Mission en retour, réciproque et interculturelle: Étude sur la présence chrétienne africaine en Belgique 9782875741882, 9783035264616, 2875741888

Cet ouvrage étudie la contribution de la diaspora chrétienne africaine en Europe, à travers la présence des Églises et d

118 86

French Pages [244] Year 2008

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Table of contents :
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Tableau des acronymes
Table des matières
Introduction. Mission africaine en Europe occidentale
Méthodologie
Premiere partie. Migration et religion
Introduction
Chapitre 1. L’Europe, de l’émigration à l’immigration
A. Aperçu historique des flux migratoires
1. La migration en Europe et dans le monde : généralités
2. Les grands flux migratoires
17e et 18e siècles
3. L’Europe, terre d’immigration
4. L’origine des migrants
Considérations personnelles
Les flux migratoires en Belgique
B. Les causes de l’immigration
1. Les causes naturelles ou écologiques
2. La recherche scientifique
3. Les trois facteurs importants
C. L’immigration de l’Afrique subsaharienne
1. De l’évidence du phénomène
2. Quelques exemples statistiques
3. Quelques caractéristiques
Une immigration inhabituelle
Une immigration de diversités
Sur le plan sportif
Sur le plan musical et artistique
4. Les demandeurs d’asile
5. Les nouveaux Belges
D. Conclusion partielle
Chapitre 2. La religion, élément d’identité en terre étrangère
A. La pratique de la religion en terre étrangère
B. La religion en contexte migratoire
C. L’immigration et l’Église
D. La diaspora chrétienne africaine en Europe
1. Les Africains en association
2. Les Africains de la diaspora en communautés chrétiennes
3. Les implantations en Europe
Royaume-Uni, point de départ
Du Royaume-Uni à toute l’Europe
4. Les problèmes de la classification
Les Églises missionnaires
Les Églises intermédiaires
Les Églises africaines
Les Églises africaines missionnaires
Les Églises africaines d’immigration
Les groupes
Remarque
E. La diaspora chrétienne africaine en Belgique
1. Le concept de diaspora
2. La présence chrétienne africaine en Belgique
F. Remarques
G. Conclusion partielle
Deuxième partie. La présence chrétienne africaine en Belgique. Étude de cas en protestantisme
Introduction
Chapitre 3. Le protestantisme belge et l’Afrique
A. Caractéristiques du protestantisme en Belgique
B. Tour d’horizon
C. Les perspectives de collaboration
D. Tableau récapitulatif des Églises membres de la FEFB
E. Premier contact
F. La chrétienté africaine en Belgique
G. Conclusion partielle
Chapitre 4. La chrétienté d’origine africaine au sein du protestantisme belge. Études de cas
A. Les grandes Églises d’expression africaine
1. « L’Église de Dieu » : La Nouvelle Jérusalem de Bruxelles et ses extensions
Aperçu historique
Esquisse biographique du dirigeant
Itinéraire religieux
Structure et organisation
Approche socioreligieuse
Les origines géographiques
Les origines sociales
Les origines ecclésiales
Remarque
Activités sociales et intégration
Analyse théologique
Le culte
Un culte dans une atmosphère bruyante et animée
Présentation et contenu des chants
Prédication et théologie pentecôtiste
Quelques prédications
La vie d’Abraham : par Bishop Mutyebele Martin
Ce qu’un chrétien devrait faire dans le monde
Les doctrines et la confession de foi
2. L’Église internationale de Bruxelles (EIB)
Aperçu historique
Esquisse biographique du dirigeant
Affiliations et relations
Structure et organisation
Conclusions
Analyse théologique
La liturgie
Le culte
Les actes pastoraux
La Sainte Cène
Le mariage
La confession de foi
B. Les Églises moyennes d’expression africaine
1. L’Assemblée du Plein Évangile
Aperçu historique
Une note biographique du pasteur
Structure
Analyse socioreligieuse
Les origines géographiques
Les origines ecclésiales
Les origines ecclésiales
2. L’Église de l’Arche de la Gloire de l’Éternel
Présentation de l’Église
Biographie du pasteur Ilunga
3. Évolution des Églises d’expression africaine de Bruxelles de 1999 à 2005
C. L’Église protestante de Bruxelles-Ixelles ou Église du Champ de Mars
Aperçu historique
Participation
D. L’Église de Jésus-Christ sur la terre par le prophète Simon Kimbangu en Belgique
Aperçu historique
Structure et organisation
Analyse socioreligieuse
Les origines géographiques
Les origines religieuses
Les types de pratiquants
Le rapport à la société belge
E. La Fondation Olangi Wosho – Ministère du Combat spirituel
Aperçu historique
La doctrine
L’installation en Belgique
Aperçu biographique du dirigeant
Structure et organisation
La liturgie
F. Les pasteurs africains dans le milieu belge
1. L’Église protestante unie de Belgique (EPUB) et partenaires
L’Église protestante unie de Belgique
Le pasteur Léonard Rwanyindo (district de Liège)
Le pasteur Lukusa Mudianekwanga (district de Namur)
Les Églises partenaires de l’EPUB : le cas de l’UBB
Bref historique de l’Union des Baptistes en Belgique
Les pasteurs d’origine africaine au sein de l’UBB
Le cas du pasteur Mukwege (Église baptiste de Péruwelz)
Le cas du pasteur Kabissekela (Église de Tournai)
Brève présentation de l’Église protestante baptiste de Tournai
Observations
Apport
Le rôle et l’apport missionnaire des pasteurs d’origine africaine
2. La communauté malgache
G. Conclusion partielle
Troisième partie. La dimension missionnaire de la diaspora chrétienne africaine en Europe
Introduction
Chapitre 5. La mission dans le contexte de la mondialisation
A. La mission : perspectives historique et théologique
1. La Réforme et la mission
2. La période des missions protestantes
3. Les fondements théologiques de la mission
4. La légitimité et les ambiguïtés terminologiques
5. Le mandat
6. La crédibilité
7. Une spécificité de la mission africaine en Europe
8. Refuge identitaire ou vocation missionnaire ?
B. Les enjeux : oecuménisme interculturel et mission
C. Les perspectives d’avenir des Églises d’expression africaine en Europe
Chapitre 6. Réflexions finales : les perspectives missionnaires
Conclusion générale
Pricinpales thèses développées dans cette étude
Bibliographie
1. Ouvrages
2. Articles
3. Documents
4. Thèses et Mémoires
5. Interviews
6. Internet
Annexe I. Documents d’archives sur le cas du pasteur Leonard Rwanyindo
Annexe II. Supplément d’information sur l’Église de Dieu en Belgique : la Nouvelle Jérusalem de Bruxelles
Annexe III. Confession de foi de l’Église internationale de Bruxelles
Annexe IV. Texte sur le fonctionnement de l’Église de l’Arche de la Gloire de l’Éternel
Annexe V. Un regard sur le protestantisme en France
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Mission en retour, réciproque et interculturelle: Étude sur la présence chrétienne africaine en Belgique
 9782875741882, 9783035264616, 2875741888

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Il s’agit du grand thème que plusieurs africanistes occidentaux appellent : Mission en retour, mission réciproque !

Si jusqu’à présent, l’Église en Afrique est classée du côté de celles qui ont reçu et bénéficient des entreprises missionnaires, le temps est venu pour le christianisme africain, écrivait John Mbiti, d’aller au-delà des mers et d’apporter en retour une présence chrétienne aux pays, aux valeurs et aux mouvements d’idées en Europe, en Amérique et en Asie.

Le Rév. Dibudi Way-Way est pasteur de l’Église Protestante Baptiste de Bruxelles - Forest. Docteur en théologie protestante depuis 2007, il est spécialiste en missiologie. Professeur et Doyen de la Faculté de missiologie du Centre universitaire protestant d’Études Interculturelles (CUPEI) à Bruxelles, il enseigne la christologie, la liturgie, l’histoire des dogmes et la missiologie.

ISBN 978-2-87574-188-2

P.I.E. Peter Lang Bruxelles

www.peterlang.com

MIission en retour, réciproque et interculturelle

Se penchant sur ce nouveau phénomène religieux encore peu étudié, l’auteur aborde ici une réflexion théologique principalement missiologique pouvant inspirer des initiatives concrètes en faveur du dialogue interculturel.

21 Dieux, Ho mmes et R eligions

Dibudi Way-Way

Cet ouvrage étudie la contribution de la diaspora chrétienne africaine en Europe, à travers la présence des Églises et des pasteurs, à la mission de l’Église chrétienne au XXIe siècle. En d’autres termes, celui qui avait reçu la mission hier devient missionnaire envers celui qui jadis fut son « Évangélisateur ».

Mission en retour, réciproque et interculturelle Étude sur la présence chrétienne africaine en Belgique

Dibudi Way-Way

Il s’agit du grand thème que plusieurs africanistes occidentaux appellent : Mission en retour, mission réciproque !

Si jusqu’à présent, l’Église en Afrique est classée du côté de celles qui ont reçu et bénéficient des entreprises missionnaires, le temps est venu pour le christianisme africain, écrivait John Mbiti, d’aller au-delà des mers et d’apporter en retour une présence chrétienne aux pays, aux valeurs et aux mouvements d’idées en Europe, en Amérique et en Asie.

Le Rév. Dibudi Way-Way est pasteur de l’Église Protestante Baptiste de Bruxelles - Forest. Docteur en théologie protestante depuis 2007, il est spécialiste en missiologie. Professeur et Doyen de la Faculté de missiologie du Centre universitaire protestant d’Études Interculturelles (CUPEI) à Bruxelles, il enseigne la christologie, la liturgie, l’histoire des dogmes et la missiologie.

ISBN 978-2-87574-188-2

P.I.E. Peter Lang Bruxelles

MIission en retour, réciproque et interculturelle

Se penchant sur ce nouveau phénomène religieux encore peu étudié, l’auteur aborde ici une réflexion théologique principalement missiologique pouvant inspirer des initiatives concrètes en faveur du dialogue interculturel.

21 Dieux, Ho mmes et R eligions

Dibudi Way-Way

Cet ouvrage étudie la contribution de la diaspora chrétienne africaine en Europe, à travers la présence des Églises et des pasteurs, à la mission de l’Église chrétienne au XXIe siècle. En d’autres termes, celui qui avait reçu la mission hier devient missionnaire envers celui qui jadis fut son « Évangélisateur ».

Mission en retour, réciproque et interculturelle Étude sur la présence chrétienne africaine en Belgique

Dibudi Way-Way

Mission en retour, réciproque et interculturelle Étude sur la présence chrétienne africaine en Belgique

P.I.E. Peter Lang Bruxelles · Bern · Berlin · Frankfurt am Main · New York · Oxford · Wien

Dibudi Way-Way

Mission en retour, réciproque et interculturelle Étude sur la présence chrétienne africaine en Belgique

Dieux, Hommes et Religions n° 21

Cette publication a fait l’objet d’une évaluation par les pairs. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’éditeur ou de ses ayants droit, est illicite. Tous droits réservés.

©

P.I.E. PETER LANG s.a.



Imprimé en Allemagne

Éditions scientifiques internationales

Bruxelles, 2014 1 avenue Maurice, B-1050 Bruxelles, Belgique www.peterlang.com ; [email protected]

ISSN 1377-8323 ISBN 978-2-87574-188-2 eISBN 978-3-0352-6461-6 D/2014/5678/85

« Die Deutsche Bibliothek » répertorie cette publication dans la « Deutsche Nationalbibliografie » ; les données bibliographiques détaillées sont disponibles sur le site .

Je dédie ce travail à toute ma famille, proche et large, et aussi à toute ma famille en Christ, au Congo, en Belgique, et à travers le monde, dans sa diversité d’expressions de foi et des cultures.

Tableau des acronymes ABM : Alliance baptiste mondiale AD : Assemblée de Dieu AEPEB : Association des Églises protestantes évangéliques de Belgique APEB : Assemblées protestantes évangéliques de Belgique BMS : Baptist missionnary society CACPE : Conseil administratif du culte protestant et évangélique CECE : Conseil des Églises chrétiennes européennes CERA : Centre d’études des religions africaines CEVAA : Communauté évangélique d’action apostolique CIFMC : Communauté internationale des femmes messagères du Christ CIK : Cercle international kimbanguiste CIM : Conseil international des missions CREDIC : Centre de recherches et d’échanges sur la diffusion et l’inculturation du christianisme COE : Conseil œcuménique des Églises EAB : Église apostolique en Belgique EIB : Église internationale de Bruxelles EDB : Église de Dieu en Belgique EJSCK : Église de Jésus-Christ sur la terre par le prophète Simon Kimbangu EM : Églises mennonites EPR : Église presbytérienne du Rwanda EPUB : Église protestante unie de Belgique ERB : Église reformée de Belgique FBE : Fédération baptiste européenne FEFB : Fédération évangélique francophone de Belgique FOW : Fondation Olangi Wosho FUTPB : Faculté universitaire de théologie protestante de Bruxelles INS : Institut national de statistique 9

INSS : KUL : LLN : MEB : RDC : SF : UBB : UEM :

Institut national de sécurité sociale Katholieke Universiteit Leuven Louvain-la-Neuve Mission évangélique belge République démocratique du Congo Synode fédéral Union des Baptistes en Belgique United evangelical mission

10

Table des matières Tableau des acronymes............................................................................. 9 Introduction.............................................................................................. 13 Première partie Migration et religion Chapitre 1. L’Europe, de l’émigration à l’immigration.................... 25 Aperçu historique des flux migratoires...................................................... 25 Les causes de l’immigration..................................................................... 39 L’immigration de l’Afrique subsaharienne................................................ 42 Conclusion partielle.................................................................................. 51 Chapitre 2. La religion, élément d’identité en terre étrangère.............. 53 La Pratique De La Religion En Terre Étrangère......................................... 53 La Religion En Contexte Migratoire......................................................... 54 L’Immigration Et L’Église....................................................................... 56 La Diaspora Chrétienne Africaine En Europe............................................ 57 La diaspora chrétienne africaine en Belgique............................................... 66 Remarques............................................................................................... 70 Conclusion partielle. ................................................................................ 70

Deuxième partie La présence chrétienne africaine en Belgique. Étude des cas en protestantisme Chapitre 3. Le protestantisme belge et l’Afrique.................................. 77 Caractéristiques du protestantisme en Belgique......................................... 80 Tour d’horizon.......................................................................................... 81 Les perspectives de collaboration.............................................................. 84 Tableau récapitulatif des Églises membres de la FEFB.............................. 87 Premier contact........................................................................................ 88 La chrétienté africaine en Belgique........................................................... 89 Conclusion partielle.................................................................................. 89 Chapitre 4. La Chrétienté d’origine africaine au sein du protestantisme belge. Études de cas…...................................................... 91

Les grandes Églises d’expression africaine............................................ 91 11

Les Églises moyennes d’expression africaine....................................... 123 Évolution des Églises d’expression Africaine de Bruxelles ......................130 L’Église Protestante de Bruxelles-Ixelles / Champ de Mars...................... 130 L’Église de Jésus-Christ / le Prophète Simon Kimbangu ..........................131 La Fondation Olangi Wosho – Ministère du Combat spirituel...................138 Les pasteurs africains dans le milieu belge.............................................. 141 Conclusion partielle................................................................................ 158 Troisième partie La dimension missionnaire de la diaspora chrétienne africaine en Europe Chapitre 5. La mission dans le contexte de la mondialisation............................................................................ 165 La mission : perspectives historique et théologique............................. 167 Les enjeux : œcumenisme interculturel et mission............................... 183 Les perspectives d’avenir des Églises d’expression africaine en Europe................................................................................. 184 Chapitre 6. Réflexions finales : les perspectives missionnaires....................................................................................... 187 Conclusion générale.............................................................................. 195 Pricinpales thèses.................................................................................. 197 Bibliographie......................................................................................... 201

12

Introduction Mission africaine en Europe occidentale « Il existe aujourd’hui un accord œcuménique tout à fait remarquable au sujet de l’affirmation que l’Église est missionnaire dans son essence. Cette vocation missionnaire concerne l’Église tout entière, dans son chef et dans ses membres, en sa qualité de corps du Christ »1. On ne peut donc pas concevoir une relation au Christ sans « une participation à sa Mission pour le monde »2. C’est dans ce cadre de l’appel missionnaire que je me propose, dans cette étude, d’inscrire la participation africaine à la mission chrétienne dans l’Europe contemporaine. En effet, depuis un certain temps, on observe dans plusieurs villes d’Europe une floraison de communautés et d’Églises dites africaines3, afro-chrétiennes4, d’expression africaine, etc. Parallèlement, on relève une présence active de pasteurs, de prêtres et de chrétiens africains dans plusieurs églises protestantes et catholique5 européennes. Ce phénomène religieux, qui intéresse la sociologie, l’histoire et l’anthropologie des religions, suscite un intérêt théologique et surtout missiologique6. Cette étude ne part pas de zéro. Il s’inspire d’un courant conceptuel, théorique et méthodologique qu’on appelle en anglais reverse consortium7, 1

SPINDLER, M., Signification théologique de l’espace, thèse complémentaire de doctorat, Université des sciences humaines de Strasbourg II, Faculté de théologie protestante, 1967, p. 8. Cette thèse a été publiée sous le titre : Pour une théologie de l’espace, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1968. 2 GOODDAAL, N., The Uppsala Report 1968 : Official Report of the Fourth Assembly of the World Concil of Church, Uppsala, July 4-20, 1968, Geneva, Word Council of Church, 1968. 3 On les désigne aussi comme Églises ethniques, ou Églises d’immigration. 4 L’expression est de PILLODS, S., « Initiation africaine et christianisme », dans Nouvelles Clés, n° 1, printemps 1994. 5 KALAMBA NSAPO, S., Chrétiens africains en Europe ! Pour une ecclésiologie du respect mutuel et de la réciprocité intercontinentale, Kinshasa-Munich-Paris, Publications Universitaires Africaines, 2004. 6 Dans le monde francophone, le colloque de Glay qui s’est tenu en 1998 dans le Doubs (France) reste, d’après mes investigations, celui qui s’est le plus préoccupé de ce nouveau phénomène religieux en Europe. Pour plus d’informations, on peut se référer aux actes de ce colloque ; SPINDLER, M. et LENOBLE-BART, A. (dir.), Chrétiens d’outre-mer en Europe. Un autre visage de l’immigration, Paris, Karthala, 2000. 7 L’expression reverse consortium remonte au Conseil œcuménique des Églises et plus précisément au sein de la CCPD (Commission on the Churches’ Participation in

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Mission en retour, réciproque et interculturelle

en français « mission en retour » ou « mission inversée ». Les recherches8 menées à ce sujet en Angleterre par Roswith Gerloff, et aux Pays-Bas par Gerrie ter Haar, ont qualifié le phénomène de « dynamique de la diaspora africaine ». En effet, la présence de la chrétienté d’origine africaine en Occident mérite d’être analysée sur plusieurs plans, notamment sur le plan missiologique. C’est ce qui justifie le choix et la formulation de mon sujet. Si par contribution on entend un apport, une participation, une collaboration à une œuvre commune, mon intérêt en choisissant ce sujet peut se résumer à l’interrogation fondamentale suivante : dans le contexte actuel de sécularisation et de déchristianisation des pays de tradition chrétienne, la diaspora chrétienne africaine n’est-elle pas susceptible d’apporter aujourd’hui une contribution à la mission de l’Église en Europe ? Le grand mouvement missionnaire du siècle dernier nous avait habitués à considérer la mission dans le sens Nord-Sud. En effet, l’Occident chrétien, convaincu de l’universalité du message évangélique, apporta l’évangile aux nations « païennes ». Plusieurs sociétés missionnaires virent le jour. Des Églises du Nord envoyèrent des missionnaires vers le tiers-monde, et plusieurs Églises autochtones y furent créées. On notera cependant l’absence d’un apport théologique du Sud à la réflexion globale sur la mission. De mon point de vue, cette carence s’explique en partie par Development) dans les années 1970. Cf. BOERMA, C.M., « ‘Reverse Consortium’: ontwikkelingssamenwerking als tweerichtingsverkeer. Verslag van een nederlands initiatief », dans Wereld en Zending. Tijdschrift voor opbouw van de missionaire gemeente, (1977), pp. 336-348. Il s’agit d’un processus d’entraide missionnaire à double entrée, d’une mission réciproque où chaque partie donne et reçoit. Cette période coïncide d’ailleurs à la fin du «  sens unique  » en mission et même dans la coopération au développement. Une grande enquête a été menée sous les auspices de l’IIMO (Interuniversitair Instituut voor Missiologie en Œcuménica) à Leiden (Pays-Bas) entre 1970 et 1977 sur le thème « Wederkerige assistentie van kerken » (Assistance réciproque entre Églises), portant notamment sur le Cameroun, l’Indonésie et la Zambie. Un rapport général en a été publié en 1977 sous la signature du professeur JANSEN-SCHOONHOVEN, E., Wederkerige assistentie van kerken in missionair perspectief (Leiden, IIMO, 1977). Un résumé du même auteur a paru en anglais : JANSEN-SCHOONHOVEN, E., Mutual Assistance of Churches in a Missionary Perspective. A Report on a Missiological Research Project (Leiden, IIMO, 1979, p. 40). L’idée d’une mission réciproque, d’une mission « de partout vers partout », basée sur la prise de conscience que la France et l’Occident en général étaient devenus « pays de mission », est courante depuis les années d’après-guerre (GODIN & DANIEL, La France pays de mission ?, 1943) et constitue l’arrière-plan missiologique des nouveaux réseaux tels que la CEVAA (Communauté évangélique d’action apostolique), une communauté d’Églises protestantes en mission créée en 1971 à Paris. Elle regroupe actuellement 35 Églises protestantes réparties dans 21 pays en Afrique, en Amérique latine, en Europe, dans l’océan Indien et dans le Pacifique. 8 Je me réfère ici aux différentes publications de GERLOFF, R. et HAAR, G., cf. bibliographie finale.

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Introduction

la conception à sens unique de la mission qui prévalait à cette époque et qui s’est maintenue longtemps après, à savoir du Nord vers le Sud. Certes, dans le contexte postcolonial, plusieurs voix se sont élevées dans le tiers-monde pour condamner la mission. Ainsi, le théologien Emerito Nacpil fait écho à cette condamnation en affirmant que « la mission n’était pas autre chose qu’un symbole de l’universalité de l’impérialisme occidental. Rien de plus urgent que de prononcer son oraison funèbre »9. Même si je ne partage pas son point de vue, je considère néanmoins que celui-ci n’est pas à rejeter sans autre forme de procès. Il révèle en effet les avatars qui ont existé au sein des entreprises missionnaires et colonisatrices du tiers-monde, et qui expliquent comment la mission fut perçue par quelques auteurs sous le seul angle sociologique10. Si pour certains le temps de la mission semble révolu, il existe cependant une autre conception de la mission qui tend aujourd’hui à faire l’unanimité chez les missiologues : la mission va de partout vers partout11. Selon ce paradigme, on observe actuellement une certaine activité missionnaire du Sud vers le Nord. La présence des pasteurs africains et l’émergence d’Églises d’expression africaine en Europe la rendent visible. Mais pour bien en cerner les tenants et les aboutissants, il importe de se référer à la genèse des Églises chrétiennes d’expression africaine en Europe. Au départ en effet, le mouvement s’est manifesté sous la forme d’une aumônerie12 auprès des étudiants africains en Europe. Ce travail d’aumônerie s’est étendu par la suite à toute la diaspora africaine. Avec l’afflux des immigrés13 africains, consécutif aux instabilités sociopolitiques et à la détérioration économique de la plupart des pays d’Afrique, il a abouti à la création d’Églises d’initiative africaine en Europe14. 9

Cité par CHENU, B., « Préface », dans BOSCH, D.J., Dynamique de la mission chrétienne, Paris, Karthala, 1995, p. 5. 10 La mission est conçue dans ce sens comme l’un des aspects de l’évolution d’une société ou d’une civilisation, plus précisément de la chrétienté ou de la civilisation occidentale. Pour plus d’informations, on peut consulter SPINDLER, M., La mission, combat pour le salut du monde, Neuchâtel, Delachaux et Niestle, 1967, pp. 24-101, sur les trois conceptions de la mission. 11 BOSCH, D., Dynamique de la mission chrétienne, op. cit. 12 Il s’agit ici d’un travail d’encadrement spirituel et moral des ressortissants d’un même pays par un autochtone. Souvent sous forme de réunions de prière ou de chorales, ces groupes, sous l’impulsion des prédicateurs charismatiques, se sont ouverts aux autres Africains et Noirs américains. 13 Il s’agit de la récente immigration des années 1990, après la chute du mur de Berlin. 14 Plusieurs tentatives d’explications ont été avancées sur l’émergence des Églises dites africaines en Europe. On lira entre autres deux articles : KOUNKOU, M.D., « Floraisons de communautés et Églises africaines », dans La Voix protestante, octobre et novembre 1995 ; PHILLODS, S., « Initiation africaine et christianisme », dans Nouvelles Clés, n° 1, printemps 1994.

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Mission en retour, réciproque et interculturelle

Ce phénomène peut s’observer dans toutes les grandes agglomérations européennes. Depuis quelques années, ces Églises connaissent une croissance impressionnante et une vitalité remarquable. En ce qui concerne la Belgique, mes recherches m’ont permis d’identifier près de soixante-dix Églises15 et une cinquantaine de pasteurs africains. Parmi ces Églises, je citerai la Nouvelle Jérusalem et l’Église internationale de Bruxelles, deux Églises bien implantées à Bruxelles. Dans la région parisienne, en France, on en dénombre une centaine, sans compter les communautés malgaches16. Dès lors se pose la question suivante : quelle signification théologique et missiologique peut-on donner à la présence des Églises dites africaines sur le sol européen aujourd’hui ? S’agit-il d’un simple phénomène lié à la migration ? Ou, plus fondamentalement, s’agit-il d’une forme particulière de mission ? S’il s’agit d’une forme de mission, quels en sont le fondement et le mandat ? Ces interrogations m’ont incité à analyser l’activité missionnaire africaine sous le double éclairage des fondements théologiques de la mission chrétienne et de l’immigration. Le problème du mandat missionnaire a également été posé, car la plupart des « missionnaires » africains ne semblent pas, à première vue, envoyés, ni soutenus par leurs Églises en Afrique, avec lesquelles ils ont le plus souvent perdu le contact. Par ailleurs, comme je l’ai fait remarquer plus haut, les Églises d’expression africaine sont présentes dans la plupart des métropoles européennes. De plus, quelques pasteurs africains exercent leur ministère dans certaines Églises protestantes des pays européens. Ce double aspect de la situation rendant mon étude relativement complexe, il m’a fallu circonscrire quelque peu le champ de ma recherche ; c’est cette nécessité qui a orienté le choix de me limiter au protestantisme belge. Méthodologie Ma démarche a été menée en trois étapes principales, auxquelles correspondent les trois parties de l’étude. La première étape, basée sur la méthode documentaire, présente un état de la question sous la forme d’une synthèse de lectures sur les migrations,

15

Mais les estimations actuelles vont jusqu’à plus de deux cent cinquante Églises africaines pour toute la Belgique. Les estimations sont de 2007, car je conserve le caractère historique des mes recherches à ce sujet en laissant aux autres chercheurs la possibilité de poursuivre les investigations. 16 Les Églises malgaches ont un statut particulier au sein de la Fédération protestante de France.

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Introduction

et principalement sur l’histoire et les motivations de la création d’Églises, ainsi que sur les activités des pasteurs et des chrétiens de la diaspora africaine en Europe. C’est ainsi que j’ai consulté des archives de l’Église protestante unie de Belgique (EPUB) et de l’Union baptiste belge (UBB) et que j’ai interviewé des personnes d’origine africaine, mais aussi des Européens de souche. En fin de compte, pour élaborer cette étude et analyser théologiquement le sujet, j’ai consulté des ouvrages et des revues dont une bibliographie figure à la fin de la présente étude17. La deuxième étape présente les données résultant de mes recherches sur le terrain. Celles-ci sont analysées sous deux angles : une approche socioreligieuse et une approche théologique. Afin de disposer de données de première main, j’ai utilisé comme technique d’enquête des interviews de pasteurs et de dirigeants de certaines communautés chrétiennes. Celles-ci ont débuté en 2000 et se sont déroulées sur une période de plus de 5 ans18. Pour ce faire, j’ai sélectionné sept communautés et quatre pasteurs qui ont constitué mon échantillon pour l’ensemble de cette étude. Pour contribuer à pallier le manque de données statistiques fiables sur le nombre de ces nouveaux groupements religieux, j’ai mené au cours de l’année 2000 une investigation de terrain qui fut présentée à la conférence de Cambridge, et dont la Revue internationale de mission19 a fait écho. À cette époque, mon enquête avait évalué le nombre de communautés chrétiennes de la diaspora africaine sur l’ensemble du territoire belge à une centaine. À mon sens, même si aujourd’hui la situation a beaucoup évolué, la classification globale de la diaspora chrétienne africaine de Belgique peut se résumer à quatre catégories principales, à savoir : –– les Églises à majorité africaine : grandes, moyennes et petites ; –– les Églises mixtes ; –– les Églises africaines indépendantes et à caractère particulier ; –– les groupes, communautés et pasteurs africains œuvrant au sein d’une Église belge. C’est cette catégorisation qui a guidé le choix de mon échantillon en vue de la présente étude. Le tableau ci-dessous en détaille les composantes.

17

Voir aussi annexe n° 1. Dans ce livre, j’indique les dates des interviews en note de bas de page, lors de la présentation de chaque cas. 19 DIBUDI Way-Way, M., « The African Christian Diaspora in Belgium with Special Reference to the International Church of Brussels », dans International review of mission, vol. LXXXIX, n° 354, July 2000. 18

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Mission en retour, réciproque et interculturelle

Échantillons étudiés Églises à majorité africaine : grandes, moyennes et petites

Églises mixtes Églises africaines indépendantes et à caractère particulier Groupes, communautés et pasteurs africains œuvrant au sein d’une Église belge

L’Église de Dieu : « La Nouvelle Jérusalem » de Bruxelles et ses extensions L’Église internationale de Bruxelles L’Assemblée du Plein Évangile L’Église de l’Arche de la Gloire de l’Éternel L’Église protestante de Bruxelles-Ixelles ou Église du Champ de Mars (EPUB) L’Église de Jésus-Christ sur la terre par le prophète Simon Kimbangu en Belgique La Fondation Olangi Wosho (F.O.W.) – Ministère du Combat Spirituel Les pasteurs africains en milieu belge : EPUB et partenaires La communauté malgache

Chaque communauté a été étudiée sous les angles principaux suivants : –– un aperçu historique de l’Église ; –– une esquisse biographique du dirigeant ; –– une approche socioreligieuse et théologique : structure et organisation, origines géographiques, sociales, ecclésiales, etc. ; –– les activités sociales de l’Église et son intégration ; –– une analyse théologique : le culte, la présentation et le contenu des chants, la prédication et la théologie, l’enseignement, les doctrines et la confession de foi. Cette approche m’a permis de pénétrer en profondeur les cas étudiés et de proposer une analyse fondée sur des données pertinentes. Quant à la question de la terminologie : étant donné que ces Églises chrétiennes adoptent l’expression culturelle africaine dans le chant, la liturgie, la vie et le partage, j’ai choisi, comme Dominique Kounkou, de les désigner par les termes « Églises chrétiennes d’expression africaine », qui me permettent de préciser l’objet de mon étude, ainsi que son champ d’enracinement culturel et identitaire. Enfin, la troisième étape de mon étude consiste en une synthèse de données qui fondent ma réflexion théologique finale. Elle se base sur les éléments servant à évaluer l’apport missionnaire des communautés sondées. En effet, étant donné la rareté dans le monde francophone des études théologiques consacrées sur ce nouveau phénomène religieux, mon livre puise ses données dans plusieurs sources, notamment en s’appuyant sur les quelques descriptions sociologiques et historiques disponibles. Mon regard théologique et surtout missiologique permet, en retour, d’apporter un chaînon manquant à ces descriptions. 18

Introduction

À partir d’une observation attentive des réalités du terrain, j’ai cherché à identifier la spécificité de l’apport missionnaire africain et son mode d’intégration au sein du protestantisme belge. En particulier, en précisant la manière dont s’est effectuée la rencontre entre la chrétienté d’expression africaine et celle du pays d’accueil, par le biais des Églises, des chrétiens et des pasteurs africains. Ma recherche ne s’est donc pas seulement intéressée au milieu africain mais aussi au milieu belge, en s’efforçant de repérer une éventuelle contribution africaine à la mission chrétienne en général. Cette étude s’organise en trois grandes parties, elles-mêmes composées chacune de deux chapitres. Dans la première partie, le premier chapitre donne un aperçu des migrations en Europe occidentale, en commençant par définir ce phénomène qui fait partie de l’histoire de l’humanité et qui n’est pas propre à l’Europe. Il souligne également la complexité du phénomène et en analyse les causes, pour aboutir à un constat : en migrant, l’homme transporte avec lui sa culture et ses repères identitaires, dont la religion est l’un des plus importants. Et c’est ce dernier qui constituera l’objet de la suite de notre étude. Ainsi, le deuxième chapitre retrace le vécu de la religion en contexte d’exil ou d’immigration, en s’appuyant sur les cas du judaïsme, de l’islam, puis du christianisme. À travers le processus social de l’immigration, on peut observer la transformation progressive des sociétés belge et occidentale, qui sont devenues multiculturelles et multireligieuses. Par ailleurs, après avoir proposé une définition du terme diaspora dans le contexte particulier des Africains subsahariens, le chapitre amorce la question de l’apport missionnaire de la diaspora chrétienne en Belgique et en Europe. La deuxième partie, composée des troisième et quatrième chapitres, consiste en une analyse de cas et d’échantillons. À travers les différents cas choisis dans le contexte du protestantisme belge, on distinguera l’apport éventuel de chacun de ceux-ci à l’œuvre chrétienne. Les études de cas sont regroupées en deux grandes parties, les Églises d’une part, les pasteurs de l’autre qui m’ont incité à établir une catégorisation d’après les cas étudiés. La troisième partie propose les réflexions théologiques et missiologiques issues de la synthèse des cas étudiés. Ainsi, le cinquième chapitre pose la question de la mission et tente de découvrir la spécificité de la mission de la diaspora chrétienne africaine en Europe. Ce qui conduit à la réflexion finale proposée au sixième chapitre : en reprenant les principales analyses et réflexions présentées dans les différents chapitres, je formule une conclusion dans laquelle je reprends toutes les thèses défendues dans l’étude. 19

Premiere partie  Migration et religion

Introduction La religion et la migration peuvent-elles faire bon ménage ? Que dit l’histoire des religions sur l’impact de la migration sur le judaïsme, le christianisme et l’islam  ? La seule réalité migratoire est-elle suffisante pour expliquer la floraison des Églises et des pasteurs africains en Europe aujourd’hui ? Telles sont les interrogations qui alimenteront la première partie de cette étude.

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Chapitre 1

L’Europe, de l’émigration à l’immigration A.  Aperçu historique des flux migratoires1 1. La migration en Europe et dans le monde : généralités « Les mouvements migratoires, écrivait Marco Martiniello2, sont sans aucun doute une dimension majeure du 21e siècle européen et mondial ». Vu la complexité et l’abondance des données que représente ce sujet, je me limiterai, dans ce chapitre, principalement à l’Europe occidentale. L’intérêt central de ce phénomène pour la présente réflexion justifie que j’en présente, à grands traits, les tenants et les aboutissants. Émigrer, c’est-à-dire adopter temporairement ou définitivement un pays et un climat nouveaux, n’est pas le propre de l’espèce humaine : depuis toujours, certaines espèces animales rythment leur vie selon les saisons, à la recherche d’un abri et de nourriture3. Néanmoins, de tous les courants migratoires, celui des humains, avec toutes ses conséquences politiques, économiques et morales, apparaît comme le plus important, le plus complexe et le plus original. À partir des années 1980, le phénomène migratoire a été à la une de l’agenda politique de différentes régions du monde. Cette politisation des migrations s’est traduite par une surdramatisation, et parfois par une surmédiatisation des problèmes liés aux flux migratoires. La présence de populations immigrées est en effet perçue comme une source d’insécurité, voire de réelles menaces. Deux traits caractérisent de façon significative les débats publics relatifs à ce phénomène sur le plan international. D’une part, l’accent est 1



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Mon regard sur les migrations se porte de l’époque moderne à nos jours, en mettant un accent particulière sur les années 1980, la période qui intéresse la présente recherche. MARTINIELLO, M. et PONCELET, M., Migrations et minorités ethniques dans l’espace européen, Bruxelles, De Boeck Université, 1993, p. 9. DOLLOT, L., Les migrations humaines, Paris, Presses universitaires de France, 1970, p. 10.

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mis sur les flux de migrants, réels ou potentiels, et surtout sur les moyens politiques et policiers à mettre en œuvre pour gérer ceux-ci au niveau supranational ; c’est-à-dire chercher à les maintenir à un niveau minimal. Par ailleurs, la problématique des réfugiés tend de plus en plus à s’imposer comme la préoccupation majeure des hommes politiques et, dans une certaine mesure, d’une partie de l’opinion publique, sensibles aux réalités migratoires. D’autre part, un certain « alarmisme social » préside souvent à ces discussions et une optique essentiellement négative des migrations est fréquemment mise en avant, voire légitimée. Ainsi nombreux sont ceux qui acceptent « la doctrine de l’invasion de l’Europe »4 contre laquelle il faudrait lutter. L’immigration est alors souvent présentée comme un fléau redoutable qu’il faut à tout prix vaincre dans les plus brefs délais avant qu’il ne soit trop tard. En général, les migrations humaines sont classées en deux catégories : les migrations internes qui s’opèrent dans les limites d’un même pays ou d’une même région géographique et les migrations internationales, phénomène d’actualité et qui retient notre intérêt. Celles-ci sont tantôt intracontinentales, tantôt intercontinentales. Pour sa part, Felice Dassetto5 observe que la différence entre les migrations internes et les migrations internationales est d’ordre sociologique et culturel. C’est en effet depuis la constitution et la délimitation des États-nations au 20e siècle, et surtout depuis la mise en place des États welfariens6, qu’une distinction majeure se fait entre les nationaux et ceux qui ne le sont pas. Ces statuts sociopolitiques donnent lieu à des différences quant à certains droits politiques et sociaux. À la suite des deux guerres mondiales, on distingue en outre les migrations politiques, le plus souvent sous la contrainte, et les migrations économiques, généralement plus volontaires. Ce sont ces dernières qui, d’une manière générale, caractérisent la diaspora africaine en Europe aujourd’hui. J’y reviendrai plus loin. Les flux migratoires contemporains sont souvent supposés avoir un effet néfaste sur la sécurité internationale dans la mesure où ils remettraient en question l’équilibre des relations entre les États fournisseurs et les États receveurs d’immigrés. De là à prétendre que les flux migratoires sont un frein à l’émergence d’un nouvel ordre mondial, il n’y a qu’un pas. Cette approche alarmiste des migrations se traduit dès lors logiquement 4

MARTINIELLO, M., La nouvelle Europe migratoire, op. cit., p. 75. DASSETTO, F., Migration, société et politiques, Louvain-la-Neuve, AcademiaBruylant et Sybidi, 2001, p. 13. 6 L’État-providence de l’après-guerre. Son inventeur fut probablement William Temple. C’est entre 1945 et 1951 que furent votées la plupart des lois d’organisation de l’Étatprovidence aux États-Unis d’Amérique d’abord. Lire en outre : BADIE, B. et WIHTOL DE WENDEN, C. (dir.), Le défi migratoire. Question de relation internationale, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1993. 5

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L’Europe, de l’émigration à l’immigration

par la mise en place de mesures pour mieux les contrôler, pour les réduire, pour les empêcher de nuire par le biais d’une coopération de plus en plus internationale des hommes politiques et des polices. Les migrations, ou plutôt leurs conséquences, sont aussi perçues comme une source d’insécurité intérieure pour les États. La présence des populations d’origine immigrée est souvent présentée comme une menace pour le bien-être économique des « autochtones »7. Les immigrés et leurs descendants sont ainsi souvent accusés d’usurper les emplois destinés aux nationaux ou de profiter d’une manière frauduleuse des avantages du système de protection sociale en vigueur dans les pays riches. Les populations issues des migrations sont présentées comme une menace pour la sécurité et l’ordre publics. L’immigration est parfois associée à la hausse de la grande criminalité transnationale : les mafias de la drogue et de la prostitution, le trafic d’armes et d’êtres humains. Par ailleurs, les immigrés, et en particulier les jeunes issus de l’immigration, sont souvent associés à la hausse de la criminalité urbaine qui touche de nombreuses villes et banlieues européennes. Par conséquent, dans la mesure où la présence des migrants est supposée accroître le sentiment d’insécurité de la population autochtone, elle est parfois invoquée de façon simpliste comme étant l’explication principale de l’émergence de partis d’extrême droite. Dans ce sens, l’immigration en vient à être présentée comme une menace pour la démocratie, et les immigrés comme des « ennemis intérieurs » qui remettent en question les acquis sociaux, le bien-être économique relatif, voire l’identité culturelle et nationale. Cette façon de n’insister que sur les aspects présumés négatifs de l’immigration, tant en ce qui concerne la sécurité qu’en ce qui concerne l’économie, ou encore la démocratie, n’est pas satisfaisante d’un point de vue scientifique, selon M. Martiniello8. Elle est trop simpliste et elle conduit à des ambiguïtés et à des paradoxes évidents. Ainsi, l’exploitation économique des immigrés dans certains secteurs, par exemple l’agriculture ou la construction, coexiste avec des discours sur les prétendus coûts qu’ils engendrent pour les pays d’accueil9. Plus couramment, on constate toutefois que ces pays mêmes tirent un avantage économique des immigrés. Il paraît donc plus réaliste de reconnaître que les migrations, tout en ayant parfois des effets négatifs, peuvent présenter en même temps des avantages dont bénéficient autant les pays de départ que les pays d’arrivée, constate Martiniello. Il n’y a pas de loi absolue en la matière. Tout dépend en fait du contexte général dans lequel les migrations s’effectuent, conclut-il. 7

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MARTINIELLO, M., op. cit., p. 6. Idem. Idem.

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Les migrations humaines n’intéressent pas seulement les sciences démographiques, économiques et politiques ; puisqu’elles relèvent du droit international, selon Louis Dollot10, elles ne peuvent pas laisser indifférentes la morale et la religion.

2. Les grands flux migratoires 17e et 18e siècles Depuis le 17e siècle jusqu’au milieu du 19e, de grands flux migratoires se sont orientés de l’Europe vers les Amériques. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, l’Europe était une terre d’émigration massive vers le Nouveau Monde. Au milieu du 19e siècle, cette émigration représentait en moyenne plus de 200 000 personnes par an, et à la fin du siècle, plus d’un demi-million11. Avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale, plus d’un million de personnes émigraient chaque année aux États-Unis où de vastes espaces étaient disponibles : ce fut la grande conquête de l’Ouest, la spoliation et l’écrasement des Indiens12. À la même période débute en Russie la colonisation de la Sibérie. Ces migrations apparaissent avant tout comme des migrations de « peuplement » de grands espaces estimés vides ou vidés des populations qui les habitaient. Ces migrations ont des raisons diverses : économiques, certes, mais également religieuses. En France par exemple, les Huguenots s’exilèrent par dizaines de milliers, après la révocation de l’édit de Nantes par Louis XIV13. À ces migrations s’ajoutent les grandes déportations de quelque 15 millions d’esclaves d’Afrique vers les plantations d’Amérique du Nord et du Sud. Ces déportations se sont poursuivies jusqu’au 19e siècle. Durant la même période, en Europe occidentale, et plus précisément en Angleterre, en Belgique et dans le nord de la France où débute l’industrialisation, on assiste à un mouvement de migrations internes, de la campagne vers les bassins industriels et miniers. 10

DOLLOT, L., op. cit., p. 10. Institut national de statistique, Mouvement de la population et migration en 1999, Bruxelles, 2000. 12 On estime à 1,5 million le nombre d’Espagnols et d’Italiens qui ont émigré en Amérique pour la seule année 1913 ; entre 1815 et 1914, les estimations vont jusqu’à 70 millions de personnes pour l’ensemble du vieux continent. Pour la période 1821-1932, on cite les chiffres de 18 millions pour les Iles britanniques, 11 pour l’Italie, 5 pour l’AutricheHongrie, 5 pour l’Allemagne. Parallèlement, les États-Unis ont accueilli 32 millions d’immigrés, l’Argentine 6,5, le Canada 5 et le Brésil 4,5 millions. Lire en outre : WOYTINSKY, W.S. et WOYTINSKY, E.S., World Population and Production Trends & Outlook, New-York, The Twentieth Century Fund, 1953. 13 Pour plus d’informations, lire CABONNIER, J., « Huguenots », dans Encyclopédie du protestantisme, op. cit., pp. 704-705. 11

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L’Europe, de l’émigration à l’immigration

19e et 20e siècles À partir du milieu du 19e siècle, les migrations seront le plus souvent orientées vers l’industrie, les mines et les grands travaux de construction de villes et de lignes de chemin de fer qui se multiplient partout dans le monde. À cette période, la migration apparaît avant tout comme une migration des travailleurs et moins « de peuplement ». C’est aussi à cette époque que se développe l’idée que chaque personne a la liberté d’émigrer. Le migrant n’est plus forcé par les persécutions religieuses, par la déportation ou par l’esclavage ; l’émigration devient un droit14, et fait partie des libertés individuelles. Ce droit a dû s’affirmer à l’encontre notamment des propriétaires fonciers de Russie et d’Europe qui prétendaient retenir leurs paysans sur leurs terres. Un tournant important Progressivement, les migrations de peuplement du 19e siècle deviennent secondaires par rapport à l’immigration liée au travail. Un grand tournant a lieu aux États-Unis en particulier, après la Guerre de Sécession (1861-1865) qui donne un véritable coup de fouet à l’industrie de ce pays. Des études montrent l’ampleur des mouvements migratoires de la fin du 19e et du début du 20e siècle, avec des pointes extraordinaires de plus d’un million de personnes par an. Elles arrivent de plusieurs pays européens, de la Suède à l’Ukraine, en passant par l’Irlande, l’Allemagne et l’Italie. C’est également à cette époque que des Wallons15 14

« Le droit d’émigrer est inhérent à la personne humaine, et il est impliqué dans la liberté d’aller et de venir. Il met en présence deux idées contradictoires qu’il faut concilier : le droit pour l’individu de disposer de sa propre personne, et le droit pour l’État d’empêcher la dépopulation de son territoire. Le droit de l’individu a longtemps prévalu. La Déclaration universelle des Droits de l’Homme l’a repris. C’est un droit inhérent à la personne humaine que la faculté de se rendre dans tel ou tel pays, où elle espère trouver des conditions de vie plus convenables pour soi et pour sa famille. Il incombe aux gouvernements d’accueillir les immigrants, dans la mesure compatible avec le bien réel de leur peuple, et d’encourager ceux qui désirent s’intégrer à la communauté nationale », DOLLOT, L., op. cit., p. 11. 15 Les Wallons ont une longue histoire aux États-Unis. Des Wallons calvinistes, qui fuyaient la répression religieuse, étaient présents sur le bateau « New Nederland » qui a occupé la péninsule de Manhattan en 1623, donnant naissance à la future implantation de New York. Pour plus d’informations, on peut se référer à LA FONTAINE, H., Novum Belgium, ce que l’Amérique doit au peuple belge, Bruxelles, Supplément, 1924. L’auteur y retrace l’histoire de la fondation de la ville de New York en insistant sur l’implication des immigrés belges, surtout sur le rôle qu’ont joué ces derniers. Une mise au point sur « La part prise par les Belges à la fondation de New York » a été établie par DE SMET, A., dans Le bulletin de la classe des lettres et des sciences morales et politiques de l’Académie de Belgique, 5e série, Tome XXXIX, année 1953, pp. 35-74. On peut également se référer à : FOREST, J., dans Biographie nationale,

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émigrent vers la côte est des États-Unis. Deux faits sont à noter pour cette période en ce qui concerne les États-Unis. C’est à partir des années 1880 qu’apparaît dans ce pays le « mouvement nativiste » qui s’oppose à l’immigration, et en particulier à l’immigration « non WASP », c’est-à-dire non blanche (White), non anglo-saxonne, non protestante. Ce mouvement, inspiré des théories du darwinisme social et en lien avec les problèmes d’intégration, conduira l’État américain à prendre en main la gestion des flux et des politiques d’intégration. L’idée d’une « politique migratoire » se met en place et sera ensuite appliquée par de nombreux pays. Elle se manifestera par une politique de quotas, par le filtrage des immigrants. La guerre 1914-1918 marque un temps d’arrêt, mais les flux reprendront à partir de 1920. L’Europe connaît à son tour une arrivée massive de migrants et de réfugiés, en provenance de Russie16, de Pologne, d’Italie et d’Espagne17, en particulier la France, l’Allemagne et la Belgique. Par ailleurs, dans les colonies que la Grande-Bretagne, la France, la Belgique, l’Italie, l’Allemagne ont créées depuis le 19e siècle, on assiste à de nombreux mouvements migratoires tant internes qu’externes. Ainsi, des citoyens des pays colonisateurs iront en grand nombre s’installer dans les colonies : les Britanniques dans les colonies asiatiques et d’Afrique de l’Est, les Français dans le Maghreb et dans une moindre mesure en Afrique occidentale, les Belges au Congo18, les Italiens en Libye et dans la corne de l’Afrique, les Portugais en Angola et au Mozambique, etc. On assiste également à des mouvements de populations colonisées à l’intérieur des empires coloniaux : des travailleurs marocains vont en Algérie ; de nombreuses populations d’Inde émigrent vers l’Afrique du Sud et de l’Est. C’est ce qui explique le fait qu’en Afrique du Sud vit encore aujourd’hui une importante population d’origine indienne, au sein de laquelle d’ailleurs Gandhi avait commencé son action politique. Dans les années 1960-1970, lors de l’indépendance du Kenya, des Indiens qui s’y étaient implantés choisirent de quitter le pays et de s’établir en Angleterre où il leur était permis de s’installer en tant que citoyens du Commonwealth.

tome XXXI ou III de supplément, col. 355 à 362 et enfin à CHARTIER, M., «  La fondation de New York », dans L’Étoile belge, du 21 novembre 1922. 16 Il s’agit des Russes qui fuyaient la révolution soviétique. 17 Dans ces deux derniers pays, ils fuyaient les dictatures fascistes de Mussolini et de Franco. 18 FUTB, Histoire du protestantisme au vingtième siècle, le dossier Congo, s.d., ronéotypé.

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L’Europe, de l’émigration à l’immigration

Synthèse sur les migrations intercontinentales du 16e au 20e siècle19 À la lecture de ce qui précède, une conclusion s’impose : l’Europe a été au centre de l’émigration du monde, spécialement à destination du Nouveau Monde. Elle fut un point de départ avant de devenir, dans la deuxième moitié du 20e siècle, un point d’immigration. On peut aussi remarquer que l’Afrique est sollicitée surtout par ses parties côtières. Mais ce déplacement de populations est dû à une migration forcée. La carte ci-dessous retrace cette émigration des Européens vers le reste du monde depuis le Moyen-Âge jusqu’aux Temps modernes.

Intercontinental Migration : Principal Currents in Modern Time.

Les principaux courants de migrations intercontinentales depuis le 16e siècle vont donc : 1. de toutes les parties de l’Europe vers l’Amérique du Nord ; 2. des pays de l’Europe du Sud vers l’Amérique centrale et méridionale ; 19

Source : WOYTINSKY, W.S. et WOYTINSKY, E.S., The World Population and Production. Trends & Outlook, New York, The Twentieth Century Fund, 1953, p. 68.

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3. de la Grande-Bretagne vers l’Afrique et l’Australie ; 4. de l’Afrique vers l’Amérique en ce qui concerne les esclaves. 5. Un autre courant, en partie intercontinental et en partie intracontinental, est parti de Chine et d’Inde ; 6. les plus importantes migrations intracontinentales au cours de cette période ont eu lieu aux États-Unis de l’est vers l’ouest ; 7. en Russie, de l’ouest vers l’est.

3.  L’Europe, terre d’immigration Les mouvements migratoires reprennent après la guerre 1940-1945 : les grands flux ne s’orienteront plus uniquement vers les Amériques et l’Australie, mais aussi vers l’Europe où la reconstruction ne tarde pas à relancer la machine économique. Le démographe Alfred Sauvy20 parle du grand renversement des migrations séculaires à cette époque : l’Europe qui était un espace d’émigration devient, de manière importante, un espace d’immigration. S’ouvre ainsi une période de près de cinquante ans pendant laquelle on assiste, d’une part, à une nouvelle multiplication des sources et des destinations de l’immigration et, d’autre part, à la mise en place de processus migratoires nouveaux. Pendant les années 1980, la plupart des pays d’Europe sont devenus des zones d’immigration pour les ressortissants de leurs anciennes colonies, surtout pour ceux qui avaient des empires coloniaux. Le cas le plus étudié à ce sujet est celui de l’Italie21. Région d’émigration – 26 millions d’émigrants entre 1876 et 1981 –, elle est devenue une zone de retour au début des années 1970, et plus tard, à l’étonnement de nombre d’observateurs, une région d’accueil. L’Europe en général a suivi ces mêmes phases. R. Solé, dans le journal Le Monde du 16 juin 1998, schématise ainsi la situation : « Si les années 60 avaient été celles des « travailleurs immigrés », les années 1970 ont été celles du « regroupement familial » et les années 1980 sont celles du « droit d’asile ». À ce niveau, quelques constats s’avèrent importants : –– la période 1950-1973/1974 connaît des arrivées massives ; –– les politiques restrictives presque généralisées qui ont suivi n’ont pas fait baisser les effectifs ; –– les théories néoclassiques selon lesquelles la diminution de la demande provoquerait un reflux ont échoué. Les communautés étrangères se recomposent, suite à des regroupements familiaux, 20

SAUVY, A. (dir.), Immigration et protestation sociale, Paris, Sirey, 1990. VALLAT, C., « Le talon de l’Europe : sources, méthodes et catégories statistiques regardant les populations immigrées en Italie », dans Espace, populations, sociétés, 2-3, 1996, p. 271.

