Neuropsychologie de la mémoire
 9782807320291

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Collection Neuropsychologie

Neuropsychologie de la mémoire Jean-Pierre Rossi

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De Boeck Supérieur 5 allée de la 2e Division Blindée 75015 Paris

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© De Boeck Supérieur SA, 2017 Rue du Bosquet, 7 – B1348 Louvain-la-Neuve Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme ou de quelque manière que ce soit. Dépôt légal : Bibliothèque royale de Belgique : 2017/13647/013 Bibliothèque nationale, Paris : mars 2018 ISBN : 978-2-8073-2029-1

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Sommaire

Sommaire Introduction......................................................................................... 1 Chapitre 1. Méthodes d’études de l’activité cérébrale........... 5 Chapitre 2. Le cerveau : description et organisation............. 21 Chapitre 3. Les neurones, les transmissions synaptiques et les modélisations connexionnistes des apprentissages...................................................... 35 Chapitre 4. Les mémoires transitoires....................................... 61 Chapitre 5. La mémoire à long terme : les conditionnements................................................ 81 Chapitre 6. La mémoire sémantique (1). Le lexique mental : signifiants, signifiés et analyse componentielle du sens...... 99 Chapitre 7. La mémoire sémantique (2). Connaissances propositionnelles, schémas cognitifs, images et savoir-faire .......... 161 Chapitre 8. L’oubli normal et pathologique............................. 193 Chapitre 9. Vieillissement et mémoires..................................... 213 Références ............................................................................................ 237 Index....................................................................................................... 245

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Principaux ouvrages du même auteur Rossi, J.P. (2014). Les mécanismes de l’apprentissage : Modèles et applications. Bruxelles : De Boeck-Solal. Rossi, J.P. (2013). Psycho-neurologie du langage : le sens du langage et des objets du monde. Bruxelles : De Boeck-Solal. Rossi, J.P. (2008). Psychologie de la compréhension du langage. Bruxelles : De Boeck. Rossi, J.P. (2005). Psychologie de la mémoire : de la mémoire épisodique à la mémoire sémantique. Bruxelles : De Boeck. Rossi, J.P. (1999). Méthodes de recherche en psychologie. Paris : Dunod. Rossi, J.P. (1991). Recherches en Psychologie (Domaines et Méthodes). Paris ; Dunod. Denhière, G. & Rossi, J. P. (1991). Text and text processing. Amsterdam : North Holland.

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Je dédie ce livre à tous ceux qui accueillent les autres quelles que soient leurs couleurs, leurs origines, leurs religions ou leurs opinions, à tous ceux qui cherchent à les comprendre, plongeant au cœur de leurs histoires personnelles et y cherchant obstinément leurs parts de lumières, à tous ceux qui sont capables de les entendre et d’accueillir leurs angoisses dans la fraternité, à tous ceux pour qui la différence est source de progrès et de renouveau et que les autres soient pardonnés.

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Préface

Préface Chers lecteurs, vous allez peut-être penser que cet ouvrage n’est qu’un ouvrage de plus sur la mémoire ? Et pourtant… Neuropsychologie de la mémoire est un ouvrage inédit. Il apporte des connaissances intégrées et cohérentes sur le contenu de nos mémoires, leurs modalités et leurs durées de mémorisation. Et, de surcroît, il nous renseigne sur le lien qui peut souvent faire défaut dans les ouvrages classiques de psychologie cognitive. Je parle ici du lien entre les structures cérébrales, les observations neurophysiologiques, et les structures mnésiques avec leurs propriétés. Ainsi, l’auteur nous incite tout au long des chapitres à nous recentrer sur l’objet d’étude d’un chercheur en psychologie qui s’intéresse aux processus mnésiques. Est-ce de focaliser son attention sur les méthodes d’études et enregistrements de l’activité cérébrale de l’individu, et de prédire que ces activations cérébrales reflètent son comportement général ou un processus psychologique particulier ? Certainement pas, la complexité des tâches rend les activités des structures cérébrales en lien avec le fonctionnement cognitif difficilement interprétables. Est-ce de proposer une modélisation informatique de réseaux de neurones (modèles connexionnistes) pour simuler une fonction cognitive ? En aucun cas, car bien que ces réseaux présentent quelques analogies avec le fonctionnement du cerveau, notamment pour l’apprentissage, les procédures utilisées par ces systèmes ne sont pas comparables à celles mises en œuvre dans les traitements cognitifs. Est-ce alors de comprendre le fonctionnement cognitif de l’individu, et de proposer des modèles «  symboliques  » qui peuvent expliquer les différentes organisations mnésiques et les procédures mais qui sont souvent sans aucun ancrage avec la réalité neurobiologique ? La réponse reste négative. Aucune de ces trois propositions ne convient à l’auteur, et ne permet de répondre à la question sur l’objet d’étude d’un chercheur en psychologie. Ainsi, un des objectifs des neuf chapitres qui composent cet ouvrage est de repenser la question essentielle du lien entre plausibilité biologique et plausibilité psychologique pour rendre compte du fonctionnement humain et principalement de l’organisation de nos multiples mémoires et des processus qui sont mis à l’œuvre. « La plausibilité psychologique et neurobiologique est la seule pertinente pour le chercheur en psychologie », écrit Jean-Pierre Rossi dans le présent ouvrage. Neuropsychologie de la mémoire nous permet également de construire de nombreux ponts entre le fonctionnement mnésique et d’autres aptitudes men-

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tales de haut niveau. Peut-on parler de mémoire sans prendre en compte l’organisation des concepts et leur décomposition ? Sans se préoccuper du langage et de l’accès au sens  ? Sans appréhender la compréhension d’informations textuelles ou imagées ? Sans s’intéresser aux capacités d’apprentissage ? Cet ouvrage amène également le lecteur à s’interroger sur les questions de dissociation entre fonctionnement cérébral et capacités cognitives. Il nous remobilise sur l’importance de la plasticité synaptique et cérébrale dans les phénomènes mnésiques avec ses effets sur les possibilités d’apprentissage qui en résultent. Il apporte une argumentation fondée sur la dispersion des zones cérébrales impliquées dans les processus mnésiques et des nécessaires connexions entre elles, cette dispersion se retrouvant dans toutes nos mémoires. L’auteur nous pousse également à nous questionner sur différentes problématiques liées à la mémoire et à l’apprentissage, problématiques qui restent encore non élucidées à ce jour, comme par exemple, le lien entre les différentes structures mnésiques (une seule mémoire ou une multiplicité de mémoires ?), la nature automatique ou contrôlée de l’apprentissage, l’existence ou l’inexistence de distinction entre mémoire et apprentissage, l’importance des besoins et motivations du « sujet cognitif » pour les apprentissages, etc. Que vous soyez néophytes dans le domaine de la mémoire, neuropsychologue, chercheur, enseignant ou étudiant, cet ouvrage ne pourra que mobiliser votre attention. Agréablement écrit, fortement structuré, avec des arguments toujours étayés par des exemples concrets, objectivés par les limites des méthodes ou modèles qui ont permis à la recherche de proposer des avancées importantes dans ce domaine. Et toujours, en filigrane, ce fil conducteur qui nous relie à l’humain dans toute sa complexité et son intégrité : les relations entre les structures et processus mnésiques et les structures neurobiologiques. Mon intention n’est pas ici de dévoiler l’ensemble du contenu de cet ouvrage mais d’attiser suffisamment votre curiosité et votre motivation pour que vous ayez l’envie de parcourir ce monde tellement riche et complexe que représente notre fonctionnement mnésique, et ce, tout au long de la vie. Enfin, je ne peux terminer cette préface sans remercier le Professeur Jean-Pierre Rossi. Au travers de ces lignes, je lui transmets toute ma reconnaissance et mon admiration pour sa contribution essentielle au domaine de la mémoire sémantique et de la mémoire épisodique, du langage (en lecture et compréhension de texte) et de l’apprentissage avec un intérêt toujours marqué pour une méthodologie rigoureuse. Les données qu’il a obtenues dans ses différentes recherches ont été et sont toujours jugées significativement importantes par la communauté scientifique. Chers lecteurs, je vous souhaite autant de plaisir que celui que j’ai pu éprouver à la lecture de ce texte, un plaisir largement étayé par l’apport de connaissances considérables et par l’émergence d’un ensemble de problématiques qui en émanent et qui restent la source de la recherche scientifique. Isabelle Tapiero Professeur en Psychologie cognitive, Université Lumière Lyon 2

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Introduction

Introduction Les objets, les durées comme les modalités de mémorisation sont diverses et variées. L’homme mémorise des images, des événements, des mouvements, des procédures et savoir-faire, des affects, des concepts et autres connaissances verbales et non verbales. Les modalités de mémorisation varient : elles peuvent être volontaires ou non, se faire en un seul essai ou au contraire nécessiter plusieurs répétitions et différentes formes d’entraînements. Les durées mêmes de ces mémorisations diffèrent, elles peuvent s’évanouir au bout de quelques secondes ou durer plusieurs années. Bref, les mémoires sont variées et leurs descriptions sont sujettes à discussion. Dans ces mémoires, sont stockées connaissances et événements constitués d’images visuelles (couleurs, formes…), auditives (sons, mélodies…), gustatives (amertume, douceur…), somesthésiques (position des membres du corps, schéma corporel…), odorantes (odeur du jasmin, de la rose, du citron…), mais aussi des procédures et des savoir-faire tant moteurs (marche…), sensorimoteurs (préhension…) qu’intellectuels (lecture, calcul, constructions logiques…), mais aussi des sentiments, des joies, des peines, des plaisirs et douleurs, le tout pouvant être exprimé par des mimiques et des comportements tout autant que par des mots, de sorte que les mémoires sont aussi constituées de concepts, d’expressions, de descriptions verbales, de données, de raisonnements brefs, de connaissances de différentes natures. Cette énumération suggère que les connaissances et souvenirs stockés en mémoire sont constitués d’éléments de différentes natures et que leur stockage dans le cerveau sont dispersés, d’où l’intérêt de modèles représentants les mémoires en réseaux connectant différentes parties du cerveau. Le but de cet ouvrage est de confronter les résultats de la recherche en psychologie cognitive et les modèles de la mémoire humaine dont ils sont issus aux observations neurophysiologiques, aux enregistrements électrophysiologiques et aux données fournies par l’imagerie cérébrale en privilégiant les modèles de représentations prenant la forme de réseaux neuronaux. La compréhension des données neurologiques nécessite un bref rappel des méthodes qui sont mises en œuvre pour décrire l’activité du cerveau et son fonctionnement. C’est le thème du premier chapitre, qui est suivi d’une brève présentation des deux hémisphères cérébraux et de leurs organisations afin de situer les structures auxquelles il est fait référence dans les études de la mémoire. Considérant que tout apprentissage s’inscrit dans des réseaux de neurones, il 1

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était nécessaire de rappeler non seulement les caractéristiques et propriétés de ces cellules, mais aussi leurs connexions et les conditions de leurs formations. C’est le thème du troisième chapitre qui se termine par une présentation des modèles connexionnistes et de leurs applications aux apprentissages montrant comment des systèmes formés d’unités élémentaires interconnectées permettent de simuler le stockage des informations. Ces bases neurophysiologiques étant posées, il devenait possible de présenter les différentes mémoires et leurs contenus. C’est ainsi que dans le chapitre quatre sont présentées les mémoires dont la durée est brève, à savoir les registres de l’information sensorielle, la mémoire à court terme et la mémoire de travail. La description des propriétés et caractéristiques de ces mémoires est accompagnée d’hypothèses concernant les réseaux neuronaux dans lesquelles elles sont implantées. Vient ensuite la partie concernant la mémoire à long terme (chapitre cinq) comportant la définition et la description de ses différentes composantes : mémoires explicites ou déclaratives (sémantique, épisodique, autobiographique…) et implicites ou non déclaratives (conditionnements, habitudes et aptitudes, amorçages, savoir-faire…). Cette première présentation de la mémoire à long terme est suivie de l’étude des conditionnements qui occupent une place particulière, car tout être vivant équipé de réflexes peut être conditionné. Les caractéristiques et les conditions de formations, ainsi que leurs extinctions et leurs récupérations spontanées sont décrites. Les réseaux neuronaux impliqués dans ces apprentissages sont analysés. Le chapitre se termine par une revue des applications des conditionnements. L’étude de la mémoire sémantique est le thème des deux chapitres suivants. Le lexique mental est décrit dans le chapitre six. Ce lexique est constitué des concepts formés des signifiés dans leurs composantes dénotatives, connotatives et référentielles. Ces trois signifiés sont décrits par les analyses componentielles qui aboutissent à les décomposer en traits sémantiques comportant des sèmes génériques (formant le classème) et des traits spécifiques (formant le sémantème). La genèse de ses traits et leurs validités psychologiques sont analysées. Aux concepts sont aussi associés d’une part des éléments des champs lexicaux et dérivationnels et d’autre part des composantes prédicatives qui sont fréquemment cooccurrentes soit dans le langage soit dans les situations. Ces différentes unités sont décrites et analysées. Les réseaux neuronaux qui leur servent de support sont rappelés. La description de la mémoire à long terme se poursuit dans le chapitre sept par l’analyse des connaissances propositionnelles, des schémas cognitifs, des images mentales et des savoir-faire moteurs, sensori-moteurs et intellectuels. Chacune de ces connaissances s’inscrit dans des réseaux neuronaux qui sont décrits. Cette description de la mémoire à long terme est suivie de l’étude des oublis normaux et pathologiques (chapitre huit). Le chapitre commence par la présentation des méthodes d’évaluation de la rétention. S’ensuit la description des 2

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Introduction

types d’oublis que sont l’oubli éphémère, la distraction, le blocage temporaire, la mauvaise attribution, la suggestibilité, les biais et les faux oublis. Le chapitre se termine par la description des amnésies et des troubles de la mémoire dans les démences et les pathologies. Dans le dernier chapitre (chapitre neuf) sont traités les effets du vieillissement en séparant ceux qui sont généraux de ceux qui sont spécifiques à chacune des mémoires. Le vieillissement du cerveau, l’altération de la motricité, des capacités sensorielles, de la vigilance et de l’attention sont considérés comme des effets généraux au même titre que la fatigabilité. À côté de ces effets généraux existent des modifications des capacités mnésiques qui affectent aussi bien les mémoires transitoires que la mémoire à long terme dans ses composantes implicites et explicites. Ces modifications sont décrites à la fin de l’ouvrage.

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Chapitre 1 – Méthodes d’études de l’activité cérébrale

Chapitre 1 Méthodes d’études de l’activité cérébrale1 L’enregistrement de l’activité des structures cérébrales est un outil fondamental dans la compréhension des activités cognitives. Dans ce cadre, les méthodes électrophysiologiques sont distinguées des méthodes d’imageries qui ont connu ces dernières années un développement considérable. Les finalités, les conditions d’application aussi bien que les qualités et les défauts de chaque méthode sont explicitées. L’activité du cerveau peut être appréhendée par différentes catégories de mesures. Ces indicateurs fournissent des informations utiles à la validation des hypothèses et modèles développés par les chercheurs psychologues et psychoneurologues. Dans tous les cas, le but de la recherche fondamentale est de décrire les structures neuronales impliquées lors des traitements cognitifs. Mais l’interprétation d’un indicateur neuronal dépend de la modélisation des processus psychologiques. Les difficultés de cet exercice seront décrites à l’issue de la présentation de ces méthodes. Les tentatives de mises en relation entre les structures cérébrales et les comportements ont occupé les neuropsychologues. Dès la première moitié du xixe siècle, Paul Broca, en autopsiant le cerveau d’un patient aphasique, mis en correspondance les troubles qu’il manifestait et la zone cérébrale qui porte actuellement son nom (aire de Broca). L’intérêt et les limites de cette méthode sont analysés plus bas. Depuis, le développement technique a permis de nouvelles mesures de l’activité cérébrale au moyen soit de techniques électrophysiologiques soit d’imagerie cérébrale. Dans un cas, les phénomènes électriques sont recueillis, dans l’autre l’activité métabolique du cerveau est enregistrée. Différents ouvrages spécialisés décrivent ces méthodes. On trouvera en particulier une 1. Ce texte est en partie un extrait du chapitre intitulé « Méthodes d’études de la mémoire sémantique » publié par Jean-Pierre Rossi en 2013 dans l’ouvrage Psychoneurologie du langage aux éditions De Boeck-Solal.

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présentation de l’ensemble des méthodes de psychophysiologie dans le chapitre de Bernard Claverie intitulé « Les méthodes en psychophysiologie » dans l’ouvrage Les méthodes de recherche en psychologie (Rossi et coll., 1999). L’objet de ce chapitre est limité au rappel de ces méthodes en précisant leurs buts, le type de données qu’elles fournissent et les raisons de leurs utilisations. Dans ce cadre, les techniques électrophysiologiques (EEG, potentiels évoqués, PEC et Variation Contingente Négative) et les méthodes d’imageries cérébrales (scanner, tomographies, IRMf et MEG) sont présentées. Historiquement, la mise en correspondance des lésions cérébrales avec les symptômes présentés par des patients aphasiques et amnésiques a précédé le développement des enregistrements de l’activité cérébrale. Les avantages et inconvénients de cette méthode méritent d’être présentés.

1. Méthode d’étude des lésions cérébrales Aux noms de Paul Broca (1824-1880) et de Carl Wernicke (1848-1905) sont associés deux types d’aphasies. Broca observe un patient incapable de parler et ne pouvant prononcer qu’une seule syllabe. L’autopsie du cerveau de cette personne montre une lésion située dans la troisième circonvolution du lobe frontal (figure 1). Il situe à cet endroit le centre de production de la parole : aire de Broca1. Wernicke pour sa part observe un patient dont le discours est incompréhensible alors que la syntaxe, la grammaire et le vocabulaire ne sont que peu touchés. L’autopsie montre des lésions se situant dans la partie supérieure du lobe temporal en dessous du cortex auditif. Il localise à cet endroit la compréhension du langage. Sur la figure  1, les aires de Broca et de Wernicke sont localisées. La démarche de ces deux neurologues a consisté à observer les symptômes présentés par des patients puis, à leurs décès, à procéder à leurs autopsies pour localiser les lésions cérébrales. À la fin du xixe, c’est-à-dire avant l’émergence des techniques d’IRM et de PET, seules les autopsies de patients amnésiques permettaient d’établir les relations entre troubles de la mémoire et du langage et lésions cérébrales. Cette technique de localisation des troubles comportementaux présente quatre difficultés principales : (i) la première concerne les difficultés de localisation. On ne peut jamais être certain que la localisation observée est limitée à une fonction particulière. Comment s’assurer qu’une lésion particulière n’affecte qu’une seule fonction ? 1. Il est intéressant de noter que Broca tenta de mesurer les variations de la température de la surface du cerveau et, de ce fait, fut à l’origine des premières tentatives d’imagerie cérébrale fonctionnelle.

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Chapitre 1 – Méthodes d’études de l’activité cérébrale

(ii) La seconde a trait aux symptômes observés, ceux-ci sont-ils limités à une fonction parfaitement identifiée ? Identifier des symptômes et les isoler n’est jamais simple. Il se peut qu’une perturbation observée puisse dépendre d’une fonction plus générale. Par exemple, les troubles de l’attention, de la capacité à se concentrer affectent nombre de processus psychologiques. (iii) La troisième difficulté est liée au fait qu’un cerveau lésé est un cerveau malade, et que la partie lésée peut être une zone de transit par laquelle passent des fibres connectant d’autres parties du cerveau. Léser une partie de l’encéphale peut aboutir à couper un système de connexion. (iv) Enfin, la quatrième difficulté provient du fait qu’il faille attendre le décès du patient pour localiser les zones lésées. Ce décès peut se produire plusieurs années après l’accident à l’origine des symptômes. Or, ce laps de temps permet de multiples modifications et transformations ne serait-ce que du fait des apprentissages et du vieillissement. Figure 1. Localisation des aires de Broca et de Wernicke Wernicke Broca

Il est clair que l’essentiel de ces difficultés est lié au fait que le cerveau est conçu comme un système modulaire dont chaque partie aurait une fonction unique, et donc spécifique, parfaitement identifiable. Nous savons actuellement qu’il n’en est rien, chaque structure pouvant jouer différents rôles en collaboration avec d’autres. Conscients de ces limites, les chercheurs ont systématiquement couplé l’observation des symptômes comportementaux aux enregistrements de l’activité cérébrale. En effet, l’intérêt des observations comportementales est de permettre de dissocier les différentes étapes constitutives des épreuves mnésiques. Ainsi, il est possible de différencier les amnésies qui portent sur l’identification des objets, de celles qui affectent l’activation des sens (activation des concepts) de celles qui perturbent l’élaboration des réponses. Compte tenu de la latence des 7

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processus, une telle différenciation est difficile à faire lors de l’enregistrement des activités cérébrales et les techniques permettant d’isoler un processus particulier sont critiquées. C’est pourquoi, chaque fois que cela est possible, les données d’observation des patients amnésiques sont confrontées aux enregistrements de leurs activités cérébrales. Ces enregistrements sont divers et eux aussi complémentaires. Les plus anciens sont de type électrophysiologique.

2. L’électrophysiologie Les méthodes d’électrophysiologie ont pour but d’enregistrer l’activité électrique du cerveau. L’intérêt va se porter sur les variations des ondes électriques à certains endroits du cerveau en fonction de l’activité des individus. Les analyses portent sur la forme, l’amplitude, la durée, la chronologie et l’organisation temporelle des phénomènes électriques. Trois types d’enregistrement électrophysiologique sont utilisés : l’électro-encéphalogramme (EEG), les potentiels évoqués et l’onde de variation contingente négative (VCN).

2.1. L’électro-encéphalogramme L’électro-encéphalogramme (EEG) trouve son origine en 1924 dans les études de Hans Berger. La méthode consiste à enregistrer l’activité électrique du cerveau à partir d’électrodes posées sur le scalp. Cette activité est caractérisée par : a) b) c) d) e)

sa fréquence (nombre de cycles par seconde) ; son amplitude (en microvolts) ; sa forme ; sa localisation (endroit du scalp où elle est enregistrée) ; les circonstances dans lesquelles elle apparaît. L’EEG normal de l’adulte éveillé est caractérisé par quatre rythmes1 :

(i) le rythme alpha dont la fréquence est comprise entre 8 et 13 cycles par seconde, l’amplitude voisine de 50 µv et la localisation principale en arrière du vertex (sommet de la tête). Ce rythme est observé en situation de repos les yeux fermés. Il est modifié par toute augmentation de la vigilance ; (ii) le rythme bêta dont la fréquence est supérieure à 13 cycles par seconde (comprise entre 14 et 45), l’amplitude inférieure à 20 µv. Il est enregistré dans les régions moyennes des deux hémisphères et son lieu d’élection est la région rolandique. Il disparaît durant le sommeil. Il est bloqué ou atténué par les mouvements aussi bien effectués que simplement imaginés ; 1. On trouvera une description précise de ces différents rythmes dans l’ouvrage d’Hervé Vespignani intitulé L’EEG de la technique à la clinique (2003).

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(iii) le rythme thêta : fréquence 4 à 7 cycles par seconde, amplitude supérieure à 50 mv, répartition diffuse, abondant chez l’adulte éveillé ; (iv) le rythme delta : fréquence inférieure à 3,5 cycles par seconde, présent de manière diffuse ou focale, n’est généralement pas observé chez l’adulte sain, il témoigne de l’existence d’une pathologie. Des exemples de ces différents rythmes sont présentés sur la figure 2. En psychologie, l’EEG est particulièrement enregistré lors de l’étude du sommeil, de la vigilance et de l’attention. L’activité cognitive et toute augmentation de l’attention ont pour effet une diminution de l’amplitude et une augmentation de la fréquence. L’EEG s’avère peu discriminant des tâches cognitives. En revanche, le couplage MEG-EEG donne des indications sur la nature des tâches (voir p. 14). Figure 2. Représentation des différents rythmes enregistrés au cours d’un EEG Beta (14-22 HZ) Alpha (8-13 HZ) Theta (4-7,5 HZ) Delta (< 3,5 HZ)

50 µV

(a)

1s

Yeux ouverts

Yeux fermés

(b) Catégorisation des EEG selon les différentes branches de fréquence Source : adaptée de Sherman et Qalterspacher (2006)

2.2. Les potentiels évoqués (PE) Les potentiels évoqués sont des activités électriques provoquées par des stimulations sensorielles ou des processus endogènes. Spécifiques de chaque moda9

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lité, ils comportent une succession d’ondes négatives (dénommées ondes N) et positives (dénommées ondes P) dont la présence, la latence et l’amplitude sont autant d’indicateurs de l’activité cérébrale. Les ondes sont numérotées dans l’ordre chronologique d’apparition en partant de la gauche, la N1 est la première onde négative, la P2 la seconde onde positive, etc. Des exemples de potentiels évoqués sont présentés sur la figure 3. Les mesures qui sont effectuées sur les potentiels évoqués sont indiquées sur la figure 4. Figure 3. Exemples de potentiels évoqués somesthésique, auditif et visuel

Potentiel évoqué somesthésique

Potentiel évoqué auditif

Potentiel évoqué visuel

Source : Claverie in J.P. Rossi et coll., 1999, p. 46, 47

Figure 4. Exemple de mesures effectuées sur les potentiels évoqués Latence P2 P1 Amplitude P2

Amplitude N2-P2

Amplitude P1

Amplitude N1-P1

P2 Stimulus

Début moyennage

Latence P1

N2 N1

Niveau de base

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Parmi ces potentiels, les psychologues se sont particulièrement intéressés aux ERP (Event-related-potential ou potentiels liés aux événements) ou encore Potentiels évoqués cognitifs (PEC) qui apparaissent lorsque les stimuli sont l’objet d’une activité cognitive. Bien qu’il ne soit pas toujours simple de les différencier, on distingue les PE exogènes des endogènes. Les PE exogènes correspondent à la réception passive des stimulations sensorielles (visuelles, auditives, somesthésiques...), tandis que les PE endogènes sont provoqués par les activités cognitives exercées sur les stimulations. Les PEC sont « la traduction active et modulée du flux des informations sensorielles et l’expression de processus cognitifs complexes d’évaluation, d’anticipation et de décision » (Timsit-Berthier & Gerono, 1998). Ils sont mis en évidence par la méthode dite du « odball », qui consiste à intercaler un stimulus différent dans une séquence. Les enregistrements présentent une première onde négative dite N1 suivie d’une onde positive P1, d’une seconde onde négative N2 et, dans le cas de présentation du stimulus à traiter, d’une nouvelle onde positive dite P300, car elle apparaît généralement 300 millisecondes après la stimulation. La latence de ce potentiel varie en fonction des paramètres liés à la situation, à la complexité de la tâche et aux caractéristiques des individus. Elle augmente lorsque le sujet est passif, lorsqu’il est âgé et lorsqu’il a absorbé de l’alcool. Elle diminue avec l’apprentissage et lorsque la discrimination des signaux est facilitée (Rossi, Gil et Querrioux-Coulombier, 1997). L’amplitude, quant à elle, varie avec la probabilité d’apparition des signaux, la difficulté de la tâche et l’intensité des stimuli (Rossi, Gil et Querrioux-Coulombier, 1997). Halgren et coll. (1995) soulignent que même ces stimulations, que l’on peut considérer comme très simples, déclenchent des activités dans au moins douze lieux différents allant du cortex frontal à l’hippocampe, c’est dire l’importance de la dispersion de l’activité cérébrale. Pourtant, les conditions de réalisation de ces enregistrements les rendent peu utilisables lorsque les tâches sont complexes et longues. L’enregistrement des variations contingentes négatives pallie en partie à cet inconvénient.

2.3. L’onde de variation contingente négative (VCN) La variation contingente négative est enregistrée lors de la présentation de deux stimuli consécutifs séparés par un intervalle d’une ou deux secondes. Le premier stimulus est un signal préparatoire tandis que le second déclenche une réponse. Les indicateurs traités sont les aires négatives ou positives associées à chacun des signaux. La VCN peut aussi être caractérisée par la forme des aires. Les ondes associées au signal préparatoire sont comparées à celles déclenchées par la tâche (figure 5). En référence aux théories du conditionnement, Bernard Claverie (in Rossi et coll., 1999, p. 61) rappelle que « La VCN correspond alors à l’expression électrophysiologique de la capacité à établir des connexions temporelles entre stimulus inconditionnel, stimulus conditionnel et renforce11

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ment. Dans ce cadre, une faible amplitude serait l’indice d’une mauvaise aptitude à élaborer les liaisons conditionnelles et donc d’une diminution des possibilités d’apprentissage temporel. Elle correspondrait à une diminution des capacités à relier et à associer des événements entre eux, à en organiser la cohérence chronologique, et par voie de conséquence à une difficulté à décoder la structure temporelle de l’environnement pour lui donner un sens. » Figure 5. Exemple de VCN Stimulus 1

Stimulus 2

20 mV

1 sec.

Pa Na

Nb

Temps de réaction Source : Claverie in J.P. Rossi et coll., 1999, p. 55

2.4. Conclusion Comme il a été indiqué, à l’exception de l’EEG, les méthodes électrophysiologiques sont essentiellement utilisées lors de tâches courtes ne nécessitant pas d’élaborations complexes. Dans ces situations, elles permettent de matérialiser une activité rapide et bien localisée. En revanche, l’imagerie cérébrale permet d’avoir des indications concernant l’activité engendrée durant des tâches plus complexes.

3. L’imagerie cérébrale L’imagerie cérébrale a pour but de visualiser sous la forme d’images, généralement colorées, l’activité du cerveau. Elle mesure des variations du métabolisme des neurones, se manifestant par une augmentation du débit sanguin ou de la consommation en oxygène. Dans les années  1960, des chercheurs américains (l’équipe de Sokoloff) enregistrèrent le débit cérébral d’animaux. Leur technique consistait à injecter un marqueur radioactif puis à localiser les endroits dans lesquels ce marqueur se concentrait. Quelques années plus tard, une équipe de chercheurs danois 12

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Chapitre 1 – Méthodes d’études de l’activité cérébrale

(Ingvar, Lassen et Rolland) utilisa un gaz radioactif (le Xénon 33) qui pouvait être suivi à la trace à partir de capteurs extérieurs. Les progrès des techniques ont permis de mettre au point la Tomographie par émission de positons (TEP) qui fut à l’origine de nouvelles cartographies cérébrales. Cette technique fut remplacée à partir des années 1990 par l’imagerie par résonance magnétique (IRM) qui permet d’enregistrer l’activité cérébrale sans injection de substances radioactives. Cinq méthodes d’imagerie sont présentées : l’imagerie par résonance magnétique nucléaire ou IRM, le scanner X, ou tomodensitométrie (TDM) à rayons X, la tomographie par émission de positons ou PET scan, la tomographie par émission de positons ou SPECT scan et la magnétoencéphalographie (MEG).

3.1. Imagerie par résonance magnétique ou IRM L’IRM présente l’avantage de ne pas utiliser de rayons X et de ne nécessiter l’injection d’aucun produit. Le patient est soumis à des ondes électromagnétiques qui provoquent une réaction des noyaux d’hydrogène. Les images sont élaborées à partie des signaux émis par les protons. Elles donnent une indication du débit sanguin local et donc de l’activité neuronale. Les images sont plus précises que celles fournies par les scanners. La résolution temporelle est de l’ordre de la demi-seconde et la localisation spatiale atteint une précision de quelques millimètres. Sur la figure 6 sont reproduites des images de l’activité cérébrale lors d’une tâche de lecture de mots et de syllabes non significatives. Figure 6. Activations corticales sur l’hémisphère droit (R) ou gauche (L) lors de la réalisation de différentes tâches. Le réseau sémantique général est indiqué en rouge alors que sont coloriées en jaune les zones activées par la lecture à haute voix des non-mots prononçables. Voir figure en couleurs à la fin de l’ouvrage

Internal / Conceptual

External / Perceptual

Overlap

Source : Binder, Desai, Graves & Conant, 2009

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Cette technique présente pourtant l’inconvénient de ne pas permettre de différencier des phénomènes qui se succèdent dans des intervalles de quelques dizaines de millisecondes. Pour décrire des processus très rapides, on utilise la magnétoencéphalographie (MEG).

3.2. Magnétoencéphalographie (MEG) La MEG permet l’enregistrement de la variation du champ magnétique due à l’activité neuronale. Elle consiste à suivre l’activité magnétique avec une précision temporelle de l’ordre de la milliseconde et une localisation spatiale qui peut atteindre 3 mm. C’est dire qu’elle est un outil intéressant pour étudier l’activité cognitive. Elle a permis entre autres de localiser avec précision les aires de projections sensorielles et de décrire leurs plasticités. Pour avoir une image de l’évolution temporelle de l’activité corticale, on utilise de façon complémentaire la MEG et l’EEG qui ne sont pas sensibles aux mêmes signaux. Ainsi couplées, ces deux techniques permettent d’étudier la compréhension verbale. De la sorte, par exemple, il a été mis en évidence chez des dyslexiques, des retards d’activation de certaines régions corticales.

3.3. Scanner X ou tomodensitométrie (TDM) à rayons X Cette technique permet d’identifier et de localiser des traumatismes crâniens, des tumeurs, des accidents vasculaires cérébraux et d’explorer les voies optiques ou auditives. Elle n’est pas utilisée dans les études de sémantique dans la mesure où elle donne des indications non sur une activité, mais sur l’état d’une structure. Son principe repose sur l’enregistrement des rayons X absorbés par les tissus. L’émetteur de rayon X tourne autour du patient, l’intensité des rayons qui traversent le corps est enregistrée. Un traitement par ordinateur recompose des images des organes en 3D. Pour faire ressortir un organe particulier, on injecte un produit de contraste ayant pour propriété d’absorber les rayons X.

3.4. Tomographie par émission de positons ou PET scan (Positon Emission Tomography) La tomographie par émission de positons permet de représenter en trois dimensions l’activité métabolique d’un organe. C’est une technique d’imagerie fonctionnelle utilisée par les neuropsychologues pour analyser les parties du cerveau actives lors de la réalisation d’activités cognitives diverses. La technique consiste à enregistrer les émissions produites par les positons émis lors 14

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de la désintégration d’un produit radioactif injecté au préalable, généralement un sucre ayant une durée de vie d’environ une heure. La combinaison entre PET et IRM permet d’avoir des informations à la fois sur les structures anatomiques et leurs activités biochimiques, les deux enregistrements pouvant être simultanés. La principale limitation est d’ordre matériel puisque sa mise en œuvre suppose de disposer d’un cyclotron permettant de produire les traceurs. Au moyen de cette technique, Ullman (2004) a testé un modèle indiquant que les activités langagières dépendent de structures cérébrales non spécifiques du langage et qu’ainsi, limiter le traitement du matériel verbal aux seules aires de Broca et de Wernicke était une erreur.

3.5. Tomographie par émission de positons (TEMP), ou en anglais Single Photon Emission Computed Tomography (SPECT) Similaire au PET, mais avec une meilleure résolution, la TEMP donne des représentations du débit sanguin cérébral en deux ou trois dimensions et fournit donc une image de l’activité métabolique en différents lieux du cerveau. Elle permet ainsi de localiser les régions du cerveau qui sont les plus actives lors de différentes tâches cognitives. La technique consiste à enregistrer l’émission de rayons gammas provoquée par l’injection d’un radio-isotope. La caméra tournant autour du patient permet une rotation de 180° et une localisation dans l’espace à trois dimensions. Le produit injecté (généralement l’oxygène 15) se fixe sur les zones où l’activité est la plus importante. La TEMP est utilisée en particulier pour différencier les diverses démences et diagnostiquer la maladie d’Alzheimer. La présentation des principales techniques d’imagerie cérébrale indique que les chercheurs disposent de nouveaux outils permettant de décrire l’activité du cerveau. Pourtant, l’utilisation de ces outils pose de nombreux problèmes.

4. Problèmes posés par l’utilisation des indicateurs physiologiques La mise en œuvre et l’utilisation des enregistrements physiologiques dans les recherches fondamentales de psychologie posent quatre catégories de problèmes : problèmes matériels, problèmes liés aux caractéristiques des données, à leurs stabilités, à leurs traitements et à leurs interprétations. 15

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4.1. Problèmes matériels Les équipements permettant l’enregistrement d’images sont lourds, onéreux aussi bien à l’acquisition qu’à l’entretien. Ils mobilisent des locaux aménagés spécialement et leurs mises en œuvre font appel à des techniciens qualifiés. L’utilisation de produits radioactifs, lorsqu’elle est nécessaire, impose nombre de précautions gérées par des personnels spécialisés. Sans oublier que la durée d’efficacité de ces produits est courte, parfois inférieure à 10 minutes, ce qui limite dans le temps les possibilités d’enregistrements. Rappelons enfin que le type de tâche dans lequel ces enregistrements sont effectués est limité dans la mesure où les individus sont allongés, placés dans des tunnels et de toute façon entourés d’instruments de mesures encombrants limitant les possibilités de mouvements.

4.2. Problèmes liés aux constantes temporelles et spatiales Il a été indiqué que les constantes de temps varient selon les techniques. Sensibilité de l’ordre de la seconde ou de la centième de seconde, durées des enregistrements limitées à quelques minutes, difficulté à dissocier des phénomènes qui se succèdent rapidement. Or, en psychologie, certains traitements sont très rapides. De même, pour les constantes spatiales, la précision varie du centième de millimètre au millimètre. Or, la précision est déterminante dans l’identification des phénomènes et leurs interprétations. Il existe également des problèmes liés aux choix des lieux d’enregistrements, en particulier lors des enregistrements électrophysiologiques, l’endroit où poser les électrodes est déterminant. Dans les techniques d’imagerie, en plus des lieux, l’angle sous lequel les enregistrements sont effectués est évidemment déterminant. Les enregistrements électrophysiologiques posent toujours des problèmes liés à la gestion des artefacts qui impose parfois l’utilisation de filtres et d’équipements complexes qui rendent les situations d’enregistrement très artificielles. Quels sont les phénomènes importants pour la question traitée ? Quels sont les indicateurs pertinents : latence d’apparition des phénomènes, amplitudes, surfaces, différences entre acrophases… Comment traiter ces différents phénomènes ?

4.3. Problèmes de la stabilité des données Dans toutes les sciences empiriques, les données d’expérimentation doivent pouvoir être répétées. En psychologie, la stabilité intra-individus est aussi importante que la stabilité inter-individus. L’établissement de la preuve repose à la fois sur le fait que le même participant est censé produire les mêmes don16

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nées (sauf en cas d’apprentissage) chaque fois que l’expérience est reproduite, et sur le fait que les réponses données par un groupe d’individus sont du même type. Or, compte tenu de la diversité des cerveaux, de la difficulté à reproduire les conditions d’enregistrement (lieux où sont posées les électrodes, mêmes angles de prises de vues…), de la variété des procédures cognitives mises en jeu aussi bien que de l’état physique et psychologique des participants, la répétabilité des données pose problème. Ajoutons que pour le psychologue expérimentaliste dont le raisonnement repose sur des statistiques telles que des moyennes, des médianes et des indices de dispersions, le traitement d’images qui se présente sous forme de surfaces colorées n’est pas simple. Plus que pour des indicateurs comportementaux utilisés habituellement en psychologie, les données physiologiques sont sensibles à des évolutions temporelles en cours de tâches. L’interprétation de ces évolutions est souvent problématique : modification de procédures, variation de l’attention…

4.4. Le traitement et l’interprétation des données Les traitements des données électrophysiologiques ainsi que celles issues de l’imagerie cérébrale ont été l’objet de nombreuses études. Des procédures précises ont été mises au point. Elles sont exposées dans les ouvrages spécialisés. En particulier, l’analyse des images, les mesures des surfaces et des intensités d’activations posent de nombreux problèmes. Mais, au-delà des questions techniques, le chercheur en psychologie doit être attentif aux difficultés d’interprétation des données (Tiberghein, Guillaume & Baudouin, 2007). Lorsqu’il fait appel à des enregistrements de l’activité cérébrale, le chercheur en psychologie tente soit de localiser les zones du cerveau impliquées dans une activité donnée soit plus généralement de valider un modèle théorique de l’activité cognitive : telle activité neuronale est interprétée comme étant le signe de telle activité cognitive. Le chercheur met en relation une activité neuronale avec un traitement cognitif… c’est dire que les données neurophysiologiques ne prennent sens que par rapport au modèle proposé par le psychologue. L’interprétation des données dépend directement de la qualité des descriptions et de leurs précisions. Les modèles doivent être descriptifs et opérationnels. Ils doivent être suffisamment précis pour permettre des simulations. On peut s’interroger sur la capacité de la discipline à produire actuellement des modèles qui atteignent le niveau de précision requis sachant que le modèle ne doit pas seulement fonctionner, mais doit aussi avoir été validé à la fois psychologiquement et neurologiquement. Même lorsque les modèles psychologiques sont précis, suffisamment exhaustifs et valides, l’interprétation des données neurophysiologiques se heurte à de nombreuses difficultés. La principale concerne la dissociation et l’autonomie des différents processus psychologiques. Les conséquences de cette difficulté sont multiples. 17

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Par dissociation on entend le fait d’isoler les processus qui sont en jeu au cours d’une activité. Comment isoler les effets de l’attention, de la motivation ou de l’intérêt sur l’activité cérébrale ? Comment localiser les composantes de la mémoire de travail sachant qu’elle traite des connaissances stockées dans la mémoire à long terme ? La méthode de comparaison des activités cérébrales dans différentes tâches et donc de soustraction est généralement préconisée. Elle consiste à comparer l’activité du cerveau dans deux tâches différentes. Les recherches de Price (2001) illustrent cette approche. Afin de différencier les zones du cortex, qui d’une part traitent des composantes sensorielles des stimuli selon qu’ils sont visuels ou auditifs et d’autre part celles où s’opèrent les traitements sémantiques, l’activité du cerveau est enregistrée lors du traitement de mots ou de non-mots1 présentés visuellement ou auditivement (cf. figure 2). La comparaison des enregistrements permet de déterminer si les mots sont traités dans des zones différentes des non-mots et si le traitement sémantique des mots présentés visuellement ou auditivement se fait dans les mêmes parties du cerveau. On détermine ainsi si la mémoire sémantique est la même pour les stimuli visuels et auditifs, ce qui semble probable. Dans ce but, l’activité enregistrée dans une situation A (lecture ou audition de non-mots) est soustraite de l’activité enregistrée dans une situation B (lecture ou audition de mots). Les données obtenues par Price (2001) suggèrent que le traitement sémantique est localisé dans le cortex temporo pariétal postérieur gauche (incluant le gyrus angulaire) et différentes régions du cortex temporal inférieur et central. Plusieurs régions du lobe frontal seraient actives lors de traitements spécifiques de certaines catégories de mots. La technique de soustraction, les comparaisons et plus généralement l’interprétation des données d’électrophysiologie et d’imagerie cérébrale supposent que les processus cognitifs soient parfaitement dissociés, autonomes et indépendants excluant les interactions et les feedbacks. Elle renvoie à une conception strictement modulariste du système cognitif. Dans l’exemple précédent, le modèle permettant l’interprétation des images suppose l’indépendance entre les processus qui traitent les mots et ceux qui traitent les non-mots. Dans le cas contraire, c’est-à-dire si les signifiants des deux types de stimuli sont traités en totalité ou en partie par des structures identiques, l’interprétation des données devient pour le moins délicate. L’existence d’interactions et donc la non-indépendance des traitements, aussi bien que la présence d’intercorrélations et de feedbacks rendent difficile l’interprétation des résultats. Il en est de même si la chronologie des processus n’est ni linéaire ni fixe. Une partie de ces difficultés est illustrée sur les figures 7a et 7b. Sur le modèle représenté en 7a, le traitement des signifiants est identique pour les mots et les non-mots, donc soustraire de l’enregistrement des mots les données correspondent à l’enregistrement des non-mots permet d’identifier 1. Un non-mot est une suite de lettres non significative : par exemple, « nila » est un non-mot.

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les traitements sémantiques en revanche, si le traitement des stimuli varie selon qu’il s’agit de mot ou de non-mot, cette soustraction ne permet pas d’isoler les traitements sémantiques. En résumé, la technique de soustraction peut amener à des erreurs d’interprétation : (i) lorsqu’une même structure est responsable de différents traitements ; (ii) si deux structures fonctionnent en interaction ; (iii) si les processus ne se déroulent pas séquentiellement ; (iv) dans le cas de feedbacks. Figure 7. Modèle de traitements des mots et des non-mots : Figure 7a. Le traitement des signifiants est le même pour les mots et les non-mots ; Figure 7b le traitement des signifiants n’est pas le même pour les mots et les non-mots Lecture des mots et des non-mots

Traitement des signifiants des mots et des non-mots

Lecture des mots et des non-mots Traitement des signifiants des mots

Traitement des signifiants des non-mots

Traitements sémantiques des mots

Traitements sémantiques des mots

Figure 7a

Figure 7b

Une autre difficulté vient de la possibilité, fréquente en psychologie, d’utiliser des procédures différentes pour effectuer une même tâche (vicariance). Selon le niveau de compétence, l’apprentissage, l’âge, la fatigue, le degré d’exigence et de motivation, le moment de la journée, les modalités de réalisation des tâches varient. Variations aussi bien d’un individu à l’autre que pour un même individu. Par exemple, les études de chronobiologie (Querrioux-Coulombier & Rossi, 1995) indiquent qu’au cours de la journée, une même personne modifie ses modes opératoires, change ses façons de faire. Le modèle de tâche, c’est-à-dire les procédures mises en œuvre, varie d’un individu à l’autre et pour le même individu d’un moment à l’autre. Enfin, on comprend facilement que l’intervention de processus généraux comme l’attention ou la fatigue peuvent affecter directement l’activité cérébrale et donc les données fournies par les enregistrements. Il est établi (Binder et coll., 2004 ; Desay et coll., 2006 ; Tregallas et coll., 2006) que cette activité varie en fonction de la complexité de la tâche ; or, la technique de soustraction aboutit généralement à comparer des tâches de complexités différentes. Ainsi, lorsque l’on compare les enregistrements correspondants à des tâches de complexités différentes, le résultat est biaisé puisqu’il ne prend pas en compte les variations d’activations liées à la complexité. 19

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En résumé, l’interprétation des données devient difficile si le modèle cognitif n’est pas strictement modulaire, si l’activité ne peut pas être fractionnée avec précision et la chronologie des processus strictement séquentielle, s’il existe des interactions, des inter-corrélations et des feedbacks, si la tâche peut être réalisée selon différentes procédures. Pour le chercheur en psychologie, l’enregistrement de l’activité cérébrale est un outil intéressant et utile pour valider et développer un modèle décrivant des processus mis en œuvre pour réaliser les activités cognitives. Le modèle psychologique reste pourtant à la base de la démarche du chercheur.

5. Conclusion Les différents enregistrements présentés dans les pages précédentes intéressent les chercheurs qui tentent de mettre en correspondance l’activité cérébrale avec les processus mentaux. Compte tenu des réserves énoncées dans les lignes précédentes, psychologues et neurologues peuvent dialoguer afin d’énoncer des hypothèses sur les structures cérébrales impliquées dans les différentes mémoires et les mécanismes à l’origine du stockage des informations, de leurs évolutions et des capacités de restitutions tout au long de la vie. Une telle démarche repose évidemment sur une première description des structures cérébrales. C’est l’objet du chapitre suivant.

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Chapitre 2 – Le cerveau : description et organisation

Chapitre 2 Le cerveau : description et organisation Le cerveau est le centre de la pensée, il traite les informations sensorielles (visuelles, auditives, gustatives, odorantes, tactiles, somesthésiques), imagées, verbales et intellectuelles. Il permet non seulement de raisonner, de calculer, d’élaborer des réponses tant motrices qu’intellectuelles, mais il est aussi le siège des sentiments, des besoins, des affects et de la personnalité. Le cerveau est composé de deux hémisphères qui, chez l’homme, présentent quelques différences. Chacun d’eux est subdivisé en six lobes, dont la structure, l’organisation et les fonctions principales vont être décrites. Au sein du cerveau, les connexions sont multiples, variées et complexes. Avant d’aborder cette description, rappelons quelques éléments de terminologie.

1. Éléments de terminologie Encéphale, cerveau, cervelet, tronc cérébral, cortex et structures sous-corticales sont autant de concepts qui doivent être définis.

1.1. Encéphale : cerveau, cervelet et tronc cérébral Comme indiqué dans le tableau  1, l’encéphale est constitué du cerveau, du cervelet et du tronc cérébral. Phylogénèse et ontogénèse sont marquées par l’évolution du volume du cerveau. Celui de l’homo habilis a un volume compris entre 500 à 750 cm3. Il est donc 2 à 3 fois moins important que le nôtre qui occupe un volume moyen de 1 200 millilitres. À la naissance, le cerveau pèse 23 % du poids de celui de l’adulte. L’augmentation du poids est due à la fois à l’accroissement du nombre de neurones et du nombre de connexions. Il est rendu possible par la variation de la boîte crânienne et l’augmentation du plissement du cortex qui, déplié, représente une surface de 2,4 m2. Au cours du développement, la substance blanche augmente son volume par 20 alors que 21

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le cortex accroît sa surface par 30. À lui seul il cumule 90 % de l’ensemble des neurones du cerveau. Dans le cerveau, on distingue le télencéphale du diencéphale. Le télencéphale comprend le cortex cérébral, la substance blanche et certaines structures sous corticales tandis que le diencéphale est constitué des substances grises principalement : (i) du thalamus qui reçoit des informations des cortex sensoriels et active le cortex cérébral ; (ii) de l’hypothalamus qui gère la sécrétion des hormones et règle le système neuro-végétatif tout en étant connecté à (iii) l’hypophyse et à l’hépiphyse. Le cervelet, quant à lui, est principalement concerné par la coordination des mouvements tandis que le tronc cérébral contrôle l’activité du cœur et des poumons. Le tronc cérébral est situé sous le cerveau et en avant du cervelet (figure 1). Il est composé du mésencéphale (pédoncules cérébraux,  tegmentum  et  tectum), du Pont et de la moelle épinière. Le mésencéphale forme la région supérieure du tronc cérébral. Il est constitué des locus niger (ou substancia nigra), des noyaux rouges et des noyaux des nerfs oculomoteurs et trochéaires. La moelle allongée ou bulbe rachidien est la partie inférieure du tronc cérébral. Le tronc cérébral est responsable de la gestion de différentes fonctions  : respiration, rythme cardiaque, localisation des sons, etc. C’est le lieu de passage des voies motrices et sensitives, ainsi qu’un centre de contrôle de la douleur. Figure 1. Tronc cérébral Nerf optique Mésencéphale Corps mamillaires

Pont

Pyramide Olive Moelle allongée

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Tableau 1. Composants de l’encéphale Télencéphale Cerveau Diencéphale Encéphale

Cervelet

Cervelet Mécencéphale Pont

Tronc cérébral

Moelle allongée

Dans le cerveau, il est habituel de distinguer les structures corticales des sous-corticales.

1.2. Structures corticales et sous-corticales L’expression cortex cérébral désigne la substance grise périphérique du cerveau. Ayant une épaisseur comprise entre 1 et 4,5 millimètres, il a une surface d’environ 2 600 centimètres carrés qui est très plissée avec des sillons ou scissures qui délimitent des zones d’activités correspondantes à des circonvolutions ou girus. Le cortex est composé de six couches de neurones. À la surface, on trouve une première couche moléculaire avec des dendrites orientés perpendiculairement et horizontalement, suivie d’une couche granulaire recevant des informations des autres aires du cortex. Un troisième niveau comporte des cellules pyramidales qui émettent des dendrites vers d’autres zones du cortex, suivies d’une couche granulaire interne qui reçoit des informations de l’extérieur du cortex plus particulièrement du thalamus. Suit une couche pyramidale interne comprenant par exemple des motoneurones, et pour finir une couche polymorphe permettant des processus de rétroaction. Comme l’indique l’expression, les structures sous-corticales se situent sous le cortex. Ce sont des noyaux de substances grises qui constituent les ganglions de la base, l’hippocampe et le complexe amygdalien (figure 2). Certains auteurs à tort y associent le cervelet, le thalamus et le tronc cérébral. La caractéristique de ces centres est qu’ils coopèrent avec les structures corticales.

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Figure 2. Localisations de l’hypothalamus, l’amygdale, l’hippocampe, le pont et de l’hypophyse Hippocampe Amygdale Pont

Hypothalamus Hypophyse

Les différents sillons ou scissures qui marquent la surface du cerveau permettent de délimiter six lobes cérébraux.

2. Les lobes cérébraux On distingue quatre lobes externes : le lobe frontal, le lobe temporal, le lobe pariétal et le lobe occipital (figure 3) et deux cachés : le lobe limbique et le lobe insulaire. Chacun des lobes comporte des aires primaires couplées à des aires associatives. Les aires primaires reçoivent des informations des récepteurs sensoriels (vision, audition, olfaction, goût, toucher) ou des récepteurs sensitifs (sensibilité ou somesthésie). Les aires associatives reçoivent des informations provenant des aires primaires et remplissent des fonctions d’intégrations. Figure 3. Lobes cérébraux de l’hémisphère gauche Scissure de Rolando

Lobe pariétal Scissure pariéto-occipitale

Sillon cen t

ral

Lobe frontal

l

ral até

Sil l on

Scissure de Sylvius

Lobe occipital

Cervelet Lobe temporal Tronc cérébral

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2.1. Les lobes externes Ils sont au nombre de 4, dans l’ordre (en partant de l’avant), on trouve le lobe frontal séparé du lobe pariétal par le sillon central ou la scissure de Rolando, en dessous du lobe pariétal se situe le lobe temporal suivi à l’extrémité gauche du cerveau par le lobe occipital. Sous le lobe temporal se développent le cervelet et le tronc cérébral.

2.1.1. Le lobe frontal (figure 4) Le lobe frontal recouvre la partie avant du cerveau. Il est limité dans sa partie haute par le sillon central (scissure de Rolando) et dans le bas par le sillon latéral (scissure de Sylvius). En partant de la partie la plus antérieure du cerveau, on trouve dans l’ordre : le cortex préfrontal, le cortex orbitofrontal, le cortex prémoteur et le cortex moteur primaire qui occupe la surface se situant le long de la scissure de Rolando. Le cortex préfrontal est le siège des fonctions cognitives supérieures : langage, écriture, mémoire de travail, mémoire épisodique, mémoire sémantique, raisonnement, fonctions exécutives, mais aussi goût et odorat. Les afférences qui convergent dans le cortex préfrontal témoignent de son rôle. Il reçoit des informations en provenance de l’hypothalamus, du sous-thalamus, du mésencéphale du système limbique et du cervelet. En bref, il recueille les informations sensorielles et émotionnelles, et organise les actions finalisées. Le cortex orbitofrontal intervient dans le contrôle exécutif, l’organisation et le raisonnement déductif, la résolution des problèmes et la recherche des informations stockées en mémoire à long terme. Il est aussi le siège des jugements moraux. Les lésions de ce cortex n’affectent pas l’intelligence des patients qui, pourtant, dans les situations sociales, n’arrivent pas à utiliser les bons concepts et même n’évaluent pas correctement les conséquences néfastes de leurs actions. Le cortex prémoteur, comme son nom l’indique, prépare et organise l’activité motrice qui sera mise en œuvre par le cortex moteur. L’ensemble cortex prémoteur et cortex moteur gère les mouvements volontaires et oriente les centres chargés du contrôle musculaire et des mouvements rythmiques  : mâcher, lécher, avaler. Sur l’homonculus moteur (figure 5) sont représentées les surfaces consacrées à la motricité. On peut constater que la place occupée par la main et la bouche témoignent à la fois de leurs rôles respectifs et de l’importance des programmes moteurs qui leur sont associés. Pour la main : programmation des différents mouvements (préhensions, écriture…) ; pour la bouche  : articulation du langage, déglutition, léchage… (figure  5). Dans sa partie inférieure, proche du lobe temporal, on trouve l’aire de Broca qui est le centre moteur du langage.

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Figure 4. Subdivisions du cortex frontal Cortex moteur Cortex prémoteur

Sillon précentral Sillon central Sillon latéral

Cortex préfrontal dorsolatéral ventrolatéral orbitofrontal

Figure 5. Homonculus moteur et sensoriel

2.1.2. Le lobe pariétal Le lobe pariétal (cf. figure  3) se trouve dans la partie haute du cerveau, en arrière du lobe frontal. Il est limité par la scissure de Rolando et la scissure pariéto-occipitale. Il est composé du gyrus postcentral situé entre la scissure de Rolando et la scissure de Sylvius, du lobule pariétal supérieur et du lobule pariétal inférieur. C’est un cortex hétéromodal intégrant les informations provenant de différentes modalités sensorielles. Il traite les données liées à la vision, à l’audition, au toucher, au goût. Il gère les habiletés visuospatiales responsables du contrôle des saccades oculaires. Il est impliqué dans la perception de l’espace et l’attention. Le long de la scissure de Rolando, face à l’homon26

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culus moteur, on trouve l’homonculus sensible sur lequel aboutissent les informations correspondantes à la sensibilité du corps (figure  5). Sur cet homonculus, on observe que plus la zone est sensible, plus la surface représentée est importante. On voit ainsi que la main, la bouche et les lèvres occupent proportionnellement une surface importante par rapport au reste du corps. Toute atteinte située dans l’homoculus entraîne une perturbation de la sensibilité et du schéma corporel. Les déficits sensitifs se manifestent aussi par une incapacité à identifier la forme des objets par le toucher (astéréognosie). La difficulté à s’habiller et une apraxie gestuelle sont aussi caractéristiques des atteintes du cortex pariétal. Le malade ne distingue plus sa droite de sa gauche et ne reconnaît plus sa main comme sienne. La région dorsale et ventrale du cortex temporal est impliquée dans la mémoire épisodique plus particulièrement dans la reconnaissance et le stockage des stimuli familiers.

2.1.3. Le lobe occipital Le lobe occipital (cf. figure 3) à l’arrière du cerveau est limité par la scissure pariéto-occipitale. Il est composé des aires visuelles primaires, les plus postérieures et associatives, encadrant les aires primaires. L’aire primaire reçoit les informations provenant des rétines et ayant transité dans les corps genouillés latéraux tandis que le cortex associatif procède aux reconnaissances des formes, des couleurs, des visages, des orientations dans l’espace et est impliqué dans la mémoire épisodique. Composé de cinq milliards de neurones, il représente 20 à 25 % du cortex cérébral.

2.1.4. Le lobe temporal Séparé du lobe frontal par la scissure de Sylvius, le lobe temporal (cf. figure 3) se situe sous le lobe pariétal et en avant du lobe occipital. Il joue un rôle important dans les reconnaissances visuelles, auditives, olfactives et vestibulaires tout en participant aux traitements du langage (aire de Wernicke : compréhension des mots) et de la lecture. Les parties supérieures et médianes reçoivent les informations auditives tandis que la partie inférieure est responsable de la reconnaissance des patterns visuels. Il intervient dans les mémoires sémantiques et épisodiques. En relation étroite avec le système limbique, il participe au traitement des informations sensorielles, des émotions et des mémoires. Dans le lobe temporal médian se trouve une structure qui doit être décrite, car, selon de nouvelles recherches, elle joue un rôle important dans la reconnaissance des stimuli familiers : il s’agit du cortex rhinal composé du cortex entorhinal et du cortex périrhinal (figures 6). Le cortex entorhinal reçoit les informations provenant du bulbe olfactif, donc des données liées à l’olfaction. Le cortex rhinal, quant à lui, est relié à l’hippocampe et au cortex parahippocampique. Recevant des données en provenance des cortex associatifs, il est impliqué dans la mémorisation. 27

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Neuropsychologie de la mémoire

Figure 6. Localisation du cortex entorhinal et de l’hippocampe (coupe transversale)

Hippocampe Cortex entorhinal Cortex transentorhinal

Pôle temporal

Cortex temporal inférieur

alis

Figure 7. Localisation des gyri constitutifs du cortex cérébral. Voir figure en couleurs à la fin de l’ouvrage ntr

ntr

tce

ece

Lob

ulu sups par eri ieta ulus or lis p infe arietali rior s Gyrus supramarginalis Gyrus angularis

pos

pra us

rus Gy

fr

us

edi

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Gyr

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Gyr

lis onta

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Lob

or eri inf pars s i l opernta fro ars ris cularis rior rus p ngula y supe G s ralis o tria p ediu m s te lis m u a r r pars y o G r mp erio orbitalis s te s inf Gyru orali p m s te Gyru us

Gyr

Gyri occipitales

2.2. Les lobes cachés : système limbique et lobe insulaire Le système limbique, tout comme le lobe insulaire, est enfoui à l’intérieur de la masse cérébrale.

2.2.1. Le système limbique Le système limbique est constitué du lobe limbique qui est la partie strictement corticale de la circonvolution intra-limbique, de structures annexes et des noyaux limbiques. Le système limbique comprend essentiellement : −− l’hippocampe, qui joue un rôle important dans la mémoire à long terme ; −− l’amygdale, support neurologique des émotions, de l’agressivité, de la peur et de l’anxiété. Composée des noyaux baso-latéraux, elle reçoit des 28

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Chapitre 2 – Le cerveau : description et organisation

informations provenant du cortex sensoriel et des noyaux les corticomédiaux connectés au bulbe olfactif ; −− le fornix qui relie l’hippocampe à l’hypothalamus ; −− l’hypothalamus qui gère le système endocrinien contrôlant les fonctions respiratoires, digestives et cardiovasculaires. L’hypothalamus comporte les corps mamillaires qui représentent la terminaison antérieure du fornix et jouent un rôle déterminant dans la mémoire ; −− le cortex limbique (gyrus cingulaire, cingulum, insula et gyrus parahippocampique) déterminant dans le contrôle conscient et le septum ; −− le noyau antérieur du thalamus. Cet ensemble de structures est représenté sur la figure 8. Figure 8. Représentation des différents constituants du système limbique. Voir figure en couleurs à la fin de l’ouvrage Gyrus cingulaire

Fornix

Septum

Hippocampe

Bulbe olfactif Hypothalamus Amygdale

Corps mamillaires

L’hippocampe et l’amygdale jouent un rôle déterminant dans la mémoire. L’hippocampe est impliqué dans la mémoire à long terme, l’orientation spatiale, l’olfaction et l’inhibition des comportements. Les patients ayant des atteintes de l’hippocampe n’arrivent pas à former de nouveaux souvenirs, perdent ceux qui sont récents alors qu’ils sont capables de restituer les plus anciens. Son ablation perturbe l’identification des composantes émotionnelles des stimuli, la reconnaissance des mimiques et l’aspect affectif des expressions langagières. Comme il sera précisé ultérieurement, seule la mémoire explicite consciente est perturbée par les atteintes de l’hippocampe, tandis que les apprentissages moteurs et sensori-moteurs persistent et que de nouveaux peuvent être acquis. Des recherches actuelles suggèrent que l’hippocampe reçoit des informations en provenance du bulbe olfactif et pourrait ainsi jouer un rôle dans la mémoire olfactive. 29

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L’hippocampe est aussi impliqué dans la localisation spatiale. On trouve en son sein des cellules de lieux qui codent les informations spatiales et des cellules grilles qui sont actives lorsque les objets sont situés dans des endroits spécifiques. Par le fornix, les neurones de l’hippocampe se projettent dans l’hypothalamus, le noyau septal et le cortex entorhinal qui est lui-même connecté avec les cortex préfrontal, orbital, parahippocampique, cingulaire, et insulaire. Un circuit bidirectionnel appelé circuit de Papez joue un rôle fondamental dans la mémoire. Soulignons enfin que durant la vie adulte, l’hippocampe produit de nouveaux neurones. Cette neurogenèse joue un rôle important dans les processus mnésiques et rend efficace les antidépresseurs. Les connexions entre l’hippocampe et les autres constituants du cerveau sont aussi intéressantes à présenter (figures 9 et 10). Les neurones de l’hippocampe se projettent dans l’hypothalamus et dans le cortex entorhinal qui luimême est relié au cortex préfrontal, orbital parahippocampique, cingulaire et insulaire. L’hippocampe et relié à l’hypothalamus par le fornix. Figure 9. Principales connexions allant vers l’amygdale 6 Cortex cérébral 3 Thalamus

2 Hypothalamus

Cortex sensoriel associatif limbique

1 Bulbe olfactif

Amygdale

Nx centraux Nx cortico-médians Nx baso-latéraux

4 Tronc cérébral 5 Hippocampe

30

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Chapitre 2 – Le cerveau : description et organisation

Figure 10. Principales connexions partant de l’amygdale Strie terminale Striatum Thalamus

1

BST

Nx accumbens

4

2 Hypothalamus

Amygdale Nx centraux Nx cortico-médians Nx baso-latéraux

3

Raphe

SN

Tronc cérébral 5

Cortex enthorhinal

Raphe magnus

Raphe pallidus

L’amygdale située en avant de l’hippocampe intéresse à différents titres puisqu’elle intervient dans les apprentissages associatifs, dans la composante émotionnelle des stimuli et dans les réponses végétatives et comportementales correspondant à la peur et à l’anxiété. Elle est aussi impliquée dans le plaisir. Le rôle de l’amygdale et son importance sont faciles à comprendre lorsqu’on regarde les connexions qui la relient avec les autres parties du cerveau. Elles suggèrent à la fois que la mémoire épisodique peut comporter des composantes émotionnelles et déclencher ce qu’il est commun d’appeler le circuit de la peur. L’hypothalamus, qui comme son nom le suggère est situé sous le thalamus, gère à la fois les sécrétions de l’hypophyse, du système nerveux autonome (régulation de la température, du cycle circadien, rythme cardiaque, sudation) et de certains comportements (sexuels, alimentaires, de défense, de stress). Au centre du cerveau, on trouve différents noyaux sous-corticaux à savoir le striatum (comprenant le noyau caudé et le putamen), les globus pallidus interne et externe, le noyau sous-thalamique et la substance noire. Ces structures sont impliquées dans la motricité volontaire, l’apprentissage, la mémoire et les émotions. Le rôle des ganglions de la base dans les émotions s’explique 31

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par le fait que la partie ventrale du striatum reçoit des projections neuronales des régions du système limbique (amygdale, formation hippocampique et cortex associatif). Le tronc cérébral commande la respiration, la digestion, le rythme cardiaque et d’autres systèmes autonomes.

2.2.2. Le cortex insulaire ou insula Le cortex insulaire, ou insula, situé au fond du sillon latéral (figure 11) comprend l’insula antérieure qui, étant une composante des aires pré-motrices, intervient lors de la production du langage, tandis qu’une autre partie contient les aires somatosensorielles secondaires dans lesquelles sont intégrées les différentes modalités sensorielles. Figure 11. Représentation du système limbique Cortex cingulaire antérieur

Corps calleux Lobe pariétal

Lobe frontal

Fornix Lobe occipital Cortex cingulaire postérieur Thalamus

Lobe temporal

Hippocampe Amygdale Cervelet

Le cortex insulaire, ou insula, est impliqué dans : −− la perception intéroceptive : perception du rythme cardiaque, de la pression sanguine, de la chaleur et du froid, des tensions de l’estomac, de l’intestin et de la vessie, des difficultés de respiration ainsi que de l’évaluation de la douleur. Il gère le système vestibulaire responsable de l’équilibre ; −− la régulation homéostasique  : régulation du système sympathique et parasympathique ainsi que du système immunitaire ; −− la conscience du corps et la sensation d’être l’auteur de ses actes ; 32

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−− le contrôle moteur des mouvements des yeux, de la déglutition, de l’articulation du langage, du mouvement des mains et de certains apprentissages moteurs ; −− la gestion des émotions  : écoute passive de la musique, rire, pleurs, dégoût, compassion, empathie, composante émotionnelle du langage ; −− dans certaines aphasies et la maladie d’Alzheimer ; −− dans la dépendance des toxicomanes. Cela se comprend lorsqu’on sait que l’insula est connectée au thalamus, à l’amygdale et au cortex somatosensoriel.

