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French Pages 265 [264] Year 2004
RECHERCHE EN PSYCHOSOMATIQUE
Psychosomatique : nouvelles perspectives
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RECHERCHE EN PSYCHOSOMATIQUE
Psychosomatique : nouvelles perspectives Sami-Ali Sylviane Bertolus Pierre Boquel Danièle Bosom Hervé Boukhobza Isola Boulet Sylvie Cady Manuel Cajal Michèle Chahbazian Monique Dejardin Anne Gatecel Jean-Marie Gauthier Rafah Nached Berthe Rehahla Laurent Schmitt
Centre International de Psychosomatique Collection Recherche en psychosomatique dirigée par Sylvie Cady Dans la même collection Le cancer – novembre 2000 La dépression – février 2001 La dermatologie – mars 2001 La clinique de l’impasse – octobre 2002 Identité et psychosomatique – octobre 2003 Rythme et pathologie organique – février 2004 Psychosomatique : nouvelles perspectives – avril 2004
Éditions E.D.K. 10, Villa d’Orléans 75014 PARIS Tél. : 01 53 91 06 06 www.edk.fr © Éditions E.D.K., Paris, 2004
ISBN : 2-84254-098-0 Il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage – loi du 11 mars 1957 – sans autorisation de l’éditeur ou du Centre Français d’Exploitation du Droit de Copie (CFC), 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.
1re Partie La consultation psychosomatique
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Recherche en psychosomatique. Psychosomatique : nouvelles perspectives
Sami-Ali
La théorie relationnelle La théorie relationnelle, présentée ici sous une forme tout à fait schématique, a pour point de départ une constatation : il est impossible que la psychanalyse, en tant que théorie relevant de la névrose, la psychose et la perversion, et rendant compte exclusivement des troubles fonctionnels que définit la psychopathologie freudienne, puisse être extrapolée à la pathologie organique. En effet, cette extrapolation s’opère de deux façons, notamment en assimilant la pathologie organique tour à tour, soit au symptôme hystérique chargé d’un sens symbolique, soit aux manifestations de la névrose actuelle dépourvue de toute symbolisation. Dans cette dernière extrapolation, on a sans doute reconnu des concepts comme la pensée opératoire ou l’alexithymie, s’employant à faire dériver la pathologie organique d’une carence de symbolisation, comme si on « somatisait » parce qu’on serait incapable de « mentaliser ». En fait, on est en pleine confusion, car la pathologie organique porte d’emblée sur le corps réel, alors que la psychopathologie freudienne ne concerne que le corps imaginaire : la psychosomatique ne saurait donc être une psychanalyse appliquée, régie à la fois par la psychogenèse et la causalité linéaire. Or, toutes les théories de la psychosomatique issues de la psychanalyse partagent la même illusion : rendre compte de la pathologie organique en faisant appel exclusivement au fonctionnement psychique, en excès ou en défaut, sans s’apercevoir, par exemple, qu’il n’existe aucune corrélation significative entre le fonctionnement opératoire ou alexithymique et l’incidence de la pathologie organique. De même, des traits de caractère hystériques, obsessionnels ou psychotiques peuvent se retrouver dans différentes pathologies sans y jouer un rôle 3
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étiologique quelconque. Il faut donc un autre point de départ. Celui-ci est fourni par la théorie relationnelle, qui pose dès l’origine le primat absolu de la relation, à la naissance, et même avant la naissance, ce qui interdit de postuler des « processus internes » sans relation. De ce point de vue, le « psychique » est relationnel au même titre que le « somatique ». On est ainsi renvoyé au fait psychosomatique le plus simple, à savoir qu’il n’y a pas de fonctionnement sans situation, ni de situation sans fonctionnement. Il s’agit maintenant de définir ces deux termes complémentaires. Dans ce contexte, le fonctionnement psychosomatique est déterminé par rapport à l’activité onirique, qui est l’imaginaire par excellence, selon qu’elle est présente, absente, ou alternant entre la présence et l’absence. Ce qui permet de définir le fonctionnement par la relation d’inclusion ou d’exclusion réciproque de la conscience vigile et de la conscience onirique, en introduisant, du même coup, un principe très général de continuité et de discontinuité au niveau de l’ensemble du fonctionnement. Sans vouloir entrer dans les détails, indiquons simplement que l’activité onirique englobe ici non seulement le rêve nocturne mais également tous ses équivalents diurnes, qui ont nom la rêverie, le jeu, l’hallucination, le délire, le transfert, l’affect, etc., et qui en constituent autant de variations où se reconnaît la même fonction de l’imaginaire. Pour ce qui est maintenant de la situation relationnelle, il faut surtout considérer que, de conflictuelle et susceptible dès lors de trouver une issue possible, elle peut également évoluer vers l’impasse. Celle-ci comporte plusieurs formes, dont la contradiction, le cercle vicieux et l’alternative absolue, interdisant que le conflit, dans lequel l’autre aussi est impliqué, puisse s’ouvrir en quelque sens que ce soit. Or, la pathologie organique doit être vue sous l’angle de l’impasse, comme si la même aporie se projetait simultanément au niveau biologique et relationnel. C’est en tenant compte de l’existence d’une impasse relationnelle potentielle, à l’arrière-plan de la pathologie organique, qu’il devient possible d’envisager une autre forme thérapeutique, non pour trouver une issue là où il n’y en a pas, mais pour poser précisément le problème de l’impasse en tant que telle, afin de savoir comment elle s’est effectivement constituée. En quelque sorte, il ne s’agit pas de résoudre l’impasse mais de la dissoudre, en transformant les données. Travail patient, qui s’effectue avant tout par la libération du rêve et de l’affect. Reconnaître un lien possible entre la pathologie organique et l’impasse ne signifie pas qu’on introduit subrepticement de nouveau la psychogenèse et la causalité linéaire, mais au contraire que l’on restitue à la réalité clinique, ancrée dans la subjectivité, une complexité à la fois relationnelle et biologique à l’articulation du corps 4
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réel et du corps imaginaire. Cependant, la relation dont il s’agit ici n’a rien à voir avec ce qu’on appelle relation d’objet, puisque, d’un côté, elle est relation de sujet et, de l’autre, elle est pourvue de quatre dimensions qu’il importe de ne pas perdre de vue dans tout travail thérapeutique placé dans cette perspective : l’espace, le temps, le rêve et l’affect.
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Jean-Marie Gauthier
La pédopsychiatrie, une spécialité qui s’adresse à des troubles de développement Pour commencer, je tiens à insister sur le fait qu’il est indispensable de réfléchir à la question du corps en pédopsychiatrie. En effet, aucun d’entre nous n’a jamais imaginé qu’il puisse effectuer la psychothérapie d’un enfant en allongeant celui-ci sur un divan. Ceci est la conséquence directe du fait que, chez l’enfant, la pensée est indissociable du fonctionnement corporel, si bien qu’il ne peut penser qu’en bougeant, qu’en se mobilisant, qu’en effectuant des gestes, en particulier dans la relation avec l’adulte, mais il faut tenir compte en plus que ce corps est un corps en développement et, par ailleurs, que ce corps est un corps relationnel en ce sens que les attitudes et les gestes dépendent autant de la nature de la relation qui est en train de se développer, que du monde interne propre à l’enfant. Il faut donc réfléchir à la fois au corps, au lien qui existe chez l’enfant entre la pensée et le corps et réfléchir à notre dispositif thérapeutique puisque le corps y est inévitablement présent (il ne peut être mis à l’écart comme dans le processus thérapeutique de l’adulte). Les manifestations qui sont les siennes à l’intérieur d’une cure sont autant des manifestations naturelles de l’enfant que des manifestations de l’enfant en réaction au dispositif thérapeutique que nous lui avons proposé.
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Frédéric Frédéric a 5 ans lorsqu’il nous est adressé pour des problèmes qui, à l’heure actuelle, restent encore relativement mal définis. Il présente un grand retard et une grande difficulté de développement. Mais, cliniquement, on sera surtout frappé par le fait que c’est un enfant qui présente une forme de désorganisation majeure, à la fois de sa pensée et de son corps. Partout, nous sommes confrontés à une forme d’incohérence, en ce sens que Frédéric, la plupart du temps, se met dans une situation d’opposition spatiale par rapport à son thérapeute à qui il tourne le dos alors qu’à d’autres moments, il entre dans un collage irrémédiable qui est non seulement un collage psychique mais également physique. Il adhère en totalité à l’adulte. Son langage est totalement incompréhensible. À certains moments, son comportement est marqué par des signes importants d’agressivité qui font qu’il doit être contenu physiquement alors qu’à d’autres moments, il est extrêmement passif. À d’autres moments, il semble jouer calmement puis s’élance sur le mur comme si ce mur n’existait pas. De nouveau, le thérapeute qu’il a mis à distance se sent obligé de le contenir pour éviter qu’il ne se cogne trop violemment contre le mur qu’à certains moments il semble ne pas voir. Au niveau du langage, s’il a un langage incompréhensible, il peut à certains moments répéter des phrases parfaitement stéréotypées comme : « moi j’ai 40 000 $, moi j’ai 40 000 $ moi », durant de très longues minutes. Lorsqu’il a ce type de comportements en présence de sa mère, sa mère répète, elle aussi, de manière systématique la phrase stéréotypée de Frédéric. Il nous faudra plusieurs mois pour apprendre que Frédéric est, par ailleurs, un enfant gravement insomniaque, il ne dormirait pas plus de 5 heures par nuit ; il s’éveille à tout moment si bien qu’il est extrêmement difficile de savoir combien de temps exactement il dort par nuit. Son sommeil est donc agité, entre-coupé de réveils fréquents, tout se passe donc à ce niveau comme si cet enfant ne pouvait être passif. Nous insistons sur l’exemple de Frédéric parce que nous pensons qu’il se confronte à une situation que nous retrouvons régulièrement en psychopathologie de l’enfant. Nous nous trouvons, en fait, en face d’un enfant énigmatique. Il est très difficile pour nous de savoir à quoi peuvent correspondre toutes ces manifestations cliniques. Il est difficile de trouver une logique interne à ces manifestations symptomatiques. Notre intuition clinique est en quelque sorte prise en défaut par ce type de situation. 8
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Il est très difficile de repérer en quoi certaines manifestations sont des mécanismes de défense, des manifestations symptomatiques ou encore des réactions à un entourage qui se montre épuisé par cet enfant. Lorsque nous recevons un enfant de ce type à notre consultation, il est difficile de déterminer quelle est la part de ces différentes hypothèses et comment nous pouvons, en quelque sorte, comprendre les manifestations cliniques que nous avons sous nos yeux. Frédéric représente le type même d’une sorte d’enfant chaotique ou dont le développement psychique et corporel a pris des orientations qu’il nous est difficile de comprendre, de repérer, d’expliquer et d’interpréter. On peut dire que ce type d’enfant met à mal notre capacité d’intuition clinique.
Pour un nouveau dispositif diagnostique en matière de pédopsychiatrie Face à ce genre de difficulté, il nous paraît inévitable que les dispositifs mis en place pour observer et diagnostiquer la psychotpathologie des enfants soient diversifiés. L’observation au cabinet du psychologue ou du pédopsychiatre, bien qu’elle nous paraisse tout à fait indispensable, nous semble, dans ce type de situation, parfaitement insuffisant. Il nous faudra comprendre comment ces troubles du développement ont eux aussi une histoire et une histoire relationnelle. Cela veut dire qu’il est tout à fait indispensable de pouvoir observer l’enfant dans son contexte de vie, en particulier, dans son contexte relationnel avec ses parents. Nous devrons donc pouvoir multiplier les endroits d’intervention, nous devrons aussi diversifier nos modèles d’intervention en ce sens que nous devrons pratiquer des entretiens et pratiquer des séances d’observation et que ces observations soient de caractère global telles qu’elles furent décrites par Esther Bick dans le domaine de la psychanalyse ou qu’il s’agisse d’observations plus focales centrées sur certains points précis qu’on veut éclaircir. Il est indispensable, qu’ à côté des méthodes d’intervention au cabinet du spécialiste, on développe des méthodologies d’observation à l’extérieur de ce cabinet et dans les milieux de vie du patient1. Cette modification du dispositif vise à atteindre deux objectifs. 1. J.-M. Gauthier et al. L’observation en psychothérapie d’enfant. Paris, Dunod, 2002.
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• Multiplier les points de vue de thérapeutes différents à partir du même patient. Nous pensons que certaines particularités des observations peuvent susciter des réactions différentes chez différents observateurs, ce qui peut entraîner une vision moins stéréotypée et beaucoup plus dynamique des patients tels que ceux que nous venons de décrire. Un des dangers, en effet, est qu’en étant confronté à des comportements stéréotypés, de développer une compréhension de ces phénomènes qui soit également stéréotypée à partir du seul point de vue d’un seul thérapeute. À la répétition des comportements, s’ajoutera alors la répétition des interprétations, ce qui ne peut aboutir qu’à un cercle vicieux qui rend impossible toute évolution thérapeutique. Le 1er objectif est donc de nature méthodologique et vise à multiplier les points de vue, ce qui peut faire apparaître beaucoup plus facilement en quoi certains comportements de l’enfant peuvent être des défenses, en quoi l’environnement modifie son comportement, en quoi certains comportements restent stables, en quoi d’autres comportements sont modifiables par l’environnement. Ils peuvent ainsi faire apparaître très facilement comment le thérapeute peut induire certaines attitudes et comportements. • Le 2e objectif est de nature plus traditionnelle et historique. Il vise à comprendre comment et dans quel contexte ces troubles relationnels se sont développés. Dans le cas de Frédéric, il serait en effet essentiel de comprendre comment il se fait que la maman a un discours répétitif lorsque son fils développe des phrases stéréotypées. Quelle ne fut pas notre surprise dans le décours du travail avec cet enfant de constater que les parents ne pouvant pas contenir son hyperexcitation, à certains moments, avaient décidé de l’enfermer dans un petit chalet qui se trouvait dans sa chambre, petit chalet qu’ils fermaient à clé pour pouvoir contenir leur fils réellement dans un espace limité. Mais sans doute culpabilisés d’utiliser des méthodes aussi radicales, ils avaient installé ce chalet comme une véritable petite maison possédant tout ce qui était nécessaire au repos mais aussi à la détente, puisqu’ils avaient installé la télévision à l’intérieur de ce qui était au départ un jouet. Une petite maison qui, à certains moments, devenait le lieu de vie de Frédéric. En fait, de tout ceci, nous retiendrons que la pathologie de l’enfant se manifeste essentiellement au niveau corporel. Nous sommes même confrontés chez l’enfant à des pathologies qui se développent avant que se soient développées les capacités de représentation et les capacités de verbalisation. Il est dès lors inévitable que ces enfants présentent des symptomatologies qui ne peuvent pas être directement comprises à travers le monde de la représentation mais qui peuvent être comprises comme des modes relationnels et de réactions à certains contextes d’environnement. 10
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Quand on dit que chez l’enfant la pensée passe par le corps, nous voulons dire par là que la pensée est chez l’enfant essentiellement soutenue par le corps, que son mode relationnel se manifeste d’abord au niveau corporel et que c’est peu à peu que vont se dégager les capacités de représentation et les capacités de verbalisation. Ce détachement des capacités de verbalisation n’est jamais complet. C’est pourquoi, quelque part, chez l’enfant et d’ailleurs chez beaucoup d’adultes, le corps n’est pas indépendant de la pensée. Chez l’enfant, la question est beaucoup plus essentielle puisque certains de ces comportements ont une signification qui est liée à une période de la vie où le corps était le seul représentant de la vie psychique des individus. Il est donc essentiel de prendre cette dimension en compte outre le fait que l’enfant se manifeste toujours par le corps. Ceci a pour conséquence directe importante que le corps du thérapeute lui-même est impliqué dans la relation à l’enfant. Si on ne peut pas étendre l’enfant sur un divan, on ne peut pas non plus se cacher de lui derrière des paravents. Le thérapeute est ainsi confronté à devoir analyser lui-même la manière dont il se tient, dont il se positionne parce que son corps a une influence directe non seulement sur le fonctionnement physique de l’enfant mais sur son fonctionnement psychique. C’est ce que nous avons appelé2 le travail du contre-transfert corporel qui est une dimension nouvelle et indispensable à la thérapie avec les enfants.
Les dimensions du corporel Comme Sami Ali l’a montré, nous pouvons estimer que le corps se manifeste dans plusieurs dimensions au sein d’un espace thérapeutique : il y a tout d’abord le corps réel dans sa dimension biologique et le corps imaginaire, c’est-à-dire la manière dont tout individu investit son propre corps, dont il se le représente, dont il l’utilise. Nous avons, en ce qui nous concerne3, montré qu’il existe une autre dimension du corporel qui est le corps relationnel. Ce corps relationnel est le corps biologique tel qu’il est façonné par la mère dès la naissance. La mère, en effet, intervient très vite pour modifier les rythmes, la tolérance à la passivité, l’activité chez l’enfant. On peut dire, dans une certaine mesure, que notre corps est porteur de 2. J.-M. Gauthier et al. Le corps de l’enfant psychotique. Paris, Dunod, 1999. 3. J.-M. Gauthier. L’enfant malade de sa peau. Paris, Dunod, 1993.
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notre histoire, de notre histoire relationnelle avec notre mère et de l’histoire relationnelle que notre mère a entretenue avec la socio-culture dans laquelle elle a été plongée. Nous pensons, par exemple, que ce qui fait défaut chez Frédéric, c’est l’absence de corps relationnel. En effet, tout s’est passé dans son histoire comme si la mère n’avait pas pu interpréter le corps de son enfant, qu’elle ne lui avait pas donné sens, et que ce corps est resté en quelque sorte comme non relationnel, c’est-à-dire comme présentant une difficulté très importante à pouvoir entrer en relation avec l’autre. Cette attitude défensive de la mère et réciproquement de Frédéric pour les contacts, se manifeste dans le rapport avec le thérapeute et se manifeste encore actuellement dans la famille à travers les symptômes du chalet-prison. Or, c’est bien à partir du corps relationnel que nous parvenons à décoder les messages corporels d’un enfant et à nous identifier à lui ou à ses parents dans une histoire qui fut la leur. C’est pourquoi la dimension du corps relationnel est une dimension importante parce qu’elle est à la base de nos capacités d’intuition du monde relationnel de l’enfant. Nous devons, en effet, revoir et réexaminer les bases sur lesquelles reposent nos capacités de compréhension de l’enfant. Un moment important dans cette histoire a été la proposition de Winnicott qui disait que : « pour pouvoir comprendre un enfant, il suffit d’avoir eu une mère soi-même ». Mais il me semble que cette proposition, bien qu’elle soit extrêmement fondamentale et intéressante, doit être approfondie. Tout d’abord, parce que la clinique nous confronte souvent à des psychopathologies et des manifestations comportementales qui ne permettent pas une identification du thérapeute au besoin de l’enfant et aux réponses que la mère aurait pu avoir données. C’est pour cela qu’il est tout à fait indispensable que nous puissions disposer aussi de schémas représentatifs qui concernent la neurobiologie du développement, c’est-à-dire, quelles sont les compétences du bébé, quelles sont ses incompétences, à quel âge se développent de nouvelles compétences et comment l’enfant a pu les utiliser. C’est sur la base de cette connaissance du développement, à son niveau le plus biologique qui soit, que nous pourrons tirer des enseignements qui concernent alors le corps relationnel, c’est-à-dire comment la mère a pu répondre ou n’a pas pu répondre à certains de ces aspects développementaux et à partir de là comment se sont constitués peutêtre certaines distortions du fonctionnement relationnel corporel et psychologique de l’enfant. Le corps relationnel est en effet porteur de toute l’histoire de la relation de l’enfant à sa mère. Nous prendrons pour exemple la question du temps à laquelle nous nous sommes beaucoup intéressé. Nous avons montré à 12
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plusieurs reprises que la mère plonge en permanence l’enfant dans la notion du temps et ce dès le 1er âge. Par exemple, quand elle parle de son enfant, elle cite systématiquement son âge, quand elle le réveille, elle fait l’agenda de ce qui va être fait l’après-midi et puis elle fait toute une série de jeux, comme le jeu de la chatouille ou le jeu de la petite abeille où elle apprend à l’enfant ce qu’est le temps, ce qu’est la durée, ce qu’est le rythme, ce qu’est l’histoire. Le corps est donc ainsi porteur de la relation et de l’histoire de la relation de l’enfant à son entourage. Nous voyons alors comment peut se faire une évaluation diagnostique des troubles de développement extrêmement graves chez l’enfant. D’une part, le thérapeute va disposer de multiples observations, il va disposer d’une comparaison entre ce qui pourrait être les manifestations comportementales et les attitudes de la mère et, d’autre part, la manière dont lui-même est sollicité par un enfant dans son propre corps. Nous réunissons à la fois des questions qui concernent la biologie du développement, la neurobiologie du développement, l’histoire relationnelle d’un sujet et son histoire thérapeutique. Nous pouvons, à partir de ce moment là, dessiner quelle fut l’histoire relationnelle de l’enfant et quelle place le corps a pris à l’intérieur de cet espace relationnel. À cela, il faudra ajouter que l’enfant manifeste aussi une certaine réaction par rapport à l’étrangeté que peut représenter pour lui l’apparition d’un thérapeute ou d’un observateur dans son milieu familier habituel. À partir de tous ces éléments, nous pouvons commencer à réinterroger le développement de l’enfant, son histoire relationnelle et voir en quoi ce qu’il nous propose aujourd’hui comme mode relationnel est le résultat de cette histoire compliquée. Mais pour arriver à cette nouvelle définition de psychopathologie de l’enfant, il est bien entendu aussi que nous devrons non seulement tenir compte du corporel et lui donner une place dans notre métapsychologie ; nous devrons développer d’autres méthodologies d’observation, comme l’observation directe, l’observation plus ponctuelle, en même temps que des observations en salle de thérapeutes. Nous devrons aussi apprendre à travailler en équipe car il est bien entendu que face à ce type de psychopathologie extrêmement sévère, la multiplication des points de vue est certainement une des sources potentielles pour sortir des impasses thérapeutiques dans lesquelles nous sommes le plus souvent enfermés. Cette nouvelle approche psycho-diagnostique en matière de psychiatrie est donc le résultat de la convergence entre différents points de vue : un premier qui concernerait la biologie du développement ; un deuxième qui serait la relation de l’entourage de l’enfant ; la socio-culture environnante ; une troisième dimension qui serait la 13
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relation de la mère à l’enfant et enfin un quatrième point qui serait la relation de l’enfant au thérapeute, relation qui passe nécessairement par le corps qui est lui-même finalement porteur de l’histoire relationnelle de l’enfant.
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Sylviane Bertolus
La consultation psychosomatique en dermatologie Le symptôme est à la base du motif de consultation. Le patient vient pour une pelade, un psoriasis, un lichen, une trichotillomanie, un lupus, une urticaire. Il date facilement l’apparition de cette pathologie. Généralement il n’a aucune difficulté ou réticence pour raconter l’histoire de sa maladie. Dès les premières consultations, la situation affective contemporaine de l’apparition de la pathologie est connue, et les liens entre pathologie et vie affective éclatent au grand jour, comme une évidence, c’est la base du travail. À la différence du cadre d’une psychothérapie pour psychonévrose le patient n’est pas perdu dans un questionnement sans fin sur lui-même. Dans une psychothérapie, il vient rechercher une aide psychologique, il parle de son mal être diffus ou de zones d’ombres dans sa personnalité. Le patient qui consulte un dermatologue psychosomaticien ne sait pas très bien ce qu’il vient chercher. Parfois il fait l’hypothèse qu’il existe des liens entre sa pathologie et son histoire, il considère souvent que c’est au médecin-psychosomaticien de les découvrir. Je vais montrer le rôle singulier du dermatologue psychosomaticien et son vaste champ d’action.
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La première consultation Consulter un médecin qui a une orientation psychosomatique permet de ne pas opérer la classique séparation, d’un côté le psychologue ou le psychiatre pour soigner les souffrances psychologiques et de l’autre le médecin pour soigner le corps malade. La globalité de l’être humain est respectée. Cela permet de replacer la maladie dans l’histoire du patient, dès les premières consultations. Le patient a besoin à la fois de toutes les ressources de la médecine et d’une relation thérapeutique ouvrant sur sa subjectivité, comme l’a définie le professeur Sami-Ali. Le médecin psychosomaticien prend en compte le corps malade tel qu’il est défini par la médecine et tel qu’il est vécu par le patient. La première consultation est déterminante. L’approche psychosomatique est basée sur la relation médecin/ malade, qui s’initie lors de cette première consultation. Ce n’est pas un entretien dirigé. Je ne fais pas un interrogatoire médical précis. Je me contente de demander Pourquoi venez-vous ? Je donne la parole au patient dès le départ. L’anamnèse, l’histoire de la maladie, les antécédents, les traitements précédents ne seront recueillis que progressivement ou après pour faire le point. Le « thérapeute » n’a pas de schéma préétabli. Son seul but est de favoriser l’émergence de la subjectivité du patient.. Le psychosomaticien a recours à sa propre subjectivité, comme pour montrer l’exemple, montrer qu’il existe en tant que personne et médecin. Il n’est pas neutre, il est lui-même disponible et offrant. Quelques cas cliniques seront plus explicites.
Cas no 1 : variété symptomatique et blocage affectif uniforme Madame B. consulte pour l’apparition récente d’une mastocytose diffuse. Tous les traitements qu’elle a essayé jusqu’à maintenant sont inefficaces. Sans aucune question de ma part elle reprend son histoire. C’est la troisième dermatose dont elle souffre. Il y a vingt ans elle a présenté un psoriasis, apparu brutalement après le décès de sa sœur. Ce psoriasis s’est rapidement amélioré et une acné rebelle à tout traitement lui a succédé. Et maintenant cette mastocytose, faisant suite au décès de son père. Puis sans que je puisse intervenir elle me parle de ses angoisses. Elle dort mal, elle se réveille crispée, contractée. J’arrive à la questionner sur l’existence de souvenir de rêve. Elle ne se souvient pas de ses rêves et n’a jamais eu de souvenir de rêve. Sans pose, elle reprend son discours 16
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précipité dont le flot de parole semble vouloir me neutraliser. Elle a des problèmes actuels avec son fils de dix-sept ans. Néanmoins elle veut être positive, c’est sa ligne de conduite, elle s’oblige à être positive. Elle commence à me parler des problèmes de son fils. Je l’interromps pour continuer à centrer l’entretien sur elle et pour faire le point. Elle a fait des liens entre l’apparition de ses maladies et des événements marquants de sa vie, je lui demande de reparler de la première pathologie, le psoriasis et des circonstances affectives de cette époque. Elle s’effondre brusquement et pleure à chaudes larmes. Sa sœur est morte d’un cancer cérébral. Elle avait 19 ans. Elle n’a jamais accepté et n’acceptera jamais. À sa mort, elle était enceinte de son fils. C’est après sa naissance qu’elle a décompensé, par une dépression. Depuis, chaque automne, elle va mal, de plus en plus mal, dépression saisonnière de plus en plus marquée. Sa sœur est morte en novembre. Un lien particulier la liait à sa sœur, comme un lien particulier et très fort la relie à ses enfants. Elle pense à la mort et elle a peur pour ses enfants. Devant ses angoisses actuelles et le traumatisme ancien lié au décès de sa sœur j’ai envie de lui proposer mon aide et lui demande de reprendre rdv la semaine prochaine. Mais sur quelles bases pourraient s’effectuer un travail psychothérapeutique ? Que vient-elle chercher ? Sa demande est thérapeutique au départ, or il n’existe pas de traitement curatif de cette maladie bénigne, la mastocytose cutanée, caractérisée par la prolifération intracutanée de mastocytes d’aspect normal. Dermatose prurigineuse, le traitement s’attache à calmer le prurit. Les lésions réalisent un semis de taches pigmentaires sur la peau et persistent parfois indéfiniment. Je vais lui expliquer tout cela, pour éviter toute confusion. Elle a été adressée vers une psycho-dermatologue par un confrère dermatologue. Elle a réagit avec moi en maîtrisant la relation par un flot de parole ininterrompu, pendant lequel l’affect n’avait pas le temps d’émerger. L’affect a surgi à la suite de ma question, c’est la première pierre de l’édifice que nous pouvons construire ensemble. Nous sommes arrivés droit au but et cela me fascine. Pourtant tout reste à faire. Un travail de deuil n’a pas été fait. C’est un diagnostic de gravité car l’affect s’est enkysté, en partie depuis des années. Dans ces cas je propose une série limitée de rendez-vous. Je vais expliquer le travail psychothérapeutique. Elle pourra choisir d’aller vers une libération des affects avec moi au cours d’un travail psychothérapeutique, ou refuser ce travail et aller consulter ailleurs.
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Cas 2 : la carapace affective Ce même jour une nouvelle patiente me consulte pour une urticaire chronique idiopathique évoluant depuis trois ans. L’éruption est apparue brutalement au retour d’un week-end à la campagne, sans particularité me précise-t-elle. Elle parle vite avec précipitation de l’intensité des crises et de ses traitements. Les poussées sont influencées par la chaleur et les cycles menstruels. L’année dernière un traitement a été efficace, elle me montre l’ordonnance. En ce mois de mars, elle sent revenir les symptômes. À la fin de la consultation, je fais le diagnostic d’une urticaire d’origine pluri-factorielle associant une allergie solaire, développée en période de pré-ménopause et peut-être dans un contexte affectif particulier. Elle s’effondre et, à travers ses larmes, me confie qu’elle vit une période très difficile dont elle ne peut rien dire tant l’émotion la submerge et entraîne les pleurs. Elle est partie avec un ordonnance et s’est ressaisie. Le couvercle hermétique qu’elle a placé sur sa souffrance affective et qu’elle gardait fermé s’est soulevé et l’affect a jailli comme la vapeur d’une cocotte minute, sans possibilité de mise en mot. Je lui ai proposé de nous revoir pour en reparler. Elle peut profiter de cette offre ou choisir de maintenir le couvercle fermé, de refouler ses affects. Elle n’est pas revenue. Ceci n’est pas surprenant, car dès le départ la demande a été thérapeutique. Pourquoi était-elle venue consulter une dermatologue psychosomaticienne ? Elle peut avoir « obéi » au conseil du dermatologue qui la suivait...
Cas no 3 : un symptôme hystérique C’est une femme de 70 ans qui présente une plaque au cuir chevelu qui gratte et brûle atrocement, Il y a deux ans elle a souffert d’une première poussée qui a disparu magiquement après une biopsie. C’est un prélèvement de quelques millimètres de peau sous anesthésie locale pour diagnostic histologique, qui a été celui de névrodermite. Le dermatologue s’oppose à refaire la biopsie cette fois ci, et me l’adresse. Pour chaque malade je réserve un temps et un espace pour la parole. Cette femme parle d’une tension intérieure, dont elle ne se débarrassera pas. Sa mère était habitée par cette même tension, qui a précipité sa mort. C’est assez flou, elle est contente que je m’intéresse à elle, néanmoins c’est du symptôme dont elle veut se débarrasser. Après avoir discuté de traitements locaux à faire à son domicile qu’elle rejette parcequ’elle vit seule, je décide de la traiter à l’acide trichloracétique à trente trois pour 18
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cent. Je brûle la lésion en espérant qu’il aura le même effet magique que la biopsie. L’indication d’une psychothérapie n’est pas possible pour chaque patient. Évitons le leurre de la toute puissance, le médecin psychosomaticien, ne soulagera pas tous ses patients de manière durable.
Cas no 4 : sur une fausse piste Un homme de trente ans me consulte à mon cabinet adressé par son médecin traitant pour une poussée d’eczéma en rapport avec un stress au travail. Les dermo-corticoïdes que le généraliste a prescrit n’ont pas réussi à blanchir le patient. Il se gratte toujours quand il vient me voir et présente des lésions surinfectées aux jambes. Il est informaticien et traverse une période difficile au travail. Il m’en parle longuement, il ne remet pas en doute le diagnostic du généraliste. Une mauvaise entente avec ses collègues a nécessité un changement de poste. Le travail est plus intéressant et ses nouveaux collègues sont aimables. En revanche, les anciens bloquent via intranet l’accès aux logiciels dont il a besoin. Il est seul pour assumer cette situation, sa petite amie l’a quitté il y a quelques mois. L’interrogatoire ne retrouve pas d’antécédent personnel d’eczéma, et l’examen clinique retrouve des nodules scabieux aux testicules. Il s’agissait d’une gâle, surinfectée par le traitement dermo-corticoïde. Dans les prurits il faut savoir éliminer toutes étiologies organiques avant de faire le diagnostic de prurit psychogène. Il avait besoin de parler ; écouter, examiner sont les deux pièces motrices de la consultation.
Comment et pourquoi introduire le rêve dans la consultation psychosomatique Le rêve est une activité corporelle et cérébrale biologique que nous partageons avec tous les mammifères. C’est un état particulier du cerveau. Le phénomène psychosomatique se situe dans le souvenir ou l’oubli du rêve. Conscience onirique et conscience vigile fonctionnent en inclusion réciproque. Avec le rêve, nous ne pouvons pas nous mentir, c’est notre production, notre réalité au moment du rêve, notre subjectivité. 19
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Je me rappelle d’une patiente, souffrant d’acné excoriée, qui me racontait son histoire bien construite, rationnelle. Son beau-père la méprisait, jusqu’à être grossier avec elle, devant sa mère qui ne prenait pas parti. Face à cette situation qui la peinait, elle évitait de rentrer chez elle, rejetait son beau-père, et voulait montrer sa force. Son rêve que je n’ai pas interprété la montrait fragile, abandonnée ; comme l’envers de la médaille. Ces sentiments contradictoires exprimés et réunis composent sa subjectivité, recréent une unité au plus proche d’elle même. Je me renseigne sur l’existence de souvenir de rêve pafois par l’intermédiaire de questions sur la qualité du sommeil. Les patients répondent spontanément, « naturellement ». Ils ne sont pas étonnés, même si j’aborde cette notion dès le premier entretien et quel que soit le motif et le type de consultation. Réfléchir à propos de leurs rêves entraîne une pose, un temps d’arrêt, comme une inspiration, cela modifie le rythme du dialogue. À côté des malades pour qui les choses sont claires, ils n’ont aucun souvenir de rêve ou ils se souviennent de leurs rêves, il y a ceux pour qui je ne sais pas, par exemple ils disent se souvenir et n’ont aucun rêve à raconter et ne sont plus très certains.
Cas no 5 : une patiente proche de ses affects Dans le cas suivant la patiente est proche de ses affects ce qui diffère des cas précédents Elle présente une pelade en plaques multiples récente. Le dermatologue me l’adresse parce qu’il la trouve fragile, intuitivement il a senti un besoin de parler chez elle. Je la vois dans le même contexte que les cas précédents, à ma consultation de dermatologie psycho-somatique du centre Sabouraud. La première consultation très riche va durer quarante-cinq minutes. Nous allons voir comment la pathologie survient dans une situation bien précise et pas dans d’autres situations douloureuses pourtant, et comment le premier rêve contient en lui même la mission que la patiente délègue au thérapeute. Coraline 27 ans, sans antécédent présente une pelade en plaques multiples survenue après un licenciement. La mère de Coraline est morte d’un cancer du sein avec métastases cérébrales et coma il y a trois ans. Elle assiste sa mère, avec sa sœur, jusqu’aux derniers instants. La patiente ne développe aucune pathologie organique. Coraline était très proche de sa mère qui était chaleureuse, attentive et affectueuse. Elles discutaient des heures ensemble. Dans cette famille le père gère l’autorité, les finances, et l’orientation scolaire et universitaire. Il n’y a pas de dialogue possible avec lui, il n’arrive pas à être tendre avec ses 20
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filles. Dans cette famille le bon et le méchant étaient clairement définis. Une semaine après le décès de sa mère, la mésentente père/fille éclate, Coraline qui a 24 ans, quitte la maison, et laisse sa petite sœur de cinq ans sa cadette se débrouiller. Elle rejoint son ami à Paris, qui lui propose d’habiter ensemble dans un appartement de famille qui se libère. « C’est son ange gardien qui veillait » me dira-t-elle. Elle trouve du travail dans une petite entreprise de marketing médical correspondant à ses études de commerce. Petit à petit la relation avec le jeune patron qui l’a embauchée se dégrade et il la licencie, un an après, dans un climat très conflictuel. Elle faisait bien son travail et considère ce licenciement tout à fait injuste. Un avocat lui a conseillé de ne pas entamer une procédure au prud-homme (situation de stress, ne peut ni attaquer, ni fuir). La pelade apparaît dans ce contexte. Elle se renferme et n’ose plus sortir de chez elle. Elle a perdu ses indemnités de chômage car elle n’a pas été pointer. Actuellement elle a peur de finir sous un pont, elle n’a rien emporté il y a trois ans, et depuis n’a pas revu, ni téléphoné à son père. Ce conflit réactive une situation d’impasse avec le père, alors que la mère disparue, n’est plus là pour la secourir. Je lui demande si elle rêve. Depuis l’enfance elle est somnambule. C’était une soupape de sécurité, elle évacuait son stress me dit-elle. Depuis quelques mois ce phénomène a disparu. Cette nuit elle a fait un rêve, elle a rêvé de sa sœur morte. Elle se sent très coupable d’avoir laissé sa sœur se débrouiller toute seule avec leur père. Mais à la fin de cette première consultation elle me dit que peut-être c’était mieux ainsi. J’ai un rôle déculpabilisant en écoutant son rêve sans porter de jugement. La mort est là dans ce rêve et ma relation avec elle aura pour but d’éloigner la mort qui rode, vécue comme un abandon. Elle projettera en moi la mère qui manque pour reprendre les discussions. Je m’apercevrai à la fin de la thérapie, en reprenant son histoire, que le plus important aura été de renouer avec sa sœur, de renouer ce lien familial. Deuxième consultation, deuxième rêve « de sa sœur enceinte, c’était une farce, elle sort le coussin qu’elle avait dissimulé sous son pull. Grugée, Coraline est en colère contre sa sœur, elle désapprouve cette plaisanterie qui porte sur une question sérieuse comme celle là ». Elle se souvient régulièrement de ses rêves et et de ses affects dans ses rêves. Ce rêve exprime un désir d’enfant. Elle me demande de mettre en place un contexte affectif propice à une grossesse bien réelle. 21
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La problématique récurrente et insoluble dans sa thérapie sera de renouer ou de ne pas renouer avec le père. Elle a peur qu’il réapparaisse quand elle aura des enfants et qu’il réclame leur garde à laquelle il a droit en tant que grand-père, par voie judiciaire. Je la suivrai toutes les semaines pendant deux ans. Elle fera de nombreux rêves, certains traumatiques mettront en scène son père et son patron, son père et moi. À la fin de la thérapie, elle s’est dégagée du dilemme qui pesait sur elle. Les cheveux ont repoussé, le thérapie prend fin lorsqu’elle retrouve du travail. Avec sa pelade elle ressemblait à sa mère lorsqu’elle était sous chimiothérapie, me confiera-t-elle à la fin de la thérapie. À cause de ce sentiment elle avait caché à sa sœur, seule famille pour elle qui lui restait, sa pathologie, de peur de l’effrayer. Ceci renvoit au premier rêve où elle voit sa sœur morte, comme si elle restait seule abandonnée. Une dermatose se voit et modifie l’image corporelle, elle trouble les repères identitaires.
Conclusion Les situations sont multiples. Écouter ce que le patient dit sans idée préconçue. Impossible de savoir quel bout de chemin nous parcourrons ensemble. Éclaircir la demande de départ du patient est la première tâche du médecin psychosomaticien. Comprendre si elle constitue une impasse pour ne pas s’y enfermer (comme cette patiente qui consultait un confrère psychosomaticien pour guérir son cancer par le mental...). La théorie de Sami-Ali me semble correspondre à ma démarche clinique. J’ai un axe directeur qui comporte mille facettes, introduire l’imaginaire, favoriser les capacités projectives du patient pour qu’il retrouve sa subjectivité. Il faut expliquer la démarche psychosomatique. J’expose clairement au patient qu’il s’agit de faire des liens entre la maladie et leur histoire, « comme ce que nous venons de faire » car le travail débute dès la première consultation. Et aussi de faire des liens entre passé et présent, entre rêve et réalité. Comme les cas cliniques l’ont montré certains patients ne sont pas prêts pour ce travail ; ils « préfèrent » refouler leurs affects, leur imaginaire est en partie réprimé.
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Pierre Boquel
Consultation psychosomatique en médecine générale Douleur rebelle
La pensée psychosomatique en médecine générale Penser la psychosomatique en médecine générale est plus complexe qu’il n’y paraît à première vue et soulève de multiples questions. Ce travail propose, à partir d’une observation clinique, une réflexion sur la pensée psychosomatique en pratique médicale courante. De quelle manière pense-t-on à l’heure actuelle la psychosomatique en médecine ? À quel modèle la pensée utilisée fait-elle référence ? Comment s’articule cette façon de penser la psychosomatique avec le modèle médical et le modèle psychologique ? Quels en sont les limites et les critères de validité ? L’histoire que je vais présenter est celle du parcours d’une patiente ayant une douleur résistante à tous les traitements ; parcours qui va de la prise en charge médicale classique à l’abord psychosomatique. Cette patiente sera confrontée, dans un premier temps, à une manière de penser la psychosomatique procédant par juxtaposition de modèles, puis, dans un deuxième temps, à une approche qui pense la pathologie selon le modèle relationnel développé par le Prof. Sami-Ali. Dans ce dernier accompagnement, la douleur sera améliorée dès la troisième consultation et disparaîtra complètement après la 23
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quatrième. Cependant, ce n’est pas tant le caractère spectaculaire de la rapidité de la disparition du symptôme qui me semble important, que la mise en évidence des différents écueils d’une prise en charge qui aboutit, en fin de compte, à une impasse médicale. Dans cet exposé, je vais suivre, pas à pas, le cheminement de la patiente en repérant les termes constitutifs des situations d’impasse thérapeutique rencontrées ; les situations insolubles étant pour une grande part déterminées par le modèle de pensée utilisée. Le premier parcours est dominé par la prévalence du modèle médical.
Le modèle médical Motif de consultation Madame X, 53 ans, m’a été adressée par une collègue psychiatre pour un avis psychosomatique. Cette patiente présente une douleur postérieure de la jambe gauche de type sciatique, d’origine encore indéterminée et rebelle au traitement médical. L’histoire de la maladie Elle souffre, depuis environ un an, d’une douleur irradiant dans la cuisse gauche jusqu’au mollet. Cette douleur persiste la nuit et entraîne des périodes d’insomnies. Cette dame a consulté au centre antidouleur de Montpellier où un médecin, après avoir fait le point sur son dossier, lui a dit que c’était « psychosomatique ». Il légitime cet avis par le fait que cette douleur a été rebelle à un traitement antalgique et anti-inflammatoire et a été soulagée par un médicament antidépresseur. Avant la consultation du centre anti-douleur, la patiente a été l’objet d’explorations multiples. Les explorations Dès la première entrevue, la patiente me montre l’ensemble des examens complémentaires qui ont été prescris ainsi que les médicaments successifs. Tout est noté afin de ne rien oublier sur une feuille qu’elle me donne. À chaque annonce de résultat négatif, elle me dira avoir été déçue que l’on n’ait pas trouvé de cause à sa douleur. Elle est encore très gênée de se plaindre et elle n’aime pas dire à ses proches qu’elle est malade. Cette dame a été d’abord explorée à l’hôpital dans un service de neurochirurgie. 24
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Les comptes rendus des consultations spécialisées • Lettre du service de neuro-chirurgie CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE CHU de M.... NEURO-CHIRURGIE Cher confrère, Je vois en Consultation Madame X que je vous remercie de m’adresser. Cette dame de 53 ans, sans antécédent lombalgique, mais avec la notion d’une cervico-brachialgie il y a 7 à 8 ans, une HTA traitée, une exérèse d’un mélanome et une ménopause récente, se plaint depuis décembre de l’an dernier, à l’occasion d’un effort de déménagement, d’une douleur du membre inférieur gauche, qui a d’abord été localisée à la face antéro-interne du membre inférieur décrite comme du pli de l’aine jusqu’au cou de pied. Après traitement par AINS et 2 infiltrations avec avis rhumatologique, les choses se sont amendées. C’est en mars, qu’intervient une rechute douloureuse avec cette fois une douleur qui est décrite comme postérieure au niveau du pli fessier, à la face postérieure de la cuisse et intéressant le mollet, la notion de quelques crampes du mollet. La douleur a été marquée par 2 ou 3 épisodes, brefs, mais très intenses, dont elle garde un très mauvais souvenir, qui auraient duré 1/2 heure environ. L’ensemble du bilan d’extension a été négatif, l’efficacité a été obtenue sur le plan thérapeutique, non pas, par les anti-inflammatoires, mais par l’Anafranil® avec actuellement, une tentative de sevrage et, une réapparition d’une gène dans le mollet. L’examen TDM qui a été réalisé montre un grand canal. Sur les éléments en présence, on doit conclure à l’absence complète de toute compression radiculaire, il n’y a pas de problème mécanique et bien entendu, pas de décision chirurgicale. Sur les éléments neurologiques, on peut être totalement rassurant sur l’éventualité d’un problème périphérique ou pelvien, il n’y a en effet, aucun élément, qui puisse faire suspecter une atteinte radiculaire organique. Si l’on veut le confirmer, je pense qu’il, faudrait demander un EMG pour s’assurer qu’il n’y ait pas de problème de névrite surajoutée. Compte tenu de l’état fonctionnel actuel, je pense qu’il faut en rester à un traitement médical, quitte à maintenir un petit peu plus longtemps, le traitement actuel par Anafranil® et Rivotril® et obtenir ensuite le sevrage. Je vous prie de croire, Cher Confrère, à l’assurance de mes meilleurs sentiments. Professeur F.
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Commentaires Outre les modalités du syndrome douloureux, cette lettre met en rapport l’apparition de la douleur avec un effort de déménagement ; pour la patiente, il n’y a pas de lien avec cette situation. La lettre stipule aussi l’effet bénéfique de l’antidépresseur ainsi que la réapparition de la douleur lors d’une tentative de sevrage. Elle conclut par l’absence complète de toute compression radiculaire mais invite quand même le médecin traitant à réaliser un autre examen : un électromyogramme afin d’éliminer une inflammation d’un nerf. Le résultat de l’examen prescrit sera négatif. Une consultation supplémentaire sera demandée au centre antidouleur par le médecin traitant, toujours impuissant à soulager la patiente. • Deuxième lettre du centre anti-douleur RÉSEAU ANTI-DOULEUR RÉGIONAL UNITÉ D’ALGOLOGIE Cher confrère, Je vous remercie de m’avoir adressé, en consultation Madame X, âgée de 53 ans, qui présente une lombo-sciatique surtout rebelle, sans intensité forte actuellement, pour laquelle les explorations réalisées jusque là sont négatives. Il y a donc une petite souffrance radiculaire sans possible vision de la cause étiologique précise. On peut associer à ceci une difficulté de contrôle de la douleur qui peut venir d’un deuil ancien de son père parfois difficile. En effet, ce père là a compensé l’ensemble de l’affectif et de l’autorité que l’on ne retrouvait pas, notamment affectif, dans la personnalité de sa mère dont elle s’occupe encore quotidiennement et qui est une charge lourde sur le plan psychique. L’examen est en effet normal, le traitement que vous avez instauré à base de Rivotril®, Anafranil® surtout et le Temgesic®, est tout à fait adapté, il diminuera en fonction du soulagement de sa douleur. Le complément antalgique peut être pris en compte par d’éventuelles séances d’acupuncture. Je vous prie de croire, Chère confrère, à l’assurance de mes sentiments les meilleurs.
Docteur Z.
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Commentaires Il est curieux que le praticien du centre retienne la présence « d’une petite souffrance radiculaire ». Cet élément nouveau n’est pas le fait d’une erreur ou d’une découverte récente, car il n’y a aucun examen en témoignant. En fait, il vient combler un vide diagnostique très gênant et donc, doit se comprendre par rapport à l’ensemble du système de savoir médical pour lequel le diagnostic est essentiel. Dans cette lettre une nouvelle perspective apparaît : une difficulté dans le contrôle de la douleur est liée par ce médecin « au deuil difficile du père » et à la contrainte de la prise en charge maternelle. Il laisse supposer une origine psychique active sur les modalités de la douleur. Néanmoins, malgré cette origine psychique, le traitement proposé s’est élargi associant antiépileptique myorelaxant, antidépresseur et dérivé morphinique ; traitement dont on peut questionner la pertinence du fait de la négativité des examens complémentaires et de l’hypothèse précédente mettant le deuil du père au centre de la problématique. En fait, pour justifier un tel traitement, le diagnostic de « souffrance radiculaire » initial est nécessaire. On note aussi l’élargissement de l’éventail thérapeutique avec des séances d’acupuncture. Madame X sort des consultations avec une thérapeutique plus conséquente, on lui a dit que « c’était Psychosomatique » terme qu’elle ne comprend pas. De plus, elle aurait aussi « une dépression masquée. » En définitive, on se retrouve devant une situation plus complexe qu’au début : Concernant l’étiologie de la douleur, la pensée a évolué en deux temps : • Dans un premier temps : la cause est ramenée à une situation matérielle réelle : les efforts faits en déménageant auraient pu expliquer le syndrome douloureux mais l’évolution de la douleur, l’absence de lésion tissulaire et la résistance thérapeutique mettent en doute cette origine. • Dans un second temps : une étiologie psychique est présumée. Habituellement, le médecin généraliste peut avoir recours à un avis psychiatrique pour confirmer l’hypothèse de l’origine psychique d’une pathologie. La nosographie psychiatrique peut-elle apporter des éléments de compréhension supplémentaires ? Il faut noter qu’il n’existe pas, pour notre patiente, de profil de personnalité hystérique : 27
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Il n’y a pas d’exagération des affects, pas de théâtralisme, pas d’infantilisme apparent... Au contraire, la patiente est gênée de se plaindre. Même, en supposant l’existence d’un fonctionnement psychopathologique de type hystérique, ce dernier ne permet pas d’expliquer la survenue de la douleur. Quant à la dépression, elle a été déduite par l’efficacité thérapeutique de l’antidépresseur sur la douleur ; hypothèse soutenue par deux éléments : - la mise en évidence d’un deuil dans l’histoire de la patiente ; - la situation d’impuissance thérapeutique. Le caractère « masqué » de la dépression est déduit par l’absence de ressenti des symptômes dépressifs. D’ailleurs, de retour chez son médecin traitant, ce dernier, connaissant la personnalité enthousiaste de la patiente, mettra en doute le diagnostic. Le mari, de son côté, n’y croit pas non plus. Tous ces éléments déterminent une situation d’impasse médicale produite par l’échec de la tentative pour trouver une étiologie à la douleur. Madame X se trouve dans une situation où tout le monde est désarmé et pense qu’elle est responsable de la douleur. Elle croit qu’il y a quelque chose en elle qui produit la douleur et se culpabilise.
La constitution de l’impasse thérapeutique Il est intéressant de comprendre comment, et en fonction de quels modèles, s’est organisée cette situation bloquée.
Le modèle médical Quelles sont les informations données par une anamnèse médicale classique ? • Colonne de l’anamnèse médicale. 52 ans
Douleur sciatique après effort
48 ans
Mélanome opéré immédiatement, pas de conséquence.
33 ans
HTA Disparition des migraines
25 ans
Migraines Absence de pathologie
Anamnèse médicale : L’anamnèse médicale met en correspondance les différentes pathologies avec l’âge de la patiente. Une seule colonne est suffisante : la maladie est considérée pour elle-même.
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Le modèle psychologique Cette patiente a eu, au centre anti-douleur, une approche psychologique appelée « psychosomatique » par le médecin. En fait, Les informations recueillies par ce dernier font référence à un modèle psychologique s’appuyant sur la psychanalyse, essentiellement basé sur le conflit intra-psychique. Il est possible d’observer, dans l’anamnèse psychologique réalisée, une alternance de conflit et de résolution de ces mêmes conflits. 48 ans
Ménopause, remise en question de son identité de femme. (Conflit identitaire)
33 ans
Décès du Père Perte de l’affection Culpabilité de l’avoir placé dans une maison médicalisée (Conflit : choix entre s’occuper du père ou du reste de la famille)
28 ans
Déménagement à Montpellier. Le mari reprend une entreprise familiale. Les parents partent avec le couple Mari sans travail
23 ans
Rejoint ses parents à Paris (résolution du conflit) Naissance d’une fille
22 ans
Retraite du Père qui débute une maladie d’Alzheimer Retour des parents en France. (Conflit entre dépendance et autonomie.) Culpabilité La patiente se consacre à son mari et ses enfants Attitude de soumission au mari (Conflit)
18 ans
Naissance d’un fils Prise de conscience de l’immaturité du mari (Conflit)
17 ans
Mariage - Mari militaire Séparation d’avec les parents permet l’acquisition d’une autonomie (résolution du conflit)
16 ans
Conflit avec la mère par rapport à l’autonomie Tunisie - Peu de souvenirs d’enfance Enfance sans problème
Naissance Tunisie - Père travaille dans les chemins de fer Mère ne travaille pas
L’anamnèse psychologique reprend l’histoire de la patiente et repère les conflits intérieurs
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Essai d’une pensée psychosomatique La pensée « psychosomatique » du médecin s’est constituée en mettant en correspondance les deux types d’informations recueillis par les deux modes d’appréhension de la patiente. Le médecin essaie de relier le corps réel douloureux avec des éléments psychologiques. Cette manière de penser soulève les questions suivantes : L’abord psychosomatique en médecine résulte-t-il de la juxtaposition des deux colonnes d’anamnèse ? Quelle est la nature de cette correspondance révélée par la lettre du médecin du centre antidouleur ? Le praticien propose un lien entre la douleur rebelle, par le biais du « contrôle », et le deuil du père. La difficulté à « contrôler » la douleur n’invalide pas une étiologie mécanique et préserve le modèle médical. Le « deuil difficile du père » fait référence au modèle psychologique.
Quelle est la structure du lien réalisé ? Par l’intermédiaire de la situation de deuil, deux éléments sont rapportés à la douleur de la patiente : - Le manque affectif résultant de la disparition du père. - Une mère à charge et les contraintes en résultant. Ces deux éléments sont appréhendés sous un angle quantitatif : - Quantité d’affect en moins du fait de l’absence du père. - Quantité de contrainte en plus et donc de désagréments du fait de la charge maternelle. Tout est ramené à des facteurs quantitatifs qui vont être intériorisés. Ce type de lien préserve les champs respectifs : • le champ médical s’occupant du corps réel et ramenant le symptôme à une étiologie en rapport avec une réalité biologique : « la petite souffrance radiculaire » ; • le champ psychologique reprenant le modèle hystérique et alliant le symptôme à une cause interne. La pensée psychosomatique ici résulte d’un lien entre les deux champs. Celle-ci met donc en relation de causalité linéaire des facteurs internes psychiques affectifs, considérés sous un angle quantitatif, la situation de deuil et le symptôme douloureux. Dans la complexité apparente, il s’agit là encore d’une forme de psychogenèse même si le fonctionnement hystérique n’est pas capable de rendre compte du fonctionnement de la patiente. 30
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Malgré le flou existant dans les liens effectués par cette pensée « psychosomatique », un critère de validité pourrait être son potentiel opératoire : or, il n’en est rien, les relations sont faites mais la patiente garde sa douleur. Le symptôme aurait dû céder par ce qui constitue en fin de compte une interprétation mais il persiste, laissant la patiente avec un sentiment d’abandon et de culpabilité
Une autre manière de penser le somatique : le modèle relationnel En fait, certains éléments n’apparaissent pas quand on juxtapose les deux anamnèses notamment ceux concernant le rythme corporel et l’imaginaire. De plus, dans la lecture précédente, les évènements ne sont pas considérés selon leur double dimension interne et externe, ils ne sont pas pensés en termes de conflits solubles ou insolubles. Dans notre observation, le modèle relationnel va permettre une nouvelle orientation de la pensée. Celle-ci englobe le somatique et le psychique dans la relation tout en dégageant des facteurs importants notamment le rythme et l’affect.
Concernant le rythme Notion facilement accessible en clinique à tout médecin, il est possible de noter la mise en place d’une dysrythmie à la mort du père, on constate : - Un trouble du rythme activité /passivité : par la mise en place d’une hyperactivité. La patiente travaille plus de 10 heures par jour, s’occupant de l’entreprise, de la maison, des enfants et de sa mère. - Un trouble du rythme tension/détente : par le développement d’une hypertonie corporelle. - Un trouble du rythme sommeil/veille : par la survenue de périodes d’insomnies. - Un trouble du rythme, plus général, conscience vigile/conscience onirique : par la perte du souvenir des rêves, la prévalence de la pensée rationnelle.
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Concernant l’affect Dès la deuxième séance, la patiente va relater les transformations touchant son fonctionnement depuis la mort de son père. Cette transformation est appelée transformation caractérielle car, à la place des symptômes, seuls des traits de caractère sont visibles. Les propres mots de la patiente décrivent la transformation de son caractère : « À la mort de mon père j’étais très déstabilisée, mais j’avais deux enfants, il ne fallait pas que je craque. Je pense que mes sentiments ont changé, j’étais plus dure envers moi et envers les autres, la peine était tellement immense... Je n’ai pas pu en parler. Je ne pouvais pas en parler et je ne voulais pas. C’était tellement injuste et j’avais du mal à accepter. Puis tous les jours, je me suis dit que tout va bien, que tout le monde est en bonne santé. J’ai remarqué que, quand il y a des malheurs autour de moi, « je relativise ». Je me dis que c’est la vie, que tout le monde est touché, c’est presque normal. J’ai senti que j’étais moins sensible aux émotions, pendant des années même si j’avais de la peine, j’avais du mal à l’extérioriser. Je ne pouvais pas pleurer... La mort de mon père m’a fait perdre les sentiments que je montrais aux autres, je me suis renfermée sur mes sentiments. Par contre, ça ne m’a pas enlevé mon optimisme, je ne comprends pas. Des cauchemars ? Non, je ne m’en souviens pas, comme des rêves d’ailleurs. De vide, oui mais pas de cauchemars... » Cette transformation correspond à l’effet d’un processus de refoulement : celui de l’affect dépressif concerné par la situation d’impasse. Le refoulement touche non seulement l’affect mais aussi toute la dimension de l’imaginaire. La patiente en perdant le souvenir des rêves, se coupe de son histoire, elle n’est plus menacée par le retour possible de l’événement traumatisant. Ainsi, le repérage des troubles du rythme révèle la transformation caractérielle du fonctionnement en même temps que la présence d’un refoulement de l’affect et laisse entrevoir la situation d’impasse. Lors de cette séance la patiente se met à pleurer, elle récupère l’affect dans la relation. Par les pleurs, elle exprime la souffrance de la perte de son père. Cette situation d’impasse devient une réalité affective pouvant être exprimée dans la relation thérapeutique alors que, jusqu’à maintenant, elle n’était qu’énoncée de manière neutre. 32
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Ainsi, la mort du père prend une autre place pour la patiente : ce qui, en un temps, n’avait pu être dit peut l’être aujourd’hui. De même, elle peut pleurer son père alors qu’elle n’avait pu le faire auparavant. La relation thérapeutique permet la levée du refoulement de l’affect. Après la mort du père, d’autres situations conflictuelles surviennent, s’emboîtant les unes dans les autres. Des pathologies apparaissent. La ménopause À la ménopause, la patiente a l’impression d’arriver à une limite professionnelle. Par sa décision d’arrêter son travail dans l’entreprise, elle n’est plus dans l’hyperactivité qui renforçait le refoulement et évitait la confrontation au vide de la dépression. Le sentiment de perte induit par la ménopause fait écho à la perte du père. Une pathologie organique apparaît dans ce contexte : un cancer de la peau débutant qui sera opéré immédiatement. Lors de la troisième séance, la patiente va prendre conscience qu’elle s’est efforcée toute sa vie d’éviter les conflits entre elle et son mari, entre lui et les enfants. Pour les éviter, elle se taisait et acceptait son autorité, renonçant à toute une part de liberté. Dorénavant, Madame X n’a plus envie de se taire, de se soumettre à l’autorité du mari. L’élaboration du conflit La patiente s’aperçoit qu’actuellement, la douleur s’aggrave lorsqu’elle va avoir un conflit avec son mari. Lorsqu’elle entre en conflit, après un rapport de force, il prend un air triste et la patiente se sent mal. La douleur est liée au conflit dont elle va formuler la structure en ces termes : « Je suis malheureuse, je voudrais m’affirmer mais si je m’affirme, je m’aperçois que mon mari est mal et je suis encore plus malheureuse. J’ai l’impression de tourner en rond et je me dis que ce n’est pas la peine de créer un conflit... » La situation conflictuelle prend la forme du cercle vicieux et tend à se refermer en impasse. La représentation de la situation bloquée diminue un peu plus la force du refoulement et Madame X se souvient d’un rêve dans lequel, quoiqu’elle fasse, elle ressent de la peine. 33
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L’expression de l’affect et le souvenir du rêve sont corrélatifs d’une amélioration de la douleur et la patiente prend la décision de diminuer l’antidépresseur. Ceci va permettre, dans la quatrième et dernière séance, d’aborder une autre situation difficile, il y a un an. Disparition de la douleur à la quatrième séance Un mois avant l’apparition de la douleur, la patiente va me raconter une situation où elle s’est sentie trahie par son mari surpris en train de tutoyer une secrétaire. À ce moment là, tous les efforts qu’elle avait dû faire pour préserver une harmonie en évitant le conflit se sont anéantis. Cet événement apparemment anodin, crée une faille dans le refoulement. Toute l’organisation adaptative de la personnalité mise en place pour préserver le milieu familial s’effondre, laissant apparaître la douleur. La souffrance ne peut être exprimée. Elle me dira « Mon mari ne peut pas comprendre que j’ai une douleur profonde en moi. »
Conclusion La pensée psychosomatique ne résulte pas de la mise en correspondance d’un modèle médical et d’un modèle psychologique ; il ne suffit pas de trouver un événement concomitant d’une maladie dans l’histoire du sujet pour conclure à une somatisation. Ce processus de pensée procède encore d’une causalité linéaire et n’est pas efficient pour penser la complexité de la pathologie. D’après le Prof. Sami-Ali, toute somatisation doit être démontrée ; je pense que cette exigence évite les dérives et les dégâts produits par des interprétations erronées. Cependant, pour satisfaire cette exigence, le concept de conflit soluble ou insoluble est nécessaire ; conflit qui n’est pas intra psychique mais relationnel. Pour moi, le potentiel opératoire de ce concept est lié au refoulement de l’imaginaire et de l’affect qui en découle. Un refoulement qu’une relation sécurisante et affective est susceptible de lever. Dans l’observation précédente, l’approche relationnelle a permis à la souffrance d’apparaître et d’être exprimée dans la relation thérapeutique. 34
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Un même conflit, existant dans la relation et responsable d’un refoulement de la souffrance, s’était projeté dans le corps sous forme de tension et de douleur. Tant que persistait cette situation conflictuelle, verrouillée par la situation d’impasse de la mort du père, les thérapeutiques successives ne pouvaient qu’être en échec. Seul un abord relationnel susceptible de desserrer le fonctionnement adaptatif, de faire apparaître le conflit et d’en dissoudre les termes a été en mesure de résoudre la symptomatologie.
