13. KUB 38.35 i 1-5, J. hazenBos, The organization of the Anatolian local cults during the thirteenth century bc : an appraisal of the Hittite cult inventories (Cuneiform monographs 21), Leiden – Boston, 2003, p. 49-50 ; cf. Chicago Hittite dictionary. Š, p. 459. 14. a. Daues, e. rieKen, Das persönliche Gebet bei den Hethitern : eine textlinguistische Untersuchung (Studien zu den Boğazköy-Texten 63), Wiesbaden, 2018, p. 329 versets 7-15. 15. KBo 6.2 iv 53-55 ; h. a. hoffner Jr., The laws of the Hittites : a critical edition, Leiden – New York – Köln, 1997, p. 95 et suiv. (§ 98). 16. KUB 13.2+ ii 26′-35′ ; j. l. Miller, Royal Hittite instructions and related administrative texts (Writings from the Ancient world 31), Atlanta, 2013, p. 226-227.
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de la divinité maternelle, et “oints”, il (le temple) est négligé. Vous devez y faire attention ! » Et ils doivent le reconstruire. Ils doivent le reconstruire comme il était construit auparavant.
Le texte continue avec la mention d’ordres concernant la vénération qu’il convient de montrer aux dieux et le soin des objets nécessaires au culte17 : En plus, la vénération des dieux doit être maintenue. Le dieu de l’Orage doit être vénéré grandement. Si un temple suinte (des toits), le seigneur de la garde et le magistrat doivent le réparer. Si quelque vaisselle du dieu de l’Orage ou l’équipement d’un autre dieu sont brisés, les prêtres, les « oints » et les « prêtresses de la divinité maternelle » doivent les remplacer.
Le paragraphe suivant veut rappeler le calendrier du culte. La prière du roi Muwatalli II à Teššup de Kummanni fait mention de la reconstruction d’une chambre šinapši ou de « lieux purs », qui ont subi une profanation, qui sont reconstruits de façon correcte ou qui sont purifiés18. Une tablette d’argile contient un rituel pour reconstruire un temple. Malheureusement, seuls le début et la fin sont conservés ; toutefois on peut y lire ceci19 : Ainsi (parlent) Dakuja, Ašnunigalli et Mati, les prêtres AZU : Dans le temple de la déesse Ḫebat, qu’on a rénové, on frappe un (autel) kupti-. Pour/sur le kupti- on frappe ce qui suit […]
Ce passage est suivi d’une liste de sacrifices, y compris d’animaux, de fruits et de pains. Le kupti- fait probablement partie de l’inventaire d’un temple. Rita Strauß a suggéré que le kupti- était un petit autel ou la partie d’un autel20. Si cela est vrai, le texte ne décrit pas la rénovation du temple, mais plutôt les rites nécessaires après une rénovation, pour établir et assurer la destination correcte la destination du bâtiment. Les indications sur la reconstruction des villes et bâtiments sont donc très rares dans les textes hittites. Curieusement, les indications sur la construction le sont également ; je veux faire ici référence à un article de G. Beckman, qui en 2010 a rassemblé onze textes, pour la moitié assez fragmentaires, qui concernent la construction d’une maison ou d’un temple21. Parmi les rituels de fondation hittites, on en trouve trois qui décrivent la construction d’un temple en correspondance avec la mise en place du règne du roi hittite22. Ce sont donc plutôt des textes mythologiques que des descriptions rituelles. Un texte assez bien préservé parle de la construction d’un nouveau temple destiné à la déesse de la Nuit et du transfert de la divinité dans son sanctuaire23.
17. KUB 13.2+ ii 36′-41′ ; j. l. Miller, Royal Hittite instructions (supra, n. 16), p. 226-227. 18. KBo 11.1 ro 33 : EGIR-pa SIG5-aḫmi « je (les) fais bien » (r. leBrun, Hymnes [supra, n. 6], p. 301 : « je vais y apporter réparation ») et 34 šuppiya[ḫḫanzi] « on (les) nettoie » (r. leBrun, Hymnes, p. 301 : « on resacralisera ») ; a. Daues, e. rieKen, Das persönliche Gebet (supra, n. 14), p. 417 versets 75, 84. 19. KUB 9.2 i 1-4 ; r. straus, Reinigungsrituale aus Kizzuwatna, Berlin – New York, 2006, p. 274-275. 20. r. straus, Reinigungsrituale (supra, n. 19), p. 79-92. 21. g. BeCKMan, « Temple building among the Hittites », dans From the foundations to the crenellations : essays on temple building in the Ancient Near East and Hebrew Bible, ed. by M. j. BoDa & j. novotny (Alter Orient und Altes Testament 366), Münster, 2010, p. 71-89 et 451-455. Cf. aussi r. leBrun, « À propos de quelques rois hittites bâtisseurs » (supra, n. 2). 22. CTH 726, CTH 725, CTH 414 ; G. torri, S. görKe, « Hittite building rituals : interaction between their ideological function and find spots », dans Approaching rituals in ancient cultures = Questioni di rito : rituali come fonte di conoscenza delle religioni e delle concezioni del mondo nelle culture antiche, ed. by C. aMBos & l. verDeraMe (Rivista degli studi orientali. Nuova serie, Supplemento 2), Pisa – Roma, 2013, p. 287-300, en part. p. 289-293. 23. CTH 481 ; j. Miller, Studies in the origins, development and interpretation of the Kizzuwatna rituals (Studien zu den Boğazköy-Texten 46), Wiesbaden, 2004, p. 259-439 ; g. BeCKMan, « Temple building » (supra, n. 21), p. 80-85.
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De plus, le CTH 413 décrit la fondation d’un temple24 : Quand l’on bâtit un nouveau temple ou de nouvelles maisons dans un endroit non encore touché et quand l’on pose les pierres de fondation, on place en dessous ce qui suit : cuivre, 4 piquets en bronze, 1 petit marteau en fer.
Le texte continue avec la description des sacrifices accomplis aux angles du bâtiment, sous les piliers et sous les soubassements. Néanmoins, jusqu’à maintenant, aucun dépôt ni reste de sacrifice comme ceux décrits dans CTH 413 n’a été trouvé en Anatolie hittite25. De plus, contrairement à la Mésopotamie, on ne trouve pas de textes du genre « Bauinschriften » chez les Hittites. La seule exception parait être l’inscription SÜDBURG à Ḫattuša, une inscription historique en hiéroglyphes contenant la description de la conquête de diverses cités d’Anatolie et la mention des villages que construisit Šuppiluliuma II, le dernier roi de l’Empire hittite. Il fait aussi référence à la construction du bâtiment où l’inscription fut placée26. Si l’on considère les nombreuses guerres et leurs conséquences à l’époque hittite, on est frappé que les textes mentionnent peu le thème de la construction ou reconstruction de bâtiments. L’archéologie fournit une autre raison pour la nécessité de reconstruire un bâtiment : dans les fouilles de Kuşaklı-Šarišša, l’archéologue A. Müller-Karpe a déterré un mur, qui, à l’origine, avait un tracé droit, mais dont la partie antérieure glissa vers la droite à la suite d’un tremblement de terre27. Une autre indication d’un tremblement de terre se trouve dans l’une des pièces du grand temple de Šarišša, équipée de grandes dalles au sol, audessous dequelles est visible une faille, qui fut soigneusement recouverte28. Les catastrophes naturelles entraînaient elles aussi une obligation de reconstruire les bâtiments, bien qu’aucun témoignage ne s’en retrouve dans les textes. En première conclusion, la question de reconstruire ou rebâtir apparaît dans différents types de textes de la culture hittite. Les annales des rois hittites, ici exemplifiées par des extraits de celles du roi Muršili II, ainsi que la correspondance d’Ugarit font allusion à la destruction des villes vaincues et aussi à la reconstruction au moins en partie des villes détruites. Le cas de la ville de Nérik montre que le souci de reconstruire une ville trouve sa source dans la valeur symbolique de cette ville, notamment en rapport avec la royauté hittite. En outre, les textes donnent les causes de la dégradation d’un bâtiment et font état de la nécessité de le reconstruire : incendie de guerre ou d’un incendie volontaire ; négligence ; à quoi s’ajoutent les tremblements de terre révélés par les fouilles archéologiques. Toutefois, le nombre des références textuelles concernant la construction ou la reconstruction des villes et bâtiments reste très limité. La raison de ce faible nombre doit donc être cherchée ailleurs. Selon moi, il faut tout d’abord tenir compte du genre des textes. Les annales sont plutôt des rapports sur les devoirs des rois envers les dieux comme l’exprime la fin des annales de Muršili29 :
24. KBo 4.1+ vo 1-4 ; voir S. görKe (ed.), hethiter.net/ : CTH 413.1 §1 – 28.3.2018. 25. Cf. g. BeCKMan, « Temple building » (supra, n. 21), p. 88-89. 26. j. D. haWKins, The hieroglyphic inscription of the sacred pool complex at Hattusa (SÜDBURG) (Studien zu den Boğazköy-Texten. Beiheft 3), Wiesbaden, 1995. En raison de son caractère logographique la compréhension de l’inscription reste difficile. Elle montre toutefois que les inscriptions hiéroglyphiques ont une fonction différente de celles des tablettes d’argile à écriture cunéiforme. 27. a. Müller-Karpe, Sarissa : die Wiederentdeckung einer hethitischen Königsstadt, Darmstadt, 2017, p. 135-139, avec fig. 134. 28. Ibid., p. 135-136, avec fig. 131 et 132. 29. KBo 3.4+ iv 47f. ; j.-p. grélois, « Les annales décennales de Mursili II » (supra, n. 1), p. 88.
Reconstruire des villes et des bâtiments : perspectives de l’Anatolie hittite
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Or ce que la déesse Soleil d’Arinna, ma Dame, transmet (comme tâche) à moi, je l’accomplirai, (je l’écrirai sur une tablette) et je le déposerai (devant elle).
Les annales sont donc en général assez courtes et peu détaillées, le passage des annales de Muršili cité ci-dessus présentant une exception. Cette attitude dérive de l’idéologie royale hittite. Le roi hittite était l’administrateur du pays appartenant aux dieux, notamment au dieu de l’Orage et à la déesse du Soleil. Ces deux divinités ont mandaté le roi pour gouverner leur pays ; si le roi remplit son devoir de gouverner le pays et vénérer les dieux, eux, en échange, garantiront la prospérité et le bien-être du roi, de la famille royale et du pays hittite, comme cela est exprimé dans le passage suivant30 : Le pays (appartient) seulement au dieu de l’Orage. Le ciel et la terre avec le peuple (appartiennent) seulement au dieu de l’Orage. Lui, il faisait du tabarna, le roi, (son) administrateur et lui donnait le pays entier de Ḫattuša. Le tabarna doit gouverner le pays entier avec (sa) main.
Un des rares textes où le roi est désigné comme le fils du dieu de l’Orage est CTH 414, qui contient un rituel de construction ancien-hittite, où on trouve une référence au roi nommant le dieu de l’Orage son père31. Ailleurs, l’appellation d’un dieu comme père ou mère se rencontre rarement dans les prières moyen-hittites, qui montrent une influence mésopotamienne : « Mais toi, mon dieu, tu (es) comme un père pour moi ! »32 L’appellation régulière du dieu dans les prières hittites est « mon seigneur », le roi étant le serviteur, ce qui est déjà exprimé dans la prière moyen-hittite de Kantuzili33. La tâche du roi était donc la vénération des dieux, l’exécution de leurs ordres ou leur apaisement, ce qui s’accomplissait pendant les fêtes, comme cela est décrit dans les textes qui décrivent les fêtes religieuses et les inventaires du culte, d’où l’importance d’enregistrer les réglementations rituelles et les objets du culte. L’existence d’un temple est présupposée. De plus, il semble que le roi hittite n’était pas tenu de mettre en valeur sa position devant son peuple, en tout cas pas dans les textes trouvés jusqu’à présent. Il n’avait pas besoin de souligner la grandeur de ses édifices en mentionnant ses œuvres sur des tablettes d’argile confinées dans les archives royales hittites. Cela changea à la fin de l’Empire hittite quand les premières inscriptions en hiéroglyphes louvites virent le jour. Parmi celles-ci se trouvent beaucoup de récits de construction sur de grands blocs de pierres exposés à la vue de la population34. La majorité des inscriptions louvites, surtout au premier millénaire av. J.-C., font partie de ce répertoire. Dans ces textes, on trouve souvent la brève mention d’une construction35 : Je construisis le temple du dieu de Harmana.
Des notices explicatives sur une reconstruction sont rares également36 :
30. IBot 1.30 ro 2-6 ; cf. Chicago Hittite dictionary. L-N, p. 42-43, 132-133, 169a. 31. KUB 29.1 ro i 26, 30 ; s. görKe (éd.), hethiter.net/ : CTH 414.1 – 13.4.2018. Cf. supra et note 22. 32. KUB 30.11+ vo 24′ ; a. Daues, e. rieKen, Das persönliche Gebet (supra, n. 14), p. 325 versets 78 et suiv. Cf. aussi ibid., p. 351 verset 160 : « Toi, [mon] dieu, tu es le père pour moi ! » 33. KUB 30.10 vo 8 : « Moi ici, Kantuzili, ton serviteur, je t’ai appelé [ ] » ; a. Daues, e. rieKen, Das persönliche Gebet (supra, n. 14), p. 339 verset 70. 34. Voir a. payne, Iron Age hieroglyphic Luwian inscriptions (Writings from the Ancient World 29), Atlanta, 2012, p. 14, 59-88. 35. KARKAMIŠ A15b, § 10 ; a. payne, Luwian inscriptions (supra, n. 34), p. 85-86 ; j. D. haWKins, Corpus of hieroglyphic Luwian inscriptions. 1, Inscriptions of the Iron Age, Berlin – New York, 2000, p. 131. 36. HAMA 3 ; a. payne, Luwian inscriptions (supra, n. 34), p. 62-63 ; j. D. haWKins, Hieroglyphic Luwian inscriptions (supra, n. 35), p. 413.
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Je (suis) Uratamis, le fils d’Urhilina, roi de Hama. Je construisis moi-même cette forteresse que celui du pays de Musanipa a bâti (antérieurement).
Selon A. Payne, les activités de construction et reconstruction par les souverains louvites de l’Anatolie du sud et de la Syrie du nord-ouest révèlent une volonté d’affirmation du pouvoir et puissance37, comme le montre une déclaration d’Azatiwada de Karatepe38 : J’ai construit des forteresses puissantes à la frontière, où il y avait des hommes mauvais : brigands qui ne se sont pas battus(?) sous la maison de Muksas. Et moi, Azatiwada, les mis sous mes pieds. Dans ces lieux j’ai construit des forteresses afin que le pays d’Adanawa y habite paisiblement.
A. Payne remarque aussi que le souverain était désigné par les dieux, comme l’exprime une inscription de Tell Ahmar : « Ils (les dieux) me donnèrent mon pouvoir paternel »39 ou « Mes dieux paternels m’aimaient et m’installaient sur le trône de mon père »40, ce qui est comparable à la situation de l’Anatolie hittite41. L’idéologie royale et le concept de la royauté paraissent donc s’être prolongés des Hittites du deuxième millénaire aux États néo-hittites du début du premier millénaire de Syrie du nord et d’Anatolie du sudouest. L’importance croissante du nombre des inscriptions louvites de construction et reconstruction doit par conséquent être cherchée ailleurs. Certaines inscriptions phéniciennes peuvent offrir une explication à cela, notamment des inscriptions du début du premier millénaire av. J.-C., comme l’inscription de Jeḥīmilk du milieu du xe siècle42 ou celle de Šipiṭbaʿal de la fin du xe siècle43, qui sont précisément des inscriptions de construction44. En outre, les bilingues phéniciennes-louvites KARATEPE 1 et ÇINEKÖY45 contiennent, entre autres, des passages décrivant des activités autour du bâtiment. Il est tout à fait envisageable que le contact avec le monde phénicien ait abouti à l’élaboration d’inscriptions d’un type jusque là inconnu dans le monde anatolien. Ainsi ces inscriptions de construction et reconstruction, tout en conservant des éléments anatoliens, se trouvent reliées à une tradition bien connue dans le Levant et en Mésopotamie. Si l’on tient compte du fait qu’il y avait déjà une inscription de construction en hiéroglyphes en Anatolie, l’inscription SÜDBURG, contenant des thèmes portant sur la construction, il est peut-être préférable de supposer que le contact avec le monde phénicien résulta dans l’éveil d’un genre qui pointe en Anatolie vers la fin de l’Empire hittite. [email protected] Akademie der Wissenschaften und der Literatur, Mainz – Marburg
37. a. payne, Luwian inscriptions (supra, n. 34), p. 59. 38. KARATEPE 1 § 19-24 ; a. payne, Luwian inscriptions (supra, n. 34), p. 25-26, 40 ; j. D. haWKins, Hieroglyphic Luwian inscriptions (supra, n. 35), p. 51. 39. TELL AHMAR 1 § 4 ; a. payne, Luwian inscriptions (supra, n. 34), p. 103, 105 ; j. D. haWKins, Hieroglyphic Luwian inscriptions (supra, n. 35), p. 240-241. 40. MARAŞ 1 § 4 ; a. payne, Luwian inscriptions (supra, n. 34), p. 53-54 ; j. D. haWKins, Hieroglyphic Luwian inscriptions (supra, n. 35), p. 263-264. 41. Cf. aussi l’inscription KULULU 4 ; a. payne, Luwian inscriptions (supra, n. 34), p. 50-51 ; j. D. haWKins, Hieroglyphic Luwian inscriptions (supra, n. 35), p. 445-447, qui fournit d’autres éléments de ressemblance avec des textes de l’Empire hittite. 42. h. Donner, W. röllig, Kanaanäische und aramäische Inschriften. 2, Kommentar, 3. unveränderte Aufl., Wiesbaden, 1973, no 4 p. 6-7. 43. Ibid., no 7 p. 9. 44. Ibid., p. 1 et aussi les inscriptions no 1 p. 2-4 (sarcophage d’Aḥīrōm, environ 1000 av. J.-C.), no 6 p. 8 (ex-voto de ʾElībaʿal, environ 900 av. J.-C.). 45. a. payne, Luwian inscriptions (supra, n. 34), p. 20-44. KARATEPE 1 du ixe ou viiie siècle ; ÇINEKÖY du viiie siècle.
RobeRt Hawley
Échos de la reconstruction de la ville d’Ougarit au xiiie siècle av. J.-C. dans la littérature locale
introDuCtion Dans le contexte d’un volume tel que celui-ci, qui réunit des travaux sur tant de sites et de périodes différents, il convient tout d’abord de brièvement situer la ville d’Ougarit dans son contexte historique et culturel1. Métropole qui servait de capitale à un royaume homonyme situé sur la côte syrienne, Ougarit connaît son apogée historique et culturel pendant les derniers siècles du IIe millénaire avant notre ère, à la toute fin de l’âge du Bronze récent, quand elle se trouvait au cœur d’enjeux variés2. Politiquement, même si le royaume d’Ougarit faisait partie de l’Empire hittite, étant près de ses marges méridionales, il était aussi en contact étroit avec des voisins du sud et de l’est : la sphère égyptienne et l’Assyrie en phase d’expansion. Sur le plan économique Ougarit se situait au carrefour des circuits méditerranéens et des chemins terrestres par lesquels arrivaient les caravanes de l’Est mésopotamien3. Par conséquent la ville d’Ougarit était riche et témoignait d’une grande diversité culturelle : sa population locale réunissait des souches linguistiquement mélangées, ouest-sémitique et hourrite, mais comme toute capitale et ville portuaire prospère elle était aussi peuplée de gens de tous horizons qui traversaient cette Méditerranée orientale à la fin de l’âge du Bronze4. C’est avec cet arrière-plan économique et culturel dynamique que se comprennent plusieurs éléments du dossier étudié dans cet article : celui de la reconstruction de la ville d’Ougarit à la suite d’un tremblement de terre qui aurait ravagé le site au milieu du xiiie siècle avant notre ère. En effet, l’ambition et l’étendue de ce projet de reconstruction, qui a nécessité une profonde réorganisation de plusieurs quartiers – non seulement des secteurs royaux et sacrés mais aussi des quartiers résidentiels –, ainsi que le déploiement de techniques architecturales et urbanistiques nouvelles, reposent sur une certaine solidité économique et culturelle. Le volet « culturel » de ce vaste projet qui visait à reconstruire toute la ville d’Ougarit est en outre documenté par plusieurs sources, qui sont non seulement archéologiques et architecturales, mais aussi textuelles et même mythologiques. Ainsi, ce sont aussi les traditions littéraires et intellectuelles d’Ougarit
1.
Voir yon 2006 ; saaDé 2011.
2.
Pour l’histoire politique du royaume, les synthèses classiques demeurent singer 1999 et freu 2006, mais une mise à jour est nécessaire, à la suite de la publication de nouvelles sources dans BorDreuil et al. 2012, et surtout dans laCKenBaCher & MalBran-laBat 2016.
3.
Monroe 2009.
4.
MalBran-laBat 1999.
Reconstruire les villes : modes, motifs et récits, éd. par Emmanuelle Capet, Cécile Dogniez, Maria gorea, Renée KoCh piettre, Francesco Massa, Hedwige rouillarD-Bonraisin (Semitica & classica. Supplementa 1), Turnhout, 2019, p. 53-63 DOI 10.1484/M.SUPSEC-EB.5.118514
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qui nous concernent ici, en ce qu’elles offrent un témoignage éloquent de cette mixité : en contrepartie d’une littérature véritablement locale rédigée avec un alphabet (le plus ancien qui nous soit connu), les érudits de la ville lisaient et copiaient non seulement les belles-lettres babyloniennes (sumériennes, assyriennes)5, mais aussi quelques œuvres mittaniennes (et donc hourrites)6 et même hittites7, ce qui donnait à leurs nombreuses bibliothèques une variété et une richesse probablement rarement réunies dans les différentes sociétés du monde cunéiforme8. Ougarit s’impose ainsi comme une des villes les mieux documentées de tout le Levant pour cette période, non seulement grâce à sa longue histoire de fouilles et à l’étendue considérable des niveaux dégagés datant du Bronze récent, mais aussi et surtout grâce à ses archives. Il s’agit donc ici d’un dossier particulièrement intéressant et prometteur, car les sources pour son étude sont relativement abondantes, et de nature très variée, nous livrant ainsi une occasion, assez rare finalement, de pouvoir exploiter une combinaison riche de données à la fois archéologiques, architecturales et textuelles.
histoire De la DisCussion et perspeCtives De reCherChe Sur la base de nombreuses observations architecturales et archéologiques portant essentiellement sur le quartier nord de la ville, l’architecte O. Callot9 a fait remarquer dès 1986 que « la question se pose alors de savoir s’il n’y a pas eu, au courant du xiiie siècle, une […] catastrophe d’origine sismique qui aurait été à l’origine d’un complet remaniement de certains quartiers et, qu’à cette occasion, le pouvoir royal en ait profité pour agrandir le Palais. »10 Ensuite, dans son étude des quartiers résidentiels de la « Ville sud », publiée quelques années plus tard, il a élargi sa perspective au-delà de la zone royale, tout en continuant à reconnaître « un grand programme de réorganisation de l’espace urbain, y compris la création, comme dans le secteur royal du quartier nord, de grandes places centrales ». Ce vaste programme urbanistique aurait été provoqué par « un séisme qui se serait produit vers le milieu du xiiie siècle et qui […] constitue un jalon de première importance dans la chronologie du Bronze Récent à Ougarit. »11 Enfin, ses propositions seront finalement complétées et achevées par une étude approfondie des monuments de l’acropole et plus particulièrement du temple de Baʿlu. Là aussi, O. Callot a pu réunir divers indices matériels et textuels afin de consolider et de préciser cette hypothèse selon laquelle « c’est aux alentours de 1250, sous le règne d’Amishtamrou III (vers 1260-1235) que l’ensemble de la ville a été détruit par un violent séisme ». « Comme le temple a été entièrement reconstruit, il est difficile d’évaluer l’étendue des dégâts occasionnés par cette catastrophe. Toutefois, étant donné ce que l’on a pu observer dans le reste de la ville, on peut facilement en déduire que la destruction a dû être à peu près totale. Comme il s’agissait d’un sanctuaire de première importance, on a décidé de le rebâtir. Ces travaux ont eu lieu sous l’autorité royale et, vu l’état dans lequel se trouvait le monument, c’est donc presque d’un nouveau temple qu’il faut parler. »12
5.
nougayrol 1968 ; arnauD 2007 ; Márquez roWe 2014.
6.
laroChe 1968a ; pour une présentation récente, voir giorgieri 2013, p. 167-178.
7.
laroChe 1968b.
8.
Pour une tentative de synthèse sur la « culture scribale » d’Ougarit, voir haWley et al. 2016.
9.
Callot 1986, p. 748-755 ; iD. 1994, p. 204-212 ; iD. 2006 ; iD. 2011, p. 61-63.
10. Callot 1986, p. 752. 11. Callot 1994, p. 203 12. Callot 2011, p. 61.
Échos de la reconstruction de la ville d’Ougarit au xiii e siècle av. J.-C. dans la littérature locale
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La situation étant telle, ce dossier a naturellement déjà attiré l’attention des spécialistes intéressés par ces questions. Après les propositions d’Olivier Callot, Carole Roche-Hawley et Nicolas Wyatt, travaillant de façon indépendante l’un de l’autre, ont pu aller un peu plus loin, notamment en élargissant et en nuançant le volet des sources textuelles qui contextualisent et concrétisent cet événement. L’étude de Roche-Hawley a été publiée en 201613 ; celle de Wyatt (sous presse au moment où ces lignes étaient en train d’être rédigées) est parue tout récemment14. Ces deux études reprennent en particulier les sources littéraires locales qui semblent véhiculer des échos de cette catastrophe et de l’immense projet de reconstruction urbanistique entamé dans les décennies qui le suivirent. Le but de la présente contribution est de poursuivre cette même ligne de questionnement, sur ce que les chants lyriques et épiques ougaritiques locaux peuvent nous apprendre de la façon dont les Ougaritains eux-mêmes vivaient (ou voulaient vivre, ou encore voulaient réagir à) la destruction de la ville et les longs travaux de reconstruction qui l’ont suivie. Le dossier vaut la peine d’être renouvelé, me semble-t-il, à travers deux optiques : d’une part la chronologie de la mise par écrit des textes mythologiques ougaritiques et de l’autre l’exploitation d’approches théoriques – dont l’application à l’interprétation des littératures anciennes du Proche-Orient semble relativement nouvelle – qui pourraient contribuer à une meilleure interprétation contextuelle de ces mêmes mythes.
la Mythologie ougaritique à travers l’anthropologie Des MéDias ? Notre appréciation de la chronologie de la mise par écrit des textes mythologiques a considérablement évolué au cours de ces dernières années ; et ces considérations chronologiques peuvent, à leur tour, influer sur les tentatives de mieux comprendre l’arrière-plan de certaines péricopes dans les mythes. Celles-ci sont abordées plus directement ci-dessous. L’autre argument avancé ci-dessus pour une reprise de ce dossier était la mise à disposition de nouveaux outils théoriques qui se prêteraient à une meilleure compréhension de certains aspects de textes anciens. Ce sont en l’occurrence les approches exploitées par une collègue des milieux universitaires anglosaxons, Sarah Iles Johnston de l’université d’État de l’Ohio aux États-Unis, spécialiste de la religion grecque ancienne, qui valent la peine d’être mentionnées ici, à la fois par leur bon sens et par leur rigueur (élaborées en s’appuyant sur d’autres sciences sociales et humaines, telles la narratologie, la folkloristique, l’anthropologie des médias ou encore sur des approches tirées de la psychologie cognitive), mais aussi par leur audace et surtout leur utilité pour l’interprétation des textes mythologiques étudiés dans le contexte de ce dossier15. Johnston, comme on peut l’apercevoir à travers la lecture de quelques-unes de ses publications, s’intéresse entre autres aux rôles que peuvent jouer certains mythes dans la consolidation et dans le maintien des croyances chez des fidèles16. Plusieurs éléments isolés et mis en lumière par Johnston peuvent nous fournir une aide dans notre tentative de mieux comprendre certains aspects des rôles que pouvaient jouer les mythes ougaritiques replacés dans leur contexte social en cette fin de l’âge du Bronze. Parce que le présent article n’est guère
13. roChe-haWley 2016. 14. Wyatt 2017 (paru en 2019) ; je remercie vivement Nicolas Wyatt de m’avoir fait part de son étude avant sa publication. 15. Par exemple, johnston 2015 ; eaD. 2017 ; eaD. 2019 (cette dernière publication est parue après la rédaction initiale de cet article). 16. Dans johnston 2017, par exemple, il y a un chapitre intitulé « How myths and other stories help to create and sustain beliefs ».
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l’endroit pour une exploitation approfondie de cette approche, il convient de citer trois exemples, avec des illustrations de la pertinence de leur application au monde ougaritain du xiiie siècle avant notre ère. Interaction « para-sociale » Le premier élément est ce que Johnston appelle « l’interaction para-sociale »17. Si l’interaction sociale implique des rapports réciproques, Johnston s’intéresse aux rapports qui ne sont pas réciproques mais qui sont au contraire à « sens unique » ; par exemple quand on s’intéresse à quelqu’un de connu mais qui ne nous connaît pas (ou même quelqu’un de fictif). Johnston rappelle que la psychologie montre que de tels rapports para-sociaux sont très fréquents, et même normaux. Et plus de tels rapports para-sociaux sont intenses ou cultivés, plus l’autre personne devient réelle dans l’esprit de la première. C’est une perspective, une façon de concevoir le comportement religieux qui peut être pertinente dans notre cas, car on constate que les Ougaritains, que leur statut social soit élevé ou pas, maintenaient un rapport « parasocial » très proche, très intime avec leur dieu de l’Orage, grand dieu d’Ougarit. On peut voir cet intérêt dans les dépenses économiques pour les sacrifices sanglants qui lui étaient offerts (il en reçoit plus que toute autre divinité), ou dans les prières qui lui étaient adressées, ou encore dans les croyances populaires dont témoigne l’onomastique locale. Une telle constatation semble évidente, mais elle nous rappelle que des récits et poèmes où le dieu de l’Orage figure comme protagoniste principal, sont, eux, loin d’être banals : ils livrent des histoires qui étaient non seulement sacrées mais aussi perçues comme réelles par les Ougaritains ; elles faisaient partie de leur quotidien. Sérialité Le deuxième élément mis en avant par Johnston est la « sérialité » des récits mythologiques18 : le fait que les scribes les séparaient en épisodes (et probablement que les poètes les chantaient en épisodes, lors des banquets). Dans le cas des mythes ougaritiques, ce caractère sérialisé des différents épisodes mythologiques nous intéresse aussi, à plusieurs titres : d’abord, la documentation textuelle conserve des exemples d’extraits mythologiques, qui ne relatent qu’un seul épisode, et pas plus. Deuxièmement, même dans les versions plus classiques du scribe ʾIlimilku, où les épisodes s’enchaînent les uns après les autres, on trouve parfois des notes marginales indiquant au lecteur qu’il faut, par exemple, répéter tel ou tel épisode, cité alors par son incipit. On peut donc déjà conclure que « l’épisode » était une catégorie qui avait de l’importance pour les scribes et poètes eux-mêmes, ainsi que pour leur public. Ce qui nous amène à un troisième point. Ce découpage en épisodes avait très probablement plusieurs fonctions tout à fait pragmatiques : non seulement il allège et facilite la tâche du poète chanteur, mais il correspond aussi peut-être mieux à l’attention du public. Et enfin, un tel découpage permet de laisser le public en haleine aux moments où le récit est laissé en suspens, ce qui pourrait consolider (encore une fois) les liens ressentis entre le public et le protagoniste divin principal. « Plurimédialité » Enfin le troisième élément défini par Johnston est la « plurimédialité », un néologisme assez récent, semble-t-il, issu de l’anthropologie des médias : le fait qu’un personnage des mythes peut être manifeste à travers plusieurs médias19. Pour les Ougaritains par exemple, différentes représentations du dieu de l’Orage
17. johnston 2015, p. 196-201 ; eaD. 2017, p. 144-148 ; eaD. 2019, p. 87-91. 18. johnston 2015, p. 201-206 ; eaD. 2017, p. 148-151 ; eaD. 2019, p. 93-96. 19. johnston 2015, p. 206-210 ; eaD. 2017, p. 151-153 ; eaD. 2019, p. 156-159.
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local sont disponibles : non seulement dans des chants ou dans des textes, mais aussi dans l’iconographie et l’onomastique, par exemple. Plus un personnage est présent sous de multiples manifestations, plus le personnage est enraciné dans l’imaginaire des gens.
les périCopes De ConstruCtion Dans le Chant de Baʿlu Nous pouvons maintenant passer au vif de notre sujet : les péricopes tirées de la mythologie ougaritique où il est question de construire, ou de reconstruire, une maison pour le dieu de l’Orage. La version du scribe ʾIlimilku Nous reproduisons ci-dessous en traduction française un passage qui se répète comme un refrain (voir le tableau 1 pour les occurrences) dans le Chant de Baʿlu20. … Baʿlu n’a pas de maison comme les dieux, ni de cour comme les fils d’Athirat, de demeure (comme) ʾIlu, d’abri (comme) ses fils, de demeure (comme) la Dame ʾAṯiratu-Yammi, de demeure pour Pidray la lumineuse, d’abri pour Ṭallay la pluvieuse ... Numéro d’inventaire
Numéro CTA
Numéro KTU
RS 3.367+
CTA 2 III 19-20
KTU 1.2 III 19-20
RS 2.[014]+
CTA 3 E IV, suite 1-6
KTU 1.3 IV 47-53
RS 2.[014]+
CTA 3 E V 11-12
KTU 1.3 V 3-4
RS 2.[014]+ RS 3.364 (joint probable avec RS 2.[014]) : parDee 2009 (cf. maintenant KTU3) RS 2.[008]+ RS 2.[008]+
CTA 3 E V 46-52
KTU 1.3 V 38-43
RS 2.[008]+
CTA 4 IV 62-V 63
RS 2.[008]+
CTA 4 V 89-91
RS 24.263 4′-7′
Ugaritica VII p. 64-67 ; RSO IV p. 256-260
CTA 8 3-5 CTA 4 I 10-19 CTA 4 IV 50-57
Commentaires allusion abrégée ; plaidoyer de ʿAṯtar (et non pas de Baʿlu) version pleine allusion abrégée ; version inversée (= « bonne nouvelle ») version pleine
allusion abrégée ; version inversée KTU 1.8 II 3-5 (= « bonne nouvelle ») (= KTU3 1.3+ VI 3-5) KTU 1.4 I 9-18 KTU 1.4 IV 50-57
version pleine version pleine allusion abrégée ; version inversée KTU 1.4 IV 62-V 1 (= « bonne nouvelle ») allusion abrégée ; version inversée KTU 1.4 V 27-29 (= « bonne nouvelle ») KTU 1.117 5-8
version pleine
Tableau 1 - Les occurrences du refrain « Baʿlu n’a pas de maison… ». L’expression « bonne nouvelle » fait référence à une version inversée de ce refrain, sans négation : par exemple « Que l’on bâtisse une maison pour Baʿlu comme […] ! ».
Dans la plupart de ces occurrences, il s’agit d’un plaidoyer placé dans la bouche de différents personnages (différentes divinités à différents moments), d’après lequel on constate que Baʿlu, le dieu de l’Orage, ne possède pas de maison à l’égal des autres divinités, pourtant moins importantes que lui. C’est ce dernier
20. Par commodité, nous reproduisons ici (avec quelques modifications dans l’orthographe des noms) la traduction de Caquot, sznyCer & herDner 1974, par exemple p. 172-173 ; sur ce refrain voir aussi la discussion et la bibliographie réunie par sMith & pitarD 2009, p. 307-312.
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point qui est à souligner. Deux versions de cette péricope précisent en préambule : « Le Très Puissant Baʿlu est notre roi, notre juge, nul n’est au-dessus de lui. Nous tous nous lui porterons donc l’aiguière, nous tous nous lui porterons la coupe. »21 L’expression kln « nous tous »22 semble faire allusion à l’ensemble des vassaux du roi des dieux, c’est-à-dire tous les autres dieux, y compris les plus importants. Cette déclaration paraît donc insister sur la souveraineté suprême de Baʿlu, dieu de l’Orage, au-dessus de tous les dieux. En outre, le fait que ces propos soient placés aussi dans la bouche de la grande déesse ʾAṯiratu, parèdre de ʾIlu père des dieux, n’est pas anodin, car ʾAṯiratu et Baʿlu sont souvent présentés en rivalité dans ces récits. Mais ici l’accord est général : qu’ils soient ses alliés, ses rivaux ou ses ennemis, les dieux admettent tous que Baʿlu siège en roi suprême. Cependant, ce dernier ne possède pas de demeure à la hauteur de cette stature. Cette rhétorique est à son tour renforcée par la répétition de cette péricope « Baʿlu n’a pas de maison comme les dieux, ni de cour comme les fils de ʾAṯiratu, etc. ». Comme le montre le tableau 1 ci-dessus, on la retrouve (sous des variations plus ou moins importantes) au moins neuf fois dans la version « classique » de ʾIlimilku, avec la vaste majorité des occurrences dans les tablettes 3 et 4, celles-ci étant parmi les plus grandes et les mieux conservées de l’ensemble du cycle. En outre, si l’on aligne de façon séquentielle les six tablettes généralement considérées comme constituant la version « canonique » du cycle, on constate une concentration importante de ce refrain dans ce « noyau » de tout le cycle : c’est la pièce centrale. Le message est clair et puissant : le dieu Baʿlu ne possède pas de maison digne de lui en tant que roi des dieux. Pour revenir au contexte de reconstruction de la ville d’Ougarit et du temple de son dieu principal Baʿlu, nous nous accordons avec Wayne Pitard lorsqu’il dit : « Il nous semble improbable […] que ceux qui écoutaient le chant de Baʿlu à Ougarit pussent s’empêcher de faire un lien, d’une manière ou d’une autre, entre le palais dont la construction fait l’objet de la tablette 4 d’une part, et de l’autre, le temple de Baʿlu dans leur propre ville. »23 On peut qualifier cette version de ʾIlimilku de version « canonique », pour deux raisons. D’abord, elle a été élaborée explicitement sous l’autorité royale, en l’occurrence celle de « Niqmaddu, roi d’Ougarit » (très probablement l’avant-dernier roi d’Ougarit, c’est-à-dire « Niqmaddu IV » qui a régné vers la fin du xiiie siècle). Deuxièmement, cette version « canonique » se présente dans une forme manifestement censée s’imposer esthétiquement, en tant que beau livre « de bibliothèque ». Or, elle n’est pas la seule version du Chant de Baʿlu qui nous soit parvenue. La version de la Maison du prêtre hourrite Nous trouvons ce même épisode conservé dans un fragment de tablette littéraire découvert en 1961 (voir ci-dessous, figure 1), dans un locus important ayant livré de nombreux textes littéraires et savants, locus appelé de différents noms par les fouilleurs, mais que nous pouvons appeler ici, par commodité, la « Maison du prêtre hourrite ».
21. La traduction française est toujours celle de Caquot, sznyCer & herDner 1974, p. 176 (légèrement modifiée). Cette phrase se rencontre à deux reprises : il s’agit de RS 2.[014]+ (CTA 3 E V 40-42 ; KTU 1.3 V 32-34) : mlkn a͗ lı͗yn bʿl ṯpṭn ı͗n d ʿlnh klnyy qšh nbln klnyy nbl ksh, où c’est la déesse ʿAnatu qui parle ; et de RS 2.[008]+ (CTA 4 IV 43-46 ; KTU 1.4 IV 43-46) : mlkn a͗ lı͗y[n] bʿl ṯpṭn ı͗n d ʿlnh klnyn q[š]h n[bln] klnyn [n]bl ksh, où parle la déesse ʾAṯiratu (qui d’habitude ne compte pas parmi les alliés du dieu de l’Orage). 22. Cette interprétation est généralement admise, mais elle n’est pas sans difficulté ; voir parDee 1997, p. 255, note 112. 23. pitarD 2010, p. 100-101 : « It seems unlikely […] that listeners to the Baal Cycle in Ugarit would fail to connect the palace built in tablet 4 in some way with the temple of Baal in their own town. »
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Figure 1 - Le fragment RS 24.263 (Ugaritica VII p. 64-67 ; KTU 1.117) ; photographie : D. Kennedy.
À cause de son écriture, parfois qualifiée de « négligée », mais aussi pour d’autres caractéristiques, on a parfois pensé que ce fragment était un exercice d’écolier auquel on aurait donné la tâche de copier un extrait du célèbre Cycle de Baʿlu24. Cependant depuis l’élaboration et la consolidation du dossier du scribe Ṯabʾilu (à partir de 2009, et ces études sont toujours en cours aujourd’hui), le caractère strictement « scolaire » de ce fragment et la datation de la mise par écrit de ces différents témoins du Chant de Baʿlu ne sont plus si clairs. Dans tous les cas, s’il s’agissait d’un exercice « scolaire », il était d’un niveau avancé, et donc plus ou moins comparable à cet égard à la version de ʾIlimilku qui, elle, revendique explicitement dans son colophon être le travail d’un « élève »25. Quant à la chronologie de ces deux versions et l’évolution des pratiques scribales entre le milieu du xiiie siècle d’une part, et d’autre part, la toute fin du xiiie siècle voire le tout début du xiie siècle, elles se sont dessinées plus nettement ces dernières années26. Il semble maintenant de plus en plus probable que le travail du scribe ʾIlimilku soit à situer dans ce dernier créneau, pendant les dernières décennies du royaume, avant la destruction finale de la ville. Ce sont des caractéristiques paléographiques, orthographiques et le formatage de tablette qui semblent être des marqueurs chronologiques27. Les caractéristiques de ce fragment ressemblent fortement à celles attendues pour le milieu du xiiie siècle – c’est-à-dire, la période où le scribe (ou la tradition ?) « Ṯabʾilu »
24. J’ai moi-même contribué à perpétuer cette hypothèse (haWley 2008, p. 66). 25. Pour les colophons, voir parDee 2014 et Wyatt 2015 (tous les deux avec la bibliographie antérieure). 26. Pour une présentation brève, voir haWley et al. 2016, p. 247-258. 27. Voir, par exemple, le tableau dans haWley et al. 2013, p. 397.
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semble avoir été actif. On doit donc admettre que, pris dans leur ensemble, les textes de la 24e campagne, issus de la « Maison du prêtre hourrite », sont globalement beaucoup plus près de la tradition dite de « Ṯabʾilu » qu’ils ne le sont des mains plus uniformes connues pour la toute fin du royaume (c’est-à-dire, la main de ʾIlimilku et la plupart des mains épistolaires et administratives). Ce fragment RS 24.263 réunit plusieurs caractéristiques qui feraient plutôt penser à une date d’écriture située au milieu du xiiie siècle, sous le règne de ‘Ammiṯtamru III, et donc à peu près contemporaine de la tradition « Ṯabʾilu ». En outre, il ne semble pas s’agir d’une tablette rédigée par un scribe débutant, comme en témoignent la cohérence des signes et la forme du fragment même. Plutôt qu’un exercice copié à partir d’une version plus officielle du mythe, nous avons donc probablement affaire à une rédaction antérieure d’une ou de deux générations à la version « canonique » de ʾIlimilku, en tout cas pour ce qui est de l’épisode contenant ce refrain que « Baʿlu n’a pas de maison… ». On est ainsi tenté de situer chronologiquement la mise par écrit de ce fragment plus près des débuts de l’institutionnalisation de l’alphabet cunéiforme à Ougarit, pendant la phase assez bouillonnante d’expérimentation de différentes techniques alphabétiques.
Confrontation Des Deux versions aveC les reConstruCtions D’olivier Callot Revenons maintenant sur les études d’Olivier Callot. En ce qui concerne la reconstruction de la ville d’Ougarit à la suite du tremblement de terre survenu vers 1250 avant notre ère, nous avons vu que la destruction causée par le séisme était « à peu près totale », et touchait non seulement les quartiers résidentiels et le secteur palatial mais aussi les grands et anciens temples de l’acropole28. Si cette datation est exacte, c’est sous le règne de ʿAmmiṯtamru III non seulement que la ville a subi un tremblement de terre dévastateur, mais aussi que l’alphabet cunéiforme est passé du statut d’expérience marginale à celui d’outil officiel parrainé par le pouvoir en place et utilisé par l’administration palatiale. En outre, nous avons maintenant – depuis l’élaboration du dossier Ṯabʾilu – des indices pour dater la mise par écrit des premiers morceaux de belles-lettres ougaritiques de ce règne, et parmi ceux-ci il semble qu’il faille inclure notre péricope selon laquelle « Baʿlu n’a pas de maison comme les dieux, ni de cour comme les fils de ʾAṯiratu ». Est-ce que cette situation relève du hasard ? Si le temple de Baʿlu était alors complètement en ruines, le ou les poètes avai(en)t certainement de bonnes raisons de chanter « je n’ai pas de maison comme les dieux » en plaçant cette phrase directement dans la bouche de Baʿlu lui-même : on remarquera que cette péricope mise au jour lors de la 24e campagne (la plus ancienne connue actuellement ?)29 est la seule à véhiculer une version du refrain à la 1re personne ; dans la version de ʾIlimilku (plus tardive ?) les occurrences du refrain sont à la 3e personne. Si, avec S. I. Johnston 30, on tente d’appliquer l’anthropologie des médias à la lecture des mythes anciens, on pourrait facilement imaginer dans notre cas que la destruction du temple de Baʿlu aura été vécue comme un véritable traumatisme théologique, un événement qui remettait en question le statut même de Baʿlu en tant que roi des dieux. La version plus ancienne du Chant – véhiculée par le fragment qui vient de la Maison du prêtre hourrite – est apparemment un reflet plus proche de cette situation ; à cet égard ce morceau littéraire serait alors une tentative de comprendre et de contextualiser l’événement catastrophique survenu à la demeure d’une divinité avec qui – comme nous l’avons vu – les Ougaritains entretenaient des rapports de type « para-social » très intenses.
28. Callot 2011, p. 61 (avec références à la discussion antérieure). 29. Voir ci-dessus, p. 59-60. 30. Voir ci-dessus, p. 55-57.
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Pendant les années qui suivirent immédiatement le séisme, en revanche, le pouvoir royal avait apparemment d’autres priorités que de reconstruire les temples sur l’acropole 31. Pour diverses raisons O. Callot a imaginé un certain retard – d’une trentaine d’années environ – dans les travaux effectués sur les temples32. Ce retard, ou délai, semble confirmé et directement documenté par une lettre diplomatique publiée il y a quelques années par Sylvie Lackenbacher33. L’intérêt de cet indice est de situer les travaux sous le règne du roi Niqmaddu IV à la fin du xiiie siècle, ce qui nous permet de faire un lien étroit avec la version « canonique » du Chant de Baʿlu copiée par ʾIlimilku, la version « de bibliothèque » qui met en avant, comme noyau central, le long épisode de la construction d’une demeure digne de Baʿlu, à un moment où, selon O. Callot, la reconstruction aurait été presque achevée. Il semblerait donc qu’à l’intérieur du Chant de Baʿlu apparaissent les traces d’un programme inspiré par la volonté d’encourager ou d’accélérer la reconstruction. Celui-ci aurait finalement atteint son but, mais il aura fallu attendre quelques décennies pour ce faire. Le chant, la poésie et la littérature peuvent ainsi avoir un effet, même s’il est lent, sur la politique. L’ironie de l’histoire est que ce tout nouveau temple allait avoir une vie de très courte durée. Avant le tremblement de terre de 1250 environ, ce même temple avait survécu quelque cinq cents ans34. Ce temple reconstruit, beau et neuf, achevé vers la fin du xiiie siècle (s’il a été achevé !) sous Niqmaddu IV, n’allait survivre que quelques années, quelques décennies tout au plus, avant d’être détruit à nouveau au début du xiie siècle, lors des vagues de destructions régionales qui marquèrent la fin de l’âge du Bronze, et cette fois-ci, il n’y eut plus de reconstruction. [email protected] École pratique des hautes études, section des sciences religieuses
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31. Callot 2011, p. 61-63. 32. Ibid. 33. Pour cette lettre, envoyée à Ougarit par la chancellerie du pharaon Merneptah, dans laquelle il est question de l’envoi à Ougarit d’artisans et d’ouvriers égyptiens pour les travaux de reconstruction, de restauration ou d’embellissement entrepris dans le temple de Baʿlu, voir laCKenBaCher 2001 ; pour sa pertinence quant au dossier étudié ici, voir roChehaWley 2016, p. 86-87. 34. Callot 2011, p. 60-61.
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Carole roChe-hawley
La mémoire des bâtiments aux mains des scribes en Mésopotamie
Les scribes mésopotamiens étaient chargés non seulement de la composition des récits relatant les grandes constructions des rois sumériens, babyloniens ou assyriens, mais aussi de leur transmission. Comment les scribes mésopotamiens se sont-ils approprié les constructions des rois passés ? Si l’archéologie fournit les restes matériels de telles réalisations, les textes livrent quant à eux une vision plus littéraire et érudite de ces bâtiments. Ces récits ont dès lors été considérés comme de véritables œuvres littéraires faisant partie intégrante du patrimoine écrit mésopotamien sur lequel les scribes étaient chargés de veiller.
les (re)ConstruCtions : Devoir Du souverain MésopotaMien Commençons par le commencement : au début se trouve le projet d’un roi. Les anciens Mésopotamiens étaient dépendants d’un matériau fragile : la brique. Dès le IIIe millénaire une image royale s’impose : un bon roi est un roi qui bâtit des monuments mais, plus important, qui restaure les monuments bâtis par ses prédécesseurs. L’iconographie du roi bâtisseur est un motif artistique aussi bien que littéraire qui a connu une longue existence allant des premiers textes historiques sumériens dans la première moitié du IIIe millénaire jusqu’à la Babylonie séleucide, sous domination grecque. Un des premiers exemples de récit de construction en langue sumérienne date d’environ 2500 av. J.-C.1 : Ur-Nanše, le roi de Lagash, le fils de Gunidu a bâti le temple de Ningirsu ; il a bâti le temple de Nanše ; il a bâti l’Apsûbanda.
C’est cette présentation du roi bâtisseur qui apparaît au début de l’épopée de Gilgameš pour définir celui-ci2 : « Retour de son lointain voyage, Exténué, mais apa[isé], [Il a gra]vé sur une stèle Tous ses labeurs !
1.
Sauf indication contraire, les traductions françaises sont de l’auteur. Pour l’édition du texte, frayne 2008, p. 83-84, exemplaire 01.
2.
Bottéro 1992, p. 63-64.
Reconstruire les villes : modes, motifs et récits, éd. par Emmanuelle Capet, Cécile Dogniez, Maria gorea, Renée KoCh piettre, Francesco Massa, Hedwige rouillarD-Bonraisin (Semitica & classica. Supplementa 1), Turnhout, 2019, p. 65-72 DOI 10.1484/M.SUPSEC-EB.5.118515
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C’est lui qui fit édifier les murs d’Uruk-les-clos Et du saint Eanna, Trésor sacré ! »
les réCits De ConstruCtion Les récits de construction constituent un genre bien établi en Mésopotamie. Tout au long du second millénaire, ils vont peu à peu prendre une forme codifiée. Ils peuvent être brefs et affichés aux yeux des hommes (inscrits sur des briques ou des éléments d’architecture) ou au contraire enterrés en fondation, constituant alors un message destiné aux dieux, et aux générations futures. Dans tous les cas, les scribes les copieront et en archiveront des versions. Les récits de construction s’insèrent souvent dans des compositions plus vastes. Le prisme de Taylor présente ainsi, dans une composition de plus de 500 lignes, plusieurs hauts faits du roi assyrien Sennachérib (fin du viiie siècle – début du viie siècle) parmi lesquels huit campagnes militaires et un récit de construction3. Ce texte est connu par 14 autres manuscrits. Les récits de construction les plus développés se composent plus ou moins des éléments suivants4 : 1/ L’historique des bâtiments Les scribes ont bien souvent consigné l’histoire des bâtiments dans ces récits de construction. Le fondateur est d’abord mentionné, puis parfois sont énumérés les différents rois intervenus sur le bâtiment. Pour des raisons politiques, le scribe peut omettre le travail des prédécesseurs, insistant sur le fait que le roi précédent a manqué à ses devoirs. 2/ Les mobiles religieux et politiques Vient ensuite l’évocation des mobiles de construction ou de reconstruction. Ceux-ci s’inscrivent généralement dans un programme politique et une propagande mise en place par le roi. Les projets de construction sont souvent motivés par un sentiment de piété intéressée. S’il s’agit d’une nouvelle construction, c’est souvent le dieu lui-même qui fait savoir au souverain quelles réalisations entreprendre. En Mésopotamie, le temple est la maison du dieu et les rois doivent s’assurer les bonnes grâces des dieux en construisant ou en maintenant leur demeure en bon état, de façon à ce que la « sainteté » du lieu plaise aux divinités. Pour les constructions ou reconstructions d’éléments d’urbanisme des villes, ce sont aussi les divinités qui sollicitent les travaux. Au viie siècle, le roi assyrien Assarhaddon raconte pourquoi le dieu Marduk de Babylone s’est détourné de son peuple et de Babylone, causant ainsi la ruine de la ville. Dans un texte qui nous est connu par 4 manuscrits provenant de Babylonie ou d’Assyrie, il évoque la raison de la désertion du dieu Marduk : des vols avaient été commis dans le temple, vol de trésor mais aussi d’éléments d’architecture du temple. Notons que c’est une intéressante façon de présenter le raid effectué par son père sur Babylone, conduisant à sa destruction et qui eut de lourdes conséquences pour l’Assyrie. Assarhaddon se présente donc par la suite comme le juste restaurateur de Babylone, pour le bien des Babyloniens5. Au début de [ma] royauté, dans ma première année, lorsque je me suis assis en majesté sur (mon) trône royal, [de b]onnes prédictions ont été établies pour moi. Au ciel et sur terr[e, il (le dieu Marduk) n’a cessé de m’envoyer ses
3.
« The Taylor prism » (BM 91032). Cf. grayson & novotny 2012, p. 167-186, exemplaire 2.
4.
Pour l’étude détaillée des récits de construction, cf. laCKenBaCher 1982.
5.
leiChty 2011, p. 193-211, col. ii, l . 23-33.
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bonnes prédictions. Les (dieux) en colère étaient réconciliés (et) ils n’ont cessé de me faire parvenir des signes favorables concernant la (re)construction de Babylone (et) la rénovation de l’Esagil.
Il décrit ensuite comment il a eu recours à des devins pour s’assurer de la pertinence du projet6 : J’avais peur (et) j’étais inquiet (et) je me suis agenouillé devant les dieux Šamaš, Adad (et) Marduk, les grands juges, les dieux, mes seigneurs. Dans le bol du devin, des oracles fiables ont été établis pour moi et au sujet de la (re)construction de [Babylone] (et) de la rénovation de l’Esagil, ils ont donné leur réponse écrite sur un foie.
La véritable motivation d’Assarhaddon pour entreprendre des travaux de reconstruction de la ville de Babylone est en fait politique : depuis la prise de la Babylonie par son père, il a bien du mal à contrôler la région et ce programme vise à apaiser les Babyloniens. Mais là encore c’est le dieu qui lui demande de procéder aux travaux7 : Il (le dieu Marduk) m’a ordonné de compléter les centres de culte, de rénover les sanctuaires (et) de mettre de l’ordre dans les rites de l’Esagil, le palais des dieux.
Les récits de construction présentent ensuite : 3/ La description des travaux Par exemple, dans le texte cité précédemment8 : [Dans] un mois favorable, dans un jour propice, j’ai mis en place une plateforme de fondation au-dessus des fondations antérieures (et) en accord avec son plan précédent, je ne (l’)ai pas diminuée d’une coudée ni agrandie d’une demi-coudée.
4/ La consécration de la nouvelle construction 5/ Enfin, l’avenir même du bâtiment est envisagé avec des prescriptions pour les rois futurs, des bénédictions et des malédictions. Ce dernier chapitre est particulièrement intéressant. Les bâtiments étant fragiles, leur ruine future est anticipée et les rois à venir sont exhortés à « restaurer leur délabrement ». Dans certains cas, comme on le voit dans une inscription de Tukulti-Ninurta, on envisage plusieurs types d’atteinte aux bâtiments : négliger l’entretien du monument provoquant sa ruine ; détruire le bâtiment volontairement ; et enfin empêcher les dieux qui résident dans la ville d’Aššur d’entrer dans le palais lors des fêtes tout en les appelant dans un autre palais, provoquant ainsi, probablement, une désacralisation9.
les reConstruCtions Lorsqu’une reconstruction est entreprise, cela nécessite bien souvent des travaux sur les fondations mêmes de ces monuments et inévitablement la mise au jour de documents de fondations déposés par les rois précédents. On précise alors ce que le futur souverain devra faire : il devra ne surtout pas effacer le nom de son prédécesseur et devra pratiquer des rites pour replacer l’inscription dans les fondations. Ainsi Assarhaddon conclut-il le texte cité précédemment10 :
6.
Ibid., p. 193-211, col. iii, l. 8-16.
7.
Ibid., p. 193-211, col. ii, l. 41-44.
8.
Ibid., p. 193-211, col. iii, l. 41-46.
9.
laCKenBaCher 1982, p. 148.
10. leiChty 2011, p. 193-211, col. vii, l . 19-29.
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À l’avenir, dans des jours lointains, qu’un des rois, mes descendants, nommé par le roi des dieux Marduk pour gouverner son pays et son peuple, lise l’inscription écrite à mon nom, qu’il l’oigne avec de l’huile, fasse une offrande, et (la) remette à sa place. Le dieu Marduk, roi des dieux, entendra alors ses prières.
Après avoir présenté ce qu’il adviendra au prince respectueux du travail de ses prédécesseurs et de leurs dépôts, le cas du prince irrespectueux est envisagé : il perdra alors son pouvoir et sa vie ne durera même pas un jour11. Les récits de construction, inscriptions de fondation ou inscriptions d’affichage ont bien souvent été copiés sur plusieurs générations. Ce sont ces copies postérieures qui seront l’objet de la suite de cette étude. Plusieurs textes mentionnent des mises au jour de documents de fondation lors de travaux postérieurs. Ces documents sont alors bien souvent recopiés et l’original replacé dans son contexte avec tous les égards qui lui sont dus. Un cylindre donne par exemple la copie du texte inscrit sur une brique au nom d’Amar-Suen (fin du IIIe millénaire). Cette copie date du temps du roi assyrien Assurbanipal (viie siècle). Ce cylindre lui-même a eu une vie assez longue puisqu’il a été retrouvé dans le « musée » d’un certain En-nigaldi-nanna, dans le gipāru (bibliothèque) de l’époque de Nabonide (vie siècle), dernier roi babylonien. On peut lire dans le colophon12 : Copie d’une brique cuite venant des fouilles d’Ur. L’œuvre d’Amar-Suen, roi d’Ur, (que) Sîn-balāssu-iqbi, viceroi d’Ur, a découverte lorsqu’il cherchait les fondations de l’Ekišnugal. Nabû-šuma-iddin, fils d’Iddin-Papsukkal, le prêtre-gala, (l’)a vue et (l’)a écrite pour qu’elle soit vue.
transMission De l’histoire Des BâtiMents Les derniers rois mésopotamiens ont souvent été présentés, à juste titre, comme des rois-archéologues, particulièrement intéressés par leur passé. Assurbanipal a en effet demandé à ses envoyés d’aller aux quatre coins de son Empire copier des manuscrits anciens pour les rapporter à Ninive. La conscience du temps, et des générations précédentes, est très importante en Mésopotamie ancienne et les rois ne sont pas les seuls sensibles au poids de la tradition13. Les nombreuses copies effectuées au fil des siècles par les scribes de ces œuvres anciennes naissent parfois de la volonté d’un roi, mais s’inscrivent, je crois, dans un des aspects du travail du scribe, selon une tradition mise en place dès le début du IIe millénaire : la conservation et la préservation des manuscrits anciens au sein des écoles et des bibliothèques. Depuis le début du IIe millénaire en effet, les scribes ont montré un grand souci pour la conservation et la préservation des compositions anciennes, qu’il s’agisse de manuels scolaires, de pièces de littérature, de traités scientifiques ou autres. Ce même souci se retrouve dans la copie et la transmission des récits de construction et des annales historiques. Il se voit à travers trois points auxquels les scribes sont particulièrement attentifs : • la conservation de l’objet ; • la préservation du texte ; • et la précision historique.
11. Ibid. : texte 104, col. vii, l . 30-43. 12. fraMe 1995, p. 246-247. 13. Comme le fait remarquer B. Foster, étant donné qu’il n’existe pas de copie de texte antérieur à ceux des rois d’Akkad, leurs monuments incarnent les sources les plus anciennes parmi les textes que les scribes choisissent de copier aux IIe et Ier millénaires. Cf. foster 2016, p. 250.
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Les récits de construction, qu’il s’agisse de simples inscriptions votives ou de complexes récits de fondation, s’insèrent dans un patrimoine écrit, littéraire et intellectuel. On voit à travers certains détails que ces textes sont envisagés comme des compositions littéraires, perçus plus tard comme les respectables témoignages des générations précédentes qu’il faut préserver. Je citerai deux exemples d’intertextualité qui inscrivent ces documents dans le patrimoine littéraire mésopotamien. Le premier exemple provient d’un texte daté du roi babylonien Marduk-apla-iddina II (1171-1159)14. Le cylindre sur lequel il est inscrit a été mis au jour à Aššur, capitale assyrienne. Sargon II, roi d’Assyrie qui régna au viiie siècle, l’avait sans doute découvert lors de ses travaux de restauration d’une partie de l’Eanna, du temple d’Ištar et du sanctuaire de Nigizzida à Uruk. Le scribe qui a composé le texte du roi babylonien du IIe millénaire a introduit une référence littéraire. On lit, ligne 34, une phrase rappelant l’épopée d’Erra : Puissent-ils transporter le lourd butin dans Šuanna.
Sargon II, lorsqu’il effectua quatre siècles plus tard des travaux dans les mêmes temples, mit au jour le cylindre de Marduk-apla-iddina II et l’emporta en Assyrie. Sargon s’en est inspiré pour une de ses propres compositions, et on retrouve des lignes extraites de ce texte, dont la référence à l’épopée d’Erra15. De nombreux autres exemples de références littéraires ou d’introduction d’éléments poétiques sont bien attestés dans les récits de construction, et plus particulièrement dans ceux datés de Sargon et de ses successeurs. On retrouve ainsi dans une inscription de Sennachérib (au début du viie siècle) une expression connue dans le mythe d’Atra-ḫasīs, le récit du déluge attesté dans par un manuscrit datant du xviie siècle (CT 46, 1)16. Le choix des textes copiés se fait en fonction de l’antiquité du document d’origine, de la mise au jour d’un document lors de travaux comme nous l’avons vu, mais aussi d’une commande royale, ou simplement par intérêt. À la fin du IIIe millénaire, Ur-Namma, roi sumérien d’Ur probablement originaire d’Uruk, fit construire un temple pour Inanna avec sa ziggurat. Dix-neuf briques de ce type ont été découvertes et témoignent de la construction du temple d’Inanna par Ur-Namma à la fin du IIIe millénaire. Le texte dit17 : Pour Inanna, sa dame, Ur-Namma, l’homme puissant, roi d’Ur, roi de Sumer et d’Akkad, a construit son temple.
Ce même texte a été soigneusement recopié sur une tablette et le scribe indique dans son colophon : D’après le texte d’une ancienne brique en argile cuite (du temple) de l’Eanna. Marduk-nāṣir, fils d’Ibni-Ištar, l’a copiée.
Nous ne savons malheureusement pas d’où provient ce texte ni sa datation exacte, mais d’après la paléographie il pourrait dater de la période néobabylonienne (viie-vie siècle). Il s’agit donc de la copie du texte des briques quelque 1 500 ans plus tard. Le colophon peut indiquer où la copie sera archivée, par exemple au palais, comme dans cette copie néobabylonienne d’une inscription de Sargon II quelque peu antérieure18 :
14. fraMe 1995, p. 136-138. 15. Cf. K. R. veenhof dans BrinKMan 1984, p. 49, n. 230. 16. Cf. laMBert 1968, p. 124, n. 2. 17. frayne 1997, p. 69-71. 18. fraMe 1995, p. 146-149.
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Copie d’une inscription faite au/pour le palais d’Assyrie. Copié et collationné.
ou dans le temple de Nabû à Borsippa, dans la copie néobabylonienne (viie-vie siècle) d’une inscription de Ḫammurapi (xviiie siècle)19 : (Texte) sur une inscription du temple d’Eanamtila, de Ḫammurapi, le roi. Rēmūt-Gula, descendant de Ša-rēšṣābim, l’apprenti junior… a écrit et l’a placé dans l’Ezida, le temple bien-aimé de Nabû, pour sa vie, son bonheur et l’écoute à ses prières.
Ce texte ne concerne pourtant pas une construction réalisée à Borsippa ni liée au dieu Nabû puisqu’il s’agit d’un entrepôt pour le dieu Enlil à Babylone, copié à Babylone par le scribe Rēmūt-Gula. Ce qui explique sans doute le choix de cette « offrande » en quelque sorte faite à Nabû, dieu de l’écriture, sont l’ancienneté et la respectabilité du roi mentionné : le vénérable Ḫammurapi, roi de Babylone ayant régné au xviiie siècle Citons encore la copie néobabylonienne d’un texte encore plus ancien, puisque l’orignal date de Šulgi qui a régné à la fin du IIIe millénaire20 : Ce qui (était écrit) sur une ancienne inscription de fondation de l’E-meslam, à Kutha. Tablette en long de Bēluballiṭ, le scri[be].
On trouve parfois plusieurs copies d’un même document ancien, faites par un même scribe ou des scribes différents témoignant d’une volonté d’archivage. Trois tablettes présentent la copie néobabylonienne du récit des restaurations qui eurent lieu dans le temple de la fête du nouvel an à Uruk de la déesse Uṣuramāssu par Bēl-ibni et Nabonassar fils de Bulluṭu. Les restaurations sont datées de la 5e année du règne de Nabonassar : environ 743. Deux de ces tablettes portent un colophon identique21 : Main de Nabû-naʾid, fils de Nadnāia, prêtre-gala de la déesse Ištar d’Uruk. Copié.
Mais la troisième porte22 : (Document) qu’Arad-Nanaīa, fils de Annamua, le prêtre-é.Bar d’Uruk, a rendu visible.
Les scribes babyloniens et assyriens, depuis le début du IIe millénaire, se présentent comme les « gardiens de la tradition », suivant une formule de N. Veldhuis23. Les copies des textes et inscriptions anciens sont méticuleuses, avec, la plupart du temps, un souci d’exactitude dans la reproduction des documents : souci de fiabilité, de rendre compte de l’état de l’original, mais aussi souci des détails matériels du texte d’origine, tant dans la mise en page que dans la graphie. Sur la copie d’époque séleucide (ive-ier siècle av. J.-C.), trouvée à Uruk, d’un récit de campagnes de Nabû-šuma-iškun (milieu du viiie siècle) mentionnant la rénovation de l’Esagil à Babylone, on sent les scrupules du scribe qui insiste pour indiquer les cassures du texte. À plusieurs reprises, le scribe écrit ḫipí ou l’expression ḫi-pí eš-šú c’est-à-dire « cassure » ou « cassure fraîche »24. Les scribes ont aussi à cœur le plus souvent de rendre visuellement compte de l’inscription ancienne, considérant probablement la mise en forme comme faisant partie du message.
19. frayne 1990, p. 336-337. 20. frayne 1997, p. 132-133. 21. fraMe 1995, p. 127-129, exemplaires 1 et 2. 22. Ibid., 127-129, exemplaire 3. 23. velDhuis 2010, p. 379. 24. fraMe 1995, p. 117-122.
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La figure 1 montre l’exemple d’une copie respectant la graphie archaïsante d’une inscription originale datant du xixe siècle av. J.-C. (Sîn-kāšid, roi d’Uruk, 1865-1833), ainsi que sa mise en page, qui se distingue nettement du colophon, écrit, lui, en néobabylonien du milieu du Ier millénaire. J’en viendrai à une dernière question, qui est fondamentale : qui sont ces scribes et dans quelles conditions travaillent-ils ? Les colophons ajoutés à ces copies de récits de construction ne sont pas toujours très explicites, mais il est frappant de constater que pour les copies du Ier millénaire il s’agit assez souvent de personnel religieux. En Mésopotamie, il n’est pas rare de constater que les prêtres ou devins sont aussi scribes. Mais sur les dix-huit colophons étudiés dans le cadre de cette étude, quatre scribes donnent leur fonction, et ils sont tous prêtres : prêtre-gala (kalû) ou prêtre-é.Bar (šangû)25. Or, lors de la consécration des temples et des palais, c’est le prêtre gala ou kalû qui intervient pour consacrer l’espace de construction. Ces prêtres sont peut-être les personnes les plus à même de manipuler des textes déposés suivant des rites particuliers dans une terre consacrée. Cette constatation est peut-être à mettre en lien avec la mise au jour, dans des maisons liées à des personnages qui sont dits prêtres ou exorcistes, de listes paléographiques, manuels dans lesquels les scribes ont inventorié toutes les formes possibles des signes cunéiformes archaïsants. Dans l’exemple présenté figure 2, pour un signe écrit dans sa version contemporaine normale, on trouve l’inventaire de formes archaïsantes du même signe. Ce type de liste aurait pu servir pour la lecture et la copie de documents anciens archaïques.
Figure 1 - Copie (Ier millénaire) d’un original datant du xixe siècle av. J.-C., avec colophon en bas à droite (frayne 1990, p. 453-454, exemplaire 26). 25. fraMe 1995, p. 47-48, 127-129 (exemplaires 1-3) et 246-247.
Figure 2 - Liste paléographique : Assyrie, viie siècle av. J.-C. Tablette 1882-5-22,571, photographie de l’auteur, avec l’autorisation des Trustees of the British Museum.
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ConClusion La mémoire des bâtiments en Mésopotamie demeurait ainsi en de bonnes mains, celles des scribes, parfois personnel religieux, bien préparés pour cette tâche, avec leurs manuels de paléographie et leurs lexiques sumériens ou babyloniens. Ces scribes sont certes désireux de transmettre avec précision la mémoire des constructions et reconstructions des anciens rois, mais aussi des travaux de leurs prédécesseurs, conservant ainsi la noble tradition écrite mésopotamienne sur plus de deux mille ans. [email protected] CNRS, Orient et Méditerranée, UMR 8167
BiBliographie Bottéro j. 1992 L’épopée de Gilgameš : le grand homme qui ne voulait pas mourir (L’aube des peuples), Gallimard. BrinKMan j. a. 1984 Prelude to empire : Babylonian society and politics, 747-626 bc, Philadelphia Pa., Distributed by Babylonian Fund University Museum. foster B. r. 2016 The age of Agade : inventing empire in Ancient Mesopotamia, Routledge, London – New York. fraMe g. 1995 Rulers of Babylonia : from the second dynasty of Isin to the end of Assyrian domination (1157-612 bc), Toronto, University of Toronto Press. frayne D. 1990 The royal inscriptions of Mesopotamia. Early periods. 4, Old Babylonian period (2003-1595 bc), Toronto, University of Toronto Press. 1997 The royal inscriptions of Mesopotamia. Early periods. 3, 2, Ur III period, 2112-2004 bc, Toronto, University of Toronto Press. 2008 The royal inscriptions of Mesopotamia. Early periods. 1, Pre-Sargonic period (2700-2350 bc), Toronto, University of Toronto Press. grayson a. K., novotny j. r. 2012 The royal inscriptions of Sennacherib, king of Assyria (704-681 bc), Winona Lake, Eisenbrauns. laCKenBaCher s. 1982 Le roi bâtisseur : les récits de construction assyriens des origines à Teglatphalasar III, Paris, Éditions Recherche sur les civilisations. laMBert W.-g. 1968 « Literary style in first millenium Mesopotamia », dans Essays in memory of E. A. Speiser, ed. by W. W. hallo, New Haven, Conn., p. 123-132. leiChty e. 2011 The royal inscriptions of Esarhaddon, king of Assyria (680-669 bc), Winona Lake Ind., Eisenbrauns. velDhuis n. 2010 « Guardians of tradition : early dynastic lexical texts in Old Babylonian copies », dans Your praise is sweet : a memorial volume for Jeremy Black from students, colleagues and friends, ed. by H. D. BaKer, E. roBson & G. zólyoMi, London, p. 379-400.
Despina Chatzivasiliou
La reconstruction d’Athènes après les guerres médiques*
La ville peut être appréhendée comme un corps vivant qui évolue constamment en s’imprégnant de tous les événements historiques successifs qui la composent. Le passage des Perses à Athènes en 480 av. J.-C. fut un désastre pour la cité et l’obligea à se reconstruire et à se redéfinir à plusieurs niveaux. La présente étude sur la ville d’Athènes après les guerres médiques ne prétend pas reprendre l’intégralité du dossier, mais souligner les conséquences qu’un tel événement a pu avoir dans l’Antiquité pour la reconstruction de la ville1. Le ve siècle en Grèce est une période marquée par des guerres importantes. D’abord par la lutte contre les Perses, qui permit d’orchestrer l’unité grecque face au monde barbare, et ensuite par la guerre du Péloponnèse de 431 à 404 av. J.-C., qui engloba la majeure partie du monde grec. L’occupation d’Athènes par les Perses en 480 av. J.-C. a introduit une rupture radicale dans l’histoire de la cité, accompagnée d’une série de conséquences non seulement topographiques mais également politiques et cultuelles2. Cet événement d’importance primordiale pour l’histoire d’Athènes nous est presque exclusivement connu par des sources athéniennes3 et il donne lieu à deux niveaux de commentaires historiographiques. Il y a d’abord l’action des Athéniens qui ont saisi l’occasion de construire une image de supériorité sur les barbares ainsi que sur les autres Grecs, image qui reste dominante durant toute l’Antiquité. Il y a ensuite l’attitude des premiers fouilleurs de la ville d’Athènes qui ont parfois eu tendance à surinterpréter les vestiges archéologiques qu’ils avaient sous les yeux, alors qu’il n’y avait pas nécessairement lieu d’attribuer
* 1.
Les remarques et suggestions de Julien du Bouchet et Évelyne Scheid-Tissinier ont permis d’améliorer ce texte. Je tiens également à remercier Renée Koch-Piettre de m’avoir proposé ce sujet, ainsi que les organisateurs d’avoir intégré cette lecture à la thématique du colloque. L’appellation « guerres médiques » vient du nom des Mèdes, qui dominaient les Perses à l’époque des premiers contacts avec les peuples helléniques, au viie siècle. Les Grecs ont continué à utiliser cette dénomination, bien qu’elle ne correspondît plus à la réalité politique en Orient (Briant 1996). Pour les causes de l’affrontement entre Perses et Grecs cf. lefèvre 2007, p. 175-179 et Burn 1984, p. 128 : la source du conflit est en Ionie, région où l’hellénisme a connu un développement particulièrement brillant au vie siècle.
2.
Voir le bilan historique proposé par Davies 2007. Pour un aperçu complet des guerres médiques voir Burn 1984, en particulier p. 236-257 pour Marathon, référence irremplaçable jusqu’à présent.
3.
À part l’inscription de Behistun qui décrit les conquêtes de Darius Ier, aucune autre source de l’histoire achéménide ne mentionne l’expédition perse contre les Grecs. CaWKWell 2005, p. 2 et note 5, p. 22. Pour l’inscription de Behistun voir DanDaMaev & luKonin 1989, p. 368-387 ; première traduction proposée par Kent 1953, p. 116-134, puis frye 1984, p. 363-368 et leCoq 1997, commentaires p. 83-96 et traduction p. 187-217.
Reconstruire les villes : modes, motifs et récits, éd. par Emmanuelle Capet, Cécile Dogniez, Maria gorea, Renée KoCh piettre, Francesco Massa, Hedwige rouillarD-Bonraisin (Semitica & classica. Supplementa 1), Turnhout, 2019, p. 73-89 DOI 10.1484/M.SUPSEC-EB.5.118516
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aux invasions perses les traces de feu sur les monuments, les couches de destruction, de remblais ou les autres dégâts. Il serait trop long et compliqué de reprendre toutes les datations des sites et monuments, dont les fouilles ont été menées dans la plupart des cas depuis la fin du xixe siècle4. Il paraît plus pertinent d’éclairer la manière dont l’espace a été restructuré, en partant de trois éléments principaux : l’Acropole, l’Agora et les fortifications de la ville. Il ressort que les victoires comme les défaites ont eu une égale importance dans la restructuration architecturale et symbolique de la ville d’Athènes et ont donné lieu à un imaginaire particulièrement développé. L’exaltation de la victoire grecque remportée contre les Perses en septembre 490 av. J.-C. donna naissance à un véritable « mythe de Marathon ». Le souvenir de la bataille elle-même fut pieusement conservé. Non seulement un tumulus recouvrit les cendres des morts enterrés sur place5, mais les monnaies athéniennes frappées à partir de 475 et surtout dans la seconde moitié du ve siècle av. J.-C. représentent la tête d’Athéna avec son frontal de casque désormais orné de feuilles d’olivier6, symbole de victoire, tandis que dans le champ une lune décroissante rappelle la date de Marathon (figure 1)7. Entre 475 et 460 av. J.-C. sur la partie nord de l’Agora d’Athènes est construite la Poikilè Stoa8 (figure 2), connue pour sa remarquable décoration avec les peintures de Polygnotos, Mikon et Panainos, qui sont des représentations
Figure 1 - Tétradrachme athénien, en argent, 24,5 mm de diamètre, poids 17,21 g, vers 410. Droit : tête d’Athéna à droite, coiffée du casque attique à cimier, orné de trois feuilles d’olivier et d’une palmette avec boucles d’oreilles. Revers : chouette debout à droite, la tête de face ; derrière, une branche d’olivier et un croissant de lune ; le tout dans les restes d’un carré creux avec l’inscription ΑΘΕ pour Athènes. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/ File:Tétradrachme_athénien_représentant_Athéna.jpg
4.
greCo 2010, p. 34, met en évidence de nombreux problèmes historiographiques dus au terminus ante quem de 480 fourni par l’histoire athénienne et les guerres médiques et qui a conditionné le regard de plusieurs générations de chercheurs sans la moindre contestation jusqu’aux années 2000.
5.
Pausanias I, 32, 3 : τάφος. Ce tumulus au nord-est de l’Attique avait été fouillé sans succès en 1884 par Schliemann qui voulait y voir un cénotaphe préhistorique. Les fouilles du gouvernement grec en 1890 confirmèrent l’opinion traditionnelle qui le considérait comme la sépulture des compagnons de Miltiade. Peu après, Amédée Hauvette, maître de conférences à la faculté des lettres de Paris, rend compte de ces travaux (hauvette 1891). Voir aussi la publication de lenorMant 1867, qui répertorie les pointes des flèches grecques et perses : « On trouve fréquemment sur le champ de bataille des objets antiques dont l’origine et la présence en ce lieu doivent être rapportées sans le moindre doute à l’immortelle victoire de Miltiade ».
6.
aManDry 2017, p. 72-73, fig. 12 ; Kraay 1956 ; flaMent 2007, p. 47-50.
7.
parKe 1977, p. 54-55. Dans l’Antiquité, le 6 boédromion fut la date anniversaire commémorative de Marathon. Pour le calendrier cf. Burn 1984, p. 257. Les dates présumées pour la bataille de Marathon sont le 12 septembre ou le 12 août 490 et les différentes méthodes pour coordonner les calendriers sont très clairement résumées dans olson, olson & DoesCher 2011. laCroix 1965, surtout p. 138-139, suggère que la lune dans sa phase décroissante ne se référait pas à la date de la bataille de Marathon, ou de Salamine, mais était complémentaire de la chouette et faisait référence à Athéna en tant que γλαυκῶπις. La lune évoque l’idée d’une lumière mystérieuse : « l’astre a l’éclat des yeux de la déesse et il évoque la puissance surnaturelle que l’on attribuait au regard de la divinité. »
8.
Une synthèse complète de l’édifice est proposée par R. Di Cesare dans greCo 2014, p. 949-956, nos 9.4 et F.67.
La reconstruction d’Athènes après les guerres médiques
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Figure 2 - Poikilè Stoa, d’après CaMp 2010, p. 98, fig. 63 : restitution graphique de la partie ouest.
de l’Amazonomachie, de la guerre de Troie, de la bataille d’Oinoé à Argos, avec aussi les trophées des Lacédémoniens et de Sicyone, et les vingt statues en bronze de Solon. La scène de loin la plus célèbre était la fresque ou le tableau qui représentait la bataille de Marathon et était encore visible au iie siècle apr. J.-C., à l’époque de Pausanias 9. La Poikilè Stoa a souvent été définie comme un monument de propagande destiné à asseoir la domination athénienne sur ses alliés. Le récit de Pausanias mentionne également une série de cultes tous également associés à la bataille. Celui du héros Marathos10, personnification du lieu victorieux ; du héros Echetlos11, un paysan qui serait apparu pendant la bataille et aurait tué un nombre important de barbares avec un soc de charrue, et qui aurait ensuite été honoré conformément aux indications d’un oracle. Celui enfin du dieu Pan, qui aurait semé la peur panique dans le camp perse12. À la suite de la bataille, le culte rendu à Héraclès aurait également
9.
Démosthène, LIX, Contre Néaira 94 ; Eschine, Contre Ctésiphon 186 ; Lucien, Zeus Tragique 32 ; Pausanias I, 15, 3. Cette peinture est attribuée à Panainos (Pausanias V, 11, 6 ; Strabon VIII, 354 ; Pline, Histoire naturelle XXXV, 57). La représentation de la bataille de Marathon est également mentionnée dans Arrien, Anabase VII, 13, 5 ; Élien, Caractéristiques des animaux VII, 38 ; Sopatros, Diairesis zêtêmatôn 340. Les peintures furent probablement enlevées vers 400 apr. J.-C. CaMp 2010, p. 95-101.
10. Pausanias, I, 15, 3 : Μάραθος, Ἔχετλος. 11. Pausanias, I, 32, 5 mentionne Ἐχετλαῖος pour indiquer le même personnage. 12. Lucien, Dialogue des dieux 22, 3. On constate l’introduction du culte de Pan à Marathon, dans la grotte de Ninoé, située à l’ouest du village moderne de Marathon, qui fut aménagée en chambres (compartiments) séparées par des colonnades. Des trouvailles attestent que la grotte fut habitée et servit de lieu d’enterrement à l’époque néolithique et helladique. Mais dans la période entre l’époque helladique récente et le ve siècle le site avait été abandonné. Après la bataille de Marathon, le culte de Pan est introduit et maintenu jusqu’à l’époque romaine tardive. Pausanias I, 32, 7.
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été renforcé sur tout le territoire de l’Attique13. Sans oublier l’offrande faite tous les ans de 500 chèvres destinées à Artémis (en paiement du vœu que Miltiade avait fait avant la bataille) le 6 boédromion, proclamé jour de Marathon14. Nombreuses aussi sont les anecdotes associées à cet événement. Selon Hérodote (VI, 105-106), un certain Philippidès aurait parcouru quelque 250 km en 36 heures pour rejoindre Sparte depuis Athènes et réclamer de l’aide15. Sur le mont Parthénion en Arcadie, le dieu Pan lui serait apparu et lui aurait demandé les raisons pour lesquelles les Athéniens ne lui rendaient aucun culte en dépit de tous les services qu’il leur avait rendus. Phidippidès avait rapporté sa vision aux Athéniens, lesquels, après la guerre, fondèrent un sanctuaire de Pan au pied de l’Acropole et instituèrent des rites en l’honneur du dieu16. Selon Plutarque, le commandant des neuf mille Athéniens et des mille Platéens, Miltiade, aurait envoyé un certain Euclès prévenir Athènes de sa victoire après la bataille17. Lequel Euclès aurait parcouru la distance entre Marathon et Athènes, environ 42 kilomètres, à une vitesse qui lui avait coûté la vie. Lucien de Samosate confond les deux traditions et mentionne Philippidès comme étant le coureur de Marathon18. L’épreuve du marathon s’appuie sur cette version (figure 3). En octobre 2010 la Banque centrale européenne décida l’émission d’une pièce commémorative de deux euros pour le 2 500e anniversaire de la bataille de Marathon (figure 4), et le 8 décembre suivant la Chambre des représentants des États-Unis déclara que la bataille fut un des événements militaires les plus importants de l’histoire19. Les sources exagèrent l’importance que revêtait pour les Perses le désir d’envahir à nouveau la Grèce et de venger Marathon dix ans plus tard, ainsi que la supériorité numérique de leurs troupes20. Mardonios recourut d’abord à la diplomatie et essaya de gagner Athènes dont la flotte lui aurait assuré sans risque
papaDiMitriou 1958, fig. 13-21 ; Daux 1958, p. 681, fig. 27-28 et Daux 1959, p. 567, fig. 10-17 ; petroChilos 1958 ; AGC, p. 208, no 3. Le culte de Pan est également répandu en Attique, sur le mont Pentélique, à Phylè, Éleusis, Daphni et Vari, toujours dans des grottes où sont aussi hébergées des nymphes. BorgeauD 1979, p. 147 ; travlos 1988, p. 218246, fig. 302-303 ; MersCh 1996, p. 151 no 38, 3 ; petraKos 1996, p. 85, fig. 35-37 ; parKer 1996, p. 164 note 38 ; larson 2001, p. 246. 13. Pausanias I, 15, 3 et I, 32. 14. Plutarque, De la malignité d’Hérodote 862 B-C ; Xénophon, Anabase III, 2, 11-12. Pour les dates et le calendrier voir n. 7. 15. Ce trajet est à l’origine du Spartathlon, course créée en 1983. Les sources mentionnent Φιλιππίδης et le même personnage est cité Φειδιππίδης par Aristophane, Nuages 25 et 1229. 16. Le Péripatos est bien choisi pour l’installation du culte de Pan, à la fois prestigieux et aussi sauvage que possible pour un site urbain (holtzMann 2003, p. 203-204). À cet endroit, Apollon, sous l’épiclèse de Patrôos cette fois, aurait violé Créüse (Kρέουσα), comme le raconte Euripide dans Ion (v. 492 et 936-938). Cette grotte double, avec deux cavités qui communiquent, est assez facilement identifiée à l’emplacement dédié à Pan, selon des renseignements topographiques provenant de sources antiques (Hérodote VI, 105 ; Aristophane, Lysistrata 911-913 ; Pausanias I, 28, 4). Aucun développement architectural n’y est attesté et les trouvailles archéologiques ne sont pas suffisantes pour dater le sanctuaire avec certitude. greCo 2010, p. 152-153 ; nenCi 1982 date de 431 la fondation de ce culte, par les habitants de la chôra attique installés dans le Pélargikon pour y trouver refuge lors de la guerre du Péloponnèse. 17. Plutarque (La gloire des Athéniens 347 C) cite également Héraclide du Pont, philosophe et historien du d’après lequel le messager authentique serait Thersippos du dème d’Eroiadès.
ive
siècle,
18. Lucien de Samosate, Sur une faute commise en saluant 3. 19. https://www.gpo.gov/fdsys/pkg/BILLS-111hres1704eh/pdf/BILLS-111hres1704eh.pdf. 20. lévy 1995, p. 23. Selon roMilly 1971, l’expédition de Darius contre la Grèce pouvait assez naturellement être attribuée à la vengeance contre la révolte de l’Ionie et le secours qu’avait apporté Athènes aux Ioniens. Hérodote, V, 97.
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Figure 3 - Coureurs de l’épreuve de marathon des premiers Jeux olympiques modernes, à Athènes, en 1896. La photo a été prise pendant un entraînement. L’athlète au milieu est Harilaos Vasilakos, étudiant d’Athènes (1877-1964), qui termina deuxième derrière son compatriote, le berger Spyridon Louis (18731940), d’après holMes 1901, p. 69. https://commons.wikimedia.org/wiki/File:1896_ Olympic_marathon.jpg#file
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Figure 4 - La monnaie de 2 € frappée en octobre 2010 par l’Union européenne en 2,5 millions d’exemplaires pour commémorer le 2 500e anniversaire de la bataille de Marathon. « Le centre de la pièce représente un bouclier et un coureur ou guerrier symbolisant le combat pour la liberté et les nobles idéaux qu’évoque la bataille de Marathon. L’oiseau sur le bouclier symbolise la naissance de la civilisation occidentale dans sa forme actuelle. Les douze étoiles de l’Union européenne sont représentées dans l’anneau externe. » https://www.ecb.europa.eu/euro/coins/comm/html/ comm_2010.fr.html
la domination sur la Grèce. Mais les Athéniens rejetèrent les propositions perses en mettant en avant la défense de la liberté et celle de la Grèce, ce qui donna à Hérodote (VIII, 144) l’occasion de définir pour la première fois dans la littérature grecque ce qu’on peut appeler la grécité, to hellénikon : avoir un même sang et une même langue, des sanctuaires et des sacrifices communs et des coutumes analogues21. La décision d’Athènes de refuser la négociation avec Mardonios n’allait pas de soi étant donné le caractère avantageux de la proposition perse. Renonçant à rallier les Athéniens, Mardonios ravagea systématiquement Athènes et l’Attique avant de se replier en territoire ennemi, en Béotie. Pendant la bataille de Platées, en 479 av. J.-C., lors de laquelle les Grecs éloignèrent définitivement le danger perse de la Grèce continentale, les Athéniens réussirent à enlever à Masistios, le commandant de la cavalerie perse, sa cuirasse d’or et à Mardonios son cimeterre22. Mardonios fut tué et les troupes perses défaites reculèrent. À Platées même, sur le champ de bataille, les Athéniens jurèrent de ne pas reconstruire immédiatement les temples détruits par les Perses et de laisser les ruines sur la colline visibles en guise d’avertissement pour l’avenir. Cette information nous est parvenue par le serment collectif connu comme serment de Platées, attesté par Lycurgue (Contre Léocrate 81) et Diodore de Sicile (XI, 29, 2)23.
21. Hérodote VIII, 144 : « […] le monde grec uni par la langue et par le sang, les sanctuaires et les sacrifices qui nous sont communs, nos mœurs qui sont les mêmes, et ça les Athéniens ne sauraient le trahir […] » (trad. Ph.-E. legranD, CUF, 1953). 22. Pausanias I, 27, 1. 23. Une copie du serment de Platées datant de la fin du ive siècle av. J.-C. fut trouvée en 1932 à Acharnes dans le sanctuaire d’Arès. toD 1948, no 204, p. 303-306 ; rhoDes & osBorne 2003, no 88 ; BertranD 1992, p. 48-50, no 18 avec traduction française et bibliographie. KoCh-piettre 2010, § 27.
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L’authenticité de cette information est contestée par certains historiens24. Néanmoins, on constate effectivement une pause des constructions entre 480 et 447 av. J.-C., date du début du programme de Périclès. Contre toute attente, les Perses avaient fini par perdre. Les Grecs désormais sauvés firent élever à Delphes, avec la dîme du butin, un trépied d’or sur la colonne aux Serpents, qui porte les noms de la plupart des cités qui avaient combattu à Platées25. La cité de Platées organisa par ailleurs des sacrifices annuels en l’honneur de Zeus Éleuthérios pour commémorer les soldats morts lors de la bataille26. Tous les quatre ans des fêtes panhelléniques de la liberté, les Éleuthéria, furent également instaurées et subsistaient encore à l’époque de Plutarque27. La pléthore d’images, cultes et traditions engendrée par les guerres médiques et la victoire des Grecs devint ainsi un outil de propagande puissant, renforçant le rôle d’Athènes par rapport à ses voisins. Les conséquences de ces événements et la transformation de l’architecture urbaine sont lisibles dans les couches archéologiques que nous explorons sur trois niveaux : l’Acropole, l’Agora et les fortifications.
aCropole Au centre de la ville, sur l’Acropole, la construction du Pré-Parthénon était destinée à célébrer la victoire de Marathon. Muni de fondations en tuf, ce bâtiment est le premier en marbre pentélique sur l’Acropole, avec des dimensions plus grandes que celles de la construction qui l’a précédé28. La succession des édificestemples à cet endroit de la colline sacrée ne peut pas être reconstituée avec certitude. Habituellement, on maintient l’hypothèse que l’Hékatompédon (Urparthenon), le Pré-parthénon (Vorparthenon) et le Parthénon sont fondés sur un stéréobate, fouillé entre 1835 et 1888, qui a pour dimensions 76,82 m × 31,39 m, sur 22 assises et d’une hauteur de 11 m environ sur le côté sud, en calcaire du Pirée, d’un parement très soigné
24. Théopompe au ive siècle av. J.-C. fut le premier à dénoncer le serment de Platées comme une invention athénienne (Fragmente der griechischen Historiker 115 F 153). Pausanias X, 35, 2, au iie siècle apr. J.-C., se réfère au serment par rapport au temple de Déméter à Phalère et au temple d’Héra sur la route entre Phalère et Athènes. spaWforth 2003, p. 1114 et 1155. Krentz 2007, suivi par Kellogg 2013, formule l’hypothèse que le serment de Platées serait en réalité le serment de Marathon prêté en 490. Pour l’historicité de ce témoignage épigraphique, voir aussi la discussion dans sieWert 1972, p. 98-102 et sánChez 1997. Selon Meiggs 1972, p. 155-156 le texte d’Acharnes est probablement apocryphe. Contra lévy 1995, p. 33, pour qui il est pourtant difficile de comprendre pourquoi ce serment aurait été inventé au ive siècle puisque les temples les plus importants avaient bien finalement été reconstruits. Si le texte tel qu’il nous a été transmis a des chances d’être au moins en partie apocryphe, il n’y a guère de raison de mettre en doute l’existence du serment lui-même. 25. lévy 1995, p. 35. La colonne Serpentine se dresse encore aujourd’hui sur la place du Sultan-Ahmet à Istanbul à l’endroit où elle fut installée au ive siècle apr. J.-C., après son déplacement depuis Delphes. lonis 1979, p. 274, insiste sur le souci qu’avaient les dédicants de dresser un mémorial ; la liste des cités ne se présente pas comme celle des cités qui consacrent l’offrande, et elle n’est pas le simple développement d’une dédicace plus brève, mais témoigne du caractère collectif de l’offrande et ainsi de l’unité des Grecs. 26. Thucydide II, 71, 2. 27. Plutarque, Aristide 21, 1 ; Pausanias IX, 2, 5-6 ; Diodore de Sicile XI, 29, 1 ; Strabon IX, 2, 31. Éleuthéries, Ἐλευθέρια, est le nom donné à diverses festivités de l’Antiquité souvent liées à l’affranchissement des esclaves. Les Éleuthéries à Platées furent instaurées en l’honneur de Zeus Éleuthérios par Aristide après 479. D’après nos sources la fondation des Éleuthéries panhelléniques ne peut pas être attestée avec certitude avant la seconde moitié du ive siècle comme le démontrent étienne & piérart 1974. Le caractère panhellénique des fêtes commémorant la victoire des Platées s’est probablement progressivement estompé. Voir également lonis 1979, p. 271. 28. Sur un premier gradin en calcaire de l’Hymette, 66,90 m × 23,60 m de dimensions, avec 6 × 16 colonnes, avec pronaos et opisthodomos. Korres 2008.
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(figure 5C). Ce soubassement était construit pour recevoir les fondations d’un édifice-temple29. Il nous est impossible de savoir si ce stéréobate a succédé à une construction plus ancienne, mais son édification a forcément bouleversé les fondations des bâtiments antérieurs.
Figure 5 - Reconstitution graphique des phases de construction des temples sur l’Acropole, dessin remanié de M. Korres, dans greCo 2010, fig. 28, p. 98. A. Urparthenon, env. 600-570, B. Stéréobate du Parthénon, env. 510-500, C. Pré-parthénon ou Parthénon II (le premier Parthénon en marbre), env. 490-480, D. Parthénon de l’époque de Périclès, env. 447-432, E. Athéna Erganè, F. Temple de l’époque géométrique, G. Le « Vieux Temple », env. 520-500, H. La première phase de l’Érechtheion, du début du ve siècle, I. Érechtheion de l’époque classique, env. 421-406, L. Mur mycénien, M. Tyrannenschutt, N. Perserschutt, O. Mur de fortification après les guerres médiques, P-Q-R-. Fragments architecturaux incorporés dans les murs de l’Acropole. 29. Korres 1997, p. 218-243, parle d’un « Parthénon primitif » d’orientation légèrement différente.
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En 480, un groupe de Perses attaqua l’Acropole par le sanctuaire d’Aglauros, dit Hérodote (VIII, 53) : Sur le front de l’Acropole, mais en retrait par rapport à la porte et à la montée qui y conduit, à un endroit où personne ne veillait et par où l’on n’aurait pas attendu que jamais un être humain pût monter par là, quelques hommes montèrent, près de la chapelle d’Aglaure fille de Cécrops, en dépit de l’escarpement des lieux. Quand les Athéniens virent ces hommes montés sur l’Acropole, les uns se précipitèrent de la muraille en bas et se tuèrent ; les autres s’enfuirent dans la grande salle du temple. Les Perses qui avaient accompli l’escalade se dirigèrent d’abord vers les portes, qu’ils ouvrirent ; et ils massacrèrent les suppliants ; et lorsque tous les Grecs furent exterminés, ils pillèrent le sanctuaire et mirent le feu à toute l’Acropole. (trad. Ph.-E. legranD, CUF, 1953).
Les flammes, qui devaient être visibles depuis Salamine, ont détruit les temples, le toit de l’Archaios Naos (temple d’Athéna Polias) et les assises, ou échafaudages, du Pré-Parthénon dont la construction était avancée au niveau du troisième tambour des colonnes. La citerne archaïque30 fut démolie et de nombreux anathêmata furent détruits. L’élévation du Pré-Parthénon jusqu’au troisième tambour ne s’était sûrement pas étirée sur toute la décennie de 490 à 480 av. J.-C. On ne sait pas exactement quand Athènes décida d’ériger ce bâtiment en mémoire de Marathon, mais nous pouvons être sûrs que cette construction fut détruite par les Perses. Les ruines causées par l’invasion perse furent ensuite gardées visibles, intégrées dans le mur nord de la fortification de l’Acropole, où les fragments du fronton du temple d’Athéna Polias et les tambours du Pré-Parthénon, endommagés par l’incendie, furent remployés non de manière hâtive mais selon un ordre de composition synthétique31. 480 est une date fondamentale, fournissant un terminus ante quem primordial pour toute l’histoire de l’art grec, marquant le passage de l’époque archaïque à l’époque classique. Elle fut imposée lors des fouilles du xixe siècle sur l’Acropole. Entre 1885 et 1890 l’archéologue Panagiotis Kavvadias et les architectes Wilhelm Dörpfeld et Georg Kamerau32 mènent des fouilles sur la colline sacrée et établissent une stratigraphie assez nette indiquant entre autres le Tyrannenschutt et le Perserschutt. Le Tyrannenschutt correspond aux terrassements pour l’aplatissement et la monumentalisation de la colline à la fin du vie siècle av. J.-C. Le Perserschutt, terme allemand attribué à Dörpfeld, désigne le terrassement contenant le matériel votif et architectural de l’époque archaïque endommagé par le sac perse en 480 av. J.-C. et déposé sur le versant sud, à partir du toichobate du Pré-Parthénon, et un peu au nord du plateau, au niveau de l’Arrhéphorion – Érechtheion (figure 5, I). Depuis la fin du xixe siècle donc, les objets trouvés dans les remblais antiques de l’Acropole – fragments architecturaux, sculptures, céramique, bronzes, etc., avec des traces de feu et des cassures volontaires, coups de massues et autres – ont été considérés comme le témoignage du passage désastreux des Perses en 480 av. J.-C. Ces objets auraient servi comme matériel de remblai, l’Acropole ayant besoin d’un terrassement plus large lors des réfections architecturales et en préparation de nouvelles constructions monumentales au ve siècle av. J.-C.33. En tant qu’objets dédiés à la divinité poliade, Athéna, ils restent sur place, enfouis dans la colline sacrée. Ainsi par les premières fouilles on a daté, surtout pour la sculpture, le passage de l’archaïsme au « style sévère » pré-classique. Pourtant, les sculptures ne furent pas ensevelies
30. hurWit 2004, p. 213-214. 31. Di Cesare 2004 étudie les problèmes de datation puisque la distance chronologique entre Thémistocle et Cimon est très petite. 32. Les fouilles de 1885-1890 furent publiées dans CavvaDias & KaWerau 1906. 33. La seconde moitié du ve siècle av. J.-C. est massivement occupée par les grands travaux d’architecture sur l’Acropole. Plutarque (Périclès 13, 1-13) attribue au stratège Périclès l’initiative de construire le Parthénon, le téléstérion d’Éleusis, le Mur long sud, l’Odéon, et les Propylées de l’Acropole.
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de la même manière ni au même moment34. Depuis une vingtaine d’années à peu près, on assiste pour l’Athènes archaïque et classique à une remise en question et à une déconstruction de théories généralement acceptées jusque-là. Dans ce contexte scientifique, on a contesté la pertinence de la répartition des objets enfouis dans les couches de remblaiement, aussi bien que la datation de la stratigraphie établie. Les théories concernant ce problème sont nombreuses, et elles sont essentiellement basées sur les calendriers des premières fouilles35. Or la rapidité de leur exécution, conduite sur seulement cinq années, avec la méthode et les moyens de l’époque, n’a pas toujours eu pour résultat une grande précision dans la localisation des trouvailles, ni dans la description des caractéristiques ou particularités de chaque objet. Si l’on peut ainsi accepter que la date de 480 soit valable avec certitude pour les trouvailles de la partie nord, le dépôt de la partie sud – au sud du Parthénon – est plus probablement lié aux réfections de l’époque de Cimon vers 470-460 av. J.-C. En fait, le seul endroit qu’il soit véritablement possible de rattacher à la destruction perse est la fosse dans laquelle ont été retrouvées en 1886 quatorze statues de korai archaïques. Toutes les autres trouvailles proviennent de remblais antiques hétérogènes, dont les plus récents peuvent dater d’environ 430 av. J.-C., et qui, de plus, ont souvent été perturbés ultérieurement36. Les œuvres datées traditionnellement d’avant 480 av. J.-C. peuvent dès lors, d’après les théories les plus récentes, dater du milieu du ve siècle37. Il n’est pas impossible que les autres couches soient partiellement perturbées ou qu’elles aient été remplies lors des travaux de la fin du ve siècle av. J.-C. Les conséquences pour la datation traditionnelle des objets trouvés dans les couches de remblais d’époque peu précise sont donc révolutionnaires, introduisant jusqu’à 50 ans d’écart dans la typologie sculpturale établie. De l’époque de Cimon date également la construction de la grande statue d’Athéna Promachos, offrande après la victoire d’Eurymédon que Pausanias (I, 28, 2) présente comme « une statue d’Athéna en bronze, dîme prélevée sur les Mèdes qui avaient débarqué à Marathon, œuvre de Phidias »38.
agora La localisation, l’étendue, les bâtiments et le caractère exact de l’Agora archaïque continuent d’être l’objet de recherches et de discussions infinies dans l’historiographie. En tout cas, l’Agora connue dans son emplacement actuel existe – les chercheurs sont unanimes – au moins depuis la fin du vie ou le début du ve siècle av. J.-C. L’Agora d’Athènes, comme l’Acropole, subit la destruction perse menée par Xerxès et Mardonios en septembre 480 et juin 479. Les sources décrivent la manière dont Athènes fut incendiée et détruite, précisant que tout ce qui restait encore debout des murailles, des maisons et des temples fut
34. La mise en question de la datation du début du « style sévère » en sculpture a été inaugurée par hurWit 1989 à propos de l’éphèbe de Critios : le contexte de fouille où il a été retrouvé n’était pas celui du Perserschutt. steWart 2008 veut démontrer que le début du style sévère à Athènes se situe dans la décennie 480-470 et suit la rupture provoquée par la catastrophe de 480. 35. linDenlauf 1997 et surtout stesKal 2004 qui consacre sa thèse à dépouiller toutes les données exploitables sur le sujet de la stratigraphie de l’Acropole. 36. holtzMann 2012 fournit une synthèse de l’évolution des recherches et des études sur l’Acropole d’Athènes. 37. stesKal 2004, p. 217, conclusions sur la datation de la sculpture, et p. 253, conclusions et commentaires sur la datation de la céramique. 38. La même tradition est également rapportée par Démosthène, XIX, Ambassade, 272]. Pausanias ajoute que « la pointe de la lance et l’aigrette de cette Athéna sont visibles des navigateurs dès qu’ils arrivent du Sounion ». Une connection visuelle forte lie désormais le centre d’Athènes placé sous la protection d’Athéna à la mer et marque symboliquement la souveraineté maritime athénienne.
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rasé39. Les sanctuaires et les statues (demeures et images des dieux et des héros) furent ravagés. La ville fut spoliée, puis ses propres habitants achevèrent le processus de démolition40. Les fouilles sur l’Agora d’Athènes, menées surtout par l’École américaine, ont dévoilé une série de puits et de fosses remplis de terre et d’objets endommagés archaïques41. Pourtant, le moment exact où ces puits furent fermés, pas plus que l’identité de ceux qui les ont fermés, ne se trouvent clairement établis. Il se peut que les Athéniens aient fermé ces puits avant l’invasion des Perses pour leur en interdire l’usage, ou bien que les Perses les aient empoisonnés au moment de leur départ pour laisser leur empreinte et un souvenir néfaste aux Athéniens et à leurs descendants, ou encore que les Athéniens les aient remplis avec les débris du sac perse au fur et à mesure de la reconstruction et du réaménagement de la place de l’Agora42. Par ailleurs, des matériaux architectoniques en remploi furent utilisés pour la reconstruction d’une série d’édifices sur l’Agora. Ainsi, de la même manière qu’à propos du Perserschutt de l’Acropole, aucune précision ni certitude de datation ne peuvent être fournies par les objets provenant des puits de l’Agora. Il semble désormais évident que nous ne sommes pas en mesure d’en tirer une date exacte de terminus ante quem pour la typologie des techniques et de la production artisanale à Athènes. Certes, on peut parler de la reconstruction et du déplacement de l’Agora athénienne, mais l’édification du site a eu lieu dans une fourchette chronologique encore plus large que celle qui concerne l’Acropole : l’ancien Bouleutérion fut reconstruit sur les fondations archaïques vers 460 ; l’édifice F avec ses annexes fut remplacé par la Tholos en 470 env. ; l’autel des Douze dieux prit sa forme finale au ive siècle (figure 6).
fortifiCations Thucydide (I, 93, 2-3 et II, 13) fournit une description détaillée des fortifications de la ville, révélant ainsi toute leur importance topographique. En utilisant tous les matériaux disponibles, en particulier des stèles ou des blocs de remploi, et toute la main-d’œuvre présente, hommes, femmes et enfants, hommes libres et esclaves, les Athéniens avaient réussi après les guerres médiques à élever une fortification dont on a pu reconstituer le tracé43. Nous ne savons pas si celle-ci remplaçait un péribole plus ancien et de dimensions plus restreintes. Les sources écrites invitant à envisager l’existence d’un mur de fortification à l’époque archaïque sont toutefois relativement abondantes et assez parlantes44. En outre, des fortifications du même type ont été développées ailleurs à la même époque, comme à Mounychia et à Éleusis45. Aujourd’hui
39. Eschyle, Perses 809-812 ; Hérodote VIII, 51-55 ; VIII, 143, 2 ; IX, 13, 2. 40. Thucydide I, 90, 3 (καθαιροῦντας). 41. shear 1993 a repéré 22 dépôts dans l’Agora contenant des objets identifiés par les fouilleurs comme appartenant au nettoyage des Athéniens après le sac perse. 42. lynCh 2011a et 2011b décrit les « Persian destruction cleanup deposits » et les attribue à une opération de purification et systématisation architecturale de la place sur une longue durée. 43. Le tracé de l’enceinte de 479 av. J.-C. n’est pas certain dans toutes ses sections. Les trouvailles des fouilles confirment pourtant la description de Thucydide. Voir p. ex. les chroniques des fouilles de l’Éphorie des Antiquités à Athènes, dans Αρχαιολογικόν Δελτίον. Χρονικά 16, 1960, p. 21-27 (par I. threpsiaDes) et pl. 22-26 pour le mur de Thémistocle ; 26a : un fragment de kouros trouvé en remploi dans les murs de Thémistocle, rue Apollonos Pentélis. 44. Weir 1995. 45. freDeriKsen 2011, p. 133 ; p. 11, note 28, pour Mounychia ; p. 135-137 pour Éleusis. L’auteur veut soutenir l’idée qu’Athènes fut aussi fortifiée. travlos 1960, p. 33-34, 40-42, fig. 14, pl. II et 1971, p. 8, fig. 5, p. 20, fig. 28 et p. 5256, 91, 93, 127. Travlos, prenant en considération les remparts d’Éleusis (Kuruniotis 1935, p. 64-66), considère qu’il
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Figure 6 - Agora classique, d’après le dessin de J. Travlos 1958, dans travlos 1960, p. 62, fig. 28. 1. Poikilè Stoa (sur les plans proposés dans greCo 2014 l’orientation de la Stoa est restituée NE-SE, longeant l’ancienne route et s’identifie à la Stoa des Hérmès, connue également comme Stoa nord-ouest), 2. Voie des Panathénées, 3. L’ancien bouleutérion, 4. Le nouveau bouleutérion, 5. L’édifice F, 6. La Tholos, 7. Le téménos de Douze dieux, 8. Stoa de Zeus Eleuthérios.
les études penchent de plus en plus vers l’existence d’une enceinte archaïque46 dont la publication des vestiges est particulièrement attendue afin de définir son tracé et ses matériaux de construction. Les murs
est impossible qu’Athènes soit dépourvue de fortification à l’époque archaïque, en soulignant en même temps la difficulté de reconstituer sa forme avec certitude. 46. Voir par ex. papaDopoulos 2008. Capozzoli 2004.
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de Thémistocle, formés d’un socle de pierre supportant une superstructure de brique crue, censée mieux résister au bélier, s’étendent sur près de 6 kilomètres. Thémistocle fit aussi reconstruire le mur nord de l’Acropole, tandis qu’à l’époque de Cimon fut reconstruit le mur sud. La deuxième étape fut constituée par l’aménagement et la fortification du Pirée. Athènes s’est ainsi créé un ensemble portuaire bien équipé, puissamment fortifié, à la mesure de sa puissance navale, que Thémistocle jugeait même « plus utile que la ville haute (sc. Athènes) »47. Les Athéniens décidèrent de relier Athènes au Pirée et à Phalère par de longs murs, respectivement de 7,5 km et 6,5 km, construits entre 458 et 456. Ces fortifications permirent à Athènes de bénéficier de l’image d’un centre urbain fort au cœur d’une grande région et d’accéder ainsi au rang de « grande puissance »48. Les murs de Thémistocle signent également la structuration définitive du paysage funéraire suburbain : après 479 tout type d’inhumation prend place à l’extérieur de l’enceinte49. Le circuit des murs a prolongé et étendu dans toutes les directions le plan de la ville, qui jusqu’à cette époque-là s’était développée de manière circulaire, comme en couronnes (trochoeidès50) autour de l’Acropole. Ces constructions ne sont pas seulement un moyen de renforcement défensif, mais offrent une définition nette de l’étendue urbaine par rapport aux activités périphériques de la cité et au territoire avec lequel la cité communique, par voie terrestre et voie maritime. Les portes de l’enceinte donnent accès, d’ouest en est, à Salamine, Éleusis, l’Académie, Acharnes, Éleuthères et la Béotie au nord, Marathon au nord-est, Sounion à l’extrémité sudest de l’Attique, et enfin Phalère et le Pirée au sud (figure 7). Le système routier de toute la région de l’Attique est désormais ancré dans la fortification athénienne et évolue par rapport au développement urbain de la ville. Ainsi les murs ne servent pas à enfermer l’urbain dans un péribole mais plutôt à renforcer les accès vers l’extérieur et marquer les voies terrestres autant que les voies maritimes. De cette manière, les murs de Thémistocle contribuent à la définition urbanistique de la ville d’après un plan tracé sur le sol à l’intérieur duquel les activités sont mieux contrôlées. La fortification présumée antérieure n’avait sûrement pas les mêmes fonctions. Thucydide (I, 89-90) évoque la réticence des Spartiates et de leurs alliés qui craignirent la nouvelle importance des forces maritimes d’Athènes et qui furent choqués par la construction hâtive du nouveau rempart. Les Spartiates ne manifestèrent pas de colère apparente (ὀργὴν φανερὰν) mais éprouvaient une amertume qu’ils dissimulaient (ἀδήλως ἤχθοντο). Thucydide voit là clairement le tout premier élément qui va progressivement conduire à l’opposition des deux cités.
