Production de l’intérêt romanesques: Un état du texte (1870–1880), un essai de constitution de sa théorie 9783110887884, 9789027924131


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French Pages 428 [432] Year 1973

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AVERTISSEMENT
TABLE
1. THÉORIE DU TEXTE: OBJET, PROJET, CLAUSES
2. POSITION DE NARRATION
3. FONCTIONNEMENT DE NARRATION
4. PRODUCTION DE NARRATION
BIBLIOGRAPHIE
INDEX
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Production de l’intérêt romanesques: Un état du texte (1870–1880), un essai de constitution de sa théorie
 9783110887884, 9789027924131

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APPROACHES TO SEMIOTICS edited by

THOMAS A. SEBEOK Research Center for the Language Sciences, Indiana University

34

PRODUCTION DE L'INTÉRÊT ROMANESQUE Un état du texte (1870-1880), un de constitution de sa théorie

par

CHARLES GRIVEL

1973

MOUTON THE HAGUE • PARIS

(g) Copyright 1973 in The Netherlands. Mouton & Co. N.V., Publishers, The Hague. No part ot this book may be translated or reproduced in any form, by print, photoprint, microfilm, or any other means, without written permission from the publishers.

LIBRARY OF CONGRESS CATALOG CARD NUMBER : 72-94471

Printed in Belgium, by NICI, Printers, Ghent.

AVERTISSEMENT

Ce livre est né d'un certain nombre de constatations et d'une impatience : une société produit ses textes, son idéologie, sa fiction, sans livrer la clef de leur connaissance. Ce qu'on appelle « culture », ce à quoi, au niveau dit inférieur de la consommation, on refuse ce nom, l'énorme masse écrite enfin, non recensée, qui figure à leur frange et dans laquelle baigne l'usager (son journal, sa publicité), remplit - et dans la réciprocité - une fonction assurément fort commentée, mais non pas déclarée. Une « culture », ce qui se dérobe comme « culture », de même que ce qui n'accède pas à ce titre, est, c'est l'évidence, un instrument socialement efficace; le roman, lieu par excellence de son exposition, assume à n'en pas douter, un rôle opérationnel de premier plan : LES CHAMPS ET LES HÉROS SONT UNIS ENTRE EUX PAR UNE MYSTÉRIEUSE HARMONIE,

affirmait Lacordaire, homme non suspect.1 Cependant, les interprétations en cours, les critiques, les Histoires de la littérature ne reconnaissent pas, reconnaissent mal ou limitativement cet office. Les commentaires spécialisés existant, en effet, ne se touchent pas : la « littérature » - et la notion même doit en être interrogée - fait l'objet d'un savoir séparé qui renvoie à « leur » domaine les procédures de description scientifiques, formalisées, « avancées » (linguistique, théorie de l'information, logique) bien qu'elles opèrent sur le même terrain : le texte, et qui, du même coup, se renferme dans sa particularité. Comme, dans le même geste d'exclusion, le savoir sur la littérature récuse les moyens qu'offre la systématisation philosophique et la dialectique, l'image qu'il fournit de son objet change (régulièrement) d'aspect, mais ne s'améliore pas. On constate alors que la description du produit culturel (du texte, du roman) est donnée sans considération de son EFFET : réduit à des causes autonomes et particulières, ainsi que le pratique une indélogeable 1

Lacordaire, 1862, 21.

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Histoire de la littérature, fixé dans son mérite et sa valeur, comme « bien » précisément, objet d'une finesse de goût, d'une compréhension élitaire. Le produit culturel se trouve ou bien surestimé, et la description s'achève avec l'analyse de ses règles de composition (de ses articulations internes), elle se suffit d'être parcellaire, de dresser le relevé de la phrase, de la séquence, de la figure constitutrice (cas des formalismes connus sous le nom de « thématisme », « rhétorique », « stylistique »), elle se contente d'en élaborer le modèle ou la grammaire (ainsi que les règles de transformation qui mènent à ses variantes) (cas des structuralismes) - et alors la société productrice est représentée comme un lointain horizon dont on s'abstrait sans dommage - , ou bien le produit culturel se trouve sous-estimé, et la description finit avec la détection de sa signification : le sens social est déchiffré à travers le texte, en transparence, par référence et représentation (cas des sociologies positivistes de la littérature) - et alors la société productrice est représentée comme un horizon prochain du texte auquel elle prête sens et que ce dernier, en retour, exprime. L'explication paraît être, par conséquent, ce lieu où se joue la MUTILATION du processus dialectique d'échange entre texte et lecture, fiction et réalité. On constate encore que l'explication du produit culturel se fixe volontairement sur un CAS sans considération de son insertion dans l'ensemble qui le soutient et le régit : le livre (1'« œuvre ») est envisagé comme un exemplaire unique indépendant de la série d'origine - quand il n'est pas aperçu sous l'angle limitatif d'une de ses « faces » originales, ainsi qu'il était de tradition il n'y a pas longtemps encore - , que cette explication spécialisée s'attache à des OBJETS PRIVILÉGIÉS (des « grandes œuvres », des auteurs canoniquement reconnus) sans considération du processus sous-jacent d'élection qui les impose à l'attention critique : le livre est perçu comme ce qui réussit à s'exhausser essentiellement de son socle social, comme un espace irréductible («La Littérature est un monstre »), par là comme un objet digne d'analyse. Les « sujets » ainsi canonisés diffèrent, certes, de génération en génération, mais aussi divers qu'ils puissent (éventuellement) paraître (des classiques à Lamartine, des romantiques à Gide, à Camus, au nouveau roman) ils ne cessent de demeurer institutionnellement identiques à euxmêmes.2 L'interprétation, ici, sublimise le produit qu'elle se donne pour a

Les structuralismes, de ce point de vue, n'ont guère cessé de relever de la tradition contre laquelle ils s'inscrivent : Racine, Balzac, Mallarmé, Valéry, Proust, quelques autres, constituent - pour le domaine français - (et même si telle n'est pas l'intention) le nouveau panthéon. D'autre part, la promotion rela-

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tâche de comprendre et, renforçant son taux de culturation (élitaire), ferme les voies de sa connaissance. On constate enfin que l'explication spécialisée et sublimante du produit culturel s'accomplit comme monographie. Le commentaire, exégétique, - et il prend, de 1'« essai » à la « thèse », plus ou moins d'ampleur et fait état d'une érudition variable - cerne son objet et l'enserre dans l'interprétation réductrice, « complète », sommatrice qu'il en fournit; il représente lui-même - et son style propre, qui est littéraire, en fait foi - la fin naturelle de l'objet considéré : il en est la lecture écrite, le déchiffrement achevé, l'équivalent « transparent », à la limite, le remplace. L'« œuvre littéraire » alors, lieu d'une pratique signifiante irréductible, est supposée, contre toute évidence, coïncider avec le sens distinct transmissible qu'elle contient; sa critique, du coup, se justifie. Ces réflexions, sommaires, conduisent à définir ce qu'on est en droit d'attendre d'une méthode scientifique d'analyse. La description complète et suffisante du produit culturel (du texte, du roman) : (1) comprend l'usage en vue duquel celui-ci est élaboré, reconnaît dans son organisation même l'effet qu'il engendre : le texte est un efficace, le texte est un service idéologique, représente le lieu de suscitation et d'intégration de et à l'idéologique (il est le (reproducteur des « vérités » - du système - qui le fondent lui-même, porteur lui-même de ce qui le contient), le texte ne se coupe pas de sa fin, c'est-à-dire de ses causes, ne se distingue pas de ce qui le dicte (même s'il n'en est pas l'équivalent) : l'intérêt nécessaire du texte est l'appel institutionnel de son effet visé; (2) comprend l'examen de la série dans laquelle celui-ci apparcât, dont il dépend, dans l'examen particulier qu'elle en entreprend : le corpus ne se réduit pas à un échantillon, à une œuvre, à un auteur, voire à un « genre » (telle ou telle classe de romans); le texte fait partie d'un système textuel global dont l'exemplaire n'est qu'un état; la collection où il figure constitue le seul « cas » observable : le roman est pris dans son ensemble comme accomplissement de cet ensemble et assujettissement au tout institutionnel; (3) cesse d'avoir pour champ spécifique la Littérature (en tant que canonisation d'un répertoire d'œuvres) pour appréhender simultanément tive des littératures populaires (de la Trivialliteratur) à la dignité universitaire, sous l'apparence d'un renversement radical des valeurs, couvre la pure et simple reconduction d'anciennes méthodes de travail pour aboutir à restituer à l'objet réputé sans valeur dont elle s'occupe un lustre inattendu.

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les littératures - entendues comme couches (articulées) des écrits, non canonisés ou fixés en tradition, composant le système dont dépend le produit. La Littérature cesse de fonctionner comme le champ privilégié de l'analyse. (A cet égard, l'introduction du concept de « texte » permet de penser le produit hors sa valorisation culturelle, en tant qu'efficace). La Littérature est ainsi réintroduite dans le système, comme effet de ce système, textes à statut particulier définis dans leur rapport à la circulation scripturale ambiante. Le corpus est ainsi (1) ample, (2) non marqué, par suite, susceptible de vérification; (4) A. cesse de se substituer à l'objet d'examen pour le saisir jusqu'au bout de son champ de manifestation. Les concepts résorbants (comme « culture », « littérature », « œuvre », « auteur », « trivialité », « kitsch », mais aussi « fond », « forme », « signe », « structure », « style », etc.), grâce auxquels la critique entend le texte, sont repensés. Dans le même temps, la description ne retient pour « valeur » de l'objet culturel que sa pure efficace « technique » ; B. cesse de se restreindre elle-même à la valabilité relative de l'objet d'examen pour proposer une compréhension théorique extensible à d'autres champs connexes - puisqu'aussi bien le corpus de base ne possède plus qu'une valeur d'usage (non absolue) et que sa consommation réelle, actuelle (justificatrice de l'acte d'analyse) peut faire défaut (le corpus peut être « inconnu », « mort »). La description n'est pas spécifiquement applicable au seul objet littéraire. Sous le nom de sémiotique, occupant l'espace laissé libre à la jonction du linguistique et du philosophique, elle est susceptible de s'appliquer à toutes les autres pratiques signifiantes fonctionnant sous l'Institution. La procédure suivie tout au long de cet ouvrage, dans le souci d'atteindre à ce quadruple objectif, se définit alors comme suit. Pour saisir I'EFFET TEXTUEL (dans le texte, inclusivement), on fait passer le corpus par un certain nombre de paliers d'analyse, selon une méthode progressive, englobant à chaque niveau l'acquis du seuil inférieur. Dans un premier temps dédoublé, faisant intervenir la théorie de l'information (2.1-2), on considère le texte (romanesque) comme un processus de communication du message, pour réussir ensuite, avec l'introduction de procédures structuralistes (post-greimasiennes) (2.3-6), à formuler l'instance narrative cohésive et déséquilibrée à laquelle il se soumet. Dans un second temps (3.1-4), passant de l'examen de la structure textuelle à celui des procédés qui président à sa structuration - selon l'exigence sémiotique - , on aboutit à la description du fonctionnement

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d'ensemble d'une pratique romanesque modelée sur la transformation du sens et sur sa production. Dans un troisième temps (4.1-2), passant à la lecture générale des résultats obtenus tout au long de la trajectoire descriptive, on en arrive à comprendre la production romanesque dans son contexte naturel, c'est-à-dire dans l'Institution et par rapport à la consommation idéologique globale de la société. L'effet textuel peut être alors - et alors seulement - reconnu dans le cadre réel où le produit culturel s'insère nécessairement, avec l'office effectif, daté, qu'il remplit en ce lieu. Du premier au dernier palier de l'analyse, la connaissance du texte a été élargie, de façon à couvrir le processus entier : de la narration à la structuration, de la structuration à la productivité, de la productivité enfin à son usage - à sa constante et immédiate détermination. Pour saisir la SÉRIE TEXTUELLE, on prend pour corpus le roman, comme une des principales régions du texte social d'ensemble (le lieu même de sa réalisation quotidienne, le point d'appui le plus constant de l'Institution); le roman représente donc le biais le plus aisé, et à coup sûr le plus rentable, par où entamer la description des pratiques idéologiques régnantes. Le corpus comprend le roman inédit publié à Paris en volume - abstraction faite de la littérature enfantine - durant les années 1870-1880, soit environ 3000 exemplaires, dans le rang desquels 200 titres prélevés par échantillonnage fournissent en matière le gros de l'enquête. H est donc procédé à une « coupe synchronique » effective (dix ans de l'usage libéral du roman), nécessaire pour mettre à jour et l'accumulation matérielle du sens et le jeu fondu de ses pratiques. L'exemplaire ayant été rapporté à la collection globale de ses variantes contemporaines, on repère le processus institutionnel transformateur et totalisateur global qui le contient invisiblement. Pour saisir, cependant, le CHAMP INSTITUTIONNEL DIFFÉRENCIÉ enserrant dans ses limites tant l'écrit que l'usager, il a été nécessaire de faire entrer en ligne de compte les divers niveaux de consommation (d'« avant-garde », « cultivée », « bourgeoise », « populaire ») où se joue la lecture réelle du roman. Le texte est ainsi, tout au long de l'analyse, confronté non seulement avec ses semblables, mais aussi avec ses différentiels : une littérature est ainsi comparée - avec elle-même, afin de déterminer les règles qui en définissent et l'emploi et la « valeur ». Dans le même geste d'inclusion, on fait intervenir la parole interprétative greffée sur le texte romanesque (sa critique, essayistique ou journalistique, son esthétique, sa philosophie), ainsi que maints discours connexes (placards, chansons, parodies, manuels scolaires, etc.) :

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le roman est considéré dans le roman et dans l'Institution comme celleci l'aperçoit - comme elle désire en tirer parti. La description offerte est DIALECTIQUE (elle ouvre l'objet à la connaissance et ne renferme pas celui-ci dans son sens). Cela signifie qu'elle s'offre à la lecture en un constant mouvement vérificateur. Les propositions qu'elle contient sont arrangées pour aller du simple au complexe, s'améliorant, se corrigeant à mesure de l'acquis (Un système de RENVOIS et un INDEX permet de repérer rapidement le lieu de la démonstration où l'affirmation se situe). La démonstration théorique, pour cesser réellement de relever du plan monographique du discours, doit - et c'est une conviction qui anime cet ouvrage - fournir au lecteur les moyens de sa supervision; chaque moment, chaque point de la trajectoire suivie doit être connu dans sa situation relative. On a procédé, par conséquent, au découpage du livre, paragraphe par paragraphe, chacun d'eux formant une unité relative, en prenant soin de désigner nommément la position qu'il occupe au sein du raisonnement (PROPOSITION, PROCÉDURE, EXPLICATION, OBJECTION, RÉFUTATION, FORMALISATION, EXEMPLE(S), TABLEAU,

(Un arrangement typographique vient appuyer cette division : la ligne théorique centrale se lit en caractères romains, indépendamment de ses annexes (précisions secondaires, exemplarisation), auxquelles l'italique est réservé). Séparée de son application pratique, la démonstration devrait se transposer économiquement - et vu la particularité du corpus, cela était nécessité - sur d'autres champs. Une THÉORIE COMPLÈTE, au sens où nous l'entendons, embrassant du produit à la production l'ensemble du processus textuel, - et même alors qu'elle n'entend pas suivre toutes les pistes qu'elle lève dans la dimension diachronique - ne saurait avoir la prétention (malgré l'ampleur de ses développements)3 d'être terminée. Par nécessité, elle est contrainte de mettre à jour les zones les moins éclairées de son objet (le nom, le titre, l'intention, l'information, le code, le scandale, la probation, l'idéologisme du texte), pour ne faire qu'esquisser - au risque d'un certain déséquilibre - la description de régions plus, sinon forcément mieux, reconnues (le temps, le narrateur, la narration du texte). Complète signifie donc ainsi suspendue. PARALLÈLE, RAPPEL, RENVOI, NOTE).

' En ce point, l'auteur avoue : D'ailleurs, il m'est impossible de faire une chose courte. Je ne puis exposer une idée sans aller jusqu'au bout. (Flaubert, 1930, 7e série, 178. Mercredi 25 juillet 1874).

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NB. On rejette dans un volume complémentaire* la plus grande partie des exemples ainsi que l'application minutieuse de la théorie au corpus. L'exposition théorique ici présentée se lit indépendamment de la vérification pratique, quoique celle-ci en constitue la garantie la plus forte. (La description bibliographique du corpus utilisé est reportée à la fin du second volume. Les illustrations dans le texte (en format réduit), tirées d'éditions populaires de romans du corpus, donnent l'image moyenne du motif annoncé au titre du chapitre).**

* Qui p a r a î t simultanément sous le m ê m e titre chez H o e k s t r a Offset, Spurgeonl a a n 76, Amstelveen (Pays-Bas). financière, répétée ** Ce travail n'aurait pu être mené à bien sans l'assistance et généreuse, de l'Organisation Néerlandaise pour le Développement de la Recherche Scientifique (Z. W. O.). Qu'elle en soit ici remerciée.

TABLE

Avertissement 1. THÉORIE DU TEXTE: OBJET, PROJET, CLAUSES . 1.1 Le Roman, le système 1.11 Bases 1.12 État de réduction du texte 1.13 Position du roman 1.14 La Série romanesque 1.2 Le Roman, le texte 1.21 La Textualité 1.22 L'Intertextualité 1.23 La Productivité textuelle 2.

POSITION DE NARRATION 2.1 Condition de l'histoire 2.11 L'Intérêt du roman 2.12 L'Extraordinaire de l'histoire 2.13 L'Information romanesque L'ordre donné et corrompu du roman . . . . La négativité spécifique du récit 2.14 Le Malheur est l'extraordinaire L'effet du spectacle de la négativité Le mensonge et le texte 2.2 Le Début de l'histoire 2.21 Le Début, le texte 2.22 La Mise en condition de lecture 2.3 Le Temps du texte 2.31 Fabrication du temps du texte 2.32 L'Effet de temporalisation 2.4 Le Lieu du texte

5 17 17 17 30 33 45 53 53 60 65 72 72 72 73 76 79 80 82 86 88 89 89 94 98 98 100 102

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TABLE

2.5

2.6

3.

2.41 Fabrication du lieu du texte 2.42 L'Effet de localisation La Personne du texte 2.51 État de la personne du texte 2.52 Inventaire de la personne 2.53 Système de la sympathie 2.54 Système du nom propre 2.55 Système relationnel Règles d'établissement du système relationnel de base Modèle du déséquilibre relationnel Autorité de la narration 2.61 Le Narrateur du texte 2.62 L'Articulation narrative 2.63 Puissance du titre Sémiologie du titre Règles de la titraison romanesque 2.64 Invention de l'extraordinaire

FONCTIONNEMENT DE NARRATION 3.1 Construction et destruction de la crise 3.11 Le Drame et son code 3.12 Le Roman-démenti 3.13 La Clôture du roman 3.2 Conflit de fiction et fiction de conflit 3.21 La Lutte dans le roman 3.22 Mécanismes de production de la négativité romanesque 3.23 L'Effet de lutte 3.3 Le Mime romanesque 3.31 L'Intention textuelle 3.32 La Vérité dans le roman 3.33 La Vraisemblabilisation 3.34 L'Effet de mime 3.4 Le Don d'ignorance 3.41 L'Énigme 3.42 Le Suspense 3.43 Le Scandale 3.44 La Démonstration romanesque

102 104 110 111 119 125 128 138 144 149 152 152 160 166 175 177 181 186 186 186 192 197 206 206 215 224 235 235 242 244 252 257 257 265 274 289

TABLE

4.

PRODUCTION DE NARRATION 4.1 L'Effet de probation romanesque 4.11 Pratique idéologique du roman Contenu d'idéalité idéologique démontré par le roman 4.12 L'Émotion textuelle 4.2 Service de classe du roman 4.21 Le Roman exemplaire 4.22 Universaux et romanisation 4.23 Parole de classe du roman 4.24 La Pacification textuelle 4.3 Fin et sans fin du roman Règles à suivre pour sortir du roman (de la fiction) de classe

Bibliographie Index

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299 299 299 306 314 317 317 328 335 348 361 371 374 402

1 THÉORIE DU TEXTE: OBJET, PROJET, CLAUSES

1.1

LE ROMAN, LE SYSTÈME

1.11

Bases

La théorie du texte (de la littérature) comprend dans la description structurale qu'elle donne de l'objet linguistique l'EFFET pour lequel celui-ci est conçu. Elle ne se justifie en tant que théorie (en tant qu'activité scientifique) que si elle est apte à saisir /'INTÉRÊT porté par le texte. Le texte est son effet, son effet le contient : une intention le commande en vue d'un résultat. Le texte est une opération; il accomplit un service; « rapporter » - « utilitairement » - l'occasionne. Le texte est assujetti à un rendement; processus de transformation et de production, il ne se distingue pas de l'effet engendré en lui-même. Das Werk lebt, soweit es wirkt. In der Wirkung des Werkes ist einbegriffen, was sich sowohl im Konsumenten des Werkes als auch am Werk selbst vollzieht.1 On parle de l'œuvre comme du produit d'un travail textuel (romanesque ou autre) : « Elle est, par les moyens qui lui sont propres, une véritable PRODUCTION. »2 L'écrit, combiné en vue de son efficace, ne demeure pas improductif; il ne se réduit pas à la somme de ses éléments (linguistiques), n'est pas l'équivalent de son modèle structural (narratif), n'est pas le rendu (fidèle ou déviant) d'un sens préexistant fixé comme « réel s> à son horizon : le texte se mesure par son activité, par ce qu'il est susceptible de produire. L'organisation, la cohérence dont il fait montre ne représente pas son niveau d'existence réelle : « Le texte excède l'énoncé linguistique >,3 comme il outrepasse la vraisemblance qu'il institue. « Performance translinguistique », sens PROPOSITION :

1 2 3

Kosik, 1970, 138. Macherey, 1966, 258. Kristeva, 1969b, 200

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THÉORIE DU TEXTE : OBJET, PROJET, CLAUSES

surgi émanant d'un ordre intérieur et sens acquis propre à remplir une fonction « débordant du cadre de l'écrit >, le texte (littéraire, non littéraire) s"entend nécessairement comme productivité : écrire est produire. Ou encore : le texte, mise en mouvement opératoire de ses divers éléments, existe en vue d'amener la compréhension (l'utilisation) déterminée qui lui est propre. Par suite, la théorie découvre le procès fondateur du sens - de ce qui, du moins, se reconnaît tel. PROPOSITION : La théorie du texte (de la littérature) comprend dans la

description structurale qu'elle donne de l'objet linguistique la position historique que celui-ci occupe. Elle ne se justifie en tant que théorie (en tant qu'activité scientifique) que si elle est apte à penser le texte dans l'Histoire (et l'Histoire à son tour dans le texte). Le texte est Histoire, le texte est dans l'Histoire. Réalisation, effet, il ne se sépare pas de sa situation historique, n'échappe pas à l'insertion sociale - quand bien même il se trouve constamment « exporté » d'un circuit (ou d'un temps) de lecture à un autre par rapport à son origine : le social dispose de sa « vérité », de sa « valeur », en définit l'usage. Soumis sans fin à un régime (à une succession de régimes), immanquablement placé sous la dépendance de l'événement (qu'il entende ou non s'y soustraire), le texte ne peut pas ne pas rentrer dans le contexte intégrateur obligé que lui-même inclut. « Tout est Histoire » ; l'Histoire, que définit la production, l'échange et la consommation économique des biens, représente le champ d'intervention de l'objet (culturel, non culturel), le lieu déterminant/déterminé où celui-ci vient sinscrire, la scène qui lui impose son mode d'appréhension (dont il retire « son » sens). L'objet (culturel) est situé : en tant qu'il s'offre nécessairement à un emploi, comprend nécessairement son effet, il apparaît continûment « sur fond d'Histoire ». NOTE: Il n'est pas question d'accorder à l'objet culturel un statut d'indé-

pendance quelconque. Le texte (la littérature, l'œuvre, l'information, la mémoire), non seulement n'existe pas « à part », ne se suffit pas à lui-même, n'a pas de réalité complète en lui-même,4 mais ne peut même pas être dit «relativement autonome». Cela, malgré une certaine tradition - et nous n'évoquons pas l'interprétation idéaliste classique - qui tend, tout en s'en* Cf. Macherey, 1966, 67. On ne peut valablement considérer le texte (ou son analogue) - que fait la théorie de l'information (« [La] source d'information est représentée UNIQUEMENT (je souligne) par l'ensemble de tous les signaux différents, ou encore par toutes les classes de signaux fonctionnellement équivalents, qui sont à transmettre, pondérés par leurs probabilités d'apparition respectives » (Ungeheuer, 1967, 104)) - comme un système clos d'équivalences et de fonctions.

THÉORIE DU TEXTE : OBJET, PROJET, CLAUSES

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tourant des précautions nécessaires, à faire de l'art (des systèmes de signes) le champ d'expression du non-lieu de l'Histoire: Cournot: Quoique l'on n'observe nulle part et que l'on ne conçoive guère de civilisation sans culture littéraire, l'une et l'autre ne sont point assujetties à marcher du même pas, ce qui oblige de distinguer entre l'influence qu'exerce sur la langue le mouvement général de la civilisation, et celle qui tient directement à la culture littéraire;5 Trotsky: La création artistique n'est évidemment pas du délire. Mais elle est aussi une altération, une déformation, une transformation de la réalité selon les lois particulières de l'art;6 Barthes: Ainsi, la forme même du message littéraire est dans un certain rapport avec l'histoire et avec la société mais ce rapport est particulier et ne recouvre pas nécessairement l'histoire et la sociologie des contenus [...] Il y a peut-être un certain devenir endogène de la structure du message littéraire;7 Resnikow: Die objektive Determiniertheit der Zeichensysteme [...] schliesst deren relative Selbständigkeit bzw. Eigengesetzlichkeit nicht aus, und sie spielt in der Wissenschaft eine ausserordentlich wichtige Rolle. Die Selbständigkeit der Zeichensysteme beruht auf der relativen Selbständigkeit der logischen FORM der Erkenntnis, und diese wird von der modernen formalen Logik erforscht.8 Le texte rentre sous la dépendance du système. Son individualité est limitée, se comprend comme un effet du système lui-même.9 Sa « forme » (son « style », sa « rhétorique », sa « structure », sa « logique ») se repère arbitrairement, certes, aux fins d'analyses partielles, « hors l'Histoire », mais lui-même ne se distinguant pas de sa « forme » (il l'intègre) et ne se distinguant pas de son effet (il est usage), se trouve porté par elle, en position de totale subordination. RENVOI: Le texte ne se réduit pas à sa gratuité, à son indéniable - mais jamais insignifiante - fonction de divertissement. Développements sous 1.23. La théorie réfléchit l'Histoire comme «fond » dans le texte même. Le texte ne se définit pas par rapport à une extériorité historique (à une temporalité événementielle linéaire). L'Histoire ne constitue pas une transcendance, marquant à la façon d'un « référent > les objets reconnus pour lui être subordonnés : il n'y a pas de « hors-texte » historique. Ou : l'Histoire représente une dimension immanente du texte. D e même : La structure n'est pas une essence EXTÉRIEURE aux phénomènes économiques qui viendrait en modifier l'aspect comme cause absente, ABSENTE PARCE QU'EXTÉRIEURE À EUX [...] Cela implique alors

B 6 7 8

'

Cournot, 1923, 147. Trotsky, 1971, 202. Barthes, 1967a, 34. Resnikow, 1968, 244. Quoi qu'en pense, du dedans, l'auteur (l'usager).

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THÉORIE DU TEXTE : OBJET, PROJET, CLAUSES

que les effets ne soient pas extérieurs à la structure, ne soient pas un objet, ou un élément, un espace préexistants sur lesquels la structure viendrait IMPRIMER SA MARQUE : tout au contraire, cela implique que la structure soit immanente à ses effets, [...] que TOUTE L'EXISTENCE DE LA STRUCTURE CONSISTE DANS SES EFFETS, bref que la structure qui n'est qu'une combinaison spécifique de ses propres éléments, ne soit rien en dehors de ses effets.10 L'objet (culturel) ne s'appuie pas sur une continuité historique « nue » représentant, comme son dehors, à la fois la source et l'objet de son affirmation.11 On considère, au contraire, que (1) l'Histoire est le développement objectif - intégrateur - des rapports dialectiques entretenus, en fonction de la lutte des classes, entre les divers niveaux de l'activité humaine, (2) l'Histoire, en raison de l'enjeu qui s'y joue, se trouve « recouverte » par le discours idéologique instrumental immédiat (que pourtant elle détermine) et n'est objectivable « à longue échéance » qu'à travers le déchiffrement des décisions de signification qui l'encombrent, (3) l'Histoire comprise par le texte et qui le contient se présente comme le cours déterminé pris par le rapport (instable) entre évaluation idéologique et réalité objective; l'Histoire, pour le texte, est le moment actuel de ce rapport. La relation du texte à l'Histoire passe ainsi à travers celle-là qui le rattache à la version idéologique qu'elle supporte. Le texte se trouve toujours en position historique, c'est-à-dire en position idéologique, dans la dépendance étroite du système d'interprétation qui le prévoit (pour se dissimuler). Il se définit dans le rapport dialectique entretenu historiquement entre le réel et sa lecture. La position du texte au sein du système interprétatif le détermine et constitue son « être d'emprunt » : partie intégrante de ce qui fonctionne comme son contexte, il ne s'en abstrait pas. Il n'y a pas de texte « en soi •», par suite aucun sens qui lui soit essentiellement assignable. L'Histoire, pour le texte, est donc comprise dans le rapport que celui-ci entretient avec la « vérité » contextuelle. Le texte ne peut être saisi sans considération de la pratique idéologique qu'il suppose et supporte - sa réalité (de commande) n'étant autre que son usage. Émanant d'un espace idéologiquement tendu, tenu et retenu dans cet espace, il en remplit le « vide » (ou l'inadéquation). 10

Althusser, 1967b, 171. Le concept de causalité événementielle est caduc : il faut que l'historien cesse d'égrener le chapelet des faits, dit Benjamin, 1969, 279. Quant à celui de « durée », Greimas, 1970, 106-107, par exemple, en a montré la précarité.

11

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21

: La position historique du texte ne se met pas « méthodologiquement» entre parenthèses sans fraude ou dommage grave; la dimension historique de l'effet textuel ne se réserve, pas plus que son questionnement ne s'évite. « Oublier » l'Histoire du texte, c'est omettre sa fonction, supposer - à tort - que celle-ci n'imprègne pas la « forme » où évidemment elle s'inscrit. La procédure structuraliste est donc fautive: le congédiement de l'Histoire en termes de causalité (La mise entre parenthèses des relations de causalité qui inscrivent chaque système symbolique dans la vie sociale réelle apparaît comme un préalable indispensable; c'est seulement une fois cette abstraction effectuée à partir de critères garantissant une certaine homogénéité du champ délimité que l'analyse structurale peut dégager les éléments constitutifs de ce champ et leurs combinaisons possiblesJ12 ou en termes de signification (Die KONKRETE UND AKTUELLE BEDEUTUNG einer Dichtung und ihrer Einzelzüge dagegen steht bei solcher [strukturalistischen] Betrachtung überhaupt nicht in Frage und kann daher von hier aus auch nicht beurteilt worden)13 laisse intacte la question de l'origine actuelle, perpétuelle et changeante du texte - de son implication idéologique contemporaine: le texte est toujours en lecture, en relecture, toute relecture du texte est un acte historique effaçant la relation première manifestée lors de son engendrement objectif (dans l'autrefois de sa publication): la position « synchronique » de l'examen n'exile qu'imaginairement l'Histoire dans la dimension « diachronique ». La « pérennité » du texte (La surgie d'un tel langage [culturel] correspond à une certaine expérience historique qu'il s'efforce d'exprimer ; mais une fois instauré il apparaît comme la médiation essentielle à laquelle les individus et les groupes recourent pour rendre compte de réalités qui peuvent être très éloignées de la situation initiale)1* n'implique donc aucunement la cessation de son historicité successive, puisque c'est par le biais de la lecture ininterrompue qui l'engendre et qu'il supporte que son Histoire a lieu. Sa « tradition » est « plus » qu'un « remplissage » libre et variable de « formes vides » originaires, « plus » que la série indéfinie des réalisations projetées par le modèle: 15 aucune « marge d'indétermination » 16 n'est susceptible d'en fournir la mesure. Le texte porte un effet; l'effet occupe une position prépondérante (orientante) par rapport à la « logique interne » du texte, en elle-même jamais autorégulatrice; l'effet est l'appréhensibilité du texte; l'Histoire s'implique dans la version présente du texte pris comme effet. Autrement dit, l'objet culturel ne constitue 1'« annulation de l'Histoire » qu'à partir du moment où on décide de privilégier, au mépris des nécessités de sa consommation actuelle (forcément actuelle), par abstraction et soustraction de sa nature effective - et structuralisme ou non il s'agit là d'une opération de type idéaliste, ouverte ou rentrée - , soit son illusoire autonomie « interne » (C'est RÉFUTATION 1

13

Sebag, 1967, 127. Lämmert, 1968, 248. Ce qui est postuler un « hiatus » complet entre histoire et structure : traiter l'œuvre à la fois « systématiquement » et « historiquement » est « impratiquable » (untunlich) (Lämmert, 1968, 253). 14 Sebag, 1967, 173. 15 Cf. Jauss, 1970a, 242-243. M Cf. Sebag, 1967, 173. 13

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là traiter l'œuvre comme un monde, régi par sa légalité propreJ 1 7 , soit son imaginaire « liberté » ( L'art a toujours été indépendant de la vie, et sa couleur n'a jamais reflété la couleur du drapeau qui flotte sur la forteresse de la cité ;18 Le paradoxe fondamental de la littérature est d'être une fête (ou une profanation) du langage, - c'est-à-dire une RELATION AVIVÉE - par le moyen de la transposition « élocutoire », qui implique l'émergence, libre et autonome, de l'élément du langage pur, et par conséquent une RELATION SUSPENDUEJ 1 9 , soit son supposé « triomphe » (Un texte, s'il est texte, n'est jamais entièrement dans une seule idéologie. Tout en étant dedans, il est [...] contre, et il est hors, vers une autre idéologie qu'il construit;20 Die Ideologie trachtet vielmehr, sich die Künste dienstbar zu machen, und nicht selten sind Kunstwerke vergegenständlichte, zur sinnlichen Wirkung gebrachte Ideologie [...] Häufiger sind Kunstwerke das Gegenteil: ein SIEG DER WIRKLICHKEIT ÜBER DIE IDEOLOGIE; 2 1 Cet ordre du temps que l'étude des mythes dévoile n'est autre, en fin de compte, que l'ordre rêvé depuis toujours par les mythes eux-mêmes: temps mieux que retrouvé, supprimé [...] Poussée jusqu'à son terme, l'analyse des mythes atteint un niveau où l'histoire s'annule ellemême [...] Il n'est donc pas contradictoire de reconnaître que chaque population américaine a vécu pour son propre compte une histoire très compliquée, mais qu'elle a cherché constamment à neutraliser ces avatars, en remaniant ses mythes dans une mesure compatible avec les contraintes des moules traditionnels auxquels ils devaient toujours s'adapter [...] A peine ébranlé en un point, le système cherche son équilibre en réagissant dans sa totalité, et il le retrouve par le moyen d'une mythologie qui peut être causalement liée à l'histoire en chacune de ses parties mais qui, prise dans son ensemble, résiste à son cours, et réajuste constamment sa propre grille pour qu'elle offre la moindre résistance au torrent des événements qui, l'expérience le prouve est, rarement assez fort pour la défoncer et l'emporter dans son flux).22 Dans tous les cas, le rapport fondamental écriture/Histoire/ idéologie, irrepérable, est écarté des considérations et le produit de cette confrontation, offert à la lecture, demeure imperceptible. 2 : La position historique du commentaire (du discours critique ou scientifique) sur le texte ne s'élimine pas; le commentaire n'échappe pas au questionnement de sa dimension historique. « Oublier » l'Histoire du commentaire, c'est omettre sa fonction, supposer - à tort - que celle-ci n'imprègne pas la description (l'explication, ses critères) où évidemment elle s'inscrit. D'autre part, de ce que l'Histoire est elle-même soumise au commentaire (l'Histoire ne se donne que dans le commentaire, l'Histoire est assujettie à l'élaboration narrative) 23 et de ce que le commentaire est à son tour soumis à l'Histoire (toute narration se trouve en position historique), il ne s'ensuit pas (1) que tout discours (sur le fait, sur le texte) possède le même degré de relativité historique: le rapport de tous les « métalangages » contemporains à l'Histoire RÉFUTATION

"

M 18 M 21 83 23

Starobinski, 1970, 19. Chklovski cité dans Trotsky, 1971, 190. Starobinski, 1970, 16. Claude+Meschonnic+Pierre, 1971, 59. Fischer, 1966, 58. Lévi-Strauss, 1971, 537, 539, 540. Barthes, 1968b, 27 : * L'Histoire est elle aussi une écriture. »

23

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n'est pas équivalent, la scientificité du discours second existe, mais cette scientificité consiste aussi à saisir la détermination historique de son objet, (2) que l'Histoire, « inconnaissable » , se réfugie dans le mouvement interprétatif lui-même (L'histoire reçoit ainsi de nous le sens auquel nous prétendons nous soumettre..J,24 qu'elle se réduise à n'être qu'un discours évolutif ajouté au fait (Celle-ci - en tant que narration - est Vélément de naissance, de survie et de disparition de tout événement),25 qu'une tradition (qu'un cumul) de discours seconds différenciés, qu'une retouche infinie opérant dans et par le langage même: l'Histoire est une donnée objective de la connaissance, (3) qu'il existe un degré de scientificité du discours non marqué par l'Histoire, une description « archéologique » historiquement intacte, une position heureuse de « métatextualité » a-historique (Il n'y a pas de « cercle herméneutique »; il n'y a pas d'historicité du rapport de compréhension. Le rapport est objectif, indépendant de l'observateur).26 Par conséquent, le dilemme entre une Histoire (comme discipline scientifique) transcendante incapable de fonder « hors l'Histoire » son objectivité et une Histoire résolument relativiste immanente incapable de trouver une issue à sa propre subjectivité27 n'en est pas un. L'effort de saisir « purement » l'objet du commentaire et le commentaire lui-même indépendamment de leur fonction (et de leurs rapports réciproques) s'assortit d'une décision historique: Die Ausschaltung der Gesellschaft aus dem Denken, die für die theoretische Objekterkenntnis charakteristisch ist und die von aller bisherigen Philosophie explicite oder implicite als genetische Ursprünglichkeit des reinen Verstandes hypostasiert worden ist, mag sich als eine von der Gesellschaft selbst verursachte Wirkung befriedigend erklären lassen.28 Et encore : Die Geschichte-comme toute scienceist Gegenstand einer Konstruktion, deren Ort nicht die homogene und leere Zeit, sondern die von « Jetztzeit » erfüllte bildet.29 PROPOSITION : La théorie du texte (de la littérature) description

structurale

en information

qu'elle

constitutive

théorie (en tant qu'activité

donne de l'objet

dans la

la teneur

de celui-ci.

Elle ne se justifie en tant que

scientifique)

que dans la mesure où elle ne

distrait pas de l'examen la jonction Le texte (littéraire)

comprend

linguistique

de communication

du texte.

est un « faire savoir », une manière

d'informer,

la transmission (dramatique,

accidentée) d'un « message », d'une quan-

tité d'affirmations

constitutives

partielles

d'un « sens »

global

totali-

sateur. Le texte (le roman)

est un instrument de connaissance

idéologique;

il est moyen, produit un gain de certitude; une confirmation ressort des 24 K x 27 28

"

Starobinski, 1970, 10. Foucault, 1967, 9. Ricoeur, 1969, 37. Cf. Foucault, 1966a, 382-383. Sohn-Rethel, 1971, 103. Benjamin, 1969, 276.

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affirmations qu'il rassemble, articule; un accord surgit, de son fait même, entre le lecteur et le dire qu'il déchiffre. Le texte (le roman) est un acte du savoir idéologique, l'accession à une assurance.30 Le texte (le roman) est un apport d'information; par une voie propre (à définir), il informe - « donne à voir », interpelle le lecteur pour lui remettre une réponse adéquate à l'incessante question que celui-ci, en vertu du contexte et de la position de sujet idéologique qu'il y occupe, obligatoirement formule. Toute conduite verbale est orientée vers un but;31 toute forme de langage existe en vue de son utilisation (l'emploi détermine les caractéristiques de l'instrument approprié), pour convenir au rôle qui lui est assigné (autrement dit, son excellence technique en fournit la mesure). Ce que le texte (le roman) permet d'obtenir (son information, son effet), c'est-à-dire sa production, le détermine : L'homme n'a jamais écrit que pour être lu.32 Que la lecture du texte (du roman), implicite et vraisemblabilisé, s'opère dans l'isolement comme fiction trompe l'usager sur l'insertion idéologique de l'intention qui l'anime. C'est un effet du texte (du roman), soutenu par la pratique individuelle du livre, que de réussir imaginairement la séparation de sa lettre et de son esprit: l'écrit est précisément fait pour dérober la position historique de son usage. Il n'est donc pas étonnant que le critique prenne pour l'effet réel du livre précisément la feinte qui dérobe celui-ci - stratégiquement : pour qu'il ait lieu à sa perception. C'est alors que l'information est réputée être absente de l'œuvre littéraire (Sa lecture, ici, n'a pas pour but de Vinformer, mais de le faire vivre selon une certaine forme),33 que 1'«expression esthétique» qui la constitue essentiellement est supposée être « une structure psychique de nature autonome ». 34 C'est alors qu'après avoir distingué, dans le texte, entre « information sémantique » (un certain répertoire de signes normalisés universels) et «information esthétique» (l'expression des variations que le signal peut subir sans perdre sa spécificité autour d'une norme)35 en termes de « logique universelle » pour ce qui concerne 1 '« information sémantique », 36 en termes de gratuité (ÄSTHETISCHE Information hat zum Unterschied zu semantischer nicht das Ziel, Entscheidung vorzubereiten, sie hat kein Ziel im eigentlichen Sinne, INTENTIO37 NALITÄT gehört nicht zu ihrem Wesen, sie löst effektiv innere Zustände aus) ou RÉFUTATION:

30

Dans L'art du roman est un art de la communication, et non un art de la connaissance (Lesort, 1960, 657), l'antithèse n'est pas valable, chacun des deux termes s'incluant mutuellement. 31 Jakobson, 1968, 211. 31 F. Lenormant cité dans Lévy-Bing, 1880-1883, 26. 33 Nisin, 1959, 72. 34 Johansen, 1949, 298. « Enchaîner ou communiquer des émotions » StenderPetersen, 1949, 282, 285). 36 Moles, 1963, 24. 38 Cf. Moles, 1971a, 170. 37 Moles 1971a, 171.

THÉORIE DU TEXTE : OBJET, PROJET, CLAUSES

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d'affectivité (L'optimum des messages esthétiques n'est plus le maximum d'information, mais le MAXIMUM D'IMPACT, c'est-à-dire la possibilité de COMPRENDRE, donc de projeter des formes sur le message reçuJ38 pour ce qui concerne 1'« information esthétique », o n subtilise l'acte de lecture, pourtant c o m m a n d é , q u i le réalise en le réduisant à n'être que le déchiffrement mécanique - sans effet du d o n n é textuel, son envers insignifiant : décodage est synonyme de recodage,39 O n considère a u contraire c o m m e démontrable que l'information romanesque a beau être nulle (du point de vue « esthétique ») o u redondante (du point de vue « s é m a n t i q u e » ) , l'opération textuelle - indissociable - du r o m a n n ' e n informe pas moins en tant que telle (Cf. Développements s o u s 3.41, 3.44, p.298).

La théorie comprend le texte (le roman) comme un acte spécifique du savoir idéologique. L'information portée par le texte, réalisée par lui, n'est pas l'équivalent de son expression sémantique objective (ou « sens ») (il est « dicible », « traduisible », « exprimable » en un autre langage;40 cependant, la « traduction » ne saurait impliquer l'effet qu'il porte et pour lequel il est conçu). Le texte (littéraire) n'est pas transmission de purs « messages », « concrets », « fonctionnels » (sachliche Mitteilung), mais, comme on dit réductivement, « communication culturelle ». Le texte (littéraire) produit l'information dictée à l'usager : il ne la lui porte pas seulement. Le texte (littéraire) est une opération sur le discours idéologique de fond, sa transformation apparente, sa manipulation visible : Il importe de reconnaître que les textes littéraires font du langage et de l'idéologie (qui ne sont peut-être pas choses si différentes) un usage inédit [...] Où l'œuvre commence, se manifeste une sorte de coupure, qui la fait rompre avec les façons usuelles de parler et d'écrire, et qui la sépare de toutes les autres formes d'expression idéologique.*1 C'est ainsi qu'une opacité est réalisée au-devant de la scène où la littérature opère, pour qu'elle opère, dans son effet : son savoir est « émotivé », dramatisé, « fictionnalisé », c'est-à-dire (1) rendu invisible pour le lecteur, (2) fixé par l'impact, (3) enregistré au niveau de la conscience en termes d'esthétique - cependant, « il n'y a que l'utile qui puisse apparaître beau ».42 38

Moles, 1971b, 21. Mandelbrot, 1954, 13. 40 Le texte n'échappe pas plus à la définition qu'il ne s'y réduit; sa productivité n'est pas un « secret »; sa perfection ne s'appelle pas « divine », etc., comme le veut, avec persistance, la tradition critique (Cf. encore, par exemple, Millier, 1968, 169, 172-173). a Macherey, 1966, 66. 42 Cf. Plechanow, 1969, 172. 39

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L'information textuelle du roman est le roman lui-même. Le roman n'affirme pas autre chose que le roman. Le roman est l'objet de sa propre communication. L'écriture romanesque représente à elle-même sa propre fin : on ne lit pas le sens du texte « derrière le texte », « hors le texte » (Le livre ne cache rien, ne retient, ne garde aucun secret : il est tout entier LISIBLE, offert à la vue, livré.)*3 Cette parole qui se dit sans s'annoncer énonce avec elle-même au-delà d'elle-même son intérêt. L'affirmation qu'elle achemine, ou plutôt accomplit, et qui ne supporte pas d'être reconnue comme savoir, n'est pas le pur énoncé des valeurs idéologiques. Le roman n'A pas un sens - et donc la « vérité » du référent ne peut être considérée comme le modèle qu'il imite (Cf. Développements sous 1.12) - , mais EST un sens: Le texte n'est pas simplement l'idéologie : il est son intégration qui, pourtant, le fonde.4* Puisque la « forme » (littéraire) existe en vue de sa pratique, dans l'étroite dépendance de son effet, la théorie doit saisir immédiatement l'emploi (idéologique) caractéristique du texte DANS LE TEXTE. Le roman est à lire « dans sa lecture », selon sa fonction « conative », comme discours orienté vers le lecteur. Le roman se définit comme l'intérêt textuel spécifique « tiré » de sa lecture, produit pour elle, (sans considération de l'ignorance où celle-ci se trouve - grâce au roman - quant aux processus qui la régissent). Le texte engendre sa lecture. Le texte ne diffère pas de sa lecture, n'est pas autre que la série indéfinie de ses réalisations, actualisations ou « concrétisations » successives.45 Le texte ne se coupe pas de son effet; il n'est pas une « entité latente », mais se trouve toujours en position de réalisation; sa réalisation (correcte) n'en constitue pas l'appauvrissement ou le recouvrement (partiel).46 Le texte n'est que ce qui peut en être lu. Et : le texte commande la (les) lecture(s) correcte(s) qui est(sont) susceptible(s) d'être faite(s) de lui-même. (Une lecture « correcte » est celle-là qu'engendre, synchroniquement ou diachroniquement, le texte; une lecture ne devient falsification ou erreur qu'à partir du moment où, loin d'en être issue, elle le force pour cesser de subir son effet. Il n'y a pas de liberté dans la 13

Macherey, 1966, 120. Sollers, 1970a, 10. 45 Cf. Jauss, 1970a, 247. « Concrétsiation » = das, was sith während einer Lektüre konstituiert, was sozusagen eine Erscheinungsweise des Werkes in der Konkretisation bildet, in welcher wir das Werk selbst erfassen (Ingarden, 1965, 354). 46 La procédure « formaliste » qui opère sur la distinction œuvre/performance de l'œuvre, suivie entre autres par Ingarden, 1965, 268, 360, ne se défend donc pas. 44

THÉORIE DU TEXTE : OBJET, PROJET, CLAUSES

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lecture correcte du texte; du moins, la marge d'individualisation permise par le texte est telle que l'effet qu'il désire imprimer ne s'en trouve pas compromis). Réserve de sens offerte à son réemploi (limité) ou sens exposé à la retouche (relative), au rétrécissement ou à l'écart (apparent), l'œuvre (quelle qu'elle soit), évidemment « plurielle » et jamais parvenue au stade d'une ultime et définitive utilisation (enfin déchiffrée !), ne se décrit plus que par cette attache : le sens qu'elle « prend », et que dans cette mouvance : la migration de son sens : sein Bedeutungspotential wird erst progressiv, im fortschreitenden Horizontwandel der ästhetischen Erfahrung, und nur dialogisch, in der Interaktion von literarischem erk und literarischer Öffentlichkeit, sichtbar und bestimmbar*1 La théorie représente la « lecture » des lectures du texte; elle est connaissance des transformations subies par son sens; elle démêle les paroles du texte - dans le texte, sur le texte - à un moment donné de son histoire, en retrouve la perception, la lisibilité perdue.48 La théorie vise à la prévision correcte de l'effet textuel (non plus des phrases, comme la sémantique,40 ou des ensembles de phrases, comme la linguistique du texte).60 (Nous désignons ici programmatiquement une entreprise que l'état actuel du développement de la théorie ne permet de réaliser qu'hypothétiquement sur une petite échelle). Le texte ne se réduit pas au commentaire (descriptif, critique) qui peut en être donné; son explication ne contient point l'effet de son utilisation; le produit dans l'esprit de l'usager des affirmations, informations, confirmations textuelles (littéraires) excède la saisie théorique : la théorie n'est donc pas une lecture (ni une « meilleure » lecture), mais bien la mise à jour de ses procédés. La théorie n'est pas l'équivalent du texte; elle n'est pas non plus l'équivalent de son commentaire. On considère que (1) littérature et commentaire ont partie liée. Le commentaire (dit « critique ») - toujours « à côté » de la littérature - jouit d'une position dominante par rapport à celle-ci, qu'il « couvre », dont il a cependant besoin pour justifier son activité, pour se faire passer pour science. D'autre part, la littérature (le roman) implique un commentaire qui contribue à dérober sa visée effective, qui établisse « scientifiquement », "

18

"

Jauss, 1970a, 234. Cf. Barbéris, 1971, 16. Par exemple celle de Katz+Fodor, 1964. Par exemple celle de Petöfi, 1971a, 1971b; Isenberg, 1971.

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THÉORIE DU TEXTE : OBJET, PROJET, CLAUSES

avec garantie, son innocence d'« art > : l'objet de la critique nécessite une apparence de science qui feinte l'usager sur sa pratique, il est tel qu'il convient à son utilisation que l'usager ne soit pas mis au courant de l'usage qu'il en fait pourtant. La critique est conduction, captation, unification, uniformisation, absolutisation du sens - déjà « contenu » dans la plupart des cas - de son objet : La littérature (l'art) n'a le droit d'exister qu'accompagnée d'un discours explicatif, c'est-à-dire d'un discours qui la justifie devant l'histoire ou l'exclut d'elle pour la justifier « en soi »;51 Dans son fonctionnement et par sa circulation, le discours critique constitue un mécanisme d'organisation, d'accélération et d'orientation du sens.52 Littérature (roman) et commentaire sont donc complices, s'invisibilisent l'un l'autre, constituent les deux faces d'un diktat unique : il ne doit exister que l'usage aveugle du texte paru soit littérature, soit commentaire; (2) littérature et commentaire ont partie liée à l'intérieur d'un système pour lequel cet assujettissement (ce dédoublement) est une nécessité. Le système qui tient (détient) le texte en face de sa critique (et réciproquement) - avec effet de réduction - , constitue le champ idéologique déterminé dont le texte (la critique) ne s'abstrait pas. Puisque le texte parle (avec effet) uniquement dans le système, puisqu'on le parle (le lit ou le redit) en fonction du système, puisque la parole du texte (ou suscitée à son propos) omet de désigner son effet même, cela précisément en vertu du système qui les comprend, alors la théorie est dans l'obligation de penser la description du texte dans le système qui le régit, lui, sa parole et sa glose. La théorie ne se substitue pas au texte, ni ne vise à l'effacement de son opération spécifique; elle n'annule ni ne renforce son effet par explication, le prévoit sans le subir, sans se donner elle-même pour sa fin (La théorie ne recouvre pas son champ : elle l'ouvre).53 La théorie expose l'effet du texte comme l'intérêt de sa pratique, et, à cette fin, le dégage de ses masques de fiction, le soustrait théoriquement à l'oblitération critique. La théorie du texte (de la littérature) - ou sémiotique - ne se justifie en tant qu'activité scientifique qu'à partir du moment où, cessant d'ajouter le commentaire au commentaire, elle comprend le texte comme ce qui dicte, effectue précisément les lectures qui s'y fondent. Elle ne participe pas au processus d'interprétation et de réinterprétation incesH M 03

Kristeva, 1971, 122. Bya, 1971, 114. Cf. Sollers, 1970b, 107.

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sant auquel celui-ci donne lieu (partant elle ne prend pas part à l'élaboration d'une « tradition >).54 D'une part, le texte (le roman) s'appréhende comme une totalité signifiante, suffisante (L'œuvre est d'un seul tenant) :B5 son plan ne se lit pas ailleurs que dans sa « forme », sa « forme » contient intégralement son plan, son intérêt ne se distrait pas de l'organisation structurale de ses éléments, qui, nécessairement, l'engendre; le texte se dicte luimême. D'autre part, la totalité signifiante que le texte (le roman) constitue s'inscrit obligatoirement, pour être opérante, dans un ensemble ou contexte hiérarchiquement supérieur, déterminant : son plan (sa vérité, sa correction) est celui-là d'un système (ou Texte) qui l'anime, où il a lieu : le « tout » (le Texte, le système) dicte le texte, le texte ne dicte que le « tout », le texte a pour Histoire l'Histoire de ce « tout », le texte ne donne à savoir que ce « tout » comme savoir. Dès lors, la théorie, pour faire intervenir un autre discours que le roman (la critique) sur le roman (la littérature), c'est-à-dire pour ne plus obéir à l'injonction du système producteur, ne plus être comprise par celui-ci, mais se constituer en tant qu'activité scientifique, saisit le texte à la fois comme un tout (opérant) et comme un sous-ensemble du « tout » (qui l'opère). Elle repère son insertion dans le système et l'action de ce système dans le tout qu'il constitue, met à jour l'effet idéologique rentré qui s'y dépense, autrement dit, dissipant le mythe de son autonomie, déclare les règles intériorisées à partir desquelles il peut être trouvé vrai, donc être lu. La théorie, partant, n'expose pas le texte isolément dans sa « forme » et ses règles pour penser « ensuite » et si possible son rapport à l'Histoire, 58 mais immédiatement dans leur efficace : le texte ne se décrit que dans le texte, le texte n'est que le lieu d'exposition du système, toute rhétorique est rhétorique de l'effet, le canal et le code sont uns dans l'opération. " D a n s un geste contraire à celui évoqué par Ricoeur, 1969, 31 : Toute tradition vit par la grâce de l'interprétation; c'est à ce prix qu'elle dure, c'est-à-dire demeure vivante. T a n t il est vrai que Nur eine Wissenschaft, die ihren musealen Charakter aufgibt, kann an die Stelle der Illusion Wirkliches setzen (Benjamin, 1966, 454). 55 Macherey, 1966, 178. 5 " C o m m e le veut, classiquement, la procédure structuraliste : La nature formelle de l'objet qu'elle [l'analyse rhétorique] veut étudier (le message littéraire) oblige à décrire d'une façon immanente et exhaustive le code rhétorique (ou les codes rhétoriques) avant de mettre en rapport ce ou ces codes avec la société et l'histoire qui les produisent et les consomment (Barthes, 1967a, 35).

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THÉORIE D U TEXTE : OBJET, PROJET, CLAUSES

La théorie, enfin, se reconnaît elle-même comme pratique dans le rapport historique qui la lie à son objet, dès le moment où, abandonnant l'explication répétitive et la reconduction « critique » d'un système textuel désormais clos (ou finissant), ayant produit ce qu'il pouvait produire, intransformable, elle le démontre comme soumission à l'Histoire qu'il n'est pas, c'est-à-dire fraude: Il faut analyser quelle 57 ILLUSION PARTICULIÈRE [le roman] donne au peuple, 1.12

État de réduction du texte

PROPOSITION : La théorie du texte (de la littérature), en tant qu'activité scientifique, doit tenir compte du fait que le texte (le roman) ne se trouve jamais « naturellement » réfléchi par l'interprétation «critique», mais toujours réduit par elle à ce qu'il n'est pas. Le commentaire interprétatif constitue une parole seconde obnubilante ajoutée au texte, se substituant à la sienne propre, la couvrant, la renfermant dans la mutité : le texte ne parle pas dans sa critique. D'une part, la critique - a-critique - voile l'objet culturel (le roman), ce qui n'empêche pas celui-ci d'opérer « dessous » le non-savoir qui en disserte; d'autre part, elle se trouve de collusion avec le discours « profond » de l'objet qu'elle enveloppe, quoiqu'elle prétende s'en distinguer, et le « répète ». La critique propagatrice du texte empêche de distinguer celui-ci dans la réalité de son effet, comme Histoire et en tant que pratique : le texte (le roman) a besoin pour agir de la dissimulation critique. Grâce à cette apparente exposition de son discours, il trompe sur son objet, endort sur son projet, réussit son effet spécifique. La critique interprétative n'est donc pas insuffisante « par hasard », ses « erreurs » ne sont pas des fautes : elle ne fait qu'obéir à une stratégie institutionnelle d'ensemble qui la comprend elle-même aussi bien que son objet : l'Institution protège son idéologie en dérobant l'efficacité idéologique réelle des moyens qui en assurent la diffusion. Appuyé par une parole seconde, le texte (le roman) peut agir sur le plan dérobé qui est le sien. Le texte (le roman) s'accompagne nécessairement d'une fiction, publiquement répandue, à son égard : cette glose de soutien a pour fonction d'enrayer chez l'usager la connaissance des causes objectives de l'intérêt pris à la lecture; elle littérarise et innocentise son objet, le montant là 67

Gramsci, 1959, 487.

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où il n'est pas, comme il n'est pas, distrayant des opérations effectives qui s'y jouent. La théorie doit ainsi passer « par-dessus » l'interprétation seconde du texte (« par-dessus » l'association du texte et de sa critique) pour aller à sa consommation (première, que la critique n'est pas). Le texte comme effet, Histoire et pratique ne s'interroge pas dans le « miroir » déviant du commentaire. Cependant, la théorie saisit le texte également sous l'écran du discours qui s'en empare, en tant que celui-ci représente l'un des niveaux de l'intention même du texte : le commentaire est une parole « extérieure » de couverture désirée par le texte, voire qu'il exerce lui-même « en son sein ». Le commentaire « critique » n'est pas la parole du texte (ou n'est que le niveau explicite de l'intention pour laquelle celui-ci entend être reconnu), mais bien le paravent qu'exige pour se soutenir sa propre parole. Le texte (le roman) se présente comme l'égal de son commentaire afin d'être lu avec l'effet désiré : la falsification (qu'il accrédite et soutient lui-même) doit être considérée comme une des conditions fondamentales de son emploi correct. La théorie comprend, par suite, le texte (le roman) comme effet, Histoire et pratique dans sa lecture; cette lecture se saisit dans le texte même qui l'engendre malgré le commentaire (ce dernier en est la méconnaissance active et stratégique) et grâce à lui (il en est le soutien). La théorie considère le discours interprétatif comme un bon révélateur de la conduite réelle (niée, « contenue », « soustraite ») du texte. Dans un premier temps, elle dégage la lecture de la gangue critique (explicite); dans un second, elle saisit leur fonction respective par rapport à une opération textuelle idéologique unique (déployée sur deux fronts apparents). Le commentaire fonctionne à plusieurs niveaux d'intellection: dans le texte, comme parole programmatique explicite, durant la lecture, comme sa prise de conscience (fausse), en tant que critique, spécialisée ou à tendance « scientifique », enfin, cette dernière ne constituant normalement que 1'« amélioration » ou 1'« objectivation » d'une prestation unique. NOTE 2: La prolifération d'interprétations «contradictoires» sur le texte ne doit pas distraire du fait fondamental: leur profonde identité fonctionnelle. [Cf. Vol. compl., TABLEAU 1] NOTE 1:

PROPOSITION : La théorie du texte (de la littérature), en tant qu'activité scientifique, comprend comme effet du texte à décrire la lecture « correcte » engendrée par celui-ci au moment de sa parution historique. (La description diachronique des lectures « correctes » - diverses et

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cependant dirigées par ce à propos de quoi elles s'exercent - pose toute une série de problèmes (et en premier lieu celui des conditions de transmissibilité du texte) qui demeurent réservés). Il n'y a ni texte ni lecture naturels : le texte est un engendrement, le texte produit la lecture qu'il peut, n'existant nulle part ailleurs qu'en sa lecture (Was mit einem Werk geschieht, ist eine Form dessen, was es ist),58 ayant pour effet sa lecture « correcte ». 59 La lecture « correcte » (« bonne », « nécessaire ») est celle-là que le texte, au niveau adéquat de son usage, prémédite comme sa fin. L a lecture est une contrainte du texte, imprimée par le texte, elle en est l'usage obligé. L'écrit, soutenu par l'Institution, mais seulement en tant qu'il est susceptible de la représenter lui-même, crée l'obligation de son usage. L'unification sémantique ne lui est donc pas imposée « du dehors » (il la détermine), la lecture « individuelle » « libre », impliquant falsification, n'en émane aucunement (on la considère comme un transport de l'effet textuel d'un niveau d'usage à un autre). : On distingue entre ( 1 ) la lecture correcte et nécessaire de l'usager qui subit l'effet du livre, (2) la lecture spécialisée du «critique» qui l'interprète tout en en taisant l'effet, (3) la lecture du théoricien qui établit le texte dans son effet objectif. Ces deux derniers usages du texte n'impliquent nullement que son emprise sur le consommateur intellectuel cesse. La critique, en tout cas, s'entend comme surcharge de ce qui secrètement l'occasionne. Quant à la théorie, elle ne signifie évidemment pas encore libération de ce qu'elle porte à la connaissance. 60 NOTE 2 : Le roman n'est pas un genre naturel ; il ne repose pas, comme genre, 61 sur la « nature des choses ». Réciter ne va pas de soi. Le « racontement », aussi universel et «humain» qu'on le trouve - il se compare à la respiration-, 62 s'entend comme lieu d'investissement d'une pratique. NOTE 3 : Tout écrit ne se plie pas à sa lecture littéraire par conversion ou déconditionnement 63 (la lecture n'est pas simplement appliquée au texte). La littérarisation du texte non littéraire suppose que, son effet d'origine étant suspendu, une resignification actuelle, supportée par l'ensemble inédit d'œuvres où il s'intègre, ressorte de son fonctionnement même. NOTE 1

On pose que (1) le texte est en principe pluriel ou 58

multiple;6*

Kosik, 1970, 141. Objet déjà touché 1. 11, p. 26-27. eo Cf. Weinrich, 1964, 48 : Das Erzählen ist ein charakteristisches Verhalten des Menschen. 61 Cf. par exemple Bonnet, 1951, 127, 139. " Cf. Lubbock, 1966, 9. M Cf. Escarpit, 1958, 22-23. 64 Barthes, 1970a, 12, à cet égard, reconnaît au texte plus o u m o i n s de « parcimonie ». Cf. D é v e l o p p e m e n t s p. 238-239. M

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(2) le texte engendre, en un point donné de son histoire et pour un niveau défini de consommation, une lecture unique (dite « correcte •»). Cette lecture peut être, mais non nécessairement, la première ou la dernière des « unifications » du texte. Le texte impose, ponctuellement, l'une de ses lisibilités; (3) la série diachronique des lectures correctes du texte est virtuellement, mais non pratiquement, infinie; (4) la réalisation correcte du texte au point actuel de son histoire dépend a) du texte : elle rentre dans les limites de sa correction, b) de la pratique d'ensemble où le texte s'inscrit : elle se choisit dans les limites de sa convenance avec le contexte. L'infinité théorique de l'entassement chronologique des lectures n'est donc pas libre; le lecteur ne dispose en aucun cas de cette infinité (il ne 1'« imagine » pas). Par ailleurs, aucune lecture n'est théoriquement susceptible de « terminer » le texte. Ni le texte ni sa lecture ne sortent actuellement (en un lieu considéré de leur histoire) de leurs bornes. [Cf. Vol. compl., N O T E 1) 1.13

Position du roman

La théorie du texte (de la littérature), en tant qu'activité scientifique, comprend la multiplicité ponctuelle (actuelle, « synchronique •») des exemplaires du roman (1) dans l'unité de leur genre, (2) dans l'unité de l'ensemble (le texte général) où ils s'intègrent, (3) dans l'unité de leur effet diversifié (ou « romanesque »). On considère en effet que (1) le roman demeure un et indivis à travers la série différenciée de ses échantillons, sinon durant toute son histoire, du moins pour une période contemporaine déterminée de son usage. Il n'y a - cette restriction posée - qu'tm roman. Le roman est un, revient à un, se découvre être d'une seule et unique espèce. Malgré la variété apparente de ses réalisations, malgré la diversité considérable des formes qu'il emprunte; (2) il n'existe, sous l'Institution - actuelle, déterminée — qu'un texte indivis quoique diversifié, mouvant et cependant stable, comprenant au sein d'une même unité maîtresse les exemplaires, romanesque ou autres, simultanément offerts à l'usager. Le roman représente alors un des modes du texte général, institutionnel (noté : Texte) - et non pas seulement « culturel » - d'une société qui se récite. Le roman se trouve en position relative dans le Texte, qui l'intègre et qu'il intègre lui-même comme l'une de ses instances. Le Texte général, qui fonctionne comme champ idéologique, codé, compris comme « culture » en certaines de PROPOSITION :

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THÉORIE D U TEXTE : OBJET, PROJET, CLAUSES

ses zones, où s'inscrit chacune de ses réalisations scripturales, comprend, entre autres, un tissu de récits,05 parmi lesquels le roman. Les formes narratives du Texte, largement majoritaires, comprennent à leur tour, en sous-position, une série romanesque et une série non romanesque d'ouvrages. Le roman proprement dit constitue, parmi les modes romanesques du récit, l'une des réalisations - privilégiées - du Texte général. (Il en représente, dans les temps modernes certainement, la plus active spécialisation). Soit les schémas suivants : 1. Texte général

•l

1 I I'

récits

non romanesques romanesques

1

.

J

L—,

,

1

récits ( série non romanesque : ( série romanesque

(La constitution d'une typologie des différentes organisations textuelles intégrées au système - partiellement entendu comme « culture » - fait donc bien partie des tâches présentes de la sémiotique);66 (3) le romanesque, en tant qu'effet visé, obtenu à la lecture correcte de l'ouvrage, existe sous l'Institution, en un temps daté de son histoire, comme la qualité unique des variétés de récits (romanesques). Le romanesque comprend l'ensemble diversifié des effets des récits (romanesques), le roman n'en réalisant, parmi ces derniers, que l'augmentation spécifique. Chaque mode du récit ainsi entendu produit avec plus ou moins d'efficace l'unité de l'ensemble du système. Les modes du récit - sans préjudice des autres classes du système - représentent chacun un certain ordre de grandeur textuelle. On définit en effet le roman (1) a priori, comme une longueur - une masse, une durée : Les appellations récit, nouvelles, roman correspondent pour nous à un certain nombre de feuillets d'imprimerie;67 PROPOSITION :

85

On évite de confondre entre récit en tant que catégorie structurale de description (à portée restrictive et qui intervient dans la seconde partie de ce travail), récit en tant que m o d e d é n o n c i a t i o n du Texte (catégorie typologique) et récit en tant que sous-classe de ce m o d e ( c o m m e dans le schéma 2. ci-dessous). 66 Cf. Kristeva, 1969a, 113. 67 Tynianov, 1965b, 127. Ceci suppose une définition «transphrastique» du texte, cf. 1. 21.

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(2) empiriquement, sur le corpus, comme une quantité déterminée de mots. L e roman représente alors la plus grande des unités narratives entretenues par le système. Il se situe quantitativement immédiatement au-dessus de la « nouvelle » (la sous-classe « récit » ne comprenant, à ce stade primaire de son développement, que des œuvres réduites, peu différenciées). On fournit, en général, les approximations suivantes : Bei der Novelle ergibt sich eine ungefähre Höchstgrenze von selbst : Mehr als etwa hundert Seiten lang wird man die notwendige Spannung 68 kaum aufrechterhalten können, E t avec plus de précision, étant donné la diversité typographique : The extent [of a novel] should not be less than 50.000 words;89 A short story usually contains from 1000 to 20.000 words; a novelette from 20.000 to 40.000, and a novel from 40.000 words upward.™ On obtient, pour l'époque considérée (18701880), les mensurations suivantes : a. 5 volumes in-18 de 327, 338, 313, 307 et 359 pages (13) : 71 319.000 mots; 72 b. 1 volume in-18 de 382 pages ou in-4 illustré de 160 pages (20) : 168.000 mots; c. 2 volumes in-18 de 324 et 329 pages (62) : 129.000 mots; d. 1 volume in-18 de 377 pages (86) : 114.000 mots; e. 1 volume in-18 de 362 pages ou in-4 illustré de 403 pages (79) : 113.000 mots; f. 1 volume in-18 de 369 pages (77) : 98.000 mots; g. 211 pages d'un volume in-18 (120) : 54.000 mots; h. 207 pages d'un volume in-18 (118) : 50.000 mots; i. 202 pages d'un volume in-18 (36) : 37.000 mots; j. 206 pages d'un volume in-18 (16) : 35.000 mots; k. 126 pages d'un volume in-18 (196) : 32.000 mots; 1. 1 volume in-18 de 168 pages ou 55 pages d'un volume in-4 illustré [F. Coppée, Une Idylle pendant le siège, 1874]: 29.000 mots; m. 94 pages d'un volume in-18 [P. Perret, Carmine. Dans: Les Filles d'Eve, 1875]: 22.500 mots; n. 73 pages d'un volume in-18 [A. de Gobineau, La Danseuse de Shamakha. Dans: Nouvelles asiatiques, 1876]: 22.000 mots; o. 80 pages d'un volume in-18 [J. Barbey d'Aurevilly, Le Rideau cramoisi. Dans: Les Diaboliques, 1874]: 19.000 mots. a - h dans cette liste représentent notoirement des romans, 1 - 0 des nouvelles. La limite, flottante, entre ces deux modes narratifs se situe, 68

Erné, 1961, 100. Forster, 1937, 15. Encyclopedia Americana cité dans Erné, 1961, 107. 71 Les chiffres en italique et entre parenthèses représentent les romans du corpus. " Ces chiffres s'entendent en approximation. L'échantillonnage couvre les typographies les plus usuelles dans les collections. 69

m

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par conséquent, entre 30.000 et 40.000 mots, la nouvelle n'excédant pas ce dernier chiffre, le roman ne descendant pas au-dessous du seuil figuré par le premier. Quant à son plafond, on le fixe aux alentours de 120.000 mots, seule l'élongation du texte par épisodes permettant de dépasser sans dommage cette borne; (3) sémiotiquement, comme la quantité de mots nécessaires à la production de l'effet romanesque visé. L'ordre de grandeur du texte (du roman) comprend son effet (En fait il s'agit d'une différence de principe, déterminée par la longueur de l'œuvre).73 L'effet se trouve réglé sur la quantité de mots qui l'engendrent, leur nombre permettant seul un développement spécifique donné, y contraignant. Le romanesque est, entre autres, mais nécessairement, fonction de l'étendue du texte, l'excès de brièveté ou de longueur le stoppe ou le dilue. Le roman constitue, par excellence (au moment historique où nous le surprenons) l'état de généralité du Texte, de sa diffusion, de sa lecture, de son effet. On considère en effet que (1) le roman représente la forme universelle du texte général, sa contamination. D'une part, il porte les marques de vérité propres à ses autres modes d'énonciation (il se dit Mémoires, Confessions, Souvenirs, Journal, Chronique, Etude, Tableau de mœurs, etc.); d'autre part, ceuxci se trouvent chargés des signes d'intérêt propres au roman. L'information sociale (et en particulier l'Histoire) se donne, et pas seulement au niveau inférieur de la consommation, sous la forme romanesque. Cela s'observe dès le titre, ne manque pas d'être mis en valeur par la publicité : PROPOSITION :

Mémoires secrets de Troppmann, autographe et portrait, révélations nouvelles, 1870. Prospectus : Ce livre est le SEUL qui donne la VIE ENTIÈRE de TROPPMANN, son ENFANCE, ses AVENTURES ses MALHEURS, etc., et enfin les DÉTAILS VÉRIDIQUES sur l'assassinat de JEAN KINCK, de sa FEMME et de SES ENFANTS, ON Y RACONTE DES FAITS COMPLÈTEMENT INCONNUS JUSQU'À CE JOUR. D E S RÉVÉLATIONS NOUVELLES Y SONT FIDÈLEMENT RAPPORTÉES [...] C'EST LE LIVRE LE PLUS ÉMOUVANT POUR PASSER LES DERNIÈRES VEILLÉES D'HIVER.

Marc de Montifaud, Les Courtisanes de l'Antiquité, 1870; Benjamin Gastineau, Les Courtisanes de l'Église, 1870. L'auteur : Ce n'est point un roman, c'est l'histoire. Nous n'avons pas cru blesser l'histoire, cette 73

Eikhenbaum, 1965a, 202.

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grande école de l'humanité que nous avons toujours respectée, en présentant notre sujet d'une manière dramatique, en groupant tous les faits intéressants, pathétiques ou tragiques, qui se rattachaient à notre thèse. Histoire amoureuse de Mlle de La Vallière et de Louis XIV, 1879. Table des chapitres : Enfance - Entrée à la Cour - Amour du Roi Entrevue - Fêtes - Enlèvement - Rendez-vous - Maternité - Rivalité Abandon - Couvent.™ Henry de Kock célèbres, 1878. pour amuser, il plus ardent, le Mirabeau et de telles que celles

(Paul de Kock fils), Histoire des femmes infidèles L'auteur : Le temps des fictions est passé, et, même est défendu à un écrivain de mentir [...] Le roman le plus échevelé, pâlit devant l'histoire des Amours de Sophie de Monnier. On n'invente pas des aventures qui remplissent ces amours.

Jules Beaujoint, Histoire des Tuileries depuis leur origine jusqu'à nos jours. Drames politiques. - Vie privée des souverains. - Débauches secrètes. - Crimes mystérieux. - Révélations, 1880. L'auteur : Nous n'avons pas à prendre les faits historiques les plus importants. Nous devons laisser à Thiers, à Lanfrey, à Michelet, le récit et l'explication des événements politiques, l'éloge et la critique du grand stratégiste et de l'éminent administrateur qu[e] fut Napoléon. La tâche qui nous est indiquée est plus modeste. Elle consiste surtout à ramasser les miettes de l'histoire, à glaner ces détails de mœurs, de vie intime ou familière, dont l'histoire ne peut embarrasser son récit magistral.75 Le texte général se voue à l'exceptionnalisation, à la dramatisation systématique de ses messages; ses récits mettent en valeur l'événementiel, le scandale, le malheur, téléologiquement compris; l'information (idéologique) se récite, tout se passant comme si dès lors qu'elle ne se propose pas dans le moule romanesque elle ne trouvait plus (ou pas assez) le lecteur. Sous l'Institution dont nous parlons, la communication se fait par le roman : De nos jours le roman a touché à toutes choses. Il a été tour à tour socialiste, conservateur, révolutionnaire, ami de l'ordre, sensualiste, spiritualiste, libre penseur et voltairien, catholique, presque mystique, propagandiste effronté, cathéchiste pieux, immoral jusqu'au cynisme, plein de moralité. Il a fait le mal, il a fait le bien. Il a surexcité les pasOuvrage destiné au colportage. L'intrusion du roman à tous les niveaux du texte général - ou presque - a lieu sur une échelle bien plus vaste que les exemples qu'il était loisible de réunir ici ne le font supposer. 74

75

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sions, il a parlé à la raison. Il a excusé les crimes et fait l'apothéose du vice, et il a été l'auxiliaire et le champion de la vertu. Il a déshonoré la littérature, et il l'a honorée. Des esprits séparés par des abîmes, esprits de lumière et esprits de ténèbres, et avec eux, des esprits situés dans la région limitrophe qui sépare les lumières des ténèbres, se sont servis du roman comme d'un moyen puissant pour la diffusion des idées;™ Nous ne manquons ni d'études ni de matériaux historiques. Avonsnous vraiment une histoire ? || Nous avons l'histoire providentialiste (BOSSUET, ANCILLON, CANTU); ]| L'histoire soi-disant philosophique (GIBBON, RAYNAL); || L'histoire classique (VERTOT); || L'histoire chauvinique (VICTOIRES ET CONQUÊTES, VAULABELLE); || L'histoire apologétique et bavarde (THIERS : HISTOIRE D U CONSULAT ET DE L'EMPIRE); || L'histoire doctrinaire (THIERS: HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION); || L'histoire épique (MICHELET); || L'histoire-roman (LAMARTINE); [| L'histoire jacobinique et déclamatoire (LOUIS BLANC); || L'histoire-journal (BUCHEZ); || Enfin des manuels professeurs destinés à la jeunesse qui se prépare au baccalauréat. || Nous n'avons pas d'histoire, parce que nous ne sommes pas devenus nous-mêmes;77 On peut dire que jamais le goût de ce genre d'ouvrages [romans, contes, etc.] n'a été aussi général qu'il l'est à présent : les romans se trouvent partout, dans les salons, les mansardes, et jusqu'au fond des ateliers, entre le marteau et le soufflet du forgeron;78 Un genre de littérature où la philosophie matérialiste et réaliste se trouve presque toujours mise en action, mais dont la popularité est immense aujourd'hui; - un genre qui a pénétré partout, qui brille en éditions luxueuses sur les tables les plus élégantes et qui va, grâce aux petits journaux quotidiens, jusque dans les réduits les plus humbles; un genre qui touche à toutes les questions politiques, historiques, scientifiques, pathologiques même, qui argumente comme un docteur, qui enseigne comme un pédagogue; où l'auteur interrompt son récit pour discuter gravement une question de bourse, d'économie ou d'agriculture; - un genre enfin qui se rattache à tous les autres par quelque côté et où le caprice de l'écrivain mêle au hasard le bien et le mal, le vrai et 76 77 78

Nettement, 1864, 462. P r o u d h o n , 1 9 6 5 , 298. || : le sigle signifie à l a ligne d a n s le t e x t e . L a Chapelle, 1873,

5-6.

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la fantaisie, le beau et le laid, la vérité et le mensonge. Je veux parler du roman. Voilà bien le genre privilégié et favorisé de notre temps F9 L'Institution, dans cet état, ne distingue plus (pour fallacieusement s'en plaindre) entre l'instance romanesque et l'instance non romanesque du texte global qu'elle suscite. Il n'y a que le roman, le texte général est imprégné de romanesque; cet abus de la fiction, son invasion, a lieu, prétend-elle, malgré elle; (2) le roman représente le mode universel de consommation du texte général. Le roman encombre l'esprit de l'usager sous toutes ses formes; nul n'échappe au roman. Tout le monde lit à tous les niveaux (ou participe à la lecture générale) et ce que tout le monde lit - ce dont il a faim 80 - est, dès l'enfance et à chaque âge, le roman; 81 (3) le roman, en tant que forme unique et universelle - avec les restrictions posées - de consommation du texte général, se perpétue indéfiniment dans la diversité à chacun de ses niveaux (Cf. Développements sous 4.3). Il y a fait de genre, c'est-à-dire constitution d'une unité en expansion dans la série complète des exemplaires toujours remaniés qu'elle soutient. Le genre signifie cristallisation, fixation, « duration » de la forme romanesque et de son effet (l'un s'établit dans ses multiples). Le genre résulte de la nécessité, pour l'Institution, (a) de stabiliser l'effet de signification du texte (la lecture du texte s'opère à partir de maints analogues), (b) d'assurer son usage en faisant reconnaître (« attendre » ) par avance l'existence (future) de son effet (c'est là une condition indispensable pour qu'il se produise : un texte qui n'entre dans aucun genre ne se lit pas), (c) de préconformer la lecture en la contraignant de se régler sur l'emploi correct désiré (le texte s'accompagne de sa méthode, le genre représente la sécurité institutionnelle de son usage). L'exemplaire actuel est donc dicté par le genre qui en garantit impérativement, « automatiquement », l'existence publique. Le roman crée du roman, entraîne au roman, obtient par accumulation la fixation (ou l'immuabilité relative) de son effet, ceci, sous RÉFUTATION:

l'Institution et pour autant que la fonction qu'il remplit à la consommation se prévoit, s'exige. Le genre ne s'autodétermine donc pas (Typus der Dichtungsgestalt ist die durch sich selbst abgegrenzte (« entschiedene v>) Art sprachlicher ™ Duvergey, 1874, 69-70. 80 Cf. Nettement, 1864, 36 : Paris « e s t le grand consommateur en romans comme en victuailles ». 81 Attestations d'époque dans Magasin illustré, [1873], 3e série, Livr. 1, 2; Vallès, 1955. La même observation, un siècle plus tard, demeure valable : Toute la population de notre pays est évidemment romancière (Butor, 1968, 9).

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Metamorphosen, die in der Wechselwirkung sämtlicher Züge eine in sich geschlossene und dadurch sinnvolle Einheit erbilden).83 La production des exem-

plaires « au-dedans du genre » est bien le fait du genre (à la fois source, nature et modèle de ce qui s'écrit dans sa trace), mais celle-ci, en tant que reproduction interminable et variée, se trouve dictée - « télécommandée » — par le système qui la justifie et lui trouve un emploi. Dans le même sens, bien que la fiction puisse se détacher de son origine ([Fiktionen] gewinnen aber, einmal in unseren Bewusstsein verankert, ein « Eigenleben » mit Wirkungen, die nicht mehr mit ihrer ursprünglichen Funktion zusammenhängen müssenJ,83 elle ne s'autorise pas d'elle-même, ne vit « de sa propre vie » que fictivement dans le reflet qu'elle parvient à donner à l'usager d'elle-même. (On a vu, plus haut, Vol. Compl., TABLEAU 1.3, que le roman ne se réduit ni à son genre, ni à sa règle, bien que

ceux-ci soient l'indispensable condition de son perpétuement « mécanique »). NOTE: L'auteur (le lecteur) se conforme, obéit au romanesque ambiant, au livre qu'il rédige ou qu'il lit (cette conformité est à la base du plaisir ressenti) (Cf. Développements sous 2. 61, p. 159-160). L'auteur, aveuglé quant au produit qu'il peut croire « tiré de lui-même », « réussit » le roman imposé. Bien qu'il tienne la plume - bien que l'Institution l'assure de son autonomie - , il n'est pas à proprement parler l'auteur de son livre (Toute référence à l'intention du

sujet qui parle, conçoit ou écrit est insuffisante à épuiser l'être de ce qui est produit, car cet être n'a d'existence qu'articulé à d'autres éléments d'un système au sein duquel toute création s'opère).84 L'auteur ne se dégage pas de la fin

romanesque; le lecteur trouve, mené par lui, le roman que le roman lui commande d'attendre. L'Institution, dans son état actuel, réussit dans le roman (par « romanisation ») l'unification approchée de sa littérature. Il n'existe pas (plus ou pas encore), sous l'Institution, de concurrence réelle faite au roman. L'usager ne dispose alors que d'une littérature relativement unifiée, dont la diversité apparente - convenablement entretenue - couvre l'effective identité. Le roman, dans cette position, est la seule littérature possible ou « permise », contrôlée, garantie; il n'y a pas place pour d'autre littérature que le roman : La littérature, en tant que roman, se trouve enfermée dans l'usage dominant institutionnalisé de la littérature : PROPOSITION :

La littérature française n'a jamais été une littérature populaire [...] Elle n'a guère traduit autre chose que les aspirations, les tendances de la classe dirigeante, qui seule fut toujours de loisir, ornée, et se complaisait dans sa propre image [...] Or la forme littéraire où se délecta 62

Müller, 1968, 189. Klaus, 1965, 161. 84 Sebag, 1967, 113. (Les libertés, limitées, reconnues par Propp, 1970, 139-140 a u conteur dans le choix des fonctions, des qualifications, des m o y e n s de la réalisation linguistique, paraissent donc encore nettement excessives).

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particulièrement la bourgeoisie, la dernière venue à la suprématie, fut, en outre du théâtre qu'elle modifia seulement, le roman, qu'elle créa à peu près de toutes pièces [...] La destinée de l'un semble exactement parallèle à celle de l'autre. Ils s'élèvent ou s'abaissent ensemble, et la décadence de l'un signifie bien la déchéance de l'autre;85 La bourgeoisie, en effet, impose ses goûts et ses préférences au pays tout entier, qui les accepte; les farces abjectes - et sa littérature romanesque tant « naturaliste » que « psychologique » est du nombre qui plaisent au tiers-état doivent réjouir l'aristocratie et mettre le peuple en belle humeur.86 NOTE 1 : L'usager ne possède pas, sous l'Institution, d'autre littérature que la littérature (romanesque) dominante. L'Institution prévoit a) une « culture » élitaire, réservée, constituant le référentiel exclusif des biens à consommer produits, 87 b) une « culture » dite « populaire », spécialisée, vulgarisée, faite pour être « accessible à tous », « octroyée », 88 dérivée de la première, dont elle est 1'« adaptation »,89 Une littérature populaire au sens propre sous l'Institution bourgeoise dominante fait défaut : le peuple lit ses romans qui ne sont pas les siens.90 NOTE 2: Le conte, traditionnellement considéré comme faisant partie du « patrimoine du peuple» n'échappe pas au destin de romanisation: sa portée émancipatrice originelle est douteuse, tel qu'il s'offre à la consommation actuelle (adapté, vraisemblabilisé, encadré, récrit), il se lit de toutes façons sous le roman. RENVOIS: Sur le mythe du roman éducateur, cf. Développements sous 4.21, p. 323-324; sur le roman en tant que parole de la classe dominante, 4.23.

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Rageot, 1906, 77. Et encore Rageot, 1906, 214 : Je me suis appliqué à montrer que, aujourd'hui, malgré l'extension de la vente littéraire, il n'y avait pas d'autre forme de succès que le succès bourgeois. Dans le même sens, Auerbach, 1964, 470. 86 Darien, 1965, 159-160. 87 Cf. Establet, 1966, 17. 88 Cf. Escarpit, 1965b, 48. 80 Attestation d'époque : Bulletin Franklin, N° 39, 1er janvier 1872, 6. La mise au point d'une littérature « pour tous » a lieu, significativement, parallèlement à la campagne pour l'instruction publique, gratuite et obligatoire. 80 Une histoire de la littérature ouvrière, recensant poèmes et proses d'autodidactes, ne vient guère corriger cette assertion. Cf. Ragon, 1953. Par ailleurs, dit Nizan, 1971, 35, toute littérature révolutionnaire est tributaire d'un lourd passé qui la défigure. (On connaît l'extrapolation trotskyste : il n'y a pas d'art prolétarien, il ne peut y avoir d'art prolétarien, cet art n'est même pas nécessaire, le régime qui le soutient n'étant que transitoire et rendant « la » culture - bien de l'humanité tout entière - à une société sans classes. (Cf. Trotsky, 1971, 28-29, 215, 221-222, 240)).

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THÉORIE DU TEXTE : OBJET, PROJET, CLAUSES On vit de tout tems ceux qui gouvernent, attentifs à s'emparer des papiers publics, et de tous les moyens de maîtriser l'opinion. C'est pour cela uniquement que le mot de gazette est devenu le synonime de roman, et que l'histoire elle-même est un roman. (Robespierre)

L'Institution, dans son état actuel, réussit l'unification romanesque de sa littérature grâce aux mécanismes d'une censure généralisée. L'acte d'autorité, caractéristique de la censure dite « littéraire »,91 se développe simultanément et complémentairement à trois niveaux : (1) L'Institution réduit explicitement le texte à son unité (romanesque) par intervention d'un appareil judiciaire et policier. Il existe, pesant sur l'écrit, une censure officielle, ouverte, efficace, punitive, appuyée sur une législation complète et sur une force exécutive susceptible de l'imposer : Régime : La censure impériale, mise en place sous Napoléon III, 92 est abolie le 10 décembre 1870. L'outrage à la morale religieuse est supprimé, mais l'outrage à la morale publique, aux mœurs et à l'armée sont des délits qui relèvent du Tribunal correctionnel jusqu'en 1881. 93 La censure est rétablie en février 1874 sous couvert de l'état de siège.94 Faits: On recense, entre 1870 et 1877,95 une cinquantaine de condamnations effectives portant sur des chansons irrévérencieuses ou polissonnes, des canards colportés sans autorisation, des articles, brochures et libelles à tendance socialiste marquée, des écrits de toute nature (chroniques populaires illustrées entre autres) mettant en cause Napoléon III et l'Église, sur les classiques ouvrages pornographiques enfin. Quant au roman, on enregistre une dizaine de condamnations, parmi lesquelles (116): PROPOSITION :

L'auteur et Véditeur de cet écrit immoral et licencieux ont été condamnés chacun à un mois de prison et 100 fr. d'amende, pour outrages aux bonnes mœurs, par jugement du Tribunal correctionnel de la Seine, en date du 13 mai 1876; (95) : Dans son réquisitoire, le ministère public a relevé et incriminé seize passages de ce livre où Fauteur dépeint les amours d'un avocat ambitieux, devenu directeur d'un établissement de charité, avec deux jeunes religieuses. Le Tribunal ayant apprécié que les scènes incriminées constituaient des outrages aux mœurs caractérisés, a condamné MM. J. Sicardet A. Sagnier [respectivement, l'auteur et l'éditeur du livre}, lepremier à200, le second à lOOfr. d'amende et tous deux solidairement aux dépens et ordonné la confisquation des exemplaires ; Ce livre [Études humaines. m 82

Cf. Otto, 1968, 6.

Cf. Martino, 1913, 99, 103-104. 83 Cf. Néret, 1953, 224. M Cf. Pouilliart, 1968, 24. 95 Cf. Drujon, 1879. (Les chiffres avancés s'entendent pour les ouvrages inédits parus entre ces deux dates).

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Histoire d'un frère ignorantin, par Edgar Monteil, 1874] a valu à Vauteur un an de prison, 2.000 fr. d'amende, 10.000 fr. de dommages et intérêts et à l'éditeur 6 mois de prison et 1.000 fr. d'amende.96

Approbations d'époque : 1860 : Il faut habiter comme moi la campagne pour savoir quel bien le gouvernement a fait en surveillant ainsi les livres et les images qu'on vient proposer à notre jeunesse : à présent tout ce que le colporteur a la permission de vendre est marqué sur la couverture ou à la première page d'un gros timbre rouge ou bleu; on peut mettre au hasard la main dans le paquet, et nous ne sommes plus obligés de nous en rapporter au marchand pour savoir si son livre est bon ou mauvais;97 1873 : Serait-il donc si malaisé d'exiger que les éditeurs fussent tenus d'obtenir une autorisation spéciale pour chacun des ouvrages qu'ils ont l'intention de publier dans un format populaire ? En quoi la liberté des auteurs et celles des libraires, en quoi la liberté individuelle se trouverait-elle lésée par une semblable mesure ? || Nous en usons avec trop de latitude à l'égard du peuple.96 Réprobations d'époque : 1878 : A quoi se réduit la liberté de penser, si on n'y joint pas la liberté de publier ? Cette dernière est tout à fait essentielle et nous sommes bien loin d'en jouir [...] Nous voulons éclairer les masses qui sont aujourd'hui les arbitres de nos destinées, et nous leur posons arbitrairement des barrières de séparation, des poteaux de défiance que leurs consciences et leurs esprits ne doivent pas franchir / " 1880 : Les gouvernements tombent, mais la censure demeure [—] Un homme conciliant me disait : « Citez-moi les œuvres de talent que la censure a empêché de jouer ». Je lui répondis : « Je ne puis vous dire les titres des chefs-d'œuvre dont la censure nous a privés, parce que, justement, ces chefs-d'œuvre n'ont pas été écrits ». Toute la question est là. Si la censure n'a pas un rôle actif très considérable, m

Autres détails dans Zévaès, 1924; Ponteil, 1968, 387. Ces données ne comprennent pas, bien entendu, les ouvrages volontairement retirés du commerce (ou stoppés avant publication) par l'éditeur ou l'auteur à la suite de « pressions ». Le Ministère de l'Intérieur dispose du reste de toute une série de moyens qui, sans comporter la condamnation explicite, suppriment en fait l'ouvrage ((22) contraint de paraître sans illustrations doit cesser de paraître; l'interdiction de la vente dans les gares et de l'affichage produit le même effet (voir une liste dans Polybiblion, tome 11, 187[4]), 179-180)). Les mesures ecclésiastiques viennent appuyer la répression (Cf. pour évaluer leur ampleur, Bethleem, 1928, o ù se proscrit tout ce que l'Institution désigne par ailleurs comme littérature). m Rondelet, 1860, 58. Voir encore Veuillot, 1867, 260. 88 Jouin, 1873, 20. (L'auteur imagine ici un élargissement de la loi sur le colportage - soumis depuis le Second Empire à l'autorisation - pour prendre sous contrôle les publications « populaires » par livraisons). 99 Fremy, 1878, 285, 350.

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elle nuit surtout comme épouvantait, elle paralyse l'évolution de l'art dramatique;100 (2) L'Institution réduit implicitement le texte à son unité (romanesque) par l'entremise d'un système de publication adéquat contrôlé. L'éditeur trie et suscite des produits conformes aux normes institutionnelles ou qui ne blessent qu'en surface la conformité demandée. L'éditeur, par intérêt, ne publie que le publiable; (3) L'Institution réduit implicitement (et certainement avec l'efficacité la plus grande) le texte à son unité (romanesque) par le biais d'un système d'écriture stabilisé à tous les niveaux. L'auteur n'écrit que le scriptible, rédige dans une forme (un genre) acquise, se soumet à une pensée codée, apprise, etc.; son travail se trouve d'avance régularisé, lieu même et expression invisibilisante du censuré.101 L'Institution obtient autoritairement, sans que les actes de son ingérence soient nécessairement visibles - il suffit que son intervention soit « promise » - , une « culture » différenciée, normative, intégratrice : Unter Abstrahierung von dem Zeitmoment liegt die eigentliche Funktion literarischer Zensur offenbar darin, eine bestimmte, erwünschte kulturelle und damit implizit auch soziale ebenso wie politische Richtung zu propagieren und zu unterstützen, d.h. ein Normensystem zu errichten [...] Die literarische Zensur gehört in den Katalog der Herrschaftsmittel, die der an der Macht befindlichen Minorität zur Wahrung ihrer Interessen und zur Sicherung ihrer Position im Staate zur Verfügung stehen.102 La littérature (« romanisée ») que l'Institution permet et propage se trouve, malgré sa diversité apparente, unifiée, fixée dans son emploi idéologique, appropriée - abstraction faite d'exceptions dont la lecture, « différée », n'a pas lieu dans l'actualité - à l'effet désiré.103 Il n'y a pas, sous l'Institution, en son état actuel, et contrairement à une façon de voir irréaliste,104 libre circulation réelle des biens culturels : Durch NOTE:

die jahrhundertlangen Gepflogenheiten des Handels mit Geschriebenem auf dem Markt der Meinungen und Schilderungen, dadurch, dass dem Schreibenden die Sorge um das Geschriebene abgenommen wurde, bekam der Schreibende den Eindruck, sein Kunde oder Besteller, der Mittelsmann, gebe das Geschriebene an alle weiter. Er dachte : ich spreche, und die hören wollen, hören mich. In Wirklich100

Zola, 1880, 407. A cela s'ajoute, de l'aveu ou non de l'auteur, la mythisation institutionnelle de sa fonction : L'écrivain est un prêtre appointé, il est le gardien, mi-respectable, mi-dérisoire, du sanctuaire de la grande Parole française (Barthes, 1964, 150). 1M Otto, 1968, 109, 137. 108 Cf. Grivel, 1973. 101 Qui pose en principe que la censure (explicite) atteint des fins contraires à celles qu'elle se propose (Cf. Heitmann, 1970, 110). 101

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keit sprach er ; und die zahlen konnten, hörten ihm. Sein Sprechen wurde nicht von allen gehört, und die es hörten, wollten nicht alles hören.105 Il ne faut pas se dissimuler que a) la campagne - périodique - « pour la liberté de presse » demeure, sous l'Institution, dans son régime actuel, inefficace, b) le roman, en tant que tel, n'est jamais censuré (qu'il soit réputé censurable l'innocente plutôt aux yeux de l'usager), c) la censure (explicite) est par essence «libérale » (« bon enfant ») sans que son efficacité - au contraire - s'en trouve amoindrie (Ist die Zensur einmal eine Notwendigkeit, so ist die liberale Zensur noch notwendiger),106 d) la censure est, par principe, implicite et informulable ('EIN ZENSURGESETZ IST EINE UNMÖGLICHKEIT, weil es nicht Vergehen, sondern Meinungen strafen will, weil es nichts anderes sein kann als FORMULIERTE ZENSOR, weil kein Staat den Mut hat, in gesetzlichen allgemeinen Bestimmungen auszusprechen, vfßj er durch das Organ des Zensors faktisch ausüben kann. Darum wird auch die Handhabung der Zensur nicht den Gerichten, sondern der Polizei überwiesen) 101 1.14 La série romanesque PROCÉDURE: Étant donné que le texte général où s'intègre le roman est un système de textes différenciés, que l'effet particulier de l'exemplaire se comprend uniquement à partir de l'ensemble qui le couvre, étant donné que l'Institution, dans son état contemporain, prévoit sous elle l'usage analogue et conforme des écrits diversifiés mis en circulation à tous les niveaux de consommation de la pyramide sociale, étant donné que ces différents circuits de distribution du sens (dominant) se définissent complémentairement les uns par rapport aux autres DANS L'UNICITÉ DE L'EFFET QU'À EUX TOUS ILS ENGENDRENT (quoique cette identité n'apparaisse nullement à l'usager), la théorie du texte (de la littérature) entreprend la description de l'efficacité textuelle (romanesque) à tous les niveaux où elle se produit POUR LA SAISIR DANS SON ENTIER COMME DÉTERMINATION D'ORIGINE.

Le roman est envisagé dans la série articulée de ses variantes, son effet général déterminé comme unité à partir de la diversité des exemplaires qui le constituent. De la litérature se trouve, sous ses oppositions supposées, comparée avec elle-même, ses classes confrontées de façon à faire apparaître l'unicité de la pratique (élémentaire) qui la soutient. (La diversité du texte n'est, dans presque tous les cas, que l'apparence prise par sa répétition; il y a usure du Texte; le Texte ne supporte pas le vide; l'Institution actuelle demeurant égale à elle-même, il faut qu'il y ait toujours du roman). On considère en effet que wn 108 107

Brecht, 1956, 93. Marx, 1970b, 3. Marx, 1970c, 62.

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(1) le texte général est un état (démultiplié) des textes qui le composent, le roman est constitué par l'ensemble de ses exemplaires actuels (démultipliés). Chaque roman fait partie d'une série ou collection de semblables ou variantes dans laquelle il a rang et dont il tire valeur et qualité (lecture, effet). L'œuvre ne s'isole pas, « émane » d'un ensemble fixe et reconnu, suppose son « genre », comme son passé, l'horizon orientant à partir duquel elle se comprend : 108 Ein Kunstwerk wird vor dem Hintergrund anderer Kunstwerke und im Zusammenhang mit ihnen wahrgenommen. Die Form eines Kunstwerks wird durch sein Verhältnis zu anderen, vor ihm existierenden Formen bestimmt109 - et cela, dans la ressemblance autant que dans la dissemblance; le texte s'écrit, s'entend à partir de l'enchaînement des données antérieures qu'il reprend, modifie, retravaille, actualise : L'objet n'est pensable que par son intégration à la série possible de ses transformations;110 (2) le texte général est un système complexe de littératures confrontées les unes aux autres, en filiation ou dérivation d'autres, le roman se repère à plusieurs niveaux de littérature (ni un, ni simplement multiple). Le Texte (le roman) existe, dans l'équivalence et la différence, comme pluralité et pluridimensionalité de littératures (il y a, sous l'Institution, en son état actuel, x littératures analogues du roman). 111 Le Texte comprend, pour chacune des instances qui l'expriment (et donc le roman), plusieurs littératures distinctes, relativement autonomes, se désignant réciproquement à leurs usagers respectifs comme illisibilité, « mauvais goût », « snobisme », « académisme », etc. Des littératures coexistent, différenciées, mais conciliées sous l'Institution, en conformité mutuelle : Chaque littérature - entendons : mode du Texte - en effet, se constitue en strates délimités de façon plus ou moins précise, mais qui correspondent, souvent indirectement, à une DEMANDE SOCIALE provenant de divers milieux de la société (mentionnons, à titre d'exemple, la littéra-

™ Cf. Jauss, 1970a, SI. Jakobson, 1969, 59 : Le vécu de l'œuvre achevée et le vécu de la dynamique littéraire sont indissolublement liés. L'œuvre littéraire est un tout et, en même temps, la partie d'un tout plus complexe. 109 Chklovski, 1966, 35. 110 Sebag, 1967, 209. Et Propp, 1970, 134 : Les contes [isolés - dit la traduction anglaise - ] donnent une forme incomplète du schéma de base. 111 Modernité signifie dispersion du texte général : C'est alors que les écritures commencent à se multiplier. Chacune désormais, la travaillée, la populiste, la neutre, la parlée, se veut l'acte initial par lequel l'écrivain assume ou abhorre sa condition bourgeoise (Barthes, 1965a, 53). Cependant, la dualtié (ou duplicité) des langages a toujours été le fait des expressions rangées sous l'Institution - et déjà dans l'opposition parole/écriture.

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iure « d'avant-garde », la littérature « officielle », la sous-littérature, la littérature populaire, la littérature catholique, etc.).112 On reconnaît, par conséquent, la double articulation du roman dans le Texte, comme exemplaire du « genre » et comme accomplissement d'un niveau de littérature;113 (3) le texte général, ses littératures, son roman, ses exemplaires, se comprend comme effet dans une coupe synchronique réalisée à travers toute l'épaisseur écrite. Non dans le prélèvement horizontal privilégiant tel ou tel de ses niveaux, modes ou genres d'existence. Non dans l'exhaussement d'un spécimen original, a fortiori (au contraire, la marge d'action propre laissée à l'exemplaire se détermine à partir de la généralité qui le contient). Le Texte (le roman) est saisi en faisceau, dans toute son extension, « par grandes masses » :114 la coupe qui le partage fait voir le système qui le régit.115 Le même objet (l'eSet romanesque) peut alors être repéré sur tous ses plans d'accomplissement comme analogue et les possibilités de fonctionnement de l'ensemble (ses spécialisations et diversifications) décrites. Faire une coupe dans le roman, c'est exposer les usages qui sont requis de lui (dans son état actuel, sous l'Institution;116 faire une coupe par le roman dans le Texte, c'est mettre à jour celui-ci en tant qu'opération (il se découvre dans son instance). NOTE: Décrire, étant donné la démultiplication de ses niveaux d'existence, la convergence ( o u divergence relative) des textes synchroniquement considérés sous l'Institution représente la condition fondamentale de tout examen de l'évolution des formes productrices d'un effet textuel déterminé (par exemple, le romanesque). U n e « H i s t o i r e de la littérature» réelle, « m o n u m e n t a l e » , s'obtiendrait par le biais d'un sectionnement systématique du Texte global. 1 1 7 Réciproquement du reste, l'analyse synchronique des objets culturels ne s'achève et ne se consolide q u ' à partir de leur observation diachronique (DIE EXPLIKATION DER SPRACHSTRUKTUR EINES LITERARISCHEN WERKES, EINER LITERARISCHEN SCHULE ODER EPOCHE KANN NUR DURCH DIE VERBINDUNG DER SYN112

Mukarovsky, 1969, 56. Et encore Mukarovsky, 1967, 22: Bestimmte Gesellschaftsschichten sind mit bestimmten « Stockwerken » der Literatur verknüpft. 113 Cette articulation, fixant le texte en position de complémentarité (ou d'intertextualité, cf. 1. 22), est normalement tue par l'interprétation critique qui sublimise comme originalité la différence de l'exemplaire. 111 Cf. Genette, 1966, 160. 115 Cependant, on ne dira pas qu'elle le contient (Le système est donné dans la synchronie (Lévi-Strauss, 1962, 89)). 116 Sebag, 1967, 99 : Le traitement théorique de toute idéologie doit d'abord se situer au niveau de la synchronie. "7 Cf. Genette, 1966, 167; Jauss, 1970a, 245. Programme amorcé dans Jauss, 1971.

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CHRONISCHEN ANALYSE MIT DER HISTORISCHEN (DIACHRONISCHEN) GEGEBEN

ANALYSE

WERDEN).118 Cependant, sous la même Institution, l'état présent du

texte - relativement stable - comprend, jusqu'à un certain point, l'évolution passée et future de ses analogues.

série romanesque

Définition du corpus requis : Le corpus, large, homogène et resserré dans le temps,119 comprend, à partir des règles ci-dessus posées, le roman publié entre 1870 et 1880 à Paris, comme inédit et en volume, à l'exclusion de la littérature enfantine. Les considérations suivantes ont joué dans la limitation du champ d'analyse : (1) Le roman publié entre 1870 et 1880. Ces dates sont arbitraires (cependant, il pouvait paraître intéressant de surprendre le Texte au moment où, à la suite de mutations violentes dans le régime politique (chute du Second Empire, établissement de la 3e République, irruption de la Commune, restauration d'un ordre républicain réactionnaire, puis radical), l'Institution censément éprouvée ou menacée réagissait). Une décade a paru constituer une période assez restreinte pour déduire de la collection des exemplaires un système cohérent et assez large pour que celui-ci soit donné dans sa totalité. De plus, en évitant de réduire le corpus à une ponctualité totale (coupe d'une année), on se donne le 118 M

Dolezel, 1967, 279. Barthes, 1965b, 170-172.

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moyen de percevoir l'éventuelle mobilité des réalisations qu'entraîne le système;120 (2) Le roman publié par les éditeurs parisiens. La production des biens culturels est spécialisée; les firmes se partagent le marché : en province, les maisons d'édition (Lefort (Lille), Barbou, Ardant (Limoges), Lecoffre (Lyon), Oudin (Poitiers), Mame (Tours), Mégard (Rouen)) fournissent d'œuvres pieuses et d'édification une clientèle très soumise à l'Église.121 Dans cette production, le roman n'est guère privilégié (en tant que genre avoué) et se trouve sous ses formes les plus canonisées. Au contraire, les libraires parisiens, gros fournisseurs de romans, marchent avec leur temps, suivent les modes - offrent le Texte dans sa « nouveauté ». Il était donc conseillé de distinguer;122 (3) Le roman inédit. L'inédit représente potentiellement la part la plus «expressive » (la plus homogène aussi) de la littérature consommée, correspond le plus immédiatement à l'usage requis, répond avec le minimum de médiation à l'impératif institutionnel (cela, même si l'Institution joue à certains niveaux comme frein). Au contraire, la réimpression, la durée diachronique du texte, le perpétuement de la lecture posent des problèmes théoriques particuliers pour l'instant insolubles (la relecture comporte un nouvel emploi du livre - même dans les limites de la correction - ; on ne relit pas le livre dans son sens « propre » d'origine, mais, à partir d'une virtualité qu'il contient (ou permet), comme l'usage actuel du Texte l'exige). (Du reste, le roman est fait pour normalement s'user en une seule lecture);123 (4) Le roman en volume. Le roman est mis en circulation (a) par voie de presse (comme feuilleton ou recueilli dans des publications périodiques spécialisées),124 (b) par livraisons (par cahiers hebdomadaires illustrés), (c) en volumes (rentrant en général dans les Collections 120

Pour une description du corpus, cf. Vol. compl. Elles publient par exemple la Bibliothèque religieuse, morale, littéraire, pour archevêque l'enfance et la jeunesse, publiée avec approbation de S.E. le cardinal de Bordeaux, dirigée par M. l'abbé Jouhanneaud, chanoine honoraire de Limoges, Directeur de l'œuvre des Bons Livres (Ardant). 122 Les publications des firmes étrangères (belges, genevoises), qui ont cessé de jouer un rôle notable, sont écartées. Les adaptations, imitations et évidemment les traductions ne sont pas non plus prises en considération. 123 Le roman enregistré comme « Littérature », qui (se) prête au renouvellement de la lecture, fait exception. Moins toutefois - l'École aidant - qu'il n'y paraît. 121 Parmi les plus importantes publications de ce genre : Les Bons Romans (Calmann Lévy, le tome X X paraît en 1870), Les Grands romans illustrés, journal de romans illustrés (Librairie Nationale, 1880), Revue des Feuilletons, Les Romans pour tous illustrés (Degorce-Cadot, 1873), Les Délassements illustrés, Le Musée littéraire illustré, journal des meilleurs romans.