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Recherche en psychosomatique. Psychosomatique : nouvelles perspectives
Sylvie Cady
Psychothérapie en relaxation psychosomatique C’est par l’étude d’une observation clinique, celle de Monsieur L., que je vais aborder la technique de la psychothérapie et de celle de la psychothérapie de la relaxation. M. L. a 36 ans, il a fait des études d’ingénieur en France dans la même école que son grand-père, puis il est parti à l’étranger faire le même diplôme que lui. Il travaille maintenant dans la même société et voyage de ce fait beaucoup. En France, il vit encore chez sa mère, avec qui il a une relation distante. Il vient pour une relaxation psychosomatique, qui lui a été conseillée par son médecin, pour son hypertension artérielle. Il a par ailleurs un phénomène de paralysie psychogène au côté droit qui le met depuis un an en arrêt de travail. Ce qu’il ne supporte pas. Très rapidement il va exprimer le malaise profond dans lequel il est actuellement car il a perdu ses possibilités imaginatives, et il a du mal à voir ce qui aurait pu poser problème. Lorsqu’il a eu la paralysie, il avait encore son imaginaire et il pouvait comprendre. Il a très peur de se lancer dans un travail corporel avec cette perte de connaissance de lui-même. Actuellement, dans un premier temps, nous convenons de travailler ensemble dans le domaine de la psychothérapie, ce qui le rassure.
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Recherche en psychosomatique
Psychothérapie Au départ, le discours est sans liaison entre le corps et le psychique. Lorsqu’il trouve sa place dans la relation, où la thérapeute lui donne un rôle d’initiateur dans la relation, il parle surtout de son père, qui l’a abandonné à cinq ans et de l’influence de son grand-père dans sa vie. Il est un repère qui lui a permis de se construire. Il pense qu’il a remplacé son père. Ce rôle d’initiateur du rythme des échanges que lui donne la thérapeute et qu’il repère maintenant pose le problème de l’activité et de la passivité. C’est un phénomène qui a été important dans sa vie et qu’il avait perdu. Il a vécu activement passif. Son activité a toujours été une manière de dépasser la passivité, qu’il a connu lorsqu’il était proche de sa mère. La passivité le renvoie maintenant à une situation inconfortable dans la relation maternelle. Actuellement la passivité avec l’arrêt maladie crée un processus de régression à l’image maternelle. Elle est le facteur important d’une perte identitaire. À travers le langage et le rythme des échanges, où les situations d’écoute puis de parole sont rythmées par lui, il a l’impression de retrouver vie. Il décide de l’aventure de la relaxation. Des mouvements choisis ensemble « pour lui redonner vie », qui renvoient à la prise de conscience du corps, vont l’aider à aller plus loin dans la compréhension de ses difficultés.
Relaxation psychosomatique En plus du rythme des échanges, une élaboration autour du rythme corporel inclus dans l’élaboration du mouvement de relaxation permet de préciser sa situation corporelle, parallèlement il retrouve ses possibilités représentatives. Cette potentialité imaginative va permettre la récupération d’une conscience identitaire et l’amélioration symptomatique de l’hypertension. La thérapeute met l’accent ici sur le lien psychique-somatique entre la récupération identitaire et l’hypertension. Effectivement la problématique identitaire se précise1. Le lien entre le psychique et le somatique est fait maintenant par le patient, à travers la tension corporelle liée à l’angoisse, que lui propose cette analyse qui va suivre. Pendant cette période d’enfance passive, il a été abandonné par son père et il retrouve actuellement des rêves d’abandon. Il s’est structuré sur le plan identitaire par rapport à son grand-père, dont 1. Le patient demande en relaxation des mouvements identitaires.
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« il a épousé la vie ». Il était en voyage à l’étranger, lorsque son grand-père a été hospitalisé pour une sclérose en plaques. Six mois après lorsque notre patient revient en France, il retrouve son grandpère paralysé, et il s’est aussi paralysé surtout du côté droit comme son grand-père. Avec la compréhension d’une imitation identificatoire au grand-père dans sa symptomatologie de paralysie, cette dernière régresse. La possibilité mortelle d’une telle maladie l’a confronté à une autre possibilité d’abandon et il se colle à lui de la sorte pour éviter cette situation. Le rôle de la thérapeute ici, est d’aider le patient à interpréter lui-même la situation, pour prendre un moindre risque face à la somatisation. Les mouvements en relaxation autour du rythme corporel2 créent une assise rythmique : élément temporisateur du biologique. Autour de cette compréhension de la situation conflictuelle autour de l’abandon, la symptomatologie conversive disparaît. Il comprend alors que la valeur passive de la symptomatologie et de l’arrêt maladie, l’ont mis dans une situation impossible. L’activité de rêve qui se rétablit en même temps que l’élaboration de l’impasse, permet la compréhension de l’hypertension en tant que réaction du patient face à la passivité de la paralysie et de l’arrêt maladie : il a été coincé par la passivité dans la proximité maternelle, elle empêche l’accès au père et à l’identification rassurante. Initialement, cette situation est conflictuelle et conversive, secondairement, la passivité a renfermé la problématique identitaire au grand-père dans une impasse. La représentation et la compréhension de cette impasse permet sa dissolution. Des mouvements en relaxation autour de l’identité facilitent cette structuration. En même temps qu’une activité de rêve stable se rétablit, un rythme corporel harmonieux apparaît, ce qui a un effet positif sur la pathologie organique : l’hypertension régresse, puis disparaît. En ce qui concerne la technique en psychothérapie et la psychothérapie de relaxation, elle est d’abord liée à la relation. Elle utilise différentes formes d’interprétation. Elle s’inscrit dans le système activité-passivité. Elle prend en compte les données de l’imaginaire - le langage tient une place importante. Le processus somatique est essentiel.
La relation thérapeutique Cette relation spécifique au thérapeute s’établit sur le plan préconscient. Pour que ce dernier soit dans ce rôle du préconscient, il doit 2. Rythme corporel : rythme contraction-détente.
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pouvoir être en état de réceptivité afin de recueillir toutes les données sur ce plan. Il existe deux sortes de relation, celle liée à l’imaginaire et celle dépourvue de potentialité imaginative. Dans la première forme, le patient projette sur le thérapeute une relation personnelle qui s’inscrit dans son histoire. Quant au relationnel sans imaginaire, il reflète le refoulement de la fonction de l’imaginaire et ne peut reproduire que le réel de la relation. La projection est cette dynamique vivante qui va permettre à la relation d’évoluer dans le domaine de l’imaginaire. À cet effet, la prise en compte de cette donnée en psychothérapie est de la plus grande importance, car la projection est un mouvement constitutif de l’imaginaire qui est porté sur le thérapeute dans une relation spécifique, où autrui fonctionne en tant que double du sujet. Ce mouvement est dynamisé par le patient. Par conséquent, la position relationnelle, dans la technique de relaxation, doit respecter cette organisation. La relation est une donnée essentielle de l’évolution thérapeutique en psychosomatique. Elle peut même parfois faire disparaître le symptôme, en dehors du travail analytique sur le plan du langage : lorsque l’impasse liée au refoulement de la fonction de l’imaginaire a un sens face à la relation ou lorsque la névrose devient névrose de transfert. Dans le premier cas, le rétablissement ou l’élaboration relationnelle, en permettant la dissolution de l’impasse, libère cet imaginaire qui pose le problème de la somatisation. Dans le deuxième cas, ce qui empêche l’apparition de la symptomatologie, c’est que l’on est dans une relation à l’autre intériorisée, provoquant un conflit avec refoulement de la représentation relationnelle. Si la relation reprend cela, l’histoire de la névrose est répétée par rapport à une nouvelle relation, sans symptomatologie. Notons ici que lorsqu’il y a échec du refoulement, un symptôme qui reproduit cet échec va établir la même chose dans la relation. Si la thérapeutique va à l’encontre du refoulement, le symptôme s’y trouve supprimé, s’il a échappé à l’inconscient. La relation est donc le moteur de toute la situation thérapeutique. C’est même une donnée essentielle. Le patient, par le mécanisme même de la projection et de la représentation des images, va y intégrer le thérapeute. C’est pourquoi, en psychothérapie et en psychothérapie de relaxation, il est question d’un espace de rencontre entre un thérapeute et un patient, qui implique le corps. Et ce qui différencie la psychothérapie et la psychothérapie de relaxation c’est qu’en relaxation on sait qu’il y a du corps, même s’il n’est pas défini comme une donnée contrôle dans la relation. Dans les deux techniques, la projection, dans la situation relationnelle, demeure la dimension importante. Elle est rendue possible, ou est facilitée, par 40
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le fonctionnement d’autonomie du sujet, mis en place dans ces deux formes de psychothérapie. Grâce à cette relation, est réactivée toute une structuration du corps, qui s’est construite autour d’une histoire et qui correspond à la relation.
L’interprétation Il existe différentes formes d’interprétation. L’interprétation relationnelle Elle est visible par exemple dans l’élaboration autour de la passivité lorsqu’il est mis en relief que la passivité avec l’arrêt maladie crée un processus de régression à l’image maternelle. L’utilisation de la place relationnelle du patient en tant qu’initiateur de la relation à valeur d’interprétation. Les équivalents d’interprétation Les équivalents d’interprétation permettent la construction, l’explication de la relation, ou le dépassement d’une situation difficile. Chez M. L., l’attitude du thérapeute à la demande du patient d’être passif a valeur interprétative. Elle conduit à l’établissement d’une relation qui a un sens face à l’impasse et sera une base importante pour accéder à sa dissolution. En relaxation, l’élaboration autour du rythme corporel et le mouvement choisi avec le patient fonctionne en tant qu’équivalence d’interprétation : elle permettra l’élaboration de l’imaginaire lié à la représentation, la récupération d’une conscience identitaire et l’amélioration symptomatique de l’hypertension. L’interprétation psychosomatique Elle recouvre le fait que le sujet fonctionne en tant qu’entité psychosomatique. Cette interprétation établit un lien entre la causalité psychique et ses rapports au somatique. Elle crée des possibilités évolutives nouvelles. Chez notre patient, le lien entre le psychique et le somatique fait par le patient permet de préciser sa problématique identitaire. L’interprétation en tant qu’hypothèse de travail L’interprétation est tenue de suivre les fluctuations des enjeux relationnels, de comprendre les angoisses et les défenses, de se repérer dans les relations d’objets. Elle doit suivre tout cela pas à pas, sinon la situation devient très vite non analysable. 41
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Le passage à la représentation Pour ce type de patient dont le fonctionnement est lié à l’absence imaginative, l’aide du thérapeute pour que le patient puisse se représenter ce qui vient d’être verbalisé, est de la plus grande importance pour l’accès à ce monde de la mise en image (ou travail de l’imaginaire) qu’apporte la représentation. Dans tous les cas, l’analyse par le patient de ses difficultés ainsi que l’interprétation par lui-même avec l’aide du psychothérapeute est de la plus grande importance. Elle permet de prendre un moindre risque vis-à-vis de la pathologie organique dans la mesure où elle n’est pas intrusive et qu’elle respecte le temps d’élaboration.
Le problème activité-passivité Le système activité-passivité est un fondement important de toute évolution thérapeutique. Dans le conflit névrotique par exemple, il y a deux possibilités : être passif ou actif. En réalité, on peut être passivement actif ou activement passif. On a également la possibilité de déplacer la passivité et l’activité. On compense parfois et il y a une gamme de solutions possibles, qui font qu’on échappe à l’une ou à l’autre de ces deux données. Le plus souvent, le conflit névrotique comporte au moins une solution, et il n’y a pas de contradiction dans ce domaine. Pour les personnalités dépourvues de potentialité imaginative et qui fonctionnent dans l’adaptativité, activité et passivité sont sur un registre d’équivalence. Aussi, pourquoi choisir une solution plus que l’autre. Ou bien, si on fait son choix pour une solution, on n’est pas dans la vérité. Même si un fragile équilibre peut s’instaurer, activité ou passivité mal gérées renforcent ce phénomène ou amènent la contradiction. Elles peuvent même parfois prendre le sens d’un enfermement dans une situation sans issue. En relaxation, la passivité de la consigne ne permet pas de prendre en main son destin thérapeutique. Elle peut de plus amener la contradiction, ou renforcer une difficulté interne. Ceci peut solliciter le conflit et parfois mener à l’impasse. En relaxation psychosomatique, en ce qui concerne l’élaboration du mouvement, il n’y a pas de structure formelle. Chaque exercice de recherche corporelle est un point de départ qui se crée à deux, qui peut-être arrangé ou changé par le patient s’il sent qu’une donnée ou une autre ne convient pas. La psychothérapie de relaxation conçue ici est une recherche personnelle sur le plan du corps, du tonus, incluse dans le fonctionnement de la personnalité du sujet. Elle prend en charge le conflit ou l’impasse ainsi que tout le processus imaginatif. 42
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L’imaginaire En psychothérapie et en psychothérapie de relaxation, on observe facilement des mouvements oniriques. Ils montrent qu’il n’y a pas carence réelle de l’imaginaire, mais un refoulement de tout le fonctionnement imaginatif. Celui-ci est plus ou moins complet, et empêche le sujet de se souvenir de ses rêves, ou amène le sujet à penser qu’il ne rêve pas, que le rêve n’a pas d’importance pour lui. Pour d’autres, l’imaginaire n’est pas relié au sujet. Aussi, lorsque la manière d’organiser la psychothérapie laisse la place au sujet et que le thérapeute se dégage du surmoïque (qui interdit l’accès au rêve), on permet, pour certains, la levée d’une partie du refoulement. Notamment, en séance, peuvent apparaître des équivalents d’imaginaire, ou bien le récit d’une activité onirique naissante, et ceci toujours quand le rythme corporel se réharmonise. Lors de l’élaboration d’une situation d’impasse, on peut reconnaître une même situation. Ainsi Monsieur L. a été entièrement en dehors d’une possibilité imaginative dans les premiers entretiens. Dans la situation allongée en relaxation (ce qui correspond à la mise à distance de sa situation d’impasse relationnelle), l’émergence de l’imaginaire est apparue, en même temps qu’une légère détente. La position en face à face, par la suite, ne le ramène pas à la relation non-imaginative primordiale et à la tension corporelle. Présentement, la détente permise par la mise à distance de l’impasse relationnelle permet de laisser s’exprimer l’imaginaire en relaxation et dans la psychothérapie en face à face. La difficulté thérapeutique consiste à faire quelque chose avec ces rêves qui, de nouveau, deviennent possibles et qui nous ramènent au point de départ du refoulement caractériel. À cet effet, le travail d’analyse qui accompagne l’élaboration onirique est important. Il ne consiste pas à interpréter le rêve qui surgit, mais d’abord à le rendre acceptable, à montrer son intérêt. Permettre au sujet que le rêve puisse exister en lien avec lui-même entraîne une modification caractérielle beaucoup plus importante que simplement le fait de se rappeler un rêve, surtout s’il encourt le risque d’être oublié une autre fois. Pour faire place à la possibilité de changer un fonctionnement, sans que le rêve devienne une impasse, l’aide de la dynamique du rythme corporel (tension-détente) est nécessaire. L’atmosphère de la relaxation qui laisse la place à l’imaginaire, avec le support du rythme corporel permet et soutient la réhabilitation de l’onirique, par sa permissivité. La relation, support de la potentialité imaginative, est dans ce domaine importante. De ce fait, l’émergence de l’imaginaire a un effet de détente, s’il est bien géré. En définitive, pour la psychothérapie et la psychothérapie de relaxation, il convient de savoir comment fonctionne un patient sur 43
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le plan de l’imaginaire, de prendre en compte qu’une situation conflictuelle ou une impasse a un soubassement corporel tonique. Ceci donne une autre possibilité au devenir thérapeutique et permet également de prendre un moindre risque face au processus de somatisation.
Le langage Présentement, dans cette technique, tout un travail de mise en place de la psychothérapie est abordé par le langage, faisant des liens avec le corps. Le rôle du langage peut parfois sembler en retrait. Mais quand le gestuel corporel ne se vit plus en imitation par rapport au thérapeute représentant une figure maternelle, et que le patient se positionne dans la reconnaissance d’une image fantasmatique de lui, tout le début d’une activité psychique symbolique apparaît et donne sa place au langage. Il existe des personnes pour qui une thérapie par le langage est difficile : une difficulté projective ne permet pas la structuration de la pensée. Pour eux, le corps et la motricité sont primordiaux. Une intervention à ce niveau est de ce fait plus aisée et profitable, car justement, en relaxation, avec la place du corps, on donne au sujet un cadre de référence, qui lui permet le passage de l’espace corporel à l’espace de la projection sensorielle, conférant ainsi au corps propre sa fonction de schéma de représentation. À partir de là, le relationnel parlé autour du discours sur le corps sera mieux supporté. Le langage situe le patient dans une activité de pensée symbolique. Les symboles sémantiques remplacent la gestalt de la posture et deviennent les principaux instruments pour la conduite de la relation. Ceci amène à la mise à l’écart des signaux gestuels et posturaux dans la communication. En fait, le corporel est médiatisé par la langue parlée. Ceci se retrouve dans la psychothérapie et la psychothérapie de relaxation où la partie corporelle en relaxation est parlée par la suite. Les deux techniques permettent au langage de s’établir dans une représentation qui rejoint toute l’anthropologie des images du corps. Le discours de la psychothérapie est d’abord un travail de liaison. Il permet la mise en acte d’une représentation qui tient compte des données imaginatives. Lorsque, pour un patient, il n’y a pas de rapport entre un événement dramatique, une symptomatologie organique et l’absence de rêve autour de ce moment événementiel, le langage en facilite les liens. Il permet à ces données de se mettre en place, dans un rapport de continuité psyché-soma. Or très souvent, toute une situation dualiste du discours fragmente cette 44
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organisation psychosomatique, si bien que cette structuration ne peut être abordée qu’à travers des schémas thérapeutiques toujours partiels et jamais convergents. Aussi, la mise en œuvre du langage dans une situation thérapeutique nécessite, dès le départ, que le thérapeute aide le patient à faire des liens psychosomatiques possibles. Même si ce sont des données qui lui sont livrées après coup, et qui peuvent représenter des sens secondaires d’un symptôme, le rapport psychique somatique y est d’importance. Très souvent, le symptôme n’y est pas véhiculé par un sens exact, le langage crée alors un lien étiologique, entre le sens et le symptôme. Aussi, et d’une manière générale, le langage dans la communication au thérapeute permet la reconstruction d’un ensemble psychosomatique où il n’y a pas de coupure entre le corps réel et le corps imaginaire. À partir du corps physiologique, le langage en psychothérapie et en psychothérapie de relaxation situe donc le corps dans sa représentativité. La question est de saisir une unité de fonctionnement, selon un axe qui inclut les données de la psychosomatique.
La somatisation En psychothérapie psychosomatique, les rapports entre psychique et somatique sont en continuité : un problème corporel renvoie à une problématique psychique. Ne pas prendre en charge la situation dans son entité empêche l’évolution de la problématique corporelle. Autour de la pathologie organique, le phénomène imaginaire est d’importance. De ce fait, en psychosomatique, l’étayage se fait en tenant compte de la qualité de l’imaginaire et de la base organique, qui accompagne précisément les données imaginatives. Pour la relaxation, l’étayage se situe à partir d’une activité fondamentale, qui est celle de la projection. En psychothérapie psychosomatique, il correspond à la possibilité inhérente au sujet de constituer un objet absent-présent fantasmatiquement, à travers une activité relationnelle, qui est elle aussi un élément présent-absent. On peut traduire la même forme de somatisation différemment suivant qu’elle inclut ou non la possibilité projective. C’est ainsi qu’on ne peut repérer des troubles spécifiques, qui sont du domaine hystérique, qui renvoient au corps imaginaire et demandent à être pris en charge comme tels ; puis des troubles, qui concernent la mise en place ou la régression d’une fonction, ou qui renvoient à l’organique d’un corps réel. Aussi, pour comprendre le phénomène de somatisation, deux données sont importantes : l’organisation personnelle du sujet et la situation de vie autour de laquelle la somatisation s’est créée. La situation thérapeutique agit sur ces deux 45
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données. Elle prend en charge la situation conflictuelle (avec ou sans issue) et elle permet la reconstruction du fonctionnement de la personnalité. De ce fait, la prise en charge n’est pas symptomatique, mais permet toute une évolution du patient dans la réharmonisation de son être. La maladie n’arrive pas par hasard et ne parle pas ; il s’agit ici de comprendre ce qui arrive et s’inscrit.
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Anne Gatecel
La consultation psychosomatique en psychomotricité
Notre souci va donc être ici de tenter de faire un lien entre les troubles instrumentaux, les difficultés de latéralisation, de voir les somatisations présentées par le sujet et son mode de vie existentiel. En ce sens, nous sommes particulièrement attentifs à l’entité psychosomatique de chaque être. Pour qu’un examen psychomoteur soit signifiant, il est indispensable que le sujet interpellé comprenne ce qui lui est demandé. Or, lorsque les enfants présentent des perturbations importantes dans leur capacité d’accès à la fonction symbolique, les principales épreuves de l’examen psychomoteur deviennent inutilisables. Les divers tests codifiés impliquent qu’existent dans l’esprit de l’enfant non seulement l’accès à la fonction symbolique, une représentation mentale de leur corps propre, mais aussi une organisation en trois dimensions de l’espace, un repérage temporel... ; ce qui suppose que le sujet présent soit séparé de son objet, c’est-à-dire sujet à part entière. Lorsque les fonctions psychiques précitées sont absentes ou peu élaborées, l’examen psychomoteur tel qu’il est décrit dans les manuels est sans signification. Des épreuves plus significatives sont alors à élaborer. L’examen psychomoteur n’est pas à entendre comme un bilan des déficiences du sujet, une mise à nu des symptômes isolés, d’une problématique psychoaffective. Il n’a aucun sens s’il est considéré dans l’abstrait, s’il est fait sans prendre en compte le lieu où il est 47
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fait, l’histoire du sujet, les motifs de la demande de consultation, etc. Le symptôme résulte à la fois de trois mécanismes psychiques appelés « mécanismes de défense du Moi » (Moi est ici à entendre comme l’une des entités décrites par S. Freud dans la seconde topique de l’appareil psychique évoqué dans l’article de 1923 « Le Moi et le Ça »). Les trois mécanismes de défense dont il est question ici sont : la formation réactionnelle, la formation substitutive et la formation du compromis. Grâce au jeu du compromis et de la substitution, le symptôme prend un sens particulier dans chaque entité psychologique. Il est impliqué étroitement dans le mode de relation d’objet, propre à chaque organisation psychique. La défense constituée par le symptôme va dans le sens de la lutte contre l’angoisse spécifique ; éviter la castration dans les processus névrotiques ; éviter le morcellement dans les processus psychotiques ; éviter la perte d’objet chez l’état limite ; éviter toute manifestation d’agressivité chez l’inhibé... Les modes de formation du symptôme ne sont pas interchangeables tant que l’économie intrapsychique demeure stable. Lorsqu’un sujet vient nous consulter, devons-nous répondre à sa demande de faire disparaître le symptôme ? Si nous entendons, symptôme, en terme de compromis dans un fonctionnement intrapsychique qui lui est singulier, avant de faire varier la symptomatologie, il est primordial de rechercher ce qu’un tel changement dans l’économie psychique interne du sujet pourrait déclencher. Ainsi, le psychomotricien en situation d’examen ou d’entretien, avec un patient, se doit avant tout d’être un clinicien et non pas un « testeur » ou un « détecteur » des déficiences éventuelles du sujet. Le clinicien, même à travers des tests, doit rechercher le lien qui peut exister entre la symptomatologie présentée par l’individu et son monde de fonctionnement psychique (sans pour autant chercher là encore à lui coller tel ou tel diagnostic psychiatrique, ce qui n’est pas de notre domaine ; nous parlerons donc en terme de processus psychique, d’un point de vue dynamique). Par exemple quels liens peuvent exister entre l’organisation corporelle du patient, sa manière d’appréhender l’espace et le temps, sa façon d’être en relation avec l’autre, son type de fonctionnement de la vie imaginaire ? Il me paraît important de tenir compte aussi du jeu que représente le symptôme par rapport à la dynamique familiale. Il faut apprendre à gérer le symptôme par rapport à la demande de la famille. Il peut se poser alors le problème d’une intervention de type rééducation technique car la famille a du mal à entendre que les difficultés présentées par l’enfant se situent plus à un niveau psychologique. Faut-il d’emblée répondre à cette demande ou bien y 48
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répondre dans un premier temps pour faire toucher du doigt petit à petit que le problème se situe ailleurs... Plus qu’une batterie de tests, il paraît important au cours de cet examen clinique, d’avoir un aperçu global du développement psychomoteur de l’individu. À cet effet, nous allons évoquer maintenant quelques points théoriques qui pourraient servir de point de repérage pour cerner les difficultés présentées par le patient, lors des premières rencontres. Ces quelques considérations s’inspirent des travaux du Professeur M. Sami-Ali développées notamment dans son ouvrage « Corps réel, Corps imaginaire ». Pour construire l’espace, l’enfant doit sortir d’une relation fusionnelle à la mère ; c’est elle qui détermine à cette période la relation spatiale. Le nourrisson, en rapport de type oral avec la mère est pris dans un espace unique englobant la mère et les objets. L’espace est alors une surface qui se déploie sans aucune profondeur. À l’époque où l’enfant n’est plus perpétuellement porté par sa mère, il peut alors se diriger seul vers les objets, en rampant, en expérimentant la quadrupédie, etc. Il peut mesurer la distance qui le sépare des objets et celle existant entre les objets. Toute cette évolution est possible lorsque la mère peut laisser de l’espace à son enfant. Une prise de conscience du dedans par rapport au dehors se fait surtout à travers l’existence de l’angoisse du huitième mois, second organisateur décrit par René Spitz1. Une autre figure que celle de l’image maternelle crée une situation de différenciation où là le dehors apparaît comme angoissant. Sami-Ali comprend cette expérience comme étant une angoisse de dépersonnalisation dans le fonctionnement psychique de l’enfant2. Le personnage tiers commence à exister comme quelqu’un de différent de l’image maternelle. Si le troisième terme est différent du second et le premier différent du second, nous nous situons là dans un processus de différenciation par rapport à la figure maternelle. Nous pouvons parler d’angoisse de dépersonnalisation car l’enfant se situe entre un visage ressemblant à sa mère qui n’est plus et le sien qui n’est pas encore constitué. Le personnage tiers permet la réalisation corporelle et spatiale du processus de différenciation entre le dedans et le dehors. Autrement dit, la problématique de différenciation du dedans par rapport au dehors réside essentiellement dans la possibilité d’autonomie du sujet ; celle-ci doit être comprise en référence à la situation 1. René A. Spitz. De la naissance à la parole. Paris, PUF, 1968. 2. Sami-Ali. Corps réel, corps imaginaire. Paris, Dunod, 1984.
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œdipienne c’est-à-dire par rapport à cette situation à trois où le tiers différencie la relation mère/enfant, ouvre l’espace vers le dehors. Évoquons maintenant la mise en place de la construction temporelle ; lorsque l’enfant est pris dans la relation fusionnelle, le temps n’existe pas pour lui, il est imposé par sa mère. La succession des tétées, fixée par la mère permet une première organisation temporelle. Il s’agit d’une organisation rythmique binaire où il n’y a pas de laps de temps entre la demande et la réponse proposée par la mère. Mais il paraît important que la mère puisse petit à petit différer sa réponse ; c’est dans cet espace/temps de l’absence que le rythme ternaire pourra se mettre en place. Troisième temps qui laisse une place au fantasme, à la représentation, à la figuration de la mère absente physiquement mais présente psychiquement. Certaines mères, débordées par ces premiers instants d’individuation manifestés par l’enfant, supportent mal de ne plus pouvoir totalement maîtriser la situation. Dès que l’enfant est âgé de trois/quatre mois, il ne dort plus continuellement entre chaque tétée mais un certain laps de temps d’éveil avant et après apparaissent ; temps de jeu, d’exploration, d’échange... C’est à partir du moment où il y a possibilité d’un temps d’éveil ouvert vers l’extérieur que l’enfant va vouloir se déplacer pour se diriger vers un objet qui l’intéresse par sa couleur, sa texture, son odeur... L’espace et le temps acquièrent des bases solides dans la mesure où l’enfant peut aller de lui-même d’un point à un autre et il mettra un certain temps pour effectuer ce trajet. Quand il y a un temps personnel chez l’enfant qui commence à se structurer, cela correspond à la mise en place du processus de différenciation entre l’espace dedans et l’espace dehors. Reprenons brièvement les différentes étapes de l’organisation spatiale, décrites par Sami-Ali dans L’espace imaginaire et dans Corps réel, corps imaginaire.
Espace d’inclusion réciproque Il existe une différenciation dedans/dehors mais peu structurée. Ici, le tout est l’équivalent de la partie, le dehors est inclus dans le dedans. Cela correspond au phénomène des poupées russes ; il s’agit d’un espace d’emboîtement. 50
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Espace de complémentarité imaginaire Un début de plus grande différenciation apparaît mais en même temps, coexiste son abolition. Ce fonctionnement se voit particulièrement dans les dessins dits « maison-visage ». Il s’agit d’une maison où le contour correspond au visage de l’enfant, les deux fenêtres aux yeux et la porte à la bouche. Le visage de l’enfant, qui est dehors est l’équivalent de ce qu’il y a dans le dessin. Il existe une différenciation du dedans par rapport au dehors mais celle-ci n’est pas très nette ; c’est à la foi différenciation et annulation de ce même processus.
Apparition de la troisième dimension À partir du moment où se produit la différenciation vis-à-vis de la figure maternelle, l’espace s’ouvre vers l’extérieur. Cette prise de distance vis-à-vis de la relation maternelle se traduit par la possibilité d’organiser l’espace en fonction de la profondeur. Nous nous situons alors là dans un espace à trois dimensions. Selon Sylvie Cady, l’organisation corporelle suit cette même évolution. Ainsi, la latéralisation ou la construction de l’espace droite/gauche est fonction de la relation à l’autre3.
Construction de l’espace droite-gauche Dans la période fusionnelle, l’enfant est pris dans un espace unique qui englobe sans discontinuité son corps, celui de sa mère ainsi que les objets extérieurs. Dans un espace de complémentarité imaginaire, nous nous trouvons en présence d’une situation en miroir. La droite de la mère correspond à la gauche de l’enfant. Ce dernier utilise la main gauche dans un espace de latéralité imaginaire par rapport à la référence maternelle. L’autonomisation, l’intériorisation de la différence des sensations entre l’hémi-corps gauche et l’hémi-corps droit permettront à l’enfant de différencier de plus en plus finement l’espace gauche de l’espace droit. Il va alors commencer à utiliser sa main préférentielle, dominante. Au moment où l’enfant aborde la situation d’attirance œdipienne, l’enfant se met à haïr sa mère ou son père selon son sexe et là la gestuelle va se 3. Sylvie Cady. Latéralité et image du corps chez l’enfant, approche psychanalytique. Paris, Paidos, Le Centurion, 1988.
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structurer vis-à-vis de la personne vers laquelle il est attiré. Tout un jeu d’activité et de passivité va être important dans cette période et va déterminer l’organisation spatiale. Par la suite, avec la résolution de la problématique œdipienne, le geste se structure en fonction du processus d’identification. L’espace droit et l’espace gauche acquièrent une autre signification c’est-à-dire que l’enfant s’aperçoit que la latéralité de l’autre, sur le corps de l’autre est inversée ; sa référence spatiale est inversée (il s’agit ici de la notion de retournement décrite par J. Piaget.) Vers la période de l’adolescence qui est aussi un temps perturbé sur le plan de l’organisation du geste, nous assisterons à une reprise de la relation duelle, c’est-à-dire à une position homosexuelle où il y a une relation double avec un(e) amie(e) de son sexe ; ce(tte) dernier(e) fonctionnant comme un double de lui(elle). Dans cette position, l’espace peut y perdre sa profondeur dans cette circularité en miroir mais cela n’aboutit pas à être ramené à un espace de complémentarité imaginaire sauf si l’autre fonctionne comme une référence maternelle. Pour faire plaisir à l’autre, pour garder la relation avec cet alter ego, l’adolescent peut en arriver à créer toute une gestuelle qui n’est pas forcément personnelle mais qui peut correspondre à la peur de passer de cette situation homosexuelle à l’hétérosexualité. La résolution de la phase d’adolescence est le passage à l’hétérosexualité. Là le jeune ou la jeune fille va utiliser d’autres choix identificatoires. Il ou elle reprendra à son compte, une gestuelle, appartenant à différentes personnes, qui lui sied en structurant son image gestuelle propre. Pour conclure ce bref rappel théorique, j’insisterai sur le fait qu’il me paraît important, lorsque nous voyons un enfant en situation d’examen psychomoteur de tenir compte du problème corporel qui atteint le corps réel mais aussi de la signification psychologique de cette difficulté corporelle. Il est intéressant de situer la problématique de l’enfant également en terme de repérage spatio-temporel, de latéralisation. Tout cela est lié et s’inscrit dans une genèse. Par exemple, lorsqu’un enfant, scolarisé normalement, m’est adressé pour maladresse j’essaie de comprendre le sens de ce symptôme corporel par rapport à son mode de fonctionnement dans la famille, à son organisation spatio-temporelle, à son lien privilégié avec sa mère, etc. C’est dans le but de cette recherche, que je choisis de faire passer telle épreuve et pas telle autre. Dans un premier temps, avec les parents, j’essaie de dresser l’anamnèse du sujet puis j’effectue un examen psychomoteur ou une observation psychomotrice (cela dépend essentiellement de la psychopathologie présentée par l’enfant) où je m’intéresse particulièrement aux qualités de sa vie imaginaire. - Le sujet rêve-t-il ?, quel 52
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type de rêve ; rêve descriptif, rêve traumatique, rêve répétitif... Dans le cas où il ne rêve pas, lui demander s’il a rêvé auparavant, depuis quand il a cessé de rêver... Fait-il des rêveries ? A-t-il des fantasmes ? A-t-il une activité créatrice ? et s’il s’agit d’un enfant, il est important d’observer comment il joue : existe-t-il un scénario avec des personnages ou bien est-ce une simple manipulation ou encore préfère-t-il des jeux déjà cadrés où il n’y a pas de place pour l’imaginaire, etc. J’étudie donc la façon qu’il peut avoir de manipuler les objets, de pouvoir être concentré pendant un certain temps sur son activité. J’observe également sa manière d’investir l’espace de la salle, d’utiliser le matériel mis à sa disposition. J’essaie de mettre en évidence son aisance corporelle, ou bien son anxiété profonde, son inhibition ou son instabilité psychomotrice... Je m’intéresse aussi aux qualités de sa communication ; gestuelle, verbale, ou bien son absence... Il me semble important que le psychomotricien puisse se mettre au même niveau que l’enfant (c’est en ça qu’il est clinicien ; je vous rappelle que cela signifie être aux pieds du lit du malade) et, pour les enfants présentant d’importantes perturbations de la communication, la possibilité d’établir une situation en miroir, jusqu’à ce que l’enfant soit à même d’entrer dans un échange plus authentique n’engageant parfois qu’une toute petite partie de sa personne. Au cours des entretiens préliminaires, je laisse une grande place au dessin libre de l’enfant. Si je dis libre, cela implique tout d’abord que l’enfant n’est pas obligé de le faire, l’activité lui est seulement proposée si elle n’est pas choisie spontanément par lui. Secundo, cela signifie que je ne donne pas de thème à l’enfant (dessin du bonhomme, dame de Fay ou dessin de la famille...) ou très rarement, non pas parce que ces épreuves ne sont pas significatives mais cela dépend surtout de ses capacités d’élaboration psychique. L’étude du dessin, par rapport à l’anamnèse, peut être utilisée pour préciser une problématique psychopathologique, pour faire un lien entre la symptomatologie présentée et la problématique œdipienne. En effet, le dessin traduit, tel un miroir, les mouvements de figuration corporelle qui tiennent compte de la réalité (expériences sensorimotrices), de l’imaginaire, de la représentation que l’on s’est faite des expériences pulsionnelles qui sont à rattacher aux investissement libidinaux. À propos de l’anamnèse, il faut savoir, là aussi, quels renseignements nous seraient utiles, voire indispensables pour mener à bien un travail thérapeutique ; soit le patient vous parle spontanément de sa souffrance, de ses difficultés, soit c’est à vous, à l’aide de questions, d’amorcer un dialogue. Il me semble plus important d’essayer d’établir une anamnèse sur deux ou trois entretiens ou même voir plus car vous pouvez sentir les qualités d’élaboration psychique du sujet. 53
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La question de l’indication La demande de la famille dans les trois-quarts des cas est celle d’une rééducation technique. Bien souvent, la famille a du mal à percevoir que la symptomatologie présente (qu’il s’agisse de troubles instrumentaux ou somatiques) a un lien avec des difficultés de vie existentielle du patient. Devons-nous accepter que la solution du problème soit d’aborder une rééducation technique ou bien pouvons-nous faire apparaître aux patients que les difficultés se placent plus à un niveau psychologique. Le psychomotricien par l’intermédiaire d’un impact corporel peut faire toucher du doigt, petit à petit, que le problème se situe ailleurs. Ce travail d’élaboration avec la famille est primordial. Il faut tenir compte du jeu que représente le symptôme par rapport à la dynamique familiale ; apprendre à gérer le symptôme par rapport à la demande de la famille. L’enfant est pris dans une relation à trois dès le départ et faire une séparation entre l’enfant et sa famille (dans le sens de ne pas tenir compte de ce qu’elle est), est un écueil à éviter. L’approche des parents est très importante et va gérer notre travail sur le plan thérapeutique. Faire le point de temps en temps avec eux, les conseiller pour que notre travail thérapeutique puisse avoir des répercussions dans la vie quotidienne de l’enfant, est primordial. D’autres familles tentent de se débarrasser du problème de leur enfant en ne demandant qu’une intervention corporelle très technique. Un travail sur le plan rééducatif peut rentrer dans le fonctionnement de la famille et il nous sera difficile d’intervenir à un autre niveau ; cela est particulièrement prégnant dans la pathologie de l’adaptation. L’enfant a souvent beaucoup de mal à se repérer dans le temps et dans l’espace et une approche technique lui apportant des « trucs » pour remédier à ses difficultés ne vient que renforcer son mode d’existence habituelle. Aucune possibilité d’évolution autre ne lui est alors offerte. L’enfant, lui, n’a généralement pas de demande très explicite. Celui-ci peut plus facilement l’exprimer dans le cadre d’un travail psychothérapique qu’en orthophonie ou en psychomotricité. Au cours des entretiens préliminaires, il me paraît intéressant d’essayer d’élaborer la demande de l’enfant. La décision d’un suivi thérapeutique consistera à faire également le lien entre la demande de l’enfant, celle de la famille et la symptomatologie à laquelle le tout fait référence. Lorsqu’il y a un retard important sur le plan du développement psychomoteur qui touche aussi l’apparition du langage, il s’agit plus d’une indication de psychomotricité que d’orthophonie, reprenant 54
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là le sujet dans sa globalité psychosomatique. Les indications d’orthophonie pourraient concerner des difficultés plus symptomatiques, plus précises. En revanche, les enfants chez qui le symptôme écriture renvoie à un développement psychomoteur plus déficitaire seraient plutôt suivis en psychomotricité. La différence entre une indication en rééducation ou en psychothérapie réside plus dans l’interprétation. La relation transférentielle est aussi bien présente dans la relation entre le psychomotricien et son patient qu’entre le psychothérapeute et son client. Le psychomotricien, lui, répond plus dans la réalité ou bien utilise des équivalents d’interprétation. Lorsque les enfants présentent des troubles importants sur le plan psychologique, par exemple une angoisse de castration posée sur la latéralité qui empêche l’enfant d’utiliser sa vraie latéralité, il s’agit là d’un problème de corps très symbolisé et il faut passer par une interprétation au sens analytique (ramener la situation présente au passé avec tous ses désirs inconscients imaginaires) du problème sous-jacent c’està-dire de l’angoisse de castration, et cela, dans le cadre de la psychothérapie, pour que cela puisse évoluer. Dans les cas de maladresse, associée fréquemment avec l’inhibition, nous trouvons des enfants ayant une agressivité refoulée (les tests projectifs tels le CAT ou le TAT sont très révélateurs à ce sujet). Ces sujets tentent de maîtriser leur agressivité en se créant une carapace corporelle, rigide ne laissant aucun affect s’exprimer. Ces enfants peuvent à la fois très bien réussir un travail de précision tel le découpage ou l’enfilage de perles (tests psychomoteurs classiques) mais par contre échouer les épreuves de lancer de ballon. Ils auront également beaucoup de peine à faire jouer des personnages dans leurs jeux. Une approche très technique de leur symptomatologie sans laisser place à une possible émergence des affects permettra sans doute une amélioration des troubles spécifiques (maladresse) mais il n’en restera pas moins que la problématique affective n’aura été aucunement abordée, ni voire élaborée. En ce qui concerne l’instabilité psychomotrice outre les problèmes d’agitation source de difficultés d’attention à l’école, la problématique affective liée à la difficulté de lier une relation durable avec l’autre est le plus souvent écartée. En effet, il ne s’agit pas « d’apprendre » à l’instable de se maîtriser sur le plan corporel mais d’aborder avec lui sa difficulté relationnelle. Une approche ludique utilisant un cadre de travail précis, permettra peu à peu à l’enfant d’exprimer ses craintes quant à sa relation avec l’autre, plus précisément avec l’objet maternel. Le plus souvent, il s’agit d’un travail long et difficile permettant peu à peu à l’enfant d’intérioriser la figure maternelle grâce à la relation transférentielle établie entre 55
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l’enfant et son thérapeute. L’enfant pourra exprimer sur un autre mode que l’agitation, la fuite imaginaire voire la décharge motrice, son mal être en utilisant peu à peu les mots, le dessin, le modelage, etc. La thérapie psychomotrice consistera ici à aider le jeune patient de passer de l’agi à la parole pour exprimer sa souffrance4. Dans la pathologie de l’adaptation, certains écueils sont à éviter. Au cours de l’examen psychomoteur nous pouvons trouver un enfant qui s’adapte très bien à toutes les situations proposées, docile, posé, mais n’exprimant pas la moindre expression d’émotion sur son visage. Le corps, lui, reste le plus souvent rigide. Dans les jeux que vous proposerez, il choisira le plus souvent une boîte de jeux, permettant au maximum de mettre l’autre à distance ; mais il n’utilisera pas de marionnettes ou de personnages leur faisant raconter une histoire. De même, le dessin restera très pauvre et conventionnel. Quant à la vie onirique, elle est totalement absente. Pour quelles raisons ces patients viennent-ils consulter ? Soit il s’agit de somatisations ou bien ces enfants éprouvent de grandes difficultés en géométrie. Il est parfois difficile de déceler les difficultés d’orientation spatio-temporelles chez ces sujets. En effet, lorsqu’il s’agit de cubes de Kohs ou bien du test de Bender, les résultats sont tout à fait satisfaisants voire excellents. En revanche, l’épreuve de Piaget-Head est très largement échouée. Ce qui paraît intéressant dans ces résultats et qui confirme l’idée que nous nous faisons de ce type de fonctionnement psychologique c’est que tant que l’autre organise l’espace du sujet (épreuve où il y a un modèle à copier comme dans les cubes de Kohs ou Bender) cela ne pose pas de problème, en revanche dans Piaget-Head cela implique que le sujet existe, s’oriente lui-même et cela est impossible pour lui car il n’y a pas d’identité propre ; cela le renvoie à une difficulté existentielle et il ne peut pas élaborer cela. Le même genre de problème peut exister au niveau de l’organisation temporelle. Une approche rééducative, technique, lui « apprenant » à s’orienter ne pourra qu’aggraver son système adaptatif. C’est-à-dire qu’il sera très coopérant au cours des exercices et pourra se montrer performant dans la réalisation. Mais à l’occasion d’une situation non familière, il ne saura pas plus s’orienter qu’avant car le thérapeute ne sera pas là pour l’aider à se repérer. En effet, la problématique n’aura pas du tout été abordée dans cette perspective rééducative et même totalement évitée. La dernière symptomatologie que je souhaiterais aborder est celle des problèmes rencontrés autour de la latéralité. Ceux-ci renvoient 4. S. Cady, A. Gatecel, D. Bellanger, C. Aubert-Descat. Le corps, le mouvement, la parole. Paris, Paidos, Le Centurion, 1992.
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à une difficulté existentielle comme l’a souligné Sylvie Cady dans son livre5. Par exemple, tel enfant ne pourra pas utiliser la main dominante du fait d’une angoisse de castration liée à l’utilisation de celle-ci. La latéralité en miroir est à comprendre comme une difficulté de séparation d’avec sa mère. Par exemple, l’enfant utilisera sa main gauche, seulement parce que sa mère utilise sa main droite (en miroir, il s’agit de la même). L’enfant et sa mère, dans ce cas là, sont dans un même espace, non différencié. Le travail thérapeutique consistera donc là à aider l’enfant à se différencier de sa mère et acquérir une latéralité usuelle qui lui soit propre. Dans tous ces exemples de symptomatologie psychomotrice que nous venons d’évoquer, nous avons pu noter combien il était important de comprendre dans quel type de fonctionnement psychopathologique, les troubles psychomoteurs sont apparus. Un lien entre le fonctionnement imaginaire, la problématique affective et la symptomatologie sont à mettre en évidence au cours de l’examen psychomoteur. Un examen psychologique utilisant par exemple le WISC et un test projectif (CAT, TAT, voire le Rorschach) peut être tout à fait complémentaire à cette étude et nous aider à faire des liens entre les problèmes existentiels du patient et la symptomatologie psychomotrice ou la somatisation. De là, une approche thérapeutique englobant les problèmes psychiques et somatiques est à envisager.
5. S. Cady. Latéralité et image du corps chez l’enfant. Paris, Bayard, 1988.
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Danièle Bosom
Une approche de la psychopédagogie Comment définir l’infinie palette des difficultés qui justifient une prise en charge en psychopédagogie et comment définir cette pratique ? On ne peut qu’être frappé par la richesse, la variété de l’« être au monde » que montrent ces enfants, ces adolescents dès qu’ils franchissent le seuil du bureau. Si certains arrivent, maussades, mutiques, réfugiés en eux-mêmes, d’autres, tendus, crispés, le regard agressif, semblent a priori accuser l’adulte. Si les uns affichent une fausse indifférence, d’autres, au contraire, montrent une crainte réelle qui rend leur démarche incertaine et leur parole inaudible. Les jeunes, confiés aux psychopédagogues, ont en commun leur difficulté à penser, à symboliser, à associer, à créer des liens. Leurs connaissances cloisonnées, ressemblent à une accumulation de données dont ils ne savent que faire et que, de fait, ils n’utilisent que très peu et rarement à bon escient. Bien souvent, l’acceptation de la loi, des limites, du renoncement, est loin du mode de fonctionnement psychique de ces jeunes aux repères internes défaillants, fréquemment envahis par des représentations paralysantes. Parmi ces enfants, ces adolescents, ceux que submergent les affects n’arrivent plus à penser, et se précipitent dans l’agi, tentant de fuir ainsi l’angoisse provoquée par un monde vécu comme un univers effrayant, acharné à les placer dans des situations ingérables. À l’inverse, pour certains jeunes la parole ne semble pouvoir être dite que pour évoquer des événements sans affects, sans qu’aucun 59
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lien ne se fasse, sans que la pensée puisse établir la moindre relation. Au fil d’un discours littéral, les mots ont perdu toute valeur symbolique, tout pouvoir imaginaire. Aucun affect ne donne vie à un réel banalisé dans un espace et un temps réduits à leur seule valeur fonctionnelle. D’autres encore, ne peuvent exister qu’en réduisant tout autre à l’identique et dans ce cadre toute irruption de la différence les confronte à une situation d’impasse où penser, créer des liens est alors impossible. Cette énumération pourrait paraître bien arbitraire, si elle n’était volontairement un survol rapide de fonctionnements psychiques qui, dans le quotidien des prises en charge présentent une labilité certaine et d’infinies possibilités d’évolution. Le champ de la psychopédagogie se situe dans le domaine des difficultés d’apprentissage, que celles-ci concernent le savoir luimême ou le fonctionnement de la pensée. Ces difficultés d’apprentissage ne sont pas des éléments isolés, elles ont un sens dans l’organisation globale de la personnalité. Elles sont un signe, ce qui se donne à voir d’une stratégie inconsciente permettant de mettre à distance les craintes, les frustrations inhérentes au fonctionnement de la pensée. Aucune technique pédagogique, aucune relation duelle, même valorisante, ne sauraient à elles seules résoudre les difficultés des patients. Le désir de savoir, le fonctionnement des mécanismes intellectuels prennent vie du côté des affects, en tant que processus relationnel. C’est en tentant de comprendre les conflits ou les impasses auxquels les patients se heurtent, les réponses qu’ils peuvent y apporter, leur stratégie d’évitement et leur mode de fonctionnement qu’une aide pourra leur être proposée. Le travail psychopédagogique s’appuie sur deux pôles : la médiation et les mouvements transférentiels particuliers à cette relation triangulaire, le patient, l’adulte et la médiation. Cette matérialisation d’un tiers suggère des indications utiles pour des patients qu’une thérapie duelle entraînerait dans des transferts trop massifs et fusionnels. La médiation est, ici, l’œuvre littéraire. Stimulant psychique, elle offre un cadre organisateur à la pensée. Elle permet une mise à distance de ce qui est le plus douloureux, parce que le plus proche de ce qui est vécu, en le faisant vivre par d’autres, sous une autre forme, dans un autre temps. Ceci permet aux jeunes de l’affronter sans être totalement envahis par leurs affects. L’œuvre littéraire est objet transitionnel et permet le déplacement des émotions de l’intérieur vers l’extérieur. Contenant de la représentativité, elle met en mots les affects, symbolise les situations. Elle s’appuie sur les racines affectives de la pensée et donne en même temps une trame 60
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pour aménager un cadre où la loi, les repères, les règles, les limites, le renoncement, ont non seulement leur place, mais deviennent aussi organisateurs de la pensée. Elle favorise des liens internes, aménage des voies de passage entre conscient et inconscient. Parce qu’elle est écrite pour tous et lue par tous, elle sert de lien entre ce qui est individuel et ce qui est collectif. Par ailleurs, l’œuvre littéraire n’est pas utilisée dans l’unique objectif de transmettre un savoir. La transmission n’est-elle pas d’ailleurs avant tout un mi-dire, qui transmet un insu ? L’œuvre littéraire est à la fois support, étayage par sa capacité à stimuler, à contenir et à métaboliser l’excitation, régulateur, modérateur et conciliateur. Elle est le tiers essentiel à la prise en charge. Elle permet une mobilisation fantasmatique, une possibilité de mentaliser, de passer de la symbolisation au symbolique. Revitalisation psychique, elle est levier de pensée, d’imaginaire, elle est aussi accès possible à ce qu’il y a de plus mobilisable chez les jeunes et offre une voie d’accès à leurs défenses. La médiation permet bien souvent aux jeunes, de dire ce qui leur pose problème, à travers leurs réactions et les commentaires qu’ils font au fil de la lecture qui leur est proposée.
La consultation psychopédagogique Il paraît indispensable d’évoquer la consultation psychopédagogique. En institution, avant de proposer une prise en charge, une recherche s’élabore dans la construction d’une histoire qui porte et contient le patient au sein de l’équipe et, dans cette élaboration, l’une des voix peut être celle qui relate la consultation psychopédagogique. Les jeunes qui sont adressés aux psychopédagogues ont ceci en commun : le motif de la demande est toujours présenté comme une tentative de compréhension de difficultés scolaires globales ou spécifiques. Que cherche-t-on à comprendre à travers cette investigation ? Au-delà d’un niveau scolaire, d’une énumération de difficultés, c’est en tout premier lieu l’attitude d’un jeune face au savoir, la mise en œuvre des mécanismes de pensée et de ce qui peut mettre en échec cette pensée. Elle a pour but à la fois d’éclairer les rapports que l’enfant ou l’adolescent entretient avec sa scolarité, son investissement du savoir, et surtout de commencer à comprendre son mode de fonctionnement en mettant en lumière les processus psychiques en œuvre et qui aboutissent à cette incapacité à apprendre, ce rejet de la connaissance, à ces difficultés à être. 61
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Proposer d’emblée une investigation scolaire à ces jeunes en souffrance n’est pas toujours le chemin le plus efficace pour avoir une image de leur fonctionnement psychique et de leur comportement face au savoir et aux apprentissages. Aussi est-ce, dans un premier temps en les amenant à parler de leurs goûts, de leurs activités extra scolaires, de leurs relations amicales que commence la consultation. Au fil de leur discours se font jour leur capacité à verbaliser, leurs difficultés relationnelles, leur attirance ou leur répulsion dans les domaines intellectuels, culturels, sportifs, leur possibilité ou leur impossibilité à se projeter dans l’avenir, la place qu’ils ont le sentiment d’occuper au sein de la famille. Dans leurs propos se jouent également l’image qu’ils ont d’eux-mêmes ou qu’ils ont la certitude qu’on leur renvoie, leur capacité à établir des liens, leur appréhension du temps et de l’espace, leur utilisation ou non de la mémoire, leurs difficultés à entrer en communication avec un adulte. L’évolution de leur attitude au cours de la consultation est également à prendre en compte. Ce n’est que dans un second temps, que l’on pourra parler de scolarité, de leur attitude face aux apprentissages et proposer un éventail de situations se rapprochant du travail scolaire, ou présentées de manière plus ludique. Dans l’adéquation ou dans la discordance de leur attitude face à ces deux situations et de leurs résultats commencent à se lire leurs difficultés personnelles, leur peur ou leur rejet du savoir. C’est également au fil de cette consultation qu’une légende, un mythe, un conte, une nouvelle ou un roman s’imposera au psychopédagogue qui en proposera ensuite la lecture au cours de la prise en charge.
La mythologie en psycho-pédagogie Les textes choisis, dans la mythologie en particulier, sont à considérer comme des équivalents d’interprétation qui permettent une évolution interne. Pour chaque adolescent le choix se porte sur un texte qui paraît être le mieux en résonance avec les conflits qu’il vit. Les mythes mettent bien souvent en scène des situations angoissantes, des sentiments inélaborables, des conflits ingérables. Cette lecture lui permet d’associer, à son insu, comme d’ailleurs aussi à l’insu du psycho-pédagogue. N’interprétant pas directement, celui-ci laisse le temps à ce qui vient d’être lu de cheminer, au travail d’élaboration de s’effectuer. Cela peut ressembler à une activité onirique, induite certes, mais qui permet à l’adolescent de retrouver, peu à peu, son propre fonctionnement imaginaire. 62
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Peut-être pourrait-on comparer le rôle joué par les mythes au travail du rêve dans leur capacité à mettre en scène, à jouer avec le déplacement, la condensation et dans leur prise en considération de la figurabilité. La mythologie met en scène l’informulable, elle donne les mots pour décrire les événements et donne un sens aux objets de la réalité dans son apport de fantasmes oniriques. Pour pouvoir investir l’objet scolaire, il faut pouvoir penser, abstraire, conceptualiser, symboliser, créer des liens. Il faut n’être ni dans la banalisation totale de l’affect, car l’objet n’existe qu’en fonction de la projection d’affect qu’il reçoit et à travers la projection du regard et du corps, ni dans l’envahissement total de l’affect qui ne permet aucune distance vis-à-vis de l’objet et provoque une excitation inélaborable. Pour apprendre il faut penser, connaître les limites de son corps, de son moi, il faut un contenant. Pour pouvoir désirer, pour pouvoir apprendre, accéder au savoir, les interdits les plus angoissants sont inclus dans les processus défensifs indispensables. Car penser et apprendre c’est à la fois transgresser et délimiter, c’est à la fois permettre et interdire. Pour pouvoir apprendre il faut pouvoir être attentif, présent à ce qui est dit et, seulement alors, ce qui est dit peut devenir présent à soi. L’utilisation privilégiée de la mythologie, répond à plusieurs autres critères. Les mythes, comme les contes, sont des productions collectives. Ils englobent le psycho-pédagogue et l’adolescent dans un vécu historique, dans une histoire commune à tous, dans une enveloppe contenante. « Le conte transmet par la voix, par le dire et l’entendre, une parole qui lie par un double lien le sujet qui parle à une forme déjà parlée, et celui qui écoute à un récit déjà dit. La parole du conte les lie à leur propre réalité psychique et au champ social auquel ils participent »1. Les Mythes ou l’Odyssée sont également utilisés, au même titre que d’autres textes, pour le rôle que joue la voix dans le travail psycho-pédagogique. La voix crée un espace sonore, sécurisant, « espace sonore qui a la forme d’une caverne. Espace abrité mais non hermétiquement clos, volume à l’intérieur duquel circulent des bruissements, des échos, des résonances »2. Le rythme du récit permet la respiration, le retour au calme, le temps, non pas encore de l’élaboration, mais d’une certaine intégration de ce qui vient d’être lu ou écouté. Dans la lecture à deux, dans cette complicité que provoque une lecture commune où percent le plaisir du partage et l’investissement du psycho-pédagogue pour l’œuvre lue, s’élabore une possibilité de réinvestissement des processus psychiques. 1. R. Kaes. Contes et divans - Introduction. 2. D. Anzieu. Le moi peau. Paris, Dunod, 1995.
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Le Mythe offre la possibilité d’une identification projective et, en même temps, il a une fonction contenante. Un des nombreux intérêts de la mythologie grecque et de l’Odyssée se situe dans le domaine des affects. Ulysse et ses compagnons par exemple se permettent, sans honte et sans retenue, de pleurer, de crier leur chagrin, de dire et de donner à voir leurs émotions. Ulysse n’en demeure pas moins un héros capable d’affronter toutes les situations. Peut-être les Mythes ont-ils aussi la capacité de jouer le rôle de « fonction de transformation des affects non pensés parce que destructeurs du pensé lui-même en représentations tolérables : davantage encore, en représentations capables d’engendrer des représentations »3. La mythologie ne donne pas de réponse, elle offre des images à penser. Et comme il s’agit ici d’un travail de psycho-pédagogie, ajoutons que les Mythes grecs ou égyptiens sont représentations théâtrales, œuvres d’art, mais aussi récits, et qu’en tant que tels, ils donnent accès à l’acte d’écrire. Laisser une trace, éprouver du plaisir à écrire, n’est possible qu’après un long travail dans le temps et le changement pour ces jeunes qui nous sont adressés. C’est souvent aussi l’aboutissement de la prise en charge, avec un travail sur les mots. Les mots peuvent être dangereux certes, mais ce sont aussi de merveilleux passeurs de liberté. Vivants, fragiles et solides à la fois, ils sont le fruit d’une élaboration historique et collective. Connaître leur parcours, c’est aussi savoir les aimer et les choisir. Pouvoir les maîtriser mais les laisser s’échapper et vivre aussi leur propre vie. Admettre à la fois savoir et non savoir. Les apprivoiser, ne plus en avoir trop peur et s’en servir comme d’un instrument de musique, comme d’une palette de peinture, comme objet de communication. Aider les jeunes à trouver un espace pour penser, à éprouver du plaisir à apprendre, tout en les amenant à pouvoir mettre à distance et à gérer leurs difficultés psychologiques est ce vers quoi tend la psychopédagogie.
3. R. Kaes. Contes et divans - Introduction.
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Rafah Nached
La maladie qu’on ne peut pas nommer Le contexte social Jusqu’à nos jours, il est difficile de prononcer le mot cancer en Orient. Il est difficile pour les médecins de communiquer leurs diagnostics aux malades mêmes. Ils sont obligés de faire un détour en le communiquant à un membre de la famille, qui décidera de ce qu’il faut faire pour cette annonce de la maladie. On se décharge donc sur la famille, on néglige la personne même, celle dont il est question, et on la considère peut-être déjà comme morte. Il n’y a plus de paroles qui s’adressent à elle, elle rentre dans un type de fonctionnement purement médical (radiothérapiechimiothérapie), tout est permis sauf la parole. L’angoisse de la mort envahit le médecin ainsi que la famille, il n’y a plus rien à faire que d’attendre le destin et Dieu, pour juger du sort du malade. Le malade est baigné dans cette ambiance d’angoisse, il la subit sans pouvoir réagir, on l’infantilise. L’entourage chuchote en disant « Hadakal-marad » (« cette maladie-là ») et quand il ose, il la nomme « maladie maligne » ; voilà l’ambiance dans laquelle le malade vit sa maladie. Il y a un accord entre tout le monde pour que tout passe dans un silence lourd, sans paroles possibles. La superstition envahit le monde de l’échange qui tourne autour de la peur. Le fait de prononcer le mot cancer lui donne un pouvoir maléfique : tous les gens qui la 65
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nomment risquent d’être atteints de la maladie. L’entourage de la personne malade se met d’accord sur un mot ou une phrase qui le symbolise et sera compris de tout le monde. Nous n’avons pas de structure qui soutient les médecins, les malades et leur famille, afin que le malade se prenne en charge. Tout le monde s’enferme dans l’impasse. C’est pour ces raisons que j’ai intitulé mon intervention la maladie qu’on ne peut pas nommer. Je vais aborder l’étude d’un cas que j’ai nommé « Zahab », ce qui signifie « l’or » en arabe.
L’histoire de Zahab C’est une jeune femme de 32 ans qui est l’aînée d’une famille de quatre garçons. Elle a été atteinte du cancer du sein, elle est très anxieuse, son temps est organisé entre deux visites médicales, mais cet espace là est remplit par l’angoisse, et la peur d’une récidive. Elle multiplie les examens médicaux comme pour affirmer l’existence de son corps et pour apaiser son angoisse, mais cela devient une obsession chez elle, elle ne pense qu’à ça. La tonalité de sa voix est très haute : elle parle d’une voix aiguë comme si elle essayait d’exprimer son affect à travers son corps. C’est un essai d’affirmation du soi et du non-soi. La mutilation du sein, une partie de son corps, fait que son identité personnelle est ébranlée dans ses fondements biologiques en deçà de la distinction entre soi et non-soi. Sa fille se pose en miroir de cette perte : elle ne voulait pas se séparer de ses excréments, une partie de son corps. Elle vit dans une circularité fermée.
Les relations avec sa famille et l’entourage La mère La mère est autoritaire, fusionnelle anxieuse. Elle domine la famille ; Elle souffre d’une migraine. Zahab n’arrive pas à se dégager de sa mère, pour aller vers le père ; chez elle, la situation œdipienne est complètement étouffée, elle vit toujours entre l’échec de faire plaisir aux parents, ou désir de mort, et puis de nouveau le désir de vivre mais en dehors de ce cercle là. La mère a toujours réussi à la récupérer. 66
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Pour éviter tout conflit, Zahab recourt au refoulement massif de son imaginaire remplacé par une instance surmoïque étrangère à elle-même calquée sur le surmoi maternel, lui-même inspiré par l’adaptation au social. Plaire aux autres c’est ne plus être avec soimême, comme si les autres fonctionnaient comme un miroir. Dans cette organisation, l’autre est tout puissant d’où la perte de la distinction entre soi et non-soi, comme le montre M. Sami Ali dans son livre Penser le somatique1, « c’est une relation de soi à une image de soi, dans laquelle l’autre est un corps anonyme, un pouvoir dépersonnalisé dictant ce qui doit être et pourvoyant le corps de ses coordonnées spatio-temporelles , l’extérieur et donc le surmoi corporel ». Le père Il est absent, déprimé, et se lance dans un activisme, qui l’éloigne de la maison et de sa famille. Zahab est à la recherche de son père, mais c’est en vain. Les frères Zahab s’entend avec le plus jeune ; elle est gâtée par ses frères, car elle est l’unique fille. Les amis Elle n’a pas d’amis en dehors de la grande famille. Ses amis, c’est le cousin, ou la cousine.