47. Thucydide I, 93, 7. 48. lévy 1995, p. 46-48. 49. greCo 2014, p. 611-617, résume cette constatation qui est le résultat des recherches archéologiques dans la ville d’Athènes ; p. ex. voir l’inhumation à l’extérieur de la porte VIII, dite porte de Diocharès, et les périboles funéraires dans la région de la place Syntagma, p. 663-668. 50. Cette idée est tirée d’une expression employée par un oracle delphique cité par Hérodote VII, 140, 2 : […] πόλιος τροχοειδέος ἄκρα κάρηνα (« Les hauts sommets de ta ville semblable à une roue »). On pourrait considérer que πόλιος signifie « l’acropole ». Dans ce cas, on imaginerait le développement de la ville archaïque autour de la colline sacrée en forme circulaire, ce qui correspondrait aux vestiges repérés. Le déplacement de l’Agora, qui fait basculer entre autres le centre de la ville, probablement de l’est de l’Acropole vers le nord-ouest de la colline sacrée, aurait ainsi aussi changé sa forme.
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Figure 7 - Les fortifications de Thémistocle avec mention des noms des portes et quelques traces du système routier athénien. Réélaboration graphique à partir du dessin de J. Travlos 1958, dans travlos 1960, pl. III.
ConClusions Revenons à l’idée initiale : étudier la « reconstruction » de la ville d’Athènes après les guerres médiques est probablement une approche erronée. Il faut sans doute parler de la reconstruction de la cité d’Athènes, comme cité de la démocratie, et de l’affirmation athénienne dans le monde égéen. Les événements de 490480 ont laissé leurs traces sur la forme de la ville et, en ce qui concerne l’Agora, jettent les bases de la métamorphose de la place vers la monumentalité qui sera la sienne à l’époque classique. Les sources nous parlent explicitement de la reconstruction de l’Agora, et non seulement du rétablissement à l’identique des monuments détruits. Cette nouvelle Agora abritera les instances de la démocratie. Il nous a paru nécessaire de mettre en cause les absolus chronologiques imposés et communément adoptés en suivant les premières interprétations de la stratigraphie sur l’Acropole. Ce cas d’absolu chronologique n’est d’ailleurs pas unique dans l’historiographie d’Athènes. D’autres datations, tout aussi arbitraires, ont eu tendance à s’imposer lorsqu’il s’agissait de fixer la réorganisation de la fête des Grandes Panathénées au milieu du vie siècle et les aménagements urbanistiques que celle-ci aurait entraînés51. Plus
51. C’est la tendance que l’on constate dans certains travaux comme celui de shapiro 1989, qui cale l’époque archaïque autour d’une seule date, 566, conventionnellement associée à la réorganisation et à l’instauration civique des Grandes Panathénées à Athènes.
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tard également le sac d’Athènes par les troupes de Sylla en 86 av. J.-C. et l’invasion des Hérules en 267 apr. J.-C. ont incité les fouilleurs à rattacher quasiment n’importe quelle couche de cendres aussi bien que chaque mutilation architecturale d’époque romaine à ces événements52. Le terminus ante quem de l’histoire de l’art grec est remis en question sur une étendue chronologique de presque quarante ans, ce qui bouleverse radicalement nos habitudes de datation. La monumentalisation de l’Acropole menée plus tard à l’époque de Périclès est davantage liée aux visées « impérialistes » d’Athènes sur les Cyclades, voire sur l’Ionie, qu’à la « restauration » de la ville après les guerres perses. La même tendance s’est avérée sur l’Agora. Enfin la fortification de la ville, telle qu’initiée par Thémistocle, impose un plan urbanistique radicalement différent dans lequel la ville est ouverte vers le péri-urbain et l’extra-urbain de son territoire désormais établi et unifié. Les guerres médiques ont permis à Athènes de se reconstruire et de se redéfinir. Cette nouvelle forme urbaine est développée autant pour les habitants d’Athènes que pour ses ennemis. La structuration du territoire et la monumentalisation de l’espace urbain s’intègrent dans la longue durée de l’histoire humaine et n’adviennent pas nécessairement juste après l’événement qui les déclenche. La communauté politique a besoin de temps, parfois de plusieurs générations, pour juger de l’importance, des conséquences d’une victoire ou d’une défaite. Le choix de les garder en mémoire ou de les rejeter dans l’oubli évolue et varie d’une génération à l’autre, chacune adaptant sa reconstitution du passé légendaire de la cité à ses besoins actuels. Athènes, en contribuant à la victoire sur les Perses, prépare sa domination sur ses vrais concurrents, les autres « Grecs », pour emprunter la définition d’Hérodote, qu’elle veut dominer. Le souvenir de ses combats glorieux a très rapidement nourri un imaginaire très fort autour de sa puissance quasi divine, souvenir que toute l’historiographie athénienne a voulu précieusement conserver, et d’une certaine manière ce mythe n’a été mis en question que très récemment dans l’historiographie et les restitutions archéologiques de notre époque. [email protected] École pratique des hautes études
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AlexAnder HerdA
Copy and paste? Miletos before and after the Persian Wars*
Für A. H. Borbein, fünfzehn Jahre später Immer doch Schreibt der Sieger die Geschichte des Besiegten,1 […] es muss versucht werden, die Überlieferung von neuem dem Konformismus abzugewinnen, der im Begriffe steht, sie zu überwältigen.2
i. introDuCtion Being the leading political and cultural power behind the Ionian revolt against the Persia of King Dareios I, “the Great,” in 499 BCe, Miletos, the “Ornament of Ionia” (τῆς Ἰωνίης πρόσχημα), 3 was destroyed after a dramatic sea and land battle in 494. The fifteen years of occupation that followed ended in 478, after the united Greeks defeated Dareios’ successor, Xerxes I in the battles of Plataia, Salamis, and Mykale Mountain. In the late summer of 479 BCe, during the “Conference of Samos,” the victorious Athenians and their Ionian cousins made preparations for an offensive alliance against the Persians that
*
1.
I would like to thank very much Christian, Emmanuelle, Carole, Maria, Cécile, Renée, and Hedwige for having us brought together in this wonderful place at Fondation del Duca by organizing this inspiring conference! Countless are also my thanks to Magnus Briem (Athens), who undertook to correct my English as well as helped me with making my arguments clear. I am very grateful to Reinhard Senff (Athens) for having me provided with a manuscript of his upcoming book on Archaic Miletos (senff in preparation). Stefan Gräbener (Berlin) and Valtin von Eickstedt (Athens) helped me with visualizing my ideas. The following size-limited paper can only give a glimpse on the complex topic. I plan to continue addressing certain issues regarding Milesian-Persian relations in the future. The work on this article was made possible by generous funding of the Center for Hellenic Studies, Trustees of Harvard Foundation, and its director Gregory Nagy. BreCht 2000, p. 1480.
2.
BenjaMin 1996, p. 588; cf. thielen 2005, pp. 209-210.
3.
Herodotus 5.28; cf. nieMeier 1999; gorMan 2001, who both chose this phrase as title for their publications. An up-todate history of archaic and classical Miletos, taking into consideration all available evidence, is still to be written (on the problems with e.g. greaves 2002, see CoBet 2004). This also necessitates a continuation of the most successful field work, see e.g. Berns 2015, pp. 314-315, 320, 322. Yet useful and stimulating, especially concerning the “geopolitics” of the archaic Milesians: DunhaM 1915; see also ehrharDt 1988. Here is not the place to discuss the dubious article of guth 2017.
Reconstruire les villes : modes, motifs et récits, éd. par Emmanuelle Capet, Cécile Dogniez, Maria gorea, Renée KoCh piettre, Francesco Massa, Hedwige rouillarD-Bonraisin (Semitica & classica. Supplementa 1), Turnhout, 2019, p. 91-120 DOI 10.1484/M.SUPSEC-EB.5.118517
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came to be known as the Delian-Attic League.4 Miletos joined the league around 477/6 as one of its earliest members in coastal Asia Minor.5 Despite joining the League, Miletos was never again able to gain back its prominent position in the Greek world. Instead, it was displaced by its mythical founder, the city of Athens and also leader of the League.6 Such was the power of Athens, that Miletos and the other Ionian cities came to be labeled as “the cities ruled by Athens” (πόλεις ὅσων οἱ Ἀθηναῖοι κρατοῦσι).7 In fact, Athens’ spectacular rise to the dominant power of Greece allowed it to interfering even with the inner policies of oligarchic Miletos by implementing the “power tool” of democracy ca. 445 BCe, when the Milesian elite had rebelled against Athens’ political and commercial suppression.8 By that time, Athens had settled relations with Persia, whose new Great King Artaxerxes I had accepted the autonomy of the Greek cities of Asia Minor in the treaty known as the “Peace of Kallias” (between 465/4 and 449/48 BCe).9
4.
Herodotus 9.106.1; Diodorus 11.37; cf. Meiggs 1972, pp. 413-414; herrMann-otto 2002; iD. 2005.
5.
See below section III.4 with n. 101 on the shift in metrology in Milesian architecture before 476/5 BCe, the year of the eponym Charopinos (for his dating see n. 60), as an indicator of becoming a member of the league. Instead, ehrharDt 2003, p. 16 dated the Milesian membership and that of the other Ionian mainland cities only after the battle of Eurymedon 468-466 BCe. But Miletos’ treason of the Persians in the battle at Mykale 479 “had again incurred the enmity of Persia” and the city “must still have been too weak to stand alone, it is likely that she joined the Confederacy at an early date” (DunhaM 1915, p. 103).
6.
For Peisistratid Athens outdistancing Miletos in the Propontis and the Pontos with the help of Polykrates of Samos and Lygdamis of Naxos already ca. 530 BCe, see DunhaM 1915, pp. 85-87, who points to the increasing imports of Attic black and red figure pottery in Miletos and its colonies. For Attic imports in Miletos, see now KunisCh 2016, pp. 59-70 (without taking into consideration the much more frequent Attic black-glazed ware, only mentioned on p. 66 as first appearing in the course of the fifth century BCe, and pp. 35, 211-214 [graffiti on Attic black-glazed pottery]; likewise Kunisch is incorrectly declaring that West-Slope and related Hellenistic Attic wares are “nearly completely missing” in Miletos: ibid., p. 61).
7.
Meiggs 1972, p. 114; Moroo 2014, p. 105 with n. 29, p. 111 (formula likely introduced in the Athenian decrees between 435/4 and 427 BCe).
8.
herrMann 1970; gehrKe 1980; piérart 1983; iD. 1985; gorMan 2001, pp. 216-236; greaves 2002, p. 133. The famous “Banishment decree” from Miletos is to be dated in the years after 446/5 BCe, when the oligarchic government was thrown down in favour of an Athenian-style democracy, see herrMann 1997, p. 197 on no. 187; ehrharDt 2003, p. 13. The recent claim of a late archaic date due to the letter forms (slaWisCh 2011; followed by SEG 61, 934) is to be rejected, see herDa 2016, 48 n. 123. The graph in slaWisCh 2011, p. 426 fig. 1b does not give the correct letter forms of the inscription, as can be easily seen from a comparison with herrMann 1997, pl. 15 (photo); gerKan 1922, p. 42 fig. 54 (drawing), especially regarding the epsilon, eta, sigma, ny and omega, which are identical with that of the lex sacra for Poseidon Helikonios of 434/3 BCe (slaWisCh 2011, p. 426 fig. 1c), as already stressed by herrMann 1997, p. 197; followed by ehrharDt 2003, p. 13. On democracy as a “power tool,” see herDa 2016, pp. 54-55 with n. 143; see also below n. 39 on the Persians applying it in the same manner. On the date of introduction of an Athenian style democracy in Miletos, see herDa 2016, p. 39 n. 99, pp. 59, 112.
9.
Herodotus 7.151; Plato, Menexenos 241e-242a (386 BCe); Isocrates, 4.117-120 (380 BCe), 7.80 (339 BCe); Demosthenes 15.29 (352 BCe), 19.273-274 (343/42 BCe); Lycurgus, in Leocrates 72-73 (ca. 330 BCe); Diodorus Siculus 12.2, 4, 26; Plutarch, Cimon 13.4-5; etc.; the historicity and the date of the treaty respectively two treaties (the first under Kallias after the battle of Eurymedon ca. 465/4, the second under Kimon ca. 449/8 BCe) are however disputed since Kallisthenes FGrHist 124 F 16 (ca. 370-327 BCe) and Theopompos FGrHist 115 F 153, 154, cf. Meister 1982; BaDian 1987; iD. 1990; BalCer 1995, pp. 299-325; saMons 1998; Briant 2002, pp. 557-558.
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The first 50 years of the 5th century BCe are perhaps the most eventful in Miletos’ long history. A megacity in 499, measuring 100 hectares and ca. 50,000 to 60,000 people,10 Miletos was destroyed and occupied by the Persians, and then freed by the Greeks and rebuilt as a replica, a “copy” of its own past. It turns out that there are clear continuities as well as breaks, concerning town planning, housing, cults and art production during the transition from the archaic to the classical age that is the time period between occupation/destruction and liberation. While the attempt to restore and modernise vital parts of the archaic infrastructure is obvious, the city had also become a museum of its glorious past up to and including its destruction! Parts of the most time-honoured sanctuaries were left in ruins, as a grim reminder, while others like the Delphinion were rebuilt ostentatiously using architectural and inscriptional spolia, or by “re-presenting” the archaic sculptures that had adorned the city prior to its destruction. Miletos of the early classical age by virtue of its conscious re-presentation of its archaic past, qualifies for an ideal archaeological test case to validate the actual historicity of an important passus of the “Oath of Plataia” or “Oath of the Ionians” resp. It states that the Greeks should not restore the sanctuaries destroyed in a “barbarian impiety” (βαρβάρων ἀσεβείας) by the Persians as a reminder.11 The oath has been suspected of being a forgery since Theopompos of Chios (2nd half of 4th century BCe),12 as also the “Peace of Kallias.”13
ii. to What extent got Miletos DestroyeD? The Persian-Phoenician fleet defeated the Ionian forces at the Island of Lade, located just west of Miletos, thanks to numerical superiority,14 and the act of treason committed by the Samians on the left wing against their fellow Ionian Greeks.15 Miletos found herself cut off from being supplied by the sea. While the Phoenician ships attacked Miletos’ sea walls, the Persian land forces finally broke through the land walls after a longer siege.16 According to Herodotus, Miletos was destroyed, its people were either killed, or, enslaved and deported to the Persian city of Ampe located on the Tigris river. The Persians occupied the city and its mainland territory.17 Miletos was now empty of the Milesians.
Μίλητος μέν νυν Μιλησίων ἠρήμωτο.18
10. Müller-Wiener 1986, p. 98 followed by greaves 2002, pp. 99-103, estimates an area of 110 hectares for the walled city. My own estimation depends on my new reconstruction of the walled archaic city, here figure 1. For assisting in calculating the area, I would like to thank S. Gräbener (Berlin) very much. On the population estimates for archaic Miletos (ca. 50,000 to max. 64,000) and classical Miletos (ca. 15,000 to 20,000), see gorMan 2001, pp. 211-212 with n. 99; greaves 2002, pp. 99-103; tuttahs 2007, pp. 39-40. 11. Isocrates 4.155-156; see also: Lycurgus, Leokrates 81; Diodorus 11.29.3; Pausanias 10.35.2. 12. FGrHist 115 F 153; cf. sieWert 1972; sCheer 2000, pp. 209-211; Krentz 2007; Kellogg 2013; CartleDge 2013; garlanD 2017, pp. 98-99, 113, 117, 148 n. 33. 13. For the “Peace of Kallias” as a forgery, see above n. 9. 14. Herodotus 6.8-9: 600 Phoenician-Persian versus 353 Greek ships. 15. By this treason, negotiated with the Persians in secret, the Samians “saved their sanctuaries and houses” (Herodotus 6.13.2.), see funKe 2007, p. 26. For Samos run by pro-Persian tyrants from 522 (killing of Polykrates) to the battle of Mykale, see shipley 1987, pp. 103-109. 16. Herodotus 6.6-22; cf. CoBet 1997, pp. 261-263. For the Ionian revolt, see Wallinga 1984; BalCer 1995, pp. 169-191; gorMan 2001, pp. 129-145; Briant 2002, pp. 146-156; CaWKWell 2006, pp. 61-86. For Lade and the battle of Lade, see BrüCKner et al. 2014, pp. 68-69, 86 with n. 155; BrüCKner et al. 2017, pp. 880-881 fig. 4. 17. Herodotus 6.18-22; cf. herDa 2008, p. 37 with n. 191. 18. Herodotus 6.22.1.
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This latter saying of Herodotos is however an overstatement. Most likely, it constitutes a citation from the now lost tragedy, Μιλήτου ἅλωσις (The Conquest of Miletos), composed by the Athenian Phrynichos, and performed for his native city in 493/2 BCe.19 Phrynichos was fined 1,000 drachme for a propaganda masterpiece,20 that made his fellow Athenians citizens burst into tears for not having helped their Eastern Greek compatriots fight the Persians. The Athenians still in shock forbade any future productions of the play.21 Herodotos’ overstatement of a Miletos void of Milesians becomes clear, as he contradicts himself, when describing how the Persians were later betrayed by their Milesian allies in 479 BCe, in the battle at Mykale Mountain, where, “Ionia separated a second time from the Persians.”22 Today it is acknowledged that only part of the Milesian population was deported to Persia while the other part was left in Miletos to serve the Persians and their Phoenician allies during the period of occupation 494 to 479/8 BCe.23 In this period, Miletos because of its many harbours (estimated to be six), served as the main Persian naval base in western Asia Minor and the eastern Aegean, besides Samos.24 While the archaeological evidence for the city’s destruction of 494 by the Persians is attested throughout the archaic city,25 to date there is scanty archaeological evidence for the Persian or Milesian presence in the occupied city.26 A first settlement activity immediately after 494 BCe in the ruins of the insula west of the Hellenistic bouleuterion is indicated by a continuity of Attic imports.27 And on Kalabak Tepe, a hill located on the strategic southwestern corner of the archaic city, we find a settlement and some spurious
19. Another possible fragment of this tragedy may be preserved in line 1002 of Aristophanes’ comedy Ploutos of 408 BCe (re-edited and -enacted in 388 BCe), literally cited also in Aristotle’s Constitution of the Milesians fr. 557 (ed. Rose): πάλαι ποτ’ ἦσαν ἄλκιμοι Μιλήσιοι (“Once upon a time the Milesians were brave”), see CoBet 1997, p. 254 n. 46. ehrharDt 2003, p. 1 n. 2, p. 2, states to the contrary that no fragment of the tragedy survived. The dating of the performance of Conquest of Miletos is disputed, see roisMan 1988, but the harsh reaction of the Athenians fits best a prompt moment in time, see e.g. rosenBlooM 1993; BaChvarova & DutsCh 2016, pp. 86-89; BlaKeWell 2016, pp. 119-120. 20. ehrharDt 2003, 2 suspects Themistokles as the sponsor of the play, who wished to fuel the anti-Persian sentiment of the Athenians. 17 years later, in 476, Themistokles did sponsor Phrynichos’ tragedy Phoenician Women, another anti-Persian piece: roisMan 1988; BaChvarova & DutsCh 2016, p. 88; garlanD 2017, p. 119. 21. Herodotus 6.21.2; cf. rosenBlooM 1993; ehrharDt 2003, pp. 1-2; ziMMerMann 2011, pp. 558-561; roisMan 2011: “The Athenian prohibition on reproducing the play shows an early attempt to control artistic expression in a public space out of concern for the community.” It seems likely to me that Herodotos acquired a book copy when he worked on his Histories while in Athens. It may further have been available for Aristotle and his school, when compiling the Constitution of the Milesians, see above n. 19. 22. Herodotus 9.104, see ehrharDt 2003, pp. 5, 7. 23. See e.g. jaCoBs 1994, p. 130; ehrharDt 2003, pp. 7, 19 contra gorMan 2001, pp. 145-151; iD. 2002, pp. 190-191 (only few refugees return from other places and settle on Kalabak Tepe). 24. BalCer 1995, pp. 188-191 (however, he believes Samos to be the main Persian naval base by declaring Miletos’ “marine facilities destroyed,” which is to be proven); CoBet 1997, p. 263. For the six harbours of archaic Miletos, see BrüCKner et al. 2014, p. 61 fig. 10, pp. 89-94. 25. voigtlänDer 1981; iD. 1982; CoBet 1997, p. 254 with n. 47; gorMan 2001, p. 146; iD. 2002, p. 183; ehrharDt 2003, pp. 2-3 with n. 10; senff 2007; WasCheK 2008, pp. 48-51, 58-60, 68; KunisCh 2016, pp. 63-70; senff in preparation. 26. Yet, it is an argumentation ex silentio to assume, as does gorMan 2001, pp. 146, 212 that Miletos was (almost) void of people between 494 and 480 BCe on the grounds of Herodotos’ overstatement (citing Phrynichos?). The statement of CooK 1989, p. 168, that “no useful deposits have yet been found or anyhow published” of the period 494-479 BCe is outdated, see next two notes and n. 118. 27. voigtlänDer 1981, p. 118 with n. 22; iD. 1982, p. 101; KunisCh 2016, p. 69 with nn. 448-450; senff in preparation chap. 6.2. KunisCh 2016, pp. 60 and 69 is ignoring this evidence and the evidence on Kalabak Tepe (see next note),
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remains of a fortification during the first and second quarters of the fifth century. The settlement on the eastern terrace of the hill has been convincingly attributed to the Persian occupation forces, as it is built on top of the destroyed sanctuary of Artemis Kithone and bears a remarkably high number of Phoenician transport amphoras of the early 5th century BCe.28 The fortification on the northern upper terrace of the hill formed part of the Persian reinforcements of the archaic city walls, to protect their naval base.29 For this purpose, the hilltop was leveled with the help of ca. 13,200 ± 4,000 m3 of infill.30 It consisted not of debris of destructed Milesian houses,31 but of sterile rubble stone.32 These military installations will also have included a fortress on so-called Kale Tepe (“Fortress Hill”), controlling the two closable military harbours of Miletos, the “Theatre” and the “Lion Harbour.” At least is this the place where in 412/11 the Persian satrap Tissaphernes (re-?)installed a phrourion.33 That the Persians “remained encamped outside the city’s breached walls” instead,34 is highly unlikely out of strategical reasons. This assumption is depending on Herodotos, where he states that the Persian fleet hibernated 494/3 “around Miletos” (περὶ Μίλητον)35 what makes sense when taking into consideration that the two Milesian military harbours could only house ca. 100 triremes,36 while the Persian-Phoenician fleet had a total number of ca. 600 before the battle of Lade.37 Already in 493 BCe, the Persians returned to the Ionian cities their right to govern themselves so long as they paid their taxes to the empire.38 In the following year, general Mardonios even re-installed the very democracies, the Milesian tyrant Aristagoras had brought into power in 499 to motivate the Ionian cities to join the revolt against the Persians.39 In contrast, Miletos was the only Ionian city which was
when he follows CooK 1989, p. 168, in assuming a hiatus in settlement and sanctuary activities in Miletos between 494 and 479 BCe; see now also MoMMsen 2016, pp. 355, 358. 28. KersChner 1995, pp. 216-218; iD. 1999, pp. 8-10, 13-15 fig. 5, 50; iD. 2010, pp. 64 f.; iD. 2011, pp. 64 f. (fig. p. 65 shows Phoenician transport amphoras); herDa 1998, p. 40; senff in preparation, chap. 6.6.5. Instead, CoBet 1997, pp. 263, 279-280; graeve 1997-1998, p. 76; gorMan 2001, pp. 146-147; iD. 2002, pp. 185, 191; ehrharDt 2003, pp. 11, 18, interpreted the finds as settlement of Milesians during the occupation. This appears very unlikely to me. 29. For the Persian fortification on Kalabak Tepe, see senff 1997; iD. in preparation, chaps. 6.6.3.2, 6.6.4. 30. stüMpel et al. 1999, pp. 96-98, figs. 7-8; stüMpel et al. 2005, p. 190 fig. 5b; pp. 192-194 fig. 8a-b. 31. So graeve 1997-1998, pp. 75-76; iD. 2006, pp. 245-246 with fig. 2, who declares it to be a mount of debris of ca. 4,000 house walls, piled by the Milesians after 478 BCe to commemorate the Persian destruction. This is followed by helD 2004, pp. 126-127 with n. 30, KunisCh 2016, p. 61 (he however declares the Persians to be responsible for the piling!), MoMMsen 2016, pp. 355, 358, and greaves 2002, p. 103, who even calculates the number of inhabitants from the number of the hypothetical houses (5 persons per house results in 20,000 persons)! 32. See senff in preparation, chap. 6.6.3.1. 33. Thucydides 8.84.4, see my remarks in BrüCKner et al. 2014, p. 73 with n. 101. 34. So BalCer 1995, p. 187. 35. Herodotus 6.31.1. 36. BrüCKner et al. 2014, pp. 69-70. 37. Herodotus 6.9. 38. Herodotus 6.42: Artaphernes, the satrap of Lydia and Ionia, forced the Ionian cities into a common peace treaty and organised the taxation in 493 BCe. 39. Herodotus 6.43: Mardonios deposed all Ionian tyrants and established demokratia or isegoria in the Ionian cities; cf. BalCer 1995, pp. 193-206; Briant 2002, pp. 493-505; roisMan 2011, p. 201: “It appears that the Persians left some tyrants in place but also did not change the democracies that Aristagoras had established. As long as the Ionians remained loyal, it made little difference what government they had.” Aristagoras enforcing isonomiai in Ionia in 499:
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not an independent city state any more during the fifteen years of Persian occupation.40 The reason for that will have been to punish the instigators of the anti-Persian revolt. The city territory, the Milesia, was confiscated and portioned between Persian nobles and the Karians of Pedasa.41 The lack of political autonomy is most evident from the main state sanctuary for Apollo Delphinios, the Delphinion. Incorporating the Molpon-prytaneion with the sacred hearth of the city government,42 it had been destroyed in 494 and abandoned until after the battle of Mykale (see section III.2). Therefore, the first preserved list of eponymic aisymnetai-stephanephoroi from the Delphinion, presenting an unbroken series of 209 names, starting in 522/1 and ending in 313/2 BCe, is most likely a forgery to pretend continuity and attempt to erase the Persian occupation from memory. It is a copy, made in 333/2, when Alexander the Great, after having expelled the Persians and freed Miletos a second time, himself became the eponymous aisymnetes-stephanephoros.43 Accordingly, we have to assume a gap in minting Milesian electrum and silver coinage between 494 and 478 BCe.44 Instead, the coinage of Dareios I (522-486 BCe), the gold Daric and the silver siglos,45 will have been in circulation,46 besides the continued use of pre-494 Milesian coinage.47 After the defeat at Mykale Mountain in the late summer of 479, the leftover of the Persian fleet, reinforced by land forces, hibernated in Miletos, to finally abandon it in the spring of 478 BCe. Only then, the independent city state of Miletos could have been restored.
Herodotos 5.37-38; cf. DunhaM 1915, pp. 91-93; herDa 2019a, pp. 29 f. with nn. 100-101. Democracy became the power tool in the 5th century, see also above with n. 8 on Athenian policies in the Attic-Delian League. 40. See e.g. ehrharDt 2003, p. 18; herDa 2016, pp. 38-39 n. 98 (in relation to Miletos only). 41. Herodotus 6.20; cf. Briant 2002, pp. 412, 419, 494, 496, who, p. 496, stresses that “their [the Ionian cities’, A.H.] boundaries were recorded in official documents preserved in the satrapal archives in Sardis (basilikai graphai). Every modification was recorded there, including, for example, the confiscations and bestowals determined after the fall of Miletus (Herodotus VI.20).” After 494, on the initiative of the Persians, the city of Pedasa/Pidasa was founded in Grion Mountain, the Milesian highland (Milesia hyperakria), as a colony of Karian-Lelegian Pedasa/Pidasa near Halikarnassos, see herDa 2009, p. 45 fig. 3, 60 f. with n. 173, p. 78. 42. See e.g. herDa 2005, pp. 249-250; iD. 2011, pp. 63, 68; iD. 2016, pp. 37, 39-40; iD. 2019a, p. 16 with n. 44, p. 22 with nn. 67-68. 43. A. rehM in KaWerau & rehM 1914, pp. 254-258 no. 122; see ehrharDt 2003, pp. 3 f.; herDa 2016, pp. 37-39 with n. 98 (summary of recent research on the lists, including the corrected dating of no. 122 by E. Cavaignac). When we suppose a gap of 15 years (494/3-479/8), the list no. 122 would start in 537/6 BCe instead. On the aisymnetes-stephanephoros lists, especially nos. 123-128, and the years after 31/2 Ce (no. 128), see most recently günther 2017, pp. 659-664. 44. ruBinstein 2004, p. 1088 lists some authors who held this opinion, like B. V. Head and E. Babelon, but stays herself undecided. In an email of 13.12.2018, U. Wartenberg Kagan (New York) kindly remarks that from the numismatic evidence, this question cannot be answered yet. However, according to the results of a recent study on the electrum coinage of Miletos (hilBert 2018, pp. 134 f., 148), it seems as if Miletos stopped issuing electrum already ca. 525-520 BCe. 45. alraM 2012, pp. 63-64. 46. A siglos of Dareios I was found deposited in the destroyed sanctuary of Artemis Kithone on the eastern terrace of Kalabak Tepe in an area which is suspected to be a Persian living quarter during the occupation phase. This unpublished find is mentioned in the excavation diary of A. von Salis of April 24, 1906 as “eine persische Silbermünze.” It was found on the eastern ramp leading up to the sanctuary, overbuilt by the Persians (information kindly provided by M. Kerschner, Vienna, in an email of December 13, 2018; see also ehrharDt 2003, p. 11 n. 51). Close to it were found deposited two archaic votive reliefs and the statue of an archaic kore, beheaded by the Persians: KersChner 1995, pp. 219-220; iD. 1999, p. 10 with n. 10. In the early fourth century BCe, it seems that civic as well as Satrapal coinage was circulating in Miletos and Ionia: Weisser 2009, pp. 154-156. For the Persian living quarter on the eastern terrace, see above with n. 28. 47. Archaic Milesian coinage was still in use over the course of the 5th century. This was made possible because the Milesians kept their archaic coin weight standard when starting to mint again after 478 BCe, see below section III. 4 with n. 103.
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iii. original anD “Copy:” five test Cases In this section I briefly concentrate on the four issues that illustrate best the manner in which and to what extant early-classical Miletos is understood as a replica or “copy” of its late-archaic version. I also pinpoint some new inventions that the post-Persian Milesians came up with in rebuilding their city, as well as what they intentionally left in ruins. 1/ The insula-street grid-system, known as “Hippodamian” The orthogonal street-insula-grid is actually an invention by the Milesian statesman and sophos Thales which was a hundred years later picked up by Hippodamos. Thales’ scheme, built around 575-550 BCe marked out the newly developed city districts around the Lion Harbour, and the agora, as well as northwest of Kalabak Tepe (figure 1). This “sophisticated” urban planning takes into consideration cutting-edge knowledge in meteorology, medicine, engineering, geometry, but also the needs of a growing body of politically active citizens meeting in the agora. It could only be executed and extended to every district during the rebuilding phase of the city following its destruction by the Persians, when the total city area was reduced due to the losses in population, resulting also in the loss of property rights (figure 2). The social utopian Hippodamos was likely involved in this rebuilding process and then brought the knowledge acquired to apply it first to the Athenian Piraeus around 470 BCe, and later to Athens’ pan-Hellenic colony Thourioi in Italy after 444/3 BCe,48 replacing Miletos’ former gate to the markets of the Magna Graecia, Sybaris.49 2/ Make anew or leave in ruins: the diverse fate of the destroyed civic sanctuaries of Miletos Parts of Miletos’ sanctuaries were left in ruins to serve as memorials for the Persian destruction as stated in the “Oath of the Ionians,” to which the Milesians adhered in part. More specifically, this includes: the extra-urban sanctuaries of Aphrodite “in Oikous,” “in the Houses,” named after a suburb of Miletos on today’s Zeytin Tepe, where however some cult activity on a quite moderate level has been detected until the second century Ce,50 that of Athena Assesia in Assesos,51 or the so-called archaic temenos at the processional road half the way to Didyma,52 as well as the intra-urban sanctuary of Athena in the city center.53
48. See herDa 2005, pp. 281-285 figs. 29-30; iD. 2013, pp. 84-86, 96 figs. 18-19; iD. 2019a, pp. 18-23, 44, fig. 3; iD. forthcoming, sections X-XI. 49. DunhaM 1915, pp. 90 (destruction of Sybaris by Kroton in 510 BCe), 105 (Thurii founded by Athens upon the site of Sybaris). 50. graeve 2013, p. 9; KunisCh 2016, pp. 65, 67. Reduced cult activity in the sanctuary is detected until Roman imperial times: ehrharDt et al. 2009; KunisCh 2016, p. 61. During this time, spolia of the late-archaic marble temple of Aphrodite are reused for a building of unknown function: senff 2007, pp. 320, 326. 51. senff 1995, p. 228; WeBer 1995, p. 238. 52. tuChelt et al. 1996; for the date of destruction, see herDa 2006, p. 330 n. 2354, p. 34, n. 2477; iD. 2016, p. 62 n. 182. For the interpretation as sanctuary for ancestor worship of a private association, likely familial, see herDa 2006, pp. 343-347. The extinction of this family/group (in 494, or less likely 478) may explain, why the sanctuary was never restored: herDa 2006, p. 347. 53. nieMeier 1999, p. 406; WeBer 1999; helD 2000; iD. 2004; herDa 2005, p. 282 n. 187; iD. forthcoming, section IV n. 78; KunisCh 2016, p. 66 with nn. 433-434. Held’s dating of the younger temple to after 478 BCe, herein following A. von Gerkan and A. Mallwitz, is however out-dated by the research of W.-D. Niemeier and B. F. Weber. W.-D. Niemeier is currently preparing the publication of his excavations of the two archaic temples. For a critical review of Held’s reconstruction of the temple architecture, see grüner & henneMeyer 2001, pp. 553-554. Highly unlikely is further
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Figure 1 - Reconstruction of archaic Miletos with course of city wall and detected archaic street-insula gridsystem of ca. 575-494 BCe, a planning by Thales (and Anaximander?). In light grey the maximum extension of sea in early archaic times, state 2017 (author).
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Figure 2 - Reconstruction of the city map of Miletos (ca. 478 BCe-300 Ce) by B. F. Weber according to the archaeological and geophysical evidence. 1/ Archaic sanctuary of Artemis Kithone on Kalabak Tepe (ruined), 2/ Archaic sanctuary of Athena (ruined), 3/ Sanctuary of Dionysos (rebuilt), 4/ Delphinion (rebuilt) (author, after WeBer 2007, Beilage 3).
Just a few years before the Ionian revolt, the latter had been furbished with a splendid new marble temple of Ionic order on a large, 3.5 m high podium, integrated into the street-insula grid designed by Thales (figure 3). The old Athena temple as well as the surrounding living quarters in the city center had been demolished for this. Likely the very same persons that had initiated the Ionian revolt were also responsible for this ambitious building project, implying expropriation of private property: the pro-Persian tyrant Histiaios and his nephew and successor Aristagoras.54 At least would this explain the almost complete level of destruction after 494 which only left parts of the podium foundations built from monumental blocks of mica shists, as well as small fragments of a marble capital and some profiles.55 After 478, the ruin could have served not only to recollect the Persian hybris, but also that of the tyrants, who had lured the city on to destruction.56
Held’s hypothesis (helD 2000, pp. 92-93), depending on the scantiness of its preserved architectural fragments, that the younger Athena temple was dismantled in the second century Ce and rebuilt in another place. 54. See nieMeier 1999, pp. 406-409; WeBer 1999, p. 438; herDa 2005, p. 267 with n. 111. 55. For the preserved marble fragments, see WeBer 1999; helD 2000, pp. 69-75 fig. 44. For the podium, see helD 2000, pp. 75-85, figs. 45-46, pls. 9-10. 56. Likely, the Athena cult was translocated to another place within the city (see e.g. nieMeier 1999, p. 408; ehrharDt 2003, p. 10 with n. 42), as Athena was the main goddess of Miletos’ mother city Athens, the leader of the newly
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Figure 3 - Podium temple of Athena, perhaps built by the tyrants Histiaios and Aristagoras, ca. 510/500 BCe. Hypthetical reconstruction in classical style (gerKan 1925, Beilage IV).
But not all sanctuaries were left as reminders of Persian or tyrannical sacrileges according to the “Oath of the Ionians.”57 Some were rebuilt and repaired, including the sanctuary of Dionysos in the city,58 or the Delphinion (figure 4). The latter incorporated the Molpon-prytaneion which was of crucial interest for the revitalised oligarchic polis-state of Miletos, wherefore the sanctuary was reconstructed at its former place immediately after 478, ostentatiously using architectural and inscriptional spolia of the destroyed archaic forerunner.59 The most important witness of this process is the famous Molpoi-decree, regulating the Milesian New Year festival for Apollo. The current inscription was placed in the Delphinion in the late third century BCe. It is a retrospective, “archaising” copy, whose archaic text core had been re-published in the Delphinion as early as 476/5 BCe, under the eponymous Charopinos.60
founded Attic-Delian League. However, another sanctuary of Athena has not been identified to date, even though the cult of Athena is attested at least from the second century BCe until the Roman imperial period: helD 2000, pp. 92-94; iD. 2004, p. 126; ehrharDt 2003, p. 10 with nn. 41-42; N. ehrharDt in: herrMann et al. 2006, p. 169 on no. 1272. 57. See above section I with n. 11. 58. hirsCh 2001, pp. 218-222 figs. 1-2. The history of the sanctuary and its excavations is currently prepared for publication by Lisa steinMann (PhD-project University of Bochum). 59. See herDa 2005, pp. 265-268, 292; iD. 2011, p. 69. The beginning of the reconstruction of the Delphinion can be dated to the year 476/5 BCe at the latest, when the sacrifices to Apollo Delphinios and the procession and sacrifices to Apollo Didymeus were conducted again: tuChelt 1988, p. 434; ehrharDt 2003, pp. 12, 14; herDa 2005, pp. 260 with n. 87, 268 with n. 115; iD. 2006, pp. 404-407, 434-435, 458; iD. 2011, pp. 58 with n. 12, p. 70; iD. 2016, p. 48 n. 123; iD. 2019a, pp. 25 f. with n. 26. 60. See most recently herDa 2016, p. 48 n. 123; iD. 2019a, pp. 25 f. with n. 26 where I repell recent attempts (see e.g. slaWisCh 2009, p. 33; iD. 2013, p. 59; followed by furtWängler 2014, pp. 243 f.) to downdate the text, especially with the help of the eponymous aisymnetes-stephanephoros Charopinos in line 40, who is to be equated with Charopinos, son of Mandronaktides of the year 476/5 BCe (KaWerau & rehM 1914, pp. 254-258 no. 122, line I 48), not
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Figure 4a -Reconstruction of the Delphinion ca. 510/500 BCe with several inscriptions written on the outer walls of its south stoa, the presumed Molpon-prytaneion, including an oracle (no. 178), and the sacrificial calendar of the city (no. 31). View from southeast (author, drawing S. Gräbener 9/2011). 4b -Reconstruction of the Delphinion after ca. 476/5 BCe with late-archaic inscriptional spolia reused in the walls of its south stoa, the presumed Molpon-prytaneion. View from southeast (author, drawing S. Gräbener 9/2011).
Another key site of reconstruction was represented by the extra-urban sanctuary of Apollo Didymeus Milesios in Didyma, the endpoint of the Milesian New Year procession that took place again since the spring-month of Taureon 476/5 BCe at the latest.61 In contrast to the literary testimonies, the archaeological evidence suggests that neither Dareios I in 494, nor more likely, Xerxes I when retreating in 478, did destroy the temple of Apollo.62 Xerxes did however take with him to Susa and Ekbatana the treasures including the celebrated mechanical bronze cult statue of Apollo Didymeus, made by Kanachos of Sikyon (see section III.3b),63 as he also abducted the statue group of the “tyrant slayers” Harmodios and Aristogeiton by Antenor from the Athenian agora.64 In addition, Xerxes carried with him the very personnel of the
Charopinos, son of Molpinos of 351/0 BCe (ibid., no. 122, line II 63); see now also günther 2017, p. 633 s.v. Χαροπῖνος
Μανδρονακτίδεω.
61. See hahlanD 1964; voigtlänDer 1972; tuChelt 1988, pp. 433-438; herDa 2006, passim; iD. 2008; iD. 2011. 62. Herodotus 6.19 (Dareios plunders and burns Didyma); Ctesias 27; Strabo 14.1.5, 11.2.4, 17.1.43 (Kallisthenes FGrHist 124 F 14); Pausanias 1.16.3, 8.46.3 (Xerxes plunders the sanctuary and takes the Kanachos Apollo to Ekbatana); cf. tuChelt 1988; Briant 2002, p. 535. To date, no architectural pieces from the archaic oracle temple of Apollo show signs of fire, i.e. a Persian destruction. Instead, the temple was demolished when building its Hellenistic successor: tuChelt 1988, p. 435; DirsCheDl 2012, p. 52 with n. 60. However, the current excavation team favours the assumption of a Persian destruction of the sanctuary, see e.g. BuMKe 2013, p. 335 with n. 6; slaWisCh 2013, pp. 58-59 with n. 27. 63. Pausanias 1.16.3, 8.46.3; cf. tuChelt 1986; iD. 1988; stroCKa 2002, pp. 93-98; herDa 2006, p. 452 with nn. 31923194; iD. 2008, pp. 38, 62, 82 fig. 5. For the Kanachos Apollo as cult statue from the time of its creation ca. 500 BCe, see below n. 82. 64. Thucydides 6.53-59; Arrian, Anabasis 3.16.7-8; Valerius Maximus 2.10, Ext. 1; Meyor 2008; neer 2010, pp. 78-84; shear 2012; garlanD 2017, p. 71; azoulay 2017; MattusCh 2018; contra: haBiCht 2006, pp. 155-156, who follows Moggi 1973 in assuming all stories about Xerxes being “legends, which originated no earlier than in Alexander’s time, and deserve no credence.” Habicht’s apodictic position is rightly refuted by sCheer 2000, p. 253, who however follows Moggi, like Habicht does, in doubting the historicity of the abduction of the Kanachos statue from Didyma: ibid., p. 254 with n. 398.
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oracle, known as the Branchidai, wherefore the Didymean oracle fell silent for the next 150 years, while the cults of Apollo and his companions was continued without any significant interruption.65 The exception is to be found in the example of the sanctuary of Artemis Kithone which was relocated from Kalabak Tepe to an unknown place within the new city fortifications (see section III.3a).66 This most important sanctuary, established by the mythical Ionian founder of Miletos, Neileos, 67 had been desecrated when the Persians built housing within its ruins by reutilizing marble parts of the temple. This may be the main reason for its relocation after 478,68 even though there are indications for some very moderate revival of the archaic cult site on Kalabak Tepe in Ptolemaic times, as in the case of the sanctuary of Aphrodite “in Oikous,” on Zeytin Tepe.69 3/ Two different phenomena in Milesian sculpture production and vase painting 3a/ The repair and re-erection of archaic sculptures after 478 bce
One of the common practices of “re-presenting” the archaic past of Miletos was the repair and reerection of both undamaged and damaged archaic sculpture. It can be proven in several cases that these archaic monuments were still on display in sanctuaries and other civic spaces until the late Roman period. Part of them were visible until the Justinian period, and even later.70 I would like to single out three cases. The first is a group of one late-archaic kore holding a rock patrige, and four female seated statues, all of which were headless. The heads were then repaired by inserting replacements in secondarily prepared mortises. 71 One of the statues has a secondary late Hellenistic
65. Kallisthenes, FGrHist 124 F 14; Curtius Rufus 7, 5, 28-35; etc.; cf. parKe 1985; Briant 2002, pp. 434, 505, 535; herDa 2008, pp. 21-22 with n. 70, pp. 36-37, 58, 64; iD. 2016, p. 20 with n. 16 for the Branchidai brought to Sogdiana by Xerxes, where they were killed by Alexander in 329 BCe allegedly for their treason. For the pro-Persian policies of the oracle, see Herodotus 1.157; cf. DunhaM 1915, p. 83; parKe 1985. For renewing the cults of Didyma immediately after 478 BCe, see above with n. 61. 66. A relocation is also assumed for the cult of Athena: see above n. 56. 67. Callimachus, Artemis 225-227; Scholium on Callimachus Zeus 77; cf. herDa 1998, pp. 25-28, 33-38, 47. 68. KersChner 1995, p. 220 with n. 68; herDa 1998, p. 40 with n. 318; iD. 2005, p. 267 with n. 11; N. ehrharDt in: herrMann et al. 2006, p. 152 on no. 1239; BuMKe 2014, pp. 3-4 n. 20. 69. There was found a Hellenistic wall built from reused stones north of the dismantled northern foundations of the archaic temple (KersChner 1999, p. 8 fig. 2 no. 4), as well as fragments of more than 20 Hellenistic terracottas, dated from the mid-third century to the late second century BCe, hinting perhaps at a sporadic revival of cult activity in Hellenistic times: özCan 2009. The reason for this newly growing interest in old Milesian cult places will have been inspired by the learned works of poets like Kallimachos and Theokritos, both working at the Ptolemaic court in Alexandria in the time, when Ptolemaios I Soter (305-283 BCe) and Ptolemaios II Philadelphos (285-246 BCe) temporally dominated coastal western Asia Minor and Miletos: herDa 2008, p. 45. 70. See e.g. BuMKe 2009, pp. 25-26, 28-29 pls. 1, 1-5; 2, 1-4; iD. 2014; Dally & sCholl 2009; herDa 2013, p. 99 with n. 191. For the “Torso of Miletos,” see below section III.3b. For an archaic lion exhibited in the Roman “Baths of Faustina”: Dally & sCholl 2009, pp. 151-152 figs. 8-9; Meynersen 2011, pp. 110-113 fig. 45 pl. 52. For the seated statues of Chares and the “Branchids,” reerected along the processional road close to Didyma, where they formed the last station of the New Year procession, see herDa 2006, pp. 327-350 figs. 18, 20; iD. 2008, pp. 19-20, 23; iD. 2013, p. 98 n. 184, p. 99 n. 191, p. 101 with n. 200; Dally & sCholl 2009, pp. 152-153 fig. 10; greaves 2010, pp. 185-193, 203 n. 7; BuMKe 2014, pp. 9-10. 71. BuMKe 2009, pp. 25-26 pls. 1, 1-2; 2, 3-4; iD. 2014, p. 2 figs. 1-3. BuMKe 2014, p. 4, draws on fourth-century BCe examples for this technique, but stresses that it may have been introduced already in the early fifth century. For an example of ca. 470-460 BCe, see the marble Nike-akroter from the Gardens of Sallust in Rome, neer 2010, p. 136 figs. 80-81
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inscription, ΑΡΤΕ, to be identified as dedication to Artemis.72 Along with the statues, which have been built into the third-century Ce city wall, the so-called Gotenmauer of ca. 265 Ce, was also found an inscription with a regulation for Artemis’ priestess, dating to 379/78 BCe.73 Therefore, it has been assumed that the repaired archaic statues had been re-erected in an Artemis sanctuary, likely the one of Artemis Kithone, that had been relocated after 478.74 Another example forms the so-called Anaximander kore, a female votive statue of ca. 570/60 BCe, erected according to its inscription by an Anaximander. It was found built into later structures within the Hellenistic bouleuterion. 75 The find in the particular spot suggests that the statue was reerected in the bouleuterion, likely to commemorate the famous Milesian philosopher and pupil of Thales, who had died ca. 547/6 BCe not in Miletos, but in Apollonie Pontike. One may assume a hero cult for Anaximander, much along the lines of the hero cult attested for Thales in the agora of Miletos since late archaic times.76 A special case represents the late-archaic statue group of two seated females, found used in a Turkish fountain house close to the theatre of Miletos. They lack their heads and show no obvious repair, wherefore it is unclear, when they were decapitated. However, a mid-fifth-century BCe inscription on their back clearly proves that they had been on display in early-classical Miletos (figure 5). 77 The inscription is of great interest as it designates them as property “of the second (group) of the Oplethes” (Ὀπλήθων δεοτέρης). The Oplet(h)es constitute one of the old Ionian tribes, named after (H)Oples, the son of Ion. In Miletos, the six archaic Ionian tribes were replaced by the ten tribes of Athens, supplemented by two extra tribes, when between 446/5 and 434/3 BCe, Athens intervened by forcing oligarchic Miletos into a democratic constitution.78 The inscription delivers therefore an important piece of evidence for the reconstruction of the late-archaic oligarchic institutions of Miletos after 478 BCe.79 Perhaps, the statue group had originally
(however, the inserted head may be a Roman repair), and the “Aphrodite” in the Getty Museum, Malibu, with limestone body and inserted marble head of ca. 425-400 BCe: neer 2010, p. 130 fig. 74. The earliest example known to me is the seated marble statue of a woman from the sanctuary of Nemesis in Rhamnous, now in the National Archaeological Museum of Athens (inv. no. 2569), and dated to 520-490 BCe. Besides the head, neck and upper shoulder, connected to the body with a rectangular tenon, the upper right arm as well as both forearms were worked separately: MoustaKa 2014, vol. 1, pp. 69-70, vol. 2, pls. 75-78 (however, she considers a repair after a Persian damaging in 480). 72. BuMKe 2014, p. 3 fig. 3 with n. 19. 73. N. ehrharDt in: herrMann et al. 2006, pp. 133-135 no. 1220; cf. BuMKe 2014, p. 3 with n. 18. The inscription is dated by the eponym Parthenopaios, son of Pythios, see KaWerau & rehM 1914, pp. 254-258 no. 122, line II 35. 74. herDa 1998, p. 40 with n. 318 (supposed location between the South Market and the Sacred Gate); BuMKe 2014, p. 34 with n. 20 (supposed location under the Justinian church of Mary following an assumption of Th. Wiegand of 1901). For the relocation of the sanctuary, see also above section III.2 with n. 66. N. ehrharDt in: herrMann et al. 2006, p. 134 with n. 173, attributes the regulation for the Artemis priestess as well as the sculptural finds not to Artemis Kithone, but to a second, otherwise unknown Milesian Artemis sanctuary. He searches for the Kithone sanctuary close to the South Market, where a temple anta with a cult regulation of the late first century BCe has been found: N. ehrharDt in: herrMann et al. 2006, p. 152 on no. 1239; see also P. herrMann in: herrMann et al. 2006, p. 214 on no. 1357. 75. Dally & sCholl 2009, pp. 146-147 fig. 3; herDa 2013, pp. 99-101 fig. 3; BuMKe 2014, pp. 7-9 fig. 14. 76. herDa 2013, pp. 99-101; iD. 2019a, p. 30 with n. 105. 77. herDa 2006, p. 31 with n. 133; iD. 2016, p. 39 n. 99; Dally & sCholl 2009, pp. 149-150 fig. 6; ageliDis 2009; BuMKe 2014, pp. 5-7 figs. 10-11. 78. P. herrMann in: herrMann et al. 2006, pp. 232-233 on no. 1381; N. ehrharDt in herrMann et al. 2006, p. 130 on no. 1218; herDa 2016, p. 39 n. 99, pp. 59-60. The extra tribes were Asopis and Theseis. 79. The earliest absolutely dated evidence is the praescript of the Molpoi decree, attesting the archaic tribes and the archaic prytany for 446/5 BCe: herDa 2016, p. 39 n. 99.
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b Figure 5a-b - Late-archaic (ca. 520 BCe) seated female group with repairs and secondary inscription of ca. 450 BCe on the backside, mentioning a “second (group)” of the old Ionian tribe of the Oplethes, named after Oples/Hoples, the son of Ion. Berlin, Antikensammlung SMB, Inv. Sk 1623 (photos S. Gräbener).
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marked the place where the Oplethes met during people’s assemblies (ekklesiai) in the agora, and later in the theatre.80 3b/ Old or new: the possible invention of the “severe style” in Ionia before the Persian Wars
It has been recently contemplated by N. Ehrhardt that sculpture of the early-classical, so-called “severe style” has been produced in Miletos during the time of the Persian occupation 494 to 478 BCe. He took this as an indication for a continuation of “artistic production” in Miletos as well as for “foreign artists being active in Miletos.”81 However, as V. M. Strocka has shown, one most prominent early examples of the “severe style,” the famous bronze cult statue of Apollo Didymeus Milesios Philesios by Kanachos of Sikyon, clearly predated the year 494 BCe.82 There are other, locally produced “early-classical,” “severe style” sculptures from Miletos which may be dated to the years before 494 BCe.83 The most well-known of those is certainly the “Torso of Miletos” in the Louvre, which was found reerected with several repairs during the second century Ce in the Roman theatre of Miletos (figure 6).84 Therefore, it is worth contemplating the possibility that the “severe style,” so successful in Athens and the rest of Greece from 480,85 was actually invented in East Ionia, including island Ionia, first of all Paros,86 from where it would have spread to the mainland,
80. Another such topos inscription of the subdivision of the tribe Argadeis of ca. 450 BCe has been found in the Roman theatre: P. herrMann in: herrMann et al. 2006, p. 232 on no. 1380 Ἀργαδέων πρώτη, pl. 37. It may have been reerected there, as the theater traditionally figured as the space for the assembly (ekklesia) of the citizens. However, the earliest built phase of the Milesian theatre points to an early Hellenistic date only, which means that in early classical times the agora may have been the original place for the two topos inscriptions. 81. ehrharDt 2003, p. 15 with n. 85, p. 18 with n. 104 (citations). On the following, see also herDa 2019b, pp. 239-242. 82. stroCKa 2002. On the old (at least seventh-century BCe) epithet Philesios, see herDa 2008, p. 36; iD. 2016, pp. 20-21 with n. 18. Even if the statue was taken only by Xerxes in 478, which I hold for most likely, a production date before 494 is to be assumed because the statue had functioned as cult statue of Apollo Didymeus Milesios, that is Kanachos was commissioned by the autonomous city state of Miletos before 494. This will also be the reason why it was deported by the Persians, and later sent back to Miletos by Seleukos I ca. 300 BCe: Pausanias 1.16.3, see sCheer 2000, pp. 164-165, 253-257; iD. 2003, pp. 60-61, 63-64, 67-70, 81-84 (Scheer doubts the historicity of the statue abduction by Dareios or Xerxes); stroCKa 2002; herDa 2006, pp. 213-214 n. 1493, pp. 451-452 with nn. 3187-3194, fig. 11a; iD. 2008, p. 20 n. 55, pp. 22-23 with n. 76, p. 38 with n. 194, fig. 5; iD. 2009, pp. 96-97. The opinion of tuChelt 1986, siMon 2007, p. 178 and others that the statue was dedicated as a votive first, and only became a cult statue after it was returned by Seleukos, is not convincing. 83. See a kouros head with secondary repairs (graeve 1977, figs. 1-5), and the seated female statue (graeve 1975, pl. 15). Both are dated by Graeve after 478 because of stylistical reasons, following the dogma that the “severe style” is post 480 BCe. 84. linfert 1973, figs. 7-12, pls. 21-26 (around 490 BCe); Bol 2011a, p. 132 figs. 52a-d. Bol attributes the kouros head (previous footnote) to the torso, which she dates to the early 480s (see ibid., p. 133) and identifies with the cult statue of Apollo Termintheus of Myous, produced in Myous by an exiled Milesian sculptor, and brought to Miletos in the Roman period (Bol 2011b). However, the identification with the statue of Apollo Termintheus seems highly unlikely to me, see e.g. herDa 2013, p. 99 n. 191. Also, the kouros head has long hair which must have partly covered the shoulders, while the “Torso from Miletos” must have had short hair. 85. See e.g. riDgWay 1970; BoarDMan 1991, pp. 20-84; Martini 1990, pp. 170, 267-277; neer 2010. 86. For Parian workshops of the severe style, see e.g. sChilarDi 2010; holtzMann 2010. An interrelation between the “Torso of Miletos” and “severe-style” Parian works in Delos was already noted, even an attribution to a Parian workshop was contemplated by Ernst Buschor: linfert 1973, pp. 81, 85; Bol 2011a, p. 134 with n. 943. A possible beginning of the Parian severe style already before 490/80 can shed new light on such important monuments like the seated female cult statue in the museum of Paros, A 162, or the cult statue of Artemis from the Delion Hill, Paros Museum A 1251, see Barlou 2014, pp. 101-110, pls. 90-93 (A 162 dated to 490/80, “late archaic,” A 1251 after 480, “severe style”).
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Figure 6a-d - “Torso from Miletos,” late-archaic, or early-classical, “severe style,” ca. 500/495 BCe. Paris, Louvre, Inv. MA 2792 (photos lintfert 1973, pls. 22-23).
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via sculptors fleeing the Persian Wars. One of them may have been the Milesian statue sculptor ( ἀνδριαντοποιός ) and metal worker Bion, who produced a Nike and a golden tripod for Gelon of Syrakuse, who dedicated them to Delphic Apollo after his victory against the Phoenicians at Himera in 480 BCe.87 Other circulators were wandering “international” artists like Kanachos of Sikyon. 88 In 477/6 BCe, one of the most prominent creations in this new sculptural style was the replacement of the statue group Figure 7 - Fragments of the shoulder frieze of a late-archaic of the “tyrant slayers” Xerxes had carried Milesian(?) mug with the profile head of a youth in “severe style,” and two lines of a retrograde dipinto inscription. away from Athens (see section III.2).89 Before 494 BCe (after graeve 1986, pl. 15,1-3). And there is additional evidence for the innovative role of East Ionia and especially Miletos in late 6th-century BCe creative Greek art: one out of three fragments of a oinochoe/table amphora in the tradition of local “Fikellura” pottery, shows the “protome”-portrait of a young men in profile line on its shoulder frieze (figure 7). 90 The fragments originate from the leveled layers of the Persian destruction on the eastern terrace of Kalabak Tepe. As Volkmar von Graeve has recognized, this vase stands for a “new figural style,”91 which exceeds the work of the most advanced late-archaic Attic “red figure” vase painter Sosias (ca. 510-500 BCe), a “late pioneer,” especially in the perspective side-view of the youth’s eye.92 It can potentially count for
87. Polemon, frag. 68 (Fragmenta historicorum Graecorum, collegit K. Müller, Parisiis, 1849, p. 135); Diodorus 11.26.7; Diogenes Laertius 4.58; Meigss & leWis 1988, no. 28 (basis with signature in Delphi); jeffery 1990, pp. 266, 275 no. 6 pl. 51; cf. ehrharDt 2003, p. 13 (he assumes that Bion may well have emigrated from Miletos before 494 BCe); hallof & KruMeiCh 2014, pp. 573-575 (DNO 665-666). 88. Kanachos produced a statue of Apollo Ismenios for Thebes, which according to Pausanias was of identical type and appearance except that it consisted of cedar wood: Pausanias 9.10.2; cf. Kansteiner & lehMann 2014, pp. 391395 nos. 1-2 (DNO 476-479). Ibid., p. 401, it is stressed that Kanachos was working in a wider geographical area (Peloponnese, Thebes, Asia Minor) and that there are no teachers or pupils of his reported. 89. See above n. 64 for a bibliography of the late-archaic group by the sculptor Antenor and the early-classical group by Kritios and Nesiotes. 90. graeve 1986, p. 48, pls. 15,1-3. For the Milesian “Fikellura” style (South Ionian archaic II [SiA II]/Milesian archaic II [MiA II], ca. 590? – after 494 BCe), named after a necropolis on Rhodes, see e.g. sChlotzhauer 2006; WasCheK 2008. For Fikellura mugs/table amphoras with depictions of protomes on their shoulder friezes, see graeve 1986, p. 48 with n. 45. The motive of protomes on shoulder friezes of mugs is taken from older Milesian “Wild Goat” style of the 7th century BCe (SiA I/MiA I), see Käufler 2004, pp. 123 (female or male, griffon), 158 (horse), 164-165 (geese, goats, griffons, sphinxes). 91. graeve 1986, p. 48: “einen für Milet neuen Figurenstil zeigt der auf Tafel 15, 3 abgebildete Jünglingskopf.” 92. graeve 1986, p. 48 with n. 47; citing BoarDMan 1975, pp. 36, 53 fig. 50:1. The vase Fig. 7 found no mention in KunisCh 2016. In a personal communication, Cornelis Neeft (Amsterdam) explained to me that this developed side-view of the eye with indication of the iris as a stroke, not a circle or oval with a dot, is introduced in Attic “red figure” only after 440 BCe, with e.g. the Kleophon painter. The earliest example of an imported Attic “red figure” “severe style” depiction of an eye in side-view in Miletos is a now lost fragment of a neck amphora of the Altamura painter, dated to around 470 BCe. In this case, the painter has indicated the iris and the pupil: KunisCh 2016, pp. 18,
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the beginning of the “severe style” in late-archaic Milesian vase painting.93 To avoid the chronological consequences, Graeve contemplated that the vessel dates to the second quarter of the fifth century and ended up in debris within a very short time-span, implicating that it was produced after 478 BCe.94 However, two further arguments beside the stratigraphy strengthen a late archaic date: the fact that the fragments of the vessel show traces of secondary burning, likely from the Persian destruction, and that there is a twolines dipinto written in large letters beside the youth’s head in the typical archaic manner, from right to left (retrograde) in the lower line.95 An origin of the “early-classical,” “severe style” in late-archaic East Ionia around Miletos, Samos,96 and Paros would not surprise us at all:97 the Milesian school of natural philosophy, founded by Thales,98 not only prepared the ground for a better understanding of the physical nature of the human environment, but also of the human body and its anatomy visible in the balanced ponderation (or in Italian contrapposto) of the body parts, the most significant new element of the “severe style.”99 In this context: is it not by accident
185 no. 1293 pl. 102; MoMMsen 2016, pp. 357-358 (both with attribution to the Altamura painter and identification as head of young Dionysos, referring to J. D. Beazley). For the development in depicting faces and eyes in Attic red figure, see the figures in BoarDMan 1989, pp. 13 (Niobid painter), 15 (Villa Giulia painter), 38 (Pistoxenos painter), 61 (Achilles painter), 62 (Polygnotos), 63 (Kleophon painter), 96 (Dinos painter), 146 (Meidias painter). 93. In an email of 16.10.2018, U. Schlotzhauer (Berlin) contemplates either Samos or northern Ionia (Klazomenai) as possible alternative (East Ionian) origins of the vase. But, the high amount of mica and the characteristic red-brownish, matt-finished paint point to a local production. A clear answer could be provided by a Neutron-activation-analysis (NAA). 94. graeve 1986, p. 48: “Damit stellt sich ein scheinbares chronologisches Problem, das in zweifacher Hinsicht aufzulösen ist. Wenn die Scherben zum Schutt der Perserzerstörung gehören, wird man durch die Augendarstellung des Jünglingskopfes, die über die der Sosias-Schale hinausgeht, zu der Annahme gezwungen, daß die Entwicklung im ionischen Osten fortschrittlicher war als bisher angenommen.” 95. See especially the retrograde four-stroke sigma in graeve 1986, pl. 15,2 ]ΑΙΣΙ̣[. He assumes a name inscription (p. 48 with n. 46; compare the name dipinti ]ΔΙΟΣ and ΔΗΜΟΔΙΚΟΣ on a Fikellura dinos from the Milesian Aphrodite sanctuary on Zeytin Tepe: Ketterer 1999, p. 214 fig. 3, pp. 217-218 [the latter name Δημόδικος is missing in günther 2017 and Lexicon of Greek personal names VB]). From pls. 15,1-2 it is clear that the dipinto was written in two lines. The preserved letters are too few to be sure that the writing direction changed from line to line (boustrophedon). For the writing direction in archaic Greek inscriptions, see jeffery 1990, pp. 43-50, 429. 96. See e.g. the marble statue of an ephebe from the Heraion in Samos which according to J. Boardman exemplifies the “earlier Ionian anatomical studies” (BoarDMan 1978, p. 88, fig. 175; cf. freyer-sChauenBurg 1974, pp. 5, 207-210 pls. 86-87 no. 139, who dates it to 490/80 BCe, and attributes it to the early “severe style,” “Frühstrenger Stil”). See also freyer-sChauenBurg 1974, pp. 5, 206-207 pl. 85 no. 138 (torso of an ephebe, ca. 500 BCe), and pp. 210-212 pl. 88 no. 141 (torso of a moving male, ca. 480/70 BCe). 97. This would solve the “enigma” recognised by Martini 1990, p. 271, that, since 540/30 BCe, there is a “decline of creative potential” (“Nachlassen der schöpferischen Potenz”) in the production of monumental sculpture in East Greece (Miletos/Didyma, Naxos, Paros), leaving open the share of the “once leading centers of monumental sculpture in the changes towards the principles of classical form” (“muß die Frage nach dem Anteil der einst führenden großplastischen Zentren an dem Wandel zum klassischen Formprinzip offen bleiben”): perhaps there was no decline at all, but to the contrary an innovative development! 98. See e.g. herDa 2013; iD. 2019a; iD. forthcoming. 99. For the beginning of scientific medicine in East Greece, especially Ionia and the Doris, see e.g. Pythagoras of Samos and the early Pythagoreans, or the Knidian school, and the “Asklepiad” Hippokrates of Kos, writing in Ionian prose: BurKert 1962, pp. 271-277; jouanna 1999, pp. 3-74; flashar 2016, pp. 17-25. For Hippokrates’ knowledge about the formation of rain water, taken from Anaximander (DK 12 A 27) and Xenophanes (DK 21 A 46), see jouanna 1999,
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that the cults of Asklepios’ father Apollo Paieon/Paion, “the one of the healing song (paian),” Ietros, the “doctor,” and Oulios, the “healer,” played such a prominent role in archaic Miletos and its colonies.100 4/ What is really new: a (forced?) change in the metrological system as a result of the membership in the Delian-Attic League By means of comparing the late-archaic and early-classical marble altars of Apollo Delphinios, a metrological shift in architecture from the “Old Ionic” (0.35 m) to the “Attic” foot (0.294 m) system is attested and convincingly explained as a result of Miletos becoming a member of the Attic-Delian Naval League around 477/6 BCe. One effect was to adjust to the standardised metrological system of the league.101 However, we do notice that the insula-street-grid completed only after 478 (see section III.1), still kept the archaic “Ionic foot,” respectively cubit of 0.5245 m, as measuring units, because the archaic street widths and insula dimensions were not changed.102 The same is true for the monetary standard, where the archaic Milesian silver denomination of an obol of 1.00 to 1.20 g was kept until the early fourth century BCe.103 Therefore, the new metrology will have been applied first of all to newly built architecture, and probably also to measures of capacity and weights as well.104
iv. ConClusion anD outlooK This short overview reveals the extremely negative impact of the Persian War on Miletos, the cultural and commercial center of East Greece in the sixth century BC, who had been pushed into the war by the tyrants Aristagoras and Histiaios. To cite Adelaide Dunham in her ground-breaking book on the history of Miletos of 1915: “with her pre-eminence in commerce had vanished her pre-eminence in mental pursuits.”105 It also provides evidence for the historicity of the “Oath of Plataia” and the “Oath of the Ionians,” not to restore the sanctuaries destroyed by the Persians in “barbarian impiety” during the war and following
pp. 260-262; iD. 2012, p. 163. For medical knowledge incorporated in the urbanism of Thales, see herDa forthcoming, section I n. 39. For the ponderation, see BorBein 2016, p. 144. 100. Apollo Paieon/Paion: herDa 2006, pp. 106, 113, 117 n. 804, pp. 216, 271, 278; Apollo Ietros: herDa 2008, p. 34 with n. 155, p. 35 n. 160; Apollo Oulios: herDa 2009, p. 98 n. 403. 101. Koenigs 1980, pp. 75-78, esp. pp. 75-76 on no. 7, figs. 10-11, table 5, pls. 35,1-3; herDa 2005, pp. 260-261 figs. 14-16; iD., forthcoming, section IV with n. 57. The early-classical altar can be absolutely dated to 476/5 BCe (see section III.2 with nn. 59-60) which delivers a terminus ante quem or ad quem for Miletos becoming a member of the Attic-Delian League. 102. See herDa forthcoming, section IV. 103. The Milesian and even Ionian coinage of the 5th century as a whole is poorly known so far (cf. MarCellesi 2004, p. 66 n. 531: “Les monnaies frappées après la révolte de l’Ionie n’ont pas donné lieu à une étude précise.”). Marcellesi has listed some hoards with Milesian coins of the 5th century: MarCellesi 2004, pp. 66-67. The standard silver denomination of the obol (= 1/12 stater = 1/12 didrachme) was introduced in late archaic times and kept in use in the 5th and early 4th century (cf. MarCellesi 2004, pp. 64-65); see above section II with n. 47. However, the archaic Milesian standard was given up in the beginning of the fifth century BCe in the Chalkidic peninsula as well as in the rest of Ionia, e.g. in Teos: psoMa 2015, pp. 171-172. In the Milesian colony Apollonie Pontike, the Milesian standard was kept until ca. 470 BCe, while the Attic standard was only introduced ca. 435/25 BCe: Draganov 2017, pp. 15-19. 104. The Milesian system of measures of capacity is still unexplored, see herDa 2006, p. 398 n. 2823. For Milesian weights, see Weiss 2006, pp. 279-281. 105. DunhaM 1915, p. 109.
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occupation of 494 to 478 BCe. Actually, this impiety had been—according to the Greek sources—a declared revenge of Dareios as well as Xerxes for the impiety committed by the Ionians under the leadership of the Milesian tyrant Aristagoras, and the allied Athenians and Eretrians, when conquering Sardis in 499 and burning the sanctuary of Lydian Kybebe/Kybele.106 However, it is important to note that the responding Persian destruction was selective and partial: Delos was spared out by Dareios,107 the oracle of Apollo of Abai in Kalapodi was plundered and destroyed by Xerxes’ troops, but several months later consulted about the outcome of his campaign in Greece,108 the acropolis of Athens was conquered and burnt, but Xerxes ordered sacrifices to Athena,109 and the oracle sanctuary in Didyma seems to have been plundered by Xerxes, and deprived of its personnel, without harming the temple.110 And furthermore: not all sanctuaries destroyed were left in ruins by the Greeks. Actually, the perpetuation of destruction became the exception, especially, when the sanctuaries were of particular interest for the liberated Greek city states in the process of their reconstitution. In these cases a compromise was made: the best documented Milesian example is the Delphinion, housing the Molpon-prytaneion, the seat of the oligarchic government. It was rebuilt immediately after 478 BCe as an exact copy of the late-archaic sanctuary, ostentatiously using spolia in the outer walls as reminder of its destruction. This situation can be compared with the Themistoklean north wall of the Athenian acropolis, where architectural members of the archaic Parthenon as well as the old Athena temple were integrated, easily recognisable as such from the agora, while the destroyed cult buildings were pointedly kept in a state of ruin until Perikles.111 Invisible behind these walls, the leftovers of the “headless and dismembered statues destroyed by the Persians” were buried, to prevent the Athenians from this “distressing and nightmarish scene.”112 The presented evidence also clarifies that Miletos, as with the rest of Ionia, was able to recover from the “big catastrophe” of 494 and the years of occupation (494-478 BCe) early on, re-establishing herself as a (modest) replica or “copy” of the former state. The clearest signifier is the completion of the archaic insulastreet grid on a reduced scale. Another indicator for “a certain amount of prosperity” is that Miletos “is an exception to the almost universal rule that the Ionian cities ceased to issue coins during the fifth century.” 113
106. Herodotus 6.101.3, 7.8; see sCheer 2003, pp. 75-81; funKe 2007, passim, who besides the anti-Persian Greek propaganda behind the story, stressed the strategical calculatio of the Persians, also alluded to by Herodotus. 107. Herodotus 6.96-97; see sCheer 2003, p. 65; funKe 2007, p. 26. 108. Herodotus 8.32-33, 8.133-134; cf. funKe 2007, p. 26. The south temple in Kalapodi, the alleged seat of the oracle, was never rebuilt after its destruction by the Persians, except a small installation in its cella, while the northern temple was rebuilt twice in the fifth century BCe: nieMeier 2013, pp. 40-42, figs. 1, 9, 11. 109. Herodotus 8.54; cf. funKe 2007, p. 27. 110. See above section III.2 with n. 62. 111. See herDa 2005, p. 266 with n. 109; iD. 2011, pp. 69-70 for the comparison. For the Themistoklean north wall and its spolia, visible from the agora, see Korres 1994, p. 42; iD. 2002. Korres 1994, p. 42, stresses that temple-building activity on the Acropolis was postponed “both for practical and symbolic reasons:” “Priority was wisely given to defensive works and economic restructuring. At the same time the pointed preservation of these buildings in a state of ruin was calculated to contribute to the heightening of the national consciousness.” 112. Korres 2002, p. 184. 113. DunhaM 1915, p. 108. For Milesian fifth-century coinage, see section III.4 with n. 103.
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The recovery is further indicated by its relatively high payments of 10 talents of annual tribute to the Delian-Attic League from the late 450’s down to 415/4 BCe.114 Moreover, in the summer of 424, during the “Archidamian War,” Miletos delivered the substantial number of 10 triremes and 2,000 hoplites to help Athens capture Kythera and Skandeia.115 The furbishing of manned war ships by the members was obligatory in the early years of the league, and it reduced the phoros payments accordingly.116 Likewise, the import of Attic painted pottery restarts already in the second quarter of the fifth century.117 All this speaks against the often repeated, but from the very outset, outdated opinion of the archaeologist J. M. Cook of 1961 that life in Miletos and Ionia declined severely starting with the Persian occupation till the end of the 5th century, forming “the Dark Age of Ionia.”118 This theory held a “common level of degradation” and “economic paralysis”119 which cannot be sustained in the face of historical and archaeological scrutiny.120 Cook went even so far as to misinterpret Thucydides’ phrase ἀτειχίστου οὔσης τῆς Ἰωνίας in the sense that it “meant not merely that the fortifications were in disrepair, but that the Ionians were not living in regular urban conditions,”121 but “in the status of […] villages.”122 The average amount of the Milesian phoros of 10 talents equaled the exuberant annual budget available to the architect Mnesikles to develop the very “landscape” of the Athenian acropolis.123 The splendor of Periklean Athens, including the Odeion,124 the Parthenon, the statue of Athena Parthenos, the Propylaia,
114. gorMan 2002, p. 185 n. 9: “if we include figures in lacunae that are filled in from other lists, of the 125 entries only seven pay as much or more than the Milesians”; paarMann 2014, pp. 122-123 table 1 (the amount is reduced to 5 talents in the years 443/2, 440/39, restored: 442/41, 439/38). 115. Thucydides 4.53-54; cf. papazarKaDas 2009, pp. 71-72, 81 n. 30. The additional supply of ships and soldiers reduced the amount of the phoros, to be paid in silver coins. This is not taken into consideration by MarCellesi 2004, p. 57 when declaring Miletos “une cité secondaire” in comparison to cities paying an exceptionally high phoros, like Paros (18 talents) and Thasos (30 talents); see DunhaM 1915, p. 108 and previous footnote. 116. Thucydides 1.99; cf. DunhaM 1915, p. 103. 117. KunisCh 2016, pp. 68-69 (Zeytin Tepe), 69 (insula west of Bouleuterion), see the statistics ibid., p. 73 table 5. 118. CooK 1961, p. 9. CooK 1989, p. 168, correctly states that Miletos was destroyed in 494 “and not refounded till 479 BC.” But that “no useful deposits have yet been found or anyhow published” for the period of occupation is wrong, see e.g. the finds from the Kalabak Tepe (section II with nn. 27-29). Even though, Cook is followed most recently by KunisCh 2016, p. 60 with n. 406, pp. 65-66, 69. KunisCh 2016, p. 60, hypothetically theorises about 15 years of “Totenstille” (“deadly silence”) in Miletos (see also ibid., p. 69: “totale Paralysierung des öffentlichen Lebens im zerstörten Milet”). 119. CooK 1961, p. 18. 120. For an early recovery of Miletos from a historical point of view, e.g. herrMann 1970; gehrKe 1980; gorMan 2002, pp. 185, 191; paarMann 2014, and especially BalCer 1995, pp. 194-195: “Fifth-century BC Ionia flourished far more than Cook’s archaeological analysis suggests,” and ibid., p. 189, he rightly remarks on Ionia and especially Miletos after 494: “Life may have been less brilliant if not mundane, yet several factors indicate continued prosperity.” Balcer correctly criticises that Cook completely ignores the high phoros of ten talents payed by Miletos over the whole period of 40 years, documented by inscribed tribute lists preserved in Athens! For the archaeological evidence proving Cook wrong, see e.g ehrharDt 2003, pp. 11-17; herDa forthcoming. 121. Thucydides 3.33.2, see CooK 1961, p. 17. Again, he ignores the evidence of Miletos, this time the archaeological. On Thucydides’ inaccurate statement, referring to Ionia in 427 BCe, see CoBet 1997, pp. 264-265. 122. CooK 1961, p. 18. 123. As attested by the Kallias decrees, IG I3 52 A/B (443/3 BCe), see hurWit 2004, pp. 89-90, 160, 196. 124. A first Odeion may have been already built by Themistokles, using the yards and masts of the Persian ships seized in Salamis for its roof construction: Vitruvius 5.9.1; cf. hurWit 2004, pp. 214-216; shear 2016, pp. 197-228, esp. 205-206 (put aside by Shear as “simple error” by Vitruvius, which is highly questionable).
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and the Erechtheion,125 would have probably been impossible without the payments of the members of the Attic-Delian League. At every penteteric Great Panathenaia from 455/4, when the treasury had been transferred to Athens, onwards, every allied city had to sacrifice a cow and dedicate a panoply to Athena. 126 During the annual Great Dionysia of Athens, they had to present their quota in silver coins, ca. 400 talents in total, in the procession, to deliver it in the theatre of Dionysos, where 1/60, the aparchai, “first fruits,” were symbolically subtracted for the treasure of Athena to be stored in the Parthenon.127 However, it goes without saying that the cost the allies and Athens had to cover in the Peloponnesian War, were much higher, be it in money and resources, be it in human lives.128 This should be a warning to the warmongers of NATO and EU, to invest in peaceful culture, not in weapons! [email protected] Humboldt Universität zu Berlin, Institut für Archäologie, Lehrbereich Klassische Archäologie, Winckelmann-Institut
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Hédi dridi
Reconstruire la ville à la mode punique : le cas de Sélinonte en Sicile
Si l’on met de côté les cas d’extension ou d’embellissement motivés par un changement de statut (promotion au rang de colonie, de capitale) ou par un rapide développement économique ou démographique (qui peut également être causé par un afflux de réfugiés), la reconstruction totale ou partielle d’une ville fait généralement suite à un événement violent, qu’il soit d’origine humaine (guerres) ou non (catastrophes naturelles). Reconstruire une ville, c’est alors « la faire vivre à nouveau », mais d’une autre manière et parfois aussi avec une autre population, sans garantie de résultat car évidemment l’opération peut réussir, échouer ou n’offrir qu’un sursis. Enfin, le résultat peut être diversement apprécié, la ville peut se trouver en effet trans-(certains diraient dé-)figurée, amputée, étendue, déplacée, etc. Toutefois et quelle que soit la raison de cette reconstruction, ses modalités, son rythme, sa forme, et son succès se révèlent indéniablement dépendants des autorités politiques ou militaires qui vont permettre ou décider cette reconstruction (programmatique ou d’urgence) et surtout de ceux qui investiront la ville et de leurs besoins. La nature de la population qui réoccupe l’espace paraît en effet cruciale : s’agit-il de survivants, de déplacés, d’immigrés ? De quelles conditions sont-ils ? Quels sont leurs métiers : militaires, commerçants, artisans, agriculteurs, etc. ? Dans le monde punique comme ailleurs, les cas de reconstructions de villes n’ont pas manqué même si cela n’est pas aisé à documenter en raison du caractère partiel des données, qu’elles soient archéologiques, épigraphiques ou littéraires. On pense évidemment au cas de Carthage, détruite en 146 av. n. è. et reconstruite sous une forme totalement différente – romaine – à partir de 29 av. n. è. sous l’impulsion d’Octave1. Le cas de l’agglomération de Kerkouane, située au bout de la péninsule du Cap Bon, face à la Sicile est tout aussi intéressant : occupée depuis au moins le milieu du vie siècle av. n. è.2, elle a dû faire l’objet d’une reconstruction à la suite des ravages causés par l’expédition d’Agathocle en 310 av. n. è. (Diodore de Sicile XX, 8, 2-7), avant d’être finalement abandonnée après le passage des légions de M. Attilius Regulus et L. Manlius Vulso en 256 av. n. è. (Polybe I, 29, 2-7)3. Mais plus que l’Afrique, la péninsule Ibérique ou la Sardaigne, la Sicile offre des cas d’étude qui se prêtent particulièrement bien aux questionnements
1.
Voir gros 1990, MoKni 2008 et tout récemment, hurlet & Müller 2017.
2.
Morel 1969, p. 497.
3.
Voir Morel 1969, p. 515-518 ; fantar 2012, p. 22-23.
Reconstruire les villes : modes, motifs et récits, éd. par Emmanuelle Capet, Cécile Dogniez, Maria gorea, Renée KoCh piettre, Francesco Massa, Hedwige rouillarD-Bonraisin (Semitica & classica. Supplementa 1), Turnhout, 2019, p. 121-135 DOI 10.1484/M.SUPSEC-EB.5.118518
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Hédi Dridi
soulevés dans le cadre de ce volume. Trois sites retiennent l’attention : Mozia qui après sa destruction par Denys l’Ancien en 396 av. n. è. a connu une réoccupation partielle4, Solonte qui a été déplacée par le même Denys l’Ancien 5 et enfin Sélinonte sur laquelle nous proposons de nous arrêter en raison de l’abondance des données, aussi bien littéraires qu’archéologiques.
sélinonte, topographie générale et rappel historique Sélinonte, sub-colonie mégarienne de Mégara Hyblaea, est la plus occidentale des colonies grecques de Sicile, la plus proche de la zone phénicienne et punique de l’île et des autochtones Élymes, installés notamment à Ségeste et Éryx. La tradition classique date sa fondation de 651 av. n. è. (selon Diodore de Sicile XIII 59, 4) ou de 628 av. n. è. (selon Thucydide VI 4, 2)6. La cité doit son nom à l’ache (ou céleri sauvage = Σελινοῦς) qui poussait notamment sur les berges de l’un des fleuves qui la bordent, le bien nommé Selinos (l’actuel Modione). Le noyau urbain s’étend sur deux mamelons bordés par deux fleuves, le Modione à l’ouest et le Cotone à l’est, qui offraient des points d’accostage bien abrités aux navires (figure 1). La colline méridionale est occupée par l’acropole, alors que la colline de la Manuzza, plus au nord, est dédiée à l’agora et à l’habitat. Les aires sacrées extra-urbaines s’étendent sur les rives extérieures du Modione et du Cotone : les temples G, F et E sont implantés sur la colline de la Marinella à l’est tandis qu’à l’ouest, la colline de la Gággera abrite les aires sacrées de Déméter Malophoros et de Zeus Meilichios, ainsi que les temples M et N. Enfin au-delà, s’étend la ceinture de nécropoles (Manicalunga-Timpone nero ; Galera-Bagliazzo ; Buffa)7. Sélinonte semble avoir entretenu des relations pacifiques avec les cités puniques de Sicile et les Carthaginois au cours du vie siècle et de la première moitié du ve siècle av. n. è. Elle fut l’alliée des Carthaginois durant la bataille d’Himère de 480 av. n. è. (Diodore de Sicile XI, 21, 4) et la cité a accueilli même Giscon, le fils du général carthaginois défait (Diodore de Sicile XIII, 43, 5). En revanche, les relations avec Ségeste et les Élymes furent plutôt hostiles en raison des ambitions territoriales des Sélinontins. Suite aux empiétements de ces derniers, Ségeste demande l’aide d’Athènes en 416 av. n. è. C’est le début de l’expédition athénienne en Sicile qui se conclut par un échec cuisant en 413 av. n. è. (Thucydide VII, 20-87). De fait, lorsque, en 410 av. n. è., Sélinonte reprend les hostilités avec Ségeste, cette dernière se tourne vers Carthage qui cueille cette occasion et répond à son appel en 409 av. n. è. : après un siège de neuf jours, Sélinonte est prise par l’armée carthaginoise d’Hannibal, le fils de celui qui avait trouvé refuge dans cette même ville après la défaite d’Himère. Diodore de Sicile (XIII, 43-59) nous a laissé une description d’une rare intensité dramatique du sac de la ville et du massacre de sa population8.
4.
tusa 1967.
5.
sposito 2014.
6.
Sélinonte fonda par la suite elle-même une colonie à l’est de son emplacement, Herakleia Minoa (Hérodote V, 46). On a proposé d’associer à ce site le toponyme Rosh Milqart qui figure sur des monnaies puniques de Sicile mais Sophie Helas, à la suite de Gilbert K. Jenkins et de A. Cutroni Tusa en particulier, attribue ce toponyme à la Sélinonte punique (helas 2011, p. 127-129). On signalera également la proposition d’identifier Rosh Milqart à Lilybée (Marsala - Capo Boeo), voir en dernier lieu filigheDDu 2006, p. 258.
7.
Sur la topographie de la ville à la lumière des recherches les plus récentes, nous renvoyons à la publication de D. Mertens (Mertens et al. 2003), à laquelle il faudra ajouter Mertens et al. 2012.
8.
CusuMano 2005.
Reconstruire la ville à la mode punique : le cas de Sélinonte en Sicile
123
Figure 1 - Plan et topographie générale de Sélinonte (DeWailly 1992, fig. 1).
L’année suivante, le Syracusain Hermocrate prend la ville, reconstruit une enceinte et y installe les survivants du siège de l’année précédente (Diodore de Sicile XIII, 63, 3). La présence des survivants sélinontains se maintient lorsque Carthage rétablit son contrôle sur la ville comme l’atteste le traité conclu avec Denys l’Ancien en 405 av. n. è. (Diodore de Sicile XIII, 114). Ce traité, renouvelé en 383 av. n. è. (Diodore de Sicile XIV, 17) et plus tard par Timoléon à l’issue de la bataille du Crimisos de 340 av. n. è. (Diodore de Sicile XVI, 82, 3), entérine l’intégration de Sélinonte à l’éparchie carthaginoise9. En effet, malgré plusieurs reconquêtes grecques éphémères comme celles déjà de Denys l’Ancien en 368 av. n. è. (Diodore de Sicile XV, 73, 2), celle d’Agathocle de retour d’Afrique en 307 av. n. è. (Diodore de Sicile XX, 56, 3) ou celle de Pyrrhus en 276 av. n. è. (Diodore de Sicile XXII, 10, 2), Sélinonte et son territoire demeurent sous contrôle punique jusqu’au milieu du iiie siècle av. n. è., lorsque les Carthaginois, alors en pleine guerre avec Rome, décident d’évacuer la ville et de l’abandonner au profit de Lilybée, plus facile à défendre (Diodore de Sicile XXIV, fragment 2, 1)10. Cette décision ne signe toutefois pas
9.
Éparchie (ἐπαρχία) carthaginoise (ou épicratie, ἐπικράτεια dans un sens péjoratif) désigne la partie occidentale de la Sicile sous domination punique (= province). Le terme apparaît chez Polybe (Polybe I, 15, 10 et 17, 5 ; voir à ce sujet CatalDi 2003).
10. Sur les guerres de Sicile, voir De viDo 2013.
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la fin de la présence humaine sur le site de Sélinonte : Strabon (VI, 2, 6) et Pline l’Ancien (HN III, 90) suggèrent une occupation postérieure. Plus tard, des occupations tardo-romaine, byzantine et arabe sont également attestées11. On signalera par ailleurs la récente mise en évidence des effets de divers séismes qui auraient affecté le site entre le ive siècle av. n. è. et l’époque médiévale. Il semblerait ainsi que c’est lors d’un séisme qui aurait eu lieu entre 330 et 500 de n.è. que les colonnes du temple C de l’acropole se sont écroulées12. La question de l’empreinte punique à Sélinonte ne se posa pas d’emblée aux premiers explorateurs du site à la fin du xixe siècle. On doit à Antonino Di Vita d’avoir soulevé en premier cette question, dans un article paru en 195313. Il faut attendre la décennie suivante pour voir la surintendance de Sicile occidentale procéder à des nettoyages de surface sur l’acropole qui permettront alors à Vincenzo Tusa d’évoquer une « Sélinonte punique »14. Par la suite, l’accueil de missions française, allemande et tout récemment américaine15 à côté des chercheurs italiens a permis de réaliser des progrès notables dans la connaissance du noyau urbain de Sélinonte à l’époque de la domination punique, rassemblés dans la monographie de Sophie Helas consacrée à « la ville punique sur l’acropole », parue en 201116. Nous proposons dans le cadre de cette contribution d’intégrer les résultats de cette dernière publication dans une réflexion plus large sur la manière dont un pouvoir (militaire, politique, religieux) et une population punique ou de tradition punique appréhendent une ville préexistante (en l’occurrence grecque) et l’investissent. Il n’est toutefois pas question d’entreprendre ici l’étude de l’ensemble de ce phénomène qui d’une part s’étale sur près d’un siècle et demi et d’autre part affecte aussi bien les secteurs urbains et périurbains (habitat, constructions et aires publiques, muraille, installations artisanales) que les secteurs extra-urbains (lieux de culte des collines de la Gággera et de la Marinella, nécropoles) 17. Par ailleurs, plutôt que de revenir sur les plans des unités d’habitations, les aménagements (citernes) ou les techniques de construction (murs de type opus africanum, pavimenta à base d’opus signinum) comme indicateurs de la reconstruction punique de Sélinonte18, il nous a paru plus intéressant de privilégier une approche morphologique, c’est-à-dire de nous arrêter, pour reprendre la définition de B. Gauthiez, sur l’« étude de la forme physique de l’espace urbain, de son évolution en relation avec les changements sociaux, économiques et démographiques, les acteurs et les processus à l’œuvre dans cette évolution »19.
11. Pour un aperçu historique et archéologique, voir gaBBa & vallet 1980, vol. 1, 3, p. 636-651. Voir également gaBBa & vallet 1980, vol. 1, 2 et Coarelli & torelli 1992, p. 72-103. Pour Sélinonte aux époques tardo-antique et médiévale, voir greCo 2016. 12. Bottari et al. 2009, p. 156. Voir aussi guiDoBoni et al. 2002. 13. Di vita 1953. 14. tusa 1971, p. 47. Voir aussi Mertens 1997. 15. Voir les publications respectives de R. Martin, J. de La Genière, D. Theodorescu et M. Fourmont pour la mission française ; celles de D. Mertens et S. Helas pour la mission allemande. Le projet de l’Institute of Fine Arts de l’université de New York, placé sous la direction de C. Marconi, a démarré en 2006. Les recherches visent en particulier les lieux de culte de la partie méridionale de l’acropole (sud du temple C, temple B, temple R notamment). 16. Selinus. 2, Die punische Stadt auf der Akropolis (helas 2011). 17. Pour les activités artisanales, voir fourMont & tisseyre 2017 ; fourMont 2013. Sur les lieux de culte extra-urbains, voir notamment antonetti & De viDo 2006 ; DeWailly 1992 ; zoppi 2013 et Di vita 1964. Pour les nécropoles, voir rallo 1982-1983 ; isler 1994. 18. Ces différents aspects ont en effet été traités dans l’ouvrage de S. Helas (voir helas 2011, p. 37-111 et p. 162-167). 19. gauthiez 2003, s.v. Morphologie urbaine, p. 110-111. Sur cette approche du phénomène urbain, voir allain 2004.
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la struCture urBaine : îlots, plaCes et réseau viaire Les recherches menées en particulier par Dieter Mertens ont permis de proposer un plan relativement satisfaisant de la trame urbaine de la Sélinonte d’avant 409 av. n. è.20. On y distingue deux secteurs de plan orthogonal (acropole et Manuzza), articulés autour d’une agora. L’espace urbain d’une superficie de circa 100 ha est ceint par une muraille dont on a documenté une portion de près de 800 m à l’est, de circa 4,50 m d’épaisseur, percée de deux portes (figure 2)21. Dans l’état actuel des investigations, le quart sud-est de la colline de l’acropole, qui a bénéficié d’un dégagement total et récemment d’un relevé précis par la mission allemande, représente la partie la mieux connue de l’espace urbain. Les informations complémentaires glanées ailleurs, lors de sondages ou de fouilles limitées22, permettent de déduire que la réurbanisation de la ville à « l’époque punique » s’est principalement manifestée dans cette zone, ce qui en fait un observatoire privilégié. Durant la « phase grecque » de la ville, le sud de l’acropole23 était consacré aux dieux comme l’indique la présence des temples D, C, R (anciennement appelé Mégaron), A et O. Cet espace libre de constructions profanes était parsemé de structures reliées entre elles par des axes « utilisés comme des liaisons indispensables à la vie d’un ensemble de sanctuaires »24. La situation change drastiquement à l’époque de la domination punique. La zone est « bouleversée par l’irruption des édifices civils et commerciaux » comme le soulignaient déjà J. de La Genière et D. Theodorescu dans les années 197025. Une véritable ville s’implante en effet dans cet espace avec ses îlots d’habitation, ses édifices commerciaux, ses lieux de culte, ses places et ses ruelles. La publication de Sophie Helas permet de rendre compte de l’ampleur de la transformation (figure 3)26 : • La fonction d’artère de circulation de la plateia nord-sud se prolonge au sud de la rue F (= Straße f), jusqu’au bord sud de la colline : J. de La Genière et D. Theodorescu ont observé d’épaisses recharges qui ont élevé le niveau de circulation ainsi que des traces d’usure du lit d’attente de la deuxième assise du mur ouest du péribole (au niveau du temple D)27. • Durant la phase grecque, la portion de l’axe est-ouest situé au sud du temple C (Ost-West Straße) traversait la zone sacrée, entre les temples D et C d’une part les temples A et O d’autre part. À l’époque punique, ses bordures nord et sud sont matérialisées par l’apparition d’îlots. Les constructions de la bordure septentrionale (dont une possible stoa commerciale selon S. Helas28) empiètent d’ailleurs sur la rue, réduisant ainsi sa largeur. À l’extrémité est de cet axe, une habitation implantée en travers de l’ancienne voie en ferme l’accès, la transformant en cul-de-sac. • Adossée à la muraille, la partie orientale de la zone se caractérise par la densité des constructions et leur aspect particulièrement irrégulier. On distingue toutefois des voies de circulations qui serpentent entre les îlots irréguliers et des places : au nord de la zone, une rue forme un angle droit pour déboucher
20. Mertens et al. 2003, notamment p. 485-488. 21. Mertens 1999, p. 187. 22. tusa 1981, p. 106 ; rallo 1982-1983 ; fourMont 2013. 23. À partir de la voie F, voir plan dans Mertens 1999, fig. 1, p. 188. 24. la genière & theoDoresCu 1980-1981, p. 988-989. 25. la genière & theoDoresCu 1980-1981, p. 989. 26. helas 2011 et en particulier les plans hors-texte. 27. la genière & theoDoresCu 1980-1981, p. 989. 28. helas 2011, p. 121-122.
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Figure 2 - Plan de la structure urbaine de Sélinonte à l’époque grecque (Mertens 1999, fig. 1, p. 188).
sur une place face au temple C. Cette place qui semble s’étendre à l’ouest devait représenter le centre économique et politique de la ville punique comme le suggèrent la mise au jour de sceaux, la découverte ancienne d’une table de mesure (sékôma) et la stoa commerciale qui la borde au nord29. • À l’angle sud-ouest du téménos des temples C et D, la construction de trois îlots irréguliers a engendré la création de deux nouvelles ruelles, tout aussi irrégulières. La première, grossièrement nord-sud, part de la plateia, au sud du temple D, et serpente jusqu’à l’angle sud-ouest du temple C où l’on peut observer les traces laissées par les roues des attelages30. À cet endroit, elle croise la deuxième qui se déploie parallèlement à l’axe est-ouest évoqué plus haut en longeant le temple C au sud.
29. helas 2011, p. 115-117. 30. la genière & theoDoresCu 1980-1981, p. 989.
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îlot FF1 nord
plateia
rue F
temple D stoa nord
temple C
temple R temple B rue est-ouest
stoa sud
TanitRaum
temple A temple O
Hofheiligtum
kleines Heiligtum
Figure 3 - Sélinonte, plan du secteur S-E de l’acropole (d’après helas 2009, fig. 2, p. 291).
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• Au sud de l’axe est-ouest, longeant la plateia nord-sud, deux îlots réguliers séparés par une ruelle ont été édifiés à l’ouest des temples A et O. Un troisième tout aussi régulier a été implanté entre le temple A et l’axe est-ouest. À l’est de l’axe formé par les temples A et O, l’espace a été occupé par des îlots de forme irrégulière. Ces nouveaux îlots semblent avoir ménagé une autre place à l’est du temple A. Celle-ci donne au nord sur l’axe est-ouest et au sud sur une voie plus ou moins rectiligne qui se dirige vers le bord de la falaise. • La présence régulière de départs d’escaliers dans les nouveaux îlots indique par ailleurs que les constructions à étage(s) n’étaient pas rares31. • Enfin, les ateliers identifiés par Martine Fourmont le long de la rue F (îlot FF1 nord), et qui semblent avoir fonctionné durant toute la vie de la ville32, pourraient indiquer que la zone au nord-ouest de la rue F a assumé le rôle de faubourg de la ville d’époque punique, marquant sa limite. On rappellera que ce secteur est le seul de l’aire urbaine qui ait fait l’objet d’un lotissement à l’époque punique. Le reste de la ville ne semble pas avoir été fondamentalement modifié par l’installation des Puniques (des constructions d’époque punique ont toutefois été identifiées du côté ouest de la plateia nordsud, voir figure 3). Cela signifie-t-il que les nouveaux habitants ont préféré élever de nouvelles maisons « à la mode punique », plutôt que de s’installer dans les îlots existants malgré l’intérêt qu’ils pouvaient représenter en termes d’économie et de facilité de construction ? Sachant que la ville d’époque punique a vraisemblablement connu une contraction du noyau urbain, réduit à la colline de l’acropole, la décision de lancer de nouvelles constructions pourrait s’expliquer par la présence sur place d’une population qu’il n’était pas possible de déloger car, comme le rappelle Diodore de Sicile (XIII, 141), les survivants grecs de Sélinonte ont pu retourner dans leur ville à partir de 405 av. n. è. Par conséquent, il a fallu lotir les espaces libres afin de loger les nouveaux arrivants. L’aspect désordonné que donne à voir le nouveau quartier d’habitat sur l’acropole et le développement sinueux des nouvelles voies qui se créent contrastent évidemment avec le bel ordonnancement de la Sélinonte « d’époque grecque ». On a souligné à maintes reprises l’absence de planification que cela traduisait. Cependant, l’édification des deux stoas commerciales dont une semble sûre 33 atteste une appropriation davantage organisée de l’espace. De tels bâtiments, forcément collectifs (ou corporatifs), n’auraient vraisemblablement pas pu être édifiés sans l’accord des autorités et sans la prise en compte d’un minimum de contraintes urbanistiques. Ainsi l’implantation de la stoa nord, dans le prolongement du temple D vers l’est, semble répondre au besoin d’organiser l’espace et de délimiter une nouvelle place entre ces deux édifices et le temple C au sud. De même, la possible stoa sud, implantée sur le mur sud de péribole monumentalise la voie E-O. On peut donc observer que la reconstruction punique du secteur S-E de l’acropole offre deux visages : d’un côté un aspect relevant de l’urbanisation spontanée qui se reflète en particulier dans les îlots d’habitat de la zone est de l’acropole et de l’autre, un aspect réfléchi et « programmatique » illustré par les stoas commerciales ainsi que les trois îlots rectangulaires de l’angle sud-ouest de la zone. Ces deux types d’aménagements pourraient être rattachés à deux phases de l’occupation punique de la ville : la première, qui précède le traité conclu avec Timoléon vers 339/338 av. n. è. était particulièrement agitée (reconquêtes grecques éphémères) et était donc propice aux constructions hâtives et non planifiées. La seconde phase qui commence avec la conclusion du traité ouvre en revanche une longue période de
31. Concernant les escaliers, voir helas 2011, p. 46-48. 32. fourMont 1992 ; fourMont & tisseyre 2017. 33. helas 2011, p. 116-122.
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stabilité relative pour Sélinonte qui ne sera interrompue que par la conquête éphémère d’Agathocle en 307 av. n. è.34. C’est donc probablement au cours de cette période que les programmes de construction concertés tels que ceux des stoas commerciales et des îlots méridionaux ont été lancés. Les aménagements des lieux de cultes (pavimenta) datent probablement également de cette deuxième phase.
le Cas Des lieux De Culte Les lieux de culte, en tant que nœuds urbains35 générateurs d’activités et de circulations, constituent des éléments remarquables du paysage urbain et participent de ce fait à son remodelage. Plusieurs structures ont été identifiées à des lieux de culte, même si toutes les propositions n’emportent pas l’adhésion des chercheurs36. Dans cet ensemble, on distingue trois types : des lieux de culte puniques installés dans des structures grecques préexistantes (temple C, temple A/O), des lieux de culte puniques créés ex nihilo, et enfin des lieux de culte grecs contemporains de la domination punique de la ville (temple B et son autel). Au sein de ce paysage cultuel, les constructions au sud de l’axe est-ouest retiennent l’attention en raison de leur concentration. L’ensemble temple A-temple O se trouve en effet flanqué à son extrémité sud par deux structures cultuelles d’époque punique caractérisées par la présence de restes de sacrifices37 : le grand lieu de culte, à l’ouest des temples A et O38, et le petit lieu de culte, à l’est des temples A et O39. Le temple A et son presque jumeau, le temple O, qui n’a semble-t-il jamais été achevé, ont subi une reconstruction qui a principalement affecté le premier40 : le pronaos a été converti en espace fermé, doté d’une banquette et d’un pavement typiquement punique (en opus signinum), orné d’un signe de Tanit, d’un caducée et d’un bucrane placé dans une couronne végétale (pièce II). L’accès à cet espace se faisait à partir du nord de l’ancien péristyle, désormais fermé (pièce III). Le naos, ouvert sur le sud, vers le temple O, également pavé d’un opus signinum et doté d’une vasque, devient alors la pièce principale. Les chercheurs, sur la base de la présence d’une vasque dans la pièce III, d’une banquette et des symboles figurant sur le pavement de la pièce II, et d’un petit autel retrouvé à l’est du temple A, reconnaissent dans ce temple un lieu de culte punique41. Ils ne s’accordent toutefois pas sur l’intégration du temple O dans le nouvel ensemble42. En effet, les deux temples ont été à un moment associés dans une seule et même structure quadrangulaire de grands blocs de
34. Voir le tableau chronologique synthétique dans helas 2011, Abb. II, 8, p. 33. 35. Au sens urbanistique, voir gauthiez 2003, s.v., p. 198 et panerai et al. 2009, p. 34-35. 36. Ainsi, la présence d’un pavement orné d’un « signe de Tanit » flanqué de deux caducées ne nous paraît pas suffisante pour qualifier la « Tanit-Raum » de lieu de culte (helas 2011, p. 140-142 ; helas 2013, p. 192-193). Il peut s’agir d’un signe apotropaïque à l’entrée d’une salle d’apparat comme cela est attesté à Kerkouane (pour une interprétation allant dans ce sens, voir tusa 1981, p. 104). Il en va de même pour la banquette périmétrale identifiée dans le temple R (helas 2011, p. 135-136 ; helas 2013, p. 191-192). Ce bâtiment qui se trouve à proximité immédiate du temple C pourrait avoir été converti en annexe de ce même temple ou en lieu de réunion (assemblée des citoyens par exemple). Plus généralement, la caractérisation des lieux de culte à l’époque de la domination punique de Sélinonte reste encore discutée (De siMone 2010, p. 183 ; De vinCenzo 2013, p. 236-240 et p. 248). 37. tusa 1966. 38. Hofheiligtum dans la publication de S. Helas (helas 2011, p. 136-138). 39. Kleines Heiligtum dans la publication de S. Helas (helas 2011, p. 138-140). 40. Pour une description de ces deux temples, voir Coarelli & torelli 1992, p. 89-91. 41. De siMone 2010, p. 183-184. 42. C’est notamment le cas de S. Helas (helas 2011, p. 130-135 ; helas 2013, p. 190-191).
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44 × 46,5 m. La forme générale de la nouvelle structure et la taille des blocs a incité certains chercheurs à dater cet aménagement de l’époque tardive, identifié à un castellum d’époque byzantine pour les uns ou à un Ribat pour les autres43. Cette interprétation a été contestée par F. D’Andria et L. Campagna qui, en s’appuyant sur des observations de terrain et sur l’exemple du lieu de culte extra-urbain de Tas-Silġ qui domine la baie de Marsaxlokk à Malte44, ont estimé que le temple O, arasé jusqu’au niveau des fondations et transformé en cour, faisait partie intégrante du nouveau complexe (temple à cour de type punique sur l’emplacement des temples A et O)45. Dans l’attente de l’apparition de nouveaux éléments qui permettraient de trancher, on relèvera qu’il paraît peu probable que l’espace occupé par le temple O, cerné par trois espaces sacrés au nord (temple A), à l’est (kleines Heiligtum, adossé à la crépis du temple O comme le faisait remarquer L. Campagna46) et à l’ouest (Hofheiligtum séparé du temple O par une voie nord-sud), soit demeuré en dehors du téménos. Plus que la proposition de N. Chiarenza de voir dans cette dernière aire sacrée « il principale luogo di culto punico sorto sull’acropoli »47, il est peut-être possible de voir dans tout l’ensemble (Hofheiligtum + temple A + temple O + kleines Heiligtum) un complexe cultuel étendu qui occuperait ainsi la pointe méridionale de l’acropole et qui trahirait une distribution fonctionnelle des espaces (zonage), également en œuvre à l’époque punique, comme le suggéraient F. D’Andria et L. Campagna48. Au nord de l’axe est-ouest, les temples C et D, respectivement dédiés à Athéna et à Apollon Paian à l’origine selon une dédicace trouvée entre les deux temples (IG XIV 269), occupent une position centrale sur l’acropole49. Le fait que les nouvelles voies de circulation respectent leur emprise au sol indique qu’ils étaient intégrés à la nouvelle forme urbaine. Le temple C dont le pronaos a subi des aménagements et auquel on rattache la remarquable série de sceaux mis au jour depuis le xixe siècle semble avoir joué un rôle central dans la nouvelle cité en tant que pôle administratif et économique après sa vraisemblable reconversion en temple de Milqart50. Le manque de données pour l’époque punique ne permet pas en revanche de proposer une destination pour le temple D51. Le cas du petit temple B (8,40 × 4,60 m) et son autel, érigés dans le prolongement est du temple R près de la place face au temple C, est remarquable. Le temple dorique dont la polychromie s’est partiellement conservée52 est caractéristique de la haute l’époque hellénistique. Sa facture grecque canonique, la date
43. Pour un rappel de l’histoire de la recherche, voir D’anDria & CaMpagna 2002, p. 174-178. 44. D’anDria & CaMpagna 2002, p. 171. L’installation du lieu de culte phénicien dédié à Ashtart au viiie siècle av. n. è. et qui reste actif durant l’époque romaine se fait en effet dans une structure religieuse mégalithique remontant à la fin du iiie millénaire av. n. è. Outre cet exemple, on citera le cas oriental de Kition (Larnaca) où vers la fin du ixe siècle av. n. è. le temple dédié à Ashtart du quartier de Kathari est bâti directement sur les ruines d’un lieu de culte remontant à l’âge du Bronze (voir Karageorghis 2005 et Karageorghis & DeMas 1985). 45. D’anDria & CaMpagna 2002, p. 171. 46. Ibid., p. 179. 47. Chiarenza 2011, p. 50. 48. D’anDria & CaMpagna 2002, p. 188. Pour la position plus prudente de S. Helas, voir helas 2011, p. 160-161. 49. Pour une description des deux temples, voir Coarelli & torelli 1992, p. 93-95. Concernant l’inscription, voir notamment MarConi 1999. 50. Voir en dernier lieu helas 2011, p. 125-130. 51. helas 2011, p. 125. 52. Ce temple fut à l’origine des premières réflexions sur la polychromie dans le monde grec (voir MarConi 2008). Voir également Coarelli & torelli 1992, p. 93.
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de son érection, vers 300 av. n. è. 53, c’est-à-dire à l’époque de la domination punique, et le choix de son emplacement, à quelques pas de la principale place de la Sélinonte punique, soulèvent plusieurs interrogations quant au contexte de son édification. À la suite de S. Helas, plusieurs hypothèses pourraient être envisagées pour expliquer cette singularité54. La première consiste à considérer que ce temple fut édifié durant l’une des courtes reconquêtes de Sélinonte par les Grecs, par Agathocle à la fin du ive siècle ou par Pyrrhus dans la 3e décennie du iiie siècle av. n. è. Cependant cela suppose soit que les travaux ont été extrêmement rapides (un an pour la domination agathocléenne, deux ans pour celle de Pyrrhus55), soit que ces travaux se sont poursuivis après la reprise de la ville par les Puniques. Dans les deux cas, cela supposerait que l’éparchie punique accepte de célébrer l’œuvre d’un ennemi en respectant l’intégrité de l’édifice qu’il a construit ou initié, ce qui paraît peu vraisemblable. Il reste alors deux hypothèses qui postulent le lancement des travaux sous la domination punique, afin d’accueillir soit une divinité punique, soit une divinité grecque. La première conjecture nous paraît très peu probable dans la mesure où l’on ne détecte aucune empreinte punique dans l’architecture du temple et l’exemple d’autres lieux de culte dans la ville montre que les dieux puniques étaient accueillis dans des lieux à l’identité bien marquée. La deuxième en revanche nous paraît plus probable. L’introduction du culte de Déméter à Carthage près d’un siècle plus tôt et le fait qu’il ait été pratiqué à la manière grecque comme le rappelle Diodore de Sicile (XIV, 77, 5) suggèrent qu’un scénario similaire (sans toutefois présumer de l’identité de la divinité) aurait pu se reproduire à Sélinonte. Cela paraît d’autant plus possible que les sources indiquent qu’une forte communauté grecque est demeurée à Sélinonte (Diodore de Sicile XIII, 114). Au-delà des différentes hypothèses relatives aux raisons qui ont présidé à l’édification de ce temple, les conditions matérielles et techniques de sa construction soulèvent des questions. En effet, les techniques de construction employées, résolument différentes de celles qui ont été mises en œuvre ailleurs dans la ville d’époque punique (habitat, locaux commerciaux et lieux de culte) suggèrent le recours à des compétences (architectes, tailleurs de pierre, stucateurs) de tradition grecque. S’agit-il d’une main-d’œuvre étrangère à Sélinonte à laquelle on a fait appel pour ce projet spécifique ou bien d’artisans locaux ? Il apparaît en tous les cas qu’au moins durant l’édification de ce temple deux traditions dans l’art de bâtir ont cohabité à Sélinonte.