121

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romanesques des éditeurs). Le feuilleton (souvent relié en fin de parution ou distribué en prime) peut être considéré comme le banc d'essai du roman régulièrement publié en librairie (tout feuilleton à succès même relatif - reparaît en Collection). Quant aux livraisons, elles se trouvent prévues pour être reliées au terme de la publication. Le volume représente donc par excellence le mode de transmission du roman; il en est en tout cas archéologiquement la part la plus aisément accessible; (5) Le roman pour adultes. Cette distinction est arbitraire, essentiellement d'ordre pratique. 125 En effet, (a) il n'existe pas de littérature spécifiquement enfantine ou spécifiquement destinée à l'adolescence, ou du moins les mécanismes sur lesquels reposent de telles publications ne sont pas essentiellement différents de ceux qui régissent les romans offerts aux adultes, 126 (b) il existe des différences objectives (identité du héros, 127 brièveté, simplicité, moralisation accrue de la narration), mais non fondamentales entre ces deux modes, structuralement analogues, de littérature, (c) l'Institution, en son état actuel, prévoit une littérature susceptible d'être consommée simultanément par des lecteurs d'âges différents, 128 (d) la littérature que l'Institution, en son état actuel, schéma 1 : publiés à Paris — I : publiés en province 2 : inédits — 2 : réimpressions 3 : en volume — 3 : en feuilleton

i -: l

r"2

J

romans: séries pour adultes séries pour enfants

i/ï?

* La firme marque normalement au libellé de la Collection la catégorie d'usage du livre. Ainsi : Nouvelle collection à l'usage de la jeunesse (Hachette), Bibliothèque des Écoles et des Familles (Hachette), Collection Hetzel, éducation, récréation (Hetzel), Bibliothèque de la jeunesse française (Martin), etc. isa La participation « absolue » de l'enfant à l'imaginaire du roman ne signifie pas encore qu'il se livre à une autre lecture que son aîné, puisque dans les deux cas l'imagination trouve à se fixer sur les modèles offerts et valorisés dans le texte. JK A noter qu'à l'époque on est enfant plus longtemps, que le « peuple » est considéré en bloc comme « le grand enfant ». 188 Cette littérature « pour tous », « pour la famille », « qui peut être mise entre toutes les mains » - selon les principes de l'édition catholique, un bon livre l'est

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prévoit pour l'enfant est dérivée de celle-là qui sert à l'adulte (La littérature enfantine est simplement cette région de la littérature dont les enfants se sont rendus propriétaires).128

tout

court

PROCÉDURE: Etant donné l'ampleur d'un corpus estimé à 3239 unités, on procède aux fins d'analyse à son échantillonnage. On obtient un corpus réduit, couvrant tout l'espace occupé - en tenant compte des restrictions introduites par le roman dans le Texte, limité arbitrairement à 200 exemplaires (utilisés en première ligne, mais non exclusivement) prélevés par représentativité. Le corpus réduit comprend, en effet, par catégorie, (1) les principaux « succès » du moment: le «succès» croît en proportion directe de la lisibilité relative du texte. (Cependant, dès lors qu'on admet l'existence de niveaux de consommation distincts, il ne se mesure plus en valeur absolue; il ne représente pas non plus un critère absolument certain, la reconnaissance du texte par son public pouvant tarder), 130 (2) une sélection des ouvrages des auteurs les plus notoires du moment, (3) un choix arbitraire des productions d'auteurs non marqués (n'ayant pas connu le succès, obscurs, occasionnels, etc.), (4) un prélèvement arbitraire parmi les productions des principales firmes et parmi les Collections de romans les plus connues: le niveau de littérature (de consommation) de l'exemplaire se repère à partir de son appartenance à la Collection (à la firme).131

Le système des classes du roman (de ses niveaux de consommation, dans son état actuel, dont la théorie tient compte) se définit enfin comme suit (se reporter au schéma de la page 52) : EXPLICATION: IV constitue le niveau de fixation de l'Institution par excellence, dont I, mais surtout II et III sont dérogatoires. III se voit emprunter des traits par I, voire encore par II. Les procédés - dénaturés - circulent de III à I (voire à II) pour se fixer anéantis en IV. III rénove l'efficacité de la série romanesque, IV, II, I la perpétuent, la fixent (dans la modification). NOTE 1 : On distingue, pour chacun des niveaux de littérature, une version propagandiste, banalisée, servant explicitement sa position politique (notée P). pour chacun - est réduite à son plus bas dénominateur commun. C'est dans cette catégorie qu'on rangera l'œuvre semi-didactique de Jules Verne (J'ai toujours eu le désir d'écrire des ouvrages qui puissent être mis sans le moindre inconvénient dans les mains de la jeunessse (Cité dans Lemire, 1908, 111); cf. encore Parménie + Bonnier, 1953, 427, Soriano, 1966, 87)). 128 Venaissin, 1954, 489. 130 Quelques estimations, à titre indicatif : C'était un succès quand il [un roman, à la fin du Second Empire] s'imprimait à deux éditions de 1.000. Le fait n'était pas commun (Humblot, 1911, 22); 10 ans plus tard : A la seconde édition, estime; à la cinquième, respect; à la dixième, admiration; à la vingtième, enthousiasme; à la cinquantième, délire (Pontmartin, 1880, 155). Zola, 1880, 179-180 calcule que 3-4 mille exemplaires, payés au mieux 2.000 fr. à l'auteur (soit 20 fois moins qu'un succès dramatique), constituent une belle vente. m Le système des Collections (et la spécialisation des firmes) permet d'obtenir une relative stabilité marchande du produit culturel : la Collection standardise l'exemplaire - et sa lecture. Pour une liste des Collections de romans du corpus, cf. Vol. compl.

52

THEORIE D U TEXTE : OBJET, PROJET, CLAUSES

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1 Stendhal, 1954, 12, 75. 18

POSITION D E NARRATION NOTE 2

85

: Cette obligation de la narration à sefixersur la négativité passe pour

un manque (relatif) d'école ou de tendance: Une littérature se fait bien plutôt avec des vices et même des crimes qu'avec des vertus. Il lui faut à son origine les plus gros forfaits, les parricides, les fratricides, les infanticides, les guerres et les discordes de famille et de religion, les querelles sanglantes, les tueries en tous genres; dans d'autres temps, de nos jours par exemple, les forfaits intimes, les vols, les enlèvements, les femmes coupables, les maris égarés, l'adultère étalé dans ses moindres détails ; voilà son thème trop fréquemment obligatoire. Demain, si par un miracle qui n'est pas près sans doute de s'accomplir, l'humanité devenait complètement honnête et vertueuse, il lui resterait sans doute fort peu de littérature, du moins de celle qui a le plus communément la vogue.21 Ce qui est prendre

le fait pour caractéristique d'une « dégradation » (constante d'ailleurs) du genre.

On reconnaît (1) l'indicibilité du bonheur dans le roman, (2) la dicibilité des facteurs allant en sens contraire (obstacles et autres), (3) que l'intention commandant explicitement l'insertion du malheur dans le récit n'est que la couverture d'une intention première (implicite) : celle du récit lui-même.22 Ce faisceau d'évidences permet de comprendre la rétroaction du récit sur sa base (son effet). Car ce qui se lit en action dans le texte (cet extraordinaire, ce malheur) passe pour tirer son origine de la réalité : le texte est pris pour expression d'un état naturel. La transposition se fait immédiatement : la lecture que permet le récit contamine celle-là du monde chez le lecteur. Ce que celui-ci trouve en fiction dans le texte il l'observe en réalité dans le monde. Par exemple, que « les peuples heureux n'ont pas d'Histoire ».23 L'Histoire, de ce fait, est assimilée à crise, catastrophe, déchéance. De même que le roman doit recéler un mal, de même le mal compose l'Histoire : l'Histoire est ce qui arrive comme mal. La métaphorisation attache à la fiction engendrée par le texte. Le malheur est écrit. Le récit produit le malheur. Le malheur est invention du narratif. Le discours narratif établit le sens, c'est-à-dire tout d'abord un non sens, à partir d'un signe : l'extraordinaire; celui-ci, signifié à son tour, PROPOSITION :

21

Fremy, 1878, 59-60. Gide, 1945, 108, conformément: Les plus belles œuvres des hommes sont obstinément douloureuses. Que serait le récit du bonheur ? Rien, que ce qui le prépare, puis ce qui le détruit, ne se raconte. 22 La critique, sans bien en voir la nature, perçoit la disparité sous-jacente : On ne fait pas une littérature avec de la morale (Fremy, 1878, 58); C'est avec les beaux sentiments qu'on fait de la mauvaise littérature (Gide, 1949, 925). 23 Avatar positiviste : Si l'organisme dont on veut faire l'histoire a gardé ses fonctions normales, tant mieux pour nous. Mais, tant pis pour l'écrivain, car les organismes sains n'ont pas d'histoire [...] L'organisme détraqué fournit davantage (David-Sauvageot, 1889, 228).

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POSITION DE NARRATION

introduit le malheur. L'introduction du malheur résulte par conséquent de la faculté de narration, le sens que celle-ci désire produire ne pouvant arriver qu'en tant que déception. Le malheur n'est pas une donnée du récit mais en procède directement. Le récit se comprenant par rapport à une positivité qu'il ne peut décrire immédiatement - il ne peut l'affirmer qu'à condition de la contredire - et quoique la réalité se donne à travers lui une apparence (idéologique) de lisibilité, un processus de figuration n'est pas ici en action. Le malheur résulte du texte romanesque; celui-ci seul lui impose un aspect « naturel ». Le texte pris pour réalité définit la nature « naturelle » de la réalité. L'intérêt du roman est le sens de la positivité. L'ouvrage fonctionne sur une faim du sens; il consiste en un apprentissage de la signification. Lecture équivaut à alphabétisation : les pratiques signifiantes exercent au sens. [Cf. Vol. compl., TABLEAU 4] Le récit négateur se lit sous le régime de la positivité d'origine; le malheur dont il joue n'en est que le signe projeté-projetant. L'EFFET D U SPECTACLE DE LA NÉGATIVITÉ

OBJECTION: Le récit consiste en l'exploitation de la négation, cela est acquis. Mais la raison de ce choix échappe. Mettre au jour le mécanisme de la lecture revient à se demander comment il se fait que le malheur normalement redoutable attire à son spectacle? Comment expliquer le plaisir tiré de la représentation de la souffrance, la métamorphose d'une angoisse en réjouissance? La question de l'effet textuel passe d'abord par celle-là de sa cause (psychologique donc): il faut savoir ce qui plaît dans ce qui répugne avant d'en venir au texte réalisateur. Du point de vue de l'objection, trois explications sont possibles: EXPLICATION 1 : Le point de départ est le projet du lecteur: le bonheur (l'état de concordance avec la positivité) constitue sa visée; cette visée rencontre l'obstacle (majeur: comment coïncider avec une positivité qui ne réalise pas l'ordre qu'elle prétend être?). Le malheur sous la forme narrative a par suite de quoi intéresser: le livre comme malheur est ce qui arrive dans la vie, il donne en miroir l'expérience de l'obstacle et l'expérience finie. Ce que le lecteur déchiffre est un modèle d'achèvement de la positivité et c'est en raison de son effort vers la même fin qu'il s'y attache. EXPLICATION 2: Le point de départ est le plaisir de faire subir (ou de voir faire subir) à autrui la souffrance. Le mal infligé (en spectacle) étaie une participation sadique chez le lecteur « lisant des romans délicieux où ce sont les autres qui souffrent». 24 Cette jouissance composite est faite (a) du sentiment, chez le lecteur, de sa propre impunité (être préservé au sein de la positivité rend 21 Michaux, 1949, 76.

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87

satisfaisant le spectacle de l'exclusion d'autrui de la même aire), (b) d'un défoulement par rapport à la positivité (celle-ci condamnant la violence - dont cependant elle joue au niveau premier - contraint à son exercice ouvert au niveau second du spectacle), (c) de la contradiction effectuée comme jeu par rapport à la positivité (le plaisir pris au mal est celui-là pris au simulacre de la destruction de la positivité: elle en ressort revivifiée). Le récit restitue l'équilibre au sein de la positivité. EXPLICATION 3 : Le point de départ est l'insuffisance ressentie au sein de la positivité. Le spectacle du malheur est guérisseur, son pouvoir catharsique. La représentation scénique ou livresque d'un désordre purge de son équivalent (latent) chez le bénéficiaire du spectacle. La participation décharge celui-ci de la passion; elle agit comme défoulement systématique. L'exemplarité (l'outrance) des héros permet justement de multiplier cette participation au maximum. De même que la «maladie» peut être comprise comme une manifestation permise du désaccord entre l'individu « malade » et son milieu (elle est un « n o n » psychique prononcé physiologiquement), de même qu'elle apporte calme et apaisement, 25 de même la participation au récit peut passer pour une voie de guérison: le livre romanesque est une « maladie permise »; se rendre par son entremise l'esprit « malade » équivaut à santé. RÉFUTATION: Quoique la lecture du récit négateur mette (éventuellement) en cause les processus évoqués cidessus, ceux-ci n'en figurent pourtant pas l'instance ultime ou majeure. Le fait dit « psychologique » implique la détermination sociale, il ne se saisit qu'à l'intérieur d'une pratique du sens (« réaction », « instinct », « besoin » signifient lecture) : le passage par le texte comme producteur de la signification vécue par le lecteur au niveau du psychologique s'impose. Cela signifie que la lecture doit être considérée en premier lieu comme une mesure idéologique (lorsqu'elle relève d'une positivité distincte de l'effet de réalité qu'elle produit, ce qui est notre hypothèse). On en retiendra l'instrumentalité, puisque le lecteur déchiffre (et a à déchiffrer) dans le sens prévu permis, le livre trouvant là son fondement dans le moment même où il paraît le nier. La figuration du mal dans le récit par suite n'est qu'un des modes de la figuration du bien (originel), il sert à son expression. Dans cette constitution du différentiel, c'est donc la conformité qui s'aperçoit: l'extraordinaire n'est pas à prendre pour le signe d'un écart réel vis-à-vis de sa base. A travers le spectacle du malheur, le bien signifié s'offre à la lecture: l'horizon du sens implique celui-là (négateur) que le récit paraît proposer. Cela empêche de considérer la négativité du texte comme objet réel de la lecture qui s'en saisit. On prendra le roman pour un fait d'écriture: le sens n'y est pas plaqué, représenté, mais ressort du roman lui-même tel qu'il s'impose, en tant que négation. L'information qu'il procure ne se réduit pas à un transport de valeurs, sa charge ne préexistant pas à son activité: le roman élabore un sens, il ne se 25 Mitscherlich, 1968, 41 : Es erfolgt nach langen Schmerzperioden eine neue Anpassung, sei es im Sinne stummer Resignation oder eines neuen Arrangements mit der Umwelt. Die Operation wirkt dann wie eine Absolution, ein Freispruch, eine Sühne; es wird ein Organteil geopfert und damit eine Kette schuldhafter Erlebnisse, zu denen keine innere Distanz zu erringen war, abgeschlossen.

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POSITION DE NARRATION

justifie pas par la réitération (ou l'imagination), ne répond pas à un appel antérieur qu'il aurait pour mission de résorber, mais réalise à la fois la demande et la réponse du sens, en ne faisant arriver que celui-là possible à l'origine. Reconnaître cette production du texte - que le sens procède du malheur spectaculaire de la narration, qu'il n'en constitue pas la donnée - permet de comprendre que la lecture (le soulagement éventuel qu'elle procure) ne fonctionne pas sur la résorption mais au contraire sur Y accroissement de la signification (le taux de celle-ci est plus considérable après la lecture, même alors qu'elle implique immobilité). Par conséquent, la participation au sens par le livre s'en trouve accrue: le roman recharge (contient) et ne libère pas. L E MENSONGE ET LE TEXTE OBJECTION: Il y a chez l'homme instinct de fiction; « raconter des histoires » est un irrépressible goût, un penchant qui ne se modère pas, et relève de la «fantaisie». L'homme aime déformer, ajouter, tromper. La Bruyère, dernière section des Caractères : L'homme est né menteur : la vérité est simple et ingénue, et il veut du spécieux et de l'ornement. Elle n'est pas à lui, elle vient du ciel toute faite, pour ainsi dire, et dans toute sa perfection; et l'homme n'aime que son propre ouvrage, la fiction et la fable. Une faculté d'invention (le jeu) se donne là libre cours. Un vieux besoin de mentir habite le conteur tirant gloire et considération de son activité, parallèlement au goût de la prouesse de la récitation chez son public. Qui récite bonimente. C'est à une faconde que le public accorde son attention. Le conteur est un virtuose, et le récit a toujours quelque chose de la farce.

NOTE: Les noms des produits de la récitation ont depuis toujours signifié tromperie; le mot «mensonge» (Löögschen, c'est-à-dire Lügen) a servi pour « conte ».28 Le roman, dans cette perspective, relève du désir de laisser parler la parole et donne une image approchée de son libre fonctionnement. NOTE: Ce n'est pas pour rien qu'on invoque le rapport privilégié de la femme au langage: sa facilité d'élocution,sa prolixité,son art et ses feintes débouchent naturellement dans le roman dont elle est la meilleure cliente.27 La même théorie - et c'en est le signalement - propose de considérer l'activité romanesque à la fois comme le libre exercice de la parole et comme un art du mensonge: supercherie équivaut à libre propos, dire sousentend (et permet) contredire. Un tel libéralisme sublimise, en les prenant « en soi », et la faculté de narrer et la faculté de parler. Dans un premier temps, le langage (en dehors de toute considération sur sa pratique) est réduit à une mécanique (« vide ») ayant la fausseté pour élément RÉFUTATION:

M 37

Liithi, 1968, 19. Gourmont, 1925,

29, 9, 43-44, péremptoirement : Toute la femme parle; elle est le langage même. E t : La parole est féminine. Les poètes et les orateurs sont des féminins. Parler, c'est faire œuvre de femme [...] La plus grande partie de la littérature est l'œuvre indirecte de la femme.

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moteur: La parole a été donnée à Vhomme pour déguiser sa pensée,28 Le mensonge est la base même du langage et sa condition absolue,29 Language must have been invented for the purpose of lying,30 etc. Comme si un mystérieux besoin de dire faux contraignait le parleur, parallèlement au besoin de mal faire, dont il n'est qu'une émanation. L'option théologique est donc parfaitement claire. Dans un second temps, cette réduction du dire à la faculté de contradiction permet de réintroduire l'idée de la vérité du réel ce qui ne s'exerce qu'en tant que contre-vérité (le langage, le roman) implique dans le même temps le vrai dont, censément, ils se distinguent; l'écart signifiant, pensé comme capacité de dire ce qui n'est pas (imagination/mal), ramène à ce dont il est la contreépreuve: les marques du faux renvoient au vrai quand même on le déclare imperceptible, inexprimable. Différer (raconter l'écart) signifie mentir et mentir convient à la différence. Tout sens n'est perçu alors que comme non-sens et tout ce qui n'est pas l'indicible norme manifeste Verreur. Prétendre que le langage sert à la dissimulation, c'est bien évidemment dissimuler la réalité du pouvoir qui s'en sert. Au contraire, prenant tout langage (et le roman) comme une pratique du sens, on découvre dans sa Activité un effet idéologique : c'est moins de mensonge ou de cache qu'il s'agit que de transformation : le roman produit une obscuration dont le résultat est lumière. La feinte qu'il introduit est précisément feinte (ou fictive) et ce qu'il énonce (de négativité) n'est qu'un vrai (positif) retourné. Désigner son mensonge revient à faire ignorer son efficace; à partir de son effet, tout texte sera pris pour vrai; sera réputée vraie la lecture qu'il permet.

2.2 LE DÉBUT DE L'HISTOIRE 2.21

Le Début, le texte

Il est acquis que le roman se présente comme narration de l'extraordinaire et qu'il n'affiche pas globalement, immédiatement son sens, puisqu'il le produit (même si cette production signifie duplique). La structure romanesque peut être dite évolutive/involutive, son propre étant d'agir dans la succession, quoique cette succession soit feinte et qu'elle ne consiste qu'en un retour constant d'avant en arrière, de l'aventure à l'origine. La lecture n'a pas d'existence ponctuelle : le livre est le livre qu'on entame, qu'on poursuit, qu'on termine. 28

Weinrich, 1966, 10. Maxime de Talleyrand. Ailleurs : Die Lüge ist in der

Welt. Sie ist in uns und um uns (9). E t de citer le p s a u m e : Omnis homo mendax, Augustin, Voltaire (Ils ne se servent de la pensée que pour autoriser leurs injustices, et n'emploient les paroles que pour déguiser leurs pensées (9-10)), etc.

(L'autre mythe étant celui-là de l'impunité de l'écrivain : Ein Autor kann nicht lügen. Des kann bloss gut oder schlecht schreiben

29 K

Gourmont, 1925, 30. Sturtevant, 1948, 48.

(Kayser, 1958a, 91)).

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POSITION DE NARRATION

Le lecteur, d'une page à l'autre, en sait lentement plus, même si ce plus équivaut à un « rien » : le sens du livre lui arrive. Une conversion peu à peu s'opère, de l'aventure à sa suite, de sa suite à sa fin. Le roman fonctionne comme transformation (irréelle) du sens (il est un tout de devenir prévisible), et cela veut dire qu'il ne se présente pas comme somme ou multiplication numérique de signes, mais travail (et donc augmentation signifiante et valorisation). L'information romanesque (l'affirmation de la positivité) n'est pas lisible au début du texte, mais résulte du déchiffrement de l'ouvrage entier. L'intérêt se produit comme déchiffrement. Et même : il n'est d'intérêt romanesque que ce déchiffrement. Si le sens (cependant finalement appréhensible) ne s'offre pas dès le début et si aucune partie du texte n'est susceptible de le recueillir, c'est que le romanesque doit être précisément considéré comme rétention de la signification dont il fait sa visée. Génération suppose ici que le signe retient ce qu'il passe pour désigner. La fabrication du sens impose au roman le détour, le délai, le retard. C'est que ce sens doit réintégrer celui-là de son point de départ (reproduire suppose la distance permettant d'embrasser la conformité souhaitée). PROCÉDURE: Il en résulte que définir l'activité romanesque revient, dans un premier temps, à repérer l'effet de son commencement. Le texte possède un sens (comme on dit un « sens de marche », une « direction »), d'une exposition différentielle au résorbement de la fin; c'est comme visée ou développement qu'il s'aperçoit. Puisque le roman fait un sens, force un sens, il est obligatoire de le saisir en tant que surgissement, au point de son entrée. On partira du point de perception du texte. La position de narration à partir de laquelle le sens produit se découvre permet, en premier lieu, d'en mesurer l'activité. Si l'information piocède de l'écart que le récit en faisant appel à l'extraordinaire parvient à réaliser, alors ce récit se comprend dans sa source. Les conditions de sa génération tiennent à ce point, son développement s'y détermine, peut-être s'y réduit. Le point de déclaration du texte étant déterminé, la question de son horizon pourra être levée. Nous trouverons qu'en même temps que son commencement le texte (romanesque) se rapporte à sa fin; il pose en effet sa clôture dès son origine, afin de s'exercer comme récit, c'est-à-dire former le sens prévu. Le roman présente, cependant, divers procédés d'inauguration. L'art du romancier consistant à intéresser, son récit et particulièrement l'amorce de ce récit devront varier; ce qui oblige à manipuler l'ordre des parties du discours, c'est-à-dire à les intervertir. Une des plus courantes recettes à cet égard consiste à permuter l'exposition et l'événementiel durant les premières séquences du livre: l'extraordinaire se trouve alors précéder ce dont il n'est que le signe (d'où ces chevilles « Revenons dix ans en arrière », « Avant d'aller plus loin dans notre récit », « Des explications sont ici nécessaires », etc.).

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De plus, toujours en fonction de la production de l'intérêt, on différenciera l'extraordinaire second (de l'ordre de l'événement: la péripétie par laquelle le récit s'entame) de l'extraordinaire fondamental (ou central, de l'ordre de la situation : ce dilemme servant de base au drame). On distinguera, en ce qui concerne le début matériel du texte, entre (1) Y exposition ou mise en place du cas de narration, et (2) l'amorce (l'extraordinaire second) ou mise en train de l'intérêt. L'ordre peut en être interverti. Les renseignements (1) ou l'effet (2) peuvent être fournis en plusieurs fois; l'interversion se répéter. L'exposition consiste en une série d'informations de base; le romancier donne là une actualisation, une mesure de la positivité. C e t avantrécit (dans le récit) réalise l'archétype conditionnant l'existence du livre comme négativité. C'est à partir de ce fond que l'aventure désorganisatrice peut arriver. L'amorce, au contraire, provoque (ou multiplie) l'intérêt. Par elle, le récit négateur obtient un impact maximum. U n début de roman comprend à la fois l'exposition donnant les termes de la narration et une amorce provoquant la lecture. C e s deux obligations contradictoires

expliquent la variété des mouvements inau-

guraux : qui expose n'intrigue guère (alors qu'à une période précédente du roman l'auteur y parvenait) et qui intrigue se voit bientôt contraint de cesser d'intriguer pour exposer. PROPOSITION : Le roman ne comprend commencement.

que le développement

de

son

C e développement doit être perturbé.

L e début du roman supporte l'édifice entier. L e texte se supporte par son début. Chaque élément constituant s'y rattache. L'ensemble existant à partir de la règle (la positivité est cette règle, l'avant-récit ne fait que l'actualiser en un cas) comme dérogation, il faut bien que celle-ci soit inscrite, rappelée.

L e livre est lu comme démonstration, par conséquent

les définitions lui sont nécessaires. L'auteur les marque à son début. L e récit doit se réaliser comme différence (perversion de

l'origine).

L e signe de cette différence (l'extraordinaire) doit, pour être marqué, se définir par rapport à la référence qu'il n'est pas : le trouble suppose un socle à partir duquel (dans lequel) il s'exerce, le trouble apprend au lecteur ce qui n'est pas afin de faire arriver ce qui est en tant que

récit.

Placé en regard de son commencement, répondant à ce que celui-ci désigne comme impossibilité, le développement romanesque est issu de l'immobilité

originelle.

RENVOI: OU: Das Ende des Romans erzwingt thematisch und formai seinen

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Anfang.31 Car cette réponse du livre à la fin qu'il s'impose signifie bien la même entente avec la positivité exposée à son début par delà le désaccord qui le fonde. Développements sous 3. 11-13.

Le récit mord sur l'ordinaire; la signification s'instaure comme interruption; son mouvement ne saurait avoir lieu que si l'horizon de la différence est désigné (et maintenu) : l'exposition rend possible le récit, par conséquent. La base ainsi fournie au texte en permet la réalisation, mais cette base à son tour doit être considérée comme produit du développement (romanesque) qu'elle engendre. La positivité de référence qui, annoncée, met en branle le processus de la signification et appelle l'extraordinaire, est produite par ce processus même : l'ordinaire conditionne l'extraordinaire, mais celui-ci pose lui-même les conditions de son existence. Ou encore : la base est « imaginée » par le texte afin de se créer comme différence et s'échaffauder; elle n'en constitue qu'une exposition ou possibilité. Le sens n'arrive que par du sens, ainsi l'entend le roman qui l'impose à son origine pour n'avoir qu'à le recommencer. L'œuvre littéraire s'invente un début et invente à ce début des raisons vraisemblables d'être. Comme s'il lui était nécessaire de faire accepter par avance le sens qu'elle distribue. Ainsi la rencontre ou le fait de l'amorce romanesque est-il rendu probable (ne serait-ce que par l'invocation du hasard). La facticité de la différence signifiante du récit est justifiée par celui-ci alors même que l'irréalité de cette différence s'étale. On surprend une fois de plus le récit romanesque en train de couvrir son activité. NOTE:

: Mallarmé : Un livre ne commence ni nefinit: tout au plus fait-il semblant.32 Mais il est un genre d'ouvrages qui s'acharnent à faire cesser cet arbitraire de leur origine en le faisant passer pour « vrai » : ce sont les romans. Cet arbitraire du reste se limite au mode de présentation de l'événement signifiant, lequel ne saurait manquer.33 Désignant son commencement (l'extraordinaire) et désignant son origine (la positivité), le roman vit de ce semblant de différence grâce auquel il réussit son illusion. NOTE

Le roman, à son début, propose une nomination systématique des objets, personnes, localités, temporalités qu'il s'apprête à mettre en jeu. Il se fournit à lui-même ainsi ses données. Certaines fois, il va jusqu'à en procurer une liste, comme c'est l'usage pour la pièce de théâtre, avant même d'être amorcé : 31

N . Miller, 1965, 7. (La remarque entend s'appliquer à Proust). Mallarmé, 1957, 181 A. 83 Klotz, 1965, 24 : Willkürlichster Eingriff ist der Anfang. Ce qui ne vaudrait que pour 1'« épique »; mais la remarque joue en fait sur la confusion entre la pratique signifiante du texte et son actualisation narrative (tel o u tel cas, héros, fait), son mode. 32

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PERSONNAGES FEMMES.

Blanche de Volnay. Violette de Parisis. Marguerite Ducharme. Diane Ducharme. Angéline Duportail, surnommée / ' A M A Z O N E . La Voyante. Fine-Champagne, vivandière. La Grande Chaourse. Flambine. - Souillon. - Cigarette. Une comédienne. Femmes de tous les mondes. Chœur de buveuses de bière. HOMMES.

Eugène Henryet, capitaine de l'armée de Versailles. Adolphe Ducharme, surnommé Cœur-de-Lion, colonel des fédérés. Montjoyeux. Le comte René de Volnay. L'homme anonyme. Carnaval. Un détaché d'ambassade. Le lieutenant Georges Henryet. Antéchrist. - Midi-à-Quatorze-Heures. - La Clef-des-Cœurs. Chœur de buveurs de vin. CHIEN.

Thermidor. (A. Houssaye, Le Chien perdu et la Femme fusillée( 14))

Mais, d'une façon générale, les qualifications sont semées dans la partie du texte dite « exposition ». On trouve distribués à ce début les signes complets formant savoir, l'horizon du livre, c'est-à-dire l'actualisation de la positivité de base nécessaire à son entendement : le héros reçoit un nom, le lieu, la date sont désignés, le portrait confirme le nom, le lieu confirme le portrait, la date confirme le lieu, etc., l'ensemble porte le sens de la positivité et vraisemblabilise l'événement : la situation romanesque est une vraie « mise en situation » de l'origine. Des signes découpent et distribuent l'espace livré à la lecture. Et le remplissent complètement : ce n'est qu'alors qu'il est parcouru par la signification et que celle-ci est propre à la perturbation. La qualification par noms, traits et figures permet le démarrage de la narration. Tout ce que le récit marque comme « exposition » fixe un sens; les signes rassemblés offrent un savoir (qui n'est que la réitération d'un savoir) doublement su : comme positivité d'origine et actualisation narrative (tel cas, tel exemple proposé dans tel roman). L'extraordinaire entre alors virtuellement en action, le récit a lieu.

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OBJECTION : Cette mise en scène du texte doit être conçue comme une reprise, plus ou moins lointaine, dégradée, d'un art de narrer l'origine des choses, comme une dérivation du mythe dit de la Genèse, dont les exemples abondent. 34 Le mythe sert de modèle à l'énoncé romanesque, à l'annonciation des rôles et des qualités dont celui-ci ne peut se dispenser. Dès lors, la question du commencement du récit se confond avec celle d'une écriture de l'origine: nous avons affaire à sa version moderne. RÉFUTATION: Ce que le roman (éventuellement) imite n'est pas un modèle (stable, signifié) mais une production signifiante. Il ne fait en réalité que représenter, au niveau qui est le sien, la narrativité du discours dans lequel il s'inscrit. Cette « imitation » est une exploitation des possibilités du discours, parallèle et distincte des autres récitations auxquelles celui-ci donne lieu. En d'autres termes, le discours soutient l'activité narrative, dont le roman ne réalise qu'une possibilité. Ce fonctionnement d'un langage à partir d'un autre dont il prétend se distinguer est compris virtuellement dans ce dernier: le roman, tout entier contenu dans ce langage, n'en façonne qu'une animation. Il en est l'exposé. La récitation n'intervient qu'à partir d'une classification de ses objets en valeurs: temps, lieux, actes, personnages, leurs différents traits renvoient et/ou ne renvoient pas à la positivité d'origine; ils en retiennent donc le sens. Cette capacité des signes disposés par le texte de déclarer et/ou de démentir l'instance originaire fonde sa propre activité. L'ordre d'une énumération qui viserait à épuiser le sens n'est dans le roman qu'apparemment à l'œuvre. Le texte romanesque inscrit bien son sens dans une série complète de signes (le héros; le héros dans tel lieu; le héros à telle heure; le héros avec tel autre; tel acte du héros, etc.), mais les dimensions qu'il parcourt sont celles-là du discours (grammatical). Le modèle, si modèle il y a, n'est autre alors que ce discours même: cette faculté qu'il a de s'engendrer comme différence et sens. Les signes et les noms du roman réalisent et actualisent, d'une part, l'instance positive fondamentale, d'autre part, l'extraordinaire négation. C'est en jouant sur ces deux niveaux que le processus de production du sens et de l'intérêt s'entame. Comme un renvoi constant, une constante avancée. L'espace encombré de signes du roman s'articule: le sens et le sens au moment de se dégrader surgissent au creux de cet écart appelé début.

2.22

La Mise en condition de lecture

Le roman commence par affirmer sa qualité de roman. Des signes indiquent clairement la lecture que le texte peut procurer. Cette signalisation du livre par lui-même fonctionne dès la première page, dès la page de titre, dès la couverture. Le texte est toujours présentation matérielle du texte; il se rend a priori lisible en figurant concrètement sa qualité de roman (et le genre de cette qualité). "

Cf. Schmidt-Henkel, 1965, 92-134.

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Cette lisibilité matérielle vient par avance appuyer le conditionnement du lecteur par le texte même. Il faut que dès l'abord la posture de lecture convenable soit prise. D'une part, la présentation indique le roman; d'autre part, le roman confirme sa présentation. Chaque classe de roman possède un style typographique (disposition, caractère), une qualité de papier, un format, une épaisseur, des illustrations, etc. qui, avec son prix, à côté des signaux de librairie (nom de firme, libellé de Collection, etc.) et de l'apport du titre et du nom de l'auteur, attestent 1) qu'il s'agit bien d'un roman, 2) que ce roman relève d'un certain genre. La présentation matérielle recommande le texte, prédispose à la lecture, rend conforme à l'ouvrage. Car le lecteur a lu, depuis toujours, chaque signe déclenche un souvenir et rentre dans le cadre d'une longue expérience : le roman est su avant d'être parcouru; c'est la raison pour laquelle il fait tout pour se faire reconnaître au plus tôt : afin d'éveiller plus sûrement l'intérêt et d'attacher plus fermement à cet intérêt; l'automatisme étant créé, le romancier l'exploite. [Cf. Vol. compi., EXEMPLES I] Le roman réalise dès son commencement la mise en condition romanesque du lecteur. Le romanesque de l'ouvrage (sa qualité même) est désigné dès l'abord par un ensemble de signaux convergents dont aucun, isolé, ne serait suffisant. Décider de la lecture égale alors décider à l'achat. Donner envie de lire égale obliger de lire conformément à cette envie. Signifier d'avance la satisfaction apportée au besoin provoque ce besoin. Tout ce système de la présentation du texte à la lecture, encore une fois, ne fonctionne que s'il est fondé sur la « reconnaissance » : le lecteur lit dans le système, le roman à ses yeux fait suite, quelques signes en assurent. Le signe du romanesque enchaîne le lecteur au romanesque : celui-ci ne peut lire que dans le sens proposé. Enfermé dans l'obligation signifiée son objectif s'y réduit complètement. Les signes préposés au livre s'assurent de son intention, la conditionnent : Der Leser meint zu entdecken und wird nur geführt.35 Sa liberté consiste au maximum à décider de lire ou non des romans, mais une fois le livre saisi le romanesque qu'il faut lui est absolument imposé, le voici projeté dans sa lecture : Der Leser ist etwas Gedichtetes, ist eine Rolle, in die wir hineinschlüpfen und bei der wir uns selber zusehen können. Der Beginn der Verwandlung ist uns gewöhnlich nicht bewusst; sie hebt an, wenn wir das Wort « Roman » im Untertitel eines Buches lesen oder vielleicht «

Lawson, 1934, 14.

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schon, wenn die Magie des Einbands auf uns wirkt.36 Les signaux préposés au texte fonctionnent sur une prédisposition (création antérieure du code), c'est là leur « magie ». Le lecteur, prévu par le texte, est un rôle du roman. NOTE : Cette marque matérielle du texte peut mentir plus ou moins habilement (par surenchère). Son contrôle n'étant pas immédiatement réalisable, c'est sur cet écart qu'au-dedans de certaines limites elle joue: sans concordance au moins approchée elle se déprécie (et déprécie le livre) (encore que sa fausseté puisse ne pas suffire à décourager). Par suite, le déchiffrement fonctionne comme confirmation du romanesque promis par des signaux préposés, le roman se confirme comme correspondant aux signes matériels de l'annonce. Réciproquement, la marque répond au roman postposé. Par économie: il s'agit d'accélérer le réglage de la lecture, de mettre au plus vite le lecteur sur la trajectoire romanesque désirée. L'effet de l'ouvrage aura dès ce moment lieu.

L'intérêt initial d'un roman se compose de la recherche de la confirmation de l'idée romanesque éveillée par les signaux d'ouverture. Le lecteur, dès lors qu'il aborde le texte, se voit par conséquent contraint de le surveiller de près, afin de ne laisser échapper aucun des signes du romanesque figurant nécessairement à son ouverture. Ce rassemblement d'éléments-signes confirmant et formant l'intérêt préalablement éveillé constitue la situation de base à partir de laquelle le récit peut avoir lieu. Dans cette exposition d'une réalité romanesque, tout est présage, potentialité. C'est sur cet état virtuel du texte (l'histoire contée valant comme signe de l'extraordinaire) que la lecture s'entame. C'est en ce point de fixation que son fonctionnement se détecte d'abord. Le roman s'invente un début tel qu'il paraisse en résulter naturellement. Il n'existe qu'à partir d'une situation de base initiale établie de façon à justifier le récit. Le récit, en effet, ne saurait se développer, « arriver » en tant que différence, que si la distribution (signifiante) des rôles est accomplie. La situation de base comprend premièrement un inventaire des traits (personnalisés) impliquant et/ou réfutant la positivité. Tout mot inscrit dans le texte fonctionne comme signe soit de référence à l'origine, soit d'un extraordinaire qui la dément. La préparation de 1'« action » entraîne ainsi nécessairement le suspense : ce qui est dit annonce et le fait de déclarer la situation d'origine implique la future dérogation. Les éléments préparatoires de l'exposition sont poussés, voire précipités vers leur fin qui n'est autre que la signalisation du malheur récitable.

PROPOSITION :

36

Kayser, 1958a, 88.

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Les actants sont définis par rapport à la positivité, leurs traits fixés comme signes de ce rapport, leurs relations établies en fonction de ce rapport toujours. Il suffit donc à l'auteur de prévoir l'inégalité de celuici pour provoquer le déséquilibre formant plate-forme. Un tel déséquilibre est extraordinaire (et malheureux), le récit le suppose. L'événement (rencontre, crime, conduite imprévisible, etc.) ne fait qu'actualiser le déséquilibre inscrit originairement dans la situation de base. La situation de base est toujours critique. L'extraordinaire, dont la narration est aussitôt entamée, doit être inscrit avant d'être écrit afin de produire l'effet romanesque. Par ce biais, le texte établit sa propre vraisemblance : affirmant une situation, il la propose comme instabilité, instance de rupture, différence; l'événement (l'aventure) qui ne peut pas manquer de se produire paraît alors en émaner comme d'une cause réelle; il se définit comme découlant d'une situation objective alors que le récit suppose celle-ci afin d'en faire jaillir naturellement l'extraordinaire. Ainsi, le dire s'appuie sur son début; il se crée un début afin de pourvoir à son énonciation. La qualité des éléments de son inauguration détermine sa possibilité même. PROCÉDURE: Si le livre existe bien par son commencement (sur l'effet de ce commencement), définir l'activité romanesque revient, dans un premier temps, à repérer les moyens de réalisation de ce commencement (de cet effet). Le commencement (critique) du livre comprend l'exposition de la situation de base (appelée aussi plate-forme romanesque, situation de narration), à distinguer de l'amorce (intrusion d'un extraordinaire). Cette situation de base permet le développement narratif, sert de point d'appui à l'intrigue, débouche sur la série des crises, pour se résoudre au dénouement. Elle constitue l'actualisa-

tion de la positivité en passe d'être démentie ou l'exposition de la différence

fondatrice.

RENVOI: Cette situation de base joue comme vraisemblabilisation de la différence et cache sous l'actualisation (ses différents modes) l'acte même de la narration. Dès son origine, le texte passe inaperçu, se rend imperceptible. Développements sous 3.31-34.

On appelle situation de base un ensemble d'éléments textuels fondant le texte comme différence et qui en réalisent la possibilité. Ces divers composants, non pas juxtaposés, mais fortement imbriqués, n'agissent que de concert et forment le lieu d'origine du texte (son « passé »). Ce sont les faits textuels suivants, à étudier séparément : temporalisation (2.31-32)

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localisation (spatialisation) (2.41-42) personnalisation (personnification) (2.51-55) mise en intention de la narration (2.61-62) titraison (2.63) introduction de l'extraordinaire (2.64) Leur fonctionnement d'ensemble ne devra pas être perdu de vue. 2.3

2.31

LE TEMPS DU TEXTE

Fabrication du temps du texte

La temporalisation identifie le récit. Ce qui se conte a besoin, pour être narré, qu'un temps soit marqué comme étant celui-là de son existence. Une indication de temporalité se trouve presque toujours dès les premières lignes du roman, souvent même dans la première phrase; l'équivalent d'un « Il était une fois » amorce régulièrement l'histoire. Le livre est rempli, ponctué de dates plus ou moins floues, d'« avant », d'« après ». Le récit, pour être récit d'un extraordinaire, doit marquer d'un chiffre (ou d'une caractérisation) le jour qu'il pose pour être celui-là de 1'« événement ». Cette signalisation temporelle lui donne aussitôt consistance (et véracité). Le récit ne peut être que temporalisé : basé sur la signification d'un événement (sa négativité), il lui faut le détacher, le désigner, afin qu'il soit vu, c'est-à-dire de sorte qu'il puisse se produire : la datation est à cet égard un procédé sûr. Seul ce marquage d'un seuil temporel (initial) permet la marche romanesque, puisque le récit joue sur un développement de conduites apparemment « logique » ou « naturelle ». Ce n'est qu'en les inscrivant dans une « durée », c'est-à-dire en leur assignant par signes, marques et traits de temporalité une illusion d'existence (dérobant la perception de la fiction qui les arrange), que le récit paraît pouvoir représenter en narrant. Une histoire suppose un point de départ, la date ou son équivalent, permettant de la saisir comme histoire, irruption et action d'un extraordinaire. Dire « un » soir, « un » jour, c'est se donner le point à partir duquel la série peut être énoncée. La caractérisation paraît arbitraire (que cela soit le « 12 » ou le « 22 » du mois, « fin octobre » ou « minovembre »), mais l'affirmation où elle est prise suffit à la vraisemblabiliser; l'histoire en action justifie en retour, imperceptiblement, les PROPOSITION :

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moyens de temporalité qui la produisent. Temporalisation signale narration : Ihre Funktion [des « temporal »] in der Sprache ist es, dem Hörer einer Mitteilung Nachricht davon zu geben, dass diese Mitteilung eine Erzählung ist [...] Die Tempora der erzählten Welt sind also zu verstehen als sprachliche Signale, dass der Inhalt der sprachliche Mitteilung, die sie begleiten, als Erzählung aufzunehmen ist.*1 Pas d'énoncé narratif sans marque de temporalité; l'histoire a besoin de repères qui la font prendre pour histoire et qui indiquent comment l'écouter.38 Grâce à l'inscription temporelle du texte, l'histoire du roman paraît imiter une histoire réelle et celle-ci à son tour se réduire à n'être qu'une réalité naturelle (même bouleversée). L'histoire est invention de la réalité comme chronologie, linéarité, et le lecteur ignore l'artifice qui, au travers du roman, lui en impose la vision : une réalité historique rectiligne immuable ressort d'un texte qui se marque pareillement dans un sens. La sorte d'histoire (et d'Histoire) que le récit trouve à raconter n'est, du fait de sa temporalisation, qu'une invention du récit. La temporalisation est un procédé de la narration. Les concepts de « temps », « temporalité », etc., qui continuent d'être employés, ne doivent pas faire illusion : leur office a été de manipuler le livre et l'Histoire l'un par l'autre, celle-ci prêtant son soi-disant sens, celui-là corroborant soi-disant sa vérité. Dire que auch in ihrer STRUKTUR unterscheidet sich die dargestellte (intersubjektive bzw. subjektive) Zeit von der wirklichen Zeit auf ganz bestimmte Weise, so dass sie nur ein 39 ANALOGON, eine Modifikation des letzteren bildet ou que la datation du roman, par exemple, loin d'introduire le passé pour lequel elle se donne, renvoie au « présent » de l'aventure,40 participe encore de la même illusion. En effet, si les procédés de la fiction suffisent bien à procurer l'effet de temporalité, alors le « temps réel » n'a pas à lui servir de modèle et ne le saurait, alors la réalité de ce « temps réel » n'est plus à concevoir inversement que comme « analogon » à celle-là du texte : il n'y a qu'un temps de fiction, il n'y a pour seul temps que celui-là que le texte produit. « Temporalisation » entend précisément désigner cette activité textuelle, que le récit se fabrique un temps pour être. Le marquage temporel 37 38

40

Weinrich, 1964, 48. Cf. Weinrich, 1964, 55. Ingarden, 1965, 248. Cf. Hamburger, 1957, 32. Et critique chez Jauss, 1970c, 17, 20.

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des éléments narratifs rend seul perceptible leur position d'histoire, leur constitution unitaire (Chaque date propose ainsi tout un spectre de dates harmoniques),*1 et donc leur dynamique signifiante. Le récit temporalise; c'est à cette condition qu'il parvient à réaliser le sens visé. NOTE: La temporalisation consiste en une série de repères («adverbes de temps», «propositions temporelles»: «Il vint ensuite», « L e soir même, il arriva », « Il se trouva avant la tombée du jour ») tout pareils à ceux-là dont dispose le discours quotidien. Cependant, l'explication « linguistique » - La prétendue temporalité de la parole est liée au caractère en principe linéaire (unilinéaire) de Vexpression linguistique,42 « L e discours ne saurait s'exercer sans se situer temporellement », ou (en pleine confusion) : LE LANGAGE EXPLIQUE LE TEMPS43 - est irrecevable: si l'on comprend bien que le «temps» doit dériver du modèle grammatical, que la perception en va de pair avec l'emploi du langage, que la temporalisation de la narration quotidienne (quand elle s'applique à rapporter le fait passé ou distant) correspond à la temporalisation de la fiction, son effet dans le récit, en ce qu'elle le permet, demeure inexpliqué. De même, Y idéologique du procédé de linéarisation (son charme) échappe. Le récit ne produit pas de temporalité « vraie » ni ne s'y comprend lui-mêmeL'inscription chronologique (souvent renversée) n'instaure aucun réel historique. Ce que possède le récit, ce n'est pas un « temps », mais un tempo, une allure (ou scansion). Les marques temporelles forment une clarté dans le texte; elles en dissimulent par là l'activité. 2.32

L'Effet de

temporalisation

PROPOSITION : La fiction, pour être efficace en tant que fiction, se fait passer pour « Histoire » (ce qui a lieu dans le temps). L'historicité est cette valeur - fausse - que la fiction se donne par le biais de la temporalité. Toute marque de temporalité authentifie. Le signe (indéfini, défini) fonctionne systématiquement comme renvoi du texte à la réalité. Il le fige, ce texte, dans une appartenance; par là, le récit réussit à tromper sur le faux qu'il constitue. Chaque marque du temporel dément explicitement le texte en désignant l'original (cette « Histoire » qu'il récite) et donc ne le fait pas voir pour ce qu'il est, c'est-à-dire activité de fiction. Temporalisation signifie camouflage du romanesque du roman. Dire « Le 20 septembre 1874 », c'est obliger l'esprit du lecteur à ne voir la fable que comme « Histoire », c'est-à-dire à ne l'envisager qu'en tant que fiction. En effet, temporaliser, c'est changer le roman en 41

" a

Butor, 1964, 94. Genette, 1969, 46. Jacob, 1967, 21.

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« Histoire », mais c'est permettre que le roman agisse sous le couvert de ce qu'il n'est pas. Historiser favorise ainsi la fiction du texte. Dater revient à indiquer 1'« Histoire » afin de ne pas en procurer la perception (ou afin d'en procurer le change). Dater revient à précipiter le lecteur dans le roman en lui retirant la connaissance de la situation de lecture. Le texte est mis au passé pour être de 1' « Histoire », afin que sous ce couvert l'information romanesque parvienne. La temporalisation permet à l'auteur de désigner le roman comme imitation, vérité, véracité. Dater et indiquer le passé comme date du texte revient donc à le vraisemblabiliser. A garantir dans le texte la vérité de la fiction. La situation de narration est par conséquent dérobée au lecteur. Dater renvoie le texte à son soi-disant modèle. Se placer sous l'apparente autorité du fait, c'est pouvoir dire, avoir de quoi dire, avoir le droit de dire : la temporalisation (le passé) inscrite dans le texte justifie le texte, en ordonne la lecture a-critique. Le présent absolu de la narration n'existe pas, puisque l'auteur, dans l'acte de temporalisation, propose le récit comme représentation. Par suite, la datation est toujours celle-là d'une antériorité (lointaine ou immédiate). L'effet de la temporalisation est donc d'authentifier la fable en l'indiquant comme représentation de l'« Histoire ». Dater fournit un passé d'authentification à la fable. Ce qui est écrit peut alors sembler répétition, c'est-à-dire véracité : Denn Geschichten müssen vergangen sein, und je vergangener, könnte man sagen, desto besser für sie in ihrer Eigenschaft als Geschichten und für den Erzähler, den raunenden Beschwörer des Imperfekts.44 Éloigner le récit dans le temps n'est donc pas, contrairement à l'opinion reçue,45 dénaturation, dépaysement, exotisme; dater, tout au contraire, naturalise la fiction, la rapproche et la « réalise ». Dater fait repérer le texte comme « Histoire », indique son sens comme un sens déjà donné. Le roman se fait ainsi (et par d'autres moyens encore) répétition, et non pas invention fantaisiste comme on croit ou redistribution du sens. L'affabulation renvoie à 1'« Histoire », mais celle-ci - purement feinte - n'est qu'un miroir du texte qui prétend s'en inspirer. Le lecteur se trouve alors enfermé dans le cercle désormais invisibilisé de la fiction.

"

Mann, 1958, 3. Cf. Gide, 1921, 62. La mise au passé prouve l'intention antinaturaliste du livre; dater, c'est faire art et non pas vérité, dit-il.

46

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NOTE: Temporaliser authentifie, mais temporaliser produit le suspense, surtout quand la position du trait est inaugurale et plus encore dans la combinaison Prologue-exposition. Tout roman tire parti de ce double effet. Cependant, dans la mesuie où historiser (ou dramatiser) contrevient au plan implicite (patent) du livre (cf.3.31), le genre du roman détermine la formule dont il peut, sans se contredire, c'est-à-dire sans manquer son effet, faire usage. C'est ainsi que le roman « vrai », de programmation « naturaliste », évite l'inauguration par la temporalisation et temporalise par le biais d'autres signes (d'« actualité ») dont il sème le texte. C'est ainsi que, contrairement au roman d'aventures « populaire » qui dramatise systématiquement, le roman «bourgeois» et le roman «honnête» datent discrètement, s'établissent volontiers dans l'indéfinition, atténuent l'historisation, se suffisent de l'authentification.

[Cf. Vol. compl.,

TABLEAU

5]

2.4 LE LIEU DU TEXTE

2.41

Fabrication du lieu du texte

La situation narrative de base comprend un lieu d'existence. Ce qui se conte a besoin, pour être narré, qu'un lieu s'ajoute au temps donné pour être sien. Une indication de localité se trouve presque toujours dès les premières lignes du roman, souvent même dans la première phrase; l'équivalent du « Il était une fois » se complète régulièrement par l'équivalent du « dans un pays lointain ». Le livre est rempli, ponctué de localisations plus ou moins floues, d'« ici », de « là », de « dehors », de « dedans ». Le récit, pour être récit d'un extraordinaire, doit marquer d'un nom (ou d'une caractérisation) le lieu qu'il assigne à 1'« événement ». Cette signalisation spatiale lui donne aussitôt consistance (et véracité). Le récit ne peut être que localisé : basé sur la signification d'un événement (sa négativité), il lui faut le montrer : la nomination du lieu est à cet égard un procédé sûr. Le récit, pour s'inaugurer, se maintenir, se développer comme monde clos, suffisant, constitué, exige à la fois local (localité) et temporalité. Il doit dire quand, il doit dire où (qui, quoi). L'événement narratif ne se propose que muni de toutes ses coordonnées. Sans données temporelles, spatiales (conjointes à d'autres) le message narratif ne peut être délivré. Le roman se propose comme un renseignement considérable : il apprend. Comme tel - et pour répondre à cette fonction qu'il affiche - il PROPOSITION :

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inscrit dès son seuil les éléments propres à (censément) transmettre la nouvelle promise. Ces éléments textuels sont d'ailleurs tels qu'ils annoncent sans informer réellement : la ville, la rue (comme la date) évoquées servent de signe à l'événement. Ce qui ne yeut pas dire qu'ils ne portent pas en second toute une série de connotations nécessaires. L'élément localisateur signale, mais il se présente comme information. La ville, la rue, etc. est bien le théâtre de l'événement, mais celui-ci est reculé, morcelé, dérobé. L'information prédite ne se trouve donc pas : on la dira manipulée, parlée et tue à la fois au creux du même signe. Cela explique et l'accumulation et la fragmentarisation des signaux distribués à l'inauguration du texte. Leur somme est telle qu'elle figure un manque : tout savoir du lieu c'est encore ne rien savoir (en fait) de l'événement; ce « tout savoir » n'est qu'une insuffisance. Nommer la ville, la rue, etc. ne se justifie pas sans qu'un acte (décalé) ne s'y déroule : ce que le texte romanesque affirme est toujours un au-delà garant du sens actuel de ses éléments. Le lieu inscrit dans le livre signifie dans le système du livre; il est donc ici fiction, et nullement l'analogue du renseignement de localisation donné dans un message linguistique de type informatif : Die deiktischen Adverbien, die zeitlichen wie die räumlichen, verlieren in der Fiktion ihre deiktische, existentielle Funktion, die sie in der Wirklichkeitsaussage haben, und werden zu Symbolen, bei denen die räumliche bzw. zeitliche Anschauung zu Begriffen verblasst ist.46 L'espace du livre est un « espace propre ».47 L'information que le trait qu'il offre distribue ne peut être dite « réelle » ou « vraie » ; tout au plus peut-elle être correcte : la ville, la rue, etc. étant alors repérables. Cependant, que les indications de localisation soient contrôlables, qu'elles s'avèrent en tout ou en partie véritables (que le lecteur reconnaisse ou non tel lieu nommé) n'implique nullement leur dépendance par rapport à autre chose que le livre : le livre comprend toutes les informations qu'il donne, toutes les informations du livre soutiennent exclusivement la signification que celui-ci entend comporter. Par suite, on dira que le roman consiste en l'usage romanesque d'une série d'informations (de localisation, par exemple) : ces informations sont telles qu'elles n'informent que du roman. C'est à ses fins propres qu'il les propose; elles ne sont là que pour renvoyer à lui-même. Une histoire suppose un point de départ temporel et suppose un 46

"

Hamburger, 1957, 71. Cf. Ingarden, 1965, 235.

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point d'insertion dans l'espace. Ou du moins elle doit inscrire à son origine à la fois son moment et son lieu : l'extraordinaire n'est perceptible qu'à cettte condition. Dire « un » soir, « un » jour, et ajouter en quel endroit, « dans » telle ville, telle rue, c'est donner le point d'appui initial indispensable à la narration. Le lieu est ainsi nécessité de la narration. Il en est le produit et contribue lui-même à la produire. Tout élément pris dans le roman dépend du rôle textuel assigné. Par suite, on ne dira pas que les lieux plus ou moins généreusement évoqués par l'auteur fournissent un « décor », un « cadre », une « scène » (véridique ou non) à l'histoire. Ces lieux du livre ne réalisent qu'une fixation spatiale de ses termes. Le lieu n'est qu'une marque. L'ampleur de la description n'est à cet égard qu'un phénomène second par rapport à ce marquage fondamental. Plus qu'une limite à son exercice, plus qu'une « nature », l'histoire extraordinaire qu'est le roman se fournit, en évoquant son théâtre, un matériau : faire se passer quelque chose impose la localisation. Tant que le « où? » n'est pas inscrit, impossible d'entamer - d'inventer l'aventure. Le récit se fonde en se localisant. 2.42

L'Effet de localisation

I. La localisation produit la véracité du texte. Les traits constitutifs de la localisation, initiale et continue, du texte répondent de la nécessité de celui-ci de se donner pour vrai. Ils ne sont d'ailleurs pas seuls en jeu et ne font que concourir à la production de l'effet de crédibilité du texte. La localisation procure (conjointement) la vraisemblance du texte; elle l'institue (conjointement) « réalité » ; par son truchement (entre autres) le texte s'affirme comme possible : il a de l'effet. La fiction qui le constitue n'est efficace (lisible) qu'en raison de l'apparence de vérité qu'elle revêt. A cet égard, le trait localisateur n'est qu'un des éléments du cache du texte. Le lieu dit que le texte est vrai. Ce qui s'y trouve conté, il le déclare représentation. Le texte grâce au lieu fait renvoi, se définit comme relation, image, mimétisme. Le voici de la sorte installé dans un constant face-à-face. Conditionné (soi-disant) par un vrai dont il serait le pendant. Une norme est proposée : le texte s'indique exactitude, fidélité, correction. Sa qualité est la justesse, son garant la sincérité. Le critère (apparent) de la valeur textuelle étant désigné, le lecteur n'a plus désormais qu'à s'en convaincre. Ce qui est aisé, puisque le référent apparem-

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ment extérieur n'est qu'une postulation 'textuelle; il s'agit d'une jeinte : le texte en fait ne réfère qu'au texte. Il n'empêche que le roman fournit ainsi à l'usager l'angle de lecture selon lequel il devient perceptible; une perspective d'appréhension est créée. Ce qui est écrit se dit répétition; par là son statut est nié; fiction, littérature sont abrogées, quand justement les voilà en pleine activité. Le texte, dans le trait de localisation, désignant son modèle (l'histoire du livre se posant par là (entre autres) comme Histoire) se donne comme une parole seconde, adventice, objective, pure. L'imitation du réel figurant (d'après lui) sa limite, l'effet de fiction, l'effet de roman est retiré de la perception du lecteur : il n'y a pas alors du roman lisible, mais simplement (dit-il) de la réalité qui se raconte. Naturellement. Le racontement ainsi daté et localisé, présenté comme imitation complète du monde (et cela quoiqu'il prétende, même s'il se déclare programmatiquement roman), s'immédiatise : il est ce qui se passe vraiment, actuellement. La référence à la réalité supprime l'écart supposé et pose le texte sans fiction comme réalité. H s'ensuit, par exemple, que le « décor » du roman ne comporte nulle information réelle sur la réalité prétendument représentée et ne renseigne pas. Même dans le cas de digressions « naturalistes », le trait, pour amplifié qu'il soit, se trouve en position romanesque : il réalise une fiction. On en conclura que la localisation sert à définir l'angle de perceptibilité du texte romanesque. La certification par l'intermédiaire du trait de localisation agissant comme signe de reconnaissance permet d'orienter l'esprit du lecteur de façon à ce qu'il entende ce qui est du texte comme issu de la réalité. L'efficacité de la marque n (nomination du lieu) est, à cet égard, remarquable. Le nom propre fait entendre le vrai de la fiction où il figure : il en proclame implicitement l'authenticité. Le nom, qui est usuel, connu, reconnu, ressemblant, qui passe donc pour être celui-là qui a cours dont il ne se distingue pas (ou imperceptiblement, sans dénoncer jamais sa Activité), garantit le texte comme imitation. Le nom fait vrai. La représentativité textuelle, garant elle-même de la vérité de la chose écrite, s'en déduit sans exception. La condition étant simplement que n dans le roman imite la forme linguistique établie et paraisse sa pareille. L'approximation suffit pour que n convienne à son emploi de fiction. On peut prouver la Activité de « Sauveterre », « Cormandon », « Plassans », etc. dans les romans qui en font état, mais ces noms - et a fortiori tous les autres - suivent

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des modèles linguistiques en vigueur et par le biais de cette fidélité-là vraisemblabilisent le texte. La désignation contamine la fiction. La fiction se dissimule derrière le nom qu'elle avance. NOTE: Il va de soi que la marque n du roman doit convenir aux qualifications qui l'entourent. Ses attributs ne peuvent contredire (si n est connu) ni sa définition géographique réelle ni ses connotations moyennes, et jouent le rôle de support du nom propre: ils en confirment la vérité. On comprend dès lors l'avantage qu'offrent à la fois la très grande ville et les petites localités de province: le contrôle par le lecteur n'est vu leur éloignement ou son étendue guère réalisable. Les traits de localisation jouent ainsi un rôle décisif dans la production de la véracité textuelle. La crédibilité nécessaire y prend appui. Le roman est lu « dans le vrai ». Le procédé l'inscrivant comme en marge du réel, en position de miroir, le livre se désigne à son lecteur comme emprunt. La transparence qu'il prétend alors pouvoir offrir ne dépend plus que d'un effort de style : l'écriture s'entend idéalement comme coïncidence (heureuse) avec le monde, son objet. NOTE: Si le lieu du livre est lieu de fiction capable d'édifier celle-ci en semblant de réalité, si le trait de localisation n'imite la géographie, la topographie, l'onomastique réelles qu'en tant qu'il ne fait que puiser dans le réservoir sémique (Texte, Code) dont il relève, la quête du « modèle » dont l'auteur (éventuellement) s'inspire est non seulement illusoire, mais encore théoriquement fausse.48 Telle description n'est correcte que du point de vue romanesque et ne signifie qu'à ce titre. Le texte élabore la fiction de sa propre réalité en s'instituant emprunt, image, représentation. On appellera alors « réalisme » le procédé qui consiste non à donner l'illusion du vrai aux objets dont le livre entretient, mais à le vérifier lui-même. II. La localisation produit le texte comme écart. L'action romanesque se présente comme action du passé et de l'ailleurs, hors l'ici, hors l'aujourd'hui. Dès l'amorce, un fossé se trouve creusé entre le présent, le point de lecture et le moment, le lieu de l'histoire. Celle-ci se situe antérieurement et autre part : aucun lecteur ne peut se trouver être à l'endroit et à l'instant du livre. L'événement, objet de l'histoire, se trouve (censément) achevé dès que le lecteur entreprend sa lecture et situé à l'écart de sa place. Cet intervalle à plusieurs dimensions permet d'affirmer le sens et de l'attri18

Exemples : chercher si la maison de M" e Gamard (Balzac, Le Curé de Tours) se trouve, dans la réalité, à droite ou à gauche de la rue de la Psalette, trouver, à propos de la maison de Benassis (Le Médecin de campagne), que « la description toutefois ne correspond pas point par point : il y a trois fenêtres seulement au premier et non cinq » (Borel, 1958, 218, 124).

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buer aux faits narrés. Puisque ceux-ci sont censés dans le roman n'avoir que le sens (naturel) qu'ils ont, il convient de les faire observer d'ailleurs et après; seulement alors ce sens paraîtra réel (acquis, fixe donc réel); il est sens, il y a sens car cela que conte le livre s'est produit de la sorte et à distance. La localisation produit le texte comme étrangeté. Elle renchérit sur l'effet d'éloignement que procure la temporalisation et dérobe à l'action plusieurs fois reculée son immédiateté (même si l'on peut dire, en un autre sens, que le trait de localisation immédiatise l'événement : il en est le signal accompagnateur et la condition). Imposé au lecteur comme hors de son ici et hors de son aujourd'hui, le texte s'affirme sens impératif. Sens donné, autorité, par cela déjà qu'il s'élabore comme étrangeté et antériorité. Il ne s'offre plus alors qu'à un déchiffrement, ce qu'il permet n'est plus qu'une appropriation fidèle (automatisée). NOTE: La figuration romanesque est toujours décalée: le Paris du livre n'est jamais celui-là du lecteur; selon sa classe, ce qu'il a à lire touche précisément les quartiers qu'il ne fréquente pas. Et de toutes façons la relative indéfinition du trait stoppe tout rapprochement. Enfin, la dramatisation achève de rendre le texte étranger. L'écart, en particulier, du lieu permet à la fiction de se jouer comme sens: l'endroit « normal », c'est-à-dire la chambre du lecteur, ne s'imagine pas.

III. La localisation produit le texte comme drame. Le lieu, comme élément du texte articulé à d'autres non moins actifs à cet égard, compose l'événement (soi-disant rapporté), l'invente. Personnages, moments, lieux, tous signes porteurs de l'étrangeté, engendrent l'extraordinaire; chacun d'eux, par rapport à l'ensemble des éléments impliqués, le surdétermine. C'est ainsi que le lieu ne consiste pas tant dans la description ou la définition de l'espace réservé à l'action, mais en sa disposition dramatique. Le lieu du roman est voué au drame. Qu'il soit indiqué signifie qu'il s'y est passé (qu'il va s'y passer) quelque chose. Simplement l'inscrire provoque l'attente du fait : pas de lieu qui ne soit complice (endroit rêvé, le malheur s'y installe, quartier riche, le trouble y pénètre, quartier pauvre, l'injustice s'y donne carrière, etc.). Localisation égale dramatisation de l'espace. Que le roman se désigne une scène introduit l'intérêt pour le drame, de quoi nourrir cet intérêt. Les lieux, conjugués avec les autres éléments de la fable, font le drame, ne font voir que lui, surexposant l'événement moteur. L'attention s'y porte exclusivement. Ainsi, l'aventure est écrite par avance dans les éléments textuels qui ne constituent pas encore sa narration proprement dite. A eux tous ils

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en figurent l'origine, réussissant à installer le lecteur dans la crainte avant même que l'événement concrètement ne le justifie. La scène parle du héros, signifie sa conduite, en sorte que le lecteur peut l'appréhender. L'endroit du livre est donc tel qu'il convient à l'action qui s'ensuit. Il est donc « parlant ». IV. La localisation produit la discrétion du texte. L'auteur dégage la responsabilité de la fiction. Explicitement ou non il la rend discrète. Le lieu romanesque doit être « vrai » sans pour autant s'offrir absolument au repérage. On a la combinaison de traits définis porteurs de noms authentiques et de traits relativement indéfinis porteurs de noms fictifs ou irreconnaissables. L'orientation du lecteur va de pair avec sa désorientation. Cela peut être marqué ouvertement : L'auteur dénature à dessein les noms dont il se sert, tout en s'efforçant de leur conserver la couleur locale, et il s'empresse de déclarer qu'il n'entend faire aucune espèce d'allusion aux événements qui peuvent intéresser les habitants des lieux où se passent les scènes de ce roman (9). Et, précaution supplémentaire, « Ornans », lieu de l'action, est déguisé en « Orvier ». La volonté d'échapper à la censure peut jouer, et joue certainement dans ce cas précis (Courbet, l'illustrateur impliqué dans le récit, est un condamné politique), un rôle non négligeable. Pourtant, la soi-disant discrétion de la fiction a pour fonction principale d'en protéger la vraisemblance. Des formules comme Cette histoire étant vraie - comme la plupart des romans - et les personnages que nous allons mettre en scène pouvant être aisément reconnus, on nous permettra de ne pas désigner d'une façon trop indiscrète la contrée, d'ailleurs fort peu digne d'intérêt, qui va servir de cadre à notre action (54) sont à considérer comme pur effet de la stratégie compositionnelle. Le romancier intitule ici « discrétion » la nécessité romanesque où il se trouve d'inscrire le texte fabulateur à la fois dans le vrai et dans l'irrepérable. Cette semi-réfutation de l'implication du réel par le livre confirme la vraisemblabilisation à l'œuvre : si la reconnaissance est possible, alors le roman qui l'empêche est vrai. La discrétion du texte n'est qu'une feinte permettant d'installer l'authenticité de la fiction sans que l'auteur paraisse en être le seul garant. Son discours se dédouble et ce n'est qu'à son revers que le lecteur entend l'affirmation de vérité : le « je suis discret » s'entend comme « l'événement dont je parle est historique », l'assurance étant plus forte alors que le simple énoncé de fidélité à l'Histoire.

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V . La localisation produit la fixation de la lecture en un point à ne pas voir. La désignation du lieu topographique ou nominative oblige à croire à la réalité de la fiction en ce qu'elle évite son questionnement. L e « mais où donc cela se passe-t-il ? » est écarté. Supprimer le décor (ou sa relative définition) serait en faire prendre conscience au lecteur. Au contraire, l'installer (brièvement ou avec abondance) c'est le rendre en lui-même imperceptible, retirer l'attention de son champ, intéresser ailleurs. Localiser revient donc à fixer l'action en un point non observable. Les descriptions elles-mêmes ne font que déboucher sur l'intrigue ou retenir l'attention en un champ que le lecteur perçoit évidemment comme étant secondaire. L'endroit de l'action n'est pas visible, mais son effet : sa qualité signalisatrice seule est enregistrée. L e lieu ne se trouve inscrit qu'afin que le lecteur puisse lire au-delà. De plus, le texte gomme ce signe mince et transparent dès qu'il a rempli son office : Les lieux n'existent plus lorsque plus rien « n'a lieu ». 40 Sitôt déclaré le voici qui recule dans la mémoire du lecteur. Et la localisation ne fera sa réapparition qu'autant que l'intrigue nécessite un changement de scène important. Si tel n'est pas le cas, le texte se borne à développer une action en un lieu désormais implicite, à partir d'éléments excessivement réduits : « là » , « il passa dans l'autre chambre », « il sortit pour voir ce qui se passait » , etc. A cet égard, les affirmations les plus formelles de l'auteur ne doivent pas être prises au pied de la lettre : Le récit que nous allons faire étant des plus vrais, nous sommes obligé de lui conserver son cadre et de répéter certains détails peut-être déjà connus (49) signifie cependant qu'une fois le décor campé le lecteur n'aura plus à le distinguer. La description ayant porté le drame recule à l'horizon de la lecture; son effet produit, elle s'efface. V I . La localisation produit une lecture acritique du texte. L'information portée par le trait est contrôlable soi-disant, existe soi-disant, mais ne comporte aucun contenu réel (autre que sa portée sémique). Ce qu'elle offre, par contre, c'est la perspective romanesque correcte dans laquelle percevoir l'événement. Ce faisant et en ce qu'elle constitue une information vraisemblable la connaissance de ce point de lecture à partir duquel le texte seul s'envisage est dérobée. L e roman retire les moyens de percevoir le statut réel de la fiction, au lieu qu'il dit les offrir. [Cf. V o l . compl., TABLEAU 6]

"

Blin, 1954, 77.

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NOTE: Les effets généraux de localisation décrits sont impliqués dans tous les romans, mais l'ampleur du procédé, la composition et le choix des traits dépendent des catégories. La mesure de la spécificité de la localisation par catégorie est difficile, certaines règles étant simplement par rapport à d'autres plus accusées et autrement remplies. Il ne s'agit dans tous les cas que de tendances. On n'oubliera jamais que, quelque grande que paraisse la diversité offerte en fait de localisation, les moyens mis en œuvre concourent systématiquement à produire les effets recensés. Les différentes formules de localisation sont analogues en ce qu'elles réalisent dans le texte où elles figurent la localisation nécessaire. Les textes de niveaux différents utilisent des moyens différents pour réaliser une localisation dont Veffet ne l'est pas. Ces textes diffèrent, leurs éléments, puisqu'ils leur sont adéquats, diffèrent, mais ce que ceux-ci produisent n'en demeure pas moins semblable. Ainsi, la localisation définie explicite maximum se trouve-t-elle surtout dans le roman « populaire ». Rapproché de la technique de localisation du roman «académique», ce «tout dire» choque; réciproquement, cette retenue du roman «académique» usant volontiers de l'indéfinition et de l'implicite paraît, du point de vue « naturaliste », inacceptable ; etc. Mais, au niveau du texte et pour le public envisagé, ces divers procédés remplissent convenablement leur mission; ils ne sont perçus comme imperfection que par celui-là qui lit le texte d'une autre sphère. 2.5

LA PERSONNE DU TEXTE

Mathilde Simonnet, dite de Villeneuve.

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Simonnet.

2.51

État de la personne du texte

PROPOSITION : La situation narrative de base comprend le personnage. Ce qui se conte a besoin, pour être narré, qu'un personnage s'ajoute au temps et au lieu donnés pour être siens. L'indication d'un acteur se trouve presque toujours dès les premières lignes du roman, souvent même dans la première phrase; l'équivalent du « Il était une fois dans un pays lointain » se complète régulièrement par l'équivalent du « un riche prince/un pauvre paysan ». Le livre est rempli de personnages plus ou moins flous, de noms, de portraits, de caractères, de gestes significatifs, etc., qu'il ne cesse de désigner, autour desquels l'extraordinaire s'articule, se manifeste. L e récit, pour être récit d'un extraordinaire, doit marquer d'un nom (et de caractérisations) celui auquel il assigne l'événement : il jaut un

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personnage pour que de l'extraordinaire lui arrive. La narration joue avec des individualités, ou du moins des rôles. De même que lieu et temps servent à la désignation de l'événement (ils signalent l'acte, ils ne possèdent aucune autonomie), de même l'agent ne constitue guère qu'une matière à aventure. Jamais « sans histoire », jamais inengagé dans un trouble, le personnage trouve systématiquement quelque chose à « vivre ». Dans l'ensemble textuel, temps et lieu passent signes. Us font entendre et attendre des conduites, le sens de ces conduites. Le personnage prend part à cette production : signe appuyé sur d'autres signes, il figure à la fois l'origine de sa conduite (il la vraisemblabilise donc) et la mesure sa signification (il la rend lisible donc, y fait participer). Temps, lieu, personnage, tous traits du roman, permettent à celui-ci de réaliser sa démonstration. L'individualisation paraîtra seconde : le personnage n'est que ce que le roman entend prononcer par son entremise. Et non pas tant au travers de ses paroles que par le moyen d'une « vie » soi-disant propre. Les personnages du roman sont action. Cette action constitue l'illustration de la proposition idéologique de base du roman. Le roman prouve et se prouve par les personnages qu'il agit. Son sens se produit, est réalisé, vécu, subi. Ce qui doit être entendu par le lecteur n'est pas énoncé, discouru, mais représenté (joué) : le roman illustre un plan de signification. Cette figuration soutient constamment la véracité du texte. Les traits utilisés en effet représentent approximativement un temps, un lieu, un agent défini. Le roman est donc une fiction douée de personnages, l'instant, l'endroit de leur présence étant donné à l'imitation du réel archétypal. C'est au travers de ces divers éléments que le romancier fait parvenir l'affirmation romanesque au lecteur. Tout élément de fiction se trouve prédéterminé; les rencontres étonnantes dont le lecteur croit être témoin « par hasard » sont préméditées (ce « par hasard » est prévu et se comprend comme effet du texte) : ne se trouvent au lieu dit et à l'heure indiquée que ceux-là qu'il faut pour que la narration y trouve une origine. Il y a rôle. Il y a distribution des rôles. Chacun dépendant de la rencontre à obtenir et de l'effet (extraordinaire) qui doit en résulter. Tout est réglé dans le texte : la relation qui convient (explosive) est formée par ceux-là qu'il faut, à la place qu'il faut, dans le temps nécessaire. Des agents sont obligatoires : quelque chose peut par leur entremise se passer, être produit, subi; de l'extraordinaire peut grâce à eux

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avoir lieu. Par conséquent, ces agents ne sauraient faire défaut au roman puisqu'ils conditionnent son intérêt : une illustration du sens par l'action rend seule ce sens sensible. En d'autres termes, le roman, inventant et disposant des personnages, se fournit les moyens de (se) signifier lui-même; c'est sous cette forme qu'il se prononce - inaperçu. PARALLÈLE: L'introduction du personnage constitue un puissant adjuvant de l'écriture, en lui fournissant de quoi durer, s'étendre: l'énoncé, sous le biais narratif, est alors complètement prouvé. Dans le « poème », par contre, l'écriture (toujours démonstrative) a moins long souffle, le développement ne s'y soutient que malaisément. L'agent offre ainsi à l'auteur le moyen de vraisemblabiliser son discours: il y a de quoi parler; l'action continue soutient une parole continue; celui-ci se justifie à mesure puisqu'elle s'articule à propos d'un objet (soi-disant) extra-textuel: une « v i e » , une «aventure». L'écriture par là se permet tout au long de son exercice. Réciter passe bien par la création du personnage: c'est une prise de parole auto-légitimée.

Mais qu'est-ce au juste qu'un personnage et comment considérer dans sa fonction la très considérable population romanesque ? Le personnage (comme le nom l'indique) n'est personne. Chaque agent se trouve impliqué dans une intrigue qui le justifie et à la démonstration de laquelle il sert. Le roman ne fait pas montre de «psychologie» (les personnages ne possèdent aucune «épaisseur»). Ou: toute psychologie (éventuelle) dérive de la volonté narrative, vaut comme justification du drame, contribue au sens romanesque. Les éléments « psychologiques » sont tout juste destinés à couvrir des conduites exigées par le roman, en en fournissant comme une apparente explication (simpliste du reste). Ces conduites ou le drame qui en procède ne résultent pas de l'état psychologique des agents (il n'en est pas la cause logique, ni la suffisante origine), mais inversement cet état psychologique découle des conduites inventées par le roman, nécessaires au roman, afin d'en procurer la légitimation. Le trait psychologique rend l'action romanesque vraie. H s'agit là d'un faux semblant couvrant le mécanisme textuel. La facticité psychologique illusionne à propos de la facticité du livre, désormais inaperçue. Le personnage ne saurait par conséquent être pris pour le « signifiant » plus ou moins adapté, achevé, complet de la personne, d'une personne échappant au texte, située dans son arrière-fond, que la description romanesque aurait pour mission d'épuiser (c'en serait là sa valeur) : 60 le personnage ne propose nulle version de l'individualité, ou PROPOSITION :

60

C'est encore la thèse, peu recevable du point de vue qui est le nôtre, de M. Zéraffa : Le héros de roman est une personne dans la mesure même où il est le signe d'une certaine vision de la personne (Zéraffa, 1969, 470).

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ne la propose que secondairement. Au contraire : on dira que le personnage est le fond de la personne (paraissant telle dans le livre). Ce qu'il y a de personne dans un personnage n'est guère qu'une croûte (un certain nombre d'assignations psychologiques, des traits, des gestes). Ces qualifications (ces observations) laquent le personnage, le désignent au lecteur sous la forme qu'il doit prendre (c'est-à-dire celle de la personne) afin d'être reçu dans son rôle de personnage romanesque. Il doit donc pouvoir être pris pour ce qu'il n'est pas (se comporter à l'instar d'une personne, porter un nom analogue, etc.) : son rôle textuel est alors garanti. La personnalité (individualité) à lire dans le personnage du roman n'en constitue que l'apparence. Cette apparence de réalité ainsi prêtée au fait du livre dérobe à la perception du lecteur son statut réel. La personne est la fiction, projetée, reçue pour vraie, du personnage. La définition personnalisatrice du personnage peut prendre une certaine ampleur (le portrait est chargé, constamment retouché, les attendus des actes sont nombreux, l'effet marqué des émotions, nuancé, l'habillement rendu dans les détails, etc.). Cependant, le rôle auquel est astreint le personnage en limite complètement la teneur, quand par ailleurs la loi de l'intérêt (la suspension trop durable et trop constante de la narration gâte l'intérêt) en limite le champ. Si le développement « psychologique » devient trop considérable, tend à devenir autonome et cesse d'obéir à la pression romanesque, le roman cesse. NOTE: Le roman ne peut servir à l'investigation psychologique qu'autant qu'il soumet celle-ci à son programme même. C'est dire qu'il ne s'agit dès lors que d'une pure dérision de science. Le savoir proposé se conforme, de toutes façons, à l'objectif romanesque. L'individualisation du personnage - du reste fort primaire - sert de façade à l'exercice de son rôle romanesque. On parlera de pseudo-individualité ou à'individualité-signe permettant le repérage d'un héros-signifié, dont cependant la qualité de fiction se trouve grâce à son intervention obscurée. Tout se passe comme si, remarque Lévi-Strauss, dans notre civilisation, chaque individu avait sa propre personnalité pour totem: elle est le signifiant de son être signifié.51 Le monde du roman n'est pas autre, avec cette différence que l'individu réel en cause ici n'est autre que le personnage du livre. D'autre part, cette individualité de parade n'est repérable que dans un jeu complexe de rapports qui l'instituent telle, ne se compose que par opposition, comme le personnage lui-même. C'est doublement que l'agent du roman doit être compris comme homo fictus : en tant que personnage, en tant que personne. RENVOI: L'auteur n'avoue guère l'art de son livre. La qualité de fiction de son personnage demeure secrète. Tout se passe comme si, à tous les niveaux, le 51

Lévi-Strauss, 1962, 284-285.

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roman consistait d'abord à nier le travail textuel qui est le sien. Son effort est de faire vrai, de valoir comme vrai. Développements sous 3.31-34. RAPPEL: Faire l'aveu du procédé romanesque a toujours outré. Qui le déclare paraît ne pas se conformer à la règle, passe pour malhonnête aux yeux du « bon auteur » qui pourtant pratique de même (l'épaisseur de la couverture de vraisemblance diffère il est vrai). Témoin cette honteuse proclamation de la recette chez l'affairiste des lettres auquel s'en prend - parodiquement je veux bien - Louis Reybaud dans Jérôme Paturot : Vous prenez, môsieur, par exemple, une jeune femme malheureuse et persécutée. Vous lui adjoignez un tyran sanguinaire et brutal, un page sensible et vertueux, un confident sournois et perfide. Quand vous tenez en main tous ces personnages, vous les mêlez ensemble, vivement, en deux, trois, quatre cents feuilletons ; et vous servez chaud. Il faut que vous m'ayez séduit, môsieur, pour que je vous livre ainsi le secret du métier [...] Ajoutez-y quelques horreurs; assaisonnez Vaction de plusieurs chenapans pour relever votre but moral, ouvrez un cours de dialecte pittoresque, et vous jouirez d'un succès européen. Les grands artistes ne procèdent pas autrement,52

L'agent, être de fiction, composé de fiction, est à considérer dans le texte, comme l'un des ses éléments. Il paraît n'être globalement qu'une convention propre à faire celui-ci s'énoncer. Le personnage se prête à la fiction qui s'énonce par son entremise. Il est « illustratif » de l'idée romanesque. Ses différentes qualités ressortent du sens que le roman entend démontrer par leur jeu avec et contre d'autres. Ces entités, toutes verbales, soumises au sens qu'elles sont propres à supporter, toutes démonstratives, résultent de l'intrigue qu'elles contribuent à produire. C'est dire que les éléments dont elles se composent dépendent du texte et qu'elles ne sont pas plus que celui-ci n'en dit. Elles sont précisément bornées à leur effet dans le texte quand l'une à l'autre rapportées ou conjuguées elles s'opposent « extraordinairement » et constituent le drame. Le personnage est donc ce qu'est sa position dans le texte. H se conforme à un programme d'ensemble dirigeant toutes les figures voisines et lui-même de façon à réaliser l'intrigue. Celle-ci repose ainsi au moins sur les éléments de temporalisation, de localisation et de personnalisation amassés au point initial du livre. Tout est joué (et le sens romanesque défini) dès lors que la distribution des rôles dans l'espace et le temps a eu lieu : le récit ne fait que développer le sens inscrit par avance dans les termes qu'il rassemble à son origine. Étant donné un certain nombre de points figurés (personnages) convenablement articulés, le récit ne fait qu'illustrer leur résultante. Dans un premier temps, le problème est posé « au hasard des circonstances » par la conjonction de plusieurs agents. Dans un second temps, M

Reybaud, 1846, 78, 81.

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la démonstration s'opère à partir des effets que celle-ci (sous le nom de « destin », « fatalité ») provoque. Réduits à leur position dans le récit, aux qualités qui entretiennent cette position, aux rapports que celle-ci implique, les personnages ne sont créés qu'en vue de la signification : leurs regards, leurs traits, leurs gestes, leurs paroles, leurs actions sont romanesques et ne jouissent pas d'un statut d'autonomie. Roman signifie composition, combinaison d'agents : le « bon » n'apparaît pas sans son contradicteur, l'héroïne est régulièrement munie d'un mari, d'un père, d'un tuteur qui s'opposent à ses vœux légitimes, le héros rencontre nécessairement qui travaille à sa perte, etc. Ces symétries sont plus ou moins justifiées et motivées dans la narration. Le roman de consommation (« populaire », « bourgeois ») se contente d'authentifications frustes, tandis que l'ouvrage académique (« cultivé ») ou de tendance « réaliste » atténue (ou noie) les oppositions, pour lui signe d'inculture, quoiqu'il ne cesse évidemment de les faire agir. Cette symétrisation de personnages intégralement noirs ou intégralement blancs constitue un ressort romanesque type dont le lecteur ne s'est jamais lassé. Ce qu'il exige, ce n'est guère que la variation et le renouvellement du personnel incarnant les oppositions fondamentales. L'ornamentation ou l'amoindrissement de celles-ci, si minime soit-il, est immédiatement ressenti comme effet d'art. Ce phénomène étant mis à part, tout roman enchaîne les personnages dans un procès de symétrisation (ou de classification) hiérarchique dualiste. : La lecture, malgré l'enrôlement et la bipartition des personnages, peut emprunter d'autres voies, et par exemple celle du déchiffrement « par la clef» du texte, le jeu consistant à reconnaître au travers de l'agent la personne réelle visée (caricaturée). La pratique est courante. Les nombreuses réfutations d'auteur (du genre de celle que publia A. Daudet pour Le Nabab à partir de la 37e édition) ne font que l'attester. OBJECTION 1

RÉFUTATION: Que le roman serve occasionnellement (dans certains milieux cultivés surtout) de charade, ou de prétexte à divers jeux (comme la satire, l'indiscrétion autobiographique, etc.), cela est hors de doute. Il n'en demeure pas moins lisible comme roman et c'est par là que la devinette intéresse. Du reste, la plupart des lecteurs ignorent ces chicanes et jouissent cependant du texte. OBJECTION 2 : Les personnages d'un livre, sans être à proprement parler des imitations de personnes, représentent pourtant des types, donnent une figuration des différents caractères (systématiser est alors rendre visible le trait), proposent une certaine classification des tendances. Ils renseignent l'époque (et la postérité avec) sur elle-même.

Lire le texte en fonction de l'information idéologique patente qu'il ne peut pas ne pas receler reste évidemment possible. De même, tenir

RÉFUTATION:

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compte des « u n i v e r s a u x » impliqués est méthodologiquement indispensable (Développements sous 4.22). Cependant, le texte n'est pas réductible à l'adduction d'une information de ce type: tout trait (idéologique) intégré au roman subit la pression (idéologisante) romanesque. Cela signifie que ce qui constitue l'information proprement romanesque n'est perceptible qu'à un tout autre niveau.

Les personnages du roman s'avèrent bien être parfaitement soumis à l'action romanesque à laquelle ils contribuent. Les personnages ne sont qu'affirmation romanesque « incarnée », n'ont de réalité que fonctionnellement, par rapport au processus narratif, n'occupent que la place que fonctionnellement ils remplissent. Leur « nature » est demandée par le texte, tous leurs traits dérivent de cette exigence : The actors have generally such characters, and so much character, as the action demands.53 Ce qui suppose que le personnage offre tout au long du livre une certaine résistance, une certaine fixité.54 On comparera - comparaison classique - le roman à l'échiquier où la valeur des pièces est définie hiérarchiquement et où elle s'exerce à partir de la position que certaines occupent contre celles - noir contre blanc - de l'autre camp. Chercher au personnage une réalité autre que celle-là que lui prête son rôle dans le jeu romanesque, lui supposer autre chose qu'une fixité (ou qu'une évolution seulement apparente) pour essence, lui découvrir une biographie,55 est à peu près un nonsens. NOTE: La durable vogue d'un physiognomonisme diffus à travers toute la littérature romanesque s'explique aisément. La figure confirme le caractère qui confirme la place qu'occupe le personnage dans la hiérarchie du livre: ainsi le veut le texte. La référence (normalement implicite) à une commode théorie de l'inscription physique des faits moraux (elle procure le déchiffrement rigoureux instantané de l'être d'autrui) n'est là que pour couvrir la réelle origine des traits composant l'agent.

Le personnage du roman se compose des traits textuels propres à le constituer. H possède un certain nombre (réduit) d'attributs, il porte un nom, des habits, il a une physionomie, etc., les uns et les autres se conformant à sa position dans l'intrigue, si bien qu'on peut dire qu'il est tout entier son portrait, son nom, son habit, etc., qu'il constitue l'énoncé complet de ceux-ci (les renvois d'un élément du personnage à 63

Muir, 1967, 20-21. Propos qui n'entend concerner que le « novel of action ». Cf. Muir, 1967, 61. N e concerne cette fois que le « dramatic novel ». 65 Modèle du genre, la « Chronologie de la Chartreuse de Parme » établie par P. Martino : la « vie » de Fabrice y est suivie au plus près comme si elle était libre (Cf. Stendhal, 1954, 517-521).

51

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l'autre, que le lecteur croit à force d'attention découvrir n'étant évidemment qu'un effet de l'arrangement textuel). Ce que sont les personnages (l'ensemble de leurs qualités) justifie, rend crédible et dissimule leur position dans le schéma romanesque. Us sont ce qu'ils doivent être afin que l'événement se produise, ils sont ce qu'il faut pour que le trouble s'ensuive, mais tels aussi pour que cet événement, ce trouble paraisse naturel, admissible, s'assortir à leur être avec vraisemblance. Leurs pensées, leurs actes sont les actes, les pensées du roman - naturalisés, invisibilisés. Comme le notaient déjà Marx et Engels à propos des Mystères de Paris, Bei Eugen Sue müssen die Personen [...] seine eigene schriftstellerische Absicht, welche ihn bestimmt, sie so und nicht anders handeln zu lassen, als IHRE Reflexion, als das bewusste Motiv ihrer Handlung aussprechen.m Le personnage est donc agent de la vérité du conte; la fiction passant par son corps et sa bouche est rendue imperceptible. Composés d'un certain nombre de traits distinctifs, en position hiérarchique dans le texte, les personnages ne sont nécessairement qu'actes et conduites, ils se réduisent à un comportement, à des rapports, à des inclinations, des affinités autosignifiantes. Ils sont ce qu'ils entreprennent, comme ils agissent. L'un s'articulant à l'autre et existant dans cette position de dépendance, chaque geste implique l'ensemble de la figure qu'à eux tous ils forment et se définit par rapport au sens que le roman entend découvrir. Un trajet d'écriture - ils l'occasionnent les traverse, les supporte, les façonne et les rend signifiants. RENVOI: Tout élément du texte, et donc les faits et gestes du personnel, concourant au sens à produire, un roman est dès le début le mot de sa fin. Développements sous 3.11-13. OBJECTION 3 : L'auteur, si c'est un bon auteur et c'en est la marque, ne peut faire autrement que prêter à ses personnages des traits de lui-même (de ses proches). Il en est le « père ». Une certaine uniformisation est à cet égard perceptible dont on peut dans certains cas tenir rigueur à l'auteur. Ainsi Barbey d'Aurevilly reprochant à l'auteur d'Un Mariage dans le monde (55) le stéréotype: Les personnages de son roman et lui ne font qu'un. Ils sont LUI. Il est EUX. Tous Feuilletsl C'est une identité?1 Ce qui est de toutes façons prouver une parenté minimum entre le romancier et ses créatures.

Courir à la source apparente du trait textuel revient évidemment à en ignorer le statut romanesque. Les personnages ont beau se ressembler, leur rôle, même dans un roman de qualité très courante, les distingue nécessairement et soutient la lecture. RÉFUTATION:

68 67

Marx + Engels, 1969, 193. Barbey d'Aurevilly, 1902, 18.

POSITION DE NARRATION

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OBJECTION 4: Il est possible de répartir le personnel romanesque en plusieurs classes d'après le rapport que chaque figure entretient avec la réalité modèle sousjacente, d'après l'impoi tance des « emprunts au réel» qui la constituent. On trouve alors les catégories suivantes: Y individu, qui est «construit d'après un unique modèle », la personnalité, que l'auteur fabrique « avec soin à partir de plusieurs modèles », le type, qui « n'est pas décrit d'après un ou des modèles », mais « leur préexiste [...] préconçu dans la pensée de l'écrivain », Vespèce, qui « n'est pas une invention concertée de l'auteur », mais dont le spécimen « existe dans la société, non pas isolé et original », le portrait allusif, lequel « consiste à livrer, à côté du personnage, le nom d'une personnalité connue, illustre, à laquelle on emprunte des traits sans l'avouer ouvertement. La personne vraie est donnée apparemment à titre de comparaison, de référence; en réalité, c'est un rappel caché qui ne fait que la désigner », le portrait parodique, qui propose « a u contraire, sous un nom fabriqué, celui d'une personnalité, vivante, d'autant plus facile à reconnaître qu'elle est notoire», le portrait de pure notoriété, où «la personnalité est désignée sans être nommée» et enfin le personnage purement imaginaire, qui « ne doit rien, ni dans sa naissance ni dans sa description, à un modèle réel, vivant ou mort, historique ou contemporain », 58 RÉFUTATION: Ici encore le rôle rempli par L'agent dans le texte n'est pas retenu. En fait, un personnage hors sa position dans la fiction ne s'explique pas: son origine est là. Cependant, découvrir cette origine, sous peine de contrevenir à la toute puissante loi de la vraisemblance, ne se fait pas. Avouer, dans le roman, une prétendue ignorance à cet égard est encore moins acceptable: elle discrédite le romancier ou justifie à trop bon compte ses extravagantes créatures. Ainsi, Féré (45) : Explique qui pourra cette faiblesse, nous y renonçons quant à nous, et nous craignons même qu'à moins d'un véritable effort d'imagination, le lecteur n'en trouve pas la raison dans la suite de ce récit. || Il y a comme cela par le monde des mystères que le sage admet, sans se morfondre à les approfondir. Bien entendu, c'est l'âme du seul « méchant » qui fait mystère et le feint aveu n'est là que pour garantir la « bonté » de l'œuvre. Ainsi, considérant le personnage du roman, est-on amené nécessairement à privilégier la notion d'agent (Barthes) ou d'actant (Greimas) et débouche-t-on nécessairement aussi sur une typologie des rôles59 ou actantielle60 du roman, seule capable d'intégrer les « qualités » du personnel à la structure narrative signifiante qu'elles soutiennent.

2.52

Inventaire

de la personne

L'agent étant défini comme partie du texte, les éléments textuels divers qui le composent doivent être envisagés l'un après l'autre mais toujours dans l'axe de la narration, par rapport à l'ensemble qu'ils forment au sein d'un ensemble plus grand. C'est parallèlement, sous l'angle de la facture, qu'il convient de considérer la position hiérarchique de chaque agent par rapport au reste du personnel engagé par la narration. PROCÉDURE:

68 50 60

Borel, 1958, 164-173. Bremond, 1964, 19. Barthes, 1966, 17.

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Les personnages portent un nom, c'est là leur premier caractère. Ce nom les désigne, les rend repérable, les individualise. Le nom est accompagné d'un titre (comte, marquis, etc.) et consiste lui-même en une sorte de titre, que celui-ci fasse défaut ou non. La place du porteur au sein de la hiérarchie sociale est alors définie. Des chiffres précis sur l'état de fortune, des renseignements sur le degré de pauvreté confirment cette situation. Les informations que fournit le romancier sur le physique de l'agent (figure / corpulence / traits / démarche / teint/yeux/cheveux/mains), sur son habillement, son caractère et éventuellement ses opinions consolident l'unité marquée par le nom. Tous ces éléments forment ensemble un faisceau (suffisant) de renseignements se complétant l'un l'autre, un réseau plus ou moins dense (car l'auteur peut les concentrer ou les disséminer sur un plus ou moins grand espace textuel, les multiplier ou les réduire) apte à conduire sans défaillance le lecteur. L'action prédéterminée de la sorte peut alors advenir (même lorsque son amorce précède l'installation du réseau, elle ne peut que le supposer à sa base). Les personnages sont liés entre eux; ils supposent entre eux une relation romanesque. L'histoire est toujours celle-là d'une rencontre : un solitaire est, du point de vue romanesque, inutilisable, tout au plus le romancier peut-il lui faire évoquer quelque vie antérieure aventureuse. Les rencontres multiplient, dérangent, rompent les relations conventionnelles (de type familial, amical, conjugal, etc.). Les personnages vivent dans un certain rapport avec ceux-là qui les entourent, ils obéissent ou commandent, ont à se soumettre ou peuvent imposer leur volonté. La rencontre intervient alors comme perturbation de cet ordre. L'état de départ, le relatif équilibre, dans lequel les personnages se tiennent au début du livre (antérieurement au déclenchement de l'action) est calculé de telle sorte qu'une modification de l'une des relations entraîne ipso facto un déséquilibre général. Les personnages sont annoncés d'entrée dans leur rôle de façon à être appropriés à l'événement qui les menace. Dès l'ouverture, héros et protagonistes se trouvent quant à leur fonction définis : le lecteur reconnaît, à des signes qui ne trompent pas, qui est le « bon », le « méchant », 1'« honnête », 1'« injuste », etc. La physionomie, le regard, le geste parlent, signifient, et c'est là leur raison d'être. Avec cette distribution générale des rôles, à coup d'épithètes bien placées, l'engagement du lecteur devient un fait : il trouve les actes des personnages parfaitement conformes à leur « nature », comme découlant de leur « nature », sans pouvoir désormais être conscient de la fiction constitutrice. Cela signifie

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qu'il reconnaît cette fiction comme le Code même et qu'il s'identifie forcément à celle-ci. Les personnages sont classés d'entrée en deux classes opposites. La disposition hiérarchique permet de les répartir en deux camps adverses. L'intérêt est alors créé, le lecteur se passionne. Chacun des personnages trouve en face de lui l'adversaire, qui s'interpose et contrecarre. Est appelé « méchant » celui-là qui, ce faisant, ne se trouve pas dans son bon droit. Est appelé « bon » celui-là qui, au contraire, a raison dans sa lutte, et n'use que de moyens réputés légitimes, alors que pour son ennemi ils sont tous « bons ». « Bon »/« méchant », c'est là affaire de définition textuelle. La qualité négative/positive d'un agent dépend de la position hiérarchique qu'occupe le personnage dans le système relationnel (l'ensemble articulé des agents de la narration). Cette position est valorisée par le roman. (Développements sous 2.55). Sa qualité dépend encore des traits qui le composent et qui renvoient aux conventions du Code. Chaque personnage ainsi marqué provoque sympathie ou antipathie. L'intérêt passe par ce filtre et le sens est reconnu à partir de la perspective qu'il implique pour le lecteur. Le lecteur entend le récit du côté de l'agent signifié sympathique. (Cet agent incarne le Code; ses aventures sont les aventures du Code, que nous appréhendons). (Développements sous 2.53). Deux séries d'agents ennemis se mesurent. Le récit opère dès l'abord le tri en fournissant au lecteur les signes de reconnaissance désirables : la bonté du bon est inscrite d'une façon ou d'une autre sur sa figure, la méchanceté du méchant se déduit de l'un ou l'autre de ses actes. Dans le roman policier, le signe de la méchanceté est « noyé »; il n'en est pas moins présent, l'auteur ne faisant que suspendre sa reconnaissance jusqu'à la fin du livre. Ces qualités signifiantes et contrastées donnent à lire l'événement romanesque précisément dans le sens nécessaire. L'appréhension du lecteur est dirigée, son refus provoqué. Étant donné que le récit suppose un malheur et que celui-ci n'est qu'une réalisation du texte, sa cause se trouve non seulement localisée, mais authentifiée, sous la forme d'un père non consentant, d'un amoureux éconduit qui se venge, d'un héritier impatient, etc. La répartition du personnel romanesque en deux camps résulte par conséquent d'une obligation narrative : il faut que la cause du malheur (l'extraordinaire fondateur) puisse être externe (située dans le méchant) pour offrir matière à la solution romanesque. En effet, son extériorité seule suppose que le mal présent pourra être combattu et vaincu. La

NOTE:

122

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présence du méchant est le gage de la victoire du bon. Représenter son triomphe nécessite une activité contradictoire, incarnée donc réductible. NOTE : Cet illusionnement est général dans le roman : le héros « bon mais

faible » qui se laisse entraîner à mal faire (fréquemment utilisé) est soumis, en dépit des apparences, à la même règle : une mauvaise influence extérieure le fait devenir ce qu'il cessera finalement d'être; cette source extérieure de son mal sera exterminée. Quant au héros, plus moderne, inextricablement bon et méchant, il ne se rencontre que pour subir un destin mérité (« la condition humaine », « l'absurde », etc.) : lui-même, comme cause de sa propre négativité, est condamné.

La différenciation des agents conditionne ainsi la lecture. Il faut savoir qui est qui, son camp, pour trouver de quoi lire. PARALLÈLE: La division qui répartit les traits du roman en deux séries tranchées, inconciliables, adverses fonctionne à certains égards comme celle-là que réalise le système totémique afin de réussir à qualifier (sans exception) comme des multiples de l'espèce chaque membre de la collectivité: On assiste, par conséquent, à deux détotalisations parallèles : de l'espèce en parties du corps et en attitudes, et du segment social en individus et en rôles (Lévi-Strauss), En vérité, la théorie indigène est que tout ce qui existe appartient à Vun ou Vautre côté (Kroeber). 61 La division binaire soutient le processus de nomination, c'està-dire l'enrôlement des individus dans la hiérarchie sociale. C'est à partir d'une telle division que le roman assigne sa place à l'agent et par là signifie la fiction (compose et recompose l'ordre défait du Code).

Séparer/différencier/ munir de signes contraires procure l'intérêt; la dispute engage qui regarde; qui regarde participe à son issue, c'est-à-dire comprend et à la fois accepte le sens que celle-ci illustre. Diviser ouvre impérativement à la signification du texte. Deux rôles (ou séries de rôles) suffisent à l'élaboration de l'intérêt : il peut se passer que, il peut arriver à, il est possible de comprendre l'extraordinaire comme une histoire vraie. Puisque l'événement romanesque suppose la mise en place d'adversaires, ceux-ci, avec leurs qualités distinctives, doivent pouvoir être perçus immédiatement dans leurs rôles respectifs (la suspension de cette perception ne saurait se prolonger). Par suite, aucun des agents en présence n'échappe à l'enrôlement : il est soit ami soit ennemi, comparse ou complice. Le romancier met son lecteur au courant de la qualité des personnages dès le début du livre, alors que cette qualité peut n'être pas divulguée au niveau de la fable, certains des agents pouvant l'ignorer. Le savoir du lecteur est, à cet égard, un savoir complet. La division "

Lévi-Strauss, 1962, 231, 232.

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binaire absolutise ce savoir. Elle permet d'installer le lecteur dans un univers sans lacune. NOTE: Cette création de deux grands rôles fondateurs de l'intérêt et du sens est le fait sinon du roman, du moins du récit (je dirais: du romanesque du récit). Plutôt que de renvoyer, en guise d'explication, à une éventuelle illusion générale « naturelle » de l'esprit humain, on évoquera la nécessité textuelle qui la renferme, seule apte à en faire saisir l'utilité (idéologique). [Cf. Vol. compl.,

TABLEAU 7 ]

Le récit s'organise comme un étagement d'éléments composés en vue d'une constante et systématique affirmation. Le discours s'y trouve à tout moment indice ou signe, réaffirmation, confirmation - ajout. Les traits rassemblés se renforcent mutuellement; chacun d'eux constitue la motivation de son voisin et exige lui-même ratification. Tout signe renvoie au faisceau complet, s'y intègre, le comprend, le fait comprendre. Une totalité informationnelle converge en chacun de ses éléments, de telle sorte qu'à tout moment du texte c'est son avenir qui à la fois fait défaut et est exigible tout en étant programmé. Tout élément du roman s'y trouve inscrit pour signifier le suivant (une série d'autres, dont les précédents), c'est-à-dire pour signifier le roman s'élaborant. Les marques du texte sont celles-là du romanesque : toutes elles désignent un objet fixé dans la perspective de la narration, à son extrémité supposée et désirée, que la lecture permet d'atteindre. Tout élément signifie la narration. Le temps, le lieu, la personne la comportent. Le drame résulte de chacun des traits composant le portrait, la description. En un mot, tout ce qui dans le livre censément représente réfère en fait à l'au-delà textuel du texte : à sa suite, à sa fin. Ce qui est inscrit parle dans le prolongement, situe qui lit dans la perspective de ce prolongement. Les personnages, au sein de cette organisation, jouissent d'un statut privilégié. Ils ne sont pas simplement éléments parmi les éléments, mais permettent l'élaboration du sens. En effet, le simple cumul des traits signifiants, leur addition pure, linéaire, quantitative ne rend pas compte encore de l'édification du récit. L'utilisation d'agents, par contre, permet de glisser des différences signifiantes dans le texte, à partir desquelles seulement la narration pourra fonctionner. Le roman vit des contrastes (des dénivellations, des déséquilibres) ménagés grâce à l'intervention des agents. Le récit a toujours lieu à propos de l'agent, celui-ci fournit de quoi conter en ce qu'il permet d'entamer le processus d'articulation de la signification. Les personnages ne sont pas les mêmes, mais sont mutuellement

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adverses : l'indice hiérarchique, l'indice de classe, l'indice de qualité les distinguent et les font s'opposer. De plus, l'opposition et la contradiction peuvent être portées au sein de l'agent : les différents indices qui le marquent peuvent ne pas concorder et donc multiplier l'articulation. H y a désaccord, d'une part, entre les divers agents - le texte a donc soin de constituer au moins un couple - , d'autre part, entre les divers traits distinctifs de chaque agent - le texte a donc soin de le composer comme diversité. Ce fond différentiel permet l'énoncé. A partir de la multiplication de la non-conformité (entre agents, d'un trait à l'autre d'un agent) le récit trouve à se produire. Le personnage, comme multiplication « externe » et « interne » de la contradiction, intéresse : sa non-conformité compositionnelle est cela qui, extraordinaire, demande d'être comblé. Le récit a alors lieu dans l'intention de pallier au manque ainsi créé. La différence insupportable, fait du texte, exige d'être résorbée par le texte. Le personnage introduit un monde hiérarchique (vraisemblable) à rendre conforme : sa position doit correspondre à sa qualité (effaçant ainsi la différence). La hiérarchie introduit le contact, la hiérarchie introduit la contradiction : Bons ou mauvais, et du meilleur au pire, ses personnages - il s'agit du romancier de convention - s'échelonnent et, suivant qu'ils sont plus près de l'enfer ou du ciel, ils regardent de bas en haut ou de haut en bas, mais c'est toujours la même hiérarchie. || Dès lors que de prise ils s'offrent les uns aux autres ! Ils se cognent, se chatouillent, s'embrassent ou se meurtrissent tout le long du livre et tout le large de leur surface, et ne connaissent point de plan fuyant par où échapper au contact.62 Car ce « contact » fonde la non-conformité, opprime. Soumis à la hiérarchisation, le personnage n'est donc qu'un rôle du système (en déséquilibre, actuellement contredit) propre à introduire la différence et simultanément l'exigence de sa cessation. Il en découle que, du point de vue de la composition, aucun « portrait » ne peut passer pour une image achevée et que tout « portrait » réalisé dans le texte est complet, aucun élément n'y fait jamais défaut qui pourrait le rendre plus « parlant ». Il n'est dit d'un personnage que ce qui peut servir à l'énoncé de l'aventure, toute description adventice étant superflue, tout « ornement » valant en fait comme réitération de l'indice. A cet égard, doter d'un nom, d'un état civil, etc. l'agent, c'est dissimuler sa composition textuelle et permettre la vraisemblabilisation. Le 82

Gide, 1921, 107.

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personnage, qui n'est que ce que la fiction demande qu'il soit, compose en retour la vérité de la fiction. La personne définit le rôle qui définit la conduite qui définit le sens, telle est l'apparence, alors qu'inversement le sens à démontrer fait disposer des rôles à l'intérieur d'une hiérarchie et n'établit des personnes qu'afin qu'elles les remplissent, l'authenticité qui en résulte dérobant le procédé. 2.53

Système de la sympathie

PROCÉDURE: Chacun des traits de composition de l'agent exigerait d'être examiné à part et à fond. Pourtant, une fois le principe d'organisation d e l'individualité textuelle acquis, il suffit d'en vérifier l'application dans le détail à certains points cruciaux : constitution de la sympathie, qualité du n o m propre (2.54), inscription de l'agent dans le système hiérarchique (2.55). L'analyse de chacun des c o m p o s a n t s (geste/voix/visage/vêtement/marque d'émotivité, etc.) serait nécessaire; 6 3 mais, chacun d'eux constituant l'ensemble et étant compris par s o n voisin, un e x a m e n particulier suffit à faire saisir l'entier du système à l'œuvre. Le personnage dirige le lecteur dans sa lecture. O n demande, e n premier lieu, comment.

Le personnage est le signe d'un parti. La qualité (absolue) qu'il comporte comprend l'adhésion (ou la répulsion) du lecteur. Le récit, semé de marques, impose au lecteur le point de vue nécessaire à la démonstration. Ce point de vue requis qu'il considère comme sien, l'agent le motive. Les traits qui le font trouver « sympathique » (« bon ») inscrivent le secteur dans son rôle, l'impliquent lui-même dans le texte. Ce qui est à ses yeux « sympathique », c'est cette implication même. Le mot désigne le contentement pris au texte en vertu de l'accord qu'il garantit. Le récit inclut la participation du lecteur : il lui est notifié qui « aimer », qui « haïr ». De là seulement le roman s'entend. Les traits constitutifs des agents les classent et les désignent à notre accord (désaccord) : Les types positifs et négatifs sont un élément nécessaire à la construction de la fable. Attirer les sympathies du lecteur pour certains d'entre eux et sa répulsion pour certains autres entraîne immanquablement sa participation émotionnelle aux événements exposés et son intérêt pour le sort des héros.64 Seulement, il ne s'agit pas là de simplement fixer le lecteur au texte, d'y braquer son seule attention : désigner à la sympathie assigne au lecteur la place à partir de laquelle le texte PROPOSITION :

63

Quelques travaux embryonnaires : Mitterand, 1968; Kempf, 1968. Et surtout, portant sur l'aire contiguë des pratiques de l'expressivité : Ostwald, 1964; Greimas, 1970, 49-91; Kristeva, 1969a, 90-112. 64 Tomachevski, 1965, 295.