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L’Europe, de l’émigration à l’immigration

imposés par la fermeture des frontières22 : puisqu’on ne peut plus aller et venir librement, on se fixe dans un pays. Dans les années 1960, 80 % des immigrés étaient en situation irrégulière parce que provisoire ; la complexité des législations mises en place favorisait la multiplication des fraudes, alimentées paradoxalement par les politiques répressives et de contrôle ; –– désormais, l’Europe est confrontée aux deuxième et troisième générations qui posent la problématique des « minorités ethniques d’origine immigrée ». La diversité ethnique s’est ainsi accentuée au cours des vingt-cinq dernières années. Les mesures prises par la plupart des pays après le choc pétrolier, (par exemple les Pays-Bas qui ont introduit le principe de la « préférence communautaire », par opposition aux étrangers non européens, n’ont pas empêché l’accroissement du nombre et la diversification des étrangers). Partout, des catégories nouvelles d’émigrés frappent aux portes de l’Europe : des réfugiés politiques, mais aussi ceux que l’on nomme les «  cerveaux »  : des cadres moyennement ou hautement qualifiés, issus des classes moyennes des pays de départ, à la recherche d’un monde plus valorisant. La seule certitude est la permanence de la mobilité et donc de l’immigration, car les causes profondes se maintiennent (démographiques, politiques, économiques et culturelles). On observe une nouvelle période d’immigration à partir de 1976 : celle des réfugiés humanitaires et autres demandeurs d’asile. Mais concomitamment un certain nombre de travailleurs étrangers ont décidé de ne plus quitter le pays d’accueil par crainte de ne plus pouvoir y revenir, suite à l’arrêt de l’immigration ouvrière. Ils ont alors fait venir leurs familles et les ont installées avec eux. Cette description m’amène à conclure qu’en tentant d’arrêter l’immigration économique, les gouvernements ont encouragé de nouvelles formes de migration. Force est donc de constater que ces politiques d’immigration restrictives ont été en partie à la base de l’immigration illégale.

4.  L’origine des migrants Au début, ce sont les Italiens et les Espagnols qui furent majoritaires aux côtés des minorités grecque, yougoslave et portugaise. Ces flux migratoires à caractère économique – dont une masse importante

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VALLAT, C., op. cit., p. 39.

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Mission en retour, réciproque et interculturelle

d’Italiens – furent orientés vers la France et la Belgique et plus tard, à partir de 1961, année de la construction du mur de Berlin, vers l’Allemagne parce que celle-ci ne pouvait plus compter sur une maind’œuvre en provenance de l’est. La plupart des pays d’accueil attribuaient à l’immigration « de travail » un caractère temporaire23. On supposait qu’une « immigration de retour » aux pays d’origine se ferait une fois que la conjoncture économique deviendrait négative. Mais cela n’était pas le cas, puisque la croissance de l’après-guerre tardait à venir ; ainsi la demande de maind’œuvre a-t-elle pris un caractère structurel. Dans un premier temps, les immigrés étaient canalisés principalement vers les secteurs de l’industrie, mais par la suite, la main-d’œuvre étrangère s’est retrouvée dans tous les secteurs de l’économie, et plus particulièrement dans le secteur secondaire. C’est cette infiltration de la main-d’œuvre dans l’ensemble du système économique qui a créé un besoin permanent et structurel de flux d’immigration. Les années 1960 constituent un tournant24 important dans le dévelop­ pement des flux migratoires en provenance du Sud. La poursuite d’une bonne conjoncture économique et la construction du Marché commun réclamaient davantage de travailleurs. Mais les Italiens et les Espagnols ressentaient de moins en moins le besoin d’émigrer, l’Allemagne encourageait l’immigration des Turcs tandis que la Belgique s’orientait plutôt vers le Maroc. En fait, le besoin de rajeunissement démographique a conduit la plupart des pays européens à encourager la permanence de l’immigration familiale. C’est dans cette perspective que la Belgique, pour accroître son attrait parmi les pays recruteurs, procéda à des accords bilatéraux avec les principaux pays fournisseurs de main-d’œuvre, accords qui garantissaient le droit au regroupement familial. La conséquence de cette nouvelle politique fut une croissance vertigineuse de l’immigration en provenance du Sud au cours des années 1960 à 1973. Il faut noter que la crise énergétique25 de 1973 a eu des répercussions importantes sur l’intensité, la nature et la destination des flux d’émigration du Sud et a complètement bouleversé les données du problème migratoire en Europe occidentale. 23

Institut national de statistique, Mouvement de la population et migration en 1999, Bruxelles, 2000, p. 1. 24 DE GAULLES, C., «  Migrations et mutations du monde contemporain », dans Géographie des migrations internationales dans le monde, Paris, Presses universitaires de France, p. 90. 25 Lire en outre ZOLBERG, A., « Un reflet du monde. Les migrations internationales en perspective historique », dans Le défi migratoire, p. 55.

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L’Europe, de l’émigration à l’immigration

Cette crise a poussé les pays traditionnels d’immigration (Allemagne, Pays-Bas, Belgique, France) à remettre en question la politique libérale suivie jusqu’alors : le recrutement de travailleurs étrangers fut quasiment supprimé, puis l’on instaura des régimes restrictifs d’immigration. En effet, assaillis par une pression migratoire sans précédent, les pays du Nord ont été conduits, dans le contexte de la crise économique des années 1970, à fermer leurs frontières et à renforcer progressivement les mesures de protection de leur territoire, qui se sont traduites concrètement par la mise sur pied de politiques migratoires plus ou moins répressives. C’est dans ce contexte que de nouvelles voies d’immigration ont vu le jour. Les pays d’accueil avaient pensé, dans un premier temps, qu’un arrêt total de l’immigration serait possible. Mais, d’une part, pour des raisons d’ordre moral et humanitaire, et, d’autre part, en fonction considérations d’ordre démographique, les gouvernements d’Europe occidentale ont adopté la politique du regroupement familial pour tenter de corriger la fécondité européenne qui partout était en déclin. Le fait de permettre à l’immigré de faire venir son conjoint et ses enfants constituait une transition remarquable entre une immigration temporaire, essentiellement adulte et masculine, et une immigration permanente, « de peuplement », au niveau familial. D’une façon assez constante, l’ensemble du phénomène est essentiel­ lement ponctué, au départ comme à l’arrivée, par des facteurs d’ordre économique. « Entre les migrations Est-Ouest du postcommunisme et Sud-Nord du sous-développement, l’Europe occidentale, prise en étau, ne fait pas preuve jusqu’ici de beaucoup d’imagination », affirme Annie Lenoble-Barth26. Ce qui semble s’imposer un peu partout, en effet, est une vision sécuritaire et de fermeture propre à réactiver les fantasmes xénophobes et racistes à l’échelle du continent. Depuis le milieu des années 1970, l’une des hantises des États euro­ péens, et plus généralement des États développés, est « l’invasion » des migrants économiques venant du Sud, du Maghreb et d’Afrique subsaharienne surtout, mais aussi, depuis 1990, d’Europe orientale. Les pays européens ont fermé leurs frontières presque simultanément. L’asile politique est devenu, avec le regroupement familial, le seul moyen d’entrer en Europe et d’avoir quelque chance d’être autorisé à y rester. L’Europe se referme sur elle-même à mesure que l’intégration entre les États membres de l’Union européenne progresse. Elle vit néanmoins le plus important mouvement de demandeurs d’asile qu’elle ait jamais connu depuis la Seconde Guerre mondiale. 26

LENOBLE-BART, A., « Immigrés en Europe », dans Chrétiens d’outre-mer en Europe, op. cit., p. 40.

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Considérations personnelles L’un des principaux problèmes à relever est, de mon point de vue, celui du dénombrement des migrants. Faisant référence à la France, Annie Lenoble-Bart27 signale que l’évaluation des migrants est basée sur des recensements périodiques, auxquels il faut ajouter les enquêtes et sondages effectués par des instituts spécialisés. On se trouve donc en présence de statistiques très diverses, voire disparates ou même contradictoires. Les évaluations sont extrêmement variables28. La question controversée du nombre de clandestins en est un exemple caractéristique. Au niveau européen, les études lancées en 1990 et 1994 par Eurostat, l’Office statistique de l’Union européenne à Luxembourg, a révélé le problème particulièrement aigu de l’harmonisation des statistiques. Il est donc difficile de dresser un tableau concernant l’ensemble de l’Europe. En ce qui concerne la Belgique, Moritz Lennet et Jean-Michel Decroly observent que ne se pose pas seulement le problème de leur fiabilité, mais aussi celui de leur interprétation29. Ils révèlent en outre qu’une certaine catégorie de migrations n’apparaît pas dans les statistiques en raison de leur nature propre ; c’est le cas des clandestins, par exemple. Il en tirent en substance la conclusion suivante : le domaine des migrations étant un sujet délicat qui touche dans ses fondements des questions de droits humains et individuels, il est important de mettre en évidence les insuffisances des données utilisées pour analyser les flux et déterminer les besoins en matière politique. Nous avons vu comment, pour des raisons diverses, la nature même des mouvements est souvent impossible 27

LENOBLE-BART, A., op. cit. La revue Hommes et migrations de juillet-août 1998 démontre que le chiffre d’un million pour la France est un maximum très contestable : la campagne de régularisation ouverte par la circulaire du 24 juin 1997 donne celui de 150 000. Même s’il faut tenir compte de ceux qui ne se sont pas déclarés sachant la cause perdue, on est loin de ce nombre souvent avancé. Il est certain aussi que dans d’autres pays la part d’incertitude est plus grande, par exemple en Italie. Ibid., p. 36. 29 Même lorsque des données existent officiellement et sont enregistrées de manière plus ou moins systématique, elles ne reflètent pas pour autant fidèlement la réalité. C’est vrai pour toute récolte de données statistiques, mais la complexité de la matière et la diversité des acteurs concernés rendent la récolte d’informations sur les migrations et leur traitement particulièrement hasardeux. On peut distinguer différentes catégories de problèmes, toutes avec des effets différents. Les informations incomplètes ou mal adaptées à leur exploitation statistique. En effet, souvent des données existent mais incomplètes, du moins dans la perspective de leur exploitation scientifique. Certaines variables importantes manquent dans les compilations ou alors certaines classifications ne correspondent pas à la réalité. Ces manques rendent leur exploitation statistique souvent très difficile. Cf. BRIBOSIA, E. et REA, A., Les Nouvelles Migrations. Un enjeu européen, Bruxelles, Éditions Complexe, 2002, p. 40. 28

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à mesurer, et notamment pourquoi l’absence de connaissance des flux clandestins remet en question quasiment tout ce que l’on peut affirmer sur les flux existants. On ne souligne jamais assez la responsabilité des chercheurs qui, au lieu de se limiter à traiter et à interpréter les données disponibles, se doivent de mettre le doigt sur les carences des informations. Ces carences contribuent à faire du débat autour des migrations un échange de considérations émotionnelles au lieu d’une réflexion démocratique sur le fonctionnement de la société.

Les flux migratoires en Belgique30 De la Seconde Guerre mondiale aux années 1970, la Belgique a connu plusieurs vagues d’immigration. Les entrées nettes dans le Royaume se sont effondrées au début des années 1970 pour reprendre dans les années 1980, mais en 1997-1999, la tendance était à nouveau à la hausse. Ces entrées, essentiellement européennes, ne sont cependant pas durables. La Belgique est, sans conteste, l’un des pays qui attire le plus les ressortissants « communautaires ». Tous pays confondus, deux groupes de migrants ressortent : les Français et les Néerlandais. La chute du rideau de fer a entraîné une augmentation des entrées en provenance de l’Est, mais les vagues d’arrivées massives que l’on craignait ne se sont pas produites. Les brusques changements se limitent aux pays de l’ex-Yougoslavie. Après 1973, l’immigration en provenance du Maroc et de la Turquie s’est tarie, mais elle a repris depuis le milieu des années 1980 par le biais des regroupements familiaux. Cependant, depuis 1994, on peut parler de reprise de l’immigration pour les Marocains et de décrue pour les Turcs. On assiste aussi à une diminution des entrées en provenance des anciennes colonies  : l’Afrique subsaharienne n’alimente pas de flux migratoires importants vers la Belgique. Les mouvements en provenance du Proche et du Moyen-Orient ont diminué. Ceux en provenance de la péninsule indienne semblent stabilisés. En revanche, les mouvements d’allers-retours en provenance d’ExtrêmeOrient, jusqu’alors très faibles, connaissent un essor considérable. L’on notera encore de nombreuses et discrètes entrées de ressortissants américains et canadiens. Les flux migratoires que connaît la Belgique proviennent en général de pays très développés, et en particulier des pays de l’Union européenne. 30

Notre source principale d’information pour cette introduction est : Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, Combat pour les droits, rapport annuel 2000, Bruxelles, avril 2001.

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Toutefois, il ne s’agit pas de migrations durables mais d’une intense mobilité où les entrées et les sorties s’annulent en grande partie. Le choix des nouveaux immigrants quant à leur implantation en Belgique a profondément changé ces dernières années. Dans l’immédiat après-guerre, leurs principaux pôles d’attraction étaient les bassins industriels de Flandre et de Wallonie, mais avec la crise et l’arrêt officiel de l’immigration en 1974, leurs zones de destination préférentielle se sont déplacées. Si l’on prend le nombre brut d’entrées d’étrangers jusqu’à la première moitié des années 1980, les nouveaux immigrants se répartissaient de manière équitable entre les trois Régions. Depuis 1985 environ et jusqu’au début des années 1990, les entrées ont recommencé à augmenter ; elles se répartissaient encore dans les trois Régions, mais c’est surtout la Flandre qui en a bénéficié (particulièrement Anvers, mais aussi Gand et le Brabant flamand), ce qui, en soi, constitue une rupture dans l’histoire migratoire du pays. À partir du début des années 1990, les entrées se sont stabilisées en Flandre et en Wallonie, mais Bruxelles, qui ne s’était pas démarquée jusque-là, a attiré un nombre croissant d’immigrants au point que la Région bruxelloise a quasiment rejoint le niveau flamand. Alors que la concentration à Bruxelles s’était atténuée, le rapport actuel entre le nombre d’immigrants et la population belge montre que la capitale est, de loin, la région qui attire le plus d’immigrants, et ce depuis 1982-1983, époque de la reprise des entrées dans le pays. L’implantation sur son territoire des institutions européennes y est pour beaucoup. En 1999, elle a accueilli 5,6 fois plus d’immigrants étrangers que la Flandre et 5 fois plus que la Wallonie. Si la population wallonne est encore aujourd’hui celle qui compte le plus d’étrangers, la Wallonie n’attire plus les nouveaux immigrants comme autrefois. Le rapport autochtones-nouveaux immigrants montre qu’il n’y a presque plus d’écart entre la Flandre et la Wallonie. Et si, ces dernières années, les immigrations annuelles se sont stabilisées au niveau national, elles ont largement augmenté à Bruxelles, aux dépens de la Wallonie. Bruxelles exceptée, aucune agglomération n’a vu réellement augmenter le nombre de nouveaux immigrants ces neuf dernières années. En Flandre, la situation est quasiment stable dans toutes les agglomérations, avec probablement une légère tendance à la baisse dans l’agglomération d’Anvers. En revanche, en Wallonie, la tendance est plutôt au recul, particulièrement autour de Liège, Verviers et Mons. Les communes flamandes comme Anvers, Gand et Louvain ont largement pris le relais des villes de Charleroi, Mons, Liège ou du Limbourg. Au sud et au sud-est de Bruxelles (aux confins de Bruxelles, de la Flandre et de la Wallonie), un groupe de communes situées autour 38

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de Waterloo, Overijse et Ottignies-Louvain-la-Neuve a pris un essor remarquable concernant l’accueil des nouveaux immigrants, qui place cette zone territorialement réduite à un niveau comparable à celui de la région qui va du Borinage jusqu’à Namur en passant par Charleroi.

B.  Les causes de l’immigration D’un point de vue historique, tous les auteurs s’accordent à souligner que les flux migratoires ne constituent pas un phénomène nouveau31, ni proprement moderne. La migration, comme je l’ai déjà souligné, accompagne l’existence de l’homme sur la terre. Pour des raisons diverses, une partie importante de l’humanité se met en mouvement à tout moment. L’Organisation des Nations unies donne le chiffre de plus de 150 millions32 de migrants pour l’année 2000. Les estimations actuelles vont jusqu’à 180 millions, soit 2,5 % de la population mondiale33.

1.  Les causes naturelles ou écologiques Ce sont d’abord des causes d’ordre naturel ou écologique qui ont poussé l’homme, surtout l’homme primitif, à émigrer pour assurer sa subsistance et sa protection ou satisfaire son besoin de mouvement, tantôt la famine, tantôt quelque cataclysme (inondation, éruption volcanique, etc.). Au fil du temps, la destruction de l’environnement a pris une telle ampleur que le facteur écologique est devenu de nos jours une véritable force motrice des migrations transfrontalières. S’y ajoute le souci humain de trouver une vie plus confortable ailleurs. Mais à côté des migrations volontaires, l’histoire a connu aussi des migrations forcées34, habituellement collectives, dont le continent africain35 a été la grande victime : esclavage, traite des noirs, transfert de populations36, etc. L’une de leurs conséquences, en ce qui concerne 31

WETS, J., « La dynamique migratoire internationale et son impact sur l’Europe », dans Les nouvelles migrations. Un enjeu européen, p. 24. 32 Organisation internationale pour les migrations, État de la migration dans le monde en 2000, p. 3. 33 WETS, J., op. cit. 34 SCHATZER, P. (dir.), État de la migration dans le monde en 2000, Genève, Organisation des Nations unies, 2000, p. 15. 35 Pour les migrations internes en Afrique on peut poursuivre les recherches en lisant : KI-ZERBO, J., Histoire de l’Afrique noire d’hier à demain, Paris, Hatier, 1972. 36 On peut en outre opposer les migrations violentes, agissant comme des raz de marée (invasion de barbares…), aux migrations lentes, régulières, méthodiques, lesquelles à l’heure actuelle sont de plus en plus dirigées ; les migrations de masse, portant sur des groupes humains considérables, aux migrations individuelles ; les migrations

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l’Afrique, est la dissémination de sa population dans le monde entier. Les Africains se retrouvent plus particulièrement sur le continent américain, dans les Caraïbes, aux Guyanes, aux États-Unis, au Canada, en Amérique centrale et en Amérique du Sud, aux Antilles où la population résulte du métissage entre Européens et Africains, etc. Mais aussi dans l’océan Indien dans les îles Seychelles, l’île de la Réunion et l’île Maurice, dans les îles du Cap-Vert37 et à Sao Tomé et Principe38, où les Portugais ont importé des esclaves qui constituent aujourd’hui la population majoritaire de ces deux derniers pays, pour ne citer que ceux-ci.

2.  La recherche scientifique Dans un but de recherche scientifique, plusieurs Européens ont émigré par aventure, avec le désir d’explorer de nouvelles terres. On peut se rappeler, par exemple, l’histoire de David Livingstone. Celle-ci a toujours eu un double impact, scientifique et religieux, que l’on peut remarquer à travers son parcours, comme nous le montre Klaus Peter Blaser39 : Livingstone a consacré sa vie à l’exploration de l’Afrique australe et orientale. Il fit la grande découverte du Zambèze en 1851. Par ailleurs, son entreprise, qui s’inscrit dans l’expansion coloniale occidentale, avait une double mission, comme en témoignent ses propres paroles : « Je vais ouvrir le chemin au commerce et au christianisme ». Quant aux causes sociales, aujourd’hui prépondérantes, elles jalonnent toute l’histoire de l’humanité : persécution politique ou religieuse, motifs d’ordre économique, etc. Autant de raisons qui incitent ou contraignent les hommes à se mouvoir.

3.  Les trois facteurs importants Une analyse des cinq derniers siècles révèle l’action de trois facteurs prépondérants : un facteur économique, qui est dû à la répartition des chances de travail au niveau mondial, un facteur démographique, qui renvoie aux différences régionales en termes d’accroissement naturel de population, et un facteur politique, relatif aux actions et à la politique des États. Les mouvements migratoires les plus importants au cours spontanées, comme celles des Européens vers les deux Amériques au 19e siècle, aux migrations organisées par les États, dans un but de colonisation ou d’expansion. DOLLOT, L., op. cit., p. 7. 37 Le Cap-Vert est un petit pays qui regroupe plusieurs îles portugaises jusqu’en 1975. Il se situe dans l’océan Atlantique, en Afrique de l’Ouest, en face du Sénégal. 38 Sao Tomé et Principe sont deux îles qui ont la même histoire que le Cap-Vert et qui se situent plus au sud dans le golfe de Guinée, au sud du Nigeria et à l’ouest du Gabon. 39 BLASER, K., « Livingstone David (1813-1873) », dans Encyclopédie du protestantisme, op. cit., p. 901.

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de cette période ont été déterminés principalement par les facteurs économiques et démographiques. Ce sont notamment l’expansion du capitalisme, la prolétarisation de la population européenne, l’urbanisation et l’industrialisation qui en ont été à la base. Le facteur politique des États nationaux a pris une importance grandissante à la fin du 20e siècle ; les guerres et leurs effets semblent rivaliser avec l’interaction entre emploi et accroissement naturel en tant que raisons de la migration de longue distance. Johan Wets40 illustre la dynamique migratoire à l’aide d’un modèle théorique qui repose sur le principe de push-pull. Dans le pays d’origine, explique-t-il, il existe des facteurs économiques, démographiques, politiques, écologiques, etc., qui repoussent les migrants potentiels (push), et, dans le pays de destination, des facteurs qui les attirent (pull). Les deux types de facteurs influent sur la décision de migrer. D’autre part, il existe des obstacles comme la distance à parcourir ou les règles d’accès ou de sortie du territoire qui peuvent rendre la migration plus difficile ; et des facteurs qui facilitent celle-ci, comme les progrès techniques dans les moyens de transport et les tarifs aériens toujours en baisse. On peut, en outre, partir du principe que les pays entre lesquels se font les migrations exercent une influence les uns sur les autres, par exemple à travers les relations commerciales, les emprunts et les dettes, le commerce, la coopération au développement, les relations diplomatiques, etc. Les affinités entre certains pays, pour de multiples raisons telles que des liens culturels, linguistiques ou historiques, etc., peuvent également déterminer le choix de la destination. La combinaison de facteurs tels que la pauvreté, une croissance démographique très rapide, l’existence des conflits armés et la dégradation de l’environnement créent un cocktail de circonstances qui, pour de nombreuses personnes, rend inenvisageable une amélioration de leur situation à court terme, et d’autant plus attrayante la perspective de la migration. Les migrations ont des raisons diverses, comme je viens de le décrire : économiques, certes, mais également religieuses. En France, par exemple, les Huguenots s’exilèrent par dizaines de milliers, après la révocation de l’édit de Nantes en 1685 par Louis XIV. On peut aussi penser à toutes les autres guerres de religion. Mais généralement la religion fait partie des bagages qu’un migrant transporte avec lui lors de son déplacement. L’histoire de l’Europe et du monde a été marquée, au cours des 19e et e 20 siècles, tant par l’émigration que par l’immigration. Les différentes guerres, les crises politiques et économiques, les catastrophes écologiques et l’accroissement démographique ont développé un important phénomène de migration. Les multiples observations révèlent qu’il existe plusieurs 40

WETS, J., op. cit., pp. 25-26.

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types de migrations, en fonction de leur nature et des causes qui les influencent. La plus grande question qui se pose restera toujours, selon moi, celleci : quels sont les avantages des migrations par le pays d’accueil ? Si les avis restent partagés surtout du point de vue économique, ce n’est pas le cas du point de vue de la rencontre des cultures et des religions. Georges Dupeux41 évoque une étude faite aux États-Unis qui souligne cet aspect : culturellement, les immigrants ont apporté avec eux une extraordinaire variété d’arts populaires, de traditions littéraires, musicales et culinaires, d’expériences scientifiques, de croyances religieuses et d’institutions  ; dans l’ensemble, l’apport des immigrants se mesure à la vigueur de leurs bras, de leur intelligence, et de leur volonté de travailler dur dans des circonstances souvent hostiles. Nous nous demanderons si c’est également le cas pour la diaspora africaine en Europe. L’immigration comme sujet d’étude reste très vaste et elle dispose d’une abondante documentation. Dans la suite de cette étude, je focaliserai mon attention sur la présence africaine en Europe et en particulier en Belgique.

C.  L’immigration de l’Afrique subsaharienne42 1.  De l’évidence du phénomène Il n’y a pas une seule immigration africaine43 en Belgique, écrit Bonaventure Kagne44, mais des immigrations. « À l’inverse de l’immigration italienne, résultant d’un appel de main-d’œuvre étrangère, l’immigration africaine en Belgique apparaît comme un phénomène “fortuit”, englobant une grande diversité de trajectoires migratoires individuelles. D’où une tout aussi grande diversité de situations sociales et juridiques dans lesquelles se trouvent les ressortissants africains présents en Belgique45… ». 41

DUPEUX, G., « Rapport général », dans Les migrations internationales de la fin du XVIIIe siècle à nos jours, p. 23. 42 Les données rapportées dans cette partie proviennent principalement du rapport de deux chercheurs de l’Université de Liège : KAGNE, B. et MARTINIELLO, M., « L’immigration subsaharienne en Belgique », dans Courrier hebdomadaire, n° 1721, CRISP, 2001. KAGNE, B., « L’immigration africaine : diversité des trajectoires », dans Interculturel, n° 188, novembre 2000. 43 Par africain, ici, nous entendons en provenance de l’Afrique subsaharienne ou Afrique noire. 44 KAGNE, B., op. cit. 45 Ibid., p. 4.

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Deux thèses s’affrontent quant à la présence de la population originaire de l’Afrique subsaharienne46 en Belgique : pour certains auteurs, cette présence débute au 16e siècle. Pour d’autres, majoritaires, elle remonte à l’Exposition universelle d’Anvers en 1889. À cette époque, la découverte de « l’homme noir » en Belgique était objet de spectacle. Cette représentation dévalorisante des colonisés n’empêcha pourtant pas l’enrôlement de certains Africains pour défendre l’intégrité territoriale de la métropole lors des deux guerres mondiales, tant en Europe qu’en Afrique ; et ce, malgré les liens historiques qui l’unissaient à quelques États d’Afrique subsaharienne. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, alors que l’Europe se lançait dans l’importation de forces de travail, la Belgique, contrairement à la France, ne fit pas appel à la main-d’œuvre de cette contrée. Les premiers ressortissants subsahariens à débarquer en Belgique seront des étudiants venus dans le cadre d’accords entre les universités belges et celles d’Afrique centrale. Il s’agit essentiellement de jeunes Congolais, Rwandais et Burundais. À ceux-ci s’ajouteront de rares boursiers des gouvernements africains nouvellement installés. Le contexte des indépendances et la mise en cause de l’administration coloniale belge dans les colonies ne sont sans doute pas étrangers à cette arrivée de nombreux anciens colonisés. En effet, la précocité des événements de l’indépendance de leur colonie et de leurs territoires sous tutelle ont poussé des responsables belges à prendre des mesures destinées à permettre à certains Africains d’entamer ou de poursuivre des formations en métropole. L’objectif majeur était sans doute de préparer ces futures élites à assumer la succession des fonctionnaires coloniaux. Cette migration était temporaire pour ces étudiants, car la grande majorité d’entre eux avaient planifié un retour au pays une fois leurs études terminées47. Cependant, le mauvais fonctionnement des systèmes politiques de bon nombre de pays africains après les indépendances entraîna à cette époque un climat d’instabilité sociale, politique et économique qui provoqua de multiples mouvements de populations. Par la suite, de nombreux coups d’État, d’une part, et des catastrophes naturelles, d’autre part, finirent par bouleverser le précaire équilibre de ces régimes africains ; ce qui eut pour conséquence de nouveaux déplacements de personnes.

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Mon étude sur l’immigration africaine s’intéresse surtout à l’Afrique noire. Je laisse ainsi de côté l’immigration de l’Afrique maghrébine ; avec son caractère spécifique d’appel à la main-d’œuvre, elle ne s’inscrit pas dans la spécificité de ma problématique. 47 GALLEZ, F., Le paysage musical africain à Bruxelles, travail de fin d’études, Institut supérieur de formation sociale et de communication, août 2002.

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2.  Quelques exemples statistiques Les recherches menées par Kagne et Martiniello indiquent une croissance importante de la présence africaine en Belgique au fil des années. En voici quelques repères statistiques : –– 1 % des 845 étudiants étrangers en 1940 ; –– 7 % des 1 797 étudiants étrangers en 1960 ; –– 34 % des 17 460 étudiants étrangers pour les années 1996 et 1997. À côté du Congo/Zaïre, du Rwanda et du Burundi se rangent bientôt le Cameroun, le Nigeria et le Sénégal. Les étudiants étrangers ressortissant de 1’Afrique (Maghreb et Afrique « noire ») se placent en nombre (5 918) derrière les Européens (8 638) mais précèdent de loin leurs collègues d’Asie (1 667) et d’Océanie. Les étudiants africains de Belgique sont en grande partie inscrits dans les universités francophones (5 204 en 1996-1997 contre 714 du côté flamand). Ils sont en grande majorité de sexe masculin, même si le rapport actuel tend à se réajuster48. À côté de cette population estudiantine, on trouve également une population adulte d’Afrique subsaharienne (généralement non accompagnée d’enfants) qui a choisi la Belgique comme terre d’accueil à partir des années 1960. Elle provient surtout du Congo (RDC), du Rwanda et du Burundi, en raison des liens historiques qui ont uni ces pays à la Belgique, mais on y compte aussi des ressortissants d’Afrique du Sud, de Côte d’Ivoire, du Tchad, du Cameroun, du Bénin, du Niger, du Sénégal, du Ghana et de l’île Maurice. Ces données confirment la diversité des flux migratoires africains après 1960. Constatons tout de même qu’en 1961, les ressortissants de l’Afrique subsaharienne représentaient à peine 1 % des 453 486 étrangers recensés en Belgique. Leur nombre a augmenté au cours des années 1990, pour se stabiliser aujourd’hui à 2,8 % de l’ensemble de la population étrangère.

3.  Quelques caractéristiques Une immigration inhabituelle Étant donné que cette immigration africaine n’a pas eu lieu dans le cadre d’accords intergouvernementaux entre la Belgique et les pays d’origine, elle peut être qualifiée d’inhabituelle, car son parcours ne ressemble en rien à celui qui fut commun aux Italiens, aux Espagnols, aux Grecs, aux Marocains ou aux Turcs, qui sont venus en Belgique sur invitation. L’immigration de l’Afrique noire en Belgique, et plus 48

KAGNE, B., op. cit., p. 5.

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spécialement celle de l’Afrique subsaharienne, fut le résultat d’initiatives individuelles et de décisions purement personnelles. Signalons en outre que les années 1990 ont connu un accroissement des demandeurs d’asile dans plusieurs pays européens. Sept États africains se sont distingués sur ce plan : le Congo/Zaïre, le Nigeria, le Ghana, l’Angola, le Togo, la Guinée et le Libéria. Il importe de savoir que ces nouveaux déplacements de populations s’expliquent, entre autres, par le déclenchement, en Afrique, du processus de démocratisation. Les désordres sociaux et leur corrélat de répressions incitèrent bon nombre d’Africains à quitter leur terre natale et à rechercher un contexte de vie moins hostile et moins chaotique. Par ailleurs, si l’immigration africaine en Belgique est de nature fortuite, nous pouvons considérer les trajectoires migratoires individuelles des ressortissants des pays de l’Afrique subsaharienne. Les causes qui ont poussé les intéressés à partir et les moyens empruntés sont autant d’éléments qui contribuent à diversifier les situations sociales et juridiques dans lesquelles se trouvent ces ressortissants africains une fois arrivés sur le territoire belge. Considérée comme temporaire par la population autochtone et par les Africains eux-mêmes, l’immigration africaine s’est stabilisée au fil du temps, observe Bonaventure Kagne49.

Une immigration de diversités Une observation superficielle de la diaspora africaine de Belgique peut laisser croire à une image unie et unique, affirme Kagne50. Elle présente pourtant un grand nombre de nuances. L’adjectif « africain » souvent utilisé dans les milieux administratifs et médiatiques est une formule englobante ; mais elle est loin de rendre compte de la réalité du terrain. La couleur de la peau, facteur « visible » d’appartenance à un groupe communautaire, est loin de refléter la complexité de celui-ci. Les Africains proviennent d’un continent qui compte plus de cinquante pays, dont chacun s’insère dans un contexte social, économique et politique spécifique. Les ressortissants africains de Belgique reflètent donc les diversités de leur continent.

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Plusieurs ex-étudiants, ayant achevé leur formation, n’envisagent plus, en tout cas dans l’immédiat, le retour au pays. L’instabilité sociale, politique et économique de leurs pays d’origine et une certaine acclimatation au mode de vie occidental constituent un frein au retour. Cependant, ils butent sur l’obstacle du titre de séjour pour résider en Belgique. KAGNE, B., op. cit. 50 KAGNE, B., op. cit., p. 6.

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Cela explique aussi la diversité des trajectoires migratoires. On retrouve en Belgique une variété de nationalités africaines, et parfois de sous-nationalités ou d’ethnies, de langues, d’habitudes culturelles, de pratiques religieuses et sectaires, à l’image des villages, régions ou pays d’origine. Juridiquement, leurs statuts sont également très variés : fonctionnaires internationaux, diplomates, étudiants, sportifs, journalistes, artistes, réfugiés, « sans-papiers »51, demandeurs d’asile, etc. Chacun de ces statuts fait l’objet d’un traitement légal particulier qui définit la liberté d’action et fixe les droits et devoirs. Au cours de l’année académique 1996-1997, on dénombrait 3 627 étudiants ; leur nombre était en légère baisse par rapport à l’année 19891990. Voici leur répartition par nationalité : –– Congolais : 1 757 ; –– Camerounais : 595 ; –– Burundais : 214 ; –– Rwandais : 159 ; –– Nigérians : 99 ; –– Sénégalais : 70. Les étudiants boursiers africains qui ont suivi leur cursus académique en Belgique au cours des années 1960-1970 sont depuis longtemps sortis de la sphère universitaire. Aujourd’hui, ce sont leurs enfants, nés sur le sol belge, qui sont en train de réitérer l’expérience. Cette migration était temporaire pour ces étudiants, car la plupart d’entre eux avaient planifié un retour au pays une fois les études terminées52. Il faut également signaler ici que le recensement de la population étrangère en Belgique ne comptabilise pas les fonctionnaires et les diplomates, ni les demandeurs d’asile et les illégaux. Chaque catégorie de population est inscrite dans un registre différent53. En 1996, le nombre de personnes attachées aux ambassades africaines des pays subsahariens en Belgique s’établissait approximativement à 235 personnes, soit près de 5 agents pour chacun des 47 pays représentés. C’est le ministère belge des Affaires étrangères qui dispose de cette liste dont l’accès est restreint. Très souvent, il arrive que l’on retrouve en dehors du personnel recensé d’anciens fonctionnaires africains qui, pour diverses raisons (changement de gouvernement, désordres sociaux majeurs dans leur pays, etc.), ont perdu leur accréditation, mais prétendent toujours 51

Difficilement dénombrables, les sans-papiers ne sont évidemment pas comptabilisés. GALLEZ, F., op. cit. 53 On peut se référer ici à la loi du 24 mai 1994, à l’arrêté royal du 1er février 1995 et à la circulaire de mars 1995 relative au registre d’attente. 52

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exercer leurs fonctions sur le territoire belge. Ils sont en séjour illégal et passibles d’un renvoi direct vers leur pays d’origine.

Sur le plan sportif Les ressortissants africains sont représentés dans certaines disciplines, notamment le football. On estime que chaque équipe de première division compte en moyenne trois joueurs africains, chaque équipe de deuxième division en compte un ou deux, et moins en troisième division ; il y aurait ainsi une centaine de joueurs africains, toutes divisions confondues54. Analysant la saison sportive 2000-2001, Martiniello et Kagne notent que pour les 18 équipes inscrites pour le championnat de première division, on compte 172 joueurs étrangers sur un total de 442. Parmi les joueurs étrangers, on dénombre 43 joueurs issus du continent africain, dont 37 joueurs issus de l’Afrique subsaharienne et 6 issus des pays du Maghreb (4 Marocains et 2 Égyptiens). Les joueurs originaires de l’Afrique subsaharienne se répartissent comme suit : 4 proviennent de Côte d’Ivoire, 3 de Gambie, 7 du Congo, 1 du Sénégal, 7 du Nigeria, 2 du Ghana, 3 du Cameroun, 2 du Burkina Faso, 1 du Kenya, 5 de Guinée, 1 d’Angola et 1 du Rwanda. Cela représente ainsi 8,4 % du nombre total des joueurs inscrits dans le championnat de première division et 21,5 % des joueurs étrangers. On peut donc dire que les ressortissants issus de l’Afrique subsaharienne sont très bien représentés dans le milieu du football belge, surtout en ce qui concerne la première division, comparativement à leur représentation dans la population belge, puisqu’à ce niveau, ils ne représentent que seulement 0,2 % de la population totale du pays et 2,8 % des étrangers présents en Belgique. Les ressortissants africains sont également représentés dans d’autres disciplines comme l’athlétisme, le basket-ball, le handball et la boxe. Mais outre le sport, on trouve également une participation des populations originaires d’Afrique dans d’autres secteurs de la vie sociale. Sur le plan musical et artistique La présence des artistes africains en Belgique a suivi le même parcours que le cycle de l’immigration. Elle a assurément un caractère « individuel », lié au contexte de l’immigration des africains subsahariens en Belgique. Le continent africain, écrit F. Gallez55, déborde d’une richesse musicale et artistique très diversifiée. Or, on ne pouvait imaginer des ressortissants 54

KAGNE, B., op. cit. GALLEZ, F., op. cit.

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africains de Belgique renoncer à leur culture et à leurs musiques. Cela explique qu’au début, les multiples expressions d’ordre culturel avaient un caractère ponctuel et individualiste, sans aucune visibilité à l’échelle de la population autochtone. C’est à partir des années 1970 que la musique africaine a vraiment commencé à se faire reconnaître, et ce grâce à la mise en place de différents programmes de la part d’agents culturels ou de communication, à la promotion d’artistes et à des politiques qui favorisaient la diversité culturelle. L’ampleur qu’a prise la diffusion de la musique africaine en Europe aujourd’hui incite Gallez à s’écrier : « Quelle chance de retrouver l’Afrique dans mon propre pays ! »56. Il semble aujourd’hui naturel qu’à l’ère de la mondialisation où agit une communication de plus en plus rapide entre les quatre coins du monde, on puisse s’imprégner des productions culturelles de pays qui auparavant ne pouvaient pas nous atteindre. La musique africaine en Occident est devenue plus visible, ou plutôt audible, grâce à l’empreinte de la World Music, la musique du monde57. Des artistes africains ont foncé dans ce courant, qui s’avérait salutaire pour la reconnaissance de leur musique. D’autres, par choix artistique, ont opté en fusionnant leur musique aux sonorités occidentales. C’est pourquoi ils se revendiquent « musiciens du monde »58. De même, de plus en plus d’opérateurs culturels, de maisons de production, de promoteurs et d’autres, se sont engagés dans la diffusion de « musique du monde », dans des projets à caractère interculturel. À partir de la deuxième moitié des années 1980, on note un apport non négligeable de la coopération 56

Ibid. Musique du monde, ou plutôt musique des mondes, le terme World Music désigne moins un genre musical qu’une sorte de grande famille où se retrouvent toutes les musiques traditionnelles européennes, américaines, africaines et asiatiques. Au milieu des années 1960, nombre de musiciens de jazz afro-américains, parmi lesquels John Coltrane et Archie Shepp, opéraient un retour à leurs origines africaines en multipliant les albums aux titres faisant référence au continent noir. Ainsi, pour la première fois, des musiques autres qu’occidentales arrivaient aux oreilles du grand public blanc. Cet engouement pour les « autres cultures » portait déjà les signes annonciateurs d’un vaste mouvement, qui sera connu sous le nom de World Music dans les années 1980. À la fin des années 1970 et au début de la décennie suivante, l’intérêt du public européen et nord-américain pour des musiques très différentes de la variété du moment s’est traduit notamment par l’apparition de festivals spécialisés dans ce genre de musiques, tels celui de Sfinks, en Belgique, ou le Womad (World Music And Dance) en Angleterre, lancé par le rocker anglais Peter Gabriel en 1982. Ce dernier a lancé le label Real World, qui a permis aux artistesmusiciens du tiers-monde, de se faire connaître hors de chez eux et d’enregistrer dans d’excellentes conditions techniques. Pour plus d’informations, on peut taper World music sur le net. 58 GALLEZ, F., op. cit. 57

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culturelle entre le gouvernement belge et certains États d’Afrique subsaharienne, sous l’appellation « d’échange culturels Nord-Sud ». Ces multiples initiatives et ces échanges ont eu pour conséquence de permettre aux populations belge et européenne de découvrir avec un autre regard les différentes cultures africaines. Toutefois, il faut faire remarquer que la musique africaine produite en Europe reçoit un habillement complètement différent de celle produite en Afrique. Cela s’explique par les exigences du marché, comme le fait observer Gallez selon lequel tout produit qui veut pénétrer sur un nouveau marché se doit d’être adapté aux exigences de ce marché. Cette adaptation se fait d’ailleurs tant au niveau musical qu’au niveau de l’image véhiculée par les artistes africains. Un autre fait à signaler est l’utilisation des instruments de musique traditionnelle africaine qui tendent de plus en plus à trouver leur place dans l’éventail des instruments de musique modernes. On peut se rendre compte du génie de certains artistes qui ont travaillé à l’épanouissement de cet art africain. À Bruxelles comme dans plusieurs villes d’Europe, il existe aujourd’hui des écoles de danses africaines et des écoles d’apprentissage des instruments à percussion tels que le djembé, le tambour, le tam-tam, le xylophone, etc., où se côtoient Africains et Européens. La tendance actuelle est que la musique progresse en se professionnalisant de plus en plus, grâce à l’apport et à l’influence de la diaspora africaine. En Belgique, c’est l’Afrique centrale qui reste le plus à l’honneur grâce à la présence majoritaire des Congolais à Bruxelles. Cependant, d’autres pays africains ne sont pas moins présents. On trouve des artistes et des musiciens de tous les styles. Beaucoup évoluent sur les scènes belges, souvent en groupe ; ils sont surtout orientés vers le chant et la danse. Ils ont appris à conquérir le public belge et européen, de plus en plus friand de World Music et de sonorités exotiques. Le temps où l’image des musiques africaines se limitait à de simples représentations ethniques ou à des stéréotypes permettant de vendre des boissons au goût tropical est loin. Peu à peu, les musiques d’Afrique ont trouvé leur place dans le paysage musical belge. On constate même une ouverture, certes timide, sur les radios dites commerciales et à la télévision publique. Internet a relié l’Afrique aux différents artistes, qu’ils habitent en Afrique ou en Occident. Il intervient également comme outil de renforcement et de diffusion à grande vitesse des activités de la musique africaine à travers le monde. En bref, une prise de conscience est enfin apparue en Europe qui tient compte également des réalités culturelles de l’Afrique en les intégrant dans le processus de développement proposé par le Nord. C’est une 49

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façon aussi pour l’Europe, conclut Gallez59, d’apprendre à fonctionner selon des modèles qui ne sont pas les siens. Le monde musical avance désormais vers l’ouverture à la diversité culturelle. Depuis ces vingt dernières années, la présence musicale africaine en Belgique et dans d’autres pays d’Europe occidentale, comme la France, s’inscrit de plus en plus dans la durée. Au départ, le recours aux dialectes comme langue musicale et le contenu des chansons étaient surtout orientés vers les pays d’origine, du moins en direction d’un public exclusivement africain. Mais au fil du temps, cette tendance a subi de nombreuses transformations.

« Je suis venu en Belgique en 67, en 78, en 86, en 87, en 88 pour des concerts. Je n’y connaissais personne ; mais je sentais qu’il se passerait quelque chose, que j’y habiterais un jour… et Dieu m’a ouvert la porte »60. L’invocation de Dieu dans ce témoignage de Mamady Keita61, musicien africain, laisse percevoir combien la culture et la religion font partie du bagage de l’immigré africain en Belgique et en Europe.

4.  Les demandeurs d’asile On constate que l’immigration africaine en Belgique s’est accrue et que son visage lui-même a évolué. Si au début, l’un des principaux moyens pour migrer était la volonté de faire des études hors de son pays, depuis les années 1980, les médias belges n’évoquent plus les immigrés africains qu’en termes de Petit-Château62, de centres fermés ou d’expulsion. B. Kagne63 souligne combien cette décennie est caractérisée par un accroissement important des demandeurs d’asile. En 1998, sur 21 967 demandes d’asile enregistrées, on pouvait distinguer parmi les dix principales nationalités représentées trois pays d’Afrique subsaharienne :

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GALLEZ, F., op. cit. Ibid., p. 26. 61 Mamady Keita, percussionniste guinéen né en 1950. Il devient très célèbre dans son pays natal comme directeur artistique du Ballet national « Djoliba ». Apres un séjour en Côte d’Ivoire, il rejoint Bruxelles en 1988 où il s’installe et fonde en 1991 l’école de percussion « Tam Tam Mandingue » qui aura par la suite des succursales à Paris, Genève, Munich, Conakry, Tokyo, Washington, etc. Dans les années 1990, l’école commença à être très fréquentée, non seulement par des artistes africains mais aussi par de nombreux Belges, musiciens ou non. Ceux qui en sortent ont compétence pour enseigner à leur tour. Cette école, selon Gallez, est devenue un véritable phénomène. Mamady Keita a contribué non seulement à faire connaître la tradition de ses origines en Occident mais surtout à la reconnaissance de la musique traditionnelle africaine dans le monde. Voir GALLEZ, op. cit., pp. 45-46. 62 Lieu d’internement des demandeurs d’asile à Bruxelles. 63 KAGNE, B. et MARTINIELLO, M., op. cit. 60

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–– la République démocratique du Congo : 1 708 ; –– le Rwanda : 1 049 ; –– la Somalie : 521. Au début du mois de janvier 2000, sur 50 600 dossiers enregistrés lors de l’opération de régularisation de personnes non détentrices du titre de séjour requis par la loi, on a relevé 140 nationalités différentes dont 30 africaines. Malgré la fermeture des portes, le phénomène continue de s’accroître, en raison de l’incertitude dans le pays d’origine.

5.  Les nouveaux Belges Considérons enfin une dernière catégorie d’Africains résidant en Belgique : ceux qui ont acquis la nationalité belge et qui sont inscrits dans les registres de la population du pays. Les divers changements apportés au code de la nationalité depuis 1985 ont facilité la procédure d’accès à la nationalité belge pour les ressortissants de pays africains. Les naturalisations des populations d’origine africaine ont augmenté considérablement au cours des années 1990, comparativement à la décennie précédente. À titre d’exemple : en 1992, on dénombre 580 Africains ayant accédé à la nationalité belge ; en 1997, ils sont 984 sur les 22 749 naturalisés de cette année-là ; et en 1998, on en compte 1 997 sur un total de 34 034. En effet, l’acquisition de la nationalité constitue un point d’aboutissement important pour les Africains dans leur processus d’intégration dans la société belge. Cette naturalisation leur permet de s’investir dans plusieurs sphères de l’activité économique ou même politique, telles que la santé, l’informatique, l’électronique, la mécanique, le mandat politique, etc. Cette réalité a brisé les stéréotypes et les clichés d’autrefois d’une communauté africaine identifiée presque exclusivement par la musique et par le sport64.

D.  Conclusion partielle L’étude des migrations révèle avant tout la complexité et la globalité de ce phénomène. Depuis les origines de l’espèce humaine, la migration fait partie, comme le soulignait Gildas Simon65, de son savoir-faire, de son héritage social et de sa culture. La migration n’est donc pas un phénomène uniquement européen. Elle fait partie de l’aventure de l’homme sur la terre ; les nations et les 64

GALLEZ, op. cit., p. 24. GILDAS, S., Géographie des migrations internationales dans le monde, Paris, Presses universitaires de France, 1965, p. 407.

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sociétés actuelles en sont les résultats66. Ces mouvements de personnes et de peuples si fortement chargés de détresse et d’espoir témoignent de l’extraordinaire capacité des hommes à survivre, à s’adapter et à imaginer des solutions à leurs problèmes. Les migrations témoignent de l’état d’un monde qui bouge, qui se recompose sans cesse et qui transforme chacun des États qui le compose, ainsi que les rapports que ceux-ci entretiennent entre eux. Les causes de la migration sont toujours multiples et liées aux circonstances, au contexte particulier de chaque migrant. Puisqu’il y a déplacement de personnes, ces dernières transportent avec elles leur culture et leurs repères identitaires. L’un de ces repères est la religion. C’est ce repère-là qui fera l’objet de la suite de ma réflexion.

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GILDAS, S., op. cit.

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Chapitre 2

La religion, élément d’identité en terre étrangère A.  La pratique de la religion en terre étrangère1 Comme je l’ai rappelé au chapitre précédent, l’immigré emporte avec lui sa culture et sa religion. Dans ce domaine, il existe une abondante littérature qui privilégie les études sur la religion musulmane en Europe. Ainsi, l’islam est devenu aujourd’hui l’élément d’identification le plus marquant en matière d’appartenance religieuse des immigrés. Et pourtant, les sources s’accordent aussi pour affirmer que, malgré le fait que l’islam soit devenu la deuxième religion dans un pays comme la France, près de 50 % des migrants dans ce pays proviennent de pays de tradition chrétienne : 38,4 % des immigrés sont originaires de 1’Union européenne principalement, contre 35,2 % des pays du Maghreb2. Malgré le poids de l’immigration des musulmans, ils ne représenteraient que 2 % des 368 millions de citoyens européens actuels, contre 53 % de catholiques, 29 % de protestants (y compris les anglicans), 2,7 % d’orthodoxes et 0,3 % de juifs3. Pour poursuivre l’analyse de l’importance de la religion en terre étrangère, j’utiliserai un repère conceptuel emprunté à l’histoire du protestantisme, les Églises du refuge4 du temps de la Réforme. En effet, le terme « Églises du refuge » peut, selon L. De Schickler, s’appliquer à toutes les communautés fondées en pays étranger par les victimes d’une persécution religieuse quelconque. Il a été attribué plus spécialement à celles qui durent leur fondation ou leur développement aux chrétiens réformés, bannis ou expatriés volontairement de France aux 15e, 17e et 18e siècles ; d’où les appellations devenues historiques et usuelles de réfugiés et de refuge. 1



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Dans cette section, bien que notre étude traite du protestantisme, nous faisons référence à l’islam et surtout aux analyses portant sur les communautés catholiques étrangères en France, et ce en vue de vérifier dans quelle mesure ces observations s’appliquent ou non à la réalité protestante. LENOBLE-BARTH, A., « Immigré en Europe », op. cit., p. 41. BAUBEROT, J., « Laïcité et sécularisation dans la crise de la modernité en Europe », dans Cahiers français, n° 273, octobre-décembre 1995, p. 25. DE SCHICKLER, L., Les Églises du Refuge en Angleterre, Paris, Librairie Fischbacher, 1892.

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Les premières Églises réformées françaises ont été fondées, non en France, mais « sur la terre du refuge » ; en premier lieu, Strasbourg, fondée et organisée en 1538 par Calvin, avant qu’il n’eût fait de Genève le foyer du protestantisme réformé. C’est de Strasbourg que Brully repartit en 1544 pour évangéliser les Pays-Bas méridionaux et jeter les bases de ces Églises wallonnes dont l’histoire et les épreuves se confondent si souvent avec celles des Églises de France. Ce parcours permet d’apprendre comment la religion et l’immigration peuvent aller de pair. Avec Lenoble-Barth5, nous pouvons observer que l’héritage religieux, bien qu’il soit parfois difficile à cerner, demeure le facteur le plus clair et le plus fédérateur des liens d’attachement des populations immigrées en général à leur culture d’origine. Peut-on voir dans ce qui précède une raison de la prolifération des Églises étrangères en Europe ? J’y reviendrai plus loin.

B.  La religion en contexte migratoire Paul Tillich6 a fourni une remarquable contribution à l’étude de la migration. Selon Anne-Marie Reijnen7, Tillich entend établir l’universalité du phénomène migratoire. Pour lui, l’esprit humain est perpétuellement en mouvement ; par conséquent, la créativité et la capacité d’entreprendre des migrants sont liées, de manière non fortuite mais essentielle et nécessaire : Ce qui nous pousse à l’immigration vers l’infini et à l’infini, ce ne sont pas seulement la faim, la volonté de puissance ou la quête de l’aventure. Plus fondamentalement, c’est l’appel du large, les promesses et les requêtes absolues.

Et c’est pourquoi, comme l’exprime le mythe archaïque, l’homme quitte le paradis et assume les épreuves de l’histoire que la divinité destine à ceux qui ont mangé de l’arbre de la connaissance, symbole de la créativité intellectuelle, du mouvement, de la migration. Et plus loin, Tillich constate ceci : ce fut pendant l’exil des Juifs au bord des fleuves de Babylone que se leva le plus grand des prophètes pour faire du Dieu tribal du peuple d’Israël le Dieu unique, créateur du ciel et de la terre. Par ailleurs, c’est à Babylone, en effet, sous l’autorité des prêtres, que 5



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LENOBLE-BARTH, A., op. cit., p. 40. REIJNEN, A.-M., « Vers de nouveaux mondes : la migration dans l’œuvre et la vie de Tillich », dans Mutations religieuses de la modernité tardive : Actes du 14e colloque international Paul Tillich, Marseille, 2001, Hamburg-London, Lit Vertlag Munter, 2002. Ibid., p. 161.

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La religion, élément d’identité en terre étrangère

naît vraiment la communauté juive8, avec sa foi monothéiste clairement affirmée et son sens de la fidélité à la volonté divine. Dispersée au milieu des païens dans un pays de haute civilisation, ébranlée par les terribles questions posées par le malheur, celle-ci a pris une conscience nouvelle du caractère irréductible de sa foi9. Les mêmes circonstances ont abouti à un certain nombre de nouveautés dans l’évolution de la vie et des usages religieux : en effet, dans ce contexte d’exil, la pratique de la religion s’était renforcée. J. Vermeylen observe à ce propos que le rite de la circoncision pratiquée le huitième jour après la naissance a acquis une importance de premier plan comme symbole de l’appartenance au peuple de Dieu par opposition aux païens. En outre, le respect du sabbat est devenu à Babylone le symbole hebdomadaire de la fidélité à Dieu, d’autant plus que les autres fêtes religieuses ne pouvaient plus être célébrées, faute de temple. Cette importance attribuée au sabbat comme signe de l’Alliance conduira à une législation très stricte par la suite. Ainsi, les exilés furent contraints à un travail d’approfondissement spirituel, de relecture des traductions et des textes fondateurs, qui s’avère très fécond et qui aboutit à la création d’un langage neuf. L’exil fut donc une période d’intense activité littéraire et théologique10. Quoique nous n’en ayons pas la preuve, souligne J. Vermeylen11, c’est probablement pendant cette période exilique à Babylone que furent érigées les premières synagogues12, celles-ci étant des lieux de prière et d’enseignement de la Loi. On assiste également chez les déportés à une mise en valeur de l’enseignement religieux, assuré en particulier par les prêtres. Du creuset de l’exil est sortie une religion israélite aux traits bien

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VERMEYLEN, J., Un peuple passionné de Dieu, Bruxelles, Centre d’études théologiques et pastorales (CETEP), 1988, p. 139. 9 En général, les premières affirmations du monothéisme théorique sont attribuées à l’auteur anonyme d’Es. 40-55 (le « Deutéro-Isaïe »), qui aurait prêché à Babylone vers 540 (voir infra). En fait, les textes qui expriment cette théologie (Es. 43,11 ; 44, 6-8 ; etc.) sont vraisemblablement postérieurs ; cependant il reste vrai que cette pensée trouve sa source dans la réflexion mûrie au creuset de l’exil. La même évolution semble attestée dans l’école deutéronomiste (cf. Dt. 4, 35). Voir VERMEYLEN, J., Un peuple passionné de Dieu, op. cit. 10 Avec la rédaction du livre d’Ezéchiel, du Deutéro-Isaïe, de la loi de sainteté, et plus largement la rédaction sacerdotale (P) du Pentateuque. Cf. FOURNIER, A., « Exil », dans Dictionnaire encyclopédique de la Bible, 3e éd., Turnhout, Brepols Publishers, 2002, p. 465. 11 VERMEYLEN, J., op. cit. 12 Quoique certains historiens assignent à cette institution une origine différente, soit au temps de Josias, soit en Palestine à l’époque perse.