3. Conclusions Cette brève et schématique description du cerveau est limitée aux structures qui, à notre connaissance, interviennent directement dans les différentes mémoires. Mais, compte tenu du rôle et de l’importance des connexions inter et intra structures, il fort probable que les effets de certaines parties corticales et sous-corticales aient été négligés. Comme il a été précisé, certaines structures ont des fonctions générales ; c’est le cas, par exemple, du thalamus dont une des fonctions consiste à assurer l’éveil du cortex. D’autres ont des rôles plus spécifiques, c’est le cas des cortex sensoriels primaires qui reçoivent des informations des organes de perception. Ainsi, le cortex primaire visuel est activé par les cellules de la rétine qui ont transité par les corps genouillés latéraux. Les cellules de ce cortex envoient des messages dans le cortex visuel associatif. Comme l’illustre cet exemple, les interconnexions cérébrales sont multiples. Sans oublier qu’au sein d’une même structure se développent des feedbacks : un premier traitement est modifié par un second, de sorte qu’à la sortie de la structure, l’information a pu subir des changements liés à ses propres transformations. À différentes reprises, les difficultés d’interprétation des phénomènes électrophysiologiques et des données fournies par les imageries cérébrales ont été soulignées. Que peut-on dire lorsqu’on observe qu’une structure cérébrale est activée ? À quel processus psychologique correspond cette activité neuronale ? Comment faire la part des processus attentionnels, motivationnels, émotionnels, affectifs par rapport aux raisonnements, aux apprentissages ou aux phénomènes mnésiques ? Comment faire la part entre des processus généraux et des processus spécifiques ? Dans le cas des études de la mémoire, on se heurte à des problèmes spécifiques de cette fonction. Dans toute mémorisation, il y a une phase d’encodage des informations. Cet encodage varie-t-il en fonction du support (vision, audition…) ? Suit une phase d’apprentissage, mais quelles sont les structures impliquées dans cette phase ? Puis une phase d’intégration de cette information, quelles formes prend cette intégration ? Sans parler de la phase de stockage qui 33

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elle-même va être le lieu de nombreuses modifications et même des transferts d’une structure cérébrale à une autre. Enfin, une fois stockée, l’information doit être récupérée. Quels sont les processus qui interviennent dans cette récupération ? Comment la récupération et la situation dans laquelle elle se produit transforment l’information stockée ? Toutes ces questions montrent la difficulté à mettre en correspondance une activité cérébrale avec des processus psychologiques. Elles montrent bien que l’interprétation de l’activité cérébrale nécessite de s’appuyer sur des modèles précis des différentes mémoires. La structure même de ces modèles interroge. Dans la tradition de l’« information processing  », les processus psychologiques sont décrits comme des séries de boîtes dans lesquelles une information entre puis ressort transformée pour être traitée par une nouvelle boîte. Ce sont des modèles modulaires, chaque fonction est décrite par une suite de modules qui transforment l’information qu’ils reçoivent. Ce type de modèle est compatible avec l’approche localisationiste développée en neuropsychologie. Approche selon laquelle chaque partie du cerveau remplit une fonction déterminée. Il en va autrement dans les modèles pour lesquels les informations et les traitements sont dispersés en différents lieux. Compte tenu de la variété des processus psychologiques, il est clair que cette nouvelle catégorie de modèles se prête mieux à la modélisation des processus psychologiques. L’exemple de la lecture d’un mot permet d’illustrer le propos. Un mot est composé d’une ou de plusieurs lettres. Chaque lettre est elle-même composée de traits perceptifs qui permettent de l’identifier. Mais la lecture du mot repose aussi sur la reconnaissance de caractéristiques perceptives globales. L’identification du mot active des sens. Le sens comprend des composantes dénotatives, connotatives et référentielles. La dénotation correspond à « l’élément stable, non subjectif et analysable hors du discours, de la signification d’une unité lexicale, tandis que la connotation est constituée par ses éléments subjectifs ou variables selon les contextes » (Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Dubois et coll. 1994). En revanche, la référence « est la propriété d’un signe linguistique lui permettant de renvoyer à un objet du monde extralinguistique réel ou imaginaire » (Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Dubois et coll. 1994). Comme on le voit, la référence est une représentation mentale d’un objet extérieur. Quant à la connotation, elle correspond à des attributs affectifs (structures gérant les émotions…). Cet exemple illustre bien le fait que la simple lecture d’un mot active différentes zones du cerveau. Que dire si le mot est intégré dans une phrase puisqu’il est alors placé dans un contexte qui permet de le deviner tout en traitant la structure syntaxique de l’énoncé. Il parait évident que la simple lecture d’un mot nécessite l’intervention de différentes structures du cerveau. Il est très probable qu’il en est de même pour les mémoires. Ainsi, dans la suite de l’ouvrage, une approche dispersée des processus mnésiques sera développée, ce qui impose de faire le point sur les connaissances concernant la structure neuronale du cerveau. 34

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Chapitre 3 – Les neurones, les transmissions synaptiques et les modélisations connexionnistes

Chapitre 3 Les neurones, les transmissions synaptiques et les modélisations connexionnistes des apprentissages Le cerveau est constitué essentiellement de neurones et de cellules gliales. Les neurones véhiculent les messages nerveux tandis que les cellules gliales les nourrissent et les entretiennent. La structure et les fonctions de ces cellules sont décrites ainsi que les connexions entre les neurones (synapses). La circulation de l’influx nerveux dans les réseaux neuronaux amène à présenter les processus de sensibilisation, de potentialisation et d’habituation qui sont à l’origine des apprentissages. Une telle organisation est simulée au moyen des modèles connexionnistes qui sont capables d’apprendre. Le principe, l’organisation de ces modèles et leurs plausibilités psychologiques sont l’objet de la seconde partie du chapitre.

1. Les neurones et leurs organisations On trouve dans le cerveau deux catégories principales de cellules : des cellules nerveuses appelées neurones et des cellules gliales.

1.1. Les cellules gliales Représentant environ 50 % du volume du cerveau, elles entourent les neurones. Quatre types de cellules gliales sont identifiés : les astrocytes, les oligodendrocytes, les cellules de Schwann et la microglie. En forme d’étoiles, les astrocytes sont les cellules les plus grosses. Elles ont pour caractéristique d’avoir de nombreux prolongements radiaires. Les astrocytes de type 1 sont en contact avec les capillaires sanguins tandis que ceux de type 2 entourent le neurone et jouent le rôle d’intermédiaires entre le neurone 35

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et les vaisseaux sanguins. Non seulement elles nourrissent le neurone lui fournissant l’oxygène et le glucose dont ils ont besoin, mais aussi le nettoient et interviennent dans la synthèse des neuromédiateurs tout en évitant leurs dispersions. Synchronisant l’activité synaptique, elles agissent sur la concentration ionique qui modifie l’activité des neurones. Plus petit que les astrocytes, les oligodendrocytes produisent la myéline qui entoure les fibres nerveuses et est responsable de la propagation de l’influx nerveux. Assurant des fonctions similaires, les cellules de Schwann isolent électriquement les axones neuronaux. Les  cellules microgliales  nettoient les déchets des substances blanche et grise, elles libèrent des produits qui régulent l’activité des neurones et contribuent au traitement des informations. Formant une barrière autour des neurones, les cellules gliales les isolent, empêchant toute substance étrangère de les atteindre. Ces cellules assurent donc la logistique et la protection des neurones.

1.2. Les neurones : description Les neurones sont les cellules nerveuses. Le cerveau est constitué de plusieurs milliards de neurones avec 150 000 km de fibres nerveuses. Les êtres unicellulaires n’ont pas de neurones tandis qu’un ver de terre en a environ 300. Chaque neurone a entre 10 000 et 100 000 connexions et émet environ 1 000 signaux par seconde. Les neurones sont constitués d’un corps cellulaire, d’un axone et de dendrites (figure 1). L’influx nerveux arrive par l’axone, traverse le corps cellulaire et se propage aux autres neurones par les dendrites. Les zones de contact entre les neurones sont des synapses. Figure 1. Représentation schématique d’un neurone Dendrite Corps cellulaire Noyau Axone

Terminaison neuronale

Parmi les différentes catégories de neurones, il faut réserver une place particulière aux neurones miroirs. 36

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Chapitre 3 – Les neurones, les transmissions synaptiques et les modélisations connexionnistes

1.3. Les neurones miroirs Les neurones miroirs non seulement sont actifs lorsqu’on réalise un mouvement, mais aussi lorsqu’on l’observe et même lorsqu’on l’imagine. C’est dire leur rôle aussi bien dans l’apprentissage par imitation que dans les relations avec autrui. L’autre particularité de ces neurones est leur spécificité : chaque neurone ne répond qu’à un mouvement particulier. Le fait qu’ils soient activés lors de la perception du mouvement réalisé par autrui leur a valu d’être qualifiés de neurones empathiques. Ces neurones, quand ils sont situés dans les zones du cerveau activées par les émotions, jouent un rôle déterminant lors de leur perception et de leur reconnaissance ; ils sont donc au centre de l’empathie, de la capacité à comprendre les émotions d’autrui. Les neurones miroirs ont été découverts en 1990 lors d’une étude de l’activité cérébrale du cortex moteur du singe par un chercheur italien du nom de Giacomo Rizzolatti. Les études faites sur l’homme ont montré qu’on les trouve principalement dans les cortex qui gèrent les mouvements (cortex prémoteur et moteur), dans les cortex sensoriels (visuel, auditif, etc.) et particulièrement dans l’aire de Broca qui est responsable de la production des mots. Ces neurones sont spécialisés de sorte qu’ils ne réagissent qu’à un seul type d’action. Ces cellules sont au cœur de la reconnaissance et de l’acquisition du langage, et de la reconnaissance des émotions manifestées par autrui. Quel que soit le type des neurones, leurs zones de contact sont des synapses.

1.4. La synapse : zone de contact entre deux neurones La synapse est la zone de contact entre neurones ou entre un neurone et une autre cellule, par exemple, une cellule musculaire (figure 2). Ces contacts sont nombreux puisqu’on estime qu’ils couvrent environ 40  % de la membrane cellulaire. Dans certaines parties de l’encéphale, on comptabilise près de 600 millions de synapses par millimètres cubes. La transmission de l’influx nerveux d’un neurone à l’autre se fait soit électriquement, soit dans la grande majorité des cas, chimiquement. Dans ce cas, l’extrémité du neurone présynaptique est équipée de vésicules contenant des neurotransmetteurs qui sont libérés par l’influx nerveux (figure 2). Ces neurotransmetteurs stimulent des récepteurs contenus dans le neurone post-synaptique qui, à leur tour, sont à l’origine d’un nouvel influx nerveux et ainsi de suite. Les synapses jouent un rôle déterminant dans la propagation de l’influx nerveux puisqu’elles peuvent le moduler de différentes façons  : augmenter, sommer, diminuer, stopper ou même déterminer des processus d’inhibition. Les types et le nombre de synapses déterminent les caractéristiques du circuit électrique qui est parcouru. De nouvelles synapses peuvent être créées tandis que d’autres sont supprimées ou simplement modifiées. Les apprentissages vont être à l’origine de 37

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l’ensemble de ces transformations : créations et modifications des synapses ; gestion de la transmission de l’influx nerveux (augmentation, diminution, inhibition…). Ainsi, chaque neurone est couvert d’un ensemble de synapses excitatrices et inhibitrices. L’amplitude et la fréquence des courants électriques qui se propagent codent l’information qui est traitée. La transmission de l’influx nerveux à travers la synapse se fait, la plupart du temps, grâce aux neuromédiateurs. Figure 2. Représentation d’une synapse : 1 élément présynaptique ; 2 élément postsynaptique ; 3 vésicules synaptiques ; 4 récepteurs ; 5 mitochondries

Les neurotransmetteurs permettent la propagation de l’influx nerveux. Quatre types de relations entre neurones sont possibles.

1.5. Quatre catégories de connexions inter-neuronales Les connexions entre neurones peuvent être : divergents, convergents, réverbérants ou parallèles. Dans un circuit divergent, un premier neurone envoie des inputs à d’autres, alors que dans les circuits convergents, un neurone est stimulé par plusieurs autres. Cette sommation peut produire des stimulations ou des inhibitions. Les circuits réverbérants comportent des feedbacks de sorte qu’un neurone va agir sur les neurones qui l’ont stimulé. Les circuits « parallel after-discharge » sont à la fois convergents et divergents. Ils sont généralement impliqués dans les processus mentaux. Ces quatre circuits sont représentés sur la figure 3. Le potentiel d’action se propageant le long de l’axone du neurone présynaptique libère les neuromédiateurs qui activent les vésicules des membranes des dendrites post-synaptiques. Celles-ci libèrent les neuromédiateurs à l’origine des potentiels d’actions qui se propagent dans les neurones post-synaptiques. 38

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Chapitre 3 – Les neurones, les transmissions synaptiques et les modélisations connexionnistes

Figure 3. Représentations des quatre types de circuits neuronaux a) Circuit divergent

b) Circuit convergent Inputs

Inputs

Ouput Ouputs c) Circuit réverbérant Inputs

d) Circuit « parallel after-dischage » Inputs

Ouput

Ouput

1.6. Neuromédiateurs ou neurotransmetteurs Les neurotransmetteurs ou neuromédiateurs sont des produits chimiques qui permettent la transmission de l’influx nerveux d’un neurone à l’autre, ou même d’un neurone à une autre cellule (cellules musculaires, cellules gliales…). Stockés dans des vésicules situées dans la partie présynaptique ils sont libérés par l’arrivée de l’influx nerveux dans la dendrite. Traversant l’espace intra-synaptique, ils atteignent des récepteurs post-synaptiques. Selon la catégorie de neuromédiateur, la réponse postsynaptique sera soit excitatrice lorsque la substance libérée est du glutamate ou de l’acétylcholine, soit inhibitrice dans le cas de la glycine. Ainsi, la variété des neurotransmetteurs et des récepteurs permet l’existence simultanée de plusieurs événements au niveau d’une même synapse. Drogues et médicaments peuvent avoir un effet sur la transmission des neuromédiateurs allant jusqu’à modifier la réceptivité des synapses : effets 39

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d’accoutumance et de dépendance. L’apprentissage va aussi modifier la transmission synaptique.

1.7. Le codage biologique de l’apprentissage : la plasticité synaptique L’apprentissage a, entre autres, pour effet de modifier l’activité synaptique. On a vu qu’un courant électrique nommé potentiel d’action se propage le long de l’axone d’un neurone présynaptique, puis dans les dendrites des neurones postsynaptiques. Pour chaque synapse, le potentiel d’action varie en amplitude, en fréquence et en durée. Le signal post-synaptique dépend : −− du type de neuromédiateur ; −− de la quantité, de la fréquence et de la durée du neuromédiateur présynaptique libéré ; −− des propriétés de la fente synaptique ; −− des propriétés de la membrane post-synaptique ; −− du type, du nombre, de la nature et de la sensibilité des récepteurs postsynaptiques. On appelle plasticité synaptique les modifications de la propagation de l’influx nerveux dues à l’apprentissage. Cette plasticité peut être à court (quelques heures) ou à long terme (24 heures et plus). La transmission synaptique évolue en fonction des activités antérieures. Les effets de l’apprentissage peuvent se situer aussi bien au niveau pré et post-synaptique qu’à celui de la fente synaptique. La plasticité est due aux variations quantitatives des paramètres de codage des messages d’entrées et de sorties, de sorte qu’il existe deux types de plasticité, l’une présynaptique et l’autre post-synaptique. Une telle plasticité permet la création de nouvelles synapses (figure 4). L’apprentissage lié à la répétition de la même stimulation aboutit à une augmentation de la réceptivité et au recrutement de différents neurones qui vont être activés simultanément. Ces réponses cellulaires vont persister dans le temps, ce phénomène se nomme potentialisation à long terme (PLT). L’activation simultanée des neurones pré et post-synaptiques est à l’origine de la potentialisation à long terme. Morphologiquement, la répétition de la stimulation : −− modifie la taille et la forme des synapses, augmentant les surfaces de connexions ; −− recrute de nouveaux neurones en les rendant actifs ; −− crée de nouvelles synapses ; −− modifie la sensibilité des neurones ; −− synchronise les potentiels évoqués. 40

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À ces cinq propriétés, il faut ajouter la capacité à créer des associations : ainsi, lorsqu’une stimulation forte et une stimulation faible sont simultanées, elles sont associées. Étant donnée la place des apprentissages associatifs dans la vie de tous les jours, on comprend à quel point cette propriété est importante. La plupart des synapses modifiables ont comme neuromédiateur le glutamate. Les récepteurs post-synaptiques sont principalement des récepteurs AMPA responsables de la transmission rapide et les récepteurs NMDA qui sont concernés par la potentialisation à long terme. Aux côtés de ceux types de récepteurs, on trouve des récepteurs métabotropiques dont la fonction essentielle consiste à amplifier les messages transmis. Dix ans après avoir décrit la potentialisation à long terme (PLT), les chercheurs travaillant sur le cervelet mettent en évidence la dépression à long terme (DLT). Le cervelet est la structure qui assure la coordination motrice, qui gère les mouvements fins ainsi que nombre d’activités cognitives ; c’est donc le lieu où excitations et inhibitions se mêlent lors des apprentissages. Si durant l’apprentissage, la tâche n’est pas réalisée correctement, un signal d’erreur est émis et le poids des cellules qui en sont à l’origine est diminué. Cette diminution correspond à ce que l’on nomme une dépression à long terme (DLT). Cette dépression modifie le circuit neuronal. Figure 4. Effets de l’apprentissage sur les connexions inter-neuronales Avant apprentissage

Après apprentissage Neurone 1

Message nerveux Connexion entre les neurones 1 et 2

Neurone 2

Nouvelles connexions

Certaines variations sont imputables aux types de neurones qui, non seulement possèdent des propriétés spécifiques, mais de plus réagissent en fonction de leur environnement, c’est-à-dire en fonction des cellules gliales. Certains neurones modifient l’influx nerveux qu’ils reçoivent (effets récurrents). Des 41

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processus de synchronisation augmentent l’efficacité de la transmission, tandis que des neurones modulateurs agissent directement sur la synapse. L’apprentissage a aussi pour effet de créer de nouvelles synapses (figure 4). C’est dire la variété des effets de l’apprentissage sur l’organisation des réseaux neuronaux et la propagation de l’influx. La plasticité homosynaptique est opposée à la plasticité hétérosynaptique. Dans la plasticité homosynaptique, les décharges des neurones pré et postsynaptiques sont synchronisées. C’est ce que l’on trouve dans les mémoires associatives et les conditionnements. En revanche, dans les processus non associatifs, l’apprentissage se traduit par une plasticité hétérosynaptique reposant sur l’intervention de trois catégories de neurones glutaminergiques : un neurone présynaptique, un neurone modulateur qui intervient sur les boutons présynaptiques de la synapse et un neurone post-synaptique. Le modulateur a un effet de renforcement lorsque son activité est synchronisée avec celle du neurone présynaptique. Alors même que l’on considère que tous les effets de l’apprentissage sur la transmission synaptique ne sont toujours pas connus, l’habituation, la sensibilisation ou la désensibilisation, la potentialisation et la dépression sont actuellement les phénomènes les plus étudiés.

1.8. Sensibilisation, potentialisation, habituation La sensibilisation se manifeste par une réaction vive, qui est provoquée par une première stimulation inopinée. Elle est due à la fois à la libération importante de sérotonine, qui est un neurotransmetteur facilitateur, et à la création de nouvelles synapses. Le phénomène est amplifié par une modification de la sensibilité post-synaptique. Ce processus se produit aussi bien à court terme qu’à long terme. La potentialisation est une augmentation de l’amplitude de la réponse post-synaptique, généralement provoquée par une stimulation forte souvent nociceptive. Elle n’est possible que sur certains neurones. La potentialisation à long terme consiste en la consolidation des synapses, généralement provoquée par la coïncidence. Par exemple, lorsque deux informations sont simultanées, leurs représentations neuronales sont connectées de sorte que la présentation de l’une active l’autre. La répétition d’une stimulation entraîne un phénomène d’habituation consistant en une atténuation progressive du signal post-synaptique qui peut aller jusqu’à sa suppression. L’influx nerveux décroît tant en fréquence qu’en amplitude. Il y a diminution du nombre de vésicules, du nombre de synapses et donc perte de contacts. Un bruit constant et régulier finit par ne plus être entendu, ou du moins être perçu comme très estompé. La présentation d’un son détermine un potentiel évoqué que l’on peut enregistrer sur le cortex auditif. Au fur et à mesure de la répétition de la stimulation, l’amplitude du poten42

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tiel diminue. L’habituation est bien un apprentissage puisqu’il correspond à un changement de comportements dû à des stimulations. L’habituation joue un rôle important dans la vie de tous les jours, elle permet d’être indifférent à nombre de stimulations. Deux catégories d’habituation sont couramment étudiées, l’habituation à court terme et l’habituation à long terme. Par court terme, on entend une habituation d’une durée allant d’une minute à deux heures. Tandis que l’habituation à long terme peut durer trois semaines. Dans les deux cas, les vésicules présynaptiques comme les synapses sont moins nombreuses, il y a donc perte de contacts et d’activités. L’étude de la plasticité synaptique indique clairement que l’apprentissage a pour effet de modifier de façon durable la transmission synaptique. Ces modifications sont suceptibles de prendre cinq formes qui peuvent se combiner de diverses façons. Dans l’état actuel des connaissances, l’apprentissage peut : −− augmenter le nombre de synapses ; −− affecter la libération des neuromédiateurs : nature, quantité, durée, fréquence ; −− modifier la fente synaptique ; −− accroître le nombre de neurorécepteurs post-synaptiques ; −− faire varier la sensibilité de ces mêmes neurorécepteurs.

1.9. Conclusion Les données qui viennent d’être présentées indiquent clairement que les apprentissages modifient les transmissions synaptiques et que les codages mnésiques ont pour support les réseaux neuronaux. Mais il reste encore beaucoup à faire pour comprendre comment souvenirs et connaissances sont stockés et récupérés. Comment fonctionnent les différentes mémoires ? Sont-elles indépendantes ? Comment les événements et les connaissances sont-ils transformés en circuits neuronaux ? Comment ces informations sont-elles récupérées ? Et même avant de l’être, comment évoluent-elles : en s’enrichissant de nouveauté, en s’appauvrissant et en se transformant ? Les différentes modalités de modification des synapses et des transmissions restent encore à élucider : varient-elles en fonction des types de mémoire, des catégories de matériels, des durées de stockages… ? Bref, on a le sentiment d’être au début d’une histoire passionnante certes, mais qui reste à écrire. Dans cette aventure, on dispose d’un outil privilégié qui est la modélisation informatique des réseaux neuronaux. Les systèmes connexionnistes ou réseaux de neurones constituent une première tentative de simulation des apprentissages qui présente quelques analogies avec le fonctionnement du cerveau. La description de ces systèmes permet d’illustrer de façon simplifiée les mécanismes de l’apprentissage et d’explorer ses possibilités et limites. 43

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2. La modélisation de l’apprentissage par les systèmes connexionnistes Les modélisations connexionnistes basées sur l’interconnexion d’unités élémentaires (ou neurones formels) organisées en réseaux et structurées en couches permettent de simuler les apprentissages et nombre de comportements cognitifs. La description des unités de base, que sont les neurones formels, est suivie de l’exposé des modalités de transmission au sein des réseaux, puis de l’organisation de leurs structures. Les différentes modalités d’apprentissages ainsi que le rappel des propriétés essentielles des modèles connexionnistes précèdent l’analyse critique de leurs utilisations en psychologie. Une application portant sur les processus d’apprentissage illustre le propos. Le lecteur est alerté sur le fait que, malgré les analogies et l’ambiguïté entretenue par l’appellation « réseaux de neurones », les modèles connexionnistes sont loin d’avoir les capacités du cerveau humain qui contient plusieurs milliards de neurones, chacun d’entre eux possédant quelques milliers de connexions. Si les bases du connexionnisme sont posées dès 1940, c’est en 1943 que McCulloch et Pitts utilisent ces modèles pour représenter des fonctions logiques. La généralisation de la méthode pour simuler le fonctionnement neuronal et son application aux comportements est développée par Donald Hebb en 1949 dans The organisation of behavior. Pour les chercheurs en psychologie, le texte de référence est l’ouvrage de Rumelhart et McClelland intitulé Parallel Distributed Processing et publié en 1986. Les modèles connexionnistes se présentent comme des réseaux d’unités appelés neurones formels connectés et affectés de poids différent et organisés en couches plus ou moins nombreuses.

2.1. Description des neurones formels L’unité de base des modèles connexionnistes est le neurone formel. Un neurone formel est une unité de calcul qui peut prendre soit des valeurs discrètes, un ou zéro, soit des valeurs continues allant de – 1 à + 1 et être aussi bien négatives que positives en passant par des états de repos. Chaque neurone formel reçoit des signaux d’entrées, possède une fonction d’activation qui transforme les valeurs d’entrées en signal de sortie. Un neurone formel peut être soit un simple relais qui propage ou non l’activation qu’il a reçue, soit une unité de calcul. Dans le premier cas, il se contente de transmettre ou de bloquer les activations qu’il reçoit. Dans le second cas, il procède à des calculs : additions, multiplications ou opérations logiques. La plus simple consiste à sommer les activations reçues et à transmettre le résultat. Ce résultat peut être aussi bien positif que négatif, de sorte que l’activation transmise peut être inhibitrice. La fonction d’activation de 44

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chaque neurone peut être linéaire, sigmoïde, avec seuil ou stochastique, c’està-dire comportant des valeurs aléatoires. La notion de seuil correspond au fait que le neurone ne transmet d’activation qu’au-delà de certaines valeurs d’activations. Le neurone formel possède une membrane plus ou moins perméable qui peut filtrer les entrées et, par exemple, n’accepter que les stimulations qui dépassent une certaine valeur ou qui sont affectées d’un certain signe. Les propriétés de la membrane peuvent aussi modifier le message de sortie, audessous de certaines valeurs, le neurone ne transmet pas d’activation, au-dessus l’intensité de la transmission peut varier. Ainsi, chaque neurone formel remplit une fonction de poste d’aiguillage déterminant aussi bien les caractéristiques de l’influx propagé que les neurones vers lesquels il est dirigé. La valeur de l’influx peut aussi bien être fixe que variable et dépendre de calculs ou des propriétés des connexions. Schématiquement, le neurone formel reçoit des influx (provenant d’une stimulation externe ou d’autres neurones) qui modifient son état. Cet état, après calcul ou sans modifications, détermine la ou les valeurs qui seront transmises aux autres neurones. Les influx et leurs propagations peuvent varier en intensité (plus ou moins forte), en fréquence, en qualité (excitation ou inhibition) et en durée (plus ou moins longues). Les connexions entre unités sont affectées d’un poids qui peut varier de – ∞ à + ∞. La transmission d’un neurone à l’autre peut prendre différentes formes. Elle peut être progressive : le neurone transmet directement en temps réel l’activation qu’il reçoit comme indiqué par la courbe en pointillés de la figure  5. Comme précédemment, la transmission peut être progressive, mais décalée dans le temps. L’activation n’est transmise qu’au-delà d’un certain temps. Cette situation est représentée par la courbe noire de la figure 5. Autres possibilités, la transmission se fait en « tout ou rien », soit instantanément soit après un certain temps. La courbe grise décrit la situation dans laquelle le neurone fonctionne en tout ou rien, au-delà d’un certain délai, il transmet une activation de valeur fixe. Ces trois situations ne sont que des exemples, plusieurs autres types de propagation sont évidemment possibles. Figure 5. Exemple de représentation de différentes formes de propagation de l’influx nerveux États d’excitation

Temps

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2.2. Les neurones sont organisés en réseaux Un réseau est caractérisé par le nombre de neurones dont il est constitué, par les fonctions d’activation et les natures de ces neurones (récurrents ou non), par le nombre de couches que comporte le réseau et par l’organisation de ces couches (c’est-à-dire son architecture). Selon les systèmes, les connexions entre neurones sont permanentes ou temporaires. Dans les deux cas, elles peuvent être stables ou fluctuantes. Les connexions permanentes correspondent au fait que l’apprentissage modifie le poids des connexions qui perdurent après l’apprentissage. Lorsque les apprentissages ne sont pas changés, les connexions sont stables. Lorsque les apprentissages sont modifiés en cours d’apprentissage, les connexions sont fluctuantes du fait d’enrichissements ou, au contraire, d’appauvrissements. La notion de connexion temporaire renvoie au fait que les liens entre les unités constitutives du réseau ne sont pas stockés en mémoire, ils ne perdurent pas au-delà de la stimulation. Les apprentissages peuvent donc avoirs trois effets : −− modifier les poids des connexions ; −− créer de nouvelles connexions ou modifier les existantes ; −− agir sur les membranes de sorte à les rendre plus ou moins perméables. Les modalités de propagation d’une couche à l’autre offrent tout un éventail de possibilités, illustrées par les exemples des fonctions « et » et « ou ».

2.3. Exemple de fonctions logiques modélisées à partir de trois neurones La simple combinaison de deux neurones formels connectés à un neurone décideur permet d’effectuer des opérations aussi simples que « et » et « ou ». Dans le cas de la fonction « et » (figure 6), le neurone N3 somme l’activation qu’il reçoit de N1 et de N2 et transmet une activation correspondant à cette somme. Figure 6. Fonction « et » Neurones

États des neurones

N1

0,5

N2

0,5

N3

1

1 N1

0,5

2 0,5 N2

1

3 N3

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Pour représenter la fonction « ou », il suffit que le neurone N3 soit activé indifféremment par N1 ou par N2 sans cumuler les deux activations (figure 7). Figure 7. Fonction « ou » Neurones

États des neurones

N1

N2

0,5

N3

0,5

0,5

1 N1

0,5

2 0,5 N2

0,5

3 N3

Ces deux exemples illustrent des situations dans lesquelles la propagation du signal est unidirectionnelle : des unités situées en amont envoient des messages à des neurones formels placés plus loin, une unité A propage ses influx vers une unité B. Cela correspond aux exemples présentés dans les figures 6 et 7. Mais les neurones formels peuvent aussi être récurrents.

2.4. Neurones récurrents Un neurone récurrent a la possibilité de modifier son état d’activation grâce à une boucle de rétroaction (feedback). La figure 8 illustre le fonctionnement d’un neurone récurrent. Le neurone N3 a une fonction d’autorégulation (que l’on pourra aussi appeler feedback). Lorsque son activation atteint une certaine valeur, il modifie son niveau d’activation et ne transmet que le résultat de cette modification. Cela correspond aux situations où, au-delà d’un certain niveau de stimulation, la situation est changée. Figure 8. Neurone récurrent N1 N3 N2

Par ce procédé, un neurone peut modifier son niveau d’activation en fonction de ses propriétés. Ces feedbacks peuvent évoluer selon des cycles, le neurone modifie ses valeurs jusqu’à ce qu’il ait atteint une valeur déterminée. L’arrêt des cycles peut être fixé par des critères externes ou internes au système. On peut imaginer que dans un modèle connexionniste de compréhension de textes, le système produit des inférences établissant la cohérence de la représentation et ne se stabilise que lorsque celle-ci est optimum. Les décisions ou les propagations peuvent être conditionnées par l’atteinte d’un niveau de stabilité caractérisé par un arrêt des cycles. 47

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L’autre intérêt des neurones récurrents vient de ce que leurs activités peuvent dépendre de leurs histoires, c’est-à-dire des activations précédentes. Cette qualité est évidemment essentielle dans tous les processus d’apprentissage. Les neurones formels sont organisés en couche nommée cartes.

2.5. Une architecture constituée de différentes couches Une couche ou une carte est un ensemble de neurones situés au même niveau et n’ayant pas de connexion entre eux. Les connexions se font entre les neurones de la carte précédente et ceux de la suivante. Un modèle connexionniste comporte généralement différentes couches ou cartes (figure 9). Quatre catégories de cartes sont habituellement distinguées : −− les cartes d’entrée qui traitent les inputs, généralement les stimuli. Par exemple, dans les modèles de la lecture, ces premières cartes décryptent le mot qui est présenté ; −− les cartes de sorties qui produisent la ou les réponses, par exemple la prononciation du mot lu. Le produit de ces cartes permet d’évaluer la capacité du système à effectuer la tâche qui lui est assignée ; −− les cartes de liens qui établissent les relations entre les unités appartenant à différentes couches. Par exemple, les relations entre les cartes qui traitent du graphisme des lettres et des syllabes et celles qui les codent en phonèmes ; −− les cartes intermédiaires ou couches cachées connectées à la couche précédente et à la suivante. Ces couches procèdent aux différents traitements, par exemple dans la lecture, on peut envisager que certaines cartes codent phonologiquement les syllabes lues. Figure 9. Exemple de réseau avec une couche cachée Stimuli Neurones d’entrées

Couches cachées Neurone de sortie

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Les relations entre les cartes sont de trois types : −− relations entre les cartes d’entrée et les cartes intermédiaires ; −− connexions entre les cartes intermédiaires et les cartes de sorties ; −− connexions entre les cartes intermédiaires et les cartes de liens. L’existence de plusieurs cartes donne la possibilité de multiplier les types de traitements, par exemple, traitements des inputs, traitements intermédiaires et traitements des réponses. L’empilement des cartes permet des feedbacks intégrant processus bottom-up et top-down. Dans les réseaux récurrents, une unité par feedback modifie son niveau d’activation (figure 10). Ainsi, après avoir été stimulée et avoir effectué des calculs, une unité peut se modifier elle-même, changer son poids et donc modifier l’activation transmise à l’unité suivante. De tels procédés permettent, par exemple, de corriger des erreurs. Si les stimuli sont constants et perdurent un certain temps, les activités des unités cachées se stabilisent dans un état d’équilibre. Cet état d’équilibre est appelé «  attracteur de la dynamique induite par les entrées  », de sorte qu’à chaque stimulus est associé un pattern stable d’activité. La mémorisation résulte dans la modification des poids internes afin d’augmenter la probabilité de produire une réponse déterminée. Un pattern donné est mémorisé quand le bassin attracteur attire tous les autres patterns. Un «  attracteur est un ensemble ou un espace vers lequel un système évolue de façon irréversible en l’absence de perturbation » (Wikipedia, 2017). Le traitement des inputs peut être contrôlé par des processus top-down. Par exemple, le lecteur anticipe les mots qui composent une phrase à partir de sa compréhension des situations décrites. Réciproquement, des structures cognitives de haut niveau peuvent être impactées par le traitement des inputs, c’est le cas lors de l’acquisition de nouvelles connaissances. Figure 10. Exemple de feedback D D D

Les couches sont caractérisées par leurs états : état de départ et état d’arrivée. Le passage de l’un à l’autre est une transition d’états (ou automate) due à la réalisation de calculs ou plus généralement de toutes autres actions séquentielles. Les états de transition peuvent être finis, infinis ou même indénombrables. 49

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Au sein d’une couche ou même sur le résultat produit par le système, il peut être procédé à des itérations. Par itération, on entend des répétitions amenant des modifications jusqu’à l’obtention d’un état stable, généralement d’un état d’équilibre correspondant au résultat attendu. Une des propriétés fondamentales des réseaux connexionnistes est leurs capacités d’apprentissages.

2.6. Réseaux de neurones et apprentissages La description des procédures d’apprentissages est suivie de la présentation du modèle proposé par Elman en 2006.

2.6.1. Modèles connexionnistes et apprentissages Thomas and McClelland (2013) résument brièvement l’évolution des systèmes connexionnistes : ceux-ci démarrent avec les réseaux binaires simples (McCulloch & Pitts, 1943), sont suivis en 1958 par les réseaux à deux couches du perceptron de Rosenblatt (1958), puis par les réseaux à trois couches de Rumelhart et McClelland (1986), développés par les réseaux compétitifs de Grossberg (1976) et Kohonen (1984) et les réseaux interactifs de Hopfield (1982) et Hinton et Sejnowski de 1986, avant de déboucher sur les systèmes multitraitements comportant des réseaux aux fonctions multiples de Cohen, Dunbar & McClelland, (1990) ou de Plaut & McClelland, (1993). Dans le cadre de cet ouvrage, on s’intéresse aux réseaux capables d’apprentissages, c’est-à-dire à la façon de créer de nouvelles connexions ou de modifier les poids ou les fonctions des neurones ou, enfin, de faire varier la perméabilité des membranes synaptiques. L’origine de la création de nouvelles synapses est multiple. La plus notoire est explicitée par la loi de Hebb (1949) selon laquelle lorsque des objets sont cooccurrents, leurs représentations mentales sont connectées. Si deux ou plusieurs stimuli sont cooccurrents et sont traités simultanément à différentes reprises, une connexion est établie entre leurs représentations de sorte que la présentation de l’un entraîne l’activation des autres, le traitement de l’un provoque le traitement des autres. Cette capacité est fondamentale car, non seulement elle est à l’origine des conditionnements et de la plupart des apprentissages incidents tels que la formation des concepts, mais elle est aussi à la source de la constitution des situations et de nombre de schémas cognitifs. Un repas comporte un ensemble d’objets : fourchette, couteau, assiette, verre, serviette… qui participent à une action : manger… Cette même action consiste à porter à la bouche des aliments, les mastiquer… Ainsi, les objets constitutifs de la situation sont connectés, leurs présentations ou les actions qui y sont menées évoquent l’événement de référence. 50

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Apprendre consiste à tracer un réseau dans lequel le courant (simulant l’influx nerveux) va circuler. Toute représentation mentale est implémentée sous la forme d’un circuit ressemblant à un fleuve avec son cours principal et ses affluents. À tout moment, le circuit peut être réactivé, adapté et enrichi. Selon le même procédé sont constitués les schémas de connaissances et scripts. J’apprends ainsi aussi bien la structure d’un article scientifique que les actions qui permettent de démarrer la voiture (scripts). Dans les modèles connexionnistes, les connexions les plus naturelles se font entre couches, les représentations de différents objets convergent vers une situation implémentée dans une couche supérieure. Le modèle construit donc des prototypes ou schémas cognitifs (chapitre 7) à partir de la présentation d’instances différentes, mais il peut aussi produire des exemplaires particuliers, la procédure consiste alors à ajouter au vecteur représentant le prototype un vecteur comportant les caractéristiques spécifiques à l’instance représentée. L’autre procédure d’apprentissage communément employée se nomme « rétropropagation du gradient ». Dans cette procédure spécifique des systèmes multicouches, lorsque la réponse produite ne correspond pas à celle attendue, l’erreur est calculée puis la bonne réponse est soumise au système qui ajuste le poids des neurones afin de produire ce que l’on attend de lui. Le terme rétropropagation indique que l’on part des couches produisant les réponses en progressant de proche en proche jusqu’aux cartes d’entrées. La production de la réponse correcte peut nécessiter plusieurs itérations, c’est-à-dire plusieurs valeurs d’ajustement. Le système s’autorégule en ajustant les valeurs attribuées à chaque neurone. C’est à ce stade que les neurones récurrents jouent particulièrement leurs rôles puisqu’ils cherchent les valeurs susceptibles de réduire les erreurs. Pour éviter les oscillations et accélérer la recherche de la bonne réponse, le système garde en mémoire toutes les modifications de poids auxquels il a procédé. On évite ainsi à la fois les risques d’oscillations et le sur-apprentissage qui fige le système dans une réponse non adaptable et surtout non généralisable. La notion de sur-apprentissage renvoie au fait que le système est incapable de procéder à des généralisations. Trois facteurs peuvent en être à l’origine. Le premier est le taux d’apprentissage que l’on fixe au système. Plus ce taux est élevé, plus les risques de sur-apprentissage sont grands. Le second facteur est l’erreur maximale tolérée. Plus le seuil de tolérance est faible, plus les risques de sur-apprentissage sont grands. Enfin, le troisième facteur est le nombre d’itération fixé au système. Plus le nombre d’itérations est grand, plus les risques de sur-apprentissages sont forts. Ces trois facteurs sont liés, car le taux d’apprentissage est en partie dépendant de l’erreur tolérée qui elle-même détermine, en partie, le nombre d’itérations. Les adaptations aboutissant, si ce n’est à la réponse correcte du moins à la réduction de l’erreur, sont le fait du système lui-même. C’est lui qui cherche les meilleures solutions. Pour le chercheur qui simule les processus psycholo51

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giques, cette autorégulation est intéressante, sauf si elle entraîne des calculs ou des procédures peu compatibles avec le fonctionnement du cerveau. Il est, par exemple, peu probable que le système cognitif procède à des opérations nécessitant des calculs faisant intervenir des compétences mathématiques complexes. Pour simuler les apprentissages humains, le psychologue peut évidemment s’inspirer des méthodes connexionnistes et élaborer un modèle précis des traitements qu’un être humain est censé réaliser. Dans ce but, il est amené à décomposer l’activité en différentes catégories de traitements et donc à attribuer à chaque carte des fonctions particulières. Il devient donc possible d’évaluer les résultats obtenus si ce n’est couche par couche du moins au niveau de couches remplissant une fonction déterminée. Les superviseurs peuvent prendre la forme de connaissances intégrées à différents niveaux. On parle alors d’apprentissage supervisé. Plus généralement, les apprentissages supervisés comportent des superviseurs qui codent des états internes adaptés au problème traité. Lorsque l’apprentissage ne comporte pas de superviseur et donc que le codage des états internes n’est pas défini, l’apprentissage est qualifié de non supervisé. Enfin, lorsque l’ensemble des graphes des états est fixé, on parle d’apprentissage à états contraints. Cette catégorie d’apprentissage laisse quelques libertés au réseau neuronal dans le choix de la représentation des états internes. Le codage des états internes n’est pas complètement fixé par le superviseur. Le superviseur définit des intervalles de valeurs pour le codage des états internes (Jordan, 1986). Parmi les techniques d’implémentation des apprentissages, il faut faire une place spéciale aux différents «  deep learning  ». Sous cette appellation sont regroupées des méthodes d’apprentissage automatiques comportant des architectures opérant des transformations non linéaires. Il s’agit de construire des systèmes produisant les meilleures représentations des objets du monde (réels, images ou textes…) par extraction de leurs caractéristiques. Le système, composé de différentes couches, est hiérarchique de sorte que chaque strate est alimentée par la précédente. On progresse d’abstraction en abstraction, en effectuant des traitements supervisés ou non. Les représentations élaborées à chaque niveau sont apprises. Ces techniques sont utilisées aussi bien dans la reconnaissance des images que dans le traitement automatique de la parole. Quelle que soit la méthode à états contraints, « deep learning », supervisée ou non, la complexité de l’apprentissage et le nombre de paramètres à prendre en compte déterminent à la fois le nombre de neurones et le nombre de couches cachées composants le modèle. Comme on le voit, les possibilités de modélisation sont aussi nombreuses qu’intéressantes. On comprend que les modèles connexionnistes se prêtent à la simulation de traitements cognitifs aussi variés que nombreux. Si l’on ajoute le fait que les modifications des réseaux peuvent perdurer, il devient évident 52

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que les modèles connexionnistes sont bien adaptés à la simulation des apprentissages. Soulignons aussi l’intérêt pour les psychologues de simuler des situations dans lesquelles les différentes catégories de mémoires sont distinguées (Schreter, 1988). Le modèle connexionniste d’Elman (2006) illustre les modalités d’implantation des apprentissages.

2.6.2. Un exemple de simulation de l’apprentissage : le modèle d’Elman (2006) Le modèle d’Elman (2006) est un exemple simple illustrant l’apprentissage par un système connexionniste. L’application porte sur le langage et a pour but de prévoir, dans des phrases simples, le mot qui suit alors que le précédent est connu. L’auteur part d’un échantillon de 10 000 phrases composées d’un nom commun, d’un verbe transitif ou intransitif et d’un second nom commun. Le lexique est limité à 29 mots. Sur ces structures, la connaissance du premier mot réduit considérablement la liste des verbes qui peuvent lui succéder. De même, la connaissance du verbe limite le nombre de seconds mots compatibles. Après avoir été soumis aux 10  000 phrases, le système appelé «  Simple Recurrent Network  » (SRN) s’avère capable d’identifier les verbes par opposition aux noms communs et de faire la différence entre verbes transitifs et verbes intransitifs, entre êtres animés et objets et même entre garçons et filles. Dans les modèles développés en 1993, Elman a travaillé sur des phrases plus complexes intégrant des règles syntaxiques telles que singulier, pluriel ou l’accord de verbes. À chaque fois, le principe est le même, le SRN dégage ce qui est commun à l’ensemble de l’échantillon qui lui est soumis, ce qui aboutit à réduire le nombre de dimensions prises en compte et donc à former des représentations internes correspondantes aussi bien à des structures syntaxiques qu’à des structures sémantiques. Comme le font remarquer Thomas et McClelland (2013), contrairement aux modèles symboliques classiques, les unités ne sont pas représentées par des symboles fixes, mais par des vecteurs dont les valeurs varient selon les contextes. Cette qualité en fait sa supériorité par rapport aux modèles symboliques. Si le SRN permet de faire des prédictions sur le mot qui suit en connaissant le mot précédent, de différencier les noms communs des verbes, les verbes transitifs des intransitifs, il n’a pas l’ambition de comprendre le langage. Il n’arrive pas à différencier l’agent du patient, la forme active de la forme passive. En revanche, les modèles connexionnistes ont parfois été utilisés pour simuler les perturbations de l’acquisition du langage (Dick et al., 2001, 2004 ; Thomas & Redington, 2004). Comme le remarquent Thomas et McClelland (2013), les architectures connexionnistes permettent de dégager les régularités statistiques des séquences temporelles, mais sont, à ce jour, incapables de produire des productions langagières intégrant des règles grammaticales. Cet exemple 53

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illustre bien à la fois les possibilités et les limites de ces systèmes de modélisation.

2.7. Principales propriétés des systèmes connexionnistes En résumé, les systèmes connexionnistes se présentent comme des ensembles d’unités élémentaires organisées en cartes. Les cartes de neurones sont connectées afin de recevoir des activations et des inhibitions. Les neurones formels transmettent leurs états après calculs et transformations. L’idée que l’apprentissage consiste en la création d’un parcours dans un réseau de neurones correspond aux hypothèses explicatives de l’apprentissage humain qui sont en vogue actuellement. Les capacités de modélisations dépendent évidemment des propriétés des neurones, des systèmes de connexions et de l’architecture générale du modèle. Dans l’ouvrage Connectionist models of cognition, Thomas et McClelland (2013) rappellent que pour Rumelhart, Hinton and McClelland (1986) les modèles connexionnistes possèdent six propriétés de base : −− l’existence d’unités de traitement (neurones formels) qui doivent être distingués des inputs, des outputs et des unités cachées ; −− un état d’activation des neurones formels variant de façon continue de 0 à 1, à un moment donné, et étant généralement représenté par un vecteur ; −− un pattern de connectivité définissant la force de la connexion entre deux unités et déterminant l’étendue à laquelle l’état d’activation d’une unité affecte l’état d’activité des autres unités  : inhibition ou activation, connexion d’une couche à l’autre ; −− une règle de propagation des états d’activation à l’intérieur du réseau. Cette règle prend la valeur du vecteur output combiné avec la matrice de connectivité pour obtenir une valeur d’activation de l’unité supérieure ; −− une règle d’activation qui spécifie comment est produite une nouvelle activation ; −− un algorithme qui spécifie comment le pattern de connectivité est modifié par l’expérience : comment implanter la loi de Hebb et la rétropropagation du gradient. À ces six caractéristiques, Thomas et McClelland en ajoutent une septième en rappelant la possibilité d’intégrer dans le système des représentations, c’està-dire des ensembles d’événements. Enfin, ils rappellent que les principaux calculs développés dans les systèmes connexionnistes sont de type Bayésiens, jouant avec des hypothèses probabilistes. Néanmoins, il est peu probable que le système cognitif soit capable de calculs mathématiques complexes, qu’il puisse développer des algorithmes compliqués et multiplier les itérations. 54

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En revanche, nombre d’auteurs ont remarqué que les simulations connexionnistes permettent de rendre compte de l’origine de certaines pathologies du langage (aphasies…) et de la mémoire (différentes amnésies). En effet, il est possible d’identifier les dégradations du système qui engendrent ces différentes pathologies. Pour cela, on peut réduire le nombre de neurones, de connexions ou de couches et modifier les valeurs et les poids qui leur sont affectés puis comparer les résultats obtenus aux symptômes présentés par les patients. De telles simulations sont évidemment utiles à la compréhension des processus étudiés. Lors de la modélisation des processus cognitifs, trois autres propriétés semblent avoir été négligées. La première est la possibilité de traitements parallèles qui permet entre autres de traiter chaque objet dans son contexte et même de procéder simultanément à des traitements portant sur des unités différentes par exemple traiter simultanément le décodage des lettres, le traitement des syllabes et leurs traductions phonologiques. La seconde est la possibilité de s’autocorriger et, grâce aux feedbacks, de modifier les paramètres pour aboutir à une réponse correcte. La troisième est liée à l’architecture des réseaux en couches qui permet de simuler une hiérarchisation des traitements et de combiner traitement top-down (contrôle des unités de bas niveau par les unités de haut niveau) et bottom-up (relation entre unités de bas niveaux et unités de haut niveau). Par exemple, le contenu de toute connaissance peut être modifié en fonction d’acquisitions nouvelles, mais aussi la lecture d’un mot peut être anticipée en fonction des connaissances ou de la redondance du texte. La hiérarchisation des couches permet aussi la catégorisation, de sorte qu’il devient possible de regrouper les objets qui possèdent des propriétés similaires. Cette propriété est importante puisque constituer des catégories est sans doute une des propriétés fondamentales du système cognitif. Sur la base des mêmes principes, le système est capable de généralisation, c’est-à-dire d’extraire les propriétés communes à un ensemble d’objets et d’intégrer tout nouvel objet partageant des propriétés. Enfin, comme il a été précisé, les capacités d’apprentissages des systèmes connexionnistes sont évidemment une propriété intéressante. Le fait que les modifications des poids et des connexions puissent être conservées de façon transitoire (mémoire à court terme) ou permanente (mémoire à long terme) est évidemment une qualité. Cette énumération montre que les réseaux de neurones sont des outils puissants de modélisation du système cognitif. L’idée d’une propagation de l’influx, qui par cascade va activer les unités interconnectées, concrétise le principe à l’origine des théories associationnistes développées par les psychologues dans les années 1960 : par association, l’activation d’une représentation mentale se propage à tous les éléments qui lui ont été associés. On retrouve non seulement la description des conditionnements classiques, mais aussi une des 55

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bases de la cure psychanalytique qui fait des associations le matériel à partir duquel va s’exercer le talent du thérapeute. Ces qualités ne doivent pas occulter les limites des systèmes connexionnistes lorsqu’ils sont utilisés pour simuler le fonctionnement cognitif.

2.8. Analyse critique des modélisations connexionnistes des processus cognitifs L’analyse critique ne porte pas sur les modèles connexionnistes, mais sur l’utilisation qui en est faite pour simuler les processus cognitifs. Dans cette analyse, les critiques de la démarche seront distinguées de l’étude de la plausibilité biologique des procédures mises en œuvre.

2.8.1. La démarche L’utilisation des réseaux connexionnistes pour simuler les processus psychologiques doit être justifiée. Quatre arguments principaux plaident en faveur de ces modélisations. Le premier concerne la similitude entre les unités : neurones biologiques et neurones formels. Ces unités sont vides, mais sont organisées en réseaux au sein desquels l’information circule. Le second est lié à l’architecture du système qui comporte différentes catégories de couches effectuant des traitements variés. Le troisième a trait à l’organisation en couches qui autorise la circulation de l’information dans les deux sens et donc le contrôle des structures de haut niveau sur les structures se situant plus bas et inversement. Enfin, les réseaux connexionnistes sont capables d’apprentissages de sorte que l’information est stockée sous forme de tracés. Ces trois arguments font des réseaux connexionnistes des outils intéressants pour simuler les processus cognitifs. Il faut pourtant remarquer que le principe d’un système reposant sur des chaînes d’activation revient à considérer que l’essentiel des processus cognitifs est de type associationniste. L’importance des processus associationnistes dans l’activité cognitive ne peut être négligée. Ils sont au cœur de la cure psychanalytique, les associations mentales étant utilisées pour faire émerger les conflits. Peut-on pour autant réduire l’activité cognitive aux seuls processus associatifs ? Certes, les capacités de calculs des neurones sont réelles et complexes, mais le principe de l’association est à la base de la propagation de l’influx. À l’objection associationniste, il est souvent répondu que l’analyse connexionniste se situe au niveau neuronal et non au niveau cognitif. Cette réponse est tout à fait acceptable, encore faut-il préciser en quoi consiste le niveau cognitif et comment passe-t-on du niveau neuronal au niveau cognitif ? Certains auteurs (Smolensky, 1988 ; Touretzky et Hinton, 1988 ; van Gelder, 1991 ; Marcus, 2001) ont émis l’hypothèse que le niveau cognitif était symbolique. Si c’est le cas, il faut préciser comment les modèles connexionnistes 56

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Chapitre 3 – Les neurones, les transmissions synaptiques et les modélisations connexionnistes

génèrent du symbolique. Il faut aussi décrire ce niveau symbolique et préciser les processus qui opèrent à chacun de ces niveaux. Sans oublier que l’affirmation selon laquelle le niveau cognitif serait symbolique reste l’objet de controverses. Une autre critique  tout aussi fondamentale porte sur le fait que tous les processus cognitifs pourraient être décrits mathématiquement. Le fait que les modèles connexionniste sont des formalisations mathématiques des traitements cognitifs suggère que toute activité cognitive peut être décrite par des règles logiques. C’est évidemment une hypothèse forte qui exclut tout un pan de nos pensées et de nos activités telles que la résolution des problèmes flous qui occupent une partie importante de nos activités. Le fait que les réseaux sont capables d’apprentissages et de produire les résultats escomptés, si ce n’est identique du moins proche des nôtres ne signifie pas que les procédures mises en œuvre simulent nos traitements cognitifs (Davies, 2005). Les informaticiens sont capables de construire des robots très performants, parfois même plus performants que les humains, mais cela ne signifie pas que les procédures utilisées sont similaires à celles des hommes. La performance informatique ne doit pas être confondue avec les traitements cognitifs. La validation psychologique et neurobiologique est la seule pertinente pour le chercheur en psychologie. Il est ainsi confronté à une double exigence, les simulations doivent être plausibles compte tenu des connaissances en psychologie et en neurobiologie. Il ne peut en aucune manière se contenter de la réponse produite par le simulateur, il doit exiger que les processus à l’origine de cette réponse soient neurobiologiquement et psychologiquement valides. Cette double contrainte pose la question de la plausibilité psychobiologique des modélisations connexionnistes.

2.8.2. Plausibilité psychobiologique des systèmes connexionnistes La discussion de cette plausibilité ne portera que sur les cinq thèmes qui semblent les plus importants, à savoir  : (1) le nombre de neurones formels constituants les réseaux ; (2) la complexité des calculs effectués par les neurones formels ; (3) les connexions au sein des réseaux ; (4) les feedbacks et la correction des erreurs selon la procédure de rétropropagation du gradient ; (5) la diversité des apprentissages et des mémoires. −− La comparaison entre le cerveau humain, constitué de plusieurs milliards de neurones et la modestie des systèmes connexionnistes, fait évidemment toucher du doigt le décalage entre les deux. À cette critique, il faut évidemment répondre que les simulations connexionnistes ne portent que sur des activités très limitées. Il n’est pas question de simuler le cerveau dans sa totalité, mais de se limiter à des fonctions précises. Il n’en reste pas moins, comme cela a été rappelé dans le premier chapitre, que le cerveau est un ensemble dont toutes les parties interagissent de sorte 57

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que même les fonctions les plus élémentaires ne se développent pas indépendamment les unes des autres. L’attention, les attitudes, les connaissances et donc les différentes mémoires interviennent dans la plupart des activités, de sorte qu’il est toujours artificiel d’isoler une activité. C’est pourtant ce qu’est amené à faire tout chercheur. Mais en tout état de cause, même les activités les plus élémentaires, font intervenir plusieurs milliers de neurones et plusieurs centaines de milliers de connexions, c’est-à-dire un nombre d’unités bien supérieur à ce que l’on trouve dans les simulations connexionnistes. −− La seconde critique porte sur la nature de l’activité des neurones. Les neurones formels procèdent à des opérations mathématiques allant de la simple somme à des calculs complexes. Ils ont des capacités de calculs qui dépassent de loin les aptitudes des êtres humains, à l’inverse, leurs capacités à résoudre des problèmes complexes aux données floues restent encore très limitées, de sorte que les simulations actuelles paraissent bien modestes en regard des possibilités du cerveau. −− La troisième différence entre le cerveau et les modélisations connexionnistes concerne les relations entre les neurones formels. Chaque neurone possède plusieurs centaines de synapses. Rappelons que dans un millimètre cube de cortex, on dénombre plus de 600  000 connexions. Le nombre de connexions entre neurones formels reste beaucoup plus limité. À cela s’ajoute le fait que dans le cerveau les synapses sont de différentes natures : les synapses cholinergiques sont une catégorie parmi d’autres, le type de transmission peut donc varier selon la nature de la synapse. On ne trouve rien de similaire dans les systèmes connexionnistes. −− Comme il a été souligné précédemment, une des principales qualités des systèmes connexionnistes est leurs capacités d’apprentissages. Une des façons d’apprendre consiste à corriger les erreurs en ajustant le poids des neurones grâce à un système de feedback. Cet ajustement se fait par approximations successives avec des itérations dont le nombre peut varier. Le système cherche la solution pour laquelle l’erreur est la plus faible. Généralement cette approximation se fait à partir du calcul de l’erreur, différence entre la réponse produite et le modèle correspondant à la réponse correcte. Calcul de l’erreur, feedback amenant à ajuster le poids des neurones et itérations jusqu’à ce que l’ajustement donne la meilleure réponse. Ces différentes procédures sont-elles susceptibles d’être exécutées par des neurones biologiques  ? La même question se pose à propos de la rétro-propagation du gradient, c’est-à-dire de l’ajustement du poids des neurones en partant de la couche la plus proche de la réponse en progressant vers les couches situées près de l’input. Cette progression, du modèle vers les couches inférieures paraît à la fois neurobiologiquement et psychologiquement peu vraisemblable. C’est également le cas pour ce qui est du calcul de l’erreur, qui comporte des com58

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Chapitre 3 – Les neurones, les transmissions synaptiques et les modélisations connexionnistes

posantes mathématiques peu compatibles avec le fonctionnement cognitif. −− Remarquons enfin que l’approche connexionniste limite les apprentissages à la loi de Hebb (les représentations cooccurrentes sont associées) et au principe de la rétro-propagation du gradient. Ces deux principes ne suffisent pas à rendre compte de la variété des apprentissages : conditionnement classique et conditionnement opérant, apprentissages incidents et apprentissages volontaires, apprentissages de règles et apprentissages de contenus, apprentissage de schémas de pensées et de modes opératoires tant moteurs, psychomoteurs, qu’intellectuels, apprentissages verbaux de différentes natures… l’hypothèse selon laquelle tous ces apprentissages résultent de la mise en œuvre de deux règles semble pour le moins difficile à tenir. L’apprentissage simulé est un apprentissage statistique dépendant essentiellement de la répétition. Les critiques qui viennent d’être présentées illustrent les limites des modélisations connexionnistes. Il n’empêche que les systèmes connexionnistes constituent un cadre de lecture pouvant servir à interpréter des données psychologiques. C’est une source d’inspiration à l’origine d’hypothèses permettant d’approcher la façon dont un apprentissage peut se former et être stocké.

3. Conclusions Les modèles connexionnistes constituent un cadre à partir duquel il est possible de faire des hypothèses sur les modalités d’apprentissages et de stockages en mémoires. Le principe de base du connexionnisme est bien que les représentations stockées dans le cerveau sont dispersées. Un événement, une situation et même un concept comportent des attributs de différentes natures : des informations sensorielles (visuelles, auditives, olfactives, kinesthésiques…), mais aussi des composantes langagières, conceptuelles, affectives et émotionnelles. Sachant que ces différentes sources d’informations sont traitées dans le cerveau dans des lieux différents, il paraît évident qu’ils doivent être connectés de sorte à former une représentation unique. La loi de Hebb, selon laquelle chaque fois que deux objets sont présentés simultanément, leurs représentations sont connectées, trouve sa pleine réalisation. Ce principe doit évidemment être adapté en fonction des différentes catégories d’apprentissages et de mémoires. En effet, au moyen de recherches expérimentales, d’observations, d’études des troubles de la mémoire et du langage et d’enregistrements de l’activité du cerveau, les chercheurs ont mis en évidence l’existence de différentes mémoires. Les mémoires transitoires qui stockent des informations au mieux pendant quelques secondes ou minutes sont opposées aux mémoires dites à long terme. La description de ces mémoires transitoires est l’objet du chapitre suivant. 59

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Chapitre 4 – Les mémoires transitoires

Chapitre 4 Les mémoires transitoires Par mémoires transitoires, on entend des registres qui stockent des informations durant un temps court au-delà duquel l’effacement est total. Il s’agit des registres sensoriels, de la mémoire à court terme, actuellement souvent intégrée dans la mémoire de travail qui opère dans la plupart des tâches. Les registres sensoriels sont des répertoires dans lesquels les informations sensorielles présentées brièvement sont maintenues quelques secondes. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une mémoire, mais le message sensoriel active les représentations qui permettent la reconnaissance d’une partie des stimuli. Dans la mémoire à court terme, la durée de présentation est supraliminaire. Bien que cette mémoire ait été mise en évidence par un paradigme expérimental spécifique, elle est actuellement une composante de la mémoire de travail mais la rétention est inférieure à la minute. Les supports cérébraux de ces différentes mémoires sont décrits en termes de réseaux neuronaux. La description de ces mémoires transitoires et de leurs propriétés est suivie d’une tentative d’identification des réseaux cérébraux qui leur servent de supports, en commençant par les registres sensoriels.

1. Les registres sensoriels La définition et la description du protocole expérimental mettant en évidence les registres sensoriels sont suivies d’une analyse des réseaux corticaux dans lesquels ils sont traités.

1.1. Définition Les registres sensoriels maintiennent pendant une durée inférieure à la seconde les informations sensorielles qui ont été présentées durant quelques dizaines de millisecondes. Ces registres sont différenciés en fonction du type de stimulation : lorsque le stimulus est visuel, on parle de mémoire iconique, lorsqu’il est auditif de mémoire échoïque (Neisser, 1967). Ils ont été mis en évidence en utilisant un protocole expérimental strict. 61

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1.2. Paradigme expérimental codifié par Sperling en 1960 Le paradigme expérimental codifié par Sperling (1960) consiste à présenter durant 50 millisecondes trois rangées de quatre lettres et à demander aux participants de rappeler tout ce dont ils se souviennent (figure 1). Dans ces conditions, les sujets rappellent en moyenne 4 à 5 lettres. La capacité de la mémoire iconique est d’environ 4 à 5 unités, c’est l’empan mnésique immédiat. Le rappel doit être immédiat, car 500 millisecondes après la présentation des stimuli, la performance est quasiment nulle. C’est dire que la durée du stockage est courte ! Cette mémoire sensorielle est mise en œuvre dans les tâches de surveillance de radar, des situations de conduite rapide ou de contrôle qualité. À chaque fois, la durée de présentation des stimuli est courte et ne permet ni un traitement complet de l’information pendant sa présentation ni une autorépétition. Figure 1. Séquence de présentation des stimuli visuels mettant en évidence le registre sensoriel selon Sperling (1960). Douze lettres (4 lettres présentées sur 3 lignes) sont présentées durant 50 millisecondes. Le rappel est immédiat Stimuli présentés durant 50 millisecondes X

T

B

L

U

I

A

S

K

D

Z

F

Rappel

1.3. Comment expliquer l’existence de cette mémoire iconique ? Deux explications compatibles ont été proposées pour rendre compte de la faiblesse des rappels. Selon la plus ancienne, les sujets durant 50 millisecondes n’auraient le temps que de lire les 4 à 5 lettres qui resteraient rémanentes audelà de la présentation. Pour tester cette hypothèse, Sperling (1960) réalise une expérience reprenant le paradigme décrit précédemment en ajoutant un signal sonore indiquant la rangée qui doit être rappelée : première ligne, seconde ligne ou troisième ligne. Lorsque ce signal est présenté durant les 100 ms qui suivent la présentation des stimuli, la performance est maintenue, elle reste égale à 4/5 lettres. Si le signal apparaît après 500 ms, la performance est dégradée, elle peut tomber jusqu’à 10 % de réponses correctes. L’explication serait que durant les 100 millisecondes qui suivent la présentation des stimuli, l’image reste présente sur la rétine. Le sujet peut donc la lire, et de ce fait, l’indication de la ligne qu’il faut rappeler ne dégrade pas la performance. Il s’agit bien de la lecture d’une 62

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Chapitre 4 – Les mémoires transitoires

image rémanente puisque si on superpose un stimulus masquant (simple flash lumineux, suite de traits ou de lettres) après la présentation des 12 lettres, la performance est fortement détériorée. En revanche, si le masque est projeté sur un œil et les stimuli sur l’autre œil, la performance n’est pas affectée. La trace utilisée dans la mémoire sensorielle est bien périphérique, elle se situe au niveau de la rétine. Les processus biochimiques qui transforment la lumière en message électrique qui se propage le long du nerf optique ont une durée d’extinction non négligeable. La rétine, comme l’écran de télévision, a une rémanence qui fait que l’image persiste quelque temps (environ 100 ms.) après la disparition de la stimulation. Ce temps est utilisé pour procéder à des traitements de l’image comme la lecture. Ces données ont permis à Sperling d’affirmer que la mémoire iconique met en jeu deux processus : −− une image consécutive, simple rémanence de la trace sensorielle qui, dans le cas de la vision, peut durer aux alentours de 100 ms. Pendant cette période, la trace sensorielle reste inscrite sur les récepteurs. L’image provoquée par la stimulation résulte de la décomposition des photorécepteurs de la rétine, c’est-à-dire d’un processus chimique relativement lent à s’effacer. L’image persiste donc après la fin de la stimulation. C’est à cette rémanence qu’est dû le fait, qu’au cinéma, nous ne percevons pas une suite d’images fixes (25 images par secondes), mais un enchaînement donnant l’impression du mouvement ; −− le traitement de certains éléments de cette image commencé au début de la stimulation se poursuit alors même que celle-ci a cessé. Par traitement, on entend la mise en œuvre d’opérations cognitives liées à la tâche que doit réaliser le sujet : lire les lettres qui sont présentées, identifier les mots qui sont entendus… L’idée est donc que les traitements cognitifs initiés lors de la présentation des stimuli se poursuivent sur l’image consécutive, jusqu’à ce que celle-ci disparaisse. Cette explication a été contestée à partir de recherches tendant à distinguer effets périphériques et effets centraux. En particulier, il est montré que les sujets font des erreurs de lignes et que ces erreurs augmentent en fonction de l’intervalle entre la présentation du pattern et le signal indiquant la ligne à rappeler. Ces erreurs ne sont pas faites lorsque la tâche consiste à détecter la présence d’une lettre cible. Selon cette explication, la lecture des lettres suppose deux traitements. Le premier consiste à détecter des traits caractéristiques (trait vertical, boucle, jambage…), alors que dans le second le regroupement et la localisation spatiale des traits permettent l’identification des lettres. Ces deux traitements (analyse des traits puis identification des lettres) se situent à des niveaux différents. Le premier, sensible aux effets périphériques, serait donc très dépendant des processus de rémanence, tandis que le second serait moins sensible aux effets de masquage visuel. Cette conception rejoint les théories de 63

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la perception qui font jouer aux traits perceptifs un rôle déterminant dans la première phase d’analyse des images rétiniennes. Figure 2. Expérience de Sperling (1960) mettant en évidence l’effacement de la trace visuelle. Après présentation des stimuli, un signal sonore indique quelle ligne doit être rappelée (l’écart entre la fin de la présentation des lettres et le signal est varié), ce signal déclenche le rappel Séquences des opérations Présentation de la suite de lettres

Délai d’apparition du signal sonore

50 millisecondes

100 ms, 500 ms ou plus

Signal sonore

Rappel

1.4. Réseaux neuronaux impliqués dans les registres sensoriels : l’exemple du registre visuel L’exemple du registre visuel présente l’avantage d’être bien documenté. La rétine comporte des photorécepteurs qui transforment les ondes visibles en messages électriques. Les cellules en forme de cônes sont responsables de la vision des détails et des couleurs tandis que d’autres en formes des bâtonnets donnent une vision floue, mais sont sensibles aux variations de luminosité et aux mouvements. Après avoir transité dans les corps genouillés latéraux, le message nerveux est transmis au cortex visuel qui occupe le lobe occipital et déborde sur le lobe pariétal et le lobe temporal. Le cortex visuel représente 20 à 25 % du cortex cérébral, soit environ cinq milliards de neurones (figure 3). Figure 3. Localisation du cortex visuel Cortex

Œil

Voie du « où » V5 V3 V2 Cortex visuel V1 V4 Voie du « quoi » Cervelet

Cortex inférotemporal (impliqué dans la mémoire)

Les chercheurs ont tracé la carte rétinotopique corticale qui décrit les projections homéomorphes de la rétine sur le cortex. Les informations sensorielles 64

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provenant des corps genouillés latéraux arrivent dans l’aire visuelle primaire V1, V2. V3 (figure 4). −− En V1 on trouve une carte rétinotopique de l’hémichamp controlatéral sensible aux contrastes. −− V2, qui entoure VI, traite les orientations et les couleurs. −− V3 est responsable de la reconnaissance des formes. −− V3a traite le mouvement et la profondeur. −− On trouve en V7 la carte de la fovéa qui est la partie de la rétine où l’acuité est la meilleure, lieu où les détails sont perçus. −− V4 a en charge la reconnaissance des objets et des visages, des textes et des couleurs. Figure 4. Localisation des aires V1, V2 et V3 V3

Méridien vert. inf.

Méridien horizontal V2

Méridien horizontal V1 Méridien vert. inf.

V1

Scissure calcarine Méridien vert. inf. Méridien vert. sup.