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devient perceptible, c'est le situer, ce lecteur, au point (du Code) par rapport auquel la narration opère, c'est l'attacher là, à son optique, à une perspective obligée. La lecture du roman suppose en effet la fixation de l'optique dans laquelle il se comprend. Se tromper de perspective en lisant, prendre le bon pour le méchant ou inversement (quand le récit ne le prévoit pas) est impossible, la narration n'aurait aucun sens, l'intérêt manquerait. La faute technique (éventuelle) du romancier serait telle que même le plus médiocre ouvrage sait l'éviter. NOTE:

De plus, la production de l'effet de sympathie repose sur l'implication évidente du Code par le texte. Les lois n'en sauraient être par conséquent arbitraires ou trouver leur origine « naturellement » dans l'humain. Le lecteur est dirigé, mais l'attrait qu'il subit et qui sert à sa direction doit répondre aux conditions fixées dans le Code : dans le roman n'est pas « aimable » qui veut et comme il veut, mais seulement celui-là que le lecteur éprouve, d'où il se tient, c'est-à-dire de l'intérieur du Code, comme conformité, que le porteur des signes convenus de 1'« amabilité ». Ce qu'il perçoit comme son « goût » n'est donc que l'expression de l'archétype idéologique illustré dans le roman. Si bien que ce qui est classé comme « sympathie s> n'est au fond que l'effet de renvoi du roman au Code qui le comprend. C'est le nom donné à l'accord éprouvé avec la qualité de l'agent, en tant que celle-ci coïncide avec les conditions d'« amabilité » prévues dans le Code. C'est le modèle qui est aimé dans le personnage. La différenciation du personnel va ainsi de pair avec la participation du lecteur et suppose son adhésion entière aux catégories et concepts proposés. A travers l'agent la sympathie concerne le Code et implique son consentement. A travers le texte le roman oblige à son acquiescement : c'est ainsi qu'il se lit. La sympathie ressentie à l'endroit d'un personnage est donc « fausse » : elle ne se déclare ni objectivement ni naturellement et ne concerne pas en fait son prétendu objet; elle ne trouve sa cause que dans l'accord repéré entre les qualités désignées de l'agent et celles que le lecteur reconnaît (approuve/désapprouve). La perception de la convention (idéale) dans l'agent le fait prendre lui-même pour sympathique/ antipathique. Les attributs qu'il possède visent cette fin. Le personnage est « aimable » ; ses traits le définissent tel et le peuvent en raison de la charge idéologique qu'ils comportent. L'« amabilité » du personnage résulte donc de sa teneur idéologique et la « sympathie T> n'est qu'un nom-masque servant à désigner sa perception, mais

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127

en en déplaçant fictivement l'origine. Le mouvement d'idéologisation du texte est ainsi méconnu de l'usager. L'agent du roman revêt la personnalité qu'il faut qu'il ait par rapport au Code. Les traits dont il fait montre signifient, au-delà de son amabilité propre, celle-là de l'archétype. Les signes, en parlant de la valeur de la personne fictive, déclarent en retour la valeur réelle de ce qu'ils supposent à leur origine. De telle sorte que « sympathiser » (ou non, car aucun personnage ne saurait demeurer sans valeur et échapper à la distribution binaire) crée l'engagement du lecteur dans le texte. « Positiver » (« négativer »), c'est lui faire admettre la convenance - quelle qu'elle soit - du personnage à son rôle, lui faire accepter la correspondance (légitime) de son état et de ses qualités, lui faire reconnaître qu'il mérite la positivité du Code (il a droit à la « sympathie ») ou qu'il est digne de sa négativité (il a droit à l'«antipathie »). Cependant, le lecteur, qui se base pour lire sur un acquis et sur une toujours longue expérience du roman, sait (éprouve), au moment même où il entame le déchiffrement, que « sympathiser » (rendre digne du bonheur par la bonté) signifie promettre au malheur (la menace plane sur le bon qui lui est désigné, le méchant réussit dans ses méfaits). Désigner l'agent dans son rôle revient à mettre en route le processus narratif. « Sympathiser », ou refuser les signes de la sympathie, fait suspense et lance la narration. Poser l'agent conforme à la positivité du Code et celui-là qui ne lui correspond pas, écrire une différence et la justifier en recourant à des fantômes d'individualités, c'est trouver de quoi réciter. Dans l'espace compris entre le bon méritant et son adversaire, l'événement peut être produit et en cette occurrence seulement. Le « bonheur » (le retour à la conformité) est proclamé dans la positivité de l'agent dans le même temps où le « malheur » (l'obstacle à la conformité) s'indique : la dualité des rôles fonde donc bien le texte. PROCÉDURE :

Cela dit, il est possible de reconstuire les moyens d'acquiescement au Code à travers l'agent et de repérer les traits compositionnels faisant entendre sa qualité (disons sympathique). Malgré la soi-disant impassibilité (éventuelle) de l'auteur, le marquage des rôles se laisse facilement détecter. [Cf. Vol. compl., TABLEAU 8 ] Distribuer les rôles de l'action romanesque - celui-là du lecteur indu - repose sur la sympathisation (ou non) des agents. Cet engagement du lecteur, cet angle ménagé par le biais duquel il pénètre dans le texte (ou plutôt : par où le texte pénètre en lui) est un effet de composition;

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sa lecture est donc effet de composition; et s'il est prouvé que le lecteur ne se distingue pas de sa lecture, lui-même (sa compréhension, son intellect) est alors effet de composition. Sympathiser en tout cas inclut le lecteur dans la finalité du texte. Et bien plus, compte-tenu des conditions fondamentales que la sympathisation suppose, à côté donc du simple phénomène de reconnaissance (de l'archétype) et à travers celle-ci, c'est un accroissement de l'identification du lecteur aux leçons du Code qui se produit. Sympathiser n'a pas pour effet de les faire simplement repérer ou répéter, mais multiplie la conviction à leur égard. Faire éprouver une nouvelle fois la croyance la renforce. Faire participer à l'une de ses infinies représentations en augmente la « vérité ». Entraîner par le biais de la qualification dualiste à voir le drame comme il est là où il est, entraîne à l'archétype, l'exerce. Sympathiser (ou non) les agents joue dans le texte sur la voie menant de l'archétype idéologique au lecteur le rôle d'un filtre : les informations, bien qu'identiques, à l'entrée et à la sortie, n'y possèdent pas le même statut. Sur la scène romanesque, en effet, elles paraissent (entre autres) sous le voile que forment les qualités pseudo-individualisantes de l'agent. Sous l'aspect de la « personne », le Code n'est plus perçu et cependant - avec innocence - s'éprouve. Dualiser signifie alors, malgré l'apparente alternative proposée et à cause d'elle, faire choisir au lecteur la seule voie qu'il puisse choisir tout en lui procurant l'impression de liberté. Que ce diktat soit malaisément repérable explique dans le roman sa force et son impunité. La question de l'objectivité (ou impassibilité) de l'auteur est par suite, du point de vue compositionnel, non pertinente. L'état du Code servant absolument de référence au texte, il constitue la seule « objectivité » à laquelle puisse prétendre le roman. NOTE:

2.54

Système du nom

propre

Le roman (son effet) suppose la constitution d'un événement; l'événement romanesque suppose la réalisation d'individualités textuelles et la distribution binaire, en deux séries opposites, de leurs rôles; le personnage suppose la réunion d'un certain nombre de composants qui le conforment à son rôle et le désigne comme conformité au lecteur. Le nom que porte l'agent rentre à ce titre parmi les éléments constitutifs de la situation narrationnelle de base. Le nom propre possède ainsi dans le texte le même statut que chacun des éléments narratifs, relève de l'articulation globale qui les distribue. Cependant, à côté de cette valeur fondamentale, le nom propre, parmi les signes de l'agent, remplit une fonction particulière: il est la marque de son unité et retient en lui PROCÉDURE:

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l'ensemble des qualités dont celui-ci a été chargé. C'est dans ce cadre, avec cette double fonction, qu'il doit donc être saisi. Le nom de personne (dans le système linguistique, dans le roman), bien qu' ) »

figure le sens de la relation positive (conformité) figure le sens de la relation négative (contrariété) figure l'existence d'une relation stable de compatibilité (consanguinité, conjugalité, amitié) .. . ||... figure la relation contractuelle (n'impliquant nécessairement ni compatibilité ni incompatibilité des partenaires) ^ figure le sens de l'exercice de la suprématie (de la pesée hiérarchique (y compris sous la forme de l'acte criminel)) => figure le sens du dépistage (visée de D) NOTE 1 : La contradiction qualité/pouvoir de l'agent peut prendre au sein du système différentes formes, par exemple, la relation de compatibilité * se double d'une pesée hiérarchique ^ ou d'une contrariété -->- (-«•-•>), le contrat ne se trouve pas reconnu par l'une des parties. D e plus, avec l'introduction de nouveaux agents, la qualité des relations peut changer, par là le système relationnel s'expliciter comme déséquilibre (il est donc lisible en deux (ou plusieurs) temps : comme virtualité du déséquilibre, comme vérification de l'instabilité). Enfin, l'état réel des qualités et des relations entre certains agents peut être (par ceux-ci, voire par le lecteur) ignoré; l'instabilité du système, observable, mais non expliquée, se « révèle » au cours du développement narratif (elle en est la raison d'être). En outre, l'exercice d'une suprématie (dans le système relationnel de base) va de pair avec la négativité (ou la non-positivité) de l'agent. NOTE 2 : Tout personnage du roman peut être propre à incarner plusieurs rôles (du moins certains), simultanément ou successivement: A + / N , 1/ D,A—/ P, etc. Tout rôle peut se dédoubler et se répartir entre plusieurs personnages : H', H", O', O", M', M", A', A", etc. Ces doublures représentent normalement

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une diminution de la qualité de l'agent (celui-ci étant normalement secondaire (AS)). NOTE 3 : Tout rôle est théoriquement susceptible de se trouver au négatif ou au positif (même concurremment). On trouve ainsi 0 + , O —, H + , H—, P + , P—, etc. Cependant, O—, H— sont normalement (ou alors de façon toute temporaire) symbolisés par M quand l'agent est principal, par A— quand l'agent est secondaire. Exception: N (le narrateur) est toujours, pour des raisons faciles à comprendre, positivé. De même, l'âge et le sexe conviennent à tous les rôles (quoique H et O soient souvent des mineurs). Ce qui signifie nullement que ces divers traits se trouvent arbitrairement distribués; bien au contraire, la configuration d'ensemble du système les assigne avec exactitude au porteur. NOTE 4: Tout rôle, au sein du système relationnel, se trouve couplé, figure à côté d'un répondant ou d'un adverse; l'agent paraît nécessairement dans les oppositions H vs O, H, O vs M, H, O vs P,A+ vs A —, etc. (Le narrateur N ici encore échappe à la règle). MODÈLE DU DÉSÉQUILIBRE RELATIONNEL (a) état premier (latent) du système

(•>)

état second du système (intervention de l'événement)

> (N) (P, M, I)

(A+,D) [Cf. Vol. compl., TABLEAU 10]

I. La qualification de l'agent représente un certain taux d'« héroïté ». L'agent est héros à un plus ou moins grand degré; dans sa secondarité même il se manifeste comme plus ou moins identique à l'idée de sa définition (à son rôle). Un agent dans le roman est idéal ou se mesure à partir de l'idéalité. Un agent est appelé idéal lorsque sa qualification se confond avec la définition du rôle, dont il n'est que l'individualisation (actualisation). L'agent garantit, du fait de son absolutisation (relative), la vérité complète du rôle. Un héros « parfait », c'est-à-dire héroïque, correspondant idéalement à son rôle, le remplissant absolument (chacun de ses traits déclare à la plus haute puissance possible sa conformité avec la place qui lui échoit dans le système), est translucide; ce qu'il permet d'appréhender à travers

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son « caractère » et sa « figure » n'est que le code de référence parfaitement lisible; sous l'incarnation, le réseau des rôles et leur valeur archétypale deviennent alors clairs (cas des romans de consommation). Un héros « non-parfait », c'est-à-dire dont les traits ne sont pas conformes au rôle qu'il assume dans le système (H s'appelle Onésime Boquillon et habite le village de Purgerot (84)) ou sont « exagérés » (redondants) (M possède un œil jaune de communard (37)), prête à rire. La dérision n'atteint cependant pas le code (quoiqu'elle le feigne), mais au contraire anéantit toute espèce imaginable de déviation. La difformité d'un trait unique par rapport au programme du rôle reste à cet égard impuissante; la non-idéalisation complète de l'agent produit seule la dérision; dans le cas d'un certain disparate de la définition de l'agent (sur un point non idéal, faisant preuve de « faiblesse ), ce manque même engage à la révélation finale de son idéalité (ou à son acquisition). Un héros imparfait demeure parfait quand le rôle qu'il assume l'exige (de façon donc à répondre à sa définition). De telle sorte que le rôle force l'agent à s'y réduire, à le représenter tel. Ainsi, les héros du roman réaliste/naturaliste représentent-ils la perfection du rôle dans l'imperfection apparente de l'individualisation : l'acrobate ((7)), la fille ((38), (J. K. Huysmans, Marthe, histoire d'une fille (125)), la brocheuse ((17)), la marchande de marée et la charcutière ((79)), le proscrit par erreur ((79)) sont tous par rapport aux nobles et grands bourgeois courants dans les autres catégories du roman, des anti-héros; leur non-idéalité est du reste systématiquement chargée : ils sont passifs, paresseux, ivrognes, impudiques, sales, excessivement gros ou maigres, pas loin d'être imbéciles, etc., « bêtes humaines » plutôt qu'hommes. Cette contradiction de la norme romanesque en usage se lit comme renchérissement du drame, amélioration du roman. II. L'intérêt textuel dépend (pour une part) de la constitution du système relationnel et de la distribution qui est faite de ses unités dans le cours du récit. (a) (b) des schémas représentent deux phases successives du stade initial actuel des relations (comme elles se présentent à l'ouverture du roman). A ce point (comme à tout point du texte d'ailleurs), les relations ne sont pas toutes nécessairement révélées (ou actives) : un père existant peut n'être qu'évoqué, ne remplir qu'un rôle d'exécutant ou d'auxiliaire ou demeurer absolument inconnu du lecteur. Cette technique de rétention massive de l'information est utilisée dans tous les romans à prologue où les tenants et aboutissants des relations sont

POSITION DE NARRATION

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réservés. La dissimulation de certains pans du système doit être regardée comme moyen de production de l'intérêt : l'acte non relié, injustifiable et qui pourtant est, paraît aberrant, paradoxal - et attache. Produire l'intérêt consiste donc ici (1) à réaliser les conditions d'une instabilité relationnelle multiple, (2) à bouger les relations (intrusion de l'extraordinaire), (3) à céler certaines motivations des relations (des actions), (4) à révéler progressivement l'état réel des relations, (5) à proposer cette révélation dans un ordre a-logique (perturbé) - cette technique dans son ensemble reposant sur le fait que le système relationnel de base représente un état du code (augmenté de son démenti). P + H + O o u M + H + O figure la relation d'origine à partir de laquelle la narration se développe. Mais, plus le système comprend de rôles (et de dédoublements de rôles), plus les contradictions bilatérales prolifèrent, plus grand est l'effet dramatique (cas du roman « populaire » : le champ relationnel y est dit large). Cependant, un oxymoron à quelques personnages (cas du roman de consommation bourgeoise : le champ relationnel y est dit étroit (ne dépasse guère le cercle de la famille)) produit une dramatisation tout aussi intense. On en conclut que l'intérêt naît de la manipulation que la narration fait subir à l'information dès lors que celle-ci répond aux exigences archétypales. III. L'état du système relationnel et de sa couverture par les qualifications d'agents échappe à l'intention de l'auteur. L'intention d'inscrire une morale dans le texte, de le faire correspondre à un programme n'entame pas les moyens d'écriture que l'auteur trouve à sa disposition (il croit les imaginer) : le roman est prédéterminé, c'est une forme pleine que le romancier n'a plus qu'à formuler. Les multiples systèmes relationnels fonctionnent sur des principes identiques; l'auteur a la liberté de représenter les règles archétypales pourvu que la représentation qu'il en donne permette, à un stade donné de l'évolution du genre, de les repérer. Cette constante innovation (pseudo-différence) dans l'illustration de l'identité (les romans déjà écrits et lus) fait l'intérêt du présent livre. D'une façon générale, le choix idéologique particulier de l'auteur est subordonné à la portée idéologique de la structure romanesque utilisée et se soumet à l'intention implicite (rentrée) du genre (en tant que système textuel) et de la catégorie (en tant qu'illustration ou adaptation du genre). Les déclarations quelconques de l'auteur s'intègrent dans le plan idéologique du livre et ne le dérangent pas. L'intention dominante du système relationnel de base s'appelle code

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(ou complexe idéologique imprégnant le lecteur). Le roman figure cette impérieuse intention sous l'apparence d'une parole personnelle, neutre ou militante, et se fait écouter à travers ce redoublement de voix.

2.6

AUTORITÉ DE LA NARRATION

2.61

Le Narrateur du texte

La situation narrative de base comprend, à côté des unités textuelles déjà examinées (le temps, le lieu, la personne), le narrateur. Ce qui se conte a besoin, pour être narré, qu'un organe (figuré ou non) le parle. PROPOSITION :

PROCÉDURE: Le roman, sujet de son dire, est constitué par l'ensemble des moyens textuels mis en œuvre afin de le réaliser. Aucun roman ni élément du roman n'échappe par conséquent au romanesque. Tous les faits textuels dissociés dans les différentes analyses convergent et concourent à la production de l'effet romanesque d'ensemble. A ce titre, bien qu'il ne puisse être question de recenser toutes les données formant la situation narrative de base, voire d'épuiser la description de celles-là qui ont été retenues, aucun des éléments que compte le texte ne doit passer pour superflu ou même secondaire. PROPOSITION : La narration a pour but la maîtrise du lecteur. Elle s'en fait le guide, se constitue comme dirigisme intégral. L a personnalité souvent évoquée du lecteur, cette altérité que le texte suppose comme partenaire dans son « dialogue », n'est qu'une feinte du roman. L a liberté (éventuelle) du lecteur consiste au plus à prendre ou ne pas prendre le volume proposé; sitôt dans ses mains pourtant le livre lui dérobe totalement sa liberté. Tout début de roman consiste a resserrer le lecteur dans un point de vue à partir duquel le texte s'aperçoit comme finalité, le récit comme canalisation vers l'implacable dénouement. Le roman en tant que narration réussit la maîtrise de la lecture. Dans cet univers de signes, aucun élément n'échappe au faisceau narratif (pas de perte dans le récit), si bien que le lecteur se trouve pris sans relâche dans un système fonctionnant sans faille, balisant exactement sa route, désignant complètement la ligne (le sens) à suivre.

Le lecteur a ainsi l'entendement (du livre) filtré par le récit. Narrer signifie en tout premier lieu fixer l'écoute, déterminer l'endroit d'où le livre est lisible. C'est à quoi tendent aussi les éléments dits positionnels. Le roman produit dès son ouverture et comme son nécessaire prélimi-

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naire la position de lecture; il n'existe que dans la mesure où il réussit à poser la perspective fixe à partir de laquelle il devient assumable - que si donc il parvient à créer la foi en lui-même. Le lecteur se trouve ainsi supposé, dès l'amorce du livre, comme le site idéal permettant de reconnaître et d'envisager l'événement narratif comme tel. Dès lors que le récit surprend, il rive le lecteur au texte à mesure des informations (et plus celles-ci créent entre elles une attirante lacune) : From point to point we follow the writer, always looking back to the subject itself in order to understand the logic of the course he pursues.92 La curiosité éveillée se maintenant, le texte créant à mesure de quoi répondre à l'attente qu'il provoque et relance, la lecture s'effectue selon un parcours complètement déterminé, sans écarts. Der Anfang ist einwillkürlicher Schritt in den unwillkürlichen Gedanken;93 il en va du roman ici comme de tout texte : pris dans le réseau informatif et conduit au gré de ses séquences, qui lit (véritablement) n'en sort pas qu'il n'ait reçu complètement le message. La condition étant que le texte soit techniquement sans défaut. A plus forte raison alors, si ce début lui-même, comme c'est le cas du roman, répète mille autres semblables (quoique non indentiques) inaugurations : sous les espèces du « hasard » et de la « rencontre », sous toutes les formes de l'accidentel, il n'est qu'un arbitraire feint, complète domination de son usager. Le texte ainsi s'entend comme mise en place de la lecture, élaboration de sa position, autoritarisme. Ses éléments constituent à eux tous la plate-forme permettant de le concevoir comme objet de connaissance, de croire en la déclaration de son unité et en la vérité de sa visée. Le texte fonctionne comme masse informative; on voit l'auteur multiplier, réitérer les signaux, les rappels, les explications au cours du récit. Exemple : Nous rappelons aux lecteurs que la mère de madame de Montcalmier, mariée en secondes noces, avait eu, de son second mari, Georges et Fanny; ces deux enfants n'étaient donc pas parents à'Elisa, la consanguinité de celle-ci avec Louise ne venant que du côté paternel (L. Noir, Le Corsaire Noir (126)). (Ces chevilles prennent dans les catégories plus cultivées du roman des formes bien plus discrètes). Le lecteur est donc gardé, guidé, les informations qu'il doit recevoir assurées - cela, afin de provoquer l'ignorance romanesque là où il faut. Autrement dit, ce point par où passe le sens et d'où celui-ci se perçoit, appelé « lecteur », est nécessité même du texte. Le texte ne peut M M

Lubbock, 1966, 23. Bense, 1964. 38.

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fonctionner que s'il prévoit un poste d'intellection par rapport auquel seul il se rend visible. A ce point se fixe la somme des éléments du livre, se décompte l'information globale qu'il produit. La constitution de ce poste d'observation (ou d'accumulation) du sens dépend étroitement de la vraisemblance du texte. Seul un texte crédible est susceptible de s'adjoindre un lecteur tel qu'il passe à ses yeux pour ce qu'il entend être (conforme). Ou : la lecture ne peut être prévue dans le texte que si celui-ci se donne comme vraisemblance, que s'il réussit à fournir les moyens propres à sa reconnaissance. D'où, fondamentalement, cet effort général du livre à s'offrir vraisemblabilisé. A côté de son mimétisme (cf. Développements sous 3.31-34), le roman, plus primairement encore, se réalise comme énoncé. Afin d'être cru, il s'offre à la lecture avec toutes les garanties de l'affirmation parlée, de Voralité. C'est ainsi que l'information qu'il contient se trouve distribuée dans une large mesure en dialogues et que lui-même se désigne comme communication orale de l'auteur au lecteur. L'écriture se présente ici sous l'apparence d'une parole, comme profération d'une bouche. Parlé, empruntant la forme de l'énonciation vocale, le discours paraît vrai. Ce qui se pose comme prononcé d'affirmations (que soutiennent et le mimétisme du texte et les déclarations explicites de son auteur) est pris pour vérace. Le récit se donne pour émanant d'une voix; il en retire aux yeux de l'usager une certaine crédibilité et échappe à l'arbitraire. Se fournissant ainsi d'une origine il se justifie : un texte fondé réussit donc d'une part à signifier, d'autre part à garantir sa signification. A travers le commerce de paroles qu'il prétend être (à travers cet apport, plutôt, de la parole au lecteur), le commandement de lire comme il faut se dérobe', une feinte conversation recouvre l'activité réelle d'écriture - et en permet l'exercice. De ce point de vue, le narrateur du texte doit être considéré comme procédé scripturaire permettant la réalisation de la vérité du discours romanesque. Figuration explicite ou implicite de son origine, et donc garantie du texte, le narrateur prononce le texte. C'est par son entremise que le roman se pose (et s'impose) comme parole (et prétendue véracité), qu'il se change (fictivement) en voix. Le narrateur affirme la signification et lui fait ajouter foi. Par ce moyen de crédit, le narrateur « autorise » la narration. Le procédé se comprend d'autant plus que la lecture du roman, fait individuel, se passe dans le retrait. (Rappelons que la lecture solitaire fut longtemps condamnée par les moralistes). L'absence d'un interlocuteur permettant NOTE:

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la vérification immédiate de la teneur du message (on le lit autant sur ses traits que dans son discours) nécessite ici (dans tout récit) le renforcement des moyens de contrôle du sens. Grâce (entre autres) à l'inclusion d'un narrateur dans le texte, une certaine sûreté d'écriture s'obtient. Le narrateur répond ainsi au souci de fonder ou d'accroître l'autorité du livre, d'en indiquer constamment le sens comme il convient qu'il soit lu. Le dessein du roman paraît de part en part désigné, inoubliable; l'intellection s'en trouve accélérée. Le lecteur alors n'échappe pas à la vérité du message. Que celui par qui le récit censément arrive (se propose) soit désigné, participe à l'aventure ou demeure en retrait, peu importe : le récit, effet d'une voix incarnée ou anonyme, est trouvé signifiant et le lecteur immobilisé dans l'acte d'appréhension d'un sens discouru. Le narrateur, du fait qu'il paraît parler l'écrit, en établit l'autorité, l'authenticité; conversé (se présentant tel) celui-ci force l'écoute : convaincant par avance il doit être lu. Les rôles sont alors les suivants : un « je » (explicite, implicite, ses divers substituts) raconte ce dont il aurait été témoin ou reçoit d'un tiers (d'une série de tiers ou de relais) le précieux témoignage, un « vous » (explicite, implicite) représente dans le lexte celui-là qui l'écoute. L'histoire paraît se transmettre selon les règles d'une conversation où l'un des interlocuteurs accaparerait l'attention et légitimement, lui seul possédant l'information : sa prépondérance dès lors ne se discute pas. Bien entendu, ce « je » qui prononce l'histoire peut prendre la forme polie d'un « nous » ou intervenir par le truchement d'un « il ». De toutes façons, il importe que l'histoire passe pour être dite : c'est dans cette dictée qu'elle trouve sa garantie. Il suffit de signifier au lecteur que ce qu'il lit se raconte en effet en figurant son origine (même implicite) et en le représentant comme émission orale pour que l'effet de vérité du texte se produise. (C'en est là du moins la condition fondamentale). Un « je » mis à ce point (fictif) de fondation du texte en procure pas à pas la vérification. Il en résulte que le lecteur situé en regard n'échappe désormais plus à la fascination de la fiction. Il ne peut donc être question de considérer le narrateur simplement comme celui qui fait face au lecteur, son répondant, son complémentaire : Leser und Erzähler, beide der poetischen Welt zugehörig, stehen in einer unlösbaren Korrelation,94 En effet, le couple qu'ils forment 84

Kayser, 1958a, 90. Cf. Todorov, 1967, 88 : L'image du narrateur n'est pas une image solitaire : dès qu'elle apparaît, dès la première page, elle est accompagnée de ce qu'on peut appeler /'« image du lecteur ».

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n'est pas équilibré, puisque le narrateur (du point de vue du roman) doit être considéré comme un procédé d'écriture accomplissant le texte comme parole, permettant par là l'assujettissement du lecteur à son projet jusqu'à sa complète fictivation (plus le texte se rend vrai, plus qui lit rentre sous sa dépendance). D'un autre côté, le narrateur ne saurait davantage se réduire au rôle endossé par l'auteur afin de prononcer (discrètement ?) sa fable : Der Erzähler ist eine gedichtete Person, in die sich der Autor verwandelt hat.95 Cela équivaudrait à négliger complètement sa double fonction d'« oralisation » et d'authentification. D'autre part, à travers cette réduction, un certain mythe de l'auteur s'exprime : on le pose comme innocence et bon vouloir et à la fois comme maîtrise du texte, on figure en lui son origine tout en ne déclarant pas qu'en tant que roman celui-ci se dicte pareillement à qui rédige. Le narrateur ne correspond pas non plus à un masque pris - pour quelle raison ? - par le roman pour se conter lui-même : Hinter dieser Maske steht der Roman, der sich selbst erzählt, steht der Geist dieses Romans, der allwissende, überall gegenwärtige und schaffende Geist dieser Welt. Die neue, einmalige Welt entsteht, indem er sie mit seinem schöpferischen Wort selber hervorruft. Er selber schafft sie, und in ihr kann er allwissend und überall gegenwärtig sein. Der Erzähler des Romans, in einer Analogie verdeutlicht, ist der mythische Weltschöpfer.96 Car il s'agit de s'entendre : ou bien le roman sert de renvoi métaphorique à cette autre métaphore qu'est la Genèse et alors, activité complètement imaginaire, il n'en est plus que l'insignifiante et rassurante répétition; ou bien, récit lui-même, à l'égal de toute genèse, et considéré comme pratique du sens, il ne peut être dit originaire de lui-même que si l'on sous-entend constamment que la société qui le parle et s'y désigne se résume fictivement dans un tel acte idéologique. Le narrateur n'est donc bien que le créateur fictif supposé tant par la société que par le roman de cette société à l'origine de sa propre fiction. On n'en restera donc pas à l'anodine constatation que narrateur et lecteur représentent des rôles du texte : Die literarische Kommunikation ist ein Spiel mit verteilten Rollen [...] Jedes literarische Werk enthält das Bild seines Lesers. Der Leser ist, so dürfen wir sagen, eine Person dieses Werkes.97 Mais, avec Bakhtine, on les trouvera constitutifs de l'acte même de communication narrative, comme des procédés d'accom"" Kayser, 1958a, 91. 98 Kayser, 1958a, 98. " Weinrich, 1967, 1027,

1032.

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plissement du texte, de sa transmutation en histoire : L'auteur est donc le sujet de la narration métamorphosé par le fait qu'il s'est inclus dans le système de la narration; il n'est rien ni personne, mais la possibilité de permutation de S [sujet de la narration] à D [son destinataire], de l'histoire au discours et du discours à l'histoire. Il devient un anonymat, une absence, un blanc, pour permettre à la structure d'exister comme telle.96 En d'autres termes, tout se passe comme s'il fallait un sujet à l'écriture romanesque, qu'elle l'indique, l'implique ou le nomme, afin de pouvoir proposer sa lisibilité, comme si le lecteur devait être mis au fait de la cause (irréelle) du texte sous la forme d'un pseudo-individuum, afin d'entériner la positivité de l'information qu'il porte. Dans cette optique, le texte est réputé non-suffisant de lui-même, sans responsabilité, complexe neutre, pure objectivité. L'écriture dérobe ainsi régulièrement à qui lit sa qualité, un roman de feinte franchise s'obtient. La narration se transmet, persuade, grâce à l'existence d'un intermédiaire apparent (le narrateur) parlant le texte, affirmé témoin (direct ou par personne interposée) des événements. Cet intermédiaire (anonyme, incarné), même lorsqu'il se réfugie derrière un voile d'objectivité, ne fait pas secret de ses sympathies, bien au contraire, puisqu'il a pour mission d'apporter à la positivité sa caution. Sans épaisseur, sans personnalité, sans visage, il n'est qu'un poste de vérification de la narration, un canal supposé dont le but est de faire croire que l'information romanesque ne se trouve filtrée que du seul point de vue de l'authenticité. NOTE: Le récit, quelquefois, est placé dans la bouche du sujet de l'aventure (H) lui-même. Son histoire, cependant, il ne paraît la communiquer qu'a posteriori, dès lors qu'elle s'est tout entière déroulée (ou du moins phase à phase après l'événement). L'agent cumule ici les fonctions de H et de N. H représente N surauthentifié dans un récit « plus que vrai » adopté par les formes plus modernes du roman. Dans tous les cas, il suffit et il est nécessaire que le roman paraisse se parler. Le narrateur accrédite l'information romanesque, la fait paraître naturellement distribuée : témoin, confident, observateur, sa présence change le texte en inattaquable mimesis. L'effet de mirage sur lequel le jeu de la fiction se fonde est dès lors acquis. La scène romanesque ainsi suppose comme lieu propice de son effet un lecteur pour lequel elle représente la seule perspective possible (elle en unifie le regard, selon l'axe de la vraisemblance). Le narrateur 88

Kristeva, 1969a, 156.

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adresse par suite le texte au lecteur. Ses nombreux signes, appels et clins d'œil concourant à obtenir la complicité de celui-ci visent à l'enfermer dans le mirage que, pour sa part, il croit saisir. Qu'il y ait récit qui se narre, désignant fictivement à la fois qui parle et qui écoute tout en falsifiant leurs rapports, suppose le rattachement du lecteur à la fiction : le texte s'impose comme autorité à travers la médiation irréelle d'une altérité feinte complice. Le roman parle le texte, le compose en spectacle. Rendu « spectaculaire », celui-ci s'accomplit comme sa vérité même projetée au-devant du lecteur censé pouvoir l'entendre et l'apercevoir. Une irréfutabilité de nature s'impose au lecteur, une totalité d'information nécessairement complète l'inclut lui-même. Le narrateur dit « tout » et son discours est « franc » : sa composition et sa visée réelle par conséquent échappent. Le texte, effet sur le lecteur, dissimule son programme en se « naturalisant », le remplit à l'abri de sa théâtralité. Par là, la lecture se comprend comme message du livre, comment lire est écrit. Le roman se compose de telle sorte que le lecteur n'échappe pas au sens (au roman), « signifie » (dans l'acception autoritaire de notification) : une écriture enjoint et ne se fait pas repérer telle. [Cf. Vol. compl.,

TABLEAU 1 1 ]

Oraliser le texte est l'un des moyens permettant d'en limiter les modes d'appréhension, voire de les unifier; il en va du fonctionnement même du texte. Que sa lecture soit comprise dans son écriture comme une obligation constante de celle-ci est une loi du genre. Le roman, par là, se vérifie toujours : il n'est entendu que comme il entend qu'il le soit. L'adresse, en effet, pose le récit comme norme (parole garantie, et garantie parce que parole). Le lecteur se trouve empêché, pris dans le réseau de la certification, de lire mal ou à côté le sens. Le sens et l'entendement de ce sens par le lecteur sont dans le même mouvement assurés, contrôlés. Lire revient alors à se trouver être placé par rapport au récit de façon telle que l'acte d'écoute précisément prévu par le texte se produise. Le point de vue sur le roman, à partir duquel celui-ci s'envisage, fait partie du texte, tout ayant concouru à le rendre unique. L'auteur donne le sens, parle le sens, le roman détient le lecteur, Celui-ci se trouve réduit à la fonction d'écoute déterminée textuellement. Toute la fiction inscrit (par son adresse, entre autres) qui en prend connaissance dans son champ, l'oblige à s'y rapporter, se l'assujettit. Dans ces conditions, le lecteur n'est pas un libre-arbitre qui se saisit

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du livre, mais le lisant il s'y soumet, passant lui-même fiction : le rapport imaginaire fondé par le texte romanesque adressé au lecteur contraint ce dernier à endosser ce rôle imaginaire comme réel. L'effet de providentialité du texte romanesque traditionnel (maintes fois démontré) ne doit, par conséquent, pas se comprendre simplement comme arrogance d'auteur, défaut d'art (Eh bien non ! Il est temps de le dire : le romancier n'est point Dieu).99 Que le « rendu » (ce qui se prévaut d'être tel) narratif se fasse dans l'implicite, grâce à la manipulation de la troisième personne et de l'imparfait (Il sentait; Il se disait que; Il voyait en face de lui; etc.) ou se proclame explicitement résulter d'une observation (même fictive) (On n'entendait aucun son, mais nos privilèges de romancier nous permettent de cueillir sur sa bouche les mots qu'elle prononçait tout bas (13)), c'est d'une orientation globale et constante de la narration qu'il s'agit : toute lecture s'axe alors dans le champ d'une impérative profération. On ne dira pas, réductivement, que le récit se soumet à l'autorité de son auteur : 100 l'auteur n'est pas maître de son roman; non seulement il n'a pas la faculté de faire intervenir à partir du système relationnel (dont les normes, on l'a vu, sont fixes) n'importe quel événement dramatique (par exemple, il ne peut faire mourir l'agent ni quand ni comme il veut, le cas de Ponson du Terrail forcé de faire ressusciter Rocambole est fameux), non seulement il ne peut donner à l'agent que les traits conformes à son rôle, ni généralement contredire l'emploi de signaux textuels propres au genre (utiliser, par exemple, de « faux » noms, de « faux » lieux, de « faux » temps), mais la possibilité de se distinguer du narrateur (explicite/implicite) du texte lui est refusée. Le narrateur romanesque paraît nécessairement être son porte-parole, alors qu'il n'est en réalité que la représentation du principe romanesque lui-même. Il faut un narrateur (discret ou non), non pas comme intermédiaire de l'auteur, mais afin d'adresser la parole romanesque au lecteur pour en étayer à ses yeux l'autorité. Le roman dicte le roman à l'auteur. Le désir de l'effet romanesque à 90

Sartre, 1947, 46. Sue, comme bien d'autres, le croyait : « Connaissez-vous rien de plus amusant que de jouer ainsi le rôle de la Providence, de la Fortune; de faire des heureux, des malheureux; d'enrichir celui-ci, de ruiner celui-là; de donner la femme qu'il aime à un pauvre jeune homme qui ne s'y attend pas ! C'est ce qui m'a fait créer le personnage de Rodolphe dans les MYSTÈRES DE PARIS ! Rodolphe est un romancier en action; seulement j'ai deux avantages sur lui : d'abord j'ai droit de vie et de mort sur mes personnages; puis, je ne prévois pas plus qu'eux ce qui va leur arriver ! (Cité dans Atkinson, 1929, 128). (La dernière affirmation joue comme paradoxe).

100

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produire étant donné, le système institué à cette fin s'impose à l'auteur (naturellement) comme ce qui doit être illustré. C'est donc peu dire que d'affirmer celui-ci lié à un choix rhétorique (The author cannot choose whether to use rhetorical heightening. His only choice is of the kind of rhetoric he will use)101 ou d'affirmer que le jeu romanesque force la lecture en supprimant toute lecture libre du livre. On se rendra compte que, bien au-delà, le texte romanesque réalise dans le lecteur la lecture nécessaire pour que l'effet de sens visé par le système se produise; l'auteur n'est donc que l'intermédiaire du système, le simple producteur de sa réalisation. En lui, comme en tout lecteur, l'usage d'une fiction en train d'arriver se continue. 2.62

L'Articulation

narrative

La situation narrative de base se comprend comme articulation (ou combinaison) de différents niveaux de récitation impliquant les unités textuelles examinées (le temps, le lieu, la personne) ainsi que les systèmes qui les organisent et règlent le perspectivisme du roman. Le récit romanesque joue (se passe) à la fois sur plusieurs registres d'écriture (tous dénotatifs pourtant), fait intervenir, afin de se rendre lisible, divers modes de présentation scripturale. La lecture s'invente à partir de cette différenciation. Une narration s'articule. Un certain nombre de plans ou d'états de discours la composent. Le récit romanesque procède, à ce titre, d'une constante solution de continuité : il se rompt tout en se poursuivant; le lecteur subit l'incessante modification du point de vue textuel; c'est à travers le discontinu qu'il est guidé sur une voie unique. Le roman, globalement donné comme « rapport », constitue - et c'en est là une caution supplémentaire - un assemblage de segments mobiles, fortement imbriqués les uns dans les autres sans régularité perceptible (autre que leur alternance). A quelque point qu'on le prenne, il présente des portions de récits ou des zones narratives distinctes, superposées, enchevêtrées. Des modes verbaux différents définissent, entre autres, ces niveaux. C'est à partir de cette dénivellation suivie de la narration, à partir de l'alternance des modes employés, dans un récit par conséquent constamment circonscrit de l'intérieur, que la lecture se trouve dirigée (chacun des plans, au sein de l'entrelacs textuel, étant aisément repérable). 102 PROPOSITION :

101

Booth, 1966, 116. Lubbock, 1966, 71-72 : But generally a novelist retains his liberty to draw upon any of his resources as he chooses, now this one and now that, using drama

103

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Du rythme et de la combinaison des éléments du réseau dépendent et la tension de lecture et l'effet de signification du texte. La narration romanesque (de l'époque) implique les niveaux de discours distincts suivants : A. niveau narrationnel proprement dit. Ce registre, majoritaire, constitue le fond de narration; les divers plans du récit viennent s'y greffer, y trouvent appui. Les faits sont racontés, les paroles et les pensées « rendues » (au style indirect) par le truchement d'un narrateur. Les temps utilisés sont ceux-là du passé. Les séquences réalisent un « conte ». B. niveau dialogique proprement dit. Ce registre constitue des coupes plus ou moins considérables dans le plan narrationnel (A) du texte; les paroles sont proposées sans intermédiaire au style direct dans le cadre de dialogues, de conversations (quelquefois de monologues). Un appareil typographique les désigne et les isole (tirets, mises à la ligne, quelquefois guillemets). Le présent y est prépondérant. Les séquences émergent de la masse dense du fond du texte (A) comme réalité du « conte » de l'événement. C. niveau de présentification. Ce registre (peu fréquent d'usage) constitue, en certains points limités et bien déterminés (« moments de crise »), une mutation du niveau fondamental (A) du récit; les faits ne sont plus racontés, les paroles ne ressortent pas du dialogue, mais se présentent « à l'état naissant », « comme s'ils étaient en train de se produire ». Le présent est de règle. Les séquences « présentifiées » activent le texte : elles « rapprochent » l'événement, celui-ci paraît avoir lieu. Cet effet résulte de la différence créée avec le niveau A («au passé ») du texte. Un roman complètement présentifié ne se trouve pas à l'époque. D. niveau du commentaire. Ce registre constitue régulièrement à l'intérieur du plan A du texte un certain recul : les faits s'y trouvent signifiés, compris (de façon plus ou moins explicite, l'identité du commentateur étant plus ou moins fluide); le commentaire réunit tout ce qui n'est pas chargé, à un titre ou à un autre, de la récitation directe ou indirecte de l'événement. Il s'agit de points de vue émanant de la narration et portant sur les faits qu'elle agence. Le présent - temps de la généralisation - est de règle. Mais le « sens » du récit peut, dans where drama gives him all he needs, using pictorial description where the turn of the story demands it. The only law that binds him throughout, whatever course he is pursuing, is the need to be consistent on SOME plan, to follow the principle he has adopted.

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certaines séquence, « prises » dans le plan A du texte, être dégagé à l'imparfait. NOTE: Certaines chevilles articulatoires du récit («Nous avons laissé notre héros », « On se souvient que », « Nous disons vrai », « Il faut savoir », etc.) relèvent du même niveau textuel; ces renvois â l'intérieur de la narration fonctionnent comme commentaires (du niveau A du texte), ils se rapportent à une signification établie et l'étaient.

Le récit romanesque joue sur cet entrelacs de styles, de temps, de tons, de modes différenciés (à l'époque très nettement). Plus précisément, il n'est lisible comme récit - et donc parvient à produire l'effet spécifique désiré - qu'à partir du moment où il fait intervenir plusieurs registres narratifs : un certain rythme est créé, une tension existe. Audelà d'une certaine ampleur (dès qu'il passe roman), son développement n'échappe à la monotonie (par quoi nous désignons le défaut d'un effet romanesque escompté ressenti par le lecteur) qu'en se différenciant. Le récit romanesque s'accomplit en variant continuellement le registre employé; il se pose comme continuité à travers modifications et ruptures de la texture narrative; il ne dure et n'intéresse que grâce à la différenciation de ses modes de présentation. Sa tension résulte (a) de Yalternance dans l'emploi des registres, (b) des ruptures ainsi produites (Développements sous 3.42, (c) de la contraction et de la dilatation disproportionnée des segments représentés, (d) de l'altération délibérée de l'ordre logique des segments représentés (une conversation, par exemple, précède l'explicative produite au niveau narrationnel proprement dit) (Développements sous 3 . 4 2 ) . Le lecteur change indéfiniment de paliers textuels. Dans le relief ainsi créé, à l'occasion de ce passage constant d'un état du récitatif à l'autre, l'intérêt ressort. Le fait dénoté paraissant soit se rapprocher soit se rapprocher soit s'éloigner (échapper à la vue), on craint la perte de contact (ne pas savoir la suite), on jouit de sa reprise (connaître la suite). La valeur de l'information dépend ici nettement de l'art de sa transmission. Bien plus, elle en résulte. [Cf. Vol. compl., TABLEAU 1 2 ] Le temps du roman est un présent narrationnel fictif (ne correspondant pas avec celui que définissent les grammaires). La lecture saisit l'événement relaté (au passé ou au présent, son substitut) dans son immédiateté de sens produit dès lors qu'elle s'exerce et quand elle s'exerce. Cet événement pour elle se perçoit simultanément au déchiffrement, il est son contemporain même : lire Les deux hommes entre-

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rent, Nous entrâmes ou Entrons !, c'est repérer actuellement l'action, comprendre celle-ci comme un effet de sens actuel, et l'y réduire, conformément à l'intention romanesque. La raison en est simple : tout ce qui fait l'objet de la relation s'accomplit dans le texte même, n'y figure qu'accompli dans l'instant de lecture; le récit produit les faits comme arrivant au fur et à mesure de la découverte qu'en fait le lecteur : ils sont lus se faisant. Le temps réel du livre est donc celui-là de la pratique qu'il postule. C'est parce que du narré se projette présent (et donc convenable à la lecture) que du sens pour elle ressort des actions du livre. On dira ainsi que la passéité du récit sert avant tout de cautionnement au texte, en en signalant la nature, c'est-à-dire la fiction (mais non désignée comme telle) au lecteur.103 Romanesque signifie suppression de la temporalité : Die Fiktionalisierung vernichtet die temporale Bedeutung des Tempus, in dem eine erzählende Dichtung erzählt ist;10* aucun des autrefois ou des présents marqués n'y fonctionnent réellement comme tels. On assiste, d'une part, à la fictionnalisation de la temporalisation du texte, d'autre part, à la temporalisation de la fiction du texte. D'un côté, une temporalité textuelle « logique » (et non plus « chronologique ») se constitue, de l'autre, les temps utilisés permettent la différenciation narrative et la mise en perspective de réalité des faits-signes narrés : un texte passant chronique peut alors s'étaler. Le roman s'obtient par le mixage et la soudure de pseudo-temporalités, avec pour dominante un passé de fiction. Il est donné ainsi pour être vrai, les signes qu'il rassemble donnés pour être des faits. Le texte se joue comme représentation : on le lit en tant que présent possédant toute la réalité possible dont un passé assure. Le passé, ici, n'est que le propre d'un présent de fiction, mais il en voile la nature. Le récit combine deux effets : il a lieu comme passé, il se lit comme présent, quels que soient les temps utilisés (il suffit qu'ils alternent). La dénivellation textuelle (l'entrelacs des plans constitutifs du récit) à partir de pseudo-temporalités a pour effet d'obtenir la linéarité réelle du processus : le changement des temps et des points de vue produit l'immobilité de la narration et de la lecture. La précipitation du lecteur d'un niveau à l'autre du récit permet de réaliser sa manipulation : à travers une alternance qui paraît garantir son objectivité, le texte s'impose comme unicité, uniformité; un sens événementiel peut censément 103 104

Cf. Weinrich, 1964, 76. Hamburger, 1957, 49.

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résulter, avec innocence, d'une histoire « naturelle », conforme au réfèrent (ce qui « est » ou « a été »). L'autorité du roman opère dès lors que, jouant sur divers plans d'expression, la fable tire de leur corrélation un effet d'indépassable immédiateté (le lecteur est placé à tout instant au plus près de la « source » du texte : il est témoin des faits (plan A), il est présent aux conversations (plan B), il y prend part comme le héros même (plan C), il se tient en face d'un narrateur qui s'adresse à lui (plan D)); c'est par là qu'elle se garantit vérace; l'affirmation qu'elle porte est absolue, sa légitimité ne se discute pas. Le roman se parle : le dialogue, la conversation, l'adresse le remplissent et le fondent. Les registres utilisés se confirment réciproquement et ne paraissent « vrais » qu'à proportion de la garantie qu'un autre mode d'expression orale constitue à leur égard : la conversation se justifie dans le récit, celui-ci comme son encadrement et à l'intérieur du commentaire, etc. Le texte discouru s'éprouve, indépendamment de la fiction constitutrice, comme appareil de sa transmission vraie. Le texte du roman est par conséquent rédigé comme une information constamment accordée par l'auteur au lecteur, tendue vers lui : Nous pouvons donc étudier la narration, au-delà des rapports signifiant-signifié, comme un dialogue entre le SUJET de la narration (S) et le DESTINA5 TAIRE (D), l'autre.™ De surcroît, la signification qui fait l'objet du transfert est absolue, une parole démultipliée nous en assure. Cependant, ce dialogue perpétué constitutif du texte romanesque doit être compris comme effet de fiction et moyen de sa réalisation : le narrateur n'est que la justification de l'actualité du texte à la lecture, le lecteur n'est que ce point de vue (avec lequel il est obligatoire de coïncider lorsqu'on lit) à partir duquel la Activité du texte à la fois s'affirme et se dérobe. Un faux dialogue s'engage entre de pseudo-partenaires à propos d'une information qui n'est pas échangée, mais imposée (dans son illustration même). Le texte romanesque, loin de « renseigner » le lecteur - comme il le proclame volontiers - , l'attire à lui comme sujet (mis en posture de soumission) de l'information qu'il représente. Cette description concorde parfaitement avec l'analyse du roman proposée par Bakhtine et en démontre la pertinence à l'un des niveaux fondamentaux du processus textuel. D'après ce dernier, en effet, un jeu dialogique intense, multiple, constitue le texte : les énoncés qui le composent sont désignés - nous l'avons soigneusement marqué - comme émanant d'un « auteur » (implicte ou non) ( Jede Äusserung besitzt, so gesehen, ihrer Autor, den wir PARALLÈLE:

105

Kristeva, 1969a, 156.

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in dieser Äusserung als deren Schöpfer hören [...] Gleichviel hören wir im Werk den einheitlichen Schöpferwillen, eine bestimmte Position, auf die wir dialogisch reagieren können. Die dialogische Reaktion verpersönlicht jede Äusserung, auf die sie reagiert),106 des «microdialogues» s'y perçoivent (à l'intérieur des énoncés, dès qu'un de leurs éléments fonctionne comme signe d'une altérité), des styles de langage, un phénomène de distanciation, partiel ou total, du locuteur par rapport à son propre énoncé y jouent un rôle. 107 Ainsi, tout roman est dans une plus ou moins grande mesure un système dialogique fait de représentations des « langages », des styles, et des conceptions concrètes inséparables du langage,108 Globalement, il se comprend comme « extériorisation du dialogue linguistique »; 109 il est citation et comparution de citations, 110 implique donc l'échange et se trouve fondé par tout un travail d'espacement entre signes et significations. 111 Par suite, la registration des niveaux du narratif repérée par nous peut être appréhendée comme l'une des manifestations du dialogisme général du texte romanesque; la récitation proprement dite (plan A), la conversation (plan B), le commentaire (plan D), l'activation elle-même (plan C) accomplissent ensemble le roman comme dialogue: celui-ci se lit en tant qu'échange de paroles et parole échangée entre un destinateur et un destinataire, son sens est transmis par le biais de la diversité des voix dont il use. On assiste donc ici à la mise en œuvre dialogique (et apparemment neutre) du sens romanesque: il s'adresse parce qu'oralise, devenu référentiel il se garantit de ce fait même. L'articulation narrative produit, au bout du compte, l'autovérification du texte. Celui-ci s'entend dès lors comme « vrai », « arrivé », « f a t a l » : le récit a pu naturaliser le récit, seule la vérité de l'énoncé devient lisible. NOTE: Tout roman de l'époque réalise le dialogue. La spécificité de chaque catégorie romanesque consiste, de ce point de vue, dans la répartition des plans narratifs utilisés. Par exemple, dans le roman « populaire », le plan B de la conversation directe se trouve relativement privilégié, le plan A, très commenté, tend à se présenter lui-même explicitement comme conversation. Au contraire, le récit naturaliste réduit au maximum le dialogue scénique et le commentaire. Quant aux autres catégories, l'alternance régulière et l'équilibre des voix paraissent être de règle. 109 Bakhtine, 1969, 105. Et ailleurs : Presque tout le roman se décompose en des représentations d'énoncé entretenant entre elles et l'auteur des rapports spécifiques de dialogue (Bakhtine, 1968, 130). Le roman combine les « représentations, dialoguées de l'intérieur, du langage, du style, des conceptions d'un autre » (Bakhtine, 1968, 129). 107 Cf. Bakhtine, 1969, 105. 108 Bakhtine, 1968, 132. 100 Cf. Kristeva, 1969a, 146. 110 Ibid. m Cependant, quoi qu'en dise Bakhtine, 1968, 132, le roman, quelle que soit sa valeur du reste et pour peu qu'il respecte le genre - ce qu'il fait malgré l'innovation qu'il prétend constituer - ne peut pas passer pour sa réelle « autocritique ». La dépréciation sur laquelle, en effet, successivement il joue ne concerne que des éléments seconds du texte : le roman ne fait pas mentir le roman, le roman ne peut pas montrer le roman.

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2.63

Puissance du titre

PROPOSITION : La situation narrative de base se comprend comme articulation (ou combinaison) des différents niveaux de récitation impliquant les unités textuelles examinées (le temps, le lieu, la personne) ainsi que les systèmes qui les organisent et règlent le perspectivisme du roman; elle se désigne comme telle (en tant que romanesque) dès sa première manifestation, à la première phrase imprimée, c'est-à-dire au titre. L'autorité du texte se lit et se subit dès sa marque inaugurale. Le conditionnement du lecteur a lieu à partir du moment où le déchiffrement s'amorce, c'est-à-dire immédiatement. Puisque le texte est à considérer comme un ensemble d'éléments organisés, le titre, qui en fait partie, n'en figure pas simplement la désignation; il n'est pas, extérieurement à lui, le signe neutre de sa qualité : la première phrase du texte - le titre - comprend l'œuvre entière, comme celle-ci l'implique. Ce qui ne signifie pas que cette première phrase soit perdue dans l'ensemble du texte et se lise comme l'un quelconque de ses éléments. Au contraire : le titre est cette partie du texte dénotant le texte grâce à l'écart ménagé entre eux deux, sans pourtant cesser d'y être intégralement inclus. Une différenciation intervient entre le texte et sa première marque, de telle façon que celui-ci donne à connaître la lecture qui lui est appropriée. Le titre annonce. C'est par rapport à la première marque signifiante inscrite que le texte, pour suivre, se lit : au questionnement impliqué plus ou moins clairement dans son annonce, le texte proprement dit ajoute - sous forme d'histoire probabilisante - une réponse, à l'interrogation du titre correspond le roman comme réplique. Le titre enjoint à la lecture simplement déjà par le fait qu'il oblige le lecteur à entendre les termes d'une question liminaire propre à poser ce qui suit comme information réelle.

NOTE: L'importance du titre a généralement été sous-estimée par la critique. Certes, la concordance individuelle d'un titre et d'une œuvre (cela est pris comme signe de sa valeur) a été repérée, mais l'efficacité textuelle du procédé n'a jamais, à notre connaissance, été décrite. 112 PROCÉDURE: Notre intention n'est pas de procéder à un examen linguistique achevé de la marque inaugurale du texte. Il nous suffira d'établir ce qui constitue cette marque en tant que signe. Il sera alors possible de déterminer - ce qui est 112

Furet+Fontana, 1968; Rhétorique générale, 1970, 86-90; Rieser. 1971; Hoek, 1972; Hoek, 1973, ainsi que les travaux en cours de Cl. Duchet (Paris-Vincennes), manifestent, de ce point de vue, bien qu'à des degrés divers, un tournant dans la recherche.

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notre but - sa fonction dans et par rapport au texte et comment elle se trouve accomplir cette fonction. Le titre se compose de divers éléments. Il se présente comme une phrase brève généralement démunie de verbe; le substantif accompagné ou non de l'article y a la vedette; les noms propres et les noms d'agents y sont fréquents; ceux d'objets, de lieux, de même; les nombres et les dates y paraissent quelquefois, les qualificatifs fréquemment; les conjonctions et et ou, les prépositions de, à, dans servent principalement à l'articulation; des traits d'un métalangage (référence étant faite au genre du livre) s'y trouvent souvent impliqués. Tous les éléments du discours paraissent ainsi, avec une fréquence plus ou moins grande, pouvoir servir à la confection du titre, à l'exception du verbe - dans sa forme transitive. 113 Cette absence du verbe, cette impossibilité de retenir un rapport objectif entre les termes impliqués, cette relative a-grammaticalité de la phrase, cet « écart » (que la typographie et des majuscules soulignent), servent, d'une part, à désigner la fonction différentielle du membre inaugural du texte, lui permettent, d'autre part, d'accomplir sa fonction signalétique. E n effet, l'usage d'une transitivité verbale quelconque inscrit action et expression de l'action dans un rapport dénotatif : la phrase se rapporte à un événement, fictif ou non, supposé donné. Dans des formules comme « c'était le mari de Delphine », « le mari de Delphine rentrait », « le mari de Delphine affirma », « le mari de Delphine quitte sa femme », etc., nous avons affaire à des micro-séquences narratives qui toutes supposent l'existence d'un donné, d'un réfèrent « extérieur », elles sont là pour lui répondre, elles le rendent. Par contre, dans Le Mari de Delphine114 comme titre (A. Achard (134)), la suppression (ou le défaut) du verbe entraîne le recul (sinon la disparition) du point de référence et provoque la distorsion du rapport 113

Cette tendance fondamentale du titre de roman ne souffre à l'époque que des exceptions fort peu nombreuses : on trouve quelquefois le verbe en position qualificative (La Loi qui tue (T. Delaville (135)), La Femme qui mord (H. Lucenay (136)), un peu plus souvent, intégré dans une expression proverbiale ou à forme de sentence (On n'aime qu'une fois (H. Liesse (137)), Pierre qui roule (133a), Ce que peut l'amour (Ch. Narrey (138)), Ce que coûte l'amour (P. Perret (139))), trois fois à l'infinitif (Marier sa fille (H. Gréville (140)), Aimer et souffrir (Monnier de la Motte (141)), Jouir (A. Glady (143))), une fois à l'impératif (Aimez-vous (G. Haller (142))) et à la forme interrogative (Où est Zénobie ? (F. Du Boisgobey (144))), une seule fois comme affirmation - encore est-elle provocante - (J'ai tué ma femme (Saint-Juris (145))). 114 II s'agit là de la transcription courante (celle de la Bibliographie de la France par exemple) d'une typographie qui ne distingue pas les majuscules.

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entre le sujet (« le mari de Delphine ») et son existence supposée (ses actions) : ce rapport devient implicite, indéterminé (on ne sait ce que « fait » ce mari, si même il « vit », etc.). La formule est absolutisée, elle gagne en équivocité. Par conséquent, elle est apte à fonctionner comme signe : elle peut se rapporter à un nombre indéfini de situations sans être jamais démentie, elle se lit sans constituer une information réelle mais, en faisant supture, au faux titre, au grand titre et souvent encore à la page 1 du texte; elle fait appel à l'attention, l'oriente, sans lui donner pourtant de quoi se contenter. Le réfèrent n'est alors plus l'événement mais sa possibilité de poindre, sa future parution, la signification qui le comportera. En raison de sa substantivation et du trouble sémantique que celle-ci provoque, le titre porte sur le texte; signe, il réfère à un ensemble de signes constituant la relation (l'histoire) comme sens, en en faisant attendre ou supposer l'intérêt. Le titre affiche la nature du texte, et donc le genre de lecture qui lui convient. Il renseigne sur un art de dire et assure des bénéfices à l'écoute future. Le texte désigne ainsi dans le texte par le truchement d'une a-grammaticalité inaugurale sa qualité propre : il pose une équivocité et promet d'être le moyen de la lever. Le titre du roman comprend les éléments suivants : 115 (1) le titre proprement dit de l'ouvrage, qu'on trouve sur la couverture au faux titre, au grand titre et souvent encore à la page 1 du texte; (2) le sous-titre, qui figure (à la couverture et au grand titre) comme le prolongement ou l'explicitation du titre proprement dit; une virgule, un ou marquent ce rapport; (3) le « sur-titre •», qui figure (à la couverture et au grand titre) soit comme renvoi à une série d'ouvrages soit comme généralisation du titre proprement dit (le présent livre est intégré dans une suite, il réalise une perspective); un tiret peut marquer ce rapport. Un certain nombre de facteurs matériels aident au fonctionnement du titre : (1) la typographie, qui, grâce à un jeu complexe de la disposition et de la hiérarchisation des caractères, représente la valeur respective des différentes parties du titre qu'elle distingue (la couverture réalise, de ce point de vue, une simplification publicitaire du grand titre); (2) le format, la qualité du papier, le mode de brochage, de reliure, le massicotage, etc., qui permettent sans erreur de repérer le genre du livre et sa catégorie; U5

On se reportera aux reproductions fournies Vol. compl.,

EXEMPLES

I.

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(3) l'illustration, dont la présence à la couverture et/ou au frontispice ainsi que la qualité propre aident le lecteur dans le repérage du livre. Enfin, des informations pratiques, portées à la connaissance du lecteur en même temps que le titre de l'ouvrage, servent d'appoint à son déchiffrement : (1) le nom de l'auteur, qui, par sa nature, ses éléments constitutifs (sa valeur, le titre nobiliaire qu'il affiche ou sa banalité, le « romanesque » d'un pseudonyme116 ou d'un nom propre convenable, etc.) aussi bien que par les signes qui, en cas d'absence, le remplacent (astérisques, majuscules, etc.),117 confirme le titre; (2) le nom de l'éditeur (sa marque, son sigle, la vignette symbolique de la maison, etc.), qui, en faisant reconnaître le livre, accomplit la même fonction. ces éléments combinés forment ensemble le titre (au sens large) du roman et apportent au titre proprement dit de l'ouvrage une confirmation grossière, mais sûre, immédiate, nécessaire (vu l'ambiguïté fondamentale de celui-ci). Cependant, l'étude distincte de ce texte d'avant le texte est possible; elle rend compte d'un fonctionnement textuel spécifique que les signes étrangers qui l'accompagnent répercutent et vérifient dans l'esprit du lecteur. PROCÉDURE: TOUS

On reconnaît traditionnellement118 au titre les qualités générales suivantes : A. Le titre, et c'en est la jonction primaire, sert à identifier l'ouvrage; il le distingue parmi la masse des écrits et en rend perceptible le genre : le roman est montré « roman » dès son titre; la spécificité du livre est précisée à tel point qu'à la seule perception du titre - confirmé immédiatement par certains des signes accompagnateurs relevés plus haut - la catégorie même s'en trouve déjà affirmée; le titre réunit en lui-même de quoi réussir cette identification; il possède donc des traits permanents que le lecteur (sans en avoir conscience) est parfaitement capable de déchiffrer. B. Le titre sert à désigner le contenu de l'ouvrage : Le Titre d'un Livre doit être son abrégé, et il en doit renfermer tout l'esprit autant qu'il est possible. Il doit être le centre de toutes les paroles et de toutes les pensées du Livre, de telle sorte qu'on n'y en puisse pas même 118

Kandler, 1950, 69 : der Deckname soll nicht nur verhiillen, er soll auch andeuten ! 117 Le nom d'auteur est rarement omis au titre d'un roman, et cela s'explique, puisque la signature opère elle-même comme signe vérificateur de la vérité du texte. 118 Cf. Kandler, 1950, 70.

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trouver une qui n'y ait de la correspondance et du raport.119 Ou, sur le mode du plus succinct constat : Titre : Inscription mise en tête d'un livre, d'un chapitre, etc., pour en faire connaître le sujet.120 Le titre renseigne le lecteur sur le propos de ce qu'il lit, entreprend de lire ou peut désirer entreprendre de lire. Ce dont le livre parle est par avance rendu repérable : le lecteur peut décider de l'opportunité de la lecture sans avoir à l'entamer. C. Le titre sert à mettre en valeur l'ouvrage; il le distingue parmi la masse des écrits tout en en vantant la qualité et en en soulignant l'intérêt. Le titre fait lire, faire saisir, fait acheter, le livre;121 il en constitue, de manière plus ou moins accentuée, la réclame. Le titre convainc : il s'agit là d'une marque impérieuse couvrant la marchandise, propre à en garantir la qualité pour le plus grand nombre d'acheteurs possible (ou pour un groupe spécifique d'acheteurs). Le titre comme tel est donc soumis aux lois générales de la concurrence et de la surenchère. NOTE: L'étiquette publicitaire est, par essence, plus louangeuse qu'exacte; elle réalise soit la combinaison soit l'outrance des éléments des autres marques en compétition, selon une courbe qui reste à déterminer. L e titre est d o n c nécessairement excessif, en ce qu'il tend à promettre plus que le livre n e peut donner. Cette mise en relief de l'ouvrage contredit la fonction de désignation du titre (au dedans de certaines limites, car le truquage publicitaire doit veiller à n e point entamer la confiance de l'acheteur).

Le titre définit, évoque, valorise; il a à remplir une triple fonction, appellative, désignative, publicitaire; il ne saurait donc être considéré comme arbitraire : son rapport au livre, et singulièrement son rapport au roman, est fixe, prédéterminé, et dépend d'un certain nombre de facteurs parfaitement déterminables.122 H est patent, d'une part, que le titre a son style, se range dans une tradition, participe d'une mode, 123 118

Baillet, 1725, 163. Nouveau Larousse Universel, Dictionnaire encyclopédique en 2 volumes, Paris, 1949. Cf. aussi Lâmmert, 1968, 143-144. m Galliot, 1955, 349 : Un bon titre de roman facilite le lancement du livre. 123 La proposition générale distinctive de Hélin, 1956, 145 (Liberté totale par contre pour la littérature d'imagination ! Aucune nécessité pratique n'impose au titre d'être la traduction exacte de l'ouvrage) est donc fausse, l'éventuelle absence de « fidélité » du titre de roman ne signifiant pas de facto son arbitraire. m Cf. Hélin, 1956, 145. Voir, par exemple, la définition du titre selon l'esthétique classique (Baillet, 1725, 164) : il est de la dernière importance pour la fortune d'un Livre et pour la réputation de son Auteur que son Titre soit juste, simple, naturel, modeste, en termes propres, sans figure, sans affectation, sans obscurité, sans équivoque, sans finesse, sans raffinement, sans fourbe, sans hâblerie, sans fanfare, sans rodomontade, sans enflure, sans impertinence, sans expression ridicule, sans superfluité, et sans aucun air qui soit rude et choquant. Cf. encore sur l'exigence fondamentale de « clarté » Baillet, 1725, 178. 120

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d'autre part, qu'iV réalise une fonction textuelle : il doit être, comme on dit, « juste », 124 Titrer, c'est créer un intérêt, une attente, c'est promettre au lecteur d'y satisfaire. Une certaine comptabilité entre le livre et le lecteur est supposée (ou désignée), une certaine conformité entre, d'une part, ce que le lecteur peut être amené à désirer connaître et, d'autre part, ce que le livre peut lui apprendre est implicitement admise. Le titre (du roman) assure le lecteur de l'adéquation du livre à son goût, à ses besoins, c'està-dire au code qu'il a fait sien : il en est le garant. C'est sur cette garantie fondamentale que la lecture se justifie. RÉFUTATION: La fonction désignative (B) du titre a ordinairement été privilégiée ; la critique a trouvé que celui-ci « traduisait » plus ou moins adéquatement l'ouvrage (Hélin), qu'il visait à en nommer le «centre secret », 1 2 5 qu'il était, par exemple, possible de repérer, à partir de l'examen sociologique (vulgaire) des titres, les « notions qui s'affichent », c'est-à-dire les thèmes fondamentaux d'une époque. 1 2 6 Cependant, si l'on voit bien que le titre fait appel à ce dont parle le livre, on constate qu'il n'en constitue pas pour autant, et non seulement dans la sphère littéraire, la description. Le titre ne raconte pas le texte. Ce n'est pas avec un « contenu » (romanesque par exemple) qu'il concorde, ce n'est pas une « fidélité » (« réaliste ») qui en est la mesure. Tout au contraire, le titre explicite et affiche une intention du texte, il en désigne l'activité signifiante, par son entremise l'existence d'un point de vue textuel est rendue publique.

Titrer, c'est imposer le texte - en en déclarant premièrement le genre - comme valeur et comme sens à venir. En ce qui concerne particulièrement le titre romanesque, on ne peut pas ne pas remarquer combien la désignation de l'ouvrage qu'il apporte est peu claire : le verbe manque ou ne s'emploie guère qu'à des modes impersonnels, l'article, lorsqu'il est conservé, ne parvient pas à accomplir la détermination, les noms propres et prénoms, volontiers incomplets, cessent de réaliser l'individuation pure, etc. Le titre est flou. Sa brièveté fondamentale - tout titre fait figure de raccourci ou d'abrégé - oblige d'en opérer une lecture hésitante; un sens tremblé ambigu (mais globalement sûr : le titre écrit qu'il y a roman) 127 est proposé au lecteur. Ainsi, l'agrammaticalité relative de la m

Mais sa « justesse » n'est qu'approchée. Cf. Baillet, 1725, 164 : un Titre juste auquel un Ouvrage corresponde parfaitement est quelque chose d'assés rare dans le Monde. 12B Cf. Kayser, 1959, 69, 193. 128 Cf. Flandrin, 1965, 939. 127 Ou du moins, puisque le roman tend à se proposer comme Histoire, il s'annonce au titre comme roman à travers le signe postiche ambigu de sa vérité.

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phrase inaugurale du texte fait basculer dans l'indétermination : le titre est un effet d'anomalie, sens dit à partir de sa retenue. Par rapport à l'emploi linguistique régulier, une phrase de titre se trouve dénaturée : elle n'est pas complète (un titre n'est guère constitué que par un membre de phrase), son contexte lui est soustrait. Dans Le Mari de Delphine (134), par exemple, phrase théoriquement possible mais dont l'irrégularité se trouve ici typographiquement consacrée, la dénaturation est telle que les mots qui la forment cessent de se rapporter à un réfèrent (un homme, une femme, leurs rapports) - ou de se rapporter exclusivement à lui - pour se constituer en tant que signifiant du livre; les mots du titre forment ensemble le signe global de la qualité du texte : Le Mari de Delphine veut dire, en premier lieu, roman. Cependant, il faut le constater, cette annonce est essentiellement obscure : d'une part, le signe du roman peut n'être pas complètement assuré au titre (sans pourtant se trouver contredit) (Exemples : Le Monde galant (E. Cadol (146)), Les Victimes du mariage (A. Caise (147)), Les Folles nuits de Pierre d'Aragon (P. Capmal (148)), Jeunesse (A. Cim (149)), Le Château de Castelloubou (E. Coustê (150)) comme titres pourraient convenir à des ouvrages non romanesques), d'autre part, les signifiés que le titre rassemble ne forment pas des touts sémantiquement autonomes : il n'est fourni au lecteur qu'une frange informative, des indications implicites, des renseignements incomplets. Le titre n'est pas producteur d'univocité; il fait entendre, il fait attendre, deviner, désirer. On l'envisagera comme un complexe, une agglomération d'informations inachevées, un lieu d'indices.128 Par suite, l'obscurité du titre, son illisibilité relative est à considérer comme l'intention positive même de ce texte en miniature : le défaut d'information qu'il comporte présage de la clarté d'ensemble du livre à lire. Le titre, en inscrivant une ignorance comme marque du roman désigne par avance le savoir qu'il produit comme bénéfice de sa lecture. 128

Ein Titel muss kein Küchenzettel sein. Je weniger er von dem Inhalte verrät, desto besser ist er (Schiller). Cité dans Kayser, 1959, 192. U n titre « clair », parfaitement ajusté au livre et capable d'en désigner complètement le contenu est une utopie de l'esthétique classique traditionnelle (cf. Baillet, 1725, 183; D'Israeli, 1866, 109) : sa « clarté » - au moins dans la sphère littéraire l'empêcherait d'accomplir sa fonction. Toujours à partir de la même réflexion de Schiller, Adorno, 1965, 9 explique en effet : Denn jedes Werk, wenn nicht jeder fruchtbare Gedanke, ist sich verborgen; nie sich selbst durchsichtig. Der gesuchte Titel aber will immer das Verborgene hervorzerren. Das verweigert das Werk zu seinem Schutz. Die guten Titel sind so nahe an der Sache, dass sie deren Verborgenheit achten; daran freveln die intentionierten.

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Si lire un roman est réellement le déchiffrement d'un fictif secret constitué puis résorbé par le récit même, alors le titre, toujours équivoque et mystérieux, est ce signe par lequel le livre s'ouvre : la question romanesque se trouve dès lors posée, l'horizon de lecture désigné, la réponse promise. Dès le titre, l'ignorance et l'exigence de son résorbement simultanément s'imposent. L'activité de lecture, ce désir de savoir ce qui se désigne dès l'abord comme manque à savoir et possibilité de le connaître (donc avec intérêt), est lancée. Le titre est obscurité; il réfère ainsi à la lecture du livre, réunissant de la sorte à y engager le lecteur. Dès son annonce et en raison de l'ambiguïté qui la couvre, l'histoire demande à être sue. H y a donc articulation d'un non savoir affiché au titre et du roman comme savoir dont le titre représente l'amorce : la fiction se constitue ici comme double feinte, puisqu'elle prétend combler l'absence qu'elle-même a constituée. (Développements sous 3.41-44). Le titre est donc le texte explicité au début du texte comme le manque à savoir qui en fonde la lecture; sa relative illisibilité entraîne à la lecture de ce qui le suit; le mystère ainsi constitué est promis dès l'abord à une heureuse destruction finale. Le titre est un texte à propos d'un texte, il fonctionne sur la non simultanéité de leur apparition : d'un côté, il réalise l'appellation de ce texte second qu'est le roman, de l'autre, il forme lui-même une entité complète (bien que sans autonomie) (en ce que le lecteur n'a pas encore pris connaissance de ce qui lui sert de réfèrent, c'est-à-dire le roman) : il se déchiffre comme le signe clair et obscur de ce qui s'offre au déchiffrement. NOTE: La lecture se trouve automatisée par l'expérience; le titre se reconnaît comme titre et comme signe spécifique (ou du moins, non contradictoire) du roman au premier coup d'oeil. Le titre non fautif fonctionne, pour cette raison, infailliblement. Le réemploi ou l'aménagement des étiquettes en usage suffit de ce point de vue à garantir l'auteur de l'erreur.

Le titre fait lire; il provoque la curiosité en tant que l'information qu'il contient n'est ni suffisante ni autonome. Il étonne en fonction de son agrammaticalité, proportionnellement à la restriction du savoir qu'il impose tout en en jetant les bases. H fait attendre tout en faisant croire à la réalité de la récompense (un récit qui renseigne) venant couronner cette attente : Was immerhin zuerst ein Bestimmtes erwarten làsst, ist der Titel,129 Et plus péremptoirement : Il est l'appât,130 Un 126 130

Lawson, 1934, 30. Dans le même sens, cf. Lammert, 1968, 143. Hélin, 1956, 139.

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beau titre est le vray proxenete d'un livre, et ce qui en fait faire le plus prompt débit,131 Un titre surprend; il intrigue par le manque à savoir qu'il provoque : Gerade die Undeutlichkeit, der unverstandene Rest hat eine grossie Anziehungskraft.132 Qu'il n'exprime pas complètement l'information que pourtant il affiche et dispense, qu'il tienne en réserve le sens tout en paraissant l'offrir, qu'il remplisse, en un mot, sa fonction sur le mode de la retenue sans cesser pour autant d'exclamer son pouvoir informatif, telle est l'ambiguïté fondamentale de son statut. Bien plus, la part d'information que le titre semble receler n'est pas effective : non seulement le « contenu » du livre n'est en soi pas désignable, non seulement le titre ne vise pas à sa désignation, mais il ment à propos de l'identité même du livre : le titre constitue un leurre;133 le titre nous avertit que nous allons lire un mensonge (38)1Si et s'accomplit comme imposture : l'enseigne est un faux grâce auquel le livre s'affirme comme savoir (alors qu'il n'est que fiction constituée comme tel), d'une part, par le biais duquel, d'autre part, un surplus de valeur s'ajoute à sa réalité propre : le titre est une promesse qui dépasse plus ou moins effrontément et par définition - dans la sphère romanesque en tous les cas - ce que tient ou peut prétendre tenir le livre.135 Le titre produit, par conséquent, la surenchère par rapport à ce que peut offrir le texte, mais sans que le taux en puisse de prime abord être décelé par le lecteur : celui-ci subit l'effet de l'exagération de l'information sans pouvoir - du fait de sa relative vraisemblance - la reconnaître comme telle. L'office de désignation se trouve rempli, mais cette m

Furetière. Cité dans Hélin, 1956, 139. Kandler, 1950, 72. Le surréalisme n'a fait que systématiser le procédé (tout en prétendant à sa décommercialisation) : Le titre poétique n'a rien à nous apprendre, mais il doit nous surprendre et nous enchanter. Cf. René Magritte, Question du titre, reproduit dans Surréalisme International, Opus International, 19/20, 1970, 30. 133 Ou Blendwerk. Cf. Lawson, 1934, 30. 134 Goncourt, 1877, 72. 135 La réclame va jusqu'à souligner publicitairement le fonctionnement publicitaire du titre : Si, comme on l'a dit souvent, l'enseigne est pour beaucoup dans le succès, voici un livre dont le titre — l'enseigne ! - promet beaucoup aux lecteurs avides d'émotions : || L'HISTOIRE D'UNE NUIT || Une nuit ! Que de drames, que d'événements, que de crimes, que d'amour se commettent en une nuit! Eclipse, N° 251, 17 Août 1873, 3. A propos d'un roman de L. Stapleaux. De ce même point de vue, le titre peut être considéré sans paradoxe comme plus « intéressant » que l'histoire - décevante - qu'il couvre : It is too often with the Titles of Books, as with those painted représentations exhibited by the keepers of wild beasts; where, in general, the picture itself is more curious and inviting than the enclosed animal (D'Israeli, 1866, 110). 132

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désignation, à partir d'un certain seuil que le roman ne saurait se refuser à franchir, est fictive. Le texte du titre renchérit donc dans sa disproportion même (et à l'avance) sur la réalité (jouée) du texte à suivre. SÉMIOLOGIE D U TITRE PROPOSITION : Le titre (de roman) est un signal sémique complexe, composé d'un nombre variable d'unités (minimales) de sens, dites « sèmes ». « Sème » ne correspond qu'occasionnellement au mot, est susceptible d'en recouvrir plusieurs ou d'en comprendre seulement certains éléments; il est cette unité signifiante regroupant à travers l'épaisseur sémantique des mots du titre tout ce qui lui est compatible et la renforce. Le mot (du titre) comprend, d'une part, les sens régulièrement enregistrés par le dictionnaire (de l'époque), d'autre part, un certain nombre de séries associatives, fonctionnant, par connotations successives, comme élargissement de ses sens fondamentaux. Cet élargissement du sens n'est pas recensé dans le dictionnaire et guide implicitement la lecture. NOTE: Le mot du titre, sans contexte immédiat, séparé de son réfèrent, paraît être l'abrégé ou le résumé d'un nombre indéfini de phrases possibles implicites se recoupant et fonctionner comme un nœud de signaux conjoints. « Mari », dans le titre, implique, outre le sens légal, « celui qui a le droit », « celui qu'un devoir lie », « celui qui trompe », « celui qui est trompé », « celui qui n'est pas l'amant », « celui qui n'a pas été choisi », etc. Le mot du titre évoque; il fonctionne comme un réservoir de sens, comme un tissu associatif où le lecteur a à prélever ce que la vraisemblance romanesque lui impose. Cela en raison directe de la relative agrammaticalité de la phrase du titre qui le comprend. PROCÉDURE: Les différents sèmes composant le titre se définissent par opposition et forment entre eux des couples indissociables fonctionnant sur la désignation et l'exclusion de leur antithèse. A l'intérieur du titre, chaque unité de sens ne se comprend qu'au sein de la polarisation. A côté du fait sémique enregistré figure automatiquement, comme ce qui en permet le repérage, son opposite. La décomposition du titre et la détermination de son intérêt doivent tenir compte de la distribution binaire des éléments investis.

: Le titre se conçoit comme un champ sémique unitaire. Il compose, d'une part, les sèmes (ou unités sémiques) dominants, auxquels se rattachent d'éventuels sèmes seconds, complémentaires ou redondants, avec, d'autre part, un certain nombre d'éléments appelés « opérateurs sémiques ». L'opérateur (le défini, l'indéfini, le pluriel, la superlativation, la métaphorisation, etc.) joue sur les sèmes constitutifs du titre, les articule et fonde, en animant les rapports d'unités de sens

PROPOSITION

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relativement autonomes, l'effet du titre. Des sèmes statiques, en euxmêmes inefficaces ou dont le pouvoir demeure virtuel, sont, grâce à l'opérateur, animés, activés, signifiés. Celui-ci, sur les bases qu'ils offrent, crée un ordre signifiant supérieur, qui les intègre, propre à produire l'intérêt désiré. PARALLÈLE: La différenciation proposée par Furet+Fontana, 1968, 123-124, qui distinguent (à la suite de Weinreich) un certain nombre de « formateurs » à l'intérieur du titre (« introducteurs » (« traité », « essai », « précis », « recueil », « notes », « almanach », etc.), « quantificateurs », « opérateurs prépositionnels » (négations, disjonctions, conjonctions), marques de transitivité ou d'intransitivité (« suivi de », « tiré de »), marques de symétrie ou d'asymétrie (« ou »), marques de fonction (« utile à », « pour servir à »), marques de destination (« à l'usage de »), marques d'intersection (« union de », « mélange de », « rapport de »), plus poussée à certains égards que celle qui nous sert de base ici, se trouve cependant, par manque de définitions spécifiques, 136 inefficace sur l'aire propre du roman. En effet, les opérations du titre romanesque impliquent un investissement sémique et la mise en contact d'unités de sens déterminées; elles supposent en outre des manipulations rhétoriques dont la description purement linguistique ne saurait rendre compte.

Le titre (de roman) se décompose (1) en un certain nombre (limité) de sèmes, parmi ceux-ci, plusieurs possèdent une position dominante et canalisent l'attention à leur profit, (2) en un certain nombre de composants (ou d'opérateurs). De l'articulation de ces deux séries de facteurs ressort Yintérêt spécifique du titre, sa tonalité distinctive. La lecture s'en accomplit comme totalisation des effets combinés des opérations que les différents éléments en présence dans chaque titre produisent En effet, le titre réalise une information feinte à propos du texte; ce texte, il le signifie plutôt qu'il n'en instruit. Il ne s'en détache pas pourtant : la lecture totalisatrice des éléments qui le composent se trouve complètement dirigée, maîtrisée. Le titre n'est pas formé de sèmes arbitrairement prélevés et ceux-ci ne se lisent pas librement, mais seulement en rapport avec le roman : il y a fait de genre, par suite, limitation de l'activité textuelle à des règles établies, publiques. Le roman comme genre constitue le contexte du titre : le rapport expérimenté de longue date par le lecteur entre un certain signe (le titre) et le langage (le roman) dont il relève fonde la perception globale correcte de celui-ci. En d'autres termes, le roman sert de contexte au roman, si l'on entend chacun des présents exemplaires comme actuali138

La parution, récente, de la version complète de cette étude (Furet+Fontana, 1970) ne fait pas revenir sur ces affirmations.

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sation et vérification de son genre. Les possibilités d'inscription et de déchiffrement des unités sémiques du titre sont ainsi limitées : on lit le roman sous dictée du roman. NOTE :

Le roman recherche la vraisemblabilisation de chacun de ses éléments, c'est-à-dire une justification externe de ses règles d'activité. C'est ainsi qu'il prétend désigner au titre tout autre chose que l'existence réelle du genre comme contexte par l'évocation, par exemple, d'une réalité historique ou géographique repérable ou, généralement, par l'exploitation du code de base (celui-ci certifiant l'existence de ce qu'il permet de nommer) : Le Mari, Le Mari de Delphine, Emma et Delphine, comme mots, comme sèmes sont possibilisés par le code et peuvent fonctionner au titre comme signes d'un réfèrent « vrai » extérieur. D'une part, le titre ne compose que des éléments possibilisés par le code, d'autre part, tout élément porté au titre se trouve automatiquement (à condition qu'il entre dans l'ordre de vraisemblance du code) possibilisé comme la réalisation même de celui-ci: ce qui figure au titre est affirmé, correspond donc censément à un référent externe: même Une Courtisane vierge est « vrai » en ce que le récit se profile, dès la lecture du titre, comme levée du paradoxe. Le signal-titre se déchiffre par rapport au contexte implicite (et non simultané, puisqu'il se manifeste actuellement tout en s'alignant d'avance sur la vérification à venir) des probabilités qu'offre le champ romanesque acquis au lecteur. Le titre joue sur le su; le lecteur a connaissance de ce que peut vouloir dire un titre de roman; il emprunte automatiquement le chemin de la compréhension du titre pour l'avoir maintes fois expérimenté : le roman est impliqué dès l'enfance des lectures, la lecture actuelle de la littérature se base sur l'accumulation des lectures anciennes, de la littérature est à l'origine de la littérature. Le titre est lu par habituation au roman : « Mari » au titre ne s'entend jamais dans son sens objectif immédiat, mais toujours en raison de facultés romanesques. Le titre compose une probabilité unitaire de sens. De son faisceau sémique constitutif paraît jaillir l'obscurité. En fait, le lecteur, en raison de ses lectures, est mis à même de trier dans la série connotative la signification probable du titre, d'en repérer le sème dominant, d'en ressentir l'effet spécifique. Malgré la retenue du référent, qu'il y ait fait de genre permet au lecteur de réaliser un déchiffrement global sans faute - c'està-dire conforme au romanesque. [Cf. Vol. compl., TABLEAU 1 3 ] RÈGLES DE LA TITRAISON ROMANESQUE

1. Le titre réalise l'événementiel et son exorbitance. Cette qualité d'extraordinaire qu'inscrit la marque au seuil du livre ne dépend pas de l'investissement sémique, mais bien de la force propre que possède

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celle-ci en tant que marque; de la désignation même surgit la réalité différentielle nécessaire à la narration; de la formulation - renfermée dans le champ romanesque - ressort l'unicité de ce qui est, par elle, affirmé. Le signe de l'histoire, tel qu'il apparaît, isolé, péremptoire, lourd d'informations et pourtant d'une insuffisante clarté, appelle l'histoire, la suscite. Or, l'événement est un « trop », un « plus », ce qui excède. C'est donc la vertu de la marque que d'assurer du livre en renchérissant sur la différence qu'elle constitue, car de là seulement du sens paraît pouvoir en être recueilli. 2. Le titre réalise la vérité du texte. Telle est la puissance de la marque isolée (sans contexte immédiat) que ce qu'elle affirme s'impose comme évidence, se reconnaît comme vrai, échappe à l'interrogation. L'isolement de la marque soutient l'affirmation qu'elle recèle. Ce qui est désigné au titre, en raison même du manque de détermination qui le caractérise, se lit en conformité avec le réfèrent supposé, est trouvé coïncider avec lui; l'adéquation de la marque et du réel est ainsi réalisée, celle-ci est crue et la fiction qu'elle comporte passe pour authentique. L'invérifiable signe, par suite de l'affichage dont il bénéficie, arrache la conviction. La vérité de la proposition du titre inaugure (et ainsi garantit dès l'abord) la vérité de l'énoncé romanesque en son entier. Or, c'est par le biais de la « vérification » que le sens effectivement s'acquiert. 3. Le titre réalise le secret de l'énoncé romanesque. Pris dans son ensemble, et nous y reviendrons (cf. 3.41-44), le roman successivement fonde et défait le défaut d'information nécessaire à sa constitution. A cet égard, le rôle du titre est primordial. C'est en effet à partir du titre et en lui que le secret composé par le livre se donne à lire et promet son dévoilement. Ce qui est affirmé au titre est à la fois évident et extraordinaire, vrai et ignoré, affirmé et retenu, non découvert, intrigant, contient donc de quoi éveiller l'intérêt tout en l'inscrivant dans le champ de sa future élucidation. Le titre compose une énigme, soit qu'un des sèmes la signifie explicitement (ne serait-ce qu'à travers la marque de son élucidation), soit qu'elle imprègne implicitement l'affirmation qu'il contient (l'information étant incomplètement donnée, son objet, pourtant mis en vedette, est, quoique évident très partiellement déterminé). De ce point de vue, XJne Belle-mère et Le Secret de la bellemère sont parfaitement équivalents, le premier ne faisant que paraître retenir cela que le second montre ouvertement. Les opérations du titre, restreignant délibérément la détermination, orientent l'affirmation sur un au-delà explicatif (le roman), mais elles ont commencé par rendre, en raison des ténèbres amassées, la clarification nécessaire.

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4. Le titre réalise l'oxymore. L'affirmation que la marque constitue comme titre du roman est « intenable », représente même souvent une impossibilité logique; les éléments qu'elle rapproche jurent ensemble, font déflagration (la positivité s'y voit alliée à la négativité, l'un des sèmes de l'opération se trouve plus ou moins nommément contredit par un autre qui lui est juxtaposé). Ainsi, La Vierge noire (ou, pour rester dans notre corpus, La Vénus noire) accomplit le scandale et le nonsens et produit, comme dit le chroniqueur, la « terreur ».137 Mais le titre apparemment inofïensif (comme La Cousine Adèle) produit lui aussi le contraste : le non romanesque étant présenté comme objet du roman, la marque - comme toute marque qui n'accomplit pas explicitement le scandale - produit immanquablement, du fait de sa position la contradiction désirée. C'est en effet par ce biais que le titre « attire » le roman, qu'il en installe l'exigence chez le lecteur. Le titre, voire le roman luimême,138 s'édifie à partir de l'écart, mais, bien plus, c'est du titre au récit, globalement, que l'opposition se lit le plus activement : la marque est en effet telle que ce dernier peut en réaliser la contradiction; le roman résorbe ainsi l'impossibilité d'origine, que son titre effectue. On dira alors que l'information comprise dans le titre (comme titre) est spécifiquement romanesque, qu'elle installe d'emblée le lecteur dans la sphère de lecture appropriée, et cela, parce qu'elle se constitue simultanément - et la brièveté de l'énoncé qui la supporte n'est certes pas étrangère à cet effet - comme sens extraordinaire, obscurcissement, inacceptabilité et vérité du sens. Le titre produit ainsi l'intérêt du texte : ce qu'il donne à savoir ouvre immédiatement sur un non savoir - et pardelà sur une information totale (le récit) susceptible d'anéantir ce dernier. Ainsi, le titre du roman est-il composé de façon à ce que le récit puisse lui répondre, remplir la « promesse » qu'il constitue, cela, en en réalisant, comme nous verrons, le démenti. Le savoir insuffisant que le titre propose invite à prendre connaissance d'un texte supposé, de ce fait même, suffisant, complet, clos. L'ignorance étant dès l'abord provoquée, le roman se désigne aussitôt comme ce qui existe pour la combler. Titre et roman se comprennent dialectiquement : le titre, informateur et restrictif, pose le roman comme un art de la révélation; à partir du mystère d'origine, que lui, le titre, recèle, le texte se manifeste comme levée radicale de ce mystère; l'inscription d'un non savoir impose ainsi m 138

Cf. Eclipse, N° 61. 21 Mars 1869, 3. Cf. Chklovski, 1966, 174-175.

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simultanément la claire assurance de sa disposition : le texte, produit comme déchiffrement de ce qu'il ordonne lui-même comme énigme, est rendu nécessaire. Par suite, du fait même de sa titraison, le roman s'impose comme générateur du sens : grâce à lui, du sens succède à ce qui en est le manque patent. Le titre fait lire le livre comme un ensemble complet, nécessaire - fatal - d'informations, après le vide relatif qu'il manifeste, comme un indiscutable plein. Le titre-ténèbres conduit au texte-clarté (qu'on prend ici globalement, car il n'est pas liquidation immédiate du manque, bien au contraire). Le titre propose à son envers le savoir suffisant que l'information insuffisante qu'il apporte exige pour être justifiée. Par conséquent, voici prouvée par avance la nécessité du texte-dévoilement offert. Le titre ment, inscrit le défaut, propose l'impossible, etc., affirme le texte qui ou bien le controuve ou bien le révèle et qui par là s'établit dans le vrai. De là, de cette différence jaillit l'intérêt du roman, ressort sa raison (vraisemblable) d'être. Le titre-signe propose, impose la valeur (et la valeur de réalité) du livre-marchandise; le sens en est, par son biais, trouvé adéquat, naturel : Le titre du livre - selon sa convention - [...] désigne ce qui le remplit (comme l'homme qui se vit comme signe est censé remplir son nom), comme si l'objet livre devait être considéré comme une forme (définie par le genre), vide qui se remplisse à volonté d'une marchandise mise en circulation par le demi-grossiste (l'auteur), vendue sous une étiquette qui ne trompe pas son monde (le titre) et acheté[e] selon les besoins du consommateur (le lecteur).139 Entre titre et roman, le sens pris-rendu se donne comme intégralité, totalité indépassable et fixe, bénéfice obligé de la lecture. La fiction romanesque, grâce à l'extraordinaire qu'elle réalise au titre, se désigne à elle-même pour horizon l'annulation lumineuse (uniforme) du non-sens qu'elle se donne (fictivement) pour origine. Le texte est désormais établi comme clôture, norme, fixité : la signification est par lui arrêtée. Un livre, pourrait-on dire, est toujours formé de deux parties : une partie courte et une partie longue. La partie courte, c'est le titre. La partie longue, c'est le texte. Et ce qui est essentiel c'est le rapport entre les deux, c'est l'équilibre qui se réalise entre cette partie courte et cette partie longue... ,140 La première, négative, n'est là, en premier lieu, que pour fonder la positivité de la seconde et principale. Or, cette première part du texte en fait lire l'ensemble comme une opération de réduction 138 140

Pleynet, 1968a, 102. Butor, 1967, 5.

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au sens unique et le referme donc sur ses données. C'est là ce que Mallarmé appelait, pour s'en plaindre et méditant une dérogation fondamentale à cette coutume, le « trop haut parler » du titre.141 2.64

Invention de l'extraordinaire

La situation narrative de base se comprend comme articulation (ou combinaison) des différents niveaux de récitation impliquant les unités textuelles examinées (le temps, le lieu, la personne) ainsi que les systèmes qui les organisent et règlent le perspectivisme du roman; elle se désigne comme telle (en tant que romanesque) dès sa première manifestation, à la première phrase imprimée, au titre comme aux lignes inauguratrices du texte proprement dit. Le récit paraît, sous la première marque d'un chapitre ou d'une partie, s'entamer régulièrement par l'événement. Par là, le texte répond à l'injonction qu'il se fait à lui-même par le moyen du titre, justifie de son existence. La première phrase, la ou les première(s) page(s) du texte, sur la voie de l'actualisation, de l'accomplissement du titre et de son déni, représente un premier pas et un pas décisif. Dès l'attaque, le lecteur subit un premier heurt (son amplitude peut être fort réduite : une rencontre, un ennui, une larme, un signe...) dont la signification est pour lui nécessairement profonde (éventuellement disproportionnée avec l'événement qui la supporte) : de ce premier fait l'aventure se présage, elle en sera la suite et le redoublement. Le titre créant la position de lecture romanesque, le lecteur déchiffre la première phrase (ou page) du livre dans l'optique de l'événement et s'efforce de repérer les traces de ce qui ne peut manquer de se produire. Il est du reste si reconnu que l'événement procède obligatoirement des premières lignes, l'entraînement créé (par l'habituation culturelle) est si considérable qu'alors même que l'auteur ne désire pas inscrire l'extraordinaire là où normalement il se donne à lire (créant par là quelque PROPOSITION :

141

Mallarmé, 1961, 387. Voir, dans le même sens, les réflexions d'Adorno, 1965, 8 sur l'aporie en question : le titre est (devenu) impossible, le titre est paradoxe, répète le paradoxe de l'œuvre (devenue) elle-même impossible, etc. Ce travail sur le titre, par où nous avons observé le procédé global du roman, était rédigé à la publication de La Double séance, Tel Quel, n° 41 (Printemps 1970), 3-43 et n° 42 (Été 1970), 3-45. Jacques Derrida, dans la partie liminaire de son étude, accusant de façon cinglante ce que nous voulions désigner ici, démontre et démonte, à l'exemple justement de Mallarmé, la contrainte fondamentale qu'exerce l'enclencheur du texte. On se référera aussi à l'analyse de Jean-Joseph Goux (Numismatique II, Tel Quel, n° 36 (Hiver 1969), 59-60) sur les implications théoriques générales de l'intitulé dans la pensée « centralisée », « représentative », « monomorphique » et par rapport à la dénégation marxiste.

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chose commme un contre-effet de suspense) il se détecte cependant. Dès que le livre est désigné comme roman, son auteur n'en est plus maître, l'extraordinaire suinte - quoi qu'il en ait - de ce qu'il dit (ainsi, tout visage se lit sous l'angle de la passion, toute parole sous celui du secret, etc.). La question étant posée, tout, dans le roman, et dès l'abord, signifie la réponse que le lecteur (forcément exercé) forcément déchiffre; qu'il sache avoir affaire au roman le pousse à rechercher, et donc à trouver, entre des éléments épars, disparates, « étonnants » des rapports signifiants constitutifs du savoir qu'il ne peut manquer de viser. L'extraordinaire ayant lieu (se trouvant inscrit), le lecteur a pour seul objectif d'entrer en possession du sens du texte. Il est par conséquent amené à une signification installée en lui dès avant que le processus qui permet théoriquement son parachèvement soit entièrement mis en place; tout est dit, le lecteur sachant lire le roman, avant que le déchiffrement du livre n'ait été accompli. Le texte dispense, pour ainsi dire, une lecture lue d'avance, qui ne va plus guère, durant son parcours, que s'assurer. Nous dirons donc que par là étonner, c'est conduire. Mais aussi, que tout, dans le roman, étonne, détonne, est susceptible de signaler l'extraordinaire, d'en être l'indice et le support. Tout accident, dès lors que sa position l'implique, provoque le sens, ou plutôt : il n'y a d'assemblé dans le roman que ce qui peut être marque, au lieu où il paraît, du sens : la pluie étonne, le beau temps étonne, la présence ou l'absence étonnent, la rencontre ou l'attente, la coïncidence ou l'irruption, etc.142 : tout y est fait, et tout fait s'y trouve méfait, signe du négatif, de l'obscurité, désordre. Soit l'inventaire des formes privilégiées prises par l'événement à l'ouverture du texte : rencontre (fortuite) (Paris est plein de ces rencontres (81))¡rendez-vous (nocturne) arrivée (à point nommé)/hasard (imprévisible)/coïncidence (incroyable) (Et elle traversa la rue du Cadran juste au moment où le fiacre mystérieux qui 143

Le recensement statistique de l'événement romanesque esquissé par A. Moles (cité et commenté dans Bense, 1962, 80) donne par ordre d'importance : se tuer, tuer un autre, tromper sa femme, se marier, cambrioler, tirer un chèque, entrer dans une cabine téléphonique, conduire une voiture, avoir un accident, faire l'amour, donner un baiser, écrire une lettre, etc. Un tel rangement a le défaut de se baser sur une définition restrictive du fait et de ne tenir compte ni de sa position (le mariage à l'épilogue ou au prologue n'a pas du tout la même valeur), ni du rapport à l'agent qui l'accomplit (le mariage du héros n'a pas du tout le même sens que celui de son adversaire). L'événement, qui n'est pas objectif et qui ne se réduit pas à quelque pure information, ne se repère pas sans la valeur textuelle dramatisante qu'il comporte nécessairement.

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avait pour mission de suivre le comte Lucien des Mazures quittait le coin de cette même rue (6bc) ) départ (précvpAë)/adieux (déchirants) retour (inattendu)/ retrouvailles (miraculeuses)/ressuscitation/ reconnaissance fait subit (inopiné) ( Tout à coup la porte s'ouvrit à deux battants (81); Tout à coup un grand bruit se fit entendre à /'intérieur (3) )/surprise incident (singulier)!accident/naufrage/incendie/orage malheur /menace (exercée) /danger (couru) /situation désespérée (sans issue)/ coup du sort larmes/évanouissement/fièvre/maladie/cri (Soudain il jeta un cri. Un cri terrible, plein d'étonnement et d'angoisse (6bc) ; Tout à coup on entendit un cri féroce, un cri de désespoir surhumain, un cri de lionne dont on enlève les petits (6bc) )/émotion (violente) (La toiture du palais s'écroulant sur sa tête ne l'aurait pas mieux assommé (81)) bonheur/ coup de chance/ héritage (inespéré) crime/ enlèvement/ viol/ vol d'enfant/ arrestation/ guet-apens/ blessure (sanglante) (Il perdait son sang par cinq blessures (3)) mensonge/ tromperie/ intrigue/ piège (tendu, non évité) épiage/ traquage/filature/poursuite/ fuite actes scandaleux malentendu/ quiproquo/ déguisement/ ressemblance (trompeuse) révélation/ aveux/ lettre anonyme découverte/ discours surpris/ lettre perdue mystère/ indice/ passage (dérobé) sauvetage (in extremis)/ acte héroïque/ manifestation du courage, de la force (A chaque coup de sa masse d'armes, il abattait une tête ou un bras (3)) lutte/ combat singulier (à issue incertaine) contraste (absolu) des agents (D'un côté l'impétueux amour; - de l'autre, la haine implacable (13) ; Il me semble, mon cher duc, que le destin nous a mis ainsi en présence, munis de qualités contraires, vous qui avez reçu des dieux le don d'atteindre tous les cœurs, moi dont le cœur ne sera jamais pris (81)) NB. Il est facile de noter que la parodie joue à cet égard aussi sur l'accumulation disproportionnée: La lame effilée du grand couteau avait pénétré de dixhuit centimètres. Et il se sentait frappé mortellement en même temps qu'il voyait la corde à laquelle il était suspendu se tendre inexorablement et l'étrangler, cependant que le verre de vin empoisonné commençait à lui procurer des spasmes sérieux qui ne laissaient aucun doute sur ses intentions (37). [Cf. Vol. compl.,

TABLEAU

14]

PROPOSITION : L'« accident » romanesque

(inaugurateur

ou non)

n'est

signifiant que parce qu'il est « porté s> par le système relationnel liant les personnages en état de déséquilibre (jusqu'à la solution non comprise). L'événement s'appuie sur une relation inter-individuelle troublée, non conforme. Bien que celle-ci se trouve en post-position (sa complète exposition ne peut guère avoir lieu avant l'irruption de l'extraordinaire inaugurateur), ce dernier doit être compris comme sa résultante.

184

POSITION DE NARRATION

Les relations entre agents, en effet, sont telles - nous avons montré longuement de quoi était faite leur instabilité - qu'un événement doit nécessairement en résulter qui concrétise ou réalise le désordre qu'elles constituent. Celles-ci le contiennent en germe, puisque le principe qui est à leur origine sinifie désorganisation, extraordinaire. L'inéluctabilité de la péripétie répond à l'inadmissible « injustice » des rapports entre personnages. L'« accident » n'est que ce que veut l'édifice relationnel afin de manifester la négativité constitutrice : dès lors seulement l'intérêt existe. La porte ouverte, l'homme rencontré, la phrase surprise, l'orage éclatant, la trouvaille ou le crime ne sont extraordinaires, c'està-dire textuellement efficaces, que dans la mesure où ils profilent ou réalisent la structure actantielle « fautive ». L'événement n'est donc que ce qu'il fallait bien qu'il arrivât pour qu'il y ait récit étant donné la distribution des rôles romanesques dans la situation romanesque de non conformité. Or, dans l'ordre chronologique du récit, l'insupportable fait (ou le fait simplement étonnant) parait résulter de causes extérieures, avoir lieu « par hasard », accidentellement, cela, d'autant plus que la connaissance qu'a le lecteur des données relationnelles, au moment de sa manifestation, est très limitée, voire nulle. L'art romanesque consiste, en l'espèce, à faire passer l'accident pour accidentel, c'est-à-dire vraisemblabe, en dérobant les rapports qui le lient à la structure actantielle, en taisant son origine. (H faut bien se rendre compte ici que l'événement, lors même qu'il ouvre le texte, sans pouvoir donc signifier autrement que par défaut la relation fondatrice, la profile cependant au-delà de lui-même comme l'explication inconnue du trouble qu'il est). L'« accident » paraît, dans ces conditions, raison du texte, quand il n'en est que l'effet, quand il ne fait qu'accomplir le déséquilibre relationnel (ou le marquer). Le récit se donne à lire de façon à ce que la situation relationnelle fondatrice soit repérée à partir d'un événement qui en paraisse être la cause vraie et qui, du même coup, l'objectivise lui-même. La situation de base (troublée) est donc telle qu'elle exige, afin d'être reconnue comme déséquilibre « naturel » - et non point composé, fictif - , un événement qui censément la produise, donc extraordinaire. Celui-ci réalise le sens de la relation comme nature (il « arrive », alors qu'il ne se passe que ce que la situation exige). Nous dirons donc avec Balzac que « le hasard est le plus grand romancier du monde »,143 tout en étant bien convaincu qu'il ne s'agit là que du mode d'apparition de l'événement propre à réaliser le trouble 143

Cité dans Kôhler, 1967, 59.

POSITION DE NARRATION

185

relationnel. Par ce biais de la singularisation, de l'irruption et de la coïncidence, le récit couvre la nature de la causalité qui l'anime : produit comme « hasard », l'extraordinaire masque l'origine romanesque du texte. Par là, généralement, le texte nie qu'il constitue lui-même la signification qu'il porte, se dédit comme fiction - comme texte. Il est possible d'affirmer, toujours avec Balzac, que « les faits disent tout 5>144 - mais dans un sens non réaliste, sans expressivité - puisqu'en effet ils sont là, dans le récit, pour exprimer la situation-clef qui les détermine, pour répondre à la démonstration qui s'en empare : Die Erzählung ist nur eine Motivation der gelungenen Lösung.1*5 Mais ces faits ne paraissent être les « auteurs » de ce qu'ils ont à « dire » que pour mieux voiler l'origine de cette parole - romanesque - qu'ils portent. PARALLÈLE : La situation, de ce point de vue, est donc parfaitement inverse à celle à laquelle Maurice Blanchot nous a familiarisés (Je n'ai rien raconté d'extraordinaire ni même de surprenant. L'extraordinaire commence au moment où je m'arrête. Mais je ne suis plus maître d'en parler.146 En face de ses récits où le vide événementiel va de pair avec la cessation (approchée) du roman comme roman, les textes de notre corpus font « arriver » de l'extraordinaire afin de pouvoir débuter (se développer) et en demeurent « maître » dans la mesure où la situation de base est romanesquement spécifique. L'intérêt du livre (par suite, sa lecture) est donc ici la matière même du livre; le roman est l'objet d'un roman, qui, « paradoxalement » entend être vérité.

L'extraordinaire arrive par le roman, est éliminé par le roman. C'est dans ce parcours et entre ces deux pôles que le texte, du refus à l'acceptation, de l'étonnement au savoir, trouve à fonctionner. Par l'extraordinaire, la narration se pose comme narration, sollicite et justifie son devenir, la voie prévue qu'elle prend. On peut affirmer, à ce titre, que le roman n'est que son « exposition » même, celle-ci contenant le développement qu'il ne va pas manquer d'accomplir. Dans le texte romanesque, tout est dit aussitôt que posé : le récit, son intérêt, le lecteur, sa morale - ensemble lus - y sont le produit d'une même fatalité. Reste à voir comment un tel parcours se trouve réglé, et pourquoi il est nécessaire qu'il ait lieu.

141 145 146

Balzac, 1952, 226. Chklovski, 1966, 46. Blanchot, 1948, 60.

3 FONCTIONNEMENT DE NARRATION

3.1 CONSTRUCTION ET DESTRUCTION DE LA CRISE 3.11

Le Drame et son code

PROCÉDURE: On suppose admis que l'intérêt romanesque se fonde sur la négativité figurée comme malheur, produite comme extraordinaire et que le roman en tant que roman se trouve inscrit dans tous les traits constitutifs de la situation textuelle de base. On a pu dire que celui-ci, avant même que le lecteur n'en suive tous les détours, se donne comme lecture toujours déjà faite : qu'il n'existe qu'en termes d'attente signifie bien évidemment que le déchiffrement auquel il donne lieu se réalise à partir de l'acquis culturel - et cela veut dire à partir de l'horizon de fiction érigé par l'usager au temps de son apprentissage et durant une vie tout entière imprégnée de « roman »: le livre qu'il ouvre n'opérant qu'en fonction de l'expérience romanesque et sur l'accumulation du sens retenu dans la mémoire en vertu de cette expérience, s'en trouve être la confirmation (nécessaire, nous le verrons) : c'est en effet parce que le livre paraît conforme au « passé romanesque» du lecteur qu'il est «attendu», désiré et déchiffré par celui-ci; l'attendu, sous la forme d'un extraordinaire, repose ici sur des satisfactions antécédentes.1 L'intérêt romanesque a dû être, par conséquent, considéré, dans un premier temps (2.1-6) comme résultant de la constitution d'une plate-forme d'éléments signifiants permettant la reconnaissance de l'objet roman, ordonnant la visée qui s'en saisit. Dans un second temps (3.1-4), il va être envisagé dans son rapport à la construction du drame, c'est-à-dire dans la dépendance d'un système de production du sens conçu de manière à rendre celui-ci désirable pour le consommateur (il le lui fait prendre pour sa fin). Dans un troisième temps, enfin, (4.1-3) il devra être compris comme fonction de l'idéologique, dans le rapport à ce qui charge et contient ses éléments fondateurs, et le dirige. PROPOSITION : La négativité de base, fondement de l'intérêt romanesque, que ne justifie pas la représentation de l'événement (malheureux, extra1

In der Sprache berühren sich Erwartung und Erfüllung (Wittgenstein, 1967,

162).