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différents du Yahvisme ancien13. L’appartenance à la nation n’avait plus la même signification religieuse. L’accent était porté en priorité sur le choix personnel, l’observance des rites et de la prière, l’étude et l’enseignement de la Loi. Or après l’exil, le judaïsme se présente davantage comme une Église à laquelle on appartient que par l’observance de la Loi dans la vie privée. Ces différentes considérations nous montrent comment la religion a tendance à se renforcer dans un contexte d’éloignement et d’immigration. Nous nous demanderons si c’est aussi le cas pour la diaspora africaine en Europe.

C.  L’immigration et l’Église Blanc-Chaléard14, dans son étude consacrée aux catholiques italiens à Nogent-sur-Marne en région parisienne, note que le sentiment communautaire s’entretient également par la pratique religieuse. La foi devient même, dans les années 1930, un lieu de repli identitaire pour ces immigrés. La mission italienne de la rue de Montreuil (Paris 11e), ouverte en 1932, permet aux immigrés de renouer avec leurs origines, par exemple en chantant la messe en italien. Annie Lenoble-Barth15 pour sa part, en s’appuyant sur une autre recherche menée sur les immigrés italiens catholiques arrivés en Lorraine dans l’entre-deux-guerres, montre que le catholicisme fut un facteur d’intégration important pour cette communauté. Le catholicisme des populations immigrées d’origine européenne leur permettait à la fois de se distinguer de la société d’accueil par une pratique plus fervente et plus spécifique de la foi et de s’insérer dans les réseaux d’accueil confessionnels qui jouaient encore un rôle notable et créaient des possibilités d’ouverture sur la société française. Dans une certaine mesure, d’autres exemples tendraient à étayer ces constats, même si les modalités pratiques diffèrent ; ce fut le cas des Portugais, principale communauté étrangère en France, ainsi que celui des Mauriciens, dès la fin des années 1960. Ainsi, à la recherche de repères, les immigrés ont tendance à se tourner vers la religion comme facteur structurant de leur identité au point qu’en terre étrangère, certaines pratiques religieuses sont revivifiées. Nous nous demanderons ce qu’il en est des immigrés africains de la mouvance protestante. 13

Le Yahvisme d’avant 587 était une religion nationale qui n’insistait guère sur la rétribution individuelle et laissait place à un large syncrétisme dans la religion personnelle de chacun. Cf. VERMEYLEN, J., op. cit., p. 140. 14 BLANC-CHALÉARD, « Les Italiens à Nogent hier et aujourd’hui », dans Espace, population, sociétés, 2-3, 1996, p. 373. 15 LENOBLE-BARTH, A., op. cit.

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D.  La diaspora chrétienne africaine en Europe 1.  Les Africains en association Dans une étude sur la participation politique des immigrés, Marco Martiniello distingue les formes de participation illégales16 (le terrorisme, la corruption, etc.) et légales. Dans cette dernière catégorie, il distingue la participation en marge des structures étatiques (participation par engagement dans les partis politiques, syndicalisme, participation par la consultation, mobilisation éthique, activité associative, groupes de pression, etc.) de la participation à l’intérieur de celles-ci (participation électorale, représentation dans les assemblées élues). Le regroupement d’Africains en associations fait donc partie d’un ensemble hétérogène de formes participatives. Le caractère individuel de l’immigration africaine a pour conséquence une faible organisation collective de la diaspora. Dès leur arrivée sur le sol belge, les populations originaires de l’Afrique subsaharienne ont tendance à se regrouper sur la base du critère « national » et à reproduire dans la société d’accueil les structures identitaires et les appartenances sociales de leur pays d’origine. Il faut préciser que de tels regroupements ne sont pas toujours accueillis avec enthousiasme du côté des autorités belges, affirme Martiniello, car celles-ci se méfient de la précarité de ces structures associatives et regrettent que la plupart de leurs activités soient tournées vers le pays d’origine plutôt que vers le pays d’accueil. Nous nous demanderons si c’est le cas pour les Églises africaines. Le nombre d’associations africaines en Belgique ne cesse de croître, constate Kagne. La situation est telle que le recours à différents paramètres s’avère nécessaire si l’on veut clarifier la représentation de ces associations. L’on peut en premier lieu utiliser une typologie par critères. Ceux-ci sont multiples et peuvent varier à l’infini. Les associations peuvent se constituer sur une base géographique, ethnique/tribale, ou autour d’une pratique commune, religion ou langue, ou encore autour d’un intérêt commun, économique ou artistique, etc. Une autre typologie classe les associations africaines selon leur nature juridique (associations de fait, associations sans but lucratif) ; une autre encore prend en compte la composante « nationalité » (« belge », « africaine »). Celle-ci permet de distinguer les associations purement africaines, c’est-à-dire ne regroupant que des Africains, et les associations belgo-africaines où collaborent Belges autochtones et Africains. 16

MARTINIELLO, M., « Quelle participation ? », dans La Belgique et ses immigrés. Les politiques manquées, Bruxelles, De Boeck Université, 1997, pp. 101-120.

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De ces observations découle une question : si la plupart des Églises dites africaines ont une forme associative, en quoi se démarquent-elles des autres associations africaines ?

2.  Les Africains de la diaspora en communautés chrétiennes La floraison des communautés chrétiennes de la diaspora africaine en Europe reste très complexe. Les tentatives d’explication du phénomène gravitent, d’après mes observations, autour de deux hypothèses principales. –– En premier lieu, l’apport des sociologues et historiens des religions met en avant la question de l’immigration africaine en Europe. Leur hypothèse est que les communautés chrétiennes de la diaspora africaine en Europe existent comme une expression de leur émancipation culturelle et religieuse. M. Bulangalire17, dans une étude remarquable sur les communautés négroafricaines de la région parisienne, analyse ce phénomène dans la perspective du couple « tradition et modernité ». En effet, la situation d’immigration apparaît, d’après lui, comme le catalyseur d’un processus réactionnel visant à l’adaptation : les Africains mobilisent leurs potentialités dans le but de réussir leur intégration ; la conversion au christianisme se présente comme un moyen d’accès à la modernité, tandis que le maintien du cadre ethnique et linguistique sert de garde-fou contre les effets pervers de la modernité sur leur héritage traditionnel. –– En deuxième lieu, d’autres analystes traitent le sujet dans la perspective des réveils religieux dont le tiers-monde semble porter le flambeau18. C’est dans ce cadre que se déploie la tentative de connexion historique19 que certains chercheurs tentent d’établir entre les Églises chrétiennes africaines d’Europe et les Églises d’Afrique. En dehors de ces deux hypothèses principales, il existe d’autres tentatives d’explication que l’on rencontre couramment dans les milieux de la diaspora africaine d’Europe, surtout parmi les jeunes dirigeants de ces communautés chrétiennes. Dominique Kounkou écrit à ce sujet : « Poser la question de l’existence des Églises africaines en Europe pose 17

BULANGALIRE, M., Religions et intégration à la société française dans la période actuelle. Le cas des Négro-Africains en région parisienne et des protestantismes, thèse de doctorat, Université de Paris La Sorbonne, Paris IV, 1991. 18 On peut se référer à toute la littérature sur le réveil du pentecôtisme et son expansion dans le monde. 19 TER HAAR, G., « Strangers in the Promised Land : African Christians in Europe » dans Exchange, vol. 24, 1995. Dans cette perspective, on peut aussi citer KIBUTU NGIMBI.

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aussi la question de l’existence des Églises européennes dans les pays africains… »20. Son analyse montre que les Africains reproduisent ce qu’ils ont vu faire par les Européens dans leur pays d’origine. D’où la question impertinente qu’il se pose : la création d’Églises africaines en Europe n’est-elle pas un mal ? En fait, son approche, bien que simpliste, ouvre une autre perspective qui mérite d’être approfondie. D’un autre point de vue – c’est moi qui l’affirme –, les situations de crise et d’oppression ont souvent été l’origine de la prolifération21 des mouvements religieux : l’Afrique foisonne d’exemples de grande envergure à ce sujet. Sous le régime d’apartheid, en 1968, on pouvait dénombrer en Afrique du Sud environ 6 000 Églises prophétiques et messianiques. Le sociologue Georges Balandier a considéré ce phénomène comme l’un des plus caractéristiques de la période coloniale dans plusieurs sociétés appartenant à l’Afrique noire christianisée : « Les Églises naissent et disparaissent, écrit-il, mais le phénomène messianique se maintient avec une remarquable permanence depuis des décennies. La naissance, en 1921, du kimbanguisme en Afrique centrale constitue aussi matière à réflexion ». Caractérisée par le néocolonialisme, les conflits ethniques, la crise économique et politique, la situation postcoloniale de l’Afrique a comme conséquence l’immigration massive de populations africaines vers l’Occident à la recherche du bien-être : asile politique, travail, etc. ; on parle de réfugiés économiques plutôt que politiques. Cependant, les situations d’oppression n’expliquent pas toujours le phénomène dans son ensemble. Car tous les immigrés africains ne sont pas membres des Églises. Il nous faut dès lors recourir à d’autres hypothèses. Certains avancent des raisons dites religieuses, notamment le constat d’une froideur spirituelle au sein des Églises des pays d’accueil. « Ils trouvent les Églises d’Europe tristes, écrit Sophie Pillods, les leurs débordent de vie, de chants, de prières, d’exorcismes, de guérisons… »22. Par ailleurs, l’individualisme qui caractérise le christianisme occidental semble incompatible avec la vision du monde des Africains en général. Leur culture d’origine affirmant une existence collective a de la peine à se retrouver dans une société éclatée où chacun vit pour soi. 20

KOUNKOU, D., « Floraison des communautés chrétiennes ! Est-ce un mal ? », dans La voix protestante, octobre et novembre 1996. 21 Lire à ce sujet : LALIVE D’APINAY, Religion-dynamique sociale et dépendance, les mouvements protestants en Argentine et au Chili, Paris, Mouton, 1975. 22 PHILLODS, S., op. cit., p. 48.

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Pour d’autres encore, les prédications des Églises européennes apparaissent comme des discours savants et théologiques peu adaptés à leur situation. Confrontés à toutes sortes de problèmes administratifs, au chômage, au manque de moyens de subsistance, la plupart de ces Africains sont plus réceptifs aux Églises qui s’adaptent à leur contexte de vie sociale. Tous ces énoncés sont-ils vérifiables  ? C’est ce que je me propose d’examiner dans les études de cas menées en Belgique.

3.  Les implantations en Europe Royaume-Uni, point de départ C’est au Royaume-Uni que l’on peut localiser les premières communautés ou Églises chrétiennes d’expression africaine en Europe. D’après Roswith Gerloff 23, ce mouvement a débuté en 1952 en Angleterre avec l’immigration massive des Afro-Caribéens. Le phénomène s’est renforcé en 1962 avec l’arrivée croissante d’immigrés africains, étudiants et marins, puis avec les demandeurs d’asile et les réfugiés de l’immigration récente. Toujours selon R. Gerloff, les Églises indépendantes des Noirs représentent un développement moderne si on les compare aux Églises historiques traditionnelles. C’est le résultat de l’immigration et des initiatives missionnaires de la diaspora africaine au Royaume-Uni. Finalement, c’est en 1976 que l’on verra les premières communautés chrétiennes immigrées en Angleterre et en Irlande24. Actuellement, ce phénomène est observable dans toutes les grandes villes d’Europe, grâce à l’immigration récente des années 1980. Du Royaume-Uni à toute l’Europe25 Le pasteur Albert Watto du Département africain de missiologie et de théologie pastorale, œuvre partenaire de l’Institut biblique de Nogent estime qu’en région parisienne, il y aurait actuellement environ 250 23

GERLOFF, R., A Plea for British Black Theologies: The Black Church Movement in Britain in its Transatlantic Cultural and Theological Interaction, Berne, Peter Lang, 1962, p. 43. Voir aussi : GERLOFF, R., « La diaspora africaine chrétienne en GrandeBretagne : les variations d’un continuum identitaire », dans Chrétiens d’outre-mer en Europe, op. cit. p. 203. 24 «…The 110 or so Black organisations dispersed among the British sister churches and Denomination in the United Kingdom of Great Britain and Irland, are the data which the author contributed to the encyclopedia between 1976 and 1978 ». Voir BARRET, D., World Christian Encyclopedia. Aussi, GERLOFF, G., A Plea for British Black Theologies…, op. cit. 25 Les données comprises dans cette partie proviennent du rapport d’un groupe de travail de la Fédération protestante de France (consulter , « Les Églises issues d’immigration »).

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communautés chrétiennes noires d’outre-mer (Antillais et Africains), soit probablement plus que l’ensemble des Églises attachées à la Fédération protestante. Le phénomène n’est pas typiquement parisien, car des communautés étrangères se sont implantées dans toutes les grandes villes de France. Il n’est pas non plus spécifiquement français mais concerne tous les pays d’Europe26. En Allemagne, Claudia Währisch-Oblau27 dans un rapport réalisé pour la UEM (United evangelical mission), avance le chiffre de 35 Églises francophones, essentiellement congolaises, sur 98 Églises d’origine africaines recensées en 2000, dans la seul région de Rhein-Ruhr. Elle observe que le phénomène à doublé voire triplé dans la dernière décennie. En Italie, les vagues récentes d’immigration notamment d’origine ghanéenne, érythréenne ou latino-américaine se sont aussi intégrées dans les Églises protestantes historiques qui sont actuellement composées à 60 % de chrétiens d’origine étrangère. En Grande-Bretagne, un recensement qui date de 2001 en vue d’un annuaire des Black-majority Churches a dénombré 50 regroupements d’Églises et 1 300 congrégations. Certaines estimations avancent le nombre de 300 regroupements et 3 000 congrégations. À Londres, plusieurs de ces Églises comptent plus de 1 000 membres, dont la Kingsway international qui en regroupe plus de 8 000. Un groupe de travail français s’est interrogé sur l’appellation correcte de ces Églises. Les Anglais utilisaient l’expression migrant churches, mais celle-ci ne fut pas unanimement appréciée, car le terme migrant semblait donner une perception de communauté provisoire ; les Malgaches qui sont en France depuis plusieurs décennies, ou bien les Arméniens, peuventils être encore qualifiés de regroupements de migrants  ? Les autres appellations proposées sont « Églises allochtones », « Églises d’outremer », « Églises de diasporas », « communautés chrétiennes étrangères », « Églises ethniques ». Celle qui s’est progressivement dégagée de ce groupe de travail fut « Églises issues de l’immigration ». Expression intéressante, mais qui ne met pas suffisamment en valeur l’initiative qui vient de la base.

4.  Les problèmes de la classification L’étude menée par M. Bulangalire28 a révélé trois catégories d’Églises chrétiennes d’expression africaine en région parisienne : 26

Voir annexe n° 6. WÄHRISCH-OBLAU, C., “From reverse mission to common mission… we hope”, dans International review of mission, vol. LXXXIX, n° 354, July 2000. 28 BULANGALIRE, M., op. cit. 27

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–– les Églises provenant de la structure missionnaire ou « Églises missionnaires » ; –– les Églises issues d’une relative coupure que l’on peut qualifier « d’Églises intermédiaires » ; –– des Églises issues de regroupements, indépendantes des missions et restructurées sur le terrain occidental, dites « Églises africaines ».

Les Églises missionnaires Elles gardent la liturgie des Églises protestantes de même dénomination. Toutefois, elles se placent dans la continuité des Églises installées au pays d’origine. Leurs pasteurs ont généralement une formation classique (Institut biblique et Faculté de théologie). Par ailleurs, elles conservent certains éléments d’africanité comme l’utilisation de la langue nationale et les chants du pays d’origine. On y relève en outre une accentuation de la prière pour les besoins particuliers tels que la guérison, la délivrance, les problèmes affectifs, l’obtention des papiers d’identité, le travail, etc. En France, on peut citer dans cette catégorie les Églises malgaches et l’Église presbytérienne camerounaise. Les Églises intermédiaires Ce sont des Églises qui remettent en cause la liturgie classique de leur dénomination. Elles se caractérisent par l’innovation sur le plan de l’organisation. Se plaçant dans un contexte postcolonial, elles démocratisent leur système qui implique désormais la participation de tous les membres, chacun dans une activité donnée. Ces Églises mettent l’accent sur l’évangélisation et la mission. Elles ont aussi des structures internes de formation. Dans cette catégorie, on peut citer « l’Association des fidèles aux prières chrétiennes  » et «  l’Association évangélique Mission du Christ Sauveur ». Les membres de ces Églises ne sont pas forcément des Africains, on y trouve aussi beaucoup d’Antillais. Les Églises africaines29 Avec une liturgie originale, elles mettent l’accent sur l’offrande/ sacrifice et la prédication. On y observe une grande participation des fidèles aux différentes réunions. La prière avec imposition des mains est pratiquée dans la liturgie du culte. La musique occupe une place importante, mais les dirigeants manquent d’une formation adéquate. Ce sont des Églises populaires, où l’on pratique régulièrement le jeûne et les veillées de prière. Par ailleurs, elles intègrent l’hospitalité africaine 29

Cette appellation prête à confusion. Car le terme Église africaine peut à la fois couvrir toutes les Églises d’Afrique ou tout le phénomène étudié ici. C’est pourquoi je ne l’approuve pas.

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dans leur fonctionnement. L’Assemblée évangélique « le Rocher », la « Parole vivante » et la majorité des Églises congolaises (RDC) de la région parisienne se classent dans cette catégorie. Pour mieux comprendre ce groupe d’Églises, Bulangalire30 le subdivise en deux catégories : les « Églises africaines missionnaires » et les « Églises africaines d’immigration ».

Les Églises africaines missionnaires Ce sont celles dont le pasteur est arrivé avec une « vision missionnaire », généralement l’évangélisation des Africains ou des Français. Néanmoins, il convient de distinguer ici trois types31 de vision missionnaire : –– celle qui concerne essentiellement32 les compatriotes en exil ; –– celle qui s’attache à l’évangélisation d’une France en voie de déchristianisation. Ainsi, le « statut » d’Église africaine n’est qu’une étape provisoire, l’idéal étant la conquête de la France par l’évangile ; –– celle d’un temps nouveau où l’Église des pauvres, malgré sa misère matérielle, se sent détentrice d’une mission d’évangélisation, de partage de sa richesse spirituelle. Les Églises africaines d’immigration Elles sont issues des réunions de prière pour des besoins spéciaux. Caractérisées par une structure adaptée aux besoins des immigrés africains, elles mettent un accent particulier sur l’édification personnelle, la cure d’âme et la recherche d’un équilibre personnel. Qualifiées parfois d’« Églises sans domicile fixe », elles sont souvent en déplacement vers un lieu de rassemblement : une salle « profane » investie par des croyants devient un temple. « Les moments de culte apparaissent alors comme des havres de paix dans un désert, dit Bulangalire, pour ces anciens esclaves de la faim, nouveaux esclaves des patrons, perdus dans la ville de Paris qui leur apparaît comme la grande Babylone ou une des anciennes capitales d’Égypte, à la recherche d’une terre où coulent le 30

BULANGALIRE, M., op. cit., p. 169. Ibid. 32 C’est le cas de Matthieu Kayeye. Ce dernier est reconnu comme le pionnier de ce mouvement. Il est le premier pasteur africain qui a créé une Église à Paris dans cette perspective. Actuellement il s’est fait élèver dans son Église en portant le titre d’apôtre. Dès lors, il a cédé son poste de pasteur à Shungu pour s’occuper de son apostolat. Il réside actuellement au Canada où il vient de commencer une œuvre pionnière, toujours auprès des Africains. (Informations reçues lors de notre entretien avec lui le 18 août 1996 à Paris.) 31

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lait et le miel. La terre promise n’est atteinte que dans ce grand rêve que représente le moment du culte »33.

Les groupes À côté des Églises chrétiennes d’expression africaine, il existe plu­ sieurs groupes de chrétiens africains évoluant soit à l’intérieur d’Églises françaises, soit d’une façon autonome. En général, ces groupes sont constitués de ressortissants d’un même pays qui cherchent à promouvoir leur identité culturelle et religieuse. Le groupe permet une intégration plus rationnelle au sein de l’Église d’accueil. En effet, la plupart des groupes évoluant dans une Église française n’ont pas de personnalité juridique propre. Il s’agit surtout de chorales, de groupes de partage ou de prière. Ils font partie intégrante de la communauté locale, tout en conservant leur africanité. Dans l’ensemble, les groupes recherchent le maintien de la spécificité nationale, dans un souci identitaire, visant surtout l’éducation des enfants. Le problème des Africains de la deuxième génération34 reste posé dans beaucoup de milieux chrétiens africains. Néanmoins, il convient de signaler que les groupes ont servi de tremplin à la création de plusieurs Églises afro-chrétiennes en Europe, comme le remarque aussi Gerrie ter Haar35, dans son étude menée aux Pays-Bas. Remarque Après avoir présenté brièvement la classification établie par Bulangalire, je tiens à ajouter que je n’adhère pas totalement à sa façon de voir. Les critères qui ont déterminé son analyse me paraissent théologiquement discutables. Par exemple, au regard de la célèbre étude de Sundkler36 sur 33

BULANGALIRE, M., op. cit., p. 172. On peut lire à ce sujet MIMES, J., La génération suivante : les enfants de l’immigration sont-ils si différents ? De toute façon, ils vont s’intégrer, Paris, Flammarion, 1986. 35 TER HAAR, G., Halway to Paradise, op. cit., p. 97. 36 En effet, après avoir analysé les Églises indépendantes chez les peuples Zulu, SUNDKLER distingue principalement trois types de groupes religieux : le type éthiopien, qui se caractérise par l’orthodoxie de sa prédication et de son enseignement, mais il se débarrasse des missionnaires blancs afin de vivre dans les cadres de l’Église, selon la devise : « L’Afrique aux Africains ». le type sioniste, qui met l’accent sur les charismes : la glossolalie, le prophétisme et la guérison des malades. Souvent un lieu saint représente « Sion » ou « la nouvelle Jérusalem ». le type messianique, qui s’organise autour d’un personnage charismatique, prophèteguérisseur qui se présente comme messie, sauveur ou libérateur. Il détient les clés du royaume des cieux et le salut n’est possible que pour ceux qui sont membres de son 34

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les Églises indépendantes en Afrique du Sud, cette analyse ne m’apparaît pas comme la meilleure façon de classer les communautés africaines de la région parisienne, ni même d’Europe. Gerrie ter Haar37, quant à elle, classifie les Églises africaines des PaysBas en quatre catégories : –– les Églises indépendantes fondées aux Pays-Bas ; ce sont des congrégations qui n’entretiennent aucun contact avec le pays d’origine ; –– Les Églises qui gardent un lien avec leur Église du pays d’origine et qui sont influencés par leur Église mère en Afrique, –– les Églises qui font partie des organisations mondiales (par exemple, le Conseil œcuménique des Églises) ; –– les Églises déjà existantes aux Pays-Bas et dans lesquelles se sont intégrés un grand nombre d’Africains. Dans la suite, Gerrie ter Haar propose la terminologie d’« Église africaine internationale  ». C’est symptomatique de la difficulté que représente la diversité de ces classifications. Cette classification ne paraît pas non plus satisfaisante. Car on peut trouver les mêmes éléments dans une même Église, comme l’Église Internationale de Bruxelles (qui sera étudiée dans le chapitre suivant). En effet, en partant de l’hypothèse que les communautés chrétiennes étudiées sont bel et bien des extensions et des participants de l’Église universelle, je partage l’avis de Dominique Kounkou38, qui dans son analyse sur les Églises africaines de la région parisienne affirme que celles-ci sont avant tout l’Église. Ce sont des Églises chrétiennes à majorité africaine, qu’on ne saurait donc comparer aux religions africaines dont la richesse culturelle n’enlève rien au fait qu’elles ne sont pas chrétiennes. Par ailleurs, ne dit-on pas de certaines communautés chrétiennes pour les qualifier qu’elles sont d’expression française ? Ou d’expression germanique ? Etc. Kounkou observe que, fréquentées par des Africains, ces Églises chrétiennes épousent l’expression culturelle africaine dans le chant, la liturgie, la vie, le partage. Ainsi l’expression « Église africaine », qui pourrait induire en erreur, peut être remplacée par « Églises chrétiennes d’expression africaine ». L’objet n’en serait que mieux exprimé, de même que son champ d’enracinement culturel et identitaire. C’est donc cette terminologie que j’adopte à mon tour pour qualifier les communautés étudiées dans le présent travail. mouvement. Cf. SUNDKLER, B., Bantu Prophets in South Africa, Oxford, Oxford University Press, 1961. 37 TER HAAR, G., Halfway to Paradise, African Christians in Europe, op. cit. 38 KOUNKOU, D., « Les Églises chrétiennes d’expression africaine en France », op. cit., p. 227.

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En effet, comprendre que ces « Églises » sont l’Église leur donne une dimension toute particulière qui aide à prendre au sérieux leur mission, comme on le verra par la suite.

E.  La diaspora chrétienne africaine en Belgique 1.  Le concept de diaspora L’un des événements majeurs de l’histoire de l’Afrique et de celle du reste du monde a été la migration forcée des Africains vers les Amériques et le Moyen-Orient par la traite des esclaves pendant plus de trois siècles. W.E.B. Dubois estime à 15 millions le nombre d’individus qui ont ainsi été transplantés sur le continent américain39. D’autres chercheurs avancent le chiffre de 100 millions. En 1979, Joseph E. Inikori40 estimait qu’il fallait attendre encore dix ans ou davantage avant de pouvoir obtenir un chiffre global pour l’ensemble du trafic transsaharien et transatlantique. Cela montre combien il est difficile d’avancer un chiffre exact. On doit se contenter d’estimations. Quoi qu’il en soit, ce nombre incalculable de migrants s’est soldé par l’installation de communautés africaines dans les Amériques et au Moyen-Orient. Ces populations d’ascendance africaine constituent aujourd’hui un pan essentiel de la diaspora africaine. Mais que signifie réellement ce terme ? Le terme d’origine grecque s’appliquait à l’origine à la diaspora de la communauté juive à travers le monde ; les juifs quittaient Israël, soit pour fonder d’autres communautés dans le monde méditerranéen, soit pour échapper aux persécutions. Aujourd’hui, le terme diaspora s’applique aux communautés dont les membres résident en dehors de la mère patrie. La diaspora africaine comprend d’une part les populations d’ascendance africaine vivant dans les Amériques (États-Unis, Canada, Amérique latine) et au Moyen-Orient et d’autre part les Africains de l’émigration récente en Europe. Aux États-Unis, en 1990, on dénombrait 31,1 millions de Noirs américains. Selon les prévisions démographiques, ils seront 35 millions en 2010. Quant aux Africains installés en Europe, leur nombre ne cesse d’augmenter d’année en année. En France, en 1982, toutes nationalités confondues, il était estimé à 1 573 820 personnes (dont 157 380 d’Afrique noire)41. Les raisons de l’installation des Africains en Europe sont diverses (historiques, économiques, culturelles, professionnelles, etc.).

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DU BOIS, W.E., « The Suppression of the African Slaves Trade to the United States of America, 1638-1970 », dans Courier Dover Publications, 1999. 40 INIKORI, J., « The Volume of the British Slaves Trade, 1655-1807 », dans Cahier d’études africaines, n° 128, 1992. 41 LENOBLE-BARTH, A., op. cit.

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Nombre de grands musiciens africains ont choisi de vivre en Europe et de nombreux footballeurs africains font une carrière prestigieuse dans les championnats européens. Cet échantillon de la diaspora africaine en Europe a-t-il un impact dans le continent d’accueil ? C’est une question difficile. Toutefois, elle doit être abordée, ne fût-ce que par discipline. Pour ma part, je l’aborderai sur le plan de la religion chrétienne dans la suite de mon étude.

2.  La présence chrétienne africaine en Belgique Combien d’Églises africaines existe-t-il en Belgique ? Il est malaisé de répondre à cette question avec exactitude. Même si le foisonnement des Églises, communautés et groupes d’expression africaine n’est plus à démontrer dans l’ensemble du pays, le manque de données statistiques fiables sur le nombre exact de ces nouveaux groupements religieux présente une difficulté. D’après mes investigations menées en 200042, il s’élevait à plus ou moins 100 communautés chrétiennes de la diaspora africaine en Belgique. Il faut dire que six ans plus tard la situation a beaucoup évolué et que cette estimation ne reflète plus la réalité. Je reviendrai là-dessus plus loin. Toutefois il faut noter que la croissance de ce phénomène a été facilitée principalement par l’immigration massive d’Africains dans les années 1980-1990. Une immigration liée en grande partie aux différents conflits sociaux ou politiques et à la crise économique qui sévissent dans nombre de pays d’Afrique. Il convient de signaler que le cas belge est particulièrement intéressant. En effet, on observe en Belgique un mouvement pionnier stable, et, par ailleurs, les Églises africaines y sont les plus structurées et parmi les plus stables de l’Europe francophone. D’après plusieurs analyses et études, on peut schématiser la présence chrétienne de la diaspora africaine de Belgique en quatre catégories principales : –– Les Églises à majorité africaine, grandes, moyennes et petites ; –– Les Églises mixtes ; –– Les Églises africaines indépendantes, dont certaines à caractère particulier ; –– Les groupes, communautés et pasteurs africains œuvrant au sein d’une Église belge.

Les Églises à majorité africaine Les grandes Églises Par grande Église, j’entends des regroupements d’au moins 250 personnes. La plupart sont affiliées à une organisation chrétienne 42

DIBUDI WAY-WAY, M., op. cit.

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européenne. Ces Églises sont stables et intégrées en Belgique. Leur liturgie est calquée sur le modèle de l’Église ou de la dénomination à laquelle elles sont affiliées. On y trouve de 5 à 10  % d’Européens de souche. Ce sont des Églises bien intégrées et connues en Belgique. Dans cette catégorie, nous pouvons citer : –– La Nouvelle Jérusalem de Bruxelles43 ; –– Église Internationale de Bruxelles44 ; –– L’Église du Plein Évangile45. Les Églises moyennes Par Église moyenne ou intermédiaire, j’entends des regroupements de 50 à plus ou moins 200 personnes. Quelques-unes sont dissidentes de grandes Églises africaines : ce sont des communautés chrétiennes à la recherche de leur identité. Dans cette catégorie, nous pouvons citer : –– The Belgium Pastors Revival Time (Bepart)46 : cette pastorale regroupe de 15 à 20 Églises africaines (communautés francophones et anglophones) : 10 congolaises, 5 ghanéennes et 3 nigérianes. Les petites Églises Par petite Église, je désigne des regroupements qui vont d’une dizaine à plus ou moins 50 personnes. Ce sont des communautés qui se cherchent encore, et qui manquent de stabilité. Elles naissent puis disparaissent rapidement.

Les Églises mixtes Dans l’évolution des Églises protestantes en Belgique, certaines paroisses ont connu une croissance numérique remarquable grâce à la présence de chrétiens d’origine africaine. Comme conséquence, ces communautés sont devenues automatiquement mixtes. Cette réalité n’est pas propre à la Belgique ; Gerrie ter Haar l’observe également dans le cadre des Pays-Bas. Il s’agit d’Églises déjà existantes auxquelles se sont adjoints un grand nombre d’Africains, ou d’Églises d’initiative africaine qui au fur et à mesure se sont métissées. À titre d’exemple, nous citerons : –– l’Église protestante d’Ixelles ou l’Église du Champ de Mars ; –– le Christian Center à Waterloo. 43

45 46 44

Rue Picard n° 174 à 1080 Bruxelles. Rue de Jérusalem n° 40-42 à 1030 Bruxelles. Rue Scailquin n° 36 à 1210 Bruxelles. A n° 39, rue Murillo, 1000 Bruxelles. Voir annexe n° 2.

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La religion, élément d’identité en terre étrangère

Les Églises indépendantes africaines et les Églises à caractère particulier Les Églises indépendantes Par Églises indépendantes, nous désignons toutes celles qui ne sont pas affiliées à une organisation d’Église chrétienne reconnue en Belgique. En général, ce sont des communautés autonomes. Leur liturgie est très orientée vers la culture africaine, et leur évangélisation est focalisée principalement sur les Africains. Ces communautés cherchent à véhiculer l’identité africaine. Citons, entre autres : l’Église de Jésus-Christ sur la terre par le prophète Simon Kimbangu (en Belgique). Les Églises à caractère particulier En plus de l’élément cité précédemment, ces groupes se démarquent, surtout du point de vue doctrinal47, des Églises protestantes en général (réformée et évangélique). Citons le Ministère du Combat spirituel.

Les pasteurs, les communautés, les groupes et les chrétiens africains dans les Églises belges (européennes ou occidentales) Les pasteurs Il s’agit des pasteurs évoluant dans les Églises protestantes belges, notamment l’Église Protestante Unie de Belgique et ses partenaires48, et les Églises protestantes évangéliques. Ce sont des Églises (paroisses) constituées en majorité d’Européens de souche (autochtones), c’est-à-dire d’Églises européennes. L’Église fonctionne toujours à l’occidentale. L’apport africain est humain, par la présence d’un ministre de culte originaire d’Afrique. Les communautés, les groupes et les chrétiens africains en milieu belge À côté des pasteurs, il existe des communautés, des groupes et des chrétiens africains qui évoluent à l’intérieur d’Églises européennes. En général, ces groupes sont constitués de ressortissants d’un même pays, qui cherchent à promouvoir leur identité culturelle et religieuse49. Le groupe permet une intégration plus rationnelle au sein de l’Église d’accueil. Il s’agit surtout des chorales, des groupes de partage ou de prière, etc. Ces 47

Dans cette catégorie, nous plaçons celles qui sont communément appelées sectes : nous y avons repéré quelques groupes antitrinitaires. 48 Armée du salut, Église adventiste de 7e jour et l’Union des baptistes de Belgique. 49 BULANGALIRE, op. cit.

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groupes font partie intégrante de la communauté locale, tout en conservant leur particularité africaine. Leur apport africain au sein de l’Église européenne consiste dans l’animation du culte, ou dans les échanges culturels. Exemple : la communauté malgache à l’Église protestante du Botanique (EPUB).

F. Remarques50 On peut établir pour l’ensemble du phénomène les constats suivants : –– dans la région bruxelloise, les Églises naissent et disparaissent facilement ; –– on observe une tendance au mixage dans l’évolution de certaines petites communautés ; –– les grandes Églises africaines comptent dans l’ensemble de leurs effectifs, une moyenne de 5 à 10 % d’Européens de souche. Une analyse des causes de cette présence européenne en milieu africain suscite un intérêt particulier pour cette étude ; –– un grand nombre d’Églises africaines sont affiliées à la Fédération évangélique francophone de Belgique.

G.  Conclusion partielle La religion est l’une des valeurs fondamentales qui attache la personne à sa culture d’origine. Selon certaines études51, dans un nouveau contexte, elle a tendance à se radicaliser ou bien à s’affermir. L’histoire des grandes religions auxquelles j’ai fait allusion au début de ce chapitre semble conforter cette hypothèse. L’abondante littérature sur l’islam en Europe et sur les autres confessions pourrait la confirmer. C’est l’une des explications que donnent les sociologues au déploiement des activités religieuses de la diaspora chrétienne africaine en Europe aujourd’hui. On peut toutefois observer qu’un des apports majeurs des récentes migrations à la société occidentale a été l’engagement des milieux urbains vers une société multiculturelle. En effet, malgré la sécularisation et la laïcité, la part que prennent la culture et la religion dans l’intégration des immigrés dans la société est assez évidente. En ce qui concerne plus particulièrement les immigrés africains subsahariens, ils se sont organisés malgré leur minorité autour d’associations 50

DIBUDI WAY-WAY, M., « The African Christian Diaspora in Belgium », op. cit. LENOBLE-BARTH, A., REIJNEN, A.-M., et al., op. cit.

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La religion, élément d’identité en terre étrangère

culturelles et religieuses. Dans ce contexte de pluralité culturelle et religieuse, on est en droit de s’interroger sur la place et la contribution des chrétiens d’origine africaine dans la société d’accueil. La deuxième partie de cette thèse y sera consacrée.

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Deuxième partie  La présence chrétienne africaine en Belgique. Étude de cas en protestantisme

Introduction La société occidentale en général et la société belge en particulier ont connu de profondes mutations socioculturelles durant le 20e siècle. Entre autres, les grandes villes sont devenues multiculturelles et ont dû gérer les défis liés à la pluralité des cultures et des pratiques religieuses. Dans ce nouveau paysage, l’Église, constituée d’hommes et de femmes provenant d’horizons divers, n’est pas à l’abri des ces transformations culturelles. C’est dans ce contexte que je m’interroge sur la place de la chrétienté d’origine africaine au sein de la société, particulièrement au sein du protestantisme en Belgique. Quelle place la chrétienté d’expression africaine occupe-t-elle au sein des Églises protestantes belges ? Comment la présence africaine s’exprime et se manifeste-t-elle à travers les différentes entités protestantes de Belgique ? Après avoir exploré, dans la première partie de cette thèse, les différents flux migratoires en Europe et en avoir décrit les implications religieuses, je me propose dans la présente partie d’en décrire plus précisément l’expression africaine au sein du protestantisme belge. Pour ce faire, je me focaliserai sur deux types de cas : le cas des Églises d’expression africaine et celui des pasteurs africains engagés au sein de l’EPUB et de l’Union des Baptistes en Belgique. Auparavant, il me paraît opportun de présenter à grands traits le protestantisme belge dans son rapport avec l’Afrique.

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Chapitre 3

Le protestantisme belge et l’Afrique Le concept de « protestantisme » désigne aujourd’hui toutes les dénominations qui trouvent dans la Réforme leur origine spirituelle, sinon historique. La référence à la Réforme nous fait remonter à l’épisode de la protestation élevée lors de la Diète de Spire en 1529 par des princes et des représentants de villes acquises à la Réforme refusant de condamner cette dernière et de la combattre dans les États et villes concernés. Hubert Bost1 qualifie le protestantisme dans sa forme actuelle comme l’une des trois expressions fondamentales de la chrétienté contemporaine, à côté du catholicisme romain et de l’orthodoxie orientale. Il n’est pas constitué d’une seule Église, mais d’un ensemble d’Églises qui ne sont pas nécessairement toutes en communion les unes avec les autres. Ainsi, grande est la diversité des tendances théologiques et culturelles qui s’expriment en son sein. Définir le protestantisme amène souvent, comme le souligne Yves Bizeul, à faire jouer certains modes d’identification socioculturelle qui tendent à en exclure d’autres qui ont une grande importance2. C’est ce qui m’entraîne à considérer l’apport assez original de Paul Tillich qui, dans son génie propre, parle du « principe protestant » comme mode d’identification fondamental. Il s’agit d’un principe de négation : du non dialectiquement dépendant du oui, ou de l’être présent dans le non-être. C’est en tant qu’il incarne ce principe de négation que le protestantisme acquiert son identité propre. Hubert Bost3 résume le principe protestant en six convictions fondamentales : –– En premier lieu, c’est l’affirmation de l’Évangile de Jésus-Christ qui est et doit demeurer l’orientation première de la vie et du témoignage du croyant et de l’Église. Jésus-Christ est au centre des Écritures et c’est lui qui leur donne un sens. Il donne sens à toute vie individuelle et ecclésiale. Il est la raison et la source du salut, l’unique médiateur de la grâce de Dieu. 1

BAUBERAUT, J. et BOST, H., «  Protestantisme », dans Encyclopédie du protestantisme, Paris, Le Cerf, 1995, p. 1212. 2 BIZEUL, Y., L’identité protestante, Paris, Le Cerf, 1991, p. 15. 3 BOST, H., op. cit., pp. 1216-1218.

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–– Deuxièmement, les Écritures sont les seules sources qui permettent de découvrir les vérités de la foi. Elles sont la norme (norma normans) de toute prédication, de toute confession de foi (norma normata) et de toute vie ecclésiale. –– Troisièmement, le refus de toute autre médiation comme conséquence de l’articulation de Jésus-Christ seule source du salut. Cela conduit, concrètement, au refus de l’intercession de Marie, mère de Jésus, et de celle des saints et de tout rite susceptible d’être interprété comme la répétition de la mort du Christ. –– Quatrièmement, l’articulation sur la justification du croyant devant Dieu a conduit au renouveau de l’ecclésiologie. L’Église est ainsi définie comme l’assemblée de tous les croyants4 auprès desquels l’évangile est prêché simplement, et les saints sacrements administrés conformément à l’évangile. L’être de l’Église est garanti par l’Esprit Saint au moyen des signes visibles que sont la Parole et les sacrements, et non par une continuité institutionnelle, par des ordonnances ecclésiastiques ou par l’autorité d’un magistère. Cet ordre renverse la prétention de toute hiérarchie à incarner l’Église. La communion des saints à laquelle les protestants sont conscients d’appartenir n’est en rien niée. Elle est au contraire renforcée par l’affirmation du sacerdoce universel. Par le baptême, tout croyant participe au ministère de l’Église et à la mission d’annoncer l’évangile de Jésus-Christ. Le protestantisme considère au contraire que la rencontre personnelle avec le Christ est première et détermine la communauté des croyants. –– Cinquièmement, même si les œuvres ne sauraient entraîner le salut, le protestantisme ne les néglige pas pour autant. Elles sont la conséquence nécessaire de la foi et un signe de reconnaissance pour le salut reçu. Luther et Calvin rendent sa dignité à toute activité humaine en s’opposant à ceux qui considèrent les vocations religieuses comme supérieures au témoignage séculier. Le culte et la prière s’étendent, par delà leur célébration communautaire, à toute activité profane qui peut devenir témoignage de la foi. Le protestantisme prône généralement une éthique rigoureuse et appelle à l’engagement dans la famille et dans la société au profit de tous. Même si les divers courants du protestantisme ne placent pas les accents de la même manière, ils insistent tous sur l’indispensable concrétisation éthique de la foi. Cette démarche n’est pas sans conséquences sociales, politiques, voire économiques, dont les pays dits « protestants » portent aujourd’hui encore la trace. 4



TILLICH, P., Subsistant catholique et principe protestant, traduction de GOUNELLE, A., Paris, Le Cerf, 1995, p. 91.

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–– Enfin sixièmement, la préférence accordée à l’événement sur l’institution conduit à valoriser la conscience et la liberté de l’individu. Cette conviction a conduit aux 16e et 17e siècles à la critique de l’institution ecclésiale dont la Réforme juge qu’elle faisait écran entre le croyant et la vérité divine révélée dans la Bible. Sous l’influence du rationalisme des Lumières, l’apologie de la voie d’examen se radicalise et débouche, essentiellement dans le courant réformé d’Europe occidentale, sur l’apologie du libre arbitre. Dans la première moitié du 19e siècle, l’individualisme protestant s’affirmait et pouvait en effet militer à la fois pour la liberté de conscience de chaque chrétien et pour l’indépendance de l’Église à l’égard de l’État. En bref, le principe protestant se fonde sur les grandes affirmations de la Réforme, à savoir : soli Deo gloria, à Dieu seul la gloire, solus Christus, seul le Christ, sola scriptura, l’Écriture seule, sola gratia, la grâce seule, et sola fide, la foi seule. Pour de multiples raisons, la frontière du protestantisme est malaisée à établir. La principale cause tient à son caractère multiforme, à son absence de limites repérables ; une autre raison est le caractère transconfessionnel du renouveau religieux. Dans la définition du protestantisme que nous proposent L. Gagnebin et André Gounelle5, un accent particulier est mis sur le triple refus du protestantisme par rapport au catholicisme romain. Mais ils soulignent en revanche les trois grands principes de la Réforme : sola scriptura, sola gratia, et testimonium Spiritus Sancti, le témoignage intérieur du SaintEsprit, ou le Saint-Esprit et la liberté de conscience. Au fil du temps, les termes «  protestant  » et «  protestantisme  » ne désignent plus seulement les Églises directement issues de la Réforme : luthériens, zwingliens, calvinistes, etc., mais ils couvrent un large horizon des communautés pré-réformatrices : vaudois, hussites, et des formations pré-réformatrices ecclésiales ultérieures : baptistes, congrégationalistes, méthodistes, pentecôtiste, etc. Ces constatations me permettent de situer les Églises d’expression africaine en Belgique et en Europe dans cette mouvance et non du côté de l’Église catholique. Car il est question de deux régimes ecclésiologiques fondamentalement différents, comme le note aussi Marc Spindler6. En régime catholique, tous les catholiques du lieu sont de droit et en principe les objets de l’action pastorale et missionnaire. Tous les catholiques sont 5

GAGNEBIN, et GOUNELLE, A., Le protestantisme, la cause, 1987. SPINDLER, M., « L’implantation d’Églises d’outre-mer en Europe : aspects missiologiques », dans Chrétiens d’outre-mer en Europe, op. cit., pp. 24-25.

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ainsi invités à s’assimiler ou à s’intégrer en dernier ressort dans les cadres existants du programme de l’Église locale (le diocèse). Ainsi, les chrétiens de cultures et de langues différentes sont de manière provisoire l’objet de la pastorale des migrants, en attendant d’être assimilés. C’est ce qui explique, par exemple, qu’il n’y ait pas d’Église catholique d’expression africaine en Belgique, ni même d’Église catholique d’outre-mer en général en Europe. Par contre, il existe des aumôneries, des amicales, des services ou des messes qui sont dans une expression culturelle donnée (par exemple la messe en rite congolais, vietnamien, etc.). En régime protestant et orthodoxe, constate Marc Spindler, le problème se pose autrement. Les différences ethniques, nationales et culturelles peuvent facilement bénéficier de la définition pratique voire théologique d’une Église et d’un réseau d’Églises7. En outre, une communauté constituée pour l’essentiel de personnes d’outre-mer ne soulève pas de problèmes de juridiction, mais plutôt des questions pastorales et sociologiques. Spindler donne l’exemple de la Fédération protestante de France, qui accueille ces nouveaux réseaux ecclésiaux en son sein, sous certaines conditions il va de soi. C’est aussi le cas en Belgique où, actuellement, on trouve plusieurs Églises d’outre-mer au sein du CACPE.

A.  Caractéristiques du protestantisme en Belgique8 Le culte protestant en Belgique date du temps de la Réforme9. Il a une histoire très riche et jalonnée de martyrs, victimes de l’intolérance religieuse. Un autre axe important de cette histoire est lié aux guerres de religion qui se sont soldées par des migrations massives10, avec comme 7

Ibid., p. 25. Pour une étude approfondie du protestantisme belge, la banque de données de BOUDIN, H.R., Bibliographie du protestantisme belge 1781-1996, Bruxelles, Éditions Prodoc, 1999, constitue à notre avis la première référence en la matière. La Faculté universitaire de théologie protestante de Bruxelles a quant à elle publié récemment (novembre 2005) un document important sur les 175 livres recensés sur le protestantisme en Belgique. 9 La Belgique a très tôt adhéré à la Réforme. Le premier foyer apparut à Anvers, où les thèses de Martin Luther furent diffusées par des moines du couvent des Augustins, des marchands de la Ligue hanséatique et des imprimeurs. Dès 1519, Désiré Erasme signala à Luther que ses livres étaient lus dans la ville, tandis que ses formulations évangéliques étaient propagées par le prieur Jacques Praepositus. La répression sévit durement et des moines furent incarcérés à Vilvorde. Le 1er juillet 1523, deux d’entre ceux qui avaient refusé de se rétracter, Henri Voes et Jean van Esschen, furent ecclésiastiquement dégradés et brûlés vifs. Cf « Les protestants en Belgique », dans Courrier hebdomadaire n° 1430-1431, CRISP, 1994. 10 Dès l’origine de la Réforme, des protestants préférèrent l’exil à la mort. Le premier à s’enfuir à l’étranger en 1522 pour éviter le bûcher fut le prieur des Augustins d’Anvers, Jacques Praepositus. Durant tout l’Ancien Régime, il y eut des expatriés pour cause 8

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résultat, parmi d’autres, la création d’Églises de l’exil dans les nouveaux lieux de résidence. De manière générale, la perception du protestantisme en Belgique est influencée, comme l’a souligné Michel Dandoy11, par son caractère minoritaire et pluriel. Dans les pages qui suivent, mon regard sur le protestantisme belge se focalisera sur son histoire récente, en mettant en évidence la présence de la chrétienté africaine qui s’exprime en son sein.

B.  Tour d’horizon12 Le protestantisme est l’un des six cultes reconnus par la constitution belge. Cette reconnaissance entraîne le subventionnement à travers la prise en charge des traitements des pasteurs, des subsides communaux, de religion, mais les départs massifs se situèrent surtout au 16e siècle. On estime que l’émigration toucha près de 250 000 personnes. Tous ceux qui voulaient se soustraire aux poursuites ne quittèrent pas le pays ; certains se réfugièrent dans les Pays-Bas du Nord, libérés par les gueux. Tandis que les Flamands se fondaient dans la population de langue néerlandaise, les francophones y créèrent trente-cinq Églises wallonnes, qui constituèrent un synode particulier au sein des Églises réformées des Provinces-Unies ; seize de ces Églises subsistent encore aujourd’hui. En Angleterre, grâce à la protection du roi Édouard VI, une première Église d’étrangers s’établit à Londres vers 1547. Sous Elizabeth, huit Églises wallonnes et treize Églises flamandes furent érigées. Elles formèrent deux colloques, puis un synode en 1604. En Allemagne, vingt communautés wallonnes et treize flamandes furent créées, notamment à Emden, Wesel et Francfort, puis au Palatinat. Le synode national d’Emden, en 1571, les regroupa en une province ecclésiastique, divisée en quatre classes ou districts. Au 17e siècle, l’émigration s’étendit à des pays plus lointains (Hongrie, Pologne) et même hors d’Europe. Le Liégeois Louis de Geer se rendit en Suède où il rénova les fonderies. Il fit appel à de la main-d’œuvre experte et des centaines de Liégeois s’y installèrent et y érigèrent des communautés réformées. D’autres Wallons traversèrent l’Atlantique et bâtirent un fort à Manhattan où fut ensuite construite la cité de New York. Le territoire environnant devint la province néerlandaise de Nouvelle Belgique. D’autres encore se rendirent à Batavia (Indonésie), au Brésil, en Guyane, au Congo (ex-Zaïre) et en Afrique du Sud. À la fin de ce siècle, des centaines de Borains se réfugièrent en Prusse et au Brandebourg, où ils fondèrent des Églises. « Les protestants en Belgique », op. cit., et pour l’émigration au Congo : BRAEKMAN, E.M., Histoire du protestantisme au Congo, Bruxelles, Librairie des Éclaireurs unionistes, 1961, pp. 29-41. 11 DANDOY, M., op. cit. 12 Le survol historique proposé ici est une synthèse de plusieurs documents reçus du bureau du CACPE à Bruxelles ; SIMONET, J.-L., « Bref historique et situation actuelle du culte protestant en Belgique », novembre 2004, ronéotypé ; VANESCOTE, D., « Conférence de presse », devant la presse belge à l’Église du Musée à Bruxelles, le 14 janvier 2003, ronéotypé ; communiqué de presse, Belpro, n° 505 ; Service de presse du Synode évangélique, communiqué de presse, Bruxelles, le 11 juin 2005.

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etc., ainsi que la possibilité de dispenser des cours de religion protestante dans les écoles officielles, de désigner des aumôniers dans les forces armées, les établissements pénitentiaires et les hôpitaux, d’avoir accès aux chaînes de radio et de télévision publiques. La reconnaissance du culte protestant en Belgique remonte à la loi du 18 Germinal An X de la République française, plus précisément, le 8 avril 1802, à l’époque où la Belgique était française. Cette reconnaissance restera acquise sous le régime hollandais jusqu’à la période de l’indépendance en 1830. L’État reconnaissait alors un synode représentatif. Une fois la Belgique indépendante, les Églises protestantes belges se sont regroupées en 1839 au sein de l’Union des Églises protestantes évangéliques de Belgique. Son synode a été reconnu par arrêté du ministre de l’Intérieur le 18 mai 183913. Il convient toutefois de signaler que le régime belge de reconnaissance des cultes est caractérisé par l’indépendance réciproque de l’État et des Églises, l’État s’interdisant toute ingérence dans les affaires internes des cultes ; il accepte seulement d’en financer certains, en limitant son contrôle au respect de l’ordre public. Pour mieux connaître l’histoire du protestantisme belge, j’en présente ci-dessous un bref aperçu. 1840-1914 : le protestantisme progresse numériquement, non seulement dans l’Église reconnue, mais aussi dans de nouvelles dénominations d’origine belge ou étrangère : Assemblée des Frères, Assemblée chrétienne évangélique, Armée du Salut, Union des Baptistes en Belgique, Gereformeerde Kerken, Église adventiste du 7e Jour, etc. Par conséquent, le Synode officiel devient minoritaire, mais il reste de fait le seul organe reconnu. Les autres dénominations ne tiennent d’ailleurs généralement pas à être officiellement reconnues : elles sont fières d’être financièrement indépendantes de l’État car la liberté constitutionnelle des cultes offre un cadre suffisant à leur action. Elles sont considérées comme protestantes par les autorités publiques dans la mesure où l’EPUB les déclare comme telles14. 1914-1960 : de nouvelles dénominations apparaissent pendant ou après la Première Guerre mondiale : Mission évangélique belge, Église méthodiste, Assemblée de Dieu. Les prérogatives des cultes reconnus s’élargissent : outre la reconnaissance de paroisses locales par le ministère de la Justice, on assiste à la création d’émissions publiques de radiotélévision, de cours de religion protestante dans les écoles 13

« Il a plu au Roi de décider (…) que le synode de l’Union des Églises Protestantes Évangéliques de Belgique (…) sera désormais considérée par son gouvernement comme la seule autorité des Églises protestantes de Belgique, et que les décisions dudit synode seront regardées comme l’expression de la volonté de ces Églises ». VANESCOTE, D., op. cit. 14 SIMONET, J.-L., op. cit.