Les pertes auxquelles elle a été confrontée La perte d’un oncle maternel très jeune. La grand-mère. Le grand-père paternel au moment de son opération à l’étranger. Son sein. Son premier mari.
La séparation Avec sa mère (premier mariage). Avec son premier mari, un amour qui a duré 4 ans et un an de mariage... 1. Sami-Ali. Penser le somatique. Paris, Dunod, 1987.
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Les traumatismes psychiques L’opération de son œil à l’âge de 7 ans. Le doute et le soupçon autour des relations extra-conjugales de sa mère. Les trois suicides. L’ablation du sein.
Sa vie onirique Elle a très peu de rêves, ils sont souvent oubliés.
Anamnèse Zahab s’est mariée deux fois, elle a 3 filles de son deuxième mariage. Son premier mariage s’est mal passé, il a duré une année au cours de laquelle elle a découvert que son mari était un drogué sans travail, que sa famille le faisait vivre. Elle était battue, et humiliée, mais elle n’a pas osé en parler à sa famille, parce qu’elle avait épousé cet homme contre leur volonté. Un sentiment de culpabilité l’envahit après le divorce, et le retour à la maison parentale. Ce sentiment de culpabilité envahissait aussi sa famille. Zahab essaie toujours d’entourer, de protéger sa mère qui souffre d’une migraine affichée, et d’une angoisse non-verbalisée, soignée par les médicaments. À l’âge de sept ans, elle a eu une tumeur de l’œil dont elle a été opérée, mais c’était une tumeur bénigne. Cette opération l’a marquée très longtemps. Elle a fait trois tentatives de suicide : - la première à l’âge de 14 ans ; - la deuxième à l’âge de 17 ans ; - la troisième à l’âge de 19 ans. Au cours de la deuxième tentative, la mère a proposé à sa fille une opération esthétique à son œil pour sauver la face aux yeux de la société. La troisième tentative de suicide a été très sérieuse : elle a avalé tous les médicaments que la mère consommait : anti-migraineux, anti-dépressifs, anxiolytiques, tout à la fois. Elle a téléphoné à sa mère juste avant de s’évanouir. Elle a failli perdre la vie, elle dit : « C’était un jeu entre la vie et la mort, j’ai failli perdre la vie cette 68
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fois-ci, j’ai compris que la mort était très proche de moi, elle était en moi ». Elle est restée trois jours aux soins intensifs, la raison qu’elle invoque cette fois-ci : « c’est parce que je n’ai pas pu faire ce que mes parents voulaient de moi : j’ai réussi mon bac, mais pas suffisamment pour être médecin ou pharmacienne, ou quelque chose comme ça. Je n’ai pas pu satisfaire leur désir, c’est pour cela que j’ai voulu mettre fin à ma vie. Cette fois-ci mon père est venu et il est resté à côté de moi. Je ne sais pas pourquoi, je joue avec ma vie. Je ne sais pas pourquoi je ne peux être comme je suis, comme moi, et je cherche toujours à imiter mes cousins que mes parents me présentent comme des idéaux, je ne peux pas être moi, ma vie jusque là était un aller-retour entre deux choses : la vie et la mort. »Nous constatons que le cancer plus tard a inscrit Zahab dans une expérience plus radicale de perte réelle, et pas seulement celle de l’imaginaire mais celle de soi. Cela va de pair avec toutes les tentatives de suicide « le jeu entre la vie et la mort » n’est plus un jeu, le risque de mort est présent dans tout cet espace de temps que Zahab traverse entre les deux tentatives. Elle réussit ses études universitaires et fait la connaissance de son premier mari. Toute la famille est opposée à ce mariage mais elle tient bon. Le mari est drogué, il n’est pas du même niveau social qu’elle, il est sans travail. De ce fait, elle divorce et retourne à la maison parentale. Ce qui caractérise cette période après le divorce, c’est un sentiment de culpabilité très intense : pour elle, la séparation renvoie à sa culpabilité.
La honte et le secret dominent cette famille D’abord la honte Elle est liée à la famille du père. La mère qui sous-estime la famille de son mari, se comporte comme supérieure à cette famille. Or Zahab découvre que la famille maternelle n’est pas aussi honorable que le prétend la mère (vol, jeu, viol...). Le secret Elle a un doute sur la fidélité de sa mère vis-à-vis de son père. Elle a passé tout son temps depuis l’âge de cinq ans à observer sa mère, quand elle recevait des gens et à regarder à travers le trou de la serrure. Il ne faut pas oublier : la tumeur de l’œil à l’âge de 7 ans n’est pas survenue par hasard. 69
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Par la suite, elle avait très honte de son œil qu’elle cachait toujours avec ses cheveux et des lunettes noires qu’elle portait jusqu’à l’opération esthétique. Elle avait aussi honte de son père parce qu’il se négligeait, et il ne se mettait pas en valeur : il s’habillait mal, il se présentait mal, il était toujours absent, il ne répondait pas aux exigences sociales. Mais il était affectueux, cultivé, il avait une position intellectuelle que Zahab estimait beaucoup. « Mon père a beaucoup de valeur, je l’aime mais je ne sais pas pourquoi quand je voyage, je lui apporte des cadeaux sans grande valeur. En revanche, j’achète à ma mère des cadeaux très chers et plusieurs choses. À mon père, une seule chose, et souvent, je lui offre des choses qu’il n’utilise pas souvent. » En définitive, le sentiment de secret envahit la sphère familiale, d’où un doute constant chez elle. Son comportement avec sa mère est caractérisé par une relation fusionnelle, archaïque, qui exclut l’autre différent (le père). Elle est dans une situation de double sans moyen de différenciation de sa mère ; pour s’en sortir elle lui cachait tout un essai de séparation. Elle a cru tenir tête à sa mère, quand elle a décidé de se marier la première fois contre la volonté de cette dernière. Ce mariage est une honte, pour elle et sa famille, comme si elle ne pouvait pas se dégager de la honte du secret de famille, qui court à travers les générations. Cette période a donc été caractérisée par un comportement d’opposition, de révolte qui s’exprime à travers le silence, la non-communication, et le passage à l’acte : avec trois tentatives de suicide et le mariage d’un drogué. Tout cela a été réalisé pour se distancier de la figure maternelle trop proche. Le retour à la maison parentale après le divorce fut très difficile. Cette période a été accompagnée par un sentiment de culpabilité très intense. Ici, le comportement de Zahab a changé : Elle devient triste, docile, gentille, obéissante, surtout à sa mère qu’elle a récupéré de nouveau. Elle adhère systématiquement à celui qui est en face d’elle : « c’est l’autre qui a raison, je n’ai plus confiance en moi ». Elle satisfait tout le monde, elle raconte tout à sa mère (changement radical par rapport à tout cacher). Par la suite, elle s’est remariée avec un homme beaucoup plus âgé qu’elle (13 ans de différence), gentil, compréhensif. Elle a trois filles et, pendant l’allaitement de sa troisième fille, au quatrième mois, on a découvert une tumeur au sein qui a nécessité une intervention chirurgicale au cours de laquelle est découvert un cancer. L’ablation du sein a été décidée sans avis préalable de la patiente. Elle s’est réveillée sans se rendre compte et c’est après lorsqu’elle 70
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a commencé à être consciente qu’elle a réalisé qu’il lui manque quelque chose. Ce fut un choc sans précédent. Pour elle, cette intervention, c’est perdre un morceau de son corps, et pas n’importe lequel.
Théorisation Dès la naissance de Zahab, sa relation avec sa mère révèle une relation sans espace personnel, une relation de double en miroir. Toute la quête de Zahab consiste à se différencier de sa mère pour trouver une identité distincte d’elle, une identité à elle seule. Or toutes ses tentatives sont vouées à l’échec, surtout avec le choix inconscient des modèles d’hommes qu’elle a choisi. Le premier mari est drogué ; la mère aussi par les médicaments. Le deuxième mari est plus âgé qu’elle, elle le contredit tout le temps, elle a déplacé l’opposition entre elle et sa mère, sur son mari ; d’où une situation de détresse relationnelle, coincée par le fait que son deuxième mari est très lié à son propre frère. Zahab évoque toujours pour elle sa problématique du double avec sa mère d’une part, et l’absence du père d’autre part. Le type de relation conflictuelle installé entre son mari et sa mère, et entre elle et son mari, autour de la différence, est une impasse à laquelle elle se trouve confrontée. L’échec de son premier mariage provient aussi de la non différenciation avec la mère. Du fait que la fonction représentative n’est pas constituée, Zahab ne peut pas prendre une position dans tous ces conflits, sur lesquels vient peser le refoulement, si bien que l’affect en son expression corporelle est ressenti, mais refoulé en sa fonction subjective imaginaire et onirique (elle ne rêve pas, ou plutôt elle ne se rappelle pas de ses rêves). Et comme l’explique Sami-Ali : « L’imaginaire et l’onirisme ont une finalité de plaisir, l’affect inaccessible à cette fonction ne répercute que le manque. Dès lors l’angoisse refoulée du manque d’objet demeure incompensable par le rêve ou l’hallucination d’un homme objet, et le conflit reste en suspend ». En conséquence, Zahab se réfugie dans un fonctionnement adaptatif (faire plaisir à tout le monde, adhérer systématiquement à celui qui est en face d’elle). Elle s’épuise dans les tâches ménagères et invite ses belles-sœurs, pour faire plaisir à son mari. Mais elle s’épuise, et épuise le temps, elle remplit le vide et le temps par une fonction d’oralité, dont elle ne bénéficie pas, de peur de grossir ; elle se prive donc du plaisir. La question du plaisir pour elle est annulée : c’est un non-soi qui s’évanouit dans les autres. 71
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Perdre l’autre, pour elle entraîne la perte de soi, puisqu’elle n’existe pas en dehors de l’autre, elle est son double. Son impasse, c’est cette impossibilité d’être à la fois avec l’autre ou de s’en séparer parce que, dans ses éventualités, la perte de soi et de l’autre est absolue. Le temps présent est permanent, il passe sans passer, il exerce une contrainte permanente sur son corps. Elle vit le temps externe dans une forme adaptative, et le temps interne coupé de l’imaginaire onirique et de l’affect. La temporalité, comme le signale Sami-Ali, c’est une construction psychique, qui commence par la régularité de la tétée à l’âge de la petite enfance dans la relation mère/enfant. Ce temps chez Zahab a été perpétuel, par l’envahissement de l’affection maternelle et le débordement. L’oubli constitue ici une force majeure agissant tant au niveau de la mémoire que par rapport au quotidien, dont elle cherche parfois à se dégager. Oublier signifie alors éloigner de soi, neutraliser, faire disparaître, cela ne peut concerner que des événements qu’elle a du mal à affronter parce qu’ils ont la même nature que les cauchemars. L’oubli est un autre mot pour dire refoulement, qui porte simultanément sur la représentation et l’affect. L’impasse dans laquelle Zahab se trouve prise exprime son enfermement dans la relation maternelle qui fait un avec le temps, comme si tout au long d’une hyperactivité destinée à lutter contre la dépression, elle fuyait en avant. Dans ses actes suicidaires, c’est la vie elle-même confrontée à la mort qui devient le seul temps possible. Elle a fait appel au père quand il n’y avait plus de corps possible, c’est-à-dire lorsqu’elle était en soin intensif. C’est contre l’absence du père et par agressivité contre sa mère qu’elle a tenté de se suicider. Elle a essayé de résoudre le problème de l’impasse par la mort, d’éliminer le corps par les produits médicamenteux qu’utilise la mère. La somatisation, tumeur à l’œil ici, renvoie à toute une contradiction : celle qui est coincée entre dire et ne pas dire.
L’identité La question fondamentale de Zahab, c’est l’identité de soi en sa différence avec l’autre. Son corps sexué y est engagé, autant que le corps en tant que schéma de représentation, de sorte que c’est toute la problématique de l’identité qui s’y projette avec des variantes qui disent toutes la même chose : je veux être un garçon. Perdre ses repères maternels et être perdu, c’est une angoisse fondamentale inscrite dans la relation précoce à la mère dont le thème est la perte de soi et de l’autre. C’est au huitième mois que tout se 72
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décide, comme si pour l’enfant, avoir un visage différent de la mère impliquait cette double perte, l’accès à la différence étant ainsi fermé, il ne reste que l’adaptation. La dépression renvoie à l’impasse originelle autour de la question de la différence. Comme le dit Sami-Ali : « L’objet est tour à tour retrouvé et perdu, c’est dans ce contexte spatial où tout semble avoir été joué et perdu à l’intérieur de la même impasse que la pathologie cancéreuse fait son apparition en corrélation négative avec l’imaginaire ». La première somatisation à l’œil à l’âge de sept ans était la conséquence de la focalisation de son imaginaire sur la relation extraconjugale qu’elle soupçonnait et supposait à la mère ; le père étant souvent absent, ne demandait rien. De ce fait, Zahab s’enferme dans une culpabilité à chaque fois qu’elle observe la mère à la place du père, et elle ne peut rien dire au père. Mais elle se sentait avec sa mère compromise contre son père. D’autre part, elle surveillait la mère pour le compte du père par fidélité à lui et tout se passait en silence.
Démarche thérapeutique La démarche thérapeutique est d’abord d’offrir à Zahab une nouvelle possibilité qui renforcera son identité en tant que différente. La thérapeute, en l’aidant à créer une distance avec sa mère et de l’accepter sans être culpabilisée, lui permet de prendre sa place en tant que sujet. Son temps s’organise à travers les espaces entre les séances. Elle investit son corps dans une activité artistique, qui lui permettra de vivre son corps autrement que par la souffrance et la mutilation, et elle pourra accepter son corps nu malgré la perte, puis accepter le plaisir. La relation conjugale s’est améliorée, elle se permet d’y exister : le mari n’est plus le double de la mère, mais il est l’autre différent. Elle n’a plus besoin de le contredire, mais plutôt de faire avec lui des projets, qui leur permettront de se dégager de leurs deux familles en voyageant ensemble, en se promenant ensemble, sans la grand-mère, sans le frère. Ainsi, des promenades avec son père et ses enfants sont devenues possibles, et elle n’est plus entre les deux. Elle peut aborder son père sans avoir peur de sa mère et sans avoir peur de livrer quelque chose du secret de sa mère. Elle n’a plus besoin de mettre son mari à l’épreuve. Le fait qu’elle ait exigé que son traitement soit fait à l’étranger pour voir si sa vie est plus importante que l’argent la rassure. Ceci récupère l’épreuve du suicide, qu’elle avait tenté, pour voir combien elle était importante pour son père. Elle a pu élaborer une identité à elle en tant 73
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que femme, et elle n’a plus besoin d’être un garçon pour être proche de son père sans danger. C’est l’élaboration de l’impasse de la différence à travers la relation transférentielle, qui a récupéré la représentation symbolique et créé un imaginaire corporel à partir de la différenciation. Elle a commencé à rêver, et dort la nuit sans somnifères. Sa fille pouvait faire ses besoins, sans être tourmentée dans la maison, sans pleurer : elle se différencie, elle accepte de perdre quelque chose d’elle, sans avoir peur de perdre une partie de son corps. Elle se sépare : elle va à l’école sans pleurer. En définitive, avant les vacances d’été, Zahab me dit « je veux voir comment je vais vivre toute seule, et à la rentrée je vous appelle... ». À la rentrée, elle me téléphone pour me dire : « j’ai décidé de me prendre en charge... ». J’ai accepté, parce que j’ai trouvé qu’elle avait raison, malgré le fait qu’elle a encore un chemin à parcourir, et aussi parce qu’elle n’habite pas Damas...
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2e Partie Les pathologies psychosomatiques
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Recherche en psychosomatique. Psychosomatique : nouvelles perspectives
Laurent Schmitt
Médecine et psychosomatique : leurs rapports Médecine et psychosomatique entretiennent des rapports ambigus. Énoncer ces deux termes, médecine et psychosomatique, introduit déjà un décalage. On pourrait penser que toute médecine est d’essence psychosomatique. Or l’évolution actuelle de la médecine ne s’inscrit pas dans cette perspective. Ces rapports complexes ne sauraient être éludés. Pour bien des patients confrontés à une maladie sévère traités dans un contexte hospitalier apparaît le sentiment d’un soin assuré avec une grande qualité technique mais coupé de toutes les racines affectives ou relationnelles. L’actualité de la médecine s’articule autour de deux grandes idées : la formalisation et l’évaluation. La formalisation suscite la naissance de protocoles de soins écrits. Ces protocoles comportent des arbres décisionnels, des recommandations ou « guide lines », des stratégies différenciées en fonction d’évidences médicales ou de résultats d’études. Cette formalisation concerne la démarche de diagnostic, les protocoles thérapeutiques et, d’ici peu, les pratiques médicales dans leur ensemble. Cette formalisation ne développe ni le dialogue, ni la relation. L’évaluation concerne la qualité des soins, les coûts engendrés, les meilleures actions de traitement. L’accréditation s’intéresse aux modalités des soins. Les enjeux de tarification à l’activité ou à la trajectoire de soins introduiront des contraintes sur le nombre des consultations, des actes médicaux, la durée des séjours. Ainsi la démarche médicale dans son ensemble s’oriente vers toutes les preuves de son efficacité et les insignes d’un pragmatisme actif. 77
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Plus la technicité s’implante, fascine, dirige les options de soins, plus des pans entiers deviennent exclus du soin. L’avenir de la médecine s’intéresse peu au vécu et aux aspects relationnels. Un confrère, récemment hospitalisé dans un centre universitaire à la suite d’un grave accident de la circulation avec de multiples fractures thoraciques et la découverte d’une forme chronique de leucémie, rapportait son sentiment d’avoir été remarquablement soigné au niveau médical et de n’avoir jamais été interrogé sur son vécu, son ressenti. À aucun moment, un médecin n’avait pris le temps de s’asseoir au bord de son lit et de parler quelques minutes comme dans une relation entre voisins, entre collègues ou simplement dans une relation humaine.
Les domaines exclus du soin Sous le terme de domaines exclus du soin, on entend différents aspects ne faisant l’objet d’aucune investigation ou fort peu documentés dans les observations cliniques.
L’histoire du sujet comme charpente de l’histoire de la maladie L’anamnèse médicale diffère de l’anamnèse psychosomatique. Une anamnèse médicale recense les maladies survenues dans le domaine des pathologies médicales, obstétricales, chirurgicales. Il s’agit d’une simple énumération dans chacun des registres, leur classification s’effectue sur un mode chronologique. Il en va de même pour les maladies mentales, troubles anxieux, épisodes dépressifs, décompensations délirantes, font l’objet d’un recueil en fonction de leurs dates de survenue. Il en est différent de l’anamnèse psychosomatique. L’anamnèse psychosomatique s’efforce de relier les événements pathologiques avec l’histoire, la biographie, les grands évènements de la vie d’un sujet. Qu’il s’agisse de deuils, d’évènements de la vie génitale, d’émigration, de modifications professionnelles ou affectives, ces évènements s’entrecroisent avec les décompensations pathologiques. Dans l’anamnèse psychosomatique on cultive le lien entre les moments forts de l’existence d’un individu et la survenue des affections dont il est victime.
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Le contexte de survenue des affections Lorsque ce contexte est repéré, sous la forme d’un deuil, d’un divorce ou d’un conflit, on assiste plus souvent à une juxtaposition entre une situation de vie et un événement pathologique qu’à la recherche de la nature de leurs liens. Le caractère spécifique de certaines situations, leur signification, le sens qu’elles revêtent dans l’histoire d’un sujet, les contradictions qu’elles imposent ou la survenue d’impasses, font très rarement l’objet d’une réflexion. Bien des affections surviennent dans des contextes relationnels où les différences, les distances avec l’autre méritent d’être évaluées. Certaines pathologies concernent des éléments identitaires ou impliquent la reconnaissance et la différence des visages. On doit à Sami Ali les premiers ponts établis entre l’allergie et l’identité. Dans l’allergie, l’identité n’est jamais définitivement acquise avec un sentiment permanent d’indistinction entre soi et l’autre, dans les maladies dysimmunitaires l’identité a pu être acquise pour se dissoudre et disparaître secondairement. Poser un lien entre des maladies auto-immunes, allergiques et des aspects identitaires revient à réunir les dimensions biologiques et le fonctionnement relationnel de l’individu. Ce lien a donné naissance à une science intitulée la psychoimmunologie. Elle étudie les variations de l’immunité en fonction d’événements organiques et psychiques ; ainsi des poussées de sclérose en plaques et des événements psychiques comme des deuils ou des stress répétés feront l’objet de corrélations Cependant, la psycho-immunologie reste à un niveau formel de lien statistique ne prenant en compte ni le sens des situations, ni les émotions liées, ou leurs liens avec l’imaginaire.
L’imaginaire L’imaginaire comporte deux aspects : Celui lié à la représentation subjective d’une affection, d’une maladie, et du corps. Cet imaginaire fonctionne dans l’hystérie de conversion mais aussi dans les attributions ou les représentations que se font les sujets d’une greffe, d’un organe artificiel, de l’inclusion d’un objet étranger dans le corps. Cet imaginaire est à l’œuvre dans les transplantations d’organes, dans l’implantation de prothèses, dans la mise en place d’un matériel valvulaire ou artériel synthétique. Un patient ayant fait l’objet de la mise en place d’une valve cardiaque mécanique avait progressivement focalisé son attention sur le bruit de cette valve Il imaginait des processus d’usure 79
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progressifs, des dérèglements, la possibilité d’un arrêt de son fonctionnement. L’imaginaire est également celui de l’individu dans son activité onirique nocturne liée au rêve comme dans la créativité, le jeu, les rêveries diurnes, l’activité fantasmatique. Cette activité imaginaire peut se manifester dans de nombreuses approches irrationnelles de la santé. Elles expriment le retour du refoulé inconscient alors qu’une approche logique et cohérente semble emporter en apparence l’adhésion du sujet. L’utilisation de la DHEA, de la mélatonine, d’oligo-éléments,de bracelets métalliques représentent dans l’état actuel de nos connaissances autant d’éléments irrationnels. Ils expriment ces rejetons de l’imaginaire. Ces dimensions imaginaires comprennent la coexistence fréquente d’un soin médical et d’un soin effectué par des tradi-praticiens, des médecins de médecine parallèle ou des guérisseurs.
Les rythmes et le temps Les interventions dans les cycles et la temporalité représentés par les bilans endocriniens, les stimulations hormonales pour obtenir une grossesse, les pace-makers, les pompes à insuline, à morphine et les stimulations des noyaux sous thalamiques des parkinsoniens, illustrent autant de coupures entre un corps contraint aux exigences de ces techniques pour être soulagé et les rythmes naturels du sujet. L’intrusion dans les rythmes de l’individu de ces nouvelles temporalités imposées par les demi-vies des médicaments ou l’épuisement de leur effet va superposer différentes temporalités. À la temporalité propre, singulière, de l’individu représentée par ses rythmes de vie, se superposent les temporalités médicales induites par les délais d’action des médicaments ou les fonctionnement des pompes ou des injections. D’autres rythmes dictés par les attentes, les délais imposés s’y ajoutent. Ces différents rythmes auxquels le sujet doit s’adapter l’éloignent progressivement de ses rythmes propres, de ses habitudes. Les nouveaux rythmes deviennent des carcans auxquels le sujet doit se plier parfois en se faisant violence. Il n’est pas rare de rencontrer des sujets qui, à la suite de greffe ou dans des protocoles de chimiothérapie, éprouvent la tentation d’arrêter leur traitement pour échapper à la contrainte des prises itératives au fil de la journée. Ainsi, au fil des progrès d’une médecine scientifique et technique, s’estompent des pans entiers de la vie relationnelle et imaginaire laissés pour compte, peu investis.
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Défense et illustration de la psychosomatique La psychosomatique postule l’unité de l’individu. Mais ce concept d’unité peut se révéler dévoyé. Ce dévoiement tient soit à une méconnaissance des frontières entre plusieurs disciplines psychiatrie, psychologie médicale, soit dans l’idée de l’inexistence de la psychosomatique au fil de l’avancée des connaissances sur le modèle biologique, neuro-anatomique, organiciste. La psychiatrie s’intéresse aux maladies mentales : dépressions, troubles anxieux, schizophrénie, troubles délirants chroniques, troubles du comportement, tentatives de suicide, troubles alimentaires. Ces maladies mentales peuvent être primitives ou secondaires à des affections organiques comme les atteintes du système nerveux central, le diabète, les maladies thyroïdiennes.... Dans l’approche psychiatrique, la maladie organique est souvent reléguée en tant que pathologie associée. On vérifie sa présence, on explique parfois une affection mentale par une maladie organique. La psychologie médicale se définit comme l’étude de la relation du médecin au malade concernant la maladie et ses traitements. Cette relation concerne l’annonce du diagnostic, les différentes réactions face à une affection, l’information sur les soins, l’éducation pour la santé. La psychosomatique a connu plusieurs conceptions : le modèle du stress, le modèle du style de personnalité, celui du fonctionnement psychique, le modèle des types de personnalité en lien avec des maladies spécifiques comme l’ulcère ou l’allergie. Ces modèles s’avèrent uni-dimensionnels, largement incomplets de par une compréhension peu diversifiée. Les conceptions les plus récentes de la psychosomatique comportent une perspective de passage permanent du psychique au somatique et du somatique au psychique. Par ailleurs, on postule un refoulement caractériel de la fonction de l’imaginaire amenant une raréfaction au profit du réel de la plupart des éléments de la vie imaginaire et surtout du rêve. Ce processus peut s’opérer à partir de situations existentielles dont le caractère spécifique d’impasse fait écho à des impasses précoces du plus jeune âge s’observant dans la relation de la mère et de l’enfant. Le caractère d’impasse définit des situations insolubles ou toute forme de solution crée de nouvelles difficultés, parfois pires que la situation initiale. Ce fonctionnement n’est cependant pas figé puisqu’au cours de la relation établie avec le thérapeute le sujet peut prendre conscience et des fois du recul par rapport à la situation dans laquelle il est plongé. Dans sa thérapie des rêves peuvent réapparaître. Un rêve inaugural, intitulé » rêve programme », dévoile parfois des aspects de la 81
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situation d’impasse. Cette situation initiale peut comporter des enjeux identitaires, de distance à l’autre dont les retentissements s’exprimeront au travers de pathologies allergiques ou dysimmunitaires. L’illustration de la psychosomatique s’exprime de plusieurs façons : L’étude de cas cliniques et d’observations isolées représente une des approches les plus fréquentes. Au travers d’une observation clinique on cherche à dégager des concepts clés fonctionnant dans l’intra-subjectivité, dans l’inter-subjectivité et les aspects relationnels. L’étude des observations de Pierre Marty dans « les mouvements individuels de vie et de mort » débouche sur l’idée de mécanismes de défense et d’une économie psychosomatique dont la plus connue est la pensée opératoire. La découverte de la pensée opératoire dominée par le factuel, le concret, l’absence d’émotion apparente s’est associée avec l’idée d’une relation « blanche » avec les individus du monde extérieur. Cependant, la complexité des classifications issues de cette théorie a limité les possibilités de lancer des études sur une échelle plus large que des cas isolés. D’autres recherches essaient « d’opérationnaliser « les concepts et débouchent sur des tentatives de recherche. Un exemple d’étude concerne l’évaluation du rêve, de l’imaginaire, de la latéralisation et des rapports avec l’espace et le temps. Dans différentes recherches, cette évaluation a été tentée en adaptant les concepts développés par Sami Ali. Une étude menée par R. Giachetti a consisté à utiliser un questionnaire concernant les relations aux rêves, à l’imaginaire, à la créativité,’à l’orientation et à la latéralisation. Ce questionnaire a d’abord été appliqué à une population générale de 306 sujets, sans maladie ou prise de médicaments afin de connaître les réponses d’une population témoin. Pour chacune des 11 questions, un résultat moyen est obtenu. Il montre que 67 % des sujets rêvent souvent ou très souvent. 59 % ont des émotions fortes en lien avec ces rêves. 45 % des individus sont sensibles au contenu de leurs rêves.13 % des sujets signalent des difficultés d’orientation et 18 % une confusion entre la droite et la gauche. Ce questionnaire appliqué dans une population générale fournit les données qui servent a étudier ces mêmes éléments dans une population pathologique. Le groupe des sujets pathologiques étudie des sujets déprimés. Il utilise le même questionnaire chez 30 sujets (22 femmes et 8 hommes) d’âge moyen : 46 ans, hospitalisés pour un épisode dépressif majeur. Le questionnaire est passé au cours des premiers jours de l’hospitalisation, sous traitement antidépresseur et anxiolytique. Les différences significatives concernent l’existence de moins de rêves, dont le contenu est difficile à se rappeler. L’intérêt 82
Psychosomatique : nouvelles perspectives
de l’appropriation des rêves est diminué chez les sujets déprimés. Leur créativité est également altérée. Leur orientation spatiale et temporelle paraît également altérée. Ces résultats s’avèrent globalement inférieurs. Ils peuvent être l’effet de la dépression, des traitements, de l’âge ou du sexe. Cette étude confirme la réduction des rêves chez les sujets déprimés et la notion, chez les déprimés unipolaires, de rêves avec peu d’affects, imprégnés d’éléments du quotidien. On note également des corrélations avec des difficultés d’orientation dans le temps et les lieux. Cette étude illustre la validité de ces théories et leur capacité à distinguer des populations normales et pathologiques. Une étude avec ce questionnaire est actuellement en cours pour tenter de différencier des sujets atteints d’une maladie inflammatoire du tube digestif et des sujets atteints de maladie cancéreuse. Il peut, en effet, sembler intéressant de repérer comment les sujets, en fonction du type d’affection dont ils sont victimes, se situent par rapport à l’imaginaire, la créativité, l’orientation.
Psychosomatique et avenir de la médecine La « médecine dure » confrontée à des difficultés fréquentes Tous les cliniciens ont pu constater l’existence de variabilité symptomatique importante lors de douleurs chroniques. Avec un facteur algique permanent, se succèdent des périodes où le sujet est extrêmement mal, et des périodes où il semble mieux tolérer sa douleur. Vis-à-vis d’un même agent pathogène, infectieux ou tumoral, existent de très grandes variations inter-individuelles. L’exemple le plus typique a longtemps été représenté par quelques sujets séro-positifs dont l’évolution vers le stade de Sida déclaré paraissait ralentie et se faisait en plus d’une décennie, voire jamais. On a également pu noter chez un même sujet des successions de maladies organiques dont le nombre et l’évolution semblaient tout à fait inhabituels. L’alternance de cancers et de dépressions a également fait l’objet d’études. Pour certains cliniciens, le développement de cancers survenant dans des contextes de dépression latente est manifeste. L’étonnement se développe quand on observe l’abandon progressif de thérapeutiques coûteuses ou contraignantes par les patients ou leur renoncement des consultations de suivi ou de réévaluation après des interventions extrêmement techniques comme 83
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des transplantations d’organes ou des greffes de moelle osseuse. Ces abandons, parfois justifiés par la lourdeur des thérapeutiques, le sentiment de contrainte permanente, l’épuisement, posent clairement la question d’une perspective psychosomatique dans de tels soins d’une haute technicité.
Quel avenir pour la psychosomatique ? La psychosomatique postule une unité permanente entre le corps et l’esprit avec l’étude des processus relationnels dans lesquels un individu s’engage avec son environnement. La psychosomatique nécessite des modèles multidimensionnels ainsi qu’une réelle réflexion autour de la complexité. Plus l’évolution médicale s’oriente vers des gestes ou des soins techniques scientifiques objectivables, plus les clivages entre corps et esprit s’accentueront et la distance inter-humaine dans la relation médicale augmentera. Quand certains traitements paraissent inefficaces, accentuent les troubles, provoquent d’autres maladies ou simplement plongent l’individu dans un système de contraintes le conduisant à l’abandon, une réflexion devient nécessaire. Elle permet parfois d’isoler des situations d’impasse thérapeutique, des stratégies de soins vouées à la surenchère, des sur-prescriptions médicamenteuses, des interventions chirurgicales de plus en plus mutilantes, autant d’éléments qui, bien souvent, représentent l’aboutissement de situations de soins où la psychologie n’a aucune place.
En conclusion On peut, sans doute, regretter la naissance d’une sur-spécialisation représentée par « le psychosomaticien ». Cette sur-spécialisation définit la nécessité d’un professionnel de santé dont le rôle vise à rétablir des ponts entre le psychique et l’organique. La médecine telle qu’elle se profile scinde de plus en plus l’histoire clinique et l’histoire individuelle du sujet. Des dimensions nouvelles comme l’observance des traitements, la qualité de vie, le bénéfice subjectif commencent à poindre dans l’évaluation. Les psychosomaticiens pour se faire reconnaître ont besoin de pouvoir faire le pont entre l’individu et cette médecine scientifique en participant aux essais cliniques et en montrant leur aptitude à se joindre à un courant d’évaluation et de formalisation. 84
Psychosomatique : nouvelles perspectives
Nous avons vu plus haut qu’il ne faut pas être dupe de la portée et de l’importance de ces courants, mais en y participant, le psychosomaticien fait alliance avec le monde médical pour le plus grand bénéfice du patient.
Résultats de la population générale. N = 306 sujets 18 ans
25 à 26 ans 40 à 41 ans
70 ans et plus
Rêvez-vous
1
2,08
1,93
1,52
1,60
Contenu
2
1,20
1,15
1,14
1,06
Émotions
3
2,06
1,83
1,40
1,60
Intérêt
4
1,58
1,24
0,88
0,60*
Appropriation
5
1,74
1,47
1,04
0,86
Rêveries D
6
1,42
1,22
0,99
0,93
Pensée magique
7
1,22
0,83
0,61
0,40
Créativité
8
1,54
1,13
1,39
0,80
O. spatiale
9
2,28
2,54
2,39
2,66
Latéralisation
10
1,86
2,32
2,52
2,80
O. temporelle
11
1,88
1,91
1,77
1,93
Moyenne
16,93/33
Écart type
5,27
Résultats qualitatifs. N = 306 sujets 67 % rêves proches de la réalité 62 % peu d’intérêt pour les rêves 45 % sensibles au contenu, sentiment d’appartenance 13 % difficultés d’orientation 18 % confusion droite gauche 32 % mauvais repérage temporal
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Recherche en psychosomatique Étude comparative d’un groupe de sujets déprimés N = 30
22 F
Âge moyen
8H
46,7 ans
Hospitalisés pour un épisode dépressif majeur Questionnaire dans les premiers jours de l’hospitalisation - en phase dépressive EDM, DSM-IV - sous traitement antidépresseur et anxiolytique
Comparaison d’une population de sujets déprimés avec une population générale Score moyen GROUPE TÉMOIN
Score moyen PATIENTS DÉPRESSIFS
Significativité
Rêvez-vous
1,77 / 3
1,17 / 3
p < 0,01
Contenu
1,15 / 3
0,37 / 3
p < 0,001
Émotion
1,69 / 3
1,33 / 3
NS
Intérêt
1,12 / 3
0,43 / 3
p < 0,01
Appropriation
1,32 / 3
0,40 / 3
p < 0,001
Rêveries D
1,15 / 3
1,10 / 3
NS
Pensée magique
0,79 / 3
0,83 / 3
NS
Créativité
1,29 / 3
0,37 / 3
p < 0,001
Orientation spatiale
2,45 / 3
1,93 / 3
p < 0,1
Latéralisation
2,35 / 3
2,53 / 3
NS
Orientation. temporelle
1,85 / 3
1,10 / 3
p < 0,001
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Recherche en psychosomatique. Psychosomatique : nouvelles perspectives
Jean-Marie Gauthier
L’allergie comme pathologie du développement Nous allons à présent concrétiser cette perspective développementale dans le cadre d’un cas d’allergie. Il est des cas cliniques qui nous font plus réfléchir que d’autres.
Le cas clinique de Noël Ce fut un peu le cas de Noël. Noël était un enfant qui nous fut adressé pour un problème de dyslexie. Il souffrait en outre d’allergies multiples, dont de l’asthme et de l’eczéma. Il nous avait été adressé essentiellement pour des troubles d’apprentissage, tandis que ses phénomènes allergiques étaient considérés par ses parents comme des phénomènes inévitables ; nous retrouvions là une des problématiques majeures de ce type de pathologie à savoir que leur chronicité induit chez les parents un découragement important. De plus, tout le monde dans cette famille était allergique. Noël avait été précédé de quatre sœurs qui avaient toutes présenté des phénomènes d’eczéma et d’asthme jusqu’à la naissance de l’enfant qui leur succédait et ainsi, à chaque fois, ces phénomènes allergiques s’étaient guéris par la naissance d’un enfant. Noël était lui le dernier né. Il ne pouvait donc, semble-t-il, échapper à ce destin de l’allergie. Ce cas est tout à fait emblématique des problèmes que nous pose l’allergie puisque nous y retrouvons tous les déterminants de ce 87
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phénomène pathologique. En effet, nous sommes confrontés à la fois à une hérédité biologique et à une sorte d’héritage psychologique. En effet, on voit bien que la place que l’enfant occupe dans la famille peut déterminer la présence ou non d’une forme de pathologie. Il existe donc des déterminants psychiques à la manifestation symptomatique. Mais par ailleurs, il est difficile d’imaginer que tous les enfants d’une même famille puissent être atteints sans faire intervenir la prégnance de facteurs d’hérédité biologique, génétique. On voit donc que le phénomène de l’héritage et de l’hérédité en général est un phénomène complexe qui fait intervenir à la fois des facteurs biologiques, des facteurs psychiques et sans doute également des facteurs d’environnement et de conflictualité éventuelle dans la famille. Le fait que cette pathologie soit déterminée par des facteurs multiples explique aussi en grande partie son décours temporel chronique, ses allées et venues, ses recrudescences et ses apaisements qui ne peuvent être expliqués que par l’interaction de divers phénomènes et de diverses causes, car le matériel génétique, lui, reste bien entendu identique à lui-même pendant tout ce temps. On voit bien en tout cas comment, dans cette forme de pathologie, il faut à la fois parler du corps réel, biologique, et de ses déterminants génétiques mais qu’il faut parler en outre du corps relationnel, la pathologie se situant à la rencontre de ces deux dimensions du corporel. Nous allons examiner maintenant toutes les dimensions complexes que suppose ce corps relationnel. Nous avons déjà vu dans un premier temps que la place qu’occupait l’enfant dans sa famille était un déterminant essentiel. Mais cette place est loin d’être le seul déterminant psychique actif dans ce genre de pathologie. La manière dont les parents voient le corps est un autre déterminant essentiel. En effet, il n’est pas banal d’appartenir à une famille d’allergiques puisque, en quelque sorte, cette pathologie fait partie de l’identité groupale familiale. Nous avons remarqué combien il était fréquent que des parents, à la naissance d’un enfant, souhaitent à tout prix éviter que cet enfant ne présente la pathologie dont ils ont eux-mêmes souffert. Ils font évidemment tout pour mettre l’enfant dans les meilleures conditions possibles mais nos travaux avec ces parents nous ont montré qu’ils ont parfois tendance, soit à surstimuler soit à surprotéger leur enfant d’emblée et quoiqu’il en soit, c’est de cette manière qu’ils vont envisager l’approche corporelle de leur bébé, avec une disposition psychologique particulière qui va d’emblée marquer la relation entre eux et le corps de leur bébé. Le corps relationnel des enfants allergiques ne sera pas ainsi nécessairement celui d’enfants qui ne naissent pas dans des familles allergiques. Une fois que la maladie est survenue, cela peut 88
Psychosomatique : nouvelles perspectives
être considéré comme un échec de la part de ces parents de voir cette maladie se manifester mais les choses se compliquent encore du fait des injonctions médicales qui sont proférées à ces parents. Il est en effet essentiel dans la plupart des cas que les enfants ne soient pas soumis à une surstimulation allergénique. Il faut donc les protéger, les empêcher de se mettre dans des situations qui pourraient aggraver leur pathologie. Ceci à nouveau entraîne une relation au corps de l’enfant très particulière et montre à quel point en outre les parents peuvent être soumis à des situations d’impasse. Ils sont en effet soucieux de mettre leurs enfants dans les meilleures conditions, mais peuvent aussi se rendre compte qu’ils ont une attitude surprotectrice en raison des injonctions médicales mais ne peuvent échapper à ces injonctions médicales, car s’ils n’y font pas attention, l’enfant risque alors d’être réhospitalisé, ce qui entraînerait un nouveau traumatisme. On le voit, la crête est étroite entre des attitudes de surprotection et la volonté pour ces parents de rendre l’enfant autonome au maximum de ses possibilités. Nous avons constaté combien il était fréquent que les parents vivent cet ensemble de contraintes comme une sorte d’impasse. Nous pensons qu’il est essentiel que le thérapeute comprenne cette impasse, comprenne combien le chemin est étroit pour ces parents et combien il n’existe pas a priori de solution facile ou toute faite. Le premier travail thérapeutique sera le plus souvent d’aider ces parents à trouver la solution la plus adéquate en fonction de ce qu’ils vivent, de l’endroit où ils vivent, d’un ensemble de conditions qui ne sont pas généralisables à l’ensemble des patients. Le premier travail du médecin et du thérapeute dans ce cas là est de reconnaître l’impasse des parents, ce qui permet souvent aux parents de se détendre et de trouver avec le thérapeute des solutions les moins mutilantes pour leur enfant. La situation est encore plus compliquée car nous avons montré dans nos recherches, en particulier dans le livre « L’enfant malade de sa peau »1 combien les enfants allergiques ont tendance à se suradapter d’emblée aux exigences de la vie adulte. Nous avons montré en particulier que les enfants allergiques adopteraient plus vite que d’autres enfants un rythme de vie nycthéméral, c’est-à-dire qu’ils effectueraient plus rapidement que d’autres nourrissons le passage du rythme ultradien au rythme nycthéméral. Nous ne connaissons pas encore les causes de ce passage, si ce sont des enfants qui présentent une suradaptation ou si cette suradaptation est le résultat d’une pression accrue de la part des parents. Quoiqu’il en soit, nous avons pu constater également que ces enfants souffrant d’allergie manifestaient plus rarement que d’autres 1. J.-M. Gauthier. L’enfant malade de sa peau. Paris, Dunod, 1993.
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Recherche en psychosomatique
une angoisse de l’étrangeté au 8ème mois. Or, cette angoisse de l’étrangeté manifeste pour l’enfant la capacité qu’il a de différencier le familier de l’étrange. Elle indique donc la possibilité chez l’enfant de la constitution d’un moi qui lui permet de distinguer ce qui habituel de ce qui ne l’est pas. De ce point de vue, nous rappelons que l’angoisse de l’étrangeté n’est pas à référer à la peur de l’abandon mais doit être avant tout, comme Sami-Ali l’a montré, expliquée à partir de la différenciation. Il nous semble évident que si les enfants présentent réellement un mécanisme de suradaptation aux demandes et aux réalités de l’adulte, cette perception de l’étranger va être en quelque sorte perturbée. L’étrangeté en effet n’a pas de sens dans un monde où prévaudrait en quelque sorte la suradaptation, c’est-à-dire la conformité à l’autre. La suradaptation de l’enfant pourrait donc expliquer pourquoi il ne perçoit pas l’étrangeté, la différence, l’altérité. On voit donc comment, en partant du corps réel, c’est-à-dire du corps biologique, de la prédisposition allergique, de toutes les réactions potentielles, et de l’enfant et de ses parents, face à ses manifestations allergiques et au potentiel génétique qui lui est lié, vont se développer des attitudes et des comportements qui vont perturber de manière importante, le corps imaginaire de l’enfant. En effet, lorsque nous parlons de l’altérité et de la différence, il ne s’agit plus alors du corps relationnel mais du corps imaginaire de l’enfant, c’est-à-dire dans la manière dont il se perçoit en comparaison avec les autres, c’est-à-dire dans la manière dont il investit sa propre réalité et en particulier sa réalité corporelle. On voit donc bien dans l’exemple de l’allergie, combien le corps réel, le corps relationnel et le corps imaginaire sont étroitement intriqués. Il nous semble avoir montré de cette manière combien il était essentiel que le thérapeute s’intéresse à cette dimension du corporel dans l’approche thérapeutique ; combien aussi il est essentiel qu’il puisse percevoir les impasses relationnelles associées à cette disposition psychologique, pour savoir comment organiser une prise en charge thérapeutique qui respecte l’ensemble de ces dispositions psychiques et matérielles. Il serait en effet trop simple, lorsque nous constatons qu’un enfant allergique manque d’autonomie, de demander aux parents de favoriser l’autonomie, sans prendre en compte l’ensemble des réalités et en particulier des réalités corporelles de l’enfant et de sa famille. Il est essentiel en effet qu’une prise en charge thérapeutique ne conduise pas à une réduction de ce que nous pouvons percevoir et comprendre de la situation psychologique et relationnelle des enfants.
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Recherche en psychosomatique. Psychosomatique : nouvelles perspectives
Sylviane Bertolus
Autour du psoriasis, une étude clinique et théorique Cet exposé tournera autour de deux axes : 1. dégager les particularités cliniques, physiopathologiques, et thérapeutiques de cette pathologie et rendre compte des dernières avancées dans ces domaines ; 2. témoigner à travers des cas cliniques de mon expérience de dermatologue attachée de l’hôpital Saint-Louis dans une consultation spécialisée sur le psoriasis.
Quelles sont les particularités de cette pathologie ? Cliniquement le psoriasis est une maladie particulière par sa bénignité et sa chronicité Il est caractérisé par des lésions érythémato-squameuses. Ce sont des plaques rouges, sur lesquelles se forment en permanence des squames régulières et abondantes. Ces plaques ressemblent parfois à du plâtre blanchâtre quand la composante squameuse prédomine ou elles sont « rouge vif » quand la composante inflammatoire prédomine. Elles grattent souvent. Elles se situent préférentiellement sur des zones dites bastions qui sont les coudes, les genoux, le cuir chevelu et la région lombosacrée du dos, sans que l’on comprenne très bien pourquoi. 91
Recherche en psychosomatique
C’est une maladie chronique, qui évolue par poussée qui sont habituellement imprévisibles. Le soleil améliore la maladie, qui peut disparaître complètement chaque été, le froid sec qui assèche la peau l’accentue. Il n’y a pas de forme typique, chaque malade développe sa maladie. Depuis une forme clinique modérée de quelques plaques, peu génantes dans le cuir chevelu ou les coudes, à une forme qui s’étend à presque tout le corps et dont les poussées sont subintrantes. Elle débute à n’importe quel âge de la vie.(même si le pic de fréquence d’apparition se situe entre vingt et trente ans). Il n’y a pas de facteur clinique prédictif. Il existe dans vingt pour cent des cas environ une atteinte articulaire qui peut aboutir à des impotences fonctionnelles. Aucun autre organe n’est touché. C’est une maladie très fréquente elle touche au moins 20 pour cent de la population en France.
Les conséquences psycho-sociales de cette maladie sont lourdes pour les patients et sont étudiées et quantifiées dans des échelles de qualité de vie Car c’est une maladie chronique, récidivante et réputée incurable. Par rigueur scientifique les dermatologues français ne parlent pas de guérison, car il peut réapparaître a tout moment, mais de blanchiment. Je ne partage pas ce point de vue, qui impose une idée d’incurabilité. À côté des cas qui débutent dans l’enfance ou plus tard et qui persistent presque toute la vie, il existe de nombreux cas pour lesquels le psoriasis ne se manifeste qu’au cours d’une « période » de vie pour ne plus jamais refaire surface, ce que j’explique au patient. Maladie de « l’enveloppe » elle modifie l’apparence et l’image corporelle. Elle remet en cause les relations aux autres, sociales et intimes. Cela aboutit parfois à des conduites d’évitement social (sport, piscine, réunion professionnelle). L’association à des désordres psychologiques (troubles du sommeil, idées suicidaires...) au cours des dermatoses semble par ailleurs plus fréquente au cours du psoriasis que lors d’autres pathologies cutanées, en particulier le vitiligo pour une surface corporelle atteinte comparable. Les études à grande échelle sur la qualité de vie ont modifié en pratique l’attitude thérapeutique des dermatologues. Il semble maintenant reconnu par tous que la qualité de vie est l’élément essentiel à prendre en compte lors de la prise en charge ou lors de l’évaluation 92
Psychosomatique : nouvelles perspectives
d’un traitement du psoriasis, plus que l’extension des lésions. Car l’atteinte de la qualité de vie n’est pas forcément corrélée à la gravité objective mesurée par le médecin. C’est un progrès, la mesure de la qualité de vie dans le psoriasis permet de prendre en compte le point de vue du malade dans la prise en charge. Cela consiste à prendre en compte les conséquences de la maladie sur la vie quotidienne du malade et aussi ses souffrances psychologiques par rapport à cette maladie pour choisir un traitement, et ainsi ne pas réserver les traitements lourds que pour les psoriasis étendus et vice versa. En pratique rien n’est simple, comme le montre ce cas clinique. Un patient, accompagné de sa femme consulte pour un psoriasis très étendu en plaques fines. C’est sa femme qui ne supporte plus de voir les squames parsemer la maison. Lui est atteint de psoriasis depuis des années. Actuellement en semi-retraite, passionné de golf, il s’est habitué à sa maladie et ne se traite plus. Obéissant à sa femme il décide de reprendre un traitement général (le Méthotréxate, car le Soriatane plus facile à manier est inefficace). Il ne parle pas de lui et s’efface subtilement devant sa femme. Consciencieux il consulte régulièrement et ne remet pas en cause le traitement, qui améliore incomplètement le psoriasis, provoque une asthénie et nécessite une surveillance hépatique rapprochée. Il reste sur un plan strictement médical alors que j’incite à la parole ; je qualifierai notre relation médecin/malade de courtoisement neutre. La maladie n’influe pas directement sur sa qualité de vie mais sur celle de sa femme. Voici toute la complexité clinique. Avec la devise actuelle qui est de traiter suivant la gêne ressentie, comment définir une limite pour ne pas surenchérir dans des traitements médicaux aux effets secondaires nombreux. Le danger est celui de l’escalade thérapeutique. Un retentissement psychologique important par rapport à une atteinte physique mineure aboutit à une réponse médicamenteuse. La plainte du patient sur le retentissement de sa maladie sur sa qualité de vie peut masquer un mal être plus général, précédent l’apparition de la maladie et que lui attribue à sa maladie.Le danger est de répondre à une souffrance affective par un médicament. Bien sûr, le dermatologue sait dépister et orienter le patient vers le psychologue ou le psychiatre lorsque la souffrance psychologique est trop manifeste ou persiste, il sait rechercher une dépression. C’est le système médical qui scinde la prise en charge du malade qui est à remettre en cause. En traitant d’un côté le psoriasis par un médecin compétent et de l’autre la souffrance psychologique par un psychologue compétent, le malade et les soignants auront du mal à faire des liens « corps imaginaire/corps réel ». Souhaitons que les dermatologues 93
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s’aventurent nombreux vers une approche psychosomatique telle que nous l’abordons au CIPS.
Physiopathologie Le psoriasis se caractérise par un renouvellement des cellules de la peau quatre fois plus rapide que sur une peau normale. Les chercheurs ont découvert finalement que le psoriasis était une maladie auto-immune (préalablement, nous pensions que l’anomalie majeure se situait dans les cellules dermiques). Elle serait liée à une activation des lymphocytes. Le psoriasis est aussi relié à des déterminants génétiques. Des travaux récents ont montré que l’innervation est plus dense au niveau des plaques de psoriasis. Après dénervation accidentelle, les plaques peuvent régresser, ce qui est un argument de poids en faveur du rôle du système nerveux dans le psoriasis. Les liens anatomiques et fonctionnels entre peau, système nerveux et système immunitaire sont tellement étroits que le docteur Misery a défini un système commun les rassemblant : le système neuro-immuno-cutané. Les cellules constituantes de la peau : kératinocytes, lymphocytes terminaisons nerveuses, dialoguent entre elles grace à des médiateurs chimiques. Le psoriasis est donc une maladie mettant en jeu ces trois constituants fondamentaux de la peau et aucune approche de sa physiologie ne peut être réductrice.
Maladie particulière par ses traitements Les traitements sont difficiles, avec des effets secondaires non négligeables et une amélioration qui n’est parfois que temporaire.À côté des traitements locaux, nous disposons de plusieurs traitements généraux.Le plus ancien le méthotrexate est un antinéoplasique cytostatique,avec des effets secondaires importants et pas toujours réversibles, essentiellement hépatiques. Puis est arrivé l’acitrétine ou soriatane, il normalise le processus de prolifération cellulaire dans le psoriasis, l’action est purement symptomatique, bien ciblée et les effets secondaires (élévation du cholesterol et des enzymzes hépatiques) sont faciles à controler et réversibles à l’arrêt. Plus recemment un immunosuppresseur a obtenu une autorisation de mise sur la marché dans l’indication psoriasis. C’est la ciclosporine utilisé au départ dans les greffes d’organes.Les effets secondaires sont nombreux, certains parfois peuvent être irréversibles comme l’hypertension artérielle, et l’insuffisance rénale (certains 94
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dermatologues évitent de le prescrire). Les progrès thérapeutiques sont constants et nous entrons dans l’ère des traitements par constituants biologiques anti-immunisation (ils bloquent la réaction immunitaire cellulaire d’hypersensibilité). Ils sont sophistiqués, malheureusement très onéreux et les effets secondaires à long terme ne sont pas bien connus. Se traiter demande un effort constant, le patient ne peut pas prendre machinalement ses médicaments comme dans l’hypertension artérielle. C’est un choix : se traiter avec toute la contrainte des effets secondaires parfois importants ou ne pas se traiter et accepter l’inconfort des lésions. C’est très différent d’une hypertension artérielle qui est une maladie grave, sournoise, mortelle à moyenne échéance. Ici le traitement est obligatoire et après une mise en route plus ou moins pénible, la plupart du temps le traitement est bien supporté et bien équilibré. Dans le psoriasis au contraire il faut ajuster les traitements régulièrement. La stratégie thérapeutique consiste à alterner les traitements ou à les combiner entre eux pour ménager les effets secondaires sur tel ou tel organe, le foie et le rein principalement. Parfois le patient vit des périodes de découragement, avec possibilités de phases dépressives réactionnelles Le médecin noue avec son patient une relation de longue durée et régulière sur le plan technique. Mais il cerne aussi la personnalité de son patient, connaît au fur à mesure son histoire. Conditions réunies pour favoriser une approche psychosomatique.
Hypothèses psychosomatiques Le psoriasis est une maladie multi-factorielle. À des facteurs génétiques viennent s’ajouter des facteurs environnementaux : climatiques, médicamenteux, infectieux et psychologique, ces derniers facteurs sont regroupés sous le concept de stress. L’existence d’un stress précédant la première manifestation de psoriasis est retrouvé dans des proportions variables (de 32 à 90 %). Il est reconnu comme cofacteur. L’événement stressant précède le début de la maladie ou d’une poussée de moins d’un mois, dans 2/3 des cas. Une étude récente de la revue internationale Arch Dermatol (2003 ; 139 : 752-6) a porté sur 122 patients porteurs de psoriasis en plaques, tous traités par le même traitement, la puvathérapie, et qui ont répondu à des questionnaires, à visée psychologique, avec des échelles de dépression et d’anxiété. Les patients classés en haut niveau d’anxiété voient leur psoriasis guérir plus lentement. L’anxiété pathologique a été reconnue de 95
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façon statisquement significative, retardé la guérison alors que l’échelle de dépression n’était pas corrélée à la guérison du psoriasis. Il n’existe pas de personnalité spécifique comme l’a montré le docteur DeBrassine avec les tests de Rorchach, ni de répression de l’agressivité (le sujet retournerait son agressivité contre lui-même dans sa relation aux autres comme son système immunitaire qui fabrique des anticorps contre lui-même, suggéraient certains auteurs). Le Professeur Sami-Ali a fait l’hypothèse dans les maladies autoimmunes qu’il existe une confusion entre soi et non soi tant au niveau relationnel qu’au niveau immunitaire sans causalité linéaire. Sami-Ali pense qu’il existe une perte de l’identité, qui a été déjà acquise, face à un conflit insoluble : « Alors que l’allergie reste en deçà de la distinction entre soi et l’autre, la pathologie auto-immune, elle, se situe à la fois en deçà et au-delà. Tout se passe en effet, ici, comme si cette distinction était déjà acquise mais se perdait par la suite et que finalement on ne savait pas qui est qui. » Il faut repérer des confusions concernant le sexe, la latéralité, l’espace, le temps et l’expression des désirs et des goûts. J’ai constaté avec étonnement que beaucoup de mes patients viennent accompagnés à l’hôpital. Le conjoint ou l’ami ou un autre membre de la famille, entre dans la salle de consultation et souvent parle à la place du patient. C’est l’autre qui raconte l’histoire de la maladie, les traitements et même la gène occasionnée. Mal à l’aise, je m’efforce de redonner la parole au malade, je lui pose des questions sur l’évolution de sa maladie et parfois incertain il se retourne de nouveau vers l’accompagnant cherchant de l’aide pour se souvenir. Comme si le patient avait perdu ses propres repères et empruntait les repères de l’autre (relation de la dépendance).