V2 V3 Méridien horizontal

Comme indiqué sur la figure 3, les stimuli visuels sont traités par deux voies. Une voie dorsale qui rejoint le cortex pariétal, et une voie ventrale reliée au cortex temporal. La dorsale est la voie du « où », elle traite les composantes de l’espace et du mouvement. La ventrale (voie du « quoi ») gère les couleurs, les formes et les détails. Chaque composante de l’image est analysée en ses différents éléments, ainsi le sens et la vitesse du mouvement sont traités par des couches neuronales différentes. Ces traitements débouchent sur les reconnaissances, reconnaissances des formes en V3, des formes et des couleurs en V4, des mouvements en V5. Chaque stimulus est donc décomposé en éléments, puis réassemblé pour être reconnu. De telles reconnaissances font évidemment appel à la mémoire puisque par définition on ne peut reconnaître que ce que l’on a connu. 65

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Les réseaux neuronaux à l’origine de la reconnaissance étant identifiés, la faible durée de présentations des stimuli (50 millisecondes) explique pourquoi la capacité d’appréhension est limitée à 4/5 lettres. La perception des traits caractéristiques de chaque lettre puis leurs reconstructions prennent un temps tel qu’ils ne peuvent se développer que pour un nombre restreint de stimuli. En effet, dans cette situation, les enregistrements de l’activité corticale indiquent que l’activité neuronale dure environ 2 000 millisecondes. L’exemple de la vision permet de montrer que tous les messages sensoriels, quelles que soient leurs origines (vision, audition, olfaction, goût, toucher, somesthésie…), sont analysés en fonction de leurs différentes composantes, qui elles-mêmes sont traitées dans des zones différentes du cerveau puis reconstruites pour déboucher sur des reconnaissances qui activent d’autres fonctions (langage, mémoire, émotion, fonctions exécutives…). Ainsi, l’hypothèse de traitements dispersés en différentes zones cérébrales est donc étayée par les enregistrements neurophysiologiques. Il faut pourtant remarquer que l’expression «  mémoire sensorielle  » est abusive. Les expressions « registre sensoriel » ou « capacité d’appréhension » sont plus adéquates pour décrire ces processus de reconnaissance. En revanche, ce reproche ne peut être fait à la mémoire à court terme qui est une mémoire transitoire se différenciant nettement de la mémoire à long terme.

2. La mémoire à court terme La présentation des caractéristiques de la mémoire à court terme est suivie de l’étude des effets sériels et d’une tentative de localisation des réseaux neuronaux qui sont impliqués par son activité.

2.1. Définition, protocole expérimental et caractéristiques Comme pour les registres sensoriels, l’existence d’une mémoire à court terme a été mise en évidence et étudiée en utilisant un protocole expérimental élaboré par Brown (1958) et Peterson (1959). Il consiste à présenter une seule fois des items, généralement des mots. La durée de présentation et la succession des stimuli sont telles que le sujet n’a pas la possibilité de procéder à des autorépétitions. À la fin de la présentation de la liste, un rappel de tout ce qui a été perçu est effectué. La description de ce protocole expérimental ne doit pas masquer que cette épreuve renvoie à des situations familières telles que retenir un numéro de téléphone qui est présenté oralement, plus généralement transcrire un message oral ou se souvenir des noms présentés dans un générique. Dans tous les cas, les items se succèdent à une cadence rapide de sorte que l’auditeur ou le lecteur 66

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ne puisse ni répéter mentalement ni faire un traitement profond des stimuli présentés. La capacité de la mémoire à court terme est limitée à 7 (+ ou – deux) lettres et 9 chiffres. Pour les chiffres, les possibilités de regroupements en dizaines, centaines (etc.) permettent d’améliorer la performance. C’est ainsi que les numéros de téléphone sont généralement dictés en formant des dizaines. Ces unités élémentaires sont appelées des schunks. Stéphane Ehrlich (1972) a montré que les sujets étaient toujours capables de rappeler entre 6 et 7 schunks différents aussi bien lorsque les stimuli étaient des lettres, des mots de 2, 3 ou 4 syllabes ou des phrases de 2, 3 ou 4 mots. Pour les mots isolés, la capacité de rétention variait donc de 12 à 24 syllabes ; pour les phrases, la capacité de rétention allait de même de 12 à 24  mots, mais dans tous les cas, le nombre de schunks (lettres, mots ou phrases) rappelées était compris entre 6 et 7. La mémoire à court terme se caractérise par un oubli massif dans les 15 à 20  secondes qui suivent la fin de la présentation de la liste. Comme il était précisé précédemment, cet oubli n’apparaît que si le sujet n’a pas la possibilité de répéter les items qu’il a perçus ou d’en faire un traitement profond. Pour éviter le traitement profond et l’autorépétion des derniers items, Brown (1958) et Peterson (1959) font réaliser une épreuve tampon à la fin de la présentation des stimuli et avant le début du rappel. Cette épreuve consiste généralement à compter à rebours de deux en deux durant quelques secondes. Occupé à effectuer cette tâche, le sujet ne peut ni répéter les stimuli ni en faire un traitement profond. À partir de 18 secondes de comptage, l’oubli est massif. Cette mémoire a souvent été comparée à un réservoir qui stocke de façon provisoire des informations. Lorsque sa capacité est atteinte, il doit rejeter des anciennes pour en stocker de nouvelles. C’est ce qu’indiquent les effets sériels.

2.2. Effets sériels Lorsque le nombre des stimuli présentés est supérieur aux 7 schunks, les rappels sont caractérisés par des effets sériels : les premiers et les derniers stimuli présentés sont mieux rappelés que les stimuli intermédiaires. On désigne par effet de primauté le fait que les premiers stimuli de la liste sont mieux rappelés que les stimuli du milieu, et par effet de récence le fait que les derniers stimuli sont mieux rappelés que ceux du milieu. La courbe de rappel a une forme de U dissymétrique (figure  5). Dans le cas d’un rappel immédiat, la branche de droite (derniers stimuli présentés) est plus élevée que celle de gauche (premiers stimuli présentés) : l’effet de récence est supérieur à l’effet de primauté. Dans le cas d’un rappel différé, la branche de gauche (premiers stimuli présentés) est plus élevée que celle de droite (derniers stimuli présentés) : l’effet de primauté est plus important que l’effet de récence (figure 5). L’effet de récence est particulièrement diminué lorsque la durée de l’intervalle entre la fin de la présentation de la liste et le rappel est augmentée, ou 67

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lorsque, durant cet intervalle, des tâches interférentes sont développées. Dans ces deux conditions, l’effet de récence est diminué et peut même être supprimé. En revanche, il n’est pas modifié par les variables qui déterminent la performance en mémoire à long terme à savoir : −− la fréquence d’usage des mots. La fréquence d’usage est un indicateur du niveau d’utilisation du mot dans un corpus écrit ou oral (ensemble des conversations enregistrées dans un contexte donné…). On dira qu’un mot est fréquent s’il a été très utilisé dans le corpus de référence et rare s’il a été peu rencontré ; −− le rythme de présentation. En mémoire à long terme, plus ce rythme est lent, meilleure est la rétention. La répétition et le traitement profond qui ne peuvent se développer dans les épreuves de mémoire à court terme améliorent évidemment la mémoire à long terme ; −− les relations sémantiques entre les items. En mémoire à long terme, plus les relations sémantiques entre les items sont fortes, meilleure est la rétention ; −− la longueur de la liste. En mémoire à long terme, plus la liste est longue, moins la rétention est bonne. Or, la longueur de la liste ne modifie pas l’ampleur de l’effet de récence ; −− l’effet de récence n’est pas touché dans l’amnésie de Korsakoff. Dans l’amnésie de Korsakoff, les malades sont incapables de nouveaux stockages à long terme alors que la mémoire à court terme est intacte. Cette amnésie antérograde est associée à des lésions de l’hippocampe. Toutes ces données montrent la spécificité de l’effet de récence. En revanche, l’effet de primauté est dû à l’attention portée aux premiers stimuli et à l’absence d’interférence1 affectant les premiers items. Or, ces deux facteurs ont des effets incontestables sur la mémoire à long terme. L’attention portée aux stimuli est évidemment une condition nécessaire à leur mémorisation. Quant à l’interférence, c’est une des causes principales de l’oubli. Les similitudes entre les stimuli appris ou à apprendre amènent à des confusions qui détériorent les performances. Au-delà de sa capacité limitée, la caractéristique essentielle de la mémoire à court terme est évidemment la durée de stockage qui ne dépasse pas les 15 à 30 secondes. Après quelques dizaines de secondes, l’effacement est quasi total. Imaginons l’encombrement de notre mémoire si tous les événements liés à la mémoire à court terme (rétention de numéros de téléphone, des discussions…) 1. Interférence : « Altération d’une performance résultant d’une activité ou tâche intercalée ou concurrente. Dans le domaine de la mémoire, l’interférence concerne l’altération de l’acquisition en mémoire, mise en évidence dans une épreuve de récupération (rappel ou reconnaissance), dont la cause peut être identifiée dans un apprentissage antérieur (interférence proactive) ou dans un apprentissage intercalé entre l’apprentissage initial et le test de rétention. » Dictionnaire de Psychologie, Doron, Parot, 1991, PUF : Paris.

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n’étaient pas effacés ou si au moins nous n’avions pas la possibilité de sélectionner ce qui doit être retenu. Dans la description qui vient d’être faite, on trouvera nombre d’arguments en faveur de l’existence d’une mémoire à court terme différente de la mémoire à long terme. L’étude du vieillissement fournit d’autres faits en faveur de cette dualité. Chacun a pu observer des personnes âgées qui se souviennent parfaitement des poèmes appris à l’école primaire, mais qui ne savent plus où elles ont mis leurs clés, si elles ont fermé la porte, éteint la lumière… Les observations faites à propos de différentes amnésies confirment cette opposition entre mémoire à court terme et mémoire à long terme. Les amnésies antérogrades, qui concernent l’oubli d’événements survenus après un accident aussi bien que les amnésies rétrogrades qui touchent le passé du malade, peuvent se manifester alors que la mémoire à court terme n’est pas atteinte. Le malade oubliant les faits du passé réussit les épreuves de mémoire à court terme restituant un nombre de réponses correctes équivalent à celui du bien portant. Pourtant, l’hypothèse d’une mémoire à court terme comme étant une partie de la mémoire à long terme reste encore en discussion. L’étude des structures cérébrales impliquées dans ces deux mémoires permet, si ce n’est de trancher le débat, d’apporter des éléments de discussion. Figure 5. Courbe des effets sériels en mémoire à court terme. La courbe grise décrit les résultats dans la situation où les sujets doivent rappeler la liste apprise dès la fin de sa présentation. La courbe noire donne les résultats de l’épreuve lorsque le rappel est différé, les sujets faisant une tâche tampon (par exemple, compter à rebours) entre la fin de la présentation de la liste et le début du rappel

Pourcentages de rappels

100

Rappel immédiat

90 80 70

Récense Primauté

60

Rappel différé

50 40

Séries 1 Séries 2 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 Rang de présentation des items

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2.3. Réseaux neuronaux impliqués dans la mémoire à court terme L’hypothèse explicative la plus simple consiste à considérer que la cadence de présentation des stimuli est telle que le traitement de chacun d’entre eux ne peut dépasser sa reconnaissance puisque la présentation du stimulus suivant interrompt le traitement du précédent. Les zones cérébrales activées seraient donc responsables de la reconnaissance. La description la plus fréquemment proposée est que les stimuli déclenchent l’activation de traits perceptifs et leurs reconnaissances, mais que le traitement s’arrête dès la décharge des neurones et donc les icônes sont rapidement effacées. Cette approche est qualifiée de « théorie synaptique ». Les études sur l’animal et l’homme indiquent que certains neurones situés dans le cortex frontal ont une activité plus longue que les autres cellules du cortex, activité qui se poursuit au-delà de la présentation du stimulus. Et cela est vrai aussi bien pour les parties du cortex qui traitent des localisations et du mouvement que pour celles qui sont concernées par l’identification des objets. L’approche localisationniste propose de situer la mémoire à court terme dans le lobe frontal et la zone préfrontale. Il faut pourtant remarquer que l’analyse des effets séquentiels suggère de distinguer les processus et donc les lieux où ils se développent. Ainsi, l’effet de récense n’étant pas affecté par les variables qui jouent dans la mémoire à long terme peut être expliqué par la théorie synaptique, à savoir la décharge des neurones puis l’interruption des traitements lorsque les icônes ne sont plus traitées. En revanche, l’effet de primauté, qui varie en fonction des facteurs affectant la mémoire à long terme, peut être expliqué par le fait que les sujets vont au bout des traitements aboutissant à un stockage provisoire des stimuli tandis que le développement des interférences gène la rétention des items suivants. Dans un cas, les réseaux neuronaux concernés correspondent à ceux qui opèrent dans la reconnaissance des stimuli, et donc qui ont été décrits précédemment, alors que dans l’autre cas, les traitements se développant normalement font intervenir le lobe frontal après la reconnaissance. Ces interprétations restent hypothétiques tant il est difficile de différencier ce qui dépend directement de cette mémoire des processus généraux non strictement mnésiques. En effet, l’identification d’un mot va entraîner l’activation du sens, le cas échéant des contextes, des souvenirs et émotions qui leurs sont attachés… bref, de différentes mémoires, non seulement verbales, mais aussi imagées. C’est dire le nombre des zones cérébrales qui sont susceptibles d’être activées et la difficulté à apprécier ce qui dépend directement et exclusivement de la mémoire à court terme ! S’intéressant plus particulièrement à la récupération des informations, Postel (2009) distingue deux processus connectés, l’un attentionnel basé sur la récupération, l’autre moteur et verbal. L’un est lié à l’activité oculomotrice de codage contrôlée par le noyau caudé et l’autre dépend de la boucle phono­ 70

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logique et donc du codage verbal connecté avec la mémoire à long terme. Ces deux systèmes sont aussi mis en jeu dans la mémoire de travail. La description des structures cérébrales impliquées dans la mémoire à court terme sera complétée lors de l’étude de la mémoire de travail, dans la mesure où les recherches actuelles tendent à ne pas accorder un statut spécifique à la mémoire à court terme, mais plutôt à en faire une des composantes de la mémoire de travail. Pourtant, dans les comportements quotidiens, les situations dans lesquelles la mémoire à court terme est impliquée de façon isolée et autonome sont nombreuses. L’énumération des chiffres composant un numéro de téléphone en est un bon exemple. Néanmoins, l’exposé qui vient d’être fait suggère que la mémoire à court terme joue lors de la réalisation de multiples tâches, elle est alors intégrée dans la mémoire de travail.

3. La mémoire de travail La description de cette mémoire est suivie des hypothèses concernant la localisation des réseaux neuronaux impliqués dans son fonctionnement. La mémoire de travail est sollicitée lors de la réalisation de chaque tâche. Elle permet de maintenir disponibles des informations perçues et d’activer les connaissances et les procédures nécessaires à leurs traitements. Elle joue un rôle déterminant dans la compréhension du langage, la résolution des problèmes, la réalisation de tâches de complexités variables, l’acquisition de nouvelles connaissances ainsi que le traitement des images et de l’espace (Baddeley, 1993)1. La principale différence entre la mémoire à court terme et la mémoire de travail est que cette dernière ne se limite pas à la conservation temporaire des informations, mais implique la manipulation et le traitement des informations perçues, faisant jouer un rôle important aux informations, connaissances, savoir-faire et procédures stockées en mémoire à long terme ainsi qu’à l’attention. La mémoire de travail est composée d’un administrateur central, d’une boucle articulatoire, d’un calepin visuo-spatial et d’une mémoire tampon (buffer) qui stocke temporairement les informations. L’articulation de ces quatre structures est représentée sur la figure 6.

3.1. L’administrateur central Comme son nom l’indique, l’administrateur central décide lequel des trois autres systèmes (boucle articulatoire, calepin visuo-spatial et mémoire tam1. Cette présentation est directement inspirée de l’ouvrage de Baddeley dont on trouvera les références dans la bibliographie.

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pon) doivent intervenir et, si nécessaire, il coordonne leurs interventions réciproques. Il focalise l’attention sur certains aspects de la tâche et des stimuli, sélectionne les informations pertinentes, active les parties de la mémoire à long terme concernées et déclenche l’exécution des programmes de traitements. Ce contrôleur agit aussi bien sur la saisie des informations que sur leurs traitements. Il coordonne les opérations cognitives mises en œuvre, mobilise les procédures de traitement et active les contenus nécessaires à la réalisation de chaque tâche. Par procédure de traitement, on entend des savoir-faire cognitifs (procédures qui permettent de lire, de comprendre, de compter, de calculer…) ou moteurs (opérations qui doivent être mise en œuvre pour démarrer la voiture, changer une roue, appliquer une recette culinaire…). Par contenu, on entend l’ensemble des concepts et des connaissances. L’administrateur central fixe et organise les priorités déterminant l’ordre dans lequel les trois systèmes esclaves (boucle phonologique, calepin visuospatial et mémoire tampon) interviennent. Selon Baddeley (1996), il remplit quatre fonctions : coordonner les traitements, rompre les automatismes, sélectionner les informations à traiter ou inhiber celles qui ne doivent pas l’être, activer les informations et les procédures de traitements contenues dans la mémoire à long terme.

3.1.1. Coordonner les opérations liées à la réalisation de différentes activités Il s’agit de déterminer les opérations nécessaires à la réalisation de la tâche, de les activer et fixer l’ordre dans lequel elles interviennent. Ces opérations concernent aussi bien le traitement des stimuli et de leurs caractéristiques que les processus suivants. La coordination des opérations à l’intérieur d’une tâche donnée concerne tant la gestion des opérations effectuées en parallèle que la modification de l’ordre habituel des traitements. Elle s’impose aussi dans les activités : gestion du sens, réalisation des savoir-faire moteurs, sensori-moteurs ou intellectuels. Dans les situations de doubles tâches telles que conduire et téléphoner, le système doit partager l’attention portée à chacune d’entre elles et, selon le moment, donner la priorité à l’une ou à l’autre. Il s’agit bien de gérer l’attention apportée aux tâches verbales et aux tâches visuo-spatiales, mais aussi de contrôler, de coordonner et d’articuler l’ordre des traitements qui doivent être effectués. Cette gestion comporte aussi la résolution des conflits et l’établissement des priorités. Lors de la conduite sur autoroute, lorsque les conditions météorologiques sont bonnes, le chauffeur peut discuter avec ses passagers. En revanche, s’il aborde une partie du trajet difficile, il négligera ses échanges et même les interrompra. L’administrateur central décide de l’orientation de l’attention du conducteur. 72

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3.1.2. Rompre les automatismes Il s’agit d’inhiber des traitements automatiques afin de permettre la réalisation des traitements impliqués par la tâche. Les situations dans lesquelles il faut inhiber l’activation d’une réponse ou le développement d’un processus habituel et fréquent sont quotidiennes et rencontrées aussi bien durant la conduite automobile que dans le sport et les activités intellectuelles. Les retours en arrière (régression des saccades oculaires) pour relire une information au cours de la lecture illustrent bien cette rupture des automatismes.

3.1.3. Sélectionner les informations qui doivent être traitées ou activées et inhiber celles qui sont inutiles Choisir l’information pertinente est essentiel dans la plupart des tâches. L’exemple du diagnostic de panne ou du diagnostic médical illustre parfaitement la situation. À chaque fois, il est nécessaire d’isoler les symptômes pertinents tout en ignorant ceux qui ne le sont pas. Cette sélection concerne aussi bien les stimuli que leurs caractéristiques afin, le cas échéant, d’activer ou d’inhiber des connaissances disponibles en mémoire. Au-delà du choix des stimuli, la sélection des connaissances stockées en mémoire est tout aussi importante. Cette sélection peut être illustrée par l’activation d’un sens particulier (acception) du mot lu et simultanément, l’inhibition des autres sens. Compte tenu de la polysémie du langage, cette activité est très fréquente dans la communication verbale. Le choix d’une acception se fait généralement de façon automatique en fonction du contexte. Il est effectué par l’administrateur central.

3.1.4. L’activation, le maintien en activité et la manipulation des informations ou des procédures stockées dans la mémoire à long terme C’est évidemment une des fonctions essentielles de l’administrateur central. Il recherche et active aussi bien les procédures que les connaissances nécessaires à la réalisation d’une tâche, mais aussi il les maintient en activité et les manipule. Il va leur appliquer des traitements dont le résultat pourra être l’objet d’une réponse explicite ou implicite, transitoire ou stockée en mémoire à long terme. L’adaptation, à la tâche et aux nouveaux stimuli, des procédures pertinentes sont parfois nécessaires. Elle peut se faire en recombinant des procédures anciennes ou en en créant d’autres. L’administrateur central remplit cette fonction fondamentale. Il est donc très important, aussi bien dans l’utilisation des connaissances stockées en mémoire que dans l’élaboration de nouvelles connaissances. 73

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Ce système central gère ce que les informaticiens appellent des systèmes esclaves, à savoir la boucle articulatoire, le calepin visuo-spatial et la mémoire tampon épisodique (figure 6).

3.2. La boucle articulatoire Ayant pour fonction de traiter le matériel verbal, elle comporte deux composantes : −− «  une unité de stockage phonologique  » qui «  traite les informations provenant du langage » (Baddeley, 1993). L’information y est conservée durant un temps bref (1,5 à 2 secondes) ; −− « Un contrôle articulatoire » qui code phonologiquement les informations graphiques et gère le langage intérieur utile aussi bien à la répétition sub-vocale qu’aux raisonnements complexes. La distinction entre codage phonologique et contrôle articulatoire est importante. Le contrôle articulatoire renvoie aussi bien au langage interne qu’à la prononciation. Il met en œuvre les schémas articulatoires tandis que le stockage phonologique correspond à des « images » phonologiques stockées en mémoire et activées lors de l’audition et de la compréhension du langage parlé. Pour comprendre les messages verbaux, il faut posséder en mémoire des représentations phonologiques du langage qui permettent de «  reconnaître  » les mots prononcés par les interlocuteurs. Le stockage provisoire du message sous une forme phonologique est donc une étape essentielle du traitement du langage. Parler nécessite l’activation des schémas articulatoires, c’est-à-dire des programmes qui gèrent les mouvements nécessaires à l’articulation utile non seulement pour s’exprimer, mais aussi pour générer le « parler intérieur » non audible et utilisé dans nombre de situations, notamment dans les raisonnements. Selon Baddeley (1993) la boucle articulatoire rend compte en particulier du fait que : −− lors du rappel, les homophones sont moins bien rappelés que ceux qui sont phonologiquement différents. Ce qui suggère que les items, même lorsqu’ils sont présentés visuellement, sont codés phonologiquement dans la mémoire de travail ; −− la mémoire des mots courts est supérieure à celle des mots longs puisque le codage phonologique d’un mot long est plus complexe que celui d’un mot court ; −− la répétition de mots ou de chiffres à haute voix ou à voix basse durant la réalisation d’une tâche principale affecte l’efficacité de la mémoire de travail. Ces répétitions gênent aussi bien le codage phonologique  que l’articulation sub-vocale mise en œuvre dans certaines tâches ; 74

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−− pareillement, le rappel et l’apprentissage sont détériorés lorsqu’ils sont accompagnés par la lecture d’un texte, même lorsque la langue dans laquelle ce texte est écrit n’est pas connue du sujet. Comme précédemment, cette lecture perturbe à la fois le codage phonologique et l’articulation sub-vocale. Pour Baddeley, la boucle articulatoire permet les traitements impliquant directement ou indirectement le langage. Elle est active dans toutes les tâches nécessitant l’autorépétition telle que l’apprentissage de poèmes. Elle gère ce langage intérieur nécessaire à la réalisation de tâches complexes. Elle permet de maintenir disponible le matériel verbal. Elle est impliquée dans la répétition mentale ou le codage verbal des images et des objets.

3.3. Le calepin visuo-spatial Il traite les images visuospatiales et les maintient disponibles durant la réalisation de la tâche. Baddeley (1993) insiste sur l’importance de l’imagerie mentale et tente de démontrer que l’image mentale comporte une composante visuelle et une composante spatiale. La composante visuelle est impliquée dans l’analyse des paramètres de l’image : forme, couleur, taille... tandis que la composante spatiale traite les problèmes liés aux localisations. Ces deux traitements (spatial et visuel) peuvent être indépendants. Baddeley emprunte aux auteurs travaillant sur l’image les arguments en faveur du calepin visuo-spatial. Son argumentation s’appuie sur leurs données. Il rappelle que : −− les mots ayant un fort pouvoir évocateur d’images sont mieux retenus que les mots dont le pouvoir d’imagerie est faible. Cet effet est accentué lorsque les sujets sont incités à créer les images évoquées par les mots ; −− dans les tâches effectuées sur des objets mémorisés, les temps de réponse sont proportionnels aux durées d’exploration. Ainsi, lorsque l’on fait apprendre la description d’un bateau en commençant par l’avant puis que l’on cache ce bateau et que l’on demande au sujet de situer des objets appris, on observe que le temps de réponse est proportionnel à la distance  : plus l’objet se situe à l’arrière du bateau plus la latence de la réponse est longue (Kosselyn, 1980). Ces données sont habituellement interprétées comme prouvant l’existence d’une mémoire imagée qualifiée d’analogique pour signifier qu’il existe une ressemblance entre l’objet réel et la représentation qui est stockée en mémoire. Pour certains auteurs, la représentation mentale comporterait les mêmes propriétés topographiques que l’objet ; −− l’utilisation du paradigme de la double tâche permet de valider l’hypothèse d’un calepin qui aurait des fonctions tant visuelles que spatiales. Si les deux tâches mettent en œuvre des processus similaires, leurs réalisations simultanées provoquent des interférences. Concrètement, si le 75

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calepin comporte une composante visuelle, toute tâche secondaire portant sur les caractéristiques visuelles des images doit perturber son fonctionnement. De même, si le calepin comporte une composante spatiale, toute tâche secondaire nécessitant un traitement spatial doit perturber son fonctionnement. C’est en effet ce qu’indiquent les données de Brooks (1967), Baddeley et Hitsch (1974), Baddeley et Lieberman (1980) et Logie et Marchetti (1991) qui valident ainsi l’existence des deux composantes ; −− la dissociation entre les composantes visuelles et les composantes spatiales est aussi validée par l’observation d’un patient manifestant des troubles uniques de la localisation. Elles sont rapportées par Luzzati, Vecchi, Agazzi, Cesa-Bianchi et Vergani (1998) qui décrivent les symptômes d’un patient qui est capable de se représenter les objets qu’il a vu mais ne peut pas rappeler leurs positions, les faire tourner mentalement et réaliser toutes les opérations faisant appel à l’imagerie spatiale. Ces observations témoignent de l’autonomie de l’imagerie visuelle par rapport à l’imagerie spatiale. Toutes ces données valident la distinction entre traitement spatial et traitement visuel. Elles sont confirmées par les enregistrements neurophysiologiques qui seront présentés ultérieurement. Dès ses premiers travaux sur la mémoire de travail, Baddeley a privilégié la composante phonologique et spatio-visuelle négligeant les autres sens. Si pour l’audition la boucle phonologique est prévue, le traitement des autres sons, qu’ils soient musicaux ou non, aurait mérité d’être intégré : mélodies, intensités, rythmes… De même pour les autres sens : odorat, saveur… Il faudrait aussi envisager d’étudier les coordinations : vue/audition, vue/goût… La modélisation de la mémoire de travail mérite d’être complétée et améliorée. Parmi les compléments introduits par Baddeley il faut noter la mémoire tampon épisodique.

3.4. La mémoire tampon épisodique Introduit en 2000 par Baddeley, la mémoire tampon épisodique est un système de stockage temporaire qui maintient disponibles les informations nécessaires à la réalisation de la tâche. Sa capacité est supérieure à celle de « feu » la mémoire à court terme puisqu’elle peut conserver actives les informations, durant tout le temps de leurs traitements, même lorsque la tâche prend plusieurs minutes. Cette mémoire est qualifiée d’épisodique car elle stocke des informations perçues dans le contexte particulier où elles sont rencontrées. L’ensemble constitué par le système de contrôle central, la boucle articulatoire, le calepin visuo-spatial et la mémoire tampon épisodique est représenté sur la figure 6. La mémoire de travail est une interface qui va utiliser les connaissances stockées dans la mémoire à long terme pour traiter les informations qui lui sont soumises. 76

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Figure 6. Représentation de l’organisation des différentes unités de la mémoire de travail Stimuli sensoriels

Boucle articulatoire - traitement phonologique - contrôle articulatoire

Mémoire tampon épisodique

Calepin visuo-spatial - traitement visuel - traitement spatial

Administrateur central - coordination - rupture des automatismes - sélection des informations à traiter, activer ou inhiber - manipulation des différentes connaissances stockées en MLT Mémoire à long terme contenant des connaissances et des procédures

3.5. Hypothèses concernant les réseaux activés par la mémoire de travail La mémoire de travail impliquée dans toutes les tâches fait donc appel à l’ensemble des connaissances et des souvenirs, il s’ensuit qu’elle est amenée à activer tous les réseaux concernés par leurs stockages. Par exemple, lors du traitement du langage, l’intervention de la boucle phonologique implique l’activation du cortex pariétal et pariéto-occipitale intégrant les zones de Broca et de Wernicke. Le calepin visuo-spatial ferait intervenir le lobe occipital et plus précisément les aires V2, V3, V3a, V4, V5, VP et V8. La mémoire tampon, quant à elle, est perturbée par des lésions de la partie postérieure de l’hémisphère droit. Quant à l’administrateur central, il semble dépendre de l’intégrité des lobes frontaux et préfrontaux en liaison avec les zones responsables des fonctions exécutives, y compris de celles qui gèrent la planification des actions motrices (préparation et exécution des mouvements) et intellectuelles. La zone préfrontale est particulièrement dédiée aux fonctions exécutives, de la planification des traitements, de leurs organisations temporelles, de l’attention portée aux stimuli et à leurs caractéristiques et propriétés. La région préfrontale, comme indiqué précédemment, joue un rôle déterminant dans la mémoire tampon. En effet, dans cette zone, on trouve des neurones dont l’activation persiste au-delà de la stimulation dans la zone haute du cortex lors du traitement des informations spatiales et en dessous pour le traitement des caractéristiques des objets. Le maintien des informations se ferait au niveau du gyrus frontal inférieur alors que leurs traitements seraient pris en charge par le gyrus frontal moyen (Petit et Zago, 2002). Toujours selon 77

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Petit et Zago (2002, p.  399) «  Le maintien d’information spatiale implique toujours les mêmes régions occipitale, pariétale, prémotrice et préfrontale inférieur (ou ventrale) droite, alors que le maintien d’informations de formes implique le cortex frontal inférieur (ventral), temporal inférieur et pariétal de l’hémisphère gauche… » Il est suggéré que des processus comme la récupération stratégique ou l’évaluation des informations récupérées, spécifiques soit à une type d’information (verbale, spatiale, etc.) soit à un type de processus (mise à jour, maintien, sélection, manipulation, contrôle), dépendraient de différentes régions préfrontales constituant un réseau complexe incluant le cortex ventromédian et dorsolatéral ainsi que le gyrus cingulaire antérieur (Owen, 2000 ; Postle et D’Esposito, 2000 ; Fletcher et Henson, 2001 ; Van der Linden et al., 2001 ; Collette, et Van der Linden, 2002). Mais il est évident que les interactions entre ces différentes zones sont multiples. Elles sont en relations constantes avec les parties du cerveau responsables de la mémoire à long terme puisque toutes y font appel chaque fois que nécessaire. Les réseaux neuronaux impliqués dans la mémoire à long terme seront décrits dans le chapitre suivant, mais, compte tenu de la multitude des fonctions de la mémoire de travail qui, faut-il le rappeler est impliquée dans toutes les tâches, il est difficile d’être plus précis dans les localisations. Selon les situations, la mémoire de travail est susceptible de faire appel à la plupart des fonctions psychologiques : codage des informations, attention, mémoire, affectivité, personnalité… Étant en interactions continuelles avec la mémoire à long terme, elle ne se contente pas de l’utiliser, elle l’alimente, puisque chaque fois qu’elle exécute une tâche, il est possible de mémoriser soit les résultats soit les procédures mises en œuvre.

4. Conclusion Les trois mémoires dont les caractéristiques sont résumées dans le tableau 1 sont des mémoires transitoires. Chacune a ses propres spécificités en termes de durées et de capacités mnésiques. On part de la simple reconnaissance des objets présentés (mémoires sensorielles) aux traitements impliquant la mise en œuvre des données stockées dans la mémoire à long terme (mémoire de travail). La dispersion des traitements et donc des structures cérébrales est particulièrement impliquée dans la mémoire de travail. Les zones corticales varient en fonction : −− du domaine sensoriel concerné : vision, audition, goût, toucher, odeur, somesthésie ; −− des caractéristiques sensorielles : objets, lieux, distances, fréquence des sons, intensités… ; 78

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−− du type de mémoire mis en œuvre : registres sensoriels, mémoire à court terme, mémoire de travail ; −− des traitements impliqués : traitements sensoriels, phonologiques, articulatoires, sémantiques… ; −− du niveau de traitement : traitements et encodages des stimuli, stockages, récupérations ; −− du type de réponses : verbales, motrices… ; −− de processus généraux : attention, disponibilité, attitudes. Bref, autant d’arguments qui plaident en faveur d’une dispersion des zones cérébrales impliquées et des nécessaires connexions entre elles. Une telle dispersion complique à l’extrême toute tentative de modélisation des processus mnésiques. Cette atomisation se retrouve dans la mémoire à long terme. Le passage des mémoires transitoires à la mémoire à long terme est possible en procédant à un traitement profond des informations codées ou en les répétant. Par traitement profond, on entend une attention particulière pouvant aller jusqu’à une réflexion, un raisonnement, une association… Quant à la répétition, elle correspond à l’exercice auquel on se livre lors de l’apprentissage d’un poème. C’est à la description de cette mémoire à long terme que sont consacrés les chapitres suivants. La description du contenu, de l’organisation et des supports de la mémoire à long terme est l’objet du chapitre suivant. Tableau 1. Récapitulatifs des durées et des capacités des différentes mémoires Intitulés

Durées

Capacités

Mémoires sensorielles

Inférieure à 3 secondes

4 à 5 lettres

Mémoire à court terme

Entre 15 et 30 secondes

7 +/– 1 ou 2 chuncks

Mémoire de travail

Aussi longtemps que dure le traitement

Dépend du matériel de la tâche et des traitements

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Chapitre 5 – La mémoire à long terme : les conditionnements

Chapitre 5 La mémoire à long terme : les conditionnements La définition et la description des différentes composantes de la mémoire à long terme sont suivies de la présentation des conditionnements classiques (Pavloviens) et opérants (Skinériens), tandis que les autres composants de cette mémoire (mémoire sémantique, mémoire épisodique ; mémoire verbale, mémoire imagée, mémoire déclarative, mémoire des savoir-faire) seront décrits dans les chapitres suivants. Parmi les apprentissages les plus simples, les conditionnements occupent une place particulière dans la mesure où tout être vivant équipé de réflexes peut être conditionné. Le ver de terre, le pigeon, la truite et a fortiori le chien et le cheval peuvent être conditionnés. Le conditionnement pavlovien aboutit à ce qu’un signal à l’origine neutre déclenche une réponse inconditionnelle, tandis que dans le conditionnement skinérien un nouveau comportement est appris. Les étapes de formation des conditionnements sont explicitées de même que leurs caractéristiques principales. Les phénomènes d’extinction et de récupération spontanée montrent que ces apprentissages persistent même lorsque les comportements dont ils sont à l’origine sont inhibés. Les applications de ces méthodes d’apprentissages sont multiples et à l’origine, entre autres, des thérapies qualifiées de comportementales. Les réseaux neuronaux impliqués dans ces deux conditionnements sont décrits à la fin du chapitre.

1. Les contenus de la mémoire à long terme La mémoire à long terme, comme son nom l’indique, permet de conserver pendant une période allant de quelques minutes à plusieurs années des informations, des connaissances, des événements, des savoir-faire et des apprentissages sensoriels, moteurs, cognitifs, relationnels et affectifs. Son contenu peut même être préservé jusqu’à la fin de la vie. Apparemment, un tel allongement de la durée du stockage devrait rendre opérationnelle la distinction entre mémoire et apprentissage, l’apprentissage couvrant les phases d’acquisitions alors que la mémoire désignant les stoc81

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kages. Néanmoins, il faut rappeler que la plupart des apprentissages comportent différentes phases de stockages et que toute connaissance stockée en mémoire peut être modifiée, réajustée et plus généralement évoluer au cours de la vie suite à des réapprentissages, à des interférences ou à des oublis. Ainsi, mémoire et apprentissage ne sont pas toujours faciles à séparer. Au sein de la mémoire à long terme, à partir des années 1970, les mémoires déclaratives, dites aussi explicites, ont été opposées aux mémoires non déclaratives ou non explicites. Cette différenciation repose sur une observation de Korsakov (1911) qui décrit un patient amnésique qui lui dit « bonjour » et lui tend la main lorsqu’il rentre pour la première fois dans sa chambre, mais qui, dix minutes après, lorsqu’il revient, ne se souvient pas de l’avoir vu, mais ne lui tend plus la main. Mémoire explicite : le patient dit ne pas avoir rencontré le médecin dans la matinée. Mémoire implicite : il ne lui tend plus la main, car on ne sert pas la main deux fois à dix minutes d’intervalle. Ce patient manifeste des troubles de la mémoire explicite alors que la mémoire implicite semble préservée. Ces deux grandes catégories ont été subdivisées en modes et contenus d’apprentissages et en observant les capacités de patients amnésiques. Comme le rappelle Serge Nicolas (1994), pour Graf et Schacter (1985, p. 1) « la mémoire implicite transparaît lorsque la performance à une tâche est facilitée en l’absence de souvenir conscient de l’influence d’un événement antérieur instigateur, alors que la mémoire explicite apparaît quand la performance à une tâche exige le souvenir conscient des événements préalables ». Schacter (1985, p. 53) ajoute « que contrairement à la mémoire explicite, la mémoire implicite se manifeste lors d’épreuves qui ne font pas référence à un épisode préalablement vécu ». Donc les deux termes font référence à des tâches différentes : « mémoire explicite : rappel libre, rappel indicé, reconnaissance, différentes tâches de jugements dont les consignes font références à un événement de l’histoire du sujet.  » (cité par Serge Nicolas, 1994). En fait, comme le remarque Serge Nicolas (p. 69, 1994) citant Schacter et al. (1989) : « la mémoire implicite se rapporte à la récupération non intentionnelle du matériel préalablement présenté ». L’opposition est donc entre deux processus de récupération, dans le cas de la mémoire implicite il serait automatique alors qu’il serait contrôlé dans le cas de la mémoire explicite. Pour les psychologues, un processus est qualifié d’automatique s’il est déclenché de façon irrépressible par la présentation d’un stimulus et si ses composantes sont encapsulées, c’est-à-dire qu’une fois déclenché, le processus se déroule jusqu’à son terme sans pouvoir être interrompu. Sous la rubrique « mémoire déclarative », on trouve la mémoire sémantique, la mémoire épisodique et la mémoire autobiographique (Baddeley, 1993 ; Baddeley, Conway et Aggleton, 2001). La distinction entre mémoire sémantique et mémoire épisodique ou mémoire autobiographique a été proposée par Tulving dès 1972. La mémoire sémantique est un répertoire des connaissances 82

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Chapitre 5 – La mémoire à long terme : les conditionnements

partagées alors que la mémoire épisodique est constituée des souvenirs des expériences personnelles. La mémoire sémantique est constituée des concepts, des schémas cognitifs et, le cas échéant, de leurs descriptions verbales, ainsi que des connaissances propositionnelles (Binder & Desay, 2011). Notons que cette mémoire dite déclarative doit contenir des images non seulement associées aux concepts (images des objets du monde, d’événements et de situations…), aux schémas cognitifs et aux connaissances propositionnelles. De même, la mémoire épisodique comporte des images liées aux événements biographiques, souvenir d’événements marquants de notre vie, heureux ou tristes… Les composantes de la mémoire non déclarative sont définies à partir de l’observation de différentes difficultés d’apprentissages et d’amnésies. Certaines amnésies affectent les conditionnements simples, d’autres les habitudes et aptitudes motrices, d’autres les apprentissages non associatifs et d’autres enfin affectent les « priming ». Les conditionnements sont présentés dans la suite du chapitre, il s’agit toujours d’apprentissages de réponses automatisées basés sur des réflexes. Les habitudes sont aussi des « comportements acquis ayant un certain niveau d’automaticité » (Doron & Parot, 1991, p. 322) suite à une pratique prolongée (Champlin, 1985). Ce sont des « réponses associées à une situation particulière, spécialement une réponse qui a été l’objet de renforcement ou réponse conditionnée » (Colman, 2001, p. 321). Dans les chapitres suivants, ce thème sera traité lors de l’étude des savoir-faire moteurs, sensorimoteurs et intellectuels. Les apprentissages non associatifs sont ceux qui ne reposent pas sur des associations liées à des cooccurrences langagières ou situationnelles. Le terme « priming »1, que l’on traduit en français par amorçage, désigne le fait que la présentation répétée de stimuli facilite leurs reconnaissances ultérieures et que l’association répétée entre stimuli fait que la présentation de l’un active l’autre. Ces amorçages seront particulièrement étudiés lors de la description des réseaux constitutifs de la mémoire sémantique. Ces différentes mémoires sont représentées sur la figure 1. Figure 1. Composantes de la mémoire à long terme selon Squire (1992) Mémoire à long terme Mémoire déclarative (explicite)

Sémantique Épisodique

Mémoire non déclarative (implicite)

Auto­ Aptitudes Amorçage Conditionnement Apprentissage biographique et habitudes simple non associatif

1. Dans la suite de l’ouvrage, ce mot désignera les phénomènes « d’amorçages » sémantiques.

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L’énumération des différentes mémoires proposée par Squire en 1992 est incomplète et présente l’inconvénient d’inciter à les considérer comme séparées. Or, toute conception de la mémoire en termes de réseaux encourage à réfléchir aux connexions entre elles. De plus, si l’étude des amnésies incite à les séparer, l’analyse des enregistrements de l’activité cérébrale témoigne de connexions multiples. Une autre difficulté est liée au statut des images. Comme cela sera montré ultérieurement, on ne peut exclure la possibilité de mémorisation d’images. Il est probable que la mémoire autobiographique, par exemple, comporte des images (visuelles, auditives, olfactives…) associées aux événements marquants de notre vie. De même, la mémoire sémantique comporte des représentations imagées (qualifiées de références) des objets du monde : objets réels ou imaginaires, représentation de situations et d’événements réels ou imaginaires. La question est alors de savoir comment ces images sont activées. Le sont-elles de façon non consciente à partir des descriptions verbales ou peuvent-elles être activées indépendamment de façon volontaire ? Plus généralement, les images stockées en mémoire peuvent-elles être activées directement ou le sont-elles à partir d’un codage phonologique ? Enfin, la rubrique amorçage pose une difficulté spécifique puisque nombre d’effets de ce type sont dus aux associations qui font qu’un élément active tous ceux qui lui sont associés. C’est ainsi que les effets d’amorçage se retrouvent dans la plupart des autres catégories de mémoire et plus particulièrement dans les mémoires sémantiques et épisodiques puisque toute conception des mémoires en termes de réseaux a pour conséquence la propagation des activations. Les phénomènes d’amorçage, classiques dans la mémoire sémantiques, sont retrouvés dans la plupart des autres types de mémoire. Malgré ces objections et critiques, les catégories proposées par Squire (1992) ont l’avantage de montrer que les modalités de stockage sont diverses et variées. C’est cette variété et leurs complémentarités qui sont mises en valeur dans l’approche de la mémoire à long terme de réseaux. Néanmoins, dans l’ensemble des rubriques proposées par Squire (1992), on ne retiendra que celles qui présentent une spécificité et donc qui ont été l’objet d’études particulières. C’est pourquoi dans la rubrique mémoire implicite, seuls les conditionnements et les savoir-faire non verbalisés seront présentés, négligeant les amorçages qui sont la conséquence d’organisation en réseaux et seront traités dans le cadre de la mémoire sémantique. Quant aux aptitudes et habitudes, elles sont assimilées soit à des apprentissages classiques soit à différentes formes de conditionnement. En revanche, les mémoires sémantique, épisodique et autobiographique, compte tenu de leurs importances, sont décrites en détail dans les chapitres suivants. Dans toutes ces mémoires, il est habituel de distinguer une phase de codage suivie d’une période de stockage, puis de la récupération sous forme de rappels ou de reconnaissance. Par phase de codage, on entend l’ensemble des traite84

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ments qui aboutissent à transformer les stimuli en matériel stocké en mémoire. Le stockage recouvre les phénomènes d’apprentissage et de mémorisation, tandis que les processus de récupération consistent à utiliser les indices permettant de récupérer en mémoire les informations stockées. Chacune de ces trois phases a été l’objet d’études spécifiques. Parmi les différentes composantes de la mémoire à long terme, les conditionnements occupent une place particulière en raison du nombre d’études qui leur ont été consacrées et des applications auxquelles ils ont donné lieu. Même si l’homme dispose d’un système cognitif développé qui fait que la grande majorité de ses apprentissages ne résultent pas de conditionnements, les recherches sur les conditionnements fournissent des données essentielles à la compréhension des apprentissages et de leurs mémorisations. Deux catégories de conditionnements  sont décrites  : les conditionnements qualifiés de classiques ou de pavloviens et les conditionnements instrumentaux ou skinneriens.

2. Le conditionnement classique ou pavlovien Ivan Pavlov (1849-1936) est un physiologiste russe lauréat du prix Nobel en 1904. Étudiant la digestion, il recueille dans l’estomac des chiens le suc gastrique produit lors de la prise de nourriture. Au cours de ses recherches, il constate que l’animal salive non seulement à la vue des aliments, mais aussi dès que la personne qui apporte la nourriture pénètre dans le laboratoire. L’analyse de ce phénomène est à l’origine de la description du conditionnement classique ou pavlovien qui est une des formes d’apprentissages automatiques. Cet apprentissage non volontaire peut être qualifié d’incident. À la base de tout conditionnement, il y a un réflexe.

2.1. Les réflexes : définition et descriptions Un réflexe est une « réponse automatique, involontaire et immédiate d’une structure ou d’un organisme vivant à la stimulation d’un récepteur sensible déterminé. Réflexe archaïque, élémentaire, inné, naturel ; réflexe alimentaire, auditif, cutané, lacrymal, laryngé, moteur, patellaire, pharyngé, plantaire, pupillaire, rotulien1 ; réflexe d’attitude, de défense, de déglutition, de la marche, de préhension, de succion.  » (Trésor de la langue française). On trouve des réflexes aussi bien dans des fonctions végétatives (rythme cardiaque ou respiratoire, production de sucs gastriques, sudation…) que dans des mouvements (réflexe rotulien, d’attitude, de succion…). 1. Rotulien, relatif au réflexe rotulien ; « mouvement brusque de la jambe en avant par percussion du tendon patellaire » (Doron & Parot, 1991).

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Les réflexes innés peuvent persister tout au long de la vie ou disparaître au bout d’un certain temps. Le réflexe de Babinski (ou signe de Koch) est une extension du gros orteil provoquée par la stimulation de la plante du pied. Ce réflexe primitif manifesté à la naissance disparaît vers l’âge de 6 mois environ, sa persistance au-delà de cet âge indique l’existence de troubles neurologiques. À la différence des réflexes innés, les réflexes conditionnels ou réflexes acquis ont pour origine « l’association régulière d’un phénomène physiologique à un stimulus extérieur n’ayant aucun rapport avec ce phénomène (conditionnement). » (Trésor de la langue française).

2.2. Description du conditionnement classique ou Pavlovien Un conditionnement est une : « Procédure d’apprentissage, d’abord décrite par I. Pavlov dès 1902, dans laquelle un stimulus dit conditionné (par exemple, une sonnerie) associé à un stimulus inconditionnel (nourriture) provoque une réponse conditionnée similaire à la réponse inconditionnelle (salivation). Le mécanisme d’apprentissage associatif est mis en évidence par cette procédure. Le terme a été ensuite appliqué à une procédure sensiblement différente, dans laquelle un comportement, tel le parcours d’un labyrinthe ou l’ouverture d’une porte (boîte à problème) est sanctionné par un renforcement alimentaire : on parle alors de conditionnement, ou plus couramment, d’apprentissage instrumental  » (Doron & Parot, 1991, p.  133). Cette définition recouvre les deux types de conditionnements qui sont présentés dans ce chapitre, à savoir le conditionnement classique ou pavlovien et le conditionnement instrumental ou skinnerien. Le conditionnement pavlovien est un apprentissage qui consiste à ce qu’un stimulus conditionnel, qui avant l’apprentissage ne provoque pas de réponse inconditionnelle, déclenche la réponse inconditionnelle. Cet apprentissage est schématisé sur la figure 2. Figure 2. Schématisation du conditionnement Stimulus inconditionnel (SI) déclenche une réponse inconditionnelle (RI) Exemple : la perception de la nourriture déclenche la salivation SI

Le stimulus conditionnel (SC) déclenche la réponse correspondant au réflexe (RI) Exemple : la perception du son d’une cloche déclenche la salivation RI

SI (présentation de la nourriture)

RI (salivation) Renforcement

SC (son d’une cloche) Figure 2a. Schéma du réflexe

Figure 2b. Schéma du conditionnement

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Ainsi, un stimulus à l’origine neutre devient signal de l’apparition du stimulus inconditionnel  : le signal sonore annonce l’arrivée de la nourriture. Cette liaison n’est généralement pas consciente. Dans la vie de tous les jours, nombre d’objets vont acquérir des significations dépendantes de l’histoire personnelle. Ce conditionnement a été étudié dans des situations où l’ordre de succession des stimuli conditionnel et inconditionnel est varié.

2.3. Différentes organisations temporelles des stimuli conditionnels et inconditionnels L’ordre de succession des stimuli et leurs organisations temporelles peuvent prendre les 5 formes suivantes : −− conditions de simultanéité : les stimuli inconditionnel (exemple : nourriture) et conditionnel (exemple : allumage d’une ampoule) sont simultanés, ils apparaissent en même temps ; −− conditionnement proactif (forward) : le stimulus conditionnel (allumage de l’ampoule) précède le stimulus inconditionnel (nourriture) ; −− conditionnement rétroactif (backward)  : le stimulus inconditionnel (nourriture) précède le stimulus conditionnel (allumage de l’ampoule) ; −− conditionnement temporel  : le stimulus inconditionnel (nourriture) n’est présenté qu’après un certain délai (généralement 10 minutes) suivant le stimulus conditionnel (allumage de l’ampoule) ; −− conditionnement de second ordre  résultant de la succession de trois phases  : première phase  : présentation de deux stimuli conditionnels (allumage de la lampe et son) ; seconde phase : présentation simultanée d’un stimulus conditionnel (son) et du stimulus inconditionnel (nourriture) ; troisième phase : présentation de l’autre stimulus inconditionnel (allumage de l’ampoule) qui provoque la réponse inconditionnelle. Quel que soit l’ordre de présentation des stimuli, l’établissement d’un conditionnement n’est possible que si certaines conditions sont respectées.

2.4. Conditions de formation d’un conditionnement Pavlovien Pour qu’un conditionnement s’établisse, il faut que 6 conditions soient remplies : −− existence d’un réflexe ; −− existence d’un besoin : dans l’exemple décrit précédemment, le besoin est alimentaire. Si l’animal est repu ou si le stimulus qui lui est présenté n’est pas reconnu comme étant un aliment, l’apprentissage aura peu de chance de se produire ; 87

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−− nécessité que les stimuli conditionnels et inconditionnels soient bien perçus et se détachent de la situation dans laquelle ils sont placés ; −− simultanéité ou proximité temporelle des stimuli conditionnel et inconditionnel ; −− répétition de la situation : le conditionnement est établi suite à la répétition de l’association entre les stimuli conditionnel et inconditionnel. Les cas de conditionnements résultant d’un seul essai sont rares chez l’animal, le plus souvent le conditionnement nécessite plusieurs répétitions. Ainsi, le conditionnement alimentaire, chez le chien, se manifeste dès le troisième essai et atteint son asymptote au septième essai. En revanche, chez l’homme le conditionnement peut être établi dès le premier essai ; −− nécessité d’un stimulus inconditionnel : dans le cas d’un conditionnement alimentaire, le stimulus inconditionnel est la nourriture : boulette de viande ou boisson. Le conditionnement peut être à l’origine d’effets de généralisation ou de discrimination.

2.5. Généralisation, discrimination La généralisation la plus simple est une généralisation du stimulus. Elle correspond au fait que l’individu répond à un nouveau stimulus ayant des caractéristiques proches de celles du stimulus conditionnel d’origine. Exemple : si un conditionnement alimentaire est établi à partir d’un son aigu, on parlera de généralisation lorsque la salivation sera déclenchée par un son plus grave. Plus le nouveau stimulus est proche de l’ancien, plus la généralisation est facile. On désigne par gradient de généralisation, l’évolution du conditionnement en fonction de degré de similitude entre les stimuli conditionnels. Cette généralisation peut être intermodale, c’est ainsi que le conditionnement au son de la cloche est généralisé à la présentation d’une cloche ou de sa représentation imagée. Chez l’homme, la généralisation pourra être sémantique et donc porter sur les mots qui désignent les stimuli : le conditionnement à l’origine déclenché par la cloche peut l’être par le mot « cloche ». Les processus de généralisation s’appliquent aux règles et aux procédures : savoir-faire une addition consiste à être capable d’appliquer les mêmes règles à toutes les additions, de même que savoir conduire, c’est être capable, théoriquement, de conduire tous les modèles de voiture. De façon symétrique, la discrimination consiste en la différenciation des stimuli conditionnels de sorte que la réponse inconditionnelle n’est donnée que pour un stimulus conditionnel spécifique. La discrimination s’applique à tous les systèmes sensoriels : discriminations auditives (différencier des sons de hauteurs ou d’intensités différentes), visuelles (différencier des couleurs, des formes, des tailles…), olfactives (différencier des odeurs), gustatives… Il est 88

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possible d’être conditionné à ne répondre qu’à un stimulus particulier. À chaque fois, la limite inférieure de la discrimination correspond au seuil différentiel qui est la plus petite différence perçue. La généralisation et la discrimination sont à l’œuvre lors de l’apprentissage du langage, lors de l’acquisition du sens, de la phonologie (discrimination et généralisation des phonèmes) et des règles de prononciation. Au début de l’apprentissage du langage, le même mot est utilisé par l’enfant pour désigner un grand nombre d’objets. Les syllabes/pa/pa/, qui au début de l’apprentissage désignent toutes les personnes, ne seront progressivement utilisées que pour appeler le père. Il en sera ainsi lors de l’acquisition du vocabulaire, l’enfant apprend à dénommer avec précision chaque objet, acte ou état en progressant dans ses discriminations tout en développant ses capacités de généralisation en catégorisant, c’est-à-dire en constituant des classes d’équivalence. La discrimination peut aussi être facilitée en faisant en sorte que la présentation de l’un des stimuli conditionnels soit associée à un renforçateur nociceptif. Cette procédure de double conditionnement peut être à l’origine d’une névrose expérimentale.

2.6. Une névrose expérimentale La difficulté à choisir entre les stimuli conditionnels est à l’origine, chez l’animal, de ce que certains ont appelé une névrose expérimentale. Cette situation se rencontre lorsque l’animal n’arrive plus à choisir entre deux composantes d’une alternative. Le cadre expérimental est simple, l’animal est affronté à deux coupelles, dont l’une est ronde et l’autre ovale. Il apprend à aller chercher sa nourriture sous une coupelle ovale alors que toucher la ronde déclenche une décharge électrique. Une fois le conditionnement établi, on réduit progressivement la différence entre les formes des deux coupelles de sorte qu’il devient difficile de discerner laquelle est ovale. L’animal ne peut plus choisir. Son comportement change, il ne va plus se nourrir et développer des comportements névrotiques. Ces observations suggèrent que certaines névroses pourraient avoir pour origine la difficulté à choisir entre des composants d’alternatives. On comprend facilement l’intérêt de ce type d’observation. Après Pavlov, deux chercheurs américains (Thorndyke et Skinner) ont étudié une nouvelle forme de conditionnement, le conditionnement opérant, instrumental, skinnerien ou conditionnement de type II.

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3. Le conditionnement opérant ou instrumental ou l’apprentissage skinnerien Ce conditionnement décrit par Thorndike en 1898 a été développé par B.F. Skinner à partir de 1938. Pour ce chercheur américain, le conditionnement opérant est le modèle représentant au mieux l’apprentissage du langage. L’expérience consiste à placer un rat affamé dans une cage dite boîte de Skinner (cf. figure 3). Cette cage est équipée d’un bouton poussoir et d’une mangeoire. Placé dans cette cage, l’animal se livre à une exploration au cours de laquelle, par hasard, il appuie sur le bouton poussoir, ce qui déclenche la chute de la boulette de nourriture dans la mangeoire. Progressivement, l’animal apprend à manipuler ce bouton pour se nourrir. L’animal a appris un nouveau comportement : il appuie sur une pédale pour obtenir de la nourriture. Il a appris à se servir d’un distributeur de nourriture. Figure 3. Cage de Skinner, utilisée pour étudier le conditionnement opérant

Haut parleur Lumières Bouton poussoir Mangeoire Plancher électrifiable

Sur le même principe, d’autres apprentissages sont possibles, l’animal peut ainsi apprendre à éviter une stimulation nociceptive. Dans la cage représentée sur la figure 3, l’allumage de l’ampoule précède l’électrification du plancher. Le rat peut éviter le choc électrique en appuyant sur le bouton poussoir. Le même conditionnement d’évitement a été aussi étudié en plaçant un rat dans une cage constituée de deux compartiments dont l’un peut être électrifié sur commande. L’animal est placé dans ce compartiment et apprend que l’apparition d’un signal (sonore ou visuel) précède la décharge électrique. Pour éviter le choc électrique, l’animal apprend à changer de compartiment à l’apparition du signal, et éviter ainsi la stimulation nociceptive. Comme dans le conditionnement pavlovien, l’animal apprend qu’un signal précurseur annonce un choc électrique, mais il apprend également un nouveau comportement qui consiste à changer de compartiment à l’apparition d’un signal. L’originalité du conditionnement opérant réside donc dans l’apprentissage d’un nouveau comportement associé à l’apparition d’un signal à l’origine neutre. 90

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L’apprentissage peut aussi porter sur les délais ou même sur le rythme des réponses, l’animal apprend alors à appuyer un certain nombre de fois ou même à rythmer ses appuis. C’est dire la variété des apprentissages. Tous les conditionnements mettent en œuvre un renforçateur.

4. Notions essentielles à la compréhension des conditionnements Par notions essentielles, on entend l’étude du rôle des renforçateurs, la question de l’extinction et de la récupération spontanée ainsi que la présentation des applications.

4.1. Conditionnement et renforçateurs Un renforçateur est un : « stimulus ou événement qui, utilisé dans une procédure de renforcement, entraîne un conditionnement. » (Doron & Parot, 1991, p. 593). Dans le renforcement pavlovien, le renforcement est une opération consistant à présenter le stimulus inconditionnel à la suite du stimulus conditionnel, de manière à en renforcer, à en consolider l’association. Dans la procédure opérante, opération consistant à présenter un renforçateur dans une relation particulière avec la réponse opérante, relation définie par les contingences de renforcement. (Doron & Parot, 1991, p. 593). Le renforçateur est le stimulus dont la présentation accroît la probabilité d’une réponse conditionnelle. Dans les conditionnements alimentaires, qu’ils soient pavloviens ou skinneriens, le renforçateur est l’aliment qui est délivré, généralement une boulette de viande ou une croquette. Le renforcement est une condition indispensable à la formation d’un conditionnement. Pour que la sonnerie déclenche une réponse de salivation, il faut que cette réponse soit associée à la délivrance de la nourriture. Le renforçateur (nourriture) doit être donné dès l’émission de la réponse inconditionnelle. Si l’intervalle temporel est trop long, l’apprentissage est ralenti. En revanche, la récompense peut ne pas être donnée à chaque essai, mais elle doit l’être un nombre de fois significatif. Le conditionnement est d’autant plus rapide à établir que le délai entre la production de la réponse et la délivrance du renforçateur est court. Chez l’animal, tout allongement de ce délai ralentit l’établissement du conditionnement. Un renforçateur est qualifié de primaire s’il satisfait directement un besoin : nourriture, boisson, accès au partenaire sexuel… En revanche, sera qualifié de secondaire le renforçateur qui provoque la réponse inconditionnelle par association à un renforçateur primaire. 91

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Les renforcements sont aussi parfois qualifiés de positifs lorsqu’ils agissent positivement sur l’organisme (boulette de viande dans les conditionnements alimentaires…) ou de négatifs lorsqu’ils entrainent le retrait (changement de cage pour éviter le choc électrique…). Le renforcement peut être continu ou intermittent. Dans le premier cas, le renforçateur est donné chaque fois que l’individu donne la réponse inconditionnelle ; dans le second il n’est donné que de façon intermittente, par exemple un essai sur deux ou tous les 4 essais… Si avec des renforcements intermittents, le conditionnement est plus long à s’établir, il est aussi plus long à s’éteindre. Dans quelles conditions observe-t-on l’extinction du conditionnement ?

4.2. Extinction et récupération spontanée dans les deux types de conditionnement L’extinction du conditionnement correspond au fait que le sujet ne donne plus la réponse apprise. L’étude de l’extinction informe sur la nature des conditionnements. Si, alors qu’un conditionnement a été acquis, le renforçateur n’est plus donné (si l’appui sur la manette ne provoque plus l’apparition de la boulette de nourriture), il y a extinction (l’animal ne va plus appuyer sur la manette). Cesser de renforcer un conditionnement aboutit à son extinction : la présentation du stimulus conditionnel seul, c’est-à-dire non associé au renforçateur, ne déclenche plus la réponse. L’extinction sera d’autant plus longue à se manifester que le renforcement au cours de l’apprentissage a été intermittent. Si durant la période d’apprentissage la récompense n’a été donnée qu’à l’issue d’un essai sur deux ou sur trois, la période d’extinction sera plus longue que si la récompense a été donnée après chaque essai. Dans l’exemple du conditionnement alimentaire, l’extinction correspond au fait que le signal sonore ne déclenche plus la salivation. On pourrait penser que l’apprentissage a été supprimé, effacé. Or, si après une période de repos, c’est-à-dire une période pendant laquelle le protocole de conditionnement n’est pas réalisé, on recommence de nouveaux essais, même sans renforcement, le conditionnement est réactivé. Il y a récupération spontanée. L’extinction et la récupération spontanée sont représentées sur la figure 4. Sur l’abscisse de la courbe sont indiquées les successions des essais tandis que sur l’ordonnée sont présentés les taux de salivation. Durant les huit premiers essais, l’augmentation du taux de salivation témoigne de la mise en place du conditionnement. Entre le huitième et le douzième essai, le taux de salivation a atteint un maximum (effet plafond). À partir du douzième essai, le renforçateur n’étant pas donné, on assiste à une extinction du conditionnement qui se stabilise au quinzième essai, puis après une période de repos à l’essai vingt, la réintroduction du stimulus conditionnel (par exemple la sonnerie) est à l’ori92

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gine d’une récupération spontanée. Cette rapide récupération suggère que durant la période de repos l’apprentissage n’a pas été effacé, il a continué d’exister, mais la réponse inconditionnelle a été inhibée, c’est d’ailleurs ce que confirment des données neurologiques. Ce point est important puisqu’il indique qu’une fois établis, les conditionnements sont difficiles à effacer. Les réponses peuvent être provisoirement inhibées, mais la relation entre le stimulus conditionnel et la réponse persiste en mémoire. Peut-on penser qu’il en est de même pour tout apprentissage ? La question est posée. Figure 4. Formation, extinction et récupération du conditionnement 25

Taux de salivation

20 15 10 5 0

0 0 0 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 Établissement

Effet plafond

Extinction

Numéro des essais

Récupération spontanée

Tout au long de sa vie, Skinner s’est intéressé aux applications du conditionnement opérant. Rappelons les principales d’entre elles.

4.3. Applications des conditionnements L’étude du conditionnement d’évitement a été à l’origine de différentes observations qui ne sont pas sans conséquence pédagogique. Le phénomène de «  l’impuissance apprise  » est l’une d’entre elles. L’expérience princeps a été réalisée par Seligman, Maïer et Solomon (1971). Les auteurs comparent les apprentissages d’un groupe expérimental à celui d’un groupe contrôle. Dans le groupe contrôle, les chiens sont soumis à un choc électrique douloureux qu’ils peuvent éviter en changeant de cage. L’apparition du choc est précédée d’un signal sonore. Après quelques essais, les animaux sont conditionnés et changent de cage dès l’apparition du signal. Dans le groupe expérimental, cette phase de conditionnement est précédée d’une période pendant laquelle les animaux reçoivent des chocs électriques douloureux inévitables et non prévisibles. Dans 93

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la seconde phase, la procédure de conditionnement appliquée au groupe contrôle leur ai proposée. Or, les chiens du groupe expérimental n’apprennent pas à éviter le choc électrique en changeant de cage. Prostrés, ils subissent la douleur sans tenter de l’éviter. De tels comportements ont été observés chez les enfants et plus généralement chez les hommes. « L’impuissance apprise » peut être généralisée à d’autres comportements et se traduire par une incapacité à en apprendre de nouveaux, à une attitude consistant à renoncer à agir sur son environnement, à renoncer à tenter de le modifier. Elle fait penser à ces enfants qui, ayant été en situations d’échec, renoncent à faire ce qui est nécessaire pour progresser. Ils sont dans une spirale de l’échec. Ils en sont réduits à développer des comportements de substitution qui ne sont plus orientés vers la tâche, ils chahutent, se font remarquer... Dès 1957, Skinner a tenté de montrer que le conditionnement opérant était à l’origine des règles de la communication humaine. Le fait même qu’une personne vous donne ce que vous lui demandez incite à répéter cette situation. Les renforcements dus aux succès de ce comportement incitent à le généraliser et donc à agir sur les autres dans le but d’obtenir ce que l’on souhaite. En pédagogie, les conditionnements opérants ont été à l’origine de l’enseignement programmé. Le dispositif consiste à développer des apprentissages scolaires progressifs dans lesquels l’élève est actif et est sollicité tout au long du programme. À chaque niveau, il doit répondre à des questions ou réaliser des exercices dont la réussite conditionne le passage au niveau supérieur. L’élève travaille à son propre rythme et ne passe au stade suivant que lorsque le précédent est acquis. Les premiers laboratoires de langues furent élaborés sur cette base. Les processus de conditionnement sont utilisés dans les thérapies comportementales. L’idée de base est que nombre de névroses peuvent être traitées en mettant en place de nouveaux conditionnements ou en inhibant les existants. Les trois possibilités suivantes sont les plus fréquentes : −− suppression d’un comportement en l’associant à une réponse désagréable. C’est le cas dans le traitement de certaines addictions, un médicament déclenche une réaction déplaisante chaque fois qu’on prend une drogue. Pour simplifier, on donnera l’exemple de l’alcoolisme. L’alcoolique cherche dans la boisson un état d’euphorie et de désinhibition. On met en place un nouveau conditionnement qui fait que chaque prise d’alcool provoque non pas un état euphorique, mais au contraire des nausées et donc un état particulièrement désagréable. Ce nouveau conditionnement serait censé s’imposer par rapport au conditionnement d’origine. Le principe est simple, il s’agit à chaque fois de créer un nouveau conditionnement qui a pour but de contrecarrer le conditionnement d’origine. Le problème vient de ce que le nouveau conditionnement n’efface pas le précédent ; 94

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−− dans le traitement des phobies, on procède par désensibilisation en habituant les patients à être confrontés aux stimuli à l’origine de la réaction pathologique. Cette désensibilisation peut être progressive ou brutale. Dans le premier cas, les stimuli sont progressivement de plus en plus phobiques. Dans le second, le patient est confronté directement aux stimuli les plus phobiques, on procède donc à une immersion ; −− par utilisation des stimuli associés aux addictions. Le principe est que les objets associés à la prise de drogue, par conditionnement, provoque des réactions équivalentes bien que moins efficace, à celles provoquées par la drogue elle-même. Les patients seraient déshabitués progressivement. À chaque fois, la thérapie est basée sur la gestion de conditionnements. Il ne faut pourtant jamais oublier que s’il est possible de procéder à de nouveaux conditionnements ou de les inhiber, il est impossible de les effacer. Après cette description des différents conditionnements, on s’interroge sur leurs fondements neurologiques.

5. Neurobiologie des conditionnements Les structures nerveuses impliquées dans les conditionnements, qu’ils soient classiques ou opérants, varient en fonction de la nature des stimuli (conditionnels ou inconditionnels) et des types de réponses. Un conditionnement basé sur une stimulation visuelle va mettre en jeu l’ensemble des traitements impliqués dans la vision. De même, une réponse conditionnelle motrice mobilise les cortex pré-moteurs et moteurs tandis qu’une réponse végétative va faire appel au système neurovégétatif. Ainsi, l’apprentissage aboutit à connecter les réseaux en charge des stimuli conditionnels à ceux qui traitent les réponses. Dans le conditionnement pavlovien, les réseaux traitant les stimuli visuels (dans le cas d’un stimulus conditionnel visuel) ou auditifs (dans le cas d’un stimulus conditionnel sonore) sont connectés aux réseaux en charge des réponses, salivation dans le cas des conditionnements alimentaires ou les mouvements, c’est-à-dire les cortex prémoteurs et moteurs dans le cas des conditionnements opérants. Dans le cas du conditionnement classique, le réflexe associant le stimulus inconditionnel à une réponse inconditionnelle est complété par une nouvelle voie qui associe un stimulus conditionnel (donc à l’origine neutre) à la réponse inconditionnelle. Dans une intéressante revue publiée en 2006, Kim & Jung présentent des données obtenues au moyen de lésions et d’enregistrement de l’activité cérébrale (PET et fMRI) lors d’un conditionnement classique de la peur. Le protocole de conditionnement consiste à laisser un enfant caresser et jouer avec une poupée de rat blanc puis à associer à cette situation un bruit violent en frappant une barre en acier derrière la tête de l’enfant. Ce bruit effraie l’enfant qui sursaute et pleure. Le bruit violent est associé au fait de 95

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caresser la peluche. Cette crainte du rat est généralisée à toutes les poupées à fourrures. Aussi bien les expériences de lésions sur les animaux que les enregistrements de l’activité cérébrale (fMRI ou PET) chez l’enfant confirment que l’amygdale1 est le centre important impliqué dans le conditionnement de la peur et le rappel des situations de peurs. Pourtant, selon les auteurs, le lieu de stockage à long terme du conditionnement serait le cortex insulaire qui reçoit des informations de l’amygdale, tandis que l’hippocampe serait impliqué dans le stockage des informations contextuelles. Le cortex périrhinal connecté à l’hippocampe interviendrait dans la consolidation alors que le cervelet agirait en modulant les réponses autonomes. En revanche, les processus d’extinction du conditionnement seraient le fait de l’activité de cortex préfrontal qui aurait une fonction d’inhibition s’exerçant sur l’amygdale. Le réseau du conditionnement de la peur ferait donc intervenir l’amygdale, le cortex insulaire, l’hippocampe et le cervelet, tandis que le cortex préfrontal serait responsable de l’extinction. Le glutamate est le principal neurotransmetteur mis en œuvre dans le conditionnement de la peur. Après plusieurs décennies de recherches, il est possible de faire un bilan de ce que nous apprennent les études sur les conditionnements.