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(principalement officielles) et à la participation à diverses aumôneries : armée, prisons, hôpitaux, migrants. 1960-1980 : c’est une période de forte croissance des dénominations et des Églises indépendantes de tendance évangélique, plus spécialement en Flandre. De nouvelles dénominations, surtout « évangéliques », apparaissent : Église mennonite, Assemblée de Dieu italienne, Églises protestantes évangéliques, Église apostolique, Assemblées de Frères flamands, Elim, Pentecôtistes flamands, Baptistes d’origine américaine, Mission évangélique tzigane, Luthériens, etc. En 1969, l’adhésion de la conférence méthodiste et les négociations entre l’Église réformée de Belgique (ERB) et le district belge de Gereformeerde Kerken des Pays-Bas aboutissent à la création le 1er janvier 1979 de l’Église protestante unie de Belgique (EPUB). 1980-2003 : la croissance des dénominations évangéliques est soutenue, puis relancée, principalement à Bruxelles, par l’apparition d’Églises de migrants (Communauté européenne, puis Églises d’expression africaine, et Églises latino-américaines, hispaniques comme lusophones). Celles-ci sont regroupées principalement dans de nouvelles dénominations : Église de Dieu, réseau Antioche ; mais beaucoup de dénominations ne rassemblent qu’une ou quelques Églises d’origine étrangère. D’autres restent indépendantes. À la même période apparaît une forme de menace liée surtout à l’interprétation de la presse qui assimile la plupart des Églises «  évangéliques  » à des sectes, ce qui ne se justifie que dans quelques cas marginaux. En outre, les échos au sujet de la préparation de lois antisectes en 1997 et la parution d’une « liste des sectes » reprenant arbitrairement plusieurs dénominations « évangéliques », parfois sur une base extrêmement douteuse, incite à engager une réflexion sur les moyens de s’assurer une protection juridique. Par ailleurs, les Évangéliques revendiquent de prendre part à la gestion de divers services où l’EPUB exerce un monopole de fait, malgré sa réalité de plus en plus minoritaire sur le terrain. Pour ce faire, ils s’associent et s’adressent d’abord à l’EPUB, puis au ministère de la Justice : 1985 : création de l’Alliance évangélique des Flandres, regroupant principalement à ce moment les évangéliques non pentecôtistes. 1989 : premières discussions entre l’EPUB et des représentants d’autres dénominations. 1989 : création de la Fédération évangélique francophone de Belgique (FEFB). 1991-1995 : les négociations sont difficiles entre l’EPUB et de nombreuses autres dénominations pour créer une Fédération qui représenterait le culte protestant en Belgique. Elles aboutissent d’abord à un échec. 83

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1997 : l’EPUB offre à d’autres dénominations la possibilité d’un partenariat pour les services énumérés plus haut. Celles qui acceptent sont l’Union des Baptistes, les Luthériens, l’Armée du Salut, la Fédération adventiste et la Mission évangélique tzigane. L’ensemble EPUBpartenaires représente 210 Églises. 1998 : Le Synode fédéral des Églises protestantes et évangéliques de Belgique (SF) est créé. Les Pentecôtistes flamands s’y associent. Ce Synode représente alors 350 Églises. La même année, le ministère de la Justice invite l’EPUB et le SF à négocier pour créer un organe représentatif commun pour tout le culte protestant. Les deux Synodes acceptent. Quatre années de négociations difficiles (1998-2002) aboutissent à un vote des deux Synodes décidant d’instituer un tel organe. Ces négociations sont suivies de près par le ministère de la Justice, qui est fréquemment consulté sur la faisabilité des solutions proposées. 1er janvier 2003 : le nouvel organe commence effectivement à fonctionner. Il prend le nom de Conseil administratif du culte protestant et évangélique (CACPE) ; il est composé paritairement par les deux branches EPUB et SF, avec un conseil central de 8 membres qui supervise 11 commissions paritaires gérant chacune un des services confiés au culte par les autorités : émissions de radio et de télévision, enseignement religieux protestant dans les écoles officielles, aumônerie pénitentiaire, aumônerie hospitalière, aumônerie militaire, aumônerie des migrants, commission de médiation et commission juridique. Le CACPE regroupe actuellement quelque 560 communautés protestantes et évangéliques. C’est le 26 mai 2003 que fut reconnu officiellement le CACPE par un décret du ministre de la Justice, chargé aussi des cultes. L’article 1er des statuts précise : « Le CACPE est une structure administrative de coopération entre l’Église Protestante Unie de Belgique (EPUB) et le Synode fédéral des Églises protestantes évangéliques de Belgique (SF) ». Ses missions sont précisées à l’article 2 : « Le CACPE a pour mission d’intervenir auprès de l’autorité civile en tant que représentant administratif du culte protestant-évangélique au nom de l’EPUB et du SF et d’organiser toutes les matières confiées par l’autorité civile au culte protestant ».

C.  Les perspectives de collaboration Il est encore trop tôt, observe Michel Dandoy,15pour faire un bilan de la collaboration au sein des Églises belges. Mais il convient de souligner que c’est la première fois que l’ensemble du protestantisme belge est ainsi reconnu comme interlocuteur officiel des autorités fédérales ; il ne reste 15

DANDOY, M., op. cit., p. 102.

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que quelques groupuscules qui demeurent en dehors du CACPE, avec le risque d’être classés, à tort ou à raison, comme « sectes ». Le ministre de la Justice encourage les protestants à mettre en place, malgré leur diversité, un seul « organe chef de culte » dans le but de pouvoir présenter un « modèle » lorsqu’il s’agira de négocier ensuite avec les musulmans. Peut-on parler ici d’ingérence des pouvoirs publics dans l’exercice d’un culte, comme certaines voix protestantes l’ont laissé entendre, s’interroge Dandoy ? C’est une question qui reste ouverte. Toutefois il existe des modèles de regroupement des protestants que les Églises belges peuvent prendre comme référence pour en étudier le fonctionnement. La Fédération protestante de France constitue à mon avis la référence la plus proche. Ce tour d’horizon nous a servi à cerner le cadre du protestantisme belge dans lequel se déploie la présence chrétienne africaine. Avant d’aborder cette dernière, il me paraît utile de le terminer par quelques données statistiques. Quelques statistiques des protestants en Belgique Le recensement de 1846 révèle que le pays comptait 7 388 protestants et anglicans (sur une population de 4 337 160 habitants, dont 4 326 873 catholiques, 1 336 juifs et 1 583 d’appartenance indéterminée), soit environ 0,1 % de l’ensemble de la population belge de l’époque. En 1994, on estimait à 500 millions le nombre de protestants dans le monde, dont 100 millions en Europe et 100 000 en Belgique, soit environ 1 % de la population belge16. Par ailleurs, l’enquête17 de la Fondation Roi Baudouin en collaboration avec la Katholieke Universiteit Leuven (KUL) donne les estimations pour l’année 2000, toutes tendances protestantes confondues (protestants et évangéliques) : 170 000 personnes, c’est-à-dire 1,7 % de la population belge18. Ces chiffres indiquent une nette croissance. Cette augmentation tient compte également de la présence des Églises d’origine étrangère19, 16

DANDOY, M. (sous coord.), « Les protestants en Belgique », dans Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 1430-1431, 1994, p. 1. 17 BAWIN-LEGROS, B., VOYE, L., DOBBELAERE, K. et ELCHARDUS, M., Belge toujours. Fidélité, stabilité, tolérance. Les valeurs des Belges en l’an 2000, Bruxelles, Fondation Roi Baudouin-De Boeck Université, 2001. 18 VOYE, L. et DOBBELAERE, K., « De la religion : ambivalences et distances », dans Belge toujours. Fidélité, stabilité, tolérance, op. cit., p. 145. 19 Jacques LEMAIRE, pasteur de l’Église évangélique à Courcelles, au cours d’une conférence donnée à la Faculté universitaire de théologie protestante de Bruxelles, le 08. mai 2004, dans le cadre d’une journée organisée par l’aumônerie protestante auprès des étudiants étrangers, sur le thème : « Églises protestantes africaines : structure et organisation. Quel avenir ? ».

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ou Églises d’immigration20. On notera aussi qu’un protestant sur deux est bruxellois21. En juillet 2006, le CACPE enregistrait officiellement 561 Églises protestantes et évangéliques. Quant à leur nombre total, les estimations faites par son bureau vont jusqu’à 800 Églises comme paroisses protestantes pour l’ensemble de la Belgique22. Les 170 000 personnes de la population protestante se répartissent en 60 000 protestants, soit 35 %, et 110 000 évangéliques, soit 65 %. Par ailleurs, sur les 800 Églises de la mouvance protestante, près de 200 fonctionnent hors du CACPE, parmi lesquelles quelques pentecôtistes italiens, migrants de langue italienne, darbystes en Flandre et quelques Églises d’origine africaine, sri-lankaise, philippine, etc. Le tableau ci-dessous tiré de l’enquête Fondation Roi Baudouin-KUL détaille en pourcentage l’appartenance religieuse des Belges en 1999 dans les trois régions (%). Définition d’appartenance

Région flamande

Région wallonne

Région bruxelloise

Belgique

Église catholique

59,5

56,6

46,0

57,3

Église protestante

0,1

0,7

3,2

0,6

Chrétiens évangéliques

0,5

0,9

5,7

1,1

Église orthodoxe



0,7

0,6

0,3

Judaïsme



0,2

0,4

0,1

Islam

1,1

1,2

8,1

1,8

Autres

1,8

2,0

3,2

2,1

Non religieux

36,9

37,8

32,8

36,8

Total (N) Nombre

99,9 815

100,1 588

100 493

101,1 1896

Une chose intéressante à remarquer est que les enquêteurs ont permis de déceler, à leur insu, une des raisons de l’augmentation des protestants depuis le recensement de 1846. En effet, ils ont souligné avant tout le fait que 25 % des personnes interviewées avaient quitté l’Église ou leur communauté religieuse à laquelle ils appartenaient auparavant. Concernant les catholiques, les observations suivantes ont été mentionnées : 90 % se disent non religieux, tandis que 1 % d’entre eux se sont tournés vers l’Église Protestante Unie, 3 % vers les chrétiens évangéliques et 5 % vers 20

SIMONET, J.-L., op. cit., p. 2. Ibid., p. 2. 22 Selon John Van Der Dussen, coprésident du CACPE. 21

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un mouvement non reconnu en Belgique. En général, l’appartenance religieuse en Belgique, souligne ce rapport, est très faible. Et ce qui est remarquable, c’est la déclaration de non-appartenance religieuse. C’est sur la base de ces données, en regroupant les protestants et les évangéliques, que l’on arrive au total de 1,7 % de la population belge appartenant aujourd’hui à la mouvance protestante. Ce que cette enquête ne révèle cependant pas, c’est le pourquoi de cette croissance rapide. Selon moi, elle est liée à l’évangélisation dans la société, surtout du côté des évangéliques. Ce même phénomène peut-il se vérifier dans les Églises d’expression africaine ? Nous y reviendrons.

D.  Tableau récapitulatif des Églises membres de la FEFB En prenant l’exemple de la Fédération évangélique francophone de Belgique, le tableau ci-dessous met en évidence, au sein du protestantisme belge, des Églises de type pentecôtiste qui connaissent à l’heure actuelle la plus forte croissance numérique dans le monde. À ce jour, la Fédération évangélique francophone regroupe 159 communautés qui se répartissent comme suit : Type pentecôtiste charismatique

Type pentecôtiste non charismatique

A-net-Églises « Antioche » (36 communautés, dont 22 Églises d’origine africaine)

AEPEB – Association des Églises protestantes évangéliques (anciennement « Églises libres ») (22 communautés)

AD – Assemblées de Dieu (26 communautés)

APEB – Assemblées protestantes évangéliques (anc. « Assemblées de frères ») (17 communautés)

EAB – Églises apostoliques (6 communautés)

MEB – Mission évangélique belge (9 communautés)

EDB – Églises de Dieu (31 communautés)

EM – Églises mennonites (2 communautés)

Sur un total de 159 Églises, 53 sont d’origine africaine, ce qui représente le tiers des Églises de cette entité protestante. Quant au nombre de pasteurs, le CACPE l’estime à environ 600, dont 250 d’origine étrangère, qui représentent 41,6 % de l’effectif, parmi lesquels plus ou moins 170 sont d’origine africaine, soit 28,3 % de l’effectif pastoral protestant en Belgique. Parmi les pays africains dont ces pasteurs sont originaires, l’on trouve le Congo (RDC), le Ghana, l’Ethiopie, la Côte d’Ivoire, le Rwanda, l’Angola, le Burkina Faso, Madagascar, pour ne citer que ceux-là. 87

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En guise de résumé de cette présentation du protestantisme en Belgique, on peut retenir que les dénominations protestantes de Belgique sont regroupées autour de deux pôles principaux : l’Église Protestante Unie de Belgique et ses partenaires et le Synode fédéral des Églises protestantes et évangéliques de Belgique. Il semble évident que la croissance des protestants en Belgique est liée d’une manière générale à la présence des chrétiens d’origine étrangère, et en grande partie même à celle des chrétiens d’origine africaine. Comme l’a aussi affirmé Jacques Lemaire23 dans une conférence : « Depuis plus ou moins trente ans, notre pays a vu se développer une nouvelle forme d’Église protestante : les Églises africaines ! Personne ne peut plus ignorer cet apport important, qui est en train de modifier le paysage évangélique en Europe occidentale. Rien qu’en Belgique, les protestants sont passés de moins de 100 000 personnes à environ 170 000 grâce à cette greffe inespérée de forces vives… ». On ne peut certes attribuer cette croissance protestante à la seule présence africaine. Mais il reste incontestable que le protestantisme belge a grandi grâce à l’apport des communautés étrangères, dont plus de la moitié sont africaines. Ce n’est pas un phénomène exclusivement belge, car le Journal réformé du 13-14 avril 2006 (n° 3171), dans un article titré « Les Nouveaux Protestants » faisait écho à une réalité similaire en France. Avant d’aller plus loin dans la caractérisation de ces « forces vives » que constituent les chrétiens d’origine africaine en Belgique, il me paraît opportun de situer les relations entre le protestantisme belge et l’Afrique en général.

E.  Premier contact Les relations entre le protestantisme belge et l’Afrique remontent au 19e siècle, le grand siècle de la mission chrétienne de l’Occident vers le reste du monde. Selon moi, l’année de référence concernant le protestantisme belge en Afrique est 1909. C’est en effet dans le courant de cette année, précisément le 26 août, que fut envoyé en Afrique le premier missionnaire belge, Henri Lambotte. Cet événement entraîna l’année suivante, le 11 juillet 1910, la création de la Société belge des missions protestantes au Congo., L’on peut dire que cet envoi missionnaire ouvrit une nouvelle ère pour le protestantisme belge24. En effet, Henri Lambotte avait été envoyé au Congo par la Baptist Missionary Society d’Angleterre. Ce pionnier catalysa25 l’enthousiasme des protestants de Belgique pour la mission. Ses correspondances régulières, qui seront distribuées dans les paroisses 23

LEMAIRE, J., op. cit. RWANYINDO, L., Missionnaire de la Société belge de missions protestante au Congo et au Rwanda, thèse de doctorat en théologie protestante, FUTPB, 2003, p. 65. 25 Ibid., p. 65. 24

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Le protestantisme belge et l’Afrique

en Belgique, auront pour effet de stimuler un intérêt pour le travail des protestants en Afrique.

F.  La chrétienté africaine en Belgique La cartographie du protestantisme belge qui précède nous permet désormais de mieux situer la présence de la chrétienté africaine dans le paysage ainsi décrit. Cet exercice restera ici liminaire et introductif, car le chapitre suivant y est entièrement consacré. La présence africaine au sein du protestantisme belge se déploie selon deux registres principaux, à savoir le regroupement en Église d’une part et l’engagement pastoral individuel de l’autre. En général, les regroupements en Église sont plus courants dans la mouvance évangélique en Belgique. En effet, le paradigme protestant du sacerdoce universel offre une réelle marge de manœuvre et une grande liberté d’initiative et d’organisation interne au sein de ces Églises.

G.  Conclusion partielle Après avoir défini le protestantisme et en avoir montré l’extension, il semble pertinent de considérer les Églises d’expression africaine comme faisant désormais partie intégrante de cette famille d’Églises. Ce rapide survol introductif me permet à présent d’entrer dans le vif du sujet, à savoir les études de cas qui constituent l’un des piliers de mon apport à une meilleure compréhension de la présence et du rôle de la chrétienté africaine en Belgique.

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Chapitre 4

La chrétienté d’origine africaine au sein du protestantisme belge Études de cas L’une des grandes préoccupations de cette étude consiste à décrire de l’intérieur le fonctionnement des communautés ecclésiales africaines observées, et à en analyser les tenants et les aboutissants théologiques et missiologiques. Une telle étude ne saurait donc inventer ses matériaux et ne saurait faire l’économie d’une enquête participative, attentive et minutieuse, dont je rendrai compte dans ce chapitre sur la base des principales catégories définies précédemment. Le bénéfice escompté de ces études de cas est de pouvoir répondre à la question de leur apport spécifique dans la mission chrétienne de l’Église en Belgique. Les enquêtes approfondies que j’ai menées sur ces cas m’ont permis de mieux connaître chacune des communautés religieuses visitées, à travers son histoire, ses personnages principaux, sa confession de foi, si elle existe, sa liturgie et, en fin de compte, son impact sur la société d’accueil.

A.  Les grandes Églises d’expression africaine 1.  « L’Église de Dieu » : La Nouvelle Jérusalem de Bruxelles et ses extensions1 Depuis le début du 20e siècle, le pentecôtisme a connu un essor tel qu’il a gagné rapidement tous les continents sans exception2. Du fait de son 1

Voir annexe n° 3. Le pentecôtisme a pris naissance en 1906 avec l’évangéliste noir William James Seymour (1870-1922), dans la confluence de la spiritualité afro-américaine et d’éléments de la spiritualité catholique (par l’entremise du mouvement de sanctification américain). L’oralité de la liturgie et de la théologie, la substitution de témoignages, de descriptions et de chants aux concepts abstraits sont des éléments afro-américains ; l’accent mis sur le libre arbitre et sur un ordo salutis (ordre de salut) qui s’effectue par échelons (conversion, sanctification, baptême de l’Esprit) vient de la spiritualité catholique. Outre la thématique de l’Esprit comme suite illimitée d’effusions de la puissance de Dieu, ainsi que l’expérience de renouvellement par le baptême d’Esprit, la théologie pentecôtiste évoque tout particulièrement Jésus qui sauve, qui guérit et qui revient. En raison de ses structures orales de communication (qu’il identifie à l’action du Saint-Esprit), le pentecôtisme s’est rapidement répandu dans le tiers-monde. Parmi

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rôle minoritaire dans plusieurs pays européens3, il reste cependant pour beaucoup un phénomène marginal et quelquefois méconnu, perçu tantôt comme une secte, tantôt comme une nouvelle branche du christianisme. Et pourtant, à en croire Jean Séguy4, le pentecôtisme connaît une croissance d’une extraordinaire ampleur à travers le monde entier. L’Église « La Nouvelle Jérusalem de Bruxelles » se réclame de cette appartenance5.

Aperçu historique Si l’on considère le nombre de participants aux services dominicaux, la Nouvelle Jérusalem de Bruxelles constitue, à l’heure actuelle, la plus grande communauté chrétienne de toute la mouvance protestante et évangélique de Belgique6. Comment expliquer cette impressionnante croissance numérique dans une Europe sécularisée ? C’est en février 1985 qu’un jeune missionnaire américain d’origine mexicaine7, John Tijérina, de « l’Église de Dieu » des États-Unis d’Amérique, a créé cette œuvre. Constituée à l’origine d’une majorité de chrétiens européens blancs, la paroisse qui se situait dans la commune de Woluwe-Saint-Lambert à Bruxelles8 n’a quasiment pas eu d’impact sur le sol belge. Durant huit ans, le ministère de ce pasteur n’a pas connu un grand succès sur le plan numérique. C’est au retour d’un voyage d’évangélisation au Congo/Zaïre, où le jeune missionnaire s’était rendu successivement à Kinshasa et à Mbujimayi, dans la province du Kasaï oriental, qu’un tournant eut lieu dans son ministère. Profondément marqué par ce qu’il venait de vivre là-bas dans les Églises pentecôtistes, il décida d’organiser des rencontres d’évangélisation pour les Africains résidant à Bruxelles. De bouche à oreille9, l’information se répandit rapidement à travers toute la Belgique. Le mouvement connaît un tel succès que les Africains viennent de partout, dans le seul but d’écouter l’évangile les Églises pentecôtistes les plus répandues, on peut citer les Églises de Dieu et les Assemblées de Dieu. Cf. HOLLENWEGER, W.J., « Pentecôtisme », dans Encyclopédie du protestantisme, Paris-Genève, Le Cerf-Labor et Fides, 1995, p. 1145. 3 PFEISTER, R., Soixante ans de pentecôtisme en Alsace (1930-1990), Frankfurt, Peter Lang, 1995, p. 13. 4 SEGUY, J., « Pentecôtisme », dans Encyclopædia Universalis, Paris, 1992. 5 Interview du pasteur Martin MUTYEBELE, évêque de l’Église de Dieu en Europe et pasteur de l’Église de la Nouvelle Jérusalem de Bruxelles, le 30 novembre 2000 à Bruxelles. 6 Communauté chrétienne équivaut ici à paroisse ou Église locale. 7 CAMILLE, « Bishop Mutyebele (Nouvelle Jérusalem) “Nous n’avons jamais été en dehors de l’Église de Dieu” », dans Mission Africaine, magazine chrétien d’information, n° 8, avril-mai 2001, p. 6. 8 Avenue Prince héritier, n° 76. 9 Cf. Historique de la Nouvelle Jérusalem : .

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annoncé avec passion et ferveur par le jeune missionnaire. Le lieu de culte devient vite trop exigu pour abriter la foule. Pour faire face au nombre croissant de participants aux réunions, l’Église est obligée de déménager dans une salle pouvant contenir plus de 300 personnes10. Cette présence africaine massive aura surtout pour conséquence le départ de la plupart des Européens11 de souche. Événement qui interroge sur la problématique de la cohabitation raciale et culturelle dans l’expression de la foi chrétienne, et aussi sur l’unité dans l’Église. Contrairement à la première assemblée de 25 personnes à majorité européenne et blanche, la nouvelle Église sera totalement africaine. La plupart des membres sont de nouveaux convertis sans culture biblique. Le jeune pasteur américain, étranger à la culture africaine et quelque peu dépassé par la rapidité de cette croissance, sent le besoin de se faire aider. Son choix se porte sur un de ses fidèles, Martin Mutyebele12. Comme toute communauté humaine en pleine croissance, la jeune Église n’échappe pas aux problèmes ; elle connaît une première crise13 10

La salle est vite trouvée au sein de l’Église catholique, rue Pervyse n° 17, dans la commune d’Etterbeek à 1040 Bruxelles, uniquement pour les cultes du dimanche matin et après-midi. TSHIMANGA, J.-M., Église du Plein Évangile, Mémoire de licence présenté à la FLTPB, p. 30. 11 MASAU KAFUKA, G., rapportant un témoignage d’enquête écrit ces lignes : « Selon Yves, avant 1982, il y avait une majorité de Belges parce que le pasteur était américain et son épouse belge… Un jour le pasteur a eu une vision qu’il fallait absolument toucher la population zaïroise de Belgique, car elle est perdue dans la nature et que Dieu a un plan pour les Zaïrois. De bouche à oreille, les Zaïrois ont commencé à venir à l’Église. Au fur et à mesure que le nombre des Zaïrois augmentait, celui des Belges diminuait ». MASAU KAFUKA, G., Étude de la pratique religieuse des Zaïrois établis en Belgique, de la religion traditionnelle aux nouveaux mouvements religieux, Travail de fin d’études présenté en vue de l’obtention du grade de licenciée en sociologie à l’Université catholique de Louvain, janvier 1992. 12 « La grosse partie de l’assemblée était de souche catholique; quelques-uns seulement provenaient des milieux protestants. Nous avions donc tout à apprendre de la parole et de la prière. L’Église en était encore à ses premiers balbutiements et en grande attente, quand celui que nous appelions alors frère Martin fera son entrée dans la vie de l’Église et qu’il se distinguera de tout le reste de la communauté par son engagement envers Jésus-Christ et par sa façon de prier qui était tout à fait nouvelle pour la majorité d’entre nous. Ingénieur civil métallurgiste de formation, il travaillait au bureau de la représentation de la Générale des carrières et des mines à Bruxelles, comme cadre de direction. Sans qu’il l’ait sollicité, il sut acquérir la confiance, la considération et l’affection de tous si bien qu’à la première crise que connut l’Église, il s’imposa à l’esprit de tous que ce frère était le seul à même de prendre en main la vie spirituelle de la jeune communauté. » Source d’information : . 13 Jean-Marie TSHIMANGA, dans son travail sur l’Église du Plein Évangile, qui est une dissidence de cette Église, nous donne quelques éclaircissements sur les raisons

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profonde qui aura pour conséquence le départ de plusieurs personnes, et s’en trouve fragilisée. Sur 120 membres, il n’en reste qu’environ 50. Dépassé par la situation, John Tijérina décide de partir en vacances aux États-Unis où il sollicite des conseils au siège de « l’Église de Dieu » à Cleveland. Il laisse l’Église en crise sous la responsabilité de son pasteur assistant, Martin Mutyebele. Ce dernier, grâce à son expérience d’agent d’entreprise, relance les choses et réorganise l’Église dans une perspective différente. « L’Église atteint un autre niveau, écrit un témoin de l’époque, une vie intense de prières, jeûnes, séminaires et campagnes d’évangélisation »14. De retour deux mois plus tard, en septembre 1986, le pasteur Tijérina retrouve une Église profondément changée. Par la suite, l’Église connaîtra une succession de déménagements15 et s’établira, durablement, dans une ancienne salle de cinéma au 296, chaussée de Haecht à Schaerbeek, local aménagé sans aucun subside et uniquement avec le soutien des fidèles. C’est le cas pour la plupart des Églises africaines en Europe, comme le constate également Gerrie ter Haar16. Après enquête, le siège de « l’Église de Dieu » à Cleveland, qui ne veut pas perdre son Église de Bruxelles, décide de rappeler définitivement son missionnaire J. Tijérina aux États-Unis et le remplace à la tête de l’Église, fin octobre 1986, par le pasteur Martin Mutyebele. Celui-ci la restructure et lui donne le nom de « Nouvelle Jérusalem »17. Concernant ce nom,



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de cette crise que nous qualifierons de financière et culturelle  : «  Pendant l’été de 1987, Jean Tijerina est parti avec sa famille aux États-Unis d’Amérique pendant les grandes vacances. C’est pendant ce temps que l’équipe dirigeante qui était restée avec la communauté a pu déceler un problème de gestion concernant les biens de la communauté ainsi que les finances : pendant une réunion du conseil, deux diacres soulevèrent le problème de gestion de biens et de finances, une lettre fut écrite au siège de l’Église de Dieu aux États-Unis. Un représentant fut envoyé pour mener une enquête… À ceci, s’ajoutent des conseils que le pasteur Jean Tijerina donnait aux Africains, qui ne cadraient pas avec leur culture ». TSHIMANGA MKADI, J.-M., La présence des communautés chrétiennes africaines en Europe, dans le contexte belge, cas de l’Assemblée du Plein Évangile, Mémoire présenté à la Faculté universitaire de théologie protestante de Bruxelles, en vue d’obtenir le grade de licencié en théologie protestante. année académique 2000-2001, p. 31. ALI NGINDO, O., . TSHIMANGA, J.-M., op. cit. TER HAAR, G., Halfway to paradise, op. cit. Idem. D’où vient l’appellation « La Nouvelle Jérusalem » ? Quand, à l’époque, le frère Martin Mutyebele est arrivé à la tête de la communauté, celle-ci portait le nom d’« Assemblée africaine de Bruxelles », nom donné par son prédécesseur et qui cadrait avec sa vision de n’oeuvrer que dans les milieux africains, de sorte que dans les réunions de culte et autres, la plupart des cantiques chantés l’étaient en langue zaïroise. La vision du

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Mutyebele m’affirmera, dans une interview18, n’avoir pas eu de révélation spéciale. Mais dans le livre de l’Apocalypse, me confiera-t-il, l’Église est le lieu où Dieu habite, et non un lieu qui abrite les Africains, lieu de toutes les nations, où toutes les larmes sont essuyées. C’est « l’Église de Dieu » en Belgique et non une des Églises des Africains comme le laissait entendre l’appellation donnée par son prédécesseur. Il sera obligé, pour répondre à l’appel du service à temps plein, de démissionner de la Gécamines pour se consacrer exclusivement au ministère de l’évangile. À Schaerbeek, l’Église de « la Nouvelle Jérusalem » n’a cessé de croître d’une manière impressionnante. C’est là que cette communauté s’est stabilisée pour se diffuser ensuite dans toute la Belgique. Avec environ 3 000 fidèles, elle est actuellement le membre le plus importante de la Fédération évangélique francophone. « La Nouvelle Jérusalem » de Bruxelles a déménagé à Molenbeek, rue Picard 174-178 à 1080 Bruxelles, où elle a acheté un immense domaine, ancien parking de Belgacom, et y a aménagé une impressionnante salle de culte et plusieurs salles de réunions. « La Nouvelle Jérusalem » possède plusieurs extensions en Belgique et à l’extérieur du royaume. Dix ans après, elle est devenue l’Église mère de 33 Églises implantées en Belgique (à Anvers, Liège, Mons, Marche, Namur, Charleroi, Harpignies ainsi qu’à Gilly et Bruxelles en langue italienne), deux en Allemagne et deux aux États-Unis (Atlanta, Boston, et une troisième qui vient de commencer à Baltimore). Ce sont des extensions fondées par des anciens membres qui dépendent toujours de l’Église de Dieu en Belgique. À propos du pasteur de cette Église, qui est-il ? D’où vient-il ? C’est à ces deux questions que nous tenterons de répondre brièvement dans les lignes qui suivent.

Esquisse biographique du dirigeant Mutyebele Lukanda Martin est né en 1950, à Kalungu, territoire de Kabongo, province du Katanga, en République démocratique du Congo. Il est marié et père de six enfants. Après des études primaires et secondaires à Lubumbashi, il obtient une bourse d’études de l’African American Institute pour suivre des études d’ingénieur à l’Université de nouveau pasteur était radicalement différente pour une oeuvre qui devait se développer à Bruxelles, la cité multiculturelle. II fallait donc changer d’appellation et trouver un nom qui rassemble, selon l’esprit même de l’évangile qui doit être prêché à tous sans distinction. C’est ainsi que l’inspiration lui est venue du texte de la Bible évoquant la destination finale des rachetés : la Cité de Dieu qui est décrite comme étant «…la ville sainte, La Nouvelle Jérusalem… » (Apocalypse 21,2). ALI NGINDO, O., op. cit. 18 MUTYEBELE, M., op. cit.

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Dakar au Sénégal et à la Faculté polytechnique de Lubumbashi au Congo où il termine avec le grade d’ingénieur civil métallurgiste.

Itinéraire religieux Converti à Christ en 1970, grâce à l’œuvre des groupes bibliques universitaires au Sénégal, il sera, pendant 4 ans, président du groupe biblique universitaire et membre de l’Église baptiste, puis diacre des Assemblées de Dieu du Sénégal. De 1976 à 1981, au Congo cette fois, il est président de l’aumônerie universitaire à Lubumbashi, puis pasteur de l’Église pentecôtiste « Viens et Vois » dans la même ville. Parallèlement, il est délégué de la Ligue pour la lecture de la Bible et du Groupe biblique des hôpitaux. Il démissionne comme pasteur six mois19 plus tard et déménage à Kinshasa où il entre à la Société générale des minerais. Pendant son séjour kinois, il exerce la charge d’ancien à l’aumônerie universitaire protestante, paroisse de l’Institut de commerce à Kinshasa/Gombe. En 1985, il est envoyé à Bruxelles pour travailler au bureau de représentation de la Société zaïroise de commerce de minerais (Sozacom), et devient membre de l’Église « L’Assemblée Africaine de Bruxelles ». Le 22 juin 1986, John Tijérina le consacre comme pasteur-assistant, puis comme pasteur-licencié20 de « l’Église de Dieu » en Belgique, « La Nouvelle Jérusalem ». Le 29 juin 1996, il est consacré évêque (Bishop) de « l’Église de Dieu » en Europe, nommé en remplacement du pasteur André Weber, un Français en poste depuis 1972. Cette esquisse biographique que est révélatrice d’un itinéraire composite de séculier et de religieux. Cela se confirmera par la suite, à travers l’expérience de direction d’entreprise qu’il mettra à profit dans l’organisation et le fonctionnement de l’Église de Dieu en Belgique. Structure et organisation En général, écrit Jean Séguy, les Églises pentecôtistes ont une organisation ecclésiale de type baptiste et congrégationaliste. La particularité de la Nouvelle Jérusalem, c’est qu’elle est dirigée par un évêque. Cette consécration d’évêque s’est faite dans le cadre de l’Église de Dieu au niveau international, ce qui n’est pas le cas dans beaucoup d’Églises indépendantes africaines, où le pasteur s’autoproclame évêque, archevêque, cardinal, prophète, docteur, etc., même si le gouvernement de l’Église au départ ne se rattache pas à une dénomination reconnaissant 19

ALEXER, D., « L’Invité », dans l’Évangile, journal de la vie, n° 2, septembre-octobre 2003, p. 6. 20 Un titre que l’on obtient après avoir suivi la formation Ministerial Affirmation Programme de l’Église de Dieu.

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et favorisant ces titres. Malgré cela, je définirais la Nouvelle Jérusalem de Bruxelles comme une Église congrégationaliste. Sur le plan pratique, l’Église de la Nouvelle Jérusalem de Bruxelles avec ses extensions fonctionne comme une grande entreprise, bien organisée et structurée. Cela peut s’expliquer par l’expérience de gestion d’entreprise que son leader a mise au service de sa vocation pastorale. En ce qui concerne le fonctionnement de l’Église locale de Bruxelles, il est divisé en deux grands volets : le volet temporel ou administratif, et le volet spirituel, que représente l’organigramme ci-après.

Ce tableau indique avant tout le rôle prépondérant du conseil d’administration dans la gestion de l’Église. Vient ensuite le bureau administratif, duquel dépendent les différentes commissions. Ce type de fonctionnement n’a rien d’exceptionnel : il reflète celui de la plupart des Églises protestantes en Belgique. L’Église constitue une association sans but lucratif dont l’organe principal est l’assemblée générale. L’assemblée générale est constituée de l’ensemble des membres effectifs. Mais le pouvoir exécutif de l’Église est exercé par le conseil d’administration composé du pasteur titulaire et des administrateurs, au nombre de six. Viennent ensuite les responsables des commissions. À côté du volet administratif, vient le volet pratique et spirituel de l’Église. À titre d’indication, on peut se référer à la liste des activités, appelées ministères, 30 au total21. 21

En voici la liste indicative : 1. Comité de Dames. 2. Les sous-groupes Tabitha, Ruth, Mobilisation, Femmes de Distinction et Femmes. D’Interprétation. 3. Responsables des Cellules et leurs adjoints. 4. Responsables des Districts. 5. Maintenance. 6. Cafétéria. 7. Audiovisuel. 8. Librairie. 9. Conseil des Diacres. 10. Conseil d’Administration. 11. Ecodim. 12. Intercession. 13. Troupe théâtrale. 14. Affermissements. 15. Accueil des Visiteurs. 16. Comité des Ados. 17. Service de visites aux malades. 18. Espérance. 19. Vie Nouvelle. 20. Stand Up. 21. Louange. 22. Jeunesse. 23. Service d’Ordre. 24. Service d’Accueil. 25. Service des baptêmes. 26. Association des Hommes. 27. Formation au Ministère. 28. Presse. 29. Diacres et Diaconesses. 30. Cours de la Grâce.

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Approche socioreligieuse Les origines géographiques22 Les origines géographiques des membres se répartissent comme suit : –– congolaise : 75 % ; –– autres nationalités africaines : 14 % ; –– européenne : 11 % (autochtones, 1 % et Africains naturalisés, 10 %). Les origines sociales Les membres proviennent de couches sociales et culturelles très diverses : –– étudiants, élèves, jeunes : 50 % ; –– travailleurs : 40 % ; –– chômeurs : 10 %. Les origines ecclésiales –– anciens catholiques23 convertis : 60 % ; –– anciens protestants et pentecôtistes : 30 % ; –– anciens musulmans : 1 % ; –– autres (religions traditionnelles, sectes, agnostiques, etc.) : 9 %. Remarque C’est un exercice difficile d’agir d’une manière qui peut être taxée d’illégale ou de discriminatoire. En général, l’Église n’est pas l’Office des étrangers et il n’entre pas dans son rôle de pour vérifier les papiers des participants au culte de chaque dimanche. Aussi faut-il tenir compte d’une marge d’erreur dans ces estimations. Il a fallu une grande confiance réciproque pour obtenir ce genre d’informations. Et la personne la mieux placée dans ce cas-là est toujours le pasteur de l’Église, avec l’appui de ses services qui sont censés connaître les brebis du troupeau. Au regard des observations de la KUL, j’ai néanmoins observé qu’une grande partie des membres de l’Église « Nouvelle Jérusalem » de Bruxelles provient du groupe des anciens catholiques non pratiquants qui ont été évangélisés dans la diaspora. Quant aux autres provenances, le

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Les données rapportées ici proviennent de la Nouvelle Jérusalem de Bruxelles. Elles sont le résultat de mes différentes interviews des responsables et du service compétent de cette Église. 23 Généralement catholiques non pratiquants.

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résultat est moins clair. Il y a également d’anciens protestants, musulmans, agnostiques, etc. Cela me conduit à constater combien l’immigration devient le lieu de la foi pour la personne en quête de repères. L’Église en tant que communauté offre un cadre utile pour l’orientation de la personne en situation de déracinement culturel et d’insécurité. Dans la suite de ce travail, je rendrai compte de mes observations de terrain.

Activités sociales et intégration Comme l’a constaté Gerrie ter Haar, les Églises africaines, en termes pratiques et psychologiques, aident à créer les conditions nécessaires pour que leurs membres acquièrent une situation vivable dans la société occidentale, en soutenant leurs efforts d’intégration et de participation réussie à la vie de la société globale24. D’après mes observations, la Nouvelle Jérusalem est dans cette ligne en développant un grand nombre d’activités pour aider ses membres à s’intégrer dans la société. Elle encadre la jeunesse en proposant des activités spirituelles, socioculturelles et éducatives. Elle organise des classes de devoirs pour aider les élèves en difficulté scolaire. En outre, dans le cadre de l’Église, les jeunes sont encouragés à prendre au sérieux leur avenir en terre d’immigration. À travers les prédications dominicales, les rencontres de jeunes, ses dirigeants ont beaucoup travaillé ces dix dernières années25 aux grands problèmes qu’affrontent les jeunes Africains à Bruxelles. À cet égard, les autorités de la place ont reconnu le rôle positif joué par cette Église pour lutter contre la délinquance et le phénomène des ghettos. Plus d’une fois les dirigeants ont proposé une médiation ou collaboré pour favoriser le dialogue de certains groupes avec les services de police. Le fait le plus marquant, selon le pasteur Mutybele lui-même26, est l’organisation d’un match de football entre les jeunes de l’Église et l’équipe de la police de la commune de Berchem-Ste-Agathe en 2003, en présence du bourgmestre. Ce match fut précédé d’une exhortation tirée de la Bible sur le thème de l’intégration. Quelques images de cette rencontre ont été transmises sur Télé-Bruxelles27. En dehors des activités destinées aux jeunes, l’Église s’occupe aussi des femmes. Elle organise à leur intention des activités spirituelles, sociales et éducatives pour leur adaptation dans le pays d’accueil. Il est à noter 24

TER HAAR, G., « Les théories de l’ecclésiogenèse et les diasporas chrétiennes d’outre-mer en Europe », dans Chrétiens d’outre mer en Europe, op. cit., p. 56. 25 Interview du pasteur Adama ODRAGO, en juin 2005. Ce dernier est pasteur des Assemblées de Dieu du Burkina-Faso. Il a été envoyé par son Église pour travailler en Belgique comme missionnaire. 26 Interview du pasteur Martin MUTYEBELE, op. cit. 27 La Nouvelle Jérusalem, magazine chrétien d’information, n° 5, octobre 2003, p. 6.

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qu’elle est composée de près de 65 % de femmes, qui se sont structurées en comités et sous-comités. Si dans certains milieux protestants traditionnels les ministères des femmes ne sont pas reconnus, à la Nouvelle Jérusalem, ils vont de soi. L’épouse du pasteur est elle-même pasteure, chargée du département des finances de l’Église de Bruxelles et présidente nationale de toutes les femmes de l’Église de Dieu en Belgique. Par ailleurs, l’Église a toujours incité ses membres à prendre une part active dans le processus d’intégration à la vie de la société. C’est ainsi qu’ils sont encouragés à apprendre des métiers pour trouver du travail28. Dans cette perspective, elle a soutenu des personnes d’origine africaine qui présentaient leur candidature lors des diverses élections. Ce fut le cas pour un député, élu en 2003 et pour deux échevins élus aux dernières élections communales. Toutefois, ce genre de soutien nécessite toujours une certaine prudence en raison des risques de transformer l’Église en champ politique.

Analyse théologique S’il existe des variantes quant au déroulement de l’office religieux entre les différentes Églises pentecôtistes, écrit Sylvie Pedro-Colombani29, les mêmes éléments s’observent partout : Le culte30 Contrairement aux Églises protestantes historiques, les pentecôtistes ne s’attachent pas à des livres de liturgie. C’est certainement pour cette raison qu’ils sont ouverts à la pénétration d’éléments autochtones. « Le culte pentecôtiste est caractérisé généralement par la ferveur des chants. Les pentecôtistes français aiment chanter », remarque George R. Stotts31. C’est la raison pour laquelle le chant a été l’une des principales caractéristiques du mouvement de Pentecôte, quelque soit l’endroit du monde. Ce constat se vérifie à la Nouvelle Jérusalem de Bruxelles où chaque dimanche se tiennent quatre services de cultes32. Ce nombre de services répond aux demandes d’une population assez variée dans la diaspora africaine à Bruxelles : étudiants, travailleurs immigrés, 28

Interview du pasteur ADAMA, op. cit. PEDRO-COLOMBANI, S., Le pentecôtisme au Guatemala, op. cit., p. 112. Notre référence pour cette partie d’étude est le culte de Pâques 2005. STOTTS, G.R., Le pentecôtisme au pays de Voltaire, Craponne, Association Viens et Vois, 1981. p. 167. 32 Le premier service en français débute à 8h30 et se termine à 10h30 ; le deuxième, qui est le culte principal de l’Église, débute à 11 heures et se termine officiellement à 13 heures ; le troisième, avec traduction du message en lingala, débute à 14h30 et se termine vers 16 heures. Le quatrième service, en swahili, se tient de 17 heures à 18 heures. Parallèlement se tient le service italien/portugais dans un autre local. 30 31 29

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demandeurs d’asile, diplomates, etc. C’est aussi ce qui justifie la création de services cultuels en d’autres langues : lingala et swahili, mais aussi portugais et espagnol.

Un culte dans une atmosphère bruyante et animée La liturgie de la Nouvelle Jérusalem de Bruxelles, comme dans l’ensemble des Églises pentecôtistes, laisse donc une très large place aux chants. L’assemblée chante longuement au début et à la fin de chaque service. Dans cet auditoire chantant, on peut observer des personnes engagées de toute leur âme, surtout des femmes qui sont particulièrement sensibles au contenu des chants, et qui expriment ouvertement leurs sentiments et leurs émotions. Ces chants religieux sont toujours accompagnés par des instruments de musique et de percussion, à savoir guitares, piano électrique, mais aussi tam-tam, tambourin, etc. La musique est un élément essentiel33 de ce culte. Les rencontres ont toujours un air festif, et dégagent une ambiance chaleureuse où se succèdent plusieurs chorales34 et le groupe de louange. Les musiciens sont revêtus d’un uniforme – soit robe longue ou complet-veston – de couleur sombre rehaussée d’une couleur vive, jaune ou rouge, comme dans les grandes chorales américaines. L’adoration est généralement conduite par la fille du pasteur. Ainsi peut-on voir l’implication de toute la famille dans les différentes activités de l’Église, que ce soit à la chorale ou dans l’accompagnement musical. Cette implication de la famille pastorale n’a pas manqué de susciter, dans le passé, quelques méchantes rumeurs. Il n’empêche que l’Église remplace, pour beaucoup de fidèles dans ce contexte d’éloignement du pays et d’immigration, la grande famille africaine, comme on peut le constater dans la plupart des Églises dites d’expression africaine en Europe. Présentation et contenu des chants35 Rythmée par des danses qui engagent tout le corps, la présentation offre un spectacle assez mouvementé, qui se termine parfois par les acclamations de la foule. Libre cours est laissé à l’expression de la joie ou de toute autre émotion, selon qu’il s’agit de repentance, de pardon, de victoire, etc. Quelques chants d’adoration recueillis à la Nouvelle 33

PEDRO-COLIMBANI, S., op. cit., p. 112. De grandes chorales de plus de 50 personnes adultes. 35 Source : la Nouvelle Jérusalem de Bruxelles. 34

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Jérusalem de Bruxelles où ils se chantent régulièrement mais que l’on peut également entendre dans la plupart des autres Églises d’expression africaine, surtout d’origine congolaise nous serviront d’exemple. Le nom de Jésus est grand Version française Le nom de Jésus est grand Le nom de Jésus est grand Le nom de Jésus est victorieux Le nom de Jésus a la puissance de nous donner la joie, de nous donner la paix et nous donner la vie, les bénédictions.

Version lingala Kombo na Yesu ezali monene Kombo na Yesu ezali monene Kombo na Yesu ezali n’elonga Kombo na Yesu ezali na nguya Ekopesa esengo, ekopesa kimia, ekopesa bomoi, mapamboli.

Ce chant n’est pas une composition de la Nouvelle Jérusalem. Il existait déjà en anglais. Il provient des Églises pentecôtistes américaines et a été traduit en lingala, ce qui indique les influences et les relations qui existent entre les différentes Églises pentecôtistes à travers le monde. Jésus est présent ici Yesu azali awa (3x) na biso Yesu azali awa (3x) na biso Yemba ya solo Alléluia (3x) na Yesu (2x) Yesu bomoi zela (3x) na biso Yesu bomoi zela na biso (3x) Yemba alléluia Alléluia (3x) na Yesu (2x)

Jésus est présent ici (3x) parmi nous Jésus est présent ici (3x) parmi nous Chantons ! Alléluia (3x) à Jésus (2x)

Ce deuxième chant, typiquement africain, est d’origine congolaise. Très populaire, il est chanté dans toutes les Églises, protestante évangélique, pentecôtiste, aussi bien que dans l’Église catholique. On le retrouve souvent dans la grande rencontre chrétienne internationale. C’est un classique dont personne ne peut revendiquer le droit d’auteur. La version française est une adaptation qui a probablement été faite par la diaspora congolaise pour communiquer la ferveur de ce message d’une façon qui soit compréhensible par un autre peuple. Esprit, descends sur nous Esprit descends sur nous (2x) comme au jour de la Pentecôte, esprit descends sur nous Esprit agis en nous (2x) comme au jour de la Pentecôte, esprit agis en nous Esprit visite-nous (2x) comme au jour de la Pentecôte, esprit visite-nous (Lead) Alléluia, alléluia. (Tous) Alléluia, alléluia

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Oh mon ami le sang de Jésus Oh the blood of Jesus (Lead) Le sang de Jésus (Tous) Oh mon ami le sang de Jésus Oh mon ami le sang de Jésus Oh mon ami le sang de Jésus

(Lead) Makila ma Yesu (Tous) O moninga makila ma Yesu O moninga makila ma yesu O moninga makila ma Yesu.

Oui Dieu est bon Version française

Version lingala

Version swahili

Oui Dieu est bon, Oui Dieu est bon, Oui Dieu est bon, Il est bon pour moi.

Nzambe malamu, Nzambe malamu, Nzambe malamu, malamu na ngai.

Mungu ni muema, Mungu ni muema, Mungu ni muema, ni muema wangu.

Dans la plupart de ces chants, c’est Jésus-Christ qui se trouve au centre de cette adoration : sa mort, sa résurrection, sa seigneurie, ses puissantes interventions dans la vie quotidienne, sont exaltées. Le SaintEsprit est également invoqué régulièrement. Cet accent souligne aussi le caractère pentecôtiste de l’Église. Par ailleurs, le thème récurrent de la bénédiction fait référence aux messages d’encouragement que l’Église cherche à véhiculer auprès de ses fidèles. Dans l’ensemble, ces chants annoncent la présence du Dieu trinitaire, son amour manifesté en Christ et ses interventions par la puissance de l’Esprit Saint qui attache cette Église à la proclamation évangélique du message chrétien en Belgique. Pour cette Église à majorité congolaise, les chants sont en français et en langues africaines, spécialement le lingala, le tshiluba, le kikongo, le swahili et quelque rares fois dans une autre langue africaine. La musique est très variée : négro-spirituals, chants populaires africains (animation) et chants classiques : Haendel, Mozart, etc., généralement très bien exécutés grâce à la formation musicale que les dirigeants ont suivie ou suivent dans les académies de musique belges. L’observateur attentif peut se rendre compte combien la Nouvelle Jérusalem de Bruxelles est un lieu d’attraction pour une population en quête de spiritualité. Un attrait même pour les curieux en recherche d’un moment festif et convivial. On peut toutefois se demander quel est le rôle que peuvent jouer ces différents chants, ou plutôt le chant tout court dans la mission de cette Église. Pour répondre à une telle question, il convient de faire quelques observations préalables sur la place du chant dans le pentecôtisme en général, et pour le moment dit d’adoration et de louange en particulier dans ce genre de service où l’accent émotionnel est très fort. 103

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Dans son étude sur le pentecôtisme au Brésil, André Corten observe les caractéristiques suivantes sur le chant : le chant, lorsqu’il se prolonge, produit une élévation du climat émotionnel. Il génère ce qu’on appelle « l’oralité pentecôtiste »36. Il exprime la profondeur de l’âme. Il arrive qu’ils soient dansés fiévreusement par les fidèles qui y trouvent, comme le fait remarquer aussi Albert de Surgy, une occasion d’oublier leurs soucis et de se décrisper pour être plus réceptifs à l’influence divine37. Ce sont des moments importants dans un service cultuel qui exercent un attrait par leur côté agréable et leur impact thérapeutique. Certaines personnes sont plus attirées quand elles peuvent retrouver dans cette forme de culte leur identité profonde qu’elles avaient aliénée dans un contexte de déracinement. Ainsi, en même temps que son contenu et le message transmis, le chant lui-même devient un instrument au service de l’évangile.

Prédication et théologie pentecôtiste À la Nouvelle Jérusalem de Bruxelles, la prédication se trouve au centre du culte. Comme toute Église de tradition protestante, le message est tiré de la Bible, qui est le document de référence. La prédication dure en général 40 à 50 minutes. Comme dans la plupart des Églises pentecôtistes, le sermon est exposé avec une grande ferveur, et le prédicateur est souvent en dialogue avec son auditoire qui répond par des « Alléluia », « Amen », « Gloire à Dieu ». C’est ce que Sylvie Pedro-Colombani38 observe également dans les Églises pentecôtistes au Guatemala. Quelques prédications Deux prédications nous serviront d’exemple avant de procéder à leur analyse. La vie d’Abraham : par Bishop Mutyebele Martin39 De l’importance de comprendre la bénédiction d’Abraham La première chose à retenir est qu’Abraham n’a pas demandé à être béni par Dieu. II n’a pas prié. C’est Dieu qui l’a décidé et lui a lancé un appel spécial. Mais nous, nous devons prier pour nos bénédictions car nous héritons de la bénédiction d’Abraham. Nous sommes sa descendance par la foi en Jésus-Christ. 36

CORTEN, A., Le pentecôtisme au Brésil, émotion du pauvre et romantisme théologique, Paris, Karthala, 1995, p. 67. 37 DE SURGY, A., Le phénomène pentecôtiste en Afrique noire, Paris, L’Harmatan, 1995. 38 PEDRO-COLOMBANI, S., op. cit., p. 11. 39 Texte repris de : Église de Dieu en Belgique. La Nouvelle Jérusalem, magazine chrétien d’information, n° 1, novembre 2002, p. 5 et n° 8, janvier 2005, p. 12.

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Une caractéristique de cette bénédiction est qu’elle n’a pas eu lieu dans son pays mais à Canaan. L’Éternel dit à Abraham : « je ferai de toi une grande nation et je te bénirai ; je rendrai ton nom grand, et tu seras une source de bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront, je maudirai ceux qui te maudiront ; et toutes les familles de la terre seront bénies en toi. » (Genèse 12 : 2-3). Nous sommes de ces familles qui doivent être bénies dans la bénédiction d’Abraham. Le fait d’avoir quelques biens matériels, un bon travail (…) ne fait pas de nous des personnes bénies car c’est une situation normale. Les païens ont la même chose. Dieu a promis la bénédiction à Abraham alors qu’il avait déjà des serviteurs, des biens, qu’il avait acquis à Charan (Genèse 12 : 5). La bénédiction par échelonnement Son parcours fut chaotique, semé d’erreurs, de fautes, et de mauvaises décisions. Mais cela n’a pas empêché Dieu de manifester la puissance de sa parole. La bénédiction est venue petit à petit par échelonnement. De son séjour en Égypte à cause de la famine à son retour à Canaan, les choses n’ont pas été faciles (Genèse 12 : 10-15). La promesse de Dieu ne nous exempte pas des affres de la vie, des trahisons, des abandons,… Face à cela, Dieu manifeste toujours sa présence. Les périodes marquées par les « silences de Dieu » sont les plus dures à traverser. Mais s’il avait déjà parlé, sachez que sa parole s’accomplira quels que soient les événements. II nous parle pendant un temps et se tait. L’alliance Elle fait partie du cheminement avec Dieu, Abraham l’a faite en sacrifiant des animaux et ensuite avec son propre corps (ainsi que tous les mâles qui étaient avec lui). Ce fut le signe. Jésus-Christ scellera une nouvelle alliance à la croix. C’est par le baptême que les autres peuvent voir le signe extérieur de notre alliance avec Dieu, et le Saint-Esprit est le sceau de celui-ci. Ce n’est pas un rite. Nous sortons de l’eau porteurs de la victoire de Jésus-Christ à la croix. En faisant alliance avec Dieu et les hommes (voir Abimelek, Genèse 21 : 23), Abraham a garanti sa prospérité et sa sécurité. L’alliance exclut la trahison. Notre attitude peut changer le plan de Dieu. (…) Analyse Le premier constat qui ressort d’une lecture rapide de cette prédication est la mise en parallèle effectuée entre le texte biblique et le contexte des Africains de la diaspora. Cette appropriation du texte de l’Ancien 105

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Testament est fréquente dans l’ensemble des communautés étudiées. C’est aussi ce que constate Gerrie ter Haar40. Un deuxième constat est le thème de la bénédiction. Sur dix prédications que j’ai consultées, au moins quatre soulignent ce thème. Ce qui accentue la conviction de l’intervention divine dans les réalités de la vie quotidienne. En général, les Églises d’expression africaine, comme la plupart des communautés issues de l’immigration, cherchent toujours à répondre aux besoins de leur population en situation d’exil ou de diaspora. La prédication des pasteurs s’inscrit dans cette tendance ; de là les prédications contextuelles, comme c’est le cas ici. Dans l’ensemble, le message est christocentrique. Le baptême est interprété comme le signe de l’alliance, ce qu’atteste la doctrine réformée. Le Saint-Esprit est régulièrement mentionné, ce qui révèle les attaches pentecôtistes.