ConClusion L’approche proposée dans le cadre de cette contribution n’est que partielle puisque nous n’avons pas abordé tous les secteurs de Sélinonte, qu’ils soient urbains (reste de l’acropole, colline de la Manuzza) ou extra-urbains (lieux de culte de la Malophoros et de Zeus Meilichios, notamment). Elle permet toutefois d’observer l’impact de la domination punique sur la forme de l’espace urbain situé sur l’acropole sélinontine. La reconstruction d’une ville « à la mode punique » se traduit ainsi par un habitat dense inséré dans une structure urbaine compacte, tendant à l’extension verticale (présence d’étages) plutôt qu’horizontale et traversée par des voies de circulation souvent étroites et non linéaires.
53. MarConi 2013, p. 261-263. 54. helas 2011, p. 144. 55. Voir le tableau chronologique synthétique dans helas 2011, Abb. II, 8, p. 33.
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Ces caractéristiques permettent, nous semble-t-il, de mettre en évidence une forme urbaine spécifique que l’on qualifierait de punique, par opposition à la forme urbaine grecque de la Sélinonte originelle56. [email protected] Université de Neuchâtel
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56. Cette différence d’apparence a été très tôt remarquée, comme en témoigne le célèbre passage dans lequel Strabon (III, 4, 2) opposait les apparences de la ville grecque de Mainakè (Mαινάκη) et de la ville phénicienne de Malaca (Μάλακα). Pour un essai de définition de la forme urbaine punique, voir DriDi 2015. Voir également isserlin 1973 ; fuMaDó ortega 2013, p. 35-81.
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Dominique Briquel
La prétendue reconstruction de Rome après la catastrophe gauloise (390 av. J.-C.)
Les Romains se souvenaient avec effroi de ce qui s’était passé en 390 av. J.-C. L’Vrbs avait alors subi l’assaut des bandes gauloises conduites par le Sénon Brennus. Celles-ci avaient pénétré à l’intérieur de la limite sacrée de la ville, ce pomerium dont le caractère inviolable avait été en quelque sorte consacré par le sang de Rémus, abattu par son frère alors qu’il s’était permis de franchir la muraille encore naissante de la cité. Les Gaulois n’avaient laissé aux mains des habitants de la Ville que le Capitole, où s’étaient retranchés Manlius Capitolinus et ses compagnons : mais, même si ce petit noyau de défenseurs avait résisté à l’envahisseur, en une héroïque défense où les oies de Junon avaient suppléé à la carence des gardes endormis, en avertissant les Romains de la tentative de coup de main nocturne de l’ennemi, Rome avait été bel et bien prise, subissant une humiliation que même Hannibal, aux pires moments de la deuxième guerre punique, sera incapable de réitérer et dont il faudra attendre les temps de ce qu’on appelait naguère le Bas-Empire pour qu’elle se reproduise, avec les prises successives de la ville par les Wisigoths d’Alaric en 410 et les Vandales de Genséric en 455. Les Gaulois s’étaient alors répandus dans la ville, massacrant et pillant, et mettant le feu aux constructions, si bien que, à ce que nous en disent les sources qui relatent la catastrophe, la cité entière avait été détruite, anéantie en un gigantesque incendie auquel Manlius et sa troupe avaient assisté depuis le haut de la colline où ils s’étaient réfugiés. Tite-Live, au livre V de son Histoire romaine, et Plutarque, dans la Vie de Camille1, ont décrit cette scène grandiose et effrayante. Tite-Live 5, 41, 10 – 42, 6 : Après le meurtre des nobles vieillards2, on n’épargne plus âme qui vive ; on pille les maisons et, après les avoir vidées, on y met le feu. (42, 1) Mais tous les Gaulois n’avaient peut-être pas l’envie de détruire la ville ; ou peutêtre leurs chefs avaient-ils décidé de montrer ostensiblement quelques incendies, pour terroriser et tâcher d’amener à composition les assiégés par amour pour leurs foyers, (2) mais de ne pas brûler en bloc toutes les maisons, afin de faire des parties intactes de la ville un gage destiné à fléchir le courage de l’ennemi. Aussi ne vit-on pas comme dans les villes prises le premier jour s’étendre au loin et de toutes parts le feu. (3) Quand les Romains
1.
Les traductions données ici sont celles proposées dans les éditions de la Collection des universités de France.
2. L’auteur fait ici référence au sacrifice héroïque des vieillards, anciens magistrats, qui, pour ne pas encombrer le Capitole de bouches inutiles, incapables de participer activement à la défense de la colline, avaient préféré rester dans leurs demeures et attendre l’arrivée des Gaulois, qui les avaient massacrés.
Reconstruire les villes : modes, motifs et récits, éd. par Emmanuelle Capet, Cécile Dogniez, Maria gorea, Renée KoCh piettre, Francesco Massa, Hedwige rouillarD-Bonraisin (Semitica & classica. Supplementa 1), Turnhout, 2019, p. 137-144 DOI 10.1484/M.SUPSEC-EB.5.118519
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Dominique Briquel
qui, du haut de la citadelle, voyaient les ennemis remplir la ville et vaguer par toutes les rues, tandis que sur un point ou un autre quelque nouveau désastre se produisait, ils n’arrivaient pas à garder leur sang-froid ni même à être suffisamment maîtres de leurs yeux et de leurs oreilles. (4) Vers tous les points où les cris des ennemis, les pleurs des femmes et des enfants, le ronflement des flammes et le fracas des écroulements attiraient leur attention, ils tournaient leur esprit, que tout effrayait, leur visage et leurs yeux. La Fortune les avait en quelque sorte placés en spectateurs de la ruine de leur patrie, sans leur laisser aucun de leurs biens à défendre, sauf leur corps, (5) et ils étaient d’autant plus à plaindre entre les assiégés de tous les temps qu’isolés de leur patrie par les assiégeants, ils voyaient tout ce qui leur appartenait au pouvoir de l’ennemi.
Plutarque, Vie de Camille 22, 7-8 : Dès lors les Gaulois, tombant sur les autres vieillards, les tuèrent aussi et massacrèrent tous les gens qu’ils rencontrèrent, puis ils saccagèrent et pillèrent les maisons pendant plusieurs jours ; ensuite ils les brûlèrent et les rasèrent, irrités contre ceux qui tenaient le Capitole, parce qu’ils ne se rendaient pas à leurs sommations et répondaient à leurs attaques en se défendant et en les frappant du haut de leurs retranchements. (8) C’est pourquoi ils saccagèrent la ville et tuèrent ceux qu’ils prenaient, tous indistinctement, hommes et femmes, vieillards et enfants.
Ces deux auteurs ne présentent pas l’incendie et la destruction de la ville comme décidés d’emblée par l’envahisseur, aboutissant à un anéantissement total de la cité dès l’entrée de Brennus et de ses compagnons à l’intérieur de celle-ci ; nous verrons la signification historique que peut avoir ce détail. Mais il n’en reste pas moins que, pour nos sources, Rome a été détruite de fond en comble. Tite-Live spécifie, en 5, 43, 1, que « l’incendie et les écroulements n’avaient rien laissé debout dans la ville conquise » et, lorsqu’il évoque la tâche de reconstruction à laquelle Camille allait s’atteler au lendemain de la catastrophe, Plutarque affirme que la ville était « entièrement détruite » et la décrit comme « ce qui n’était plus qu’un immense bûcher » (31, 2). Tout était à ce point saccagé et bouleversé, qu’on eut du mal, lorsqu’on entreprit de rétablir les cultes traditionnels de la cité, de retrouver les emplacements des anciens sanctuaires3. La tradition place d’ailleurs à ce moment un projet d’abandon par les Romains de leur site ancestral des sept collines, au profit d’une installation sur le site voisin de la ville étrusque de Véies, qui, peu de temps avant l’irruption des Gaulois, avait été prise au terme d’un siège de dix ans4, la vidant de ses habitants mais laissant les édifices intacts et donc disponibles. Il avait fallu toute l’éloquence de Camille, que l’historien padouan met en scène dans un long discours de quatre chapitres (5, 51-54), pour que ses compatriotes se laissent convaincre de demeurer là où Romulus avait fondé leur cité et renoncent au projet d’émigration qu’avaient concocté certains tribuns de la plèbe, que l’historiographie nous présente comme des démagogues, prêts à flatter la réticence des éléments populaires à se mettre au dur travail de reconstruction, en préférant s’installer paresseusement dans les murs de l’ancienne cité ennemie restée intacte mais vide d’habitants5.
3.
Plutarque, Vie de Camille 31, 1 : « On eut bien de la peine et des difficultés pour retrouver les emplacements de temples : il y fallut tout le zèle de Camille et les recherches laborieuses des pontifes. »
4.
La lutte entre Rome et sa voisine étrusque de Véies a été un élément central de la vision que l’historiographie romaine s’était faite des premiers temps de la cité. Comme l’a bien montré J. Hubaux, la période initiale de la cité a été comprise comme une grande année de 365 ans, marquée par l’affrontement des deux cités – Romulus le premier mena des hostilités contre Véies, célébrant à cette occasion le dernier de ses trois triomphes, tandis que, à la fin de ce cycle, Camille, nouveau Romulus, qui fit tomber la cité, clôtura l’ère des guerres entre les deux voisines rivales, en s’emparant enfin de la ville étrusque, ce qui donna lieu au premier de ses trois triomphes (huBaux 1958). Par ailleurs, il n’est pas anodin que le siège de Véies ait duré dix ans, comme celui de Troie : cela signifie que la prise de Véies a été pour les Romains l’équivalent de la prise de Troie par les Achéens.
5.
Sur la perspective de rivalité entre les deux cités dans laquelle s’inscrit le projet de réinstallation sur le site de Véies, Briquel 2008c, p. 344-363.
La prétendue reconstruction de Rome après la catastrophe gauloise (390 av. J.-C.)
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Néanmoins, Camille obtint de ses compatriotes qu’ils s’attellent à la tâche et rebâtissent la cité qui avait été détruite, méritant ainsi son surnom de nouveau Romulus, que lui avaient décerné les soldats dans les chants qui, selon la tradition, accompagnaient le retour dans la cité du général victorieux lors de la cérémonie du triomphe6. Il était celui qui avait permis à Rome de repartir sur une nouvelle fondation après la catastrophe qui l’avait détruite. C’est lui en effet, à ce que relate la tradition, qui, fort de la charge de dictateur qui lui avait été conférée, avait surgi, à la tête de l’armée de secours qu’il avait formée en dehors de la ville occupée par l’ennemi, au moment même où les assiégés du Capitole, réduits par la famine à traiter avec l’ennemi, étaient prêts à lui verser une rançon pour qu’il s’en retournât chez lui, et avait aussitôt châtié le barbare qui s’était permis de fouler le sol sacré de l’Vrbs. Puis, une fois écartée la scandaleuse proposition d’émigration à Véies, il avait lancé les travaux de reconstruction, que Tite-Live évoque en conclusion de son livre V, livre où, après avoir narré la prise de Véies, il fait le récit de la catastrophe gauloise (5, 55, 2-3) : « On se mit à qui mieux mieux à rebâtir Rome. Les tuiles furent fournies par l’État ; quant aux pierres et aux bois de charpente, on eut le droit de les tirer d’où on voudrait, en s’engageant sous caution à achever la reconstruction dans l’année. » Si on se fie à ce que dit l’historien au livre suivant, le délai fut tenu et on lit en 6, 4, 6 : « Voici donc Rome qui se hausse en édifices sur toute son étendue à la fois : l’État contribuait aux dépenses et les édiles poussaient le travail comme s’il s’agissait d’une prestation publique et les particuliers eux-mêmes, pressés par le désir d’entrer en jouissance, se hâtaient pour tout achever ; et l’année ne s’était pas écoulée que la nouvelle ville fut érigée. » La rapidité de la reconstruction est également rapportée par Plutarque dans la Vie de Camille (32, 5 : « On dit qu’il fallut moins d’un an pour reconstruire la ville à neuf avec ses remparts et ses maisons particulières »). L’aide apportée aux particuliers par l’État pour les aider à rebâtir leurs demeures est aussi évoquée dans le récit que Diodore de Sicile faisait des événements – en une version qui diffère dans une mesure non négligeable de celle représentée par les deux autres auteurs7 (14, 116 : « Comme les maisons étaient détruites et qu’un grand nombre de citoyens avait péri, les Romains promirent à tous ceux qui voulaient s’établir dans la ville de construire une habitation dans le lieu qu’il leur plairait et de leur fournir des tuiles aux dépens du trésor public ; ces tuiles sont encore aujourd’hui connues sous le nom de tuiles de l’État »). S’il faut tenir pour historiques les précisions données par les auteurs qui parlent de cette reconstruction de Rome après la catastrophe, on voit que ces textes nous livreraient des éléments importants quant aux procédures alors suivies et aux modalités du travail de reconstruction – contrôle par l’autorité publique, mais direction et réalisation des travaux de reconstruction laissés, au moins pour les habitations privées, entre les mains des particuliers ; aide néanmoins de l’État, sous forme de fourniture gratuite d’une partie des matériaux de construction – tuiles – et d’autorisation de prélèvement sans contrepartie financière d’autres matériaux – pierres et bois destinés à la charpente. Mais justement, faut-il tenir ces précisions pour historiques, et plus généralement ce récit de la destruction et de la reconstruction de la Ville à l’époque de l’invasion gauloise, dans son ensemble, est-il conforme à ce qui s’est alors passé ? On est en droit d’en douter. Si le récit des historiens reflète la réalité historique, on devrait s’attendre à trouver des traces archéologiques de l’incendie qui aurait alors détruit Rome. Une catastrophe d’une telle ampleur est susceptible d’avoir laissé des traces, sous forme d’une couche de cendres qui aurait recouvert les lieux et qu’on puisse dater de la période considérée – c’est-à-dire du début du ive siècle av. J.-C. Mais il n’en
6.
Tite-Live 5, 49, 7 : « Le dictateur, qui avait repris sa patrie à l’ennemi, rentra en triomphe dans Rome et, parmi les chansons plaisantes et rudimentaires que lancent les soldats, ils l’appelaient Romulus, père de la patrie, second fondateur de Rome, et leurs éloges ne mentaient pas » ; cf. Plutarque, Vie de Camille 1, 1, Eutrope 1, 20, 5.
7.
Sur les singularités de la version de Diodore, Briquel 2008c, p. 22-27, 373-379.
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Dominique Briquel
est rien et on chercherait en vain des preuves de cet ordre, attestant que la ville avait alors été quasiment anéantie, en une destruction qu’on pourrait mettre au compte de la troupe de Brennus, et les archéologues, malgré leurs efforts, ne sont pas parvenus à trouver, sinon aucune donnée susceptible de refléter que Rome ait alors subi des dommages, du moins une confirmation que l’ampleur de la catastrophe ait été celle que supposent les sources écrites. Il est vrai que, récemment encore, les archéologues auraient été encore plus négatifs et on avait cru un certain moment pouvoir aller jusqu’à nier totalement l’existence de dommages liés aux événements de cette époque. C’est ainsi que F. Coarelli écrivait en 1978 : « l’enfatizzazione sull’avvenimento da parte degli storici antichi non trova alcuna rispondenza nella documentazione archeologica. »8 En écrivant cela, il réagissait à juste titre contre ce qui avait été pendant longtemps considéré comme la preuve archéologique de l’incendie dont Rome aurait été victime. En effet, en 1941, l’archéologue suédois E. Gjerstad, dans sa magistrale publication des fouilles du Forum, faisait état d’une couche de destruction, que Giacomo Boni avait découverte sur le site du Comitium lors de ses fouilles de 1900 et qui selon lui aurait correspondu à cet événement9. Cette couche était placée sous le deuxième pavement de la place, pour laquelle Boni avait distingué huit pavements successifs et vingt-quatre niveaux d’occupation, s’étageant entre le début de l’occupation des lieux et l’époque augustéenne. L’archéologue suédois attribuait cette couche de destruction au ive siècle av. J.-C., sur la foi de l’attribution du premier niveau au ve siècle av. J.-C. en raison de la présence de fragments de bucchero considérés comme relevant de la production récente de ce type de céramique (bucchero pesante). Mais cette chronologie s’est révélée intenable : le réexamen du matériel a montré qu’on se trouvait en présence, au-dessus du deuxième pavement, de pièces relevant de catégories plus anciennes (notamment une anse de bucchero sottile, de la seconde moitié du viie siècle av. J.-C.), rien n’étant postérieur au vie siècle av. J.-C. Le deuxième pavement date donc certainement de cette époque, tandis que le troisième paraît remonter au tournant du vie et du ve siècle av. J.-C. et le quatrième à la seconde moitié du ive siècle. L’incendie dont cette couche porte la trace est donc largement antérieur à l’invasion gauloise et peut être éventuellement mis en relation avec les troubles qui agitèrent la cité au moment de l’expulsion des Tarquins, lors du passage de la monarchie au régime républicain, que la tradition date de 509 av. J.-C. On ne peut donc pas se fonder sur ces traces d’incendie relevées sur le Comitium pour garantir la réalité de la catastrophe de 390 av. J.-C. En revanche, il faut depuis peu tenir compte de données nouvelles, mais concernant une autre zone de la partie centrale de la ville, la zone du forum de César, le forum Iulium. Les fouilles qui ont été menées entre 2005 et 2008 à cet endroit, voisin du Forum proprement dit et qui fut occupé par des habitations avant d’être aménagé pour devenir une zone publique à la fin du ier siècle av. J.-C., ont en effet permis de découvrir, sous les aménagements ultérieurs, les restes de deux maisons archaïques10. Or elles semblent avoir été détruites par un incendie qui se produisit au début du ive siècle av. J.-C., donc à un moment qui peut correspondre à la prise de Rome par les bandes gauloises. Certes, il est impossible de prouver qu’on ne se trouve pas en présence d’un feu accidentel. Mais la proximité de date rend tentante une mise en rapport avec l’événement et cela reste au moins une hypothèse plausible. Néanmoins, même si on admet cette mise en relation, il convient de mesurer exactement la portée de ce qui serait un indice de l’intrusion violente de Brennus et ses compagnons dans la Ville. Archéologiquement parlant, ces traces de destruction sont limitées. Elles concernent ces deux maisons, mais inversement les fouilleurs n’ont rien relevé de semblable sur le reste de la fouille. Il y a donc peut-être eu alors des destructions, dont ce
8.
Coarelli 1978, p. 120. Voir également Coarelli 1977 ; 1983, p. 129-136 ; torelli 1978.
9.
gjerstaD 1941 ; 1960, p. 217-219.
10. Voir Delfino 2014.
La prétendue reconstruction de Rome après la catastrophe gauloise (390 av. J.-C.)
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qui est advenu à ces domus serait la preuve, mais l’anéantissement total de la cité dont les sources écrites font état reste un fantôme. Au reste, comme on l’a relevé depuis longtemps, le texte des historiens anciens, à lui seul, permettait de douter de la réalité de l’événement. Car l’argument mis en avant par Tite-Live, Diodore de Sicile et Plutarque pour garantir la véracité de la catastrophe prouve exactement le contraire. Tous ces auteurs soulignent en effet le désordre dans lequel la reconstruction se serait faite : Tite-Live 5, 55, 5 : La hâte de la reconstruction dispensa du soin d’aligner les rues, et de bien distinguer son terrain de celui d’autrui : où il y avait un vide, on bâtissait. Voilà pourquoi les vieux égouts, primitivement établis sous la voie publique, passent aujourd’hui par endroits sous des maisons particulières et pourquoi l’aspect de la ville offre l’image de prises de possession, plutôt que d’une répartition régulière.
Diodore de Sicile 14, 116 : Chacun bâtissant selon son caprice, il arriva que les rues de la ville furent étroites et tortueuses ; voilà pourquoi Rome, agrandie par la suite, ne put avoir de rues droites.
Plutarque, Vie de Camille 32, 4-5 : Ils prirent leurs emplacements non pas selon un plan ou un alignement quelconque, mais selon la commodité ou le goût de chacun. C’est pourquoi la ville qu’ils rebâtirent eut des rues irrégulièrement tracées et des maisons placées sans aucun ordre, tellement ils y mirent d’ardeur et de précipitation.
On a parfois pris pour argent comptant l’argumentation des auteurs anciens et, encore dans son édition du livre V de Tite-Live dans la CUF, qui date de 1954, Jean Bayet n’avait pas hésité à reprendre les envolées lyriques par lesquelles Michelet, en 1831, dans son Histoire romaine, livre 1, chapitre 3, concluait sa description de la catastrophe gauloise : « On rebâtit à la hâte, et sans observer les anciens alignements. Au lieu de la cité mesurée par le lituus étrusque à l’image de la cité céleste, s’éleva au hasard la Babel plébéienne, agitée et orageuse, mais toute-puissante pour la conquête. »11 Mais c’est le contraire qui est vrai : ce désordre, cette absence de plan d’ensemble prouvent que la ville que les Romains de la fin de la République et du début du Principat jugeaient mal disposée le devait au fait que son organisation résultait d’une longue histoire, qu’elle n’avait jamais été reconstruite selon un schéma régulier et rationnel, à l’image des colonies que l’Vrbs bâtissait là où elle étendait sa domination. Comme ces cités coloniales, l’Vrbs, si elle avait été reconstruite en une fois au lendemain de la catastrophe gauloise, l’aurait été selon un plan directeur rigoureux, aurait eu vraisemblablement une disposition orthogonale. Les auteurs anciens évoquent le rôle de l’autorité publique qui aurait fourni aides et matériaux, dont les magistrats auraient suivi et contrôlé l’avancement des travaux : ils n’auraient pas toléré qu’une entreprise de cet ordre fût laissée au caprice individuel des citoyens. L’anarchie que dénoncent Tite-Live, Diodore et Plutarque est donc bien la preuve, contrairement à ce qu’ils affirment, de ce que Rome n’a pas été détruite par le feu en 390 av. J.-C., et par conséquent de ce que l’incendie gaulois qu’ils nous relatent, à la suite duquel la cité aurait été anéantie, obligeant ainsi les habitants à la reconstruire de fond en comble, relève de la fiction. On ne peut que partager la conclusion exprimée par notre collègue britannique Tim Cornell dans l’histoire
11. Baillet & Bayet 1954, p. 91, n. 2, jugement que J. Bayet définit comme « témoignant d’une perspective historique qui nous semble de grande portée ». Le désordre de la reconstruction, succédant à une cité mise en place d’une manière ordonnée par les rois étrusques qui auraient été les vrais créateurs de la cité, témoignerait de la montée des éléments plébéiens, rétifs à toute régulation imposée par le pouvoir patricien. Sur la cité étrusque et son rapport aux données célestes, voir nos remarques dans Briquel 2008a, 2008b ; l’idée d’un plan ordonné et régulier relève le plus souvent de la fiction et ne se retrouve vraiment que dans les fondations coloniales, comme Marzabotto près de Bologne.
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Dominique Briquel
de Rome qu’il a publiée en 1995 : « The physical damage to the city does not seem to have been nearly as extensive as tradition would have us believe. The notion that the haphazard and unplanned character of the city resulted from the haste with which it was rebuilt after the sack is naive and almost certainly mistaken. »12 La vraisemblance historique en ce qui concerne les modalités et les buts de l’attaque gauloise s’oppose d’ailleurs à l’idée d’une destruction totale telle que celle dont les auteurs se sont complu à décrire le tableau effrayant, à l’image de celle dont avait pâti Troie, l’ancêtre de Rome13. Les Gaulois, dont l’intention était de faire du butin, n’avaient certainement pas intérêt à tout détruire : après tout s’ils laissaient la ville intacte, cela leur permettait d’exiger des Romains une rançon plus forte que s’ils n’avaient plus que des ruines à leur proposer à racheter. Un passage de Tite-Live que nous avons cité (5, 42, 1-2) laisse d’ailleurs entendre que les chefs gaulois ne visaient qu’à une destruction partielle, destinée à effrayer les défenseurs du Capitole et les amener à composition. En dépit de la belle histoire de l’attaque nocturne du Capitole, déjouée par l’intervention miraculeuse des oies de Junon, les Gaulois n’avaient sans doute ni le désir, ni les moyens de faire tomber par un assaut ce dernier îlot de résistance des Romains, perchés sur leur colline quasiment inexpugnable pour un ennemi qui ne disposait pas de matériel de siège. La suite de l’histoire le montre, l’intention de Brennus14 était de contraindre les Romains à traiter et à leur verser une rançon, comme prix de leur départ. Il faut se représenter les raids de ces bandes celtiques loin de leurs bases de l’Italie du Nord à l’image de ce qui s’est produit à une époque plus récente, avec les attaques menées sur le territoire de l’ancienne Gaule par les Vikings. S’en retourner avec la rançon conséquente que leur avaient livrée les habitants des villes qu’ils avaient attaquées faisait partie de leur tactique habituelle. Un tel comportement était incompatible avec l’idée d’un anéantissement complet de ces villes. Mais ensuite l’événement, grossi dans la mémoire des Romains aux dimensions d’une catastrophe semblable à celle où avait péri Troie, la cité dans laquelle ils reconnaissaient leur ancêtre, aura pris la forme d’une destruction totale, nécessitant un nouveau départ, et donc une reconstruction non moins complète – qui elle aussi relève de la fiction. Dans un ouvrage de 2008, nous avons cru pouvoir montrer que le détail du récit avait été aligné sur une vieille représentation mythique, héritée des temps indo-européens, dont les Romains avaient gardé le souvenir et qu’ils avaient fait passer dans le domaine de l’histoire, en l’appliquant à ce moment particulièrement critique du passé de leur cité, cette catastrophe où l’Vrbs avait été prise par l’ennemi gaulois15. G. Dumézil avait naguère dégagé l’existence, chez les Indo-Européens, d’un mythe eschatologique, relatant comment, à la fin des temps, le monde avait failli périr, détruit par l’assaut des forces démoniaques, avant de renaître, sous une forme idyllique, une fois la crise surmontée16. Il l’avait retrouvé en comparant l’épopée indienne du Mahabharata et le mythe scandinave dit du « Crépuscule des dieux », le Ragnarökr. Depuis il a été montré que le même schème mythique avait nourri ce que les
12. Cornell 1995, p. 318. 13. Le parallélisme avec le destin de Troie a joué. Voir, sur un point particulier, notre article Briquel 2003. Mais Rome, nouvelle Troie, a été capable de se relever de ses ruines et de reprendre la marche de son destin de domination universelle. 14. On peut rappeler que le nom de Brennus, qui se retrouve pour le chef de l’attaque des Gaulois contre Delphes en 279 av. J.-C. (Polybe 4, 46, 1, Diodore de Sicile, fr. 22, 9, Pausanias 10, 19-23, Justin 24, 6-8), est selon toute vraisemblance une désignation celtique du roi (ranKin 1996, p. 105-108). 15. Briquel 2008c. 16. DuMézil 1968, p. 31-257.
La prétendue reconstruction de Rome après la catastrophe gauloise (390 av. J.-C.)
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Grecs racontaient de la prise de Troie17. Les Romains, eux, s’en sont servis pour relater ce qui s’était passé en 390 av. J.-C. – en donnant à cette expérience traumatisante les dimensions d’une destruction totale de leur ville, destruction qui ne s’était jamais produite18. [email protected] UMR 8546 Archéologie et philologie d’Orient et d’Occident
BiBliographie Baillet g., Bayet j. 1954 Tite-Live, Histoire romaine. Livre V, texte établi par J. Bayet et trad. par G. Baillet, CUF, Paris. Briquel D. 2003 « Le passage souterrain des Gaulois, réflexion sur des formes anciennes de la pensée historique à Rome », dans Grecs et Romains aux prises avec l’histoire : représentations, récits et idéologie, sous la dir. de G. laChenauD et D. longrée, Rennes, p. 145-158. 2007 Mythe et révolution : la fabrication d’un récit : la naissance de la république à Rome (Collection Latomus 308), Bruxelles. 2008a « L’espace consacré chez les Étrusques : réflexions sur le rituel étrusco-romain de fondation des cités », dans Saturnia tellus : definizioni dello spazio consacrato in ambiente etrusco, italico, fenicio-punico, iberico e celtico : atti del convegno internazionale svoltosi a Roma dal 10 al 12 novembre 2004, a cura di X. Dupré raventós, S. riBiChini, S. verger, Roma, p. 27-47. 2008b « La città murata, aspetti religiosi », dans La città murata in Etruria : atti del XXV convegno di studi etruschi ed italici, 30 marzo – 3 aprile 2005, Pisa –Roma, p. 121-133. 2008c La prise de Rome par les Gaulois : lecture mythique d’un événement historique (Collection Religion dans l’histoire), Paris. Coarelli f. 1977 « Il Comizio dalle origini alla fine della Repubblica », Parola del passato 32, p. 166-238. 1978 « La stratigrafia del Comizio e l’incendo gallico », dans santoro 1978, p. 229-230. 1983 Il Foro Romano. 1, Periodo arcaico, Roma. Cornell t. j. 1995 The beginnings of Rome : Italy and Rome from the Bronze Age to the Punic Wars (c. 1000-264 bc), London – New York. Delfino a. 2014 Forum Iulium : l’area del Foro di Cesare alla luce delle campagne di scavo 2005-2008 : le fasi arcaica, repubblicana e cesariano-augustea (British archaeological reports. International series 2607), Oxford. DuMézil g. 1968 Mythe et épopée. 1, L’idéologie des trois fonctions dans les épopées des peuples indo-européens, Paris. gjerstaD e. 1941 « Il Comizio romano dell’età repubblicana », dans Opuscula archaeologica. 2 (Acta Instituti Romani Regni Sueciae. Series in quarto 5), Lund, p. 97-158. 1960 Early Rome. 3, Fortifications, domestic architecture, sanctuaries, stratigraphic excavations (Acta Instituti Romani Regni Sueciae. Series in quarto 17, 3), Lund. huBaux j. 1958 Rome et Véies, recherches sur la chronologie légendaire du moyen âge romain (Bibliothèque de la faculté de philosophie et lettres de l’Université de Liège 145), Paris.
17. vielle 1996. Ce mythe indo-européen a fait l’objet d’études plus générales de la part de S. T. o’Brien et P. & A. sauzeau (o’Brien 1976 ; sauzeau 2017). 18. Le même héritage mythique a été mis à profit à Rome pour la narration du passage de la monarchie à la république en 509 av. J.-C. Voir Briquel 2007.
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o’Brien s. t. 1976 « Indo-European eschatology : a model », Journal of Indo-European studies 4, p. 295-320. ranKin h. D. 1996 Celts and the classical world, London – New York, 2e éd. (1re édition 1989). santoro p. 1978 I Galli e l’Italia, catalogo a cura di P. santoro, Roma. sauzeau p. & a. 2017 La bataille finale : mythes et épopées des derniers temps dans les traditions indo-européennes, Paris. torelli M. 1978 « Il sacco gallico di Roma », dans santoro 1978, p. 226-228. vielle Ch. 1996 Le mytho-cycle héroïque dans l’aire indo-européenne : correspondances et transformations hellénoaryennes (Publications de l’Institut orientaliste de Louvain 46), Louvain-la-Neuve.
John Scheid
Les reconstructions augustéennes à Rome
S’il arrivait dans l’Antiquité qu’il fallût reconstruire une ville, en raison d’une catastrophe naturelle, les pouvoirs publics y participaient. Ainsi l’empereur Auguste rappelle-t-il, dans le Bilan de ses activités, les Res gestae, que « l’argent donné aux colonies, aux municipes, aux villes détruites par un tremblement de terre ou par un incendie […] est incommensurable »1. Il n’est cependant pas question de reconstruction après une guerre. Il se pouvait pourtant qu’un monument important fût détruit lors des conflits armés. En 69 apr. J.-C., lors des combats de rue entre partisans de l’empereur Vitellius et partisans de Vespasien, le temple de Jupiter au Capitole prit feu et fut détruit. Il fut solennellement reconstruit2. Ce genre d’épisode arrivait toutefois rarement, et on peut noter qu’Auguste n’évoque pas les destructions qui avaient bien eu lieu de-ci de-là au cours des guerres civiles, tout juste parle-t-il du remplacement de tout ce que les belligérants avaient enlevé dans les grands temples3. Pourtant il lança un programme de reconstruction et de construction très vaste à Rome, dont il rend compte dans les Res gestae : 19. J’ai construit la Curie et le Chalcidicum attenant, le temple d’Apollon sur le Palatin avec ses portiques, le temple du Divin Jules, le Lupercal, le portique proche du cirque Flaminius, que j’ai laissé porter le nom [porticus] Octavia, du nom de celui qui avait construit au même endroit le portique précédent, la tribune au Grand cirque, les temples de Jupiter Feretrius et de Jupiter Tonans au Capitole, le temple de Quirinus, le temple de Minerve, de Junon reine et de Jupiter Libertas sur l’Aventin, le sanctuaire des Lares dans la partie supérieure de la Voie sacrée, le temple des Pénates sur la Vélia, le temple de Juventas, le temple de la Grande Mère sur le Palatin. 20, 1. Je restaurai le Capitole et le théâtre de Pompée, les deux ouvrages à grands frais, sans y inscrire mon nom. 2. J’ai réparé les aqueducs qui étaient délabrés en plusieurs endroits en raison de leur âge. J’ai doublé la capacité de l’Aqua Marcia, en dérivant une nouvelle source dans son conduit. 3. J’ai achevé le Forum Julium ainsi que la basilique située entre le temple de Castor et le temple de Saturne, qui avait été commencée et presque achevée par mon père ; et quand cette basilique eut été détruite par un incendie, j’en entrepris, en agrandissant
1.
Res gestae Divi Augusti, Appendice 4.
2.
Tacite, Histoires 4, 53.
3.
Res gestae Diui Augusti 24, 1 : « Une fois vainqueur, je replaçai dans les temples de toutes les cités de la province d’Asie les ornements que celui avec qui j’avais été en guerre s’était appropriés à titre privé après avoir dépouillé les temples. »
Reconstruire les villes : modes, motifs et récits, éd. par Emmanuelle Capet, Cécile Dogniez, Maria gorea, Renée KoCh piettre, Francesco Massa, Hedwige rouillarD-Bonraisin (Semitica & classica. Supplementa 1), Turnhout, 2019, p. 145-150 DOI 10.1484/M.SUPSEC-EB.5.118520
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sa surface, la reconstruction sous le nom de mes fils, en ordonnant que, si je ne pouvais plus l’achever de mon vivant, elle devait l’être par mes héritiers. 4. Sous mon sixième consulat [28 av. J.-C.], je restaurai dans la Ville, sur proposition du Sénat, quatre-vingt-deux temples appartenant aux divinités, sans omettre aucun de ceux qui devaient être rénovés à cette époque. 5. Dans mon septième consulat [27 av. J.-C.], j’ai réparé la via Flaminia entre la Ville et Ariminum, ainsi que tous les ponts sauf les ponts Mulvius et Minucius. 21, 1. Je construisis sur sol privé le temple et le forum Auguste avec l’argent du butin. Je construisis le théâtre situé près du temple d’Apollon sur un terrain en grande partie acheté à des particuliers ; ce théâtre devait porter le nom de mon gendre Marcellus.
Et ce n’est pas tout. À côté de toutes les reconstructions et constructions qu’il mentionne, il y avait des lieux de culte et des lieux de mémoire qu’il n’évoque pas dans ce document, parce qu’ils étaient en partie impliqués par certains passages. Tel par exemple le passage qui rappelle qu’il a été frère arvale et compagnon de Titius, deux institutions sacerdotales publiques qu’il recréa, et pour lesquelles il restaura également un lieu de culte. Pourquoi donc ce spectaculaire programme de reconstructions ? Il y a trois aspects dans ces initiatives, tous politiques. Le premier, qui est mis en œuvre dès que la victoire d’Octavien/Auguste est prévisible, à partir de 32 av. J.-C. environ, et qui s’étend sur les années 32-28 av. J.-C. Ces restaurations et reconstructions étaient liées à la prise de pouvoir par Auguste. Les deux aspects suivants ne l’étaient pas moins mais répondaient déjà à d’autres impératifs. Par son activité de reconstruction et de construction, il entendait transformer Rome en laissant sa marque sur une ville que, d’après un de ses slogans, il aurait trouvée de brique et aurait laissée de marbre. Enfin, un certain nombre de constructions étaient dues aux nouveaux impératifs du gouvernement de l’Empire et découlaient des réformes institutionnelles faites depuis le début du principat d’Auguste. Ces restaurations donnent ensemble une bonne idée de la démarche du pouvoir romain et de ses intentions en reconstruisant la plupart des monuments de la ville de Rome.
les restaurations et reConstruCtions Des années 32-28 av. j.-C. Auguste écrit que c’est en 28 av. J.-C. qu’il a restauré dans Rome quatre-vingt-deux temples4, sans en omettre aucun de ceux qui devaient être innovés. Nous pouvons y ajouter le bois sacré de Dea Dia, qui était desservi par les frères arvales, le temple de Fortuna muliebris, restauré par son épouse Livie, en qualité de première matrone pour ainsi dire, le vieux sanctuaire fédéral sur le mont Albain, ainsi que les vieux sanctuaires de Lavinium, où Énée aurait débarqué au début de la préhistoire du peuple romain. Enfin il est vraisemblable qu’il ait aussi restauré un lieu de culte situé à Caenina, à peu près à l’emplacement actuel de Rebibbia, qui était desservi par les Caeninenses. L’ensemble de ces restaurations peut surprendre, car on peut se demander s’il n’y avait pas plus urgent à faire que de reconstruire ou de construire des temples. Pourtant l’entreprise était éminemment politique. Seul vainqueur du conflit qui opposait les triumvirs Marc Antoine, Lépide et Octavien après l’assassinat de César, le jeune Octavien entendait rendre son pouvoir et ses intentions crédibles. Il avait été élu triumuir rei publicae constituendae, membre du triumvirat qui devait (re)constituer l’État. Une fois en possession de tous les pouvoirs, Octavien devait asseoir son pouvoir. Il voulut commencer par prouver qu’il prenait ce rôle au sérieux. Et si les flatteurs le comparaient à Romulus au cours des années 32 à 28, c’est pour faire allusion à ce rôle de (re)fondateur de Rome. Nous savons qu’en fin d’année 28 av. J.-C. il rendit ses pouvoirs d’exception au Peuple romain et au Sénat, autrement dit à l’État, et
4.
Voir ci-dessus.
Les reconstructions augustéennes à Rome
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négocia au Sénat une répartition des pouvoirs pour maintenir la paix civile. Les institutions traditionnelles furent remises en vie, les pouvoirs rendus aux magistrats annuels régulièrement élus et aux assemblées. Toutefois il n’échappa pas à Octavien que ce processus prendrait des années avant que la « république » ne refonctionne comme avant les guerres civiles. À cet effet, pour démontrer qu’il était sérieux, il donna à tous ceux qui étaient prêts à lui faire confiance la preuve de sa restauration de l’État, en restaurant tout de suite les devoirs cultuels et les lieux de culte. Il est vrai que, depuis une génération, voire deux, les conflits civils avaient eu pour effet de dérégler la vie religieuse publique. Car l’État romain avait des devoirs religieux, que devaient remplir les magistrats, les prêtres aussi bien que le Peuple romain. Ces devoirs faisaient partie du pouvoir public au même titre que la gestion du trésor, de la législation, de la justice ou de la conduite des armées. Or avec les moyens que possédait le triumvir victorieux, notamment après la prise d’Alexandrie en 30 av. J.-C., il était facile de restaurer des temples et des cultes. Avant 27 av. J.-C., il suffisait d’ordonner, en tant que triumvir investi de pouvoirs extraordinaires, et dès 31 comme consul, de lancer ces travaux, et Rome se remplissait du bruit des charrettes, des sculpteurs et maçons. Au centre de Rome, il restaura tous les grands temples, à l’extérieur de Rome ceux du mont Albain et de Lavinium. Ces temples étaient liés au gouvernement, car aucun consul ne pouvait commander l’armée s’il n’avait pas présidé les sacrifices annuels à Lavinium5 et à Albe la Longue6, et il est certain qu’ils avaient dû souffrir des décennies de conflits civils, au moins par la négligence des pouvoirs publics. Or des lieux de culte situés en montagne, à plus de 900 m d’altitude, ou en bord de mer, devaient affronter des conditions climatiques rudes, et nécessitaient un entretien permanent. Ceci n’avait certainement pas été le cas pendant les guerres civiles. Toutes ces restaurations pouvaient rassurer les citoyens et montrer que le pouvoir était à nouveau correctement exercé. Mais Octavien ne se limitait pas seulement à ce type de restauration. Il alla bien plus loin, en restaurant aussi les cultes et lieux de cultes qui avaient été négligés au point de disparaître et de se réduire à un simple nom. Le titre de frère arvale était encore connu, mais ce que les érudits en savaient se réduisait à ce que disaient les deux termes, à savoir qu’il s’agissait de confrères ou de frères de sang, et qu’ils s’occupaient des arua, des champs, donc de l’agriculture. Un mythe étiologique était en circulation au ier siècle av. J.-C. chez ces mêmes érudits, qui déduisait de ce nom qu’il s’agissait à l’origine des frères de Romulus, qui sacrifiaient chaque année avec lui pour que les champs, arua, portent des céréales (fruges ferre). À partir de là les conseillers d’Octavien lui suggérèrent une restauration. Ils cherchèrent un emplacement pour le sanctuaire et en reconstruisirent à l’aide de documents sacerdotaux une partition rituelle7. Comme la mère adoptive de Romulus, Acca Larentia, était réputée avoir légué des terres au Peuple romain sur la rive droite du Tibre, c’est dans cette direction que leur recherche s’orienta, et ils choisirent le VIe mille. À cet endroit se trouvait un temple très populaire de la déesse Fors Fortuna, datant du iiie siècle av. J.-C. L’endroit parut intéressant, et l’on y construisit le temple de Dea Dia, une déesse certainement exhumée des archives pontificales. Bien entendu, la restauration était une construction pure et simple, car des arvales et de leur
5.
F. Castagnoli, Lavinium. 1, Topografia generale, fonti e storia delle ricerche, Roma, 1972 ; iD., Lavinium. 2, Le tredici are, Roma, 1975.
6.
Cf. A. granDazzi, Alba Longa : histoire d’une légende (Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome 336), Rome, 2008.
7.
J. sCheiD, « I sacerdozi “arcaici” restaurati da Augusto : l’esempio degli arvali », dans Sacerdos : figure del sacro nella società romana, Cividale del Friuli, 26-28 settembre 2012, a cura di G. urso (I convegni della Fondazione Niccolò Canussio 12) Pisa, Edizioni ETS, 2014, p. 177-189 ; iD., « Spéculation érudite et religion : l’interaction entre l’érudition et les réformes religieuses à Rome », dans Fabriquer du divin : constructions et ajustements de la représentation des dieux dans l’Antiquité, éd. par N. BelayChe, V. pirenne-Delforge, Liège, 2015, p. 93-104.
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culte on ne savait plus rien. Mais dans la mesure où le culte se fondait sur un vieux nom sacerdotal, et que le culte était composé à partir d’éléments provenant de données cultuelles en déshérence mais anciennes et authentiques, aux yeux des Romains il s’agissait d’une restauration. En tout cas, ce fut une opération couronnée de succès, puisque ce culte subsista jusqu’au début du ive siècle. Mais il y avait encore une autre restauration liée à la construction de ce sanctuaire. Rome en fait n’avait plus de confins8. Il y avait toujours la vieille ligne juridique du pomerium, séparant l’intérieur et l’extérieur de la ville, puis la frontière plus récente d’un mille au-delà du pomerium, qui étendait l’espace civil de Rome. Ensuite, il n’y existait plus de frontières. Depuis le ive siècle av. J.-C., Rome avait dépassé son territoire, pour atteindre quasiment celui de toute l’Italie jusqu’au Pô. Cette situation devait perturber les esprits, surtout quand on savait que Marc Antoine, l’ennemi d’Octavien, était censé projeter le déplacement de la métropole de l’Empire en Asie Mineure. Octavien et ses conseillers restituèrent donc les confins supposés anciens de la cité de Rome. Ils la fixèrent à une distance de 5 à 6 milles de la ville. Et pour marquer cette ligne, ils restaurèrent des lieux de culte ou des lieux de mémoire situés à cette distance de Rome, le long d’une des grandes routes : outre le bois sacré de Dea Dia au VIe mille de la Via Campana, le temple de Fortuna muliebris au IVe mille de la via Latina, et le tombeau des Horaces et des Curiaces au Ve mille de la via Appia. D’autres endroits complétaient ce dispositif, comme le lieu où étaient célébrés les Terminalia, au VIe mille de la via Laurentina, ou Caenina, où Octavien a restauré des sacrifices qui étaient assurés par les Caeninenses nouvellement (re)créés. Il convient toutefois de souligner que cette restauration d’une limite de Rome par la rénovation ou (re)construction de vieux lieux de culte se faisait à l’endroit où des routes publiques franchissaient cette ligne. Or, dans les Res gestae, il note aussi la restauration qu’il fit en 27 av. J.-C. de la Via Flaminia9, entre Rome et Rimini, comme s’il s’était occupé des vieilles voies consulaires reliant Rome aux cités proches du Latium et au-delà à l’Italie.
urBem… gloriatus marmoream se relinquere, quam lateriCiam aCCepisset10 Une fois le sérieux de ses intentions prouvées et le pouvoir solidement entre ses mains, Auguste continua ses reconstructions et constructions, au point de renouveler l’aspect de Rome. Il a donné la raison pour ces grands travaux : « La beauté de Rome ne répondait pas à la majesté de l’Empire et la ville se trouvait exposée aux inondations et aux incendies. » Donc le deuxième acte consistait à profiter du mauvais état des monuments publics et des infrastructures, dû une fois de plus aux négligences de l’époque des guerres civiles, pour créer par des reconstructions un urbanisme spectaculaire qui fut réalisé par les meilleurs architectes, et une ville plus sûre, en faisant surveiller le fleuve par des curateurs et les quartiers par des
8.
J. sCheiD, « Le bois sacré de Dea Dia et la limite du territoire de la cité de Rome », Comptes rendus de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, janvier-mars 2013, p. 151-166.
9.
Voir ci-dessus p. 146, Res gestae 20, 5 ; cf. aussi H. Dessau, Inscriptiones Latinae selectae, Berolini, 1892, no 84 ; Suétone, Divin Auguste 30, 1 ; Cassius Dion, Histoire romaine 53, 22, 1-2, et de façon plus générale la légende monétaire : C. H. V. sutherlanD, Roman imperial coinage. 1, From 31 bc to ad 69, London, 19842, p. 68, no 380 (19 av. J.-C.), etc.
10. Suétone, Divin Auguste 28 : Urbem neque pro maiestate imperii ornatam et inundationibus incendiisque obnoxiam excoluit adeo, ut iure sit gloriatus marmoream se relinquere, quam latericiam accepisset. Tutam vero, quantum prouideri humana ratione potuit, etiam in posterum praestitit.
Les reconstructions augustéennes à Rome
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vigiles, des pompiers11. Nous avons déjà cité les restaurations du réseau des grandes routes qui répondaient également à toutes ces exigences. Il reconstruisit et fit reconstruire les grands bâtiments du Forum, la Curie, le temple du Divin Jules, les temples de la Vélia, et termina les travaux de César : la reconstruction de la basilique Julia et enfin, à côté de l’ancien forum, celle du Forum de César. Puis il amplifia l’espace disponible en prolongeant en quelque sorte le Forum de César par son propre forum, entourant le temple de Mars Ultor d’ex-voto de la guerre contre Brutus et Cassius. Cette entreprise qui dura de longues années – la dédicace du temple se fit en 2 av. J.-C. seulement – permit non seulement à Auguste de faire preuve de civisme, puisqu’il acquit patiemment tous les terrains nécessaires sans exercer de pression sur les propriétaires, mais aussi de créer de nouvelles obligations politiques autour du nouveau temple. Ainsi les sénateurs pouvaient y délibérer de la guerre ou des triomphes, les gouverneurs de province cum imperio (avec un pouvoir de commandement) partiraient de ce temple, à leur retour les triomphateurs devaient s’y rendre et y déposer des dépouilles prises à l’ennemi, ils y recevaient d’ailleurs une statue, les censeurs y concluaient le recensement par un rite archaïque consistant à planter un clou dans le mur du temple, et certains tribunaux publics ainsi que le tirage au sort des juges se tiendraient également à cet endroit. Les jeunes citoyens pouvaient y prendre la toge virile à leur majorité. Par ailleurs les exèdres servaient de lieu de conférence ou d’enseignement. Ce qui constitue un bel exemple de l’embellissement et de l’agrandissement des espaces civiques de Rome, tel qu’Auguste les pratiqua pendant tout son principat. Un autre exemple, plus ancien, est celui de la construction du temple d’Apollon, de Diane et de Latone au Palatin, en ex-voto des victoires de Nauloque (36 av. J.-C.) et d’Actium (31 av. J.-C.), qui lui permirent de vaincre Sextus Pompée puis Antoine et Cléopâtre. Dans un premier temps, quand la foudre eut frappé, en 36 av. J.-C., une propriété d’Octavien sur le Palatin, sur la recommandation des haruspices ce dernier avait dédié le terrain à Apollon, pour y construire le temple qu’il avait voué à la même date au dieu et à sa sœur, lors de la bataille du cap Nauloque, couronné d’un temple de Diane. À ce premier vœu s’ajouta en 31 celui du cap d’Actium, dominé quant à lui par un temple d’Apollon. Le temple du Palatin était entouré d’un splendide portique et comportait aussi deux bibliothèques, l’une latine, l’autre grecque, ainsi que des œuvres d’art. Pareillement, d’autres lieux publics, comme la curie ou les basiliques sur le Forum romain, ainsi que des temples furent reconstruits par Auguste ou, à son incitation, par les descendants de ceux qui avaient été à l’origine de ces bâtiments. Il restaura aussi le théâtre de Pompée et ajouta en marge du Forum boarium un nouveau théâtre portant le nom de son neveu Marcellus, mort jeune. De cette manière, par la rénovation ou par de nouvelles constructions, Auguste embellit Rome et ajouta des espaces supplémentaires pour la vie publique et sociale. Ces lieux, évidemment, rendaient hommage à ses hauts faits, et donnaient du centre de Rome une image digne de sa majesté, comme il le soulignait, mais aussi à la majesté du nouveau régime qu’elle représentait. Par ailleurs, nous l’avons lu, il faisait tout pour rendre Rome plus sûre. Cette intention était liée à une nouvelle administration qui se mit en place, et qui fut à l’origine d’une transformation du Palatin en zone publique, impériale.
le nouveau régiMe institutionnel et la transforMation Du palatin Traditionnellement le Palatin, lieu où Rome aurait été fondée, servait de résidence à l’aristocratie. Octavien lui-même avait projeté d’y faire construire une demeure vers 36 av. J.-C. Un coup de foudre et
11. R. saBlayrolles, Libertinus miles : les cohortes de vigiles (Collection de l’École française de Rome 224), Rome, 1996.
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John Scheid
un vœu de guerre avaient transformé ce projet en chantier pour un temple de Diane et d’Apollon, mais le peuple romain offrit à Octavien un terrain voisin du temple pour qu’il y construise sa maison. Cette maison, voisine de celle de son épouse Livie, devint le noyau d’une lente transformation du Palatin en résidence impériale. Sous les Flaviens et davantage encore au iiie siècle, sous les Sévères, ce palais occupa pratiquement tout le Palatin. Sous Auguste il s’agissait de la maison du prince, et non d’un siège de l’administration. Mais en raison de la pérennité de certains de ses pouvoirs, la maison du prince devint peu à peu un des centres de gouvernement. Ainsi la fondation était jetée pour ce qui deviendra le palais impérial dont une grande partie servait de siège aux bureaux de l’administration impériale qui se développa au cours du ier siècle. *
*
*
On constate donc que le grand chantier de construction et de reconstruction de Rome, qui dura presque tous les quarante ans du principat d’Auguste, était moins suscité par la destruction et l’état lamentable des bâtiments publics que par l’utilité politique. Il signalait que l’ancien triumvir remplissait la fonction qui était inscrite dans son titre, contrairement à ce que faisaient et avaient fait les deux autres triumvirs, et par ailleurs qu’il dotait Rome d’un apparat et de services convenables pour sa majesté de métropole du monde. C’étaient en partie des projets de son père, et au fond l’ensemble revenait à rem publicam constituere, à redonner sa forme ancienne, supposée grandiose, à l’État. Il profita de l’état général de délabrement de la Ville, qui rendait des restaurations et des rénovations indispensables. En fait, comme c’est souvent le cas lors des restaurations, Auguste créa un ordre nouveau et une ville nouvelle qui fascine encore aujourd’hui les visiteurs. Ceci d’autant plus que les successeurs d’Auguste, notamment ceux qui appartenaient à une autre famille, les Flaviens, les Antonins et les Sévères, reprirent à leur manière le souci d’Auguste, en restaurant la majesté de la Ville créée par le fondateur du régime impérial. [email protected] membre de l’Institut
Dominique-marie Cabaret
Ælia Capitolina, ville reconstruite ?
La question de la conquête de Jérusalem par les insurgés de la seconde révolte juive (132-135 apr. J.-C.) est complexe. Certains prétendent qu’on ne peut exclure que la ville ait été conquise, puis reprise par Hadrien1. D’autres, se fondant notamment sur le silence de la littérature rabbinique et l’absence quasi complète de monnayage de la révolte dans la vieille ville2, sont persuadés que la nouvelle Ælia Capitolina ne tomba jamais aux mains des insurgés3. Pour autant, que l’on opte dans un sens ou dans l’autre, un point semble souvent admis comme allant de soi : une fois la révolte matée, que la ville ait été conquise ou non, elle était suffisamment détruite pour qu’Hadrien fasse tabula rasa du passé, réagençant de fond en comble l’urbanisme de la ville, comme si le labour du pomerium de la nouvelle colonie avait été fait sur un champ de ruines4. Mais n’est-ce pas tomber dans un certain anachronisme que d’admettre qu’une ville de la taille de Jérusalem ait pu être à ce point détruite que sa « reconstruction » n’intègre aucune trace organique de la ville antérieure ? Les outils du génie civil romain étaient indubitablement efficaces mais n’atteignaient pas la puissance des explosifs et engins de déblaiement modernes. Même avec les moyens les plus récents, il faudrait sans doute plusieurs années pour faire place nette sur une superficie comparable à celle de la vieille ville actuelle de Jérusalem. Certes, les spécialistes dans leur ensemble adoptent des avis plus nuancés mais beaucoup sont néanmoins persuadés que la carte de Jérusalem, représentée sur la mosaïque
1.
S. C. MiMouni, Le judaïsme ancien du vi e siècle avant notre ère au iii e siècle de notre ère : des prêtres aux rabbins (Nouvelle Clio), Paris, 2012, p. 514-515.
2.
Y. tsafrir, « Numismatics and the foundation of Aelia Capitolina », dans The Bar Kokhba war reconsidered, ed. by P. sChäfer, Tübingen, Mohr Siebeck, 2003, p. 31-36.
3.
M. haDas-leBel, Rome, la Judée et les juifs (Antiquité/Synthèse 9), Paris, Picard, 2009, p. 178 : « Jérusalem a-telle été temporairement reprise aux Romains ? Cette dernière question se pose notamment parce que les monnaies juives frappées au temps de la révolte et datées “de la rédemption d’Israël” portent souvent le fronton du Temple, le tabernacle, les objets de culte et la mention “Jérusalem” que d’aucuns veulent interpréter comme un lieu d’émission. Il semble plutôt que cela évoque l’espoir de la reconstruction du Temple qui fut le principal objectif du soulèvement. Si un début de réalisation lui avait été donné, on peut penser que les sources rabbiniques en auraient parlé, or il n’en est rien. »
4.
Le labour du pomerium réalisé par le gouverneur romain de Judée Tinneius Rufus (130-134 apr. J.-C.) est mentionné dans la Mishna (Taanit 4,6) et dans le Talmud de Babylone (Taanit 29a).
Reconstruire les villes : modes, motifs et récits, éd. par Emmanuelle Capet, Cécile Dogniez, Maria gorea, Renée KoCh piettre, Francesco Massa, Hedwige rouillarD-Bonraisin (Semitica & classica. Supplementa 1), Turnhout, 2019, p. 151-156 DOI 10.1484/M.SUPSEC-EB.5.118521
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de Madaba (figure 1), ne peut renvoyer qu’à un état de la ville datant d’Hadrien5, sans comporter pour autant de traces de la ville hérodienne et a fortiori hasmonéenne6 ; à moins que, par prudence, s’estimant incapables de remonter plus loin dans le passé, ils n’osent y percevoir des traces antérieures à l’époque hadrianique. La question se pose toutefois pour le réseau viaire. Percer une rue dans une ville préexistante n’est pas chose aisée : des expropriations douloureuses et d’énormes travaux de déblaiements sont souvent nécessaires. De plus, à supposer que des destructions massives aient obstrué les rues (à la suite d’une éventuelle conquête de la ville), la priorité est alors de déblayer les axes de circulation impraticables pour que la vie reprenne son cours au plus vite, et non d’en créer de nouveaux. On peut certes penser que l’expulsion des Juifs de Jérusalem par Hadrien laissa de nombreux terrains inoccupés propices à l’ouverture de nouvelles rues. Mais cela ne diminuait pas pour autant l’importance des travaux de terrassement et déblaiement – à n’envisager qu’une fois la révolte matée (la ville ayant été conquise ou non, c’est-àdire en partie détruite ou non), soit donc près de six ans après la fondation d’Ælia Capitolina7. Aussi la refonte globale – et même partielle – du réseau viaire de la nouvelle colonie ne semble-t-elle pas aller de soi ; surtout qu’elle présuppose aussi que le réseau viaire antérieur avait de graves défauts à corriger et que, par exemple, les deux rues principales de la carte de Madaba n’existaient pas avant qu’Hadrien ne s’intéresse à la ville. Il s’agit pourtant d’axes majeurs desservant, à partir de la principale – et déjà ancienne – porte septentrionale de la ville, des lieux aussi importants que le Temple, la « ville basse » et la « ville haute » de Jérusalem. L’urbanisme de la ville juive était-il à ce point déficient qu’il eût fallu attendre l’empereur philhellène pour que de tels axes fussent ouverts ? Répondre par l’affirmative à cette question sans éléments plus probants semble imprudent. Il ne s’agit pas de minimiser les transformations profondes qu’Hadrien fit subir à l’urbanisme de Jérusalem, notamment de nier, par exemple, la mise en place, dans la nouvelle Ælia Capitolina, de colonnades dans les deux rues principales représentées sur la
5.
Selon Épiphane de Salamine, les travaux ont été surveillés par Aquila de Sinope, apparenté à la famille impériale. Cf. Épiphane de Salamine, Traité des poids et mesures 14 ; cf. aussi N. fernánDez MarCos, The Septuagint in context : introduction to the Greek version of the Bible, Leiden, Brill, 2000, p. 111.
6.
Sh. WeKsler-BDolah, « A plan of Aelia Capitolina in the 4th c. aD », dans Roman Jerusalem : a new Old City, ed. by G. avni & G. D. stieBel (Journal of Roman archaeology Supplementary series 105), Portsmouth, 2017, p. 7-9 : « The following plan is based on archaeological remains of the 2nd-4th c. aD known around the Old City of Jerusalem, on the outline of the main streets and fortifications of the present Old City, which preserve the layout of the Roman city; on data found in historical sources; on the pattern of the natural topography; on the presentation of Jerusalem in the Madaba mosaic map; and on comparison with other Roman cities. […] It is commonly accepted that the Old City preserves the general layout of Aelia Capitolina. » Cf. aussi A. onn & Sh. WeKsler-BDolah, « Colonnaded streets in Aelia Capitolina : new evidence from the eastern cardo », ibid., p. 10-22, ici p. 11 : « The earliest representation of Jerusalem appears on the Madaba mosaic map, where it is shown as an oval-shaped city surrounded by a wall and dominated by two colonnaded N-S thoroughfares and less prominent E-W streets, one of which was also colonnaded. It is generally accepted that the layout shown here of the Byzantine city was rooted in the orthogonal plan of the smaller Roman city of Aelia Capitolina. » Cf. aussi O. gutfelD, « From Aelia Capitolina to Hagia Polis Hierosalima : changes in the urban layout of Jerusalem », ibid., p. 41-50, ici p. 44 : « The conventional belief, formulated by such early scholars as J. Germer-Durand, C. M. Wilson, and L. H. Vincent with F. M. Abel, was the main streets of the Old City in the late19th c. reflected the original route of the main cardo, which ran southward from the plaza inside what is now the Damascus Gate at the north, with a slight eastwards deviation, then along the line between Jewish Quarter Street and Habad Street. »
7.
Il y aurait alors eu deux plans d’urbanisme : celui de la fondation de la colonie (130 apr. J.-C.), sans doute mis en œuvre avant le début de la révolte (132 apr. J.-C.) ; celui mis en place une fois la révolte matée (136 apr. J.-C.) qui, à la différence du premier, disposait des propriétés juives sans avoir besoin de recourir à des expropriations.
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carte de Madaba ; mais de faire la part des choses entre ce qu’il faut à juste titre attribuer à Hadrien et ce qu’on peut ou doit éventuellement octroyer à un souverain précédent (figure 1). Pour faire le point sur la question, nous proposons de recourir à la « loi de persistance du plan » énoncée jadis par Jean Sauvaget, selon laquelle « il est rare qu’une agglomération urbaine subisse une transformation si radicale que toute sa physionomie antérieure s’en trouve oblitérée »8. Dans la mesure où elle est appliquée à un quartier en son entier, dont on connaît la date de fondation, elle s’avère parfaitement valable. C’est le cas du « quartier de la porte de Damas », viabilisé a minima dès l’époque hérodienne – à la suite de la construction du deuxième mur de Jérusalem9. Les cartes et les photos satellites les plus récentes permettent d’y déceler non pas deux mais trois rues principales centrées sur l’actuelle porte de Damas, rayonnant en patte d’oie (E-A, E-I, E-D) à partir d’elle (figure 2). Les deux premières apparaissant clairement sur la carte de Madaba ; à l’inverse de la troisième que le mosaïste du vie siècle a sciemment choisi de ne pas représenter. Nous en voulons pour
Figure 1 - La carte mosaïque de Madaba : l’Ælia byzantine (© Berthold Werner, Wikimedia Commons).
8.
J. sauvaget, « Le plan antique de Damas », Syria 26, 1949, p. 314-358, ici p. 341.
9. Bien que Flavius Josèphe ne le spécifie pas, la construction du deuxième mur de Jérusalem est communément attribuée par les spécialistes à Hérode le Grand. Flavius Josèphe, Guerre des Juifs V, 146 : « Le second mur s’amorçait à la porte de Gennath, qui faisait partie de la première enceinte ; il n’entourait que la partie septentrionale de la ville et montait jusqu’à la tour Antonia. »
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porte de Damas
Figure 2 - Les trois rues en patte d’oie inscrites dans le réseau viaire du nord de Jérusalem.
preuve que les trois rues convergent en un seul point (point E), qu’elles sont séparées deux à deux par un angle identique d’environ 36°, que la rue centrale menait droit au temple juif pré-hérodien10, et que la rue la plus orientale – celle qui n’est pas représentée sur la carte de Madaba – est alignée avec un point situé sur le sommet du mont des Oliviers (point A), d’où il était idéal de faire des alignements topographiques pour fixer l’urbanisme de la ville. De ce point culminant, il est en effet possible de tirer une autre droite, perpendiculaire à la rue la plus occidentale de la patte d’oie (droite E-D, figure 2) – la rue principale de la carte de Madaba – passant à la verticale de la « roche » du « Dôme de la Roche » (point B), autrefois l’autel du temple ou sa cella la plus sacrée : le saint des saints11. Enfin, un détail de la mosaïque de Madaba, souvent non remarqué, affirme la « centralité » de la rue médiane « en coude » menant à la ville basse et au temple (segment E-H) : au plus proche de la place de la porte de Damas, un arc triomphal en marque le début – à la différence de l’autre rue principale de la carte de Madaba –, montrant ainsi qu’elle était la rue centrale de la patte d’oie. L’énumération de ces quelques propriétés suffit à montrer, semble-t-il, que les trois rues en patte d’oie ont été voulues pour elles-mêmes à une époque où le temple juif existait encore. Est-il imaginable en effet que le fondateur d’Ælia Capitolina soit à l’origine d’une telle structure viaire centrée sur les vestiges d’un temple détruit par Titus ? Ou que l’un de ses éléments les plus sacrés – la « roche du Dôme » (point B, figure 2) – y joue un tel rôle ? Certes, on peut y trouver un argument en faveur de la construction du temple capitolin sur l’esplanade du temple, auquel cas Hadrien aurait construit sa nouvelle ville centrée non pas sur son forum d’Ælia Capitolina mais sur le temple en question (figure 2).
10. L. ritMeyer, The quest, revealing the Temple Mount in Jerusalem, Jerusalem, The Lamb Foundation, 2006. Cf. aussi D.-M. CaBaret, « The structure of the Hasmonean and Herodian temples enlightened by Jerusalem’s urbanism », dans Marking the sacred : the Temple Mount/Haram al-Sharif in Jerusalem, ed. by B. De saint-laurent & J. BrahaM, Pennsylvania State University Press, à paraître. 11. Cette question est toujours débattue. Nous n’entendons pas entrer dans ce débat ici.
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L’hypothèse vaut d’être évoquée ; elle semble toutefois ne pas pouvoir être retenue pour deux raisons principales12 : tout d’abord, comme évoqué supra, il est peu probable que de tels axes n’aient pas été ouverts a minima dès l’époque hérodienne, tant il est difficile à cause de la topographie du quartier de concevoir des tracés alternatifs de rues pour atteindre les autres points cardinaux de la ville ; de plus, une étude plus complète, qu’on ne peut qu’évoquer ici13, montre que l’unité de mesure utilisée pour viabiliser le quartier de la porte de Damas est non pas le pied romain (0,296 m) mais la coudée royale égyptienne (0,524 m) tombée en désuétude à l’époque d’Hadrien14 : le point de convergence des trois rues de la patte d’oie (point E) – l’éventuel emplacement de la fameuse colonne représentée sur la carte de Madaba15 – se situe à 100 coudées royales (52,4 m) de l’actuelle porte de Damas, elle-même sise à la verticale des vestiges des portes antérieures 16 ; de plus, la distance séparant le point de convergence des trois rues (point E) de la droite perpendiculaire provenant du sommet du Mont des Oliviers (point C) est égale à 750 coudées royales (393 m) ; enfin, le point de convergence des trois rues (point E) et le point opposé, sis à proximité du premier mur de Jérusalem (point D), sont distants de 1 000 coudées royales (524 m). Sans entrer davantage dans le détail de ces alignements et mesures non explicables par le hasard, une conclusion paraît s’imposer : les deux rues principales représentées sur la carte de Madaba n’ont pas été percées par les architectes d’Hadrien mais seulement élargies et embellies par des colonnades – selon la mode du second siècle. En est-il de même pour la troisième rue non représentée par le mosaïste du vie siècle ? Notons que la figure étriquée de la carte de Madaba ne rendait pas la chose facile. Cependant, il est de la plus haute convenance que les architectes d’Hadrien l’aient aussi munie de colonnades, ne serait-ce que sur quelques dizaines de mètres – pour donner à la place de la porte de Damas une symétrie d’ensemble. Mais, qui plus est, il est probable aussi, qu’ayant perdu en importance, la troisième rue ait été délaissée par les urbanistes d’Ælia Capitolina, sans être élargie ni embellie par des colonnades audelà de quelques dizaines de mètres17. Les architectes auraient ainsi sauvé les apparences : tout en donnant une belle harmonie à la place de la porte de Damas, ils n’en auraient pas moins centré l’urbanisme de la nouvelle colonie non pas vers l’ancien temple juif mais vers le nouveau forum principal de la ville (à l’ouest du point G, C et D, figure 2),– et son temple capitolin –, transformant la rue la plus occidentale de
12. En toute rigueur, il faudrait mentionner une autre raison – mais cela nous mènerait trop loin : selon les sources écrites à l’exception de la notice de Dion Cassius (Histoire romaine VIII, 447) et d’un texte ambigu de saint Jérôme (Comm. in Esaiam 33), le temple capitolin d’Ælia Capitolina fut construit non pas sur l’esplanade du temple juif mais à l’emplacement actuel de l’église du Saint- Sépulcre. Cf. J. Murphy-o’Connor, Jérusalem : un guide de la cité biblique, antique et médiévale, Paris, Cerf, 2012, chap. ix : « L’emplacement du Capitole sur l’Ælia Capitolina », p. 197-204. 13. Pour plus de précisions, on se référera à la thèse de l’auteur (Paris I, Panthéon-Sorbonne) : D.-M. CaBaret, L’urbanisme du nord de Jérusalem : 2 e siècle av. J.-C. – 2 e ap. J.-C. (soutenue le 9 février 2019, à paraître). 14. A priori, la coudée royale égyptienne n’était plus utilisée non plus par les architectes d’Hérode. Par suite, la question de dater de l’époque hasmonéenne la fondation du quartier de la porte de Damas, ceint par le deuxième mur, se pose. À ce sujet, voir la thèse de l’auteur mentionnée dans la note précédente. 15. La toponymie arabe de la porte de Damas porte encore aujourd’hui une trace de cette colonne sans doute supprimée il y a plus d’un millénaire : Bab al-ʿamūd (la « porte de la colonne »). 16. Cf. J.-B. hennessy, « Preliminary report on the excavations in Damascus Gate, Jerusalem, 1964-1966 », Levant 2, 1970, p. 22-27. Cf. aussi G. Mazor, « Concerning the urban plan of Aelia Capitolina : colonnaded streets, monumental arches and city gates », Eretz-Israel 28, 2007, Jerusalem, The Israel Exploration Society, 2007, p. 116-124, résumé en anglais p. 13*; iD., « Monumental arches and city gates in Aelia Capitolina : an urban appraisal », dans Roman Jerusalem (supra, n. 6), p. 73-82. 17. La structure de la troisième rue dans l’actuelle vieille ville de Jérusalem confirme l’hypothèse : sa largeur est beaucoup plus importante dans sa première partie à proximité de la porte de Damas.
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la patte d’oie en cardo principal de la ville, lui-même coupé par un decumanus principal à la limite de la ville haute, marquant la fin du forum et le début du camp de la 10e Légion Fretensis18. Il y eut ainsi glissement du centre de gravité de la ville vers l’occident19. Hadrien n’en fut d’ailleurs pas à l’origine : Hérode le Grand lui-même l’amorça en transférant sa résidence royale de la forteresse Baris/Antonia à la colline occidentale de la ville, dans un somptueux palais construit sur mesure20. Ainsi s’explique au mieux le déclin – et l’oubli progressif, vérifiable sur la carte de Madaba – de la troisième rue de la patte d’oie qui, tout en menant au mont des Oliviers, était aussi le chemin le plus direct depuis la porte septentrionale pour arriver à la Baris/Antonia. La troisième rue ne desservait plus aucun point stratégique d’Ælia Capitolina : dès lors, il n’était plus indispensable de la faire figurer pour que les caractéristiques principales de la ville byzantine d’Ælia sautent aux yeux des admirateurs de la mosaïque de Madaba. En conclusion, il appert que la « loi de persistance du plan » édictée par Jean Sauvaget s’avère parfaitement adaptée pour répondre à notre questionnement. Le plan actuel de la vieille ville associé à la carte de Madaba permet de restituer un réseau viaire antérieur à la fondation d’Ælia Capitolina, remontant à la fondation du quartier datable a minima de l’époque hérodienne. Il s’ensuit que, conquise ou non par les insurgés de la seconde révolte juive, Jérusalem ne fut pas complètement détruite sous le règne de l’empereur Hadrien et que les architectes de la nouvelle colonie Ælia Capitolina conçurent son urbanisme en s’insérant dans celui de la ville juive préexistante. Il n’y eut pas tabula rasa du passé mais assomption et embellissement d’un urbanisme antérieur. [email protected] École biblique et archéologique française de Jérusalem
18. J. seligMan, « “Absence of evidence” or “Evidence of absence” : where was civilian Aelia Capitolina, and was Jerusalem the site of the legionary camp? », dans Roman Jerusalem (supra, n. 6), p. 107-116. Cf. aussi A. onn & Sh. WeKsler-BDolah, « The Temple Mount at the time of Aelia Capitolina : new evidence from “the giant viaduct” », ibid., p. 83-95. 19. Y. Z. eliav, « The urban layout of Aelia Capitolina : a new view from the perspective of the Temple Mount », dans The Bar Kokhba war reconsidered (supra, n. 2), p. 241-277, ici p. 266 : « It is difficult to determine why the Roman engineers and architects who sketched the plan of the Roman colony abandoned the traditional layout of Jerusalem and left the Temple Mount precinct outside their city’s boundary line. » 20. D.-M. CaBaret, « Où était le premier palais d’Hérode ? », Revue biblique 124, 2017, p. 111-118.
Jean-Baptiste HumBert
Gaza deserta (ou délaissée) : la concurrence d’Anthédon
Gaza est aujourd’hui une grande ville moderne qui a absorbé tout son environnement antique. Son nom a désigné la ville et aussi le pays dont elle fut, et est encore, capitale. Pour les Égyptiens, il aurait représenté l’arrière-pays qui s’étendait au-delà. Le nom de la ville est aussi celui du territoire, l’essentiel de la Philistie, et nous courons le risque de prendre l’un pour l’autre. Le toponyme Gaza est donc équivoque. Pour l’éviter, nous avons parfois préféré la formule Vieille Gaza pour la ville, et précisé le territoire de Gaza pour le pays. Dans l’histoire, le territoire autonome s’est étendu grosso modo avec la région depuis al-ʿArish jusqu’au sud de Jaffa. La Bible rapporte une pentapole que l’on restitue avec probabilité. Elle fut la pointe sud de la Syrie romaine, et parce qu’elle jouxte l’Égypte, elle ouvrait sur le corridor qui s’appela plus tard via maris. Gaza eut une vocation stratégique sur laquelle on ne s’étendra guère : le relief plat était favorable aux armées et de nombreuses batailles s’y sont déroulées. Entre Asie et Égypte, elle fut tour à tour glacis, verrou, forteresse. Le toponyme arabe Ghazzah est issu du Gazatu égyptien, transcrit
Figure 1 - Carte des principaux sites archéologiques du Territoire de Gaza.
Reconstruire les villes : modes, motifs et récits, éd. par Emmanuelle Capet, Cécile Dogniez, Maria gorea, Renée KoCh piettre, Francesco Massa, Hedwige rouillarD-Bonraisin (Semitica & classica. Supplementa 1), Turnhout, 2019, p. 157-176 DOI 10.1484/M.SUPSEC-EB.5.118522
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Jean-Baptiste Humbert
dans l’akkadien Hazzatu, et transposé dans le grec Gaza. Le nom signifie justement « forteresse », « lieu bien défendu ». Elle est, dans les lettres de Tell el-Amarna, au xive siècle, la première ville de Canaan à être citée et nous pressentons, pour l’Égypte, son rôle d’accès vers l’Asie.
Données géographiques Le territoire (figure 1) eut surtout une vocation commerciale avec son arrière-pays profond : nous avons donné à notre programme de recherches en 1994 le titre de « Gaza, fenêtre de l’Arabie sur la Méditerranée ». Il s’est distingué jusqu’au seuil du Moyen-Âge par le dynamisme de ses échanges internationaux. Gaza fut toujours dans le giron arabe. Elle a été, malgré son prestige indéniable, nommée avec insistance deserta. Les commentaires n’ont pas manqué mais la contradiction n’a pas été assez dénoncée. Gaza adossée au désert du Naqb (Négueb) ressemble plutôt à une oasis. Riche domaine agricole le long du rivage, elle a toujours été habitée et les centres urbanisés étaient proches les uns des autres. Quand le territoire n’a jamais été dépeuplé, sa capitale aurait-elle été rayée de la carte, sa population massacrée ou évacuée, la mémoire perdue de son lieu, en résidu dans l’épithète deserta ? Le fait est singulier. Mais une ville est un assemblage de forces, et quand le malheur ferait qu’elle soit anéantie, ses forces s’échapperaient pour se maintenir, et quelque chose dans Gaza s’est déplacé sans aller loin. Gaza s’est présentée selon une disposition spécifique du littoral urbanisé où des villages dans les terres étaient devenues des villes ; l’attraction de la mer leur avait ajouté des quartiers industriels côtiers qui, à leur tour, avaient acquis une autonomie certaine teintée de concurrence. La Vieille Gaza à trois kilomètres en arrière du rivage avait suscité deux attaches portuaires aujourd’hui noyées dans l’agglomération moderne : Maïuma, sous le quartier Rimal, et Anthédon, sous le quartier des réfugiés du Beach Camp jusqu’au quartier Soudaniyeh. De Gaza, il faut moins d’une heure pour gagner la côte, et vingt minutes pour aller de Rimal à Beach Camp. Avant d’aborder le dossier deserta, jetons un œil sur des exemples de la mobilité des zones habitées où Gaza est un cas que l’on peut retenir. Les clivages se sont déroulés dans les crises et leurs causes sont à chercher dans les stratégies des États, les guerres ou les conflits locaux ; ou encore dans les développements politiques et économiques. Tous ces aléas ont affecté la région de Gaza, comme ailleurs, d’une manière ou d’une autre. Cependant certains mouvements ne doivent rien aux conflits. Les phénomènes naturels ont provoqué des mutations brutales ou lentes, souvent radicales. Le sable, à répétition, a été à l’origine de ruptures que l’archéologie constate. Avant d’être aujourd’hui l’objet d’un commerce lucratif, le sable fut un fléau. Venu de la mer, poussé par le vent, il a ourlé le littoral, laissant une couverture instable sur la côte palestinienne depuis Rafah au sud jusqu’au Carmel au nord. Le phénomène géologique ne serait pas plus ancien que le sixième millénaire. D’une part des dunes fossiles à l’est de Gaza qui culminent à 70 m d’altitude ont détourné les cours d’eau vers le nord. Seul le wadi Ghazzeh, qui coupe le territoire en deux parties nord et sud, a franchi la barre. D’autre part le sable est encore actif de nos jours1. Progressif et discontinu, il a couvert les terres cultivables sur une largeur de un à trois kilomètres. En plusieurs endroits la dune atteint quinze mètres d’épaisseur.
1.
Si le sable fut une nuisance, il eut au moins le mérite de nous avoir préservé d’importants gisements pendant des siècles. En revanche, l’initiative de l’homme a précipité l’arrachement du front de mer de Blakhiya-Anthédon. La construction, plus au sud, d’une digue portuaire de 500 m perpendiculaire au rivage a retenu le courant de sable que la mer transportait vers le nord. Le sable s’accumule contre la digue et le courant a arraché toute la plage en aval sur plusieurs kilomètres. La façade du site de Blakhiyeh recule de trois mètres chaque hiver.
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Tell el-ʿAjjul est le grand site du Bronze en retrait de la mer à huit kilomètres au sud de Gaza qui maintenant en constitue une banlieue. En contrebas de son versant nord, lors d’un dégagement mécanique pour recouvrer les terres cultivables, les engins de chantier ont arasé un grand ensemble de terre crue, probablement à vocation militaire, avec un dépôt de clous de fondation au cartouche de men kheper ra, Thoutmôsis III (figure 2)2. Nous n’avons récupéré que des fragments de clous brisés. L’établissement avait été abandonné. Jusqu’en 1998, rien ne laissait soupçonner l’existence du tell Sakan, qui jouxte le tell el-ʿAjjul plus proche du wadi Ghazzeh3. Sous une grosse dune circulaire gisait une ville intacte du Bronze ancien fondée vers 3500 sous impulsion égyptienne. L’occupation, qui s’était maintenue pendant 1 500 ans, a été interrompue avant 2000 sans postérité. Sa position à proximité du tell el-ʿAjjul ne peut être un hasard car ce dernier a commencé à être occupé quand Sakan avait cessé de l’être. Ceux qui ont fondé le tell elʿAjjul se seront déplacés. Moins d’un kilomètre sépare les deux sites et rend vraisemblable l’idée d’une continuité : lorsque Sakan a été au bord d’être enseveli, la population aura migré vers les terres que le sable avait épargnées. Le sable a modelé le site de Blakhiya-Anthédon par étapes. Nous avons vérifié d’autres phénomènes d’enlisement dans notre fouille en bord de mer, au cœur de la Gaza moderne. Sur une longue dune, quelques tessons du vie siècle apr. J.-C. avaient été ramassés autour de fonderies de fer artisanales. Une vieille carte anglaise avait nommé le Figure 2 - Un exemple lieu Tida. Le toponyme avait traversé les siècles et maintenu le souvenir des clous au cartouche de l’Anthédon de Palestine, car rien ne laissait deviner la ruine enfouie, de Thoutmôsis III sauf de la poterie et des amorces de murs arrachés par les vagues4. Une (Tell el-ʿAjjul). telle plage archéologique n’avait pas beaucoup, à tort, retenu l’intérêt ; les explorateurs se sont attachés plutôt à Maïuma dont les vestiges étaient peut-être moins dissimulés. Les remparts de Blakhiya de l’âge du Fer récemment mis au jour, conservés sur huit mètres en élévation, avaient été désaffectés dans le viie siècle av. J.-C. (infra, figures 5 et 6) et scellés par une épaisse avancée de sable blanc. Au vie siècle av. J.-C., le comptoir grec, qui avait planté la tente à son sommet, ignorait la forteresse de terre crue qu’il avait sous les pieds. La lacune avait été complète. Enfin, nous avons dégagé un quartier de la ville romaine : les monnaies recueillies de Dioclétien placent son abandon dans le ive siècle. Une rue avait été barrée par un amoncellement hétéroclite de dizaines
2.
Nous remercions Mohammad Moain Sadeq de nous avoir conduit sur le site en 1997. Le service des antiquités, prévenu trop tard, n’a pu intervenir.
3.
Notre Mission française de coopération archéologique en a fait la découverte de façon fortuite en 1998. De très importants travaux de terrassement avaient attiré notre attention. La fondation de hautes tours d’habitation avait traversé 10 m d’épaisseur de couches homogènes du Bronze ancien. Nous sommes intervenu avec insistance pour la sauvegarde du site. L’excavation aux fins du lotissement a été interrompue ; une grande campagne de fouilles de sauvetage a été menée en 2000 : P. de MirosCheDji & M. saDeK, « Tell es-Sakan : un site du Bronze ancien découvert dans la région de Gaza », Comptes rendus de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 2000 (1), p. 123-144. Depuis, le tell a été ravagé à répétition.
4.
Déjà signalé par F.-M. aBel, Géographie de la Palestine, Paris, 1938, vol. 2, p. 245.
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Figure 3 - Un amoncellement de jarres pour lutter contre l’ensablement (Blakhiya), iiie siècle apr. J.-C.
de jarres, d’amphores, de pièces de bois, de grands os de poisson (figure 3). Il faut y voir l’entreprise désespérée d’empêcher l’ensablement de la rue. L’ultime recours fut vain car le barrage avec les maisons ont été noyés sous plus de sept mètres de sable. L’installation byzantine s’était alors déplacée vers le nord où une grande église a été repérée.
Données historiques Tournons-nous vers d’autres mouvements dans une géographie et une histoire rapprochées5. La formule Gaza deserta contient l’idée de partage ou de partition, ou une éventuelle stigmatisation. Il s’agirait d’une séparation dont les raisons doivent être imputées à une mutation sociale et économique. La fortune traditionnelle de la région, jusque-là fondée sur des ressources agricoles et artisanales, s’exerçait dans un marché localement plus ou moins étendu. Le potentiel agricole, huile, fruits et légumes secs, vin, était en partie exporté, bien que les pays éventuellement clients, Syrie, Chypre, n’en manquassent pas. L’Égypte importait l’huile. Pourtant la fortune de Gaza ne vint pas des jardins. La mer est voisine et le cabotage depuis l’Égypte est ancien. Il est possible que l’accès aux eaux pérennes, à l’estuaire du wadi Ghazzeh, ait été pour Tell el-ʿAjjul un débarcadère fréquenté : face à face, les deux sites dominent de chaque côté
5.
La situation politique dans la région a interrompu les travaux et la recherche à Gaza. Le présent article peut être considéré comme la suite de J.-B. huMBert, « Description of the ramparts of Old Gaza, Maïuma and Anthedon : defence, prestige and law », dans The city in the Arab world, in light of archaeological discoveries : evolution and development [proceedings of the symposium The city in the Arab world : beginnings and development, 5-7 December 2005, Al-Jouf, Kingdom of Saudi Arabia], eds. A. R. al-ansary et al., Riyadh, 2008, p. 57-76.
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de la rivière ; le tell es-Sanam, caché dans l’embouchure, fut le débarcadère du tell el-ʿAjjul et représente la première indication de liens externes, comme la halte et un ravitaillement. En dépit des hauts-fonds du littoral peu favorables à une activité portuaire d’envergure, ce point de la côte, au débouché naturel des Édomites puis plus tard des Nabatéens, imposait l’ouverture maritime. Jusque dans le premier âge du Fer, les hégémonies helléniques qui tenaient les routes nautiques ne s’implantaient pas. Des clientèles s’étaient formées aux débarcadères et les principales destinations restaient Gaza avec les échelles de Syrie et du Sinaï nord. La côte du Levant sud n’offrait guère d’avantages parce que l’arrière-pays, trop pauvre, n’avait pas grand-chose à offrir. En revanche au premier millénaire, la plage de Gaza a accueilli le cuivre de Chypre pour le distribuer dans l’arrière-pays, comme les autres ports de la côte syrienne6, mais déjà contre l’encens, les baumes, les épices et les colorants. En l’an mil, pour les marins philistins, d’où qu’ils soient venus et indépendamment de la saga des Peuples de la mer, l’attrait vers ce point précis du littoral a des chances d’avoir eu des causes mercantiles. La séquence chronologique des transactions peut être tracée en suivant l’insertion des modèles helléniques dans le corpus de la poterie palestinienne. Jusque dans la fin de l’époque du Fer, l’économie traditionnelle était restée en équilibre. Dans une progression aux étapes insaisissables, le commerce régional a été coiffé par le développement de relations internationales et à Gaza des routes majeures se sont croisées. Les échanges à longue distance sont aussi anciens que le début de l’âge du Bronze, et nous sommes autorisé à les nommer internationaux. Nous voulons insister non sur les distances routières mais sur le soudain développement des échanges qui a correspondu à l’emprise croissante du monde hellénique sur l’Orient. Les fondements de l’ancienne vie économique ont été absorbés par d’autres mécanismes commerciaux d’envergure méditerranéenne. Désormais se sont équilibrés les deux systèmes de subsistance et de commerce. Un potentiel nouveau parut sur la côte. Quand, dans un premier temps, la Vieille Gaza conservait une autorité de tutelle par la force de la tradition, la côte a maîtrisé la banque. Une économie différente progressait et une autre société se formait sur le rivage, là où les forces s’étaient conjuguées pour constituer les villes nouvelles de Maïuma et d’Anthédon. Il n’est pas interdit de schématiser : le gouvernement dans la vieille ville et l’industrie sur la côte. Des tensions probables auront poussé au moins une fraction du pouvoir à s’évader de la Vieille Gaza. Dans la formule deserta il faudrait alors entendre délaissée. Un jour, Anthédon et plus tard Maïuma, indépendantes, auront assumé le destin d’une Gaza désertée. Mais que signifie deserta ? Le paradoxe n’a pas échappé aux commentateurs avisés dès l’Antiquité7, que l’occupation n’a jamais été interrompue dans la vieille ville. Quelques-uns ont soutenu que la dispersion des réponses masquait l’absence d’événement et qu’il s’agissait d’un faux débat, personne n’ayant migré ni dans le temps ni dans l’espace. Notre enquête préfère l’hypothèse d’une occupation ininterrompue mais dans une Vieille Gaza dont le dynamisme économique et peut-être certaines institutions civiques s’étaient progressivement déplacés à Anthédon. Nous aimerions proposer que la Vieille Gaza n’aurait été dépossédée que de ses prérogatives et de son autorité de ville-origine.
6.
Les pêcheurs de Gaza ont localisé tout récemment une épave chargée de grands lingots de cuivre en forme de X, de 17,5 kg chacun. Gaza au Bronze ancien a offert le cuivre de Feinan. Lorsque la distribution du cuivre cypriote s’est imposée, le flux des échanges s’est inversé. Le point pour des exportations dans les deux sens était alors établi et Gaza tint le monopole de la clientèle sud-arabe.
7.
Diodore XVII, 49 et Arrien, Anabase II, 23.
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Données arChéologiques Aujourd’hui le dossier n’est pourtant pas neuf. Il a été ouvert par les Allemands en pionniers. Dès 1852, K. B. Stark8, avec carte hors-texte, fixe à tort Anthédon au sud de Gaza dans les terres et Maïuma en bord de mer mais au nord de la ville. G. Gatt9 s’est intéressé de près à la région dès 1880 lors d’une exploration minutieuse10. Il a signé, en historien critique de l’histoire, un article novateur en français11. Phythian-Adams a traité avec pertinence, en cinq pages, de la désertion de Gaza 12. Sa conclusion se fonde sur une hellénisation radicale après le sac d’Alexandre : la vieille Gaza détruite, le vainqueur aurait favorisé la côte ; Anthédon, grecque évidemment, aurait été la nouvelle Gaza et sur ce point il eut raison. Carol Glucker13 en 1987 a encore traité de la question en citant toutes les sources dans le texte. L’auteur hésite, n’opte pour aucune solution. Les sources dont nous sommes tributaires sont les historiens des premier et second siècles du tournant de l’ère, puis les commentaires modernes qui en ont été faits. L’idée d’un second lieu traîne encore aujourd’hui comme une déportation après désaffectation du lieu. Gaza se serait dédoublée et le partage aurait été le motif d’un transfert aux choix aléatoires. Ont été retenus le délaissement d’une ville et son déplacement dont il faut chercher l’origine dans un surgeon tardif du thème de l’abandon. Les explications topographiques ont été dénoncées par des explorations. Des causes ont été cherchées dans les guerres. Pourtant la plus simple solution devrait être qu’après la destruction dans un conflit, les habitants aient fui pour revenir assez vite dans leur ville qui avait été désertée. Nous verrions mal qu’un événement peu saillant au regard de l’histoire ait autant marqué le statut d’une ville pendant des siècles. La réponse est ailleurs. La rupture dans l’occupation, que l’on tient pour avérée, aurait-elle été une refonte radicale de l’urbanisme, hellénistique ou romaine, avec la promotion du concept de Nea Gaza, nouvelle ville sur les ruines de l’ancienne ? L’épithète deserta a affecté Gaza dès l’Antiquité. Si le sens du mot était évident pour ceux qui l’avaient surnommée, les historiens ont posé, très tôt, la question de ce que le mot contient : une ville vidée de ses habitants et le corollaire d’un autre lieu. Les formules de Palaigaza et Nea Gaza sont attestées. G. Gatt au xixe siècle avait cru résoudre le problème en donnant à deserta le sens de « dans les terres » par opposition aux quartiers maritimes14 ; mais la forme sémantique de ἔρημος, au mieux avec le sens de « isolé », est inadaptée au contexte d’une ville où l’histoire en dénonce l’hypothèse. E. Robinson en 1841, se fondant sur l’erreur d’un copiste dans Actes 8,26 : « À midi, va sur la route de Gaza qui est déserte », comprenait que le vocable deserta avait d’abord concerné la route pour s’appliquer ensuite à la ville15. Tous les cas ont été envisagés et le débat, qui fut littéraire, est entré dans l’archéologie à l’aube du xxe siècle.
8.
K. B. starK, Gaza und die philistäische Küste, Iena, 1852.
9.
De nationalité allemande et curé de la paroisse latine de Gaza, mort à Jérusalem en 1924.
10 G. gatt, « Bemerkungen über Gaza und seine Umgebung », Zeitschrift des Deutschen Palästina-Vereins 7, 1884, p. 1-14 ; iD., « Legende zum Plane von Gaza », Zeitschrift des Deutschen Palästina-Vereins 11, 1888, p. 149-159 (la ville moderne avec carte). 11. G. gatt, article « Gaza », dans Dictionnaire de la Bible. 3, Paris, 1903, col. 118-124. 12. W. J. phythian-aDaMs, « Second report on soundings at Gaza », Palestine exploration fund quarterly statement 55, 1923, p. 18-30. 13. C. A. M. gluCKer, The city of Gaza in the Roman and Byzantine periods (British archaeological reports. International series 325), Oxford, 1987, p. 13-18. 14. G. gatt, « Gaza » (supra, n. 11), col. 122, § 3, donne à deserta le sens de l’arabe barri. 15. Biblical researches, Boston, 1841, p. 380 (cité par C. gluCKer, The city of Gaza [supra, n. 13], p. 16).
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De nouvelles fouilles ont été menées et l’archéologie a de nouveau son mot à dire. Un déplacement a été envisagé à différentes périodes. Celui du tell el-ʿAjjul, détruit par les Philistins, ce qu’il faudrait encore vérifier, a été envisagé vers la Gaza (Nea) actuelle (F. M. Abel16) ; nous la savons pourtant déjà occupée à l’époque, et puisque ancienne elle n’était pas Nea. Ou, quand en 332 Gaza fut prise par Alexandre le Grand qui aurait massacré les habitants puis ordonné sa repopulation17 ; il n’y est pas question d’abandon. Quinte Curce18, s’il est crédible, rapporte qu’Alexandre y aurait établi une garnison grecque (avec cohabitation ?). Ou simple désertion-retour après la bataille de Gaza (312), où Ptolémée Ier battit Démétrius. Mais si la confrontation eut lieu dans la campagne entre Gaza et Tell el-ʿAjjul, le Séleucide détruisit aussi les défenses de la côte. Antiochos III fit le siège de Gaza qui tomba en 198, mais les jougs syrien ou égyptien n’avaient pas affaibli le commerce gaziote et nous ne verrons pas ce temps-là en déclin. Suite au siège d’Alexandre Jannée en 100/98, la ville a encore été dévastée, les habitants auraient été massacrés et la séquence de la désertion-retour reste probable. Après une vacance, le rétablissement par Gabinius justifierait l’ajout de Nea au sens de « reconstruite ». Le déplacement peut encore être envisagé dans l’espace. Les faubourgs déployés au pied du tell auraient été considérés comme une « ville neuve » (Jérôme) ; ou le repli-retour au tell el-ʿAjjul où de minces traces de la fin du premier millénaire nous fourniraient un argument ; ou bien en 61 Gabinius19, trouvant la ville ouverte, l’aurait rétablie sur la côte en quartiers maritimes (Abel20). En attendant la pacification romaine, la Gaza reconstruite serait restée l’ombre d’elle-même pendant quarante ans ; dans ce cas l’idée d’abandon prend sens. La même année, l’adoption de l’ère de Pompée peut être entendue telle la marque de la nouvelle administration, ou plus amplement comme une refondation. Eusèbe et Jérôme ont consigné une réinstallation au sud ; de l’ancienne, Jérôme affirme que la destruction fut telle que l’on peine à en reconnaître les fondements21 ; on lui aura montré le tell el-ʿAjjul, désaffecté à son époque. Gaza est sans faute distinguée d’Anthédon dans les listes des villes de la côte : « […] Raphia, Gaza, Anthédon à l’intérieur […], Azotus […] »22 ; « […] Gaza et Anthédon dans les terres […] » ; les listes de Ptolémée suivant depuis le nord la côte au plus près, mentionnent Anthédon et le Port des Gaziotes sans citer Gaza23. Un itinéraire romain du iiie siècle apr. J.-C. insère Gaza entre Ascalon et Raphia mais le Port et Anthédon ont disparu24.
16. F.-M. aBel place au T. el-ʿAjjul « l’ancienne Gaza », Géographie de la Palestine (supra, n. 4), vol. 2, p. 375. 17. Arrien, Anabase II, 26, 1. 18. Quinte Curce II, 28. 19. W. J. phythian-aDaMs, « The problem of “Deserted” Gaza », Palestine exploration fund quarterly statement 55, 1923, p. 30-36. 20. f. M. aBel, Géographie de la Palestine (supra, n. 4), vol. 2, p. 403 ; et G. A. sMith, The historical geography of the Holy Land, London, 1931, cité par C. gluCKer, The city of Gaza (supra, n. 13), note 37, p. 32. 21. Jérôme, version latine de l’Onomasticon d’Eusèbe, 303/62:22, dans, Eusebius, Onomasticon : the place names of divine scripture, including the Latin edition of Jerome, transl. into engl. and with topographical commentary by R. S. notley & Z. safrai, Boston – Leiden, Brill, 2005, p. 62-63. 22. Pline l’Ancien, NH V, 68. 23. « Port de Jamnia, Azotos, Port de Gaza, Ascalon, Anthédon » : Ptolémée V, 16, 2 (Claudii Ptolemaei Geographia, ed. C. F. A. noBBe, Lipsiae, 1843-1845 ; « Port de Jamnia, Azotos, Ascalon, Anthedon, Port de Gaza » ou « Anthedon, Port de Gaza, Ascalon, Azotos » V, 15, 2 (rec. C. Müllerus, Parisiis, 1883-1901) ; voir aussi The onomasticon of Iudaea, Palaestina, and Arabia in Greek and Latin sources. 1, Introduction, sources, major texts, by L. Di segni & Y. tsafrir, Jerusalem, 2015, p. 162, 165. 24. Itinéraire d’Antonin Auguste 151 (Itineraria Antonini Augusti et Burdigalense, ed. O. Cuntz, Lipsiae, 1929), dans Onomasticon of Iudaea (supra, n. 21), p. 172.
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Un géographe anonyme suit un itinéraire venu d’Égypte en longeant la côte, croise Rhinocolure, entre dans la Nea Gaza, cite aussitôt l’Eremos Gaza25 avant de nommer Ascalon ; des lecteurs en ont tiré que la Vieille Gaza était reculée dans le nord-ouest de la Bande de Gaza. Il fallait entendre que le géographe ne se trompait pas car il ne faisait pas référence aux points cardinaux : avant de quitter la Nea Gaza, allant vers Ascalon, il a jugé utile de citer l’eremos, à sa droite où il n’allait pas. La fausse erreur dans l’ordre géographique des villes a poussé les commentateurs à proposer Anthédon comme un Port des Gaziotes qui aurait survécu dans la périphérie de la ruine déserte, et les archéologues à chercher des vestiges aux alentours de Jabaliya. Or le géographe anonyme était sur la bonne voie : entrant dans ce qu’il a nommé Nea Gaza, il se trouvait comme nous le verrons, à Anthédon. Malgré l’invraisemblance de la thèse, à l’époque moderne l’errance des localisations est restée de mise. Dans la première partie du xxe siècle, Sir Flinders Petrie, qui a exploré et fouillé le territoire de Gaza avec assiduité, n’a pas raffiné la topographie historique. Il a publié ses travaux à esh-Sheikh Zuweid, plus près d’al-ʿArish, sous le vocable d’Anthedon, sans donner de vraies raisons26 : Petrie aura été conforté par l’imprécision du géographe anonyme et il est vrai que Ptolémée avait placé Anthédon à mi-chemin entre « la frontière de l’Égypte et Rhinocolure »27, soit 50 km plus au sud, malgré Sozomène, Gaziote du ve siècle, qui avait vécu à Anthédon et ne pouvait se tromper en l’écartant de 20 stades de Gaza28. Pour ajuster sa théorie, Petrie a suggéré une corruption de copiste de 200 en 20 stades. L’archéologue anglais a aussi fouillé avec grand succès le tell el-ʿAjjul qu’il a publié en quatre volumes sous le titre de Ancient Gaza, y voyant le lieu d’origine ou du déplacement. Cependant Petrie a malmené la chronologie, car en montrant par ses fouilles que le site n’avait pas été occupé après l’âge du Bronze, l’abandon était anachronique29. Phythian-Adams, du service des antiquités du Mandat anglais, a mené des fouilles conventionnelles en bordure du tell Harubah (Gaza-ville) en octobre 192230. Une de ses préoccupations visait à confronter le sujet de l’abandon aux résultats obtenus dans un sondage trop étroit et mal interprété. Dans les coupes schématiques qu’il a publiées pages 25 et 27, le glacis qu’il a tranché, avec ses brown et later brown walls, ressemble en tout point au rempart type reconnu depuis en Palestine et qu’il faut rattacher au Bronze moyen ; la description qu’il en a faite ne laisse planer aucun doute. Il l’attribue pourtant à la période d’Alexandre le Grand. Ses cinq remparts n’en font que deux : les plus profonds, grey and green walls, forment, associés, la défense du Bronze ancien qu’il rattache aux Philistins. Il a envisagé des niveaux postérieurs au premier millénaire, au témoignage de la poterie, quand rien n’était en place. Le déclin qu’il a placé dans la période hellénistique (« Gaza have been […] almost, if not totally, deserted », p. 23) ne s’inscrivait dans sa stratigraphie. Il a cependant traité avec pertinence, en sept pages, la désertion de Gaza (p. 30-36), et appuyé sa conclusion sur une hellénisation radicale postérieure au sac d’Alexandre. La dispersion des zones habitées est caractéristique de Gaza (figure 4). Trois centres urbains étaient si rapprochés que chacun d’eux n’ignorait pas les autres, et leurs liens étaient contraints : Gaza dans les terres, Maïuma et Anthédon jumelées en bord de mer. Les trois villes formaient une communauté urbaine
25. Cité par K. B. starK, Gaza und die philistäische Küste (supra, n. 8), p. 509 : Geographiae veteris scriptores Graeci minores, ed. J. huDson, Oxoniae, 1712, vol. 4, Ἀποσπασμάτια τινὰ γεωγραφικά… ἀνέκδοτα, p. 39, citant explicitement Nea Gaza. 26. W. M. flinDers petrie, Anthedon, Sinai, London, 1937. 27. Ptolémée IV, 5, 12-13 (ed. [supra, n. 23]). Esh-Sheikh Zuweid est aujourd’hui en Égypte à 15 km au sud de la frontière moderne de Gaza. 28. Sozomène, Hist. eccl. V, 9, 7. 29. W. M. flinDers petrie, Ancient Gaza, Tell el Ajjūl, London, 1931. 30. W. J. phythian-aDaMs, « Second report on soundings at Gaza » (supra, n. 12).
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Figure 4 - Localisation sur photographie aérienne de Gaza-Ville, Anthédon et Maïuma.
cohérente. Plutarque, pour dire de Gaza qu’elle est « la plus grande ville de Syrie »31, a dû considérer avec raison les trois centres comme un tout, puisque entre les dunes des îlots d’habitations et des jardins étaient dispersés. L’histoire des trois villes fut partagée avec des alternances de pouvoir et de dépendance, de dynamisme et de stagnation, avec des mouvements que les historiens ont plus ou moins compris et consignés ; ce que nous cherchons à démêler. Au cours de leur affermissement par étapes de leurs empires, les Néo-assyriens puis les Perses ont guerroyé jusqu’au sud pour conserver le bord de mer. Dans notre région, la période du Fer fut rythmée par des conflits locaux larvés, des alliances fragiles, des luttes d’influence, des querelles intestines. Gaza fut l’ultime zone tampon à la frontière de l’Égypte et jouait déjà un rôle de plaque tournante commerciale. Dans la seconde moitié du xxe siècle, les fouilles ont montré que la période du Fer y avait été florissante dans les terres et que la côte avait été fortifiée. Les historiens de l’Antiquité qui ont mentionné Gaza n’ont pas précisé s’il s’agit de la Vieille Gaza avec ou sans les places littorales. Nous concevons mal que l’on puisse détruire ou conquérir Gaza et dans le même mouvement ignorer ou épargner les installations de la côte. Les fouilles32 ont mis au jour à Blakhiya une puissante fortification dominant la plage qui ne remonterait guère avant la moitié du viiie siècle (figures 5 et 6). La masse de brique crue est déjà posée sur un lit de
31. Plutarque, Alex. 25, 4. 32. La Mission de coopération franco-palestinienne, créée en 1994 à l’initiative du ministère français des Affaires étrangères, a été confiée à l’École biblique et archéologique française de Jérusalem. Dirigés par J.-B. Humbert (École biblique)
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Figure 5 - Relevé des défenses de terre crue de Blakhiya (Anthédon), viiie siècle av. J.-C.
sable dans lequel ont été recueillies quelques rares poteries dont deux petits flacons lustrés rouges et à paroi épaisse ; leur profil phénicien ne peut remonter trop haut dans le ixe siècle. Ce qui en a été dégagé marque un angle droit. Le rempart en front de mer, épais de plus de 10 m, a été remodelé et les reprises dans les maçonneries témoignent de sa longévité. D’après la date assignée à un lot de jarres prises dans un caisson de la construction, une restauration massive aurait eu lieu dans le viiie siècle finissant. La défense a été détruite ou désaffectée autour de la fin du viie siècle ou au début du vie siècle. Nous n’en dirons pas
assisté par M. M. Sadeq (Antiquités de l’Autorité nationale palestinienne), deux plans quinquennaux se sont déroulés de 1995 à 2000 puis 2002 à 2007, interrompus en 2005 ; une campagne de sauvetage a eu lieu en 2012.
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Figure 6 - Les remparts de Blakhiya (Anthédon), viiie siècle av. J.-C.
Figure 7 - La façade sud de la forteresse de Blakhiya. Photographie de 1922 dans W. J. phythian-aDaMs, « Second report on soundings at Gaza » (supra, n. 12), p. 18 (Courtesy of Palestine Exploration Fund).
plus quant à la chronologie car, si nous avons le rempart, nous n’avons pas le lotissement qu’il a contenu : l’espace archéologique, contraint par l’implantation du Beach Camp, n’a été reconnu que jusqu’à sa limite disponible ; le camp l’oblitère au contact du parement interne de la courtine. La topographie, qui domine le secteur, mal maquillée par le camp, laisse deviner une installation étendue en front de mer sur 150 m. Une photographie publiée par Phythian-Adams (figure 7) donne une idée de son extension vers l’est. Nous restituons avec prudence une enceinte carrée.
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Les Assyriens contenaient les coalitions de l’Ouest et l’Égypte. On conjecture l’effort de TiglathPhalasar III pour contrôler le littoral dès 733, et garder l’accès à la mer. Ses successeurs consolidèrent. Sargon II en 716 avait atteint al-ʿArish qu’il fortifia, réduisit la Cilicie en 715 et soumit Chypre en 709 : le bassin oriental de la Méditerranée était tombé sous son joug. Sennacherib en 701, matant encore une révolte de la Philistie, reconquit Gaza et son roi Ṣilbel, d’abord déporté puis rétabli, ayant fait allégeance, reçut en récompense quelques territoires de Juda. Les conditions du grand commerce furent alors plus favorables et les débarcadères ont dû en profiter. La situation du royaume de Gaza était en train de changer. La défense de la côte était consolidée et nous pouvons croire que la fortification de Blakhiya s’était inscrite dans un programme. D’autres places fortes jalonnaient la côte. À Dayr al-Balah et à 16 km au sud de l’antique Gaza, le tell Ruqeish, qui contient l’ancien bastion de ʿAqluq, est une formidable enceinte retranchée de 650 m de longueur sur une largeur de 150 m. Sa position sur le rivage lui confère la vocation du redéploiement du commerce avec l’Égypte et de la surveillance de la mer. Ruqeish a été raisonnablement proposé comme le « Karum scellé des Égyptiens » gravé sur le prisme de Nimrud (Sargon II), dont la fonction était de sécuriser le transit avec Chypre et l’Égypte33. Le Karum peut être aussi bien à Blakhiya, à moins que l’on ne le considère comme la chaîne des places fortes de ce littoral. Les conditions étaient réunies pour nouer des relations internationales et étendre la navigation commerciale. Le littoral de Gaza était déjà habité, actif, défendu, doté d’installations à caractère stratégique. La principauté philistine, à l’époque du Fer, était régie par une autorité centralisée, et nous devons supposer que la maîtrise de la côte était restée sous la coupe du pouvoir fort de la Vieille Gaza. C’est à partir de ce moment-là qu’un clivage économique et social dut apparaître et que s’amorça le phénomène de tension entre l’inertie de la tradition « dans les terres » et le monde nouveau venu de la mer. Le principe de séparation était en place.
palaigaza (gaza)-tell haruBah À trois kilomètres dans les terres, la moderne Gaza scelle le tell Harubah (Kharubah)34, site archéologique de tout premier plan. La pente dessine son contour arrondi saillant de vingt mètres sur la plaine alentour. Ses dimensions exceptionnelles, avec un diamètre de presque 800 m, en font un des sites les plus étendus de la Palestine historique. On supposera que l’implantation d’un relief, aussi accusé que régulier, reproduit la ligne de fortifications du Bronze moyen repérée dans les tranchées du lotissement moderne. Paradoxalement il n’a fait l’objet, en 1922, que de deux brèves campagnes de fouilles anglaises que nous avons commentées supra. Aujourd’hui encore nous ignorons l’époque de sa fondation : Phythian-Adams a au moins attesté la fin du Bronze par la poterie cypriote. La masse de terre crue qui en forme l’assiette remonterait au Bronze moyen ; sa grande extension viendrait du Bronze ancien. De la Gaza philistine et classique, nous
33. E. oren, « Ruqeish », dans New encyclopedia of archaeological excavations in the Holy Land. 4, Petra-Ziqim, Jerusalem, 1993, p. 1293-1294. 34. Par assimilation de transcription de Kh en H, souvent sous la forme Harubah dans la littérature occidentale. Selon M. M. Sadeq, la véritable désignation du lieu est Tell Kharrubi, d’après un sheikh vénéré inhumé dans la ville : M. saDeq, « An overview of Iron Age Gaza in light of the archaeological evidence », dans Material culture matters : essays on the archaeology of the Southern Levant in honor of Seymour Gitin, ed. by J. R. spenCer, R. A. Mullins, A. A. BroDy, Winona Lake, 2014, p. 239-253. Le potentiel archéologique de Gaza-vieille ville, site majeur, est tel que des mesures d’investigation et de protection impératives dès le Mandat anglais de la Palestine auraient dû être prises. Le site est livré aux promoteurs et les dommages sont considérables. Il n’est pas accessible aux archéologues.
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ne savons rien. La période romaine tardive fut glorieuse. La Gaza médiévale et ottomane occupe le plateau en son entier, construite avec les matériaux de la démolition de la ville précédente que l’on voit partout remployés : ils démontrent la vitalité de la ville byzantine. Le réseau viaire moderne n’a pas effacé le plan orthogonal de la ville classique. Les fouilles anglaises ont recueilli une poterie du Fer, quelques fragments hellénistiques puis une grande quantité de tessons « romains », et de conclure que le site aurait subi un déclin aux ve siècle et ive siècle. Mais si Alexandre a mis et tenu un siège à grands frais, il faut entendre que la ville était forte ; et qu’il a estimé juste de la rétablir. Gabinius l’a refondée, Hérode l’a occupée même si sa faveur alla à Anthédon. Tout concourt à manifester une évolution continue.
anthéDon-agrippias La place assyrienne de Blakhiya, posée sur la falaise qui surplombe la plage, n’eut pas seulement le rôle de se dresser contre l’Égypte. Dans un siècle que nous échouons à fixer, les affaires maritimes s’étant affermies, Gaza a été attirée, peut-être malgré elle, vers le rivage. Un dynamisme économique naquit sur le littoral, hors les murs de la vieille Gaza ; longtemps sous sa mainmise, le pôle maritime aura progressivement gagné en puissance et en indépendance. C’est à ce moment-là que la Vieille Gaza aurait opéré son dédoublement. Ce qui sera devenu Anthédon était fondé. L’établissement put exercer à ses débuts un contrôle douanier du troc et nous savons qu’il l’a tenu ce rôle plus tard. Les transactions marchandes et des valeurs d’échange, sur place, faisaient l’objet de tri, d’évaluation et de distribution. Il est possible que le commerce ait élu l’endroit pour profiter de la protection de la place forte ou au contraire que cette dernière l’ait imposé. Les emporia arabes sont plus anciens qu’Hérodote, le premier à les signaler 35. L’Assyrie, toujours là, profitant du butin de Gaza avait trouvé l’occasion propice de capturer les richesses sud-arabes. Que l’endroit de la côte soit le débouché géographique naturel de l’Arabie sur la Méditerranée a suscité des routes terrestres et maritimes qui se sont croisées à Gaza. Il a été l’aboutissement de ce que l’on nomme la route de l’encens, mais la formule est moderne. Le commerce de la résine ne s’est vraiment déployé que sous impulsion romaine et il y avait d’autres marchandises à troquer : épices, colorants de l’Inde, parfums, etc. L’encens, que l’on retrace mieux, a été repéré dès la fin du second millénaire et la demande n’aura cessé de croître. Il est possible que dès la période du Fer, disons le viiie siècle, Gaza en eut le monopole. La période perse commence à être documentée, mais la période hellénistique fournit des arguments littéraires et archéologiques plus nombreux. Phythian-Adams avait cru voir dans la stratigraphie de Gaza un déclin de l’occupation pendant les périodes perse et hellénistique ancienne, déclin qui aurait affecté aussi la côte. A. Ovadiah qui a récemment fouillé sur le littoral propose même : « In the Roman era, the Hellenistic city on the coast apparently disappeared. »36 Depuis 1995, vingt ans de travaux ont montré le contraire. La place forte de l’époque du Fer occupe la partie élevée du relief (Chantier A) ; le plateau plus ou moins horizontal, qui la prolonge au nord, constitue la ville basse fondée au vie siècle (figure 8). La séquence chronologique qui manque dans la Vieille Gaza est compensée par d’autres récemment obtenues à Blakhiya ; or il n’y a aucune raison de douter de l’habitation constante dans les deux endroits selon une fluctuation démographique en parallèle dans chaque site. Trois kilomètres les séparent, ils ne s’ignoraient
35. Hérodote III, 5 (où Gaza est appelée Cadytis). 36. A. ovaDiah, « Gaza », dans New encyclopedia of archaeological excavations in the Holy Land. 2, Emmaus-Jerusalem, Jerusalem, 1993, p. 464-467, ici p. 465.