6. Ce que nous apprennent les études sur les conditionnements La description des conditionnements nous conforte dans l’idée que : −− on peut apprendre de façon incidente ; −− un apprentissage même incident (non volontaire et non conscient) peut affecter de façon durable les comportements ; −− un apprentissage même incident peut consister à attribuer une signification nouvelle à un stimulus neutre. Cette nouvelle signification n’est pas forcément consciente ; −− un conditionnement peut s’établir alors même que les renforcements ont été ou sont intermittents ; −− un conditionnement, une fois établi, reste inscrit en mémoire ; il persiste alors qu’il n’a pas été renforcé et peut être réactivé à tout moment ; −− les situations d’échecs, lorsqu’elles sont récurrentes, affectent les comportements ; −− la difficulté ou même l’impossibilité de choisir entre différents comportements peut être à l’origine de névroses.

1. L’ablation de l’amygdale empêche l’apprentissage et l’expression de la peur.

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Chapitre 5 – La mémoire à long terme : les conditionnements

Rappelons enfin que toutes les études indiquent que besoins et motivations sont des composantes importantes de la formation des conditionnements. Il est évident que les apprentissages humains ne se réduisent pas à des conditionnements. Les modalités d’apprentissages sont multiples et variées, mais à côté des apprentissages volontaires et conscients, les habitudes et les compétences sont autant d’apprentissages qui induisent des comportements automatiques.

7. Habitudes et compétences Parmi les mémoires implicites, Squire (1992) cite les habits et les skills. En français, le terme habit est traduit par habitude. Dans le dictionnaire de psychologie de J.P. Chaplin (1985, p. 203) un « habit » est « 1. une réponse acquise. 2. une activité qui est devenue relativement automatique suite à une pratique prolongée. 3. Un pattern relativement consistant de pensée ou d’attitudes. 4.  une forme caractéristique de comportement  : un trait. 5. une conduite acquise, telle une addiction à la drogue. »1 Ce qui caractérise l’habitude est donc que : (i) elle résulte d’un apprentissage lié à des répétitions ; (ii) c’est un comportement automatisé dans son déclenchement et encapsulé dans son déroulement de sorte qu’elle s’exerce sans mobiliser d’attention. Elle partage donc ces deux qualités avec les conditionnements. En revanche, bien que n’étant pas systématiquement liée à la réduction d’un besoin, une habitude est une procédure, un savoir-faire moteur, sensori-moteur ou intellectuel. Il en est de même des skills que l’on traduit en français par compétences et que Chaplin (1985, p. 428) définit comme « une habileté de haut niveau permettant à un individu de réaliser un acte moteur complexe avec aisance et précision. »2 Ainsi, les habitudes comme les compétences seront assimilées à des savoir-faire. Ces savoir-faire seront analysés après la description de la mémoire sémantique.

1. « Habit : 1. an acquired response. 2. an activity that has become relatively automatic through prolonged practice. 3. relatively consistent pattern of thought or attitudes. 4. a characteristic form of behavior ; a trait. 5. an aquired drive, such a drug addiction. » (Chaplin, 1985, p. 203). 2. « Skill : an ability of a high order enabling the individual to perform a complex motor act smoothly and with precision. » (Chaplin, 1985, p. 428).

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Chapitre 6 – La mémoire sémantique (1)

Chapitre 6 La mémoire sémantique (1). Le lexique mental : signifiants, signifiés et analyse componentielle du sens Les concepts stockés en mémoire constituent une part importante de la mémoire sémantique. Après Héraclite d’Éphèse, Aristote considère que tout objet du monde est dénommé par un mot et associé à un concept. De Saussure appelle « signifiant » la dénomination et « signifié » le concept. Les signifiés comportent des composantes dénotatives, connotatives et référentielles. Ces trois signifiés sont décrits par les analyses componentielles qui consistent à les décomposer en traits sémantiques comportant des sèmes génériques (formant le classème) et des traits spécifiques (formant le sémantème). La genèse de ses traits et leurs validités psychologiques sont analysées. Aux concepts sont aussi associés d’une part des composantes des champs lexicaux et dérivationnels et d’autre part des composantes prédicatives qui sont fréquemment cooccurrentes soit dans le langage soit dans les situations. Ces différentes unités sont décrites et analysées. Les réseaux neuronaux qui leur servent de support sont rappelés. Les contours de la mémoire sémantique sont encore sujets à discussion. Une approche restrictive consiste à en faire un dictionnaire de concepts, le lieu où seraient stockés les signifiés et les constituants des champs lexicaux et sémantiques. À ce lexique sont parfois associées les représentations phonologiques et orthographiques des lexèmes. Il est proposé d’y ajouter les références, c’est-à-dire les représentations imagées des objets, situations et événements, ce qui sera nommé dans la suite du texte par l’expression « objets du monde ». C’est à ce dictionnaire, objet du plus grand nombre de recherches et de modélisations, qu’est consacré ce chapitre. Consacrer un chapitre particulier à l’étude des signifiés associés aux mots isolés a pour seul motif une facilité de présentation, car le rôle du contexte dans l’élaboration de la signification est déterminant comme le fait remarquer François Rastier (1991 : 96-97) « aucun principe théorique ne permet d’admettre que la constitution d’une microsémantique soit subordonnée à un critère relevant d’un autre niveau et non pertinent de ce fait. On conviendra que pour définir les deux sémèmes manifestés par chinois, il demeure 99

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plus rationnel et plus économique de distinguer “passoire” des autres ustensiles de cuisine, et “citoyen de la RPC” des autres citoyens, plutôt que d’interdéfinir le citoyen et la passoire… ». Dans le présent chapitre, est décrit la partie de la mémoire sémantique constituée des signifiants et des signifiés associés aux lexèmes isolés. Ainsi, après avoir rappelé la définition de ces deux termes, on présentera les analyses componentielles qui permettent d’analyser les contenus des signifiés. Au préalable, il est nécessaire de décrire les relations entre les objets du monde, les concepts et les mots.

1. Le lexique mental et les signifiants La description des contours du lexique mental est suivie de la présentation des signifiants.

1.1. Le lexique mental « Comme terme de linguistique générale, le mot lexique désigne l’ensemble des unités formant le vocabulaire, la langue d’une communauté, d’une activité humaine, d’un locuteur, etc.  » (Dubois et  al. 1994). Le lexique stocké en mémoire est constitué de l’ensemble des unités lexicales et de leurs significations. Ces unités et leurs significations entretiennent des relations qui structurent leurs organisations. Le chercheur en psychologie tente non seulement d’identifier ces structures, mais aussi de décrire les champs lexicaux et sémantiques. Il conçoit donc le lexique comme étant formé de réseaux d’unités interconnectées : interconnexions des différents signifiés, des relations sémantiques et des cooccurrences situationnelles ou langagières. De plus, le sens n’est pas limité au matériel verbal, mais est étendu aux objets du monde, c’est-à-dire aux objets, agents, actions ou procès, états mentaux, événements et situations réelles, imaginaires, c’est-à-dire à l’ensemble des représentations mentales. Dans la suite du texte, l’expression « objets du monde » désignera cet ensemble. Dès le ve siècle avant J.-C., Héraclite d’Éphèse décrivait les relations entre les objets du monde, les concepts et les mots avec des termes qui seront repris par Aristote et représentés par la triade qui porte son nom. Le concept (conceptus) est élaboré à partir des objets du monde (res) puis associé à des mots (vox) (figure 1). Le concept ne se confond pas avec le mot (vox). Les relations sont orientées du « res » au « conceptus », puis du « conceptus » à la « vox ». Aristote (1965), comme les psychologues contemporains, considère qu’« un concept n’est pas quelque chose que nous contemplons par l’esprit, mais que nous élaborons par abstraction à partir de notre expérience.  » (Ricœur, 2004, p. 1017). 100

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Chapitre 6 – La mémoire sémantique (1)

Figure 1. Triade Aristotélicienne Conceptus Res

Vox

La séparation du « vox » et du « conceptus » a probablement inspiré Ferdinand de Saussure quand, en 1962, il a proposé de différencier le signifiant du signifié. Les observations neurologiques comme les enregistrements de l’activité cérébrale ont validé cette opposition.

1.2. Les signifiants Le signifiant est l’image acoustique ou phonologique correspondant au mot, tandis que les signifiés sont les sens et les significations qui y sont attachées. Le signifiant « n’est pas le son matériel, purement physique, mais l’image psychique de ce son, sa représentation… le signe linguistique ne relie pas une chose à un nom, mais un concept et une image acoustique… » (de Saussure, 1962, p. 98). « Nous appelons signe la combinaison du concept et de l’image acoustique… Nous proposons de réserver le mot “signe” pour indiquer la totalité, et de remplacer concept et image acoustique respectivement par signifié et signifiant. Ces deux derniers termes ont l’avantage de marquer l’opposition qui les sépare soit entre eux, soit du total dont ils font partie. » (de Saussure, 1962, p.  99). Sur cette base, l’hypothèse de l’existence d’un répertoire, dans lequel seraient stockées en mémoire les images phonologiques des phonèmes correspondant aux syllabes et aux lexèmes connus, a été formulée et validée par l’observation et les enregistrements neurologiques de patients aphasiques. Ces études seront présentées dans le chapitre 8. Que sait-on de l’organisation du répertoire phonologique  ? L’hypothèse d’un regroupement des signifiants homophones sur la base de leurs similitudes a été testée en mettant en œuvre la technique d’amorçage (Rossi, 1999). En effet, si les homophones sont connectés en réseaux, la présentation de l’un d’entre eux doit amorcer les autres : la présentation de vers devrait amorcer vert, et verre et réciproquement. Les résultats sont clairs, dans une tâche de décision lexicale, aucun homophone n’est amorcé. L’hypothèse d’une organisation phonologique du lexique n’est pas démontrée (Rossi, 1999). L’organisation du répertoire phonologique a aussi été étudiée en testant l’amorçage des mots composés (chauve-souris). Il s’agit de savoir si les signifiants sont regroupés autour de celui qui correspond au premier terme du mot composé ; si c’est le cas, la présentation du lexème chauve doit amorcer souris et chauve-souris. Pour répondre à cette question, Bussone et Rossi (2000a) ont décrit quatre types de couples en croisant les facteurs : nature des mots (nom commun ou verbe) et type de relation sémantique (opaque ou transparente). Sont qualifiés de transparents les couples pour lesquels les deux mots se complètent pour donner le sens du mot composé, par exemple un camion-citerne 101

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est un camion dont la caractéristique est de comporter une citerne. En revanche, le sens d’un couple opaque ne peut se déduire du sens de ses éléments : une chauve-souris n’est pas une souris chauve. La technique d’amorçage a été appliquée pour ces quatre types de matériels. Les résultats indiquent que le second terme du couple et le mot composé sont amorcés par la présentation du premier terme seulement dans le cas de couples transparents composés de deux noms communs. Dans tous les autres cas, il n’y a pas d’amorçage. Ces données suggèrent que sont regroupés les lexèmes décrivant les unités appartenant à une même catégorie sémantique. Le camion-citerne fait partie de la catégorie des camions donc la présentation de camion active toutes les instances appartenant à la catégorie. L’amorçage se fait sur la base du regroupement sémantique. L’hypothèse selon laquelle le lexique mental n’est pas organisé sur la base des relations phonologiques, mais sur la base du recouvrement des sens, semble validée. Si on élargit le concept de signifiant à l’ensemble des images permettant la reconnaissance des lexèmes, on peut ajouter le répertoire constitué lors de l’apprentissage de la lecture, à savoir le répertoire des images graphiques des lettres, phonèmes, syllabes et lexèmes. Ce répertoire est qualifié d’orthographique dans la littérature psychologique alors qu’il serait plus approprié de parler de signifiants graphémiques pour d’indiquer qu’il est constitué de représentations imagées de graphismes (Rossi, 1984). Ainsi, sont stockés en mémoire des signifiants phonologiques et orthographiques ou graphémiques. Les répertoires phonologiques et orthographiques sont à l’origine des reconnaissances du matériel verbal, l’un permettant de reconnaître les phonèmes, les syllabes et les mots entendus, l’autre intervenant dans la lecture. Mais ce qui est vrai pour le matériel verbal doit l’être aussi pour les objets du monde : les objets, les agents, les actions ou procès, les états mentaux, les événements et situations réelles, imaginaires et représentées. Il est probable que des images, des prototypes ou schémas de chacun de ces objets soient stockés en mémoire : images prototypiques de la chaise, de la marche ou de situations comme le repas ou l’hospitalisation. L’existence d’un tel répertoire d’images serait à l’origine de la reconnaissance des objets du monde réel ou imaginaire. Ces images sont-elles assimilées à des références ? Telle est la question qui sera abordée lors de l’étude des signifiés. Un des avantages du matériel verbal tient à ce que chaque lexème écrit ou parlé désigne une catégorie d’objets. Le mot table désigne des tables de tailles, de formes, de styles, d’essences différentes… Alors que chaque objet est unique. Pour cette raison, il supposé que chaque objet du monde est représenté en mémoire par des prototypes, des symboles ou des schémas qui figurent les propriétés de l’objet. Il en est ainsi de l’image symbolisant le cœur : . Cette image évoque l’amour au point que dans certains slogans, « j’aime » est représenté par un cœur. Ces images mentales peuvent être assimilées à des signifiants. 102

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Ainsi, à chaque concept seraient associées différentes catégories de signifiants ou d’images permettant la reconnaissance de lexèmes (signifiants phonologiques et graphémiques ou orthographiques) ou d’objets du monde  : références, représentations mentales prototypiques, schémas et symboles de ces objets. Ces répertoires de signifiants permettent la reconnaissance des stimuli et sont donc à l’origine de l’activation des signifiés qui leur sont associés. Comme indiqué sur la figure  2, les stimuli (objets du monde ou lexèmes) activent les signifiants (images des objets ou signifiants linguistiques) qui, à leur tour, activent les signifiés qui leur sont associés. Les doubles flèches entre les stimuli, les répertoires de signifiants et les signifiés indiquent que les activations peuvent aller du stimulus aux signifiés en passant par le signifiant, mais aussi dans l’autre sens des signifiés aux stimuli : connaissant les propriétés des objets, il est possible de les dénommer ou de les désigner. De même, chaque objet du monde peut être dénommé comme chaque lexème (écrit ou oral), peut être associé à un objet du monde réel ou fictif. À tous ces signifiants sont associés des signifiés. Néanmoins, l’hypothèse d’une relation directe entre les stimuli objets du monde et les concepts semble plausible, en particulier dans le cas d’objets du monde communs et fréquents. C’est ce qui est suggéré par la flèche en pointillé de la figure 2. Figure 2. Représentations du lexique Signifiés Signifiants

Concepts Signifiants objets Répertoires des représentations mentales, des objets du monde : prototypes, schémas d’objets, symboles…

Stimuli

Objets du monde

Signifiants linguistiques Répertoires phonologiques, orthographiques, articulatoires

Lexèmes

2. Les signifiés La définition des signifiés est suivie de la description de leurs composantes.

2.1. Définition des signifiés « Le terme de signifié appartient à la terminologie de F. de Saussure comme synonyme de concept. En effet, le signe linguistique tel qu’il le conçoit résulte 103

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de la combinaison d’un signifiant et d’un signifié, ou, dans une autre formulation, d’une image acoustique et d’un concept. » (Dubois et al., 1994). Selon les mêmes auteurs : « On donne le nom de concept à toute représentation symbolique, de nature verbale, ayant une signification générale qui convient à toute une série d’objets concrets possédant des propriétés communes.  » (Dubois et al., 1994). Sens et signification sont pourtant différenciés par François Rastier (1991, 2011). Remarquant que « les lexèmes sont indexés dans des domaines sémantiques qui correspondent à des discours et, en dernière analyse, à des pratiques sociales », il propose de distinguer deux lexiques : «  (i) Le lexique des morphèmes appartient à la langue. Même si certains morphèmes ne se rencontrent que dans certains discours, c’est le statut théorique du morphème qui est en jeu : le locuteur puise dans son répertoire – et il reste très difficile d’inventer et d’imposer un morphème. En outre, l’inventaire des morphèmes d’une langue ne correspond guère à l’image que l’on se fait d’un dictionnaire. (ii) Le lexique des lexies, combinaisons stabilisées de morphèmes, appartient en revanche à l’ordre du discours ou parole saussurienne – ce pour quoi nous estimons que leur lexique n’appartient pas à la langue. En effet, connaissant des règles de combinaison des morphèmes, qui constituent la syntaxe interne du “mot”, chaque locuteur peut composer et interpréter des néologismes, petites combinaisons discursives inédites. Si les lexies sont des syntagmes intégrés, un continuum s’étend des lexies simples aux lexies complexes et jusqu’aux phraséologies : les figements discursifs connaissent divers degrés – et restent d’ailleurs susceptibles de défigements (cf. l’auteur, 1997). » (Rastier, 2011, p. 14). Dans l’étude de la mémoire sémantique, le chercheur en psychologie s’intéresse au lexique des lexies, c’est-à-dire des unités lexicales « constituées soit par un mot (lexie simple), soit par des mots associés (lexies composées et complexes) » (TLF, 2016). Les auteurs du Trésor de la langue française précisent qu’une lexie est une «  Unité de lecture de dimension variable constituant intuitivement un tout et permettant une segmentation du texte en vue de son analyse ». Il faut remarquer que la différenciation entre signifiant et signifié rend compte aussi bien de la synonymie (des signifiés équivalents peuvent être associés à des signifiants différents1) que de la polysémie (différents signifiés peuvent être associés à un même signifiant). Il est fréquent qu’à un même signifiant soient associées des acceptions différentes. Notons pourtant que l’une des acceptions a une fréquence d’utilisation majoritaire qui est activée lors de la présentation du lexème isolé (Cordier, Cantelet & François, 2005). 1. Nombre de linguistes contestent l’existence d’une synonymie totale estimant qu’il existe toujours des nuances permettant de différencier les sens associés à deux mots différents.

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En revanche, la présentation d’un lexème n’active pas ses homophones (Rossi, 2000). Parmi les signifiés, les linguistes distinguent les composantes dénotatives, connotatives et référentielles. Que recouvrent ces trois notions et dans quelles mesures peuvent-elles être appliquées aux objets du monde ?

2.2. La dénotation En linguistique, la dénotation est définie comme « l’élément stable, non subjectif et analysable hors du discours, de la signification d’une unité lexicale… Par exemple, nuit, est définissable de façon stable comme intervalle entre coucher et lever du soleil, etc. La dénotation d’une unité lexicale se définit aussi parfois par opposition à la désignation. La dénotation renvoie à la classe des objets répondant à un concept constituant le signifié de la classe. Par exemple, le signe chaise étant une association du concept “siège à quatre pieds, avec un placet, avec un dossier”… Alors que, par la dénotation le concept renvoie à la classe des objets, dans la désignation, le concept renvoie à un objet isolé (ou un groupe d’objets) faisant partie de l’ensemble. » (Dubois et al., 1999, p. 135). La dénotation est indépendante d’une expression particulière ou d’un contexte. Selon la terminologie proposée par François Rastier, la dénotation correspond à la signification. La dénotation se retrouve dans les définitions des dictionnaires. Trois catégories de définitions sont différenciées : les linguistiques, les métalinguistiques et les définitions par inclusion. Une définition linguistique est constituée d’une paraphrase par laquelle l’énoncé peut être remplacé. « La définition a la même fonction grammaticale que le mot à définir : un nom se définit par un syntagme nominal, un verbe par un syntagme verbal et ainsi de suite. » (Lessard, 1996, p. 3-4). Les exemples illustrant ces différentes définitions sont empruntés à Lessard (1996). La définition linguistique du lexème « chronique » est « recueil de faits historiques, rapportés dans l’ordre de leur succession  ». Dans chaque phrase, le lexème « chronique » peut être remplacé par cette définition. Par opposition, la définition métalinguistique donne une explication qui ne peut remplacer le mot. Le lexème « sous » est défini avec la paraphrase : « marque la position en bas par rapport à ce qui est en haut ». Enfin, la définition par inclusion consiste à inclure l’objet défini dans une catégorie plus générale (relation d’hyponymie) puis à rappeler ses caractéristiques particulières : le pigeon est « un oiseau au bec grêle, aux ailes courtes, au plumage très varié, selon les espèces, dont trois sont représentées en France. » (Dictionnaire Le Petit Robert, 1970). Il n’y a pas de correspondance stricte entre la catégorie grammaticale et le type de définition. Ainsi, certains noms communs sont l’objet de définitions par inclusions (voir l’exemple de la définition du pigeon), alors que pour 105

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d’autres, les définitions métalinguistiques s’imposent (voir l’exemple de la définition de la chronique). En revanche, les prépositions sont très majoritairement l’objet de définitions métalinguistiques. Dans les dictionnaires, les définitions des différentes acceptions sont complétées par d’autres informations telles que la catégorie grammaticale, l’étymologie, la liste des différents exemplaires (tablier de cuisine, tablier de boucher, tablier de sapeur…), les expressions dans lesquelles le mot est utilisé (tourner la page, une page glorieuse…), les synonymes, les antonymes, etc. Les signifiés ne se limitent pas à la dénotation, ils comportent aussi les connotations et les références.

2.3. La connotation La connotation « désigne un ensemble de significations secondes provoquées par l’utilisation d’un matériel linguistique particulier et qui viennent s’ajouter au sens conceptuel ou cognitif fondamental et stable, objet d’un consensus de la communauté linguistique, que constitue la dénotation… à côté de cheval, qui est neutre, on dira que destrier connote une langue poétique, canasson une langue familière » (Dubois et al. 1999, p. 111). « Canasson » possède les traits de cheval auquel on peut ajouter le trait «  langue familière  ». De même, le lexème « rouge » dénote une couleur ayant des caractéristiques physiques et perceptives données et comporte pour la plupart d’entre nous la connotation « feu », « chaleur », « violence »… Comme le note Kerbrat-Orecchioni (1999, p. 17), « Dans la dénotation, le sens est posé explicitement, de manière irréfutable… Dans la connotation, le sens est suggéré, et son décodage est plus aléatoire. Les contenus connotatifs sont des valeurs sémantiques floues, timides, qui ne s’imposent que si elles sont redondantes, ou du moins non contradictoires, avec le contenu dénotatif ». Kerbrat-Orecchioni (1999, p.  91, 92) différencie les cinq catégories de connotations suivantes : −− « Connotations dont le signifié est de même nature, mais non de même statut, que le signifié de dénotation. » La prosodie est un exemple de cette classe de connotations ; −− «  Connotations “stylistiques”  : elles informent sur l’appartenance du message à telle langue ou sous-langue particulière.  » L’utilisation du terme destrier indique que l’on se situe dans une langue poétique ; −− « Connotations “énonciatives” : elles fournissent des informations sur le locuteur (et éventuellement sur tel autre élément de la situation de communication), et comprennent les connotations “socio-géographiques”… “émotionnelles”… “axiologiques”… “idéologiques”. » Il s’agit des informations concernant non le référent, mais l’énonciateur. L’utilisation de telle expression indique que le locuteur vit à Marseille, Paris ou Lyon. Les 106

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exemples sont nombreux : l’utilisation du « vé » par les Marseillais, le parler verlan pour les jeunes de la banlieue… ; −− « Connotations “associatives” : cette rubrique regroupe l’ensemble des valeurs sémantiques additionnelles qui naissent à la faveur des mécanismes associatifs divers, « in presentia » ou « in absentia » ; −− « Les significations implicites comme valeurs connotées.” Au caviar sont habituellement associés la richesse et le luxe, si ce n’est l’opulence. La variété de ces formes témoigne de l’importance de la connotation dans la communication. Sans compter, comme le remarque Roland Barthes (1964), que bien souvent les connotations sont acquises avant les dénotations. L’exemple du « caviar », cité précédemment, illustre ce phénomène, la connotation « richesse, fête » est connue avant la dénotation « œufs d’esturgeons ». La connotation est une catégorie de signifiés constitutive des concepts. Sous certaines réserves, la notion peut être généralisée aux objets du monde réels ou imaginaires. Nombre d’objets sont connotés : l’objet Rolls-Royce est signe de richesse, tandis que la 2 CV Citroën est la voiture des gens modestes. Plus généralement, le nourrisson manifeste de différentes façons son appétence ou son rejet pour certains stimuli. Dans les sociétés occidentales, le nouveau-né apprécie ce qui sucré et marque son rejet de tout ce qui est amer. On peut considérer que l’expérience des objets l’amène à les connoter et donc à élargir la notion de connotation afin de l’appliquer aux objets du monde. Certes, dans ce cas, les cinq catégories chères à Kerbrat-Orecchioni ne s’appliquent pas. Aux objets ne peuvent être appliquées que les connotations associatives et les significations implicites. Celles-ci persistent après l’acquisition du langage. À côté de la dénotation et de la connotation, la fonction référentielle du langage1 est affirmée comme essentielle par les linguistes.

2.4. La référence Pour Kerbrat-Orecchioni (1999, p. 62) : « parler c’est signifier, mais c’est en même temps référer ». Comme le rappelle Ducrot (1972) : « La communication linguistique ayant souvent pour objet la réalité extralinguistique, les locuteurs doivent pouvoir désigner les objets qui la constituent : c’est la fonction référentielle du langage » (Ducrot, 1972, p. 317). Référer, « c’est fournir des informations spécifiques à propos d’objets spécifiques du monde extralinguistique, lesquels ne peuvent être identifiés que par rapport à certains “points de référence”  » (Pohl, 1975), à l’intérieur d’un certain “système de repérage” (Culioli, 1973) » (Kerbrat-Orecchioni, 1999, p. 62). La fonction référentielle du langage réside donc dans sa capacité « à renvoyer à des objets du monde extralinguistique réel ou imaginaire… Tout signe lin1. Nombre de travaux ont été consacrés à la fonction référentielle du langage. Des synthèses récentes sont disponibles (Kerbrat-Orecchioni, 1999 ; Nyckees, 1998).

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guistique, en même temps qu’il assure la liaison entre un concept et une image acoustique (définition saussurienne du signe) renvoie à la réalité extralinguistique. Cette fonction référentielle met le signe en rapport, non pas directement avec le monde des objets réels, mais avec le monde perçu à l’intérieur des formations idéologiques d’une culture donnée… La référence n’est pas faite à un objet réel, mais à un objet de pensée. » (Dubois et al., 1999, p. 404). Dans cette définition le terme référence désigne aussi bien la fonction que l’objet mental. Pour éviter les confusions et clarifier le discours, il est proposé de nommer « référent » l’entité du monde réel ou imaginaire auquel renvoie le signe linguistique, et « référence » l’objet mental correspondant au référent. On est ainsi amené à distinguer la fonction référentielle qui est une propriété du signe linguistique, le référent qui est un objet du monde réel ou imaginaire et la référence qui est une représentation mentale du référent. Les relations référentielles entre énoncés et référents sont classées par Kerbrat-Orecchioni, (1999, p. 39) en trois catégories : référence absolue, référence relative au contexte linguistique (cotexte), référence déictique qui est relative à la situation de communication. La compréhension des situations de référence absolue « ne requiert aucune connaissance supplémentaire relative aux circonstances particulières dans lesquelles les faits se sont déroulés ou les réalités sont désignées  » (Nyckes, 1998, p. 241). Dans l’expression « Une fille blonde » on parlera de référence absolue dans la mesure où « pour dénommer x, il suffit de prendre en considération cet objet x, sans l’apport d’aucune information annexe » (KerbratOrecchioni, 1999, p. 39). La représentation de l’objet x existe dans la mémoire du lecteur, il suffit de l’activer. À l’opposé, dans la référence relative « des connaissances supplémentaires sont indispensables pour l’interprétation adéquate des unités considérées  » (Nyckes, 1998, p. 242). Dans la phrase « La sœur de Pierre », « le terme “sœur” pour désigner x, implique que le locuteur envisage, en plus de x lui-même, une personne y, prise comme élément de référence » (Kerbrat-Orecchioni, 1999, p. 40). La référence est qualifiée de cotextuelle (relative à un élément explicité dans le contexte verbal). La référence déictique, quant à elle, est liée à la situation de communication, « Le choix de l’unité signifiante appropriée et son interprétation référentielle se font alors en tenant compte des données particulières de la situation de communication… » (Kerbrat-Orecchioni, 1999, p. 39). Pour comprendre la phrase « Pierre habite ici », il faut situer ici. Cet ici peut être situé en référence à la situation de communication. Ici fait référence à l’endroit dans lequel on communique. Chacune de ces catégories de références met en jeu des processus cognitifs spécifiques. Dans le cas de la référence absolue, on peut faire l’hypothèse que le locuteur possède en mémoire un « objet mental », une représentation mentale associée au lexème utilisé. Cet objet mental varie selon le niveau de connais108

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sance du lecteur, allant du plus général au plus spécifique de sorte que la référence peut prendre la forme soit d’un exemplaire spécifique, soit d’un symbole, d’un prototype ou d’un schéma. En revanche, la référence relative (par exemple, Pierre habite au sud de Paris) est construite et élaborée à partir des informations fournies par le traitement du message. Elle résulte de l’articulation entre les connaissances associées à au moins deux lexèmes différents. Dans l’exemple précédent, il s’agit de construire une référence en combinant les connaissances associées à Paris et à la localisation du sud de cette ville. Ces deux connaissances sont prises en compte pour construire la représentation correspondant à l’expression « au sud de Paris ». Si la référence est organisée à partir de ces éléments, il est pertinent de parler de référence relative. Ainsi, pour le psychologue, la distinction entre référence absolue et référence relative correspond au fait que la référence est soit une entité présente dans la mémoire du locuteur, soit élaborée en combinant les connaissances associées à différents lexèmes. La référence relative suppose l’élaboration d’une représentation occurrente, construite en utilisant des connaissances stockées en mémoire. La référence déictique (Pierre habite ici) est, elle aussi, relative, car dépendante de la situation. De plus, elle « implique une prise en considération de certains des éléments constitutifs de la situation de communication, à savoir : (a) le rôle que tiennent dans le procès d’énonciation les actants de l’énoncé ; (b) la situation spatio-temporelle du locuteur, et éventuellement de l’allocutaire. » (Kerbrat-Orecchioni, 1999, p. 41). Lorsque la situation est décrite, la référence est intimement liée à la représentation occurrente qui est construite en intégrant, le cas échéant, des images mentales. La construction de la référence mêle alors différentes connaissances stockées en mémoire, informations perçues, objets perçus et de façon générale différentes composantes de la situation originale qui est vécue à un moment donné. En fait, il s’agit de construire le modèle de situation conforme aux informations fournies (Johnson-Layrd, 1983). C’est dire à quel point la référence déictique est le produit d’une élaboration cognitive complexe ! La place des références par rapport aux sens a été analysée par Frege1 (1892). Elle est illustrée à partir de l’exemple, désormais célèbre, de Vénus qui est déclarée être à la fois « L’étoile du soir » et « l’étoile du matin ». Les deux expressions n’ont évidemment pas le même sens, mais renvoient à la même référence « Vénus ». Ici, le référent est désigné par un nom propre. C’est un cas particulier, puisque le référent peut être tout objet réel ou imaginaire, pouvant être représenté en mémoire sous formes verbales, imagées (iconiques, échoïques, etc.) ou abstraites. La distinction entre sens et référence pose la question de l’intégration des références dans les signifiés constitutifs des concepts. Le fait 1. En fait, Frege oppose sens et dénotation considérant que la dénotation est l’objet auquel on fait référence, ce qui autorise à assimiler dénotation à référence.

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que la simple évocation des traits sémantiques qui caractérisent l’objet active sa référence témoigne de la force de la relation entre dénotation et référence. La référence Vénus est activée chaque fois que l’on parle de l’étoile qui est en même temps la première levée et la dernière couchée. La force de la relation entre la référence et l’ensemble constitué par la dénotation et la connotation s’explique aussi par le fait qu’elle est à l’origine de leurs élaborations. Confronté aux objets du monde (objets, agents, actions ou procès, états mentaux, événements et situations réels ou fictifs), le nourrisson construit les représentations mentales que sont les références leur attribuant caractéristiques et propriétés constitutives des différents signifiés. Les références servant de base à la construction du sens, il paraît donc logique de les intégrer aux autres signifiés. Si comme il est suggéré les références sont des images mentales générées par les différents systèmes sensoriels (vision, audition, olfaction, toucher, goût, kinesthésie…), l’existence de répertoires dans lesquels elles seraient stockées semble plausible. Au même titre que les répertoires phonologiques et orthographiques, il est possible d’imaginer l’existence de répertoires imagés dont la validité neurologique sera discutée ultérieurement. La plausibilité de tels répertoires semble d’autant plus probable que nombre de références imagées sont élaborées avant même l’acquisition du langage. Les analyses qui viennent d’être présentées suggèrent que les contenus du lexique mental diffèrent quelque peu des définitions du dictionnaire. Ces différences méritent d’être explicitées.

2.5. Des définitions du dictionnaire aux contenus du lexique mental Les dictionnaires fournissent nombre d’informations qui sont souvent ignorées de la plupart des lecteurs. C’est le cas de l’étymologie et de la date d’apparition du lexème. En revanche, d’autres connues de toute personne ayant été scolarisée sont liées au lexème. La question que l’on est en droit de se poser est de savoir si l’étymologie et la catégorie grammaticale sont associées à chaque lexème lorsqu’elles sont connues. La connaissance de la catégorie grammaticale est nécessaire à l’interprétation de la phrase, au choix des acceptions et donc des signifiés qui doivent être activés. Il est donc probable qu’elle soit stockée et associée systématiquement au lexème. Les définitions du dictionnaire ne reflètent pas toujours les connaissances des individus qui associent à chaque lexème leurs expériences de l’objet du monde (objet, état, situation, événement, réels ou imaginaires). Elles sont généralement dégagées des contextes et en quelque sorte épurées. Le dictionnaire ne fournit que très rarement des références imagées. Deux exemples permettent d’illustrer le propos. Le chien est défini dans le dictionnaire Le Petit Robert (1990) comme un « mammifère domestique (carnivores ; canidés), dont 110

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il existe de nombreuses races élevées pour remplir certaines fonctions auprès de l’homme ». L’on apprend aussi que le cochon est un « animal domestique ; porc élevé pour l’alimentation (le plus souvent châtré, opposé à verrat) ». Ces deux définitions ne comportent aucune description précise de ces animaux. Ils sont censés être suffisamment familiers et connus, chacun ayant en mémoire une référence imagée de ces deux animaux. C’est d’ailleurs ce que tend à montrer les définitions produites par les enfants de CM2 pour qui, selon Ehrlich et coll. (1978), le cochon est un animal de la ferme, mammifère, est rose et a la queue en tire-bouchon, est tué, que l’on mange ses pattes et qu’il est sale. Si ces productions correspondent aux définitions stockées en mémoire et donc au concept stocké dans le lexique mental, force est de constater qu’elles sont nettement plus descriptives et plus complètes que celles du dictionnaire. Le lexique mental est riche de connotations, de références, d’images, de connaissances diverses et de souvenirs variés liés à l’expérience de chacun. Cette variété des informations stockées en mémoire a pour corollaire une réelle instabilité. Au-delà d’un noyau stable, les connaissances évoluent en fonction des expériences, des connaissances et de l’âge. Les définitions mentales se transforment, s’enrichissent, et avec le vieillissement vont subir des déformations, des dégradations dues à l’oubli. Le caractère évolutif des définitions est bien marqué dans les productions des écoliers qui sont reportées par Ehrlich et coll. (1978), qui notent que les plus jeunes enfants définissent les objets par leurs fonctions : le râteau « c’est pour ramasser les feuilles », plus tard, ils associent un lieu « on le range dans le jardin » puis les élèves de CM2 catégorisent l’objet « c’est un outil de jardin » (Ehrlich et coll. 1978, p. 147). On se rapproche de la définition des auteurs du dictionnaire Le Robert (1995) pour qui le râteau est un « instrument agricole ou de jardinage, traverse muni de dents séparées et ajustées en son milieu à un long manche qui sert à ramasser les feuilles, des herbes, des brindilles sans ôter la terre, à égaliser la surface du sol, etc. ». Par rapport aux définitions du chien et du cochon, celle du râteau est plus descriptive et précise. À croire que les deux premiers étaient plus difficiles à décrire. Les modifications des définitions en fonction de l’âge sont évidement liées à l’évolution des connaissances. Comme l’indique Vygotski (1997) « Les mots de l’enfant coïncident avec ceux de l’adulte dans leurs références concrètes, c’est-à-dire qu’ils indiquent les mêmes objets, qu’ils se réfèrent au même cercle de phénomènes, mais qu’ils ne coïncident pas dans leurs significations ». Cette citation de Vygotsky situe la référence au cœur de la construction du sens. Ces différents exemples illustrent la variété des définitions et le décalage entre les productions des lexicologues et celles des enfants et des adultes même si les écarts sont réduits par l’acquisition des connaissances. Pour décrire les éléments constitutifs de ces trois types de signifiés que sont la dénotation, la connotation et la référence, certains linguistes ont fait appel aux théories componentielles qui décomposent le sens en traits sémantiques (Potier, 1963 ; Lakoff, 1987 ; Rastier, 1991 ; Antoine, 1994 ; Goddard, 1998, 111

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2001, 2002 ; Wierzbicka, 1972, 2002). Nombre de chercheurs en psychologie ont repris cette approche dans leurs descriptions de la mémoire sémantique (Katz et Fodor, 1963 ; Cree & McRae, 2003 ; Cree, McNorgan & McRae, 2006 ; O’Connor, Cree & McRae, 2009).

3. Signifiés et traits sémantiques La décomposition des concepts en traits sémantiques élémentaires est l’objectif de l’analyse structurale ou componentielle du sens. La définition des traits sémantiques et la description de leurs modalités d’élaborations est suivie de l’analyse de leurs applications aux signifiés constitutifs des concepts.

3.1. La notion de traits sémantiques L’approche componentielle repose sur l’idée que le sens d’un mot est donné par un ensemble de traits sémantiques élémentaires ou primitives ou sèmes. « On appelle trait sémantique l’unité sémantique minimale non susceptible de réalisation indépendante. Ainsi, le trait sémantique [+ humain] est une unité sémantique minimale spécifiant des mots comme garçon, vendeur, architecte, etc. Chaque mot apparaît donc comme un ensemble de traits. » (Dubois et coll. 1999, p. 487). Trois catégories de traits sont distinguées : −− les catégories ou traits généraux (être vivants, animaux, meubles, sièges…) ; −− les traits spécifiques qui caractérisent l’objet (lenteur pour la tortue) ; −− les traits différentiels qui permettent de différencier une instance des membres de la catégorie : la couleur jaune permet distinguer le canari des autres oiseaux de la même famille. Chacun des traits est nommé sème, l’ensemble des traits associés à un mot est le sémème. Le sème commun à l’ensemble des mots de la classe est un trait générique (siège, pour s’asseoir). Les sèmes génériques constituent le classème, les spécifiques le sémantème. Dans les modélisations, les traits différentiels sont activés plus rapidement et/ou plus fortement que les traits partagés. Ils ont un statut privilégié dans l’organisation de la mémoire sémantique (Cree & McRae, 2003 ; Cree, McNorgan & McRae, 2006 ; O’Connor, Cree & McRae, 2009). L’objectif de l’analyse structurale est de générer tous les concepts avec un ensemble de traits et de règles de composition. Elle repose sur trois propositions (Lakoff, 1987) : −− chaque concept est soit une primitive, soit construit à partir de primitives par l’application de règles de composition sémantique ; 112

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−− toute structure conceptuelle interne est le produit des règles de composition sémantique ; −− les concepts n’ayant pas de structure interne sont directement significatifs. L’analyse componentielle du sens peut prendre deux formes (Rastier, 1991 ; Antoine, 1994) : −− l’approche référentielle, qui analyse le sémème1 en faisant référence aux objets du monde. Le sens est donné par la composition de traits sémantiques intrinsèques. Il s’agit d’établir la liste des primitives qui se combinent pour représenter le sens. Ainsi, on représente le concept « tomate » par/végétal/+/rond/+/rouge/ ; −− l’approche différentielle, qui décrit le sémème avec la liste des traits qui le différencie des autres éléments de la même classe. Cette approche donne lieu à des réalisations type graphe conceptuel de Sowa (2000), où chaque concept est défini par les relations qu’il a avec les autres. Les modalités d’élaboration des concepts varient selon chacune de ces approches.

3.2. L’approche référentielle Dans l’approche référentielle, les traits sémantiques sont des universaux qui pour certains auteurs sont communs à toutes les langues. L’hypothèse d’universaux formulée par Katz et Fodor (1963) a été reprise aussi bien par des linguistes (Goddard, 1998, 2001, 2002 ; Wierzbicka, 1972, 2002), que par des psychologues (Schank, 1975 ; Sowa 1984 ; Waltz et Pollack, 1985). Elle a séduit les psychologues convaincus que certains signifiés sont des composantes cognitives indépendantes du langage2. C’est ainsi que Schank3 (1975) décrit quatre catégories de concepts : les objets, les actions, les attributs d’objets et les attributs d’actions ; deux contextes  : les lieux et les temps ; un ensemble de modalités  : passé, futur, conditionnel, négation, interrogation, continuité, début de transition, fin de transition, non précisé ainsi que des relations causales. De plus, il introduit des valeurs numériques représentant des états sur un axe allant de – 10 à + 10. La mort pouvant être affectée de la note – 10, tandis que la bonne santé sera représentée par la valeur + 10. Les verbes sont décrits par Schank (1975) à partir de onze actes primitifs regroupés en quatre classes : −− les actions physiques : appliquer une force à un objet, déplacer son corps, saisir, ingérer, expulser ; 1. Dans l’analyse componentielle le sémème est l’unité correspondant au lexème. 2. Les contenus des pages 101 à 104 sont reprises de l’ouvrage Jean-Pierre Rossi Psychologie de la compréhension du langage, publié en 2008 chez De Boeck (Bruxelles). 3. On trouvera dans Baudet et Denhière (1991) une description de ces différentes catégories.

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−− les changements  : changement de localisation, changement de relations… ; −− les actions instrumentales : produire un son… ; −− les actions mentales : créer, imaginer… Ces actions primitives sont complétées par d’autres primitives telles que : producteurs d’images, états primitifs (santé, colère, émotions…) ou rôles conceptuels (acteurs, instruments, bénéficiaires, directions). À chaque verbe est ainsi associée une action primitive qui porte sur un objet. L’action est effectuée par un acteur et le cas échéant profitera à un bénéficiaire. Les rôles conceptuels (acteur, objet, bénéficiaire, direction, état et instrument) sont reliés par des flèches. Pour les psychologues, la recherche d’universaux est d’autant plus séduisante qu’elle valorise le rôle du système cognitif lui redonnant une place privilégiée dans la gestion des modes d’expressions que sont les langues. Pourtant la difficulté à trouver un accord sur une liste finie d’universaux a marqué l’échec de cette tentative. Schank (1975) est parti d’une première liste de 11 primitives, Spark-Jones et Boguraev (1987) en dénombrent 27, Jakendoff (1990) propose 8 catégories ontologiques (chose, état, action, place, chemin, propriété, quantité…), tandis qu’Anna Wierzbicka, qui s’est spécialisée dans leur étude, en énumérait 14 en 1972, mais ce nombre atteignait 61 en 2007. De fait, aucun auteur n’a décrit une base de primitives qui couvre l’ensemble des concepts (Cavazza, 1996). S’il existe autant de divergences, c’est bien qu’il n’est pas possible de trouver un accord sur les bases théoriques et empiriques susceptibles de structurer une telle recherche. On est en droit de s’interroger sur la possibilité d’un projet tendant à réduire le sens à un nombre limité de traits sémantiques. Compte tenu des compétences linguistiques des locuteurs, est-il raisonnable de limiter le nombre de traits sémantiques ou faut-il distinguer les primitives qui permettent de décrire les catégories ontologiques et dont le nombre pourrait être limité, des traits sémantiques qui sont spécifiques des connaissances développées par une société particulière  ? Telles sont les questions auxquelles aucune réponse n’a été apportée. La difficulté à dresser une liste exhaustive des universaux comme traits sémantiques, l’absence de règles de décomposition et le fait que les traits soient des unités indécomposables sont des critiques qui perdent de leur pertinence dans le cadre de l’approche différentielle, pour laquelle les traits sémantiques sont dégagés par comparaison entre différentes instances.

3.3. L’approche différentielle L’approche différentielle consiste à lister les catégories puis à spécifier les propriétés qui caractérisent une instance particulière. Le sémème est donc composé d’un classème (traits génériques) et d’un sémantème (ensemble de traits 114

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spécifiques) : sémème = classème + sémantème. La démarche peut être illustrée à partir de l’exemple des sièges emprunté à Pottier (1963). Le concept associé à la chaise est composé du classème : « pour s’asseoir » et des sémantèmes qui permettent de le différencier des autres sièges à savoir, elle est rigide, a des pieds, un dossier contrairement au pouf qui n’est pas rigide et n’a ni pied, ni dossier (tableau 1). Le trait n’est donc pas une primitive abstraite, mais une catégorie de base, définie (Edelman, 1997) par une image prototypale ou point de référence dans un espace de représentation proximale, (par opposition à l’espace distal des objets). Ainsi, comme l’indique Cavazza (1996), le critère de minimalité est remplacé par un critère de cohérence interne qui est basé sur l’existence de régularité. Cette approche présente l’intérêt d’être pragmatique. Chaque individu élabore des traits qui sont dépendants de ses connaissances et donc de son histoire, des contraintes perceptives et fonctionnelles (l’objet de la tâche). Les contraintes liées à la tâche (contraintes fonctionnelles) interviennent très tôt dans la perception. Il existe donc un va-et-vient entre perception et fonction : la perception détermine la fonction, la fonction modifie la perception. Tableau 1. Description des sémèmes correspondants aux sièges selon Pottier (1963) Pour s’asseoir

Matériau rigide

Pour une personne

Sur pied(s)

Avec dossier1

Avec bras

Chaise

+

+

+

+

+



Fauteuil

+

+

+

+

+

+

Tabouret

+

+

+

+





Canapé

+

+



+

+

0

Pouf

+



+







Banc

+

+



+





La représentation est déterminée par la nature et l’expérience de l’organisme pensant. Les concepts du niveau de base sont structurés par des schémas mentaux que Lakoff (1987) appelle kinesthésique, c’est-à-dire de schémas en relation directe avec l’expérience corporelle (comme les idées de conteneur, centre/périphérie, haut/bas, devant/derrière…). L’abstraction est réalisée par la métaphore (du physique vers l’abstrait), la projection sur les niveaux superordonnés, la répétition. Par simple application de la loi de Hebb, la répétition aboutit à dégager les invariants et à élaborer des schémas.

1. Observons que nombre de bancs ont un dossier.

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Cette décomposition n’est pas limitée aux noms communs, mais généralisée à l’ensemble des lexèmes. Pour les verbes, par exemple, le champ lexical peut être constitué des synonymes. Le Ny (2005) donne l’exemple des mots qui expriment la fatigue  : «  fatigué, las, fourbu, éreinté, épuisé, harassé, claqué, crevé, lessivé, flapi, vanné, recru…  » Tous ces mots ont pour classème «  la fatigue », mais peuvent être distingués à partir de traits qui font que, selon les circonstances, un terme sera préféré à un autre. Cet exemple illustre aussi le fait que certains traits peuvent être de type connotatif. Le caviar est connoté fête, richesse ou snobisme selon les personnes. Comme la dénotation, la connotation peut être exprimée par des traits sémantiques. Plusieurs critiques méritent d’être relevées. La première consiste à souligner que les contenus des sémantèmes varient en fonction du nombre d’objets appartenant à la catégorie. Dans l’exemple des sièges, l’introduction du fauteuil aboutit à ajouter avec bras, car ce trait permet de le distinguer de la chaise (tableau 1). L’ajout de tout objet nouveau et de toutes nouvelles connaissances les concernant modifient la liste des traits spécifiques et, même parfois, le classème. La seconde difficulté est liée au fait que le concept dépend directement de la catégorie dans laquelle est classé l’objet. Comme les sémantèmes permettent de différencier les objets appartenant à la même catégorie, son choix détermine la liste des traits différentiels. Cela implique que chaque objet ne puisse être classé que dans une seule catégorie. Les seules catégories pertinentes étant celles qui spécifient la fonction ou intègrent l’objet du monde dans sa famille. Une telle perspective implique généralement l’organisation d’un arbre taxonomique et donc le choix du niveau pertinent au sein de cet arbre. Ajoutons enfin qu’on ne saurait réduire les concepts à des composantes dénotatives, les traits connotatifs ne peuvent être négligés. Avant de savoir que le terme caviar désigne des œufs d’esturgeons, ce produit a été connoté « signe de richesse, fête... ». C’est pourquoi, pour inventorier les traits sémantiques constitutifs des concepts, les psychologues ont adopté une approche pragmatique consistant à demander à des adultes d’expliciter les caractéristiques des lexèmes qui leur étaient présentés. L’analyse de ces tables est particulièrement instructive.

3.4. Les tables de traits sémantiques élaborées par les adultes La description de ces tables sera suivie de leurs analyses critiques.

3.4.1. Présentation des tables de traits sémantiques La construction de ces tables est simple, il est demandé à un échantillon de personnes de produire les traits associés à des noms désignant des objets, des êtres vivants (Rosch & Mervis, 1975 ; Ashcraft, 1978 ; McRae, Cree, Seidenberg, 116

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McNorgan, 2005 ; Moos, Tyler & Delvin, 2002 ; Vinson, Vigliocco, Cappa & Siri, 2003 ; Vinson & Vigliocco, 2008) et des verbes (Vinson, Vigliocco, Cappa & Siri, 2003 ; Vinson & Vigliocco, 2008). Parmi ces tables, celles élaborées par Vinson & Vigliocco (2008) présentent l’intérêt de porter aussi bien sur les noms communs que sur les verbes. Les participants sont encouragés à produire une liste de traits en suivant le modèle d’un nom commun et d’un verbe. Le nom commun est chien, il est décrit comme  : «  un animal de compagnie, ayant des poils, aboyant, ayant quatre pattes, étant sympathique, ayant une queue… ». Le verbe proposé est écrire, défini comme « verbe d’action, moyen de communication, nécessite du papier, un stylo, un crayon, utilise des mots, des expressions, utilise la main, action humaine ». Les productions sont classées en cinq catégories : caractéristiques visuelles (22,2  %), autres caractéristiques perceptives (19,7  %), caractéristiques fonctionnelles (sert à quoi, propos ou but de l’action  : 26,5  %), caractéristiques motrices (comment l’objet est utilisé ou comment il se déplace : 12 %), et autres (37,6  %). À l’exception des traits encyclopédiques, on retrouve les mêmes caractéristiques que dans les tables de McRae et coll. (2005). Un tel accord mérite d’être souligné. Néanmoins, force est de constater que les traits produits sont dénotatifs et que la composante connotative est négligée, alors qu’elle peut être décrite en termes de traits et qu’elle est centrale au cours de l’acquisition du langage.

3.4.2. Analyse critique des tables de traits sémantiques La validité de ces tables dans la description des concepts pose deux questions : (1) ces tables décrivent-elles l’ensemble des traits sémantiques constitutifs des concepts ? (2) Les mêmes catégories de traits sémantiques peuvent-elles décrire les concepts associés aux verbes et aux noms communs ? La réponse à la première question est non, les tables ne sont pas exhaustives. Comme déjà indiqué, les composantes connotatives sont négligées alors même qu’elles sont centrales dans de nombreux concepts (Kerbrat-Orecchioni, 1999). Cette remarque est d’autant plus importante que, comme il a déjà été rappelé, la connotation est souvent acquise avant la dénotation (Barthes, 1964) et même parfois construite à partir d’elle. En fait, les traits produits correspondent aux caractéristiques qui sont spécifiées dans les consignes. Les exemples qui y sont décrits déterminent les productions. D’autre part, ces tables ne listent que des traits inhérents, oubliant l’existence des traits contextuels. En effet, Chomsky (1971) distingue les traits inhérents qui sont indépendants du contexte des traits contextuels qui sont déterminés par lui. Les traits contextuels ne seraient pas activés par la présentation du lexème isolé qui amorcerait uniquement le ou les principaux traits inhérents. Il est logique que le contexte amène à valoriser non seulement certains traits par rapport à d’autres, mais aussi à en faire 117

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émerger d’autres. Se basant sur cette opposition, Mortureux (2011) souligne que la construction des verbes est dépendante de la nature de l’agent et du complément. Elle donne l’exemple du verbe comprendre, dont le sens dépend de la nature du sujet : lorsque le sujet est humain, comprendre signifie « appréhender par la connaissance », alors que lorsqu’il s’agit d’un objet, comprendre signifie « embrasser dans un ensemble ». Une telle analyse aboutit à valoriser le rôle de la syntaxe dans l’analyse sémantique. Attitude cohérente chez les partisans de la grammaire générative. La seconde question interroge sur l’unité des structures conceptuelles  : peut-on décrire avec les mêmes catégories de traits sémantiques les concepts associés aux prédicats et aux arguments  ? Les données indiquent que l’on retrouve les mêmes catégories de traits dans les tables de McRae & al. (2005) et dans celles de Vinson et Vigliocco (2008) qui concernent aussi bien les verbes que les noms d’objets. Un tel constat amène à s’interroger sur la possibilité d’intégrer dans un réseau unique l’ensemble des concepts, quelles que soient leurs catégories grammaticales. Les données neuro-anatomiques permettent de répondre à cette question qui a été sujet à controverses. En s’appuyant sur une revue de question de Vigliocco et al. (2010), on montrera à la fin de ce chapitre que les connaissances portant sur les objets sont stockées dans le cortex inféro-temporal, alors que celles concernant les connaissances des actions le sont dans le cortex fronto-pariétal. Quel que soit l’intérêt que l’on porte aux approches componentielles, on ne saurait négliger les critiques dont elles sont l’objet.

3.5. Critiques de l’approche componentielle Les critiques formulées à l’encontre des analyses componentielles peuvent être résumées en six points : (i) puisqu’il n’existe pas de définition claire et non ambiguë des concepts, il est inutile d’en rechercher leur structure interne (Jackendoff, 1990) ; (ii) si les concepts possédaient une structure interne, les plus complexes devraient entraîner un temps de traitement plus long ; or, il n’existe aucune évidence expérimentale sur ce point (Jackendoff, 1990) ; (iii) lorsqu’on décompose un mot (par exemple, tuer décomposé en causer la mort), on remarque que la transformation n’est pas réversible : causer la mort n’est pas seulement tuer, c’est aussi assassiner, abattre, achever, descendre (Pinker, 1994). Assassiner devrait plutôt se décomposer en cause la mort + intention politique (Pinker, 1994). Chaque mot semble donc, en plus de sa signification objective, être accompagné d’une signification subjective, d’un savoir pragmatique, d’un « savoir du monde » ; (iv) il n’existe pas de règle de choix de la décomposition (Pinker, 1994) ; 118

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(v) il n’existe aucune règle d’arrêt de la décomposition, ce qui fait qu’on peut décrire chaise en quatre ou dix traits (Pinker, 1994 ; Rastier, 1991) ; (vi) décomposer un concept en traits, c’est décrire un concept par un autre concept. Chacune de ces critiques mérite d’être commentée. La difficulté à définir la notion même de concept a été maintes fois soulignée. Néanmoins, Jakendoff (1990), dans l’ouvrage où il développe cette critique, définit le concept comme « une représentation mentale qui peut servir de signification à une expression linguistique »1. Dès le début du chapitre, il a été proposé de décrire les réseaux conceptuels constitués des signifiés (dénotatifs, connotatifs et référentiels), de l’ensemble des éléments constitutifs du champ lexical ainsi que des associés fréquemment cooccurrents. De plus, la notion de concept a été élargie aux objets du monde : objets, agents, actions ou procès, états mentaux, situations et événements réels ou imaginaires. S’inscrivant dans le cadre de la triade aristotélicienne, l’objection concernant la difficulté à définir les concepts est donc levée. La critique, selon laquelle si les concepts possédaient une structure interne leurs temps de traitement seraient proportionnels à leurs complexités, tombe si l’on fait l’hypothèse que les éléments constitutifs des concepts sont hiérarchisés de sorte que lors de la présentation isolée d’un lexème, ou d’un objet du monde ne sont activés que les traits principaux, généralement le noyau constitué des plus fondamentaux. De même, lors des présentations en contexte ne seraient activés que les éléments nécessaires à l’intégration du concept dans la phrase. Ainsi, dans tous les cas, l’activation serait toujours partielle et ne concernerait jamais l’ensemble des éléments constitutifs du réseau conceptuel. L’existence d’une hiérarchie des traits sémantiques permet aussi de lever l’objection de la réversibilité. Le fait qu’au sein de chaque concept certains traits soient dominants par rapport aux autres rend caduque la question de la réversibilité. La remarque de Pinker (1994) selon laquelle la signification objective de chaque mot doit être accompagnée d’une signification subjective, d’un savoir pragmatique et d’un savoir du monde n’est pas une objection pour le psychologue qui tente de décrire les réseaux conceptuels. Ces derniers ne sont pas limités aux seuls traits dénotatifs, mais comportent des composantes connotatives, référentielles ainsi que des informations pragmatiques, des données ayant trait à la structure prédicative et nombre de connaissances liées aux contextes situationnels et événementiels. Chaque réseau conceptuel est constitué d’unités de différentes natures. Les objections concernant les règles de décompositions (objection  iv) et d’arrêt de la décomposition (objection v) sont réelles, puisque d’une part les 1. « a mental representation that can serve as the meaning of linguistic expression » (Jakendoff, 1900, p. 11).

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structures des définitions varient selon les objets ou les lexèmes et que, d’autre part, comme il a été souligné à maintes reprises, les éléments constitutifs des concepts sont très hétérogènes, certains décrivent des fonctions, d’autres des caractéristiques perceptives, d’autres des catégories... Rappelons que pour le psychologue, la nature et le nombre des signifiés constitutifs de chaque réseau conceptuel varient en fonction du niveau de connaissances. Les objections (iv) et (v) peuvent essentiellement être opposées à l’approche référentielle qui suppose que l’on dispose d’une liste fermée de traits. En revanche, elles ne peuvent être faites à l’approche différentielle puisque, dans ce cas, il existe deux catégories de traits : ceux qui sont communs à la catégorie et ceux qui permettent de différencier une instance par rapport aux autres membres de la catégorie. L’objection selon laquelle l’approche componentielle aboutit à décrire un concept par d’autres concepts doit être prise au sérieux puisque par définition chaque concept est soit une primitive soit construit à partir de primitives (Lakoff, 1987). Faut-il distinguer les primitives qui sont des concepts de celles qui en sont constitutives ? Y a-t-il une différence entre les traits dossier, pied ou bras qui décrivent le fauteuil et les concepts correspondant à chacun de ces lexèmes ? S’il n’y a pas de différence, cela revient à dire que les concepts sont décrits au moyen d’autres concepts. Le système est circulaire. En fait, la différence entre trait et concept n’est pas la même pour l’approche différentielle et pour l’approche référentielle. Dans le cas de l’approche différentielle, les traits sont des propriétés qui permettent de caractériser la catégorie ou de différencier les objets appartenant à la même catégorie. Dans l’exemple de la chaise, le trait sémantique pied permet de caractériser la chaise par rapport au pouf. De même, la catégorie siège permet de caractériser la chaise parmi les meubles. Dans tous les cas, les traits sémantiques sont différentiels. Le trait pied qui fait partie du sémantème des sièges est différent du concept pied défini comme la « partie par laquelle un objet repose sur le sol, touche le sol » (dictionnaire Nouveau Petit Robert, 1995). Le trait pied est une caractéristique de la chaise alors que le concept pied englobe toutes les occurrences pouvant être dénommées par ce lexème (pied des sièges, mais aussi pied de l’éléphant, du chameau, etc.). Ainsi, aussi bien en extension (ensemble des objets désignés par le mot) qu’en compréhension (ensemble des traits définitoires) le concept et le trait sémantique ne sont pas identiques : tous les pieds ne sont pas des pieds de sièges ; le pied des sièges possède des propriétés spécifiques, c’est une occurrence particulière qui permet de caractériser un objet au sein de la catégorie de référence. Ainsi, il est indissociable du concept qu’il décrit. Une nouvelle hypothèse permet de différencier le trait du concept  : elle consiste à considérer que le mot est utilisé pour désigner une entité non verbale et que le trait n’est pas un mot, mais une structure nerveuse, un réseau de neurones qui serait une référence. Ainsi, le trait visuel serait stocké dans le cortex 120

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en tant que tel, c’est-à-dire dans une zone où sont stockées les représentations visuelles. Le cercle vicieux serait alors rompu, les traits étant des représentations non verbales. Il sera ultérieurement montré que les enregistrements de l’activité cérébrale plaident en faveur de cette thèse. La différence entre traits et concepts est d’une autre nature dans l’approche référentielle puisque, dans ce cas, les traits sont des universaux. La question est alors de décrire le contenu de ces universaux. Dans l’exemple précédent, on fait l’hypothèse (plausible) qu’il existe un trait universel correspondant à la « partie par laquelle un objet repose sur le sol ». L’hypothèse d’une représentation non verbale des traits évoquée précédemment s’applique. Elle consiste à supposer que les universaux ne seraient pas verbaux, mais seraient soit abstraits soit dépendants des différents systèmes de représentation. Aussi bien dans l’approche différentielle que dans la référentielle, par définition, le trait sémantique est indécomposable, c’est la plus petite unité. C’est une autre différence alors même que le concept est formé de différents traits. Au-delà des critiques concernant les règles de décomposition, le principe même selon lequel le sens peut être décrit par une énumération de traits sémantiques est contraire à l’approche gestaltiste qui pose comme hypothèse que le tout est plus que la somme des parties. Comme le cercle est autre chose qu’une suite de points se situant à égale distance d’un centre, le sens (stocké en mémoire) n’est-il pas autre chose qu’une suite de traits sémantiques ? À cette objection, il est possible de répondre en soulignant que la décomposition du sens en unités élémentaires présente l’avantage de permettre d’adapter les activations en fonction des contextes. Les traits activés varieraient en fonction des contextes. La componentiabilité est donc une qualité qui permet l’adaptation du sens aux contextes. Si l’on prend en compte l’approche componentielle du sens pour décrire les concepts, il est légitime de s’interroger sur le fait que cette méthode permet bien de décrire les définitions, les dénotations, connotations et références constitutives des concepts.

3.6. Description des définitions, dénotations, connotations et références au moyen de l’approche componentielle Les traits sémantiques permettent-ils d’exprimer les trois types de définitions (définitions linguistiques, métalinguistiques et par inclusions) et donc de rendre compte des composantes dénotatives, connotatives et révérencielles des concepts  ? Les définitions par inclusion comportent, par construction, un classème et un sémantème, c’est-à-dire des traits catégoriels et différentiels. En revanche, pour les deux autres types de définitions, un effort de transposition doit être fait pour les exprimer sous forme de traits sémantiques, même si à chaque fois l’on retrouve l’énoncé de traits généraux complétés par la liste des 121

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traits spécifiques. Le rappel des exemples permet d’illustrer les transpositions qui s’imposent. La notion de chronique a été donnée comme exemple de définition linguistique. Il était dit qu’une chronique est1 : « un recueil de faits historiques, rapportés dans l’ordre de leur succession  » (dictionnaire Le Petit Robert, 1995). La première partie de la définition décrit le classème, c’est-à-dire la catégorie (recueil de faits historiques), tandis que la seconde correspond au sémantème (ordre chronologique). La même structure se retrouve dans la définition métalinguistique : la définition de sous est : « marque la position en bas par rapport à ce qui est en haut  » (Dictionnaire Le Petit Robert, 1995). Comme précédemment, on retrouve la catégorie « marque la position » suivie des traits différenciant des autres positions « bas par rapport à ce qui est en haut ». Il a été indiqué précédemment que les connotations pouvaient être exprimées sous la forme de traits sémantiques. Le trait langue familière fait partie des traits sémantiques décrivant canasson au même titre que luxe est associé à caviar. Certes, dans les normes de traits sémantiques, les connotations sont rares. La très grande majorité, pour ne pas dire la quasi-totalité, des traits répertoriés sont de type dénotatif. Mais il est clair que toutes les connotations peuvent être exprimées sous la forme de traits sémantiques. Les relations entre les références et l’ensemble formé par les dénotations et les connotations ont été bien analysés par Frege (1882). Les traits dénotatifs et connotatifs décrivent des références. À Charlemagne et Napoléon… sont associés des traits dénotatifs. Tous les deux ont été des empereurs, l’un couronné en l’an 800, institua l’enseignement primaire, est représenté avec une barbe fournie... l’autre couronné en 1804, fut un chef de guerre, s’illustrant dans différents champs de bataille…, à qui on doit le Code civil, la banque de France… L’énoncé de ces traits sémantiques permet de les identifier. Le concept même d’empereur a été formé à partir du récit de la vie de ces personnages de sorte que même s’il faut distinguer la référence de la dénotation et de la connotation, il est peu probable que le modèle ayant servi à l’élaboration du concept ne lui reste pas associé. En revanche, comme le rappelle François (1996, p.  26-27)  : «  Si le nombre et la qualité des traits d’une description encyclopédique restent indéfinis et indéfinissables indépendamment d’une pratique déterminée, l’économie descriptive de l’analyse sémique permet précisément de se limiter aux traits sémantiques pertinents, qu’on ne peut confondre avec des traits descriptifs du référent postulé.  » Ajoutons enfin, que nombre de références comportent des caractéristiques imagées, les jeunes Français se représentent Charlemagne comme un vieillard barbu et Napoléon comme un homme petit posant avec la main droite enfilée dans son gilet et portant son couvre-chef typique. Ainsi, l’association entre les références (imagée ou non) et l’ensemble des traits sémantiques est forte. 1. Les exemples illustrant ces différentes définitions sont empruntés à Greg Lessard (1996).

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Si les définitions, les dénotations et connotations peuvent être décrites avec des traits sémantiques et si l’association entre traits sémantiques et références est forte, il reste à établir que les concepts stockés en mémoire sont bien constitués de tels traits et donc à analyser les données susceptibles d’étayer cette hypothèse.

4. Données en faveur des approches componentielles du sens Parmi les données expérimentales en faveur de l’approche componentielle du sens, on accorde une place spéciale à celles qui sont obtenues par la technique d’amorçage sémantique sans pour autant négliger les observations portant sur l’acquisition du langage, l’analyse des distances sémantiques ainsi que les études mettant en œuvre les épreuves de mémorisation et de compréhension.

4.1. Acquisition du langage, distances sémantiques, épreuves de mémorisation et de compréhension du langage Les données provenant d’épreuves autres que les procédures d’amorçages sont regroupées par Jean Caron (1989) en quatre catégories : observations portant sur l’acquisition du langage ; analyse des distances sémantiques ; données obtenues dans les épreuves de mémorisation et enfin enregistrement des temps de compréhension de phrases.

4.1.1. L’acquisition du langage L’acquisition du langage est marquée par le développement (augmentation et approfondissement) des traits sémantiques. L’utilisation du mot va en se spécifiant du plus général au plus précis. Le trait acquis en premier est le plus général, puis, progressivement, des traits plus spécifiques sont ajoutés de sorte que le nombre d’objets dénommés par le même mot va tendre à se restreindre (Caron, 1989). Le développement des connaissances a pour effet aussi bien d’accroître le vocabulaire que de l’enrichir par l’acquisition de nouveaux traits sémantiques. Autre constat intéressant, au début de l’apprentissage, l’enfant confond les termes qui ne se différencient que par un seul trait sémantique. Il en est ainsi, de plus et moins qui pour Clark « ont en commun le trait quantité et ne diffèrent que par la [polarité + ou –] » (Caron, 1989, p. 94).

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4.1.2. L’analyse des distances sémantiques Dans les tâches d’estimation de la proximité sémantique, la classification est faite sur la base du recouvrement des traits sémantiques : les objets sont estimés d’autant plus proches qu’ils possèdent un plus grand nombre de traits sémantiques communs (Miller, 1969 ; cité par Caron, 1989). Cela ressemble à une lapalissade : plus les objets possèdent de caractéristiques communes, plus ils se ressemblent !

