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French Pages 230 [223] Year 1999
Glossaire j'y serre mes gloses de Michel Leiris et la question du langage
Collection Critiques Littéraires dirigée par Maguy Albet et Paule Plouvier Dernières parutions
HUNKELER Th., Echos de l'ego dans l'oeuvre de Samuel Beckett, 1997. MASSONET Stéphane, Les labyrinthes de l'imaginaire. Essai sur Roger Caillois, 1997. LAURICHESSE Jean-Yves, La Bataille des odeurs, 1997. MAILLIS Annie, Michel Leiris, l'écrivain matador, 1998. TCHEUY AP Alexie, Esthétique et folie, l'oeuvre romanesque de Pius Ngandu Nkashama, 1998. GUERMÉS Sophie, La poésie moderne, 1998. RUSZNIEWSKI-DAHAN Myriam, Romanciers de la Shoah, 1998. DELBARD Olivier, Les lieux de Kenneth White, 1998. DETIS Elizabeth, Daniel Defoe démasqué, 1999. BOUTOUTE Eric, Sade et lesfigures du baroque, 1999. MA YAUX Catherine (ed.), Jean Grosjean, poète et prosateur, 1999. MIDIOHOUAN Guy Mossito et DOSSOU Mathias D., La nouvelle d'expression française en Afrique Noire, 1999. YEPRI Léon, Titinga Frédéric Pacere : le tambour de l'Afrique poétique, 1999. GAFAÏTI Hafid, Rachid Boudjedra : une poétique de la subversion, 1999. DALZON Christian, Tom Sharpe, écrivain «populaire», de la farce à l'ironie, 1999. LABROUCHE Laurence, Ariane Mnouchkine, un parcours théâtral, 1999. TEODORO Maria de Lourdes, Modernisme brésilien et négritude antillaise, Mario de Andrade et Aimé Césaire, 1999. BASTET Ned, Valéry à l'extrême, 1999. SEMUJANGA Josias, Dynamique des genres dans le roman africain, 1999. LABBE Michelle, Le Clézio, l'écart romanesque, 1999. FOUET Jeanne, Driss Chraibi en marges, 1999. GUILLAUME Isabelle, Le roman d'aventures depuis L'lie au trésor, 1999.
Pierre-Henri Kleiber
Glossaire j'y serre mes gloses de Michel LEIRIS et la question du langage
L'Harmattan 5-7, rue de l'École Polytechnique 75005 Paris - FRANCE
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Illustration de couverture: Lithographie d'André masson, « Glossaire j'y serre mes gloses », en couverture de Glossaire j'y serre mes gloses de Michelleiris, Paris, Editions de la Galerie Simon, 1939. @ Adagp, Paris 1999
A.h ! ces Grecs, ils s'entendaient à vivre: pour cela il importe de rester bravement à la surface, de s'en tenir à l'épiderme, d'adorer l'apparence, de croire à la forme, aux sons, aux paroles, à tout l'Olympe de l'apparence! (~es Grecs étaient superficiels - par profondeur! Et n' y revenons nous pas, nous autres casse-cous de l'esprit, qui avons gravi le sommet le plus élevé et le plus dangereux des idées actuelles, pour, de là, regarder alentour, regarder en-bas? Ne sommes-nous pas, précisément en cela des Grecs? Adorateurs des formes, des sons, des paroles? A cause de cela - artistes? (Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir, Avant-propos, ~ 4) Nietzsche. Son nom évoque un bruit de tisons qui s'affaissent entre des chenêts, de fagots qu'on entasse pour dresser un bûcher ou de torche qu'on éteint dans l' eau ~peut-être aussi de feuilles sèches sur lesquelles on marche, d'allumette qu'on frotte et qui s'enflamme pour une brève illumination ou encore de jet de vapeur lancé par une locomotive au repos. (Michel Leiris, Frêle Bruit, Gallimard, 1976, p. 55)
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Introducti on
Il est aujourd'hui de notoriété courante que le surréalisme, en tant que mouvement organisé, a pris naissance dans une opération de grande envergure portant sur le langage. (...) De quoi s'agissait-il donc? De rien moins que de retrouver le secret d'un langage dont les éléments cessassent de se comporter en épaves à la surface d'une mer morte: il importait pour cela de les soustraire à leur usage de plus en plus strictement utilitaire, ce qui était le seul moyen de les émanciper et de leur rendre tout leur JX}uvoir. (André Breton, Du Surréalisme en ses oeuvres vives, 1953)