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Figure 8 - Plan schématique de la ville basse de Blakhiya (Chantier B), relevé J.-B. Humbert, École biblique et archéologique française de Jérusalem.
pas, ils s’entretenaient réciproquement. Nous savons que Blakhiya est l’antique Anthédon de Palestine puisque, en dépit des hésitations des historiens, la topographie et la toponymie s’accordent. Avec le nom, la fondation d’un havre hellénique découle d’une logique interne. Nous supposons que le vocable avait eu des raisons de s’implanter car l’endroit fut grec avant d’être nommé, et nommé avant d’être consigné. Cependant la première mention est aussi tardive que Pline dans une liste des villes de la côte, et ce n’est pas avant l’an 100 que Josèphe mentionne qu’en 144 Jonathan a incendié les faubourgs de la Vieille Gaza37, et nous avons des raisons de croire qu’il s’agit d’Anthédon. Les deux auteurs écrivent après 50. D’où lui vient son nom et à quelle époque s’est-il imposé ? Il n’est pas démontré que l’Anthédon de Palestine soit filiale de celle de Béotie ni que le comptoir au vie siècle ait été ouvert par des Grecs ; l’intervention grecque est possible mais alors en relais, dans un second temps. La référence est grecque dans la mesure où le nom est grec, qui cependant peut cacher un fondateur éponyme, éventuellement béotien, et grec par un recours à la mythologie. Glaukos, fils de l’Anthédon de Béotie, est une divinité de la mer. Mais c’est encore la Béotie, et nous savons que notre rivage n’a pas récusé la Grèce, où les nombreux tessons à vernis noir et ioniens, recueillis à Blakhiya sur la dune à partir de 520, attestent une culture au moins teintée d’hellénisme. Les maisons de terre crue sont de construction soignée et prouvent un habitat envisagé à long terme, sans désigner un ethnos précis. Les quelques coupes à figures noires béotiennes ne sont pas un argument décisif en faveur d’un lien direct avec la Grèce continentale. Dès le vie siècle, les rivages du bassin méridional de la Méditerranée avaient été contrôlés par les Phéniciens ou visités par des Cypriotes et des Lyciens, intermédiaires convenables dans la diffusion des productions grecques et ioniennes. La Philistie de l’époque perse-hellénistique était demeurée sémitique comme le montrent les glyphes en un phénicien peut-être local, ou parfois en grec mais dans une onomastique sémitique, gravés sous les coupes à vernis acquises par les notables. L’appellation grecque de l’endroit serait-elle
37. Ant. XIII, 150-153.
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aussi ancienne que les premières relations à longues distances, manifestation d’un lien grec renoué avec les emporia arabes dont Hérodote a fait mention ? Dans l’incapacité de préciser le moment où le nom a été attaché au lieu, nous n’écartons pas l’éventualité d’un temps où le commerce arabe a connu son climax dans le dernier tiers du millénaire, et plutôt vers sa fin. L’envergure du marché de Gaza était auparavant restée solide dans les transactions jusqu’à la fondation d’Alexandrie vers 300. Le développement considérable des deux ports de la capitale des Lagides, maritime et fluvial par le Nil, avait placé Gaza sous tutelle sans pourtant l’affaiblir, au contraire. Gaza lâchant son monopole avait profité d’un rôle de succursale plus lucratif. En 2005 notre mission archéologique a désensablé un quartier aristocratique, en retrait de la plage, à dater autour de 200. Les travaux, interrompus depuis, avaient exposé une Anthédon épanouie, avec des maisons aux murs peints de couleurs vives dans le premier style pompéien. Témoins d’une évidente prospérité, elles confirment l’adoption sans gêne de la culture hellénistique et indiquent l’axe des échanges. L’édification des maisons se place au moment où la Philistie était tombée sous le joug séleucide. Nous ignorons si le lien avec l’Alexandrie lagide a pâti de ce renversement. Il est possible qu’avec les Séleucides le commerce avec l’Égypte ait sombré38. Il est remarquable que les auteurs antiques n’ont guère honoré le rôle portuaire d’Anthédon. Hérode l’avait refondée en lui accordant des avantages. Elle avait obtenu des empereurs de battre monnaie. L’ensemble suggère une prospérité que l’archéologie confirme et nous ne verrions pas d’où lui serait venue la richesse, sinon du commerce de la mer. Sa fortune, qui est un fait, a pu reposer sur la capitalisation des transactions de l’ensemble du territoire en lui permettant de supplanter la Vieille Gaza.
MaïuMa Maïuma est le troisième centre urbain et sa réputation a occulté, en grande partie, celle d’Anthédon. Nous avons appris des auteurs antiques, qui ont rédigé surtout à partir du premier siècle de notre ère, qu’à cette époque Maïuma avait pignon sur mer. Les auteurs l’appellent le « Port des Gaziotes » comme il apparaît la première fois dans les papyri de Zénon au iiie siècle, puis sur les listes de Ptolémée et Strabon39. Son activité portuaire seule a été répétée40 au détriment d’Anthédon qui n’aurait pas été un port, ce que l’archéologie dément. À plus forte raison quand les deux villes ont été si proches l’une de l’autre, ce qui ne laisse pas d’étonner. Il convient de suspecter le sens de l’expression « Port des Gaziotes ». Les deux villes n’étaient pas contiguës. Un espace libre les séparait. Le camp de réfugiés, densément construit, comblant aujourd’hui l’intervalle, nous n’étions pas libres d’y mener une exploration ; cependant, il semble que l’entre-deux n’ait jamais été loti. La limite sud d’Anthédon est assez fixée par la bordure du tell du Fer ; celle de Maïuma n’est pas connue. Son emplacement à peu près restitué étant entièrement loti, nous ne savons presque rien de Maïuma jamais inventoriée dans ses murs et le site est perdu pour la recherche. A. Ovadiah qui a fouillé dans la périphérie n’a touché que des installations byzantines ; de la ville romaine rien n’est apparu à part quelques remarques d’archéologues et un schéma du site. Il nous reste les sources historiques. Ovadiah a reconnu, à droite de l’entrée du port moderne, un rempart dans
38. U. rappaport, « Gaza and Ascalon in the Persian and Hellenistic periods », Israel exploration journal 20, 1970, p. 7580, ici p. 78. 39. Ptolémée V, 16, 2 (ed. noBBe [supra, n. 23]) ; Strabon xvi, 2, 30. 40. X. DuranD, Des Grecs en Palestine au iiie s. av. J.-C. : le dossier syrien des archives de Zénon de Caunos (261-252), Paris, 1997, p. 97-98, 225 et suiv.
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un pan de muraille, « à 650 m au nord de la synagogue »41. Il faudrait encore prouver qu’il s’agit d’une défense. Si Maïuma eut son enceinte, Ovadiah ne se décide pas pour assigner la belle maçonnerie à sa limite nord ou sud ; et il penche pour une position méridionale pour garder hors les murs la synagogue qu’il a explorée. La base d’une autre tour en bord de mer, vue en 1999 et désormais détruite, aux abords de l’ancienne quarantaine ottomane, indique l’extension du site à 600 m plus au nord. En 1911, Duncan Mackenzie avait heureusement exploré le secteur, dès 1911, avec beaucoup de diligence. Le croquis42 de Newton qu’il en a publié est tout ce qui nous reste pour placer Maïuma sur une carte (figure 9) ; le cordon qui partage son schéma marquerait la ligne du mur de la ville. Les prudentes limites que l’auteur propose sont convaincantes et la façade maritime avoisinerait 600 m en longueur avec une profondeur de 250 m, ce qui confère à la ville une ampleur considérable. Dans ce cas, moins de quinze cents mètres séparant les deux villes, la distance suffit pour ne pas les confondre.
ConClusion Leur raison d’être de ces deux villes et l’évolution de leur économie, qui ont engagé deux histoires parallèles, expliqueraient-elles leur statut autonome, puisque nous savons les distinguer ? Hérode le Grand a refondé Anthédon en Agrippias et Maïuma ne paraît pas dans cet honneur. Entendons qu’Anthédon aurait été préférée pour des raisons qui nous échappent, à moins que Maïuma ait été considérée comme son faubourg, ce que la suite de l’histoire contredit. Rappelons que, plus tard avec Gaza, les deux villes ont été le siège de trois évêchés distincts. Nous pressentons quelques traces d’antagonisme sensibles au ive siècle. Maïuma s’était convertie au christianisme assez vite tandis qu’Anthédon et la Vieille Gaza avaient résisté longtemps. Le vocable Maïuma ne serait pas ancien, n’apparaissant qu’avec Jérôme43 puis dans les listes du concile de Nicée avec l’alternative de Aila que la plupart des commentateurs ont assimilé à Maïuma, ce qui n’est pas sûr.. Faut-il entendre simplement « les quartiers maritimes de Gaza » sans distinguer plus avant, avec une formule plus vague qui dit la même chose ? Un doute surgit quant à l’antiquité du nom Maïuma. L’étymologie sémitique renverrait à des fêtes licencieuses liées à la mer44. Le nom se serait fixé telle une moquerie tardive dans le même réflexe que Gaza reçut le qualificatif deserta. Il est préférable d’approcher le sujet par l’expression plus prudente de « façade maritime ». Si Maïuma eut une vocation commerciale attestée par les sources, il est douteux qu’à l’approche du tournant de l’ère, elle ait été dotée de véritables installations portuaires. La plage de Maïuma n’aurait eu que des embarcadères, avec déjà un nom populaire de quartier, Maïuma. Le littoral de Gaza n’eut jamais de port construit pour la bonne raison que le bord de mer n’est pas apte à l’accostage. Les historiens de l’Antiquité l’avaient déjà signalé et la chose était connue : les bancs rocheux affleurent tout au long du rivage45. Le rivage est régularisé, c’est-à-dire sans profondeur et les vaisseaux même de moyen tonnage ne pouvant aborder, le fret passait par des barges de transbordement
41. Ovadiah a complété la fouille égyptienne en 1967 : A. ovaDiah, notice « Gaza-Maiumas, 1976 », Israel exploration journal 27, 1977, p. 176-178, ici p. 176 ; iD., « Chronique archéologique, Gaza Maiumas », Revue biblique 84, 1977, p. 418-422, ici p. 419. 42. D. MaCKenzie, « The port of Gaza and the excavations in Philistia », Palestine exploration fund quarterly statement 50, 1918, p. 72-87, ici p. 72. 43. Jérôme, Vit. Hil. 3 ; Sozomène, Hist. eccl. V, 3. 44. Dans les sources rabbiniques : Lev. Rab. 5,3, Zénon et alii, entrée « Maiuma », Encyclopedia Judaica. 11, col. 793. 45. Nous les avons vérifiés nous-même en plongeant dans la mer.
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Figure 9 - Relevé schématique (Newton) du « Port de Gaza » dans D. MaCKenzie, « The port of Gaza » (supra, n. 42), p. 72 (Courtesy of Palestine Exploration Fund).
à fond plat46. Il n’y avait ni digue ni quai et aucun port construit. Il faut donc entendre que des pontons devaient s’échelonner tout au long du littoral, en tout cas à Anthédon comme à Maïuma et que, à l’origine, des magasins se dressaient mêlés aux baraques de pêcheurs ; ils faisaient office de postes de manutention et de lieux de transactions. Au iiie siècle, Zénon abordant au Port des Gaziotes aurait débarqué sur un rivage et pourquoi pas celui d’Anthédon ?
46. Jusqu’à l’époque moderne. C. gluCKer rappelle que la première jetée fut construite en 1906 : The city of Gaza (supra, n. 13), p. 31.
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Le « Port des Gaziotes » désignait la série des magasins proches des embarcadères, et non l’une ou l’autre ville nommément. D’autres exemples confirment, par les sources, le lien institutionnel entre la ville et son bord de mer : Jamnia avait son « Port de Jamnia », Ascalon son « Port des Ascalonites », Azotos (Asdud) avait son « Port du peuple d’Azotos » dans les listes de Ptolémée. Les façades maritimes sur la côte n’avaient pas d’autre nom que celui des villes qui, en arrière dans les terres, les tenaient en tutelle. Le port enrichissait la ville qui défendait son port. Le paysage antique que nous avions dessiné s’est modifié, le prestige de Maïuma s’estompe et son ancienneté perd du crédit. On ne peut guère hésiter : Anthédon est le bon candidat pour avoir été le premier « Port de Gaza » : nous avons dit l’ancienneté de l’installation, la présence du comptoir gréco-phénicien, ajoutons la qualité des infrastructures. Le site de Maïuma, dans la mesure où nous devinons encore son emplacement sous les immeubles modernes, ne se distingue pas en élévation et le rivage n’en montre rien. En revanche, Anthédon avait des installations portuaires officielles juste au pied de l’escarpe qui soutient la ville basse. Les fouilles sur la plage de Blakhiya ont mis au jour un vaste magasin de terre crue, perpendiculaire au rivage, à moins de vingt mètres et pratiquement de plain-pied avec le bord de l’eau (figure 10). D’une longueur de 37,50 m avec une largeur de 15,50 m (581 m2) l’emporion a bénéficié de la meilleure qualité de bâti, partagé en six chambres identiques de 12 × 4,60 (mesures intérieures, soit 55 m2). Les murs périphériques, fondés profondément et de 1,70 m d’épaisseur, devaient soutenir un étage. Ces grandes dimensions en font un établissement public. Les sols ayant été ravagés dans les années récentes par un égout à ciel ouvert, la poterie en place a manqué. Quant à la chronologie, nous nous risquons au témoignage de quelques tessons à dater l’érection du magasin dans le ive siècle. Les murs s’enfoncent dans ce qui semble bien un cimetière où un enfant était inhumé dans deux panses d’amphores « à anses de panier » de Chypre de la fin vie ou du ve siècle. Des fragments d’inscriptions sur pierre et en grec, recueillis en contre-haut, esquissent une indication. En dépit des difficultés de lecture, la plus complète proviendrait d’une ordonnance concernant des taxes ou mieux des taux de change, éventuellement réglés sur un statère d’or (figure 11). Deux autres petits fragments nomment un Antiochos, et même s’il ne s’agit pas d’un monarque, le nom désigne plutôt le temps de la tutelle séleucide47. L’emporion de la plage serait antérieur. L’émergence de Maïuma qui se perd dans l’histoire de Gaza ne peut être ni trop ancienne ni trop récente : par une décision de Gabinius qui réorganisait l’économie de la côte ? Concurrence à l’initiative de la Vieille Gaza en riposte à la promotion d’Anthédon par Hérode ? Aurions-nous le soupçon d’une rivalité entre la Vieille Gaza et Anthédon ? Et pourquoi pas une création byzantine ? La Carte de Madaba, dans un arrachement de la mosaïque, présente la vignette d’un édifice à étage associé à l’inscription qui nomme le monastère de Saint-Victor (ΤΟΥ ΑΓΙΟΥ ΒΙΚΤΟΡΟΣ) placé par Pierre l’Ibère entre Gaza et la mer. Une inscription incomplète ]AINEA[..]LIC proche d’une vignette plus grande en partie arrachée, a été interprétée par M. Piccirillo comme la représentation de Maïuma48 (figure 12). La taille de la vignette indique une grande et nouvelle agglomération (NEAPOLIC). Maïuma avait pris le nom de Constantia en l’honneur de Constantin, éventuellement dans le sillage de l’érection du lieu en évêché. Constantia n’apparaît que dans les listes des conciles sous la formule de Saltus Constantinianus49 et les éditeurs de l’Onomasticon50 n’hésitent pas à l’identifier avec Maïuma, dont le toponyme est en effet absent des listes.
47. C. saliou, « Inscriptions de la région de Gaza », Revue biblique 115, 2008, p. 275-286. 48. The Madaba Map centenary 1897-1997, ed. by M. Piccirillo & E. Alliata, Jerusalem, 1999, p. 92. 49. Saltus peut paraître inadéquat dans la mesure où dans l’endroit ne se voit nulle montagne ; le terme peut être entendu comme « pâturages » ou « domaine agricole » ; ce qui est le cas du Salt transjordanien. 50. Onomasticon of Iudaea. 1 (supra, n. 23), Introduction, p. 305, 319, 353.
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S’il faut enfin conclure, la Vieille Gaza ne fut jamais déserte. À preuve, la reconstruction du Marneion par Hadrien au iie siècle. Le temple a été voulu tel un monument de prestige en faveur de la ville, ovale et bordé d’un double portique, dont la réputation avait gagné jusqu’à Athènes. Nous suggérerons que si certaines institutions civiles et commerciales avaient pu migrer vers la côte, Gaza avait conservé la primauté des institutions religieuses. [email protected] École biblique et archéologique française de Jérusalem
Figure 10 - Plan de l’emporion sur la plage d’Anthédon (ive siècle), relevé J.-B. Humbert.
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Figure 11 - Fragments d’inscriptions grecques en provenance de la ville basse d’Anthédon.
Figure 12 - Maïuma sur la Carte de Madaba (d’après The Madaba Map [supra, n. 48], p. 87). Détail.
Charles Davoine
Les empereurs romains et la reconstruction des cités dans la Chronique de Malalas
introDuCtion La Chronique de Jean Malalas, rédigée au cours du vie siècle de notre ère, est une œuvre fondamentale pour l’histoire du fait urbain dans l’Orient romain tardif1. Né avant 491, sous le règne de Zénon, et mort après 565, Jean Malalas passa la première partie de sa vie à Antioche, avant de devenir fonctionnaire à Constantinople. Sa Χρονογραφία, d’après le titre que lui donnent des sources postérieures, forme un résumé des principaux événements de l’histoire du monde, depuis la Création jusqu’à la fin du règne de Justinien2. À partir du livre X, soit à la moitié de l’œuvre qui compte dix-huit livres, les règnes de chaque empereur romain sont racontés successivement et les faits rapportés sont souvent des actions entreprises par le souverain. Malalas accorde un grand intérêt à l’activité édilitaire des empereurs, dont les constructions d’édifices publics ponctuent le récit3 : la Chronique est dès lors une source de premier ordre pour connaître le paysage des cités de l’Orient romain, et en particulier d’Antioche4. Même si l’on a souvent noté que le chronographe rapporte également les grandes catastrophes qui frappent ces villes5, on ne s’est pas encore intéressé à la reconstruction qui s’en suit. Après un désastre, en effet, l’empereur – toujours lui – fait preuve de générosité en relevant la cité de ses ruines. Ces épisodes sont fréquents dans
1.
La recherche sur Malalas a été profondément renouvelée dans les années 1980 par les travaux de l’équipe australienne réunie autour d’Elizabeth Jeffreys, qui a produit une traduction de l’œuvre en anglais, laquelle fut l’occasion d’une révision partielle du texte (jeffreys et al. 1986), et un volume collectif (jeffreys et al. 1990) dont les articles font toujours référence (quoique certaines de leurs conclusions soient en partie contestées par treaDgolD 2007, p. 235256). Depuis, plusieurs ouvrages collectifs ont été publiés sur cette œuvre : BeauCaMp et al. 2004 ; agusta-Boularot et al. 2006 ; Meier et al. 2016, et enfin Carrara et al. 2017.
2.
Il faut noter que l’établissement du texte lui-même pose de nombreux problèmes. L’édition classique de L. Dindorf en 1831 dépend d’un seul manuscrit du xie ou xiie siècle, le Baroccianus, version partiellement abrégée et lacunaire de l’œuvre originale. Or la Chronique avait été traduite auparavant en vieux slave, traduction que nous conservons seulement partiellement, et des extraits en avaient été repris dans des œuvres postérieures en grec, latin ou syriaque (BeauCaMp 2012). H. Thurn a repris l’édition du texte en essayant de rendre compte de la complexité des différentes versions, mais ses choix sont contestables et son édition (thurn 2000) pose de très nombreux problèmes (voir flusin 2004). Dans cet article, on s’appuiera donc sur l’édition Thurn, tout en signalant les éventuelles discordances avec l’édition Dindorf, lorsqu’elles ont une influence sur la question de la reconstruction des villes.
3.
DoWney 1938 ; Moffatt 1990.
4.
saliou 2016.
5.
jeffreys 1990a, p. 155-159, donne la liste des tremblements de terre dans la Chronique. Voir aussi, pour une réflexion plus générale, Meier 2007.
Reconstruire les villes : modes, motifs et récits, éd. par Emmanuelle Capet, Cécile Dogniez, Maria gorea, Renée KoCh piettre, Francesco Massa, Hedwige rouillarD-Bonraisin (Semitica & classica. Supplementa 1), Turnhout, 2019, p. 177-195 DOI 10.1484/M.SUPSEC-EB.5.118523
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la Chronique : en excluant les références à des activités édilitaires ponctuelles, comme la restauration de tel ou tel bâtiment, j’ai recensé, pour la période allant d’Auguste à Justinien, quarante mentions de reconstructions urbaines, que j’ai rassemblées dans un tableau de synthèse présenté en fin d’article6. Leur récit est souvent bref, mais certains éléments reviennent de manière récurrente et révèlent que le fait de relever une cité de ses ruines est toujours un acte politique : il permet à Malalas de célébrer le pouvoir de l’empereur dans un monde où les villes jouent un rôle prépondérant.
Catastrophe Divine et générosité iMpériale : un forMulaire De la reConstruCtion Les reconstructions de villes dans la Chronique obéissent à un schéma récurrent : une cité est détruite par une catastrophe, puis l’empereur fait preuve de générosité et la reconstruit. Deux phrases suffisent, en général, pour relater l’épisode, comme dans l’exemple suivant : Mal. XII, 11 (Synt. no 11) : Ἐπὶ δὲ τῆς τοῦ αὐτοῦ Κομμόδου βασιλείας ἔπαθεν ὑπὸ θεομηνίας Νικομήδεια,
μητρόπολις τῆς Βιθυνίας, τὸ τρίτον αὐτῆς πάθος ἕως τῆς Μουδουπόλεως καὶ τοῦ ποταμοῦ τοῦ Σαγάρεως τὰ πέριξ μηνὶ μαΐῳ τῷ καὶ ἀρτεμισίῳ γʹ εἰς τὸ αὖγος. καὶ πολλὰ ἐχαρίσατο ὁ βασιλεὺς τῇ αὐτῇ πόλει καὶ ἀνήγειρεν αὐτήν.
Durant le règne de ce même Commode, Nicomédie, la métropole de Bithynie, souffrit d’une colère divine ; ce fut la troisième catastrophe, laquelle s’étendit jusqu’à Moudopolis7 et au fleuve Sangarios et à ses environs, le 3 mai-artemisios, à l’aube. L’empereur fut très généreux envers cette même cité et la reconstruisit8.
La reconstruction d’une ville est presque toujours consécutive à la mention d’une catastrophe. Celle-ci est, dans vingt-six cas9, appelée θεομηνία, ce qui peut se traduire par « colère divine ». D’après M. Meier, le terme apparaît pour la première fois chez Sozomène au ve siècle10. Il permet d’englober toutes les catastrophes naturelles, mais désigne le plus souvent chez Malalas un tremblement de terre. Le terme σεισμὸς est du reste utilisé à quatre reprises pour préciser la θεομηνία en question et apparaît également quatre fois seul. À une seule occasion, l’auteur indique que la θεομηνία s’est traduite par une inondation. Les autres désastres qui détruisent des villes, d’après Malalas, sont un incendie et des actes de guerre, lesquels ne sont jamais qualifiés de θεομηνία. La mention d’une catastrophe n’est pas systématique : dans cinq cas, la raison de la reconstruction n’est pas précisée. On ne peut pas toujours l’expliquer, mais il est possible que Malalas passe volontairement sous silence certains événements, comme on le verra plus loin lors de la prétendue reconstruction de Byzance sous Septime Sévère. Inversement, tous les récits de catastrophes ne sont pas nécessairement suivis de la mention d’une reconstruction : nous y reviendrons plus loin. Après la catastrophe vient la reconstruction impériale. La dernière phrase de l’extrait cité, πολλὰ ἐχαρίσατο ὁ βασιλεὺς τῇ αὐτῇ πόλει καὶ ἀνήγειρεν αὐτήν, est vraiment ce qu’on pourrait appeler la
6.
Tableau 1. Pour chaque mention de reconstruction d’une ou plusieurs villes dans la Chronique, sont isolés les différents éléments qui seront commentés dans cet article : l’empereur qui reconstruit ; la ou les cité(s) concernée(s) ; le terme utilisé pour désigner l’acte de restaurer ; les éventuelles mentions supplémentaires de bâtiments construits ou restaurés à l’occasion de la reconstruction ; enfin les autres mesures notables qui accompagnent la reconstruction. Chaque entrée est numérotée, de sorte que, dans la suite de l’article, je renvoie aux numéros du tableau de synthèse (sous la forme Synt. no X).
7.
Moudopolis pourrait être Midum, mansio sur le Sangarios, d’après jones 2014, p. 61, note 37.
8.
Sauf indication contraire, les traductions sont personnelles.
9.
Pour les statistiques suivantes sur le vocabulaire, je prie le lecteur de se référer au tableau de synthèse (tableau 1) donné en fin d’article, qui comprend toutes les références.
10. Sozomène, HE II, 4, 4 (Meier 2007, p. 255).
Les empereurs romains et la reconstruction des cités dans la Chronique de Malalas
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formule classique de reconstruction de Malalas. L’empereur est toujours sujet de l’action : c’est lui, et lui seul, qui est l’auteur de la restauration, même s’il peut en déléguer l’application à des exécutants 11. L’objet de la reconstruction est à chaque fois la ville prise dans sa globalité, même si Malalas peut ensuite donner des exemples de bâtiments précis construits ou restaurés à l’occasion de cette mesure. Enfin, la mesure en elle-même comprend deux volets : la générosité envers la cité et la reconstruction. La présence de ces deux actions n’est cependant pas systématique : on trouve parfois un verbe de reconstruction seul12 ou simplement la référence à une générosité13. La reconstruction est désignée par un nombre limité de verbes ou de substantifs. Le plus courant est ἀνεγείρω, utilisé quatorze fois, qui n’apparaît que très rarement à propos des restaurations d’édifices pris isolément, de sorte qu’on peut dire qu’il est véritablement le verbe le plus approprié à la reconstruction d’une ville. Dans neuf cas, Malalas emploie le terme ἀνανεοῦμαι, qui désigne bien une restauration par opposition à une construction nouvelle14, mais qui n’est pas spécifique aux villes entières et se trouve souvent utilisé pour qualifier la réfection d’édifices dans la Chronique. Enfin, le verbe ἀνακαινίζω (refaire à neuf) apparaît une fois chez Malalas. Parfois, l’auteur utilise non pas un verbe de reconstruction, mais un substantif, comme ἀνανέωσις (4 fois) ou ἐπανόρθωσις (3 fois)15. Dans son étude sur l’activité édilitaire des empereurs chez Malalas, G. Downey avait montré que l’auteur employait très souvent le verbe κτίζω, dont le sens est ambigu, car il signifie aussi bien « construire » que « reconstruire »16. Ce constat est valable pour les travaux menés sur des bâtiments pris individuellement, mais moins pour les cités entières. Le verbe κτίζω est souvent utilisé pour la fondation d’une ville17, mais il apparaît seulement deux fois pour une reconstruction totale, au sujet d’Antioche sous Caligula et d’Anazarbe sous Nerva. Dans les deux cas, l’empereur envoie un ou deux sénateurs « pour la reconstruire » (εἰς τὸ κτίσαι αὐτήν)18 et le récit, plus détaillé, contient à d’autres endroits les verbes ἀνεγείρω ou ἀνανεοῦμαι, de sorte que l’ambiguïté disparaît. Malalas emploie en revanche, à quatre reprises, le substantif pluriel τὰ κτίσματα pour désigner les travaux de reconstruction : l’empereur envoie de l’argent « pour des travaux publics » (λόγον κτισμάτων ou εἰς κτίσματα)19.
11. Il y a une exception, sur laquelle nous reviendrons en détail plus loin, quand un préfet de la Ville reconstruit Constantinople sous Théodose II sans obéir à un mandat impérial (Mal. XIV, 16, Synt. no 20). 12. Mal. X, 3 (Synt. no 1) ; XI, 9 (Synt. no 9) ; XII, 20 (Synt. no 12) ; XIV, 29 (Synt. no 22) ; XVII, 15 (Synt. no 30) ; XVIII, 5 (Synt. no 34) ; XVIII, 12 (Synt. no 35). 13. Ce sont les entrées, dans le tableau 1, pour lesquelles aucun terme de restauration n’est mentionné. Par exemple, Mal. X, 46 (Synt. no 7) : « Durant son règne, le 20 du mois de juin-daisios, tard dans la soirée, Corinthe, métropole de la Grèce, souffrit d’une colère de Dieu. [Vespasien] fut très généreux envers les survivants et la cité. » (Ἐπὶ δὲ
τῆς αὐτοῦ βασιλείας ἔπαθεν ὑπὸ θεομηνίας ἡ Κόρινθος, μητρόπολις τῆς Ἑλλάδος, μηνὶ ἰουνίῳ τῷ καὶ δαισίῳ κʹ, ἑσπέρας βαθείας. καὶ ἐχαρίσατο τοῖς ζήσασι καὶ τῇ πόλει πολλά).
14. Cf. Mal. XIV, 16 (Synt. no 20) : Κωνσταντῖνος ἔκτισε, Κῦρος ἀνενέωσεν (« Constantin construisit, Cyrus reconstruisit ») ou IX, 30 : Ὁ δὲ αὐτὸς βασιλεὺς Μάρκος ἔκτισεν, ἤτοι ἀνενέωσεν… (« L’empereur Marcus construit ou reconstruisit… »). 15. Par exemple, Mal. X, 28 (Synt. no 5) : « Dans la treizième année du règne de Claude César, toute l’île de Crète souffrit d’une colère de Dieu […] Claude mourut, après avoir donné beaucoup (d’argent) pour son redressement. » (Τῷ δὲ ιγʹ ἔτει τῆς βασιλείας τοῦ αὐτοῦ Κλαυδίου Καίσαρος ἔπαθεν ὑπὸ θεομηνίας ἡ Κρήτη νῆσος πᾶσα· […] Καὶ ἐτελεύτα ὁ Κλαύδιος πολλὰ ἐν τῇ Κρήτῃ χαρισάμενος εἰς ἐπανόρθωσιν.) 16. DoWney 1938. 17. De nombreux exemples de fondations de ville sont cités par frézouls 1994. 18. Mal. X, 19 (Synt. no 2) et X, 53 (Synt. no 8). 19. Mal. XIV, 12 (Synt. no 19) ; XIV, 36 (Synt. no 23) ; XVI, 18 (Synt. no 26) ; XVIII, 40 (Synt. no 39).
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La reconstruction d’une cité est donc un phénomène bien identifié par le vocabulaire et la présence de formules récurrentes. De fait, plusieurs savants ont pu parler de « formulaire » chez Malalas, comparable aux formulaires administratifs qu’on trouverait dans les constitutions impériales, car Malalas fit sans doute partie de la bureaucratie impériale20. Ce formulaire montre que deux éléments sont importants dans ces listes de reconstructions : le fait qu’une communauté est frappée par une catastrophe (dont la nature importe finalement peu) et la générosité du souverain qui permet d’en effacer les conséquences. Les éventuelles initiatives locales sont passées sous silence. Néanmoins, ce formulaire ne suffit pas à rendre compte du phénomène de la reconstruction des villes chez Malalas ; celui-ci développe parfois un peu son propos et donne des détails supplémentaires sur l’action du souverain, qui nous renseignent alors sur les caractéristiques principales de la reconstruction d’une ville.
les MoDalités De la reConstruCtion D’une ville Parmi les mesures qui accompagnent la reconstruction, Malalas détaille parfois les modalités du financement impérial. De fait, dans la version originale de la Chronique, ces précisions étaient peut-être plus développées que la version résumée qui nous est parvenue, comme dans le cas du séisme d’Antioche, en 457/8 : Mal. XIV, 36 (Synt. no 23) : καὶ ἐχαρίσατο τοῖς Ἀντιοχεῦσι καὶ τῇ πόλει λόγον κτισμάτων ὁ αὐτὸς βασιλεὺς πολλά.
Et le même empereur fut très généreux envers les Antiochéens et la cité en raison des travaux.
Malgré la brièveté de la formule, la mention de deux destinataires n’est pas anodine. Ce passage précis est en effet un résumé, puisque Évagre, auteur d’une Histoire ecclésiastique à la fin du vie siècle, conclut le récit de ce séisme en disant ceci : Ὧν τὸ καθ’ ἕκαστον περιέργως Ἰωάννῃ ἱστόρηται τῷ ῥήτορι. Φησὶ δ’ οὖν ὡς χίλια χρυσίου τάλαντα πρὸς τοῦ βασιλέως ἐκ τῶν φόρων ἀφείθη τῇ πόλει, καὶ τοῖς δὲ πολιτευταῖς τῶν ἠφανισμένων τῷ πάθει τὰ τέλη· ἐπιμελήσασθαι δὲ τοῦτον καὶ τῶν δημοσίων οἰκοδομῶν.
Jean le rhéteur a raconté tout cela dans le détail minutieusement. Il dit donc que remise fut faite à la cité, par l’empereur, sur ses impôts, de mille talents d’or, et aux décurions, pour leurs biens perdus dans le fléau, remise de leurs charges, et qu’en outre l’empereur prit soin aussi des monuments publics21.
Ce Jean le rhéteur, qu’Évagre présente comme sa source, était selon toute probabilité Jean Malalas22. La version de Malalas que nous conservons est donc un résumé fidèle de l’original : l’empereur donne à la cité (remise d’impôts) et aux habitants (remise de charge des décurions) pour l’activité édilitaire. Pour les ve et vie siècles, périodes pour lesquelles il a pu avoir accès à des archives23, Malalas précise parfois le montant des gratifications : Basiliscus donne 50 litrai d’or pour la reconstruction de Gabala en Syrie, Justin 45 kentenaria en plusieurs fois pour celle d’Antioche en 526-527, Justinien 200 litrai à Laodicée et Antioche24.
20. Jeffreys 1990c, p. 225-231, et Métivier 2006, p. 156-157. 21. Évagre, Histoire ecclésiastique II, 12 (trad. A.-J. festugière, B. grillet & G. saBBah [Sources chrétiennes 542], Paris, 1983). 22. jeffreys 1990b, p. 249-250. 23. Voir entre autres pueCh 2006, p. 214-215. 24. Respectivement Mal. XV, 4 (Synt. no 24) ; Mal. XVII, 16-17 (Synt. no 32) ; sur les modalités, notamment financières, de la reconstruction d’Antioche après le séisme de 526, voir la contribution de C. saliou dans ce volume, p. 199-208 ; Mal. XVIII, 28-29 (Synt. no 37).
Les empereurs romains et la reconstruction des cités dans la Chronique de Malalas
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Aux dispositions financières, s’ajoutent les mesures d’ordre administratif. Des sénateurs sont ainsi envoyés dans la cité détruite par le souverain pour superviser la reconstruction. La procédure est courante : depuis Auguste, les empereurs romains ont l’habitude d’envoyer des fonctionnaires avec un rang spécial dans la province touchée25. Chez Malalas, cette mission prend parfois une forme originale. Ainsi, Caligula aurait envoyé à Antioche deux sénateurs, Pontius et Varius, pour qu’ils s’y installent et fassent profiter la ville de leur fortune, en construisant un bain et des demeures à proximité26. L’installation sur place des « envoyés spéciaux » sénatoriaux n’est pas attestée par ailleurs. Dans le cas présent, cette mesure inédite fournit à Malalas une explication à l’existence de certains bâtiments anciens, dont l’origine du nom s’était peut-être perdue, tout en glorifiant Antioche qui, progressivement, s’enrichit de la présence des élites les plus prestigieuses de l’Empire. La reconstruction peut aussi s’accompagner du changement de nom de la ville. La mesure n’apparaît toutefois que huit fois sur les quarante exemples de reconstructions que j’ai retenus. Courante dès l’époque hellénistique, la pratique se maintient au Haut-Empire : de nombreuses villes d’Asie, par exemple, prennent le nom de Césarée sous les Julio-Claudiens après une reconstruction post-sismique de même que Nicomédie se renomme Hadrianè après sa reconstruction par Hadrien27. Toutefois, le nom impérial d’une cité reconstruite devait disparaître au bout de quelques générations ; par exemple, le nom Hadrianè n’a pas survécu longtemps pour Nicomédie. Chez Malalas, de manière significative, cinq de ces huit changements de nom concernent l’époque tardive (ive-vie siècle) et, pour les périodes antérieures, les cas sont plus particuliers dans la mesure où le nom donné n’est pas celui de l’empereur : Auguste donne à Salamine de Palestine le nom grec de Diospolis28, tandis qu’en Cilicie, Diocésarée se rebaptise Anazarbe sous Nerva29. L’empereur aurait en effet envoyé un sénateur nommé Zarbos superviser la reconstruction, puis, Nerva étant mort avant la fin des travaux, la cité aurait préféré adopter le nom du sénateur reconstructeur, plutôt que celui de l’empereur. La reconstruction semble être alors le moyen pour Malalas de donner une origine à un toponyme qui existe toujours de son temps, mais ne peut être rattaché à un empereur. Malalas a tendance à expliquer l’origine de toponymes existant à son époque : les toponymes « impériaux » à durée de vie éphémère n’étaient peut-être pas connus de lui ou n’étaient pas dignes d’être rapportés. Ainsi, le récit de Malalas invite à s’interroger sur la pérennité d’une toponymie officielle sur le long terme. Enfin, le dernier type de mesure complémentaire est la tenue de sacrifices humains. Le reconstructeur sacrifie une jeune fille, puis érige une statue de celle-ci pour devenir la Tychè de la ville, donc sa protectrice. Cette pratique, déjà bien étudiée30, n’est pas une spécificité des restaurations : seuls deux des dix exemples présents dans la Chronique concernent la reconstruction d’une ville après sa destruction. Ces épisodes fantaisistes ont été élaborés nécessairement après le ive siècle, pour stigmatiser les pratiques religieuses païennes. L’important réside dans le fait qu’un tel sacrifice fait du reconstructeur un refondateur de la ville, en la dotant d’une protectrice. Le changement de nom et le don d’une nouvelle Tychè apparentent en effet la reconstruction à une nouvelle fondation. Les fondations urbaines, telles que les présente Malalas, consistent en la promotion
25. pont 2010a, p. 423-427, en cite de nombreux exemples pour l’Asie mineure au Haut-Empire. 26. Mal. X, 19 (Synt. no 2). 27. Bérenger-BaDel 2005. 28. Mal. X, 3 (Synt. no 1). La seule Diospolis connue en Palestine est la très ancienne ville de Lod, mais le nom de Salamine n’est pas du tout attesté par ailleurs. Selon sMallWooD 1976, p. 491, le nom de Diospolis lui aurait été donné sous Hadrien. 29. Mal. X, 53 (Synt. no 8). 30. garstaD 2005. Sur les statues de Tychai chez Malalas, voir saliou 2006.
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d’un noyau urbain déjà existant à un nouveau rang 31. Si reconstruction et (re)fondation partagent des caractéristiques communes, elles ne sont toutefois pas assimilables dans l’œuvre de Malalas, en ce que, on l’a vu, la reconstruction est issue d’un contexte bien particulier et identifiée par un formulaire précis. Dans les deux cas, quoi qu’il en soit, il s’agit d’un acte politique, émanant de la volonté directe du souverain, et non d’un phénomène spontané32. Fondations et reconstructions participent d’une même glorification du régime impérial.
un Bienfait lié à la fonCtion iMpériale Dans la mesure où la reconstruction d’une cité constitue une générosité qui contribue au prestige du souverain, peut-on déceler des empereurs mis en avant pour leur activité restauratrice et d’autres qui, au contraire, n’auraient pas rempli leurs devoirs ? Autrement dit, la reconstruction d’une cité détruite par une catastrophe est-elle, pour Malalas, un critère de jugement des empereurs, ou un signe de bon gouvernement ? L’examen des empereurs reconstructeurs de cités montre que c’est une fausse piste. En se rapportant au tableau final, on voit que de nombreux empereurs sont présentés comme reconstructeurs, sans qu’il se dégage de logique apparente. Malalas ne montre pas de préférence pour ceux que la tradition historiographique sénatoriale a qualifiés de « bons empereurs »33. Auguste ou Trajan ne sont pas crédités d’une activité reconstructrice plus importante que Caligula, Vitellius ou Commode. De la part d’un auteur chrétien comme Malalas, on aurait pu s’attendre à une différence de traitement entre empereurs païens et empereurs chrétiens, or il n’y en a aucune. La pratique de la reconstruction traverse toutes les périodes, et s’il fallait déceler une évolution, ce serait plutôt une diminution de l’importance des reconstructions dans le récit de Malalas. Le critère le plus pertinent n’est pas l’ampleur des reconstructions dans l’activité de chaque empereur, car le récit est plus ou moins long suivant les époques, mais la « densité » de reconstructions pour chaque période. Dans le tableau suivant, j’ai mis en rapport le nombre de pages de chaque livre dans l’édition Thurn avec le nombre de reconstructions urbaines qui y sont mentionnées. Livre X (Auguste à Nerva) XI (Trajan à Marc Aurèle) XII (Commode à Licinius) XIII (Constantin à Honorius) XIV (Théodose II à Léon) XV (Zénon) XVI (Anastase) XVII (Justin) XVIII (Justinien)
Nombre de pages (éd. thurn 2000) 31 11 28 29 29 18 17 18 78
Nombre de reconstructions 8 3 7 1 5 2 1 6 8
Nombre moyen de reconstructions par page 0,26 0,27 0,25 0,03 0,17 0,11 0,06 0,33 0,10
Tableau 2 - Nombre de reconstructions urbaines par page dans chaque livre de la Chronique.
La tendance générale serait donc plutôt celle d’une diminution de la part des reconstructions urbaines dans le récit de Malalas : pour les trois premiers siècles de notre ère (livres X à XII), la moyenne est de 0,25 reconstruction par page, tandis qu’elle est plus basse pour les siècles suivants. Deux périodes font
31. frézouls 1994, p. 217-234 ; CaBouret 2006, p. 173-186. 32. guilheMBet, MénarD 2005, p. 5-12. 33. Sur la notion de « bon » et de « mauvais » empereur dans l’historiographie sénatoriale, voir roMan 2001, p. 38-85.
Les empereurs romains et la reconstruction des cités dans la Chronique de Malalas
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exception : le livre XIII, qui correspond à un long ive siècle de Constantin à Honorius, ne voit le récit que d’une seule reconstruction ; le livre XVII, consacré au court règne de Justin (518-527), compte en revanche six reconstructions de villes : il faut dire que, sous son règne, Antioche connut deux catastrophes, un incendie et un très puissant séisme, qui a profondément marqué Malalas34. Enfin, le grand nombre de reconstructions attribuées à Justinien ne doit pas être interprété comme une activité plus importante de cet empereur en la matière : son règne est aussi beaucoup plus détaillé dans la Chronique. Plus Malalas progresse dans son récit, plus il semble avoir de matière et moins les reconstructions occupent de place. En un sens, on pourrait dire que les catastrophes et leurs restaurations successives sont l’un des éléments les plus notables des périodes anciennes, tandis qu’elles ne sont qu’une des nombreuses informations concernant les périodes plus récentes. Inversement, Malalas critique-t-il certains souverains pour avoir négligé de reconstruire ? Les récits de catastrophes ne sont pas tous suivis de la mention d’une reconstruction : s’agit-il alors d’un oubli de l’auteur ou d’une volonté de souligner l’absence de réaction impériale ? La réponse est très difficile à donner. Tout d’abord, les mentions de θεομηνία, entre les livres X et XVIII, sont systématiquement suivies d’une reconstruction : à la colère de Dieu répond toujours une intervention impériale réparatrice. En revanche, certaines références à des séismes ou à des incendies ne donnent pas lieu au récit d’une générosité du souverain, mais elles restent rares. Bien souvent, il est impossible d’en expliquer la raison. Ainsi, Malalas mentionne un incendie à Antioche, mais après (et non avant) avoir fait le récit des grandes transformations apportées par Tibère à cette ville35. Sous le règne de Valens, Nicomédie est frappée par un séisme, puis le récit enchaîne immédiatement sur la mort de cet empereur36 : Malalas cherche-t-il à dire que l’empereur n’a pas pu mener à bien la restauration du fait de sa mort ou bien les deux faits sont-ils complètement indépendants ? Enfin, dans le dix-huitième et dernier livre, consacré au règne de Justinien, Malalas mentionne trente désastres selon M. Meier37, qui inclut toutefois des événements qui n’ont pas détruit des villes, comme le passage d’une comète ou une épidémie38. Parmi ces catastrophes, six tremblements de terre sont rapportés, sans être suivis de la mention d’une reconstruction39. L’absence de réaction du souverain dans le récit de Malalas n’est toutefois pas porteuse d’une critique implicite40. Selon M. Meier, le siècle de Justinien est, pour Malalas, qui a vécu à cette période, un âge de désastres, durant lequel Dieu et son représentant terrestre ont éduqué les masses en répandant la peur41. De plus, la réponse apportée par le souverain peut être symbolique : après un séisme à Constantinople, Justinien s’abstient de porter un diadème pendant trente jours42. Il est impossible de savoir si Malalas juge un tel acte supérieur, inférieur ou équivalent à une mesure concrète, comme une générosité aux particuliers pour financer la reconstruction. Aucun élément
34. Pour la liste des sources sur le séisme de 526 à Antioche, voir guiDoBoni 1989, p. 691-694. 35. Mal. X, 10. 36. Mal. XIII, 35. 37. Meier 2007, p. 250-251. 38. Phénomènes astronomiques : Mal. XVIII, 52 ; 75. Épidémies : XVIII, 90. Il y a aussi des catastrophes dont les dégâts sont limités et ne nécessitent donc pas de réponse impériale : un incendie dans un théâtre à Antioche (XVIII, 62), un séisme qui frappe Antioche sans faire de dommages (XVIII, 79). 39. Mal. XVIII, 55 et 102 : séismes dans de nombreuses cités ; 77 et 124 : séismes à Constantinople ; 93 : séisme à Cyzique ; 118 : séismes à Constantinople et Nicomédie. 40. sCott 1985 et pueCh 2006, p. 220-225, montrent tous deux que, en matière de politique intérieure ou étrangère, Malalas présente Justinien sous un jour favorable et légitime l’autorité impériale. 41. Meier 2007, p. 262. 42. Mal. XVIII, 24.
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ne permet donc de supposer que Malalas cherche à critiquer, ni même à mettre en évidence, l’absence de reconstruction après une catastrophe. Ainsi, la reconstruction apparaît vraiment comme un bienfait lié à la fonction impériale même, et non à la personnalité de l’empereur : païen ou chrétien, fou ou sage, n’importe quel empereur peut être amené à reconstruire des cités si elles sont touchées par des calamités. Comme le dit J.-M. Carrié, Malalas est « un efficace propagandiste du régime impérial, [qui va] jusqu’à légitimer certains empereurs mal famés »43. Les reconstructions de villes font partie, en quelque sorte, de la routine du gouvernement de l’Empire et ne constituent pas le signe d’un bon gouvernement, même si elles participent de l’affirmation de la puissance du souverain.
un éloge Des villes et De leurs Merveilles Plus encore qu’un éloge de l’action des empereurs, la Chronique de Malalas forme un éloge des grandes cités de l’Orient romain. À travers les villes qui figurent dans son œuvre, on peut restituer une carte mentale de Malalas. Certaines reviennent souvent dans les récits de reconstruction : Antioche est restaurée sept fois, Nicomédie cinq fois et Byzance/Constantinople trois fois. Les autres villes dont l’auteur rapporte une restauration sont majoritairement situées en Syrie et dans les régions voisines (Phénicie, Cilicie, Chypre, Osroène). Quelques cités grecques célèbres sont aussi dignes d’être mentionnées : Éphèse, Smyrne, Gortyne, Rhodes, Corinthe, Dyrrachium. Le monde qui intéresse Malalas est donc celui de l’Orient romain, et plus particulièrement la région autour d’Antioche et les quelques grandes villes de l’Empire du vie siècle. De fait, l’auteur s’est appuyé sur les archives civiques des principales cités de son époque44 ainsi que sur des récits d’histoire locale, comme les Patria45, ce qui explique peut-être leur importance dans la Chronique. La reconstruction d’une ville est aussi l’occasion, pour Malalas, de préciser quels bâtiments furent restaurés ou construits, et ces choix nous renseignent sur ce qui fait la renommée de certaines cités de l’Orient romain, mais aussi sur ce qui constitue l’essence de la vie urbaine selon Malalas. Dans onze cas, Malalas mentionne des constructions nouvelles et dans onze cas également (qui ne se recoupent qu’en partie), il précise quels bâtiments furent restaurés : toutes les références sont données dans le tableau final ; les nombres d’occurrences par type de bâtiment sont précisés dans le tableau suivant : Types d’édifice Bain Édifice de spectacle (théâtre, hippodrome, kynegion) Aqueduc et fontaine Colonnades/portiques Demeures privées Temple Enceinte Statue Église
Construits 6 6 2 2 2 3 1 2 0
Restaurés 4 2 3 3 2 1 3 0 1
Tableau 3 - Types de bâtiment construits ou restaurés lors de la reconstruction des villes46.
43. Carrié 2006, p. 259. 44. Sur l’usage des archives locales par les historiens byzantins, dont Malalas, voir CroKe 1990. 45. Pour une présentation des Patria, voir Dagron 1984, p. 9-13. 46. Pour les références précises, se reporter au tableau de synthèse.
Les empereurs romains et la reconstruction des cités dans la Chronique de Malalas
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Ce tableau fait apparaître tout d’abord l’importance de l’eau dans la ville. Reconstruire une ville consiste d’abord à remettre en service ses aqueducs et à réparer ses bains, mais constitue aussi très souvent l’occasion de construire de nouveaux bains dans la ville régénérée. Les deux autres types de bâtiments les plus fréquemment reconstruits ou construits sont les édifices de spectacle (hippodrome, théâtre) et les colonnades. À Laodicée de Syrie, après sa destruction par Pescennius Niger, Septime Sévère profite de la reconstruction pour la doter d’un hippodrome, d’un kynegion (édifice de spectacle pour des chasses) et d’un bain47. Viennent, dans un second temps, les enceintes et les édifices religieux – et parmi eux, les temples sont plus fréquemment cités que les églises, ce qui peut paraître étonnant de la part d’un auteur chrétien, pour qui les destructions sont autant de colères divines. Enfin, les bâtiments liés à la politique et à la vie civique sont absents : Malalas ne mentionne pas de forum, de basiliques, de sénats, parmi les édifices reconstruits ou construits après une destruction. L’aspect religieux mais aussi l’aspect civique paraissent donc secondaires, derrière ce qui manifeste les agréments de la vie en ville : l’abondance de l’eau, les spectacles, les portiques et la sécurité derrière des murailles. Plus que des infrastructures de loisirs, les bains et les théâtres sont des éléments constitutifs d’une ville. Au iiie siècle, quand Hérodien fait le récit de la destruction de Byzance par les troupes sévériennes, il la résume ainsi : la cité fut « privée de ses théâtres, de ses bains et de tout ce qui lui donnait de l’éclat et de la valeur »48 (καὶ θεάτρων τε καὶ λουτρῶν παντός τε κόσμου καὶ τιμῆς). D’après Procope, contemporain de Malalas, après l’incendie d’Antioche par les Perses, Justinien « construisit dans la ville des théâtres et des bains et l’orna de tous les autres édifices qui, d’ordinaire, révèlent clairement la prospérité d’une cité »49. Les bains participent de l’identité d’une ville dans l’Orient romain tardif : comme l’a montré C. Saliou, à Antioche entre le ive et le vie siècle, les bains en service sont parfois très anciens : ils incarnent donc une forme de mémoire urbaine et jouent aussi un rôle dans la vie de quartiers50. L’origine de certains d’entre eux était alors attribuée à un personnage prestigieux, intervenu dans la ville pour des raisons exceptionnelles, comme cela semble être le cas du bain appelé Varium, que Malalas suppose construit par le sénateur Varius envoyé reconstruire la ville sous Caligula51. De plus, la présence de l’eau dans la ville est garantie par l’empereur : à la fin du iiie siècle, Ménandre, auteur d’un manuel de rhétorique, conseille à l’ambassadeur d’une cité, envoyé auprès de l’empereur pour demander de l’aide après une catastrophe, d’insister sur « ce qui a pour fonction de contribuer aux besoins et à la vie et à quoi les empereurs ont coutume de pourvoir ; par exemple : les bains sont en ruines, les aqueducs sont détruits, la magnificence de la cité est bouleversée »52. Comme les bains, les édifices de spectacle sont à la fois un élément central de l’identité civique et un lieu de dialogue avec le pouvoir. Les théâtres ont longtemps constitué, dans l’Orient romain, un monument civique plus encore qu’un lieu de spectacle53. Quant aux hippodromes, ils deviennent à l’époque tardive l’un
47. Mal. XII, 21. 48. Hérodien III, 6, 9 (traduction pont 2010a, p. 492). 49. Procope, Aed. II, X, 22 (traduction roques 2011, p. 171). 50. saliou 2014, p. 657-685. 51. Mal. X, 19 (Synt. no 2). 52. Ménandre le Rhéteur II, 423, 15-25 (d’après l’édition de russel, Wislon 1981 et la traduction de fournet 2004, p. 64-65). 53. pont 2010a, p. 111-126.
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des marqueurs de la ville impériale54. Selon Malalas, l’un des premiers actes du règne de Romulus (qu’il appelle Rômos), quand il fonde Rome, est de construire l’hippodrome, pour diviser un peuple séditieux et cette action jette les bases de la division de Rome en partis irréconciliables55. Ce récit, inspiré de l’exemple constantinopolitain, montre bien que l’hippodrome est un espace fondamentalement politique56, un lieu de communication entre l’empereur et son peuple, et il n’est pas indifférent, dès lors, que Malalas mentionne des constructions d’hippodrome à l’occasion de certaines reconstructions. Enfin, les enceintes jouent, de fait, un rôle décisif pour la définition d’une cité : la privation de remparts est un châtiment courant57, leur construction ou leur restauration étant parfois le signe d’une promotion, ainsi que le préalable à toute refondation58. Toutefois, de même qu’un empereur peut construire ou restaurer des bains et des théâtres ponctuellement, la restauration d’une enceinte ne suffit pas, dans la Chronique, à désigner une reconstruction de toute la ville : Tibère, par exemple, étend le rempart d’Antioche59, mais Malalas n’emploie aucune des formules stéréotypées qui caractérisent, dans son œuvre, la reconstruction d’une ville. Ainsi, les bains, les théâtres, les enceintes et les portiques ne sont pas uniquement des agréments, mais des marqueurs d’urbanité et même des marqueurs de la relation entre l’empereur et une cité. Le récit d’une reconstruction est aussi un prétexte, pour Malalas, à décrire le fonctionnement ou l’origine d’un bâtiment prestigieux de la cité en question. Ainsi, quand Théodose II, après un séisme ayant touché toute la Crète, fait restaurer un bain public détruit à Gortyne, Malalas en profite pour expliquer le fonctionnement de ce bain extraordinaire qui avait douze salles distinctes, une en fonction pour chaque mois60. De même, à Cyzique, c’est à l’occasion d’une reconstruction qu’est construit un monument célèbre : Mal. XI, 16 (Synt. no 10) : ἐπὶ δὲ τῆς βασιλείας τοῦ αὐτοῦ θειοτάτου Ἀδριανοῦ ἔπαθεν ὑπὸ θεομηνίας σεισμοῦ
ἡ Κύζικος, ἥτις ἐστὶ μητρόπολις μεγάλη τῆς Ἑλλησπόντου ἐπαρχίας, μηνὶ νοεμβρίῳ ιʹ νυκτός. καὶ πολλὰ τῇ αὐτῇ πόλει ἐχαρίσατο καὶ ἀνήγειρεν αὐτήν· καὶ τοῖς ὑπολειφθεῖσι πολίταις ἐχαρίσατο χρήματα καὶ ἀξίας. ἔκτισε δὲ ὁ αὐτὸς Ἀδριανὸς ἐν τῇ αὐτῇ Κυζίκῳ ναὸν μέγαν πάνυ, ἕνα ὄντα τῶν θαυμάτων, στήσας ἑαυτῷ στήλην μαρμαρίνην στηθαρίου μεγάλου πάνυ ἐκεῖ εἰς τὴν ὀροφὴν τοῦ ναοῦ, ἐν ᾧ ἐπιγράφει, Θείου Ἀδριανοῦ· ὅπερ ἐστὶν ἕως τῆς νῦν.
Durant le règne du divin Hadrien, Cyzique, qui est la grande métropole de l’Hellespont, souffrit d’un séisme provenant d’une colère divine, dans la nuit du 10 novembre. Il fut très généreux envers la cité et la reconstruisit. Il offrit de l’argent et des dignités aux citoyens survivants. Hadrien construisit un très grand temple à Cyzique, l’une des merveilles, et plaça sur le toit du temple une statue de marbre : un très grand buste de lui-même, sur lequel il inscrivit « du divin Hadrien ». Il existe encore aujourd’hui.
S’il ne fait pas partie du canon actuel, plusieurs sources antiques considèrent que ce temple gigantesque méritait, par sa taille, de faire partie des merveilles61. Malalas ne fait pas œuvre de polémiste chrétien : l’édifice païen est tellement grand et magnifique qu’il contribue à la gloire de sa cité. La catastrophe est alors presque une aubaine pour la cité, dans la mesure où la reconstruction l’améliore. Même si d’autres
54. gros 2005, p. 217-220. 55. Mal. VII, 4. 56. Dagron 1974, p. 330-347. 57. À Byzance, selon Dion Cassius LXXIV, 14, 4-5, Septime Sévère détruisit les murailles, symbole du statut de la ville et source de fierté pour ses habitants. 58. CaBouret 2006, p. 185. 59. Mal. X, 10. 60. Mal. XIV, 12 (Synt. no 19). 61. Delaine 2002.
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sources nous permettent de savoir que l’inscription en l’honneur d’Hadrien a sans doute été posée par la communauté reconnaissante 62, Malalas fait un lien direct entre reconstruction d’une ville détruite, construction d’une merveille et autocélébration impériale. La catastrophe permet de souligner l’existence d’une merveille architecturale locale et de l’attribuer directement à un empereur.
reConstruCtions aMBiguës : le Cas De Constantinople Constantinople est un cas très particulier en ce qui concerne la reconstruction des villes, mais à bien des égards éclairant sur ce qui, pour Malalas, constitue la vie urbaine et la relation entre la ville et l’empereur. La première reconstruction de Constantinople, dans la Chronique, est l’œuvre de Septime Sévère : Mal. XII, 20 (Synt. no 12) : Ἐλθὼν δὲ ὁ Σέβηρος ἐπὶ τὸ Βυζάντιον, καὶ ἑωρακὼς τὴν τοποθεσίαν τῆς πόλεως
καλήν, ἀνήγειρε τὴν Βυζούπολιν, καὶ ἔκτισε δημόσιον λουτρὸν τὸ λεγόμενον Ζεύξιππον […] Ὁ δὲ βασιλεὺς Σέβηρος τὸ Τετράστῳον, οὗπερ ἐν μέσῳ ἵστατο ἡ στήλη τοῦ Ἡλίου, προσέθηκε τὸ δημόσιον ὃ ἔκτισεν αὐτός, ἀντ’ αὐτοῦ κτίσας ἐν τῇ ἀκροπόλει τῆς αὐτῆς Βυζουπόλεως ναόν, ἤτοι ἱερόν, τῷ Ἡλίῳ, πλησίον τῶν ὄντων ἐκεῖ ἄλλων δύο ἱερῶν τῶν κτισθέντων πρῴην ὑπὸ μὲν Βύζου τῇ Ἀρτέμιδι σὺν τῇ ἐλάφῳ, ὑπὸ δὲ Φιδαλίας Ἀφροδίτῃ· καὶ ἀναγαγὼν ἐκ τοῦ Τετραστῴου ὁ Σέβηρος τὸ ἄγαλμα τοῦ Ἡλίου ἔστησεν ἄνωθεν τοῦ ἱεροῦ, καὶ κτίσας ὁ αὐτὸς βασιλεὺς καὶ κατέναντι τοῦ ἱεροῦ τῆς Ἀρτέμιδος κυνήγιον μέγα πάνυ, καὶ κατέναντι τοῦ ἱεροῦ τῆς Ἀφροδίτης θέατρον. τὸ δὲ Ἱππικὸν ἔστησεν εἰς τὸ αὐτὸ Βυζάντιον ὁ αὐτὸς θειότατος Σέβηρος ἀγοράσας οἰκήματα, καὶ τὸν κῆπον τὸν ὄντα ἐκδενδρώσας ἐποίησε τὸ Ἱππικὸν τοῖς Βυζαντίοις· ὅπερ οὐκ ἔφθασε πληρῶσαι. καὶ τὸ δὲ λεγόμενον Στρατήγιον ἀνενέωσεν ὁ αὐτὸς Σέβηρος· πρῴην γὰρ ἦν κτισθὲν ὑπὸ Ἀλεξάνδρου τοῦ Μακεδόνος, ὅτε κατὰ Δαρείου ἐπεστράτευσεν.
Quand Sévère arriva à Byzance et vit que la ville était bien située, il reconstruisit Byzoupolis et construisit un bain public appelé le Zeuxippe. […] L’empereur Sévère ajouta le bain public qu’il construisit au Tetrastoon, au milieu duquel se tenait une statue d’Hélios. En contrepartie, il construisit un temple, ou un sanctuaire, à Hélios sur l’acropole de la cité de Byzoupolis, près des deux autres temples qui avaient été construits auparavant, l’un par Byzas à Artémis avec son cerf, l’autre par Phidalia à Aphrodite. Sévère transféra la statue d’Hélios depuis le Tetrastoon et la plaça sur le temple ; il construit aussi un très grand kynegion contre le temple d’Artémis et un théâtre contre le temple d’Aphrodite. Le divin Sévère éleva l’hippodrome de Byzance ; après avoir acheté des bâtiments et déplacé des arbres qui étaient dans le jardin, il construisit l’hippodrome pour les Byzantins, mais ne put l’achever. Sévère reconstruisit aussi ce qu’on appelle le Strategion, qui avait été construit à l’origine par Alexandre le Macédonien lors de sa campagne contre Darius.
Premier fait notable, cette reconstruction ne fait suite à aucune θεομηνία. Le texte est pourtant clair : Sévère reconstruit (ἀνήγειρε) Byzoupolis. Malalas sous-entend donc une destruction, mais ne la développe pas, car ce sont bien les troupes sévériennes elles-mêmes qui ont détruit Byzance en 196. Dion Cassius et Hérodien sont très précis : la ville avait pris le parti de son rival, Pescennius Niger, et, après trois ans de siège, fut détruite (ou du moins ses remparts le furent) et déchue de son statut civique par un Septime Sévère ulcéré par la résistance acharnée des Byzantins 63. Toutefois, une tradition littéraire bien postérieure a donné une suite « heureuse » à l’histoire : se rendant compte de la beauté et de l’importance stratégique de la ville, Septime Sévère change d’avis, puis rebâtit les murailles de la ville et quelques bâtiments.
62. D’après Aelius Aristide, Or. XXVII, qui fait l’éloge de ce temple en 166, sans doute après un nouveau tremblement de terre (peut-être celui mentionné par Dion Cassius LXX, 4, 1). Sur cette inscription, agusta-Boularot 2006, p. 116120. 63. Dion Cassius LXXV, 14 ; Hérodien III, 6, 9.
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Zosime, Hésychios de Milet et Jean Lydos donnent tous trois cette version64. Chez Malalas, les bâtiments érigés par Septime Sévère deviennent même très nombreux et très symboliques, puisqu’il construit les thermes de Zeuxippe, l’hippodrome (symbole de la ville à lui tout seul) et un bâtiment initialement édifié par Alexandre le Grand. Septime Sévère est un vrai refondateur de Byzance et pose les fondements de ce qui fera la future Constantinople. Ainsi, comme le récit concerne la future capitale de l’Empire, l’auteur ne peut relater une reconstruction « traditionnelle » : il faut que l’empereur prenne conscience de la situation exceptionnelle de la ville. Sévère annonce Constantin65, qui en un sens parachève son œuvre. La geste constantinienne est-elle toutefois présentée comme une restauration ? Cet épisode diffère des autres, dans la mesure où la distinction entre fondation et reconstruction est très ambiguë, à cause du vocabulaire employé par Malalas et de problèmes d’établissement du texte. Le passage consacré à la création de Constantinople est très détaillé, et l’on s’intéressera uniquement à la manière dont Malalas l’introduit : Mal. XIII, 766 : καὶ ἐπὶ τῆς αὐτοῦ βασιλείας ἐ/ἀνεκαινίσθη τό ποτε Βυζάντιον ἐπὶ τῆς ὑπατείας Γαλλικανοῦ καὶ
Συμμάχου […] ὅστις καὶ τὸ πρῴην τεῖχος τῆς αὐτῆς πόλεως ἀνενέωσε τοῦ Βύζου καὶ προσθεὶς ἄλλο διάστημα πολὺ τῷ τείχει, καὶ συνάψας τῷ παλαιῷ τείχει τῆς αὐτῆς πόλεως, ἐκέλευσεν αὐτὴν Κωνσταντινούπολιν λέγεσθαι.
Pendant son règne, l’ancienne Byzance fut dédiée/reconstruite, sous le consulat de Gallianus et Symmachus. […] [Constantin] restaura l’ancien rempart de cette même ville, celui de Byzas, et ajouta une autre grande extension au rempart, et l’ayant joint à l’ancien rempart de la ville, il ordonna que celle-ci serait Constantinople.
Le verbe qui permet de désigner l’action de Constantin à Byzance n’est malheureusement pas assuré : l’édition Dindorf donne ἐνεκαινίσθη, participe aoriste d’ἐγκαινίζω, que H. Thurn corrige en ἀνεκαινίσθη, participe aoriste de ἀνακαινίζω. Or ἐγκαινίζω peut signifier restaurer, mais aussi dédier ou consacrer ; c’est du reste ainsi qu’il est traduit en anglais : « the former Byzantion was dedicated »67. Malalas n’emploie jamais ce verbe par ailleurs dans sa Chronique, mais il utilise en revanche à six reprises le substantif ἐγκαίνια, pour désigner à chaque fois la cérémonie de consécration d’une église68. En revanche, ἀνακαινίζω apparaît une autre fois dans la Chronique, dans un contexte qui signifie indéniablement la reconstruction d’une ville touchée par une catastrophe69. Néanmoins, dans la récente traduction allemande, fondée pourtant sur le texte établi par H. Thurn, les traducteurs l’ont aussi compris comme une inauguration : « wurde die früher Byzanz geheissene Stadt eingeweiht »70. Tandis que la distinction entre fondation et reconstruction est très claire dans la Chronique à propos des villes, dans le cas présent, l’incertitude sur l’établissement du texte et la rareté des mots employés par l’auteur ne permettent pas d’affirmer si, pour Malalas, l’œuvre de Constantin constitue une reconstruction ou une création nouvelle. De fait, cette ambiguïté reflète bien ce que fut l’action de Constantin à Byzance, qui fit une ville nouvelle à partir d’une ville existante. La suite témoigne également de cette ambivalence : Constantin restaure le rempart (le verbe employé, ἀνενέωσε, étant ici parfaitement clair), tout en lui ajoutant une grande extension pour constituer une ville différente ;
64. Voir la liste des sources dans Dagron 1974, p. 15-19 et pont 2010b, p. 194. 65. Dagron 1974, p. 19 ; Mango 2003. 66. Cet épisode n’a pas été retenu dans le tableau de synthèse, précisément parce qu’il ne concerne pas de manière évidente une reconstruction. 67. jeffreys et al. 1986, p. 173. 68. Mal. XIII, 17 ; XVIII, 86 ; XVIII, 109 ; XVIII, 113 ; XVIII, 137 ; XVIII, 143. 69. Mal. XVII, 15 (Synt. no 31). 70. Meier et al. 2009, p. 332.
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de même, il achève certains bâtiments (à commencer par l’hippodrome), en restaure d’autres et en construit de nouveaux. Pour cette ville particulière qu’est la capitale de l’Empire, la distinction entre construction, fondation, reconstruction ne peut être aussi évidente que pour les autres cités. Enfin, sous Théodose II, Constantinople connaît à nouveau une œuvre de reconstruction. Comme dans les deux cas précédents, celle-ci ne fait suite à aucune catastrophe mentionnée : Mal. XIV, 16 (Synt. no 20) : Ὁ δὲ αὐτὸς βασιλεὺς προεβάλετο ἔπαρχον πραιτωρίων καὶ ἔπαρχον πόλεως τὸν
πατρίκιον Κῦρον, τὸν φιλόσοφον, ἄνδρα σοφώτατον ἐν πᾶσι. καὶ ἦρξεν ἔχων τὰς δύο ἀρχὰς ἔτη τέσσαρα, προϊὼν εἰς τὴν καροῦχαν τοῦ ἐπάρχου τῆς πόλεως καὶ φροντίζων τῶν κτισμάτων καὶ ἀνανεώσας πᾶσαν Κωνσταντινούπολιν· ἦν γὰρ καθαριώτατος. περὶ οὗ ἔκραξαν οἱ Βυζάντιοι εἰς τὸ ἱππικὸν πᾶσαν τὴν ἡμέραν θεωροῦντος Θεοδοσίου ταῦτα· Κωνσταντῖνος ἔκτισε, Κῦρος ἀνενέωσεν· αὐτὸν ἐπὶ τόπον, Αὔγουστε. Κῦρος δὲ ἐκπλαγεὶς ἀπεφθέγξατο, Οὐκ ἀρέσκει μοι τύχη πολλὰ γελῶσα. καὶ ἐχόλησεν ὁ βασιλεύς, ὅτι ἔκραξαν περὶ Κύρου καὶ μετὰ Κωνσταντίνου αὐτὸν ἔκραξαν, ὡς ἀνανεώσαντα τὴν πόλιν· καὶ κατεσκευάσθη λοιπὸν καὶ ἐπλάκη ὡς Ἕλλην ὁ αὐτὸς Κῦρος, καὶ ἐδημεύθη παυθεὶς τῆς ἀρχῆς.
L’empereur nomma préfet du prétoire et préfet de la Ville le patricien Cyrus, le philosophe, un homme savant en tout. Il resta en charge de ces deux fonctions pendant quatre ans, se déplaçant dans la voiture du préfet de la Ville, en prêtant attention aux constructions et à la reconstruction de tout Constantinople, car c’était un homme raffiné. Les Byzantins l’acclamèrent dans l’hippodrome pendant une journée entière, en présence de Théodose : « Constantin construisit, Cyrus reconstruisit, place-les au même niveau, Auguste ! » Cyrus, étonné, s’exclama : « Je n’aime pas quand la fortune sourit trop. » L’empereur se prit de colère de voir qu’on acclamait Cyrus après avoir acclamé Constantin, pour avoir reconstruit la ville. Un complot fut ourdi et Cyrus fut accusé d’être un Hellène, sa propriété fut confisquée et il fut mis un terme à sa fonction.
Dans ce cas, le vocabulaire n’est pas ambigu : l’empereur Constantin est désormais considéré comme un fondateur (ἔκτισε), non un reconstructeur, tandis que Cyrus ne fait que restaurer (ἀνενέωσεν). Malalas ne cite cependant aucune réalisation précise de la part du préfet. D’après Gilbert Dagron, l’œuvre urbaine de Cyrus, en fait très mal connue, fut confondue, par les historiens byzantins postérieurs, avec celle d’Anthémius, préfet du prétoire qui fit bâtir le mur dit de Théodose à partir de 412, et celle du préfet du prétoire Constantin, qui reconstruisit cette même enceinte après le séisme de 44771. De manière générale, l’activité de Cyrus permet au chroniqueur de résumer l’essor urbain que connaît la capitale de l’Empire sous le règne de Théodose II. L’auteur des transformations, s’il n’est pas l’empereur, ne peut être qu’un personnage doté de qualités exceptionnelles : il est présenté comme philosophe et raffiné. Cyrus peut alors être assimilé à un refondateur, il devient un nouveau Constantin et l’activité restauratrice mérite, d’après le peuple de Constantinople dont Malalas cite les acclamations, la fonction de ceux qui, d’ordinaire, refondent des cités, à savoir le rang suprême. Situation intolérable pour l’empereur, qui sanctionne durement son représentant, en l’accusant d’être païen (Hellène)72. C’est peut-être dans ce cas si particulier que se manifeste le mieux le lien indissociable entre la reconstruction d’une ville et la dignité impériale.
ConClusion Chez Malalas, la reconstruction d’une ville fait partie des prérogatives habituelles du souverain romain, mais participe néanmoins de son prestige et de sa puissance. Elle constitue aussi l’occasion pour l’empereur de montrer sa générosité et d’embellir les cités, qui s’enrichissent ainsi après chaque
71. Dagron 1974, p. 268-271. 72. iD., p. 271.
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catastrophe. L’empereur reconstructeur est en même temps un empereur constructeur et fondateur. Malalas ne propose pas d’interprétation eschatologique, mais un ordre du monde où alternent ces deux puissances que sont Dieu et l’empereur. La Chronique apparaît aussi comme une source fondamentale sur la vie en ville et l’idéal urbain dans l’Empire romain tardif 73. Dans le monde de Malalas, qui est celui de l’Orient méditerranéen, les villes s’inscrivent dans le temps long en « collectionnant » les catastrophes, les reconstructions, transformations et changements de nom. L’histoire universelle proposée par cet auteur est une histoire urbaine, où la ville est caractérisée par la présence de l’eau, et en particulier des bains, et, dans une moindre mesure, des spectacles : ces bâtiments sont restaurés ou construits après chaque catastrophe, pour redonner vie à la ville. De fait, malgré les erreurs, les approximations et les récits un peu fantaisistes, Malalas propose une vision cohérente de ce qu’est une ville dans l’Orient romain et du rôle fondamental de l’architecture urbaine dans la représentation du pouvoir impérial. [email protected] École française de Rome
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Les empereurs romains et la reconstruction des cités dans la Chronique de Malalas
193
Tableau 1 - Les reconstructions de villes mentionnées dans la Chronique de Malalas : synthèse. No
Référence
1
X, 3
2
Empereur Auguste
X, 18- Caligula 19
3
X, 23 Claude
4 5 6
X, 23 Claude X, 28 Claude X, 43 Vitellius
7 8
X, 46 Vespasien X, 53 Nerva
9
XI, 8-9
Trajan
Cité(s) ou région(s) Salamine de Palestine Antioche
Éphèse, Smyrne et autres cités d’Asie Antioche Crète Nicomédie
Cause de destruction θεομηνία θεομηνία
Terme désignant la reconstruction ἐγείρω κτίζω ; ἀνεγείρω
Constructions : • bain public • aqueduc • demeures • bain public (Varium) • fontaine
ἀνανέωσις
séisme θεομηνία θεομηνία
ἀνανεοῦμαι • colonnade ἐπανόρθωσις ἀνανέωσις ; ἀνεγείρω aucun κτίζω ; ἀνανεοῦμαι (3 fois)
Corinthe Diocésarée/ Anazarbe
θεομηνία θεομηνία
Antioche
θεομηνία
ἀνεγείρω
Cyzique
θεομηνία ; séisme
ἀνεγείρω
11
Commode
Nicomédie
θεομηνία
ἀνεγείρω
Septime Sévère
Byzance
non mentionnée
ἀνεγείρω
12
Restaurations : • nombreux édifices
θεομηνία
10 XI, 16 Hadrien XII, 11 XII, 20
Bâtiments mentionnés
Restaurations : • deux colonnades • théâtre achevé Constructions : • temple à Daphné • porte du milieu • bain public • aqueduc • nombreuses constructions • statue de la Tychè placée au théâtre Constructions : • grand temple • statue d’Hadrien
Reconstructions : • Strategion Constructions : • bain (Zeuxippon) • autel à Helios • kynegion • théâtre • hippodrome
Autre mesure Changement de nom en Diospolis Envoi d’un préfet de Rome Envoi de deux sénateurs pour vivre à Antioche
Envoi d’un sénateur Sacrifice humain Changement de nom en Anazarbe Sacrifice humain
Promotions individuelles aux survivants
194
Charles Davoine
No
Référence
13
XII, 21
Septime Sévère
Laodicée de Syrie
14
XII, 27
Gallien
ἀνεγείρω
15
XII, 28 XII, 47
Claude le Gothique Maxence
Les cités brûlées destruction par les Perses par des ennemis Nicomédie θεομηνία
ἀνεγείρω
17
XII, 48
Constance Chlore
Maximianoupolis destruction par des ennemis Salamine de θεομηνία ; Chypre séisme
ἀνεγείρω
Nombreux bâtiments entrepris
18
XIII, 12 XIV, 12 XIV, 16 XIV, 20
Constantin
Maximianoupolis θεομηνία
ἀνεγείρω
Théodose II
Gortyne
Restaurations : • enceinte Restaurations : • bain
XIV, 29
16
Empereur
Cité(s) ou région(s)
Cause de destruction destruction par un usurpateur
Terme Bâtiments mentionnés désignant la reconstruction ἐπανόρθωσις Constructions : • hippodrome • kynegion • bain • hexastoon
κτίσμα
Théodose II Constantinople (Cyrus) Théodose II Nicomédie
non mentionnée θεομηνία
ἀνανέωσις ; ἀνανεοῦμαι aucun
Marcien
Tripolis de Phénicie
θεομηνία
ἀνεγείρω ; ἀνανεοῦμαι
23
Antioche
θεομηνία
κτίσμα
θεομηνία θεομηνία
ἀνανέωσις aucun
26
Anastase
Gabala Constantinople ; Nicomédie ; Hellenoupolis Rhodes
θεομηνία
κτίσμα
Justin
Antioche
incendie
aucun
Justin
Dyrrachium
θεομηνία
ἀνανέωσις
Justin
Corinthe
θεομηνία sousentendue ? θεομηνία
aucun
20 21
22
XIV, Léon 36 24 XV, 4 Basiliscus 25 XV, 11 Zénon XVI, 18 27 XVII, 14 28 XVII, 15 29 XVII, 15
30 XVII, Justin 15
Anazarbe
Promotion du statut de la ville Rang sénatorial aux élites locales Fourniture de vivres Changement de nom : les Laodicéens doivent devenir les Septimiens Remise de taxes
non mentionné
θεομηνία
19
Constructions : • temple à Émèse
Autre mesure
ἀνεγείρω
Remise de taxes Remise de taxes Changement de nom en Constantia Changement de nom en Constantina
Constructions : • bains • colonnades • port • arène • églises Restaurations : • bain Ikaros • Phakidion • aqueduc • autres édifices Don de 50 litrai d’or
Don de 2 kentenaria
Les empereurs romains et la reconstruction des cités dans la Chronique de Malalas
No
Référence
Empereur
Cité(s) ou région(s)
Cause de destruction
Terme Bâtiments mentionnés désignant la reconstruction ἀνακαινίζω Constructions : • nombreux ouvrages
31 XVII, Justin 15
Édesse
θεομηνία ; inondation
32 XVII, Justin 16-17
Antioche ; Séleucie ; Daphné
séisme
ἐπανόρθωσις Restaurations : • aqueducs • ponts
33 XVIII, Justinien 2
Palmyre
non mentionnée
ἀνανεοῦμαι
34 XVIII, Justinien 5
Martyropolis
non mentionnée
ἀνανεοῦμαι
35 XVIII, Justinien 12
District de Sykai non mentionnée
ἀνανεοῦμαι
36 XVIII, Justinien 19 37 XVIII, Justinien 27-29
Pompeiopolis de Mysie Laodicée ; Antioche
38 XVIII, Justinien 37 39 XVIII, Justinien 40 40 XVIII, Justinien 112
Amaseia du Pont θεομηνία Myra de Lycie
θεομηνία; séisme Θεομηνία ; séisme
θεομηνία
Cités du Levant : séisme Tyr, Sidon, Beyrouth, Tripolis, Byblos, Botrys
ἀνανέωσις aucun
aucun κτίσμα ἀνεγείρω
Restaurations : • églises • bains Restaurations : • murs • colonnades Restaurations : • murs • théâtre
195
Autre mesure Changement de nom en Justinoupolis Dons d’argent en plusieurs fois Envoi d’un comte d’Orient et de deux sénateurs Ambassade du comte d’Orient Décrets pour maintenir les anciennes coutumes
Changement de nom en Justinianoupolis Changement de nom en Justinianoupolis Organisation des secours Don du titre d’illustris aux propriétaires Don de 200 litrai d’or Changement de nom : Antioche devient Théoupolis
Catherine Saliou
Reconstruire Antioche ?
De sa fondation jusqu’à la fin de l’Antiquité, l’histoire d’Antioche sur l’Oronte, capitale de la province romaine de Syrie, est scandée par une série de destructions causées par des attaques guerrières ou des catastrophes telles que des tremblements de terre. Notre objectif ici est de préciser la nature des opérations concrètes consécutives à ces destructions, d’en analyser le déroulement et de nous demander dans quelle mesure elles constituent des ruptures dans l’histoire de la ville ou rétablissent au contraire une continuité. L’étude concernera l’Antiquité tardive au sens large, du milieu du iiie siècle à la fin du vie siècle, période pour laquelle les sources sont suffisamment nombreuses pour faire l’objet d’une étude critique. Ces sources sont malgré tout partielles et n’offrent que des éclairages ponctuels, qui concernent trois épisodes ou séquences d’épisodes que l’on examinera tour à tour : les travaux postérieurs à la destruction de la ville par les Perses au milieu du iiie siècle ; les reconstructions intervenues entre 458 et 588 après des séismes ou des incendies ; la reconstruction après le sac de la ville en 540.
reConstruCtion ou fonDation : philologie et histoire urBaine Sur le ou les sacs d’Antioche par le Perse Sassanide Shapur au milieu du iiie siècle, les sources sont nombreuses. Pourtant la datation et même le décompte de ces épisodes sont problématiques. Il semble certain qu’un raid destructeur eut lieu en 253, et très probable qu’un second épisode se soit produit en 2601. Quoi qu’il en soit, les textes soulignent le caractère dévastateur de la ou des agressions perses, caractérisées non seulement par des destructions, mais aussi par une ponction démographique résultant de la mort d’un certain nombre d’habitants lors de la prise de la ville, et de la déportation d’une partie des survivants2. 1.
Cf. goltz & hartMann 2008, p. 258 ; glas 2014, p. 95-96, p. 324-326.
2.
Libanios explique en 363 que les « Perses n’ont rien laissé » de la ville et de ses beautés architecturales (Or. XV, 16). Ammien Marcellin signale la destruction des remparts « par les Perses », sans plus de précision (XX, 11, 11), puis l’incendie de la ville et le massacre de nombreux habitants sous le règne de Gallien (XXIII, 5, 3). Zosime mentionne la destruction de tous les bâtiments, publics et privés, le massacre d’une partie des habitants et la capture du reste lors d’un raid qu’il situe en 253 (I, 27, 2). Pour d’autres sources, voir les références citées dans les travaux mentionnés supra, n. 1.
Reconstruire les villes : modes, motifs et récits, éd. par Emmanuelle Capet, Cécile Dogniez, Maria gorea, Renée KoCh piettre, Francesco Massa, Hedwige rouillarD-Bonraisin (Semitica & classica. Supplementa 1), Turnhout, 2019, p. 197-214 DOI 10.1484/M.SUPSEC-EB.5.118524
198
Catherine Saliou
Zosime, qui écrit à la fin du ve siècle ou au début du vie siècle, semble attribuer un projet de reconstruction à l’empereur Valérien (253-260), pendant son premier séjour à Antioche (fin 254-2553) : Οὐαλεριανοῦ δὲ Σουκεσσιανὸν μετάπεμπτον ποιησαμένου καὶ ὕπαρχον τῆς αὐλῆς ἀναδείξαντος καὶ σὺν αὐτῷ τὰ περὶ τὴν Ἀντιόχειαν καὶ τὸν ταύτης ἀνοικισμὸν οἰκονομοῦντος […]
[…] mais tandis que Valérien mandait Sucessianus, le désignait comme préfet du prétoire et prenait avec lui des dispositions concernant Antioche et sa reconstruction […]4
Dans la phrase française, le mot « reconstruction » traduit ἀνοικισμόν, qui lui-même est le produit d’une correction éditoriale proposée dès 1887 par l’éditeur Mendelssohn. En effet, l’unique manuscrit porte οἰκισμόν. Or le mot οἰκισμός signifie « fondation ». D’après le dernier éditeur du texte, François Paschoud, le contexte historique exclut que Zosime ait voulu parler d’une « fondation », et la correction s’impose. Cependant, au début du ive siècle, Eusèbe de Césarée5 mentionne dans sa Chronique la fondation d’une « Nouvelle Antioche » (noua Antiochia, καινὴ Ἀντιόχεια) à la fin du règne de Probe (276-282). Il précise que cette fondation avait été confiée à Saturninus, maître des milices et futur usurpateur. Comme il l’a déjà été montré ailleurs6, cette « Nouvelle Antioche » doit être identifiée à ce que les sources de l’Antiquité tardive désignent comme la « (Ville) Neuve » (Καινή), située sur une île de l’Oronte et où se trouvait notamment le palais impérial. En raison des changements du cours du fleuve, cette île a aujourd’hui disparu en tant que telle et ses contours ne peuvent être que restitués (figure 1). Elle devait certainement être déjà occupée, au moins partiellement, avant le milieu du iiie siècle7, mais cela n’exclut pas que la Ville Neuve ait pu faire l’objet d’une « fondation » officielle ou rituelle dans la seconde moitié de ce siècle. De fait son identité, dans l’Antiquité tardive, est essentiellement impériale et romaine8. À la lumière du passage d’Eusèbe, on est conduit à douter de la nécessité de la correction de οἰκισμόν en ἀνοικισμόν : plus probablement faut-il considérer que Zosime mentionne bien, lui aussi, une « fondation », et qu’« Antioche », dans la phrase citée, désigne en réalité la « Nouvelle Antioche »9. Plusieurs hypothèses permettraient d’expliquer la discordance entre Zosime et Eusèbe sur la date de cette fondation. La considération de la chronologie des sources tend à suggérer que Zosime a pu reporter sur Valérien et Sucessianus une fondation qui aurait été le fait de Saturninus, peut-être pour ne pas attribuer le mérite d’une telle fondation à un usurpateur. Il est aussi possible que, à la suite du sac d’Antioche par les Perses, la réaction immédiate du pouvoir romain ait été de décider la fondation d’une Nouvelle Antioche, mais que cette décision, prise par Valérien, n’ait été réellement exécutée que plus de 20 ans plus tard, ce retard s’expliquant par l’histoire troublée du troisième quart du iiie siècle. Le fait que Jean Malalas attribue la construction du palais impérial à Dioclétien (284-305), mais sur des fondations dues à Gallien, le fils
3.
Sur cette chronologie, cf. glas 2014, p. 123-124.
4.
Zosime I, 32, 2 (trad. F. Paschoud).
5.
Eusèbe (Jérôme) ad. ann. 2299 [281 apr. J.-C.] (p. 306 Helm) : Saturninus magister exercitus nouam Antiochiam exorsus est condere = Georges le Syncelle, p. 471, l. 11 Mosshammer : […] Σατορνῖνος στρατοπεδάρχης τὴν καινὴν Ἀντιόχειαν ἤρξατο κτίζειν (« le maître des milices Saturninus commença à fonder la nouvelle Antioche »).
6.
saliou 2009, p. 236-240, avec les références aux sources et à la bibliographie.
7.
saliou 2009, p. 239-240, Depuis 2009, le dépouillement des archives de fouilles anciennes a permis de retrouver la photographie d’un fragment de mur en grand appareil, qui pourrait remonter au iie siècle av. J.-C. (De giorgi 2015, p. 56 ; BranDs 2016, p. 12, n. 47). Les fouilles en cours de Hatice Pamir, qui concernent l’hippodrome, fourniront sans nul doute de précieux points de repère chronologiques.
8.
saliou 2009, passim.
9.
Nous corrigeons donc ici notre article de 2009, où nous n’avions pas envisagé la possibilité d’un retour au texte du manuscrit pour le passage de Zosime (saliou 2009, p. 239).
Reconstruire Antioche ?
199
de Valérien (associé au pouvoir de son père dès 253, puis empereur seul de 260 à 268) pourrait confirmer l’hypothèse d’une fondation en deux temps, ou plus exactement d’une discontinuité temporelle entre le projet de fondation et sa réalisation10. Quoi qu’il en soit, la fondation de la Ville Neuve relève d’un programme de transformation et d’extension plutôt que de reconstruction. Ce programme a pu être décidé et mis en œuvre par le pouvoir impérial pour des raisons stratégiques et politiques diverses : l’hypothèse obvie est que l’objectif ait été de créer une base opérationnelle dans la perspective de nouveaux conflits avec la Perse ; mais il est possible qu’il se soit aussi agi de marquer une prise de distance par rapport à la population antiochéenne, s’il est vrai que les Perses avaient pu bénéficier de complicités locales pour s’emparer de la ville11. Il est bien certain par ailleurs que la « Vieille Ville », en rive gauche, a été reconstruite, et Malalas attribue à Probe l’aménagement d’un nymphée dans le Mouseion de la ville12, mais le seul auteur mentionnant une restauration d’ensemble serait Jordanès qui, dans son abrégé d’histoire romaine rédigé au milieu du vie siècle, attribue à Saturninus une mission de restauratio13. Le plus probable cependant est qu’il s’agisse d’une interprétation erronée de sa propre source par Jordanès. De la fin du iiie siècle au milieu du ve siècle les sources ne permettent d’étudier aucune destruction d’ampleur nécessitant une reconstruction à l’échelle urbaine.
après la Catastrophe De 458 à 588, cinq catastrophes majeures se sont succédé14 : • le tremblement de terre de 45815 ; • l’incendie de 52516 ; • l’épisode sismique de 526-527, avec une première secousse majeure le 29 mai 52617, suivie d’une série de répliques, pendant dix-huit mois d’après Malalas18. Il faut insister d’emblée sur l’épaisseur chronologique de cette séquence, qui a vu une succession d’événements ; c’est notamment durant cette
10. Malalas XII, 38, p. 236, l. 85-86 Thurn, cf. saliou 2009, p. 242, n. 72. 11. hartMann 2006. 12. Malalas XII, 33, p. 232, l. 86-88 Thurn. 13. Jordanès, Romana § 293, p. 38, l. 2-4 : Quo tempore [= règne de Probe] Saturninus magister militum, dum ad restaurationem Antiochenae civitatis missus fuisset […] (« à cette époque Saturninus, maître des milices, tandis qu’il avait été envoyé pour restaurer la cité d’Antioche […] »). 14. Les catastrophes naturelles sont souvent désignées en grec par un mot renvoyant à la « colère de Dieu » (θεομηνία) ou par des périphrases équivalentes, et font l’objet d’interprétations religieuses, voire eschatologiques. Voir à cet égard, pour les catastrophes antiochéennes, Meier 2003, p. 345-356, avec les références à la bibliographie antérieure, et, à propos des catastrophes dans l’œuvre de Malalas, Meier 2006. Les processus de reconstruction matérielle que nous étudions ici s’accompagnent de processus et d’opérations d’ordre religieux ou psychologique (processions, visions, etc.) que nous laisserons de côté. 15. DoWney 1961, p. 476-480, et p. 597-604 pour une réflexion approfondie sur la datation, rendue difficile par une certaine confusion dans les sources. Sur ce séisme, avec une présentation de l’ensemble des sources, voir désormais, de préférence à guiDoBoni et al. 1994 (no 183, p. 296-300), aMBraseys 2009, p. 168-171. 16. DoWney 1961, p. 520-521. 17. DoWney 1961, p. 521-526 ; voir aussi désormais guiDoBoni et al. 1994, no 203, p. 314-321 ; aMBraseys 2009, p. 184-189. 18. Malalas XVII, 16, p. 349, l. 95-96 Thurn.
200
Catherine Saliou
période, en avril ou en mai 527, qu’Éphrem, comte d’Orient19, est élu évêque à la suite du décès du patriarche Euphrasius, et donc remplacé dans ses fonctions par le comte Zacharie ; • le tremblement de terre de novembre 52820 ; • le tremblement de terre de 58821. Si les reconstructions qui ont suivi ces catastrophes ont trouvé place dans nos sources22, c’est sans doute parce qu’elles ont occasionné une réaction impériale, ce qui est en soi un biais dont il faut avoir conscience, et c’est aussi de façon parfois allusive et toujours partielle. La combinaison des indications fournies à propos de ces divers épisodes permet cependant de mettre en évidence un processus de reconstruction, ou plus exactement un schéma processuel, adapté en fonction des contextes. Il est ainsi possible d’étudier les modalités d’établissement et de transfert des informations relatives à la catastrophe et aux nécessités de la reconstruction, les moyens mis en œuvre pour cette dernière, et la relation entre ville détruite et ville reconstruite. Établissement du bilan et échanges avec le pouvoir central Les étapes préliminaires à la reconstruction sont l’établissement du bilan des pertes, matérielles et humaines, l’ensevelissement des morts et l’évacuation des décombres. Ces trois opérations sont au reste étroitement liées, puisque c’est le déblaiement qui permet de vérifier l’état des ruines. Ainsi, le comte Carinos, envoyé de Constantinople en 526 aussitôt après la catastrophe, a la double mission de veiller au déblaiement et d’établir un bilan 23. La rédaction de rapports est mentionnée à plusieurs reprises et
19. Sur cet important personnage de l’histoire du DelMaire 1989b, no 163, p. 245-247.
vie
siècle, voir PLRE II, p. 394-396, Ephraimius, et plus récemment
20. DoWney 1961, p. 528-530 ; voir aussi désormais guiDoBoni et al. 1994, no 206, p. 323-325 ; aMBraseys 2009, p. 189-192. 21. DoWney 1961, p. 568-569 ; voir aussi désormais guiDoBoni et al. 1994, no 230, p. 346-349 ; aMBraseys 2009, p. 215-216. 22. Dans le cadre de cet article, on ne fera pas de présentation d’ensemble de ces sources. Il faut cependant préciser quelques points à propos de Malalas. Comme on l’a reconnu depuis longtemps, son Histoire universelle, qui court d’Adam à Justinien, est truffée d’erreurs, de légendes, de mythes et d’élaborations fictionnelles. Elle se révèle cependant infiniment plus fiable à partir du récit du règne de Zénon (sur la valeur historique de Malalas, voir par exemple les études rassemblées dans agusta-Boularot, BeauCaMp & BernarDi 2006). Nous pouvons ainsi l’utiliser ici sans plus ni moins de précautions que nous ne le faisons de l’œuvre de n’importe quel historien ou chroniqueur. Par ailleurs, le texte grec de l’ensemble de son Histoire, transmis par un unique manuscrit, est une version résumée du texte original, ou plus exactement une version parmi d’autres d’un texte que l’on peut supposer mouvant, et dont d’autres versions plus développées ont aussi circulé (jeffreys 2016). De telles versions plus développées, parfois divergentes les unes des autres, ont été utilisées par des historiens ou chroniqueurs plus tardifs, tels Jean d’Éphèse dans son Histoire ecclésiastique partiellement reprise dans la Chronique de Zuqnin, Jean de Nikiou, Théophane dans sa Chronique, ou encore des auteurs de chroniques slavoniques. Considérant que ces textes constituent des sources pour la reconstitution d’un hypothétique « vrai » Malalas, le dernier éditeur de Malalas, H. Thurn, a intégré dans le texte grec du manuscrit d’Oxford des portions de textes, le cas échéant rétrotraduites en grec, tirées de ces ouvrages (sur cette méthode, évidemment déplorable, voir les études rassemblées dans BeauCaMp 2004). Dans la mesure où l’édition de H. Thurn est désormais le texte standard, et où notre propos est ici la reconstruction d’Antioche et non le processus de transmission ou d’élaboration du texte de Malalas, nous renverrons à l’édition Thurn, en signalant les cas de rétroversion, et nous n’indiquons les variantes de la tradition indirecte ou postérieure que si cela nous paraît important pour l’argumentation. Pour replacer le témoignage de Malalas concernant les reconstructions d’Antioche dans le contexte de l’ensemble de son œuvre, on se reportera à l’article de Charles Davoine dans le présent ouvrage. 23. Malalas XVII, 17, p. 350, l. 19-23 Thurn, cf. Théophane, p. 173, l. 7-10 De Boor, et pour la version slavonique, spinKa & DoWney 1940, p. 132, jeffreys, jeffreys & sCott 1986, p. 242.
Reconstruire Antioche ?
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devait être systématique : en 526, Carinos doit faire un rapport à l’empereur à son retour de mission24 ; en 527, alors que la crise sismique se poursuit, le nouveau comte d’Orient Zacharie adresse un rapport à Constantinople25 ; après le séisme de 528, c’est Éphrem, en tant que patriarche d’Antioche, qui envoie un rapport26. Quelques passages de nos sources peuvent donner une idée du contenu de tels bilans, à travers le filtre des choix rédactionnels de chaque auteur ou de sa propre source27. L’évaluation des pertes matérielles prend la forme d’inventaires, qui peuvent être classés de façon topographique, ou de l’indication des limites de la zone détruite. Les deux méthodes au reste peuvent être combinées. Évagre, qui dit s’appuyer sur Malalas, donne une liste des édifices touchés ou détruits par le séisme de 458, en distinguant la Ville Neuve, la Vieille Ville, le quartier d’Ostrakinè28. Le même auteur énumère les principaux édifices touchés par le tremblement de terre de 58829. Les relations de l’incendie de 52530 et du séisme de 52631 indiquent l’extension de la zone détruite au moyen de la mention de points de repère qui en marquent les limites. Dans un passage de la Chronique de Zuqnin, la même méthode est adoptée à propos d’un tremblement de terre survenu à Laodicée32. Dans le récit du séisme antiochéen de 526, la mention de l’amplitude spatiale de la catastrophe est suivie d’un inventaire des églises détruites par l’incendie qui suivit la secousse33. Les pertes humaines sont chiffrées : la catastrophe de 526 aurait causé la mort de 250 000 personnes d’après Malalas34, ce qui paraît exagéré. Procope de Césarée évoque 300 000 victimes, mais en prenant prudemment ses distances35. En revanche, le nombre de 4 870 victimes pour le séisme de 528, donné par Théophane, par sa précision même, fait penser qu’il provient d’une source officielle 36 ; Malalas
24. Malalas XVII, 17, p. 350, l. 22-23 Thurn (rétroversion du slavonique, cf. n. 22). 25. Malalas XVII, 22, p. 352, l. 72 Thurn. 26. Malalas XVIII, 27, p. 370, l. 85-86 Thurn. 27. Comme l’a récemment montré L. Carrara, la tonalité pathétique et rhétorique du récit du tremblement de terre de 526 pourrait signaler que Malalas fait usage dans ce passage d’un discours prononcé peu après la catastrophe, relevant du genre de la monodie (Carrara 2017). La démonstration de L. Carrara, très solidement argumentée, est globalement convaincante. Toutefois l’identification de cette monodie à un discours perdu prononcé par Procope de Gaza reste hypothétique. Une hypothèse alternative serait que Malalas reprend le texte d’une pétition transmise à l’empereur par les Antiochéens, voire du bilan dressé par Carinos : on sait que dans l’Antiquité tardive la rhétorique envahit tous les types de discours, et que les frontières entre genres « littéraires » ou oratoires et genres « documentaires » sont poreuses. 28. Évagre, HE II, 12, l. 19-36. 29. Évagre, HE VI, 8, l. 19-28. 30. Malalas XVII, 14, p. 344, l. 55-56 Thurn (cf. jeffreys, jeffreys & sCott 1986, p. 236). 31. Malalas, XVII, 16, p. 346, l. 14-15 (rétroversion du slavonique, cf. spinKa & DoWney 1940, p. 126-127, jeffreys, jeffreys & sCott 1986, p. 238-239). Malalas ajoute que l’unique secteur non détruit par le séisme était celui qui se trouvait sur les flancs de la montagne qui domine Antioche (Malalas XVII, 16, p. 347, l. 19-20 Thurn). 32. Chronique de Zuqnin, d’après Jean d’Éphèse, qui lui-même utilise Malalas, trad. Witakowski, p. 69. 33. Malalas, XVII, 16, p. 347, l. 25-38 Thurn, cf. jeffreys, jeffreys & sCott 1986, p. 239 ; spinKa & DoWney 1940, p. 127-128. 34. Malalas XVII, 16, p. 347, l. 38-39 Thurn. 35. Procope, Bell. II, 14, 6. 36. Théophane, p. 177, l. 31-32 De Boor.
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arrondit à 5 00037. À propos du séisme de 588, Évagre fournit une précieuse information sur les modalités d’établissement de ces chiffres, en précisant que le nombre de 60 000 victimes a été déterminé d’après « le pain », c’est-à-dire d’après les listes de bénéficiaires de distributions annonaires38. Ces bilans peuvent étayer une demande de secours, qui peut être portée par une ambassade à la cour. Après l’incendie de 525, le patriarche Euphrasios se déplace auprès de l’empereur39. En 527, le comte d’Orient Zacharie demande dans son rapport l’autorisation de se rendre à Constantinople, et l’ayant obtenue, conduit effectivement une ambassade à la capitale40. L’empereur peut aussi déléguer des représentants sur place. C’est le cas en particulier en 526. Immédiatement après le séisme, Carinos, envoyé en premier lieu, est chargé comme on l’a vu du déblaiement et du bilan41. De ce personnage, on ne sait que ce qu’en dit Malalas. Il porte le titre de comte et il pourrait être le père d’Anatolios, comte d’Orient en poste à Antioche en 52542. Il est difficile de dire si c’est la raison qui l’a fait choisir par l’empereur. Dans un second temps, Astérios et Phocas sont envoyés pour s’occuper de la reconstruction43. Astérios a déjà été dépêché en mission à Antioche par l’empereur Anastase entre 512 et 517, alors qu’il était secrétaire du consistoire impérial44. Comme Astérios, Phocas fait partie de l’administration centrale. C’est lui qui sera nommé préfet du prétoire en 532 pour remplacer Jean de Cappadoce après la sédition Nika45. Les deux chargés de mission sont donc de hauts personnages de l’État, compétents et prestigieux, même si Phocas, à partir de 529, aura à souffrir de son attachement à la religion traditionnelle. Cedrenos, qui compile son sommaire d’histoire universelle au xiie siècle, est la seule source à signaler l’envoi de « mécaniciens », c’est-à-dire d’architectes-ingénieurs46. L’établissement du bilan des pertes et les échanges entre Antioche et la capitale permettent de mettre en place les moyens de la reconstruction. Les moyens de la reconstruction Dans tous les cas étudiés, l’État contribue financièrement à la reconstruction, mais il faut tenir compte, comme on l’a déjà souligné, d’un biais possible des sources. Au moins sous le règne de Justin, les subventions sont prélevées, en totalité ou en partie, sur le budget de la préfecture du prétoire47. Seul Jean le Lydien nous informe sur ce point, parce que la préfecture du prétoire est précisément le sujet dont il
37. Malalas XVIII, 27, p. 370, l. 84 Thurn. 38. Évagre, HE VI, 8, l. 28-30. 39. Malalas XVII, 14, p. 344, l. 59-61 Thurn ; Théophane, p. 172, l. 9-11 De Boor. 40. Malalas XVII, 22, p. 352, l. 71-78 Thurn. 41. Malalas XVII, 17, p. 350, l. 19-23 Thurn ; Théophane, p. 173, l. 7-10 De Boor ; pour le slavonique, cf. spinKa & DoWney 1940, p. 132 ; jeffreys, jeffreys & sCott 1986, p. 242. 42. PLRE II, p. 261, Carinus 5. 43. Malalas XVII, 17, p. 350, l. 23-26 Thurn ; Théophane, p. 173, l. 10-13 De Boor ; pour le slavonique, cf. spinKa & DoWney 1940, p. 132 ; jeffreys, jeffreys & sCott 1986, p. 242. 44. PLRE II, p. 172-173, Asterius 10. 45. PLRE II, p. 881, Phocas 5. 46. Cedrenos, § 400, 1, p. 621, l. 17 Tartaglia (I, p. 641 l. 18 Bekker). On peut se demander s’il ne s’agit pas d’une interprétation faite par Cedrenos du qualificatif de « savants » attribué à Astérios et Phocas par les autres sources. 47. Jean le Lydien, Des magistratures III, 54, 3-5. Sur le rôle de la préfecture du prétoire dans l’administration financière de l’Empire, voir jones 1964, p. 448-469.
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traite, mais lorsqu’un auteur comme Malalas ou Évagre48 évoque un don venant « de l’empereur », sans plus de précision, il y a de bonnes chances pour qu’il s’agisse en réalité d’une subvention prise sur le budget préfectoral. Des fonds peuvent être consacrés au déblaiement, comme le signale explicitement Jean le Lydien49. De fait, après le séisme de 526, Carinos, chargé précisément du déblaiement, dispose d’un budget de cinq kentenaria50, qui doit servir aussi à Séleucie et Daphné d’après la Chronique de Zuqnin51. Les montants sont variables. Ils ne sont pas toujours indiqués, mais quand ils le sont, ils sont le plus souvent signalés en kentenaria, un kentenarion valant 100 livres 52. En 525, la subvention est de deux kentenaria53. En 526-527, les envois de subsides se multiplient : Astérios et Phocas viennent avec « beaucoup d’argent » pour la reconstruction 54 ; trente kentenaria sont obtenus grâce l’ambassade de Zacharie, dix kentenaria sont encore envoyés ensuite55. Le total, si l’on ajoute les cinq kentenaria apportés par Carinos, est donc nettement supérieur à quarante kentenaria. Cedrenos indique une somme globale de cinquante kentenaria56. En 528 en revanche, l’empereur n’envoie que « deux cents livres », soit deux kentenaria « à Antioche, Laodicée, Séleucie ». Il n’est pas aisé d’établir si la somme est versée à chaque cité ou doit être répartie entre elles57. Au total, d’après Jean le Lydien, c’est une « immense pluie d’or » que le pouvoir central a dû déverser sur Antioche après le séisme de 52658. Pour vérifier cette formule et apprécier à leur juste mesure l’importance des fonds engagés, il faut comparer la somme (que nous ne pouvons qu’évaluer, comme on l’a vu) à d’autres montants connus. D’après Procope de Césarée, à la mort d’Anastase, il y avait dans les caisses de l’État 3 200 kentenaria d’or59, et Justin y a ajouté en neuf ans de règne 4 000 kentenaria60, ce qui implique un revenu annuel moyen d’environ 445 kentenaria. Les quarante kentenaria versés en quelques mois en 527, entre la nomination de Zacharie comme comte d’Orient et la mort de Justin, correspondraient donc à 9 % de ce revenu. La somme totale des subventions versées à Antioche n’est donc assurément pas négligeable, elle doit cependant être inférieure aux 110 kentenaria versés à Chosroès pour la Paix éternelle en 53261 ou aux 80 kentenaria qui se seraient trouvés dans les caisses du patriarcat d’Alexandrie au début du viie siècle à l’arrivée de Jean l’Aumônier62. Quoi qu’il en soit, les montants déboursés pour la reconstruction tout au long de l’épisode sismique de 526-527 sont considérablement plus importants que ceux qui sont versés en 525 et en 528 et témoignent de l’ampleur exceptionnelle des dégâts.
48. Ex. : Malalas XIV, 36, p. 291, l. 73-74 Thurn, et Évagre, HE II, 12, l. 41 (après le tremblement de terre de 458) ; Évagre HE VI, 8, l. 44-45 (après le tremblement de terre de 588). 49. Jean le Lydien, Des magistratures III, 54 ,4. 50. Malalas XVII, 17, p. 350, l. 20-21 Thurn ; Théophane, p. 173, l. 8 De Boor. 51. Chronique de Zuqnin, d’après Jean d’Éphèse, qui lui-même utilise Malalas, trad. Witakowski, p. 48. 52. Dagron & Morrisson 1975. 53. Malalas XVII, 14, p. 344, l. 61 Thurn ; Théophane, p. 172, l. 10 De Boor. 54. Malalas XVII, 17, p. 350, l. 28 Thurn. 55. Malalas XVII, 22. 56. Cedrenos, § 400, 1, p. 621, l. 17 Tartaglia (I, p. 641 l. 17-18 Bekker). 57. Malalas XVIII, 29, p. 371, l. 8-10 Thurn. 58. Jean le Lydien, Des magistratures III, 54, 4. 59. Procope, Anecdota 19, 7, cf. Jean le Lydien, Des magistratures III, 51, 6 (« d’innombrables milliers de livres »). 60. Procope, Anecdota 19, 8. 61. Procope, Bell. I, 22, 3. 62. Léontios de Néapolis, Vie de Jean l’Aumônier LVII, l. 19.