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

187

ordinaire) à laquelle le récit prétend se vouer, est produite comme sens intenable, scandaleux et impossible du texte. L'insupportable scène est précisément ce que fait voir le spectacle du livre. H n'y a drame que de l'inacceptable : ce qui se montre intéresse en tant que refusé; dans la passion qu'il inspire, c'est l'horreur qui domine. Mais, si cela est, si l'événement de la fiction se passe contre le gré du lecteur et quoiqu'il provoque son vertige, il faut bien supposer que la négativité qu'il figure comporte au-delà d'elle-même, à son revers, une positivité d'origine à partir de laquelle elle s'entend précisément commme trouble et ruine. La proposition précédente doit donc être reprise et corrigée de la façon suivante : La négativité de base, fondement de l'intérêt romanesque, n'est produite comme sens intenable, scandaleux et impossible qu'à partir d'une positivité originaire qui la comprend. Nous dirons, en d'autres termes, que le malheur du roman n'est lisible que parce qu'il signifie en profondeur acceptation généralisée de la positivité et suppose adéquation du lecteur à celle-ci. Le drame repose ainsi sur un système affirmatif; un Vrai, un Juste, un Bien est entendu à travers la péripétie scandalisante qui a lieu; le mal désigne le bien comme le revers - et, à proprement parler, comme l'endroit - de l'événement intéressant qu'il anime; le mal n'est pas tant ce qui est lu que ce à partir de quoi le bien se repère (se trouve) : le roman-artifice renvoie ainsi à sa base conforme, le fait négateur et son élaboration dans le drame n'étant que le moyen propre à désigner (voire davantage) l'affirmation antérieure, seule existante, seule valable, sûre et nécessaire. Si donc le drame implique l'inacceptabilité du spectacle qu'il constitue, c'est qu'il réfléchit un admissible déterminé, imposé probablement et reconnu comme bien par le lecteur. L'horizon (immuable) du drame (changeant) s'appelle code. D'un fond « codé » ressort le négatif romanesque, lisible comme écart. Seule l'existence d'un code, c'est-à-dire d'un système reconnu (et généralisé) comme positivité signifiante, permet l'existence d'un texte dramatique différentiel. Pour celui-ci, parler du mal, c'est faire écouter le bien, raconter l'extraordinaire, c'est montrer la positivité de l'ordinaire. Ou, réciproquement : le bien, tel qu'il est compris comme code, assure l'intelligence du mal posé (un temps) dans le livre. Le drame se lit dans la réalité du code, non comme sa réelle négation, sans préparer aucunement sa fuite. Ainsi s'explique que le lecteur désire - à travers l'histoire, certes - la fin de l'histoire, puisque celle-ci coïncide avec la fin manifeste de l'insupportable négation, puisqu'elle signifie de façon patente reconquête de la conformité fondatrice. La lecture fonc-

188

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

tionne ainsi par rapport à ce qui gît retenu dans le fond du récit comme sa vérité même. Soit les définitions courantes adoptées par la théorie de l'information : Als KODIERUNG bezeichnen wir ganz allgemein die Transformation eines Objektbereiches (von Dingen, Eigenschaften, Wirkungen, Ereignissen oder Zuständen) und dessen Strukturen auf einen anderen Objektbereich (von Zeichen und Signalen) und dessen Strukturen, und diese Systeme sind einander isomorph. Als DEKODIERUNG hingegen bezeichnen wir die Rücktransformation der Zeichen und Signale auf die Ausgangsobjekte und deren Strukturen; durch Dekodierung der Zeichen und Signale erhält man eine Bestimmung (Reproduktion) der Ausgangsobjekte bzw. des ursprünglichen Objektbereichs. Der KODE ist eine Sammlung von Regeln, ein Schlüssel für derartige Transformationen. Mittels Kodierung und Dekodierung vollzieht sich jede Übertragung, Speicherung, Transformation und jeder Empfang von Information, d.h. der Kommunikationsprozesse Nous dirons, alors, en reconnaissant au code une existence idéologique présente dans l'objet même dont il est clé, en tenant compte aussi de la spécificité de la communication romanesque, que la lecture (ou décodage) (1) ouvre sur le code; il peut être dit que le livre représente, reproduit et prouve son origine : fenêtre ouverte sur ce plein, c'est sur elle qu'il « donne », (2) se fait grâce au code; il peut être dit que le code « ouvre » le livre et permet de saisir le sens de sa représentation : on lit le roman à partir du roman, c'està-dire à partir des règles et du « fond » accumulés par l'expérience. Le code est donc, dans notre optique, un ensemble de règles non pas neutres, formelles, données gratuitement du dehors, mais bien un système signifiant de déchiffrement inscrit en entier dans le texte lui-même comme son fond et sa raison. En outre, fait fondamental, en raison, pour une part, de cette activité textuelle du code, l'information livrée lors du procès de transformation (de l'encodage au roman (écriture), du décodage au code (lecture)) ne se trouve pas simplement reproduite et reconnue, sa transmission (romanesque), pour ainsi dire, Y augmente. Cet accroissement spécifique de l'information (du code) par le livre s'appelle intérêt romanesque. Ce code d'origine du livre, inscrit et trouvé dans le roman, tout à la fois clé et sens appréhendé, il est possible de le déduire du texte et de le réduire, dans un premier temps, à une simple formule oufigureélémentaire, appelée archétype (ce qui n'est pas pour nous renvoyer à une réalité autre PROCÉDURE:

!

Resnikow, 1968,

145-146.

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

189

qu'idéologico-culturelle), conduisant et dominant la lecture. Cette figure élémentaire est le ressort secret du drame et nous avons, pour le comprendre, tout d'abord à la déterminer. Cette figure, simple, se tire aisément du fatras apparent de la fable; tous les romans de toutes les catégories s'y réduisent sans exception, quel que dissemblable, par ailleurs, que puisse paraître le traitement qu'ils en offrent; sous l'amplification fabuleuse diverse, et quoique celle-ci lui soit nécessaire, c'est elle qui se reconnaît. Mais précisons. Le code, sous la forme archétypale qui en est, pour ainsi dire, la réduction et le symbole, origine du livre, se donne à lire dans sa profondeur (textuellement entendue) comme ce à quoi celui-ci tend, comme son sens même, comme le sens même de la construction romanesque dans son ensemble : le roman tient donc à ce qui tient ses éléments comme à ce qui, dans la composition même de l'ordre qu'il atteint, les signifie. L'origine du roman est ainsi le sens producteur du roman, que celuici reproduit et, tout à la fois, augmente. Par conséquent, il est correct de dire que le texte romanesque n'est susceptible de générer que le sens qui lui est déjà donné et d'« informer » qu'à propos de ce qui l'informe précédemment lui-même. Le roman est, en ce sens, essentiellement itératif, quoique la redondance qu'il constitue puisse être dite aussi parfaitement productrice (dans tous les cas, pourtant, cette production est fondamentalement conforme). L a figure originaire de base du roman, que nous déterminons, représente globalement le contenu de la conformité textuellement réalisée; elle est norme de lecture et figure l'acceptabilité du livre; en face de la négation « épique », elle représente le bien, le bon, le vrai, le juste, l'espéré, le convenable, le naturel, l'ordinaire, en un mot, l'entière positivité. Elle couvre ainsi la légalité d'un texte négateur (en sa feinte). Sans présager de la démonstration, nous dirons que le roman parle nécessairement de son origine, assure de son origine par le biais narrationnel et qu'il opère le retour à sa source; il est donc à la fois re-naissance et re-connaissance et l'origine qui le manifeste enferme auteur et lecteur dans ce qu'elle veut et peut prononcer. Le roman obéit à son archétype, se restreint à son exploitation. Cet archétype, sur lequel le drame romanesque repose, doit être pris comme la vérité positive du livre, comme l'équilibre reconnu et la valeur constituée par celui-ci - son optimum. De ce bien que signifie l'archétype, nous dirons tout d'abord qu'il est vrai, qu'il paraît tel parce qu'il est la marque sensible pour le lecteur de la conformité qui le relie lui-même au livre (Wahr ist was

190

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

nahe liegt).3 Nous dirons ensuite que ce bien se trouve incarné par un héros positif que le lecteur reconnaît parce qu'il lui ressemble (idéalement, par projection idéologique) (Il est inévitable que le lecteur, invité à vivre dans le roman comme il vit dans la vie, continue à sentir comme il sent dans la vie. Le roman et la vie sont placés côte à côte. Nous souhaitons le bonheur pour le personnage qui nous plaît, le châtiment pour celui qui nous déplaît. Nous avons nos sympathies secrètes pour ceux qui ont l'air de nous ressembler. Il nous est difficile d'admettre que le livre a de la valeur s'il blesse nos sentiments propres ou décrit une vie qui ne semble pas réelle à nos yeux).* L'archétype retient donc un faisceau de valeurs constitutives du livre et de ses producteurs (tant auteurs que lecteurs), voire de la société déterminée (la société bourgeoise au tournant libéral) à laquelle ceux-ci sont intégrés. Le bien repéré comme archétype n'est ainsi que le nom donné par les usagers à leur nature-mère - ce qu'eux-mêmes reconnaissent comme tel - retrouvée dans le livre Le code, trouvé au fond du récit dramatique en tant que positivité idéologique, fait reconnaître, en premier lieu, comme sa qualité véritablement maîtresse, Y ordre. Ainsi que le stipule la critique d'époque : L'ordre est la première de toutes les idées : c'est l'affirmation de l'être et comme l'expression de Dieu.5 Comme nous trouvons à le lire au tout début d'un inventaire (à lire et à reproduire) des « mots les plus usités » jusque dans le manuel en service - la divinité remplissant là aussi dans son office de garant - : (1) Dieu Jésus Christ Trinité Père Fils SaintEsprit Sainte Vierge Ange Incarnation Rédemption Résurrection Eglise (2) Sacrement Baptême Pénitence Eucharistie Confirmation Extrêmeonction Ordre Mariage Sainte Messe Ciel Purgatoire Enfer, etc.6 Comme l'exprime encore à sa façon l'esthéticien du moment : La source du plaisir que le beau nous cause [...] est [...] l'ordre qui est pour nos idées ce que la lumière est pour nos sens.1 L'ordre, première idée reçue, qui comprend tant l'autorité que l'obéissance, se donne comme unité (à travers la multiplicité et la contradiction même) et se perçoit par le sujet avec « plaisir » (Une œuvre d'art 3

O. Wiener, 1969, xli. Woolf, 1963, 145. 6 Lerminier, 1850, 262. 9 Chervin, 1868, 3. Pour un dossier plus complet de la question, particulièrement en ce qui concerne le rapport père/fils comme fondateur de l'ordre idéologique, cf. L'Appareil idéologique d'État et sa dépense: le Père dans le texte, Manteia, 12/13 (1971). T Voituron, 1861, I, 130. 4

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n'émeut que ceux dont elle est le signe)8 tout en justifiant l'intérêt de sa lecture, qui, plus généralement et bien au-delà de l'aire textuelle où nous observons ses effets, préserve et surveille l'héritage du code par ses usagers, figure, à n'en pas douter, dans le roman comme sens et raison de la négativité (feinte) du drame. L e roman, constitué en tant que drame par la négation du sens optimum qu'il conçoit, fonctionne sur son envers idéologique positif (ou code); il donne à lire celui-ci à travers la dénégation qu'il en joue. Pour cette raison, et cela échappe souvent à l'attention, pas de roman qui se termine mal : même aux dépens de héros, le bien trouve toujours à se prouver; pas de roman non plus qui ne donne à lire au lecteur son propre point de vue. PROPOSITION : Le bien du code est vécu en tant que représentation par le héros (positif) du drame. L e code est reconnu à la lecture en tant que « vie » du héros (ou « destin »). L e héros anime la foi du lecteur pour le code. L'aventure qui arrive au héros arrive en réalité au code. L a figure archétypale du code d'origine, dont le roman représente l'exploitation, est alors la suivante : I. Il est réputé inadmissible que le bon garant du bien soit perdant, souffre, soit en butte au soupçon, soit victime de l'infamie, soit trompé, ruiné, abandonné, solitaire, pauvre, etc., réciproquement, que son adversaire, le méchant qui ne réalise pas le code, triomphe, jouisse de la considération, de la fortune, de l'amour, etc.; II. Il est réputé inadmissible que le bon soit dépourvu des traits garantisant sa positivité, « en harmonie avec son mérite », tels que beauté, jeunesse, richesse, intelligence, bonté, charme, grâce, innocence, droiture, etc., réciproquement, que son adversaire (le méchant) les possède; Et : Il est réputé inadmissible que le bon/le méchant ne soit pas considéré dans le livre par les agents de la fable (mais non par le lecteur qui, lui nécessairement doit savoir) pour ce qu'il est réellement, admiré ou dénoncé selon sa qualité, rendu adéquat à cette qualité et rangé hiérarchiquement à la place qui lui revient; III. Il est réputé inadmissible que le bon/le méchant ne se trouve pas différencié de façon absolue dans le livre : ses gestes et son comportement doivent être parfaitement lisibles; l'agent non défini est inacceptable : il se trouve forcément en instance de définition et ne peut devenir que ce qu'il est déjà (éventuellement sans le savoir); le roman finit sur 8 Hennequin, 1888, 139.

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sa manifestation non ambiguë; le caractère du personnage ne peut être troublé que s'il désigne actuellement le sens de son devenir; il possède donc une nature; il est fait d'une seule pièce. Et généralement : Il est réputé inadmissible que le roman paraisse représenter un sens contradictoire. NOTE: Ces vérités qui figurent le commandement du texte romanesque paraîtront banales. C'est pourtant là, dans cet insignifiant supposé, que nous saisissons une loi capable d'assurer sous le masque son fonctionnement. Sans vouloir nier la réalité de mécanismes psychologiques fondamentaux, tels que 1'« instinct de conservation » ou 1'« aspiration au bonheur », nous prétendons découvrir ici leur investissement narratif et la charge idéologique qui les détermine en premier lieu; ce qui prédomine à nos yeux, c'est leur exploitation à des fins qui ne relèvent plus d'aucune « nature ». RÉFUTATION:

Le code, globalement, trouve à se confirmer dans la lecture (re)constitutrice, (revalorisante; répété, diffusé, continuellement relancé dans la chaîne ininterrompue des romans, il se lit et se refait sans cesse vérité. Or, le rôle du drame est ici fondamental : seule la perpétuelle affirmation présentée comme infirmation l'établit, en prolonge la durée. Le code, dont nous mesurerons mieux plus loin l'ampleur, sert ainsi d'origine au livre; il se laisse appréhender comme signification complète, suffisante, optimum, inchangeable, du livre; il constitue parfaitement son bon sens. 3.12

Le Roman-démenti

Soit donc (1) l'archétype fournissant le critère de lecture, déterminant pour elle le vrai sur lequel elle repose, imposant ses valeurs au texte, constituant son horizon, la base à partir de laquelle seulement il s'envisage, (2) le système relationnel réglant les rapports entre personnages (au début de l'histoire), déterminant la qualification de chacun d'entre eux, les inscrivant chacun dans une hiérarchie à une place indue et contradictoire étant donné leur qualification, réalisant le déséquilibre et l'impossibilité de la relation, (3) l'événement extraordinaire marque ou signe révélateur de l'anomalie relationnelle, manifestation « réelle » de l'injustice et du défaut, concrétisation brusque, « étonnante » du déséquilibre « arrivant » dans le livre. Le roman comme drame pourra être dit dépendre de ces trois facteurs. L'état archétypal implicite, qui fournit le sens moyen auquel rapporter celui-là du livre, lu à travers la relation et contre l'événement, réciproquement, l'injustice relationnelle et événementielle subie malgré la vérité archétypale présente, dirigent le

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récit. Archétype, événement, système forment les données du drame, celui-ci ne pouvant être que ce que leur rapport prévoit et ne constituant que le développement mesuré de ce rapport. PROPOSITION : L'archétype, figure originaire du roman, représente ce que ne réalise pas, dans un premier temps, le système relationnel de base et l'événement introduit. L e roman, dans ses premières mesures et durant tout le développement narratif qui en est la conséquence, paraît n'être que la dénégation réelle (« se passant », enregistrée comme telle par le lecteur) de l'archétype théorique cependant inscrit et reconnu comme vrai en son fond. Le roman se donne comme un démenti (feint) du code. Ou : l'archétype représente la codification de ce que précisément le roman semble avoir pour mission de troubler (dans le drame, dans la production par ce biais d'un impossible sens). L e lecteur trouve bien l'archétype dans l'histoire qu'il lit, mais il le trouve refusé par elle, non réalisé. H enregistre douloureusement (même si cette douleur est connue de lui comme plaisir) un écart, et à vrai dire une contradiction complète, entre ce qu'il désire (que lui assigne l'archétype) et ce qu'il observe (comme drame). L e lecteur conforme ne peut pas vouloir des faits narrés (que cependant il « dévore »), puisqu'ils signifient précisément la négation de sa propre conformité. La représentation qu'il suit, complètement subjugué, se donne à lui comme l'inacceptable démenti d'un vrai qui ne saurait être annulé, dont l'existence « malheureuse » se révèle du reste au sein de la contradiction qui a lieu. Par suite, la lecture se passe contre la représentation romanesque qui l'occasionne, dans le regret et cependant comme espoir, contre donc Yanti-nature textuelle accomplie, avec le désir de son annulation. L e drame est lu - il existe et est combiné à cette fin - précisément comme ce qui devrait ne pas être, comme récusation de l'archétype, momentanée et irréelle, bien évidemment. On appellera crise la réalisation textuelle du démenti (répété, croissant, maximum) infligé à l'équilibre harmonique originel. En d'autres termes, l'histoire romanesque produit la négativité au sein même de la positivité du code (sans donc l'entamer), se justifie comme telle. Les relations qu'elle pose, animent, contredisent l'affirmation archétypale (le bon est victime, le méchant triomphe, ni l'un ni l'autre ne sont reconnus pour ce qu'ils sont, etc.). L'événement, le système, à partir d'une distribution inadéquate des rôles et des situations, à partir d'un défaut systématique de correspondance entre qualité et position

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FONCTIONNEMENT DE NARRATION

hiérarchique, provoquent l'inacceptabilité du drame. Ce que l'agent a à vivre opère un démenti actuel par rapport à l'origine elle aussi actuelle (car immédiatement reconnue dans l'acte de lecture) de l'histoire; cette contradiction insupportable à défaire représente sa suffisante raison d'être. Le fait, dans le roman, n'est signifiant que dramatiquement, c'està-dire dès lors qu'il ne réalise pas la concordance avec l'archétype (nous lisons que l'acte du bon n'est pas adapté à la situation, n'est pas efficace, que celui du méchant, au contraire, débouche sur un bénéfice immédiat, etc.). Mais la dérogation générale qu'il doit produire, du fait de l'inscription de son agent dans le système, suppose qu'il prend une allure conflictuelle. Le drame, entendu comme désordre de la relation, parce que celle-ci comprend la valeur archétypale et parce que cette valeur se lit réduite à la vie des sujets porteurs, présume du conflit. Mais, dans la mesure où le drame désigne aussi les éléments d'un ordre qu'il s'applique à défaire, dans la mesure où, par conséquent, celui-ci se lit comme une redistribution relationnelle (à opérer au niveau du sujet) dont la justesse est déjà patente (et non pas comme transformation réelle du système), dans la mesure donc où le drame n'est qu'un désordre d'avant le rétablissement et la reproduction de l'ordre, nous avons le droit d'affirmer que le roman, produit de la différence, est pleinement et uniquement signifiant de l'archétype. Le roman suppose ainsi perpétuation et drame : il est su, dès avant toute manifestation concrète, que le défaut relationnel doit se produire; ce fait constitue la marque du romanesque par excellence. Dans ces conditions, tout est attendu dans la narration par le lecteur comme drame (manque, dérogation) et est en effet signe certain du défaut de correspondance entre le système et l'archétype; tout événement en est l'illustration, un événement dépourvu, dans le roman, d'une telle fonction ne s'imagine pas. Cela signifie que l'événement dramatique, aussitôt qu'il paraît marqué dans le récit, se dédouble pour comprendre un sens (retenu) qu'il ne possède pas explicitement : Toute rencontre, tout spectacle devient un sujet d'ÉPREUVE : toute présence manifeste entraine avec elle son double équivoque : les figures les plus découvertes sont idéalement voilées.9 Selon cette dialectique du paraître, où l'être ne sera rejoint que le drame résorbé et le système conforme, l'événement représente à la fois la négation (ou ce qui conduit à une négation plus complète) et l'amorce de la tardive affirmation. •

Généralisation de Macherey, 1966, 44.

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Le désordre indésirable intervient de préférence par le biais (a) de l'accident, (b) de la rencontre, (c) du trait de caractère difforme (faiblesse incongrue expliquant l'entraînement du personage positif à agir contre sa propre conformité, pourtant avérée). Mais ces trois ordres de faits sont à comprendre comme révélateurs du trouble foncier inscrit dans le système relationnel de base; ils servent à manifester une situation que celui-ci seul génère en son fond fausse (tout en retenant en filigrane les moyens de sa correction finale). Exemples : le bon sauve de la noyade l'héroïne épouse du méchant (78), le bon par faiblesse, alors qu'il aime celle qui lui est conforme, rencontre et épouse la séductrice (82). Dans les deux cas, l'événement ne fait qu'accuser l'impossibilité d'une situation préalablement déclarée injuste : le regrettable devient alors l'intolérable. Si maintenant nous interrogeons plus avant la figure du désordre nous trouvons que sa réalisation passe systématiquement par l'intervention d'un tiers, que la personne tierce (« le troisième homme ») introduit et fixe le déséquilibre relationnel générateur du trouble. Trois, réunis, différents, hiérarchiquement dissemblables signifient, ainsi que le représente la fameuse formule triangulaire traditionnelle (épouse/ mari/amant), le scandale romanesque : Le tiers est toujours présent à la naissance du désir - conforme ou non, 10 à moins qu'il intervienne pour lui faire obstacle. Modèle éventuel, mais surtout fixation du désir et incarnation de l'épreuve sa présence égale drame. En effet, le tiers vient briser l'harmonie latente (préétablie) liant les deux premiers personnages conformes du livre; si celle-ci est inexistante, son intrusion signifie à la fois conformisation (avec l'un des deux héros dissemblables) et désaccord (avec l'autre), par conséquent constitution du drame. Ou encore : si le tiers est positif, le rapport qu'engendre son intervention ne se trouve pas réalisable (alors que l'archétype le fait espérer), si au contraire il est négatif, le rapport est réalisé (alors que l'archétype le rend indésirable). Dans tous les cas, et quelle que soit sa qualité, le tiers accomplit le déséquilibre du système. A la parution du troisième, l'union est enrayée, la désunion effective, et le drame enclenché. La structure relationnelle est alors déséquilibrée et ouvre sur une nouvelle (quoique lointaine) répartition des rôles; le devenir narratif s'amorce : il a un objet. Le tiers, agent du malheur (« diable ») ou agent à propos duquel le malheur s'introduit, est pour les protagonistes l'occasion de se définir, d'éprouver la relation, de 10

Girard, 1961,

29.

196

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

« gagner » leur conformité : il est ainsi, de quelque côté qu'on l'aperçoit, nécessaire à la signification romanesque. La relation signifiante suppose trois (les doubles, adjuvants, exécutants, imposants divers ne sont évidemment pas comptés) et l'histoire romanesque y prend source. Zum Wesen des Dialogs gehört die Trennung der Partner, note Bense.11 Or, pour passer du dialogue au drame, de la parole (purement conforme ou purement désaccordée), c'est-à-dire insignifiante à l'histoire, trois, qui fausse la situation et en rompt le statisme, est nécessaire. Alors seulement la relation exige un traitement textuel propre à faire subir, puis à liquider le scandale qu'elle montre. [Cf. Vol. compl.,

TABLEAU

15]

En théorie, on pose (A) que les schèmes (ou formules du démenti) utilisés dans la constitution du drame vont historiquement du simple au complexe. De génération en génération (du genre), on observe l'accroissement des moyens investis pour réaliser le démenti, voire la surenchère du paradoxe. (Bien entendu, il reste toujours en principe possible que l'auteur, pour produire un effet de contraste, en revienne, précisément en raison de la surenchère chronique (endémique) sévissant dans le genre, à des modes relativement simplifiés de négation). Ainsi, à l'origine (mythique) du roman, le bon (parfaitement tel) se trouve physiquement contré par un méchant systématique, alors qu'« actuellement » le bon supporte des défaillances, le méchant perd de sa netteté (ou n'apparaît pas), les épreuves tendent à se psychologuiser, produisant donc une négation plus angoissante et plus complète. Le roman, par un habillage toujours neuf, ne fait donc pas que se maintenir, que se prolonger, mais se pousse lui-même vers ses limites, afin d'assurer la même efficace que par le passé; (B) que, si l'on passe des catégories intellectuelles aux catégories bourgeoises et « populaires », les schèmes utilisés dans la constitution du drame vont qualitativement du complexe au simple. La « valeur » du roman (si l'on retient comme critère son exercice intellectuel) peut être dite inversement proportionnelle au degré de complexité du schème qui le représente. Le roman est donc, par un mouvement inverse au premier, retenu au-dedans de ses limites (par les réalisations mêmes qui prétendent le faire cesser comme genre).

11

Bense, 1967c, 60.

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

3.13

197

La Clôture du roman

Ce livre étant un roman, il doit se commencer à la première page et se finir à la dernière. (Raymond Roussel, La Doublure, Avis)

L'archétype, figure originaire du roman, qui représente ce que ne réalise pas, dans un premier temps, le système relationnel de base et l'événement introduit, se trouve, dans un second temps, rétabli par la fiction au dénouement du livre. Le démenti que subit l'archétype en cours d'histoire est transformé, radié, nié lui-même au point d'aboutissement de celle-ci. Le démenti, alimenté durant tout le drame, cesse d'avoir lieu, ouvre sur ce par rapport à quoi il se fait sentir comme différence, sur cette base positive - l'archétype - qui le supportait. On appelle dénouement le point de convergence des éléments textuels, le lieu de cessation du texte comme ensemble, sa terminaison matérielle. Dans la formulation traditionnelle (de l'époque) : Le DÉNOÛMENT est la fin de l'action; il donne satisfaction à la curiosité excitée par le nœud. Il doit être naturel, c'est-à-dire être produit par les circonstances qui précèdent,12 Le dénouement est nécessaire : il est compris dans la crise et désigné par chaque développement de l'intrigue : The scenes in a dramatic novel - et tout roman fait drame - postulate an end [...] we have a prescience of something DEFINITE to come; and it is this alone that articulates and vivifies future time for us.is Bien davantage, le sens romanesque exige, pour être produit, qu'une fin couronne le livre, la négation (dramatique), afin de montrer l'affirmation suffisante qui la justifie, suppose la clôture du texte. Or, cette clôture, seul le retournement mesuré du démenti est propre à la produire. Nous avons à distinguer deux temps de lecture : dans le premier, le lecteur découvre ce qu'il ne peut ressentir autrement que comme scandale, symptôme et accomplissement de l'impossible, dans le second, infiniment plus réduit si on le compare aux longs détours d'une histoire qui l'accapare, - mais il y est préparé dès l'ouverture - il assiste à la liquidation de la négation (de sa crainte); ce qu'il a refusé, lui, lecteur, se trouve écarté « définitivement » par l'histoire (le malheur recule, la punition frappe, l'ordre est reconquis, le dilemme tranché, l'explication fuse, le savoir gagne, le bien rayonne). L'archétype que la fable contredit avec persévérance apparaît au bout du compte intact - et le livre achevé. PROPOSITION :

13 13

Urbain, 1880, 76. Muir, 1967, 71.

198

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

Or, une telle fin et un tel recouvrement ne peuvent avoir lieu (être efficaces) que s'ils sont « préparés », c'est-à-dire que si le drame réussit à inscrire en faux et en vrai à la fois l'archétype : tous les éléments retenus doivent concourir au dénouement, l'appeler, le repousser, en rapprocher, le désigner à travers et malgré tous les empêchements intermédiaires : Now peripeteia depends on our confidence on the end; it is a disconfirmation followed by a consonance; the interest of having our expectations falsified is obviously related to our wish to reach the discovery or recognition by an unexpected and instructive route.1* L'intrigue dessine sa solution; la solution décide de l'intrigue dont elle représente le point d'arrivée : L'œuvre annonce par chacun de ses moments la fin en laquelle elle s'anéantit, qui est, [et absolument pas] par hasard, son JAMAIS P L U S . 1 5 Fin et commencement du texte entretiennent de si étroits rapports parce qu'il en va du roman comme de tout procès de communication : la codification choisie dépend du but que l'on s'est assigné.16 Or, ici, et nous touchons à la spécificité du romanesque, le but n'est pas la transmission d'une information proprement dite (inédite), mais le recouvrement de la pensée archétypale et celle-ci étant recueillie à la fin du livre après avoir figuré en son commencement, tout l'assemblage textuel qui constitue, entre ses limites, la trajectoire dramatique (non disjonctive) dépend de la nécessité qui lui est faite de conduire, « à travers la différence », du même au même. Ainsi, commencement et fin sont-ils donnés en même temps, comme parties intégrantes, indissociables, d'une cohérence perçue globalement par le lecteur à chaque endroit du texte; on distinguera donc, mais on ne séparera que par artifice ouverture et clôture, construction et destruction de la crise, démenti et recouvrement de l'archétype - comme si en effet - le récit énigmatique ne donnait pas LA SOLUTION EN MÊME TEMPS QUE LE PROBLÈME, les deux à la fois, sans qu'il soit possible de les dissocier. D'ailleurs la distinction d'un avant et d'un après n'est qu'un des éléments de la constitution d'un récit; elle ne permet pas de porter sur lui un jugement d'ensemble.1T Soit donc que la programmation initiale du livre est déjà sa finition structurale [...] Ainsi, nous savons DÉJÀ [dès l'introduction du roman] "

Kermode, 1967, 18. Généralisation de Macherey, 1966, 36. 18 Brillouin, 1959, 52 : La solution [dans la recherche d'une codification adéquate] dépend du but du codage. 17 Généralisation de Macherey, 1966, 28-29. 15

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199

comment l'histoire se terminera : la fin du récit est dit[e] avant que le récit même soit commencé. Tout intérêt anecdotique est ainsi éliminé : le roman se jouera dans le recouvrement18 de la distance vie-mort — par exemple - , et ne sera qu'une inscription ¿¿'ÉCARTS (de surprises) qui ne détruisent pas la certitude de la boucle thématique vie-mort qui serre l'ensemble,19 Le récit se donne comme reprise; il constitue un trajet venant recouper son origine (une « boucle »), ouvre de façon à faire revenir immanquablement sur elle; tous les errements, événements, malheurs dont il donne représentation ne font pas réellement cesser la positivité fondatrice, la contradiction qu'ils réalisent ayant bien plutôt pour effet, nous le verrons, de braquer constamment le regard sur celle-ci. Le commencement est à la fois la fin et le commencement du roman; le commencement se dit à la fin, et réciproquement;20 l'ouverture et la clôture textuelles coïncident, en ceci qu'elles représentent deux fois, sous des formes différentes, la seconde pouvant passer pour une amélioration de la première, la pensée archétypale. Si le début du livre laisse voir à travers le premier déséquilibre (relationnel, événementiel) inscrit l'état archétypal optimum, alors la fin du livre, un certain nombre de transformations narratives nécessaires ayant eu lieu, réaffirme cet état idéal (idéologiquement), mais cette fois en en jouant la réalisation. La répétition dont il s'agit n'est donc pas pure, puisqu'elle passe de la négation à l'affirmation (triomphante) de son objet. La fin signifie la reconduction de l'équilibre montré dès l'ouverture (explicitement ou (toujours) au revers de la première crise). Par là, entre ses deux identiques et pourtant distantes limites, le roman se définit comme lieu du passage et de 1'« immobile » modification.21 Nous constatons que la fin répond au début (The end of any dramatic novel will be a solution of the problem which sets the events moving).22 Nous constatons que le récit compose, par rapport à la figure archétypale élémentaire, une négation qui se trouve au bout du développement dramatique, après ce détour, intégralement résorbée. Nous constatons que s'il est vrai que tout discours, selon la formule de Macherey, 18

Une autre version du même article donne fort bien remplissage (Kristeva, 1969c, 432). 10 Généralisation de Kristeva 1969a, 138, 121. 20 La « composition » très paradoxale du célèbre poème de Poe (« le commencement est à la fin ») se trouverait donc être épiquement très ordinaire. 21 D o ù la procédure d'analyse proposée récemment par Barthes, 1970b, 4 : 11 faut en somme définir le passage d'un équilibre à un autre. 22 Muir, 1967, 58.

200

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

suppose l'absence ou non provisoire, de ce dont il est discours, et s'installe dans le creux libéré par la mise à l'écart de ce qu'il dit,23 que tout roman aboutit sur l'annulation (pressentie) de l'éclipsé qu'il fait subir à son objet (la positivité). Ou encore, que tout roman joue la dénégation de l'archétype originaire pour finalement confirmer (« avouer ») ce qu'il nie. Si l'on admet que le drame constitue la mise en question de la pensée archétypale et qu'il n'a pas d'autre but que de rendre la plus forte réponse possible, on conçoit que celle-ci signifie sa fin : l'archétype retrouvé - augmenté - , le roman perd toute raison d'être (il n'a plus de quoi narrer). Pour citer encore une fois Macherey : La solution de l'œuvre est aussi le principe de sa disparition : ainsi l'œuvre n'a d'autre consistance que celle qui lui est donnée par la question qu'elle doit résoudre.24 H reste évidemment que cette « disparition > ne se solde pas par un résultat nul; l'acquis - l'intérêt - du texte, que nous cherchons à mesurer, demeure. On suppose alors, et c'est, à ce stade de notre analyse, encore une hypothèse, que le processus de négation de la figure archétypale élémentaire par le texte romanesque confirme et renforce celle-ci; l'écart creusé par le drame a lieu afin de mieux revenir à l'affirmation originelle, afin d'y reconduire plus inévitablement le lecteur. En effet, on ne voit pas logiquement que l'affirmation puisse trouver à se perpétuer elle-même, ni même à s'illustrer, sans faire intervenir la négation constitutrice (soumise, manipulée). On ne voit pas non plus comment l'archétype pourrait fournir matière au récit (au texte romanesque, et même à tout discours) sans introduire l'enrichissante différence dramatique : sans la négation, il ne peut guère proposer de lui-même qu'une inefficace, inintéressante redite. Il n'y a ainsi de lecture romanesque que de l'écart. Dans un premier temps, l'archétype proposé est rendu reconnaissable et une attente adéquate constituée; dans un second temps, cette attente, rencontrant le malheur de ce qui a son adhésion, se trouve déjouée; dans un troisième temps, le drame étant résorbé, la solution conforme acquise, elle est récompensée. Le roman existe ainsi - plus sûrement sans doute que tout autre discours littéraire - pour créer l'illusion de la dérogation, comme démenti joué, passager - apparent, puisque celle-ci n'arrive pas complètement dans le livre (le bon en réchappe, des alliés secrets travaillent pour lui, il lui reste des atouts, il possède des qualités prometteuses, 23 21

Macherey, 1966, 74-75. Macherey, 1966, 35.

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

201

etc., aucune des phases du texte ne se termine sur une négation définitivement acquise, mais est agencée de façon à ce que le drame ouvre sur la suite et sur le dénouement). Déjouer l'attente n'est évidemment rentable que si la certitude archétypale, pour malmenée qu'elle soit, reste au fond intouchée. NOTE: On peut poser en principe qu'un roman qui accomplirait réellement la négation dans le texte demeurerait - à l'époque et jusqu'à aujourd'hui certainement - illisible.25

La tactique romanesque consiste à mimer le renversement de la règle afin d'affirmer son invulnérabilité finale. Les multiples drames de plus ou moins grande ampleur dont se compose l'intrigue sont ordonnés de façon à paraître controuver la base archétypale dont le lecteur attend nécessairement la reproduction. Le récit répète, mais à travers la différence et ses illustrations, son origine. Seule la mise en danger d'une pertinence au bout du compte assurée intéresse, sa force, la quantité de paradoxe qu'elle est susceptible de développer. L'intérêt du livre provient de la suspension de la règle originelle (du sens archétypal) cependant garanti du livre. La « vérité » (romanesque) finit par se dire; elle se trouve empêchée d'être ouvertement, explicitement, positivement articulée par le récit, de façon à ce que de l'incertitude, de l'intolérabilité du paradoxe dramatique constitué, naisse la passion de savoir l'archétype, d'en obtenir confirmation (Denn die Lösung gehört zur Spannung und wird in ihr angelegt).2* On appelle « vrai » dans le roman la figure archétypale posée, niée et ressaisie à la clôture du texte. Le roman est donc l'aventure toujours éphèmère (et toujours recommencée) « arrivant » à l'archétype. RÉFUTATION 1: Contre l'idée que seul le «mauvais» roman (le «roman du passé ») est composé en vue de l'effet de sa fin. Maupassant : Le plan de son roman [de l'auteur d'hier] n'est qu'une série de combinaisons ingénieuses conduisant avec adresse au dénouement. Les incidents sont disposés et gradués vers le point culminant et l'effet, de la fin, qui est un événement capital et décisif, satisfaisant toutes les curiosités éveillées au début, mettant une barrière à l'intérêt, et terminant si complètement l'histoire racontée qu'on ne désire plus savoir ce que deviendront, le lendemain, les personnages les plus attachants,27 Fermer le texte n'est pas une convention propre aux catégories non intellectuelles («anciennes », « traditionnelles » dans la terminologie courante) du roman. Fermer le texte ne signifie pas réaliser un texte « mauvais ». Tout roman implique, en 25 26 27

Inappréciable, inutilisable pour le lecteur. Lawson, 1934, 63. Maupassant, 1966, 8.

202

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

tant que roman, sa clôture et il n'est pas de « grande œuvre » du genre qui ne s'y astreigne. Du moins peut-on affirmer qu'elle ne réussit son «ouverture» que dans la mesure où elle cesse d'être un roman (d'être lisible comme roman). Ou alors il faut convenir que « tout roman est mauvais » et qu'il n'est de roman que « d'hier ». RÉFUTATION 2: Contre l'idée (courante à l'époque chez les critiques) que le « mauvais » roman (« immoral ») « plaque » une fin édifiante non naturelle sur un développement qui la contredit: « il n'est moral qu'au dénouement », le dénouement n'est pas de force à corriger le drame. Or, tout drame est, par essence, négation de la « moralité » et la fin du roman - à moins d'erreur technique - toujours structuralement déterminée dans l'axe de la conformité archétypale, cela indépendamment des intentions explicites d'auteur. Sur la complaisance dans l'atermoiement du terme du roman, cf. Développements sous 3.43.

Contre l'idée (courante elle aussi) que le roman, pour être « bon », doit se clore nécessairement par la « bonne » fin (le triomphe effectif du héros conforme). Or, la moralisation se passant de toutes façons au niveau profond de la manipulation structurale, il suffit que le récit trouve à désigner finalement la vérité, malheureuse ou non, mais indéniable de l'archétype pour remplir un rôle d'« édificateur ». RÉFUTATION 3 :

Contre l'idée que le public, par mauvais goût sans doute, impose au romancier (comme au dramaturge) la fin nécessaire conforme à ses vœux (Le spectateur apporte ses besoins de logique et de sympathie que le poète doit satisfaire) ,28 Or, le roman en tant que drame ne peut pas cesser de prévoir sa finition structurale conforme sans cesser de faire partie du genre, donc d'être lisible. RÉFUTATION 4 :

La règle archétypale est successivement donnée, puis reprise et enfin ressaisie par le texte; le trouble requis par la fiction est finalement gommé. Le « savoir » (imaginaire) que poursuit la lecture intéressse en fonction de l'éclipsé qu'il subit. C'est précisément parce que le sens archétypal se trouve voilé, obscurci, parce que le récit introduit à son propos le soupçon, répand le doute, parce qu'il signifie pour le lecteur menace et contradiction, que son évidence (l'archétype « va de soi », son affirmation ne se justifie pas, n'« intéresse » pas) attache. Chaque schème réalise (illustre, amplifie) l'obnubilation de l'origine afin d'en faire éprouver la vérité finale. Le trouble narratif est appréhendé « en surface » par le lecteur alarmé, alors qu'« en profondeur » la fable négatrice se nie ellle-même (« comme fin ») de façon à instaurer l'autorité nécessaire et incontestable de l'archétype. Une fois celle-ci récupérée (« retrouvée »), la narration dramatique n'a plus de raison d'être. Le roman est « attiré vers sa fin » et le lecteur tendu vers la 28

Arréat, 1884, 135.

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

203

connaissance de celle-ci, bien que la reconquête de l'archétype signifie la cessation aussi bien du texte que du plaisir qui en découle. La réponse ayant eu lieu, l'archétype ayant été « vu », le livre cesse de se justifier. D'où ces A quoi bon vous en dire davantage ? (88) d'épilogues signifiant en effet l'incontinuabilité du drame. Le récit apporte ainsi, à propos de l'archétype, par le biais dramatique, à l'occasion du trouble, une pseudo-ignorance ouvrant sur un savoir fictif : l'information donnée n'est que la restitution de l'information première, supposée vraie. La narration qui la produit se déroule contradictoirement à sa propre issue (elle en réalise le démenti) pour aboutir à celle-ci (elle gomme le démenti); c'est dans ce tracé, dans cette boucle que la fiction parvient à constituer le sens désiré; elle est ce détour, ce parcours, ce revenir : le roman est bien spécifiquement texte clos.20 On lui appliquera la définition prévue (pour un tout autre champ) par J. Derrida : La clôture est la limite circulaire à l'intérieur de laquelle la répétition de la différence se répète indéfiniment.30 Or, la représentation romanesque, par le fait même que sa fin ramène si inlassablement à l'origine, ne vise à ouvrir l'espace archétypal que pour mieux y renfermer - que pour mieux recouvrir la différence (le drame) un instant manifeste. De cette différence feinte et bien qu'elle vive de son exploitation, ellle ne vise à vrai dire que la suppression. Ce qu'elle a pour fonction d'affirmer dans cet acte d'annulation, c'est l'au-delà fictif - et présent - du texte, c'est-à-dire la réalité même du sens archétypal unique. [Cf. Vol. compl.,

TABLEAU 16]

La fin du roman n'est pas seulement structuralement réussie, la figure archétypale n'est pas simplement rétablie ou retrouvée - sans doute manquerait-elle alors, jusqu'à un certain point, de force persuasive ou risquerait-elle de passer inaperçue après tant de ressauts dramatiques - , mais s'accompagne d'événements-signes non ambigus, conventionnels, qui la désignent à l'attention, la fixent. Ainsi, très régulièrement, le mariage (adéquat, de l'agent conforme) et la mort paraissent-ils au dénouement, comme signes réalisateurs du retour à la conformité (de sa conquête) : Love, like death, is congenial to a novelist because it ends a 29

Voir les développements dans Kristeva, 1969a, 115 et 1969c, 431-434. Derrida, 1967a, 367. Par rapport au théâtre d'Artaud que vise la description, c'est ici, dans le roman, un trajet temporel plutôt qu'un espace qui constitue la ligne de fermeture du texte. Et, bien sûr, à la différence théâtrale manifestée répond, dans notre sphère, son déjouement systématique. Le roman participe donc du mouvement de réduction de la trace (« intérieur à la totalité de l'histoire de l'Occident ») que décrit le philosophe (par exemple Derrida, 1967b, 104).

30

204

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

book conveniently.31 Or, l'amour accompli (profilé, vu dans la cérémonie, saisi à travers la paternité (ou la maternité) heureuse), le happy-end (que renforcent, discrètement, l'héritage, l'accession à la situation hiérarchique supérieure - patronat y compris -), la mort, ne peuvent servir à la terminaison du texte qu'en raison de la fixation qu'ils supposent; de tels signes scellent un retour sûr à la conformité, feignent sa restitution définitive. Par là, la valeur et l'universalité de l'archétype se trouvent réalisées en absolu. En outre, la solution romanesque arrive munie de signes accompagnateurs purement redondants dont la fonction est de désigner « concrètement s>, sur le mode de la représentation, le sens archétypal déjà acquis : - Hier la tempête, dit Raoul; aujourd'hui le calme : c'est l'image de notre vie. (124) - Ah ! mon Léopold, que de souvenirs tristes et amers la vue de ces lieux éveille en moi. || Ils font contraste avec notre bonheur présent, ma bien-aimée Nathalie, répliqua Léopold avec tendresse; cette mer nous semblerait-elle belle et clémente si nous ne l'avions vue bien des fois bouleversée par l'orage ?... (78) Je pensai aux tempêtes moins violentes que ne l'avaient été celles de son cœur qui passeraient sur cette tombe immaculée [l'héroïne s'est jetée dans une crevassé], gardienne de grandes souffrances, de grandes fautes, de secrets qui ne s'étaient épanchés complètement dans le sein de personne, et il me sembla qu'aucun dénouement ne pouvait convenir mieux à cette étrange destinée. (99) Le calme naturel, par le biais météorologique, donné en spectacle et considéré par l'agent, désigne métaphoriquement l'heureuse paix archétypale. Ces marques éloquentes de la finition du texte entendent enrichir et vivifier le sens conforme imposé : l'archétype se donne en effet comme annulation systématique du trouble et de l'erreur, il est luimême négation du malheur à venir et du drame advenu, il est paix. Dès lors, les mesures de rééquilibrement des relations, en elles-mêmes théoriquement suffisantes (et de fait, les marques en question sont courantes, mais non obligatoires), se trouvent-elles de la sorte simplement assurées, visualisées, naturalisées par le spectacle d'un répondant indéniable : la métaphore ici encore vérifie le sens textuel produit. S'il est dorénavant admis que terminer le roman en tant que RÉCIT est un problème rhétorique qui consiste à reprendre l'idéologème clos S1

Forster, 1937, 77.

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

205

du signe qui l'a ouvert,32 on constate que cette reprise est sans doute d'autant plus efficace qu'elle est stylistiquement redoublée, que des signes adéquats en alourdissent l'évidence, en corroborent la signification. La fin du texte ne doit pas seulement être juste, c'est-à-dire vérifier la structure romanesque, elle doit être encore parlante, la représenter en spectacle, la constituer (métaphoriquement) comme vie. Le roman, au travers du drame, passant du démenti à la restitution de l'archétype, établit l'ordre; progression vers l'unité, organisation équilibrée de ses éléments (les agents, leurs actes, leurs pensées), installation de rapports d'interdépendance harmonieux, naturels et nécessaires entre ceux-ci, fixation de la conformité et conformisation, réduction de tout « destin » - de toute histoire - à n'être que trace circulaire débouchant sur son origine essentielle, le roman enserre dans un univers - idéologique - clos, contraignant, prédéterminé, déterminant mort. Et non seulement la paix terminale du livre signifie la quiétude originelle (des attitudes qui s'y conforment), mais tout le drame qui s'y découpe en creux, désignant « par avance » la réalité fondamentale unique dont il émerge - l'archétype. Engendrer la loi dans l'ordre promu au travers de l'histoire, telle est la visée du texte romanesque; les modes du démenti, les moyens de la clôture peuvent différer, ce qu'ils désignent concurremment demeure identique; les auteurs s'ingénient certes à varier l'aventure, c'est cependant toujours la même histoire qu'ils content avec toujours la même fin (la situation est donc que paradoxalement l'extraordinaire fondateur sert à la redite) : la pensée de l'archétype - le savoir romanesque. RENVOI: Le roman ne paraît donc pas avoir d'autre objet que le roman, c'està-dire que le drame, négation fictive propre à laisser voir, puis introduire l'affirmation contraire (et cela, quelle que soit l'éthique de référence choisie par l'auteur). Le roman s'écrit à propos du roman, il en est la leçon, la fiction dont il vit, qu'il répand et répète, ne pouvant produire que des effets de fiction. Développements sous 4.11. RENVOI: L'intérêt romanesque est fondé par le retard mis à la réalisation fabulatoire d'un archétype pourtant « donné » par le texte à chacun de ses moments. La réserve de la solution «creuse le drame», mais aussi seule l'assurance archétypale où « trempe » le lecteur le fait-elle voir, et passionne. Développements sous 3.44.

32

Kristeva, 1969a, 140. Nous laissons de côté ici ce qui distingue l'idéologème de notre propre concept d'archétype.

206

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

3.2 CONFLIT DE FICTION ET FICTION DE CONFLIT 3.21

La Lutte dans le roman

On poursuit maintenant l'exploitation des formules proposées plus haut (2.14) sur les rapports du texte et du malheur: Il n'y a de récit que de l'échec - du conflit - de la lutte, Le malheur est le dicible, L'histoire ne parait pas sans malheur, Tout récit est récit de malheur, Le malheur est écrit, le récit produit le malheur, Le malheur est invention du narratif. On cherche, après avoir pu observer et mesurer l'étendue de l'emprise de la négation dans le roman (le malheur ouvre le texte, le malheur résulte nécessairement de la situation narrationnelle de base, le malheur est la raison de la péripétie, le récit existe comme scandale), et sans plus nous restreindre à l'explication (positiviste) fournie par la théorie de l'information dont nous nous sommes servis au premier stade de cette analyse, à en déterminer la nature réelle et la fonction. PROCÉDURE:

Eh bien alors, bataille ! Le texte romanesque exige le malheur, suppose l'extraordinaire, introduit l'événement perturbateur, accomplit le drame : la présence active d'une négation propre à « épaissir l'intrigue »3S s'y fait de part en part sentir. Par suite, cette négation devant être éliminée, le principe qui se trouve à son origine doit être incarné : il faut qu'il y ait délit, méfait 33

Cf. Cage, 1970, 31.

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

207

ou activité actantielle négative reconnue, assignée à un auteur, pour que ce qui fonctionne comme représentation de la faute par rapport à l'archétype puisse être vraisemblablement gommé.

Le misérable, se sentant vaincu, s'était armé d'un couteau.

Cela suppose que l'acte de lecture se trouve complètement prédéterminé : le consommateur de roman lit comme il faut ce qu'il faut, d'un point de vue adéquat - et les moyens que le texte investit pour réaliser cette adéquation sont, nous l'avons vu, très considérables -, c'est-à-dire d'un point de vue tel que la négativité soit éprouvée là où elle est (le bon seul souffre, il est insupportable qu'il souffre, le méchant, lui, pâtit, il est puni, il est juste qu'il souffre, à vrai dire, puisqu'il est méchant, le malheur n'a pas prise sur lui, le méchant qui connaît la douleur n'est, nécessairement, qu'un bon qui a failli (qui se retrouve), etc.) - signifiante, soluble.

208

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

Le malheur est signifié par l'archétype (le malheur nous est dicté) et le signifie lui-même en retour; nous ne l'apercevons qu'autant que le texte réussit par son biais à désigner son envers - l'intouchable affirmation. H ne saurait en aller autrement du roman, propre discours de l'archétype. L'événement romanesque s'entend comme empêchement, obstacle se produisant sur la voie de la réalisation (heureuse), irruption (contreordre) rendant impossible la coïncidence de l'être et du paraître de la personne; valeur essentielle et condition sociale se trouvent dès lors en elle scandaleusement opposées; sa position au sein du système relationnel est injuste, imméritée; l'agent est entravé, en butte à la difficulté; il se heurte à ce qui représente pour lui - pour le lecteur - le défaut d'« être >.

Devenu monomane.

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

209

Note: Le roman consiste à faire surgir ce qui, étant donné les critères archétypaux, signifie pour l'agent positif obstacle, à multiplier (tout en les dosant) les difficultés constitutives du démenti ; il fonctionne donc à ce niveau parfaitement comme jeu : D'une façon générale, le ludus propose au désir primitif de s'ébattre et de se divertir des obstacles arbitraires perpétuellement renouvelés,34 Le plaisir de « triompher des difficultés » et de « vaincre l'obstacle » (dès sa première prise, l'enfant s'intéresse aux problèmes que pose le maniement de l'objet, dès sa première marche, aux dénivellations du terrain plus qu'au but qu'il se propose) n'est pas niable, mais ce mécanisme - appelé «jeu » sans doute par erreur- se trouve, comme bien d'autres, exploité dans le roman: susciter l'obstacle, c'est produire (et justifier) l'action narrative (l'histoire surmonte les difficultés qu'elle accumule), provoquer la lecture nécessaire. L'événement dramatique implique donc une fois encore, dès son inscription, le besoin, donc l'assurance, de sa liquidation finale. Un roman est tiré de l'obstacle; l'histoire est dite en découler, y mener; dans la formulation typique : Pourtant, ce premier écueil qui se dressait sur sa route et qu'il essayait d'éviter n'était rien en comparaison des nouveaux dangers qui le menaçaient (124); dans la formulation intellectuelle : Les impossibilités étaient entassées comme à plaisir entre cette jeune femme et moi; impossibilité d'échanger avec elle une pensée, de lui parler ni de lui écrire; défense de quitter le bord [du navire] après dix heures du soir, et autrement qu'en armes; départ probable avant huit jours pour ne jamais revenir, et, par-dessus tout, les farouches surveillances des harems (111). Le texte romanesque se donne soit dans le surcroît soit dans l'absolu des difficultés « rencontrées » par l'agent; il les promet, les manifeste, les accumule, les organise par gradation - y prend source; le lecteur prend connaissance du « roman de l'obstacle » : tout ce qu'il lit comme événement le proclame, en signifie l'accroissement, l'absolutisation, avant d'en accomplir, au terme du livre, l'heureux surpassement. L'obstacle se lit par rapport à la conformité archétypale, par rapport aux agents textuels qui en représentent la positivité; on en recense les modes (narrativement combinables) suivants :

54

Caillois, 1967, 86.

210

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

l'union des héros conformes est empêchée (disparité de fortune, objection des parents, présence d'une union antérieure)

liaison

l'union réalisée par le héros conforme ne réalise pas la conformité (mariage non légitimé par la famille, passion, adultère, entraînement (le héros conforme succombe à la séduction))

manquement

la conduite du héros conforme contredit la conformité représentée (désobéissance, oubli de la parole donnée, ambition, vie d'oisiveté, sans objet, dissipation)

dommage

l'événement constitue une injustice par rapport à la conformité de l'agent (crime, vol, ruine, substitution, perte de l'identité, positivité dépouillée de l'accomplissement hiérarchique)

accusation

l'événement est imputé à tort au héros conforme (malentendu, erreur judiciaire, positivité non reconnue)

empêchement de la réalisation archétypale

séparation

L'origine de l'empêchement est fixe; le récit la marque dans l'agent individuel représentant de la négativité. L'obstacle romanesque est un autre, résulte d'une activité personnelle, d'une entreprise (d'une pression, d'une influence, d'une mainmise, d'un faire) identifiée cristallisatrice de la négation. L'obstacle se lit « ponctuellement » comme issu d'une adversité, d'une opposition : le malheur vient de la faute d'un autre. Cette manœuvre de la fiction garantit l'intégrité de la personne et la récupération archétypale. « Destin », « fatalité », « hasard » et « circonstance malheureuse », constamment évoqués dans le roman, paraissent impliquer l'existence d'un principe négateur, tout puissant, indéterminé, impersonnalisé; en fait, le roman désigne la cause actantielle de tout malheur et lui assigne un auteur négatif (un événement « gratuit », dont la motivation n'apparaît pas, est inutilisable). De plus, le dénouement romanesque est fait pour contredire la « fatalité » (le héros conforme lui échappe par essence) ou la réduit à exprimer tout simplement l'omnipotence archétypale. « Destin »/« fatalité » expriment donc la double dimension d'une unique et irrémédiable réalité archétypale. Quant au « hasard », qui « explique » le rapprochement des agents et l'impact de l'événement, il ne sert qu'à voiler l'activité narrative : le hasard est le roman, l'histoire est le hasard; d'où sa fictive crédibilité. L'obstacle est incarné par l'agent; l'empêchement est le fait de personne : il est commis, subi, il coûte à quelqu'un, quelqu'un (sa conduite, ses actes) le représente; geste particulier, il est ressenti par une singula-

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

211

rite; émanant d'une volonté, il signifie non réalisation pour un être (ou un ensemble d'êtres). La personne est donc Yinstance réelle (jouée dans le texte, quoique démentie dans les mots qui couvrent son action) dont il émane en tant que fiction. Que le roman soit drame, constitution puis réduction de l'obstacle, que cet obstacle soit représenté par un acte personnel de l'agent (négatif) signifie que le roman donne nécessairement le conflit en spectacle (il y a conflit pour qu'il y ait malheur). Quelques traces, anciennes et récentes, du repérage d'un phénomène bien connu : Toute scène est dramatique où les puissances actives, c'est-à-dire les personnages sont en conflit,35 Il ne peut point exister de roman sans antagonisme.36 Le feuilleton - pris comme type du roman - est le mémorial de la lutte.37 Toute situation dramatique naît d'un conflit entre deux directions principales d'efforts,38 Le livre n'est pas l'apparence prise par une réalité extérieure qu'il cacherait en la montrant : sa réalité est toute dans le conflit qui l'anime, et qui, à l'exclusion de toute autre chose, lui donne son statut.™ Par suite, le roman, ayant à réaliser le démenti, supposant la personnification, met en scène la lutte que se livrent les agents de la conformité et ceux-là qui en signifient l'actuelle défaite. Le roman raconte un duel. Il fait voir un démêlé. H est l'histoire d'une concurrence; deux personnages, leurs partis, cherchent à s'imposer, le premier étant, dès l'ouverture, défavorisé (la positivité est contredite par l'événement), le second étant au contraire, et avec injustice, favorisé (la négativité s'impose scandaleusement par l'événement). La narration décrit (organise) le désordre qui résulte de l'opposition relationnelle. Dans ce système, la force négative est seule dynamique : elle a à constamment renforcer un empire toujours fragile (quoique triomphant), puisqu'il contredit des lois que le roman présente comme naturelles : le méchant combat la « nature » et dans cette entreprise, il doit redoubler d'efforts - alors que son adversaire laisse faire (le « temps », des adjuvants agissent pour lui) - puisque dès lors que son activité cesse, dit le roman, le retour à l'ordre archétypal s'opère aussi. 35 39 37

38

"

Lévêque, 1861, I, 93. Feydeau, 1872, 61. Tortel, 1963, 1592.

Polti, 1912, 200.

Macherey, 1966, 48.

212

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

Le combat remplit le roman. Publicitairement, auteurs et critiques de l'époque insistent sur ce point : Du choc d'un bon et d'un mauvais principe, de la lutte des passions et des caractères, jaillissent le drame et l'intérêt.40 Lecteurs, vous frémiriez de pitié et d'indignation en voyant les tortures, les combats, les luttes de cette âme d'élite contre des ennemis impitoyables.41 Fleurange elle-même est, d'un bout à l'autre, la martyre du devoir. Chacun de ses actes est un combat. Et on est heureux, à la fin de cette série de courageux sacrifices, qui ont satisfait sa conscience en brisant son cœur, on est heureux de la voir jouir enfin du bonheur dont elle est digne.42 C'est la lutte éternelle de la passion et du devoir.43 Il s'agit de l'antagonisme entre la noblesse et la bourgeoisie, entre le passé et le présent [...] MATIÈRE [...] qui a déjà servi à des milliers de romans, à des comédies innombrables.ié Un différend fondamental anime le texte; les agents de la positivité archétypale se trouvent en butte, systématiquement, sur un chemin qui mène ordinairement à la déflagration violente, aux intérêts triomphants de ceux (les agents négatifs) dont la position relationnelle usurpée contredit la nature : ceux qui n'ont pas le pouvoir que leur nature autorise s'opposent à ceux qui ont le pouvoir que leur nature n'autorise pas. Cette contestation narrative, où l'accomplissement de la conformité est l'enjeu (chacun a à pouvoir ce qu'il est), signifie la pensée archétypale, ramène à celle-ci, y conduit le lecteur. L'histoire romanesque suppose l'existence de la lutte, celle-ci n'étant signifiante qu'à partir du moment où elle a lieu à propos de la coïncidence ou non de 1'« être essentiel » (positif, négatif) avec sa condition hiérarchique. Par suite, le méchant conteste l'œuvre de conformisation (dont il est la future victime), tandis que le bon, tout en l'espérant, apprend de quoi est faite sa non réalisation (de souffrance). Le texte romanesque éprouve ainsi de toutes parts la conformité. PARALLÈLE: Dans la traduction philosophique de l'époque, ce qui est retenu comme « essence » de l'homme et marque sa « bonté » est, précisément, le 40

Berthet, 1878, 304. Prospectus de A. Durantin, Les Coulisses religieuses. L'Excommunié (159). 42 Polybiblion, tome 7, 1872, 114-115. A propos de (34). " Polybiblion, tome 10, 1873, 80-81. A propos de Mme la vicomtesse de Buisseret-Steenbecque, Jean de Parthenay, 1873. " Polybiblion, tome 25, 1879, 6. A propos de V. Cherbuliez, L'Idée de Jean Têterol (160).

a

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

213

rapport « malheureux » qui le lie à la conformité (à la divine origine) - cela d'après un très ancien schéma d'explication-: TON NOM EST: \\CEQUETU AS ÉTÉ DA NS L'ÉPREUVE. 11 Et le mot de VÉnigme était ce mot ÉPREUVE [...] Toute épreuve a deux portes, l'une obscure, l'autre lumineuse ;45 La douleur avance pas à pas, et l'homme sent en lui un noyau immortel qui ne peut être atteint, qui s'enflamme, qui brille, qui se réjouit à mesure que l'épreuve pénètre en nous [...] La lutte ainsi fondée, la personnalité va naître [...] La vie n'est faite que pour offrir la lutte au libre arbitre et déployer les mérites de la personne ; 4 6 etc. La lutte dont le livre fait spectacle tire sa signification du rapport différentiel liant les agents à l'archétype. Il est donc fondamental que ceux-ci soient reconnus pour ce qu'ils sont, sans équivocité (réelle), que leurs caractères paraissent complètement unifiés, clairs, lisibles - tranchés. L e roman, par suite, a tendance à réduire la personne au type; du moins la fournit-il en qualités absolues et s'efforce-t-il d'en donner un portrait harmonieux, cohérent : plus l'agent est un, distinct, indivis, plus le conflit auquel il participe est intense, plus le sens de la conformité qui en ressort est évident. NOTE: Pourtant, cette univocité d'un personnage romanesque sans faille et sans contradiction, « tout d'une pièce », a des limites. Passé un certain seuil, l'agent, trop absolu, devient caricatural. Ainsi, pour le public spécifique des différentes catégories romanesques, les héros des couches inférieures sont-ils trouvés trop « simplifiés », incroyables et portent à rire. L'absolutisation des actants est donc mesurée aux modes de perception de l'archétype chez le consommateur. Le trait signifiant sera, selon les cas, ténu ou grossier, discret ou manifeste, sans pourtant cesser de remplir la même fonction. La lutte romanesque suppose l'absolutisation (positive, négative) mesurée des personnages. [Cf. Vol. compl., EXEMPLES II] NOTE: Cette règle se trouve, malgré les apparences, parfaitement observée dans le roman naturaliste. Les modifications réalisées à ce niveau du romanesque ne portent pas sur la loi d'absolutisation (dans le meilleur des cas, on a substitué à l'agent hiérarchiquement élevé - riche, noble - un agent hiérarchiquement bas - salarié des dernières catégories - sans toucher à l'organisation structurale), mais sur le rapport qui relie le personnage à son signe distinctif. Soit les rapports suivants :

46 48

1

t+/t- =

A+/A-

2

t+ t-

+ t+ t+

= A- A+

3

t+ t-

= A== A +

Lequier, 1952, 276, 281. Blanc de Saint-Bonnet, 1961, 21, 43, 91.

A = agent t = trait distinctif

214

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

1 figure l'automatisme de la qualification avec production d'une évidence immédiate; 2 figure l'adjonction du trait contradictoire secondaire avec production d'ambiguïté actuelle de la qualification (mais la provision d'une évidence finale est assurée par la primarité du trait adéquat); 3 figure le renversement de la qualification avec production de l'ambiguïté du trait distinctif (cependant, l'évidence demeure intouchée: le trait second est le trait adéquat). I est usuel au niveau populaire, 2 au niveau bourgeois, 3 se trouve au niveau intellectuel du roman. II est facile d'imaginer diachroniquement la transformation 1 2 -»• 3 au niveau supérieur et sa reprise mimétique inachevée aux niveaux inférieurs. Ainsi, dans le roman naturaliste (79), le caractère du bon conforme n'est démenti qu'en surface par des traits négatifs primaires (sa maigreur, sa mauvaise mine, etc.), alors que le méchant (la belle-sœur du bon conforme, par exemple) n'est constitué qu'en surface par des traits positifs (sa bonne mine, son honnêteté, etc.). Ainsi, dans (125), les traits négatifs primaires (Des ardeurs étranges, un dégoût de métier, une haine de misère, une aspiration maladive d'inconnu, une désespérance non résignée [...] une appétence de bien-être et d'éclat, un alanguissement morbide, une disposition à la névrose qu'elle tenait de son père, une certaine paresse instinctive qu'elle tenait de sa mère [...] fourmillaient et bouillonnaient furieusement en elle.) démentent-ils en surface le rôle absolu de l'agent (une victime qui finit gouge). Fait exceptionnel (à l'époque), la négativité étant représentée par une « hérédité néfaste », l'agent n'a d'autre adversaire que lui-même: il succombe après avoir bien manifesté la négativité de la négativité. L'obstacle rencontré par le bon conforme sur la voie de la réalisation archétypale représente la cristallisation du démenti; la lutte a lieu à propos de l'obstacle; pour l'agent positif, il doit être surmonté, alors que l'agent négatif se dépense à sa constitution, à son maintien; que l'obstacle soit écarté signifie automatiquement la restitution de l'origine. La lutte a ainsi lieu réellement à propos de l'archétype, elle signifie retardement et mise en jeu de la conformisation. La lutte doit être regardée comme un procédé de suspension et donc de manifestation du sens originaire. Ce sens, elle est apte à le troubler, à le trembler - à le désigner avec suite. Le sens au nom de quoi la lutte des agents, des partis, de la positivité et de la négativité (incarnées, personnifiées, absolutisées) existe est à la fois retenu et promis - promis parce que retenu. Cet enjeu fondamental de la compétition explique la séduction qu'opère le texte romanesque sur le lecteur. Lutte signifie tension. Cette tension est l'objet du texte. Le roman existe pour l'engendrer : Le conflit est caractéristique, si l'on veut, et même déterminant [...] Il s'ensuit que le sujet traité dans le récit romanesque n'est pas en lui-même primordial, mais la tension que le romancier sait y mettre, en d'autres termes, la manière dont il le ra-

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

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conte.47 Cette tension, le texte la produit à l'occasion de la lutte que suscite l'obstacle (le déséquilibre, le trouble, l'événement), ce dernier signifiant la non actualisation de l'archétype. La tension romanesque suppose la génération de l'incertitude archétypale. Ou, dans la traduction de l'époque, c'est le dénouement qui ne doit pas être su, quoique profilé. L'auteur, ayant rassemblé tous les éléments du heurt, écrit : Mais l'issue de la lutte semblait douteuse (41). Quant au critique, il stipule : Tout roman enveloppe un drame, et qui dit drame dit action; il y faut donc un doute sur l'issue de la lutte.48 On s'assure que la tension est nécessaire à la communication de l'information romanesque, la mémoire (par habituation, fixée sur ce mécanisme) n'étant apte à enregistrer que ce dont elle est fortement imprégnée et qu'elle trouve violemment contredit. L'ambiguïté de la situation de lecture est donc complète : le lecteur sait la fin - qui n'est autre que la réalisation de l'ordre archétypal initialement proposé - et l'ignore cependant - puisque le démenti actuel opéré dans le cas particulier du roman qu'il lit est pour lui neuf et dissimule en effet sa résorption. L'écart entre le su et le à savoir, dont l'identité fondamentale est acquise, est à la source du plaisir du roman. Le « doute » dont il paraît s'agir n'intéresse que parce qu'il n'est pas intégral. On saisit le roman ici dans sa feinte. 3.22

Mécanismes de production de la négativité romanesque

Nous savons que le récit romanesque a lieu à l'occasion d'un démenti, d'une dérogation infligée (fictivement) à l'ordre archétypal, qu'il représente, à propos de l'obstacle et comme conflit des agents enrôlés, la mise en jeu de la positivité de base. Le récit signifie violence faite à l'origine, constitution d'un contrordre, élaboration de la négativité. C'est-à-dire, que le conflit, champ d'existence de la négation, suscite et détermine le livre : il n'y a de narrable que ce qui ne réalise pas la conformité, que celle-ci malheureusement perdue heureusement se retrouve. Il n'existe de récit que de la lutte, que de l'effort contrarié, butant sur l'obstacle, surmontant l'obstacle textuel aménagé. Le lecteur, situé dans le champ de positivité - et c'est là une précaution fondamentale du texte - , en repère les limites, en éprouve la valeur (supposée) grâce à la mise en scène de la négativité dramatique.

" "

Dresden, 1971, 31-32. Bourget, 1873, 466.

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FONCTIONNEMENT DE NARRATION

L'ordre archétypal a besoin d'être contesté en fiction pour être reproduit comme réalité (idéologique) dans l'esprit du lecteur. (Cette proposition sera vérifiée par la suite). PROPOSITION :

PROCÉDURE: Considérant le texte romanesque comme tissu de langage, on demande, en premier lieu, quels mécanismes généraux font que le sens peut arriver dans le récit - comment donc la production de l'intérêt romanesque se trouve fondée sur le récit de la lutte - , en second lieu, comment l'archétype doit nécessairement répondre de la signification dramatique élaborée, et avec quel profit immédiat.

Partant des acquis linguistiques, on rappelle le rôle prépondérant de la négation pour la constitution du sysème : Dans la langue il n'y a que des différences*9 (Ce principe de /'OPPOSITION est fondamental dans la théorie linguistique moderne).50 Par exemple : Le sens du mot dépend de son opposition sur le plan significatif aux autres mots auxquels il peut se combiner : c'est le résultat du découpage que le système impose à la signification du discours.51 La valeur d'un élément constitutif de l'ensemble est déterminée par la position différentielle qu'il occupe : il est nié-niant, s'entend comme exclusion de son inverse et tire de ce face à face les traits de sa distinction : Plus on entre profondément dans une structure sémantique, plus il apparaît que c'est le front des contraintes, et non celui des libertés, qui définit le mieux cette structure [...] Le principe de toute opposition systématique tient à la nature du signe : le signe est une différence.52 L'opposition crée la situation propre à l'acte d'énonciation : les unités deux à deux se dégagent, articulées elles composent une affirmation dont la valeur se repère par rapport à ce qu'elle ne contient pas, additionnées par séquences (ou phrases) elles élaborent le sens à transmettre comme information (nouveauté, ajoût), donc contradiction (par rapport au savoir actuel du destinataire), donc négation-, ce n'est que par là qu'il paraît à la réception nécessaire, et se justifie. La prise de parole n'est motivée que pour autant qu'elle est propre à réduire, corriger ou supprimer une affirmation antérieure jugée inadéquate, insuffisante, erronnée : l'intervention de la parole implique contradiction; au contraire, l'affirmation purement itérative (théorique) demeure insignifiante, elle 49

Saussure, 1969, 166. Et Derrida, 1968, 49 dans sa lecture de la construction saussurienne : Les éléments de la signification fonctionnent non par la force compacte de noyaux mais par le réseau des oppositions qui les distinguent et les rapportent les uns aux autres. 60 Lyons, 1970, 53. 61 Buyssens, 1943,91. 52 Barthes, 1967b, 168-169.

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ne dit rien, n'a pas lieu : le silence est évité par DEUX qui s'opposent.53 Et Blanchot : Le langage ne commence qu'avec le vide; nulle plénitude, nulle certitude ne parle; à qui s'exprime quelque chose d'essentiel fait défaut. La négation est liée au langage.6* Le sens naît de la différence; la négation accomplit la différence (qu'il s'agisse de la production du simple écart sémique ou d'un large conflit naratif); la négation produit le sens. Ce n'est que par voie de rupture que l'affirmation (primaire) trouve matière à se constituer. Par suite, un système linguistique, un texte (une pratique signifiante) sera considéré comme un ensemble complet, fermé, suffisant d'éléments antagoniques et solidaires (Plus un système présente d'oppositions bilatérales, homogènes, proportionnelles, privatives et neutralisables, plus il est cohérent).55 L'opposition fonde la cohésion textuelle, en même temps qu'elle rend compte du procès d'énonciation en tant que tel. Plus le jeu des constrastes et des contrariétés est généralisé, plus le couplage des unités constituantes est poussé, plus l'ensemble qui en ressort est un, plein, stable, signifiant, - et plus aisément il se lit. Le tout textuel « organique » (générateur du sens) s'entend comme architecture d'oppositions : il part de l'opposition, la multiplie, la coordonne, en fait jaillir l'information ou le récit; le message passe par la systématisation du non. Le texte se nourrit d'antagonismes; ses éléments sont définis par contraste; lui-même tire sa cohésion des négations qu'il dispose, son sens s'en déduit. Le roman, en tant que pratique littéraire, se soumet pleinement à une telle obligation; qu'il s'agisse - et pour nous limiter des signes servant à la qualification des agents ou du couplage des rôles nécessaires à son animation, il se voue résolument à l'élaboration de la négativité. Plus spécifiquement, cela signifie que le roman, en quête de la différenciation fondatrice et afin de pouvoir prononcer à travers une histoire désormais possible le sens visé, doit nécessairement opérer la distinction tranchées des agents mis en scène comme incarnation du procès de conformisation. L'individualité de ces agents n'est donc que l'effet d'un processus textuel destiné à faire du drame et à réaliser par-delà la réduction à l'archétype; les personnes romanesques ne sont des personnes qu'afin d'être aptes à produire la différenciation nécessaire : elles sont ce qu'elles sont pour autoriser l'histoire, pour permettre sa finalité. 63 64 65

Kristeva, 1969a, 193. Blanchot, 1949, 327. Troubetzkoy, 1949, 88-89.

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FONCTIONNEMENT DE NARRATION

Par suite, si le roman confronte les agents, s'il en organise la compétition, si ceux dont il dit conter l'histoire sont activement en lutte et font assaut de performances, c'est par souci de réaliser (aux moindres frais souvent et de la façon la plus évidente) la négativité matricielle. De ce heurt, c'est-à-dire du montage dramatique de la négativité, un système narratif prend source. Les signes grâce auxquels il lui est permis d'opérer, par agents interposés, s'entendent deux à deux, supposent la bipartition et le couplage (le pauvre s'oppose au riche, l'époux à l'amant, le père au fils, le bon au méchant, etc., le travail au désœuvrement, l'énergie à la faiblesse, la chasteté à l'ardeur, comme la mâchoire proéminente au trait fuyant, le bleu au noir (chez la femme), et ainsi de suite). La lutte, dont le lecteur croit lire la chronique, cristallise la négation, en déploie les effets; en mettant en valeur le partage des rôles, elle doue le texte de signification. On concevra le roman comme un système d'oppositions généralisées.56 L'opposition garantit le rendement du système - et donc la signification qu'il est prévu qu'il produise - en maintenant une cohérence complète entre les éléments qu'il comprend, en ne permettant pas que s'instaure entre ceux-ci le vide, le non sens. Ainsi, tous ensemble ils concourent à établir à l'occasion du drame, comme négation, l'unité textuelle désirée. Davantage, globalement, que le roman peut être considéré comme la négation étendue, spectaculaire, de l'affirmation archétypale primitive, avec cette conséquence que les oppositions qu'il multiplie permettent en retour (en leur creux, et bien avant la certification accomplie au dénouement) la constitution de la positivité fondamentale et sa reconnaissance. Donc que la figure archétypale se trouve définie par le drame, dans le jeu de l'écart, par le biais de l'événement extraordinaire et du déséquilibre. On dira, en d'autres termes, que l'ordre originel - dont nous soulignons une fois de plus la détermination idéologique -, connu comme « Bien », identifié à « Dieu », n'est lisible et repérable pour l'usager (le croyant) qu'à partir du moment où la négation (la faute, le « Mal ») s'introduit et paraît devoir s'imposer : le crime (le péché) commis révèle la légitimité («Dieu»); l'ordre intervient dès lors qu'un non lui est opposé, il se montre dans cet acte de contestation (ici feint), il s'affirme vérité par le biais de ce qui illustrativement le nie : ainsi s'acquiert, à la M

Voir une ébauche de classification des divers registres du contraste romanesque dans Koch, 1969, 197-201 (Contrasts in the Novel (A Structural Approach)).

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lecture du drame, la conviction de l'absolu du sens originaire promis. Du roman l'archétype ressort éprouvé, garanti, cette mesure de la fiction apparaissant pour lui nécessaire. Ainsi, la négation (ici « dépensée > dans le jeu de scène dramatique qui l'affirme) repose au sein de l'affirmation : La négation ne peut se réaliser qu'à partir de la réalité de ce qu'elle nie.57 Et le logicien : La négation est bien un joncteur de vérité.5* Ce qu'elle contredit, dans le même temps, elle le pose, le révèle - l'entretient. Dès lors que la production textuelle du sens exige la différence et la négation, celle-ci se conçoit dialectiquemeiit comme lieu de passage de l'affirmation originaire, comme pur moment de perception de la positivité de base. Le texte (romanesque), puisqu'il se voue à l'élaboration et à la mise en valeur de la négation après avoir établi l'immanquable positivité, est propre à réussir la conformisation nécessaire (à donner à sa fin la fonction de clôture). Le drame, où se joue la soi-disante réalité de la négation, est donc outil de conversion archétypale (L'opposition non-alternante initiale se révèle donc être une pseudo-opposition).59 La négation donne le sens; la négation reprend le sens : elle n'est à vrai dire, dans le champ romanesque du moins où nous l'observons, - que l'affirmation déguisée; l'opposition romanesque est feinte; elle n'est que le détour pris par le discours de l'ordre pour s'énoncer; elle constitue la manœuvre grâce à laquelle l'archétype se pose et se maintient. A travers la langue dramatique de la fiction, qu'il façonne et détermine, le langage originel se prononce - peut-être même s'accroît; sa justesse est proclamée par la « faute » dramatique qu'il produit comme roman. La construction dialectique qu'est le texte romanesque repose ainsi sur sa base : ce qui est pris bien souvent pour juite hors du monde n'est donc en fait que juite - réelle - dans la réalité - jabuleuse, tout idéologique - de l'origine, refuge cherché et ménagé de cette façon en cet endroit. Cette interprétation rejoint l'analyse greimasienne dans laquelle en effet le couple jonctionnel affrontement vs réussite représente le noyau irréductible rendant compte de la définition du récit comme diachronie,60 le véritable « nœud » à propos duquel et autour duquel la narra57

Blanchot, 1949, 329. Blanché, 1969, 41. Voir, en ce sens, le développement que Kristeva, 1969a, 271-272, consacre, à la suite de Lacan, au concept freudien de VemeinungAufhebung. CB Kristeva, 1969a, 117. 00 Greimas, 1966, 205. œ

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tion s'articule : Le récit se réduit, en effet, à la séquence de l'épreuve celle-ci pouvant, en ce qui concerne particulièrement le roman, prendre un développement considérable et présenter maints dédoublements qui, manifestant dans le discours un modèle actantiel, anthropomorphise, en quelque sorte, les significations et se présente, de ce fait, comme une succession de comportements humains.*1 Bien entendu, cette séquence médiane en quoi se résume tout le roman n'épuise pas, mais au contraire anime la signification : principe de la narrativité, elle permet le développement dialectique de la reconversion à l'origine; elle n'est pas elle-même visée du texte - le texte romanesque n'instruit pas du malheur pour sa valeur propre - , mais voie qu'il emprunte pour arriver à sa fin d'affirmation (de « bonheur »). La lutte ne figure que le biais de la « description > romanesque : La lutte apparaît [...] comme l'expression de l'activité métalinguistique, en ce sens qu'elle né possède pas de contenu propre, mais porte, aü contraire, sur le contenu de la conséquence, qui est, on le voit, manifestée séparément, indépendamment de la lutte.62 Or, l'archétype représente pour nous précisément le joint « transromanesque », donné comme origine au roman, sur lequel celui-ci s'appuie. H paraît donc à la fois être la base réelle du texte lui permettant d'échafauder la négation et la « conséquence » qui résulte de la mise en activité narrative de celle-ci. Le roman ouvre sur son principe : il renferme donc, après l'expansion conflictuelle, « momentanée >, dans l'ordre archétypal. La lutte romanesque « anthropomorphique » est donc moyen de représentation de la positivité et moyen d'intégration à celle-ci; elle fait fonctionner l'archétype tout en jouant sa suspension fictive. Elle est, on le voit, truquée et la narration qui la soutient hypocrite, la signification archétypale primaire ne cessant pas de se manifester. La lutte romanesque offre, par conséquent, au lecteur le spectacle de la pacification. Le récit du combat dont il suit les péripéties désigne la soi-disante légitimité (soi-disant non violente) de l'origine en en figurant, sur le mode du scandale, l'intolérable contradiction. La lutte fait lire le « pacifique » ordre inverse support du livre; le roman tait le trouble, quoiqu'il paraisse le mettre en évidence. (Développements sous 4.24). La première question est : « Comment du sens se produit-il ? » Réponse, que nous lirons chez Derrida : La signification ne se forme [...] ®

Greimas, 1966, Greimas, 1966,

211. 212.

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

221

qu'au creux de la différance : de la discontinuité et de la discrétion, du détournement et de la réserve de ce qui n'apparaît pas.63 La deuxième question est : « Quel est le mode d'apparition de la différence créatrice spécifique dans le roman ? » Réponse : la lutte, qui est réalisation du contre-sens et qui, par delà, permet l'installation de la seule positivité désirable. La fable dramatique, en effet, dément l'obstacle tout en le constituant : le roman est différence de l'archétype. La lutte est le principe difïérenciateur grâce auquel ce qui est vérité originaire (supposée) se distingue de ce qui est mensonge (notoire). La troisième question est : « Pour quelle raison le roman se constitue-t-il comme différence ? » Réponse - que nous ne ferons ici qu'ébaucher : la différence existe pour faire cesser la différence, le roman pour montrer l'annulation de son motif, c'est-à-dire de la négativité; la différence fabulatoire dont nous vivons le spectacle a pour but de mener, par le biais de ce détour qui en est l'essence, à la suppression de la possibilité de la différence, au résorbement de la négation, à son élimination incessante et complète : La nécessité du passage par la détermination biffée [de la différence], la nécessité de ce TOUR D'ÉCRITURE est irréductible.64 En effet, le roman, pour avoir droit à l'existence et simplement pour avoir lieu, ne peut que se dénoncer lui-même comme contre-sens, faire valoir son inverse, s'effacer. Ou encore, étant donné le rapport essentiel liant parole et violence (Il n'y a de guerre qu'après l'ouverture du discours et la guerre ne s'éteint qu'avec la fin du discours [...] La parole est sans doute la première défaite de la violence, mais, paradoxalement, celle-ci n'existait pas avant la possibilité de la parole),65 que la « guerre » de la fiction romanesque ne vise qu'à promouvoir la pacification réelle des sujets de la lecture, c'est-à-dire des lecteurs; il y a « guerre » pour que l'ouverture 83

Derrida, 1967b, 101. Nous faisons ici sciemment mentir le concept derridien de différance (La différance, c'est ce qui fait que le mouvement de la signification n'est possible que si chaque élément dit « présent », apparaissant sur la scène de la présence, se rapporte à autre chose que lui-même, gardant en lui la marque de l'élément passé et se laissant déjà creuser par la marque de son rapport à l'élément futur, la trace ne se rapportant pas moins à ce qu'on appelle le futur qu'à ce qu'on appelle le passé, et constituant ce qu'on appelle le présent par ce rapport même à ce qui n'est pas lui : absolument pas lui, c'est-à-dire pas même un passé ou un futur comme présent modifiés. (Derrida, 1968, 51)), le roman représentant pour nous précisément le mode même - quoique donné sous une apparence inverse - de la non réalisation de l'intervalle « mobile » décrit : la différance s'y trouve « dérivée, survenue, maîtrisée et commandée à partir du point d'un étant-présent » et donc ne mérite pas son nom. 01 Derrida, 1967b, 38. 86 Derrida, 1967a, 172-173.

222

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du discours ait lieu et - c'est là la fonction spécifique du roman - afin de reconduire à la « paix » (à l'unité, à la positivité) - fictive - en cours. Ou encore, d'un point de vue informationnel cette fois, étant donné les couples fonctionnels inscription du scandale vs annulation du scandale, affrontement actantiel vs réussite de la conformisation mis en jeu par le roman et qui définissent fondamentalement son allure, que celuici, instituant la vérité du code, sa justesse, sa justice, sa régularité, se consacre à l'élimination des non vérités susceptibles de le troubler (de déranger la communication dont il est l'objet) : le roman est une lutte spectaculaire contre l'erreur. En effet, (1) le récit fournit l'information de base, (2) cette information est contredite, (3) cette information est établie en vérité. La lutte (agie, incarnée, anthropomorphisée) est alors à comprendre comme la représentation des efforts contradictoires tendant soit à l'imposition de la vérité du code, soit à sa suppression : la lutte a lieu au nom du vrai de l'archétype; le bon conforme et son parti sont dans le vrai, ses adversaires en signifient la subversion (la victoire du méchant serait celle de l'erreur, du mensonge); ainsi le livre réalise-t-il la correction du code pour en avoir mimé l'imperfection. Le couple fonctionnel différenciateur affrontement vs réussite, où le premier terme signifie forcément la suspension du sens codai et le second forcément la vérité de ce sens, permet de réaliser comme authentique la délicate opération de triage entre ce qui est du ressort de la vérité (le « bon » sens) et ce qui relève de son inverse (le « mauvais » sens). La conformisation (généralement présentée comme victoire du bon conforme) vérifie le code utilisé, en fait éprouver intensément (émotivement) les limites, - et donc y resserre. Ainsi, l'état du code d'origine est-il repéré par représentation des démentis (tendancieux) qu'il s'inflige. RENVOI :

Sur la valeur de la représentation de la vérité archétypale par le roman. Celle-ci est accomplie et vraisemblabilisée par le détour dramatique: la lutte fait voir son objet, constitue la raison du désir. Voir Développements sous 3.44. Dans le système romanesque différentiel, les signes utilisés servent à la réalisation d'une contradiction émettrice, à constituer un obstacle producteur de positivité, à provoquer entre les agents, à propos de la vérité du code, une vive émulation : Die Zeichen sind jiir das Denken von derselben Bedeutung wie für die Schiffahrt die Erfindung, den Wind zu gebrauchen, um gegen den Wind zu segeln.™ L'obstacle fictiM

Frege, 1962, 90.

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223

vement constitué sert ainsi de point d'appui à l'affirmation visée par le livre. L'origine déduit son sens de l'aventure, dans le creux de la négation manifestée. La fable dramatique, support de la conformité, permet de « naviguer » contre le non vrai que ne comprend pas l'affirmation première. Ainsi, le roman fait-il « avancer » à reculons - imaginairement - vers l'origine. le roman est un sport. La lutte sportive est une représentation dramatique où les agents dans l'exploit s'affrontent; lue dans l'optique romanesque, récitée par le commentaire immédiat du speaker (du journaliste), elle suppose bipartition (l'intérêt se fixe sur deux équipes de signes opposés, sur le champion et son challenger, sur les « nationaux » et les « étrangers », etc.) et réalise scéniquement le suspense. Notre thèse est que l'activité sportive, pas plus que le roman, ne produit d'effet compensatoire réel, qu'elle organise la coercition et la rentrée dans l'ordre social, que la jouissance du pouvoir héroïque qu'elle semble accorder par procuration n'est en fait que celle-là des modes d'être archétypaux, sublimés et idéalisés afin de se faire recevoir. (Développements sous 4.12). En effet, tant dans le sport que dans le roman, la pure décharge de l'agressivité n'a pas lieu.67 Même si l'on admet que de telles activités jouent comme « soupape de l'agression » (Ventile der Aggression),68 force est de constater que la détente provoquée avec l'acte de défoulement est de relativement courte durée. Bien plus, la possibilité de décharger les impulsions agressives - liées du reste à la conquête et à la préservation d'un « territoire » propre - constitue à la longue un certain « training de l'agression »,69 La décomplexion n'a pas

PARALLÈLE : Le sport est un roman,

lieu, puisque dans l'acte de défoulement (le spectacle dramatique) la situation objective de refoulement est programmée ; l a s i t u a t i o n - s o u r c e se dissimule p a r le

spectacle pseudo-défoulant comme productrice du refoulé. Par suite, la lutte sportive (romanesque) agit comme élément de solidification de l'édifice social, comme facteur de réduction aux normes existantes.70 L'agressivité (apprise ou entretenue, en tout cas exploitée) se trouve drainée, disciplinée, monopolisée, récupérée et inversée au profit de l'ordre archétypal: Den Opfern kapitalistischer Herrschaft wird es verwehrt zu lernen, die aus den Versagungen entfremdeter Verhältnisse resultierende Aggressivität gegen ihre Ursachen zu richten. Anstatt an die Destruktion des « Gehäuses der Hörigkeit » zu gehen, anstatt ihre Unterdrückung zu bekämpfen, richten sie die aus gestauter Aggressivität gespeiste Zerstörungswut gegen das eigene Selbst und diejenigen, 87

Voir la discussion de la thèse classique du « contentement » de 1'« instinct d'agressivité » (Adler) - imaginaire ou pas - dans Kunz, 1946, 40-41. 68 Eibl-Eibesfeldt, 1967, 330. 69 Sur cette question, cf. Eibl-Eibesfeldt, 1967, 306-331. 70 Vinnai, 1970, 13, 104 : Der organisierte Fussballsport ist ein Teil dieser Industrie, die der Einübung und Zementierung des herrschenden Realitätsprinzips dient und dadurch die Opfer des entfremdeten industriellen Apparates bei der Stange hält [...] Von planender Verwaltung in Regie genommen, erzeugt er wie die anderen Manifestationen der Kulturindustrie die Identifikation der Menschen mit den bestehenden Normen und den Verhältnissen, die hinter diesen stehen.

224

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

die Opfer sind wie sie selbst.71 L'agressivité est donc à la fois bannie (dès qu'elle va à rencontre de la conformité) et justifiée (lorsqu'elle lui est profitable): l'ordre archétypal bénéficie doublement du processus; sur ces deux scènes complémentaires

(le roman/le sport), il devient l'instinct des

participants.

Pour conclure, nous dirons que la lutte romanesque, qui signifie exemplairement la suspension des valeurs archétypales, représente en vérité le moyen de leur récupération : le code ressort fixé de la manipulation romanesque, qu'elle permet à la fois décharge, recharge et canalisation de l'agressivité accumulée dans le système de base refoulant vécu par le lecteur. Développant ce qui a été indiqué plus haut (2.14, EXPLICATION 3 , RÉFUTATION, p. 8 7 ) , nous poserons que le roman en tant que drame constitue une « maladie organisée » de l'archétype : le malheur feint qui s'y joue garantit le « retour à la santé » de celui-ci. Le roman est ainsi à la fois « expression » du « mal » et résorbant sûr : le désignant dans sa cause là où il n'est pas (au niveau de personnes, comme négativité pure), sans l'annuler autrement que sur la scène idéologique, il en dérobe la perception, l'exorcise. 3.23

L'Effet de lutte « Albinus nigrum induxit »

La lutte romanesque (comme fiction) fonctionne sur un motif conflictuel RÉEL qu'elle dissimule. Le roman, par le biais de la représentation du heurt et du démenti (ou du moins de la suspension) qui en résulte, réalise la maintenance (le recouvrement, la reproduction - active, car elle augmente la cohésion de ce qu'elle semble dramatiquement contredire) d'un archétype lui-même soumis à des pressions, lui-même objet de lutte, effet d'un enjeu réellement existant. Ce que nous appelons archétype constitue, sinon l'appareil idéologique lui-même (à ses instances et dans ses manifestations diverses), du moins le corps latent, les éléments de base, les nœuds fondamentaux de la norme globale diffuse; c'est là la structure profonde sur laquelle repose la conscience de classe; elle garantit sa cohérence comme la cohérence de son savoir et assure la cohésion de tous ceux qui la possèdent. L'archétype forme l'armature de l'édifice idéologique. Ensemble dogmatique relativement automatisé, il fournit l'usager en modèles abstraits de comportement autojustificateurs de l'ordre social dont il émane. PROPOSITION :

71

Vinnai, 1970, 89.

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

225

Soit la définition d'Althusser : L'idéologie est une « représentation » du rapport imaginaire des individus à leurs conditions réelles d'existence.72 Sa fonction est tout d'abord de réaliser une forme de pensée telle (partant, des actes) qu'elle cautionne l'ordre établi au profit de la classe dirigeante, qu'elle s'y intègre « naturellement » . La « vision » ainsi produite enregistre « à travers une voile » l'état de choses existant : ce qui est « vu » dissimule, ce qui est « compris » méconnaît - et singulièrement le phénomène fondamental source de son « erreur » : la lutte des classes. (Nous faisons pour l'instant abstraction de la face positive de l'activité idéologique). A u sein de l'idéologique, en son fond même, l'archétype représente l'instance non manifeste unique sur laquelle les affirmations secondes diverses (quelquefois contradictoires) s'appuient. L e « voile » ainsi créé est double : l'affirmation greffée sur la structure archétypale « trouble » ce qu'elle redit, camoufle son « fond » , s'ingénie à démentir son origine (elle est individualisée, actualisée, modernisée, etc.), la structure archétypale signifie manipulation acquise du réel, conceptualisation restrictive, aberrante. L'existence de 1'« imaginaire » idéologique à un double palier permet de comprendre comment le sens conforme désiré se perpétue inchangé à travers ses modes - entraînés dans le cycle infini des adaptations - d'affirmation. L e roman, en tant que pratique idéologique, se conçoit alors comme l'un des moyens de transmission de la cohérence archétypale, comme véhicule de certaines de ses figures privilégiées. A travers le prisme trompeur de son motif principal - la lutte - , il ne fait pas voir l'occurrence sociale de celle-ci, mais bien au contraire en réalise l'effacement, la retire de la vue : le monde « imaginaire » qu'il organise à partir de la négativité est dépouillé du scandale. L e roman est donc moyen littéraire d'un complet renversement de lecture du réel. Son effet est d'unification. De cimentement. De «pétrification» dans 1'« imaginaire » . Il ratifie. Pour déchiffrer plus avant le rapport qui lie le roman comme exposition de la lutte à son motif réel, nous reprenons ici ce qui a été établi plus haut (1.12) sur la « représentativité » du narratif : le roman peut être dit discours figuratif de la réalité archétypale fictive, et discours figuratif NON IMMÉDIAT, en ce qu'il fonctionne par le biais dramatique. La représentation romanesque se joue dans le détour de la représentation de la réalité : elle passe (1) par le code archétypal, qui figure une première traduction réductrice de la réalité, (2) par la mise en scène 72

Althusser, 1970, 24.

226

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du démenti, qui figure, à travers la négation constituée, une version seconde (actualisée) de l'archétype. Le roman, à ce titre ne « représente » pas; il ne « représente » pas la lutte des classes; en ceci il est justement représentatif de l'état idéologique, c'est-à-dire de l'image élaborée par la classe dominante et généralisée par elle pour dérober l'état de fait. La mise en scène romanesque a ainsi pour but la constitution d'une « irréalité » : la réalité de l'antagonisme social est changée par elle en son absence. Dans ces conditions : (1) Il est faux de déclarer que le roman reflète ou réfracte les rapports conflictuels présents dans la société. Lukâcs : Es kann im allgemeinen als unbestritten betrachtet werden, dass das Drama die Kollision gesellschaftlicher Kräfte auf ihrem extremsten, am meisten zugespitzten Punkt zum zentralen Vorwurf hat.73 Et ailleurs (mais nous nous inscrivons en faux contre la distinction proposée, puisque le « drame », sinon comme « genre » du moins comme procédé, fait essentiellement partie du roman) : Im Roman kommt es nicht darauf an, die gewaltsame Lösung einer Kollision in ihrer höchsten und aufs äusserste zugespitzten Form darzustellen. Die Aufgabe besteht vielmehr darin, die Kompliziertheit, Vielfältigkeit, Verschlungenheit, « Schlauheit » (Lenin) jener Wege darzustellen, die im gesellschaftlichen Leben solche Konflikte hervorbringen, lösen oder obstumpfen.7i Cette représentation (quoique détournée, et des processus mêmes de résorption du conflit) n'a pas lieu, la répétition n'est pas son objectif : le roman produit le dérobement de la perception du conflit. (2) H est faux de déclarer que le roman n'entretient aucun rapport nécessaire avec la situation conflictuelle réelle. Sebag : La présence de ces phénomènes [il s'agit des différentes formes de l'activité esthétique, par exemple] est en effet si généralisée qu'ils doivent primordialement être rapportés à eux-mêmes et QU'AUCUN LIEN NÉCESSAIRE NE PEUT ÊTRE ÉTABLI ENTRE UNE SITUATION SOCIALE PARTICULIÈRE ET LEUR APPARITION

[...] Les antagonismes sociaux se réfractent bien à travers les systèmes symboliques; ils ne sont pas la raison de ces systèmes.75 Ainsi, le raisonnement structuraliste pose l'investissement déterminé d'une symbolique indéterminée, parallèle à la série sociale, sans contact causal avec elle. C'est là sans aucun doute se leurrer sur l'existence de formes narra73 74 75

Lukâcs, 1955, 97. Lukâcs, 1955, 147. Sebag, 1967, 171.

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227

tives « vides ». Nous entendons au contraire montrer que le roman est bien la mise en œuvre spécifique d'un état social spécifique; cette spécificité est, à notre sens, repérable au niveau des processus de conceptualisation et de catégorisation qu'implique le recouvrement archétypal (la conformisation ). (3) Il est insuffisant de déclarer que le roman participe au conflit réel, tout en élaborant des contradictions proprement littéraires, à un niveau par conséquent distinct. Macherey: Le débat (contraste, conflit), tel qu'il apparaît dans le livre, est lui-même un des termes du débat réel. C'est pourquoi les contradictions dans le livre ne peuvent être celles de la réalité; elles en sont le produit, au terme d'un processus dialectique d'élaboration, qui fait intervenir les moyens propres à la littérature.76 En effet, entre le réel et l'œuvre, l'instance idéologique figure pour celleci un sens de base déjà représenté, offert à son exploitation. Le roman irréalise un conflit déjà tu - jamais assez tu; il en représente la représentation. Nous poserons d'abord que le roman comme conflit de fiction - dans sa généralité et non seulement au moment où nous le surprenons - est construit sur la représentation idéologique (proposée au niveau idéologique archétypal) de l'antagonisme réel des classes. Ainsi le roman propose-t-il une vue doublement différée de son motif : il existe à propos de la lutte des classes (La lutte de classe s'exprime et s'exerce donc parce que, dit Marx, les hommes en prennent conscience à ce niveau dans les formes idéologiques; ces formes idéologiques sont non seulement /'ENJEU, mais aussi le LIEU de la lutte des classes),77 il existe à propos d'une interprétation idéologique dominante de son motif, s'y surajoute et l'augmente, il existe comme mise en scène et exploitation dramatique d'une vision codée. Or, le récit romanesque (de l'époque) ne désigne que fort exceptionnellement la lutte sociale dans laquelle son histoire s'inscrit et ce n'est pour ainsi jamais qu'il met en scène le conflit réel à son niveau économique, politique et collectif. Ainsi, (130) relate bien, par extraordinaire, l'histoire d'une « Commune », mais le roman - qui n'est qu'à peine un roman - se consacre à la satire des ambitions personnelles de quelques « héros » et des « instincts » déplorables (paresse, indiscipline, ivrognerie) de ceux qui les suivent. De même, L'Insurgé de Vallès (1886) (dernier volume de la trilogie qui commence avec L'Enfant (53)) donne, 76

"

Macherey, 1966, 151-152. Althusser, 1970, 15.

228

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sous la forme de l'autobiographie romancée, la vision individualisée du participant à l'action révolutionnaire. Quant aux ouvrages de Beaujoint (22), Houssaye (14) (qui se passent sous la Commune), de Ranc (19) (Second Empire) et de tant d'autres placés - Hugo (11) compris - sous le sigle de 93, ils se bornent à dramatiser de la sorte, empruntant à l'événement son relent de violence, de très individuels destins. Par conséquent, il paraît que le roman cesse d'être un roman dès lors qu'il se consacre à la peinture d'un antagonisme social et qu'il cesse de pouvoir prétendre à une telle tâche dès lors qu'il s'emploie à la figuration de destins personnels. Autrement dit, à ce que nous voyons, le roman s'attache à éviter la représentation de ce que nous avons désigné pour être son motif central : comme si donc la lutte réelle, raison du livre, était précisément ce dont il doit fictivement détourner. PROPOSITION : Le roman « représente » l'antagonisme réel de classe P A R l'antagonisme fictif des personnes; il en déplace l'origine; il lui donne une valeur caractérielle, physiologique, métaphysique. L e roman individualise. L a lutte dont il narre les péripéties, il l'incarne en individus. Tout est acte et conduite d'agents dans le roman; l'agent représente le centre où convergent les événements; il n'est de circonstance qui ne soit immédiatement rapportée à lui, connue par lui et pour lui, et qui ne justifie sa relation autrement que par là. La personnalisation réalisée est constante : tout est déroulé devant nos yeux comme ressortant de la volonté individuelle des héros (ou émanant, quand cela n'est pas, d'une autorité supérieure, providence ou fatalité, innommable, mais tout pareillement personnelle). La lutte romanesque s'exprime de personne à personne. Celle-ci constitue pour son adverse l'obstacle même : quelqu'un fait opposition à quelqu'un (quelqu'un « influence » quelqu'un, quelqu'un se fait obstacle à luimême). La cause du manque, de la non conformisation, du déséquilibre est, passivement ou activement, un « être » . Le malheur romanesque vient de personnes pour des personnes. Cela n'est pas pour étonner : Nous disons : la catégorie de sujet est constitutive de toute idéologie, mais en même temps et aussitôt nous ajoutons QUE LA CATÉGORIE DE SUJET N'EST CONSTITUTIVE DE TOUTE IDÉOLOGIE, QU'EN TANT QUE TOUTE IDÉOLOGIE A POUR FONCTION (QUI LA DÉFINIT) DE « CONSTITUER » DES INDIVIDUS CONCRETS EN SUJETS.78 L e

roman ne fait donc qu'obéir à l'injonction archétypale : il crée des sujets, engendre des héros, les définit comme autant d'unités harmo78 Althusser, 1970, 29.

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nieuses, homogènes (les contradictions éventuelles qui les habitent sont des « faibles »), reposant fermement sur un « être », comprenant, décidant, agissant quant à eux-mêmes, monades closes, entités indivises et irréductibles, « monumentales », « héréditairement constituées », etc. En un mot, tous ceux que le récit romanesque met en scène sont des « essences », 1'« âme » figurant dans cette construction l'ultime (et intouchable) instance explicative. Faits et gestes ne pouvant dès lors qu'être d'ordre « métaphysique » - sans détermination historique actuelle. Réciproquement, dit le roman, la personne se réfugiant au sein de son être, chaque individu possédant en soi son propre ressort, il est nécessaire que la société (« ensemble des individus ») « exprime » ou parviennne à « exprimer » « extérieurement » le fond de chacun; ce n'est qu'à partir du moment où cette manifestation a lieu sans encombre que le sujet peut être déclaré « équilibré », « heureux » : dès lors que le sujet a la possibilité de se conformer à son être intime originaire. En d'autres termes, le sujet ayant à être ce qu'il est ( et non sans paradoxe), cette adéquation se trouve accomplie lorsque nature individuelle et condition sociale de l'agent coïncident. Par suite, la lutte romanesque n'existe qu'en vue d'une telle coïncidence; elle résulte (pour l'agent de la positivité) d'un irrésistible élan à récupérer l'être qui lui a été assigné. [Cf. Vol. compl.,

TABLEAU 17]

Le roman représente sur sa scène (« réalise ») la RÉDUCde l'antagonisme réel des classes à l'antagonisme fictif des personnes. Ce qui se passe au niveau historique se trouve, dans un premier temps, soumis à l'interprétation idéologique, dans un second temps, traité par le roman : celui-ci offre un développement, une vraisemblabilisation de celle-là. Ce qui est conflit de classe effectivement se lit comme heurt de personnes et trouve dans la compétition individuelle son « explication »; cette vision idéologique est « vérifiée » par le roman; le texte romanesque est une opération de réduction. Tout d'abord, le roman se dit cas, observation particulière, conjoncture, circonstance extraordinaire dont l'individu dans ses parties les plus privées (le « cœur », la « pensée », la « conscience », 1'« âme ») est le siège; cette « intimité », ce tréfonds, d'un être qui repose sur soi, le roman existe pour le montrer. Le critique d'époque : Ce sont, à vrai dire, des crises d'âme qui font tout le roman [...] On peut dire que ses romans [ceux, typiques, d'Octave Feuillet] sont autant de cas de conscience débattus, non avec des arguments d'école, mais avec des PROPOSITION : TION

230

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émotions, dans un récit vraiment pathétique, où chacun de ses contemporains peut retrouver une transfiguration de sa propre histoire [...] M. Feuillet a saisi le problème flottant dans l'atmosphère des âmes; il l'a condensé [...] Il a fait, du problème philosophique, un drame humain.19 L'individu est ainsi posé comme sujet d'une lutte (« la vie est un combat », tel est le truisme) qui le « dépasse » et qui pourtant n'a d'autre scène que sa propre existence. Ensuite, le roman, dans son esprit même, en tant qu'idéalisation et irréalisation de ses données de base, se reconnaît jeu. Dans l'acception de Caillois : Il [le jeu] propose et propage des structures abstraites, des images de milieux clos et préservés, où peuvent s'exercer d'idéales concurrences [...] Le jeu choisit ses difficultés, les isole de leur contexte et pour ainsi dire les IRRÉALISE [ . . . ] Le jeu, AGÔN OU ALÉA, est donc une tentative pour substituer, à la confusion normale de l'existence coûtante, des situations parfaites.80 Le roman, en effet, telle est la stratégie, constitue un milieu clos (fabuleux) où les compétitions qu'il organise sont censées se dérouler « à l'état pur », sans intervention extérieure; les antagonismes édifiés existent « en eux-mêmes » et reposent sur les signes - valeurs sûres - dont sont pourvus les agents : ils sont donc exactement arbitraires, quoiqu'ils dissimulent cette qualité. Ce processus de réduction, bien connu de l'analyse marxiste, dont nous ne faisons que surprendre l'amplification jouée au niveau romanesque, est général. La lutte des classes, en effet, se réfléchit dans la conscience de chaque individu et prend pour celui-ci - tel est le résultat de la réfraction idéologique - le caractère d'un « conflit d'idées >.81 Les rapports collectifs réglant l'activité et le comportement de chaque individu se trouvent, à ses propres yeux comme pour ceux-là qui les vivent avec lui (« du dedans de l'idéologie »), « atomisés », « imperceptibles » dans leurs causes et leurs effets réels, niés par conséquent. Chaque sujet, dans ce système, est pensé comme « être », c'est-à-dire - puisqu'il est reconnu « par malheur » ne pas l'accomplir - comme effort sur la voie d'un « devenir soi » ; il est ainsi occasion d'une lutte « interne », point d'expansion d'un projet individuel, point d'application d'une difficulté sienne, et paraît l'enjeu d'un débat « sans causes » - dont les causes, masquées, sont pour lui insaisissables, rejetées à l'infini (elles gisent en Dieu même, ultime sujet, garant de tous les autres). Cette réduction, illusoire et cohérente, n'est que la projection élargie ™ Caro, 1888, 225, 238, 241-242. 80 Caillois, 1967, 14, 22, 60. 81 Cf. Klaus, 1965, 35.

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231

de la lecture de la réalité économique que propose l'idéologie; à ce niveau de l'interprétation, en effet, les liens contractuels sont précisément faits pour individualiser, c'est-à-dire masquer le fonctionnement global de la sujétion de classe : C'est de l'identification du rapport Capital-Travail à un rapport entre équivalents que vient la définition des rapports sociaux capitalistes comme rapport entre «individus LIBRES et ÉGAUX en droits » [...] La métamorphose opérée par la circulation des marchandises permet ainsi de réaliser un véritable renversement idéologique qui fait prendre la Nécessité pour la Liberté, l'Inégalité pour l'Égalité. Parce que les rapports marchands ne relient que des individus isolés, la contingence vécue des rapports entre tel ouvrier et tel ou tel capitaliste apparaît comme la « liberté » pour chacun de « choisir » son partenaire dans le contrat.62 La version idéologique produit, à partir de cette invention d'un sujet réceptacle de la causalité qui l'anime, à partir de cette fixation « imaginaire » en lui-même de sa propre « raison » et sur le refus d'instances explicatives supérieures, l'annulation de la compréhension des rapports effectifs qui le commandent. L'idéologie remplace ainsi une lutte par une autre lutte. ( 1 ) LES RAPPORTS SOCIAUX DE PRODUCTION NE SONT À AUCUN TITRE RÉDUCTIBLES À DE SIMPLES RAPPORTS ENTRE LES HOMMES, À DES RAPPORTS QUI NE METTRAIENT EN CAUSE QUE LES SEULS HOMMES, ET DONC AUX VARIATIONS D'UNE MATRICE UNIVERSELLE, L'INTERSUBJECTI-

(reconnaissance, prestige, lutte, domination et servitude, etc.).63 (2) Cette « transformation » (fictive, à valeur sans aucun doute dissuasive) a lieu en des termes qui, quoiqu'ils s'imposent comme vérité, sont à la lettre incompréhensibles : n'obligent-ils pas le « sujet » de n'être que Vombre portée de 1'« explication » pour le moins simplificatrice qu'ils comportent de lui-même ? Quant au roman, en tant qu'activité greffée sur l'idéologique, en tant qu'illustration (productrice) de la transfiguration des faits par celuici, il représente comme drame un autre conflit que le conflit qui a effectivement lieu, se joue à sa place, remplit la scène, fixe les regards sur ce qui n'est qu'un leurre. La représentation romanesque comme réduction du réel (de l'Histoire) à l'affabulation produit une vision aveugle, obnubilée, fixée sur des spectres explicatifs, et répand une connaissance suppressive du réel (ce qui ne signifie pas qu'elle en constitue la « fuite »).