S'il est vrai que c'est au prix qu'il attache aux mots que se mesure un écrivain., alors Michel Leiris est un auteur de première grandeur. Glossaire j'y serre mes gloses compte parmi les toutes premières oeuvres d'un homme qui a traversé le siècle en maintenant toujours vivace son prodigieux engouement pour le langage et ses mécanismes - mais par-dessus tout le mystére que constitue sa double appartenance: à la fois système éminemment social, gouverné par des règles indispensables politiquement à l'intercompréhension humaine, poétiquement à sa mise en forme rhétorique - et chose à soi, d'usage libre., manipulée et annexable à volonté. Michel Leiris fonde une bonne part de sa poétique sur le recouvrement du mot par le signe., ce qui, sans imposer une sémiotique généralisée du fait littéraire., autorise à tout le moins une interrogation toujours renouvelée sur ce que parler veut dire. L'auteur entre en écriture avec cette interrogation. S'étant reconnu dès le début des années vingt la vocation d'écrire sans toutefois s'employer industrieusement à la rédaction d'une oeuvre et attendant l'impulsion salutaire en partie de l'initiateur que fut Max Jacob à qui il envoyait des
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poèmes l, Michel Leiris perçoit bientôt dans le Surréalisme un prodigieux catalyseur de son voeu de poésie. C'est la rencontre d'André Masson en 1922 puis de Georges Limbour, Antonin Artaud ou Armand Salacrou qu'il côtoie dans l'atelier du peintre, qui l'amène à rejoindre le groupe de Breton dès 1924. En 1923, la revue Intentions a publié Désert de ,nains, ensemble de poèmes inspirés par les tableaux d'A. Masson. Ses premiers pas dans le Surréalisme, pour ainsi dire, et dans une poésie qui cède aux mots le pouvoir de s'assembler par des combinaisons inédites, sont pour Simulacre, recueil de poèmes publié en 1925 aux éditions de la Galerie Simon et issus à nouveau de la complicité avec A. Masson, et surtout pour Glossaire: j 'y serre Ines gloses - qui paraît dans La Révolution Surréaliste en 1925-19262, petite oeuvre frappante dont on hésite à dire" quelquefois, si elle est celle d'un pasticheur ricanant de ses bons ou mauvais mots ou celle d'un auteur tant attaché au langage qu'il lui semble devoir l'explorer par le menu et s'y prendre, pour ce faire, de la façon la plus radicale: examiner Inot après Inot ce que peut recéler le langage - trésor caché ou vérité d'histrion - et tenir le registre de ces découvertes. Fantasme d'une langue selon ses vœux ou bien tentation potachique de gonfler l'encaisse des mots, le projet leirisien jette en tout cas les linéaments d'une linguistique excentrique propre à appliquer au vocabulaire entier ses lois
imaginaires. M. Leiris insère en ] 933 dans son Journal un « Projet d'ouvrage autobiographique» ainsI:
où l'enjeu du Glossaire est exposé
(;Iossa;re .i'y serre Illes gloses (exploiter la valeur détonante des ITIots,les disséquant à la manière chirurgicale; quelques poèmes-figures (...). Suite de Si1nulacre : il ne s'agit plus d'assembler les mots comme au hasard, pour \'oir ce qu'ils engendrent, mais de scruter chaque mot à part.3 Mettre chaque vocable sur la table de dissection analogique pour en sonder les re$~OrtS poétiques et lui assigner sa place dans l'ordre insigne de ralpnabet, voilà bien les termes de l'enjeu. Leiris s'en I. (~r. dans lA'Âge d'holJlIlle le récit succinct de cette entrée en littérature
CiallinlanJ, «, l'Ùlio », 1985, p. 87). 2. Sur r historique de r édition, cf. annexe 1. 3. Journal,
Cjallin1ard,
1991, p. 218.