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Dans les cas où la précision est fournie, les sommes sont affectées à la construction publique ou religieuse. À propos du séisme de 458, Évagre, sans signaler explicitement le versement d’une subvention, oppose cependant aux mesures fiscales qui concernent les particuliers la prise en charge par « l’empereur » des constructions publiques63. Après le séisme de 526, Justin recommande à Phocas et Astérios de s’occuper tout particulièrement des bains publics, des aqueducs et des ponts64. D’après la version slavonique de Malalas, les dix kentenaria supplémentaires envoyés en 527 devaient être consacrés spécifiquement à la reconstruction des églises65. La reconstruction des édifices privés par les particuliers est quant à elle favorisée par des mesures fiscales. L’impôt étant un impôt de répartition, ces mesures s’adressent à la cité, mais elles sont au bénéfice des contribuables. Après le séisme de 458, une remise d’impôts de « 1 000 talents » (soit dix kentenaria) est accordée à Antioche66. En 528, une remise d’impôts pour trois ans est consentie aux trois cités d’Antioche, Laodicée, Séleucie 67. Du point de vue du pouvoir central, ces mesures fiscales entraînent un manque à gagner qu’il faut aussi prendre en compte pour évaluer le poids global de la reconstruction sur le budget de l’État. En 458 comme en 528, ces mesures fiscales générales sont assorties de mesures concernant spécifiquement les élites locales, dont on peut attendre un engagement particulier dans la reconstruction de leurs propres résidences mais aussi d’édifices à usage public ou religieux ou d’immeubles locatifs. Il s’agit après le séisme de 458 d’une dispense de liturgies68. Les liturgies sont les prestations obligatoires imposées aux membres des conseils locaux (curies), désignés comme les curiales. Le fait d’en être dispensés constitue pour les curiales, d’après Évagre le Scolastique, un dédommagement des pertes qu’ils ont subies ; il leur donne aussi la possibilité de consacrer aux travaux de reconstruction les sommes qu’ils devraient employer normalement au fonctionnement de la cité. Une telle exemption implique la prise en charge par l’État des dépenses inhérentes à la vie municipale et doit donc aussi être prise en compte dans l’estimation globale du coût de la reconstruction. Cette dispense fut certainement temporaire, mais on peut sans doute lui associer d’autres mesures prises par l’empereur Léon visant à protéger le patrimoine des curiales, comme l’interdiction faite à ces derniers d’exercer l’alytarchie (organisation du concours olympique) et la syriarchie (organisation de spectacles de chasses en hommage à l’empereur), prononcée en 46569. Il s’agit des deux liturgies les plus lourdes. Il est possible que l’objet principal de cette interdiction ait été d’éviter aux membres de la curie des occasions de dépense qui les auraient détournés de l’effort de reconstruction. Après le tremblement de terre de 528, la promotion des notables d’Antioche, Laodicée et Séleucie au statut d’illustris, qui est celui des membres de l’élite sénatoriale de Constantinople70, est une mesure surtout honorifique : il s’agit d’une consolation et d’un encouragement.
63. Évagre, HE II, 12, l. 41. 64. Malalas XVII, 17, p. 350, l. 28-30 (texte en partie restitué à partir du slavonique, cf. spinKa & DoWney 1940, p. 132, jeffreys, jeffreys & sCott 1986, p. 242). 65. Malalas XVII, 22 Thurn, l. 76 et apparat critique ; cf. spinKa & DoWney 1940, p. 133 ; jeffreys, jeffreys & sCott 1986, p. 244. 66. Évagre, HE II, 12, l. 38-39. 67. Malalas XVIII, 29, p. 371, l. 7-8 Thurn. 68. Évagre, HE II, 12, l. 40. 69. CJ I, 36. Cf. laniaDo 2002, p. 22, p. 95-96 (qui ne met pas cette décision en relation avec le séisme mais précise bien qu’il s’agit avant tout de protéger les biens curiaux). 70. Malalas XVIII, 29, p. 371, l. 9-10 Thurn, cf. laniaDo 2002, p. 195.
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Outre ces mesures générales, les empereurs ou leurs proches peuvent aussi prendre en charge la reconstruction, voire la construction, d’édifices précis, dans le cadre de manifestations d’un évergétisme impérial susceptible de se déployer aussi hors d’un contexte de catastrophe. Comme l’a remarqué G. Downey, les constructions effectuées par Justinien et Théodora à Antioche en 527 ont pour fonction de célébrer l’élévation de Justinien à l’augustat le 1er avril de cette même année71. Elles n’en constituent pas moins des contributions à l’effort de reconstruction. La logique du récit de Malalas fait penser que les fonds affectés à ces travaux sont distincts des subventions versées par la préfecture du prétoire et doivent provenir de l’aerarium impérial72. Justinien fait reconstruire l’église de la Théotokos73, construite au plus tard sous le règne d’Anastase, et qui sera désormais appelée aussi « église de Justinien » 74. Théodora fait reconstruire l’église Saint-Michel, bâtie durant la seconde moitié du ve siècle75, et un édifice civil édifié sous le règne de Théodose II, la « “basilique” d’Anatolios »76. Tous ces travaux correspondent à la reconstruction d’édifices préexistants. En revanche, l’église consacrée aux saints Côme et Damien, dont la construction est attribuée à Justinien, n’est apparemment pas mentionnée avant 52677. Il peut donc s’agir d’une construction neuve, offerte par Justinien à la cité. Malalas attribue également à Justinien la construction ou la reconstruction d’un hospice, de bains, de citernes78. De la ville détruite à la ville reconstruite Après la secousse de mai 526, la reconstruction des édifices publics commença rapidement, pendant que la crise sismique se déroulait encore, sous la direction d’Éphrem en tant que comte d’Orient, antérieurement donc à son élection comme patriarche : d’après une anecdote pieuse, cette élection lui aurait été annoncée par la prophétie d’un saint homme travaillant comme ouvrier sur les chantiers de reconstruction79. De fait, le tremblement de terre de 528 détruisit des édifices qui venaient d’être restaurés80. Les travaux reprirent ensuite. La dédicace de la Grande Église nouvellement reconstruite eut lieu en 537 ou 53881. Une inscription signalant la restauration « depuis les fondations », sous la responsabilité du comte d’Orient, d’un édifice
71. DoWney 1961, p. 525. 72. Sur l’aerarium impérial et son fonctionnement, voir DelMaire 1989a (p. 588-589 sur les dépenses des Justinien). 73. Malalas XVII, 19, p. 351, l. 49-50 Thurn. Sur cette église, voir Mayer & allen 2012, p. 107-109, avec les références aux sources (sur la chronologie des travaux de Justinien, voir cependant nos remarques ci-dessous). 74. Cf. Évagre, HE V, 21, l. 4-5. 75. Malalas XVII, 19, p. 351, l. 53-54 Thurn. Sur cette église, voir Mayer & allen 2012, p. 98-99, avec les références aux sources. 76. Sur la construction de cet édifice, voir Malalas XIV, 13, p. 280, l. 83-90 Thurn, et Évagre, HE I, 18, l. 15-18 (qui le désigne comme un portique) ; sur sa reconstruction par Théodora, Malalas XVII, 19, p. 351, l. 54-56 Thurn. 77. Malalas XVII, 19, p. 351, l. 51 Thurn. 78. Malalas XVII, 19, p. 351, l. 52 Thurn. Le verbe κτίζειν utilisé par Malalas peut s’appliquer à n’importe quelle opération édilitaire, qu’il s’agisse d’une construction ou d’une restauration (DoWney 1938, p. 2-6). 79. Jean Moschos, Pré spirituel 37, PG 87, 3, col. 2885 D-2888. La leçon διὰ τοῦτο (« pendant ce temps ») retenue dans le texte de la Patrologie doit être écartée au profit des variantes δι’ αὐτοῦ, διὰ τούτου (« par son intermédiaire », « par lui », le pronom renvoyant à Éphrem), confirmées par la traduction latine d’Ambrogio Traversari, (cf. PG 87, 3, col. 2885 D et apparat critique, et col. 2887 A). C’est aussi le choix opéré dans la traduction française la plus récente (DéroChe, BouChet & CongourDeau 2006, p. 52 ; sur la tradition du texte du Pré Spirituel, ibid., p. 17-19). 80. Malalas XVIII, 27, p. 369, l. 80-p. 370, l. 81 Thurn. 81. Cf. Ps-Zacharie, Chron. 10, 5a ; Vie de Jean de Tella, p. 90 (texte), p. 56, l. 37-57, l. 1 (traduction) ; Michel le Syrien, IX, 24 (t. 2, p. 207). Sur la date, cf. DoWney 1961, p. 533.
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thermal désigné par les archéologues comme le bain F (figure 1 : 10), est datée quant à elle de 53853982. Dix ans après le dernier séisme, ces deux réalisations étaient-elles les dernières dans le processus de construction, ou s’inscrivaient-elles dans un mouvement encore en cours ? C’est ce qu’il est difficile d’établir83. Dans les deux cas, la reconstruction ne fut pas simplement une reconstruction à l’identique. L’inscription commémorant la restauration du bain F mentionne l’addition d’un quadriportique. Cette addition a dû impliquer un agrandissement ou au moins une modification du plan du complexe thermal. En ce qui concerne la Grande Église, le patriarche Éphrem, en la dédicaçant à nouveau, signale, voire revendique, une solution de continuité entre la Grande Église dédicacée par Constance en 341 et celle qu’il vient de reconstruire. La ville telle qu’elle était avant la crise sismique et la ville reconstruite ne sont pas exactement les mêmes. Cette distinction entre la ville détruite et la ville reconstruite peut être soulignée par des mesures symboliques. Après le tremblement de terre de 528, la reconstruction de la ville fut accompagnée du changement de son nom en Théoupolis ou « cité de Dieu ». Une récente découverte numismatique montre qu’il doit s’agir en réalité de l’officialisation par Justinien d’une décision prise antérieurement par la cité84. C’est ce que signale explicitement Malalas85, et c’est ce qui permet d’expliquer qu’une monnaie de l’époque d’Anastase (491-518) puisse porter le nom de « Théoupolis ». Cette constatation modifie l’interprétation que l’on doit faire de ce changement de nom : de la part des Antiochéens, il ne s’agit pas d’une réaction immédiate aux séismes qui ont frappé la ville de 526 à 528, mais d’une volonté plus ancienne de rompre avec l’identité « païenne » ou « hellène » de la cité, marquée par son nom dérivé de celui d’un roi macédonien. Toutefois force est de constater que le nom de Théoupolis n’est attesté dans les textes littéraires et épigraphiques qu’après 528, ce qui démontre toute l’importance de la décision de Justinien. Ce changement de nom correspond à une véritable refondation, et vient parachever par avance la reconstruction, tout en conférant à la ville une nouvelle identité. Quoi qu’il en soit, en 540, Chosroès prit la ville et la détruisit à nouveau86. À la suite de ce raid, Justinien fit faire de grands travaux à Antioche.
la « reConstruCtion De justinien » Les grands travaux de Justinien à Antioche ont été décrits par Procope de Césarée dans son ouvrage sur Les constructions de Justinien87. Comme l’a montré F. Montinaro, l’ouvrage a été rédigé successivement en deux versions : une première version courte, rédigée en 550/551, fut suivie d’une seconde version,
82. IGLS III, 1, 786 (mentionné par DoWney 1961, p. 533) ; sur le texte de cette inscription, cf. SEG 36, 1281, DelMaire 1989b, no 172, p. 267-268, feissel 2006, no 585. Sur le bain lui-même, cf. saliou 2014a, p. 677, p. 682, no 32, et p. 667 sur son insertion dans l’espace urbain. 83. En tout cas, il n’est pas certain que la ville ait encore été à demi détruite (« halbzerstörte », BranDs 2016, p. 39) en 540. 84. BijovsKy & Benovitz 2015, p. 62-66. 85. Malalas XVIII, 29, p. 371, l. 96/1-6 Thurn. 86. Procope, Bell. II, 10, 9. Cf. DoWney 1961, p. 542-545. 87. C’est le titre de la traduction française (roques 2011). Dans les notes qui suivent, nous abrégeons le titre de l’ouvrage d’après sa forme latine De Aedificiis : Aed.
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longue, en 554 88. Dans les deux versions, la structure du passage qui nous intéresse est la même : le développement s’organise en deux parties bien distinctes, consacrées l’une aux défenses de la ville (II, 10, 2-18), l’autre à la ville elle-même (II, 10, 19-25). Après une sorte d’introduction qui signale que l’amélioration des défenses de la ville a été opérée au moyen d’une réduction de l’enceinte (II, 10, 2-3), le premier point de la première partie concerne la ville basse (II, 10, 4-8) et décrit d’une part la rétraction de l’enceinte89 (II, 10, 4-5), d’autre part une modification du cours de l’Oronte pour l’amener à longer au plus près le rempart et en quelque sorte à le doubler (II, 10, 6-8). Le second point de la première partie concerne la ville haute et mentionne également le retrait du rempart à l’intérieur du périmètre précédent (II, 10, 10-1890). D’après Procope lui-même91, l’enceinte avait été laissée intacte par les Perses en 540. Dès lors, pourquoi ces grands travaux ? La réponse est dans le texte même des Constructions : Procope mentionne en effet deux autres réductions d’enceinte, à Césarée de Cappadoce92 et à Leptis Magna93. Les motivations de ces entreprises sont dans les trois cas les mêmes : assurer une défense plus efficace de la ville en délaissant les parties inhabitées. Ce principe d’aménagement est mis en œuvre à l’échelle de l’ensemble de l’Empire. À Antioche, on a donc affaire à l’exécution d’un projet de transformation urbaine, issu de la constatation de l’inadéquation des défenses d’Antioche et de la volonté de mettre en œuvre un nouveau modèle de défense répondant à un choix que l’on pourrait qualifier de doctrinal de la part de Justinien. La deuxième partie du développement de Procope concerne la restauration de la ville elle-même, intégralement détruite à l’exception de la Grande Église94 et du quartier des Caroubiers (Kerataiai)95. Le texte présente tous les traits d’un récit de refondation urbaine et mentionne notamment le tracé d’un nouveau réseau viaire impliquant un nouveau découpage de l’espace96. Or les observations et travaux de terrain effectués à Antioche ont mis en évidence, au contraire, la persistance des tracés viaires et du parcellaire97. Le découpage de l’espace urbain par un réseau de voies est une opération caractéristique d’une fondation urbaine et un lieu commun du récit de fondation : l’usage de ce lieu commun a pour fonction de magnifier la figure de Justinien en le présentant comme le nouveau fondateur d’Antioche, et non de rendre compte d’une quelconque réalité. En revanche, lorsque Procope attribue à Justinien l’aménagement de portiques, d’un réseau d’adductions d’eau, ainsi que la construction d’édifices publics tels que bains et théâtres, et
88. Montinaro 2012. La comparaison systématique des deux versions est faite dans la thèse de l’auteur (Montinaro 2013), que j’ai pu consulter grâce à l’obligeance de son directeur Constantin Zuckerman : qu’il en soit ici remercié. L’ouvrage est cité dans les notes qui suivent d’après l’édition de J. Haury. 89. Pour une tentative d’évaluation des résultats de la reconstruction de Justinien, à partir des données archéologiques et d’observations de terrain, voir BranDs 2016, p. 41-42 et p. 45-58, avec les références à la bibliographie antérieure. 90. Pour une lecture archéologique de ce passage, cf. BranDs 2016, p. 43-45 (on prendra garde cependant que la désignation des reliefs qui dominent la ville comme « Silpios » et « Staurin » est un artefact historiographique, cf. saliou 2010-2011). 91. Procope, Bell. II, 10, 9. 92. Procope, Aed. V, 4, 7-14. 93. Procope, Aed. VI, 4, 1-3 94. Procope, Bell. II, 10, 6. 95. Procope, Bell. II, 10, 7. Sur ce quartier, cf. saliou 2016, p. 261-262, avec la bibliographie antérieure. 96. Procope, Aed. II, 10, 20-22. 97. BranDs 2016, p. 50, avec la bibliographie antérieure.
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ajoute que des dispositions furent prises pour faciliter la reconstruction de leurs maisons par les habitants98, on retrouve la distinction déjà repérée à propos des catastrophes naturelles entre les équipements publics, reconstruits aux frais du pouvoir central et sous le contrôle de ses représentants, et les édifices privés reconstruits aux frais et sous la responsabilité des particuliers, encouragés par diverses mesures. Il n’y a pas de raison de douter que la reconstruction se soit opérée selon ce schéma. Procope distingue quelques édifices précis pris en charge par l’empereur. Ces édifices sont l’église de la Théotokos et l’église Saint-Michel, dont les reconstructions sont signalées par Malalas après le tremblement de terre de 526, ainsi qu’un hospice (II, 10, 24-25). On pourrait donc se demander si Procope n’a pas simplement prolongé sa notice sur le rempart par une autre empruntée à un récit de la reconstruction après le séisme de 526, ou fusionné les diverses opérations édilitaires décidées par Justinien entre 526 et 54099. Toutefois, si la destruction de la ville par les Perses a bien été totale comme le signale Procope lui-même, il a dû falloir également reconstruire à nouveau des bâtiments déjà restaurés après le séisme de 526. Justinien n’aura fait que se comporter en évergète conséquent en reconstruisant les édifices dans la construction ou la reconstruction desquels il s’était déjà impliqué en 527100. Procope ne dit rien des processus de transfert d’informations et de décision, ni du financement des travaux. On sait par un texte hagiographique que des tailleurs de pierres isauriens ont travaillé au rempart101. Les événements du second quart du vie siècle correspondent dans l’histoire de l’espace urbain antiochéen à une rupture profonde, à la fois symbolique et matérielle. L’inventaire des édifices ou des quartiers de la ville connus avant et après ces années permet toutefois de nuancer cette notion de rupture. Certes les éléments de définition de l’espace urbain ont changé : le nom même de la ville et son enveloppe extérieure, matérialisée par son enceinte, ainsi que le cours de l’Oronte. De plus, l’île semble avoir été abandonnée. Toutefois, à l’intérieur de la ville, des bâtiments et des éléments d’organisation de l’espace urbain ont perduré, soit qu’ils n’aient pas été détruits, soit qu’ils aient été reconstruits. Le témoignage des textes complète utilement sur ce point celui des vestiges archéologiques102. Ainsi, on vient de voir que l’église Saint-Michel et celle de la Théotokos ont été reconstruites ; le Psèphion, qui avait déjà été restauré sous le règne de Théodose II, ne fut détruit qu’en 588103 ; la Grande Église avait été épargnée par les Perses, mais sa coupole, déplacée par un séisme intervenu entre-temps, et qui avait dû être étayée, fut miraculeusement remise en état lors du séisme de 588104 ; la « basilique d’Anatolios » est peut-être identifiable à la « Diphôtos » mentionnée dans la Vie ancienne de Syméon Stylite le Jeune105 ; l’« église de Cassianos », attestée au plus tard au début du vie siècle et certainement antérieure, deviendra sous le vocable
98. Procope, Aed. II, 10, 22. L’indication que ces mesures de facilitation ont consisté en l’envoi de personnel technique compétent a été ajoutée dans la version longue de l’ouvrage (Procope, Aed. II, 10, 22, cf. Montinaro 2013, p. 59). 99. Pour une telle hypothèse, voir Mayer & allen 2012, p. 99 et p. 108-109. Dans la Chronique de Zuqnin, les grands travaux de Justinien sont présentés comme consécutifs au tremblement de terre de 528 (trad. Witakowski, p. 69), mais la chronologie, dans cette chronique, est très souvent brouillée ou fautive : son auteur situe le tremblement de terre en 540 (cf. p. 67), ce qui explique la confusion entre les deux séquences. 100. En ce sens, DoWney 1961, p. 553. 101. Vie ancienne de Syméon Stylite le Jeune, § 188. 102. Pour une tentative de bilan à partir des données de l’archéologie, cf. BranDs 2016, p. 45-56. 103. Cf. Évagre, HE I, 18, l. 5 et VI, 8, l. 20. 104. Évagre, HE VI, 8, l. 10-19. 105. saliou 2004, p. 191.
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de saint Pierre la cathédrale des Croisés106 ; le quartier d’Ostrakinè, signalé dans le bilan des destructions de 458, est à nouveau mentionné en 588107 ; la rue principale est également mentionnée jusqu’à la fin de l’Antiquité108, et elle a toujours été visible dans l’espace urbain antiochéen109. L’inventaire pourra être complété et précisé, mais il suffit à montrer que la transformation n’exclut pas les reconstructions et la rupture coexiste avec la permanence.
ConClusion En conclusion, on reviendra sur le point d’interrogation qui accompagne le titre de cette contribution. L’expression « reconstruire une ville » est simplificatrice et mérite d’être mise en question, ne serait-ce que parce que les bilans des dégâts témoignent en creux du caractère toujours partiel de la destruction. De plus, il faut faire la part, dans la reconstruction, de la transformation. Dans l’histoire d’Antioche en tout cas, deux attitudes se distinguent de la part du pouvoir impérial : après une catastrophe naturelle, accompagner et aider les Antiochéens dans les travaux de reconstruction de leur ville ; après les raids perses, transformer la ville pour l’adapter à de nouveaux choix stratégiques ou améliorer ses défenses. Il s’agit dans un cas de faire en sorte que les Antiochéens se réapproprient leur ville, dans l’autre d’approprier la ville à de nouveaux impératifs. Il s’agit aussi soit de restaurer la continuité de l’histoire de la ville, soit au contraire d’introduire une rupture : la fondation de la Ville Neuve à la fin du iiie siècle et la réduction de l’enceinte au milieu du vie siècle sont des scansions fortes, elles marquent le début et la fin de l’apogée de la ville. Cependant transformation et reconstruction ne s’excluent pas l’une l’autre : le changement de nom d’Antioche en Théoupolis après 528 correspond symboliquement à une transformation radicale puisqu’il s’agit d’un changement d’identité, alors que concrètement il s’agit bien d’une reconstruction, et l’œuvre de Justinien après le raid perse de 540 relève à la fois de la reconstruction et de la transformation. La reconstruction elle-même est un processus complexe, qui met en jeu les relations entre le pouvoir impérial et la cité, implique la mise en œuvre de différents modes de financement et d’encouragement, et dépend certainement en grande partie, pour la reconstruction des édifices privés qui constituent le tissu ordinaire de la ville, de l’initiative des propriétaires et de la mobilisation de leurs ressources propres. À cet égard le cas d’Antioche a certainement valeur exemplaire et peut servir de modèle pour les autres épisodes de reconstruction urbaine attestés. Des différents récits ou fragments de récits dont nous avons fait la synthèse il se dégage en effet un schéma répétitif, une sorte de routine de la catastrophe, qui témoigne du fonctionnement concret des institutions impériales. Le montant total des sommes engagées entre 525 et 528, que l’on ne peut qu’estimer, manifeste l’importance exceptionnelle de la ville et de la place qu’elle occupait dans l’Empire aux yeux du pouvoir impérial. [email protected] Université Paris 8 – École pratique des hautes études
106. saliou 2014b, p. 631-638. 107. saliou 2016, p. 260-261. 108. Vie ancienne de Syméon Stylite le Jeune, § 160-162 ; Théophane, p. 296, l. 20 De Boor (récit d’une émeute datée de 609 ap. J.-C.). 109. Jean Lassus y a effectué une série de sondages qui lui ont permis de mettre en évidence l’existence d’une phase de travaux qu’il a assignée à la reconstruction de Justinien (lassus 1972, p. 148-149).
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Figure 1 - Antioche dans l’Antiquité tardive (G. Poccardi d’après G. Stillwell). Ce « plan restitué » n’est pas une carte archéologique, et fusionne des éléments de nature différente, sa fonction est de faciliter la lecture et la compréhension du texte de l’article. Le tracé des remparts correspond au relevé du dernier état visible, postérieur à la rétraction voulue par Justinien ; les contours de l’île et le canal de Justinien sont restitués en fonction de l’observation du paysage actuel et des vestiges du rempart. Les numéros sont ceux d’édifices fouillés. L’hippodrome est encore visible de nos jours, mais l’emplacement du palais est hypothétique. La restitution des rues se fonde sur l’observation du plan actuel de la ville et sur les fouilles de Jean Lassus.
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Jean Gascou
Hermopolis : son paysage monumental pendant l’Antiquité tardive (l’incidence de la christianisation)
Voici quelques réflexions sur les modifications introduites par la christianisation dans l’espace urbain d’Hermopolis Magna à l’époque byzantine, soit entre le ive et le viie siècle. Ces remarques s’appuient sur des comparaisons avec d’autres cités orientales et égyptiennes, en particulier Alexandrie. Hermopolis Magna en Moyenne Égypte (figure 1), aujourd’hui Ashmunayn, tirait son nom grec de son dieu tutélaire Thôth, que les Grecs et les Romains assimilaient à Hermès. Son lieu de culte principal occupait la partie nord de la ville, un vaste domaine religieux remontant à l’époque pharaonique qu’on appelait, à l’époque gréco-romaine et sous les Byzantins, la Citadelle, le Φρούριον. À l’époque gréco-romaine, Hermès était envisagé comme patron de l’éloquence et des belles-lettres, mais aussi de l’athlétisme, car la culture hermopolitaine faisait autant de place aux activités agonistiques qu’aux lettres. Sous les Byzantins, il n’y a plus de culte public rendu à Hermès, mais son souvenir n’a pas été aboli. Cela se marque par exemple dans la qualité de dieu ancestral de la ville que lui décerne un poème patriographique de la fin du ive siècle1, dans la popularité durable des noms de personne faisant allusion à Hermès (ainsi Hermaiôn, Hermias, Herminos, Hermogénès) et, mais nous sommes ici plutôt dans l’ordre de la réminiscence que de la continuité consciente, dans le maintien jusqu’au viie siècle de la culture littéraire et juridique2. L’athlétisme a eu lui aussi la vie longue, puisqu’une quittance d’impôt inédite de la fin du vie ou du début du viie siècle mentionne encore l’athlète Phoibadios3. La prégnance du souvenir d’Hermès doit être rappelée pour permettre d’apprécier ce qui va suivre. On a, sur le site d’Hermopolis, des descriptions de voyageurs modernes, en particulier celles des savants de l’expédition de Bonaparte enregistrées dans la Description de l’Égypte, les résultats des fouilles du xxe s., notamment italiennes, égyptiennes, britanniques et égypto-polonaises (1987 et 1990)4. Parmi les centaines ou même milliers de papyrus provenant d’Hermopolis, le faciès byzantin, grec et copte est abondant. On peut enfin tirer parti, pour le présent propos, de l’hagiographie locale et autres compositions chrétiennes évoquant Hermopolis.
1.
D. gigli piCCarDi, La «Cosmogonia di Strasburgo», Firenze, 1990, p. 67, l. 2 : ἐμὸς πατρώῑος Ἑρμῆς. L. MeDini, « Entre tradition grecque et égyptienne : la cosmogonie de Strasbourg », dans Weltentstehung und Theologie von Hermopolis Magna. 1, Antike Kosmogonien, hrsg. von R. A. Díaz hernánDez et al. (Tuna el-Gebel 9), Vaterstetten, 2019, p. 81-91.
2.
Voir mes remarques dans P.Sorb. II 69, p. 54 et 64-65.
3.
P.Lond. III 1175 ro, description p. lxii en cours d’édition par N. Gonis et moi-même.
4.
Sur l’histoire des explorations archéologiques à Hermopolis, voir É. BernanD, Inscriptions grecques d’Hermoupolis Magna et de sa nécropole, Le Caire, 1999, p. 3-15.
Reconstruire les villes : modes, motifs et récits, éd. par Emmanuelle Capet, Cécile Dogniez, Maria gorea, Renée KoCh piettre, Francesco Massa, Hedwige rouillarD-Bonraisin (Semitica & classica. Supplementa 1), Turnhout, 2019, p. 215-230 DOI 10.1484/M.SUPSEC-EB.5.118525
216
Jean Gascou
Lac Menzala
Canope Alexandrie Lac Taposiris Mariout Nitrie St-Ménas Kellia
Thennesis Rhinocoroura (al-Arish)
Panephysis
Péluse
Mer Mé di t e r r a n é e
Désert de Skété Babylone Clysma Saqqara Toura Memphis Socnopéonèse Karanis Fayoum Arsinoé Dionysias Dayr Naqlûn Théadelphie Héracléopolis Magna Tebtynis (Théodosiopolis ?) (Ehnasiyya) Oasis de Bahariyya
Aïla Iôtabè
Pharan Sinaï
Oxyrhynchus (Bahnasa) Antinoopolis
Hermopolis Magna (Ashmounayn) Bawit
Ni
l
Lycopolis (Assiout) Apollonopolis Parva (Kôm Isfaht) Aphroditô (Kôm Ishqaw)
Mons Porphyrites Antaeopolis (Qaw al-Kébir) Panopolis (Akhmim)
Couvent Blanc Abydos
Kellis Oasis de Dakhla
Abu Sha’ar Mer Ro ug e
Tabennisi
Myos Hormos (Qusayr) Tentyra (Dandara) Nag Hammadi Bau Bir umm Fawakhir Koptos (Quft) Médinet Habou Thèbes Hermônthis Oasis de Kharga
Latopolis (Esna) Apollonopolis Magna (Edfou)
Douch
Omboi (Kôm Ombo) Syène (Assouan) Philae
Bérénice
Dodécaschène
2000 m
0
100 km
1500 m 1000 m 500 m
Primis (Qasr Ibrim)
200 m 100 m 0m sous le niveau de la mer
UMR 7572
Figure 1 - Carte de l’Égypte byzantine (d’après J. gasCou, « L’Égypte byzantine (284-641) », dans Le monde byzantin. 1, L’Empire romain d’Orient (330-641), sous la dir. de C. Morrisson (Nouvelle Clio), Paris, 2004, p. 403-436, carte 8 p. 405).
Hermopolis : son paysage monumental pendant l’Antiquité tardive (l’incidence de la christianisation)
217
C’est ici le lieu d’évaluer cette documentation. Quant aux papyrus, les contextes de trouvaille sont souvent inconnus ou mal décrits. Ce que disent ces documents sur la physionomie de la ville n’est que ponctuel ou allusif. En principe, sur le présent sujet, on serait donc enclin à mettre l’archéologie au premier plan, mais son apport est frustrant. Comme la plupart des sites urbains égyptiens, celui d’Hermopolis, qui avait encore de beaux restes au temps de l’expédition d’Égypte, a été ravagé au xixe siècle, époque où les ruines antiques ont fait les frais des prises de nitrates pour une usine de salpêtre locale. Cette exploitation a même persisté jusqu’aux années 1930. D’après un plan que je tire du rapport des fouilles de la mission du British Museum pendant les années 1980, notre site est aujourd’hui informe, discontinu et malaisé à délimiter. En particulier, son enceinte, dont j’entends ici parler, et ses portes ont disparu. Un équipement bien attendu à cette époque, et dont les institutions sont connues à Hermopolis, je veux dire l’hippodrome, n’a pas laissé de traces, et de même pour la place publique, l’agora. Parmi les rares monuments tardifs lisibles, on note une imposante basilique chrétienne à transept, qui serait, selon la plupart, l’église épiscopale. Comme on le verra, elle est mal datée, ce qui obscurcit sa signification idéologique originelle. Une autre église a été fouillée au sud du site et sa datation n’est pas non plus très claire. C’est peu de chose pour illustrer l’incidence du christianisme sur l’espace urbain, car, dans un travail publié en 1994 et fondé sur les papyrus, je comptais, pour le début du viie siècle, vingt églises et chapelles urbaines et ce nombre s’est accru depuis lors5. Pour le reste, les identifications d’édifices et de voies proposées par les archéologues s’appuient sur ce qu’ils croient avoir trouvé dans les papyrus. Elles ont abouti à des plans extrapolés. Sur certaines des localisations indiquées, Marie Drew Bear6 et surtout Lorenzo Medini ont exprimé de fortes réserves7. Il y a là comme un cercle vicieux. Dans leurs commentaires, les papyrologues invoquent les archéologues qui sont eux-mêmes influencés par des textes ambigus ou surinterprétés. Quant aux nombreuses œuvres littéraires chrétiennes mettant en scène Hermopolis et sa région8, bien qu’elles consistent surtout en légendes et en récits de martyres dénués d’historicité, elles mentionnent des itinéraires, des lieux de culte, en somme elles renseignent sur la topographie cultuelle locale à l’époque de leur rédaction (en général le vie siècle et les deux siècles ultérieurs). À ce titre, comme on le verra d’après les pièces que je discute plus bas, elles ne sont pas dépourvues de valeur documentaire.
les lieux De Culte Les cultes traditionnels, notamment celui de Thôth, s’effacent à Hermopolis au cours du ive siècle, sans doute à la fin de ce siècle, du moins entre 366/8, année où est encore attesté dans notre cité un néocore, c’està-dire un gardien ou administrateur de temple9, et 392, année de la prohibition générale des manifestations
5.
P.Sorb. II 69, p. 72-75.
6.
Compte rendu de D. M. Bailey, Excavations at El-Ashmunein. 4, Hermopolis Magna : buildings of the Roman period, London, 1991, dans Chronique d’Égypte 69, 1994, p. 384-387.
7.
« La topographie religieuse d’Hermopolis à l’époque gréco-romaine », Camenulae 7, 2001, p. 1-11 ; du même auteur « Hermopolis gréco-romaine ou les limites de l’archéologie d’une ville disparue », RAMAGE 12, 2012 (périodique en ligne : http://anthropologiedelart.org/ramage/wp-content/uploads/2013/03/L.-Medini-Hermopolis.pdf).
8.
On se fera une idée de la richesse du dossier en recourant à la notice al-Ašmūnēn de S. tiMM, Das christlich-koptische Ägypten in arabischer Zeit : eine Sammlung christlicher Stätten in Ägypten in arabischer Zeit. 1, A-C, Tübingen, 1984, p. 198-220, qu’on peut lire comme un répertoire des sources sur Hermopolis chrétienne.
9.
SB XXII 15311A, 15.
218
Jean Gascou
publiques de ces cultes10. Cette dernière mesure a dû frapper non seulement le temple de Thôth (figure 2), mais aussi les autres sanctuaires locaux. Que leur est-il ensuite arrivé ? Il y a quelques décennies, on aurait dit un peu légèrement qu’ils ont été accaparés par l’Église et dévolus au culte chrétien, mais cette idée n’a plus cours auprès des spécialistes de l’Empire tardif et je me suis déjà inscrit contre elle à propos d’Alexandrie 11. Dans l’Oasis de Dakhla, une région excentrée de l’Égypte, qui a fait l’objet d’explorations archéologiques étendues et de très haute qualité, ce Figure 2 - Portique du temple de Thôth, dans la Description de phénomène ne se constate pas et c’est l’Égypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été ce que me signale Roger Bagnall 12. faites en Égypte pendant l’expédition de l’armée française. Antiquités. En tout cas, si les temples ont été Planches. 4, publié par les ordres de sa majesté l’Empereur Napoléon le Grand, Paris, 1822, planche 51. christianisés, ce phénomène reste de toute manière à établir, à mesurer, à dater et surtout à définir. Le terme de christianisation peut en effet avoir plusieurs sens, depuis l’adaptation architecturale d’un temple au culte public, en passant par les marques de désacralisation sans réutilisation cultuelle, jusqu’aux modestes graffites pieux apposés par des visiteurs ou des moines squattant les lieux. Si les temples ont changé de destination, c’est, la plupart du temps, dans des conditions qui n’ont rien à voir avec un combat religieux. Malgré certaines descriptions dramatiques dans la littérature hagiographique ou chez des historiens tardifs peu scrupuleux, qu’ils soient chrétiens ou païens, les chrétiens ne se sont pas lancés à l’assaut des temples13. Au reste, ils n’en auraient pas eu le droit, car ces biens désormais inutiles appartenaient à l’administration du domaine public, qui elle seule pouvait décider de leur sort. Ce service semble avoir privilégié la vente, ce mot de « vente » ayant cependant, comme on va le voir, un sens particulier. Nous avons ainsi pour 435 environ deux papyrus enregistrant la cession par l’État de deux temples hermopolitains désaffectés ou « déserts » (figure 3)14. Le mode d’aliénation est le ius
10. Code théodosien XVI, 10, 12. 11. J. gasCou, « Les églises d’Alexandrie : questions de méthode », dans Alexandrie médiévale. 1, éd. par Ch. DéCoBert & J.-Y. eMpereur (Études alexandrines 3), Le Caire, 1998, p. 23-44, ici p. 30-36. 12. Courriel du 30 ix 2018 : « There is no sign of that in Dakhla, as far as I know. » 13. Voir B. Caseau, « Πολεμεῖν λίθοις : la désacralisation des espaces et des objets religieux païens durant l’Antiquité tardive », dans Le sacré et son inscription dans l’espace à Byzance et en Occident : études comparées, sous la dir. de M. Kaplan, Paris, 2001, p. 61-123 et pl. I-XII, ici p. 63-67 ; pour l’Égypte, J. H. F. DijKstra, « The fate of the temples in late antique Egypt », dans The archaeology of late antique paganism, ed. by L. lavan & M. Mulryan, Leiden – Boston, 2011, p. 389-436. 14. SPP XX 143 : un temple abandonné (ἔρημος) d’Ammon. Dans SB VI 9598, 4 le nom du temple a disparu dans une lacune. Le bien était en tout cas abandonné, ἔρημος, et de statut sacerdotal, τόπον ἔρημον ἱερατικὸν. La lecture ἱερατικὸν est due à H. Cuvigny (voir L. MeDini, « Chronique d’une mort annoncée ? Le crépuscule des temples et
Hermopolis : son paysage monumental pendant l’Antiquité tardive (l’incidence de la christianisation)
219
Figure 3 - Cession d’un temple désaffecté d’Ammon vers 435 (P.Vindob. G 2142, publié comme SPP XX 143). © Papyrussammlung Wien (B. Palme).
perpetuum ou emphytéotique. L’acheteur reçoit la propriété de ces biens sous réserve du paiement d’un loyer fixe et perpétuel appelé canon, σωζομένου τοῦ κανόνος, salvo canone. Dans les deux cas, ce canon est d’un montant faible (⅛ et ½ solidus), mais il manifeste et maintient du moins indéfiniment le droit de propriété éminent de l’État. Nous n’avons donc pas tout à fait affaire à des ventes, à des aliénations pures
des païens d’Égypte », Topoi 20 (1), 2015, p. 239-280, ici p. 272-273 et n. 227). Elle se substitue au nom Ἱερακὸν (sic), lecture qui suggérait que ce temple était dédié à Horus, envisagé comme un faucon.
220
Jean Gascou
et simples. En somme, au vu de ces deux cas, tout se déroule sans violence et selon les procédures établies de concession de biens publics. Un des textes a préservé le nom d’un des acheteurs. Il ne s’agit pas d’une autorité ecclésiastique, mais d’un certain Pétros, fondé de pouvoir (προκουράτωρ) de Théodotos gouverneur militaire de l’Égypte15. Dans l’autre papyrus16, l’acheteur est encore le gouverneur militaire. On conçoit que les hauts fonctionnaires locaux et les notables laïcs aient été bien placés pour se remplir les poches, un peu comme les riches acheteurs de biens nationaux dans la France révolutionnaire. L’État avait au reste intérêt à traiter avec des gens fortunés pour garantir le paiement continu du canon grevant ces biens. Que comptaient en faire leurs acquéreurs ? Nous l’ignorons et il est inutile de spéculer. Mais on peut concevoir bien d’autres usages que des aménagements d’églises, par exemple, au vu de la législation de l’époque, les démolitions pour récupération de matériaux ou fabrication de chaux17. Roger Bagnall me signale que sur le site de Ayn Gedida à Dakhla, le seul temple connu a été transformé au ive siècle en atelier de potier18. Cependant, si on considère le prestige et le souvenir durables du dieu poliade Thôth/Hermès, on se serait attendu à quelques efforts de la part de l’église locale pour le détrôner, c’est-à-dire à voir son vaste domaine investi, au moins pour des raisons symboliques, par des monuments chrétiens. Ce n’est pourtant pas ce qui s’est passé. Si je suis les savants de la mission du British Museum, il semble que, au cours des deux siècles ayant suivi son abandon (au ive siècle comme on l’a vu), le complexe ait été comblé d’ordures et de gravats directement installés sur les sols pharaoniques, jusqu’à une hauteur de plus de trois mètres. Des constructions médiocres se sont installées sur les débris ; on a noté l’extraction, par les carriers, des blocs de fondation et de la brique crue du mur d’enceinte. Cette exploitation aurait bénéficié à la grande basilique (ce qui est à voir à mon avis). Même après sa destruction, le domaine de Thôth n’a pas été réoccupé de manière stable, si bien que, à compter du viiie siècle, il s’est trouvé en dépression par rapport à l’habitat médiéval environnant, qui, au contraire, se surélevait, conformément au phénomène bien connu du tell ou du kôm19. De fait, l’exhaussement de l’habitat semble une tendance ancienne et durable du paysage urbain local. Robert Daniel l’a déjà soupçonnée en discutant un texte hermopolitain de 331. Il rappelle que ces élévations caractérisaient encore le site jusqu’au xixe siècle avancé20. De même pour Edfou, où le « tell » des archéologues, à l’ouest du temple d’Horus, existait déjà au début du viie siècle, sous le nom de ὕψωμα τῆς πόλεως (« partie haute de la ville »)21. Un tell est à présumer à Antinoopolis d’après un contrat de prêt de 569 qui mentionne une οἰκία située en contrebas, παρακάτω, d’un édifice appelé Ὁμόνοια, sans doute une église dédiée à la Concorde, ce qui implique un habitat dénivelé sur la pente d’un tell22. Même évolution à Alexandrie à compter du Bas-Empire23.
15. SPP XX 143. Sur Théodote, voir Prosopography of the later Roman Empire II, Theodotus 4. 16. SB VI 9598. 17. Pour la quête de matériaux, voir B. Caseau, « Πολεμεῖν λίθοις » (supra, n. 13), p. 71, avec les sources juridiques rassemblées n. 46. 18. Courriel du 30 ix 2018. 19. A. J. spenCer, Excavations at el-Ashmunein. 2, The temple area, with contrib. by P. A. spenCer et al., London, 1989, p. 76-77. 20. R. W. Daniel, Architectural orientation in the papyri, Padernorn, 2010, p. 71-72, n. 161 de la p. 71 ad P.Lond. III 978, p. 232. Voir aussi sur les kôm-s d’Hermopolis É. BernanD, Inscriptions (supra, n. 4), p. 4. 21. SB I 5112, 28 (618) ; 5114, 8 (630/40) ; VI 8988, 14 (647). 22. P.CairoMasp. III 67309, 24 (παρακάτω τῆς ταύτης Ὁμονοίας). 23. J. gasCou, « La σημασία P. Oxy. XXXIV 2719 et le paysage urbain d’Alexandrie », Chronique d’Égypte 87, 2012, p. 308-318, ici p. 314.
Hermopolis : son paysage monumental pendant l’Antiquité tardive (l’incidence de la christianisation)
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Figure 4 - Plan d’Hermopolis tiré de D. M. Bailey et al., British Museum Expedition to Middle Egypt. Excavations at el-Ashmunein. 4, Hermopolis Magna : buildings of the Roman period, London, British Museum Press, 1991, Plate 1.
Bien visible, dans ce qui a l’air d’un centre-ville (figures 4-6), la basilique à transept semble symboliser l’hégémonie religieuse chrétienne et la défaite du paganisme. Une partie de ses alignements paraît s’être adaptée à un édifice gréco-romain antérieur24. On a aussi trouvé dans ses fondations des vestiges païens, par exemple l’inscription d’un naos de granit de Thôth datant du pharaon Nectanébo II, des blocs de la frise d’un temple hellénistique dédié à Ptolémée III Évergète et à la reine Bérénice II (après − 243 et avant − 222), et deux blocs inscrits hellénistiques mentionnant un gymnasiarque, mais on ne sait pas clairement
24. L. töröK, « The conversion of city centers in fifth-century Egypt, the case of the episcopal complex at Hermopolis Magna », Acta archaeologica Academiæ scientiarum Hungaricæ 57, 2006, p. 247-257.
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si ces vestiges étaient à leur place d’origine ou ont été transportés25. Je note cependant chez un spécialiste : « There can be little doubt that the maintenance of significant features of the pagan building complex […] were intended to superscribe pagan cults with Christian worship. » 26 Mais quelle est l’intention sousjacente de cette surimposition ? Tout dépend de la datation de l’édifice. Or j’ai noté des variations : début du ve siècle, ou milieu de ce siècle27 ou sa fin, ou même début du vie s28. Au début du ve ou même vers 450, le souvenir du paganisme était encore assez frais, et la basilique refléterait en ce cas un effort militant et presque provocateur pour imposer le christianisme dans l’espace urbain. À la fin du ve siècle et à plus forte raison au début du vie, il ne peut plus s’agir de cela : on a voulu, en s’appuyant, pour les fondations, sur des matériaux de récupération, tirer parti d’un espace vacant ou dépourvu d’utilité. Passons à l’église du sud. Ce serait un monument relativement ancien, bien que les datations proposées aient varié (avant le milieu du ve siècle ou, plus sûrement, après 460)29. Les restes de cette église sont à environ 300 m au sud de la basilique à transept, ce qui suggère qu’elle était excentrée ou périphérique. De fait, les plus anciennes églises égyptiennes évitaient les positions centrales. Ce point se vérifie surtout pour les reliquaires des martyrs, qui sont des tombeaux et non pas des installations vouées au culte public régulier, comme les églises, mais la première « cathédrale » d’Alexandrie, l’église de Théonas, bâtie au début du ive siècle, était elle-même, d’après mes recherches, située à l’est de la ville30. Aux Oasis, deux des trois églises de Kellis, dont la plus ancienne, sont excentrées, soit que les commanditaires aient voulu, par scrupule religieux ou pour ne pas froisser les païens locaux, éviter le voisinage du temple de la divinité locale Toutou, soit que les terrains à bâtir aient été plus faciles à trouver 31. Selon un fouilleur du monument hermopolitain, l’église du sud semble avoir été abandonnée au vie siècle32, mais il se trouve qu’une νοτίνη ἐκκλησία, une « église du sud », est mentionnée par plusieurs papyrus hermopolitains entre 556 et le début du viie siècle33. À cet établissement était associée une hôtellerie, ξενοδοχεῖον. Par recoupement, je crois
25. Voir M. BarańsKi, « The archaeological setting of the great basilica church at el-Ashmunein », dans Archaeological research in Roman Egypt (JRA Supplementary series 19), Ann Arbor, 1996, p. 98-106, ici p. 103-104. 26. L. töröK, « The conversion » (supra, n. 24), p. 254. 27. P. grossMann, Christliche Architektur in Ägypten, Leiden, 2002, p. 108. 28. Ces variations vont dans le sens d’un abaissement successif des datations : voir M. BarańsKi, « Preserving the Christian basilica of El-Ashmunein », Bulletin de l’Institut français de l’archéologie orientale 90, 1990, p. 41-49, ici p. 42, qui s’arrête lui-même à la fin du ve ou au début du vie siècle ; du même auteur, « Excavations at the Basilica site at El-Ashmunein/Hermopolis Magna in 1987-1990 », dans Polish archaeology in the Mediterranean. 3, Reports 1991, Warsaw, 1992, p. 19-23, ici p. 21 ; J. MCKenzie, The architecture of Alexandria and Egypt c. 300 bc to ad 700, New Haven – London, 2007, p. 286. La fin du ve siècle au plus tôt se recommande au motif qu’un puits qui était fermé lorsque fut construit le transept nord recélait des monnaies de la fin du ve siècle. 29. P. grossMann & D. M. Bailey, « Report on the excavation in the south church at Hermopolis-Ashmunayn (Winter 1991) », Journal of Coptic studies 3, 2001, p. 45-61, ici p. 54 ; P. grossMann, Christliche Architektur (supra, n. 27), p. 20, 441 ; J. MCKenzie, The architecture of Alexandria (supra, n. 25), p. 420, n. 280. 30. J. gasCou, « Les églises d’Alexandrie » (supra, n. 11), p. 39-41. 31. Voir G. E. BoWen, « Coins as tools for dating the foundation of the large east church at Kellis : problems and a possible solution », dans The Oasis papers. 6, Proceedings of the sixth international conference of the Dakhleh Oasis Project, ed. by R. S. Bagnall, P. Davoli, C. hope (Dakhleh Oasis Project monograph 15), Oxford, 2012, p. 417-428. Noter le plan du site de la p. 418. 32. P. grossMann, Christliche Architektur (supra, n. 27), p. 441. L’auteur ne donne pas ses raisons et sa formulation est en fait réservée (« sie scheint bereits in 6. Jahrhundert aufgegeben worden zu sein »). 33. P.Lond.Copt. 1077 et P.Sorb. II 69 (voir p. 73), tous deux du début du viie siècle. En dernier lieu, P.Gascou 40, 3, de 556 : τοῦ εὐκ]τηρίου τῆς ἁγίας νοτίνης ἐκκλησίας.
Hermopolis : son paysage monumental pendant l’Antiquité tardive (l’incidence de la christianisation)
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Figure 5 - Hermopolis, basilique à transept, d’après A. J. B. WaCe et al., Hermopolis Magna, Ashmunein : the Ptolemaic sanctuary and the basilica, Alexandria, 1959, Plate 20.1.
Figure 6 - Basilique à transept d’Hermopolis, fondations, d’après M. Barański, « Archaeological setting » (supra, n. 25), p. 102 fig. 3.
avoir établi que cette hôtellerie était une léproserie, un ξενοδοχεῖον τῶν κελεφῶν34. La lèpre mutilante, ou éléphantiasis, ou encore κελαφία, sévissait en Égypte depuis la fin de l’époque hellénistique, mais c’est seulement avec la diffusion du christianisme que les lépreux ont bénéficié d’une prise en charge35. C’est alors que les léproseries apparaissent dans la documentation, non seulement à Hermopolis, mais aussi dans la cité voisine d’Antinoopolis et à Alexandrie. Cette sollicitude n’excluait pas certaines préventions religieuses ou prophylactiques à l’encontre les lépreux, si bien qu’on ne peut pas s’attendre à trouver des
34. P.Sorb. II 69, p. 36. 35. J. gasCou, « L’éléphantiasis en Égypte gréco-romaine (faits, représentations, institutions) », Travaux & mémoires 15, 2005 (= Mélanges Jean-Pierre Sodini), p. 261-285, ici p. 279-285.
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Jean Gascou
léproseries en plein centre, mais plutôt à quelque distance des agglomérations. Je suis en conséquence tenté d’identifier l’église du sud des archéologues à son homonyme des papyrus. L’édifice des archéologues était bâti à l’emplacement d’un temple de Ramsès II remanié sous Néron qui aurait fonctionné jusqu’à la fin du ive siècle, mais il ne lui a pas succédé directement, car entre l’établissement païen et l’église s’intercale une épaisse accumulation de détritus qui s’est formée au cours des années 420 à 46036. Il est probable que le monument chrétien s’est établi, sans violence destructrice ni visée triomphaliste, sur un terrain libre, à une époque où le temple était en partie oblitéré par les décombres et les ordures, et où ses cultes n’avaient laissé aucun souvenir. Voici en somme une variante du phénomène du tell, que j’ai déjà évoqué à propos des environs du temple de Thôth.
les reMparts Des archéologues médiévistes ont observé que les remparts des villes d’Occident des ive-vie siècle portent des marques de christianisation. Ils signalent en particulier des chapelles de portes et de tours37. Pour l’Orient, on a le cas parallèle de la « porte d’Istanbul » de Nicée, où une structure au-dessus de la porte abritait une chapelle dédiée à saint Nicolas38. À Nicomédie, l’ermite Isaac vivait au début du ixe siècle dans une tour de l’enceinte, dite de saint Diomède. Une population monastique avait déjà investi les murs de cette ville au vie siècle39. C’est ce que j’ai remarqué pour Hermopolis, qui, comme d’autres cités égyptiennes du Bas-Empire, au premier chef Alexandrie (figure 7), et même des villages, avait une enceinte. Disparue aujourd’hui, la muraille d’Hermopolis est pourtant attestée en 269 par un texte de Florence évoquant, à propos d’un bornage, une porte orientale de pierre40. Le mot grec employé par ce papyrus est πύλη qui est en effet caractéristique d’une porte monumentale, et même d’une porte ouverte dans un rempart. Au début du ive siècle, une « porte du Nord » hermopolitaine donnait sur une voie publique, πρὸς τῇ βορινῇ πύλῃ τῇ ἐπὶ τὴν̣ δ̣η̣μοσίαν στράταν41. Au ve siècle est attesté à Hermopolis un agent préposé à la porte, ἐπὶ τῆς πύλης42. Cet ouvrage fait l’objet de réparations dans une comptabilité attribuée au vie siècle43.
36. P. grossMann & D. M. Bailey, « Report » (supra, n. 29), p. 46. L’église est décrite comme « resting upon a high accumulation of dump assembled here after the secularisation of the temple ». Ces rebuts datent de la première moitié du ve siècle (p. 54) ; voir aussi P. grossMann, Christliche Architektur (supra, n. 27), p. 437 et 440 (« Mülldeponie ») et J. MCKenzie, The architecture of Alexandria (supra, n. 28), p. 420, n. 280, qui parle d’une « high accumulation of dump of ca aD 420-460 ». Il n’y a pas lieu, comme on le voit chez L. töröK, « The conversion » (supra, n. 24), p. 253-254, de rapprocher cet édifice de l’« église catholique » dont le portail est le lieu d’un arbitrage épiscopal au ive siècle (P.Lips. I 43; MChrest. 98 : L. Mitteis & U. WilCKen, Grundzüge und Chrestomathie der Papyruskunde. 2, Juristischer Teil. 2, Chrestomathie, Leipzig – Berlin 1912), car ce texte est lycopolitain (BL IX, p. 95). 37. Cf. J. Burnouf et al., Manuel d’archéologie médiévale et moderne, Paris, 2012, p. 196 (l’ouvrage mentionne des chapelles de porte, de tour, encore que sans références). 38. C. foss & D. WinfielD, Byzantine fortifications : an introduction, Pretoria, 1986, p. 98 (aimablement signalé par Luke Lavan). 39. C. foss, Survey of medieval castles of Anatolia. 2, Nicomedia (The British Institute of archaeology at Ankara monograph 21), Hertford, 1996, p. 18 (communiqué par Luke Lavan). 40. P.Flor. I 50, 67 ἐπ’ ἀμφόδου Φρου̣ρ[ίο]υ ἀπηλιώτου π̣[ρ]ὸς τῇ ἀπ̣ηλιωτικῇ λιθ[ί]νῃ πύλῃ. 41. CPR 17A, 18 (321), 2. C’est le lieu d’une session judiciaire du stratège-exactor de la ville. 42. P.Turn. 48 (ive siècle ? ; voir la n. 5, 8, 11 et BL IX), p. 361. 43. SB XX 14581, 3 πύλης βορινῆ(ς). Il s’agit d’un compte d’ouvriers pour divers travaux de plâtrerie et de peinture et de construction d’un bain. D’après l’éd. pr. (B. palMe & H. tegel, « Drei byzantinische Papyri », dans Miscellanea
Hermopolis : son paysage monumental pendant l’Antiquité tardive (l’incidence de la christianisation)
225
Figure 7 - Alexandrie et ses remparts sur une mosaïque de Gerasa, datée de 531 (Welles 306, musée de Jarash, © Julien Aliquot 2013).
Au début du viie siècle, l’enceinte d’Hermopolis est associée à au moins deux édifices chrétiens. L’un était un oratoire, εὐκτήριον, dédié à saint Jean-Baptiste, dit du Péripatos44. Le mot περίπατος a divers sens, au premier chef celui de promenoir, mais l’usage tardif est à peu près clair : il s’agit ici soit du mur d’enceinte45, soit du chemin de ronde46. Je n’ai pas d’idée nette du mode d’occupation. La chapelle du
papyrologica, a cura di M. Capasso et al. [Papyrologica Florentina 19, 2], Firenze, 1990, p. 453-455), la provenance hermopolitaine se déduit du numéro d’inventaire viennois. 44. Cette qualité est attestée par un texte de 551, CPR IX 32, 6-8 (voir BL VIII). L’établissement est appelé de manière elliptique le Saint-Peripatos tout court, ἅγιος Περίπατος, dans P.Sorb. II 69 (voir p. 74). Peut-être est-il à reconnaître dans un contexte déficient, à la l. 9 de P.Lond. V 1842, το]ῦ περιπ̣άτου. Pour la provenance de ce papyrus, l’Hermopolite, et son interprétation, voir J.-L. fournet, « Liste des papyrus édités de l’Aphrodité byzantine », dans Les archives de Dioscore d’Aphrodité cent ans après leur découverte : histoire et culture dans l’Égypte byzantine, éd. par J.-L. fournet & C. MagDelaine, Paris, 2008, p. 307-343, ici p. 332. 45. P.Oxy. XVIII 2197, 67 et 73. 46. Le LBG (Lexikon zur byzantinischen Gräzität besonders des 9.-12. Jahrhunderts, erstellt von E. Trapp, Wien, 1994-), vol. 6, s.v., donne Wehrgang, se référant notamment à P. leMerle, Les plus anciens recueils de Miracles de saint
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Baptiste était-elle à proximité du rempart ou bâtie sur lui ? La dernière hypothèse est vraisemblable au vu d’un passage de l’écrit édifiant rédigé au début du ve siècle appelé Historia monachorum in Aegypto47. Il paraît que, vers 395, les moines d’Oxyrhynchus, ville limitrophe d’Hermopolis au nord, ont, comme les ascètes de Nicomédie, envahi les bâtiments administratifs, les capitoles. Les remparts de la ville résonnent de leur voix (ὡς τὰ τείχη ἐξηχεῖσθαι). Ils se sont installés jusqu’aux tours des portes κατὰ τὰς εἰσόδους τῆς πόλεως καὶ ἐν τοῖς πύργοις τῶν πυλῶν καταμένοντες. Il y avait à Hermopolis une autre chapelle liée au rempart. Elle était cette fois bâtie dans une des portes de la ville (on pense à la porte de Nicée et à la description de l’Historia monachorum). Une comptabilité fiscale du début du viie siècle la désigne comme une entité contribuable appelée d’une manière elliptique « Saint-Collouthos-dans-la-Porte » : δ(ιὰ) τοῦ Ἁγί(ου) Κολλ(ούθου) ἐν πύλῃ (ἀρτάβης) 48. Cet établissement est connu par un autre document grec, une comptabilité fiscale contemporaine du texte précédent, sous le nom de Ἅγιος Κολλοῦθος τῆς πύλης49. Un papyrus copte de la même époque parle du « saint oratoire (εὐκτήριον) de Saint-Kollouthe-de-la-Porte »50. Son administrateur, un diacre, intervient enfin dans une quittance copte de tribut emphytéotique (πάκτον) pesant sur une étable, délivrée à un de ses locataires51. Collouthos, saint médecin et martyr, était populaire à Hermopolis et dans sa campagne, où nous connaissons au moins quatre autres chapelles placées sous son patronage, dont une dans une rue de la ville (λαύρα)52. Comment rendre compte du Collouthos-dans-la Porte ou de-la-Porte ? Dans le monde antique, les portes de ville ou de certains monuments imposants faisaient l’objet de marques de révérence53.
Démétrius, Paris, 1979, où l’auteur propose, vol. 1, p. 257 s.v., avec beaucoup de vraisemblance eu égard au contexte, qui est un récit de siège, « chemin de ronde à l’arrière de la partie crénelée d’une muraille » (ad « Premier recueil », Miracle no 14, p. 155 ; cf. p. 143). 47. Historia monachorum in Aegypto, éd. critique du texte grec et trad. annotée par A.-J. f estugière (Subsidia hagiographica 53), Bruxelles, 1971, p. 41-43. 48. P.Sorb. II 69 81, C11. Il s’agit du blé de l’impôt, une modeste contribution de ½ artabe, mais suffisant à montrer que l’établissement avait des terres. Eu égard à la mutilation du document, on peut supposer que le Peripatos y avait d’autres entrées et donc un domaine taxable plus étendu. 49. P.Lond.Copt. 1077, fo iii → 20. Les perceptions sont ici en espèces. 50. CPR IV 198, 17. 51. SBKopt. I 243, 1-4 et 14-16. La nature juridique du πάκτον est précisée à la l. 7, où la séquence ⲉⲡⲫⲩ .. (éd. pr. par L. S. B. MCCoull, « Coptic documentary papyri from Aphrodito in the Chester Beatty Library », The bulletin of the American Society of papyrologists 22, 1985, p. 197-203, ici p. 200-201) recouvre la forme abrégée ⲉⲛⲫⲩ(ⲧⲉⲩⲙⲁ). Je remercie Alain Delattre d’avoir vérifié cette conjecture sur la planche de l’éd. pr. Delattre va plus loin en complétant en ⲛⲉⲛⲫⲩ(ⲧⲉⲩⲙⲁ) régularisant ainsi la syntaxe (« en emphytéose »). Il coupe le début de la ligne en ⲛⲧⲣⲥⲱ ⲉⲥⲧⲟⲟⲧⲕ (« de l’étable qui est en ta possession », sc. en emphytéose). Devant ⲡⲁⲕⲧ(ⲟⲛ) l. 6, Delattre lit et affixe la préposition ϩⲁ, ce qui améliore aussi la syntaxe (il allègue le parallèle de CPR IV 151). 52. Voir P.Sorb. II 69, p. 74 et, plus récemment, BGU XIX 2837, 9. Collouthos « de la Rue » est attesté par le texte copte médiéval (sur papier) P.Lond.Copt. 1100. 53. Une vénération des portes se rencontre couramment en Égypte dès l’époque pharaonique (voir par exemple J. BerlanDini, « La chapelle de Séthi Ier : nouvelles découvertes : les déesses tsmt et mn-nfr », Bulletin de la Société française d’égyptologie 99, mars 1984, p. 28-52, surtout pour les portes monumentales, p. 36-37 ; je regrette de ne pas pouvoir reproduire toutes les copieuses informations que m’a aimablement communiquées J. Berlandini sur ce sujet) et aussi en Orient, ainsi à Doura où un sanctuaire de la Fortune de la cité semble associé à la porte principale dite, par les modernes, Palmyrénienne (voir J. gasCou, « The diversity of languages in Dura-Europos », dans Edge of empires : pagans, Jews and Christians at Roman Dura-Europos, ed. by J. Y. Chi & S. heath, New York, 2011, p. 75-96, ici p. 79).
Hermopolis : son paysage monumental pendant l’Antiquité tardive (l’incidence de la christianisation)
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Elles recevaient parfois des noms symboliques 54. Elles donnaient matière à étiologies, à mythologies et à superstitions. Ainsi, à l’époque byzantine, la porte orientale d’Alexandrie, dite porte du Soleil, ou Héliaque, avait des vertus surnaturelles. Selon un Miracle de Cyr et Jean, elle aurait rendu l’ouïe à un sourd qui la franchissait55 et provoqué, d’après la Vie copte de Macaire d’Alexandrie, à l’arrivée en ville du saint homme, le déclenchement d’une pluie bienfaisante56. Un martyrium édifié à proximité et dédié à un martyr local appelé Métras la sanctifiait et la protégeait57. Peut-être les reliques de Métras contenaientelles aussi des relents de paganisme puisque la porte du Soleil et son pendant occidental, la porte de la Lune ou Séléniaque, remontaient à l’empereur Antonin le Pieux et étaient donc des ouvrages de l’idolâtrie58. Si les chrétiens révéraient leurs antiques portes, ils se méfiaient de leurs origines et s’en inquiétaient un peu. C’est ce que montre pour Hermopolis un récit hagiographique des viie/viiie siècle, appelé, par allusion au célèbre évêque d’Alexandrie de 385-412, Vision de Théophile. En visite à Hermopolis, la Sainte Famille trouve à la « première porte » des statues de chevaux installées aux quatre coins de l’ouvrage et regardant vers la ville. Ces figures, symboles du paganisme, tombent et se brisent, ce qui est une manière d’annoncer la victoire du christianisme59. Je crois pouvoir discerner là un fond de réalité. Il est probable qu’à l’époque tardive la ville d’Hermopolis et en particulier ses accès étaient parsemés de statues de l’ancien temps en plus ou moins bon état, qui devaient susciter la curiosité défiante de la population. Ce passage de la légende de la Sainte Famille peut se lire comme une étiologie de ces débris. On a, à Gaza, le cas analogue d’une statue cassée, dont les morceaux donnèrent lieu à une explication édifiante. Une tradition chrétienne locale recueillie dans la Vie de Porphyre de Gaza y voyait les restes d’une ancienne idole d’Aphrodite, divinité dont les turpitudes révulsaient les chrétiens de l’époque, qui se serait brisée en présence de la Croix60. Ainsi, notre Collouthos-dans-la-Porte, un peu comme le martyrium alexandrin de Métras, plaçait l’entrée en ville sous le patronage de Collouthos. Peut-être contenait-il de ces rémanences païennes qui semblent préoccuper l’auteur de la Vision de Théophile. Peut-être l’oratoire de Collouthos abritait-il une
54. Hautement symbolique est à Antioche le nom de la porte des Chérubins, puisque ces êtres mystérieux et redoutables protégeaient l’entrée du Paradis (C. saliou, « La porte des Chérubins à Antioche sur l’Oronte et le développement de la ville », Anatolia antiqua 21, 2013, p. 125-133, avec Malalas X, 45). 55. Miracle de Cyr et Jean no 45 § 4 : Los Thaumata de Sofronio : contribución al estudio de la incubatio cristiana, por N. fernánDez MarCos, Madrid, 1975, p. 350 ; voir Sophrone de Jérusalem, Miracles des saints Cyr et Jean (BHG I 477-479), trad. commentée par J. gasCou, Paris, 2006, p. 163, n. 972. 56. Vie de Macaire d’Alexandrie (Histoire des monastères de la Basse-Égypte : vies des saints Paul, Antoine, Macaire, Maxime et Domèce, Jean le Nain, etc., texte copte et trad. française par é. aMélineau, Paris, 1894, p. 235-261, ici p. 258). 57. Miracle de Cyr et Jean no 13 § 4, éd. fernánDez MarCos (supra, n. 55), p. 270 ; trad. gasCou (supra, n. 55), p. 63, n. 355. 58. C’est Jean Malalas qui nous dit cela dans sa Chronographie (Ioannis Malalæ Chronographia, rec. I. Thurn [Corpus fontium historiæ Byzantinæ 35], Berolini, 2000, p. 212), dans un contexte à vrai dire peu crédible : Antonin serait venu à Alexandrie pour y punir le meurtre de l’augustal Deinarchos. Outre que ce Dinarque n’est pas attesté par ailleurs et ne peut s’insérer commodément dans les listes de préfets actuellement connus, la qualification d’augustal pour un préfet d’Égypte du iie siècle est grossièrement anachronique. Cependant, ces ouvrages existaient déjà au temps d’Achille Tatius, auteur de la fin du iie ou du début du iiie siècle (Achille Tatius d’Alexandrie, Le Roman de Leucippé et Clitophon, texte établi et trad. par J.-Ph. garnauD [Collection des universités de France. Série grecque 345], Paris, 1991, V, 1-2, p. 132). 59. « Vision of Theophilus », dans Woodbrooke studies, Christian documents in Syriac, Arabic and Garshūni. 3, Vision of Theophilus, ed. and transl. with a critical apparatus by A. Mingana, Cambridge, 1931, p. 1-92, ici p. 21-22. 60. Vie de Porphyre de Gaza § 59 et 61 (La conversion de Gaza au christianisme : la vie de S. Porphyre de Gaza par Marc le Diacre [BHG 1570], éd. critique, trad., commentaire par A. laMpaDariDi, Bruxelles, 2016, p. 138 et 140).
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relique ou une image du saint qui procurait de l’espoir et des secours aux passants malades. Cependant, après avoir pris en compte le contexte cultuel local, je crois pouvoir attribuer à ce sanctuaire un sens plus précis, en l’occurrence propagandiste. Dans l’Antiquité chrétienne, un même saint (voire les restes d’un même saint) pouvait être revendiqué par plusieurs cités, ou, comme à Alexandrie, par plusieurs quartiers d’une ville61, ce qui rendait les dévots à tout le moins perplexes et aiguillonnait les rivalités locales. En particulier, le souvenir de Collouthos était disputé entre Hermopolis et d’autres cités, au premier chef Antinoopolis, sa grande voisine de l’est, sur la rive droite du Nil. Cette cité illustre, capitale provinciale de la Thébaïde, cherchait à cumuler tous les titres de gloire, et se voulait en particulier le lieu du martyre de Collouthos. On y trouvait son tombeau (ou plutôt un de ses tombeaux) et son sanctuaire médical et oraculaire62. La plupart des pièces proprement hermopolitaines du dossier hagiographique de Collouthos sont perdues, mais nous savons par le témoignage du Synaxaire de Constantinople, qui s’en est servi, que l’une d’entre elles soutenait que Collouthos avait été martyrisé à Hermopolis63. Cette légende naturalisait en
Figure 8 - Saint Collouthos dans la chapelle de Theodosia (relevé), nécropole nord d’Antinoopolis (© Istituto Papirologico «G. Vitelli» dell’Università di Firenze).
61. Dans mon étude « Églises d’Alexandrie » (supra, n. 11), p. 23-44, ici p. 36-44, j’ai noté le phénomène pour Pierre Ier, évêque martyr de la ville († 25 xi 311) et saint Marc, fondateur légendaire de l’église locale. Pierre et Marc avaient tous les deux plusieurs tombeaux (Pierre) ou lieux de culte équivalant à des tombeaux (Marc). 62. Sur le tombeau antinoïte de Collouthos, voir P. grossMann, « Antinoopolis. The area of St. Colluthos in the north necropolis », dans Antinoupolis. 2, a cura di R. pintauDi, Firenze, 2014, p. 241-282. L’établissement antinoïte, situé dans la nécropole nord de la ville, n’est peut-être pas le tombeau originel. Il a en tout cas livré de nombreux documents oraculaires. Voir en dernier lieu A. Delattre, « L’oracle de Kollouthos à Antinoé : nouvelles perspectives », Studi e materiali di storia delle religioni 79, 2013 (= Oracoli, visioni, profezie : l’Egitto da Alessandro il Grande all’alto medioevo), p. 123-133. Ce saint avait aussi un autre martyrium dans le village panopolitain de Pneueit. Voir sur ses pièces hagiographiques les pages introductives de Das koptisch hagiographische Dossier des heiligen Kolluthos : Arzt, Märtyrer und Wunderheiler, eingel., neu ed., übers. und kommentiert von G. sChenKe (Cor pus scr ipt or um christianorum orientalium 650), Leuven, 2013, p. 1-32. La cité d’Oxyrhynchus, juste au nord d’Hermopolis, prétendait avoir hébergé Collouthos pendant trois ans, entre sa condamnation et son martyre, légende qui a quelque sens cultuel (Synaxaire jacobite, 25 pachon [20 mai], Patrologia Orientalis 16, p. 412-413). La « multilocation » des corps saints est aussi banale en Égypte qu’ailleurs. 63. D’après cette composition, 19 mai (Synaxarium Ecclesiae Constantinopolitanae e codice Sirmondiano nunc Berolinensi, adiectis synaxariis selectis, Propylaeum ad Acta Sanctorum Novembris, opera et studio H. Delehaye, Bruxellis,
Hermopolis : son paysage monumental pendant l’Antiquité tardive (l’incidence de la christianisation)
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quelque sorte Collouthos comme saint et patron d’Hermopolis. Comme elle heurtait les prétentions d’Antinoopolis, on comprend que l’hagiographie de cette cité ne l’ait pas transmise. Néanmoins, les légendes antinoïtes, qui ne pouvaient entièrement censurer le point de vue rival, concèdent quelques lots de consolation aux Hermopolitains. Elles admettent ainsi que Collouthos avait été jugé64 ou encore emprisonné65 à Hermopolis, mais elles lui refusent l’essentiel, c’est-à-dire le martyre et la qualité de saint proprement hermopolitain. C’est un des objectifs du Panégyrique de Collouthos attribué à l’évêque Isaac d’Antinoopolis, une composition copte qui doit remonter au vie/viie siècle66. Pour soutenir les prétentions de sa ville, l’auteur relate un miracle accompli par Collouthos dans sa jeunesse, alors qu’il se rendait d’Antinoopolis à Hermopolis. À son arrivée, le saint tombe sur un pauvre aveugle dépourvu d’habits et accompagné par son fils. Ce dernier réclame du pain à Collouthos. Notre saint se dérobe au motif suivant (§ 50) : « Je ne suis pas un habitant de cette cité (sc. Hermopolis), mais je suis un habitant de la cité d’Antinoopolis. Je suis venu ici pour affaires. » On voit que la réponse prêtée par l’hagiographe à Collouthos coupe le lien entre le saint et Hermopolis. Cette intention se note encore dans la suite du récit. À défaut de pain, Collouthos veut bien donner sa chemise à l’aveugle, et ce vêtement lui rend la vue. L’assistance célèbre le miracle, mais, pour éviter la gloire, Collouthos ne veut pas entrer dans Hermopolis où, décidément, il ne se sent pas chez lui, et s’en retourne immédiatement à Antinoopolis67. S’il ne veut pas « entrer dans Hermopolis », c’est que la scène se passe à une des portes de notre cité. À cet ouvrage devait être associé un mémorial du miracle accompli par Collouthos, un prodige flatteur pour Hermopolis et reconnu d’une certaine manière par l’hagiographe, encore qu’il le relate selon une version desservant la fierté des Hermopolitains et servant au contraire celle des Antinoïtes. Ce mémorial n’était-il pas notre saint Collouthos-dans-la-Porte ? On ne peut le prouver mais peu importe en l’occurrence car, à la lumière de cette anecdote, la vraie signification de notre oratoire, du point de vue de la topographie cultuelle, se perçoit : cette chapelle rappelait aux voyageurs, et en particulier aux visiteurs antinoïtes, que Collouthos était l’ancien habitant, martyr et patron glorieux d’Hermopolis.
ConClusion En ce qui regarde la « christianisation » des temples d’Hermopolis, je crois qu’il s’agit d’un sujet difficile, qui appelle des observations de terrain, des distinctions et des chronologies plus sûres que celles que nous avons, et que nous n’aurons sans doute jamais. Jusqu’à nouvel ordre, je ne saisis pas du moins de continuité entre le temple et l’église et surtout, je ne saisis pas, de la part des chrétiens, de motivations polémiques ou propagandistes visant les vestiges païens.
1902 [réimpr. Louvain, 1954], col. 695), Collouthos était un martyr hermopolitain : ἄθλησις τοῦ ἁγίου μάρτυρος Κολούθου. Οὗτος ἦν ἐπὶ Μαξιμιανοῦ τοῦ βασιλέως ἐκ Θηβαΐδος τῆς Αἰγύπτου ἐν Ἑρμουπόλει. 64. Selon une pièce copte de son dossier (BN 78) et un texte de Berlin, Collouthos a été jugé à Hermopolis (Das koptisch hagiographische Dossier [supra, n. 62], p. 86-87 et 94). 65. Encomium on St. Colluthus attributed to Isaac of Antinoe, éd. par S. E. thoMpson, dans Encomiastica from the Pierpont Morgan Library : five Coptic homilies attributed to Anastasius of Euchaita, Epiphanius of Salamis, Isaac of Antinoe, Severian of Gabala and Theopempus of Antioch. 1, Textus ; 2, Versio, L. DepuyDt, general ed. (Corpus scriptorum christianorum orientalium 544-545), Lovanii, 1993, § 60, vol. 1, p. 37-64, ici p. 67 ; trad. vol. 2, p. 51 (Bibliotheca hagiographica orientalis 206-208). 66. Das koptisch hagiographische Dossier (supra, n. 62), p. 114. 67. Encomium on St. Colluthus (supra, n. 65), § 49-51, vol. 1, p. 63-64 ; cf. la trad. vol. 2, p. 48-49 ; Das koptisch hagiographische Dossier (supra, n. 62), p. 131-132.
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D’autre part, comme on vient de le voir à propos de l’enceinte d’Hermopolis, une étude de la christianisation des espaces urbains ne peut se limiter aux lieux de culte païens. Peu empressés à mettre la main sur les temples, les chrétiens ont au contraire, au témoignage de l’Historia monachorum, apposé très tôt leur marque sur toute espèce de monuments profanes, au risque de compromettre leur destination première, ainsi, dans le cas des murailles d’Oxyrhynchus et d’Hermopolis, la fonction défensive. On rencontre à peu près la même tendance à Alexandrie. Même s’il est admis par la plupart des spécialistes que des temples de cette ville ont été transformés en églises (ainsi le Sérapéum et le Césaréum), cette thèse ne va pas sans difficultés68. Le seul cas indubitable de christianisation d’un monument alexandrin d’origine païenne est le Grand Tétrapyle, à l’est de la ville. Le Tétrapyle n’était à l’origine qu’un ornement urbain spectaculaire, un arc triomphal, mais les chrétiens par l’apposition d’une icône du Sauveur surmontée d’une lampe aux vertus salvifiques, en ont fait un sanctuaire. Cet édifice a perdu sa vocation profane pour devenir un centre de cures miraculeuses69. Il semble que le pouvoir impérial n’ait pas tardé à percevoir ces transformations abusives et qu’il ait cherché à les empêcher ou à les circonscrire. On a du moins là-dessus une constitution de l’empereur Léon datée de 459 qui, comme l’a montré A. Laniado70, a été promulguée à la suite d’une transformation du cynegion d’Émèse en lieu de culte, par installation de reliques et érection de la croix. Dans sa loi, où il rappelle que les religiosae aedes autorisées ne manquent pas, l’empereur interdit à l’avenir ces procédés dès lors que ces occupations visent les édifices publics ou servant aux plaisirs du peuple (in aedes publicas vel in quaecumque loca populi voluptatibus). La loi désigne les moines comme premiers responsables de ces usurpations. On dirait presque que l’empereur a en vue ces ascètes oxyrhynchites, dont l’Historia monachorum in Aegypto décrivait avec éloge les empiétements au détriment des « capitoles », des tours et des remparts. À en juger d’après les cas que je viens d’analyser, cet effort du législateur n’a pas eu grand succès. [email protected] IRHT – Sorbonne Universités
aBréviations Les références aux éditions papyrologiques sont données selon les abréviations de la Checklist of editions of Greek, Latin, Demotic, and Coptic papyri, ostraca and tablets (http://papyri.info/docs/checklist).
68. Voir mon étude « Les églises d’Alexandrie » (supra, n. 11). 69. Voir J. gasCou, « Recherches de topographie alexandrine : le Grand Tétrapyle (μέγα τετράπυλον) », Ktema 27, 2002 (= Mélanges Edmond Lévy), p. 337-343. Je signale le sort analogue du tétrapyle de Césarée de Palestine, à compter du viie siècle. 70. Code justinien I, 3, 26, discuté par A. laniaDo, « La liturgie dans l’arène : Code justinien I, 3, 26 à la lumière d’une scholie juridique grecque », Travaux & mémoires 14, 2002 (= Mélanges Gilbert Dagron), p. 363-372.
Muriel Debié
Réparer les brèches : monuments littéraires et théologie politique dans les villes syriaques des frontières
Parler de reconstruction des villes implique qu’il y a eu destruction. La littérature de catastrophe pourrait être considérée comme un genre en soi : elle a été pratiquée à toutes les époques et dans toutes les langues pour tenter d’accompagner, de commémorer les catastrophes touchant les villes, de leur donner un sens au-delà de l’événement. Cette histoire se lit sur la très longue durée. Situées dans les zones frontières entre royaumes et empires puis États-nations issus des découpages coloniaux, les villes entre Méditerranée et Mésopotamie ont été – et sont toujours – soumises à d’incessants faits de guerre. Si Nisibe est par excellence « la ville des frontières », selon l’épithète qu’elle reçoit dans les textes syriaques, toutes les cités de Syrie et de Mésopotamie ont été exposées aux guerres incessantes entre royaumes mésopotamiens, entre Empires romain et parthe, puis sassanide dans l’Antiquité tardive, entre les différents pouvoirs musulmans, l’Empire byzantin et les États latins à la période médiévale, et sont toujours aujourd’hui dans les zones frontières entre les états modernes de Turquie, Syrie, Liban, Irak et Iran. Depuis la prise d’Ur en 2000 avant l’ère chrétienne, en passant par celle d’Amid (la moderne Diyarbakιr, en Turquie du sud-est) en 502, d’Édesse (la moderne Sanlιurfa) par Zengui en 1144, ou encore de Mossoul en 2014 par Daesh, les cités ont changé de statut administratif et politique au cours de leur histoire et ont été régulièrement assiégées, capturées, détruites et restaurées, mais rarement abandonnées. Situées aussi en zone de contact des plaques tectoniques arabique et eurasiatique et des failles de l’Euphrate, de l’Anatolie orientale et des multiples failles nord-sud jusqu’au golfe d’Aqaba, les villes ont été secouées de tremblements de terre récurrents. En milieu naturel fragile, où l’irrégularité et la violence des précipitations provoquent le gonflement soudain des wadi, elles n’ont cessé aussi de subir des inondations meurtrières. L’archéologie et la géologie1 aident certes à reconstituer l’histoire des catastrophes, mais ce sont les textes qui ont créé la mémoire de ces événements2. S’est construite en effet une tradition sur la longue
1.
Voir M. R. sBeinati, r. DaraWCheh, M. Mouty, « The historical earthquakes of Syria : an analysis of large and moderate earthquakes from 1365 BC to 1900 aD », Annals of geophysics 48 (3), 2005, p. 347-435.
2.
A. Béranger-BaDel, « Les séismes dans la documentation épigraphique et numismatique sous le Haut-Empire : entre élaboration de la mémoire et reconstruction de l’événement », dans Récits et représentations des catastrophes depuis l’Antiquité, sous la dir. de R. favier & a.-M. granet-aBisset, Grenoble, CNRS-MSH-Alpes, 2005, p. 141-153.
Reconstruire les villes : modes, motifs et récits, éd. par Emmanuelle Capet, Cécile Dogniez, Maria gorea, Renée KoCh piettre, Francesco Massa, Hedwige rouillarD-Bonraisin (Semitica & classica. Supplementa 1), Turnhout, 2019, p. 231-254 DOI 10.1484/M.SUPSEC-EB.5.118526
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Muriel Debié
durée d’une littérature de catastrophe, naturelle ou militaire. Des tablettes mésopotamiennes portent les lamentations sur la destruction des villes dès le troisième millénaire avant l’ère chrétienne ; la Bible a transmis au monde juif et chrétien les Lamentations de Jérémie sur la ruine de Jérusalem, devenues un modèle littéraire ; le genre antique des monodies sur les villes et les catastrophes qui les ont touchées a été pratiqué en grec par les rhéteurs dans l’empire romain d’Orient jusque dans l’Antiquité tardive ; les poèmes en syriaque puis néo-araméen ont prolongé jusqu’à la période moderne cette tradition d’écriture. Les chroniques ont rapporté les événements qui semblaient dignes de mémoire, les homélies les ont commentés, les poèmes les ont pleurés, et les inscriptions ont commémoré les réparations des murailles et des bâtiments, . La construction des textes a ainsi tenté d’accompagner les destructions des villes, de les expliquer, de les mettre à distance, de médiatiser aussi les émotions qu’elles suscitaient. Poèmes liturgiques et chroniques syriaques ont fait une large place à la question des sièges, prises, destructions, fondations et reconstructions des villes des frontières entre le ive et le xive siècle, et même jusqu’au xviie dans les textes en néo-araméen. La réparation des brèches physiques y est associée à celle des brèches morales et religieuses que créaient les épisodes de défaite et de destruction. Comment était conçue l’articulation entre pouvoir politique terrestre et religion ? Comment les chocs militaires et politiques étaient-ils lus en termes de théologie de l’histoire ? Comment se développe une littérature spécifique, exprimant et créant tout à la fois les émotions liées aux traumatismes des destructions de villes ? Ce sont quelques-uns des aspects que veut aborder cette contribution.
Figure 1 - Carte des principales villes romano-perses.
Réparer les brèches : monuments littéraires et théologie politique dans les villes syriaques des frontières
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les réCits De fonDation CoMMe ConstruCtion MéMorielle : le Cas De KarKa D-Bet sloK, D’éDesse et De Dara Il n’y a pas, en syriaque, comme dans les autres langues sémitiques, de terme spécifique pour désigner la reconstruction par opposition à la construction, c’est la racine bnʾ qui est employée dans les deux cas3. La refondation est en fait une fondation nouvelle et, de même, une reconstruction, une construction nouvelle. On sait en général pour une ville s’il existait un peuplement antérieur, il est en revanche plus difficile de déterminer d’après les textes, ou même les inscriptions retrouvées in situ, dans quel cas on a affaire à une construction nouvelle ou à une restauration de tout ou partie d’un bâtiment ou d’un rempart. Édesse est présentée comme ayant été « fondée » par Séleucos comme s’il n’y avait pas eu d’autre établissement urbain auparavant et il en va de même pour Karka d-Bet Slok (la moderne Kirkuk en Irak), c’est-à-dire littéralement « la ville forte de la maison de Séleucos », où le même terme, « fonder », est employé alors même qu’il est fait mention d’une fondation antérieure4. Accompagnant la fondation matérielle des cités, se sont développés des récits destinés à les ancrer dans la mémoire collective, à leur donner des héros fondateurs illustres. Ils créaient ainsi des liens avec d’autres cités, en attestaient l’ancienneté et donc le prestige5, la gloire du fondateur rejaillissant sur sa fondation comme le rappelle le traité de rhétorique attribué à Ménandre6. Se superposent ainsi dans les sources syriaques au souvenir, souvent superficiel, des fondations d’époque hellénistique, des récits de fondations plus anciennes, enracinées dans la culture mésopotamienne locale, au travers de la référence culturelle, religieuse et historique qu’était la Bible pour les chrétiens. Les sources se font l’écho du phénomène que constituent les nombreuses fondations d’époque hellénistique en Syrie du Nord7. Celles-ci ont en effet contribué à modifier la géographie économique humaine, culturelle et linguistique de la région sur la longue durée. Elles ont maillé le territoire d’un dense réseau de cités dessinées de manière à offrir les équipements nécessaires à la culture civique et urbaine qu’elles partageaient désormais : lieux de réunion du corps des citoyens, lieux de culte, de spectacle, rues à colonnades et marchés, établissements de bain… L’imposition du nouveau pouvoir hellénistique se traduisait par un urbanisme nouveau, par un nom nouveau aussi. Le souvenir des étapes du développement antérieur de Karka d-Bet Slok ne s’était pas entièrement perdu, mais le dernier nom est venu se surimposer à celui d’époque assyrienne, Arrapha, et l’effacer. L’urbanisme d’époque hellénistique est venu aussi modifier l’apparence de la ville. L’Histoire syriaque de Karka d-Bet Slok, au vie siècle, décrit les travaux entrepris par le souverain séleucide, qui ont modifié le paysage urbain pour s’adapter au nouveau corps civique : construction d’un rempart, de tours, de portes nouvelles, d’un palais, de places et de marchés. Le texte rappelle cependant que cette refondation faisait suite à la fondation par un certain Sardana, puis une refondation par Darius. Un élément notable
3.
En latin en revanche le suffixe re- (restitutor) permet de distinguer les deux. Cf. A. Béranger-BaDel, « Les séismes » (supra, n. 2).
4.
Acta martyrum et sanctorum. 2, Martyres Chaldaei et Persae, ed. BeDjan, Lipsiae, 1891, p. 507-535.
5.
Voir par exemple P. Weiss, « Lebendiger Mythos : Gründerheroen und städtische Gründungstraditionen im griechischrömischen Osten », Würzburger Jahrbücher für die Altertumswissenschaft 10, 1984, p. 179-208.
6.
Menander Rhetor, ed. with transl. and commentary by D. A. russell & N. G. Wilson, Oxford, Clarendon Press, 1981, p. 353, l. 5-31. L. pernot, La rhétorique de l’éloge dans le monde gréco-romain. 1, Histoire et technique, Paris, 1993, p. 183-188.
7.
F. Millar, « The problem of Hellenistic Syria », dans iD., Hellenism in the East : interaction of Greek and non-Greek civilizations from Syria to Central Asia after Alexander, ed. by A. Kuhrt & S. Sherwin-White, London, 1987, p. 110-133
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de cette histoire antérieure, qui s’est transmis dans la mémoire collective, est celui de l’installation de populations déportées d’autres provinces de l’Empire, dont le souvenir aurait été inscrit dans les archives de Perse selon l’Histoire de Karka. De manière intéressante, le maintien dans la mémoire collective de cette histoire ancienne est attribué par le texte à l’existence d’archives et non à des récits par exemple qui se seraient transmis de génération en génération, ce qui atteste de l’importance des archives en araméen, ou du moins du rôle qu’on leur prêtait encore, dans la conscience collective. Mais c’est la fondation hellénistique qui est passée à la postérité dans la version durable de son nouvel urbanisme et de son nom, jusqu’à l’auteur de l’Histoire de Karka – et jusqu’à nous par l’intermédiaire de ce texte (les archéologues n’ont pas eu l’occasion de fouiller à Karka). La ville est présentée comme appartenant à une série de cinq Séleucie fondées et nommées par Séleucos8. Son passé hellénistique est devenu son fondement. La fondation nouvelle efface en quelque sorte les précédentes, le changement de nom occultant celui d’époque assyrienne. C’est un effacement volontaire qui est en jeu dans ce cas, au lieu d’une commémoration. Le nouveau départ implique une table rase du passé, alors que la cité n’a pas été rasée. Sa fondation antérieure est symboliquement gommée du souvenir collectif par la disparition du nom antérieur. Il en va de même à Édesse9. Les portes, les rues à portique et le tripyrgion ainsi que les murailles qui englobaient une partie de la citadelle remontent à la fondation hellénistique qui a créé et marqué durablement le plan de la cité. Cette fondation est mentionnée dans la chronique grecque d’Eusèbe de Césarée et chez le chroniqueur Malalas10. L’association avec Séleucos est reprise par exemple dans la Chronique anonyme édessénienne jusqu’en 1234 mais avec une modification puisqu’elle prétend qu’Édesse fut la première fondation de Séleucos, avant Antioche et les autres cités hellénistiques, alors qu’Eusèbe de Césarée plaçait Antioche en première position. Il s’agissait ainsi de lui donner la place d’honneur. Selon la chronique, c’est Séleucos qui mena de grands travaux hydrauliques en plus des constructions et fonda également des villages et des châteaux dans toute la région, structurant ainsi véritablement, par ce réseau de constructions, la province d’Osrhoène11. Le nom de la cité est interprété dans cette chronique comme étant non pas celui de la ville d’Édesse en Macédoine, mais celui de la fille aînée de Séleucos à qui il l’aurait offerte en dot12. Une association alternative à Alexandre le Grand est présente chez le chroniqueur Michel le Syrien qui fait remonter à celui-ci la (re)fondation hellénistique et l’installation de colons : « Les Syro-Macédoniens étaient descendus d’Édesse de Macédoine avec Alexandre le Grand et avaient bâti Orhoë, qu’ils nommèrent Édesse du nom de leur propre ville. » 13 Cette association revendiquée à Alexandre se situe dans la
8.
Sur les récits de fondation de la Tétrapole syrienne par Séleucos, voir C. saliou, « Les fondations d’Antioche dans l’Antiochikos (Or. XI) de Libanios », Aram 11-12, 1999-2000, p. 357-388, ici p. 373-375.
9.
Sur l’hybridité de la culture « syrienne », voir N. J. anDraDe, Syrian identity in the Greco-Roman world, Cambridge – New York, CUP, 2013, p. 108-109.
10. Voir la traduction syriaque de la Chronique d’Eusèbe dans la Chronique de Zuqnin par exemple (The Chronicle of Zuqnin. Parts I and II, From the creation to the year 506/7 ad, ed. & transl. by A. harraK [Gorgias Chronicles of Late Antiquity 2], Piscataway, Gorgias Press, 2017) et Malalas, Chron. XVII, 15. 11. La province fut établie après la défaite d’Antiochos Sidetes en 130-129 avant l’ère chrétienne. 12. A. hilKens, The anonymous Syriac chronicle up to the year 1234. 1, A translation, thèse de l’université de Gand, 2014, p. 121-122 traduction anglaise. 13. Chronique V, 5 : Chronique de Michel le Syrien, patriarche jacobite d’Antioche (1166-1199), éd. et trad. par J.-B. ChaBot, 1, Traduction livres I-VII ; 2, Traduction livres VIII-XI ; 3, Traduction livres XII-XXI ; 4, Texte syriaque, Paris, 1899-1924 (réimpr. Bruxelles 1963), texte p. 77, traduction vol. 1, p. 119.
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lignée des textes syriaques reprenant et acculturant la figure du conquérant ainsi que dans l’habitude de désigner en syriaque la datation en ère des Séleucides comme étant « l’ère d’Alexandre, fils de Philippe de Macédoine »14. Cette association est fréquente aussi dans les textes grecs, Alexandre représentant le plus glorieux des fondateurs pour les cités hellénistiques. Les Séleucides avaient eu à cœur de revendiquer une part de son héritage face aux Lagides, d’où l’association que l’on rencontre souvent entre Séleucos et Alexandre15. Une double mémoire est ainsi proposée dans les sources syriaques concernant la refondation hellénistique d’Édesse. Il semble donc que le nom grec de la colonie hellénistique se soit ajouté à un autre nom, employé dans les sources syriaques et arabes. L’origine de ce nom, Urhay (qui a donné Urfa à la période ottomane), est obscure et a reçu des interprétations diverses. Les auteurs syriaques et arabes ont expliqué le nom de manière éponyme, par le nom d’un prétendu roi fondateur : ʾRHY BR ḤWYʾ, selon le chroniqueur syriaque anonyme de Zuqnin, ou al-Rahhāʾ b. al-Balandī b. Mālik b. Daʿsar, selon le géographe arabe Yāqūt, un nom qui sonnait comme celui de la ville16. On l’a interprété aussi comme étant la fin du nom Antiochia Kallirhoe, qui apparaît sur une monnaie d’Antiochos IV Épiphane (175-164 avant l’ère chrétienne), ce qui en ferait encore un nom hellénistique. Enfin, le nom pourrait être une partie du nom de la province d’Osrhoène créée par Antiochos Sidetes en 130-129 avant l’ère chrétienne. L’origine comme l’interprétation du nom local alternatif d’Édesse restent donc obscures. Une fondation antérieure d’époque assyrienne semble probable, mais aucun nom ne s’est transmis qui ressemblât à Urhay et qui pourrait laisser penser qu’il s’agissait du nom originel. Des tentatives multiples ont été faites pour retrouver dans les tablettes cunéiformes ce nom ou un autre qui eût été attesté de manière ancienne, mais sans qu’un consensus ait émergé17. Le lexique de Bar Bahlul (xe siècle) est la première et seule source syriaque qui établisse une équivalence entre Urhay (sous son nom arabe al-Ruhā) et la ville de ʾDMʾ, Adme, Admi ou Admum, une localité mentionnée dans les sources cunéiformes comme étant au voisinage de Ḥarrān et non loin du Khabur18. Souvenir préservé ou reconstruction tardive, il est impossible de le dire. S’il y eut bien une première fondation, elle a été en tout cas à peu près complètement effacée de la mémoire collective, sans doute parce qu’il s’agissait d’un établissement modeste, en particulier au regard de sa proche rivale Ḥarrān, et que la ville ne prit en effet son essor qu’à la période hellénistique. Une légende de fondation tente aussi de relier la ville à son histoire mésopotamienne au travers de la Bible. Reprenant de bien plus anciennes pratiques, en monde grec et latin mais aussi sémitique, les chroniques chrétiennes, depuis celle d’Eusèbe de Césarée au ive siècle, mentionnent les fondations de cités et leur fondateur éponyme (par association phonétique), avec les légendes les accompagnant, qu’elles soient
14. Un livre, Alexandre le Grand en syriaque, est à paraître dans la Bibliothèque de l’Orient chrétien, reprenant tous les textes syriaques consacrés à la figure d’Alexandre. Voir aussi M. DeBié, L’écriture de l’histoire en syriaque : transmissions interculturelles et constructions identitaires entre hellénisme et islam : avec des répertoires des textes historiographiques en annexe (Late antique history and religion 12), Leuven, Peeters, 2015, p. 267-271 sur l’ère des Séleucides qui est aussi l’ère d’Édesse. 15. Pour le même phénomène concernant Antioche, voir C. saliou, « Les fondations d’Antioche » (supra, n. 7), p. 367-369 et n. 70 en particulier pour les revendications par d’autres cités. Voir R. A. haDley, « Royal propaganda of Seleucus I and Lysimachus », The journal of Hellenic studies 94, 1974, p. 50-65, pour la récupération de l’image d’Alexandre par les Séleucides. 16. Voir A. harraK, « The ancient name of Edessa », Journal of Near Eastern studies 51 (3), 1992, p. 209-214, ici p. 211. 17. Voir C. jullien, « Dans le royaume de Nemrod : autour d’interprétations de Gn 10, 10-12 », dans Εὔκαρπα : études sur la Bible et ses exégètes en hommage à Gilles Dorival, réunies par par M. louBet & D. pralon, Paris, Le Cerf, 2011, p. 159-172, p. 163 sur ces tentatives d’identification. 18. A. harraK, « The ancient name of Edessa » (supra, n. 15), p. 212-214.
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d’origine grecque ou biblique. C’est ainsi que la fondation de Ninive était attribuée au roi mésopotamien Ninus depuis le ve siècle avant l’ère chrétienne19. Par proximité géographique, une forme d’autochtonie sacrée est revendiquée par les cités mésopotamiennes qui se rattachent à des fondateurs mentionnés dans la Bible. On trouve chez Éphrem, dans son commentaire sur la Genèse, l’identification du nom des trois villes fondées par Nemrod avec des cités qui lui étaient contemporaines : l’Erech biblique (l’Uruk sumérienne) est ainsi assimilée à Édesse20. Cette tradition se retrouve dans la Caverne des trésors et les chroniques syriaques21. La ville est associée à la mystérieuse figure de ce roi-chasseur, souvent présenté de manière négative dans les sources juives et chrétiennes comme étant l’instigateur de la tour de Babel et l’adversaire d’Abraham, mais qui est aussi auréolé dans les sources syriaques du rôle de premier roi babylonien après le déluge et donc de roi local22. L’Histoire de Karka d-Bet Slok présente aussi son fondateur, le roi assyrien Sardana, comme un descendant de Nemrod23. « Héros culturel » de la Mésopotamie, selon l’expression de Sergey Minov, Nemrod est aussi associé dans les sources syriaques avec la Perse. Il constitue donc une alternative aux traditions hellénistiques d’une part et iraniennes d’autre part. Dans la même pratique de fondation ancrée dans la tradition biblique, Barhebraeus reprend à l’une de ses sources la tradition selon laquelle Édesse a été fondée par Nemrod, mais d’après une autre de ses sources (sans doute arabo-musulmane), il fait remonter à la période prédiluvienne la fondation de la ville qui serait due à Énoch (identifié avec l’Hermès Trismégiste des Grecs, inventeur de l’écriture, de l’astronomie, du jeûne…), « un homme sage qui enseigna aux hommes à construire des villes ». Cent quatre-vingts cités lui sont attribuées, « dont la plus petite était Édesse »24. C’est bien le souvenir d’un établissement ancien mais modeste qui ressort de cette association avec le personnage d’Énoch. Il s’agit dans les deux cas de réinventer des racines sémitiques et bibliques à la fois à la cité devenue séleucide et de réparer l’interruption que constitua pour la culture locale l’hellénisation. C’est, de fait, après la période hellénistique, qu’émerge l’écriture araméenne d’Édesse et qu’apparaissent sous forme écrite les dialectes araméens locaux, alors que n’était plus employé l’araméen d’Empire standard. Un double récit de fondation, historique, avec la fondation hellénistique – faisant elle-même l’objet d’une double attribution à Alexandre ou à Séleucos – et mythique, avec la fondation par Nemrod ou Énoch, rend ainsi compte des origines et de l’identité hybrides de la cité et des enjeux liés au phénomène de la fondation ou refondation. À la période romaine interviennent, avec les changements de statuts, d’autres changements de noms, mais qui resteront sans conséquences : lorsqu’Édesse devient une colonie, elle porte le nom d’Edessa Antoniana Colonia Metropolis Aurelia Alexandria. dérivé du nom d’Antoninus Caracalla. Le nom « Aurelia » fut
19. Voir la bibliographie donnée par S. Minov, Syriac Christian identity in late Sasanian Mesopotamia : The Cave of Treasures in context, PhD dissertation, The Hebrew University of Jerusalem, 2013, p. 257. 20. Gn 11,20. Éphrem, Comm. sur la Genèse VIII, 1. Voir C. jullien, « Dans le royaume de Nemrod » (supra, n. 16) pour les interprétations juives reprises en monde chrétien de ces fondations (p. 162-164 concernant Édesse). 21. The anonymous Syriac chronicle (supra, n. 11), p. 37 ; Chronique de Michel le Syrien (supra, n. 12) II, 3, texte p. 9, traduction p. 20 ; Barhebraeus, Chronique civile : The chronography of Gregory Abû’l Faraj, ed. by E. A. W. BuDge, London, 1932, texte p. 9. 22. Sur Nemrod, voir S. Minov, Syriac Christian identity (supra, n. 18), p. 256-259 sur son rôle de fondateur de cités. 23. Acta martyrum et sanctorum. 2 (supra, n. 4), p. 507. A. H. Becker, « The Ancient Near East in the late antique Near East : Syriac Christian appropriation of the biblical East », dans Antiquity in antiquity : Jewish and Christian pasts in the Greco-Roman world, ed. by G. garDner & K. L. osterloh (Texts and studies in ancient Judaism 123), Tübingen, Mohr Siebeck, 2008, p. 394-415, ici p. 400-402. S. Minov, Syriac Christian identity (supra, n. 18), p. 252. 24. Barhebraeus, Chronique civile (supra, n. 20), p. 5 (Énoch) et p. 8 (Nemrod). La petitesse d’Édesse est peut-être une référence à la lettre d’Abgar à Jésus dans laquelle le roi d’Édesse mentionne que sa cité est petite mais qu’elle suffira pour eux deux et pour que Jésus y soit à l’abri des menaces des juifs.
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ajouté durant les années d’Élagabale et enfin « Alexandria » du temps de Sévère Alexandre, quand la ville fut élevée au rang de métropole, ces changements marquant sa nouvelle identité romaine. L’exemple de la fondation de la place forte de Dara en Mésopotamie (Oğuz aujourd’hui en Turquie, dans la province de Mardin) 25, entre 505 et 507/8, illustre à la fois les pratiques de nomination et la continuité des discours de fondation symbolique. La fondation est présentée comme rendue nécessaire par le besoin de mettre l’armée à l’abri, alors que la ville d’Amid (la moderne Diyarbakιr en Turquie du sud-est) avait été prise par les Perses en 502 et que Nisibe (la moderne Nusaybin, également en Turquie du sud-est aujourd’hui, à la frontière turco-syrienne) leur appartenait aussi. Le village de Dara fut acheté à l’Église d’Amid par l’empereur Anastase, en raison de sa situation géographique. Les colons libérés reçurent des terres et l’évêque Thomas, selon l’Histoire du Pseudo-Zacharie, et un patrice d’Antioche, selon l’historien Marcellinus Comes, furent chargés de la construction, sur deniers impériaux. Les travaux prirent à peine trois ans. La ville fut « complétée d’admirables édifices », dont une église, des bains, un xenodochion, mais surtout des entrepôts pour le grain, un aqueduc venant de la montagne et des citernes, pour lui permettre de tenir un siège et de remplir la fonction pour laquelle elle était construite. Elle reçut un nouveau nom, Anastasioupolis26. Lorsque les remparts furent restaurés et renforcés par Justinien – car la construction hâtive précédente et les intempéries les avaient dévastés –, des travaux hydrauliques furent réalisés pour détourner le cours de la rivière à l’intérieur et deux églises construites. La ville renouvelée fut renommée Iustiniana Nova 27. Alors que son identité récente était liée à l’évergétisme impérial qui affectait son nom, elle était aussi ancrée dans un passé mésopotamien ancien, d’époque hellénistique, réinventé au travers de son nom continu, « Dara ». Marcellinus Comes dit en effet que la ville garda le nom du village préexistant : pristinum nomen villae reliquit28. Les noms successifs formés sur ceux des souverains romains sont venus se superposer au nom ancien sans l’oblitérer et témoignent des vicissitudes de cette place forte des frontières, mais ils n’effacèrent pas l’identité sémitique locale. Une légende de fondation liée au contexte historique vint par ailleurs fournir une explication au nom « Dara » et lui donner le lustre qui manquait au modeste village initial : si l’on suit le chroniqueur syriaque Michel le Syrien, la ville aurait été construite « à l’endroit où Darius avait été tué et, à cause de cela, la ville s’appela Dara »29. Chez le chroniqueur grec Jean Malalas, c’est Alexandre le Grand qui est crédité de la première fondation, à l’endroit où il avait capturé, et non tué, le roi de Perse Darius30. Quoi qu’il en soit de la différence entre les deux versions, la similitude phonétique des noms avait contribué à créer cette mémoire fictive et permettait d’ancrer la ville dans l’histoire plus ancienne des relations gréco-perses : sur
25. Sur Dara, voir R. janin, « Dara », Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques 14, 1960, p. 83-84. B. CroKe & C. jaMes, « Procopius and Dara », The Journal of Roman studies 73, 1983, p. 143-159. 26. Sur les circonstances de la construction comme une garnison sur la frontière, voir l’Histoire du Pseudo-Zacharie VII, 6 : The Chronicle of Pseudo-Zachariah Rhetor : church and war in late antiquity, ed. by G. greatrex and transl. from Syriac and Arabic sources by R. R. phenix & C. B. horn (Translated texts for historians 55), Liverpool, 2011, texte p. 37-39, traduction p. 247-251. La liste des constructions apparaît chez le Pseudo-Zacharie et chez Malalas, Chronique XVIII, 10 ; traduction anglaise : The Chronicle of John Malalas, a transl. by E. jeffreys, M. jeffreys & R. sCott (Byzantina Australiensia 4), Melbourne, 1986, p. 224. 27. Procope, De aedificiis II, 1, 11-13. 28. Marcellinus Comes, dans Monumenta Germaniae historica. Auctores antiquissimi. 11 (éd. MoMMsen), p. 100. B. CroKe, « Marcellinus on Dara : a fragment of his lost De temporum qualitatibus et positionibus locorum », Phoenix 38, 1, Spring 1984, p. 77-88, ici p. 83. 29. Chronique de Michel le Syrien (supra, n. 12) IX, 8, texte p. 258, traduction p. 160. 30. Malalas XVIII, 10, traduction anglaise (supra, n. 25) p. 224.
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le lieu de la chute du roi de Perse était fondée la cité qui devait assurer la sécurité des frontières romaines contre les Perses (les Arabes et les Huns).
Causes et réparations Des DestruCtions On peut noter depuis les années 1980, la multiplication des études sur les catastrophes dans l’histoire, qu’elles soient politiques31 ou naturelles32. Devenues sujet d’histoire, elles sont étudiées pour différents lieux et époques. Les sources tardo-antiques permettent d’étendre à cette période une historiographie d’abord centrée sur l’Antiquité classique, le Moyen Âge et la période moderne. Un schéma explicatif sous-tend l’ensemble des textes consacrés aux catastrophes touchant les villes tardo-antiques. Effets des guerres ou des catastrophes naturelles, les destructions sont en effet expliquées par les auteurs contemporains comme le résultat des péchés des habitants, les brèches dans les remparts comme les conséquences des brèches morales qui ont conduit Dieu à punir les habitants en permettant que les ennemis (politiques et ennemis de la foi aussi dans le cas des Perses puis des Arabo-musulmans) triomphent militairement des croyants ou en manifestant sa colère dans les fracas des secousses telluriques. La chronique syriaque de Josué le stylite se présente précisément comme une mémoire des catastrophes subies par Édesse, Amid et toute la Mésopotamie au moment des guerres romano-perses sous l’empereur Anastase au vie siècle. Celles-ci sont comprises comme autant de châtiments et comme une mise en garde adressées aux lecteurs, invités à se repentir pour éviter un sort semblable33. C’est à la lumière de la Bible et plus particulièrement de l’Ancien Testament que se lit pour les chrétiens le sort des cités. Les deux exemples opposés de Sodome et Gomorrhe d’un côté et de Ninive de l’autre représentent le type des deux résultats possibles de la colère divine contre les habitants pécheurs : le déchaînement de la destruction comme châtiment de ceux qui ne se sont pas repentis ou au contraire le pardon et le salut pour ceux qui ont revêtu le sac et la cendre en signe de repentance34. La liturgie syriaque rappelle l’efficience du repentir des habitants de Ninive lors du jeûne dit des Ninivites qui permit d’éviter la destruction annoncée par le prophète Jonas. Ces jours de jeûne appelés Baʿūṯā d-Ninwāyē, Rogation ou Supplication des Ninivites, réactualisent chaque année, pendant l’Avant Carême, traditionnel dans toutes les liturgies anciennes, la possibilité du salut de toute une ville. D’abord long d’une semaine, ce jeûne fut
31. Pour une réflexion critique sur la notion de catastrophe ou désastre, voir G. J. sChenCK, « Historical disaster research : state of research, concepts, methods and case studies », Historical social research 32 (3), 2007, p. 9-31. 32. Voir par exemple Naturkatastrophen : Beiträge zu ihrer Deutung, Wahrnehmung und Darstellung in Text und Bild von der Antike bis ins 20. Jahrhundert, hrsg von M. KeMpe, D. groh & F. Mauelshagen, Tübingen, Gunter Narr, 2003. Erdbeben in der Antike : Deutungen, Folgen, Repräsentationen, hrsg von j. BorsCh & L. Carrara (Bedrohte Ordnungen 4), Tübingen, Mohr Siebeck, 2016. 33. Sur les chroniques syriaques, voir M. DeBié L’Écriture de l’histoire (supra n. 13), p. 419-426. Pour la dernière traduction de ce texte inséré dans la Chronique de Zuqnin de 775 : The Chronicle of Zuqnīn. 1-2, From the Creation to the year 506/7 ad, ed. and transl. by A. harraK (Gorgias chronicles of late antiquity 2), Piscataway nj, Gorgias Press, 2017, p. 354. Sur les catastrophes naturelles dans la chronique de Malalas, voir M. Meier, « Natural disasters in the Chronographia of John Malalas : reflections on their function, an initial sketch », The medieval history journal 10, 1-2, 2006, p. 237-266 et iD., « Naturkatastrophen in der christlichen Chronistik : das beispiel Johannes Malalas (6. Jh.) », Gymnasium 114, 2007, p. 559-586. 34. Sur Sodome dans les memre d’Éphrem sur Nicomédie, voir Éphrem de Nisibe, Mēmrē sur Nicomédie : édition des fragments de l’original syriaque et de la version arménienne, trad. française, introd. et notes par C. renoux (Pat r ol ogia Orientalis 37, 2-3 [172-173]), Turnhout, Brepols, 1975, introd., § 4. Voir aussi ses madrashe sur Nisibe, mieux connus sous le titre de Carmina Nisibena (10, 13).