Ce qu’un chrétien devrait faire dans le monde Luc 10 : 1-42 Le texte de Luc 10 nous relate trois scènes différentes dont nous allons tirer les recommandations du Seigneur Jésus-Christ au sujet de ce que nous, en tant que chrétiens, devons faire. La première scène va du verset 1 au verset 24, la deuxième scène du verset 25 au verset 37 et la troisième du verset 38 à la fin du chapitre. Ces trois scènes dévoilent les trois volets du ministère de tout celui qui croit en Jésus-Christ. Volet 1 : Nous devons être des ambassadeurs du Christ (versets 1-24) Tout chrétien est un ambassadeur du Seigneur, envoyé par lui, pour le représenter dans ce monde, là où lui-même devrait aller. Paul le dit si bien dans II Cor 5 : 20 : « Nous faisons donc les fonctions d’ambassadeurs pour Christ, comme si Dieu exhortait par nous ; nous vous en supplions au nom de Christ : Soyez réconciliés avec Dieu ! ». Agir ainsi démontre la dimension fonctionnelle du ministère chrétien. Volet 2 : Nous devons être le Prochain (versets 25-37) Nous devons être des prochains recherchant des occasions pour démontrer la miséricorde au nom du Seigneur Jésus-Christ. 40

« In the African-American context, the relationship between the slave past and the notion of divine rescue has had a deep influence on black theology and explains the importance attributed to biblical views of the meaning of personality and human equality implicit in the common use of the phrase “children of God”. American gospel music is perhaps the most dramatic experience of conceived connection between the history of the slaves and the people of Israel. A similar identification with the Israelites is to be found in the Bijlmer where the pastor of the thrue Teaching of Christ’s temple addresses his congregation as children of Israel. », TER HAAR, G., Halfway to paradise, op. cit., p. 47.

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Dans l’histoire du bon Samaritain, le vrai prochain est celui qui a été animé d’assez de compassion pour arrêter ses activités et prendre le temps d’apporter des soins à une personne en danger. Nous avons autour de nous des personnes dans le besoin ; lorsque nous nous en occupons, nous démontrons la dimension sociale du ministère du chrétien. Volet 3 : Nous devons cultiver la dévotion pour Christ (versets 38-42) Au centre de tout autre ministère doit figurer la dévotion pour Christ. Nous devons être des adorateurs qui prennent le temps de communier avec Christ et d’écouter sa Parole. Elle est la seule chose qui ne nous sera pas ôtée ; même lorsque nous mourons, elle nous accompagne dans la vie éternelle ! Ceci est la dimension spirituelle. Ainsi donc, ces trois volets de Luc 10 nous montrent les trois dimensions qui font de nous un chrétien équilibré, capable d’entretenir une relation saine avec notre Seigneur et notre environnement. Analyse Il s’agit ici d’une étude biblique classique, qui consiste en un simple commentaire de la Bible. Ce qui s’en dégage, c’est la théologie évangélique qui affirme la notion du sacerdoce universel de tout croyant. Ainsi, tout croyant est interpellé dans sa mission d’évangéliser. Il s’y retrouve également une incitation aux œuvres de charité et un encouragement à la piété, à l’attachement aux Écritures saintes, ce qui sont caractéristiques de la spiritualité propre à la mouvance protestante. Par ailleurs, ce texte montre la volonté d’être présent au monde à travers des activités d’évangélisation et des actions à caractère social. –– Daniel Brandt-Bessire41 résume le message pentecôtiste en ces quatre points principaux : –– Jésus sauve ; –– Jésus baptise du Saint-Esprit ; –– Jésus guérit ; –– Jésus revient. « Non seulement l’on adhère à cet énoncé à la Nouvelle Jérusalem, comme me le confiera le pasteur Adama, mais on a rajouté un cinquième point, à savoir : Jésus bénit. » Le thème de la bénédiction ainsi évoqué est très présent dans l’ensemble des Églises de la diaspora chrétienne 41

BRANDT-BESSIRE, D., Aux sources de la spiritualité pentecôtiste, Genève, Labor et Fides, 1986, p. 171.

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africaine en Europe, et a conduit quelquefois à un certain glissement vers l’évangile de la prospérité42. Toutefois, si le message de la bénédiction est annoncé, le but premier de la prédication est d’évangéliser les non-croyants et d’affermir les fidèles dans la foi.

Les doctrines43 et la confession de foi Elles s’inspirent des documents de l’Église de Dieu44 qui sont mis à jour au niveau international par l’assemblée générale de cette Église. Mon analyse, basée sur l’édition francophone de 1996, me conduit aux constatations suivantes : les déclarations de foi sont de la tradition évangélique. Toutefois on peut observer des nuances pentecôtistes par l’accent qu’elles mettent sur le parler en langues comme signe initial du baptême du Saint-Esprit. Cette affirmation caractérise les Églises pentecôtistes en général, même si actuellement certains pentecôtistes se veulent plus subtils, ou se gardent d’être aussi catégoriques. La Bible, et spécialement le Nouveau Testament, reste le fondement de leur doctrine comme pour le reste des dénominations protestantes évangéliques. Elle est la seule règle en matière de foi, de gouvernement d’Église et de toute doctrine. Deux ordonnances sont reconnues : la Sainte Cène et le lavement des pieds. Dans la pratique cependant, le lavement des pieds ne se fait guère. L’Église de Dieu s’inscrit ainsi dans la tradition des Églises de sainteté. Elle refuse officiellement toute consommation de tabac par ses membres. Elle croit au sacerdoce universel de tout croyant et rejette par là la prêtrise telle qu’elle est définie par l’Église catholique romaine. En cela elle se place dans la tradition réformée. Un accent particulier est mis sur l’évangélisation dans le monde. C’est ce qui caractérise les Églises évangéliques en général. Ce tour d’horizon nous a permis de mettre en lumière l’histoire et les principes généraux de fonctionnement de la Nouvelle Jérusalem de Bruxelles. Nous nous proposons maintenant d’étudier un autre cas.

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Pour un approfondissement du sujet, on peut lire : MUTOMBO MUKENDI, « Le nouveau culte de la prospérité en Afrique, ses fondements cosmologiques et ses implications sociopolitiques », dans Analecta Bruxellensia, n° 8, décembre 2003. 43 L’Église de Dieu, Notre profession de foi, la déclaration de foi, les engagements doctrinaux, les engagements pratiques. TURCKHEIM, L’Église de Dieu en France, 1989. Voir l’extrait en annexe. 44 Assemblée générale de l’Église de Dieu, Manuel de l’Église de Dieu.

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2.  L’Église internationale de Bruxelles (EIB)45 D’après l’importance numérique des membres, et du point de vue chronologique, l’Église Internationale de Bruxelles vient en deuxième position parmi les grandes Églises africaines de Belgique.

Aperçu historique La naissance de cette Église est le résultat d’une initiative missionnaire américaine ratée. En effet, tout a commencé en 1984 lorsque le pasteur américain Win Hurlbert, ancien directeur régional de Campus pour Christ international, section Afrique francophone, a fait venir en Belgique un groupe de chrétiens africains ayant exercé des responsabilités chez eux, dans un double objectif : d’une part, leur offrir la possibilité de parfaire leurs études théologiques, et d’autre part, leur confier l’évangélisation des Africains résidant en Europe. Les membres de ce groupe étaient Asukulu Lyunu (licencié de la Faculté universitaire de théologie protestante de Bruxelles, il exercera le ministère pastoral à l’EPUB), Bongo Ebongo (diplômé de l’Institut biblique belge, il est actuellement pasteur aux ÉtatsUnis d’Amérique), Dilouambaku Nseyi (licencié de la FUTPB, il est devenu pasteur de l’EPUB à Seraing-Haut), Kibutu Ngimbi (licencié de la FUTPB et docteur en théologie de la Faculté évangélique d’Heverlee, il est devenu le pasteur de l’EIB), Lukusa Mudunkwanga (licencié en théologie protestante, il est devenu pasteur de l’EPUB à Namur), Mmunga Mwenebulongo M. (licencié de la FUTPB, il est pasteur à l’EPUB à Jumet), Ndabananiye H. (aucune information à son sujet); d’autres les ont rejoints plus tard : Kabuya Masanka (docteur de la FUTPB, il est devenu pasteur au Canada), Kayompbo Nsenda Macaire (Burundais, décédé), Mbayo Nsungu (docteur de la FUTPB, il est pasteur de l’EPUB à Marcinelle), Monga Ngoyi (docteur de la FUTPB, il est pasteur à Bruxelles), Mutombo Mukendi (docteur de la FUTPB et professeur à la Faculté, il est pasteur en fiançailles à l’Union des Baptistes en Belgique), Ngowe Antoine (Burundais, aucune information à son sujet) et Paluku Musuvaho (docteur de la FUTPB, il est aumônier des migrants en Belgique). Sur les quatorze personnes citées, dix sont actuellement responsables d’une Église protestante ou évangélique en Belgique. Tous ont un titre académique, la licence ou le doctorat en théologie protestante. Pour deux 45

La présente section est l’actualisation d’un premier travail de recherche intitulé : Église Internationale de Bruxelles : Rencontre africaine ou Église en extension ?, présenté à la Faculté comme exigence du certificat principal en vue de l’obtention du diplôme d’études supérieures en théologie. Travail publié partiellement dans International Review of Mission, vol. LXXXIX, n° 354, July 2000, en tant que contribution à la Conférence de Cambridge en Angleterre en 1999, sur le thème général : Open Space : The African Christian Diaspora in Europe and the Quest for Human Community.

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d’entre elles, je n’ai pas pu recueillir d’informations claires ; et une est décédée. En octobre 1984, la première équipe constituée de sept Congolais débarque en Belgique. Un an plus tard, ils sont rejoints par huit autres personnes parmi lesquelles on compte deux Burundais. Dès la première année, « les sept premiers ouvriers » se lancent dans des contacts d’évangélisation, des animations d’études bibliques, des affermissements de nouveaux convertis, et dans plusieurs autres activités à caractère évangélique. Kibutu écrit à ce sujet : « Asukulu et Mmunga animaient des études bibliques dans une famille à Sterrebeek ; tandis que les frères Dilouambaka et Lukusa faisaient des contacts d’évangélisation parmi les étudiants de la Maison africaine d’Ixelles »46. De toutes les activités organisées à cette période, le groupe de prière du « Square de Noville » à Koekelberg connaîtra une croissance remarquable et deviendra par la suite la plaque tournante de tous les contacts avec les Africains de Bruxelles. On peut observer avec Bulangalire comment le groupe a servi de tremplin à la création de cette Église. C’est en octobre 1985, avec l’arrivée d’une deuxième équipe influencée par Ngowe Antoine, formé pendant une année au Fuller Theological Seminary (aux États-Unis d’Amérique), que l’équipe se lance dans l’aventure de l’implantation de deux Églises : l’une à Bruxelles et l’autre à Louvain-Ia-Neuve. Il faut noter que le projet avec Wim, le missionnaire américain, échoua pour des raisons financières. Le motif invoqué fut le manque d’argent pour continuer le projet, ce qui conduisit à la dispersion du groupe venu du Congo. Chacun devait désormais s’orienter d’une manière individuelle47 pour rester en Belgique. C’est sous l’appellation « Église chrétienne africaine de Bruxelles », que le premier culte eut lieu, le 20 octobre 1985 à 15 heures, au sein du temple de l’Église baptiste internationale de Bruxelles. Cet événement se déroula sous la direction du frère Ngowe Antoine, assisté de ses collègues. Dès la première semaine de sa création, l’équipe des responsables désigne Bongo Ebongo comme pasteur. Ensuite, l’assemblée générale se réunit pour élire un conseil de l’Église avec un mandat d’un an renouvelable. Dès lors, l’équipe d’implantation cède la gestion de l’Église au nouveau conseil. La croissance de l’œuvre sera remarquable. En octobre 1987, à l’élection du nouveau conseil, le frère Kibutu Ngimbi sera désigné pour seconder le pasteur Bongo. 46

KIBUTU NGIMBI, « L’histoire de l’Église Internationale de Bruxelles », dans Le Tabernacle, n° 2, avril-juin 1992. 47 C’est ainsi que les uns et les autres se sont retrouvés dans les différentes tendances de la mouvance protestante.

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Pour des raisons de couverture, l’Église s’affilie à la Mission évangélique belge. La conséquence en sera l’harmonisation de ses statuts avec ceux de ladite Mission. Ainsi, le conseil d’Église devient le conseil d’anciens ; ces derniers auront l’autorisation d’exercer les actes pastoraux au même titre que les pasteurs, ce qui n’ira pas sans difficultés d’harmonisation dans l’exercice pratique des ministères. La diversité des nationalités africaines d’une part et la présence de quelques Belges de souche d’autre part amène l’Église à changer de nom : « Devons-nous continuer à nous réunir dans un ghetto africain ? »48, s’interroge Marc Masy, un chrétien belge. L’approfondissement de cette réflexion conduira les responsables à faire porter à l’assemblée le nom d’Église Internationale de Bruxelles (EIB). En mai 1989, le mariage du pasteur Bongo avec la sœur Sara Jutar suscite le mécontentement de quelques membres de l’Église. Jugeant le climat défavorable pour le ministère pastoral, le pasteur Bongo présente sa démission et quitte la Belgique avec son épouse pour s’installer en Australie. Il faut observer, m’a déclaré le pasteur Lukusa49, que cette situation était seulement la conséquence d’un manque de maturité. Car, avec un peu de recul, on peut parler d’ingérence dans la vie privée parce que les mécontents n’avaient pas le droit d’imposer quoi que ce soit à leur pasteur concernant le choix de sa conjointe. On peut observer à travers cet incident malheureux que la mixité s’apprend. Vivre ensemble peut produire un choc culturel. Cette situation mettait en présence deux réalités culturelles : l’une africaine, avec une vision large de la famille, et l’autre plus occidentale, avec le respect de la vie privée qui n’autorise pas toute une Église de se prononcer sur la liberté de choix d’une personne.

Esquisse biographique du dirigeant Le pasteur Kibutu Ngimbi Celestin est né à Kinteni le 28 décembre 1955 d’une famille de sept enfants dont il est le cadet. Son grand-père aussi bien que son père ont servi Dieu comme évangéliste itinérant et diacre dans la communauté de l’Alliance évangélique au Congo (RDC)/ Église du Christ au Congo. On peut noter que, pour le petit Célestin, le ministère est déjà une affaire de famille. Il a fait ses études primaires à la mission protestante de Kinkonzi, dans le bas-fleuve, région du Bas-Congo. Il a poursuivi ses études secondaires à Maduda, une autre mission protestante. Il se rendra ensuite à Kinshasa pour apprendre l’électricité à l’Institut supérieur de technique appliquée/Kinshasa Ndolo. C’est pendant ses études à Kinshasa qu’il fera 48

Interview du pasteur KIBUTU, le 3 avril 1997, à Bruxelles. Interview du pasteur LUKUSA de l’EPUB Namur, op. cit.

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une expérience étonnante avec le Saint-Esprit qui aboutitira à l’appel au ministère de l’évangile. Itinéraire spirituel Le 20 janvier 1975, alors qu’il est encore en 5e humanité et qu’il est tourmenté depuis des jours par l’insomnie, un certain Landu Mguala, élève comme lui, mais déjà chrétien, lui parle de Jésus-Christ. Une lutte s’engage en lui et il a une impression d’entendre quelqu’un lui dire : « Tu as soif, pourquoi refuses-tu de boire ? » C’est alors qu’il décide de se convertir. La suite, c’est comme de la lumière qui envahit ses ténèbres. Il expérimente une joie immense et sa vie change radicalement. L’élève perturbé et turbulent, qui s’adonnait aux arts martiaux (karaté, boxe, etc.), et connu pour sa brutalité, deviendra un des leaders du groupe de la Ligue pour la lecture de la Bible au sein de son école. Après ses études il déménage à Kinshasa où il doit poursuivre ses études supérieures. Une fois installé, il se fait membre de la paroisse francophone de Kintambo. Il s’engage dans l’action. C’est à travers cette paroisse qu’il entre en contact avec le Renouveau charismatique par l’intermédiaire de Danillo Gay, agent de la Ligue pour la lecture de la Bible alors à Kinshasa. De nationalité suisse, ce dernier est très sollicité à l’époque pour répandre le renouveau charismatique dans le pays. C’est une époque très troublée pour les étudiants au Congo. Le dictateur Mobutu n’hésite pas à fermer les universités pour répondre aux manifestations de mécontentement. Pendant ce temps, le ministère du Campus pour Christ d’origine américaine est très actif, et le pasteur de la paroisse francophone de Kintambo à Kinshasa, et directeur national, cherche des chrétiens dynamiques pour un ministère d’évangélisation parmi les étudiants. Kibutu, qui sent déjà l’appel à servir Dieu, accepte de suivre la formation de six mois pour devenir évangéliste. Celle-ci terminée, il est retenu pour travailler avec le centre de formation du Campus pour Christ. De 1981 à 1984, il est désigné comme évangéliste itinérant chargé de la jeunesse. Il voyage dans presque toutes les grandes villes du CongoRDC pour organiser des campagnes d’évangélisation. En 1983, il se rend aux Pays-Bas pour participer à la Conférence internationale des évangélistes itinérants, organisée par l’association Billy Graham, conférence d’une grande importance pour les évangéliques, connue sous le nom d’« Amsterdam 83 ». Il ressent le besoin de suivre une formation théologique, car sa formation de six mois ne lui semble pas suffisante pour exercer son ministère. C’est dans ce contexte qu’un missionnaire américain, Win, ancien directeur du Campus pour Christ au Congo, ayant eu connaissance de son désir de se former théologiquement, 112

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lui fait part de son projet d’évangéliser les étudiants africains d’Europe et spécialement ceux de Belgique. C’est dans ce cadre qu’il est inscrit à l’Institut biblique belge où il suit une partie de sa formation. L’autre partie se fera à la Faculté universitaire de théologie protestante de Bruxelles où il obtiendra une licence en théologie protestante. Plus tard il obtiendra un doctorat en théologie protestante à la Faculté évangélique d’Heverlee à Leuven où il a soutenu sa thèse sur les Nouvelles Églises indépendantes, tout en exerçant son ministère de pasteur et d’enseignant en théologie dans le milieu évangélique : Continental Seminary, Institut biblique belge, etc. Cette note biographique nous montre que l’itinéraire qui a mené le jeune homme au ministère n’est pas fait d’improvisations. C’est l’aboutissement d’un parcours donné et réfléchi. Mais cela n’est pas toujours le cas dans l’ensemble du phénomène que j’analyse ici.

Une croissance évidente

En Belgique francophone, l’EIB fait partie des Églises protestantes qui ont témoigné d’une croissance numérique remarquable ces quinze dernières années50. Le graphique ci-dessous schématise cette progression. Cette croissance s’explique surtout par l’organisation des retraites d’édification et des séminaires bibliques. La prière est mise en valeur au point qu’une veillée de prière mensuelle qui dure une nuit entière connaît une participation moyenne de 200 personnes adultes. Pour la plupart des membres, les rencontres d’Église et surtout de prière offrent un cadre idéal pour se décharger des maux et des fardeaux de la vie. Chaque 50

SIMONET, J.-L., « Église en croissance en Belgique francophone », dans Messager évangélique, n° 339, 31 décembre 1993.

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dimanche, en moyenne sept nouvelles personnes assistent au culte51. Elles reçoivent toujours un accueil chaleureux ; certaines n’hésitent pas à y retourner. On peut ainsi noter avec Sophie Pillods52 qu’un point fort des Églises dites « afro-chrétiennes » réside dans la façon d’accueillir les visiteurs : elle correspond à la légendaire hospitalité africaine. Par ailleurs, le « changement de vie » des convertis a favorablement contribué à l’épanouissement de cette communauté. L’accent particulier que l’EIB met sur le ministère de délivrance et de guérison a toujours eu un effet attractif. Rapportant une interview du pasteur Kibutu, Jean-Louis Simonet écrit ces lignes : « les démoniaques libérés et les malades guéris en parlent autour d’eux, et cela crée un effet boule de neige »53. En outre, la facilité qu’ont les Africains à répondre à une invitation à caractère religieux paraît être « un élément culturel » significatif pour la croissance.

Affiliations et relations Sur le plan juridique, l’Église Internationale de Bruxelles est une association sans but lucratif dirigée par un conseil d’administration dont le président est le pasteur. En outre, elle est membre associé de la Mission évangélique belge. Il est à noter que cette adhésion est purement nominale. En effet, la mission évangélique belge n’a aucun engagement matériel ni aucun pouvoir sur la gestion interne de l’EIB Celle-ci n’a pas de relation officielle avec les Églises d’Afrique. Elle se considère comme une œuvre missionnaire née et évoluant en Europe. Néanmoins, elle entretient quelques contacts avec certains pasteurs africains résidant en Afrique et en Europe. Ces derniers sont souvent invités pour tenir des séminaires bibliques ou pour apporter des prédications ponctuelles. Structure et organisation Pour comprendre la structure et l’organisation de l’EIB, il est nécessaire de se référer à son histoire. Trois périodes principales sont à signaler : –– la création de l’Église : l’équipe d’implantation, comparable aux « apôtres fondateurs d’Églises », désigne le premier pasteur et convoque ensuite une assemblée générale, laquelle élit le premier conseil d’Église, auquel est confiée la gestion totale de l’œuvre ; –– l’affiliation à la Mission évangélique belge entraîne la modification des statuts et le changement du système ; les diacres deviennent les anciens et accomplissent des actes pastoraux. Mais le nouveau 51

SIMONET, J.-L., op. cit., p. 191. PILLODS, S., « Initiative africaine et christianisme », op. cit. 53 Ibid. 52

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système s’avère inadapté et très tôt des problèmes de cohabitation et d’autorité surgissent. Ainsi, la plupart des anciens n’hésitent pas à quitter l’Église pour servir ailleurs chaque fois qu’une occasion se présente ; –– -actuellement, si, par respect de la structure légale, l’EIB a comme organe suprême l’assemblée générale et est dirigée par un président, c’est sur le plan pratique que l’on note un fonctionnement novateur. En effet, l’Église est dirigée par un conseil constitué de deux pasteurs et quatre diacres. Le pasteur titulaire préside le conseil. Dans le fonctionnement pratique, les activités gravitent autour du conseil d’Église. C’est là que se trouvent l’autorité et le pouvoir décisionnel de cette communauté. Celui-ci se réunit tous les deux mois.

La structure de l’EIB peut être schématisée par l’organigramme suivant :

Analyse socioreligieuse Chaque dimanche matin, l’Église Internationale de Bruxelles réunit environ 400 personnes, parmi lesquelles on peut compter 300 adultes et 115

Mission en retour, réciproque et interculturelle

une centaine d’enfants. Les femmes sont un peu plus nombreuses que les hommes54 ; elles apportent une part active au fonctionnement de l’ensemble de la vie de l’Église. La population de l’EIB est d’origines géographique, sociale et ecclésiastique variées. Les origines géographiques55 L’EIB compte onze nationalités, dans leur majorité d’origine africaine. Les Européens de souche sont très minoritaires. La présence des Belges autochtones est estimée à plus ou moins 5 %. Selon le pasteur Kibutu56, les nationalités se répartissent comme suit : – congolaise (ex-zaïroise) : 15 % ; – camerounaise : 15 % ; – togolaise : 5 % ; – belge (regroupant les autochtones et les naturalisés) : 5 % ; – autres. Les 30 % restantes sont partagées entre : les nationalités congolaise (Congo-Brazzaville), burundaise, rwandaise, angolaise, mauricienne et italienne.

Les origines sociales L’EIB est constituée en majorité de personnes jeunes, dont un grand nombre d’étudiants. Les estimations par catégorie se présentent comme suit : – étudiants : 75 % ; – anciens étudiants (« jobistes ») : 5 % ; – réfugiés politiques (économiques) : 5 % ; – travailleurs57 : 10 %. Les origines ecclésiastiques L’EIB est constituée de membres provenant de trois souches religieuses principales : 54

55 56 57

Habituellement, il y a plus de femmes que d’hommes dans les Églises. Cet état de fait conduit souvent à diverses spéculations. Pour certains, la femme en général est porteuse d’équilibre dans une société. Ainsi s’explique la présence massive des femmes au sein des Églises à caractère particulier (ethnique, secte, etc.). Pour d’autres, les femmes sont plus ouvertes et réceptives à l’évangile que ne le sont la plupart des hommes. Je ne prendrai pas position dans ce débat ici, au risque de m’écarter de mon sujet principal. Les données présentées proviennent de l’EIB. Interview du 3 avril 1997.

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–– la plupart (80 %)58 sont des catholiques non pratiquants, convertis grâce aux différentes activités de l’Église ; –– d’autres proviennent des Églises protestantes, surtout d’Afrique. Ces derniers retrouvent mieux leur identité dans une communauté à majorité africaine que dans les Églises occidentales ; –– quelques rares personnes sont d’origine islamique, converties au Christ après avoir trouvé en l’évangile la réponse à leurs questions.

Conclusions Une observation attentive confirme le fait qu’à l’origine l’EIB est née d’un effort d’évangélisation et d’encadrement spirituel des étudiants africains en Belgique et que le mouvement s’est étendu à toute la population des immigrés. Le constat intéressant que l’on peut faire ici est que ce travail d’évangélisation par les chrétiens africains a connu un dépassement culturel pour atteindre les Belges59. Dans cette perspective, cette œuvre suscite un intérêt pour une réflexion missiologique qui reste à mener, et à laquelle j’apporterai une contribution dans la suite de ce travail. Un autre aspect à prendre en considération est le fait que l’EIB joue un rôle moral et social considérable dans l’encadrement des immigrés africains. L’Église couvre le vide créé par l’éloignement d’avec les pays d’origine. Les relations fraternelles ne se limitent pas au lieu du culte ; elles s’étendent hors de l’Église par la formation de groupes ou cellules de prière et de partage60, par les exhortations et les prédications qui prennent en compte le nouveau contexte dans lequel évolue la majorité de ces Africains. Analyse théologique La liturgie La liturgie est l’expression de la vie d’une Église : Lars Eckerdalla la considère comme la meilleure forme qui puisse exister pour l’enseignement de la foi et même comme le point de départ d’une réflexion théologique sur les aspects du contenu de la foi, contenu qui se reflète dans le Nouveau

58

SIMONET, J.-L., op. cit., p. 191. Il y a quelques années, Marc MASY m’a déclaré que les Belges de souche étaient plus nombreux dans l’Église. Il y eut une période où, d’après lui, l’EIB était presque mixte. Si lui-même est resté, c’est surtout parce qu’avant sa conversion il avait beaucoup fréquenté les Africains. Néanmoins, il reconnaît que l’EIB a pesé beaucoup, tant dans sa conversion que dans sa croissance spirituelle (interview du 17 avril 1997). 60 Les petits groupes sont souvent des facteurs de solidarité et de croissance pour les communautés chrétiennes. On peut lire à ce sujet : MAERTENS, J.-T., Les petits groupes et l’avenir de l’Église, Paris, Éditions du Centurion, 1971. 59

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Testament61. L’une des meilleures façons d’analyser cette Église est dès lors de se référer à ses expressions cultuelles propres.

Le culte –– Le déroulement du culte dominical à l’EIB n’a jamais été statique et a connu des changements liés à la croissance de la communauté. Trois périodes principales sont à signaler : –– au début de l’œuvre, avec un petit auditoire, le culte était très simple. L’officiant n’avait qu’à suivre le programme imprimé conçu selon le modèle traditionnel des cultes protestants62 ; –– dans une deuxième période, on a vu des présidents de culte devenir animateurs de réunions. « Ces derniers parlaient beaucoup et l’assemblée priait moins », nous a confié le pasteur Kibutu63 ; –– la troisième phase est celle qui caractérise l’EIB telle qu’elle fonctionne de nos jours : le président de réunion fait participer tous les fidèles. L’assemblée chante et prie beaucoup. L’officiant parle moins. Son rôle se limite à guider l’assemblée à travers les différentes étapes du culte. Il ne fait de brefs commentaires que lorsque cela s’avère nécessaire. Le culte dominical à l’EIB se déroule dans une ambiance joyeuse ; comme c’est le cas dans plusieurs rencontres charismatiques, il est célébré comme une fête64, un moment précieux avec Dieu. Dès le début, le président de la réunion cherche à conduire l’auditoire à réaliser la présence de Dieu. La première partie, appelée dans certaines liturgies « rite d’ouverture »65, est caractérisée par les chants d’ensemble entrecoupés de prières libres ou collectives : l’accent est mis sur la louange et l’adoration, précédées parfois de la confession des péchés. C’est dans cette première partie 61

Cité par NSUMBU, J., « Liturgie et inculturation ; une question d’identité et d’expression de la vie de l’Église chrétienne », dans Analecta Bruxellensia, (Revue annuelle de la Faculté universitaire de théologie protestante de Bruxelles), n° 1, 1996. 62 Interview du pasteur KIBUTU, op. cit. 63 Ibid. 64 « La fête tient une grande place dans la vie du peuple de Dieu telle que nous la présente la Bible. La liturgie d’Israël est une liturgie des fêtes. Cet état de choses n’est pas sans relation avec la nature du salut que proclame et célèbre la liturgie. Le salut promis par Yahvé à Abraham et à sa descendance n’est pas une doctrine ou une idéologie écrite, mais plutôt un événement, une histoire. » BURKI, B., « L’assemblée dominicale. Introduction à la Liturgie des Églises protestantes d’Afrique », dans Immensee, Nouvelle revue de science missionnaire, 1976, p. 97. 65 VEUTHEY, M., Assemblées qui chantent, Paris, Centre national de pastorale liturgique, 1978.

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qu’interviennent les chorales. Celles-ci sont réparties en trois groupes : deux mixtes et un troisième constitué uniquement de femmes. Cette ouverture est animée principalement par une équipe mixte de plus ou moins dix personnes dénommée « groupe de louange » : les uns chantent et entraînent ainsi toute l’assemblée à l’adoration pendant que les autres accompagnent les chants avec les instruments de musique. L’accompagnement musical révèle une harmonie entre ce qui est occidental et ce qui est africain66 : on utilise d’une part un synthétiseur électronique et des guitares électriques, et d’autre part des maracas et des tam-tam dans une expression libre avec élévation ou battements des mains. Bruno Burki n’écrivait-il pas : « La culture particulière des hommes qui se réunissent pour adorer le Seigneur marque toujours profondément la liturgie de ces hommes. S’il en était autrement, le culte qu’ils célèbrent ne serait pas vraiment leur culte »67. Le culte atteint son point culminant au moment de la prédication. Comme c’est le cas dans toutes les Églises issues de la Réforme, les Saintes Écritures occupent généralement la place centrale ; l’EIB se situe dans la tradition protestante et ne fait donc pas exception. L’élément marquant de ces prédications est que très souvent les messagers tiennent compte des « situations réelles »68 de la vie des membres. Les sermons ont un caractère exhortatif, et parfois instructif, arrangé en leçons. Les deux pasteurs étant bien formés théologiquement69, ils donnent des prédications qui, éxégétiquement, ne posent pas problème. Dans ce domaine, l’africanité se remarque dans la présentation. Les sermons sont exposés avec une grande liberté, dans une expression chaleureuse, parfois même avec un peu d’humour, et surtout dans un franc contact entre le prédicateur et l’assemblée, le message étant renforcé par des illustrations tirées de la vie quotidienne. Cependant, comme la prédication dure au moins une heure, on peut observer parfois une dispersion d’attention chez certains fidèles vers la fin de celle-ci. Ce temps est suivi soit d’un moment de prière, soit d’un appel à la décision ou à la consécration. 66

Caractéristique de l’expression du culte de la majeure partie des Églises dites africaines en Europe. 67 BURKI, B., op. cit., p. 30. 68 G. TER HAAR remarque la même chose quand elle affirme dans une étude sur une Église africaine en Hollande : « The preacher always makes a connection between the lessons draw from the Bible and the situation of individual members of this congregation », op. cit., p. 12. 69 Lors de nos recherches sur cette Église, le pasteur titulaire était docteur en théologie et son assistant possédait une licence en théologie. Actuellement, ce dernier n’est plus avec lui. Le pasteur est assisté par des jeunes pasteurs formés sur place à l’Institut biblique et théologique organisé par l’Église.

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Lors de la dernière partie du culte, le point marquant est le moment des offrandes. C’est un moment particulièrement animé. Souvent l’assemblée se tient debout pour chanter pendant que les corbeilles circulent. Parmi les cantiques exécutés, nombreux sont ceux qui sont chantés en langues africaines (surtout le lingala et le swahili). Ce type de cantiques, appelés communément « airs populaires » est interprété d’une façon très rythmée. Les participants les chantent avec des battements de mains et des danses. Senghor écrit : « Nous autres Africains, nous disons : Je danse donc je suis »70. Cet adage, commente Bruno Burki, « exprime très bien la place que prend la danse dans la vie traditionnelle. Elle accompagne aussi bien les occupations quotidiennes que les événements extraordinaires de la vie pour que les hommes puissent exprimer par le corps ce qu’ils sont en train de vivre… La danse est le geste humain dans sa forme la plus intense… ». Il ajoute : « On voit mal par conséquent une liturgie chrétienne, sur ce continent où l’on danse si volontiers et si bien, sans que cet élément y ait sa place ». Si, au début du culte, l’exécution des cantiques semble parfois douce, au moment des offrandes, après avoir écouté longuement le prédicateur, l’expression des chants marque pour les fidèles un moment de détente avant les annonces et la bénédiction finale.

Les actes pastoraux Le baptême et la Sainte Cène Les deux sacrements retenus par la Réforme sont pratiqués par l’EIB.

Le baptême L’EIB pratique le baptême par immersion. Le pédobaptême71 n’est pas accepté. Sa liturgie est très simple, mais elle est caractérisée par une atmosphère de joie. Le pasteur exhorte l’auditoire sur la signification biblique du baptême. Le candidat confesse publiquement sa foi et est plongé dans l’eau après la déclaration du pasteur qui prend acte de son engagement à suivre Jésus-Christ. C’est la formule trinitaire qui est toujours utilisée pour l’occasion : « (Prénom de l’aspirant au baptême), je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ».

70

Cité par BURKI, B., op. cit., p. 62. L’EIB rejette le baptême des enfants, comme certaines des Églises issues de la Réforme. Elles estiment non fondées bibliquement les bases théologiques du pédobaptême. Par contre, la dédicace des enfants est pratiquée, en toute simplicité. Le pasteur prend l’enfant dans ses mains et prie pour lui.

71

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L’auditoire chante des cantiques populaires africains ou des chants de consécration, accompagnés de battements de mains, de cris et dans une grande réjouissance. De toute évidence, le message de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ est présent dans la liturgie de ces deux sacrements à l’EIB. Cependant, c’est dans l’expression qui entoure ces actes qu’on remarque l’apport spécifique de la culture africaine, expression qui n’annule pas le fond du message évangélique mais qui simplement le véhicule.

La Sainte Cène Elle a lieu une fois par mois. Dans le milieu protestant en général, on trouve deux tendances : d’une part, les Églises pour lesquelles la Sainte Cène fait partie du culte ordinaire (Église réformée, luthérienne, quelques Églises pentecôtistes, etc.) et d’autre part, celles dont le culte avec la Sainte Cène est plutôt spécial72. Quant à la manière de célébrer la Cène, l’EIB utilise la liturgie de l’Église réformée de France73. Celle-ci n’est cependant pas suivie à la lettre, car elle est célébrée avec beaucoup de liberté et de spontanéité. C’est un moment où l’on peut également observer l’originalité de l’expression africaine et surtout charismatique dans les célébrations. C’est avant tout l’ambiance de fête et l’abondance des prières libres des participants qui caractérisent ce moment particulier. C’est ainsi que Burki Bruno a pu écrire : « La culture particulière trouve sa place dans le culte de l’Église, afin que cette culture aussi devienne une offrande pour le Seigneur. Notre liturgie est africaine pour être le sacrifice des Africains à la gloire du Christ ressuscité »74. Le mariage L’une des célébrations liturgiques intéressantes à l’EIB est la cérémonie du mariage. Le mariage-type répond à un certain nombre de conditions75 : un mariage ne s’improvise pas ; il est soigneusement préparé, dans les moindres détails de son déroulement. Les fiancés suivent de trois à cinq séances d’enseignement sur le mariage chrétien. Une grande mobilisation se fait autour de l’organisation matérielle de la fête. Quant à la cérémonie proprement dite, elle se déroule en plusieurs étapes. L’entrée des fiancés se fait en procession, avec un accompagnement musical, sous les acclamations et les cris de joie de l’assemblée. La liturgie 72

74 75 73

Quelques Églises baptistes, mennonites, pentecôtistes, etc. Église réformée de France, Liturgie, Paris, Berger-Leviault, 1963. BURKI, B., op. cit., p. 31. Notre analyse se réfère aux observations personnelles et aux cassettes vidéo.

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dans son ensemble est réformée76, à laquelle s’ajoutent des expressions spontanées. On y retrouve néanmoins l’institution, l’instruction, la prédication, les engagements et la bénédiction des époux. Ce qui est particulier relève plus de l’apport culturel des acteurs de l’événement : les chorales chantent souvent dans la langue des mariés. Tous les chants sont circonstanciels et véhiculent des enseignements, des conseils utiles pour le mariage chrétien. Les acclamations qui suivent les chants de chaque chorale agrémentent la fête. Les prédicateurs ne restent pas théoriques. Ils s’efforcent toujours d’illustrer leurs messages par des expériences tirées de la vie conjugale. Ils ne manquent pas d’humour et d’imagination pour capter l’attention de l’auditoire. Le moment des offrandes voit s’exprimer une grande réjouissance populaire accompagnée d’une musique rythmée, de battements des mains et de danses de toute l’assemblée. Après la cérémonie, toute l’Église est invitée dans un lieu où un grand repas est servi aux participants. Là encore, on peut mesurer l’apport de l’hospitalité africaine qui ne tient pas compte de la carte d’invitation pour une fête communautaire. Le mariage en Afrique est une des occasions de retrouvailles de tout un peuple, et l’on veille à ce que personne ne se sente exclu. À travers l’habillement, le menu du repas de fête et la danse se reflètent les emprunts à la culture africaine.

La confession de foi77 L’existence, la fidélité et l’unité de l’Église sont liées à la confession de foi. Celle-ci est l’expression de ce que l’on croit profondément. Contrairement à certaines communautés à majorité africaine, l’EIB dispose d’une confession de foi. En effet, comme on peut l’observer, il s’agit de la confession de la Mission évangélique belge. Cette confession atteste les affirmations théologiques des Églises évangéliques. Mais bien qu’elle soit riche et dotée d’un abondant appui biblique, les responsables de l’EIB se sont rendu compte qu’elle ne renferme pas tout ce qu’ils croient. Le texte ne dit rien sur la manifestation des dons du Saint-Esprit. Il ne dit rien non plus sur les miracles. La confession actuelle devrait donc être adaptée aux réalités de l’Église, qui est devenue de plus en plus charismatique. Ces constats suscitent la question de l’appropriation personnelle de la foi chrétienne et du besoin d’adaptation et d’inculturation dans une réalité locale. 76

Voir la liturgie de l’Église réformée de France, op. cit. Voir annexe n° 4.

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Après la Nouvelle Jérusalem et l’EIB, nous nous attacherons à présenter une troisième manifestation de la chrétienté africaine en Belgique, à savoir l’Assemblée du Plein Évangile.

B.  Les Églises moyennes d’expression africaine 1.  L’Assemblée du Plein Évangile Dans un mémoire de fin d’études présenté à la Faculté universitaire de théologie protestante de Bruxelles, Tshimanga Mukadi78 a remarquablement présenté cette troisième grande Église d’expression africaine en Belgique. Me référant à ses données, je tenterai d’analyser les grandes lignes de cette communauté ; elles seront complétées par une observation personnelle sur le terrain.

Aperçu historique L’Église du Plein Évangile est une dissidence de la Nouvelle Jérusalem de Bruxelles. C’est aussi le cas de plusieurs Églises africaines en Europe79 et en Belgique en particulier. Elles naissent et disparaissent facilement après un conflit ou une querelle quelconque. Suite à une divergence d’opinions interne, un groupe de sept membres actifs se séparèrent de la Nouvelle Jérusalem de Bruxelles pour créer en 1992 l’Assemblée du Plein Évangile. Tshimanga, qui fait partie des sept, justifie le fait en évoquant la liberté protestante depuis la Réforme. On peut toutefois se poser la question de savoir si toutes ces divisions contribuent au bon témoignage de l’évangile dans les pays d’accueil, et si la division dans ce domaine n’est pas une spécialité africaine. Généralement, l’insoumission à l’autorité et les divisions ont été reconnues par les observateurs avisés comme la grande faiblesse du sacerdoce universel prôné depuis la Réforme par la mouvance protestante. Il semble normal que les Églises dites africaines ne puissent échapper à la règle. Une note biographique du pasteur Né le 27 juillet 1947 à Kabinda, dans la province du Kasaï occidental en République démocratique du Congo, le pasteur Kamuanga est marié 78

TSHIMANGA MUKADI DIASHINGI, op. cit. G. TER HAAR fait le constat suivant : « Non-africans are often surprised by the speed with which African-led churches multiply, and Europeans who report on this subject see the foundation of new churches as evidence of constant splits and schisms », TER HAAR, G., op. cit., p. 96.

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et père de six enfants. Après une formation d’ingénieur agronome, il travaille dans une société d’import-export. Dans le cadre de son travail, il est appelé à faire des voyages entre Bruxelles et Kinshasa. Lors d’un voyage au Congo, il rencontre un ancien ami devenu pasteur. Ce dernier lui parle de Jésus, et il se convertit au christianisme. De retour à Bruxelles, il se fait membre de l’Église de Dieu du pasteur Tijerina. Il fera partie d’un groupe de sept80 personnes qui se sépareront de la Nouvelle Jérusalem de Bruxelles pour créer l’Église du Plein Évangile et qui le choisiront comme pasteur. Il est dans le ministère pastoral depuis 1990. Cette brève esquisse biographique nous conduit à constater que l’appel au ministère dans son cas s’est fait d’une manière spontanée, par un concours de circonstances. Ici comme dans la plupart des autres cas dans le milieu charismatique, c’est le leader du groupe qui devient pasteur de fait, contrairement au schéma traditionnel qui consiste à suivre une formation pastorale ou théologique avant de devenir pasteur. C’est seulement après un certain temps qu’apparaît le besoin de se former. Pour pallier cette carence, le pasteur Kamuanga a suivi de son côté une formation par correspondance dénommée King’s Way et organisée par des Églises américaines, une formation centrée sur la Bible et la théologie. Il est difficile de donner une appréciation de son contenu, à défaut de renseignements sur la composition des modules de cours81. C’est dans l’annonce de l’évangile que s’inscrit l’impact de cette communauté chrétienne. En dehors de ses activités à Bruxelles, l’Église a créé deux cellules de prière animées par le pasteur : l’une à CharlevilleMézières, à la frontière française, qui rassemble de 15 à 20 personnes, toutes d’origine européenne, et l’autre à Jodoigne, qui réunit également une vingtaine d’Européens de souche. Difficultés La grande difficulté rencontrée par le pasteur dans son ministère est liée à l’acceptation d’un collège autochtone, difficulté qui se traduit par un manque de sincérité dans la collaboration.

80

TSHIMANGA, op. cit., p. 34. Signalons ici qu’une des difficultés rencontrées dans notre recherche est l’accès à certaines informations d’ordre apparemment plus personnel et nécessitant un certain degré de confiance. D’autant plus que certaines questions pouvaient paraître indiscrètes pour l’interlocuteur.

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Courbe de fréquentation

L’observation du graphique ci-dessus laisse percevoir une croissance numérique évidente, comme dans les deux autres Églises déjà analysées. Mais vers 1996, la courbe descend brusquement de la moitié de sa hauteur, ce qui s’explique par le départ d’un grand nombre de fidèles avec un nouveau leader. Toutefois, de 2002 à 2004, l’effectif est remonté de 220 à 250 personnes82.

Structure La structure de l’Assemblée du Plein Évangile n’est pas comparable à celle d’une Église réformée, affirme Tshimanga. Elle est similaire à celle de quelques assemblées indépendantes de tendance pentecôtiste. L’équipe fondatrice, celle des sept, deux hommes et cinq femmes, constitue le conseil paroissial des anciens. L’Église fonctionne sous forme d’association sans but lucratif, avec un conseil d’administration formé d’administrateurs élus par une assemblée générale constituée de l’ensemble des fidèles. Analyse socioreligieuse L’Assemblée du Plein Évangile rassemble une population qui compte environ 250 personnes, avec une majorité d’adultes. On y trouve un pourcentage élevé de femmes, près de 60 %, un phénomène jugé normal dans les Églises chrétiennes selon l’auteur. Le soutien tant matériel que spirituel vient souvent de ces femmes qui participent massivement aux différentes activités de la vie de l’Église. Comme pour les deux autres grandes Églises africaines de Belgique, les origines géographiques, sociales et ecclésiastiques de la population de l’Assemblée du Plein Évangile sont assez variées. 82

KAMWANGA, N., pasteur de l’Église du Plein Évangile, interview à Bruxelles du 26 janvier 2006.

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Les origines géographiques –– Congolais : 80 % ; –– Européens : 12 % ; –– Autres : 8 %. L’Assemblée du Plein Évangile compte plus d’une vingtaine de nationalités83, autochtones et étrangers mélangés. La majorité de ces nationalités sont d’origine africaine et particulièrement congolaise. L’actualisation84 des données révèle que l’Assemblée du Plein Évangile est constituée de trois quarts de personnes d’origine africaine et d’un quart d’Européens de souche, ce qui confirme les données de l’analyse faite par Tshimanga. Les origines sociales Sur le plan social, l’Église du Plein Évangile est formée en grande partie de jeunes adultes, étudiants pour la majorité d’entre eux. Les estimations85 par catégorie se répartissent de la manière suivante : –– étudiants : 54 % ; –– anciens étudiants : 9 % ; –– réfugiés politiques et économiques : 30 % ; –– travailleurs : 7 %. Les origines ecclésiales Comme on a pu le constater sur la population de l’E.I.B, et c’est le cas de la majorité des Églises de type pentecôtiste ou charismatique de la diaspora africaine, la population de l’Assemblée du Plein Évangile est constituée en majorité d’anciens catholiques romains, catholiques non pratiquants qui renouvellent leur foi en Christ. Ils sont ainsi encadrés, écrit Tshimanga86, par les enseignements indispensables afin de les affermir dans la foi. Sur le plan socioreligieux, l’Assemblée du Plein Évangile semble être un archipel de métissage dans le sens d’une grande diversité de nationalités. C’est une richesse et un exemple de ce que peut faire l’Église 83

Congolaise (de l’ex-Zaïre), belge de souche, hollandaise, angolaise, espagnole, française, roumaine, indonésienne, rwandaise, togolaise, libanaise, argentine, luxembourgeoise, grecque, bulgare, brésilienne, suisse, camerounaise, burundaise, congolaise (du CongoBrazzaville), guadeloupéenne. 84 Source : Église du Plein Évangile. 85 Les estimations faites ici datent de 2001. La situation actuelle doit être un peu différente. 86 TSHIMANGA, op. cit., p. 53.

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africaine dans la société belge : s’adapter à la culture d’accueil et s’intégrer, s’ouvrir aux autres en s’adaptant au rythme de la vie quotidienne. L’Assemblée comporte en son sein 12 %87 d’Européens. Ce petit nombre est significatif  : c’est un pas de géant, constate Tshimanga. Il poursuit plus loin : par sa mission évangélique, cette Église joue vis-à-vis des jeunes un rôle de protection contre toutes sortes de déviances telles que la délinquance, la drogue, la prostitution et d’autres activités de même nature qui pourraient pousser ces derniers vers les marges de la société. À travers ses activités, l’Église encourage les jeunes à s’intégrer dans la société. Elle participe régulièrement aux activités à caractère culturel organisées par la commune de Saint-Josse, à l’occasion des fêtes ou des jours fériés, à l’intention des habitants. Cette participation prend souvent la forme d’une animation par des jeunes de l’Église à travers des chants, du sport, etc., toujours avec l’approbation des autorités municipales88. La note négative de cette étude se résume en deux constatations : le type de gouvernement pratiqué par l’équipe dirigeante est qualifié par une certaine catégorie de fidèles de «  pastocratie  ». Néanmoins, si les Européens de souche qui s’attachent à cette Église à majorité africaine peuvent s’y intégrer, c’est généralement grâce à l’accueil et à la chaleur africaine qui fait de cette communauté, selon eux, une « grande famille de Dieu ».

2.  L’Église de l’Arche de la Gloire de l’Éternel Œuvre du pasteur Ilunga, originaire de la République démocratique du Congo, cette Église est plus récente que les grandes Églises d’expression africaine en Belgique. Elle a débuté en 1997 par une cellule de prière, comme la plupart des Églises d’initiative africaine en Europe, ce que constate aussi Gerrie ter Haar89. Cette communauté à majorité africaine d’obédience pentecôtiste relève en réalité d’une nouvelle dénomination qu’on appelle « Église de réveil ». Ce sont de nouvelles Églises pentecôtistes ou charismatiques d’un genre nouveau : elles pensent apporter le réveil spirituel partout dans le monde. C’est un grand mouvement qui aujourd’hui a des ramifications en Afrique, en Amérique latine et en Asie (Corée).

87

Idem. KAMWANGA, N., op. cit. 89 TER HAAR, G., Africans Christians in Europe, Action Publishers, Nairobi, 2001, p. 145. 88

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Mission en retour, réciproque et interculturelle

Présentation de l’Église Le texte de présentation de l’Église déclare90 : « L’Église de l’Arche de la Gloire de l’Éternel est un ministère apostolique et évangélique de Jésus-Christ par le Saint-Esprit. Son but principal est de promouvoir le Royaume de Dieu parmi les hommes de toutes races, origines et opinions, conformément à la parole de Dieu (la Bible) ». Pour ce faire, elle organise : –– des campagnes d’évangélisation ; –– des séminaires de formation biblique ; –– des conférences, sessions et retraites spirituelles selon la Bible ; –– des conventions et camps de formation biblique (à l’intention des jeunes adultes et des enfants) ; –– des groupes de prière ; –– des journées de louange et d’adoration de Dieu. Actuellement, l’Arche de la Gloire de l’Éternel est implantée au Congo démocratique, en France et en Belgique. Dans ce dernier pays, elle est membre de la Fédération évangélique francophone de Belgique (FEFB) et du Synode fédéral des Églises protestantes et évangéliques de Belgique. Biographie du pasteur Ilunga Né à Lubumbashi le 15 février 1954, il a étudié dans un collège bénédictin où il a suivi une formation commerciale. Après ses études secondaires, il a poursuivi ses études dans ce domaine à l’Université du Zaïre et a obtenu un graduat en sciences commerciales. En 1977, il est engagé comme chef de service comptable à la « Société Générale Entreprise ». Il a travaillé ensuite à la Gécamines comme directeur de la comptabilité et du budget. C’est dans une Église pentecôtiste qu’il fait sa première expérience chrétienne, précisément à la 30e Communauté de « l’Église du Christ au Congo ». Comme cadre supérieur, il entre en contact avec le ministère des hommes d’affaires du Plein Évangile. Cela lui permet de se rendre plusieurs fois aux États-Unis pour assister à des conventions de ce mouvement. C’est dans ce cadre qu’il reçoit sa vocation au ministère d’évangélisation. Il fait quelques voyages d’évangélisation dans les autres provinces du Congo, en Afrique du Sud, en France, puis il arrive en Belgique. Il n’a pas suivi de formation théologique classique. Il s’est formé à travers le ministère chrétien des hommes d’affaires du Plein Évangile. 90

Voir annexe n° 5.

128

Les origines des chrétiens – anciens catholiques : 50 % ; – anciens musulmans : 10 % ; – anciens protestants : 30 % ; – anciens agnostiques : 10 %. Ces statistiques nous ont été communiquées par le pasteur de l’Église. pourcentage d’erreurs, il n’est pas incorrect d’attester d’un ministère d’évangélisation qui a des répercussions sur un nombre conséquent de personnes des catégories indiquées.

Les origines géographiques – origine congolaise (RDC) : 35 % ; – origine européenne (belge, française, portugaise, espagnole, italienne, polonaise) : environ 10 % ; – origine africaine (nigériane, béninoise, guinéenne, malienne, burundaise, ghanéenne, sénégalaise, malgache, etc.) ; – origine brésilienne ; – origine turque. C’est donc une communauté à caractère international, qui se place parmi les Églises à majorité africaine intermédiaire. interdénominationnelle. Mais, selon le pasteur, c’est une liturgie typique des Églises de réveil. Notre observation personnelle nous incite à la considérer comme une liturgie pentecôtiste ou charismatique avec une coloration africaine.

chrétienne pour la population d’origine africaine. Elle s’inscrit dans la tradition évangélique pentecôtiste et charismatique. La multiplication des activités, l’insistance sur la prière et sur le combat spirituel « Tolérance Zéro »91 attirent les « assoiffés de miracles ». L’Église devient le lieu où les maux quotidiens trouvent des repoussoirs dans le contexte exigeant de la société. Sur le plan administratif, elle apparaît

91

Voir annexes n° 5.

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ailleurs, le nom « Arche de la Gloire de l’Éternel » est très révélateur. On peut l’interpréter comme une traduction de la volonté d’affirmer son existence dans un monde où Dieu est absent et relégué dans la sphère du privé. C’est la caractéristique des Églises de réveil.