VITÉ,

82

Lojkine, 1969, 14-15. Althusser, 1967b, 149. Ces rapports M a r x les dit antagonistisch nicht im S inné von individuellem Antagonismus, sondern eines au s den gesellschaftlichen Lebensbedingungen der Individuen hervorwachsenden Antagonismus (Marx, 1971, 16). 83

232

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

La fable romanesque « explique » le conflit qui est sa raison d'être (puisque de lui seul découle le malheur nécessaire à la narration) par la personnalisation et les accrobaties psychométaphysiques (qui vont de pair avec elle : qui en sont la conséquence, qui sont censées en établir la compréhension) propres à amener la solution naturelle, de façon à en annuler idéologiquement (sur le théâtre idéologique) les raisons objectives. En situant le conflit dans la personne, en apposant la solution par le truchement menteur de son comportement (alors qu'elle est contenue dans les prémisses archétypales de celui-ci), en retirant par suite aux antagonismes toute causalité effective (et cela veut dire, sur le plan où nous nous situons maintenant, autre que structurale), le roman mue le sens d'origine en un sens « vrai ». Le montage de faux mobiles qu'il opère constitue la preuve a contrario nécessaire. Une telle spéculation est doublement productrice, d'abord, en ce qu'elle réussit à nier « en vrai » (par des procédés spécifiques, analysés dans le chapitre suivant) la réalité objective (de la lutte de classes), ensuite, en ce qu'elle réussit à affirmer « en fiction » d'idéologiques émanations. Le roman est un voile. Sa valeur, idéologiquement parlant (et l'esthétique qu'elle soutient), se mesure très exactement à l'épaisseur d'obscurité « parlante » qu'ainsi il propage. Nous dirons donc que la solution fabuleuse mise en œuvre dans le roman (« contée ») prouve l'accomplissement social ( + /—) de la nature ( + /—) de l'homme. L'homme du roman devient socialement ce qu'il est, d'après son mérite, non selon son travail. En effet, conformisation archétypale signifie à la fois prise en charge et reconnaissance (recouvrement) de son être par la personne et accession à la situation hiérarchique qui lui est adéquate : l'individu est conforme à son rang, son être coïncide avec sa position; la hiérarchie sociale est donc bien, dit le roman, ordre essentiel. NOTE: Cette adéquation (« Il y a en l'homme une nature que la société dans sa condition réalise») est pour le lecteur un réconfort; cette «justice» montrée, sur fond de son absence objective, est u n plaisir.

L'homme du roman possédant en fiction la condition sociale propre à sa nature individuelle, l'antithèse nature/société, supposée fondamentale, se trouve - après avoir subi le démenti dramatique - complètement résorbée. La fable romanesque pose (1) que la « condition humaine » trouve son accomplissement dans la société, (2) que la société réalise la « nature » de chacun, (3) que la société est, pour chacun, sa « nature ». La construction idéologique s'effectue en deux temps : le livre paraît, tout d'abord, postuler l'existence d'une « nature humaine »

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

233

(dont les individus sont en eux-mêmes les représentants), alors qu'elle vise en fait et finalement à imposer au consommateur l'idée d'une « société naturelle » à laquelle il aurait l'avantage de participer. « Nous sommes socialement ce que nous sommes réellement », tel est le mythe. Cette coïncidence, menée à bien par le roman, garantit que la société avec laquelle le lecteur est confondu, est juste, intouchable et «divine». Le roman accomplit ce miracle de naturaliser, c'est-à-dire de vraisemblabiliser le sens archétypal. Effaçant l'antagonisme des classes et le fonctionnement réel de la société libérale, il en dissoud, dissipe, « change » la connaissance. La fable réussit à donner à voir comme le vrai même, durant la périphrase dramatique qu'elle constitue, le monde qu'il faut (comme il le faut) que le lecteur saisisse, selon l'archétype, et pour le maintien de l'état de choses que celui-ci supporte. Le roman, dira-t-on, est pratique d'évitement - de contournement du réel. Il est ce lieu de l'activité idéologique où le conflit est reconnu et liquidé,84 porté à la conscience et vidé de son contenu, et cela dans le même temps et d'un seul mouvement. Le roman recouvre le monde du sens archétypal. Il contribue à constituer Vœil idéologique du lecteur. Modèle de la réalité, il y renferme. In einer in sich spannungslosen Gesellschaft kommt der Literatur nur noch die Aufgabe des rhetorischen Panegyricus zu (G. Hess.)85 Or, (1) le roman (du moins) se trouve être nécessairement voué à la louange, (2) dans une société sans classes, il devient théoriquement inimaginable, cessant d'avoir l'utilité que nous avons désignée, partant, ne procurant plus aucun plaisir. NOTE:

Il reste à dire que le dualisme, qui assure le fonctionement de la lutte romanesque et qui permet d'opérer avec vraisemblance la réduction à l'unité archétypale, est feint : 1. On pose et proclame la partition manichéenne du monde : Dumas fils, 1871 : Il y Les Les Les Il y Les Les Les 84 85 80

a d'un côté : gens qui possèdent, gens qui travaillent, gens qui savent. a de l'autre côté : gens qui ne possèdent pas, gens qui ne travaillent pas, gens qui ne savent pas.86

Cf. Marx, 1971, 15. Cité dans Die nicht mehr schönen künste (Jauss), 1968, 714. Dumas fils, 1871, 26-27.

234

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

La perception du monde est donc filtrée, soumise à la plus impérative catégorisation.87 Ou plutôt, la lecture - du monde, du roman, puisqu'elle opère dans les deux cas à partir du différend - ne peut être entamée que la scission (essentialiste) faite. 2. Cette dualité est en fait, comme manipulation idéologique, purement tactique : l'autre, le négatif, n'ayant pas d'existence propre, nous ne faisons qu'assister à un acte de dédoublement fictif, dont le but, maintenant patent, est l'installation du même (révélé comme positivité) : le mal ici montre le bien, comme l'ombre relève de la lumière, est défini par elle et la fait voir dans son cerne.88 L'« anti-monde » évoqué dans la lutte se trouve effacé par l'acte général de conformisation à l'Un qu'il soutient - dont il n'est qu'un « moment >.89 La distribution romanesque des rôles en deux séries apparemment inverses, en fait complémentaires, est donc mystificatrice : en effet, la polarisation supposée n'a pas réellement lieu, le lecteur ne fait effectivement connaissance qu'avec les représentants de la « bonté >, ce sont eux qu'il regarde, c'est de leur point de vue qu'il participe au drame, l'histoire leur arrive exclusivement, l'autre (Ie négatif) n'intervient que pour faire paraître le même (le positif). D'une part, l'agent négatif est réduit soit à rentrer dans la collectivité positive, soit à disparaître; il n'échappe jamais à la positivité : il en de87

Lidsky, 1970, 153, sur le même phénomène, saisi à la même époque : Le fait brut n'arrive à être exprimé qu'une fois qu'il a été interprété, jugé et classé dans la double catégorie du Bien ou du Mal. 88 En latin, facere Candida de nigris ou nigrum in Candida vertere (faire du noir le blanc, changer le noir en blanc) signifie tromper. 89 Bien et mal ne sont là [dans le roman] que pour recouvrir, faire disparaître, en la transcendant, la différence fondamentale qui est économique (Pleynet, 1968 b, 104). Cette « onction de censure » s'exerce à tout niveau, bien entendu. Par exemple, politiquement, dans le système libéral, le parti victorieux, dit Hegel, perpétue son pouvoir justement en ceci qu'il suscite son double opposant identique à lui-même : Eine siegreiche Partei bewährt sich erst dadurch als die siegende, dass sie in zwei Parteien zerfällt; denn darin zeigt sie das Prinzip, das sie bekämpfte, an ihr selbst zu besitzen, und hiermit die Einseitigkeit aufgehoben zu haben, in der sie vorher auftrat (cité dans Die nicht mehr schönen künste, (Jauss), 1968, 713). Même démonstration, valorisatrice elle aussi, chez Caillois, 1967, 15 . En politique, dans l'intervalle des coups de force (où ON NE JOUE PLUS LE JEU), existe de même une règle d'alternance qui porte tour à tour au pouvoir et dans les mêmes conditions les partis opposés. L'équipe qui gouverne [•••] exerce celles-ci [la puissance] sans en profiter pour anéantir l'adversaire ou lui retirer toute chance de lui succéder dans les formes légales. Sans quoi, c'est la porte ouverte à la conspiration ou à l'émeute. Il arrive que l'homme d'état avoue, à propos de tel traité, l'efficacité stratégique du duel en cause : L'opposition des deux grandes puissances est naturelle; il reste à faire en sorte que cette opposition soit sans risques (Discours du Président des États-Unis, Berlin, février 1969, version radiophonique).

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

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vient la juste victime, ou alors il se retrouve tel qu'il n'a jamais cessé d'être, c'est-à-dire antithétique à ce qu'il a paru (Les personnages ne changent pas [...] Celui qui se convertit était déjà bon auparavant, celui qui était méchant meurt impénitent),90 il participera, sera réhabilité ou alors sera éliminé, pour le moins sévèrement puni. 91 D'autre part, l'agent négatif ne sert dans le roman qu'à révéler la bonté du bon; il démontre par office (« en fiction ») le champ d'existence de la positivité (Rudolph - le héros conforme des Mystères de Paris selbst gilt sich als ein Guter, und die Bösen sind dazu da, ihm den Selbstgenuss seiner eignen Vortrefflichkeit zu gewährenj;92 il est le membre « malade » (Le « mal » n'est qu'une maladie sociale,93 telle est la connaissance proposée dans le roman), signe irréversible d'une Santé fondamentale. L'unité positive du « monde » est ainsi recouvrée par le biais - fallacieux miroir - de son déchirement dramatique supposé.

3.3

LE MIME ROMANESQUE

3.31

L'Intention

textuelle

PROPOSITION : Le texte suppose l'intention de signifier. Signifier suppose le processus textuel. Le texte - et c'est une évidence que nous ne vérifierons pas ici - consiste en une ordonnance d'éléments isotopes rassemblés en vue de la production de la signification : tous ensemble et comme ensemble fournissent une information déterminée-déterminante, visée par l'auteur, prévue à travers lui par tout un faisceau d'instances 80

Eco, 1967, 607. Voir l'analyse de la « médecine chrétienne » du châtiment que donnent Marx + Engels, 1969, 188-189 (à propos des Mystères de Paris) : Es gibt kein KRITISCHERES Mittel, um die verkehrten Äusserungen einer menschlichen Wesenskraft loszuwerden, als die Vernichtung dieser Wesenkraft. Es ist dies das christliche Mittel, welches das Auge ausreisst, wenn das Auge Ärgernis gibt, die Hand abschlägt, wenn die Hand Ärgernis gibt, mit EINEM Wort, den Leib tötet, wenn der Leib Ärgernis gibt, denn Auge, Hand, Leib sind eigentlich bloss überflüssige, sündige Zutaten des Menschen. Man muss die menschliche Natur totschlagen, um ihre Krankheiten zu heilen. Auch die massenhafte Jurisprudenz, mit der kritischen hierin übereinstimmend, findet in der LÄHMUNG, im Paralysieren der menschlichen Kräfte das Gegengift gegen die störenden Äusserungen dieser Kräfte. L'aveuglement matériel du coupable (en l'espèce, le maître d'école) - sa castration, dit Marx - représente inversement l'accession à la lumière idéologique du livre. 92 Marx + Engels, 1969, 215. "3 Eco, 1967, 595. 61

236

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

supérieures (structurales, archétypales, idéologiques, etc.). Ces éléments, aussi bien que la composition à laquelle ils sont soumis, dépendent d'un projet d'énonciation. Texte implique programmation, prélèvement de ce qui est propre et suffisant à opérer sa fin; ce qu'il comprend concorde et concourt à un effet unique; ce qu'il agence l'érigé finalité. Le texte se fonde sur l'exclusion, plus ou moins approchée, de l'ambiguïté; il peut être conçu comme effort de restriction du sens ambiant (du langage) : il est choix (« écart », « appauvrissement » du Dictionnaire), l'unification de ses parties décide de ce choix. Textuellement, ce qui importe n'est pas le « fait » auquel les phrases paraissent faire écho, mais l'intention directrice de l'énoncé qui s'en saisit.9i Ou plutôt tout « fait » ne se présente quIntentionnalisé - soumis à un dire, connu en tant que signification. Tout texte comprend (1) l'information concrète (un certain taux d'information), (2) l'intention de communiquer celle-ci comme signification. Ainsi le roman propose-t-il une « histoire », c'est-à-dire de la nouveauté (apparente) et du « changement » (feint), pour affirmer son dire. Et généralement : communiquer implique la participation tant du destinataire que du destinateur au projet d'énonciation : Die Kommunikation erfolgt dadurch, dass ein Mensch gewisse - meist sehr geringfügige - Veränderungen der Aussenwelt bewirkt, aus welchen ein anderer Mensch auf die Zielsetzungen des ersten schliessen kann.95 Le texte est là pour dénoter l'intention qui l'anime.96 En d'autres termes, le processus textuel suppose, pour être conçu, pour être reçu, une certaine « impérativité » : il a à dire, il veut dire et incarne, en quelque sorte, l'intention de constituer une signification déterminée. La possibilité d'être « gratuit » lui est par conséquent refusée : dès lors qu'il répond à l'exigence fondamentale de s'accomplir dans la différence - et il ne s'imagine autrement que copie absolue - , il réalise une contrainte, présume le choix : Le sens ne signifie donc pas seulement ce que les mots veulent bien nous dire, il est aussi une direction, c'est-à-dire, dans le langage des philosophes, une intentionnalité et une finalité97 Le sens est une force - et puisque sur le plan spécifique de l'«art» il trouve à se manifester à travers une dissémination relativement prolongée : La Littérature est une cacographie intentionnelle.98 M K m 91 98

Cf. Ingarden, 1968, 41. Frank-Böhringer, 1963, 13. II ne faut pas séparer des textes leur intentionnalité Greimas, 1970, 15. Barthes, 1970a, 15.

(Meschonnic, 1970, 55).

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

237

Le texte est un vouloir-dire; il comporte un certain commandement. A ce titre, globalement et par rapport au langage mis en œuvre (et à son « histoire » s'il s'agit d'un roman), le texte est aussi méta-langage : il se donne à reconnaître comme opération de signification sur le(s) sens qu'il comporte. Ce phénomène de dédoublement textuel (le texte se fait lire comme intention, signification portée par et portant sur le(s) sens (le récit) qu'il constitue) a normalement échappé à l'attention critique : A. On pose traditionnellement que le « sens » du livre coïncide avec l'intention manifeste qu'il ne manque pas de marquer (l'auteur assigne à son ouvrage une portée, le livre est faculté d'expression de l'auteur); la reconnaissance de sa « morale » en constitue la lecture même. B. On pose, traditionnellement toujours, qu'il y a à distinguer entre le « sens » du livre manifesté par l'auteur et l'intention éventuellement divergente de son ouvrage même (un texte « immoral » se pare d'une justification « morale », etc.); la reconnaissance de 1'« hypocrisie » de l'auteur (ou simplement de l'écart de son propos par rapport à la réalisation qu'en offre le livre) en constitute la lecture même. C. L'analyse disons formaliste propose, comme on sait, de distinguer entre le plan de l'œuvre et celui des éléments divers qu'elle agence : Wir unterscheiden also IDEEN als ausdrückliche Idealsetzungen bzw. ausdrückliche metaphysische Theorien INNERHALB und als « Teile » EINER DICHTUNG einerseits von der sozusagen entelechischen, nur gestalthaft gegebenen IDEE EINER DICHTUNG anderseitsDie im literarischen Werk dargestellten Gegenständlichkeiten sind abgeleitet rein intentionale, durch Bedeutungseinheiten entworfene Gegenständlichkeiten [...] In jedem dargestellten Gegenstand ist demnach sein Gehalt von seiner rein intentionalen Gegenstandsstruktur zu unterscheiden;100 On confond souvent la notion de sujet avec la description des événements, avec ce que je propose d'appeler conventionnellement la fable. En fait, la fable n'est qu'un matériau servant à la formation du sujet;101 En toute œuvre qui a forme de récit, il faut distinguer FABLE et FICTION. Fable, ce qui est raconté (épisodes, personnages, fonctions qu'ils exercent dans le récit, événements). Fiction, le régime du récit, ou plutôt les divers régimes selon lesquels il est « récité » [...] La fable est faite d'éléments placés dans un certain ordre. La fiction, c'est la trame des rapports établis, à travers le discours lui-même, entre celui qui parle et ce dont il 69 100 101

Müller, 1968, 173. Ingarden, 1965, 230. Chklovski cité dans Eikhenbaum, 1965b, 54. Cf. Chklovski, 1969, 297.

238

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

parle.102 Le projet de signification se lit alors au niveau de la « mise en discours » (dit « sujet », « Gestalt » ou « fiction »); c'est structuralement que la communication a véritablement lieu.103 A, B signifient la réduction du texte à une instrumentalité mythique externe : son effet propre est oblitéré; C propose un découpage et une catégorisation indue du processus textuel, dès lors qu'il est supposé que la signification peut venir imprégner le « matériau », se greffer sur la « fable », alors que « matériau » et « sujet » se « forment » réciproquement, que toute « fable » - en tant qu'« ordre » - est déjà sens paru. (Cf. Développements sous 1.12). D. On propose de considérer sémiotiquement le texte comme un système signifiant ouvert, ayant pour horizon l'extension même du code, manifeste d'intentions inépuisables, jamais sûres, jamais complètes, jamais dominantes : Dans cet texte idéal, les réseaux sont multiples et jouent entre eux, sans qu'aucun puisse coiffer les autres; ce texte est une galaxie de signifiants, non une structure de signifiés [...]; de ce texte absolument pluriel, les systèmes de sens peuvent s'emparer, mais leur nombre n'est jamais clos, ayant pour mesure l'infini du langage.10* Ce texte « théorique » - « poétique »105 - se conçoit comme pure dépense du sens, prodigalité interminable ayant pour limite l'ensemble des opérations qu'il met en jeu (et pour la fin desquelles sans doute il existe) : Ein literarischer Text [verfügt] über jeweils so viele Bedeutungsdimensionen, als er in sich konsistente und miteinander verbindbare semantische und semiotische Interpretationen der Textkonstituenten und des Textganzen enthält/erlaubt.106 D signifie à nos yeux la dilution du projet textuel. En effet, (1) le texte pluriel n'existe pas (sa pluralité ne fait que manifester un point de vue théorique); le texte n'existe que comme « parcimonie » (nous n'avons affaire nécessairement à des textes à pluriel réduit); (2) la pluralité « innombrable » du texte n'est que le résultat d'une lecture théorique 107 IRRÉELLE du texte; cette lecture-inventaire n'enregistre pas le texte 102

Foucault, 1966b, 5. Proposition analogue encore chez Leibfried, 1970, Foucault, 1966b, 5 : L'œuvre se définit moins par les éléments de la ou leur ordonnance que par les modes de la fiction, indiqués comme de par l'énoncé même de la fable. 104 Barthes, 1970a, 12. 106 Kristeva, 1969a, 175 : Le langage poétique est la seule infinité du code. 108 Schmidt, 1970, 72. 107 Ou sa prise «scientifique » : Eine allgemeine Literaturwissenschaft kann angesichts dieser Sachlage nur als METHODOLOGISCHES VEHIKEL verstehen, Inventar von Analysegeschichtspunkten und -formen/ verfahr en, die - je 103

323. fable biais

sich als nach

239

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

dans son effet de texte, alors que cette finalité pourtant le constitue; (3) le texte pluriel est théoriquement inimaginable : il se réaliserait alors comme combinatoire (« texte concret »), jeu insignifiant de signifiant, non comme texte; (4) se pluraliser, se donner comme pluriel manifeste une intention textuelle déterminée, qui n'est pas propre à tout texte, même à tout texte littéraire; la pluralité est une technique d'écriture sous-tendant un plan de signification; (5) le texte romanesque constitue, selon notre description, en raison de la finalité narrative, de la clôture, qu'il se donne, un pluriel particulièrement « pauvre » : il chasse l'ambiguïté, entre en lutte contre la pluralité (la pluralisation à laquelle on peut le soumettre est théorique et « saute » son effet de roman). 1 : Le texte romanesque existe en vue de la production du sens; le sens du roman se produit quant à l'archétype et en provient; l'archétype figurant la matrice de production des éléments signifiants agencés, le roman existe comme sens à propos des rapports que celui-ci met en place; le sens du roman est une opération sur le sens de l'archétype (Greimas : La production du sens n'a de sens que si elle est la transformation du sens donné; la production du sens est, par conséquent, en elle-même, une mise en forme significative, indifférente aux contenus à transformer. L E SENS, EN TANT QUE FORME DU SENS, PEUT SE DÉFINIR ALORS COMME LA POSSIBILITÉ DE TRANSFORMATION DU SENS). 1 0 8 Cette opération textuelle du roman, non indifférente, non nulle est cependant irréelle : le sens du roman est le sens de l'archétype. PROPOSITION

Le texte romanesque joue sur les divers niveaux d'intention de signifier qui le composent, sur les différentes instances de l'intention archétypale de base. Le texte est toujours déjà lui-même lecture (faite, offerte, à faire). Cela signifie que plusieurs mouvements d'inscription, de découvrement, de recouvrement du sens s'y rencontrent simultanément. Le roman se propose - à la lecture critique, mais non à la lecture « naturelle » unifiée prévue par lui - comme faisceau d'intentions de déchiffrement, de séries interprétatives combinées se complétant, se détrompant, se couvrant mutuellement. Ce croisement de programmes (explicites, implicites, reconnus, dérobés) a globalement pour effet de fixer l'attention du lecteur à des niveaux de perception qui ne renferment pas sa lecture réelle. PROPOSITION 2 :

Textbasis — Analysemethoden Aussagensystem einzuordnen 108 Greimas, 1970, 15.

anbietet und deren Ergebnisse erlaubt (Schmidt, 1970, 72).

in ein

plausibles

240

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

On distingue : 1. Le niveau d'intention explicite du texte. L e sens du livre se trouve

offert et affirmé ouvertement, voire affiché, par le livre. L'auteur énonce la raison du texte et dirige - apparemment - par avance la lecture de celui-ci. Cet énoncé direct de l'auteur se marque dans une Préface (avouée traditionnellement, dans le même temps, comme «ennuyeuse >; or, ce soi-disant aveu sert à garantir sa nécessité et donc la valeur de l'interprétation qu'ellle manifeste) aussi bien, et surtout, que dans le texte même. Ce sens dit, plus ou moins appuyé, constitue un métalangage du texte dans le texte, indépendant, à ce qu'il semble, de la

« moralisation » dramatique et de la signification archétypale. Cependant, cette parole greffée sur l'écrit fonctionne, nous le verrons, pour le garantir. NOTE :

Cette parole d'auteur est (à l'époque) volontiers protestataire (insistance sur la vérité, l'authenticité de l'écrit, sur la sincérité, la moralité du narrateur); il s'agit là d'une «mise à l'aise» de la conscience lectrice, puisqu'elle lui annonce la supportabilité de la représentation ainsi que son issue; elle est, par rapport à la position archétypale de base du texte, redondance pure. On comprend alors que le procédé réaliste ait pu l'éliminer pour une bonne part sans cesser d'obéir au projet romanesque. 2. Le niveau d'intention implicite du texte. L e sens du livre se trouve

établi, réalisé secrètement, voire grâce à l'obscuration textuelle, par le biais du démenti au niveau structural du livre. Ce sens, que l'on peut dire « patent » puisqu'il est perceptible intuitivement dès que le lecteur ne reconnaît plus l'archétype dans l'illustration qui lui en est donnée (dès qu'il passe d'une catégorie romanesque à une autre), se trouve porté (compris) par le mouvement de structuration de l'ensemble. C'est un sens obtenu (acquis), dont l'énonciation n'est pas soulignée. Ou encore, il s'agit là du sens de la moralisation dramatique, dans son rapport à l'archétype. Ce niveau figure le plan de fonctionnement réel de la lecture naturelle de la fiction (comme appréhension de sa signification). NOTE :

Niveaux explicite et implicite du texte ne coïncident pas ; le commentaire irréel 1 produit le refoulement de la conscience de lire « en » 2. (Ce refoulement n'est pas le résultat de la seule explicitation textuelle, mais du processus global de vraisemblabilisation).

3. Le niveau d'intention reconnue du texte. Le sens du livre peut être découvert, repéré, « constaté », plus ou moins sciemment, par son usager; dans l'idée de celui-ci, il s'agit évidemment de son « vrai » sens, d'un sens unique qui lui appartient, non pas du tout d'un sens imposé

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

241

durant la lecture. Le lecteur croit « reconnaître » au texte la signification (plus ou moins adéquate en réalité, c'est-à-dire par rapport aux autres niveaux intentionnels qu'il comporte) qu'il juge en percevoir; en fait, dans une certaine mesure il lui assigne un sens. Normalement, son déchiffrement se conforme à l'intention implicite du texte : sa lecture est « naturelle ». Cependant, par rapport au niveau du commentaire et par rapport à la visée structurale, une certaine marge d'erreur (ou d'originalité), infime normalement, doit être considérée. Le texte procure ainsi un effet individuel (excessivement limité, certes). Cette illusion (ou cette affectation) de lecture fonctionne elle aussi comme sourdine imposée au niveau de l'intention implicite. NOTE: Une faute technique sur le plan structural entraîne l'augmentation de la marge d'erreur de la lecture, autrement dit, accroît son individualisation.

4. Le niveau d'intention réelle du texte. Le sens du livre se trouve opérer « en profondeur », procurer un gain objectif, un intérêt (insoupçonné par le lecteur) qui constitue, quoiqu'il ne l'avoue jamais, sa visée propre; le livre existe en vue de la production d'un effet de signification; il se comprend comme sens idéologique réel réalisé à partir du sens structural, opération signifiante portant sur le sens archétypal reconduit. Cette parole effective du livre implique inscription dans le contexte et par rapport au circuit culturel « valeur d'usage » : le texte accomplit un service idéologique; c'est là sa réalité propre, même si cette réalité se trouve, vulgairement, niée. En d'autres termes, ce qui se conçoit au niveau second comme intention implicite fonctionne en jait au niveau de l'intention réelle, celle-ci devant être considérée comme le résultat, au point de vue du contexte, de celle-là. Ce « sens du sens » est essentiellement non repérable, illisible, pour la lecture naturelle; davantage, cette réalité du texte résiste à l'analyse, puisque les autres intentions textuelles, lisibles, évidentes, forment barrage à son endroit. L'évaluation de l'intention réelle suppose que l'analyse se fasse «du point de vue » de l'idéologie contextuelle émettrice (le texte remplit une charge positive par rapport à celle-ci) et, bien entendu, malgré ses voiles (le texte romanesque est illusionniste). NOTE:

Récit fait piège. Les niveaux premier, second, troisième de l'intention servent à couvrir l'intentionnalité réelle du texte; par là celui-ci est rendu propre à son objet, qui est de produire un sens romanesque obnubilé/ obnubilant. On peut avancer que c'est par préméditation que le livre masque son opération idéologique par un brouillard d'affirmations tapageuses et par la fixation de la lecture au seul niveau implicite. Le livre

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FONCTIONNEMENT DE NARRATION

dissimule la fiction qui l'anime; le livre dissimule le sens en vue duquel cette fiction est par lui composée. (Du reste, la publication de la finalité réelle du roman signifierait son annulation pure et simple). Les trois niveaux « apparents » de lecture procurent l'alibi nécessaire à son accomplissement effectif - garantissent son « intérêt ». Plus le texte romanesque est « emprisonné » dans l'intention apparente (et donc fait usage d'un explicite « grossier », car excessivement redondant), plus son appartenance aux catégories populaire et bourgeoise est sûre. Mais, évidemment, cette intention « trop » affichée remplit le même rôle que la vraisemblabilisation accrue des catégories intellectuelles et en compense le manque (relatif). NOTE:

La composition de l'intention textuelle globale, comprise comme combinaison de ses quatre niveaux, permet la catégorisation de la production romanesque. Développements sous 1.14. RENVOI:

Le roman s'accomplit ainsi sous le couvert de métalangages et grâce à la fixation de son déchiffrement au niveau implicite; l'apparence (l'histoire, sa justification auctoriale, son sens) offusque l'effet du texte et en permet l'accomplissement : la réalité de la lecture s'opère ainsi « sous le masque ». Le piège est donc que la lecture se trouve détournée de la perception de la Activité du sens romanesque - que le texte ne doit jamais désigner son intérêt véritable : le roman est une proposition idéologique,109 et doublement : dans sa portée aussi bien que dans son fonctionnement. 3.32

La Vérité dans le roman

Qu'on ne s'imagine pas, dire, que je vais dévoiler un roman. (Edgar Poe) Voilà des années que ces j'y assiste encore comme teur. (Gaston Leroux)

d'après ce que je viens de un grand mystère ou écrire choses se sont passées. Mais si j'étais mon propre specta-

1 : Au niveau explicite de l'intention, le roman affirme toujours qu'il dit vrai. Il est affiché du texte romanesque qu'il est vrai, fait voir le vrai, fait vraiment voir le vrai avec vérité, « réellement >. Cette affirmation renforce et confirme la vraisemblabilisation du sens réalisée au niveau implicite et contribue (fortement) à ancrer la lecture PROPOSITION

109

Une proposition idéologique est une proposition qui, tout en étant le symptôme d'une réalité différente de celle qu'elle vise, est une PROPOSITION FAUSSE, en tant qu'elle porte sur l'objet qu'elle vise (Althusser cité dans Glucksmann, 1969, 44).

FONCTIONNEMENT

DE

NARRATION

243

Le président prit la lettre, se leva et alla la lire près de la fenêtre.

dans la conviction de sa propre justesse (elle est reconnaissance « vraie » du sens « vrai »). Cette affirmation, d'une très haute antiquité,110 ce démenti, proprement fabuleux (étant donné le fonctionnement idéologique du texte) - mais nécessaire -, est généralisé. L'affirmation de la « réalité » d'un texte qui ne veut faire aucun doute impose le texte comme vérité et sa lecture comme prise de connaissance correcte de sa vérité. Dès lors qu'il est supposé « imitation », « recueillement », « conformité », et dans ce mouvement même de dénégation de sa propre nature (romanesque), sa vérité (imaginaire) se trouve affirmée. Plus le roman dénonce sa textualité, plus il donne à croire à sa justesse. L a fin du Lancelot donne en effet : Si se test ore atant mestre Gautiers Map de /'ESTOIRE DE LANCELOT, car bien a tout mené a fin selonc les choses qui en avindrent, et fenist ci son livre si outreement que après ce n'en porroit nus riens conter qui n'en mentist de toutes choses (La Mort le Roi Artu, 1964, 263). Pour le domaine allemand, exemples des 16e et 17e siècles dans Kayser, 1958b.

110

244

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

L'affirmation explicite de la vérité du texte dans et par le texte s'accompagne de la dénégation systématique de sa qualité romanesque. Le roman étale sa vérité, mais refuse son statut de fiction : d'une part, la « réalité » du texte, entendue comme pure représentation du monde, est marquée avec insistance, d'autre part, 1'« irréalité » de la fiction que pourtant il constitue se trouve par lui violement dénoncée : le roman refuse l'aveu de son statut, la fiction nie sa fiction pour s'établir (établir le lecteur) dans sa « vérité » de fiction. PROPOSITION 2 :

[Cf. Vol. compl.,

TABLEAUX

3.33

18, 19, 20]

La Vraisemblabilisation

Le roman, programmatiquement, de quelque point de vue qu'il l'envisage, affirme dépendre du réfèrent, proposer à la lecture un substitut de celui-ci, viser à la reproduction de sa vérité : il ne cesse de dire qu'il fait vrai et désigne avec opiniâtreté le vrai comme son adéquate mesure; à l'en croire, le vrai, soit qu'il en délasse, soit qu'il y ramène, soit qu'il ouvre à son « idéalité », soit qu'il renferme sur sa choquante « matérialité », constitue la vérité de la fiction. Ce que le roman affirme au niveau explicite du texte (à savoir sa vérité) se trouve (1) vérifié (fictivement) au niveau de l'intention implicite (structurale), (2) n'existe qu'afin de couvrir son opération réelle. Loin d'accomplir ce qu'il paraît s'assigner à lui-même comme tâche (l'imitation), le roman constitue la vérité à laquelle il est censé se conformer et vérifie sa propre fiction. Le texte romanesque effectue par le biais (implicite) de la narration le programme (explicite) qu'il affiche et qui le pose comme renvoi au référent; cettte réalisation peut s'opérer à travers la contradiction : même dans le cas où, par réaction, il s'entend comme anti-réalisme, il suppose le référent, s'en fait (censément) le mime. La narration est le vrai du texte. Alors que le discours explicite est souvent ressenti par le lecteur comme artifice (façade) et par conséquent « sauté » par lui. Tout se passe d'ailleurs comme si l'explicitation existait à cette fin, pour procurer, au-delà de la différence qu'elle ménage, l'impression préliminaire - et que rien ne fonde, sinon l'exercice ancestral du roman - de la vérité du récit. Le récit fait le vrai auquel il dit obéir, qu'il affirme représenter, comprendre ou étudier; il remplit lui-même les conditions de sa propre réalité; il feint de renvoyer à un modèle étranger, mais ne fait que se PROPOSITION :

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

245

conformer au plan de vérité qu'il propose et dont il établit les modalités. Le récit rend « vraie » sa prétention (affichée) au vrai; il est technique d'obtention - et d'ostentation - du vrai, véracité fabriquée, autrement dit : vraisemblance. Le récit fabuleux se rend vérité de la fable : à propos du démenti qu'il illustre et qui constitue sa raison d'être (le roman fonctionne pour le drame), il s'emploie à en garantir l'admissibilité (paradoxale, donc), c'est-à-dire la lisibilité. La vraisemblance anime le texte romanesque.111 Ou : le récit existe afin de vraisemblabiliser le récit, le texte afin de vraisemblabiliser le texte. Par conséquent, le réfèrent qu'il suppose n'en est aucunement le modèle (la réalité est seconde par rapport au texte),112 il s'offre comme construction « imaginaire » (« monde de mots >)113 - ce qui ne signifie pas encore que ce qu'il met en scène soit dépourvu de réalité. Dans le texte romanesque, tout converge à l'édification de la véracité du texte; indépendamment de sa programmatique, mais généralement dans un mouvement convergent, le roman est de part en part rendu vrai, en chacun de ses éléments ou opérations. Le roman est un système de vérité, véritable pullulement de marques du vrai (In der Fiktionsliteratur wimmelt es von Wahrheitsbeteuerungen),ni protestation continuée de sa référentialité et vérification narrative de cette protestation : l'aventure dont il parle se donne comme réelle, la quête de l'agent comme expérience, son histoire comme historique; l'événement semble être issu du passé, avoir eu lieu et même être en train d'arriver, etc.; le récit prend l'aspect d'un développement naturel, voire actuel, ouvrant inmanquablement sur un dénouement possible; l'insupportable démenti qu'il met en scène est doué d'existence; réciproquement, l'archétype s'impose à la solution au bout d'un enchaînement « logique » de faits, comme leur conséquence nécessaire (« heureuse »). La vraisemblance est donc l'allure de la fable. Celle-ci suppose représentation, mise en vérité, mime. m

Phénomène que les premiers théoriciens d u roman, à la suite d'Aristote, n'avaient pas manqué de noter : La vray-semblance, qui ne se trouve pas toujours dans l'Histoire, est essentielle au roman (Huet, 1693, 13). 1,2 Dresden, 1971, 198 : Même dans les romans les plus réalistes, la réalité n'est pas primaire, mais le roman créé dans le roman et par le roman seulement. m Dresden, 1971, 200: Le monde du roman est ainsi un monde imaginaire, c'est-à-dire : un monde qui n'a pas le même mode d'existence que les faits réels, un monde qui en un certain sens n'EST aucunement et se rend présent sous une forme de non-être. 114 Weinrich, 1964, 78.

246

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

Le roman s'applique, et tout en lui nourrit cette illusion, à se présenter comme compte-rendu, répétition, rapport, copie (de ce point de vue, on peut affirmer que tout roman est « réaliste », si l'on entend par là simplement la position de référentialité que prend nécessairement la narration); la fiction suppose un original dont elle dérive, qu'elle s'efforce de restituer; elle s'en donne pour le fidèle simulacre. Le critique contemporain, définissant - avec le sens commun - ce mimétisme écrit : La VRAISEMBLANCE consiste à PRÉSENTER DES FAITS SUPPOSÉS, DE TELLE SORTE QU'ILS PARAISSENT VRAIS, à les environner de circonstances telles que s'ils eussent été réels, ils se jussent passés ainsi.115 Le roman, cependant, ne fait en cela qu'obéir à un principe général dont les effets se font sentir à tous les niveaux de la communication (textuel ou non, littéraire ou non) : le texte (le roman) doit être cru, l'information qu'il porte doit être aux yeux du destinataire acceptable, c'est-à-dire présenter, sous une forme déterminée, connue, un message dont le degré d'innovation est restreint (rentrant dans le champ d'informations préalables, disons) : une information « impossible » n'est pas « reçue », un texte « invraisemblable » est illisible. Le plan du locuteur (de l'écrivain, du romancier) est en effet d'informer; or, l'information ne contient pas en elle-même de quoi enlever l'adhésion, bien évidemment; écrire (un discours, un roman) revient alors à couler le message dans un texte (une rhétorique) qui le mette en valeur, l'expose, l'illustre, en fasse convenir : un texte est une mise en scène, tout langage se constitue comme illusion pour rendre vérace l'information dont il est chargé : On dira que ce langage [celui de l'écrivain, mais aussi tout langage en général] a pour jonction d'instituer l'illusion : sa qualité première est la VÉRACITÉ; il doit d'autant plus pouvoir être CRU SUR PAROLE qu'il ne peut mesuré par rapport à rien d'autre [ - sinon à partir d'autres langages]. Il se distingue donc par son pouvoir évocatoire : il construit un sens.116 Quant au roman, nous dirons qu'il réalise une vraisemblabilisation illusoire - mais non pas improductive - spécifique du texte: (1) il obtient la vérification de son message par la mise en scène narrative, (2) le message à la vérification duquel il se voue est un démenti de l'acceptabilité archétypale (l'information dont il doit faire convenir comme drame - est irrecevable, « impossible »), (3) son intérêt provient de la vraisemblabilisation de l'invraisemblable (il joue le démenti). ™ U6

Urbain, 1880, 74. Macherey, 1966, 70.

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

247

NOTE: Ce type de vraisemblance est donc très différent de celui qu'obtient un texte informatif quelconque, ce dernier se consacrant à éviter tout démenti, même illusoire, même momentané.

Le texte romanesque se constitue comme vraisemblance afin de se faire admettre comme information (archétypale); cette manœuvre de vraisemblabilisation est pour lui nécessaire : l'information dont il est porteur ne persuade que par ce biais. C'est ainsi que déclarer : Quand on est romancier, on voit tout et on tourne tout en roman117 revient, paradoxalement, à son inverse : « Quand on est romancier, on voit et tourne tout roman « en réalité » » (la « réalité » étant l'apparence qu'il faut lui donner). La vraisemblance romanesque est donc, si l'on veut, tromperie118 et mystification,119 non pas tant que par son biais le faux ne s'y donne pour vrai (quelle en serait la mesure ?), mais parce qu'elle fait prendre pour vérité (réalité) ce que le texte établit comme négation de ce qu'il vise à réellement vérifier (la pensée archétypale). Elle est donc masque (Le vraisemblable est le masque dont s'affublent les lois du texte),120 procédé à l'abri duquel le texte opère : le dire suppose ici la vérification de son inverse (du démenti); sous cette apparence, l'affirmation qu'il porte trouve à se faire lire. NOTE: La vraisemblance du texte informatif quelconque n'est - indépendamment de la qualité du message - que l'amplification rhétorique directe de l'information. NOTE: D'un point de vue général, en théorie de l'information, le plaisir de la lecture est proportionnel à l'effort dépensé pour prendre connaissance du message. On ajoutera qu'il est par conséquent lié à la facilité que ce dernier offre à être cru. La vraisemblabilisation doit alors être considérée comme le procédé par excellence de facilitation de la lecture. Plus le vraisemblable fuse du texte, plus son information se trouve accréditée aux yeux du destinataire. U n texte vraisemblable fait plaisir à celui pour lequel il est conçu, et d'autant plus qu'il ne se dément pas; au contraire, le texte « incroyable » trouble.

On comprend dès lors que la fiction ne puisse s'avouer fiction. Cette « répugnance » systématique, cet « escamotage »121 généralisé de son propre statut est pour elle nécessaire : elle s'y abrite, et ce n'est qu'à partir d'un discours de camouflage qu'elle peut se développer. Par suite, 117

Malot, 1896, 102. Diderot fait dépendre avec logique la réussite du livre de la réussite du trompe-l'œil : Je sais encore que la perfection d'un spectacle consiste dans l'imitation si exacte d'une action, que le spectateur, trompé sans interruption, j"imagine assister à l'action même (Les Bijoux indiscrets) (Cité dans Kempf, 1964, 220). 118 Kempf, 1964, 220 : La mystification est romanesque. 1J ° Todorov, 1971, 94. 121 Barthes, 1966, 22. 118

248

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

un roman ne saurait se désigner comme roman (au niveau explicite) ni surtout dénoncer le procédé de vraisemblabilisation mis en œuvre (au niveau implicite) : cela équivaudrait au désarmorçage de l'opération textuelle visée, le texte supprimerait ainsi la possibilité d'accepter ce qu'il dit, enrayerait toute lecture (romanesque). Le procédé doit être tu afin de permettre le fonctionnement du livre. Tout se passe donc comme si la fiction pour se constituer comme sens, donner à lire ce sens et y attacher devait nécessairement prendre le biais de la représentation (imitation supposée du référent, mais dont le procédé n'est jamais déclaré) vérificatrice de ce sens : le sens romanesque a besoin d'être représenté; c'est par là qu'il s'édifie, c'est par là qu'il se rend vrai. Faire vrai signifie doter d'un sens : Avoir du sens c'est être vraisemblable (sémantiquement ou syntaxiquement); être vraisemblable n'est rien d'autre que d'avoir un sens [...] Le sens est la vraisemblance de tout discours.122 Ce qui veut dire, sur le plan particulier de la fiction romanesque, que la vérification n'est que le moyen d'imposer pour admissible l'irrecevable négation de l'archétype : la représentation ici donne du sens au drame. Le texte romanesque en tant que fiction (et pour remplir son intention réelle) a pour but la constitution de sa propre vraisemblance. Sa vraisemblance peut être définie comme l'ensemble des procédés mis en œuvre pour se garantir et se rendre acceptable comme sens. Il n'existe que le vraisemblable élaboré par le texte, système rhétorique propre à en établir la certitude : La syntaxe vraisemblable d'un texte est ce qui le rend conforme aux lois de la structure discursive donnée (aux lois rhétoriques).12S Cet effet du texte (car il entend signifier) comprend ainsi la conformisation du roman à la législation romanesque. Récit suppose création continuée du vrai, constitution d'un « naturel » : tout s'y trouve arrangé « en nature » alors que tout dérive en fait de la certification à produire. Une « tapisserie de signes vrais » (dont l'usage établit la référentialité, mais utilisés ici hors tout contrôle réel) produit la « naturalisation » du développement textuel, nécessaire à la promotion du sens. La vraisemblance mesure donc bien la qualité du roman ou, du moins, doit se compter parmi les conditions absolues de sa réussite. Comme dit le critique : Un roman invraisemblable n'est pas un bon roman; un bon roman a le souci constant de la vraisemblance„ Et dans le discours contemporain : Un bon roman de mœurs n'est pas seulement une œuvre de psychologie profonde; il est aussi une œuvre, et, 122 123

Kristeva, 1969a, 212, 215. Kristeva, 1969a, 214-215.

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

249

pour ainsi dire, un manuel de logique. Ceci s'entend de l'ordonnance des laits et du développement des incidents. Tout doit être conduit, d'après le précepte d'Aristote, selon le nécessaire et le vraisemblable : en d'autres termes, il faut que le romancier donne à des faits inventés, des causes et des conséquences conformes à la vraisemblance, ou, pour être plus exact, à la vérité générale. Le lecteur alors goûtera le plaisir sain et fortifiant de reconnaître le vrai; ensuite il pourra, pour sa propre conduite, tirer de ce plaisir des leçons utiles.12* NOTE: La vraisemblance est d'autant plus admirable (au niveau bourgeois et populaire du roman) qu'elle a pour fonction de vérifier un extraordinaire surenchéri, excessif. On dit du romancier : Comme il arrive à tendre toutes les fibres de l'imagination! comme il excelle à donner des formes réelles aux plus étranges fantaisies! Quelle vraisemblance dans Vimpossible.125 Mais (à tout niveau, cette fois, le roman existant en fonction du démenti) la vraisemblance, qui a pour tâche de rendre vrai l'extraordinaire, c'est-à-dire de vérifier ce que l'archétype pose précisément pour invraisemblable, est un tour de force.

La perception de la vérité du texte, tout comme son élaboration, est un fait de genre. Le genre représente la vérité connue à connaître du livre par rapport à laquelle celui-ci se mesure et se détermine. L'effet de vrai du roman s'inscrit dans la dépendance de limites et de modèles fixés par le genre. C'est à la norme (relativement stable et en tout cas perçue comme telle par l'usager) instituée par le système - à des états bien définis de ses divers niveaux catégoriels constitutifs - qu'il doit son acceptabilité. Le genrefigurele critère de la vraisemblance du roman : Le vraisemblable, pris dans ce sens, désigne la relation de l'œuvre avec le discours littéraire, plus exactement, avec certains éléments de celui-ci, qui forment un genre.126 A partir de l'horizon qu'il constitue pour l'œuvre, le livre comme vérité et la lecture comme appréhension de cette vérité peuvent être produits : Le sens (au-delà de la vérité objective) étant un effet interdiscursif, l'effet vraisemblable est une question de rapport de discours.127 Autrement dit, que le texte puisse passer pour vrai suppose l'existence d'un répondant contextuel où ses opérations viennent s'ancrer et d'où il tire l'illusion qu'il engendre. PROPOSITION 1 :

La Chapelle, 1873, 38-39. Eclipse, N° 323, 3 Janvier 1875, 3. A propos de P. Féval, La Ville vampire, 1875. 128 Todorov, 1968b, 149. 137 Kristeva, 1969a, 212. 121 U5

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FONCTIONNEMENT DE NARRATION

Le genre ne constitue pas simplement le fonds (l'arsenal) où le romancier vient puiser quasi l'ensemble de ses procédés (par exemple) de vraisemblabilisation, il est encore et surtout ce qui en permet la reconnaissance, partant l'efficacité : le procédé ne réussit à produire l'effet de vérité qu'à partir de l'usage auquel il donnne lieu au niveau du genre. Ou encore, un système (le langage de vérité du roman), faisant partie d'un ensemble supérieur (le langage de vérité du genre), accomplit les normes en vigueur dans celui-ci - seules de minimes dérogations sont permises, et encore doivent-elles être soigneusement compensées - et n'est lisible que sur cette base. NOTE: L e vraisemblable au sens vulgaire (le texte représente avec approxim a t i o n le m o n d e ) n'est que la lecture, intentionnellement produite par le roman, du procédé d e vraisemblabilisation de sa signification, autrement dit, du procédé propre à garantir à la fois sa cohérence textuelle et sa crédibilité. L'unité sémantique et structurale du livre, la confiance qui s'établit en lui à travers s o n rapport au genre s'interprètent comme rapport au monde. Telle est l'efficace feinte.

La vraisemblance romanesque doit être liée à la constitution du roman comme unité significative, dérivée du modèle du genre et lue par rapport à lui. Cette unité repose sur la position archétypale, implique le démenti, nécessite clôture et reconversion. La vraisemblance romanesque se considère du point de vue de la clôture du texte : elle dépend étroitement de son existence. Un roman qui ne réalise pas le recouvrement terminal de l'origine est invraisemblable, sans cohérence, insignifiant (comme roman, bien sûr) : il échappe au genre (ou le manque). Un roman paraît vrai de ce qu'il « finit » (parce qu'il existe selon l'axe de cette « fin »). Il paraît vrai en raison des autres textes analogues composant le genre parce qu'ils visent, et sur le même mode, la même fin.128 La perception de la vérité du texte, tout comme son élaboration, est un fait d'idéologie. Le code idéologique représente la vérité connue/à connaître du livre par rapport auquel celui-ci se mesure et se détermine. L'effet de vrai du roman s'inscrit dans la dépendance de limites et de modèles fixés par le code idéologique. C'est à la norme (relativement stable et en tout cas perçue comme telle par l'usager) instituée par le système idéologique qu'il doit son acceptabilité. La fable suppose, pour être reçue comme fable et dans sa portée, une réalité PROPOSITION 2 :

128

Cette vraisemblance est donc mise en relation avec l'existence du roman comme « discours à productivité textuelle réduite » (Cf. Kristeva, 1970, 75).

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

251

« extérieure » - elle-même « imaginaire » - qui la cautionne et qu'en retour elle garantit. Cette « réalité » est le système idéologique dominant lui-même. Le roman, toute production culturelle aussi bien que toute pratique interprétative ou non, n'en constituant que les projections. Puisque le système n'est perçu qu'à travers la lecture (multiple, unifiante) qu'il offre, on dira que le roman en représente l'une des actualisations possibles - et parmi les plus démonstratives. Le texte romanesque repose ainsi sur le socle idéologique qu'il contribue à fonder. La recevabilité du texte romanesque est donc liée à la position qu'occupe celui-ci dans le système idéologique, comme système idéologique. Le gerne (la phrase, la structure) ne figure qu'un horizon prochain de son emploi : Die Glaubwürdigkeit lässt sich nicht allein aus der synktaktischen oder semantischen Struktur von Sätzen ableiten, denen wir diese Eigenschaft zusprechen.129 Le texte suppose l'inscription dans le contexte, ce qui signifie qu'il s'inspire et dérive d'un code linguistique généralisé, en position d'idéologie, fonctionnant comme service idéologique, à la constitution duquel il contribue lui-même. En d'autres termes, la vraisemblance textuelle implique l'existence d'une « vérité subjective », générale, commune et dominante, dont elle n'est que l'illustration : La relation s'établit donc ici entre l'œuvre et un discours diffus qui appartient en partie à chacun des individus d'une société, mais dont aucun ne peut réclamer la propriété; en d'autres mots, /'OPINION COMMUNE. Celle-ci n'est évidemment pas la « réalité » mais seulement un discours tiers, indépendant de l'œuvre;130 Le récit vraisemblable est donc un récit dont les actions répondent, comme autant d'applications ou de cas particuliers, à un corps de maximes reçues comme vraies par le public auquel il s'adresse; mais ces maximes, du fait même qu'elles sont admises, restent le plus souvent implicites. Le rapport entre le récit vraisemblable et le système de vraisemblance auquel il s'astreint est donc essentiellement muet.131 La convention, ni franche, ni « naturelle », mais au contraire idéologiquement conformée, sur laquelle le texte repose, prise comme effet de genre, mais qui à 129

Klaus, 1965, 139. Todorov, 1968b, 149. Dans le même sens encore Todorov 1971, 94. Hennequin, 1888, 135, à l'aube du sociologisme littéraire, écrivait déjà: Le roman sera goûté, non à cause de la vérité objective qu'il exprime, mais en raison du nombre de gens dont il réalisera la vérité subjective, dont il rend les idées, dont il ne contredit pas l'imagination. 131 Genette, 1969, 76. 130

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FONCTIONNEMENT DE NARRATION

vrai dire « traverse » le niveau littéraire (ou le comprend), représente simplement l'état de la codification idéologique généralisée. On parlera de connivence entre le texte et son public à partir de la vraisemblance que le second découvre au premier en fonction de la base commune animant aussi bien la compréhension de celui-ci que l'écriture de celui-là : Le miroir auquel le vraisemblable ramène le discours littéraire est le discours dit naturel. Ce « principe naturel » qui n'est pas autre chose POUR UN TEMPS que le bon sens, le socialement accepté, la loi, la norme, définit /'HISTORICITÉ du vraisemblable.132 Le code idéologique, proposant une lecture/écriture « naturalisée » et institutionnalisée du monde dont le texte (romanesque) est complice, fournit celui-ci en vraisemblance. Ou : le roman se comprend comme l'un des procédés de vraisemblabilisation (de vérification) de l'idéologique. NOTE: Il y a ainsi lieu commun de l'idéologique et du texte romanesque. Cependant, la représentation produite au niveau littéraire est expansive (Cf. Développements sous 1.23, 4.12) et produit l'intérêt dit esthétique. Quant au cliché, forme non rénovée, non illustrée, par là non vérifiée (et donc usée) du code, il se trouve, à moins d'erreur technique, activé (et maquillé) par le récit dans le moins innovateur des romans. RENVOI: La fable-mime, pour être vraie, implique la fixité et Yéternisation du réfèrent dans le rapport duquel elle s'inscrit et dont elle tire sa caution. Elle suppose comme sa vérité la pensée idéologique de la classe dominante. Celle-ci est « vraie » parce qu'elle domine; elle se désigne comme fixité pour paraître vraie; elle s'illustre pour se « prouver ». Développements sous 4.11, 4.21. RENVOI: Fable et réalité ne se distinguent pas. Il n'existe qu'une réalité référentielle déjà lue et soumise à la codification idéologique; il n'existe dans le roman qu'une autre exposition (ou réalisation) de celle-ci. Le lecteur est pris dans un gigantesque processus fabulatoire; entouré de « roman », il ne lit et vit que du « roman ». Développements sous 4.3. [Cf. Vol. compl., TABLEAU 21] 3.34

L'Effet de mime

PROPOSITION 1 : La fiction se fait vraie pour être lisible (lue) dans son effet de fiction. Le roman doit être « vérifié » pour fonctionner comme roman, authentifié pour opérer comme fable. Le roman vraisemblabilisé (1) en tant que « rapport » (transcription spéculaire et spectaculaire), (2) en tant que « parole » (transcription d'un dire, verbalisation), au niveau tant explicite (de sa programmatique) qu'implicite (de sa réalisation structurale), fait omettre sa qualité de roman. 132

Kristeva, 1969a, 212.

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

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La vraisemblance du texte romanesque n'est que le dérobement stratégique de la fiction. Sa visée est d'empêcher la perception du processus textuel réellement en cause, d'enrayer sa prise de conscience. La vraisemblance engendre l'aveuglement du lecteur quand au fonctionnement réel du livre. H est essentiel à ce fonctionnement, étant donné l'intérêt qu'il a à produire, que le consommateur du roman soit trompé sur le statut de ce qu'il lit. La vraisemblance n'est que le nom donné à la soustraction de la connaissance par le lecteur de l'opération textuelle en cause. Le texte romanesque distrait de son opération. La situation de l'ouvrage comme produit, de l'auteur comme producteur, du lecteur comme usager, de même que la position d'ensemble de ces agents et du livre par rapport à la codification idéologique de base, est retirée de la compréhension du lecteur. Davantage, il est nécessaire que cet obscurcissement du fait romanesque ait lieu pour que l'intérêt en ressorte. Le renvoi du roman à l'Histoire (à la réalité référentielle) gomme l'artifice et interpose entre son engendrement (le mécanisme producteur de sa signification) et sa compréhension par le lecteur un voile épais, imaginaire et efficace : ce dernier ne distingue plus que ce qu'il lit sans les causes qui le commandent, sans percevoir les raisons de l'intérêt qu'il lui fait éprouver. La référentialité procure un cache-, les moyens d'identification (donc de contrôle) de l'opération culturelle à laquelle le consommateur est soumis lui sont refusés. Le romanesque s'abrite derrière l'affirmation et l'accomplissement textuel de sa soi-disante historicité. Derrière cette façade, la pratique signifiante qu'il constitue se déroule impunément. Dans ce monde de la « motivation » - [la] motivation [d'une unité] est ce qu'il lui FAUT pour dissimuler sa fonction1'63 - , le lecteur, fixé sur le «rapport», sur le drame comme histoire « arrivée », sur sa « vérité » (même alors que s'il s'interroge il n'y croit pas) que celui-ci manifeste, ne discerne ni le mécanisme producteur du drame, ni le sens que ce mécanisme lui fait lire. Le roman a besoin, pour être lu et bien lu comme roman, d'être pris pour Histoire (réalité vraie et certifiée). Grâce à la référentialité qu'il constitue, se fournissant en raison d'être cru, il se rend lui-même lisible. Le récit romanesque emprunte à l'Histoire sa propre crédibilité (supposée); coïncidant avec la version fixe, reconnue PROPOSITION 2 :

133

Genette, 1969, 97.

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FONCTIONNEMENT DE NARRATION

et unique à ses yeux de l'Histoire, il s'établit dans la légitimité et y enserre le lecteur. Note: L'apparent paradoxe en ceci est que le lecteur subit avec efficace la vraisemblance du texte sans être aucunement à même de vérifier ce qui la fonde. (Flaubert note, de ses héros-modèles consommateurs de Walter Scott: Sans connaître les modèles, ils trouvaient ces peintures ressemblantes, et l'illusion était complète).134 Cependant, la « ressemblance » romanesque ne résulte pas chez le lecteur de la connaissance du réfèrent (supposé ou non), mais bien de l'existence d'un code idéologique admis où le texte l'enferme et dont chaque élément cité dérive. L'élément romanesque se perçoit « sur fond d'Histoire », étant bien entendu qu'il ne s'agit là que d'une postulation romanesque, soumise à un besoin romanesque, incapable d'engendrer autre chose qu'une fiction romanesque : l'Histoire telle que le roman pour fonctionner comme roman la nécessite. La fiction « historisée » acquiert sa propre nécessité, sa propre fixité à partir d'un champ historique imaginaire, gelé, idéologisé, qui en retour la garantit. C'est bien évidemment en raison de l'identité, au niveau du code, du texte romanesque (refusé comme imaginaire) et de l'Histoire idéologique (considérée comme développement providentiel et manifestation de l'éternité du sens) que le premier peut tirer du second la caution nécessaire. Note: On admet que la vraisemblabilisation mesure l'efficacité du texte romanesque. La perfection théorique (la «valeur») du roman est proportionnelle au degré de véracité qu'il réalise. Plus celle-ci est achevée, plus l'obscuration de la fiction est parfaite, meilleur est l'ouvrage. Si le simulacre, le mimétisme textuel a bien pour but de persuader le lecteur de la réalité de la fiction romanesque (voire de le « posséder »), alors cette persuasion doit croître avec la perfection technique de son exercice. Mais, bien entendu, aucune «vérification» ne dure: le code idéologique, qui n'en a pas fini de se poser lui-même comme vrai, qui n'est jamais assez vrai à ses propres yeux, exige sans fin une nouvelle illustration vraisemblabilisée (à chaque niveau catégorique) pour remplacer celle-là dont il a été fait usage et dont l'efficacité dès lors est promise au déclin. Note: On peut imaginer, d'un point de vue formaliste, que l'histoire du genre romanesque coïncide avec l'histoire du perfectionnement du procédé vraisemblabilisateur. A travers les améliorations de la représentation « réaliste » - mais contrairement à Auerbach qui les interprète comme autant de pas dans la voie d'une souhaitable justesse -, 1 3 5 on mesurerait les divers systèmes d'obscuration de la fiction en exercice. La représentation romanesque (le texte affirmé comme « rapport ») cache son représenté effectif (le texte comme production du sens idéolom lœ

Flaubert, 1923, 129. Cf. Auerbach, 1964, 515.

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gique et de sa preuve). La vraisemblance est du texte dissimulant l'opération textuelle elle-même. La vraisemblance enveloppe ce qui se passe en réaltié dans le texte; elle est « un effet, un résultat, un produit qui oublie l'artifice de la production »,138 un silence fait, machiné, une obscurité voulue étalée sur le système à l'œuvre. Si nous posons que le roman se constitue comme « métaphorisation » (le récit romanesque est comme le réel dont il est censément le « rapport »), nous dirons que tant cette manœuvre que l'opération qui la nécessite sont dérobées au lecteur : le lecteur lit à travers le texte, le récit qu'il déchiffre est transparent, sans écriture, il n'y a que du réfèrent, il n'y a pas d'autre sens au texte que le sens naturel du réfèrent. Ce roman vrai qui ne cesse pas d'être un faux est alors le seul lisible. La vraisemblabilisation romanesque est le biais par lequel la démonstration spectaculaire, fictive de la vérité illusoire de l'archétype (donc du code) se montre. Ce qui est faux ou invérifiable, car il forme lui-même le réfèrent que le livre postule - le code est donné, imposé, inaperçu - , se vérifie à travers la vraisemblabilisation de la démonstration romanesque. La fiction, devenue « vraie », imperceptible elle-même, montre et trouve l'archétype comme sa réalité même : la vérité de la fiction est l'archétype. La vraisemblance romanesque est démonstrative (le roman se voue à la « vérification » du code de base); invérifiable elle-même, elle exhibe la « vérité » de la solution qui la porte (de l'archétype, du système), « réalise » (elle montre vrai son sens, elle convertit la fiction de son sens en réalité) le discours idéologique, institutionnalisé, qui la soutient. Le roman est confirmation : l'information illustrative, dramatisée « persuasive » qu'il entend transmettre, s'ajoute à celle-là que possède le lecteur - qui est sa pareille -, la vraisemblabilise, l'augmente. Soit l'analyse « nue » (compte non tenu 1) de la situation narrative, 2) de la position idéologique que celle-ci occupe) du processus global de communication en cause : Für den Empfänger seinerseits ist der Inhalt einer Information vor deren Empfang « möglich » oder « denkbar », aber noch nicht sicher; er hat eine bestimmte Wahrscheinlichkeit. Durch den Empfang der Information wird dann der Tatbestand, den die Information repräsentiert, für den Empfänger wahrscheinlicher oder sicher. Dieses Sicherer-Machen kann man als die eigentliche Leistung, als die Funktion der Information ansehen; sie setzt einen noch nicht hundertprozentig sicheren « Vor-Zustand » voraus. Information verPROPOSITION 3 :

136

Kristeva, 1969a,

213.

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FONCTIONNEMENT DE NARRATION

wandelt also Unsicherheit in Sicherheit, oder allgemeiner : Information verringert Unsicherheit.137 En spécifiant, on a que l'information romanesque est une information feinte (le drame) s'adjoignant à une information fausse (le code), susceptible pourtant de vérifier celle-ci réellement. En d'autres termes, la pensée archétypale tire un effet de vérité de la fiction qu'elle engendre : le « vrai » qu'elle représente est rendu « vrai » (ou simplement probabilisé) dans le roman. La fiction réalise pour le lecteur la vérification de la vérité du code qu'il possède. PROPOSITION 4 : Plus encore, on posera que, étant donné l'existence de la codification et le dirigisme idéologique dont elle fait montre, la « réalité » (l'effet de réalité) est un produit de l'activité textuelle,136 singulièrement du roman. Le roman est créateur de « réalité ». Celle-ci doit passer pour résultat de son opération (conjointe), voire pour son rendement même. Le texte romanesque est un transformateur : la « réalité », c'est-à-dire ce que l'archétype permet de penser comme tel et désire faire penser comme tel, est rendue « vraie », constituée, à travers le processus de vraisemblabilisation romanesque. La fiction, en se donnant pour vraie, voile la vérité (objective) de l'archétype dont elle émane («Le vraisemblable » fondamental masque la théorie dont il est issu en « naturalisant » sa propre interprétation),139 c'est-à-dire dérobe 1'« illusion » (effective) qui le constitue lui-même. A ce titre, le roman accomplit l'idéologique : la « réalité » de celui-ci en dérive.

RENVOI: La vraisemblabilisation est essentielle au roman. Le roman ne peut que s'astreindre au procédé « réaliste » (programmaiiquement presque toujours et narrativement nécessairement). « Réalisme » et roman ont un sort lié (Aussichten des Romans, das sollte von vornherein auch heissen : Aussichten des Realismus).140 «Réalisme», roman et culture bourgeoise ont un sort lié. Développements sous 4.23. RENVOI: On n'échappe pas au vraisemblable (Seule la destruction du discours peut en détruire le vraisemblable;141 Parler nous contraint au vraisemblable. Nous ne pourrons rien dire qui ne soit pas vraisemblable.)142 II n'y a pas de roman du « pur phénoménal », de 1'« objectai » - désignifié. Développements sous 4.3. 137

Hassenstein, 1969, 11. Discussion néo-positiviste dans Schmidt, 1970, 66-73. "» Burgelin, 1968, 138. 140 Baumgart, 1968, 18. 1U Todorov, 1971, 99. lts Kristeva, 1969a, 215. 138

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

257

3.4 LE DON D'IGNORANCE

3.41

L'Énigme

Réciter, c'est intéresser, ajouter une information, innover par rapport à l'ordinaire ou contredire ce qui est admis, stocké, mémorisé comme ordinaire. Le récit étonne; il éveille, excite, nourrit la curiosité. Le renseignement qu'il prétend apporter est neuf. H est manifestation du curieux, du « non arrivé », du scandaleux, du trouble; la représentation qu'il en donne est inédite. Si la surprise mesure l'information,143 le roman, lieu par excellence de l'extraordinaire, présentation complète et continue d'une surprise, doit être considéré comme l'exposé d'une information intense, déflagratoire, de grande amplitude. NOTE: Le lecteur est rendu curieux; le texte ménage son intérêt, lui montre, par agent interposé, l'intérêt qu'il prend au livre: Que j'avale ma chique en dormant, si je ne suis pas aussi intrigué qu'un ours blanc devant un phoque jouant de la clarinette. (41) Il rageait et suait sang et eau, tant la curiosité le dévorait. (41) (Ceci, au niveau populaire du roman).

Intéresser, dans le récit, c'est nier, démentir l'archétype, enfreindre sa règle. Le récit opère le rejet de la norme, représente l'illégitimité, met en spectacle l'anormalité. Il se constitue comme rupture et déviation, accentuation d'une différence, négativité. L'archétype romanesque est, nous l'avons vu, hypothéqué, « court-circuité » dans le texte (Cf. Développements sous 3.12). L'innovation qu'il porte n'étonne qu'en raison du démenti par elle infligé. L'intérêt, l'étonnement procède d'un clinamen (d'une déviation) fondateur du drame (comme il fonde la vie, dans le système du philosophe). Le roman, qui affiche avec insistance, sa référentialité, qui se donne donc à lire dans la transparence, accomplit en réalité l'assombrissement de l'information transmise. Malgré sa prétention au « rapport » et sous ce masque de fidélité, entre un début « clair » (où la situation archétypale est indiquée) et une fin réalisatrice de 1'« évidence » (où la situation archétypale est reconnue), son parcours est obscur. Entrer dans le roman, c'est entrer dans le « noir », être précipité dans les ténèbres organisées du texte. Le drame alors « rencontré », le non vu, le non su, l'étonnant, n'existe qu'en tant que déception; l'accident romanesque signifie énigme et rentre dans la catégorie de l'inexplicable. Il y a narration, mais narPROPOSITION :

la

Développements sous 2.13. Cf. encore Frank-Bôhringer, 1963, 38.

258

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

ration dissimulatrice; il y a relation, mais défaut de clarté dans la relation. L'explication romanesque est toujours, quoiqu'il en semble, un manque (délibéré) d'explication. L'obscurcissement romanesque porte sur l'archétype. L'extraordinaire est produit comme trouble de la clarté « originelle », suspension, atteinte portée au savoir de base, archétypal, éclipse de la signification, report ou mise en quarantaine du sens donné. Toute fiction s'inscrit donc en notre espace comme voyage,144 déplacement, dépaysement, trajet dans l'étrange, « train fantôme ». L'histoire procure une ignorance. L'information romanesque est un manque à savoir ménagé à propos de ce qui fait son objet. Le lecteur est mis au courant d'une aventure, mais cette aventure signifie rétention de l'archétype, réceptacle de la seule clarté (fabuleuse elle-même), par suite interrogation. Tout drame est énigmatique, puisqu'il représente une négation incompréhensible de la seule compréhensibilité : l'archétype (par définition). Le texte romanesque est un secret; il coïncide avec une interrogation, suppose un questionnement, une imprévisibilité perpétuée, la désignation constante d'un incroyable apport. Le lecteur, dès lors qu'il ouvre le livre, encourt l'imprévisible et le doute : ce qu'il apprend il le sait « par défaut ». Il est donc très important que le roman comporte luimême un secret. Il ne faut pas que le lecteur sache en commençant de quelle manière il finira. Il faut qu'un changement pour moi s'y soit produit, que je sache en terminant quelque chose que je ne savais pas auparavant, que je ne devinais pas, que les autres ne devineront pas sans l'avoir lu.1*5 L'histoire est élaboration du secret; le lecteur n'y découvre pas - sinon à sa fin - ce qu'elle lui désigne pourtant comme nécessaire à savoir. Le texte romanesque, en occultant l'information qu'il avance, attache le lecteur au déchiffrement. Ce « tour » est ressenti comme « magie » : le lecteur ne peut cesser de lire qu'il ne sache ce que le livre promet et cependant retient. Mais cet effet d'une occultation textuelle, il l'éprouve en fonction de la référentialité du roman. Le drame est rendu vrai; par conséquent, l'usager (« sous le coup ») croit avoir affaire - et tout soutient cette légende - à Y impénétrabilité du réel (imité dans le roman). L'œuvre naît d'un secret à TRADUIRE, mais elle compose elle-même ce secret et ne fait qu'en afficher la « vérification » ; elle se réalise en 141

Butor, 1964, 44. Butor, 1964, 80. L'aveu du romancier contemporain dispense de citer l'opinion de l'auteur du passé et vaut a fortiori. D u feuilleton, Butor, 1964, 220 écrit encore : C'est un chemin destiné à relier une série d'énigmes, de situations énigmatiques. 14S

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

259

révélant son secret,146 mais elle n'en propose la révélation qu'après l'avoir longuement fait désirer. Le texte romanesque engendre le mystère; son développement narratif résulte du mystère qu'il pose lui-même à son origine. Une fois bien établi ce qui est tenu secret, c'est-à-dire soit l'identité réelle de l'agent, soit la signification réelle de l'événement - et réel veut dire par rapport à la conformité archétypale - , alors une « déduction » vraisemblabilisante peut en être donnée. Et d'autant plus efficace qu'elle est plus « rigoureuse ». Poe écrit : Le projet d'intrigue mystérieuse une fois bien arrêté dans l'esprit de l'auteur, il devient impératif, premièrement qu'aucun moyen arbitraire ou anti-artistique ne soit employé pour dissimuler le secret qui gît au fond de l'histoire; secondement, que ce secret soit bien gardé.147 Alors, en vertu de cette quête (obscurcissante) ou de cette enquête (errante), le mystère composé par le texte, où il trouve sa raison d'être, paraît avoir lieu. NOTE: D e ce point de vue, le roman policier est d'un vraisemblable accompli.

Soit le schéma classique de la transmission de l'information : 148

a b, i c d, g

source information émetteur, codificateur signal

e f h j

canal dérangements décodificateur récepteur

On aura dans le cas de la transmission de l'information romanesque : code idéologique. C'est-à-dire pensée de classe en tant qu'elle s'offre à la transmission, qu'elle entend être connue, admise et qu'elle possède les moyens d'entretenir son expansion. Le code représente une collection de règles constitutrices de la Macherey, 1966, 116. Poe cité dans Messac, 1929, 329. Cf. Grivel, 1970, 235. Selon Gunzenhàuser, 1962, 91. Commentaire dans Resnikow, 1968, 145-146.

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FONCTIONNEMENT DE NARRATION

pensée dominante. Et tout d'abord, de ses concepts et catégories. Le code idéologique est situé dans l'auteur : il est luimême à proprement parler auteur du livre.149 b, i archétype. L'archétype constitue Yinformation première du roman. Sette information est « clair » : elle est toujours posée au début du récit (ou se dégage de son mouvement initial). A la fin du processus textuel, b est retrouvé (reçu) en i (intact). L'archétype est la « nouvelle » du roman. H représente une forme réduite et fragmentée (« une manifestation ») du code. c représentation textuelle. L'archétype est mis en scène dans le roman (le roman pose un système relationnel, des comportements, des événements, une vraisemblabilisation, etc.). b, i reçoit une existence narrative (est illustré), b, i demeure « illisible », camouflé « sous » le récit, d extraordinaire. Un événement, une rencontre, une étrangeté, etc. « ouvre » la communication, g épilogue. Un mariage, une punition, une conversion, une solution, etc. « ferme » la communication, e drame. Le roman en tant que constitution d'un démenti. e, « raison » du texte, mais non son intention réelle, intègre b (i), d, g et f. e constitue, par rapport à b (i), une information seconde du texte. Cette information, quoique évidente, n'est pas « claire ». A la fin du processus textuel, e est annulé. Le camouflage informationnel est retiré, b (i) devient patent, f énigme et suspense. C'est-à-dire l'information romanesque en tant qu'elle est soumise à un traitement dilatoire, f représente le freinage, la rétention exercée sur b (i). h déreprésentation textuelle. L'archétype mis en scène dans le roman est « montré » au moment de la moralisation terminale. La solution signifie révélation, confirmation de b (i), avec bien entendu suppression du démenti (e) et de l'énigmatisme (f). j lecteur. a — • j représente le processus global de transformation de l'information idéologique (de l'information première) en information « vérifiée » (démontrée, enrichie) à travers le roman, b —> i figure l'étendue du récit. Tout récit possède une « entrée » ; le titre, et une « sortie » : le mot « Fin » qui l'achève. A 148

Le sujet « écrivain » n'est source que par illusionnisme.

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

j

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l'intérieur du développement narratif et sans porter atteinte à la structure de l'ensemble, certaines manipulations (suspensives) sont possibles (d peut amorcer la représentation textuelle c, h peut précéder l'épilogue g), qui paraît au point d'arrivée du processus n'est pas le récepteur passif que le schéma fait supposer: (a) le lecteur contient le code, comme le code le contient, (b) le lecteur « vit » la communication romanesque dans et à travers le livre (de l'imposition originaire de l'archétype à sa restitution terminale). Le fait que le lecteur possède le code a pour conséquence qu'iV ne retire aucune information réelle de sa lecture.

Concluons : Le code idéologique est l'informant (a) aussi bien que l'informé (b, i) du texte romanesque. L'information dramatique (e) qu'il contient porte sur la réalité (de fiction) déjà acquise de l'archétype (b, i) qu'elle doit contredire. Le roman est une information (spectaculaire, seconde) au sujet d'une information {refoulée, première). Le dérangement suspensif énigmatique ( f ) porte sur l'information seconde (e) et soutient le démenti qu'elle-même constitue par rapport à l'information première (b, i). Le code idéologique emprunte le canal (e) du drame afin de transmettre une information réelle nulle : la communication romanesque ne met en jeu aucune innovation effective (l'information dramatique relative, « extraordinaire » par rapport à la donnée archétypale, se trouve résorbée à la clôture du livre). Cependant, le produit global de l'opération n'égale pas zéro. RENVOI: Cette «répétition» de la pensée archétypale dans et à travers la communication romanesque, ce « sur-place », cette absence d'information ne signifient nullement que le processus est stérile et le livre gratuit. Développements sous 1.23, 3.44 et Quatrième partie de cet ouvrage. Le récit est énigme. Il se constitue comme dérangement de la communication de l'information seconde : le démenti (e) n'intéresse qu'énigmatisé (f). Le lecteur assiste au brouillage du drame, il est placé devant un événement, un comportement, etc. dont le sens lui échappe et dont les conséquences lui demeurent cachées. Le récit installe le lecteur dans l'inintelligible, en pleine ambiguïté, en plein « bruit », sans élucidation.150 PROPOSITION :

Auclair, 1970, 63 : L'énigme possède une structure ambiguë, que ron peut dire POLYSEMIQUE, telle, autrement dit, que la combinaison de ses termes produit au moins deux sinon plusieurs sens incompatibles, entre lesquels il est pratiquement impossible de choisir.

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FONCTIONNEMENT DE NARRATION

Le démenti suppose l'énigme, n'est opérant qu'en tant qu'énigme. L'innovation, en effet, n'est intéressante que dans la mesure où elle est rendue « mystérieuse » : une information non probable n'est en soi ni intéressante, ni étonnante. De même, le pur démenti, la négation simple de l'archétype ne sont susceptibles d'engendrer qu'un intérêt insignifiant. H est donc nécessaire pour l'auteur de faire en sorte que le démenti contiennne de quoi se rendre attrayant. La négation dramatique devra alors (1) désigner continûment l'affirmation de base, (2) constituer un spectacle brouillé, dilatoire. Le parasitage produit ainsi le secret nécessaire à la communication du message. Autrement dit, la rupture de l'ordre archétypal n'est efficace (c'est-àdire produit le désir de lire et retient le lecteur à sa lecture) qu'à partir du moment où elle ouvre obscurément sur cet ordre même. L'obscurité romanesque n'est pas simplement la négativité (le « noir »), mais une négativité transparente, propre à faire deviner ce que, semble-t-il, elle dément. Le texte romanesque, dramatisé, énigmatisé, profile la connaissance archétypale dans le temps même où il paraît réaliser sa négation. L'INTÉRÊT est UNE ATTENTE ANXIEUSE QUI NAÎT DE L'INCERTITUDE où se trouve le lecteur sur ce qui va arriver. L'intérêt doit toujours aller grandissant, c'est-à-dire qu'au fur et à mesure qu'il avance, le lecteur doit sentir un attrait plus puissant qui l'attache au récit. Pour cela, l'écrivain doit éviter de dire dès le commencement ce qui peut faire deviner ce qui va se passer : ôter l'imprévu, c'est ôter l'intérêt.151 Telle est l'opinion commune. Cependant, le texte romanesque conjecture la solution terminale, quoiqu'il la dissimule soigneusement. L'incertitude qu'il offre ne signifie pas bannissement complet, bien au contraire, de la certitude. Il en va du roman comme des « énigmes » proprement dites, qui, sous la métaphore, contiennent la réponse adéquate.152 La question romanesque, dramatisée, énigmatisée, dilatée (« métaphorisée») cache et retient la réponse, sans pourtant éliminer ses éléments fondamentaux (c'est-à-dire sa conformisation archétypale). Le roman tait ce qu'il énonce pourtant. Parole temporairement obscure, il persiste dans la contrariété sans cesser d'en annoncer la fin : Le roman dure tant qu'il parvient à retenir les apparences, et dénonce ainsi sa vraie nature : surgi d'un intervalle très provisoire, il est un intermédiaire, un intermède, un divertissement.153 L'histoire procure 151 1Ba 163

Urbain, 1880, 75. Cf. Kôngas Maranda, 1969, 8. Macherey, 1966, 41.

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

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ainsi une ignorance fictive : ce qu'elle affirme comme démenti désigne sa finalité et la promesse qu'elle porte ne cesse de hanter la surprise qu'elle ménage. Le récit produit une énigme fausse, non ouverte sur une élucidation réelle, et constitue lui-même un corps de résistance au déchiffrement qu'il prétend fidèlement accomplir. L'incartade dramatique n'est jamais désobéissance réelle à l'archétype; la solution archétypale offerte n'est jamais obtenue au bout d'un processus de dévoilement effectif, mais s'impose. Énigme illusoire, découverte fictive paraissant découler de l'effort de révélation, tel est le roman. La solution romanesque se défend d'être sue. Le texte interpose un dérangement continuel sur la voie de sa connaissance. Cependant, cette solution doit demeurer constamment dans la perspective du livre, l'archétype se maintenir à travers tous les obstacles accumulés, malgré l'énigme. Le lecteur est conduit de façon à ce qu'il ne puisse reconnaître ce qui est soi-disant dévoilé. Il est promené dans l'erreur, poussé dans le trouble, la fausse estimation, le cul-de-sac, sans pourtant que la positivité archétypale, mesure du texte, lui soit à aucun moment retirée. On considère le roman comme un corps de résistance. L'information promise par lui se trouve cependant freinée dans son parcours : il n'y a de récit que de la contradiction, il n'y a de récit que de la contrariété. Bien qu'il se prétende art de la révélation, le roman, don d'ignorance, dissimule ce qu'il a à dire. Le savoir archétypal offert est retenu (doublement : comme drame et comme énigme). L'empêchement de la connaissance constitue le texte lui-même comme transmission de la connaissance. Le texte égare, quoiqu'il se présente comme « lutte contre le mystère » (Leroux) et dévoilement assidu. Ce mystère, tout d'abord il l'invente, ensuite il le propage, l'étalé et le prolonge narrativement. Le roman, loin d'être un déchiffrement, crypte. Sous le simulacre d'une quête (d'une enquête, d'une affirmation cognitive), l'information (la vérité de l'origine) recule « devant le récit » à l'infini du livre. L'ignorance faite est dite enseignement. Et la possession du lecteur accomplie. L'obscurité du roman (le démenti, le dérangement) a lieu afin de ménager, par contraste, la meilleure information archétypale (« lumière») possible à son issue. L'auteur obscurcit pour dévoiler, retient par énigme pour faire jaillir la plus claire et la plus évidente solution possible. Le mouvement du roman est double, puisqu'il s'agit pour lui de PROPOSITION :

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FONCTIONNEMENT DE NARRATION

cacher, avant de lever les mystères [...] Le récit n'avance que parce que le vrai en lui n'est pas encore éclos : et son mouvement peut-être est ambigu, cherchant à reculer le moment des révélations plutôt qu'à en hâter la venue.15* Or, le voile étendu par le texte sur la solution répétitive qu'il agence et annonce a précisément pour but d'obtenir la « connaissance » (l'évidence, la diffusion, la consécration) maximum de l'information que celle-ci représente. L'errement narratif est conçu pour déboucher après délai sur son issue (fixe, déterminée), afin de mieux faire reconnaître la valeur (archétypale) qu'elle suppose. Le roman trompe pour détromper, assombrit pour éclairer, étonne énormément pour énormément découvrir. Tout se passe comme si le dérobement constitutif du roman (la négation, le trouble, le drame, l'énigme) était nécessaire à la transmission de son message spécifique. De ce point de vue, le roman sera compris comme une forme peu économique de communication. En effet, l'artifice romanesque consiste à proposer (1) une fausse information (b = i) et une information inutile (que le lecteur possède déjà), (2) un faux obscurcissement de cette fausse information (e, f n'annulent pas b, i), (3) une fausse révélation de cette fausse information (b, i n'a cessé d'être acquis). L'information archétypale est donc successivement donnée, reprise - mais non réellement - , rendue - mais fictivement - . Le savoir, dans ce clair-obscur du roman, toujours présent mais cependant « absenté » durant le drame, paraît à sa solution « gagné ». Ou encore : que le roman creuse un non-sens narratif afin de pouvoir le combler : à partir d'une insupportable ignorance fictive, il se répond à lui-même - fictivement - comme à l'appel du vide. L'intéressant du livre n'est donc pas le mot de l'énigme, mais bien le mécanisme qui le diffère. Le plaisir de la lecture vient du retard mis à la communication de l'information première archétypale. Le lecteur est à la fois déçu de la savoir (déçu de savoir qu'il va la savoir) et satisfait de l'acquérir. Lafindu NOTE:

roman est, à ce titre, tant nécessaire qu'insupportable. Cela veut dire que d'autres romans seront appelés à calmer indéfiniment la faim inassouvissable du lecteur.

Le démenti romanesque (e) se trouve énigmatisé ( f ) et dure comme énigme afin d'être efficace. L'information première et seconde du texte sont freinées, troublées, dérangées, alors qu'en règle générale le destinateur fait tout pour faciliter et accélérer la communication. Romanesque est le détour : Par les ruses d'un récit s'accomplit une aventure dilatoire.155 Le roman propose une histoire méandreuse, « coudée », 151 165

Macherey, 1966, 40, 41. Macherey, 1966, 29.

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« retorse », interrompant à maintes reprises son cours, faisant obstacle à sa transmission directe (théoriquement visée), pleine de détours et de lenteurs : Der Roman muss langsam gehen.156 Le roman, art du parasitage et du ralenti, de la mise en scène digressive, a la qualité du retardement qu'il est apte à produire. Le roman est un long démenti, un parcours durablement accidenté, un « interminable » système de chicanes, intolérable et délicieux parce que persistant. L'art consiste à reculer le dévoilement de l'information de base, à en prolonger la dénégation dramatique. Le lecteur est ainsi placé « dans la nuit factice » (Marcel Allain) - dans la perspective du code. E connaît la vérité des rôles, les solutions convenables appelées par ces rôles; il est donc informé de ce qui peut et doit arriver, sans savoir quand - ce sera tard - , comment - ce sera inattendu - , sous quelle forme précise, par quel biais. Le récit atermoie l'origine, constitue par rapport à cette origine une ignorance actuelle, ponctuelle, non globale, non intégrale : ce qu'il dérobe il le montre cependant (l'inconnu contient le connu, l'incertitude la certitude, le dérangement l'ordre, etc.). H ne peut « rapporter » à la fois que l'inattendu et le croyable, qu'une information (dramatique) et ce qui sert à sa mesure (l'archétype) (wir warten nie wieder auf das unglaubliche !);157 il ne peut informer par conséquent que de sa donnée, étonner qu'à son propos. 3.42

Le Suspense

Réciter, c'est intéresser. (Qu'il y ait récit suppose l'intérêt de l'information qu'il comporte). Intéresser, dans le récit, c'est nier, démentir l'archétype, enfreindre sa règle, constituer le texte en contre-information, sous forme d'énigme, par suspense. Le démenti (l'irruption de l'extraordinaire et du malheur) réalise une première suspension fondamentale du savoir d'origine. Ce défaut de savoir (non intégral) est luimême soumis à une suspension seconde, propre, justement, à ménager l'existence, en son sein, de la connaissance de base : il se lit dans le champ de l'énigme comme suspense. li9

Novalis cité dans Schulz, 1968, 89. Et Eikhenbaum, 1965a, 203 : On comparera le roman à une longue promenade à travers des lieux différents, qui suppose un retour tranquille. Gide, 1949, 1050. 12 juin [1931]: Le roman comporte une certaine lenteur de cheminement qui permette au lecteur de vivre avec les personnages et de s'habituer à eux. 167 O. Wiener, 1969, li.

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Le suspense produit l'énigmatisme du texte. L'énigme procède de la rupture (multiforme) de la narration. La solution archétypale est alors reculée; quoiqu'elle pointe à travers l'inexplicable actuel, c'est, à son endroit, une ignorance relative, persistante, qui est offerte au lecteur, et avec elle le plaisir pris au livre. La simple causalisation du texte intéresse, mais il la faut troublée; la négation « extraordinaire » de l'origine intéresse, mais il la faut énigmatique, dilatoire, suspensive - et non pas catégoriquement contradictoire ou assurée de façon stable. La rupture engendre la curiosité nécessaire pour inciter à lire et pour entretenir l'acte de lecture. Intéresser consiste à retenir l'information proposée ou profilée, à la désigner constamment tout en ne permettant pas sa réalisation. Le texte fait ainsi résistance à la révélation à laquelle il prétend se consacrer : déjouant les suppositions qu'il fait naître chez le lecteur, il en remet, de rupture en rupture, le don. La péripétie et toutes les formes d'interruptions du fil narratif provoquent le retard de la communication (Dos Grundgesetz der Peripetie ist das Gesetz der Retardation),1™ par là, le mystère de la fable (jamais ancré dans le réfèrent). PROPOSITION : La rupture, en tant que freinage textuel, dilatation du démenti, retenue de la solution archétypale, représente l'un des moyens spécifiques fondamentaux de la communication romanesque. Le roman ne s'imagine pas sans fractionnement du discours. Le texte du roman est, quant à son fil et dans son développement, constamment brisé, rompu. Le ralentissement nécessaire de l'information s'obtient par fractionnement. La ligne « théorique », « chronologique » que la narration suppose, si elle domine au niveau de l'ensemble, n'est pas observée dans ses parties. Le récit romanesque comprend un entrelacs d'histoires, l'implication et la déplication de plusieurs épisodes, l'emboîtement et le déboîtement successifs de ceux-ci les uns par rapport aux autres, un enjambement continuel des développements partiels constitutifs. Le récit est une anomalie : les fils narratifs ne sont pas poursuivis, comme la fidélité à la chronique le laisserait supposer, mais cassés, repris, perdus, retrouvés et de nouveau abandonnés, etc. Le récit vit de rejets, de recoupements, d'alternances, de flash-back, de sauts en avant. Il est déviation, torsion, parcours interrompu. Le texte, corps de résistance, défense faite au désir de savoir du lecteur, ignorance entretenue - le lecteur est ainsi « chauffé » - , procède 158

Chklovski, 1966, 52.

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par coupes, stoppages et retranchements; il se lit par sauts brusques et coups de théâtre; il accomplit une complication sans explication, faisant sourdre ainsi l'intérêt. Le texte romanesque est un retard mis à la transmission de la nouvelle : Der Autor spielt mit der Ungeduld des Lesers,169 La narration tergiverse, court diffuse et différée, constamment relancée et arrêtée. Parallèle: Le récit est un texte incomplet à chaque point de son développement. Un récit direct, actuellement complet, c'est-à-dire littéral, sans rupture et jamais rétrograde est, en tant que récit, insignifiant, sans intérêt. C'est donc par ironie, mais aussi pour se plier, jusqu'à l'absurde, à l'ordre romanesque, que Denis Roche présente (dans Récits complets, 1963, précisément, comme dans son œuvre entière) un hachis de langage: le texte à lire est « complet », en effet, dans la mesure où il n'est pas autre chose qu'un récit outré. Le roman est un art de la coupure. Il est institution d'un désordre au sein d'un ordre qu'il désigne pourtant lui-même avec continuité pour origine et terme. Et parution désordonnée de ce désordre. La relation de la rupture archétypale se trouve elle-même troublée et l'intrigue suspensive qu'il agence soumise à un obscurcissement général. Son parcours est à la fois négateur (il dément) et accidenté (il est heurté, fait énigme et suspense). Une perturbation textuelle vient en surcharge appuyer le démenti narratif constitué. L'ordre des événements supposés servir de réfèrent stable à la prétendue chronique est dérangé : le « rendu réaliste » s'accomplit, de façon plus ou moins avouée, dans la distorsion. Le suspense soutient la négation dramatique, accuse la fracture qu'elle représente par rapport à la norme acquise, réalise et étend le motif de la lutte, tout en permettant au lecteur d'être assuré de la conformité de la solution finale. Le démenti, en effet, n'intéresse qu'en raison du tracas suspensif : sa pure et simple affirmation ou déclaration demeure insignifiante (ou du moins n'acquiert point le statut d'une évidence). Le suspense expérimente l'extraordinaire : il en fait éprouver l'étendue. Le malheur est le dicible (Cf. 2.14, p. 83), mais le dicible n'est rentable que soumis à la dilatation, qu'énigmatisé et suspendu. Pour que le malheur « arrivant » à l'origine soit efficace, il est nécessaire qu'il soit rendu vrai : il doit donc durer. Rompre la narration, en faisant persister le démenti, en vérifie, aux yeux du lecteur, l'existence. Faire durer la rupture essentielle par voie de suspension, c'est douer de 1S9

Chklovski, 1966, 168.

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vie l'origine elle-même : « plus je romps, plus je lie », tel est le roman. Le suspense, qui étale la négation romanesque, peut être considéré commme une technique de persuasion accélérée. L'information romanesque se lit dans le suspense (f) du livre, dans la maille et le détour. L'inattendu, sa perpétuation, son insertion dans le cours d'une intrigue toute de fiction,160 dans un champ de tension textuel, 161 forme la trame nécessaire à la lecture. Le suspense dramatique est inhérent à la représentation romanesque. Bataille note que la rupture soutient essentiellement la communication : L'inachèvement, la blessure, la douleur nécessaire à la communication. L'achèvement est le contraire. || La communication demande un défaut, une « faille elle entre, comme la mort, par un défaut de la cuirasse. Elle demande une coïncidence de deux déchirures, en moi-même, en autrui.182 Nous poserons que, par rapport à cette généralité de fait, le roman constitue la multiplication, la systématisation de la rupture, qu'il en est l'illustration (la mise en scène) dramatique. Le diaphragme du roman s'ouvre à l'infini sur l'incertitude de la suite et du terme;163 il élabore et amplifie ainsi, par artifice et pour la faire cesser, l'indécision génératrice de son propre discours. RÉFUTATION 1 : L'attrait du récit préexiste à la suspension; la curiosité est un « penchant ». Cette affirmation du bon sens est indécidable. On voit seulement que le roman l'exploite à partir de son amorce et, au-delà, en fonction de l'habituation culturelle au récit sur laquelle il repose.

2 : L'art (le vrai) provoque la surprise du ressurgissement ; l'auteur (le véritable) n'invente pas l'inattendu, mais « découvre », c'est-à-dire restitue 1'«ancien» dans sa nouveauté. Genette écrit, commentant Valéry: La vraie surprise, la SURPRISE INFINIE qui est l'objet de l'art ne naît pas d'une rencontre avec l'inattendu ; elle tient à « une disposition toujours renaissante, et contre laquelle toute l'attente du monde ne peut prévaloir », 164 Sans décider de la pertinence de la thèse (ni de la valeur d'un art qui en serait l'application), on trouve qu'elle ne désigne pas autre chose qu'une variante de roman, le livre imaginé, « qui n'invente pas », jouant là encore contre la suspension (le démenti) afin d'imposer son envers de vérité. Tant il est vrai que le « neuf » du roman (la suspension qu'il réalise) n'existe, comme art, que pour réaliser 1'«éternité» de la norme antérieure. RÉFUTATION

160

Todorov, 1967, 45 : La vie n'a pas d'intrigue, c'est nous qui devons lui en prêter une. 161 « Fait de mots » : Dresden, 1971, 92. 182 Bataille, 1961, 35. 168 Kempf, 1964, 184. 1M Genette, 1966, 263.

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NOTE: Man sucht Entspannung in der Spannung.165 Et plus nettement encore, Balzac: Rien ne dépêche mieux le temps que l'attente de l'action vive qui va

succéder au profond silence de l'affût.166 Le sens romanesque est retenu, puis brusquement accordé. L'attente de ce couronnement fait vivre le lecteur « au futur », par liquidation (fictive) d'un temps (supposé) « où il ne se passe rien ». Ainsi, le suspense, par essence, dérobe la perception de tout présent, l'irréalise. Le texte romanesque consiste en un tissu d'éléments générateurs de suspense. Le suspense est une disposition du texte, un arrangement-dérangement du cours narratif, une perturbation délibérée de ses diverses voies, dilatation, contraction, chevauchement de ses parties. Le récit romanesque propose un constant décalage, un entrelacement continu de ses « périodes ». Le texte romanesque est tramé. L'agencement en est « non naturel » (Denn nicht die natürliche Abfolge des Geschehens, sondern die Reihenfolge des Erzählens bestimmt die Anordnung der Spannungsbögen und die Entwicklung des inneren Vorgangs).167 H se conçoit comme une « algèbre dramatique >,168 un enchevêtrement, un emmêlement calculé, propre à produire, en fonction de la rupture, la continuité de l'intérêt (Bouvard et Pécuchet : L'intrigue les intéressait d'autant plus qu'elle était enchevêtrée, extraordinaire et impossible).169 L'intérêt « fabriqué » du roman, comme l'effet de la solution qu'il amène, provient de la suspension (le « mystère » du roman est un brouillage ménagé dans l'ordre théorique de ses éléments). Le récit romanesque est un alternateur producteur de courants narratifs à tension différenciée. Son débit est discontinu, « phasé ». Son rythme est soumis à une transformation continue. H suppose l'existence d'un perpétuel changement du rail narratif. En d'autres termes, le récit est récits, multiplicité de sous-récits, décrochement généralisé du discours, altération incessante et progression alternée de ses périodes. Le suspense n'est pas régulier, mais ponctué et soumis à une pulsation générale. En effet, à mesure de sa durée, l'intérêt se dégrade, ses mobiles doivent en être renouvelés. D'autre part, et d'après la même loi, un intérêt qui ne croît pas s'amenuise, ses moyens doivent par conséquent être accrus. La rupture consiste en une série de ruptures PROPOSITION :

160

Lawson, 1934, 14. Balzac, 1964a, 43. (Un autre état du texte donne : Rien n'avale mieux le temps, etc.). 1OT Lämmert, 1968, 44. 168 Expression du Polybiblion, tome 10, 1873, 7-8. A propos de P. Féval, Le Dernier vivant, 1873. im Flaubert, 1923, 132. 186

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perpétuant l'intérêt et capable de le faire progresser. L'incertitude doit croître tout au long du texte : Il faut un renouvellement constant et imprévisible de la situation.1,70 L'incertitude qui ne s'amplifie pas diminue, comme l'intérêt qui en est fonction : Puisque dans une chaîne de Markoff [« où les probabilités dépendent d'événements antérieurs »], l'incertitude tend à décroître au fur et à mesure qu'on s'éloigne du point de départ, le compositeur se verra contraint d'introduire délibérément, et sans cesse, des incertitudes pour enrichir l'information.m NOTE: On est là en présence d'une véritable loi de l'économie narrative. La détermination de la probabilité des événements agencés dans le texte peut, sur cette base, s'imaginer.

La péripétie romanesque se propose ainsi comme une série de péripéties de plus en plus violentes, imposant un démenti de plus en plus fort de l'archétype : le lecteur vit la précipitation du drame, l'accélération de la négativité constituée. Il passe de l'incident à l'accident, de la déconvenue au dilemme, le héros qui ne subissait qu'un mécompte est engagé dans un pari total (du type « tout ou rien »), etc. Le roman se compose de crise en crise, de suspension en suspension, qui, selon une courbe ascendante, gagnent en intensité à mesure que s'en approche la fin. Pour parvenir à ce résultat, le roman suit un chemin zigzagué : son parcours est en dents de scie. La narration change de rail et passe d'un ordre de faits à un autre, d'une part, d'autre part, change de vitesse et passe du rendu événementiel (agité) à son explication (tranquille). Le lecteur est promené dans un paysage mouvementé, avec alternances de bonasse et de bourrasque, « par vagues », flux et reflux. Il est conduit d'équilibre en déséquilibre, jusqu'à une nouvelle balance débouchant sur un nouveau trouble et ainsi de suite, avec une intensité croissante : Tout récit repose sur l'alternance de phases d'amélioration et de dégradation, sur un va-et-vient constant de l'équilibre au déséquilibre.172 Le découpage du roman en chapitres enregistre déjà le fait au simple énoncé de ses titres: NOTE:

(5) Première partie I. Comment, après mûres réflexions, on finit par ne pas se suicider. II. Une conversation de jeunes gens. III. Ce que valent les hommes ou le paradoxe d'un pessimiste. IV. A la recherche d'un complice. 1,0

Caillois, 1967, 39. Eco, 1965, 103. ™ Bremond, 1968, 155. 171

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V. Où l'auteur se croit obligé de faire connaître au lecteur un nouveau personnage. VI. Deux amours. VII. La corde sensible. VIII. Une femme à Veau. IX. L'abandon. X. Où sont les véritables bons cœurs ? Deuxième partie I. Souvenirs et remords. II. L'échelle sanglante. III. Une Nuit dans un chalet. IV. Où le crime triomphe. V. L'élève et le maître. (L. Duranty, Les Combats de Françoise Du Quesnoy ( 184) ) I. Amis et femmes. II. L'homme et la femme. III. Voiles enflées. IV. Les nuages montent. V. L'incertain. VI. Partout l'erreur. VII. La force avec le droit. VIII. Dernières convulsions.

Pour intéresser, la narration doit alterner ses périodes, successivement laisser mollir et tendre son fil, constamment suspendre par conséquent, tout en veillant à produire d'un mouvement continu l'aggravation du drame; pour intéresser, le démenti qu'elle combine doit devenir maximum juste avant le moment où il va être définitivement liquidé; c'est à cette condition que la récupération de l'information première du livre est opérante. Le roman doit former progression géométrique, dit Novalis.173 The climax ought to complété, to add the touch that makes the book whole and organic; that is its task, and that only.17i Ce point est prémédité par l'auteur : Je ménage avec le plus grand soin l'intérêt dû à la présence ignorée du capitaine Nemo dans l'île, de manière à avoir un crescendo réussi, comme des caresses à une jolie femme que l'on veut conduire où vous savez.175 Et enregistré par le critique comme marque de bonne facture : Parvenu à ce degré d'intensité, le roman devient un rocher à pic, surplombant un gouffre sans fond. Pas de retraite possible; point de temps d'arrêt praticable. Il n'y a qu'à se lancer dans le gouffre.176 1T3

L'opposant en cela au poème, dont la progression est, à ses yeux « arythmique ». Cité dans Schulz, 1968, 87. 174 Lubbock, 1966, 231. 1,6 Verne cité dans Parménie + Bonnier, 1953, 579. 1TO Pontmartin, 1873, 99. A propos de O. Feuillet, Julia de Trécœur, 1872.

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NOTE: Le morcellement du texte (en chapitres, épisodes, feuilletons) vient soutenir la rupture systématique du fil narratif (avec laquelle il correspond souvent). A cet égard, la « suite au prochain numéro » doit être considérée comme une opération romanesque par excellence, comme l'exploitation d'une pratique générale, non spécifique du niveau populaire. 177 NOTE: Le suspense, qui produit le ralentissement de la communication de l'information première, va de pair avec l'allongement du texte. Cet allongement est, au niveau populaire, démesuré: Ces bonds dans l'espace et le temps, ces changements de décor à perdre haleine, cette discontinuité ostentatoire entraînent la règle des trois multiplicités de temps, de lieu, d'action, c'est-à-dire une complication de l'intrigue, un foisonnement de décors et de personnages bien commodes pour l'auteur: ils permettent de nourrir, d'amener la péripétie, de reculer, de précipiter le dénouement au gré de son imagination ; ou, plus exactement, lorsque le feuilleton est écrit au fur et à mesure de la publication, selon les hasards de l'accueil public. Le succès allonge.11* Le prolongement excessif du texte (le « roman à rallonges », le « romanfleuve ») est, selon le critique, une erreur technique: C'est un simple fait-divers de journal arrangé, allongé, tiraillé par M. du Boisgobey, un vrai fait-divers en caoutchouc s'allongeant démesurément.179 En effet, le texte ne doit pas, en longueur, excéder une certaine limite, sous peine de distendre l'appareil narratif-suspensif et de manquer à la loi de la progression dramatique. Cela, sans compter que l'élongation du démenti risque de faire « oublier » la raison qui l'anime: une négation trop étendue tend à primer sur l'affirmation de base et devient arbitraire, « fantaisiste ». Il faut dire, du reste, que l'auteur, qui trouve un certain nombre d'avantages au prolongement du texte, pare au défaut en le débitant par épisodes, en unités relativement autonomes (individualisées par un titre, achetables séparément). PROPOSITION : Le sens d'origine a besoin d'un obstacle sur sa route pour pouvoir se produire, se reproduire, s'imposer. Le dérangement de l'information archétypale est suscité par le code idéologique afin d'établir la vérité de celle-ci. Le suspense est donc lié à l'élaboration de l'évidence de base. L'obstacle, la lutte, la persistance de la négation créent la différence nécessaire à l'instauration de l'inéluctabilité de l'archétype. 177

Cette pratique peut être, d'un niveau culturel (supérieur) à l'autre, ridiculisée Éclipse, N° 58, 28 Février 1869, 1 en fournit un bel exemple. La caricature de Gill, titrée : La Rentrée de Rocambole, représente un forçat sciant sur un chevalet approprié des tronçons d'une souche en forme de lecteur. L'agonisant exhale dans une bulle : « Quel plaisir d'être abonné ! » La complainte qui accompagne le dessin explicite : [...] Tu me liras toi-même || Pendant plus de mille ans; || Mon dernier feuilleton, |l Seul terminera ton || Tourment. Ça n'est pas drôle; || Voilà pas mal de temps, [| Peuple, que Rocambole || Te scie - et cependant, — || [...]. 178 Bory, 1966, 16-17. Saint-Henri, 1880, Deuxième lettre. A propos de F. Du Boisgobey, La Main coupée, 1880, Et Butor, 1964, 216 : Le SUSPENSE implique que nous soyons à une durée; si celle-ci est trop longtemps interrompue notre angoisse disparaît.

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L'extraordinaire comme suspense, son maintien, sa durée, figure dans le texte comme occasion de la « résolution » que celui-ci a pour mission d'accomplir (M. Chavette ne s'intéresse évidemment à aucun des bandits qu'il met en scène. La seule, la vraie satisfaction qu'il a eue, il l'a trouvée dans l'amoncellement des difficultés qu'il s'est donné à résoudrej.180 Il est conséquence de la composition narrative181 et biais grâce auquel le sens en vue duquel celle-ci fonctionne est propre à s'imposer. Le roman fait du sens avec « rien » (avec une information seconde illusoire), tire un sens (fictif) de la suspension qu'il a l'air de lui infliger. NOTE: Il faut voir là, dans cette façon de poser l'obstacle afin d'en opérer le franchissement, une procédure rhétorique générale: la pensée se joue, se crée

dans et à travers l'obstacle (dramatique): Elle crée, elle agit sur ce qu'elle a créé, elle réagit sur elle-même au moyen des impressions qu'elle prête à ses créatures; elle fait l'obstacle pour le détruire, la difficulté pour le succès, le combat

pour la victoire.182 Le roman révèle à cet égard une stratégie particulièrement efficace: son démenti n'est pas repéré en tant que procédé par l'usager (il est « vrai »), sa négation est profuse et diffuse. De plus, alors que la « pensée » discursive s'élabore à l'aide de l'opposition, le roman, auquel la « pensée » est toujours déjà donnée dès l'origine, se joue contre l'opposition pour en détruire la possibilité

même.

La passion de déchiffrer, l'attachement à la lecture provient de l'obscurité du langage employé. Le chiffre, suspendant la connaissance de la signification de la lettre, en valorise la découverte future. La nécessité d'éliminer le «non-sens» (l'opposition) est directement proportionnelle à son degré d'évidence (dramatique). NOTE:

RENVOI: Plus l'objet de la visée appropriatrice (de la passion) recule (devant l'obstacle, par suspension), plus il provoque le désir. On parlera à ce propos d'érotisation de la lecture du roman. Cf. Développements sous 3.43.

La rupture de la narration soutient et maintient le démenti de l'origine archétypale. Grâce à ce double « dérangement », celle-ci figure à la fin du livre comme son débouché naturel et désirable. La rupture romanesque inscrit « sous elle » la régularité ininterrompue de sa donnée (elle suspend sans surprendre),183 en constitue l'évidence : Le « suspense » est donc un jeu avec la structure, destiné, si l'on peut dire, à la risquer et à la glorifier : il constitue un véritable « thrilling » de l'intelligible : en représentant l'ordre (et non plus la série) dans sa fragilité, il accomplit l'idée même de langue,18* - de « sa » langue. Autrement dit, la 180 181 182 183 184

Topin, 1876, 349. Cf. Chklovski, 1966, 48. Nodier, 1968, 171. Booth, 1966, 106 : I shall be surprised but not disturbed. Barthes, 1966, 24.

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rupture, fondatrice de la linéarité romanesque et de la continuité d'origine, produit la soumission à la durée du code ainsi que sa vérification : Des mouvements inscrits à l'intérieur d'un ordre ARRÊTENT le temps, qu'ils figent dans un système de mesures et d'équivalence.185 Le code acquiert ainsi par suspense la fixité requise. [Cf. Vol. compl., TABLEAU 2 2 ] 3.43

Le Scandale

La vérité est au fond, sous les chairs... NANNA. - Tu ne sais donc pas combien belle au bordel ? (Le Divin Arétin)

(E. Zola)186 la pudeur est

Le démenti dramatique infligé à l'origine archétypale est un scandale. La mise en scène de la négation simple n'intéresse pas;

PROPOSITION :

Elle se débattit dans sa souplesse de roseau et lui glissa trois fois des mains. 185 186

Bataille, 1967, 115. Zola, 1961, 1686. (Le Voltaire, 28 octobre 1879).

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celle-ci doit être « augmentée », « valorisée », rendue choquante et déflagratoire pour donner lieu au spectacle. La négation doit paraître avec « éclat » dans le texte, comme « honte faite », transgression violente de la norme, à un degré maximum d'intensité : le contre-sens arrive au sens comme sa brutale et insupportable interruption. La contradiction représente un détour excessif, exagéré par rapport à la positivité de base. Le scandale est le mode d'apparition de la négativité romanesque : il faut du scandale au roman.

Cette servante qui en puisant de l'eau ...

Le roman nie (s'écrit) au superlatif : il représente la pire rupture et le plus grave déséquilibre, compose l'abus le plus inadmissible; son extraordinaire est outrancier, son « malheur » démesuré, propre à provoquer l'indignation. La lecture se fait dans l'attente de la parution des signes du scandale. Le texte « révolte » le lecteur et existe pour produire en lui et entretenir cette réaction.

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Le roman, et c'est un premier paradoxe apparent, conçu pour déboucher, après démenti, sur le sens archétypal, par définition « moral », n'y parvient qu'à travers la surenchère scandaleuse de ce démenti - qu'à travers son « immoralité » (par définition) : le drame, nécessaire pour désigner la norme, se trouve, du point de vue de cette même norme, « immoral » et « condamnable », voire «indicible » (qui ne peut et ne doit être dit). La restitution de l'origine passe par la dénégation scandaleuse et violente que la pensée archétypale - qui la cautionne pourtant et l'exige - violemment scandalisée réprouve.

Sabre au poing, il défendit le nègre.

En d'autres termes, une « moralité » se prouve par la mise en scène d'une « immoralité » qu'elle rejette et condamne. Le roman fait le scandale pour que le scandale, au sens archétypal, cesse. Ou : le drame nécessaire - parce qu'il permet l'énoncé de la positivité - et scandaleux parce qu'il doit être intéressant pour fonctionner comme négativité sert à l'expression de ce qui précisément dénonce son « immoralité ».