Quelques cas cliniques À l’hôpital dans cette consultation spécialisée nous prenons en charge en majorité des malades « lourds » avec des psoriasis soit anciens, résistants aux traitements simples, soit récents très étendus, soit arthropathique, soit associé à d’autres pathologies multiples ou graves. La consultation comportera un interrogatoire médical rigoureux, un examen clinique complet, pierre angulaire de la consultation médicale, le corps réel malade est au centre de la relation thérapeutique. Je suis dermatologue et je suis psychosomaticienne. Je me renseigne naturellement, dans cette perspective médicale du suivi des maladies chroniques, sur la qualité du sommeil et sur 96
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l’existence du souvenir des rêves. Je situe ainsi mon malade par rapport à la fonction de l’imaginaire selon la théorie de Sami-Ali. Pour moi, il s’agit de donner la parole au patient et de retrouver sa subjectivité. Cela passe par une écoute, sans a priori, sans but, cela consiste simplement à recevoir la souffrance affective, liée à la maladie ou non, avec toute sa sensibilité, son empathie. Et de faire resurgir dans la consultation médicale « l’imaginaire » du patient quel que soit son statut par rapport à la fonction de l’imaginaire, comme le montre le premier cas. Cas no 1 : Robert J’ai déjà exposé le cas de monsieur R. dans le manuel de thérapeutiques psychosomatiques, j’en fais ici la synthèse. C’est un homme qui a la quarantaine, en surpoids corporel, dont le psoriasis ancien était limité aux zones bastions. Depuis deux ans il s’est généralisé sans que les traitements donnés en ville n’enrayent sa progression. Il choisi de consulter à l’hôpital dans le service le plus réputé pour le traitement de cette maladie. Je lui prescris le traitement général de première intention le Soriatane. Il ne le supporte pas du fait d’un surpoids. Le problème lui est exposé clairement par moi et le chef de service que j’ai fait appelé. Il doit maigrir c’est-à-dire faire un régime et pratiquer une activité physique pour supporter le traitement et ainsi avoir toutes les chances de guérir son psoriasis. Chaque consultation est longue puisque il y a un temps d’écoute parallèlement à la clinique dermatologique. Le rythme régulier des consultations, bimensuelle, nécessaire pour surveiller le traitement et l’évolution de la pathologie permet d’établir une continuité relationnelle, il instaure une relation infraverbale. Il va me parler de ce qui l’intéresse, ses rêves, son passé n’en font pas partie. Ses rêves sont agréables, m’a-t-il dit, sans vouloir préciser ! Au début il parle de ses plaques et de leurs évolutions, le discours est long, ennuyeux, portant sur le littéral, c’est une étape obligée de la prise en charge. Ensuite le régime devient le thème de son discours. Puis il commence le jogging, et me rapporte sa pratique qui va devenir une passion, un objectif. Le traitement bien supporté, fait disparaître progressivement ses plaques. Cette prise en charge à l’hôpital détermine deux époques dans sa vie. Avant ses journées se déroulaient mollement, sans objectif. La quarantaine le rongeait, il se sentait mal à l’aise dans sa vie de patachon et « cela sortait à travers ses plaques » me dira-t-il ; ses soirées se passaient devant la télévision, avachi sur le canapé. Le 97
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soir maintenant il est épuisé par ses activités sportives et va se coucher. Il a entraîné toute sa famille dans son dynamisme. Ses journées sont programmées heures par heures, « parfois c’est fatiguant mais tellement plus satisfaisant ». IL se sent rassuré par la réputation du service et par une prise en charge régulière. C’est aussi la première fois qu’on l’écoute, il considère que c’est « cinquante pour cent de la guérison ». Il n’y a pas eu de rechute à l’arrêt du traitement. La relation thérapeutique va être le point d’appui sur lequel il va s’appuyer pour modifier ses comportements et son mode de vie. Le virement de bord du bateau de monsieur R. à la bouée de la quarantaine avait échoué, il ne savait plus quelle direction prendre. Le bateau se retrouvait face au vent, les voiles vacillantes, balloté par les vagues, il embarquait de l’eau qui s’accumulait en fond de cale. Le corps médical a donné une direction : « maigrir, faire du sport » dont il s’est emparé, s’adaptant parfaitement à la consigne comme un bon élève. Il y a sans doute comme un refoulement constant, subtil de la fonction de l’imaginaire qui lui barre l’accès à sa subjectivité et à ses rêves, qui l’auraient guidé vers une direction issue d’un choix personnel. Je connais quelques bribes de son passé et vaguement les circonstances de survenue du psoriasis. Je ne connais pas le conflit qui sous tend ses difficultés psychosomatiques. C’est un travail psychosomatique qui n’est pas une psychothérapie. Dans tout travail psychosomatique la tâche principale consiste à libérer la capacité du rêve et de l’affect, écrit Sami-Ali. L’imaginaire n’est pas absent de la prise en charge médicale puisqu’il arrivera à parler de ce qui le passionne. La relation médecin/malade n’est pas neutre comme avec le patient précédent passionné de golf, elle est positive. Je l’ai aidé à passer un cap, j’ai accompagné un changement personnel qui s’amorçait. Il n’y a pas eu un changement fondamental de son fonctionnement psychosomatique, ce n’était pas sa demande. Il est passé d’une certaine forme de dépression à une certaine forme d’adaptation. Il se sent mieux, ainsi dans sa « peau ». Cas no 2 : Séverine Séverine est une jeune fille âgée de 25 ans qui présente un psoriasis généralisé avec des poussées itératives. Les nombreux traitements donnés par les dermatologues dans sa ville de province sont insuffisants ; ce qui l’amène à consulter à l’hôpital où nous lui proposons un traitement immunosupresseur, la ciclosporine. Une surveillance lourde et étroite entourent cette prescription. Le psoriasis est apparu au décours d’un avortement à l’âge de 17 ans, « qui c’est très bien passé » dira-t-elle. Seule sa mère et son 98
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ami étaient au courant et l’ont entourée. Il y a eu un refoulement des affects et la banalisation d’un traumatisme. Au fil de la relation médecin/malade elle a pu libérer et exprimer de forts sentiments de culpabilité vis-à-vis de l’enfant jamais venu. La relation thérapeutique a permis de dégager une situation qui était enkystée autour d’un traumatisme. Nous avons restitué une continuité entre son désir d’enfant actuel et cet avortement. Le psoriasis n’est pas resté le maître des lieux, toujours au centre des préoccupations, le discours de la patiente là encore est passé du littéral à un discours empreint d’affect. Le traitement a été stoppé à cause d’un effet secondaire inhabituel (un érythème noueux dont le bilan étiologique n’a pas retrouvé de cause). Nous avons pu éviter de le rependre parce que le psoriasis était plus modéré, et il était mieux supporté à tout point de vue, physique et psychologique. Le cadre hospitalier, avec son équipe, son savoir a servi de référence, d’autorité, il était indispensable à la prise en charge de ces deux malades, et pour le malade dans le premier cas et pour le médecin dans le deuxième cas. Il n’y a pas eu d’un côté une prise en charge psychologique dont ces deux patients ne voyaient pas l’utilité et de l’autre une prise en charge médicale. En partant du corps réel, qui seul est apparent, le médecin psychosomaticien rétablit le passage au corps imaginaire. L’équilibre est dans ce passage alternant corps imaginaire et corps réel basé sur la projection et médié par la relation. Cas no 3 : Catherine À côté de ces cas, nombreux sont les patients qui restent « emmurés » dans leur maladie comme happés, engloutis dans des impasses affectives profondes et insondables. Cette femme de 30 ans souffre d’un psoriasis extrêmement limité qui atteint le talon du pied gauche. C’est une forme inflammatoire, rouge, douloureuse, allant jusqu’à constituer des pustules, appelé « psoriasis pustuleux ». Le dermatologue qui la suit dans sa ville de province nous l’adresse face à l’échec de toutes les thérapeutiques. Nous lui prescrivons de la ciclosporine comme à Séverine, médicament dont la prescription à l’époque ne peut être qu’hospitalière. Le psoriasis est survenu au décours de sa grossesse. Enceinte, son compagnon l’abandonne ; elle n’aura plus jamais de nouvelle de lui et ne cherchera pas à en avoir. Elle le connaissait depuis deux ans, militaire comme elle, il s’est fait muter. Elle ne verse aucune larme, et ne partage pas avec moi un affect en me racontant ce traumatisme. « Pour elle le psoriasis n’a rien à voir avec ces 99
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circonstances, et pour preuve il avait débuté un peu avant » me dira-t-elle. Son fils a un an lorsqu’elle consulte la première fois. Elle l’élève seule, aidée occasionnellement par ses parents ; elle est fille unique. Les douleurs, la difficulté à la marche sont les seuls obstacles à son bien être semble-t-il. Elle arrive à la consultation en boitant, portant des claquettes. Elle ne pose pas le talon par terre ; même allongée elle ressent des brûlures au talon. Militaire de carrière, elle obtient un reclassement professionnel comme secrétaire ce qui lui permet de ne plus porter de rangers et de ne plus faire d’exercices. Le traitement apporte une amélioration. Des poussées persistent pour lesquelles elle me consulte en urgence, l’obligent à des arrêts de travail et nous oblige à augmenter la dose de ciclosprine. Elle ne se plaint pas des inconvénients du traitement comme la prise de poids et l’hirsutisme qui se développe aux tempes. Peu à peu, il y a échappement, le psoriasis réapparaît progressivement. De toute manière, des infections ORL à répétition nous contraignent à arrêter la ciclosporine, l’immuno-dépression qu’il entraîne favorise ces infections qui ne réapparaissent pas ensuite. Après trois ans d’évolution le psoriasis est toujours limité au talon, il a gagné un peu en surface, occupant la moitié postérieure de la plante du pied gauche. Nous sommes réduit à essayer des traitements généraux en suivant les dernières publications de la littérature qui s’avèrent tous inopérants. Rien ne la soulage, pas même des applications de cataplasme, elle ne supporte plus aucune crème localement. Nous sommes dans une totale impasse thérapeutique. Sur le plan psychologique, elle entreprend sur mon conseil, peu convaincue, une psychothérapie près de chez elle. Une dépression s’est installée, progressivement vers la troisième année de suivi, réactionnelle aux échecs thérapeutiques et à l’extension du psoriasis, pense-t-elle. Avec sa psychothérapie, elle découvre et me raconte qu’elle a été abusée sexuellement, par un oncle, dans son enfance. Elle refuse d’en parler à ses parents qu’elle protège. Fille unique elle endosse toute la culpabilité, son seul but est de protéger ses parents. Blessure sur blessure elle a décidé d’être un soldat qui mourra de ses blessures, seul et courageux, pour défendre la patrie : sa famille. Je suis le témoin de ce désastre. Mon attitude ouvre, à côté de la technicité, un espace de communication. Nous discutons de sa vie actuelle, de son fils, des hommes (elle n’a jamais parlé à son fils du père, un voile recouvre « l’abandon », voila comment se constitue un secret familial). Elle revient à son psoriasis qui l’empêche de vivre normalement C’est un cercle vicieux. Dès le départ je lui avais proposé de la voir en psychothérapie, elle avait 100
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refusé, prétextant l’éloignement, alors qu’elle vient tous les deux mois depuis 7 ans. Elle m’a raconté un rêve : « elle saute au-dessus d’un précipice sans y arriver ». Je lui dis qu’elle est seule dans le rêve et qu’elle a sans doute besoin d’aide face à ce précipice. Elle n’a pas de demande. Comme si elle n’avait pas d’autre issue que de sauter ce précipice, alors que c’est impossible. Elle a terminé sa psychothérapie d’un commun accord avec le psychiatre. Elle ne pose toujours pas le pied par terre et l’inflammation psoriasique gagne du terrain sur la plante du pied gauche. L’histoire est tellement douloureuse que la malade refoule ses affects, le traumatisme a été enterré. Ce qui bloque toute évolution affective et médicale chez la patiente. Pour le professeur Sami-Ali, l’impasse thérapeutique peut être le reflet d’une impasse affective. Plus le psoriasis est grave moins une prise en charge psychologique par le médecin ou le psychothérapeute est possible. C’est comme si il existait une corrélation entre l’intensité de l’impasse affective et la gravité de la pathologie, ou de la résistance aux traitements. Impression clinique qui n’est qu’une hypothèse. C’est un cas d’école que malheureusement nous rencontrons souvent dans cette consultation hospitalière sur le psoriasis. J’avais comme cela proposé à un patient âgé de soixante-huit ans, retraité, souffrant d’un psoriasis étendu depuis cinq ans environ, déprimé, de venir parler plus longtemps, de lui même, de ses souffrances tant physiques qu’affectives, dans une prise en charge psychosomatique à mon cabinet, pour avoir le temps. Il n’en voyait pas l’intérêt, car c’est le psoriasis qui le déprimait et les traitements qui le fatiguaient. Sa femme qui l’accompagnait à chaque fois, éclata, alors en sanglots. Et c’est elle qui est venue à mon cabinet pour une psychothérapie. Son mari s’enfonce lui, inexorablement dans la dépression et la sénilité. Parfois le patient s’accommode de cet équilibre entre sa maladie et son mal être, explique le Docteur Ostojic qui assure une consultation spécialisée sur le psoriasis, à l’hôpital Henri-Mondor. Il a l’impression que si il cherchait à s’en sortir cela serait encore plus grave. La psychothérapie est vécue comme une nouvelle épreuve qui serait aussi difficile à supporter que le traitement et qui n’arriverait sans doute pas à guérir le psoriasis. Des efforts à nouveau inutiles ! Cas no4 À l’opposé, un autre cas de psoriasis pustuleux des voûtes plantaires, avec une bonne évolution. Monsieur G. vit en province avec sa femme. Il a des enfants, des petits-enfants. 101
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Mademoiselle Caroline Demeule, stagiaire psychologue qui assiste à ma consultation à l’hôpital, recueille cette observation. Le patient se présente d’emblée comme « un stressé, un angoissé ». En 1995 : apparition du psoriasis à l’occasion d’une double fracture du péroné, juste avant une croisière avec des amis. Le patient est parti quand même, mais très contrarié par cet accident. Le psoriasis serait, selon lui et son médecin dû à cette contrariété ainsi qu’au frottement d’une irrégularité du plâtre (psoriasis uni puis bilatéral) En 2001 : hospitalisation pour un cancer à l’institut GustaveRoussy. Il est étrange que le patient ne parle pas davantage de cette maladie : je dois l’interroger pour savoir qu’elle partie du corps était atteinte par ce cancer « assez rare à évolution rapide », ayant entraîné l’ablation d’une partie de l’intestin. Le patient s’étonne lui-même de n’avoir eu aucune poussée de psoriasis à l’occasion de cet événement pourtant angoissant. Le patient a établi une courbe statistique montrant la corrélation entre les événements stressants de sa vie et le nombre de pustules sur les voûtes plantaires. Il voit clairement un rapport de cause à effet entre les deux données. À propos de son sommeil, il a toujours eu des problèmes de sommeil, depuis l’enfance. Il dort entre 2 et 5 heures d’un sommeil agité. Il a des impatiences au coucher (dues selon lui à des activités soutenues dans la journée : jardinage, bricolage en station debout...) Il se réveille brutalement sans pouvoir se rendormir et compense par des siestes l’après-midi. Paradoxalement lors de son hospitalisation il dit avoir dormi comme un bébé. Le patient rêve beaucoup, fait peu de cauchemar. Il ne se souvient de rien si il se rendort. Il n’y a pas de thème particulier qui revient. Il rêve plutôt des problèmes,ou plus généralement, des activités de la journée écoulée. Ce sont des rêves d’actualité. Au contraire du cas précédent, le traitement général, est bien supporté et entraîne un atténuation. Le patient n’a pas de demande de prise en charge psychologique. IL essaye de gérer ses stress, lui même, du fait des constatations qu’il a fait entre ses « stress » et l’aggravation de son psoriasis. Il utilise le mot stress en général et établit une causalité linéaire. Mais son histoire n’a rien à voir avec l’histoire traumatisante et la situation relationnelle verrouillée du malade précédent. La prise en charge de son cancer dans un hôpital de haute technicité a eu un effet réparateur sur son sommeil et son psoriasis. Paradoxalement cette situation l’a rassuré, lui permettant peut-être une régression, loin de ses angoisses. 102
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Un événement n’est pas en lui-même stressant c’est subjectivement, selon son histoire qu’il devient un stress. Les scientifiques, eux, ont répertorié les situations les plus stressantes, en affectant à chacune un nombre de point, échelle HOLMes-Rahe, dans laquelle la maladie ou blessure personnelle, placée au sixième rang obtiennent 53 points, après décès conjoint (100), divorce (73), séparation (65), séjour en prison (63), décès d’un proche parent (63).
Conclusion Je suis seule dans le service à considérer et à appliquer dans ma pratique clinique hospitalière une approche psychosomatique. Je prends plus de temps pour chaque patient. Nous avons vu que pour les deux premiers patients, cette approche a permis d’accompagner et de prolonger un changement personnel qui s’amorçait chez eux. Ne pas le repérer aurait pu stopper cette amorce d’évolution, la pathologie aurait pu s’aggraver alors que le traitement médicamenteux était adapté. La suite de cette communication est teintée de pessimisme. Est-ce un biais de recrutement ? Consultation de la dernière chance dans un des services hospitaliers les plus réputés pour soigner cette maladie, nous sommes amenés à prendre en charge des malades pour qui les traitements habituels échouent. Est-ce dû à la structure du service et du système médical en général. Si le médecin repère des problèmes psychologiques, il doit adresser le patient au psychiatre. Il est aussi question d’une possible corrélation entre l’intensité de l’impasse affective et la gravité de la pathologie. Les problèmes économiques ont relégué toutes ces questions au passé. Le chef de service face aux restrictions budgétaires a fait des choix. Seuls les patients adressés par un médecin ont accès à la consultation. Il demande aux médecins attachés de donner un avis d’expert sur le plan thérapeutique et de renvoyer le patient au médecin qui l’adresse. Dans ces circonstances, l’approche psychosomatique n’a plus sa place.
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Anne Gatecel
Une étude clinique autour de l’épilepsie Ce travail est une contribution à la psychosomatique de l’enfant ; il émane d’une recherche qui s’est élaborée dans le cadre du Centre International de Psychosomatique, dirigé par le Professeur SamiAli. Une élaboration théorique, à partir de la clinique, a pu être ainsi réalisée. Ce groupe d’étude et de recherche a permis également à la psychosomatique d’intervenir dans un domaine nouveau, celui de la psychothérapie corporelle, et d’étendre son champ à d’autres spécialités telles que l’orthophonie et la psychomotricité. La psychomotricité, sous l’angle de la psychosomatique, ne peut être comprise que dans une perspective qui n’isole pas le psychique du somatique (d’où un refus d’une vision mécaniciste de la pathologie) et qui instaure une corrélation négative et positive entre imaginaire et somatisation. Une autre donnée fondamentale de la psychomotricité, dans le cadre de la psychosomatique, réside dans la dialectique corps réel-corps imaginaire. Le corps est ce qui permet à la représentation d’exister, sur le double plan du réel et de l’imaginaire.
Comment pourrions-nous définir brièvement le corps imaginaire ? Par une dynamique issue du corps propre, l’enfant va effectuer ce passage de l’espace réel à l’espace imaginaire. 105
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L’élaboration de l’imaginaire corporel peut prendre appui sur des fonctions physiologiques. La constipation névrotique en est un bon exemple : c’est un phénomène qui consiste à se retenir inconsciemment, alors qu’une fantasmagorie est liée à l’acte de déféquer qui lui, repose, sur des bases physiologiques. Nous assistons là à un investissement fantasmatique d’une fonction réelle par l’imaginaire. Il n’en demeure pas moins que c’est avec la conversion hystérique que nous pouvons visualiser l’organisation pysché-corps imaginaire à partir de troubles conversionnels. L’imaginaire corporel est donc pris dans un fonctionnement psychique où la perception du corps peut devenir pathologique de deux façons, soit en étant envahie par l’imaginaire (hystérie de conversion), soit en ne comprenant pas de dimension imaginaire (pathologie de l’adaptation). Initialement, la constitution de l’imaginaire s’appuie sur l’expérience corporelle hallucinatoire. Le nourrisson qui prend le sein après avoir été rassasié en arrive à déclencher psychiquement la situation en absence de la mère. Mais à cela une condition, il faut que le nourrisson ait vécu de façon positive et fréquente cette expérience de satisfaction orale dans le réel. L’identité fondamentale du sujet s’inscrit donc dans la structuration de l’imaginaire corporel ; c’est par l’omniprésence et la mise en scène de cette fonction imaginative que le corps va trouver son lieu. Dans cette optique, le corporel ne peut pas être scindé de son double imaginaire. L’observation clinique dont il va être question ici prend sa source dans une pratique où la rencontre avec des enfants atteints d’un trouble fonctionnel dans leur petite enfance, s’inscrit au sein d’une perturbation plus globale de la personnalité. Ceci a déterminé d’emblée la prise en compte de l’enfant dans sa double dimension corporelle et psychique. La situation thérapeutique évoquée est à la fois portée par la relation transférentielle et modifiée par la possibilité d’agir sur cette dernière grâce aux équivalents d’interprétation, à la possibilité de passage au corps fonctionnant en tant que schéma de représentation, et à l’implication du rythme corporel dans la technique dans le temps de la temporalisation, c’est-à-dire le temps d’une vie. C’est cet ordonnancement du temporel de la vie humaine s’inscrivant dans un passé-présent-avenir, que l’on reprend lors de l’impact thérapeutique. Un article comme « Remémoration, répétition et perlaboration »1 fait bien sûr appel à une relation au temps, mais aussi à un certain rythme des processus psychiques, ce que l’on retrouve dans la technique de cette observation dans le cadre de la psychosomatique. 1. S. Freud.
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L’étude clinique qui vous sera rapportée ci-dessous nous permettra d’en aborder une certaine analyse.
L’histoire de Virginie Virginie accueillie depuis deux ans dans l’institution, m’est adressée par le médecin-psychiatre, lorsqu’elle a dix ans. À cette époque, elle ne rentre pas au foyer maternel mais vit dans un orphelinat avec trois de ses frères et sœurs, alors que la mère habite à un kilomètre de là. La configuration de la famille est particulièrement complexe. Virginie est la troisième enfant d’une fratrie de cinq issus de trois pères géniteurs différents. Elle est la seule à ne porter que le nom de sa mère, les autres étant désignés par les patronymes du père et de la mère. La relation mère-enfant pose tout de suite problème et cela se traduit chez Virginie par différentes hospitalisations. De ce fait, cette enfant a été confrontée très tôt à la séparation d’avec sa mère. Depuis la fin de la grossesse, la mère, déprimée, vit chez sa propre mère, ce qui indique l’état de fragilité et de dépendance dans lequel se trouve cette jeune femme. Virginie réagit à cette situation par des somatisations. Ainsi, de vingt-deux jours à deux mois, la fillette a été hospitalisée pour un état de mal convulsif post-anoxique consécutif à une bronchiolite virale, avec arrêt cardio-respiratoire, nécessitant un séjour en réanimation pendant treize jours. À partir de là, chaque fois que Virginie sera confrontée à la situation de séparation, elle le traduira par des somatisations, de type manifestations toniques, avec difficulté de maîtrise corporelle. Nous pourrions nous demander dans ce cas si Virginie, dans un état d’indifférenciation psyché-soma, vu son très jeune âge, n’a pas réagi à un sentiment d’abandon du fait de l’état dépressif de sa mère. La fillette fait l’objet de nombreuses consultations entre deux mois et vingt-cinq mois qui montrent que cette petite fille se développe de façon dysharmonique : retard psychomoteur qui se comble en quelques mois, puis apparition du langage. Mais, à ce moment-là, elle présente des mouvements anormaux des pieds, mains et globes oculaires. Cette balance entre l’arrêt du développement psychomoteur et l’apparition du langage, montre l’impact de l’aspect psychosomatique de la personnalité de cette enfant. À trois ans neuf mois, peu de temps après la naissance de son frère, Virginie est hospitalisée pour crises convulsives : elle manifeste ainsi son malaise vis-à-vis de l’arrivée d’un puîné sous la forme d’une somatisation motrice. Quand Solène, le dernier enfant 107
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de la fratrie, arrive dans le foyer familial, les quatre aînés sont placés en institution. Virginie, de cinq à dix ans vivra dans deux familles d’accueil successives, puis dans un orphelinat où elle demeurera environ trois ans. Au cours de ce séjour dans cette dernière institution, elle sera hospitalisée deux fois pour crise convulsive généralisée. Nous pouvons d’ores et déjà souligner le parcours bien mouvementé de cette fillette ; la situation de séparation semble être un élément fort prégnant et traumatisant qui pourrait provoquer ce court-circuit électrophysiologique, nommé crise convulsive épileptique. La coïncidence entre cette situation de séparation et l’organisation fantasmatique de Virginie crée chez elle les conditions d’un traumatisme psychique dont la seule issue serait la crise. Le Professeur R. Bouchard dans ses travaux ajoute : Chez les enfants qui font une crise comitiale, la résonance entre ce qui est perçu dans la réalité extérieure, la pulsion et les représentations refoulées est grande et si brutale que les défenses vigiles sont submergées par les conflits inconscients2. La mère est décrite par le psychiatre de l’EMP comme étant une jeune femme qui tente de s’identifier à une mère éducative idéale, mais ceci sans élaboration possible : Elle semble, dit-il, compenser un manque éducatif par une attitude hypomaniaque. On note chez elle une impulsivité et même une absence de limites. Un phénomène d’ambivalence préside à tous ses désirs, et des passages à l’acte ont été fréquents (elle a fait notamment le mur pour reprendre ses enfants de l’orphelinat et les y remettre quelques jours plus tard). Aucun des pères géniteurs ne vit actuellement au foyer maternel. Le concubin de la mère, personnage qui occupe également une position marginale dans la société (refus d’effectuer son service militaire dans son pays natal), semble être le seul personnage masculin qui sera stable auprès de cette mère. Ce couple récupérera au fur et à mesure tous les enfants bien qu’un certain nombre d’entre-eux soient en grande difficulté. À son admission à l’EMP, l’examen psychologique montre que Virginie semble prise dans une sorte de mouvement de fuite en avant, d’évitement des situations. Elle change d’activité pour ne pas laisser de trace, pour ne pas s’investir dans la relation à l’objet. L’examen psychomoteur nous indique que cette enfant ne connaît pas ses limites corporelles. Dès qu’elle est confrontée à une difficulté face à une consigne, elle jette tous les objets à la portée de sa main dans la salle puis elle sort du bureau. Elle ne supporte pas d’être mise en situation passive. Face à une règle, elle est en permanence dans la décharge pulsionnelle motrice. Elle utilise 2. R. Bouchard et al. L’epilepsie essentielle de l’enfant. Paris, PUF, 1975.
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préférentiellement sa main gauche dans des activités ludiques ou pour dessiner. Elle ne peut pas dénommer les parties de son corps, s’orienter par rapport aux objets, et ne peut déterminer si c’est avec la main gauche ou la main droite qu’elle trace des lignes. Je dénote, dès le premier dessin (dessin no 1) qu’elle effectue, une difficulté massive d’organisation spatiale. Le dessin de sa maison ressemble à une « maison-visage », sans base, avec deux fenêtres, une porte et un toit multicolore3 : tous ces éléments indiqueraient que Virginie, au niveau de la construction dans l’espace, se situerait dans cet espace de complémentarité imaginaire décrit par Sami-Ali4, où le dedans serait équivalent du dehors, le haut équivalent du bas, le tout de la partie : Lorsque le dedans est équivalent au dehors, dans la psychose, le corps non latéralisé ou latéralisé de l’extérieur, est un objet dans l’espace en même temps qu’il est l’espace existant au dedans de lui-même ou se protégeant par ce qui est vécu et imaginé à la fois du dedans et du dehors5.
Dessin no 1
Il s’agissait donc, pour la thérapeute, de tenir compte non seulement des éléments de non-construction spatio-temporelle, de nondifférenciation de la figure maternelle, mais aussi de son comportement de fuite motrice, voire d’éclatement, qui apparaissait chez cette enfant dès qu’elle ne pouvait plus maîtriser la relation. Une rééducation de type très technique lui proposant des exercices pour qu’elle s’oriente mieux ou des consignes faisant appel directement au contrôle moteur, étaient d’emblée vouées à l’échec. À 3. Les « maisons-visages » ont ceci de particulier que l’intérieur de la maison correspond à un visage. L’enfant assimile la façade à une image de son propre corps ; il se projette dans la maison, dans une relation sans distance par rapport à la feuille de papier. 4. Sami-Ali. L’espace imaginaire. Paris, Gallimard, 1974. 5. S. Cady. Latéralité et image du corps chez l’enfant. Approche psychanalytique. Collection Païdos, Paris, Le Centurion, 1989.
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partir d’une relation collée à la mère, un travail thérapeutique autour du transfert est engagé et va permettre à l’enfant une certaine autonomisation. Dans un premier temps, respecter le propre rythme de Virginie, pour établir une relation transférentielle, paraît essentiel. Ainsi, au cours de la première séance, dès que j’interviens au niveau du langage, l’enfant fuit dans la cour : le jeu transférentiel, trop rapidement précisé, se dissout au niveau de l’agi. De retour dans la salle, elle dessine une « maison-visage », puis elle me propose de faire comme elle, m’inscrivant là dans une relation de mimétisme, celle d’un double spéculaire. Quand elle m’englobe dans la relation, il n’y a plus d’angoisse. Par contre, quitter est d’emblée difficile : en fin de séance, l’enfant le manifeste par de l’angoisse en renversant le matériel dans la salle, préférant en quelque sorte détruire plutôt que d’être détruite par l’absence de l’autre. En lui fixant, au moyen de la parole, son prochain rendez-vous avec moi, je l’empêche de continuer à décharger sur le plan moteur. C’est pour elle une manière de passer à la représentation d’une continuité du contact6, susceptible de faire évoluer les relations pulsionnelles à autrui. Ayant trouvé le rythme de fonctionnement qui lui convient dès la quatrième séance, nous pouvons noter une certaine évolution dans l’élaboration de la distance. À travers un dessin, elle manifeste le fait qu’elle n’est plus captée par l’autre dans la relation. Elle raconte, dans cette activité graphique, sa situation d’attirance visà-vis du concubin de sa mère. La préoccupation œdipienne est affleurante : « Je vais garder mon père pour empêcher les autres de rentrer... il est malade... mais je ne peux pas rester avec lui. » En fait, Virginie achoppe à ce niveau d’organisation. Très vite, elle se défend par une hyperactivité inorganisée en utilisant entre autre le gribouillage. Il est ici question du complexe d’œdipe, mais celui-ci ne semble pas organisé. Très perdue dans les éléments masculins de la famille, elle introduit Jean-Claude comme étant un homme qu’elle peut prendre à sa mère, mais, parallèlement, il s’agit d’un père qui n’est pas son père, ni le père de ses frères et sœurs. À la fin de son dessin, elle me demande d’écrire qu’il est interdit d’entrer dans cette maison, puis elle déchire ce morceau de la feuille. En fait, Virginie reproduit là le refoulement de la situation où la mère a occulté le père. Or, précisément, pour cette dernière, il est interdit de parler de ce mystère du père...
6. Le rythme évolue de l’harmonisé (continuité) à la décharge (rupture du contact).
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Ainsi la filiation est court-circuitée et Virginie ne vit pas là une situation entre trois personnages mais deux situations à deux, c’est-à-dire : - Virginie qui désire le père. - Virginie qui désire le mari de sa mère. Cette impossibilité d’accéder à la triangulation du fait que son père à elle n’est pas reconnu par la mère, nous explique le fonctionnement en complémentarité imaginaire de cette fillette. La difficulté d’accession à un rythme personnel est à mettre en rapport avec la relation fusionnelle que Virginie a établie avec sa mère. Il se produit une sorte de balancement par rapport à la situation œdipienne, qui se retrouve là, au sein du travail thérapeutique, du fait de la relation transférentielle établie entre l’enfant et sa thérapeute. Ce rythme de va-et-vient, d’évolution et de régression, au sein même d’une séance, empêche cette enfant de se structurer selon un mode névrotique. Par moments, des comportements impulsifs font suite à un épisode d’élaboration intéressant ; à d’autres moments, une situation répétitive, en s’enfermant sur elle-même, nous amène à une impasse. Ce comportement aurait pu aller jusqu’à l’épuisement de la relation si aucune intervention de la thérapeute n’avait eu lieu. Pour favoriser cette élaboration il s’agit de respecter le rythme des échanges avec l’enfant, celui du temps d’élaboration, mais aussi de choisir le moment adéquat pour intervenir. Les travaux de Spitz7 sur les cas d’hospitalisme nous sont très riches d’enseignement en ce domaine rythmique. Ainsi, avec la perturbation du rythme corporel, toute activité auto-érotique peut disparaître ainsi que le rêve et ses équivalents, pouvant aller jusqu’à l’insomnie ; l’enfant ne faisant que répéter alors des actes mécaniques et cela jusqu’à l’usure : ce n’est plus qu’un rythme qui se répète, mais un rythme qui se dégrade. Avec un rythme plus élaboré, nous retrouvons chez Virginie un autre versant pathologique, celui qui a été engendré par des dysrythmies, occasionnées par la mère autour des sentiments hostiles à l’égard de Virginie quand elle était encore bébé. Pour Spitz, un tel enfant développe un système projectif qui le mettra à l’abri de la mort : il s’agit là d’un mécanisme de défense psychotique. La réalité extérieure devient persécutante, tout ce qui est mauvais est placé dehors, projeté vers l’extérieur. Virginie a sans doute vécu très précisément la non-capacité de sa mère à pouvoir s’occuper d’elle. Compte tenu de sa propre fragilité psychique à ce moment précis ; la première séparation, de longue durée, a favorisé chez elle l’émergence de mécanismes défensifs psychotiques dans lesquels le fonctionnement de 7. R.A. Spitz. De la naissance a la parole. Paris, PUF, 1968.
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l’imaginaire est court-circuité par la décharge motrice. Il semble alors qu’elle soit soumise au sentiment d’emprise comme si les objets, les personnes, l’extérieur, la persécutaient. La fuite dans le somatique et le pulsionnel du rythme corporel abolit alors toute angoisse. Lorsqu’elle est rassurée, Virginie arrive à structurer la situation sur le mode d’un rythme harmonisé par la projection, sinon elle est morcelée. Dès lors, la question est de savoir comment, sur le plan thérapeutique, nous pouvons échapper à ce phénomène de dégradation rythmique qui aboutit à l’usure somatique. Dans un premier temps, afin d’établir entre cette enfant et sa thérapeute une relation qui limite l’instabilité rythmique, nous l’avons accompagnée suivant son propre rythme. Sur le plan de la relation transférentielle, il s’agissait d’être un support rythmique qui permettrait de restituer un lieu imaginaire, avec une image maternelle présente/absente. Afin d’échapper à cette sensation d’épuisement qui ponctue toute situation difficile, il apparaissait nécessaire par la suite de lui imprégner un autre rythme qui évite l’usure afin qu’elle puisse dépasser cet état. Ceci fut apporté par mon intervention limitative sur le plan de la répétition. Par ailleurs, Virginie fonctionnait sur le plan de l’identique où le tout est l’équivalent de la partie. De ce fait, la limite entre le dedans et le dehors est abolie. Ainsi, le fait de nommer un nombre d’interdictions pour qu’elle respecte le cadre thérapeutique lui permet de retrouver une certaine structure plus stable. C’est dans cette optique que je lui ai interdit de m’agresser physiquement ou de se faire du mal, de casser du matériel. Tout ceci pouvait aller jusqu’à une intervention physique de ma part dans le sens de la notion de « container » décrite par Bion : instaurer un contenant physique qui ait des effets de contenant psychique, ce qui est, pour le rythme, une base essentielle. Pour lui permettre de prendre de la distance vis-à-vis de ses angoisses, cette rétention physique s’accompagnait de ma part d’une représentation par la parole de ce que je pouvais comprendre de ses manifestations de désorganisation motrice... Par exemple, au cours de la septième séance, avant son départ en colonie de vacances, Virginie joue activement la séparation, traduisant son angoisse verbalement en ces termes : « On l’a déjà eu notre rendez-vous tout à l’heure ! ». Elle anticipe la séparation en étant active dans ce processus afin de mieux la maîtriser. Elle me dit en fait : « C’est moi qui ne veux pas te voir », et me demande de venir avec elle au centre de vacances. Elle supporte très mal mon impossibilité d’accepter et commence à glisser vers une dysrythmie d’instabilité. Des comportements agressifs envers moi apparaissent (coups de pied, lancers de balle sur la thérapeute...). Pour recadrer le rythme et limiter la culpabilité de son action, je lui 112
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propose alors de diriger son agressivité sur un objet, qui est ici un jeu de quilles : dans cette activité ludique où le mouvement présence/absence est rejoué, elle peut, là, récupérer l’objet absent (la balle) qui se sépare d’elle, en expérimentant le fait qu’il n’est pas détruit pour autant. Ce mouvement de présence/absence est alors représenté par moi : je fais un lien entre le jeu et son départ en vacances. Dans une même dynamique rassurante, avant de la quitter, je lui fixe son prochain rendez-vous : la séparation est alors adoucie, le rythme corporel a repris son fonctionnement habituel. Je l’accompagne dans la cour de l’établissement, comme une maman qui accompagne son enfant au départ en colonie, reprenant là le mouvement induit par l’enfant. Analysons un peu plus en détails mon style d’intervention ici, car il est lié également à la problématique imaginative. En fait, le fonctionnement de l’imaginaire chez Virginie passe au premier plan et englobe même la perception de la réalité. Jusqu’à présent, ce fonctionnement de l’imaginaire ne s’expulsait que sur le mode de la décharge motrice, ce qui nous conduisait à une situation d’impasse. Mon rôle se situe donc dans la transformation d’attitude à l’égard de ce pulsionnel. En contenant l’enfant pour suspendre la décharge, en lui proposant un autre rythme corporel, en la limitant sur le plan de la répétition, nous avons pu dépasser cette difficulté rythmique. Ceci tient au fait que le fonctionnement imaginaire, sous le mode du jeu, a pu apparaître. En fait, ne pas agir lui permet une prise de distance, lui donne la possibilité d’élaborer le passage à la représentation mentale. Il était donc nécessaire d’imposer une limite, un cadre thérapeutique pour cette enfant, afin qu’elle puisse changer son mode de fonctionnement psychique. Ceci a pu être dynamisé grâce à l’équivalence d’interprétation que suscite le choix d’un jeu approprié dans le transfert. En proposant des activités adéquates comme le jeu de quilles qui métaphorise dans l’espace le mouvement de présence/absence, un certain temps harmonisé mais encore proche du rythme de décharge personnelle a pu être abordé, tout en contenant. Mon intervention était à ce titre un équivalent d’interprétation qui a pu la rassurer par le cadrage du rythme et l’abord de la problématique de la séparation. Le dépassement de cette situation s’est fait à travers le fonctionnement en miroir de la relation transférentielle, la constitution d’une nouvelle rythmique corporelle et d’un rythme d’élaboration psychique passant ici par la figure maternelle, rôle transférentiel qu’elle me fait jouer. Le rythme d’élaboration au sein même des séances s’en trouve modifié. Auparavant, à partir d’une séance où elle avait pu élaborer sa relation avec sa mère, étaient apparues des attitudes régressives, avec rythme d’épuisement dans des stéréotypies. Elles s’étaient 113
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traduites par une hésitation à aborder notre relation pendant plusieurs séances. Mais maintenant, des mouvements de régression et d’élaboration peuvent être contenus au sein d’une même séance. Ainsi, au cours de la dixième séance, après une légère attitude régressive qui se manifeste par un retour à des comportements passés, je la réengage à un comportement autonome ; un rythme actif est de ce fait traduit par un jeu de sauts à la corde. Cette autonomie l’angoisse : c’est ce qu’elle traduit en me proposant une relation de dépendance, en me demandant petit à petit de prendre sa place. La sentant prête pour supporter ce rythme plus actif, je n’accepte pas d’entrer dans son jeu, ce qui fait fonction d’interprétation. Pour finir, elle organise un jeu tout à fait nouveau pour elle : il s’agit du mikado, qui fait appel à une grande maîtrise gestuelle. Elle veut tout de suite être la plus forte, indiquant là son acceptation de cette situation active. Le fait de représenter la situation en lui disant qu’il s’agit de jouer et que sa relation active ne sera pas modifiée si l’une de nous deux perd, écarte toute menace de régression. Ceci lui permet même d’avancer et de laisser une trace graphique sur le tableau. À partir de cette séance, la modification de son rythme d’élaboration acquiert une base solide, déterminée par le fait que la perte n’engendre plus de mouvements régressifs. Son rythme corporel, maîtrisé par elle-même, lui permet d’aborder des activités faisant appel à la maîtrise gestuelle alors que l’un de ses symptômes majeurs était l’instabilité rythmique de la motricité. Au cours de la séance suivante, une relation à trois semble maintenant s’organiser : Virginie voudrait que sa mère soit présente à la séance. À cet égard, elle m’associe à la mère tout en étant capable à présent de me différencier. Le processus de différenciation, quoiqu’il s’agisse de deux femmes, commence à s’établir. Parallèlement, une certaine autonomie se dégage dans ses choix d’activité. Elle s’organise autour de jeux successifs où motricité et espace sont en harmonie. Un jeu de distanciation (faire rouler un ballon d’un point à un autre) qui est à relier avec la relation triangulaire, lui permet d’aborder la question de la distance spatiale. Une certaine différenciation entre elle et « le point là-bas » commence à s’organiser8. Cela a pour conséquence un rééquilibrage énergétique du rythme de tout le corps, qui se trouve moins agité. En même temps que la structuration spatiale, la ponctualité avec laquelle elle arrive à ses séances rend compte d’une temporalité qui lui devient personnelle.
8. Cf. Chapitre II, deuxième partie - Le corps dans le temps et dans l’espace : l’expérience de la bobine décrite par S. Freud (1920) dans Au-delà du principe de plaisir, l’analyse qu’en fait Sami-Ali dans L’espace imaginaire.
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Parallèlement, son dessin semble s’élaborer car il s’oriente spatialement. Dès lors, le sens haut/bas, qui se structure à travers la verticalité puis l’horizontalité, apparaît dans ses schémas : cela lui permet de tracer des ovoïdes, puis des cercles. Une certaine angoisse devant cette élaboration toute neuve la pousse à me demander de reprendre son tracé dans un fonctionnement en miroir. Lorsque je m’arrête de travailler de cette manière, pour lui permettre d’aller plus loin, en se distanciant de moi, une anxiété se fait sentir. Je dédramatise la situation du regard, indiquant là que je reste néanmoins proche d’elle, ce qui fait fonction d’interprétation. Pour finir, elle devient capable d’assumer la fixation d’une représentativité personnelle. À la fin de cette séance, elle choisit même une couleur spécifique pour son dossier, projetant ainsi sur cette chemise l’identité propre de notre relation : cette couleur la représente puisqu’elle lui est tout à fait personnelle. Le lien établi d’une séance à l’autre permet à l’action transférentielle de se continuer dans un rythme qui s’harmonise dans la distance et le temporel. Petit à petit, elle ne manifeste plus de comportement de décharge motrice au cours de nos rencontres ; l’imaginaire, en tant que fonctionnement non-déchargé dans l’agi, apparaît à ce moment sous la forme d’histoire imaginée et racontée par l’enfant. En effet, en se projetant sur la poupée, Virginie exprime son désir d’être autonome, d’avoir un lit pour elle, de se situer dans la différence par rapport à ses frères. Ce qui l’amène, au cours des séances qui suivent, à exprimer un certain nombre de questions autour de la différence des sexes. Dans un premier temps, une grande confusion régne ; les poupées sont asexuées ou bien le personnage a à la fois l’organe sexuel féminin et masculin ; une certaine angoisse se manifeste, non plus sous la forme de désorganisation motrice, mais plutôt sous l’aspect d’explosion de mots sexualisés qui me sont adressés. Un certain amalgame entre les personnes et les parties du corps apparaît. Une relation d’inclusion réciproque se fait jour, sous la forme verbale, face à son inquiétude. Le phallus devient matière fécale et les fèces peuvent être « bouffées », avalées. En d’autres termes, une confusion dedansdehors, où la bouche serait l’équivalent de l’anus, émerge autour de la question de la différence des sexes et de l’angoisse qui lui est liée. Rassurée par mon attitude permissive (puisque je la laisse s’exprimer librement), et du fait que je me positionne de manière différente de la mère dans cette problématique importante, permet à l’émotion angoissée de se lever. Petit à petit, un début d’identification à une fille qui grandit apparaît. La préoccupation sexuelle, toujours affleurante, ne situe plus son inquiétude sur le plan d’une différenciation sexuelle, car elle peut maintenant se préciser dans un rapport oral et transférentiel avec moi. En s’identifiant à une 115
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femme, elle aborde le manque, ce qui lui permet d’acquérir une plus grande liberté sur le plan relationnel, tant au niveau du langage que dans l’activité ludique. Ainsi, à la vingt-troisième séance, Virginie reprend, dans son dossier, le premier dessin qu’elle a effectué dans notre travail, faisant ici un lien sur le plan transférentiel avec le début des séances. Elle rejoint en cela le manque à être originel. Elle veut fixer ce dessin sur le mur, créant ainsi un lien temporel et transférentiel qu’elle peut maintenant maîtriser par la représentation. Elle n’a plus peur d’être détruite par l’autre et sa confiance en cet autre semble s’affirmer. Suite à cela, elle choisit une boîte pour contenir ses objets personnels qui ne doivent plus lui manquer. Sur cette boîte qui n’est manipulée que par elle lors de nos rencontres, elle m’invite à inscrire son prénom, puis son nom, affirmant là sa possibilité et son désir d’identité. Cela est l’occasion pour nous de parler de son nom : celui de sa mère qui renvoyait au manque existentiel. Elle me dit spontanément que Jean-Claude n’est pas son père, mais qu’elle ne connaît pas son père. Le personnage tiers, occulté jusque là par la mère, fait son apparition dans le discours et la question de la castration ou du manque, dans ce cas plus précisément, est à mettre en liaison avec l’absence du père qui ne pouvait pas être évoquée. À ce titre, le processus de différenciation qui aurait dû passer par la mère, n’a pu avoir lieu. C’est pourquoi, dans mon intervention thérapeutique, dès le début, j’ai repris le relais transférentiel, représentant une figure maternelle, mais préservant également la place du père. Mon attitude, inscrite dès le départ de notre relation dans une situation triangulaire, peut fonctionner en tant qu’équivalent d’interprétation. Présentement, une évolution graphique se fait sentir, concomitante de la structuration triangulaire. Corrélativement, Virginie dessine (dessin no 2) trois maisons côte à côte : il ne s’agit donc plus
Dessin no 2
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d’un fonctionnement en double, et le processus de différenciation se traduit ici dans le dessin. Du fait de l’intériorisation de l’objet maternel, à travers la relation transférentielle, Virginie peut dépasser son angoisse de me perdre et elle effectue un passage au stade de la représentation, de la différenciation. Nous voyons ici comment elle peut reprendre activement le rythme d’élaboration que j’ai imprimé au cours des séances précédentes. Elle se concentre, lors de cette activité, et ne cherche pas à transgresser. En fin de séance, elle me dit même : « À vendredi » : elle a compris le rythme temporel des séances à travers le mouvement de présence/absence et a intériorisé le fait que nous pouvons nous quitter puis nous retrouver. À cette même époque, un nouveau style de dessin (dessin no 3, voir page suivante) apparaît. Il s’agit d’un quadrillage où deux plans (vertical et horizontal) différenciés se rencontrent. La différenciation des couleurs s’accentue par la suite et la maîtrise gestuelle se confirme. Néanmoins, elle persiste à dessiner de la droite vers la gauche, et de bas en haut. Seul l’espace gauche est investi ; cela correspond à son espace personnel puisqu’elle est gauchère. À aucun moment, je ne suis intervenue, par un moyen technique, pour lui apprendre à changer son sens de l’écriture. Elle le fera d’ellemême, parallèlement à son processus d’évolution sur le plan d’une identité qui s’affirme. Pour ce qui est du rythme dans cette observation clinique, ce qui est intéressant à noter c’est son évolution. Une rythmique corporelle initialement très explosive sous le mode de la motricité pulsionnelle, qu’il s’agisse de la crise épileptique à proprement parler ou de son comportement impulsif, évolue vers un rythme d’élaboration tout à fait différent. Une dynamique transférentielle permet à Virginie de reprendre à son propre compte les modifications lentes et modulées que je peux lui proposer. Une utilisation mesurée d’attitudes et de jeux qui fonctionnent en tant qu’équivalents d’interprétation, permet par la suite à un rythme différencié une évolution qui lui est personnelle, liée à la possibilité pour l’enfant d’exister. Tout tourne autour de ce temps qu’il lui faut pour élaborer les situations à partir du matériel interprétatif ou des équivalents d’interprétation apportés ; cela correspond au rythme de perlaboration9. Cette rythmicité doit être repérée et respectée pour permettre l’évolution.
9. Perlaboration est définie, dans le Vocabulaire de la psychanalyse de Laplanche et Pontalis, de la manière suivante : « processus par lequel l’analyse intègre une interprétation et surmonte les résistances qu’elle suscite. Il s’agirait là d’une sorte de travail psychique qui permet au sujet d’accepter certains éléments refoulés et de se dégager de l’emprise des mécanismes répétitifs ».
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Dessin no 3
Le respect de ce rythme évolutif amène, quelque temps plus tard, à une assise de son identité. Elle me propose un jeu graphique (dessin no 4) : il s’agit de réaliser, chacune à notre tour, un signe différent dans un quadrillage qu’elle vient d’effectuer : elle fait un trait vertical et me charge d’inscrire un rond. Cette activité se mêle à l’apparition d’un imaginaire positif où elle traduit son contentement d’avoir pu construire cette activité. Rassurée, quant à cette mère transférentielle, qui lui permet d’exister en l’autorisant à écrire son nom et son prénom, elle peut accéder au fonctionnement unitaire de la pensée mathématique, par l’inscription du « un », forme de symbole d’une différenciation définitive.
Dessin no 4
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Tout au long de ce travail, en amorçant le processus transférentiel, j’avais en projet la différenciation10. Le choix du rythme qu’il convient, dans un moment évolutif adéquat, a permis que ce processus prenne corps. La rythmicité corporelle étant cadrée et non coupée par le pulsionnel, un mouvement de réappropriation du projet initial vient ainsi se traduire par l’individuation. C’est ce que traduit la représentation symbolique du chiffre. De ce fait, Virginie, positionnée face à la représentation, utilisera de plus en plus des jeux passant par le dessin ou la parole, pour exprimer ce qu’elle éprouve. Par exemple, dans une chanson dont l’air est connu, elle introduit les paroles suivantes : « comme un voleur, papa est parti dans le ciel, tu es parti sans moi... ». À travers cette histoire, elle peut exprimer son fantasme d’avoir été abandonnée par son père, et cela ne la conduit plus à somatiser dans le désordre du rythme moteur. L’imaginaire cadré permet une mise à distance de son angoisse qui n’effleure plus le corporel. Rassurée quant au manque paternel, elle peut utiliser la parole pour exprimer ses fantasmes. Dès lors, elle prend de plus en plus d’autonomie, et elle le chante : « Je suis une petite fille qui m’habille toute seule, qui me prépare toute seule pour aller à l’école, en liberté, je vous en prie, aimez-moi, écoutez-moi ». La représentation imaginaire accompagne ainsi son rythme d’évolution personnelle où elle se situe harmonieusement en tant que un, et c’est le moment que je choisis pour préciser la difficulté spatiale de l’enfant. Virginie accepte, au même moment, de rectifier le sens de son écriture. Jusqu’à présent, elle écrivait les lettres en miroir (dessin no 5) et explosait de colère dès qu’il lui était fait une remarque, décrétant d’ailleurs que c’était elle qui avait raison.
Dessin no 5 10. Partir des données de l’anamnèse.
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Il aurait alors été parfaitement inutile, peut-être même délicat, sur le plan du pulsionnel, de lui faire admettre auparavant qu’il fallait écrire de gauche à droite. Comme nous le savons l’écriture en miroir fait en effet référence à l’espace de la complémentarité imaginaire. Le sujet utilise la main gauche, prolongement de la main droite située en face : Cette situation reproduit une relation projective aliénante avec le représentant maternel11. Ici une situation en miroir s’est crée pour éviter le manque de la différence. C’est au moment où je lui permets de dépasser le manque paternel qu’elle peut choisir sa main dominante et s’orienter de gauche à droite dans l’espace de la feuille de papier. Elle accepte également l’apprentissage de la lecture et l’écriture des chiffres et des lettres. L’introduction du registre paternel tiers lui permet donc de se structurer non seulement au niveau de son unité corporelle, mais aussi dans son choix dominant pour écrire. C’est pourquoi nous pouvons relier l’absence et le manque du tiers à un problème existentiel dans un registre corporel et spatio-temporel œdipien. En parlant plus facilement de son père, Virginie commence à prendre de la distance vis-à-vis de la parole de sa mère et de sa contradiction. L’espace, la temporalité, en bénéficient.
Données psychiques et somatiques Il me paraît important de faire une brève parenthèse concernant la crise épileptique. L’épilepsie de l’enfant n’est entrée que récemment dans le champ de l’investigation psychosomatique. Les positions historiques étaient généralement subordonnées à des conceptions purement organicistes. Une impulsion nouvelle a été donnée par les travaux du Professeur R. Bouchard (1975) qui a mis en évidence un certain nombre de constantes, par l’étude systématique de plusieurs centaines d’enfants observés dans son service de l’Hôpital Bretonneau. Se trouvait cette fois posé le principe que les crises pouvaient bien être, non pas la cause, mais la conséquence des incidences psychologiques, celles-ci jouant un rôle majeur dans leur genèse ; la mise en évidence des désordres importants remontant à la toute petite enfance, ainsi que la régularité de certaines caractéristiques concernant aussi bien l’enfant que sa famille. Ainsi, la prégnance de la mort réelle ou fantasmatique est-elle constante, de même que l’émergence de pulsions agressives. D’un point de vue psychopathologique, la crise est interprétée comme le résultat de l’inondation 11. S. Cady. Latéralité et image du corps chez l’enfant. Approche psychanalytique. Collection Païdos. Paris, Le Centurion, 1988.
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traumatique du Moi défaillant, par des pulsions désorganisantes et désintriquées. Pour certains auteurs, la crise renvoie au fonctionnement psychésoma indifférencié, soit régressif (Ferenczi-Winnicott), soit témoin d’un manque au niveau psychique. Nous pourrions nous demander dans le cas qui nous préoccupe ici si Virginie, dans un état d’indifférenciation psyché-soma, dès son plus jeune âge, n’a pas réagi à un sentiment dépressif de sa mère, dans une somatisation due au pulsionnel d’un rythme chaotique. Freud évoquait, dans son texte sur Dostoïevski12, la désintrication des pulsions dans l’épilepsie. Le moi est fragile, vite débordé par des fantasmes qui entrent en résonance avec le vécu quotidien. Le symptôme comitial apparaît comme une réponse à une effraction du moi. Cette réponse s’exprime par voie directe, de la perception à la décharge motrice, apparemment sans passer par le détour de la mentalisation. Virginie, présentait ce type de fonctionnement psychique où l’imaginaire était court-circuité ; tout un processus de mentalisation, d’élaboration était de ce fait impossible. Spécifique à la relation qu’elle avait établie avec cette mère contradictoire. De plus l’occultation du père, provoque un balancement, un mouvement de va-etvient par rapport à la situation œdipienne, qui reste une question mais ne peut pas exister en tant qu’organisation. Pour lui permettre d’évoluer et lui imprégner une autre rythmicité, par l’abord d’un rythme qui passe par la fonction maternelle, il fallait établir une relation transférentielle. C’est ainsi que, dans un premier temps, pour cette élaboration, j’ai laissé l’enfant fonctionner selon son propre rythme, sans à-coup pulsionnel. Une fois le transfert établi, pour éviter l’épuisement de notre relation, j’ai dû la limiter sur le plan de la répétition. En fait, en lui demandant de suspendre son activité de décharge, en lui imprégnant au bon moment un autre rythme d’évolution que le sien, l’imaginaire en bénéficie, car il n’est plus déchargé dans la motricité. Il peut trouver l’objet pour s’élaborer, s’exprimer par le biais de la parole ou dessin. Mon intervention, dans un premier temps, s’est située le plus souvent dans la réalité, pour contenir le fonctionnement imaginaire de l’enfant qui tentait à se perdre sous la forme de l’agi. Cette structuration indispensable permettait également de me situer dans une position autre que celle de sa mère, introduisant là le représentant tiers. De toute évidence, c’est la suspension de la décharge motrice qui a permis au fantasme de se déployer. Ensuite, le rythme d’évolution/régression se modifia peu à peu, et les mouvements régressifs purent être contenus au sein d’une 12. S. Freud. Dostoïevski and parricide, 1929.
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séance, puis déboucher sur une nouvelle élaboration. Une fois le rythme de perlaboration perçu, les interventions qui le respectent deviennent efficientes, pour la constitution du propre rythme de fonctionnement. Mais c’est grâce à l’autonomisation que Virginie a pu choisir son orientation rythmique personnelle. Tout tourne autour du manque de paternité. L’attitude maternelle liée au non dit du père ne permet pas à l’enfant de se situer. C’est pourquoi la position de tiers dans le transfert puis l’abord du problème paternel, permettent à l’enfant d’exister et d’organiser une relation où elle acquiert une identité. Psychique et somatique se différencient. Avec l’abord du problème œdipien qui donne sa place à l’imaginaire, la position unitaire du corps, liée à une rythmicité personnelle qui s’affirme, a pu s’élaborer. Avec la résolution du conflit œdipien, le somatique est maîtrisé, le corps se spatialise et l’espace s’ouvre vers la profondeur. Ainsi, dans ses dessins, un début de troisième dimension apparaît : Virginie devient plus coquette, se féminise et entre dans la période de l’identification. Dans les ateliers éducatifs, elle se permet d’accéder aux apprentissages scolaires (lecture, écriture). Pour conclure, je vous citerai les derniers mots de Virginie au cours de la dernière séance avant son départ en vacances, mais aussi avant son entrée dans une nouvelle institution. Elle me demande d’écrire à son père (cette lettre restera dans son dossier et il est bien entendu avec elle qu’il ne s’agit pas d’un courrier à lui transmettre dans la réalité). Voici le texte de cette lettre. « Cher père Je pense à toi. Je travaille bien à l’école. J’ai visité une école. Je vais bientôt aller en vacances. Après les vacances, je vais à l’Haye les Roses. Je pense à toi. Je vais passer des vacances avec ma mère et je t’écrirai en vacances. » Virginie me signifie bien dans cette dernière séance que j’ai pu introduire le père dans notre relation, venant là aborder le refoulement originaire de la mère.
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Pierre Boquel
Identité sexuelle et sclérose en plaques Isabelle est une jeune fille de 25 ans, exerçant le métier d’opticienne, atteinte depuis 4 ans de sclérose en plaques. Elle souffre d’épisodes de névrite optique touchant l’œil droit se traduisant par les symptômes suivants : elle ressent des maux de tête qui vont en s’aggravant, sa vue se trouble et elle perd brutalement la vision. Ces troubles apparaissent subitement et nécessitent des injections de cortisone ainsi qu’une hospitalisation de plusieurs jours. Les crises se distinguent par deux caractéristiques surprenantes. Elles surviennent régulièrement au mois d’octobre de chaque année et sont précédées, 2 à 3 jours avant, par un rêve étrange et répétitif. Ce rêve met toujours en scène des araignées noires dont la grosseur ou le nombre est en rapport avec l’intensité de la crise à venir. Elle se souvient du premier rêve, il y a 4 ans, dans lequel une énorme araignée la piquait au visage. Le dernier rêve montrait, quant à lui, de nombreuses petites araignées montant le long de son bras pour atteindre de nouveau son visage.
Le problème identitaire Isabelle a toujours eu la phobie des araignées. D’emblée, à travers l’atteinte du visage, le problème de l’identité de la jeune fille est 123
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posée par le rêve. Cependant, l’identité liée au visage n’est pas seule concernée comme va le montrer rapidement le lien avec le tiers sexué. En effet, la patiente a une poussée de sclérose en plaques par an et met en rapport, sans toutefois l’élaborer, la dernière crise avec la venue de son père en France. Le père, d’origine réunionnaise, habite Madagascar où il dirige une entreprise de travaux publics. Isabelle appréhendait ces retrouvailles car en sa présence, elle s’est toujours sentie mal à l’aise, elle ne peut rien lui refuser et elle a l’impression qu’il la manipule. Elle était allé travailler dans son entreprise durant un an mais avait dû renoncer à prolonger son emploi car elle s’était aperçue qu’elle était de plus en plus exploitée. Elle a conscience que son retour en France était une fuite nécessaire même si elle allait être confrontée à la solitude et devoir se débrouiller toute seule. En France, elle va vivre momentanément chez sa mère et c’est lorsqu’elle quitte l’appartement maternel qu’apparaît la première poussée de sclérose en plaques.
Un fonctionnement adaptatif Isabelle se souvient de ses rêves, mais ses souvenirs s’inscrivent à l’intérieur d’un fonctionnement adaptatif dominé par une activité de contrôle. En effet, elle me dit en contrôler la plupart ; pour cela, elle effectue un rituel précis. Elle se visualise dans son lit, toujours dans la même position et se voit en train de rêver. Elle sait alors qu’elle peut « vivre » ce qu’elle a envie. Elle construit le scénario et dirige le déroulement onirique. Seuls, certains échappent à cette maîtrise, notamment les rêves d’araignées, annonciateurs des poussées. Une hypertonie complète le fonctionnement caractériel formant une cuirasse musculaire qu’elle attribue à un stress continuel depuis l’âge de 13 ans. Déjà à cette époque, elle avait un tremblement des mains traduisant une tension corporelle importante. La psychothérapie révèlera que cet âge correspond à l’amplification d’un comportement paternel incestueux.
La psychothérapie Lorsqu’elle me rencontre, Isabelle est à la fin d’une poussée, elle a encore des maux de tête résiduels. 124
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Une situation d’impasse momentanée Au premier entretien, le rêve qu’elle me raconte fait apparaître une situation d’impasse momentanée. Ce rêve est concomitant de la poussée actuelle de sclérose. Rêve du tunnel-labyrinthe La patiente est en vélo et entre dans un tunnel qui se rétrécit de plus en plus et qu’elle compare à un « labyrinthe de béton ». Une moto est derrière elle et veut la doubler mais il n’y a pas assez de place, même si elle se range sur le côté. La moto la bouscule, elle perd le contrôle du vélo, se met à zigzaguer, n’a plus confiance en elle et se retrouve coincée entre deux dalles de béton. Après s’être arrêtée, elle peut néanmoins reprendre son vélo et sortir de l’obscurité du tunnel. Après m’avoir raconté ce rêve, Isabelle me dit qu’elle a fréquemment l’impression de gêner ses amis et doute profondément d’ellemême. Elle a souvent besoin d’être rassurée et relie ce besoin à l’éducation très stricte de son enfance, ses parents étant membres d’une église orthodoxe apparentée, d’après certaines enquêtes du gouvernement, à une secte. Le manque de confiance, le doute auquel la patiente fait référence peuvent être rapportés à un effondrement identitaire. Quelque chose se perd brusquement en elle au point qu’elle vacille. La sortie du tunnel obscur indique le caractère momentané de l’impasse actuelle et renvoie aussi, par l’obscurité qui prend fin, à la récupération de la fonction visuelle. Le corps se projette dans le rêve. De même que se révèle l’atteinte de la vision, le zigzag traduit les troubles corporels lors de la poussée. Après cette séance, les maux de tête de la patiente disparaissent.
Une situation conflictuelle de fond Un autre rêve ponctue la deuxième entrevue en révélant une situation conflictuelle de fond beaucoup plus ancienne. Le rêve du gorille La jeune fille va dans un zoo avec sa mère, elle s’approche d’un endroit dans lequel se trouve un immense gorille de « trois mètres de haut ». Cet espace est séparé du lieu où elle se trouve par des barbelés, mais ceux-ci ne sont pas assez hauts pour assurer une 125
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protection. Isabelle a peur car le gorille pose ses mains sur une sorte de poteau et risque de s’échapper. Soudain, le gorille se met à uriner sur la patiente qui est prise de dégoût. Des passants se trouvant à proximité mettent une bâche sur elle pour l’abriter. Elle se retrouve seule, dans le noir sous la bâche. Il se met ensuite à pleuvoir, la jeune femme veut sortir de dessous la bâche pour se laver sous la pluie mais, lorsqu’elle sort, il s’arrête de pleuvoir. Elle représentera la situation du rêve par le dessin suivant :
Une lecture directe du rêve permet de pointer certains éléments : - une thématique sexuelle ; - une défaillance dans les limites avec un autre, tiers dangereux et source de dégoût ; - une mère qui ne peut protéger sa fille ; - une solution protectrice mais qui isole ; - la difficulté à se « laver » d’une souillure. De sorte que l’alternative est la suivante : être dans un isolement pour se protéger ou apparaître sans pouvoir se défaire du sentiment de saleté initiale. À partir du rêve, la patiente parlera de l’absence d’aide de sa mère. Celle-ci, séparée de son mari quand sa fille avait 13 ans, « s’éparpille toujours en amour » d’après les mots de la patiente. 126
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« Elle est toujours entre plusieurs hommes et ça me rend triste...Elle se plaint de cette situation mais ne fait rien pour en sortir. » Trompée à plusieurs reprises par son mari, sa mère se sépare et reste dépressive durant trois ans ; puis elle se met à avoir des relations multiples avec des hommes ; Isabelle a alors 16 ans et reçoit ses confidences amoureuses. Dans cette proximité, Isabelle perd sa place d’enfant mais ne peut accéder à une place d’adulte car sa mère n’a jamais eu confiance en elle. Le rêve suivant fait état de ce manque de confiance : Dans ce rêve, elle est avec sa mère qui conduit la voiture. Mais sa mère n’y voit pas, Isabelle veut prendre le volant car elle connaît la route, une dispute éclate. Sa mère ne cède pas, se trompe, et au premier virage, la voiture va dans un champ et s’enfonce dans la boue. La patiente relie ce rêve à son retour en France ; le temps de trouver un appartement, elle était allée vivre chez sa mère. Elle avait été très déçue car cette dernière avait cru une copine qui avait dit que sa fille se droguait. Isabelle a beaucoup de peine que sa mère ne veuille pas la croire. Lorsqu’elle part, 6 mois après, on lui vole la voiture et dans les jours qui suivent, elle a sa première poussée. Alors qu’elle est hospitalisée, son père lui rend visite car il a peur qu’elle ait une tumeur au cerveau. La deuxième poussée de sclérose sera précédée d’un échec amoureux durant les vacances. La patiente est séduite par un cousin dont elle tombe amoureuse. Prétextant qu’ils sont de la même famille, le cousin décide de rompre la relation, mais Isabelle n’arrive pas à l’oublier. Ce scénario se reproduira à chaque vacance d’été. Le comportement du jeune homme est ambigu, se présentant parfois avec une fiancée, il laisse toujours entrevoir la possibilité de relations amoureuses avec Isabelle. Lorsqu’elle trouve la force de ne pas le voir, il se débrouille pour provoquer la rencontre. Après son départ, une nouvelle poussée survient.
L’affect dépressif est pris dans la force du refoulement Isabelle repère les séquences suivantes : Lorsqu’il la quitte, au début, elle ne se sent pas déprimée. Le seul signe présent est une « obsession », d’après les mots de la patiente. Du soir avant de s’endormir, au matin en se levant, elle n’arrête pas de penser au jeune homme. 127
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L’affect dépressif survient seulement pendant la poussée, et n’est pas attribué à la rupture relationnelle mais à la maladie elle-même. « Jusque-là j’avais complètement oublié la maladie ; dans la crise, je me demande à quoi ça sert d’avoir des projets, de vouloir fonder une famille car je vais finir dans un fauteuil roulant. J’ai envie de me suicider. » À sa sortie de l’hôpital, le comportement adaptatif revient audevant de la scène et la patiente se sent un peu mieux. Elle pense qu’il ne faut pas s’apitoyer sur son sort et qu’il faut se battre, surtout pas se laisser aller. Le cycle recommence. Isabelle se dit qu’elle a gâché toutes ces années en ayant l’image idéalisée de ce jeune homme. Il existe une coupure entre l’affect et la représentation de la situation de rupture. Ce n’est plus la séparation amoureuse qui est responsable de la souffrance et de la dépression mais le fait d’être malade. À l’intérieur du problème, il y a un autre problème empêchant de voir l’ensemble de la situation et ce dernier prend la forme d’un cercle vicieux. Les choses peuvent être formulées ainsi : si elle est déprimée, c’est parce qu’elle est malade et comme la maladie « n’a aucun avenir », toutes les possibilités sont fermées pour elle et donc à quoi bon être en relation ? Cette constatation invalide le projet initial d’une relation affective. Donc elle déprime encore plus. La relation ne peut être qu’un échec car la maladie, pour Isabelle, élimine toute possibilité relationnelle et anéantit tout projet. L’imaginaire est mis à mal, seul le renforcement adaptatif, par la force du refoulement, est susceptible de mettre à l’écart la souffrance de ses pensées.