3. Évolution des Églises d’expression africaine de Bruxelles de 1999 à 200592 1999

2001

2003

2005

EDB siège central

1800

1800

1500

non communiqué

EIB Schaerbeek

450

250

750

650

APE Saint-Josse

non membre

265

200

235

AGE Anderlecht

non membre

non membre

290

260

Les chiffres repris dans le tableau ci-avant sont communiqués tous les deux ans (lors du « comptage » du 15 novembre des années impaires) au Synode fédéral des Églises protestantes et évangéliques de Belgique par les Églises qui en sont membres. Le tableau se limite ici à l’Église de Dieu de Bruxelles (le siège central et ses annexes), à l’Église Internationale de Bruxelles, à l’Assemblée du Plein Évangile de Saint-Josse et à l’Arche de la Gloire de l’Éternel. Les chiffres indiqués se rapportent à la moyenne des présences au culte lors des trois premiers mois de l’année ; ils s’entendent adultes et enfants compris. De ce tableau on peut déduire que la diminution des effectifs est liée à la création d’Églises annexes. La mission se poursuit, principalement auprès des Africains. Mais dans l’ensemble, c’est le petit groupe qui atteste la mixité.

C. L’Église protestante de Bruxelles-Ixelles ou Église du Champ de Mars Le choix de cette Église est lié à son emplacement géographique : au centre de Bruxelles existe en effet un quartier africain. L’Église d’Ixelles étant située proximité de ce quartier, elle accueille naturellement un grand nombre d’Africains.

Aperçu historique « Où le monde est la paroisse du Seigneur », c’est ainsi que s’intitule le Mémorial synodal. Cette Église a été créée en 1920, dans le cadre du 92

Statistiques reçues au bureau du CACPE, août 2006.

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travail de secours organisé en Belgique par l’Église méthodiste du sud des États-Unis d’Amérique sous la direction du pasteur W.G. Thonger. Ce dernier est le véritable promoteur du méthodisme à l’époque moderne. Après la Première Guerre mondiale, il devient l’interprète du World Brotherhood Movement, une association chrétienne laïque qui désire pratiquer une politique du Royaume de Dieu en créant des œuvres hardies. L’Église d’Ixelles affiche très tôt la vocation de devenir la maison du protestantisme en Belgique par sa volonté de coopérer avec les Églises protestantes existantes. Le bâtiment abrite de nombreuses institutions parmi lesquelles le Bureau des Missions protestantes au Congo belge, les bureaux et studios de la Radiotélévision protestante francophone93 et l’aumônerie protestante auprès des étudiants étrangers. L’internationalisation de Bruxelles y a amené de nombreux coreligionnaires d’autres pays, écrit H. Boudin. Certains d’entre eux ont trouvé un foyer spirituel accueillant au sein de la communauté protestante de la rue du Champ de Mars. Au cœur de la capitale, la paroisse d’Ixelles se veut un lieu où, nourris de la Bible et interpellés par le monde, des hommes et des femmes de divers continents vivent leur attachement à Jésus-Christ.

Participation L’Église d’Ixelles compte entre 130 et 135 membres. La participation moyenne au culte est estimée à plus ou moins à 90 personnes, dont 50 % sont d’origine africaine (le pourcentage varie d’un dimanche à un autre, tantôt 60 %, tantôt 40 %). On notera aussi la participation de nombreux enfants, dont la majorité est de souche africaine et qui vivent au cœur de la capitale. Cela s’explique, selon le pasteur Thienpont, par l’importance que les Africains accordent à la famille. Ceux-ci s’engagent à fréquenter une Église avec toute leur famille plus facilement que les Européens pour lesquels la religion reste du domaine du privé. L’Église d’Ixelles peut être considérée comme une Église mixte, une Église à vocation multiculturelle consciente, selon les termes du pasteur Thienpont.

D. L’Église de Jésus-Christ sur la terre par le prophète Simon Kimbangu en Belgique Le kimbanguisme est un mouvement religieux messianique et prophétique né il y a plus de quatre-vingts ans, en plein cœur de l’Afrique, 93

Boudin, H.R., op. cit., p. 94.

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précisément dans le sud-ouest de la République démocratique du Congo, l’ex-Congo belge. Il faut noter qu’il existe une littérature abondante à ce sujet. On ne peut étudier ce mouvement sans faire référence aux travaux du sociologue Georges Balandier94. Celui-ci est l’un des premiers à avoir replacé le phénomène dans son contexte colonial. Le Congolais Martial Sinda95 livre quant à lui les repères dans le contexte historico-religieux de l’Afrique centrale. Quant à la sociologue américaine Susan Asch96, elle a retracé l’évolution du kimbanguisme depuis sa genèse jusqu’aux années 1980. Marie-Louise Martin, en adhérant au mouvement, a pu donner de l’intérieur quelques perspectives théologiques. Par ailleurs, deux thèses de doctorat97 ont déjà été défendues dans notre Faculté sur le sujet. Compte tenu du caractère particulier de mon étude, l’approche de ce cas sera mené en trois étapes : dans un premier temps, je proposerai un aperçu historique de la présence kimbanguiste en Belgique, je présenterai ensuite une brève analyse socioreligieuse et théologique, pour aboutir dans un troisième temps à la question de la contribution missionnaire de la diaspora kimbanguiste dans la mission chrétienne en Belgique.

Aperçu historique L’histoire de la présence kimbanguiste en Belgique ressemble à celle qui a eu lieu dans d’autres pays d’Europe : la France, l’Allemagne, la Suisse, le Royaume-Uni, etc. En effet, c’est par l’immigration des étudiants kimbanguistes que le mouvement s’est exporté en Europe. Tout a commencé en 1975 quand des étudiants kimbanguistes, originaires de la République démocratique du Congo, du Congo-Brazzaville et de l’Angola, dispersés dans divers pays d’Europe (Belgique, France, Suisse, Espagne, etc.), se sont retrouvés ensemble à Paris pour fêter la Noël, à l’initiative de leur « chef spirituel », Kisolékélé Lukelo Charles, premier adjoint et fils aîné de Simon Kimbangu, qui avait rejoint les étudiants de Suisse, pays où il s’était rendu pour un contrôle médical. De ces premières retrouvailles naquit le Cercle international kimbanguiste (CIK), dont l’objectif était double : 94

BALANDIER, G., Sociologie actuelle de l’Afrique noire, Paris, Presses universitaires de France, 1963. 95 SINDA, M., Le messianisme congolais et ses incidences politiques, Paris, Payot, 1972. 96 ASCH, S., L’Église du prophète Simon Kimbangu de ses origines à son rôle actuel au Zaïre, Paris, Karthala, 1983. 97 KITIKILA DIMONIKA, Essai historique sur les origines de la pensée prophétique de Simon Kimbangu. Approche critique de la missiologie moderne, thèse de doctorat présentée à la Faculté universitaire de théologie de Bruxelles, 1984. NSILULU NKINDI MANANGA, F., L’Église kimbanguiste : mythes et réalités, thèse de doctorat présentée à la FUTPB, 2001-2002.

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–– être un organe de liaison entre les étudiants kimbanguistes expatriés en Europe, d’une part, spécialement ceux de France, de Belgique et de Suisse, et la direction de l’Église kimbanguiste au Congo (ex-Zaïre), d’autre part. –– répondre, en outre, aux besoins spirituels des étudiants kimbanguistes insatisfaits des réalités spirituelles dans les Églises tant catholiques romaines que protestantes des pays d’accueil, qui ne répondaient pas à leurs aspirations religieuses profondes. En d’autres termes, disposer d’un cadre de vie religieuse susceptible de permettre l’application des principes chrétiens tels qu’ils sont mis en œuvre par l’Église kimbanguiste du pays d’origine. Les premières rencontres kimbanguistes en Belgique ont débuté, comme en France, aux alentours de 1975 avec l’arrivée massive des adeptes kimbanguistes venus principalement de l’Angola. Mais l’ouverture officielle du culte kimbanguiste en Belgique a eu lieu en mars 1978, à Bruxelles, par le premier chef spirituel de l’Église kimbanguiste à cette époque, Diangienda, fils cadet du prophète Simon Kimbangu, qui s’était fait accompagner d’une délégation de 350 adeptes venus avec lui d’Afrique. C’est à la même occasion qu’il inaugura officiellement l’Église kimbanguiste de France98. La croissance ne se fit pas attendre avec l’arrivée massive des immigrés des années 1980. Afin de résoudre le problème de transport et pour une meilleure organisation, les responsables décidèrent la création d’une deuxième paroisse à Anvers où résidait une importante communauté kimbanguiste99. Actuellement, on compte quatre paroisses kimbanguistes en Belgique : deux dans la région bruxelloise, une à Anvers et une autre à Liège. Les quatre paroisses réunies atteignent un effectif d’environ 300 personnes. L’actuel chef spirituel kimbanguiste se nomme Simon Kimbangu Kiangami.

98

La communauté s’est bien installée en France. L’arrivée d’autres kimbanguistes, l’adhésion à la communauté d’autres Congolais établis en France et les naissances d’enfants sur le sol français sont devenues des facteurs d’augmentation de cette population. Actuellement, on estime à environ deux mille le nombre total des kimbanguistes en France, majoritairement originaires de trois pays ci-mentionnés : le Congo-Brazzaville, le Congo-Kinshasa et l’Angola. L’analyse de la composition de la communauté kimbanguiste en France fait ressortir la prédominance des populations provenant de la République démocratique du Congo (ex-Zaïre). Source d’information : . 99 On peut expliquer cette localisation par le fait que, géographiquement, le berceau du kimbanguisme étant la partie côtière de la République démocratique du Congo, du Congo-Brazzaville et de l’Angola, l’entrée massive des immigrés kimbanguistes en Belgique s’est faite par voie maritime.

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Structure et organisation Les kimbanguistes reproduisent les formes d’organisation et de sociabilité plus ou moins traditionnelles importées de leurs pays d’origine. La communauté représente une sorte de pont jeté entre le pays d’origine et la société d’accueil. C’est autant leur foi, leur spécificité identitaire que leur condition d’immigrés qui les ont réunis dans le pays d’immigration. La communauté kimbanguiste en Europe est cordonnée par des pasteurs nationaux autour desquels gravitent les pasteurs des paroisses créées dans le pays d’accueil. Pour la Belgique, c’est le pasteur Charles Mvendi qui est le responsable national. Ce dernier n’est pas théologien de formation, ce qui est pensable dans la plupart des Églises indépendantes africaines. La formation théologique n’est pas perçue comme une condition sine qua non pour servir Dieu. Le rôle de ces pasteurs est de conseiller et d’animer spirituellement la communauté. Ils contribuent à résoudre des problèmes moraux, spirituels, voire sociaux auxquels sont confrontés les membres et la communauté. Ils président les sacrements de baptême, de mariage et d’ordination. Ensuite viennent les diacres et diaconesses dont le rôle est d’administrer les fonds de la communauté. Enfin, les catéchistes sont chargés d’enseigner la foi et la morale chrétiennes, selon la doctrine kimbanguiste, aux enfants en âge d’apprendre et aux nouveaux adhérents. En général, l’administration ecclésiastique kimbanguiste est fondée sur un ordre hiérarchique qui est plus ou moins perçu comme sacré, à savoir la progéniture de Simon Kimbangu. Rappelons que la succession de Simon Kimbangu, fondateur du kimbanguisme, a été assurée par son fils cadet Joseph Diangienda Kuntima, entouré de ses frères aînés Kisolokélé Lukelo et Dialungana Kiangani. À la mort de Diangienda le 8 juillet 1992 (après celle de Kisolokélé survenue le 17 mars 1992), Dialungana Kiangani, seul survivant des enfants de Kimbangu, est devenu chef spirituel de l’Église. Il est l’autorité suprême et préside le Conseil international de l’Église dont le siège est N’kamba, dite « Nouvelle Jérusalem », en République démocratique du Congo. Père de neuf enfants, Dialungana Kiangani en compte dix-sept autres laissés par ses frères défunts. Certains de ces enfants habitent en Europe, notamment en France. Ils incarnent la présence de leur père au sein de la communauté en Europe. Cette transmission de pouvoirs est reconnue avec plus ou moins de conviction par les fidèles. C’est ainsi que l’organisation ecclésiastique kimbanguiste, perçue – plus ou moins – comme profane, est confrontée à une autre organisation hiérarchique, perçue – plus ou moins – comme sacrée et bien connue dans le jargon kimbanguiste en termes de « descendance »100. 100

Cf. , op. cit.

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La chrétienté d’origine africaine au sein du protestantisme belge

Dans la communauté kimbanguiste, les familles forment de grandes catégories de personnes qui se situent suivant une hiérarchie donnée. Cette hiérarchie place au premier rang, comme il a été mentionné plus haut, les descendants de Simon Kimbangu, non seulement en leur donnant du prestige, mais aussi en leur accordant des privilèges d’ordre divin, puisque Simon Kimbangu, dans l’imaginaire kimbanguiste, est considéré comme Dieu le Saint-Esprit qui s’est rapproché des hommes en léguant au monde une progéniture humaine sacrée. De ce fait, l’appartenance à la galaxie familiale de Simon Kimbangu fournit un critère de stratification délimitant une aristocratie dont la conséquence est une certaine différenciation avec les autres familles de la communauté. De même, une certaine noblesse est conférée aux descendants des familles qui ont joué un rôle historique important dans la genèse de l’Église101.

Analyse socioreligieuse Les origines géographiques C’est une communauté avant tout africaine : –– 95 % des fidèles sont d’origine africaine ; –– 5 % sont belges (4 % par naturalisation et 1 % de souche, qui adhèrent à l’Église par un mariage mixte). Les origines religieuses La grande majorité des adhérents, c’est-à-dire près de 98 %, étaient déjà kimbanguistes avant d’arriver en Belgique. Les 2 % restants sont des sympathisants. Les types de pratiquants Dans son analyse sur les kimbanguistes de la diaspora, Kiri102 distingue trois catégories de kimbanguistes qui se différencient par rapport à la communauté d’accueil : la première catégorie et la plus importante est celle constituée par ce qu’il appelle les « kimbanguistes pratiquants 101

La famille de Mikala Madombe, la collaboratrice sacerdotale du chef spirituel de l’Église et seule survivante des « apôtres » de Simon Kimbangu ; les descendants des 37 000 familles martyrisées au temps de la colonisation, souvent appelés dans le jargon kimbanguiste Bana Kole, c’est-à-dire « enfants des sacrifices » ; les descendants des premiers pasteurs de l’Église, dits Dzala Bula, dzala signifiant littéralement « désir » ou « quête », bula « sacré », « spirituel », donc désir du sacré ou quête de la spiritualité. Toutefois, la hiérarchie dans cette catégorie, affirme Kiri, ne correspond pas à une certaine dévotion, contrairement au cas des descendants de Simon Kimbangu. Elle est simplement nominative car certains noms, surtout ceux des pasteurs défunts, résonnent avec un certain prestige. 102 KIRI, op. cit.

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actifs ». Cette expression renvoie aux kimbanguistes qui manifestent généralement un certain dynamisme dans la fréquentation du culte et la vie communautaire, mais qui y trouvent aussi une garantie de vie sociale par et dans la communauté. Leur adhésion, ou leur participation, s’inscrit avant tout dans une logique fonctionnelle. Il s’agit pour eux de participer et de répondre « présent » à toutes les retrouvailles kimbanguistes. Plus nombreux que les non-pratiquants et les sympathisants, les kimbanguistes pratiquants actifs (95 % en Belgique) se caractérisent par leur stabilité cultuelle, fondée essentiellement sur le partage des activités religieuses et du temps. Ils contribuent à activer la vie religieuse et s’emparent de celle-ci selon une logique de la vie en communauté. Ils donnent l’impression d’être plus engagés que les autres. La deuxième catégorie est constituée de « kimbanguistes non pratiquants ou passifs », et la troisième comprend les sympathisants (conjoints ou parents des fidèles ou des pasteurs kimbanguistes). Moins nombreux par rapport aux « pratiquants actifs », les estimations sont de 5 % en ce qui concerne la Belgique. Les non-pratiquants se distinguent aussi par leur mode d’inscription dans la communauté kimbanguiste. C’est dans cette catégorie que l’on trouve quelques Européens de souche, présents surtout par le mariage mixte. Quasiment absents de la vie religieuse, ils se révèlent par une présence occasionnelle au culte ; plus ou moins connus des autres kimbanguistes, ils se caractérisent aussi bien par un faible degré d’intégration dans la vie communautaire que par un avenir statutaire beaucoup plus incertain. Cela peut les conduire soit à changer de statut en devenant actifs, soit à quitter la communauté. Ils restent toutefois fiers d’appartenir à la communauté kimbanguiste. Le rapport à la société belge Les kimbanguistes en Belgique semblent être organisés sur la base d’une affirmation identitaire laissant apparaître une sorte d’« identitarisme communautaire » qui conjugue la sauvegarde de l’identité religieuse, ethnique et nationale. On note chez les kimbanguistes une forme de citoyenneté exercée dans le cadre de leur Église. La communauté des immigrants kimbanguistes étant une structure organisée, elle prend en charge des activités diverses tournées aussi bien vers le pays d’origine et la communauté que vers le pays d’accueil, telles que l’entraide, la participation à certaines fêtes organisées par les communes ou mairies, l’aide à l’intégration des nouveaux arrivants. Toutefois, on peut constater avec la sociologue américaine Susan Asch103 l’apport considérable du code de comportement kimbanguiste sur le plan moral, en milieu urbain comme en milieu rural. 103

ASCH, S., op. cit.

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S’il faut analyser l’ensemble de la doctrine kimbanguiste dans la perspective de la théologie chrétienne, il y a deux points que l’on ne saurait passer sous silence, à savoir : la divinisation de la famille du prophète qui est devenue une pierre d’achoppement avec les autres chrétiens et la question du baptême. En effet, l’Église kimbanguiste pratique ce qu’elle appelle le baptême par le Saint-Esprit en s’appuyant sur les déclarations de Jean-Baptiste avant le ministère du Christ : « Moi, je vous ai baptisés d’eau, lui il vous baptisera du Saint-Esprit » (Marc 1 : 8). Et la pratique du baptême proprement dit se fait par la prière avec l’imposition des mains104. Analyse théologique Dans son étude sur le kimbanguisme, Susan Asch105 observe ce qu’elle appelle les deux visages du kimbanguisme. En effet, il existe comme deux discours contradictoires au sein du même mouvement. D’une part, celui de la foi populaire, souvent non écrite. C’est ce qu’elle appelle « le kimbanguisme des kimbanguistes ». En effet, c’est la foi au quotidien des adeptes du mouvement. C’est cette dernière qui entretient l’imaginaire volontaire dans ce discours kimbanguiste, entre le prophète et le SaintEsprit. Ainsi, la place du prophète par rapport à l’Esprit Saint, troisième personne de la Trinité, reste confuse. En outre, l’appropriation et la substitution du baptême du Saint-Esprit telles qu’elles sont formulées par le kimbanguisme ne semblent pas soutenables sur le plan exégétique. C’est ce que constate aussi Ferdinand Nsilulu dans son étude sur l’usurpation du baptême du Saint-Esprit, attribut exclusif de Dieu, par les responsables kimbanguistes, qui constituerait, à la limite, une hérésie, de la même manière que la vénération des membres de la famille de Simon Kimbangu106. La famille du prophète L’Église catholique au Congo s’est clairement prononcée contre une collaboration avec le kimbanguisme. Toutefois si, sur le plan théologique, 104

105 106

Voici comment se déroule le baptême kimbanguiste : les catéchumènes sont disposés par ordre, à genoux devant une ligne de pasteurs appelés à les baptiser. Le pasteur superviseur ouvre la cérémonie par une prière improvisée, lit les textes de circonstance et fait les commentaires appropriés. Au moment de la prière baptismale, chaque pasteur impose les mains sur le catéchumène à genoux devant lui. Dès qu’elle est terminée, chaque pasteur serre la main de la personne nouvellement baptisée et l’aide à se lever comme pour symboliser la réception du nouveau membre dans la communauté. Source d’information : , op. cit. ASCH, S., op. cit. NSILULU KINDI MANANGA, F., op. cit.

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la doctrine kimbanguiste pose quelques problèmes pour la chrétienté, cela n’exclut nullement son rôle social et culturel éminent, dont l’affirmation identitaire négro-africaine. Quant à sa contribution à la mission chrétienne en Belgique et en Europe, il ne me semble pas possible de relever un apport théologique pertinent et consistant. En revanche, sur les plans moral et culturel, le kibanguisme permet de souder les liens identitaires permettant aux fidèles de mieux vivre leur situation d’immigrés en Belgique. Par ailleurs, contrairement aux autres Églises chrétiennes d’expression africaine, l’Église kimbanguiste se présente comme un mouvement spécifiquement africain. Sa présence et son extension sont liées avant tout à l’immigration africaine en Europe. C’est un mouvement de repli identitaire, à travers lequel les adeptes cherchent à affirmer leur existence sur une terre d’immigration. Ainsi, pour toute personne étrangère à sa culture d’origine, l’accès à ce mouvement semble difficile. En outre, le contenu doctrinal et théologique du mouvement n’offre pas d’ouvertures aux autres branches du christianisme. Ferdinand Nsilulu observe plusieurs déviations doctrinales au cours de ces quinze dernières années. Il finit par s’interroger pour savoir si l’on peut encore considérer l’EJCSK comme une Église chrétienne.

E.  La Fondation Olangi Wosho107 – Ministère du Combat spirituel Aperçu historique Créée par Elisabeth et Joseph Olangi, cette fondation est l’émanation d’une organisation religieuse dénommée « Ministère du Combat spirituel ». Celle-ci ne prétend pas être une Église, mais plutôt un groupement religieux d’origine chrétienne qui se base sur la prière et le jeûne pour résoudre les problèmes de l’existence. Ce mouvement, qui est très populaire à Kinshasa, rassemble des foules composées principalement de femmes en difficulté. Elisabeth Wosho, connue sous le nom de Maman Olangi, un nom emprunté à son époux Joseph Olangi, en fut la fondatrice, avant d’y entraîner son mari. Les deux membres du couple sont aujourd’hui les leaders de ce mouvement religieux congolais, dont on trouve des extensions un peu partout à la faveur de l’immigration congolaise dans le monde : en Afrique, en Europe (Belgique, France, Allemagne) et aux États-Unis. 107

Pour plus d’informations, lire sur le net : Lamentation sur l’Église au Congo Kinshasa. Madame Elisabeth Olangi et le ministère du Combat Spirituel. Le nouveau mouvement de réveil qui enrichit dans un pays classé parmi les plus pauvres au monde : arnaque ou manne du ciel ?, par Jack TUBADIAYI et Dieudonné DIKITA : .

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Elisabeth Olangi est la personnalité charismatique du mouvement qu’elle dirige à partir du Congo. Elle voyage régulièrement pour apporter son soutien aux adeptes qui vivent hors du Congo. L’attraction qu’exerce ce groupement religieux se fonde sur la subtilité de son enseignement du combat spirituel, tiré de la Bible et adapté aux réalités de la famille africaine en détresse. Ses manifestations s’apparentent aux spectacles de télé-évangélistes américains, mais appliqués au contexte africain de misère et de pauvreté. Cette similitude vient probablement du fait que le couple a séjourné aux États-Unis durant les études du mari avant de retourner au Congo. Le mouvement exerce aussi un attrait culturel : la peur de la sorcellerie, les mauvais esprits, les mauvais sorts, l’envoûtement, etc., trouvent un terrain propice à une application naïve de la Bible, ce qui ne peut se faire sans manipulations, ni sans victimes. En outre, l’enrichissement personnel des leaders dans un contexte de pauvreté et de misère suscite quelques interrogations de simple bon sens.

La doctrine En deux mots, la doctrine du mouvement Combat spirituel est d’inspiration chrétienne mais elle présente des exagérations de caractère sectaire. Je classe ce mouvement parmi les communautés africaines à caractère particulier, pour éviter le terme de secte dont la complexité de l’étude ne cadre pas avec ma problématique. Les caractéristiques sectaires de certaines communautés chrétiennes d’expression africaine constituent un champ de recherche que je laisse à d’autres chercheurs le soin d’explorer. Si ce mouvement peut être reconnu, de mon point de vue, comme un groupement religieux d’obédience chrétienne, il s’agit surtout d’un mouvement de libération spirituelle pour des Africains. Quant à l’apport éventuel à la mission en Europe, il se limite à l’évangélisation des compatriotes, dans une perspective de délivrance de la malédiction, des envoûtements et de la sorcellerie auxquels, d’après la doctrine de ce mouvement, tout Africain serait confronté. L’installation en Belgique108 Le groupe fut implanté en Belgique en 1996 par Amos David Musula, connu sous l’appellation de Papa Amos, alors qu’il était étudiant à ULB. 108

J’ai eu beaucoup de mal à recevoir les informations souhaitées, car le groupe est assez fermé aux étrangers. C’est pourquoi je trouverais inconvenant de citer le nom du membre qui m’a fourni les quelques informations transmises ici.

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Aperçu biographique du dirigeant Membre de la Nouvelle Jérusalem de Bruxelles, venu en Belgique pour des études d’économie, il se sent appelé à un service. Il quitte la Nouvelle Jérusalem pour créer un groupe de prière chez lui. Le groupe prend de l’ampleur. Plus tard, il prend contact avec Maman Olangi pour lui demander la permission de commencer officiellement le Ministère du Combat spirituel en Belgique. Cette dernière accepte. Le mouvement débute à Bruxelles en 1996. Le groupe est très important. La réunion principale qui se tient chaque dimanche de 15 à 19 heures rassemble entre 500 et 600 personnes, dont 80 % de femmes d’après mes observations. Celles-ci forment véritablement la base du mouvement. Comme je l’ai déjà souligné, le groupe ne prétend pas être une Église, mais un ministère de prière où l’accent est mis sur la délivrance. Papa Amos ne se fait pas appeler « pasteur », mais « berger ». Dans le contexte congolais, tous les dirigeants des groupes chrétiens qui ne veulent pas du titre de pasteur se font appeler « berger ». Ce sont néanmoins de vrais leaders qui entraînent des foules de personnes et qui exercent sur elles une grande autorité. Il faut noter que l’accès à l’information a été très difficile, car le groupe semble très fermé. Structure et organisation Le ministère est organisé en trois sous-groupes principaux : –– les Dames, constituées en ministère fondamental appelé Communauté internationale des femmes messagères de Christ (CIFMC). En lingala, elles ont un titre de bakolo ya ministère, « les propriétaires du ministère » ; –– les Hommes, qui constituent ce qu’ils appellent le « centre Peniel ». C’est une sorte d’école qui dispense l’enseignement du mouvement aux hommes ; –– les Jeunes, qui constituent la Jeunesse du Combat. D’après mon observation, l’ensemble est constitué de 80 % de femmes, 10 % d’hommes et 10 % de jeunes. La liturgie Un grand accent est mis sur la prière à jeun, la délivrance, la louange et l’adoration. Comme dans les autres groupes de tendance pentecôtiste ou charismatique, les fidèles chantent beaucoup et passent beaucoup de temps ensemble dans la prière. 140

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F. Les pasteurs africains dans le milieu belge Un nouveau phénomène est apparu dans l’histoire de l’Église en Europe et plus particulièrement dans l’histoire de la mission : la présence de plus en plus remarquée dans des paroisses, tant catholiques romaines que protestantes et évangéliques, de ministres du culte d’origine africaine noire pour servir des communautés en majorité blanche. Dans leur étude sur l’immigration subsaharienne en Belgique, Bonaventure Kagne et Marco Martiniello, sans approfondir la question, font le constat suivant : de plus en plus de prêtres ou de pasteurs africains sont appelés à servir dans les paroisses belges en raison de la crise des vocations qui frappe la Belgique comme pratiquement tous les pays d’Europe occidentale. C’est notamment le cas dans les diocèses du Brabant wallon, de Bruxelles, de Namur, de Hasselt, d’Anvers et, dans une certaine mesure, de celui de Bruges. Des étudiants africains dans le cursus de leurs études, notamment à Louvain-la-Neuve, sont aussi impliqués dans la célébration de l’office religieux dans de nombreuses paroisses belges. Certains Africains sont également ministres du culte de la religion islamique109. Ce constat montre un vrai changement dans le paysage religieux européen. Mon étude de cas, limité au protestantisme belge, ne me permet pas d’aborder les cas des prêtres catholiques africains110, ni celui des imams africains de l’islam belge. Je me pencherai sur le cas de quelques pasteurs choisis par dénomination. Ils me serviront d’échantillons d’analyse. Je tenterai donc de retracer le parcours biographique de ces hommes, en vue de repérer leur éventuelle contribution à la mission chrétienne de l’Église en Belgique.

1. L’Église protestante unie de Belgique (EPUB) et partenaires111 L’Église protestante unie de Belgique compte actuellement 96 pasteurs. Parmi ceux-ci on dénombre huit pasteurs d’origine africaine, ce qui représente 8,3 % de l’effectif pastoral. Il s’agit de M. DILOUAMBAKA, D.112, Mme. J. HITAYEZU-MUKAKABERA113, M. J. MBATSO114, M. C. 109

KAGNE, B. et MARTINISILLO, M., L’immigration subsaharienne en Belgique, op. cit., p. 26. 110 Lire à ce sujet : KALAMBA NSAPO, S., Chrétiens africains en Europe ! Pour une ecclésiologie du respect mutuel et de la réciprocité intercontinentale, op. cit. 111 L’Armée du salut, Église Adventiste du 7e Jour et l’Union des Baptistes en Belgique. 112 Église de SERAING-HAUT, Rue du Chêne, 384, 4100 Seraing. 113 Église de FRAMERIES, Rue J. Dufrane, 15, 7080 Frameries. 114 Église de PATURAGES, Rue J.-B. Clément, 2, 7080 Frameries.

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ASUKULU Y.M.MULENGWA115, M. E. MBAYO NSUNGU116, M. L. LUKUSA117, M. L. RWANYINDO118, M. P. MMUNGA MULENGWA119 et M. O. UTUMBA120.

L’Église protestante unie de Belgique Le pasteur Léonard Rwanyindo (district de Liège) Le cas du Dr Rwanyindo est atypique, car la présence de ce pasteur d’origine africaine sur le sol belge résulte de la réciprocité missionnaire. En effet, il existe un protocole d’accord121 entre l’Église protestante unie de Belgique (EPUB) et l’Église presbytérienne du Rwanda (EPR), qui régit le ministère de ce pasteur en Belgique. Comment est on arrivé là ? Esquisse biographique Né le 1er juillet 1955 au Rwanda dans une famille chrétienne, le pasteur Rwanyido fait très tôt l’expérience de Dieu, qui aboutira à un appel pour le service. À la fin de ses études primaires, alors que la sélection nationale était très rigoureuse, vu le nombre de places limitées, et après avoir connu l’échec l’année précédente, il formula cette prière à Dieu : « si tu me laisses réussir cette année, toute ma vie désormais sera consacrée à ton service »122. Une fois l’examen réussi, cet engagement restera présent en lui tout au long de ses études secondaires. Au sortir de celles-ci, il travaille deux ans comme instituteur, de 1973 à 1975. Pendant ce temps, il se renseigne auprès de son Église pour savoir comment devenir pasteur et répondre ainsi à l’appel de Dieu. Il est envoyé à l’école de théologie de Butare pour y suivre une formation pastorale et théologique. Ses études terminées, en 1980, il travaille comme pasteur stagiaire. Il sera consacré au ministère pastoral en 1981. De 1980-1983, il travaille comme pasteur de paroisse à Butare. Puis, de 1982 à 1985, il exerce la fonction de directeur au département de formation et théologie. De 1985-1987, il est président régional123. C’est dans la continuité du travail missionnaire inauguré en 1907 par la mission allemande Bethel qu’est née en 1956 l’Église presbytérienne du 115

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Église de JUMET, Rue F. Dewiest, 6040 Jumet. Église de MARCINELLE, Rue du Temple, 38, 6032 Mont-sur-Marchienne. Église de NAMUR, Boulevard d’Herbatte, 33, 5100 Jambes. Église de FLEMALLE, Rue de la Fontaine, 252, 4400 Flémalle. Église de CLABECQ (Tubize), Rue Saint-Jean, 62, 1480 Clabecq. Église de ENGHIEN, Chapelle de la Dodane, Rue des Capucins, 11/10, 7850 Enghien. On peut voir le contenu du Protocole d’accord entre l’EPR et l’EPUB, signé le samedi 17 octobre 1987 à Kigali, en annexe n° 2. 122 RWANYINDO, L., interview du 16 novembre 2005 à Bruxelles. 123 Equivalent de président de district dans le système belge. La différence dans le contexte rwandais est qu’il s’agit d’un travail à temps plein. 116

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Rwanda (EPR). La reprise avait été confiée à la Société belge de mission protestante au Congo après la Première Guerre mondiale et la défaite allemande. Leur pays ayant perdu ses colonies, les missions allemandes quittèrent le champ de mission pour le céder aux autres missions protestantes, comme le stipulait l’article 438 du traité de Versailles124. Les missions allemandes au Rwanda devaient être remplacées par des organes belges de même confession. C’est ainsi que le gouvernement belge chargé de la tutelle du Rwanda invita la Société belge de mission protestante au Congo à reprendre le travail de la Bethel Mission, et que les protestants belges125 s’établirent au Rwanda. Le bulletin Info du 12 janvier 1987 schématise la préoccupation sur la réciprocité dans l’exercice de la mission entre l’Église presbytérienne du Rwanda et l’Église Protestante Unie de Belgique en termes d’entraide pour accomplir la mission. Les deux Églises se sont efforcées de chercher ensemble des voies nouvelles d’action missionnaire, en particulier dans le sens de l’aide spirituelle et humaine que l’EPR pourrait apporter à l’EPUB. Ces réflexions ont abouti au fait qu’à l’assemblée synodale de novembre 1987, le mandat de la commission missionnaire a été élargi. Au début des années 1980 déjà, une réflexion commune était née entre les deux Églises sur la réciprocité de la mission face à la mission à sens unique, c’est-à-dire allant uniquement du Nord vers le Sud. La question126 fondamentale était résumée en ces termes : les chrétiens du Nord peuventils accepter d’avoir à leur tour un pasteur africain et lui faire entièrement confiance ? N’ayant pas trouvé de réponse à cette question à l’époque, les deux Églises se décidèrent pour une démarche pédagogique, en d’autres termes à prendre un certain nombre d’initiatives pour préparer les chrétiens à cette nouvelle réalité. 124

DANDOY, M. (dir.), Le Protestantisme. Mémoire et perspectives, Bruxelles, Racine, 2005, p. 33. 125 L’un des premiers Belges à travailler dans ce champ de mission était un artisan : Arthur Lestrade, bâtisseur infatigable et explorateur avisé. Devenu administrateur colonial, il se signala par plusieurs découvertes de nouvelles espèces zoologiques et botaniques. Les activités missionnaires, sous-tendues par un réseau scolaire et une infrastructure hospitalière, assurèrent graduellement l’émancipation des cadres autochtones. Un premier Synode eut lieu à Kirinda, en août 1956, donnant naissance à l’Église presbytérienne du Rwanda (EPR). Les missionnaires y furent intégrés en tant que coopérants. L’indépendance plénière de l’EPR fut acquise en 1959, bien avant celle de la République rwandaise. En 1990, l’École de théologie de Butare accédait au niveau d’une faculté universitaire reconnue par le ministère de l’Éducation nationale et la recherche scientifique rwandais. Son affiliation à la Faculté universitaire de théologie protestante de Bruxelles lui assure l’envoi régulier de professeurs-visiteurs et un soutien logistique pour la bibliothèque et le centre de documentation. Des camps de travail belgo-rwandais se tiennent alternativement en Afrique et en Europe, permettant à des jeunes des deux pays de se familiariser réciproquement avec leurs conditions de vie respectives. DANDOY, M., op. cit. 126 RWANYINDO L., interview du 16 novembre 2005.

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On commença en 1985 par l’organisation d’un camp mixte entre 20 jeunes Belges et 20 jeunes Rwandais, avec un projet de construction d’un bâtiment durant tout le mois de juillet à Kidinda, au Rwanda. À la fin du camp, une évaluation fut faite dont le rapport fut transmis aux deux Églises. Les deux parties consentirent à poursuivre cette expérience en Belgique. C’est ainsi que deux ans plus tard, en 1987, un camp fur organisé en Belgique. Une commission composée des membres de l’EPUB et du Conseil synodal de l’EPR fut chargée de la préparation de ce deuxième camp. C’est dans ce contexte que le pasteur Rwanyindo fut envoyé en Belgique pour un stage pastoral, à la condition de travailler sous la direction d’un pasteur belge et de préparer le camp de jeunes en parallèle. À la suite de cette expérience, l’évaluation des deux Églises fut positive. Les chrétiens belges étaient disposés à accueillir un pasteur africain. Un projet venait ainsi de naître, celui de faire revenir le pasteur Rwanyindo pour un ministère pastoral plus long et en même temps de lui donner l’occasion de compléter sa formation théologique en Belgique. H. Boudin127 écrit à ce sujet : « L’Église Protestante Unie de Belgiqueparoisse de Flémalle128 : après 27 ans sans pasteur, l’Église retrouve enfin 127

BOUDUIN, H., Mémorial synodal, Bruxelles, Prodoc, 1992, pp. 71-73. L’histoire de l’Église protestante de Flémalle débute en 1860, à travers l’achat d’une Bible au marché dominical de Liège qui a induit la conversion de Joseph Casquette, un mineur de Flémalle. La transformation de sa vie liée à sa lecture de la Bible a poussé ce mineur à témoigner à un ami, Matthieu Bernard. Ensemble, ils ont commencé à méditer régulièrement les Saintes Écritures. Et, comme par hasard, ils se sont rendus au temple de Lize-Seraing où ils sont entrés en contact avec le pasteur A. Cacheux et la communauté locale de l’Église chrétienne missionnaire belge. L’évangile ainsi annoncé à Flémalle aboutit quelques mois plus tard à la naissance d’un noyau de chrétiens évangéliques. Malgré toute sorte de persécutions infligées par leurs concitoyens – enterrements perturbés, menaces de mort, etc. – ils ont tenu bon. Le groupe fut rattaché à l’Église de Lize-Seraing et les réunions ont d’abord eu lieu dans la maison d’un membre, puis dans une salle du Bois-de-Mont à Seraing. Malgré les difficultés qui étaient dues surtout à la grande agitation sociale de l’époque, l’Église progressa si bien qu’en 1891, la construction d’un temple fut envisagée. La pose de la première pierre eut lieu le 29 avril 1896. C’est dans cette Église, en 1909, que Henri Lambotte, un Flémallois, vice-président de l’Union chrétienne des Jeunes Gens, entendit l’appel, et devint le premier missionnaire protestant de l’époque moderne. Cet appel avait eu lieu dans le contexte de la campagne anti-léopoldienne au sujet des mauvais traitements infligés aux habitants de l’État indépendant du Congo, qui sensibilisa les protestants belges à leurs responsabilités missionnaires à l’égard de ce peuple. Les Missions protestantes en Afrique centrale organisées par des Sociétés étrangères s’attendaient en effet à une relève belge de leur personnel. La mobilisation de 1939 et l’invasion de mai 1940 perturbent l’Église. Le presbytère est endommagé par la guerre. À la Pentecôte 1944, le culte, interrompu par le fracas des bombes, se termine dans les caves. Jusqu’à la libération, les offices se dérouleront dans les souterrains. Une fois la paix revenue, la communauté reprend force et vigueur 128

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un conducteur spirituel renouant avec ses attaches africaines et dans le cadre des conventions de collaboration entre l’Église presbytérienne au Rwanda et L’EPUB, l’Église appelle un pasteur rwandais comme ministre du culte tout en achevant ses études à la Faculté. C’est là que le premier Belge missionnaire Henry Lambotte avait entendu l’appel pour la mission au Congo. Cent ans plus tard, l’Église accueille un pasteur africain. L’Église revit sous son aile ». Le pasteur Léonard a poursuivi sa formation théologique à la Faculté universitaire de théologie protestante de Bruxelles jusqu’au niveau du doctorat. Et, tout en étant pasteur de paroisse, il est chargé de cours à cette même Faculté. On peut voir dans cette expérience un parcours exemplaire de collaboration réciproque entre le Nord et le Sud. Le pasteur Rwanyindo a exercé plusieurs responsabilités au sein de l’EPUB : de 1998 à 2000, il fut pastor-pastorum, autrement dit un pasteur des autres pasteurs. C’est en devenant membre de district qu’il a démissionné de ce poste à responsabilité, jugeant incompatible d’exercer les deux tâches en même temps, nous a-t-il affirmé lui-même. En 2000, il devint membre du conseil des districts et, plusieurs fois, il fut désigné comme consultant. Observations L’Église de Flémalle est formée essentiellement d’une population d’origine européenne, et belge en particulier. Les seuls Africains sont de la famille du pasteur. Son assistance ne compte que de 40 à 60 personnes par dimanche, mais elle exerce son influence sur 300 contacts dans la contrée. Apport Quel enseignement peut-on tirer d’une telle expérience ? Peut-on envisager un quelconque apport missionnaire du Sud à l’Église protestante de Belgique ? En quoi consisterait une telle mission ? À cette question, le pasteur lui-même m’a répondu en ces termes : « Mission, oui, mais pas comme celle du passé. Par contre, c’est une participation à la mission de l’Église universelle dans ce monde. Ma présence en Belgique rend visible la dimension universelle de l’Église



en cherchant à témoigner de sa foi dans un monde en pleine mutation, tant spirituelle qu’économique et sociale. En novembre 1960, l’Église sera placée sous la responsabilité de Pierre Roockx, un jeune pasteur originaire de la région liégeoise. Les statistiques de mars 1961 révèlent un effectif total de 200 personnes, comprenant les membres, les sympathisants et les enfants.

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chrétienne »129. Si l’Église peut se comprendre dans sa dimension locale, la présence de personnes d’une autre culture ne révèle-t-elle pas la dimension internationale de son fonctionnement ? L’Église reste une réalité qui dépasse la dimension culturelle. En outre, la présence d’un pasteur du Sud exerçant son ministère en dehors de son giron culturel amène ceux qui l’accueillent à découvrir la dimension œcuménique de la foi130 chrétienne chez les autres peuples. C’est une expérience qui pousse à la découverte mutuelle et qui fait tomber des préjugés et les images stéréotypées que l’on se fait les uns des autres. Mais c’est aussi une façon de faire bénéficier l’Église d’Occident de ce qu’elle a planté hier en Afrique à travers l’ère missionnaire. C’est cela la mission en retour. Ainsi la Belgique peut récolter le fruit de son œuvre missionnaire en Afrique, et spécialement au Rwanda. Dans la société, cet apport consiste surtout à témoigner de l’universalité de l’homme, que l’Africain a aussi des ressources humaines à partager avec les autres peuples. Sur le plan liturgique, le pasteur s’aligne sur la liturgie de l’Église réformée. Il n’a jamais souhaité une innovation quelconque, au risque de répéter des erreurs qu’ont commises les anciens missionnaires en Afrique, qui voulaient tout y apporter sans tenir compte du contexte d’accueil. Aussi, par respect pour ceux qui ont fait appel à lui comme pasteur, n’a-t-il rien voulu changer. Toutefois, il résume sa contribution en ce domaine par son approche des personnes qu’il puise dans sa culture africaine. Par exemple, le sens de la famille (la considération de la famille africaine est un atout qu’il fait valoir dans sa pastorale), le respect de la personne âgée, etc. Ainsi, il évite les pressions du contexte occidental et il développe avec ses paroissiens de bonnes relations humaines, la sérénité et l’encouragement. Le pasteur Lukusa Mudianekwanga (district de Namur) Le cas du pasteur Lukusa est différent de celui du pasteur Rwanyindo. Si pour ce dernier il y eut un protocole d’accord entre deux Églises, ce n’est pas le cas pour le premier. Son entrée à l’EPUB est le fruit d’une démarche personnelle. Dans l’étude sur l’EIB, j’ai mentionné qu’un certain nombre de responsables africains étaient venus en Belgique à la 129 130

Interview du pasteur Léonard RWANYINDO. NSUMBU, J., « Foi et culture : réflexion sur la vie paroissiale et l’œcuménisme dans un contexte africain et latino-américain », dans Analecta Bruxellensia, n° 8, décembre 2003.

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fois dans le cadre d’un projet d’évangélisation d’étudiants africains en Europe et dans le but de parfaire leur formation théologique. Parmi ces responsables se trouvait le pasteur Lukusa Mudianekwanga. Le premier contact avec l’EPUB se fera pour lui dans le cadre de sa formation à la Faculté protestante de Bruxelles. Esquisse biographique Il est né le 4 mars 1953 à Lubumbashi. Il a suivi des études littéraires à l’Université de Kinshasa. C’est sur le campus universitaire qu’il se convertit, à la suite de quoi il est sollicité par Campus pour Christ, un ministère d’évangélisation focalisé sur les étudiants, afin de suivre une formation théologique et de devenir formateur. Après un temps de réflexion, il décide finalement de suivre cette nouvelle voie et interrompt ses études universitaires. Après une formation de neuf mois à Campus pour Christ, il est retenu comme formateur. Sans renoncer à reprendre des études universitaires si l’occasion se présente, il devient le directeur du centre de formation à Kinshasa. Plus tard, il est sollicité par un ami ou collègue qui connaît son désir de poursuivre des études pour se rendre en Europe avec le projet d’évangéliser et de faire des études théologiques. Avec les années de travail, il réalise les limites de la formation prodiguée par Campus pour Christ et il accepte. Il se retrouve en Belgique où il entreprend des études à l’Institut biblique d’Heverlee d’abord, puis à la Faculté universitaire de théologie protestante de Bruxelles où il termine sa licence en 1991. Il est père de cinq enfants, quatre garçons et une fille. C’est en 1987 qu’il fera son entrée à l’EPUB. Observations Sur un auditoire de plus ou moins 60 personnes, l’Église compte près de 13 nationalités : –– 70 % d’origine européenne, parmi lesquelles 60 % de Belges ; –– 25 % d’origine africaine ; –– 5 % provenant du reste du monde. Apport À la question de son apport missionnaire, le pasteur Lukusa nous a répondu en termes très concrets : –– il puisse toute sa valeur positive dans la culture africaine, entre autres dans le sens de la famille et l’hospitalité. Il la vit particulièrement dans ses relations avec les personnes âgées. C’est ce que nous avions également constaté avec le pasteur Rwanyindo ; –– dans sa première Église en Belgique, la moyenne d’âge des fidèles était de 65 ans. On célébrait plus d’enterrements que de mariages. 147

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Dans ce contexte, il a toujours veillé à communiquer avec ceux qui étaient éprouvés non en se limitant au téléphone mais en étant plus proche d’eux et même de leur famille, car en Afrique la famille a toujours un sens plus large. Son engagement s’est toujours traduit par des visites, une écoute attentive et du temps passé avec ceux qui sont dans le besoin. Sur le plan liturgique, Il veut surtout éviter de faire ce que l’on a reproché aux missionnaires en Afrique. Aussi il célèbre le culte selon la liturgie réformée de son Église. Deux pasteurs africains dans le district de Liège : Albert Mbuyi et Léonard Rwanyindo C’est le président du district de Liège, M. Rolf Lander, qui présida le culte d’installation du pasteur Mbuyi à Herstal le 11 septembre 1988. Son allocution débutait en ces termes : C’est aujourd’hui une grande et exceptionnelle journée pour la paroisse protestante de Herstal et même pour tout le district de Liège. Car non seulement la paroisse trouve un nouveau pasteur après une longue vacance, mais encore, en la personne d’Albert Mbuyi, elle sera dotée d’un docteur en théologie qui est d’origine africaine. C’est une première dans notre district. Je pense que cela prouve que le Seigneur a béni le travail de nos missionnaires qui ont répandu la bonne nouvelle dans le monde entier et qu’aujourd’hui concrètement, et pour le dire en langage populaire, on nous renvoie l’ascenseur. En effet, si Albert Mbuyi est le premier pasteur noir à être installé dans notre district, il y a dans toute l’Europe un grand nombre de ses confrères qui sont venus parfois des antipodes pour renforcer nos rangs. Nous savons tous que la pénurie de pasteurs de paroisse – qui est grave – deviendrait catastrophique sans l’aide de ces frères et sœurs (…). Toute notre joie et nos vœux à notre frère et ami, le pasteur rwandais Léonard Rwanyindo appelé au ministère pastoral dans la paroisse de Flémalle. Avec sa sympathique famille, il s’est installé dans le presbytère à côté du temple. Les enfants fréquentent l’école de Flémalle. Ce sera le dimanche 27 novembre à 15h qu’aura lieu l’installation officielle lors d’un culte célébré dans le temple. Nous lui souhaitons un bon ministère à Flémalle et dans le pays de Liège131.

Ce discours révèle la perception qu’a eue Rolf Lander du ministère des pasteurs d’origine africaine en Belgique et en Europe en général. Il nous met au cœur de la réciprocité et considère la présence de ces pasteurs comme une mission inversée. C’est ce qu’il exprime clairement en employant l’expression : « on nous renvoie l’ascenseur », qui met l’accent sur la mission en retour. Il s’agit d’un phénomène qui dépasse le cadre de la Belgique et même de l’Europe, car il est devenu mondial. 131

Voir Info EPUB, n° 9, 1984.

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Une réalité que n’ont pas réellement perçue les membres de l’équipe de rédaction d’un des livres les plus récents sur le protestantisme132 belge, notamment quand ils affirment : (…) Comment se présente le paysage du protestantisme en Belgique ? Quelles sont les évolutions perceptibles dans le microcosme protestant belge ? D’abord des facteurs extérieurs ont influencé le cours des choses. La poursuite et l’accélération de la sécularisation ont affecté aussi le protestantisme, même si c’est dans une mesure moindre que du côté catholique, parce que le protestantisme était déjà ultra-minoritaire. Mais une certaine désaffection des jeunes pour le pastorat a permis à des pasteurs étrangers (et plus spécialement africains) de trouver chez nous un emploi qu’ils ne trouvaient plus en Allemagne ou en Suisse (…).

Cette interprétation du phénomène au niveau de la Belgique relève d’une vue limitée. De mon point de vue en effet, il ne s’agit pas ici d’un problème de recherche d’emploi, car le ministère pastoral relève de la vocation. Même si cette affirmation pouvait s’avérer partiellement fondée, il me semble que présenter les choses de cette façon équivaut à ne pas prendre au sérieux le ministère pastoral des collègues d’origine africaine œuvrant à l’EPUB.

Les Églises partenaires de l’EPUB : le cas de l’UBB Bref historique de l’Union des Baptistes en Belgique La présence de l’Église baptiste en Belgique est le résultat des efforts soutenus depuis le 19e siècle par la Fédération baptiste de France. Cette fédération marqua très tôt son souci missionnaire d’apporter l’évangile aux frontaliers belges. La conversion de quelques mineurs liégeois de passage à l’Église baptiste de Denain conduisit vers 1890 à la fondation de la première Église baptiste à Ougrée, dans la province de Liège. Plus tard, du côté de la province du Hainaut, le témoignage des chrétiens baptistes français aboutit à la fondation d’une seconde Église baptiste, à Péruwelz. C’est sur celle-ci particulièrement que se portera notre attention. Pendant de nombreuses années, la Fédération baptiste de France poursuivra son soutien à l’évangélisation des Églises baptistes en Belgique ; elle soutiendra aussi l’envoi de pasteurs, surtout en Wallonie. Quant à la Flandre, la première Église baptiste ne sera ouverte sur son sol qu’en 1985. Mais le développement de cette œuvre en Wallonie fut si rapide que les Églises baptistes belges constituèrent leur propre union d’Églises en 1922. Le travail fut très ardu, surtout à cause du

132

DANDOY, M. (dir.), Le Protestantisme. Mémoire et perspectives, op. cit., p. 10.

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mépris social manifesté envers les Églises baptistes qui, n’étant pas membres du synode de l’Église protestante reconnue par l’État belge, étaient alors considérées par l’opinion publique comme faisant partie d’une « secte », et cela jusqu’à un passé récent, notamment en 1998. Même s’il est difficile de trouver des liens directs avec le mouvement anabaptiste, l’Union des Baptistes en Belgique reste toutefois héritière de ses principes. Ainsi, elle s’inscrit dans le cadre de la renaissance du mouvement anabaptiste en Belgique : la liberté de conscience, le baptême des croyants, la Parole de Dieu considérée comme seule et unique autorité pour la foi et comme guide inconditionnel de la vie quotidienne, la séparation de l’Église et de l’État. Les Églises baptistes font partie des « Églises de professants ». Elles insistent sur l’autonomie de la communauté locale, la koinônia des croyants et un engagement missionnaire ; elles entretiennent entre elles des liens fraternels de collaboration et d’entraide sous la forme d’unions d’Églises, d’associations universelles dans l’Alliance baptiste mondiale (ABM). L’UBB est membre effectif de la Fédération baptiste européenne (FBE) et de l’Alliance baptiste mondiale (ABM). Par l’intermédiaire de ces deux organes, l’UBB est bien impliquée dans le Conseil des Églises chrétiennes européennes (CECE). L’UBB regroupe en son sein une trentaine d’Églises, postes et prospections, tant en Flandre qu’en Wallonie. Un moment important dans son histoire fut la signature d’un accord de partenariat avec le synode de l’EPUB, qui officialisait l’entrée des baptistes dans la famille protestante. L’on citera dans les grandes lignes les principales convictions baptistes : –– la Seigneurie de Jésus-Christ ; –– l’Église, un rassemblement de croyants ; –– les Églises associées les unes aux autres ; –– le baptême des croyants ; –– l’autorité de la Bible ; –– l’importance de la rencontre des croyants en Église ; –– la prêtrise de tous les croyants ; –– la tâche missionnaire ; –– la liberté religieuse. Une analyse attentive de ces conviction laisse apparaître qu’elles s’inscrivent dans la tradition de la Réforme radicale anabaptiste et surtout protestante en général. C’est ce qui justifie en grande partie le rapprochement avec les autres protestants ces dernières années. Les pasteurs d’origine africaine au sein de l’UBB L’Union des Baptistes en Belgique, qui par sa vocation met un accent sur la mission, travaille en collaboration avec plusieurs partenaires étrangers. 150

La chrétienté d’origine africaine au sein du protestantisme belge

Ainsi, on trouve en son sein, comme responsable, une communauté à caractère international. L’Union des Baptistes travaille en partenariat non seulement avec l’EPUB, mais aussi avec les Églises baptistes des ÉtatsUnis, d’Angleterre (BMS), du Canada, de France, d’Allemagne… Elle encourage des Églises locales à développer un partenariat avec les autres Églises locales étrangères dans un but unique, l’accomplissement de sa mission évangélique et sociale en Belgique. L’UBB compte actuellement 32 Églises et postes, 34 pasteurs et missionnaires, dont 11 d’origine africaine, ce qui représente le tiers de l’effectif des ministres du culte des baptistes en Belgique. Ce pourcentage conséquent donne une idée de leur contribution au travail pastoral. Le tableau ci-dessous présente la liste des pasteurs d’origine africaine (tous de RDC) de l’UBB : Nom

Adresse de l’Église

Niveau d’études

Banza Kamutenga

Assemblée protestante baptiste de Liège Rue d’Amercœur, 43

DES en théologie

Dibudi Way-Way

Église baptiste de Bruxelles Rue Jules Franqui, 29 Bruxelles-Forest

DES en théologie protestante

Mukumu Jérémie

Église baptiste Rue Simon Pâques, 23-25 Grâce-Hollogne

Lic. en théologie Dr. en sciences de l’éducation

Mukwege Emmanuel

Église protestante baptiste Bld Léopold III, 90 Péruwelz

Lic. en théologie

Kabissekela Marcel

Église pro-baptiste de Tournai

Lic. en théologie

Kubulana Matendo

Église baptiste de Bruxelles « La Fraternité »

Dr en théologie

Gertrude Kubulana

Église protestante baptiste de Bruxelles « La Fraternité »

Graduat en théologie

Mutombo Félix

En fiançailles

Dr en théologie

Nkogolo Ernest

Église baptiste de Namur

Institut biblique

Tshiyoyo M.