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Le scandale illustre la moralité. Le détour scandaleux est compris dans le plan de moralisation du livre : on lit le mal inadmissible de l'histoire à partir du bien dont il émane. PROPOSITION : La pensée « morale » archétypale se donne à lire (diachroniquement et d'une catégorie romanesque à l'autre) par le biais d'un scandale toujours plus considérable (régulièrement censuré). Le roman, art du détour et de la résistance (feinte) à la communication de son information de base, en propose le recouvrement au terme d'une illustration dramatique qui va renchérissant. La négation romanesque, au cours de son histoire, redouble; la moralité archétypale s'acquiert grâce à l'investissement de toujours plus d'immoralité narrative.

Les bûchers.

La concurrence et l'habituation du lecteur, d'une part, d'autre part, la persistance pour le code d'avoir à passer par le circuit narratif, contraignent à réactiver le démenti, c'est-à-dire à en produire une représentation scandaleuse d'intensité croissante. Le critique atteste, pour y

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découvrir un signe de décadence : « Il y a, dit Saint-Marc-Girardin, des romans qui ont la prétention de mettre l'idéal en dehors du bien; le plaisir ne suffit plus, il faut le scandale ». Le roman a attaqué toutes les vertus, toutes les croyances et toutes les institutions. D'un autre côté, la création du roman-feuilleton l'a fait tomber au rang du genre commercial. La nécessité de frapper chaque jour l'imagination publique l'a jeté dans l'extraordinaire, au préjudice de l'art et du bon sens;187 On a remplacé l'intérêt par l'accumulation des détails risqués et par la brutalité des couleurs. On a ALLUMÉ les lecteurs en leur exhibant certains cas physiologiques, restés jusque-là dans le domaine médical.188 Ainsi le roman paraît-il soumis à un processus irréversible d'inflation : il n'est pas en son pouvoir de ne pas viser l'excès dans la représentation dramatique. Surenchérir de scandale pour toujours affirmer la vérité de sa norme ordinaire, telle est sa « liberté ». Il se passe donc que le coût de la confirmation culturelle de l'ordre idéologique croît : le procès de « scandalisation » du texte romanesque en fournit la preuve. Cependant, la dénégation scandaleuse a des limites : la fin du texte comme retour à l'origine et à ses valeurs doit être opérée. Bien plus, le démenti, durant le détour qu'il constitue et à travers les étapes du drame, désigne toujours et partout, à son envers, la conformité qu'il a pour fonction de contredire. Le lecteur n'a jamais affaire à un texte clôturant sur le scandale et jamais affaire à un extraordinaire qui ne se détache pas sur l'horizon de la conformité. (1) Le texte romanesque peut infiniment varier et accroître les moyens de la représentation scandaleuse pourvu que le scandale demeure constamment désigné en son sein comme scandale (même sans jugement « moral » explicite); (2) Le texte romanesque peut proposer le spectacle de tout scandale (reconnu comme tel au niveau du code et dont l'inscription littéraire est considérée, malgré le jugement « moral », comme licite) pourvu que la représentation n'en dure pas trop (pourvu qu'elle demeure dans les limites assignées à la représentation). La surexposition du scandale dérègle la démonstration narrative en distendant l'appareil à intérêt qu'est le roman. (Cf. Développements sous 3.42, p. 272). On a donc que le scandale romanesque ne doit cesser d'être lu comme scandale et négativité afin de ne pas cesser de renvoyer adéquatement à la norme ordinaire. L'archétype figure inscrit dans le scandale fabuleux dont il se sert pour se montrer lui-même. 187



Urbain, 1880, 133. Theuriet, 1880, vi.

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RENVOI: Le roman est directement lié à la « moralité »/« immoralité » de l'archétype (du code fondateur comme projection idéalisante de la réalité de classe). La question de la « moralité »/« immoralité » du roman est celle-là même de la fonction de recouvrement qu'il occupe au sein du système culturel. Le roman produit toujours le retour à l'archétype et dérive de la fin conforme à obtenir: il est donc moral; le roman produit toujours le détour de l'archétype et diverge de la fin conforme à obtenir: il est donc immoral. Par suite, la moralité du roman est précisément celle-là du code et tout scandale montré dans le roman est moral par essence. Cf. sur le procès d'immoralité du roman Développements sous 1.13 et 4.21. PROPOSITION : Le démenti dramatique infligé à l'origine archétypale

est

un scandale qui ne s'avoue pas scandale. Le roman couvre le scandale représenté et l'accompagne d'un déni. Le code (qui censure le roman) couvre la représentation dramatique et le scandale utilisé dans la démonstration : il ne s'en reconnaît pas l'auteur. Aucun scandale n'est représenté (représentable) pour lui-même, dit le roman. Il n'y a de représentation romanesque du scandale qu'en tant que reproduction résolue de l'origine. Le texte de la négativité ne repose pas en lui-même, l'histoire qu'il met en scène est constamment montrée comme « ce qui ne devrait pas arriver », elle n'est pas son propre fond et engendre une « colère » positive. [Cf. Vol. compl., TABLEAU 23] PROPOSITION : Discret ou non, le roman (1) scandalise afin d'accomplir le démenti nécessaire à sa démonstration, (2) dissimule son propos de scandale et se couvre par une parole d'auteur, dénégatrice, qui l'inno-

cente : il n'y a pas d'exemple de romancier affirmant écrire « pour le scandale » ; il n'y a que des exemples de romanciers affirmant écrire « à travers et contre le scandale ». La représentation romanesque, quelle qu'elle soit, qu'elle fonctionne dans la retenue (la « chasteté » du discours) ou la révélation (la « vérité » du discours), est essentiellement scandaleuse. Ainsi, affirmer « peu dire » ou « tout dire » revient toujours à nier la qualité de scandale du scandale pourtant mis en œuvre, à lui retirer toute positivité potentielle, à faire serment d'allégeance à la seule positivité reconnue - celle-là de l'origine, et donc à moraliser dans son sens. Pas de moralité du livre sans immoralité des moyens engagés pour réaliser le recouvrement de l'archétype à son terme, telle est la loi. Le roman est dans l'obligation de mettre en scène précisément ce que le sens qu'il constitue condamne, et cela pour en donner une image nette, différenciée, évidente. H est alors compréhensible que le roman suscite une parole de couverture propre à faire accepter l'ambiguïté du drame

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PRODUCTION DE NARRATION

et à désarmorcer instantanément - sans enrayer son efficacité narrative la négativité dont il fait usage. Une fois encore, une intention affichée masque l'intention textuelle patente (implicite) et la permet. Tout roman constitue un scandale nié dans le texte comme scandale; sa discrétion ou son indiscrétion ne sont pas, du point de vue de son fonctionnement réel, des traits pertinents de sa définition; un même principe le fonde : il y a à réaliser un démenti suffisamment négatif, donc scandaleux, pour fixer le lecteur sur son envers de conformité. A ce titre, « l'histoire du roman moderne est celle de l'impudeur » : 180 « sentimental » ou « pornographique >,190 dans l'évidence de la mise au grand jour ou dans la retenue et le sous-entendu, le dévoilement du code conforme d'origine (« qui fait rougir »), « hypocrite >191 de toutes façons, et entraîné à la surenchère, doit avoir lieu et dépend de la spectaculaire négativité mise en scène. Le roman nécessite le démenti et son illustration scandaleuse fonctionnant comme l'indispensable (et inacceptable) « révélateur » (différentiateur) de son origine; il faut au code le retentissement de la négativité; la force acquise par le jeu dramatique, d'autant plus considérable qu'il s'accomplit comme scandale, est canalisée à son profit et pour sa manifestation (dans l'évidence). Le roman réalise la mise en valeur de l'archétype par le détour du démenti à partir de l'accident soit passionnel, soit criminel; le scandale romanesque est donc spécialisé : (1) La négativité est passion. L'aventure amoureuse, qui signifie un déséquilibre relationnel et la contradiction de la conformité des agents qui la vivent, manifeste le scandale. L'amour non légitime, non légitimé, entre des personnages non propres à le vivre (par condition ou caractère) ou dont l'existence provoque la perturbation du système à l'intérieur duquel ils s'inscrivent, fonctionne comme scandale du texte. Cela, depuis toujours : le roman raconte l'amour, LE ROMAN doit avoir plus d'amour que de guerre,192 les romanciers mettent de l'amour partout.193 Or, cet amour signifie parution de la négativité en tant que scandale et c'est à ce titre seulement qu'il figure dans le récit. 189

Albérès, 1962, 8. Valéry, 1959-1960, II, 1415 : La sentimentalité et la pornographie sont sœurs jumelles. m Gide, 1921, 73 : L'hypocrisie est une des conditions de l'art. Et l'auteur d'évoquer « l'innombrable manteau de la forme ». 192 J. de Coras, 1665 cité dans Pabst, 1967, 6. 103 Bénard, 1877, II, 110. 100

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L a passion à scandale d u roman, métaphore impressionnante d u démenti de l'archétype, est sexuelle, ruineuse; elle s'exerce sur l'agent comme une fatalité mauvaise, u n instinct renversant les plans de la raison positive (obéissante), voire une maladie. Elle est u n « matériel » et mauvais entraînement du corps et du sexe. NOTE: La femme figure dans le texte comme le corps du délit; « femme fatale », « actrice », «jolie femme » ou « femme d'un autre », elle est scandale, occasion de la « faute », motif du « mal » (de la négativité); le démenti romanesque est lié à sa présence: L'actrice en effet - c'est-à-dire selon le système la femme par excellence - leur représente [aux parisiens, aux lecteurs] une espèce de femme qu'ils rencontrent fort rarement dans le monde et jamais dans leur ménage, une femme qui paraît exempte de toutes les infirmités comme de toutes les vulgarités terrestres, une femme à qui il ne manque jamais rien, ni une dent, ni un cheveu, ni un bouton de gant, ni un diamant à l'oreille, ni une rose au sein. Elle semble, comme une fleur, sortir sans défauts, toute fraîche, des mains de la nature. Vous ne la voyez qu'un instant, mais pendant cet instant elle est parfaite, et, quand elle rentre dans l'ombre, elle vous laisse sous l'impression d'une chose lumineuse et un peu plus qu'humaine. (29) Par suite, l'amour non conforme pour la comédienne représente le démenti romanesque type. Or, c'est précisément parce que la femme dans le système idéalisateur figure le corps, et le corps sans « âme » (l'Église ne lui en a reconnu une que bien tardivement) et précisément parce qu'elle est l'objet d'un asservissement généralisé à /'« esprit » (« mâle », « idéologique » : Le règne de la jolie femme est contemporain de celui des banquiers capitalistes, des bourgeois millionnaires, de la féodalité mercantile et industrielle, du régime constitutionnel, de la philosophie éclectique)1^4 - et d'un « esprit » fort prompt à proclamer la valeur de cette soumission (ELLE VEUT S'ASSOCIER ET DÉPENDRE. Plus haut et plus bas que l'homme, humiliée par la nature dont elle sent la main pesante, mais en même temps élevée à des rêves, des pressentiments, des intuitions supérieures que l'homme n'aurait eus jamais, elle l'a fasciné, innocemment ensorcelé pour toujours. Et il est resté enchanté. - Voilà la société ;195 Son esclavage c'est sa garantie, sa puissance, son génie. Femmes libres, femmes mortesl [...] L'homme ne peut rien sans Dieu, la femme ne peut rien sans l'homme, voilà la vérité éternelle, absolue, immuable)196 - c'est en raison directe de son identification à la « matière » qu'elle peut fonctionner comme séductivité et scandale romanesque dans et contre le code d'origine. Bien plus, par une contradiction préméditée, l'institution culturelle prive la femme du roman (en parole: la femme ne doit pas être mise au courant du scandale) et cependant l'en nourrit (la femme est la grosse cliente du roman) sans en faire l'aveu (la lecture du roman fonctionne comme signe de la « femme sans mœurs » {Nana, Elisa sont des lectrices)): il s'agit, pour elle, de la contenir dans son rôle et de vraisemblabiliser celui-ci en vue du spectacle (romanesque/ idéologique) qu'il permet de composer. 184 185 1X

Proudhon, 1865, 306 n.l. Michelet, 1889, 264; Michelet, 1859, 6-7. Dumas fils, 1872, 5, 95.

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La passion à scandale (« amour charnel », « faux », « négatif »), constitutrice du démenti, ouvre à son envers sur la conjugalité (« amour d'âme », « vrai », « positif ») fonctionnant comme signe indubitable de la reconnaissance de l'archétype. (2) La négativité est crime. L'événement extraordinaire, qui signifie un déséquilibre relationnel et la contradiction de la conformité des agents qui le vivent, manifeste le scandale. L'action violente, illégitime, exercée par force, le vol, le viol (le rapt, l'attentat, le méfait, le forfait) et par-dessus tout la mise à mort (l'assassinat, le crime, le suicide) fonctionne comme scandale du texte. Cela, depuis toujours : le roman raconte le crime, le crime émeut, le crime intéresse : 1867 : Il n'y a rien peut-être, dans les scènes de ce monde, qui émeuve plus profondément que le spectacle du crime debout et superbe près de la vertu tombée sous ses coups et gisant devant lui.191 L'événement extraordinaire et scandaleux du roman, métaphore impressionnante et alarmante du démenti, est sanglant; il arrive à l'agent positif et en fait une victime; parution brutale du malheur, vérification cruelle de la conformité, la violence pèse sur celui-là qui refuse son usage. Issue du corps - elle est pouvoir physique - et s'appliquant au corps - elle est sang versé, c'est pourtant 1'« esprit » de la positivité qu'elle opprime. L'événement violent, scandaleux, du conflit (la vengeance, la haine, le triomphe physique de l'injuste), constitutif du démenti, ouvre à son envers sur l'événement non violent, conforme, de la pacification (le pardon, la punition, l'amour) fonctionnant comme signe indubitable de la reconnaissance de l'archétype. On assiste ainsi, sur ce double front, à la «pansexualisdtion » comme à la « criminalisation » intégrale du texte romanesque. Le roman se lit sur fond de paix et d'amour à travers une actualisation narrative de guerre et de violence, de fraude et de scandale. Il arrive un crime, il se passe une « aventure », et c'est fixé sur ce présent intolérable que le lecteur prend connaissance du livre. Le crime, la passion montrent la conformité et rendent perceptibles les conditions de son acquisition. Le sang, le sexe, par quoi s'active la lecture, ne sont ainsi que les signes porteurs de la solution archétypale propre à en jouer la (fictive) liquidation. [Cf. Vol. compl., 187

TABLEAU

Huguet, 1867, v.

24]

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On voit que le roman figure le scandale en son centre, en des scènespivot sur lesquelles l'intérêt se fixe, préparées de longue main par le récit et/ou dont il dérive. La fable romanesque doue de réalité le scandale qu'elle désigne pourtant comme négativité, elle le montre, le vraisemblabilise, en organise le spectacle. La représentation dramatique, qui nie bien évidemment l'acceptabilité du drame, met en relief le scandale, lui donne la force d'une évidence, 1'« étoffe », afin de parvenir à sa négation même. Le roman donne à voir le scandale. H se présente, en rend la réalité patente, « vraie », de façon à pouvoir imposer en retour la réalité de non scandale de l'archétype. La fable fait exister ce qui, du point de vue de sa norme, n'y rentre pas et n'y doit pas rentrer, afin d'obtenir la vérification (imaginaire) de celle-ci en tant que non scandale. Le roman, par suite, dirige la lecture sur l'illustration de scandale qu'il compose; dans la « poche » narrative, le scandale paraît être lu « pour le scandale » : c'est axé sur l'apparition de celui-ci que le lecteur poursuit son déchiffrement, c'est fixé sur ce point de convergence du faisceau textuel qu'il s'attache au spectacle. Le plaisir de lire semble alors être le plaisir de jouir sans risque, du point de vue stable, normatif, « sans scandale », où l'on se tient, de l'existence du scandale. Le démenti intéresse, voire fascine : le lecteur de roman prend son plaisir dans la considération du délit. Le livre le fait imaginairemerit participer à la négativité (à 1'« orgie ») : alors que toute activité scandaleuse est dans le réel aussitôt pénalisée, la mise en scène romanesque permet la participation (fictive) à la transgression, « gratuitement », sans que compromission et contamination s'en suivent. Le roman, inscrivant le scandale dans le champ d'expression de la positivité, fournit l'alibi nécessaire à sa lecture. Toute lecture romanesque est, par suite, essentiellement complaisante : la jouissance provient de la représentation de la faute, de l'erreur, du mal, du scandale, de la négativité comme excès, passion et violence. En théorie, plus le scandale réalisé est grand, plus le plaisir pris à sa contemplation est aigu. En effet, plus l'écart constitué par le démenti s'accroît, plus la restitution de l'origine archétypale à venir augmente. (Cependant, d'autres éléments entrent en ligne de compte et limitent la portée réelle de cette loi). Le lecteur de roman est constitué par le texte en « voyeur ». Le critique atteste : Il a voulu [l'agent, H] voir. Le lecteur partage cette tentation malsaine. On espère voir à travers les lignes du roman [...] On admire l'impudique jeune fille qui se baigne toute nue et le lecteur

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se fait complice cette

petite

lecteur

le rôle

Suzanne.

de cette

mauvaise

démesurée

parce

fait

[le romancier]

que jouent

les vieillards

dans

le tableau

Seulement

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tout simplement

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tous les lecteurs

de son livre n'a aucun droit ce

action,

l'a fort

scène

L e lecteur et on comprend

ne sont pas vieux,

à l'épithète

atteste : On

de la et la

qui accompagne a envie

très bien votre

que

jouer

au

chaste Suzanne

ordinairement

d'Hélène

d'une

façon

docteur.200

L e scandale (le sexe, le crime) est d o n c repéré c o m m e c e qui c o m m a n d e le livre, e n définit l'intérêt. Il est ce lieu d'ancrage et de

fixation

de l a lecture, p o i n t central sur lequel porte toute l'attention de celui qui déchiffre, foyer o ù se rive s o n regard : Il commande ma capitivité,

mon entrée

et ma présence

dans le

ma captation

et

livre.201

PARALLÈLE: Mallarmé, 1961, 871, élogieux, porte au compte de Zola « la peau de N a n a , dont nous avons tous caressé le g r a i n » , mais récuse la qualité littéraire du procédé : La littérature a quelque chose de plus intellectuel que cela : les choses existent, nous n'avons pas à les créer. L e r o m a n d'imitation, c o m m e représentation du sens (originaire, par le biais d u scandale), est par définition anti-littéraire si écrire a p o u r but la constitution d ' u n sens neuf, indépendant, sans source ni « résolution ». RENVOI: L a scandalisation romanesque entraîne le dégoût de la n o r m e et déclare en retour l'insuffisance et le m a n q u e d'intérêt de la réalité archétypale: En rentrant dans le positif de la vie, tout nous y paraîtra pâle et glacé [...] Le mouvement que l'esprit s'est donné pour les concevoir, communique à ces images une chaleur artificielle qui ne vient pas d'elles, mais de nous. Notre esprit interpose entre elles et nous une sorte de milieu, qui, comme la transparence de l'air ou du cristal, en augmente l'éclat. Elles ont une sorte de légèreté qui empêche de prévoir combien la réalité sera pesante. Elles sont fugitives et ne nous mettent pas à l'épreuve de la constance,202 Le r o m a n est alors considéré c o m m e « essentiellement démoralisateur ». Mais, si tout r o m a n est bien scandaleux, a u c u n n'est cependant immoral. D ' a u t r e part, toute « réalité », étant soumise à la projection idéologique, se trouve apparentée au r o m a n , pénétrée par celui-ci. Cf. Développements sous 4.21. OBJECTION: Le r o m a n , mise en spectacle négative du sexe et d u crime, n'est quel 'expression d ' u n penchant naturel d u lecteur. Le public de tous les âges et 168

Grandefïe, 1880, 9, 13. A propos de (83). La scène incriminée est relevée Vol. compl., TABLEAU 24, 1. F. 169 Nettement, 1864, 133. A propos de E. Feydeau, Fanny, 1858. Et, relevé par Flaubert, 1966, 118 : LE ROMAN CONTEMPORAIN est une leçon et une pratique sensuelle, substitue le jeu grossier des sens au jeu profond des sentiments de l'âme. Autre attestation chez Ossip-Lourié, 1920, 157 : L'érotomanie est l'une des bases les plus puissantes de la littérature imaginative, elle joue un rôle considérable dans la graphomanie. 200 Flaubert, 1930, 8e série, 114. [avril 1873], A Zola sur (181). m Généralisation de Kempf, 1968, 7. 202 Degerando, 1833, 1, 228.

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de toutes les conditions fait montre de ce goût. Le roman n'est que la manifestation exacerbée d'une inclination, d'une curiosité générale, «primitive»: l'homme, le public, aime par nature le sang, veut par instinct le crime, est friand par besoin du scandale. Et le roman ne fait que lui en offrir à bon compte le stimulant succédané: L\public jubile; il aime V crime: || C'est c'qui fait Vsuccès du barreau! 11 II s'intéresse à la victime, |1 Donc : - SUITE AU PROCHAIN NUMÉRO ; 2 0 3 Le Réalisme domine et triomphe dans la littérature contemporaine ; la foule se jette avidement sur les récits de crimes monstrueux, sur le compte rendu des cours d'assises, sur les feuilletons d'abattoir et de morgue;204 Notre public blasé veut des scènes qui répondent à ses appétits. Il lui faut des femmes nues au théâtre, dans le monde et dans les livres. L'auteur dont le talent se prête à ces exigences est sûr du succès. Son livre devient une revue à mollets et à maillots.205 (Cf. Développements sous 4.12). Sans vouloir toucher à la redoutable question des « instincts » et des conditions de leur transmission, on constate (1) que la lecture du public se fixe précisément sur cela que le code désigne comme négativité (sur le refoulé de ce code, par conséquent), (2) que le texte romanesque constitue Y exploitation du refoulé (propre sans doute à en perpétuer l'existence), (3) que le texte romanesque fait appréhender le refoulé « en fiction », sur le mode de l'absence. RÉFUTATION:

Il y a inflation de scandale. La société capitaliste (de consommation) produit plus de scandale qu'elle n'en a réellement idéologiquement besoin: Un tel appétit pour le scandale tourmente V Opinion que les faits vrais ne suffiraient jamais seuls à la satisfaire, si, par une mesure équivalente au papier-monnaie dans le commerce, on ne suppléait à l'insuffisance des scandales réels par des scandales fictifs, reçus comme valeurs pour les besoins de la consommation,206 L'extinction de la curiosité publique ne se peut donc pas, tant que l'idéologie a besoin de s'étendre et de se confirmer et qu'elle saisit, pour cela, la voie « dialectique » du démenti dramatique. La proposition de Proudhon est donc, ne serait-ce qu'à ce point de vue, utopique: Il faudrait pouvoir assouvir d'un coup la curiosité, qui demande sans cesse des objets qui ne doivent pas être vus [...] Lire dans la botanique de M. de Jussieu la description de la REPRODUCTION ; cela suffit, rien de plus.\\ Voir une fois, dans un traité de l'accouchement, le détail des opérations ; - cela fait, on sait tout. || Quant au reste, affaire d'imagination, de volupté, de corruption secrète. C'est toujours le même roman qu'on relit, et auquel on demande des excitations défendues. || Eh bien\ cela même, il faut une bonne fois s'en défaire, en le ramenant au réel.207 II faut le roman, toujours plus de roman, pour étendre le scandale - et l'éteindre. NOTE:

203

Éclipse, N" 16, 10 M a i 1868, 2. Satire de la Petite Presse en f o r m e de complainte, intitulée Les Pieds qu'on chatouille. 204 Polybiblion, t o m e 19, 1877, 6-7. 205 Grandette, 1880, 14-15. Cf. aujourd'hui, sur ce goût de 1'« impur » f o n d a mental, Auclair, 1970, 19-20. 206 Loiiis, 1867, 204. m Proudhon, 1875, 175-176.

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Malgré la place privilégiée qu'il lui confère et le développement qu'il lui donne, le roman ne montre pas le scandale, n'offre aucune représentation effective de ce qui le constitue (archétypalement), à savoir la prééminence accordée au corps et à la matière, la suprématie reconnue à la force et à la violence; le texte romanesque refoule en fait hors description ce qu'il affiche pourtant être son motif. La négativité figure personnifiée dans la fable, incarnée par l'agent, dans un caractère, une conduite, un destin, etc., et sous ce voile vraisemblabilisateur, ce qui la compose en tant que négativité échappe : là encore, le roman efface les motivations archétypales qui le commandent par l'illustration qu'il en offre. La négativité romanesque est indicible (Dire l'épouvante est impossible (Hugo, (11))), elle est sans nom, son spectacle fait honte, indigne, on s'en détourne, quoique le roman affirme être le lieu même de sa manifestation : le corps est tu, la matière est tue, la violence est tue. En effet, ces trois leviers du démenti ne figurent dans le livre que pour autant qu'ils servent à signifier le scandale prédéterminé dans l'origine : le corps n'est jamais présenté dans son activité corporelle, ni la matière dans sa matérialité, ni la violence dans son économie. Bien au contraire : le physique introduit dans le texte s'y trouve recouvert de tout un réseau de signes propres à faire entendre, selon les cas, la positivité, mais surtout la négativité du code. Ces trois éléments, évoqués par le texte, se trouvent ainsi vidés de tout contenu et assujettis à la représentation de la norme dont ils sont l'antithèse. Les instruments de désignation du scandale sont ainsi réputés, dans le roman, n'avoir pas d'autre fonction ni réalité que, précisément, celles-là qu'ils possèdent en son sein. Le scandale est exhibé, mais non ce qui sert, en vertu d'une législation qui demeure secrète, à le composer. En d'autres termes, le corps, la matière, la violence sont réduits à leur portée archétypale : bien loin de figurer « hors d'elle » comme un extraordinaire inadmissible, ils n'en sont que l'ombre portée. Ainsi le corps n'est-il montré qu'en raison de sa beauté, comme signe (discret) du spirituel ou signe (offusquant) de la négativité; sa beauté excuse la montre, justifie la tentation; sa laideur accuse, par contraste, l'âme; il n'est surpris que dans la pose et ne figure qu'en portrait dans le livre; etc. Ainsi la violence n'exprime-t-elle dans le roman que l'étendue du mal dont elle est l'exercice ou que l'étendue du châtiment légitime; etc. NOTE: Le code, parallèlement, propose l'hygiène: le corps doit être soigné, lavé, afin de pouvoir signifier l'âme, dit-il : Sans faire une idole de son corps, il est

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bon de le tenir d'un aspect agréable, puisqu'il est l'enseigne de l'âme. La beauté ne dépend pas de nous, mais il est toujours possible, sauf les cas fort rares, de cacher les infirmités dont on est atteint, afin de ne pas inspirer de dégoût.208

On dira que, d'un côté, le roman rature les moyens de la négativité afin de pouvoir proposer, d'un autre côté, l'idéalisation de l'archétype. Ce n'est qu'en tant qu'il réussit à scandaliser en rétour les éléments dont il se sert pour signifier la négativité, qu'il produit (fictivement) la « spiritualité » du code d'origine, devenu « pensée d'au-delà de la matière », « pensée non violente », « bonne », « juste », etc. La « laideur » de la négativité montre donc la « beauté » de l'archétype et celui-ci fixe rétroactivement dans ce qui sert à la signifier antithétiquement comme positivité l'être même du négatif. (L'idéologie se définit par le choix des éléments qui lui servent à penser la négativité et à l'interdire). NOTE : La matière « positive » des naturalistes n'est qu'une matière « immorale » ou « surmoralisée », valorisée par défi (Mais ce qui leur donnait surtout un frisson à fleur de peau, c'étaient les grands paniers qui suent le sang, pleins de têtes de moutons, les cornes grasses, le museau noir, laissant pendre encore aux chairs vives des lambeaux de peau laineuse ; ils rêvaient à quelque guillotine jetant dans ces paniers les têtes de troupeaux interminables [...] En bas, c'était une horreur exquise. Ils entraient dans une odeur de charnier, ils marchaient au milieu de flaques sombres, où semblaient s'allumer par instants des yeux de pourpre ; leurs semelles se collaient, ils clapotaient, inquiets, ravis de cette boue horrible. (79)). Zola joue bien contre le sens assigné à la matière dans le code, mais sans cesser de lui reconnaître les mêmes attributs. Or, selon l'archétype, il y a égalité de termes entre matière/ordure/bassesse/peuple. 209 PARALLÈLE: L'œuvre de Sade, de Genêt, de Guyotat, représente une tentative convergente d'échapper à la conformisation du scandale; celui-ci, « déscandalisé », devenu « démenti en lui-même » et sans appel à la positivité, ne sert plus à faire opérer le retour romanesque à l'origine (Nous sommes [...] bien loin ici et d'un texte INNOCENT et d'un texte NOCIF, dit Guyotat), 2 1 0 mais entend constituer une autosuffisance libre, en ceci exemplaire.

L'intérêt romanesque provient donc (1) de l'introduction d'une contre-information dramatique (le démenti), (2) du freinage de cette contre-information (le suspense), (3) de sa constitution en tant que scandale, enfin (4) du dérobement de l'objet même du scandale lors de la représentation. En effet, le corps (la nudité du corps, le physique, la matière, la force) n'intéresse dans le roman qu'en raison de la non intégralité de son exhibition : il y a dans le livre phénomène de strip-tease, 208

Carraud, 1868, 281. Voir dans Goncourt (7) la caractéristique Préface. Tel Quel 43 (1970), 32. Repris dans P. Guyotat, (Gallimard), 1972, 34.

200

210

Littérature

interdite

288

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c'est-à-dire non pas montre du corps durant le spectacle, mais ralentissement, contrariété de cette montre, 211 voire enrobement, dissimulation, voile :212 le corps romanesque montre ï« habit », /'« habit » constitue la vérité du nu qu'il propose en spectacle. Autrement dit, c'est le masque même que désigne l'objet de scandale lors de l'étalage dramatique, et, en donnant à ce masque son véritable nom : c'est le code idéologique en tant que couverture qui se trouve révélé dans l'acte de pseudo-dévoilement de l'objet de scandale. Le code montré à travers le scandale réussit donc à projeter ce qu'il définit lui-même « honte » et négativité comme la manifestation d'un état « animal », « pré-humain », « inférieur » de l'homme, 213 l'excluant ainsi de l'appréhension idéalisée du lecteur, afin de se constituer lui-même à ses yeux en tant que « culture », « progrès », victoire sur la « matière animale ». Il se trouve, en vertu du spectacle inverse qu'il propose (sans le réaliser), sens complètement « revêtu ». R E N V O I : Le roman ne produit qu'un défoulement fictif: le détour scandaleux n'a jamais lieu que pour orienter vers sa moralité. Le scandale romanesque n'est pas le signe d'une liberté, d'une libération. La pornographie (et ses formes bénignes et ingénues) n'est que le truchement d'une moralisation constamment visée par le texte. Tout au contraire, le roman scandaleux agit comme refoulant, transgression prévue de la loi par la loi même afin d'y renfermer. Cf. Développements sous 4.12.

RENVOI: Le code idéologique propose la couverture du scandale social réel, c'est-à-dire de la domination de classe et des moyens mis par elle en œuvre afin de se perpétuer. Le spectacle scandaleux de la fable qu'il organise dans le roman sert à l'élimination de la perception du scandale effectif qu'il couvre. Le scandale fictif dérobe la connaissance du scandale existant. Le « savoir » qu'il offre du corps, de la matière, de la force, de la violence comme attributs exclusifs de la négativité immobilise le lecteur dans l'ignorance du fait - de l'état de classe procédant de moyens réputés scandaleux, exclus de la représentation. Cf. Développements sous 4.24. 211

Barthes, 1957, 165 : Seule la durée du dévêtement constitue le public en voyeur; mais ici, comme dans n'importe quel spectacle mystifiant, le décor, les initiale du propos accessoires et les stéréotypes viennent contrarier la provocation et finissent par l'engloutir dans l'insignifiance : on AFFICHE le mal pour mieux l'embarrasser et l'exorciser. 212 Bataille, 1965, 11 : Le crime est le fait de l'espèce humaine, il est même le fait de cette seule espèce, mais il en est surtout l'aspect secret, l'aspect impénétrable et dérobé. Le crime se cache, et ce qui nous échappe est le plus affreux. Dans la nuit qu'il propose à notre peur, nous sommes tenus d'imaginer le pire. Le pire est toujours possible; et même, du crime, le pire est le sens dernier. 213 Kolakowski, 1970, 123 : La nudité est devenue le symbole de la vérité première de l'homme, le symbole de l'état animal. Dans l'acte de sa propre constitution, le vêtement est devenu pour l'homme le symbole de la vérité seconde, qui cache la première tout en la dévoilant - comme un déguisement.

289

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

3.44

La Démonstration romanesque « Narratio

probatio

est »

PROPOSITION : Le roman est une affirmation. Le roman est un but. Le roman a pour but l'affirmation de l'archétype. Le roman assène spectaculairement la validité de l'origine. Le roman démontre le code. Le texte romanesque est essentiellement probant, probateur. Il contient et développe une démonstration. Ce qu'il transmet ou génère est un savoir contrôlé, vérifié, sanctionné par l'illustration dramatique. Que l'auteur le reconnaisse ou non, le texte certifie, couronne l'intention de signifier qui le soutient. La narration s'élabore comme figuration convaincante du sens originaire : son trajet constitue la preuve de son projet. Le texte romanesque est démonstratif; il fait souscrire à son information; son message, plus que simplement proposé, offert, se trouve validé au terme des transformations qu'il a eu à subir. La narration contient la preuve de ce dont elle instruit; celle qu'elle affirme, elle l'accrédite : c'est à cette fin qu'elle se réalise. Le roman est un savoir donné, expérimentation de ce savoir, réalisation (au sens fort) et montre de ce savoir. Attestation, 1865 : Le livre, cette parole silencieuse qui parle à l'âme dans son silence plus haut que la parole retentissant avec éclat; le livre, cette éloquence qui ne se tait ni jour ni nuit [...] Un livre qui réussit est un orateur qui parle à cinquante mille hommes aujourd'hui et à cent mille hommes demain; et s'il est victorieux, il traîne après lui des millions de vaincus devenus ses sujets.21* Le roman est une démonstration rhétorique achevée,215 propre à attacher - et avec une efficace incomparable - le lecteur à son sens. NOTE: Le projet de probation est constitutif de tout objet textuel, alors même que celui-ci n'apporte qu'une vérification imparfaite de son affirmation (Sand, 1870 (133b) : La plus mauvaise œuvre d'art a d'ailleurs quelque chose).

un plan et vise à prouver

La démonstrativité romanesque suppose la finition du texte. Reprenant ce qui a été dit plus haut (3.13), nous considérons que la clôture définit la cohérence textuelle et que (3.31) celle-ci implique la finalité conductrice. La narration est une anticipation continuelle de son terme (The process of writing a novel seems to be one of continual forestalling 214

Félix, 1965, 33, 41. Son défaut de convenance rhétorique ne paraît donc pas être la raison de la condamnation dogmatique classique (Dans une littérature d'inspiration rhétorique il n'y a pas de place pour le roman (Varga, 1970, 98)).

216

290

FONCTIONNEMENT DE

NARRATION

and anticipating)216 et rend son dénouement (le seul dénouement qui lui soit adéquat) possible. Le texte en tant que texte se conçoit comme finalité: le lecteur en prend connaissance du point de vue de la postériorité, comme le rapport d'un événement (d'une série d'événements) actuellement achevé en progression vers un terme qui ne peut que lui paraître acquis : le passé de la narration « promet » une fin vraisemblable (référentielle) au lecteur. Or, cette clôture, cette tension volontaire du roman vers sa fin résulte évidemment de l'organisation d'ensemble d'un livre tout entier tourné vers ce qui est son motif, c'est-à-dire la probation. Prouver ne consiste pas à déclarer « pour finir » une proposition irréfutable, mais à l'élaborer, phrase après phrase.217 Chaque phrase amène la preuve du livre et la contient. Les affirmations partielles, « montées », articulées, s'étayant les unes les autres, se corroborant réciproquement jusqu'à former un ensemble totalement cohérent, participent toutes à la production du sens, à sa démonstration. Le texte, structuralement non contradictoire, homogène, linéaire, constitue alors une aflirmation totalisatrice, de rang supérieur, avérée par sa démarche même, durant le procès d'élaboration. Le roman, à l'instar de tout texte, constitue la méthode de vérification de sa signification,218 mais, à la différence d'autres ensembles, ce contrôle sémantique régulier du sens se trouve ici porté, soutenu au niveau de la mise en scène dramatique (par le démenti, le suspense, etc.): il y a « spectacularisation » probatrice du sens romanesque, et non pas transmission linguistique simple. Autrement dit, la probation romanesque, si elle procède bien de la cohérence textuelle, se trouve cependant « réussie » grâce à l'intervention du drame. La démonstrativité du roman suppose tout d'abord, (1) l'existence de l'information première, objet de l'intention de communiquer, (2) l'existence de la suspension de cette information première (le sens se lit dans le contre-sens, le livre instruit dans et par le détour de la narration), (3) l'existence d'un terme mis à la suspension de l'information première (la cessation du drame doit avoir lieu pour que la signification paraisse). La loi de l'intérêt romanesque peut, à ce stade, être formulée ainsi : L'intérêt résulte de l'accomplissement du texte comme démenti et com216

L u b b o c k , 1966, 234. Cf. Bense, 1962, 95. 218 Énoncer sa signification [à une phrase] revient à énoncer les règles de son emploi, ce qui revient à énoncer la façon dont on peut vérifier (ou falsifier) cette 217

phrase.

L A SIGNIFICATION D'UNE EXPRESSION, C'EST LA MÉTHODE DE VÉRIFICATION.

(Schlick cité d a n s Schaff, 1968,

239).

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

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me suspense de ce démenti (le trouble plaît, l'extraordinaire scandaleux fascine;219 l'intérêt résulte de la prévision de la cessation du texte comme démenti et comme suspense de ce démenti. Le démenti (le suspense) n'impliquent absolument pas la disparition de l'information de base (ou sa négation réelle). Le lecteur ne peut jouir du trouble apporté au sens qu'autant que celui-ci lui reste acquis; le plaisir pris au scandale repose sur l'assurance de sa non existence finale (fondamentale). L'intérêt est un contentement dans la mesure où le sens se trouve retenu sans cesser de se profiler au-delà du drame actuel qu'il subit. Pour croître, l'intérêt suppose que le processus qui l'engendre se dirige vers une limite (à laquelle le lecteur est assuré qu'il parvient). L'imminence de la vérification du sens, toujours reportée, mais jamais congédiée, attache au déchiffrement du texte. La fin du livre remplit la promesse de signification qu'il constitue : elle apporte la « révélation » comme preuve du sens profilé au travers du récit. Le livre cesse avec la reproduction de l'archétype, sur sa position d'origine, dès lors qu'il ne retient plus ce qu'il s'ingéniait à différer. La réponse offerte signifie du même coup annulation de l'information seconde perturbatrice220 et annulation de la raison du discours : après récupération de la donnée initiale, après conformisation générale des conduites actantielles - entrée en possession du « bonheur » mérité pour l'agent positif - le récit n'a plus lieu d'être : Qu'ajouter à ce qui précède... L'histoire que nous avons entrepris de raconter finit à la page où commence le bonheur de Raymond et d'Irène, et nous pouvons fermer le livre. (123) La démonstrativité du roman suppose ensuite (4) l'existence d'un terme correct mis à la suspension de l'information première : la fin du roman doit coïncider avec l'expression renouvelée de l'archétype posé dès le début comme sa vérité. Toute fin de roman est archétypale, restitutrice de l'origine; toute fin de roman actualise l'information première : Le résultat est donc le commencement DEVENU ou ACTUALISÉ; et le commencement trouve en lui-même le principe de son propre devenir, puisqu'il est toujours en situation, en état de se développer,221 Le roman implique comme horizon son origine et y fait parvenir au terme de son trajet : roman signifie circularité. 219

Bonnet, 1951, 82 n. 2 : A vrai dire, ce qui intéresse surtout, ce n'est pas le but atteint, mais les modalités par lesquelles on l'atteint. 220 Kôngâs Maranda, 1969, 12. La réponse à l'énigme doit annuler le déséquilibre des termes et des prémisses. m Généralisation de Allemand, 1965, 89.

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FONCTIONNEMENT DE NARRATION

Toute fin romanesque est, relativement à l'archétype, conforme, « heureuse » (Cf. Développements sous 3.13, p. 202 (RÉFUTATION 3) et Vol compl., TABLEAU 16, EXPLICATION). Soit qu'on ait le « dénouement à la Scribe » (Ils se marièrent, vécurent fort heureux, et eurent beaucoup d'enfants s>),222 soit que la reconnaissance de l'archétype se fasse à travers le malheur des agents (la souffrance de l'agent établit la vérité de la signification), 223 le roman se termine « bien » puisque l'information première est rendue, prouvée, à ce moment - « immobilisée » désormais. NOTE: La punition de l'agent positif est, dit le critique, une «thèse odieuse, dangereuse et fausse ». 224 Or, cette punition (ou l'impunité accordée à l'agent négatif) n'a jamais réellement lieu dans le roman. L'auteur explique (en un Post-scriptum à son récit) : Les lecteurs seront peut-être désagréablement surpris de voir le personnage le plus antipathique de notre récit, Basile Samarine, rester impuni et jouir d'une richesse conquise par un crime. \ \ Basile n'est pas heureux ; il mène quelque part en Russie une existence méprisable et solitaire. Il ne jouit pas de sa fortune, car il regrette amèrement Régina et le monde où il a vécu, qu'une crainte invincible l'empêche de fréquenter désormais. Cependant, nous l'avouons sans difficulté, son châtiment ici-bas est resté au-dessous de ses crimes. | | Nous avons agi ainsi avec intention. || Nous croyons que la miséricorde suprême est infinie, et qu'elle s'étend jusqu'aux criminels. || Les angoisses du repentir, les souffrances du remords, l'infortune, ou une mort violente, sont autant de grâces que le Seigneur envoie à ceux qu'il a jugés dignes de sa miséricorde. || Malheur à ceux que Dieu semble laisser jouir en paix du fruit de leurs forfaits! (31). La démonstrativité du roman suppose enfin (5) l'existence du texte comme démonstration continue de la vérité qui le termine correctement (le roman constitue la vérification de sa solution; la fin du roman est le sceau mis à un « savoir » lentement « conquis » (ou plutôt confirmé) au cours de ses étapes successives; on lit dans l'attente du dénouement, marque d'accession au savoir délivré). [Cf. Vol. compl., TABLEAUX 25, 26] La figure archétypale du code d'origine, dont le roman accomplit la démonstration, est alors la suivante :22B I. Il est acquis et avéré que le bon garant du bien triomphe, est heureux, est lavé de tout soupçon, réfute l'infamie, déjoue la tromperie, 223 Polybiblion, tome 25, 1879, 20. 223 Bénard, 1877, II, 76 : Nous aimons que dans un roman chacun reçoive selon son mérite. Alors, l'impression dernière n'est point triste, car le vice est puni et la vertu sort victorieuse des épreuves auxquelles on l'a soumise. Cependant, on ne saurait faire pour les écrivains une loi absolue de cette équitable répartition des biens et des maux. 221 Cf. Grandeffe, 1880, 42. 225 Ce qui suit représente donc le renvessement des formulations données p. 191-2.

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

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conquiert la fortune et la considération, etc., réciproquement, que son adversaire, le méchant qui ne réalise pas le code, est vaincu, ne jouit ni du bonheur, ni de l'amour, ni de la considération, ni de la fortune, etc.; II. Il est acquis et avéré que le bon est pourvu des traits garantis sant sa positivité, « en harmonie avec son mérite », tels que beauté, jeunesse, richesse, intelligence, bonté, charme, grâce, innocence, droiture, etc., réciproquement, que son adversaire (le méchant) ne les possède pas; Et : Il est acquis et avéré que le bon/le méchant est considéré au dénouement par les agents de la fable (comme par le lecteur) pour ce qu'il est réellement, admiré ou dénoncé selon sa qualité, rendu adéquat à cette qualité et rangé hiérarchiquement à la place qui lui revient; III. Il est acquis et avéré que le bon/le méchant se trouve différencié de façon absolue dans le livre : ses gestes et son comportement sont devenus parfaitement lisibles, conformes et sans contradiction apparente : l'agent coïncide forcément et complètement avec sa définition; il est devenu ce qu'il était déjà (éventuellement sans le savoir); sa manifestation non ambiguë est certaine, fixe, sa nature reconnue immuable. Et généralement : Il est acquis et avéré que le sens démontré le roman est conforme.

par

NOTE :

Cette proposition est générale et vaut aussi pour le roman naturaliste, même dans les cas où il paraît jouer le déni de la conformisation: on a toujours, au minimum, et alors même que l'agent positif ne « triomphe » pas et que l'agent négatif jouit de ses biens dans l'injustice, que le méchant est démasqué dans sa méchanceté, que le bon est reconnu dans sa bonté. La « défaite » de celui-ci peut être même considérée comme une confirmation supplémentaire des valeurs archétypales (« Il n'y a pas de plus grande preuve d'amour que de mourir pour ceux qu'on aime », dit l'adage). La démonstration narrative archétypale est fondamentale par rapport à son revêtement actantiel; la qualité sociale et l'opinion politique des agents, en particulier, est indépendante de la preuve romanesque; la même preuve et une démonstration identique peut être obtenue à partir d'agents de classes différentes ou opposées; la « bonté » de l'agent peut se baptiser « catholique » ou «anticléricale», «monarchiste» ou «républicaine», «conservatrice» ou « progressiste », etc., et servir à l'élaboration d'une signification romanesque unique, elle-même constitutrice de la « bonté » de l'agent (en dernier ressort, malgré la vraisemblabilisation). Changer de héros, faire triompher l'ouvrier, faire en sorte que l'ouvrier soit l'agent conforme du roman et supporte le faix de la positivité (tendance naturaliste), ce n'est pas encore changer la structure probatrice du roman et, avec elle, le contenu objectif (quoique imaginaire) qu'elle constitue comme sens

NOTE:

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FONCTIONNEMENT DE NARRATION

de cette positivité. Autrement dit, une conformisation archétypale immuable demeure sous le trait variable de la positivité actantielle comme son signifié objectif. En effet, la conformisation archétypale se comprend comme identification de l'être naturel et de l'être social de l'agent, par là, nie sa position de classe, c'est-à-dire son trait distinctif réel, cependant évoqué au niveau de la qualification. L'affirmation portée par le roman est confirmation; ce qui se trouve « démontré » par la fable et le drame, après interruption, n'est autre qu'un sens déjà donné, figurant de bout en bout du livre (quoique contredit). Le savoir du roman est la connaissance réaffirmée de l'origine : le roman redit, le roman certifie un acquis, le roman « reproduit » (Tout en prétendant à un développement (signifiant) et en visant un but (signifié), la structure romanesque (la structure du signe) ne PRODUIT pas de « nouveau », mais se reproduit en se transformant dans l'écart de ce qu'on a appelé /'« arbitraire » du signe (l'espacement entre le signifiant et le signifié).226 L e roman « reconduit » le sens posé à sa base comme vérité intouchable et persistante; après le démenti qu'elle lui inflige elle-même, après le « drame » qu'elle lui a fait subir (après l'éclipsé de la conformité originaire), la narration fait reconnaître et établit imaginairement sa validité : tout roman comporte une « solution », toutes les solutions romanesques sont équivalentes, toute solution est reconductrice du sens reçu, devenu certain. Le roman, à tous ses niveaux, affirme l'affirmation de base. Cette signification (ou information) originelle, perdue et retrouvée, toujours supposée perdue et toujours certainement retrouvée, à travers les modes opposites et multiples de sa vérification, ne bouge pas. Bien au contraire : sa continuelle mise en jeu, son infini recouvrement la démontrent. NOTE: La mise en scène romanesque reprojette l'archétype (le code), projection lui-même de sens sur le réel; par suite, le récit retombe (cesse) sur l'ordre archétypal idéologique et non sur l'ordre du réel (Todorov, 1967, 76: Le livre peut s'arrêter parce qu'il établit l'ordre qui existe dans la réalité) : il s'immobilise en posture « imaginaire ». L'affirmation portée par le roman est probatoire; l'information première n'est pas simplement réintroduite, « gratuitement » récupérée, après suspense, au moment de la finition textuelle, elle est prouvée : le roman accomplit la démonstration de l'origine, le roman prouve sans fin une réalité idéologique de base identique. Kristeva, 1968, 308-309.

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

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Le roman, affirmatif, confirmatif, probateur par essence, ne peut établir comme sens autre chose que son origine, ne peut fournir que la démonstration « heureuse » du « bonheur » de son origine; il signifie dans la circularité et le retour; dans l'assurance optimiste aussi (un roman « sceptique » ne s'imagine pas, un roman qui ne modifie pas simplement le mode de conformisation, mais abolit la conformisation elle-même et supprime la trajectoire dramatique, sans cesser de produire l'intérêt romanesque, pas davantage). Le roman ne produit que des solutions romanesques, ne procure qu'une démonstration romanesque, ne prouve que le roman, - autrement dit : son idéologie. Sans doute peut-on dire que toute narration est circulaire, que tout récit ramène à son « bien » d'origine, prouve le sens donné; à ce titre, l'activité romanesque n'est donc pas particulière. Cependant, à l'intérieur de ce cadre, on trouvera la probation romanesque singulièrement efficace, son effet spécifique. L'affirmation d'origine n'est obtenue qu'au terme d'un long processus de détournement, à travers le démenti, le drame, le suspense, après scandale et vraisemblabilisation; cette affirmation est donc, au moment de son octroi, spectaculairement rendue. La suspension - et une suspension de longue durée - l'a faite désirable. La contradiction dramatique qu'elle a eu à subir durant le temps de l'illustration a lié le lecteur émotivement à son apparition : après un si long délai, son imminence n'en finissant pas d'être insupportablement repoussée, il la lui faut. L'information romanesque, longuement obscurée, retenue avec art grâce à la sinuosité narrative, violemment contredite, personnifiée enfin, donc « vécue » de façon à entraîner le maximum de participation de la part du lecteur (l'information archétypale est non seulement positivée, mais encore rendue « sympathique »), paraît avec le prestige de ce qui ressort sain et sauf du péril : le roman met en danger (fictivement) l'information à transmettre afin de la mieux établir. Prouver l'archétype signifie donc (1) le poser, (2) le voiler, le menacer, le perdre, (3) vraisemblabiliser cette perte, (4) le retrouver vraisemblablement. Différer l'information revient donc ici à en rendre la confirmation fictive possible : plus le détour choisi est long, plus le dérangement persiste, plus la négation prend de l'ampleur, plus la signification terminale s'impose avec évidence. La communication romanesque est diversion : la voie dilatoire qu'elle emprunte lui permet de probabiliser au maximum son objet. La spécificité romanesque se situe par conséquent (1) au niveau de

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FONCTIONNEMENT D E NARRATION

l'archétype (l'archétype est une réduction (ou une manifestation) particulière du code), (2) au niveau du démenti infligé à l'archétype (le drame romanesque est personnifié, duré, scandalisé, vraisemblabilisé, énigmatisé, etc.), (3) au niveau du recouvrement de l'archétype (l'archétype, acquis intensément à la fin du livre, ressort de l'opération fondé en évidence). Le roman, afin de fonctionner comme probation, pour intéresser comme roman, produire son effet de roman, doit dérober sa démonstrativité, c'est-àdire (1) expliciter sa visée avec réserve (en appendice du texte, de préférence), (2) vraisemblabiliser la démonstration structurale accomplie: la preuve romanesque n'est persuasive et rentable que sous le masque de la représentation vraisemblabilisante (la fable doit se faire vraie pour rendre vraie l'information qu'elle prouve). Attestation: La littérature n'a pas mission pour prêcher, mais pour nous charmer par la contemplation du beau. L'art qui prêche est ennuyeux.227 NOTE :

Le roman fait « éprouver » l'archétype. Le savoir, propre au lecteur, assimilé, admis par lui, se trouve par le biais de la représentation romanesque « re-su ». L'information qu'il tire du livre n'est pas objectivement plus considérable, accrue, mais, mieux ancrée, fixée davantage et avec une évidence plus forte, elle est désormais mieux sue, et crue avec facilité, par automatisme. La représentation romanesque n'est donc pas, informativement, nulle. Le suspense (sa durée, le profilement de sa cessation, la réalisation de sa cessation sur le point d'origine) « expérimente » le sens archétypal. Le roman « aventure » l'archétype; il expose, puis récupère le sens risqué. Mais le « risque » est bien entendu feint par le drame, puisque l'information à procurer se trouve déjà faire partie de la connaissance du lecteur (das Entsetzen besteht aus Wahrnehmung ihr lieben; kennt man die Schrecken des Verstehens ?).228 Le démenti a lieu pour fonder l'archétype (dans la formulation de Foucault, qui y voit la procédure même de la « pensée moderne » - cette pensée - à spécifier : nous la dirons occidentale et bourgeoise - est donc, selon nous, d'essence romanesque - : Une tâche se donne alors à la pensée : celle de contester l'origine des choses, mais de la contester pour la fonder, en retrouvant le mode sur lequel se constitue la possibilité du temps, - cette origine sans origine ni commencement à partir de quoi tout peut prendre naissance).229 Le démenti procure le plaisir de la lecture dès lors qu'il ne constitue pas l'élimination de ce qu'il contredit, mais, au contraire et à terme, son renforcement. 227 228 229

Urbain, 1880, 207. O. Wiener, 1969, lix. Foucault, 1966a, 343.

FONCTIONNEMENT DE NARRATION

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La représentation romanesque crée ainsi une perspective sur le code : à partir du drame, le code se constate et se « démontre » de l'intérieur même du code. La déception (fictive) engendrée par le spectacle est comblée par le jeu même qui la suscite : d'où intérêt. La représentation n'a pas excédé les limites du code; le code a été vu comme en miroir « vivant », « objectivé ». La démonstration romanesque « détournée » procure l'intérêt, confirme l'archétype, augmente l'intérêt pour l'archétype, - resserre les liens qui attachent le lecteur à sa connaissance. Le contrôle du code par le livre, bien qu'imaginaire et sans information (supplémentaire) réelle, renforce celui-ci, lui prête plus d'ampleur, le « nourrit » : le doute produit par feinte étant liquidé, sa validité, « démontrée », s'observe (se ressent). Il se passe donc que l'information romanesque est augmentée au cours de sa transmission, résultat qui contredit la règle de la communication courante, linguistique ou non. On suppose en effet qu'il y a déperdition de l'information (ou au maximum équivalence et en aucun cas augmentation) durant le trajet qu'elle a à suivre du destinateur au destinataire. De sa source au point de réception, elle perd de son énergie, se dépense, s'appauvrit : Indeed we can show by general observations that phonetic language reaches the receiving apparatus with less overall information than was originally sent, or at any rate with not more than the transmission system leading to the ear can convey; and that both semantic and behavior language contain less information still',230 Les machines à information ne peuvent gagner d'information : il n'y a jamais plus d'information dans le message qui sort d'une machine que dans le message qui lui est confié.231 Si nous considérons le texte romanesque globalement comme réitération et redondance de son information de base, nous observons, là encore, que loin de correspondre à un appauvrissement de l'information réelle232 la redondance textuelle réussit à multiplier l'objet de transmission. Par contre, et la théorie de l'information est ici confirmée, le texte romanesque parfaitement redondant vérifie parfaitement l'archétype, élimine toute erreur d'interprétation sur son parcours - et existe précisément afin de procurer une lecture totale sans faute.233 230

N . Wiener, 1954, 81. Ruyer, 1968, 13. Cf. Brillouin, 1959, 258. 232 Cf. Brillouin, 1959, 27. 233 En théorie, la compréhension de l'information d'un texte est proportionnelle au taux de redondance qu'il contient. Ainsi, une transmission à redondance négligeable est-elle vulnérable au brouillage tandis que celle à forte redondance y 231

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FONCTIONNEMENT DE NARRATION

Le texte romanesque enrichit l'information qu'il porte, quoique l'archétype figure identique à son point d'entrée comme à son point de sortie. L'information n'a pas diminué durant le trajet de communication, bien au contraire : elle ressort du livre acquise et démontrée, vérifiée (le lecteur est mieux informé de l'archétype après qu'avant le déchiffrement). Le roman accroît l'information d'origine dans le courant de la mise en scène, à travers le retard mis à la transmission, grâce aux lenteurs prises : le freinage informationnel est profitable à l'archétype, sa véridicité, sa fixation se trouvent, au bout du processus, acquises. Le spectacle signifie un gain pour le lecteur : il apprend dans le livre certes ce qu'il sait déjà, mais il le découvre devenu évident et valorisé, vrai. Le roman constitue la vérification factice d'une information donnée et retrouvée indemne au terme de la narration : toutefois, de cette information il fait une vérité.

résiste-t-elle victorieusement - bien qu'évidemment sa signification pour le destinataire décroisse d'autant. Cf. Brillouin, 1959, 58.

4 PRODUCTION DE NARRATION

4.1

L'EFFET DE PROBATION ROMANESQUE

4.11

Pratique idéologique du roman

Le roman se définit par son rendement idéologique. Le texte est un service; tout converge dans le texte (chacun de ses facteurs) à permettre l'accomplissement de ce service; le service idéologique du roman est spécifique; hors cette fonction institutionnelle, le livre ne s'explique, ni se justifie. Le roman est une pratique. Le roman est une pratique idéologique. Sa valeur (« technique >, actuelle, et non pas «absolue » ou « littéraire ») est sa valeur d'usage : la place qu'occupe le livre (le processus qu'il engage) au sein de l'organisation sociale en décide. L'information qu'il porte ou engendre, sa présentation, la manipulation qu'il lui fait subir, et donc son sens, est culturellement, c'est-à-dire socialement, c'est-à-dire idéologiquement déterminée. Le livre entretient l'institution; le livre ravitaille l'institution; il sert de champ à son activité et en est l'activation même. L'intérêt romanesque est un intérêt idéologique. PROPOSITION :

RENVOIS : La lecture du roman n'est ni innocente, ni gratuite, ni libre, ni franche, ni « blanche », ni naturelle, elle n'est pas simplement « distrayante »: le texte est dans l'Histoire (1.11), le texte est couvert par l'affirmation de gratuité (3.32), réduit à l'improductivité (1.12), le texte est un rendement (1.23), le texte est une intention (3.31), le plaisir qu'il engendre provient de la probation archétypale (continue) (4.12).

La lecture du roman est un acte idéologique. La lecture est une activité prévue et dirigée par le texte. Dans la mesure où l'idéologie, émanant de la situation (violente) de classe, sert de ciment à un corps social constamment menacé de ruine et miné de l'intérieur (du fait du déséquilibre essentiel qu'il constitue), dans la

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PRODUCTION DE NARRATION

mesure où elle justifie systématiquement l'édifice et les rapports de classe existant par le biais du code et des représentations immédiates ou médiatisées (au niveau dit « culturel ») qu'elle donne, on posera que le roman, en ce qui le concerne, comme lieu d'intervention (parmi bien d'autres) de l'idéologique, sert le politique (et que le politique exploite), qu'il est, entre ses mains, un instrument de pression, d'édification, d'unification, que sa lecture (« correcte »), par suite, suppose la soumission à l'institution dirigeante. L'idéologie, en tant que transmission des principes et des catégories de classe, compose un réseau d'informations propre à garantir l'homogénéité sociale, tant à l'intérieur de la classe dirigeante que hors d'elle; elle constitue ainsi un système (linguistique ou autre) de contrôle en expansion (Social control is impossible without a signaling system [...] The influence of a group can extend only as jar as the group has\ effective channels for communication),1 par le biais duquel l'opinion commune, uniforme, créée se perpétue (The members of a group are motivated to communicate with one another in order to attain uniformity of information or of opinion within the group).2 Le système, dont le but est d'augmenter l'uniformité de l'information échangée (et donc sa fixité, voire sa nullité) afin de maintenir l'irréelle unité sociale, s'offre au sujet qui s'exprime ou qui lit comme un cadre fortement hiérarchisé, catégorique, intentionnellement dirigé, soutenu par un effort général de persuasion. Le système (« imaginaire », de classe), tout à la fois de perception, d'explication, de compréhension, de justification, suppose le texte (moyen d'acheminement du langage), a lieu dans le roman (par exemple et de façon privilégiée). La lecture romanesque est donc acte d'adhésion idéologique, connaissance prise d'une permanence (archétypale), reconnaissance faite à travers la démonstration dramatique d'une évidence (archétypale). La pratique du roman, comme écriture et comme lecture, se passe « hors conscience ». Elle dissimule au sujet sa réalité idéologique afin précisément de pouvoir être idéologiquement efficace. Le rendement du roman passe par le dérobement de la connaissance (ou de la saisie théorique) de son action textuelle réelle (c'est-à-dire idéologique). Elle est donc « mentie » et le cache est nécessaire au livre, en fait partie : le roman produit la dissimulation de sa pratique, d'où son efficience. L'idéologie dans le roman se masque comme idéologie : le roman fait passer un message idéologique voilé. Il importe justement que sa 1 2

G. A. Miller, 1951, 223, 249. G. A. Miller, 1951, 253.

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lecture ait lieu dans l'ignorance de son acte propre. Un « faux » discours naturel, vraisemblabilisant, établit l'affirmation de fond dans l'innocence. Une loquacité de surface, scénique, recouvre et camoufle l'énoncé effectif du livre. Et le rend acceptable. En tout ceci, bien entendu, le roman ne fait que se conformer au mode d'être de l'affirmation idéologique. On considère, en effet, que : (1) l'idéologie constitue un système d'informations « imaginaire » : En vérité, dit Althusser, l'idéologie a fort peu à voir avec la « conscience », à supposer que ce terme ait un sens univoque. Elle est profondément INCONSCIENTE, même lorsqu'elle se présente (comme dans la « philosophie » pré-marxiste) sous une forme réfléchie. L'idéologie est bien un système de représentations : mais ces représentations n'ont la plupart du temps rien à voir avec la « conscience » : elles sont la plupart du temps des images, parfois des concepts, mais c'est avant tout comme STRUCTURES qu'elles s'imposent à l'immense majorité des hommes, sans passer par leur « conscience ». Elles sont des objets culturels perçus-acceptés-subis, et agissent fonctionnellement sur les hommes par un processus qui leur échappe. Les hommes « vivent » leur idéologie comme le cartésien « voyait » ou ne voyait pas - s'il ne la fixait pas la lune à deux cents pas : NULLEMENT COMME UNE FORME DE CONSCIENCE, MAIS COMME UN OBJET DE LEUR « MONDE Î> - comme leur « MONDE » même [...] L'idéologie est, alors, l'expression du rapport des hommes à leur « monde », c'est-à-dire l'unité (surdéterminée) de leur rapport réel et de leur rapport imaginaire à leurs conditions d'existence réelles;3 (2) l'idéologie constitue un système d'informations « imaginaires » propre à dérober la connaissance de son identité réelle : Ce qui se passe en réalité dans l'idéologie semble donc se passer en dehors d'elle. C'est pourquoi ceux qui sont dans l'idéologie se croient par définition en dehors de l'idéologie : c'est un des effets de l'idéologie que la DÉNÉGATION pratique du caractère idéologique de l'idéologie, par l'idéologie : l'idéologie ne dit jamais « je suis idéologique ».4 En effet, l'ordre de classe, pour se confirmer, s'affermir, se « prouver », doit nécesairement passer « par-dessus » les consciences et tenir « sous lui », « dans son 3

Althusser, 1966, 239-240. Et encore Althusser, 1970, 25-26 : Toute idéologie représente, dans sa déformation nécessairement imaginaire, non pas les rapports de production existants (et les autres rapports qui en dérivent), mais avant tout le rapport (imaginaire) des individus aux rapports de production et aux rapports qui en dérivent. Dans l'idéologie est donc représenté non pas le système des rapports réels qui gouvernent l'existence des individus, mais le rapport imaginaire de ces individus aux rapports réels sous lesquels ils vivent. 4 Althusser, 1970, 32.

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effet », ces consciences « mortes » tandis qu'il les fait siennes. Le savoir donné est alors tel qu'il annule - c'est là pour lui priorité - la perception du pouvoir réel investi pour l'imposer lui-même en tant que savoir (à l'instar de toute autre activité ; (3) le roman comme système imaginaire (autovalorisé et vraisemblabilisé) d'informations idéologiques est propre à dérober la connaissance de son identité réelle.5 La fiction narrative, dans son repli, épargne au lecteur le détour « par le réel », empêche qu'il se fasse, s'y substitue. La représentation romanesque est un voile; ce voile est un profit (Niemand verbirgt nutzlos die Ursache der Wirkung auf Jemanden);6 ce voile est, par rapport au dessein idéologique sous-tendant l'œuvre, efficace : c'est grâce à l'ombre qu'il étend sur le procédé textuel que celle-ci peut s'y conformer. La probation romanesque est ainsi une opération idéologique; cette opération est essentiellement dérobée; le dérobement du statut réel du texte comme celui de sa visée effective constitue précisément, pour l'institution, le bénéfice du texte et le profit qu'elle retire de la lecture du consommateur. Le roman affirme l'affirmation archétypale profonde « du dedans sans y paraître » : la preuve qu'il en fournit est imagée, personnalisée, individualisée, incarnée (le lecteur trouve à lire une « vie ») - invisible; implicitement conduite, cette affirmation est devenue, sous le comportement, sous le « fait », imperceptible, irraisonnée : sa qualité échappe. Par opposition aux discours prédicatifs ou prédicateurs, le roman se donne (malgré l'affiche) une allure inoffensive : son information est une histoire, sa vérité découle d'une histoire, comme évidente. L'Institution le désigne activement comme une occupation improductive - et cela, contradictoirement, puisqu'elle lui reconnaît, par ailleurs, nous le verrons, un pouvoir « démoralisateur » - et c'est justement dès lors qu'une affirmation d'innocuité le couvre qu'il peut, positivement, dans le sens même de cette Institution, agir. La parole idéologique réfléchie et didactique, où, malgré son obscurité inhérente, l'information qu'elle porte est montrée, s'accompagne, au niveau culturel (du récit, du roman), d'une parole idéologique rentrée, dont le rôle consiste à produire une confirmation imperceptible du code, de l'intérieur même du code et sans paraître y concourir. Elle se 0

Zéraffa, 1971, 47 : Quand il compose son œuvre, l'écrivain s'insère nécessairement dans un système de production idéologique destiné lui-même à masquer le système concret de production, avec ses antagonismes et ses conflits. 0 Bense, 1964, 25.

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dédouble ainsi et par là se renforce : la confirmation de ses propres affirmations lui vient par le biais d'une représentation dérobée qu'ellemême orchestre. L'histoire du roman se présente - encore une fois, malgré l'affiche comme un discours idéologiquement «dégagé », « vrai », dont la norme serait l'authenticité, sorte de métaphysique à l'envers où apparemment le particulier le plus individualisé (un destin, un homme, un nom, une situation) occupe toute la place, sans cesser d'être ontologiquement déterminé (signifiant en soi, absolu, décisif, plein, pur, etc.), et se perçoit sous les catégories générales aveuglantes et exclusives du « bien », du « bon », du « beau », du « vrai » etc. pour les prouver dans leur existence. Or, bien entendu, cette inversion n'est qu'un leurre combiné par la fable qui a pour but de donner une illustration du sens originaire, de fixer celui-ci grâce au drame et de le faire retrouver ou découvrir dans un individuel authentique (et authentique parce qu'individuel), à travers sa dictée, sans contrôle de la part du lecteur et sans sa connaissance. Le roman, en tant que rendement idéologique, n'est pas simplement répétitif, mais augmentatif de son information première. Il n'offre pas la pure réitération de l'archétype, mais en fait croître l'évidence; la donnée qu'il contient ressort « vérifiée » de la manipulation qu'il lui fait subir : elle n'a pas changé de nature, mais de force (l'erreur en a été une nouvelle fois chassée); sa mise en scène, son infinie reprise, sous l'apparence novatrice, ont correspondu à l'augmentation de son taux de « vérité » (Cf. 3.44). On admet, en effet, que : (1) l'idéologie, quel que soit par ailleurs son taux d'« imaginaire », est « un système de pensée qui fonctionne et se renforce par sa répétition même » : 7 La circulation [des marchandises, mais aussi du sens] n'emprisonne pas seulement par ce qu'elle montre mais aussi par le cercle même de sa répétition régulière qui « consolide », « fixe » l'apparence et lui donne ainsi une « authenticité sociale;8 toute manifestation de l'idéologie en est aussi la « reproduction active » et correspond à un accroissement de son évidence; (2) l'idéologie s'actualise, s'accomplit, se constitue en chaque point de son champ d'existence : Toute forme idéologique, loin d'être un pur effet, est à la fois résultat et moteur du procès;9 T

Lojkine, 1969, 10. Lojkine, 1969, 15. » Lojkine, 1969, 15. 8

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(3) le roman paraît alors comme un lieu privilégié de l'activité idéologique : en tant qu'illustration itérative il en augmente déjà la portée, en tant que probation

il en multiplie

encore

l'impact.

NOTE: On pose comme règle que plus la répétition probatoire est grande, plus l'efficacité idéologique du texte est assurée. Cependant, la répétition, pour être réellement augmentative, doit combattre l'usure (et la concurrence) et donc se présenter sous une forme apparemment novatrice. Par suite, une « mauvaise » littérature (du point de vue du code) n'est qu'une répétition « usée », incapable de produire l'augmentation nécessaire, tandis qu'une « bonne » littérature (toujours selon le code) présente une répétition « neuve », par là efficace, de l'archétype. Cependant, l'innovation relative proposée par la « bonne » littérature est mesurée: elle ne peut pas contrevenir à l'habituation du lecteur (ou dans une faible proportion). Par contre, une littérature qui se libère de l'obligation de conformisation, même novatrice, se trouve évidemment, du point de vue du code et du lecteur qui s'y identifie, illisible. PROPOSITION : L'opération

idéologique

en cause a lieu à tous les niveaux

de l'intention textuelle, soit aussi bien à celui de la probation structurale (où l'idéologique est accompli comme sens) qu'à celui des matériaux (ou pièces) utilisés aux fins de probation (où l'idéologique sert à l'édification de l'unité signifiante conforme de rang supérieur). On distingue donc :10 (1) le plan de la démonstration

idéologique

structurale,

soit donc le

texte conçu comme processus totalisateur, à forme relativement fixe; (2) le plan des matériaux sur lesquels la démonstration

(ou « contenus ») idéologiques structurés s'appuie (par exemple, le revêtement du

système actantiel, l'illustration actualisée de l'archétype, du démenti, de la solution, l'univers catégoriel et les « universaux a,11 les divers détours de l'expression d'auteur, l'investissement sémique général), soit donc le « remplissage » du processus textuel, à forme relativement variable. Le texte romanesque, développement idéologique d'ensemble, est chargé (bourré) de morceaux ou fractions idéologiques variés; ainsi constitue-t-il une grille extrêmement fine à laquelle la pensée lectrice n'a guère de possibilité d'échapper. 10 On comparera ce découpage à celui préconisé par Mukarovsky, 1967, 30 : Einmal ist die Weltanschauung unmittelbar im gedanklichen Inhalt des Werks ausgesprochen, ein andermal ist sie mit dem Thema indirekt und bildlich ausgedrückt, und schliesslich kann sie in verborgener Weise in der Wahl und im Gebrauch der Ausdrucksmittel enthalten sein. L'idéologique, tel que nous l'entendons, ne se mesure pas uniquement à une « vision du monde » plus ou moins directement actualisée dans le texte, mais à la démonstration multi-dimensionnelle que celui-ci en inflige. 11 Dont un relevé figure sous 4. 22.

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Cependant, l'opération textuelle romanesque n'est consommée que si le matériau est soumis à la structuration d'ensemble, que si celle-ci se trouve investie en tout point du matériau : Un mode de production esthétique est une structure invariante invisible qui distribue des fonctions de liaison entre éléments réels de telle sorte que ces éléments puissent FONCTIONNER comme idéologiques.12 Le texte représente ainsi la surdétermination idéologique de son matériau idéologique. Loin d'être analogiquement déduit de l'affirmation idéologique primaire (hors texte, hors roman), il se caractérise, en raison de ce double investissement, comme pratique. [Cf. Vol. compl.,

TABLEAU

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On obtient les règles générales suivantes : (1) Tout agent positif fait partie de la classe dominante; (2) Tout agent négatif faisant partie de la classe dominante est éliminé comme non conforme à cette classe; (3) Tout agent négatif faisant partie de la classe dominée est éliminé comme non conforme à la classe dominante (pour atteinte à cette classe); (4) Tout agent positif faisant partie de la classe dominée accède à la classe dominante (ou alors sa positivité en tant que membre de la classe dominée a pour signe le renoncement aux attributs de la classe dominante (fortune, pouvoir, gloire) ou s'exprime dans le dévouement à cette classe (héroïsme)); On reconnaît alors que : A. Tout agent négatif est éliminé, mais alors que cette élimination signifie positivité pour la classe dominante dont il est rayé, elle n'a le même sens pour la classe dominée lorsqu'il en émane que dans la mesure où elle corespond au renoncement à la compétition avec la classe dominante; B. Tous les attributs (économiques, quoique leur qualité en tant que telle soit dérobée) de la classe dominante sont positifs : ils servent à la récompense (en tant qu'accession à la position dominante, en tant qu'amélioration de celle-ci); C. Les attributs (économiques) de la classe dominante ne sont négativés que dans le cas où ils servent à démontrer la positivité de la classe dominée en tant que renoncement à la position dominante. Le roman naturaliste, dans l'amélioration qu'il fait subir à la démonstrativité textuelle, a tendance à déclarer la positivité de la classe 12

Badiou, 1966, 88. (« Réels » : entendre « textuels »).

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dominée, tout en lui reconnaissant pour signe soit les attributs mêmes de la classe dominante, soit le renoncement à ceux-ci. Dans quelques rares cas {(79)) où la négativité de la classe dominante est montrée, la probation se trouve compensée par la démonstration parallèle de la négativité de la classe dominée. D'autre part, d'une façon générale, le roman met en évidence le « bonheur » de l'agent et ses instruments (l'amour, le mariage) comme le but primaire de sa quête; sous cette apparence, les objectifs de classe (fortune, pouvoir, gloire), présentés comme secondaires (comme appoints) bien qu'ils soient textuellement déterminants, se trouvent invisibilisés. L e roman établit ainsi que : (1) La classe dominante se purifie automatiquement de sa négativité; (2) La classe dominante est composée exclusivement d'indivualités positives; (3) La classe dominante est le lieu même de la positivité; (4) Il n'y a qu'une classe sans classes positive : la classe dominante. CONTENU D'IDÉALITÉ IDÉOLOGIQUE DÉMONTRÉ PAR LE ROMAN

PROPOSITION : Le roman, en tant que rendement idéologique, établit en « vérité », par probation, l'idéalité de son information première. Il accomplit l'archétype comme évidence en faisant reconnaître en lui la valeur même. L e code montre dans le roman qu'il est conforme, et sans restriction, intégralement, aux principes idéaux affichés fictivement pour siens. On a le schéma suivant : (1) Le roman prouve; (2) Le roman prouve l'archétype; (3) Le roman prouve la vérité de l'archétype; (4) Le roman prouve l'idéalité de l'archétype; (5) Le roman « naturalise » l'archétype : il prouve que l'état social réalise idéalement l'état « naturel » (individuel). Roman signifie dépolitisation. Ce que Barthes dit « mythe » est ici valable : LE MYTHE EST UNE PAROLE DÉPOLITISÉE [...] Le mythe est constitué par la déperdition de la qualité historique des choses : les choses perdent en lui le souvenir de leur fabrication [...] Le mythe ne nie pas les choses, sa fonction est au contraire d'en parler; simplement, il les purifie, les innocente, les fonde en nature et en éternité [...] En passant de l'histoire à la nature, le mythe fait une économie : il abolit la complexité des actes humains, leur donne la simplicité des essences,

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il supprime toute dialectique, toute remontée au delà du visible immédiat, il organise un monde sans contradictions parce que sans profondeur, un monde étalé dans l'évidence, il fonde une clarté heureuse : les choses ont l'air de signifier toutes seules.13 La manipulation structurale opère, cela a été évident, la réduction complète de la dimension politique (économique, sociale) de l'événement (du déséquilibre, du démenti, du conflit, de la solution, etc.) à l'essence : le fait romanesque, le pouvoir détenu (ou obtenu) par l'agent (ou son absence) paraît toujours découler du personnage mis en scène, résulter naturellement de sa nature, de son « être », de son « mérite ». Ce refoulement systématique est soutenu, au niveau d'intention explicite du texte, par la parole d'auteur (ou critique). On distingue les positions enchevêtrées suivantes : A. Position traditionnelle de base : le politique n'est pas à sa place dans le roman. Le politique est nié afin de préserver le mécanisme dépolisateur/politisant du texte : La politique et le roman n'ont jamais fait bon ménage : l'une vit de chose positives, l'autre de fictions.14 La Politique est une vilaine Muse. Ceux qui cherchent en elle leurs inspirations ne peuvent faire que des œuvres ratatinées, ennuyeuses et moroses,15 B. Position réactionnaire : le politique déborde du cadre étroit qui lui est assigné (de mauvais gré)16 et s'étend malencontreusement au roman. Le politique est répudié afin de préserver la dépolitisation politisante (conforme) du texte, qui ne s'avoue pas : L'HISTOIRE DES ROUGON MACQUART nous amène à constater une chose bien triste : c'est qu'aujourd'hui, la politique (et quelle politique !) envahit tout, même le roman. Aussi, le roman politique sera-t-il toujours œuvre défectueuse et ne formera-t-il jamais œuvre d'art parfaite; car il lui manque la sérénité, la sincérité, le naturel. Le roman politique, tel qu'on le comprend, s'excite par des haines de commande et des pré"

Barthes, 1957, 251, 252. Berthet, 1878, 66. 15 Polybiblion, tome 14, 1875, 23. Stendhal, 1954, 389 posait déjà, s'excusant d'y contrevenir : La politique dans une œuvre littéraire, c'est un coup de pistolet au milieu d'un concert, quelque chose de grossier et auquel pourtant il n'est pas possible de refuser son attention. 18 Phénomène général enregistré de tous les points de vue, par exemple dans Petit Journal, Mardi 6 février 1872 : La politique envahit tout; il n'est pas d'institution humaine qui échappe à son atteinte et, comme l'Argus aux cent yeux de la fable, elle pénètre de son regard indiscret les plus mystérieux replis, les ombres les plus insondables. 14

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vendons sans critique. Au fond, vraie ou fausse, juste ou injuste, ce ne sera jamais que la satire.17 La politique est en train de fausser toutes choses. Jusqu'ici, le roman s'était généralement préservé des atteintes de ce hideux phylloxéra; le roman ne sortait pas de son triple domaine : l'art, l'histoire et l'imagination. Depuis 1870, les romanciers en vogue croient devoir sacrifier aux passions et aux préoccupations du jour.18 L'amour était, à votre choix, le dieu, le roi ou le président du roman d'autrefois et du roman d'hier. Il l'animait de son souffle, il l'échauffait de ses ardeurs [...] il le peuplait de ses chimères, il l'ensorcelait de sa magie. A présent, la Muse du roman démocratique et révolutionnaire, ce sera la haine, la haine implacable, enfiévrée, satanique, contre tout ce qui représente un droit, une loi, un frein, un culte, un lien; la haine de la foule contre l'élite, du miasme contre l'air pur, du bas-fond contre le sommet, de la boue contre le balai, de la quantité contre la qualité.1" C. Position progressiste : le politique est à sa place dans le roman; il s'y affiche à bon droit; il s'y installe avec nécessité. Le politique est affirmé afin de préserver une dépolitisation politisante (novatrice, mais conforme) du texte, qui ne s'avoue pas : J'affirme [...] que le naturalisme est une littérature républicaine, si l'on considère la République comme le gouvernement humain par excellence, basé sur l'enquête universelle, déterminé par la majorité des faits, répondant en un mot aux besoins observés et analysés d'une nation. Toute la science positive de notre siècle est là.20 Ces diverses positions, qu'on peut considérer comme autant de variantes d'une programmatique unique, ont ceci de commun qu'elles limitent le champ d'existence du politique (dénié ou affirmé, peu importe, et toujours entendu au sens étroit) aux simples niveaux explicite ou patent du texte. On suppose que la mise en évidence de l'intention (politique - ou autre, d'ailleurs) gâte le projet romanesque, qu'elle le contredit en tant qu'elle constitue un désaveu plus ou moins vif de celle-là que l'Institution, secrètement ou non, habilite, d'une part; d'autre part, on présume que la thématisation politique du livre correspond à sa politisation réelle (ainsi, l'agent du roman naturaliste se

17 18 19 20

Polybiblion, Polybiblion, Pontmartin, Zola, 1880,

tome 19, 1877, 11-12. tome 28, 1880, 5-6. 1877, 133. 401.

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borne à « faire de la politique », son aventure ne tire du conflit social évoqué qui l'encadre qu'un surcroît d'efficacité dramatique, etc.). Par conséquent, la dénégation (l'afBmation) de ce politique « restreint » au niveau explicite sert à assurer son refoulement au niveau profond de l'opération textuelle : la dépolitisation qui s'y trouve effectivement jouée, démentie en surface, est dans tous les cas couverte, poursuit sans entrave son œuvre. Le politique demeure en tant que dépolitisation politisante réelle le constant refoulé du roman. Roman signifie « déshistorisation », dévalorisation active de l'explication historique. Le roman, présenté comme narration fidèle, complète (suffisante) et concluante d'événements du passé, déconsidère par avance, déjoue de par son développement même tout discours d'appréhension des causes qui ne lui est pas analogue (c'est-à-dire tout discours non idéologique); le roman, comme opération de recouvrement dramatique du sens archétypal, invalide tout processus explicatif qui ne fait pas parcourir le même cercle, condamne «dans l'œuf» toute intervention de la théorie. Posant en principe et démontrant par l'exemple la validité de la compréhension ontologique des phénomènes dont il prétend mettre au jour et démontrer lui-même (« révéler ») la causalité et le sens, le roman, narration exacte et véridique, supprime (en fiction) la possibilité de leur prise dialectique. Le récit-mime, sous couvert d'un soi-disant investissement de lecture objective historique, propose en fait le spectaculaire refoulement de celle-ci. H constitue ainsi la dévalorisation de cela même qu'il passe pour être. L'Histoire, en tant qu'enchaînement (signifiant ou non) de faits et de phénomènes objectifs et en tant que description scientifique de ceux-ci, est donc évincée, gommée par la représentation (ou la caricature) qu'en fournit la fable. De la fiction découle alors l'absence d'Histoire visée. NOTE: De ce point de vue, le roman répond parfaitement à la définition traditionnelle de l'Histoire, qui, elle aussi, fonctionne sur l'évacuation du général, de l'ordinaire, de l'économique, etc. au profit de l'individuel, de l'exceptionnel, du spirituel, etc., tout en garantissant « par l'essence » la vérité et l'exemplarité de ces dernières valeurs: 1 8 6 2 : QU'EST-CE QUE L'HISTOIRE? C'est le récit des événements les plus considérables qui ont eu lieu dans tous les temps et dans tous les pays,21 Et Braudel, 1969, 22, 23 commentant la même stratégie d'écriture: Notez que cette histoire-récit a toujours la prétention de dire « les choses comme elles se sont réellement passées » [...] Pour elle, la vie des hommes est dominée par des accidents dramatiques ; par le jeu des êtres exceptionnels qui y surgissent, maîtres souvent de leur destin et plus encore du nôtre. Et, lorsqu'elle parle d'« histoire générale », c'est finalement à l'entrecroisement de 21 Melcy, 1869, 69.

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ces destins exceptionnels qu'elle pense, car il faut bien que chaque héros compte avec un autre héros. A ce niveau, Histoire romanesque (qui se fait roman) et roman « historique » (qui, vraisemblabilisé, se fait Histoire) ne se distingue théoriquement pas. OBJECTION: Le récit «scientifique», «objectif», non romanesque, de l'Histoire ne s'imagine pas: L'histoire se fausse au moment même où elle se fait, disait Balzac. 22 Le récit d'Histoire tout comme le roman suppose, en effet, nécessairement causalité, ordonnance, finalité de ses éléments, dramatisation; lui aussi est invention d'une cohérence, lui aussi procède à la vidange du hasard et de l'arbitraire, lui aussi est composition et justification immanente du sens composé: Erst dass aus einem Ereignis ein anderes Ereignis hervorgeht, dass es einen Zusammenhang erkennen lässt, gibt ja die Berechtigung oder den Sinn, dieses Ereignis überhaupt darzustellen.23 Et l'historien: L'histoire doit rester un récit. Elle a commencé par là, c'est sa nature propre, elle la gardera toujours. Par là, elle demeurera aussi une œuvre littéraire et artistique.24 Le roman, par suite, ne constitue qu'un pis-aller: il faut bien conter, toute exploration des causes et toute restitution (ou élaboration) du sens passe par le romanesque, il n'y a que le roman pour conter, on fait du roman dès qu'on conte, etc. RÉFUTATION: On prendra soin de distinguer entre (1) récit de fiction et (2) récit scientifique. Le récit de fiction se réduit à la démonstration de son ordre archétypal: l'histoire agencée n'est que la mise en scène nécessaire au démenti démonstrateur a contrario du sens à retrouver. Un tel récit se compose précisément en vue de reproduire l'information d'origine (pour la fonder en évidence). Il ne parvient à ses fins qu'en jouant des différentes instances de l'intention textuelle: le projet de reproduction qui l'anime est alors dissimulé. Un tel récit, malgré les perturbations, est linéaire, unidimensionnel. En outre, dans le système explicatif qu'il illustre, le rapport cause/effet se trouve inversé: l'individualité joue le rôle de la classe, la pensée celui du travail, l'essence celui de l'économique, etc. Le récit scientifique, par contre, s'il se voue bien à la constitution du sens, n'en accomplit pas la démonstration par le biais dramatique; ce sens, qui n'a pas la valeur d'un archétype et qui donc n'est pas donné et imposé dès avant sa démonstration, se dégage et s'obtient, se produit, durant le procès dénonciation. Le texte alors ne joue théoriquement que sur un seul plan d'intention, sans dérober au lecteur ni sa visée, ni son procédé; la lecture est contrôle de la démonstration et non plus soumission au spectacle démonstratif. Un tel récit, malgré son homogénéité, n'est pas linéaire, mais multidimensionnel, « sériel » (Braudel). En outre, dans le système explicatif qu'il illustre, le rapport cause/ effet se trouve rétabli. Le texte productif se distingue ainsi du texte reproductif, le premier libère du 22 Balzac, 1962, 44. 23 K. Stierle dans Die nicht mehr schönen Künste, 1968. 573. Cf. dans le même ouvrage une discussion à ce sujet, avec les conclusions de H.-R. Jauss (p. 560-57S). 21 G. Lefebvre, 1971, 322. Pour le même auteur, l'Histoire n'a pas à prétendre au titre de science : ses constantes ne sont pas des lois, elle n'a pas affaire à autre chose qu'un « complexe de causes possibles ». Braudel, 1969, 50, 109 confirme : L'historien est volontiers metteur en scène [...] Il lui faut choisir, tronquer, reconstruire, doser, accepter les contradictions et presque les rechercher.

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second, dénonce la fiction actuelle, découvre son office (idéologique); quant à lui, il est connaissance: récit n'est plus qu'à peine un titre qui lui revient. Roman signifie naturalisation, constitution du sujet comme origine du sens, lieu du vrai, champ de l'authentique. (Ceci correspond à l'inversion du rapport cause/effet que nous venons de désigner comme mode d'être de la fiction). Le roman réduit la réalité à l'enjeu de personnes, ramène tout problème, toute solution à l'intervention de personnes. La société est pour lui expression de l'individu (elle émane d'un « suffrage universel »); elle correspond et s'applique à correspondre à des natures. L'homme romanesque est l'Homme, en premier lieu et fondamentalement Etre. Roman signifie idéalisation, constitution en idéalité du discours idéologique originaire exigeant démonstration, supposé démontré. La narration qui le nantit d'évidence s'accompagne encore de valorisation : le roman sublimise le code, ou du moins vient en renfort d'une qualité que par nature il possède, surenchérit sur l'idéal que par lui-même il constitue nécessairement. Le code paraît donc au vu du spectacle offert imperfectible et parfait, solution à la fois unique, définitive et nécessaire. H est, d'après le roman, un modèle dont l'au-delà ne s'imagine pas. Suite à ce traitement, la « réalité », à laquelle le code est démontré correspondre, s'établit telle quelle et en fiction comme état d'excellence. Roman signifie « fictionnisation », constitution de la fable en vérité, constitution de la réalité en fiction. Le roman fait que la fable soit. Le roman apprend à lire le roman, la solution qu'il apporte et démontre comme la solution réelle, objective, autrement dit, à trouver pour vraie l'explication idéologique. Le réel alors recouvert par le tissu romanesque ne se reconnaît plus qu'à travers le code, sous l'espèce idéologique inaperçue, que « roman ». L'histoire démontrée par le biais dramatique, vue à travers son crible, passe Histoire; sa vraisemblance gomme le réel ou se substitue à d'autres grilles d'appréhension plus adéquates, scientifiques. L'historicité (prétendue) de la fiction fait croire à la Activité (prétendue, trouvée vraie) de l'Histoire (l'Histoire n'est pas tant contredite qu'inversée par la fiction pour être lue dans son ordre à elle). Roman signifie « idéologisation », constitution d'une fable spécifique en vérité spécifique. Le roman fait qu'il n'y a de réel, de perceptible, que cette fiction-là qu'il montre et démontre. Il n'existe que la fiction dont je dote dit le roman, que ma propre vérité. Il existe pour Histoire que la fable que je suis (la fable passe Histoire dans la mesure même (et dans le temps même) où elle fictionnise l'Histoire). Ou encore : la fiction historise la fiction idéologique vraisemblabilisée par son entremise. Le

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roman est le code; le code est le roman; le roman est la preuve de l'excellence du code, s'administre à lui-même la démonstration de sa propre excellence ou justesse. La fiction est selon le roman la seule Histoire possible. Le roman, vraisemblabilisation du code, moyen de transmission de la vérité du code, fait hériter du code en vérité. Roman signifie unification des sujets du code, constitution des lecteurs en sujets du code, établissement de l'unicité, de la clarté, de la permanence ou éternité du sens (profond, vrai, naturel) idéologique démontré à cette fin. Le roman unifie,25 vérifie le sens unique du code :26 le sens unique archétypal devenu évident après manipulation romanesque est le bon sens. Le roman instruit de la clarté du sens (du code), soit donc de son univocité, de sa netteté, de sa stabilité : la transparence feinte de la fable (à travers l'obstacle) est prise pour la transparence du réel (à travers le roman). Et encore : le code est clair, il se définit par son adéquation au réel, il n'y a pour clarté que la clarté permanente du code. Le roman installe ainsi le sujet dans le mythe du sens fixe, vrai, ultime, accroché essentiellement aux choses et donc, de ce fait, dans le mythe de l'éternité du sens actuel de classe. Roman signifie « divinisation » du code, constitution de son intouchabilité. L'origine ne se dément dans le texte que pour s'imposer à demeure, invulnérablement, comme destination (destinée) du processus (du monde) : l'archétype fonctionne comme la finalité du texte, de la même manière et par suite, la pensée de classe et son cercle représente celle-là même du sujet (l'idéal lieu de sa coïncidence avec lui-même, de son expression absolue, etc.). Le roman établit la « divinité » de l'archétype : le code est « Dieu même » - inaltérable, omniprésent, omnipotent, éternel (« Dieu » est le nom porté/projeté par le code afin d'accréditer l'idée de sa propre longévité). Roman signifie foi, constitution de la crédulité du sujet du texte à l'égard du code vérifié sous ses yeux. Le roman fait accroire à la vérité idéologique comme à un dogme, « révélation accomplie ». Le roman prouve le Bien, que le code est le Bien (« en soi »), que croire à la réalité de ce code comme Bien est le Bien même. La pensée archétypale réussit donc ce miracle de se démontrer elle-même sans passer par la connaissance du sujet (qu'elle se donne comme sujet ce faisant, en lui dérobant la perception de la pétition de principe qu'elle suppose). 25

Haddad, 1970, 92, 95 : la littérature est lieu d'une production particulière : celle du tégument clos externe, DE LA PEAU, limite et garantie de l'unité, sa fonction essentielle est d'unifier l'antagoniste et l'hétérogène. 28 Veuillot, 1867, 289 : La -vérité est une, elle repose sur des fondements immuables comme elle-même.

PRODUCTION DE

313

NARRATION

Autrement dit, le roman produit la foi dans la vérité du champ « naturel » du sujet sans le faire sortir ou excéder un seul instant de ce champ. PARALLÈLE: Le roman c o m m e roman ne peut prouver le mal, vérifier la négativité: Bouvard et Pécuchet frôle l'encyclopédisme, Les Chants de Maldoror échappe à la dramaturgie par la caricature et l'enflure, Une Saison en enfer par la démoralisation, Un Coup de dés par la compacité et l'espacement. 2 7

Le roman réalise le montage d'une foi, « trempe » la foi du sujet du texte par le spectacle de la négativité; en tant qu'il établit, grâce au démenti, la clarté, l'unicité, la permanence - donc l'évidence - du sens, le roman fixe sur un leurre et lui donne créance : l'objet auquel il s'agit de faire adhérer est ainsi démontré,28 l'accord qu'il engendre authentique et justifié. Le roman, nécessaire et suffisante probation du code,29 se dicte lui-même comme matière à certitude. La foi « montée » par le roman produit l'aveuglement du sujet du texte; le mouvement d'adhésion (ou de concordance) automatique exigé du lecteur prime sur le contenu du dogme qui en constitue la visée; l'entraînement à croire « sur parole » le texte, c'est-à-dire le code, a pour contrepartie la méconnaissance de ce qui n'y paraît pas comme réel ou vrai ou positif (au sens de l'archétype). Le roman a pour fin l'habituation idéologique du lecteur; la manipulation romanesque exerce celui-ci à voir dans « la » foi : la perspective à partir de laquelle l'observation du monde s'organise est donnée, la grille qui en règle la perception posée, le dispositif modelant l'esprit du lecteur de façon à le faire fonctionner en conformité avec le code mis en place, la disposition (l'instinct, la mémoire) propre à lui faire commettre (en toute occasion) l'acte romanesque irréfléchi d'adhésion a-critique créée.30 Le roman est une mesure d'intégration du code (une police, une assurance, une garde); il opère de l'intérieur la censure du sujet du texte, s'exerce comme pression du dedans de lui-même (naturellement vécue par lui comme liberté). Le roman, lecture « barrée », enferme dans les invisibles limites du code et dans le champ de ses idéales pro" Démonstration dans mon article Lautréamont vité. Dans : Manteia, 17 (à paraître). 28

Moles,

1956,

28 : DÉMONTRER UN FAIT,

et les problèmes

de la négati-

C'EST CONSTRUIRE UN

SENTIMENT

D'ÉVIDENCE de celui-ci chez un individu récepteur en lui communiquant un message dont les éléments forment une série d'évidences élémentaires. 20 Et condition de sa survie : Du moment qu'il y a croyance, il existe toujours, à un certain niveau au moins, une forme réelle de vérification (Sebag, 1967, 179). 30 Toute la fonction de la pensée, écrit Peirce cité dans Schafï, 1968, 231, est de produire des habitudes d'action. Par suite, le roman n'est qu'une « pensée » spécialisée, à haut rendement, susceptible d'accélérer et d'intensifier l'apprentissage du code.

314

PRODUCTION DE NARRATION

portions; il forme (ou dresse) l'esprit (arrêté à l'archétype, fixé sur l'archétype comme sur son horizon, sa naturelle « patrie ») de façon à ce qu'il soit propre à se conformer à la clôture qu'exige le code de classe, apte à la sécréter et décréter « de lui-même ». Le livre fait donc penser sans limite au dedans des impalpables limites du système. Supprimant la possibilité de s'engager sur des voies non tracées à partir de l'origine, le roman, dans la prison du sens commun qu'il constitue, produit un esprit clos ouvrant sur un monde clos - fini. [Cf. Vol. compl., NOTE II] 4.12

L'Émotion

textuelle

: Il y a un plaisir à lire le roman; ce plaisir est violent (lire est une possession); ce plaisir est un produit du texte (et non du réfèrent) : le texte est une action physique (lire, c'est se trouver engagé par son corps dans le processus romanesque). Le plaisir de lire le roman est celui d'entendre répéter une nouvelle fois (en expansion) la preuve idéologique qu'il accomplit SUR LE MODE QUI LUI CONVIENT, c'est-à-dire hors conscience, par connivence, émotivement. La fonction émotive du texte31 se trouve accusée, renforcée dans le roman; le roman représente de l'émotion, met en scène toute une chaîne d'actes significatifs de l'émoi, des agents confondus allant de saisissement en saisissement, s'exprimant par gestes et cris (quand ils ne sont pas stupéfaits, évanouis), se parlant sur le ton de l'emphase, de la colère, de la passion, etc.; le sentiment du destinataire est constamment tenu en éveil : le parler du roman « touche » ; pris dans ce tissu émotif le lecteur « vibre ». Le texte est interjectif, expression continue d'exclamations (ou description présentative, propre à en étaler les effets); le texte paraît, ponctué de secousses et de heurts, longue, impressionnante interjection. On convient (volontiers) qu'il existe une passion de lire (et même de « dévorer ») le livre et plus particulièrement le roman. On dit (expressions d'époque) que le lecteur est « avide », que le livre est « palpitant d'intérêt, de la première ligne à la dernière », que cet intérêt est « poignant », « ne se dément pas une minute », etc. Le texte est conçu pour une inarrêtable lecture, pour subjuguer, « prendre ». D'un bon auteur, on dira : Celui-là est un emballeur de première catégorie. Une fois qu'il vous a fourrés dans un de ses ouvrages à complications et PROPOSITION

® Jakobson, 1968, 214 : Cette fonction, « centrée sur le destinateur », « tend à donner l'impression d'une certaine émotion, vraie ou feinte ».

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à surprises, pas moyen d'en sortir avant qu'il n'ait consenti à vous en donner la clef.32 On trouvera à peine excessif l'exemple de la lectrice assidue de Ponson du Terrail faisant joncher la rue de paille afin de terminer à son aise le volume entamé.33 On assimilera l'effet du livre à une magie, la passion qu'il déclenche à une maladie : Sur ces cervelles d'ignorance [la femme du peuple, l'enfant], pour lesquelles l'EXTRAORDINAIRE des livres de cabinet de lecture est une jouissance neuve, sur ces cervelles sans défense, sans émoussement, sans critique, le roman possède une action magique. Il s'empare de la pensée de la liseuse devenue tout de suite, niaisement, la dupe de l'absurde fiction. Il la remplit, l'émotionne, l'enfièvre. (38)3i Le roman est une épidémie,35 une « faim » que la consommation, bien loin de satisfaire, développe bien au-delà de son besoin réel, hors nécessité : on le compare à l'alcool, à une drogue : le livre attache au point que le lecteur, entièrement absorbé, cesse, pendant cette lecture, d'avoir le gouvernement de lui-même, et est entraîné à la suite du puissant inventeur dans ses imaginations. Qu'on sorte de cette lecture relevé, fortifié, épuré, assurément non, et l'auteur n'y prétend pas. Mais on n'en sort pas plus mauvais, et l'on a du moins foui d'une puissante, d'une irrésistible diversion. Le hatchis n'en produit pas une plus complète.36 Cependant, la raison de l'emprise textuelle n'apparaît pas. La fiction romanesque « possède » le lecteur. Le lecteur lit afin de mettre fin à une douleur fictive entretenue par le texte, accrue par lui. L'intérêt qu'il trouve à l'histoire procède du démenti intolérable et tourmenteur qu'elle constitue, de la suspension réalisée (la cessation du démenti recule, la parution de la leçon archétypale tarde), de la dramatisation (donc de l'aggravation absolue) de l'élément de trouble : ce qui demeure su a été cause de « souffrance », devient « joie ». La reconnaissance de la pensée archétypale où conduit la narration probatoire suspensive « plaît » en raison de sa position idéologique, en raison de la signification fondamentale qu'idéologiquement elle revêt : seul un point crucial du système est susceptible d'offrir matière à drame. Le roman produit à la fois contradiction et dilatation du savoir du code; la douleur d'être « dans l'ignorance > comporte déjà la satisfac32

Éclipse, N° 351, 18 juillet 1875, 3. A propos de P. Féval, Les Cinq, 1875. Cf. Éclipse, N° 16 10 mai 1868, 2-3. Plus péremptoirement encore : La manie de la lecture est une forme de paresse pathologique (Ossip-Lourié, 1920, 175). 35 Pour un constat contemporain, cf. par exemple Livre et lecture, 1968, 28. 38 Topin, 1876, 346.

33

34

316

PRODUCTION DE NARRATION

tion d'en être issu : le plaisir de lire arrive donc quant au sens. En effet, l'auteur intéresse à l'archétype en faisant peser de suffisantes menaces sur son intégrité : le roman est un jeu à faire peur (Ne dit-on pas que la crainte est le début de la sagesse ?) En religion comme en publicité, le texte est une peur dosée et persuader le client (le croyant) suppose fomentation narrative mesurée de l'angoisse.37 L'intimidation du sens n'est évidemment pas réelle (il demeure intouchable), mais suffit pour provoquer (ou maintenir) la sujétion visée. [Cf. Vol. compl.,

NOTES

III, IV, V]

Le texte romanesque est un système rhétorique destiné à produire l'émotion du lecteur; émouvoir est sa qualité, son but (Un roman [...] est une suite de phrases écrites, destinées à représenter un spectacle émouvant; l'émotion qu'on ressent après l'avoir lu et en le lisant, est sa fin).38 Le texte romanesque fait éprouver le sens originaire à propos de l'introduction du drame, de la négativité (en agitant son spectre), à chacun des paliers soit de son développement, soit de sa liquidation. L'émotion romanesque, née de la rencontre répétée des formes prises par la suspension négative du sens, est par définition forte, intense, voire maximale : l'agent vit violemment l'événement, l'extraordinaire, le malheur, éprouve superlativement chaque étape (ou signe) de son envahissement, de sa résorption; il paraît - comme le lecteur - fournir une caisse de résonance, amplificatrice, au sens en train de s'accomplir. Le système pose que seule l'émotion forte (montrée telle) signifie : son intensité garantit son authenticité et, du même coup, la vérité de son objet. L'émotion textuelle est un « signe qui ne ment pas ». Le non sens (le sens) en jeu est montré, démontré, vérifié (fictivement) par l'émotion de l'agent (dans son geste et son cri); l'émoi du lecteur en est l'active corroboration. L'émotion romanesque fonctionne comme preuve spectaculaire du sens archétypal. L'agent vit émotivement le sens à installer comme évidence chez le lecteur. Et, en effet, on a, en théorie de l'information, que l'émotion représentée et ressentie à propos d'un objet attache et fixe à cet objet, en impose au destinateur la présence et la valeur : Eine Botschaft wird um so eher aufgenommen und akzeptiert und übt einen um so grösseren Persuasionsdruk aus, je fester und prägnanter das Vorstellungs- und Meinungsbild des Kommunikators im Bewusstsein des Kommunikanten mit emotional positiven Eigenschaften und Valen37 38

Pour une appréciation du phénomène en publicité, cf. Teigeler, 1968, 12. Hennequin, 1888, 27-28.

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317

zen assoziert ist.'M Autrement dit, l'émotion « montrée » et procurée à l'occasion de la communication de l'information (première) en fait éprouver le « poids » chez celui appelé à la faire sienne. Le texte produit l'émotion; l'émotion produit l'évidence du sens démontré par le texte. On admettra, dès lors, que plus l'émotion montrée en spectacle et provoquée par ce biais chez le lecteur est forte, plus la fixation archétypale est réussie. (Cependant, il y a différenciation catégorique de la force émotive produite). Le sens doit être absolument cru, par conséquent l'émotion déclenchée à son propos doit être maximum (multipliée, continue) afin d'engendrer l'adhésion nécessaire. L'absolutisation de l'émotion fixe absolument sur le sens absolu d'origine. L'émotion vue/ subie assure le lecteur qu'il sait l'archétype. (« Tous Bovary » : Ils ne savent que ce à propos de quoi ils ont été émus). Le lecteur croit éprouver un plaisir directement issu de l'événement représenté (de l'histoire); en fait, l'émotion provient du texte de façon à lui faire éprouver le sens originaire à acquérir. La participation émotive de l'agent au sens est donc fixatrice : elle nourrit et sert de preuve à l'acquiescement inconditionnel à obtenir de la part du lecteur. Cette émotion-spectacle sert de modèle à l'émoi du lecteur (le lecteur est ému par imitation du texte); elle l'instruit du sens, de l'existence du sens, de sa vérité; elle en constitue l'indubitable signe. Lire le roman, c'est se trouver être saturé d'émotion, c'est-à-dire être saturé de sens et vivre celui-ci sur le mode du « plus », du plein, de l'excès (posséder l'archétype est tout, ne pas le posséder égale rien). Etre ému équivaut donc à la fois à un plaisir et à un profit : le plaisir du roman est celui d'éprouver l'archétype comme le sien propre (ou son être même); le lecteur jouit dans l'émotion de sa propre conformisation à l'archétype. Le roman produit la satisfaction de la conviction qu'il fait acquérir. D'où son efficace. [Cf. Vol. compl., TABLEAU 28] 4.2 SERVICE DE CLASSE DU ROMAN

4.21

Le roman exemplaire

Toute littérature est une propagande. La propagande bourgeoise est idéaliste, elle cache son jeu, elle dis-

"

Haseloff, 1969, 159.

318

PRODUCTION DE NARRATION simule les fins qu'elle poursuit sont inavouables. (Paul Nizan)'0

en secret:

ces

fins

Roman signifie exemplarisation. Le roman prouve. Il constitue un discours parabolique, illustrati):, donne à souscrire à un sens. Raconter suppose la volonté d'enseigner, implique l'intention de dispenser une leçon, comme aussi celle de la rendre évidente. Le récit, dans le cas individuel mis en scène, offre (tacitement ou non) un modèle : il montre positivement le code à l'œuvre et fait tirer du spectacle la conclusion d'adhésion nécessaire. Le texte littéraire met en valeur l'affirmation qui le soutient : Denn die künstlerische Gestallung besteht ja gerade darin, einer Sache Wichtigkeit zu verleihen;41 L'art est pour nous ce qui rend la propagande efficace, ce qui est capable d'émouvoir les hommes dans le sens même que nous souhaitons,42 Le roman correspond à un accroissement du rendement du texte : l'information ressort multipliée du processus dramatique. La probation romanesque, non prédicatrice, suppose le biais parabolique : l'exemple fournit, étaie et confirme l'information de base sur le mode de l'allusion; la comparaison, cas à cas, texte à texte, des « biographies » élaborées par le roman certifie allégoriquement leur sens (unique). Une narration qui paraît s'attacher au pur « rendu » d'une histoire accomplit ce faisant la « vérité » du message (ou système de messages) qu'elle délivre : réaffirmé en fiction, celui-ci se trouve à la fin du processus textuel plus « vrai » qu'au début. La parabole (romanesque) est persuasive : elle semble faire état du fait probant qu'elle constitue elle-même afin de faire admettre l'information qui la fonde; le sens est donné pour ressortir, non de l'intention narrative, mais des « faits ». L'exemple du roman fait connaître l'archétype; sa force vient de ce qu'il offre en bloc cette « connaissance » et son invérifiable vérification. Pris dans le système de l'exemplarisation continue (dans le texte tout y tend, chaque texte lu fait de même et assure du suivant), le lecteur « voit » le sens. Le sens lui est imposé comme un spectacle que rien ne dément (hormis le drame, nécessaire à sa résolution). L'affirmation romanesque ne se trouve qu'illustrée (avec persistance), mais s'enregistre comme certitude. L'intention textuelle réelle (idéologique), mieux que PROPOSITION :

a 12

Nizan, 1971, 34. Brecht, 1956, 89. Nizan, 1971, 34.

PRODUCTION DE NARRATION

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simplement dictée ou énoncée, est ainsi « mise en histoire », représentée, par là s'accrédite. RAPPEL: Le récit dès l'origine paraît être lié à la prédication, servir à la probation exemplaire du sens. Sans remonter aux plus anciens monuments latins (dès la fin du 6e siècle, Vexemplum soutient l'œuvre d'évangélisation), 43 on relèvera, dans l'aire française, de 1371-1372, cette même intention: Je leur feroye un livret pour APRENDRE À ROUMANCER,44 afin que elles peussent aprendre et estudier, et veoir et le bien et le mal qui passé est.4,5 Par rapport à la « nouvelle », directement rattachée au prêche, on considérera que le roman représente le développement (plus tardif) du système de la probation narrative, une « amélioration » de la vraisemblabilisation de l'information offerte, par un plus grand détour, grâce à une suspension plus « savante », plus périlleuse aussi.