la
(Paris,
remet, lui, à une véritable chifnie du verbeI. Il fait succéder au Je lyrique de Désert de fnains, fondement du projet de se dire, le « jeu de mots lyrique» (M. Leiris2), qui inscrit l'expérience personnelle dans la substance objectale du langage, qui fonde sur les événements stochastiques du lexique l' expérience même, intime, du monde. Le Glossaire, ainsi qu'il se doit, se présente comme un catalogue de mots suivis d'une définition que le titre reconnaît pour une glose. Des 835 qui le composent, l'immense majorité a le laconisme de la formule ou de l'aphorisme, quand elles ne se réduisent pas tout bonnement à un seul mot. La définition y est étroite, concentrée en un texte où semble pouvoir s'exprimer, à proportion de ce resserrement, une vérité définitive sur les mots. Leiris travaille dans un espace linguistique raréfié, où chaque mot dans la phrase se porte de son propre poids et est affecté d'une densité particulière. Leiris est épris/des mots; c'est pour cela peut-être qu'il n'en est pas prodigue. Il y a chez lui une phobie du bavardage, des mots dont on use par facilité de consommation ou par habitude de pensée, phobie qui se solde, assez paradoxalement, par une volonté d'inventorier le langage et d'en sonder les ressources. Michel Leiris refuse de prendre le pli de la langue. Il ne se fie qu'aux significations dont lui-même peut répondre, et se crée par son Glossaire des points de repère sur lesquels sa parole puisse prendre assise. Il s'agit pour lui d'annexer les mots, soit - comme il le dit explicitement - de se les approprier. Mais cette appropriation passe par la forme d'écriture la plus didactique et la plus instrumentale qui soit, la forme du dictionnaire. On hésite entre un occultisme poétique et une pédagogie, entre une écriture autotélique, qui obéit à un code particulier, et une écriture transitive, qui se plie au protocole de lecture et aux exigences de la 1. Voici d'ailleurs r écho assez inattendu d'une telle question, derrière laqueUe de Rimbaud, dans une lettre de :\Iax Jacob: se tient l' onlbre gigantesque « Maintenant que vous savez qu'on peut être un grand chimiste et un artiste, vous allez être persuadé qu'on peut cultiver à la fois r art et les sciences comme votre lettre me le marque. ,Allez-y! » (Lettre à \'lichel Leiris du 2-1-janvier 1922, in C'orrespondance, tome 2, 1921-192-1-,Editions de Paris, coll. « (~orrespondances», 1955, p. 73).
2. Entretien dans Le ""lande, 10janvier 1975 : « Desnos a été r inventeur du jeu de mots lyrique. (~' étaient des jeux de mots dont certains arrivaient à être des sortes d'adages philosophiques. (~elui qui m'a le plus frappé était: Les lois de nos désirs sont des dés sans loisir. »
Il
communication linguistique; et tout l'enjeu du Glossaire est de concilier ces deux orientations: d'une part catalogage d'un vocabulaire, inscription lexicographique de formes données, d'autre part le jeu libre et frénétique des associations verbales. La question qui reste à l' horizon de l'ouvrage, et à laquelle se mesure par ailleurs toute l'autobiographie leirisienne, est celle de la compatibilité entre l'utilisation normative des mots et leur détournement à des fins personnelles, l'obligation où ils sont mis de réciter une singularité. L'entreprise, parfaitement maline, du Glossaire consiste à retenir les mots au seuil de leur envol et à les engager immédiatement dans l'ornière d'une fiction linguistique quasiment autiste où ils seront
mis en demeure de recueillir la matière du discours lyrique (