4.1.3. Épreuves de mémorisation Comparant le temps nécessaire à apprendre par cœur des phrases, Le Ny et al. (1973) montrent que plus les mots de la phrase comportent de traits sémantiques, plus le temps d’apprentissage est long. Ils observent aussi, au cours du rappel, des effets d’interférences pour les phrases comportant des mots possédant des traits sémantiques communs. Affirmer que l’apprentissage de phrases dépend à la fois de la complexité des concepts qui sont utilisés et du nombre de synonymes qui leur sont associés n’est évidemment pas une preuve de la componentialité des concepts.

4.1.4. La compréhension de phrases Caron (1989) cite les études de Clark (1983) qui montrent que le temps de traitement des phrases est plus long pour les mots comportant un grand nombre de traits sémantiques. Ces données confirment les résultats de Le Ny et al. (1973). Comme précédemment, ce fait n’est en rien convaincant puisque plus un mot comporte de traits, plus son traitement devient complexe et donc long. Ainsi, l’ensemble des arguments présentés par Caron (1989) s’avère peu convaincant dans la mesure où ils peuvent être évoqués à l’appui d’autres approches du sens. En revanche, les études d’amorçage sémantique fournissent des données plus convaincantes.

4.2. Données d’amorçage sémantique L’amorçage sémantique a été l’objet de nombreuses études qui ont permis de décrire les conditions dans lesquelles elle peut être utilisée. On trouvera dans l’ouvrage de Timothy P. McNamara, Semantic priming  : perspectives from memory and word recognition, publié en 2005, une description précise et bien documentée de cette technique. Le respect strict des recommandations de McNamara permet d’obtenir des données valides concernant les traits qui sont activés par la présentation d’un lexème ou d’un texte. La description de la 124

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méthode et la conformité des consignes préconisées sont garantes de la validité d’un amorçage sémantique que l’on souhaite le plus automatique possible.

4.2.1. Description de la méthode Utilisée pour la première fois par Meyer & Schvaneveldt en 1971, cette procédure consiste en la brève présentation d’un stimulus amorce (mot, phrase…), suivie d’un masque, puis de la présentation supraliminaire d’une cible (mot, non-mot) que le sujet doit lire ou catégoriser. La catégorisation consiste en une décision lexicale (« oui » la cible est un mot, « non » la cible n’est pas un mot) ou en une décision portant sur l’hyperonyme telle que « oui » la cible désigne un être vivant, « non » elle ne désigne pas un être vivant. Dans tous les cas, la réponse doit être la plus rapide possible puisque la variable dépendante est le temps qui s’écoule entre le début de la présentation de la cible et le début de la réponse. Pour les réponses « oui-non », le sujet a pour consigne d’appuyer le plus rapidement possible sur le bouton correspondant. La cible est généralement présentée jusqu’à ce que le sujet produise sa réponse, sa durée de présentation n’excède pas 1 500 ms. La séquence des événements est représentée sur le tableau 2. Tableau 2. Séquence des événements décrivant les expériences d’amorçage sémantique Stimuli

Amorce +

Durées

50 ms

Exemple

Pain………

Masque

+ Cible Réponse

150 ms présentée jusqu’à la réponse au plus durant 1 500 ms &&&&&&&&&&&&&&&& beurre…« oui » (c’est un mot)

Il est établi que lorsque l’amorce et la cible sont reliées sémantiquement, la réponse est plus rapide que s’il n’existe aucune relation. Neely (1976, 1977, 1989, 1991, 2001), Neely & Kahan, (2001), Neely & Keefe (1989), Neely & Sloat (1992) ont décrit ce phénomène comme un effet « d’amorçage sémantique » (semantic priming). Cet amorçage se traduit par une accélération des réponses de lecture, de catégorisation ou de décision lexicale (la décision lexicale est une catégorisation). Cette accélération est mise en évidence en comparant les résultats obtenus dans la condition de relation sémantique aux conditions contrôles dans lesquelles soit les deux mots ne sont pas associés soit l’amorce est un nonmot. Dans les situations dites de « non-association » entre les lexèmes, le temps de décision doit être plus long que dans les situations où l’amorce est un nonmot. McNamara (1992) conseille de prendre comme référence la situation dans laquelle l’amorce est un non-mot prononçable, car la présentation d’un tel stimulus active les procédures de traitement des mots. Les non-mots prononçables sont construits en modifiant la place d’une lettre à l’intérieur d’un mot plutôt qu’en changeant une lettre : par exemple, à partir de chapeau, on peut 125

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construire le non-mot chapuea. Les trois conditions ainsi construites sont présentées dans le tableau 3. Tableau 3. Exemple de stimuli utilisés dans les expériences d’amorçages sémantiques Conditions

Expérimentale

Contrôle 1

Contrôle 2

Relations : amorce/cible

Association

Non-association

Amorce non-mot

Exemple de stimuli : amorce/cible

Pingouin/Banquise

Chapeau/Banquise

Chapuea/Banquise

Le but d’un tel protocole étant de tester l’existence d’une connexion stockée en mémoire entre l’amorce et la cible, il est essentiel de s’assurer de l’automaticité des réponses et donc de se mettre dans des conditions où l’activation de la cible ne résulte pas de processus stratégiques contrôlés. Après différentes analyses, il est établi que pour que l’activation soit « la plus automatique possible », il faut que : (i) le temps qui s’écoule entre le début de la présentation de l’amorce et celui de la cible soit égal ou inférieur à 200 ms. Au-delà, le sujet peut mettre en place des stratégies de traitements et de réponses ; (ii) le rapport entre le nombre de réponses exactes «  oui  » et «  non  » soit d’environ 50 %. Par exemple, lorsque la tâche du sujet consiste à procéder à une décision lexicale le nombre de cibles étant des mots doit être égal au nombre de cibles étant des non-mots. Cette règle tend à minimiser les possibilités d’anticipations du type de cibles ; (iii) le nombre de couples présentant une relation sémantique doit être compris entre 15 et 25 %. Cette proportion a pour but d’éviter que les participants croient que les couples sont en majorité sémantiquement proches et donc développent une stratégie adéquate ; (iv) lorsque l’on souhaite comparer différents types de relations entre l’amorce et la cible, l’ordre de présentation des essais correspondants à chaque condition doit être contrebalancé pour le même sujet ou entre sujets, afin d’éviter que ne se développent des stratégies. Les précautions à prendre lors de l’élaboration des contre-balancements ont été rappelées par Balota, Cortese, Sergent-Marshall, Spieler, and Yap (2004), elles concernent essentiellement les relations entre conditions associées et conditions non associées et les précautions à prendre dans la sélection des items (fréquence d’usage, longueur des mots, régularité orthographique, fréquence des bigrammes, concrétude/abstraction…). Pour McNamara (2005), le respect de ces règles réduit au maximum les possibilités d’élaboration de stratégies. Jordens et Becker (1997) ont montré que les tâches de lecture et de décision lexicale peuvent être affectées par la ressemblance orthographique entre 126

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l’amorce et la cible, ils en concluent que seule la décision catégorielle de type « oui, la cible désigne un être vivant » permet d’atteindre, sans artefacts, les phénomènes d’amorçages sémantiques. Comme tous les matériels ne se prêtent pas à une telle décision catégorielle, la plupart des auteurs utilisent les tâches de lecture ou de décision lexicale en étant attentifs, lors de la construction du matériel, aussi bien aux ressemblances orthographiques qu’aux associations verbale (chapeau-melon). Ces précautions étant prises, de nombreuses recherches (McRae et Boivert, 1998 ; Moss Ostrin, Tyler & Marslen-Wilson, 1995 ; Shelton & Martin, 1992) ont établi sans équivoque qu’en mettant en œuvre cette méthode avec la tâche de décision lexicale, il est possible d’explorer le contenu du réseau sémantique. Les données obtenues dans le respect strict des préconisations énoncées par McNamara en 2005 peuvent être résumées.

4.2.2. Résumé des données d’amorçage sémantique Ne sont présentées que les données concernant les amorçages sémantiques déclenchés par la présentation d’un lexème isolé. Il est actuellement possible d’affirmer que sont généralement amorcés : −− la catégorie de l’amorce : la présentation de chien amorce animal (Shelton et Martin, 1992 ; Perea et Rosa, 2002 ; Williams, 1995 ; Rossi, 2008) ; −− les principales caractéristiques perceptives de l’amorce : la présentation de canari amorce jaune (Flores d’Arcais, Schreuder & Glazenborg, 1985 ; Lucas, 2001 ; Pecher & Raaijmakers, 1999 ; Pecher, Zeelenberg & Raaijmakers, 1998 ; Rossi, 2008 ; Schreuder, Flores d’Arcais & Glazenborg, 1984) ; −− les principales caractéristiques psychologiques ou comportementales de l’amorce : la présentation de tortue amorce lent ; celle de renard amorce rusé (Rossi, 2008) ; −− les principales fonctions de l’amorce : la présentation d’aliment amorce nourri (Moss, Ostrin, Tyler & Marslen-Wilson, 1995) ; −− les relations tout/partie : la présentation de main amorce doigts (Moss, Ostrin, Tyler & Marslen-Wilson, 1995) ; −− les lieux et les temps caractéristiques : la présentation de pingouin amorce banquise ; celle de dîner amorce soir (Rossi, 2008). Les amorçages qui viennent d’être énumérés ont été établis dans les tâches de décisions lexicales (Meyer and Schvaneveldt, 1971 ; Flores d’Arcais et al., 1985 ; Pecher et al., 1998 ; Schreuder et al., 1984) ou dans les situations dans lesquelles la cible doit être lue (Schreuder et al., 1984 ; Pecher et al., 1998). Il faut souligner que, à l’exception de la catégorie, seuls les traits les plus caractéristiques sont amorcés. Ainsi le lexème dîner amorce soir et pingouin amorce banquise, mais dans cet exemple, la catégorie oiseau n’est pas amorcée, car le 127

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pingouin est peu représentatif des volatils. Ainsi, seuls les traits sémantiques qui caractérisent le plus typiquement l’amorce sont activés. Ils constituent le noyau de base de tout concept. Ces données montrent que les traits sémantiques sont au cœur des concepts, mais avant même de traiter des autres éléments constitutifs des réseaux conceptuels, il faut se demander dans quelle mesure l’analyse componentielle appliquée aux lexèmes peut être généralisée aux objets du monde.

5. Analyse componentielle et signifiés des objets du monde Affirmer que les représentations des objets du monde (objets, agents, actions ou procès, états mentaux, événements ou situations réelles ou imaginaires) stockés en mémoire sont porteurs de sens est une évidence. La construction des sens et des significations débutent avant l’acquisition du langage. L’observation des nourrissons montre que leurs capacités de compréhension sont bien supérieures à leurs capacités langagières. Ils comprennent les situations, identifient les objets du monde, connaissent leurs caractéristiques et propriétés bien avant de pouvoir les dénommer. Les réactions de l’enfant à la vue du biberon montrent non seulement qu’il reconnaît cet objet et donc qu’il en a stocké en mémoire une représentation imagée, mais aussi qu’il connaît nombre de ses caractéristiques et propriétés, il sait que cet objet est source de satisfaction, de plaisir et sans doute même qu’il permet de calmer ses crampes d’estomac. Il associe donc à cet objet une représentation mentale de l’objet, de la situation et de ses protagonistes, mais aussi des effets qu’il produit (cet objet me donne un plaisir, calme une tension…) et donc de ses fonctions. Ainsi, attribuer à un objet des propriétés et connaître ses caractéristiques peut être assimilé à une dénotation non verbale. Ce qui est vrai des dénotations l’est aussi des connotations puisque pour nombre d’objets, le nourrisson manifeste plaisirs ou rejets qui peuvent être assimilés à autant de connotations parfois accompagnées de vocalisations (pleurs, cris…) ou d’expressions de la joie et du plaisir. Les représentations stockées en mémoire peuvent aussi comporter des références souvent sous forme d’images mentales : iconiques, échoïques, odorantes, gustatives, sensitives… Ainsi, bien avant l’acquisition du langage, le nourrisson associe aux objets du monde réels ou fictifs des signifiés de types dénotatifs, connotatifs et référentiels. Chaque objet du monde étant généralement intégré dans une situation ou un événement, on peut faire l’hypothèse qu’il est ainsi associé aux autres constituants des situations. Peut-on pour autant faire l’hypothèse que les objets représentés en mémoire sont associés aux mêmes traits sémantiques que les lexèmes ? Peu de recherches 128

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ont traité cette question. Les seules données expérimentales dont on dispose sont les résultats d’une recherche de Cornuejols et Rossi (2000) montrant qu’aux mots et aux images sont associés des lexèmes différents. Ainsi, le principal associé du lexème « zèbre » est « rayure », tandis que l’image de cet animal est associée à « savane ». L’hypothèse de deux réseaux associatifs, l’un pour les lexèmes et l’autre pour les objets pourrait expliquer ce résultat. Néanmoins, cette solution ne semble pas économique, il paraît plus rationnel de faire l’hypothèse de l’existence d’un seul réseau sémantique, mais d’une activation différenciée des traits sémantiques. Au lexème et à l’objet seraient associés les mêmes traits sémantiques, mais la lecture du lexème activerait de façon privilégiée certains tandis que la vue de l’objet en activerait d’autres. Lors de la présentation de l’objet, les traits et caractéristiques directement visibles ne seraient pas dénommés puisque présents sur l’objet, tandis que le contexte dans lequel l’objet est habituellement rencontré serait dénommé (ici : « savane »). En revanche, lors de la lecture du lexème la réponse serait l’associé verbal le plus fréquent. Dans l’exemple précédent, la fréquence des associations verbales entre « zèbre » et « rayure » justifierait que la présentation du premier mot active le second. Alors que lors de la présentation de l’image, le contexte dans lequel l’objet est rencontré serait donné de façon majoritaire. La relation entre la perception d’un objet et son mode d’utilisation, qui constitue un trait sémantique, est attestée par les enregistrements neurophysiologiques. Ainsi, Tucker & Ellis (2001) ont montré que la simple vision d’une tasse dont l’anse est située à droite déclenche dans les cortex pré-moteur et moteur une activité dans les zones correspondantes à cette main, alors que si l’anse est située à gauche la zone d’activité correspond au lieu de projection de la main gauche. S’il apparaît clairement que le lexème, l’objet ou son image activent des traits et plus généralement des composantes différentes, on ne saurait pour autant négliger qu’une partie de la structure sémantique se construit avant l’apprentissage du langage autour de ce que l’on a nommé les objets du monde. L’étude de la genèse des traits sémantiques témoigne de l’importance de cette activité pré-langagière.

6. Genèse et nature des traits sémantiques associés aux lexèmes et aux objets du monde Les modalités d’élaboration des traits sémantiques stockés en mémoire à long terme sont évidemment essentielles à la compréhension du contenu et de l’organisation du lexique mental, c’est pourquoi l’analyse des différents types de traits sémantiques est suivie de la description de la formation des premières catégories conceptuelles, de la discussion sur leurs natures (amodale vs modale) 129

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et d’une présentation hypothétique des traitements neuronaux aboutissant à l’identification et à la reconnaissance des objets du monde et des lexèmes. La description des traits sémantiques témoigne de leurs diversités.

6.1. Les différents traits sémantiques Les traits sémantiques peuvent être classés de différentes manières. Dans l’étude de la mémoire sémantique, seule la catégorisation permettant de les différencier en fonction de leurs contenus intéresse. Dans ce cadre, cinq classes sont identifiées : (i) les traits génériques et ensembles de catégories : attributs généraux (êtres vivants, animaux, meubles, sièges…), procès ou actions (je marche), fonctions (le marteau sert à clouer, la scie à couper…), états (tristesse est un état affectif…) ; (ii) les traits différentiels perceptifs permettant de caractériser une instance par rapport aux autres membres de la catégorie (la couleur jaune permet distinguer le canari des autres oiseaux de la même famille) ; (iii) les parties caractéristiques des objets : la trompe de l’éléphant, la branchie du poisson… ; (iv) les traits décrivant une qualité non strictement sensorielle (la tortue est lente, la résine est collante…). Nombre d’entre eux sont des connotations (le caviar est signe de luxe et de richesse) ; (v) les traits qui expriment une cause ou une conséquence : le serpent fait peur, la peur déclenche la sueur… Les catégories tiennent une place particulière car elles sont présentes dans la très grande majorité des définitions, mais aussi car tout concept peut être considéré comme une catégorie puisqu’il s’applique à un ensemble d’objets ou de référents. Les catégories conceptuelles seront traitées spécifiquement dans les pages suivantes, mais, comme rappelé précédemment, les procès ou actions, les fonctions et les états sont autant de catégories qui, compte tenu de leurs singularités, doivent être traités de façon spécifique. Ainsi, « On dit d’un verbe qu’il indique un procès quand il exprime une “action” réalisée par le sujet de la phrase (Pierre court, Pierre lit un livre, Pierre mange, etc.), que le verbe soit transitif ou intransitif, par rapport aux verbes qui indiquent un “état”, comme les intransitifs être, ressembler, paraitre, etc., ou les transitifs qui indiquent le résultat d’un procès comme savoir.  » (Dubois et  al., 1999). Cette catégorie rassemble tous les verbes d’action. Les programmes de ces actions sont stockés dans le cortex moteur qui gère leurs réalisations. La fonction est aussi une action, mais elle correspond au « rôle caractéristique d’un élément, d’un organe dans un ensemble » (Le Robert, 1970, p. 723). La fonction principale du marteau est de permettre d’enfoncer des clous, celle du stylo d’écrire… Par opposition, l’état désigne «  une manière d’être (d’une personne ou d’une chose) 130

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considéré dans ce qu’elle a de durable… manière d’être (physique, intellectuelle ou morale) d’une personne » (Le Robert, 1970, p. 628), on peut aussi ajouter « ou d’un animal ». Le sommeil, la veille, la tristesse ou la gaité sont autant d’états. Dans les définitions, l’énoncé de la catégorie d’appartenance de l’objet et l’énumération des caractéristiques permettent de les différencier : le pigeon est un « oiseau au bec grêle, aux ailes courtes, au plumage varié… » (Le Robert, 1970, p. 1303). Le bec grêle, les ailes courtes et le plumage varié sont autant de caractéristiques qui permettent de différencier le pigeon des autres oiseaux. Ces caractéristiques peuvent être aussi des parties d’un tout. Comme indiqué précédemment, la trompe est associée prioritairement à l’éléphant, la carcasse à la tortue… La caractéristique peut aussi porter sur une qualité la tortue est lente, le lièvre rapide, l’éléphant aussi maladroit que lourd. Enfin, l’objet du monde peut être caractérisé par la conséquence qui lui est associée : les reptiles font peur ou dégoutent, l’obscurité est source d’angoisse… De telles conséquences sont souvent de natures connotatives. Les connotations peuvent aussi être exprimées comme chacune des autres caractéristiques. La description qui vient d’être faite amène à différencier les traits sémantiques d’origine perceptive (liés à la vision, l’audition, l’olfaction…) de ceux qui résultent d’élaborations généralement d’inférences. La couleur du canari est un trait que l’on peut qualifier de perceptif, de même que la trompe de l’éléphant est bien une caractéristique perceptive. En revanche, la lenteur de la tortue et les connotations caractérisant le caviar peuvent être considérés comme inférés. Ainsi, les traits décrivant les parties caractéristiques des objets et la plupart des traits qui permettent de différencier les instances appartenant à la même catégorie sont perceptifs, tandis que les catégories, les traits exprimant une qualité non sensorielle et ceux qui décrivent une conséquence sont généralement inférés. Les catégories constituent une classe de traits sémantiques qui, de prime abord, peuvent être considérés comme abstraits. Quels sont les différentes catégories et comment sont-elles élaborées ? Telles sont les questions qui sont posées.

6.2. Les catégories La présentation des différentes catégories est suivie de la description de leurs genèses.

6.2.1. La notion de catégorie « La catégorisation est la conduite adaptative fondamentale par laquelle nous “découpons” le réel physique et social. Sa fonction cognitive est la création de catégories (d’objets, d’individus, etc.) nécessaires à la transition du continu au 131

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discret. La conception classique de la catégorisation, dite “aristotélicienne”, suppose l’équivalence logique des éléments d’une même catégorie, dans le sens où ces éléments partagent tous l’ensemble des traits nécessaires et suffisants qui définissent la catégorie » (Dubois, 1999, p. 66-67). Classer, ordonner, regrouper est au cœur de la démarche scientifique. En sciences, le terme catégorie désigne : « un groupe issu d’une classification… En linguistique, une catégorie désigne un groupe de mots ayant un caractère grammatical commun… » (Encyclopédie Wikipédia, janvier 2008). Catégoriser, c’est constituer des classes d’équivalences, c’est regrouper des exemplaires estimés équivalents, c’est créer des classes homogènes sous certains critères. À l’intérieur d’une catégorie, les exemplaires sont considérés comme équivalents, substituables. Cette propriété implique que les différences portant sur des critères autres que ceux ayant présidé à la catégorisation sont ignorées. Toutes les pommes sont considérées comme équivalentes alors même qu’elles peuvent être de couleurs, de tailles, de maturités et de goûts différents. Catégoriser suppose que l’on soit capable d’extraire les traits communs tout en négligeant certaines différences. Catégoriser constitue une des fonctions cognitives fondamentales qui est transformée par le développement du langage. Néanmoins, il faut rappeler que nombre de comportements de l’animal témoignent de leurs capacités à classer : classification des autres en partenaires ou adversaires, des produits en comestibles ou non… Bref, la catégorisation semble être une activité commune à une partie des espèces animales. Il n’est donc pas étonnant que le nouveau-né catégorise dès les premiers mois de la vie. Dès l’Antiquité grecque, les philosophes remarquant la variété des types de catégorisation ont précisé les catégories ontologiques, c’est-à-dire communes à l’ensemble des humains. Aristote, dans ses Topiques, décrit les dix catégories de l’être dans lesquelles toutes les idées sont censées rentrer : la substance, la quantité, la qualité, la relation, le lieu, le temps, la situation, avoir, agir, pâtir. Plus tard, Kant regroupe l’ensemble en quatre classes : quantité (unité, pluralité, totalité), qualité (réalité, négation, limitation), relation (inhérence et substance, causalité et dépendance, communauté ou action réciproque), modalité (possibilité/impossibilité, existence/non-existence, nécessité/contingence) (Dictionnaire Culturel Le Robert, 2005). Le nombre et l’intitulé des catégories ontologiques ont varié au cours des temps, mais surtout, à côté de ce noyau, se sont développées des catégories liées à l’acquisition du langage, à des apprentissages nouveaux et aux classifications scientifiques. Ainsi, chaque discipline a produit ses propres catégories : catégories linguistiques, physiques, biologiques… Sans oublier que, comme il a été rappelé précédemment, tout concept est une catégorie, puisqu’associé à des ensembles d’objets du monde : le lexème chaise est le signifiant utilisé pour désigner toutes les chaises perçues ou imaginées. 132

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Dans la description du développement du nouveau-né, Mandler (2004) oppose les catégories conceptuelles à celles qui sont formées à partir de l’observation directe de critères perceptifs. Les premières résultent d’une analyse plus approfondie des propriétés et caractéristiques des objets alors que les secondes sont formées à partir de la simple observation. Paradoxalement, pour Mandler (2004), les catégories conceptuelles, et particulièrement l’opposition êtres vivants et objets manufacturés, précèdent les distinctions entre occurrences d’une même catégorie : les catégories êtres vivants/objets manufacturés seraient constituées avant l’opposition chien/chat.

6.2.2. La genèse des catégories conceptuelles préverbales (Mandler, 2004, 2007) Pour Mandler le sens n’a pas pour origine la comparaison entre stimuli, mais l’interprétation, car l’enfant s’intéresse plus à ce que fait l’objet, à quoi il sert qu’à son apparence. Spontanément l’enfant imite ce que fait l’objet, la comparaison entre objets n’est qu’une partie de l’analyse sémantique de la perception. L’homme serait un être spatial qui, dès sa naissance, serait intéressé par l’analyse de l’espace et plus particulièrement par celle du mouvement (Arterberry, Craton & Yonas, 1993). L’analyse interprétative de l’espace génère les premières images-schémas et primitives spatiales qui sont à l’origine des premières catégories conceptuelles (Mandler, 2004, 2007). Ces premières imagesschémas résultent d’« une analyse sémantique de la perception »1 consistant à interpréter ce qui est vu, à lui donner un sens, à répondre à la question : « comment puis-je interpréter cela ? »2. S’inspirant des travaux d’Anette KarmiloffSmith (1992), Mandler (2004) tente de démontrer que les premiers concepts résultent d’une re-description représentationnelle qui transforme l’information procédurale en concept. Ces re-descriptions sont spatiales et analogiques, elles abandonnent tous les détails liés aux objets eux-mêmes. Ces représentations spatiales décrivent des primitives, c’est-à-dire des significations fondamentales. L’émergence de tout système conceptuel repose sur un petit nombre de primitives spatiales (Mandler, 2004, p. 204). Les principales images-schémas correspondent à des notions telles que  : déplacement, contenant-contenu, bas-haut, liaison (path, containment, up-down, link)… Les images-schémas encapsuleraient des traits sémantiques qui, progressivement, en fonction de l’exercice, prendraient leur autonomie. Ainsi, les images-schémas sont ellesmêmes des concepts utilisés pour élaborer les catégories conceptuelles. Leurs rôles sont illustrés par la description de la formation du concept être vivant qui serait formé à partir de l’analyse sémantique du mouvement et donc 1. “The function of perceptual meaning analysis is to analyze perceptual displays into meaning” (Mandler, 2004, p. 67). 2. “This mechanism asks : how shall I interpret that ?” (Mandler, 2004, p. 67).

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essentiellement de l’image-schéma déplacement. Celle-ci se présente comme une conceptualisation simplifiée de la trajectoire d’un objet (indépendamment des caractéristiques de cet objet). L’image-schéma déplacement comprend un point de départ et un point d’arrivée séparés par les événements correspondants à la trajectoire. Les différences des caractéristiques des déplacements des êtres vivants par rapport à ceux des objets manufacturés fondent la catégorie et sont à l’origine de l’élaboration de ces deux concepts. La formation de ces deux catégories se déroule en trois temps : −− durant les premiers mois, l’acuité visuelle est faible, les différences entre objets se font sur la base du type de déplacement : déplacement de l’animal vs déplacement des objets (mouvement biologique vs mouvement non biologique) ; −− à partir de deux mois, l’enfant oppose les objets selon qu’ils agissent ou non de façon contingente : les êtres vivants réagissent aux sollicitations de l’enfant, ils répondent à ses sollicitations… ce qui n’est pas le cas des objets (contingence vs non-contingence) ; −− à 4-6 mois, la différence se fait entre les entités qui bougent de façon autonome et celles qui ne sont mises en mouvement que lorsqu’elles sont heurtées par un autre objet : mouvement autonome vs mouvement provoqué par le heurt d’un autre objet. Un être vivant se déplace de façon autonome, de manière rythmique et parfois irrégulière, il interagit éventuellement avec d’autres et souvent à distance. Au contraire, les objets manufacturés ont une démarche saccadée, n’interagissent pas avec les autres et ne se déplacent que suite à des contacts avec d’autres objets (Mandler, 2004, p.  86). L’analyse du mode de déplacement fonde l’opposition entre les êtres vivants et les objets manufacturés, elle est à l’origine de la formation de ces deux catégories. Par la suite, êtres vivants et objets manufacturés sont deux catégories supraordonnées qui vont être décomposées en différents échelons s’organisant dans des arbres taxonomiques. Que sont ces arbres et que nous apprennent-ils sur l’organisation de la mémoire sémantique ?

6.2.3. L’organisation des catégories en arbres taxonomiques La description des arbres taxonomique sera suivie de l’analyse de leurs avantages et inconvénients dans la représentation des concepts.

Description des arbres taxonomiques La taxonomie est l’«  étude théorique des bases, lois règles, principes d’une classification » (Dictionnaire Le Robert, 1995). C’est la science des catégorisations. La classification des espèces proposée par Linné au xviiie siècle est un bon exemple d’arbre taxonomique. 134

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Dans les arbres taxonomiques, les catégories sont organisées de façon hiérarchique allant du plus général (être vivant) au plus spécifique (moineau). Ces inclusions sont dénommées ISA par les Anglo-saxons. ISA est un sigle correspondant à l’anglais « is a » qui signifie « est un », le moineau est un oiseau, l’oiseau est un animal, l’animal est un être vivant… Le niveau d’inclusion définit le niveau d’abstraction (Rosch et Llyod, 1978). Trois types de catégories sont habituellement distingués : −− les catégories supra-ordonnées (hyperonymes) qui correspondent au niveau d’abstraction le plus élevé et forment la catégorie la plus inclusive ; dans l’exemple précédent : être vivant ; −− les catégories sous ordonnées (hyponymes) qui sont les moins inclusives ; −− un niveau particulier qualifié de niveau de base qui est psychologiquement le plus prégnant (Vocabulaire des sciences cognitives, 1998). À ce niveau se trouvent les prototypes. À la suite d’Eleanor Rosch (1973a et 1973b), il est généralement admis que tous les exemplaires appartenant à la même catégorie ne sont pas équivalents l’un d’entre eux, le prototype, la représente le mieux. Il existe donc un gradient de représentativité allant du prototype à l’individu le moins représentatif. Dans la classe des oiseaux, le moineau ou le pigeon est plus représentatif que le pingouin. Le moineau est le prototype de la catégorie « oiseau ». Le nombre d’échelons constitutifs de l’arbre comme le nombre de critères à l’origine des catégories varient. Selon le niveau de connaissance, la classification des espèces peut comporter un nombre d’échelons plus ou moins importants. La catégorie formée par les chiens peut être subdivisée en prenant en compte leurs races et leurs spécialités  : teckel, briard, chien berger, chien de chasse, chien de garde… le nombre de niveaux varie en fonction du nombre de critères pris en compte. Deux arbres taxonomiques sont représentés ci-dessous. Le premier (figure 3) représente les « être vivants », le second associe à chaque catégorie ses caractéristiques (figure 4).

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Figure 3. Arbre taxonomique représentant les êtres vivants Arbre taxonomique Êtres vivants Animaux

Êtres humains

Oiseau : vole, a des plumes, est ovipare… Canari : jaune, domestique…

Objets manufacturés

Poisson : nage, a des écailles, des ouïes…

Pigeon : gris…

Sole : plat

Bar : rond… Source : Collins, 1968

Figure 4. Exemple d’organisation taxonomique des êtres vivants : ISA = « est un » Hyperonymes

Animal

ISA

ISA

a une peau peut se déplacer mange respire

Catégories intermédiaires a des ailes a des plumes peut voler

Oiseau ISA

ISA

Poisson ISA

ISA

a des nageoires a des branchies peut nager

Hyponymes Canari peut chanter est jaune

Autruche ne vole pas est grande a de longues pattes

Requin

Saumon

est dangereux

est rose remonte la rivière pour pondre

Source : Collins et Quillian, 1969

Les classifications taxonomiques présentent l’avantage d’être économiques puisque chaque nœud hérite des propriétés du nœud supérieur auquel il est rattaché. Néanmoins, les principes de classifications sont variés. On peut imaginer un regroupement sur la base des domaines sensoriels  : visuel, auditif, olfactif… seraient ainsi assemblés tous les objets et concepts dont la caractéristique principale serait visuelle. Les formes, les tailles, les couleurs… peuvent être autant de critères d’organisations (fréquence auditive, intensité…). Une 136

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classification basée sur les systèmes sensoriels d’encodage serait d’ailleurs cohérente avec le fonctionnement de l’activité cérébrale (Martin et coll., 1995). D’autres classifications sont possibles : applications, documents, musique, films… verbal opposé à non verbal, mais aussi en fonction de la zone cérébrale concernée sensoriel/sensori-moteur (Allport, 1985). Les classifications fonctionnelles (Buxman, 2000 ; Mahon & Caramazza, 2003) sont un autre exemple de regroupement sur la base de l’utilité qui se prêterait bien à la classification des outils. Les regroupements liés aux contextes (familiaux, scolaires…) aux cooccurrences langagières ou situationnelles seraient tout aussi fonctionnels. Bref, les critères de classifications ne manquent pas, sans compter qu’il est possible d’envisager des classifications mettant en jeu plusieurs critères. Cette solution est plausible dans la mesure où chaque concept peut être activé à partir de différents indices de récupérations : indices sensoriels (visuel, phonologiques…), fonctionnels, contextuels… Remarquons pourtant que l’hypothèse d’une origine multiple des possibilités d’activations n’implique pas pour autant l’existence de différentes catégorisations dans la mesure où tout trait sémantique joue le rôle d’un indice de récupération. Les études développementales indiquent que si les premières catégories sont formées dès les premiers mois de la vie, la maîtrise des relations d’inclusion n’est réelle que vers 10 ans (Piaget, Henriques, et Ascher, 1990). L’enfant âgé de 6 ans sait qu’une marguerite est une fleur, mais lorsqu’on lui montre un bouquet et qu’on lui demande s’il comporte plus de fleurs que de marguerites, il déclare qu’en effet il contient plus de marguerites que de fleurs. Ce n’est qu’à 10 ans que, selon Houdé (1992), l’enfant passe des inclusions empiriques correspondant à la contiguïté à la substituabilité. Par substituabilité1, on entend la possibilité de procéder à des substitutions : tout exemplaire de la catégorie peut être remplacé par un autre. Les règles d’inclusion sont maîtrisées lorsqu’à l’intérieur d’une catégorie les éléments sont considérés comme équivalents, de sorte que l’on puisse substituer un exemplaire à un autre de la même classe. Les éléments de la catégorie ne sont pas seulement ressemblants (possédant des caractéristiques communes), mais sont aussi substituables. La substituabilité sera introduite dans les scènes (scripts) comme une étape de transition précédant l’organisation des taxonomies. La relation entre développement de la logique et construction du sens est bien illustrée par ces études, la construction du sens dépend en partie du développement des structures logiques. Quels avantages et inconvénients présentent les organisations taxonomiques de la mémoire sémantique ?

1. Néologisme correspondant à la qualité d’être substitué. Substituer : « mettre (qqch., qqn) à la place de (qqch., qqn d’autre) pour faire jouer le même rôle. » (Dictionnaire Le Petit Robert, 1967).

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Avantages et inconvénients des organisations taxonomiques de la mémoire sémantique Le principal argument en faveur des organisations taxonomiques des concepts est le principe d’économie : chaque instance hérite des propriétés de celui qui lui est supra-ordonné. Ainsi, le canari, faisant partie de la classe des oiseaux, possède toutes leurs caractéristiques : il a des ailes, des plumes, un bec, deux pattes, il est ovipare, il vole… Les oiseaux étant des animaux possèdent toutes les qualités de ceux-ci. La structure hiérarchique fait qu’à chaque exemplaire sont attachées les propriétés de l’instance supérieure. En revanche, si une occurrence ne possède pas certaines des propriétés de la catégorie supraordonnée, il faut l’indiquer. Ainsi, faut-il préciser que l’autruche bien qu’étant un oiseau ne vole pas. En dehors de ces cas particuliers, le système d’inclusion est économique. Néanmoins, l’hypothèse selon laquelle l’ensemble des concepts stockés en mémoire est organisé taxonomiquement se heurte à 2 difficultés principales. En effet, poser l’hypothèse que la mémoire sémantique est structurée taxonomiquement suppose évidemment que tous les objets et tous les concepts soient catégorisables. Certes, il est toujours possible d’intégrer un objet dans une classe correspondant à l’une de ses caractéristiques, de même pour les concepts et pour les lexèmes les désignant. Tous les lexèmes relèvent d’une catégorie grammaticale : nom, adjectif, verbe, adverbe, article, préposition, etc. Cet exemple illustre le fait que la catégorisation dépend du niveau de connaissances. Les catégories grammaticales sont apprises en primaire. Créer des sous-classes au sein des catégories grammaticales est déjà plus difficile. Parmi les verbes, on peut opposer les transitifs aux intransitifs, les verbes d’action aux verbes d’état, mais de telles classifications ne sont pas triviales et de toute façon, le nombre d’échelons pouvant être emboités reste limité. Au-delà des catégories ontologiques des philosophes (catégories qui varient selon les auteurs) ou des catégories conceptuelles chères à Mandler (2004, 2007), les critères de constitution de ces classifications dépendent des domaines scientifiques ou sont arbitraires, et donc à la fois variés et non stables. Une telle multiplicité des possibilités de classifications aboutit évidemment au fait que chaque objet peut se retrouver dans différents arbres. Une telle multiplicité des critères de catégorisation pose évidemment le problème du passage d’un arbre taxonomique à l’autre. L’hypothèse la plus plausible serait alors que chaque lexème serait intégré dans un arbre dominant qui s’imposerait spontanément, tandis que les changements de taxonomies dépendraient des contextes. Sur quelles bases cet arbre serait-il choisi ? Sachant que le stockage en mémoire de multiples taxonomies semble peu probable, l’hypothèse d’une connaissance des règles de classifications, permettant de les reconstituer chaque fois que nécessaire, semble plus plausible. 138

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En résumé, l’élaboration des catégories qualifiées de conceptuelles par Mandler (2004, 2007) est essentielle à la formation des concepts. L’opposition entre êtres vivants et objets manufacturés repose sur l’analyse sémantique de la perception qui aboutit à l’élaboration d’images-schémas et de primitives spatiales. Progressivement, au cours de l’évolution, ces primitives vont acquérir leur autonomie et servir de critères de références à l’élaboration des autres catégories (Mandler, 2004, 2007). L’organisation des catégories sous la forme d’arbres taxonomiques paraît aussi économique que fonctionnelle mais, compte tenu de la multiplicité des possibilités de catégorisations, l’hypothèse d’un stockage en mémoire de l’ensemble des arbres taxonomiques est abandonnée au profit de l’idée que chaque locuteur possède les règles permettant de les reconstruire chaque fois que nécessaire. S’il est accordé aux traits sémantiques catégoriels une telle importance, c’est, entre autres, parce qu’ils précéderaient et seraient même à l’origine des traits spécifiques. Que sait-on de leurs genèses ?

6.2. Genèse des traits spécifiques Tout objet appartenant à une catégorie est caractérisé par des traits spécifiques. Dans la catégorie « oiseaux », le moineau se caractérise par le fait qu’il « a une livrée brune striée de noir » (Dictionnaire Le Petit Robert, 1970). Le processus d’élaboration de ces traits, qualifiés de différentiels, a été l’objet de trois approches, la première valorisant les processus d’identification des caractéristiques perceptives, tandis que les deux autres accordent un rôle plus ou moins important aux catégories (Rosch, 1973a & b ; Gelman, 1990 ; Mandler, 1982, 2004, 2007 ; Rakinson & Poulin-Dubois, 2001 Berthental, 1993 ; Mareschal et Quinn, 2001). Selon la première approche, la simple perception des stimuli permet l’identification de ses principales caractéristiques : la perception répétée du moineau permet de remarquer qu’il « a une livrée brune striée de noir ». Le rôle de la catégorie dans l’identification des caractéristiques est introduit par Eleanor Rosch (1973a & b). Pour ce chercheur, chaque catégorie est représentée par un objet prototypique qui possède toutes les principales qualités des instances de la catégorie tout en étant le spécimen le plus fréquent. Ainsi, pour certains Français, le moineau est l’oiseau prototypique. La représentation mentale de cet animal sert de prototype auquel sont comparés tous les autres oiseaux rencontrés. Cette comparaison aboutit à extraire la ou les caractéristiques du nouveau stimulus. Ainsi, par rapport au prototype «  moineau  », l’hirondelle se caractérise par le fait qu’elle a une queue fourchue, des ailes fines et longues (dictionnaire Le Petit Robert, 1981). Les caractéristiques « queue fourchue, ailes fines et longues » sont donc les traits qui caractérisent l’hirondelle par rapport au prototype moineau. Pour mettre en évidence l’importance 139

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des prototypes au sein des catégories, Eleanor Rosch (1973a & b, 1978) présente des données qui montrent que : −− l’enfant apprend la catégorie à laquelle appartient le prototype avant les autres objets : le moineau et le pigeon sont catégorisés comme des oiseaux avant le pingouin et l’autruche (Rosch, 1973a & b) ; −− plus une instance est prototypique, plus sa catégorisation est rapide : le moineau est plus rapidement classé parmi les oiseaux que l’autruche et le pingouin (Rosch & Mervis, 1975) ; −− lors de la production des membres d’une catégorie, le prototype est désigné en premier  : lors de l’énumération des oiseaux, le moineau et le pigeon sont produits bien avant le pingouin et l’autruche (Rosch, 1978). Ces données constituent un faisceau de présomptions en faveur de l’existence des prototypes. Néanmoins, il faut remarquer que ces trois observations sont des conséquences directes de la définition même du prototype qui, rappelons-le, est l’instance la plus représentative de la catégorie, et ne permettent pas d’établir que le prototype joue un rôle dans l’élaboration des traits spécifiques. Dire que plus une instance est représentative de la catégorie, plus elle est facilement activée ressemble étrangement à une lapalissade. Si Jean Matter Mandler (2004, 2007) ne néglige pas le rôle joué par les prototypes, il démontre que la formation des catégories conceptuelles précède la différenciation des instances et qu’ainsi l’opposition entre « êtres humains et objets manufacturés » est antérieure à la distinction « chien/chat ». En effet, si dès 7 mois l’enfant oppose les animaux aux véhicules, la différence entre chien et oiseau n’apparaît qu’à 9 mois et celle entre chien et chat à 11 mois (Mareschal & Quinn, 2000). La chronologie des catégorisations est résumée par Mandler (2004) dans le tableau 4. Ce récapitulatif indique que l’élaboration des catégories conceptuelles précède les oppositions entre instances de la même catégorie. Les premières catégorisations résulteraient de l’analyse sémantique de la perception et de l’élaboration, puis du traitement des premières images-schémas1. Et ce n’est que, dans une seconde période, que les traits sémantiques différenciant les instances appartenant à la même catégorie émergeraient par comparaisons entre chacune des instances et les prototypes. Mandler (2007) souligne le rôle du langage dans cette dernière période considérant que la dénomination des objets du monde par les parents encourage l’enfant à les différencier. Ce serait le cas, par exemple, de l’opposition chien/chat qui serait facilitée par le fait que les parents dénomment ces animaux avec des termes différents et ainsi incitent l’enfant à chercher ce qui les distingue. 1. Comme indiqué page 136 : « L’analyse interprétative de l’espace génère les premières imagesschémas et primitives spatiales qui sont à l’origine des premières catégories conceptuelles de Mandler (2004, 2007). Ces premières images-schémas résultent d’“une analyse sémantique de la perception” consistant à interpréter ce qui est vu, à lui donner un sens, à répondre à la question : « comment puis-je interpréter cela ? ».

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Reste à expliquer l’origine de la troisième catégorie de traits, à savoir les traits décrivant une qualité non strictement sensorielle. Tableau 4. Pourcentages d’enfants catégorisant aux niveaux super-ordonnés et aux niveaux de base Âges Niveaux de catégorisations

18 mois

24 mois

30 mois

Hyperonymes : animaux/véhicules

73

67

77

Formes de vie : chiens/poissons ; voitures/avions

75

65

75

Niveaux de base à ressemblances moyennes Chiens/lapins ; voitures/moto

40

45

70

Niveaux de base à fortes ressemblances Chiens/chevaux ; voitures/camions

30

40

45

6.3. Élaboration des caractéristiques non sensorielles Parmi les traits non directement observables qui permettent de caractériser un objet par rapport à sa catégorie, il faut distinguer ceux qui résultent d’acquisitions de connaissances, d’inférences ou de cooccurrences. Mes connaissances de la photosynthèse sont à l’origine des caractéristiques du concept photosynthèse. Dans ce cas particulier, les connaissances livresques sont, pour la plupart des personnes, à l’origine de l’élaboration de traits sémantiques non observables. Les inférences font aussi partie de ma culture, la tortue et l’escargot sont les exemples les plus représentatifs de la lenteur, tandis que le lièvre est l’exemple de la vitesse. La pratique et l’utilisation des outils amènent à leur affecter une fonction particulière : le marteau est utilisé pour enfoncer des clous. Certes la lenteur de la tortue et de l’escargot, la célérité du lièvre ou le fait que le marteau permet d’enfoncer des clous sont des caractéristiques qui peuvent être observées, néanmoins elles ont un statut différent de celui de la couleur caractéristique d’un objet : le rouge du sang ; ou de l’attribut caractéristique tel que la trompe de l’éléphant. Nombre de qualités, d’attributs, de causes et de conséquences non directement observables permettent de caractériser des objets. Une fois de plus, il faut souligner que tous les traits sémantiques ne se situent pas au même niveau, certains dominent au point que l’objet devient l’emblématique représentant de la qualité. La distinction entre les catégories et les instances qui les composent s’applique facilement dans le cas des lexèmes qui désignent les objets du monde, le chien est un mammifère de la famille des canidés, mais en est-il de même pour 141

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les verbes ? Peut-on catégoriser les verbes aussi facilement que les noms communs ?

6.4. Comparaisons entre concepts associés aux verbes et aux noms communs Le rappel des définitions des verbes et des noms communs permet de souligner leurs particularités. « Le verbe est un mot qui exprime le procès, c’est-à-dire l’action que le sujet fait (comme dans L’enfant écrit) ou subit (comme dans Cet homme sera battu), ou bien l’existence du sujet (comme dans Les méchants existent), ou son état ou son passage d’un état à l’autre (comme dans Les feuilles jaunissent), ou encore la relation entre l’attribut et le sujet (comme dans L’homme est mortel). Sur le plan sémantique, on différencie en français les verbes d’état (rester, être, devenir), les verbes d’action (marcher), les verbes perfectifs ou résultatifs qui évoquent un procès à son terme (blesser, heurter), les verbes imperfectifs qui évoquent un procès n’impliquant pas un terme (danser), les verbes factifs (faire), les verbes performatifs, où le verbe lui-même implique une assertion du sujet en forme d’acte (jurer, promettre)… Le sens et la construction des verbes ont conduit à opposer à des verbes de sens plein des auxiliaires de temps (être et avoir dans certains de leurs emplois), ou de voix (être) et des semi-auxiliaires comme aller, devoir, être sur le point de, être en train de, venir de, pouvoir, etc., suivis d’un infinitif, qui expriment diverses nuances de temps ou d’aspect. » (Dubois et coll., 1999, p. 505). Cette définition montre la variété des classifications des verbes. En dehors de l’opposition usuelle entre verbes d’actions et verbes d’état, les autres catégories ont été créées par des spécialistes du langage et ne sont connues que d’eux. C’est dire que les possibilités de catégorisations sont limitées. Même la catégorisation apparemment la plus simple, à savoir verbes d’action opposés à verbes d’état, est difficile à décomposer en sous-classes. On est loin de la richesse des arbres taxonomiques organisant les objets. À cela s’ajoute le fait que pour les verbes, plus que pour les lexèmes dénommant des objets, le sens varie parfois en fonction du contexte. Deux cas sont particulièrement intéressants : (i) variation du sens en fonction de la nature du sujet et du complément d’objet : éplucher une pomme de terre signifie nettoyer en enlevant les parties inutiles ou mauvaises, tandis qu’éplucher un dossier signifie examiner avec soin ; (ii) passage du transitif à l’intransitif  : le verbe prendre peut signifier soit saisir un objet soit durcir : la colle prend. Ces observations ont amené Chomsky (1971) à opposer les traits syntagmatiques aux traits sémantiques. Les premiers concernent la construction des verbes qui est dépendante de la nature de l’agent et du complément : par exemple le verbe comprendre dont le sens dépend de la nature du sujet. L’importance du contexte ne peut être négligée surtout si l’on se rappelle qu’en son absence, il 142

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est impossible de dire si certains mots sont des verbes ou des noms communs. Les exemples sont multiples le lexème couvent peut aussi bien désigner « la maison où des religieux ou des religieuses vivent en commun » (Le Petit Robert, 1981) que renvoyer au verbe couver à la troisième personne du pluriel du présent de l’indicatif, de même que porte renvoie soit au verbe porter soit «  à l’ouverture spécialement aménagée dans un mur, une clôture, etc., pour permettre le passage » (Le Petit Robert, 1981). Cette difficulté se retrouve dans la plupart des langues, en anglais, par exemple, le mot love isolé renvoie aussi bien au nom amour qu’au verbe aimer. Ces analyses constituent autant d’arguments en faveur de la distinction proposée par François Rastier (1991, 2011) entre sens et signification. Le lexique des morphèmes appartient à la langue, tandis que celui des lexies appartient à l’ordre du discours et intéresse le psychologue. Avant même de traiter de ce dernier lexique, il faut s’interroger sur la nature des traits sémantiques : sont-ils modaux ou amodaux ?

6.5. Les traits sémantiques sont-ils modaux ou amodaux ? Les systèmes connexionnistes appliqués à l’étude du traitement automatique des langues ont amené à privilégier l’hypothèse de l’amodalité des traits sémantiques (Bowers, Bowers, 2009 ; Bower, Newel & Simon, 1972 ; Farah & McClelland, 1991 ; Plaut & McClelland, 2010 ; Rumelhart et Norman, 1988). Par amodalité, on entend le fait qu’ils sont représentés en mémoire par des symboles abstraits. Rappelons qu’un symbole est un signe qui, en vertu de règles précises, représente et renvoie à un objet. En informatique, les symboles sont constitués de séquences de 0 et de 1. De telles séquences permettent d’implémenter chacun des traits. Dans le cadre du fonctionnement neuronal, il est tout aussi possible de les coder sous la forme d’un réseau neuronal dans laquelle le nombre d’unités et leurs niveaux d’activations prennent des valeurs différentes. À l’opposé, pour nombre de philosophes (Lockes, 1690 ; Hume, 1739 ; Kant, 1797) et de psychologues cognitivistes contemporains (Kosslyn, 1980 ; Paivio, 1977 ; Price, 1953), les traits sémantiques sont stockés en mémoire sous la forme d’images sensorielles ou sensori-motrices  : images visuelles, sonores, gustatives, olfactives, tactiles, kinesthésiques ou sensori-motrices (programmes d’exécutions de mouvements…). Les formes et les contenus exacts de ces représentations mentales varient selon les auteurs, allant de la simple copie des stimuli à des reconstitutions plus ou moins élaborées. L’hypothèse de simples enregistrements sensoriels plus ou moins fidèles des stimuli a été un moment proposé par les spécialistes de l’image mentale tels que Paivio (1977) et Kosslyn (1980). Dans de telles perspectives, les traits prennent la forme de traces sensorielles représentant en mémoire les caractéristiques des stimuli. L’inclinaison, la forme, la couleur, la taille, les odeurs, les tonalités, mais aussi les aromes, seraient représentés sous des formes sensorielles correspondantes aux diffé143

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rents sens. L’aspect sensoriel et sensori-moteur des traits sémantiques est attesté à la fois par l’observation des amnésies manifestées par certains patients et par les enregistrements de l’activité cérébrale lors de la lecture ou l’audition de mots. Ainsi, il a été observé que les patients atteints de la maladie de Parkinson (Boulenger, 2008), de paralysie (Bak & coll., 2006), d’apraxie (Buxbaum & Saffran, 2002), et plus généralement victimes d’atteintes motrices (Bak & Hodges, 2004 ; Grossman & coll., 2008), manifestent des troubles de la compréhension des verbes d’action. Ces données suggèrent que les cortex sensorimoteur primaire et secondaire jouent un rôle essentiel dans la représentation conceptuelle. Ainsi, l’hypothèse selon laquelle les programmes moteurs, sensori-moteurs et somesthésiques stockés dans ces structures constituent autant de traits sémantiques semble plausible. Parallèlement, différents enregistrements de l’activité corticale indiquent que la lecture ou l’audition de verbes d’action provoquent l’activation des cortex pré-moteur, moteur et somesthésique. Lors de la description du lobe frontal, il a été indiqué que le long de la scissure de Sylvius sont situés le cortex pré-moteur, où est préparé et organisé l’activité motrice, et le cortex moteur qui gère les mouvements volontaires et pilote les centres chargés du contrôle musculaire et des mouvements rythmiques : mâcher, lécher, avaler... De l’autre côté de la scissure, lui faisant face, se trouve l’homonculus sensoriel (figure 3). Toute atteinte de cet homonculus entraîne une perturbation de la sensibilité du corps et du schéma corporel. Or, les enregistrements d’IRM indiquent que la simple prononciation ou la lecture d’un verbe moteur déclenche l’activation de la partie du cortex moteur dans lequel les mouvements sont stockés (Cacciari & Levorato, 1994 ; Damasio, 1994 ; Schwanenflugel & al., 1994 ; Levin, 1995 ; LeDoux, 1996). La relation entre le lexème et l’activité motrice s’explique par le fait que, la plupart du temps, les comportements moteurs sont appris avant d’être dénommés. La genèse des comportements et de l’acquisition du langage explique le lien entre les lexèmes et l’activité motrice. Nombre de comportements moteurs sont des réflexes ou sont acquis avant leurs dénominations. Dès la naissance, l’enfant tête alors que cette activité ne sera dénommée que bien plus tard. Il est donc logique que la lecture ou l’audition du lexème dénommant ce réflexe active l’activité correspondante. Le programme moteur préparé dans le cortex pré-moteur puis stocké dans le cortex moteur est formé de composantes qui peuvent être considérées comme autant de traits descriptifs du concept. Sans compter que la réalisation renouvelée du comportement moteur et de sa préparation permet d’affecter aux verbes d’action une fonction : je cours parce que je suis en retard, pour faire du sport, pour fuir un danger… Ainsi, le verbe et l’action sont associés non seulement à l’exécution du comportement, mais aussi à ses fonctions. La loi de Hebb aboutit à transformer des programmes moteurs et des sensations corporelles en invariants. 144

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On ne saurait pour autant négliger les zones corticales en charge du traitement des stimuli. Les enregistrements de l’activité cérébrale indiquent que la lecture ou l’audition de verbes et des lexèmes dénommant les objets ou les événements activent les zones du cortex visuel primaire et associatif qui opèrent lors de leurs perceptions (Aggleton & Brown, 2006 ; Curran & al. 2006). L’ensemble de ces données indique clairement que des représentations des traits sémantiques constitutifs des concepts sont stockées aussi bien dans les cortex sensoriels (primaires et associatifs) que dans les cortex pré-moteurs, moteurs et somesthésiques. Ces différentes zones fonctionnent en interaction pour former un réseau. Les connexions aboutissent de manière à ce que les mots lus ou entendus sont traités par les cortex primaires (visuel ou auditif) et associatifs sensoriels (visuel ou auditif) qui, dans le cas des verbes d’action, activent les cortex pré-moteur, moteur et somesthésiques. Cette description sommaire ne saurait faire oublier que la présentation d’un objet, la lecture ou l’audition du lexème qui le dénomme n’activent pas seulement des traits sémantiques, mais aussi nombre d’associés qui vont être décrits après avoir tenté de localiser les structures neuronales en charge des traits catégoriels. Figure 5. Homonculus moteur (à gauche) et homonculus somesthésique (à droite)

6.6. Réseaux neuronaux et stockage des catégories Les observations faites sur des sujets atteints d’aphasies ont mené à l’hypothèse que dans le cerveau, les lieux de stockage et de traitement varient en fonction de la catégorie à laquelle appartient le lexème ou l’objet. Comme cela a été indiqué précédemment, l’opposition entre « êtres animés » et « objets manufacturés  » a été à l’origine du plus grand nombre d’études (Warrington & Shallice, 1984 ; Mandler, 2004). Les enregistrements de l’activité cérébrale indiquent qu’à chaque catégorie correspond un réseau neuronal. On trouve 145

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dans l’article d’Alex Martin (2007) la synthèse la plus complète des enregistrements de l’activité cérébrale concernant cette classification. Il montre que l’évocation des êtres animés active, en plus des zones concernées par la perception et la motricité, un circuit comprenant le cortex temporal postérieur, la portion latérale du gyrus fusiforme et le sulcus temporal supérieur pour ce qui concerne la représentation des formes et des mouvements. L’amygdale jouerait aussi un rôle primordial, probablement pour alerter lors de la présence de proies ou de prédateurs. En revanche, au moment de la récupération, le cortex médian préfrontal entre en jeu. Les êtres vivants et les parties du corps semblent stockés dans les parties latérales du gyrus fusiforme, tandis que les objets manufacturés le seraient dans la partie médiane du même gyrus fusiforme. Comme le notent Martin et Chao (2001), le cortex temporal occipital ventral n’est pas une mosaïque de catégories de mots, mais se présente plutôt comme un paysage vallonné comportant des bosses et des creux correspondant à des pics d’activités ou des dépressions. Faisant réaliser une tâche de dénomination d’images, Damasio (1996) indique que (i) le lobe temporal est impliqué dans la dénomination de photographies de personnes célèbres ; (ii) les parties intermédiaires et inférieures du lobe temporal le sont par la dénomination des animaux ; (iii) les parties postérieures et inférieures le sont dans le traitement des outils. Pour les outils communs, Martin (2007) décrit le circuit formé par la portion médiane du gyrus fusiforme et du gyrus temporal médian, le sulcus intrapariétal et le cortex frontal pré-moteur de l’hémisphère gauche, l’ensemble contenant la représentation des formes visuelles et de leurs propriétés motrices. Le gyrus para-hippocampique serait responsable des localisations (Kanwisher, 2001) et du contexte. Les représentations de la nourriture sont associées aux circuits qui impliquent le goût (insula), la récompense (cortex postérieur orbital frontal) et les réponses affectives (amygdale) (Simmons, 2005). D’autres catégories sont aussi différenciées comme l’opposition entre fruits et légumes (Hart et coll., 1985), entre différentes catégories de bâtiments (Epstein & Kanwisher, 1998). Sans compter les reconnaissances des visages qui sont l’objet d’un traitement particulier. Comme l’indiquent justement Khader et Rösler (2009), on ignore si des zones du cerveau sont affectées à chaque catégorie d’objets ou si les objets sont regroupés en fonction des traits qu’ils partagent. D’autant qu’au sein des catégories, les données d’IRM indiquent un regroupement des concepts sur la base du partage des traits sémantiques (McRae, 1997 ; Tyler & Moss, 2001 ; Thompson-Schill, 2003 ; Bruffaerts et coll., 2013). C’est ainsi que Bruffaerts et ses collaborateurs (2013) ont étudié le regroupement des animaux en fonction du nombre de traits sémantiques partagés. Six groupes sont identifiés : les mammifères marins (baleine, dauphin, orque, requin), les poissons (anguille, épinoche, plie, raie), les animaux de ferme (cheval, vache, mouton, âne), les reptiles (caméléon, lézard, salamandre, grenouille), les oiseaux (mésange, merle, moineau, pie) et les insectes (abeille, 146

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guêpe, mouche, moustique). Dans cette recherche, les enregistrements ont le mérite de montrer que les regroupements sont observés aussi bien pour les lexèmes dénommant ces animaux que pour les images les représentant. Un effet de similitude se manifeste dans le cortex périrhinal gauche et le cortex antéro-médian adjacent. Les concepts et les images semblent bien regroupés sur la base du partage des traits. Les deux types de stimuli provoquent une activité similaire dans le cortex fusiforme postérieur, ce qui indique bien qu’ils activent, au moins en partie, les mêmes traits sémantiques. Néanmoins, le regroupement est plus net pour les mots que pour les images. Il est probable que l’image n’active qu’un petit nombre de traits communs1. L’ensemble des données neurologiques est conforme à la logique : (i) images et mots activent une partie des traits sémantiques qui leur sont communs ; (ii) concepts et images sont regroupés en catégories (oiseaux, poissons, insectes…) en fonction du nombre du partage des traits ; (iii) tout naturellement, l’effet de similitude est plus fort entre les mots qu’entre les images. Comme l’indique Vigliocco et coll. (2010), les connaissances portant sur les objets sont stockées dans le cortex inféro-temporal alors que celles concernant les connaissances des actions le sont dans le cortex fronto-pariétal. Le rôle des cortex pré-moteur et moteur dans le langage a été de nombreuses fois affirmé. Comme noté précédemment, des troubles de la compréhension des verbes d’action ont été signalés chez les patients atteints de Parkinson (Boulenger, 2008), de paralysie (Bak et coll., 2006), d’apraxie (Buxbaum & Saffran, 2002), d’atteintes motrices (Bak & Hodges, 2004 ; Grossman & coll., 2008). Ainsi, le rôle des cortex sensori-moteurs primaire et secondaire est déterminant dans la représentation des concepts. Des déficits catégoriels sont aussi observés dans différentes aphasies. C’est particulièrement le cas de la perte spécifique des verbes d’action suite à des lésions affectant l’opercule frontal gauche, le cortex associatif pariétal gauche, les aires pré-motrices gauches du cortex occipital ainsi que de la substance blanche para-ventriculaire située sous les régions temporales. Ces données suggèrent que les schémas moteurs sont associés aux lexèmes désignant des actions (Damasio, 2001). Les observations effectuées sur les aphasiques indiquent que les mots fréquents résistent le mieux, c’est-à-dire que les pertes affectent de façon préférentielle les mots rares. Les pertes des noms de couleurs ont été observées par Hécaen et Angelergues (1963) chez des patients présentant des atteintes du lobe occipital gauche. D’autres observations (Pick, 1992) rapportent le cas de sujets incapables de désigner les parties du corps alors qu’ils peuvent désigner 1. Comparant les tables d’associations de mots à celle obtenue avec des images, Cornuejuols & Rossi (2000) ont montré d’importantes différences entre les deux tables si les associés des mots correspondent à des traits sémantiques, ceux des images consistaient à situer l’animal dans son contexte habituel  : au mot chameau est associé bosse tandis qu’au dessin d’un chameau est associé désert.

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leurs vêtements. Damasio (2001) rapporte que des sujets ayant des lésions du lobe temporal gauche sont incapables de dénommer les parties du visage. Tyrell, Warrington, Frackowiak et Rossor (1990) observent des difficultés de la compréhension des noms d’animaux chez des malades présentant «  une petite anomalie métabolique dans le lobe temporal gauche, atteignant son maximum dans le gyrus temporal » (McCarty & Warrington, 1994, p. 162). En 1997, Bushell et Martin observent, chez des malades atteints de la maladie d’Alzheimer, des dissociations entre mots concrets et verbes désignant des mouvements. Ces observations sont particulièrement intéressantes, car elles indiquent que cette divergence est imputable à la nature des représentations sémantiques qui, dans le cas des mots désignant des objets concrets, impliquent des attributs physiques et fonctionnels multiples, tandis que dans le cas des verbes, elles ne concernent que des attributs du mouvement. La représentation des mots concrets serait plus distribuée dans le cerveau que celle des verbes du mouvement. Cette redondance expliquerait la résistance des noms concrets. L’activité du cortex moteur est manifeste aussi bien lors de la perception de certains objets que lors de la lecture ou de l’audition des lexèmes qui les dénomment. Comme indiqué précédemment, Tucker & Ellis (2001) ont montré que la partie du cortex moteur gérant la main gauche est activée par la simple vue d’une tasse de thé dont l’anse se situe du même côté et inversement lorsque l’anse est présentée à droite. La relation entre la vision des objets et les activités motrices qui leur sont associées témoigne non seulement d’un enregistrement en mémoire à long terme des programmes moteurs (procédures et savoir-faire moteurs), mais aussi d’une activation provoquée par la perception des objets. De façon similaire, la prononciation ou la lecture d’un verbe moteur déclenche l’activation de la partie du cortex moteur dans lequel les mouvements sont stockés (Cacciari & Levorato, 1994 ; Damasio, 1994 ; Schwanenflugel & al., 1994 ; Levin, 1995 ; LeDoux, 1996). La relation entre le lexème et l’activité motrice s’explique en partie par le fait que les comportements moteurs sont souvent appris avant d’être dénommés. La genèse des comportements et de l’acquisition du langage explique le lien entre les lexèmes et l’activité motrice. Nombre de comportements moteurs sont des réflexes ou sont acquis avant leurs dénominations. Il est donc logique que la lecture ou l’audition du lexème dénommant ce réflexe stimule l’activité correspondante. La perte des verbes désignant des actions et des mots dénotant des relations spatiales serait imputable (Damasio, 2001) à des lésions de l’opercule frontal gauche et du cortex associatif pariétal gauche, mais aussi des aires pré-motrices gauches, du cortex occipital et de la substance blanche para ventriculaire située sous les régions temporales. La dénomination d’une action de mouvement active la région postérieure du gyrus temporal médian gauche proche de la zone du cerveau spécialisée dans la perception du mouvement, de même la désignation d’une couleur est 148

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associée à l’activité des lobes ventraux temporaux proches du cortex spécialisé dans la perception des couleurs. Il faut se souvenir qu’en face de l’homonculus moteur, de l’autre côté de la scissure de Rolando (voir la figure 3 plus haut) se trouve l’homonculus sensoriel où aboutissent les sensations corporelles. Toute atteinte de cet homoculus entraîne une perturbation de la sensibilité du corps et du schéma corporel. Dans cet homonculus, sont stockées à long terme les représentations sensorielles du corps. Tout laisse penser qu’à cet endroit, les représentations ne sont ni abstraites, ni verbales. La prononciation ou la lecture des mots dénommant les objets provoque aussi l’activation partielle des zones corticales qui opèrent dans leur perception. L’hypothèse d’une relation entre les procédures et savoir-faire et les représentations des objets du monde et les lexèmes qui les désignent est posée. Ces tentatives d’identification des zones du cerveau impliquées dans la mémoire des différentes catégories d’objets et de mots ne doit pas faire oublier que tous les processus mnésiques mettent en jeu au moins trois catégories de traitements : (i) encodage ; (ii) stockage ; (iii) récupération. Ces trois processus sont-ils gérés par les mêmes structures ? Dissocier ces trois périodes lors de l’observation de patients amnésiques n’est pas simple. Certes il est possible d’étudier les capacités d’apprentissage, mais le fait que le patient ne soit pas capable de restituer un apprentissage peut aussi bien être imputable aux processus de codage qu’à ceux de stockage ou de récupération. L’enregistrement de l’activité cérébrale permet différencier les parties du cerveau qui sont concernées par le codage des informations de celles qui le sont par la récupération. Partant de l’hypothèse que la mémoire sémantique est constituée de réseaux d’unités interconnectées, il devient déterminant d’analyser les possibilités de composantes autres que les traits sémantiques. Ainsi, après avoir décrit les principaux signifiés (dénotatifs, connotatifs et référentiels) constitutifs des concepts, il faut s’interroger sur les autres unités associées aux concepts. A  priori, font partie de ces réseaux l’ensemble des lexèmes entretenant des relations sémantiques, et plus précisément ceux constitutifs des champs dérivationnels, lexicaux et associatifs (cooccurrents contextuels, situationnels ou langagiers). L’analyse de ces différentes unités est l’objet des lignes suivantes à commencer par les constituants des champs lexicaux et dérivationnels.