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réduit à trois jours et constitue toujours une étape de l’année liturgique des Églises de tradition syriaque (ainsi que copte et éthiopienne qui l’ont emprunté). Les auteurs syriaques ont abondamment écrit sur cet épisode exemplaire : Éphrem (m. 373) a produit neuf poèmes sur Ninive et Jonas dans son recueil des madrashe ou poèmes chantés sur la Virginité (42-50) et un très long memra ou homélie métrique sur le même thème lui est attribué, mais semble avoir été composé pour l’occasion de la fête des Rogations35. Narsaï et Jacques de Saroug, au tournant des ve-vie siècles, ont également écrit sur ce thème et des auteurs plus tardifs comme Warda (Église de l’Est, xiiie siècle) ont poursuivi l’exégèse du livre de Jonas. Les Ninivites sont présentés par Éphrem comme un « modèle de notre repentance »36 et comme un « type » des chrétiens37. L’un des aspects de cette typologie est qu’ils sont montrés priant sur les murs de la ville fortifiée comme Jonas avait prié dans le poisson et préfigurent les chrétiens intercédant pour le salut de leurs villes38. La dimension religieuse donne sens aux événements catastrophiques et en guide l’interprétation, elle apporte aussi espoir et réconfort aux habitants des cités en leur montrant que les catastrophes ne sont pas inéluctables. Les chroniques reposaient sur des listes qui avaient enregistré le nombre sinon la date des tremblements de terre et des inondations majeures39. Elles mentionnent pour chaque cité importante du combientième tremblement de terre ou inondation il s’agissait, avec des entrées du type : « Antioche fut renversée pour la énième fois » 40. De telles listes existaient au moins pour les métropoles, Constantinople, Antioche, Nicomédie et Édesse, et mentionnaient sans doute les dégâts dans leur chora ainsi que dans les villes avoisinantes. Peut-être indiquaient-elles aussi les subsides envoyés. Les pétitions à l’empereur et les lettres à d’autres communautés (pour lever là aussi des fonds) permettaient de raconter les événements, de décrire les dégâts et de demander de l’aide. Elles étaient le vecteur principal d’information sur les catastrophes, que les chroniques ont utilisées comme sources. Les chroniques rapportent les destructions, mentionnent souvent quelles sont les parties des villes détruites, l’évaluation des dégâts permettant d’obtenir des subsides adaptés de la part de l’empereur ainsi que des exemptions d’impôt. Elles indiquent l’envoi d’or par l’empereur pour la reconstruction, parfois même la quantité envoyée. La chronique de Michel le Syrien rapporte par exemple, d’après une source qui pourrait être le chroniqueur byzantin Malalas, l’envoi d’or par Basiliscus à Gabala de Syrie renversée par un tremblement de terre41. Envoi de subsides et deuil sont les deux réponses complémentaires de la puissance
35. Voir A. De halleux, « À propos du sermon éphrémien sur Jonas et la pénitence des Ninivites », dans Lingua restituta orientalis : Festgabe für Julius Aßfalg, hrsg. von R. sChulz & M. görg (Ägypten und Altes Testament 20), Wiesbaden, Harrassowitz, 1990, p. 155-166. L’auteur y présente les différentes versions grecque, latine, éthiopienne et géorgienne du memra. L’éditeur, E. Beck, et S. Brock pensent cependant l’attribution plausible : S. P. BroCK, « Ephrem’s verse homily on Jonah and the repentance of Nineveh : notes on the textual tradition », Philohistor 60, 1994, p. 71-86. 36. Éphrem, Hymnes sur la foi 87.3. 37. Sur les interprétations juives et chrétiennes du livre de Jonas dans la Mésopotamie antique et l’antjudaïsme des interprétations chrétiennes, voir C. shepharDson, « Interpreting the Ninevites’ repentance : Jewish and Christian exegetes in late antique Mesopotamia », Hugoye : Journal of Syriac studies 14 (2), 2011, p. 249-277. 38. Sermo II, 1, 17, 20. 39. Sur les listes employées par Malalas, voir M. Meier, « Naturkatastrophen in der christlichen Chronistik » (supra, n. 32), p. 570, n. 47. 40. Voir M. DeBié, L’Écriture de l’histoire (supra, n. 13), p. 419-426 sur histoire, mémoire et poésie touchant à la transmission mémorielle et des catastrophes naturelles et des guerres. 41. En 476. Malalas XV, texte dans l’ed. L. DinDorf (Bonn, 1831), texte p. 377, traduction anglaise (supra, n. 25) p. 209. Chronique de Michel le Syrien (supra, n. 12) IX, 5, texte p. 249, traduction p. 143.
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impériale : « Séleucie de Syrie, Daphné qui est près d’Antioche et tous leurs environs jusqu’à vingt mille en long et en large furent totalement renversés dans ce tremblement de terre. Justin en l’apprenant jeta la toge, dépouilla la pourpre et resta dans le deuil. Il envoya cinq centenaria d’or pour la reconstruction des villes. »42 Une déploration officielle accompagne la douleur des habitants et manifeste la sympatheia, la « commune souffrance » de l’Empire tout entier au travers de la personne de l’empereur et de la cour qui suit son exemple. La dimension de repentance est présente aussi dans une démarche de reconstruction morale accompagnant la reconstruction matérielle. La seule reconstruction taboue pour les chrétiens était celle du Temple de Jérusalem. Le Christ avait prophétisé en effet que le Temple resterait désolé et qu’il n’y aurait plus pierre sur pierre jusqu’à la fin des temps (Mt 24,1-2). Comme en témoigne Éphrem dans ses Hymnes contre les hérésies, le Temple de Jérusalem a été définitivement remplacé pour les chrétiens par le temple qu’est le corps du Christ : À nouveau, deux temples d’un seul et même Créateur, et comment étranger ? Le temple de Sion, Il l’a déraciné, car Il a commencé à le haïr ; il devint un temple pour Lui, le corps, qu’Il aimait. Il détruisit le sanctuaire et ressuscita le corps, nid des péchés !43
La tentative de reconstruction qui eut lieu du temps de l’empereur Julien et, plus tard, la construction par les Omeyyades de la mosquée et du Dôme du Rocher sur l’esplanade du Temple s’accompagnèrent de textes chrétiens destinés à en montrer l’impossibilité, les travaux étant interrompus par des interventions surnaturelles. La lettre en syriaque attribuée à Cyrille de Jérusalem lors de la première tentative 44 et les récits en grec d’Anastase le Sinaïte lors de la seconde 45 mettent en scène des miracles destinés à montrer l’aporie de la reconstruction. Celle-ci était en effet vécue non seulement comme un redéploiement de la géographie sacrée de Jérusalem avec ses lieux saints juifs et chrétiens, topographiquement et symboliquement décalés (mont du Temple pour les premiers, Golgotha pour les seconds), mais surtout comme une remise en cause inacceptable du schéma eschatologique chrétien.
42. Chronique de Michel le Syrien (supra, n. 12) IX, 16. 43. Éphrem, Hymnes contre les hérésies, trad., introd. et commentaire par F. ruani, Bibliothèque de l’Orient chrétien, Paris, 2018, XLII, 4, p. 250. 44. S. P. BroCK, « The rebuilding of the Temple under Julian : a new source », Palestine exploration quarterly 108, 1976, p. 103-107 et « A letter attributed to Cyril of Jerusalem on the rebuilding of the Temple », Bulletin of the School of Oriental and African studies 40 (2), 1977, p. 267-286. J. W. Drijvers, « Cyril of Jerusalem and the rebuilding of the Jewish Temple (363) », dans Ultima aetas : time, tense and transience in the ancient world : studies in honour of Jan den Boeft, ed. by C. Kroon & D. Den hengst, Amsterdam, 2000, p. 123-135. D. B. levenson, « The ancient and medieval sources for the emperor Julian’s attempt to rebuild the Jerusalem Temple », Journal for the study of Judaism 35 (4), 2004, p. 409-460. 45. B. flusin, « Démons et Sarrasins : l’auteur et le propos des Diègèmata stèriktika d’Anastase le Sinaïte », Travaux & mémoires 11, 1991, p. 381-409.
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reConstruire après une inonDation : l’exeMple D’éDesse Les inondations qui causèrent morts et destructions à maintes reprises à Édesse sont exemplaires des processus de réparation en œuvre aux différents niveaux pratiques et symboliques. Traversée par le Daïṣan (le Skirtos, « le bondissant », de son nom grec), Édesse était particulièrement vulnérable aux crues soudaines et répétées. Elle fut ainsi touchée en novembre 201, en mai 303, en mars 413 et encore en avril 525 pour ne citer que les cas les plus marquants. À chaque fois, le fleuve sortit de son lit et inonda la ville qu’il traversait, causant de terribles pertes humaines et d’importantes destructions aux bâtiments mais aussi à la zone des remparts par où il entrait et sortait (avec des systèmes d’écluses que l’on levait ou abaissait pour gérer les flux). Les chroniques se font l’écho de ces inondations qu’elles décrivent avec plus ou moins de détails. Des monnaie d’Édesse du temps de Sévère Alexandre Figure 2 - Sévère Alexandre Æ25 d’Edesse, Mésopotamie. (222-235) représentent au revers la Tyche d’Édesse assise, avec le fleuve sous ses pieds (figure 2). Elles ont été frappées dans les années 210-220. Le plus ancien récit, préservé dans une chronique anonyme allant jusqu’en 54046, se présente comme une copie d’un document d’archive ayant enregistré non seulement les circonstances de l’inondation de 201, mais aussi les décisions du roi d’Édesse, Abgar, en réponse à cette catastrophe qui avait coûté la vie à des centaines d’habitants et détruit une partie de la ville. Les décisions prises pour éviter que cela ne se reproduise sont indiquées : l’entrée du fleuve devait être éclairée la nuit et cinq gardes postés pour surveiller le niveau des eaux durant l’hiver, la période de leur plus forte montée, et prévenir les habitants. Des lampes devaient être installées en dehors des boutiques près du fleuve, une zone sans constructions le long de celui-ci devait être respectée, l’interdiction pour les artisans de dormir dans leur boutique d’octobre à avril fut décrétée. Le roi se fit construire un nouveau palais d’hiver en hauteur, à l’abri des eaux, et les notables vinrent s’installer autour : la reconstruction implique donc un déplacement de la topographie urbaine et civique selon les saisons avec une ville d’été et une ville d’hiver, un exemple tout à fait unique de différentiation et de déplacement saisonnier, au sein d’une même cité, et de l’usage des espaces urbains en fonction de la météorologie. C’est aussi un exemple de planification urbaine pour une reconstruction durable. Ce récit de la première inondation permet de voir une autre réponse de la puissance publique dans la décision du roi Abgar d’exempter d’impôts pendant cinq ans les habitants de la cité et des environs afin de permettre non seulement la reconstruction, mais la construction de nouveaux bâtiments et l’embellissement de la ville. Cet exemple montre aussi la gestion de la crise en temps réel (le roi monte sur la tour pour observer la montée des eaux), le processus de prise de décision pour la reconstruction et la pratique d’enregistrement des décrets par les notaires de la ville47. Il en alla de même les autres fois : après l’inondation du temps de Justin, en 525, qui endommagea une partie des murailles et détruisit des bâtiments, les chroniques rappellent que l’empereur envoya de l’or pour la reconstruction des remparts et que la ville prit, par reconnaissance, le nom de Justinoupolis48,
46. Sur cette chronique, voir M. DeBié, L’Écriture de l’histoire (supra, n. 13), S6, p. 522-527. 47. Sur ces inondations, voir M. DeBié, ibid., p. 359 et sur les pratiques archivistiques à Édesse, p. 167-173. 48. Malalas mentionne cet épisode ainsi que la découverte d’une inscription sur pierre prophétisant la crue du Daïṣan (texte ed. DinDorf [supra, n. 40] p. 418 ; traduction anglaise [supra, n. 25] p. 237) et que reprend la Chronique jusqu’en 1234. Chronique de Michel le Syrien (supra, n. 12) IX, 12, texte p. 265, traduction p. 169. Des subsides furent aussi
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un changement qui resta néanmoins éphémère. Cet exemple montre une grande continuité des pratiques d’accompagnement des catastrophes et de l’évergétisme civique attestées déjà au Haut-Empire49. Si le lit du fleuve fut élargi en 201, c’est seulement du temps de Justin, après l’inondation de 525, qu’avec la reconstruction des bâtiments et des remparts (mise au crédit de Justinien par l’historien Procope)50 furent réalisés des travaux de détournement d’une partie des eaux du fleuve, seuls à même d’éviter ou du moins de limiter les effets des inondations. Justinien fit ensuite creuser un barrage au nord-ouest de la ville et un canal de dérivation pour détourner l’eau des crues à l’extérieur du mur nord. Or de tels travaux sont attribués par la Chronique édessénienne anonyme jusqu’en 1234 à Nimrod et à Séleucos, les deux fondateurs de la cité, et une première restauration et un nettoyage à un autre des fondateurs symboliques de la cité, à savoir l’apôtre Addaï qui aurait converti le roi Abgar et les habitants d’Édesse au christianisme51. L’apôtre devenait ainsi par ses travaux hydrauliques le (re)fondateur de la cité et le fondement de sa sécurité face aux catastrophes et donc au courroux divin. Addaï, qui est généralement présenté comme l’instrument de la christianisation de la ville, est ici montré de manière originale comme l’ingénieur de son salut grâce au soutien financier du roi Abgar, du moins jusqu’à ce que le fruit de ses travaux publics ne souffrît à son tour du temps et du manque d’entretien. Sa protection terrestre s’avérait ainsi moins durable que celle de la promesse que Jésus fit à Abgar que les ennemis n’auraient pas de prise sur sa cité et qui constituait le plus précieux des dons qui pût être fait à une cité et à ses dirigeants dans cette région des frontières avec l’Empire perse52. L’évergétisme pour la reconstruction après inondation est ainsi transféré dans la Chronique jusqu’en 1234 à des figures mythiques du passé édessénien : après la christianisation, c’est moins le roi que l’apôtre qui est le reconstructeur symbolique, et pratique, de la cité. Des récits contemporains, oraux et rapportés dans les chroniques, témoignent par ailleurs de l’interprétation qui était faite des événements pour leur donner sens. L’inondation de 525 est ainsi lue dans le contexte des luttes entre partisans et adversaires du concile de Chalcédoine comme un « châtiment du déluge » qui frappa la ville à cause de son évêque chalcédonien, Asclépios, qui avait expulsé des moines qui refusaient de reconnaître le concile et en avait fait emprisonner certains53. Inversement, Asclépios fut présenté par les chalcédoniens comme un nouveau Noé qui avait survécu au déluge et réussi à se mettre à l’abri à Antioche. La même référence biblique au déluge noachique était partagée par les deux partis mais utilisée de manière diamétralement opposée. L’inondation ne représentait donc pas seulement une destruction des bâtiments et des gens, mais était resituée dans le contexte des confrontations confessionnelles, comme un signe du courroux divin. On a là un élément de lecture de la volonté divine au travers de la nature d’une part et des Écritures d’autre part, selon un mode interprétatif traditionnel en syriaque, chez Éphrem
envoyés à Antioche, également touchée. Sur cet épisode, voir M. DeBié, « Jean Malalas et la tradition chronographique de langue syriaque », dans Recherches sur la chronique de Jean Malalas. 1, éd. par j. BeauCaMp (Monographies 15), Paris, Centre de recherche d’histoire et civilisation de Byzance, 2004, p. 147-164, ici p. 160-161. 49. Voir A. Béranger-BaDel, « Les séismes dans la documentation » (supra, n. 2) pour les similitudes à une période plus ancienne. 50. Procope, De aed. 2, 7, 2-16. Voir A. palMer, « Procopius and Edessa », Antiquité tardive 8, 2000, p. 127-136. 51. Anonymi auctoris Chronicon ad annum Christi 1234 pertinens, ed. J.-B. ChaBot (Corpus scriptorum Christianorum orientalium 82. Scriptores Syri 37), Paris, 1920, p. 124 ; trad. A. palMer, « Procopius and Edessa » (supra, n. 49), p. 130. Sur la chronique, voir DeBié, L’Écriture de l’histoire (supra, n. 13), S38, p. 585-89. 52. Cette protection apparaît dans La Doctrine d’Addaï. 53. DeBié, L’Écriture de l’histoire (supra, n. 13), p. 452-453.
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notamment. L’inondation est un signe naturel à interpréter à l’aune de la théologie afin de permettre une reconstruction de l’orthodoxie détruite par l’évêque ou les non-chalcédoniens selon la perspective adoptée. Les circonstances des affrontements christologiques donnent un récit et une interprétation bien différents de ceux de l’année 201. L’éternel recommencement du cycle de la nature est différencié par les circonstances politiques et surtout par le climat religieux : l’inondation du vie siècle est tout imprégnée des affrontements christologiques. Les pertes humaines et les destructions matérielles trouvent un sens dans les brèches confessionnelles et la réparation passe aussi par la gestion des conflits religieux.
les reConstruCtions après les treMBleMents De terre : l’exeMple De niCoMéDie La particularité du Proche-Orient est que les tremblements de terre ont été documentés depuis plus d’un millénaire avant l’ère chrétienne, en raison de la permanence de l’activité tectonique54. Ils étaient interprétés par Aristote et ses commentateurs antiques et médiévaux, du point de vue de l’histoire des sciences, par la présence d’exhalaisons ou de vents enfermés sous terre provoquant les mouvements ainsi que les bruits souterrains qui les accompagnent55. Ils étaient par ailleurs associés depuis l’antiquité la plus ancienne au courroux des dieux et continuèrent d’être désignés dans l’Antiquité tardive par le terme de « courroux divin ». Les chroniques grecques ou syriaques abondent en expressions du type : « telle ville subit le courroux divin et fut renversée. » Dans la tradition chrétienne, les destructions causées par les tremblements de terre constituaient l’un des signes annonciateurs de la fin des temps selon les « apocalypses » synoptiques des évangiles56. La chronique de Michel le Syrien mentionne par exemple qu’un tremblement de terre en Thrace détruisit de nombreux pays et que « la crainte s’empara de tous ceux qui voyaient les calamités qui atteignaient les hommes, et chacun pensait que la fin du monde était proche »57. En détruisant les villes, ils entraînaient une réaction des autorités à la fois ecclésiastiques et civiles afin de réparer leurs effets sur les murs comme sur les gens. Le cas de Nicomédie (la moderne Izmit en Turquie) est intéressant car la ville fut marquée par des tremblements de terre à répétition58 comme beaucoup d’autres cités, mais qui furent accompagnés, plus
54. Voir M. R. sBeinati et al., « The historical earthquakes of Syria » (supra, n. 1). B. Bousquet, « Les séismes de l’Antiquité entre nature et société », dans Colloque L’homme face aux calamités naturelles dans l’Antiquité et au Moyen Âge : actes, éd. par J. jouanna, j. leClant & M. zinK éd. (Cahiers de la Villa Kérylos 17), Paris, 2006, p. 3359. Voir Erdbeben in der Antike (supra, n. 31). 55. Sur la météorologie en syriaque, voir H. taKahashi, Aristotelian meteorology in Syriac : Barhebaeus, Butyrum Sapientiae, Books of mineralogy and meteorology, Leiden, 2004. Le chapitre II de la Crème de la sagesse de Barhebraeus est consacré aux tremblements de terre et reprend la physique aristotélicienne (II, 7-8) au travers du compendium de Nicolas de Damas et des scholies d’Olympiodore (éd. et trad. Takahashi, p. 90-99, commentaire p. 243-280). La météorologie péripatéticienne est déjà présente dans les chapitres 2 et 3 de l’Hexaemeron de Jacques d’Édesse (m. 708). Pour le domaine grec, voir J. M. lössl, « Teodoro di Mopsuestia e Giuliano di Eclano sulle cause naturali dei terremoti », dans Giuliano d’Eclano e l’Hirpinia christiana : atti del convegno 4-6 giugno 2003, a cura di A. V. nazzaro, Napoli, Arte tipografica editrice, 2004, p. 103-111. 56. Mt 24 ; Mc 13 ; Lc 21. 57. Chronique de Michel le Syrien (supra, n. 12) IX, 5, texte p. 253, traduction p. 147. 58. C’est encore un tremblement de terre qui, en 1999, détruisit la ville d’Izmit et permit de manière collatérale de mettre au jour des restes d’époque romaine.
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qu’ailleurs, de nombreuses traces épigraphiques et littéraires, en grec et en syriaque, de son relèvement59. Cela tenait à son statut de métropole et de capitale de la province romaine de Bithynie puis de capitale de l’empire romain d’Orient du temps de Dioclétien (à partir de 283). Elle fut la résidence fréquente de Constantin jusqu’à ce qu’elle fût supplantée en 330 par Byzance devenue, sous le nom de Constantinople, la nouvelle capitale. Ville cosmopolite, à la croisée des routes, elle devait sa richesse au commerce terrestre et maritime. Elle avait depuis la période hellénistique des aqueducs qui l’alimentaient en eau et toutes les infrastructures nécessaires à la vie d’une polis : théâtre, places, rues à colonnades, bains, temples… ans la province devenue romaine, elle eut un atelier de frappe monétaire et une manufacture d’armes. Elle resta un poste militaire important sur les routes asiatiques de la nouvelle capitale. Elle fut aussi un haut lieu du christianisme : un centre de la persécution de Dioclétien en 303, le lieu du baptême de Constantin et un évêché avant de devenir une métropole ecclésiastique en 451. Une liste des tremblements de terre de la ville existait comme le montre la chronique de Michel le Syrien qui mentionne à un endroit que « Nicomédie fut renversée pour la 6e fois »60. Le 24 août 358, un tremblement de terre majeur, suivi d’un incendie61, puis un deuxième séisme en 363 éprouvèrent durement la ville, entraînant un véritable déclin, puisque la cité fut reconstruite dans des limites plus étroites, jusqu’à ce que Justinien ne l’étendît de nouveau. Comme dans le cas des inondations, la réparation passait par l’évergétisme civique ou royal célébré par des émissions monétaires, des inscriptions et des poèmes. Les inscriptions commémorent simplement quel empereur est à l’origine de la reconstruction de quel bâtiment ou le remercient et le célèbrent comme le restaurateur ou même le sauveur de la cité. Un sesterce datant du règne d’Hadrien montre ce dernier debout, en toge, tendant la main à la cité de Nicomédie à genoux pour l’aider à se relever après un tremblement de terre. Cette représentation est accompagnée de la légende RESTITVTORI NICOMEDIAE (figure 3) 62. Les épigraphes et des monuments commémoratifs aux victimes du séisme inscrivaient dans la pierre la mémoire Figure 3 - Hadrien relevant Nicomédie, des tremblements de terre63. cf. H. Mattingly, The Roman imperial coinage. 2, Vespasian to Hadrian, London, 1926, no 961.
59. T. BeKKer-nielsen, Urban life and local politics in Roman Bithynia : the small world of Dion Chrysostomos (Black Sea studies 7), Aarhus, Aarhus University Press, 2008. E. guiDoBoni, Catalogue of ancient earthquakes in the Mediterranean area up to the 10 th century, Roma, 1994, p. 676. 60. Chronique de Michel le Syrien (supra, n. 12) IX, 6, texte p. 253, traduction p. 149 : « La plus grande partie de la ville impériale [Constantinople] fut renversée jusqu’au Taurus. Nicomédie fut aussi renversée pour la 6e fois. » 61. Ammien Marcellin 17, 7, 1-8. 62. Voir A. Béranger-BaDel, « Les séismes dans la documentation » (supra, n. 2), p. 148. 63. Sur les aspects positifs des tremblements de terre, A. Chaniotis, « Willkommene Erdbeben », dans Naturkatastrophen in der antiken Welt, hrsg. von E. olshausen & H. sonnaBenD (Stuttgarter Kolloquium zur historischen Geographie 6), Stuttgart, 1998, p. 404-416.
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la rhétorique Des Catastrophes La littérature était convoquée dans la médiatisation et le processus de réparation symbolique en réponse au traumatisme que constituaient les catastrophes64. Ce fut tout particulièrement le cas pour Nicomédie qui avait été le lieu d’activité du rhéteur Libanios durant son exil de Constantinople (en 342). De manière unique et très intéressante, un double volet littéraire présente l’interprétation classicisante du rhéteur et celle chrétienne d’Éphrem, l’une en grec, l’autre en syriaque65. Libanios composa une Μονοδία sur le tremblement de terre qui affecta la cité en 358 66. Écrivant dans la veine des rhéteurs classiques, il poursuivait ainsi la tradition antique de célébration des cités et de l’écriture des catastrophes. Son modèle était en l’occurrence la monodie qu’Aelius Aristide composa en 177 ou 178 sur Smyrne. Le genre était toujours pratiqué par les auteurs classicisants dans l’Antiquité tardive comme le montre aussi l’exemple du rhéteur Procope de Gaza (470-530), qui avait écrit sur les tremblements de terre ayant touché Antioche en 526 et 528 et fut repris par Malalas67. Parce que la catastrophe touchait la capitale de l’Empire, elle eut un retentissement inédit, y compris dans la littérature syriaque. L’autre pan littéraire est ainsi constitué par les homélies métriques (memre) qu’Éphrem (306-373) consacra à cet événement. Il écrivit en effet pas moins de dix-neuf memre, dont le neuvième est long de quelque 900 vers68. Nous ne savons pas s’il connaissait Nicomédie et s’y était rendu, mais les memre ne donnent pas d’indications suffisamment précises pour le laisser penser. La nouvelle de la catastrophe en revanche s’était répandue par le bouche-à-oreille ou les lettres des rescapés. C’est en réalité pour les habitants de Nisibe qu’Éphrem prononça ces memre69. Le memra 8, 225 montre que Nisibe fut aussi touchée par le tremblement de terre mais de manière très superficielle puisque seule une de ses portes fut endommagée, une situation qu’Éphrem compare à la catastrophe qui toucha Nicomédie. L’ensemble des vers 737-778 du memra 7 mettent en scène Nisibe pleurant sur la ville royale et Éphrem demande aux fidèles de com-patir, souffrir avec Nicomédie : « Que l’Église de Nisibe pleure sur celle de Nicomédie […] » (vers 731-736). Les fidèles de Nisibe étaient vraisemblablement réunis pour l’écouter dans une des églises de la ville, dans laquelle Éphrem fait allusion aux églises de la ville royale : « En ce temple, il faut pleurer celui de Nicomédie » (vers 585). Alors que l’œuvre d’Éphrem est généralement présenté comme « sémitique » et peu influencé par le monde grec, les memre sur Nicomédie montrent une continuité dans la tradition de l’art oratoire grec
64. Pour une appréciation sur la longue durée, voir par exemple M. gisler, « “… et Dieu a frappé” : les tremblements de terre et leurs interprétations dans les sermons de la philosophie des Lumières », dans Récits et représentations des catastrophes depuis l’Antiquité, sous la dir. de R. favier & A.-M. granet-aBisset, Grenoble, 2005, p. 233-245. 65. Seul l’hymne 9 et des fragments ont été préservés en syriaque. Le recueil est connu surtout par une traduction en arménien. 66. Or. 61 : voir C. franCo, « Ein Erdbeben, ein Rhetor, eine Tradition : Libanios und Nikomedia », dans Erdbeben in der Antike (supra n. 31), p. 225-247. E. Watts, « The historical context : the rhetoric of suffering in Libanius’ monodies, letters and autobiography », dans Libanius : a critical introduction, ed. by L. van hoof, Cambridge, 2014, p. 39-58. 67. L. Carrara, « Johannes „der Rhetor“ : eine rhetorische Quelle für die Chronik des Malalas (zu Malalas, Chronographia XVII 16) », dans Die Weltchronik des Johannes Malalas. 2, Quellenfragen, L. Carrara, M. Meier, Ch. raDtKi-jansen (Hg.), Stuttgart, 2017, p. 273-328, ici p. 293. 68. Éd et trad. C. renoux, Éphrem de Nisibe (supra, n. 33). Voir ID., « Les mêmrê sur Nicomédie d’Éphrem de Nisibe », Parole de l’Orient 4, 1973, p. 257-263 et « Nisibe, face aux Perses, dans les mêmrê sur Nicomédie de S. Éphrem », Handes Amsorya 90, 1976, p. 511-520. C. franCo, « Ein Erdbeben » (supra, n. 65), p. 231. 69. D. BunDy, « Vision for the city : Nisibis in Ephraem’s Hymns on Nicomedia », dans Religions of late antiquity in practice, R. valantasis ed., Princeton nj, Princeton University Press, 2000, p. 189-206.
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depuis la période hellénistique, transposée en monde chrétien. Ils mettent en œuvre paradoxon (un soudain changement de fortune) et enargeia (la peinture de l’image mentale d’une scène, qui donne l’impression à l’auditeur d’être spectateur de ce qui est décrit) pour susciter l’émotion des auditeurs. Ces trois éléments, paradoxon, enargeia et émotions, structurent l’ensemble du recueil et la dimension performative de ces memre n’est pas très différente de celle des discours des orateurs, sinon qu’elle prend place à l’église et non à la Boulè. C’est en tant que chrétien qu’Éphrem écrivit sur Nicomédie, comme le fit le rhéteur Libanios : ses memre sont un volet complémentaire, bien que décalé, de l’art oratoire tardo-antique, qui reposait sur l’usage d’outils communs. La culture classique du monde romain est présente aussi dans les images figurées au travers desquelles s’était créée une hybridité de la culture syro-mésopotamienne dont Éphrem participait. Il faut lire en effet avec l’image sous-jacente des tychè des cités, telles que représentées sur les monnaies, les mosaïques ou en buste, coiffées d’une couronne crénelée évoquant leurs remparts (figure 4), le distique suivant où la personnification de la ville repose sur l’imagerie impériale contemporaine : (Le juge céleste) se dressa contre la ville couronnée, Il la frappa et ses parures furent détruites.70
Figure 4 - Exemple de la Tychè de Nisibe avec couronne crénelée, datant de Sévère Alexandre (222-235 aD), Mésopotamie, Nisibe Æ25.
Éphrem mentionne aussi qu’Ézéchiel fit une complainte sur Tyr la couronnée, montrant combien ces images étaient devenues partie intégrante d’une culture commune. Souvent dans les poèmes d’Éphrem ou de Jacques de Saroug les cités, comme dans les représentations figurées, sont personnifiées et s’expriment à la première personne. La rhétorique chrétienne reprend aussi le vocabulaire du discours judiciaire en le déplaçant et en l’appliquant à Dieu. Alors que Libanios reprenait des modèles antiques d’écriture71, Éphrem revendique les modèles de la Bible pour une écriture typologique de l’histoire des catastrophes. Il identifie Jérémie, Éliakim, Ézéchiel, David, Salomon, Daniel et Jacob comme les modèles à suivre :
70. Memra 13, 3. 71. Sur la continuité des genres classiques à l’époque hellénistique, voir C. franCo, « Ein Erdbeben » (supra, n. 65). Voir aussi Hellenistic oratory : continuity and change, ed. by C. KreMMyDas & K. teMpest, Oxford, OUP, 2009.
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823. Il faudrait les lamentations de Jérémie […] Qui lui donnerait Jérémie, Lui qui pleurait la fille de Sion ? 825. Il lui faudrait le fils d’Helcias Pour proférer sur elle ses lamentations. 841-870. Il lui faudrait les chants d’Ézéchiel 845. Il composa des lamentations et des proverbes Sur les aigles et les lions, Les rois de la nation qui furent vaincus […] 851. Il fit une complainte sur Tyr la couronnée Qui perdit ses habitants Combien plus pleurerait-il la mère (Nicomédie = la poule sur ses poussins, tous étouffés) Qui fut étouffée avec ses bien-aimés 855. S’il pleura ainsi cette ville débauchée Combien plus pleurerait-il cette ville chaste 871-894. Il faudrait la voix de David, Lui qui se lamenta sur Saül et Jonathan 895-910. Il faudrait Salomon, Daniel et Jacob 901. Ces prophètes, qui avaient Des chants et des paroles de compassion, Se lamentèrent sur des villes renversées, Se lamentèrent sur des villes ruinées 905. Villes célèbres qui périrent, Et villes prospères qui furent renversées. Il conviendrait que ce soient eux qui pleurent Car à la mesure de son malheur seraient aussi leurs pleurs Pour une ville si noble, il serait juste De pleurer longuement sa destruction.72
Libanios rendait les dieux traditionnels responsables du tremblement de terre, Poséidon en l’occurrence, dont il évoque la colère contre la cité, et on retrouve chez Éphrem cette même idée selon laquelle le Dieu des chrétiens est à l’origine des secousses. Le « signe » divin qui est à l’origine de la Création l’est aussi de la destruction, avec une dimension eschatologique : 7, 151. Le signe de la puissance d’en haut Abandonna les villes et elles périrent […] 171. Le signe qui enveloppe tout abandonna les villes Et elles furent renversées comme aux origines […] 185. La ville qui a disparu à l’improviste Est un miroir du Créateur souverain Vois son signe à son égard Comment il détruit les créatures.73
72. Memra 8, 755-905. 73. Memra 7, éd et trad. C. renoux, Éphrem de Nisibe (supra, n. 33), p. 103-105.
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la ConstruCtion littéraire : enargeia et éMotions Dans la tradition des discours rhétoriques grecs, Éphrem place l’auditeur de ses homélies en position de spectateur et emploie d’ailleurs le vocabulaire du spectacle74 : « Si tu te représentes ce spectacle, tu frémis » (v. 779). L’autre dimension est que la construction de l’image mentale passe par les mots, mais aussi par les sens et la création des émotions. L’image n’est pas seulement extérieure, elle se traduit aussi corporellement, rappelant que les sens sont la porte d’entrée de l’intériorité : le corps a une dimension éminente dans la tradition syriaque et à ses cinq sens correspondent les cinq sens cachés de l’âme. Le memra oppose ainsi la sensorialité des vivants, à la fin de la sensorialité des morts, quand âme et corps sont séparés et les corps, littéralement, inanimés : 7, 234. Quand on regarde de près, l’œil fond en larmes Car ce lieu habité en ruines s’est mué. 235. Les battements du cœur augmentent À cause des gens étouffés et ensevelis. La bouche murmure des lamentations À cause des gens de haute taille enchevêtrés. Là, la tristesse l’emporte À cause des gens de petite taille.
Éphrem oppose la sensorialité des auditeurs à son absence dans la ville détruite : 8. Là-bas les perceptions ont disparu, Aucun sens n’est utile à (nos) compagnons. Pour l’oreille, il n’y a plus d’homélie, Et de la bouche ne sort plus de louange.
Pour rendre plus dramatique le basculement entre la ville intacte et la ville abattue par le tremblement de terre, Éphrem joue sur les oppositions entre la vie, semblable à l’eau, avec son mouvement, ses couleurs et sa diversité, et, à l’instant suivant, la mort, son silence, l’immobilité des pierres amoncelées, les lieux de passages bouchés et les morts descendus au tombeau, les corps des bâtiments et ceux des êtres humains également atteints : 8, 207. Les portes ouvertes des villes Des jaillissements de fils d’hommes ! Une foule nombreuse en jaillissait Comme les ruisseaux, comme les fontaines […] 211. La fontaine ne jaillit qu’au dehors, Mais la porte, au-dedans et au-dehors […] 215. Des couleurs variées et des parures différentes Les portes de la ville faisaient jaillir […] Les portes sont tombées avec leurs corniches Leurs sculptures ont été détruites 221. Elles ont été bouchées comme des fontaines ; Tués ceux qui entraient et sortaient […] 223. La ville fut renversée et la terre trembla, Elle devint un amas de pierre pour les habitants. […]
74. Voir A. Chaniotis, « Paradoxon, enargeia, empathy : Hellenistic decrees and Hellenistic oratory », dans Hellenistic oratory (supra, n. 70), p. 201-218.
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225. Et si, pour nous, l’épouvante fut grande Parce qu’une seule porte fut renversée, Combien l’épouvante dût être plus grande, Là où des villes ont été abattues et renversées ! […] 235 Qui pourrait supporter De voir que la ville, pleine de vie, Qui résonnait de toutes les voix, A été renversée et réduite au silence comme un mort ? Les pierres qui formaient les bâtiments, Les voici amoncelées sur les bâtisseurs […] 245. Dans ce pressoir de colère, Voici que les corps ont été maltraités, précipités.
Éphrem à la fois créé une image mentale et émotionnelle pour son auditeur qu’il interpelle par un vocabulaire visuel : « vois » ; « si tu te tournes », qui le place en spectateur présent, pivot de la cité détruite autour duquel s’articule l’image. Il joue aussi sur le paradoxon, le changement brutal qu’ont connu la cité et ses habitants, pour faire non seulement voir, mais ressentir le drame : 8, 761. Vois qu’elle cria à l’improviste et fut renversée, Et qu’elle étouffa ses habitants. Les belles églises de la ville, Les voilà devenues de grands tas de pierre 765. Des rues, lieux de séjour des savants, Se sont renversées sur les savants Aussi de brillantes intelligences Ne surmontent pas cette tristesse […] 815. Et si tu laisses les hommes Et que tu te tournes vers les édifices, Ils ressemblent à des morts dignes de pitié : Comme des morts, ils sont tombés autour des morts.
Corps des hommes et corps des bâtiments ne font plus qu’un dans l’évocation d’Éphrem qui actualise les deux émotions de l’effroi et de la tristesse que suscite un tel spectacle. Éphrem à la fois dessine l’image de la cité et celle des émotions ressenties par ceux dont il en a fait les spectateurs, à savoir ses auditeurs. De même qu’en faisant appel à l’imagination de ses auditeurs, Libanios demandait où se trouvaient maintenant les places, les promenades, l’hippodrome, les jeunes, les vieux, les femmes, les enfants…75, Éphrem fait aussi appel à celle de son auditoire pour recréer l’image de la cité : 755. Donc représente-toi, en ton esprit, Cette ville puissante et forte.
Le poète la reconstruit en quelque sorte dans son corps social par son évocation, reconstitue par la construction des mots tout l’éventail social de son territoire. Le memra 3 insiste sur l’égalité et la confusion de l’ordre social, des genres et des âges dans la mort : « Les rois et les chiens moururent ensemble » (v. 7778). Il invite ainsi les différents corps civiques à prendre le deuil pour mieux évoquer ceux de la cité avant sa destruction. Ce n’est pas seulement l’image mentale, mais le souvenir qui ranime la cité morte en faisant appel à ce qui est familier à chacun. L’image n’est pas abstraite mais repose sur la familiarité des activités, sur la ressemblance entre la vie à Nisibe et à Nicomédie :
75. Or. 61, 17 : Libanii opera. 4, Orationes LI-LXIV, rec. R. Foerster, Lipsiae, 1908, p. 288.
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9, 435. Il convient aux groupes de convives qui sont à table De se souvenir des groupes de convives qui ont péri Qu’entre un peu de tristesse Qu’elle réprimande l’ivresse 441. Que le laboureur pleure son compagnon Et le paysan son collègue. 460. Que les esprits pénétrants pleurent les esprits pénétrants Et les gens intelligents les savants Car dans les enfers l’étude a cessé Et la science y a été supprimée.
L’insistance sur les savants et l’étude est caractéristique de la tradition syriaque, qui, peut-être dans la suite du judaïsme, accorde une importance particulière à l’intelligence et aux savoirs. Mais tous les rangs, les occupations, les âges et les sexes sont aussi évoqués : les juges et les princes, les riches, les pauvres et les esclaves, les innocents, les épouses, les fiancées, les jeunes filles et les femmes enceintes, les femmes stériles, les prostituées, les vieillards, les diacres et les prêtres, les malades, les médecins. On peut noter que les différentes catégories de femmes ne sont définies que vis-à-vis des hommes et des enfants. C’est la société de son temps que représente Éphrem dans la cité (aux memre 3 et 8 en particulier), chacun avec ses occupations : banquets, travail de construction, visite des malades, tissage, confection des vêtements, peinture, ferronnerie, travail des champs, du bois, artisanat, construction, métiers juridiques, loisirs des femmes nobles et des hommes riches, pratique et consultation de l’astrologie et de la magie, cultes païens… L’image qu’il reconstitue de la cité est d’abord celle de son corps social et ses memre peuvent être comparés à un « Tombeau poétique »76, à la mémoire des habitants. Mais la littérature est aussi convoquée pour transmettre la mémoire de l’événement et lui donner sens dans le présent et le futur. Les trois sièges subis par la ville de Nisibe sont présentés par Éphrem comme transformés en livre, un livre dans lequel se lisent les châtiments divins et qui doit être le support de la méditation et de la repentance. Il présente son œuvre comme transmettant à la cité personnifiée la mémoire du passé pour lui servir de leçon et influer sur l’avenir. Ses écrits viennent ainsi compléter les Écritures comme guide spirituel. L’œuvre littéraire se fait l’interprète du livre des actions de Dieu dans le monde et la littérature joue donc un rôle actif dans la remédiation : Que tes calamités deviennent des livres, pour que tu te souviennes ! Car les trois sièges peuvent devenir pour toi Des livres, dont tu méditeras le contenu à toute heure, Car dans le Nouveau Testament, tu avais négligé De scruter ta vie, pour cette raison, il a écrit pour toi Trois livres rudes, pour que tu y lises tes châtiments. Que ce qui s’est passé mette fin à ce qui se passe encore ! Laissons-nous corriger par ce qui est venu, pour neutraliser ce qui vient !77
76. En référence aux « tombeaux poétiques », un genre littéraire, pratiqué en France à partir de la Renaissance et qui trouve son origine dans l’épigraphie grecque, à la mémoire d’un proche. 77. Carmina Nisibena 3, 11-12.
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la repentanCe CoMMe salut Des Cités : Murailles Défensives et reMparts syMBoliques
Éphrem invite ses auditeurs à comprendre au-delà des apparences visibles de la catastrophe qui toucha Nicomédie : 201. Lève-toi et regarde vers elle Avec l’œil caché de l’esprit.
Il voit en effet dans ce tremblement de terre un châtiment contre l’hérésie arienne, qui purifiait la cité, la ramenant à l’état originel d’avant le péché78. Faute d’avoir écouté les avertissements, les habitants ont connu la catastrophe. Il montre et suscite à la fois les émotions des fidèles ayant appris la catastrophe en les situant à deux niveaux : celui, comme nous l’avons vu, de la sympathie ou de l’empathie envers les souffrances des autres mais aussi celui plus symbolique de la repentance à laquelle doit conduire un tel exemple chez ceux qui ont échappé au malheur. La catastrophe de Nicomédie doit susciter le deuil des habitants de Nisibe, mais être aussi pour eux un avertissement et une invitation à se détourner de leurs péchés : La ville déracinée est devenue Un avertissement pour toutes les créatures, Car si elles se convertissent, elles vivront, Mais si elles commettent l’iniquité, elles seront submergées.79
L’exemple des autres est retourné par le poète comme un miroir vers l’intérieur : Allons ! Soucions-nous de ces étrangers Pour n’avoir pas à nous soucier de familiers […] Gémissons pour ces gens éloignés Pour n’avoir pas à hurler sur des proches.80
La même idée que les pleurs de tristesse et de repentance permettent d’effacer les péchés est présente encore dans un autre memra du recueil : Les pleurs versés ici sont utiles Aux éloignés et aux proches Les pleurs répandus sur eux Lavent nos souillures Quand nous pleurons sur eux, Nous effaçons la cédule de nos dettes Que des larmes soient versées dans notre temple Elles deviennent des offrandes dans ma colère.81
Les vers 373-396 de ce memra 8 présentent sous l’angle du châtiment divin la destruction de la cité, reprenant l’imagerie biblique du passage de l’ange de la mort dans une description dramatique associant la vue et l’ouïe :
78. M. van esBroeCK, « Les signes des temps dans la littérature syriaque », Revue de l’Institut catholique de Paris 39, 1991, p. 113-149 (sur Nicomédie, p. 123-126). C’est l’évêque arien de la ville qui aurait baptisé Constantin juste avant sa mort, en 337. 79. Memre sur Nicomédie 11, 19. 80. Memre sur Nicomédie 14, 35 et 39. 81. Memre sur Nicomédie 8.
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L’ange de la colère arriva Sur la ville paisible et splendide Il l’ébranla et les édifices retentirent de cris Il l’abattit et ses enfants hurlèrent […] 381. Les rois multiplièrent ses embellissements Et l’ange de la colère sa destruction Quelle oreille ne souffrirait pas D’apprendre la mort d’un grand nombre ? 385. Quel œil ne pleurerait pas la destruction de ses ornements ? Comment la bouche rirait-elle, Quand les bouches se turent à l’improviste ? Que les villes pleurent leurs compagnes De peur qu’elles ne deviennent comme leurs compagnes. 391. Lorsqu’elles pleurent leurs compagnes, Elles déplorent leurs propres dettes. Ces mêmes pleurs acquittent Les dettes de deux manières : 395. ils manifestent de l’amour envers des compagnons, Et nos demandes à Dieu.
La double dimension de la compassion et de la repentance, seule à même de sauver, est ici encore présente, comme un moyen d’échapper à un pareil sort. C’est en effet la prévention des catastrophes qui est envisagée par Éphrem : si les catastrophes sont des châtiments, alors il convient de se garder de ce qui peut causer le châtiment. C’est une solution morale qui est proposée : pour écarter la punition divine et assurer la solidité des fondations, Éphrem prône la vérité comme remède et met en garde les fidèles contre le péché qui se trouve au fondement de toutes les catastrophes. La métaphore peut être filée d’autant plus facilement qu’en syriaque la racine šar, qui signifie être sûr, solide, bien établi, porte aussi la sémantique de la vérité, du vrai. La vérité comme fondation permet ainsi de lutter contre les tremblements de terre causés par le péché : Ô villes en paix, Ne vous fiez pas à une construction. Réfugiez-vous dans la vérité, Car c’est elle qui consolide vos remparts. Que ne pèchent pas vos habitants, De peur que vacillent vos bâtiments, Que ne soient pas insolents vos enfants, De peur que ne tremblent vos toitures. La vérité (mise) comme fondement est capable De consolider la terre au-dessous de nous.82
À côté des tremblements de terre, les sièges des villes, par le traumatisme qu’ils constituaient pour les populations locales, en dehors même de leur signification militaire, ont été un sujet de prédilection des auteurs de Syrie-Mésopotamie. Éphrem a ainsi écrit un madrasha sur la prise de la forteresse d’Anazit83 et
82. Memre sur Nicomédie 10, 1. 83. F. Cassingena-tréveDy, « Requiem pour Anazit : Éphrem de Nisibe, Carmina Nisibena X : traduction et notes », dans Sur les pas des Araméens chrétiens : mélanges offerts à Alain Desreumaux, sous la dir. de F. Briquel Chatonnet & M. DeBié (Cahiers d’études syriaques 1), Paris, Geuthner, 2010, p. 327-332.
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trente-quatre sur les trois sièges que subit à son époque la ville de Nisibe sans pour autant tomber (en 338, 346 et 350)84. La destruction ou le manque d’entretien des remparts était un enjeu majeur pour la défense des villes fortes des zones frontières. Les chroniques mentionnent régulièrement leur état. Ammien Marcellin écrit ainsi qu’en 359, du temps des campagnes de Shapur II, les murailles de Ḥarran/Carrhes étaient dans un tel état de déliquescence que les habitants avaient reçu l’ordre d’évacuer la ville pour ne pas tomber entre les mains du roi de Perse et de son armée85. Nisibe, qui est qualifiée dans les sources syriaques de « ville des frontières », porte chez Ammien Marcellin l’épithète de murus provinciarum. Pour décrire le troisième siège de Nisibe, au cours duquel les Perses détournèrent le fleuve pour essayer de saper les remparts, Éphrem décrit les travaux du siège en employant les images d’un autre type de catastrophe, celui des inondations, évoquant ainsi une catastrophe par une autre, en associant l’afflux des eaux au déluge du temps de Noé, par excellence un châtiment divin. L’insuccès de ce siège est attribué à la confiance que les habitants placèrent en Dieu qui était le protecteur véritable des remparts hors de toute intervention impériale : L’inondation s’efforce de heurter ma muraille Que la puissance qui stabilise tout la contienne ! Qu’elle ne s’effondre pas comme les constructions de sable Car ce n’est pas sur du sable que j’ai construit mon enseignement.86
L’image de la maison construite sur le sable est reprise de l’évangile (Mt 7,25-27) et l’enseignement chrétien est présenté ici comme le fondement de la solidité des remparts de la ville de Nisibe dont Dieu est le garant. Il est lui-même la muraille qui protège et par excellence le roi sauveur qui permet aux rois terrestres de jouer ce rôle comme par délégation en assurant une protection physique et celui qui permet aux évêques d’assurer par la prière la protection spirituelle : Il nous a sauvés sans l’aide des murailles, Pour nous enseigner que c’est lui notre Muraille Il nous a sauvés sans l’aide du roi, Pour faire savoir que c’est lui le Roi […]87 Que les pontifes prient pour les rois : qu’ils soient une muraille pour l’humanité D’auprès des rois vient la victoire, et des pontifes la foi Que la victoire garde les corps, et la foi les âmes.88
Éphrem rappelle ailleurs encore dans les Memre sur Nicomédie la puissance de la prière comme protection. Lors du siège de Nisibe si les remparts résistèrent aux eaux, aux éléphants (qui s’embourbèrent), aux archers et aux fameux cuirassiers perses, c’est parce qu’ils furent vaincus par la prière des habitants et de leur évêque : L’arc qui était tendu à l’extérieur du rempart Fut vaincu par la prière de l’intérieur […]
84. Dans le recueil connu comme les Carmina Nisibena (Éphrem le Syrien, La descente aux enfers : Carmina Nisibena, introd., trad. du texte syriaque, notes et index par D. CerBelauD [Spiritualité orientale 89], Godewaersvelde, Éditions de Bellefontaine, 2009) ainsi que dans les Memre sur Nicomédie. 85. Ammien Marcellin 18, 7 : Ammiani Marcellini rerum gestarum libri qui supersunt. 1, Libri XIV-XXV, ed. W. seyfarth (Bibliotheca Teubneuriana), Leipzig, Teubner, 1978, p. 147-148. 86. Carmina Nisibena 1, 8 et Memra sur Nicomédie 5. 87. Carmina Nisibena 2, 2. 88. Carmina Nisibena 21, 23.
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217. Que ne s’éloigne pas de vos remparts La miséricorde qui est votre rempart.89
Jacques de Saroug de même, à propos de la prise d’Amid par les Perses en 502, parle de la muraille de la miséricorde : Répare nos brèches et nos ruines par ton bras ; Relève nos têtes par ton zèle et grâce à toi.90
Évoquant les trois évêques successifs de Nisibe sous le pontificat desquels eurent lieu les sièges, Éphrem mentionne encore le pouvoir définitif de la prière et le rôle que joue le corps de Jacques de Nisibe : Le premier et illustre pontife a résisté au premier siège, Le deuxième pontife a résisté au deuxième, Mais les prières du dernier ont secrètement colmaté nos brèches.91
La présence au sein de la ville du corps de son saint évêque, Jacques, est présentée par Éphrem comme la plus puissante des murailles : Filles judicieuses de Nisibe, imitez Nisibe, Elle a déposé un corps à l’intérieur d’elle, afin qu’il soit sa muraille extérieure Déposez en vous-mêmes le Corps vivant : qu’il soit une muraille pour votre vie !92
Un deuxième niveau est développé où le corps du saint protégeant physiquement la ville par la force de sa présence d’intercesseur est mis en parallèle avec le corps du Christ dans la communion qui doit de même protéger le fidèle. On pourrait trouver bien d’autres exemples du schème explicatif des catastrophes qui touchèrent les villes de l’Antiquité tardive. La littérature syriaque a accompagné leur reconstruction et y a contribué en apportant explications et consolation aux fidèles, confiance dans leur Dieu et le clergé plus que dans la protection impériale. On n’a pas retrouvé d’inscriptions commémoratives en syriaque, la langue de l’Empire étant le grec, mais on voit comment les homélies métriques et les madrashe témoignent d’une tradition d’écriture sur les villes renversées, différente de celle que l’on trouve en grec, mais partageant néanmoins les mêmes préoccupations. Un véritable art rhétorique y est à l’œuvre, destiné à médiatiser et accompagner les émotions, à les créer et les canaliser, pour permettre la reconstruction des esprits. La réparation passait autant par la création littéraire d’une image vivante et d’une mémoire que par la reconstruction matérielle évoquée dans les décrets et les chroniques, dans deux types d’écrits, l’un plus documentaire, l’autre littéraire. Les destructions des villes décrites par Éphrem comme devenant les lignes de ses propres écrits occupent une place centrale dans la pensée théologique du poète des frontières. La conception du pouvoir de l’écrit y est frappante puisque la littérature est comprise comme une interprétation du monde physique, dont le pouvoir créatif ou créateur redonne vie en image et en imagination aux cités détruites et à leurs habitants dans l’esprit et le cœur des auditeurs. [email protected] École pratique des hautes études, PSL
89. Memre sur Nicomédie 15, 119 et 217. 90. L’image de la brèche dans les remparts et de la ruine est ici appliquée aux habitants d’Amid fracturés par le péché. Voir M. DeBié, « Guerres et religions en Mésopotamie du Nord » (supra, n. 82), p. 76, v. 112. 91. Carmina Nisibena 13, 17. 92. Carmina Nisibena 13, 21.
Paul Magdalino
Modes of reconstruction in Byzantine Constantinople
The difference between construction and reconstruction is not simply that the latter reprises and repeats the former. Construction is a single, one-off phenomenon, whatever forms it takes: it creates something that did not previously exist, it either happens or it doesn’t. Reconstruction, however, happens in varying degrees that range from partial repair to total physical replacement or—in our age of computer graphics—virtual reconstitution. It encompasses restoration, conversion, remodelling or reuse, and it can involve any of these in any combination or proportion. It may or may not be proportionate to the damage or destruction of a pre-existing structure. The modality of reconstruction is complex enough in a single building, and it is infinitely more complex in the case of an entire city, where different modes can operate simultaneously. At one extreme, reconstruction can be the result of a complete disjunction, and mark a completely new beginning, in the life of an urban settlement. At the other end of the scale, it is a regular fact of urban life, an essential part of the maintenance of the urban fabric and an unmistakable, healthy sign of urban continuity. The urban settlement on the site of the historic peninsula of Istanbul has existed for over 2500 years, and in that time it has experienced all kinds of reconstruction. The contributing factors are familiar from big, pre-industrial cities in other times and places, although some of them took a particular twist in Constantinople, and loomed especially large in the collective memory and imagination of its citizens. The most constant and frequent cause of reconstruction was no doubt the deterioration of buildings over time due to extreme weather conditions, which can be severe in Istanbul. The city has also been more than averagely vulnerable to two types of disaster. One is natural: the historic peninsula lies close to a major fault in an active seismic zone, and although it has never suffered to quite the same extent as other settlements in the region, such as Nikomedia to the east and Rhegion to the west, it sustained major earthquake damage on average once every century in the Byzantine period. The fires that regularly devastated whole urban neighbourhoods until the twentieth century were, of course, man-made disasters, but they were usually aggravated by the strong north wind that prevails during the summer. Both earthquakes and fires were considered to be God-sent catastrophes that required apotropaic commemoration and propitiation, and both types of disaster, especially fires, were the subject of literary descriptions evoking the widespread, violent destruction that they caused.1
1.
Fires: A. M. sChneiDer, “Brände in Konstantinopel”, Byzantinische Zeitschrift 41, 1981, pp. 382-403; T. layMan, “The incineration of New Babylon” : the fire poem of Konstantinos Stilbes, Geneva, 2015. Earthquakes: G. DoWney, “Earthquakes in Constantinople and vicinity, aD 342-1454”, Speculum 30, 1955, pp. 596-600; B. CroKe, “Two early
Reconstruire les villes : modes, motifs et récits, éd. par Emmanuelle Capet, Cécile Dogniez, Maria gorea, Renée KoCh piettre, Francesco Massa, Hedwige rouillarD-Bonraisin (Semitica & classica. Supplementa 1), Turnhout, 2019, p. 255-267 DOI 10.1484/M.SUPSEC-EB.5.118527
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Paul Magdalino
Yet reconstruction in Byzantine Constantinople was not entirely, or even primarily, a response to unintentional destruction by the elements. It was also the result of human intentions: political, ideological and cultural. Most obviously, the built environment of Constantinople, as the capital and residence of emperors, was heavily shaped by imperial intervention. Rebuilding, like building, was a political activity that emperors were expected to perform in their role as civic benefactors. From the fourth to the thirteenth century, the written sources allow us to identify eight large-scale reconstruction programmes, beginning with Constantine’s transformation of the ancient city of Byzantion. The others were: 1/ The expansion of the city under the Theodosian dynasty, which transformed the city of Constantine as much as Constantine had transformed Byzantion.2 2/ The rebuilding of the city centre after the great fire of 464.3 3/ Justinian’s rebuilding of the monumental centre, including the cathedral churches of Hagia Sophia and Hagia Eirene, after the fires caused by the Nika Riot of 532.4 4/ Constantine V’s repopulation of Constantinople after the plague of 747, his rebuilding of the longdistance aqueduct in 766, and the building programme of the empress Eirene (780-802).5 5/ The church and palace building and reconstruction programme of Basil I (867-886).6 6/ The religious foundations and palace buildings of the Komnenian dynasty.7 7/ The repairs, reconstruction and new buildings undertaken by the Palaiologos dynasty after the reconquest of Constantinople from the Latins in 1261.8
Byzantine earthquakes and their liturgical commemoration”, Byzantion 51, 1981, pp. 122-147; G. Dagron, “Quand la terre tremble…”, Travaux et mémoires 8, 1981, pp. 87-103; F. verCleyen, “Tremblements de terre à Constantinople : l’impact sur la population”, Byzantion 58, 1988, pp. 155-173. 2.
B. CroKe, “Reinventing Constantinople : Theodosios I’s imprint on the imperial city”, in From the tetrarchs to the Theodosians : later Roman history and culture, 284-450 ce, ed. by S. MCgill, C. sogno & E. Watts [= Yale classical studies 35], Cambridge, 2010, pp. 241-264; P. MagDalino, “Renaissances d’une capitale : l’urbanisme constantinopolitain des dynasties impériales”, Travaux & mémoires 22 (1), 2018, pp. 55-77.
3.
The rebuilding is nowhere recorded, but it must have been extensive, given the scale of the destruction: see the description in Evagrius, Ecclesiastical history II.13, ed. J. BiDez, L. parMentier, London, 1898, pp. 64-65; transl. M. WhitBy, The ecclesiastical history of Evagrius Scholasticus, Liverpool, 2000, pp. 96-97, with references. Ioannis Malalae Chronographia, rec. I. thurn (Corpus fontium historiae Byzantinae 35), Berolini, 2000, XIV.43, p. 296, notes that the emperor Leo I moved out of the city for six months to St. Mamas on the Bosphoros, which he developed as a suburban imperial residence.
4.
For the destruction, see Chronicon Paschale, rec. L. DinDorfius, Bonnae, 1832, pp. 621-623; transl. M. WhitBy & M. WhitBy, Liverpool, 1989, pp. 117-120. Justinian’s constructions in Constantinople are detailed by Procopius, De aedificiis I: Procopii Caesariensis opera omnia. 4, De aedificiis libri VI, rec. J. haury, addenda et corrigenda adjecit G. Wirth (Teubner), Leipzig, 19642, pp. 5-45.
5.
P. MagDalino, “Constantine V and the Middle Age of Constantinople”, in iD., Studies on the history and topography of Byzantine Constantinople, Aldershot, 2007, no. IV; iD., “Renaissances d’une capitale” (supra, n. 2), p. 70-77.
6.
Described in the Life of Basil I, §§ 78-94: Chronographiae quae Theophanis Continuati nomine fertur liber quo Vita Basilii imperatoris amplectitur, rec. Anglice vertit indicibus instruxit I. Ševčenko (Corpus fontium historiae Byzantinae 42), Berlin, 2011, pp. 264-309; cf. P. MagDalino, Constantinople médiévale, Paris, 1996, pp. 27-28 (= iD., “Medieval Constantinople”, in iD., Studies on the history [supra, n. 5], no. I, pp. 29-30).
7.
P. MagDalino, Constantinople médiévale (supra, n. 6), pp. 69-70 (= iD., “Medieval Constantinople”, pp. 76-78); see also The Pantokrator Monastery in Constantinople, ed. by S. KotzaBassi (Byzantinisches Archiv 27), Boston – Berlin, 2013, chapters 1 (V. stanković, A. Berger) and 2 (P. MagDalino).
8.
See A. M. talBot, “The restoration of Constantinople under Michael VIII”, Dumbarton Oaks papers 47, 1993, pp. 243261; eaD., “Building activity in Constantinople under Andronikos II : the role of women patrons in the construction
Modes of reconstruction in Byzantine Constantinople
257
All were driven by imperial ambition, most involved a large number of buildings that to a greater or lesser extent included new constructions as well as reconstructions, and all, more or less, went beyond a response to practical needs. Indeed, the impulse to replace, remodel or convert a previous structure is rarely purely pragmatic. Religion was a powerful motivating factor in the late antique and Byzantine world. The pagan temples that Constantinople inherited from ancient Byzantion were all secularised by the end of the fourth century,9 and the next thousand years saw the continual conversion of secular buildings, mainly private houses, into churches and monasteries.10 Changes in cultural priorities and urban infrastructure also played their part, as can be seen in the medieval adaptation of late antique monumental architecture for non-aesthetic purposes. At three excavated sites in the historic peninsula, it was observed that the prestige spaces of three grand early fifth-century secular buildings, two of them aristocratic residences and the third possibly a bath, had been converted into cisterns in the middle Byzantine period.11 We shall return to consider one of these. In excavated Byzantine sites, as well as in the Byzantine buildings that remain above ground, it is usually possible to infer the causes of reconstruction from the modes of reconstruction. Otherwise, however, the reverse is true—we know why, but not precisely how—because our information comes overwhelmingly from written sources, which pursue their own agenda in their descriptions or, usually, passing mentions of buildings. The agenda varies from source to source, but it is almost never to provide a detailed and transparent record of a site’s construction history. The sources more often mention destruction of the built environment than the resulting reconstruction, and they are invariably selective in the monuments they mention. Consciously or unconsciously, they distort the memories of many buildings, either by exaggerating their antiquity, or, more frequently, by ignoring their past history; this is particularly true of aristocratic palaces, which, with one notable exception that we shall consider, are identified by the names of their latest occupants rather than by those of their original owners, these names being generally reserved for sites that had passed out of private residential use.12 Some imperial builders—or at least their encomiasts—took this erasure of memory and denial of precedent to an extreme by presenting their foundations as completely unrelated to the previous development of the sites on which they built, thus disowning any suggestion of reconstruction.13 The elimination of memory also extended to the great public monumental buildings
and restoration of monasteries”, in Byzantine Constantinople : monuments, topography and everyday life, ed. by N. necipoğlu, Leiden, 2001, pp. 329-343; V. KiDonopoulos, Bauten in Konstantinopel 1204-1328, Wiesbaden, 1994. 9.
John Malalas, Chronographia, ed. thurn (supra, n. 3), pp. 248, 267.
10. G. Dagron, “Le christianisme dans la ville byzantine”, Dumbarton Oaks papers 31, 1977, pp. 1-25, at pp. 8-10; P. MagDalino, “The Byzantine aristocratic oikos”, in The Byzantine aristocracy, IX-XIII centuries, ed. by M. angolD, Oxford, 1984 (repr. in P. MagDalino, Tradition and transformation in medieval Byzantium, Aldershot, 1991, no. II), pp. 92-111, at p. 94 and n. 27; C. Mango, “The development of Constantinople as an urban centre”, in The 17th International Byzantine congress. Main papers, New Rochelle – New York, 1986 (repr. in iD., Studies on Constantinople, Aldershot, 1993), pp. 117-136, at pp. 127-128. 11. W. Müller-Wiener, Bildlexikon zur Topographie Istanbuls, Tübingen, 1977, pp. 46, 238, 240; see below. 12. This is the case with most of the sites identified by ta + a personal name in the genitive form: see G. Dagron, “Le christianisme” (supra, n. 10), p. 9; A. Berger, Untersuchungen zu den Patria Konstantinupoleos (Poikila Byzantina 8), Bonn, 1988, pp. 166-173; C. Mango, “Development” (supra, n. 10), p. 128. 13. The most striking examples in Constantinople are the palace bath at the fifth-century Palace of Marina, celebrated as the creation of Leo VI (see below), and Anna Komnene’s description of the state orphanage, also a structure going back to the fifth century, as entirely the work of her father Alexios I: Alexiad XV.7.3-9, Annae Comnenae Alexias, rec. D. R. reinsCh et A. KaMBylis (Corpus fontium historiae Byzantinae 40), Berolini, 2001, I, pp. 481-485. Cf. P. MagDalino, Constantinople médiévale (supra, n. 6), pp. 45, 46-47 (= “Medieval Constantinople”, pp. 49, 84-85);
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of late antiquity that after the sixth century became redundant, unaffordable and culturally suspect: the theatres apart from the Hippodrome, the monumental Roman-style baths, and the Basilica with its schools and law-courts.14 We simply do not know what happened to these buildings after their ruination, or what took their place, with the sole exception of the ancient stadium, where Justinian (527-565) built a hostel,15 and the Baths of Zeuxippos, which became a prison.16 All this means that it is impossible to generalise about urban reconstruction on the site of Istanbul, even if we confine ourselves to the time frame of the Byzantine period and to the space within the Byzantine city walls: large parameters that contained room for infinite variation. The best we can do is to try to identify the prevailing mode of reconstruction, based on the premise that reconstruction, in some form, is the norm, as opposed to total abandonment, that the materials and the site of an urban structure will always be reused for another urban construction, however different it looks and however long it takes. My overall impression, as I have indicated in previous publications, is that the default position was to preserve the built environment as much as possible; that the medieval city consisted of a substantial core of late antique buildings that were continually being maintained in or restored to their original use.17 This impression is based partly on the longevity of many Byzantine churches,18 as documented both by the fabrics of the buildings that still survive as well as the records of those that survived until the Ottoman conquest,19 and partly on my reading of the evidence for certain large princely palaces of the fifth century, three of which are revisited below. Hardly less important or numerous were those ancient structures whose existence was prolonged—often very late in their existence—by conversion to other use. The conversion was commonly from secular to religious functions, but there are interesting exceptions, such as the princely palace that Isaac II (1185-1195) converted into an inn for travelling merchants. We should also note that, in the Middle Byzantine period, a number of churches were converted from public to monastic worship by the attachment of communities of monks and nuns.20 In general, the impressionistic thesis of a prevailing minimalism must be qualified by two caveats. First, continuity of function did not necessarily mean continuity of fabric: the outstanding example is Hagia Sophia, where Justinian did not attempt or even pretend to produce a replica of the burned-down
also iD., “Power building and power space in Byzantine Constantinople : the ethics and dynamics of construction and conservation”, in The Byzantine court : source of power and culture : papers from the second international Sevgi Gönül symposium, ed. by A. öDeKan, N. necipoğlu, A. aKyüreK, Istanbul, 2013, pp. 55-62, at p. 60. 14. C. Mango, “Development” (supra, n. 10), p. 130; iD., Le développement urbain de Constantinople (iv e-vii e siècles), 3rd edition, Paris, 2004, p. 60. 15. Procopius, De aedificiis I.23-27; cf. P. MagDalino, Constantinople médiévale (supra, n. 6), p. 77 (= “Medieval Constantinople”, p. 85). 16. W. Müller-Wiener, Bildlexikon (supra, n. 11), p. 11. 17. P. MagDalino, Constantinople médiévale (supra, n. 6), pp. 25-50 (= “Medieval Constantinople”, pp. 27-55); iD., “Power building and power space” (supra, n. 13). 18. A reasonably complete list of religious foundations in Byzantine Constantinople is provided by R. janin, La géographie ecclésiastique de l’Empire byzantin. 1, Le siège de Constantinople et le patriarcat œcuménique. 3, Les églises et les monastères, 2nd ed., Paris, 1969. 19. For surviving buildings, see W. Müller-Wiener, Bildlexikon (supra, n. 11), p. 71; T. MatheWs, The Byzantine churches of Istanbul : a photographic survey, University Park, Pennsylvania – London, 1976; J. freely, A. S. çaKMaK, Byzantine monuments of Istanbul, Cambridge, 2004. The best known church that survived until the Ottoman conquest is that of the Holy Apostles, on which see Constantine of Rhodes, On Constantinople and the Church of the Holy Apostles, ed. by L. jaMes, Farnham 2012. 20. P. MagDalino, Constantinople médiévale (supra, n. 6), p. 62 (= “Medieval Constantinople”, p. 69).
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Sainte-Marie des Blachernes
Kosmidion
Palais des Blachernes
Chôra Pétrion
Porte d’Andrinople
Corne d'O r
Christ Pantepoptès
Christ Evergétis Kécharitôménè
Mu
rai
lle
Citerne d’Aspar Christ Philanthropos
B o s p h o re
Sykai (Galata)
Citerne d’Aetios
de
Th éo do se
Saint-Jean de Pétra
Porte de St-Romain
Aq u
Sigma Saint-André en Krisei
de C onst
Péra “d e
ns ”
Forum du Capitole Bœuf Forum Amastrianon d‘ Arcadius Myrélaion
Exokionion Saint-Acace Sainte-Marie Péribleptos
Port de Théodose
A
Néôrion
Sainte-Irène de Pérama
Va le
Saint-Polyeucte
Mur
Sainte-Marie de Pègè Porte de Pègè
aille
Citerne
Forum de Marcien
uc
Palais du Sébastocrator Forum de Théodose
Mésè Tétrapylon
Portique de Domninos
antin
ed
Saint-Môkios
Christ Pantokratôr
Saints-Apôtres
Prosphorion
Stratègion
Orphanotropheion
Acropole
Saint-Georges des Manganes Chalkoprateia Forum Basilique Sainte-Irène Palais des Manganes de Constantin Sainte-Sophie
Sainte-Euphémie Hippodrome Port Julien (port Sophien)
P
Saints Serge-et-Bacchus
M
Théotokos des Hodègôn Sénat Zeuxippe Pharos Grand-Palais Néa Ekklesia Boukoléon 0
1 km
Saint-Mamas Saint-Jean de Stoudios Propontide Saint-Diomède Porte Dorée
UMR 8167 - F. Tessier del. 2006
Map of Constantinople, indicating the approximate location of the Theodosian palaces mentioned in the text: A = Palace of Arcadia; P = Palace of Pulcheria; M = Palace of Marina.
Theodosian basilica, but rebuilt the church according to a completely new design, and advertised it as a completely new and superior construction initiative.21 Secondly, the functional units of urban life were rarely confined to single, isolated buildings, such as the surviving Byzantine churches of Istanbul now appear, but more often consisted of multiple structures, both primary and secondary, which exhibited several modes of reconstruction as well as newly constructed additions. In the end, the process of reconstruction in Byzantine Constantinople was too varied and complex to be reducible to a single explanatory formula. It can only be studied case-by-case and demonstrated by example. In what follows, I look at three case studies of urban redevelopment in the transition from late antiquity to the Middle Ages. I investigate the fortunes of three late antique palaces, built in the early fifth century for the Theodosian princesses Marina, Pulcheria and Arcadia, daughters of the emperor Arcadius (395-408) and sisters of Theodosius II (408-450). All three palaces are recorded in the inventory of the city drawn up for this emperor some time during his reign, the Notitia Vrbis Constantinopolitanae.22 All
21. Procopius, De aedificiis I.1. 22. The Latin text is edited by o. seeCK, Notitia dignitatum, accedunt Notitia urbis constantinopolitanae et laterculi prouiciarum, Berlin, 1876, pp. 229-243; for translations and analysis, see a. Berger, “Regionen und Strassen im frühen Konstantinopel”, Istanbuler Mitteilungen 47, 1997, pp. 349-414; j. MattheWs, The Notitia Urbis Constantinopolitanae, in Two Romes : Rome and Constantinople in late antiquity, ed. by L. grig & G. Kelly, Oxford, 2012, pp. 81-115
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have physically disappeared, apart from the remains of the entrance hall of the Palace of Arcadia; the names of two (the palaces of Pulcheria and Arcadia) vanish from the written record after the Notitia, and the third is not heard of after the tenth century. I argue here that all three palaces survived or were revived with different identities. The argument involves a fair amount of conjecture and hypothesis, so that telling the stories of these buildings becomes in itself a process of imaginative reconstruction.23 Before dealing with each structure individually, it should be pointed out that since they were built at around the same time for imperial siblings of nearly equal status, they are likely to have been very similar in appearance and layout, and to have shared some identical features. Some help in visualising them can also be obtained from the remains of two contemporary palaces that were excavated on the north side of the Hippodrome.24 These were built by high officials at the court of Theodosius II, and thus, as Cyril Mango has observed, would probably have emulated the palatial residences of the imperial family.25 We shall visit the palaces from east to west, following the numerical order of the urban regions in which the Notitia locates them.
the palaCe of Marina (DoMus noBilissiMae Marinae) The Palace of Marina was located in the first region of Theodosian Constantinople, overlooking the entrance to the Bosphoros, at some distance (perhaps up to 500 m in the fifth century) from the Great Palace of the emperors. After the death of its original owner, it became part of the imperial patrimony as a domus divina, that is, a financial unit administered by a curator from an office in the former palace, which could be also used to accommodate important imperial guests and to host important events such as imperial weddings. The Palace of Marina functioned in this capacity until the seventh century.26 We next hear of it in the mid-eighth century, when it housed a workshop of imperial textiles; the emperor Constantine V granted a part of the workshop, together with the neighbouring church of the Hodegoi, to the monk Hypatios, who thus founded the Hodegetria monastery.27 In 867, after the murder of Michael III at St. Mamas on the Bosphoros, Basil I and his fellow conspirators entered the Great Palace via the Palace of Marina, which was still separated from the main imperial complex by a double enclosure.28 It is likely
23. This section forms a sequel to two earlier studies in which the Theodosian palaces are discussed: “The maritime neighborhoods of Constantinople”, Dumbarton Oaks papers 54, 2000, pp. 209-226; “Aristocratic oikoi in the tenth and eleventh regions of Constantinople”, in Byzantine Constantinople (supra, n. 8), pp. 53-69. Both articles are reprinted in my Studies on the history [supra, n. 5]. 24. W. Müller-Wiener, Bildlexikon (supra, n. 11), pp. 122-125, 238-239. On the identification of these complexes, see further g. greatrex & j. BarDill, “Antiochus the Praepositus : a Persian eunuch at the court of Theodosius II”, Dumbarton Oaks papers 60, 1996, pp. 171-197, at pp. 193-197; j. BarDill, “The Palace of Lausus and nearby monuments in Constantinople : a topographical study”, American journal of archaeology 101, 1997, pp. 67-95 (disputes the identification of the more northerly complex as the Palace of Lausus). 25. C. Mango, “The Palace of Marina, the poet Palladas and the bath of Leo VI”, in Ευφρόσυνον : αφιέρωμα στον Μανόλη Χατζιδάκη, Αθήνα, 1991, pp. 321-330, at p. 321. 26. Ibid., pp. 321-322. 27. C. angéliDi, “Un texte patriographique et édifiant : le ‘Discours narratif’ sur les Hodègoi”, Revue des études byzantines 52, 1994, pp. 113-149, at pp. 144-145. 28. Chronicle of Symeon the Logothete, 131.52: Symeonis Magistri et Logothetae chronicon, rec. S. Wahlgren (Corpus fontium historiae Byzantinae 44, 1), Berolini, 2006, pp. 258-259; C. Mango, “The Palace of Marina” (supra, n. 25), pp. 322-323.
Modes of reconstruction in Byzantine Constantinople
261
that this separation disappeared during Basil’s reign, when the emperor greatly expanded the Great Palace precinct along the coast to the northeast. 29 He built a new church, the Nea Ekklesia, on the site of the former imperial polo-ground, the Tzykanisterion. To the east of the church, he laid out a garden flanked by two porticoes that led to the new imperial polo-ground, which Basil created by buying up and levelling the houses occupying the site. On the seaward (eastern?) side of the polo-ground he built fine buildings that housed the treasury and the administrative office (oikonomeion) of the New Church. However we map these extensions to the Great Palace, they undoubtedly brought it very close to the Palace of Marina, to the point that the latter could be considered a part of the extended Great Palace. This is reflected in the double difficulty of tracking the fortunes of the Palace of Marina in sources of the tenth century and later, which very rarely refer to it by its original name: on the one hand, it is difficult to know when it appears under a different name; at the same time, it is difficult to know when a description of an imperial initiative in this part of the Great Palace area refers to a new construction, as opposed to a reconstruction or renovation of the Palace of Marina. In all such cases, I am inclined to give the Palace of Marina the benefit of the doubt, on the basis of my belief, stated earlier, that the default position of Byzantine builders and developers was to re-use what was already there, even though the ideology of power required them to claim a construction as their own creation. Reuse was particularly advisable in the case of Theodosian buildings like the Palace of Marina because they were so spacious and solid. I would thus identify three palace buildings that sources of the tenth to twelfth centuries mention in the vicinity of the Oikonomeion or the Tzykanisterion as reconstructions or renovations of the Palace of Marina. • The Neos Oikos set up by Basil I to provide and administer the budget for imperial entertainment (which is reminiscent of the function of the Palace of Marina as a domus divina). The name suggests that it was a conscious pendant to the Nea Ekklesia. The Life of St. Basil the Younger implies that it was close to the Oikonomeion and to the Bosphoros.30 • The Palace of the Oikonomeion where, according to the Venetian chronicler John the Deacon, Basil II (976-1025) celebrated the marriage of his distant “niece” Maria Argyropoulaina to John, son of the Venetian Doge Peter II Orseolo, bestowing the palace on Maria as her dowry.31 • The palace buildings that Constantine X Doukas (1059-1067) constructed when making an extension to the Tzykanisterion, according to an early twelfth-century version of the Patria. These comprised a large reception hall, a hippodrome and a bedchamber.32 At the same time, I would reiterate my identification of the bath-house that Leo VI (886-912), according to Theophanes Continuatus, is said to have built at the Palace of Marina33 with the buildings mentioned in two other sources with different designations:
29. Vita Basilii, ed. and transl. Ševčenko (supra, n. 6), §§ 83-86, pp. 273-283 30. Ibid., § 91, pp. 298-299; The Life of Saint Basil the Younger, §§ 5, 8, ed. and transl. D. sullivan, A.-M. talBot, S. MCgrath, Washington DC, 2014, pp. 70-73, 80-81; C. Mango, “The Palace of Marina” (supra, n. 25), pp. 324-326. 31. John the Deacon, Cronaca Veneziana, in Cronache veneziane antichissime, a cura di G. MontiColo, Roma, 1890, pp. 167-168. 32. Patria of Constantinople, Version C, III.29: ed. Th. preger, Scriptores originum Constantinopolitanarum, Lipsiae, 1901-1907, p. 225; transl. A. Berger, Accounts of medieval Constantinople : the Patria, Cambridge MA – London, 2013, p. 155. 33. Theophanes Continuatus, ed. I. BeKKer, Bonnae, 1838, pp. 460-461, where it is said that the bath was restored by Constantine VII.
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• The bath celebrated in a poetic ekphrasis by Leo Choirosphaktes as having been built by Leo VI simply “in the imperial palace”.34 • The bath of the Oikonomeion, which according to the Patria was built by Constantine the Great and remained in use until the time of Nikephoros II Phokas (963-969), after which it was demolished by John I Tzimiskes (969-976), who used its materials in the construction of the church of the Chalke.35 All three descriptions insist on the wondrous appearance of the monument. I leave open the question whether the building represented a minimalist or maximalist intervention on Leo’s part—whether he simply repaired and restored to use the original bath of the Palace of Marina, keeping its decoration intact, or whether he carried out a thorough reconstruction and redecoration. Or something between these extremes? My personal hunch is that the whole décor, including the mosaics, was a grand pastiche of spolia brought from all over Constantinople, especially from disused public baths, and assembled in a reconditioned late antique rotunda that had originally served as the reception hall of the Palace of Marina. But in the context of this volume, the important thing is not to advance new hypotheses, but to point out that whatever degree of reconstruction the building involved, it is presented as an entirely new construction that had nothing to do with the original Palace of Marina.
the palaCe of pulCheria (DoMus pulCheriae augustae)36 With her full imperial title of Augusta, Pulcheria was politically the most important of Theodosius II’s sisters. Her two urban residences, one in Region III and the other in Region XI, must have reflected her superior status, especially the former, which was close to the Great Palace and the monumental city centre. Region III extended from the central avenue to the Sea of Marmara, and included three major public structures: the Tribunal on the south side of the Forum of Constantine, the whole of the Hippodrome, and the harbour of Julian with its great sigma portico.37 The Palace of Pulcheria could conceivably have stood on the level ground at the northern edge of the region, and here a possible candidate has been excavated: the early fifth-century residence whose big round reception hall and long dining hall flanked by multiple exedrae occupied the space defined by the Hippodrome to the east, the Mese to the north, and the Palace of Antiochos to the south.38 Now that Jonathan Bardill has liberated this structure from its attribution to the cubicularius Lausus, it is tempting to reassign it to Pulcheria. But the temptation should probably be resisted, just like an earlier suggestion that the neighbouring Palace of Antiochos had been re-assigned to Pulcheria at the time of the Notitia.39 Despite its grandeur, the complex does not seem grand enough, and it is too confined, to have been the residence of a senior empress. There are, moreover, two reasons
34. Critical edition of the text by f. CiColella, Cinque poeti bizantini : anacreontee dal Barberiniano greco 310, Alessandria, 2000, pp. 91-107; cf. p. MagDalino, “The bath of Leo the Wise and the ‘Macedonian Renaissance’ revisited”, Dumbarton Oaks papers 42, 1988, pp. 97-118; iD., “Humanisme et mécénat impérial aux ixe-xe siècles”, Travaux et mémoires 21 (2), 2017, pp. 3-21, at pp. 10-11. 35. Patria (supra, n. 32) I.60, ed. preger, p. 145; transl. Berger, p. 37. 36. This section basically refines my argument in “Maritime neighborhoods” (supra, n. 23), pp. 216-217. 37. Notitia, ed. seeCK (supra, n. 22), p. 232. On the harbour, see now D. heher, “Julianoshafen, Sophienhafen, Kontoskalion”, in Die byzantinischen Häfen Konstantinopels, F. DaiM (Hrsg.), Mainz, 2016, pp. 51-66. 38. W. Müller-Wiener, Bildlexikon (supra, n. 11), pp. 238-239; J. BarDill, “The Palace of Lausus” (supra, n. 24). 39. A. Berger, “Regionen und Strassen” (supra, n. 22), p. 361; cf. P. MagDalino, “Maritime neighborhoods” (supra, n. 23), p. 216 n. 51.
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for thinking that the southern edge of the region, near the harbour of Julian, was a more suitable location. Firstly, both Pulcheria’s sisters, Marina and Arcadia, had houses close to the south coast of the city; it would have been odd if their higher-ranking sibling had not also possessed a residence with a sea view (and the option of sea transportation). Secondly, the vicinity of the harbour of Julian was home to a series of very important persons from the sixth to the twelfth century, with close connections to a reigning or recent emperor. In the sixth century, there was Probus, nephew of Anastasius I, 40 followed by Justin, nephew of Justinian I, whom he succeeded in 565, together with his wife Sophia, after whom he renamed the harbour of Julian.41 Their house by the harbour, from where they were summoned to the Palace at Justinian’s death, is described in a poetic ekphrasis by Corippus: it overlooked the harbour on one side, and looked the open sea on the other.42 At the beginning of the seventh century, it was apparently still known as the palace of Sophia.43 The next mentions of a very important resident in the neighbourhood come from the tenth century, and concern the general Nikephoros Phokas the Elder and his son Bardas, who was granted the title of Caesar by his son when the latter ascended the throne as Nikephoros II (963-969). Their “enormous house” stood near the church of St Thekla on the way down to the harbour.44 Finally, some time between 1081 and 1180, a certain Isaac Komnenos, who held the title of sebastokrator that was reserved for the emperor’s brother, also lived in a big house on the way down to the harbour of Sophia. The emperor Isaac II Angelos (1185-1195) later turned it into a hostel for visiting merchants, with the capacity to accommodate one hundred men plus their horses.45 There is absolutely no proof, nor even the slightest hint, that any of these residences was identical with the Palace of Pulcheria. But if we are right in situating the Palace of Pulcheria close to the harbour of Julian/Sophia, it was undoubtedly the grandest residence in the vicinity, and if it was not demolished, it remained there for the accommodation of high-ranking magnates of the imperial court. The evidence for magnate houses whose fortunes can be traced suggests, firstly, that they remained under state ownership and control, and secondly, that those which were not converted into administrative units (like the Palace of Marina) or religious institutions were reserved for allocation to persons of appropriate rank—that is, whose status was equivalent to that of the original occupant. We have one unmistakable and representative example of this practice in a very reliable source. The treatise we know as the De administrando imperio, compiled and largely written by Constantine VII Porphyrogenitus during his personal reign (945-959), records that the house known as the House of the Barbarian, where Basil the Parakoimomenos now lived,
40. Chronicon Paschale (supra, n. 4), ed. DinDorf, p. 622; transl. WhitBy, p. 118 and n. 352. 41. A. CaMeron, “Notes on the Sophiae, the Sophianae, and the Harbour of Sophia”, Byzantion 37, 1967, pp. 42-56. 42. Flavius Cresconius Corippus, In laudem Iustini Augusti minoris I.97-114, ed. and transl. A. CaMeron, London, 1976, pp. 39, 89, 132-133. It is clear from Corippus that the palace existed before Justin became emperor, and could not have been built by him in the eleventh year of his reign, as stated by George Kedrenos: Georgius Cedrenus Ioannis Scylitzae ope, ab I. Bekkero suppletus et emendatus (Corpus scriptorum historiae Byzantinae 4), Bonnae 1838-1839, vol. 1, p. 685. 43. Chronicon Paschale (supra, n. 4), ed. DinDorf, p. 700, transl. WhitBy, pp. 151-152. 44. H. grégoire, “La carrière du premier Nicéphore Phocas”, in Προσφορά εῖς Στίλπωνα Κυριακίδην, Θεσσαλονίκη, 1953, vol. 2, p. 250; Leonis Diaconi caloensis Historiae libri decem, e rec. C. B. Hasii (Corpus scriptorum historiae Byzantinae), Bonnae, 1828, pp. 83-84; transl. A.-M. talBot, D. F. sullivan, The History of Leo the Deacon : Byzantine military expansion in the tenth century, Washington DC, 2005, pp. 134-135. 45. Nicetae Choniatae Historia, rec. I. A. van Dieten, Berolini, 1975, vol. 1, p. 445. Three imperial brothers called Isaac held the title of sebastokrator : K. Bαρζος, Ἡ γενεαλογία τῶν Κομνηνῶν, Θεσσαλονίκη, 1984, vol. 1, nos. 12, 36, 78. It is probably the last of these, the brother of Manuel, whom Choniates refers to.
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had formerly been granted, by the emperor Leo VI, to the Armenian lords of Taron, when he bestowed on them the titles of magistros and patrikios.46 Thus the same mansion was used, successively, as the temporary residence of visiting client princes, and as the permanent home of the head of the imperial administration, who also happened to be Constantine VII’s brother in law. A slightly later source allows us to understand why it was known as the House of the Barbarian: tradition recorded that the house of Basil the Parakoimomenos had originally belonged to the Alano-Gothic general Aspar, the most powerful man in mid-fifth century Constantinople.47 This was clearly a house preserved for centuries by the state and continuously re-allocated to a long succession of distinguished office and title-holders.48 It is surely not implausible to imagine a similar scenario for the Palace of Pulcheria. The scenario gains in plausibility when we consider the capacity of the hostel created in the palace of Isaac sebastokrator, and the words that Choniates uses to describe the location, which are almost exactly the same as those used by Leo the Deacon with reference to the house of Bardas Phokas two centuries earlier:49 Choniates knew that he was writing about the same house. The location that Leo and Choniates describe, on the descent towards the harbour of Julian, is compatible with what Corippus says about the house of Justin and Sophia having a view of both the harbour and the open sea.
the palaCe of arCaDia (DoMus noBilissiMae arCaDiae) The Palace of Arcadia in the ninth region of Constantinople (she had another palace in the eleventh region) is named for the first and only time in the Notitia of Theodosius II, and no palace at this location is visible under any name before the end of the eighth century, when one appears under the designation οἶκος/παλάτια τῶν Ἐλευθερίου—the Palace of [the district of] Eleutheriou. Although the sources, the chronicler Theophanes and the Patria, attribute the construction of this palace to the empress Eirene (780802),50 there are strong indications that it went back to the Theodosian period. Firstly, the notice in the Patria states that the palace and workshops built by Eirene were originally connected to the Amastrianon, a square on the southern branch of the central avenue (Mese) of Constantinople, by a hippodrome, built by Theodosios I, which Eirene demolished. Secondly, a text roughly contemporary with the Patria, the Life of St. Basil the Younger, states that the house of the emperor Romanos I (920-944) formed part of the
46. Constantine Porphyrogenitus, De administrando imperio, ed. by Gy. MoravCsiK, transl. by R. J. H. jenKins, Washington DC, 1967, pp. 190-191; P. MagDalino, “The House of Basil the Parakoimomenos”, in Le saint, le moine et le paysan : mélanges d’histoire byzantine offerts à Michel Kaplan, éd. par. O. Delouis, S. Métivier & P. pagès, Paris, 2016, pp. 323-328. 47. Patria (supra, n. 32), II.71, ed. preger, p. 188; transl. Berger, p. 99; on Aspar, see. M. MCevoy, “Becoming Roman? The not-so-curious case of Aspar and the Ardaburii”, Journal of late antiquity 9, 2016, pp. 483-511. 48. The succession may well have continued after the tenth century. A twelfth-century sebastokrator had his palace in the same area, where we also find, in the fifteenth century, the house of the megas doux Luke Notaras: P. MagDalino, “House of Basil the Parakoimomenos” (supra, n. 46), pp. 327-328; Th. ganChou, “La tour d’Irène (Eirene Kulesi) à Istanbul : le palais de Loukas Notaras ?”, Travaux et mémoires 21 (1), 2017, pp. 169-256. 49. See the comparison in P. MagDalino, Constantinople médiévale (supra, n. 6), p. 47 (= “Medieval Constantinople”, p. 52). 50. Theophanis Chronographia, rec. C. de Boor, vol. 1, Lipsiae, 1883, pp. 467, 472, 478; The Chronicle of Theophanes Confessor : Byzantine and Near Eastern history ad 284–813, transl. by C. Mango & R. sCott, Oxford, 1997, pp. 641, 648, 478; Patria (supra, n. 32), III.173, ed. preger, p. 269; transl. Berger, p. 211.
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Palace of Eleutheriou,51 and a near-contemporary gloss to an entry in the Souda confirms the proximity of the house of Romanos to the Amastrianon. 52 It is well known to scholarship that Romanos I, after becoming emperor, converted his house into the convent known as the Myrelaion, whose church survives as the Bodrum Camii.53 Now the Bodrum Camii sits on a terrace covering a middle Byzantine cistern that was formed by sealing and vaulting the truncated lower section of a massive late antique rotunda. The excavator of the site in the 1960s, Rudolf Naumann, identified the rotunda, on analogy with the palace buildings near the hippodrome, as the reception hall of an aristocratic residence, which he suggested was the Palace of Arcadia.54 Recently, P. Niewöhner and colleagues have confirmed this identification with further arguments based on the topography and on closer analysis of the decorative fragments and construction materials uncovered by the excavations.55 Finally, the toponym ta Eleutheriou, as explained by the Patria, fits both the date of the Theodosian palace and its location in Region IX. Eleutherios was the name of the imperial official who oversaw the construction of a harbour by Constantine I, which was later filled in with soil removed from the construction site of the Forum of Theodosius.56 The harbour to which Eleutherios gave his name would have been located downhill from the Forum of Theodosius, and would have been filled in shortly before work began on the Palace of Arcadia. The transition from the late antique domus nobilissimae Arcadiae to the medieval οἶκος τῶν Ἐλευθερίου may thus be reconstructed as follows. The palace was built in the early fifth century in the context of the intensive development of the south-western area of Constantinople under the Theodosian dynasty. It was probably finished under Theodosius II, but may have been planned in the reign of Arcadius. Although it was ultimately destined for Arcadius’ daughter Arcadia, it may also have been intended for imperial use, given its dimensions, its location between the two poles of the new Theodosian urban development, the forum and the harbour of Theodosius I, and the fact that Arcadia had another palace in fairly close proximity. It extended from the former harbour of Eleutherios (which the harbour of Theodosius was no doubt meant to replace) as far as the southern branch of the Mese, where it had a monumental entrance via a sigma portico opening off the square of the Amastrianon.57 The residential core of the palace complex was probably, however, beside the sea and built on the land reclaimed from the former harbour of Eleutherios, from which the whole complex took its medieval name. Given the alignment of the rotunda, the whole complex was probably aligned on a north-south axis. It seems, a priori, unlikely that the palace was completely uninhabited and disused between its occupation by Arcadia and its reoccupation by Eirene over three centuries later. The mention of workshops established by Eirene is reminiscent of the textile workshop operating at the Palace of Marina under Constantine V,
51. Life of St. Basil the Younger (supra, n. 30), III.36, ed. and transl. sullivan, talBot, MCgrath, pp. 332-333. 52. Souda, s.v. Μαναΐμ: ed. A. aDler, Suidae Lexicon, Leipzig, 1928-1938, vol. 3, p. 316; see C. Mango, Le développement urbain (supra, n. 14), p. 59. 53. C. L. striKer, The Myrelaion (Bodrum Camii) in Istanbul, Mainz, 1981. 54. R. nauMann, “Der antike Rundbau beim Myrelaion und der Palast Romanos I. Lekapenos”, Istanbuler Mitteilungen 16, 1966, pp. 199-216. The identification with the domus Arcadiae had already been suggested by M. Cagiano De azeveDo, “I cosidetti tetrarchi di Venezia”, Commentari : rivista di critica e storia dell’arte 3-4, 1962, pp. 160-181, cited by A. effenBerger, “Zur Wiederverwendung der venezianischen Tetrarchengruppen in Konstantinopel”, Millennium 10, 2013, pp. 215-274, at p. 261, n. 250. 55. P. nieWöhner, with J. aBura and W. proChasChKa, “Der frühbyzantinsche Rundbau beim Myrelaion in Konstantinopel : Kapitelle, Mosaiken und Ziegelstempel”, Istanbuler Mitteilungen 60, 2010, pp. 411-459. 56. Patria (supra, n. 32), II.63, III.9, ed. preger, pp. 184-185, 248; transl. Berger, pp. 93-95, 183-185. 57. P. nieWöhner, “Der frühbyzantinische Rundbau” (supra, n. 55), pp. 436-437.
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and it invites the suggestion that the same emperor may have set up some kind of manufacture at the Palace of Eleutheriou when he repopulated Constantinople after the great plague mortality of 747.58 The new population, which was drawn from Greece and the islands, would have consisted mainly of trading, seafaring and artisan families, and Constantine would have settled them near the harbours on the south coast of the city, where the trade and industry of Constantinople were concentrated in the early Middle Ages.59 However, the presence of this population would also have been an incentive for Eirene, who herself came from Athens, to develop the Palace of Eleutheriou as her power base away from the Great Palace. The evidence suggests that she did not merely revamp and refurbish the late antique palace for residence and recreation, but transformed it into a centre of wealth and social power. It contained a large fortune in cash at the time of her deposition in 802.60 Even if she did not create the associated workshops, she evidently invested in and maintained them. On the other hand, she demolished that part of the complex, apparently a hippodrome, which had no economic value.61 It is conceivable that she replaced it with the bakeries and the halls for bread distribution, which, according to another notice in the Patria, she set up in association with the nearby state granary.62 Neither the wording nor the topography of the description is clear. Yet there is now hard evidence that Eirene did invest in the economic revival of the wider neighbourhood: the excavations of the port of Theodosius at Yenikapı in Istanbul have recently uncovered, at the eastern end of the harbour near the site of the Palace of Eleutheriou, a large stone jetty that is dateable to the year 797—thus to the time when Eirene was fully in charge of state expenditure.63 Eirene’s revival of the Palace of Arcadia was thus much more than the restoration of a late antique aristocratic residence: it was, given its time and place, the nucleus of a programme of urban renewal. Yet in another sense it was, not unlike the Palace of Marina, the reconstitution of an imperial domus divina, and it was as such that the Oikos of Eleutheriou continued its existence until the eleventh century, when it disappears from the sources.64 Like the Palace of Marina, the reconstituted Palace of Arcadia invites us to consider what mode of reconstruction it represented: was it a maximalist or a minimalist intervention in the original Theodosian fabric? It is equally hard to decide. We have no record of any ambitious project such as the bath of Leo VI. On the other hand, we have the concrete material evidence from two associated buildings: the jetty of Eirene at Yenikapı and the Myrelaion. The jetty of Eirene shows that the empress had the means and the motivation to carry out large-scale construction work, an impression confirmed by the church of Hagia Eirene, which has now been shown to have been rebuilt at exactly the same time.65 The Myrelaion shows that the monumental Theodosian rotunda at the street entrance to the complex was
58. See above, nn. 5, 27. 59. P. MagDalino, “Maritime neighborhoods” (supra, n. 23), pp. 212-219; iD., “The merchant of Constantinople”, in Trade in Byzantium : papers from the third international Sevgi Gönül Symposium, ed. by. P. MagDalino, N. necipoğlu, Istanbul, 2016, pp. 181-191, at pp. 189-190. 60. Theophanis Chronographia, ed. de Boor (supra, n. 50), pp. 467, 476-478. 61. Patria (supra, n. 32), III.173, ed. preger, p. 269; transl. Berger, p. 211. 62. Patria (supra, n. 32), III.85, ed. preger, p. 246; P. MagDalino, Constantinople médiévale (supra, n. 6), pp. 21-24 (= “Medieval Constantinople”, pp. 22-25). 63. p. i. KuniholM, C. j. pearson, t. i. Wažny & C. B. Briggs, “Of harbors and trees : the Marmaray countribution to a 2367-year chronology for 97 sites for the Aegean, East Mediterranean and Black Sea”, in Istanbul and water, ed. by P. MagDalino & N. ergin, Leuven – Paris – Bristol Ct, 2015, pp. 47-90, at pp. 63-64 64. M. Kaplan, “Maisons impériales et fondations pieuses : réorganisation de la fortune impériale et assistance publique de la fin du viiie siècle à la fin du xe siècle”, Byzantion 61, 1991, pp. 340-364, especially pp. 352-353. 65. See above, n. 64.
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not preserved as an imposing architectural feature, but was levelled down to form the substructure and the cistern for a smaller, ninth-century domestic building. Yet neither structure can be taken as representative of what Eirene did to the residential core of the Palace, which, we have argued, was situated on the coast at some distance from both sites. The jetty was a work of urban infrastructure, which served the whole neighbourhood as well as the palace, and was necessitated, moreover, by the progressive silting of the harbour. The rotunda had become functionally detached from the main residence by the demolition of the intermediate building that was remembered as a hippodrome and its probable conversion to commercial or charitable use. Thus the rotunda no longer served as the main entrance to the main residence, which would, in any case, have been directly accessible by sea. The most likely scenario is that it was given away or sold off, either by Eirene or more probably by one of her successors, for development as a private house. Thus it was that the rotunda came into the hands of a certain Krateros before passing to Romanos Lekapenos.66 Although Romanos converted the building into a convent and added the church, it was probably Krateros who carried out its more drastic conversion into an aristocratic residence. The reconstruction may have been necessitated by the damaged state of the rotunda, or it may reflect Krateros’ attitude to Theodosian monumental architecture. But it leaves us none the wiser as to the home improvements carried out by the empress Eirene when she moved to her new address. To conclude, I would propose that the modes of urban reconstruction in ancient and medieval Constantinople fluctuated between two basic imperatives. On the one hand, the authorities and the inhabitants of the Byzantine capital practised a culture of conservation and reuse; on the other hand, they projected a rhetoric of new construction from zero. Between the two, they developed an ideology of reconstruction, which may have been there from the foundation of the city, but which, in the extant literature, was first fully articulated close to one thousand years later in the longest work in praise of Constantinople that survives from the pen of a Byzantine author, the Byzantios of Theodore Metochites. Metochites’ city is full of superlative wonders, and not least of them is its never-failing capacity to renovate and reinvent itself, just like the natural world.67 [email protected] Emeritus, University of St Andrews
66. C. Mango, Le développement urbain (supra, n. 14), p. 59. 67. There is now a critical edition of the text by Ι. Πολεμης, Θεόδωρος Μετοχίτης, Βυζάντιος ἢ Περὶ τῆς βασιλίδος μεγαλοπόλεως : κοσμολογία καὶ ρητορικὴ κατὰ τὸν ΙΔʹ αἰώνα, Θεσσαλονίκη, 2013. On the comparison of Constantinople with the kosmos, see also I. poleMis, “Theodore Metochites’ Byzantios as a testimony to the cosmological discussions of the early Palaeologan period”, Revue des études byzantines 66, 2008, pp. 241-246.
Federico Montinaro
Reconstructions imaginaires : une note sur Byzance et l’Islam du viie au xe siècle
Le traducteur grec de l’apocalypse syriaque faussement attribuée à saint Méthode d’Olympe déplore dans ces termes les effets des grandes conquêtes arabes du Moyen-Orient du viie siècle, qu’il est censé prévoir : Lorsque les fils d’Ismaël eurent conquis toute la terre et dévasté les villes et leurs territoires et qu’ils régnaient sur toutes les îles, ils se construisirent des bateaux et, en les utilisant comme des oiseaux, ils volèrent sur les eaux de la mer et s’en allèrent dans les régions de l’Occident jusqu’à l’Ancienne Rome, l’Illyricum, Gigitum et Thessalonique et la Grande Sardaigne et au-delà de Rome. Et ils régirent la terre pendant soixante ans et y firent tout ce qu’ils voulurent.1
Ce n’est que dans les derniers chapitres que l’apocalypse passe au futur, le temps propre au genre, pour raconter à nouveau l’essor du califat fondé par les fils d’Ismaël et, finalement, la revanche byzantine des mains de l’empereur des Romains : Et alors, tout d’un coup, les tribulations et les difficultés s’abattront sur [les Ismaélites] et le roi des Grecs, c’est-à-dire des Romains, partira à leur encontre avec grand courage et sera réveillé comme l’homme qui a bu beaucoup de vin et que tous considéraient mort et bon à rien est [réveillé] du sommeil. Il partira à leur encontre de la mer d’Éthiopie, il lancera l’épée et la désolation dans Yathrib, qui est leur patrie, et asservira leurs femmes et leurs enfants.2
Le pseudo-Méthode continue : Et le bonheur demeurera sur terre et les hommes s’y établiront en paix et reconstruiront les villes et libéreront les prêtres de leurs malheurs et les hommes à ce moment-là se reposeront de leurs tribulations.3
1.
Die Apokalypse des Pseudo-Methodius. Die ältesten griechischen und lateinischen Übersetzungen, hrsg. von W. J. aerts und G. A. A. KorteKas (Corpus scriptorum Chistianorum Orientalium 569. Subsidia 97), Lovanii, Peeters, 1988, t. 1, p. 94 (V, 4). On se reportera à l’édition de l’original syriaque, citée plus bas, pour une revue des tentatives d’identification de « Gigitum » (Γίγητος), ggṭnws en syriaque. La « Grande Sardaigne » (Σαρδανία ἡ μεγάλη) remplace un toponyme aussi inexpliqué du syriaque. Sauf indication contraire, les traductions sont de l’auteur.
2.
Ibid., p. 174 (XIII, 11).
3.
Ibid., p. 178 (XIII, 16), le syriaque ayant, entre autres, « impôts », ܫܩ�ܠܐ, au lieu de « malheurs », ἀνάγκαι.
Reconstruire les villes : modes, motifs et récits, éd. par Emmanuelle Capet, Cécile Dogniez, Maria gorea, Renée KoCh piettre, Francesco Massa, Hedwige rouillarD-Bonraisin (Semitica & classica. Supplementa 1), Turnhout, 2019, p. 269-275 DOI 10.1484/M.SUPSEC-EB.5.118528
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Federico Montinaro
Remarquons au passage que la date du texte original syriaque de l’apocalypse est procurée, en dehors de la référence isolée et peu précise aux « soixante ans » de domination, par une autre référence, celleci récurrente, à « dix semaines d’années », à savoir soixante-dix ans, qui se seraient écoulées depuis la sortie des fils d’Ismaël du « désert de Yathrib », l’ancien nom de Médine4. La tentative récente de Stephen Shoemaker de placer la composition de l’apocalypse aussi tôt que les années soixante du viie siècle se fonde sur une méprise de l’apparat critique de Gerrit Reinink à l’édition du texte syriaque, qui lui fait tenir, à tort, pour majoritaire la lecture isolée de la recension M, « sept semaines d’années », à un endroit du texte ; il s’agit d’une formule stéréotypée fondée sur le symbolisme biblique, adoptée de façon aussi systématique que pratiquement exclusive dans la première traduction grecque5. Les « soixante-dix ans » sont sans doute à compter de l’hégire, en 622. Nous sommes donc bien en 6926. C’est précisément en cette année que l’empereur Justinien II, à en croire les chroniqueurs byzantins, allait déclencher un nouveau conflit avec les Omeyyades, après plusieurs années de paix coïncidant avec la période de la deuxième fitna dans le califat7. C’est peut-être davantage en cette même année que Justinien adopta le portrait du Christ sur la monnaie d’or, où il est assimilé à celui de l’empereur de façon sans précédents, lorsqu’il décrit la montée au Golgotha de l’empereur et rédempteur romain8. Dans ce contexte, l’apocalypse du pseudo-Méthode fut en mesure de rejoindre très tôt Constantinople pour y recevoir l’appui officiel. Christopher Bonura a brillamment exposé les arguments pour en dater la traduction grecque, que nous venons de lire, avant 700, date après laquelle le texte passa aussi, très rapidement, en arménien et en latin9. Nous le savons d’ailleurs, la seule véritable prophétie dans cet écrit où tout le reste se déroule, évidemment, ex eventu, ne fut jamais avérée : la plupart des villes saccagées par les Arabes au viie siècle ne seront ni reprises ni reconstruites par les Byzantins. Les reconstructions imaginées, espérées par le pseudo-Méthode nous donnent néanmoins la mesure des attentes des Byzantins et des chrétiens de Syrie-Palestine sous les Omeyyades, lorsque ces derniers, on le
4.
V, 9 ; X, 6, XIII, 2 ; XIII, 4.
5.
S. J. shoeMaKer, « The Tiburtine sibyl, the last emperor, and the early Byzantine Apocalyptic tradition », dans Forbidden texts on the Western frontier : the Christian apocrypha in North American perspectives, ed. by T. BurKe, Eugene or 2015, p. 218-244, ici p. 228-230; cf. iD., « “The reign of God has come” : eschatology and empire in late antiquity and early Islam », Arabica 61, 2014, p. 514-558, ici p. 543 et suiv., n. 83. La faute se rapporte au texte syriaque, Die syrische Apokalypse des Pseudo-Methodius, hrsg. und übers. von G. J. reininK (Corpus scriptorum Chistianorum Orientalium 540. Scriptores Syri 220), Lovanii, Peeters, 1993 p. 10 (V, 9), où l’apparat fait état d’une variante banale reliant les « dix semaines d’années » soit à la fin d’une phrase soit au début de celle qui suit, mais ne laissant à aucun moment entendre que cette indication chronologique manquerait totalement dans les manuscrits de la recension M, qui ne présentent ainsi que dans un cas isolé (X, 6) la variante « sept semaines » au lieu de « dix » et dans un autre cas (XIII, 2) celle, peu significative, « dernière semaine » au lieu de « dixième ». Shoemaker néglige aussi la mention des « dix semaines d’années » en XIII, 4, commune à tous les témoins syriaques.
6.
Cette datation remonte à S. P. BroCK, « Syriac views on emergent Islam », dans Studies on the first century of Islamic society, ed. by G. H. A. juynBoll (Papers on Islamic history 5), Carbondale il, 1982, p. 9-21, réimpr. dans iD., Syriac perspectives on late antiquity, London, 1984, no VIII.
7.
Voir en dernier lieu J. hoWarD-johnston, Witnesses to a world crisis : historians and histories of the Middle East in the seventh century, Oxford, 2011, p. 495-501.
8.
Voir, entre autres, W. hahn, Moneta imperii Byzantini.3, pl. 38, no 8a.
9.
C. Bonura, « A forgotten translation of Pseudo-Methodios in eighth-century Constantinople : new evidence for the dispersal of the Greek Apocalypse of Pseudo-Methodius during the Dark Age crisis », dans From Constantinople to the frontier : the city and the cities, ed. by N. S. M. Matheou, T. KaMpianaKi & L. M. BonDioli (The medieval Mediterranean 106), Leiden – Boston, 2016, p. 260-276.
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sait, poussaient finalement l’islamisation dans les territoires conquis et définissaient leur nouvel empire10. Plus important encore, elles nous donnent la mesure de l’importance que les Byzantins et les chrétiens de Syrie continuaient à attribuer à la ville et à l’urbanisation en tant qu’indicateurs du « bonheur », de la « paix », de la « liberté » caractérisant leur civilisation. « Reconquête » veut dire, pour eux, d’abord, « reconstruction des villes ». Mais la notion même de ville avait changé depuis longtemps. Les menaces extérieures du viie siècle n’allaient en fait qu’accélérer un écroulement structurel bien connu, en cours depuis le ve siècle, touchant les finances et les élites citadines avant les pierres et les monuments11. Alors que pour la Grande Syrie même, le Bilād ash-Shām, on parle de plus en plus de continuité, l’histoire des villes d’Asie Mineure des viie et viiie siècles, telle que Wolfram Brandes l’a illustrée il y a trente ans d’après les sources littéraires, et que les apports plus récents de l’archéologie, recueillis par Philipp Niewöhner dans un volume récent, nous dévoilent davantage, est, incontestablement, celle d’un déclin. L’invasion perse d’abord, puis les incursions arabes jouèrent un rôle visible dans la destruction, la réduction, le déplacement, ou l’abandon de villes12. C’est une ville différente, non directement menacée par la violence des guerres, qui revint au centre d’un débat entre Byzance et l’Islam au xe siècle, resté jusque-là inaperçu dans son entièreté : il s’agit de la capitale même. L’historien aṭ-Ṭabarī, mort en 923, relate, d’après Yaḥyā b. al-Ḥasan b. ʿAbd al-Khāliq, la visite d’un ambassadeur byzantin, « l’un des baṭrīq », les patrices, à la cour d’Abū Jaʿfar al-Manṣūr (754-775), le deuxième calife abbasside et le fondateur de la nouvelle capitale sur le Tigre, Bagdad13. L’ambassadeur est d’abord invité à effectuer une visite de la nouvelle fondation au plan circulaire caractéristique, à la fin de laquelle le calife lui demande : « Que penses-tu de ma ville ? » Le patrice répond : « J’ai vu une belle construction, mais j’ai vu tes ennemis dans la ville. » Ces ennemis, explique-t-il, sont les marchands. Manṣūr prétend ne pas être touché par les critiques de l’ambassadeur, mais, au départ de ce dernier, ordonne tout de suite que les activités marchandes soient déplacées dans un nouveau quartier expressément réaménagé pour les accueillir, celui de Karkh. On trouve deux versions plus élaborées de la même tradition dans l’introduction topographique au dictionnaire biographique Taʾrīkh Baghdād du Khaṭīb, mort en 1071. Dans l’une de ces traditions, dont l’isnād – la chaîne de témoins toujours pourvue par les auteurs arabes – est confuse, l’ambassadeur byzantin, interrogé par Manṣūr, est à même d’identifier trois défauts de la nouvelle fondation du calife : Le premier [défaut] c’est son éloignement de l’eau ; il faut aux hommes de l’eau, afin qu’ils y trempent leurs lèvres ; le deuxième c’est que la source [ou bien « l’œil », ]عينest verte et a besoin de verdure, or, il n’y a pas un jardin dans ce bâtiment-ci ; quant au troisième, tes sujets demeurent avec toi dans ton palais, et lorsque les sujets sont avec le roi dans son habitation, son secret est divulgué.14
10. Voir Ch. roBinson, ʿAbd al-Malik, London, 2005. 11. Dans une bibliographie très vaste, voir, pour une synthèse, J. H. W. G. lieBesChuetz, The decline and fall of the Roman city, Oxford, 2003. 12. W. BranDes, Die Städte Kleinasiens im 7. und 8. Jahrhundert (Berliner byzantinistische Arbeiten 56), Amsterdam, 1989 ; The archaeology of Byzantine Anatolia, ed. by Ph. nieWohner, Oxford, 2017. Sur la Syrie, voir A. WalMsley, Early Islamic Syria : an archaeological assessment, London, 2007. Pour la Palestine, G. avni, The Byzantine-Islamic transition in Palestine : an archaeological approach, Oxford, 2014. 13. Annales quos scripsit Abu Djafar Mohammed Ibn Djarir at-Tabari. 3, 1, ed.M. J. De goejDe, III, 1, Lugduni Batavorum, 1880, p. 322 et suiv. 14. Taʾrīkh Baghdād aw madīnat as-Salām al-Ḥāfiẓ Abī Bakr Aḥmad b. ʿAlī l-Khaṭīb al-Baghdādī, éd. du Caire, 1931, t. 1, p. 78 et suiv. ; éd. de Beyrouth, 2001, t. 1, p. 388 et suiv. La traduction française est reprise avec de petites modifications ici et par la suite à G. salMon, L’introduction topographique à l’histoire de Bagdâdh d’Aboû Bakr Aḥmad Ibn Thâbit
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Comme chez Ṭabarī, le calife est d’abord impassible devant l’ambassadeur mais, au départ de ce dernier, suit son avis. La ville subit un réaménagement plus important, une véritable reconstruction byzantine : Ensuite le khalife reconnut ce qu’il y avait de fondé dans ces observations, il se tourna vers Shams et Khallād […] et leur dit : « Que l’on prolonge jusqu’à moi deux canaux d’irrigation du Tigre, faites des plantations jusqu’à l’Abbāsiyya et transportez les habitants au Karkh ».