La levée du refoulement Après avoir pris conscience de la répétition, la patiente se trouve bizarre, elle dort beaucoup et comprend son comportement comme une fuite dans le sommeil. Un fond dépressif commence à être représenté. « Ma vie est triste, je ne peux pas penser que ce soit ma vie, ce n’est pas moi.... » Alors que cette jeune femme ne pleurait jamais, quand son père l’a appelée, elle s’est effondrée en larmes au téléphone. Elle va faire alors un rêve qui se place dans la continuité de l’élaboration onirique commencée par le rêve du gorille. 128
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Dans ce rêve, son père est dans son lit, muni d’un pot en plastique, mais il urine dans le lit. Isabelle lui dit d’aller faire pipi ailleurs et, quand elle-même se lève pour aller uriner, elle trouve son père assis sur les toilettes. Je cite les mots de la patiente : « Quand il a fait pipi dans mon lit, ça m’a choquée mais j’ai aussi été très gênée lorsque je l’ai vu sur les toilettes J’ai eu peur de le voir nu, j’ai été dégoûtée... » Elle poursuivra : « Il empiète un peu trop sur ma vie, il faut qu’il arrête d’être aussi présent... » Isabelle ressent un sentiment d’impuissance vis-à-vis de la « manipulation » que son père exerce sur elle, elle n’arrive pas à se révolter. Elle me parle des attitudes incestueuses de son père. Déjà, toute petite, son père la prenait dans ses bras de force et la forçait à lui faire un câlin. Elle avait peur de son père et se mettait à pleurer, cela finissait par une fessée. « Ma mère me disait qu’il fallait que je fasse attention, j’avais peur de me mettre sur ses genoux... Il voulait à chaque fois me voir toute nue surtout quand j’avais 13-14 ans... Pour lui le sexe c’est très naturel... » Elle se rappelle qu’à l’âge de 13 ans, il avait des attouchements lorsqu’elle passait près de lui. Un jour, il lui avait expliqué comment faire l’amour avec un garçon pour ne pas avoir mal. Isabelle, les yeux baissés, dira d’une voix à peine audible : « Malgré tout, j’ai toujours accepté ce qu’il me demandait de faire. » La séparation des parents et des études d’opticienne en métropole ont constitué une trêve pour la jeune fille. Elle a pu se retrouver grâce à l’éloignement paternel, jusqu’à l’âge de 21 ans, l’année où son père décide d’aller lui rendre visite en France. Il lui arrive alors ce qu’elle qualifie de « pire qu’elle ait pu vivre dans la promiscuité. » À distance, ses relations s’étaient normalisées avec son père ; lors de sa venue, elle avait retrouvé confiance et décide de lui présenter ses amies au cours d’un repas. Ne pouvant s’empêcher de séduire sa meilleure amie, son père lui fait des massages et convainc le petit groupe d’aller se détendre au Hammam. Isabelle n’aura pas la force de refuser et « vivra l’horreur à l’intérieur du sauna », elle aura l’impression de vivre des films pornographiques. Elle ne savait pas si, dans l’obscurité, son père la touchait ou pas mais elle croit avoir senti ses mains sur son corps. 129
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Elle fuira rapidement ce lieu sordide mais, de retour chez elle, elle a des hallucinations auditives et synesthésiques : elle a l’impression d’être étouffée, la tête prise dans un sac plastique. Elle se voit mourir. Isabelle pleure en me racontant la scène du Hammam ; en sanglotant, elle me fait part de son incompréhension : « Je lui ai dit : je suis ta fille ! mais il n’arrive pas à le saisir, pour lui le sexe, ça fait partie de la vie ! » Suite à cette séance, Isabelle a le courage de parler de cet épisode à sa mère. Elle se réfugie ensuite dans la lecture et se sent beaucoup mieux. Elle avait arrêté de lire depuis 4 ans. Au téléphone, elle a pu dire « non » à son père qui voulait lui rendre visite pour lui présenter une nouvelle femme. Elle a trouvé le courage de lui dire d’aller à l’hôtel et se sent maintenant « plus légère ».
La perte d’identité Les rêves suivants poseront le problème de l’identité sexuelle en situant l’âge où celle-ci s’est mise à vaciller. Dans l’un d’eux, elle fuit, avec un fils de 8 ans, un entretien avec un homme. Par ce rêve, elle interroge, à travers le thérapeute, la relation à l’homme ainsi que sa peur qu’elle peut maintenant formuler : « La dernière fois, j’ai beaucoup pleuré et j’ai toujours l’impression que ça ne vaut pas le coup de venir discuter des petits problèmes, j’ai fait souffrir ma mère en parlant de mes histoires...Comme si ce n’était pas important pour moi ce que j’avais à dire. » Dans la relation, Isabelle a peur d’être manipulée (comme elle l’a été par son père), de perdre son indépendance (comme elle l’a vécu avec sa mère déprimée) et se rend compte qu’elle a dû souvent, à cause de ses peurs, mettre fin à la relation.
L’impasse relationnelle En fait, elle ne peut ni accéder à une relation triangulaire œdipienne à cause du danger sexuel, ni trouver refuge dans une relation fusionnelle maternelle, elle perd alors son autonomie. La perte se situe aux deux niveaux.
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Rêve de perte de l’identité Dans un autre rêve, elle a une dent blanche qui pousse entre deux autres dents. En passant sa langue, la dent tombe. Sa mère la récupère et la met dans une boîte où elle garde toutes les dents de lait de ses enfants, malheureusement sa mère fait tomber la boîte et les dents s’éparpillent sur le sol. « J’essayais de retrouver laquelle c’était pour la remettre à sa place mais je ne la trouvais pas. » La jeune fille fait le lien avec une dent qui avait mal poussé lorsqu’elle avait 8 ans et que le dentiste avait retirée. Cet âge correspond au déménagement de la famille, Isabelle perd ses amies et s’ennuie. Sa mère s’ennuie aussi, découvre que son mari la trompe, déprime et se replie dans la relation à sa fille. De plus, son père, occupé par ses maîtresses, la délaisse souvent mais, quand il est présent, commence à porter un regard de plus en plus sexualisé sur le corps de l’adolescente en pleine transformation. Le rêve de la dent perdue traduit la perte d’identité et une mère qui « laisse tomber ». Chaque séance est éprouvante pour la jeune fille et, dans les jours suivants, Isabelle me dit vivre une période d’isolement. En effet, elle a provoqué une rupture avec un ami qu’elle avait rencontré deux mois auparavant pour oublier son cousin.
La survenue de la pathologie : poussée de sclérose en plaques Trois jours après la rupture sentimentale, elle a eu très mal à l’œil droit le matin en se réveillant. Pendant la nuit elle avait fait, dit-elle, un rêve marquant. Rêve d’une poussée de SEP Dans ce rêve, elle était en train de faire une poussée, elle avait très mal à l’œil droit et sa vue baissait petit à petit, elle y voyait de moins en moins et l’obscurité augmentait avec la douleur. La patiente ressent une culpabilité d’être restée, pour ne pas être seule, avec ce garçon qu’elle n’aimait pas, mais elle a eu le courage de mettre fin à cette liaison. Elle a ensuite senti le besoin de solitude. Elle pense qu’elle est en train de faire une poussée et se demande si celle-ci n’est pas liée au fait que « tout est ressorti d’un coup », tout ce qu’elle a pu vivre sous la pression sexuelle exercée par son père, « elle a tant pleuré »... Après, elle s’est sentie bizarre, comme 131
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si elle était dans un autre monde, comme dans un rêve, surtout après la séance. Les séquences symptomatiques habituelles qui composent le déroulement de la crise semblent se rejouer dans le travail thérapeutique. La sensation d’être dans un rêve est à rapprocher de la phase d’obnubilation qui annonçait la poussée et signe la présence d’un processus projectif en œuvre. Cependant, contrairement aux épisodes précédents, celui-ci ne s’épuise pas, aboutissant alors à la douleur, la perte visuelle et à l’enfermement dépressif.
Le maintien du processus projectif empêche l’atteinte du corps réel La relation thérapeutique soutient la fonction de l’imaginaire évitant le passage à la pathologie. « Quand je pense à ce que j’ai vécu, ça me semble assez dur, maintenant, je suis bien, vraiment joyeuse...Avant je me trouvais affreuse, honteuse, maintenant je me trouve normale... » Isabelle a pris la décision de commencer à écrire « son livre », elle sent qu’elle a besoin de « sortir quelque chose par écrit. » Suite à la rupture, elle pense qu’elle a perdu un cercle d’amis mais se rend compte qu’elle se trouve mieux avec peu d’amis, comme avant.
Le processus d’élaboration Au début de la période d’isolement, elle a eu des « rêves marquants », pense-t-elle. Dans l’un d’eux, elle se sentait bizarre, « Je ne me reconnaissais pas trop, comme si je changeais et que j’en avais conscience... Je sens que j’ai changé, tout le monde me dit que je suis différente et moi je suis mieux... » Le travail de différenciation va se poursuivre sur le plan onirique. « Au début de mon rêve, je suis enceinte et je perds les eaux... Je me dis après tout j’ai 25 ans, j’ai un travail et donc je vais le garder... En allant à l’hôpital, je me demandais qui était le père. C’était le mois d’octobre, Je prenais un calendrier et je comptais 9 mois en arrière. C’est tombé sur un ami de l’époque qui se droguait et je me demandais si j’allais lui dire, je n’avais pas envie. » 132
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Ce rêve révèle la récupération de soi par le dépassement de la perte d’une partie de soi (elle est active pour garder l’enfant malgré « la perte des eaux ») et l’avènement d’un repérage à la fois identitaire (reconnaissance du géniteur) et temporelle (date de la conception). Cette reconnaissance est nouvelle car, jusque-là, Isabelle avait beaucoup de difficultés pour s’orienter dans l’espace et dans le temps. Elle se servait des ruptures successives de sa vie pour repérer les événements de son histoire. Elle sort de la confusion à la fois identitaire et temporo-spatiale et peut ainsi reconnaître la dimension perverse de l’attitude paternelle comme le révèle un autre rêve angoissant. Rêve dans lequel elle se positionne dans la relation au père Dans celui-ci, son père était possédé par un démon. Elle recevait un appel téléphonique et savait qu’au bout du fil, c’était le diable qui l’appelait ; elle ne voulait pas écouter. Elle a du mal à parler mais réussit à dire « Je sais que c’est toi Satan et je n’ai pas peur de toi. »
Récupération identitaire À partir de là, je verrai apparaître tout un processus de récupération identitaire toujours transposé dans les rêves. Rêve de récupération identitaire Elle est dans une fête et perd son sac (elle reconnaît l’ancien sac qu’elle avait l’an dernier), elle cherche son sac parmi plusieurs sacs qui se trouvent là. Une fille trouve un sac et Isabelle lui dit que c’est le sien et le prend. Elle comprendra le rêve de la manière suivante : « Avant de venir vous voir, les sacs étaient très importants pour moi, je les perdais toujours...Je ne les perds plus, peutêtre que dans le rêve, j’essaie de retrouver une identité passée, c’est rassurant... » Ce rêve est le pendant de celui dans lequel elle ne pouvait retrouver sa dent de lait parmi les multiples dents dispersées sur le sol suite à la maladresse maternelle. Dans un autre rêve, elle retrouve un espace personnel.
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Rêve de récupération d’un espace personnel Isabelle déménage et se retrouve dans un appartement avec une fille et deux garçons qu’elle ne connaît pas et tous se mettent « à lui courir après ». De plus, elle s’aperçoit qu’il y a beaucoup d’immeubles en construction autour de l’appartement et énormément de bruit. Elle commence à regretter d’avoir déménagé car elle est trop mal dans cet appartement, puis elle se rend compte qu’elle n’a pas donné son préavis pour l’ancien et est contente de pouvoir y retourner. « J’étais trop heureuse de retrouver l’appartement que j’avais quitté, » dira-t-elle. Par ce rêve, elle retrouve l’identité qu’elle avait construite et qu’elle n’avait pu garder du fait de la situation d’impasse. Après la confusion sexuelle, le retour possible révèle la présence d’une solution et transforme l’impasse en conflit, faisant passer, du même coup, la pathologie du corps réel au corps imaginaire.
Résolution de la poussée de sclérose La douleur disparaîtra spontanément sans aucune évolution vers la perte visuelle. La poussée de sclérose avorte, enrayée par la maintenance de la potentialité représentative. Isabelle se « replonge » dans son histoire, regarde les photos de son passé. Elle se rend compte que le cousin qu’elle a tant aimé avait le même comportement que son père. « C’est comme si j’ouvrais les yeux sur tout ce qui m’entourait. J’ai réussi, pour la première fois à le voir comme il était vraiment, on dirait que c’est mon “père-bis”...Je me suis dit que ce n’était pas lui que je voulais, que je suis quelqu’un de différente... » Elle est étonnée, par rapport à « l’obsession » qu’elle avait, d’avoir maintenant un regard objectif sur lui.
Conclusion Isabelle accède à la différenciation, sort de la confusion existant entre soi et l’autre, propre à la pathologie auto-immune. En effet dans la sclérose en plaques, comme il est possible de le voir pour cette jeune fille, l’impasse se joue autour de la question d’une identité sexuelle qui, bien qu’acquise, ne peut se maintenir. Pour elle, 134
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tout bascule à l’âge de huit ans, plusieurs facteurs, dont un déménagement, la solitude, une mère dépressive et étouffante, l’adolescence et la perversion du père, contribuent à faire vaciller une identité qui avait résisté jusque-là, malgré un univers adaptatif contraignant. Une relation d’impasse prend forme dans laquelle aucune relation, ni avec la mère, ni avec le père n’est possible sans que l’identité sexuelle ne soit atteinte. La pathologie n’apparaît pas tant que la distance avec l’autre est maintenue. La proximité sexuelle du père fait choir l’identité de la jeune fille tout comme la séparation de son ami fonctionnant comme une duplication paternelle. Le paradoxe se révèle dans la difficulté d’exister dans la proximité ainsi que dans la séparation. Les phases d’obnubilation qui suivent les séparations marquent la chute identitaire traduisant une confusion qui touche le temps et l’espace ainsi que le corps sexué. Il en est de même pour l’épisode hallucinatoire consécutif à la proximité sexuelle avec le père. La mise en branle du processus projectif est une ultime tentative de solution qui s’épuise rapidement, donnant alors accès à la poussée de la pathologie, la même impasse relationnelle se retrouvant au niveau immunitaire. La poussée est enrayée par la thérapeutique mais aussi par un refoulement qui se resserre, reléguant à arrièreplan la perte identitaire originelle en lui substituant des masques de fonctionnements réactionnels : oublier et aller de l’avant, ne pas se laisser aller... Un fonctionnement caractériel dépeint les périodes de rémission. Dans cette observation, il apparaît que la pathologie auto-immune se différencie de la pathologie allergique. Force est de constater que, dans l’allergie, l’identité est concernée, mais l’identité en tant que visage, c’est-à-dire en deçà de la problématique sexuelle ; et cette identité s’inscrit dans un fonctionnement mixte à l’intérieur duquel l’impasse momentanée est provoquée par la présence du tiers différenciateur, de la perception de la différence. La potentialité représentative s’effondre et avec elle, l’identité de l’allergique. Dans le cas d’Isabelle, la situation est inverse, mettant en œuvre un fonctionnement adaptatif et un refoulement qui échoue lorsqu’il est confronté à une situation ravivant la problématique du corps sexué. Malgré le caractère momentané de l’impasse, ici, l’évolution se fait en deux temps, la faille du refoulement laisse éclore un symptôme relevant du corps imaginaire (qui ne correspond pas à un fonctionnement psychonévrotique), suivi peu de temps après, par la disparition de ce même symptôme et par l’atteinte organique. En définitive, deux impasses se chevauchent : une impasse ancienne qui évolue sur un plan profond, infra-clinique mais affectant respectivement, à bas bruit, la relation et l’immunité en déterminant un fonctionnement adaptatif ; et une impasse momentanée, 135
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brutale, qui réactive la dysfonction immunitaire et fait apparaître une symptomatologie clinique ; ceci jusqu’à ce que le refoulement restaure sa force et enfouisse les lésions à nouveau dans la profondeur du corps.
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Sylvie Cady
Dépression chez l’adulte et relaxation psychosomatique : une observation clinique autour de la pathologie cancéreuse Mlle V, 30 ans, est célibataire, elle est aux prises avec une dépression importante depuis son licenciement. Elle se traduit initialement par de forts sentiments d’abandon, une sensation de fatigue, de tristesse, des troubles de la mémoire, un sentiment de solitude, une insatisfaction globale de sa vie car elle n’a pas réussi professionnellement. Autour de cette dépression une absence par moments, du souvenir des rêves, traduit un début d’impasse dépressive. Deux ans après son licenciement, on constate une dépression plus profonde avec une disparition de la représentation de ces symptômes, comme si la personne se coupait d’une partie d’elle-même, parallèlement à un refoulement de la fonction de l’imaginaire. Aussi, une absence totale du souvenir des rêves et de ses équivalents dans la vie vigile, marquent cette coupure entre le sujet et lui-même. Ce refoulement touche tout ce qui se réfère à la personne dans son rapport global à l’imaginaire, ainsi que dans le domaine de l’affect. Autour de cette impasse dépressive, facteur déterminant d’un refoulement de la fonction de l’imaginaire, un cancer du sein apparaît. Une perturbation du rythme corporel1 en hypotension traduit corporellement la situation. Elle ne se sent pas déprimée. 1. Rythme corporel : rythme contraction - détente.
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Étant donné les difficultés représentatives de Mlle V, la patiente ne se souvient de rien en ce qui concerne son passé, elle s’est habituée à n’éprouver aucun affect depuis sa déception lors de son licenciement par une femme. Elle pratiquait un art martial qu’elle a arrêté depuis son licenciement, empêchant ainsi toute récupération tonique de sa dépression. « C’est après » dit-elle « que tout a basculé ».Étant donné les difficultés de la patiente pour se situer par rapport à elle l’anamnèse correspond à 6 mois d’entretiens. Elle permet à Mlle V. de retrouver cette partie d’elle-même coupée. L’aide du thérapeute dans la reconstruction de son histoire, qui fait le lien avec un domaine représentatif, auquel elle n’a plus accès, fonctionne en tant qu’équivalent d’interprétation.
Anamnèse Mlle V a deux sœurs, une sœur aînée (36 ans) qui vit seule, et qui a eu uniquement deux relations masculines ; une sœur cadette (28 ans) qui est mariée. Les parents sont tous deux commerçants, tous deux pris par leur activité professionnelle et n’ont pas eu le temps de s’occuper de leurs enfants. De ce fait, Mlle V a été élevée par une employée qui vivait à la maison. « Elle a remplacé ma mère » explique la patiente. Jusqu’à 16 ans, elle n’a jamais dormi seule car elle avait peur de s’endormir. Elle dormait avec sa petite sœur. Elle n’a jamais pu, ni su jouer seule. Cela résulte d’une relation collée entre les 3 filles. De ce fait, Mlle V a mal vécu le moment où la sœur aînée est partie de la maison, encore plus le mariage de sa sœur cadette. Notons ici que notre patiente n’a jamais pu quitter le domicile parental. Mlle V. se rappelle maintenant qu’elle a été une élève brillante, elle avait souvent des bonnes notes, elle aimait avoir des bonnes notes pour attirer l’attention de sa mère, car elle lui demandait de bien travailler. Comme sa mère ne changeait pas son attitude à son égard, malgré les bonnes notes, elle n’était jamais satisfaite, elle avait toujours une sensation d’incomplétude « Peut-être que mon désir de perfection est lié à cela », explique-t-elle soudainement. Notons ici que cette manière nouvelle de donner une explication de son comportement correspond à une récupération de la coupure du sujet entre soi et une partie imaginative de soi. Elle est liée à la potentialité représentative qui se récupère. Sa mère lui a transmis l’idée de responsabilité d’être un modèle pour ses sœurs mais elle ne n’est jamais sentie à la hauteur du 138
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modèle que sa mère demandait, puisque cette dernière ne lui donnait aucune attention. « Je me sens toujours insatisfaite car je n’ai aucune reconnaissance » dit-elle « et de plus ce modèle n’est pas mon choix. C’est celui de ma mère. Souvent je me sens agressive face à ma mère parce qu’elle ne me regarde pas, c’est elle qui sait tout faire. Elle ne m’a pas permis de me construire. Actuellement, c’est comme si je n’ai pas de corps. Je ne ressens rien. Mon esprit est bloqué. Vous m’aviez parlé de relaxation psychosomatique. Je pense que cela me ferait du bien. Pour une fois quelqu’un va s’occuper de moi ». Étant donné la situation d’abandon qui s’est mise en place dès l’enfance et qui pour la patiente se révélera être une partie de l’impasse, l’acceptation par la thérapeute d’une aide par la relaxation psychosomatique correspond ici à une équivalence d’interprétation. La relaxation ou régularisation du rythme corporel (rythme contraction-détente) est précisée comme étant un but à atteindre dans un certain moment d’évolution.
La relaxation Peu importe la situation relationnelle pour la relaxation dans cette première séance, Mlle V pense que normalement, cela se fait en situation allongée. Donc elle s’allonge, puis se remet assise. « Je pense que c’est mieux comme cela pour un temps » exprime-t-elle. « Je ne suis pas à l’aise allongée. » Étant donné la situation coincée sur le plan du corps par la dépression, nous parlons de faire une recherche autour de la prise de conscience du corps. Le mouvement choisi est organisé par la patiente et la thérapeute autour d’une activité ludique et peu détendante pour la patiente : la natation. Le choix du « peu détendant » s’est fait pour garder le repère corporel que procure la tension. Ce mouvement sera conservé jusqu’au moment où la patiente décide du changement, deux mois plus tard, lorsqu’elle a ressenti dans son corps sa tension. Ce ressenti corporel correspond à l’émergence de sa position de sujet dans la relation. Elle demande que l’on recherche alors un autre mouvement plus détendant, mais qu’elle peut retenir, car elle a peur de la détente. Il s’effectuera autour de la marche. Il permettra à la patiente de se visualiser après le mouvement, « comme un animal quelconque, s’il se détend, il existe ! ». Dans une autre séance, elle fait un autre rêve éveillé après le même mouvement de relaxation : « Elle se voit seule, elle cherche à réussir, elle n’y arrive pas. » Elle explique, 139
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dans le premier rêve, le fait qu’il s’agisse d’un animal montre la difficulté d’existence personnelle. Quelques mois après, la peur d’exister se précise par la peur de perdre ses limites corporelles. Plus tard, dans la nuit qui précède sa séance, elle rêve, d’une femme qui cherche la limite entre le dedans et le dehors, elle réussit à contrôler cette limite par la relaxation, ce qui la rassure. Elle découvre qu’elle a une certaine difficulté entre ce qui est soi et ce qui n’est pas soi. Elle aborde ainsi le processus de différenciation, dans sa représentation. À partir de là, elle recherche dans le passé tous les processus de « différenciation ingérables » (ou impasses) auxquels elle a été confrontée : elle se situe dans la différenciation présent-passé.
L’impasse de la différence Le problème de la différence renvoie à l’imaginaire Autour de mouvements choisis ensemble de différenciation dedansdehors, elle s’exprime. « La nuit c’est aussi la différence et c’est l’espace où on rêve. Auparavant avec cet espace antérieur sans rêve, dans la nuit mon corps se dissout. Je suis contente de retrouver le rêve, car cela me donne de la limite, mais c’est aussi de la tension : un signal d’angoisse. Le problème pour moi, c’est qu’avoir de l’imaginaire c’est différent d’avant. Même en séance de relaxation, j’en ai de la tension avec l’imaginaire, lorsque mon pied ou ma main ne sont pas vus par moi dans la position réelle. Je peux même me transformer en un animal s’il se passe dans mon corps quelque chose qui est différent, et qui crée trop de tension. Si je suis un animal, je ne ressens plus rien, je suis autre. Je suis totalement autrement ».
Le problème de la différence renvoie à la sexualité Aussi, par la suite notre patiente aborde la sexualité avec un rêve où « elle se voit homme-femme avec un sexe rouge qui représente la différence et la sexualité problématique ». À la suite de ce rêve, elle parle du refoulement de la fonction de l’imaginaire traduit par elle par « perte de l’imagination ». Comme une sorte de contrôle de soi qui la fait s’enfermer, mais qui était pratique pour mettre la relation à distance par le réalisme, ce qui protège de la pensée 140
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sexualisée. Et ceci d’autant plus qu’elle est interdite par sa mère, qui veut qu’on n’aime qu’elle sans différenciation.
La différence renvoie à l’abandon « Ma mère était fille unique », relate maintenant Mlle V, « et ma grand-mère maternelle était une femme très malade, c’est ma mère qui la soignait. De ce fait, elle ne consacrait aucun temps à sa famille. Il y a 7 ans, mon grand-père est devenu paralysé. Ma mère alors a élu domicile dans un lieu différent chez ses parents, nous nous sommes sentis ici abandonnés. À ce moment, mes difficultés personnelles se sont précisées. C’est à cette époque que j’ai commencé à travailler dans une entreprise de communication. J’avais comme supérieur une femme charmante. Petit à petit je me suis mise à lui raconter tous mes ressentiments. Elle me comprenait, elle me remontait le moral, elle me donnait des solutions. Je me suis sentie épaulée par elle, ce que j’avais espéré et que je n’avais pas eu avec ma mère. Quand elle m’a signifié mon licenciement, tout s’est écroulé, pour un temps, je me suis sentie abandonnée, et puis, tout s’est effacé. L’effacement a porté sur l’affection et l’imagination du rêve. J’étais coupée de tout : de la relation et de mon être vivant : j’ai sombré dans la maladie. » Autour de cette situation de compréhension de l’impasse, cette dernière se dissout laissant émerger une activité de rêve qui se récupère par moments. Ce qui permet une amélioration symptomatique.
La différence renvoie au problème du père Cette découverte de la problématique paternelle s’effectue parallèlement à un travail de relaxation psychosomatique organisé personnellement par la patiente. D’après Mlle V, toute figure masculine fait référence au relationnel paternel ; étant donné la relation de proximité à l’image maternelle, sa présence met notre patiente dans une impasse qui se révèle être maintenant celle d’une difficulté corporelle liée aux limites Moi-non Moi. En fait l’image du père met une limite qu’elle refuse. Ceci se traduit par un rêve qu’elle écrit rapidement au réveil pour ne pas l’oublier. « Je suis face à mon père, mon corps a trop de limite et se défait, je n’ai plus de peau, je ne sais plus, je ne vois plus rien en rêve, je ne sais plus où on en est. » L’imaginaire du rêve, en tant que donnée qui se met à l’extérieur par le récit est englobé dans cette impasse. 141
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Plus tard en relaxation, la patiente rêve d’une image de femme qui ressemble à son père. « C’est inquiétant » dit-elle, « ceci se traduit à travers mon corps par de la tension que je ressens. Je ressens de l’agressivité contenue, je sens un mouvement agressif, contenu face à ce que représente pour moi mon père. En se mélangeant dans cette image c’est comme si j’étais poursuivie par l’homme. Poursuivie par l’homme », ajoute-t-elle « cela me rappelle mon enfance où mon père m’a poursuivie jusqu’à l’école pour me taper devant mes amis. C’est là qu’une situation impossible entre mon père et moi a du se déclarer. J’ai eu honte devant mes amis, j’ai eu très honte de mon père. Depuis, je me suis recroquevillée vers ma mère ». « Après cet incident j’ai commencé à avoir du mal à l’école, entre le masculin et le féminin, que je ne distinguais plus. Je me suis rangée à une relation d’obéissance à ma mère, c’est pour moi une personne idéalisée qui impose une certaine loi que je pense maintenant ne pas m’avoir été profitable. Cette loi pour obtenir ses faveurs tourne autour de l’interdiction d’une vie sexuelle, d’avoir une vie autonome, d’avoir une relation avec les hommes. Il ne faut plus avoir de corps, d’identité, d’imagination, de vie intérieure. La relation qui convient est basée sur le devoir et l’annulation de soi. Ce qui importe c’est d’être conforme à ce que ma mère attend de moi, la relation unique avec elle est à ce prix. Sinon c’est l’abandon. Aussi je pense maintenant, que la personne avec qui je travaillais, et qui m’a licenciée, je l’ai prise aussi pour une mère. En me faisant savoir personnellement que j’avais été choisie pour le licenciement, elle m’a abandonnée. Je me suis alors déprimée, car c’était tout ce que je craignais d’une mère. La peur d’être abandonnée devient réalité, la perte de cette femme a conduit à une situation psychobiologique très intense. C’est comme si cette partie de moi qui s’était livrée à une relation extérieure lui était à nouveau interdite et que la vie lui demandait de rester contenue définitivement dans la mère, en y laissant tout soi-même. Cela a conduit à la perte de l’espoir d’une vie autonome et à une recrudescence de l’obéissance en permanence dans laquelle je me sens maintenant enfermée. » La prise de conscience de cette autre partie de l’impasse autour du licenciement permet à cette dernière de se dissoudre, et de penser une autre issue pour sa vie : Mlle V a acheté depuis 4 ans un appartement pour elle. Pour se différencier de ses parents, elle va déménager. Autour de cette élaboration de la situation d’impasse un imaginaire régulier que le corps supporte par une meilleure harmonisation du rythme corporel (ou rythme contraction détente) permet une autre amélioration symptomatique.
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Le problème de la différence renvoie à l’opération Elle aborde finalement la maladie. Elle raconte un rêve effectué chez ses parents avant l’opération. Des pieds, des seins, comme on le voit chez des femmes africaines (ou vision de la différence) quelque chose de fractionné pour toujours. Pour l’opération, elle pense à une situation de différenciation traumatique. Cette situation s’élabore autour d’un rêve où elle voit une femme projetée en diapositive sur un mur à l’extérieur dans une différenciation dedansdehors. Il s’est passé quelque chose, des tâches sont restées sur son corps (ou cicatrices de l’opération). Après cette situation élaborative de l’impasse autour de la différence qui renvoie profondèment à soi, un processus de guérison de la pathologie organique porté par un rythme corporel harmonieux se révèle.
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Danièle Bosom
Quand dire permet de se tenir droit Adolescent de 16 ans encore en 5e, blond aux yeux bleus, Olivier traîne avec peine un corps épuisé. Sa naissance a été désirée par les deux parents, mais très vite le père se désintéresse de son fils. C’est ainsi, du moins, que le raconte Mme O. sur un rythme saccadé, mais avec un visage neutre, que l’a vécu et le vit Olivier. « Mon père, il s’occupe jamais de moi » articule-t-il d’une voix éteinte. Dès lors, M. O. s’implique dans des activités professionnelles qui le tiennent de plus en plus éloigné de sa famille. Quelques mois plus tard, une séparation temporaire est décidée d’un commun accord. « Pour réfléchir, pour que les choses se calment » explique sans montrer le moindre affect Mme O. pour qui néanmoins, l’indifférence de son mari, sa présence éphémère, étaient insupportables. M. O. qui viendra plus tard rencontrer la psychopédagogue aura, quant à lui, vécu la certitude d’une exclusion du couple mère-fils. Ni l’un, ni l’autre n’aura pu dire ni se dire, ni entendre ce que chacun vivait. Trois mois plus tard, le père revient. La vie du couple reprend et s’achève sur une séparation définitive. M. O. ne revoit pas son fils pendant quelques années, puis il se remarie et reprend contact. Les relations entre Olivier et sa belle-mère sont si conflictuelles que le père renonce à voir son fils. Olivier et sa mère vivent en province. « Olivier est de santé fragile » dit Mme O. du ton neutre de la simple constatation, sans pouvoir donner de détails, sans énumérer les maladies qui justifient ses dires. « Dès son entrée en maternelle, sa scolarité est dramatique », explique-t-elle avec agacement. En cours d’année, mère et fils 145
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déménagent pour aller dans un village où Olivier se retrouve au cours préparatoire dans une classe unique. Noyé, isolé, il n’entend plus rien et se réfugie dans un monde intérieur qui n’interpelle la maman que dans la mesure où ce retrait signe un échec scolaire. L’année suivante Olivier refait un cours préparatoire dans les mêmes conditions. La situation empire. Mme O. incrimine l’enseignant, la pédagogie, la classe unique et fait intervenir le rectorat. Elle revient dans la ville qu’elle a quittée et Olivier fait un 3e CP, sans être pris en charge, ni sur le plan personnel, ni sur le plan scolaire. À neuf ans, il est au CE1, sans savoir lire, avec un niveau si bas que la maman l’inscrit dans une école privée. Ne constatant aucune amélioration, Mme O. réinscrit Olivier dans l’école précédente où, au bénéfice de l’âge, il franchit les différentes étapes de l’école primaire. Souvent malade, il accumule angines et rhino-pharyngites sans pour autant rester à la maison, la maman supportant mal qu’on « se laisse aller, qu’on traîne, qu’on n’agisse pas ». Confrontée à l’inaction, Mme O. ne pourrait se défendre contre une dépression qu’elle s’emploie à effacer. Quelques années après son 2e mariage, le père d’Olivier se sépare de sa femme, reprend contact avec son fils, se marie une troisième fois, a un enfant et va vivre à l’étranger. Mme O. décide alors de déménager à Paris pour que son fils puisse, plus aisément, aller rendre visite à son père. Olivier est inscrit en internat dans une école à la pédagogie différente qu’il quitte au bout de 3 ans. Son niveau est apparemment inexistant, son âge atteint la limite de l’obligation scolaire. Mme O., alors, vient consulter au CMPP non pour demander une aide psychothérapique pour son fils, mais pour tenter de le faire admettre en classe d’adaptation, structure dont le CMPP assurait le recrutement et le suivi. Petite, vive, menue, d’un contact neutre, presque inexistant, comme si elle n’arrivait pas à établir une réelle communication, Mme O. parle rapidement, met en avant les problèmes scolaires, matériels, les déménagements, l’incompétence des enseignants, la paresse, la lenteur et la maladresse de son fils. Montée sur des ressorts, elle veut toujours aller plus vite. Pour où, pour quoi ? Au fil de ce discours, Olivier se tasse de plus en plus sur sa chaise et s’absente. Pas une fois il ne tente d’intervenir. Seul avec la psychopédagogue, Olivier montre une fatigue extrême devant la proposition de bilan, motif de sa venue. Ses yeux clairs sont soudain complètement délavés, il baille, n’écoute pas et se tient complètement voûté. Incapable de tenir un stylo, il se met à transpirer, à trembler et ne peut écrire un seul mot tant sur le plan graphique qu’orthographique. Les mots n’ont plus aucune signification. Il ne peut que transcrire, avec la plus grande maladresse, des sons sans aucun sens dans des graphèmes approximatifs. Incapable de verbaliser quoi que ce soit il ne répond qu’à minima aux sollicitations, 146
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n’exprimant aucun goût pour aucune activité. Il n’a envie de rien, ne pratique aucun sport non plus car dit-il « j’ai trop mal au dos ». Depuis quand ? « Longtemps », répond-il sur un ton de grande lassitude. Il a passé des radios qui ne révèlent aucune atteinte particulière. Cependant la plainte d’Olivier demeure. Il est pâle, voûté et triste et son corps donne l’impression de flotter dans un univers gris, sans désir, sans projet. Sait-il qui il est ? Au cours de la consultation un mythe égyptien s’impose à la psychopédagogue, celui d’Isis et Osiris à la fois à cause de cette impression d’inexistence que suscite l’apparence corporelle d’Olivier, parce que le mythe raconte non seulement la reconstruction du corps d’Osiris et la détermination d’Isis, mais également le cheminement d’Horus pour accéder au statut d’homme malgré l’absence de son père. Avant de lire le mythe lui-même, une évocation de la mythologie égyptienne s’impose. Olivier n’est pas en état de lire et il n’est pas davantage prêt à entendre réellement. Il est nécessaire de l’aider à investir l’espace de la psychopédagogie, la présence d’un adulte qui ne lui demande pas de prouver quoi que ce soit et l’accueille tel qu’il est, à ce moment précis de son évolution. Il accepte de venir, à condition que l’adulte lise. L’attitude d’Olivier au fil de la lecture est spectaculaire. Ce grand adolescent se couche sur le bureau, ses yeux se ferment à demi. Sa taille et sa stature s’effacent pour laisser place à un corps d’enfant prêt à s’endormir. Entend-il ce qui est lu ou est-il seulement bercé par la voix, holding sonore dans cet espace singulier où le tiers est représenté par le livre ? Et cependant au bout de quelques séances, lorsqu’il franchit le seuil du bureau, il sait prendre le livre et l’ouvrir, sinon à la bonne page du moins à la dernière illustration, non seulement vue mais retenue, en dépit des apparences. Olivier passe ainsi de nombreuses séances à l’abri dans son silence, entouré par la voix de l’adulte avant de manifester un désir. « On peut pas lire un peu moins ? C’est plus la peine de lire toute la séance, on peut parler aussi. » La lecture du mythe d’Isis et d’Osiris peut continuer d’autant qu’Isis montre une volonté, une détermination et un courage sans faille pour atteindre le but qu’elle s’est fixé : retrouver Osiris. Si la mort d’Osiris n’a provoqué aucune réaction chez Olivier, il n’en est pas de même ici. À l’issue de chacune des étapes de sa recherche, Isis croit atteindre son but, mais celui-ci est sans cesse différé. C’est alors qu’Olivier raconte : « Je peux jamais rien faire. Quand je commence quelque chose, ma mère trouve toujours que c’est mal fait, que je vais pas assez vite et elle le fait à ma place. Alors j’ai plus envie. Je suis nul. » Il ajoute qu’il doit participer aux tâches domestiques mais que là encore il ne reçoit « que des critiques, parce que c’est pas comme elle veut ». Sa voix est faible, son intonation montre son découragement et son corps s’effondre au fur et à mesure qu’il parle jusqu’à être couché sur le bureau. 147
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Plus tard, lorsqu’Isis continue son voyage Olivier raconte : « de toute façon je peux même pas bouger, pas regarder la télé et une fois que je suis dans ma chambre je peux plus sortir ». Pour avoir accès à une autre pièce de l’appartement, il est obligé de passer là où dort sa mère. Il ne peut la déranger. Alors il attend le lendemain et se bat avec ses insomnies, car il dort mal et ne rêve pas. Il se souvient des cauchemars qu’il faisait quand il était petit et que ses congénères lui parlaient de son père. En évoquant cela il ajoute « mon père, il m’aime pas. Il me prend pour un débile. Il me parle que du collège... Avec ma belle-mère... Bof... Çà va... De toute façon mon père préfère son autre fils, enfin mon demi-frère. C’est toujours moi qui me déplace, jamais lui. Pourquoi il vient jamais ? J’ai rien à lui dire, il me prend pour un débile ». En cours d’année, Mme O, trouvant son fils assez grand pour se prendre en charge, part en voyage. Olivier parle alors de sa mère « Elle peut pas rester en place. Il faut toujours qu’elle change de travail. » Épuisé, déprimé, comme écrasé, Olivier se plaint de son dos et raconte d’une voix pleine de lassitude l’itinéraire professionnel de sa mère : « Elle a été prof, mais elle a trouvé que c’était trop dur. Après, non avant je crois qu’elle travaillait dans la biologie. Et vous savez, elle a même travaillé avec un réparateur de piano. C’était bien. Là je pouvais aller dans le magasin. Je sais pas pourquoi elle s’est arrêtée. Et puis y’a un copain à elle qui lui a proposé de participer à... comment on dit ?... enfin ils ont conduit des voitures en Afrique. Comme après elle savait pas quoi faire, alors elle a travaillé dans un restaurant. Et maintenant elle part. Et vous savez avec qui ? Avec un copain... enfin un ami... et si çà va après ils vont vivre ensemble. C’est pas drôle. Je sais jamais ce qu’elle va faire, ni où elle va aller. Et même pendant quelque temps elle est allée vivre chez un cousin. Je sais même pas pourquoi. » Lorsqu’il reprend la lecture du mythe, il conclut « Isis, elle bouge moins que ma mère ! » Il est vrai que Mme O. quitte ses emplois très facilement, parce qu’elle trouve cela trop difficile ou tout simplement « parce que j’en ai assez » explique-t-elle, donnant ainsi l’impression qu’elle ne peut investir ni une profession, ni une relation sentimentale. Aucun métier ne l’attire ni ne la rebute. Et tous l’ennuient au bout d’un certain temps, comme l’ennuie toute relation sentimentale. Jamais maquillée, les cheveux coupés très courts, toujours en pantalon, elle donne l’image physique d’une adolescente à la fois dynamique et perdue, toujours dans l’agit, la fuite. Elle parle avec vivacité, ne sourit jamais et son allure androgyne étonne lorsqu’elle est à côté de son fils dont le visage a des contours vaguement féminins. Si Olivier cherche le regard de sa mère, celle-ci semble toujours être absente de la relation. Pendant l’absence de sa mère, Olivier sort de temps en temps avec des camarades du LEP où il travaille, mais il a du mal à se sentir 148
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bien dans ces rencontres extra-scolaires. « J’ai jamais eu d’amis. Je sais pas ce qu’il faut faire. » Plus tard il ajoute : « Dans votre histoire, Isis elle trouve toujours quelqu’un pour l’aider. Je me demande comment elle fait ! Vous savez, vous ? » Olivier n’a aucune autonomie et se laisse manipuler, utiliser, certain qu’on ne peut qu’accéder aux désirs des autres. Pour lui, répondre non est impensable. Cela signerait l’arrêt des relations. Coller à l’image que lui renvoient les autres est la seule issue pour exister. Mais au fil des séances et de la lecture d’Isis et d’Osiris, Olivier ose peu à peu ne pas toujours accéder aux demandes des autres... même si au début cela se traduit par de violents maux de dos qui cependant s’espacent. Mme O. revient, la vie reprend son cours, mais Olivier se montre moins docile aux injonctions maternelles. Lui qui se plaint d’avoir mal au dos demande à prendre des cours de conduite. Non pour conduire une voiture, mais une moto. Sa demande rencontre l’adhésion immédiate de sa mère à la grande surprise d’Olivier. L’itinéraire d’Isis ayant débouché sur l’utilisation d’un atlas, Olivier achète une carte de France et recherche un parcours à effectuer avec des copains, pendant les vacances. Quelques jours avant la fin de l’année scolaire, Olivier arrive, habillé en motard, casque de moto à la main. Ce que personne n’avait prévu, c’est l’arrivée d’un deuxième motard plus petit, habillé à l’identique. Mme O., sans rien en dire à son fils, a acheté une deuxième moto et annonce qu’elle va partir en vacance avec son fils. Devant la stupéfaction d’Olivier, elle ajoute « C’est pour te faire plaisir et t’aider. Tu n’arriveras pas à te débrouiller tout seul. À deux c’est mieux ! ». Oui, sauf qu’Olivier cherchant à devenir autonome, à avoir une activité qui le différencie de sa mère se trouve contraint d’être une fois encore dominé par elle car il n’en doute pas, elle sera plus à même de faire ce voyage que lui. Que fait-il alors ? Il a si mal au dos qu’il est obligé de porter une ceinture et veut renoncer au périple qu’il se promettait de faire, avant d’arriver à un compromis : quelques jours avec sa mère, puis avec ses amis. À la veille des vacances Olivier sait qu’il passe en classe supérieure sans l’intervention de sa mère et cela lui procure une immense satisfaction. « Comme çà mon père ne pourra plus dire que je suis un débile ! » Le mythe d’Isis et d’Osiris est toujours le fil conducteur du travail psychopédagogique. La naissance d’Horus, la peur que manifeste Isis à l’idée que Seth pourrait tenter d’éliminer son fils, amène Olivier à parler de jalousie, de compétition, de méchanceté. « il y a plein de copains méchants, je croyais qu’on était des amis, qu’ils m’aimaient bien. Mais c’est pas vrai. C’est parce que j’ai une moto. Alors ils en profitent. Il faut que je les raccompagne, ou que j’aille les chercher... Et j’ai mal au dos, moi. Ils se rendent pas compte ». Il prend surtout 149
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conscience de l’indifférence, du non-amour, de la solitude affective. Derrière cette constatation ou plus exactement cette prise de conscience perce une dépression latente et la recherche, toujours immense, de la relation. Horus est confié à la déesse Ouadjit afin de le mettre à l’abri de la vengeance de Seth. Cet enfant élevé par d’autres personnes que ses parents, cet enfant sans père présent fascine Olivier et revient souvent dans ses questionnements. En quête d’un père qui lui accorderait l’identité d’un fils et non d’un sujet non reconnu parce que non conforme au désir paternel, Olivier se demande comment il pourrait conquérir l’amour de cet absent dont le départ a créé un sentiment de vide, d’inexistence, un sentiment de rejet toujours d’actualité, une demande jamais comblée mais qu’il peut, maintenant, verbaliser sans se plaindre de douleurs physiques. Olivier a fait sur le plan scolaire de réels progrès, sauf encore en français qui reste sa matière faible. Il espère qu’avec sa réussite scolaire, il obtiendra la reconnaissance de son père et le statut d’un bientôt homme capable de trouver un métier, un « vrai métier », ajoute-t-il. À la suite d’une explication de l’orthographe d’un mot, il demande à la psychopdagogue de lui raconter l’histoire des mots. Des mots dont l’origine, l’évolution, les transformations, racontent une histoire cohérente quand Olivier, lui, n’a qu’une histoire éclatée dans laquelle les adultes ne sont jamais des repères sur lesquels s’appuyer pour se construire, contre lesquels se heurter pour être. Plus tard quand Horus et Seth se trouvent face à face et réclament l’un et l’autre la succession d’Osiris, Olivier est surpris, pour ne pas dire outré par la réaction d’Horus. Comment celui-ci peut-il refuser de se battre ? Serait-il lâche ? Olivier alors avoue qu’il déteste se battre et qu’on le prend pour un lâche. Sil est vrai qu’Olivier n’a guère de courage physique et se montre douillet, il est surtout évident qu’il ne sait pas se défendre verbalement et ne trouve aucun argument pour expliciter ses réactions, ses décisions dont, par ailleurs, il n’est pas toujours évident qu’il en connaisse l’origine, ni la certitude. C’est avec l’aide de la mythologie qu’il a pu parcourir cet itinéraire et trouver les mots pour se dire, pour s’imposer et ne plus se vivre comme « nul ». Olivier demande à son père de venir en France rencontrer la psychopédagogue. Et ceci se situe au moment où se terminent, à la fois, l’année scolaire et l’histoire d’Horus qui accède au trône grâce à l’intervention de son père Osiris. Olivier réussit ses examens et déploie une grande énergie pour trouver un stage qui lui permette d’avoir toutes les chances de trouver ensuite un emploi stable. La lecture du mythe d’Isis, les images à penser que cette activité lui a suggéré ont permis à Olivier de se construire peu à peu dans cette prise en charge qui lui a donné un espace propre, sécurisant et contenant à la fois. 150
3e Partie Les thérapeutiques en psychosomatique
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Psychothérapie de la relaxation
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Recherche en psychosomatique. Psychosomatique : nouvelles perspectives
Sylvie Cady
Relaxation psychosomatique La relaxation psychosomatique est une nouvelle forme de psychothérapie conçue à partir des deux aspects fondamentaux de la nature humaine, le psychique et le somatique, dans leur relation de complémentarité1. Elle est plus particulièrement centrée sur la problématique de la somatisation, et se réfère au système activité-passivité, moteur de toute évolution. Elle utilise les données de la psychosomatique avec sa référence à l’imaginaire. En effet, en ce sens, la relaxation n’est pas la recherche de la détente mais c’est d’abord comprendre pourquoi le sujet est tendu ou distendu, l’état de la relaxation est un but à atteindre à un moment de la relation affective et thérapeutique. Dans la relaxation, ce qui est différent de la psychothérapie classique, c’est l’abord de l’affect et de la relation où on peut jouer des situations du proche et du loin. Le face à face, la situation allongée peuvent être deux positions techniques pour la relation corporelle. Jouer des positions est important dans une dynamique représentative à construire, à partir de la prise de distance dans la relation. Aussi, la technique, en fonctionnant en tant qu’équivalent d’interprétation, peut aider le passage du corps imaginaire, à une structure affective plus représentative sur le plan du symbolique. Par ailleurs, ce qui est fondamental, c’est la place importante que je donne au phénomène de projection. Relationnellement, cette dynamique se met en acte dans une situation, où l’autre fonctionne en tant que double de soi. Ce qui est important pour moi, c’est de 1. Voir Sylvie Cady, La psychothérapie de la relaxation, une approche psychosomatique. Paris, Dunod, 1998.
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Recherche en psychosomatique
donner la possibilité de son émergence ou de la prendre en compte. Ce mouvement, qui vient du sujet, et va s’organiser vers le thérapeute, me paraît en effet un espace essentiel : c’est dans cette situation, qu’il pourra y avoir projection. Le sujet y est créateur d’une dynamique, le thérapeute surface projective. Dans ma technique de relaxation, je ne pratique pas l’induction. À part la première consigne, qui est donnée par la thérapeute, dès la deuxième séance, le vécu corporel du patient est inclus dans l’élaboration du mouvement, qui est créé ensemble. Si la création personnelle du patient n’est pas encore possible, on y introduit la possibilité de choix entre deux exercices. Le mouvement n’est pas figé ; le modifier et l’adapter à soi est aussi une possibilité. Le rythme corporel est une autre donnée essentielle de cette technique. La problématique du rythme corporel, en relaxation psychosomatique, consiste en une rythmicité tension-détente qui s’inclut dans une relation à l’autre. Ceci se dynamise dans d’autres rythmicités comme celle du sommeil. On remarque, en effet, chez beaucoup de sujets insomniaques, que le phénomène de disrythmie corporelle, qui accompagne leurs difficultés nocturnes, est capital. Certaines personnes, en particulier les personnalités dépourvues de potentialité imaginative, fonctionnent sur un rythme binaire : contraction-détente, dans l’instinctuel. Ce sont ceux-là aussi, qui se disent « tomber dans le sommeil ». L’espace d’endormissement n’existe pas, la détente sans maîtrise déclenche le sommeil. D’une manière générale, pour ces même patients, le rythme corporel fonctionne autour de cette bipolarité, contraction-détente, dans une activité d’expulsion qui donne l’impression que leur corps ne leur appartient pas totalement ! De ce fait, ils ne peuvent dire s’ils sont tendus ou détendus. Mais aussi, étant donné la grande proximité relationnelle de ces sujets, et la coupure dans laquelle ils sont face à la possibilité représentative, les problèmes de vie sont vécus dans une réponse directe du corps, qui se fait le plus souvent en tension. Pour se détendre, ils peuvent avoir recours à l’effort physique qui sera une activité d’épuisement. Dès que la fatigue physique se récupère, la tension inexpulsée réapparaît. Ici l’utilisation corporelle est technique, la relaxation doit en tenir compte. Il existe aussi une structuration de la représentation qui tient compte du réel et de l’imaginaire. L’image du corps émane de ces deux structurations. Aussi dans certains cas, l’image du corps peut être structurée à partir du visuel réel, ou dans d’autres cas, être également enrichie par l’impact de l’imaginaire. Le processus de différenciation est la structure de base pour sa construction. Chez certaines personnalités dépendantes, comme dans les fonctionnements où le 156
Psychosomatique : nouvelles perspectives
sujet est coupé de la potentialité imaginative, la structuration de l’image du corps répond à une organisation rationnelle, où l’autre fonctionne en tant qu’instance surmoïque, qui structure un corps fonctionnel, sans que son fondement ne soit vécu entièrement en profondeur. Le sujet, s’il est confronté à une difficulté de vie, s’y adapte, et organise quant à son corps un système adaptatif pour s’en sortir. La relaxation ne devra pas tomber dans le piège de cette adaptation. D’une tout autre manière, dans l’organisation d’un certain fonctionnement de la personnalité allergique2, toute la construction de l’image du corps se fera autour d’un relationnel, rivé à la relation maternelle, et déterminé par la puissance projective. L’allergique n’a pas de visage, il a le visage de la mère. Toute la structuration de son image corporelle tournera, de ce fait, autour de cette structuration miroir. La différence entre ces deux structurations de l’image du corps dans une relation de proximité, tourne autour de la potentialité imaginative. Aussi, toute thérapie, qui s’intéresse au corps, devra tenir compte de cette structuration. Dans tous les cas, le relationnel et la potentialité imaginative sont deux facteurs déterminants de la structuration de l’image corporelle. La relation est ce qui permet le lien entre l’imaginaire et la construction de l’image du corps. Finalement, toute intervention qui s’adresse à l’image corporelle et qui se réfère à une technique, comme parfois en relaxation, encourt le risque de faire adopter des normes au détriment de la subjectivité. Le danger est d’autant plus grand que le thérapeute est mis à la place d’un surmoi corporel. En général, il faut veiller à ce que les acquis thérapeutiques ne viennent pas renforcer le refoulement de l’imaginaire, mobilisant des pathologies organiques qui atteignent le corps réel, ou augmenter un afflux d’énergie fantasmatique, risquant de mettre en place des somatisations, qui atteignent le corps imaginaire. Nous allons illustrer nos propos, ici, à travers l’observation clinique d’un patient souffrant d’une rectocolite hémorragique. Les événements du passé de ce patient, âgé de trente-cinq ans, trouvent leur point d’ancrage dans l’expérience du divorce de ses parents, où le père, après une discussion violente avec sa mère, est parti brutalement de la maison. La trace de cette scène agressive, à une période où l’enfant se trouvait dans une situation œdipienne d’attirance maternelle, le conforte dans son « désir de meurtre du père ». Car tels étaient les rêves de cet enfant dans sa cinquième année. À cette époque, une élaboration fantasmatique de la pensée 2. Ceci ne recouvre qu’un seul cadre des fonctionnements de l’allergie réservé à l’asthme et l’eczéma.
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relate une culpabilité face au départ du père, culpabilité accrue, par le fait de l’attirance qu’il éprouve pour sa mère. Un phénomène qui recouvre la castration, trouve son sens dans une énurésie nocturne, qui durera jusqu’à quinze ans ; des éléments phobiques doivent être également signalés. De toute façon, notre patient refuse de voir son père, et il tiendra cette position jusqu’à l’âge de trente-quatre ans, où, lors d’un dîner préparatoire à son mariage, le père et le fils se retrouvent. D’après notre patient, ce repas fut difficile et décevant : de part et d’autre, une même agressivité, liée à l’expérience du divorce, enflamme les discussions. Pourtant, à l’issue du dîner, il propose à son père de le ramener chez lui en voiture ; là, un accident, dont la faute technique incombe à notre patient, provoque la mort du père. Il ne s’ensuit pas une dépression mais, par contre, dans la nuit qui suit l’accident, un rêve traumatique, identique à celui que l’enfant avait fait lors du divorce, surgit, empreint de la culpabilité de voir son vœu se réaliser. Ceci se traduit par une insomnie que notre patient compense par une aide médicamenteuse ; à la suite de cela (d’après le patient), l’activité de rêve disparaît. Le sujet tend même à s’effacer dans une dysrythmie hyperactive, où il n’a pas de temps pour lui. Un an plus tard, à la mort du grand-père, une rectocolite hémorragique se déclare. Elle est en relation avec l’impasse instinctuelle devant laquelle vient s’épuiser le travail de l’imaginaire, et ceci d’autant plus que notre patient est pris dans le piège de l’arrêt-maladie. Plus tard, dans la psychothérapie de relaxation, il décrira le passage qu’il effectue alors, sur le plan de la pensée : celui qui évolue d’un discours filtré d’images et de fantasmes, à un autre discours complètement plat, dans lequel il se trouve actuellement, où il se sent inadapté, à un récit de richesse imaginative. Parallèlement, l’organisation rythmique spatio-temporelle et corporelle montre un vide qui n’est plus investi (le relais est pris dans le fonctionnement surmoïque de l’extérieur ; l’activité professionnelle structure le temps, l’espace est organisé par un « système prothétique »). Or, c’est par le rythme que la relation se crée. Spécifiquement, au moment où le patient cesse de reprendre mon propre schéma rythmique corporel dans l’exercice que je lui propose (ceci est facilité par la technique au sein de laquelle le sujet peut reprendre à sa manière les mouvements énoncés par le thérapeute). La relation est une première étape pour l’imaginaire. Le rythme se trouve ainsi situé en tant qu’élément biologique de l’imaginaire, donnée inséparable du corporel. Malgré tout, dans la relation, l’impact du refoulement de l’imaginaire demeure : j’apparais comme une figure paternelle, objet du conflit de la difficulté d’élaboration de l’imaginaire. 158
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De ce fait, les exercices impliquant un jeu imaginatif se trouvent déjoués. Le sujet y disparaît, dans une subjectivité sans sujet, où les images qu’il crée ne lui donnent pas l’impression de lui appartenir. C’est ainsi que « l’avion qui va dans un paysage de rêve n’a pas de pilote ». Ceci lui donne une impression « d’avoir été et de n’être plus ». La problématique œdipienne, accrue par la mort du père, bloque l’élaboration de l’imaginaire ; à ce moment la symptomatologie n’a toujours pas régressé. Pourtant les mouvements que je propose à présent, et qui allient corps et imaginaire, ne semblent pas poser de problème ; mais, dans le discours explicatif du vécu de la relaxation, corporel et subjectif, sont sans aucun lien de réciprocité : d’une part, il imagine qu’il se dore au soleil, d’autre part, il se détend mécaniquement. Notre patient, crée là, une autre façon de mettre hors circuit le mouvement de potentialité imaginative retrouvé, la situation semble s’enliser. C’est pourquoi, en guise d’interpellation interprétative, j’utilise un mot que je sais être le propre du vocabulaire paternel3. Il se rappelle alors, l’extrême bien-être corporel, lié au départ du père, lors du divorce de ses parents et la peur que, de ce fait, il ne lui arrive quelque chose d’inquiétant. L’interprétation de cette situation œdipienne, la formulation de la consigne, tout ceci permet au fonctionnement tonico-moteur de décharge, de s’investir en un autre plus personnel, plus nuancé. L’espace et le temps s’incluent à nouveau en une personnalité, dont l’imaginaire est retrouvé, ce qui lui redonne un tout autre mouvement, empreint de subjectivité, et qu’un rythme corporel équilibre. Cette harmonie est due ensuite à un accord, entre le rythme personnel de notre patient et celui de son mode de vie. Plus tard, cette harmonie sera rendue possible par le retour plus stable d’une rythmique onirique liée à l’activité de rêve, qui reste encore dans une phase de construction. Parallèlement au retour de l’activité onirique, le patient parle de ses douleurs qui semblent s’apaiser. La médication peut alors être diminuée. Ce n’est que beaucoup plus tard, lorsque l’efficience de l’imaginaire aura acquis cette assise définitive, que la symptomatologie aura accès à une phase où la médication ne sera plus nécessaire. Les troubles somatiques renvoient donc au refoulement d’une fonction, celle de l’imaginaire, mais ce refoulement s’organise ici autour d’une difficulté traumatique. En premier lieu, la psychothérapie de relaxation renvoie au rythme pris dans le rapport créatif de l’imaginaire. 3. Ce mot fonctionne en tant qu’équivalent d’interprétation.
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Plus précisément, pour cette observation, l’utilisation du mouvement rythmé peut être considéré comme une donnée initiatrice, de l’imaginaire, car, c’est par le biais de toute une rythmique corporelle, qu’une première notion fantasmatique voit le jour, liée à la relation. Au départ, la rythmique corporelle est vécue comme une structure, figée par un désinvestissement personnel, où l’activité est une sorte de passivité. Or, dans la relaxation, la technique peut aller dans le sens de cette difficulté. C’est pourquoi, l’instauration d’une dynamique active est de la plus grande importance ; c’est elle qui est le moteur d’une élaboration rythmique personnelle, qui passe par la mise en place ou par le retour de l’activité imaginative. La psychothérapie de relaxation dans ce cadre renvoie spécifiquement à l’autorité et à la soumission du sujet. Cette structuration de la relation à l’autre n’est pas sans poser problème pour l’élaboration de la personnalité. En particulier, la base corporelle ne peut pas être construite ; le corps y est adapté, c’est-à-dire fonctionnel. On assiste alors à une organisation spatio-corporelle lacunaire, mais compensée par le placage de la connaissance adaptative. Pourtant, le travail de relaxation psychosomatique va prendre en compte cet espace et ce corps, aux repères plaqués de l’extérieur, sans possibilités fantasmatiques, pour les faire devenir existants, et ce dans une créativité subjective qui s’enracine dans l’imaginaire. C’est cette mouvance imaginative portée par le rythme corporel qui a une fonction biologique et qui interfère positivement sur le processus de somatisation. Une situation attachée au corps tendu explique la difficulté projective : elle est liée au fait que le patient se sent coupable, et qu’il craint qu’il ne lui arrive quelque chose d’inquiétant. Une problématique ancienne, qui renvoie à la castration, (un phénomène assimilable à l’œdipe), place le sujet dans cette dysharmonie corps réel-corps imaginaire. C’est une situation inconfortable, car elle ramène le patient à une non-efficience de la fonction de l’imaginaire, qui se répercute dans les domaines spatio-corporel. Car l’élaboration des données spatio-corporelles, qui engagent la problématique du narcissisme, vont de pair avec la fonction de l’activité fantasmatique, qui s’articule avec le réel. Ainsi, comme on l’a vu dans ce début d’observation, le mouvement retrouvé de potentialité imaginative ne peut améliorer le corps, ni le plan de la maladie organique. Ceci ne peut être fait qu’en articulation avec le réel. C’est cette double appartenance, médiatisée par l’unité du corps, qui entre en compte dans la somatisation. À partir de là, un travail thérapeutique se dynamise, il se trouve axé sur l’insertion du corps dans un processus imaginaire, responsable de la symptomatologie. Une attention sera portée à l’insertion de ce symptôme 160
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dans la dynamique de l’impasse. C’est cette donnée, qui doit être considérée comme responsable de tout le plan organique ; elle doit être prise en compte dans l’établissement des mouvements de relaxation. Initialement, tout tourne autour d’une possibilité de création imaginative qui ne doit pas tomber dans le piège de l’impasse. Ce nouvel abord de la relaxation trouve sa modalité à partir d’un mouvement conseillé, puis repris personnellement par le sujet et adapté par lui à sa personne propre. Pour le passage de l’organisation corporelle à celle de la représentation imaginaire, cette mouvance exploratrice et individualisée, qui fait appel à l’imaginaire corporel du patient et à son fonctionnement biologique, s’appuiera sur l’action relationnelle et affective. Elle se situera en face d’une interprétation qui tient compte du psychique et du somatique dans un lien de réciprocité entre le cors réel et le corps imaginaire. L’interprétation et l’utilisation d’équivalent d’interprétation, autour de l’élaboration de la situation d’impasse, reste le facteur dominant de la levée du refoulement de la fonction de l’imaginaire. C’est dans cette dynamique que cette psychothérapie de relaxation a évolué. Le tonus, en définitive, doit être considéré dans cette perspective où il supporte l’imaginaire et le détermine en tant que donnée essentielle de l’être humain.