Église baptiste de LNN

Lic. en théologie

Pelete Paulin

Église protestante baptiste « La Colombe »

Ingénieur civil

Commentaires : –– Le premier constat qui se dégage de ce tableau est la qualification académique que se décline comme suit : sur onze pasteurs, neuf possèdent une licence en théologie. Deux possèdent un diplôme d’études supérieures, deux autres un doctorat, un détenteur de 151

Mission en retour, réciproque et interculturelle

diplôme d’études approfondies, trois détiennent un diplôme d’institut biblique de niveau supérieur, un ingénieur civil et un doctorat en sciences de l’éducation. Comme pour le cas de l’EPUB, les pasteurs d’origine africaine œuvrant à l’UBB, sont bien qualifiés théologiquement. –– Un deuxième constat, c’est que tous ces pasteurs sont originaires de la République démocratique du Congo. Ceci peut se comprendre par les liens historiques avec la Belgique. En outre, il faut signaler que pendant les « fiançailles », qui précèdent la reconnaissance pastorale, l’UBB exige toujours la recommandation de l’Église d’origine. Dans la suite de ce travail, je présenterai deux cas de pasteurs d’origine africaine ainsi que leur Église en Belgique. Le cas du pasteur Mukwege (Église baptiste de Péruwelz) Biographie Mukwege, fils d’un pasteur pentecôtiste, est né à Bukavu le 25 décembre 1963. Après ses études secondaires à l’Institut protestant de Bwindi, il se rend à Kinshasa pour faire le droit à l’Université de Kinshasa. Au début de ses études, il se convertit et adhère à la paroisse universitaire protestante. Il interrompt dès lors ses études et s’inscrit à l’Institut supérieur de théologie de Goma où il termine son graduat en théologie. Il poursuit ses études à Bruxelles où il obtient une licence en théologie protestante. Étant membre de l’Église baptiste, il est engagé pour devenir le pasteur de l’Église protestante baptiste de Peruwelz, où il sert depuis 1993. L’Église protestante baptiste de Péruwelz C’est la première Église baptiste établie en Belgique. Elle a été fondée en 1875 grâce à un pasteur baptiste de France. Comme c’était le cas à l’époque, c’est pour une distribution de Bibles aux travailleurs de la mine convertis au christianisme que cette œuvre évangélique a vu le jour. Ces travailleurs étaient généralement des immigrés italiens venus en Belgique pour gagner leur vie hors de leur pays d’origine. C’est le désir d’un de ces mineurs qui fut à l’origine de l’Église. C’est avec l’aide d’un pasteur français, soutenu par l’Église baptiste française de Denain, que cette première Église fut créée en Belgique. Cent ans plus tard, comme par ironie, on y trouve un pasteur d’origine étrangère et africaine pour continuer le travail pionnier des baptistes français en Belgique. Observations L’Église compte environ 60 membres et plus ou moins 20 sympathisants. La participation moyenne au culte du dimanche matin est de 50 personnes. 152

La chrétienté d’origine africaine au sein du protestantisme belge

Origine géographique133 –– à 99 % européenne, dont : ○  à 60 % belge ○  à 39 % française –– autre (polonaise, italienne et africaine) à 1 %. Cette Église, comme on peut le voir, est composée exclusivement d’Européens de souche. La présence de Français s’explique par la situation géographique de Péruwelz, qui est une ville proche de la frontière française. Apport missionnaire Le pasteur travaille dans le respect des autochtones. Sa démarche pastorale consiste à communiquer l’évangile du salut en Jésus-Christ avec une conviction et une ferveur liées à son origine africaine. Pour le reste du fonctionnement du culte, tout se déroule à la manière occidentale : en suivant la liturgie réformée et évangélique. Il n’a jamais voulu, ni pensé à aucun moment, imposer sa culture ou mépriser la culture ambiante, pour éviter de commettre les mêmes erreurs134 que les missionnaires dans le passé. Le cas du pasteur Kabissekela (Église de Tournai) Biographie Le pasteur Kabissekela Mujuana Kabi est né à Mutoto en RDC, le 29 novembre 1947. Il est marié à Christine Yowa ; ils ont cinq enfants, deux filles et trois garçons. Il a grandi dans une famille chrétienne. Jusqu’au niveau de ses études secondaires (humanités scientifiques), il était très engagé dans les activités de son Église135. Mais, à la suite du décès d’une grande sœur, chrétienne très engagée, il entra en révolte contre Dieu qui n’avait pas pu la guérir. C’est dans ces circonstances douloureuses de deuil qu’il reçut une révélation qu’il évoque en ces termes : « le Seigneur m’a visité et m’a sauvé en avril 1970. Depuis, Jésus-Christ ne m’a pas déçu. Et quelques années après, il m’a appelé à son service »136. Il commence son ministère au sein de la Ligue pour la lecture de la Bible de la République démocratique du Congo où il travaille 133

MUKWEGE, E., pasteur de l’Église protestante baptiste de Péruwelz, interview du 11 janvier 2006 à Péruwelz. 134 MUKWEGE, E., op. cit. 135 Église presbytérienne en République démocratique du Congo. 136 KABISSEKELA, K., pasteur de l’Église protestante de Tournai, interview du 25 septembre 2005 à Tournai.

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Mission en retour, réciproque et interculturelle

pendant 17 ans. En 1990, il se rend au Royaume-Uni pour suivre une formation biblique et théologique au All Nations Christian College. Puis il vient en Belgique où il poursuit sa formation théologique à la Faculté universitaire de théologie protestante de Bruxelles. Il termine ses études en 1999. Pendant sa formation à Bruxelles, il fut sollicité comme pasteur par l’Église évangélique libre à Braine-le-Comte137, dans le cadre de la mission évangélique belge. C’est là qu’il officiera de 1994 à 1998. En 1998, une nouvelle étape s’ouvre à lui. Il est à nouveau sollicité par le conseil des anciens de l’Église baptiste de Tournai pour exercer comme pasteur en remplacement d’un pasteur d’origine suisse obligé de rentrer chez lui. C’est dans ce cadre de l’Union des Baptistes en Belgique qu’il travaille comme pasteur depuis lors à Tournai. Brève présentation de l’Église protestante baptiste de Tournai Cette Église a débuté en 1927 comme poste138 de la Mission évangé­ lique belge. Par la suite, l’Église est devenue charismatique, ce qui provoqua un problème. Ainsi, la communauté chrétienne demanda de s’affilier à l’Union des Baptistes en Belgique. Plus tard, le pasteur de l’Église, Jean-Pierre Frauche, qui était de nationalité suisse, a dû retourner précipitamment chez lui. Comme il fallait lui trouver un remplaçant, d’un commun accord, les anciens de l’Église sollicitèrent le pasteur Kabissekela pour travailler avec eux à Tournai. À l’époque, l’Église était dans une période probatoire139 avec l’Union des Baptistes en Belgique. Observations La croissance est évidente : de 30 membres au début, on en a atteint près de 70 aujourd’hui. Et lors de certains cultes on avoisine la centaine de personnes. Origine géographique –– 80 % de membres sont d’origine européenne (70 % de Belges et 10 % d’autres pays d’Europe) ; –– 10 % ont d’autres nationalités : latino-américaines, américaine, iranienne, etc. ; –– 10 % sont d’origine africaine. 137

Une Église entièrement européenne, à majorité belge. C’est une désignation d’un regroupement de chrétiens mais qui n’est pas encore une Église. Cela varie d’une dénomination à l’autre. Les uns parleraient de sous-paroisse, d’autres de sous-chapelle, etc. 139 Période d’un an obligatoire avant qu’une Église puisse être considérée comme Église de l’Union des Baptistes en Belgique. Pendant cette période, les responsables de l’Union l’étudient. 138

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La chrétienté d’origine africaine au sein du protestantisme belge

Origine sociale –– 50 % sont des travailleurs –– 30 % sont des étudiants Origine religieuse –– 60 % sont d’anciens catholiques non pratiquants convertis au protestantisme ; –– 5 % sont d’anciens protestants ; –– 35 % sont d’anciens agnostiques, athées, etc. L’Église est majoritairement jeune : elle compte 50 % de jeunes, 15 % d’enfants et 35 % d’adultes. Apport À la question de savoir si le pasteur Kabissekela, vu ses origines africaines, se considère comme missionnaire en Belgique, ce dernier répond par l’affirmative. Quelle peut être sa contribution à la mission chrétienne en Europe ? Voici quelques éléments issus de ses réponses140 : –– un apport humain et pastoral comme ministre de culte protestant ; –– un apport dans la liturgie avec ses charismes propres liés à son origine culturelle qui se manifestent dans l’accueil, dans l’écoute des autres, dans le sens de la famille, ainsi que la ferveur d’une foi agissante. Néanmoins, le culte reste de type occidental, d’expression française et évangélique baptiste. En dehors de la pastorale, le pasteur Kabissekela est à la fois aumônier du centre psychiatrique de la ville de Tournai et aumônier de prison. Avec ces deux activités supplémentaires, il se sent intégré dans la ville où son ministère a un impact dans la société. Il reste toutefois en contact avec son Église d’origine en République démocratique du Congo, laquelle un jour l’a surpris en lui envoyant 100 dollars américains comme preuve de son soutien en sa qualité de missionnaire en Europe.

Le rôle et l’apport missionnaire des pasteurs d’origine africaine En principe, écrit Jean-Paul Willaime141, tous les pasteurs sont égaux en droit et aucun pasteur ne peut se prévaloir d’une autorité autre que fonctionnelle vis-à-vis de ses collègues. Chaque pasteur remplit la plénitude du rôle clérical tel qu’il a été défini dans la tradition protestante ; il n’est pas le mandaté d’un super-clerc auquel il aurait fait vœu d’obéissance. Pour leur part, les pasteurs d’origine africaine œuvrant en milieu belge 140

KABISSEKELA, M., op. cit. WILLAIME, J.-P., Profession pasteur, Genève, Labor et Fides, 1986, p. 73.

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Mission en retour, réciproque et interculturelle

travaillent généralement comme leurs collègues occidentaux. D’une manière générale, ils respectent les principes de base de la dénomination de l’Église d’accueil. Leur contribution originale à la mission se situe plus du côté d’un apport personnel. Sur le plan liturgique, c’est par le don personnel, par la fraîcheur personnelle d’une expression chaleureuse dans la communication d’une foi vécue qu’ils cherchent à transmettre à travers la prédication, l’exhortation, le sens communautaire, etc. La mission de ces pasteurs n’est pas comme celle des Occidentaux au 19e siècle en Afrique. Le contexte n’est plus le même. Ils se retrouvent dans une société fondée sur des valeurs chrétiennes sécularisées. Ils cherchent à exercer leur ministère pastoral dans le respect de leurs hôtes, en se fondant sur les valeurs évangéliques. D’autre part, la multiculturalité de la société ambiante les pousse à apporter leur richesse personnelle, puisée dans leur culture d’origine. Cela a pour effet l’enrichissement du ministère paroissial, par exemple grâce à la dimension communautaire, à l’hospitalité, au respect de la personne âgée, etc. Cela se remarque par l’expression d’un accueil envers les paroissiens, ainsi que me l’a confirmé Marc Lombart142, répondant à mes questions sur l’apport d’une telle pastorale africaine en milieu belge. Par ailleurs, le fait que ces pasteurs aient pu occuper parfois des responsabilités importantes dans l’Église belge est un signe fort pour le protestantisme en Belgique, même si cela continue d’être un défi permanent, pour un ministre du culte d’origine africaine, d’exercer son ministère sereinement, sans se soucier de certains préjugés et regards négatifs. Au total, l’apport le plus important reste l’expression de l’universalité de l’Église qui s’exprime à travers la présence des pasteurs du Sud exerçant au Nord. On aurait toutefois souhaité une meilleure collaboration entre les Églises d’origine en Afrique et l’Église d’accueil en Belgique, comme c’est le cas de l’engagement pastoral de Léonard Rwanyindo. Cependant, l’utilisation locale de la diaspora compense ce manque et offre une possibilité, selon Marc Lombart, de poursuivre la collaboration qui n’a pu se faire avec les autres pays.

2.  La communauté malgache143 Présentation La communauté malgache tient culte chaque dernier dimanche du mois au temple de l’Église protestante/Bruxelles Botanique, boulevard 142

LOMBART, M., interview, 2005. Supplément d’Informations, donné par Madame VOLANA, membre de la communauté malgache, interview du 19 mars 2006.

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La chrétienté d’origine africaine au sein du protestantisme belge

Bisschoffsheim. Commencé comme un groupe pour l’encadrement et l’édification des Malgaches résidant dans le Benelux, ce groupe s’est mué en structure ecclésiale, sans pour autant l’affirmer. En effet, la communauté malgache est une Église dans une Église. Elle appartient à l’Église du Botanique, mais elle est autonome dans son fonctionnement : en tête se trouve un comité d’anciens dirigé par un président144 en la personne de Harry Rasoamanana. Les actes pastoraux ont toujours été faits en collaboration avec les pasteurs de l’Église protestante du Botanique. Chaque année, des cultes communs sont célébrés avec la communauté belge, notamment lors des fêtes chrétiennes ou lors de certaines circonstances particulières comme le baptême. Activités En dehors de chaque dernier dimanche, le comité organise des visites à domicile et des rencontres de prière. Langue liturgique La liturgie se déroule en malgache, la prédication en français, avec traduction en malgache pour les prédicateurs visiteurs. Nombre de membres De 30 à 40 (lors des fêtes, 100 personnes, enfants compris).

L’apport missionnaire La communauté malgache vise avant tout la conservation de son identité culturelle et religieuse dans la diaspora. Cependant, la croissance de cette œuvre fait qu’on trouve une présence européenne en son sein, en raison surtout des mariages mixtes. Cette situation qui n’était pas prévue au départ a poussé le groupe à l’ouverture et à une sorte d’adaptation. En outre, étant donné que les enfants sont nés et/ou scolarisés en Belgique, ils sont plus ouverts à la mixité. Quant à l’avenir de cette communauté, il suffirait qu’elle ait son propre pasteur pour que le groupe se transforme en une Église d’expression africaine (malgache), comme on le trouve en France où existent plusieurs Églises malgaches de différentes tendances : réformées, luthériennes, baptistes, etc., qui font partie de la Fédération protestante de France. En bref, la présence de cette communauté à l’Église protestante de Bruxelles-Botanique consiste surtout lors des cultes communs à enrichir la communion fraternelle de cette Église en apportant ses particularités 144

Élu pour trois ans renouvelables.

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Mission en retour, réciproque et interculturelle

culturelles. C’est là une dimension œcuménique de la mission que l’Église est appelée à vivre.

G. Conclusion partielle Mon analyse des communautés chrétiennes d’expression africaine ci-dessus laisse apparaître quelques éléments fondamentaux : la création des deux premières Églises présentées n’a pas été une initiative africaine, ni même une initiative des Églises d’Afrique, mais des Églises américaines recourant aux Africains. En ce qui concerne la Nouvelle Jérusalem de Bruxelles, les difficultés éprouvées pour atteindre les Européens a conduit le missionnaire de l’Église de Dieu à s’orienter vers la population africaine résidant en Belgique. Cette Église reste d’ailleurs toujours membre de l’Église de Dieu des États-Unis. On peut voir ainsi combien la mission dans le contexte de la mondialisation doit s’accomplir avec les autres. En outre, le bon accueil du pentecôtisme par les Africains s’explique, d’une part, par la proximité avec leurs propres réalités culturelles et religieuses, et, d’autre part, par leur manque d’adaptation culturelle et d’intégration au sein des Églises européennes de Belgique. Cet état de fait soulève la question de l’inculturation dans la mission. Nous y reviendrons. En effet, toute l’histoire de la diaspora chrétienne de Belgique peut se comprendre à travers les échantillons analysés dans le présent travail. En regardant l’histoire de la Nouvelle Jérusalem, avec ses extensions et ses dissidences, on peut faire des rapprochements avec plusieurs Églises d’expression africaine existant en Belgique, voire avec quelques Églises italiennes. C’est le cas de l’Église du Plein Évangile, du Ministère du Combat spirituel en Belgique, et de beaucoup d’autres personnes qui, étant passées par telle Église, ont fini par fonder la leur. Dans l’ensemble du phénomène, j’ai constaté qu’un petit nombre d’Églises sont nées comme dissidences de ces grandes Églises de par la seule initiative de quelques individus. De l’histoire de l’Église Internationale de Bruxelles est parti un autre mouvement, différent de la Nouvelle Jérusalem de Bruxelles, celui des pasteurs qualifiés. Ces derniers se sont plutôt investis dans les Églises européennes, à l’EPUB et auprès de quelques Églises évangéliques. Là se trouve une autre histoire individuelle intéressante d’un point de vue pastoral. Tel est le cas des pasteurs Rwanyido, Lukussa, Nsay, Mas, etc. ; les autres cas se situent à mi-chemin. Mon analyse de cas a mis en évidence une mission africaine réalisée aussi dans la perspective œcuménique protestante, où les Églises d’expression africaine font partie des Églises protestantes du pays d’accueil et participent aux activités communes : pastorale, évangélisation, célébration commune comme lors de Pâques 2000, le regroupement en 158

La chrétienté d’origine africaine au sein du protestantisme belge

pastorales et commissions des CACPE et du SF. Le cas des pasteurs africains de l’EPUB et partenaires constitue une présence qui contribue à l’épanouissement des Églises européennes. Le rôle des Africains dans ce contexte est plus intégré dans un apport particulier selon le don ou la capacité et la compétence personnelle. Il faut toutefois mettre en évidence le cas du pasteur Rwanyindo qui est, à mon avis, atypique : ce cas est un modèle à suivre car il se base sur des accords bilatéraux entre les Églises du Sud et du Nord. L’évaluation pour ces derniers cas ne peut se faire qu’au cas par cas. Toutefois la longévité de l’exercice de ce ministère peut témoigner en faveur d’un exercice pastoral et évangélique correct. Si le titre de missionnaire n’est pas revendiqué par les pasteurs concernés, leur apport dans l’œuvre pastorale et évangélique en Belgique ne serait néanmoins pas dérisoire. En effet, pour se faire une idée quant à la réalité éventuelle d’un apport africain à la mission de l’Église en Europe, il me semble impératif de définir avant tout le concept de mission sur le plan historique, biblique et théologique. C’est ce que je proposerai dans la dernière partie de cette étude.

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Troisième partie La dimension missionnaire de la diaspora chrétienne africaine en Europe

Introduction Dans cette dernière partie, que je situe dans la perspective large de la mondialisation, ma préoccupation principale est de définir le concept de la mission, et, plus particulièrement, celle de la diaspora chrétienne africaine en Belgique et en Europe aujourd’hui. Pour ce faire, il sera utile de brosser au préalable le contexte de la mondialisation, et préciser ensuite en quoi consiste la mission de la diaspora chrétienne africaine dans une Europe sécularisée et postmoderne, et proposer une réflexion théologique finale basée sur cette réalité.

163

Chapitre 5

La mission dans le contexte de la mondialisation1 Au cours des années 1980, la société internationale a connu des évolutions structurelles rapides, dues en particulier à l’expansion planétaire de l’économie de marché et à la fin de la guerre froide. Ces changements ont été signifiés, dans une acception plus économique, par les termes de « mondialisation », ou encore « globalisation »2. En effet, les opinions divergent sur la signification du mot, étant donné qu’il recouvre un phénomène complexe à définir. Cependant, ce qu’il évoque est considéré comme irréversible, et s’impose comme un nouveau paradigme de l’histoire actuelle. Jean Paré3 présente deux caractéristiques de ce paradigme : l’interdisciplinarité et le dialogue interculturel et interreligieux. Le paradigme des derniers siècles reposait sur la spécialisation, et même l’ultraspécialisation, ce qui selon lui a conduit à toutes sortes d’aberrations. Il estime que pour bien lire et comprendre n’importe quel phénomène, il s’avère nécessaire de se mettre à l’écoute des diverses disciplines de la recherche  : les disciplines scientifiques, mais aussi philosophiques et religieuses. Cela impose d’entrer en dialogue avec diverses traditions et diverses branches du savoir. La caractéristique la plus remarquable de la mondialisation est la suppression des barrières aux mouvements de personnes, de capitaux et de biens. Les frontières géographiques tendent à s’effacer, le plan national s’estompe et est progressivement dominé par l’expansion du multinational. Des instances politiques, des organisations non gouvernementales, des entreprises multinationales voient le jour. 1

Pour un aperçu des discussions sur la mondialisation, voir : LECHNER, F.-J. et BOLI, J., The globalisation Reader, Oxford, Blackwell, 2004 ; DELCOURT, J. et DE WOOT, Ph., Les défis de la globalisation. Babel ou Pentecôte ?, Louvain-laNeuve, Presses universitaires de Louvain, 2001 ; Collectif, « Les questions de la globalisation », dans Louvain, n° 117, avril 2001, pp. 11-27 ; Collectif, « Quelle mondialisation ? », dans Louvain, n° 135, janv.-févr. 2003, pp. 12-26 ; HOUTART, F., La mondialisation, Bruxelles, Fidélité, 2003 ; FEDOU, M., « Le christianisme à l’heure de la mondialisation », dans Études, 379, n° 3, 2002, pp. 215-225 ; HENGSBACH, F., « La globalisation. Une réflexion d’éthique économique », dans Conciliums, n° 292, 2001, pp. 121-13 ; BRASSEUR, J., Un monde meilleur. Pour une nouvelle approche de la mondialisation, Paris, A. Collin, 2005 ; AMABLE, B., Diversité des systèmes économiques et sociaux dans la mondialisation, Paris, Le Seuil, 2005. 2 DE SENARCLENS, P., La mondialisation. Théorie, enjeux et débats, Paris, Dalloz, 2005. 3 PARE, J., Mondialisation et mission, Montréal, Missionnaires de la Consolata, 2004.

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Mission en retour, réciproque et interculturelle

La mondialisation s’étend principalement sur trois domaines : la technologie, l’économie et la politique. Mais elle entraîne un changement4 rapide des systèmes sociaux et des cultures. L’une des définitions les plus intéressantes, mais également les plus critiques, souligne le fait qu’elle renvoie à une extension, un volume toujours en hausse, une accélération, un enrichissement des mouvements transcontinentaux et des modèles d’interaction sociale. Cela entraîne une transformation des organisations humaines qui reliaient les unes aux autres des collectivités éloignées. Suite à cette transformation, la portée des rapports de force dépasse les régions et les continents pour s’étendre à la scène mondiale. La mondialisation ne peut cependant être interprétée comme une préfiguration de l’avènement d’un monde harmonieux ou d’un processus universel d’intégration globale qui conduirait à une véritable convergence des cultures et des civilisations. En effet, elle est à l’origine, selon certains, de nouvelles formes d’insécurité et de conflits. Car on peut constater qu’une part importante de la population mondiale est exclue de la globalisation, et cela conduit à de profondes discriminations et induit une large contestation de celle-ci. C’est une critique qu’on peut rencontrer aujourd’hui, qui considère la mondialisation de l’économie comme un processus impitoyable qui engendre, dans le réseau mondial des organismes financiers et des entreprises industrielles, la concentration d’un pouvoir de décision et d’influence inégalé sur des millions de personnes dans le monde. Qui peut s’opposer à la mondialisation ? Cela semble un nonsens, car ses détracteurs eux-mêmes se regroupent sous l’appellation d’« altermondialistes »5, c’est-à-dire partisans d’une alternative à la mondialisation ou d’une autre façon de vivre la mondialisation. Et leur organisation est connue grâce au moyen de communication mondial par excellence : l’internet. Au vu de ce qui précède, la mondialisation ne peut laisser la communauté chrétienne en général et les Églises en particulier indifférentes. Car, pour accomplir sa mission dans le monde, le peuple de Dieu doit lire, interpréter et comprendre les signes de son temps. Et la mondialisation est sans aucun doute un des signes majeurs de notre temps. Aussi, aucun discours sur la mission ne peut-il en faire abstraction.

4



5

Idem. À Porto Alegre, en janvier 2001, avec le premier Forum social mondial, s’était ouvert un nouvel espace de coordination planétaire des résistances et d’élaboration de politiques alternatives. Depuis, les Forums se sont multipliés. AMIN, S. et HOUTART, F., « Trois défis pour les forums sociaux », dans Le monde diplomatique, mai 2006, p. 31.

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La mission dans le contexte de la mondialisation

A. La mission : perspectives historique et théologique Dans son étude sur l’évangélisation et la mission, le professeur Josef Nsumbu6 souligne la nécessité de réétudier constamment les différentes expressions courantes utilisées par l’Église, en raison de l’évolution du langage humain. Il observe à ce propos combien sont nombreuses les expressions qui traitent de l’essence de l’Église, de son organisation, de ses activités, de ses responsabilités, bref de sa vie. En effet, malgré le fait que certaines de ces expressions ne figurent pas dans la Bible, elles n’en sont pas moins riches de sens théologique. C’est le cas du concept de « mission ». À ce stade de mon étude, la question qui se pose est celle de savoir comment, moi, je définis la mission  ; comment, moi, je perçois la spécificité de la mission de la diaspora chrétienne africaine en Europe aujourd’hui. Puisque cette étude s’inscrit dans le cadre du protestantisme, je ne peux que débuter mon propos à partir de la Réforme.

1. La Réforme et la mission Les réformateurs avaient-ils une quelconque conception de la mission ? Gustave Warneck est l’un des premiers théologiens protestants à prétendre que les réformateurs se sont montrés indifférents et même hostiles à la Mission. Non seulement l’action missionnaire faisait défaut chez eux, affirme-t-il, mais l’idée même de mission, au sens contemporain du mot, leur était étrangère. Malgré cette affirmation, plusieurs théologiens reconnaissent actuellement que le jugement de Warneck équivaut à faire comparaître les réformateurs devant le tribunal du mouvement missionnaire moderne7. Selon eux, prétendre que les réformateurs n’avaient pas de vision missionnaire, c’est se méprendre sur les traits fondamentaux de leur théologie et de leur ministère. S’il est vrai que les réformateurs ne se sont pas préoccupés de l’idée d’œuvrer pour le salut du monde entier, c’est néanmoins au travers de leur fondement théologique que se sont élaborées toutes les théologies protestantes de la mission8. 6

NSUMBU, J., « Évangélisation et mission. Divergences et similitudes », dans Revue congolaise de théologie protestante, 13e année, n° 13, 1999, p. 155. 7 BOSCH, D.-J., op. cit., p. 325. 8 N. MUSHILA relève cinq conceptions de la mission de l’Église d’après les Églises protestantes aux 19e et 20e siècles, et présente dans la suite de son article une conception de la mission de l’Église face à la situation sociopolitique en Afrique. MUSHILA, N., « La mission de l’Église aujourd’hui », dans Revue zaïroise de théologie protestante, n° 1, décembre 1986, p. 225. Pour poursuivre cette étude on peut lire BOSCH, D.J., op. cit.

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Mission en retour, réciproque et interculturelle

Pour cerner cette réalité théologique, David Bosch fait référence à cinq caractéristiques principales qui se retrouvent dans tous les courants du protestantisme du 16e siècle : 1. la justification par la foi ; 2. la condition humaine considérée dans la perspective de la chute ; 3. la dimension subjective et personnelle du salut ; 4. l’affirmation du rôle de l’individu et de sa responsabilité personnelle qui entraîne la redécouverte du sacerdoce de tous les croyants ; 5. le rôle central attribué aux Écritures. De ces cinq caractéristiques, je voudrais me concentrer sur les deux dernières. Toutefois, il faudra noter que toutes les cinq ont eu des conséquences importantes, autant négatives que positives, pour la compréhension et l’évolution de la mission. En effet, introduite par la Réforme, la doctrine du sacerdoce universel a conduit à l’idée de la vocation personnelle du chrétien et de sa responsabilité au service de Dieu. Chaque chrétien devait collaborer activement à l’œuvre de Dieu dans le monde. Cette doctrine a donné une impulsion qui ne pouvait plus être arrêtée, et qui demeure aujourd’hui encore une des caractéristiques du protestantisme. Toutefois, malgré les avantages que représente cette doctrine, la multiplication d’Églises séparées dans le protestantisme est, selon David Bosch, dû en grande partie à la déformation aberrante de ce principe du sacerdoce universel des croyants9. C’est par le rôle central attribué aux Écritures dans la vie de l’Église que la pensée protestante a trouvé son expression la plus classique10. Ce rôle central implique que la parole vaut mieux que l’image, que l’ouïe l’emporte sur la vue. Dans le protestantisme, les sacrements ont une place réduite. La tradition calviniste, en particulier, les subordonne à la prédication. En fait, aux yeux de Calvin, le sacrement est aussi une parole, mais une « parole visible » (verbum visibile). Dans beaucoup d’Églises protestantes, la disposition liturgique des lieux a été remaniée : au lieu de l’autel ou de la table de communion, c’est la chaire qui occupe la place centrale. Il faut bien reconnaître que les deux siècles qui ont suivi la Réforme n’ont guère connu de témoignages d’expansion de la bonne nouvelle par les protestants. Ces derniers se déchiraient entre eux et gaspillaient leur énergie en dissensions et en disputes interminables. Dans l’histoire du protestantisme, ce sont surtout les anabaptistes qui se sont distingués à travers un programme d’expansion missionnaire 9



BOSCH, D.-J., op. cit., p. 223. Idem.

10

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La mission dans le contexte de la mondialisation

remarquable. Ils ont fondé leur conviction sur l’impératif missionnaire de Jésus dans Matthieu 28 et Marc 16, ainsi que sur le Psaume 24,111 qu’on trouvait dans leur confession de foi. Pour eux, toute l’Allemagne et les pays avoisinants constituaient un champ missionnaire, sans aucune considération de limite paroissiale ou diocésaine. Leurs prédicateurs étaient choisis et envoyés systématiquement dans les nombreuses régions d’Europe. Ils furent parmi les premiers chrétiens protestants pour qui l’impératif missionnaire concernait tous les croyants sans exception. Le concept de mission dans le sens moderne est une création du 19e siècle.

2. La période des missions protestantes L’une des manifestations déterminantes du réveil religieux au 19e siècle fut la création des sociétés bibliques et des Sociétés de Mission protestantes. L’expansion de la foi a toujours été accompagnée, chez les protestants, de la traduction de la Bible en langues vernaculaires. Se fondant sur le principe de l’intelligibilité immédiate de l’Écriture pour les cœurs bien disposés et du droit d’interprétation pour tout chrétien, sans nul monopole de ministère spécialisé, les protestants ont surtout réalisé une grande œuvre de diffusion des Saintes Écritures comme instrument d’évangélisation. La traduction de la Bible en langues diverses, écrit François Zorn12, fait donc partie d’une stratégie de communication de la parole de Dieu à tous les hommes. On retrouve ici cette volonté des réformateurs de vouloir mettre les textes bibliques à la disposition de tous. Cette diffusion a toutefois buté sur le problème de l’enracinement du message dans les différents contextes. C’est cela qui a suscité la « contextualisation », ou l’inculturation, de l’évangile. L’expansion des missions fera du 19e siècle « un grand siècle » pour les missions protestantes. Ces dernières dans l’ensemble se définissaient par rapport à deux objectifs : le témoignage et le service. Par quoi il faut entendre une évangélisation désintéressée, qui consiste, d’une part, à présenter la bonne nouvelle de Jésus-Christ et, d’autre part, à proposer une palette d’actions sociales allant de la création d’écoles à l’engagement politique, dans une perspective d’avancement du Royaume de Dieu13. Ce travail missionnaire a créé des infrastructures d’importance : dispensaires, écoles, etc., qui fournissaient de nouveaux modèles de vie et d’organisation sociale. Ce fut un énorme investissement en personnes et en moyens. 11

« À l’Éternel la terre et ce qui la remplit, le monde et ceux qui l’habitent ! » ZORN, J.-F., Les enjeux de la traduction, Lyon, CREDIC, 1997, p. 282. 13 SPINDLER, M., « L’évolution de la pensée missionnaire protestante (1948-1982). Vers une mission partagée », dans Nouvelle voies de la mission 1950-1980, Collectif, Lyon, CREDIC, 1999, p. 31. 12

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Les diverses formes de réveil et d’engagement des Églises occidentales dans l’entreprise missionnaire mondiale ont conduit directement à l’idée œcuménique : tous redécouvrirent que l’unité chrétienne transcendait les différences de dénomination, et se sentirent poussés à s’engager dans un mouvement missionnaire nouveau, « transdénominationnel ». L’esprit œcuménique se manifesta en particulier dans les sociétés bibliques et, à la fin du 19e siècle, dans des mouvements de jeunesse. En 1921 fut fondé le Conseil international des missions (CIM). Il procura, en dehors du monde catholique romain, le premier organe de coopération internationale et interconfessionnelle. Il fut la première expression concrète de cette volonté d’unité. Il sera suivi par deux autres organes : « Foi et Constitution » et « Christianisme pratique », qui fusionnèrent en 1948 pour former le Conseil œcuménique des Églises (COE).

3. Les fondements théologiques de la mission C’est un sujet polémique et critique, écrit Marc Spindler14, dont il faut rappeler avant tout les enjeux : le premier consiste dans le fait que la définition de la mission ne se fonde pas sur le grand commandement missionnaire de Mat (28 : 18-20), et Marc (16 : 15). On cherche d’abord les raisons qui ont poussé le Christ à l’envoi en mission. En deuxième lieu, c’est la discussion exégétique de l’authenticité des textes bibliques de Matthieu 28 qui est mis en jeu. Quelle que soit l’option que l’on prend face à cette discussion, il semble évident que la mission est une suite logique de l’évangile. Dans un troisième temps, on dénonce la publicité missionnaire qui mettait en avant d’autres motifs, tels que le caractère philanthropique15 ou humanitaire des entreprises missionnaires. La Seconde Guerre mondiale, fait remarquer Blaser16, a consommé la désillusion quant à la vocation civilisatrice de l’occident. En ce temps d’exaltation de l’activisme humanitaire, la réflexion théologique sur le fondement de la mission redevient une nécessité. Il s’agit de savoir, au fond, si Dieu, tel qu’il s’est révélé et peut être connu en Christ, veut non seulement que « tous les hommes soient sauvés » mais qu’ils parviennent aussi « à la connaissance de la vérité » (1 Tm 2 : 4), et qu’ils y parviennent grâce à la prédication de l’évangile, aussi bien dans l’Église que dans l’humanité dans son ensemble (Rm 10 : 12-17). 14

SPINDLER, M., « Fondement théologique de la mission », dans Dictionnaire œcuménique de missiologie, Paris, Le Cerf, 2001, p. 139. 15 Croyance en l’Occident civilisateur, coopération au développement, compassion humanitaire. 16 BLASER, K., « La mission : un témoignage commun dans le monde », dans Mission de l’Église, supplément n° 134, janvier-juin 2002, p. 73.

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Le fondement théologique de la mission ne peut pas être différent du fondement de l’Église, rassemblée par l’Esprit-Saint et par la Parole de Dieu transmise par des ministères donnés par le Seigneur. Si la mission n’a pas de fondement théologique, si elle n’est qu’une institution vénérable qui avance par la force de l’habitude et grâce au prestige de hérosfondateurs disparus, fussent-ils canonisés, si elle n’est qu’une explosion de charité occasionnelle, alors l’Église non plus n’a pas de raison d’être, note Spindler. L’Église n’a de sens qu’en portant le projet de Dieu. En fin de compte, pourquoi intervenir dans la vie privée des gens, ici ou ailleurs, jeunes ou moins jeunes, si les croyances ne regardent personne d’autre que ceux qui croient ou qui « décroient » ? La réponse ne peut être que théologique, en se référant à la « vie privée » de Dieu lui-même, c’està-dire à la vertigineuse circulation d’amour qui unit le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et qui déborde sur le monde par l’envoi du Fils unique (Jn 3 : 16) et de l’Esprit (Jn 20 : 22 ; Ac 1 : 5.8 ; 2 : 4, 18, 38), « pour la gloire de Dieu, la confusion du démon et le bonheur de l’homme »17. Le fondement – il vaudrait mieux dire la source – de la mission se trouve dans le cœur vivant du Dieu trinitaire : Dieu est lui-même « mission ». Bien compris, l’ordre de Mt 28 : 18-20 reflète le dynamisme « missionnaire » de la vie divine ; partout sur la terre, l’énergie créatrice du Père, du Fils et du Saint-Esprit suscite des disciples, les rassemble pour former une communauté nouvelle, envoyée à son tour sur les routes du Royaume.

4. La légitimité et les ambiguïtés terminologiques Peut-on oser encore parler de « mission », s’interrogeait Bruno Chenu18 dans une conférence quelque temps avant sa mort ? Nous sommes dans une évolution pendulaire qui fait se succéder les objections, les négations et les affirmations, les refus et les exaltations. En affirmant tout de même la légitimité de la mission, Chenu commence son discours en observant l’ambiguïté qui caractérise ce concept. En raison de son association étroite avec le colonialisme, le mot « mission » a été objet de polémiques : c’est surtout à cause des énormes injustices commises contre les personnes et les cultures durant l’expansion coloniale. En effet, le message évangélique a été une force de libération, affrontant des maux systémiques et des puissances oppressives qui ont asservi des hommes et des femmes en maintes parties du monde. Cependant, la mission et l’évangélisation, l’occidentalisation et la colonisation ont quelquefois marché la main dans la main, produisant des théologies et des pratiques, aussi bien que des attitudes et des 17

Lumen Gentium, n° 17 ; Ad gentes, n° 9. CHENU, B., « Oser parler de “Mission” ? », dans Revue des Facultés de théologie et philosophie de Lyon, t. X, vol. 2, juin 2005, p. 351.

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approches à l’égard des autres traditions religieuses et culturelles, qui sont sérieusement critiquées aujourd’hui. La mission n’a toutefois rien de commun avec une colonisation religieuse, encore qu’elle doive aussi, dans un sens large, user de publicité pour parvenir à ses fins. « Dieu ne s’importe pas, il se révèle », écrivait Maurice Leenhardt. Une autre ambiguïté est celle de savoir s’il faut parler de mission ou d’évangélisation. Les deux termes19 présentent des similitudes et des divergences remarquables qui ne sont pas négligeables. Le professeur Nsumbu, qui a approfondi cet aspect du sujet, aboutit à la conclusion suivante : la divergence entre l’évangélisation et la mission est une question avant tout systématique. Elle relève du sens que chacun de ces termes acquiert et de l’orientation ecclésiologique dont il dépend. Cependant, dans la pratique, les méthodes et les objectifs paraissent les mêmes. Disons donc que l’Église du Christ est la même quels que soient le lieu ou le temps, la race ou la culture ; ces éléments n’en constituent qu’une coloration externe. L’Église, dans sa nature, est et doit être évangélique et missionnaire : –– évangélique, précise-t-il, parce que l’Église doit être fondée sur les principes de l’évangile, faisant allusion à K. Barth dans son livre Introduction à la théologie évangélique, dont l’adjectif évangélique constitue un rappel du Nouveau Testament et, en même temps, de la Réforme du 16e siècle ; –– missionnaire, parce que l’Église doit se sentir envoyée, évangélisatrice. Il s’agit d’un autre aspect du qualificatif évangélique, affirme-t-il encore. Ce dernier désigne objectivement la continuité et l’unité « catholiques », comme le souligne K. Barth, œcuméniques ou conciliaires. Tout cela veut dire, conclut le professeur Nsumbu, que l’Église doit être le point de départ pour le témoignage du Christ et le point d’arrivée de toutes les âmes gagnées à Christ. Chaque Église locale ou branche de l’Église fera ainsi un mouvement de rapprochement vers l’autre, en embarquant à son passage toutes les âmes errantes. David Bosch, quant à lui, précise que l’évangélisation est une dimension essentielle de la mission20. Elle consiste à proclamer le salut en Jésus-Christ à tous ceux qui ne croient pas en lui : elle appelle à la repentance et à la conversion, elle annonce le pardon des péchés, et les invite à devenir des membres vivants de la communauté terrestre du Christ et à essayer de vivre au service des autres par la puissance du Saint-Esprit. 19

On peut lire à ce sujet NSUMBU, J., op. cit. BOSCH, D.-J., op. cit., p. 22.

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Observons tout de même que la notion de mission fut longtemps conçue dans des catégories ecclésiales et culturelles, comme une expansion en vue de la plantation de l’Église. La mission comme « plantation de l’Église »21 remonte à saint Augustin et il semblerait que l’on en ait retrouvé également quelques indices chez Calvin22. C’est une conception très répandue dans la missiologie catholique. Suivie par quelques spécialistes protestants comme Gustave Warneck (1834-1910), père de la missiologie protestante qui l’a définie comme l’ensemble des activités de la chrétienté visant à planter et à organiser les Églises chrétiennes parmi les non-chrétiens. L’objection majeure faite à ce sujet provient de la réflexion de Karl Barth en 1932. Il se demandait alors si les motifs missionnaires évoqués depuis ce temps ne constituaient pas une autojustification de la mission, plus arbitraire qu’obéissance à la volonté de Dieu. Aussi, suggérait-il, que l’on envisage à nouveau la mission sous l’angle théologique comme l’envoi du Fils et de l’Esprit dans le monde. La théologie barthienne eut une influence considérable sur la pensée missionnaire contemporaine. Sur le plan théologique, la mission a sa source en Dieu trinitaire. Ainsi la mission fut replacée au cœur de la doctrine de la Trinité et non en ecclésiologie ou en sotériologie. La mission est d’abord la mission de Dieu (missio Dei)23, le mouvement de Dieu. C’est un des disciples de Barth, Karl Hartenstein, alors directeur de la Mission de Bâle, qui forgea l’expression latine. L’influence de Barth 21

La formulation tire son origine du texte biblique de I Corinthiens 3,6-9 ; « Moi, j’ai planté, Apollos à arroser mais c’est Dieu qui donne la croissance ». Cette métaphore fut souvent reprise par Thomas d’Aquin (Summa theol., I q. 41. a è) pour désigner le travail apostolique ; l’image est devenue courante au 20e siècle pour caractériser l’apostolat missionnaire. Dans la pensée catholique, Pierre Charles (1883-1954), le porte-drapeau de l’école missiologique de Louvain, qui dans l’entre-deux-guerres a le mieux expliqué cette image présentée comme synthétisant la finalité de la mission. Pour lui, c’est planté l’Église visible, stable… PIROTTE, J., « Plantation de l’Église », dans Dictionnaire œcuménique de missiologie, Le Cerf, Paris, 2001. p. 267. 22 Institution de la religion chrétienne, livre IV, 3,4 23 D. BOSCH fait une distinction entre mission (au singulier) et missions (au pluriel). Le premier terme se rapporte à la missio Dei (mission de Dieu), à la révélation de l’amour de Dieu pour le monde, à l’engagement de Dieu avec et pour le monde, à la nature de son action qui concerne à la fois l’Église et le monde à laquelle l’Église a le privilège de participer. Missio Dei exprime la Bonne Nouvelle que Dieu est le Dieu des humains. Les missions (missio ecclesiae : les projets missionnaires de l’Église) sont des formes particulières de la participation à la missio Dei en temps et lieux et en rapport avec certains besoins. BOSH, D., Dynamique de la mission chrétienne, op. cit.

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se traduisit, par exemple, à la Conférence missionnaire mondiale de Willingen en 1952 par le texte suivant : Le mouvement missionnaire dont nous faisons partie a sa source dans le Dieu trinitaire. À cause de la profondeur de son amour envers nous, le Père a envoyé son Fils bien-aimé pour réconcilier toute chose avec lui-même, afin que, par l’Esprit, nous, et tous les hommes, soyons uns, dans le Fils, avec le Père, dans cet amour parfait qui constitue la nature propre de Dieu.

Ce premier mouvement fut suivi d’un deuxième qui inclut l’envoi de l’Église dans le monde par le Fils et le Saint-Esprit. Il n’y a mission de l’Église que parce qu’il y a mission de Dieu qui suscite l’Église et veut élargir son règne à toute la Création. Depuis la conférence de Willingen, cette conception fait l’unanimité de la missiologie de l’ensemble des confessions chrétiennes. Cette double perspective théocentrique et ecclésiocentrique est bibliquement fondée à partir de la notion d’envoi (apostolat) qui est au cœur du Nouveau Testament. Ainsi nous avons un double mouvement : l’un dont Dieu lui-même est la source quand il envoie son Fils et son Esprit dans le monde, et l’autre par lequel l’Église envoie à son tour des hommes dans le monde pour témoigner au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. L’intérêt de cette double dimension de la notion d’envoi réside, selon Jean-François Zorn, dans l’ordre des facteurs : c’est la missio Dei qui commande en quelque sorte la missio ecclesiae, et non l’inverse. Plusieurs thèmes missiologiques actuels découlent de la redécouverte de la missio Dei et constituent les bases du consensus missionnaire que l’on connaît aujourd’hui. En se conformant à cette dynamique, l’Église entre dans la « suivance » du Christ, souligne Zorn. Elle n’est donc pas le lieu du salut, mais le sacrement (conception catholique) ou signe (conception protestante) offert au monde. C’est l’Église tout entière, universelle et locale, et plus seulement des agents spécialisés, qui véhicule la mission. Il convient de remarquer avec David Bosch, que, étant donné que nous vivons dans un contexte de relation où tout se croise, ce serait une erreur sur le plan de l’anthropologie et de la sociologie que de séparer les aspects spirituels des aspects matériels et sociaux. En outre, notre monde actuel est caractérisé par l’injustice, l’oppression, la pauvreté. Ainsi le regard de Dieu sur ce monde se manifeste à travers l’engagement missionnaire de l’Église face à ces situations. L’Église en sa qualité de lumière et sel de la terre (Mat. 5 : 13-16) ne peut rester indifférente face à ces réalités. C’est cette dimension qui, à notre avis, fonde l’action sociale de l’Église dans le monde. 174

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La mondialisation du christianisme a permis la valorisation d’identités particulières et de nouvelles solidarités entre les chrétiens. Dès lors, le travail des missions à travers le monde entier trouve sa raison d’être dans un partenariat construit à l’échelle planétaire. La publication en 1963 de France, pays de mission  ? de Godin et Daniel24 fut à l’origine du renversement du « mythe géographique » de la mission. Elle eut autant de répercussions dans le monde catholique que dans le monde protestant. Ces auteurs ont en effet démontré que l’Europe était aussi redevenue un champ de mission au même titre que les autres continents. C’est l’Église, corporellement, qui est le missionnaire envoyé par le Dieu trinitaire pour continuer la mission rédemptrice de Jésus-Christ dans ce monde. Etre chrétien, c’est être membre du corps de Jésus-Christ et par conséquent participer à la Mission du corps de Jésus-Christ. C’est dans cette perspective qu’il faut chercher l’apport de la chrétienté africaine de la diaspora en Europe aujourd’hui. C’est ce qui constitue l’objet principal de cette étude. En outre, l’annonce de l’évangile par des Africains a un retentissement sur une minorité européenne dont on peut observer la participation aux activités des différentes Églises étudiées. Cette réalité présente un intérêt d’ordre missiologique. Néanmoins, la participation africaine à la mission soulève plusieurs questions, dont nous ne retiendrons ici que quelques-unes : –– tout d’abord, quelle est la spécificité de cette mission ? –– ensuite, qu’en est-il du mandat missionnaire, sachant que la plupart des missionnaires africains ne sont ni envoyés, ni soutenus par leurs Églises en Afrique, avec lesquelles ils n’ont souvent plus aucune relation ? –– quelle est leur implication dans la société d’accueil ? –– que signifie la mission dans une société européenne sécularisée et multi-religieuse ? Jean Paré25, dans son livre Défis à la mission du troisième millénaire écrit ceci : « à travers la globalisation, la sécularisation ou le retour fulgurant du religieux dans les sociétés européennes, les bouleversements survenus dans le monde ne peuvent pas laisser intacts les enseignements officiels de l’Église ». Il suggère la nécessité de renouveler constamment les paradigmes ou de les renverser. 24

GODIN, H. et DANIEL, Y., France, pays de mission ?, Paris, Le Cerf, 1943. PARE, J., Défis à la mission du troisième millénaire, Montréal, Éd. Missionnaires de la Consolata, 2002.

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David Bosch26, quant à lui, à la fin de sa somme missiologique, lance un vibrant appel afin que la mission soit toujours renouvelée et repensée. Notre recherche se situe dans cette perspective. En effet, l’Église africaine étant membre du corps de Christ, il lui faut sans doute apporter sa part de contribution dans la mission universelle de l’Église. Notre étude sur les Églises chrétiennes d’expression africaine en Europe a révélé un ministère évangélique auprès de la population africaine de la diaspora. Ce travail pastoral exercé loin du continent africain présente un intérêt missiologique. En outre, comme nous l’avons déjà constaté, l’annonce de l’évangile par ces Africains a eu un retentissement sur la minorité européenne qui prend part aux activités des Églises étudiées. D’autre part, on peut observer une autre forme d’activité missionnaire africaine en Europe à travers la présence des pasteurs et des prêtres africains œuvrant en milieu occidental. Au regard de notre définition de la mission et de l’évangélisation, peut-on voir en cette expression une certaine contribution de type missionnaire en Europe ? Les avis sont partagés. Cependant, les données fournies par mon étude ne nous empêchent pas de l’affirmer. Nous rejoignons Gerrie ter Haar, sociologue de formation, qui a étudié le cas des Pays-Bas ; Elle est arrivée sans ambiguïté à la même conclusion : « Toutes ces questions ont un rapport avec le thème de ce colloque sur les chrétiens d’outre-mer en Europe au 20e siècle, ce qui pose la question de savoir si ces nouvelles Églises sont à considérer comme des nouveaux réseaux missionnaires ou des refuges identitaires ». « Personnellement, répond Gerrie ter Haar, à partir de mes recherches chez les Africains aux Pays-Bas et dans une moindre mesure ailleurs en Europe, c’est sans doute la première hypothèse qui est vraie, et je mettrais un gros point d’interrogation sur la seconde »27. Marc Spindler nous révèle la clé de compréhension de cette réalité, en fondant son analyse sur l’hypothèse de l’inculturation. En effet, le changement de résidence ne peut détruire les acquis de la foi inculturée. Au contraire, affirme-t-il, elle garde sa force d’inertie  ; comme tous les processus sociaux et missionnaires de longue durée, elle acquiert parfois une force d’initiative et d’attraction. Elle mobilise çà et là de nouvelles énergies missionnaires. La mission chrétienne se poursuit sous d’autres paradigmes. Les chrétiens étrangers ne sont pas seulement des « demandeurs » mais ils savent être eux-mêmes des « accueillants », autrement dit des acteurs d’un processus ecclésial et missionnaire autogène. Cet accueil reçoit alors une coloration « missionnaire » selon le 26

BOSCH, D.-J., op. cit. TER HAAR, G., « Les théories de l’ecclésiogenèse et les diasporas chrétiennes d’outre-mer en Europe », dans Chrétiens d’outre-mer en Europe, op. cit., pp. 50-52.

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paradigme de l’évangélisation du semblable par le semblable, avec ou sans le paramètre de l’homogénéité sociale entrevu par certains missiologues modernes28. Cet accueil, poursuit-il, n’exclut pas en principe les Européens de souche, mais à certaines conditions. Ils sont bien accueillis dans la mesure où ils cherchent eux-mêmes à se dépayser, ou bien s’ils acceptent de bon cœur les éléments culturels déjà cités, par amitié ou à la suite de la création de liens conjugaux, familiaux ou professionnels. L’ethnicité affirmée n’implique pas nécessairement une fermeture ou une exclusion vis-à-vis d’autres identités29. Toutes ces analyses révèlent qu’il y a bel et bien mission. Cependant, l’appropriation de l’évangile par les Africains dans ce nouveau contexte suscite plusieurs interrogations qui méritent notre attention.

5. Le mandat On observe une réalité « de fait » par la multiplication des rassem­ blements de tout genre et parfois contradictoires. Si pour certaines communautés les Églises du pays d’origine reconnaissent le travail pastoral réalisé par leurs ressortissants en Belgique, ou en Europe (cas du pasteur Rwanyindo, Kabi), d’autres (l’Église Internationale de Bruxelles, l’Église du Plein Évangile, l’Arche de la Gloire de l’Éternel, par exemple) n’entretiennent plus aucune relation avec une Église particulière du pays d’origine. Nous nous trouvons face à une mission issue d’initiative prophétique spontanée, suivant la typologie chère à Rolland Allen30. Dans la pensée d’Allen et de Newbiggin (qui l’a reprise) telle que nous l’interprète Marc Spindler31, cette spontanéité n’exclut pas des structures ecclésiastiques définies (épiscopales en l’occurrence). Mais il s’agira de structures de consolidation, non de conquête. La pointe de la mission, c’est un mouvement populaire, spontané, enthou­ siaste, qui n’est autre que l’action du Saint-Esprit. L’Église et la mission sont définies par le Saint-Esprit qui est le véritable missionnaire, précédant les missionnaires. Roland Allen, souligne-t-il, est d’ailleurs très dur pour l’organisation missionnaire, l’accusant d’étouffer la mission : « Notre organisation immobilise nos missionnaires. La mission est une œuvre spirituelle qui, au fond, ne peut jamais être “organisée” : s’il faut certes une organisation en faveur de la mission, il n’existe pas 28

Allusion à Donald Mc Gavran, Ralph Winter, etc. SPINDLER, M., « L’implantation d’Églises d’outre-mer en Europe : aspects missiologiques », dans op. cit., p. 22-23. 30 On peut se référer à Roland ALLEN dans son célèbre livre : The Spontaneous Expansion of the Church and the Causes which Hinder it, Grand Rapids, 1962. 31 SPINDLER, M., La mission, combat pour le salut du monde, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1967, p. 50. 29

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d’organisation de la mission. La mission, c’est la vie de l’Esprit, qui souffle où il veut. D’après Allen, semble-t-il, spécialement en dehors de l’institution missionnaire et des “professionnels” de la mission, tant missionnaires qu’agents indigènes. La propagation de la foi la plus efficace est celle qui est liée à l’activité et au témoignage des simples fidèles au sein de leur milieu. En somme, l’Église naît par génération spontanée, et il ne reste aux missionnaires qu’à lui donner une organisation lui permettant de vivre sa vie autonome et une éducation religieuse « dans l’Église, de l’Église et par l’Église », portant sur la manière de vivre la vie chrétienne. » Rolland Allen, conclut Marc Spindler, a découvert ou redécouvert un certain nombre d’idées très justes qui ont été développées après lui, notamment celle de ce qu’on appelle aujourd’hui l’apostolat des laïcs, c’est-à-dire le témoignage parlé et vécu des croyants, isolément et en communauté, dans la vie quotidienne. Il a également mis en valeur un élément essentiel de la notion de la mission : l’idée de l’expansion spontanée, anonyme, de la communauté chrétienne, idée qu’il a « probablement » trouvée chez Harnack. En effet, la mission n’est pas seulement l’envoi organisé des représentants de l’Église chrétienne, elle est aussi la diffusion imprévue et spontanée de la Parole. C’est cette forme d’activité qui a caractérisé les Églises indépendantes africaines autrefois et qui se retrouve dans le mouvement pentecôtiste et charismatique en général. C’est la caractéristique majeure de la plupart des Églises de la diaspora qui connaissent une grande croissance au niveau européen. Cette approche de la mission reflète en théologie biblique le début de l’Église dans les Actes des Apôtres. Dans ce livre32, le ministère missionnaire de l’Église se déroule en trois phases, résumées dans ce verset : « Mais vous allez recevoir une puissance, celle du Saint-Esprit qui viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. » (Act. 1 : 8). Dans ce contexte, l’étude de l’expansion missionnaire peut se comparer, à quelques différences près, à celle de la réalité de la diaspora chrétienne africaine en Europe aujourd’hui. La persécution qui à suivi la mort d’Etienne, a servi la cause de l’évangile. La première expansion missionnaire dans le livre des Actes, qui obéit au schéma tracé par le Seigneur ressuscité, ne s’est pas réalisé à travers une organisation missionnaire apostolique, mais à travers des initiatives improvisées ou spontanées des exilés (Actes 8 : 1-4). 32

BOSCH, D., op. cit., p. 119.