Le dossier arabe sur l’ambassade byzantine auprès d’al-Manṣūr a fait l’objet d’une analyse détaillée par Alexandre Roberts, qui suggère que les traditions concernant l’ambassadeur byzantin à Bagdad ont été recueillies dès le ixe siècle dans le but d’offrir une explication pour le tournant autoritaire du califat abbasside après les promesses révolutionnaires d’Abū l-ʿAbbās, en en attribuant la responsabilité à l’influence byzantine, reconnue depuis l’essor du mouvement de traduction gréco-arabe15. Comme Roberts l’a documenté, des critiques en ce sens ont été portées au xe siècle contre les Abbassides. Ainsi, dans son portrait de Manṣūr dans le Livre de l’avertissement et de la révision, Masʿūdī note, parmi de nombreux éléments d’éloge, que le calife يسوس سياسة الملوك, à la lettre « il gouvernait le gouvernement des rois », ce que Roberts traduit avec « he governed like a king »16. Rappelons que les Abbassides étaient à cette époque fortement affaiblis par l’affirmation récurrente de dynasties autonomes dans le califat17. Il est sans doute légitime de douter de l’authenticité de ces traditions par rapport à l’époque même de la fondation de Manṣūr. La topographie de Bagdad sous les Abbassides pose en elle-même des problèmes importants que je laisse à d’autres plus compétents le soin d’aborder18. Il est certes douteux que Manṣūr ait réellement modifié sa ville quelques années à peine après sa fondation d’une manière aussi importante que le prétendent les auteurs arabes. On doutera plus encore qu’il ait voulu suivre l’avis d’un ambassadeur byzantin. Mais si la réflexion politique interne au califat est une réalité qui a peut-être joué, comme le croit Roberts, un rôle important dans la transmission de ces traditions aux ixe-xe siècles, il serait dommage de nier la dimension internationale que nos sources prêtent aux faits et qui n’est pas moins une réalité de ces mêmes siècles. C’est ce que révèle à mon sens la lecture des chroniques byzantines à peu près contemporaines de Ṭabarī. Le continuateur de la chronique de Théophane, écrivant au milieu du siècle, relate l’ambassade à la cour des califes conduite à une date non précisée entre 829 et 838 par le « syncelle Jean » ( Ἰωάννης ὁ σύγκελλος, identifié par plusieurs références croisées au futur patriarche iconoclaste, dit, entre autres, « le Grammairien »), pour le compte de l’empereur Théophile. L’ostentation furieuse de l’or byzantin garantit le succès diplomatique de Jean, lui ouvrant les portes des palais et des trésors du calife. Le chroniqueur continue :
Al-Khatîb al-Bagdâdhî (Bibliothèque de l’École des hautes études. Sciences historiques et philologiques 148), Paris, 1904, réimpr. (Islamic geography 86), Frankfurt am Main, 1993, p. 96 et suiv., avec une édition du texte (p. 18 de la numérotation arabe), qui me paraît plus fiable que celles du Caire et de Beyrouth. Sur l’isnād, voir J. lassner, The topography of Baghdad in the early Middle Ages, Detroit, 1970, p. 245 note 46, et sa traduction de notre passage, p. 58. 15. A. roBerts, « Al-Manṣūr and the critical ambassador », Bulletin d’études orientales 60, 2011, p. 145-160. 16. Kitâb at-tanbîh wa’l-ischrâf, ed. M. J. De goeje (Bibliotheca geographorum Arabicorum 8), Lugduni Batavorum, 1894, réimpr. (Islamic geography 41), Frankfurt am Main, 1992, p. 342, cité par A. roBerts, « Al-Manṣūr » (supra, n. 15), p. 154. 17. Voir l’aperçu de H. KenneDy, The Prophet and the age of the caliphates, London, 20163, p. 136-171. 18. L’étude classique est celle de G. le strange, Baghdad during the Abbasid caliphate, Oxford, 1900, réimpr. (Islamic geography 84), Frankfurt am Main, 1993.
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Lorsqu’il revint chez Théophile et lui parla de la Syrie, il convainquit l’empereur de construire le palais de Bryas en imitant les résidences des Saracènes, ne s’éloignant en rien de la forme et de la variété de celles-ci. Cela fut réalisé en présence de celui qui exécuta les travaux selon la description de Jean et qui s’appelait Patrikès et portait également la dignité de patrice ; il réalisa une seule chose qui dépassait [le modèle] en ce qu’il érigea une église au nom de la très sainte Mère de Dieu dans les chambres privées.19
Ailleurs le Continuateur de Théophane mentionne « Yannis » (Ἰαννής), appelé d’abord simplement un « moine », à propos du retour du côté byzantin du général Manuel, qui, frappé d’une accusation de complot, avait cherché l’asile à Bagdad, à une date non précisée20. Le chroniqueur relate plusieurs versions faisant de Jean le médiateur impérial soit comme chargé d’une ambassade officielle, soit pour établir la communication avec Manuel en se cachant du calife, appelé lui-même « Ismaël ». Le passage de Manuel du côté des Byzantins aurait eu lieu pendant une mission arabe sur la frontière de Cappadoce. Cet événement n’est pas daté non plus, mais est placé entre une campagne contre les Arabes à laquelle Manuel aurait pris part et la nomination de « Yannis » en tant que patriarche de Constantinople. Le Continuateur présente Manuel comme se séparant amicalement du fils du calife, ce qui trouve des échos non seulement dans le récit d’un autre chroniquer byzantin de peu antérieur, Génésios21, mais aussi dans les sources arabes. AṭṬabarī fait rencontrer un « Manuel » avec le calife al-Maʾmūn et le fils de ce dernier, ʿAbbās, à Raʾs alʿAyn en 83022. Lisons ce qu’un autre chroniqueur du xe siècle, Syméon le Logothète, écrit au sujet du palais de Bryas. L’histoire s’insère là aussi dans le contexte des tentatives de l’empereur Théophile de ramener du côté byzantin le général Manuel, tentatives confiées au « syncelle Jean »23. Le récit du Logothète, semblable dans les grandes lignes à celui transmis par le Continuateur, contient des détails soit uniques soit divergents sur lesquels nous ne nous attardons pas pour l’instant. Syméon continue : L’empereur considéra le messager [de Manuel] comme un ange porteur de grandes et bonnes nouvelles, il l’accueillit avec de l’argent et des honneurs et reçut Manuel de manière appropriée, le nommant magistre et domestique des scholae et devenant le parrain de ses fils. Transporté par ces événements, l’empereur marcha contre les Arabes avec Manuel, le sénat et toute l’armée et prit sans difficulté Zapetra et Samosata – cette dernière se vantait de richesses et de puissance parce que l’amermoumnē venait de là-bas – s’enorgueillissant de la victoire et du butin. Il s’en alla donc à Bryas et ordonna qu’on y construise un palais, qu’on y plante des jardins et qu’on y amène l’eau, ce qui arriva. De là il procéda en triomphe vers la ville avec le butin, organisa une course de chevaux dans laquelle il courut la première manche, conduisant un char blanc et portant le vert. Il gagna et fut couronné pendant que les dèmes criaient : « Bienvenue, factionarius incomparable ! »24
19. Chronographiae quae Theophanis Continuati nomine fertur libri I-IV, rec. M. featherstone et J. signes CoDoñer (Corpus fontium historiae Byzantinae 53), Berlin – Boston, 2015, p. 138-142 (III, 9). L’auteur se trompe en affirmant qu’il aurait mentionné plus haut (ὡς ἔφθημεν εἰπόντες) que Jean avait été l’enseignant de Théophile. La référence se rapporte en fait à IV, 7 (p. 220), donc « plus bas ». 20. Ibid., p. 170-4 (III, 25-26). 21. Iosephi Genesii regum libri quattuor, rec. A. lesMüller-Werner et J. thurn (Corpus fontium historiae Byzantinae 14), Berlin – New York, 1978, p. 50 s. (III, 17). 22. Annales (supra, n. 13), t. 3, 2, Lugduni Batavorum, 1881, p. 1103. Yaʿqūbī mentionne une scène similaire dans laquelle un « patrice Manuel » quitte Ankara lorsque la ville est prise par le calife à l’été de la même année (Ibn Wādhih qui dicitur al-Jaʿqubī historiae, ed. M. T. houtsMa, Leiden, 1883, t. 2, p. 567), ce qui a été compris comme se rapportant soit au départ de Manuel chez les Arabes soit à son retour. Cf. A. A. vasiliev, Byzance et les Arabes. 1 (Corpus Bruxellense historiae Byzantinae 1), Bruxelles, 19592, p. 99, note 3. 23. Symeonis magistri et logothetae chronicon, rec. S. Wahlgren, Berlin – New York, 2006, p. 219-223 (CXXX, 15-21). 24. Ibid., p. 223 (22-24).
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Syméon annonce immédiatement par la suite lui aussi la nomination du syncelle Jean au siège patriarcal, expliquant à cette occasion le sobriquet « Yannis » que l’on a rencontré chez le Continuateur25. En général, les sources des chroniques byzantines du xe siècle, pour la plupart du ixe, sont mal connues, de même que leurs relations mutuelles. L’histoire de Manuel est un cas d’espèce comparable à celui d’un autre général byzantin, Théophobe, connu par le Continuateur, Génésios et Syméon, entre autres, ainsi que par la tradition musulmane, et récemment étudié par Constantin Zuckerman ; celui-ci a su illustrer la dépendance du Continuateur de Théophane à la fois de Génésios et d’une source commune aux deux auteurs et à une chronique ultérieure, dite du pseudo-Syméon, complétée par la tradition orale26. Le dossier de Manuel, que je n’entends pas revisiter entièrement, ne se prêterait pas de toute manière à une analyse aussi tranchée, car le pseudo-Syméon ne fait ici qu’abréger Syméon27. Notons au passage que l’activité édilitaire de Théophile est documentée davantage par le Continuateur de Théophane dans une digression majeure placée à la fin du livre consacré à cet empereur. Les constructions de Théophile se serait concentrées, selon cette source, autour du Palais, résultant en un système complexe de colonnades, halles, jardins et terrasses dotés de fontaines et autres aménités destinées à l’usage des citoyens bien-aimés de l’empereur28. On peut en revanche voir une critique, proche dans l’esprit de celle portée en même temps contre les Abbassides, dans l’insistance du même Continuateur sur les bonnes relations entre Théophile, empereur iconoclaste, et le calife. Quant à Syméon, remarquons, sans entamer ici une trop longue discussion sur la chronologie des années 830, que cet auteur place le retour de Manuel, la victoire de Zapetra et la nomination du patriarche Jean le Grammairien dans une séquence serrée. L’élément qu’il ajoute par rapport au Continuateur, c’est-à-dire la bataille de Zapetra-Zibaṭra, est aussi le seul que l’on puisse dater indépendamment de 837, alors que 838 est la date normalement retenue pour l’accession au patriarcat de Jean29. Les commentateurs préfèrent dater le retour de Manuel de 830 et postuler plusieurs ambassades de Jean voire admettre tacitement que le récit du retour est, dans sa position chez tous les auteurs grecs, un « cast-back »30. Cependant, comme Manar Hammad le fit remarquer lors de la lecture de cette contribution, la ville décrite par Jean à son retour ne ressemble en rien à la ville ronde de Manṣūr et le but même de son récit de voyage semblerait être de décrire une nouvelle fondation. Or c’est précisément
25. Ibid., p. 223 et suiv. (25). Cf. Chronographiae (supra, n. 19), p. 220 (IV, 6). 26. C. zuCKerMan, « Emperor Theophilos and Theophobos in three tenth-century chronicles : discovering the “common source” », Revue des études byzantines 75, 2017, p. 101-150, s’en prenant à la reconstruction de J. signes CoDoñer, The emperor Theophilos and the East, 829-842 (Birmingham Byzantine and Ottoman studies 13), Farnham – Burlington, 2014, p. 153-172. Cf. ibid., p. 83-101, sur Manuel. 27. Dans Theophanes Continuatus, rec. I. BeKKer, Bonn, 1838, p. 632-625. On rappellera que le Continuateur de Théophane et Génésios prolongent la vie de Manuel au-delà du règne de Théophile, alors que le Logothète le fait mourir un an à peine après son retour du califat. 28. Chronographiae (supra, n. 19), p. 200-210 (III, 42-44). Voir J. M. featherstone,« Luxury in the Palace : the buildings of Theophilus », İstanbul araştırmaları yıllığı 2, 2013, p. 33-40. 29. A. A. vasiliev, Byzance et les Arabes (supra, n. 22), p. 137-143. Sur Jean, voir R.-J. lilie, « Ioannes VII. Grammatikos », dans Die Patriarchen der ikonoklastischen Zeit, hrsg. von R.-J. lilie (Berliner byzantinische Studien 5), Frankfurt am Main, 1999, p. 169-182. 30. Ainsi W. T. treaDgolD, « The chronological accuracy of the Chronicle of Symeon the Logothete for the years 813845 », Dumbarton Oaks papers 33, 1979, p. 159-197, ici p. 172, au suget du Logothète. La datation à 830 remonte à W. E. BrooKs, dans son compte rendu de vasiliev, Byzance et les Arabes (supra, n. 22), dans la Byzantinische Zeitschrift 10, 1901, p. 296-299.
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dans une telle fondation, la nouvelle capitale Samarra, et non pas Bagdad – mentionnée explicitement par le seul Continuateur de Théophane – que Jean aurait été accueilli voyageant auprès du calife après 83631. J’espère pouvoir revenir ailleurs sur ces problèmes. Le Logothète ou sa source se distinguent surtout, s’agissant de notre sujet, pour avoir manqué de noter l’influence islamique sur la conception du palais de Bryas qui est un trait essentiel de la description du Continuateur de Théophane et qui s’est révélée cruciale dans les tentatives d’identification modernes. Je pense à l’étude du grand savant turc Semavi Eyice, qui cherchait les vestiges du palais de Bryas dans le quartier de Küçükyalı en comparant le plan des ruines avec ceux des palais omeyyades32. Son identification a fait longtemps l’objet de consensus et le complexe Küçükyalı figure, par exemple, dans le manuel d’architecture byzantine de Cyril Mango ; dans cet ouvrage, cette identification ouvre la voie à des hypothèses de plus large envergure, quoique formulées prudemment, au sujet de l’influence abbasside sur l’art byzantin des ixe-xe siècles33. Le même site, aujourd’hui un parc archéologique, est désormais interprété par Alessandra Ricci comme une église surmontant une partie de citerne34. Quelles qu’aient été la position et l’inspiration réelles du palais de Bryas, il ne s’agit évidemment pas d’une construction qui aurait modifié profondément l’aménagement urbain de Constantinople. L’espace n’est ici approprié, ou réapproprié, que marginalement. L’appropriation concerne cependant, de manière plus profonde, l’identité. Au fait, il importe peu que l’on accepte ou pas l’historicité de l’ambassade auprès de Manṣūr ou de celle conduite par Jean auprès d’un calife et dans une capitale qui restent pour nous anonymes. On est bien en droit de soupçonner que les échanges qui se cachent derrière ces récits se rapportent davantage au xe siècle, l’époque à laquelle écrivent nos auteurs byzantins et, du moins dans le cas de Ṭabarī, abbassides. Ce sont des topoi communs aux deux cultures que ces auteurs introduisent : la diplomatie, les jardins, l’eau. Quelques traits très communs du paysage urbain méditerranéen sont ici présentés comme définissant, de façon exclusive, l’une ou l’autre de ces cultures. Ces nouvelles reconstructions imaginaires nous donnent alors la mesure de l’évolution des relations entre les deux grandes puissances du Moyen-Orient depuis le viie siècle, lorsque les fils d’Ismaël avaient dévasté, momentanément faut-il croire, la civilisation urbaine byzantine35. [email protected] Eberhard Karls Universität Tübingen
31. Voir Encyclopaedia of Islam. New Edition. 8, ed. by C. E. BosWorth, E. van Donzel, W. P. heinriChs, and G. leCoMte, Leiden, 1995, p. 1039-1041, s.v. Sāmarrāʾ. 32. S. eyiCe, « Istanbul’da Abbası saralarının benzeri olarak yapılan bir Bizans sarayı: Bryas sarayı », Belleten 23, 1959, p. 79-104. 33. C. Mango, Byzantine architecture, Milano, 1978, p. 157 et suiv., et p. 160, sur les décorations de l’église de Constantin Lips. 34. A. riCCi, « The road from Baghdad to Byzantium and the case of the Bryas palace in Istanbul », dans Byzantium in the ninth century : dead or alive? Papers form the thirtieth Spring symposium of Byzantine studies, Birmingham, March 1996, ed. by L. BruBaKer, Aldershot, 1998, p. 131-141 ; eaD., « Palazzo o monastero, Islam o Occidente : il complesso mediobizantino a Küçükyalı (Istanbul) », dans III Congresso nazionale di archeologia medievale, Firenze, 2003, p. 515-519. 35. Ce n’est qu’une fois la rédaction de cet article terminée que j’ai pu prendre connaissance du bel article de H. Keshani, « The Abbāsid palace of Theophilus : Byzantine taste for the arts of Islam », Al-Masāq 16, 2004, p. 75-91, qui touche à des thèmes très proches de ceux qui font l’objet de la présente contribution.
Christian Julien robin
L’Arabie méridionale antique : la société tribale plus forte que la ville
Le thème du colloque invite à examiner comment les Anciens se réappropriaient les villes détruites. La Sudarabie antique comptait un grand nombre de « villes », organisées en réseaux complexes, comme les recherches de Jérémie Schiettecatte l’ont mis en évidence 1. Même si le sens donné à « ville » est discuté, la société sudarabique peut être considérée, à de nombreux égards, comme fortement urbanisée. On pourrait donc croire que la Sudarabie offre de nombreuses illustrations répondant au thème du colloque. Il n’en est rien : les commanditaires d’inscriptions ne mentionnent guère la reconstruction des villes. On peut seulement se demander pourquoi le rétablissement des villes n’entre pas dans les réalisations prestigieuses que les commanditaires d’inscriptions se plaisaient à énumérer. Cela tient probablement au fait que, dans le fonctionnement institutionnel, la ville ne joue qu’un rôle très modeste qui s’estompe avec le temps. On peut ajouter qu’elle n’est jamais représentée de façon allégorique et qu’elle est ignorée par le monde surnaturel. C’est le groupe social (la commune sudarabique2 ou la tribu arabe islamique) qui prime, d’autant plus aisément que les villes, tout au moins dans le Yémen islamique, sont souvent divisées entre plusieurs tribus.
les rares Mentions De villes (re)Construites ou (re)fonDées Avant d’inventorier les textes épigraphiques mentionnant la reconstruction d’une ville, il importe de préciser ce que nous entendons par « ville ». Nous avons opté pour la solution la plus objective, à savoir toutes les agglomérations qui sont rangées dans la catégorie hgr par les textes épigraphiques3. En fait, le substantif hgr, à prononcer hagar, n’était pas employé que pour les villes, à savoir les bourgades de grandes dimensions, aux fonctions multiples. Il désignait toutes les agglomérations, qu’elles soient très
1.
sChietteCatte 2011 ; Mouton & sChietteCatte 2014.
2.
À la suite de A. F. L. Beeston, nous traduisons par « commune » le terme sudarabique shaʿab (s²ʿb) qui désigne les groupes tribaux intégrés dans le monde développé, quelle que soit leur taille (voir n. 34) ; les shaʿab s’opposent aux ʿashīrat qui sont les groupes tribaux misérables et autarciques, établis dans les régions arides, en marge de la société. Nous ne conservons l’appellation traditionnelle de « tribu » que pour la période islamique.
3.
On trouve occasionnellement d’autres mots, tels que ʿr ou mṣnʿt. Le premier qui signifie « montagne ; bourg de montagne », avec un champ sémantique comparable à celui de l’allemand Burg/Berg, insiste sur le caractère accidenté du lieu de l’implantation. Le second souligne la présence de fortifications.
Reconstruire les villes : modes, motifs et récits, éd. par Emmanuelle Capet, Cécile Dogniez, Maria gorea, Renée KoCh piettre, Francesco Massa, Hedwige rouillarD-Bonraisin (Semitica & classica. Supplementa 1), Turnhout, 2019, p. 277-299 DOI 10.1484/M.SUPSEC-EB.5.118529
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Christian Julien Robin
grandes comme Marib, capitale du royaume de Sabaʾ (plus de 100 hectares) ou minuscules, avec quelques habitations 4. Ce qui caractérise la hagar, c’est avant tout l’appartenance de ses habitants au monde développé. Les bourgs misérables des populations marginales ne sont pas appelés hagar, mais qr (arabe qurà, pl. de qarya)5 ou ʾdwr/ʾdyr6. Les sources épigraphiques de l’Arabie méridionale relatent d’innombrables conflits et les destructions qui les accompagnent. Deux exemples fort explicites de destruction de villes se trouvent dans des textes proches de 700 avant l’ère chrétienne. Le premier concerne la ville de Nashshān dans le Jawf du Yémen : […] quant à la ville de Nashshān, {le mukarrib Karibʾīl} lui épargna (la destruction par le) feu ; il lui (à Sumhūyafaʿ roi de Nashshān) enleva le trésor de son palais ʿAfrā et le trésor de sa ville Nashshān ; imposa aux hautes terres7 de Nashshān, comme tribut, des ʾfklt8 ; infligea comme punition à Nashshān d’être massacrée si elle manquait à ses promesses envers les divinités ; infligea comme punition à Sumhūyafaʿ et à Nashshān qu’il établisse Sabaʾ dans la ville de Nashshān et que Sumhūyafaʿ et Nashshān édifient le temple d’Almaqah {le grand dieu de Sabaʾ} à l’intérieur de la ville de Nashshān […]9
Tamnaʿ, capitale du royaume de Qatabān, dans le wādī Bayḥān, avait subi un sort semblable quelques décennies auparavant : quant à Tamnaʿ, il lui a épargné la destruction et le feu ; il a ravagé toutes les récoltes de Qatabān ; il a tué Nwʿ m roi de Tamnaʿ … … il a fait roi Sumhūwatār dhu-S²mr à Tamnaʿ qui est l’allié d’Almaqah et de Sabaʾ.10
Si les inscriptions évoquent des destructions de ville, elles ne rapportent guère de reconstructions. Un seul texte, dont l’interprétation présente encore des difficultés, pourrait commémorer la réhabilitation d’une ville importante, Shabwat (aujourd’hui Shabwa), la capitale du royaume de Ḥaḍramawt, après un cataclysme, vers 225 ou un peu plus tard. Je rappelle tout d’abord le contexte historique. En 218 de l’ère chrétienne, un nouveau roi du Ḥaḍramawt qui s’appelle « Ilīʿadhdh11 Yaluṭ fils de ʿAmmīdhakhar » est intronisé. Pour autant qu’on puisse en juger, ce roi ne succède pas à son père ; ce serait donc un nouveau lignage qui accède au trône. L’alliance du Ḥaḍramawt avec Sabaʾ, conclue par les prédécesseurs de Ilīʿazz12, est confirmée par un mariage : Ilīʿazz épouse Malakḥalak, sœur de Shaʿrum Awtar, roi de Sabaʾ. Peu après, Ilīʿazz doit affronter la révolte des « Hommes libres de Yuhabʾir ». Il l’emporte péniblement grâce au soutien du roi de Sabaʾ. Cet affaiblissement du roi de Ḥaḍramawt favorise un changement
4.
Une observation semblable peut être faite à propos du terme s²ʿb (voir n. 34).
5.
Ja 574/4 à propos des Abyssins.
6.
Ja 574/7 et 8 (ʾdwr des Aksūmites et des « Arabes » de Gmd n, ʿAkkum et dhu-Sahratum) ; Ja 576 + 577/20 (ʾdyr des Abyssins).
7.
La signification du terme ẓhr est incertaine. Nous supposons ici que ẓhr a le même sens que l’arabe médiéval yéménite zāhir qui désigne les régions les plus élevées d’un territoire (comme dans ẓāhir Hamdān).
8.
Cette clause n’est pas comprise. Si le terme ʾfklt est bien le pluriel de ʾfkl, « prêtre », attesté dans diverses langues d’Arabie, mais non en Sudarabie (sauf dans ce texte), le sens échappe complètement.
9.
Ṣirwāḥ 2–RES 3945/16 : … w-hgrn Ns²n yhḥrm bn mwfṭm w-ʿtb-hw ḫrs² byt-hw ʿfrw w-ḫrs² hgr-hw Ns²n w-bḍʿ b-ẓhr Ns²n s³lʾm ʾfklt w-ʿtb bn Ns²n ʾl wḍʾt s²ft-hmw ns¹r n ʾlʾlt n w-yhrgw w-ʿtb S¹mhyfʿ w-Ns²n k-ḏ yḥwr S¹bʾ b-hgr n Ns²n w-k-ḏ ybny S¹mhyfʿ w-Ns²n byt ʾlmqh b-ws¹ṭ hgr n Ns²n …
10. Ṣirwāḥ 1 = DAI Ṣirwāḥ 2005-50/2 et 3 : w-Tmnʿ-m hḥrm bn mṯbr m w-mwfṭ m w-gbḏ kl frʿ Qtbn w-qtl Nw(ʿ) m mlk Tmnʿ … (3) … w-hmlk S¹mhwtr ḏ-S²mr Tmnʿ ḏ-ʾḫw ʾlmqh w-S¹bʾ. 11. L’anthroponyme Ilīʿazz (« mon dieu est puissant » est écrit d’ordinaire avec un dhāl à la place du zayn dans la langue ḥaḍramawtique qui confond les deux phonèmes. Nous orthographions cependant Ilīʿazz, sauf quand il s’agit d’une citation. 12. roBin 2016, p. 65 (nos 2, 3 et 4).
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d’alliance. Sharʿum, le roi de Sabaʾ, entre en campagne contre Ilīʿazz qui est vaincu dans le wādī Bayḥān et capturé ; pendant ce temps, un commando réussit une audacieuse opération : il pénètre dans Shabwat et parvient à prendre le contrôle du palais royal Shaqar, dans le but de protéger la reine sabéenne contre toute tentative de représailles. Après sa victoire dans le wādī Bayḥān, le roi de Sabaʾ fait mouvement vers Shabwat, s’empare de la ville et délivre sa sœur et le commando qui était assiégé dans Shaqar. La ville et le palais sont probablement ravagés, même si le texte sabéen qui rapporte la campagne sabéenne (Ir 13) n’en fait pas explicitement mention, puisque quelques textes mentionnent des offrandes au grand dieu sabéen Almaqah, financées avec les biens pillés à Shabwat13. Une inscription gravée sur le piton d’al-ʿUqla (à une quinzaine de kilomètres à l’ouest de Shabwa), où le règne des rois était inauguré solennellement, mentionne une reconstruction du palais royal de Shabwat et d’autres actions d’interprétation incertaine à propos de la ville (figure 1). Son auteur est le successeur de Ilīʿazz :
Figure 1 - L’inscription Ja 949 à al-ʿUqla, près de Shabwa, au Ḥaḍramawt. Elle commémore la libération de la ville de Shabwat (aujourd’hui Shabwa) et la reconstruction du palais Shaqar, probablement lors de l’accession au trône de Yadaʿʾīl Bayān, roi du Ḥaḍramawt (vers 225 de l’ère chrétienne), et mentionne incidemment une chasse au cours de laquelle ont été tués 142 grands ruminants. En dessous de cette inscription, un petit texte de trois lignes contient la plus ancienne attestation du mot « Arabe » utilisé par un Arabique pour se désigner lui-même (Ja 950). Photographie Christian Julien Robin.
13. Voir Ir 13, Ja 632, Ja 637 et Sharaf 17. On peut leur ajouter deux autres textes, en partie restitués : ABADY, 4, 1987, pl. 16 d, si on complète : … frs¹nhn w-rkby-hmy (3) [bn ġnm-hmw bn hgr n S²bw]t ; Fa 75 : bn mlt-hmw bn hgr n S²bwt b-kn s²[wʿw mrʾ-hmw S²ʿr m ʾwtr m](4)[l]k S¹bʾ w-ḏ-Ryd n bn ʿlh n Nhf n mlk [S¹bʾ … …].
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Christian Julien Robin
Yadaʿ ʾīl Bayān, roi du Ḥaḍramōt, fils de Rabbīshams, (issu) des hommes libres de Yuhabʾir, qui a repris et réanimé (?) la ville de Shabwat (2) et construit le palais Shaqar, s’est rendu au rocher quand ils ont été ruinés par le cataclysme (?) et ils ont tué trente-cinq vaches (bqr), quatre-vingt-deux taureaux (ḥwrw), vingt-cinq gazelles (ṣby), huit lynx (fhd) au rocher Anwad. (Ja 949, figure 1)14
Il est plausible que cette inscription a été gravée au moment de l’élévation au trône de Yadaʿʾīl Bayān (vers 225), mais il n’est pas impossible que ce soit plus tard, à un moment quelconque du règne (de 225 à 255 environ), parce que la formulation diffère quelque peu de celle des autres textes royaux. Le texte comporte plusieurs passages mal compris. Il s’agit tout d’abord des deux verbes s¹qlb w-ḫrr. On se contentera d’observer ici que ces deux verbes, qui régissent le nom de la ville (Shabwat), ne sont pas attestés dans les innombrables textes sudarabiques de construction ; il est donc douteux qu’ils commémorent l’édification ou la restauration de bâtiments. C’est seulement quand il s’agit du palais que l’on trouve un verbe fréquent dans les textes de construction, brʾ, qui signifie « édifier, construire ». C’est pour cette raison que nous donnons aux verbes s¹qlb et ḫrr une signification plus abstraite, évoquant la libération de la ville et sa réoccupation. Le nouveau roi « construit » le palais. Un constructeur est nécessairement un propriétaire légitime. Mais ce constat occulte un élément important : le palais Shaqar n’est pas construit, mais reconstruit. On sait qu’il existait depuis des siècles, comme palais royal, grâce au monnayage du Ḥaḍramawt sur lequel il est régulièrement mentionné comme lieu de frappe. En fait, c’est une pratique assez courante en Arabie du Sud. Tout nouveau propriétaire d’un bien s’empresse de faire des travaux plus ou moins symboliques qu’il commémore dans une inscription. Une belle illustration de cette pratique est offerte par le palais de Qāniya sur lequel on trouve deux inscriptions commémorant sa « construction », la première datée du ier siècle de l’ère chrétienne et la seconde du iiie (figures 2, 3 et 4)15. Dans la première, le palais est appelé « Shabʿān Awkan » et dans la seconde seulement « Shabʿān ». Une autre incertitude de traduction, toujours dans Ja 949, porte sur le verbe ṣll qu’on retrouve dans deux autres textes du site, Ja 988 et 996, dans l’expression mtll w-ṣll. Ce verbe rapporte ce que le roi est venu faire à al-ʿUqla, sans doute l’accomplissement d’un rituel, sans que l’on sache précisément de quoi il s’agit. Il a été traduit ici de manière assurément trop neutre par « se rendre ». La ville et le château ont été ruinés par « le ṣydm » (ṣydmn), terme qui est probablement à rattacher à la racine ṢDM, « frapper ». Il est possible que ce ṣydm, mentionné avec l’article déterminé, désigne « le choc » de la prise de Shabwat par les Sabéens, mais on ne saurait exclure un autre événement catastrophique
14. Ja 949 : Ydʿʾl Byn mlk Ḥḍrmt bn Rbs²ms¹ bn ʾḥrr Yhbʾr ḏ-s¹qlb w-ḫrr hgrhn S²bwt (2) w-brʾ bytn S²qr ṣll b-gndln mt ṯbrw bn ṣydm n w-hrgw ḫms¹ w-s²lṯy bqr m (3) w-ṯty w-ṯmnhy ḥwrw w-ḫms¹t w-ʿs²ry ṣby m w-ṯmnwt ʾfhd b-gndl n ʾnwd m. 15. YMN 12 et 10 (figures 2, 3 et 4). Pour YMN 12, la transcription donnée par DASI est fautive : (1) Nbṭʿm Zʾd n bn Mʿhr bn (ḏ)-(Ḫw)l n w-Ḏr= (2) ft brʾ w-hs²qr byt-hw S²bʿ n ʾ(w)k(n) L’auteur de cette transcription n’explique pas que le texte initial était : (1) Nbṭʿm Zʾd n bn [….] bn [Ḫbz]n w-Ḏr= (2) ft brʾ w-hs²qr byt-hw S²bʿn ʾwkn et qu’il a été surchargé ensuite quand le maître du palais est devenu prince de Radmān : (1) Nbṭʿm Zʾd n bn Mʿhr w-ḏ-Ḫwl n brʾ w-hs²qr byt-hw S²bʿ n ʾwkn. Le symbole signale des lettres qui n’ont pas été effacées, mais n’appartiennent pas à la formulation habituelle de la titulature. Ce sont donc des lettres qui doivent être omises à la lecture.
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comme un incendie ou un tremblement de terre. La base de données DASI rend de manière bien peu convaincante mt ṯbrw bn ṣydmn par « when they slaughtered with the hunt ». Ce qui est à retenir de ce texte, c’est que le roi (re)construit le palais royal du Ḥaḍramawt et fait revivre la ville de Shabwat à la suite d’un cataclysme, qui peut être la prise de la ville par les Sabéens. Le seul texte qui mentionne explicitement la reconstruction d’une ville est ḥimyarite ; il ne concerne qu’une bourgade mineure, ʿAbadān, aujourd’hui Niṣāb, qui n’est pas même la résidence d’un lignage de princes. [Ils ont] achevé en outre (des travaux) dans leurs palais et leurs terres alors qu’ils reconstruisaient leur ville ʿAbadān, après que le Ḥaḍramawt l’eut incendiée.16
Cet extrait fort laconique se trouve dans le texte fondateur de la principauté yazʾanide du Ḥaḍramawt, rédigé au mois de juillet 36017, qui rapporte douze campagnes effectuées par trois générations de princes,
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Figure 2 - Le palais Shabʿān (Awkan) de Qāniʾatum (aujourd’hui Qāniya). Deux inscriptions commémorent sa construction (les assises sont indiquées par des flèches). La première (YMN 12, voir figure 3) qui est incisée sur un bloc de couleur plus sombre, parce que la surface patinée n’a pas été enlevée, date du ier siècle de l’ère chrétienne. La seconde (YMN 10, voir figure 4), dont la partie gauche se devine sur le bloc à l’extrême droite de l’assise supérieure (flèche du haut), date du début du iiie siècle. Photographie Mission archéologique française en République arabe du Yémen.
16. ʿAbadān 1/32 : [w-w]zʾw hqḥ b-ʾbt-hmw w-ʾrḍ-hmw k-ṯwbw hgr-hmw ʿbd n bʿdn k-dhr-hw Ḥḍrmt. 17. « Au mois du dhu-madhraʾā[n] de l’année quatre cent soixante-dix de (44) l’ère de Ybḥḍ {sic, au lieu de Mahḥūḍ} ibn Abḥaḍ. »
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Figure 3 - Qāniya : l’inscription YMN 12 qui date du ier siècle de l’ère chrétienne. Le nom de lignage du commanditaire, bn [….] bn [Ḫbz] n w-Ḏr(2)ft, a été corrigé en bn Mʿhr w-ḏ-Ḫwln. Mais le texte qu’on voit aujourd’hui sur la pierre se lit bn Mʿhr bn w-(ḏ)-(Ḫw)ln w-Ḏr(2)ft parce que le lapicide a préféré ne pas effacer les deux mots bn et w-Ḏr(2)ft (sans doute pour des raisons esthétiques). Photographie Mission archéologique française en République arabe du Yémen.
Figure 4 - Qāniya : l’inscription YMN 10 qui date du début du iiie siècle. Photographie Mission archéologique française en République arabe du Yémen.
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puis, après cette incise, énumère une longue série de constructions, d’aménagements et d’opérations mémorables. Cette destruction de la ville de ʿAbadān par le Ḥaḍramawt s’explique probablement par la trahison des Yazʾanides qui avaient pris le parti de Ḥimyar contre le Ḥaḍramawt, à la fin du iiie siècle ou au début du ive. La résidence de ces princes yazʾanides était le port de Qanīʾ, assurément au vie siècle et probablement aux ive et ve siècles. Un autre texte ḥimyarite, qui commémore la reconstruction de la citadelle (ʿurr) Taʿriman sur la frontière entre Sabaʾ et Ḥimyar vers 230, doit être répertorié ici parce que cette citadelle détruite par les Sabéens est aussi qualifiée de « ville » dans d’autres inscriptions : Sharaḥʿathat Yuʾmin ibn Dharāniḥ, maîtres du palais Aḥram, princes de la commune Dhamrā frac(2)tion de Qashmum, a édifié, posé les fondations, construit, achevé et rétabli leur citadelle (ʿr) (3) Taʿriman, avec toutes ses habitations, ses tours, son enceinte et ses deux citernes, a(4)près que l’eut incendiée et détruite Ilīsharaḥ Yaḥḍub, roi de Sabaʾ, alors qu’étaient en guerre (5) les rois de Saba’ et (ceux) des banū dhu-Raydān, ainsi que leurs armées, avant ce jour. Ils achevèrent tout (6) le gros œuvre en moins de deux mois quand il y eut des pourparlers ; ils la rétablirent avec l’aide de ʿAthtar Shāriqān,(7) de Wagl, de Sumūyadaʿ, de leurs deux divinités ʿAthtar ʿAzīzum dhu-Gʾwb m maître du temple de Ṭrr, et dhāt (8) Baʿdānum et de leurs divinités protectrices Raymān et Shamsum, avec l’aide de leur seigneur Shammar Yuhaḥmid,(9) roi de Sabaʾ et de dhu-Raydān et avec l’aide et les moyens de leur tribu Dhamrā, fractions de Qashamum. (Ir 40, figure 5)18
Figure 5 - L’inscription Ir 40 qui commémore la reconstruction de la citadelle Taʿriman à Bayt Ḍabʿān vers 230-235 de l’ère chrétienne. Photographie Christian Julien Robin. 18. Ir 40 : S²rḥʿṯt Yʾm(n) bn Ḏrnḥ ʾbʿl byt n ʾḥrm ʾqwl s²ʿb n Ḏmr ʾ=(2) symbole rbʿw Qs²m m brʾ w-hwṯr w-hqs²bn w-hs²qrn w-ṯwbn mṣnʿt-h= monogramme (3) symbole mw Tʿrmn kl ʾbyt-hw w-mḥfdt-hw w-gnʾ-hw w-kryfy-hw b= monogramme (4) ʿdn ḏt dhr-hw w-ḫdʿn ʾls²rḥ Yḥḍb mlk S¹bʾ b-ywm kwn ḍr m by(5)nht ʾmlk S¹bʾ w-bny ḏ-Ryd n w-ʾḫms¹-hmy b-qdmy ḏn ywm( n) w-hs²qrw kl (6) nkl-hw b-qbl ṯny wrḫyn b-ywm kwn mḥkm w-ṯwb-hw b-rdʾ ʿṯtr-S²rq n (7) w-Wgl w-S¹mydʿ w-ʾlyhmw ʿṯtr-ʿzz m ḏ-Gʾwbm bʿl mḥrmn Ṭrr w-ḏ(8)t Bʿdnm w-mnḍḥy-hmw Rymn w-S²ms¹ m w-b-rdʾ mrʾ-hmw S²mr Yhḥmd (9) mlk S¹bʾ w-ḏ-Ryd n w-b-rdʾ w-ʾḫyl s²ʿb-hmw Ḏmr ʾrbʿw Qs²mm rosace.
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La prise et (implicitement) la destruction de Taʿriman par les Sabéens sont rapportées également par un texte sabéen : {les rois} investirent la ville de Taʿriman ; Almaqah leur accorda de se rendre maîtres de cette ville Taʿriman ; ils y remportèrent le combat,(7) capturèrent tous (ses) enfants et ses femmes et s’emparèrent de tous ses habitants.19
Taʿriman, dans ce dernier texte, est qualifiée de « ville » (hagar) et non plus de « citadelle », ce qui illustre la « fluidité » des catégories sudarabiques. Cette « fluidité » se comprend d’autant mieux que Taʿriman est une citadelle qui compte des « habitations » (ʾbyt) comme l’indique l’inscription Ir 40/3. Quoi qu’il en soit, Taʿriman n’est pas une « ville » au sens propre. C’est une citadelle frontalière qui accueille une garnison. Le nom Taʿriman, qui peut être rapproché du substantif ʿrm, « digue », signifie selon toute vraisemblance « Qu’elle fasse barrage »20. Certaines inscriptions commémorent, toujours à la suite d’une guerre, la reconstruction non pas d’une ville, mais d’un simple aménagement comme un puits : Wahabʾīl Yaḥuzz b. Maʿāhir et dhu-Khawlān, prince de Radmān et Khawlān, fils de ʿAmmīyadaʿ Yuhaḥmid, b. Maʿāhir et dhu-Khawlān, a construit et remis en état son puits tī-Shaʿabum dans sa vallée Sāriʿum, dans le district de la ville de Waʿlān, à la suite de la guerre, en l’an 72 {146-147 de l’ère chrétienne}.21
La portée pratique et symbolique de ces textes est évidemment bien moindre. C’est pourquoi il n’est guère utile d’en faire ici un inventaire exhaustif. Parfois, on peut faire l’hypothèse qu’une ville a été détruite et reconstruite quand un texte commémore la construction (en fait la reconstruction) de l’enceinte. Une inscription de Ẓafār, la capitale de Ḥimyar, commémore ainsi l’édification d’importants dispositifs de défense en 237-238 (ẒM 2263 + 2262 + 2264). Le nom du commanditaire qui a disparu est très probablement le roi de Ḥimyar. On peut supposer que ces travaux soient en réalité une reconstruction de l’enceinte parce que Ẓafār a été prise et occupée quelques années plus tôt par les Abyssins, comme le rapporte l’inscription Ja 631/18-36. La construction de l’enceinte de Hakir par les rois ḥimyarites Yāsirum Yuhanʿim et Shammar Yuharʿish, en juin 286 (CIH 448 + Hakir 1) peut être mise en relation avec une autre campagne des Abyssins qui assiègent Ẓafār vers 260 (al-Miʿsāl 3/9). Hakir qui est une ville voisine de Ẓafār, n’est pas une ville royale, mais le chef-lieu de la commune Maytamum . Il est donc remarquable que ce soit les rois qui interviennent. Mais l’écart chronologique de près de 25 ans entre une possible destruction et la reconstruction ne permet pas de relier assurément les deux événements. On peut encore mentionner l’enceinte de dhu-Ghaylum, dernière capitale de Qatabān, qui est « construite » (c’est-à-dire reconstruite) par le roi du Ḥaḍramawt qui vient de s’emparer de la ville (Ja 2888). Il est vraisemblable que bien d’autres constructions de dispositifs défensifs soient de même des reconstructions après un démantèlement. Je me limiterai à un dernier exemple qui concerne la ville minéenne de Yathill (aujourd’hui Barāqish) : {Les auteurs} ont dédié à ʿAthtar dhu-Qabḍ, à Waddum, à Nakraḥ et à ʿAthtar dhu-Yuharīq toute la construction et l’élévation de la courtine Taʿrim dans l’enceinte de Yathill. Le clan Ḍamrān a confié (3) aux divinités de Ma ʿīn et de Yathill leurs personnes physiques, leurs âmes, leurs biens, leur dédicace et leurs inscriptions contre quiconque
19. Ja 576 + 577/4-7 : … w-nḥbw hgr n Tʿrmn w-ḫmr-hmw ʾlmqh hbʿln hyt hgr n Tʿrmn w-ylfyw b-hw mhrgt m w-(7) ys¹byw kl ʾwld w-ʾnṯ-hw w-ymtlyw kl ʾbʿl-hw. 20. La destruction de Taʿriman par le roi de Sabaʾ est un fait d’arme qui a fait date puisqu’on en a la mention dans une seconde inscription sabéenne, CIH 155, dans laquelle Taʿriman est appelée « forteresse » (mṣnʿtn ḏ-Tʿrmn). 21. MAFRAY-Sāriʿ 6 : (Wh)bʾl Yḥz bn Mʿ(h)r w-(ḏ-Ḫ)w(l) n q(y)l Rdmn (2) w-Ḫwl n bn ʿmydʿ Yhḥmd bn Mʿhr w-ḏ-Ḫwl n (3) brʾ w-hgbʾ bʾr-hw t-S²ʿbm b-s¹r-hw S¹r(4)ʿm b-bḍʿ hgrn Wʿl n ʾṯrn ḍrn b-ḫrf n (5) ḏ-l-ṯny w-s¹bʿhy ḫryftm.
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leur voudrait du mal et s’attaquerait à eux, aux jours de leur seigneur Waqihʾīl Yathaʿ et de son fils Illyafaʿ Yashūr (4) rois de Maʿīn, avec son seigneur Shahr Yagill Yuhargib roi de Qatabān.22
La date de ce texte a été longuement débattue parce que la chronologie minéenne manque d’ancrages en chronologie absolue. Mais il semble désormais assuré que Shahr Yagill Yuhargib roi de Qatabān a régné au début du ier siècle de l’ère chrétienne, approximativement de 1 à 25. Nous aurions donc ici la « construction » d’un élément de l’enceinte de la ville qui pourrait être une reconstruction après que les Romains ont occupé Yathill, lors de l’expédition d’Ælius Gallus vers 25 avant l’ère chrétienne. Le nom de la courtine reconstruite, « Taʿrim », peut être rapproché de celui de la citadelle Taʿriman déjà évoquée. Au total, il est manifeste que la reconstruction d’une ville n’est évoquée que de façon très exceptionnelle par le commanditaire d’une inscription, comme si mentionner une reconstruction pouvait ranimer les puissances malveillantes qui avaient provoqué la destruction. Ce constat est d’autant plus significatif que les mentions de villes sont innombrables dans toutes sortes de contextes. L’acte de rétablir une ville, concrètement ou symboliquement, n’était pas considéré comme une opération valorisante par les détenteurs du pouvoir. On peut faire le même constat si on s’interroge non pas sur la reconstruction de la ville, mais sur sa fondation. Ce n’est pas une action dont un commanditaire d’inscription se glorifie. Il y a cependant une exception manifeste : un texte commémore toute une série d’opérations qui ressemblent fort à des fondations de villes destinées à mailler et à contrôler de vastes territoires récemment conquis. Ce texte appartient à la seconde des deux grandes inscriptions fondatrices du royaume de Sabaʾ, qui étaient exposées dans le temple Awʿalān de Ṣirwaḥ. Ces deux inscriptions qui dressent un bilan impersonnel des règnes des mukarrib23 Yakrubmalik Watār (Ṣirwāḥ 1) et Karibʾīl Watār (Ṣirwāḥ 2), déjà citées à propos des destructions de villes, ont été composées après la disparition de ces souverains, vers 700 avant l’ère chrétienne pour la première et 675 pour la seconde24. L’inscription de Karibʾīl se compose de deux parties, gravées séparément, qui présentent l’une et l’autre quelques lacunes. La première partie (Ṣirwāḥ 2–RES 3945) commémore huit campagnes militaires victorieuses ; la seconde (Ṣirwāḥ 2–RES 3946, figure 6) énumère une série d’aménagements et d’acquisitions. C’est au début de la seconde que le mukarrib évoque sa politique urbaine : Voici les cités et les territoires que Karibʾīl Watār fils de Dhamarʿalī mukarrib de Sabaʾ pourvut d’une enceinte et affecta à Almaqah et à Sabaʾ quand il con[stitua une vaste communauté de tribus avec un dieu et un patron et avec un pacte et une alliance ; (quand) il pourvut d’une enceinte] Kutālum, Yathill, Wanab, Radāʿ, Wqbm, ʾww m, Yaʿāratum, (Ḥ)nḏf m, Nʿwt dhāt Fdd m, Ḥḍrʾb et Tms¹ m ; (quand) il pourvut d’une enceinte Tln n, Ṣnwt, Ṣ[lacune de 15 signes](2)d m ; (quand) il pourvut d’une enceinte Radāʿ et Mayfaʿ dans Ḫbʾ m ; (quand) il pourvut d’une enceinte Mḥrṯ m et les deux périmètres irrigués des deux villes de dhu-Tamnaʿ ; (quand) il pourvut d’une enceinte Waʿlān, Mwṯbt m, Kadūr – alors qu’il avait établi les Descendants de ʿAmm dans leurs cités – parce qu’ils avaient pris pour frères Almaqah, Karibʾīl [et Sabaʾ]. (figure 6)25
22. RES 2999 = M 222 : … s³lʾ ʿṯtr ḏ-Qbḍ w-Wd m w-Nkrḥ w-ʿṯtr ḏ-Yhrq kl mbny w-tẓwr ṣḥft n Tʿrm b-gnʾ Yṯl w-rṯd (3) ʾhl Ḍmr n ʾlʾlt Mʿn w-Yṯl ʾʾḏn-s¹m w-ʾnfs¹-s¹m w-ʾqny-s¹m w-s³lʾ-s¹m w-ʾs¹ṭr-s¹m bn ḏ-ys¹nkr-s¹m w-s¹f ʾy-s¹m b-ywm mrʾs¹m Wqhʾl Yṯʿ w-bn-s¹ ʾlyfʿ Ys²r (4) mlky Mʿn w-b mrʾ-s¹ S²hr Ygl Yhrgb mlk Qtbn. 23. Le mukarrib est un souverain d’un rang supérieur à celui des rois ; mais on ignore la nature précise de ses attributions. 24. neBes 2016. Ces dates sont fondées sur l’analyse des textes. Cependant, celle de la graphie implique que l’inscription Ṣirwāḥ 1 a été gravée postérieurement à Ṣirwāḥ 2. Une explication pourrait être que Ṣirwāḥ 1 est la copie d’un texte original endommagé ou ne répondant plus aux exigences esthétiques définies par Karibʾīl Watār. 25. Ṣirwāḥ 2–RES 3946 : ʾlt ʾhgr m w-ʾbḍʿ m gnʾ w-hfṭn Krbʾl Wtr bn Ḏmrʿly mkrb S¹bʾ l-ʾlmqh w-l S¹bʾ ywm h[wṣt kl gw m ḏ-ʾl m w-s²ymm w-ḏ-ḥbl m w-ḥmr m w-gnʾ] Kt(l) m w-(Y)ṯl w-Wnb w-Rdʿ w-Wqbm w-(ʾ)ww m w-Yʿrt m w-(Ḥ)nḏf m w-Nʿwt ḏt
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Figure 6 - L’inscription Ṣirwāḥ 2–RES 3946 dans laquelle le mukarrib Karibʾīl Watār fils de Dhamarʿalī commémore l’édification d’une enceinte dans plusieurs séries de villes, entre 700 et 675 environ avant l’ère chrétienne. Photographie Christian Julien Robin (prise en 1975).
Tous les noms propres identifiés dans les cinq énumérations sont ceux de villes. Le verbe qui renseigne sur l’action du roi est ganaʾa. Il se trouve dans la phrase d’introduction et au début de quatre des cinq listes ; et il est assuré qu’il faut le restituer dans la lacune au début de la première liste. Le sens concret du verbe ganaʾa est « édifier une enceinte, clôturer » ; ici, il est manifeste que l’action de clôturer implique l’appropriation puisqu’elle est suivie par l’affectation à Almaqah et à Sabaʾ. Le fait que le mukarrib donne cinq listes de villes régies par le verbe ganaʾa signifie probablement qu’il y a eu cinq phases de réorganisation et d’aménagements26. L’ambitieuse politique urbaine commémorée par la grande inscription de Karibʾīl est unique dans l’histoire du Yémen. Elle peut être interprétée comme une action novatrice pour renforcer la cohésion d’un ensemble politique encore récent et fragile, ainsi que le font souvent les grands conquérants, tels Alexandre ou les premiers musulmans. Mais une lecture un peu différente est également possible : Karibʾīl,
Fdd m w-(Ḥ)ḍrʾb w-Tms¹ m w-gnʾ Tlnn w-Ṣnwt w-Ṣ[lacune de 15 signes](2)d m w-gnʾ Rdʿ w-Myfʿ b-Ḫbʾ m w-gnʾ Mḥrṯ m w-ḏhby hgry ḏ-Tmnʿ w-gnʾ Wʿln w-Mwṯbt m w-Kdr w-hṯb wld ʿm ʿd ʾhgr-hmw b-ḏt ʾḫww ʾlmqh w-Krbʾl [w-S¹bʾ]. 26. Une seule des enceintes mentionnées par Karibʾīl subsiste aujourd’hui, celle de la ville de Kutālum (aujourd’hui Kharībat Saʿūd), qui est intégralement conservée. C’est suffisant pour prouver que les actions dont le mukarrib s’enorgueillit correspondent à de véritables constructions.
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contemporain du roi assyrien Sennacherib (705-681), édifie un système politique dont l’Assyrie est manifestement le modèle comme le suggèrent divers indices tels que l’idéologie royale sabéenne, la structure littéraire des deux grandes inscriptions de Ṣirwāḥ ou les multiples emprunts iconographiques. Il pourrait donc y avoir une part de posture et de mise en scène dans les prétentions de Karibʾīl. Quoi qu’il en soit, le lieu de fondation d’une ville est d’ordinaire un territoire étranger que l’on s’approprie. La fondation est donc d’une nature assez différente de la reconstruction. On ne sera donc pas surpris de constater que, en dehors du texte de Karibʾīl, les deux seules fondations de ville en Arabie soient la conséquence immédiate d’une conquête. Quand le royaume du Ḥaḍramawt prend pied dans le Pays de Saʾkalān (aujourd’hui le Ẓafār ʿumanais), des agents royaux sont chargés d’aménager une nouvelle ville, qui s’appelle Samārum : Asadum Thalʿān fils de Qawmum, serviteur de Ilīʿazz Yalūṭ roi de Ḥa(2)ramawt, originaire de la ville de Shabwat, a été en charge de la vil(3)le de Samārum, ses pierres-jarūb27, ses pierres-nihmat28 et ses pierres-hyʿ (?)29 depuis les fon(4)dations jusqu’au sommet, ainsi que de la construction et des éléments de son s¹y, sous l’autorité (5) et le gouvernement de son seigneur Abīyathaʿ Salḥīn fils de Dhamarʿalī (6) chef de l’armée du Ḥaḍramawt dans le Pays de Saʾkalān.30
Cette fondation, qui date apparemment du ier siècle avant l’ère chrétienne, avait pour finalité de contrôler un vaste territoire et d’organiser l’exploitation des encensiers (arbres produisant l’oliban ou encens)31. La seconde fondation est attribuée aux Perses sāsānides. Elle est mentionnée dans l’histoire universelle que le savant persan Muḥammad b. Jarīr al-Ṭabarī (mort en 923) composa en arabe à la fin du ixe siècle et au début du xe : selon al-Ṭabarī, le premier souverain sāsānide, Ardashīr Ier (224-242), aurait fondé huit villes, notamment une au Baḥrayn (Arabie orientale), appelée « Fasā/Pasā Ardashīr qui est la ville d’alKhaṭṭ »32. Le nom persan que donne al-Ṭabarī est corrompu. En se fondant sur les graphies arabe, syriaque et arménienne, le savant allemand Josef Marquart a proposé de restituer *Panyādh Ardashīr. al-Khaṭṭ est le port de la grande oasis de Hajar (aujourd’hui al-ʿUqayr et al-Hufūf).
la CoMMune (ou la triBu) plutôt que la ville Bien peu d’inscriptions, comme nous venons de le voir, mentionnent la reconstruction d’une ville, après une destruction violente. Ce silence de notre documentation peut être fortuit. Les inscriptions sont muettes sur de nombreuses questions comme les finances, l’armée royale ou le déroulement des rites religieux ; et aucune ne commémore la construction d’un palais royal ou princier. Jacques Ryckmans expliquait ces vides de la documentation par l’« inertie » des textes épigraphiques, qui ne traitent que
27. Les pierres jarūb sont les gros blocs calcaires soigneusement taillés et polis (et non les « rough-hewn stones » de la base de données DASI et du Dictionnaire sabéen) : voir roBin à paraître b. 28. Les pierres nihmat sont probablement les pierres décoratives. 29. Il est plausible que hyʿ désigne également un matériau. 30. Khor Rori 1 = KR 2 : ʾs¹dm Ṯlʿn bn Qwmm ʿbd ʾlʿḏ Ylṭ mlk (Ḥ)(2)ḍrmt bn ḥwr hgrhn S²bwt qtdm hgr(3)hn S¹mrm grbt-(ṯ w)nhmt-ṯ (w)-hyʿ-ṯ bn r(4)bbm ʾd s²qrm (w)-mbrʾ w-ʾgs¹m s¹y-ṯ b-mwṣt (5) (w)-tḥrg mrʾ-s¹ ʾbyṯʿ S¹l(ḥ)n bn Ḏmrʿl(y) (6) qdm gys² Ḥḍrmt b-(ʾr)ḍ S¹ʾk(l)(n). 31. Voir aussi Khor Rori 2 = KR 3 ; Khor Rori 3 = KR 4 ; et Khor Rori 4 = KR 5 (qui mentionne le peuplement de la ville : « quand il édifia et peupla la ville de Samârum dans (6) le Pays de Saʾakalân », mt (b)ny w-hgr S¹mhrm b-(6) ʾrḍ S¹ʾklhn). 32. al-Ṭabarī, Taʾrīkh al-rusul wa-ʾl-mulūk, vol. 1, p. 820 (wa-bi-ʾl-Baḥrayn Fasā Ardashīr wa-hiya madīnat al-Khaṭṭ) ; traduction nölDeKe, p. 20 et n. 3 ; traduction BosWorth, p. 16 et n. 64.
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d’un éventail très limité de questions33. On peut avancer cependant une autre explication qui me paraît plus déterminante : la ville n’est pas la référence majeure quand il s’agit de l’organisation des pouvoirs ou de celle du territoire sauf, dans une certaine mesure, à haute époque, dans les oasis en bordure du désert (entre Maʾrib et Najrān). Pour le vérifier, il suffit d’examiner la place des villes dans les invocations et, parmi les titres et fonctions, ceux qui sont exercés au niveau de la ville. Dans les invocations aux puissances surnaturelles et terrestres, qui terminent les inscriptions, on trouve l’énumération des divinités vénérées collectivement dans lesquelles le groupe social se reconnaît, la mention du seigneur local et celle de la commune (shaʿab). Le nom des villes n’apparaît pas dans ces invocations qui ne mentionnent que des personnes (divines ou humaines) ou des groupes sociaux. Il n’y a qu’une seule exception, apparemment peu significative. Avant d’examiner cette exception, il faut préciser que les Sudarabiques distinguaient de façon très claire les catégories de noms propres que sont les communes (un groupe social de dimension plus ou moins grande) et les villes (fondamentalement un lieu). Il existait cependant une zone qui faisait exception, en bordure du désert, entre Maʾrib et Najrān, où les villes et les communes portaient fréquemment le même nom, comme l’illustrent Nagrān, Nashshān, Kaminahū, Haram et Ṣirwāḥ, qualifiés dans certains contextes de « ville » (hagar) et dans d’autres de « commune » (shaʿab). Par ailleurs, il faut noter que les communes les plus petites portent parfois un nom qui est celui d’une ville, précédé par le pronom dhu-, « celui de, ceux de ». Par exemple, dans le royaume de Sabaʾ, la « commune » (shaʿab) qui regroupe les citoyens de la « ville » (hagar) de Nāʿitum s’appelle dhu-Nāʿiṭum (= « ceux de Nāʿiṭum »)34. Pour le royaume de Qatabān, on peut citer la commune dhu-Maryamatum qui regroupe les citoyens de la ville de Maryamatum. Dans le royaume de Maʿīn, la commune de la ville de Yathill est appelée dhu-Yathill. Dans ces trois exemples, la ville et la commune portent bien un nom qui est différent, même si on pourrait croire, après un examen superficiel, que c’est le même. J’en reviens à la ville qui serait mentionnée dans les invocations. Il s’agit de Kutālum (dans le wādī Raghwān au nord-ouest de Maʾrib) dont le nom figure dans des inscriptions remontant aux origines de la Sudarabie. En voici une illustration : (Untel) a offert à dhāt Ḥimyam {déesse} Yaʾwasʾīl {Le dédicant fait l’offrande d’une personne, un individu de sexe masculin qui s’appelle Yaʾawsʾīl} ; avec ʿAthtar {dieu}, avec Almaqah {dieu}, avec dhāt Ḥimyam {déesse}, avec dhāt Baʿdān {déesse}, avec Samiʿ {dieu}, avec Yadaʿʾīl {souverain sabéen}, avec Yathaʿʾamar {souverain sabéen} et avec Kutālum.35
Jusqu’à présent, Kutālum n’était attesté que comme nom de ville (hagar). Mais il est possible que ce soit aussi un nom de commune (shaʿab), même si aucun texte ne le prouve explicitement. Kutālum se trouve effectivement dans la zone entre Maʾrib et Najrān où les villes et les communes portent fréquemment le même nom. Je ne m’attarde pas sur les noms de Kaminahū et de Haram qu’on trouve dans les invocations, puisque ce sont des communes tout autant que des villes. Une seconde approche pour évaluer le rôle institutionnel de la ville est de rechercher les organismes et les fonctions spécifiques. Le principal organisme est le conseil de ville. Pour ne pas allonger excessivement
33. ryCKMans 1974. 34. Nous avons déjà signalé que le terme hagar désigne des bourgades de toutes dimensions. Il en va de même pour le terme shaʿab. La commune dhu-Nāʿiṭum appartient à une commune plus grande qui s’appelle Ḥāshidum (s²ʿbn Ḥs²dm) qui se rattache elle-même à la commune Samʿī (s²ʿbn S¹mʿy), vaste ensemble communal dépendant du royaume de Sabaʾ. 35. CIH 493 : … hqny ḏ(3)t Ḥmym Yʾws¹ʾl (4) b-ʿṯtr w-b ʾlm(5)(qh) w-b ḏt Ḥmy(6)m w-b ḏt Bʿdn (7) w-b S¹mʿ w-b Ydʿ(8)ʾl w-b Yṯʿʾmr (9) w-b Ktl m.
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cette étude, je vais me limiter à observer que ce conseil peut être appelé maśwad (ms³wd). Un tel conseil est attesté à ʿArāratum et à Kutālum dans le wādī Raghwān36, à Ṣirwāḥ37 et à Yathill38. Il semblerait que les « Six » de Ṣirwāh et les « Douze » de Yathill soient d’autres désignations des maśwad de Ṣirwāḥ39 et de Yathill40. Si c’était exact, les « Douze » de Kaminahū41 et les « Huit » de Haram42 révéleraient également l’existence d’un maśwad dans ces deux villes. Toutes les villes qui viennent d’être citées se trouvent sur la frange du désert, entre Maʾrib et Najrān. Quant aux inscriptions qui mentionnent leur maśwad, elles sont systématiquement antérieures au début de l’ère chrétienne. Il faut noter également que les inscriptions révèlent qu’il existait aussi des maśwad de commune, notamment à Maʿīn, à Awsān et peut-être à Samʿī43. De ce fait, il est difficile de dire si les conseils de Ṣirwāḥ, de Kaminahū et de Haram se rapportent à la commune ou à la ville. Mais il reste au moins deux conseils qui sont assurément propres à une ville, ceux de ʿArāratum et de Yathill. Le titre le plus significatif porté par des personnes, en rapport avec la ville, est celui de « principal » (kabīr) qui désigne apparemment le représentant du souverain. On relève ainsi l’existence de « principaux » de Kutālum, Ṣirwāḥ, Tamnaʿ et Yathill. On retrouve les mêmes villes et villes/communes en bordure du désert, auxquelles s’ajoute Tamnaʿ, la capitale de Qatabān, également dans les Basses-Terres. Toutes les mentions sont antérieures au début de l’ère chrétienne. Deux au moins des noms de cette liste, Tamnaʿ et Yathill, sont assurément des villes et non des communes. De nombreux personnages se présentent comme l’« administrateur » (qayn) d’une divinité, d’un souverain, d’un temple44, d’une commune ou d’une ville. Dans deux cas, Maryab45 et Raybūn46, il s’agit assurément d’une ville ; dans deux autres, Haramum47 et Kaminahū48, le nom qui détermine qayn peutêtre celui d’une ville ou d’une commune. Par ailleurs, quelques textes mentionnent collectivement les « administrateurs » (ʾqyn) d’une ville ou d’une ville/commune : ceux de la ville Shibām-Kawkabān, à 30 kilomètres au nord-ouest de Ṣanʿāʾ49 et ceux de la ville-commune de Ṣirwāḥ50.
36. Voir RES 4907/6-8 pour ʿArarātum : b-ftḥ m(7)s³wd ʿrrt(8)m. Dans YM 18352/7-9, on a apparemment la mention d’un conseil commun à deux villes, le « conseil de ʿArarātum et Kutālum » (ms³ (8)wd ʿrrtm w-Ktl (9)m). 37. RES 3951/2, 3, 4, 5 : ms³wd Ṣrwḥ w-s²ʿbn Ṣrwḥ. 38. MAFRAY Ḥuṣn Āl Ṣāliḥ 1/1 et Y.90.DA 2/1 : ms³wd Yṯl. 39. Gl 1533/2 (Ṣirwāḥ) : ʾly s¹t ʾqyn Ṣrwḥ. 40. M 242 = RES 3017 bis = B-Mur 267/1 (Barāqish) : S¹ʿd(ʾl) bn W(d)d(ʾ)l ḏ-ṯny ʿs²r w-ḏ-q(hl)t ʿṯtr ḏ-Y(h)r[q]. 41. Kamna 26/14 : b-ftḥ Nb(13)ṭʿly Ḏrḥn bn Ys²hr(14)mlk w-ʾhl ṯny ʿs²rn. 42. Haram 8 = CIH 546/1 : tnḫyt tnḫyw ṯmnytn w-ʾbʿl (2) s¹yr w-mfr hgrn Hrmm. 43. Voir les énigmatiques « Cent » dans RES 4176/12 : mrʾ ʾrbbw S¹mʿy w-mʾtn. 44. DAI Barʾān 1990-1 : ʿmʾmr kbr qyn Brʾm w-ʾqyn (2) Brʾm b-klyt-hmw b-tḥty ʾlmqh b-Brʾ m. 45. Ja 555/3 : w-ywm tʾbh-hw qyn Mryb ; MAFRAY al-Balaq al-Janūbī 1/2 : Mrfdm bn ʿms¹mʿ bn (2) ʾqyn Mryb ḏ-Ṭs¹s¹ m qyn (3) Ydʿʾl Ynf. 46. Rb XIV/90 no 253 : ʿlhmw q#yn Ryb(n)# (bn)[… …]. 47. Voir par exemple Haram 12 = RES 2743/5-6 : qyn Yḏmrml (5)k w-Bʿṯtr w-Hr(6)mm. 48. Ṣanʿāʾ MM 3630 : qyn Nbṭʿly w-Kmnhw. 49. CIH 131/2 et 3 : ʾqyn S²bm ; il s’agit d’un décret du « principal des administrateurs » (kn hṯ[b ]w-h[ḥr ʿms²f]q kb[r] ʾqynm w-[… …], l. 1). Shibām est bien une ville parce que la commune des habitants s’appelle dhu-Shibām (ḏ-S²bm). 50. Gl 1533/2 (s¹t ʾqyn Ṣrwḥ), 4 (ʾqyn Ṣrwḥ), 11 (ʾqyn Ṣrwḥ). Voir aussi DAI Ṣirwāḥ 2002-103/1-2 : [… …](n Ṣ)rwḥ bn ʾbʿmr w-ʾqyn (Ṣ)[r](2)[w]ḥ.
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La fonction de ʿāqib s’exerce dans des cadres divers51. Le ʿāqib peut être le représentant d’un souverain, avec autorité sur une commune ou sur un territoire ; dans ce cas, le terme peut être rendu par « gouverneur ». Il arrive qu’il soit au service d’un prince 52. Enfin, le ʿāqib peut être en charge d’un palais en tant que « majordome ». Dans un seul texte, le ʿāqib semble avoir autorité sur une ville : « Ṣayyādum Abrad, fils de Malshān, collecteur des taxes de dhu-Badash, gouverneur de Qanīʾ, a écrit sur le mont Mawiyat » 53. Le port de Qanīʾ, aujourd’hui Biʾr ʿAlī, à un peu moins de 400 kilomètres à l’est de ʿAdan, est effectivement qualifié d’ordinaire de « ville » (hajar) et de « port » (ḥayq). Mais un texte datant du début du vie siècle de l’ère chrétienne le nomme également dans une liste de communes54. Il semblerait donc que Qanīʾ ait le double statut de ville et de commune, comme les villes en bordure du désert, tout au moins à époque tardive. Le plus souvent, la ville est simplement le lieu où un « gouverneurs » (ʿqb) exerce sa fonction. C’est notamment le cas dans deux textes qui citent la ville Ṣaʿdatum, aujourd’hui Ṣaʿda. Le premier remonte au milieu du iiie siècle de l’ère chrétienne : en louange parce qu’Il (le dieu sabéen Almaqah) lui a accordé (3) de ramener son mari Ribābnasrum Awḥash ibn Bataʿ en bonne santé (4) [depuis] la ville de Ṣaʿdatum et le Pays de Khawlān Gudādum, quand lui avaient ordonné [leurs seigneurs (5) Ilī]sharaḥ Yaḥḍub et son frère Yaʾzil Bayān, rois de Sabaʾ [et (6) de dhu-Raydān,] fils de Fāriʿum Yanhub roi de Sabaʾ, de gouverner et d’administrer (7) la ville de Ṣaʿdatum et le Pays de Khawlān Gudādum.55
Le second date de la fin du même siècle ou du début du suivant : et en reconnaissance par(15)ce qu’il est revenu avec les honneurs de la ville de Saʿdat(16)um dans le pays de Khawlān quand lui a ordonné son sei(17) gneur Shammar Yuharʿish d’y être gouverneur (pendant) quarante (18) années.56
Najrān est également une ville dans laquelle on trouve un « gouverneur » (ʿqb), un peu avant le milieu du iiie siècle. Deux textes y mentionnent le « ʿāqib du négus dans la ville de Nagrān »57 et le « ʿāqib du roi de Sabaʾ à Nagrān »58. Il en va de même pour Nashqum, aujourd’hui al-Bayḍāʾ dans le Jawf, où un texte est commissionné au iie siècle de l’ère chrétienne par les « gouverneurs du roi dans la ville de Nashqum »59. Beaucoup plus tôt, au début du viie siècle avant l’ère chrétienne, l’auteur d’une inscription rapportait qu’« il avait été gouverneur à Nashshān {aujourd’hui al-Sawdāʾ dans le Jawf} pendant une année »60. Ces divers
51. roBin 2010, p. 53-56. 52. C’est apparemment ainsi qu’il faut comprendre Ir 71 : ʾlṯwb Ydḥq w-bn-hw ʾyfʿ Yrm ʾlht Fw(2)qmn w-Ḥfnm w-ʿqb ḏ-Hmd n w-kbr Gbr n. « ʿĀqib de dhu-Hamdān » signifie probablement ʿāqib du prince appelé dhu-Hamdān parce qu’il n’est guère concevable que le commanditaire de ce texte soit le gouverneur de la vaste commune dhu-Hamdān (constituée de Ḥāshidum plus Bakīlum). 53. ciH 728/1-2 : Ṣydm ʾbrd bn Mls²n mṣdʾ ḏ-Bds² ʿ(2)qb Qnʾ s¹tṭr b-ʿr h n Mwyt. Ce texte de Qanīʾ date du ve ou du vie siècle de l’ère chrétienne. 54. BR-Yanbuq 47 (Yanbuq, avril 515)/6 : s²ʿb-hmw S¹ybn w-Ḥḍrmwt w-Qnʾ w-ʾ (7)mr(ʿ n). 55. Ja 2109/2-7 : … ḥmd m b-ḏt ḫmr-(3)hw tʾwln ʾys¹-hw Rbbns¹r m ʾwḥs² bn Btʿ b-wfy m (4) [bn ]hgr n Ṣʿdtm w-ʾrḍ Ḫwl n Gdd m b-kn wqh-hw [mrʾ] (5)[y-hmw ʾl]s²rḥ Yḥḍb w-ʾḫy-hw Yʾzl Byn mlky S¹bʾ [w-] (6)[ḏ-Ryd n ]bny Frʿ m Ynhb mlk S¹bʾ l-ʿqb w-tnṣfn (7) hgr n Ṣʿdt m w-ʾrḍ Ḫwl n Gdd m. 56. Sharaf 31/14-18 : w-ḥmd m b-(15)ḏt ʾtw b-wfy m bn hgr n Ṣʿdt(16)m b-ʾrḍ Ḫwl n b-kn wqh-hw mrʾ-(17)hw S²mr Yhrʿs² l-ʿqb b-hw ʾrbʿy/(18) ḫryft m. 57. Ja 576 + 577/26 : ʿqb ngs²y n b-hgr n Ngr n. 58. al-Ukhdūd 35/2 : ʿ[qb] mlk S¹bʾ b-Ngrn. 59. Jawf 04.15/2-3 : ʾʿq(b)(3)t mlk n b-hgr n Ns²qm. 60. CIH 516/7-8 : w-ʿqb b-N(8)s²n ḫrf m ||
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exemples suggèrent qu’il n’existe pas – en règle générale – de « gouverneur » (ʿāqib) affecté à une ville, mais seulement des gouverneurs administrant une commune et résidant dans une ville. Enfin, il faut signaler quelques titres royaux qui s’écartent de la norme. D’ordinaire, ces titres ne se réfèrent pas à un lieu (ville ou territoire), mais à des groupes sociaux (communes ou ensembles de communes). À haute époque, cependant, quelques textes donnent à un roi le titre de « roi de Telle Ville ». Vers la fin du viiie siècle avant l’ère chrétienne, le mukarrib sabéen Yakrubmalik Watār donne au roi de Qatabān qu’il a vaincu et tué le titre de « roi de Tamnaʿ »61. Peu après, un roi de Kaminahū désigne les mukarrib sabéens par l’expression « les rois de Maryab »62. Quelques siècles plus tard, vers le iiie ou le iie siècle avant l’ère chrétienne, c’est le petit-fils d’un roi de Samʿī qui utilise cette même expression pour les rois de Saba’63. Il n’est guère douteux qu’il s’agit d’un procédé stylistique à finalité dépréciative. Incidemment, on notera que jamais les titres de prince (qayl), de « chef militaire » (wāziʿ) ou d’« officier » (mqtwy) ne concernent des villes ; les princes et les chefs militaires ont autorité sur des communes et les officiers sont attachés à des personnes. Dans l’ensemble, on ne connaît guère d’organismes propres à une ville et guère plus de personnages attachés au service d’une ville. Ceux que nous avons reconnus ne concernent guère que des villes situées sur la frange du désert ; les seules exceptions sont Shibām (aujourd’hui Shibām-Kawkabān) et Qanīʾ. On peut également observer que ces institutions, sauf exception, ne sont attestées qu’à époque ancienne. Le rôle très modeste de la ville dans le discours épigraphique s’explique sans doute par le fait que ce qui compte, ce sont d’une part les communes et d’autre part les lignages dirigeants, médiateurs nécessaires entre les hommes et le monde surnaturel. Dans les fondements de l’organisation sociale, les territoires et les lieux n’interviennent que secondairement. Deux pratiques rédactionnelles illustrent et confirment cette conclusion. Quand le rédacteur d’un texte se réfère à la population d’une ville, notamment dans la relation d’opérations militaires, il ne désigne jamais cette population par le nom de la ville, mais utilise la tournure les « citoyens » (abʿāl, littéralement les « maîtres ») de cette ville64. Par ailleurs, l’examen des adjectifs qui indiquent l’origine d’un individu (appelés nisba en arabe), assez fréquents dans l’identité des individus qui circulent loin de chez eux ou quand la population est mêlée, illustre la primauté de l’appartenance tribale : dans les inscriptions, presque toutes les nisba sont formées sur des noms de commune, tandis que rares sont celles qui dérivent de noms de ville65. Il était d’autant plus difficile pour un individu de se reconnaître dans sa ville que celle-ci était fréquemment habitée par des tribus antagonistes. C’est le yéménite al-Ḥasan al-Hamdānī (mort après 970) qui attire l’attention sur ce phénomène : dans sa Description de la péninsule Arabique, il consacre un paragraphe aux « noms des bourgades dont les habitants se divisent en deux groupes antagonistes ». Suit une liste qui comporte dix bourgades (ʿAdan, Laḥj, Abyan, Ṣanʿāʾ, Khaywān, Ṣaʿda, Wasaḥa, Bawṣān, Najrān et Maʾrib) et une région (al-Jawf) du Yémen, puis trois bourgades du sud de l’Arabie occidentale
61. Ṣirwāḥ 1 = DAI Ṣirwāḥ 2005-50 : w-qtl Nw(ʿ)m mlk Tmnʿ. 62. CIH 377 : ʾmlk Mryb. 63. CIH 37/7 : ʾmlk Mryb. 64. On trouve cette expression avec les villes de ʿAbadān, Marib, Miswaratayn (aujourd’hui al-Miswara, Nihm), Nashqum, Qaryatum (aujourd’hui Qaryat al-Faʾw), Shabwat, Shibām (Ḥaḍramawt), Shibāmum (Kawkabān), Ṣawʾarān, Ṣirwāḥ, Tarīm et Ukāniṭ (aujourd’hui Kāniṭ, Ḥāshid). 65. roBin 2003.
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(Jurash, Tarj et Makka)66. Comme ce phénomène n’a guère été relevé, il n’est pas inutile de lui accorder un peu d’attention. Après chaque nom de la liste, al-Hamdānī se contente d’indiquer le nom des deux groupes antagonistes. Pour Ṣaʿda (ville au nord du Yémen), par exemple, il rapporte que la population « se répartit entre Ukayl et Yarsum »67. Je reviendrai sur cette information. Pour deux villes cependant, il est un peu plus explicite, indiquant qu’il existe des règles s’appliquant aux émigrants qui s’établissent dans ces villes. Ces émigrants sont rattachés d’office à l’une des deux tribus antagonistes en fonction de leur origine. La finalité est évidemment de maintenir entre ces deux tribus un équilibre quantitatif approximatif qui est la meilleure garantie de la sécurité collective dans une société segmentaire. Pour Khaywān (bourg à mi-chemin entre Ṣanʿāʾ et Ṣaʿda), les deux tribus sont les Riḍwāniyyūn et les Muʿaydiyyūn. Les émigrants issus de Bakīl sont agrégés à la première et ceux issus de Ḥāshid à la seconde : {(la population de) la bourgade} se répartit entre les Riḍwāniyyūn et les gens d’Abū Muʿayd ; Bakīl se joint aux Riḍwāniyyūn et Ḥāshid aux Muʿaydiyyūn.68
Il faut savoir que Khaywān se trouve sur la frontière qui sépare Bakīl et Ḥāshid, les deux grandes confédérations du Yémen septentrional. Mais l’explication qu’al-Hamdanī donne ailleurs laisse perplexe : Khaywān : elle est partagée entre les gens de Muʿayd et entre les gens de dhū Riḍwān69 qui deviennent Bakīlites en étant alliés à Bakīl alors que leur origine est Ḥāshid.70
Heureusement, al-Hamdānī est plus clair quand il traite de Ṣanʿāʾ. Les Yéménites qui s’y installent sont intégrés dans la tribu locale (les banū Shihāb) tandis que les Arabes du Nord sont agrégés à la « tribu » des étrangers, celle que constituent les descendants des Perses sāsānides qui ont fait souche au Yémen, les Abnāʾ71 : {la ville} est partagée entre les Shihābiyyūn et les Abnāʾ ; ceux qui sont nizārites {= Arabes du Nord} s’y agrègent aux Abnāʾ ; quant aux gens du pays et ceux qui sont qaḥṭānites, ils s’agrègent aux banū Shihāb.72
Le souci de maintenir un certain équilibre entre les deux tribus d’une ville est encore éclairé par l’exemple de Ṣaʿda, chef-lieu de la tribu Khawlān, déjà évoqué. Dans le paragraphe des « noms des bourgades dont les habitants se divisent en deux groupes antagonistes », al-Hamdānī ne donne que le nom de ces deux tribus, Yarsum et Ukayl. Mais ailleurs, il entre dans le détail :
66. al-Hamdānī, Ṣifa, p. 124/18 – 125/4. 67. Ṣaʿda bayna Ukayl wa-Yarsum. La vocalisation « Yursam » retenue par l’éditeur, D. H. Müller (ainsi que par O. löfgren dans son édition d’Iklīl 1, Akwaʿ, p. 118/2), suppose une for me fact it ive qui ser ait ort hogr aphiée Yhrs¹m en sabaʾique. En fait la graphie sabaʾique est Yrs¹m. Il semble donc préférable de vocaliser Yarsum, comme M. alaKWaʿ dans Iklīl 2, p. 2/3 et 3/1. 68. Khaywān bayna al-Riḍwāniyyīn wa-Āl Abī Muʿayd wa-yadkhulu maʿa al-Riḍwāniyyīn Bakīl wa-maʿa ʾl-Muʿaydiyyīn Ḥāshid (al-Hamdānī, Ṣifa, p. 124/21-23). 69. Sic, dans la citation précédente Āl Abī Muʿayd. 70. Khaywān wa-hiya bayna Āl Muʿayd wa-bayna Āl dhī Raḍwān wa-yatabakkalūna wa-hum ḥalīf li-Bakīl wa-aṣlu-hum min Ḥāshid (al-Hamdānī, Ṣifa, p. 112/15-16). 71. Les Perses sāsānides ont occupé le Yémen des années 570 à 630 : voir zetterstéen & leWis 1960. Le terme Abnāʾ, qui signifie littéralement « les fils », a été utilisé dans divers contextes pour désigner des « immigrés de la seconde génération ». Le terme se trouve déjà dans une inscription sabéenne du iiie siècle de l’ère chrétienne, dans laquelle il nomme les descendants des « Arabes » : voir Ir 12, par. 2, ʾbnw ʿrbn. 72. Ṣanʿāʾ bayna ʾl-Shihābiyyīn wa-Abnāʾ wa-yadkhulu man tanazzara bi-hā maʿa ʾl-Abnāʾ wa-yadkhulu ahl al-balad wa-man taqaḥṭana bi-hā maʿa banī Shihāb (al-Hamdānī, Ṣifa, p. 124/20-21).
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Ṣaʿda : elle est habitée par les Ukayliyyūn issus des Āl Rabīʿa b. Saʿd l’Aîné b. Khawlān et par Yarsum, un conglomérat de tribus originaires d’al-Kalāʿ, de Hamdān, de Saʿd b. Saʿd, du reste des clans de Khawlān et d’autres, plus un lignage des al-Abnāʾ.73
Des précisions supplémentaires sur Yarsum sont données dans la généalogie de Ḥimyar, qui traite de Khawlān : {Ces deux savants} furent interrogés à propos des al-Adīm de Khawlān. Ils répondirent : « C’est un groupe qui n’a pas une ascendance charnelle, comme Tanūkh, un groupe dans lequel entrèrent des al-Azd et des Iyād, et comme Yarsum, un groupe composé de treize lignages qui ont pris le nom de Yarsum d’après Yarsum b. Kathīr et d’après Yarsum la première (Yarsum al-ūlà). » ʿAbd al-Malik b. Yaghnam précise : « À l’origine de Yarsum, il y a trois lignages. Ce sont al-ʿUmayrāt de la descendance de Murr dhū Sukhaym et deux autres lignages de la vieille Yarsum de Ḥimyar. Dans Yarsum, on compte un lignage des Āl Dhuwād qui relèvent des al-Abnāʾ, un lignage de Hamdān, (plus précisément) de Ḥāshid, un lignage d’al-Khawlī, un lignage des Banū Hilāl, un lignage de Kināna, un lignage des Banū Ḥanīfa, un lignage des gens de Najrān, un lignage de Madhḥij, un lignage de Quḥāfa qui relève de Khathʿam et un lignage de ʿUwayr. » À leur propos, voici ce que dit Rifāʿa b. Abān : {3 vers}. De ce fait, Yarsum répond à la convocation des Banū Saʿd b. Saʿd b. Khawlān. Celui qui ignore ce qu’ils sont pourrait croire qu’ils appartiennent à Khawlān, alors qu’il n’y a pas parmi eux de Khawlānites sauf les Khawliyyūn.74
Les deux groupes antagonistes de Ṣaʿda sont donc les chefs de Rabīʿa b. Saʿd, le principal rameau de la grande tribu locale (Khawlān) et une tribu « étrangère », Yarsum, qui rassemble une dizaine de groupes tribaux originaires d’autres régions du Yémen et de l’Arabie désertique, mais aussi des Khawlānites qui n’appartiennent pas à Rabīʿa b. Saʿd, notamment des membres de Saʿd b. Saʿd. Or Yarsum n’est pas une inconnue. Vers le début de l’ère chrétienne, elle était une commune importante de la région de Ṣanʿāʾ. Mais, vers la fin du ier siècle de l’ère chrétienne ou au début du iie, les princes de Yarsum, les banū Sukhaym, ont été chargés par les rois de Saba’ du gouvernement de la Khawlān du Nord qui venait d’être conquise. Pour contrôler ce nouveau territoire, ils ont probablement fait appel des à troupes issues de Yarsum-Ṣanʿāʾ, qui ont fait souche à Ṣaʿda75. Cette Yarsum de Ṣaʿda a formé le noyau initial de la tribu qui a agrégé les groupes de toute provenance dont al-Hamdānī donne la liste. Logiquement, en cas de conflit, Yarsum-Ṣaʿda « répond à l’appel des Banū Saʿd b. Saʿd b. Khawlān », la tribu jumelle de Rabīʿa b. Saʿd b. Khawlān, mais aussi son ennemie jurée.
73. Al-Hamdānī, Ṣifa, p. 114/12-15. Ṣaʿda sākinu-hā al-Ukayliyyūn min Āl Rabīʿa b. Saʿd al-Akbar b. Khawlān wa-Yarsum (Müller, Yursam) jimāʿ qabāʾil min al-Kalāʿ wa-min Hamdān wa-min Saʿd b. Saʿd wa-min bāqī buṭūn Khawlān wa-ghayri-hā wa-fī-hā bayt min al-Abnāʾ. 74. Iklīl 1, aKWaʿ, p. 294-295 (= löfgren, p. 118) : Inna-humā suʾalā ʿan Adīm min Khawlān fa-qāla : huwa jummāʿ laysa min wuld al-ṣulb, kamā Tanūkh jummāʿ mimmā dakhala ʿalay-hā min al-Azd wa-Iyād, wa-kamā Yarsum jummāʿ, wa-hiya thalāthat ʿashar baytan tarassamat ʿalà Yarsum b. Kathīr, wa-ʿalà baqiyyat Yarsum al-ūlà. Wa-qāla ʿAbd al-Malik b. Yaghnam : aṣl Yarsum thalāthat abyāt wa-hum : al-ʿUmayrāt min wuld Murr dhī Sukhaym, wa-baytān ākhirān min Yarsum al-qadīma min Ḥimyar, wa-fī Yarsum bayt min Āl Dhuwād min al-Abnāʾ, wa-bayt min Hamdān min Ḥāshid, wa-bayt min al-Khawlī bi-fatḥ al-khāʾ wa-taskīn al-wāw wa-kasr al-Lām, wa-bayt min banī Hilāl, wa-bayt min Kināna, wa-bayt min banī Ḥanīfa, wa-bayt min ahl Najrān, wa-bayt min Madhḥij, wa-bayt min Quḥāfa min Khathʿam, wa-bayt min ʿUwayrwa-fī-him yaqūlu Rafāʿa b. Abān : {3 vers}. Wa-daʿwat Yarsum maʿa dhālika ilà banī Saʿd b. Saʿd b. Khawlān, fa-yaẓunnu-hum al-jāhil bi-him anna-hum min Khawlān, wa-laysa fī-him min Khawlān illā ʾl-Khawliyyūn. 75. roBin 2014, p. 176-177.
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La coexistence de plusieurs tribus dans une même bourgade résulte ainsi du remplacement progressif de la vieille aristocratie locale par d’autres populations venant de la périphérie ou de plus loin, évolution qui s’observe de façon assurée dans certains cas, et de façon plus hypothétique dans d’autres. L’exemple de Najrān est sans doute l’un des plus éclairants76. L’oasis, à l’époque de Karibʾīl le Grand (vers 700 avant l’ère chrétienne) appartient au royaume de Muhaʾmirum et Amīrum, dont elle est probablement le centre et la résidence royale. Vers 300 avant l’ère chrétienne, le roi ne mentionne plus que Amīrum dans sa titulature, ce qui laisse supposer que Amīrum a supplanté Muhaʾmirum ; on ignore tout des circonstances de ce changement qui peut être expliqué par l’intégration de Muhaʾmirum dans Amīrum. Après la conquête de Najrān par le royaume de Sabaʾ vers le début du iie siècle de l’ère chrétienne, l’oasis est dirigée par les banū Gadanum, un lignage de grande noblesse de Marib. La reconquête sabéenne qui met un terme à une brève occupation aksūmite au début du iiie siècle se conclut par des massacres qui entraînent le renouvellement d’une partie de la population77 ; c’est alors que Amīrum cesserait d’être la commune dominante dans l’oasis. À la veille de la crise du vie siècle, l’oasis serait dirigée par dhu-Qayfān (un rameau de dhu-Gadanum) et par dhu-Thuʿlubān (hypothétiquement un lignage local). La tribu dominante serait alors Af ʿū (ou les banū al-Afʿà chez al-Ṭabarī). La crise des années 520 comporte deux épisodes majeurs. Le premier est le massacre, à Najrān, d’un groupe de chrétiens qui s’étaient révoltés contre le roi de Ḥimyar en refusant de lui fournir des troupes pour lutter contre les Aksūmites et leurs alliés. Divers indices permettent d’affirmer que ces chrétiens, qui avaient des liens très étroits avec les antichalcédoniens de Syrie, étaient favorables à une alliance avec Byzance et avec Aksūm, alors que le roi de Ḥimyar cherchait à s’affranchir de la tutelle de ces deux puissances. L’un des chefs de ces révoltés de Najrān, al-Ḥārith b. Kaʿab, exécuté par décapitation, est devenu la figure emblématique des victimes chrétiennes du roi de Ḥimyar, vénérées comme martyrs par la Grande Église sous l’intitulé de « Saint Aréthas et ses compagnons ». Le second épisode est l’expédition de représailles lancées par le roi d’Aksūm pour punir le roi de Ḥimyar, expédition qui se conclut par la conquête de Ḥimyar et l’intronisation d’un roi chrétien. Selon le texte hagiographique qui célèbre les hauts faits du roi d’Aksūm, ce dernier, après la conquête du Yémen, confie le gouvernement de Najrān au fils du « martyr » al-Ḥārith b. Kaʿab. À la veille de l’Islam, la grande tribu de Najrān s’appelle banū al-Ḥārith b. Kaʿb. Il s’agit manifestement d’un groupe tribal qui tire son nom de celui du « martyr ». Cependant, moins d’un siècle après la mort de ce dernier, il est évident que les banū al-Ḥārith b. Kaʿb ne sont pas ses descendants, mais un nouvel ensemble tribal qui a été nommé d’après son chef (le fils d’al-Ḥārith b. Kaʿab)78, suivant un procédé bien illustré au Yémen. Selon les généalogies arabes formalisées au ixe siècle de l’ère chrétienne, les banū al-Ḥārith b. Kaʿb descendent de ʿAmr b. ʿUla b. Jald b. Malik (Madhḥij). En d’autres termes, ils se rattachent à ʿUla (tribu attestée dans les inscriptions), elle-même fraction de Madhḥij. Il est plausible que cette affiliation tribale était déjà celle du chef al-Ḥārith b. Kaʿb qui se révolte contre Ḥimyar en 523.
76. roBin 2010 et à paraître a ; roBin et al. 2014. 77. Selon l’inscription Ja 576 + 577/30-31, « {les rois sabéens} tuèrent, parmi les membres de la commune de Nagrān, 924 hommes et firent 562 captifs ; ils pillèrent dans les deux vallées nommées Nagrān 68 villes ; ils dévastère[nt … (31) 6 000 arbres et comblèrent 97 puits » : w-yhrgw bn s²ʿb n Ngr n ʾrbʿt w-ʿs²ry w-ts¹ʿ mʾnm ʾs¹d m w-ṯny w-s¹ṯy w-ḫms¹ mʾnm ʾs¹bym w-yqmʿw b-s¹rnhn Ngr n ṯmn w-s¹ṯy hgrm w-ygbḏ[w … …s¹](31)ṯy ʾʾlf m ʾʿmd m w-yṯrw s¹bʿ w-ts¹ʿy ʾbʾr m. 78. CasKel 1966, vol. 1, tableaux 258 et 259. Pour éviter de confondre la tribu avec le lignage dirigeant homonyme, un nouveau nom s’est imposé pour ce dernier, désormais appelé les banū ʿAbd al-Madān b. Yazīd (al-Dayān).
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En d’autres termes, après la conquête aksūmite, les anciennes élites de l’oasis de Najrān (amīrites et sabéennes) ont été remplacées par les descendants du révolté de 523 qui est probablement un Arabe de Madhḥij, la tribu qui domine la steppe environnante. À l’époque d’al-Hamdānī, « Najrān est (divisée) entre Balḥārith et Hamdān » 79. Les Balḥārith occupent le centre de l’oasis, tandis que les Hamdān (à savoir Wādaʿa, Shākir, Thaqīf, Yām et Aḥlāf) résident dans les cours supérieur et inférieur du wādī Najrān ainsi que dans les steppes au nord-est80. Aujourd’hui, l’oasis de Najrān est dominée par Yām tandis que les banū al-Ḥārith sont réduits au statut de simple rameau de Yām. À nouveau, un groupe de la périphérie s’est substitué aux anciens maîtres. À Qaryat al-Faʾw, on observe des évolutions qui peuvent être interprétées de la même manière. Vers 200 avant l’ère chrétienne, la tribu de l’oasis s’appelle Dhakar81. Trois siècles plus tard, vers 100 de l’ère chrétienne, Dhakar a été remplacée par « Qaḥṭān et Madhḥij ». Enfin, vers 220, Qaryat est la résidence du « roi de Kinda et de Madhḥij ». À Yathrib, les trois tribus juives (al-Naḍīr, al-Qurayẓa et Qaynuqaʿ) occupent les meilleures terres au centre de l’oasis ; elles sont supplantées à l’époque de Muḥammad par les deux tribus de la périphérie, al-Aws et al-Khazraj. Il reste enfin le champ des symboles et des représentations. Il n’y a pas grand-chose à en dire puisque la ville en est totalement absente. Elle n’est jamais personnifiée, représentée, célébrée ou divinisée. Il n’existe pas même de divinités spécifiques protégeant les villes, alors qu’il en existe de nombreuses pour les monuments. Il faut signaler cependant qu’une divinité du Jawf, dhāt Nashqum, porte un nom dérivé de celui d’une ville. On sait en effet que Nashqum, dans l’Antiquité, était une importante ville dont les ruines s’appellent aujourd’hui al-Bayḍāʾ. Nashqum appartenait initialement au royaume de Nashshān. Sa déesse dhāt Nashqum qui symbolisait la ville, avait logiquement été ajoutée au panthéon de Nashshān. Par la suite, vers 700 avant l’ère chrétienne, Nashqum avait été annexée par Sabaʾ ; dhāt Nashqum avait cependant conservé son statut de déesse nashshānite et était même devenue emblématique du royaume de Nashshān. Le problème réside dans notre ignorance de la portée réelle d’un nom tel que « dhāt Nashqum », « Celle de Nashqum ». Si une divinisation de la ville n’est pas complètement exclue, l’explication la plus plausible est que la déesse était initialement désignée par une appellation complexe du type nom propre + attribut dhāt Nashqum, qui la rattachait à un lieu ou à un sanctuaire, puis que le nom propre a été progressivement omis. Il importe de signaler encore que les commanditaires de textes se réfèrent parfois aux divinités d’une ville : on le constate pour Qarnā et Yathill (la capitale et la deuxième ville du royaume de Maʿīn)82, pour Yathill seule83 et pour Shabwat (la capitale du Ḥaḍramawt)84. Mais, encore une fois, il ne semble pas que ce
79. Al-Hamdānī, Ṣifa, p. 125/1 (Najrān bayna Balḥārith wa-Hamdān). 80. roBin à paraître a. 81. Un texte de Qayat al-Faʾw, dont Saʿīd al-Saʿīd prépare la publication, a pour commanditaire « Wahabdhusamāwī Dhubyān fils de Abyathaʿ,(2) roi de Dhakar, de Amīr et de Muhaʾmirum » (Whbḏs1mwy Ḏbyn bn ʾbyṯʿ m(2)lk Ḏkr w-ʾmr w-Mhʾmr m). 82. Voir M 436+430 = B-Mur 115, « [... ...] les divinités de Qarnā et de Yathill » ([... ...] ʾlʾlt Qrnw w-Yṯl). 83. Voir M 254 = RES 3028 bis = B-Mur 26/2, « et les divinités de la ville de Yathill » (w-ʾlʾlt hgrn Yṯl). 84. RES 2693/6 : « avec l’agrément (5) de Siyān dhu-Alīm, de ʿAthtar son père, des déesses de son sanctuaire Alīm (6) et des dieux et des déesses de la ville de Shabwat » (b-ʾḏn (5) S¹yn ḏ-ʾlm w-ʿṯtr ʾb-s¹ w-ʾlhty mḥrm-s¹ ʾlm (6) w-ʾlhy w-ʾlhty hgrhn S²bwt).
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soit très significatif parce que ce sont de simples variantes, par ailleurs très exceptionnelles, des formulations habituelles qui associent les divinités à un groupe social ou à un sanctuaire dans une certaine ville.
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Au terme de cette étude, un constat quelque peu inattendu se dégage. Dans la société sudarabique, le rôle institutionnel ou symbolique de la ville était fort limité. Les villes n’ont une certaine existence institutionnelle qu’à haute époque, et seulement en bordure du désert. Les seules fondations de villes remontent au mukarrib Karibʾīl Watār qui règne au début du viie siècle. Les organes politiques propres à une ville ne sont guère attestés qu’aux origines de la civilisation sudarabique, entre Maʾrib et Najrān. Or la plupart de ces villes en bordure du désert déclinent et sont désertées dans le courant du Ier millénaire avant l’ère chrétienne. Parallèlement, les populations de la montagne s’imposent progressivement comme les principaux acteurs politiques. Désormais, c’est le groupe social – la commune – qui prime sans partage. Même pour la haute époque, l’existence d’un dense réseau de villes en Sudarabie n’implique pas une organisation politique et sociale semblable à celle du Levant ou de la Grèce. Le parallélisme qu’on est tenté de faire est illusoire. Ce qu’on appelle « ville » dans l’une et l’autre zone diffère notablement. La ville sudarabique, tout au moins sur les sites qui n’ont pas été détruits par des réoccupations successives, presque tous en bordure du désert, est petite, sauf rares exceptions. On n’y reconnaît pas de quartiers spécialisés, mais seulement l’habitat ostentatoire des classes dirigeantes. La distribution des maisons qui sont séparées les unes des autres ne présente pas de régularité puisque, le plus souvent, il n’y a pas de véritables rues et encore moins de places. Même l’organisation de la demeure, qui est une petite forteresse en forme de tour, diffère radicalement de la maison méditerranéenne aux murs périphériques aveugles, organisée autour d’une cour centrale. La société sudarabique était sans doute sédentaire, mais plus tribale que citadine. Le même constat vaut pour le Yémen zaydite du Moyen Âge, mais on l’a formulé différemment en affirmant que, contrairement à la règle, la campagne dominait la ville. La conclusion à laquelle nous parvenons par l’examen de la place institutionnelle de la ville dans la Sudarabie est exactement le contraire de celle à laquelle Jérémie Schittecatte était parvenu par l’analyse des vestiges urbains et des données sur les structures politiques et sociales. Je cite sa conclusion : Investigations carried out on the very nature of urban South Arabian populations made the gradual appearance of an urban feeling clear around the turn of the 1st century BC/aD… In short, during the first centuries aD, royal power and the aristocracy centred on it exercised growing control over the tribes. The king had control over both the economy and religion with the development of henotheism, followed by monotheism. The tribal pantheons no longer defined the tribe; allegiance was to a qayl who was not always descended from the tribe and whose legitimacy rested on a system of redistribution, and the territories of the tribal federations were new constructs. In such a system, it is easy to understand why the ancient federating tribal element was less significant, and why new territory-based identity markers appeared. A community which no longer based its identity on family and tribal links, which were losing their significance, needed to affirm itself through a territorial identity, its city in the case of urban populations.85
Il n’est pas étonnant que les deux démarches parviennent à des conclusions différentes parce qu’elles ne traitent pas exactement de la même chose. Jérémie Schiettecatte part de la réalité du terrain, tandis
85. Mouton & sChietteCatte 2014, p. 252-253. Je renvoie à cet ouvrage pour les références aux diverses études qui ont déjà été consacrées à la ville sudarabique (auxquelles on ajoutera roBin 1995).
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que je me suis surtout intéressé au discours des Sudarabiques sur eux-mêmes. Il n’en demeure pas moins problématique que les deux démarches aboutissent à des conclusions franchement contradictoires. Un réexamen de l’ensemble du dossier paraît désormais nécessaire. [email protected] CNRS, membre de l’Institut
BiBliographie CasKel W. 1966 Ǧamharat an-nasab : das genealogische Werk des Hišām ibn Muḥammad al-Kalbī, 2 vol., Leiden, Brill. al-Hamdānī, Abū Muḥammad al-Ḥasan b. Aḥmad b. Yaʿqūb Iklīl 1, texte, éd. aKWaʿ : Kitāb al-Iklīl. Al-juzʾ al-awwal, li-Lisān al-Yaman Abī Muḥammad al-Ḥasan b. Aḥmad b. Yaʿqūb al-Hamdānī, ḥaqqaqa-hu wa-ʿallaqa hawāshiya-hu Muḥammad b. ʿAlī ʾl-aKWaʿ al -Ḥiwāl ī (al-Maktaba al-yamaniyya 2), al-Qāhira, al-Sunna al-muḥammadiyya, 1963 (1383 h.). L’index de cet ouvrage est annexé au suivant. Iklīl 1, texte, éd. löfgren : al-Hamdānī, Al-Iklīl. Erstes Buch, hrsg. von O. löfgren, Uppsala, Almqvist & Wiksells, Heft 1 (Bibliotheca Ekmaniana 58, 1), 1954 ; Heft 2 (Bibliotheca Ekmaniana 58, 2), 1965. Iklīl 2, texte : Kitāb al-Iklīl. Al-juzʾ al-thānī, li-Lisān al-Yaman Abī Muḥammad al-Ḥasan b. Aḥmad b. Yaʿqūb al-Hamdānī, éd. Muḥammad b. ʿAlī ʾl-aKWaʿ al -Ḥiwāl ī (al -Maktaba al -yamaniyya 3), al -Qāhir a, al Sunna al-muḥammadiyya, 1967 (1386 h.). Ṣifa, texte : D. H. Müller, al-Hamdânî’s Geographie der arabischen Halbinsel, 2 vol., Leiden, Brill, 1884-1891 (reprise par le même éditeur, 1968). Mouton M., sChietteCatte j. 2014 In the desert margins : the settlement process in ancient South and East Arabia (Arabia antica 9), Roma, «L’Erma» di Bretschneider. neBes n. 2016 Der Tatenbericht des Yiṯaʿʾamar Watar bin Yakrubmalik aus Ṣirwāḥ (Jemen) : zur Geschichte Südarabiens im frühen 1. Jahrtausend vor Christus, mit einem archäologischen Beitrag von I. gerlaCh & M. sChnelle (Deutsches Archäologiches Institut. Orient-Abteilung, Epigraphische Forschungen auf der Arabischen Halbinsel 7), Tübingen – Berlin, Ernst Wasmuth. roBin Ch. J. 1995 « Des villes dans le Jawf du Yémen ? », Semitica 43-44, 1995 (= La ville d’après les sources épigraphiques et littéraires ouest-sémitiques de 1200 avant J.-C. à l’Hégire : Collège de France, 14 novembre 1992 : actes de la première table ronde internationale organisée par l’unité de recherche d’études sémitiques associèe au CNRS (URA 1062), p. 141-161. 2003 « La vocalisation de Ns²n, nom antique d’as-Sawdāʾ (Jawf du Yémen), d’après une nouvelle inscription sabéenne », dans Mélanges David Cohen : études sur le langage, les langues, les dialectes, les littératures, offertes par ses élèves, ses collègues, ses amis, présentées à l’occasion de son quatre-vingtième anniversaire, textes réunis et éd. par J. lentin & A. lonnet, Paris, Maisonneuve & Larose, p. 569-579. 2010 « Nagrān vers l’époque du massacre : notes sur l’histoire politique, économique et institutionnelle et sur l’introduction du christianisme (avec un réexamen du Martyre d’Azqīr) », dans Juifs et chrétiens en Arabie aux v e et vi e siècles : regards croisés sur les sources, éd. par J. BeauCaMp, F. Briquel-Chatonnet & Ch. roBin (Centre de recherche d’histoire et civilisation de Byzance, Monographies 32), Paris, Association des amis du Centre d’histoire et civilisation de Byzance, p. 39-106. 2014 « Sabaʾ et la Khawlān du Nord (Khawlān Gudādān) : l’organisation et la gestion des conquêtes par les royaumes d’Arabie méridionale », dans Arabian and Islamic studies : a collection of papers in honour of Mikhail Borishovich (sic) Piotrovskij on the occasion of his 70 th birthday, ed. by A. V. seDov = Исследования по Аравии и исламу : сборник статей в честь 70-летия Михаила Борисовича Пиотровского, составитель и ответственный редактор: А. В. Седов, Москва, p. 156-203.
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insCriptions Citées Pour les sigles sans renvoi bibliographique, se reporter au site DASI (Digital Archive for the Study of preIslamic Arabian Inscriptions) qui donne la transcription, la traduction, l’illustration et la bibliographie de chaque pièce (http://dasi.cnr.it/). ʿAbadān 1 ABADY, 4, 1987, Pl. 16 d : texte dont seule une photographie est publiée dans Archäologische Berichte aus dem Yemen. BR-Yanbuq 47 CIH 37, 131, 155, 377, 448 + Hakir 1, 493, 516, 728 DAI Barʾān 1990-1 DAI Ṣirwāḥ 2002-103 DAI Ṣirwāḥ 2005-50 : voir Ṣirwāḥ 1 Fa 75 Gl 1533 Haram 8 = CIH 546 Haram 12 = RES 2743 Ir 12, 13, 40 (dans DASI, Ir 49), 71 Ja 555, 574, 576 + 577, 631, 632, 637, 949, 950, 988, 996, 2109, 2888 Jawf 04.15
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Kamna 26 Khor Rori 1 = KR 2 Khor Rori 2 = KR 3 Khor Rori 3 = KR 4 Khor Rori 4 = KR 5 M 222 = RES 2999 M 242 = RES 3017 bis = B-Mur 267 M 254 = RES 3028 bis = B-Mur 26 M 436+430 = B-Mur 115 MAFRAY al-Balaq al-Janūbī 1 MAFRAY Ḥuṣn Āl Ṣāliḥ 1 MAFRAY-Sāriʿ 6 al-Miʿsāl 3 : inédit. Rb XIV/90 no 253 RES 2693 RES 2999 = M 222 RES 3017 bis = M 242 = B-Mur 267 RES 3028 bis = M 254 = B-Mur 26 RES 3945 : voir Ṣirwāḥ 2 RES 3946 : voir Ṣirwāḥ 2 RES 3951 RES 4176, 4907 Ṣanʿāʾ MM 3630 Sharaf 17, 31 Ṣirwāḥ 1 = DAI Ṣirwāḥ 2005-50 Ṣirwāḥ 2 = Ṣirwāḥ 2–RES 3945 + Ṣirwāḥ 2–RES 3946 al-Ukhdūd 35 : voir roBin 2010, p. 90-94. Y.90.DA 2 YM 18352 YMN 10, 12 ẒM 2263 + 2262 + 2264
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Élodie Vigouroux
Alep après Tamerlan : la reconstruction de l’enceinte (1401-1430)
Dès 1895, lors d’un court séjour à Alep, l’orientaliste Max van Berchem avait noté l’état de conservation exceptionnel ainsi que la richesse architecturale et épigraphique de l’enceinte médiévale de la ville1. Moritz Sobernheim et Ernst Herzfeld avaient quant à eux entrepris, de 1908 à 1930, d’en relever les inscriptions, mais celles-ci ne furent cependant publiées qu’en 1955 dans un très riche ouvrage, accompagné d’un volume de relevés architecturaux et de photographies2. Dans cet intervalle, Jean Sauvaget, dans un article publié en 1929, s’était penché sur l’évolution du tracé de la muraille au Moyen Âge sur le long terme (xexvie siècle) 3, grâce aux éléments fournis par les sources historiques, sans toutefois pouvoir s’appuyer sur le contenu des inscriptions, alors inédites. Depuis ces travaux, des textes relatifs à la prise d’Alep par le chef tatar Tamerlan en 803/1400 ont été rendus disponibles, et les conséquences des événements sur le paysage urbain sont mieux connues4. Ainsi, il est aujourd’hui possible, à la lumière des inscriptions, des vestiges et des éléments fournis par les chroniques et inventaires topographiques, de replacer le processus de restauration de l’enceinte d’Alep dans son contexte historique et d’appréhender l’impact de son tracé dans le paysage urbain au xve siècle.
alep avant taMerlan (figure 1) Alep, grande ville de Syrie du nord, fut assiégée par les troupes mongoles du général Hulāgu en 658/1260. Elle était alors la capitale d’une principauté ayyoubide, où régnait al-Nāṣir Yūsuf, arrière-petitfils de Saladin5. La cité, dont l’artisanat et le commerce étaient alors florissants, fut pillée et ses murailles très endommagées 6. C’est dans ce contexte et face aux menaces mongole et croisée, que les esclaves mamelouks à la solde des princes ayyoubides s’emparèrent du pouvoir. Alep devint chef-lieu de province,
1.
BerCheM & fatio 1914-1915.
2.
herzfelD 1954 (planches) 1955 (texte).
3.
sauvaget 1929.
4.
Le déroulement de la prise d’Alep en 1400 a fait l’objet d’un article de l’auteur, vigouroux à paraître.
5.
eDDé 1999.
6.
eDDé 1987-1988.
Reconstruire les villes : modes, motifs et récits, éd. par Emmanuelle Capet, Cécile Dogniez, Maria gorea, Renée KoCh piettre, Francesco Massa, Hedwige rouillarD-Bonraisin (Semitica & classica. Supplementa 1), Turnhout, 2019, p. 301-322 DOI 10.1484/M.SUPSEC-EB.5.118530
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Figure 1 - Alep au xiiie siècle d’après J. sauvaget (© É. V. 2018).
la troisième ville du sultanat, après Le Caire et Damas. Entre 658/1260 et 723/1323, la position d’Alep fut celle d’un avant-poste et la cité fut plusieurs fois occupée par les Mongols7 avant une période de calme relatif, marquée par la Grande Peste et ses conséquences. Ce n’est qu’à la fin du xive siècle que le danger mongol réapparut, cette fois personnifiée par le chef tatar Tamerlan. Ce dernier, franchissant l’Euphrate, s’attaqua, en muḥarram 803/septembre 1400, aux villes du sud de l’Anatolie. Il menaçait alors Alep, où les principaux émirs de Syrie se réunirent afin de préparer la défense de la ville. Le samedi 11 rabīʿ I 803/30 octobre 1400, les troupes tatares se rassemblèrent près de Ḥaylān8, village situé à 8 km au nord-est d’Alep. L’affrontement tourna rapidement en faveur des hommes de Tamerlan, et les soldats et cavaliers mamelouks fuirent le champ de bataille, poursuivis par les Tatars, et se ruèrent dans la ville, dont une porte était demeurée ouverte. La population qui avait pris part au combat les suivit dans leur déroute à l’intérieur de l’enceinte ; beaucoup d’Alépins furent tués et piétinés9. Les femmes et les jeunes gens furent capturés10. Puis, Tamerlan autorisa le saccage de la ville : pendant trois jours, les marchés et les maisons furent pillés11. Son imposante citadelle fut assiégée et, contre toute attente, se rendit très rapidement ; les émirs furent alors capturés et les notables torturés12.