Le roman est l'école ou la continuation de l'apprentissage scolaire du code de classe. Le roman instruit. Malgré la condamnation portée à son encontre par l'Institution (ou son dénigrement plus ou moins latent, toujours sensible), il participe activement à la constitution de l'esprit de classe. On admet que : (1) l'école, comme redoublement et développement de l'appareil familial, initie au code de classe et veille à sa propagation. Dans la socitété de classe, le système scolaire dépend étroitement de la classe dominante et sert au renforcement de la position de celle-ci : Tout rapport d'« hégémonie » est nécessairement un rapport pédagogique.46 L'école dispense ainsi par vocation ce que ses maîtres appellent la « bonne » parole, le « bon » français, « le » vrai, « le » bien : elle est conservatrice : 1861 : L'ignorance est avant tout l'incapacité de discerner le bien et le mal, le vrai et le faux, l'utile et le nuisible [...] L'éducation n'est pas autre chose que le maintien et l'amélioration de l'ordre et du progrès dans l'exercice des facultés intellectuelles, morales, et de la vie de relation.*1 1865 : Le ravage croissant des paroles pervertissantes et corruptrices montre mieux que jamais, même aux plus inattentifs, la nécessité souveraine de propager et d'accroître l'action de la parole salutaire et PROPOSITION :

43

Cf. Pabst, 1967, 274. C'est-à-dire, selon Pabst, 1967, 166-167, a) « von der Sprache her denken lernen », b) « das Lesen ». 45 Le livre du Chevalier de la Tour [Landry] pour l'enseignement de ses filles cité dans Pabst, 1967, 166. 46 Gramsci, 1959, 49. Et Prost, 1968, 333-334 : S'il structure les classes sociales le système éducatif s"efforce aussi de les faire admettre dans leur hiérarchie. " Robin, 1877, xxiv (« Mot du procureur général Renouard »), xu. 44

320

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conservatrice [...] Cette parole qui porte en elle la flétrissure ou la beauté, la stérilité ou la fécondité, la vie ou la mort peut-être, oh ! je vous en prie, épurez-la, sanctifiez-la au contact de toutes les saintes choses, avant de la laisser toucher à ces belles fleurs de la vie [c'està-dire aux enfants]. Que cette parole de votre sacerdoce paternel ou maternel soit saintement austère; qu'elle soit angélique, sacrée, céleste, divinement pure comme la parole de Dieu sur les lèvres du prêtre.48 1868 : Ne soyez pas méfiants de vos supérieurs, uniquement parce qu'ils sont vos supérieurs, lorsqu'ils vous administrent avec fermeté, sagesse et justice; ni des riches, uniquement parce qu'ils sont riches, lorsqu'ils vous aiment, vous consolent et vous soulagent. || Habituezvous à parler correctement français et à vous communiquer, les uns aux autres, vos sentiments et vos idées en langage pur et intelligible,49 1876 : Le soldat et l'instituteur ont une mission analogue; si le premier nous préserve contre l'ennemi du dehors, celui qui dévaste les champs et brûle les villes, le second nous débarrasse de l'ennemi du dedans, de celui qui, s'il n'était expulsé, ne ferait de toutes nos facultés qu'une ruine : ils sont tous deux libérateurs.50 1879 : L'État s'occupe de l'éducation pour y maintenir une certaine morale d'État, certaines doctrines d'État qui importent à sa conservation.51 Cet enseignement purifié/purifiant, réduit à la correction du code, se trouve, bien entendu, couvert idéologiquement par la prétention à l'universalité et à la permanence: on dit sa valeur « éternelle », « évidente » (La vraie morale, la grande morale, la morale éternelle, c'est la morale éternelle, c'est la morale sans épithète. La morale, grâce à Dieu, dans notre société française, après tant de siècles de civilisation, n'a pas besoin d'être définie, la morale est plus grande quand on ne la définit pas, elle est plus grande sans épithète);52 on rapporte celle-ci à la « divinité » (Il n'y a de légitime et solide morale que celle qui s'appuie sur un fondement religieux. C'est en Dieu seul que la foi du devoir trouve logiquement son principe et sa fin, sa source et sa sanction. Elle descend du Ciel et y remonte).6* L'école est un service de classe. Sous le couvert de l'enseignement "

Félix, 1865, 3, 24-25. Cormenin cité dans Gossin, 1868, 87 (Conseils d'un instituteur 60 Bondivenne, 1876, 109. 111 Ferry cité dans Nizan, 1971, 114. ™ Ferry (Sénat, 2.7.1881) cité dans Prost, 1968, 196. B Poitou, 1858, 51. 49

aux

enfants).

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des connaissances, c'est d'abord la discipline qu'elle apprend,54 l'unité, l'uniformité, la programmation réductrice des individus.55 Ce qu'elle désigne elle-même comme « goût » et « culture », comme « savoir » aussi, correspond à une mise en ordre du réel, à son cadrage, à sa clôture. Avec le consensus qu'elle constitue ou consolide, elle accrédite l'idée de sa valeur56 et rend possible sa reconnaissance comme propriété personnelle au sujet (son « héritage », son « être ») par celui-ci. L'école transmet un lot de modèles : la « vie » des grands hommes, la « biographie » des écrivains, des « classiques », dont elle parle, sert à démontrer « par l'exemple » la validité du réseau de perception et de signification qu'elle pose. 57 Le rôle joué à cet égard par la « littérature » est considérable : la « littérature » d'école atteste, elle sert de modèle d'écriture (on en copie les meilleurs morceaux), elle offre matière à récitation (on en apprend les pages fameuses), mais c'est toujours en tant qu'elle illustre la parole de classe qu'on trouve à l'employer : 1873 : Le but est d'arriver, non à la parole vaine et banale, mais à la vraie parole, pleine et forte, à la parole, expression vive de la pensée, à la parole des grands esprits,58 1876 : En maintenant leur pensée [celle des élèves] fixée sur l'art et la littérature antiques, nous voulons qu'ils s'élèvent du sentiment de la beauté plastique à celui de la beauté idéale, je veux dire de Dieu, la dernière raison, l'idéal accompli de toute beauté.59 " Bulletin Franklin, N° 53, 1er août 1872, 2 2 7 : Est-ce donc que l'alphabet a une vertu particulière de moralisation ? Est-ce que la lettre écrite transforme le cœur en même temps qu'elle donne une habilité nouvelle à la main ? Non, certainement. Il n'y a pas là un talisman caché; mais l'enfant qui apprend à écrire, à lire, à compter, profite nécessairement, par les exigences mêmes de l'enseignement, de la surveillance de son maître; il s'habitue à l'ordre, à la discipline, à l'obéissance; il reçoit des observations, des réprimandes, des éloges, des conseils; il ne pousse pas tout seul, au hasard, sans soins, comme la plante délaissée que ne dirige jamais la main vigilante du jardinier. 05 Bourdieu, 1967, 369 : Les individus « programmés », c'est-à-dire dotés d'un programme homogène de perception, de pensée et d'action, sont le produit le plus spécifique d'un système d'enseignement. Et Gramsci, 1959, 48 : La culture, à ses différents degrés, unifie un plus ou moins grand nombre d'individus disposés en couches nombreuses, dont le contact, du point de vue de l'expression, est plus ou moins efficace, qui se comprennent entre eux dans des proportions diverses, etc. 68 Bourdieu, 1967, 378 : Tout acte de transmission culturelle implique nécessairement l'affirmation de la valeur de la culture transmise. 67 Prost, 1968, 53 : Eduquer, c'est former du dehors, à l'image d'un modèle. 58 Mgr. Dupanloup (Seconde lettre [...] sur la circulaire de M. le Ministre de l'Instruction publique relative à l'enseignement secondaire) cité dans Prost, 1968, 66. M Blanchard, 1876, 11.

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1877 : Sagesse et profondeur dans les idées, vérité et absence d'affectation dans les sentiments, ordre et régularité dans le plan, pureté de la langue, beauté du style, tels sont les mérites que les élèves découvriront sans cesse dans ces livres [c'est-à-dire les « œuvres excellentes »] dont la lecture leur sera plus profitable que toutes les leçons des rhéteurs. Qu'ils les lisent donc et les relisent et surtout n'en prennent point d'autres avant d'être à l'épreuve des productions dangereuses.60 L'école transmet, avec cette mémoire et tout le lot de patrons qui la constitue, l'impression fondamentale de liberté pour celui qui, bien que scolarisé, s'en croit le propriétaire : A l'intérieur de cet espace, la pensée peut se déployer avec le sentiment de la liberté et de l'improvisation parce que les itinéraires tout dessinés qu'elle se doit de suivre sont ceux-là mêmes qu'elle a maintes fois parcourus, au cours des apprentissages scolaires.61 Or, cette aisance qu'éprouve l'usager à se mouvoir dans le réseau du savoir accumulé, à l'intérieur de ses chaînes, selon ses injonctions, signifie, au-delà de sa propre conformisation au code, l'acquiescement total et tacite, « libre », à l'ordre imposé par la classe dominante détentrice du code. (2) le roman constitue l'instrument privilégié de « scolarisation » du code de classe. Dans la mesure où l'école, afin de remplir sa mission et délivrer l'enseignement de classe, prêche « par l'exemple », dans la mesure donc où elle entend fixer et imposer cet enseignement comme mémoire dans le sujet, c'est-à-dire en en faisant percevoir, hors conscience, l'évidence, elle a besoin du roman. L'appareil scolaire utilise le roman (ou du moins le romanesque) afin d'ancrer dans l'élève les vérités nécessaires : le roman illustre, « popularise » son discours, il le fournit en « preuves » divertissantes, excitantes, sans déclarer trop visiblement (au niveau du texte) sa soumission idéologiques : 1872 : Les romans ne sont point proscrits de nos catalogues : ils nous semblent répondre à un besoin de l'esprit humain. Sous les formes d'un délassement ils peuvent apporter un enseignement utile, et plus d'une fois, pour des lecteurs novices, ils ont frayé le chemin à des études plus sérieuses.62 1877 : Raconter, c'est plaire à l'enfant.63 Si l'école recourt à l'illustration parabolique romanesque, c'est précisément parce que celle-ci, dans le temps même où elle réussit la 60 61 62 63

Bénard, 1877, 1, 108. Bourdieu, 1967, 376. Bulletin Franklin, N ° 51, 1er Juillet 1872, 195. Bénard, 1877, 1, 335.

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démonstration de l'information à transmettre, parvient à dérober à l'usager son geste même, lui dissimule donc à la fois sa propre nature (elle est soumission à l'intention idéologique réelle) et celle du message qu'elle contient (ce message est le code). Le roman n'est pas reconnu pour ce qu'il est par le lecteur; celui-ci croit « sauter » l'édification ou ne la rencontrer qu'au seul niveau patent de l'intention et absorbe l'information du texte sans s'en apercevoir. Cette « dérobade » de la connaissance, par l'usager, du sens transmis explique la fortune du genre. Les vérités de l'école sont celles-là du roman; elles « échappent » dans les deux cas au sujet de l'enseignement, s'imposent à lui, malgré lui, dans le traître détour de la narration. NOTE: Le roman soutient l'alphabétisation de la classe ouvrière (et paysanne). La scolarisation du peuple est nécessaire (Ilfaut instruire l'Ouvrier: voilà Vidée absolue. || Il faut l'instruction obligatoire: voilà Vidée relative) ; 6 4 il s'agit là, pour la classe au pouvoir, d'un « devoir », d'une « mission », d'une « œuvre d'évangélisation» (L'instruction, c'est la religion de ceux qui n'en ont pas et qui par là s'en créent une, la plus sérieuse et la plus sûre de toutes ;65 - O frères [c'est-à-dire Ouvriers], laissez-moi vous apporter «le Livre». || Et sur votre métier suspendre un Crucifix).66 Cette instruction est présentée comme un avoir, un capital, la condition nécessaire à toute heureuse fructification ( Qui ne sait rien, n'a rien, ne peut rien, n'est rien ... Or dès qu'on sait lire, voyez-vous, on est sauvé, ou du moins peu s'en faut, de cette terrible ignorance [...] L'instruction est un trésor : savoir lire, c'est avoir la clef du trésorJ.67 Elle se conçoit comme « parole tombée de haut »,68 charitablement octroyée. Le roman collabore donc à la «sainte croisade contre l'ignorance». 69 Il est instrument de progrès, démocratique et républicain. Telle est la thèse du libéralisme triomphant. La réaction, qui a perdu le contrôle de l'Etat, mais qui demeure en position de force au niveau de l'institution culturelle, dénonce (avec un regain de vigueur depuis la défaite et après la Commune) les dangers que fait courir à l'ordre de classe existant l'instruction du peuple: 64 Jouin, 1873, 9. 66

F r e m y , 1878, 360. Jouin, 1873, 32. L'appel au « missionnarisme laïque », à 1'« union de tous dans l'instruction » est u n des plus significatifs leit motive idéologiques du moment. P a r exemple, Lermina, 1877, 141-142 : Aidons-nous les uns les autres. || Nous sommes tous des hommes, et tous nous avons mêmes droits et mêmes devoirs. || Apprenons à nous connaître. || Apprenons à être justes. || Répudions toute défiance, tout préjugé, tout parti pris. || Spectre blanc, spectre noir, spectre rouge, tout s'évanouira, tout s'effacera, quand tous, ouvriers, patrons, gouvernants, nous aurons les yeux fixés sur ce phare, qui jette à travers les sociétés futures le rayonnement de ces trois mots, devise sublime : || Humanité, Solidarité, Justice. 67 Delon, 1879, 9. 08 F o r m u l e de Lermina, 1877, 134. 09 F o r m u l e de Simon, 1863 , 375. Ouvrir une école, c'est fermer une prison, dit H u g o (cité dans Heitmann, 1970, 83). E t Zola (101) Préface : Mes personnages ne sont pas mauvais, ils ne sont qu'ignorants et gâtés par le milieu de rude besogne et de misère où ils vivent.

63

324

PRODUCTION DE NARRATION

1867: Le progrès de Vimprimerie, en universalisant l'habitude de lire, n'a pas également répandu la connaissance du vrai, le goût du beau, Vamour du bien ; il ne tourne pas à l'honneur de la presse, et moins encore, au profit de la liberté. Le sentiment de la liberté, s'il a paru s'étendre, a néanmoins singulièrement perdu de sa force.70 1873: Le travailleur lit, mais ne sait pas lire. Mieux vaut qu'il ne lise pas; supprimons l'instruction du peuple, et nous verrons cesser ses convoitises. Le peuple a besoin d'être conduit; or, la tâche de ses guides sera d'autant plus aisée que le peuple aura moins appris.'11 1873: Un bouvier robuste, ignorant la lecture et l'écriture, ne sachant que son catéchisme et le pratiquant, dressé au labourage par la simple routine, est plus respectable, moins éloigné de la vraie science, plus utile à l'État que cinq cents écrivains de la presse soi-disant littéraire.72 Cependant, même si l'on concède que le roman a contribué à la scolarisation primaire de la classe ouvrière (et paysanne), il n'en demeure pas moins vrai que (a) celle-ci n'a eu lieu que pour mettre en place le code idéologique nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie telle que l'entend la bourgeoisie (Du reste, il est facile d'observer que le plan d'instruction populaire de l'Etat se constitue, durant tout le siècle, sous la poussée du mouvement révolutionnaire, par à-coups et dans l'urgence, qu'il représente une « réponse » au trouble menaçant, à son ampleur), (b) le roman, par nature, est propre à faire passer l'esprit de l'enseignement, c'est-à-dire le code de classe, sous la lettre, sans le montrer; de là la fortune que le genre connaît. (3) le roman prolonge

l'école. Enseignement dérobé, liberté feinte,

divertissement insoupçonné par le lecteur, le roman poursuit l'œuvre scolaire. Roman et école s'épaulent l'un l'autre : pas de roman sans apprentissage scolaire (de l'ordre que nous avons dit), pas d'école sans apprentissage du roman. L'instruction (ou training de classe) suppose son complément romanesque, sa continuation (sa constante réanimation, son actualisation aussi) par le roman, les lectures et relectures, l'accumulation textuelle, l'exercice infini qu'il suppose : 1869 : Il ne suffit pas d'apprendre à lire au peuple, il faut lui faire désirer de lire, 70

Veuillot, 1867, 14. Jouin, 1873, 13. (« Thèse du découragement », dit l'auteur). 72 Laprade, 1873, 120. - On sait que la Commune, avant même que l'État bourgeois en ait terminé avec l'élaboration du système libéral d'éducation, planifie (ou du moins projette) une scolarisation publique totale, gratuite et effective (Il est temps que les masses s'instruisent, et que le prolétaire - ainsi nommé par les despotes - brise cette tunique de Nessus que l'on nomme l'ignorance (Secondigné cité dans Maillard, 1871, 217); L'enseignement doit être non seulement gratuit et obligatoire, mais complet (Blanqui cité dans Froumov, s. d., 41)) (Cf. pour un bref aperçu Ponteil, 1968, 375-377), tout en s'efforçant de prévoir la cessation de sa sujétion à l'ordre de classe : L'instruction généralisée sans le communisme, dit Blanqui cité dans Froumov, s. d., 41, et le communisme sans l'instruction généralisée sont également impossibles. 71

325

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de façon à continuer l'éducation qu'il a reçue dans l'école primaire,73 1876: Le livre n'est pas notre premier instituteur ; mais s'il n'a pas commencé notre instruction, il la continue et il l'achève, - autant qu'elle peut être jamais achevée. Une fois que nous nous sommes mis sous la direction de ce maître intellectuel, il ne nous quitte plus ; il est toujours à nos cotés, et il nous parle sans cesse. Il nous raconte le passé, il nous montre le présent, et il nous dévoile l'avenir [...]

Le

livre

est

le continuateur

de l'école

[ . . . ] LIRE EST L'EXÉCUTION D ' U N

ENGAGEMENT. - L'école a commencé notre instruction : elle doit se continuer et se compléter par la lecture. Après le maître, le livre, l'un ne se quitte que pour prendre /'autre.74

[Cf. Vol. compi.,

NOTE

VI]

PROPOSITION : Le roman

édifie la conscience

de classe du lecteur.

Le

lecteur reconnaît pour sien le code découvert évident dans le texte. La répétition infinie de cette reconnaissance engendre la « conscience » nécessaire. Que cette visée représente bien l'enjeu du roman et que cet enjeu soit socialement fondamental, c'est ce que suffirait à attester l'ampleur et la violence du débat qu'il provoque. L'intention idéologique, maîtresse du texte, est de constituer ou renforcer la cohérence de l'esprit de classe au moment même de son plus violent ébranlement (1871) : il s'agit de tenir en main la destinée de la classe ouvrière, de lui façonner

un esprit,

(1) L'idéologie

de lui imposer

présente

« sa »

la conscience

conscience.

du sujet comme

une « voix

infaillible », autonome, autorégulatrice, inaltérable, immuable, permanente, « profonde », centrale : en elle réside l'«être »; elle la présente comme le réceptable du code (inavoué en tant que code), comme l'instrument

de sa reconnaissance

et de son acceptation

intimes : en elle

réside le principe régulateur de la conformité à l'être de classe : La morale publique est celle que la conscience et la raison révèlent à tous les peuples, comme à tous les hommes, parce que tous l'ont reçue de leur divin auteur en même temps que l'existence morale contemporaine de toutes les ™ Michelet cité dans Bollème, 1969, 127 (Ce que je rêvais dans l'église d'Engelberg) pense à la modernisation des fables et des légendes. ™ Bondivenne, 1876, 9, 124, 136. (J'ai montré, ci-dessus, que le livre d'école par excellence est le roman). L'auteur dit encore : L'école, berceau du lecteur [...] Chaque lecture a son encadrement tout préparé; il lui est fourni par l'école (Bondivenne, 1876, 39, 144). Et Fremy, 1878, 7: La lecture, c'est l'étoffe dont est faite l'existence d'un peuple. Huet, 1693, 181-182, disait des "bons romans" : Ce sont des précepteurs muets, qui succedent à ceux du College, et qui apprennent aux jeunes gens, d'une methode bien plus instructive et bien plus persuasive que la leur, à parler et à vivre, et qui achèvent d'abbate la poussiere de l'école, dont ils sont encore couverts. (Pour un exemple d'analyse du rapport texte de fiction/texte de classe scolaire, cf. R. Balibar, Le Maître d'École dans l'Auteur littéraire. Dans: Manteia, 12-13 (1971)).

326

PRODUCTION DE NARRATION

sociétés, tellement que sans elle nous ne pouvons pas les comprendre, parce que nous ne saurions les comprendre sans les notions d'un Dieu vengeur et rémunérateur, du juste et de l'injuste, du vice et de la vertu; sans le respect pour les auteurs de ses jours et pour la vieillesse, sans la tendresse pour ses enfants, sans le dévouement au prince, sans l'amour de la patrie, sans toutes les vertus qu'on trouve chez tous les peuples et sans lesquelles les peuples sont condamnés à périr.75 C'est qu'elle [l'intuition] est l'acte de la conscience, la seule voix qui ne trompe jamais, qui réponde toujours clairement quand on l'interroge. C'est que la conscience est le texte immuable dont toutes les œuvres humaines ne sont que le commentaire, et auquel il faut toujours recourir [...] La conscience est le livre constamment ouvert, où tout homme peut lire, et qui ne trompe jamais,76 Elle [la conscience de l'homme] est sa lumière intérieure, qui brillera chaque jour d'un plus vif éclat [...] La conscience est critère à la manière des faits ; elle est, si je peux m'exprimer ainsi, l'expérience des faits passés à l'état de certitude ou d'habitude morale. Faits et conscience ce sont les deux modes du critère. Sanction extérieure, sanction intime.'1'7 On opposera à cet échafaudage, contradictoirement, que la conscience du sujet se définit par son être social (et non l'inverse) : Es ist nicht das Bewusstsein der Menschen, das ihr Sein, sondern umgekehrt ihr gesellschaftliches Sein, das ihr Bewusstsein bestimmt,™ que l'idéologie est précisément « conscience faite » (centrée sur soi) : L'idéologie, pour exister, doit être à un moment du procès social d'ensemble, la conscience, les normes, les mobiles de conduites des individus qui y participent,79 75

Définition du législateur (Commentaire administratif à la loi du 17/18 mai 1819 sur la presse - demeurée en vigueur pour l'essentiel jusqu'en 1881 - cité dans Heitmann, 1970, 56. 76 Seguin, 1859, 14, 181. 77 Arréat, 1884, 55, 133. Et encore Daguet, 1873, 49 : La Conscience est la voix de l'âme; elle se fait entendre au milieu de nos passions et nous l'étouffons souvent pour les suivre et nous précipiter avec elles dans l'abîme. Réciproquement, il est affirmé, comme il faut s'y attendre, que « le matérialisme est l'extinction absolue de la conscience humaine » (Félix, 1866, 19). (Même illusion jusque dans le discours du sémioticien d'aujourd'hui : Das « Bewusstsein » ist im Prinzip nicht fixierbar, sondern hat prozessualen, umgreifenden, transzendierenden Charakter (Bense, 1967a, 57)). 78 Marx, 1971, 15. Et ailleurs : Mein Verhältnis zu meiner Umgebung ist mein Bewusstsein (Marx + Engels, 1967, I, 220). 79 Contribution (Sella), 1970, 31. Et Althusser, 1970, 27 : Un individu croit en Dieu, ou au Devoir, ou à la Justice, etc. Cette croyance relève (pour tout le monde, c'est-à-dire pour tous ceux qui vivent dans une représentation idéologique de l'idéologie, qui réduit l'idéologie à des idées dotées par définition d'existence spirituelle) des idées dudit individu, donc de lui, comme sujet ayant une conscience, dans laquelle sont contenues les idées de sa croyance. Moyennant quoi, c'està-dire moyennant le dispositif « conceptuel » parfaitement idéologique ainsi mis en place, (un sujet doté d'une conscience où il forme librement ou reconnaît

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qu'elle s'affirme conscience individuelle et se fait reconnaître par celle-ci « en tant que telle », c'est-à-dire sur le mode de l'absence, précisément afin de remplir son office. (2) Le roman est l'un des lieux privilégiés de la fabrication du sujet en tant que conscience idéologique. Nous admettons que la conscience idéologique n'est autre que la totalisation des modèles qu'elle assimile (et donc des opérations que ceux-ci lui permettent). Dans la mesure alors où le roman constitue la réitération probatoire de l'archétype, dans la mesure par conséquent où il le fixe en tant qu'universalité, on le considérera non seulement comme information, intention, opération, procès, pratique, mais comme générateur de l'esprit même du lecteur. Le roman démontre et vérifie l'archétype et l'instaure (ou du moins y contribue fortement) comme la conscience même du lecteur; il lui fait acquérir ainsi le modèle de son jugement (ressenti comme personnel) et constitue ce nœud, ce centre à partir duquel rayonne sa compréhension, son intérêt. Par suite, la conscience lue - c'est-à-dire obtenue - (l'esprit ainsi que son étalon) représente pour l'idéologie le moyen de maîtriser le sujet (1) en lui assignant son individualité, sa « sujétion », comme « être », (2) en lui faisant écouter comme sa voix propre l'ordre du code, (3) en l'effrayant de la gravité de cette voix. NOTE: Il est par conséquent logique, du point de vue du système mis en place, que la conscience issue du roman constitue elle-même son critère, qu'elle soit propre «par nature» à en reconnaître «infailliblement» l'excellence et la conformité (ou non): Tenez pour certain qu'un livre est dangereux et mauvais quand il est de nature à vous rendre intéressantes et agréables des situations dont le résultat est une faiblesse ou une faute, ou quand il rend présentes à votre imagination des actions et des paroles que vous ne voudriez ni voir de vos yeux, ni entendre de vos oreilles [...] Si vous voulez bien juger du mérite d'un livre, demandez-vous à vous-même si vous aimeriez à avoir son auteur pour père ou pour directeur ;80 Une bonne ou une mauvaise lecture est aisée à reconnaître à l'impression qu'elle laisse dans l'âme. Si cette lecture éveille en nous l'amour du bien, du beau, les sentiments généreux, c'est-à-dire fondés sur l'amour des hommes et la bienveillance, la lecture est bonne. Si elle provoque, au contraire, en nous des mouvements de haine, et d'autres mauvaises passions, ou nous inspire le dégoût de notre position, elle est mauvaise ;81 Le moyen de juger les romans, de reconnaître ceux qui sont bons, est tout simple. Quand on a l'âme honnête, il ne faut lire tout bas que ceux qui peuvent être lus tout haut, par la jeune fille devant librement des idées auxquelles en découle naturellement. 80 Cassan, 1869, 101. S1 Daguet, 1873, 72.

il croit),

le comportement

(matériel)

dudit

sujet

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PRODUCTION DE NARRATION

sa mère, par la mère devant sa fille.L'autocontrôlé du roman par le roman, l'autocensure du lecteur par le lecteur se trouvent donc assurés: une voix « étrangère » est devenue la voix propre du sujet; la réalité de cette voix comme la dépendance où il vit par rapport à celle-ci désormais lui échappent. (3) Le roman est l'un des lieux privilégiés de la fabrication du sujet en tant que conscience idéologique, d'une part à l'intérieur, d'autre part et surtout hors la classe dominante dont il émane. Au sein de sa classe d'origine, le roman conformise et consolide, par la réexpérimentation incessante du code qu'il offre, l'adéquation du lecteur à son information de base. A l'extérieur et en direction de la classe ouvrière, il a fonction d'échanger idéologique (Nous, la société, nous ne faisons pas la conscience de l'Ouvrier assez forte et assez éclairée pour qu'il puisse se défendre de l'erreur [...] Oh ! je vous en supplie, préservons l'Ouvrier de tous ces poisons - imaginons lesquels - et fortifions-le par la parole publique quotidienne) : 8 3 le lecteur découvre sienne la conscience aliénée qui lui est prêtée; changée en fiction, « mélodramatique », « plaquée sur une condition réelle » qu'elle ne doit pas percevoir, 84 « sa » conscience est devenue aveugle au sujet de sa propre origine, « œil fermé » méconnaissant sa propre identité : le réel lui paraît ressortir du sujet, le sujet dont la compréhension du réel émane lui paraît en être le libre responsable, le sujet « agit en tant qu'il est agi » 85 sans perception du mouvement qui lui donne branle. Le roman est moyen de formation de la conscience de classe. La conscience ainsi créée ne distingue que du roman, ne voit plus de vrai que du roman : elle est « mise en sommeil », « empoisonnée ».sç 4.22

Universaux et

romanisation

Le roman, en tant que rendement idéologique, établit le Code en « vérité », par probation, à partir d'éléments (de catégories, de concepts) indémontrés, posés comme autant d'évidences irréductibles, appelés « universaux ». Ces éléments sont les points fl'appui de la

PROPOSITION :

82

Ulbach, 1879, 153-154. Jouin, 1873, 10, 22. " Cf. Althusser, 1966, 140. 86 Cf. Althusser, 1970, 29. 86 Kampf, 1969, 107 : Zur Vergiftung des Bewusstseins und Verrohung des Geschmacks der breiten Massen wenden die imperialistischen Kulturzerstörer die Waffe des Kitsches an. Kitsch ist Pseudokunst. Kitsch ist auch künstlerische Form mit verlogenem Inhalt. Et Nizan, 1971, 68 à propos de Fantâmas : Il ne faut plus que les ouvriers et les ouvrières lisent les livres que la bourgeoisie emplit des pires poisons qui puissent corrompre le prolétariat. 83

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réduction idéologique accomplie par le texte (ils constituent le fond de la construction archétypale). Leur qualité réelle (idéologique) étant par essence dérobée, le Code qui s'y réfère se comprend comme autorité. Le Code renferme donc à la fois les informations idéologiques objectives (l'histoire, l'événement, l'acte), les catégories « universelles » auxquelles ces informations se ramènent et l'archétype qui en représente l'articulation sous-jacente. On constate une fois encore que l'information transmise par le texte ne se réduit pas au contenu cognitif (mesurable) qu'elle comporte. Le roman prouve : il confirme 1'« universalité » actuelle du Code; le roman « réduit » : le Code est la seule vérité de la représentation; le roman soumet : il en impose l'indémontrable autorité, fait rentrer dans son empire. Le roman fixe sur des projections idéologiques, jouées comme valeurs réelles, censées représenter le mobile du comportement actantiel et donc déterminer l'allure même de l'histoire. Le roman élabore un sens de fiction à partir de l'explication « universelle » contenue dans le Code (ou qu'est le Code lui-même) : l'événement se mesure « absolument », ses raisons sont « essentielles ». Par suite, la représentation événementielle à laquelle assiste le lecteur contient le Code comme origine et finalité du sens : lui seul compose l'entière et suffisante « explication », fournit les moyens d'une infaillible « compréhension ». L'idéologie s'exprime dans 1'« universel », exerce ses pressions en tant qu'« universel », se dérobe sous l'évidence générale qu'il désigne (sans y paraître) à travers la fiction. L'esprit du lecteur est alors fixé sur des leurres, arrêté à des « principes » dont semble découler tout comportement (historique, actantiel). Les universaux, qui préexistent au livre et qui jouent leur rôle à travers la série culturelle tout entière87 - le roman ne fait que les animer et « vérifier » à son tour - , retiennent à la pensée, supposée permanente, du Code (à son explication) : le réel censément représenté paraît naturellement se conformer à la conceptualisation opérée; le texte est donné pour le rapport fidèle du sens, pur effet de lectures, qu'il institue lui-même, dont il instruit, qu'il permet d'obtenir, dans le temps même où, le justifiant, il en dérobe la source. 87

Universaux et articulation archétypale peuvent être définis comme * idéologèmes » (L'idéologème d'un texte est le foyer dans lequel la rationalité connaissante saisit la transformation DES ÉNONCÉS (auxquels le texte est irréductible) en un tout (le texte), de même que les insertions de cette totalité dans le texte historique et social (Kristeva, 1969a, 114)). Cependant, du point de vue idéologique, la fixation qu'ils représentent (et non la transformation) est le fait fondamental.

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Les catégories de fiction posées par le texte dissimulent la réalité des phénomènes qu'elles sont censées permettre d'appréhender; l'objet de narration ainsi convenablement traité ne s'offre en aucun cas à la compréhension : il n'y a à lire dans le roman que l'archétype, autrement dit que le Code en tant qu'universalité (hors dépendance et sans finalité). La fiction universelle produite par le livre paraît dès lors être ce qui se passe hors le livre comme réalité. PROCÉDURE: On se borne à relever ici les universaux les plus fondamentaux sur lesquels l'articulation archétypale du roman prend appui. On ne fait qu'en esquisser le profil, sans tenir compte des variations de genre et d'auteur. Les citations fournies représentent anonymement le texte moyen du roman de l'époque. L e roman pose « universellement » que : (1) le sens est l'amour. L'amour, selon le roman, est tout le comportement de l'agent; le comportement de l'agent se réduit à la quête amoureuse; son sentiment est son guide, son mobile; en celui-ci se résume ses raisons d'être. Le roman montre que l'agent se consacre à l'amour, que l'amour représente la plus noble et la plus nécessaire des activités : bien plus, qu'elle est la seule adéquate. Dans 1'« absence » et dépourvu d'amour, l'agent est « seul au monde », « seul pour toujours », « agitant dans le vide son incurable ennui ». L'amour « sauve » et « fait renaître à la vie » : Raoul se sentait devenir un homme nouveau. L'amour est une « révélation » absolue : Moderne Saint Paul, ébloui sur un nouveau chemin de Damas par un rayon miraculeux, ses yeux s'étaient ouverts et son cœur en même temps. (NB. Plus on s'éloigne des niveaux cultivés du roman, plus cette révélation est brutale et inopinée : Entre eux, il y avait eu l'élan subit, violent, irrésistible des éclairs d'amour qui jaillissent d'un coup de foudre de la passion). L'amour est « toute la vie » : Il se disait, il se répétait, qu'en elle était désormais toute sa vie. L'amoureux : Avant de connaître Jeanne, est-ce que j'existais ? L'amoureuse : Il était l'univers pour moi. Tout aveu soigneusement le stipule : Oh ! je vous aime ! je vous aime ! dit-il avec un complet enivrement; ma vie désormais est suspendue à la vôtre, comme mon bonheur sera intimement lié à votre amour. Vrai ou faux, mais toujours « absolu », l'amour « possède » : Cet homme nourrissait pour Aurore une passion violente et féroce, un amour de bête fauve; — C'était comme une démence, une idée fixe; - Il n'y aura plus d'effroi ni d'ennui. Il y aura une certitude, une pensée,

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une foi, une tendresse, une reconnaissance; il y aura vous aujourd'hui et toujours; - Aimer, aimer, ne parlons que d'aimer ! Il n'y a que cela que je comprenne et que je sente, le reste est un rêve ! - Je vous aime, je vous aime éperdument, je vous aime à en mourir, et j'en meurs; L'amour est au-dessus de toutes les lois humaines, il est tout, il peut tout créer et tout détruire. Sois à moi, et que tout l'univers s'écroule autour de nous ! (2) le sens n'est pas l'argent. L'argent, selon le roman, se mérite; il se perd ou s'acquiert, est accordé en récompense ou retiré par punition en vertu de 1'« essence », l'argent fonctionne comme le signe (fondamentalement vérace, bien que le drame joue précisément sur le démenti de cette véracité) de la qualité de l'agent. Conçu comme fortune (don, dot, héritage) et non comme capital, - tout bonheur romanesque s'accompagne d'un gain économique, sanction accidentelle, providentielle, dont l'auteur dérobe la réalité (le roman découvre volontiers 1'« épouvantable misère des riches » (A. Daudet)) - l'argent résulte de la qualité individuelle de l'agent : il est le fruit nécessaire de l'amour (quand il est « vrai »), du travail (quand il est « patient »). (Le raisonnement est le suivant : « le travail est une loi de la nature », « l'outil du travailleur est un capital », « le capital et le travail se confondent », « le travail produit nécessairement le capital comme le capital est le produit nécessaire du travail »). L'argent garantit l'être (bon) dans son être (il est refusé au personnage non conforme) et démontre ainsi sa positivité : Aussitôt que la fortune vous est venue, dit le prince à Bégourde [qui est le « socialiste » du roman], les aspirations et les instincts de bonne compagnie qui se trouvaient chez vous à l'état latent et que vous ne soupçonniez même pas se sont éveillés. Bien plus, puisque le signe est vrai, puisque l'être est couvert par son signe, celui-ci a pour qualité l'argent (l'argent constitue l'être de l'individu, l'individu n'a pas d'autre individualité que l'argent). Dans la lecture de Marx : Was durch das GELD für mich ist, was ich zahlen, d. h., was das Geld kaufen kann, das BIN ICH, der Besitzer des Geldes selbst. So gross die Kraft des Geldes, so gross ist meine Kraft. Die Eigenschaften des Geldes sind meine - seines Besitzers - Eigenschaften und Wesenkräfte. Das, was ich BIN und VERMAG, ist also keineswegs durch meine Individualität bestimmt.88 Par suite, l'argent qui adhère à son propriétaire et qui en est la valeur ne se vole ni ne s'usurpe : il représente l'inaliénable essence de celui-ci (le méchant rend, rembourse, perd, le bon recouvre, reçoit, 88

Marx, 1970a, 223.

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gagne). Il est, de ce point de vue, significatif que le roman considère comme « cynisme » la reconnaissance avouée de cette force (Les millions, c'est la science infuse) ou la porte à l'actif d'une dégénérescence d'époque (Nous vivons dans un temps où le dieu Lingot est le seul qui ne rencontre point d'incrédules, et où l'unique souverain que l'on ne songe pas à détrôner s'appelle Sa Majesté l'Argent) : 1'« esprit réel des choses j>89 se trouve ainsi idéologiquement nié. (3) l'honneur est le « sens » du système que possède l'agent. L'honneur, selon le roman, signifie la reconnaissance intime, tacite, du Code par le sujet conforme. « Avoir de l'honneur », c'est avoir l'esprit du système et s'y régler. « Avoir le sens de l'honneur », c'est admettre sa propre sujétion au système tout en justifiant « dans l'absolu » son comportement individuel; des règles « naturelles », « universelles > paraissent alors commander l'acte et pousser au refus de la transgression de la norme idéologique posée. Adéquation parfaite du sujet au Code et pratique idéale du Code proposé comme modèle sont réputées « honneur » : tout comportement dépend d'une règle « éternelle » pour se réduire, mythiquement, à son respect ou à son irrespect. On postule donc que l'événement, l'acte « reçoit » le sens « par en-haut », « a priori », « en raison des principes ». Le comportement selon 1'« honneur » s'appelle « noblesse »; l'agent possède alors la « dignité » : il représente le Code, le Code se mire en lui dans sa pureté. Cette « identité » force le respect et s'admire dans le roman : Ceux qui sont fiers d'eux-mêmes, qui se respectent et qu'on respecte, n'ont pas besoin d'autre récompense. Et en effet ils représentent la satisfaction qu'éprouve le système à son propre aspect. L'honneur accompagne un avoir; il est le sentiment d'un bien et l'obligation idéale faite au propriétaire de se conduire en fonction de ce bien (c'est-à-dire « honnêtement ») : l'ouvrier, lui, n'a pas d'honneur. Il est donc signe de l'appartenance à la classe dominante, que l'agent honorable/honoré incarne - celui-ci étant tabou à l'instar de son bien (une atteinte à l'honneur est une atteinte à l'être).90 Il est, par conséquent, logique que la perte de l'honneur se représente dans le roman en termes économiques (ruine, faillite, vol, fraude, etc.) et débouche sur la mort. (4) l'ordre est le sens du système. Le système est un ordre (il se dicte), est l'ordre (il suppose sa permanence, son unicité). Le compor89 K

Marx, 1970a, 223. Cf. Ch. Enzensberger, 1968, 56.

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tement de l'agent se réduit au respect (à l'irrespect) de l'ordre « absolu », représenté comme sens archétypal par le roman : que celui-ci y participe ou qu'il se rebelle (par désobéissance), il en reconnaît 1'« universalité ». Il n'existe pas, selon le roman, d'autre positivité que l'ordre originaire, pas d'autre perspective que la soumission à sa loi : l'ordre conforme est sans alternative, il ne se transgresse réellement pas (le remords habite le criminel, le criminel sans remords est éliminé, le rebelle positif représente lui-même les valeurs de l'ordre (il est le justicier)). L'ordre archétypal est un ordre de classe; il signifie la domination de classe et représente son idéalisation : Entre la pomme plébéienne et l'aristocratique ananas, n'hésite point ! L'ordre garantit un avoir - et un avoir « juste » et « mérité » - : il est la reconnaisance des lois qui l'authentifient et le protègent (en règlent la pérennité). L'ordre archétypal est providentiel : le roman le garantit dans sa justice; il est fatal : le roman l'impose dans son irrémédiabilité (l'ordre ne cesse pas, l'ordre ne change pas, on ne se dérobe pas à l'universel). Par conséquent, la vie de l'agent est un destin, c'est-à-dire une trajectoire réglée selon l'ordre (avec accession ou chute nécessaires) : son sens lui vient du rapport qu'elle entretient avec celui-ci. Plus nettement encore, la reconnaissance de l'ordre représente le seul sens possible pour chaque vie : il n'y a pas d'autre sens que l'ordre du système. Roman signifie donc bien idéologisation, c'est-à-dire affirmation idéale et confirmation contenue du Code propres à en dérober le statut réel, et romanisation, c'est-à-dire probation dramatique de son pouvoir et de son universalité. Le roman accomplit la reconnaissance du Code comme lecture du texte; le roman produit la seule lecture à laquelle il donne lieu comme acquiescement à l'autorité du Code. Le sens universel établi par le roman est présenté comme modèle. L e roman désigne l'adhésion au Code universel comme règle optimum (« idéal ») du comportement. Le Code universel est constitué par le roman en modèle : les conduites qu'il inspire sont absolues, ceux qui l'incarnent héroïques. L e roman instaure comme modèle (supérieur, intouchable, « saint ») le sens idéal censé être réel et être réellement propriété de la classe dominante. En effet, le texte découvre au lecteur qu'il existe un modèle, que le Code est ce modèle, que des conduites supérieures le réalisent, qu'il s'accomplit hiérarchiquement (le modèle est « en haut >), que son existence est liée à la position dominante de la classe au pouvoir. Le modèle est le sens (idéal, absolu, définitif) et sa source est « sacrée »

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(il découle d'une « sagesse ») comme l'ordre de classe lui-même, supposé permanent, universel - et parfait. Le roman tourne le lecteur vers l'autorité du modèle et lui fait reconnaître dans les traits idéologique de la classe dominante projetés comme exemple ses propres traits : le lecteur lit « vers le haut », admire le modèle de classe, ce qui le représente (le héros, toujours membre de la classe dominante ou sur le point d'y accéder).91 Le texte est le modèle : il fournit le lecteur en concepts et en « idées », « instrumentales, « opératoires » pour vivre au sein du système, dans sa loi, sans trop transgresser celle-ci de manière à ne [pas] tomber dans sa criminalité ou dans sa folie ».92 Le texte-modèle est donc à la fois la pensée et son contenu, /'« idée » et la « vérité » de celle-ci. Le texte-modèle soumet le lecteur à la vérification continue de ses énoncés. Le lecteur devient conforme au texte-modèle, il s'y identifie. Le sens universel établi par le roman est présenté comme clarté. Le roman contient une affirmation totale, manifeste, évidente, reconnue telle à travers la « nuit » du scandale et de la négation qu'il joue. Le lecteur trouve à lire l'archétype comme un sens plein, complet, achevé, caractérisé par la permanence, suffisant par lui-même, univoque et sans contradiction : il ne lui est donné à rencontrer que la claire signification du Code (la condition étant bien sûr qu'il s'y trouve enfermé).93 Le roman affirme le Code comme sens (celui-ci contient toute explication, sur lui repose toute causalité, à lui conduit toute finalité) : il en fait voir la clarté. Or, cette claire évidence accomplie par le texte (bien qu'elle ne paraisse pas être son effet) à propos de son ordre fondateur (le Code idéologique de base) en garantit l'authenticité et la valeur (ce qui est clair est trouvé propre).

91

Des attestations sont fournies Vol. compl., TABLEAU 20, 7. Sur le mode du regret, le critique affirme que le roman a dévié les imaginations de la masse qui lit vers des idéals de châteaux bâtards composés de tous les styles, de vies de fêtes galantes, de cérémonies guindées de protocole, de politesse archaïque et toute formulaire, de beautés anémiées, d'élégance ou raides ou mièvres (Leblond, 1905, 193). 02 Contribution (Sella), 1970, 22. 83 Conformément à ce schéma, l'équivocité du sens signifie désordre et négativité : La parole est le thermomètre de l'état social. || Quand la parole, dans un peuple, perdant sa transparence et sa clarté, se fait spontanément vague, indécise, flottante, elle est un signe de décadence; elle annonce l'obscurcissement des intelligences et l'envahissement du scepticisme (Félix, 1865, 26-27).

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Le sens universel établi par le roman est l'ordre. L'ordre, c'est-à-dire la concordance heureuse du naturel et du social (reconnue par l'agent, vécue par lui), garantit la permanence du Code : la vérité de celui-ci dépend de l'existence de celui-là (le Code n'est vrai qu'en tant qu'ordre et qu'autant que l'ordre prétendument émané de lui se perpétue). L'ordre, dans le roman, paraît être la condition de réalisation de l'harmonie du Code : il en est la justice, le Code est obéi dans l'ordre qu'il passe pour définir. En fait, l'harmonie du Code n'étant qu'une projection idéologique, la permanence du modèle « idéal » ne se trouve affirmée et prouvée dans le texte que pour soutenir la permanence de l'ordre de classe réellement existant. Le modèle est donc l'instrument idéologique de soumission à l'ordre concret qu'il justifie en s'en prétendant l'origine. Le roman fait rentrer le lecteur dans l'ordre de classe; il lui montre que l'éternité du Code a lieu et que celle-ci signifie harmonie (paix dans le maintien d'un état hiérarchique « naturel »). L'ordre de classe est donc le sens certain du texte. Raconter est bien un acte d'organisation politique (une ordonnance, une organisation). Le sens universel (l'ordre idéal) établi par le roman est octroyé, dicté, imposé : il ressort d'une autorité. Le roman donne le sens, dispense un sens que le lecteur n'a plus qu'à faire sien (y acquiescer : incontrôlable, incontrôlé, « prouvé en fiction »). Le sens ainsi fourni, qui émane d'une puissance (d'un « père »), est indiscutable, autoritaire : la représentation dramatique y plie le lecteur; seule conformité imaginable, on lui obéit. Le texte romanesque fait participer au seul sens permis, produit la conviction nécessaire à sa permanence et à la durée de l'ordre concret qu'il a pour mission de justifier. Le roman enseigne le roman (le Code), attache au roman (au Code) pour fixer son lecteur dans l'harmonie fabuleuse de l'ordre de classe réel dont, par soustraction (puisqu'il se substitue à lui comme origine), il assure. 4.23

Parole de classe du roman

Dans une société de classe, la classe dominante possède exclusivement les moyens de production, de reproduction, de généralisation du sens : Die Gedanken der herrschenden Klasse sind in jeder Epoche die herrschenden Gedanken, d. h. die Klasse, welche die MATERIELLE Macht der Gesellschaft ist, ist zugleich ihre herrschende GEISTIGE Macht. Die Klasse, die die Mittel zur materiellen Produktion PROPOSITION :

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zu ihrer Verfügung hat, disponiert damit zugleich über die Mittel zur geistigen Produktion, so dass ihr damit zugleich im Durchschnitt die Gedanken derer, denen die Mittel zur geistigen Produktion abgehen, unterworfen sind. Die herrschenden Gedanken sind weiter Nichts als der ideelle Ausdruck der herrschenden materiellen Verhältnisse, die als Gedanken gefassten herrschenden materiellen Verhältnisse; also der Verhältnisse, die eben die eine Klasse zur herrschenden machen, also die Gedanken ihrer Herrschaft,94 La classe dominante possède donc le roman comme un outil de manipulation idéologique spécifique, formé (ou adopté) par elle, propre à soutenir l'exercice de son pouvoir. Le roman prouve. Le roman prouve l'archétype. Le roman prouve la vérité de l'archétype, son idéalité, le « naturalise » (l'état social réalise idéalement l'état naturel) et « naturalise » ainsi la solution de classe supposée effectivement accomplie ou visée dans le réel (l'état social actuel réalise idéalement l'état naturel) : la « solution » de la classe dominante, commandée par celle-ci à travers le roman, est ainsi imposée (l'état social bourgeois réalise idéalement l'état naturel). Le roman s'entend comme parole de la classe dominante. La probation, la généralisation, l'universalisation du code obtenue par son biais entraîne à sa participation. L'explication renvoyant à l'infini à sa suprême et imperceptible garantie (« Dieu »), la représentation fixant tout comportement sur une base hiérarchique, le sens s'impose autoritairement au lecteur : la légitimité de la position de force de la classe qui en dispose se trouve par là assurée. L'ordre de classe « éternel » (ou l'idée de la « généralité » de cet ordre) est l'intention directrice du roman, sa « vérification » (« bienfaisante ») dans l'esprit du lecteur le profit que tire la classe dominante de sa représentation. Dans le langage de celle-ci, cette action bénéfique du roman (et plus généralement, de sa littérature, de son art, de sa culture) s'appelle moralisation : l'écrit - et c'est là sa valeur - « met l'idéal à la portée du lecteur », « est la manifestation sensible de l'idéal, c'est-à-dire de la perfection, des idées vraies et des sentiments moraux », « double l'armure dont revêt l'enseignement religieux », etc.95 Cette prétention à l'universel enraie la connaissance de la nature réelle de l'ordre de classe, cette postulation de 1'« idéal » dérobe la pratique matérielle (d'exploitation) qu'il permet d'instaurer. Le roman inscrit et s'inscrit dans la référence exclusive du code de classe : Culturellement dominante est la classe qui impose sa « culture » 91 K

Marx + Engels, 1971, 44-45. Cf. Voituron, 1861, II, 209, 239, 240; Laprade, 1873, 10.

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comme référence, et définit ainsi tous les « rapports de sens » dérivés dans une formation sociale définie.96 (Il n'existe donc, dans une société de classe, qu'une culture de classe unique, différenciée, « élargie », appropriée aux divers niveaux d'usage qu'elle renferme). Le roman réfère exclusivement à l'autorité de la classe qui l'inspire : la « vérité » archétypale qu'il exprime comme sens éternellement donné (« idéal ») est l'ordre nécessaire à sa réalisation. 97 L E RÉCIT OBLIGE : il forme et force à la lecture prescrite, fait appréhender le sens unique du texte comme vérité, astreint à demeurer dans l'ordre référentiel et sous sa discipline. Par suite, la lecture du roman se joue « en reconnaissance » : le lecteur est redevable du sens qu'il déchiffre comme d'un « don » (il l'éprouve, après drame, avec plaisir parce qu'il intervient « par chance », « in extremis »), il acquiesce à ce que ce sens donné signifie, (son plaisir naît de sa participation à l'archétype : Les ouvrages d'imagination qu'il [l'homme] préfère, disons mieux, les seuls qu'il entende, sont ceux qui abondent dans son sens, qui lui redoublent ses propres impressions par la magie du talent; il n'a pas même toujours besoin du talent dans ce genre; il recherche, avant tout, son image, la peinture de ses mœurs, de nouvelles raisons de croire ce qu'il croit, d'aimer ce qu'il aime).98 La lecture du roman se joue à propos de la reconnaissance de l'ordre de classe; le plaisir pris à la lecture du texte provient de la rencontre faite par l'usager, à travers la représentation, de sa propre conformité. Lire signifie repérer, retrouver, revivre, actualiser le code comme le sien personnel, participer étroitement à sa « vérité », l'animer, le répendre :le lecteur (se) lit dans le sens prévu par le livre, se reconnaît luimême au vu du livre, devient l'agent « naturel » et inconscient de sa propagation. Le texte est re-présentation : il ne montre à la conscience du lecteur que son propre contenu, ce qu'elle a appris, ce qu'elle a admis, ce à quoi constamment elle se rend : Le spectacle est, fondamentalement l'occasion d'une reconnaissance culturelle et idéologique [...] Nous partageons bien la même histoire, - et c'est par là que tout commence. C'est pourquoi, dès le principe, nous sommes nous-mêmes, par avance, la pièce même." L'ordre de cette langue [finie, dont nous parlons] produit des objets esthétiques achevés qui garantissent à l'intérieur de 96

"

98 99

Establet, 1966, 17. Macherey, 1966, 56. Doudan, 1881, 248. Althusser, 1966, 149-150,

151.

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la langue la BONNE circulation du sens et un accueil toujours chaleureux pour ceux qui n'ont d'autre fin que cette vérité. Le texte donne sens au mot qui le définit (catégorie de vérité: roman, poème) et justifie la vérité de celui qui le lit dans l'ordre où il se reconnaît (reflet : microcosme-macrocosme). Le texte ainsi qualifié n'est qu'un objet proposé à la reconnaissance distraite - et disons cependant intéressée - de celui qui se vit comme signe de la vérité dans la vérité du code. Le texte n'est ainsi jamais dans son assemblage possible de signes qu'une façon aimable, décorative de représenter le MODÈLE, l'étalon signe.100 L'archétype est un double du lecteur : le roman réfléchit dans l'esprit du lecteur ce qui s'y trouve déjà (le renforce, l'active), il réalise une nouvelle fois, sous son apparence objective, le modelage originaire auquel celui-ci a été soumis. Malgré l'imperfection « littéraire » éventuelle, mais étant donné la réussite technique du livre (il suffit que le roman soit un roman pour être efficace comme roman), la (re)pression textuelle est totale et ne s'élude pas. Le lecteur n'échappe donc pas à la forme de lui-même (issue du code) produite et reproduite à l'infini par le roman. NOTE: L'Histoire de la littérature a toujours masqué la positivité (et donc l'efficace) des couches de textes déclarés « médiocres ». Elle les a toujours, ce faisant, résolument soutenu dans leur office idéologique.

Le roman s'entend comme parole de classe de la bourgeoisie. Il existe un lien fondamental entre la classe dominante bourgeoise et l'activité romanesque. On considère le roman comme la forme par excellence de la culture institutionnelle en place, imposée en tant que modèle et en tant que suprématie : L A LITTÉRATURE PEUT ÊTRE CONSIDÉRÉE COMME AYANT ÉTÉ DANS NOS SOCIETES OCCIDENTALES CAPITALISTES LA MATRICE FONDAMENTALE DES PRODUCTIONS IDÉOLOGIQUES

[...] Le capitalisme provoqua l'apparition du roman, son apogée fut simultané à celui du roman réaliste.101 Le roman est lié à la structure même de la société libérale : La forme romanesque est, parmi toutes les formes littéraires, la plus immédiatement et la plus directement liée aux structures économiques dans le sens étroit du terme, aux structures de l'échange et de la production pour le marché.102 H apparaît lié au destin de cette même société : The novel is the epic art form of our modem, bourgeois, society; it reached its full stature in the youth of 100

Pleynet, 1968a, 96. Haddad, 1970, 92. 102 Goldmann, 1964, 187. (Nous ne disons pas que le roman est « plus représentatif » de la classe qui le produit, mais simplement que son efficacité, du point de vue de la probation idéologique, est plus grande). 101

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that society, and it appears to be affected with bourgeois society's decay in our own time,103 Le roman représente l'arme par excellence du pouvoir bourgeois : The novel was a weapon, not in the crude sense of being a political pamphlet, but in the period of its birth and first healthy growth it was the weapon by which the best, most imaginative representatives of the bourgeoisie examined the new man and woman and the society in which they lived.10* L'écrivain, le romancier, provient de la classe dominante, s'y rencontre et de toutes façons en assume les intentions : Durant cette période du Second Empire et du début de la Troisième République, il n'y a qu'un public, une clientèle possible pour l'écrivain : le public bourgeois et aristocratique [...] L'écrivain, malgré ses apparences d'indépendance ou de révolte contre l'ordre bourgeois, est lié fondamentalement, en tant qu'écrivain, à cet ordre qui lui assure sa réussite littéraire,105 On affirme ainsi que la classe dominante tient rigoureusement tous les fils du récit et établit sa domination sur les conditions de reconnaissance de ce récit... .106 En effet, le roman établit « en fiction » l'unicité, la permanence et l'autorité de l'ordre archétypal (du sens modèle). Cette affirmation « démonstrative » sert de justification idéologique à l'ordre de classe actuellement en place : le perpétuement du code sous l'illustration romanesque soutient la continuité effective de l'état social concret (il en dérobe la réalité historique). Ce qui a lieu comme Histoire (et donc comme emprise) paraît correspondre à l'ordre idéal représenté (par lui) dans le texte; tout se passe, à la lecture, comme s'il était effectivement fondé sur les valeurs mises en évidence sur la scène romanesque, comme s'il était lui-même l'expression correcte (ou approchée) du code projeté (et non l'inverse). F o x , s.d., 34. Cette thèse de la dépendance essentielle du roman par rapport à la société capitaliste, même si elle exige encore d'être fondée à neuf, sémiotiquement et à l'aide de la théorie du texte, ne saurait donc être congédiée comme simple émanation d'un « sociologisme vulgaire » ou « mécaniste ». (Voir, par exemple, Erlich, 1955, 91, dont la « réfutation » ne dépasse guère en valeur les moyens (bien simples, il faut le dire) engagés par le sociologue (Arvatov en l'espèce dans la démonstration du fait). 104 F o x , s. d., 53. Cf. aussi Baumgart, 1968, 12. 105 Lidsky, 1970, 106. (L'assertion reste valable même si l'on reconnaît - ce que ne fait pas l'auteur - l'existence d'une littérature « populaire » octroyée s'adressant à la classe ouvrière). E t dans une formulation provocante : Dois-je affirmer que pour bien posséder un sujet romanesque il faut être déjà propriétaire ? (Lagrolet, I 9 6 0 , 23). 106 Sollers, 1968b, 79 . 103

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Le roman instaure fictivement la conformité de l'ordre réel de classe et de la représentation idéalisante que celui-ci donne de lui-même. Le réel est compris, par le biais romanesque, comme archétype, « réduit » et sublimé, - nécessairement masqué. Autrement dit, la fiction est la forme sous laquelle l'ordre de classe prétend se saisir : la mise en place de son idéalité, la vérification (théâtrale) de sa vérité dissimulent son existence et ses pressions au lecteur. Avec cet avantage, que ce qui n'est pas aperçu par ce dernier (ou se trouve pris par lui pour son idéale nature) n'en fonctionne, sous ce revêtement, que mieux. : On a vu que l'être idéal de la classe dominante (ses personnifications) est proposé comme modèle (p. 334). On atteste - sans reconnaître d'ailleurs là autre chose qu'un « penchant » (funeste ou non) - que la classe dominée est imitatrice et qu'elle trouve du plaisir à la lecture (du roman) en raison même de cet intérêt qu'elle porte « naturellement » à son « modèle »: On [le peuple] les [les élites] copie, on se modèle sur elles malgré qu'on en ait. Les habitudes, les modes, les fantaisies, les travers, la plupart des vices des classes inférieures ne sont guère autre chose que des imitations de la classe supérieure. L'imitation s'étend jusqu'aux dispositions de l'esprit, aux habitudes de la lecture. Si on lit mal en haut, on lira plus mal encore en bas, soyez-en sûr;107 Ne croyons pas que le peuple a de l'inclination pour ce qui est trivial; ses instincts le portent à monter.108 Lire est une pratique idéologique idéalisante et représente par excellence l'acte d'identification au modèle, partant la reconnaissance de la hiérarchie de classe: Lire est une supériorité et une distinction.109 Ainsi, la classe dominée croit lire dans le texte la représentation réelle de la classe dominante et de ses conduites, alors que cette dernière croit s'y reconnaître idéalement.110 Or, le roman n'attache, non en tant que «.reflet», mais en tant que projection-, c'est par là qu'il opère. Réciproquement, et c'est là une observation - forcée - faite par la réaction catholique, on atteste que la classe dominante se complaît par « perversion » et « dégénérescence » à la lecture de romans mettant en scène le sous-prolétariat, dont l'agent positif est un « homme du peuple » et où ses propres représentants figurent négativement : Le scandale, la peinture des turpitudes qui s'accomplissent dans les bas-fonds parisiens sont les principaux attraits du roman actuel; et, chose singulière! ce n'est pas la partie gangrenée de la société qui lit de pareils ouvrages; ce sont surtout de fort honnêtes gens qui, pris d'une curiosité malsaine... - on devine l'aboutissement de la réflexion ici suspendue; 111 S'il vous est prouvé - le critique s'adresse à ses pairs - que, parmi les hideux spectacles qui vous consternent, parmi les affreux malheurs qui vous écrasent, il n'en est pas un qui ne se découvre en germe dans les ouvrages que vous avez NOTE

107

Fremy, 1878, 18-19. Bondivenne, 1876, 115. 109 Bondivenne, 1876, 138. 110 Voir l'analyse du succès de Feuillet par Flaubert, 1930, 8e série, 156. Mercredi [16.10.1878]. m Berthet, 1878, 56. Salmon, 1959, 88 : Les romans dont l'homme du peuple est le héros sont rarement lus par le peuple.

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dévorés, dans les pièces que vous avez applaudies, dans les succès que vous avez dorés sur tranche, dans les journaux dont vous avez centuplé le tirage, dans la critique enfin dont les dissolvants vous plaisaient et à laquelle vous donniez raison contre nous [...] s'il vous est démontré que les vrais destructeurs de nos armées n'ont pas été les Prussiens, que les héros ou les comparses de la Commune n'ont pas eu l'initiative de leurs crimes; que destructeurs, héros et comparses n'étaient que les exécuteurs testamentaires, les instruments visibles, les commentaires vivants de ces fictions romanesques ou dramatiques où se pressaient le galérien héroïque, le voleur incompris, la courtisane sublime, le général idiot, le gentilhomme assassin ou faussaire, le prêtre hypocrite et oppresseur, la reine impudique, le roi méchant ou grotesque, le magistrat odieux, le gendarme ridicule, le vice au pinacle, la vertu en haillons, le génie en guenilles, la triomphante alliance de l'individualisme avec l'antithèse, c'est-à-dire du MOI avec le MAL ; peut-être alors seriez-vous d'avis que notre unique tort était d'avoir raison trop tôt, qu'il y a quelque chose à faire ou à refaire, à corriger ou à détruire, et qu'il n'est que temps de supprimer les causes dont vous maudissez les effets.112 On omet par là, bien entendu, de déclarer que la classe dominante tire pourtant de cette lecture des « turpitudes d'en bas » et des héroïsmes paradoxaux que cet « en bas » produit l'avantage concret de se trouver confirmée a contrario dans sa propre idéalité; elle découvre dans cette projection (apparemment) renversée de son ordre l'image de sa supériorité de fait. OBJECTION: On concède que le roman peut servir de véhicule idéologique et transmettre, dans le régime capitaliste, la pensée dominante de la classe bourgeoise. On observe pourtant qu'il s'est trouvé, au cours de sa longue histoire, produit et consommé dans des sociétés où cette dernière n'était pas encore parvenue à sa position dominante ou ne la possédait plus. Il faut donc conclure que le rapport, d'étroite dépendance en effet, entre bourgeoisie et roman au 19e siècle est accidentel et nullement nécessaire : Ilsera donc également tout à fait incorrect de dire que le choix du genre « roman-feuilleton » - par exemple - conduit nécessairement à une idéologie conservatrice et doucement réformiste, ou qu'une idéologie conservatrice et réformiste doit forcément produire un roman-feuilleton,113 On considère comme démontré que le roman est voué à la démonstration de l'origine (du code, de son unicité) et qu'il produit comme lecture la reconnaissance aveugle du sens archétypal offert ; cette clôture du texte et cette fermeté dont il use dans l'octroi hiérarchique du message sont constitutives du roman (non seulement de ses formes classiques). Le roman a certes depuis toujours correspondu à la nécessité vitale pour l'ordre social existant de confirmer (du dedans et sans y paraître) le code fondamental « universel » grâce auquel il s'établit et se maintient. La technique romanesque de la probation idéologique est alors d'autant plus efficace que cet ordre ne prétend plus - il s'agit là bien entendu d'un masque - être imposé « de haut » (émaner d'un monarque, exister « de droit divin »), mais au contraire procéder directement d'un « consensus », de la « volonté générale », des « suffrages », etc. Cette RÉFUTATION:

112 m

Pontmartin, 1873, 14-15. (La Critique en 1871). Eco, 1967, 603-604.

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idéalisation spécifiquement bourgeoise de l'ordre de classe qui semble autoriser, sous le nom de libéralisme, l'exercice de libres concurrences et d'opinions non contrôlées suppose, parallèlement, un renforcement des moyens de réduire les différences et discordances de Vopinion (à la fois niées et affirmées), pour que le système en place maintienne son hégémonie. L'unification, dans ce cas, n'est plus le seul produit d'un acte d'autorité et de police (évidemment fondamental), mais provient aussi de la démonstration systématique et multipliée de la valeur des présupposés idéologiques du système : il y a donc « effacement » des contre-sens postulés stratégiquement par celui-ci (puisqu'il se dit basé sur la liberté). Autrement dit, le système se maintient par sa police, par son code, et, dans le cas de sa «libéralisation», par la vérification régulière de ce dernier par le roman. Toute littérature prolétarienne, et c'est pour elle une nécessité tout d'abord stratégique, demeure tributaire du schéma romanesque; préalablement lavé de ce qui le rend propre au service idéologique - saisi au niveau des contenus et non à celui-là du code - (on change ses héros, son histoire, sa moralité: Die kommunistische Erziehungsbewegung muss neue Heldentypen schaffen, Heldentypen aus dem revolutionären Kampf der unterdrückten und ausgebeuteten Klassen und Rassen aller Zeiten und Länder),114 le roman est utilisé comme un instrument, complémentaire, mais particulièrement adapté à la contre-éducation et à la rééducation de la classe ouvrière. Or, il a été démontré que le sens du roman est précisément la démonstration idéologique de l'ordre de classe et qu'un roman qui ne se consacre pas à l'imposition autoritaire de sa clôture archétypale ne s'imagine pas (cette clôture ne pouvant être significative que de l'ordre bourgeois). Par conséquent, on ne peut « changer le roman » qu'en faisant « cesser le roman » (le « roman socialiste » est une contradiction théorique dans les termes, Cf. Développements sous 4.3). 115 La conclusion doit donc être que la classe dominante possède le monopole du langage (La bourgeoisie a la plume, la parole, V influence),116 qu'elle distribue en exclusivité l'information qui lui convient (selon la lecture « progressiste » de l'époque, à l'altération des vérités par la bourgeoisie correspond une corruption générale du langage: Faut-il attendre que le vocabulaire souillé n'ait plus de mots à l'usage d'une bouche honnête? Honnête! ce mot lui-même est flétri [...] La langue noble et sérieuse n'existe plus. Cela est effrayant, car ce n'est pas seulement la langue qui se perd, mais tout ce qui unit véritablement les hommes et consolide leurs rapports).11"1 La classe dominante dit, lit, contrôle en profondeur 114

Hoernle, 1971, 109.

(Cas extrême,

une

maison

d'édition

ouest-allemande

(Roederberg) propose depuis peu des « romans policiers socialistes » à la fois « passionants » et poussant à la « réflexion politique »).

116

L a difficulté a été relevée : Pendant un temps encore assez long, sans doute, beaucoup d'écrivains révolutionnaires des pays capitalistes seront des fils révoltés de la bourgeoisie : la littérature révolutionnaire sera donc partiellement défigurée par les souillures de la vie bourgeoise. Dans le prolétarait lui-même doit s'exercer un travail culturel intérieur : le prolétariat doit se donner seul la culture que la bourgeoisie lui refuse (Nizan, 1971, 35-36). Et (94) : L'art sincèrement populaire ne pourra être écrit que, dans un jour peut-être prochain, par le peuple lui-même. ue Léo, 1871, 38. UT Léo, 1871, 21.

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le texte et l'énoncé, désigne en « D i e u » son propre pouvoir: Vous avez un Dieu que vous devez adorer ; car il est votre créateur et votre père à tous. Il voit tout, il entend tout, il sait tout. Il lit du haut du ciel dans le fond de vos cœurs, et rien ne lui échappe, la nuit ni le jour, rien de ce que vous faites, de ce que vous pensez. Que Dieu soit donc toujours devant vous, et que vous soyez toujours devant lui!118: on ne lui échappe pas, dit-elle.

Le roman développe et soutient la pénétration idéologique de la classe dominée. Dans la mesure où la sujétion économique et politique de celle-ci exige la mise en place (et la constante réadaptation) de tout un système de doctrines (projectif, démonstratif, justificatif, idéalisateur) susceptible de faire écran devant le fait et d'en dérober (ou absorber) la perception, le roman joue un rôle de premier plan : plutôt que d'énoncer le code (de toutes façons donné), il assure en effet le lecteur de sa propre conformité avec celui-ci, dès lors qu'il le figure et dès lors qu'il en prouve illustrativement l'excellence. Le texte romanesque accomplit la soumission au code et réalise une « scolarisation » idéologique « sourde », un endoctrinement « rentré », parachevant la version idéologique officielle, en multipliant l'emprise et l'effet : plus la probation du code demeure invisible au sujet, plus elle est opérante en tant que probation, plus ce qu'elle démontre (le code) est propre à remplir sans gêne et sans frein son rôle. Le roman participe donc de ce que Marx appelle le « dressage culturel » :119Hier ist alle Bildung zahm, geschmeidig, dienstfertig gegen die herrschende Politik und Religion eingerichtet, so dass sie eigentlich für den Arbeiter nur eine fortwährende Predigt des ruhigen Gehorsams und der Passivität, der Ergebung in sein Schicksal ist.120 La « culture » n'est donc qu'une forme subreptice de la parole idéologique de classe (propre à en dérober la réalité, ne serait-ce que sous le camouflage d'un nom). La littérature, et singulièrement le roman, sa forme la plus répandue et, de ce point de vue, la plus efficace, « conduit » au code et y renferme l'esprit du lecteur. Fixant sur ce leurre, elle « paralyse » et « endort » sa conscience. Plan que le discours idéologique d'époque interprète de la manière suivante : Instruire le peuple, faire l'âme populaire assez robuste pour qu'elle ne penche plus sans combat vers les doctrines matérialistes, anti-sociales et athées, ce seront, je le veux bien, nos Thermopyles modernes, mais il se rencontrera plus de trois cents braves pour les défendre, et Léonidas sera vainqueur cette fois, 118

Cormenin cité dans Gossin, 1868, 83. Marx+Engels, 1962, 41. 120 Marx + Engels, 1967, I, 137 (Engels, Die Lage der arbeitenden Klasse in England).

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parce qu'il n'aura pas lutté seulement contre Xerxès, mais contre Satan. « Quis UT DEUS ? » Ce fut le cri de l'Archange, et c'est notre cri devant l'ennemi qu'il nous faut terrasser.m Et encore : le roman est une « drogue » - un « narcotique », un « opium », dit Gramsci -, 1 2 2 et non seulement en tant que littérature « inférieure » ou « kitsch », par accident, par défaut, 123 mais essentiellement et par vocation, vu sa technique, vu la pratique idéologique que celle-ci commande: il éveille à un monde «idéal», forme «inversée» du réel concret, propre à en couvrir l'ordre, qui signifie pour la classe dominée (comme pour la société dans son ensemble) « sommeil et mort », illusion, soumission. Ainsi, par le biais romanesque, la classe au pouvoir retire la parole à la classe dominée pour lui enseigner la vérité de son propre discours : le texte implante un savoir, le texte fait silence sur un savoir qui ne peut pas naître. En confirmant dramatiquement la classe dirigeante dans une idéale conformité avec elle-même et en promouvant la classe ouvrière à une identité fictive avec l'idéalité de la classe bourgeoise, le roman « change » le lecteur : il le confirme dans l'être qu'il n'est pas ou le fait coïncider fictivement avec une fausse identité. Il y a donc bien aliénation romanesque; l'usager entre en possession d'un être emprunté tout en continuant d'être maintenu dans sa détermination économique. C'est ainsi que le roman révèle le lecteur à lui-même, c'est-à-dire le révèle à son être idéologique, comme animation du code et sous la dépendance de classe. Le roman fait que le lecteur soit ce qu'il doit, lui enseigne son être nécessaire (fictif). Et encore: le lecteur s'apprend par l'intermédiaire du comportement héroïque (Le personnage du roman lui faisait comprendre le mystère du mal qui le rongeait (151)) et par là hérite - sans contrôle - du sens de classe. Le texte définit de la sorte celui qui en use naturellement (celui que le procédé aveugle), lui impose les normes et catégories à partir desquelles il va pouvoir déchiffrer le monde (ou simplement le percevoir) et s'y conduire; il lui désigne sa vie.124 ia

Jouin, 1873, 14. Cf. Gramsci, 1959, 475, 490. Métaphore identique chez Darien, 1965, 97 : l'idéologie - dans son ensemble - est une « sale drogue » et une drogue à « vomir ». 123 Cf. Fischer, 1966, 188, Beylin, 1968, 404, qui considèrent le kitsch, spécifiquement, comme un « soporifique esthétique ». 124 Cette « imitation » du texte par son usager ne se comprend donc pas comme « emprunt » (d'un comportement « psychologique », par exemple : Personne

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Le roman expulse le lecteur de la vérité de son existence. Ou, du moins, ses « représentations » occupent la place du système de compréhension qui signifierait pour lui autre chose que l'aliénation de sa conduite : l'esprit du code (« étranger ») devenu l'esprit même du lecteur en fait un être sans « franchise » : Pas une de nos émotions n'est franche. j| Joies, douleurs, amours, vengeances, nos sanglots, nos rires, les passions, les crimes; tout est copié, tout! || Le LIVRE est là [...] Si l'on était franc et si l'on cherchait bien, comme on se surprendrait en flagrant délit de contrefaçon ? En faisant le siège de son âme, combien de brèches par où passe un bout de chapitre, un coin de page /[...] Que chacun y loge - dans le blanc laissé par Vallès à cet endroit - ses souvenirs, et qu'on me dise s'il n'y avait pas du livre dans tout cela, - avant, pendant, et après ?125 Le texte romanesque entraîne à la « vie » archétypale, c'est-à-dire à vivre ses conduites dans la soumission à l'autorité de classe, sans bieft entendu que le lecteur reconnaisse à ses actes comme mesure et limite autre chose qu'une idéalité indéterminée. Immoblisé dans la représentation textuelle probatrice, reconduit au sens après en avoir été apparemment distrait, fixé sur son origine et sur son inévitable terme, cerné dans l'explication idéale du monde, la pensée du destinataire se trouve réduite - étant donné la répétition de l'exercice - à la forme (archétypale) du livre. Ou encore, toute lecture du roman, à chacun de ses niveaux, devant être comprise comme une actualisation du code, la réalité, reconnue comme telle par le lecteur, se trouve être le code lui-même « mis en tête » par le roman (ou dont la fixation est par lui achevée). Telle est la manipulation : 1'« apparence » est ici rendue « vraie », 1'« explication » présentée comme but du livre fait écran, la « représentation » se substitue à cela qu'elle prétend représenter.126 Le roman, faisant voir « en vérité » la fiction en cours, c'est-à-dire l'écran idéologique, la pensée du lecteur, devenue conforme au modèle, se trouve désormais apte à concevoir et à produire « d'elle-même » le code originaire : ce qui est engendré par le code a été rendu capable de l'émettre. n'aimerait, s'il n'y avait pas de romans d'amour (Pichois-|- Rousseau, 1967, 131 par boutade s'entend)). 125 Vallès, 1955, 143, 144, 161. (L'« imitation », ici encore, est censée se réaliser au niveau de surface du spectacle). 128 Maxence, 1961, 33, tiré de la sagesse du parodique Antimère : Convertir par métaphores, voilà bien la grande Fraude.

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Le roman arrête la pensée à son modèle; sa lecture naturelle (celle qui éprouve précisément l'intérêt qu'il produit) signifie conformisation, conversion (répétée), filtrage (continu), réinscription (inlassable) d'un identique « bon » sens - et non pas ouverture, libération, critique. Le texte impose une représentation (fictive) du réel sans aucun savoir qui s'en assure et impose en cela la nécessité de son imitation (de sa reprise) : le récit-mime produit le lecteur-mime. Autrement dit, la parole idéologique de classe se donne à la collectivité grâce au roman comme sa parole même. Cette parole « paralyse », « bloque » le langage sur un sens (« irréel ») unique qu'elle possède, dirige et qu'elle entend, à l'exclusion de tout autre, communiquer. Le langage est réduit, en tant que code idéologique, à la production de ce seul sens. Ce faisant, l'activité critique est retirée (idéalement) à la classe dominée : il ne lui est offert que la maîtrise d'un certain nombre de savoir-faire, jamais celle de leur sens, jamais celle de leur produit. Obligation qui s'écrit de la façon suivante : La mémoire des choses est plus utile au peuple que la mémoire des mots.m Le roman, main-mise sur l'expression et appropriation de ses moyens, accomplit « en vérité » la seule parole (idéologique) correcte, y renferme, y réduit, chassant toute autre voix, toute lecture qui ne l'actualise pas. Le texte ainsi forme et limite à la (sa) fiction; il la fait vivre comme réelle (le roman s'offre à vivre comme réalité),128 réalise - au sens fort - son code d'origine. Ou encore, que le roman fait éprouver sur le mode de la fiction une réalité désormais recouverte d'un impénétrable réseau (complet) de significations; seul ce qui prétend se vouer à sa représentation fidèle, « historique » ou « symbolique », est « visible » : le réel est vécu « dans le roman », l'usager ne percevant que l'aspect romanesque des choses, ne saisissant dans celles-ci que le mythe idéologique qui les ordonne. La représentation fabuleuse occupe la scène, aveugle le spectateur sur ce qui matériellement détermine sa propre existence et la dirige. Le texte donne à vivre en tant qu'intérêt (à celui chez qui il le provoque) la fable « faite » Histoire, afin de rendre propre à la soumission historique concrète (à l'autorité de classe) dont la connaissance doit être soustraite. La société de classe se représente elle-même idéalement à travers 137 128

Maeder, 1833, 16.

Cf. Sollers, 1968a, 245. Et Novalis, 1967, 50. Un roman est une vie, considérée comme un livre. Chaque vie a un exergue, un titre, un éditeur, un avant-propos, une introduction, un texte, des notes, etc., ou peut en avoir.

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le roman, procède à sa fictive « épuration », se pense, c'est-à-dire développe et systématise ce qu'elle esquisse - ou plutôt esquive - dans toutes ses formes d'activité;129 elle se déclare elle-même analogue à sa version romanesque, conforme aux prédictions qu'elle prend soin d'y entasser : il n'y a à vivre, dit-elle, que la représentation romanesque, il n'y a d'existant que le roman que je suis. Notre société a besoin du mythe du « roman ». C'est pour elle non seulement une affaire économique, un cérémonial qui permet de reconnaître à bon marché la littérature en la contrôlant de très près - c'està-dire en filtrant soigneusement ses écarts [...] -, mais aussi, de façon plus subtile, un moyen de faire régner un conditionnement permanent qui va beaucoup plus loin que le simple marché du livre. LE ROMAN EST LA MANIÈRE DONT CETTE SOCIÉTÉ SE PARLE, la manière dont l'individu DOIT SE VIVRE pour y être accepté [...] Qui reconnaît-on en nous sinon un personnage de roman ? (Qui reconnaissez-vous en moi qui vous parle sinon un personnage de roman ?) Quelle parole échapperait à cette parole insidieuse, incessante, et qui semble toujours être là avant que nous y pensions ? [...] Le roman, avec le mutisme de la science, est la VALEUR de notre époque, autrement dit son code de référence instinctif, l'exercice de son pouvoir, la clef de son inconscience quotidienne, mécanique, fermée.13° Une société se déclare ainsi conforme à la légende qu'elle génère et répand : elle aveugle au sujet de ses objectifs dans le temps même où elle les prescrit. Et sur la trace du phénomène, Maupassant : Quand nous lisons, nous, si saturés d'écriture française que notre corps entier nous donne l'impression d'être une pâte faite avec des mots, trouvons-nous jamais une ligne, une pensée qui ne nous soit familière, dont nous n'ayons eu, au moins, le confus pressentiment ?1S1 Ou, alors, Mallarmé : Artifice, tel roman, comme quoi toute circonstance où se ruent de fictifs contemporains, pour extrême celle-ci ne présente rien, quant au lecteur, d'étranger; mais recourt à l'uniforme vie. Ou, l'on ne possède que des semblables, aussi parmi les êtres qu'il y a lieu, en lisant, d'imaginer. Avec les caractères initiaux de l'alphabet, dont chaque comme touche subtile correspond à une attitude de Mystère, la rusée pratique évoquera certes des gens, toujours : sans la compensation qu'en les faisant tels ou empruntés aux moyens méditatifs de l'esprit, ils n'importunent. Ces fâcheux (à qui, la porte tantôt du réduit w 130 131

Généralisation de Sebag, 1967, 180, Sollers, 1968a, 227, 228. Maupassant, 1966, 17.

170.

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cher, nous ne l'ouvririons) par le fait de feuillets entre-baîllés émanent,

s'insinuent;

pénètrent,

ET NOUS COMPRENONS QUE C'EST NOUS. 1 3 2

Précipité dans le mirage romanesque, rendu tel qu'il a fallu qu'il soit pour remplir sans trop de friction son rôle hiérarchique, proférant lui-même et de lui-même le langage idéologique intervenant dans le texte, le lecteur devient son semblable de fiction et l'irréel contemporain de lui-même, quoiqu'il n'ait pourtant de réalité qu'en ce fallacieux reflet : son être objectif mais inadéquat est le code qui l'énonce. RENVOI: Cette «modification» (toujours à recommencer) est d'autant plus hasardée que la littérature, comme pratique du langage, contient en théorie de quoi se dérober à la tâche d'unification idéologique qui lui est assignée (Cf. Développements sous 4.3). On l'avertit d'avoir à opérer comme censure immédiate, sous peine d'être récusée: O Livre, il faut savoir /'ouvrir et te fermer!133 4.24

La Pacification

Ainsi, le principe de l'homme s'est consacré cru sauvage sur la foi qu'il a laissé supposer Just)134 Le tremblement est le

textuelle l'esclavage et du malheur de jusque dans son cœur : il s'est des tyrans, et c'est par douceur et dompter sa férocité. (Saintmeilleur

de

l'homme. (Goethe)136

PROPOSITION : Le roman démontre « en vérité » la justesse, la justice de l'ordre de classe fondé sur l'exercice hiérarchique du pouvoir, c'està-dire sur la violence, tout en réprimant les formes déclarées adverses par celui-ci. La représentation romanesque n'admet comme fondement des valeurs archétypales universelles à établir que l'emploi positif de la force et condamne (par élimination) son usage négatif (ou abus); elle répudie systématiquement la violence instauratrice du « mal > pour introduire en tant que destin celle qui marque l'accomplissement actuel du « bien » originaire. Le « bon » sens du code de base, en effet, ne s'enseigne et ne se prouve en évidence que par l'entremise d'une figuration (narrative) de la négativité; la concordance à faire éprouver au lecteur s'appuie sur la mise en scène (prolongée) de la discordance (le « bien » est la leçon du « mal », la « vérité » celle de 1'« erreur ») : l'ordre nécessaire ne se 122 133 134 135

Mallarmé, 1961, 374-375. Jouin, 1873, 30. Saint-Just, 1968, 116. Cité dans Gide, 1921, 137.

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constate, ne se confirme, ne s'anime qu'au spectacle (dramatique) de son manque et des infractions que lui-même définit (toute atteinte fait percevoir et manifeste cela dont elle constitue du même coup le vivant préjudice).

Devant cette tombe, il s'arrêtait farouche.

Par conséquent, la mise en ordre (son continu perfectionnement, son « rappel » infini) suppose l'existence du fait déclaré « criminel », du geste « violent » instigateur du trouble et de la confusion : la différence se crée avec de la « violence », « la violence apparaît avec l'articulation », du sens se contient dans ses limites par un coup de force permanent.136 Or, la positivité « non-violente », imposée comme telle au lecteur, doit nécessairement receler en elle-même la norme de ce qu'elle entend exclure au vu du spectacle qu'elle donne. 136

Cf. Derrida, 1967a, 218,

219.

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Le roman réussit le montage d'un sens scandaleux, fautif, négatif « perdu » - débouchant sur l'unicité - « fatale » - d'une affirmation de base qu'il permet d'identifier comme positivité et « paix ». L'ordre orginaire, qui est son objet, résulte ainsi d'un processus de positivation/ négativation, et non d'une « découverte » des « valeurs » (des « essences ») : la norme par où se mesure tant le « crime » que la « justice » devant laquelle il comparaît pour être jrappé de nullité n'est pas autre chose qu'un contenu idéologique - instrumental et sublimé. La négativité, définie par le code comme sa naturelle et violente antithèse, est chassée par la violence. Le texte montre que le crime (négatif) ne cède qu'à la force (positive), que la restitution du sens (positif) n'a lieu que sur un coup de force (positif). L a solution représentée comme nécessaire au terme du processus narratif n'intervient que sous contrainte; la réparation, la restitution de l'ordre ou son acquisition fait suite à un acte de violence ou se trouve par lui sanctionnée; la force seule est susceptible de produire la conformisation souhaitée. L a clôture du texte coïncide avec l'élimination radicale, brutale du fauteur : la solution par conversion ne s'imagine pas dans le roman (les cas de remords - largement minoritaires, volontiers mis en scène dans le roman de niveau bourgeois cultivé ou non ne servent qu'à démontrer l'inéluctabilité du châtiment). L a solution archétypale s'impose avec la radiation physique du représentant de la négativité. PROPOSITION :

EXEMPLES:

(1) (2) (3) (4) (5) (6) (7) (10) (13) (39) (43) (48) (49) (61) (75) (76) (78)

accident mortel, émeute punitive arrestation, emprisonnement duel suivi de mort duel suivi de mort naufrage suivi de mort l'énergie positive tient en échec l'énergie négative accident suivi d'une mort « morale » assassinat suicide arrestations fièvre cérébrale suivie de mort arrestation, condamnation à perpétuité double suicide accident mortel suicide suivi de mort double suicide règlement de comptes suivi de mort

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(79) arrestation (81) apoplexie (82) intimidation (83) assassinat et suicide (90) assassinat et suicide (99) suicide (106) arrestation et exécution (118) suicide et exil (127) suicide (157) suicide etc. L'acte de violence est l'expression suffisante et radicale, la certification efficace de l'ordre archétypal. La pression exercée sur les agents par ce dernier est absolue : ou bien son autorité est reconnue sans faute et le personnage est son exécuteur, ou bien son autorité se trouve démentie (un instant, l'instant dramatique) et le personnage fauteur est par lui exécuté. L'ordre archétypal ne s'installe qu'à la condition que l'élimination du non sens (de la négativité) soit le résultat d'un déploiement de puissance. NOTE 1 : La conversion purement morale au « bien » n'existe pas dans le roman: seul l'acte de violence est susceptible d'en assurer. Exemple (50): le traître se convertit à la suite d'une opération punitive manquée.

2: Par rapport à la positivité, la mort et la violence servent de garantie et scellent dans l'absolu l'équilibre archétypal atteint. Exemple (35) : l'amour vrai se reconnaît et s'éprouve « au-delà de la mort ». NOTE

3: La violence restitutrice de l'ordre est mise au compte de l'agent négatif, qui se range ainsi de lui-même dans la propre sphère de la positivité qu'il était censé contredire. Exemple (61) : au moment où l'agent positif excédé lève son arme, le mur contre lequel l'agent négatif atterré s'appuie s'écroule entraînant celui-ci dans l'abîme. Et plus régulièrement: l'agent négatif est éliminé par un autre agent négatif ou s'élimine lui-même. Il importe seulement que la vengeance commandée par le code ne paraisse pas émaner de son représentant. NOTE

Le « pardon » efficace n'existe pas dans le roman, bien qu'il fasse partie de l'idéalité de l'agent conforme; il se trouve certes prononcé par celui-ci, mais ne fait que fonctionner comme marque de son identité: l'agent négatif auquel il est « pardonné », pour répondre à sa nature et confirmer la nature de l'ordre qui s'exprime à travers lui, doit cependant mourir. NOTE 4 :

L'agent positif ne peut coïncider avec la bonté du code qu'à partir de l'existence de l'agent négatif désignant continûment dans le texte ce qu'il ne peut pas être; le code représente son idéale conduite (son «âme») et ne se vit par lui dans son intégralité qu'au terme du développement narratif. Ainsi le texte romanesque produit-il, sur la base de l'inversion, la figuration progressive - et par là attachante - du savoir du code. NOTE 5 :

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NOTE 6 : Dans les formes « bourgeoises » du roman (et particulièrement au niveau cultivé), la liquidation du trouble par la violence prend les apparences plus sournoises du « sacrifice » et de la « résignation ». On peut du reste considérer globalement le « malheur » qui « arrive » à l'agent comme une pression

violente opérée par le récit aux fins de conformisation.

L'existence (supposée) de l'action négative (du « crime ») justifie l'existence (réelle) de la violence « positive » de base (du code de classe). Toute violence étant coupable dès lors qu'elle n'aboutit pas à la réalisation de la conformité appelle et explique sa liquidatoin par la force. Le scandale introduit légitimise l'emploi d'une « autre » violence susceptible de lui faire échec. La présence de l'acte perturbateur suffit à faire admettre le procès d'élimination dans son ensemble. Le scandale figuré dans le texte autorise ainsi le recours à la force qui l'annule; la violence négative incite à la violence positive, en impose l'usage, la fait comprendre comme réplique et rétorsion. Au spectacle de la désobéissance (du « crime ») entraînant à sa suite tout un cortège de malheurs, la punition la plus radicale - la mort - paraît juste. Autrement dit, la violence fait naturellement suite à la violence et trouve en celle-ci opportunément sa nécessité. Le roman fait donc admettre la violence (primaire, de classe) comme une violence secondaire, juste et justifiée, répondant heureusement aux infractions subies par l'ordre hiérarchique originaire. D'après cette inversion idéologique type, ce qui est cause du spectacle (de la négativité) et le définit se présente (fictivement) comme son effet, afin d'être compris dans sa pure innocence, instrument de salut, punition indispensable et pacification. La violence « criminelle » est déclarée effet de l'individu (ou du principe personnel qui l'anime), tandis que les brutalités qui accompagnent l'instauration de la « justice » archétypale sont présentées comme d'accidentels pis-aller. Le but étant de faire considérer l'action essentiellement violente par laquelle l'ordre de classe s'impose et se maintient comme une opération punitive, de caractère passager, nécessitée par l'irruption d'un trouble «extérieur ». Dans cette optique, tout acte, tout crime émane du sujet responsable, se comprend comme issu de son (mauvais) vouloir, se combat dans le duel, s'abolit avec l'élimination physique de son auteur. De même que la violence, d'après cette construction idéologique, est un « péché », c'est-à-dire un acte qui engage spécifiquement la personne, 137 la PROPOSITION :

137

Cf. Marx + Engels, 1971, 347.

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punition qu'elle appelle et qui est sa fin procède de l'individu,138 alors que la rétorsion, tout autant que l'infraction supposée antérieure, dissimulées toutes deux sous le spectacle déviant qu'on en donne, sont en effet générales,139 On trouve, au terme de la manipulation narrative, que la violence est fictivement justifiée en tant que moyen de conservation de ce qui passe dans le texte pour idéalement ( « légitimement » ) s'en prémunir. L e roman illustre que seule la violence résorbe la violence (le déséquilibre), qu'elle ne se motive, ponctuelle, exceptionnelle, qu'en raison de l'ordre nécessaire : la pacification ne paraît donc être autre chose qu'un droit que donne la rebellion. Cela suppose que, du point de vue même du code qui en énonce la nécessité, la violence - « autorisée » , outil de conformisation et de reconnaissance de l'ordre de classe et de ses commandements - est une valeur : l'acte violent possède en soi une efficacité radicale; l'élimination physique sans retour de la négativité suffit à l'expression de l'ordre. Ou: en est l'absolue garantie. L e texte montre (et obtient) que l'adhésion (la conformité) fait suite à la contrainte, que la conviction s'arrache : le « vrai s> suppose l'entrée en action du muscle, de la police, de la puissance - et leur introduction légitime. On s'explique dès lors que le texte romanesque s'emploie à rendre toute intervention de la force (tout crime, tout châtiment) spectaculaire, à décupler l'effet soit du trouble, soit de sa liquidation : (1) plus la négativité est radicale, plus l'opération de conversion à l'ordre se justifie massivement (Je gewaltsamer der Machtanspruch, desto lauter erhebe sich daher nach fester Regel der Ruf nach Ordnung und Sauberkeit),140 (2) plus l'ordre résulte de l'emploi massif de la violence, plus il paraît légitimement fondé. Loin de considérer la « peur » engendrée par l'entreprise de violence (négative) comme un « besoin » « humain par excellence » ( « l'homme aime ce frisson »), 141 loin de considérer que la représentation de la négativité comme violence la conjure et l'évacué en tant que telle,142 Cf. Marx + Engels, 1971, 352. Marx + Engels, 1971, 353 : Mit der Entwickelung der bürgerlichen Gesellschaft, also mit der Entwickelung der persönlichen Interessen zu Klasseninteressen veränderten sich die Rechtsverhältnisse und zivilisierten ihren Ausdruck. Sie wurden nicht mehr als individuelle, sondern als ALGEMEINE aufgefasst. 140 Ch. Enzensberger, 1968, 55. 141 Thèse, par exemple, de Lovecraft, 1971, 9 : Car, il [le récit fantastique] plonge ses racines dans un élémentaire et profond principe, dont l'attrait n'est pas seulement universel mais nécessaire au genre humain : la Peur... 142 Thèse, par exemple, de Bollème, 1969, 92 : Raconter, puis savoir, c'est 138

139

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on constate au contraire que la figuration soutenue (voire caricaturale) de l'horrible et de l'atroce a précisément pour but de grossir fictivement la répulsion qu'ils suscitent (d'en augmenter la réalité) et de la fixer sur un objet idéologique déterminé. Autrement dit, la mise en spectacle et la spectacularisation du « crime » tendent à couvrir d'un interdit les valeurs qui s'y trouvent, en fonction de la norme archétypale investie, idéologiquement liées. D'une part, cet interdit sera d'autant plus actif que le texte aura donné lieu à la peur (il est directement proportionnel au degré d'émotion); d'autre part, il frappe précisément ce que le code désigne pour sa négation même (le texte épouvante à propos de ce que celui-ci déclare crime). L'horreur (le scandale, le crime) tient en respect la négativité par son spectacle même - par un spectacle adéquat, c'est-à-dire décuplé; ceci constitue la condition de survie de l'ordre.1*3 (On s'explique dès lors qu'une telle représentation procure « comme une libération » dans le temps même où elle y associe).144 Le roman disqualifie toute contradiction de l'archétype comme une épouvantable violence; il négativise toute violence non conforme à celle-là qu'emploie l'ordre de classe aux fins de son imposition. Toute violence que n'inspire pas l'ordre est réputée « criminelle », « catastrophique ». Inversement, toute violence restitutrice, conservatrice s'appelle « bien », « justice », « bonheur ». L'excommunication générale de la négativité en tant que violence signifie l'obligation de son emploi « localisé » (c'est un « simple coup de pouce » qui assied l'ordre). Le roman dérobe à la vue du sujet la violence conservatrice de classe; il en couvre l'exercice. Toute violence qui n'est pas restitutrice est présentée par lui comme « étrangère », son origine est fixée dans un imaginaire « ailleurs ». Le texte démontre qu'il n'y a de crime que contre l'ordre, inversement qu'aucune opération émanant de celui-ci ne peut être dite crime : crime, dit-il, signifie trouble, rebellion. Par conséquent, toute atteinte (historique, réelle) au pouvoir de classe établi se conjurer, écarter la mort, croire qu'elle reculera et craindre pourtant toujours qu'elle advienne. 143 L'« humanité », dit Bataille, 1970, 304, « ne paraît même pas en état de subsister autrement qu'à la limite de l'horreur ». 144 Von einem Täter handelt das wirksame Stück. Sie zucken zusammen sooft der Unmensch erscheint, sie halten den Atem an, sind auf die Folter gespannt gerührt geschreckt geängstigt zittern sie um das Opfer, sie spüren förmlich am eigenen Leib was er erduldet, gepeitscht gebrüht ersäuft geschädet umgebracht, sie können es gar nicht mit ansehen, sind am Schluss wie erlöst. Sie waren der Belastung ja kaum noch gewachsen (Ch. Enzensberger, 1968, 109).

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lit dans le spectacle, fictivement, comme régression, « barbarie », signe affligeant d'une animalité mal vaincue. La négation criminelle qui étale ses effets dans le texte de fiction sert à couvrir l'usage qui en est fait dans la pratique réelle : la violence dérobée dans sa mise en spectacle romanesque est celle-là même sur laquelle repose l'édifice social. Le livre interprète l'action de classe comme une nécessité et l'épure fictivement de sa charge négative. Dès lors, le lecteur repère le « mal » comme il n'est pas, là où il n'est pas, s'accoutume à sa présence masquée (la répétition de la démonstration accrédite la « vérité » de l'assertion idéologique : le « mal » est un bien nécessaire, le « bien » est « non violent » « par essence », etc.). Dès lors aussi, un ordre social a produit sa justification, l'alibi nécessaire à la poursuite de son action, la censure sous laquelle il entreprend opportunément de s'abriter. Ou encore, que le roman établit l'ordre de classe dans sa réalité de fiction (celui-ci, sans couverture idéologique, est voué à la désagrégation) : le désordre se trouve, dans le temps de la représentation, (1) négativé, (2) résorbé, l'ordre, quant à lui, (1) positivé, (2) réussi. Le texte déclare massivement que l'ordre est le présent à la fois du livre et du réel, il n'y a pour ordre (et commandement), dit-il, que l'ordre archétypal du roman. Le roman entreprend de légitimer les moyens violents investis par l'ordre autoritaire qui le dicte pour s'imposer; par fonction, il couvre fabuleusement les infractions courantes que supporte le code idéal mis en place : 145 celles-ci sont supposées, d'après la représentation qu'il en donne, « accidentelles », « secondes », les infractions « réelles », « signifiantes », seules se trouvant portées au compte de la négativité. Par conséquent, la pratique générale de classe n'est pas reconnue pour la violation généralisée qu'elle constitue de ce qu'elle pose elle-même pour son idéal (de paix, de justice, etc.). La manipulation idéologique est alors la suivante : ce que la société de classe déploie comme son service d'ordre pour se maintenir en état doit être compris par le sujet comme la conséquence immédiate de l'opposition criminelle à laquelle il se heurte, comme la réponse appropriée et salutaire que l'irruption de celle-ci appelle. L'ordre de classe - instable - réussit à se justifier devant lui des moyens qu'il emploie 145

Cf. Balibar, 1971, 6. Ces infractions sont, dit Marx+Engels, 1971, 177-178, « théoriques », en ce sens que l'ordre de classe doit nécessairement réaliser (au niveau des comportements individuels de ses représentants) une partie au moins de l'idéalisation qu'il donne de lui-même, sous peine de ruine.

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pour sa conservation : il « invisibilise » (immatérialise) sa propre violence. Ou encore, que l'état de classe se sert de la représentation romanesque de la violence comme crime afin de rendre fictivement conforme à l'idéalité non violente que le texte joue l'acte oppressif qui l'établit. Le texte est un écran posé devant le fait ou ce qui ne permet que son « idéale » saisie : la brutale installation de la « justice » de classe est dissimulée sous l'affirmation de sa « moralité », une fois sa « justification » acquise;146 et vit de l'ombre idéologique entretenue dans le langage et ses illustrations : On a répandu sur ces horreurs [la répression versaillaise], comme des voiles, tous les mots que la langue prête aux rhéteurs pour combattre la vérité.147 Le sujet de la lecture, celui sur qui s'exerce la pesée idéologique du texte, se trouve enfermé dans un illusoire présent pacifié : les véritables moyens de perpétuation de l'ordre dont il dépend lui échappent, le spectacle du sang versé négativement au niveau de la fable autorise celui-là qui lui répond « positivement » - et « invisiblement » - dans le réel. Le roman cache la violence perpétrée au nom de la « raison » de l'état de classe sous la déraison de la violence « négative » qu'il représente : vu dans le miroir (préservatif) du crime, l'ordre dont parle le texte n'intervient que pour faire prévaloir sa naturelle justice. C'est ainsi que la représentation idéologique, sous son effet de voile, dénonce, malgré elle, à qui peut s'y soustraire, la nature objective de ce qu'elle a pour fonction d'invisibiliser : la négativité du code idéologique représenté comme positivité permet - et elle seule - la spectacularisation fabuleuse du crime. La soi-disant « moralité » archétypale s'établit à travers l'illustration « renversante » du crime qu'elle révoque; une « réalité » « sans scandale » s'appréhende fictivement par le biais du spectacle mystifiant d'un scandale « étranger », par là se trahit : ce qu'elle appelle crime témoigne d'elle-même. En d'autres termes, ce qui convoque la représentation romanesque, la dicte, l'institue, est lui-même ce scandale réel qui se bannit fictivement pour s'imposer fictivement comme morale à l'usager; il n'est donc pas autre chose que la négativité qu'il s'efforce de situer hors de luimême, dans ce qui le contredit : la négativité à ce spectacle qu'elle donne d'elle-même parvient à s'épurer. 140

D u reste, on ne surestimera pas l'idéalité de la solution romanesque : l'archétype ne s'obtient que par la plus radicale des punitions; le discours lénifiant qui enrobe le fait de rééquilibre n'est là que pour le « faire passer » (Cf. Marx + Engels, 1969, 201). 147 Léo, 1871, 4-5.

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Éliminer en fiction la négativité (le délit, le scandale, le corps, le crime, la violence), tel est le but, car l'ordre que l'archétype cautionne ne supporte pas d'être reconnu dans sa réalité de nuisance. Les moyens déclarés scandaleux sont ceux-là mêmes que met en œuvre ce qui se nie dans sa réalité de scandale en se faisant représenter comme idéal accomplissement de l'archétype. Le scandale du texte « délivre » du scandale de classe actuel, soutient sa permanence. Dès lors que le roman « individualise » (« extériorise ») le crime, dès lors qu'il « décriminalise » l'ordre idéologique « représenté », ce dernier parvient à s'établir fictivement dans l'innocence. Le lecteur considère avec intérêt dans le livre ce qui est négativité comme n'étant pas ce qui le dicte. Le roman est une tactique d'épuration idéologique (un art, non du défoulement, mais du refoulement). Ou encore, que le code mis en œuvre dans le roman et démontré par lui, tel le discours qui, dans le conte, enveloppe le roi réellement nu, invisibilise son objet. La « déréalisation » du réel, la dénégation de la négativité de ce qui, en tant qu'ordre de classe, le constitue, est ainsi acquise. Le revêtement romanesque aveugle : l'archétype qu'il expose est pris pour la réalité d'origine. Par conséquent, le lecteur distingue dans le livre ce que l'archétype lui défend de saisir (1) autrement que comme scandale, (2) autrement que comme moyen légitime d'installation de l'ordre adéquat. Il se trouve « opéré » de la contradiction, réduit à l'origine, renfermé en son sein - tu. PROPOSITION : Le roman est une censure. Le roman réalise une police

culturelle (idéologique). Il démontre en effet (1) que la violence est essentiellement criminelle, (2) que la violence, en tant qu'acte de la positivité, ne se conçoit pas (pas autrement que comme accident); il obtient idéologiquement l'exclusion physique du fauteur; 148 il épure idéologiquement l'ordre de classe de sa propre « faute ». Le roman nettoie donc la conscience du sujet idéologique de la compréhension de l'idée de violence destructive, tout en l'armant de la conviction propre à soutenir l'emploi actuel de la violence de classe. Le texte purge d'une connaissance, arrête sur la compréhension arché148

Le texte opère comme un « processus de vengeance »; la riposte est patience; elle n'intervient qu'après s'être justifiée par le temps (dramatique) qu'elle prend pour s'accomplir (l'acte restitutif est légitimé par le long spectacle de l'anarchie antérieure). Cette « vengeance », bien entendu, paraît « transcendante », émaner de Dieu, du Destin.

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typale (unifiante, pacifiante) du réel. L'entendement du lecteur est désormais obstrué par une pensée réduite à l'assurance de classe. La reproduction répétée de l'unicité du sens autoritaire triomphant réprime le besoin de contradiction, retient du projet de violence. Le roman assainit de l'idée révolutionnaire (virtuelle) et joue la liquidation d'un dessein de contradiction (la volonté potentielle de la classe ouvrière) qu'il ne définit que négativement (sous l'espèce du crime). La violence libératrice en cours est systématiquement «exorcisée », par la représentation spectaculaire de la négativité. La prise de conscience (destructrice), d'une part, de la valeur du plan révolutionnaire, d'autre part, de la réalité de l'ordre répressif, est ainsi enrayée. Dans le temps où la violence nécessaire au maintien de l'orde de classe échappe aux regards se trouve spectaculairement négativée toute action entreprise contre lui. Par conséquent, ce qui se passe comme Histoire et l'entraîne est réputé malheur, accident, faute : le roman démontre qu'il n'y a pas d'autre Histoire que le présent perpétué de l'ordre de classe. En d'autres termes, il accomplit la suppression fictive de l'Histoire (l'éternité de paix a lieu comme Histoire, dit-il; l'ordre actuel est le seul système positif possible). On a ainsi que la figuration romanesque infinie de la terreur (de la violence) a lieu pour frapper d'exclusion son motif (l'intervention révolutionnaire) infiniment terrifiant.149 Le roman est dirigé contre l'insurrection actuelle (la Commune), sa probabilité, sa réussite, sa répétition. En tant que manipulation idéologique, le texte se lit dans le présent historique, intervient à l'encontre du « scandale > immédiat menaçant qu'éprouve l'ordre. Le roman prouve la positivité de l'archétype. Le roman prouve que la violence signifie crime dès lors qu'elle ne l'exprime pas. Le roman fixe l'attention sur la forme politique contemporaine (irruptrice) de la « négativité » (la Commune) afin de concourir à sa répression. La perspective (actuelle) du texte (de l'époque) est la Commune. A son niveau explicite ou implicite, même si la condamnation demeure secrète, même si son nom n'est pas prononcé, le texte romanesque conduit sûrement à l'identification de l'insurrection parisienne comme le mal même - comme le drame par excellence. PROPOSITION :

NOTE : L'explicitation n 'est ici pas nécessaire, puisque de toutes façons le roman enferme dans le cercle contraignant de la positivité et qu'il s'appuie forcément sur un contexte parlant (l'idéologie régnante désigne la Commune comme une 148 Cf. Grivel, 1970, 247.

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aberration). Cependant, la «surdétermination» de la lecture en temps de crise politique peut paraître nécessaire et lui fournit une assise supplémentaire: le roman découvre alors son jeu, indexe l'ennemi de toujours. Son efficacité ne faiblit donc pas dans l'urgence. Le roman constitue l'enveloppement idéologique généralisé de la Commune : La haute et la basse pègre littéraire avaient trouvé dans la Commune un filon fort lucratif, et l'entretenaient savamment. Pas de goujats de lettres qui ne bâclât sa brochure, son livre, son histoire. Il y eut des tas de Paris brûlés, Paris en flammes, Livre rouge, Livre noir, Mémoires d'otages, Carnaval rouge... Les romanciers du bagne, les Pierre Zaccone, les Montépin brossèrent des Mystères de l'Internationale; les éditeurs ne voulaient que du communard :150 Le roman démontre avec opiniâtreté que l'agent négatif est le communard, qui finit soit sur les barricades ((43)) ou devant le peleton d'exécution ((14)), soit dans le repentir ((22)), réciproquement que l'agent positif, « patriote avant tout », demeure fidèle au gouvernement de Versaille et collabore activement à la répression ((91)). Le roman démontre la faillite du collectivisme communal : La société, l'État, la Commune, tout autant de mots vides de sens au point de vue économique. Ensemble des intérêts, agrégation des forces, symbole de l'assistance mutuelle, l'État ou la Commune ne saurait se substituer aux particuliers sans amener de monstrueuses injustices et de criantes inégalités. || Dans le cas particulier dont il s'agit, l'épicier a été dévalisé; on lui a pris pour vingt francs de bougies et de chandelles; la Commune paiera, soit; mais où prend-t-elle (sic) ces vingt francs ? Dans la poche de tous les contribuables. Ceux qui sont allés chercher leur lanterne, qui brûlent leur huile, participent au désintéressement de l'épicier, tout autant, sinon plus, que les envahisseurs de la boutique. Nous verrons comment ce système généralisé entraine fatalement l'oppression, la ruine, la banqueroute; la décevante illusion du payement par la caisse commune excite aux dépenses particulières... . (130) La Commune, dit le roman, s'appuie sur le mal et les mauvais ins160

Lissagaray cité dans Rougerie, 1964, 58. Ce témoignage s'inscrit en faux contre l'opinion de Lidsky, 1970, 91 qui, ne considérant - sans justification - que les publications des niveaux supérieurs, croit pouvoir affirmer que « les créations littéraires prenant pour sujet la Commune de Paris sont peu nombreuses », « guère [plus] que cinq romans, quelques nouvelles et pièces de théâtre ». Rougerie, 1964, 58 constate, quant à lui, que les ouvrages consacrés à l'insurrection pullulent et en dénombre 216 en 1871, 59 en 1872, 23 en 1873. Mais le texte fonctionnant fondamentalement au niveau du code, on affirmera que tout roman (tout écrit), sans restriction, est tourné vers le trouble qui a lieu, pour le réduire.