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C’est dans la continuité de ce mouvement que naîtra l’Église d’Antioche (ch. 11) qui, dans la suite des événements, est devenue le centre missionnaire le plus important, après Jérusalem, pour atteindre les extrémités de la terre. Ses prédicateurs les plus audacieux étaient originaires de la diaspora. Apparemment, c’étaient de simples fidèles judéo-hellénistes. En outre, le cas du diacre Philippe en Samarie, puis sa rencontre avec l’eunuque Ethiopien est chargé de signification dans cette perspective missiologique (Act. 8.). Dans une étude sur la mission dans le livre des Actes, Marcel Dumais33 met l’accent sur le rôle du Saint-Esprit dans la communauté chrétienne comme secret de la dynamique de la mission. En actualisant le livre des Actes, il affirme que le secret pour la réussite de la nouvelle évangélisation de nos sociétés postmodernes réside dans l’expérience de la rencontre du Seigneur vivant et de l’accueil intérieur de son Esprit qui est à la base de tout engagement chrétien. Si d’une part, la mission dans ses débuts était liée à l’initiative spontanée, mais par la suite elle fut l’objet d’une organisation et attache à l’Église locale. Cette réalité se démarque de la plupart des Églises d’expressions africaines en Belgique et en Europe aujourd’hui. Cependant, si l’on peut noter des points positifs, il faut sans doute aussi mentionner des faiblesses, celle-ci entre autres : l’improvisation de plus en plus fréquente du ministère pastoral, qui pose la question de sa crédibilité.

6. La crédibilité À côté de ce problème du mandat, il y a celui des ministres du culte eux-mêmes. Le fait que ces derniers, venus en Europe pour plusieurs raisons, deviennent pasteurs, et souvent autoproclamés, pose un problème de crédibilité. On trouve des pasteurs réfugiés politiques, anciens diplomates, travailleurs immigrés, etc. En outre, la carence de formation pastorale et théologique adéquate conduit à toute sorte de bricolage, dans la gestion des Églises. Un danger qui guette souvent les communautés est le risque de « l’effet gourou ». Le leader charismatique s’impose au groupe en qualité de fondateur, et toute personne insoumise est rapidement refoulée hors de l’Église. Cet effet gourou va de pair avec une absence totale de réflexion critique et constructive. Le manque de réflexion théologique conduit aussi à la manipulation des textes bibliques par le leader en vue d’asseoir son autorité. La conséquence en est que le regard porté sur ces Églises est 33

DUMAIS, M., Communauté et mission. Une lecture des Actes des Apotres pour aujourd’hui, Tournai et Bégédis, Gédis S.A., 1992.

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plutôt méfiant, voire négatif, et qu’une certaine opinion africaine et européenne ne fait que le conforter. Ce regard s’exprime souvent par la publication de scandales teintés de préjugés et basés sur des amalgames dont regorge la presse à scandale. C’est ainsi que des généralisations abusives les assimilent aux sectes et aux mouvements syncrétiques. La meilleure attitude à adopter pour changer ce regard est d’analyser les situations pour pouvoir faire la part des choses. C’est ce que je tente de faire dans cette étude.

7. Une spécificité de la mission africaine en Europe À partir de toutes ces analyses, comment peut-on comprendre la présence chrétienne africaine en Belgique et en Europe aujourd’hui à travers les Églises et les pasteurs ? Dans son livre Repères pour la mission chrétienne, Klaus Peter Blaser, après avoir tracé l’évolution de la mission à travers les siècles, envisage pour le troisième millénaire un mouvement missionnaire du Sud vers le Nord, qui devrait compléter le mouvement inverse et affiner ainsi les nouveaux chemins de la mission qui prennent en compte les voix du Sud. En cherchant à approfondir cette question en vue de préciser dans cette partie quelle est la spécificité de la mission africaine en Europe, je voudrais baser mon interprétation sur l’analyse de Bernard Coyault34, même si je ne partage que partiellement ses points de vue : les Églises d’expression africaine en Belgique et en Europe apparaissent avant tout comme des instances d’encadrement religieux des Africains de la diaspora, selon des pratiques liturgiques chrétiennes enrichies des éléments culturels des pays d’origine : langue, expression, etc. L’objectif est simplement de pouvoir vivre leur foi comme ils l’entendent, écrit Bernard Coyault. Cette pratique leur est nécessaire et même vitale pour affronter un quotidien difficile. Ayant du mal à la trouver dans les paroisses d’accueil, ils la construisent ailleurs. Comme il a été dit dans la première partie : en raison de l’immigration, les populations belge et européenne ont changé de visage. La carte d’identité nationale n’implique pas nécessairement une ascendance de souche. On observe l’émergence de sous-ensembles de populations : des « Afro-Européens », des « Euro-Asiatiques », des « Arabo/islamo-Européens ». Il ne s’agirait plus d’une identité nationale ou d’une langue spécifique, mais plutôt de modes de pensée et de comportements culturels partagés. Dans ce contexte, une culture noireeuropéenne est née d’une sorte de métissage entre les valeurs et le mode 34

COYAULT, B., « Les Églises issues de l’immigration dans le paysage protestant français », dans Perspectives missionnaires, n° 48, 2004.

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de vie des sociétés européennes et des valeurs des sociétés traditionnelles d’origine. L’émergence d’Églises d’expression africaine n’est que la déclinaison au niveau religieux de ce phénomène social, à l’instar des Églises afro-américaines aux États-Unis. Gerrie ter Haar35 affirme que, pour beaucoup d’Européens de souche, la fondation d’Églises d’initiative africaine ou non occidentale en Europe apparaissent généralement comme un désordre ou une anomalie. Cependant, ce phénomène n’est rien d’autre, affirme-t-elle, qu’une nouvelle phase de l’histoire religieuse de l’Europe : il ajoute une nouvelle dimension à la société multiculturelle que l’Europe est devenue depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

8. Refuge identitaire ou vocation missionnaire ? Le colloque du CREDIC à Glay (Doubs) en 1998, dont la publication a donné le livre de référence : Chrétiens d’outre-mer en Europe. Un autre visage de l’immigration  ?, n’a pas, selon moi, tranché cette question, malgré l’évidence des interventions. Le titre suggère déjà que l’accent avait été mis sur l’immigration. La question que nous nous posons est de savoir si l’immigration et la mission sont incompatibles. En répondant par la négative, nous sommes amenés à spécifier la mission dans ce contexte d’immigration par le biais de la diaspora chrétienne africaine. En fonction des profils et des étapes de croissance de ces phénomènes, Bernard Coyault souligne trois dimensions caractéristiques de cette mission : sociale, diaconale, identitaire, auxquelles j’ajouterai la dimension pastorale. Commencée par l’encadrement des compatriotes, la mission s’est développée en mouvement d’évangélisation qui dépasse le cadre national. La vocation missionnaire était souvent mise en avant par les personnes que j’ai interrogées. Cette vocation, comme le souligne Bernard Coyault, revêt deux orientations principales : soit « interne » en direction des compatriotes ou même des coreligionnaires égarés, soit « externe » vers des Européens de souche (Belges, Français, etc.). À Bruxelles, comme dans les autres grandes villes d’Europe (Paris, Amsterdam, Berlin, Londres, etc.) où ce phénomène peut être observé, il n’est pas rare de croiser dans les transports en commun ou dans les rues des évangélistes « laïcs », hommes ou femmes, Bible en main qui abordent leur voisin. Des rassemblements et des séances de guérison sont parfois organisés à grand renfort d’affiches et avec le soutien précieux de chorales de gospels qui attirent le public. 35

TER HAAR, G., op. cit.

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Cependant, le manque d’approfondissement de la culture du pays d’accueil entraîne parfois des difficultés de voisinage, notamment en raison du bruit lié à l’expression chaleureuse des service religieux, ce qui ne joue pas en faveur d’une bonne intégration. Pour que l’apport de la diaspora africaine dans l’évangélisation soit efficace, il faut donc qu’elle relève un défi permanent : œuvrer dans une société sécularisée où la foi est reléguée dans la sphère du privé, sans tomber dans l’erreur du triomphalisme qui a caractérisé la mission à sens unique du 19e siècle. Mission dans sa dimension sociale et diaconale : les Églises jouent un rôle décisif dans le processus d’intégration des nouveaux immigrants, ou des personnes en situation irrégulière. D’une façon générale, le niveau socio-économique d’un grand nombre de membres est bas. Ainsi, l’Église devient un lieu de communion fraternelle, d’encouragement mutuel, qui permet de trouver un équilibre, et de s’intégrer dans des réseaux de solidarité et d’entraide (hébergement, travail, etc.). Mes études de cas le vérifient et sont confirmées par les études sociologiques de Gerrie ter Haar36, qui montre plusieurs exemples favorisant incontestablement la dynamique d’ascension sociale. En effet, la foi fervente et la confiance dans l’intervention de Dieu sont aussi une manière concrète d’affronter les difficultés de la vie et les tribulations propres aux nouveaux immigrés : démarches pour la régularisation, chômage, etc. L’Église favorise des formes de communautarisme qui jouent plutôt un rôle positif pour l’insertion dans la société d’accueil. Elle est un tremplin plutôt qu’un ghetto communautaire. La vocation identitaire Même si je ne partage pas le point de vue de ceux, comme Gerloff Roswith37, qui mettent au premier plan la notion d’identité, cette dimension n’est pas à négliger. Elle joue un rôle important dans le contexte d’exil et de migration. Elle se situe, comme le souligne Bernard Coyault, à la jonction du spirituel et du culturel. L’expression de la foi est tout à la fois constitutive de la culture et imprégnée par elle. Les chrétiens du Sud ont transporté avec eux « leur » évangile, écrit-t-il, formulation quelque peu étrange, qu’il emprunte sans doute à Gerrie ter Haar. Je me dissocie de lui sur ce point car s’il est vrai que l’évangile dont il est question ici est parti d’Europe, avant de recevoir d’autres atours, on ne peut dire que c’est l’évangile des Africains, comme s’il y avait plusieurs évangiles. Il n’en reste pas moins que les expressions de la foi peuvent être différentes dans la manière de prier, de célébrer, de s’approprier l’Écriture, de vivre en communauté, etc. 36

TER HAAR, G., Halfway to Paradise, op. cit., pp. 43-46. GERLOFF, R., « La diaspora africaine chrétienne en Grande-Bretagne. Les variations d’un continuum identitaire », dans Chrétiens d’outre-mer en Europe, op. cit.

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Je suis en revanche en accord avec son interprétation quand il affirme que, dans le contexte d’une société « postmoderne » et sécularisée, où la pratique religieuse des Églises en Occident est marquée par la rationalité et le relativisme (de la vérité et de l’engagement), ces communautés proposent en contraste une expérience plus immédiate d’un Dieu présent assurément, fortement, puissamment38. Certaines pratiques religieuses telles que la louange spontanée par les chants et les danses, les prières de guérison ou de délivrance, le prophétisme, l’importance accordée aux rêves et aux révélations, le lien entre bénédiction spirituelle et matérielle ne peuvent pas être seulement comprises comme l’expression d’un christianisme fondamentaliste. Elles sont aussi le témoignage d’une inculturation réussie de l’évangile. Une spiritualité et une théologie fruits d’une rencontre particulière entre l’évangile et leurs cultures d’origine. Au passage on peut affirmer que si l’expression de foi dominante dans ces communautés est plutôt de type pentecôtiste, c’est précisément parce que le pentecôtisme, comme nous l’avons déjà remarqué plus haut, permet et laisse une grande place à l’expression spontanée de l’exercice du culte dans la culture du peuple.

B.  Les enjeux : œcuménisme interculturel et mission « Ils ont reçu jadis l’évangile de nos missionnaires, écrit Bernard Coyault, n’avons-nous pas aussi à recevoir “leur” évangile ? »39 « Si ce schéma est trop simpliste, note-t-il, on peut tout au moins se convaincre qu’un échange fraternel, théologique, spirituel aboutira à quelque chose de nouveau : une transformation mutuelle, une vision renouvelée de la communauté, de la vie chrétienne, de l’évangélisation ». À côté de l’œcuménisme avec les autres dénominations chrétiennes (catholique et orthodoxe) et de l’œcuménisme interprotestant, s’ouvre le champ d’un « œcuménisme interculturel ». Comme toute forme de rencontre, il est aussi jalonné de déceptions. Il repose en tout cas sur un point commun : l’envie partagée de se rencontrer parce que se reconnaissant disciples du même Seigneur. Et sur la conscience aussi d’une responsabilité missionnaire commune, ici et pas dans un lointain ailleurs. Chacun doit faire preuve d’humilité et de bienveillance. Lutter contre les préjugés réciproques et l’indifférence. S’apprivoiser, se comprendre, dans un chemin de réciprocité, de mutualité où l’on apprend l’un de l’autre, où l’on imagine ensemble des occasions pour témoigner et servir, dans un chemin d’unité qui respecte et valorise la spécificité de chacun, pour le bien de tous. C’est dans ce cadre que peuvent se justifier toutes les 38

On peut aussi lire KOUNKOU, D., « Les Églises chrétiennes d’expression africaine en France », dans op. cit., pp. 217-237. 39 J’ai déjà marqué ma distance par rapport à cette expression.

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initiatives qui favorisent ces formes de collaboration entre les Églises. En l’occurrence, le CACPE en Belgique contribue au rapprochement entre elles et à l’accueil des Églises d’expressions diverses, surtout étrangères, dans la grande famille protestante. L’enjeu est bien le même que pour les autres formes d’œcuménisme : la crédibilité du témoignage chrétien et la mission – « Que tous soient un, pour que le monde croie ». Toutefois, je n’ignore pas le débat ecclésiologique que peut susciter cette affirmation. Affirmant l’importance de l’unité dans l’exercice du témoignage chrétien dans ce monde, Maurice Cheza s’appuie sur une comparaison très intéressante, qui met en opposition la tour de Babel et la pentecôte en ces termes : « À propos du récit biblique de la tour de Babel, les exégètes récents ne se satisfont plus d’une interprétation selon laquelle la faute condamnée serait un péché d’orgueil. Ils disent plutôt que le reproche s’adresse à un projet d’unité dans l’uniformité. (…) André Wenin écrit : “Pour le croyant qui a composé l’histoire de Babel…, Dieu ne cautionne pas les projets totalitaires, parce que l’unité qu’ils visent se révèle mortifère. L’uniformité écrase, exclut, réduit au silence. Elle fait mourir, et c’est en cela qu’elle est incompatible avec le projet du Dieu de la Bible.”  » La réflexion continue  : «  Le jour de la pentecôte, tous les auditeurs de la Bonne Nouvelle l’entendent dans leur propre langue. La boucle est bouclée ; les communautés dispersées dans des contextes différents ont à vivre leur fidélité à Jésus-Christ dans la diversité. L’Église est riche d’une multitude d’expressions culturelles entre lesquelles des échanges égalitaires ne peuvent être que bénéfiques. Finalement, l’objectif de l’animation missionnaire n’est autre que de favoriser une meilleure connaissance réciproque des Églises de partout pour que puissent s’établir de véritables échanges de vie et d’énergie entre elles »40.

C. Les perspectives d’avenir des Églises d’expression africaine en Europe Nul ne connaît l’avenir, affirmait Jacques Lemaire41. Il est donc difficile de décrire avec précision ce qu’il adviendra des Églises africaines. L’Europe occidentale a connu différentes vagues d’immigration au cours du 20e siècle. Celle des Polonais entre les deux guerres mondiales, puis, après la seconde, celles des Italiens, des Portugais, des Nord-Africains. Toutes ces personnes étaient venues dans le but de travailler quelques 40

CHEZA, M., « Unis pour témoigner », dans Mission de l’Église, supplément n° 134, janvier-juin 2002, p. 79. 41 LEMAIRE, J., dans un regard critique sur les Églises africaines en Belgique. Conférence tenue dans le cadre de l’Aumônerie des étudiants étrangers à Bruxelles, op. cit.

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années, puis de rentrer dans leur pays d’origine. Le temps a passé et force est de constater que très peu l’ont fait. En effet, ils se sont installés, sont devenus propriétaires, leurs enfants ont fait des études et se sont mariés. Cela explique aisément que l’idée du retour se soit estompée. En outre, Lemaire évoquait le nombre impressionnant de personnes qui affirmèrent qu’elles sont devenues comme des étrangers dans leur pays d’origine, et qui sont revenues ici quelques mois après leur essai de retour : en fait, le pays qu’elles ont quitté il y a quarante ans, et qu’elles idéalisaient, n’existe plus, car l’évolution, constatait-il, suit son cours là-bas. Tout ceci explique pourquoi il est difficile d’envisager un retour en masse des Africains dans leur pays d’origine. D’autant plus qu’un nombre important d’entre eux ont d’ores et déjà pris la nationalité de leur pays d’accueil, et que l’on ne pressent pas une amélioration des conditions de vie dans les pays d’où ils ont émigré. On est dès lors en droit de se poser des questions concernant l’avenir des Églises d’expression africaine en Europe occidentale. La position de Jacques Lemaire comme celle de John Van Der Dussen, qui rencontre l’assentiment d’un grand nombre de chercheurs, et à laquelle j’adhère, est d’affirmer que les Églises fondées uniquement sur la nationalité ou sur la race ne dépassent pas la quatrième génération lorsqu’elles sont établies dans un pays étranger. En se référant aux cas des Églises polonaises, portugaises et italiennes en Belgique, on remarque que les Églises polonaises, par exemple, ont toutes disparu à la quatrième génération et sont devenues des Églises autochtones. Le même phénomène est en train de se produire pour les Églises italiennes et portugaises, qui en sont à leur troisième et même quatrième génération. En ce sens, la vocation des Églises d’expression africaine est donc de devenir, dans les décennies à venir, des Églises nationales composées d’Européens, les uns autochtones et les autres d’origines étrangères diverses. Ce ne pourra être que bénéfique pour tous, le meilleur de chacun enrichissant l’ensemble. Dans cette perspective, il paraît urgent, rappelle Lemaire, d’entamer d’ores et déjà le dialogue. En effet, nombre de chrétiens et même de pasteurs européens ignorent encore tout de l’existence et du potentiel spirituel des Églises d’expression africaine. Evidemment, cela suppose un certain dépassement des facteurs culturels, observe-t-il, voire des préjugés raciaux ou racistes. Réflexions finales  : les perspectives miss

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Chapitre 6

Réflexions finales : les perspectives missionnaires Par perspective, je sous-entends l’angle sous lequel je compte porter ce dernier regard sur la présence effective quoique minoritaire des Belges et Européens de souche dans les Églises d’expression africaine d’une part, et d’autre part sur la présence active de pasteurs et de chrétiens d’origine africaine dans l’ensemble du protestantisme en Belgique et en Europe. Quel enseignement peut-on tirer de cette double réalité hors du continent africain ? Il y a quelques années, dans un article sur « la relève missionnaire en Afrique », Jean-Marc Ela1 soulevait la question de l’inversion du sens de la mission. Sa préoccupation peut se résumer dans l’interrogation suivante : Comment promouvoir un mouvement missionnaire africain à partir de notre expérience de la foi et de l’Évangile face aux défis propres à nos Églises dans l’étape actuelle de leur histoire ?

Le débat autour de cette question ne semble pas, de mon point de vue, complètement clos, même si le contexte actuel de la mission n’est plus le même. En effet, si hier les entreprises missionnaires avaient à affronter l’esclavage, la traite des Noirs, la colonisation…, aujourd’hui ce sont d’autres formes de servitude qui caractérisent les relations internationales : le néocolonialisme, la pauvreté et les injustices de tout genre, avec comme corollaire l’émigration des populations victimes vers des terres d’asile, à la recherche d’un certain bien-être. De fait, l’immigration en tant que phénomène d’actualité n’est propre ni à la Belgique ni même à l’Europe. Elle est devenue de nos jours un paramètre important de la vie internationale et un sujet toujours controversé qui interpelle actuellement la conscience des décideurs politiques. Ce paramètre marque fortement, aujourd’hui plus qu’hier, les relations Nord-Sud, précisément en ce qui concerne l’accueil et l’intégration des étrangers, les problèmes des droits de l’homme, l’assistance aux personnes en danger, l’exclusion, etc. Ces problèmes ne concernent cependant pas exclusivement le monde politique, loin s’en faut. À cet égard, Robert Agneau et Denis Pryen engagent la responsabilité de l’Église : « Le 1



ELA, J.-M., « La Relève missionnaire en Afrique », dans La Mission de l’Église aujourd’hui, 4-11 avril 1984, p. 29.

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moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y a dans la question des immigrés matière à réflexion et à engagement pour les sociétés missionnaires et les communautés chrétiennes »2. Dès lors, l’immigration africaine en Europe, et en Belgique en particulier, ne constituerait-elle pas aujourd’hui un nouvel espace pour le travail missionnaire ? En effet, les personnes immigrées vivent généralement en situation de conflit culturel. Déracinées, elles sont confrontées à la culture d’accueil. En outre, elles sont ancrées dans ds conditions de vie qui nécessitent une attention particulière des Églises. La mission de l’Église dans ce « monde des immigrés » ne peut être efficace que dans la mesure où il existe une démarche pastorale qui tienne compte dela réalité quotidienne de ces personnes. « L’Église, écrivait Jean-Marc Ela, doit redevenir le lieu d’écoute de l’homme “normal” ou “malade” à partir des situations critiques de l’existence où il s’agit de prendre au sérieux les problèmes pratiques de la vie, les angoisses et les peurs, les émotions, les soucis et les espoirs, les déchirures du tissu social et le besoin de réintégration de l’homme dans son monde »3. Nous trouvons dans ce constat l’une des causes majeures de la prolifération de groupes et d’Églises d’outre-mer en Europe. Ce phénomène constitue une interpellation pour l’Église chrétienne et particulièrement pour le protestantisme belge. La présence des Églises étrangères soulève la question de l’organisation, de l’accueil et de l’intégration des étrangers au sein des Églises en Belgique et en Europe. L’Église, en effet, n’est-elle pas une réalité qui dépasse le cadre culturel ? L’apôtre Paul ne nous rappelle-t-il pas qu’« Il n’y a ni Juif ni Grec, (…) ni esclave ni libre… car tous, vous êtes un en Jésus-Christ » (Gal. 3 : 27) ? Ce constat ne saurait ignorer le débat ecclésiologique qui se dégage d’une telle affirmation. Faut-il supprimer toutes les Églises d’expression africaine et les dissoudre dans celles de même tendance reconnues officiellement en Belgique ? Ou bien faut-il assimiler toutes leurs liturgies à celles des Églises protestantes officiellement établies dans le pays ? La discussion que suscitent ces deux questions nous conduit à choisir entre l’assimilation, le partenariat et l’indépendance, comme modèles possibles d’intégration. 2



3



AGNEAU, R. et PRYEN, D., Un nouvel âge de la mission, Dares, Éd. Revue Spiritus, 1973, p. 301. ELA, J.-M., op. cit., p. 40.

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« L’universalité de la foi, pense Emilio Castro4, ne contredit pas ces expressions particulières. C’est dans une situation particulière que l’on est appelé à répondre au Christ. Beaucoup essaient de donner une valeur universelle à leur réponse particulière, au lieu de reconnaître que la diversité des réponses adressées au Christ est essentielle. » Compte tenu de ce qui précède, notre approche serait de considérer le problème dans le cadre des institutions qui constituent le protestantisme belge. Pour cela, il faudrait, selon moi, trouver des lieux de rencontre et de dialogue. En Belgique il existe aujourd’hui plusieurs regroupements qui permettent ce dialogue avec les communautés d’origines diverses et singulièrement d’origine africaines, tels que la pastorale 2000, la pastorale anglophone, la pasdoc5, la fédération évangélique jusqu’au CACPE. Ces différents rassemblements deviennent de plus en plus incontournables dans la mesure où ils aboutissent à un enrichissement mutuel. En effet, il nous faut penser à une relation de partenariat, et il est évident que ce partenariat ne peut se construire à sens unique. Sur le plan missiologique, ce modèle s’impose de plus en plus comme approprié à un échange constructif de part et d’autre. Comme je l’ai déjà signalé, la mondialisation du christianisme permet une valorisation des identités particulières et la création de nouvelles solidarités chez les chrétiens. Dès lors, le travail des missions à travers le monde trouve sa raison d’être dans un partenariat construit à l’échelon planétaire. Le contexte actuel est dominé par la pluralité. Le paradigme de la mission, selon David Bosch, est marqué par l’œcuménisme6. En effet, « il n’y a qu’une seule mission, écrit Blaser7, qui est celle de vivre ici ou ailleurs l’évangile libérateur, le traduire à chaque fois dans un autre contexte avec ses problèmes spécifiques  ». «  En fonction de cette tâche, ajoute-t-il, tous sont établis partenaires et appelés à créer des conditions permettant de vivre comme partenaires égaux. Nous venons en aide aux peuples pauvres et dans la mesure où ils le désirent, ils nous aident à mieux percevoir notre situation en nous posant des questions provocantes et en nous confrontant à des spiritualités profondes, joyeuses et combatives ». 4

Cité par ROUX, A., Mission de l’Église, missions d’Église, Paris, Le Cerf, 1984, p. 319. 5 Pastorale des Serviteurs de Dieu d’origine congolaise. 6 BOSCH, D.-J., op. cit. 7 BLASER, K., « Mission », dans Encyclopédie du protestantisme, Genève, Labor et Fides, 1995, p. 990.

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Ainsi, selon lui, réfléchir en termes de partenariat passe par une réorganisation des rapports institutionnels qui peuvent lier les chrétiens du Nord et ceux du Sud, par exemple à travers des organisations missionnaires. Grâce au travail missionnaire, des processus d’apprentissage sont possibles. Ainsi, les hommes, quelle que soit leur race peuvent vivre ensemble et collaborer, non sans conflits ni douleurs, mais comme frères et sœurs. Actuellement, la missiologie insiste sur la nécessité intrinsèque pour l’évangile d’être « inculturé »8. L’inculturation est distincte de l’adaptation ou de l’indigénisation. Elle est plus proche de la contextualisation. Les Églises du tiers-monde, pour Blaser, progressent dans la mesure où elles réussissent à s’approprier le message biblique et à développer une reprise existentielle, en se libérant des héritages aliénants, mais sans en fléchir l’exigence chrétienne. « La théologie chrétienne apparaît dans cette perspective comme une chaîne de théologies locales qui devraient se mettre à dialoguer entre elles dans le seul but de servir la présence salvatrice de Dieu dans le monde. Ainsi, étant redevable à l’inculturation de l’évangile, toutes les théologies pourront dialoguer dans un esprit d’interculturation »9. Une telle compréhension de la mission de l’Église conduit au renoncement à l’ancien mouvement qui partait de celui qui envoie et qui donne vers celui qui reçoit, du riche vers le pauvre et du Nord vers le Sud. Dans ce contexte de dialogue interculturel et transculturel, la ferveur des Églises d’expression africaine, d’une part, et le sens communautaire qui caractérise généralement cette Église, d’autre part, ne peuvent-ils pas servir de référence ? Par ailleurs, les Églises d’expression africaine constituent généralement aussi une interpellation pour les Églises d’Afrique. Cette interpellation révèle que l’Église doit être là où se trouve son peuple. Ainsi, les dirigeants des Églises chrétiennes d’Afrique doivent réfléchir sur leur rôle spirituel vis-à-vis des populations africaines en émigration vers l’Europe. Dans cette perspective, on peut souhaiter qu’ils se mettent en dialogue avec les dirigeants des Églises d’expression africaine en Europe à travers les regroupements d’Églises desquels ils font partie. Ceci afin d’aboutir à de meilleures collaborations et de parrainage des initiatives missionnaires 8

Ce mot était déjà utilisé dans les années 1930 par des anthropologues. Par son préfixe « in », il désignait l’insertion d’un individu dans sa culture. Par analogie, les missiologues lui ont forgé le sens d’insertion du christianisme dans une culture. Lire à ce sujet : GULLEMETTE, F., « L’apparition du concept d’inculturation : une réception de Vatican II » dans Mission, vol. II, n° 1, 1995, p. 56. On peut aussi lire NSUMBU, J., « Liturgie et inculturation : … » 9 BLASER, K., « Mission », dans Encyclopédie du protestantisme, op. cit., p. 989.

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crédibles ainsi que de reconnaissance des vocations de leurs filles et fils en diaspora. Ils peuvent en outre servir de pont dans la reconnaissance des Églises de la diaspora par les Églises des pays d’accueil. Car la meilleure approche de mission actuelle est celle qui se fait dans la réciprocité et en commun. Nombreux sont ceux en effet qui souhaitent, prient et œuvrent pour l’avènement d’une « nouvelle évangélisation »10 de l’Europe. Mais il faut reconnaître également que les avis sur cette question sont partagés. Michaël Amalados se demande si, pour cette nouvelle évangélisation, les missionnaires ne pourraient pas venir d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, d’autant plus que les vocations en Europe sont minimes. Aussi, suggère-t-il : Les Églises latino-américaines peuvent apporter leur passion pour la Justice. Les Églises africaines leur sens de la vie et de la communauté, ce qui sera un enrichissement et à la fois un antidote à quelques-uns des maux de la modernité qui affectent la société occidentale11.

Pour en arriver là, il faut que l’évangile soit annoncé. Or, pour mieux connaître la foi, l’on a besoin d’évangélistes, d’enseignants et de catéchistes pour permettre un approfondissement de la foi, mais aussi de « chrétiens » qui rendent témoignage dans la vie quotidienne. Parler d’une nouvelle évangélisation prête parfois à confusion. Pour « les évêques de France »12, il n’est pas question de créer quelque chose de neuf. Il s’agit tout simplement de poursuivre l’œuvre qui est en cours depuis des décennies, en portant mieux certains accents adaptés à la situation nouvelle de l’Église et du monde. Ces considérations suscitent une interrogation quant à l’avenir de l’évangélisation et de la mission en Europe : face au contexte européen de sécularisation et de postmodernité, l’Afrique avec sa ferveur spirituelle peut-elle avoir un rôle dans le nouveau millénaire ? Si jusqu’ici l’Église d’Afrique semble être catégorisée du côté de ceux qui reçoivent les entreprises missionnaires, « Le temps est venu, écrivait J. Mbiti13, pour le christianisme africain d’aller au-delà des mers et d’apporter une présence chrétienne aux pays, aux valeurs et aux mouvements d’idées en Europe, en Amérique, etc. ». Toutefois, cela 10

Lors de la visite de Jean Paul II en Belgique, en mai 1985, il parla « des nouveaux besoins d’une nouvelle évangélisation ». On peut lire à ce sujet : CHAMPAGNE, C., O.M.I., « La nouvelle évangélisation chez les épiscopats des Églises du premier monde », dans Mission, t. I, n° 1, 1994. 11 AMALADOSS, M., « Défi missionnaire à l’Europe », dans Église et Mission, n° 285, janvier-février-mars 1997. 12 CHAMPAGNE, C., O.M.I., « La nouvelle évangélisation… », op. cit. 13 Cité par ROUX, A., Mission de l’Église…, op. cit., p. 321.

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ne peut devenir significatif que si le christianisme africain apporte une contribution spécifique. Quelques expériences à suggérer –– Dans le contexte d’une société multiculturelle avec ses multiples fractures (violence dans les quartiers, communautarisme), les Églises protestantes belges ne pourraient-elles pas compter sur les Églises d’immigration pour des actions ensemble en faveur d’une présence et d’un témoignage chrétiens efficaces dans les zones sensibles ? Le cas de la Nouvelle Jérusalem de Bruxelles peut être pris en considération. En effet, les membres des Églises issues de l’immigration sont fortement présents dans ces quartiers. –– Une démarche commune de formation biblique et théologique en rapport avec les enjeux du témoignage chrétien dans la société occidentale : les chrétiens de l’immigration ont leur propre lecture de la sécularisation, de l’individualisme, de la rencontre avec l’islam, etc. –– La possibilité de croiser des formes d’évangélisation complémentaires : l’accentuation sur les œuvres diaconales et la « présence au monde ». –– Le scepticisme et la rationalité qui imprègnent la société « postmoderne » sont aussi la cause d’une sécheresse spirituelle dans les Églises occidentales. La rencontre culturelle, comme l’atteste le professeur Nsumbu14, peut impliquer un changement qui peut conduire à un renouveau, un réveil. Mais l’influence de l’ancienne culture peut aussi jouer un rôle important. Il y a aussi réveil lorsqu’on cherche à retrouver ce qui avait été perdu après une confrontation avec d’autres acquis. Il est en tout cas bon de sauvegarder sa propre culture, son identité qu’il faudra nécessairement enrichir par de nouveaux éléments jugés importants. Cela donnerait lieu à une influence mutuelle : il y aurait un rafraîchissement à recevoir, une autre façon de lire l’Écriture, une autre façon aussi de vivre une relation personnelle et directe avec la personne de Jésus-Christ. Le cas des pasteurs semble répondre à cette préoccupation. C’est un écho différent dans l’apport de la pastorale venue du Sud. –– La collaboration dans les projets locaux de solidarité avec des pays du Sud : les chrétiens immigrés qui vivent en Europe sont des interprètes privilégiés entre les deux cultures. Ils sont eux-mêmes porteurs et acteurs de projets concrets. 14

NSUMBU, J., « Foi et culture : réflexion sur la vie paroissiale et l’œcuménisme dans un contexte africain et latino-américain », dans Analecta Bruxellensia, Revue annuelle de la FUTPB, n° 8, décembre 2003, p. 64.

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Réflexions finales : les perspectives missionnaires

–– Une catéchèse commune avec les jeunes ou les enfants des deux communautés. D’une part, la pérennité de ces communautés dépend de la façon dont elles accompagnent et intègrent leur jeunesse, et d’autre part, les jeunes sont les meilleurs interprètes ou « passeurs » entre les deux cultures. Nous sommes bel et bien conduits vers un profond changement de perspective, affirmait Gerrie Ter Haar15. Comme un renversement des rôles. « Les Européens voient les Africains toujours du côté de ceux qui reçoivent, eux-mêmes étant du côté de ceux qui donnent ». C’est une démarche d’humilité, conclut Bernard Coyault dans son analyse, que, en dépit de nos traditions théologiques, de notre passé protestant glorieux, et de notre confortable statut social, d’accepter que ces frères et sœurs d’ailleurs, chez lesquels pour paraphraser l’apôtre Paul, il n’y a souvent « ni beaucoup de sages, ni de puissants, ni de nobles », puissent être l’instrument privilégié d’un renouveau spirituel pour la société et pour l’Église d’aujourd’hui.

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TER HAAR, G., « Les théories de l’ecclésiogenèse… », op. cit., p. 52.

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Conclusion générale Au terme de mon analyse sur la diaspora chrétienne africaine en Belgique, je pense, comme Gerrie ter Haar, que ce phénomène marque une nouvelle phase de l’histoire de l’Église en Europe occidentale, et particulièrement de l’histoire de la mission chrétienne. Il constitue, en effet, le symbole et l’expression d’une réalité socioreligieuse de la population européenne qui a changé de visage. Cette réalité se décline désormais en des termes multiculturels et multireligieux. Et cela à cause des migrations : émigration des uns et immigration des autres qui ont fait naître une nouvelle société en recomposition dans toutes les grandes métropoles de l’Europe occidentale. Ainsi, la religion du migrant l’accompagne dans sa nouvelle résidence. Dans ce nouveau paysage, il n’y a pas que la floraison des mosquées et les percées de l’islam qui méritent l’attention, mais aussi la présence de la chrétienté du reste du monde et en particulier africaine issue des Églises missionnaires de traditions occidentales et des initiatives chrétiennes prophétiques spontanées. D’un point de vue théologique, la dynamique de ce mouvement en Europe n’est pas à assimiler au simple fait migratoire, mais à l’expression d’une religion inculturée, qui se fonde sur le vécu, dans l’interprétation des textes bibliques. Ce nouveau phénomène qui intéresse les sciences humaines, telles que la sociologie, l’anthropologie religieuse, etc., a suscité chez moi un intérêt missiologique. Ainsi, après l’avoir analysé dans une perspective missiologique, sur la base de quelques échantillons, il me paraît nécessaire de résumer mes thèses, et, par la même occasion, de formuler des perspectives pour une bonne intégration de la chrétienté d’expression africaine à la mission commune de l’Église en Belgique et en Europe aujourd’hui.

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Pricinpales thèses développées dans cette étude 1. C’est à travers le fondement théologique des réformateurs que se sont élaborées toutes les théologies protestantes de la mission. C’est l’affirmation du rôle de l’individu et de sa responsabilité personnelle qui est à la base de la découverte du sacerdoce de tous les croyants. 2. La doctrine du sacerdoce universel a conduit à l’idée de la vocation personnelle du chrétien et de sa responsabilité au service de Dieu. Chaque chrétien doit collaborer activement à l’œuvre de Dieu dans le monde. C’est là une des grandes caractéristiques du protestantisme qui conduit à la création des différents regroupements ecclésiaux protestants et à celle des Églises d’expression africaine en Europe aujourd’hui. 3. Le message évangélique constitue une force de libération, face aux maux systémiques et aux puissances oppressives qui ont asservi les hommes et les femmes dans le monde. Cependant, la mission et l’évangélisation, l’occidentalisation et la colonisation ont parfois marché main dans la main, produisant à l’égard des autres traditions religieuses et culturelles des théologies et des pratiques, aussi bien que des attitudes et des approches qui sont sérieusement critiquées aujourd’hui. Nonobstant, la mission n’a rien de commun avec une colonisation religieuse quelconque. « Dieu ne s’importe pas, il se révèle » (Maurice Leenhardt). 4. La différence entre l’évangélisation et la mission est une question avant tout systématique. Elle relève du sens que chacun de ces termes acquiert et de l’orientation ecclésiologique dont il dépend. Cependant, dans la pratique, les méthodes et les objectifs paraissent les mêmes. Ainsi donc, l’Église du Christ est la même, quels que soient le lieu, le temps, la race ou la culture ; ces éléments n’en constituent qu’une coloration externe. Ainsi, mondialisation ou pas, l’Église dans sa nature est et demeure missionnaire. 5. La mondialisation est un signe des temps et constitue dès lors un nouveau chantier de la mission des Églises. Les chrétiens n’ont pas à fuir la mondialisation, ni à la rejeter en bloc, mais ils ont à prendre tout ce qui en elle favorise le rapprochement et l’unité des hommes dans la diversité de leurs contextes et de leurs individualités. L’unité est contraire à l’uniformité, elle suppose la pluralité, la différenciation des sujets et la communication entre eux. 197

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6.  L’évangélisation est une dimension essentielle de la mission chrétienne. Elle consiste à proclamer le salut en Jésus-Christ à tous ceux qui ne croient pas en lui : elle appelle à la repentance et à la conversion, elle annonce le pardon des péchés, elle invite à devenir des membres vivants de la communauté terrestre du Christ et à essayer de vivre au service des autres par la puissance du Saint-Esprit (David Bosch). 7. Théologiquement, la mission a sa source en Dieu trinitaire. Elle se place avant tout au cœur de la doctrine de la Trinité et non au cœur de l’ecclésiologie ou de la sotériologie. La mission est d’abord la mission de Dieu (missio Dei), le mouvement de Dieu. Ce premier mouvement est suivi d’un deuxième qui inclut l’envoi de l’Église dans le monde par le Fils et le Saint-Esprit. Il n’y a mission de l’Église que parce qu’il y a mission de Dieu qui suscite l’Église et veut élargir son règne à toute la création. Depuis la conférence de Willingen en 1952, cette conception fait l’unanimité de la missiologie de l’ensemble des confessions chrétiennes. Cette double perspective théocentrique et ecclésiocentrique est bibliquement fondée à partir de la notion d’envoi (apostolat) qui est au cœur du Nouveau Testament. L’on assiste donc à un double mouvement : l’un dont Dieu lui-même est la source quand il envoie son Fils et son Esprit dans le monde, et l’autre quand l’Église envoie à son tour des hommes dans le monde pour témoigner au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. 8. La mission est la participation des chrétiens à l’œuvre libératrice de Jésus-Christ. C’est la bonne nouvelle de l’amour de Dieu en faveur du monde, incarnée dans le témoignage d’une communauté. 9.  La mondialisation du christianisme a permis la valorisation des identités particulières et l’émergence de nouvelles solidarités entre les chrétiens. Le partenariat construit à l’échelle planétaire justifie le travail des missions à travers le monde entier. La publication de Godin et Daniel est à l’origine du renversement du « mythe géographique » de la mission ; ces derniers ont en effet démontré que l’Europe aussi était redevenue un champ de mission au même titre que les autres continents. 10. C’est l’Église, corporellement, qui est le missionnaire envoyé par le Dieu trinitaire pour continuer la mission rédemptrice de Jésus-Christ dans ce monde. Etre chrétien, c’est être membre du corps de Jésus-Christ et par conséquent participer à la Mission du corps de Jésus-Christ.  C’est dans cette perspective qu’il faut chercher l’apport de la chrétienté africaine de la diaspora en Europe aujourd’hui. 198

Pricinpales thèses développées dans cette étude

11. L’implication des chrétiens africains dans l’annonce de l’Évangile dans ce contexte de la mondialisation a un impact auprès d’une minorité européenne dont on peut observer la présence dans les différentes activités des Églises étudiées. 12. Néanmoins, la participation africaine à la Mission soulève plusieurs questions parmi lesquelles la spécificité de cette mission et la question du mandat missionnaire, car la plupart des missionnaires africains ne sont ni envoyés, ni soutenus par leurs Églises en Afrique, avec lesquelles ils n’ont souvent aucune relation. 13. Les Églises d’expression africaine ne représentent pas vraiment toute la richesse de la diaspora chrétienne africaine en Belgique et en Europe. En ce sens, l’apport qu’elles offrent à travers la dimension transculturelle de leur service chrétien peut se révéler relatif. Mais à côté de cette réalité se trouve l’apport des pasteurs, des prêtres et des chrétiens d’origine africaine évoluant dans les différentes Églises occidentales dont la participation n’est pas négligeable. Au regard de ma définition de la mission et de l’évangélisation, les données fournies par mon étude me permettent d’attester de la dimension missionnaire de la chrétienté d’expression africaine en Belgique, rejoignant en cela Gerrie ter Haar qui aboutit aux mêmes conclusions en étudiant le cas des Pays-Bas. 14. La mission africaine en Europe peut se définir, selon une approche chère à Rolland Allen, de « mission issue d’une initiative prophétique spontanée », une spontanéité qui n’exclut pas des structures ecclésiastiques définies. La pointe de cette mission, c’est un mouvement populaire, spontané, enthousiaste, qui n’est autre que l’action du Saint-Esprit. L’Église et la mission sont définies par le Saint-Esprit qui est le véritable missionnaire, précédant les missionnaires. La Mission est une œuvre spirituelle, qui au fond ne peut jamais être « organisée » : il faut certes une organisation en faveur de la mission, mais il n’existe pas d’organisation de la mission. La mission, c’est la vie de l’Esprit qui souffle. La propagation de la foi la plus efficace est celle qui est liée à l’activité et au témoignage des simples fidèles dans leur milieu. En somme, l’Église naît par l’initiative spontanée, et il ne reste aux responsables et instances chrétiennes des pays d’accueil (c’est moi qui le souligne) qu’à lui donner une organisation lui permettant de vivre sa vie autonome et une éducation religieuse « dans l’Église, de l’Église et par l’Église », dans la diversité des cultures, des races, etc. 15. À côté des aspects positifs, on observe des faiblesses, qui se rencontrent dans l’ensemble du phénomène, parmi lesquelles l’improvisation de 199

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plus en plus fréquente des candidats au ministère pastoral, ce qui soulève le problème de leur crédibilité. La carence d’une formation pastorale et théologique adéquate conduit à des bricolages dans la gestion des Églises. À ce danger qui guette souvent les communautés s’ajoute le risque d’esprit sectaire. 16.  La mission africaine s’articule autour de trois grands pôles : évangélisation diaconale, identitaire et pastorale. Dans ce contexte nouveau où le paradigme de la mission chrétienne est œcuménique, où la mission n’est plus à sens unique du Nord vers le Sud, mais de partout vers partout, la présence des Églises chrétiennes d’expression africaine en Europe est révélatrice d’une nouvelle dynamique missionnaire. C’est une présence qui interpelle d’une part les Églises d’Afrique quant à l’étendue de leur mission chrétienne dans le monde, et d’autre part les Églises belges quant à l’accueil et à l’intégration de l’étranger. Il y a quelques années, John Mbiti affirmait  : «  Les Églises et les chrétiens d’Afrique doivent désormais tenir leur partie dans le concert du témoignage de l’Église universelle, et ils ne peuvent le faire de façon significative qu’en introduisant leurs instruments et leurs tonalités propres ». Par ailleurs, ce que dit Neill16 des missionnaires est vrai des missionnaires de tous les temps, depuis le grand apôtre, qui revendiquait sa faiblesse, jusqu’à ceux qui se nomment missionnaires. Ils ont été pour la plupart des gens fragiles, sans grande sagesse, ni vraiment saints, ni très patients. Dans le regard posé sur les missionnaires d’expression africaine en Belgique, l’on devrait donc en tenir compte.

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3. Documents Cahiers des religions africains, Kinshasa, CERA, vol. 27-28, n° 53-56, 1993-1994. 211

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4.  Thèses et Mémoires BULANGALIRE, M., Religion et intégration à la société française dans la période actuelle. Le cas des Négro-Africains en région parisienne et des protestantismes, thèse de doctorat en histoire et anthropologie des religions, Université de Paris La Sorbonne, Paris IV, 1991. GALLEZ, F., Le paysage musical africain à Bruxelles, travail de fin d’études, Institut supérieur de formation sociale et de communication, Bruxelles, août 2002. KIBUTU, N., Les nouvelles Églises indépendantes africaines (NAIC). Un phénomène ecclésial observé au Congo-Kinshasa et auprès de ses extensions en Europe occidentale, thèse de doctorat en théologie, Evangelische Theologische Fakulteit te Heverlee (Leuven), 2002. KITIKILA DIMONIKA, Essai historique sur les origines de la pensée prophétique de Simon Kimbangu. Approche critique de la missiologie moderne, thèse de doctorat en théologie, Faculté universitaire de théologie de Bruxelles, 1984. KUTENDAKANA-LEDENT, F., Enquête sur les étudiants congolais des universités de Bruxelles, Liège et Louvain, Université catholique de Louvain, Faculté des sciences économiques et sociales, Louvain, 1965. NDYWELE NZIEM, I., « La société zaïroise dans le miroir de son discours religieux (1990-1993) », dans Les Cahiers africains-Afrika Studies, Bruxelles-Paris, Institut africain-Afrika Instituut, n° 6, 1993. 212

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5.  Interviews Pasteur KABISSEKELA, K., de l’Église protestante de Tournai. Pasteur KAMWANGA, N., de l’Église du Plein Évangile. Pasteur KIBUTU, C., de l’Église Internationale de Bruxelles. Pasteur LOMBART, M., Président de la commission des ministères de l’Église Protestante Unie de Belgique. Pasteur LUKUSA, de l’Église Protestante Unie de Belgique de Namur. Pasteur MUKWEGE, E., de l’Église protestante baptiste de Péruwelz Pasteur RWANYINDO, L., de l’Église Protestante Unie de Belgique Pasteur TIENPONT, de l’Église Protestante Unie de Belgique de Bruxelles-Ixelles.

6. Internet



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Annexe I

Documents d’archives sur le cas du pasteur Leonard Rwanyindo

Mission en retour, réciproque et interculturelle

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Annexe I

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Mission en retour, réciproque et interculturelle

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Annexe I

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Annexe II

Supplément d’information sur l’Église de Dieu en Belgique : la Nouvelle Jérusalem de Bruxelles

Mission en retour, réciproque et interculturelle

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Annexe II

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Mission en retour, réciproque et interculturelle

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Annexe II

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Mission en retour, réciproque et interculturelle

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Annexe II

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Annexe III

Confession de foi de l’Église internationale de Bruxelles

Mission en retour, réciproque et interculturelle

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Annexe III

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Mission en retour, réciproque et interculturelle

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Annexe IV

Texte sur le fonctionnement de l’Église de l’Arche de la Gloire de l’Éternel

Mission en retour, réciproque et interculturelle

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Annexe IV

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Annexe IV

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Annexe V

Un regard sur le protestantisme en France

Mission en retour, réciproque et interculturelle

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« Dieux, Hommes et Religions » Tandis que les principales religions traditionnelles du monde semblent confrontées à une crise identitaire et culturelle fonda­men­tale, on voit partout se manifester une renaissance des besoins de spi­ri­tualité et de nouvelles pratiques religieuses. Quelles sont les mo­ti­­vations des hommes et des femmes qui soutiennent ces nouvelles tendances ? Assistons-nous à la naissance d’une nouvelle religiosité humaine ? Cette collection a pour but de rassembler les travaux de témoins, penseurs, croyants et incroyants, historiens, spécialistes des reli­gi­o­ n­ s, théologiens, psychologues, sociologues, philosophes et écrivains, tous issus de diffé­rentes cultures et de différentes langues, pour offrir une perspective plus large sur l’un des problèmes-clés de la civili­sa­tion universelle que nous sommes en train de construire. Directeur de collection : Gabriel Fragnière, ancien recteur du Collège d’Europe (Bruges), président du Forum Europe des Cultures

Déjà parus No.20– Alexis B. Tengan (ed.), Christianity and Cultural History in Northern Ghana. A Portrait of Cardinal Peter Poreku Dery (1918-2008), 2013, ISBN 978-2-87574-114-1 No.19– Rik Pinxten, The Creation of God, 2010, ISBN 978-90-5201-644-3 No.18– Christiane Timmerman, Johan Leman, Hannelore Roos & Barbara Segaert (eds.), In-Between Spaces. Christian and Muslim Minorities in Transition in Europe and the Middle East, 2009, ISBN 978-90-5201-565-1 No.17– Hans Geybels, Sara Mels & Michel Walrave (eds.), Faith and Media. Analysis of Faith and Media: Representation and Communica­tion, 2009, ISBN 978-90-5201-534-7 No.16– André Gerrits, The Myth of Jewish Communism. A Historical Interpretation, 2009, ISBN 978-90-5201-465-4 o N  15– Semih Vaner, Daniel Heradstveit & Ali Kazancigil (dir.), Séculari­sa­ tion et démocratisation dans les sociétés musulmanes, 2008, ISBN 978-905201-451-7 o N   14­– Dinorah B. Mendez, Evangelicals in Mexico. Their Hymnody and Its Theology, 2008, ISBN 978-90-5201-433-3 No  13­– Édouard Flory Kabongo, Le rite zaïrois. Son impact sur l’incul­tu­ration du catholicisme en Afrique, 2008, ISBN 978-90-5201-385-5

No  12­– Astrid de Hontheim, Chasseurs de diables et collecteurs d’art. Tentatives de conversion des Asmat par les missionnaires pionniers protestants et catholiques, 2008, ISBN 978-90-5201-380-0 o N   11­– Alice Dermience, La «  question féminine  » dans l’Église catholique, Approches biblique, historique et théologique, 2008, ISBN 978-90-5201-378-7 No  10­– Christiane Timmerman, Dirk Hutsebaut, Sara Mels, Walter Nonneman & Walter Van Herck (eds.), Faith-based Radicalism Chris­tiani­ty, Islam and Judaism between Constructive Activism and Destruc­tive Fanaticism, 2007, ISBN 978-90-5201-050-2 No  9– Pauline Côté & T. Jeremy Gunn (eds.), La nouvelle question reli­gieuse. Régulation ou ingérence de l’État ? / The New Religious Ques­tion. State Regulation or State Interference?, 2006, ISBN 978-90-5201-034-2 No  8– Wilhelm Dupré, Experience and Religion. Configurations and Perspectives, 2005, ISBN 978-90-5201-279-7 No 7– Adam Possamai, Religion and Popular Culture. A Hyper-Real Testament, 2005 (2e tirage 2007), ISBN 978-90-5201-272-8 o N  6– Gabriel Fragnière, La religion et le pouvoir. La chrétienté, l’Occident et la démocratie, 2005 (2e tirage 2006), ISBN 978-90-5201-268-1 o  N 5– Christiane Timmerman & Barbara Segaert (eds.), How to Conquer the Barriers to Intercultural Dialogue. Christianity, Islam and Judaism, 2005 (3e tirage 2007), ISBN 978-90-5201-373-2 o N  4– Elizabeth Chalier-Visuvalingam, Bhairava: terreur et protection. Mythes, rites et fêtes à Bénarès et à Katmandou, 2003, ISBN 978-90-5201-173-8 No 3– John Bosco Ekanem, Clashing Cultures. Annang Not(with)standing Christianity – An Ethnography, 2002, ISBN 978-90-5201-983-3 o N  2– Peter Chidi Okuma, Towards an African Theology. The Igbo Context in Nigeria, 2002, ISBN 978-90-5201-975-8 o N  1– Karel Dobbelaere, Secularization  : An Analysis at Three Levels, 2002 (2e tirage 2004), ISBN 978-90-5201-985-7

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