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Recherche en psychosomatique. Psychosomatique : nouvelles perspectives
Anne Gatecel
Le relationnel en relaxation psychosomatique Notre propos va consister à montrer la spécificité de l’interprétation en relaxation psychosomatique. Ici, la relaxation est conçue comme une recherche sur le plan du corps, du tonus, incluse dans le fonctionnement de la personnalité du sujet. La consigne tient compte à la fois des données avancées dans l’anamnèse sur la problématique existentielle du sujet et les difficultés liées au corps (qu’il s’agisse de somatisations ou de tensions corporelles). L’observation clinique dont il va être question dans cette recherche, répond à la fois à des exigences liées à la technique de relaxation psychosomatique mais aussi à cette forme de somatisation complexe qu’est l’hypertension artérielle. En effet, avec cette pathologie, il paraît fondamental d’utiliser la technique comme cadre évitant ainsi toute poussée de tension pouvant avoir des effets dramatiques sur la santé de la patiente. Par ailleurs, l’originalité de ce travail consiste à prendre en compte le fonctionnement psychique de la patiente pour élaborer avec elle de nouvelles consignes de relaxation afin de pouvoir élaborer l’impasse de vie dans laquelle elle se trouve. Dans cette technique de relaxation il n’y a pas de structure formelle : chaque exercice se crée à deux. Nous ne relaterons pas la cure de relaxation dans sa totalité mais nous nous efforcerons de présenter l’approche spécifique de cette psychothérapie et plus particulièrement le style particulier de l’interprétation en relaxation psychosomatique ; celle-ci est transférentielle et rassemble les éléments du corporel et les éléments du psychique. 163
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Élisabeth, 55 ans vient consulter sur les conseils de son médecin homéopathe-acupuncteur qu’elle voit depuis le décès de son mari, il y a quatre ans. C’est à cette période qu’une hypertension artérielle se déclare. Après diverses démarches vers des psychothérapeutes de formation différente (en individuel mais aussi en groupe), elle choisit la relaxation comme abord thérapeutique (« il y a une relation entre mon corps et l’esprit » dit-elle). Au cours du premier entretien, elle dit : « je ressens un décalage entre ma tête et l’intérieur de mon corps ; en ce moment, j’ai une souffrance dans mon corps. Pendant une séance de sophrologie au travail je me suis vue comme un pantin désarticulé... c’est comme si je touchais quelque chose de très petit dans mon corps qui me donne un grand amour quand je suis bien et aussi une grande souffrance... ». Ce qui est intéressant d’emblée à entendre dans le discours d’Élisabeth c’est la présence du corps sous forme très imagée et ce sera pour le travail de relaxation un point d’appui très important pour l’élaboration des consignes. Par contre quand l’anamnèse sera abordée, la thérapeute va être noyée dans une logorrhée comme si la patiente ressentait la nécessité d’expulser de son corps son histoire mais en même temps nous pourrons nous rendre compte au cours des séances qu’il s’agit d’un discours sur son histoire mais pas de son histoire enracinée dans le corps.
Les premiers éléments recueillis Ses premiers souvenirs remontent à l’époque de ses trois-quatre ans : « on vivait à la campagne, c’était la guerre. On ne s’occupait pas trop de moi ... J’ai fait le rêve suivant, je criais quand j’étais bébé, personne ne m’entendait. Je me balançais pour m’endormir. On était dix huit à la maison ».
Liens avec la fratrie Elle est la septième enfant de la fratrie : elle a deux frères Gabriel et Guy dont elle ne peut pas se séparer. « Il lui arrive des trucs difficiles » dit-elle avec Gabriel. Élisabeth a alors entre 6 et 9 ans, Gabriel, lui a 13-14 ans : il est très intéressé par la sexualité. « Je suis son objet pour découvrir le corps des femmes. Tous les deux (Gabriel et Guy) ont des jeux sexuels avec moi et je ne dis rien. » 164
Psychosomatique : nouvelles perspectives
Événements marquants liés à la séparation - « Vers 5 ans, on quitte la campagne pour la ville de Bordeaux. Quand je vois mon père il me fait peur et la ville me paraît dangereuse ». - Son père part en Afrique, sa mère va le rejoindre et Élisabeth qui a alors 10 ans va en pension ; elle n’y reste qu’un an car elle ne supporte pas la séparation. Son père fait venir tous les enfants en Afrique. « Je retrouve la liberté de mes 4 ans. » La famille y restera deux ans. - Ils emménagent ensuite en Tunisie, sa mère ayant hérité d’une maison. Élisabeth a 15 ans, elle ne s’y plait pas : « Je me mets à grossir ». - Ils arrivent en région parisienne : « C’est l’horreur, il fait froid, tout est sordide : mes parents ne sont jamais là, je ne m’intègre pas à l’école ». À cette époque, Élisabeth fait sa première tentative de suicide .
Adolescence « Lorsque je connais mon premier amoureux, je retrouve une certaine liberté mais je ne travaille pas. » Ses parents l’inscrivent à un cours privé. Suite à un conflit avec un professeur, elle en sera exclue. Nouvelle formation en musique. Au moment de l’examen, elle se met à trembler et perd tous ses moyens. Elle pense à nouveau au suicide. On l’envoie alors au Maroc, chez l’un de ses frères aînés pendant un mois. À son retour, elle rencontre un homme sur une plage du Portugal « C’est le coup de foudre ». Mais cet homme est maladivement jaloux, il a des crises où il la bat. Quand il lui annonce qu’il va la quitter, Élisabeth fait à nouveau une tentative de suicide. Son compagnon lui promet alors le mariage et elle se retrouve enceinte. Quand elle rentre chez ses parents, sa mère le prend très mal « elle me jette ! ». Son compagnon revient la chercher. Bien quelle pense beaucoup à la mort, elle ne commettra pas d’acte suicidaire car elle tient à l’enfant : « Je sombre dans un trou noir, mais je tiens, je veux faire face. » Néanmoins, elle se sépare du père de l’enfant qu’elle attend et revient en France. À la naissance du bébé, Élisabeth décide de travailler et c’est la grand-mère maternelle qui s’occupera de lui. Plusieurs années plus tard, elle rencontre son futur mari. « Il a l’air gentil, je le vois pendant deux ans. Il est angoissé, il habite chez sa mère. Celle-ci ne veut pas que je le fréquente car j’ai un 165
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enfant. » Il pense alors à la quitter. Suite à cette décision, il tombe en dépression. Ils se retrouvent et se marient trois mois après. Le soir du mariage, il part à nouveau et se met à boire en cachette. Après un échec de cure de sevrage, Élisabeth va participer avec lui à des groupes Alcooliques Anonymes. Élisabeth aura trois enfants avec son mari. À 50 ans son mari tombe malade (cancer), il en décèdera 5 ans plus tard.
Somatisation chez la patiente Hypertension artérielle depuis le décès de son mari.
Comment vit-elle son corps ? « Je me sens grosse. » « Ma mère était très mince, elle ne supportait pas de me voir grossir. Elle me limitait et moi j’avais envie de tout éclater. »
Sommeil - Rêve Elle dort très bien la nuit : « plus ça va mal, plus je dors ». Elle rêve beaucoup : « c’est une aide pour moi, mes rêves parlent de ma vie, mais depuis quelques temps j’ai du mal à m’en rappeler ». À la lecture des données relevées au cours de l’anamnèse, nous pouvons noter l’histoire de vie de cette patiente riche sur le plan relationnel mais difficile du fait des nombreuses épreuves de séparation voire de perte auxquelles elle a dû se confronter. En relatant ces événements, la patiente en faisait le récit les yeux fermés, dans un monologue à débit très rapide. Pas de respiration mais des images très fortes associées à des affects qui rendaient la situation très lourde. La référence à l’imaginaire est constante et il sera fondamental pour la relaxatrice d’en tenir compte dans la formulation même des consignes. Dans les psychonévroses, le sujet a tendance à conduire la relation. La difficulté pour ce cadre consiste dans une harmonisation de la consigne entre la réalité et l’imaginaire. Il nous faudra éviter l’afflux imaginatif, qui risquerait de créer une impasse corporelle (notamment des poussées d’hypertension). 166
Psychosomatique : nouvelles perspectives
Première séance de relaxation La patiente choisit la position assise, face à la thérapeute, pour effectuer les premiers exercices de contraction-détente ; de cette façon, elle garde le contact visuel avec la relaxatrice. « J’arrête » dit-elle, très vite. « J’ai des tremblements au niveau des jambes au moment de l’extension du bras. Quand j’étire les bras vers l’avant j’ai peur comme si j’allais vers quelque chose de dangereux. Quand je relâche, je reviens vers moi et ça va mieux. » Face à cette manifestation d’angoisse, la relaxatrice propose de reprendre la consigne d’étirement - relâchement les deux bras et les deux jambes ensemble tout en gardant contact avec ses jambes (c’est-à-dire en posant ses mains sur ses genoux). En fait il s’agit à travers cette nouvelle consigne pour la patiente de retrouver une unité corporelle. Ainsi en reprenant le propre mouvement de la patiente l’angoisse cesse : « Il n’y a plus de tremblement » dit-elle. « C’était beaucoup mieux, j’avais l’impression de ramper comme un bébé, je vais à mon rythme. Ce mouvement là me fait me retrouver il y a très longtemps. C’est comme si j’étais revenue en moi alors que tout à l’heure j’étais désarticulée. » Dès cette première séance nous voyons comment la relaxatrice s’adapte au ressenti corporel de la patiente pour créer une consigne la plus pertinente possible, c’est ce que nous appelons un équivalent d’interprétation. Ainsi, dans cette technique de relaxation psychosomatique, à tout moment, le thérapeute et sa technique doivent avoir la capacité de s’adapter au sujet et à son fonctionnement imaginatif.
Deuxième séance de relaxation Élisabeth reprend par elle-même les consignes de la semaine passée mais la relaxatrice remarque que la patiente ne marque aucun temps d’arrêt, aucune respiration entre chaque temps de l’étirement. « C’est impossible pour moi de me lâcher aujourd’hui ; je me sens ligotée. L’autre jour il y avait du mouvement, mais là je suis raide, ça ne se délie pas. Je ressens mon corps comme une boule. » Pour dépasser la situation difficile abordée ici, le thérapeute invite la patiente à associer : « Dans ma vie actuelle, je me sens aussi ligotée. Ce mouvement me ramène à quand j’étais bébé. Je me cramponne à mes genoux ; 167
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je crois que je ne peux pas me lâcher : c’est là depuis toujours ... je me cramponne à moi car il y a personne sur qui m’appuyer. » Afin de dynamiser la relation transférentielle, la relaxatrice propose à la patiente d’effectuer un auto-massage. Elle commence par la tête au-dessus des sourcils et commente : « Le buste est froid. Je n’arrive pas à faire monter la chaleur plus haut que les genoux. Ma tête s’est allégée mais j’ai un truc bétonné qui va des épaules jusqu’aux genoux. Toute cette partie là est morte comme si j’avais 15 ans .»
Troisième séance de relaxation La thérapeute propose à la patiente de reprendre les consignes abordées aux séances précédentes. « Ça m’a coûté de faire l’auto-massage, je n’éprouve rien quand vous êtes là, toute seule c’est différent. » La patiente est invitée à associer : « À 10 ans, dans le pensionnat chez les sœurs, je voulais me baigner toute seule. J’ai senti un truc, comme si je faisais quelque chose de mal : j’ai pris peur et j’ai mis une chemise. » La thérapeute : à quoi vous fait penser ma présence ? « À ma mère, elle avait très peur du corps, elle ne touchait pas. » La thérapeute : quand je vous propose cette consigne, qu’est-ce qu’elle réveille en vous ? « Une peur de ma mère, des choses qu’elle pense que je fais mal. C’est très fort ce qu’elle envoie à travers son regard, c’est comme s’il était là, tout près. » Afin de poursuivre sur le chemin du recentrage par rapport à son propre corps, la thérapeute propose alors une consigne autour de l’enveloppe corporelle, pouvant différencier le dedans du dehors par exemple autour de la sensation de chaleur. « C’est moins coupé. Ça s’entrouvre au niveau du sexe. Je vois comme une petite porte qui pourrait s’ouvrir vers le sexe. »
Quatrième séance de relaxation « L’auto-massage est plus agréable comme si j’habitais maintenant mon corps. L’autre jour, ce souvenir du bain chez les sœurs m’est revenu quand j’étais dans mon bain. J’ai voulu aller contre ce 168
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regard, il fallait que je touche mon ventre. J’étais presque libre au niveau de mon sexe sans avoir envie de me masturber comme après le décès de mon mari »... « J’ai souvent mal dans le bas ventre. » La thérapeute : comme si vous étiez tiraillée entre l’envie d’être libre dans votre corps et l’impossibilité de le vivre.
Association de la patiente « Avec mon ami, sur le plan sexuel cela me plait mais je suis coincée, il faut que je sois dans le noir. Je m’autorise un peu plus ces derniers jours. »
Cinquième séance de relaxation Lors d’une séance de sophrologie au travail la patiente ressent une image « hyper négative » de son corps. « Je sentais mon corps affaissé - à gauche énorme - à droite un vide. » Elle a mal dans l’aine gauche depuis cette séance de sophrologie. En fait, au cours de cette séance de sophrologie, elle a eu la sensation très angoissante d’avoir un corps à nouveau désarticulé (cf. première séance). Mais le problème réside dans le fait qu’elle est repartie avec cette expérience inquiétante chez elle, provoquant ainsi une somatisation (douleur dans l’aine gauche). Alors que dans la cure de relaxation, il lui est proposé un travail personnel dans le but de retrouver une certaine harmonie et unité dans son corps, la séance de sophrologie en groupe provoque l’effet inverse. La thérapeute choisit alors de prendre en compte cette nouvelle donnée pour proposer une consigne qui s’inscrit à la fois dans une continuité du travail entrepris précédemment (auto-massage) avec une possibilité pour elle de masser une zone particulière de son choix, lui proposant ainsi une possibilité vers l’indépendance. « J’ai un truc fort qui se déclenche : j’appuie sur moi, j’ai un besoin d’appuyer sur moi, pas une partie plus qu’une autre. Quand je touche mon corps c’est moi : comme si je voulais réveiller quelque chose qui est loin mais ça me fait peur parce que je ne sais pas du tout où je vais. Il y a là comme une force intérieure, endormie. »
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Sixième séance de relaxation La patiente a été fatiguée par le mariage de sa fille : « je suis vidée ». Quand son ami vient, elle ne fait plus rien pour elle et elle se sent complètement dépendante de lui. Elle n’a pas pu retravailler la relaxation chez elle depuis trois semaines « il y a quelque chose de cassé ». La thérapeute lui propose de reprendre les consignes des autres séances pour se retrouver. Elle a du mal à s’en rappeler, elle a besoin de s’appuyer sur la relaxatrice comme un « modèle ». « J’ai une image de mon corps avec rien dedans comme une écorce vide »... « J’ai envie d’être là (et elle pose ses mains sur sa poitrine) - ma respiration, elle est là, très, très petite et très loin je ne peux pas la faire devenir plus ample. Je respire mais c’est juste pour survivre. Je ne respire pas en vrai. » Pour reprendre l’idée de respiration, la thérapeute propose alors à la patiente de situer un point de son corps d’où partirait sa respiration puis de faire parcourir lors de l’inspiration la distance entre ce point jusqu’aux épaules et de revenir à ce point en expirant. La thérapeute : qu’avez-vous ressenti ? « Avant, je voyais ma respiration comme si ce n’était pas moi. Maintenant la respiration remonte. À force de remonter ça me fait une grande peine mais je ne sais pas d’où ça vient. Quelque chose a besoin de sortir. »
Septième séance de relaxation La patiente choisit de poursuivre cette recherche autour de la respiration. « Le point de départ de ma respiration, je le situerai dans mon ventre mais je suis en contrariété là (elle montre son ventre). Ça se soulève là (plexus), ça empêche. »
Association libre de la patiente « C’est peut-être pour ça que j’ai mal au ventre en ce moment, je ne me sens pas libre avec moi. »
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Psychosomatique : nouvelles perspectives
Huitième séance de relaxation « À l’intérieur de moi, il y a quelque chose de bloqué. L’intérieur est fermé, l’extérieur est ouvert. Il y a un grand espace entre l’intérieur et l’extérieur » (elle le traduit en geste). La thérapeute : est-ce que selon vous cette chose à l’intérieur de vous peut franchir cet espace que vous venez de décrire ? La patiente en fermant les yeux essaie de faire rejoindre ses deux mains en essayant de réduire l’espace évoqué plus haut. « Je le fais en même temps que vous me le dites, c’est comme si maintenant ça c’était rejoint. » La patiente ayant pu recréer une unité corporelle la thérapeute lui propose d’affiner cette construction en imaginant une enveloppe corporelle, différenciant le dedans du dehors. « Maintenant, quelque chose s’est refermé, ça me rend plus tranquille, c’est comme si j’apprenais à aller et venir sans me sentir coupée (traduction gestuelle). Je peux me transporter. J’ai l’impression d’être une. » La thérapeute : sentez-vous encore ce dédoublement que vous traduisiez précédemment ? « Non, Je me sens très très bien. »
Si nous avons décidé d’arrêter là ce récit clinique qui ne concerne en fait que le début du travail thérapeutique c’est plus pour des raisons didactiques. En effet ce qui nous apparaît très riche dans cette expérience c’est le va et vient incessant entre le ressenti corporel de la patiente, l’imaginaire qui y est associé et la formulation des consignes. La relaxation psychosomatique est réellement une forme de psychothérapie à soubassement corporel. Le rythme corporel réharmonisé sert de support à cette activité imaginaire. La consigne ne cherche pas à faire disparaître le symptôme somatique, ici l’hypertension artérielle, elle tient compte à la fois de la problématique de la personne et de ce qui est énoncé à chaque séance. Elle fonctionne comme un équivalent d’interprétation ; ainsi, nous prenons moins de risque face à la somatisation. L’afflux imaginatif pourrait à nouveau créer une impasse corporelle ; la consigne alliant corps réel - corps imaginaire permet à la patiente de se recentrer et de retrouver ainsi une unité corporelle. Le transfert est le moteur de cette situation thérapeutique.
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Conclusion La relaxation est une réelle psychothérapie où il est question d’un espace de rencontre entre un thérapeute et un patient, qui implique le corps. Elle amène des notions nouvelles où chaque sujet se découvre, vivant dans son corps un transfert, à travers la particularité de sa propre histoire.
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Manuel Cajal
Absence de résidence et pratique du songe Relaxation, relation, représentation
Lorsque je reçois Camille au dispensaire, j’ai en face de moi une femme d’une trentaine d’années, très bien habillée, très timide et très tendue. Elle me dit qu’elle est en analyse avec un psychiatre qui lui rembourse les actes, mais qu’ils tournent en rond tous les deux et que « cela n’avance pas ». Le médecin souhaite qu’elle fasse de la relaxation. Camille ne sent pas la finalité de ce projet. Elle me dit cependant qu’elle se détend en faisant du footing durant une heure et que dans ses rêves n’apparaissent que des bras. Elle dit très peu de choses de son histoire : son père travaille le jour et dort la nuit, sa mère a toujours été violente avec elle. Elle ajoute que son analyste, lorsqu’elle est allongée sur le divan, ne parle pas et qu’elle se retourne alors pour « regarder s’il est là et retrouver son visage réel ». Le corps de Camille, en dehors de ses bras, est coupé d’elle dans l’imaginaire. Par ailleurs, Camille me semble être dans une impasse relationnelle avec ses parents. Avec l’analyste, elle se retourne pour le chercher des yeux. Elle est hypertonique et n’arrive à se détendre que par épuisement dans le footing. Je pense alors qu’un travail en relaxation psychosomatique lui serait bénéfique, l’affect devant trouver sa place en tant que relation à l’autre qui passe par le corps, l’imaginaire et la langue maternelle1. 1. Ceci renvoie au travail de Sami-Ali, notamment : Le rêve et l’affect. Une théorie du somatique, Paris, Dunod, 1997.
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Je propose à Camille de rester dans le champ de son regard pendant qu’elle est allongée sur le tapis de relaxation. Je lui propose également le choix entre deux exercices rythmiques prenant appui sur le footing qu’elle apprécie. Elle aménage l’un d’entre eux et me demande des couvertures pour s’y envelopper. Enfant, elle s’endormait dans des couvertures, près du radiateur, elle dormait « jusqu’à en étouffer ». J’observe que, durant les mouvements qu’elle choisit de faire, elle me regarde souvent et qu’elle me fait répéter lorsque j’ai parlé et qu’elle ne m’a pas regardé. Comme je travaille aussi dans un centre de soins avec des enfants sourds, je pense à une surdité dont elle ne me dirait rien. Regarde-t-elle seulement mon visage ou lit-elle aussi sur mes lèvres ? Je choisis, lorsque je lui parle, de lisser mes moustaches pour dégager mes lèvres, en lui montrant bien mes gestes. Je fais ces mêmes gestes lorsque je parle et signe2 avec des enfants ou des adultes sourds qui lisent sur mes lèvres. J’introduis cela sous forme de jeu lorsque Camille me dit qu’elle ne m’a pas compris. Camille me dit, après les exercices, que, face aux coups de sa mère, son corps « est un bouclier (qu’elle) lui laissait pour partir dans l’imaginaire. (Son) corps est coupé (d’elle)-même ». Elle ajoute qu’elle n’existe pourtant que collée à sa mère et qu’elle ne peut supporter un regard positif posé sur elle. Camille s’approprie un travail corporel en choisissant, entre deux exercices, la manière de l’exécuter et son rythme. Cela aboutit à mettre au jour l’impasse relationnelle à l’origine du refoulement de l’imaginaire. Camille a intériorisé l’image d’une mère violente et surmoïque, elle-même dans une impasse relationnelle, dont elle ne peut se détacher. Sa tension corporelle lui permet de se défendre des coups et de se maintenir sans tomber face à cette situation de vide relationnel. L’analyse, ellemême, n’est-elle pas prise dans cette impasse ? Les exercices sur le rythme corporel, en renvoyant au holding décrit par Winnicott3, font fonction d’équivalent d’interprétation et permettent à Camille de parler de sa relation à sa mère.
La surdité de Camille ou son bouclier contre le réel Camille finit aussi par me dire qu’elle est sourde. J’imagine une surdité légère car elle ne sait l’évaluer et ne veut pas d’examens médicaux (audiométries) et de contours (appareils auditifs 2. Signer correspond à l’utilisation de la langue des signes. 3. D.W. Winnicott. Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1975.
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constitués notamment d’un micro et d’un amplificateur) pour améliorer son champ auditif. Elle ajoute qu’elle ne veut pas faire répéter plusieurs fois celui qui parle, c’est pour cette raison, dit-elle, qu’elle préfère le face à face dans la relation. Enfin, elle ajoute qu’elle désire ne pas être allongée, sans me dire pourquoi. Nous envisageons alors un travail de relaxation, en face à face, assis ou debout. Elle me dit aussi qu’elle commence à faire de petits progrès sans me dire lesquels, ce que je respecte, mais qu’elle confond sa droite et sa gauche. Elle est incapable de se repérer dans l’espace sans utiliser sa montre comme repère de la gauche. Elle rit lorsque je lisse mes moustaches avant nos échanges. Je souligne, par ailleurs, tout ce que je dis verbalement par une gestuelle importante ainsi que par le mime, les attitudes, des changements de positions, et cela la fait rire. Elle ne veut pas entendre parler de contours ni de langue des signes. Nous travaillons sur la comparaison de positions ce qui est à la fois en lien avec le corps impliqué dans la circulation de l’affect, d’une part, et d’autre part avec la question de la différence que Camille introduit par la latéralité et par ses choix : ne pas être allongée, être en face à face. Je pense que Camille n’avait d’autre visage que celui de sa mère et qu’elle n’avait pas eu d’angoisse à huit mois4,5. Porter des contours la renvoyait à prendre un visage différent de celui de sa mère et à ne plus exister, car elle perdait le corps de sa mère et ne s’était pas approprié le sien par la projection sensorielle et motrice6. Cela lui permettait aussi de partir dans l’imaginaire, le « bouclier » de son corps recevant les coups, et de ne pas entendre sa mère surmoïque. Elle me parle alors de sa mère et je découvre que cette dernière, également, ne s’est pas approprié son corps. La mère de Camille est par ailleurs diabétique et boulimique, elle était ellemême sous la dépendance d’une mère qui lui dictait tout de sa vie, y compris sa vie amoureuse, la sexualité étant un devoir à la fois et une fatalité. La mère de Camille disait n’avoir rien à dire à cela. Camille n’a pu investir un corps dans une relation toujours basée sur l’autorité, le surmoi corporel7, où le corps était absent comme base de représentation dans la circulation de l’affect. C’est notre travail qui permet à présent à Camille de prendre du recul sur sa relation à sa mère et la relation de sa mère à sa propre mère. Camille ajoute qu’elle a mal au ventre à chaque fois qu’elle vient me voir. 4. R. Spitz. De la naissance à la parole, traduction française, Paris, PUF, 1968. 5. Sami-Ali, Corps réel, corps imaginaire, Paris, Dunod, 1977, 1re édition. 6. Pour cette notion, lire Sami-Ali : De la projection. Une étude psychanalytique, Paris, Dunod, 1986 ; Le corps, l’espace et le temps, Paris, Dunod, 1998 ; L’impasse dans la psychose et l’allergie, Paris, Dunod, 2001. 7. Pour cette notion, lire Sami-Ali, Corps réel, corps imaginaire, Paris, Dunod, 1998.
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J’apprends aussi que Camille restaure des tableaux qui la font rêver et qu’à huit mois elle était tombée malade. La question de l’élaboration de la différence ne l’a-t-elle pas mise dans une impasse avec une réaction somatique ? Je pense que la surdité de Camille a pu s’établir sur un terrain allergique8 mettant en évidence le non-investissement de son corps et l’impossibilité à penser le tiers9-11. La différence est incarnée par la somatisation à défaut d’être rêvée et représentée. Camille me dit qu’avec le dessin « (elle est) bien, (elle est) dedans, il n’y a pas de dehors ».
Vers le réinvestissement de son corps Camille me rapporte deux rêves, les deux séances suivantes. Dans le premier, elle voit une vieille femme, vide et desséchée. Elle dit que c’est sa mère sans amour. Dans le second, le thérapeute fait bloc avec ses bras pour la protéger et elle essaye de marcher seule, mais elle a peur et tout son corps se vide. Le thérapeute a donc pris une place de mère protectrice, Camille peut s’y identifier par le rêve, collée à lui. Elle n’est plus vide et desséchée, bien qu’ambivalente à son égard (mal de ventre). Elle me dit qu’en relaxation il y a le corps du thérapeute, alors qu’en analyse « le corps du thérapeute est mort ». Quand Camille sort des séances de relaxation, elle va s’acheter des vêtements, me rapportet-elle. Elle me dit qu’elle « accepte un regard positif s’il n’est pas contredit par le comportement et la manière d’être ». Je sens qu’elle prend en compte le corps de l’autre comme représentant les affects et confirmant le discours verbal. Il y a un déplacement de notre relation vers l’extérieur et vers l’autre. Comme je souligne tout ce que je dis avec mes gestes, mes attitudes, mon comportement, le mime, sans utiliser la langue des signes que je connais, mais que Camille refuse, je tiens compte de toute sa potentialité relationnelle. Sa vision (très investie chez les sourds) était investie dans la restauration de tableaux qui lui permettaient de rentrer dedans, dans l’imaginaire et d’annuler le dehors. Camille aime les peintures représentant des vierges, mères idéales. Notre travail lui permet de 8. M. Cajal, Le corps relationnel», Revue Santé Mentale no 57, pp. 53-55, avril 2001, Acte Presse, Paris. 9. Sami-Ali, Le visuel et le tactile, essai sur la psychose et l’allergie, Paris, Dunod, 1984. 10. J.-M. Gauthier, L’enfant malade de sa peau, Paris, Dunod, 1993. 11. S. Cady, L’enfant allergique, Paris, Dunod, 2000.
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réinvestir la vision dans la relation à une mère disponible, porteuse et protectrice dont le corps est le siège des représentations, puis vers les autres. Le thérapeute, par le biais de la relaxation, lui permet d’élaborer des représentations mentales. Camille réinvestit la vision vers les autres. Le dialogue, créé par le thérapeute à même son corps et entendu par Camille, se situe dans le registre d’une langue maternelle antérieure à toute langue sociale ou nationale (y compris la langue des signes). Le corps est à la base de la première relation entre la mère et l’enfant. Il est à la base de toutes les représentations. La relaxation va permettre de mettre au jour l’impasse suivante. Camille dit sa crainte de n’être qu’un corps pour les hommes. Dans sa famille, les hommes trouvaient les femmes bêtes et juste bonnes à être des objets sexuels. La relation aux hommes est équivalente de la relation à la mère, pour Camille, c’est à dire une relation identique où est reçue leur violence. La sexualité pour sa mère est aussi un équivalent de violence. De là vient son refus de la position couchée, dans la relaxation. Parallèlement, Camille dit qu’elle ne sait pas contrôler ses gestes et sa force musculaire. Nous orientons le travail de relaxation vers des consignes différenciant la contraction musculaire et engageant le corps dans ses différences (le poids d’un ou plusieurs membres dans des positions différentes, le tonus musculaire à droite, à gauche, etc.). Chaque consigne en relaxation est créée en fonction de la relation car elle est un équivalent d’interprétation. Camille propose elle-même des exercices qui demandent des variations de tension. Elle est actrice et se projette par sa motricité et sa sensorialité dans l’espace qu’elle crée ainsi. Elle investit le ressenti de son corps. Elle module au fil du temps cette tension ; cela est en lien direct avec l’espace de représentation, elle met au jour ce qui empêchait l’appropriation de son corps. Camille rapporte un rêve à la séance suivante : elle regarde un tableau d’annonciation et, alors qu’elle va tomber dans le tableau pour en faire partie, je suis derrière elle et je la retiens. Elle peut me représenter dans l’absence et, parallèlement à son ouverture dans les relations et à l’investissement de son corps, elle ne part plus dans l’imaginaire ouvert par les tableaux, elle peut se contenir et se retenir. Elle ne colle plus aux mères idéales représentées. La retenir, dans le rêve, met aussi en évidence que je ne la laisse pas tomber, que je la tiens. Je suis dans le holding, dans une relation maternante réelle qui lui permet de s’ouvrir à d’autres relations. Or, auparavant, il n’y avait pas de corps, pas de regard, dans la relation de Camille à son analyste, elle était coupée de lui, de son visage qu’elle ne pouvait alors faire sien. Cela la renvoyait à une mère qui était à la fois présente et absente, qui ne s’était pas approprié son corps, qui n’y avait inscrit, elle, que la violence. Camille y était 177
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collée par le bouclier de son corps et s’en détachait par son imaginaire. Dans les séances suivantes, elle me rapporte des rêves, notamment un où elle est en train de me soigner. Elle est dans une identification maternelle. Elle soigne et elle est soignée. Elle me dit que l’espace est le « lieu de la différence » et que je lui ai permis d’en prendre conscience. Elle s’inscrit à un cours de musique avec une femme pour apprendre à jouer d’un instrument à vent et maîtriser son souffle. Elle passe des examens audiométriques et porte des contours qui améliorent l’audition qu’elle investit à présent. Elle investit l’espace de séparation qui est né de la projection sensorielle (par le regard puis par l’audition) et motrice de son corps dans le mouvement vers un dehors. Camille ne pouvait créer un corps imaginaire par projection. Elle « partait » dans l’imaginaire des tableaux, collait aux corps des Saintes. Partir était un équivalent de ne pas quitter et d’annuler le dehors. Sans corps propre, la Sainte peinte dans les tableaux donnait une âme et un corps imaginaires perdus par Camille. Je songe au titre d’un livre de Franck André Jamme : Absence de résidence et pratique du songe12. Camille n’habitait pas son corps et collait aux mères idéales peintes pour rêver une relation idéale. La relaxation psychosomatique a libéré, pour Camille, la possibilité de construire un corps imaginaire dans une relation vraie passant d’abord par le corps. Son corps était dans le même carcan du surmoi corporel que celui de sa mère. La relaxation a permis de donner sens à la tension musculaire en mettant au jour ces impasses.
12. Franck André Jamme, Absence de résidence et pratique du songe, Paris, Granit, 1985 et Conques, bannières, feuilles sacrées chez les derniers des typographes, Thierry Bouchard et Marchand Ducel, à Losne, 1983.
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Isola Boulet
Relation et troubles sexuels Adrien a 34 ans quand nous nous rencontrons la première fois, en juin 1999. Svelte, une aisance naturelle, toujours très élégant, un visage ouvert et souriant, Adrien est assurément doté d’un physique avantageux. Il occupe un poste de responsabilité dans une banque. Il est marié et père de deux petites filles de cinq et deux ans. Il a rencontré Claude, sa futre épouse, à 18 ans. Ensemble ils ont eu leurs premières expériences sexuelles. Dès la fin de leurs études, à 23 ans, ils vivent en couple. À cette époque, Adrien, en quête d’un premier emploi, passe plusieurs entretiens d’embauche sans succès, à cause - lui dit-on de sa timidité et de son manque d’assurance, lui se sent « morcelé de l’intérieur ». Après en avoir parlé à sa mère, il décide de se faire aider et entreprend une psychothérapie. Celle-ci sera suivie d’une psychanalyse de neuf ans. Claude juge sa démarche coûteuse et superflue. Pour l’heure, Adrien vient me consulter pour un problème sexuel. Depuis sept mois, à la suite d’un conflit avec son épouse, il a noué une relation avec une collègue de travail, Cathy dont il est très épris. C’est elle qui attire son attention sur le fait qu’il est « bien trop rapide » et qui l’incite à aller voir un sexologue. Son rendez-vous, pris de longue date, il doit s’y rendre dans deux semaines. Il souhaite que son épouse l’accompagne bien qu’elle n’en considère pas la nécéssité. Le couple habite à proximité de la mère de Claude, elles se voient quotidiennement. Claude, enfant unique, à perdu son père très jeune. Sa mère, restée veuve, l’a élevée seule. Les parents d’Adrien, en retraite depuis deux ans, ont quitté la région 179
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parisienne, ils vivent maintenant dans le sud de la France. Sa mère a vécu une enfance cahotique. À cinq ans, elle a perdu sa mère. Ses grands-parents l’ont gardée deux ans, jusqu’à ce que son père se remarie et parte s’installer ailleurs, loin de la famille. La nouvelle épouse ne supporte pas la fillette. Son père la met en pension à huit ans et lui demande de quitter la maison dès qu’elle est en âge de travailler. Quant au père d’Adrien, il est sourd depuis sa prime enfance. Artisan menuisier, il a appris son métier aux Orphelins d’Auteuil. À bien des égards, Adrien admire sa mère. Il la décrit très énergique, menant tout de front. En plus de son travail de secrétaire de direction, elle s’occupe de la clientèle de son mari, tout en veillant à la bonne marche de la maison et sur la scolarité de son fils et de sa fille cadette. Cependant, il ajoute tristement : « Ma mère était trop présente, je lui laissais prendre ma place. Elle m’indiquait ce que je devais faire et je ne le faisais pas. Elle me grondait et c’était très douloureux. Je me sentais dévalorisé, anéanti. Je pleurais et pour vider mon chagrin je me disais qu’elle avait raison que j’étais un bon à rien... Pourtant j’aurais voulu être grand, faire seul, tandis que je me conduisais comme un enfant pour garder son attention et son amour... À tort ou à raison, je n’ai jamais été sûr que ma mère m’aimait pour moi... J’ai cherché l’attention de mon père, mais il est coupé de monde, les échanges avec lui sont difficiles. » On entend déjà l’existence d’un conflit précocément constitué dans une relation maternelle structurante mais emprisonnante. On peut supposer que sa mère confrontée très tôt à une succession de séparations déchirantes, souffre de laisser son enfant la quitter pour accèder à son indépendance. Sans en avoir conscience elle lui interdit d’être autonome tout en lui reprochant de ne pas l’être. Conflit insoluble, auquel Adrien réagit par des colères, mais qui le laisse « englué dans la dépendance » et l’indifférenciation. Son père trop absent et inaccessible n’a pas eu le rôle de tiers œdipien. Adrien est né cyanosé, étranglé par le codon ombilical. Une fois ranimé, pour le réchauffer il est mis sous une lampe, brulé au genou il en garde la cicatrice. Après sa naissance, des otites à répétition font craindre qu’il devienne sourd comme son père, il en fera jusqu’à douze ans et subira quarante incisions du tympan. Vers trois ou quatre ans, le médecin prescrit une cure thermale. Sa mère, contrainte par ses activités, confie son fils à une insitution spécialisée dans la prise en charge des enfants en cure. Séparé de sa mère durant un mois, Adrien, déjà insécurisé, vit l’abandon que le refoulement absorbe pour survivre à sa détresse. C’est en évoquant le souvenir de son désarroi durant une colonies de vacance - il devait avoir dix ou onze ans - qu’il relie les deux situations porteuses du même sentiment d’abandon. 180
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Sa mère attendait-elle son deuxième enfant lorqu’il s’est trouvé séparé d’elle à cet âge ? Adrien avait cinq ans à la naissance de sa sœur. Quoiqu’il en soit, ce bébé qui accapare sa mère, ravive sa peur d’être délaissé à nouveau. Jusqu’alors, turbulent et coléreux, Adrien devient un enfant sage, calme et soumis. Ses velléités rageuses d’indépendance lui font maintenant courir trop de risque d’être rejeté et définitivement abandonné par sa mère. Sa soumission correspond au renoncement de ses revendications d’autonomie qui, absorbées par un refoulement renforcé, le laisse cette fois dans une dépendance absolue. Ainsi, il reste maintenu dans une relation de double complémentaire. Mal différencié, il est sa mère tout en refusant de l’être, en quête de son individualité sans avoir les moyens d’y accèder. L’impossibilité d’exister dans la complémentarité comme dans la différence fait alterner la relation, elle passe de l’adhésion sans condition à un retrait défensif. Les difficultés sexuelles d’Adrien relèvent de cette problématique relationnelle, mais en-deça il y en a une autre : il a du mal à disposer librement de son corps et, a fortiori, de son sexe. Constitué de l’extérieur en coïncidence avec l’objet maternel, il n’a pas le sentiment de sa corporéité. C’est ce qu’il me donne à voir et à supposer lors de notre première rencontre. Ce jeune homme, à l’allure souple et dégagée que j’ai fait entrer dans mon bureau, perd toute son aisance et témoigne d’un évident mal être quand il est confronté à lui-même. Il se contient dans un tension extrême, les épaules relevées sur ses poings serrés en appui sur le divan, le cou étiré, le regard voilé comme égaré, il cherche ses mots et laisse ses phrases en suspend. Son attitude raide et empruntée, contraste singulièrement avec sa manière de parler et de se comporter qu’il présente de prime abord. Il me met sur la piste quand, me rapportant ses démarches psychothérapeutiques antérieures, il ajoute : « Je me sentais morcelé de l’intérieur. »
La relaxation, le matériel clinique et onirique Entre temps, Adrien est allé à son rendez-vous chez le sexologue. Son prognostic l’a rassuré, ses éjaculations précoces, ne sont pas irréversibles. Mises sur le compte du stress, il lui a conseillé de faire de la relaxation et prescrit un antidépresseur. Je profite de cette opportunité, pour proposer une relaxation selon l’approche de S. Cady. Après avoir expliqué la méthode, j’insiste sur l’importance des rêves et leur restitution. Adrien s’en étonne, lors de sa précédente 181
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démarche, son psychanalyste n’y prètait guère attention. Pourtant il se souvient de ses rêves. De fait, son matériel onirique va s’avèrer riche et abondant.
Identification du fonctionnement En l’occurrence, l’activité onirique et imaginaire est présente dans son fonctionnement. Il s’agit là d’un un fonctionnement psychonévrotique établi dans une relation maternelle conflictualisée. Le conflit pas encore résolu, fixe le fonctionnement au double maternel. Relation sujet-objet mal différenciée qui laisse en suspend la constitution d’une identité propre allant de pair avec l’état d’organisation de la réalité interne corporelle. Dans cette complémentarité relationnelle, le fonctionnement oscille entre angoisse et dépression. Proche, la relation empreinte de confusion génère l’angoisse persécutrice de l’envahissement qui pousse à l’éloignement, par un rejet défensif. Cependant, dans ce retrait, la relation risque de se perdre et porte un sentiment dépressif d’abandon et de culpabilité qui ramène à la confusion. Les troubles sexuels d’Adrien relèvent de cette problématique constituée dans la relation avec sa mère. C’est lui qui, dès notre première rencontre, les a associés. La pénétration réalise l’envahissement intolérable et fait surgir l’angoisse de disparaître : disparition de soi et/ou de l’autre. Émoi relationnel incontrôlable des sensations troublantes du désir qui, derechef annulé par le refoulement précipite l’acte et la détumescence. Il convient alors d’aborder son symptôme d’éjaculation précoce, non pas isolément, mais en l’intégrant à son fonctionnement relationnel conflictualisé l’empèchant d’accèder à sa différence. Conflit identitaire qui, généré par l’adhérence au double maternel, exclut la place du tiers œdipien. La relaxation, support corporel du fonctionnement relationnel, à travers la distinction du ressenti rythmé entre tension-détente, aménage l’organisation de la réalité interne qui contribue à la différenciation. Au fil des rêves, nous allons suivre sa démarche qui progressivement mène à la différencation dans l’avènement du père auquel il pourra s’identifier.
Débuts de la relation thérapeutique Adrien se souvient du rêve fait cette semaine, après notre premier entretien : - Mon épouse se livrait à un strip-tease provoquant, non pour me séduire, mais comme un défi, pour me montrer son corps. 182
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... « Depuis notre dispute, il y a sept mois, je n’éprouve plus rien pour Claude. Elle devait s’absenter plusieurs jours pour des raisons professionnelles et m’a imposé sa mère pour garder les enfants, comme si je n’en étais pas capable ! Je me suis senti rejeté, dévalorisé, réduit à rien : les mêmes sentiments que lorsque ma mère me faisait des reproches. C’est à la suite de ce conflit que je l’ai trompée avec Cathy. » Cathy est au centre de ses préoccupations, il ne s’est pas encore passé une séance sans qu’il parle d’elle. Si elle ne veut plus avoir de relations sexuelles avec lui, elle lui est très attachée et tient à son amitié. À travers elle, il analyse ses « réactions affectives qui, dit-il, me ramènent à ma mère ». Sur Cathy, maintenant, il fonde son sentiment d’existence. Si elle ne répond pas à ses attentes, il se sent abandonné, « dans un vide qui pourrait le happer ». Penser à la thérapie qu’il vient d’entreprendre, le réconforte. Nous commençons la relaxation. Il choisit d’être en face à face. J’indique l’exercice en le montrant : Étirement-relachement du bras et de la main, à droite puis à gauche, de même avec la jambe et le pied : « Vous faites ce mouvement autant de fois que vous le voulez, à votre rythme, il s’agit de le sentir. À la suite, vous interrogez votre ressenti corporel. » Cet exercice sera, le plus souvent, le premier temps de la relaxation. Il servira de base à d’autres élaborés dans la relation et selon les données du matériel apporté dans la séance. Lorsque le choix d’un mouvement en rapport avec une représentation lui sera laissé, Adrien reprendra cet exercice tension-détente rythmé par la respiration. Pour le moment, il découvre qu’il est en permanence contracté et incapable de se détendre, tandis qu’il est ému aux larmes. « Ma tristesse me renvoie à ma mère et à moi enfant : je me sentais prisonnier... Pour m’en sortir je coupais, j’étais ailleurs où elle n’existait plus, mais je me retrouvais tout seul et réduit à rien. Je ne ressentais plus rien et je n’existais plus... » Que ce soit avec ou sans sa mère, Adrien ne peut pas exister. Conséquence d’une confusion relationnelle qui, refléchie dans la réalité interne corporelle, correspond à l’impossibilité de différencier la tension de la détente. Il s’agit là d’un rythme corporel paradoxal, figé dans une tension tournée vers l’extérieur. Cependant, le choix répété du même exercice, inscrit dans la relation au thérapeute, va soutenir la permanence d’une image maternelle sécurisante et différenciatrice qui lui permet d’être et d’exister corporellement. C’est pourquoi, au fur et à mesure, le ressenti se précise : « Je sens la détente à l’extérieur de moi... Je ne ressens pas encore la détente, mais j’apprivoise l’existence de mes sensations... Je sens que 183
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je peux vibrer sans me perdre. Avant j’évacuais toutes mes émotions, je dressais un mur sur lequel elles rebondissaient... Je peux expérimenter la détente, mais je la ressens anormale. » Au terme d’une de ces séances, Adrien s’est assis, muet, visiblement attentif à ce qu’il vivait de l’intérieur. Longtemps, il restera ainsi, immobile, le regard fixé sur l’invisible, sans que j’ose intervenir pour suspendre la séance. Qu’a-t-il éprouvé ? Une vague... Un flux déferlant dans tout le corps, l’ouverture du verrou enserrant le plexus.
La différenciation fait ressurgir l’angoisse de l’abandon Ses rêves, dans un premier temps, renvoient au présent. Ils anticipent un possible changement, alors que Cathy et son épouse le délaissent. Par la suite, ils vont être reliés au passé, associés à des souvenirs faisant revivre des émois enfouis. Adolescent, il imaginait qu’il ne pouvait avoir de relation sentimentale avec une jeune fille que soigné par elle d’une blessure. Il se souvient qu’à cette époque, vers quinze ans, il a ressenti un craquement inquiétant dans la verge, alors qu’il urinait après une érection. « Depuis, poursuit-il, j’ai perdu le contrôle de mon sexe et de ma vessie... Renoncer à ma dépendance, affirmer ma virilité, mettait la relation avec ma mère en danger. » La relaxation pratiquée, méthode visant la personnalisation d’un rythme corporel et l’autonomie qu’elle suppose, autorise Adrien d’être plus présent à lui-même. Maintenant, ses rapports sexuels s’améliorent. Il découvre des sensations allant du pubis au prépuce. « Avant, dit-il, j’avais le sentiment que mon sexe ne m’appartenait pas. » Bien qu’il se juge encore trop rapide, il arrive à tenir plus longtemps en érection.
L’écartelante relation au tiers différenciateur Depuis quelques semaines, Adrien fait la relaxation allongé. Le mouvement tension-détente comporte un temps intermédiaire qui renvoie à soi et à son exitence propre. Ceci parallèlement à l’interposition du père entre sa mère et lui. Ses rêves posent problème de sa quête identitaire que la pensée onirique va élaborer. On ne peut en rapporter, içi, que quelques uns pour suivre comment Adrien apprivoise la relation œdipienne. - « Mon père m’appelle. Je quitte la maison pour aller dans celle d’à côté... J’y cherche de l’argent caché, je le vole, mais c’était des devises étrangères. 184
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- « Je suis à table avec un homme, je lui passe une assiette pleine mais il est en colère. Alors, je vais rejoindre ma mère à la cuisine, elle dit : “Va chercher ton père”. - « Dans le noir avec ma mère, je cherche un homme. Je le vois, lui prend le bras et m’en détourne. Ma mère m’a fait manquer mon but, je pense qu’elle peut se tromper. - « J’étais dans un funérarium pour des obsèques. Ni triste, ni gai, je mettais du temps à réaliser pourquoi j’étais là. - « Mon père était nu, il avait un sexe énorme. Étonné par ce décalage : alors j’en aurais un aussi ? Nous serions pareils ? - « Je me dirigeais vers un lieu éclairé, à la lumière je serais reconnu... J’échangeais une vieille pièce de monnaie contre une neuve. ... « J’ai le sentiment d’avoir enfilé un manteau à moi, d’avoir à l’intérieur un ballon dur sur lequel je marche, je peux le faire tourner, je ne ressens plus le vide. Serait-ce depuis que je fais exister mon père ? Il est souvent présent dans mes pensées. » - Le rêve catalyseur. « Sur un pont je vois une femme et un jeune enfant de 3 ou 4 ans. Un coup de vent précipite l’enfant dans l’eau et peu après sa mère. Je ne fais rien pour les secourir. Un homme vient les sauver. Je me sens coupable d’être resté passif. » Sur la berge le sauveteur me dit : « Maintenant, il y a une relation avec ceux que je viens de sauver, mais si vous restez sans rien faire, elle n’existe pas. » Lorsque le rêve trouve sa place au sein de la relation thérapeutique et ensuite dans le fonctionnement, on constate qu’au décours de la démarche, survient un scénario onirique qui récapitule le problème relationnel et va agir tel un catalyseur. Moment clé à partir duquel se déploie l’éventail des solutions. C’est à travers la pensée du rêve que le conflit relationnel s’élabore et trouve une issue favorable. Ce faisant et pour conclure, on laisse la parole à Adrien : « Je sens mon épaisseur et ma consistance. Je suis ancré en moi, je peux me détendre sans être englouti sous la vague. Quand je ne suis plus dans le besoin de l’autre, je ressens mon sexe présent, il m’appartient comme mon corps. Maintenant, je peux contrôler mes rapports sexuels et mes mictions. » Partant de là, sa problématique sexuelle se trouve résolue.
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Psychothérapie
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Recherche en psychosomatique. Psychosomatique : nouvelles perspectives
Michèle Chahbazian
Rythme et psychothérapie Le temps est une notion fondamentale qui mérite d’être approfondie quant à ses effets en psychothérapie. Le cadre temporel fixé par une séance renvoie à un temps objectif du dehors et du réel, alors que, dans la relation, toute la place est laissée à un temps subjectif que le consultant explore à son rythme propre, animé par son imaginaire. Cette approche s’inscrit dans une perspective linéaire du temps assez commune à notre époque et à notre société, et que nous retrouvons dans la plupart des systèmes de causalité scientifique, mais elle est certainement très partielle. Le temps n’est certes pas réductible à la linéarité. Le croire serait peut-être aussi trompeur que déduire, envoyant la ligne de l’horizon, que la zone géographique qui s’y trouve n’est qu’une droite. Perspective linéaire, donc, qui n’est qu’un pâle reflet de la question et qui en néglige toute la complexité. L’appréhension du monde semble bien plus riche, si nous envisageons plutôt un système de causalité circulaire, qui apporte une dimension de profondeur, en ayant le mérite d’allier de très anciennes réflexions métaphysiques, des positions philosophiques très actuelles et des découvertes physiques comme la théorie de la relativité. C’est dans cette direction que nous oriente aussi la recherche de M. Sami-Ali à propos de la psychosomatique. Or, appréhender le temps en terme de circularité conduit à donner une place centrale au rythme : rythme comme inscription du temps dans le corps, perceptible dans l’immédiateté de la relation et véritable « incorporation du temps ». Dans le rythme, il n’est pas seulement question de mots, d’expression du visage, de degré de tension, de décalage ou 189
Recherche en psychosomatique
d’adéquation entre parole, posture et mode d’expression, mais plutôt de la mélodie créée par la conjonction de tous ces éléments. Plus ou moins harmonieux, il constitue un véritable langage qui, en l’état actuel de nos connaissances, ne peut être perçu qu’à travers la relation. Relation où réceptivité, écoute et ouverture affective, à travers une rythmicité des échanges, permettent cette présence dans l’immédiateté, cet être-en-relation, qui n’est pas sans évoquer la recherche de certains thérapeutes phénoménologues. Il est question ici de ne pas se laisser émouvoir, mais de se laisser « mouvoir affectivement ». S’ émouvoir étant plus proche du registre de la compassion et de l’identification, avec une confusion de la place et du rythme de chacun, alors que se laisser mouvoir évoque l’image du roseau, qui suit la moindre courbure du vent, tout en restant à sa place. Concernant le rythme donc, c’est la relation qui va rendre possible une sorte de décodage intuitif : juxtaposition assez paradoxale, d’un code - formel et plutôt objectivable - à l’intuition si proche d’une subjectivité très informelle. Mais ce paradoxe n’est-il pas l’écho de celui dans lequel s’inscrit l’être humain, qui tente en permanence d’épanouir sa subjectivité et d’exister dans sa différence, en s’articulant le plus harmonieusement possible au rythme des autres et du monde. Aller vers cet équilibre est aussi le projet de la relation, qui, centrée sur le rêve, l’affect, le corps et le rythme corporel, deviendra thérapeutique à part entière, thérapeutique en soi. Cet écho rythmique chez le thérapeute en relation, pourrait évoquer ce qui en analyse, est englobé dans la part contre-transférentielle, mais l’ analyse présente ici le danger de venir parfois neutraliser un peu trop l’affect circulant dans la relation. En psychothérapie psychosomatique, circulation, rythme et mouvement s’articulent dans une recherche d’équilibre : tension qui s’oriente vers un équilibre passant par de la détente à l’intérieur, rythmique du thérapeute, relation transférentielle où l’alternance tensiondétente renvoie toujours au rythme. C’est la relation qui assure la fonction de réception de ce langage riche et complexe du rythme, dans une circularité des échanges. Les dimensions imaginaires, corporelles, spatiales et temporelles s’entrecroisent et rebondissent sans cesse, pour éviter l’écueil du clivage, si prompt à surgir dans notre pensée. La clinique illustre l’importance du rythme dans la relation, et lors du congrès du 17 mars 2001 à l’Unesco, consacré à « rythme et pathologie somatique » de nombreuses voies de recherche se sont présentées à nous, toujours à point de départ clinique et ouvrant un vaste champ d’exploration. 190
Psychosomatique : nouvelles perspectives
Dans notre pratique, nous observons combien le rythme de vie ou le rythme social peuvent, en faisant perdre au sujet en souffrance son rythme propre, venir serrer les nœuds de l’impasse. La recherche passionnante qu’effectue Sylvie Cady avec la relaxation psychosomatique illustre parfaitement comment un travail corporel au sein d’une relation thérapeutique peut, parallèlement aux événements de vie, permettre au patient, grâce à la récupération de son rythme corporel, de mobiliser les énergies et de dépasser l’impasse. Vécu d’impasse, bien entendu à saisir dans une perspective circulaire. La place du rythme me semble toujours fondamentale, et je vais évoquer en ce sens quelques domaines cliniques spécifiques. Dans les pathologies de l’enfant, d’abord, ou qu’il s’agisse de troubles alimentaires ou du sommeil, de somatisations plus ou moins graves, ou même de troubles d’allure psychotique, la relation à la mère est toujours questionnée. Bien souvent, se sont en fait des incompatibilités rythmiques qui sont en jeu et qui font le lit des impasses relationnelles précoces mère enfants. Nous sommes alors assez loin des notions de bonne ou de mauvaise mère. Si nous restons dans le domaine de l’analyse classique, une sorte d’inaptitude de la mère à communiquer avec son enfant va être mise en évidence, qui va probablement alimenter de toxiques sentiments d’incapacité et de culpabilité, n’améliorant donc en rien la relation en cause. Si, en revanche, nous pouvons introduire la dimension rythmique et y travailler, une ré-harmonisation pourra bien plus efficacement se produire. En temps que thérapeute d’adultes, je relève souvent l’impact de ces décalages rythmiques, ainsi que la profondeur de l’inscription du rythme dans l’individu. Mme A. Mme A., boulimique et dépressive depuis des années, souffre d’une problématique identitaire dans un fonctionnement allergique, avec une mère dont l’histoire familiale fait qu’elle ne peut tolérer la différence. Malheureusement, si la problématique identitaire est si aiguë c’est à cause de la relation maternelle précoce, où cette enfant, lente « comme son père » n’a pu être investie positivement. Aujourd’hui, après quelques tentatives infructueuses de psychothérapie, la dimension du rythme corporel qui est introduite permet enfin le changement. Mme B. Mme B. se trouve depuis bien longtemps dans un fonctionnement de maîtrise qui va aboutir à une somatisation hystérique résistante avec des douleurs thoraciques transfixiantes très régulièrement rythmées par le temps, puis à un état dépressif important. Une psychothérapie permet la ré-équilibration de son état en retrouvant un 191
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rythme corporel jusque-là très perturbé. Elle évoque alors, avec grand étonnement, une particularité de sa vie sexuelle : le seul moment de la journée où elle fait l’amour avec un grand désir intervient juste après le repas, à l’heure de la sieste. Plus tard, elle associe ce moment à un moment de détente dans l’enfance, le seul peut-être, dans cette famille très nombreuse, particulièrement organisée et efficace, ayant un rythme très cadré avec une heure et un jour spécifique à chaque activité, où les parents s’autorisaient après le repas un léger temps d’assoupissement. Un espace temporel avec la possibilité d’un rythme à soi, pour cette enfant sérieuse et attentive, qui habituellement, s’inscrivait toujours dans le temps parental. Il peut être précisé que dans ce cas comme dans le précédent, l’histoire maternelle ne laisse pas de place à la différence, avec comme conséquence, une absence d’« espace libre » pour instaurer son rythme propre. Nous abordons là les liens espace-temps qui nous entraînent encore dans l’exploration de la circularité, et qui seront approfondis dans d’autres recherches. Ces vignettes cliniques, quoique anecdotique, sont éloquentes : d’une part quant à la profondeur de l’inscription de la dimension rythmique à l’intérieur de l’individu, d’autre part quant à l’importance de l’introduction de ce rythme corporel dans la psychothérapie. Certaines techniques utilisant le travail corporel en articulation intime avec la relation sont dans ce sens très précieuses, même si elles ne sont pas toujours indispensables pour introduire le rythme corporel dans la thérapie. Il est un autre registre particulièrement préoccupant, où l’attention portée au rythme peut-être essentielle. Il s’agit des premières consultations ou de certaines consultations ponctuelles, pas toujours effectuée par des spécialistes, mais dont nous saurons parfois à posteriori qu’elles étaient des situations d’urgence. Des études ont montré en effet, qu’un grand nombre de passages à l’acte suicidaire avaient été précédés d’une demande, le plus souvent très mal exprimée et n’ayant donc pas permis d’ouverture. Ici se pose et de manière très aiguë, la question de la réceptivité au rythme. Souvent, et parfois dans les cas les plus graves, la souffrance est si intense qu’elle entrave sa verbalisation. Le rythme, comme l’attitude corporelle, parfois en opposition totale au discours, sont à prendre largement en compte. Parfois, la communication passant par le rythme restera dans le domaine du ressenti, ou du corporel tel quel, d’autres fois le thérapeute sera amené à s’exprimer, par une attitude, des gestes ou des paroles. L’attention portée au rythme, en participant à la qualité de la relation, peut permettre d’instaurer, parfois à travers un seul entretien, un espace relationnel en correspondance avec un espace interne 192
Psychosomatique : nouvelles perspectives
chez le consultant, avec un relâchement rythmique transitoire mais extrêmement salvateur, en lien au relâchement des termes de l’impasse, parfois si serrée qu’elle ne présentait plus d’issue possible.
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Recherche en psychosomatique. Psychosomatique : nouvelles perspectives
Hervé Boukhobza
Le corps relationnel Par corps relationnel il faut entendre le corps dans son ensemble, non seulement le corps propre, mais le corps doté de l’ensemble de ses facultés dont celles, primordiales, de ressentir et de réagir aux situations et aux êtres, dans les nombreux échanges et interactions dans lesquelles il est impliqué. Il s’agit dans cette communication de montrer entre autre comment, au travers d’exemples cliniques, la relation thérapeutique engage toute la problématique identitaire du sujet avec ce constat, essentiel pour le thème qui nous occupe, que le corps y est constamment et totalement engagé. D’où le terme de relationnel qui ne consiste pas à définir une catégorie ou une instance particulière mais à désigner une des caractéristiques fondamentales du corps, à savoir d’être en permanence inscrit dans la relation à l’autre. Le corps ne saurait être dissocié de l’être qui en est porteur. Ce qui pourrait paraître une évidence n’en est pas moins nécessaire à affirmer afin de se dégager de la dichotomie psyché soma et du même coup du terme de psychosomatique qui malgré une tentative de réunification n’en désigne pas moins l’opposition dont il est issu, faisant à de nombreux auteurs, dont Freud lui-même, se poser la question, et la formule est de lui, du « saut mystérieux du psychique dans le physique »1. L’héritage cartésien voulant que l’on sépare le corps de l’esprit est en effet encore très prégnant. Paradoxe s’il en fut pour un homme qui, au demeurant, utilisait notamment ses rêves pour alimenter ses 1. Voir par exemple un des premiers usages de cette expression dans L’homme aux rats, in : Cinq psychanalyses, Paris, PUF, p. 200 de la 8e édition.
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propres travaux : ceux-ci se nourrissaient de la substance même dont il faisait la critique, la supposant par endroits comme étant l’œuvre du malin génie. La pensée, elle-même mise en doute, ne pouvait dès lors échapper à une aspiration vertigineuse qu’à se soumettre à la croyance en Dieu, arbitre irrévocable dont la seule présence mettait fin au doute, définitivement. Du même coup, le fou que Descartes avait convoqué dès le début de la première méditation pour le mettre d’entrée de jeu entre parenthèses partageait le même destin que le sensé. On se souvient à ce propos de la célèbre controverse qui opposa Jacques Derrida à Michel Foucault sur cet épineux sujet, autour notamment de la fameuse interjection « Mais quoi, ce sont des fous ! » qui apparaît dès les premières lignes de cette première méditation. Pour le premier, c’est une simple figure de style qui est loin d’exclure le fou du Cogito, pour le second le fou en est exclu d’emblée. Lequel des deux a raison ? Je me risquerai à dire : aucun. Car il ne s’agit pas tant de savoir si l’opération du « je pense, donc je suis » échappe ou non au fou, s’il en est irrémédiablement exclu ou s’il y est, à la limite, inclus, que de reconnaître en la personne du fou la condition même d’existence du cogito. Car quoi de plus poignant et de plus révélateur que ces intervalles de lucidité douloureuse qui étreignent par instants le soi-disant insensé au cours desquels il a pleinement conscience de sa folie, même s’il ne peut y échapper, démontrant par là parfaitement l’énoncé de Sami-Ali selon lequel l’opération du cogito est prise elle-même dans une double relation d’inclusion et d’exclusion réciproque2. Mais si l’Occident retient Descartes pour avoir institué cette dichotomie au titre d’un dogme philosophique, force est de constater que cette séparation entre le corps et l’esprit lui est bien antérieure. Aristote en faisait un des principes fondateurs de sa philosophie, et bien avant encore, et surtout, la croyance religieuse l’a toujours affirmé comme une vérité première. La question posée n’en est pas moins en effet que celle de la séparation de l’âme et du corps, mais voilà à quoi conduit nécessairement la remise en question du terme de psychosomatique, si l’on veut se donner la peine de penser autrement le rapport de l’être au monde, selon un axe et une théorie relationnels. Il s’agit en effet de montrer comment le corps réagit en tant que corps relationnel dans une intrication permanente, dans le meilleur des cas, des deux instances communément désignées par corps réel et corps imaginaire lesquelles, également, ne constituent nullement des entités particulières mais renvoient aux diverses modalités 2. Sami-Ali. Le rêve et l’affect, Une théorie du somatique. Paris, Dunod, 1997, p. 22.
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Psychosomatique : nouvelles perspectives
d’expression du corps. Un des aspects de ce travail est de montrer que dans une large mesure ces deux instances sont étroitement intriquées dans ce qui est donné de l’expression corporelle et comment ces modalités d’expression, à géométrie variable, se révèlent notamment dans le cadre de la relation thérapeutique. Sami-Ali a depuis longtemps montré, en revisitant le concept d’hystérie, la variabilité symptomatique à l’œuvre chez le sujet névrotique, puis par constats successifs et par extension, chez le sujet allergique et psychotique. Un de ses cas princeps est sans conteste celui de Zeinab3, cette patiente atteinte de crises d’urticaires pour laquelle il s’était rendu compte que celles-ci s’amendaient dès que notamment le souvenir de l’activité onirique reprenait son cours, d’où la déduction, logique, de l’existence d’une corrélation négative entre projection et somatisation4, principe qu’on pouvait dès lors étendre à toute pathologie, qu’elle soit mentale ou somatique, l’histoire et le suivi des patients montrant que bien souvent il y a coexistence ou alternance des deux. Se définissait dès lors un fonctionnement de l’individu caractérisé par le plus ou moins grand refoulement de la fonction de l’imaginaire que la mise en perspective avec la ou les situations vécues par le sujet permettait de mieux en préciser l’occurrence et les modalités, aboutissant notamment à l’édification du concept d’impasse relationnelle, concept devenu central dans sa pensée. L’impasse peut se définir comme une situation conflictuelle sans issue dans laquelle le sujet est tenaillé entre deux termes contradictoires insolubles. Il ne peut choisir entre aucun de ces deux termes, chacun renvoyant à la perte de soi, quoi qu’on fasse, laquelle se joue par rapport à l’autre et notamment à la relation d’amour avec cet autre. Du coup, se perdre dans l’autre et n’être plus soi ou être soi au prix de la perte de l’autre sont autant de propositions inacceptables. Mais en dehors des grandes défaillances de la fonction de l’imaginaire qui laisse s’éclore des pathologies graves par défaillance concomitante du système immunitaire, tout un ensemble de manifestations pathologiques montrent une étroite intrication entre corps réel et corps imaginaire qu’il s’agit de mieux expliciter. Encore faut-il préciser deux points essentiels : primo il importe de ne pas confondre défaillance et carence dont le présupposé figerait le patient tout autant que le thérapeute dans un principe d’immobilisme, secundo même dans les pathologies graves, l’imaginaire, 3. Sami-Ali. Le visuel et le tactile, Essai sur la psychose et l’allergie. Paris, Dunod, 1984, pp. 89 sq. 4. Termes qu’il préfère aujourd’hui remplacer par objectivation et manifestations somatiques.