7. Réseaux conceptuels et réseaux associatifs 7.1. Champ dérivationnel et champ lexical « Le champ dérivationnel est constitué de l’ensemble des mots formés à partir du même morphème. Par exemple, le champ lexical dérivatif du lexème égal 149

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est constitué des mots  : égalable, également, égaler, égalisateur, égalisation, égaliser, égalitaire, égalitarisme, égalitariste, égalité. Qu’ils soient synchroniques ou diachroniques, toutes les unités ayant la même étymologie sont issues d’une racine identique et donc possèdent évidemment des traits communs (école, scolaire, scolarité, scolastique…) » (Trudel, 2008, p. 1-2). Dans une conception de la mémoire sémantique en termes de réseaux, toutes les unités d’un même champ dérivationnel sont connectées. Néanmoins, les forces de connexions, et donc les liaisons entre les unités, ne sont pas systématiquement équivalentes ; certaines liaisons sont plus fortes que d’autres. Ces variations sont en partie provoquées par les habitudes linguistiques. Le champ dérivationnel est une partie du champ lexical qui lui est constitué de « l’ensemble des unités lexicales entretenant entre elles des relations sémantiques (synonymie, antonymie, hyperonymie/hyponymie)  » (Trudel, 2008, p.  1-2). Les synonymes, les antonymes, les hyperonymes et les hyponymes partagent nombre de traits sémantiques. La catégorie et plus généralement le sémème (trait générique commun à l’ensemble des mots de la classe) est un trait sémantique que l’on retrouve dans ces quatre unités lexicales. Il structure l’organisation de tous les modèles taxonomiques de la mémoire sémantique. Chaque concept composé sur le modèle de la définition d’inclusion comporte sa catégorie qui est reliée aussi bien à son hyperonyme qu’à son hyponyme : un oiseau est un animal (hyperonyme), et pour les Parisiens, le prototype des oiseaux est le pigeon (hyponyme). Comme les synonymes, les antonymes partagent des traits, mais dans ce cas « les sens sont opposés, contraires ; cette notion de “contraire” se définit en général par rapport à des termes voisins, ceux de complémentaire (mâle vs femelle) et de réciproque (vendre vs acheter) » (Dubois & coll., 1999). Reprenant la classification proposée par Wikipédia (2016), on distinguera «  trois catégories d’antonymies : la complémentaire, la scalaire et la duale. Par antonymie complémentaire, on entend une relation de “non-application d’une propriété (applicable/non-applicable, présence/absence)  : par exemple, ‘informe’ est antonyme de tout ce qui a une forme, de même qu’‘insipide’, ‘incolore’, ‘inodore’, etc. de tout ce qui pourrait avoir saveur, couleur, odeur…” l’affirmation d’un des termes implique nécessairement la négation de l’autre. Sur le plan de la symétrie, l’antonymie complémentaire présente deux types de symétrie : −− une symétrie de valeurs dans un système à deux valeurs seulement, comme dans l’exemple précédent ; −− une symétrie par rapport à l’application d’une propriété : le “noir” est l’absence de couleur, il est donc “opposé” à toute couleur, et à toute combinaison de couleurs. » (Wikipédia 2016). L’antonyme complémentaire comporte les mêmes traits sémantiques que le concept de base auquel s’ajoute le signe négatif : incolore signifie « qui n’a pas de couleurs ». 150

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L’antonymie scalaire correspond à des opposés comprenant des valeurs intermédiaires comme des échelles. C’est le cas de la température, entre chaud et froid, de la taille entre grand et petit pour lesquels il existe des valeurs intermédiaires. Les traits constitutifs prennent des valeurs plus ou moins fortes. Enfin, l’antonymie duale peut être duale propre, conversive ou réciproque. Dans la duale propre, la symétrie entre les termes « porte cette fois-ci sur des fonctions culturelles (symétrie consacrée par l’usage) et spatio-temporelles (propriétés particulières de l’espace-temps). L’antonyme dual d’un mot est le pendant de celui-ci. Les duals sont des mots que la culture associe comme soleil/ lune, ou qui ne vont pas, a priori, l’un sans l’autre comme question/réponse ou alors sont l’expression d’une antonymie temporelle i.e. qui exprime le passage d’un état à un autre comme naissance/décès. Dans ce troisième cas, on peut remarquer que ces deux événements marquent le passage entre deux antonymes complémentaires (inexistence/existence  dans le cas de  naissance/ décès ou bien présence/absence dans le cas de départ/arrivée). L’antonymie duale propre présente naturellement une symétrie qui n’est pas relevée dans l’échange des places d’arguments puisqu’il s’agit de prédicats unaires. Elle exprime le fait que si l’un des deux prédicats est vrai, il existe une valeur pour lequel l’autre l’est aussi nécessairement. Dans l’antonymie conversive ou réciproque, les couples sont complémentaires  et symétriques  : acheter/vendre, père/fils… » (Wikipédia, 2016). Comme il a été déjà souligné, synonymes et antonymes font généralement partie des définitions des dictionnaires. Les deux partagent des traits sémantiques entre eux et avec la cible. Les différentes significations des mots polysémiques appartiennent au champ sémantique. Ainsi, comme dans les définitions, on retrouve toutes les significations et expressions dans lequel le mot apparaît peinture en bâtiment, peinture murale, peinture impressionniste… toutes ces expressions partagent avec le concept leurs traits principaux. On peut considérer que, dans le cadre d’une conception de la mémoire sémantique en termes des réseaux, l’ensemble des unités qui viennent d’être décrites sont connectées puisqu’elles ont en commun un ou plusieurs traits sémantiques. À côté de ces unités qui ont en commun des traits sémantiques, on trouve des associés. Mais que sont ces associés ?

7.2. Les associations Selon Trudel (2008, p. 4) « le champ associatif est formé de tous les mots réunis autour d’une notion donnée (l’idée d’argent appelle les termes riche, acheter, crédit, finance, placement, faillite, avaricieux, etc.) ». Intuitivement, l’ensemble des lexèmes énumérés par Trudel se situe dans un même champ sémantique. Il est même probable que nombre d’entre eux soient cooccurrents dans les textes oraux et écrits. Parler d’une personne « riche » peut amener à la qualifier 151

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d’avare ou de dépensière, de décrire ses finances, crédits ou placements, etc. Dans les expressions, les sentences, propositions et phrases, ces lexèmes cohabitent. Ce sont des «  ensemble[s] de mots fréquemment associés dans des contextes traitant d’un même sujet » (Niklas-Salminen, 1997, cité par Trudel, 2008, p. 67). Il n’empêche qu’aucune des définitions proposées par les deux auteurs n’est satisfaisante : d’une part les critères permettant d’énumérer les lexèmes « réunis autour d’une notion » manquent de précisions et d’autre part l’identification des «  notions  » est tout aussi problématique. Quels critères permettent d’identifier les lexèmes faisant partie de la même famille ? L’exemple proposé par Trudel illustre bien la difficulté  : riche, acheter, crédit, finance, placement, faillite, avaricieux, etc. sont-ils autant d’instances à rattacher à la catégorie argent ? Mais aussi, comment définir les notions autour desquelles se réunissent les autres termes ? Pourquoi choisir l’argent comme centre autour duquel les autres termes doivent être réunis ? Cette dernière objection est levée si l’on se place dans le cadre des modèles d’organisations taxonomiques puisqu’alors les concepts centraux sont naturellement les catégories et sous catégories. Encore faut-il déterminer la structure d’organisation en catégories qui soit applicable à des sous-ensembles de concepts et définir les systèmes de relations entre catégories et instances. À supposer même que ces questions soient résolues, comment modéliser le réseau connectant ces différents lexèmes ? En fait, les définitions de Trudel (2008) et de Niklas-Salminen (1997) font toutes deux références aux contextes, c’est-à-dire aux situations vécues ou imaginées ou aux textes les décrivant. Ainsi, les associations sont essentiellement déterminées par des cooccurrences situationnelles ou langagières. Commençons par traiter des cooccurrences verbales.

7.2.1. Les associations verbales cooccurrentes Les associations verbales sont nombreuses, par exemple, à pain est associé beurre. Des jeux télévisés basés sur ces associations font fureur. Les psychologues répertoriant ces couples ont construit des tables de normes associatives. La plus complète et la plus exhaustive a été élaborée pour la langue anglaise par Nelson, McEvoy et Schreiber (1998). En français, Cornuejuols et Rossi (2000) proposent une table réalisée à partir de la présentation de 120 mots désignant des êtres vivants et de 164 mots dénommant des objets. Bussone et Rossi (2000b) ont fait de même pour 54 verbes intransitifs et 163 verbes transitifs présentés à l’infinitif. À chaque fois, un lexème est présenté par écrit et les participants doivent noter tous les mots qui leur viennent à l’esprit. Afin de ne traiter que les associations majoritaires, Cornuejuols et Rossi (2000) et Bussone et Rossi (2000b) n’ont retenu que les associés qui ont été donnés par au moins 40  % des participants. Afin d’identifier la nature des 152

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associations, il a été demandé à quatre juges de classer les associés dans l’une des catégories suivantes : (i) traits sémantiques : l’associé fait partie de la définition que l’on trouve dans le dictionnaire Le Petit Robert (1970) et désigne : a. la catégorie, exemple : associé animal à l’amorce cheval, b. des traits caractéristiques et différentiels, exemple associé lent à l’amorce tortue, c. partage des traits avec le mot amorce : synonymes et antonymes cités dans le dictionnaire (exemple : tuer-assassiner ; jour-nuit), ainsi que les objets de la même catégorie (exemple : guitare-violon) ; (ii) cooccurrences, l’associé désigne une cooccurrence  n’étant pas un trait sémantique : a. lexicales : homophones (vert-verre), mots composés séparés par un tiret (chapeau-melon), ensemble de mots qui désigne un objet (baba au rhum), expressions (lune de miel), b. situationnelles et phrasiques (relations prédicat-argument, agents, patients…) ; (iii) autres. Les pourcentages moyens de réponses pour chaque catégorie sont présentés dans le tableau 5. Sa lecture indique que : (i) la classification rend compte de la grande majorité des associés : 93,13 % des associés pour les noms communs et 92,66  % des associés pour les verbes ; (ii) les c2 indiquent que les différences entre noms communs et verbes sont toutes significatives à l’exception des cooccurrences linguistiques et de la catégorie « autres » : a. pour les noms communs, l’associé majoritaire est un trait sémantique caractéristique, alors que pour les verbes, c’est un autre verbe qui partage avec l’amorce des traits sémantiques, b. parmi les cooccurrences, les situationnelles dominent en particulier dans le cas des verbes. Aux verbes sont associés majoritairement des prédicats les plus fréquents ; (iii) si la majorité des associés produits sont des traits sémantiques (71,25 % pour les noms communs et 59,57 % pour les verbes), les cooccurrences lexicales et situationnelles représentent des pourcentages non négligeables : 22,14 % pour les noms communs et 33,09 % pour les verbes.

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Tableau 5. Pourcentages moyens de réponses pour les noms communs et les verbes Traits sémantiques Mots amorce Noms communs Verbes c2

Catégories

Cooccurrences

Caractéristiques Partage de traits : situation- Autres et traits syno., anto., objets lexicales nelles différentiels de même catégorie

17,96

42,30

10,99

5,74

16,40

6,87

5,18

13,89

40,50

1,69

31,40

7,34

p < . 001

p < . 001

p < . 001

NS

p < . 001

NS

Les effets d’amorçages sémantiques sont manifestes pour les antonymes, les synonymes, les objets qui ont les mêmes fonctions, les instances de la même catégorie ainsi que celles ayant des propriétés associées. L’amorçage est enregistré aussi bien lors de décisions lexicales (Fischler, 1977 ; Flores d’Arcais et al., 1985 ; Hodgson, 1991 ; McKoon & Ratcliff, 1995 ; Perea & Gotor, 1996 ; Perea & Rosa, 2002 ; Schreuder et al., 1984 ; Seidenberg et al., 1984) que lorsque la tâche consiste à prononcer la cible (Hodgson, 1991 ; McKoon & Ratcliff, 1995 ; Perea & Gotor, 1996). Compte tenu de la part des cooccurrences situationnelles dans les associés (16,40 % pour les noms communs et 31,40 % pour les verbes), il est nécessaire d’analyser leurs natures et en particulier de se demander si elles ne peuvent être expliquées en termes de relations prédicatives.

7.2.2. Cooccurrences et analyse prédicative La présentation de l’analyse prédicative est suivie de la description des rôles sémantiques et de leurs intégrations dans le lexique.

Description de l’analyse prédicative1 «  L’essor récent des théories qui font appel à un niveau de représentation logico-mathématique a entraîné un recours fréquent à la notion de prédicat logique : il s’agit, alors, d’un opérateur, mis en relation avec divers arguments. Ainsi, la proposition Paul donne le journal à Sophie aurait une représentation logique du genre : donner (Paul, le journal, Sophie) où le verbe est une constante prédicative, et les arguments des constantes individuelles. » (Dubois et coll., 1999, p. 376). Les verbes, les substantifs, les adjectifs ainsi que certains adverbes et prépositions sont des prédicats. 1. Ce texte a été repris de l’ouvrage de l’auteur intitulé Psychoneurologie du langage : le sens du langage et des objets du monde, publié en 2013 chez De Boeck-Solal.

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« Le terme d’argument désigne une entité à laquelle s’applique une fonction et pour laquelle elle possède une valeur. On posera ainsi dans une classification des verbes que Jean marche est un verbe à un argument, Jean mange une pomme est un verbe à deux arguments, Jean donne une pomme à André est un verbe à trois arguments, et qu’il pleut est un verbe qui a sa fonction en luimême. » (Dubois et coll., 1999, p. 49). Dans l’exemple précédent, donne est le prédicat tandis que pomme, Jean et André sont des arguments. Dans les propositions, chaque prédicat est associé à un ou plusieurs arguments. Néanmoins, chaque prédicat ne peut être associé qu’à certaines catégories d’arguments. Par exemple, le prédicat aimer n’acceptera comme agent qu’un être animé : seuls les êtres vivants aiment. Le cas définit une fonction sémantique et non une fonction syntaxique. Les deux phrases suivantes illustrent cette différence : (i) Pierre casse le verre et (2) Le marteau casse le verre. Dans les deux phrases Pierre et marteau sont sujets du verbe casser. Or, le premier est l’agent, tandis que le second est l’instrument. En 1985, Fillmore propose une grammaire de cas, c’est-à-dire une liste « des fonctions sémantiques pertinentes des entités impliquées dans le procès » (Dubois et coll., 1999, p. 77). La liste que l’on peut retrouver sur le site : http://www mist.ac.uk/apt/manuella/lcs/cg/fillmore/fillm4.htm) est la suivante : −− l’agent (A) est animé et est l’instigateur de l’action ; −− l’instrument (I) est la force ou l’objet impliqué dans la cause de l’état ou de l’action du verbe ; −− l’objet (O) désigne les objets affectés par l’action ou l’état. Dans la phrase « Pierre (A) casse le verre (O) », verre est l’objet ; −− le but est l’entité qui reçoit une action ou une offre. Dans la phrase Jean offre les fleurs à Sabine, Jean est l’agent, fleurs est l’objet et Sabine le but ; −− l’expérimentateur est l’entité impliquée dans un événement psychologique authentique ou dans un état mental ; −− le factitif (F) ou résultatif est l’objet ou l’être qui résulte de l’action ou de l’état décrit par le verbe : Pierre (A) fait un bateau (F), l’objet réalisé est le bateau, Jacques (A) raye sa voiture (F), l’objet affecté est la voiture ; −− le locatif (L) précise la localisation ou l’orientation spatiale de l’état ou de l’action. Il est modal (Lm), exemple : Jean (A) lave (V) sa voiture dans le garage (Lm) ou propositionnel (Lp), exemple : Marie (A) conserve (V) ses bijoux dans un écrin (Lp) ; −− la source (S) et le but (G) sont les lieux de provenance et d’arrivée, début, fin ; −− le comitatif (C) exprime l’accompagnement d’un être animé : Jean (O) est avec Marie (C). Cette énumération permet de comprendre l’utilisation qui peut être faite de la notion de cas et illustre la différence entre le rôle syntaxique et le cas. 155

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À partir de la description de la structure casuelle, il est possible de classer les verbes en fonction du nombre de cas (de 2 à 6 cas) qui peuvent leur être associés, ou en fonction du type de cas et ainsi lister, par exemple, tous les verbes pouvant être associés à un instrument, ceux qui le sont à un agent, etc. Les structures prédicatives participant à l’élaboration des sens et des significations doivent être une composante de la mémoire sémantique.

De la nécessité d’intégrer les structures prédicatives dans la mémoire sémantique L’analyse casuelle répond à des règles qui permettent de préciser les formulations qui sont agrammaticales par rapport à celles qui ne le sont pas. La première règle est que dans une phrase simple, un même cas ne peut apparaître qu’une seule fois. « La phrase “Un marteau a cassé la fenêtre avec une clé” est agrammaticale, car le “marteau” et la “clé” y sont tous les deux analysés comme des instruments » (Manuella, 2001). Cette qualité à elle seule justifie la nécessité d’intégrer la structure casuelle dans la mémoire sémantique. C’est ce qu’ont comprit les chercheurs travaillant sur le traitement automatique des langues qui, à l’instar d’Anderson (2000), font de l’analyse casuelle une branche de la sémantique. La conséquence immédiate d’une telle position est d’attribuer aux prédicats un rôle central dans l’organisation des réseaux sémantiques et ainsi de faire de la proposition « la plus petite unité du discours à laquelle puisse s’appliquer une valeur de vérité » (Le Ny, 1987, p. 27). Par valeur de vérité, on entend le fait qu’il soit possible de procéder à un jugement de vérité de type cette affirmation est vrai ou fausse. Cette approche diffère de celles qui placent les arguments au cœur de l’organisation des réseaux sémantiques (Collin et Loftus, 1975). La force de la relation entre le prédicat et ses arguments a été maintes fois soulignée. Cree, McNorgan, et McRae (2006) ont montré que 75 % des agents et 39 % des patients associés à un prédicat donné sont prédictibles. La différence des pourcentages entre agents et patients s’explique du fait que l’incertitude est plus forte pour les uns que pour les autres. Dans l’expression arrêter quelqu’un, l’agent le plus probable est le policier, tandis que le nombre de patients possibles est plus élevé : le gangster, l’assassin, le voleur… Remarquons cependant que le matériel analysé par les auteurs est très spécifique et que la probabilité d’associer des arguments à un prédicat dépend de sa polysémie. Les données de Cree, McNorgan et McRae (2006) portent sur un échantillon de lexèmes réduit et ne concernent que des verbes non polysémiques. Pour les verbes polysémiques, l’agent comme le patient sont peu prédictibles. En cas de forte polysémie, la présentation d’un verbe active le sens majoritaire (Cordier & Pariollaud, 2007) et l’argument principal. La force de l’association entre le verbe et l’agent, le patient, l’instrument et le lieu a été montrée grâce aux études d’amorçage sémantique indiquant que la présentation du verbe amorce ses arguments les plus fréquents (Cree et coll., 156

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Chapitre 6 – La mémoire sémantique (1)

2006 ; Ferretti, McRae & Hathrll, 2001 ; Garrard et coll., 2001 ; McRae & Cree, 2002 ; McRae, de Sa & Seidenberg, 1997, McRae, Ferretti & Airey, 1996 ; Mc Rae, Spivey-Knowlton & Tanenhaus, 1998 ; McRae, Cree & McNorgan, 1999 ; Bussonne & Rossi, 2000). À niveau d’association équivalent, l’amorçage de l’argument fréquent est comparable à celui du trait sémantique (Bussone & Rossi, 2000b ; Cree, McNorgan & McRae, 2006). Il est donc logique de les intégrer dans les réseaux conceptuels. On peut s’interroger sur l’origine de ces cooccurrences, sont-elles situationnelles ou verbales ? Dans les normes françaises élaborées avec un échantillon d’étudiants, le prédicat acheter est principalement associé à l’argument livre, alors que dans les textes ces deux lexèmes sont rarement cooccurrents. Dans ce cas, la cooccurrence est plus vécue que lue. Selon François Rastier (2011), il faut relativiser le rôle de la cooccurrence dans les textes. Il illustre son propos en remarquant que dans la base de textes Frantex, le lexème homme est très fréquemment associé à remarquable (homme remarquable) tandis que le lexème femme l’est à nue (femme nue). L’intégration dans la mémoire sémantique de la structure casuelle et donc l’association des arguments les plus fréquemment connectés aux prédicats posent la question de l’organisation de ces différentes composantes. L’explication de la connexion entre un lexème et son/ses associés principaux est confirmée par les expériences d’amorçage sémantique.

Amorçage sémantique des associés et explication des relations entre un lexème et son/ses principaux associés L’amorçage sémantique des associés cooccurrents qui ne sont pas des traits sémantiques a été établi dans différentes tâches (Carroll & Kirsner, 1982 ; Dagenbach, Horst & Carr, 1990 ; Durgunoglu & Neely, 1987 ; Hayes and Bissett, 1998 ; McKoon and Ratcliff, 1979 ; Neely & Durgunoglu, 1985). En application de la loi de Hebb, la répétition de ces cooccurrences aboutit à renforcer les liens au point que les objets et protagonistes cooccurrents forment un tout indissociable. L’explication la plus simple des associations liées aux cooccurrences consiste à considérer que le lexème amorcé deviendrait, du fait de sa fréquence, une caractéristique de l’amorce. La présentation de canari amorcerait cage dans la mesure où cet oiseau est généralement perçu enfermé dans une cage. Cette cooccurrence situationnelle pourrait aussi être renforcée par les descriptions verbales de sorte que cooccurrences situationnelles et verbales cumuleraient leurs effets sans d’ailleurs que l’on sache la part de chacune d’entre elles. L’effet de ces cumuls aboutit à faire du lexème amorcé une caractéristique de l’amorce : cage deviendrait ainsi une caractéristique de canari. Dans cet exemple, la liaison serait renforcée du fait que le canari est le prototype de l’oiseau domestique et donc qui dit oiseau domestique dit cage. L’association serait ainsi médiatisée. Comme précédemment, cage deviendrait une caractéristique de canari, au 157

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même titre que jaune. Certains lieux (chameau-désert, pingouin-banquise…) comme certaines périodes temporelles (soleil-été, hiver-neige…) deviendraient des caractéristiques des amorces et seraient de ce fait intégrées dans les dénotations. Il en est de même pour les objets qui décrivent les fonctions principales des amorces. Clou est associé à marteau puisqu’on se sert principalement d’un marteau pour enfoncer des clous. C’est son usage le plus fréquent. Dès les premiers jours de la vie, le nourrisson est confronté à des situations répétitives comportant les mêmes objets et dans lesquelles les mêmes sensations sont éprouvées, les mêmes actions sont développées. Les répétitions aboutissent à la formation d’associations : association entre la tétée et le plaisir qu’elle procure, entre le biberon et le plaisir qu’il engendre, entre la mère et la satisfaction éprouvée, bref, entre tous les éléments constitutifs de la situation « tétée ». Certaines de ces associations perdurent à l’âge adulte, se transforment, s’élaborent sur la base de nouvelles expériences vécues et de nouvelles connaissances livresques ou non. Ces associations nouvelles et anciennes sont stockées en mémoire et enrichissent les réseaux constituants la mémoire sémantique. Il paraît donc logique d’associer aux concepts les autres catégories de connaissances : connaissances propositionnelles, objectuelles, procédurales et schémas cognitifs. C’est à la description de ces connaissances qu’est consacré le chapitre suivant.

8. Résumé concernant les traits sémantiques et les divers associés Dans l’état de connaissances, il est possible de dresser un premier tableau des unités constitutives des réseaux conceptuels et de préciser ce que l’on sait d’eux. Nombre de données et particulièrement celles obtenues avec les techniques d’amorçage sémantique indiquent que ces réseaux sont essentiellement constitués de traits sémantiques, d’unités faisant partie des champs lexicaux et dérivationnels et d’associés cooccurrents correspondant principalement aux structures prédicatives. L’approche componentielle du sens a permis de décrire les traits sémantiques constitutifs des signifiés attachés aux objets du monde et aux lexèmes dans leurs composantes dénotatives et connotatives qui une fois activées renvoient aux références. Ces traits comportent généralement la catégorie d’appartenance de l’objet décrit suivie de ses propriétés et caractéristiques spécifiques. Les études du nourrisson ont montré que l’analyse sémantique de la perception aboutit à l’élaboration des premières catégories conceptuelles (êtres vivants/objets manufacturés…) formées à partir d’images-schémas et de primitives spatiales. Progressivement, celles-ci vont acquérir leur autonomie et 158

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servir de critère de référence à l’élaboration des autres catégories. Ainsi, l’interprétation de ce qui est perçu et la tentative de lui donner un sens vont s’appliquer à l’ensemble des situations et événements, actions, procès, fonctions et états. La comparaison entre les instances appartenant à la même catégorie, renforcée par l’intervention des adultes qui rectifient verbalement les dénominations erronées, est à la base de la différenciation entre unités appartenant à la même catégorie. Les traits sémantiques sont hiérarchisés de sorte que la présentation des objets du monde ou des lexèmes active directement les composantes les plus caractéristiques. Cette structure de base est complétée par des associés appartenant aux champs lexicaux (antonymes, synonymes…) et dérivationnels, et par des cooccurrents situationnels qui correspondent souvent à des structures prédicatives (relation prédicat + arguments principaux ou la réciproque : arguments principaux + prédicat). L’étude de différentes catégories d’aphasies comme les enregistrements de l’activité corticale suggèrent qu’une partie des traits sémantiques et des associations sont stockées en mémoire aussi bien dans les aires perceptives primaires et secondaires que dans les cortex pré-moteur, moteur et somesthésique. En résumé, les concepts sont constitués de traits sémantiques (catégories, traits spécifiques, traits différentiels, fonctions, conséquences…), de traits syntagmatiques, de traits conceptuels, de traits dérivationnels (formés à partir du même morphème), de composants du champ lexical (synonymes, antonymes, hyperonymes, hyponymes) et du champ associatif (associés cooccurrents situationnels ou langagiers) ainsi que des associations fréquentes entre prédicat et arguments. Nombre de traits sémantiques sont stockés en mémoire sous la forme de programmes moteurs ou sensoriels et sont enregistrés dans les cortex correspondants, c’est dire à quel point la mémoire sémantique est dispersée dans différentes zones cérébrales. Néanmoins, il est possible de décrire les zones corticales activées par la perception des objets et l’audition ou la lecture des mots. L’intégration des structures prédicatives pose la question de la relation entre les réseaux conceptuels et l’ensemble des connaissances. L’étude de ces relations est l’objet du chapitre suivant.

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Chapitre 7 – La mémoire sémantique (2)

Chapitre 7 La mémoire sémantique (2). Connaissances propositionnelles, schémas cognitifs, images et savoir-faire Dans la mémoire sémantique sont aussi stockés les connaissances propositionnelles, les schémas cognitifs que sont les schèmes, les plans, les scripts et scénarios, les MOP et les savoir-faire moteurs, sensori-moteurs et intellectuels. À ces ensembles, il est proposé d’ajouter les différentes représentations imagées. La description et l’analyse de ces différents répertoires amènent à s’interroger sur l’existence d’une mémoire épisodique différente de la mémoire sémantique et tenter de localiser les réseaux neuronaux dans lesquels ces structures mnésiques sont stockées. Commençons par décrire ce que recouvre la notion de connaissances.

1. La notion de connaissances Dans le Dictionnaire culturel de la langue française, la connaissance est définie comme «  Ce qui est connu ; ce qu’une personne sait pour l’avoir appris  » (A. Rey, 2005). Les connaissances sont donc limitées aux savoirs qui résultent d’apprentissages ; sont donc exclus les réflexes et tout ce qui relève du domaine de l’innée. L’origine des connaissances est multiple. Aux connaissances acquises par l’étude, l’enseignement, l’observation, les différents types d’apprentissages, il faut ajouter celles qui résultent soit d’expériences acquises suite à des vécus soit d’inférences. Dans la tradition philosophique, les connaissances sont définies comme des « croyances vraies, justifiées reposant aussi bien sur des argumentations logiquement incontestables que sur des faits non accidentels » (Wikipédia, 2012). La croyance serait donc une connaissance non justifiée ou non établie sur des faits, ne résultant pas d’un raisonnement ou d’une démonstration. Ainsi, la 161

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rotondité de la terre aurait été une croyance jusqu’au moment où elle a été démontrée. La rotondité de la terre serait une connaissance pour ceux qui sont capables de la justifier, mais ne serait qu’une croyance pour ceux qui seraient incapables d’énoncer les preuves de cette assertion. La frontière entre connaissances et croyances dépend de nos propres référents. Sont considérées comme connaissances l’ensemble des concepts, des schémas cognitifs (schèmes, plans, scripts, MOP) et différents savoir-faire (moteurs, sensori-moteur et intellectuels), des structures logiques et des règles de raisonnements. À cela, il faut ajouter les savoirs liés à une discipline (connaissance des langues, de l’histoire…), aux traditions, aux cultures (arts, coutumes, savoir-vivre…), à nos expériences et vécus. Les classifications des connaissances sont diverses. Elles peuvent être catégorisées en référence aux domaines d’applications : connaissances mathématiques, juridiques… ; en fonction de leurs natures : connaissances techniques, connaissances des règles… ; ou même sur la base de leurs origines : connaissances livresques, connaissances acquises par essais et erreurs… Bref, les catégorisations sont multiples, mais, dans le cadre de cet ouvrage, seules intéressent les classifications qui sont susceptibles d’informer sur le rôle et la position de ces connaissances dans la mémoire. Dans ce cadre, trois catégories de connaissances semblent pertinentes. La première concerne les connaissances propositionnelles : savoirs concernant les volcans, la mer ou l’histoire de France. La seconde regroupe l’ensemble des schémas de connaissances ou schémas cognitifs. La troisième, plus personnelle, est liée à des expériences de vie, que Tulving (1972) nomme les mémoires épisodique et autobiographique, qui correspondent au stockage d’événement daté et localisé : mémoire de mon mariage, de ma première voiture, d’une fête particulière ou d’un événement émotionnellement fort. Que recouvre, l’expression «  connaissances propositionnelles » ?

2. Les connaissances propositionnelles « La connaissance propositionnelle est le fait de savoir qu’une certaine proposition est vraie, par exemple, “savoir que la Terre est ronde” cette affirmation est vraie ou fausse  » (Wikipédia, 2012). Comme le suggère l’exemple, une partie des connaissances propositionnelles porte sur les propriétés et fonctions des objets (res), la rotondité est une caractéristique de la terre. Ces propriétés, lorsqu’elles sont caractéristiques, sont des traits sémantiques. Certes, seuls le ou les traits les plus caractéristiques sont activés lors de la présentation du lexème isolé, néanmoins, les autres peuvent l’être lorsque le mot est intégré dans une expression ou une phrase. Le contexte peut rendre une caractéristique fondamentale de sorte que tout texte traitant de la terre peut activer des propriétés de cette planète faisant partie de mes connaissances. Dans le chapitre 162

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précédent, il a été indiqué que les concepts pouvaient être constitués de trois types de traits sémantiques : (i) les catégories ou traits généraux ; (ii) les traits spécifiques qui caractérisent l’objet (lenteur pour la tortue) ; (iii) les traits différentiels qui permettent de différencier un objet des autres objets de la même famille. Ces trois catégories de traits sémantiques sont autant de connaissances propositionnelles. Les propriétés et caractéristiques intégrées dans les concepts dépendent en grande partie des connaissances et des intérêts de chacun. Le concept terre de l’astronome comporte évidemment nombre de composantes que l’on ne retrouve pas dans celui du jeune enfant. Pour l’un, la terre est une balle sur laquelle on vit, tandis que pour l’astronome, la terre est une sphère aplatie aux pôles, c’est une planète du système solaire dont la révolution est de… Le contenu du concept varie en fonction du niveau de connaissance et des intérêts de chaque individu, de sorte qu’à chaque concept, il est possible d’associer les connaissances afférentes, sachant qu’à un moment donné, ne sont activées que les connaissances auxquelles on s’intéresse ou qui sont nécessaires à la compréhension et la cohérence du message (Campion & Rossi, 1999). La notion de connaissance propositionnelle recouvre non seulement nombre de propriétés, mais aussi la description d’environnements, de processus, de fonctionnements, de parties, d’états, et de relations qui s’ajoutent aux composantes des concepts. Posséder des connaissances de la photosynthèse consiste à connaître ses effets, les processus selon lesquels les plantes synthétisent la matière organique en utilisant la lumière du soleil, le rôle de la chlorophylle, les échanges d’électrons, le cycle de Krebs inverse... bref tout un ensemble de descriptions. Si lors de la présentation isolée du lexème ou de l’objet du monde ne sont activés qu’un nombre limité de traits sémantiques, au sein d’une assertion et dans un environnement particulier, la présentation de tout lexème et de tout objet du monde est susceptible d’activer d’autres connaissances. Les composantes faisant partie du noyau conceptuel sont distinguées des autres connaissances qui, moins basiques, ne sont activés qu’en fonction des contextes. Prenant en compte cette distinction, Chomsky (1971) a proposé d’opposer les traits inhérents aux traits contextuels. Deux modèles d’organisation sont alors envisageables : (i) toutes les connaissances propositionnelles font partie des concepts, mais elles sont hiérarchisées de sorte que les activations dépendent de leurs prégnances par rapport aux contextes ; (ii) certaines connaissances propositionnelles ne font pas partie des concepts et sont stockées dans un répertoire spécifique relié à la mémoire sémantique. Les données sur la pertinence de la séparation entre ces deux structures et, le cas échéant, sur leurs articulations manquent actuellement. L’hypothèse de leur fusion semble la plus plausible. Le réseau constitué autour du concept n’est pas limité aux propriétés caractéristiques, mais comporte aussi les associés médiatisés : cooccurrents phra163

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siques ou situationnels qui peuvent être considérés comme autant de connaissances propositionnelles de sorte que l’association entre canari et cage correspond à un savoir : le canari est un oiseau domestique que l’on peut observer dans des cages. Les connaissances, quelles que soient leurs natures, sont acquises directement ou sont inférées. Par connaissances directes, on entend des connaissances acquises par des observations, des manipulations ou des savoirs transmis par des médias, des lectures ou l’audition d’informations. En revanche, les connaissances inférées résultent de conséquences ou de conclusions. Le terme inféré est ici synonyme de déduit. Le raisonnement comme la confrontation entre différentes connaissances permet d’élaborer de nouvelles connaissances qualifiées d’inférées. À côté de l’ensemble de ces connaissances et à l’instar de Broadbent (1991) et de Baddeley (1993), nombre d’auteurs intègrent dans la mémoire sémantique les schémas cognitifs qui possèdent les mêmes qualités que les concepts, mais décrivent des situations, événements et savoir-faire prototypiques. Les convergences entre concepts et schémas cognitifs apparaissent clairement dans la description de ces derniers.

3. Les schémas cognitifs La présentation de la notion de schéma cognitif est suivie de la description des différentes catégories de schémas.

3.1. La notion de schéma cognitif Introduite par Kant (1787) dans La critique de la raison pure, la notion de schéma fut reprise en psychologie par Bartlett en 1932. « Un schéma est une structure cognitive qui spécifie les propriétés générales d’un objet ou d’un événement, et abandonne tout aspect spécifique ou contingent. Il permet à des objets d’être rattachés à des catégories générales, et, par suite, d’en hériter les propriétés » (Doron & Parot, 1991, p. 615). Spécifier les propriétés générales des objets consiste à définir les concepts, la nouveauté repose sur la généralisation des descriptions aux événements, séquences d’événements, situations, actions, séquences d’actions et savoir-faire tant moteurs (marcher…), sensorimoteurs (saisir un objet…) qu’intellectuels (calculer, comprendre…). Ainsi, les schémas cognitifs, comme les concepts, sont des prototypes représentant les traits communs d’événements, situations, savoir-faire... Le schéma de récit, par exemple, décrit les séquences dont il est composé habituellement : événe164

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ment initial, complication, résultat… Ces séquences sont instanciées1 dans un récit particulier. Les schémas cognitifs représentent aussi bien des connaissances que des savoir-faire (procédures) : mémorisations de la structure de l’atome, de l’organisation d’un moteur à quatre temps, mais aussi de procédures : savoir démarrer une voiture, prendre l’autobus, résoudre un problème de fuite d’eau, faire une multiplication… Rumelhart et Ortony (1977), à la suite de Rumelhart et Norman (1985), énumèrent les cinq principales caractéristiques des schémas : −− les schémas comportent des éléments fixes et des variables. Vendre un objet comporte des éléments fixes : échanger un objet contre de l’argent. À chaque élément fixe peuvent être associées des valeurs. La valeur est une instance de la variable. Dans la phrase : « j’achète un livre 25 euros », « livre » et « 25 euros » sont des valeurs associées aux éléments fixes que sont l’objet échangé et l’argent versé ; −− les schémas peuvent s’emboîter. Rumelhart et Ortony (1977) donnent l’exemple du schéma de l’œil qui peut être emboîté dans celui du visage tandis que celui de l’iris est emboîté dans le schéma de l’œil ; −− les schémas peuvent se situer à tous les niveaux d’abstraction : concepts concrets (la voiture, le stylo…) ou concepts abstraits (la liberté, l’intelligence…) ; −− les schémas représentent des connaissances plutôt que des définitions. En cela, le schéma se distingue des concepts ; −− les schémas sont des mécanismes actifs de reconnaissance. Connaître le schéma d’un objet, d’une situation, d’un événement… facilite non seulement la reconnaissance de l’instance qu’il représente, mais aussi sa compréhension et sa production. La connaissance de la structure d’une narration facilite aussi bien sa compréhension que sa production. Les schémas sont généralement organisés hiérarchiquement et peuvent prendre la forme d’un organigramme. Un récit comprend un cadre et une structure événementielle décomposée en épisodes constitués d’un début, d’une cause, d’un développement et d’une fin. Comme cela était souligné précédemment, le schéma est une structure de représentation des connaissances. L’intitulé des schémas varie en fonction de la connaissance à laquelle il s’applique.

1. Le terme instancié est un néologisme utilisé en psychologie pour signifier « prendre une forme particulière ». Un schéma va être instancié dans une situation particulière. Les composantes du schéma vont alors prendre des valeurs correspondant à une situation. Le protagoniste du schéma sera par exemple Pierre, la scène initiale sera la rencontre de Pierre avec Sabine…

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3.2. Différents schémas cognitifs Aux différentes catégories de connaissances correspondent différents types de schémas. Les schèmes, les scripts, les scénarios, les plans, les MOPS et l’ensemble des savoir-faire sont les principaux schémas décrits par les psychologues. Chacun possède des spécificités qui en font son originalité.

3.2.1. Les schèmes Les schèmes doivent leurs succès aux travaux de Piaget qui utilise cette notion dans sa description du développement de l’enfant. Pour cet auteur  : «  Un schème est la structure ou l’organisation des actions telles qu’elles se transfèrent ou se généralisent lors de la répétition de cette action en des circonstances semblables ou analogues » (Piaget, 1964, p. 11). Un schème est donc un programme d’action applicable à une classe de situations. Jean Piaget décrit le développement cognitif de l’enfant en termes d’acquisition de schèmes. Dans la liste des schèmes qui caractérisent le développement cognitif de l’enfant et de l’adolescent, Piaget énumère non seulement des savoir-faire sensori-moteur tels que la programmation de la saisie d’un objet qui comporte une estimation des distances, l’adaptation du mouvement en fonction de la localisation et de la nature de l’objet à saisir… mais aussi des schèmes intellectuels : conservation des volumes (tout allongement d’un objet est compensé par une diminution de l’épaisseur), permanence des objets, maîtrise des proportions, etc.. Dans ses descriptions du développement, Jean Piaget s’intéresse à l’épistémologie génétique, c’est-à-dire à la construction des structures logiques. Le terme de schème ne désigne que la construction des structures logiques, alors que la notion de savoir-faire concerne tous les savoir-faire qui conditionnent notre activité quotidienne qu’elles soient sensori-motrices ou intellectuelles. Tout au long de son développement, l’enfant va acquérir de nouveaux schèmes. Les schèmes sont des programmes d’actions qui doivent être adaptés aux situations rencontrées. L’apprentissage d’un schème n’est pas seulement lié à la répétition, il implique la généralisation et repose sur une dynamique assimilation accommodation. Face à une situation, on cherche le schème qui permet de la traiter (assimilation) et le cas échéant on adapte ce schème (accommodation). Ces processus d’assimilations et d’accommodations permettent de progresser d’un schème de base à un schème supérieur. Les schèmes sont d’abord sensori-moteurs puis logiques et intellectuels. Retenons que si, selon Jean Piaget, le progrès dépend de l’expérience, la simple répétition des situations n’est pas suffisante.

3.2.2. Les plans Par rapport aux schèmes qui structurent le développement de l’enfant et de l’adolescent, le plan décrit les actions finalisées vers un but. Il décrit les étapes 166

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permettant d’atteindre ce but. Toute personne se fixe des buts, se donne les moyens de les réaliser, prédit les conséquences de ses actions et réciproquement interprète les actions des autres et infère leurs intentions. Les schémas d’actions décrivant les moyens d’atteindre ces buts sont des plans. La notion de plan est étendue à l’élaboration des stratégies mises en œuvre pour atteindre un but, aux programmes d’actions permettant d’atteindre un but : stratégies pour séduire, pour convaincre… L’élaboration d’un plan et l’interprétation des actions des autres reposent à la fois sur la répétition des situations et sur leurs analyses débouchant sur la mise au point de stratégies et l’adaptation des moyens permettant d’atteindre le but. Par rapport aux plans, les scripts sont plus restrictifs, car limités à la description de séquences d’actions des événements sociaux.

3.2.3. Les scripts et scénarios Les scripts, développés par Schank et Abelson (1977), décrivent les actions composant des événements sociaux  : aller au restaurant, faire sa toilette, prendre l’avion ou le bus… Un script est composé d’une suite de scènes qui peuvent être adaptées aux situations particulières. Le terme scénario est utilisé comme synonyme de script. Il est composé de scènes mettant en jeu des acteurs qui remplissent des rôles définis dans des circonstances précises. Les scènes comportent des actions et une série de tableaux. Le script du restaurant proposé par Baddeley (1992, p. 370) comporte : −− des acteurs : « client, serveur, cuisinier, caissier, patron », mais on devrait aussi ajouter, pour les grands restaurants, «  maître d’hôtel, sommelier… » ; −− des conditions qui spécifient les circonstances qui conditionnent le développement des actions : « avoir faim, avoir de l’argent… » ; −− des résultats qui précisent ce à quoi l’on aboutit : « le client n’a plus faim, il a moins d’argent, le patron du restaurant en a plus, » on pourrait aussi ajouter la « satisfaction d’un bon repas ou le désagrément de s’être fait avoir… » ; −− des scènes qui, comme au théâtre, découpent la chaîne des actions  : « entrée, commande, repas, sortie… ». Chaque scène comprend une série de tableaux : « le client prend le menu, il lit le menu… ». La version simplifiée du script du restaurant est présentée dans le tableau 1.

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Tableau 1. Version simplifiée du script du restaurant proposée par Baddeley (1992, p. 370) Nom : restaurant Rôles : client serveur cuisinier caissier patron Conditions d’entrées : Le client a faim Le client a de l’argent Scène 1 : Entrée Le client entre au restaurant Le client cherche une table Le client choisit une place Le client va vers une table Le client s’assoit Scène 2 : Commande Le client prend le menu Le client lit le menu Le client choisit les plats Le client appelle la serveuse La serveuse vient à la table Le client passe la commande La serveuse va à la cuisine La serveuse donne la commande au cuisinier Le cuisinier prépare la nourriture

Propriétés : tables menus nourriture addition argent pourboire

Résultats : Le client a moins d’argent Le patron a plus d’argent Le client n’a plus faim Scène 3 : Repas Le cuisinier donne la nourriture à la serveuse La serveuse apporte la nourriture au client Le client mange la nourriture

Scène 4 : Sortie La serveuse fait l’addition La serveuse va vers le client La serveuse donne l’addition au client Le client donne un pourboire à la serveuse Le client va vers la caisse Le client paye Le client sort du restaurant

Le contenu et le déroulement du script doivent évidemment être adaptés en fonction des situations. Le déroulement du déjeuner dans un restaurant routier ou dans un self-service diffère de celui qui se prend dans un restaurant de luxe. Les us et coutumes varient aussi selon les pays. Bref, le script peut varier et doit être adapté aux situations particulières. La pratique est généralement à l’origine de l’apprentissage du script. C’est en allant au restaurant, en observant la façon dont les autres se comportent et s’adaptant aux différentes expériences du restaurant que s’élabore et se stocke le script du restaurant. Les invariants des scénarios sont dégagés et mémorisés. Les scripts sont des scénarios sociaux qui, comme tous les schémas, peuvent être décomposés en éléments nommés MOP. 168

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3.2.4. Les MOPs Les séquences composant un plan ou un script sont isolées par Schank (1982) pour former des unités de base qu’il nomme MOP (Memory Organization Packet). Par exemple, les connaissances sur l’hôpital résultent de la connexion entre les MOPs associés à la guérison, aux soins, aux diagnostics, aux procédures d’entrées et d’hospitalisations… Chacun de ces MOPs peut entrer dans la constitution d’un plan, d’une scène, d’un script ou d’un MOP de niveau supérieur. L’idée intéressante est que des unités de connaissances élémentaires de type thématique peuvent être intégrées dans des unités plus ou moins larges, ce qui évite des stockages multiples. Exemple, le MOP décrivant la procédure utilisée pour prendre un rendez-vous s’applique quel que soit son objet : rendez-vous à l’hôpital, chez un notaire, un dentiste… à quelques nuances près, la procédure est identique.

3.2.5. Savoir-faire moteurs, sensori-moteurs et intellectuels Dans Le Trésor de la langue française, un savoir-faire est défini comme une « pratique aisée d’un art, d’une discipline, d’une profession, d’une activité suivie ; habileté manuelle et/ou intellectuelle acquise par l’expérience, par l’apprentissage, dans un domaine déterminé ». Plus généralement, on considère qu’un savoir-faire est une procédure mise en œuvre pour réaliser une tâche donnée. L’apprentissage de cette procédure résulte souvent de la répétition. Il s’agit aussi bien de la marche, du démarrage d’une voiture, de sa conduite que du calcul ou des procédures mises en œuvre pour lire ou comprendre un texte, etc. Il s’agit donc de tous les savoir-faire qui sont opérants aussi bien dans la vie quotidienne que dans les activités professionnelles : savoir marcher, savoir lire, mais aussi savoir rédiger un article, un jugement ou un procès-verbal. Parmi ces savoir-faire, il n’est peut-être pas pertinent de différencier les moteurs des sensori-moteurs dans la mesure où la plupart des activités motrices nécessitent des processus de régulation liés à la perception. Même la marche qui est une activité très automatisée requiert des adaptations consistant à prendre en compte des informations sensorielles : visuelles, kinesthésiques ou somesthésiques permettant de s’adapter à l’état du terrain, de maintenir de l’équilibre, de tenir compte de la fatigue, du niveau d’entraînement, de la dépense énergétique, etc. Bref, la plupart des activités motrices mettent en jeu une coordination sensori-motrice dont la part et le rôle sont évidemment variables. Si cette description des schémas cognitifs témoigne de leurs diversités, tous possèdent des propriétés communes qui ont été précisées lors de leurs élaborations.

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3.3. Propriétés des schémas cognitifs Ces différents schémas cognitifs peuvent être assimilés à des programmes informatiques qui décrivent les opérations à mettre en œuvre pour réaliser une tâche donnée. Le schème de la préhension est un savoir-faire constitué du programme des opérations nécessaires à la saisie d’un objet : estimation de la distance entre l’individu et l’objet, évaluation de son volume, de son poids et de sa consistance, programmation des mouvements permettant de le saisir et de le déplacer. Ce programme est le résultat de plusieurs semaines d’entraînement aboutissant à la création d’automatismes, qui sont développés et se déroulent sans attention. Il en est de même pour les procédures intellectuelles dont certaines sont décrites et font l’objet d’entraînements (procédures permettant de faire des multiplications, apprentissage de la lecture et de l’écriture…). Remarquons que nombre de savoir-faire sont acquis après des apprentissages par essais et erreurs que l’on est incapable de décrire. Les procédures permettant de tenir en équilibre sur un vélo ou celles qui sont mises en œuvre pour comprendre un texte ne sont généralement pas explicitées. Ces procédures ont été l’objet d’apprentissages et d’automatisations qui peuvent être explicites ou implicites. Apprendre à calculer est l’objet d’exercices implicites, les enseignants décrivent les procédures qui permettent de réaliser les différentes opérations (addition, soustraction…). En revanche, nombre d’acquisitions nouvelles sont le fait d’apprentissages incidents, c’est le cas des schémas de récits qui, avant d’être l’objet d’apprentissages implicites, sont extraits à partir de la lecture de différentes histoires et narrations. L’automatisation de ces procédures peut amener à ce que l’on devienne incapable de les décrire, soit par ce qu’elles résultent d’apprentissages par essais et erreurs soit par ce que la description de la procédure a été oubliée. Dans le premier cas, la procédure n’a jamais été explicitée, l’exemple le plus commun est celui de l’apprentissage du vélo ; il en est de même pour nombre de procédures intellectuelles, les chercheurs en psychologie tentent de décrire les procédures permettant de comprendre un texte. L’oubli de la description des procédures suite à leurs automatisations est fréquent, lors de l’apprentissage d’un sport, le moniteur explicite et décrit les attitudes et mouvements à mettre en œuvre, après une longue pratique les savoir-faire sont tellement automatisés que leurs descriptions sont oubliées. Deux caractéristiques de ces savoir-faire méritent d’être soulignées : −− les savoir-faire sont des schémas qui s’appliquent à des situations différentes. Les procédures mises en œuvre pour lire sont applicables à tous les textes écrits. La généralisation est une des propriétés de tous les schémas. À chaque constante du schéma s’appliquent les variables correspondantes à la situation. Les procédures permettant de réaliser une multiplication s’appliquent, quels que soient les nombres ou les chiffres proposés ; 170

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−− l’automaticité. Elle concerne essentiellement leur déroulement. Le programme décrivant les différentes opérations à mettre en œuvre se déroule automatiquement et souvent sans pouvoir être interrompu. On dit qu’il est « encapsulé » pour signifier qu’une fois déclenché, il se déroule sans pouvoir être interrompu. Certains de ces programmes sont même automatiques dans leurs déclenchements, c’est le cas de la lecture, toute présentation d’un mot déclenche chez l’adulte lettré sa lecture automatique (Fraisse, 1964). Dans ce cas précis, le programme est dit « encapsulé » pour signifier qu’une fois déclenché, il va jusqu’à son terme sans pouvoir être interrompu. L’utilité des différents schémas cognitifs qui viennent d’être décrits mérite d’être explicitée.

3.4. L’utilité des schémas cognitifs Les schémas cognitifs stockés en mémoire facilitent la reconnaissance, la compréhension et la production, mais servent également de bases aux inférences.

3.4.1. Faciliter la reconnaissance Posséder en mémoire un schéma facilite la reconnaissance des objets du monde réel ou fictif qui en sont des instances particulières. Chacun se souvient de la première fois où il a utilisé un microscope. La mise au point et l’identification de l’objet observé sont facilitées par les schémas présentés au préalable. Leurs connaissances donnent des repères permettant de structurer les informations perçues, de les situer et de les interpréter. De même, connaître la structure d’un article permet de savoir où se trouve l’information que l’on recherche.

3.4.2. Aider à la compréhension Cette connaissance facilite aussi la compréhension, car chaque information lue est non seulement située, mais peut être aussi facilement interprétée, puisque savoir que telle partie du texte introduit la problématique alors que dans telle autre les argumentations sont développées et qu’à la fin une conclusion est présentée, permet d’identifier la finalité de chacune des informations présentées.

3.4.3. Faciliter la production De même, la connaissance des schémas facilite la production. La connaissance du script du restaurant guide le comportement de chaque client en spécifiant les séquences d’actions qu’il doit mettre en œuvre lorsqu’il va au restaurant. 171

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De façon similaire, la connaissance de la structure de l’article présentant des données d’expériences facilite son écriture. Chaque société scientifique édite des ouvrages présentant les structures des articles qu’elle est susceptible de publier. La connaissance des schémas, et plus particulièrement celle des scripts, permet d’agir sans effort attentionnel, de s’adapter aux circonstances sans difficulté. Connaître les séquences d’actions qui doivent être développées dans une situation donnée permet de les mettre en œuvre de façon automatique, c’est-à-dire sans effort attentionnel. Ceci est aussi vrai pour les comportements moteurs que pour les activités cognitives. Posséder le schème de préhension permet de saisir un objet sans difficulté, de même posséder le schème de la conservation permet d’affirmer que toute expansion de la longueur est compensée par une diminution de la largeur.1

3.4.4. Anticiper et produire des inférences Enfin, la connaissance des schémas cognitifs est source d’anticipation et d’inférences. Anticipation concernant la suite des événements et inférences permettant d’établir les cohérences locales et globales. En logique, inférer « c’est tirer une conclusion d’un fait, d’une observation au moyen d’un raisonnement » (Doron, Parot, 1991). La déduction, l’induction et l’abduction sont les trois principales inférences logiques. Elles doivent être distinguées des inférences qui sont produites en utilisant les connaissances du monde pour expliciter des propriétés nécessaires à l’élaboration du modèle de situation et donc faciliter la compréhension. Dans ce cas, les connaissances du monde sont mobilisées pour activer des informations qui ne sont pas explicitées dans le message. Lire que Jean a mis six heures pour aller de Paris à New-York permet d’inférer qu’il a fait ce trajet en avion. De telles inférences ne sont produites que si elles sont nécessaires à la compréhension du message et à la cohérence de la représentation mentale élaborée (Campion et Rossi, 2001). Les inférences jouent un rôle important dans notre vie quotidienne : elles facilitent la compréhension et allègent considérablement l’expression puisque, sachant que les interlocuteurs font appel à leurs connaissances, on n’est pas obligés de les expliciter. Il n’est pas nécessaire de préciser que j’utilise un couteau lorsque j’affirme que je coupe la viande, ou que le verre en cristal s’est brisé lorsque je dis qu’il est tombé sur le carrelage. La possibilité de procéder à ces

1. On fait référence aux épreuves de conservation des volumes élaborée par Piaget. Dans ces épreuves, deux boules de pâte à modeler sont présentées à l’enfant. Après avoir constaté qu’elles sont égales, on transforme devant lui l’une d’entre elles en l’étirant et lui donnant la forme d’un serpent. Cette opération étant réalisé il est demandé à l’enfant qu’elle boule contient le plus de pâte à modeler, l’enfant de cinq ans répond que c’est dans la boule la plus longue. À cet âge, l’enfant ne possède pas la conservation des volumes.

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inférences dépend évidemment des connaissances qui sont stockées en mémoire. La plupart de ces différents schémas cognitifs sont en place après un seul essai, d’autres exigent de nombreuses répétitions et, dans ce cas résultent d’apprentissages incidents ou volontaires, certains nécessitent des explications verbales d’autres non… selon le type de schéma et son contenu, les modalités d’apprentissage varient. Ces différents schémas cognitifs ont un support neuronal dont certains peuvent être localisés.

3.5. Réseaux neuronaux et schémas cognitifs Successivement sont présentés les réseaux neuronaux impliqués dans les schémas sensori-moteurs, dans les mouvements oculaires et dans les savoir-faire intellectuels.

3.5.1. Réseaux neuronaux et schémas sensori-moteurs En toutes circonstances, les savoir-faire moteurs et/ou sensori-moteurs nécessitent une préparation gérée par le cortex pré-moteur qui anticipe et coordonne le séquençage des opérations effectuées par les différentes parties du corps. Suite à cette préparation, le cortex moteur déclenche les commandes des mouvements en liaison avec les deux structures sous-corticales que sont le striatum (noyau caudé et putamen) et le cervelet (figure 1) sous le contrôle des régions frontales (Mochizuki-Kawai, 2008 ; Eichenbaum, 2012). Le striatum est plus généralement impliqué dans la programmation et l’exécution finalisée du mouvement tandis que le cervelet commande les ajustements fins des mouvements (dans le dessin, le sport…). Des recherches récentes attribuent au cervelet un rôle central dans cette mémoire procédurale. Les adaptations aux circonstances locales (dans la marche : perception d’obstacles, modifications de parcours…) sont effectuées en fonction des informations sensorielles transitant dans le striatum et le cervelet en connexions avec les structures corticales et sous-corticales. Le tableau des structures cérébrales impliquées dans ces savoir-faire ne serait pas complet si l’on ne mentionnait pas les composantes émotionnelles traitées dans le cortex limbique. La multiplicité des feedbacks et des différentes connexions en boucle est attestée par les relations entre le cortex moteur et la mémoire sémantique, puisque les patients manifestant des troubles du comportement moteur (Parkinson, maladie d’Huntington, etc.) ont des difficultés dans l’utilisation des verbes dénommant ces activités motrices. Les programmes stockés dans le cortex moteur font donc probablement partie des traits sémantiques associés aux mots. 173

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La variété des connexions se retrouve lors des stratégies oculaires mises en œuvre lors de la lecture : les procédures motrices y sont en partie guidées par l’activité de compréhension de ce qui est lu. Figure 1. Localisations du noyau caudé, du putamen, du cervelet, du thalamus et de la substance grise

Noyau caudé Putamen

Thalamus

Cervelet Substance grise

3.5.2. Activités cérébrales et mouvements oculaires lors de lecture Au cours de la lecture et généralement dans toutes les situations d’exploration oculaire (hormis la poursuite visuelle), l’œil se déplace en faisant des saccades entrecoupées de pauses. Ces déplacements sont liés au fait que l’acuité visuelle est maximum au centre de la rétine (fovéa) et qu’au-delà de trois degrés d’angle la perte d’acuité atteint près de 50 %. Pour voir avec précision et donc pour lire, il faut regarder avec le centre de la rétine. C’est ce qui motive l’exploration oculaire. Le long du texte, l’œil se déplace en faisant des bonds nommés saccades dont la durée ne dépasse pas quelques millièmes de seconde. Ces saccades sont de quatre sortes : (i) saccades de progression sur la ligne ; (ii) saccades de progression pour passer à la ligne suivante ; (iii) saccades de régression pour vérifier une information ; (iv) saccades de régression pour ajuster un placement : l’œil s’étant arrêté entre deux mots, le lecteur procède à un ajustement. L’amplitude de ces saccades varie entre deux et trois lettres à une douzaine. Les saccades sont rapides (entre 8 et 20 millièmes de seconde) tandis que les pauses sont nettement plus longues, elles peuvent varier entre 50 ms et 800 ms. Les plus courtes précèdent les saccades d’ajustement, les plus longues permettent de lire. Ce savoir-faire est en partie automatique et en partie contrôlé puisque la durée des pauses oculaires est un bon indicateur du niveau de compréhension du texte (Just & Carpenter, 1980 ; Ehrlich & Rossi  1982 ; Rossi & Ehrlich, 1985…). Lorsqu’il rencontre des difficultés, le lecteur ralentit sa progression en augmentant les temps de pause et en raccourcissant l’amplitude des saccades. En revanche, lorsque le texte est facile, il accélère. Les chercheurs mettent en relation les différents paramètres de l’exploration oculaire (temps des pauses 174

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et amplitude des saccades), non seulement avec les performances de rappel et de reconnaissance, mais aussi avec la compréhension du matériel exploré (Just & Carpenter, 1980 ; Ehrlich et Rossi, 1982 ; Rossi & Ehrlich, 1985…). L’énumération des activités développées lors d’une pause témoigne de la rapidité des processus mis en œuvre. Le temps d’une pause (quelques centaines de millisecondes), le lecteur décrypte le mot fixé, active sa signification, l’intègre dans le traitement de la proposition, de la phrase et du texte et programme l’amplitude de la saccade suivante en tenant compte à la fois de la difficulté du texte et de la longueur du mot suivant. Si la nouvelle saccade n’est pas positionnée correctement, il la rectifie. De même, si le texte est difficile à comprendre, il peut être amené à procéder à des régressions. L’activité oculomotrice dépend évidemment des muscles oculomoteurs. Les commandes cérébrales se situent essentiellement dans le cervelet et plus particulièrement dans les parties qui traitent des données vestibulaires. Mais la lecture implique l’activité du système visuel, cortex primaire et secondaire et des parties du cerveau traitant le langage  : lecture des mots, activation des signifiés, construction du sens. Le tout fonctionnant en boucle afin que l’activité oculaire puisse prendre en compte les informations visuelles et s’adapter en fonction du niveau de compréhension, d’où le rôle joué par le cortex frontal et pariétal. Selon Leigh et Zee (2006), les structures activées lors de l’exploration oculaire sont les ganglions de la base, le palladium, la substance grise ainsi que le cervelet et le thalamus (figure 2). Le cervelet joue un rôle déterminant dans la gestion des mouvements et leurs coordinations. L’exploration oculaire dépend de la compréhension, il faut prendre donc en compte l’ensemble des structures cérébrales impliquées dans le traitement du texte et donc sa comFigure 2. Lieux probables des zones corticales importantes pour le mouvement des yeux

Ganglions de la base

Thalamus

Cervelet

Muscles oculo-moteurs

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préhension sans oublier les composantes émotionnelles activées par les contenus. Ainsi, les mouvements oculaires mis en œuvre lors de la lecture intègrent des composantes aussi bien motrices que cognitivo-sémantiques. D’autres savoir-faire sont principalement intellectuels, c’est le cas de la résolution des problèmes mathématiques.

3.5.3. Exemples de savoir-faire intellectuels : mathématiques et calcul de probabilités Les savoir-faire intellectuels sont variés : structures logiques dont Piaget donne des exemples (conservations de quantités, proportionnalités…), stratégies de compréhension de textes, calculs mathématiques, raisonnements… Parmi toutes ces procédures intellectuelles, la part du langage est variable. La compréhension de textes fait intervenir les compétences linguistiques, diverses connaissances et des schémas cognitifs, tandis que la réalisation d’une division fait appel aux tables de multiplication et à des procédures spécifiques. La description de tous ces savoir-faire et l’étude de l’activité neuronale qu’ils déclenchent peut faire l’objet d’un ouvrage entier. Dans le cadre de ce livre, on se limitera à la présentation de l’exemple du calcul des probabilités qui a été l’objet d’études approfondies et d’enregistrements de l’activité cérébrale. Le traitement d’un problème mathématique met en jeu l’activité oculaire permettant la lecture des énoncés, puis une représentation des données du problème, le développement de différents raisonnements, la recherche des solutions possibles, les calculs, la mise en œuvre des solutions et, le cas échéant, l’élaboration et la réalisation pratique des réponses adéquates. C’est dire le nombre des parties du cerveau impliquées dans l’ensemble de ces activités ! La lecture de l’énoncé du problème est concomitante à l’activité de compréhension débouchant sur l’élaboration d’une ou plusieurs représentations des données et du problème. Ces représentations déclenchent la recherche des solutions possibles et la mise en œuvre des calculs qu’ils impliquent. La démarche à suivre, une fois programmée, doit être mise en œuvre. Si l’on reprend les différentes opérations décrites ci-dessus, la lecture et, le cas échéant, l’analyse des figures activent les zones cérébrales impliquées dans la perception et la gestion des mouvements oculaires qui ont été énumérés précédemment. Les autres activités mettent en jeu différentes parties du lobe frontal, du lobe pariétal et du cervelet, les aires de Broca et de Wernicke ainsi que le gyrus angulaire. Les représentations mentales sollicitent l’ensemble des zones traitant les représentations visuelles comme en témoignent la corrélation entre les aptitudes mathématiques et les capacités de représentations visuelles. Néanmoins, l’enregistrement de l’activité cérébrale de mathématiciens montre que les circuits activés lors de calculs concernent les régions temporales préfrontales, pariétales et dorsales des deux hémisphères. Ces circuits diffèrent de ceux impliqués dans les traitements linguistiques (Dehaene & al., 1999). 176

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Dans une recherche originale, Knowlton et al. (1996) tentent de dissocier les structures cérébrales impliquées dans la mémoire épisodique de celles dont dépendent les procédures intellectuelles impliquées dans le calcul de probabilités. En comparant les performances de sujets normaux à celles de patients amnésiques présentant des lésions de l’hippocampe et du diencéphale limbique et à celles de Parkinsoniens ayant des dégénérescences du tronc cérébral (substance noire), ils montrent que les amnésiques présentant des lésions du diencéphale limbique réussissent dans le calcul des probabilités, mais sont incapables de se rappeler les circonstances dans lesquelles ils ont effectué la tâche. Les Parkinsoniens ayant des lésions du noyau caudé et du putamen, à l’inverse, échouent dans leurs calculs, tandis qu’ils se souviennent des conditions de leur apprentissage. En résumé, les calculs et leurs apprentissages sont possibles si le diencéphale limbique est préservé tandis que la mémoire épisodique est préservée si le noyau caudé et le putamen ne sont pas lésés. Plus récemment, Karin Foerde et Daphna Shohamy (2011) montrent le rôle central des ganglions de la base en interaction avec le lobe temporal médian dont l’intervention dans la mémoire déclarative a été établi. Dans ces interactions, les ganglions de la base seraient déterminants aussi bien dans la motivation que dans les prises de décisions. Leurs recherches témoignent également de l’importance des verbalisations dans ces catégories de tâches. De plus, les auteurs mettent en évidence le rôle de la dopamine dans le calcul des probabilités. Mais la zone du cerveau particulièrement impliquée dans les calculs mathématiques est le sulcus pariétal inférieur (figure 3). La mémoire à long terme comme les mémoires transitoires ne peuvent être réduites à la conservation des sens et du matériel verbal. Les images issues de sensations visuelles, auditives, olfactives, gustatives, kinesthésiques sont stockées comme le sont nos affects. On est donc amené à s’interroger sur la forme et les lieux de stockage des images. Figure 3. Localisation des réseaux en charge des calculs mathématiques l Centra subus Pa Præcuneus

Ca l ca rin

fissure cip. -oc riéto

Cuneus

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Lingual gyrus

Calcul mathématique

Paracentral lobule Cingulate gyrus

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Isthmus Hippoc Uncus am Fusifor pal gyrus m gyru Infr Inf. tem temp. subus s p. gyru s

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4. Mémoire à long terme et images Bien avant de parler et donc de coder verbalement ses expériences, le nourrisson est confronté à des situations, des objets dont il va stocker les caractéristiques. La mémoire des images est une composante essentielle des mémoires non déclaratives. Que savons-nous de cette mémoire ? Dans la littérature, l’expression « mémoire perceptive » est utilisée à la place de mémoire des images. Une telle expression présente l’avantage de souligner l’aspect perceptif du stockage. Malgré tout, l’activité perceptive consiste en un codage des stimuli qui a peu de chance de se présenter comme une photo dans la mesure où le matériel perçu est interprété à partir des contextes, des intérêts ; le sujet percevant s’intéresse à certaines composantes du stimulus, les valorise ou au contraire les néglige. L’expression «  mémoire perceptive  » peut être conservée si l’on garde à l’esprit que toute perception est une reconstruction. C’est essentiellement pour tenir compte de cette activité d’encodage que, dans la suite de l’exposé, l’expression « mémoire des images » est utilisée.

4.1. Différentes images mentales À chaque domaine sensoriel correspond une catégorie d’images. La vision est à l’origine d’images qualifiées d’iconiques et l’audition d’images échoïques. Malheureusement, aucun terme n’a été proposé pour dénommer les images associées aux autres sens, alors qu’il est généralement accepté que le goût, l’odeur, le toucher et la somesthésie sont à l’origine d’images mentales. Le stockage temporaire de ces images dans des mémoires sensorielles transitoires est accepté. Néanmoins, leurs conservations dans la mémoire à long terme posent problème. Conservons-nous des images de tel événement, tel objet, du goût de tel met, de l’odeur de telle fleur, de la mélodie de telle œuvre musicale, de la douceur de telle peau… ? Existe-t-il des répertoires d’images associés à chaque domaine sensoriel  ? Ou, comme le prétendent Atkinson et Shiffrin (1968), les images codées dans le cerveau ont-elles une durée limitée à la mémoire de travail puis sont rapidement transformées, recodées pour être stockées dans la mémoire à long terme  ? Peut-on, comme l’écrivent Brady, Konkle, Alvarez and Oliva (2008), considérer que durant quelques centaines de millisecondes, l’image perçue est une photographie, dont les détails s’effacent quelques secondes plus tard, et qu’après quelques jours on ne retient que le but de ce qui a été perçu1  ? Plus généralement, la problématique liée au 1. « For example, within a few hundred milliseconds of perceiving an image, sensory memory confers a truly photographic experience, enabling you to report any of the image details (1). Seconds later, short-term memory enables you to report only sparse details from the image (2). Days later, you might be able to report only the gist of what you had seen (3). » Brady, Konkle, Alvarez and Oliva (2008, p. 14325).

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stockage des images consiste à se demander si, dans la mémoire à long terme, sont stockées des représentations imagées ou si le passage des mémoires sensorielles à la mémoire à long terme nécessite un codage propositionnel des images. La question de l’amodalité de la mémoire à long terme a déjà été abordée lors de l’étude des traits sémantiques (p. 121). Il était rappelé que les formes et les contenus exacts des images mentales stockées dans la mémoire à long terme variaient selon les auteurs (Price, 1953 ; Shepard, 1967 ; Atkinson et Shiffrin, 1968, Brady, Konkle, Alvarez & Oliva,2008 Landmark, 1970 ; Standing, 1973 ; Paivio, 1977 ; Kosslyn, 1980 ; Wolf, 1998 ; O’Regan et al., 2001 ; Tucker & Ellis, 2001 ; Marmie & Heuly, 2004 ; Vogt & Magnusen, 2007 ; Brady & al., 2008 ; Barsalou, 2008 ; Palmeri & Tan, 2008). Les hypothèses concernant le contenu et le format des images mentales vont de la simple copie des stimuli à un recodage en caractéristiques plus ou moins abstraites, en passant par des solutions intermédiaires comprenant des reconstitutions de niveaux divers. Pour trancher entre ces différentes hypothèses, on dispose des données fournies par les psychologues expérimentalistes spécialistes des images, particulièrement Pavio (1977) et Kosslyn (1980), et des travaux des neurologues  : observations de pathologies affectant le cerveau et enregistrements neurophysiologiques, comme les enregistrements d’IRM cérébraux. Les données fournies par les psychologues expérimentalistes méritent d’être présentées.