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tincts. Le fédéré (négatif) excite la foule à l'exécution du versaillais (positif) en ces termes : Vous n'êtes plus des mères ou des filles, mais vous êtes les Vengeances, les Furies, déchaînées par les siècles d'oppression !... [...] Votre cruauté est la vengeance. || Votre vengeance est la suprême et la seule Justice du faible contre le fort. || Soyez cruelles !... Si vous voulez être justes [...] Pas de fausse humanité !... || L'humanité n'est pas de notre siècle; elle n'existe pas encore, elle n'existera que dans l'ouvrier ! [...] Ce discours féroce fut éloquent pour ces créatures qui n'attendaient qu'un appel au mal. || Certes, elles ne savaient guère ce que c'était que cette oppression du prolétariat par le capital !... Mais on faisait appel à leur cruauté et... || Et elles étaient... ivres!... (22) L'insurrection parisienne, dit le roman - qui se présente, dès qu'il prend pour objet « les monstres de la hideuse Commune » ((98)), comme une « descente aux enfers » ((14)) - , est dirigée contre le peuple par la « lie sociale » ((22)), vise, malgré ses prétentions, son oppression systématique ((91)). Et le texte de conclure avec l'autorité de l'incidence : Après plus de deux mois de lutte, la Commune était vaincue et Paris délivré de ses oppresseurs. Il y avait encore de l'inquiétude, mais une tranquillité relative succédait à la terreur. (90) La Commune, dit le roman, se disqualifie automatiquement dès lors qu'elle touche à la propriété; le «communeux» récupérable réprouve les vols et s'écrie : Ah! /..../ qu'on ne déshonore pas la révolution! (22) Le roman démontre qu'on adhère pas pour de bons motifs au mouvement insurrectionnel et jamais par choix politique. Interrogé par le tribunal militaire à propos de ses activités dans les rangs des fédérés, le même « communeux » se justifie de la sorte : C'est plutôt un besoin d'agitation et un entraînement de camaraderie [...] Je ne prétends pas poser pour un homme politique. La politique ?... je ne sais pas ce que c'est, et je le dis carrément : Si je me suis mis de la révolution, c'est que ce n'était point possible autrement. De quoi aurais-je eu l'air ? D'un faux-frère, d'un hypocrite ou d'un imbécile [...] Ces explications franches, naturelles, concilièrent à Miracle la bienveillance des officiers. (22) Ou encore, la Prusse, dit le roman, est sous les grèves; elle inspire l'Internationale, soutient et alimente l'insurrection pour établir son hégémonie : la Commune est la complice de la Prusse ((91)). Etc. [Cf. Vol. compl.,

NOTES

VII, VIII]

Le roman s'applique à la mise en accusation de la violence prolétarienne (contemporaine). La répression politique de ce que l'Institution comprend comme « mal » et « scandale » s'accompagne de la représen-

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tation réductrice de celui-ci par la fiction : le texte montre la violence où elle n'est pas, comme elle n'est pas, afin d'en éviter l'effet (l'impact), son aperception réelle. La germination du trouble historique se trouve dès lors arrêtée - tel est du moins l'objectif - par la figuration de ses espèces romanesque. Le roman supprime en fiction la violence révolutionnaire afin de justifier l'intervention de la violence originaire de classe (la coercition idéologique seconde la répression par les armes et l'invisibilise). Le roman signifie la mise à mort de la conscience de la classe dominée. L'esprit du lecteur, soumis au texte, se trouve rangé dans la ligne d'un ordre dominant. Le sentiment de la différence est refoulé, réfreiné, voire éteint (« Les pleurs même les empêchent de pleurer, et la douleur, qui trouve sur les yeux un obstacle, s'en retourne au-dedans, y faire croître la peine... »).1B1 La connaissance de l'altérité (de l'alternative) est étouffée : « je > ne parvient pas à se penser « autre », « je » n'est plus à même de se retirer de sa position de sujet idéologique, « je » ne repère plus le contre-sens, la négativité est à ses yeux noyée, absente, un monde étale et un constamment paraît. Roman subi signifie « mort », sujétion idéologique. Le texte efface le scandale après l'avoir porté à l'existence; il le met en évidence afin d'en obtenir la résorption (un « jour » conforme étreint l'esprit dans l'ombre qu'il a pour mission de porter). Ce qui ne devient perceptible qu'en tant que négativité sort de la mémoire, recule hors du possible : La paix ne se fait que dans un CERTAIN SILENCE, déterminé et protégé par la violence de la parole. Ne disant rien d'autre que l'horizon de cette paix silencieuse par laquelle elle se fait appeler, qu'elle a mission de protéger et de préparer, la parole INDÉFINIMENT garde le silence. On n'échappe jamais à L'ÉCONOMIE DE GUERRE. 152 Le code se protège par le roman. L'objet du roman est la vérité positive du code. Ainsi s'affermit et se constitue l'ordre de classe où, dit Bataille, ce sont les révoltés qui ont peur du bruit - porté au loin, entendu en fiction - de leurs propres paroles.153 4.3

FIN ET SANS FIN D U R O M A N Mais le temps d'abandonner la littérature du n'est pas encore venu... (Paul Nizan)Ki On peut donc dire que le roman est né en

151 152 153



Sollers, 1965, 79. Derrida, 1967a, 220. Bataille, 1970, 304. Nizan, 1971, 183.

malheur Europe,

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PRODUCTION DE NARRATION qu'il est une des originalités Bloch-Michelfm

de notre civilisation.

(Jean

PROPOSITION : Le roman ne cesse pas d'être un roman, de prévoir, de produire son effet romanesque. Le roman est assigné à sa pratique idéologique (de purification, d'évacuation). Le sens engendré dans le roman n'échappe pas à l'origine, au code, au processus d'idéologisation. Le roman ne se nie pas dans le roman. Aucun roman ne sort du roman. Il n'y a pas d'« anti-roman ». Tout « anti-roman » demeure dans la règle du roman, c'est-à-dire dans son genre. Les romans de tous les niveaux (reçus ou non comme « littéraires » et quel que soit leur degré d'innovation) sont, du point de vue de la pratique idéologique, équivalents ou identiques,156 1. Le roman innovateur, d'avant-garde, qui entend sortir des limites assignées au genre et qui est reçu comme scandale et illisibilité (au moment de sa parution), ne fait cependant que répondre à la demande idéologique; la probation qu'il comporte nécessairement en tant que roman apparaît comme la mise au point et la mise à jour d'une stratégie de classe perpétuée. 2. La négation réelle et radicale du roman, la liquidation du processus narratif et l'annulation de l'effet d'origine, n'émane pas du genre romanesque, mais se passe en « poésie » (Lautréamont, Rimbaud, Mallarmé); le récitatif est battu en brèche ailleurs que sur son terrain même. (Même si ces tentatives de débordement du roman demeurent à l'époque ignorées et sans effet, elles n'en manifestent pas moins, rétrospectivement, la plus absolue des coupures : une machine idéologique en elles désormais se grippe). Le romanesque du roman prime tout « contenu » intégré. Ou : le roman a pour contenu obligé son romanesque même. La réitération du sens à laquelle il s'applique annexe (annule) toute intention textuelle explicite (éventuellement contradictoire); le roman subordonne toute intention qui s'y greffe à la sienne propre. Tout roman se plie à la règle d'énonciation du genre; la parole du genre couvre toutes les voix secondes du texte.

Le roman est un outil idéologique différencié, propre à produire à tous les niveaux un intérêt archétypal unique. Le genre prime toute programmatique, NOTE: 165

Bloch-Michel, 1963, 33. Ce qui donc s'inscrit en faux contre l'opinion critique commune, par exemple Zérafïa, 1969, 460 : Dans le roman comme en peinture, la novation a un caractère critique et de démystification [...] Le roman original est presque toujours un anti-roman, où se dessine une anti-personne. 156

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NARRATION

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fût-elle révolutionnaire. L'innovation dont le genre fait montre doit être comprise comme son adaptation continue ; le genre, à travers elle, ne cesse aucunement d'être rabâché. Le roman d'avant-garde, bien qu'accomplissant le même asservissement que le texte dont il prétend se distinguer, dans la mesure où il représente au sein de l'Institution une activité relativement négative, officiellement désavouée, peut passer (un temps du moins, celui pendant lequel sa lisibilité n'est pas assurée) pour échapper au genre. Or, l'innovation dans le genre, réputée « immorale », a pour effet principal de cacher le processus généralisé de réduction idéologique à laquelle en profondeur elle obéit. Quoique le genre paraisse ainsi toujours plus « large » et plus contredit, il ne cesse pas - sous couvert de libéralisation - d'opérer dans le texte comme invariant fondamental. Le roman se trouve ainsi retenu dans l'immobilisme de fait du genre: 1) le genre étant idéologiquement investi, 2) ses variations (innovations comprises) répondent à la nécessité de la correction (de la stratégie) idéologique. Il n'y a qu'une seule lecture différenciée du roman. Le sens varié mais immuable commandé par le genre enveloppe l'affirmation « superficielle » avancée au niveau explicite. Malgré l'atomisation apparente des textes et des usages (l'exemplaire est individualisé, originalisé), la pratique du roman se poursuit identique à elle-même. Le roman ne permet de produire qu'un intérêt (« sens ») romanesque : aucun roman ne « documente », aucun roman ne parle d'autre chose que du roman, est susceptible de se retourner contre le roman, etc. Tout roman raconte l'archétype; il ne passe par son canal aucune information capable de le transformer.157 Le roman obéit au roman. Le roman est le sens du roman. Que le roman soit le sens du roman a cependant un sens, dès lors que la probation en cours - quoique sans transformation - n'équivaut pas à la pure redondance du message originel.158 En termes kristeviens, le roman est un texte clos,159 son « intertextualité » n'est rien d'autre que le roman : 160 bien loin de pou167

Contrairement à la lecture de Sebag, 1967, 136: [Pour une religion - et pour tout système qui n'est pas que langue], il y a bien des phénomènes de redondance mais en fait tout message nouveau transforme le code. 1=8 Contrairement à la lecture de Greimas, 1970, 15 : La production du sens n'a de sens que si elle est la transformation du sens donné; la production du sens est, par conséquent, en elle-même, une mise en forme significative, indifférente aux

contenus

à transformer.

L E SENS, EN TANT QUE FORME DU SENS, PEUT SE

DÉFINIR ALORS COMME LA POSSIBILITÉ DE TRANSFORMATION DU SENS.

166

Kristeva, 1969a, 115. Kristeva, 1969c, 443 . Nous appellerons INTERTEXTUALITÉ cette interaction textuelle qui se produit à l'intérieur d'un seul texte. Pour le sujet connaissant, l'intertextualité est une notion qui sera l'indice de la façon dont un texte lit l'histoire et s'insère en elle.

160

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voir faire parler d'autres textes et d'autres sens à travers lui, il en accomplit la réduction suivie, annulatrice; le texte romanesque met l'Histoire en roman. En tant qu'il opère la réduction idéologique du sujet au code de classe, le roman est un genre faux. PROPOSITION :

Lautréamont, 1956, 363: Le roman est un genre faux, parce qu'il décrit les passions pour elles-mêmes : la conclusion morale est absente. Décrire les passions n'est rien; il suffit de naître un peu chacal, un peu vautour, un peu NOTE:

panthère. Nous n'y tenons pas,161 Discours qui ne coïncide qu'apparemment avec son adverse et que nous lirons comme suit: le roman ne propose pour positivité que la négativité (les « passions ») d'un archétype prétendument «moral»; le dénouement qu'il offre possède l'immoralité de son origine; l'origine a besoin du spectacle de la « passion » pour s'en épurer fictivement elle-même; le code dérobe la négativité de l'ordre de classe par l'illustration « dramatique », « passionnel ». Le discours positif, « moral », non idéologique n'a pas lieu dans le roman. Le roman ne peut dire vrai, ni réellement produire la positivité : la « voie maline » qu'il emprunte nécessairement dénonce la négativité réelle inavouable de l'origine à laquelle il se retache.

Le roman ne peut constituer une parole vraie : voué à la manipulation dramatique, il n'est susceptible d'accomplir en vérité que la fausseté de l'archétype. Le texte romanesque est un procédé de fictionnisation : il répond à ses données, les démontre, les épure, les fait concevoir autres qu'elles ne sont et sans la signification qu'elles comportent. Dans la mesure où il ne parle que de ce qui doit arracher la reconnaissance du lecteur (le code) à travers le spectacle du méfait d'une négativité que lui-même (ce code) définit, recèle et contient, le roman ne « vérifie » jamais qu'une « erreur ». Le roman ne s'améliore pas, ne s'amende, ne se corrige : Nous n'arrivons pas à écrire mieux; tout ce qu'on peut dire c'est que nous ne cessons pas de bouger, tantôt un peu dans cette direction, tantôt dans cette autre; mais vu d'un point suffisamment élevé le tracé d'ensemble tendrait à décrire un cercle,162 Le roman grime, embellit, idéalise : La plus belle histoire du monde ne mérite pas d'être contée. Mais les charmes sans pairs des récits un jour, on se lasse qu'ils servent aux causes absurdes.163 Le roman est essentiellement fausseté, falsification, faute. Il n'y a pas de roman « objectif ». Il n'y a pas de représentation romanesque lel lra 163

Cf. Pleynet, 1967, 61-71. Woolf, 1963, 11. Aragon, 1924, 7.

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qui ne soit centrée sur sa base idéologique. Le genre commande à tout document qui pourrait se trouver pris dans le livre (que le roman, éventuellement, prétend constituer) d'avoir à se plier à la « vérité » de son propre discours : Il n'y a pas de formes innocentes, de formes brutes, originelles, pures, immédiates, populaires, premières ou dernières, il n'y a pas de degré zéro de la signification. Il n'y a donc pas de roman « vrai » ou «réaliste » A PRIORI, à quelque degré qu'on veuille le prendre, que ce soit le plus apparent ou le plus profond.164 La pratique (écriture/lecture) du roman comme « copie » (« imitation », reprise, reconnaissance identificatrice) véridique du code définit sa fausseté même. Ce qui se joue sur la scène romanesque n'est pas représentation. Ou : ce qui se donne à lire en tant que réalité dans le livre ne peut jamais être considéré que comme une version « seconde », filtrée de son réfèrent. (Et, de plus, cette version spectaculaire du monde est dans le texte rendue productive). Le roman ne montre, n'engendre que le roman, c'est-à-dire l'idéologique. Le texte n'a pour fond que la réalité de la représentation idéologique motrice. La seule réalité du livre est son idéologie; écrit sous dictée, il s'applique automatiquement à la correction nécessaire. NOTE: Flaubert, dans Bouvard et Pécuchet, cherche à représenter l'inanité de la reproduction du code: l'imitation, l'emprunt - forcément servile - de tout système, de tout écrit est improductif, dit-il, « imbécile », « bourgeois ». Ce roman sur la pratique répétitive du roman (de l'idéologie) caricature: Ils copient au hasard tous les MS et papiers imprimés qu'ils trouvent cornets de tabac, vieux journaux, lettres perdues, et croyant que la chose est importante et à conserver. Ils en ont beaucoup, car aux environs, se trouve une fabrique de papier en faillite, et là ils achètent des masses de vieux papiers,165 Copier, c'est croire à la valeur absolue du modèle, s'y conformer, c'est-à-dire se laisser aveugler par lui, voir « par ses yeux », « de son regard », par conséquent reprendre et multiplier un discours vain, vide, parce qu'incertain, contradictoire, illusionniste, collaborer à la reproduction de l'illimité « bourgeois ». Le roman entend accuser l'irréalité de ce qui le dicte. Or, et en ceci Flaubert reste prisonnier de la représentation qu'il veut mettre en cause, l'imitation n'est jamais idéologiquement improductive ; une telle activité chez l'usager signifie pour le code animation et propagation: toute copie rapporte - à qui possède le modèle et ses droits, à la classe dominante. NOTE: Il n ' y a pas de roman réaliste possible. OU: le seul réalisme du roman serait de réussir à montrer l'idéologie en acte au sein de son propre langage. Il est vrai que comme roman un tel ouvrage serait illisible. 164

Sollers, 1968a, 233. Flaubert, 1966, 54. (D'après le plan, la révélation faite aux copieurs de la folie de leur entreprise est elle-même inefficace : ils la reproduisent à son tour sans l'entendre).

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Le roman n'est et ne saurait être critique. Confirmateur par essence, il cautionne et garantit ce qui lui donne naissance (sa base archétypale). Instrument de conservation, lié étroitement à la répétition inconditionnelle du sens (à sa dictée autoritaire et exclusive), il enferme l'usager dans le cercle de la reproduction (de la doublure) : le lecteur n'est que la réplique de ce qu'il lit (dès sa naissance). Dans le roman, c'est le langage qui est arrêté de penser (le roman n'ouvre que sur le roman). Un processus d'idéalisation automatique est mis en place. Le retour perpétuel à la fiction du passé s'effectue. Projeter, imaginer, innover, révolutionner s'interdisent (la lecture est un frein). Le roman répète le roman. L'idéologie de classe s'étend, s'étale, se diffuse jusqu'à saturation par le roman. Le texte à lire (l'idéologie en place) n'est que le fruit d'un infini ressassement : La formule du roman habituel est donc tout simplement une sorte de parodie. La plupart des écrivains, le sachant ou non, prennent des livres célèbres d'autrefois et maquillent leurs rides. Combinant un schéma bien connu, dont notre éducation nous a donné l'habitude, et des signes extérieurs de modernité, leurs ouvrages peuvent bénéficier d'une diffusion rapide et atteignent parfois de grands tirages [... Or,] la littérature courante ne mérite [...] même pas le nom de parodie. En effet, le modèle ancien n'a pas pu être consulté; recouvert par ses imitations innombrables, il n'est pas sorti du rayon. Ombres des ombres d'ombres. |[ C'est pourquoi il n'est pas possible d'attribuer en fait UN original à la plupart des échantillons de la librairie actuelle; ce qui est imité en effet, sommairement récrit, ce sont les ombres communes à de nombreux solides anciens perdus.186 Le roman perpétue la confirmation archétypale d'exemplaire en exemplaire. La preuve qu'il fournit est infiniment identique à ellemême. Tous les avatars de la forme romanesque obéissent à la nécessité (1) de propager le code, (2) d'en poursuivre la confirmation, (3) d'actualiser cette confirmation (de la produire toujours plus adéquate, « dévouée »), (4) de pallier à son érosion incessante (d'innover interminablement), (5) de combattre son insuffisance historique native (ce qui s'établit par son biais n'est que fiction). De roman en roman se répète et s'accuse l'énormité de la probation archétypale. Le texte, en des variations sans fin, réalise la survie du code, le réactive, le reconduit, sans progrès aucun, en jouant seulement PROPOSITION :

166

Butor, 1968, 9,

13.

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sur les modes de la vraisemblabilisation. La continuation idéologique renfermant l'usager sur un état de classe qui relève du passé constitue le seul présent du livre . Du roman succède au roman. Du roman n'en finit pas de prendre la relève du roman. Le roman dure, inépuisable, intarissable. Le roman possède la persistance de son origine. Il y a pléthore de roman, envahissement, exubérance du genre : Le roman, de jour en jour plus bruyant, plus populaire, a envahi le domaine des lettres presque tout entier et absorbé à son profit toute l'attention publique,167 Et comme s'il s'agissait là d'un passé révolu : Der Roman bildete ganze Generationen, er war eine Epidemie, eine Mode, eine Schule und eine Religion.168 PROPOSITION :

RENVOI: Sur le roman sans fin et la perpétuation ininterrompue du genre, cf. Développements sous 1.13. NOTE: Il faut faire état du mythe, toujours renaissant, de la « décadence » du roman; tout au long de son histoire, on observe que le discours «critique» d'accompagnement a hâte de le déclarer défunt: Il n'existe plus de place pour le roman : nul vide, nul interstice, nulle solitude où croîtrait le désir d'une autre vie. L'individu ne songe qu'à l'histoire [...] le roman qui favorise sans cesse les métamorphoses, quelles qu'elles soient, et qui tout ensemble vigie, guide et ferment, dissout la société en se développant et, l'invitant ensuite à se recomposer, se destine à disparaître,169 Or, le roman a beau être une « chose du passé », il n'en persiste pas moins: de « crise » en « crise », il se porte bien. Les variations qu'il comporte sont prises pour sa réelle négation. La floraison romanesque se poursuit à l'ombre, comme toujours, du discours « critique » de couverture.

Le roman est interminable. Tout se passe comme s'il n'y avait jamais assez de roman, comme si le roman n'était jamais suffisant, assez vrai, assez probant, persuasif, comme si le fait même qu'aucun usager ne soit finalement convaincu de sa réalité contribue à accroître le nombre de ses exemplaires, le pousse à l'infinité de la variation. Le roman se perpétue dans l'infini de ses transformations. Ses formes, jamais stables, jamais achevées, toujours concurrencées, sont à considérer comme le réajustement continu du même (le ton change, le discours reste). Les transformations romanesques dans leur infinité ont pour but la sauvegarde incessante du code de base. E n effet, la parole idéologique s'use. Comme tout système informatif, elle se dérange et s'abîme (De même que nos sensations s'émoussent par l'habitude, ainsi 167

Poitou, 1858, 311. Mandelstam, 1965, 136. 109 Caillois, 1942, 211-213. (Même pronostic chez Mandelstam, 1965, 138, par exemple). 168

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les mots perdent de leur valeur ou de leur force expressive, comme des pièces de monnaie s'usent par l'usage même que l'on en fait. Et pendant que de tels mots s'usent, d'autres contractent des souillures qui les font pareillement rejeter).170 Son langage s'érode. Elle ne peut faire autrement que constamment combattre la déperdition régulière de ses forces. Dans cette lutte, le roman joue un rôle de premier plan : il rénove et rafraîchit le langage idéologique en train de faillir. La confirmation romanesque rajeunit l'archétype. Le livre a pour but la permanente réfection du sens archétypal, toujours sur le point de se défaire, que la décomposition sans répit menace. Le sens idéologique, toujours identique et pareil à lui-même, est donc « sauvé » de son usure, ou du moins retenu sur la pente de son inévitable détérioration, par le roman (jusqu'à en être amélioré dans ses prestations). Retarder, contrarier l'information archétypale pour toujours y aboutir bonifie l'archétype. La multiplication, la surabondance, la transformation, la diversité du roman se pensent à partir de l'office de support et de consolidation idéologique que le texte a à remplir. Comme si l'archétype mis en œuvre avait besoin de ce renfort imaginaire - et pareillement le code et la classe qui l'entretiennent. Ou encore, que le sens de l'origine ne se trouve jamais assez démontré ni vérifié de façon satisfaisante ou définitive. L'usure du sens idéologique ne cesse pas. Le comblement de cette constante dégradation ne peut être interrompu. La vérité du code n'est jamais assez établie, la détérioration des affirmations qui successivement l'accomplissent nécessite un perpétuel endiguement - le roman, son évolution, ses séries. La parole idéologique, minée de l'intérieur (en tant que fiction) et soumise à la loi de déperdition à laquelle obéissent les procès de communication, se dégrade interminablement. L'institution, aux fins de survie, se voit contrainte de produire sa réanimation continue (elle doit lutter de vitesse avec la mise à mort de son propre discours). La démonstration de la vérité idéologique sur laquelle elle se base est en effet toujours à refaire (la mise en ordre qu'elle vise est inachevable, la fiction bute sur un inéliminable resté). Le code, qui s'affirme unicité et plénitude du sens, doit être rappelé (de drame en drame) et exigé (de négation en négation) - et cela avec de plus en plus d'insistance (pour couvrir le champ d'un pouvoir de classe, toujours plus vaste et toujours plus secoué). De son point de vue, par conséquent, le Paradis est toujours à refaire.111 170 m

Cournot, 1923, 141. Gide, s. d., 213.

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RENVOI: L'auteur doit prévoir la rénovation de la négativité (illustrative) pour réussir la confirmation (toujours défaillante) de la positivité qu'il sert. Cf. D é v e l o p p e m e n t s s o u s V o l . c o m p l . , TABLEAU 15, EXPLICATION.

Le défaut de la fiction, l'impossibilité qu'elle éprouve à s'établir elle-même comme vérité, motive la fiction et son renouvellement perpétuel. Le roman, ressasseur par essence, vaut par la répétition et prolifère à cette fin. Son échec, nécessaire, à suffire à la tâche qui lui est fixée l'oblige sans fin à la poursuivre : le roman fait qu'il y a du roman (aujourd'hui), il faut du roman parce qu'il y a du roman (aujourd'hui) malgré sa « mort malgré son «insuccès ». NOTE: Le roman doit résoudre le problème suivant: comment faire du sans en ôter à ce qui entend se perpétuer comme tel ? comment faire du sans sortir du sens, le vérifier sans l'effacer? La dilatation, toujours audacieuse, du circuit négatif établit en retour toujours mieux mais toujours fragilement l'information positive continue de base.

sens sens plus plus

Ainsi, tous les niveaux du roman représente dans le temps l'adaptation différenciée d'un ordre idéologique inchangé, sans que jamais l'une ou l'autre de ses réalisations textuelles puisse être tenue pour son expression véridique ou dernière : l'idéologie n'en finit pas de se (dé)montrer : (1) elle se donne à lire dans des formes apparemment changeantes et contradictoires mutuellement dissimulatrices de leur réelle identité (la dispersion idéologique dérobe le consensus en fait réalisé), (2) elle se reçoit comme tradition et prend l'aspect d'une liquidation constante de la tradition (paraît vrai ce qui désigne derrière lui comme son passé l'erreur, paraît vrai ce qui, de ce fait, passe pour tenir compte du monde actuel). Le roman fixe dans l'identique réalité idéologique, présentée comme changeante et qu'une innovation indéfinie valorise. La réalité idéologique, couverture d'un pouvoir de classe désormais daté, se perpétue actuellement dans le roman, à travers le démenti incessant que ses formes successives s'opposent les unes aux autres. Le « roman de l'avenir » correspond aux exemplaires de la série précédente, sa « vérité » s'en déduit. NOTE: Le texte réalise la précipitation de l'usager dans le passé: toute lecture du roman est bien anticipatoire (on lit par avance la fin que l'aventure du moment contredit), mais son terme est un état que le temps utilisé (le passé) atteste et historise. Le texte est un « renvoi », son intérêt repose sur la nonlittéralité de l'écriture investie. 172 172

Macherey, 1966, 263: La bourgeoisie a sa révolution derrière elle: nul progrès technique ne pourra la rénover. Ainsi l'idéologie bourgeoise est devenue incapable de penser et de représenter l'avenir.

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Le roman verse d'une fiction (d'une illustration dramatique) dans l'autre sans jamais cesser d'en confirmer la profonde équivalence, sans jamais cesser de reconduire à leur identique modèle : le même ordre ou la même « illusion » ressort du texte quel que soit le démenti qu'il oppose à son origine et aux modes antérieurs et parallèles de la négation. L'information romanesque transmise ne change pas, son canal - bien que périodiquuement « nettoyé » - ne change pas : Le romancier recrée le monde de la narration au moyen de la narration.173 L'idéologie réussit à se purifier indéfiniment de son « passé à produire l'impression de son constant dépassement, en circulant sans fin d'une forme romanesque à l'autre. Elle se désigne ainsi comme son propre futur, comme l'incessante amélioration d'elle-même. A travers le texte, c'est son horizon qui paraît reculer, quoiqu'elle enferme alors toujours plus étroitement dans son champ. L'idéologie, « immobile » par nature, joue son change, se vérifie et tout à la fois empêche son identification en proposant systématiquement une image dynamique, « progressiste », d'elle-même. On n'échappe donc pas au roman. Un passé sans fin, une fiction sans fin, lieu d'un pouvoir sans fin exercé, rassasie le lecteur : als wäre nichts geschehen || erscheint täglich neu || unser rührender schmutziger || knallharter roman. || fortsetzung folgt, und ein kein einde.174 II ne se trouve aucun terme au dénouement identique du même. L'origine se perpétue à son gré d'évolution en évolution, de manipulation en manipulation, relançant le semblable et le similaire dans un mouvement perpétuel. La fiction, générale, contraignante, s'ofïrant à lire « au lieu du réel », sans solution de continuité, sans trêve aucune, dure pour un usager « sans durée » devenu son sujet. L'« homme heureux », idéologiquement, n'a pas d'Histoire; 1'« homme heureux » est celui qui, entré dans le roman, n'en sort pas et le devient lui-même (sa mémoire en absorbe sans répit l'exemple, elle ne s'en sépare désormais pas); 1'« homme heureux » se trouve assigné à demeure dans l'édifice idéologique par le biais d'un texte falsifié et « renversant », stabilisateur, « étale » : il pense par le code, le code « pense » sans relâche sa propre pensée, il est lui-même le lieu d'existence du code. Son immobilisation est l'effet d'un texte voué à la représentation archétypale : Heureux [donc plutôt] celui qui peut dire « lorsque », « avant que »et « après que >;17S 173 174 176

Buyssens, 1943, 13. H. M. Enzensberger, 1964, 41. Musil cité dans Faye, 1964, 28.

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désapprenant le livre, échappant à l'origine, il réintègre l'Histoire et sa pratique. RÈGLES À SUIVRE POUR SORTIR DU ROMAN (DE LA FICTION) DE CLASSE

Du point de vue matérialiste, et du point de vue matérialiste seulement, le roman ne représente pas une fatalité, le roman est effectivement une « chose du passé » :176 II nous semble aujourd'hui que l'idéologème du signe et/ou du roman est clos.177 Il est possible d'ôter le « collier » de la narration romanesque. 178 La linéarité grâce à laquelle le texte s'ancre dans son passé idéologique pour découvrir sa « vérité » peut être abolie. La désignification est possible. La probation dramatique peut n'avoir pas lieu. La suppression du sujet idéologique et de la valorisation archétypale est réalisable. 179 La vraisemblabilisation textuelle s'évite.180 PROPOSITION 1 :

Une littérature matérialiste, et une littérature matérialiste seulement, qui entend exclure le renfermement idéologique de l'usager, fait cesser le roman. Elle réalise dans le texte (théoriquement) la libération de la « fable ». Son usager se passe de la « fiction ». Il désapprend l'obéissance aux commandements du code. Il s'évade de l'origine qui lui fut assignée; son présent commence. Le texte, « étranger », hors circuit, hors régime, desserre l'étreinte idéologique et arrête le processus de conversion à l'archétype en faisant sauter les liens du langage existant : il nie, modifie, il est mouvement,181 traversée.182 PROPOSITION 2 :

""

Cf. Genette, 1969, 69. Kristeva, 1969c, 448. Flaubert, 1930, 7e série, 237. Jeudi [4.1873], 279. 11 décembre 1875, à propos de Bouvard et Pécuchet : Il faut un semblant d'action, une espèce d'histoire continue pour que la chose n'ait pas l'air d'une dissertation philosophique [...] Je voudrais faire quelque chose de serré et de violent. Le fil du collier (c'est-à-dire le principal) me manque encore. 179 Comparer encore à Fromentin, 1876, 201, 205 : En France, toute toile qui n'a pas son titre et qui par conséquent ne contient pas un sujet risque fort de ne pas être comptée pour une œuvre ni conçue, ni sérieuse [...] Chez nous, quand le sujet s'absente, il faut du moins qu'un sentiment vif et vrai et que l'émotion saisissable du peintre y suppléent [...] Une bête au pâturage qui N'A PAS SON IDÉE, comme les paysans disent de l'instinct des bêtes, est une chose à ne pas peindre. 180 Todorov, 1971, 98 : Plus on condamnera le vraisemblable, plus on lui sera assujetti. 181 Kristeva, 1969a, 9 : Il participe à la mouvance, à la transformation du réel qu'il saisit au moment de sa non-clôture. 182 Cf. Kristeva, 1969a, 16. 177 178

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« Réflexion continue », « contestation écrite du code, de la loi et de soi-même », « VOIE ( [ . . . ] trajectoire complète) ZF.RO (qui se nie),183 le texte pense la langue.184 Faisant éclater la surface de la langue, le texte est /'« objet » qui permettra de briser la mécanique conceptuelle qui met en place une linéarité historique, et de lire une HISTOIRE STRATIFIÉE: à temporalité coupée, récursive, dialectique, irréductible à un sens unique mais faite de types de PRATIQUES SIGNIFIANTES dont la série plurielle reste sans origine ni fin.186 Le texte vise la transformation des conditions mêmes de son écoute.186 Débloquage et destruction positive de l'institution, violence faite à l'origine, guerre menée contre l'immanquable dénouement, il ouvre et de façon cassante au présent, à sa pratique : Donc le poète est vraiment voleur de feu. Il est chargé de l'humanité, des ANIMAUX même; il devra faire sentir, palper, écouter ses inventions; si ce qu'il rapporte de LÀ-BAS a forme, il donne forme; si c'est informe, il donne l'informe. Trouver une langue; -Du reste, toute parole étant idée, le temps d'un langage universel viendra ! Il faut être académicien - plus mort qu'un fossile, - pour parfaire un dictionnaire, de quelque langue que ce soit. Des faibles se mettraient À PENSER sur la première lettre de l'alphabet, qui pourraient vite ruer dans la folie ! (Rimbaud)181 Strictement j'envisage, écartés vos folios d'études, rubriques, parchemin, la lecture comme une pratique désespérée. Ainsi toute industrie a-t-eïle failli à la fabrique du bonheur, que l'agencement ne s'en trouve à portée : je connais des instants où quoi que ce soit, au nom d'une disposition secrète, ne doit satisfaire. AUTRE CHOSE... ce semble que l'épars frémissement d'une page ne veuille sinon surseoir ou palpite d'impatience, à la possibilité d'autre chose. Nous savons, captifs d'une formule absolue que certes, n'est que ce qui est. Incontinent écarter cependant, sous un prétexte, le leurre, accuserait notre inconséquence, niant le plaisir que nous voulons prendre : car cet AU-DELÀ en est l'agent, et le moteur dirais-je si je ne répugnais à opérer, en public, le démontage impie de la fiction et conséquemment du mécanisme littéraire, pour étaler la pièce principale ou rien. Mais, je vénère comment, par une supercherie, on projette, à quelque éléva193 184 186 166 187

Kristeva, 1969a, 197. Kristeva, 1969a, 76. Kristeva, 1969a, 13. Cf. Ponge + Sollers, 1970, Rimbaud, 1954, 271.

19-20.

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tion défendue et de foudre ! le conscient manque chez nous de ce qui là-haut éclate. (Mallarmé)188 Jusqu'à présent, l'on a décrit le malheur, pour inspirer la terreur, la pitié. Je décrirai le bonheur pour inspirer leurs contraires. Le plagiat est nécessaire. Le progrès l'implique. Il serre de près la phrase d'un auteur, se sert de ses expressions, efface une idée fausse, la remplace par l'idée juste. La maxime n'a pas besoin d'elle [de la vérité] pour se prouver. Un raisonnement demande un raisonnement. La maxime est une loi qui renferme un ensemble de raisonnements. Un raisonnement se complète à mesure qu'il s'approche de la maxime. Devenu maxime, sa perfection rejette les preuves de la métamorphose. Si on corrigeait les sophismes dans le sens des vérités correspondantes à ces sophismes, ce n'est que la correction qui serait vraie; tandis que la pièce ainsi remaniée, aurait le droit de ne plus s'intituler fausse. Le reste serait hors du vrai, avec trace de faux, par conséquent nul, et considéré, forcément, comme non avenu. (Lautréamont)189 Tu attendras une réponse rassurante... une contrepartie dans une forme affirmative tendant à une conclusion, à la stabilité... Je pensais à une conclusion, fin mot de l'histoire: une dernière parole? le « Mehr Licht!» traditionnel. Si je trouvais ce « mot de la fin » exact - le terme précis? IL N'EXISTAIT PEU À PEU PLUS AUTRE CHOSE, IL NE RESTAIT QU'OII

peut rien. On n'a que ce que l'on invente. (Maurice

188 188 100

Mallarmé, 1961, 647. Lautréamont, 1956, 387, 381, 380, Roche, 1966, 99, 63, 94.

372.

Roche)190

n'y

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INDEX*

accident cf. extraordinaire actant cf. personne textuelle Adorno le récit de l'extraordinaire, 73 le titre secret, 172 le titre impossible, 181 adresse le texte romanesque comme adresse, 164, VC.T.21,1A formules d'adresse dans le roman du corpus, VC.T.ll pose le récit en tant que norme, 158 agent cf. personne textuelle Althusser la structure est immanente à ses effets, 19-20 proposition idéologique : définition, 242 idéologie en tant que représentation du rapport imaginaire des individus au réel, 225 idéologie en tant que système d'informations « imaginaire » dénégateur de sa propre identité, 301-302 l'effet idéologique de reconnaissanceméconnaissance, 69, 337 le « mouvement immobile » de l'idéologie, 69-70 la forme idéologique comme lieu et enjeu de la lutte des classes, 227

individualisation idéologique, 326-328 la catégorie de sujet idéologique, 228231 la « mise en scène » idéologique, VC.T. 1,9 annonce de l'aventure, 107-108 de la fin, 198 le titre annonce l'histoire, 173 antilittérature comme produit épuré de sa consommamation commerciale, 64-65 il n'y a pas d'antiroman, 362 l'antiroman participe du roman, VC.T. 1,11

n'échappe ni à sa base structurale, ni à sa base idéologique, 65 le roman de la négation est illisible, 201 illisible et/ou tue, 65 la négation réelle du roman du corpus se passe en poésie, 362-363 le texte matérialiste comme antiroman, 370-371 cf. Flaubert; Kristeva; Lautréamont; littérature; Lyotard; négativité-, nouveau roman; Sanguineti Apostel la cohérence du système, 58 la régulation de l'information, 78 archétype définition, 260 figure élémentaire du livre et code en réduction, 188-189

* UIndex enregistre les principales catégories utilisées dans cet ouvrage (Volume Complémentaire y compris) ainsi que leur traitement raisonné. Sous le nom d'auteur, on relève les plus importants points de doctrine soumis à examen. (Tous les auteurs cités — en particulier, ceux qui servent à la documentation —, ni chacune des mentions d'un auteur ne sont donc pas signalés). VC = Volume complémentaire; T = Tableau.

INDEX dont les universaux constituent le fond, 329 instance unique de l'idéologique, 225 armature de l'édifice idéologique, 224 le roman représente l'archétype, 225226 vérité positive du roman, 189,192-193, 201, 205, 220 le roman signifiant de l'archétype, 194, 212, 218

il n'y a à lire dans le roman que l'archétype, 330 le sens du roman est le sens de l'archétype, 208, 239, 278 s'exprime à travers la violence, 351-353 figure archétypale du code d'origine, 191 contenu de la figure archétypale du code d'origine, 292-293 démenti par le roman, 193, 221, 258 enjeu de la lutte, 214,222 rétabli par le roman, 197, 200, 203, 260 la récupération de l'archétype est publique, VC.T.17, Explication 7 toute fin romanesque est archétypale, 291 éprouvé dans le roman, 296-298, 302, 316-319 garanti par le roman, 219,225 le roman entraîne à la « vérité » de l'archétype, 345 « augmenté » lors de son rétablissement, 200 instauré dans le lecteur comme conscience idéologique, 327-328 « double » du lecteur, 338 cf. code; origine-, universaux articulation narrative constitutive de la situation narrative de base, 160-161 niveaux d'articulation du texte romanesque, 161-162 articulations narratives dans le roman du corpus, VC.T. 12 le texte romanesque conversé, VC.T. 21,1C-1E le texte romanesque est un mixte narratif, VC.T. 21,2 produit l'immobilité de la narration, 163 produit l'immédiateté de la narration, 164

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produit la naturalisation de la narration, 165 cf. narration Auclair structure de l'énigme, 261 auteur n'est pas maître de son roman, 159-160 n'est pas maître du système relationnel ni de sa couverture, 151-152 obéit au romanesque ambiant, 40 sa parole cache celle du code, 152 avant-garde cf. antilittérature aventure cf. extraordinaire Badiou le mode de production esthétique, 305 « l'art n'est pas l'idéologie », VC.T.1,9 l'autonomie du processus esthétique, VC.T.1,9 Bakhtine le jeu dialogique du texte, 164-165 il n'y a pas de canon romanesque, VC.T. 1,4 chaque exemplaire perfectionne le genre, 63 Balzac être vrai dans tous les détails, VC.T. 21,5 Barbéris le texte ajoute à ses conditions de production, 68 l'œuvre a de quoi susciter son besoin chez le lecteur, VC.T.1,10 Barthes récit, au sens formel, VC.T.1,2 pour une typologie actantielle, 119 définir le passage d'un équilibre narratif à l'autre, 199 fonction narrative du passé simple, VC.T.12, Explication le suspense « risque » et « glorifie » la structure, 273 fonction sémiotique du « détail », VC.T.21,5 le signe est différence, 216 le nom propre, lieu de sujétion (ou non), 138 l'affichage du corps, 288 le texte pluriel, 27, 32, 238-239 la littérature comme « cacographie intentionnelle », 236

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INDEX

la dispersion du Texte général moderne, 46 la littérature « réactionnaire et cependant féconde », 70 devenir endogène de la structure du message littéraire, 19 penser la règle, puis le rapport à l'Histoire, 29 « l'Histoire est elle aussi une écriture » 22 l'idéologie ne travaille pas, 68 le produit culturel circule peu, 53 dépolitisation du mythe, 306-307 l'écrivain-prêtre, 44 Bataille la communication est rupture et blessure, 268 « le crime est le fait de l'espèce humaine », 288 Benjamin contre l'Histoire des « faits », 20 l'Histoire, construction du présent, 23 le texte unique et divers, 62 Bense tout passe signe, 55 l'information comme innovation, 76 redondance et innovation, 78 dialogue suppose séparation, 196 le code de référence de l'information, 76 Benveniste le sens n'est pas addition de signes, 58 l'art ne renvoie pas à une convention, VC.T.1,4 Beylin fatalité du kitsch, VC.Note IV Blanché la négation comme foncteur de vérité, 219 Blanchot la négation est liée au langage, 217 la négation et son objet, 219 le récit du non-drame, 185 Blin le lieu signe, 109 Booth l'auteur lié au choix rhétorique, 160 Borgès le monde existe pour aboutir à un livre, 84 Bourdieu la valorisation culturelle, 321

programmation de l'individu, 321 l'habituation au système produit l'impression de liberté, 322 Braudel l'historien metteur en scène, 310 Brecht la libre circulation des biens culturels n'a pas lieu, 44-45 Bremond récit (définition), VC.T.1,2 pour une typologie des rôles, 119 critique du concept de fonction chez Propp, 141 de l'équilibre au déséquilibre narratif, 270 les alternatives narratives, VC.T.15 Brillouin la codification fonction du but assigné, 198 Butor la date, 100 le nom propre constante du personnage, 136 le «je » vraisemblabilisateur, VC.T.21 les rapports texte/titre, 180 le roman a besoin du secret, 258 le ressassement littéraire, 366 le récit donne un monde faux, VC.T. 1,9 la population romancière, 39 Buyssens le sens résulte du découpage différentiel, 216 Bya le commentaire réducteur du sens, 28 Caillois « le roman n'a pas de règles », VC.T. 1,4 le roman « fantasmagorique », VC. Note II le roman «dissolvant», VC.Note VI « le roman se destine à disparaître », 367 fonction du héros, VC.T. 16, Réfutation 2 le ludus, 209, 230 binarité politique alternante, 234 les deux littératures, VC.T.1,11 censure il y a censure effective efficace, 44-45 régime, 42 faits de censure, 42-43

INDEX l'opinion quant à la censure, 43 implicite, informulable et libérale, 45 la censure produit du roman, 42 le roman est une censure, 357-358 Chklovski la forme détermine le contenu, VC.T. 1,6

fable et sujet, 237 l'œuvre sur fond d'œuvres, 46 les événements répondent à la démonstration, 185 le retardement narratif, 266-267 l'oxymore narratif, VC.T. 10, Explication 4 classe la classe dominante règle la circulation du sens, 335-336 la classe dominante possède le monopole du langage, 342-343 code de classe comme référence exclusive du roman, 336-337 le roman comme parole de la classe dominante, 336, 338-339 le roman, technique de probation idéologique spécifiquement bourgeoise, 341-343 la classe dominante possède le roman comme outil de la manipulation idéologique, 336, 339 le roman instrument de la monopolisation de la parole dominante, 344, 346 le roman généralisateur de la parole dominante, 346 le roman instrument de l'idéalisation de la société de classes, 346-347 l'ordre de classe objet de la reconnaissance du roman, 337-338, 340 le roman démontre « en vérité » l'ordre de classe, 348-349, 355 la violence de classe justifiée dans le roman, 352-357 le rapport de lecture à la classe dominante, 340-341 le roman comme mise à mort de la conscience de la classe dominée, 361 cliché forme usée et activée du code dans le roman, 252 clôture point de convergence des éléments textuels, 197-198 ferme la communication, 260 les solutions du roman du corpus, VC.

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T.16 le dénouement est nécessaire, 197, 201202, 363-364, 366 la finition structurale est la « bonne » fin du livre, 202, 292 la fin suffisante, 201-202 les fins du roman sont identiques, VC. T. 16, Explication soulignée par l'événement-signe, 203205 donnée en même temps que le commencement, 198-199, 262 comme liquidation de la négation, 197, 199, 202 toute fin restitue l'origine, 291 la finition permet la probation, 289-290 code définition, 259-260 comprend l'archétype, les informations idéologiques objectives et les universaux, 329 selon la théorie de l'information, 188 système signifiant de déchiffrement, 188 en position idéologique, 188 accompli comme archétype du livre, 188-189 qualité du code: l'ordre, 190 le code est « Dieu même », 312 support de l'information textuelle, 77 est l'intention du système relationnel, 151-152 l'horizon du drame s'appelle code, 187 vécu en tant que représentation par le héros, 191 révélé dans l'acte de pseudo-dévoilement scandaleux, 288 le refoulé de scandale du code, 284-285 seule objectivité du livre, 128,192, 250252 informant-informé du texte romanesque, 261 le roman démontre le code, 193, 222, 289 le roman est le code, 312 se protège par le roman, 224, 361 le roman intègre au code, 313-314 établi comme universalité par le roman, 329-330, 333-334 le roman signifie « divinisation » du code, 312 sa reconnaissance claire comme ordre est accomplie par le roman, 333-335 interdit (par le roman) ce qui le nie et le

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INDEX

définit, 288 propagé par l'école, 319-328 trouve à se confirmer dans la lecture, 192 l'homme heureux pense le code, 370371 commentaire omet l'effet textuel, 5 sublimant, réducteur, 6-7,30 couvre le texte, 27-28, 30-31, VC.T.20 surestimation du produit culturel, 6 sousestimation du produit culturel, 6 mutilation du dialectique, 6 réduit le texte à l'œuvre, 6 canonisateur, 6 modes de réduction institutionnels du texte, VC.T.l couverture de discrétion/indiscrétion du texte, VC.T. 23 l'affirmation de probation romanesque, VC.T.25 dialectique du cache romanesque, VC. Note VII compliche du texte, 27-28 réduit le texte pour le système, 28, 30 condition du fonctionnement idéologique du texte, 31 sa position historique ne s'élimine pas, 22-23 ne s'« améliore » pas, 5 Commune le roman contre la Commune, 358-360 consommation (niveaux de) les 4 niveaux de la consommation romanesque, 51-53 relativement hétérogènes, 53 le texte repère à plusieurs niveaux de littérature, 9 l'analyse doit les distinguer pour saisir le champ institutionnel différencié, 9 conte conte et roman, leurs lectures spécifiques, 143 ne « tremble » pas la qualification, VC. T.8, Explication se réduit au roman, 41 contexte comme lieu d'existence du texte, 29 décide de l'effet (du sens, de la lisibilité) du texte, 61 le genre comme contexte, 249-250 répressivité contextuelle du roman du corpus, VC. Note VIII

cf. genre", intertextualité; texte corpus définition, 9, 48-51 définition du corpus réduit, 51 comme coupe synchronique, 9 le roman comme corpus, 9 crise cf. drame critique cf. commentaire culture unique différenciée d'une société de classes, 337 comme « dressage », 343-344 début cf. ouverture démenti cf. négation!négativité démonstration cf. probation Derrida la différence, l'Écriture comme différence, 81-82 la structure, principe unificateur, 54 le sens propre n'existe pas, 130 le nom propre pris dans la figuration, 132 la différence productrice du sens, 220221 la signification comme réseau d'oppositions, 216 différence et différance, 221 la violence fondatrice du sens, 221, 349, 361 la clôture, 203 le titre réducteur du livre, 130 description dans le roman du corpus, VC.T.6, Explication 4 le texte se certifie dans la description, VC.T.21, 6 déséquilibre cf. drame détail le texte se certifie dans le détail, VC.T. 21,5 dialogisme cf. articulation narrative différence le sens naît de la différence, 217, 220221 fondatrice du texte, 124

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INDEX exige d'être résorbée par le texte, 124^ le roman conduit du même au même à fc travers la différence, 198 fS différence feinte du roman, 203 r cf. Derrida; extraordinaire; négation! ' négativité Dodeier 1'« impulsion artistique», VC.T.1,8 Dolezel ? l'analyse synchronique débouche sur l'analyse diachronique, 47-48 drame modèle du déséquilibre relationnel, 149 constitué par la relation actantielle, 143 réalisation textuelle du démenti, 193 comme négation de la moralité, 202 « il n'y a de drame que de l'inacceptable », 187 produit de la localisation, 107-108 tout drame est énigme/toute énigme est drame, 258 jeu sur l'archétype, 200-201, 260 suppose la positivité d'origine, 187 archétype, événements, système relationnel, données du drame, 193 définit l'archétype, 218 a lieu pour ouvrir à la confirmation de l'archétype, 200, 205, 209 désordre de la relation et appel à sa redistribution, 194 n'est pas négation réelle du code d'origine, 187-188 cf. négationjnégativité-, rencontre-, système relationnel Dresden la réalité est seconde par rapport au roman, 245 le monde « imaginaire » du roman, 245 la description ne renvoie qu'à ellemême, VC.T.21, 6 le malheur comme objet de la narration, 84 conflit et tension comme détermination du récit, 214-215 l'art de la rupture, VC.T.22 Dubois la « littérature populaire » appelle l'analyse sociologique, VC.T.1,11 Eco l'information fonction de l'ordre textuel, 59 l'incertitude « enrichit » l'information,

270 les personnages ne changent pas, 235 puissance du lieu commun littéraire, 62 le « mal » comme « maladie sociale », 235 le roman-feuilleton n'est pas essentiellement conservateur, 341 école comme service de classe, 320-322 comme propagation du code, 319-328 soutenue et continuée par le roman, 319-328 le roman, instrument privilégié de la scolarisation, 322-324, 343 écriture dérobée, oralisée dans le roman, 154155, 157-158 cf. Derrida effet cf. intérêt Eikhenbaum l'ordre de grandeur du texte déterminé par son principe, 76 émotion textuelle mode de perception « hors conscience » de l'idéologique, 314 mécanisme, 315-316 le roman producteur et montreur d'émotion, 316-317 modèles d'émotion dans le roman du corpus, VC.T.28 prouve et fixe l'archétype, 316-317, VC.T.28, Note énigme cf. suspense H. M. Enzensberger la classe bourgeoise idéo logiquement stérile, 68 épreuve cf. lutte érotisation le scandale romanesque est passion, 280-282

la femme comme être de scandale, 281-282

érotisation de la lecture du roman, 273 le lecteur voyeur, 283-284 Escarpit la littérature expression, VC.T.l, 10 critère de gratuité de la littérature, VC. T.l, 7

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les 3 littératures, VC.T.l, 11 Establet la culture dominante, 336-337 événement cf. extraordinaire exemplarisation le roman exemplaire et scolarisateur, 318-328 mythe du roman démoralisateur, VC. Note VI l'exemplarisation romanesque fait connaître l'archétype, 318-319 le sens universel établi par le roman est piésenté comme modèle, 333-334 le roman arrête la pensée à son modèle, 346 expressivité le texte réduit à sa qualité d'expression, VC.T.l, 10 extraordinaire condition de l'histoire, 73-76, 79, VC. T.2, Explication procède du récit, 86 inscrit avant d'être écrit, 97 l'aventure est extraordinaire, 74 dans le roman du corpus, VC.T.2 ouvre le texte, 74,181, 260, VC.T.14 effet de la rencontre, du trait difforme, 195 formes de l'extraordinaire inaugural, 182-183 sa forme « seconde » (ou fondamentale), 91 en tant que manifestation du déséquilibre actantiel, 145,183-184,192 équivaut à négation, 79 fondateur du sens, 79-80, 85 comme négativité dans le roman du corpus, VC.T.3 signifié comme malheur, 82-86 comme malheur dans le roman du corpus, VC.T.4 intéresse, 75, 78, 80,182 amorce l'affirmation, 194 mode de propagation du discours moyen, 77, 83 cf. différence", négation!négativité fiction ne s'avoue pas fiction, 100,247-248, 256 vue en vérité par et dans le roman, 345 se fait vraie pour être lue dans son effet de fiction, 252-253

suppose un original dont elle dérive, 246 le texte réduit à sa qualité de « fiction », VC.T.l, 1 réduite à son instinct, 88-89 engendrée comme Histoire par le roman, 309 l'effet de fictionnisation, 311, 339 la fiction universelle produite par le roman, 330 l'effet de déréalisation, 356-357 fable et réalité ne se distinguent pas, 252, 370-371 forme de saisie de l'ordre de classe, 340 fixation de la répulsion sur l'objet idéologique, 353-354 son rapport fondamental à la propriété, 5 fin cf. clôture Fischer l'art, triomphe du réel sur l'idéologique, 22 Flaubert programmatique, VC.T.20, 5 l'illusion romanesque, 254 l'inimitable réalité, VC.T.21,6 la narration est un « collier », 371 le refus du désaveu romanesque, VC. Note VI, Parallèle le roman de la copie, VC. Note VI, Parallèle contre la Commune, VC. Note VIII forme le texte réduit à sa qualité de forme, VC.T.l, 6 Forster le roman comme récit-narration, VC. T.l, 2 les personnages forment un système différentiateur, 138 les signes « commodes » de la fin, 203204 Foucault l'Histoire et son continu, 80 l'Histoire-narration, 22 fable et fiction, 237-238 la fondation de l'origine, 296 Fox l'unité forme/fond, VC. T.l, 6 le roman bourgeois, 338-339 le lecteur soumis à la publication, VC. Note IV

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INDEX Frank-Bôhringer communiquer en tant que projet, 236 Furet+Fontana le titre et ses formateurs, 176 Genette récit (définition), VC.T.1,2 temporalité de la parole et linéarité linguistique, 100 la description « ancilla narrationis », VC.T.6, Explication 4 rapport muet entre récit vraisemblable et système de vraisemblance, 251 le refus du roman chez Flaubert, VC.T. 20, 5 genre il y a fait de genre, 34 critère de la vraisemblance du roman, 249-250 l'exemplaire perfectionne le genre sans changement, 63 ne s'autodétermine pas, 39-40 le texte réduit à sa qualité de genre, VC.T.l, 3 cf. contexte-, intertextualité Gide l'impossible récit du bonheur, 85 hiérarchisation de convention du personnel, 124 dater, mesure d'art, non de vérité, 101 lenteur du roman, 265 « C'est avec les beaux sentiments qu'on fait de la mauvaise littérature », 85 Girard la concurrence des désirs actantiels, 138 le tiers présent à la naissance du désir, 195 la fin romanesque est une conversion, VC.T.16, Explication Goldmann l'œuvre représente la cohérence du référent, VC.T.l, 9 la structure de l'œuvre est « homologue » aux structures du référent, VC. T.l, 9 le roman dans la dépendance étroite des structures économiques, 338 Goncourt programmatique, VC.T.20,1 Gramsci la littérature n'engendre pas la littérature, 64 analyser l'illusion romanesque, 30

la culture unificatrice, 321 l'hégémonie passe par le pédagogique, 319 le roman opium, 344 Greimas passer par une procédure post-greimasienne, 8 les catégories actantielles du récit, 142 l'épreuve, fondement diachronique du récit, 219-220 les « ressorts » du « crescendo textuel », 143 la structure, « mode d'existence de la signification », 54 critique de la dichotomie forme/substance, VC.T.l, 6 le sens comme intentionnalité, 236 le sens comme transformation du sens, 239 Grivel réduction romanesque de l'écriture, cas Mérimée, 82 la figuration de la terreur comme exclusion de son motif, 358 Guiraud l'art comme « système de transcodage », VC.T.l, 9 Gunzenhàuser schéma de la transmission de l'information, 259 Haddad la littérature comme matrice fondamentale de l'idéologie, 338 Hamburger le roman signifie suppression de la temporalité, 163 le « présent » de l'aventure, 99 l'imparfait narratif, VC.T.12, Explication lieu de fiction du livre, 103 Haseloff émotivation de l'information, 316-317 Hassenstein la vraisemblance dans le procès de communication, 255 héros cf. personne textuelle Histoire tout est Histoire, 18 penser le texte dans l'Histoire, 18, 21-22

dimension immanente du texte, 19

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comme développement de la lutte des classes, 20 recouverte par le discours idéologique, 20 l'Histoire pour le texte est l'état de son rapport au rapport de l'idéologique au réel, 20 imposée sous l'espèce de la perte, 83,85 sert de cache au roman, 253-254 comme effet de fiction de la temporalisation romanesque, 100-101 déshistorisation romanesque, 309-311 fiction de classe ressortant du roman, 339, 358 l'Histoire-récit, 309 l'Histoire comme récit scientifique, 310-311 Histoire de la littérature masque du rendement des textes non recensés comme littéraires, 338 idéalement: sectionnement synchronique systématique du texte général, 47 Horâlek la concurrence pousse à l'inflation littéraire, 63 idéalisation mécanisme d'idéalisation du code d'origine, 287 roman signifie idéalisation, 311 contenu d'idéalité idéologique du roman, 306-314 le roman, instrument d'idéalisation de la société de classes, 346-347 cf. idéologie idéologie définition (transmission des principes et catégories de classe), 300 définition (système d'informations imaginaires), 301-302 représentation du rapport imaginaire des individus au réel, 225 rapport à l'archétype, 225 ses deux paroles : « réfléchie » et « î entrée », 302-303 ses formes sont contradictoires et changeantes en apparence, 369-371 soumise au ressassement, 366-367 se renforce par sa répétition même, 303 n'en finit pas de se démontrer, 369 la preuve idéologique comme plaisir, 314

sa propagation par l'école, 319-328 à fonction tue, 5 se définit par les moyens investis pour penser et interdire la négativité, 287 constitutrice de la catégorie de sujet, 228-229, 230 recouvre l'Histoire, 20 fermeture/ouverture du texte dans l'idéologie, 64-70 constitue, dans son rapport au réel, l'Histoire du texte, 20 résultat et moteur du procès, 303 roman (littérature), forme de la production idéologique, 338 la proposition idéologique romanesque, 242 représentation représentée dans le roman, 227-228 mise en scène dans le roman, VC.T.l, 9 mesure de la positivité/négativité enjeu dans le roman, 350 le roman comme effet sur le sens idéologique donné, 67 est l'intérêt du texte, VC.T.l,9 produit de la probation romanesque, 295 vérifiée par le roman, 252 masque sa propre nature dans le roman, 300-301 contenu de l'opération idéologique du roman, 305-306, VC.T.27 contenu d'idéalité idéologique du roman, 306-314 ses universaux, 328-330 roman signifie idéologisation, 311-312 le roman comme technique d'épuration idéologique, 317 le roman comme habituation et intégration idéologique, 313-314 la conscience idéologique de classe propagée par le roman, 325-328 sa pénétration soutenue par le roman, 343-344 rénovée par le roman, 368-369 censure idéologique par voie romanesque, 357-358 le roman comme sujétion idéologique, 361 se purifie de son passé par voie romanesque, 370 le roman ne peut faire voir que l'idéologie, 365 cf. archétype-, code', idéalisation

INDEX Ihwe les opérations textuelles ne se définissent pas à partir de la phrase, 59 imaginaire comme autre du code, 70 le lecteur participe imaginairement à la négativité, 283 information théorie de l'information investie dans l'analyse, 8 comme surprise, 76-77 se mesure quant à l'origine, 77 sa redondance nécessaire, 62-63, 78 impérative dans le texte, 60 « invisible » dans le texte, 25 l'information dite « esthétique » en tant que dérobement de la fonction de communication du texte, 24-25 augmentatrice du discours moyen, 77-78 sa vraisemblabilisation nécessaire à sa lisibilité et à sa crédibilité, 247 une information « impossible » n'est pas reçue, 246 produit du texte, 25, 59 l'information (romanesque) résulte du déchiffrement, 90 « émotivée », « dramatisée », « fictionnalisée » dans le texte, 25 l'information romanesque, 78-79 schéma de la transmission de l'information romanesque, 259-261 l'information romanesque suppose le code et ouvre sur le code, 188 l'information romanesque dépend du mode de transmission, 162 retardation de l'information romanesque, VC.T.8, Explication dosage de l'information romanesque, VC.T.5, Explication donnée, retenue et rendue dans le roman, 178, 262-263 défaut d'information irréel du roman, 264 l'information romanesque n'est pas inédite, 198 modes de redondance du texte, 304 éprouvée dans le roman pour être transmise, 295-298 augmentée après le traitement romanesque, 188,189 mise en valeur par la rétention énigmatique, 263-265

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son enrichissement par voie de redondance romanesque, 297-298, 303, 318 devenue vérité par voie romanesque, 298 l'informations romanesque n'informe que du roman, 103 Ingarden critique du concept de « couche », 58 le contenu de l'œuvre à distinguer de la structure intentionnelle, 237 l'articulation des « phases » dans l'œuvre, VC.T.14, Explication la « concrétisation », 26 le temps du livre comme analogon du temps réel, 99 la représentation « métaphysique » des qualités, 138 institution unité de ses textes, comprise comme texte général, 33 fixe le texte général et l'exemplaire, 63-64 en tant qu'identification des produits culturels, 6 réductrice du texte, 30-31 modes de réduction institutionnelle du texte, VC.T.l, VC. Note I veut du roman, 63-64 unifie sa littérature par le roman, 40 intention textuelle du point de vue sémiotique, 238-239 l'intention de signification du texte, 235-237 intentionnalisation générale des éléments textuels, 236 le roman joue sur les différentes instances de l'intention archétypale, 239, 241 ses 4 niveaux, 240-241 le plan d'intention traditionnel du texte, 237 du point de vue formaliste, 237-238 l'intention d'auteur réductrice, VC.T. 15 programmatiques de couverture dans le roman du corpus, VC.T.20 programmatiques réaliste et naturaliste dans le roman du corpus, VC.T.20, 1-4 programmatiques flaubertienne, VC.T. 20,5 programmatique de Maupassant, VC. T.20, 6

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programmatiques réactionnaires, VC. T.20, 7 intérêt objet de l'analyse, 17 définition, 72 ne se distrait pas de l'organisation structurale, 29, 53 produit dans la compétition des littératuies et des gloses, 61-62 se mesure dans et sous l'Institution, 9 l'effet idéologique positif du texte comme objet de l'analyse, 65-66 selon le sens commun, 262 l'intérêt-charme comme cache de l'intérêt-rendement, 72 se produit comme déchiffrement, 90 l'avidité de lecture, 314-315 l'intérêt pour l'extraordinaire, 75 basé sur la raréfaction de l'information, 79,266,269 définit le texte, 68 réciter, c'est intéresser, 257, 265 définit le roman, 34, 72 intérêt idéologique du roman, 299, VC.T.l, 9 le roman ne produit qu'un intérêt romanesque, 363-364 produit par l'inadéquation du système relationnel de base, 146-147, 150-151 produit par le démenti de l'archétype, 201, 202, 215,257, 265, 267 l'intérêt du roman est le sens de la positivité, 86 fonction de la révélation progressive, 150-151 fonction du titre du livre, 171,179 fonction de la vraisemblabilisation de l'invraisemblable, 246 fonction de la prévision de la cessation du démenti, 290-291 fonction de la rencontre de la conformité, 337 cf. production!productivité intertextualité définition (selon Kristeva), 363 le texte en tant qu'intertextualité, 60-61 le texte en tant que rapport au texte général et à ses analogues, 60 le texte actuel en tant qu'état daté du texte général, 61 cf. contexte", genre', texte Jakobson l'œuvre, tout dans un tout, 46

le nom propre signifie par rapport au code, 133 orientement des conduites verbales, 24 Jauss le genre comme horizon de l'œuvre, 46 la série des œuvres n'est pas réductible à la réalisation du modèle, 21 le texte est la série de ses réalisations, 26-27 décrochement historique de l'œuvre, 64-65 l'œuvre « créatrice » contre l'Histoire, 65 une Histoire de la littérature par coupes synchroniques systématiques, 47 Kandler le nom-signe, 129 le pseudonyme caractérise, 169 le titre intrigue, 174 Kayser classification des romans, VC.T.l, 3 le narrateur comme rôle, 156 le narrateur, masque du roman, 156 lecteur et narrateur complémentaires, 155 le lecteur comme rôle, 95-96 Kermode le dénouement appelé et repoussé, 198 Killy le kitsch, fonction de la difficulté d'accès de l'art, VC. Note V le kitsch en tant qu'émanation de classe, VC. Note V kitsch en tant que «nullité», VC.T.l, 11 « poison », 328, 344 mythe de sa permanence, VC. Note V fonction de la difficulté d'accès de l'art, VC. Note V en tant qu'émanation non spécifique de classe, VC. Note V cf. « sous-littérature » Klaus la crédibilité du texte ne dépend pas de la structure syntactique ou sémantique des phrases, 251 le système de signes ne doit pas être absolutisé, 57 « vie propre » de la fiction, 40 Klotz l'amorce arbitraire du livre, 92

INDEX Koch classification des contrastes romanesques, 218 Kolakowski la nudité, symbole de l'origine, 288 Kosik le texte contenu dans son effet, 17 la lecture comme « forme » du texte, 32 survie et rajeunissement du texte général, 63 Kreuzer sacralisation de la « littérature », VC. T. 1, 11 Kristeva « pour la sémiotique, la littérature n'existe pas », VC.T.l, 11 la littérature et sa glose, 28 critique du concept de signe, 56 critique de la dichotomie Gehalt/Gestalt, VC.T.l, 6 le texte excède l'énoncé linguistique, 17 intertextualité, 61,363 le sens comme vraisemblance du discours, 248 le « principe naturel » du vraisemblable, 252 le vraisemblable comme rapport de discours, 249 le vraisemblance « oublie » la production, 255, VC.T.21, 4 parler contraint au vraisemblable, 256 la « vérité » invérifiable du livre, VC. T.l, 9 idéologèmes et universaux, 329 l'auteur comme sujet de la narration, 157 le roman comme dialogue auteur/destinataire, 164 le roman comme recouvrement de la distance naissance/mort, 198-199 clôture du texte romanesque, 203-205, 363-364 la pseudoopposition romanesque, 219 la structure romanesque se reproduit, 294 l'idéologème du roman est clos, 371 la stabilité du signifié contraint à la transformation du signifiant, 64 le texte poétique comme infinité du code, 238 le texte matérialiste pense la langue, 372

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Lacan subordination de l'imaginaire au symbolique, 70 Lâmmert le hiatus entre signification (historique) et structure, 21 la narration constitutive du suspense, 269 le trait météorologique, VC.T.5, Explication Lautréamont le roman est un genre faux, 364-366 la correction de la littérature, 373 Lawson le lecteur est conduit quand il croit découvrir, 95 le titre comme mise en attente, 173 rapport suspense/solution, 201 lecture définition de la lecture « correcte », 26-27, 32, 33 la lecture totale sans faute but du roman, 297 les 3 niveaux de lecture: «correcte », « critique », « théorique », 32 la lecture ponctuelle, actuelle, « correcte » comme objet de l'analyse, 31, 33 pas de lecture « naturelle », 32 mythe de la simple curiosité de lecture, VC. Note III constitutive du texte, 26 totalisation progressive, 55, 89-90 unique et différenciée, VC.T.l,11 le texte général retenu à la lecture dans la différence, 65 aucune lecture ne termine le texte, 33 définie par la présentation matérielle, 94-95 dictée du texte, 32, 33, 159, 160, 177, 207, VC.T.14, Explication mythe de la dictéedutexte par le lecteur, VC. Note IV le lecteur n'échappe pas à la vérité du message, 155,164 comprise comme message du livre, 158 le lecteur, rôle et sujet du texte, 95, 96, 125-126,152-154,158 la lecture du roman est un acte idéologique, 299-300 comme reconnaissance idéologique, 66-67, 95, 337, VC.T.l, 9 se passe hors conscience, 300-301

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le roman se lit sur l'apprentissage du roman, 177,186 faite par avance, 182, 261 le lecteur « vit » la communication romanesque, 261 savoir complet du lecteur, 122, 123 le lecteur assiste au brouillage, 261 se passe contre la représentation romanesque, sur son crédit, 193 participation imaginaire à la négativité, 283 sa complaisance, 283-284 engagement corporel au processus romanesque, 314 son avidité, 314-315 le lecteur de roman saturé d'émotion, 317 le lecteur hérite du code, 191 le lecteur se conforme au texte-modèle, 334, 346, 348 son rapport à la classe dominante, 340341 comme intégration à l'ordre de classe, 335 le sujet pacifié du roman, 356 le lecteur se voit lui-même dans le roman, 337-338, 344 le lecteur passe fiction, 158-159 contamination des lectures du monde et du texte, 85 nettoyage de la contradiction, 357-358 le lecteur tu dans le roman, 357 cf. intérêt G. Lefebvre l'Histoire doit rester un récit, 310 H. Lefebvre le discours et sa manipulation, 68 Lévi-Strauss le système est donné dans la synchronie, 47 le mythe comme résistance à l'Histoire, 22 le roman comme « exténuation » du mythe, VC.T.l, 11 binarité dans le système totémique, 122 le nom propre signe, 129 la personnalité-totem, 114 Lichatschow l'unité forme/fond comme condition de l'analyse, VC.T.l, 6 dynamisme de l'œuvre, 54-55 Lidsky le manichéisme idéologique, 234

l'écrivain bourgeois, 339 lisibilité cf. lecture littérature n'est pas l'objet spécifique de la sémiotique, 7,8, VC.T.l, 11 le texte réduit à sa qualité de littérature (ou non), VC.T.l, 11 le partage duel des littératures, VC.T. 1,11 il n'y a pas de littérature « populaire », « prolétarienne », 40-41,342 forme de la production idéologique, 338 « réactionnaire » et « féconde » à la fois, 70 la seule littérature matérialiste libère du roman, 370-371 cf. antilittérature', Histoire de la littérature-, « sous-littérature » localisation condition du récit, 102-104 produit de la narration, 104 dans le roman du corpus, VC.T.6 conformisation de l'action à son lieu, VC.T.6 état des lieux du roman du corpus, VC.T.6, Explication 6 produit le texte comme drame, 103, 107-108, VC.T.6, Explication 6 produit le texte comme écart, étrangeté, 106-107 vraisemblabilisatrice, 104-106 inscrit le texte en représentation, 105106 produit la discrétion du texte, 108 dérobe la fiction textuelle, 109 Lojkine la reproduction comme développement, 67 la répétition du sens idéologique le fixe et l'authentifie, 303 la forme idéologique, effet et moteur du procès, 303 l'idéologie n'implique pas absolument clôture, 70 la reproduction comme fondement et pourrissement de l'idéologie, 70 l'individualisation des rapports économiques comme ma sque idéologique, 231 Lotman+Pjatigorskij valeur de vérité du texte en tant que texte, 68

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INDEX Lôwenthal la littérature expression, VC.T. 1, 10 Lubbock le climax narratif, 271 l'anticipation narrative, 289-291 articulation narrative et liberté d'auteur, 160 le lecteur rivé à la logique du texte, 153 Lukâcs le roman comme représentation des conflits sociaux réels, 226 le problématisme du héros, VC.T. 16, Réfutation 1 la « sous-littérature » comme « nonsens », VC.T.l, 11 lutte obligation narrative, 121 fonde diachroniquement le récit, 219220 moteur de la différence, 122 réalisation du contre-sens, 221 l'antagonisme définit les rôles, 138 n'est pas réductible au jeu, 209, 230 la lutte sportive, 223-224 modes de l'obstacle, 209-210 l'événement comme obstacle et provocation à la lutte, 208, 214 l'obstacle issu d'adversité, 210 remplit le roman, 211-212, 215 le roman constitue, puis réduit l'obstacle, 209, 211 être de l'agent, 212-213 l'archétype est son enjeu, 222 manifestation du sens originaire, 214 la lutte pacifiante du roman, 220 la lutte romanesque dissimule la lutte de classes réelle, 224-228,231, VC.T.17, Explication 5 personnalisation du conflit de classes dans le roman, 228-231, VC.T.17 Lyotard l'art de 1'« en dehors » du système, 65 Macherey le discours suppose l'absence de ce dont il est discours, 200 le texte en tant que productivité idéologique, 17, 66 « il n'y a pas de livre innocent ». VC. T.l, 7 la littérature comme usage inédit de

l'idéologique, 25 le conflit textuel se passe à un niveau littéraire distinct, 227 la littérature comme « élaboration seconde » du système, 67 le conflit en tant que réalité du livre, 211

le livre de l'imprévu, 73 fin et commencement: rapports dialectiques, 198 la solution-disparition de l'œuvre, 200 le texte construit un sens vérace, 246 dévoilement et dissimulation dans le texte, 258-259, 264 la pensée bourgeoise est réduite à son passé, 369 malheur cf. négation/négativité Mallarmé la référentialité est un trait non littéraire, 284 le trop haut parler du titre, 181 le livre sans fin, 92 le contemporain fictif, 347-348 « le conscient manque chez nous de ce qui éclate », 372-373 Mandelbrot décodage est synonyme de recodage, 25 de la stabilité « par répétitions » à 1'« effet diachronique réel », 63 Mann l'histoire doit être passée, 101 manque cf. drame Manteia l'idéologie, ses figures d'ordre, 190 Marx+Engels production/producteur/produit, 66 l'infraction théorique, 355 la classe dominante règle la circulation du sens, 335-336 la censure libérale, 45 le « dressage » culturel, 343 la conscience-produit, 326 réduction idéologique des rapports sociaux aux rapports individuels, 231 l'argent comme être, 331-332 le personnage exprime l'intention textuelle comme le motif de son acte, 118 la « médecine chrétienne » 235 Maupassant le « roman du passé » composé en vue de l'effet de sa fin, 201

416

INDEX

programmatique, VC.T.20,6 sujets saturés d'écriture, 347 Meschonnic « il ne faut pas séparer les textes de leur intentionnalité », 236 «l'œuvre est anti-littérature», VC.T. 1,11

méthode les paliers successifs de l'analyse, 8-9 dialectique, 10 analyse structurale investie, 8 dépassement des donnees de la théorie de l'information, 206 se base sur la distinction des niveaux de consommation des textes, 9 la coupe synchronique, 47 supervisée par le lecteur, 10 inclut l'Histoire du texte, 21-22 saisit l'effet textuel, 28 saisit l'effet textuel « dans le texte », 53 remonte de la structure au principe qui l'anime en vue du sens, 55, 60 montrer le fonctionnement du texte c'est montrer son intérêt, 73 définir l'activité romanesque consiste, d'abord, à repérer l'effet de son commencement, 90,97 reconstruire le fonctionnement du texte à partir de ses unités de base, 71 les éléments constitutifs de la situation narrationnelle de base sont à étudier séparément, 97-98 formaliser la structure narrative avec l'effet de structuration du texte, 143 on passe dans l'étude de l'intérêt de son rapport à la situation narrative à son rapport à la construction du drame, puis comme fonction idéologique, 186 l'analyse, ici présentée, du texte conforme sert l'analyse des textes non réduits, 71 G.A. Miller système de communication, contrôle social et conformisation, 300 N. Miller la fin commande le début, 91-92 Mitscherlich catharsisme, 87 Moles l'information comme mesure de l'originalité du message, 76 statistique de l'événement romanesque, 182

information esthétique et information sémantique, 24 gratuité de l'information esthétique, 24-25 le comportement en tant que somme de réactions, 57 moralisation cf. exemplarisation Muir la postulation de la fin, 197 la fin-solution, 199 le caractère dérive de l'intrigue, 117 classification du roman, VC.T.l, 3 Mukarovsky l'élément comprend le tout qui le comprend, 57 le sens comme effet de la structure, 54 la nouveauté comme « motivation des changements », 63 les plans de présence de l'idéologie dans l'œuvre, 304 la stratification littéraire, 46-47 Muiler idées dans l'œuvre/idée de l'œuvre, 237 le récit reproduction, VC.T.l, 9 raconter présentifie, VC.T.21, 2 autodétermination des genres, 39-40 classification du roman, VC.T.l, 3 mythe n'est pas le modèle du roman, 94 narrateur constitutif de la situation narrative de base, 152 permet l'oralisation du texte, 155 permet la réalisation de la vérité du discours du roman, 154 perspectivise le texte, 157-158 sujet-cause dérobant le texte, 157 narration (récit) comme objet de l'analyse, 9 récit (définition), 34 récit de fiction et récit scientifique, 310311 le texte réduit à sa qualité de narration, VC.T.l, 2 le récit est récits, 269 constitue la négation, 73-74, 79-80, le malheur est le dicible narratif, 83-84, 86 les ruptures narratives, 266-268

INDEX résorbe la négation, 79-82 rétroaction du récit sur sa base, 85 le récit est lié à la prédication, 319 vise la maîtrise du lecteur, 152,337 « c'est toujours la même histoire », 205 cf. articulation narrative; situation narrationnelle de base négation/négativité source de la signification du système, 218, 219 base de la signification du récit, 79-80 constitutrice du système, 216-217 la positivité est l'indescriptible, 84-85 la négativité spécifique du récit, 80 82 le roman comme élaboration de la négativité, 215 incarnée dans le roman, 206 sa vraisemblabilisation, 80 effet du tiers, 195-196 en tant qu'extraordinaire dans le roman du corpus, VC. T.3 en tant que malheur, 82-83, 206 en tant que malheur dans le roman du corpus, VC.T.4 explications psychologiques de l'emploi du malheur dans le roman, 86-87 sens scandaleux du roman, 186-187 en tant que violence, fondatrice de la parole, 221-222 le démenti est passionnel et sanglant, 280-282 porteuse de l'affirmation d'origine, 79, 193-194, 200, 215 la figuration du mal comme figuration du bien, 87-88, 218 ne se produit comme scandale qu'à partir de la positivité d'origine, 187 l'idéologique, mesure de la positivité/ négativité en jeu dans le roman, 350 ne suppose pas la liquidation réelle de l'information de base, 291, 296 moment de l'unité, 234-235 résorbée après le détour dramatique, 199-200,203 s'élimine par la violence, 350-353 justifie la violence « positive », 352-357 il faut au code le retentissement de la négativité, 280 rénovation et inflation, 369, VC.T.15, Explication le roman de la négation est illisible, 201, 286 dont la perception réelle est dérobée

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par le roman, 224, 262 disqualifiée dans le roman, 354, 356 357 le lecteur participe imaginairement à la négativité, 283 la négation réelle du code (du roman) se passe en poésie, 362 cf. différence", drame; origine', scandale Nizan toute littérature est propagande, 317318 la littérature révolutionnaire est tributaire de son passé bourgeois, 41, 342 nom propre le système en dispose, 129-130, 132, 133-135, VC.T.9 composition sémique du nom propre dans le roman du corpus, VC. T.9 usure et rénovation, 134-135 s'adapte à la fonction textuelle, 131, 133-134,137 constitutif de la situation narrative de base, 128 sa « vérité » est une fiction, 130-131 signe parlant de la personne 129-130 signe de la positivité/négativité de la personne, 131-132, VC.T.9, II assigne l'agent à sa fonction narrative, 136 marque de l'unité de l'agent, 128, 133, 136 fausse individualisation, 132 signe de la hiérarchisation de la personne, 130-132, VC.T.9,1 en tant que « vérification » de la fiction, 105-106, 135 nouveau roman fondé sur la catégorie d'extraordinaire, 75 il n'y a pas de récit de 1'« objectai », 256 cf. antilittérature Novalis lenteur du roman, 265 la vie-roman, 346 obstacle cf. lutte origine la positivité d'origine, 187,190 le code comme origine du livre, 189, 192

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INDEX

en tant que code, supporte l'information, 77 a besoin de la négation pour s'affirmer, 199-200, 272-274 sa restitution passe par la dénégation scandaleuse, 276-277,280 a besoin d'être contestée en fiction pour se produire comme réalité, 216, 223 l'ordinaire fonde l'extraordinaire, 75 base à laquelle le texte renvoie le lecteur, 66 les relations actantielles d'origine sont «justes », 145 totalisée comme sens dans/par le roman, 69 mise en situation dans le roman, 93 niée, fictivement, par le texte, 59, 94, 215, 265 le roman comme effet sur le sens d'origine, 67-68 le roman démontre le sens d'origine, 68-69, 232 augmentée dans le roman, 59,189,222, 294-298 dont l'idéalité est démontrée par le roman, 306-314 recharge du sens d'origine, 88 cf. archétype; code ouverture le texte dépend de son « point de déclaration », 90 se rapporte à la fin, 90-92 le texte en tant que développement de son ouverture, 58, 91, 96, 97 les procédés d'inauguration du roman, 90-91 en tant qu'exposition et amorce, 91 l'entrée du texte dans le roman du corpus, VC. Exemples I base du texte comme ordinaire et différence, 92 sa vraisemblabilisation dans le roman, 92 en tant que marquage des qualifications, 92-93 1'« exposition » fixe un sens, 93 l'ouverture extraordinaire dans le roman du corpus, VC.T.14 le roman commence par affirmer sa qualité de roman, 94 pacification en tant que rendement du roman, 348361

la lutte pacifiante du roman, 220 le sujet pacifié du roman, 356 le scandale romanesque élimine le scandale réel, 288 répressivité contextuelle du roman, VC. Note VIII « paralittérature » cf. « souslittérature » personne textuelle constitutive de la situation narrative de base, 111 condition du récit, 111-113, 123 la personne-signe, 112 à individualité seconde, 112-114 être de fiction, 114-115 résulte de l'intrigue, rôle du texte, 115-117,118,124125, 217 fonction du code, 126-127 la production textuelle de la personne dans le roman du corpus, VC.T.7 sa qualification couvre son rôle, VC.T. 10, Explication 6 est complètement son portrait, 117-118, 124, 213, VC.T.7, Explication dualisation, hiérarchisation du personnel romanesque, 116,120,121-124,139, 140,144-145, VC.T. 10, Explication 2-4 suppose la relation romanesque, 120 en tant que rapport de sa « qualité » à son « pouvoir », 147 inventaire des rôles du roman, 147 porte un nom, 120 annoncée dans son rôle, 120 héroïté, 149-150 son absolutisation, 150, 213, VC. Exemples II, VC.T.17, Explication 4 sa «jeunesse », VC.T.10, Explication 5 introduit la différence, 123-124, 138139 signe d'un parti, 125 incarne la positivité, 190 incarne l'obstacle, 210-211 les personnes sont au moins 3,139,195 sa contradiction, 139,146,229 constitue le manque, 143 en tant qu'instance irréelle du conflit, 211, 228-229 le revêtement actantiel est second par rapport à la démonstration, 293-294 agent de la vérité du texte, 118 phrase unité textuelle d'intégration du signe, 58-59

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INDEX la grammaire de la phrase n'est pas extensible au texte, 59 Pichois le roman de consommation: machine à rêver, VC. Note II Pleynet « le langage ne dit que ce qu'il dit », VC.T.l, 9 le titre-étiquette du livre-marchandise, 180 le manichéisme idéologique, 234 le texte et sa reconnaissance idéologique, 338 Poe le secret dans l'œuvre, 259 Polti la situation dramatique naît du conflit, 211 les 36 situations dramatiques, 140 positivité cf. négationlnégativité; origine pratique cf. lecture Prieto le signal, outil et moyen de pression du groupe, 56-57 probation le récit est lié à la prédication, 319 le texte comme démonstration continue, 292 fondamentale par rapport au revêtement actantiel, 293-294 l'affirmation de probation romanesque, VC.T.25 ses deux plans: celui de la démonstration structurale, celui des matériaux structurés, 304-305 suppose la finition, 289-290 suppose l'intervention du drame, 290 par personnages interposés, 112 pratique de la probation dans le roman du corpus, VC.T.26 par voie d'exemplarisation, 318-319 son dérobement dans le roman, 296 probation romanesque, de l'origine, 191, 212, 219, 252, 289, 294-298 la probation de l'origine suit celle du démenti, 246 vraisemblabilisée, 255-256 augmentatrice de l'information romanesque, 297-298 ne dure pas, 254 son coût croît, 278

en tant qu'opération idéologique, 302 en tant que plaisir, 314 en tant que « vérification » de l'ordre de classe, 348-349 production/productivité comme objet de l'analyse, 9, 65 producteur/production/produit, 66 écrire est produire, 18 production et résorption de la différence,

80-82

le texte est engendrement, 32 le texte défini par son efficace idéologique, 17-18, 68, 299, 338 le texte réduit à son improductivité, VC.T.l, 7 fonction de l'Institution, 65-66 le sens et l'intérêt en tant que production textuelle, 69, 73, 143, 235-237, 239 le roman produit l'augmentation de sa base, 67-68, 85, 199, 200 le texte produit sa lecture et sa lisibilité, 32-33, 58 production de la positivité, 87-88 le roman produit du sens avec « rien », 273 la production romanesque d'un savoir « déjà su », 81 la figure actantielle en tant que productivité, 143-144 production de fiction du roman, 232, 339 l'effet de déréalisation, 356-357 en tant que pacification, 348-361 le roman ne produit qu'un intérêt romanesque, 363-364 le roman produit l'aveuglement du sujet idéologique, 313 le lecteur-mime produit par le roman, 346 cf. intérêt',probation Propp les fonctions narratives, 140-141 des limites de la liberté du conteur, 40 Prost «éduquer, c'est former à l'image du modèle », 321 Proudhon connaissance par voie d'art, VC.T.25 ne rien exclure du spectacle, VC.T.23 le besoin de fiction, VC. Note IV « psychologie » comme dérivée du roman, 113

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INDEX

exploitée à des fins idéologiques, 192 l'explication « psychologique » de la négativité, 86-87 réalité « naturalisée » par voie romanesque, 329 échangée pour celle-là du code par voie romanesque, 345,346,347 en tant que produit de l'activité textuelle, 256 l'effet de déréalisation, 356, 357 récit cf. narration; roman référentialité cf. représentation; vraisemblabilisation rencontre perturbatrice, 120 son effet, 195 cf. drame rendement cf. production!productivité représentation le roman se joue comme représentation, 163,246, VC.T.l, 9 la localisation inscrit le texte en représentation, 105-106 le texte réduit à sa référentialité, VC. T.l, 9 de l'archétype, 260 en tant que perspective du code, 297 le « déreprésentation », 260 est un voile, 302, 346-347, 356 jouée comme réduction du réel par la voie romanesque, 231-232 reçue à vivre par la voie romanesque, 347 cf. réalité; vraisemblabilisation répressivité cf. pacification Resnikow la pensée par signes, 55 le signe est signifiant, 56 code/codification/décodage, 188 l'autonomie des systèmes de signes, 19 Ricardou le postulat de référentialité de tout réalisme, VC.T.l, 9 le contenu en tant que résultat de la forme, VC.T.l, 6 Ricoeur « il n'y a pas de « cercle herméneutique » », 23

Rimbaud trouver une langue, 372 D.Roche le récit incomplet et son outrance « complète », 267 M. Roche « on n'a que ce que l'on invente », 373 rôle cf. personne textuelle roman en tant que quantité de mots, 34-36 opération d'une succession d'extraordinaires, 78-79 fonde/élimine l'extraordinaire, 185 constitue/réduit l'obstacle, 209, 211 commence par affirmer sa qualité de roman, 94-95 en tant que mise en condition du lecteur, 95 structure évolutive/involutive du roman, 89 en tant que dérivation de son commencement, 91, 96 combinaison actantielle, 112-113,116 récit d'un duel, 211,233-235 le roman-démenti, 192-194, 203, 215, 217-218,221 le roman-suspense, 257-259, 261-274, VC.T.22 rupture et retardation, 266-268, 269 crypte et non dévoile, 263 le roman scandaleux, 274-288, VC.T.24 couverture de discrétion/indiscrétion du texte romanesque, VC.T.23 « moral » et « immoral », 279, 284, 288 mythe du roman « démoralisateur », VC.Note VI ne montre pas l'objet de scandale, 286288 ne produit qu'un défoulement fictif, 288 mythe du roman « libérateur », VC. Note II représente l'émotion, 314 produit l'émotion, 316-317 en tant qu'intimidation du sens, 316 procès dialectique, 219 procès de signification, 32,143 est confirmation, 255-256, 294, 366 à « pluriel pauvre », 81-82, 239 se saisit dans la série, en fonction du niveau de consommation, 45-46

INDEX en tant que variation de ses registres, 162 prédéterminé, 151 mode du texte général, 33-34 unique à travers la série différenciée de ses exemplaires, 33, 39, 367-368 offert à une lecture unique différenciée, 363 état généralisé du texte général, 36-39, 40 effet de la censure, 42 effet du système de publication, 44 effet de la fixation de l'écriture, 44 se lit par habituation au roman, 177 en tant qu'aventure de l'archétype, 201 ses universaux, 328-335 se joue comme représentation, 151, 163, 220, 225-226, 231-232, 246, 337 dissimule la fiction qui l'anime, 241-242 se dénonce comme roman, 244, 252253, VC.T.19 s'établit en vérité, 242-244, 244-247, VC.T.20 constitue sa propre vérité, 244-245, 247-248, 250 a besoin d'être pris pour Histoire, 253255 tourné vers la production jamais suffisante de sa propre vraisemblance, VC. T.21 oralisé, 164, VC.T.21,1 en tant que proposition idéologique, 242 information seconde, 261 repose sur sa base idéologique et fonde celle-ci, 251 forme de la production idéologique, 299-314, 338 multiplie l'impact idéologique, 304 dérobe la connaissance de son identité idéologique, 302-303 ouvre sur son origine, 188,198 recharge le sens d'origine, 88 signifiant de l'archétype, 194, 330 en tant que transformation irréelle du sens, 90 itératif, 189, 198, 199, 203, 291, 297 ne supporte pas la contradiction, 192, 200-201 le roman de la négation est illisible, 201, 313 en tant que lutte contre l'erreur, 222 en tant que « vérification » du sens

421 d'origine, 232, 252, 254, 256 l'affirmation archétypale du roman est « rentrée », 302 intègre au code, 313-314 le roman est le code, 312 le roman informe du roman, 26, 295, 335, 363-364 ne peut se constituer en vérité (il n'y a pas de roman réaliste possible), 364366, VC.T.l, 9 forme utilitaire d'expression du système producteur, 66 comme intérêt, 72 effet sur le sens idéologique donné, 6768 fait éprouver l'archétype, 296-298, 303, 345 spécificité de l'opération romanesque, 295-296 en tant qu'accompagnement de la parole idéologique réfléchie, 302 le roman exemplaire, 318-328 en tant qu'autorité du sens, 335 accomplit la reconnaissance du code, 333 en tant que réduction du conflit réel, 228-230 représente la représentation idéologique, 227 signifie dépolitisation, 306-309 signifie déshistorisation, 309-311 signifie naturalisation, 311 signifie idéalisation, 306-314, 357 signifie fictionnalisation, 311 signifie idéologisation, 311-312 modèle le lecteur, 67, 158, 327-328 signifie « foi », 312-313 produit l'aveuglement du sujet, 313 signifie unification des sujets, 312 édifie la conscience de classe du lecteur, 325-328 le roman démonstratif, 289-298, VC.T. 26 prouve l'universalité du code, 329330 représente l'adéquation idéologique nature/état, 232-233 établit le lecteur dans un rapport de roman au monde, 69 voile et pratique d'évitement, 232, 233 modèle du réel, 233 disqualifie la contradiction, 354 transmet la cohérence de l'archétype, 225

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INDEX

établit l'ordre, 205, 220 intègre à l'ordre de classe, 335, 336 en tant que parole de la classe dominante, 336, 338-339 instrument de la monopolisation de la parole dominante, 344-346 inscrit dans la référence exclusive au code de classe, 336-337 arme idéologique du pouvoir bourgeois, 339, 343 technique de probation idéologique spécifiquement bourgeoise, 341-343 instrument de l'idéalisation de la société de classes, 346-348 démontre « en vérité » l'ordre de classe, 348-349 dérobe la violence de classe à la vue, 354-357 censure antirévolutionnaire, 357-358, 360-361 le roman contre la Commune, 358360 en tant que liquidation de la conscience de la classe dominée, 361 s'inscrit dans un contexte de répression, VC. Note VIII le roman est un genre faux, 364-366 drogue, 315,344 le roman se perpétue, 63-64 soumis à l'inflation, 278, 285 le roman répète le roman, 362-363,365366,366-370 on n'échappe pas au roman, 370-371 Rousset la structure textuelle, 54 Rudnyckyj typologie des noms propres littéraires, 137 rupture cf. suspense Ruyer l'information comme augmentation d'ordre, 59 la perte d'information, 297 la conscience « lit » tout comme texte, 60 Sade l'extraordinaire, fondement du roman, 76 la « descandalisation » du texte sadien, 287 Sanguineti art d'avant-garde et commercialisa-

tion, 65 Saussure la différence, constitutrice du langage, 216 scandale il faut du scandale au roman, 275 est passion dans le roman, 280-282 la femme comme être de scandale, 281282

est crime dans le roman, 282 en tant que démenti de l'archétype, 274-277 négation superlative, 275 pratiques du scandale dans le roman du corpus, VC.T.24 ne s'avoue pas comme tel dans le roman, 279-280 couverture de discrétion/indiscrétion du texte romanesque, VC.T.23 limite de la scandalisation romanesque, 278 la scandalisation du texte historiquement et catégoriellement croît, 277279, 285 le paradoxe romanesque: faire voir le scandale qu'il est nécessaire de répudier, 283 est le refoulé du code, 284-285 n'est pas montré, 286-288 cf. négation/négativité; violence Schafï le signe, ses conditions, 55-56 schèmes romanesques formules du démenti romanesque, 196 les schèmes du roman du corpus, VC.T. 15 en tant que réalisation de l'obnubilation de l'origine, 202 évoluent historiquement du simple au complexe, 196 évoluent qualitativement du complexe au simple, 196 Schlick la signification comme vérification, 290 Schmidt la science de la littérature comme inventaire des énoncés du texte, 238239 la dimension de signification du texte, 238 science de la littérature cf. sémiotique

INDEX Sebag le sens surgit d'une chaîne structurée, 57 tout message nouveau transforme le code, 363 l'intention d'auteur n'épuise pas le produit, 40 mise entre parenthèses de la causalité historique et « déshistorisation » des langages culturels, 21, 226-227 l'objet pensé dans la série, 46 la nécessité du traitement synchronique, 47 sème définition, 175 sémiotique occupe l'espace laissé libre entre le linguistique et le philosophique, 8 n'a pas la littérature pour champ spécifique, 7, 8 suspend le concept de valeur, 7 lecture des lectures du texte, 27 comprend comme effet du texte sa lecture correcte, 31 ne se confond pas avec la consommation de son objet, ne s'y substitue pas, 8, 27-28, 28-29 ouvre et non recouvre son champ d'analyse, 28 description de la production du sens, 8-9, 28-29, 55, 60 comprend l'effet du texte dans sa description, 7, 17, 28 saisit le texte comme effet positif idéologique, 65-66 saisit l'effet textuel au niveau de l'organisation même du texte, 7,26, 29, 31, 53 comprend le texte dans sa position historique, 18-19, 21-22 saisit le texte dans la série, 7, 33, 45 saisit le texte dans son rapport au texte général et à ses analogues, 60 saisit le texte dans le contexte, 9, 29 tient compte de l'état de réduction critique du texte, 30-31 comprend le texte comme un acte du savoir idéologique, 25 en tant que pratique de désillusionnement, 28, 30 l'historicité du discours sur le texte n'en exclut pas la scientificité, 22-23 tâche: dresser une typologie des orga-

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nisations textuelles, 34 sens cf. signification signe base de la communication, 55 tout peut devenir signe, 55 tout passe signe dans le texte, 56 fixe le sens, 56 constitutif de la contradiction, 222-223 compris dans le système, 56-58,136-137 le signe dans la phrase et dans le texte, 58-59 soumis à usure, VC.T.5, Explication 6 signification comme effet de la composition structurale du texte, 54 produit de l'extraordinaire, 74 fondée par la négativité, 79 naît de la différence, 217, 220-221 produit de la violence, 349 rétention du sens dans le roman, 90 produit de la réalisation du texte, 78 est la vraisemblance de tout discours, 248, 250 cf. différence situation narrationnelle de base définition, éléments, 92, 96, 97-98 permet le développement narratif, 97 en tant que déséquilibre, 97 cf. narration Sohn-Rethel l'exclusion du social (dans le discours philosophique) comme effet du social, 23 Sollers il n'y a pas de roman « vrai », 365 le sujet, personnage de roman, 347 le texte comme intégration de l'idéologie, 26 la classe dominante « tient les fils du récit », 339 solution cf. clôture Sôrensen « le texte est une durée », 54 Souriau les fonctions dramatiques et leur combinatoire, 140 « sous-littérature » le niveau « b a s » des littératures: définition, mythe, VC.T.l, 11 cf. kitsch

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INDEX

Stanzel forme et structure constitutrices du contenu romanesque, VC.T.l, 6 typologie du roman, VC.T.l, 3 Starobinski la littérature existe sur le mode du refus, VC.T.l, 11 1'«autonomie interne» de l'œuvre, 2122 l'Histoire en dépendance du sujet, 23 Stempel individualisation feinte par le nom, 132 Stendhal la politique gâte l'œuvre et s'impose à celle-ci, 307 Stierle l'articulation des phrases est transphrastique, 59 la description de l'exemplaire, fonction d'une théorie des contextes, 61 la lecture en tant que totalisation, 58-59 structuration comme objet de l'analyse, 9 principe d'entraînement des différentes phases, séquences et traits, 55 structure soutien architectonique des régularités textuelles, 54 immanente à l'effet du texte, 19-20 suspense le récit est énigme, 261-263, 269 le roman suspend l'information qu'il porte, 257-261 producteur de l'énigmatisme du texte, 266 le récit en tant qu'énigme fausse, 263264 base de la communication romanesque, 266-268

moyens de suspense dans le roman du corpus, VC.T.22 loi de croissance du suspense, 269-271 lié à l'élaboration de l'évidence de base, 272 en tant que technique de la persuasion, 268 irréalisateur du présent d'existence du lecteur, 269 sympathisationlantipathisation système de la sympathie, 125-128 leur procédé dans le roman, VC.T.8 en tant que définition complète de l'agent, VC.T.8, Explication

qualifier l'agent qualifie l'événement, VC.T.8, Explication effets de renvoi du roman au code, 128 base de la participation du lecteur au texte, 125-128 système relationnel principe du procès narratif, 144 les agents du roman forment système, 144 les agents du roman sont couplés, 144145 règles d'établissement, 144-147 inventaire des rôles romanesques, 147 inventaire des qualités et des hiérarchies actantielles, 148-149, VC.T.10, Explication 2,3 les relations d'origine sont «justes», 145 les relations actuelles sont déséquilibrées, 145-146 la position des agents dans le système constitue le manque, 138, 140, 143, 183-184, 192 modèle du déséquilibre relationnel, 149 composition du déséquilibre relationnel dans le roman du corpus, VC.T. 10 les 2 phases du système relationnel initial, 150-151 cf. drame temporalisation procédé de la narration, 99,163 le « temps réel » n'est pas le modèle de celui-là du texte, 99 en tant que condition du récit, 98-99 dans le roman du corpus, VC.T.5 sa surdétermination dans le roman, VC.T.5, Explication « tempo » narratif, et non temporalité, 100

en tant que vraisemblabilisation, 101, VC.T.5, Explication, VC.T.21, 3 dissimule la fiction du roman, 100-101 le passé d'authentification de la fable, 101, VC.T.l2, Explication le présent narrationnel fictif, 162-163, VC.T.l2, Explication le moment signifie l'extraordinaire, VC.T.5, Explication le trait météorologique, VC.T.5, Explication texte totalité signifiante, 29

INDEX système cohérent de régularités, 53-54 système cohérent dynamique de régularités, 54-55 agglomération finie de signes, 55, 56 signifie chacune de ses parties en un tissu serré de relations, 57, 58 a horreur du vide, est « complet », 57-58, 123, 217 système efficace de signes, 58 unité dominante d'intégration du signe, 58-59 en tant que sens et développement, 90 se comprend dès sa première phrase (le titre), 166 la présentation matérielle du texte comme signe, 94-95 est son effet, 17 est production, 17-18 existe en vue de la production de la signification, 235-237 en tant que sens donné, autorité, 107, 153 ne diffère pas de sa lecture, 26 engendre sa lecture, 26, 40 objet canonisé par la critique, 6 réduit par la critique, 30-31, VC.T.l modes de réduction institutionnelle du texte, VC.T.l, VC. Note I soumis au procès infini de resignification, 32-33 pluriel, 27, 32 n'est pas pluriel dans son effet, 238-239 est Histoire, 18 sans statut d'autonomie, 18-19 en position contextuelle, 29 n'est pas un système clos d'équivalences et de fonctions, 18 il n'y a pas de texte « en soi », 30, 32 se pense dans la série où il apparaît, 45 se pense dans la confrontation des niveaux où il apparaît, 45 perfectionne le genre sans changement, 63 le texte général en tant qu'ensemble des textes actuels, 60-61 le texte général en tant qu'instance idéologique du texte (du roman), 33-34 le texte général en tant que démultiplication de textes, 46 le texte général, augmentation indéfinie du sens, 61 le texte actuel (divers) produit l'unité de l'ensemble qui l'intègre, 34

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le texte actuel, état daté du texte général, 61 le texte actuel défini en tant qu'intertextualité, 60-61 le texte actuel accomplit la diversification du texte général, 61-62 le texte actuel accomplit la stabilisation du texte général, 62 usure du texte général, 62, 64 modes de redondance du texte, 304 le texte général, sous une Institution inchangée, est immuable, 63 la variation des exemplaires invisibilise l'identité du texte général, 64 en tant que faire savoir, 23 produit l'information, 25,59 lieu de parution d'un savoir « à venir », 55 négateur de la prévisibilité d'origine, 59 augmentatif du sens d'origine, 59 est toujours en position idéologique, 20 instrument de la connaissance idéologique, 23-24 renvoie le lecteur à sa base idéologique, 66-67 opération dans et sur le discours idéologique, 25, 26 en tant que mise en scène, 246 sa crédibilisation, 246 invisibilise le savoir qu'il porte, 25 le texte invraisemblable est illisible, 246 en tant que corps de résistance, 266267 le projet de probation est constitutif du texte, 289 en tant que démonstration continue, 292 en tant que valorisation de son information, 318 modèle, 334 le texte matérialiste (définition), 370371 cf. contexte ; intertextualité; roman théorie (de la littérature) cf. sémiotique titre constitutif de la situation narrative de base, 166 engage la lecture, 166 signal sémique complexe, 175 ses éléments, 167,168-169

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INDEX

les sèmes du titre dans le roman du corpus, VC.T.13,1 les opérateurs du titre dans le roman du corpus, VC.T.13, II les opérations du titre dans le roman du corpus, VC.T.13, III modèle général du titre dans le roman du corpus, VC.T.13 intransitivité du titre, 167-168 le texte (le roman) en tant que réfèrent du titre, 168, 173, 176 identificateur, 169 désignateur, 169-170 valorisateur, 170 titrer, c'est intéresser, 171, 173-174,179 affiche l'intention du texte, 171 son équivocité, 171-173, 176, 178 présage de la clarté du livre, 172-173, 179-180 « mensonger », 174,180 surenchère par rapport au texte, 174175 réalise l'événementiel et son exorbitance, 177-178 l'outrance du titre, VC.T.13, Explication pris dans la compétition et la surenchère, VC.T.13, Explication le titre oxymore, 179 réalise la vérité du texte, 178,180 constitue le texte comme clôture, 180181 Todorov le récit, élément structural dominant, VC.T.l, 2 la logique des actions, 141-142 le vraisemblable masque, 247 le genre en tant que vraisemblable de l'œuvre, 249 1*« opinion » comme base du vraisemblable, 251 lecteur et narrateur sont complémentaires, 155 Tomachevski positivation et négativation du personnel, 125 Trivialliteratur cf. « sous-littérature » Trotsky l'art comme « transformation artistique » du réel, 19 il n'y a pas d'art prolétarien, 41 rendre la culture à tous, 41

Tynianov le nom signe, 129 le nom signe de l'unité de l'agent, 133 critère quantitatif pour la distinction des genres narratifs, 34 l'évolution littéraire comme système corrélé à d'autres systèmes, 61 l'évolution littéraire: ses étapes, 64 universaux fond de la construction archétypale, 329 base de la probation romanesque, 328329 1: le sens est l'amour, 330-331, VC.T. 17, Explication 8 2: le sens n'est pas l'argent, 331-332, VC.T.17, Explication 1,2,3,6 3 : l'honneur est le sens du système que possède l'agent, 332 4: l'ordre est le sens du système, 332333, 335 le sens universel établi par voie romanesque est présenté comme modèle, 333-334 le sens universel établi par voie romanesque est présenté comme clarté, 334 cf. archétype usage l'usage du texte comme objet d'analyse, 9 l'usage du texte est saisi dans le texte, 26 institutionnellement, il ne doit exister que l'usage aveugle des textes, 28 cf. intérêt; lecture usure l'usure du texte général en tant que motivation de la génération des exemplaires, 62 le roman s'use, 64 le roman lutte contre l'usure du sens idéologique, 368 Vallès l'imitation du livre, 345, VC. Note VI Varga le roman, genre « non rhétorique », 289 vérification cf. probation Vinnai sport et agressivité, 223-224

INDEX violence moyen d'exclusion de la négativité, 350-351, 352-353 expression de l'ordre archétypal, 351352 la violence « positive » (de base) justifiée par l'existence de la négativité, 352-357 spectaculaire dans le roman, 353-354 dérobée dans le roman en tant qu'instrument de l'ordre de classe, 354-357 le roman contre la « violence prolétarienne », 360-361 cf. scandale Voltaire la parole hypocrite, 89 vraisemblabilisation selon le sens commun, 246 la situation narrationnelle de base vraisemblabilisatrice, 97 inaugurale, 92 issue de la temporalisation, 101, VC.T. 5, Explication, VC.T.12, Explication, VC.T.21,3 issue de la localisation, 104-106, 108, 109, VC.T.6, Explication issue de la personnalisation, 118 issue de l'articulation narrative, 163165, VC.T.21,2 issue du nom propre, 135 issue du narrateur, 154-155,157 issue du titre, 177, 178 issue de l'extraordinaire, 184-185 moyens de « vérification » dans le roman du corpus, VC.T.21 oralité vraisemblabilisatrice dans le roman du corpus, VC.T.21, 1 causalisation vraisemblabilisatrice dans le roman du corpus, VC.T.21, 4 le détail vraisemblabilisateur dans le roman du corpus, VC.T.21, 5 la description vraisemblabilisatrice dans le roman du corpus, VC.T.21, 6 issue de la « durée », 267-268 l'affirmation de vérité du roman, 242244, VC.T. 19 la position référentielle vraisemblabilisatrice du roman, 244-252 moyens explicites de « vérification » dans le roman du corpus, VC. T.18 les programmatiques vraisemblabilisantes de couverture dans le roman du corpus, VC.T.20

421 le roman constitue sa propre vérité 244-245, 247-248, 250 la vraisemblabilisation spécifique du roman, 246-247 critère de valeur et de lisibilité du texte romanesque, 246, 248-249, 254 constitutive de l'unité de sens du texte romanesque, 250 condition de la probation romanesque, 255-256 dont le genre est le critère, 249-250 en tant qu'effet du rapport de discours, 249 le code idéologique comme critère de vérité du livre, 251-252 l'effet de mime, 252-256 en tant que masque, 247, 253, 254-255 jamais suffisante, VC.T.21 cf. réalité', représentation

Weinrich raconter, comportement humain, 32 l'apprentissage du monde par le récit, VC. Note II temporalisation signale narration, 99 le passé n'est pas l'espace de la fiction, VC.T.12, Explication imparfait et passé simple narratifs, VC.T.12, Explication l'affirmation du vrai dans le texte, 245 le lecteur, personne de l'œuvre, 156 N. Wiener l'information et sa répétition, 62 la perte d'information, 297 Wittgenstein attente et accomplissement dans le langage, 186 Woolf conformisation roman/vie, 190 on n'écrit pas « mieux », 364 Zawadowski le texte comme transposition d'un fragment du réel, VC.T.l, 9 contrôle de la maîtrise de la « vérité » du texte par le lecteur, 69 Zéraffa le héros comme « personne », 113 la vérité « esthétique » du roman, VC. T.l, 7 le roman « original » est un « antiroman », 362 le système de production idéologique

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INDEX

intégrateur de l'œuvre, masque de l'économique, 302 Zola « guidé par la passion du vrai », VC.T. 23

programmatique naturaliste, VC.T. 20,4 « l'ordure est au fond », VC.T.23 montrer le peuple dans le roman, VC. T.23

A P P R O A C H E S TO SEMIOTICS edited

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THOMAS A. SEBEOK

and ALEXANDRA RAMSAY, Eds.: Approaches to Animal Communication. 1969. Gld. 52 — HARLEY c. SHANDS: Semiotic Approaches to Psychiatry. 1970. Gld. 58,— TZVETAN TODOROV: Grammaire du Décaméron. 1969. Gld. 28,— JULIA KRISTEVA, Ed.: Essays in Semiotics / Essais de Sémiotique. 1971. Gld. 110,— PETER BOGATYREV: The Functions of Folk Costume in Moravian Slovakia. 1971. Gdl. 32,— JULIA KRISTEVA: Le texte du roman. 1971. Gld. 38,— THOMAS A. SEBEOK: Semiotics: A Survey of the State of the Art. 1971. o. MICHAEL WATSON: Proxemic Behavior. 1970. Gld. 24,— DAVID EFRON: Gesture and Environment. 1971. 70,— PIERRE and ÉLU KÖNGÄS MARANDA: Structural Models in Folklore and Transformational Essays. 1971. 34,— G. L. BURSILL-HALL: Speculative Grammars of the Middle Ages. 1971. Gld. 70,— HARLEY C. SHANDS: The War with Words. 1971. Gld. 23,— JOSETTE REY-DEBOVE: Etude linguistique et sémiotique des dictionnaires français contemporains. 1971. Gld. 64,— OARRicK MALLERY: Sign Language among North American Indians [1881]. 1972. 76,— CLAUDE CHABROL: Le Récit féminin. 1971. Gld. 28,— CHARLES MORRIS: Writings on the General Theory of Signs. 1971. Gld. 54,— FRANÇOIS RASTIER: Idéologies et théories des signes. 1972. 36,— JOSETTE REY-DEBOVE, Ed.: Recherches sur les systèmes signifiants. Symposium de Varsovie 1968. 1972. RUDOLF KLEINPAUL : Sprache ohne Worte: Idee einer allgemeinen Wissenschaft der Sprache. 1972. 80,— DOEDE NAUTA: The Meaning of Information. 60,—

1. THOMAS A. SEBEOK

2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20.

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