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fut-il réduit à sa plus simple expression, est plus ou moins toujours à l’œuvre, ce qui en permet, selon des modalités thérapeutiques précises, et selon divers degrés, la restauration, ouvrant au mieux la voie à de nouvelles perspectives et de nouveaux espoirs thérapeutiques, ou, dans les cas les plus désespérés, à la mise en place de ce que j’ai désigné comme un imaginaire de survie, améliorant jusqu’au bout et de façon sensible la qualité de vie. Nous allons dans un premier temps nous intéresser à l’instance corporelle dans l’identité afin de montrer qu’elle en est éminemment constitutive et qu’elle se situe dans un axe fondamentalement relationnel. Les implications de cet aspect sont nombreuses tant elles concernent les modalités thérapeutiques elles-mêmes, notamment toute la discussion entre transfert et relation, dont j’ai parlé plus longuement ailleurs et dont je ne ferai ici qu’en retracer certains aspects. Puis une place particulière sera faite au corps spéculaire. Celui-ci se constitue en effet par l’image projetée du corps propre, c’està-dire qu’il occupe constamment la place de l’autre auquel il est identifié. Ceci permettra de comprendre que le corps relationnel c’est aussi le corps de l’autre, telles que de nombreuses manifestations symptomatiques l’explicitent fort bien. Dans ce corps en souffrance au lieu de l’autre une histoire se noue que la relation thérapeutique est à même de pouvoir dénouer, en permettant notamment au patient d’établir des liens qu’il n’aura pas eu la possibilité d’établir auparavant, attendant leur heure, relationnelle si j’ose dire, pour se faire. Enfin il s’agira de mettre en évidence les intrications étroites entre corps réel et corps imaginaire, les passages de l’un à l’autre, leurs articulations, notamment celles médiatisées par le rêve. Ceci permettra d’illustrer la notion de mémoire corporelle qui à l’instar de tous les autres phénomènes mnésiques se réactive dans et par la relation thérapeutique. Je tiens toutefois à préciser que si pour la clarté de l’exposé j’ai dû nécessairement individualiser ces différents aspects, ils sont, en pratique, étroitement imbriqués.
L’instance corporelle dans l’identité Tout d’abord un mot sur le paradoxe. Ce principe que nous pouvons voir à l’œuvre dans des moments-clé de nos thérapies et dont je vous donnerai deux exemples tout à l’heure doit d’abord être considéré comme constitutif de l’être. Il s’énonce dans de nombreuses 198
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philosophies, dont les plus anciennes, comme notamment dans l’œuvre de Tchouang-tseu dont Sami-Ali nous a récemment rappelé la métaphore de l’art de dépecer un bœuf afin d’illustrer ce qu’il en est de l’art thérapeutique quand il s’agit de saisir ce qui est là, donné d’emblée mais non visible sans une certaine réceptivité, autre principe énoncé cette fois par le peintre Shitao. Tel que l’enseigne et le fait remarquer Tchouang-tseu, c’est en effet dans la passivité, l’immobilité la plus totale que l’activité de l’être est à son comble. Dans une tâche où, au contraire, l’individu est tout occupé, il y a peu de place pour autre chose, l’activité de pensée notamment est au plus bas5. Sami-Ali nous alerte sur la question à partir d’un texte tardif de Freud (1937), L’analyse avec fin et l’analyse sans fin6, où Freud, comparant les couples activité/passivité et masculin/féminin opposait d’une part les termes de chacun des couples et d’autre part reliait l’activité au masculin et la passivité au féminin, ce qui lui permettait d’associer dès lors, par exemple, la passivité masculine à l’homosexualité, et inversement. Ces schémas sont fortement ancrés dans la conscience collective, et il n’est pas jusqu’au psychanalyste le plus chevronné qui ne les considère aujourd’hui comme définitivement acquis. Ainsi « la protestation virile » chez l’homme comme la désignait Adler, ou « le refus de la féminité » comme préférait l’appeler Freud, expliquerait selon ce schéma la difficulté chez l’homme à accepter en quelque sorte de guérir et donc de mettre un terme à son analyse, c’est-à-dire de se soumettre à l’analyste. A contrario, le désir de pénis chez la femme expliquerait sa plus grande propension à terminer le traitement, bien que sans conviction, en vertu d’un principe inverse d’activité dans la cure7. Mais guérir dans ce cas équivaudrait à n’avoir pas résolu la problématique de l’envie du pénis, donc retour à la case départ, autre aporie théorique que Freud souligne d’ailleurs lui-même dans un des tous derniers passages de son texte. Il écrit en effet ceci : « Un transfert analogue [il comparait à ce qui se passe chez l’homme] ne peut pas s’instaurer à partir du désir de pénis chez la femme, par contre proviennent de cette source des accès de dépression grave née de la certitude intérieure que la cure analytique ne servira de rien et qu’aucune aide ne peut être apportée à la malade. On ne lui donnera pas tort si l’on sait que l’espoir 5. Voir : Jean-François Billeter, Leçons sur Tchouang-tseu, Paris, Éditions Allia, 2002, notamment p. 85 sq. 6. L’analyse avec fin et l’analyse sans fin, in Résultats, idées, problèmes, II, 1921-1938, Freud, Paris, PUF, 1985, p. 231 sq. 7. Ibid., p. 265 sq.
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d’acquérir malgré tout l’organe masculin, dont le manque est douloureusement ressenti, fut le motif le plus fort qui l’ait poussée à la cure8. » Il s’agit donc de proposer une autre manière d’approcher la clinique, non plus en opposant les contraires et en les transposant de façon homothétique selon le sexe, mais, selon les principes énoncés plus haut, en les lisant comme complémentaires et régis par le paradoxe, lequel combine les éléments plutôt qu’il ne les oppose. Ainsi, si ces termes dans le réel sont sous le sceau d’une apparente contradiction, la fonction de l’imaginaire qui est, rappelons-le, une des conditions même d’existence du sujet, les intègre sous une forme paradoxale pour en faire, selon diverses modalités combinatoires, des éléments éminemment constitutifs de l’identité du sujet. Deux exemples cliniques nous aideront à en saisir plus précisément le sens. Le premier exemple est celui d’une jeune femme atteinte de spondylarthrite ankylosante dont j’ai déjà exposé le cas dans un texte sur l’identité9 où je développais notamment le distinguo qui doit s’opérer entre transfert et relation et dont je dirai quelques mots ici. La problématique de cette jeune femme, âgée de trente ans au début d’une thérapie qui dura deux ans, était en substance qu’elle pensait ne pas être aimée parce qu’elle était une fille et qu’il lui fallait, aux yeux de sa mère notamment, être un garçon. Contradiction insoluble qui la conduisit à des problèmes d’identité majeurs au sein desquels émergea la pathologie auto-immune rhumatismale, laquelle apparut peu après sa séparation d’avec un militaire qu’elle fréquenta pendant trois ans et qui la quitta sans autre argument que le désir de poursuivre sa carrière. Deux rêves inauguraux expriment bien cette problématique identitaire. Les voici :
Premier rêve Elle rêve qu’elle s’occupe d’un bébé. Il est sur une table à langer, c’est un bébé magnifique, souriant, qui gazouille, et dont elle a la charge. Elle sait que ce n’est pas le sien, mais elle s’en occupe comme si c’était le sien, avec beaucoup de plaisir et d’amour, ditelle songeuse, d’abord souriante, puis se mettant à pleurer. Elle comprenait que c’était ce qui lui avait justement manqué, du moins était-ce son profond sentiment. Elle évoquait une scène d’amour pour un enfant, et cependant dans le rêve ce n’était pas le sien. 8. Ibid., p. 267-268. 9. Hervé Boukhobza. Impasse et relation thérapeutique. In : Identité et pschosomatique. Paris, EDK, 2003, p. 47-98.
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Deuxième rêve Elle est en compagnie de sa sœur, de sa tante, et de la petitefille de cette tante, autour d’une piscine où elles sont venues se détendre, elles sont en maillot de bain. Soudain, un enfant vient la prévenir que la petite fille est en train de se noyer, elle accourt et voit ce même enfant portant dans ses bras la petite fille qu’il avait sortie hors de l’eau. La patiente s’aperçoit alors qu’il ne s’agit plus de la petite fille, mais d’un garçon, un peu plus âgé. Mouvement de foule, on s’attroupe, les pompiers arrivent pour le réanimer. C’est alors que la scène se modifie, c’est sa mère que l’on ranime, en lui mettant deux électrodes avec lesquelles on lui fait un choc électrique, ce qui la réveille, ainsi que notre patiente qui sort du rêve. Elle pense que ces enfants sont au fond des images d’elle-même à différents stades, que la petite fille qui se noie est bien elle, que la transformation en garçon plus âgé pourrait signifier qu’elle a peut-être besoin d’être un garçon pour être aimée et que c’est ainsi qu’elle se doit d’apparaître à sa mère, qu’on avait sans doute souhaité, après la naissance de sa sœur aînée, avoir un garçon plutôt qu’une fille, dans ce milieu rural où un fils est toujours attendu car plus apte à prendre la relève de l’exploitation familiale. Elle est plus perplexe quant au fait que ce soit sa mère qui apparaisse en dernier à la place du garçon. Elle prend alors conscience que c’est comme si elle voulait que sa mère ne l’ait jamais vue fille, qu’elle ouvre les yeux pour constater qu’en fait, elle est un garçon. « Je voudrais qu’elle se réveille et qu’elle me voit comme elle voudrait que je sois », finira-t-elle par proposer, les larmes aux yeux. Toute la problématique est ainsi exposée d’emblée. Une relation d’amour à l’enfant est représentée, mais dont elle est à distance. Elle ne peut aimer qu’un enfant qui n’est pas le sien. Un autre rêve en miroir à celui-ci la montrera mère d’un enfant qui est bien le sien mais pour lequel elle n’éprouve aucun sentiment particulier. Impasse relationnelle s’il en fut. Ces deux rêves inauguraux sont des rêves programme, mais un programme régi en fonction des schémas relationnels qui gouvernent la patiente et dans lesquels est inclus le thérapeute dans un premier temps. Ce point a son importance puisqu’à s’en apercevoir, le thérapeute aura conscience de la nature de la demande du patient qui lui est adressée. Dans cet exemple notamment cela apparaît sous la forme des pompiers auxquels on peut identifier le thérapeute mais dont la tâche est justement de faire apparaître la patiente selon les schémas de son 201
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impasse, c’est-à-dire en garçon. C’est cela qu’il s’agit d’appeler le transfert. La relation thérapeutique gagne à se situer délibérément en dehors de ces schémas pour être précisément considérée comme thérapeutique. Il s’agit de ne pas se laisser enfermer dans ces schémas transférentiels sous peine de tourner en rond et de ne pouvoir alors permettre au patient de dissoudre les termes de son impasse. Le problème ainsi posé, nous pouvons comprendre alors la suite qui permit peu à peu à la patiente de se différencier. Pour comprendre un peu mieux ce qui va suivre, il est cependant nécessaire de préciser que la patiente fut atteinte de très bonne heure de problèmes visuels à type d’hypermétropie qui reflétaient sur le plan somatique sa problématique relationnelle, à savoir de ne pouvoir voir nettement que ce qui était éloigné, et inversement. C’est dans cette optique, dans tous les sens du terme, qu’on peut alors comprendre le rêve qui suit : Elle rêve qu’elle est enceinte, dans un champ. Devant elle se trouve une haie, et sa mère. Celle-ci lui apparaît plutôt floue et se tient à sa gauche, au même niveau que la haie. De l’autre côté de cette haie, un autre champ, étendu, et au loin une chaumière. Elle se voit franchir la haie en l’enjambant, et le fait le plus marquant est que de l’autre côté de la haie elle est avec son enfant qui n’est pas vraiment un bébé mais un enfant d’environ un an, brun, aux cheveux frisés. Elle est surprise par sa grosse tête, il est souriant, elle le voit de près. C’est la toute première fois qu’elle rêve qu’elle est enceinte. Elle ne comprend pas trop ce que ce rêve peut signifier. À la question : pourquoi un enfant brun aux cheveux frisés ? Elle me répond que c’est sans doute parce que c’est son idéal d’homme. Sa mère ne dit rien dans ce rêve, elle est là tout simplement. La haie est une haie végétale, pas très haute, qu’elle enjambe assez facilement. Je lui fais remarquer que ce sont plutôt les chevaux qui franchissent les haies, ce qui la fait sourire ; et que de plus, si on compare ce rêve au précédent, cette fois l’obstacle est franchi. Il faut en effet préciser que le rêve qu’elle m’avait raconté un peu plus tôt dans la même séance représentait un cheval allant et venant d’un bout à l’autre d’un couloir sans issue en forme de U, impatient de libérer toute sa puissance. Elle prend alors conscience de l’identité entre la haie et sa mère, obstacle qui demeurait infranchissable jusqu’à ce que sa progression au cours de la thérapie lui permette de créer une distanciation suffisante, et lui offre la possibilité de faire un travail de deuil sur 202
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l’impossible démonstration d’amour qu’elle attend d’elle, sujet qui lui est toujours douloureux mais qu’elle arrive à mieux surmonter, comme ce rêve semble nous le montrer. Notons bien quelques éléments caractéristiques du rêve. La mère est représentée conformément à son impasse relationnelle : bien que proche, elle apparaît floue, et ne parle pas. Absence d’échange douloureusement ressenti par la patiente, notamment lorsqu’un jour, lui exprimant enfin sa souffrance, elle n’obtint qu’en écho cette réponse : « tu sais, moi aussi je souffre », alors qu’elle attendait une fois de plus d’être consolée. En revanche, et c’est ce qui fait entre autre tout l’intérêt de ce rêve, si cette impossibilité du côté de la mère est clairement représentée et en même temps beaucoup mieux surmontée (l’obstacle est franchi), l’autre, en la figure de l’enfant brun aux cheveux frisés, est perçu comme proche et vu avec netteté, ce qui inverse la problématique visuelle et relationnelle toute entière. Là encore, il aurait pu y avoir confusion de ma part, puisque sans prétendre être son idéal d’homme, il est clair que ce garçon brun est tout à fait susceptible de me représenter. Je pouvais alors interpréter cette représentation comme transférentielle, selon un schéma classique de la psychanalyse, et la considérer comme un transfert de type amoureux, ce qui ne veut pas dire que la possibilité de percevoir l’autre, entre autres possibilités, comme un partenaire amoureux soit exclue. Ce point là est même essentiel à préciser. Cette proposition transférentielle était clairement posée et je pouvais m’y fourvoyer. À choisir délibérément, et naturellement, la voie relationnelle, de nouvelles et réelles possibilités apparaissaient, bien plus prometteuses. On peut dire en effet, sans trop exagérer, que cet « accouchement » est celui qu’a rendu possible la thérapie, à savoir la possibilité de poser l’autre dans une nouvelle modalité relationnelle. Véritable délivrance où l’objet d’amour, clairement désigné malgré tout même s’il gagne à ne pas être lu selon l’axe du transfert, est enfin proche et différencié. Les plans ici s’intriquent et se succèdent : expulsion d’un double surmoïque, différenciation sexuée, création d’un nouvel espace relationnel qui pose l’autre comme autre différent de soi, distinctement perçu dans sa proximité. Dès lors cette modification ne sera pas l’apanage de la relation thérapeutique exclusivement mais s’étendra à l’ensemble du champ relationnel de la patiente, tel que le rêve, là encore, pourra nous le montrer. Dans l’un d’eux par exemple la patiente assiste à un spectacle. Elle se trouve au premier rang, sur la scène se produit un chanteur connu. Elle le voit de près, distinctement ; de plus, ils échangent des regards, elle ne lui est manifestement pas indifférente. 203
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À partir du moment où les termes de l’impasse avaient été désignés et commençaient à se transformer, la possibilité d’une véritable différenciation sexuée, au cœur de nombreuses problématiques mais plus encore peut-être des pathologies auto-immunes, put être clairement posée, et s’exprima notamment au travers des rêves. L’un d’eux est directement lié au thème qui nous occupe aujourd’hui, et dont il en est justement l’illustration, puisqu’il fait intervenir l’image du corps sous la forme de cette inclusion paradoxale que nous avons décrite plus haut, caractéristique que nous pourrons comprendre par la suite comme étant une donnée générale. Ce rêve est bref. Elle se voit de dos, ses cheveux sont coupés très courts, au ras de la nuque. Elle a le sentiment d’une affirmation de soi, de sa liberté, d’être encore plus femme. Dans un premier temps, pris sans doute moi-même à ce moment précis par les termes de son impasse, comme cela peut se produire de façon récurrente tout au long d’une thérapie, je lui fis part de ma perplexité sur ce qui pouvait paraître contradictoire, à savoir qu’elle se sente plus femme en apparaissant plus masculine. Il est important de préciser en effet que même lorsque les termes de l’impasse ont été désignés, et reconnus les deux grands courants transférentiel et relationnel qui orientent une thérapie, on observe fréquemment une oscillation de l’un à l’autre tout au long d’elle, nécessitant des réajustements successifs auxquels le patient lui-même participe volontiers pour peu qu’on lui en laisse la possibilité. C’est ce qui se produisit notamment ici. Elle ne partagea pas mon point de vue et de nouveaux détails du rêve lui revinrent : cette tête qu’on voit de dos est bien féminine, les traits de la nuque sont fins, elle porte des boucles d’oreille. Et elle insista en affirmant que c’est un sentiment de liberté, d’affranchissement, et de féminité qui prévaut dans ce rêve. Cela lui rappela cet acte courageux qu’elle avait décidé d’elle-même lorsque, âgée de quatorze ans, elle alla se faire couper les cheveux qu’elle avait eus jusque-là très longs, alors qu’elle était en internat pour poursuivre ses études, ce qui lui valut un savon mémorable. Je pris alors conscience de mon erreur, que je lui présentais les éléments du rêve comme contradictoires, alors qu’elle les avait justement réunis pour qu’ils ne le soient plus. Ils ne s’opposaient pas mais se conjuguaient pour ne faire qu’une seule et même image de la féminité qui incluait des données jusque là contradictoires et qui dès lors n’étaient plus régies par un principe d’exclusion, mais d’inclusion. On était passé de la contradiction au paradoxe. Il permettait une véritable transformation et consolidation identitaire, où elle s’acceptait enfin femme, et plus femme que jamais. Lui succédèrent en effet des rêves tout à fait explicites à cet égard, et le 204
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début d’une nouvelle histoire d’amour, ce qu’elle n’avait pas connu depuis sa séparation plusieurs années auparavant. Il est important de souligner que l’éprouvé paradoxal du patient qui appréhende d’abord le thérapeute en fonction de schémas, d’attitudes et d’une projection spécifiques, ne peut réellement avoir lieu que dans la mesure où le thérapeute se sera délibérément et naturellement situé en dehors de ces schémas en introduisant un autre regard, un autre rythme, une autre temporalité, et surtout une perception du patient tel qu’il est et non tel que celui-ci croyait être. C’est dans ces conditions que de réels changements peuvent êtres observés. La combinaison d’éléments masculins et féminins avait été intégrée par la patiente pour ne plus faire qu’une seule et même image d’elle-même, éminemment médiatisée par le corps. C’est ce point entre autres que je voulais particulièrement souligner pour le sujet dont il est question aujourd’hui, et qu’une observation attentive peut découvrir comme étant un fait se reproduisant avec constance au cours des thérapies. Une fois ce point illustré, le second exemple n’apportera qu’une confirmation du premier et montrera comment ces aspects que le corps médiatise n’apparaissent comme tels qu’en fonction de la lecture que le thérapeute aura pu introduire en séparant les deux champs transférentiel et relationnel, même si, comme on l’a vu, ces deux champs sont étroitement imbriqués dans le cours naturel d’une thérapie, mais qu’il importe de bien différencier. La deuxième observation est celle d’un homme de 34 ans qui vint me trouver après trois années d’une psychanalyse au cours de laquelle il avait l’impression de tourner en rond. Ce jeune homme était persuadé qu’il était homosexuel et c’est dans cette voie que sa psychanalyse s’était engagée, comme pour lui faire admettre en quelque sorte cette réalité et lui permettre de l’assumer. Il était très abattu, déprimé, et souffrait d’un symptôme peu banal auquel l’homme aux rats de Freud n’aurait rien eu à envier. Il souffrait en effet de contractions ano-rectales douloureuses qu’il appela vite des pénétrations, et les interprétait comme le fait de se faire mal. Elles survenaient toujours dans des contextes relationnels où il se sentait en difficulté, notamment dans ses rencontres avec des femmes. Mais ce patient, malgré la prégnance du thème homosexuel qui le tenaillait n’avait jamais eu d’aventures ni de relations sexuelles avec des hommes et ne se sentait pas attiré par eux. Il affirmait en fait beaucoup aimer les femmes, et même selon lui beaucoup trop. Il avait eu avec elles de nombreuses relations sexuelles au cours desquelles il s’enorgueillait du reste d’être assez performant. Mais il vivait ces relations sans amour et avait été incapable de construire le moindre projet que ce soit avec aucune d’elles, sauf une fois. Le symptôme 205
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avait en effet commencé peu après sa rupture d’avec une jeune femme qu’il avait connue six ans auparavant et qu’il était sur le point d’épouser lorsque, sous la pression de ses parents, il dut y renoncer. Ce point est capital, il aimait cette femme, mais craignait encore plus le jugement de ses parents, et surtout de son père qu’il érigeait en véritable mentor. Bien que le décrivant comme une sorte de despote autoritaire à la très forte personnalité, il l’admirait pourtant par dessus tout, et lui vouait un amour sans borne, mais non sans révolte. Ce père avait été, dit-il, bel homme et avait connu beaucoup de succès auprès des femmes dans sa jeunesse, ce dont il n’hésitait pas à se vanter. Notre patient eut très tôt la peur qu’il n’arriva quelque chose de grave à son père, notamment lorsque adolescent il dut aller en internat. Il avait la hantise que son père meure. On ne sera pas étonné que ces peurs aient coïncidé avec l’éveil de la sexualité qu’il découvrit au travers de la masturbation en s’adonnant à la lecture effrénée, dira-t-il, de revues spécialisées. Il était fasciné par les photos de femmes nues. On reconnaîtra là la thématique fortement teintée de culpabilité oedipienne propre à toute névrose obsessionnelle. Ses rêves tout autant que ses fantasmes débordaient de visions féminines, de pratiques sexuelles dans lesquelles il était impliqué, mais toujours incomplètes, à la sauvette, en cachette, ou dans des lieux ou des situations gênantes ou incongrues. Il amenait des rêves en pagaille, et il me dit un jour non sans humour que si certains de mes patients n’arrivaient pas à rêver, il pouvait leur en donner à la pelle. Mais au-delà de cette surabondance de rêves qui pouvaient laisser entendre que jusque là ils n’avaient pas été entendus et frappaient sérieusement à la porte, certains apportèrent un éclairage décisif sur la nature du problème et la façon de peut-être le résoudre. À commencer par le rêve programme qu’il me livra au tout début de la thérapie et qui résumait bien sa situation, celle en tout cas à partir de laquelle il nous fallait commencer. Dans ce rêve, il assistait en effet à un banquet, mais il s’agissait de fêter non pas un mariage, mais une séparation. Tout était dit, ou presque. En le considérant tel qu’il était, c’est-à-dire un homme qui aimait les femmes, tel que lui-même se présentait, mais sous le sceau d’un interdit qui barrait la route à son épanouissement, la relation thérapeutique put peu à peu transformer les données initiales, c’est-à-dire dans un premier temps lever l’interdit. Un rêve qu’on pourra qualifier de transféro-relationnel est à cet égard tout à fait explicite, car selon le point de vue adopté par le thérapeute, toute la suite de la thérapie et donc de l’évolution du patient peuvent en dépendre. Il rêve qu’il se présente à sa séance mais dans son rêve ce n’est pas moi mais une femme. Elle lui plait, 206
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et il ne semble pas non plus lui être indifférent, il la courtise et ils ont ensemble une relation sexuelle aboutie. C’est la première fois, autant qu’il s’en souvienne dit-il, qu’il rêve d’une relation sexuelle dans de telles conditions, c’est-à-dire épanouie et se déroulant dans l’intimité. Voilà un rêve qui pourrait prêter à de nombreuses controverses. Il serait tentant en effet d’y voir le transfert de la problématique homosexuelle du patient sur la personne du thérapeute, et qui s’affirmerait là sous la forme d’un attachement amoureux à sa personne. Car quoi de plus explicite : le thérapeute est transformé en femme, et ils ont ensemble une relation sexuelle, qu’il vit de plus sur un mode épanoui. Bien que je laisse à chacun le soin de se faire sa propre idée, permettez-moi de dire qu’à mes yeux il n’en est rien. Bien sûr, la lecture transférentielle du rêve nous tend les bras si j’ose dire, mais opter pour cette lecture équivaudrait selon moi à tomber dans un piège qui enfermerait le patient dans sa névrose plutôt que de lui permettre de s’en libérer. Je m’explique : la lecture que j’ai pu proposer au patient, et qui a provoqué chez lui un sentiment de soulagement et de joie, est qu’il ne s’agissait pas du transfert de sa problématique homosexuelle sur ma personne, au sens où il y exprimerait son désir d’avoir avec moi un relation sexuelle, mais que, par le fruit du travail qu’on avait accompli jusqu’alors, il était enfin parvenu à pouvoir se représenter une relation sexuelle avec une femme dans des conditions simples et naturelles, et qu’il me le signifiait. Je n’étais pas cette femme du rêve, mais en quelque sorte le médiateur qui en avait facilité l’émergence, via la relation thérapeutique. Ce point de vue me paraît important car il peut s’appliquer fréquemment dans nos thérapies et peut en orienter sensiblement le cours. Il est important de souligner qu’avec ce rêve coïncida une nette régression de ses spasmes rectaux. Succédèrent à ce rêve d’autres du même registre qui ne m’incluaient pas, mais où il était question de relations sexuelles qui se déroulaient enfin dans des conditions d’intimité, de partage et de plénitude telles qu’il n’en avait pas rêvé jusqu’alors, avec cependant quelques variantes qui apportaient à chaque fois un complément d’information sur son évolution. Deux d’entre eux nous suffiront pour conclure ce chapitre, choisis tant pour leur pertinence clinique que parce que le corps y est pleinement représenté, participant au premier rang à ces transformations. Dans le premier, il rencontre une femme qui lui plait et ils ont ensemble une relation sexuelle. Celle-ci marque par son intensité et il se souvient qu’après leur relation son sexe était un peu tuméfié, presque blessé et qu’il portait un pansement. 207
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Dans le second, il est très amoureux d’une femme qu’il a rencontrée sur son lieu de travail. Il la courtise, l’invite chez lui et l’intimité grandissant ils ont une relation sexuelle. Mais à son grand étonnement, cette femme, au demeurant très féminine, est dotée de quelques caractéristiques plutôt masculines, notamment sexuelles comme des lèvres et un clitoris quelque peu hypertrophiés, des épaules assez larges, et dégageait une forte puissance au cours de l’activité sexuelle. Ces deux rêves le troublaient beaucoup, et l’avaient marqué tant par leur thématique que par l’intensité du sentiment de vécu qu’il en gardait, il s’en sentait fortement imprégné. Là aussi, on pourrait souligner l’importance de cette forte impression de vécu corporel qui donne à certains rêves ce sentiment si caractéristique de réalité. Là encore, deux axes s’offrent à nous. Selon l’axe transférentiel le premier rêve porte indubitablement la marque de la castration, le second signifierait le retour de l’homosexualité en cachant en quelque sorte l’homme en la femme, la transformant à ses fins pour assouvir son désir homosexuel. L’axe relationnel offre une toute autre possibilité de lecture. Et c’est cette lecture qu’il importe à mon sens de privilégier afin que, dans le cas présent, le patient puisse définitivement se libérer du poids du thème de l’homosexualité qui l’avait tenaillé jusqu’alors et l’empêchait d’assumer son hétérosexualité. De cette façon, ce pénis blessé représente pour ainsi dire la marque d’une convalescence, celle de la sexualité du patient. De même, loin de représenter la manifestation d’un désir homosexuel, et à l’instar du rêve de la nuque de la patiente dont il a été question plus haut, le second rêve intègre des éléments paradoxaux, combinant des traits masculins et féminins pour ne plus faire qu’une seule et même image de la femme. Ainsi, le patient pouvait en quelque sorte dissoudre les termes de son impasse : ce n’était pas parce que la femme de ce rêve avait quelques traits masculins qu’elle n’en était pas moins femme, et qu’il ne pouvait pas s’autoriser d’avoir avec elle une relation sexuelle. Corps et images du corps médiatisés par la relation et incluant des éléments paradoxaux sous diverses modalités combinatoires, propres à la problématique de chaque patient et susceptibles d’être intégrés dans une véritable reconstruction identitaire, sont ainsi des éléments fondamentaux à prendre en compte dans toute thérapie relationnelle.
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Le corps spéculaire Il est temps maintenant de s’intéresser au corps spéculaire, par lequel se médiatise en permanence le corps de l’autre et en fonction duquel se comprennent un ensemble de manifestations symptomatiques que nous allons tenter d’expliciter. Mais pour ce faire, il n’est sans doute pas inutile de reconsidérer ce qu’on a appelé depuis Lacan le stade du miroir et qu’il s’agit de revisiter. Dans cette communication faite au XVIe congrès international de psychanalyse, à Zurich, en 1949, Lacan y pointait ce moment particulier d’une assomption jubilatoire de l’enfant devant le miroir, signe selon lui d’une reconnaissance de son image, et qu’il situait dès l’âge de six mois pour la faire se terminer vers dix-huit mois. Ce qu’il définissait ainsi comme étant le stade du miroir équivalait à une identification, au sens de reconnaissance de l’image. De là, il pouvait en déduire la formation du Je en fonction d’une gestalt qui, se formant en dehors du sujet, introduisait une coupure fondamentale et fondatrice du sujet d’avec lui-même. Ce point est effectivement capital mais le sens que nous pouvons lui attribuer et la manière dont nous pouvons le comprendre dépend fondamentalement du point de vue duquel on se place et de la pensée qui le sous-tend. Sans rentrer dans les détails, qu’il nous soit tout d’abord permis de rectifier quelque peu ces données en fonction des travaux qui ont pu depuis être menés sur la question. Je vais citer surtout deux études princeps qui sont toujours d’actualité bien que datant respectivement de 1972, celle d’Amsterdam10, et de 1987, celle de Paulina Kernberg11 qui continue toujours d’ailleurs de travailler sur la question. Amsterdam et ses collaborateurs avaient montré la façon dont se comportait l’enfant de deux mois à deux ans devant le miroir. Il avait noté que les réactions dites jubilatoires, soit de joie, d’enthousiasme de l’enfant devant le miroir se manifestaient surtout jusqu’aux environs de huit mois, et ne correspondaient pas en fait à la reconnaissance de leur propre image mais aux réactions de rencontre avec l’autre comme compagnon de jeu. Puis peu à peu, notamment à 12 mois, l’enfant tente d’explorer cette image qui commence à l’intriguer, essaie de rentrer en contact avec elle, de contourner le miroir, de le traverser, de découvrir ce qu’il y a 10. B.K. Amsterdam. Mirror self-image reactions before the age of two. Dev Psychobiol 1972 ; 5 : 297-305. 11. P.F. Kernberg. Interaction mère-enfant et comportement en miroir, traduit de l’américain. In : Psychiatrie du bébé. Nouvelles frontières. Paris, Éditions Eshel, 1988, p. 391 sq.
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derrière. Puis de 16 à 24 mois l’enfant commence à esquiver le miroir, comme gêné par ce qu’il découvre comme étant lui-même et qui était devenu dans le même temps un autre, c’est-à-dire la conscience de cet autre. Là commence véritablement la conscience de soi. Des réactions oscillant entre embarras et admiration vont alors s’échelonner pour laisser s’installer progressivement à partir de deux ans un nouveau rapport au miroir qui signe l’intégration de son image dans le miroir comme étant image de soi. Cette étude a largement été confirmée depuis par de nombreux auteurs. Kernberg reprenant l’étude d’Amsterdam y introduit la variable de la relation à la mère et montre que des perturbations dans cette relation retentissent sensiblement sur les différentes étapes décrites par Amsterdam, ce qui ne sera pas pour nous surprendre, faisant de la mère le véritable miroir de l’enfant, ce qui est bien notre hypothèse, mais avec quelques variantes qu’il sera nécessaire de préciser. De ces études qui n’ont pas été contredites depuis, il ressort que la phase qui s’étend jusqu’aux environs de dix-huit mois, avec un net changement à partir de huit mois, ne correspond justement pas au fait que l’enfant jubile parce qu’il se reconnaît, comme le pensait Lacan. Bien au contraire. Si autour de dix-huit mois, phase qu’il avait progressivement amorcée à partir du huitième mois, l’enfant a cessé de jubiler, c’est parce que justement il commence à se reconnaître, ce qui n’est effectivement pas sans le jeter dans un certain embarras, puisqu’il lui aura d’abord fallu pour cela passer par la conscience qu’il était cet autre auquel il s’identifiait. Il est à ce moment à la fois lui-même et un autre. Cela rejoint parfaitement le sentiment d’inquiétante étrangeté tel que Sami-Ali le décrit en abordant l’angoisse du huitième mois. Or c’est justement à ce stade qu’on observe une césure caractéristique d’avec la jubilation, ce qui correspond bien à la mise en place de la projection qui crée cette distanciation en même temps que cette différence d’avec un autre soi-même, comme Sami-Ali l’a fort justement écrit12. C’est la raison pour laquelle l’enfant jusqu’à huit mois environ ne se reconnaît pas, car se reconnaître c’est être nécessairement passé par la perception de la différence. C’est aussi pourquoi les 12. Sami-Ali, Corps réel Corps imaginaire. Paris, Dunod, 1984 (2e édition). Ce moment se cristallise notamment autour de l’angoisse du huitième mois qui « marque le moment où l’identification du visage de la mère cède à une projection qui, en même temps que la différence, introduit la distance avec un autre soi-même. D’où la foncière identité du familier et de l’étrange qu’un sentiment d’inquiétude révèle toutes les fois que s’opère l’objectivation incertaine du visage de l’autre qui fut d’abord le visage de soi. L’angoisse est de se découvrir comme réellement double, elle n’est pas perte de l’objet mais de soi : angoisse de dépersonnalisation ». Ibid., p. 137.
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mois qui vont suivre sont des mois de transition et d’intégration progressive de l’existence de cette différence et de cette reconnaissance, aspects intimement liés, l’un étant le corollaire de l’autre. On pourrait alors se poser la question du pourquoi de cette jubilation, qu’est-ce qui le fait jubiler ce petit dans sa rencontre avec l’image de lui-même que pourtant à ce moment il n’identifie pas comme telle. Car, on vient de le voir, il ne s’agit effectivement pas d’une identification. Ce qui vient de s’énoncer plus haut apporte d’une certaine façon la réponse. Si le petit d’homme jubile c’est qu’il manifeste par là une sorte de félicité originelle à reconstituer la dyade qu’il forme avec sa mère, dans cette sorte d’indifférenciation première dont il est issu et dans laquelle il baigne encore à ce stade de la vie. Ce qui a lieu, entre autre, à chaque fois que s’opère l’illusion de cette reconstitution, ce que reproduit justement le miroir dans lequel il croit la retrouver au travers de sa propre image, lui et elle ne faisant qu’un. Il s’agit plus à ce moment du discernement de la reconstitution d’un tout que de la reconnaissance de l’image de soi ou de l’autre. Si gestalt il y a, elle est celle de l’unité retrouvée plutôt que forme distincte de l’un ou de l’autre. On comprend dès lors que ce bonheur retrouvé ne va pas de soi et qu’il suppose une interaction favorable entre la mère et l’enfant. Cette jubilation peut en effet faire défaut ou subir quelques distorsions dans le cas d’une relation mère-enfant chaotique ou fortement déstabilisée, comme les travaux de Kernberg le montrent bien. Nous en sommes donc à ce stade de notre réflexion, si j’ose dire, où il s’agit de poser l’autre comme ayant été un certain temps soi-même, ce qui ne sera pas sans laisser de trace par la suite. La relation à l’autre et le corps spéculaire apparaissent dès lors comme le point nodal autour duquel l’image du corps se constitue. Ce qui permet d’énoncer que le corps du sujet c’est aussi le corps de l’autre. Ce qui se comprend en effet par l’expérience du miroir est cette équivalence qui a, un moment, été possible entre soi et l’autre. Ainsi, au début, le corps n’existe pas en tant que conscience de posséder un corps. Il existe seulement en tant que corps anatomique, physiologique qu’il s’agira de conquérir progressivement via la relation à l’autre, et dont l’image résultante sera par conséquent fonction des aléas de cette relation. Le corps apparaît donc éminemment comme un corps relationnel, le corps spéculaire n’en étant pour ainsi dire qu’un maillon intermédiaire. La relation façonne le corps à son image. Il n’est d’image de soi, reconnaissable dans le miroir, qui ne se soutiendrait d’avoir été portée par le regard de l’autre. Tout cela serait en effet sans valeur si la compréhension de ce qui se joue dans la confrontation au miroir n’était pas mise en perspective avec la relation. 211
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Deux remarques nous permettront aisément de le comprendre. La première est que le mythe de Narcisse, avec tout ce que la pensée psychologisante a voulu en faire sous le terme de narcissisme, s’origine précisément de ce rapport au miroir, c’est-à-dire de l’absence de l’autre, de son manque fondamental perceptible précisément au moment de l’éprouvé du miroir, dont Narcisse fait cruellement l’expérience au contact de la nymphe Écho avec laquelle aucune relation ne peut s’établir autre qu’une réponse en écho à son propre discours, d’où la chute dans le miroir, où le sujet n’est plus confronté qu’à lui-même. À l’inopérance de la voix qui rend inutile la fonction auditive succède l’inopérance du regard qui ne fait que se perdre en lui-même, selon un système d’inclusion réciproque, équivalent ici à un retour à la source mortifère. Car une relation qui ne s’établit pas équivaut à naître sans être, la parenthèse du sujet se refermant au moment même de sa naissance. La deuxième remarque je la dois à une réflexion pertinente de Danièle Boson à qui j’esquissai les grandes lignes de mon travail et qui me posa non sans humour et sans une certaine idée sur la question : mais comment font les enfants africains ? Beaucoup d’entre eux n’ont effectivement pas accès au miroir. Pour elle, cela se jouait plus dans le corps vécu que dans le corps vu. Ceci me conforta dans l’idée que ce qui donne forme au corps c’est le regard de l’autre. C’est la relation qui fait exister le sujet en lui permettant de se constituer et de s’organiser dans et par une forme qui est celle de son corps propre sous-tendu en permanence par la fonction de l’imaginaire, c’est-à-dire relationnelle. La relation donne forme au corps et agit pour lui comme une véritable fonction de soutènement. Une étude réalisée en 1986 par Priel et de Schonen13 en apporte la confirmation en montrant que l’enfant sans miroir accède au même âge que les autres, c’est-à-dire autour de dix-huit mois, avec une fourchette de plus ou moins trois mois comme dans la plupart des études, à la reconnaissance de son image dans le miroir. Ce que l’expérience du miroir nous enseigne également est l’équivalence du sujet et de l’objet, car le premier objet si l’on peut dire est d’abord le corps de l’autre, puis son propre corps dans le miroir, puis tout objet qui viendra, par projection, en occuper la place. Il aura fallu pour cela que le sujet ait pu mettre en place son espace imaginaire. Celui-ci est cette disposition quasi-géométrique du sujet qui lui permet d’appréhender le monde au travers d’une projection de lui-même que lui aura procuré le rapport à son image spéculaire en tant qu’elle n’est possible, comme on vient de le voir, 13. B. Priel, S. de Schonen. Self-recognition : a study of a population without mirrors. J Exp Child Psychol 1986 ; 41(2) : 237-50.
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et ne peut se constituer que d’avoir été portée par le regard de l’autre. La position de l’objet pourrait donc se situer à la même place que l’image spéculaire, dans ce lieu qui est un lieu de représentativité, c’est-à-dire où la représentation prend sens, où l’image spéculaire s’interpose entre soi et le monde, zone d’intersection qui est le lieu spécifique de l’objet dans sa définition première et étymologique en tant que ce qui fait obstacle au jet, dans ce que rencontre le mécanisme projectif dans son exploration du monde. Le monde doit donc être perçu, mais dans cette perception du monde soustendue par une projection sensorielle, vient faire problème cette zone où se serait projetée l’image spéculaire qui s’interpose entre le monde et le sujet. C’est cette place qu’on peut assigner à l’objet qui vient occuper ce lieu en tant qu’image réelle, et transposition dans l’espace imaginaire de l’image virtuelle de soi. D’où l’importance de l’expérience de Brunelleschi qui restitue ce moment et ce rapport et que Sami-Ali nous avait très justement rappelée à ce propos dans Le corps, l’espace et le temps, dans le dernier chapitre intitulé espace et projection14. Dans cette expérience, Brunelleschi avait depuis un entrebâillement de la porte principale de la cathédrale Santa Maria del Fiore de Florence peint avec minutie le baptistère octogonal qui lui fait face sur un petit panneau de bois, une tavoletta d’environ trente centimètres de côté, qu’il perça d’un trou en son milieu, puis la retournant, regardant au travers de ce trou dans un miroir l’image qu’il avait peinte, celle-ci lui donnant l’illusion de la réalité de la chose vue15. Où l’objet apparaît clairement dans cette expérience fondatrice en lieu et place du sujet. Ce point admis, on comprend dès lors que toute rencontre de l’objet par le phénomène projectif donne lieu à une objectivation du sujet, c’est-à-dire une tentative d’appropriation et de transformation de l’objet aux dimensions de soi, puisque cet objet, aux premiers temps de la vie, a d’abord été soi-même. L’objectivation est ce qui résulte de la rencontre de l’objet par la projection. Mais, à la manière de Henri Ey qui précisait que l’hallucination ne pouvait être seulement définie comme une perception sans objet mais comme une perception sans objet à percevoir, de même il y a lieu d’entendre dans le phénomène d’objectivation objectivation du sujet, laquelle peut aussi s’entendre comme une subjectivation de l’objet.
14. Sami-Ali. Le Corps, l’espace, et le temps. Paris, Dunod, 1998 pour la 2e édition, p. 144 sq. (Paris, Bordas, 1990, pour la 1re édition). 15. Hubert Damisch. L’origine de la perspective. Paris, Flammarion, 1987, p. 91 sq.
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Une fois ces précisions apportées, quelques exemples cliniques en marqueront l’illustration à partir de cet énoncé que le corps du sujet c’est aussi le corps de l’autre. Le premier exemple aura pour l’exposé d’aujourd’hui une coloration particulière puisque le matériel clinique en rapport avec le sujet traité fut recueilli lors d’une séance de relaxation. Sachez cependant que cela ne fait pas partie de ma pratique habituelle et que je n’y ai eu recours qu’exceptionnellement, quand le patient, à un certain moment, était bloqué au point de ne pouvoir exprimer quoi que ce soit dans le cadre d’une séance en face à face. Le but recherché étant de faciliter par ce procédé l’émergence de données cliniques qu’une forme plus standard d’entretien n’avait pas réussi à révéler. Je suis donc très loin de la technique de relaxation psychosomatique telle que la pratiquent mes collègues, mais en tenant compte de ce que j’ai développé plus haut on peut comprendre dans quel état d’esprit j’ai utilisé la relaxation. Si on exclut en effet de ce procédé toute domination d’un sujet sur un autre, ce qui peut être un biais méthodologique de telles pratiques, comme notamment l’hypnose, alors on peut concevoir que l’on puisse reconstituer cette ambiance dyadique dont j’ai parlé plus haut, créant une sorte d’unité indifférenciée ou l’on n’est plus ni tout à fait soi, ni tout à fait l’autre, mais un peu les deux à la fois, confusion passagère dont il est bien sûr nécessaire par la suite de revenir, mais au cours de laquelle l’histoire de l’autre, dans son rapport à soi et au travers de son propre corps, viendrait à s’exprimer. C’est ce qui se produisit précisément ici. Il s’agit d’une patiente originaire de la Réunion, âgée d’une trentaine d’années au début des faits. Elle vint d’abord me consulter en médecine générale pour des douleurs, disait-elle, à la pointe des seins. Elle avait déjà consulté plusieurs médecins mais les réponses qu’on lui avait apportées jusqu’alors ne la satisfaisaient pas. Des bilans avaient été entrepris, notamment un bilan hormonal et une mammographie, mais qui n’avaient rien montré. Elle désespérait qu’on trouvât l’origine de ses douleurs et faisait ainsi le tour des cabinets médicaux. Je commençai d’abord par l’examiner, les seins étaient normaux à la palpation, non douloureux, par contre l’examen de son dos montra l’existence d’une nette attitude scoliotique qui pouvait expliquer, par irradiation, ses douleurs mammaires. Ce début d’explication sembla la rassurer, et les premières prescriptions thérapeutiques, dont de la kinésithérapie, lui apportèrent un certain soulagement. Elle était contente d’aller mieux et me remercia à plusieurs reprises de se sentir cette fois écoutée. Mais le résultat fut de courte durée. Les douleurs réapparurent, moins fortes, moins permanentes, mais elles recréaient le doute dans son esprit. Manifestement elles avaient des choses à raconter 214
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qui ne s’étaient pas exprimées jusqu’alors. Elle était aussi à l’évidence déprimée. Elle vivait seule, loin de sa famille restée à la Réunion, sauf une sœur aînée qui vivait en région parisienne mais qu’elle voyait peu. Elle avait eu une relation amoureuse pendant plusieurs années avec un homme qui s’était montré violent et dont elle avait dû se séparer. Depuis, elle ne souhaitait plus partager sa vie avec un homme, et se contentait de quelques aventures de temps à autre. Elle avait aussi un grand fantasme : avoir un enfant mais sans père, c’est-à-dire sans que l’homme avec qui elle le ferait ne le sache, et qu’elle élèverait seule. Je lui fis comprendre que pour y voir un peu plus clair, il était sans doute utile de programmer quelques entretiens à visée psychothérapique, ce qu’elle accepta d’emblée. De caractère cependant assez fruste, elle progressait peu, son discours était assez pauvre, et restait à un niveau très terre à terre. Elle me parlait de ses amours, livrait quelques éléments biographiques, et revenait souvent sur son désir d’enfant. Elle avait vécu dans une famille nombreuse marquée par l’alcoolisme du père, aujourd’hui sevré depuis plusieurs années. Aussi sa mère ne s’opposa-t-elle pas à son départ pour la métropole alors qu’elle n’avait que dix-huit ans. Elle décrit d’ailleurs cette mère comme indifférente, se souciant peu d’elle. Elle n’apportait aucun rêve, aussi nous tournâmes assez vite en rond. C’est alors que me vint l’idée de lui proposer des séances de relaxation, avec l’espoir que cela pourrait peut-être débloquer quelque chose. Elle en accepta l’augure. Une seule séance suffit. Elle s’allongea sur un divan et je lui demandai d’essayer de se détendre, en pensant pour ce faire à des choses qui lui étaient agréables. Elle y parvint peu à peu et je lui demandai alors de tenter de me transcrire le mieux possible les sensations corporelles qu’elle pouvait ressentir. Comme on pouvait s’y attendre, elle ressentit une chaleur diffuse au niveau des seins qui devinrent douloureux. Je lui demandai alors à quoi cela pouvait-il la faire penser. Les yeux fermés, dans une sorte d’état hypnoïde qu’elle semblait avoir atteint, elle commença à dire : « oui, ça me revient, je vois... », puis elle se mit à me raconter une scène comme si elle la vivait. C’était la nuit, elle était couchée sur des nattes comme à l’accoutumée dans la pièce qu’elle partageait avec ses sœurs lorsqu’elle entendit des cris dans la maison. Son père était rentré en état d’ébriété comme souvent et s’en était pris à sa mère. Elle s’était levée et entrouvrant légèrement le rideau qui séparait les pièces, elle assista à une scène qui l’horrifia : son père avait saisi la lampe à pétrole qui était allumée et la jeta sur sa mère. Celle-ci portait une chemise de nuit bleue qui prit feu. Elle se brûla très sérieusement la poitrine. 215
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La patiente raconta la scène avec un sentiment de peur mêlé de tristesse, et se mit à pleurer. Elle se souvint d’être sortie avec ses sœurs en courant et en hurlant jusqu’à ce qu’un voisin accoure et éteigne le feu. Devant l’émotion dégagée par le récit, je lui demandai de respirer profondément et de se rasseoir. Nous reprîmes la séance en face à face. Elle était troublée par ce qui venait de se passer. Elle devait avoir six ou sept ans à l’époque de la scène, et elle l’avait oubliée. Pourtant elle l’avait terriblement marquée, et elle se demandait comment on pouvait oublier de telles choses. Ce faisant elle fit instantanément le lien entre ses douleurs mammaires et sa mère, notamment avec cet épisode, mais qui cristallisait toute la problématique familiale et sa difficile relation à sa mère. Elle avait en quelque sorte, comme aimait à le dire Françoise Dolto, mal à sa mère. Cet épisode marqua un tournant dans la thérapie. Son imaginaire put à partir de ce moment se déployer et elle se mit notamment à rêver. Ses douleurs régressèrent de façon significative bien qu’elles ne disparurent pas complètement. L’important était que maintenant elles avaient un sens. Nous travaillâmes ensemble à peu près une année, et je ne l’ai revue depuis qu’occasionnellement. Son rêve s’est aujourd’hui réalisé : comme elle l’espérait depuis longtemps, elle a donné naissance il y a quelques mois à une petite fille. Dès qu’elle fut enceinte, elle en informa cependant le père qui ne voulut pas en entendre parler. Je me souviens d’une patiente psychotique qui présentait un délire de persécution à qui j’avais, un peu pour les mêmes raisons que la patiente précédente, proposé le même type de séance. Elle ressentit une vive douleur, puis des picotements, à son épaule gauche, dont elle ne put dire grand-chose sur le moment. Par contre, elle revint à la séance suivante avec un sourire mêlé de larmes et sortit de son sac une photo qu’elle me tendit. Trois femmes, dans un village africain, se tenaient de trois-quarts par l’épaule. Il s’agissait de sa mère, de sa marâtre et d’elle-même, alors enfant. Cette patiente africaine avait malheureusement assisté au massacre de sa famille et de presque tout le village. Elle était une des rares rescapées. Des quelques affaires qu’elle avait pu sauver, il lui restait cette photo qu’elle avait oubliée dans un fond de tiroir. Elle n’avait certes pas oublié le massacre et les scènes d’horreur auxquelles elle avait assisté, elle les avait seulement forcloses, et sa psychose était peut-être sa réponse aux événements subis. Mais elle ne se souvenait plus de cette photo, et me dit qu’elle eut comme un flash en rentrant chez elle et en repensant à cette épaule qui lui avait fait mal pendant la séance. Elle se souvint alors de la photo et se mit à la rechercher frénétiquement. 216
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Le troisième exemple que je livrerai seulement en forme de vignette est une autre histoire de sein, mais qui eut lieu dans un tout autre contexte. Je fus appelé un matin en visite auprès d’une de mes patientes d’une cinquantaine d’années pour une tuméfaction douloureuse du sein gauche. L’aspect clinique et l’état général plaidaient à l’évidence pour un abcès du sein. Elle se demandait comment elle avait bien pu « attraper » cette chose-là disait-elle. Je lui prescrivis un traitement antibiotique et anti-inflammatoire, ainsi qu’une échographie de contrôle par précaution. Cependant, au moment de nous quitter, elle se mit à pleurer. Je la connaissais depuis déjà quelques années, elle m’avait un peu raconté sa vie au fil des consultations, souvent motivées pour des problèmes de sciatique (elle était gardienne d’immeuble). Vie difficile pour autant qu’on puisse en juger : père alcoolique, violent, et surtout incestueux à son encontre, mari connu trop jeune puisqu’elle eut de lui le premier de ses deux enfants à seize ans, mari qui s’avéra vite être également alcoolique et qu’elle quitta après qu’elle se rendit compte qu’il essayait d’abuser de leur fille aînée. Elle avait aussi un fils, devenu toxicomane, mais qu’elle voyait de temps en temps, bien que rarement. En revanche, elle s’était fâchée avec sa fille qui quitta très tôt le toit familial et elle n’avait plus de nouvelles d’elle depuis plusieurs années. Or elle venait d’avoir des nouvelles de sa fille depuis quelques jours et avait appris qu’elle était séropositive et qu’elle n’allait pas bien. De là, elle me raconta ces difficiles années passées auprès de ce mari alcoolique, de l’enfance gâchée de ses deux enfants, et on s’attarda un peu sur ses liens à sa fille. Elle essayait de la protéger au mieux, disait-elle, d’un père violent, mais, dépressive, elle se mit elle-même à boire et délaissa ses enfants qui furent un peu livrés à eux-mêmes. Cela se gâta à l’adolescence où ses rapports avec sa fille devinrent très conflictuels. Puis un jour ce fut le drame, elle découvrit que son mari tentait d’abuser de leur fille. Elle quitta le domicile conjugal avec ses deux enfants, trouva un petit studio. Les conditions de vie devinrent de plus en plus difficiles, puis un jour, sa fille, âgée de seize ans, partit s’installer avec un homme plus âgé qu’elle qui disposait d’un logement. Et elle finit par la perdre de vue. Non sans quelque arrière pensée, je lui demandai si la naissance de sa fille s’était bien passée et si elle l’avait allaitée. « Tiens, c’est marrant que vous me posiez cette question » me dit-elle, « c’est vrai que je l’ai allaitée cette petite, et Dieu sait si elle était vorace. Elle me mordait les seins, et j’ai même eu des crevasses... ». Et, bien que les yeux déjà remplis de larmes, elle esquissa un large sourire, elle venait de comprendre le lien entre son abcès du 217
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sein et sa fille. Celui-ci guérit d’ailleurs rapidement, sans complication, et l’échographie pratiquée peu après s’avéra normale. L’exemple de Mr O. est également intéressant à plus d’un titre. Il s’agit de la nature d’une pelade, apparue chez un homme porteur d’une névrose obsessionnelle à forte tonalité anxieuse. Il fait remonter cette pelade à l’annonce par son frère jumeau de son homosexualité. C’est une pelade « en serpent » dira-t-il, en zigzag, du cuir chevelu, partant de la région cervico-occipitale droite pour remonter jusqu’au front. Il relatera dans l’histoire de son frère le fait qu’il avait été accidenté par la chute d’un « œuf » en montagne, alors qu’il avait seize ans, et que cet accident avait entraîné, entre autre, un scalp frontal, dont il gardait depuis une grande cicatrice. Il exprimait ainsi, sur le mode d’une inscription corporelle à l’identique, la problématique homosexuelle de son frère. Le patient n’en était pas dérangé lui-même, mais il était le seul à en détenir le secret, dans cette dans cette famille juive d’Europe Centrale qui avait payé un lourd tribu à la seconde guerre mondiale et où les choses étaient tues. Et plus encore depuis que leurs parents s’étaient séparés, laissant une mère dépressive entourée de ses trois fils. Secret apparemment de Polichinelle puisque tout le monde le savait ou s’en doutait, mais c’était un sujet tabou qui ne devait pas s’exprimer ouvertement, notamment à leur mère. Il est utile de souligner qu’au cours de la thérapie qui permit au patient d’être très sensiblement soulagé de sa symptomatologie névrotique la pelade disparut. L’exemple des jumeaux est particulièrement intéressant pour notre sujet puisque mieux que quiconque ils nous montrent ce qu’il en est de ce trouble saisissant d’être à la fois soi-même et un autre, cet autre façonné de surcroît selon le même phénotype. Les exemples de cette sorte sont nombreux. On pourrait ainsi allonger à l’infini ces exemples où le corps parle le corps de l’autre ou sa relation à l’autre. L’enseignement que nous pouvons en tirer est double. Tout d’abord, cela remet en cause le concept même d’hystérie. Celui-ci ne prévaut que de s’être constitué de cette dichotomie psyché soma institué par une certaine forme de pensée. Or il s’agit de restituer au corps son droit de cité, sans lui attribuer un statut inférieur à celui de l’élaboration mentale. La fonction de l’imaginaire qui sous-tend tous ces exemples met le corps au même niveau. Du coup, selon notre visée, le principe même de conversion qui a fait couler beaucoup d’encre devient caduc. Rien ne se convertit en rien, il existe seulement plusieurs possibilités et plusieurs niveaux d’expression de l’être. Le corps y est toujours, d’une façon ou d’une autre, engagé. Ce qui vient faire problème, c’est le symptôme. Qu’il soit croyance, idée fixe, conduite, ou manifestation somatique, il 218
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est avant tout symptôme, au sens le plus étymologique du mot, soit coïncidence, concrétion de signes, témoignant d’une difficulté, d’un affaissement de l’être, et révèle en quelque sorte son mal. Il se situe toujours, au moment où le patient en fait part, dans une inscription relationnelle à double entrée : la relation qu’il a avec l’histoire du patient, la mise en relation du patient avec le thérapeute. C’est un des enjeux fondamentaux de toute thérapie relationnelle que de rendre possible la seconde pour faciliter l’émergence de la première. Le second point nous permettra d’enchaîner directement avec le troisième volet puisqu’il a partie liée avec la mémoire. Tous ces exemples nous montrent que la mémoire a une dimension éminemment corporelle. Cette dimension nous apparaîtra encore plus prégnante dans ce qui va suivre, dans la mesure où l’intrication entre corps réel et corps imaginaire y sera encore plus perceptible, en montrant notamment comment ces articulations se révèlent au sein de la relation thérapeutique, avec le rêve comme principal médiateur.