4.2. Données de psychologie expérimentale concernant les images mentales Deux catégories de données ont été produites en psychologie expérimentale. Les premières sont dues aux spécialistes de l’image mentales tels Paivio (1977) et Kosslyn (1980) ; les secondes permettent d’apprécier les capacités de mémorisations des images d’objets et de scènes (Shepard, 1967 ; Landmark, 1970 ; Standing, 1973 ; Wolf, 1998 ; O’Regan et al., 2001 ; Marmie & Heuly, 2004 ; Vogt & Magnusen, 2007 ; Brady & al., 2008 ; Palmeri & Tan, 2008). Comme il a été indiqué précédemment, Paivio (1977) et Kosslyn (1980) ont mis en œuvre des protocoles expérimentaux consistant à faire mémoriser des images puis, après un délai, à demander aux sujets de localiser des objets présentés sur les stimuli. Ils montraient alors que les temps de réponses des localisations étaient proportionnels aux durées d’explorations des images mentales (Kosslyn, 1980). Ainsi, lorsqu’on apprend à décrire un bateau en commençant par l’avant, le temps pour localiser des objets augmente au fur et à mesure que l’on va vers l’arrière du bateau. Ces données suggèrent que le sujet parcourt mentalement la représentation analogique du bateau stockée en mémoire. L’objection à l’existence du stockage d’une image mentale est qu’il est possible que le sujet, au moment d’effectuer la tâche, reconstruise l’image apprise et 179

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donc que celle-ci n’ait pas été mémorisée, mais reconstruite afin de répondre à la question posée. Une telle reconstruction est compatible avec l’hypothèse d’un codage imagé par la mémoire de travail, puis d’un recodage propositionnel au moment du stockage à long terme (Kosslyn, 1980). La mémorisation d’images d’objets et de scènes a aussi été étudiée à partir d’épreuves de reconnaissances (Shepard, 1967 ; Landmark, 1970 ; Standing, 1973 ; Wolf, 1998 ; O’Regan et  al., 2001 ; Marmie & Heuly, 2004 ; Vogt & Magnusen, 2007 ; Brady & al., 2008 ; Palmeri & Tan, 2008). Le protocole expérimental consiste à faire apprendre des images puis à procéder à une épreuve de reconnaissance permettant de déterminer si les sujets sont capables de repérer des détails. Les résultats témoignent de la précision des reconnaissances et du fait que les sujets ont gardé un souvenir précis de chaque image et ont enregistré en mémoire des détails. Cette capacité à rappeler les détails des images semble peu compatible avec la règle selon laquelle quelques jours après l’apprentissage il ne reste en mémoire que le but de ce qui a été perçu (Brady et al., 2008). La durée de la persistance en mémoire des détails ne semble plausible qu’à condition qu’ils aient attiré l’attention de la personne qui était soumise à l’apprentissage. Un effort d’introspection peut nous convaincre de notre difficulté à décrire avec précision les souvenirs que l’on a des objets ou des scènes passées. Je me souviens de la forme de la première voiture de mes parents, de sa marque, de sa couleur, mais je suis incapable de dire comment étaient organisées les vitesses : où se situait la première par rapport à la marche arrière, alors même que j’ai conduit cette voiture durant plusieurs années ? Le doute sur nos propres capacités à rappeler les détails des scènes ou objets perçus s’ajoutant à l’interrogation sur l’interprétation des données expérimentales donne tout son intérêt à l’étude des données neurophysiologiques.

4.3. Données neurologiques concernant la mémorisation des images L’importance de la vision dans la vie quotidienne explique sans doute pourquoi le cortex visuel occupe près de 15 % de la surface des deux hémisphères, qu’il est composé de plusieurs centaines de millions de neurones et de milliards de connexions (Hervé, 2014). Autant de raisons qui expliquent pourquoi la vision est la fonction sensorielle la mieux documentée et peut servir de modèle aux autres. Comme indiqué dans le chapitre 2, le cortex visuel est composé de l’aire visuelle primaire (V1) où arrivent les messages provenant des corps genouillés latéraux. Cette aire primaire est entourée de l’aire associative V2 à partir de laquelle se séparent la voie du « où » de celle du « quoi ». La voie du « où » est responsable du traitement du mouvement, des localisations, du contrôle des mouvements oculaires et des membres. Elle est dorsale, partant de V2 elle se 180

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projette dans le lobule pariétal inférieur et est associée aux zones corticales responsables de la motricité. La voie du « quoi » est à l’origine de la reconnaissance des formes et du traitement de la représentation des objets. Voie ventrale, partant de V2, elle se projette en V4 puis dans le cortex temporal inférieur. Les zones du cortex activées varient en fonction de la nature des objets perçus. Les activations dépendent du type de stimulus : la perception d’une maison active préférentiellement le gyrus fusiforme médian, celle du visage déclenche des traitements du gyrus fusiforme latéral, tandis que le fauteuil active le gyrus temporal inférieur. Ces deux voies sont représentées sur la figure 4. Figure 4. Représentation des voies du « où » et du « quoi » sur le cortex gauche Voie du « où »

Voie du « quoi »

En résumé, dans le lobule pariétal inférieur sont stockées les informations nécessaires aux traitements des mouvements et des actions, alors que dans le cortex temporal inférieur on trouve les informations permettant de traiter les formes et d’identifier les objets et les situations. Un tel constat permet d’affirmer que dans ces deux lobules sont stockées toutes les informations nécessaires aux reconnaissances : reconnaissance des formes, des objets, des situations, des mouvements et des localisations… Ce point est important, car la reconnaissance suppose le stockage des informations sensorielles qui en sont à l’origine. Néanmoins, comme il sera précisé plus loin, les neurones du lobule pariétal inférieur comme ceux du cortex temporal inférieur sont connectés à des structures corticales responsables d’autres fonctions : attention et vigilance, émotions, langage dans ses différentes composantes... Si le « où » et le « quoi » sont traités dans des zones différentes, l’unité des images est assurée par des zones de convergence situées dans le néocortex et prenant en compte les activations simultanées (Damasio, 1989). Les variations 181

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d’activations déterminées par la nature des stimuli (visage, objets…) et le type de voies dans laquelle ils sont traités (voie du « où » et voies du « quoi ») se retrouvent aussi bien lors de la perception des objets ou de leurs représentations que lors de la lecture ou l’audition du mot qui les dénomme. Les lieux de stockages des informations à l’origine des reconnaissances sont complétés par les enregistrements de l’activité corticale lors de la génération d’images. Dans ce type de tâche, les zones activées sont d’une part celles qui le sont pendant la perception visuelle (Roland et al., 1987 ; Ishai & Sagi, 1995), et d’autre part des zones spécifiques de la génération d’images. Comme lors de la perception visuelle, on retrouve une activité dans les corps genouillés latéraux (Chen et coll. 1998), les aires primaires (Le Bihan et coll., 1993 ; Kosslyn et coll. 1993, 1999)1 et associatives visuelles (Mellet et coll., 1996 ; D’esposito et coll., 1997)2. Au-delà, les zones activées varient en fonction des stimuli : maison, visage, fauteuil (figure 2). Si lors de la perception, l’activité est forte dans le cortex temporal ventral de l’hémisphère droit, alors elle est élevée dans l’hémisphère gauche et plus spécifiquement dans le précunéus, le sulcus inra-pariétal et le gyrus frontal inférieur (Ishai, 2009) lors de la production d’images. Le rappel active les données mnésiques stockées dans la voie ventrale et contrôlées par le réseau pariéto-frontal. De plus, comme indiqué sur le schéma proposé par Ishai (2009 ; p. 268) et reproduit sur la figure 6, les gyri activés lors de la perception le sont de façon générale par le cortex pariétal et de façon spécifique par le cortex préfrontal. En cas de stockage à long terme, seule une portion des zones activées lors de la perception le sont (Mechelli et al., 2004). Le cortex préfrontal a une fonction de contrôle intervenant de façon interactive sur les aires temporales et le cortex pariétal postérieur (Ranganath et al., 2004). Le rôle du lobe temporal est confirmé par les études de stimulations électriques. De telles stimulations déclenchent la production d’images stockées dans la mémoire à long terme (Penfield & Perot, 1963). Ces données amènent Ishai (2009) à affirmer que les représentations sensorielles de vécus seraient stockées dans le cortex temporal ventral.

1. Selon Ishai, A. (2009), Retrieving pictures from long-term C.  Ranganath, B. Roder & R.H. Klume. Neuroimaging of Oxford : Oxford University Press. 2. Selon Ishai, A. (2009), Retrieving pictures from long-term C.  Ranganath, B. Roder & R.H. Klume. Neuroimaging of Oxford : Oxford University Press.

memory, p. 266. In F. Rösler, human memory pp. 266-279. memory, p. 266. In F. Rösler, human memory pp. 266-279.

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Figure 5. Localisation du cunéus sur l’hémisphère gauche Production d’images Pa Præcuneus

Ca l ca rin

fissure cip. -oc riéto

Cuneus

issure ef

l Centra subus

Paracentral lobule Cingulate gyrus

Cingu l

a te

us callosum Corp x Forni

Isthmus Hippoc Uncus am Fusifor pal gyrus m gyru Infr Inf. tem temp. subus s p. gyru s Traitement des images de la maison Lingual gyrus

Sup

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sulc

ont

us

al g

yru

s

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En tout état de cause, on ne saurait oublier que les activations provoquées par le rappel d’images se propagent à d’autres zones du cerveau. Comme indiqué précédemment, le lobule pariétal inférieur (voie du « où ») est connecté au cortex moteur. De même, il est évident que la perception ou le souvenir du visage d’une personne qui nous est chère et qui est associé à de nombreux souvenirs provoque l’activité de zones corticales traitant des émotions. C’est pourquoi, compte tenu de la variété des connexions corticales, il peut sembler vain d’identifier un lieu unique où seraient stockées les images, d’autant qu’à chaque fois les possibilités de reconstructions ne sauraient être écartées. Plutôt que de prôner une dichotomie entre représentations imagées et codage propositionnel, il semble plus pertinent de considérer que le souvenir des images met en jeu différentes zones du cerveau (Ishai, 2009) dont les rôles réciproques ne sont, à ce jour, pas définis avec précision. Néanmoins, le schéma général proposé par Ishai (2009, p. 268) et représenté sur la figure 6 résume bien l’état des connaissances. Sous le contrôle des cortex préfrontal et pariétal, le traitement des images de la maison se fait dans le gyrus fusiforme médian (flèches grises), celui des visages dans le gyrus fusiforme latéral (flèches noires), tandis que celui des objets est réalisé dans le gyrus temporal inférieur (flèches en pointillés). La même spécialisation se retrouve lors de la perception, si ce n’est que, dans ce cas, l’activité des gyri est sous le contrôle du cortex strié. La diversité des connexions cérébrales est aussi retrouvée lors de l’étude des relations entre perception, motricité et images mentales.

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Figure 6. Effet sur les cortex occipito-temporal durant la perception et la génération d’images de maison, de visage ou de fauteuil Cortex pariétal

Vision des objets

Gyrus fusiforme médian

Cortex préfrontal

Gyrus fusiforme latéral

Gyrus temporal inférieur

Rappel d’images mentales des objets

Cortex extrastrié Maison

Visage

Fauteuil

Source : graphique proposé par Ishai (2009 ; p. 268) à partir des données de Mechelli et coll. (2003, 2004)

4.4. Images mentales et catégories Comme pour les mémoires verbales, on retrouve pour le stockage des images mentales une différenciation similaire entre les mémoires sémantique, épisodique et autobiographique. Les représentations imagées de situations et d’événements datés et localisés constituent la mémoire imagée épisodique. De même, les répertoires d’images représentant des scènes vécues à différents moments de la vie constituent la mémoire imagée autobiographique. En revanche, parler de mémoire imagée sémantique n’est possible que si l’on fait l’hypothèse de l’existence d’images schémas  : images-schémas d’objets courants (chaise, bureau, imprimante…), d’événements ou de situations (schémas types d’une fête, d’une cérémonie…). Par images-schémas, on entend des représentations schématiques des invariants constitutifs des objets ou des événements. On fait l’hypothèse, par exemple, que la perception récurrente de chaises de formes et de styles différents permet de dégager les caractéristiques qui leur sont communes et donc d’élaborer une image-schéma de cette catégorie de sièges. Une telle forme schématique peut être utilisée pour représenter différentes instances. L’exemple du schéma de l’imprimante, représenté sur la figure 7, illustre une image-schéma de l’imprimante. La perception de cette image évoque sans ambiguïté l’imprimante alors qu’elle n’est la photographie d’aucune imprimante. Ce qui est vrai pour les objets pourrait l’être aussi pour les situations et les événements : image-schéma de mariages à la mairie, de fêtes en boîte… L’existence de telles images-schémas présente l’avantage d’être le versant imagé des concepts. Néanmoins, le fait qu’une image-schéma évoque sans équivoque un objet particulier ne suppose pas obligatoirement qu’elle soit stockée en mémoire. On peut considérer que la perception de certaines caractéristiques 184

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suffit pour évoquer l’objet. Le détail caractéristique, même encodé verbalement, mais stocké en mémoire sous forme d’images, permet de retrouver l’objet. L’hypothèse que la perception récurrente des objets du monde aboutisse à générer des images-schémas ne peut être écartée. Figure 7. Représentation d’une image-schéma des imprimantes

4.5. Images mentales conclusions L’ensemble des données présentées plaide en faveur de l’existence d’images mentales stockées en mémoire à long terme. Néanmoins, il reste encore difficile de préciser leurs natures et leurs modes d’activation. Les enregistrements neurologiques sont clairs, ils montrent que : −− par analogie avec la mémoire déclarative, on distingue une mémoire épisodique constituée des images datées et localisées d’une mémoire sémantique formée d’images-schémas de catégories d’objets et d’événements ; −− lors de la perception visuelle sont activés les corps genouillés latéraux, le cortex visuel primaire et associatif, des zones situées dans les cortex occipito-pariétal et occipito-temporal visuel. Les zones activées varient selon la nature des stimuli : la voie du « où » est séparée de celle du « quoi ». La voie du « où » comme celle du « quoi » débouchent sur les reconnaissances et donc sur le stockage à long terme des informations qui en sont à l’origine. Le traitement des objets suit des voies différentes selon leur nature : différences de traitements pour les images d’une maison, d’un visage ou d’un fauteuil ; −− lors de la génération et du rappel des images mentales, les zones opérant pendant la perception sont partiellement activées. Comme lors de la perception, les activations varient selon les objets. Les gyri activés lors de la perception le sont de façon générale par le cortex pariétal et de façon spécifique par le cortex préfrontal. La stimulation électrique des régions du lobe temporal est à l’origine du rappel d’images stockées dans la mémoire à long terme (Penfield & Perot, 1963). Cet ensemble de données suggère que les images élaborées par la mémoire de travail sont homologues à celles qui sont stockées en mémoire à long terme (Khader & Rösler, 2009) ; 185

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−− les zones actives, aussi bien lors de la perception que lors du rappel des images, sont connectées avec d’autres parties du cerveau : cortex moteur, cortex sensori-moteur, zones du langage, régions gérant les affects… de sorte que les phénomènes d’interactions sont multiples. Les traitements qui viennent d’être présentés à propos de la vision, comme le modèle des images enregistrées dans la mémoire à long terme, doivent pouvoir être généralisés aux autres systèmes sensoriels : images auditives, olfactives, liées au toucher et aux sensations somesthésiques… La spécificité des images amène à réexaminer la distinction proposée par Endel Tulving (1972) entre une mémoire épisodique et une mémoire sémantique. Qu’est-ce qui différencie ces deux mémoires ?

5. Mémoire sémantique vs mémoire épisodique La description de la mémoire épisodique et sa différenciation par rapport à la mémoire sémantique sont suivies d’une tentative de localisation des réseaux neuronaux.

5.1. Description de la mémoire épisodique Au sein de la mémoire à long terme, Endel Tulving proposa en 1972 de différencier la mémoire sémantique de la mémoire épisodique. La mémoire sémantique vient d’être décrite. Elle est constituée entre autres des concepts, des connaissances propositionnelles, des schémas cognitifs (concepts, frames, scripts, schèmes, MOP et différents savoir-faire…), qui ont été élaborés en dégageant les invariants de différentes expériences. Son contenu résulte, pour partie, de la superposition d’expériences multiples. Le concept associé au lexème chaise a pour origine les différentes chaises perçues ou imaginées. Il en est de même des schémas cognitifs tel le script du restaurant qui s’est constitué à partir d’expériences vécues ou imaginées. En revanche, la mémoire épisodique est constituée de souvenirs d’expériences généralement uniques, d’événements datés et localisés dans leurs contextes. La mémoire épisodique a parfois été différenciée de la mémoire autobiographique. C’est ainsi que Francis Eustache et Béatrice Desgranges (2012) considèrent que « la composante épisodique contient des souvenirs d’événements spécifiques situés dans le temps et l’espace (en mai 2007, à Tallinn, Endel Tulving, nous a montré comment faire son cocktail préféré, le Manhattan), tandis que la composante sémantique regroupe les connaissances générales personnelles (j’ai fait mes études secondaires dans un lycée de la Manche…) » (Eustache et Desgranges, 2012, p. 416). 186

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La mémoire autobiographique possède quatre caractéristiques importantes : −− le stockage des événements est automatique et donc ne fait pas intervenir la volonté d’apprendre ; −− l’apprentissage se fait sans répétition, même si occasionnellement des événements peuvent se reproduire, mais dans la mesure où ils sont contextualisés ils sont datés et localisés différemment ; −− sauf atteintes pathologiques, le souvenir a une durée quasiment infinie ; −− les événements sont généralement marqués émotionnellement. En fait, la proposition de Tulving aboutit à distinguer la mémoire des connaissances des souvenirs personnels. Dans cette opposition, on retrouve une partie de la distinction chère aux philosophes entre connaissances propositionnelles et connaissances objectuelles. Connaître Paris ou les membres de sa famille consiste à posséder des représentations subjectives de ces objets et de ces personnes. Malgré tout, comme le fait remarquer Shimamura et Squire (1987), la mémoire épisodique comporte des composants factuels relevant des connaissances propositionnelles et des composants contextuels et subjectifs. Selon ces auteurs, les éléments factuels seraient traités profondément et intentionnellement, alors que les composantes contextuelles seraient enregistrées de façon incidente. Pour Tulving, le codage épisodique est dépendant d’un état de conscience qu’il qualifie d’autonoétique, car les événements sont situés dans leurs contextes (quoi, quand, où). On prend conscience de leur identité en les situant dans un temps subjectif. À l’état autonoétique est opposée la conscience noétique qui caractérise la mémoire sémantique. Les indicateurs de contextes qui caractérisent la mémoire épisodique vont être déterminants dans la récupération des souvenirs. Ainsi, la mémoire épisodique se différencie de la mémoire sémantique, aussi bien lors du codage de l’information que lors de son stockage et de sa récupération. Son codage est lié à un état de conscience autonoétique, son stockage comporte l’enregistrement des circonstances (temporelles, physiques, géographiques, affectives…), sa récupération est facilitée par les indices contextuels. En 2002, Tulving a résumé les caractéristiques de la mémoire épisodique en rappelant ses trois caractéristiques principales : (i) elle contient des faits liés à l’histoire personnelle (mémoire autobiographique) ; (ii) elle est temporellement subjective ; (iii) elle est autonoétique. Elle contient ce qui est arrivé (quoi) à un moment particulier (quand), dans un lieu particulier (où). L’auteur insiste sur le fait que la mémoire épisodique possède les caractéristiques de la mémoire sémantique auxquelles s’ajoutent les composantes temporelles, situationnelles et subjectives, de sorte qu’elle met en jeu des structures corticales et sous-corticales opérant dans les autres systèmes mnésiques. 187

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Parmi les arguments en faveur de la relative autonomie de la mémoire épisodique, il faut noter les observations concernant l’amnésie dissociative dans laquelle, suite à un traumatisme psychologique ou à une expérience stressante, l’individu perd le souvenir des événements autobiographiques. Pourtant, le fait que cette amnésie ne corresponde à aucune lésion cérébrale et le fait que l’individu reste capable de stocker de nouveaux souvenirs suggèrent qu’il s’agit d’un refoulement psychologique, qui n’implique pas l’existence de répertoires de stockages différents. L’hypothèse du refoulement est en partie suggérée par le caractère émotionnel des souvenirs stockés dans la mémoire autobiographique. En effet, l’émotion amène à attribuer aux souvenirs une valence positive ou négative, c’est-à-dire à leur affecter une force d’attraction ou de répulsion. Dans le cerveau, l’émotion est gérée par l’amygdale qui agit sur l’hippocampe, les cortex enthorhinal et périrhinal, le striatum et le cortex préfrontal (LaBar & Cabesa, 2006). Lors de l’étude des images mentales, on a différencié les images-schémas qui font partie de la mémoire sémantique des représentations mentales d’événements datés et localisés qui sont des composantes de la mémoire épisodique. Cette différenciation étant posée, disposons-nous de données indiquant que les deux mémoires sont concernées par des réseaux neuronaux situés dans des lieux différents ?

5.2. Les réseaux neuronaux impliqués dans la mémoire sémantique et la mémoire épisodique Comme il a été indiqué à différentes reprises, les données concernant l’activité neuronale proviennent de l’étude de patients amnésiques ou d’enregistrements de l’activité cérébrale (PET et FMRI). Les patients présentant des lésions du lobe temporal médian/diencéphale ont des déficits des deux mémoires, mais ceux ayant des lésions du lobe frontal ont spécifiquement des troubles de la mémoire épisodique. Toutefois, quand la mémoire épisodique est lésée suite à un dysfonctionnement du lobe frontal, l’apprentissage sémantique est possible. En résumé, les deux mémoires dépendent de façon similaire du lobe temporal médian/diencéphalique, la mémoire épisodique faisant intervenir le lobe frontal (Squire et al., 1998). Yee et al. (2012) confirment des observations de Mesulam et al. (2003) en montrant que des patients atteints de démence sémantique ou démence frontotemporale présentent de façon prédominante des atrophies du cortex temporal gauche, alors que leur langage est fluent, sans erreurs grammaticales bien qu’ils aient du mal à trouver les mots et à identifier les objets alors que leur mémoire épisodique est intacte. Ces observations les amènent à conclure que les deux mémoires sont au moins partiellement indépendantes. 188

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Peut-on localiser les réseaux neuronaux impliqués dans chacune d’entre elles sachant que le stockage épisodique met en jeu les contenus de la mémoire sémantique ? En 2002, Tulving, relate l’observation d’un patient victime d’un accident de moto qui a gardé ses capacités intellectuelles, un langage et une mémoire à court terme normale, mais dont la conscience autonoétique et la mémoire épisodique sont perturbées, aussi bien pour les faits du passé que pour l’acquisition de nouveaux souvenirs. Ce patient est capable de définir des mots, d’en apprendre de nouveaux (mémoire sémantique préservée), mais ne se souvient pas des circonstances de ses apprentissages : mémoire épisodique perturbée. Pour Tulving, cette observation montre que les structures cérébrales gérant chacune des deux mémoires sont séparées. Des lésions de l’hippocampe affectent la mémoire épisodique sans perturber la mémoire sémantique (Mecklinger & Jäger, 2009). En plus des lésions de l’hippocampe, celles du fornix, des corps mamillaires et des noyaux thalamiques associés à des projections du diencéphale vers le cortex temporal affectent la mémoire épisodique (Carlesimo et al., 2007). Le fornix et les structures diencéphaliques jouent lors du codage des informations et de la récupération des souvenirs. La région parahypocampique comprend les cortex entorhinal, perirhinal et parahypocampiques ainsi que la partie antérieure du cortex périrhinal, qui interviennent dans le traitement des souvenirs. Néanmoins, dans la mesure où l’activation des contenus de la mémoire épisodique fait appel à des éléments de la mémoire sémantique, la dissociation entre les deux mémoires devient particulièrement difficile à opérer. À cela s’ajoute le fait que les zones du cortex activées varient en fonction de la complexité des récupérations. Pour des récupérations simples, le cortex préfrontal droit serait impliqué, tandis que le gauche interviendrait lors des récupérations stratégiques (Nolde, Johnson, et Raye, 1998). Il a été rappelé précédemment que la mémoire épisodique comportait une mémoire émotionnelle composée des souvenirs marqués affectivement. Un tel marquage était aussi le fait des concepts dans leurs composantes connotatives. Les composantes affectives se retrouvent donc dans les deux mémoires. Les émotions sont gérées par l’ensemble des structures nerveuses qui forment le circuit de Papez-Jakob. Ce dernier est composé du système limbique comprenant le cortex temporal et cingulaire, le thalamus et l’hypothalamus et leurs interconnexions. Le système n’est pas fermé et, selon les circonstances, peut activer d’autres structures cérébrales. Des lésions bilatérales du circuit de Papez-Jakob sont responsables de troubles de la mémoire (amnésie de Korsakoff). Les études de l’émotion et de son rôle dans la mémoire montrent la difficulté à isoler les deux mémoires déclaratives et donc l’intérêt de décrire les processus mnésiques en termes de réseaux. 189

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L’activation de l’amygdale déclenche l’augmentation de l’éveil de l’hippocampe, des cortex enthorhinal et périrhinal, du striatum et du cortex préfrontal (LaBar & Cabesa, 2006) et provoque la focalisation de l’attention, qui a pour effet d’accroître la durée consacrée aux stimuli, d’amplifier le traitement des détails (Steinmetz & Kensinger, 2013) et du contexte, et donc d’améliorer l’encodage et la consolidation mnésiques des représentations des stimuli. À ces effets sur l’encodage, s’ajoutent des améliorations de la consolidation dues aux décharges hormonales et à des effets post-stimulus, l’expérience émotionnelle déclenchant des processus d’élaboration : analyse des conséquences, des causes, rappels de circonstances… Les recherches de Steinmetz & Kensinger (2013) montrent la nécessité de différencier les phases de codage et de récupération. On dispose maintenant de données permettant de les analyser.

5.3. Activation des réseaux neuronaux en fonction du codage et de la récupération des informations stockées en mémoire Tous les stimuli sont encodés sous forme de représentations mentales stockées en mémoire. Ces représentations sont activées par des processus de récupération. La récupération met en jeu des indices liés au contexte de l’apprentissage, aux circonstances dans lesquelles cet apprentissage s’est déroulé et à la catégorie dans laquelle le stockage s’est fait. Si l’on reprend les trois phases décrites précédemment (codage des informations, stockages en mémoire puis récupérations), les enregistrements de l’activité corticale indiquent que, pour ce qui est de la mémoire épisodique, en dehors des structures impliquées dans les traitements sensoriels, de multiples zones du cortex préfrontal et frontal gauche seraient actives lors de l’encodage (Buckner, Kelley & Petersen, 1999) et lors du traitement de la signification, tandis que les régions préfrontales antérieures droites seraient concernées par les processus de récupération (Nyberg, Cabeza & Tulving, 1996). La mise en évidence du rôle respectif des deux hémisphères a été formalisée dans le cadre du modèle HERA (Hemispheric Encoding/Retrieval Asymmetry) développé par Tulving et al. (1994 et 2016). Selon Tulving et al. (2016), le cortex préfrontal gauche est impliqué dans la récupération de l’information contenue dans la mémoire sémantique. Le cortex préfrontal droit, quant à lui, l’est plus spécifiquement par la récupération des données stockées dans la mémoire épisodique. Il faut se rappeler que dans la mémoire épisodique sont stockés des souvenirs datés et localisés, généralement des événements uniques (souvenir de la cérémonie d’un mariage, d’un accident de voiture…) marqués émotionnellement. Leurs rappels activent donc les zones du cerveau qui gèrent l’espace, le temps et les émotions. Les représentations de ces événements peuvent com190

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Chapitre 7 – La mémoire sémantique (2)

porter des images mentales. Les indicateurs de temps et d’espaces comme les émotions qui marquent les événements activent des zones du cerveau spécifiques différentes de celles qui gèrent les concepts, les schémas cognitifs et les connaissances propositionnelles. Il est donc logique que les zones concernées par la mémoire épisodique soient plus étendues que celles qui le sont par la mémoire sémantique. Les données obtenues lors des enregistrements de l’activité cérébrale sont donc parfaitement cohérentes. La connexion entre les deux mémoires est tout aussi logique si l’on considère que les concepts comme les schémas cognitifs résultent de la répétition des événements. Le concept associé au lexème chaise, c’est-à-dire les caractéristiques de ce meuble, résulte de l’expérience des différentes chaises rencontrées, de l’extraction des invariants qui les caractérisent et des cooccurrences des associations.

6. Résumé concernant les réseaux neuronaux impliqués dans les différentes mémoires Les mémoires épisodiques et sémantiques dépendent de l’intégrité du lobe temporal médian/diencéphalique. La mémoire épisodique dépend de l’intégrité du lobe frontal, de l’hippocampe, du fornix, des corps mamillaires, des noyaux thalamiques et des projections du diencéphale vers le cortex temporal. L’encodage et la récupération dépendent du fornix, des structures diencéphaliques, de la région périhypocampique. La récupération étant particulièrement concernée par le cortex préfrontal. La mémoire sémantique est concernée par le cortex temporal gauche, le lobe temporal médian, les formations hippocampiques, le cortex périrhinal, le noyau dorsal médian du thalamus. Au sein de la mémoire sémantique, les verbes d’action sont concernés dans l’hémisphère gauche par l’opercule frontal, les aires pré-motrices et motrices, les cortex associatifs et occipitaux, ainsi que par la substance blanche para-ventriculaire. L’évocation des objets animés active un circuit comprenant le cortex temporal postérieur, la portion latérale du gyrus fusiforme, le sulcus temporal supérieur et l’amygdale. La récupération est concernée par le cortex médian préfrontal. Le traitement des visages active le gyrus fusiforme latéral. Les outils communs activent la portion médiane du gyrus fusiforme et du gyrus temporal médian, le sulcus intra-pariétal et le cortex frontal pré-moteur gauche tandis que le gyrus para-hippocampique traite des localisations. Le mouvement et les actions sont gérés par le lobule pariétal inférieur et les cortex pré-moteur et moteur. Eichenbaum (2012) propose le schéma présenté sur la figure 8. Il considéré que les réseaux neuronaux concernés varient selon le type de mémoire : 191

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−− pour la mémoire déclarative, les réseaux neuronaux sont situés dans l’hippocampe, la zone parhypocampique et le cortex ; −− pour la mémoire procédurale, les réseaux actifs sont ceux concernés par les effecteurs moteurs, la moelle épinière, le tronc cérébral, le cervelet, le striatum et le cortex ; −− en revanche, la mémoire émotionnelle met en jeu des réponses hormonales, l’hypothalamus, l’amygdale et le cortex. Comme on le voit, les structures neuronales varient selon la classification des mémoires. La description des supports neuronaux dépend directement des modèles de mémoire proposés. Cette répartition proposée par Eichenbaum en 2012 est représentée sur la figure 8. Aux mémoires sont évidemment associés les oublis dont certains sont normaux et d’autres résultent de pathologies diverses. La description de ces différents oublis mérite d’être présentée. Figure 8. Structures neuronales impliquées dans les différentes mémoires selon Eichenbaum (2012) Cortex Parahippocampe

Striatum cervelet

Amygdale

Hippocampe

Tronc cérébral Moelle épinière Effecteurs moteurs

Hypothalamus autonome et réponses hormonales

Mémoire déclarative

Mémoire procédurale

Mémoire émotionnelle

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Chapitre 8 – L’oubli normal et pathologique

Chapitre 8 L’oubli normal et pathologique La présentation des méthodes d’évaluation de la rétention dans la mémoire à long terme est suivie de la description des types d’oublis normaux que sont l’oubli éphémère, la distraction, le blocage temporaire, la mauvaise attribution, la suggestibilité, les biais et les faux oublis. Le chapitre se termine par la description des amnésies et des troubles de la mémoire dans les démences et les pathologies psychiatriques. Les méthodes d’études des performances mnésiques des mémoires transitoires ont été présentées dans le chapitre 5. Pour chacune d’entre elles, le protocole d’apprentissage ainsi que les procédures testant les performances ont été précisés, c’est pourquoi dans ce chapitre ne seront traitées que les méthodes appliquées aux mémoires à long terme, qu’elles soient déclaratives ou non.

1. Méthodes de mesures des performances mnésiques On trouvera une présentation complète de ces méthodes dans l’ouvrage intitulé Les méthodes de recherche en psychologie (J.P. Rossi et coll. 1999, Dunod). Parmi ces méthodes, certaines permettent de tester toutes les performances mnésiques, tandis que d’autres s’appliquent préférentiellement à un type de stockage. C’est notamment le cas des méthodes d’études de la mémorisation des images et de l’espace, des réseaux conceptuels, des schémas cognitifs et des savoir-faire. La méthode d’amorçage sémantique qui permet d’étudier les réseaux conceptuels ainsi que les techniques qui révèlent les schémas cognitifs ont été décrits précédemment. Dans ce chapitre, sont rappelées les méthodes d’étude de la mémoire déclarative, des images mentales et des savoir-faire.

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1.1. Méthodes testant les performances mnésiques de la mémoire déclarative Le rappel libre ou indicé, les épreuves de reconnaissance, les protocoles permettant d’appréhender les effets de transfert et d’interférence sont autant de méthodes utilisées pour mesurer l’efficacité de la mémoire déclarative.

1.1.1. Rappel libre et indicé Dans les épreuves de rappel libre, l’individu a pour consigne de restituer tout ou partie de ce dont il se souvient après un délai plus ou moins long. La consigne de restitution peut impliquer des regroupements comme restituer par catégorie, ou dans un ordre fixé, etc. L’épreuve est évaluée en calculant le nombre de rappels corrects ou en fonction de la qualité de la restitution. Ainsi, lorsque l’apprentissage porte sur un texte, on peut demander une restitution complète, un résumé ou même de répondre à des questions posées après l’apprentissage ou en cours de lecture. La correction des rappels libres pose problème. Il est possible de calculer le nombre de mots exacts en acceptant ou non les synonymes et les approximations, ou même le nombre d’idées correctement rappelées. Un dépouillement plus rigoureux consiste à faire une analyse propositionnelle du texte appris et du texte rappelé, puis à compter le nombre de propositions rappelées correctement. Le problème des formulations proches et de l’utilisation de synonymes reste posé. C’est pourquoi au rappel libre on préfère souvent le questionnaire. Les questionnaires peuvent porter sur des informations précises, des détails ou des thèmes, des arguments et, de façon générale, une catégorie d’information. Les réponses peuvent être formulées sous forme de phrases ou de réponses « oui » ou « non », assorties ou non d’une évaluation du niveau de certitude. Dans tous les cas, l’exactitude de la réponse aussi bien que les temps de latence peuvent être enregistrés. Les réponses en «  oui  » «  non  » consistent en des jugements du type : « cette affirmation est-elle conforme à ce qui a été dit dans le texte ? » ou même : « cette phrase est-elle dans le texte ? ». Dans ce dernier cas, il s’agit d’une tâche de reconnaissance. Les réponses aux questions sont cotées en fonction de leurs exactitudes et peuvent aussi être pondérées en tenant compte de leur importance et de leur qualité. Les questions peuvent soit intervenir à la fin de la lecture ou de l’audition du texte, soit en cours de lecture ou d’audition. Dans ce dernier cas, la question risque d’orienter le traitement des parties du texte qui seront lues ou entendues ultérieurement (La recherche en psychologie, Rossi & coll. 1991). Dans le rappel indicé, l’expérimentateur donne des indices qui, généralement, facilitent la restitution. Ces indices sont phonologiques (mots phonologiquement proches) ou sémantiques (catégorie, synonyme ou contexte, idée similaire ou au contraire idées différentes…). Bien souvent, les indices font 194

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Chapitre 8 – L’oubli normal et pathologique

partie de l’apprentissage qui porte alors sur le couple indice + item à restituer. Au moment du rappel, les indices sont donnés. Selon l’objectif de la recherche, ceux-ci sont censés faciliter la restitution ou plus rarement la perturber. Lors du rappel indicé, en plus des scores de réponses exactes, il est possible de mesurer le temps qui s’écoule entre la présentation de l’indice et la réponse. Ce temps de réaction est un indicateur de la qualité de la mémorisation. Que le rappel soit libre ou indicé, le temps d’apprentissage et le nombre de fois où le matériel a été présenté peuvent être libres ou contrôlés. La fin de l’apprentissage dépend soit du nombre d’essais (nombre de fois où le matériel est présenté) soit du niveau de rétention. Dans ce cas, la présentation du matériel est arrêtée lorsqu’un niveau de rappel est atteint. L’indicateur de performance est alors le nombre de fois où le matériel a été présenté. Dans tous les cas, le « score de rappel » peut être corrigé en fonction du nombre de stimuli présenté. Lorsqu’il s’agit de mot, on fait le rapport entre le nombre de mots restitués et le nombre de mots présentés. Ce rapport peut être transformé en pourcentage. Le nombre d’erreurs, c’est-à-dire le nombre de mots restitués qui n’ont pas été présentés, peut aussi être calculé et, le cas échéant, soustrait du nombre de réponses correctes. À chaque stimulus restitué peut être associé le niveau de certitude de la réponse en le faisant préciser sur une échelle en 5 ou 7 points (de « très sûre » à « pas sûre du tout »). D’autres indicateurs sont aussi utilisés, comme le nombre de fois où il a été nécessaire de présenter le matériel pour obtenir un niveau de rétention. L’évaluation de la rétention peut aussi être estimée par la technique de réapprentissage. Dans ce cas, après une première restitution, on procède à de nouvelles présentations du matériel jusqu’à obtenir un niveau de rétention fixé au préalable. Le temps et le nombre de nouvelles présentations du matériel nécessaires pour obtenir une performance donnée sont évalués. La variable enregistrée est alors un score de « réapprentissage », les Anglo-saxons parlent de saving score ou score d’économie en appliquant la formule : 100 × (nombre d’essais ou durée de la première séance d’apprentissage – nombre d’essais ou durée de la seconde séance d’apprentissage/nombre d’essais ou durée de la première séance d’apprentissage). En résumé, les performances peuvent être évaluées par : −− le nombre de réponses correctes (mots, propositions, idées…) ; −− le nombre de réponses incorrectes ; −− le niveau de certitude ; −− la latence des réponses ; −− le nombre de fois où le matériel a été présenté ; −− la durée des présentations ou de l’apprentissage ; −− la technique de réapprentissage. Aux rappels sont opposées les épreuves de reconnaissance. 195

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1.1.2. Épreuves de reconnaissances La tâche de reconnaissance consiste à désigner dans un ensemble d’items ceux qui ont été appris. Il faut donc identifier, reconnaître dans cet ensemble, quel matériel a été appris. Les caractéristiques des items présentés au cours de l’épreuve de reconnaissance varient selon les buts de l’expérience. Ils peuvent présenter des similitudes avec le matériel d’apprentissage comme les synonymes, antonymes, mots ou expressions voisines, variations syntaxiques, etc. Le nombre d’items présentés au moment de la reconnaissance est deux à trois fois supérieur à celui des stimuli appris. On mesure alors le nombre d’unités rappelées correctement et le nombre de fausses reconnaissances. Ces fausses reconnaissances sont parfois qualifiées d’intrusions. L’étude de leurs propriétés renseigne sur la nature des confusions. Le score de reconnaissance est calculé en retranchant du nombre de réponses correctes le nombre de fausses reconnaissances. Comme dans le rappel, les délais de réponses (temps de réaction) peuvent être mesurés. Les performances aux épreuves de reconnaissance sont toujours meilleures que celles obtenues dans les rappels libres ou indicés. Une telle donnée indique que l’information stockée en mémoire est plus facilement récupérable avec les méthodes de reconnaissance qu’avec les techniques de rappel ; elle témoigne de l’importance des procédures de récupération lors de l’activation des souvenirs. L’identification des structures cérébrales en jeu dans ces procédures est difficile à cerner au regard de la variété des facteurs intervenant durant une telle activité. Comme souligné précédemment, les indices de récupération sont multiples  : indices phonologiques, sémantiques, contextuels, affectifs, émotionnels… C’est dire la variété des réseaux neuronaux susceptibles d’intervenir dans ces opérations. L’interconnexion entre les informations mémorisées est particulièrement mise en évidence par l’étude des transferts et des interférences.

1.1.3. Méthodes permettant d’étudier les interférences et les transferts La similitude entre deux apprentissages peut être à l’origine de transferts et d’interférences. Par interférence, on entend le fait qu’un apprentissage en perturbe un autre. Ces perturbations sont responsables de confusions et d’oublis. L’interférence peut être proactive ou rétroactive. Dans le premier cas, un apprentissage antérieur gêne un apprentissage postérieur, dans l’autre un apprentissage postérieur modifie et perturbe la rétention d’un apprentissage antérieur. Le transfert désigne ici le fait qu’un apprentissage facilite une nouvelle acquisition. La connaissance d’un logiciel peut faciliter l’apprentissage d’un nouveau logiciel du même type, mais peut aussi être à l’origine d’interférences. 196

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Chapitre 8 – L’oubli normal et pathologique

Interférences et transferts sont étudiés en comparant une situation test à une situation contrôle. Ainsi, si l’on souhaite étudier le transfert entre un apprentissage A et un apprentissage B, c’est-à-dire savoir si un apprentissage préalable peut faciliter un apprentissage ultérieur, on va comparer les performances de deux groupes de sujets. Le groupe expérimental réalise l’apprentissage B après l’apprentissage A, tandis que le groupe contrôle ne réalise pas l’apprentissage A, mais commence directement par le B. S’il y a transfert, l’apprentissage B du premier groupe sera facilité. Le plan expérimental et les séquences d’apprentissages sont représentés dans le tableau 1. Le même plan expérimental est utilisé pour l’étude des interférences. Différentes formules permettent de calculer les taux de transfert ou d’interférence. Tableau 1. Plan expérimental et séquences d’apprentissage mis en œuvre pour étudier le transfert Groupe de sujets

Premier apprentissage

Second apprentissage

Groupe expérimental

Apprentissage de A

Apprentissage de B

Groupe contrôle

Pas d’apprentissage

Apprentissage de B

Ces méthodes sont aussi utilisées pour évaluer la mémorisation des images. Néanmoins, pour cette catégorie de matériel comme pour les savoir-faire, d’autres méthodes sont mises en œuvre.

1.2. Méthodes d’études de la mémorisation des images et des savoir-faire La mémorisation des images peut être évaluée selon différentes méthodes de reconnaissances ou de rappels. Les épreuves de reconnaissance sont les plus simples : les participants doivent désigner dans l’ensemble des images qui leurs sont présentées celles qui ont été apprises. Les variations de similitudes entre les stimuli présentés tant au cours de l’apprentissage qu’au moment de la reconnaissance permettent d’analyser les facteurs affectant la mémorisation. Différentes propriétés des réponses peuvent être prises en compte : nombre de réponses correctes, types de confusions, exactitude des détails, modifications de caractéristiques ou de places, mais aussi rapidité de la réponse (mesure de temps de réaction) ou même appréciation du niveau de certitude. La plupart des études témoignent de la capacité des participants à se rappeler des détails, ce qui est un argument en faveur de l’existence d’une mémoire imagée (Shepard, 1967 ; Landmark, 1970 ; Standing, 1973 ; Wolf, 1998 ; O’Regan et  al., 2001 ; Marmie & Heuly, 2004 ; Vogt & Magnusen, 2007 ; Brady & al., 2008 ; Palmeri & Tan, 2008). 197

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Au-delà de la mémorisation des détails, la capacité à se représenter l’espace est testée par la méthode de rotation. Cette méthode consiste à apprendre un modèle, puis à présenter une série de figures comprenant le modèle ayant subi une rotation, afin d’identifier les figures correspondantes au modèle (Cooper, 1975). Le nombre de réponses exactes, les temps de réponse (temps de réaction) et l’analyse des erreurs témoignent des capacités des opérateurs à se représenter les objets dans l’espace. À côté de ces différentes épreuves de reconnaissance, la mémorisation des images est aussi évaluée par des rappels prenant la forme de productions, de comparaisons, de complétions ou de localisations. Le dessin est évidemment la technique de production la plus évidente. Néanmoins, la correction des épreuves pose problème non seulement du fait du choix des critères, mais aussi de l’importance des différences individuelles en raison de la variété des aptitudes au dessin. Les critères permettant d’évaluer un dessin méritent toujours d’être clairement explicites : présence de l’objet, exactitude de sa reproduction, de sa localisation… une fois la grille de cotation établie, quel poids faut-il accorder à chaque élément ? De telles difficultés ont amené les chercheurs à imaginer une autre technique de production en utilisant par exemple des cubes ou toutes autres formes géométriques pour reproduire l’image mémorisée (Sheehan, 1966). Les reproductions sont évaluées en tenant compte du nombre d’objets représentés, de l’exactitude des formes, des tailles, des couleurs, des localisations, de l’ordre dans lequel les différents éléments ont été produits et même des temps de réalisation (temps de réaction). Les images mémorisées peuvent aussi être décrites verbalement. De telles descriptions ont été particulièrement étudiées lors de l’analyse de témoignages. Sur ce thème, la littérature concernant les méthodes de descriptions, les déformations et les facteurs les affectant a été abondante et bien documentée. Toutefois, si l’épreuve en elle-même est simple, son exploitation pose problème, car les rapports verbaux sont complexes à coder. Même lorsque les problèmes de codage sont résolus, le poids à accorder aux différentes réponses est l’objet de discussions. Faut-il donner la même importance aux aspects structuraux, aux nombres d’objets, à la précision des descriptions, à chacune des composantes (tailles, couleurs, formes, localisations…), aux composantes affectives et conatives  ? De façon générale, la cotation des descriptions verbales pose nombre de problèmes qui ont été évoqués à différentes reprises. Parmi les biais susceptibles d’affecter ces témoignages, il ne faut jamais oublier que leurs énoncés modifient les représentations décrites, notamment lorsqu’on aborde les caractéristiques sujettes à interprétations et marquées affectivement. Parmi les difficultés liées à ces descriptions, on notera l’importance des différences individuelles. Certains narrateurs sont précis, d’autres vagues, certains se livrent à de longues digressions alors que d’autres adoptent un style bref et synthétique. 198

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Les descriptions verbales sont aussi utilisées dans l’étude des images associées aux mots. Dans ce cas, les personnes doivent activer les images associées aux mots présentés. La qualité et la rapidité avec laquelle l’image est activée sont autant de critères qui alimentent les tables fournissant le niveau d’imagerie de chaque mot : ce niveau est fort pour le mot bateau et plus faible pour le lexème fatigue. La précision de l’image mentale, sa clarté, comme sa rapidité d’évocation peuvent aussi être évaluées sur des échelles subjectives en 5 ou 7 points. La rapidité avec laquelle une image peut être évoquée est un indicateur de sa disponibilité. Elle est mesurée par le temps qui s’écoule entre l’énoncé de la consigne ou la présentation du stimulus incitateur et l’émergence de l’image. Ce temps, combiné aux échelles subjectives portant sur la qualité de l’image, permet de donner une idée du niveau d’imagerie. Ne jamais oublier que ce temps de réaction dépend directement des critères que se fixe la personne interrogée. Les différences individuelles enregistrées dans ces mesures témoignent des variabilités dans les capacités d’imageries des différents sujets. Des épreuves de comparaison ont aussi été utilisées. C’est ainsi que Kosslyn (1975, 1976) présente deux lettres ou le dessin de deux animaux et demande aux participants de dire si les deux images sont de format identique. Le même auteur propose de compléter des images partielles (Kosslyn, 1976). L’enregistrement des mouvements oculaires lors de la re-mémorisation des images a été utilisé pour avoir des indications sur les rappels. Cette méthode, lourde à mettre en œuvre, est peu fiable. Comme indiqué lors de l’étude des images mentales, Kosslyn (1980) a mis au point un protocole expérimental consistant à faire mémoriser des images puis, après un délai, à demander aux sujets de localiser des objets qui faisaient partie de ces dessins. Il a ainsi montré que les temps de réponse des localisations étaient proportionnels aux durées d’explorations des images mentales (Kosslyn, 1980). Ainsi, lorsqu’on apprend à décrire un bateau en commençant par l’avant, le temps pour localiser des objets augmente au fur et à mesure que l’on va vers l’arrière du bateau. Ces données suggèrent que le sujet parcourt mentalement la représentation analogique du bateau stockée en mémoire. Si les méthodes d’évaluation de la mémorisation des images sont diverses et multiples, celles qui permettent d’estimer la rétention des savoir-faire sont limitées. Qu’il soit sensori-moteur ou cognitif, un savoir-faire peut être apprécié en tout ou rien, soit on est capable de faire une figure de gymnastique soit on en est incapable, soit on réussit une multiplication soit on échoue. Les descriptions verbales des procédures ne sont pas un gage de réussite. On peut savoir comment faire, être capable de le décrire sans pouvoir le réaliser correctement. Sans compter que certaines procédures ne sont jamais décrites (je ne sais pas comment je tiens en équilibre sur mon vélo) et que même celles qui ont été décrites sont devenues tellement automatisées au cours de l’apprentissage que les descriptions ont été oubliées. 199

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Parmi les méthodes permettant d’évaluer les performances mnésiques, le calcul du nombre de réapprentissages permettant d’atteindre un certain niveau d’acquisition est souvent utilisé.

1.3. Nombre de réapprentissages et performances mnésiques : la courbe de l’oubli (Hermann Ebbinghaus, 1885) En 1885, Hermann Ebbinghaus s’intéressa à l’évolution de la mémoire en fonction du temps et du nombre des essais de réapprentissages. Son étude portait sur l’apprentissage par cœur, c’est-à-dire, une situation dans laquelle, comme lors de l’apprentissage de poèmes, il est demandé de restituer textuellement le message appris. L’expérience consistait à apprendre des syllabes non significatives de trois lettres (ZOF, IFD…) jusqu’à ce que l’ensemble ait été récité correctement. Après une première séance, les participants sont répartis en quatre groupes. Le premier groupe procède à un rappel chacun des six jours suivants, le second groupe réapprend après le premier jour puis récite les autres jours, et ainsi de suite pour les deux autres groupes. L’évolution des performances de chacun des groupes, encore de nos jours confirmée, est présentée au moyen d’une courbe de l’oubli (figure 1). Elle montre qu’au cours des réapprentissages, les performances sont progressivement améliorées au point d’obtenir d’excellents scores au sixième jour de rappel pour le groupe qui a réappris 3 jours consécutivement. Ces données indiquent qu’un premier apprentissage effectué sur un seul jour est éphémère et se dégrade régulièrement au fil du temps, mais que, s’il est renouvelé plusieurs jours consécutifs, il se maintient. La répétition de l’apprentissage durant plusieurs jours accroît la rétention et la persistance du souvenir. Plus généralement, la répétition est nécessaire dans les apprentissages par cœur, surtout si le matériel à retenir est non significatif. La répétition n’est pas la seule méthode permettant de stocker en mémoire à long terme des informations. Un texte ou une image sera retenu s’il a été l’objet d’un traitement profond ou s’il constitue des événements marquants. Le décès d’un proche ou un événement historique tel que l’assassinat de président Kennedy est inscrit en mémoire définitivement sans rabâchage. Deux remarques à propos de ce type d’événements : (i) datés et localisés, ils relèvent de la mémoire épisodique, ce qui leur donne un statut particulier, ils sont donc uniques et exceptionnels ; (ii) ils sont marqués émotionnellement et donc reliés à l’hypothalamus et au circuit de Papez. Ces connexions ont un impact direct sur l’encodage, le stockage et la récupération. Rappelons enfin qu’à la suite d’Ebbinghaus, tous les chercheurs insistent sur l’importance des différences individuelles sur la rapidité des apprentissages, la quantité du matériel mémorisé et la persistance des souvenirs. Cependant, l’entraînement permet d’améliorer les performances et donc d’estomper, en partie les différences individuelles. 200

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Figure 1. Courbe d’oubli en fonction du temps et du nombre de réapprentissages (en gris évolution du rappel après un unique apprentissage ; en noir évolution des rappels en fonction des différents réapprentissages Taux de rappel

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3 4 Jours de rappels

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6 Source : Ebbinghaus, 1885

Depuis cette première recherche, l’analyse des performances mnésiques, en fonction du nombre de réapprentissages et des écarts de durées à la fois entre les réapprentissages et les rappels, a été l’objet de nombreuses recherches et synthèses. Cepeda & Rohrer (2008) ont travaillé sur le rappel et la reconnaissance de phrases et ont distingué les écarts qui séparent les réapprentissages (AI) et les intervalles entre le dernier apprentissage et le rappel définitif (intervalles de rappels RI). Ils ont alors démontré que : −− pour tous les écarts de réapprentissage, la performance au rappel final diminue en fonction du délai du rappel final ; −− pour tous les rappels finaux, un accroissement de l’intervalle de réapprentissage commence par accroître la performance au rappel final qui ensuite décroît ; −− lorsque l’intervalle du rappel final croît, l’efficacité de l’intervalle de réapprentissage augmente. En tout état de cause, toutes les recherches témoignent de l’efficacité des apprentissages distribués par rapport aux apprentissages passés. Les apprentissages qui sont temporellement répartis, c’est-à-dire distribués dans le temps, s’avèrent plus efficaces que ceux qui sont concentrés sur une seule séance. L’efficacité de la répartition dans le temps est liée aux périodes de repos et de sommeil. Il est évident que tous les pédagogues devraient tenir compte de ces résultats dans leurs pratiques quotidiennes. Néanmoins, toutes les méthodes d’estimation des capacités mnésiques rapportent des oublis, dont l’importance et la nature varient. 201

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2. Principales causes de l’oubli normal Schacter et Dodson (2001) listent les sept types d’oubli principaux  : l’oubli éphémère, la distraction, le blocage, la mauvaise attribution, la suggestibilité, le biais et la persistance. Pour les auteurs, les trois premiers sont des oublis, les trois suivants des distorsions et le dernier est dû à l’intensité d’un souvenir. Bien que la description de ces sept catégories n’épuise pas l’ensemble des oublis possibles, elle mérite d’être rappelée.

2.1. Oubli éphémère L’oubli lié au côté éphémère (en anglais, transience) du stockage est caractérisé par l’affaiblissement de la trace avec le temps. Il serait lié au vieillissement et serait imputable à la dégradation de l’hippocampe et du lobe temporel. Ce type d’oubli a été évoqué lors de la présentation des recherches sur la répétition nécessaire à l’apprentissage par cœur, c’est-à-dire chaque fois qu’il faut restituer le stimulus avec exactitude dans la forme où il a été appris. Faute de répétition, le souvenir s’estompe progressivement, il devient éphémère. Plus généralement, chaque fois que l’information n’est pas traitée en profondeur et avec attention, on s’expose à un oubli plus ou moins progressif en fonction du temps.

2.2. La distraction La distraction (absent-mindedness) est un oubli par manque d’attention, aussi bien lors de l’encodage que lors de la récupération. Les auteurs donnent l’exemple de situations où l’on ne se rappelle plus où on a posé ses clés ou ses lunettes. Cet oubli est essentiellement lié au fait que l’on n’a pas prêté attention à ce que l’on fait, et donc que l’événement n’a pas été stocké, ou au fait que, ayant prêté attention à l’action, les activités qui ont suivi ont interféré. L’attention portée à l’action et aux informations encodées sont essentielles à leurs mémorisations. Faute d’attention, l’encodage et le stockage en mémoire ne pourront se faire ou seront, pour le moins, inefficaces.

2.3. Blocage temporaire (blocking-temporary) Par blocage temporaire, on entend une inaccessibilité temporaire de l’information mémorisée généralement imputable à la difficulté de la récupération. Cela correspond « au mot sur le bout de la langue », souvent des noms propres qu’on est momentanément incapable de retrouver, mais qui, quelques instants après, seront récupérés, montrant ainsi que l’information a été stockée, mais n’a pas été cherchée au bon endroit. Ce blocage est souvent lié au fait qu’une réponse 202

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erronée s’impose, occultant et gênant alors la recherche de réponses alternatives. C’est une expérience fréquente de chercher le nom d’un personnage connu, mais d’être incapable de le retrouver momentanément, d’autant que le nom d’une autre personne gêne la recherche. Les informations mémorisées ne sont pas recherchées au bon endroit. La recherche du contexte donne des indices de récupération. Suggestibilité (suggestibility) : intervention de fausses informations, de tromperies ou d’autres causes généralement apparaissant au moment de la récupération. Cette situation de blocage est élargie aux phénomènes de polarisation qui consistent à se focaliser sur un thème, des réponses, des situations, des événements et souvenirs qui occultent les autres informations mémorisées et gênent la décentration permettant de rechercher d’autres sources.

2.4. Mauvaise attribution (misattribution) La notion de mauvaise attribution renvoie au fait que l’on mélange deux souvenirs. Schacter et Dodson (2001) donnent l’exemple du témoin d’un crime, qui décrit l’assassin habillé conformément aux vêtements qu’il a vus dans la vitrine d’un magasin deux jours auparavant. Plus généralement, cette mauvaise attribution correspond au fait d’être influencé par des attitudes, des croyances, des jugements qui interfèrent avec un souvenir. Les auteurs parlent de « reflets des attitudes courantes »1. Cette mauvaise attribution est divisée en trois composantes : cryptomnésie, fausse mémoire et confusions des sources. La cryptomnésie « du grec kruptos “caché”, “secret” et mnémè “mémoire”, “ souvenir”, littéralement “souvenir caché”, est un biais mémoriel par lequel une personne a l’impression erronée d’avoir produit une pensée (une idée, une chanson, une plaisanterie), alors que cette pensée a été en réalité produite par quelqu’un d’autre. La cryptomnésie peut conduire au plagiat involontaire, dont l’auteur fait une expérience mnésique qu’il ne peut distinguer d’une inspiration nouvelle.  » Elle correspond donc à une attribution erronée de l’origine d’une pensée. Une telle mauvaise attribution n’est généralement pas consciente, elle est faite de « bonne foi ». L’expression «  fausse mémoire  » recouvre les situations dans lesquelles quelque chose qui ne s’est pas produit est rappelé. Toutes les études sur le témoignage des enfants montrent l’importance de l’intrusion de faits qui ne se sont pas produits, mais correspondent souvent à des reconstructions plus ou moins fantasmatiques. Dans la confusion des sources, le rappel des événements est correct, mais l’attribution est erronée. Le fait n’est pas attribué à la bonne personne, il y a confusion quant aux sources (vie réelle et médias d’information), entre un événement vécu et un événement rêvé ou imaginé… 1. « reflection of current attitudes ».

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Les recherches sur les témoignages éclairent les déformations liées à la mémorisation des événements. Dès que ce phénomène est observé, au moins quatre types de déformations interviennent : −− dans la scène à laquelle on assiste, on est amené à choisir les stimuli ou les caractéristiques sur lesquels on porte son attention ; −− ces stimuli et ces caractéristiques vont être encodés (généralement verbalement) pour pouvoir être mémorisés ; −− stimuli et caractéristiques sont connotés positivement ou négativement : telle race de chien est connue pour être agressive alors que telle autre a la réputation d’être gentille ; −− la scène est interprétée, souvent en tenant compte des connotations, des attitudes et présupposés. Ces quatre types de déformations affectent les rappels de sorte que les témoignages sont largement orientés par les connotations, attitudes et présupposés. La recherche de la cohérence du témoignage peut entraîner de nouvelles reconstructions.

2.5. La suggestibilité La suggestibilité est « une disposition mentale particulière qui donne à certains sujets une réceptivité et une soumission excessives aux différentes influences susceptibles de s’exercer sur eux.  » (Doron & Parot, 1991). Dans le cas de l’étude des processus mnésiques, on parlera de suggestibilité lorsque le souvenir est modifié par une expérience particulière ou par des attitudes ou des connaissances. Les exemples de distorsion sont nombreux. Loftus & Palmer (1998) listent trois catégories : (i) modification de la description du costume d’un personnage en fonction des mannequins observés chez un commerçant ; (ii) modification d’une narration en fonction de l’âge du narrateur ; (iii) modification de scénarios en fonction des rêves ou des cauchemars… Les effets de la suggestibilité seront d’autant plus importants que le temps entre la perception des événements et le rappel sera long. La suggestibilité est considérée comme une erreur d’attribution ou l’intrusion d’une attitude. Tous les auteurs insistent sur les déformations introduites par la formulation des questions. En particulier l’utilisation d’adjectifs qui affectent l’appréciation des phénomènes. Les présupposés inclus dans la formulation des questions orientent les réponses et les reconstructions de témoignages. Autant de données qui illustrent le fait que les témoignages évoluent et sont l’objet de reconstructions adaptées aux présupposés, attitudes et connaissances du témoin. La suggestibilité introduit différentes catégories de biais.

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2.6. Les biais Le biais consiste en une distorsion due à des connaissances ou des croyances. Cinq types de biais sont précisés  : cohérence (consistency), changement de biais, biais stéréotypé, préjugés, biais égocentrique. −− Le biais de cohérence consiste à adapter le rappel afin d’optimiser la cohérence et donc réduire la dissonance cognitive. Le rappel devient conforme aux présupposés et attitudes de l’auteur. −− Le biais de changement revient à déformer le souvenir pour le rendre conforme à l’image que l’on se fait de soi, pour valoriser ses propres mérites. Les auteurs citent l’exemple de personnes qui ont travaillé dur pour acquérir une compétence et qui estiment qu’étant parties d’un niveau très bas, elles ont donc fourni des efforts remarquables. −− Le biais de stéréotype consiste à donner une place centrale aux attitudes engendrées par les stéréotypes raciaux, sexistes… Le rappel devient conforme aux stéréotypes de l’individu : le témoignage du misogyne est marqué par la dévaluation de la femme, le raciste soulignera la couleur de la peau de l’individu à l’origine du méfait, etc. −− Dans le biais de préjugé ou la sagesse rétrospective (hindsight bias), le rappel est reconstruit en faisant appel aux connaissances de l’individu et donc en intégrant les inférences correspondantes. −− Le biais égocentrique revient à se valoriser, à surestimer la taille du poisson pêché, l’héroïsme de l’acte effectué, son propre courage, la valeur de ses interventions… À côté de ces différentes distorsions, il existe des « faux oublis », c’est-à-dire des situations dans lesquelles le souvenir persiste, mais il est refoulé, il est l’objet d’interférences ou momentanément difficile à activer.

2.7. Les faux oublis : refoulements, interférences et difficultés de récupérations Refoulement, interférences et difficultés de récupération sont qualifiés de faux oublis, car dans ces trois cas, le souvenir existe. Il est réellement stocké en mémoire, mais il est inaccessible dans le cas du refoulement, ou perturbé dans l’interférence. Il peut également être momentané irrécupérable.

2.7.1. Le refoulement Le refoulement est un « mécanisme de défense fondamental d’abord décrit par S. Freud dans l’hystérie en rapport avec la théorie de la séduction, c’est l’opération par laquelle le sujet repousse ou maintient dans l’inconscient des pensées, images ou souvenirs liés à la sexualité. Pour S. Freud, son essence ne 205

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consiste que dans le fait d’écarter et de maintenir à distance du conscient des représentations et non des affects qui ne peuvent être que réprimées. » (Doron et Parot, 1991, p. 585). Freud décrit trois périodes dans le processus de refoulement : (i) « lors de la première phase du refoulement qui n’est connaissable que par ses effets dans la première, la prise en charge dans le conscient est refusé à la représentance psychique (représentance de la représentation) de la pulsion. Celle-ci s’accompagne d’une fixation  : le représentance concernée subsiste, à partir de là sans modification possible, et la pulsion demeure liée à elle » (S. Freud, 1915, p. 191) ; (ii) cette première phase est suivie d’un refoulement après-coup puis (iii) d’un « retour du refoulé sous forme de symptômes, rêves, actes manqués, etc. » (Doron et Parot, 1991, p. 585). Progressivement, à partir de 1905, Freud abandonna ce concept qui fut repris dans un premier temps lors de l’étude des oublis traumatiques et de l’amnésie dissociative. Cette amnésie se caractérise par une incapacité à rappeler des données autobiographiques (mémoire épisodique) suite à un événement traumatique ou stressant en absence de lésions organiques. Cette amnésie n’affecte pas la mémoire à court terme, ni la mémoire sémantique, ni la mémoire procédurale. De plus, les souvenirs stockés après l’événement traumatique sont enregistrés normalement, ce qui plaide en faveur d’un blocage psychologique. Généralement, les problèmes affectant la mémoire épisodique sont attribués aux dysfonctionnements du système limbique associés à des structures frontales temporales et pariétales postérieures du cortex (Wikipedia, 2017). L’activité cérébrale semble indiquer que les souvenirs refoulés seraient stockés dans l’amygdale et l’hippocampe, mais qu’ils ne seraient pas intégrés dans le néocortex et que de tels souvenirs ne seraient pas encodés verbalement, mais stockés dans l’hémisphère droit probablement sous forme d’images ou de réactions émotionnelles. En tout état de cause, on ne saurait oublier que les expériences traumatiques déclenchent la sécrétion d’adrénaline et de noradrénaline qui, dans un premier temps, facilitent la mémorisation, mais qui, lorsqu’elle est prolongée, a des effets opposés en déterminant une augmentation de la production de cortisol. Contrairement aux refoulements, les interférences sont liées non pas à un événement traumatique, mais plutôt aux similitudes entre apprentissages.

2.7.2. Les interférences Dans le domaine de la mémoire, l’interférence a pour effet la détérioration des épreuves de récupération (rappel ou reconnaissance) suite à un apprentissage antérieur (interférence proactive) ou à un apprentissage intercalé entre l’apprentissage initial et le test de rétention (interférence rétroactive). Les protocoles expérimentaux permettant d’étudier ces deux catégories d’interférences ont été décrits au début du chapitre. L’interférence proactive apparaît lorsqu’un premier apprentissage interfère avec un second, alors qu’on parle d’inter­ 206

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férence rétroactive lorsqu’un apprentissage antérieur est perturbé par un nouvel apprentissage. Les interférences, qu’elles soient pros ou rétroactives, supposent l’existence de similitudes entre les apprentissages et de similitudes entre composantes motrices dans le cas des mouvements, entre images dans le cas de perceptions, entre éléments sémantiques, entre unités phonologiques dans le cas du verbal. Les similitudes peuvent aussi concerner les contextes, les modalités d’apprentissages, ou les contenus. Les interférences peuvent opérer aussi bien au moment de l’apprentissage que lors du stockage, voire au moment du rappel. Les interférences se développent aussi bien dans les mémoires transitoires que dans la mémoire à long terme. Des interférences affectent la capacité d’appréhension lorsque les éléments présentés sont confondus du fait de leurs similitudes graphiques ou phonologiques. Dans ce cas, le lecteur ou l’auditeur est généralement victime d’attitudes, de présupposés ou d’effets de séries. Dans la mémoire de travail, les interférences sont liées aux capacités de la mémoire tampon qui amènent à procéder à des inférences. Les processus associatifs jouent un rôle déterminant dans la production des interférences. Lors de situations d’interférences proactives, les enregistrements d’IRM montrent une activité de la zone du cortex préfrontal ventrolatéral et préfrontal antérieur de l’hémisphère gauche. En revanche, l’interférence rétroactive affecte le cortex préfrontal ventral antérieur de l’hémisphère gauche. Au-delà de ces zones, les parties du cortex affectées par les interférences varient en fonction de la nature des informations encodées et des processus de réponses. Les interférences motrices sont concernées par des zones du cortex différentes de celles qui le sont par les interférences verbales. L’émotion et les composantes affectives sont susceptibles d’être à l’origine d’interférences et, dans ce cas, l’amygdale joue un rôle déterminant. Plus généralement, les processus mnésiques sont fondamentalement dépendants des structures hippocampiques et de l’amygdale. Les interférences et les capacités de rétention augmentent avec l’âge. Le rôle du vieillissement dans les activités mnésiques sera traité dans le chapitre suivant. Parmi les causes d’oublis, les difficultés de récupérations ont une place fondamentale. Que sont ces difficultés ?

2.7.3. Difficultés de récupérations Tous les processus mnésiques nécessitent une phase au cours de laquelle l’information stockée en mémoire est récupérée. Les processus de récupération sont essentiels puisque de leurs réussites ou de leurs échecs dépend l’activation des souvenirs et des connaissances. Pour comprendre ces processus, il est habituel de faire référence au modèle de la bibliothèque dans laquelle les livres sont classés selon des ordres préétablis : les romans policiers sont regroupés 207

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dans un rayon tandis que les livres d’aventures le sont dans un autre, les ouvrages de mathématiques sont distingués de ceux qui traitent d’astronomie, et au sein de chacune de ces catégories les ouvrages sont classés par ordre alphabétique. Deux hypothèses (rarement explicitées) sous-tendent les travaux des chercheurs : (i) les connaissances et souvenirs stockés dans la mémoire à long terme sont organisés en catégories qui doivent être explicitées ; (ii) cette organisation est indicée de sorte qu’à chaque connaissance et à chaque souvenir sont associés des indices susceptibles de faciliter leurs récupérations. L’idée que la catégorisation est une fonction fondamentale de l’activité cognitive, qui se manifeste très tôt lors du développement du nourrisson, a été étayée par les données présentées dans le chapitre  6. L’existence des organisations taxonomiques témoigne en faveur d’une structuration des connaissances en termes d’emboitements. L’intitulé de chaque catégorie peut être considéré comme un indice de récupération. Néanmoins, la notion d’indices de récupération ne peut être limitée à la seule organisation taxonomique ; les situations, les contextes, les émotions et l’ensemble des réactions affectives constituent autant d’indices de récupération. Les composantes de la situation dans laquelle un événement a été vécu sont des indices qui permettent d’activer son souvenir. Les indices sensoriels sont aussi importants : une image spécifique, une odeur, un goût, mais aussi un indice phonologique sont également des indices de récupérations qui font partie des souvenirs et des connaissances stockées en mémoire. Les informations stockées et les souvenirs seraient donc indicés et ne pourraient être récupérés que s’ils sont cherchés au bon endroit. Chacun a fait l’expérience de la recherche du nom d’une personne qu’il n’arrive pas à retrouver (mot sur le bout de langue) et se souvient d’avoir essayé différentes tentatives de récupération basées sur des indices phonologiques (ce nom commence ou comprend tel phonème) ou sur des indices contextuels (circonstances de la rencontre, date, environnement…). Ces recherches d’indices peuvent être volontaires ou automatiques. Le nom recherché est parfaitement connu, mais souvent bloqué par une réponse, généralement automatique, qui fait obstruction et gêne à la fois la recherche et la réussite, car elle revient systématiquement et bloque toute autre réponse. Pour Tulving, la réponse est disponible puisqu’on la connaît. Mais elle est provisoirement non accessible, car on n’active pas la zone dans laquelle elle a été stockée. Les principaux indices de récupération qui ont été étudiés lors d’expériences sont  : la catégorie (la présentation de la catégorie à laquelle appartient le mot recherché facilite sa récupération), le contexte et l’état psychologique et affectif dans lequel l’information a été stockée ainsi que les propriétés du signal (phonologie, traits visuels…). Notons que les effets des indices de récupération sont des effets associatifs, l’indice est associé à l’information stockée. 208

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À côté des oublis de la personne en bonne santé existent les oublis dus à différentes pathologies.