7.
Chapoutot-reMaDi 1991.
8. Ibn ʿArabšāh, ʿAǧāʾib, p. 93 ; Ibn Taġrī Birdī, Manhal, IV, p. 119. 9. Ibn Ḥiǧǧī, Tārīḫ I, p. 463. 10. Ibn Ḥaǧar, Inbaʾ II, p. 135 ; Ibn Taġrī Birdī, Nuǧūm VI, 51 ; al-Maqrīzī, Sulūk III/3, p. 1033. 11. al-Yazdī, Zafarnameh, trad. III, p. 299. 12. Ibn Taġrī Birdī, Nuǧūm VI, 52 ; al-Maqrīzī, Sulūk III/3, p. 1033 ; Ibn ʿArabšāh, ʿAǧāʾib, éd. p. 96 ; al-ʿAynī, ʿIqd (2012), p. 237 ; Ibn Ḥaǧar, Inbaʾ II, p. 135.
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Si les textes mentionnant ces événements sont nombreux et fournissent les points de vue des Mamelouks et des Tatars, les passages rapportant les dommages sont vagues, et rares sont les toponymes cités. Le panégyriste de Tamerlan, al-Yazdī, précise que les fuyards rentrèrent par la porte de Bānqūsā13, ouvrant sur le faubourg nord-est. Par ailleurs, un chroniqueur mamelouk évoque des femmes assassinées après qu’elles se sont réfugiées près des oratoires, notamment dans le marché appelé Sūq al-Balāṭ, entre la citadelle et la mosquée des Omeyyades14. On imagine aisément le chaos qui régnait alors, le pillage des marchés conduisant à l’incendie, les dommages subis par la citadelle assiégée, ses abords touchés par les feux grégeois utilisés par les défenseurs et son glacis miné par les assaillants. D’après les sources narratives, les Tatars allumèrent des incendies15, coupèrent les arbres, détruisirent les habitations16, les oratoires et les madrasas17. Alep fut occupée pendant environ un mois, puis les Tatars poursuivirent leur route vers le sud pour parvenir à Damas en rabīʿ II 803/décembre 1400. Toutefois, un témoin direct des événements, le juge alépin Ibn al-Šiḥna (m. ca 1412), ajoute que Tamerlan, quelques mois plus tard, sur le chemin du retour, repassa près d’Alep et ordonna de l’incendier à nouveau et d’en détruire les murailles18. Ainsi, les sources évoquent au printemps 1400 une destruction totale, une ville exsangue et des murailles rasées.
relativiser la ruine Alep, depuis le xiiie siècle, était défendue par une enceinte dotée de neuf portes19 et sa citadelle trônait au milieu du côté est de cette muraille. Il existait par ailleurs une seconde ligne de défense plus légère, à l’est, appelée le « fossé des Byzantins », creusé par les hommes du général byzantin Nicéphore Phocas lors du siège de la ville au xe siècle20 (figure 1). Au cours de l’occupation d’Alep par le général mongol Hulāgu en 658/1260, ces murailles avaient été considérablement endommagées tout comme le reste de la ville. Là encore, nous ne disposons d’aucun état des lieux, nous savons seulement que la citadelle fut restaurée par ordre du sultan plus de vingt ans après les événements21. Les murailles quant à elles, malgré la menace mongole persistante 22, ne firent l’objet d’aucune campagne de restauration avant 792/1390. En effet, ce n’est qu’à la suite de la guerre civile de 1389-1390 voyant s’affronter les opposants et les partisans du sultan mamelouk al-Ẓāhir Barqūq, que le gouverneur, Kumušbuġā al-Ḥamāwī, entreprit de
13. al-Yazdī, Zafarnameh, trad. III, p. 297. Le toponyme Bānqūsā désigne une colline en dehors de la ville d’Alep, du côté du nord et Bāb al-Bānqūsā est l’autre nom de Bāb al-Qanāt (Ibn Šīḥna, Durr, éd. p. 44 ; trad. p. 36 ; eDDé 1999, p. 253 et fig. 59, no 90)
14. al-ʿAynī, ʿIqd (2012), p. 236. À cet endroit s’élevait la Ḫānqāh al-Balāṭ, couvent soufi fondé en 509/1115-6 (eDDé 1999, p. 426 et fig. 59, no 60). 15. al-Maqrīzī, Sulūk III/3, p. 1033. 16. Ibn Taġrī Birdī, Nuǧūm VI, 51 ; al-Maqrīzī, Sulūk III/3, p. 1034 ; Ibn Qāḍī Šuhba, Tārīḫ IV, p. 155. 17. Ibn al-Šiḥna dans Ibn ʿArabšāh, ʿAǧāʾib, éd. p. 97 ; Ibn Taġrī Birdī, Manhal, IV, p. 121. 18. Ibn al-Šiḥna dans Ibn ʿArabšāh, ʿAǧāʾib, éd. p. 99 ; Ibn Taġrī Birdī, Nuǧūm VI, 81. 19. Bāb al-Naṣr (porte de la Victoire), Bāb al-Arbaʿīn (porte des Quarante), Bāb al-Ṣaġīr (Petite Porte), Bāb al-ʿIrak (porte de l’Irak), Bāb Qinnasrīn (porte de Qinnasrīn), Bāb al-Saʿāda (porte de la Félicité), Bāb Anṭākia (porte d’Antioche), Bāb al-Ǧinān (porte des Jardins), Bāb al-Faraǧ (porte de la Délivrance). 20. sauvaget 1929. Au xve siècle est aussi appelé fossé de Bālūǧ. Ibn al-Šīḥna, Durr, éd. p. 44 ; trad. p. 36. 21. Sibṭ Ibn al-ʿAǧamī, Kunūz, éd. I, p. 538 ; trad. p. 166 ; Ibn al-Šīḥna, Durr, éd. p. 56-57 ; trad. p. 48. 22. Chapoutot-reMaDi 1991.
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rebâtir les défenses grâce au financement et à la main-d’œuvre fournie par les habitants23 : une inscription24 conservée à la porte d’Antioche (Bāb Anṭākia) témoigne encore de cette initiative (figure 2). Toutefois, cette porte occupant l’emplacement d’une porte antique de la ville abrite encore aujourd’hui des vestiges fatimides25 et peut-être même protobyzantins26. De plus, la plus grande partie de son bâti est attribuable au xiiie siècle (al-Nāṣir Yūsuf), tout comme deux autres portes de l’enceinte (porte de Qinnasrīn et porte de la Victoire). Ainsi, la muraille solidement bâtie par le pouvoir ayyoubide au xiiie siècle n’avait pas été totalement détruite par les Mongols de Hulāgu en 658/1260, ni même par les Tatars de Tamerlan en 1401. Cette constatation est également valable pour le reste de la ville ; en effet, la quantité d’édifices datant d’avant 803/1400 et même d’avant 658/1260, conservés jusqu’à très récemment, conduit à relativiser les données fournies par les sources textuelles. Néanmoins l’épigraphie associée aux inventaires topographiques permet d’identifier certaines des parties de l’enceinte endommagées, d’appréhender le processus de reconstruction et d’identifier les acteurs et leurs motivations.
Figure 2 - Porte d’Antioche à Alep (© É. V. 2009).
la reConstruCtion Du systèMe Défensif Nous ne disposons pas, à l’heure actuelle, de chronique alépine pour le début du xve siècle ; les sources damascènes sont elles-mêmes très lacunaires et les chroniqueurs du Caire ne fournissent pas de détails sur les destructions. Il n’existe donc aucun état des lieux de la ville à l’issue de ces événements. Les deux inventaires topographiques alépins de la seconde moitié du xve siècle disponibles ne mentionnent
23. Ibn al-Šīḥna, Durr, éd. p. 36-37 ; trad. p. 28 ; Ibn Taġrī Birdī, Nuǧūm VI, 526-527 ; Sibṭ Ibn al-ʿAǧamī, Kunūz, éd., I, p. 553-554 ; trad. p. 170-171. 24. herzfelD 1955, no 9, p. 50-51. 25. herzfelD 1955, p. 49. 26. Casanovas 2008.
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explicitement que quelques bâtiments endommagés lors de l’occupation de la ville par Tamerlan. C’est néanmoins en lisant entre les lignes de ces textes que l’on peut entrevoir la ruine et appréhender le processus de reconstruction. L’un de ces auteurs, Ibn al-Šiḥna (m. 1485), est un descendant du cadi (juge) d’Alep présent lors de l’occupation de la ville, et l’autre, Sibṭ Ibn al-ʿAǧamī (m. 1480), est membre d’une grande famille de notables alépins. Ils fondent leur description d’Alep sur celle qui avait été rédigée au xiiie siècle par Ibn Šaddād (m. 1285) et effectuent une mise à jour des données fournies par leur prédécesseur, deux siècles plus tôt. Premiers travaux La citadelle avait souffert du siège et du pillage de 803/1400. Le gouverneur d’Alep, Dimurdāš alMuḥammadī, qui avait été capturé par Tamerlan lors de la reddition de la citadelle, retrouva son poste en ramaḍān 803/avril-mai 140127, après s’être échappé. Il fit restaurer alors l’accès à la forteresse, bâtissant une tour d’entrée reliée à la ville par une passerelle en bois amovible28. Peut-être a-t-il réalisé ces travaux en prévision de sa propre révolte qui eut lieu dès le mois de muḥarram 803/août 140129 ? En effet, si le contrôle de la ville était stratégique, son éloignement pouvait aussi favoriser la rébellion de ses gouverneurs et durant cette période troublée, certains émirs remirent en question le pouvoir du très jeune sultan Faraǧ, fils d’al-Ẓāhir Barqūq. Ainsi les gouverneurs de Damas et d’Alep changèrent fréquemment, se révoltèrent, certains furent exécutés, d’autres réhabilités. D’après les sources narratives, une première campagne de restauration de l’enceinte après les ravages de Tamerlan fut entreprise par le gouverneur d’Alep, Duqmāq, elle concernait notamment les portes, et s’était déroulée de janvier à avril 140230. La porte d’Antioche (Bāb Anṭākia) conserve en effet une inscription venant confirmer la date de cette restauration31. Dès ṣafar 806/ septembre 1403, l’émir Duqmāq se révolta à son tour, ce qui interrompit vraisemblablement les travaux32. Puis, le gouverneur Ǧakam min ʿAwaḍ se rebella et occupa la ville en 807/140433, il fut à nouveau nommé gouverneur d’Alep de ǧumāda II 808/décembre 1405 à šawwāl 808/avril 140634. Cet émir entreprit alors des travaux dans la citadelle, rebâtit certaines courtines endommagées et fit construire une salle du trône au sommet des tours d’entrée de la forteresse (figure 3)35. Il employa des matériaux issus d’édifices détruits pendant l’occupation de Tamerlan36 et, en mettant à contribution la population, les notables et les émirs, il bâtit sur le glacis de la forteresse deux tours monumentales, l’une au nord, l’autre au sud (figure 4), aux endroits où elle était vulnérable37. Sans doute effectua-t-il ces aménagements en vue de sa nouvelle révolte qui survint en šawwāl 809/mars 1407, date à laquelle il alla jusqu’à s’autoproclamer sultan, occupant la ville et la citadelle, avant de périr au combat contre les Turcomans d’Amid en Anatolie38.
27. Ibn Ḥaǧar, Inbaʾ II, p. 79. 28. Sibṭ Ibn al-ʿAǧamī, Kunūz, éd., I, p. 526 ; trad. p. 161. 29. Ibn Taġrī Birdī, Nuǧūm VI, 93. 30. Sibṭ Ibn al-ʿAǧamī, Kunūz, éd. I, p. 560 ; trad. p. 174 31. herzfelD 1955, p. 53, no 10, p. XVB. 32. Ibn Taġrī Birdī, Nuǧūm VI, 109. 33. Ibn Taġrī Birdī, Nuǧūm VI, 183 34. Ibn Taġrī Birdī, Nuǧūm VI, 173. 35. Ibn al-Šīḥna, Durr, éd. p. 57 ; trad. p. 49 ; Sibṭ Ibn al-ʿAǧamī, Kunūz, éd. p. 539 ; trad. p. 166-167 ; gonnella 2012. 36. Sibṭ Ibn al-ʿAǧamī, Kunūz, éd. I, p. 539 ; trad. p. 166-167. 37. Ibn al-Šīḥna, Durr, éd. p. 57, 58 ; trad. p. 49-50. 38. Ibn Taġrī Birdī, Nuǧūm VI, 183-186.
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Figure 3 - Entrée monumentale de la citadelle d’Alep, salle du trône du xve siècle surmontant les tours du xiiie siècle. © É. V. 2009.
Figure 4 - Vue aérienne de la citadelle d’Alep (© Photothèque Ifpo, Armée du Levant 1930).
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D’après les sources narratives, le fossé des Byzantins avait été doté d’un mur dès le début du xiiie siècle39. Néanmoins, les monuments bâtis dans la partie de la ville s’élevant entre la portion est de l’enceinte et ce mur sont encore considérés comme extra-muros par Ibn Šaddād au xiiie siècle40 (figure 1) bien qu’ils se trouvent aujourd’hui à l’intérieur de l’enceinte médiévale. Il n’existait donc pas de véritable rempart à cet endroit à l’époque. Toutefois, les sources relatant la prise d’Alep par Tamerlan en 1400 évoquent bien l’existence de la porte du Canal correspondant à l’entrée de la canalisation alimentant la ville, vraisemblablement percée dans le mur du fossé des Byzantins. De plus, un passage du texte d’Ibn alŠiḥna indique que, lorsqu’on restaura le rempart d’Alep au début du xve siècle, son père se vit chargé des travaux « de la porte du Maqām à la porte du Canal (Bāb al-Qanāt) », c’est-à-dire qu’il dirigea la restauration du mur du fossé des Byzantins. Il précise qu’à cette occasion il y avait fait graver son nom sur chacune des tours, et que celui-ci y demeura visible jusqu’au jour où Dimurdāš gouverneur d’Alep le fit disparaître41. Même s’il est difficile de dater cette campagne de travaux, Dimurdāš ayant été gouverneur d’Alep à plusieurs reprises, elle peut être située entre 1400 et 141342. Les premiers travaux ont donc concerné la citadelle, la porte principale de la ville (Bāb Anṭākia) et le mur du fossé des Byzantins. Il s’agit de réparations d’urgence, utilisées par les gouverneurs pour marquer leur passage et affirmer leur pouvoir, en vue, parfois même, de préparer leur rébellion. Ibn al-Šiḥna résume ainsi la situation en indiquant que, au cours de cette période troublée, chaque gouverneur qui arrivait à Alep ordonnait de reconstruire une partie de l’enceinte mais sans aucun plan préétabli : cela dura jusqu’au règne du sultan al-Muʾayyad Šayḫ43 qui débuta en 815/1412. Le règne d’al-Muʾayyad Šayḫ Au cours des premières années de son règne, le nouveau souverain vit son autorité disputée au sein même du sultanat et dut maîtriser la rébellion de plusieurs émirs44. Parallèlement, al-Muʾayyad Šayḫ dut asseoir son pouvoir à la frontière nord de l’Empire, et se rendit lui-même au cours de l’été 817/1414 en Anatolie, afin de nommer un gouverneur à Malatya45, zone d’influence des Turcomans. Lors de ce voyage, il séjourna à Alep. Quelques mois plus tard, la menace se fit plus concrète, quand un rapprochement fut conclu entre le fils de Tamerlan, Šāh Rūḫ, et Qarā Yūsuf, ancien allié des Mamelouks, chef de la confédération turcomane des Moutons Noirs (Qara Koyonlu) et souverain de Bagdad46. La même année, le sultan mamelouk dut se rendre à nouveau à Alep afin de combattre les gouverneurs rebelles de Damas et d’Alep47 ; plusieurs émirs trouvèrent alors refuge auprès de Qarā Yūsuf48. Enfin, au printemps 820/1417, al-Muʾayyad Šayḫ entreprit une expédition dissuasive vers l’Anatolie visant à s’assurer du soutien de ses vassaux turcomans. Toutefois le voyage se transforma en campagne militaire49. Qarā Yūsuf s’avança
39. Ibn al-Šīḥna, Durr, éd. p. 34-35 ; trad. p. 25-26. 40. Le couvent de Tuġril et la madrasa Atābakiyya notamment (eDDé 1999, fig. 58, nos 81 et 82). 41. Ibn al-Šīḥna, Durr, éd. p. 34 ; trad. p. 24. 42. Sur cet émir en tant que gouverneur d’Alep, voir Ibn Taġrī Birdī, Nuǧūm VI, 39, 93, 110, 176, 179, 204, 326. 43. Ibn al-Šīḥna, Durr, éd. p. 37 ; trad. p. 28-29. 44. Ibn Taġrī Birdī, Nuǧūm VI, 343-361. 45. Al-ʿAynī, ʿIqd (1985), I, p. 202. Malatya se trouve à environ 350 km au nord d’Alep. 46. Ibn Taġrī Birdī, Nuǧūm VI, 343. 47. Ibid., VI, 348-353. 48. Al-ʿAynī, ʿIqd (1985), I, p. 238 ; Ibn Taġrī Birdī, Nuǧūm VI, 353. 49. Al-ʿAynī, ʿIqd (1985), I, p. 286 ; Ibn Taġrī Birdī, Nuǧūm VI, 364-365.
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alors vers Alep, avant de renoncer, face à l’importance des troupes et des moyens mobilisés par le sultan mamelouk. Al-Muʾayyad Šayḫ séjourna plus d’un mois à Alep50 et put se rendre compte de l’état de ses défenses. Citadelle et front oriental
C’est au cours de ce séjour, en 820/1417, que le sultan ordonna de terminer les travaux de restauration de la citadelle, entrepris dix ans plus tôt par le rebelle Ǧakam51. Un vaste plafond en bois fut notamment posé52. Le portail de la salle du trône, bâti en ablaq, alternance d’assises de calcaire et de basalte, témoigne encore de ces travaux (figure 5). À cette occasion, le souverain, conscient de la lourde menace turcomane, fit aussi en personne le tour des remparts de la ville afin d’évaluer l’ampleur des travaux53 et, dans le but de décider s’il convenait de reconstruire l’enceinte jusqu’à la porte de l’Irak, al-Muʾayyad Šayḫ consulta les notables alépins. Ceux-ci le lui déconseillèrent car, disaient-ils, il faudrait pour cela détruire les mosquées et d’autres fondations pieuses54. Cela signifie donc que, durant la période 803/1401 – 820/1417, des habitations et des édifices religieux avaient été bâtis sur le tracé de la muraille détruite, témoignant de l’installation d’une population. Malgré l’avis émis, et sans doute dans un souci d’urgence et d’économie, le sultan ordonna de reconstruire tout ce qui était compris entre la porte de l’Irak et la porte des Quarante, c’est-àdire la portion de muraille s’élevant au nord et sud de la citadelle (figure 6). Il confia les travaux à un administrateur civil, le vizir ʿAlam al-Dīn Sulaymān Ibn al-Ǧābī55, qui dut effectivement faire détruire des mosquées, des madrasas et des
Figure 5 - Portail de la salle du trône de la citadelle (© É. V. 2009).
50. Ibn Taġrī Birdī, Nuǧūm VI, 372. 51. Ibn al-Šīḥna, Durr, éd. p. 57-58 ; trad. p. 49. 52. Ibn al-Šīḥna, Durr, éd. p. 57 ; trad. p. 49 ; Sibṭ Ibn al-ʿAǧamī, Kunūz, éd. I, p. 539-540, trad. p. 167-168. Il fut remplacé au cours du règne d’al-Ašraf Qānsūh Ġūrī (m. 1516), par des coupoles dont les vestiges sont reconnaissables sur des clichés du début du xxe siècle. 53. Ibn al-Šīḥna, Durr, éd. p. 37 ; trad. p. 29. 54. Sibṭ Ibn al-ʿAǧamī, Kunūz, éd. I, p. 553-554 ; trad. p. 171. 55. Sur ce personnage, voir vigouroux 2012, p. 131-132.
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maisons qui avaient été construites en certains endroits de l’ancien rempart. Ainsi d’après l’historien Ibn Šiḥna, le vizir se saisit sans aucun droit de nombreux immeubles, et commit toutes sortes d’injustices, ce qui mécontenta la population 56. Il décida notamment d’utiliser les matériaux de ces bâtiments mais aussi d’édifices plus ou moins abandonnés, qui furent achetés ou confisqués57, pour rebâtir l’enceinte. Par ailleurs, Ibn al-Šiḥna indique qu’al-Muʾayyad, à l’extérieur de cette partie de l’enceinte, avait aussi fait réparer le mur longeant le fossé des Byzantins58 (figure 6), déjà restauré par le gouverneur Dimurdāš entre 1401 et 1413. Sans doute les moyens mis en œuvre par le sultan permettaient-ils de réaliser des travaux d’une qualité supérieure.
Figure 6 - En rouge, travaux de reconstruction de l’enceinte commandités par le sultan al-Muʾayyad Šayḫ entre 1418 et 1421. Le « S » indique la présence d’une inscription attribuable à cette campagne.
Front occidental
Les travaux ordonnés par al-Muʾayyad Šayḫ touchèrent également le côté occidental de l’enceinte. En effet, deux saillants de 15 m sur 12,5 m sont conservés, entre la porte des Jardins (Bāb al-Ǧinān) et la porte d’Antioche (figures 7 à 9). L’un d’eux présentait une inscription non datée59, mais attribuable aux restaurations commanditées par le sultan, traduite ainsi par E. Herzfeld : « A ordonné de remplir ses brèches et de renforcer ses angles, notre maître le sultan al-Malik Abū Naṣr Šayḫ. » Il s’agit là d’une réparation du couronnement, comme en témoigne l’élévation dont la maçonnerie, dans sa moitié inférieure,
56. Ibn al-Šīḥna, Durr, éd. p. 37, 41 ; trad. p. 29, 34. 57. Ibn al-Šīḥna, Durr, éd. p. 91 ; trad. p. 94. 58. Ibn al-Šīḥna, Durr, éd. p. 38 ; trad. p. 29. 59. herzfelD 1955, n°.7, p. 46-47.
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Figure 7 - Front occidental de l’enceinte d’Alep au début du xxe siècle (© Photothèque Ifpo).
Figure 8 - Front occidental, tour entre la porte des Jardins et la porte d’Antioche au début du xxe siècle (© Photothèque Ifpo).
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est datable du xiiie siècle. Quant à la porte d’Antioche, elle conserve également un témoignage de cette campagne de restauration, sous la forme d’un bandeau épigraphique de 9,15 m de longueur, daté, cette fois, de 823/1420 (figure 10). Son texte peut ainsi être traduit : « A ordonné de reconstruire cette porte et les murailles, qui s’étaient éboulées étant devenues vieilles, et dont les traces étaient effacées, sauf des restes de parties bien conservées. »60 Cette porte, nous l’avons évoqué, possède des vestiges des xie et xiiie siècles ; il s’agit donc, une fois encore, d’une restauration des couronnements et du comblement de certains manques. Il est à noter que les inscriptions n’imputent pas la dégradation des tours et de la porte à Tamerlan mais au passage du temps… Dans l’inscription commémorant la restauration de la porte d’Antioche (porte occidentale), le nom du vizir ʿAlam al-Dīn Sulaymān Ibn al-Ǧābī, chargé des travaux, ne figure pas, contrairement à celui du gouverneur de la ville, Yašbak al-Yūsufī. Pourtant, à Damas, le nom de ce vizir figure bien sur les portes en bronze de la mosquée dont il a surveillé la restauration à la même époque 61. Un épisode rapporté par l’historien alépin Sibṭ Ibn alʿAǧamī vient éclairer la concurrence existant Figure 9 - Front occidental, tour entre la porte des Jardins entre ces deux puissants personnages. En effet, et la porte d’Antioche (© É. V. 2009). pendant la campagne de travaux touchant la muraille d’Alep, le vizir ʿAlam al-Dīn s’était rendu à la mosquée des Omeyyades de cette ville, accompagné d’ouvriers pour faire enlever les décombres d’un mur qui s’était effondré. Le gouverneur Yašbak l’apprit et s’en irrita au point qu’il ordonna d’expulser le vizir de la mosquée ; il donna ensuite lui-même l’ordre de reconstruire le mur62. Ce passage révèle la rivalité existant entre l’administrateur civil et le gouverneur militaire et met en lumière les prérogatives de chacun. Cette rivalité est d’ailleurs sans doute comparable à celle qui a conduit à l’effacement du nom du cadi Ibn al-Šiḥna sur les tours surplombant le fossé des Byzantins par le Figure 10 - Front occidental, porte d’Antioche, inscription gouverneur Dimurdāš au début du xve siècle. datant du règne d’al-Muʾayyad Šayḫ (© É. V. 2009).
60. herzfelD 1955, n°.11, p. 55-56. 61. vigouroux 2012, p. 148. 62. Sibṭ Ibn al-ʿAǧamī, Kunūz, éd. I, p. 209 ; trad. p. 17.
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Front méridional
La tour dite du « Masǧid al-Nūr » (oratoire de la Lumière), s’élevant sur le côté sud de l’enceinte (figures 11 à 13), possède un caractère massif comparable aux saillants de l’ouest et comporte une inscription coranique (6 m × 0,5 m)63 de même facture que celle de la porte d’Antioche (Bāb Anṭākia). À l’est de cette tour, la construction de la tour des Moutons (Burǧ al-Ġanam), d’une architecture similaire à la précédente, était elle aussi, avant sa destruction en 201664, attribuable aux travaux commandités par le sultan (figures 14 et 15). En effet, elle portait une inscription que E. Herzfeld traduit ainsi : « A ordonné sa reconstruction notre maître le sultan al-Malik al-Muʾayyad Abū al-Naṣr Šayḫ au cours de l’année 820/1418. »65 Ces deux tours ont été largement rebâties au cours de la campagne et dotées de bretèches, dont les vestiges étaient encore visibles lors de la visite de l’historien de l’architecture et pionnier de la photographie, J.-Ph. Girault de Prangey, en 184366 (figure 16). À l’est de ce saillant, s’élève la porte de Qinnasrīn (Bāb Qinnasrīn, figures 16 et 17). Par son plan et l’appareillage des parties inférieures, il est permis d’attribuer l’essentiel de sa structure au xiiie siècle, à la période ayyoubide. Toutefois, l’utilisation de l’ablaq, alternance d’assises de calcaire et de basalte, comme dans le portail de la salle du trône, ainsi que la présence sur la courtine qui la précède d’une inscription coranique, accompagnée du cartouche du sultan al-Muʾayyad Šayḫ67 (figure 18), nous permet d’affirmer qu’elle a également fait l’objet d’une restauration ordonnée par ce souverain, affectant non seulement les parties hautes, mais aussi la baie elle-même.
Figure 11 - Front méridional de l’enceinte d’Alep au début du xxe siècle (© Photothèque Ifpo).
63. herzfelD 1955, nos 14 A et B. 64. Entre le 17 et le 27 novembre 2016, d’après les vues Google Earth. 65. herzfelD 1955, no 15, p. 59. 66. girault De prangey 1846, pl. 60. 67. herzfelD 1955, no 16, p. 60.
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Figure 12 - Front méridional, tour du Masǧid al-Nūr au début du xxe siècle (© Photothèque Ifpo).
Figure 13 - Front méridional, tour du Masǧid al-Nūr (© É. V. 2009).
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Figure 14 - Front méridional, tour des Moutons au début du xxe siècle (© Photothèque Ifpo).
Figure 15 - Front méridional, tour des Moutons (© É. V. 2009).
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Figure 16 - Front méridional et porte de Qinnasrīn (girault De prangey 1846, BnF).
Figure 17 - Front méridional, porte de Qinnasrīn (© É. V. 2009).
Figure 18 - Front méridional, porte de Qinnasrīn, inscription comportant le cartouche du sultan Muʾayyad Šayḫ (© É. V. 2009).
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Les sources historiques confirment l’ampleur des travaux commandités par le sultan. En effet, l’historien Sibṭ Ibn al-ʿAǧamī indique que l’« on commença la construction à l’extrémité orientale de la Citadelle du Chérif, en la poursuivant du côté de l’ouest : elle arriva dans cette direction près de la porte des Jardins, et vers l’est jusqu’à la hauteur de la Mosquée de l’Eunuque […] jusqu’à atteindre la hauteur du Bain de l’Or »68. Il ajoute que le souverain ordonna de rénover les fronts sud et ouest et fit « refaire un grand nombre de tours depuis la porte des Jardins jusqu’à la porte de Qinnasrīn. Chaque tour était pareille à une citadelle »69. Effectivement, au vu de l’ampleur du chantier, couvrant les fronts ouest, sud, et est, et des dimensions des tours et saillants, on comprend qu’il fallut faire appel à la population d’Alep, de sa province et même en dehors de celle-ci pour financer des travaux qui, d’après les sources narratives, durèrent trois ans70. Le règne d’al-Ašraf Barsbāy Les travaux de l’enceinte n’étaient pas achevés à la mort d’al-Muʾayyad Šayḫ en 824/1421. Ce fut le sultan al-Ašraf Barsbāy qui régna de 825/1422 à 841/1438 qui lui succéda dans cette entreprise. Toutefois, d’après l’historien Ibn Šiḥna, le nouveau souverain fit démolir ce qui avait été élevé par al-Muʾayyad Šayḫ sur la partie orientale de l’ancien rempart, près du Ǧāmiʿ al-Ṭawāšī (mosquée de l’Eunuque) et du quartier de Bizā71, portion dont la reconstruction avait suscité le mécontentement de la population (figure 19). Cette destruction pouvait sembler constituer une perte de temps et d’argent. Pour quelles raisons le nouveau sultan a-t-il ainsi choisi d’en modifier le tracé ?
Figure 19 - En bleu, travaux de reconstruction de l’enceinte commandités par le sultan al-Ašraf Barsbāy (1422-1430). Le « B » indique la présence d’une inscription attribuable à cette campagne (© É. V. 2018). 68. Ibn al-Šīḥna, Durr, éd. p. 38 ; trad. p. 29. 69. Sibṭ Ibn al-ʿAǧamī, Kunūz, éd., I, p. 554 ; trad. p. 171. 70. Ibn al-Šīḥna, Durr, éd. p. 37 ; trad. p. 29. 71. Ibn al-Šīḥna, Durr, éd. p. 38 ; trad. p. 30.
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Dans le courant du xive siècle, bien que la zone comprise entre l’enceinte et le fossé des Byzantins ait été considérée comme un espace extra-muros, plusieurs grandes mosquées y avaient été fondées72. Ces édifices, comme la création de bains publics73, témoignent de la présence de noyaux de population relativement importants à cet endroit, anciennement occupé par des jardins, des cimetières, l’hippodrome et le marché aux chevaux (figure 20).
Figure 20 - Alep : mosquées et bains fondés à l’extérieur de l’enceinte au xive siècle (© É. V. 2018).
Lors des travaux de reconstruction de 1417 à 1421, le mur longeant le fossé des Byzantins constituait une défense en lui-même ; pour cette raison, le sultan al-Muʾayyad Šayḫ avait sollicité l’avis des juristes et des ulémas pour décider du tracé de la muraille. Fallait-il en effet saisir l’occasion de ces grands travaux pour englober les quartiers compris entre l’enceinte du xiiie siècle et le fossé des Byzantins, et bâtir une véritable enceinte à l’emplacement du mur surplombant le fossé, ou bien reconstruire sur l’ancien tracé qui passait par la citadelle ? C’est cette seconde option que choisit le souverain, au grand dam des habitants, mécontents de voir détruites les fondations pieuses et les demeures bâties depuis 803/1401. Quand le sultan al-Ašraf Barsbāy relança les travaux, il fit détruire le mur du fossé et fit bâtir à sa place une véritable enceinte englobant les quartiers qui s’étaient développés à l’époque mamelouke.
72. Par exemple, les mosquées d’Altūnbuġā (1318), d’Išiqtamur (1371), d’al-Sarawī (1378) et d’al-Uṭrūš (1399) gauBe & Wirth 1984, nos 336, 358, 324, 337. 73. Notamment les bains d’al-Sarawī (ca 1378), de Balbān, d’Išiqtamur (ca 1371), de Yalbuġā (ca 1390). gauBe & Wirth 1984, nos 325, 314, 360, 339.
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Le sultan Barsbāy avait, en premier lieu, envoyé un administrateur civil, l’inspecteur des armées, le cadi Zayn al-Dīn ʿAbd al-Bāsiṭ74, afin d’évaluer la nature et le coût des opérations75. Puis, il chargea le gouverneur de la citadelle, l’émir Sayf al-Dīn Bāk al-Ašrafī 76, de leur exécution. Ils débutèrent en šaʿbān 831/mai-juin 142877. Une porte de l’enceinte actuelle, au quartier de Bizā, la porte du Maqām (Bāb al-Maqām, figure 21), moins massive et fortifiée que les précédentes, a conservé le cartouche du souverain78, ce qui confirme la reconstruction de ses parties hautes au cours de cette campagne. Au nordest s’élevait la porte de Nayrab, aujourd’hui disparue, qui comportait, elle aussi, un cartouche ainsi qu’une inscription traduite ainsi par E. Herzfeld79 : « Gloire à notre maître al-Malik al-Ašraf Barsbāy, que sa victoire soit glorifiée, que Dieu perpétue sa royauté. »
Figure 21 - Front méridional, porte du Maqām au début du xxe siècle (© Photothèque Ifpo).
Il est certain que le sultan Barsbāy a fait bâtir un rempart sur toute la longueur du fossé des Byzantins. Toutefois, parmi les portes bâties pendant cette campagne, seules la porte du Maqām, ouvrant sur le cimetière du même nom, et la porte de Nayrab, menant au village de Nayrab, ont été conservées jusqu’au xxe siècle. La porte du Canal (Bāb al-Qanāt) et la porte du Fossé de Bālūǧ (Bāb Ḫandaq Bālūǧ) ont été reconstruites au début du xvie siècle et sont connues de nos jours sous le nom de porte de Fer (Bāb alḤadīd) et porte Rouge (Bāb al-Aḥmar). Ainsi, al-Ašraf Barsbāy n’hésita pas en 831/1428 à faire détruire ce qu’avait bâti son prédécesseur. Bien sûr, la population de la ville avait considérablement diminué au début du xve siècle, en raison de
74. Sur le rôle de ce personnage dans la conduite des chantiers du sultan au Caire voir loiseau 2010, p. 275-276. 75. Ibn al-Šīḥna, Durr, éd. p. 38 ; trad. p. 30 ; Ibn Taġrī Birdī, Nuǧūm VI, 622. 76. Sur ce personnage, voir Ibn Taġrī Birdī, Nuǧūm VI, 503 et Ibn Taġrī Birdī, Manhal, no 631. 77. Ibn al-Šīḥna, Durr, éd. p. 38 ; trad. p. 30. 78. herzfelD 1955, no 18, p. 66-67. 79. herzfelD 1955, nos 22 et 23, p. 70.
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la fuite des habitants, des massacres, de la famine qui avait suivi et des épidémies ; toutefois, il semble qu’elle se soit largement réimplantée à l’intérieur de l’espace compris entre la citadelle et le fossé des Byzantins, justifiant son intégration dans la nouvelle enceinte. En effet, à cette époque, une nouvelle menace était grandissante : celle représentée par les Moutons Blancs (Aq Qoyunlu), tribu turcomane alliée au fils de Tamerlan, qui avaient pris pied en Anatolie. En 832/1429 et 836/1433, le sultan dut organiser des expéditions militaires pour contrer leur progression80. Alep était alors un lieu de rassemblement, une base arrière des troupes syriennes et égyptiennes ; il était donc vital de renforcer les défenses de la grande ville du nord et de protéger le maximum d’habitants et de biens en construisant une enceinte plus vaste. Il faut noter que, à l’occasion de la construction de cette portion de l’enceinte, l’historien Ibn alŠiḥna précise que « les musulmans ne subirent pas de vexations, ni de dommage à l’exception de ce qu’il fallut fournir pour le chantier »81. Effectivement, ce nouveau tracé dut être accueilli favorablement par la population car il agrandissait considérablement l’emprise des murailles (figure 22), et n’avait pas nécessité la destruction de demeures et d’établissements pieux. Au contraire, dans cet espace furent fondés au xve siècle de nouvelles mosquées et équipements82. Ainsi, le déplacement de l’enceinte survenu à la faveur de la reconstruction au xve siècle avait permis d’intégrer à l’intérieur des murailles d’anciens faubourgs, urbanisées à l’époque mamelouke, entre le xiiie et le xve siècle. De plus, en matérialisant la limite orientale de la ville, ce changement avait renforcé l’importance du faubourg marchand d’al-Bānqūsa qui avait été durement touché par l’invasion de Tamerlan. Toutefois, malgré ces apports et ce dynamisme, il
Figure 22 - Alep au xve siècle : en orange, portion de l’ancien tracé de l’enceinte détruite (© É. V. 2018).
80. Ibn Taġrī Birdī, Nuǧūm VI, 645, 691. 81. Ibn al-Šīḥna, Durr, éd. p. 39 ; trad. p. 30. 82. Notamment dans le quartier d’al-Bizā [gauBe & Wirth 1984, nos 384, 377] et à l’intérieur de la porte du Fossé de Bālūǧ (devenue Bāb al-Aḥmar) [gauBe & Wirth 1984, nos 331, 332].
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est frappant de constater que le nouveau tracé du rempart annihilait définitivement le rôle défensif de la citadelle. Elle se retrouvait désormais au cœur de la ville (figure 23), alors qu’elle avait été conçue pour résister et n’avait jamais failli à sa tâche, s’étant seulement rendue aux Mongols, comme aux Tatars, en raison de la faiblesse des hommes, non de celle des murailles. [email protected] chercheur associé Ifpo – UMR 8167 Orient & Méditerranée
Figure 23 - Alep et sa citadelle en 1930, vue aérienne (© Photothèque Ifpo).
L’auteur remercie l’Institut français du Proche-Orient pour avoir permis l’utilisation des clichés issus de sa photothèque (figures 4, 7, 8, 12, 14, 21, 23).
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Manar HaMMad
Notes de synthèse
Récapituler de manière synthétique l’ensemble des interventions de deux journées denses est une entreprise ardue, car on ne saurait se contenter d’inventorier ce qui a été dit, ni se satisfaire de concaténer des résumés. Un recensement des cas évoqués mettrait en évidence la variété des faits observables, mais la réunion de nombreux spécialistes présuppose un bénéfice escompté par-delà l’intérêt particulier de certaines villes, la complétude d’un inventaire ou la complémentarité des apports relatifs à une période et une région qui nous concernent au premier chef. En d’autres termes, on espère voir apparaître des régularités qui nous renseignent sur les manières de faire et de penser de cultures dont nous assumons l’héritage. Réuni autour de la reconstruction des villes, ce colloque laisse prévoir deux types de régularités : des caractères sémantiques qualifiant la ville et ses composantes, des formes syntaxiques qualifiant les transformations de destruction et reconstruction. L’attente est satisfaite au-delà de ces faits relatifs au monde des choses : les communications mettent en évidence des formes discursives stables qui prennent en charge les villes et leurs transformations pour produire du sens, afin de réaliser des formes d’appropriation cognitive. L’ensemble des analyses procède sans accès direct aux villes détruites ou aux actes de reconstruction : force est de passer par des intermédiaires textuels ou archéologiques. Aux positions extrêmes, J.-C. Margueron exploite des données archéologiques, avec de rares allusions à des textes, alors que F. Montinaro lit des textes et ne prête à l’archéologie qu’une attention limitée. Ce faisant, les deux classes de données sont traitées comme complémentaires les unes des autres, dans une perspective qui leur suppose un contenu commun alors que leurs expressions diffèrent. En maintes occasions, la comparaison des deux classes de données met en place une procédure de véridiction : l’archéologie confirme le texte (C. Saliou), le falsifie (D. Briquel), ou le projette parmi les discours qui nous renseignent sur l’imaginaire d’une société (D. Briquel, Ch. Robin, F. Montinaro). Au passage, la confrontation des données permet aux auteurs d’émettre des doutes, tant sur l’exactitude des assertions textuelles (D.-M. Cabaret, A. Herda, J.-B. Humbert) que sur la certitude des interprétations archéologiques (D. Briquel, D. Chatzivasiliou). Dans le cas de la ville d’Ougarit, la comparaison des textes et des traces archéologiques aboutit à l’affirmation d’une probabilité (R. Hawley). Lorsque les données s’avèrent insuffisantes, on admet que la question reste indécidable (P. Magdalino).
Reconstruire les villes : modes, motifs et récits, éd. par Emmanuelle Capet, Cécile Dogniez, Maria gorea, Renée KoCh piettre, Francesco Massa, Hedwige rouillarD-Bonraisin (Semitica & classica. Supplementa 1), Turnhout, 2019, p. 323-332 DOI 10.1484/M.SUPSEC-EB.5.118531
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Cependant, les textes ne sont pas toujours posés au même niveau sémantique que les choses : on leur reconnaît une qualité métalinguistique lorsqu’ils parlent des choses et les surdéterminent. À titre d’exemple, M. Debié signale que les textes commémoratifs fonctionnent comme des discours qui « construisent » l’action des hommes sur les villes (en la rapportant, ils la dotent d’une forme et d’un sens). Autre exemple, Ch. Robin souligne que le vocabulaire des langues sudarabiques exprime le rôle dominant des hommes et des segments tribaux par rapport aux agglomérations urbaines et leurs régions. En d’autres termes, la langue verbale désigne les entités et présuppose leurs rapports. Cet exemple sudarabique, que nous venons de citer pour illustrer la relation sémantique entre les textes et les choses, met en évidence une autre opposition, présente de manière récurrente dans d’autres régions et contributions, qui distingue deux composantes principales dans l’univers non verbal, à savoir l’espace social (ensemble articulé des hommes, dit espace social par commodité) opposé à l’espace physique (celui des villes et du territoire). Nous aurons à y revenir. Il va sans dire que les éléments retenus parmi les faits apportés par les auteurs reflètent le croisement avec nos intérêts propres. On y reconnaît les préoccupations d’un architecte-archéologue poursuivant des questions de sens1. La mise en relief de quelques idées et oppositions les sépare de leur contexte et leur prête une valeur accentuée par la mise en contraste. C’est l’une des tâches qu’on peut assigner à ces notes de synthèse. Précisons ici que les exemples évoqués dans ce qui suit n’ont qu’un rôle illustratif et ne prétendent à aucun caractère d’exhaustivité. La place manque pour citer tous les apports.
la ville J.-C. Margueron a attiré l’attention sur le fait qu’aucun intervenant n’a analysé un village. Ils étaient invités à considérer des villes, mais aucune de ces villes ne manifeste la marque d’un éventuel village antérieur. Il n’y a pas d’attestation du passage direct et continu de l’une de ces formes à l’autre, et s’il y eut passage il fut indirect et discontinu. Les villes mésopotamiennes apparaissent d’emblée construites comme telles. Même en ruines, elles sont reconnaissables sans qu’on ait besoin de donner une définition analytique de leur forme ou de leur fonctionnement (S. Görke). Leur identification ne se réduit pas à l’extension en surface (J. Scheid, É. Vigouroux) ou à l’enfermement à l’intérieur d’une enceinte militaire, car il y a de grands bourgs qui ne sont pas des villes, et des enceintes qui définissent des forts, pas des villes. Un tracé régulateur (concentrique ou orthogonal) exprime parfois au sol l’homogénéité urbaine et le caractère volontaire de son tracé. C’est le cas à Mari (J.-C. Margueron), à Milet (A. Herda) et à Sélinonte (H. Dridi). La stabilité du plan d’une ville qui subit une reconstruction exprime, sur un autre registre, un caractère lié à une organisation spatiale stable (D.-M. Cabaret, P. Magdalino). La ville dont parlent les différents auteurs n’est pas la même. En disant ceci, nous ne parlons pas des variables d’espace et de temps qui déterminent géographiquement diverses villes historiques, mais du fait que les auteurs n’entendent pas le mot ville au même sens. Pour les uns, la ville est une unité intégrale considérée comme une totalité spatiale (Ch. Davoine parle de ville prise dans sa globalité et de ville entière), pour ainsi dire vue de l’extérieur ; alors que pour d’autres la ville est une unité partitive ramenée à des parties constitutives reconstruites ou délaissées (D. Chatzivasiliou, H. Dridi, A. Herda, C. Saliou), ce qui traduit une perspective interne à la ville. Quelques auteurs passent d’une perspective à l’autre dans la poursuite d’une description satisfaisante.
1.
J’utiliserai des termes techniques relevant de la sémantique, en espérant que leur usage est devenu commun. Pour toute explicitation, consulter l’ouvrage de greiMas & Courtés 1979.
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Parallèlement et sur une autre isotopie sémantique, les fondations et refondations de villes (Constantinople, Antioche), leur changement de nom (huit cas relevés par Ch. Davoine) ou de population (H. Dridi), mettent en évidence des entités intégrales qui ne sont pas définies dans l’espace physique mais dans l’espace humain. C’est ce qui fait l’identité civique des villes gréco-romaines et leur statut de « personne morale » selon le vocabulaire juridique moderne. Ce caractère intégral fait que les villes ne se réduisent pas à des collections d’habitants individuels. Les institutions urbaines (J. Scheid) expriment, sur le registre juridique, cette même unité intégrale. Ce qui n’empêche pas l’existence d’autres cas où l’espace humain de la ville présente un caractère partitif, particulièrement net dans les villes sudarabiques où la population se réclame de deux groupes tribaux rivaux (Ch. Robin). La récurrence de cette situation dans le sud de l’Arabie en fait un caractère structurel : ces villes se présentent comme résultant de l’équilibre entre deux groupes symétriques, et marquent l’absence de concordance entre la partition de l’espace social (à deux composantes) et celle de l’espace physique (pour une ville), alors que l’idéal grec tend à confondre l’un et l’autre. Émile Benveniste2 a écrit quelques belles pages où il oppose la Polis grecque, unité intégrale dont dérive l’individu Politès, à la Civitas latine dont la forme dérive de Cives : au sujet de la ville, les perspectives sémantiques de ces deux cultures, que nous percevons comme proches, étaient fortement différenciées.
la reConstruCtion Des villes Quelques intervenants signalent que la langue de leurs sources (le grec pour Ch. Davoine et C. Saliou, l’araméen pour M. Debié, le sudarabique pour Ch. Robin) ne fait pas la différence entre les vocables désignant une construction ou une reconstruction, alors que la distinction est présente chez les auteurs exploitant des sources dont la langue dérive du latin (ou a été influencée par le latin). Nous savons que les inscriptions arabes de retouche ou reconstruction (attestées dès le huitième siècle) ne font pas la distinction et disent construire à la Coupole du Rocher de Jérusalem et au Nilomètre de Rawdat près du Caire. É. Vigouroux retrouve à Alep la continuité de cet usage au quinzième siècle. Un même fait sémantique, manifesté par des langues différentes, signale un caractère culturel traduisant le manque d’intérêt pour ladite distinction : le geste constructeur prime, la référence à une construction antérieure n’est pas valorisée, ce qui est porteur de sens c’est la référence à une destruction antérieure. La réparation du manque joue un rôle moteur pour le sens et affirme la continuité au même lieu. En somme, les inscriptions qui commémorent la continuité de la fonction remplie et l’instauration neuve pour l’architecture construite qui l’accueille font la distinction entre fonction et forme et les valorisent différemment. Quatre intervenants relèvent, dans leurs données, des régularités sur les reconstructions qu’ils considèrent : J.-C. Margueron dégage, à partir de chantiers de fouille mésopotamiens, la récurrence d’une manière de fonder (et refonder) matériellement les villes à l’âge du Bronze. Ch. Davoine relève chez Malalas quarante occasions où l’empereur finança, pour des montants divers, des opérations de restauration ou de reconstruction. J. Scheid et C. Saliou décrivent, l’un à Rome et l’autre à Antioche, des interventions impériales aux manières régulées. J. Scheid montre la cohérence sémantique des actions concertées étalées sur plus de quarante ans. C. Saliou décrit, sur près de trois siècles et demi, un même « schéma processuel » pour le constat des dégâts lors de catastrophes urbaines, la détermination des moyens nécessaires à leur restauration, et la mise en œuvre des décisions. Mais les autres villes ou autorités n’offrent pas autant
2.
Benveniste 1969, vol. 1, p. 361.
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de récurrences. Pour dégager des régularités relatives à leurs manières de faire, on peut considérer les transformations autrement, en tenant compte de leur structure syntaxique et de la complexité sémantique. Les reconstructions de ville sont quelquefois ramenées à la reconstruction d’un ensemble d’éléments constitutifs particuliers : édifices publics relevant du pouvoir politique, basiliques judiciaires, temples ou églises, enceintes militaires, théâtres, bains publics et aqueducs (J. Scheid, Ch. Davoine, C. Saliou, J. Gascou). Ces éléments reviennent avec régularité dans les interventions, ce qui en fait des parties constitutives de la ville. Ce faisant, la ville est définie comme une unité partitive, connue par la connaissance de ses parties. D. Briquel n’est pas seul à rapporter les bâtiments constitutifs de la ville aux trois fonctions (Religieuse, Militaire, Économique) reconnues par G. Dumézil dans la mythologie indo-européenne. À ces fonctions, les données archéologiques imposent d’ajouter une quatrième fonction, politique, mise en avant par É. Benveniste sur le vocabulaire des institutions indo-européennes. L’isotopie politique est évoquée par D. Briquel, D. Chatzivasiliou, F. Montinaro, J Scheid, C. Saliou. Ce qui met en œuvre une taxinomie à quatre classes sémantiques, identique à celle que l’historien Michael Mann reconnaît chez des sociétés non indo-européennes. Un tel outil descriptif est utile pour rendre compte de la complexité des activités occurrentes à l’intérieur d’une ville. La pertinence de ces catégories se manifeste à Mari, où le traitement des fondations change selon qu’il s’agit de palais, de temple, ou du reste de la ville, en particulier pour le tracé viaire conçu pour faciliter l’écoulement des eaux pluviatiles. Cet exemple et celui des cités d’Antioche (C. Saliou) et de Jérusalem (D.-M. Cabaret) montrent que les rues, et leurs colonnades en particulier, figurent parmi les parties constitutives de la ville. La monumentalisation des bâtiments et des rues (D. Chatzivasiliou, J. Scheid) s’inscrit dans un programme de célébration urbaine et de concurrence entre villes. Une sélection de bâtiments représentatifs caractérise la position idéologique d’un auteur ancien (Ch. Davoine, P. Magdalino) ou d’un bienfaiteur constructeur. La plupart des reconstructions de ville adviennent dans l’espace physique. Cependant, certaines opérations de fondation (ou refondation) affectent l’espace social et n’ont pas d’expression spatiale immédiate : ce sont des reconstructions sémantiques qui définissent de nouvelles institutions (J. Scheid sur l’action d’Auguste à Rome) et des droits afférents, qui se traduiront ultérieurement par des effets matériels dans l’espace physique. Certaines opérations d’urbanisme évoquées à Bagdad et à Constantinople (F. Montinaro), ou à Antioche (C. Saliou) décrivent des opérations, projetées ou réalisées, qui séparent la population urbaine en deux sous-groupes : une population ordinaire et une population privilégiée rattachée au palais de gouvernement. Dans l’espace physique, l’étendue du palais en fait une ville dans la ville. Dans l’espace social, l’opération établit une ségrégation entre deux groupes (parties) humain(e)s. Dès lors, la ville sociale est pensée comme partitive, d’une manière hiérarchisée qui s’oppose à la manière symétrique sudarabique. É. Vigouroux fournit avec Alep l’exemple d’une opération contraire qui réunit, à l’intérieur d’une même enceinte, deux populations qui avaient été séparées. J. Scheid évoque une modification de l’espace social par des actions affectant les structures administratives et les pratiques rituelles : en modifiant les institutions, Auguste modifie l’espace social, et la communauté civique de Rome est traitée comme partitive.
la ville positionnée en son espaCe Un colloque réuni autour du thème de la reconstruction des villes invite implicitement à regarder l’intérieur de la ville plus que son extérieur. C’est ce qui domine dans les textes réunis ici. Cependant, certains auteurs prêtent une attention particulière à la position de la ville dans l’espace, à ce qui la définit
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par rapport à ce qui l’entoure (rapports de la ville à son territoire), et même à ce qui la met en relation avec des villes éloignées. La position de la ville (ou de ses composantes) dans l’espace physique est une question posée avec plus ou moins d’acuité selon les cas envisagés. Pour Gaza (J.-B. Humbert), le même toponyme désignait la ville et son territoire. Puis la ville changea de nom à une période historique, et changea d’implantation en restant dans la même zone. Elle connut aussi un état polycentrique, doté de trois sites urbains contemporains proches les uns des autres. D’autres villes, telles que Milet (A. Herda) et Sélinonte (H. Dridi) manifestent des phénomènes similaires qui posent le problème de la correspondance entre le nom de ville, connu par les textes, et la morphologie du territoire naturel (relief, baies) et culturel (zones construites et/ou détruites). Ces questions topologiques, qui se posent aussi bien au niveau de la ville intégrale qu’à celui de ses composantes partitives, recouvrent deux mécanismes sémantiques distincts : d’une part, il y a l’attribution d’un nom propre à une agglomération de l’espace physique (toponymie), comme on nomme une personne dans l’espace social (anthroponymie) ; d’autre part, il y a le positionnement d’une agglomération dans l’espace géographique en la rapportant aux fleuves, mers, montagnes… ou en lui attribuant des coordonnées en latitude et longitude. Certaines recherches de géographie humaine (haggett 1969 & 1973) étudient ces questions à différents niveaux d’abstraction géométrique (géométries topologique, projective, métrique) qui ne sont pas abordés dans ce recueil, et cette possibilité demeure ouverte. Pour Athènes (D. Chatzivasiliou), l’identification des portes urbaines ménagées dans l’enceinte de Thémistocle permet de restituer un nœud de réseau routier qui mettait la ville en relation avec d’autres villes grecques, ce qui constitue une autre manière géométrique (théorie des graphes) de la situer dans l’espace régional urbanisé. L’acte de nommer une ville physique située dans l’espace topographique recouvre les deux mécanismes distingués ci-dessus. On le confond parfois avec la mise en correspondance des textes avec la réalité archéologique, mais il possède ses particularités propres et se manifeste sous deux formes symétriques distinctes : d’une part localiser dans l’espace physique une ville dont on connaît le nom par les textes (ex. la vieille Gaza sous l’agglomération étendue actuelle), d’autre part, l’acte d’identifier (attribuer un nom) un site archéologique inconnu dégagé par la fouille (ex. Maïuma et Anthédon sur le rivage érodé de Gaza). L’Arabie du Sud (Ch. Robin) montre que ces mêmes mécanismes sont manifestés dans l’espace social, où les noms désignent des segments tribaux ou des groupes de population. La combinaison des deux mécanismes (positionner dans l’espace physique, nommer dans l’espace social) relève de la géographie humaine, abordée de manière marginale par ce colloque plus préoccupé par des questions de reconstruction urbaine. Les enceintes urbaines marquent la limite séparant la ville de ce qui n’est pas elle. Notons que l’enceinte défensive fournit une définition militaire de la ville, faisant passer au second plan les autres activités urbaines. Or un dispositif similaire est attesté sur l’isotopie religieuse : le Pomerium de Rome, évoqué par D. Briquel et J. Scheid, définit religieusement la ville et surdétermine son espace par un caractère d’exclusivité (Romulus tua Remus car ce dernier franchit le sillon du Pomerium). À Jérusalem un Pomerium fut tracé lors de la reconstruction romaine (D.-M. Cabaret). À Athènes, une limite religieuse équivalente interdit l’inhumation des morts à l’intérieur de la ville (D. Chatzivasiliou). Les péages urbains définissent, de manière parallèle, une limite économique pour l’espace de la ville. Quelle que soit leur isotopie dominante (militaire, religieuse, économique), les limites urbaines déterminent les points de passage où le franchissement est soumis à des règles. C’est à ces portes urbaines qu’aboutissent les voies (routes et canaux) qui relient la ville à ce qui n’est pas elle (D. Chatzivasiliou). C’est par là que pénètrent les hommes et les biens, en particulier l’eau arrivant par un canal (Mari) ou un aqueduc (Rome, Constantinople, Antioche).
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les villes en transforMation Dans l’espaCe et le teMps La manifestation des reconstructions urbaines n’est pas restreinte aux seuls bâtiments restaurés, agrandis ou réduits, elle recouvre aussi les populations affectées par des épidémies, des massacres, des déportations ou des abandons par lesquels la ville sociale se disjoint de la ville physique. Quelquefois, l’abandon d’un lieu n’est que l’une des traces d’un déplacement par lequel la ville s’est reconstruite ailleurs, manifestant l’importance du lieu d’implantation comme variable descriptive (Sélinonte, Milet, Antioche, Constantinople, Gaza). Abandon ou déplacement peuvent affecter la ville comme unité intégrale, ou n’affecter que des parties de la population (par exemple le gouvernement) ou des bâtiments (composantes partitives). Alors que la destruction est brutale et ponctuelle, la reconstruction est souvent longue. Il en découle des reconstructions totales ou partielles, identiques à l’état antérieur ou différentes, in situ ou ailleurs (J.-B. Humbert), rapides ou étalées dans la longue durée. La combinaison de la durée temporelle et de la permanence spatiale ainsi que la conservation du nom de ville produisent un effet de sens de continuité : la ville maintient son identité et inscrit dans la matière une mémoire externe. A contrario, le changement de fonction d’un espace donné équivaut à un effacement de mémoire externe. De ce point de vue, la mémoire n’est pas considérée comme une capacité cognitive réservée à un observateur humain, mais elle est extériorisée et inscrite dans la matière. La ville en est le sujet et l’objet à la fois. Si la continuité d’occupation en un lieu exprime la poursuite de l’existence de la ville sociale dans la ville physique, le changement du groupe social implanté en un lieu donné, ou le changement de lieu pour un groupe, marque des opérations discontinues d’appropriation (ou d’expropriation), abordées ici de manière épisodique. L’ensemble des formes de transformation évoquées est couvert par la notion d’aspectualisation, généralisée en sémantique à partir de travaux linguistiques, grammaticaux en particulier. La catégorie de l’aspect recouvre les changements manifestés sur les dimensions de l’espace, du temps (J. Scheid, P. Magdalino) et des acteurs engagés dans l’action (A. Herda, H. Dridi). L’aspectualisation est verbalement exprimée par des langues naturelles telles que l’arabe, le grec ou les langues slaves, où les catégories de l’accompli/inaccompli ou de perfectif/imperfectif dominent les phénomènes traduits en latin par les notions de passé/présent/futur.
la reConstruCtion Dans le teMps : perspeCtive narrative Si on tombe facilement d’accord sur le fait que « La ville peut être appréhendée comme un corps vivant qui évolue constamment […] » (D. Chatzivasiliou), il n’en reste pas moins que « […] the process of reconstruction […] was too varied and complex to be reducible to a single explanatory formula » (P. Magdalino). Il en découle la nécessité de recourir à des descriptions narratives élaborées. La première caractéristique des reconstructions est qu’elles ont été précédées d’une destruction : une relation d’ordre (consécution) range l’avant et l’après sans considération de durée. La prise en compte de cette dernière distingue la reconstruction immédiate de la reconstruction différée, avec les aléas d’abandon intermédiaire. La récurrence de la séquence destruction/reconstruction, comme dans les séries de secousses sismiques à Antioche, ou dans la répétition des incursions perses dans la même ville, définit une période durative caractérisée par l’instabilité, où les reconstructions itératives acquièrent des effets de sens différents. Les textes attestés présentent la reconstruction comme sémantiquement dépendante de la destruction qui l’a précédée : la simple consécution prend des allures de causalité. Quatre types de destruction sont évoqués dans les textes réunis ici : des séismes (R. Hawley, H. Dridi, C. Saliou, M. Debié), l’invasion
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du sable (J.-B. Humbert), des incendies (D. Briquel, D. Chatzivasiliou, Ch. Davoine, J.-C. Margueron, C. Saliou, J. Scheid) et des saccages (D. Briquel, D.-M. Cabaret, D. Chatzivasiliou, Ch. Davoine, S. Görke, A. Herda, J.-C. Margueron, C. Saliou, É. Vigouroux). Si les séismes ont pu être attribués par le passé à une divinité courroucée (S. Görke, Ch. Davoine, M. Debié), cette lecture ne se retrouve pas toujours dans les textes. Domine dans les récits la volonté malveillante des destructeurs (perspective politique et militaire), à laquelle répond en symétrie l’action réparatrice qui manifeste soit la volonté impériale, soit le sentiment d’obligation que le gouvernant aurait ressenti (S. Görke, C. Roche-Hawley). Dans une perspective religieuse, les divinités imposent un devoir au gouvernant qu’elles ont mandaté.
l’enChâsseMent DisCursif Que les acteurs engagés dans l’action relèvent de la nature, de la culture ou des divinités, ils ont en commun des caractères anthropomorphes qui les font agir par vouloir, par devoir ou en récompense (les divinités sont présentées comme des acteurs jugeant l’action des hommes, les punissant ou les récompensant). Ces effets de sens sont produits par les discours qui narrent les événements, et on peut, a posteriori, faire la différence entre ce qui est advenu et la manière dont l’événement est narré. La narration, qui adopte des formes stables, prend en charge les villes et leur destruction/reconstruction pour produire du sens. Ceci est vérifiable, tant au niveau des récits historiques pris comme sources, qu’au niveau des analyses récentes qui se proposent de produire du sens à partir des matériaux qu’elles réunissent. Toute succession d’événements, réels ou fictifs, revêt la forme d’un noyau narratif, qui apparaît comme plus ou moins complet en comparaison avec des formes narratives auxquelles l’antériorité a conféré un caractère canonique. Raconter les événements réels ne diffère pas, structurellement, de la narration d’une fiction. D’où découle la forte tendance, constatée chez les narrateurs historiques, à compléter le noyau narratif et à restituer ce qui lui manque. Ainsi, toute action présuppose un sujet, auquel on prête une intention propre (vouloir) ou une obligation externe (devoir). De tels éléments ont une valeur explicative : ainsi, les choses n’adviennent pas d’elles-mêmes, sans finalité. Elles sont positionnées entre un début (virtualisation du sujet) et une fin (évaluation de l’action). Si les éléments initiaux et finaux ne sont pas présents dans les données, ils sont restitués par un questionnement, une invention, ou par ce qui apparaît comme une évidence. La perspective narrative définit, de manière implicite, les valeurs positives et négatives. Pour les récits de reconstruction, la ville physique est positivement marquée, et sa reconstruction est réalisée par un sujet positif, alors que la destruction apparaît comme produite par un sujet négatif (agresseur). À moins que la destruction n’ait été une punition divine, par laquelle on reconnaît que la ville sociale avait commis des actes négatifs. M. Debié rapporte le cas d’une inondation à Édesse en 525 è. chr. : ce même événement reçut deux explications divergentes dans le contexte des luttes théologiques locales. Ce qui met en évidence le rôle explicatif et justificateur du récit narratif. La prise en charge narrative, qui produit des effets de sens sur le plan cognitif, est indifférente à la distinction entre désastre naturel et saccage culturel : elle est capable de les prendre en charge de la même manière dans un même cadre discursif. Elle peut même les concaténer, et expliquer un événement culturel (révolte) par un phénomène naturel (sécheresse) envoyé par une divinité (surnaturelle) : ce fut le cadre narratif des récits de la chute d’Agadé à l’âge du Bronze, analysés par J. J. Glassner dans une perspective historique et par H. Weiss dans une perspective écologique3.
3.
Voir glassner 1986 ; Weiss 2012, 2015, 2017.
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Historiquement, la perspective narrative est dominée par le point de vue du sujet constructeur, ce qui sous-tend un programme qui magnifie ledit sujet. La ville passive est mise en relation avec un sujet actif, attribuant à la ville le rôle d’objet : désiré, acquis, possédé, détruit, restauré. Si la ville avait été sujet, sa destruction (totale ou partielle) l’aurait placée en état de manque, et sa reconstruction aurait réparé le manque. Mais ce n’est pas le cas dans les sources textuelles : ce sont toujours des autorités supérieures, caractérisées comme détentrices du pouvoir politique et militaire, qui créent le manque, l’évaluent, le réparent. Lorsqu’elles réparent le manque, les autorités apparaissent comme sujet doté de capacités économiques (Ch. Davoine, C. Saliou). La dîme du butin d’Athènes finança la colonne serpentine et le trépied d’or de Delphes (D. Chatzivasiliou). La remise d’impôt accordée par Byzance équivaut à une subvention accordée à des particuliers (C. Saliou). Il est rarement question de volontés individuelles attribuées à des habitants. Les exceptions se trouvent dans l’Empire byzantin, où des populations envoient des pétitions à l’empereur (Ch. Davoine), et à Alep, lors de la modification des enceintes et la remise en cause de propriétés privées (É. Vigouroux). Les volontés rapportées par les textes sont royales, impériales, divines : elles ont en commun d’être transcendantes, alors que les villes apparaissent comme immanentes. Le cas d’Auguste est particulier, en ce que son action est présentée dans les Res gestae comme capable de transformer la ville physique, les institutions urbaines, et de transformer réflexivement l’empereur luimême (J. Scheid). Les récits de reconstruction ne mettent pas en valeur les villes construites, mais les sujets constructeurs. Ces sujets, magnifiés par les récits, sont peut-être des représentants métonymiques de leur groupe, ce qui met en avant l’espace social par rapport à l’espace physique. Une question identitaire est implicitement posée dans la durée : les récits de reconstruction visent à inscrire dans la mémoire de la postérité l’image positive d’un groupe qui a produit des héros constructeurs.
iDentité et MéMoire Les questions d’identité et de mémoire apparaissent explicitement dans plusieurs interventions (pour l’identité : Ch. Davoine, H. Dridi, F. Montinaro, C. Saliou ; pour la mémoire : D. Briquel, D. Chatzivasiliou, C. Roche-Hawley) et implicitement chez d’autres, parfois en liaison avec la notion de propriété et d’appropriation (Ch. Davoine, J. Gascou, F. Montinaro, Ch. Robin, C. Roche-Hawley, C. Saliou, J. Scheid). Identité et mémoire sont des notions sémantiques4. Elles peuvent recevoir des expressions matérielles, mais ce sont des effets de sens, liés ici aux opérations de reconstruction. À Athènes ou Milet, la décision de ne pas reconstruire des monuments détruits par les Perses équivaut à une inscription de mémoire par l’abstention d’agir (D. Chatzivasiliou, A. Herda). Présupposant un sujet cognitif, ces notions sont caractérisées par la conjonction virtuelle d’éléments séparés dans l’espace et/ou le temps. La mémoire est cumulative, opérant selon une logique non exclusive, alors que la position du sujet dans l’espace physique est exclusive (il ne peut être là et ailleurs en même temps). En d’autres termes, l’identité et la mémoire se construisent sur un espace signifié, non sur un espace physique. Elles génèrent un genre littéraire particulier (M. Debié, C. Roche-Hawley) qui reste marginal pour cette rencontre.
4.
Cf. haMMaD 2008, 2015, 2016.
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appropriation et réappropriation De l’espaCe L’appropriation des terres sollicite l’attention de quelques intervenants (F. Montinaro, H. Dridi, J. Gascou). Non inscrite explicitement dans les sources, elle apparaît comme un effet de sens projeté par l’analyste sur les sujets qui interviennent dans la reconstruction. La question de la propriété du sol urbain pose des problèmes susceptibles d’être abordés par le témoignage des « textes de la pratique », où on trouverait la trace des transactions de vente, de location, et de partage lors d’une succession. La propriété publique des sols, la transformation de ces derniers lors de l’érection d’un sanctuaire ou d’une église, ou la privatisation des droits sur le sol, posent des questions qui n’ont pas manqué d’être manifestées lors des reconstructions urbaines. La stabilité relative des plans urbains et la stabilité des implantations de lieux de culte ne sont-elles pas dépendantes des droits de propriété sur le sol ? J. Scheid, C. Saliou et É. Vigouroux posent explicitement la question de la propriété des sols lors d’une restructuration urbaine. D. Briquel l’aborde rapidement. Il serait intéressant de regarder de plus près comment cela se passe lors des reconstructions, en fonction de l’espace et du temps.
faits De DisCours et aCtes De langage Nous avons distingué, dans notre survol des travaux de ce colloque, deux types de fins poursuivies par les auteurs : d’une part, décrire les faits (villes et actes de construction), sur la dimension factuelle ; d’autre part, expliquer les faits (séquences narratives) sur la dimension cognitive. Il reste à aborder une troisième classe de fins, moins bien représentée ici, celle des actes de langage relatifs aux faits décrits. On connaît les lamentations sur la destruction d’Ur, et celles de Jérémie sur la destruction de Jérusalem. La malédiction d’Akkad relève du même genre discursif : placé sur la dimension passionnelle, ce discours ne vise pas tant la description des faits, ni leur explication, mais l’expression d’un sentiment à l’égard d’un objet absent, ledit objet étant positif pour la lamentation, négatif pour la malédiction. Cette expression prend la forme d’un acte de langage (comparable à une promesse, une menace, un serment) : c’est un acte de contrition lorsque le sujet du discours se sent coupable, un acte d’exécration lorsque le sujet se sent lésé. Il peut prendre la forme d’une prière. Dans un tel discours, la parole verbale a la valeur d’un acte de langage et occupe la place d’un acte constructif non verbal. Au lieu de réparer physiquement, de reconstruire une ville, le discours opère une réparation morale. L’acte de contrition verbal répare un acte négatif (péché) passé. À ce titre, c’est une reconstruction symbolique. De manière moins nette, le récit historique d’une catastrophe ancienne peut vouloir prévenir une catastrophe similaire future. À ce titre, le récit acquiert la valeur d’un acte préventif. Qu’ils soient placés sur la dimension cognitive explicative, ou sur la dimension passionnelle compensatrice, les discours qui narrent la destruction et la reconstruction opèrent une véritable appropriation intellectuelle sur ce qui est advenu. Une telle appropriation n’est pas assimilable au titre de propriété juridique qu’un sujet peut réclamer sur le sol. Elle est d’une autre nature : elle permet de rendre pensable ce qui est advenu, alors que l’appropriation passionnelle permet au sujet de se sentir satisfait à l’égard de ce qui est advenu.
ConClusions Les travaux réunis en ce recueil juxtaposent des perspectives d’analyse distinctes, projetées sur des villes différentes à des époques diverses. Leur réunion peut être comparée à l’opération par laquelle un observateur ferait tourner entre ses mains un objet afin d’en connaître les différents aspects. Cela permet
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de mieux connaître la ville et ses reconstructions. Cela permet aussi d’accéder à différentes manières de penser la ville (Polis grecque vs Civitas latine ; Polis grecque intégrale vs Hagar sudarabique partitive), ou de découvrir l’influence d’une culture sur une autre (S. Görke témoigne de l’influence des Phéniciens sur le discours hittite, où la mention des reconstructions était absente). Ayant constaté que l’on a souvent détruit des villes, et qu’on les a reconstruites, on arriverait peut-être à dire, de mauvais gré, que ce processus est dans l’ordre des choses, qu’il est ordinaire. Cependant, les destructions contemporaines ne manquent pas d’avoir un caractère affectif poignant. Cet effet passionnel est presque absent des analyses ici réunies. Il serait intéressant d’analyser les passions déclenchées par de tels événements, et leurs expressions historiques. Ces notes de synthèse procèdent de leur perspective propre, dominée par des questions de sémantique et de syntaxe pour rendre compte de ce qui a été fait en ces villes (opérations pragmatiques) et pensé à leur sujet (opérations cognitives). Elles proposent une interprétation. Si elles réveillent l’intérêt, notre objectif serait atteint. [email protected] ex Paris III
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ReconstRuiRe les villes
DoMinique Briquel p. 137
Résumés / AbstRActs
La prétendue reconstruction de Rome après la catastrophe gauloise (390 av. J.‑C.)
Résumé Les historiens romains relatent comment Rome fut entièrement détruite par les Gaulois en 390 av. J.‑C., puis reconstruite sous le commandement de Camille, qui apparaît comme le second Romulus, c’est‑à‑dire un nouveau fondateur de Rome. Cependant l’archéologie montre que Rome ne fut alors nullement détruite et il est beaucoup plus probable que le but des Gaulois n’était pas de détruire la ville, mais d’obtenir de ses habitants une rançon pour la laisser intacte. Mais les Romains ont projeté sur l’événement le modèle d’un vieux récit mythique, fondé sur la destruction et la renaissance du monde dans une perspective eschatologique. Abstract When describing the complete destruction of Rome by the Gauls in 390 BC and its subsequent reconstruction under the rule of Camillus, historians portray him as the second Romulus and a new founder of Rome. However, archeological evidence shows that Rome was not at all destroyed. It is much more probable that the aim of the Gauls was to obtain a ransom from the inhabitants of the city in exchange for leaving it undamaged. The Roman population projected an old mythical narrative that reflected the destruction and renewal of the entire world, in an eschatological perspective, onto the circumstances surrounding the Gallic invasion. Mots-clés Keywords
Rome, sac de Rome par les Gaulois, Camille, historiographie romaine, reconstruction légendaire, mythologie indo-européenne, crise eschatologique Rome, sacking of Rome by the Gauls, Camillus, Roman historiography, Indo-European mythology, eschatological crisis
DoMinique-Marie CaBaret
Ælia Capitolina, ville reconstruite ?
p. 151 Résumé Trop souvent, les spécialistes considèrent qu’Hadrien put faire tabula rasa du passé et reconstruire une ville totalement nouvelle lorsqu’il fonda Ælia Capitolina. Une analyse sérieuse de la carte de Madaba et de la topographie de Jérusalem à partir des cartes et photos satellites les plus récentes met en cause un tel a priori et montre que les architectes d’Hadrien ont conçu l’urbanisme de la nouvelle colonie romaine en tenant compte d’un urbanisme antérieur. Abstract Scholars have frequently stated that Hadrian worked from a clean slate and built a totally new city when he founded Ælia Capitolina. A analysis of the Madaba map and of the topography of Jerusalem from maps and modern satellite imagery shows that the new design of the Roman colony by Hadrian’s architects was respectful of the previous layout of the town. Mots-clés Keywords
Ælia Capitolina, carte de Madaba, Hadrien, Titus, J. Sauvaget, Dôme de la Roche, mont des Oliviers, porte de Damas Ælia Capitolina, Madaba map, Hadrian, Titus, J. Sauvaget, Dome of the Rock, Mount of Olives, Damascus Gate
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Reconstruire les villes
Despina Chatzivasiliou
La reconstruction d’Athènes après les guerres médiques
p. 73 Résumé Une pléthore d’images, cultes et traditions fut engendrée par les guerres médiques. La victoire des Grecs devint un outil de propagande puissant renforçant le rôle d’Athènes par rapport à ses voisins. La bataille de Marathon donna naissance à un véritable « mythe de Marathon » encore vivant de nos jours. Après la bataille de Platées, lors de laquelle les Grecs éloignèrent définitivement le danger perse, la reconstruction immédiate des temples dévastés par les envahisseurs fut interdite. Les conséquences de ces événements sont lisibles dans les couches archéologiques de l’Acropole, l’Agora et les fortifications. Pourtant les absolus chronologiques imposés et communément adoptés en suivant les interprétations de la stratigraphie sont remis en question. 480 ne peut pas être utilisé avec certitude comme terminus ante quem pour l’évolution des techniques et des arts. En outre, la transformation de l’architecture urbaine servit les nouvelles instances politiques et les visées hégémoniques d’Athènes. Abstract The Persian Wars generated a great number of cults and traditions. The Greek victory became a powerful propaganda tool that reinforced Athenian position in relation to its neighbours. The Battle of Marathon gave birth to a “Marathon myth” which is still alive to this day. After the Battle of Plataea, which permanently rid the Greeks of the Persian danger, the victors swore not to rebuild the ruined temples. The consequences of these events are evident in the archaeological layers of the Acropolis, the Agora and the fortifications. However, the commonly adopted chronology that was considered absolute, is called into question by the reinterpretations of stratigraphy. The year 480 BC cannot be used as a precise terminus ante quem for the evolution of arts and techniques. Furthermore, the transformed urban architecture served the new institutions of the Athenian democracy and the hegemonic ambitions of the city. Mots-clés Keywords
Acropole, Agora, Athènes, fortification de Thémistocle, guerres médiques, Marathon, Perserchutt, Serment de Platées Acropolis of Athens, Agora, Athens, Themistoclean Wall, Persian Wars, Marathon, Perserchutt, Oath of Plataia
Charles Davoine p. 177
Les empereurs romains et la reconstruction des cités dans la Chronique de Malalas
Résumé Dans la deuxième moitié de sa Chronique, rédigée au vie siècle apr. J.‑C., Jean Malalas propose un résumé des événements survenus sous le règne de chaque empereur romain, d’Auguste à Justinien. Les catastrophes qui frappent les cités de l’Orient romain y figurent en bonne place, comme autant de colères divines auxquelles le souverain remédie en reconstruisant la ville. Le récit de cette activité réparatrice est souvent bref, mais l’auteur donne parfois quelques détails, comme le montant ou les destinataires des bienfaits impériaux, l’octroi d’un nouveau nom à la ville reconstruite et enfin les constructions nouvelles réalisées à l’occasion des travaux. L’empereur est toujours présenté comme l’initiateur de telles transformations, mais ces refondations urbaines sont aussi l’occasion, pour Malalas, de célébrer les merveilles de certaines cités. Dès lors, la Chronique constitue une source majeure sur l’idéal urbain de l’Orient romain tardif et sur son lien étroit avec le pouvoir impérial.
Résumés / Abstracts
335
Abstract The second half of the Malalas Chronicle, written in the sixth century aD, gives a summary of events which occurred during the reign of every Roman emperor, from Augustus to Justinian. The disasters which strike the cities of the Roman East are often mentioned and are interpreted as wrath of God, which are followed by an imperial reconstruction. The reports on these reconstructions are often brief. However, on occasion the author provides specific details, such as the amounts and the names of recipients of the imperial generosity, the new name given to the rebuilt city and the new structures erected during the works. While crediting all the transformations to the emperor, Malalas uses this opportunity to celebrate the wonders of certain specific cities. This narrative establishes the Chronicle as the fundamental source for the urban ideal in the Late Roman East and its close links with the imperial power. Mots-clés Keywords
Muriel DeBié p. 231
Malalas, chronique, reconstruction, restauration, ville, cité, Empire romain, Empire byzantin Malalas, chronicle, rebuilding, restoration, city, Roman Empire, Byzantine Empire
Réparer les brèches : monuments littéraires et théologie politique dans les villes syriaques des frontières
Résumé Cette contribution s’intéresse à la littérature poétique syriaque composée pour accompagner et interpréter les catastrophes militaires et naturelles subies par les villes frontières des Empires romain et sassanide dans l’Antiquité tardive. Qu’il s’agisse des fondations des villes (Édesse, Karke d‑Bet Slok ou Dara) ou sièges (Nisibe), des inondations (Édesse) et tremblements de terre (Nicomédie) qu’elles n’ont cessé de subir, des explications symboliques ont été mises en œuvre par les auteurs syriaques afin de leur donner un sens et d’apporter une interprétation théologique. Œuvres d’art, les poèmes contribuent par leur art oratoire et rhétorique dans la lignée des modèles classiques à la construction d’une mémoire et d’une reconstruction symboliques. Abstract This contribution focuses on the Syriac poetry composed in order to accompany and interpret the military and natural catastrophes experienced by the border cities of the Roman and Sassanian Empires in late antiquity. Whether the poems dealt with the foundation of cities (Edessa, Karka d‑Bet Slok or Dara), sieges (Nisibis), floods (Edessa), or earthquakes (Nicomedia), endured by these cities, the Syriac authors provided symbolic explanations in order to make sense of the events and offer a theological interpretation. As works of art, these poems utilise the classical models of oratory and rhetoric skills. These models are used for the construction of a specific memory and the formation of its symbolism. Mots-clés Keywords
Antiquité tardive, Éphrem, Nicomédie, Édesse, Dara, Nisibe, rhétorique tardo-antique late antiquity, Ephrem, Nicomedia, Edessa, Dara, Nisibis, late antique rhetoric
héDi DriDi
Reconstruire la ville à la mode punique : le cas de Sélinonte en Sicile
p. 121 Résumé Entre 409, date de sa prise par les armées carthaginoises et 241 av. n.è., date de l’évacuation de la Sicile par les Carthaginois à l’issue de la 1re guerre punique, le site de Sélinonte, colonie grecque la plus occidentale de Sicile, est sous autorité punique. À travers les vestiges matériels et les modalités de l’appropriation d’un espace urbain grec par une population de culture punique, il s’agit d’observer la genèse d’une forme urbaine punique.
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Reconstruire les villes
Abstract The most westerly Greek colony, Selinunte, was under Punic control from its capture by the Carthaginian armies in 409, to the evacuation of Carthaginians from Sicily at the end of the Punic War, in 241 BC. The material remains and methods of appropriation of a Greek urban space by a Punic population offer the possibility to observe the genesis of a Punic urban form. Mots-clés Keywords
jean gasCou p. 215
Sélinonte, Puniques, morphologie urbaine, urbanisme, réseau viaire, lieux de culte Selinunte, Punics, urban morphology, urbanism, road network, cultual places
Hermopolis : son paysage monumental pendant l’Antiquité tardive (l’incidence de la christianisation)
Résumé Jusqu’à la fin de l’époque romaine, la cité d’Hermopolis, en Moyenne Égypte, est restée un centre administratif, religieux et culturel important. La disparition des cultes païens au cours du ive siècle n’a pas modifié substantiellement ce profil. Nous nous proposons d’examiner quelle incidence a eu la fermeture générale des temples en 392 sur le paysage urbain d’Hermopolis. Deux papyrus grecs montrent que les édifices païens, au moins pendant les premières décennies du ve siècle, n’ont pas été détruits, ni transformés en églises, mais vendus par l’État à des laïcs aisés sous le régime des tenures emphytéotiques. Il est vrai que des églises ont été construites à Hermopolis pendant les ve et vie siècles, mais elles évitaient le site du temple principal de la ville qui est resté un espace vacant. L’édifice appelé Grande Basilique a simplement réutilisé dans ses fondations des dépouilles de monuments païens, pendant que l’église du Sud s’élevait bien sur un temple, mais enfoui depuis longtemps sous un amoncellement de détritus (un tell ou un kôm) et dénué alors de toute valeur religieuse. Si les chrétiens du lieu manifestaient apparemment peu d’intérêt pour les anciens temples, il est remarquable que des chapelles ont été installées sur des bâtiments civils, en l’occurrence sur les remparts de la ville et dans une de ses portes, un phénomène attesté en Égypte et ailleurs. En recourant à l’hagiographie locale, nous essayons d’établir la visée idéologique d’un de ces sanctuaires, une chapelle dédiée au saint local Collouthos. Cette évolution contredit une loi de l’empereur Léon qui, sans succès apparent, défendait les usurpations chrétiennes de monuments civils. Abstract Until the end of the Roman period, the city of Hermopolis, in the Middle Egypt, remained a significant administrative, religious and cultural center. The disappearance of pagan cults during the forth century aD did not significantly alter this position. We propose to examine the impact of the general closure of temples in 392 aD on the urban landscape of Hermopolis. Two Greek papyri show that pagan structures were not destroyed, nor turned into churches, at least until the first decades of the fifth century aD. Instead they were sold to well‑off laymen under the juridical framework of emphyteotic tenure. Churches were, indeed, built in Hermopolis during the fifth and sixth centuries, but they avoided the sites of the main city temple, which remained vacant. The so‑called Great Basilica simply reused pagan spolia in its foundations, and the South Church was erected on an ancient temple which lost its religious significance, being buried under a mound of rubbish (tell or kom). While local Christians were apparently uninterested in the former temples, one has to point out that Christian chapels were actively built on civil structures, namely the walls and gates of the city, a phenomenon which is paralleled in Egypt and elsewhere. With the help of the local hagiography, we try to establish the ideological purpose of one of theses sanctuaries, a chapel dedicated to the Hermopolitan saint Colluthus. Such a move contradicted a law of the emperor Leo which prohibited—without apparent success—Christian usurpations of civilian buildings. Mots-clés Keywords
Hermopolis, christianisation, temples, papyrus, baux emphytéotiques, églises, tell, chapelles de muraille, loi de Léon, saint Collouthos Hermopolis, Christianization, temples, papyrus, emphyteotic leases, churches, tell, chapels on city walls, constitution of Leo, Saint Colluthus
Résumés / Abstracts
susanne görKe
337
Reconstruire des villes et des bâtiments : perspectives de l’Anatolie hittite
p. 45 Résumé La reconstruction des villes ou bâtiments n’est pas fréquemment le sujet des textes du monde hittite du IIe millénaire avant J.‑C. en Anatolie. Cet article veut donner une vue d’ensemble sur les textes hittites en écriture cunéiforme, préservées sur des tablettes d’argile et le plus souvent venant des archives de la capitale hittite, Ḫattuša. Des indications sur la reconstruction des villes ou des bâtiments se trouvent dans les annales des rois hittites, dans les prières, les réformes du culte, les lois, les instructions ou les rituels. Néanmoins, rien de comparable aux nombreuses inscriptions de construction de Mésopotamie ne se manifeste en Anatolie. Un coup d’œil sur l’idéologie royale hittite autant que sur les sources en hiéroglyphes louvites du Ier millénaire, qui livrent de nombreux exemples d’inscriptions de (re‑)construction, tente de trouver une explication pour la situation en Anatolie. Abstract The reconstruction of a city or a building is not a subject that frequently appears in Hittite texts of the second millennium BC. This article gives an overview of mentions that refer to the reconstruction of buildings or cities from Hittite annals, prayers, texts of cultic reforms, laws, instructions and rituals in cuneiform script, preserved on clay tablets and most often found in the archives of the Hittite capital, Ḫattuša. Nevertheless, nothing comparable to the numerous inscriptions that account for the construction of Mesopotamia has yet been found in Anatolia. An examination of the Hittite royal ideology as well as the hieroglyphic Luwian inscriptions of the first millennium BC attempts to establish an explanation for the situation in Anatolia. Mots-clés Keywords
Anatolie hittite, tablettes d’argile en écriture cunéiforme hittite, idéologie royale hittite, inscriptions en hiéroglyphes louvites, Annales de Muršili II, Ḫattuša, Nérik Hittite Anatolia, Hittite cuneiform tablets, Hittite royal ideology, Luwian hieroglyphic inscriptions, Annals of Muršili II, Ḫattuša, Nerik
roBert haWley p. 53
Échos de la reconstruction de la ville d’Ougarit au xiiie siècle av. J.‑C. dans la littérature locale
Résumé Divers indices de plusieurs sortes convergent pour éclairer certains aspects de la reconstruction de la ville d’Ougarit qui a eu lieu suite à un tremblement de terre qui aurait ravagé le site au milieu du xiiie siècle av. J.‑C. Ces indices sont de nature archéologique et architecturale, certes, mais aussi textuelle. L’échelle de cette destruction semble avoir été telle que, tout naturellement, un soutien politique considérable a dû se concrétiser afin de consolider et surtout de faire avancer les travaux très coûteux nécessaires à la réalisation d’un tel projet urbanistique. Suite aux recherches d’Olivier Callot, de Carole Roche et maintenant de Nicolas Wyatt, cet article s’intéresse tout particulièrement aux mythes ougaritiques autochtones, et en particulier à un refrain particulier qui semble faire écho à ces événements. L’enjeu est double : d’une part de mettre en relief les avancées récentes dans la compréhension de la chronologie de la mise par écrit de la littérature locale, entre le milieu du xiiie siècle et la toute fin du xiiie siècle/tout début du xiie siècle, et d’autre part, d’explorer l’intérêt potentiel de l’anthropologie des médias pour encadrer et expliquer les différents indices.
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Reconstruire les villes
Abstract Various lines of converging evidence shed some suggestive light on certain aspects of the city of Ugarit’s reconstruction following a devastating earthquake which seems to have destroyed (or considerably damaged) much of the city’s urban infrastructure in the middle of the 13th century BC. These diverse data are of course archeological and architectural, but also textual. The scale of the destruction seems to have been such that considerable political support would have been necessary to consolidate and implement the very costly and extensive work necessary for reconstruction. In the wake of publications by Olivier Callot, Carole Roche‑Hawley, and now (quite recently) Nicolas Wyatt, this paper is specifically concerned with the indigenous (that is, “Ugaritic”) corpus of lyric and epic song, and in particular with one recurring refrain which plausibly provides an echo of this historical background. Two, more specific goal of this study are: firstly, to highlight some recent progress in better understanding the chronology of the redaction of the local literary corpus, between the seemingly pioneering experiments of the mid 13th century BC through the more mature redactions at the very end of the 13th/beginning of the 12th centuries; and secondly, to attempt to apply certain insights derived from “media studies” as a potentially useful filter for framing and understanding the various data. Mots-clés Keywords
Ougarit, tremblement de terre, temple de Baal, Cycle de Baal, ʾIlimilku, ʿAmmiṯtamru III, anthropologie des médias Ugarit, earthquake, temple of Baal, Baal Cycle, ʾIlimilku, ʿAmmiṯtamru III, media studies
alexanDer herDa
Copy and paste? Miletos before and after the Persian Wars
p. 91 Abstract This article discusses the position of Miletos, the “Ornament of Ionia” (Herodotos 5.28), after the 20‑year Persian War (499‑479 BCe). This leading center of the East Greek cultural sphere, mother city of more than 70 colonies, was conquered, destroyed, and occupied for 15 years by the Persians. However, Miletos was not “empty of Milesians” after 494, as Herodotos (6.22.1) purports, likely citing the now lost tragedy The Conquest of Miletos by Phrynichos of Athens. After its liberation in 479/78 and the restoration of political autonomy, the city recovered surprisingly quickly, even though it never regained its prominent position in the Greek world. Instead, Miletos’ mythical mother city Athens now ruled it, like the other Ionian cities, as leader of the Delian‑Attic League, an offensive alliance against the Persians. While the attempt to restore and modernise vital parts of the archaic infrastructure after 478 BCe is obvious, e.g. the sophisticated insula street grid already invented by the polymath Thales ca. 575‑550 BCe. Miletos became a “copy” and museum of its glorious past up to and including its destruction. Parts of the most time‑honoured sanctuaries were left in ruins, as a grim reminder according to the “Oath of the Ionians/Oath of Plataia,” not to rebuild the sanctuaries destroyed by the Persians. Other sanctuaries, like the Delphinion, were of eminent importance for the reconstitution of the city. They were rebuilt ostentatiously, using architectural and inscriptional spolia, or by “representing” the archaic and likely, also, severe style sculptures that adorned Miletos prior to its destruction. Résumé Cet article traite des conséquences pour Milet, « l’ornement d’Ionie » (Hérodote 5, 28), de la guerre médique qui avait duré vingt ans (499‑479 av. J.‑C.). Centre principal de la sphère culturelle de la Grèce orientale et métropole de plus de 70 colonies, Milet fut conquise, détruite et occupée pendant quinze ans par les Perses. Cependant, Milet n’était pas « vide de Milésiens » après 494, comme le rapporte Hérodote (6, 22, 1), citant probablement la tragédie perdue La conquête de Milet par Phrynichos d’Athènes. Après sa libération en 479/78 et la restauration de son autonomie politique, la ville put se relever avec une rapidité surprenante, mais elle ne retrouva jamais son ancienne prédominance dans le monde grec. Sa mythique ville‑mère, Athènes, la dirige désormais, comme d’autres villes ioniennes, à la tête de la ligue de Délos, une alliance offensive contre les Perses. La tentative de restaurer et de moderniser, après 478 av. J.‑C., les parties vitales de l’infrastructure archaïque a laissé des traces claires, comme le plan orthogonal des îlots et des rues, inventé déjà par le polymathe Thalès entre 575 et 550 av. J.‑C. Toutefois Milet est devenue une « copie » et un musée de son passé glorieux, jusqu’à sa destruction incluse. Certaines parties des sanctuaires les plus sacrés furent laissées en ruines, rappel sinistre, selon le « Serment des Ioniens » ou « Serment de Platées », de ne pas reconstruire les sanctuaires détruits par les Perses. D’autres, comme le Delphinion, étaient d’une importance capitale pour la restitution de la cité. Ils ont été reconstruits ostensiblement, en utilisant des spolia architecturaux et épigraphiques, ou en « re‑présentant » les sculptures de style archaïque ou sévère qui ornaient Milet avant sa destruction.
Résumés / Abstracts
Keywords Mots-clés
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Miletos, Athens, Ionia, Persian War, Oath of the Ionians/Oath of Plataia, severe style, Thales, Herodotos, Phrynichos Milet, Athènes, Ionie, guerres médiques, Serment des Ioniens/Serment de Platées, style sévère, Thalès, Hérodote, Phrynichos
jean-Baptiste huMBert
Gaza deserta (ou délaissée) : la concurrence d’Anthédon
p. 157 Résumé Les sources antiques ont dit que Gaza était une des plus grandes villes de la Syrie. Elles ont aussi répété que Gaza avait été désertée puis refondée. Or personne n’a relaté quand l’événement avait eu lieu, ni pourquoi, ni situé le déplacement. En fait, il s’agit de l’histoire de trois villes fort rapprochées les unes des autres : Gaza, Anthédon et Maïuma. Gaza, l’ancien site du Bronze dans les terres a été supplanté par une façade maritime surgie à partir du vie siècle av. n.è., grâce au développement du commerce international par mer. Gaza et la côte sont entrées en concurrence économique puis politique. Gaza ayant perdu prérogatives et autorité n’a été désertée que par ses institutions. Abstract Antique sources tell of Gaza as one of the largest cities in Syria. They also stated that Gaza was deserted and then rebuilt elsewhere. However, there are no reports on when this event took place, why or where the displacement occurred. In fact, it is the story of three cities located in very close proximity: Gaza, Anthedon and Maïuma. In Gaza, the ancient Bronze site set inland, was overtaken by a seashore settlement that emerged from the sixth century BC, due to the development of international maritime trade. Gaza and the coast have entered into economic and then political competition. Gaza, having lost its prerogatives and authority, it was deserted by its economic and social institutions. Mots-clés Keywords
Gaza, Anthédon, Maïuma, historiens de l’Antiquité, fouilles archéologiques, institutions politiques, économiques et sociales Gaza, Anthedon, Maiuma, historians of antiquity, archaeological excavations, political, economic and social institutions
paul MagDalino
Modes of reconstruction in Byzantine Constantinople
p. 255 Abstract Reconstructing a city is not a simple process. It embraces a wide range of possible ways of remaking the built environment, from the partial restoration of a single building to a comprehensive rebuilding after the total demolition of a site. Although Constantinople never had to undergo this extreme solution, it experienced all the other possible modes of urban reconstruction in the course of its long history, which was marked both by destructive events— earthquakes, fires, riots, and war damage—and by building programmes that reflected the political, ideological and aesthetic ambitions of the ruling class. Acts of reconstruction are difficult to identify with precision because the few material remains can rarely be matched with the abundant evidence of the written sources, which tend to refer to buildings and locations under different names, and to present a reconstruction as a new building. The difficulty is illustrated by the examples of three princely residences of the early fifth century, the palaces originally belonging to the sisters of Theodosius II, Marina, Pulcheria and Arcadia. It is suggested that these three case studies typify the continuity of reconstruction by which the ancient city Constantinople maintained its status and identity as a functioning capital city throughout the Middle Ages.
340
Reconstruire les villes
Résumé La reconstruction d’une ville n’est pas un processus simple. Elle englobe une large gamme de modes de réfection de l’environnement construit, de la restauration partielle d’un édifice individuel jusqu’à la réparation d’une démolition totale de toute l’agglomération bâtie. Sans avoir eu à subir cette catastrophe extrême, Constantinople byzantine connut tous les autres modes de reconstruction au cours de sa longue histoire, qui fut marquée tant par des événements destructeurs – séismes, incendies, émeutes, interventions guerrières – que par des programmes édilitaires qui reflétaient les ambitions politiques, idéologiques et esthétiques des dirigeants. À Byzance, la modalité des initiatives de reconstruction est difficile à préciser à cause de la pénurie des données matérielles par rapport à l’abondance des témoignages écrits, qui sont susceptibles de désigner les édifices et les quartiers sous des noms différents, et de présenter une reconstruction comme une construction à neuf. Nous illustrons cette difficulté en traçant les vicissitudes que connurent trois complexes résidentiels du ve siècle, les palais des trois sœurs de Théodose II, Marina, Pulchérie et Arcadia. L’étude ardue de ces trois exemples aboutit néanmoins à un résultat positif dans la mesure où elle les montre typiques, chacun à sa manière, de la « reconstruction continue » par laquelle la ville antique de la Nouvelle Rome gardait son identité et ses fonctions de capitale pendant le Moyen Âge. Keywords Mots-clés
Constantinople, urban topography, Theodosius II, aristocratic residences, urban continuity, Notitia Vrbis Constantinopolitanae Constantinople, topographie urbaine, Théodose II, résidences aristocratiques, continuité urbaine, Notitia Vrbis Constantinopolitanae
jean-ClauDe Margueron p. 9
Méthodologie archéologique pour une approche de la ville mésopotamienne
Résumé Comprendre la ville mésopotamienne et ses traits distinctifs exige de la cerner dans l’espace et dans le temps c’est‑ à‑dire selon les approches méthodologiques de l’histoire et de la géographie en sachant que l’archéologie fournit seulement l’état final, lui‑même conséquence de la géographie et de l’histoire : seul le cumul, en interaction, des trois démarches scientifiques conduit à une connaissance réelle. Dans ces conditions huit pistes de recherche permettent de cerner la réalité antique de l’objet « ville » : 1/ la définition de la réalité matérielle et les bases de la technologie constructive ; 2/ les caractéristiques du milieu physique, en particulier le régime hydrologique ainsi que les modalités de l’adaptation morphologique du site pour l’élimination des eaux ; 3/ l’aménagement de l’espace urbain en milieu de vie ; 4/ les traits de l’organisation structurale de la ville ; 5/ l’insertion de la ville dans sa région ; 6/ les raisons de la construction d’une ville à un emplacement donné ; 7/ la nature des contacts d’un niveau urbain donné avec la phase précédente ; 8/ les caractéristiques des phases urbaines antérieures et leur répercussion sur l’état final. Abstract To understand the Mesopotamian town and its distinctive features one needs to locate it in space and time, according to the methodological approaches of history and geography, remembering that archeology can only provide the final definition. Only the commutative interaction of these three scientific processes helps to fully understand the town. In these conditions, eight lines of research make it possible to encompass the antique reality of the object “town”: 1/ definition of the material reality and the principles of building technology; 2/ the characteristics of the physical environment, especially the hydrological regime, and the manner in which the morphology of the site is adapted to the evacuation of water; 3/ the arrangement of urban planning into a habitable environment; 4/ the features of the structural organisation of the town; 5/ the integration of the town into its region; 6/ the reasons for the building of a town in a given location; 7/ the nature of the relationships between a given urban level and its previous stage; 8/ the characteristics of earlier urban stages and their effect on the final state. Mots-clés Keywords
technologie urbaine, technologie constructive, régime hydrologique, structure de l’espace urbain, morphologie urbaine, stratigraphie urban technology, building technology, hydrological regime, structure of urban space, urban morphology, stratigraphy
Résumés / Abstracts
jean-ClauDe Margueron
341
Les modalités de reconstruction de Mari, Ville II, et Mari, Ville III
p. 23 Résumé Mari, fondée vers 3000 av. J.‑C., selon la technologie de l’infrastructure compartimentée, adaptée aux conditions de survie d’une architecture de terre dans le milieu relativement humide de la vallée de l’Euphrate, a connu trois phases urbaines. Mari I édifiée lors de la fondation se confond avec les premiers siècles du Dynastique Archaïque et disparaît sans qu’on puisse définir ni quand ni comment. Reconstruite vers 2600/2550 sur les mêmes bases, Mari II passe rapidement sous le contrôle de Sargon fondateur de l’empire d’Agadé et est finalement détruite par Naram‑Sin. Elle fut immédiatement relevée de ses ruines par la dynastie des Shakkannakkus qui conserva le plan‑masse tout en édifiant de nouveaux monuments : ce fut Mari III qui fut détruite par Hammurabi de Babylone sans doute en 1759. Dès lors le site ne fut que sporadiquement et très partiellement occupé aux époques médio‑assyrienne et séleucide. Abstract Mari underwent three urban stages after being founded ca. 3000 BC, according to the technique of partitioned infrastructure, best suited to the survival of earthen architecture in the humid environment of the Euphrates Valley. Mari I, constructed at the time of the foundation, developed during the first centuries of the Archaic Dynasty and disappeared for an unknown reason at an unknown period. Rebuilt ca. 2600/2550 BC on the same principles, Mari II, quickly fell under the control of Sargon, founder of the Akkadian Empire, and was eventually destroyed by Naram‑ Sin. Mari III immediately rose from its ruins thanks to the Shakkannakkus, who preserved the ground plan while building new monuments. Mari III was destroyed by Hammurabi of Babylon, presumably in 1759 BC. From that date on, the site was only sporadically and partially occupied during the Middle Assyrian and Seleucid periods. Mots-clés Keywords
technologie urbaine, infrastructure urbaine compartimentée, Euphrate, Dynastique Archaïque, empire d’Agadé, Sargon, Naram-Sin, Shakkannakku, Hammurabi de Babylone, époque médioassyrienne, époque séleucide urban technology, partitioned urban infrastructure, Euphrates, Archaic Dynasty, Akkadian Empire, Sargon, Naram-Sin, Shakkannakku, Hammurabi of Babylon, Middle Assyrian period, Seleucid period
feDeriCo Montinaro p. 269
Reconstructions imaginaires : une note sur Byzance et l’Islam du viie au xe siècle
Résumé Cette contribution est une revue non exhaustive des sources littéraires qui permettent de retracer le développement des relations culturelles entre Byzance et le califat de l’époque des grandes conquêtes jusqu’au milieu du xe siècle, avec une attention particulière sur le goût architectural et les aménagements urbains. Autrefois destructeurs de villes, les musulmans ont évolué au cours de cette période aux yeux de la cour byzantine, en dépit de conflits constants, en pairs dignes d’être considérés lorsqu’eurent lieu dans le paysage de Constantinople des modifications plus ou moins importantes. Abstract This is a cursory review of the literary evidence for the changing cultural relationship between Byzantium and the Caliphate from the time of the great conquests to the mid‑tenth century, with a focus on aspects of urban planning and architectural taste. In spite of constant conflict, the Muslims evolved in the eyes of the Byzantine court from begin the destroyers of cities, into peers worthy of consideration in times of modifications, of varied significance, to the landscape of Constantinople.
342
Reconstruire les villes
Mots-clés Keywords
Byzance, Islam, Baghdad, diplomatie, conquêtes, Constantinople, villes, Théophile, Manṣūr, Apocalypse du pseudo-Méthode Byzantium, Islam, Baghdad, diplomacy, conquests, Constantinople, cities, Theophilus, Manṣūr, Apocalypse by Pseudo-Methodius
Christian julien roBin
L’Arabie méridionale antique : la société tribale plus forte que la ville
p. 277 Résumé Le thème du volume invitant à réfléchir sur la réappropriation des villes détruites conduit, quand il s’agit de la Sudarabie, à un constat surprenant : bien que les inscriptions antiques commémorant des constructions soient innombrables, celles qui concernent une ville sont en nombre infime. Ce point de départ incitait à réexaminer plus attentivement la place de la ville dans les institutions et les représentations. Or il apparaît que cette place est très réduite, sauf (dans une certaine mesure) aux origines de la civilisation sudarabique, et seulement dans les Basses‑Terres en bordure du désert. Cette observation ne s’accorde pas avec les résultats de la démarche archéologique et historique de Jérémie Schiettecatte qui concluait au contraire à une émergence progressive de la ville, qui l’aurait emporté sur la tribu. Abstract The main topic of this volume for reflections on the re‑appropriation of the destroyed cities resulted in a surprising conclusion. In South Arabia, although the ancient inscriptions commemorating buildings are innumerable, those concerning a city are in minute number. This starting point prompted a closer look at the place occupied by the city in institutions and representations. It appears that this place is very small, except (to a certain extent) for the period of the origins of the South Arabian civilisation, and only in the lowlands bordering the desert. This observation does not agree with the results of archaeological and historical approach of Jérémie Schiettecatte, who proposed a contrary argument: a gradual emergence of the city, which would have prevailed over the tribe. Mots-clés Keywords
Arabie du Sud, Antiquité, épigraphie sudarabique, Yémen médiéval, ville, société, tribu South Arabia, antiquity, Southarabian epigraphy, medieval Yemen, city, society, tribe
Carole roChe-haWley
La mémoire des bâtiments aux mains des scribes en Mésopotamie
p. 65 Résumé Les rois mésopotamiens se sont illustrés comme de grands bâtisseurs. Leurs œuvres faisaient l’objet de compositions littéraires narrant les différentes étapes de la construction ou de la reconstruction de ces bâtiments religieux ou palatiaux. Ces récits, ou les documents de fondation déposés dans les fondations mêmes de ces monuments, pouvaient être recopiés sur plus de deux millénaires. Les scribes, parfois de milieux religieux, étaient formés pour lire et copier d’antiques inscriptions, aussi bien en langue sumérienne qu’akkadienne.
Résumés / Abstracts
343
Abstract The kings of ancient Mesopotamia were illustrious great builders. Their works were the subject of literary compositions narrating the different stages of construction and reconstruction of religious or palatial buildings. These narratives, sometimes engraved onto foundations deposits destined to be buried, were copied and recopied over more than two millennia. The scribes, often from religious backgrounds, responsible for this textual transmission, were trained to read and copy ancient inscriptions, not only in Babylonian but also in Sumerian Mots-clés Keywords
Mésopotamie ancienne, transmission, scribe, copie, récit de construction, mémoire culturelle Ancient Mesopotamia, transmission, scribe, copy, construction narrative, cultural memory
Catherine saliou
Reconstruire Antioche ?
p. 197 Résumé L’histoire d’Antioche‑sur‑l’Oronte, capitale de la province romaine de Syrie, est scandée par une série de destructions. Dans le cadre de cet article, on s’efforce de préciser la nature et le déroulement des opérations concrètes consécutives à ces destructions, et de déterminer si elles constituent des ruptures dans l’histoire de la ville ou rétablissent au contraire une continuité. L’étude concerne l’Antiquité tardive au sens large, du milieu du iiie siècle à la fin du vie. On étudie les travaux postérieurs à la destruction de la ville par les Perses au milieu du iiie siècle, les reconstructions intervenues entre 458 et 588 après des séismes ou des incendies, et enfin la reconstruction après le sac de la ville par Chosroès en 540. Dans l’histoire d’Antioche, deux attitudes se distinguent de la part du pouvoir impérial : après une catastrophe naturelle, accompagner et aider les Antiochéens dans les travaux de reconstruction de leur ville ; après les raids perses, transformer la ville pour l’adapter à de nouveaux choix stratégiques ou améliorer ses défenses. Il s’agit dans un cas de faire en sorte que les Antiochéens se réapproprient leur ville, dans l’autre d’approprier la ville à de nouveaux impératifs. Abstract Antioch‑on‑the Orontes, the capital of the Roman province of Syria, suffered several earthquakes and military attacks. This article sets out to clarify the processes following these destructions and to determine whether they mark breaks in the history of the city or restore its continuity. The study focuses on late antiquity, from the middle of the third century to the end of the sixth century aD, explores the works carried out after the destruction of the city by the Persians in the middle of the third century aD, the reconstructions of the city between 458 and 588 after earthquakes or fires, and finally the reconstruction after the sacking of the city in 540. The article shows two distinct paths taken by the imperial power: to accompany and help the Antiochians in the reconstruction of their city after natural disasters, and adapt the city to new strategic choices or improve its defences after the Persian raids. Mots-clés Keywords
Antiquité tardive, Antioche-sur-l’Oronte, séisme, guerre, reconstruction, aménagement urbain, Zosime, Procope late antiquity, Antioch-on-the-Orontes, earthquake, war, reconstruction, urban planning, Zosimus, Procopius
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Reconstruire les villes
john sCheiD
Les reconstructions augustéennes à Rome
p. 145 Résumé Les constructions et reconstructions de bâtiments, équipements ou temples publics qui marquèrent l’ensemble du principat d’Octavien/Auguste étaient moins dues à la destruction ou au délabrement de Rome qu’à une intention politique. La Ville n’était pas délabrée, mais elle avait été négligée au cours de près d’un siècle de guerres civiles. Octavien commença dès l’affrontement avec Marc Antoine par construire ou reconstruire des monuments ou sites religieux anciens, pour signifier son intention de demeurer à Rome et de lui laisser son rôle de métropole de l’Empire romain, une capitale qu’il dota à nouveau, un ou deux siècles après le début de l’expansion extraordinaire de Rome, d’une frontière. Par ailleurs il utilisa ce biais pour donner à la ville de Rome l’image d’une capitale d’empire, et prit les premières décisions qui allaient faire en deux siècles du Palatin le siège de l’administration impériale. Abstract The constructions and reconstructions of buildings, public spaces and temples that marked the beginning of the Octavian/Augustan Principate were motivated more by political intentions than by the destruction or decay of Rome. The city was not dilapidated. It was neglected during nearly a century of civil wars. Octavian began by confronting Mark Antony by building and rebuilding monuments and ancient religious sites to signify his intention to remain in Rome, and to emphasise the city’s role as the metropolis of the Roman Empire. After more than a century of Rome’s glorious territorial expansion, it has once again a frontier. Moreover, Octavian’s political manoeuvring gave the city of Rome the image of an empire capital, and was the first step to setting Palatine Palace as the seat of the imperial administration. Mots-clés Keywords
Rome, Auguste, temples, équipements urbains, limite de ville, Palatin Rome, Augustus, temples, urban amenities, city limit, Palatine Hill
éloDie vigouroux
Alep après Tamerlan : la reconstruction de l’enceinte (1401‑1430)
p. 301 Résumé En octobre 1400, après s’être emparé des avant‑postes de la frontière nord du sultanat mamelouk, le chef turco‑ mongol Tamerlan assiégea Alep. D’après les sources textuelles, les Tatars laissèrent derrière eux une ville en cendres, aux murailles anéanties. Après avoir relativisé la ruine, cette contribution exploitant les textes et les vestiges entend étudier les acteurs, les enjeux et les phases de la reconstruction de l’enceinte, entre 1401 et 1438, et son influence sur le paysage urbain. Abstract In October 1400, after attacking the northern defences of the Mamluk sultanate, the Turco‑Mongol chief, Tamerlane, besieged Aleppo. According to historical sources, during the occupation the city was reduced to ashes and the walls were destroyed. This paper, utilising texts and architectural remains, aims to reconsider the importance of the ruin and set out to analyse the actors, goals and process of rampart reconstruction between 1401 and 1438, and its impact on the Aleppo’s urban landscape. Mots-clés Keywords
Syrie, histoire urbaine, Moyen Âge, xv e siècle, fortifications, Alep, Mamelouks, Tamerlan Syria, urban history, Middle Ages, 15th century, walls, Aleppo, Mamluks, Tamerlane
taBle Des Matières
IntroductIon : renée KoCh-piettre .................................................................................................
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jean-ClauDe Margueron - Méthodologie archéologique pour une approche de la ville mésopotamienne ...........................................................................................................................
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susanne görKe - Reconstruire des villes et des bâtiments : perspectives de l’Anatolie hittite .........
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