Du corps imaginaire au corps réel : passages, médiatisés par le rêve Deux exemples cliniques choisis parmi d’autres tout aussi évocateurs illustreront la manière dont le corps réel et le corps imaginaire sont liés par une relation étroite où s’opèrent des passages incessants de l’un à l’autre et que souvent, sinon toujours, le rêve médiatise. La relation thérapeutique les favorise largement, pour peu qu’elle ait permis au patient de récupérer ce qu’on peut appeler son fonctionnement, dans lequel prend place tout particulièrement l’activité onirique, mais aussi, entre autre, et plus particulièrement pour le sujet qui nous occupe, la mémoire. Le premier exemple est celui d’une jeune femme que j’avais suivie pendant quelque temps quand elle avait dix-huit ans. Elle présentait alors des crises d’angoisse identitaires. Elle avait comme particularité d’avoir perdu l’odorat au cours d’un accident de la voie publique où, alors qu’elle traversait une rue, elle fut fauchée par un camion. Elle en sortit tout de même indemne mais avec comme séquelle cette anosmie. Sa problématique essentielle était du registre névrotique à forte coloration œdipienne. Elle se sentait en effet la rivale de sa mère et l’objet d’un trouble de la part du père qui de ce fait était plutôt maladroit avec elle et l’évitait. Elle pensait que cela était dû au fait qu’elle était particulièrement jolie, ce qui est un fait incontestable. Elle avait alors de fortes crises 219
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d’angoisse et de dépersonnalisation qui s’actualisaient notamment devant le miroir. Elle alla mieux progressivement, et je la perdis de vue, jusqu’à ce qu’elle revint me voir il y a environ deux ans, elle avait alors trente ans. Elle avait eu entre temps un parcours universitaire brillant et était devenue juriste dans des grandes maisons d’édition. Elle souhaitait rependre sa thérapie, et ce en raison, entre autre, de ses déboires amoureux. Elle avait vécu quelques aventures dans cet intervalle mais toutes s’étaient soldées par un échec et cela la plongeait dans le plus grand désarroi. Le fait que je vais vous décrire intervint alors que nous avions repris les séances depuis environ un an. Elle se remettait mal d’une liaison avec un photographe dont elle était tombée très amoureuse mais qui l’avait déçue. Elle noya en quelque sorte son chagrin en fréquentant un jeune homme qu’elle n’aimait pas vraiment mais qui lui permettait de se remettre de sa précédente aventure. C’est dans ce contexte où se posait crûment la question de son identité de femme qu’elle fit le rêve suivant : elle conduit une deux chevaux en compagnie de sa meilleure amie lorsqu’abordant un virage un peu vite la voiture se renverse. Elles se relèvent toutes deux, son amie est indemne mais elle-même est blessée au genou gauche, pas très gravement. Elles se retrouvent toutes deux dans une clinique où deux hommes célèbres lui prodiguent quelques soins. Le rêve faisait très nettement référence à son amie, laquelle avait rencontré l’homme de sa vie et attendait un enfant de lui, ce dont elle avoua être un peu jalouse. D’où peut-être, pensait-elle, sa blessure et le fait que son amie soit indemne. Les deux personnages célèbres étaient ceux avec lesquels elle avait effectivement signé ses premiers grands contrats. Son amie était médecin, et elle comprit le rêve comme le fait que si elle était malheureuse en amour, au moins elle réussissait au plan professionnel, tout autant sinon mieux que son amie. Sa lecture était d’une grande lucidité. Le fait marquant se produisit dans les jours qui suivirent le rêve et qu’elle me confia dans la même séance. S’était en effet réveillée à sa jambe gauche, au-dessus de la cheville, une ancienne cicatrice qui résultait de l’ablation d’un grain de beauté suspect qu’on avait préféré lui retirer alors qu’elle avait vingt ans. Elle me montra la lésion, située un peu au dessus de la cheville. C’était une sorte de papule rouge, très inflammatoire et sensible. Elle se souvint qu’elle avait été très peinée de cette petite intervention qu’elle avait vécue comme une atteinte à sa féminité. Elle vivait à l’époque le premier grand amour de sa vie, un jeune homme qu’elle fréquentait depuis l’adolescence. Cette relation commençait alors à battre de l’aile, plus en raison sans doute des problèmes de 220
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santé mentale de ce garçon, fort attachant au demeurant mais qui basculait peu à peu dans un état psychotique. Dans les jours qui suivirent cette éruption il y eut comme « une boule de sang » dit-elle qui s’évacua de la lésion, puis, peu à peu, celle-ci cicatrisa de nouveau et laissa place à une peau plus belle qu’auparavant. Il est d’ailleurs intéressant de noter également qu’après l’ablation de la lésion initiale apparut à proximité un autre petit grain de beauté qu’elle trouva tout aussi joli que le premier. Dans cet exemple, l’articulation apparaît très nettement entre le corps réel et le corps imaginaire, la représentation corporelle onirique précédant la manifestation somatique, toutes deux étant de même nature quant au contenu. Le rêve apparaît là en effet comme la voie de passage de l’un à l’autre. D’autres manifestations corporelles apparurent dans le contexte de cette relation. Tout d’abord des mycoses vaginales qui suivirent pratiquement toutes les relations sexuelles qu’elle avait avec ce garçon. Puis de nombreuses réactions allergiques cutanées, à type de prurit généralisé. Un de ces accès survint dans un contexte tout à fait évocateur eu égard à sa problématique œdipienne. Elle passait un week-end avec son ami et le père de celui-ci au bord de la mer, sur le littoral normand. Lors d’un bain de mer, elle se rendit compte que le père de son ami lui tournait autour ostensiblement, et cela la choqua profondément. Une forte crise allergique succéda à cet épisode. Un autre point doit également être également souligné. C’est la sensation qu’avait la patiente dans cette période, et surtout dans cette relation, de retrouver quelque peu l’odorat. Et plus précisément l’odeur corporelle, autant la sienne propre que celle de son ami. Besoin s’il en était d’un souci de reconnaissance et de différenciation, même s’il est difficile de dire si nous avons à faire dans ce cas à des sensations olfactives réelles ou à des éidolies hallucinosiques. Il semble toutefois qu’elles aient pu être réelles, des neurologues spécialisés dans ce domaine lui ayant fait récemment entendre que son nerf olfactif n’était pas détruit et qu’il n’était pas incongru de penser qu’elle puisse retrouver l’odorat. On voit dans toutes ces réactions comment le corps se manifeste dans un axe éminemment relationnel et identitaire. Toutes ces manifestations se sont déroulées dans un contexte où la patiente était en quête de son identité de femme dans sa relation amoureuse aux hommes. Celle-ci, pour être réussie, devait au moins se départir de toute confusion de nature œdipienne. Il apparaît également comment le rêve médiatise les passages du corps réel au corps imaginaire, sur un mode circulaire, et relie ces deux instances. Ceci est peut-être le point le plus important. On 221
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voit qu’il a directement partie liée avec la mémoire, elle-même se situant dans une inscription corporelle. Un dernier exemple nous servira de conclusion. Il s’agit d’une des histoires les plus bouleversantes qu’il m’ait été donnée de traiter jusqu’alors. Bintou, une jeune femme africaine appartenant au peuple peul, vint me voir pour un état dépressif sévère dont elle n’arrivait pas à se remettre et dont les causes étaient pour le moins dramatiques. Elle s’était en effet mariée à un européen avec qui elle eut une petite fille, et dont elle s’aperçut, alors que l’enfant n’avait que deux ans et demi, qu’il abusait d’elle. Elle en fut bien entendu profondément choquée, se sépara de cet homme, et était désespérée de la lenteur avec laquelle la justice traitait cette affaire, malgré des preuves accablantes, dont expertises médicales, disait-elle. Lorsque je recevais pour la première fois la patiente, l’enfant avait environ cinq ans, elle trente-quatre. Elle avait vu des psychiatres, prenait un traitement antidépresseur mais aucun soutien psychothérapique, et encore moins une thérapie de fond, ne lui avait été proposée. Elle était désemparée, et très abattue. Je lui proposai alors des séances régulières qu’elle accepta fort bien. Elle me raconta les faits, puis des éléments biographiques. Elle avait vécu les sept premières années de sa vie en Afrique, en Guinée. Son père, diplomate, vivait en France et s’était depuis longtemps séparé de sa mère. Il fut décidé qu’elle le rejoigne à Paris, afin de bénéficier d’une meilleure scolarité. Celui-ci avait refait sa vie avec une autre femme dont il avait eu un enfant, une petite fille. Il était au début souvent question de son père pour lequel elle manifestait beaucoup d’admiration. Elle raconta comment notamment il était tombé peu à peu malade des reins, comment elle allait régulièrement à l’hôpital pour s’occuper de lui, lui faisant même parfois sa toilette, jusqu’à sa mort. Elle se souvint aussi qu’elle était enceinte à ce moment là mais qu’elle n’osa pas le dire à son père. Il s’était opposé à sa liaison avec le père de l’enfant qui n’était autre qu’un cousin de la patiente, qu’elle aimait mais avec qui elle ne put poursuivre la relation. Cette enfant dont elle ne put s’occuper fut confiée à sa mère en Afrique où elle vécut sept ans, tout comme la patiente. Puis un fait troublant se produisit lors d’une séance. Alors qu’on abordait son adolescence et qu’elle évoquait notamment sa relation très tendue à sa marâtre, elle eut à un certain moment le regard absent, et elle se mit à soliloquer plus qu’à me parler. « Mais pourquoi je me vois courir tout autour du lit, se mit-elle à dire, pourquoi mon père envoie pendant ce temps ma petite sœur acheter des croissants, c’est pas normal ça ». On devinait bien que pendant qu’elle s’exprimait des images défilaient dans sa tête, puis 222
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elle poussa un cri, comme horrifiée. La réalité lui revenait en mémoire, elle venait de se rappeler l’inceste de son propre père sur elle. Elle fut bouleversée, se demandait comment il était possible qu’on puisse oublier ces choses là. D’autant qu’elles s’étaient passées depuis environ ses quatorze ans jusqu’à ses dix-huit ans. Et il ne s’était pas contenté de la violer, mais il la frappait également, parfois avec des bâtons ou des barres de fer, lui imposait des brimades et la menaçait. Elle demeura stupéfaite, comme incrédule, pleurant, sanglotant, ressassant ces scènes et se demandant à plusieurs reprises comment elle avait pu oublier, cela lui paraissait incroyable, mot qu’elle répéta souvent. Elle qui était venue me consulter parce que son ex-mari avait commis l’inceste sur sa fille venait de réaliser avec horreur qu’elle avait subi le même sort. Cette jeune femme avait subi l’inceste pendant des années de la part de son père et elle avait forclos l’événement, tant cela était impensable, tant cela était indicible, et tant surtout les affects avaient été à ce point insurmontables qu’ils avaient été refoulés en masse, faisant subir du même coup aux représentations qui leur étaient liées le même sort. Cette observation pose de très nombreuses questions, et s’est avérée d’une très grande richesse quant au matériel apporté, mais il n’est malheureusement pas question de les développer ici. Je vais seulement décrire deux faits pour illustrer notre propos. Le premier concerne les marques des coups reçus qu’elle porte sur son corps et dont elle ne savait plus à quoi curieusement attribuer l’origine. Elle en était cependant très complexée, au point d’avoir réussi à les dissimuler notamment aux hommes qu’elle avait connus. Il s’agissait de traces situées surtout aux jambes et au dos. Dès lors qu’elle put en identifier l’origine par ce réveil mnésique, elle commença à ressentir des douleurs à leur niveau, comme si on la battait, disait-elle, exprimant par ce corps souffrant tout ce que Pierre Boquel a parfaitement décrit sur la douleur, notamment celle qu’il a appelé la douleur relationnelle. La mémoire retrouvée s’accompagnait également du réveil de la mémoire corporelle, dont elle n’est à l’évidence pas dissociable. Ces traces silencieuses jusqu’alors se réveillaient à nouveau. Dans ce même registre et pour finir je citerai un rêve de la patiente fait après qu’elle ait retrouvé la mémoire des faits. Dans ce rêve, elle se revoit adolescente. N’ayant pas de ticket de bus, elle se rend à pied à son collège. Ses baskets sont trouées, c’est l’hiver et elle doit marcher dans la neige. Ses pieds lui brûlent. Lui demandant quelle lecture elle pouvait en faire, elle me répondit aucune, c’étaient les faits eux-mêmes. Voilà un rêve qui 223
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n’avait besoin d’aucun travestissement imaginaire pour exprimer un contenu, il était ce contenu même, à entendre de façon littérale. Ce rêve reproduisait à l’identique une scène réelle qu’elle avait oubliée. Son père, par brimade, lui interdisait parfois de prendre le bus pour se rendre à son collège, ne lui donnait pas de ticket, et elle dut y aller assez souvent à pied. Elle se rappelle fort bien, grâce au rêve, d’y être un jour allée sous la neige. Ses chaussures étaient trouées, et prenaient l’eau glacée. Elle en eut des brûlures. Outre là encore la réactivation mnésique médiatisée par le rêve, se produisit un phénomène identique à celui qui eut lieu pour les traces de coups. Elle se mit, après le rêve, à ressentir des brûlures à la plante des pieds qui durèrent plusieurs semaines, identiques à celles qu’elle ressentit la première fois. La mémoire retrouvée, le corps participait pleinement à cette réactivation. Il gardait en lui la mémoire des blessures d’antan, sur un mode sensitif, et le signifiait. Ce corps retrouvé, quand bien même fut-ce dans la douleur, était la condition sine qua non qui permettait l’évacuation du matériel pathogène, non sur la forme du refoulement, mais du traitement, tel que notamment une relation authentique pouvait l’autoriser, relation à laquelle peut prétendre toute thérapie, pour peu qu’elle réponde aux critères que nous avons développés tout au long de cette communication. Ainsi, à la notion de « saut mystérieux » peut-on opposer celle de passage où, pour peu qu’il persiste un certain degré de projection, ni trop important qui confinerait à la psychose, ni trop faible qui pourrait s’accompagner d’une faillite du système immunitaire et confinerait à la pathologie organique, souvent grave, le corps se maintient dans un équilibre relatif qui sous-entend un lien étroit entre corps réel et corps imaginaire, entre soma et psyché qui apparaissent, comme on peut le voir dans ces nombreux exemples, indissociables et entre lesquels s’opèrent, selon un principe de circularité, des passages incessants. Nous dirons enfin pour conclure que cela s’oppose à Descartes, Malebranche et Lacan chez lesquels la défiance par rapport aux sens est à son comble, et où le corps disparaît dans sa corporéité même et dans son existence au profit du signifiant (aphanisis). Cela rejoint par contre des auteurs comme Montaigne, Spinoza, et Tchouang-tseu chez lesquels la primauté du corps est mise en exergue, corps que nous avons intérêt d’appeler, en vertu de la pratique et de la théorie qui en découle, le corps relationnel.
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Psychomotricité
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Recherche en psychosomatique. Psychosomatique : nouvelles perspectives
Monique Dejardin
L’identité liée à la représentation de soi, de l’autre et à l’espace Leurs représentations
Histoire de Kévin Il a 8 ans et demi et double le CP. Il commence à développer une véritable phobie scolaire. Les enseignants parlent même de régression des acquis. Il est menacé d’exclusion pour des troubles massifs du comportement : hypomanie, recours à l’agir, bagarres, violences et chapardages. La maman vient au CMPP car c’est la condition à son maintien dans le milieu scolaire. Elle-même n’est pas inquiète, dit-elle.
Éléments d’anamnèse Ils sont donnés par Madame L. qui banalise les évènements. Pourtant son vécu de la grossesse a été particulièrement difficile avec le décès de son père puis le diagnostic d’une toxoplasmose faisant envisager une I.V.G. La dégradation de ses relations avec le père de Kévin adoptant des conduites alcooliques l’a décidée, au 5e mois de grossesse à le quitter brutalement pour aller vivre chez sa mère. L’accouchement a lieu par césarienne. Kévin s’est présenté avec un cordon ombilical « en parachute ». Le père de Kévin ne l’a pas reconnu et n’a plus jamais donné de ses nouvelles. Madame L. ne dit pas si elle a cherché à en obtenir. 227
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La mère de Kévin s’est culpabilisée de ne pas pouvoir l’allaiter. Au chômage, elle est venue chez sa sœur dans la région parisienne (Kévin avait 18 mois) - pour trouver du travail, d’abord en intérim. Elle rentre le week-end pour retrouver son fils confié à la grandmère maternelle. Elle se repose beaucoup sur sa mère qui tente de s’identifier à une mère éducative idéale d’autant plus facilement qu’elle est assistante maternelle. Le développement psychomoteur est banal ou banalisé par Madame L. avec toutefois des troubles du sommeil à partir de 18 mois lors de son départ en région parisienne, troubles réapparus à l’entrée au CP. Kévin a parlé à 3 ans, à son entrée à l’école maternelle. Madame L. a fini par trouver un travail stable et un logement en banlieue. Kévin et sa grand-mère sont venus la rejoindre pour l’entrée en maternelle. Un nouveau déménagement intervient 5 ans plus tard car la famille ne supporte plus de vivre dans un quartier réputé difficile.
Les premières rencontres Kévin est accompagné par mère et grand-mère. Elles ressemblent à des « matriochkas », des poupées russes gigognes vêtues de grands pulls tricotés comme est vêtu Kévin lui-même. Mère et grand-mère empêchent Kévin de se différencier d’elles-mêmes. On perçoit dès le premier abord que pour leur problématique commune « être différent c’est perdre l’autre ou se perdre soi-même »1. La mère fonctionne deux fois dans le double :avec sa mère et avec son fils. Elle, évacue le tiers. Ils sont tous trois dans une situation d’enfermement, sans accès à l’imaginaire, à vouloir trop se protéger du réel. Mère et grand mère ont mis en échec toutes les propositions d’aide offertes par les consultants du secteur : participation à un groupe de socialisation et entretiens individuels pour Kévin qui n’ont fait qu’ajouter à une excitation déjà débordante. Elles n’ont pas compris le sens d’un accueil thérapeutique. Elles sont accrochées à un monde où le travail est une valeur primordiale et Kévin ne veut pas travailler ni réfléchir constatent-elles douloureusement. Kévin est un beau garçon trapu, sympathique. Il porte des lunettes « pour soulager le nerf optique qui se bloque à cause de sa nervosité » dit la maman. L’agitation de fond et l’impulsivité sont très importantes. Kévin est sans limites. Il est très bruyant pour nous empêcher de parler. 1. Sami-Ali, Séminaire oral.
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S’il répond à mes demandes c’est parce qu’il est séduit par le matériel et le cadre de la pièce. Seule la possibilité de jouer retient son intérêt. Il sait qu’il est précédé par une réputation peu flatteuse due à ses transgressions incessantes, à ses évictions scolaires répétées. Il vient d’être testé parce qu’il ne sait ni lire ni écrire à presque 9 ans. On a noté des problèmes au niveau du maniement du langage, des successions temporelles, de l’anticipation, de sa difficulté à se projeter dans l’espace et le temps. Il a du mal à se positionner dans la relation à l’adulte. Même en situation de réussite, il montre toute sa problématique par rapport à la loi. Ses troubles de l’identité, ses colères explosives, ses injures à l’égard des adultes témoignent des carences précoces « au moment de la constitution du premier socle identitaire qui s’inscrit dans le corps, dans les rythmes d’échange. C’est le rythme de la mère de son histoire personnelle et de son environnement socioculturel qui sert de repère fondamental à notre identité » (J.-M. Gauthier). L’absence de repères symboliques ne permet pas à Kévin d’exprimer sa pensée. Il est avide de tuteur et de protection. Sollicité pour occuper la place de parrain, Vincent, un jeune collègue de sa mère, s’occupe un peu de lui mais quand Kévin veut l’appeler Papa il refuse d’être affublé de l’avatar paternel. Le père est absent du discours de la mère et la filiation est court-circuitée. Faute d’image paternelle, Kévin se place dans une position masochiste vis à vis des durs de l’école qu’il provoque. Il commence alors les chapardages, se fait racketter et la vie pour lui devient impossible, comme pour la mère souvent convoquée pour ses incivilités. Sa quête identitaire n’est pas reconnue. Il rejette le code social familial parce qu’il ne peut s’approprier celui de sa grand-mère. Celle-ci en est culpabilisée car les choses ne sont pas conformes ; elle accentue alors son rôle de Sur-moi corporel rigide (concept dégagé par Sami Ali)2. Dès ce premier entretien on perçoit l’ampleur des difficultés de Kévin et de sa souffrance. « Être une personne disait Berthe Eidelman implique trois notions qui sont liées : avoir un corps propre, un espace et un rythme, c’est aussi avoir une identité qui se construit progressivement dans une relation. La temporalité implique un avant et un après, détermine un rythme des échanges, caractérise un individu en lui donnant son style propre. » Chez Kévin cette fonction est en voie de constitution ce qui autorise l’espoir de changement. La construction de l’espace est étroitement liée au mouvement. D’emblée Kévin investit massivement l’espace de la salle et « le petit vélo » (en fait une trottinette) avec laquelle il se jette en tous 2. Sami-Ali. L’espace imaginaire. Paris, Gallimard, 1979.
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sens contre les murs, en quête des limites de son corps, afin d’éprouver sa résistance dans une projection motrice et sensorielle, probablement pour expérimenter les limites du soi corporel et du moi psychique. Kévin n’a aucune maîtrise gestuelle, pas d’ajustement tonique corporel. Il n’y a pas encore passage de l’espace corporel à l’espace de représentation. Kévin ne peut se repérer sur le corps propre, il nomme certaines parties du corps mais c’est encore un apprentissage plaqué. La structuration de l’image du corps lui pose problème mais en éprouvant du plaisir dans le jeu et du plaisir à être partout, il commence à faire un travail d’élaboration psychique. Le manque de contrôle pulsionnel est générateur d’angoisse. Il évoque les difficultés structurelles des premières relations autour de la représentation de soi comme séparé et en sécurité, uni, entier. Kévin n’a aucun repère dans le temps légal hormis les jours de vacances scolaires et les jours chômés par la mère. Il ne peut vraiment se situer que par rapport à elle comme s’ils avaient un corps pour deux. À beaucoup de questions il répond « maman m’a pas dit ». Il n’a pas de désir de connaissance, même de ce qui pourrait l’intéresser : les règles du foot par exemple. Il ajoute qu’il n’en veut rien savoir ; il est dans un fonctionnement régressif (comme en classe) par intolérance à la frustration, à la distance d’avec un objet maternel instrumentalisé. L’interdit libérateur n’est pas posé par une référence paternelle qui n’est pas reconnue par la mère. Kévin n’a pas beaucoup de repères dans l’espace non plus. Il ne connaît pas son adresse. Il sait seulement qu’il habite avec mère et grand-mère. Comme pour s’excuser il ajoute qu’il y a parfois des invités. Kévin est dans une impasse identitaire majeure, liée à la filiation, à la non-différenciation au visage de la mère et à la différenciation sexuelle, peu marquée. Les premières séances se ressemblent toutes, dans l’explosion ou l’expulsion, dans la décharge motrice ou la logorrhée ou plus exactement les onomatopées, faute de pouvoir élaborer. Kévin est toujours en mouvement pour combler le vide ou pour créer un espace qui lui appartienne. Je suis seulement spectatrice. Kévin ne m’invite pas à jouer, ne me répond pas quand je propose de jouer avec lui. Il m’a prévenue qu’il ne voulait rien faire d’autre qu’utiliser le vélo ou taper dans le ballon (ballon comme objet/image du corps ?). Kévin jubile. Il est très content de venir au CMPP me dit sa grand-mère. Je suis perplexe et proche de l’épuisement mais je décide d’attendre faute de comprendre ce qu’il veut vraiment. Kévin a besoin dans un premier temps de vivre son corps réel, de l’expérimenter, pour pouvoir construire une activité projective dans une relation à un adulte qui va recadrer pour passer à une représentation. 230
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Son avidité à posséder tous les objets de la salle le conduit à vouloir emporter chez lui le vélo/trottinette. Il accepte mal mon refus car dit-il quand il veut quelque chose il le prend. Il n’émet aucun doute critique. Il n’est pas dans la provocation. Le vélo/trottinette est son objet/image du corps et il le revendique. Il argumente et dans l’échange il se calme. Il peut alors adopter des rythmes corporels différents de ceux du corps maternel (Madame L. est toujours « speed ») et endiguer ses états de tension. C’est une manière de se rassurer, de maîtriser sa vie, de faire fonctionner son intelligence. Il perçoit que je suis présente mais que je peux le lâcher sans l’abandonner, à la différence du milieu familial. Kévin a exploré toute la salle et son contenu. Il s’attaque maintenant à celui des placards qu’il vient de repérer. Il déniche deux tréteaux sur lesquels il juche le vélo/trottinette pour le réparer dit-il et se réparer lui-même semble-t-il. Il s’enquiert de l’utilité de la pédale. Un peu vite je réponds que c’est pour freiner. Il n’est pas d’accord du tout et le répète. Lui, pense que c’est pour aller plus vite. Il sait tout me dit-il et me demande comment on appelle celui qui prétend tout savoir, ce que lui reproche sa grandmère. Kévin passe la séance entière à la « réparation » du vélo et il coordonne alors ses gestes avec une certaine harmonie. Il est fasciné par la mécanique et évoque François le propriétaire du magasin de motos situé sous l’appartement familial. Il en parle avec admiration comme aussi des mécaniciens de l’atelier. Il y passe tout son temps libre, y semble bien toléré, rend des services et reçoit quelque argent. Il n’est plus dans l’impuissance puisqu’il gagne de l’argent. Les mécaniciens ont réparé le « vrai » vélo de Kévin qui ne s’en satisfait plus. Il souhaite avoir une moto. Comme ce désir est inaccessible dans la réalité, il propose de modifier le vélo de la salle de psychomotricité pour le transformer en moto. Il prend la mesure des difficultés de la tâche et réalise qu’il ne peut le faire sans aide. Il parait prendre conscience de ma présence attentive et accepte des conseils, faire un plan, se projeter dans un espace et un temps, renoncer à l’immédiateté. Le dedans/dehors c’est François et son atelier de mécanique et sans doute moi-même comme tiers. C’est pour Kévin la première séparation d’avec sa mère. Il me confie qu’il ne veut plus porter les pulls tricotés par mère et grand-mère, qu’il voudrait des jogging de marque pour être comme les autres enfants, c’est-à-dire être pareil et différent.
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Identité et représentation Kévin accepte enfin de dessiner. Il réalise un losange en copiant péniblement le modèle. Il commente. J’ai compris un losange c’est deux triangles sans barre (comme Kévin et sa mère en miroir.) Le bonhomme, succinct, c’est lui sans pieds sans sécurité de base. La famille, c’est la famille élargie, très particulière. Les personnages n’ont pas de visage, lieu de l’identité3. Ils sont différenciés seulement par la taille ou par la couleur « tactile, proche du corps »3. - d’abord en jaune solaire les cinq « tontons » ; - puis en rose « les mamans » (mère, tante, marraine) et séparées mais plus petites, la grand-mère maternelle et l’arrière grand-mère maternelle. Elles portent des jupes ; - enfin en violet les cinq cousins dont Kévin fait partie. Il a bien la notion d’inclusion dans la famille élargie mais pas dans la famille nucléaire. Le dessin témoigne de la représentation de l’espace psychique. Pendant longtemps Kévin n’a voulu laisser aucune trace parce que « la trace c’est la séparation possible » (Serge Tisseron).Il commence seulement à relier le monde du dedans au monde du dehors, son monde intérieur au monde extérieur. La maison : Kévin ne fait aucun commentaire. Le bas de la maison se confond avec le bord de la feuille de papier. Elle « reflète » son sentiment d’insécurité, de son tropisme pour le concret, de son besoin sensoriel de proximité. Les fenêtres avec leurs rideaux évoquent les visages en miroir de la mère et de l’enfant et de la mère et de la grand-mère ? Kévin et sa mère fonctionnent dans un espace de complémentarité imaginaire, en inclusion réciproque où l’intérieur est l’équivalent de l’extérieur. Le chat sur le toit c’est peut-être Kévin qui cherche à s’échapper et la lucarne du toit le Sur-moi, l’œil qui impose ou surveille. En dessinant, Kévin montre ce qu’il sent avant de montrer ce qu’il sait. Il est dysharmonique dans le contact qu’il établit avec les personnes et dans la relation au savoir mais il commence à tenir compte de mes interventions. Une distance prudente peut s’installer Il la traduit par le passage du tutoiement au vouvoiement. Il n’est plus le double de l’autre. Il le sait. Il y a constitution d’un dedans/ dehors avec celle de la notion de l’autre différent de soi, de la distance et de la profondeur, avec la découverte du tiers.
3. S. Cady et C. Roseau. Les métamorphoses du corps. Paris, L’Harmattan, 1996.
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La famille. (1) J’ai 5 tontons ; (2) puis 5 mamans (plus 1 marraine et une autre tata, « ma mère » ; (3) à part, la GMN et l’AGMN ; (4) les cousins, Rudy, Philippe, Kévin et Daniel.
Madame L. se déprime. Elle est en arrêt maladie et peut se charger de l’accompagnement de Kévin au CMPP. Elle peut dire que Kévin va mieux, qu’il s’est fait un copain avec lequel il « prend des cotes » pour le plan de la future moto. L’évolution scolaire est perceptible même si les résultats sont modestes. Il est plus posé mais il reste en conflit avec la maîtresse, à laquelle il a voulu « coller deux baffes » mais il s’est arrêté à temps dira-t-il avec soulagement. Il va aller à Fort Boyard avec sa classe et s’entraîne ici. Il est devenu adroit à la balle au mur. et enlève ses lunettes pour mieux jouer. Je n’en ai pas besoin affirme-t-il. Sa mère l’a inscrit à une colonie de vacances. 233
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Kévin continue à parler inlassablement de l’atelier de mécanique et s’intéresse à la publicité lumineuse « Bike » accrochée au dessus de la boutique et donc sous son appartement. Pour se moquer, les employés ont dit à Kévin qu’il était comme le patron. Il l’a pris au premier degré. et m’en a parlé. Son écart à la réalité reste préoccupant. Kévin souhaite que je l’aide à calligraphier Bike (moto en anglais). Il subit un nouveau traumatisme. Un de ses oncles maternels vient de faire une tentative de suicide par autolyse « à cause de sa copine » qu’il veut aller corriger parce qu’elle a « traité » sa famille. Il vitupère contre les femmes, des « garces » comme la maîtresse. Il est blessé narcissiquement par la défaillance des hommes qui lui sont proches : grand-père maternel décédé avant sa naissance :père absent, parrain fuyant, oncle vulnérable. En cadeau d’anniversaire il reçoit une boîte à outils, d’adulte précise-t-il. Il m’interroge. A-t-il le droit d’en posséder une ? Par cette question il montre qu’il peut maintenant occuper sa place d’enfant et qu’il possède un certain degré de maturité. Au retour des vacances il est désinvolte, insolent. Il sort de la pièce. Je m’en étonne. Il dit qu’il fait comme çà chez lui. Sa mère demande un rendez-vous en urgence. Kévin, effondré sanglote. Il a « emprunté » des bombes de peinture (chères) dans l’atelier de François en vacances. pour repeindre son vélo réel (pour en faire une moto ?) Depuis il n’a plus accès à ce lieu tant investi et à la protection bienveillante de son propriétaire. Il est dans l’impasse 234
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totale. Sa souffrance est océanique. Il propose de faire une lettre d’excuses. J’accepte de l’aider. en écrivant sous sa dictée un modèle qu’il recopiera. à la maison. C’est pour lui une épreuve initiatique, la découverte de la fonction magique de l’écriture qui a permis l’effacement de la dette, car il sera pardonné. Il est fou de joie et fatigué parce qu’il a passé la nuit à écrire une seconde lettre d’excuses aux mécaniciens qu’ il avait insultés. « Écrire est assimilé à exister en grandissant, à aller vers l’œdipe »4. C’est l’interdit maternel de l’accès au père qui l’avait maintenu dans l’évitement œdipien. Dans ce climat de confiance retrouvée, la grand-mère offre à Kévin des trésors, des objets ayant appartenu à son grand-père : une lampe de poche, des jumelles et un anti-vol... Ce don symbolique le place enfin dans une filiation tangible. Kévin repère sur mon bureau un beau livre relié qu’il prend pour la Bible de son grandpère, grand-père auquel il peut s’identifier. Comme lui il veut lire. Le potentiel évolutif était sans doute déjà construit mais il ne se voyait pas étant donné son attitude négative par rapport à l’environnement scolaire. Kévin devient gentil, agréable. Il parle vrai, se confie. Sa mère s’est trouvé un copain mais « pas pour se marier ». Kévin voudrait un petit frère. Elle lui révèle qu’il aurait du avoir un jumeau, mort-né à l’accouchement. Kévin ré-incorpore son histoire. Il n’y a plus de secret. Narcissisé par l’intérêt de sa thérapeute il a acquis un sentiment de soi dans l’identité.
4. S. Cady et C. Roseau. Le corps, le mouvement, la parole. Collection Païdos. Paris, Le Centurion, 1992.
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Berthe Rehahla
Psychomotricité et psychosomatique Relation-non relation dans la thérapie d’une enfant sans langage
Je souhaite essayer de cerner l’importance de la paradoxalité de l’affect dans ma compréhension de l’évolution thérapeutique de cette petite fille. Et peut-être, de manière plus générale chez les enfants présentant un trouble envahissant du développement. En psychomotricité, on est souvent amené à prendre en charge des enfants présentant un trouble global du développement, d’autant plus que ces enfants ont toujours associé ce qu’on nomme un retard de parole et de langage, et une approche corporelle est souvent la seule réalisable. Ce type de pathologie se situe bien en deçà de la distinction entre psychopathologie et pathologie liée au refoulement de la fonction de l’imaginaire. Généralement le développement de l’enfant est pris dans une impasse à un moment très précoce de son développement, et une problématique de constitution est toujours très présente. Élise est une petite fille qui a un trouble grave de la relation. Elle ne parle pas, elle n’a aucune activité symbolique. Du point de vue des diverses classifications symptomatiques des troubles mentaux des enfants on peut dire qu’Élise présente un trouble envahissant du développement, ou bien, si on se réfère à la classification française elle pourrait entrer dans le cadre des psychoses à expression déficitaire. Ce qui a suscité mon intérêt a été l’intense énergie 237
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qu’elle a mise dans le refus d’entrer en relation. Plus précisément, elle avait une apparente intense énergie, un déficit cognitif immense et également un intense refus d’entrer en relation dont les manifestations (par exemple ne pas vouloir rester dans la salle de traitement) m’évoquait un désir d’aller voir ailleurs si le monde y est plus intéressant. On peut percevoir l’aspect paradoxal de l’affect dans le fait que là où la relation est proposée c’est « pas », mais là-bas où on ne sait pas ce qu’il y a, alors c’est « peut-être ». D’autres manifestations de l’affect paradoxal étaient dans ce que me disait sa mère, qu’il lui était très difficile de savoir ce dont sa fille avait besoin, difficile de préciser l’objet de sa demande ; c’est ainsi qu’elle ne réussissait pas à connaître ses besoins corporels, si elle avait faim ou sommeil, ce qui avait pour corollaire la nécessité d’avoir à lui imposer de s’occuper d’elle indépendamment de la prise en compte de ses besoins. Autrement dit, la mère devait, pour la survie de sa fille au sein de la famille, se comporter en « surmoi corporel ». Ce qui est la situation inverse de celle décrite habituellement, de « mère absente par sa présence », qui se comporte en surmoi corporel uniquement. Ou bien encore le fait que, confrontée à mon refus, par exemple de la laisser sortir de la pièce, elle faisait une violente colère en se mordant la main, retournant son agressivité contre elle-même, et non pas contre moi, un peu comme si nous n’étions pas différentes, elle et moi, ou peut-être comme si moi, en tant qu’autre qu’elle, je n’existais pas, ou peut-être ne pouvait-elle pas imaginer que j’avais une intention à son sujet. Dans « Le Rêve et l’Affect » (p. 111), Sami-Ali écrit : « Si on considère que le réel, en tant que littéral, s’accompagne d’un affect neutralisé correspondant au neutre, il devient possible de concevoir que l’affect, présent ou absent, se trouve invariablement en corrélation avec l’expérience du monde. Tout se passe alors comme si l’affect et la représentation étaient l’envers d’un seul et même phénomène auquel la perception et la projection donnent accès, parallèlement à la présence du corps au monde et du monde au corps. » Ceci m’a paru illustrer la difficulté constitutive du tableau clinique présenté par Élise : par son refus de l’affect, probablement depuis qu’elle est toute petite, elle était en situation de ne pas pouvoir se constituer de représentations du monde. Et de ne pas pouvoir, non plus, constituer une parole. « La parole fait partie d’une processus d’objectivation, elle participe d’un acte créateur où véritablement nommer donne existence à l’objet » écrit Sami-Ali (p. 130). Mais encore faut-il qu’il y ait des représentations à objectiver, ce qui semblait n’être pas le cas chez Élise. 238
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« La relation maternelle première est le lieu d’apprentissage de l’affect, apprentissage qui s’opère parallèlement à la constitution du soi et à l’acquisition d’une langue modulée par la mère » (p. 139). Que se passe-t-il lorsque la relation maternelle première s’est imparfaitement mise en place, par exemple du fait d’une profonde dépression maternelle ? Lorsque je l’ai connue, Élise avait environ trois ans. Elle était très petite, fine et harmonieuse. Il y avait un réel plaisir à la regarder. Cependant elle était très autoritaire : elle a fait une violente colère et s’est mordu le doigt parce qu’elle voulait sortir, alors que ni sa mère ni moi ne le voulions. Elle réagissait de la même manière chez elle, chaque fois qu’elle ne pouvait faire ce qu’elle voulait. Nous n’étions pas là dans une angoisse au visage étranger, véritable angoisse de dépersonnalisation, qui aurait permis de supposer qu’Élise percevait l’ébauche d’une différence entre elle et autrui. Il n’y avait pas d’angoisse apparente, mais un refus violent et coléreux de rester là, qui s’exprimait par des cris et des pleurs, et par le fait qu’elle se mordait violemment la première phalange de l’index droit. Si on n’accédait pas à sa demande de partir,elle pouvait aussi arrêter sa colère, et allait dans une autre direction. Pendant un certain temps elle était toujours en mouvement, à un rythme plutôt rapide, prenant un jouet puis le reposant sans vraiment s’y intéresser, ou prenant un livre qu’elle feuilletait très rapidement tout en paraissant le regarder attentivement. Au cours de cette activité sans ordre ni signification apparente, elle jargonnait avec l’accent italien et je croyais qu’elle disait quelque chose, mais la mère m’a détrompée. Elle manifestait à nouveau l’envie de partir et le cycle recommençait, dans une temporalité cyclique, qui est une temporalité discontinue. En fait, elle ne communiquait pas, ni avec moi ni avec sa mère. Elle n’établissait aucune relation par le regard, ni par les gestes, ni non plus par la parole. Sauf au moment de nous quitter, où elle m’a regardée, pendant une durée tellement brève que je n’étais pas certaine de l’avoir perçu.
L’histoire d’Élise Élise est la troisième d’une famille de quatre filles. Son premier développement a été apparemment normal mais elle était considérée comme une petite fille très indépendante. C’est le médecin de PMI qui s’est inquiété parce qu’elle n’avait pas évolué entre le bilan fait à 15 mois et celui fait à 18 mois. Vue en consultation dans un 239
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service de neuro-pédiatrie, hormis le retard de parole, l’examen clinique était normal, ainsi que l’EEG et l’IRM, le caryotype ne révélait rien d’anormal. Et une psychanalyse avait été prescrite. Mais la mère, dont les quatre filles étaient encore petites n’avait pas la disponibilité suffisante pour se déplacer trois ou quatre fois par semaine avec Élise, c’est ainsi quelle est arrivée au CMPP où elle a rencontré un pédopsychiatre qui me l’a adressée en traitement. Élise a marché à 14 mois. À trois ans, lorsque je l’ai connue, elle ne parlait pas, et son jargon n’avait pas valeur de communication. Elle n’avait pas acquis de maîtrise sphinctérienne. Elle avait des troubles du sommeil, avec des difficultés à s’endormir et des réveils nocturnes. Elle avait tendance à repousser sa mère lorsque celle-ci s’occupait d’elle. Elle avait une anorexie sélective importante, ne prenant que du pain et de l’eau, et elle ne restait pas assise à table avec les autres membres de la famille pendant le temps du repas, ce temps paraissait sans signification pour elle, et elle continuait son activité elle aussi sans signification apparente. Sa mère me disait sa difficulté à reconnaître les besoins corporels de sa fille. L’élément qui me paraît le plus important dans les rapports d’Élise et de sa famille est l’absence de conflictualisation majeure. La vie paraît se dérouler sans heurts majeurs entre parents et enfants, et des enfants entre elles, hormis les colères d’Élise. Notamment il ne paraît pas y avoir de contraintes adaptatives importantes envers les enfants. La mère semble étonnée de ses difficultés à comprendre les demandes de sa fille, mais c’est ainsi et on n’y peut rien. Lorsque les troubles du comportement d’Élise entravent la vie de la famille on lui oppose une solution matérielle en espérant que ces troubles disparaîtront d’eux-mêmes. Par exemple on ferme à clef la porte de la cuisine pendant le temps du repas pour l’obliger à rester avec tout le monde. Surtout, il semble y avoir une place d’enfant arriéré dans la famille, place qu’Élise va occuper. Père et mère sont issus tous deux de familles nombreuses, le père est l’aîné de sa fratrie, la mère en est la benjamine. L’un des oncles paternels d’Élise est probablement un ancien autiste et travaille actuellement dans un CAT. Le destin d’Élise sera le même si elle n’évolue pas davantage. Tout simplement. Il y a toujours dans une famille un enfant qui est un peu raté, m’a-t-on dit. La thérapie implique essentiellement une observation aussi bien d’Élise que de moi, de ce que je ressens ou fais. Je rencontre Élise dans le cadre d’un CMPP depuis maintenant trois ans. Elle a six ans, et je la connais donc depuis la moitié de sa vie. Nous avons un long chemin en commun, et cependant je connais peu de choses concernant l’histoire de la famille. Ce sont 240
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les transformations de notre relation, ainsi que l’émergence de certaines possibilités cognitives, sous-tendues par la mise en œuvre d’une projection corporelle rendue possible par le développement de notre relation, que je souhaiterais évoquer. J’ai d’abord rencontré Élise une fois par semaine avec sa mère, puis j’ai réussi à dégager un temps pour la mère seule une fois par quinzaine, mais elle m’a amené sa quatrième fille qui présentait elle aussi un retard de développement psychomoteur et un retard de parole. Lorsque j’ai obtenu qu’elle adresse cette fille à quelqu’un d’autre, elle a pu m’expliquer qu’elle-même avait été une petite fille silencieuse et en retrait jusqu’à deux ou trois ans, c’est sa mère qui le lui a dit. Elle-même n’a aucun souvenir du passé. Elle essaie d’assumer la complexité du présent de la façon la plus adaptée possible. Pour ses filles elle n’a aucune ambition d’avenir, chacune fera ce qu’elle pourra. Pour ce qui est de la petite enfance d’Élise elle ne se souvient de rien de précis, elle confond ses quatre filles, dont les naissances sont relativement rapprochées. Et ce d’autant plus qu’il n’y a eu aucun événement marquant pour aucune des quatre, les grossesses et les accouchements se sont passés sans difficulté aucune. Ne pouvant me donner de renseignements plus précis sur les premières années de vie d’Élise, la mère a eu l’idée de me prêter deux vidéos cassettes filmées par son propre père quand Élise avait cinq mois puis, un an plus tard, quand elle avait donc dix-sept mois. Jusqu’à ce que j’aie vu ces cassettes, filmées chez elles, j’avais un schéma étiologique concernant l’origine des difficultés de développement d’Élise que j’aurais pu résumer ainsi : un conflit insoluble, peut-être une très forte jalousie envers la petite sœur née un an après elle, est à l’origine de l’arrêt de développement d’Élise. Laissons lui un espace relationnel et le conflit s’exprimera, qu’il me faudra décrypter, ce qui favorisera sa sortie de l’impasse et son développement reprendra. Après avoir visionné ces cassettes je pense que c’est dès les débuts de sa vie que le bébé Élise a été dans une relative solitude, au milieu de sa famille, qu’elle a été dans une relative non-relation. Elle appelle et personne ne lui répond. Il est vrai qu’elle appelle avec peu de conviction, et qu’elle appelle peu souvent. Mais les deux sœurs aînées et la télévision sont un spectacle, et créent un univers sonore quasi permanent que le bébé Élise, puis la toute petite fille Élise a de quoi regarder, sans avoir à demander, sans avoir besoin de participer. À cette époque, la famille est encore petitement logée, et la mère a l’air épuisée ; elle est présente mais le visage est sans expression. C’est un peu comme si une empreinte relationnelle entre Élise et sa mère s’était imparfaitement constituée, comme si, n’ayant pu se découvrir dans le visage de sa mère, 241
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Élise, dès les premiers mois de sa vie, avait appris à ne plus souffrir de la non-relation en se protégeant de la relation à autrui. Mais peut-être n’y a-t-il pas eu souffrance. Peut-on souffrir du manque de ce qu’on ne connaît pas ? L’intérêt d’une telle réflexion quant à l’origine du trouble de développement d’Élise est qu’elle me donne un fil conducteur pour comprendre l’évolution de sa thérapie. Compréhension dans l’aprèscoup car il a fallu plus d’une année à la mère pour avoir l’idée de me montrer des films de l’enfance d’Élise. Ce qui caractérise globalement cette thérapie est, d’une part, la lenteur extrême du développement, avec des avancées puis des reculs dans la capacité de cette petite fille à s’intéresser à ce qui l’entoure, en ma présence. Rendant extrêmement difficile un récit de ce qui se déroule dans le cours des séances. Ceci m’aide à comprendre les difficultés de sa mère à me parler d’Élise à la maison. Un autre élément caractéristique de cette thérapie a été pendant longtemps l’extrême rapidité de ses mouvements. Tout se passe comme si Élise était hyperactive. Mais son activité est longtemps restée sans but, sans organisation apparente. L’aspect contradictoire entre temporalité historique, l’histoire de son développement, et temporalité du mouvement s’est atténué lorsqu’elle a commencé à accepter la relation avec moi. C’est-à-dire que d’une part une certaine évolution s’est manifestée, et d’autre part son activité motrice est devenue moins rapide, me laissant tout juste le temps de nommer ce qu’elle faisait. Je peux distinguer, schématiquement deux phases dans cette thérapie, séparées par une période transitoire. Il y a d’abord eu la phase que je pourrai nommer : phase de refus actif de la relation. Pendant toute cette période, qui a duré plus d’une année, Élise manifestait généralement une grande réticence à entrer dans la salle, et montrait très vite le désir d’en sortir. C’est aussi pendant cette période que les temps d’activité créative étaient les plus brefs et les temps d’activité sans but les plus longs, entraînant en moi le sentiment de ne rien comprendre, d’être totalement obtuse et tout à fait incapable de m’occuper de cette enfant-là, de même que de tous les autres. Ce qui illustre la violence des sentiments suscités par cette non-relation. J’avais cependant d’autant moins envie d’abandonner la partie que j’avais remarqué qu’après chaque situation conflictuelle où je l’avais empêchée de sortir en maintenant la porte fermée, elle paraissait découvrir l’espace autour d’elle. C’est son regard étonné qui me l’a indiqué. Un grand miroir jusqu’au sol étant installé près de la porte de la pièce, elle y a d’abord découvert l’image de cette pièce, puis son 242
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image, et mon image. Toutes ces découvertes se sont faites sur plusieurs séances. Il semble qu’elle n’ait pas tout de suite compris qu’il s’agissait de reflets car, à plusieurs reprises elle a vérifié qu’elle ne pouvait pas entrer dans l’espace du miroir, qu’elle ne pouvait pas empêcher son image de remuer en même temps qu’elle, et que cela était différent de moi qui était à coté d’elle et qu’elle ne pouvait pas le déplacer de devant la porte, même si elle se déplaçait elle-même. Ceci correspond aux brefs moments où je reprenais espoir dans la possibilité d’aider cette petite fille à évoluer. Mais tout était tellement rapide que, le temps de constater ce que je percevais elle était déjà passée à autre chose et je n’avais pas le temps de me verbaliser ce que je percevais. Pendant cette première période de sa thérapie, Élise a également découvert, en ma présence, les qualités de divers objets. Je citerai les manipulations qu’elle a faites d’une grande boîte de jeux de société en bois. En reprenant cette boîte plusieurs semaines de suite elle en a vérifié les sonorités en frappant du doigt en différents endroits, puis elle a vérifié la mobilité du couvercle par rapport au fond, puis la limite de mobilité de l’un par rapport à l’autre, et le déplacement d’air quand on la ferme. Elle a aussi essayé de la fermer en y laissant sa tête (pouvoir être à la fois dedans et dehors), mais cela ne pouvait pas se faire. À l’époque où elle vérifiait les limites d’ouverture du couvercle par rapport au fond de la boîte, elle vérifiait aussi les limites d’ouverture de la couverture cartonnée d’un livre ainsi que la limite d’extension du bras en plastique d’un jouet en forme de poste avec une antenne, et aussi les limites d’élévation de son propre bras, qu’elle regardait dans le miroir. En la voyant faire, j’avais vraiment le sentiment qu’elle se constituait des représentations internes avec son corps propre comme schéma de représentation. Avant de tenter de décrire la seconde partie il me faut évoquer une période transitoire amorcée par le fait qu’il m’a été possible de lui verbaliser qu’elle ne voulait pas venir me voir. La relation entre nous était déjà devenue plus aisée à certains moments. Un jour, arrivant pour sa séance, et alors qu’elle jargonnait sur un ton coléreux, frappant du poing sur le lit qui est son lieu de prédilection dans notre salle, je croyais l’entendre dire « pas » alors j’ai dit, frappant du poing comme elle : « Élise veut pas venir voir Réala ». Elle m’a regardée, a souri, et recommencé à marteler le lit de son poing en jargonnant quelque chose contenant « pas », mais en souriant. Au cours de cette période transitoire, l’alternance de périodes où elle était plus créative, davantage dans l’échange, et de période de 243
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refoulement d’affect, où manifestement elle s’ennuyait, allongée sur le lit avec son doudou, tétant sa langue, est devenue plus nette, chaque période se manifestant pendant deux ou trois semaines, deux ou trois séances, ou parfois davantage. Cependant, c’était dans les périodes au cours desquelles l’émergence de l’affect positif et d’activités motrices nouvelles était la plus importante qu’elle avait le plus de difficultés à entrer dans ma salle, alors qu’elle était toujours très satisfaite de venir au CMPP, dont elle connaissait bien le chemin. Peut-être faut-il y voir là une manifestation de l’affect paradoxal, avec la crainte d’être en relation positive. Dans ces périodes où l’échange était plus marqué, elle initiait de nouvelles activités, nettement reconnaissables par moi, par exemple : mouiller l’éponge qui sert à nettoyer le tableau noir. Cependant, la réalisation d’une telle activité s’est faite par étapes, à chaque fois de durée très brève et entrecoupées de déplacements vers d’autres centres apparents d’intérêt, pour ensuite revenir à l’activité première. Au cours de ces diverses étapes, elle a d’abord surmonté l’ambivalence gestuelle liée au fait d’agir elle-même sur un objet déterminé, puis liée au fait d’agir seule ou avec ma main, puis au fait de toucher l’éponge mouillée, et enfin de jouer avec le robinet. D’une étape à la suivante, la durée était un tout petit peu longue, et surtout je pouvais constater l’amélioration progressive du geste, et découvrir ainsi que si, au départ de son intérêt pour l’éponge et l’eau, elle paraissait n’avoir aucune représentation des conséquences de son action, très vite elle « comprenait » et adaptait son geste. Découvrant l’espace et le mouvement, elle découvrait le plaisir de faire gicler l’eau et par là même de me faire réagir. Inversement, dans les périodes d’ennui pendant les séances, rien de ce qui faisait l’habituel de ses activités de base ne l’intéressait : elle prenait ses livres habituels mais les laissait. Au cours d’une des séances j’ai remarqué le plaisir manifeste qu’elle avait à me faire savoir qu’elle n’avait aucun plaisir à venir me voir : elle n’était pas contente en entrant dans ma pièce, alors qu’elle était très contente d’être avec les secrétaires. Et ce jour-là elle a été très contente de partir. J’ai eu le sentiment de ne pas m’occuper suffisamment d’elle, de ne pas lui apporter les stimulations dont elle pourrait avoir besoin. Ceci aussi peut être considéré comme une manifestation de l’affect paradoxal : c’est parce que la relation devient bonne qu’elle peut être mauvaise. C’est au sortir d’une période de refoulement de l’affect que sa mère m’a apporté son premier dessin, qu’elle avait fait spontanément chez elle. Dessin non figuratif sans son commentaire. À l’aide d’un exemple plus précis, je vais essayer de montrer la complexité de ce qui est en jeu lorsque j’essaie de comprendre ce qu’elle cherche à communiquer : C’est dans l’après-coup d’une 244
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temporalité imaginaire qu’il me faut faire un travail de lien entre des fragments de comportement qu’elle manifeste au cours de séances successives, la fin de la séquence signifiante précédant le début, lequel donnera le sens de ce qui a été agi dans les séances précédentes. C’est un retour de petites vacances. Elle prend un puzzle qu’elle connaît bien et maintient son attention de placer l’une des pièces à un endroit qui ne convient pas malgré mon désir de lui en montrer la place exacte (je ne savais pas alors que son projet était de chercher à exprimer quelque chose à l’aide de cette pièce de puzzle, et je considérais l’activité sous son angle adaptatif le plus banal). Elle miaule. Je ne saurais dire si c’est en manipulant le puzzle ou à un autre moment parce qu’en s’activant elle jargonne parfois, mais cela ne paraît pas s’adresser à moi. Plus tard dans la séance elle me montre une image d’un livre dans lequel un chat et un chien sont amis et se tiennent par la main. Je commente l’image, elle paraît contente que j’aie compris qu’elle me montrait cela. Ce livre raconte l’histoire d’un petit chien, appelé Maya, qui est puni et attaché car il a fait une bêtise, puis il est pardonné. Lors de la séance suivante, à nouveau elle s’ennuie, allongée sur le lit. J’initie des jeux de nourrice, avec son corps, avec mon visage et ma bouche. Elle est très intéressée et me demande de recommencer en mimant vaguement mon mouvement de menton. Ensuite elle crée une « dispute » entre elle, qui veut prendre mes affaires, et moi qui ne le veux pas, qui lui propose des substituts qu’elle refuse. J’ai un peu détaillé ces deux ou trois séances, pour montrer la temporalité inversée qui se développe chez Élise, temporalité de l’imaginaire, qui ne peut être perçue que dans l’après-coup, et qui fait que, le plus souvent je ne comprends pas lorsqu’elle cherche à exprimer quelque chose. C’est seulement à la relecture de mes notes que je peux percevoir parfois une ébauche de signification. Signification qui pourrait être celle-ci, une fois les propositions remises dans le sens habituel de la logique : « Moi, Élise, j’envie les mots tu as dans ta bouche et je veux te les prendre, je m’en sens très coupable, je sais que c’est une bêtise, comme celle qu’a faite Maya, le petit chien, pour laquelle elle a été punie puis pardonnée ». Mais rien n’est formulé, et c’est à moi à lui attribuer ce niveau de perception interne. Cette période transitoire s’étend, elle aussi sur plusieurs mois. Le mois qui précède des grandes vacances, sera occupé à une activité qui l’intéressera beaucoup et qui consiste à me faire reproduire le jeu de bouche que nous avons eu. Dans ma bouche il y a ma langue et mes mots. Elle a apporté une boule avec des objets dedans. Elle même ne réussit pas à tirer la langue, et c’est toujours une 245
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grande joie pour elle lorsque ma langue apparaît. Elle essaie de l’attraper et n’y réussit pas. À nouveau elle veut me prendre quelque chose peu importe quoi. Un accord se fait : elle veut mettre ma veste, je la lui enfile. Elle a une façon de « parler », de répéter un mot plus ou moins déformé sur un ton chantant, qui ne s’adresse apparemment à personne, mais elle se donne la représentation à elle-même. À plusieurs reprises, avant et après avoir mis ma veste, elle me demande d’ouvrir quelque chose qui ressemblerait à une boite mais n’en est pas une. Ce que je ne peux faire. Cette séance est apparemment très riche en ébauches de représentation, et effectivement très riche en affects, mais toutes les actions d’Élise, que j’ai énumérées, sont très rapidement faites et sans un ordre apparent qui me permettrait de verbaliser la situation, situation que je perçois directement, que je reçois globalement, corporellement, selon un mode de relation directe, d’inclusion réciproque, comme une mère avec son nourrisson. Il n’y a aucun échange verbal : je parle, je commente ce que je crois qu’elle demande, mais elle ne répond ni oralement, ni par geste ou mimique : il n’y a pas d’échange. C’est seulement pour les nécessités du récit que j’ai ordonné les diverses actions en fonction de ce que moi-même ai essayé d’imaginer. Cette absence d’organisation temporelle dans l’enchaînement de ses actions reflète d’une part l’absence de langage interne qui organiserait sa pensée, et d’autre part la nature particulière de notre relation : Si j’étais à l’intérieur d’elle-même, alors je pourrais comprendre ce qu’elle commence à vouloir me dire. Seule la parole, dans sa nature relationnelle, peut structurer les séquences motrices pour leur donner une signification. Mais pour Élise, son jargon, sans valeur relationnelle, n’est pas une parole. Et pour moi, qui ne suis pas « dans la tête » d’Élise, mes mots restent sans signification apparente pour elle. De même que la période de refus de la relation et la période transitoire sont en continuité l’une avec l’autre, de même la période de demande de la relation s’est progressivement installée, caractérisée par l’utilisation très particulière de la pâte à modeler, puis l’apparition plus tardive de ce que certains appellent écho praxie et écholalie différées, et qui traduisent l’émergence de possibilités identificatoires, autrement dit l’apparition, ou la réapparition de nouvelles possibilités de projection corporelle. C’est-à-dire aussi la possibilité d’un accès à une conscience onirique, et une capacité à jouer, qui, là encore se manifeste de façon inopinée. C’est à cette période qu’Élise est devenue capable de dormir dans son lit, et de faire des nuits complètes. C’était la première fois de sa vie, et la mère a paru soulagée de pouvoir me le dire. De même, elle a maintenant un appétit suffisant, et elle reste spontanément à table avec 246
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tout le monde. Son organisation rythmique est donc en train de se modifier, un rythme corporel apparaît, veille/sommeil, faim/réplétion. Enfin, un mot est apparu, « cor » (encore), et elle dit en montrant du doigt ce qu’elle souhaite. Mais son désir de communiquer qui émerge se heurte à sa difficulté majeure à parler, à articuler des mots signifiants. Il apparaît à l’évidence que son absence de parole organisée la renvoie au désespoir de la non relation. Cette partie du traitement est beaucoup plus délicate à évoquer parce que, la demande relationnelle d’Élise s’intensifiant, il devient d’autant plus pressant que je réussisse à mettre en ordre ses productions personnelles, qui restent très fragmentaires, confuses, et sans lien apparent, sans l’organisation interne que lui donnerait la parole. Comme si se réalisait la situation : une pensée pour deux, si caractéristique d’une relation mère nourrisson habituelle. Ma sensibilité personnelle est particulièrement mise à l’épreuve, ainsi que la nécessité pour moi de modifier la manière dont je me représente cette petite fille afin de pouvoir donner sens à ses manifestations comportementales. Afin de me représenter « sa » théorie de l’esprit. Ce moment de l’évolution thérapeutique est certainement celui qui contredit le plus radicalement les descriptions de prise en charge « thérapeutiques » ou « éducatives » concernant les troubles envahissants du développement. Théories qui méconnaissent complètement la nature des difficultés de l’enfant, mais qu’il serait trop long, dépassant de beaucoup le cadre de cet exposé, de développer. Je perçois clairement avec Élise que nous ne sommes pas dans la situation d’un vide à combler, d’une carence qu’il faudrait compenser, ni non plus dans une situation de conflit intra psychique, mais dans la situation d’avoir à m’ouvrir à une capacité relationnelle de l’enfant qui apparaît, ou plus exactement réapparaît, et qui lui permettra de se constituer des représentations internes. Le changement le plus important qui permet de marquer cette nouvelle phase de sa thérapie est l’intérêt soudain passionné pour la pâte à modeler dont, à partir d’un certain moment, elle a fait preuve. Intérêt manifesté à l’école, dans la classe de tout petits où elle est admise deux demi-journées par semaine, et avec moi. Au moment où l’intérêt pour la pâte à modeler est devenu prégnant, et ceci pendant plusieurs mois, en arrivant dans le CMPP elle se précipitait dans notre salle, et dans le tiroir où elle la savait rangée elle prenait une boule de pâte à modeler et commençait à la triturer, me prenant la main pour que je la lui assouplisse. Elle était totalement absorbée par cette activité, consistant à malaxer cette pâte, sans en rien faire, sans la travailler autrement qu’en la triturant entre ses doigts. J’avais à peine le temps de l’assouplir qu’elle me la prenait des mains. Elle était alors tout contre moi, ou assise sur mes genoux, et nous occupions très peu d’espace dans la pièce, 247
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presque en relation d’inclusion réciproque. Elle ne manifestait aucun intérêt pour ce que je pouvais construire avec cette plasticine, et très vite elle l’écrasait pour l’enrouler sur elle-même. Progressivement elle a eu l’idée, ou elle a accepté mes propositions, d’y laisser des empreintes, ou d’y faire des trous à l’aide d’un crayon. Empreintes faites à l’aide de l’extrémité arrondie des ciseaux, qu’elle a eu l’idée d’aligner soigneusement, un peu comme sur une tablette d’argile ; parfois aussi elle utilisait le morceau de plasticine bien aplati pour y griffonner à l’aide d’un feutre. Puis son comportement s’est diversifié, non seulement avec la pâte à modeler elle-même, qu’elle a commencé à entailler avec les ciseaux tenus à deux mains, et aussi en se déplaçant dans la pièce avec la pâte à modeler, s’installant en différents endroits, plus ou moins éloignés de moi. Un jour elle était très absorbée par le fait d’étaler cette pâte sur le bureau, mais aussi sur ses mains et ses bras, et tout son corps participait à l’étalement, dans une activité totale, accompagnée d’un chantonnement paisible. Puis elle s’est comme réveillée d’un rêve. Elle s’est dirigée vers le tableau pour y laisser des traits de craie sur toute la surface qui était à portée de sa main. Par la suite la pâte à modeler est devenue l’un des objets porteurs de son univers avec moi, véritable objet image du corps, et qu’elle reprenait au début de chaque séance, avec divers livres, toujours les mêmes. Cet intérêt pour la pâte à modeler s’est accompagné d’une évolution très lentement progressive de notre relation. Mais avant il me faut évoquer l’évolution des traces graphiques laissées sur le tableau noir par Élise, généralement après des moments de relation auxquels je ne comprenais rien, le « dessin » venant ponctuer ce moment difficile, et me confortant dans l’idée d’une importante activité imaginative en elle, même si, du fait de l’absence de parole nous ne pouvions la partager vraiment. Ces traces, qui d’abord occupaient toute la partie inférieure du tableau se sont ensuite limitées dans leur étendue. Puis un jour, tout en faisant de belles boucles bien rondes je l’ai entendue dire « maman » ; elle a ensuite dessiné comme des W à pointes arrondies en disant « papa » d’une voix à peine audible. Enfin, lors d’une séance où elle me faisait face, et après avoir caressé affectueusement le visage de sa mère, puis manipulé la pâte à modeler, elle a dessiné au tableau un rond bien fermé, qu’elle a rapidement effacé. J’ai eu le sentiment que ce rond était une représentation d’elle-même. La parole d’Élise rencontre, elle aussi, la même difficulté à s’extérioriser. Lors de cette séance au cours de laquelle, face à moi, elle avait caressé affectueusement le visage de sa mère comme si 248
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elle-même était la grande personne et sa mère la gentille petite fille, elle a, à plusieurs reprises, essayé de parler, mais les paroles ne sortaient pas de sa bouche. Et je ne savais pas ce qu’elle cherchait à exprimer. Il est d’autres séances au cours desquelles elle dit des mots isolés, plus ou moins reconnaissables, que j’essaie de répéter en écho. En particulier cette séance, relativement récente, précédée par un cri de joie en me voyant à son arrivée. Elle me prend par la main, m’emmène dans notre salle. D’abord elle réunit ce qu’on peut considérer comme « ses » objets, qui constituent « son environnement » ici, les livres qu’elle aime, la pâte à modeler, mes ciseaux et mon pot de colle. Puis elle manipule la manivelle des stores, véritable activité de « grande personne ». Elle s’installe sur le tapis et je l’y rejoins. Ensuite elle va chercher la boite des jeux et revient sur le tapis près de moi. Je l’entends dire : « tutouch’pa », « takapa, tu fépa », pendant qu’elle vide tous les pions des jeux, en me regardant avec un air très satisfait. Elle prend de la pâte à modeler et en mange, avec, envers moi, un regard de défi amusé. Et toujours en émettant des sons peu articulés et peu intenses, qui sont manifestement des injonctions négatives qu’elle répète en écho de ce que ses sœurs ont du lui dire lors de comportements équivalents chez elle. Une excitation joyeuse entoure cette scène : Avec un plaisir manifeste, elle me nargue, tout en se lançant des interdictions à le faire. Lors de la séance suivante elle réussit à emboîter deux pièces d’un puzzle, activité qui lui demande concentration active et effort adaptatif. La séance d’après elle est à nouveau grise de teint, l’air déprimée. Me laissant penser qu’elle est à nouveau confrontée à son impasse existentielle : tout progrès évolutif la confronte au conflit insoluble qui s’est traduit par l’arrêt de son développement. Mais quel est ce conflit insoluble ? Il est impossible de le savoir tant que les parents restent dans leur attitude par rapport à leur fille, qui la leur fait considérer comme anormale a priori. Cette thérapie se poursuit, marquée par les alternances d’ouverture d’une conscience onirique, puis de retrait, traduisant l’impasse qui marque l’existence de cette petite fille.
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Table des matières 1re PARTIE : LA CONSULTATION PSYCHOSOMATIQUE Sami-Ali La théorie relationnelle ...........................................................
3
Jean-Marie Gauthier La pédopsychiatrie, une spécialité qui s’adresse à des troubles de développement............................................
7
Sylviane Bertolus La consultation psychosomatique en dermatologie................
15
Pierre Boquel Consultation psychosomatique en médecine générale. Douleur rebelle ........................................................................
23
Sylvie Cady Psychothérapie en relaxation psychosomatique .....................
37
Anne Gatecel La consultation psychosomatique en psychomotricité ...........
47
255
Recherche en psychosomatique
Danièle Bosom Une approche de la psychopédagogie ....................................
59
Rafah Nached La maladie qu’on ne peut pas nommer ..................................
65
2e PARTIE : LES PATHOLOGIES PSYCHOSOMATIQUES Laurent Schmitt Médecine et psychosomatique : leurs rapports.......................
77
Jean-Marie Gauthier L’allergie comme pathologie du développement ...................
87
Sylviane Bertolus Autour du psoriasis, une étude clinique et théorique ............
91
Anne Gatecel Une étude clinique autour de l’épilepsie ................................
105
Pierre Boquel Identité sexuelle et sclérose en plaques..................................
123
Sylvie Cady Dépression chez l’adulte et relaxation psychosomatique : une observation clinique autour de la pathologie cancéreuse.......
137
Danièle Bosom Quand dire permet de se tenir droit .......................................
145
256
Psychosomatique : nouvelles perspectives
3e PARTIE : LES THÉRAPEUTIQUES EN PSYCHOSOMATIQUE Psychothérapie de la relaxation Sylvie Cady Relaxation psychosomatique ...................................................
155
Anne Gatecel Le relationnel en relaxation psychosomatique .......................
163
Manuel Cajal Absence de résidence et pratique du songe. Relaxation, relation, représentation ............................................................
173
Isola Boulet Relation et troubles sexuels ....................................................
179
Psychothérapie Michèle Chahbazian Rythme et psychothérapie .......................................................
189
Hervé Boukhobza Le corps relationnel.................................................................
195
Psychomotricité Monique Dejardin L’identité liée à la représentation de soi, de l’autre et à l’espace. Leurs représentations ........................................
227
Berthe Rehahla Psychomotricité et psychosomatique. Relation-non relation dans la thérapie d’une enfant sans langage ............................
237
Bibliographie ..........................................................................
251
257
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Achevé d’imprimer par Corlet, Imprimeur, S.A. 14110 Condé-sur-Noireau o N d’Imprimeur : 76431 - Dépôt légal : avril 2004 Imprimé en France
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