3. Les pathologies de la mémoire Les pathologies de la mémoire affectent toutes les activités cognitives, elles sont décrites en détail dans différents manuels de neurologie. Le texte qui suit est inspiré des ouvrages de Roger Gil (1989, 1996 et 2006) et de Francis Eustache et Béatrice Desgranges (2012). L’exposé qui suit est limité à une présentation rapide des amnésies et des démences. On ne saurait pour autant négliger le fait que la plupart des pathologies psychiatriques présentent à différents degrés des distorsions et des atteintes de la mémoire.

3.1. Les amnésies Les amnésies sont caractérisées par une perte partielle ou totale, permanente ou occasionnelle de la mémoire. Leurs origines sont diverses  : lésions cérébrales, traumatismes crâniens, absorption de drogues, stress post-traumatique ou maladie psychiatrique. L’amnésie peut affecter la mémoire du passé, on parle alors d’amnésie rétrograde. Elle peut aussi se manifester par une incapacité à stocker de nouvelles informations, il s’agit alors d’amnésie antérograde. L’amnésie rétrograde touche la totalité ou une partie des mémoires sémantiques et épisodiques déclaratives, elle concerne une période plus ou moins longue. Elle est associée à des lésions de l’hippocampe. En revanche, l’amnésie antérograde se manifeste par l’incapacité à stocker de nouveaux événements (mémoire épisodique) et des connaissances nouvelles. Les apprentissages et la mémoire de travail sont atteints. Sur le plan neurologique, on observe des lésions situées dans les cortex préfrontal, occipital et pariétal. Les patients atteints de ces deux types d’amnésies présentent des désorientations temporelles et spatiales. Dans leur ouvrage Les chemins de la mémoire, Francis Eustache et Béatrice Desgranges (2012) décrivent les syndromes de Korsakoff et le syndrome bi-hippocampique. Dans le syndrome de Korsakoff, l’amnésie est à la fois antérograde et rétrograde. Paradoxalement, il n’y a pas d’atteinte de la mémoire à court terme alors que la mémoire de travail est perturbée ainsi que les fonctions exécutives. Pour les auteurs, les troubles sont associés à des lésions des structures diencéphaliques : corps mamillaires, faisceau mamillo-thalamique et noyaux antérieurs et dorso-médians du thalamus (figure 2). Les perturbations de la mémoire procédurale (faire du vélo, conduire…) sont consécutives à des lésions du striatum. 209

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En revanche, dans le syndrome bi-hippocampique, l’amnésie est rétrograde. La mémoire épisodique et parfois même la mémoire sémantique sont perturbées, suite à des lésions bilatérales de la face interne des lobes temporaux incluant l’hippocampe et l’amygdale, tandis que la mémoire à court terme et la mémoire procédurale sont préservées. Les amnésies infantiles se manifestent dès les trois premières années chez des enfants ayant un quotient intellectuel normal, capables d’acquisitions nouvelles, mais dont la mémoire épisodique est perturbée. Les circonstances et les contextes dans lesquels les apprentissages se produisent ne sont alors pas retenus. Ces amnésies sont consécutives à des lésions de l’hippocampe et des structures annexes. Comme l’indique leur dénomination, les amnésies post-traumatiques ont pour origine un événement traumatique, un stress qui est à l’origine d’une incapacité à se souvenir de soi dans la situation traumatique (amnésie dissociative). Figure 2. Coupe sagittale du cerveau permettant de localiser le thalamus, l’hypothalamus, l’hippocampe, les corps mamillaires et le fornix

Gyrus cingulaire Septum pellucidum Aire septale Hypothalamus Bulbe olfactif Corps mamillaire Hippocampe

Corps calleux Fornix Noyaux du thalamus Amygdale Gyrus de l’hippocampe

3.2. Troubles de la mémoire dans les démences et la plupart des pathologies psychiatriques Différents facteurs peuvent affecter le fonctionnement du cerveau. Il en est ainsi, par exemple, de l’excès de cholestérol ou des effets secondaires de certains médicaments. Parmi les principales pathologies qui touchent l’activité cérébrale, notons les accidents vasculaires, la maladie de Parkinson et les démences, dont la maladie d’Alzheimer. La probabilité d’apparition de ces pathologies augmente fortement avec l’âge même si des signes avant-coureurs peuvent se manifester dès quarante ans. Néanmoins, chez les sujets jeunes, le risque d’AVC n’est pas négligeable. 210

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Chapitre 8 – L’oubli normal et pathologique

Dans les démences, les troubles de la mémoire sont associés à des perturbations de fonctions cognitives qui affectent de façon sévère et durable les comportements. Elles sont définies par l’Organisation Mondiale de la Santé comme des « altérations acquises progressives de la mémoire et d’au moins une autre fonction supérieure, suffisamment marquée pour handicaper les activités de la vie quotidienne, apparue depuis au moins six mois  ». Ainsi, dans les démences, l’altération de la mémoire est associée à la dégradation d’au moins une autre fonction supérieure : motricité, orientation spatio-temporelle, langage, raisonnement… La difficulté à se situer dans l’espace et dans le temps caractérise la plupart des démences. Le patient se perd, ne retrouve plus son chemin pour rentrer chez lui, ne sait plus quel jour il est… Les démences sémantiques sont caractérisées par le fait que les patients oublient les mots, les connaissances et souvenirs anciens, alors qu’ils sont capables d’acquérir de nouveaux souvenirs épisodiques. Cette démence a pour origine une atrophie des lobes temporaux. Les démences non dégénératives sont la conséquence d’un agent pathogène. Les démences génératives, quant à elles, sont dues à une dégénérescence des cellules nerveuses. La maladie d’Alzheimer, de Parkinson et de Huntington en sont les principales. La maladie d’Alzheimer est une maladie dégénérative qui se traduit par la destruction des neurones, liée à une dégénérescence neurofibrillaire, et à la formation de plaques amyloïdes qui asphyxient les neurones. Ces destructions touchent particulièrement les lobes temporaux et pariétaux, le cortex frontal et l’hippocampe. Ces localisations permettent de comprendre les conséquences de la maladie sur l’activité cognitive. La mémoire épisodique et la mémoire de travail sont touchées. Le patient n’arrive pas à réaliser de nouveaux apprentissages. Il manifeste des difficultés dans les phases de codage de l’information, de stockage et de récupération. Progressivement, les souvenirs anciens, les connaissances et la mémoire sémantique sont affectés. Les détériorations des capacités mnésiques s’accompagnent de confusions mentales, de troubles de l’humeur et d’agressivité. Le langage et l’ensemble des fonctions exécutives sont progressivement atteints de sorte que le patient doit être assisté lors de l’accomplissement des tâches de la vie quotidienne. Aux difficultés rencontrées lors de l’exécution des mouvements s’ajoutent des troubles de l’identification des personnes familières, le malade ne reconnaît plus les membres de sa famille. Le maintien d’une activité cognitive et physique ainsi qu’une alimentation équilibrée seraient susceptibles de ralentir la progression de la maladie. Comme la maladie d’Alzheimer, la démence fronto-temporale fait partie des démences corticales qui se manifestent par des troubles cognitifs et comportementaux. Parmi les maladies neurologiques dégénératives, la maladie de Parkinson se caractérise par la mort des neurones, principalement dans la substance noire 211

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qui est en partie responsable de la motricité et de l’olfaction. Les troubles caractéristiques sont le tremblement des membres, la perturbation des mimiques, l’apparition de mouvements automatiques tels que la marche, l’hypertonie musculaire extrapyramidale, la perte de l’olfaction, les troubles du sommeil, une fatigue chronique. Avec le temps, les structures corticales sont atteintes et l’activité cognitive est perturbée. Contrairement à ces démences dont l’évolution s’étend sur des durées non négligeables, l’AVC est un arrêt brutal de l’irrigation sanguine dans une partie du cerveau. Cet arrêt provoque la mort des cellules cérébrales qui sont normalement irriguées par les vaisseaux concernés. Il est favorisé par l’athérosclérose qui diminue la souplesse et le calibre des artères. Les risques augmentent à partir de 55 ans. La destruction des cellules neuronales a pour effet la perte des fonctions dont elles sont responsables : paralysies, aphasies… Dans toutes les pathologies décrites dans les lignes précédentes, les troubles de la mémoire constituent le symptôme principal. Or, des perturbations de la mémoire se retrouvent dans la plupart des pathologies psychiatriques. Les dépressions, les névroses et les différentes psychoses sont marquées par des distorsions des souvenirs, des affabulations ou des oublis. Quoi de plus normal dans la mesure où, à l’exception des activités réflexes, tous les comportements qu’ils soient sensori-moteurs ou intellectuels, font appel à des apprentissages, des souvenirs et des connaissances acquises à différents moments de la vie. La description de ces perturbations de la mémoire est l’objet de manuels psychiatriques. Notons toutefois qu’elles sont souvent accentuées par la prise de médicaments, somnifères, anxiolytiques et différentes drogues.

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Chapitre 9 – Vieillissement et mémoires

Chapitre 9 Vieillissement et mémoires La description des effets du vieillissement est traitée en séparant les effets généraux des effets spécifiques. Par effets généraux, on entend le vieillissement du cerveau, l’altération de la motricité, des capacités sensorielles, de la vigilance, de l’attention et de la fatigabilité. Les effets spécifiques du vieillissement sur les mémoires sont ensuite décrits en traitant des mémoires transitoires puis de la mémoire à long terme dans ses composantes implicites et explicites. Avant de traiter des effets du vieillissement, il faut rappeler l’inquiétude de la personne âgée concernant ses pertes de mémoire et les problèmes méthodologiques liés aux études expérimentales.

1. Prolégomènes aux études du vieillissement de la mémoire Les données indiquent que la personne âgée surestime les pertes de mémoire.

1.1. Mémoires et inquiétudes de la personne âgée À partir de 65 ans, 48 % des personnes se plaignent de pertes de mémoire qui ne sont pas confirmées par les tests (Ritchie, 2000). Une telle focalisation sur les problèmes mnésiques aboutit à les amplifier. D’autant que les aînés, plus que les jeunes, se heurtent au problème du « mot sur le bout de la langue », c’est-à-dire à la difficulté à retrouver un mot, généralement un nom propre. En fait, la recherche du mot adéquat est gênée par le blocage sur une réponse erronée qui empêche la recherche d’alternatives. Ainsi, à la difficulté à inhiber une réponse s’ajoute la diminution de la fluidité verbale et la résistance aux changements de stratégie dans la recherche de la bonne réponse. Ces ressentis doivent être complétés par deux données expérimentales. L’une concerne le fait que lorsque la personne âgée peut interrompre l’apprentissage au moment où elle croit avoir appris correctement, elle arrête plus tôt son apprentissage que le jeune. Cette donnée paraît contradictoire par rapport 213

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à ses plaintes. Deux hypothèses explicatives peuvent être formulées  : soit la personne âgée a une mauvaise estimation de ce qu’elle a retenu, soit elle interrompt précocément l’exercice, car elle ressent la fatigue. Aucune donnée expérimentale ne permet de trancher entre ces deux hypothèses. L’autre donnée expérimentale montre que les différences de performances entre jeunes et âgées dépendent des délais. Lorsque l’épreuve de rappel intervient rapidement après l’apprentissage, les performances des deux groupes sont équivalentes, en revanche, lorsque les délais s’allongent la supériorité des plus jeunes se manifeste. De plus, dans les épreuves de reconnaissance, la différence intergénérationnelle est moins forte que dans les rappels. Cette dernière donnée justifie le ressenti des plus anciens tout en relativisant leur pessimisme, puisque les résultats aux épreuves de reconnaissance indiquent que l’information a été stockée et que les difficultés se situent au moment de la récupération, ce qui incite à mettre en cause les stratégies qui permettent de retrouver les représentations stockées. L’étude expérimentale des effets du vieillissement sur les processus mnésiques se heurte à des problèmes qui méritent d’être soulignés.

1.2. Problèmes liés aux études du vieillissement sur les processus mnésiques1 L’expérimentaliste qui étudie les effets du vieillissement sur les processus mnésiques se heurte à une série de problèmes, dont celui de la vicariance des traitements. Ce terme est utilisé par les psychologues différentialistes pour désigner le fait qu’une même tâche peut être effectuée en mettant en œuvre des stratégies différentes. La réussite de cette tâche dépend donc de la stratégie adoptée. Ce problème, que l’on rencontre dans la plupart des recherches expérimentales en psychologie, prend une importance particulière lors de l’étude du comportement des personnes âgées. En effet, il a été démontré qu’elles utilisent des stratégies compensatoires leur permettant d’obtenir des performances équivalentes à celles des plus jeunes. Leurs connaissances, leurs acquis les amènent à trouver des procédures plus simples ou au contraire les incitent à mettre en œuvre des procédures complexes. Ainsi, des résultats similaires peuvent être obtenus en mettant en œuvre des procédures cognitives différentes. Les comparaisons des performances de jeunes informaticiens et de professionnels aguerris indiquent, par exemple, que ces derniers travaillent en compilant des parties de programmes qu’ils ont déjà utilisées et qu’ils connaissent, tandis que les novices cherchent des solutions nouvelles et donc élaborent parfois des programmes plus rapides et plus malins même s’ils 1. Le contenu des lignes qui suivent peut être retrouvé dans l’ouvrage Les mécanismes de l’apprentissage : modèle et applications, de Jean-Pierre Rossi, publié en 2014 chez De Boeck-Solal.

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mettent plus de temps à les concevoir. Ainsi, connaissances et expériences déterminent les procédures qui aboutissent à des performances équivalentes. Plus généralement, dans une tâche donnée, l’effet du vieillissement dépendra du niveau de compétence de l’opérateur et donc des automatismes qu’il aura mis en œuvre dans son passé et évidemment aussi de ses aptitudes. Or, le choix d’une stratégie n’est pas neutre, car il a des conséquences directes sur la charge de travail. Ainsi, selon les processus mis en œuvre, la fatigue sera plus ou moins importante et donc la durée pendant laquelle il est possible de maintenir un niveau de performance égal varie. Ce point est important car, qu’il s’agisse d’activités physiques ou intellectuelles, la personne âgée se fatigue plus vite que le jeune. Dans toute situation, il faut être attentif au coût cognitif et donc à la fatigue qui est engendrée par la réalisation de la tâche. L’autre série de problèmes rencontrée lors de l’étude des effets du vieillissement sur les processus mnésiques concerne la difficulté à faire la part des facteurs généraux et des facteurs spécifiques aux processus mnésiques. Les modifications neurologiques et biochimiques du cerveau, la diminution des capacités sensorielles, les problèmes de vigilance et d’attention comme le ralentissement de la conduction nerveuse sont des exemples de facteur généraux. Il va de soi que la diminution de la vitesse de conduction des neurones affecte l’ensemble de l’activité psychologique et donc a fortiori les processus mnésiques. Pour limiter au maximum l’effet des vicariances et mieux faire la part des processus généraux par rapport aux spécifiques, il est proposé de décomposer les processus mnésiques en cinq étapes. Dans la première, les stimuli et stimulations physiques sont sélectionnés puis transformés en message nerveux et encodés en représentations mentales. À la suite de quoi ces représentations font l’objet d’un traitement cognitif faisant appel aux connaissances stockées en mémoire : activation du sens, des connaissances, traitements cognitifs pouvant impliquer calculs et raisonnements… aboutissant à une nouvelle représentation. Dans une troisième période, la nouvelle représentation est stockée en mémoire et parfois intégrée à d’autres connaissances. À ce niveau, elle subit diverses transformations, dont des modifications dues aux oublis. À la suite de quoi, instantanément ou ultérieurement, l’individu est amené à élaborer une réponse qui, enfin, va être exprimée verbalement ou par un comportement moteur (une réponse verbale est motrice). Isoler ces périodes est arbitraire et n’a qu’une fonction pédagogique, car il est évident que toute prise d’information dépend à la fois des connaissances de l’opérateur, du but qu’il poursuit et du type de réponses qu’il est amené à produire. De même, le stockage de l’information et sa récupération ne sont pas indépendants des circonstances dans lesquelles cette information a été présentée. Les interactions entre les processus opérant dans ces cinq périodes sont donc variées. Avant de traiter des différentes mémoires, il faut rappeler les effets généraux du vieillissement dans les processus cognitifs. 215

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2. Effets généraux du vieillissement Parmi les effets généraux, sont décrits l’effet de l’âge sur l’évolution du cerveau et les modifications de la motricité, des capacités perceptives, de la vigilance et des processus attentionnels.

2.1. Effets du vieillissement sur le cerveau Au cours du vieillissement normal, le cerveau subit des modifications  physiques, morphologiques et biochimiques dont on retiendra essentiellement : −− la diminution de la masse cérébrale ; −− la décroissance du nombre de neurones dans le cortex et, en dessous, la réduction de la substance blanche ; −− les transformations morphologiques des neurones ; −− les mutations bio-moléculaires et les modifications des enzymes, en particulier de l’acétylcholine. Tous ces changements n’ont pas que des conséquences néfastes sur les comportements, certaines sont même bénéfiques. Néanmoins, la modification la plus spectaculaire est la diminution de la masse cérébrale.

2.1.1. Diminution de la masse cérébrale Le poids et le volume du cerveau sont à leur maximum entre 18 et 20 ans. Durant les premières années de la vie, la croissance de la masse cérébrale est due à la myélinisation des fibres et à l’augmentation des dendrites, et donc des connexions. À partir de 20  ans, la diminution est régulière, les connexions non utilisées meurent. Entre 20 et 90 ans, la masse cérébrale diminue en moyenne de 20 %. Ce taux varie à la fois selon les individus et selon les régions du cerveau. Une partie de la mort neuronale est imputable à leur non-utilisation. La variation de la masse cérébrale n’est pas la même pour tous, il existe de fortes variations interindividuelles puisque chez certains centenaires cette décroissance est faible. L’atrophie cérébrale ne touche pas pareillement les différentes parties du cerveau. Les pertes les plus importantes se situent dans le tronc cérébral, et plus particulièrement dans la substance noire, qui est en partie responsable de la motricité, et dans le locus coeruleus qui gère la peur, l’anxiété, l’éveil et l’alternance veille-sommeil. Chacun a pu observer les troubles du rythme veille-sommeil chez les personnes âgées. Le locus coerulus gère l’activation du cervelet, du lobe temporal, du thalamus, du lobe frontal et du néocortex. C’est dire son importance sur l’activité cognitive et plus particulièrement sur l’attention ! Le vieillissement affecte aussi les cellules gliales qui entourent les neurones. Leur fonction principale est de fournir aux neurones l’oxygène dont ils ont besoin, de produire la myéline qui les entoure, d’éliminer les cellules mortes et 216

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de les protéger des agents pathogènes. Ces cellules se modifient en sécrétant différentes substances susceptibles de protéger les neurones et de limiter leur dégénérescence. La diminution de la masse cérébrale n’est pas seulement due à la perte des neurones. Elle est également en partie liée à la diminution de leur volume et du nombre de leurs dendrites. Le vieillissement entraîne des modifications morphologiques des neurones qui survivent.

2.1.2. Modifications morphologiques des neurones Les neurones se modifient en partie sous l’effet des cellules gliales. Leurs axones s’atrophient, tandis que leurs dendrites deviennent plus courtes et se ramifient (figure 1). Des observations récentes semblent même indiquer que le nombre des dendrites de certaines régions de l’hippocampe augmente entre 40 et 70 ans, puis régresse à partir de 80 ou 90 ans. On peut faire l’hypothèse que cette croissance permet de pallier, au moins en partie, à la diminution des neurones. Chez les patients atteints de la maladie Alzheimer, cette augmentation de la ramification des dendrites ne se produit pas. Ces modifications morphologiques sont accompagnées de changements biochimiques.

Longueur des dendrites (en micromètres)

Figure 1. Évolution de la ramification dendritique 300 250 200 150 100 50 0

Âge mûr (50 ans)

Vieillesse (70 ans)

Grand âge (90 ans)

Adultes atteints de la maladie d’Alzheimer

Source : image empruntée à Dennis Elkoe « Le vieillissement du cerveau et de la pensée » Pour la science n° 181, novembre 1992

2.1.3. Modifications biochimiques Les modifications biochimiques portent : (i) sur la formation de plaques séniles entre les neurones et particulièrement dans l’hyppocampe ; (ii) sur des transformations de l’ADN qui entraînent une diminution quantitative et une alté217

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ration qualitative des protéines responsables de la synthèse des neuromédiateurs ; (iii) sur une démyélinisation des fibres qui provoque un ralentissement de la conduction nerveuse. Ces trois modifications altèrent la transmission de l’influx qui est essentielle aux apprentissages, puisque ceux-ci reposent sur la constitution de réseaux (chapitre 1). À cela s’ajoute l’épaississement, et donc la rigidification des vaisseaux sanguins, qui a pour conséquence la réduction du flux sanguin et par conséquent la diminution de l’oxygénation du cerveau associée à une accélération de la mort neuronale. Ces modifications sont retrouvées lors de l’étude des différentes pathologies affectant l’activité cérébrale.

2.2. Effets du vieillissement sur la motricité Après avoir décrit les effets du vieillissement sur les réponses motrices, il sera réservé une place particulière à l’évolution des temps de réaction, car ceux-ci sont des composantes essentielles de toutes les réponses, qu’elles soient motrices, sensori-motrices ou intellectuelles.

2.2.1. Effet du vieillissement sur les réponses motrices Le vieillissement du corps se traduit par une diminution de la masse musculaire, de la force, de la tonicité, de la flexibilité musculaire et de la consommation maximale d’oxygène ou VO2max. La VO2max est le volume maximal d’oxygène qu’un individu peut consommer par unité de temps lors d’un exercice dynamique aérobie maximal. Elle mesure les capacités d’effort. Ce volume diminue régulièrement avec l’âge, jusqu’au moment où l’effort minimum n’est même plus possible. La masse musculaire d’un homme de 20  ans qui pèse 70 kilos est de 28 kilos, alors qu’à 70 ans pour le même poids sa masse musculaire est ramenée à 24 kilos. Les modifications de la musculation affectent l’ensemble des comportements moteurs. Les statistiques indiquent qu’au-delà de 65 ans, 35 à 40 % des personnes âgées en bonne santé font une chute par an. À 80  ans, 50  % des personnes sont victimes de chutes. Nombre de chutes sont imputables à la diminution des capacités sensorielles. La vision est altérée alors qu’elle joue dans la marche un rôle plus important chez la personne âgée que chez le jeune. L’appréciation des distances et des reliefs est perturbée, la hauteur des marches est mal évaluée. De plus, le système vestibulaire, qui est l’organe qui gère les équilibres posturaux, perd de son efficacité. Les perturbations de ce système peuvent provoquer des déséquilibres et être à l’origine de problèmes d’orientations spatiales. L’équilibre et la posture sont aussi perturbés par la diminution de la sensibilité des pieds et de la voute plantaire. La réduction de la proprioception des pieds et des chevilles gêne la localisation des centres de pression qui sont déterminants dans la recherche des équilibres posturaux. 218

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Des recherches récentes (Berthoz, 2013) indiquent que la gestion de la marche et de l’équilibre ne dépendent pas seulement des variables musculaires, mais reposent aussi sur une activité cognitive de contrôle permettant, entre autres, d’anticiper, de déclencher les actions et de les inhiber. Une telle activité mobilise l’attention, et donc limite les capacités de traitement des informations tout en induisant une fatigue supplémentaire. C’est d’ailleurs ce que l’on observe lors de l’apprentissage de tout nouveau comportement moteur. L’attention, qui doit alors être portée à l’initiation, la programmation et l’inhibition des mouvements réduisent les autres capacités de traitement et génèrent une fatigue supplémentaire. La diminution des capacités de la mémoire de travail affecte aussi les apprentissages moteurs qui, avec l’âge, deviennent de plus en plus longs, difficiles et fatigants. Les chutes sont à l’origine d’un syndrome post-chute qui va se manifester par la crainte de tomber. Tout déplacement devient alors sujet d’anxiété. L’interaction entre motricité et cognition se retrouve au niveau neuronal puisque les mêmes réseaux neuronaux gèrent la posture et les émotions. Comme pour les fonctions cognitives, l’impact du vieillissement sur les comportements varie fortement d’un individu à l’autre.. Elles sont en partie modulées par le maintien d’une activité physique. La pratique de telles activités ralentit de façon significative les perturbations décrites précédemment. Dans tous les comportements, qu’ils soient moteurs ou cognitifs, le vieillissement se traduit par un ralentissement des traitements et des réponses. Ce ralentissement est mesuré par les temps de réaction.

2.2.2. Vieillissement et temps de réaction Par temps de réaction, on entend le temps qui s’écoule entre l’apparition d’un signal et le début de la réponse. La conduite automobile est typiquement une situation dans laquelle le temps de réaction joue un rôle important. L’exemple le plus simple est l’arrêt provoqué par le feu rouge. Les temps de réaction sont simples ou discriminatifs (on dit aussi de choix). Dans les temps de réaction simples, l’opérateur répond par une réponse unique à un message unique. Dans les temps de réaction de choix, plusieurs stimuli sont possibles, l’opérateur répond soit à un seul soit à plusieurs et doit, le cas échéant, choisir la réponse qui correspond au stimulus présenté. Les temps de réaction de choix sont systématiquement plus longs que les temps de réaction simples. Ces temps de réaction sont directement impactés par la vitesse de conduction de l’influx le long de l’axone du neurone qui, avec l’âge, est ralentie du fait de la détérioration de la myéline. Non seulement la vitesse d’initiation du mouvement est allongée, mais la durée pour effectuer le mouvement est ellemême affectée. Cette dernière l’est d’autant plus que le mouvement est complexe. Ces allongements s’accompagnent d’une augmentation de la variabilité 219

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interindividuelle. Cette réduction de la vitesse de réalisation du mouvement est d’autant plus importante que la personne âgée s’avère plus soucieuse de précision que de vitesse d’exécution. Les ralentissements des temps de réaction sont manifestes à partir de 65 ans et deviennent importants au-delà de 75 ans. Là aussi, les effets sur les apprentissages impliquant des réponses motrices1 sont directs. D’autres facteurs ralentissent les temps de réaction. Ainsi, une céphalée, au même titre que toute douleur, a un effet sur les capacités attentionnelles et donc sur la latence des réponses. A fortiori, toutes les perturbations de la motricité impactent les temps de réaction. Chaque fois que le contrôle du membre qui effectue la réponse est perturbé, le temps de réaction est allongé. Or, le vieillissement influe directement sur la motricité ne serait-ce qu’à cause des tremblements. Les apprentissages sont susceptibles de réduire, en partie, l’écart entre personnes âgées et jeunes, mais ne peuvent le supprimer. Dans la mesure où la plupart des activités mnésiques mettent en jeu les perceptions, on comprend que toute dégradation des capacités perceptives affecte directement les mémoires.

2.3. Effets du vieillissement sur les perceptions2 Les événements vécus, les connaissances acquises et plus généralement l’ensemble des apprentissages trouvent leurs origines principales dans la perception. La seule restriction est le cas des manipulations intellectuelles de connaissances déjà acquises. Il est, en effet, possible d’acquérir de nouvelles connaissances par le traitement intellectuel de ce qui a été appris précédemment. À l’exception de ces situations, les autres apprentissages résultent de perceptions liées aux cinq sens que sont la vision, l’audition, l’olfaction, le goût et les sensations somesthésiques. Or, ces cinq systèmes sensoriels sont affectés par le vieillissement.

2.3.1. Effets du vieillissement sur la vision Avec l’âge les modifications de la vision sont liées essentiellement à : −− la diminution du nombre des photorécepteurs ; −− au vieillissement de la macula ; −− à la réduction du nombre de fibres optiques ; −− au rétrécissement du champ visuel qui amène à des effets de tunnellisation ; 1. Ne pas oublier que toute réponse verbale est motrice. 2. Les pages qui suivent reprennent en les mettant à jour, les données présentées par l’ouvrage de l’auteur intitulé « Les mécanismes de l’apprentissage : Modèles et applications » publié en 2014 chez De Boeck et Solal.

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−− au durcissement et à l’opacification du cristallin qui va être à l’origine de la cataracte ; −− à la rigidification de l’iris, qui a pour conséquence le ralentissement à la fois de l’accommodation et de l’adaptation ; −− à la liquéfaction du corps vitré qui se condense en filaments et se rétracte à partir de 60 ans alors qu’il maintient la rétine plaquée au fond de l’œil et constitue une des quatre dioptres de l’œil. Absorbant une partie des rayonnements ultraviolets, il protège la rétine. Ces sept facteurs sont à l’origine de la réduction de l’acuité visuelle et du champ visuel. Pour illustrer l’importance de leurs effets, on rappelle que la réduction du nombre des fibres du nerf optique peut atteindre 5 % par décennie et donc 75 % à l’âge de 70 ans. Les effets de ces facteurs sont amplifiés par d’autres composantes qui apparaissent avec l’âge, ainsi la tunnellisation devient d’autant plus handicapante que la mobilité de la tête et réduite. La conjonction de ces deux phénomènes aboutit à ce que la principale cause d’accident de voiture de la personne âgée est le refus de priorité : le conducteur ne voit pas les véhicules qui arrivent sur le côté. À partir de 40 ans, le cristallin, qui est responsable de l’accommodation, commence à se rigidifier. L’accommodation consiste en la modification de la courbure du cristallin qui permet la mise au point de la vision selon la distance ainsi que la dilatation de la pupille selon l’intensité lumineuse. La diminution de sa souplesse est à l’origine de la presbytie, tandis que les difficultés de réglage de la taille de l’iris sont principalement responsables des effets d’éblouissement auquel le conducteur est particulièrement sensible la nuit. Ainsi, l’adaptation à l’obscurité et la discrimination des couleurs diminuent. En conclusion, avec le vieillissement, l’acuité visuelle et plus particulièrement la vision de près diminuent, entraînant souvent le port de verres progressifs. Ces phénomènes augmentent entre 65 et 74 ans et s’accompagnent d’une perte de la transmission de l’intensité lumineuse et surtout du rétrécissement du champ visuel. Après 75 ans, l’ensemble de ces troubles s’accentue avec des risques de cataracte (le cristallin s’opacifie), de glaucome et de dégénérescence de la macula. La diminution de la vitesse d’accommodation entraîne évidemment des phénomènes d’éblouissement. La prise d’information visuelle est donc directement impactée par ces modifications, les conséquences pour l’apprentissage sont directes puisque l’exploration visuelle et plus généralement la saisie des informations se trouvent ralenties et nécessitent une charge de travail supplémentaire impliquant un surplus de fatigue. Notons pourtant que l’entraînement et particulièrement l’apprentissage de stratégies d’explorations visuelles diminuent la dégradation des performances dans toutes les tâches reposant sur l’exploration. Malgré tout, les performances des jeunes ayant subi ces entraînements restent supérieures à celles des personnes âgées qui ont été soumises aux mêmes apprentissages. 221

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2.3.2. Effets du vieillissement sur l’audition Le vieillissement des organes auditifs se caractérise essentiellement par : −− un épaississement du tympan ; −− une perte des neurones cochléaires ; −− une diminution des cellules ciliées qui tapissent l’organe de Corti. À 60 ans, 40 % de ces cellules qui transforment l’énergie sonore en influx nerveux sont perdues ; −− une diminution des fibres qui constituent le nerf auditif. On distingue habituellement les surdités de transmission des surdités de perception. Les premières sont dues à l’obstruction du canal auditif (présence de cérumen, rupture du tympan…) tandis que les surdités de transmission sont dues au fait que les ondes sonores ne sont pas transformées en influx nerveux du fait de la dégradation de l’organe de Corti. Les gênes auditives et la presbyacousie affectent 40 % de la population des plus de 60 ans. Ce pourcentage augmente avec l’âge. Elles se caractérisent par une baisse de l’audition et des troubles de la discrimination des sons, une impression de sons brouillés et une intolérance aux fortes intensités. L’ensemble de ces gênes perturbe et limite la vie sociale. Cette hypoacousie peut s’accompagner d’acouphènes qui sont des sifflements et des bourdonnements intermittents. De même, l’évolution de l’oreille interne et plus précisément l’épaississement du tympan aboutissent à des effets de masquage qui rendent difficile l’audition d’une conversation dans le cas de bruits ambiants. Les bruits de fond sont difficiles à réduire, les discussions en public nécessitent de gros efforts, ce qui affecte évidemment la vie en société. L’utilisation de prothèses s’impose rapidement même si celles-ci nécessitent une adaptation parfois longue et difficile. Comme pour la vision, les détériorations de l’audition ont des conséquences sur les prises d’informations, les rendant difficiles et impliquant des efforts particuliers.

2.3.3. Effets du vieillissement sur le goût, l’odorat et la sensibilité cutanée Pour ces trois domaines sensoriels, les pertes sont minimes jusqu’à 75 ans. Audelà, elles deviennent significatives. La personne âgée se plaint souvent que la nourriture n’ait plus de goût et qu’elle devient insensible aux odeurs. Évidemment, les apprentissages mettant en jeu ces sens sont affectés par le vieillissement. Les détériorations des systèmes sensoriels ont également des effets sur les comportements moteurs. Les systèmes sensoriels ne sont pas les seuls à être affectés par le vieillissement, l’attention et la vigilance le sont également. 222

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Chapitre 9 – Vieillissement et mémoires

2.4. Effets du vieillissement sur la vigilance et l’attention1 En psychologie, les études de l’état de veille du système nerveux sont répertoriées sous différents intitulés. Les plus usuels sont les termes de vigilance, d’alerte, de concentration, d’attention sélective, d’attention partagée, d’attention soutenue, de ressources attentionnelles, de capacités attentionnelles, de charges attentionnelles, de processus automatiques opposés aux processus contrôlés... Pour simplifier l’exposé, les données concernant les effets du vieillissement seront regroupées autour des trois thèmes principaux que sont la vigilance, l’attention divisée ou partagée et l’attention sélective ou la concentration qui impliquent l’inhibition des stimuli et stimulations non pertinentes. On peut considérer que la vigilance est le niveau d’éveil de base.

2.4.1. La vigilance Par vigilance, on entend un niveau d’attention de base non dirigée, c’est-à-dire non focalisée, dans lequel l’individu est réceptif aux stimulations de son environnement. Il ne prête attention à aucun stimulus particulier : la vigilance est parfois qualifiée d’attention non dirigée, puisqu’elle n’implique pas un traitement actif d’un stimulus ou d’une stimulation. Pour distinguer ce que les médecins nomment des états de conscience, G. Teasdale et B. Jennet ont, en 1974, élaboré l’échelle de Glasgow qui va de l’état de mort (notée 0) à l’état de conscience normale (notée 15) en passant par le coma léger et la somnolence. L’échelle comporte trois rubriques  : l’une concerne l’ouverture des yeux (pas d’ouverture, ouverture provoquée par la douleur, le bruit ou étant spontanée), l’autre les réponses motrices (nulle, extension stéréotypée, flexion stéréotypée, évitement-retrait), la dernière catégorie de notes permet de coter les réponses verbales (nulles, incompréhensibles, inappropriées, confuses). Les patients obtenant la note 15 (la meilleure note) manifestent un état de conscience correspondant à la vigilance, c’est-àdire qu’ils sont réceptifs aux stimulations de l’environnement. Si cette échelle permet aux médecins d’apprécier les états de conscience de leurs patients, la notion de tâche de vigilance est développée par les ergonomes pour qualifier une catégorie de situations de travail. Les tâches de vigilance sont des situations monotones dans lesquelles l’opérateur doit répondre immédiatement à des signaux brefs généralement imprévisibles et irréguliers. Les réponses sont aussi brèves qu’automatisées, la tâche dure au moins vingt minutes. La conduite automobile, les tâches de surveillance ou les contrôles de fabrication sur des chaînes de production sont des exemples de ce type d’activité. Dans ces situations, les performances baissent 1. La vigilance et l’attention sont généralement considérées comme faisant partie des fonctions exécutives. Dans le cadre de cet ouvrage, elles sont classées parmi les processus qui affectent la perception et le traitement des informations perçues.

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à partir de vingt minutes. Des interruptions, même courtes, permettent d’amortir la dégradation des résultats. L’analyse de ces types de tâches est à l’origine de la théorie de la détection du signal qui se propose de décomposer les performances en deux scores : l’un représente la composante sensorielle et l’autre reflète l’aspect judicatoire, c’està-dire le critère de décision que se fixe l’opérateur. La réponse à chacun des essais est notée dans une des quatre situations représentées dans le tableau 1, où l’on voit que le signal est présenté ou ne l’est pas et que la réponse est présente ou absente. La combinaison de ces deux facteurs aboutit à des détections correctes, à des omissions, à des fausses détections ou à des non-réponses correctes. Le pourcentage de réponses dans chacune des cases varie selon les situations de travail. Lorsque les contraintes consistent à minimiser les omissions, les fausses détections sont augmentées, à l’opposé, lorsqu’on cherche à restreindre les fausses détections, on augmente les omissions. Les apprentissages peuvent porter sur l’amélioration des capacités discriminatives des opérateurs ou sur le choix des critères de décisions. Dans un cas, on apprend à discriminer le signal pertinent, dans l’autre on se fixe un critère de décision prenant le risque soit de favoriser les omissions en ne répondant que lorsque le signal est clair, soit de risquer des fausses détections en donnant une réponse même lorsque le signal n’est pas clair. Tableau 1. Types de situations décrivant les tâches de détection du signal Présence du signal Oui

Non

Réponse signal présent

Détection correcte

Fausse détection

Pas de réponse de détection

Omission

Non-réponse correcte

Dans de telles tâches, l’allongement de la durée entraîne une augmentation des risques de somnolence et même d’endormissement qui est accentuée par le vieillissement. À ce niveau d’activité non dirigé s’opposent les situations où l’attention est soutenue.

2.4.2. L’attention soutenue Sont qualifiés de tests d’attention soutenue, les tâches nécessitant l’inhibition des informations non pertinentes. La capacité à ne pas se laisser « distraire » et donc à être capable de bloquer les stimulations qui ne concernent pas la tâche est une composante essentielle de la réussite. L’attention soutenue demande un effort réel et donc entraîne une fatigue spécifique à laquelle la personne âgée est particulièrement sensible, d’autant qu’avec l’âge, les capacités d’inhibition diminuent et deviennent moins efficaces. 224

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2.4.3. L’attention divisée ou partagée Dans les situations d’attention divisée ou partagée, l’opérateur est amené à traiter simultanément plusieurs types d’informations comme dans le cas de l’écoute dichotique, où les messages envoyés à chacune des oreilles sont différents. Dans de telles situations, chez la personne âgée, les difficultés de détection sont accentuées du fait du déficit de leurs capacités sensorielles qui les amène à un surcroît d’effort qu’elle ne peut maintenir longtemps. De façon générale, cette population rencontre des difficultés chaque fois qu’il faut alterner les tâches ou modifier les traitements en fonction des propriétés des stimuli. Le vieillissement affecte directement la flexibilité intermodale, c’est-à-dire la capacité à s’adapter à des modifications des catégories de stimuli. Ergonomes et psychologues ont démontré qu’il est difficile d’effectuer simultanément deux tâches nécessitant une mobilisation de l’attention. Ils ont été ainsi amenés à distinguer les traitements automatiques des traitements contrôlés. Les uns ne nécessitent pas d’attention alors que les autres doivent être contrôlés. Si quotidiennement on fait l’expérience de parler tout en marchant, c’est que la marche est automatique. De même, s’il est habituel de soutenir une conversation tout en conduisant, force est de constater que si la route est sinueuse, la circulation dense ou la visibilité faible, en fait lorsque la conduite devient difficile, c’est-à-dire requiert toute notre attention, la conversation est interrompue. Les difficultés de gestion des doubles tâches sont majorées chez les personnes âgées du fait de la diminution de leurs capacités sensorielles, motrices et attentionnelles. Néanmoins, les entraînements et l’apprentissage de stratégies spécifiques permettent de limiter la dégradation des performances. Notons toutefois que les personnes plus jeunes entraînées obtiennent des performances meilleures que les personnes âgées ayant subi les mêmes apprentissages. Les facteurs psycho-affectifs comme l’angoisse, la crainte de ne pas réussir ou un niveau de motivation trop élevé amplifient les troubles de l’attention et donc détériorent les performances dans l’ensemble des tâches qui la mettent en jeu. Le vieillissement du cerveau et des structures responsables de la vigilance et des processus attentionnels peut-il expliquer leurs détériorations ?

2.4.4. Neurophysiologie de la vigilance et de l’attention On imagine facilement que la hiérarchie entre vigilance, attention soutenue, attention divisée et partagée se retrouve dans l’organisation des structures cérébrales. Dans ce cas, comme sur le modèle des poupées gigognes, la vigilance correspond à un éveil global tandis que l’attention soutenue fait intervenir des structures de contrôle et l’attention divisée et partagée met en jeux de nouvelles superstructures. 225

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Les travaux sur la vigilance ont montré que toute stimulation déclenche l’activation à la fois du cortex sensoriel correspondant et de la formation réticulée mésencéphalique activatrice (FRMA) qui gère l’état de l’éveil général du cerveau. Dans ce cadre, le locus coerulus joue le rôle d’un système d’alerte qui traite les propriétés du stimulus et prépare le cerveau à réagir. La focalisation qui caractérise l’attention serait principalement dépendante de l’activité du colliculus, du pulvinar et des régions pariétales postérieures, sachant évidemment que les cortex traitant de façon spécifique les stimuli en fonction de leurs caractéristiques sont tout aussi opérants. L’inhibition liée aux processus de focalisation résulte d’un mécanisme physiologique qui amène à atténuer l’intensité des messages autres que celui sur lequel l’attention est focalisée. Ainsi, telle une caméra, le système cognitif privilégie le traitement d’informations spécifiques. L’attention divisée et partagée fait intervenir des régions préfrontales qui contrôlent l’ensemble des traitements. Ce découpage associant des structures différentes en fonction des types de vigilance et d’attention paraît simplificateur lorsqu’on considère les systèmes de connexions qui traversent l’ensemble des structures composant le cerveau. Toute cette description passe sous silence l’intervention des structures qui gèrent l’émotion, les besoins et les motivations. Il est évident que le caractère dangereux ou au contraire attractif d’une stimulation affecte directement l’attention qu’on lui porte. Par conséquent, l’émotion est à l’origine des contrôles qui s’exercent sur vigilance et attention. Le rôle des structures cérébrales et particulièrement le contrôle par les régions préfrontales des processus attentionnelles ont amené les chercheurs à différencier l’attention endogène de l’attention exogène qui seraient gérées par des structures en partie communes et en partie distinctes. Les commandes endogènes seraient gérées préférentiellement par les structures préfrontales tandis que les exogènes le seraient par des structures postérieures, notamment les régions impliquées dans le traitement sensoriel. Le rôle des processus neuronaux dans la vigilance et l’attention amène à s’interroger sur l’impact du vieillissement sur le sommeil.

2.4.5. Effets du vieillissement sur le sommeil On ne peut traiter des effets du vieillissement sur la vigilance et les processus attentionnels sans aborder les modifications de la qualité et des rythmes de sommeil des personnes âgées.

Le sommeil des personnes âgées À partir de 60 ans, les plaintes des personnes âgées concernant la qualité et leurs rythmes de sommeil augmentent. La maladie et la prise de médicament ne sont pas étrangères aux perturbations du sommeil. Chez la personne âgée, l’endormissement est plus difficile, les éveils en cours de nuit sont plus nom226

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breux, les réveils plus matinaux. Le sentiment que le sommeil est moins réparateur affecte l’humeur et donne l’impression d’une plus grande fatigabilité alors que la durée du sommeil évolue relativement peu entre 50 et 90 ans. Le besoin de sieste se fait sentir et sa réalisation est rendue possible du fait des changements d’activités. La retraite est parfois un moment qui amène à une réduction de l’activité générale et plus particulièrement des exercices physiques avec souvent une moindre exposition à la lumière. Le cycle de sommeil d’environ 90 minutes comporte cinq phases. Dans la période d’endormissement, la respiration ralentit, les muscles se relâchent. Puis vient une période de sommeil lent léger (stade 2) qui occupe en général 50 % du temps de sommeil et durant laquelle les bruits ou la lumière peuvent provoquer le réveil. À cette seconde phase, succèdent deux périodes de sommeil lent et profond (stade 3 et 4) au cours desquelles le réveil est difficile et l’EEG est caractérisé par des ondes lentes et amples. Ce sommeil profond couvre environ 20 % de la durée du cycle. Alors que l’EEG témoigne d’un état de repos, survient la phase de sommeil paradoxal au cours de laquelle l’électroencéphalogramme présente une activité équivalente à celle que l’on enregistre dans la veille : le sommeil est profond, on observe des mouvements des yeux et une hypertonie des muscles. C’est durant cette période qu’il y a rêve. Le sommeil paradoxal de l’adulte couvre environ 25 % du temps de sommeil. Le vieillissement modifie la durée de ces phases en diminuant le temps du sommeil profond et du sommeil paradoxal et en augmentant la durée du sommeil léger. Ces variations sont sans doute à l’origine des plaintes des personnes qui ont l’impression que la qualité de leur sommeil est dégradée. Comme indiqué précédemment, ces variations sont en partie imputables à une diminution des neurones constitutifs du tronc cérébral et plus particulièrement de ceux que l’on trouve dans la substance noire en partie responsable de la motricité et dans le locus coeruleus qui gère la peur, l’anxiété, l’éveil et l’alternance veille-sommeil. Les perturbations du sommeil ont un effet direct sur la vigilance et les capacités attentionnelles mises en œuvre durant les activités de veille.

Sommeil, vigilance et des capacités attentionnelles Comme rappelé, la vigilance correspond à une disponibilité des ressources non sélective. Le premier problème concernant la vigilance est de la distinguer du sommeil léger, ce qui implique d’avoir des indicateurs de niveaux de vigilance. Un indicateur possible serait la rapidité avec laquelle il est possible de mobiliser l’attention. Le niveau de vigilance serait inversement proportionnel à ce temps de réaction, il serait élevé lorsque la réaction serait rapide et inversement, il serait faible lorsque ce temps serait long. Dans la mesure où la plupart des auteurs (Posner, 1989 ; Sieroff & Piquard, 2004) distinguent l’alerte endogène, qui ne dépendrait pas de stimulations extérieures, de l’exogène qui serait provoquée par des stimuli extérieurs, il faudrait disposer des échelles corres227

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pondantes à ces deux processus puisque les commandes endogènes seraient gérées par les structures préfrontales tandis que les exogènes seraient sous le contrôle des aires secondaires perceptives (Sieroff & Piquard, 2004). Seule l’estimation des durées des différents niveaux de vigilance permettrait d’en avoir une image réelle. Le déclenchement de l’attention focalisée, qu’elle soit endogène ou exogène, est toujours ralentie en raison de la réduction de la conduction nerveuse, de l’altération des capacités perceptives (visuelle, auditives, effet de tunnellisation), de la diminution de la mobilité des membres et des capacités d’inhibition. Pour les mêmes raisons, les commandes déclenchées par le traitement des stimuli subissent les mêmes dépréciations. L’attention dispersée subit les mêmes dépréciations auxquelles il faut ajouter la lenteur des processus de changement en fonction des stimuli, de leurs traitements et des réponses qu’ils déterminent.

2.5. Conclusion sur les effets du vieillissement sur la vigilance et l’attention Six catégories de facteurs affectent les performances des personnes âgées dans les tâches de vigilance et d’attention focalisée ou dispersée. Les premiers sont liés à la réduction des capacités sensorielles. Le fait que ces systèmes soient moins performants implique évidemment une complexification du traitement des stimuli et stimulations. Dans ces réductions, il faut intégrer des effets concomitants comme la réduction du champ visuel qui impacte directement le nombre de stimuli susceptibles d’être traités. Une seconde catégorie de facteurs a trait aux capacités motrices. Les difficultés liées à la mobilité de la tête réduisent le champ visuel, les problèmes de coordination et d’équilibre affectent directement le traitement des informations et l’ensemble des réponses motrices qu’elles impliquent. Un troisième type de facteurs concerne la flexibilité cognitive, c’est-à-dire la capacité à changer. Capacité portant aussi bien sur le changement de stimulus qui est traité que sur le type de traitement qui doit être effectué. La réduction de cette flexibilité cognitive est une des caractéristiques de la personne âgée. À ces trois catégories de facteurs s’ajoutent les modifications spécifiques de la vigilance et des capacités attentionnelles ; modifications liées aussi bien aux systèmes neuronaux (vitesse de conduction des neurones, perte des neurones, modifications neurochimiques…) qu’aux altérations de la qualité et des rythmes de sommeil. Deux autres faits caractérisent le comportement des personnes âgées et affectent l’ensemble des traitements cognitifs : il s’agit du ralentissement de la vitesse de traitements et de la diminution des capacités d’inhibitions. Le ralentissement des traitements provoque une surcharge de la mémoire tampon et plus généralement de la mémoire à court terme. Quant à la diminution des capacités d’inhibition, elle a des consé228

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quences sur le choix et les modalités de traitement des stimuli et stimulations, détermine des persévérances dans les traitements et les stratégies mises en œuvre. Elle entraîne des difficultés à gérer les processus de contrôle et donc les situations de conflits. L’ensemble de ces facteurs aboutit à augmenter la charge de travail et donc la fatigue. Ainsi, pour obtenir les mêmes performances que le jeune, la personne âgée doit faire un effort qui va réduire d’autant la durée pendant laquelle elle maintiendra sa performance. La fatigabilité est aussi un facteur général qui affecte directement ses capacités cognitives.

2.6. La fatigabilité La fatigue est une plainte récurrente des personnes âgées. Elle trouve son origine dans les facteurs énumérés précédemment, à savoir la réduction de la force musculaire, la dégradation des capacités attentionnelles, les altérations du sommeil et des différentes mémoires… On ne saurait aussi négliger la diminution des fonctions cardiovasculaires et pulmonaires et tous les problèmes de santé que rencontre la personne âgée. À cela s’ajoutent les effets de l’isolement, la perte des motivations et le désintérêt progressif pour les choses de la vie et particulièrement le repli sur soi. Autant de facteurs qui contribuent à un ressenti de fatigue générale. La fatigue est l’une des plaintes les plus souvent formulées par les personnes âgées. Elle est en outre imputable à la réduction progressive de l’activité physique qui entraîne une diminution de la force musculaire et la nécessité de développer un effort plus important pour réaliser une activité identique. Elle s’accompagne fréquemment d’un désintérêt progressif des « choses de la vie » qui, sans aller systématiquement vers un état dépressif, peut se traduire par une fatigue générale. Les effets généraux du vieillissement étant décrits, il est possible d’aborder son impact direct sur les différentes mémoires en commençant par les mémoires transitoires.

3. Effets du vieillissement sur les mémoires transitoires Rappelons que par mémoires transitoires, on entend les mémoires sensorielles ou registres de l’information sensorielle, la mémoire à court terme et la mémoire de travail. Les registres de l’information sensorielle sont directement impactés par la dégradation des capacités sensorielles. 229

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3.1. Effet du vieillissement sur les registres de l’information sensorielle Comme indiqué précédemment, dans ces registres, la durée de présentation des stimuli est tellement courte qu’elle ne permet pas un traitement complet de l’information pendant sa présentation. L’empan mnésique immédiat, c’està-dire la capacité de cette mémoire, est d’environ 4 à 5 unités. Le rappel doit être immédiat, car 500 millisecondes après la présentation des stimuli, la performance est quasiment nulle. Il va de soi que la diminution des capacités sensorielles, les effets de tunnellisation et l’allongement du temps de conduction neuronale affectent directement les mémoires sensorielles. À cela s’ajoutent les effets d’éblouissement qui viennent perturber la vision et les bruits de fond qui gênent l’audition. Ces différentes perturbations ne sont qu’en partie compensées par l’allongement des temps de rémanence. Le temps de rémanence correspond à la durée de persistance de l’image rétinienne après l’arrêt de la stimulation. Plus ce temps est long, donc plus l’image rétinienne persiste, plus on dispose de temps pour la traiter. Pourtant, l’efficacité de cet effet est amoindrie car le vieillissement entraîne un allongement des temps de traitement. Donc, globalement, le vieillissement aboutit à une diminution des performances des mémoires sensorielles.

3.2. La mémoire à court terme La mémoire à court terme fait référence ici à la situation dans laquelle chaque stimulus est présenté une seule fois, pendant une durée suffisamment courte pour que le sujet n’ait pas la possibilité de procéder à des autorépétitions. À la fin de la présentation de la liste, tous les items doivent être rappelés. La mémoire à court terme se caractérise par un oubli massif dans les quelques secondes qui suivent la fin de la présentation de la liste. Comme pour les mémoires sensorielles, la diminution des capacités sensorielles et l’allongement du temps de conduction neuronale affectent l’efficacité de la mémoire à court terme. Mais surtout, le temps d’intégration des informations étant allongé, les effets du vieillissement impactent directement les performances. Cet affaiblissement des capacités mnésiques affecte directement la mémoire de travail.

3.3. La mémoire de travail Rappelons que la mémoire de travail est sollicitée dans la plupart des tâches, elle permet de maintenir disponibles des informations perçues et d’activer les connaissances et les procédures qui sont nécessaires à leurs traitements (Bad230

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deley, 1992)1. Pour Baddeley, la mémoire à court terme est remplacée par la mémoire de travail. La mémoire de travail étant impliquée dans toutes les tâches, on comprend que les effets du vieillissement varient selon les activités et les périodes de la vie. Entre 45 et 64 ans, on observe un déclin faible des capacités d’apprentissage dans les activités nécessitant une attention partagée, c’est-à-dire chaque fois que l’opérateur doit être attentif à différents stimuli et sources d’information. Dans ces mêmes tâches, entre 65 et 74 ans, la capacité d’apprentissage décline encore modérément. Dans les doubles tâches, la vitesse d’apprentissage est nettement ralentie après 75 ans. Plus généralement, les tâches impliquant le calepin visuel sont perturbées. Le ralentissement des durées de traitement affecte la mise au point des stratégies et la récupération des connaissances dans la mémoire à long terme. Comme on vient de le voir, la mémoire de travail sollicite en permanence la mémoire à long terme. Tout déficit de la mémoire à long terme affecte alors l’activité et la performance de la mémoire de travail.

4. Effets du vieillissement sur la mémoire à long terme Comme notées précédemment, les «  pertes de mémoire  » font partie des plaintes récurrentes des personnes âgées. Quels sont les répertoires stockés dans la mémoire à long terme qui sont affectés par le vieillissement, de quelles façons les dégradations se manifestent-elles ? Telles sont les questions traitées ci-dessous, en commençant par rappeler les principaux constituants de cette mémoire.

4.1. Rappel sur les constituants de la mémoire à long terme Précédemment, les mémoires déclaratives ou verbales ont été opposées aux mémoires non déclaratives (figure  2). Sont qualifiées de déclaratives les mémoires sémantique, épisodique, autobiogaphique, une partie des mémoires prospectives ainsi que les procédures qui reposent sur des descriptions verbales. Par mémoires non déclaratives, on entend les attitudes et aptitudes, les amorçages (priming), les conditionnements simples, les apprentissages non associatifs, les mémoires procédurales et imagées. Dans le chapitre 6, il a été proposé d’y intégrer l’ensemble des images et signifiés acquis avant l’apprentissage du langage. Prenant l’exemple du biberon, il a été proposé qu’avant 1. Cette présentation est directement inspirée de l’ouvrage de Baddeley dont on trouvera les références dans la bibliographie.

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d’être capable de désigner cet objet, le nourrisson le reconnaît et sait à la fois comment s’en servir et le plaisir qu’il procure. Ces significations non verbales font partie de ses connaissances et peuvent être considérées comme une sémantique non déclarative. Figure 2. Répertoires constitutifs de la mémoire à long terme Épisodique et autobiographique Mémoire déclarative ou explicite

Sémantique Procédurale Prospective

Mémoire à long terme

Attitudes et habitudes Priming Conditionnement simple Mémoire non déclarative ou implicite

Apprentissage non associatif Mémoire procédurale Images Signifiés non verbaux

Les mémoires implicites sont peu affectées par le vieillissement.

4.2. Effets du vieillissement sur les mémoires implicites ou non déclaratives Comme indiqué sur la figure 2, les conditionnements simples, les attitudes et aptitudes, les amorçages, les apprentissages non associatifs, les procédures, les représentations imagées et les signifiés non verbaux appartiennent à la mémoire non déclarative. Globalement, la caractéristique principale de ces différents répertoires est leurs automatisations. Pour le psychologue, un processus est automatique lorsque son déclenchement l’est et lorsque son déroulement ne peut être interrompu, on dit qu’il est encapsulé. Les processus automatiques ne nécessitent pas d’attentions. Autant de qualités qui font, qu’une fois acquis, ils sont peu sensibles au vieillissement. Ces mémoires implicites semblent plus élémentaires et reposer sur des liaisons de base très automatisées qui ont été souvent créées au cours des premières années de la vie. Surtout, lorsqu’ils sont non intentionnels, ces appren232

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tissages implicites sont peu affectés par le vieillissement (Cherry & Stadler, 1995 ; Howard & Howard, 1989 ; 1992). La question est de savoir si les apprentissages à l’origine de ces mémoires sont affectés par le vieillissement. Acquérir de nouveaux conditionnements, de nouvelles habitudes et procédures est-il plus difficile pour la personne âgée ? Il est probable que le ralentissement des opérations cognitives affecte les apprentissages, tandis que la diminution des capacités d’inhibition a pour conséquence non seulement de les perturber, mais aussi de gêner l’abandon d’anciens conditionnements, habitudes ou procédures. Les nouvelles acquisitions seront d’autant plus retardées que la personne âgée est particulièrement sensible aux interférences. Néanmoins, qu’elles soient motrices, sensorimotrices, verbales ou cognitives, les procédures et savoir-faire acquis sont peu affectés par le vieillissement. Reste le cas des représentations imagées. À ce jour, peu de recherches ont été menées pour décrire les effets du vieillissement sur leurs mémorisations. L’introspection suggère que les images dont on se souvient manquent de précision, tandis que la connotation ou l’émotion qui leur sont attachées dominent. Un tel manque de données ne se retrouve pas dans l’étude des mémoires déclaratives qui ont suscité plus de travaux.

4.3. Effets du vieillissement sur les mémoires explicites ou déclaratives Sous la notion de mémoires explicites sont regroupées les mémoires sémantique, épisodique, autobiographique et les descriptions verbales des procédures, des savoir-faire ainsi que la mémoire prospective.

4.3.1. Effets du vieillissement sur la mémoire sémantique La mémoire sémantique est sans doute le répertoire le moins touché par le vieillissement normal, d’autant que la personne âgée profite de son expérience et des connaissances acquises pour enrichir ses représentations. Néanmoins, la personne âgée cherche ses mots, a des difficultés pour retrouver les noms propres. Le sens est généralement préservé, mais le mot qui lui est associé est difficile à récupérer. Cet effet du « mot sur la langue » et la difficulté à le récupérer a été analysé précédemment, des explications ont été proposées. Plus généralement, les recherches indiquent que la taille du lexique est réduite et que cette réduction s’amplifie et s’aggrave au fil des années. Cette diminution s’accompagne ou est la cause de la diminution de la fluence verbale : la personne âgée hésite et cherche ses mots (Eustache et Desgranges, 2012). Ces déficits de la mémoire sémantique affectent aussi la mémoire épisodique et autobiographique. 233

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4.3.2. Effets du vieillissement sur la mémoire épisodique et la mémoire autobiographique Comme indiqué précédemment, la mémoire épisodique (Tulving, 1972) concerne les épisodes qui peuvent être localisés grâce à leurs coordonnées de temps et de lieu. La mémoire autobiographique, quant à elle, implique le sujet dans le souvenir. Ainsi, la notion de mémoire autobiographique serait réservée aux seuls événements dans lesquels le sujet mémorisant est acteur. L’assassinat du président Kennedy à Dallas est localisé spatialement et temporellement. Ce fait peut être classé comme une connaissance, et ferait alors partie de la mémoire sémantique, ou être intégré dans la mémoire épisodique puisqu’il est daté et localisé. En revanche, les circonstances dans lesquelles j’ai appris cet événement pourraient faire partie de la mémoire autobiographique. Peu d’études sur le vieillissement permettent de différencier ces deux catégories de mémoires. Néanmoins, il est souvent considéré que les souvenirs personnels sont bien retenus par la personne âgée. Cette affirmation est toutefois pondérée par le constat que si les événements récents ou ceux s’étant produits entre 20 et 30 ans sont les plus vivaces, ceux qui concernent la première enfance sont peu présents. Il est compréhensible que les souvenirs marqués émotionnellement soient plus facilement récupérables puisqu’ils bénéficient d’indices de récupérations puissants et variés. Ils sont associés à des états affectifs et ont été enregistrés comme tels. L’émotion qu’ils ont suscitée peut donc être considérée comme un indice de récupération. Les réseaux neuronaux qui gèrent les émotions, les composantes affectives et conatives peuvent donc activer leurs souvenirs. À côté des mémoires sémantiques, épisodiques et autobiographiques, l’effet du vieillissement sur la mémoire prospective a été l’objet de nouvelles recherches.

4.4. Effets du vieillissement sur la mémoire prospective La mémoire prospective concerne le futur, c’est-à-dire le souvenir de ce qui doit être fait dans les heures ou les jours à venir : par exemple, aujourd’hui, je dois aller chez le dentiste et le 20 juin je dois téléphoner à Jean pour son anniversaire. La plainte des personnes âgées concernant cette mémoire est fréquente alors que les données expérimentales indiquent que leurs performances sont équivalentes à celles des plus jeunes. Encore faut-il remarquer que la charge de travail d’une personne en activité et donc le nombre de choses à faire est probablement plus importante. Une telle différence entre les activités des jeunes et celles des plus âgés pourrait expliquer l’équivalence des résultats des deux groupes de personnes. Pour toutes les mémoires, les déclins enregistrés chez les personnes âgées peuvent être atténués par l’entraînement, même si la personne jeune entraînée obtient toujours des performances supérieures à celles de ses aînés. 234

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Chapitre 9 – Vieillissement et mémoires

5. Conclusions sur l’effet du vieillissement sur les apprentissages Plus généralement, les activités des aînés sont caractérisées par : −− une diminution des vitesses de traitement, donc un ralentissement dans toutes les activités. Le fait de mettre plus de temps pour effectuer la même tâche implique comme précédemment une charge de travail plus forte et donc une fatigue supplémentaire ; −− une diminution des capacités d’inhibition, ce qui aboutit à traiter des informations non pertinentes et entraîne à la fois une perte de temps et une surcharge de travail. Cela correspond aussi à une augmentation de la distraction, c’est-à-dire à une sensibilité aux informations parasites. Cette réduction des possibilités d’inhibition a deux autres conséquences : elle rend difficile l’effacement ou la mise hors service momentané d’un apprentissage et rend la personne âgée plus sensible aux interférences ; −− des difficultés à adopter la stratégie la plus efficace et surtout une rigidité rendant laborieux tout changement de stratégie ; −− une diminution des ressources de la mémoire de travail. Ce qui signifie que dans la même tâche, pour obtenir la même performance que le jeune, la personne âgée doit fournir un effort supplémentaire : plus d’attention, plus de concentration, un effort de mémoire ; il s’ensuit que la charge de travail est plus forte et donc la fatigue plus importante. Ces quatre caractéristiques affectent tous les apprentissages. La diminution des ressources de la mémoire de travail et des vitesses de traitement, l’augmentation de la distraction et la difficulté à adopter la stratégie la plus efficace ont pour effet de ralentir les apprentissages et de les rendre plus difficiles. Néanmoins, les effets du vieillissement varient selon les fonctions (mémoire, langage, autres fonctions intellectuelles…) et les personnes. Les différences individuelles ont été maintes fois soulignées. Trois facteurs sont susceptibles de ralentir les effets du vieillissement : l’activité physique, l’activité intellectuelle et l’activité sociale. Maintenir une activité physique non violente telle que la marche semble déterminant. Différents ateliers sont proposés aux personnes âgées sans que l’on sache si cette activité à un effet direct ou indirect, à savoir participer à l’entretien général de l’individu, l’inciter à maintenir une activité et donc à mieux se contrôler. L’exercice physique semble un moyen efficace de préservation des capacités mentales : Robert Dustman et ses collègues de l’Université d’Utah ont montré que les personnes âgées qui pratiquent régulièrement un exercice physique réussissent mieux les tests cognitifs que les personnes sédentaires du même âge. En revanche, l’alcool et les drogues perturbent l’activité du système nerveux et semblent néfastes. Aussi, les médecins doivent-ils être très prudents lorsqu’ils prescrivent à des personnes âgées des médicaments agissant sur le système 235

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nerveux central. Les études expérimentales et cliniques ont montré que les personnes âgées de plus de 60  ans sont très sensibles aux benzodiazépines (comme le Valium®) et à de nombreux autres médicaments anxiolytiques ou stimulants. Chez les personnes âgées, et encore plus chez celles qui souffrent de démence sénile, ces médicaments diminuent les capacités cognitives ; en outre, leurs effets sont plus intenses et plus durables que chez les sujets jeunes. L’activité intellectuelle a aussi pour effet de maintenir un certain niveau d’apprentissage, de limiter le déclin de fonctions psychologiques comme la mémoire et le raisonnement, mais aussi de maintenir un certain niveau de socialisation. Il en est de même des activités sociales qui empêchent le repli sur soi et facilite les échanges, les confrontations et remises en questions. Le fait de vivre seul et isolé accélère le vieillissement des fonctions tant physiques qu’intellectuelles. Pour ce qui est des apprentissages de la personne âgée, comme pour le jeune, on ne saurait négliger les effets de la motivation. Les séniors apprennent pour s’enrichir. Ils réfléchissent aux implications des nouveaux apprentissages, ils les intègrent aux connaissances anciennes. L’effort n’est pas imposé, il est volontaire, consenti et accepté. Lorsque l’on sait l’importance de la motivation dans l’apprentissage, on comprend l’efficacité de la démarche. Ajoutons enfin que dans tous ses apprentissages, la personne âgée fait intervenir sa propre expérience, ce qui a pour effet de faciliter leurs intégrations. Le maintien d’une activité physique, intellectuelle et sociale limite la dégradation des capacités d’apprentissage. En cette période où la question de la date de départ à la retraite est posée, il est intéressant de noter que les études indiquent que de rester actifs retarde de façon significative les effets du vieillissement (Adam, 2010).

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Neuropsychologie de la mémoire

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Références

Index A

I

Activation 73 Administrateur central 71, 72, 73 Amnésie antérograde 68 Amorçage sémantique 125, 126, 127 Amorce 125, 126, 127 Analyse casuelle 156 Argument 75

Inhibition 73 Intention 118 IRM 13

B Boucle articulatoire 71, 74, 75, 76

C Calepin visuo-spatial 71, 72, 74, 75, 76 Catégories 18, 106, 108, 113, 114, 123, 131, 135, 146, 164 Catégorisation 125, 131 Cible 125, 126, 127 Classème 2, 99, 112 Compréhension 71, 74, 108, 123, 124, 148, 165 Concept 105, 108, 112, 113, 119 Connotation 106, 107

D Dénotation 105, 106, 107

E EEG 8, 9

F Fréquence d’usage 68

L Lexème 105, 106, 108, 109, 129, 145 Localisation 8, 13, 14, 114, 155

M Mémoire à court terme 66, 67, 68, 69, 76, 230 Mémoire de travail 71, 74, 76, 77, 230 Mémoire échoïque 61 Mémoire iconique 61, 62, 63 Mémoire sensorielle 62, 63, 66 Modèle 109

P PEC 11 Primauté 67, 68 Priming 83, 125, 127 Primitive 112, 114, 115 Prototype 140, 164

R Récence 67, 68 Référence 107, 108, 109, 111, 113, 115, 121

S Schéma 164, 165 Schème 166 Script 167, 168, 169 Sémantème 112

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Neuropsychologie de la mémoire

Sémème 113 Signifiés 99, 101, 129 Substituabilité 137

T

TEP 13 Traitement 18, 62, 63, 67, 68, 71, 72, 74, 75, 76, 109, 118, 124, 145, 146, 156, 194, 230 Trait sémantique 120, 123

Tâche tampon 69

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Figure 6. Activations corticales sur l’hémisphère droit (R) ou gauche (L) lors de la réalisation de différentes tâches. Le réseau sémantique général est indiqué en rouge alors que sont coloriées en jaune les zones activées par la lecture à haute voix des non-mots prononçables.

Internal / Conceptual

External / Perceptual

Overlap

alis

Figure 7. Localisation des gyri constitutifs du cortex cérébral.

fr

ntr

ntr

tce

ece

Lob

ulu sups par eri ieta ulus or lis p infe arietali rior s Gyrus supramarginalis Gyrus angularis

pos

pra us

rus

us

edi

sm

ali ont

Gy

ron

us f

Gyr

Gyr

talis

alis

ior

er sup

Lob

or eri inf pars s i l opernta fro pars aris cularis s rior l u ru supe ng s Gy li a a i s r tr ediu mpo s te lis m a r pars o Gyru r mp erio orbitalis s te s inf Gyru orali p m s te Gyru us

Gyr

Gyri occipitales

Figure 8. Représentation des différents constituants du système limbique. Gyrus cingulaire Septum

Bulbe olfactif Hypothalamus Amygdale

Fornix

Corps mamillaires

Hippocampe

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